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Full text of "Histoire de la botanique de la minéralogie et de la géologie depuis les temps les plus reculés jusqu'a nos jours"

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HISTOIRE 

UNIVERSELLE 

PUBLrtE 

Par  une  société  de  professeurs  et  de  savants 

sous  LA  DIRECTION 

DE  V.    DURUY 


HISTOIRE 

DE   LA 


BOTANIQUE 

DE    LA 

MINÉRALOGIE  ET  DE  LA  GÉOLOGIE 


OUVRAGES  DE  M.  HOEFER 

PUBLIÉS   PAR   LA   MÊME    LIBRAIRIE 


Histoire  de  la  physique  et  de  la  chimie,  depuis  les 
temps  les  plus  reculés  jusqu'à  nos  jours,  i  volume  in-l(i, 
broché.  4  fr. 

Histoire  de  la  Zoologie.  1  vol.  in-16.  4  fr. 

Histoire  de  l'Astronomie.  I  vol.  in-16.  4  fr. 

Histoire  des  sciences  mathématiques.  1  vol.  in-16.  4  fr. 

Diodore  de  Sicile:  Bibliothèque  historique;  traduction  fran- 
çaise, avec  deux  préfaces,  des  notes  et  un  index,  par 
Ferd.  Hoefer;  2«  édition.  4  vol.  in-16.  14  fr. 


CouLOMMiEHS.  —  Typographie  Paul  BKODARD, 


HISTOIRE 


DE  LA 


BOTANIQUE 


DE  LA 


MINÉRALOGIE  ET  DE  L/V  GÉOLOGIE 

DEPUIS  LES  TEMPS  LES  PLUS  RECULÉS 
JUSQU'A  NOS  JOURS 


FERDINAND   HOEFER 


PARIS 

LIBRAIRIE   HACHETTE   ET   C'^ 

79,    BOULEVARD    SAINT-GERMAIN,    79 

1882 


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HISTOIRE 


DE 


LA   BOTANIQUE. 


LIVRE   PREMIER. 

LA   BOTANIQUE   DANS    L'ANTIQUITÉ 

La  connaissance  de  l'enveloppe  végétale  nécessaire  à 
la  nourriture  de  l'homme,  connaissance  qui  constitue  la 
botanique  (du  grec,  êoiavr),  végétal)^  a  suivi  le  mouvement 
de  la  civilisation.  Les  peuples  primitifs  ne  nous  ont  rien 
transmis  à  ce  sujet.  Gela  devait  être;  ils  ignoraient  l'u- 
sage de  l'écriture.  L'histoire  de  la  botanique  commence 
dès  que  l'esprit  observateur  a  pu  transmettre  ses  actes  à 
la  postérité.  Elle  sert  en  quelque  sorte  d'échelle  graphi- 
que à  ce  mouvement. 


Flore  biblique. 

Le  plus  ancien  document  que  nous  ayons  ici  à  consul» 
ter,  c'est  la  Bible.  La  Bible  nous  transporte,  par  ses  ré- 
cits, dans  les  contrées  orientales  du  bassin  méditerranéen, 

1 


2  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

telles  quelaPhénicie,  la  Palestine,  l'Egypte. C'était  laque 
siégeait,  il  y  a  trois  mille  ans,  la  civilisation,  quand  l'Eu- 
rope était  encore  plongée  dans  les  ténèbres  de  la  barbarie. 

Les  plantes  que  nous  allons,  le  texte  biblique  à  la 
main,  passer  en  revue,  appartiennent  à  cette  zone  qui 
s'étend  depuis  le  littoral  de  la  Pliénicie  jusqu'au  bord 
occidental  de  i'Euphrate. 

Parmi  les  céréales,  nous  signalerons  d'abord  le 
khillah^  qui  était  une  espèce  de  froment,  le  gîtoî  des 
Grecs;  puis  lesehorah,  qui  était  l'orge,  comme  le  montre 
l'étymologie  de  ce  nom  (de  l'hébreu  sahar,  être  rude), 
par  allusion  aux  arêtes  de  l'épi).  Le  froment  et  l'orge 
sont  originaires  de  la  Perse,  s'il  faut  en  croire  le  rapport 
des  voyageurs  naturalistes,  tels  que  Olivier  et  André 
Michaux,  qui  y  ont  trouvé  ces  céréales  à  l'état  sauvage. 
Le  seigle  ne  paraît  pas  avoir  été  non  plus  inconnu  aux 
anciens  habitants  de  l'Asie  occidentale;  mais  ils  en  fai- 
saient fort  peu  de  cas.  Le  dokhan  ou  dourah^  que  presque 
tous  les  interprètes  ont  inexactement  rendu  par  millet^ 
était  de  tout  temps  la  céréale  par  excellence  des  peuples 
de  l'Orient:  c'était  notre  sorgho,  espèce  de  houque  [holciis 
sorglium^h.) y  ïsicile  à  reconnaître  à  lalargeur  de  ses  feuilles, 
et  surtout  à  ses  épillets  en  panicule,  qui  sont,  comme 
les  graines,  d'un  brun  plus  ou  moins  foncé.  C'est  à  ce 
dernier  caraotère  que  fait  sans  doute  allusion  le  nom 
sémitique  de  dokhan,  qui  dérive  évidemment  de  dokhan, 
être  de  couleur  brunâtre. 

Au  nombre  des  végétaux  à  graines  féculentes,  apparte- 
nant à  lafamille  des  légumineuses,  on  trouve  cité,  dans  l'An- 
cien Testament,  le  iwl,  que  la  Vulgate  a  traduit  ])Rrfaba, 
fève.  Mais,  selon  toutes  les  probabilités,  il  faut  entendre  par 
là  le  pois  chiche ,  qui  était  de  tout  temps  cultivé  comme 
plante  alimentaire  dans  les  contrées  méridionales.  Le 
nom  même  de  pôl,  qui  signifie  gonfler  ou  bouillir,  rap- 
pelle le  latin  bulla  ou  le  français  peiil,  par  lequel  on  dé- 
signait autrefois  un  légume  arrondi,  gonflé,  ayant  quel(|U(. 


ANTIQUITÉ.  3 

ressemblance  avec  une  bulle  de  savon,  et  cette  com- 
paraison ne  peut  guère  convenir  qu'au  pois  chiche.  On 
sait  d'ailleurs  que  beaucoup  de  peuples  anciens,  notam- 
ment les  Egyptiens,  avaient  interdit  l'usage  des  fèves 
tjar  des  motifs  de  religion. 

L'adaschim ,  que  les  traducteurs  ont  rendu  par  lentille , 
était  la  vesce,  à  juger  par  l'étymologie  de  ce  nom.  Car 
adaschim  (pluriel  à'edesch)  vient  d'adasch,  faire  paître  un 
troupeau.  Or  ce  n'étaient  pas  les  lentilles,  mais  les  vesces 
qui  servaient  anciennement ,  comme  encore  aujourd'hui, 
à  amender  les  terres  en  jachère,  en  fournissant  aux  trou- 
peaux des  pâturages  excellents.  Au  reste  ,  la  vesce  est 
plus  commune  que  la  lentille  dans  les  contrées  méri- 
dionales de  l'Ancien  Monde.  Les  Arabes  l'appellent 
encore  aujourd'hui  adasch.  Ce  ne  fut  donc  pas  pour  un 
plat  de  lentilles,  mais  pour  un  plat  de  vesces,  qu'Ésaû 
vendit  son  droit  d'aînesse^ 

Aucun  pays  ne  devait  être  plus  propre  à  la  culture  des 
oignons  que  la  basse  Egypte  :  ces  plantes  aiment  un  ter- 
rain alluvionnaire,  humide.  Il  ne  faut  pas  juger  des 
oignons  du  midi  par  ceux  du  nord,  qui  ont  une  saveur 
acre  et  excitent  le  larmoiement.  Les  oignons  cultivés 
dans  les  régions  méridionales,  et  particulièrement  en 
Egypte,  sont  doux,  mucilagineux,  et  beaucoup  plus  gros 
que  ceux  du  nord.  Les  Hébreux,  traversant  le  désert,  re- 
grettaient beaucoup  les  oignons  d'Egypte  ^  Ils  regrettaient 
aussi  les  abattikhim,  qui  étaient,  non  pas  nos  melons 
mais  les  pastèques,  qui  font  encore  aujourd'hui  la  nourri- 
ture favorite  des  Orientaux  pendant  les  chaleurs  de  l'été. 

Qu'était  le  khatsir,  dont  il  est  souvent  parlé  dans  l'An- 
cien Testament?  Contrairement  à  l'opinion  des  traduc- 
teurs qui  rendent  ce  mot  par  poireau,  nous  pensons  que 
c'était  une  espèce  de  graminée,  riche  en  sucre,  et  dont  on 

1.  Genèse,  xxv,  34. 

2.  Nombres,  xi,  5. 


4  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

pouvait  mâcher  la  tige.  Peut-être  était-ce  la  véritable  canne 
à  sucre,  mentionnée  par  Dioscoride  et  Pline,  et  connue, 
depuis  la  plus  haute  antiquité,  des  peuples  de  l'Orient. 

Les  Juifs  avaient,  suivant  le  Talmud,  la  coutume 
d'assaisonner  tous  leurs  mets  à  l'ail.  D'après  Hérodote, 
on  lisait  sur  la  pyramide  de  Ghéops,  en  caractères 
hiéroglyphiques,  la  quantité  d'aulx,  d'oignons  et  de  raves 
que  les  ouvriers  avaient  consommés  pendant  la  construc- 
tion de  ce  monuments 

Les  'pakkuot^  que  l'on  a  traduit  indifféremment  par 
coloquintes  et  par  concombres  sauvages,  étaient  les  fruits 
du  momordica  elaterium^li.,  à  juger  par  l'étymologie  du 
mot,  dérivant  de  paka,  qui  signifie,  dans  les  idiomes  sémiti- 
ques, rompre^  éclaler.  Or  ceci  ne  saurait  s'appliquer  qu'à 
cette  cucurbitacée  dont  les  fruits,  à  l'époque  de  leur 
maturité,  se  détachent  de  leur  pédoncule  avec  bruit  et 
lancent  au  loin  les  graines  et  le  suc  qu'ils  contiennent. 
Le  momordica  elalcnum  est  une  plante  propre  à  la  région 
méditerranéenne  et  bien  connue  des  anciens  :  ses  fruits 
sont,  comme  l'indique  la  Bible,  amers  et  vénéneux^. 

Les  arbres  et  arbrisseaux  portaient  la  dénomination 
générale  de  eiz,  qui  dérive  à'alsah^  dur,  et  signifie  primi- 
tivement le  bois^.  L'étymologie  donne  donc  ici  l'un  des 
caractères  essentiels  qui  servent  à  définir  l'arbre  et  l'ar- 
brisseau, savoir  la  lignosilé  de  la  tige. 

Voici  les  principaux  arbres  dont  il  est  question  dans 
l'Ancien  Testament. 

DalUer.  —  Le  dattier  [phœnix  dactylifera^  L.)  caractérise 
avec  le  palmier  nain  [chamœrops  humilis)  la  région  médi- 
terranéenne. Il  frappe  immédiatement  tous  les  regards  par 
sa  tige  svelte,  élancée,  dépourvue  de  branches  et  cou- 
ronnée d'une  cime  de  grandes  feuilles  en  éventail.  Toutes 


1.  Hérodote,  ii,  125. 

2.  Il  Rois,  IV,  39-40. 

3.  Genèse,  xL,  19;  Deutéronome,  xxi,  22. 


ANTIQUITE.  5 

les  parties  de  cet  arbre  sont  utilisées  :  la  tige  fournit 
une  liaueur  fermentescible,  les  feuilles  servent  à  tisser 
divprs  ouvrages,  et  les  dattes  sont  pour  les  Orientaux  ce 
que  la  pomme  de  terre  est  pour  les  habitants  de  l'Europe. 
La  Mésopotamie,  la  Syrie,  la  Palestine  et  quelques  con- 
trées de  l'Arabie  et  de  l'Afrique  septentrionale  passaient 
anciennement  pour  les  pays  les  plus  riches  en  dattes. 
Mais  il  faut  aujourd'hui,  au  rapport  des  voyageurs, 
beaucoup  rabattre  de  ces  richesses. 

La  Bible  ne  parle  pas  d'une  pratique  agricole,  fort  an- 
cienne en  Egypte,  qui  consistait  à  secouer  la  poussièrft  des 
fleurs  mâles  du  dattier  au-dessus  du  dattier  à  fleurs  fe- 
melles, pour  obtenir  des  fruits  capables  de  mûrir.  On  sait 
cependant  de  temps  immémorial  que  sans  cette  précau- 
tion la  récolte  des  dattes  avorte  immanquablement.  Com- 
ment la  fécondation  artificielle  du  dattier  n'a-t-elle  pas 
plus  tôt  conduit  à  la  découverte  des  organes  sexuels  chez 
les  plantes? 

Grenadier.  —  Le  rimmôn  des  Hébreux  et  des  Chaldéens 
était  le  ^ua  des  Grecs,  le  malus  punica  des  Romains.  Le 
grenadier  était  appelé  joitnica,  parce  qu'on  le  croyait  d'ori- 
gine punique,  des  environs  de  Garthage.  Il  est  au  nombre 
des  arbres  caractéristiques  de  la  région  méditerranéenne. 
La  pomme  grenade  était  un  des  sept  fruits  de  la  Terre 
Promise'.  Plusieurs  endroits  de  la  Palestine,  fertile  en 
grenades,  portaient  le  nom  de  Rimmôn.  Le  grand  prêtre 
des  Hébreux  avait  ses  habits  sacerdotaux  ornés  de  grena- 
des, et  la  fleur  (balauste)  du  grenadier  se  voit  représentée 
sur  des  médailles  phéniciennes  et  carthaginoises. 

Amandier.  — La  région  méditerranéenne  est  la  véritable 
patrie  de  l'amandier,  que  les  Hébreux  désignaient  par  le 
nom  de  schaked.  Ge  nom  a  pour  racine  schakad.^  veiller, 
par  allusion  aux  fleurs  qui  paraissent  avant  les  feuilles, 
dès  les  premiers  jours   du    printemps,    au  réveil    de    la 

1.  Deutéronome,  vni,  8. 


6  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

nature.  C'est  sui"  cette  étymologie  que  repose  cette  sorte 
de  jeu  de  mots  qu'on  lit  au  chapitre  i,  9-12,  de  Jérémie: 
«  Que  voyez-vous,  Jérémie?  Et  je  répondis  :  Je  vois  une 
branche  d'amandier.  »  Les  mots  soulignés  ont  été  rendus 
fort  inexactement,  selon  nous,  par:  «  Je  suis  une  verge 
qui  veille.»  L'inexactitude  de' cette  traduction,  fondée 
cependant  sur  l'autorité  de  la  Vulgate,  est  démontrée  par 
la  suite  du  texte  de  Jérémie  :  «  Et  Jéhovah  dit  :  Vous  avez 
bien  vu;  car  je  veille  pour  accomplir  mes  paroles.  »  Le 
mot  TpiU  [schaked],  (sans  les  points  massorétiques),  étant 
en  même  temps  un  substantif'  et  le  participe  du  verbe 
schakad,  signifie  tout  à  la  fois  amandier  et  celui  qui  veille. 

Il  est  rare  de  voir,  dans  les  langues  anciennes,  donner 
plusieurs  synonymes  à  un  seul  et  même  arbre.  Aussi 
n'admettrons-nous  pas  avec  Celsius  que  louz  signifie  aman- 
dier, comme  schaked.  Le  nom  de  louz,  qui  rappelle  le  nux 
des  Latitis,  était  appliqué,  d'une  manière  générale,  aux 
fruits  à  noix.  C'est  pourquoi  les  Septante  ont  eu  rai- 
son de  traduire  ce  nom  hébreu  par  noyer  [juglansregia,  L.), 
arbre  assez  bien  connu  des  anciens,  et  que  l'on  croit  origi- 
naire de  la  Perse.  Mais  nous  rejetons,  comme  erronée, 
la  version  des  traducteurs  modernes  (allemands,  danois  et 
suédois),  d'après  lesquels  louz  serait  le  noisetier  {corylus 
avellana,  L.)  ;  car,  autant  cet  arbrisseau  est  commun  en 
France ,  en  Allemagne,  en  Danemark,  en  Suède,  autant 
il  est  rare  en  Palestine  et  dans  les  pays  circonvoisins. 

Oranger.  —  Le  nom  hébreu  de  tappouakh  a  été  appliqué 
par  les  traducteurs  à  la  pomme  et  au  pommier.  Cette 
interprétation  est,  selon  nous, complètement  inexacte.  Carie 
pommier  étant  un  arbre  de  la  zone  tempérée  froide,  pros- 
père fort  peu  en  Egypte,  en  Arabie,  en  Palestine,  etc.; 
jamais  ses  fruits  n'y  attirent,  ni  par  leur  odeur,  ni  par  leur 
saveur,  l'attention  des  passants.  Mais  on  trouve,  dans  la 
région  méditerranéenne,  un  arbre  bien  connu,  dont  toutes 
les  parties  exhalent  une  odeur  fort  agréable  :  c'est  l'oran- 
ger. C'est  à  lui  que  convient  le  nom  de  tappouakh,  qui 


ANTIQUITÉ.  7 

dérive  de  nappakli^'  répandre  une  bonne  odeur  ;  c'est  à  lui 
que  conviennent  ces  paroles  du  Cantique  des  Cantiques, 
vu,  9  :  «  Et  l'odeur  de  votre  bouche  sera  comme  celle 
des  oranges  * .  »  Tous  les  traducteurs  cependant  disent  :  «  Et 
l'odeur  de  votre  bouche  sera  comme  celle  des  pommes.  » 

Olivier.  —  La  connaissance  de  l'o/wier  et  de  ses  usages 
remonte  à  la  plus  haute  antiquité.  La  Genèse  en  fait 
mention  sous  le  nom  zaïth.,  qui  se  retrouve  dans  tous  les 
'diomes  sémitiques.  Nous  y  reviendrons  plus  loin. 

Figuier. — Les  interprètes  et  commentateurs  de  l'Ancien 
Testament  ont  appliqué  le  nom  de  leènah,  tantôt  au  bana- 
nier [musa  paradisinca^  L.),  tantôt  au  figuier  commun 
[ficus  carica,  L.).  Ainsi  ils  admettaient  que  les  feuilles, 
dont  Adam  etÈve  couvraient  leur  nudité,  étaient  les  larges 
feuilles  du  bananier.  Cependant,  dans  d'autres  passages  de 
la  Bible,  ce  nom  est  aussi  celui  du  figuier  commun,  dont  les 
fruits  sont  énumérés  parmi  les  productions  de  la  Terre  Pro- 
mise. Les  figues  de  la  Palestine  étaient  renommées  ;  elles 
portaient  des  noms  différents,  non-seulement  d'après  les 
variétés  de  l'espèce,  mais  suivant  leur  degré  de  maturité,  de 
dessiccation  ou  de  forme.  Ainsi  les  figues  d'hiver  s'appe- 
laient paguim  (oXuv6ot  des  Septante,  grossi  de  la  Vulgate)  ^; 
les  figuesprécoces  ou  printanières,6icouro//i^,nom  encore 
aujourd'hui  employé  par  les  Arabes  {bucar)  pour  désigner 
la  même  chose  ;  enfin  les  figues  desséchées  et  réduites  en 
masses  compactes  se  nommaient  debeiin,  TraXaôr,  des  Grrecs. 
Or,  puisqu'on  donnait  déjà  des  noms  différents  aux  fruits 
provenant  d'une  seule  et  même  espèce  d'arbre,  il  n'est 
guère  probable  que  ce  même  nom  de  teènah  ait  été  appli- 
qué à  la  fois  au'bananier  et  au  figuier  proprement  dit. 

Sycomore.  —  Le  schikmahdn  livre  des  Rois  est  bien  le 
figuier  de  Pharaon  ou  sycomore  [ficvs  sycomorus^  L.),  qu'il 
ne  faut  pas  confondre  avec  notre  érable.  Le  nom  de  syco- 

1.  Cantique,  ii,  13. 

2.  Jérémie,  xxviii,  4. 


8  '    HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

more,  dérivé  de  aZxoc,  figue  et  de  [xwpo;  mûrier,  est  très- 
expressif.  Cet  arbre  ressemble,  en  effet,  par  ses  fruits  au 
figuier,  et  par  ses  fouilles  au  mûrier.  Le  sycomore  paraît 
avoir  été  autrefois  plus  fréquent  en  Palestine  et  en  Egypte 
qu'il  ne  l'est  aujourd'hui.  On  le  rencontre  assez  abon- 
damment dans  la  Nubie.  Son  bois,  qui  passe  pour  résis- 
ter à  la  pourriture,  servait,  chez  les  Égyptiens,  à  la  fa- 
brication des  caisses  de  momie. 

Cèdre. — Les  prophètes  parlent  souvent  de  l'erè^,  quicsl 
bien  le  cèdre  [pinus  cedrus)^  et  non  pas,  comme  l'ont  pré- 
tendu divers  interprètes,  le  pin  sylvestre.  Gela  résulte  de  ce 
passage  d'Ézéchiel  (xxxi,  3)  :  «  Voyez  Assur  ;  il  était 
comme  un  érèz  sur  le  Liban:  ses  branches  étaient  belles, 
touffues  et  répandant  l'ombre;  il  était  haut,  et  sa  cheve- 
lure s'élevait  d'entre  les  rameaux  serrés.  »  Cette  descrip- 
tion s'applique  en  tout  point  au  cèdre  du  Liban. 

Le  cyprès  ou  bérosch  est  presque  toujours  cité,  dans 
l'Ancien  Testament,  à  côté  du  cèdre.  C'est  qu'en  effet  ces 
deux  arbres  peuvent  rivaliser  ensemble  par  leur  hauteur, 
par  la  verdure  sombre  de  leur  feuillage  persistant  et  par 
les  usages  de  leur  bois,  qui,  imprégné  de  résine,  résiste 
longtemps  à  la  putréfaction.  Le  bois  de  cèdre  et  de  cyprès, 
la  gloire  du  Liban.,  selon  l'expression  d'Isaïe  ,  avait  été 
employé  dans  la  construction  du  temple  de  Salomon. 

Le  kinnamôn  était  au  nombre  des  aromates  avec  les- 
quels Moïse  prépara,  selon  l'ordre  de  Jéhovah  ,  l'huile 
sainte'.  Si  ce  nom  désigne  réellement,  ce  qui  paraît  in- 
contestable, la  cannelle^  c'est-à-dire  l'écorce  de  plusieurs 
espèces  de  cinnamomiim.,  arbres  de  l'Inde  et  particulière- 
ment de  l'île  de  Ceylan  (la  fameuse  Taprobane  des 
anciens),  il  faudra  admettre  que  les  habitants  du  pays  de 
Chanaan,  c'est-à-dire  les  Phéniciens  ,  entretenaient  déjà 
du  temps  de  Moïse  un  commerce  actif  avec  l'Inde.  Go. 
commerce  se    faisait   communément  par  l'intermédiaire 

1.  Eiode,  XXX,  23. 


ANTIQUITÉ.  9 

des  Arabes  ;  c'est  pourquoi  on  prenait,  pendant  longtemps, 
les  denrées  de  l'Inde  pour  des  produits  de  l'Arabie. 
Hérodote,  dans  les  renseignements  qu'il  nous  donne  sur 
la  cannelle  (m,  111),  fut  la  dupe  des  rusés  marchands  de 
Tyr,  qui  répandaient  des  contes  pour  dérouter  la  concur- 
rence. Il  ajoute  cependant  avec  raison  que  c'est  des 
Phéniciens  que  «  nous  avons  appris  le  nom  et  la  chose  ». 
Le  kinnamomon  des  Grecs  était  donc,  sans  aucun  doute, 
le  kinnarnon  des  Hébreux  et  des  Phéniciens.  Quant 
à  la  connaissance  de  l'arbre  qui  produit  la  cannelle,  elle 
resta  pendant  longtemps  un  mystère  pour  les  botanistes. 
Myrrhe.  — Le  nom  hébreu  de  mor  (dérivant  de  mara>\ 
découler,  être  amer)  paraît  être  la  racine  des  mots  grec  et 
latin,  [^-upp'x,  myrrha.  La  myrrhe  est,  en  effet,  une  sub- 
stance amère,  résineuse,  qui  découle  d'un  certain  arbre  ; 
de  tout  temps  fort  estimée  des  Orientaux,  elle  se  rencontre 
dans  le  commerce  en  larmes  ou  en  grains,  dont  les  plus 
volumineux  ont  la  grosseur  d'une  noisette.  Elle  vient  de 
l'Arabie  et  de  l'Abyssinie.  Mais  quel  est  l'arbre  qui  la 
fournit?  Les  renseignements  quo  nous  donnent  à  cet 
égard  les  anciens,  sont  fort  divergents.  D'après  Théo- 
phraste  et  Diodore,  c'est  un  arbre  qui,  par  son  fruit  et  son 
feuillage,  ressemble  au  tèî-ébinthe,  espèce  de  lentisque^- 
Pline  le  compare  au  genévrier^,  et  Dioscoride  à  un 
acacia ^  Bélon  et  d'autres  naturalistes  modernes  inclinent 
vers  l'opinion  de  Dioscoride.  Mais  s'il  y  a  des  acacias  qui 
fournissent  de  la  gomme,  il  n'y  en  a  aucun  qui  donne  une 
substance  résineuse  semblable  àla  myrrhe.  Il  est  infiniment 
plus  probable  que  l'arbre  myrrhifère  appartient  à  la  famille 
des  térébinthacées,  plantes  presque  toutes  remplies  de  ré- 
sine aromatique.  Cette  opinion,  appuyée  sur  l'autoiité  de 
Théophraste  et  de  Diodore,  est  confirmée  par  deux  voya- 


1.  Théophraste,  Hist.  plant.,  ix,  4;  Diodore,  v,  41. 

2.  Pline,  Hir>.  nat.,  xii,  15 

3.  Dioscoride,  Mr'.  med.,  i,  76. 


10  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

geurs  naturalistes,  Ehrenberg  et  Hemprich.  Le  premier 
a  décrit  l'arbre  d'où  découle  la  myrrhe:  il  l'appelle  bulsa- 
inodendron  myrrha  (famille  des  térébinthacées),  voisin  du 
genre  bosweilia^  dont  plusieurs  espèces  fournissent  l'en- 
cens. 

La  myrrhe,  presque  toujours  associée  à  d'autres  sub- 
stances résineuses,  aromatiques,  jouait  un  grand  rôle 
dans  les  pratiques  religieuses  des  Juifs  et  des  Égyptiens. 
Elle  entrait  dans  l'huile  sainte,  qui  servait  à  oindre  le 
Tabernacle  ;  elle  était  au  nombre  des  présents  offerts  par 
les  Mages.  Nicodème  l'employa ,  mêlée  à  d'autres  aro- 
mates, pour  embaumer  le  corps  du  Christ.  Le  vin  myr- 
rhiné  (  olvoç  i<r[j.upv[a[i.£v(;(;)  qu'on  donnait  à  boire  à  Jésus 
sur  la  croix \  était  amer,  excitant,  mais  ne  possédait 
aucune  des  propriétés  narcotiques  que  lui  supposaient  les 
commentateurs. 

Qu'était-ce  que  le  pischtah,  dont  il  est  si  souvent  ques- 
tion dans  l'Ancien  Testament?  Nous  pensons  que  c'était 
le  coton,  contrairement  à  l'opinion  des  interprètes  qui  ont 
traduit  pischtnh  par  lin.  Notre  opinion  est  corroborée  par 
un  passage  de  Josué  (ii,  6) ,  où  il  est  question  d'une 
femme  de  Jéricho,  nommée  Rahab,  qui  cacha  chez  elle 
des  hommes  dans  des  «  bois  de  cotonniers  »,  hepischteh 
haëts,  mots  que  les  traducteurs  ont  rendus  par  «  sous 
des  bottes  de  lin  ».  Or  le  cotonnier,  d'annuel  qu'il  est, 
devient  vivace  et  ligneux  dans  une  contrée  chaude,  comme 
l'était  la  vallée  de  Jéricho,  où  il  peut  acquérir  les  dimen- 
sions d'un  arbre  moyen.  Ceux  qui  objectent  que  le  coton, 
était  inconnu  aux  anciens,  oublient,  qu'au  rapport  de  Pline 
{Hist.  nat.,  XIX,  1)  le  cotonnier  était  cultivé  de  tout  temps 
en  Arabie  et  en  Egypte,  et  que  les  Phéniciens  et  les  Car- 
thaginois répandirent  l'usage  du  coton  en  Grèce,  en  Italie 
et  en  Espagne.  Le  coton  le  plus  fin  était  appelé,  en  hé- 
breu, bouts;  P'jffcoç,  byssus,  chez  les  Grecs  et  les  Romains. 

1.  s.  Marc,  xv,  23. 


ANTIQUITÉ.  11 

Le  mot  atad*  a  été  divei-sement   rendu  par  buisson, 

églantier^  petit  houx,  prunier  sauvage,  etc.  Cependant  les 
Arabes  désignent  par  le  même  mot  une  espèce  de  rham- 
née,  lerhamnus  paliurus,  L.,  arbrisseau  très-commun  en 
Palestine,  et  remarquable  par  ses  fortes  épines.  Hassel- 
quist^  donne  à  notre  arbrisseau  le  nom  de  rhamnus  spina 
Christi,  supposant  avec  beaucoup  de  probabilité  que  les 
Juifs  avaient  fait  de  ses  rameaux  la  couronne  d'épines  du 
Christ. 

Les  doudàim  de  la  Bible,  que  les  traducteurs  rendent 
tantôt  par  mandragores^  tantôt  par  pommes  d^amour, 
paraissent  être  les  fruits,  non  pas  d'une  solanée  ,  mais 
d'une  asclépiadacée ,  de  Vasdepias  gigantea.  C'est  un 
arbre  qui  croît  en  Palestine,  ainsi  que  dans  la  Haute 
Egypte.  «  Son  fruit,  rapporte  Robinson,  est  semblable  à 
une  pomme  lisse,  de  couleur  jaunâtre,  et  disposé  en 
faisceau  de  trois  à  quatre;  si  on  le  comprime,  il  crève 
avec  bruit  comme  une  vessie  gonflée  d'air,  et  il  ne  reste 
dans  la  main  qu'une  enveloppe  mince  et  des  filamen,ts 
fibreux;  il  contient  une  espèce  de  soie  fine,  avec  les 
graines*.  »  Robinson  avait  trouvé  cet  arbre  à  Aïn-Gidy, 
sur  le  littoral  de  la  mer  Morte.  Les  fleurs  paraissent  de 
très-bonne  heure,  car  déjà  en  mai  on  en  voit  les  fruits. 
Cette  particularité  s'accorde  parfaitement  avec  ce  qu'on 
lit  dans  le  Cantique  des  Cantiques  (vu,  12  et  13),  où  il 
est  question  des  plantes  dont  les  fleurs  annoncent  le 
retour  du  printemps.  Dans  ce  même  passage,  on  men- 
tionne le  parfum  des  fleurs  dé  doudaïm^  caractère  qui  ne 
s'applique  ni  à  la  mandragore,  ni  à  aucune  solanée.  Enfin, 
les  fruits  de  Yasclepias  gigantea^  connus  sous  le  nom  de 
pommes  de  Sodome^  passaient  chez    les  Orientaux    pour 


1.  Juges,  XIX,  14  et  15  ;  Psaumes,  vm,  10. 

2.  Iter  Palestinum  (Stockh.  1757,  p.  5'23). 

3.  Robinson,  Palestine,  Journal   d'un    Voyageur    en  1838,  t.  I, 
p.  472. 


12  HISTOIRE   DE  LA  BOTANIQUE. 

un  puissant  aphrodisiaque  ;  c'est,  aussi  la  propriété  que 
semble,  d'accord  avec  l'étymologie  de  douclaïm  (de  dod 
amour),  leur  attribuer  l'auteur  sacré  {Genèse,  xxx,  1  5  et  1 6). 

Nous  nous  bornerons  à  signaler  parmi  les  princip^los 
plantes  annuelles  et  vivaces,  mentionnées  dans  l'Ancien 
Testament,  les  espèces  suivantes  : 

Kikaiôn.  —  Ce  végétal,  sous  lequel  s'abrita  le  prophèt;^ 
Jonas,  était  probablement  le  ricin  [ricinus  palmaChristi). 
Le  ricin,  qui  est  annuel  dans  uos  climats,  devient  vi- 
vace  en  Orient,  on  il  acquiert  les  dimensions  d'un 
arbre,  et  répand,  par  ses  larges  feuilles  palmées,  un 
ombrage  épais.  Le  kiki^  nom  que  les  Égyptiens  donnaient, 
suivant  Diodore  [Bibl.  Hist.,  i,  34),  à  l'huile  de  ricin, 
rappelle  tout  à  fait  le  nom  hébreu  de  kikaiôn.  C'est  donc 
à  tort  que  les  anciens  interprètes  l'ont  traduit  par  lierre 
(xKjCTov,  hedera).  D'autres  ont  entendu  par  là  une  espèce 
de  cucurbitacée'. 

Lis.  —  Dans  le  temple  de  Salomon  les  chapiteaux  des 
colonnes  avaient  la  forme  du  schoschan.,  et  on  y  voyait  un 
bassin  ou  coupe  artificielle,  semblable  à  une  fleur  de 
schoschan  épanouie  ^  Le  psalmiste  parle  d'un  instrument 
de  musique  qui,  à  cause  de  sa  forme,  avait  reçu  le  nom 
de  schoschan^.  Le  Cantique  des  Cantiques  donne  le  même 
nom  comme  un  symbole  de  grâce  et  de  beauté.  De  l'exa- 
men comparatif  de  ces  détails  on  a  conclu  avec  raison 
que  le  schoschan  des  Hébreux  ne  pouvait  être  que  le 
lis  [Ulium  candidum,L.).  D'ailleurs  ce  mot  a  pour  racine 
S'Msch,  blancheur,  et  le  lis  est  indigène  de  l'Orient.  On 
rencontre  encore  aujourd'hui  de  nombreuses  espèces  de 
liliacées  dans  les  vallées"  de  la  Palestine,  particulière- 
ment aux  environs  de  Hébron  (Khalil)  ^ 

1.  Voy.  Celsius,  llierobotanicon,  t.  II ,  p.  273-282,  et  Niebiilir, 
Description  de  l'Arabie,  1. 1,  p.  208. 

2.  1  Bois  VII,  19,  22  ;  xxvi,  2. 

3.  Ps.  XLV,  1  ;  LX,  1. 

4.  Voy.  Schubert,  Beise  in  das  Morgenland,  t.  II,  p.  275. 


ANTIQUITÉ.  13 

Parmi  les  plantes  amères,  comprises  sous  la  dénomina- 
tion générale  de  lednah  (irixpia,  àvaYxai),  on  remarque 
surtout  deux  espèces  d'armoise,  Varteïïiisiajudaica,Ij.^el\si 
santoline  {arteinisiasaatolina^L.),  communes  en  Palestine 
cL  dans  les  ouaddis  de  l'Arabie.  Peut-être  est-ce  à  l'une 
de  ces  armoises  que  Salomon  a  voulu  comparer  la  fin 
amère  d'une  prostituée  *.  «  Nourrir  quelqu'un  de  lednah  » 
était  une  locution  proverbiale  pour  exprimer  un  châti- 
ment raffiné.  Si  ce  châtiment  était  la  peine  capitale,  le 
lednah  devait  être  une  plante  vénéneuse,  par  conséquent 
différente  de  nos  armoises. 

Hysope.  —  Le  nom  d'hysope  [ucaionoi,  hyssopus)  vient 
de  l'hébreu  ézôb.  Sur  l'ordre  de  Moïse,  les  Israélites  en 
Egypte  faisaient  des  aspersions  avec  l'hysope  trempé 
dans  le  sang  de  l'agneau  pascaP.  Les  lépreux,  pour  se 
purifier  après  leur  guérison,  devaient  offrir  de  l'hysope 
trempé  dans  du  sang  de  passereau  ^  On  faisait  aussi  des 
aspersions  avec  de  l'hysope  trempé  dans  l'eau,  contenant 
des  cendres  d'une  vache  rousse  immolée''.  Tout  le  monde 
connaît  ce  verset  du  psalmiste  :  «  Tu  m'aspergeras 
avec  de  l'hysope,  et  je  serai  purifié.  »  —  Mais  l'hy- 
sope des  anciens  est-il  réellement  l'hysope  des  botanistes 
modernes,  Vhyssopus  officinalis?  Cette  questicii  doit  être 
résolue  négativement,  si,  comme  cela  paraît  incontestable, 
le  mot  ézdb  dérive  de  azub ,  être  rude  ou  velu  ;  car  la 
plante  que  nous  appelons  aujourd'hui  hysope  n'est  ni 
rude,  ni  velue  :  ses  feuilles  et  sa  tige  sont  plutôt  lisses  et 
glabres.  Cependant  l'hysope  dont  les  Hébreux  se  servaient 
dans  leurs  purifications,  était  une  de  ces  plantes  aroma- 
tiques dont  se  compose  la  famille  des  labiées.  Suivant  Ge- 
senius,  c'était  une  espèce  de  menthe  ou  d'origan.  Le  prieur 
du  couvent  de  Sainto-Cather'ie,  au  mont  Sinaï,  montra 

i.  Prov.,  V,  4. 

2.  Exode,  xn,  22. 

3.  Lévit.,  XIV,  4,  6,  51,  52. 

4.  rsombies,  xix,  IG. 


14  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

au  voyageur  naturaliste  Schubert,  comme  étant  l'hysope 
de  la  Bii3le,  une  espèce  de  labiée,  qui  par  la  forme  de  ses 
feuilles  se  rapprochait  du  teucrium  pollium,  L.  Si  des 
connaissances  d'histoire  naturelle  pouvaient  se  transmettre 
intactes  par  voie  de  tradition,  il  faudrait  s'en  rapporter 
au  jugement  des  moines  du  Mont-Sinaï.  Quoi  qu'il  en 
soit,  Vézôb  de  l'Ancien  Testament  ne  paraît  guère  être  le 
même  que  VuGawTzoç,  dont  il  est  parlé  dans  l'Évangile  de 
de  saint  Jean  (xix ,  29),  et  qui  servit  à  présenter  au 
Christ  sur  la  croix  une  éponge  imbibée  de  vinaigre. 
Cet  hysope  était  probablement  le  romarin,  arbrisseau 
propre  à  la  région  méditerranéenne,  et  dont  la  tige  et  les 
rameaux  peuvent  acquérir  une  grandeur  considérable. 
Cette  conjecture  rend  inutile  l'explication  d'Hiller,  d'après 
laquelle  on  aurait  attaché  l'éponge  à  une  touffe  d'hysope, 
fixée  au  bout  d'un  roseau. 

Le  gad  de  l'Ancien  Testament  (Exode,  xvi,  41;  Nomb. 
XI,  7)  est  la  coriandre  [coriandrium  salivum^  L.),  ombelli- 
fère  commune  dans  la  région  méditerranéenne.  Cette 
interprétation  a  été  donnée  par  Gesenius  [Lexicon  He- 
braicum)  d'après  un  passage  de  Dioscoride*,  et  sur  ce 
que  les  Phéniciens  ou  Carthaginois  l'appelaient  goïd. 
Or  le  nom  de  goïd  est  évidemment  le  gad  des  Hébreux. 
Quant  au  nom  même  de  coriandrium^  en  grec  xoptov,  il 
dérive  de  xôpt;,  punaise,  et  se  rapporte  à  un  des  caractères 
distinctifs  du  coriandrium  sativum  :  les  feuilles  exhalent 
une  odeur  de  punaise  marquée,  tandis  que  les  graines 
ont  une  odeur  très-agréable  et  une  saveur  aromatique. 

Le  panier  de  jonc,  thébah  gomèh^  dans  lequel  fut  exposé 
sur  le  Nil  Moïse  enfant^,  était  sans  doute  un  de  ces 
petits  bateaux  de  papyrus  dont  se  servaient  les  Égyp- 
tiens :  les  tiges  étaient  soudées  avec  de  l'asphalte  et  de  la 
poix.  Isaïe   (viu,  11)  parle  de  navires   de   papyrus   glis- 


1.  MaL  rned.,  m,  64. 

2.  Exode,  u,  3. 


ANTIQUITÉ.  15 

sant  à  la  surface  des  eaux.  Au  rapport  du  voyageur 
Bruce,  les  Nubiens  et  les  Abyssiniens  font  encore 
aujourd'hui  usage  de  bateaux  légers,  construits  avec  des 
tiges  de  papyrus.  Pour  comprendre  cet  usage,  il  faut 
savoir  que  les  tiges  triangulaires  du  papyrus  peuvent, 
dans  des  conditions  de  température  et  de  sol  convenables, 
acquérir  les  dimensions  d'un  gros  tronc. 

Le  papyrus  {cyperus  papyrifcra)^  si  célèbre  pour  la  fa- 
l)rication  du  papier,  est  aujourd'hui  très-rare  en  Egypte. 
Jadis  si  abondant  dans  le  Delta,  il  se  trouve  maintenant 
relégué  aux  bords  de  quelques  lacs  ou  rivières  de  la 
Nubie,  de  l'Abyssinie  et  du  Soudan. 

Ij  aghrèmon,  dont  il  est  question  dans  les  Prophètes', 
était,  comme  le  papyrus,  une  plante  palustre,  à  juger 
seulement  par  son  nom  (de  agam,  marais).  Elle  servait 
à  la  fois  comme  combustible  et  pour  faire  des  palis- 
sades. A  raison  de  ce  double  usage ,  nous  pensons  que 
c'était  le  grand  roseau  à  quenouille  {arundo  donax,  L.) 
C'est,  en  effet,  la  plus  forte  espèce  du  genre  arundo  :  sa 
tige  dure,  ligneuse,  haute  de  trois  à  quatre  mètres,  est 
employée  encore  aujourd'hui  à  faire  des  claies  et  des  pa- 
lissades ;  on  s'en  sert  aussi  en  guise  de  combustible  dans 
les  contrées  méridionales  où  cette  espèce  est  indigène. 

Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin  cette  énumération 
des  espèces  végétales  mentionnées  dans  la  Bible.  Elle  doit 
suffire  pour  montrer  combien  il  règne,  parmi  les  inter- 
prètes, d'incertitude  sur  la  détermination  de  ces  espèces. 
La  même  incertitiide  se  retrouve  dans  les  livres  sacrés  de 
l'Inde  et  de  la  Chine.  Aussi  n'en  parlerons-nous  pas  ici. 

Cependant  au  milieu  des  tâtonnements  primitifs  on 
voit  déjà  poindre  l'idée  de  deux  classifications  distinctes. 
L'une  repose  sur  les  propriétés  des  plantes  en  rapport 
avec  leur  emploi  ;   c'est  la  classification  des  plantes  en 

1.  Isaïe,  XXXV,  7;  Jérémie,  li,  32;  Job,  XLI,  11. 


16  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

Utiles  et  en  7iuisibles.Les  plantes  utiles  se  divisent  en  ali- 
mentaires^ en  textiles^  etc.;  les  plantes  nuisibles,  qui 
comprennent  les  poisons,  sont  presque  toutes  des  plantes 
médicinales. 

La  seconde  classification,  tout  aussi  ancienne  que  la 
première,  se  rattache  moins  à  l'utilité  matérielle,  immé- 
diate, que  les  hommes  peuvent  tirer  du  règne  végétal; 
elle  relève  davantage  de  l'ordre  intellectuel  et  scientifi- 
que. Cette  classification  se  présente  tout  naturellement  à 
l'esprit  humain.  Placez  un  enfant  au  milieu  d'une  cam- 
pagne fertile,  et  engagez-le  à  grouper  les  plantes  qui 
l'environnent.  Gomment  s'y  prendra-t-il  ?  Il  commencera 
par  mettre  les  arbî'es  d'un  côté,  et  les  herbes  de  l'autre. 
C'est  la  classification  qu'avait  suivie  Salomon;  car  la 
Bible  (I  Rois,  iv,  33)  dit  de  ce  roi  «  qu'il  avait  traité  de 
tous  les  arbres  depuis  le  cèdre  du  Liban  jusqu'à  l'hysope 
qui  sort  des  murailles.  » 


FMore    d'Homère. 

Les  poèmes  d'Homère,  qui  étaient  aussi  vénérés  des 
Grecs  que  les  livres  de  l'Ancien  Testamei^t  l'étaient  des 
Juifs,  nous  font  encore  mieux  pénétrer  dans  la  zone  végé- 
tale qui  caractérise  la  région  méditerranéenne.  Les  cô- 
tes de  l'Ionie,  antique  siège  de  la  civilisation,  nous  rap- 
prochent déjà  de  la  Grèce. 

Parmi  les  plantes  dont  parle  l'immortel  poëte,  Volioier 
occupe  le  premier  rang.  Homère  distingue  nettement  l'o 
livier  cultivé  (iXat'ï))  de  l'olivier  sauvage  (cpuXiV,)',  et  il  pré- 
sente le  premier  comme  ornant  les  jardins  de  Laërte  et 
d'Alcinoûs.  L'entrée  du  port  d'Ithaque  était  ombragée  par 
un  olivier  aux  rameaux  étendus  (xavûfpwXXoi;  èXaîï))^.  L'oli- 

1.  Odyssée,  v,  477. 

2.  Odyssée,  x    ,  102. 


ANTIQUITÉ.  17 

vier  n'était  pas  seulement  utile  par  l'huile  que  fournis- 
saient ses  fruits,  son  bois  servait  à  la  fabrication  de  beau- 
coup d'ustensiles.  C'est  ce  qui  fit  dire  à  Golumelle  :  olea 
prima  omnium  arborum  est.,  «  l'olivier  est  le  premier  de 
tous  les  arbres.  » 

Les  Grecs  ne  sont  pas  d'accord  sur  l'origine  de  l'olivier, 
de  tout  temps  si  commun  dans  leur  pays.  Selon  les  uns, 
il  fut  transporté  d'Egypte  à  Athènes  par  Gécrops  en  1580 
avant  l'ère  chrétienne  ;  selon  d'autres,  ce  fut  Hercule  qui, 
au  retour  de  ses  expéditions,  apporta  l'olivier  en  Grèce 
et  le  planta  sur  le  mont  Olympe.  Les  Grecs  avaient  cet 
arbre  en  si  grande  vénération,  qu'ils  en  firent  le  symbole 
de  la  sagesse,  de  l'abondance  et  de  la  paix.  Il  passait  pour 
un  bienfait  de  Minerve.  Les  vainqueurs  aux  jeux  de  l'É- 
lide  étaient  couronnés  de  rameaux  d'olivier.  Il  était  pri- 
mitivement défendu  de  faire  servir  l'olivier  à  des  usages 
profanes,  et  on  ne  permettait  pas  de  brûler  sur  les  autels 
des  dieux  les  branches  qu'on  présentait  pour  demander 
la  paix.  Les  Phocéens,  qui  fondèrent  Marseille  environ 
600  ans  avant  J.  G.,  passent  pour  avoir  introduit  l'olivier 
en  Italie  et  dans  les  Gaules.  D'après  une  tradition,  rap- 
portée par  Pline,  il  n'y  avait  pas  encore,  sous  le  règne 
de  Tarquin  l'Ancien,  d'olivier  en  Italie. 

Les  chênes  faisaient  particulièrement  l'admiration  des 
anciens  :  Homère  en  témoigne.  Mais  il  importe  surtout 
de  ne  pas  confondre  les  espèces  méridionales  avec  celles 
qui  ne  se  plaisent  que  dans  la  zone  tempérée  froide. 
Parmi  les  premières  on  distingue  le  chêne  à  glands 
comestibles  [quercus  esculus),  celui  qu'Homère  désigne 
sous  le  nom  de  cpriyd;  [fagus],  enle  qualifiant  de  «  très- bel 
arbre  de  Jupiter  ». 

ETffav  utt'  aîyio/^oto  Atoç  TrepixaXXsï  (filfoi' . 

Ils  le  placèrent  (Sarpédon  blessé  par  Hector)  sous  un  très-beau 
chêne  de  Jupiter,  porteur  de  l'égide. 

1.  Iliade,  V,  693. 


18  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

Il  no,  faut  point  se  laisser  induire  en  erreur  parle  mot 
fagus  (œviYoi;) ,  qui  s'applique  aussi  au  hêtre  [fagus  sylvotica). 
Le  hêtre  sans  doute  est  aussi  un  très-bel  arbre,  digne,  par 
la  magnificence  de  son  port,  de  la  majesté  de  Jupiter.  Mais 
il  devait  être  rare,  sinon  introuvable,  dans  les  plaines  de 
la  Troade  où  l'Iliade  nous  transporte.  Le  hêtre,  remar- 
quable par  son  feuillage  luisant  et  son  écorce  lisse,  gri- 
sâtre, se  plaît  surtout  dans  les  régions  sous-alpines. 
Théophraste  et  Pline  le  connaissaient.  Ce  dernier 
distingua  parfaitement  le  fruit  du  hêtre,  le  faîne  triangu- 
laire, du  gland  arrondi,  comestible'.  Les  glands  du  ce-/;Yoç 
(de  cpayi»,  je  mange)  composaient  la  nourriture  primitive 
de  beaucoup  de  peuplades  anciennes,  particulièrement 
des  Arcadiens,  qui  reçurent  de  là  l'épithètedepaXavocpâyot, 
mangeurs  de  glands. 

Quant  au  nom  général  de  Spîîç,  chêne^  il  s'appliquait, 
suivant  les  épithètes  que  lui  donnait  le  poëte,  tantôt  à 
l'yeuse  [quercus  ilex^L.)^  employé  en  palissades  à  cause  de 
la  dureté  de  son  bois  [Odyssée,  xiv,  12),  tantôt  aux  chênes 
cerris  [quercus  cerris),  arbres  à  hautes  et  larges  cimes, 
•Spusç  u']^[xapy|Vot  et  ûi]/ixofj(,oi^.  Ces  derniers,  communs  dans 
les  forêts  du  midi,  diffèrent  des  chênes  de  nos  forêts 
septentrionales  par  leurs  feuilles  plus  profondément 
découpées  et  par  leurs  cupules  dont  les  écailles  se  termi- 
nent par  de  longs  filaments. 

Le  frêne^  j^-eXtri,  qui  croissait  dans  les  montagnes,  et 
servait  à  faire  des  bois  de  lance,  était  probablement  le 
fraximis  ornus  de  Linné ,  plus  propre  aux  contrées 
méridionales  que  le  fraxinus  excelsm\  L.     ' 

L'arbre  que  les  nymphes  plantèrent  sur  le  tertre  cou- 
vrant les  cendres  d'Aétion%  était-il  réellement,  comme  le 
croit  Sprengel,  notre  ormeau,  ulmus  campestris "*  1  C'est 

1.  Pline,  Hist.  nat.,  xvi. 

2.  Iliade,  xii,  132;  xxni,  118. 

3.  Iliade,  vi,  419. 

4.  Sprengel,  Hixt.  rei  herhario'.  t.  T,  p.  23. 


ANTIQUITÉ.  ig 

fort  douteux;  car  le  nom  de  Tzrt\é-f\,  ici  employé,  paraît 
s'appliquer  plutôt  à  une  espèce  de  peuplier.  Achille,  lut- 
tant contre  le  courant  du  Scamandre,  «  saisit  de  ses  mains 
le  peuplier  bien  poussé,  grand  :  » 

....  TTTsXïTjv  i'Xe  yepdiv 
Eôcpusa,  [is.yé.'k'/]'^  .... 

Les  qualificatifs  de«  Liicn  poussé,  grand,  »  conviennent 
parfaitement  à  un  arbre  qui,  tel  que  le  peuplier,  se  plaît 
aux  bords  des  fleuves.  Du  reste,  la  même  incertitude  se 
présente  pour  la  détermination  exacte  des  arbres  qui 
ornaient  l'île  de  Calypso.  Les 

lOii^pv]  t',  aïystpo?  t',  IXârr]  t'  •:^v  oùpavoM.iix-/iç, 

étaient-ils  réellement  Vaune,  le  peuplier^  le  sapin  ?  Il  est 
permis  d'en  douter. 

Quant  au  7r>-aTaviffT0<;  [Iliaâp^  ii,  307),  c'était  bien  le  pla- 
tane [piqtanus  orientalh)^  encore  aujourd'hui  commun  en 
Asie  Mineure.  A  raison  de  son  port,  il  mérite  bien 
l'épithète  de  fce.iw,  xotXvi,  que  lui  donne  Homère. 

Qu'était-ce  que  le  lotus  d'Homère  ?  Avant  de  répondre 
à  cette  question,  il  importe  d'abord  d'établir  que  ce 
même  nom  s'appliquait  à  des  espèces  végétales  très-diffé- 
rentes. 

Ainsi,  le  lotm  hleu  et  le  lotus  rose  dont  parle  Hérodote, 
étaient  des  plantes  aquatiques,  des  nymphéacées,  ancien- 
nement aussi  abondantes  dans  le  Nil  qu'elles  y  sont 
aujourd'hui  rares.  Le  lotus  à  fleurs  bleues,  nymphsea 
cxrulea  (nchtmbium  speciosum),  aie  fruit  semblable  aune 
capsule  de  pavot  ;  il  renferme  une  quantité  prodigieuse  de 
petites  graines  que  les  Égyptiens  employaient  à  la  fabri- 
cation de  leur  pain.  Les  fleurs  bleues  de  cette  belle  nym- 
phéacée,  qui  se  retrouve  encore  dans  les  fleuves  de  l'Inde,  se 
voient  fréquemment  peintes  sur  les  antiques  monuments 
de  l'Egypte.  Le  lotus  à  fleurs  roses,  nymphsea  nelumbo^ 
donnait  la  fève  d'Egypte  (xuafAoç  Aîyutttioç).  Ces  fèves  sont 


20  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

contenues  dans  une  capsule,  percée  de  trous  au  sommet, 
et  ayant  tout  à  fait  la  forme  d'une  pomme  d'arrosoir. 
Hérodote  parle  aussi  d'un  lotus  à  grandes  fleurs  blanches, 
semblables  à  celles  du  lis,  et  dont  la  racine  était  comes- 
tible. C'était  là,  non  pas  une  nymphéacée,  comme  on  l'a 
prétendu,  mais  une  espèce  d'aroïdée,  probablement 
l'arum  colocasia.  Ses  belles  fleurs  blanches  faisaient 
partie  de  la  coiffure  d'Isis  et  d'Osiris.  On  les  figurait 
aussi  sur  la  tête  d'Harpocrate. 

Le  nom  de  iotus  s'appliquait  également  au  micocoulier 
[celtis  australis^  L.),  arbre  de  la  grandeur  d'un  poirier, 
propre  à  la  région  méditerranéenne.  Ses  fruits,  qui  ressem 
l3lent  à  des  fèves,  sont  insipides  et  inodores  ^  Son  bois,  re- 
marquable par  sa  dureté  et  sa  couleur  brune,  servait  à  la 
fabrication  des  flûtes  et  des  statues  de  divinités.  C'est  pour- 
quoi XwToç  est  quelquefois  synonyme  de  aùXo'ç,  flûte.  —  Le 
diospyros  lotus  était  le  lotier  arborescent,  à  baies  rouges, 
légèrement  sucrées,  cultivé  en  Italie,  autour  des  habita- 
tions *. 

Parmi  les  herbes  de  la  campagne  dont  parlait  Télé- 
maque,  se  trouvait  aussi  un  lotus'.  Etait-ce  le  mélilot  ou 
le  lotier  corniculé  de  nos  botanistes  ?  Voilà  ce  qui  n'est 
guère  facile  à  décider. 

Enfin  l'arbrisseau  dont  les  fruits  servaient  d'aliment  aux 
Lotophages,  était,  d'après  l'opinion  la  plus  accréditée, 
lejujubier  (r/iamrms  /o/w5,L.,  ziziphus  lotus,  Encyclop.). 
Clusius,  J.  Bauhin,  Linné,  Shaw,  partagèrent  cette 
opinion.  Poiret  et  Desfontaines  essayèrent  de  la  confir- 
mer. Poiret  trouva  le  ziziphus  lotus  sur  le  littoral  de 
Tunis  et  de  Tripoli,  particulièrement  dans  la  petite  Syrte 
et  dans  l'île  de  Djerbi.  Desfontaines  l'observa  dans  les 
mêmes  contrées  ;    la  description   qu'il  en  fait   s'accorde 

1.  Théophraste,  Hist.  plant.,  iv,  3. 

2.  Columelle,  vu,  9. 

3.  Odyssée,  iv,  G03. 


ANTIQUITÉ.  21 

avec  celle  qu'en  donne  Polybe.  «  Le  lotus  des  Loto- 
jihages  est,  dit  cet  historien,  un  arbrisseau  rude  et  armé 
d'épines.  Ses  feuilles  sont  petites,  vertes  et  semblables  à 
celles  du  r/iaînnu5;  ses  fruits,  encore  tendres,  ressemblent, 
lorsqu'ils  sont  mûrs,  aux  baies  du  myrte;  en  prenant 
une  couleur  rousse,  ils  égalent  en  grosseur  les  olives 
rondes,  et  contiennent  un  noyau  osseux.  »  Polybe  donne 
encore  d'autres  renseignements  sur  le  lotus.  «  Lorsqus 
le  fruit,  ajoute-t-il,  est  mûr,  les  Lotophages  le  cueillent, 
l'écrasent  et  le  renferment  dans  des  vases.  Ils  ne  font 
aucun  choix  des  fruits  qu'ils  destinent  à  la  nourriture 
des  esclaves;  mais  ils  choisissent  ceux  qui  sont  de  meil- 
leure qualité  pour  les  hommes  libres.  Leur  saveur  ap- 
proche de  celle  des  figues  ou  des  dattes.  On  en  fait  aussi 
une  sorte  de  vin  en  les  mêlant  avec  de  l'eau.  Cette 
liqueur  est  très-bonne,  mais  elle  ne  se  conserve  pas  au 
delà  de  dix  jours.  »  —  Ces  renseignements  s'accordent 
avec  ceux  d'Hérodote.  «  Le  fruit  du  lolus  est,  dit-il,  de 
la  grosseur  d'une  baie  de  lentisque  et  d'une  saveur  ana- 
logue à  celle  des  dattes.  Les  Lotophages  préparent  du 
vin  avec  ce  fruité  » 

Ainsi,  suivant  les  autorités  que  nous  venons  de  citer, 
les  fruits  du  lotus  d'Homère  étaient  les  jujubes,  assez 
communes  sur  les  côtes  de  l'Afrique  septentrionale.  Mais 
il  faut  cependant  reconnaître  que  ces  fruits,  o'ils  peuvent 
être  de  quelque  ressource  pour  des  peuplades  sauvages, 
n'ont  aucune  des  qualités  que  leur  assignait  le  poète.  D'a- 
bord les  fleurs  du  jujubier,  parfaitement  insipides,  n  ■. 
se  mangent  point;  ces  paroles  d'Homère,  àvOtvov  e.o/-, 
mets  fleuri^  ne  leur  sont  donc  pas  applicables  : 

.. -.ETTLÔriULev 

FaiVis  AwTO'xxxYCDV,  oix'  avOivov  eioap  àoouaiv  *• 


1.  Hérodoie,  iv,  177. 

2.  Odyssée,  ix,  83-84 


22  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

....  Nous  descendîmes 

Sur  la  terre  des  Lotophages,  qui  mangent  un  mets  fleuri. 

On  a  beau  forcer  le  sens  des  mots,  on  n'en  fera  jamais 
sortir  ce  qui  ne  s'y  trouve  pas  :  avôivov  signifie  fleuri, 
ce  qui  est  de  la  fleur\  et  stoap^  mets^  à  moins  qu'on  ne  lui 
donne  le  sens  de  splendide. 

Puis,  les  jujubes,  d'une  saveur  inférieure  à  celle  des 
dattes,  sont  loin  d'avoir  le  goût  du  miel  ;  enfin  elles  n'ont 
rien  de  cette  douceur  qui  puisse  faire  oublier  à  ceux  qui 
en  mangent  le  retour  dans  leur  patrie.  On  ne  saurait 
donc  en  aucune  façon  leur  appliquer  la  suite  des  vers  du 
7  oëte  : 

Ttov  o'  ô'ffTtc;  XojTOÎo  cpayoi  p.EXr/ioéa  xapTiôv, 
Où>c  er'  aTrayyàXai  TrâÀiv  7]Ô£À£V,  oùoè  V££a()at. 

Aucun  de  ceux  qui  eut  mangé  du  fruit  mielleux  du  lotos 
Ne  voulut  y  renoncer,  ni  revenir  (dans  son  pays). 

On  peut  s'étonner  avec  raison  que  Desfontaines,  dans 
son  Histoire  du  /oius*,n'aitpasfait  mention  d'un  arbre  qui  a 
beaucoup  plus  de  titres  que  le  jujubier  à  être  pris  pour 
le  lotus  d'Homère  ;  cet  arbre  c'est  le  caroubier  [ceralonia 
siliqua^  L.),  de  la  famille  des  légumineuses.  Ses  fleurs 
papilionacées,  en  grappe,  ont  une  saveur  sucrée,  très- 
agréable,  due  aux  jjetites  gousses  (siliques)  tendres,  qui 
commencent  à  se  montrer  bien  avant  que  les  corolles  ne 
soient  tombées.  C'est  ce  qui  justifie  parfaitement  cette 
locution  d'Homère,  àvOivov  el^ap,  mets  fleuri^  qui  a  donné 
tant  de  mal  aux  interprètes.  Quant  aux  longues  gousses, 
qu'on  nomme  caroubes^  il  suffit  d''en  avoir  goûté  pour 
leur  trouver  immédiatement  cette  saveur  mielleuse  qui 
rappelle  le  \t.z\vrfii(x  xap7rdv,//unf  mielleux^  d'Homère,  bien 
différent  de  la  saveur  des  jujubes. 

Il  est  d'autant  plus  étonnant  que  personne  n'ait  songe 


1.  Dans  les  Mém.    de  l'Acad.    dm  Sciences,   année   1788,    p.   443 
et  suiv. 


ANTIQUITE.  23 

avant  nous,  à  propos  des  Lotophages,  au  fruit  du  carou- 
bier*, que  cet  arbre  était  connu  de  tout  temps  des 
peuples  groupés  autour  du  grand  bassin  méditerranéen, 
et  qu'encore  aujourd'hui  il  est  une  ressource  alimentaire 
pour  les  populations  du  littoral  de  l'Afrique,  précisément 
là  où  Homère  plaçait  le  pays  des  Lotophages.  Notre 
opinion  a  été  confirmée  depuis  par  M.  Ph.  Bonne,  profes- 
seur au  collège  d'Alger,  parfaitement  à  même  d'étudier 
la  question  sous  tous  ses  points  de  vue^. 

Le  népenthès,  vvitovôsç  d'Homère,  a  également  exercé 
l'esprit  des  commentateurs.  A  juger  par  son  étymologie, 
le  népenthès  était  un  produit  propre  à  chasser  la  tristesse, 
TTc'vôoi;.  C'est  aussi  le  sens  que  lui  donne  le  poëte  quand 
il  dit  qu'Hélène 

Jeta  aussitôt  dans  le  vin,  qu'ils  (les  convives  de  Ménélas)  buvaient, 
un  poison, 

Contraire  à  la  tristesse  (népenthès)  et  à  la  colère,  faisant  oublier  tous 
les  maux. 

^utiV  ap'  eîç  oivov  [3ocXe  (pâpixaxov,  ev6ôv  Ittivov^ 
NviTicVÔîç  t'  à'/oÀov  T£,  xa/cwv  ÊTCtXr/Jov  aTirâvTwv. 

Et  pour  mieux  préciser  encore  l'action  de  ce  cj/aptjLax&v, 
mot  qui  signifie  à  la  fois  poison  et  médicament ,  le  poëte 
ajoute  : 

Celui  qui  en  a  avalé  après  qu'on  l'a  mêlé  à  la  coupe. 

Peut  rester  une  journée  sans  répandre  une  larme  sur  les  joues, 

Alors  même  que  lui  viendraient  à  mourir  père  et  mère, 

Ou  qu'il  verrait  devant  lui  périr,  par  le  fer,  un  frère  ou  un  fils  chéri. 

"0<;  To   xaTajipô^eisv,  Ittyiv  xp-zit-^pi  [i.iyciri, 
Oux  àv  £(fy)[/.sptdi;  y=  P^'Aoi  scaxà  Saxpu  Trapsiwv, 

1.  Nous  en  avons  parlé  pour  la  première  fois  dans  notre  volume 
de  VU  Hivers  pittoresque,  contenant  les  États  Tripolitains,  page  83 
(Paris,  1850). 

2.  Le  caroubier  ou  l'arbre  des  Lotophages,  par  Philippe  Bonne, 
membre  fondateur  du  Comice  agricole  d'Alger,  etc.  Alger,  18G9, 
iû-18. 


2A  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

OùS'  et  01  jcaTaxeÔvaiy)  \i.'f\vt\o  xe  ■KOLvf^Q  ts, 
OiiS'  £1  01  irpoTcàpoiôev  ào-Xcpôv,  ^  tpîXov  uiov, 
XaXxw  OYi'tocoev,  6  S'  6:p6aX[jLoTffiv  ôpwto^ 

On  a  beaucoup  discuté  pour  savoir  ce  qu'était  le  népen- 
thès  d'Homère.  Suivant  les  uns,  c'était  la  cynoglosse  [cyno- 
glossum  officinale^  h.).  Mais  cette  plante,  de  la  famille  des 
borraginées,  n'a  aucune  des  vertus  que  le  poëte  attribuait 
au  népenthès.  Suivant  les  autres,  c'était  la  stramoine 
[datura  stramonium^h.),  de  la  famille  des  solanées.  Ceux- 
là  a])prochaient  davantage  de  la  vérité.  Selon  d'autres, 
le  népenthès  aurait  été  tout  simplement  du  vin  capiteux, 
procurant  une  prompte  et  longue  ivresse  ^.  Enfin,  il  y  en  a 
qui  prennent  le  cpoépjxaxov  d'Hélène  pour  une  espèce  d'inule, 
Vinuia  Helenium  de  Linné,  qui  n'est  aucunement  narcoti- 
que. Cette  opinion  ne  mérite  pas  même  d'être  réfutée. 

Nous  croyons  que  le  fameux  népenthès  dont  parlent, 
après  Homère,  Pline  [Hist.  nat.^  xxi,  3S7  et  91,  xxv,  5), 
Macrobe  et  Eustathe,  était  l'opium.  Ce  suc  concrète  du 
pavot  [papaver  ^om^ii/erum,  L.)  réunit,  en  effet,  toutes  les 
propriétés  qu'on  attribuait  à  la  drogue  employée  par  Hé- 
lène, initiée  à  la  connaissance  des  poisons. 

Diodore  nous  apprend  qu'on  invoquait  les  vers  cités 
plus  haut  comme  un  témoignage  du  séjour  d'Homère  en 
Egypte.  «  En  effet,  ajoute-t-il,  les  femmes  de  Thèbes  (en 
Egypte)  connaissent  encore  aujourd'hui  la  puissance  du 
népenthès,  et  les  Diospolitaines  (Thébaines)  sont  les 
seules  qui  s'en  servent  depuis  un  temps  immémorial  pour 
dissiper  la  colère  et  la  tristesse*.  »  — On  voit  que  l'opium 
a  joué,  de  toute  antiquité,  un  grand  rôle  en  Orient, 

Une  autre  femme,  que  le  poëte  nous  représente  comme 
bien  plus  habile  encore  que  la  belle   Hélène  à  préparer 

1.  Odyssée,  iv,  220-226. 

2.  Voy.  VExcursus  de  Desfontaines,  dans  le  t.  II,  p.  151  et  suiv.,  de 
l'édition  de  Pline  (GoUect.  des  Classiques  de  Lemaire,  Paris,  1830). 

3.  DioJore,  i,  97. 


ANTIQUITÉ.  25 

des  poisons,  c'était  la  fameuse  Gircé,  qui  hébergeait  chez 
elle  des  loups  et  des  lions  apprivoisés  après  leur  avoir 
donné  des  poisons  [ircù  xaxà  cDapf«.ax'  ISwxev).  Ces  bêtes 
féroces  la  suivaient  comme  des  chiens ,  caressant  leur 
maîtresse.  C'est  Gircé  qui  changea  les  compagnons 
d'Ulysse  en  pourceaux,  après  les  avoir  enivrés  et  touchés 
de  sa  baguette,  Ulysse  aurait  subi  le  même  sort,  si  Mer- 
cure ne  lui  eût  pas  montré  le  moyen  de  neutraliser  l'ac 
tion  du  9otpp.ajiov  de  Gircé,  par  une  plante 

Qui  avait  la  racine  noire  et  la  fleur  d'un  blanc  de  lait  ; 

Les  dieux   la  nomment   moly  ;    elle    est  difficile   à  creuser 

Aux  mortels. 

'Pt![ï)  [/.£v  jjLsXav  effxe,  -{aka.x.-:i  ok  ttxïXov  àvOoç* 
MwÀu  oÉ  [XIV  xaXéouai  Osor  ^aXsTtov  oi  x'  opuaaetv 
'AvÔpac-',  ys  Ûv7)T0Îat'. 

Quelle  était  la  plante,  appelée  moly?  Les  anciens,  tels 
qu'Ovide,  Lycophron  et  les  scoliastes  qui  en  parlent,  ne 
nous  donnent  là-dessus  aucun  renseignement  précis. 

Théophraste  [Hist.  plant. ^  ix,  15)  dit  que  la  racine  du 
moly  est  bulbeuse,  que  ses  feuilles  sont  semblables  à 
celles  de  la  scille,  et  il  indique  les  bords  du  Phénée  en 
Arcadie  comme  lieu  de  provenance  du  moly  le  plus  estimé. 
G'était  donc  une  plante  qui  aimait  les  localités  humides. 

Pline  répète  à  peu  près  les  mêmes  détails;  et  il  ajoute 
que  des  auteurs  grecs  ont  dépeint  la  fleur  comme  jaune, 
tandis  qu'Homère  la  décrit  comme  blanche^ 

Partant  de  ces  données,  Glusius  (de  l'Ecluse)  et  J.  Bau- 
hin  ont  cru  voir  dans  le  moly  d'Homère  une  espèce 
à'allium,  genre  qui  contient ,  entre  autres ,  l'oignon  et 
l'ail,  réputés  propres  à  combattre  les  effets  de  l'ébriété. 
Adoptant  cette  opinion,  Linné  a  donné  le  nom  homérique 


1.  Odyssée,  x,  212  et  siiiv. 

2.  Pline,  Hist.  nat.,  xxv,8. 


â6  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

de  moly  à  l'ail  doré  [alliuni  moly)^  que  l'on  cultive  dans 
les  parterres,  à  cause  de  ses  fleurs  nombreuses  d'un  beau 
jaune,  à  odeur  alliacée,  très-pénétrante. 

Le  moly  était ,  suivant  nous,  une  espèce  à'arum^  pro- 
bablement la  serpentaire  [arum  dracunculus^  L.),  dont 
la  réputation  contre  les  maléfices  est  fort  ancienne.  Sa 
racine  bulbeuse,  qui  trace  profondément,  est  noire,  im- 
prégnée d'un  suc  laiteux,  corrosif;  l'enveloppe  de  la  fleur 
(spathe)  est  marquée,  comme  la  hampe,  de  taches  blan- 
ches. Tout  cela  s'accorde  très -bien  avec  les  caractères 
donnés  par  Homère  à  une  plante  recommandée  par  le 
dieu  qui  avait  son  caducée  enroulé  de  serpents.  Ajoutons 
enfin  que  la  serpentaire  est  une  plante  propre  aux  lo- 
calités humides  et  ombragées  de  la  région  méditerra- 
néenne. 

Les  autres  plantes  mentionnées  par  Homère  sont  : 
Vasphodèle^  qui  formait,  près  des  Portes  du  Soleil  (Gibral- 
tar), la  prairie  (aacioSiXôv  )i£tu.cova)  habitée  par  les  âmes, 
fantômes  des  trépassés  [^uy^oi\,  etâwXa  xkjjlovtwv)  *;  c'était 
VaspJiodelus  ramosus^  belle  plante  méditerranéenne,  dont 
les  racines  bulbeuses  sont  comestibles,  et  que  les  anciens 
plantaient  près  des  tombeaux,  dans  la  croyance  que  lés 
mânes  s'en  nourrissaient.  —  he  pavot  ([Jirixcov),  qui  penche 
la  tête,  chargée  de  graines  [Iliade^  viii,  306.  —  Le  xpo>coç 
et  le  6axiv9o(;  [Iliade,  viii,  347),  plantes  prin tanières , 
comme  le  sont  le  safran  et  la.  jacinthe.  —  Le  jonc  (ayoîvoç), 
qui  croît  aux  bords  des  fleuves  [Odyssée,  v,  463).  —  Le 
cornouiller  (xpavetY]),  avec  le  fruit  duquel  Gircé  nourrissait 
les  compagnons  d'Ulysse,  changés  en  pourceaux  [Odys- 
sée, X,  242). —  Le  peuplier  noir  (aiysipoç)  [Odyssée,  vu,  106; 
XVII,  208),  et  le  peuplier  blanc  (à/spon?),  qu'Hercule,  après 
sa  descente  aux  enfers,  avait  rapporté  des  bords  de  l'Aché- 
ron  [Iliade,  xiii,  389;  xvi,  482).  —  Le  sapin  (iXaT-/)),  qui 
habite  le  mont  Ida  [Iliade,  xiv,  287). —  On  trouve   aussi 

1.  Odyssée,  xxiv,  13-14. 


ANTIQUITÉ.  27 

dans  les  poèmes  d'Homère  une  mention  fréquente  du  blù 
(Cîiâ),  d'une  terre  fertile  en  blé^  Çeiotopo;  à'poupa,  et  de  la  vigne, 
cultivée  à  Ithaque  et  à  l'île  de  Schéria  dans  les  jardins 
d'Alcinoùs. 


Flore  du  paganisme. 

Les  plantes  jouaient  un  grand  rôle  dans  le  symbolisme 
hiéroglyphique  des  Egyptiens.  Osiris  et  Harpocrate  sont 
ligures  naviguant  assis  sur  des  feuilles  de  lotos.  A  Isis 
était  consacré  le  ftnea.  Qu'était-ce  que  le  Tcepaia  ou 
Tiepaîa?  Les  opinions  sont  divisées  là-dessus.  Suivant  les 
uns,  c'était  le  pêche7\  en  s'appuyant  sur  ce  passage  de 
Diodore  :  «  Il  croît  aussi  en  Egypte  plusieurs  espèces 
d'arbres,  parmi  lesquels  on  distingue  le  persea^  dont  les 
fruits  sont  remarquables  par  leur  douceur;  cet  arbre  a  été 
importé  de  l'Ethiopie  par  les  Perses  à  l'époque  oùGarabyse 
était  maître  du  pays^.s)  Suivant  d'autres,  au  nombre 
desquels  se  trouve  Sprejigel,  c'était  le  sebeslier  {corclia 
myxa)^  arbre  à  feuilles  arrondies,  amincies  à  leur  base, 
riches  en  nervures,,  dont  le  pétiole  sort  d'un  nodule  cupu- 
liforme.  Ses  fruits  drupacés,  connus  sous  le  nom  de 
sebestes^  ont  une  saveur  sucrée  ;  ils  étaient  autrefois  em- 
ployés en  médecine.  Cet  arbre,  anciennement  commun  dans 
la  haute  Egypte,  y  est  aujourd'hui  extrêmement  rare.  Au 
rapport  de  Delisle,  le  perséa  est  le  balaniles  xgyptiaca^ 
le  heglyg  ou  lebakh  des  Arabes,  arbre  de  six  à  sept  mè- 
tres de  haut,  dont  le  fruit  a  quelque  ressemblance  avec 
celui  du  dattier.  Il  ne  se  rencontre  aujourd'hui  que  sur 
les  frontières  de  l'Ethiopie-. 

Sur  les  monuments  assyriens  ou  perses,  rapportés  des 


1,  Diodore,  i,  34  (t.  I,  p.  39  de  la  2'  édit.  de  notre  traduction) 

2.  Delisle,  Flore  de  VEgijpte  (dans  le  t.  XIX,  p.  263,  de  la  Descrip- 
tion de  l'Egypte). 


28  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

fouilles  de  Khorsabad,  on  voit  la  figure  d'une  divinité 
tenant  dans  la  main  droite  un  produit  végétal ,  qu'on  a 
pris  pour  une  pomme  de  pin,  et  qui  est,  selon  nous,  tout 
simplement  un  bourgeon,  reconnaissable  à  sa  forme  et  à 
la  disposition  de  ses  écailles,  symbole  du  réveil  de  la  na- 
ture au  printemps.  Le  même  bourgeon  se  montre  épanoui 
au  sommet  de  la  tête  de  la  figure,  garnie  de  cornes,  sym- 
bole du  principe  fécondant  '. 

Les  arbres  les  plus  beaux,  ou  caractérisés  par  queLjue 
propriété  saillante,  étaient  consacrés  chacun  à  une  divinité 
particulière.  A  Jupiter  était  consacré  le  châtaignier  : 

....  Jovi  quae  maxima  frondet 
iEsculus'. 

A  Hercule  le  peuplier,  à  Bacchus  la  vigne,  à  Vénus  le 
myrte,  à  Apollon  le  laurier  : 

Populus  Alcidae  gratissioaa,  vitis  laccho, 
Formosse  myrlus  Venerij  sua  laurea  Phœbo  '. 

Les  arbres  de  la  forêt,  notamment  les  chênes,  étaient 
animés  par  des  nymphes,  les  Dryades.  Quelques-unes  de 
ces  divinités  faisaient  pour  ainsi  dire  corps  avec  ces  ar- 
bres, d'où  leur  nom  de  Ilamachyades ^ 

Les  Héliades,  filles  du  Soleil,  furent  métamorphosées 
en  peupliers  noirs,  qui  passaient  pour  sécréter  le  suc- 
cin\ 

A  l'origine  de  la  jacinthe  se  rattache  tout  un  mythe. 
Apollon  avait  tué  involontairement  d'un  coup  de  disque 
le  jeune  et  beau  Spartiate  Hyacinthus.  Pour  perpétuer  les 
traces   de  sa  douleur,  ce  dieu  fit  naître   une    fleur,  belle 


1.  Voyez  notie  Babylonie,  Assyrie,  etc.,  p.  320,  composant  le  t.  IX 
de  l'Asie  de  l'Univers  pittoresque. 

2.  Virgile,  Georg.,  ii,  15. 

3.  Virgile,  Eclog.,  vu,  6I-G2. 

4.  Virgile,  Eclog.,  v,  50  ;  x,  62. 

5.  Virgile,  En.,  x,  190;  Diod.,  v,  23. 


ANTIQUITÉ.  29 

comme  le  lis;  seulement  sa  couleur,  au  lieu  d'être  blan- 
che, était  pourprée.  Non  content  de  cela,  Apollon  inscrivit 
ses  pleurs  sur  les  feuilles,  et  les  lettres  ai  ai^  que  porte 
la  fleur,  marquent  les  gémissements  du  dieu  : 

FIos  oritur,  formamque  capit  qiiam  lilia;  si  non 

Purpureus  color  hic,  argenteus  esset  in  illis. 

Non  salis  hoc  Pliœbo  est,  is  enim  fuit  auctor  honoris: 

Ipse  sucs  gemitus  foliis  inscribit,  et  ai  ai 

Flos  liabet  inscriptum,  funestaque  littera  ducta  est  •. 

La  seule  fleur,  connue  des  anciens,  à  laquelle  puissent 
convenir  ces  caractères,  c'est,  non  pas  une  jacinthe  propre- 
ment dite,  mais  une  espèce  de  lis,  le  lis  martagon  [LiUum 
marlagon,  L.).  Les  segments  de  la  corolle,  fortement  rou- 
lés en  dehors,  sont  marqués  de  taches  noires,  auxquelles  il 
est  facile,  avec  un  peu  d'imagination,  de  trouver  quelque 
ressemblance  avec  certaines  lettres  grecques. 

Du  sang  de  Vénus  naquit  la  rose,  et  de  ses  larmes 
l'anémone  : 

XÎ^t  ôoSov  TixTEi,  Tot  Se  Saxpua  xotv  àv£[ji.ojvav^. 

Une  plante,  remarquable  par  ses  fleurs  d'un  beau  rouge 
foncé,  Vadonis  xstivalis^  doit  sa  naissance  au  sang  d'A- 
donis que  Vénus  fit  périra  Cette  plante  s'appelle  encore 
aujourd'hui  la  goalte  de  sang. 

La  fleur  en  laquelle  fut  changée  la  nymphe  Glytie\ 
passe  pour  celle  d'une  espèce  dé  crucifère,  voisine  de  la 
giroflée,  pour  Viiesperis  matronalis. 

Phérénicus,  poète  épique  d'Héraclée,  se  rendit  célèbre 
en  imaginant  des  métamorphoses  de  ce  genre.  Il  chaula, 
entre  autres,  le  figuier,  le  cornouiller,  le  peuplier,  le  hêtre, 


1.  Ovide,  Metamorph. ,  x,  212  et  suiv. 

2.  Bion,  I.  166. 

3.  Ovide,  Metam.,  x,  725 

4.  Ibid.,  X,  267. 


30  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

comme  étant  des  Hamadryades,  engendrées  par  le  com- 
merce d'Oxyle  avec  une  nymphe. 

La  mythologie,  cette  religion  d'artistes,  qui  animait 
tout  le  règne  végétal,  prêtait  singulièrement  à  la  poésie. 
Les  croyances  austères  qui  lui  ont  succédé  ont  arrêté 
ces  élans  de  l'imagination. 

Le  jardin  des  Hespérides,  dont  les  pommes  d'or  étaien: 
gardées  par  un  dragon  à  cent  têtes,  renfermait,  sou; 
une  forme  poétique,  quelques  faits  réels.  Les  Hespéridc;; 
étaient  les  nymphes  de  l'Occident,  filles  de  Jupiter  et 
d'Hespérus.  Mais  l'Occident  change  de  signification  sui- 
vant la  région  oti  l'observateur  se  trouve  placé  relative- 
ment au  soleil.  Ainsi,  pour  les  Hellènes,  l'Asie  Mineure 
était  l'Orient,  tandis  que  pour  les  habitants  de  l'Asie 
Mineure  la  Grèce  était  l'Occident.  Maintenant,  quel  est 
le  peuple  auquel  les  Grecs  ont  emprunté  la  plupart  de 
leurs  légendes  mythologiques  ?  Ce  sont,  selon  leur  propre 
aveu,  les  Egyptiens.  Or  à  l'occident  de  l'Egypte  et  au 
midi  du  Péloponnèse  est  située  la  Gyrénaïque,  portion 
orientale  du  littoral  de  l'Afrique  septentrionale.  C'est 
dans  la  Gyrénaïque  que  les  plus  anciens  géographes 
placent  le  jardin  des  Hespérides.  Voici  ce  qu'on  lit  dans 
le  Périple  de  Scylax  :  «  Le  golfe  formé  par  le  promontoire 
de  Phycus  est  inabordable.  Près  de  là  se  trouve  le  jardin 
des  Hespérides.  G'est  un  lieu  de  dix-huit  orgyes,  ceint  de 
toute  part  de  précipices  si  escarpés  qu'il  n'est  accessible 
d'aucun  côté.  Il  a  deux  stades  d'étendue  en  tout  sens,  sa 
longueur  étant  égale  à  sa  largeur.  Ce  jardin  est  rempli 
d'arbres  serrés  les  uns  contre  les  autres,  et  dont  les  bran- 
ches s'entrelacent.  Ce  sont  des  lotus,  des  pommiers  de 
toute  espèce,  des  grenadiers,  poiriers,  arbousiers,  mûriers, 
myrtes,  lauriers,  lierres,  oliviers  cultivés  et  sauvages, 
amandiers  et  noyers  ^  » 

En  résumé,  suivant  le  témoignage  de  Scylax,  c'est  près 

1.  Scylax,  Peripl,  110  (édit.  Gronov.). 


ANTIQUITÉ.  31 

du  golfe  formé  par  le  promontoire  de  Phycus  (aujourd'hui 
Ras-Sem)  qu'il  faut  placer  le  jardin  des  Hespérides.  Ce 
témoignage  semble  confirmé  par  les  voyageurs  modernes. 
Ainsi,  au  rapport  de  Pacho,  on  retrouve  encore,  dans 
le  lieu  indiqué,  tous  les  arbres  nommés  par  Scylax,  à 
l'exception  des  noyers  et  des  pommiers.  Dans  l'emplace- 
ment inabordable,  ceint  de  précipices  rocailleux,  le  voya- 
geur voit  l'allégorie  du  dragon  préposé  à  la  garde  du 
jardin  des  Hespérides  *.  A  quelque  distance  du  cap  Phycus 
sont  les  ruines  de  Beneglidem,  l'ancienne  Balacris,  située 
sur  la  route  qui  conduisait  à  Ptolémaïs,  à  quinze  milles 
de  Gyrène,  suivant  Ptolémée.  Non  loin  de  là  était  le  port 
où  abordèrent  probablement  les  Argonautes,  lorsque  du 
cap  Malé  ils  furent  rejetés  sur  les  côtes  de  l'Afrique  par 
un  vent  du  nord.  Hercule,  qui  était  au  nombre  des  Argo- 
nautes, parvint,  d'après  la  légende,  à  s'emparer  des  pom- 
mes d'or  du  jardin  des  Hespérides. 

Poètes,  historiens  et  voyageurs,  tous  ont  vanté  la  beauté 
et  la  fertilité  de  cette  plage.  Pindare  l'appelle  «la />■wg'^7ère, 
le  Jardin  de  Jupiter,  le  Jardin  de  Vénus.  »  Selon  Théo- 
phraste,  les  terres  de  la  Gyrénaïque  étaient  légères,  vivi- 
fiées par  un  air  pur  et  sec  ;  l'olivier  et  le  cyprès  y  acqué- 
raient une  rare  beauté*.  «  Le  territoire  limitrophe  de  la 
Gyrénaïque,  dit  Diodore,  est  excellent  et  produit  quantité 
de  fruits,  car  il  est  non-seulement  fertile  en  blé,  mais  il 
produit  aussi  des  vignes,  des  oliviers  et  toutes  sortes  de 
fruits  sauvages.  » 

Strabon  plaçait  le  jardin  des  Hespérides  aux  environs 
de  la  grande  Syrte.  «  Ceux  qui  habitent,  dit-il,  le  fond 
de  la  Syrte,  ne  mettent  que  quatre  jours  pour  se  rendre 
au  jardin  des  Hespérides,  en  suivant  la  direction  du  le- 
vant d'hiver.  » 

Délia  Gella,  qni  de  nos  jours  l'a  parcouru,  s'accorde 

1.  Pacho,  Voyage  dans  la  Marmarîque  et  la  Cyv.énaïque,  p.  172. 

2.  Théophraste,  Hist.  plant.,  vi,  27  ;  iv   3. 


32  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIOCIE. 

avec  ces  témoignages.  Ainsi,  au  rapport  de  ce  voyageur, 
les  deux  arbres  dont  parle  Théophraste  comme  acquérant 
une  rare  beauté  dans  la  Gyrénaïque,  l'olivier  et  le  cyprès, 
présentent  encore  aujourd'hui,  dans  cette  contrée,  une  vé- 
gétation singulièrement  luxuriante*.  C'est  dans  la  plaine 
située  entre  la  partie  élevée  de  la  Gyrénaïque  et  le  bord 
de  la  mer  qu'il  place  le  jardin  des  Hespérides.  Toute 
cette  étendue  de  côte,  à  partir  de  l'ouest  du  cap  Ras-Sera 
(Phycus),  est  rendue  à  peu  près  inaccessible  par  les  in- 
nombrables rochers  qui  la  bordent.  Derrière  ces  rochers 
se  trouvent  les  belles  prairies  d'Ericab. 

On  a  beaucoup  discuté  pour  savoir  si  les  pommes 
dorées  du  jardin  des  Hespérides  étaient  des  citrons 
ou  des  oranges.  Cette  question  a  peu  d'importance.  Il 
suffit  de  savoir  qu'aujourd'hui,  comme  autrefois,  on  ren- 
contre des  citronniers  et  des  orangers  sur  tout  le  littoral 
de  l'Afrique ,  depuis  la  Gyrénaïque  jusqu'aux  Colonnes 
d'Hercule. 

Dans  le  même  territoire  de  la  Gyrénaïque,  qu'habi- 
taient les  Lotophages ,  se  trouvait  aussi  le  sUphium, 
plante  à  laquelle  les  anciens  attribuaient  les  propriétés 
les  plus  merveilleuses.  Pline  lui  reconnaissait,  entre 
autres,  celles  d'endormir  les  moutons  et  de  faire  éternuer 
les  chèvres ^ 

Le  suc  de  cette  plante  se  vendait  au  poids  de  l'or.  Le 
silphium  fut  un  des  principaux  objets  du  commerce  des 
Gyiénéens;  il  passa  en  proverbe  comme  un  symbole  de 
richesses.  Une  tige  de  silphium  était  regardée  comme 
un  présent  digne  des  princes  et  des  dieux.  César  retira 
d'une  de  ces  tiges,  conservée  dans  le  trésor  public  de 
Rome,  la  somme  de  quinze  cents  marcs  d'argent.  Les 
Cyrénéens  avaient  consacré  cette  plante  à  leurs  souverains 


1.  Délia  Cella,  Viaggio  da  Tripoli  di  Barb aria  aile  frontière  occt- 
dentali  deW  Egitto,  p.  77  et  119. 

2.  Pline,  Hist.  nat.,  xii,  23. 


1 


ANTIQUITÉ.  33 

les  p'us  vertueux.  Ainsi,  sur  plusieurs  médailles  de  Cy- 
rène,  on  voit,  d'un  côté,  la  tête  du  roi  Battus  ou  de  Jupiter 
Ammon,  et,  de  l'autre,  la  figure  du  silphium. 

Le  suc  de  cette  plante,  qui  passait  pour  une  sorte  de 
panacée,  s'obtenait  par  l'incision  de  la  tige  et  de  la 
racine.  Le  suc  de  la  tige  s'appelait  thysias^  et  celui  de 
la  racine,  caulias.  L'un  et  l'autre  portaient  le  nom  de 
larmes  de  la  Cyrénaïque.  Le  suc  de  la  racine  était  préféré 
à  celui  de  la  tige,  parce  qu'il  se  conservait  plus  long- 
temps. Pour  empêcher  qu'il  ne  se  corrompît,  on  y  mêlait 
de  la  farine.  Une  loi  fixait  le  temps  et  la  manière  de  faire 
l'incision,  ainsi  que  la  quantité  de  suc  que  l'on  devait  en 
tirer  pour  ne  pas  faire  périr  la  plante. 

Enfin,  de  quelle  espèce  végétale  était  le  silphium^  et 
dans  quelle  partie  de  la  côte  africaine  le  rencontrait-on 
plus  particulièrement  ? 

Scylax  et  Hérodote  plaçaient  le  silphium  dans  la  région 
littorale  de  la  Pentapole  libyque,  depuis  l'ile  de  Platée 
jusqu'à  l'entrée  de  la  Grande  Syrte.  Catulle  le  plaçait 
près  de  Gyrène.  Arrien  et  Pline  le  reléguaient  sur  la  lisière 
intérieure  des  terres  fertiles,  tandis  que,  suivant  Ptolémée 
et  Strabon,  il  ne  se  voyait  que  dans  la  partie  centrale  du 
désert  du  sud  de  la  Cyrénaïque.  On  a  essayé  de  concilier 
ces  opinions,  en  donnant  le  nom  de  Cyrénaïque  à  toute 
l'étendue  orientale  de  la  côte  libyqvie,  y  compris  la  région 
ammonienne.  Partant  de  là  on  a  supposé  que  le  silphium 
croissait  dans  toute  cette  vaste  contrée,  au  nord,  aussi 
^  bien  qu'au  sud,  ce  qui  semblerait  justifier  les  noms  de 
Cyrénaïque  silphifère,  de  Lrbya  silphifera,  etc.  Mais  cette 
explication  est  contredite  par  la  nature  du  sol,  qui  n'est 
pas  la  même  dans  la  partie  septentrionale  que  dans  la 
partie  méridionale  de  la  Libye. 

Depuis  les  sommets,  qui  dominent  l'ancienne  Cherso- 
nèse  cyrénaïque,  jusqu'à  la  côte  orientale  de  la  Grande 
Syrte,  on  trouve  fréquemment,  dans  un  espace  qui  s'étend 
au  sud,  tout  au  plus  à  huit  ou  dix  lieues  du  rivage,  une 

3 


34  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE, 

grande  espèce  d'ombellifère,  que  les  Arabes  nomment 
derias,  et  dont  voici  les  principaux  caractères  :  racine 
fusiforme,  charnue,  très-longue,  d'un  brun  foncé  à  la 
surface  ;  tige  striée,  atteignant  deux  ou  trois  pieds  de 
hauteur,  et  s'élevant  sur  un  collet  épais  d'où  jaillit,  si 
on  l'incise,  un  suc  laiteux,  abondant;  feuilles  luisantes, 
surdécomposées,  caduques  ;  fleurs  en  ombelles  jaunes  ; 
graines  ovales,  comprimées,  bordées  d'une  membrane 
transparente.  Ces  caractères  s'accordent  parfaitement  avec 
ceux  que  donne  Pline.  En  effet,  suivant  ce  naturaliste, 
la  racine  du  silphium  était  d'un  brun  foncé  et  avait 
plus  d'une  coudée  de  longueur.  A  l'endroit  où  elle  sortait 
hors  de  terre  était  une  grosse  tubérosité  (collet)  qui,  par 
incision,  laissait  suinter  un  suc  laiteux.  Ses  graines 
étaient  aplaties  (comprimées)  ;  ses  feuilles  tombaient  tous 
les  ans,  dès  que  soufflait  le  vent  du  midi^ 

Mais  le  silphium  des  anciens  croît-il  encore  aujourd'hui 
dans  la  Gyrénaïque?  Si,  du  temps  de  Plante^,  on  en  faisait 
encore  d'abondantes  récoltes,  le  silphium  commençait  à 
devenir  rare  dès  l'époque  de  Strabon.  Au  siècle  de  Pline 
(i"  siècle  de  notre  ère),  il  avait  été  détruit  par  les  bestiaux, 
et  on  ne  connaissait  plus  qu'un  laser,  provenant  de  la 
Perse  et  de  l'Arménie,  très-inférieur  à  celui  de  la  Gyré- 
naïque. Sous  Néron,  on  n'en  trouva  plus  qu'un  seul 
pied,  qui  fut  envoyé  à  ce  prince  comme  une  curiosité 
rare.  Strabon  attribue  la  cause  de  la  rareté  du  silphium^ 
de  son  temps,  à  une  invasion  des  Barbares  qui  avaient 
cherché  à  le  détruire  par  l'extirpation  de  ses  racines.  En 
répétant  ce  fait,  Solin  ajoute  que  les  Gyrénéens  avaient 
eux-mêmes  contribué  à  détruire  le  silphium,  pour  se 
délivrer  des  impôts  énormes  dont  il  était  l'objet.  Mais  il 
n'est  guère  probable  qu'on  puisse  ainsi  anéantir  toute  une 
espèce   végétale.    Un    fragment   de    racine,    une   graine 

1.  Pline,  }list.nat.,xix,  15. 

2,  Piaule,  liudens,  acl.  m,  se.  2,  vers  15  tt  16,  '    ■ 


ANTIQUITE.  35 

échappée  par  hasard,  peuvent  en  assurer  la  propagation. 
On  peut  donc  admettre,  comme  une  chose  très-probable, 
que  le  laserpitium  dévias  de  Pacho,  ou  le  thapsia  silphium 
de  Viviani,  qui  se  rencontre  encore  aujourd'hui  dans 
les  États  Tripolitains,  est  le  sUphiùm  des  anciens.  Seule- 
ment, dans  ce  cas,  il  faut  beaucoup  rabattre  des  propriétés 
merveilleuses  de  cette  plante.  La  plupart  des  voyageurs 
ont  reconnu,  comme  Pline,  sa  propriété  d'être  nuisible 
aux  bestiaux.  Mais  c'est  à  ]3eu  près  le  seul  caractère  que 
le  laserpitium  derias  partage  avec  le  silphium  des  an- 
ciens. 

Suivant  Desfontaines  ^,  le  silphium  ou  le  laser  des 
anciens  était  l'assa  fœtida,  suc  concrète  de  la  longue 
racine  noire  du  ferula  assa  fœtida.  Son  odeur  alliacée, 
repoussante  (d'où  son  nom  officinal  de  stercus  diaboli), 
était  anciennement  fort  recherchée,  au  point  qu'on  s'en 
servait  pour  aromatiser  les  mets,  ce  qui  justifie  le  proverbe 
que  «  des  goûts  et  des  couleurs  il  ne  faut  pas  disputer.  » 
Le  narthex  des  Grecs  était  aussi  une  espèce  de  ferula  [f. 
nartheca  de  Poiret) .  Tournefort  dit  l'avoir  retrouvé  dans  les 
îles  de  l'Archipel.  «  La  tige,  épaisse  d'environ  trois  pouces, 
a,  dit-il,  cinq  pieds  de  haut  ;  elle  est  remplie  d'une  moelle 
blanche  qui,  étant  bien  sèche,  prend  feu  comme  la  mèche. 
Le  feu  s'y  conserve  parfaitement  bien,  ce  qui  peut  servir 
à  expliquer  un  passage  d'Hésiode  qui,  parlant  du  feu  que 
Prométhée  vola  dans  le  ciel,  dit  qu'il  l'emporta  dans  une 
férule.  Ces  tiges  sont  assez  fortes  pour  servir  d'appui,  et 
trop  légères  pour  blesser  ceux  que  l'on  frappe;  c'est  pour- 
quoi Bacchus,  législateur,  ordonna  sagement  aux  premiers 
hommes  qui  buvaient  du  vin  de  se  servir  de  cannes  de 
férule,  parce  que  souvent,  dans  la  fureur  du  vin,  ils  se 
cassaient  la  tête  avec  les  bâtons  ordinaires.  Les  prêtres  du 
même  dieu  s'appuyaient  sur  des  tiges  de  férule....   Plu- 


l.  Pline,  Ilist.  nat.,   t.  VJ,  p.  465    {Excunus,  m,  de  l'éditioa  de 
Lemaire). 


36  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

tarque  et  Strabon  remarquent  qu'Alexandre  tenait  les 
œuvres  d'Homère  dans  une  cassette  de  férule*.  » 

La  flore  médicale  d'Hippocrate  et  de  Galien  se  compose 
à  peine  de  deux  cents  plantes,  dont  les  noms  sont  loin  de 
se  rapporter  à  des  espèces  exactement  déterminées.  Ainsi, 
ïellcbore  noii\  IXXÉêopoç  fjiéXaç,  dont  la  racine  passait  pour 
guérir  la  folie,  était,  selon  toute  apparence,  non  pas  notre 
rose  de  Noël  [helkborus  niger^  L.),  mais  Vhelleborus  orien- 
ta lis, 'Encyd.  Anticyre  était  le  lieu  qui  fournissait  le  meil- 
leur ellébore;  d'où  vint  le  proverbe  d'envoyer  à  Anticyre 
les  personnes  malades  du  cerveau.  En  visitant  l'île  d'An- 
ticyre,  l'Eubée,  la  Béotie,  le  mont  Hélicon,  Tournefort 
n'y  trouva  que  l'ellébore  oriental.  Il  en  essaya  l'usage; 
mais  le  succès  ne  répondit  pas  à  son  attente. 

Le  panais  opopanax  [pastinaca  opopanax,  L.)  fournit, 
par  l'incision  des  racines,  une  gomme-résine,  qui  paraît 
avoir  figuré  dans  la  pharmacopée  des  anciens.  Mais  il 
n'est  pas  certain  que  le  panakés  (uavaxE;)  d'Hippocrate 
(d'où  le  nom  de  panacée)  soit  cette  gomme-résine.  Le 
panais  opopanax  se  rencontre  dans  la  Syrie.  Ni  Sibthorp, 
ni  Fraas  ne  l'ont  rencontré  en  Grèce.  L'auteur  de  la  Fbra 
grxca  (Sibthorp)  dit  que  le  panais  commun  [pastinaca  sa- 
liva) croît  aux  bords  des  champs  cultivés,  dans  les  îles  de 
l'Archipel.  C'est  de  celui-là  que  parlent Dioscoride  (iir,  bO) 
et  Pline  (xxii,  22). 

Parmi  les  autres  ombellifères  de  la  flore  hippocrato- 
galénique,  nous  citerons  le  buprcslis  (pouTrpvioriç),  qui 
paraît  être  le  buplevnom  fnUicosum,  L.,  commun  dans  la 
région  méditerranéenne;  ses  feuilles  ovales,  lisses, 
devaient,  à  cause  de  leur  persistance  pendant  l'hiver, 
attirer  de  tout  temps  l'attention  sur  cette  espèce  arbores- 
cente. —  Le  sèscli  (Ghùi),  qui  n'appartient  àaucune  espèce 
de  séséli  des  botanistes  modernes,  est,  suivant  Sprengel,  !c 
lordylium  officinale,  L.,  dont  les  graines  ont  la  saveur  de 

1.  Tournefort,  Voyage  au  Levant,  t.  I,  p.  290. 


ANTIQUITÉ.  37 

celles  du  camin  et  passent  pour  diurétiques.  Dîoscoride 
(m,  56)  en  parle  sous  le  nomde -ropoûXtovou  ffSCTeXt  xf/ittxdv. 
Son  l'éséli  étldopique^  aÉdeXt  atOitoTnxôv,  était  le  bupkvrum 
fruticosum.  On  le  rencontre  assez  abondamment  sur  les 
collines  arides  du  Péloponnèse. 

Le  conium^  xtôvsiov  d'Hippocrate  et  de  Théophraste, 
que  Pline  nommait  ciciita^  paraît  être  notre  grande 
ciguë,  conium  maculatum^  facile  à  reconnaître  à  son 
odeur  vireuse  et  à  ses  tiges,  parsemées  de  taches  li- 
vides comme  la  peau  d'un  serpent.  Celte  ombellifère 
abonde  dans  les  localités  humides  de  la  Grèce,  à  l'excep- 
tion de  l'Attique  où  elle  est  rare^  Est-ce  là  la  ciguë  que 
l'Aréopage  d'Athènes  employait  pour  faire  périr  les  con- 
damnés à  la  peine  capitale,  et  que  la  mort  de  Socrate  a 
suffi  pour  immortaliser  ?  C'est  très-probable,  bien  qu'il  y  en 
ait  qui  prétendent  que  la  ciguë,  qui  remplaçait  chez  les 
Athéniens  notre  guillotine,  était  la  cicutaire,  cicwïa  virosa, 
L.  Mais  cette  espèce,  dont  le  suc  est  aussi  vénéneux  que 
celui  de  la  grande  ciguë,  préfère  les  contrées  du  nord  à 
celles  du  midi. 

Lemarathnmi,  [i.apa6pov  d'Hippocrate  et  de  Théophraste, 
est  notre  fenouil  (anetlnmi  fœnicuhim.L.),  dont  toutes  les 
parties  exhalent  une  odeur  caractéristique.  On  le  rencontre 
IVéquemmentsur  le  littoral  de  l'Attique,  à  quelque  distance 
de  la  mer,  souvent  en  compagnie  avec  une  espèce  voisine, 
Vanelhum  graveolens^  L.,  que  Théophraste  avait  déjà 
indiquée  sous  le  nom  d'aneth^  avr,6ov. 

Parmi  les  autres  plantes  de  la  flore  médicale,  on  re- 
marque :  Viris  (?pi<;  Hipp.),  que  Théophraste  qualifie 
d'odorante,  de  céleste,  d'admirable;  c'était  Yiris  floren- 
iiria^  L.,  dont  la  racine  a  une  odeur  de  violette,  et  qu'on 
Irouve,  suivant  Sibthorp,  sur  le  Taygète  ;  —  la  garance, 
IpuOpdSavoç,  cultivée  dans  les  plaines  maritimes  de  l'Atti- 
que, de  Salamine,de  l'Eubée;— lascammonée(<7xajx{iL(ov(ov 

1.  Fnsis,  Synopsis  plantarum  florx  dassicse,  p.  141. 


38  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

Hipp.,  i7xau[jLt.)vict  Diosc.)  était  le  convolvidus  scammoma^ 
dont  la  racine  donne  par  incision  une  gomme-résine,  bien 
connue  des  anciens  comme  purgative;  —  la.  jusquiame^ 
(Joaxûafxoç  (fève  de  porc) ,  dont  les  anciens  distinguaient 
l'espèce  noire  (6.  [xÉXaç)  et  l'espèce  blanche  (u.  àeuxoç);  —  la 
violette  odorante  qu'Hippocrate  appelle  )^£uxol'ov,  et  Théo- 
phraste,  ïo-^,  l'un  et  l'autre  avec  l'épithète  de  noire,  ■vh  (jisXav  ; 
elle  est  aujourd'hui  rare  en  Grèce  ;  —  le  cyclamen,  xuxXâunvo; 
d'Hippocrate,  était,  non  pas  comme  le  prétend  Sprengel,  le 
cyclamen  europœum^L. ,  qui  appartient  à  l'Europe  centrale, 
mais  une  espèce  particulière,  le  cyclamen  grsecum,  Sib., 
également  remarquable  par  sa  grosse  racine,  amylacée, 
renfermant  un  suc  drastique  ;  — le  stnjchnos,  cxpu/vo;,  était, 
soit  la  douce-amère,  remarquable  par  ses  baies  d'un  rouge 
écarlate,  soit  la  morelle,  caractérisée  par  ses  baies  noires- 
—  Vacté,  axTvi  d'Hippocrate,  étaitl'hièble,  sambucus  ebulus, 
L.,  tandis  que  Vactea,  àxxîa  (axTÎ^)  de  Théophraste  était 
notre  sureau,  sambucus  nigra,  qui  affecte,  en  effet,  comme 
le  dit  Théophraste,  la  forme  d'un  arbre  et  croît  dans  les 
lieux  plutôt  secs  qu'humides. —  he  poly carpe,  TroXuxapTrov 
d'Hippocrate,  qui  croissait  péirmi  les  mauvaises  herbes 
des  champs  cultivés,  a  exercé  la  sagacité  des  commenta- 
teurs. Suivant  les  uns,  c'était  la  persicaire  {polygonum 
persicaria,  L."^;  suivant  d'autres,  c'était  une  espèce  de  mé- 
larapyre  ou  la  nielle.  Nous  croyons  que  c'était  tout  simple- 
ment une  renoncule,  peut-être  le  ranunculus  arvensis:  le 
nom  de  polycarpe  lui  conviendrait  parfaitement. 


Flore  extra-inéditcrranéennc. 


Les  rapports  des  Grecs  avec  le  vaste  empire  des  Perses, 
qui  par  l'expédition  de  Gambyse  avaient  conquis  l'Egypte 


ANTIQUITE.  39 

(en  525  avant  J.  G.),  contribuèrent  beaucoup  à  dévelop- 
per leurs  connaissances  en  histoire  naturelle.  Hérodote 
explora  la  Mésopotamie,  étudia  sur  le  terrain  les  marches 
de  Xerxès,  ripandit  tant  de  lumières  sur  la  mystérieuse 
Egypte,  sur  les  parties  voisines  de  la  Libye  et  de  l'Arabie, 
et  visita,  en  observateur  attentif,  la  Phénicie,  la  Pales- 
tine et  la  Syrie.  Ces  voyages  comprennent  un  intervalle 
d'environ  dix  ans  (de  454  à  444  avant  J.  G.).  Un  autre 
Grec  célèbre,  dont  nous  ne  connaissons  les  ouvrages  que 
par  les  fragments  conservés  dans  Diodore,  Gtésias,  résida 
longtemps  à  la  cour  de  Perse,  et  devint  médecin  d'Ar- 
taxerxès  Mnémon.  Il  faisait  partie  de  la  suite  de  ce  roi  à 
la  bataille  de  Gunaxa  (en  l'an  400  avant  J.  G.),  que  per- 
dirent les  Grecs  engagés  par  Gyrus  à  la  révolte  contre  son 
frère.  Xénophon,  conduisant  à  travers  des  régions  jus- 
qu'alors inexplorées  les  'débris  de  l'armée  grecque,  profita 
de  l'occasion  pour  faire  plus  d'une  remarque  utile  pour 
l'histoire  naturelle. 

En  parlant  de  la  Babylonie,  Hérodote  apprenait  à  ses 
compatriotes  que  toute  la  région  située  entre  l'Euphrate 
et  le  Tigre  était,  comme  l'Egypte,  sillonnée  de  canaux 
qui  portent  la  fertilité  dans  les  champs  couverts  de  cé- 
réales. «  On  n'essaye  pas,  dit-il,  d'y  cultiver  des  arbres 
fruitiers,  ni  le  figuier,  ni  la  vigne,  ni  l'olivier;  car  le  ter- 
rain est  si  propice  aux  céréales  que  le  blé  rapporte,  en 
moyenne,  deux  cents  et,  dans  les  années  les  plus  favora- 
bles, trois  cents  pour  un.  Les  feuilles  du  froment  et  de 
l'orge  y  acquièrent  facilement  jusqu'à  quatre  doigts  de 
largeur.  »  —  Il  s'agit  probablement  ici  d'un  froment  et 
d'une  orge  différents  de  nos  espèces. 

Hérodote  admirait  surtout  les  dimensions  du  millet  et 
du  sésame  de  la  Babylonie.  «  Je  n'en  parlerai  pas,  dit-il, 
bien  que  j'en  aie  une  parfait  icon:aissance,  très-convaincu 
que  ceux  qui  n'ont  pas  visité  la  Babylonie  ne  croiraient 
pas  ce  que  je  leur  dirais  de  ses  productions....  Les  habi- 
tants ont  des  palmiers  plantés  dans  toute  la  plaine  ;  la 


40  HISTOIRE  DE  L.\  BOTANIQUE. 

plupart  portent  des  fruits,  d'où  ils  tirent  des  aliments, 
du  vin  et  du  miel.  Ils  les  soignent  à  la  manière  des  fi- 
guierb  :  ils  attachent  aux  palmiers  à  dattes  ce  que  les 
Grecs  nomment  les  mdles  des  palmiers  (cpoivixwv  toùç 
apffêvaç);  l'insecte  (4'ïiv)  qui  s'y  trouve  mûrit  la  datte  en 
y  pénétrant,  et  l'empêche  de  tomber ^  5>  On  voit  par  ce 
passage  que  les  Babyloniens  avaient,  comme  les  Grecs, 
connaissance  du  sexe  des  plantes.  Le  palmier  {phœnix 
dactylifera)  devait,  en  effet,  le  mieux  se  prêter  à  cette 
découverte  :  les  deux  sexes  s'y  trouvent  disposés  chacun 
sur  une  tige  différente,  comme  dans  toutes  les  plantes 
dioïques  ;  le  palmier  qui  portait  des  fruits  était  réputé  du 
sexe  féminin,  et  le  palmier  stérile,  du  sexe  masculin. 
Seulement,  au  lieu  d'attribuer  la  fécondation  du  palmier 
femelle  à  la  poussière  des  fleurs  du  mâle,  on  l'attribuait 
à  un  insecte.  Ce  n'est  que  beaucoup  plus  tard  que  l'on 
reconnut  que  les  insectes  qui  butinent  sur  les  fleurs  mâles, 
ne  font  que  transporter  la  poussière  fécondante  sur  les 
fleurs  femelles. 

Hérodote  fit  le  premier  connaître  le  vin  de  palmier.  Il 
rapporte  que  Gambyse  envoya  aux  Éthiopiens,  par  l'in- 
termédiaire des  Ichthyophages,  quelques  mesures  de  ce 
vin.  «  Dans  les  contrées  voisines  de  la  Haute-Egypte,  on 
en  fait,  dit-il',  encore  aujourd'hui  usage.  On  l'obtient  par 
la  fermentation  du  suc  qui  s'écoule  des  jeunes  pousses  du 
sommet  des  palmiers  à  l'époque  de  leur  taille.  » 

Ses  voyages  dans  les  principales  régions  de  l'Ancien 
Continent  lui  permettaient  de  faire  des  observations  qui  ne 
devaient  qu'après  de  longs  siècles  fournir  des  éléments  à  la 
géographie  botanique  et  agricole.  Telles  sont,  entre  autres, 
les  zones  végétales,  dans  lesquelles  Hérodote  divise  la 
Gyrénaïque.  Voici  cette  division.  «  La  Gyrénaïque,  pays 
le  plus  élevé  de  la  Libye  qu'occupent  les  nomades,  a  trois 


1.  Hérodote,  i,  193. 

2.  Ibid.,  m,  20. 


ANTIQUITÉ.  41 

zones  dignes  de  remarque,  déterminées  par  les  saisons. 
Dans  la  première,  qui  comprend  le  littoral,  la  moisson  et 
la  vendange  se  font  de  bonne  heure.  Quand  elles  y  sont 
terminées,  les  fruits  commencent  à  mûrir  dans  la  zone 
intermédiaire,  qui  s'élève  à  partir  de  la  zone  que  l'on 
appelle  les  colHnes  (pouvoi)  ;  lorsque  la  récolte  y  est  faite, 
les  productions  de  la  partie  supérieure  de  la  colline,  la 
plus  haute  de  tout  le  pays,  touchent  à  la  maturité  ;  de  telle 
sorte  que  quand  les  fruits  donnés  par  les  deux  premières 
récoltes  ont  été  consommés,  les  fruits  de  la  dernière  région 
succèdent  aux  premiers.  Les  Gyrénéens  ont  ainsi  huit  mois 
d'automne*.  »  —  A  cette  description  il  ne  manquait,  pour 
être  complète,  que  l'indication  des  distances.  Strabon  et 
Pline  y  ont  suppléé  en  rapportant  que  dans  l'espace  de 
cent  stades  du  rivage,  le  pays  est  couvert  d'arbres,  et  que 
dans  une  étendue  de  cent  stades  plus  au  sud,  il  ne  produit 
que  des  céréales. 

Gfésias  avait  donné  les  plus  curieux  détails  sur  les  mer- 
veilles de  Babylone,  notamment  sur  le  fameux  Jardin 
suspendu^  ouvrage,  non  pas  de  Sémiramis,  mais  de  Na- 
buchodonosor.  Ce  roi  l'avait  fait  construire  pour  plaire 
à  une  de  ses  femmes,  qui,  originaire  de  la  Perse,  regret- 
tait les  prés  de  ses  montagnes.  Le  Jardin  suspendu,  de 
forme  carrée,  avait  environ  cent  vingt  mètres  de  côté;  on 
y  montait  par  des  degrés,  sur  des  terrasses  posées  les 
unes  au-dessus  des  autres.  Ces  terrasses  étaient  soutenues 
par  des  colonnes  qui  supportaient  tout  le  poids  des  plan- 
tations; la  colonne  la  plus  élevée  supportait  le  sommet 
du  jardin.  Les  plates-formes  des  terrasses  étaient  com- 
posées de  blocs  de  pierres,  recouverts  d'une  couche  de 
roseaux  mêlés  de  bitume;  sur  cette  couche  reposait  une 
double  rangée  de  briques  cuites,  cimentées  avec  du  plâtre; 
ces  briques  étaient,  à  leur  tour,  recouvertes  de  lames  de 
plomb,  afin  d'empêcher  l'eau  de  filtrer  à  travers  les  atter- 

1.  Hérodote,  iv,  198  et  199. 


42  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

risscments  artificiels  et  de  pénétrer  dans  les  fondations. 
Sur  cette  couverture  enfin  se  trouvait  répandue  une  masse 
de  terreau  suffisante  pour  recevoir  les  racines  des  plus 
grands  arbres.  «  Ce  sol  artificiel  était,  ajoute  l'historien, 
rempli  d'arbres  de  toute  espèce,  capables  de  charmer  la 
vue  par  leurs  dimensions  et  leur  beauté.  Les  colonnes 
s'élevaient  graduellement,  laissaient  par  leurs  interstices 
pénétrer  la  lumière,  et  donnaient  accès  aux  appartements 
royaux,  nombreux  et  diversement  ornés.  Une  seule  de 
ces  colonnes  était  creuse  depuis  le  sommet  jusqu'à  la 
base  ;  elle  contenait  les  machines  hydrauliques  qui  fai- 
saient monter  de  l'Euphrate  une  grande  quantité  d'eau, 
sans  que  personne  ne  pût  rien  voir  à  l'extérieur*.  53  —  Il  est 
à  regretter  que  l'historien  n'ait  pas  fait  connaître  au  moins 
les  principales  espèces  végétales  cultivées  sur  les  terrasses 
du  Jardin  supendu. 

Xénophon,  qui  commandait  l'arrière-garde  dans  la 
fameuse  retraite  des  Dix  mille,  a  soin  de  signaler  les 
principaux  traits  de  la  physiologie  végétale  des  pays  qu'il 
traversait.  Ainsi,  «  en  passant  par  la  Gilicie,  il  vit,  non 
loin  de  Tarse,  une  grande  et  belle  plaine,  bien  arrosée, 
couverte  de  vignes  et  d'arbres  de  toute  espèce.  «  Cette 
plaine  produisait  aussi  «  du  sésame,  du  sorgho  (fxsXiv/)), 
du  millet  (sKyypov),  du  froment  et  de  l'orge  en  abondance^.5> 
—  Le  sésame  (cvica[4:ov),  l'un  des  végétaux  caractéristiques 
de  l'Orient  [sesamum  orientale^  L.),  était  alors  cultivé, 
comme  l'est  aujourd'hui  le  pavot,  à  cause  de  l'huile  qu'on 
retirait  de  ses  graines.  Il  est,  suivant  Pline,  originaire  de 
l'Inde,  et  l'huile  de  sésame,  remarquable  par  sa  blancheur, 
était,  selon  Dioscoride,  fort  recherchée  des  Egyptiens^ 

Dans  la  partie  méridionale  de  la  Mésopotainie,  Xéno- 
phon vit  la  rive  plate  de  l'Euphrate  entièrement  couverte 
d'absinthe.  Ammien  Marcellin  s'accorde  ici  avec  le  gé- 

1.  Diodore,  n,  10. 

2.  Xénophon,  Anabasis,  i,  2,22. 

3.  Pline,  Hist.  nat.,  xviii,  22;  Dioscoride,  i,  121. 


ANTIQUITÉ.  43 

neral  grec.  «  Dans  cette  plaine  étendue,  aiide,  on  ne 
trouve,  dit-il,  que  de  l'eau  saumâtre,  que  de  trislesherhes, 
telles  que  Vabrotamim,  Vabsinthium  et  le  dracontkmi* .  » 

Le  nom  de  à']/tvGiov,  a&smî/nam,  s'appliquait  à  toutes  les 
hautes  herbes  amères,  de  la  famille  des  corymhifères.  Ce 
qui  le  prouve,  c'est  la  qualili  cation  d'orforanï^SiEÙcoor),  comme 
des  aromates  (airavia  vjaav  £ÙwS-/],  wçTTEp  «pco[x«Ta),  que  leur 
donne  l'historien  grec. —  Un  peu  plus  loin,  dans  le  voisi- 
nage de  Babylone,  le  pays  «  était  tout  à  fait  dénudé  de 
végétation;  on  n'y  voyait  ni  arbre,  ni  herbe^  » 

En  Arménie,  dans  la  contrée  des  Garduques,  où  les 
Grrecs  eurent  à  lutter  contre  tant  d'obstacles,  Xénophon 
rencontra  des  villages  dont  les  habitations  étaient,  comme 
des  cavernes,  creusées  dans  le  sol.  Ces  habitations  souter- 
raines, cil  étaient  logés  des  bœufs,  des  moutons,  des 
chèvres  et  des  poules,  étaient  en  même  temps  des  maga- 
sins de  blé,  d'orge  et  de  légumes.  «  Il  y  avait  aussi,  ajoute 
Xénophon,  des  cratères  remplis  àevin  d'orge;  des  grains 
d'orge  nageaient  à  la  surface  du  liquide,  qui  portait  aussi 
des  chaumes  sans  nœuds  (>tâ).a[xot  yovaTa  ou/.  I/ovteç),  les 
uns  plus  petits,  les  autres  plus  grands ^  jj  Les  habitants 
des  montagnes  inhospitalières  de  l'Arménie,  où  le  froid 
empêche  la  vigne  de  croître,  remplaçaient  le  vin  par  la 
bière  ;  car  c'est  là  ce  que  signifie  oîvo;  xpiôtvo;,  vin  d'orge. 
Nous  devons  rappeler  ici  le  breuvage  des  anciens  Germains, 
«  cette  liqueur  d'orge  ou  de  froment  changée,  par  la  fer- 
mentation (corruption),  en  une  espèce;  de  vin,  3>  humor  ex 
hordeo  aut  frumento  in  quamdam  sîmilitudinem  vini 
corruptus.,  dont  parle  Tacite''.  Quant  aux  chaumes  sans 
nœuds.,  qui  ont  tant  occupé  les  commentateurs  de  Xéno- 
phon, ils  servaient  sans  doute  à  aspirer  le  liquide,  pour 
le  boire,  et  pour  cela  il  fallait  que  les  chaumes  ou  tiges 

1.  Am.  Marcel.,  xxvi,  8. 

2.  Xénophon,  Anabas.,  i,  5,  1  et  4. 

3.  Ibid. ,  IV,  5,  28. 

4.  Tacite,  De  morib.  Germ.,  123. 


44  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

creuses  fussent  dépourvus  de  diaphragmes  à  l'intérieur, 
c'est-à-dire  sans  nœuds. 

En  traversant  la  Golchide ,  non  loin  de  Trébizonde , 
Xénophon  rencontra  de  nombreuses  ruches  de  miel.  «  Tous 
les  soldats  qui,  dit-il,  mangèrent  de  ce  miel,  eurent 
le  délire;  les  uns  eurent  en  même  temps  des  vomisse- 
ments ,  les  autres  la  diarrhée ,  aucun  ne  put  se  tenir 
debout  ;  ils  ressemblaient  à  des  gens  ivres ,  à  des  fous 
et  à  des  mourants;  mais  personne  ne  mourut,  et  le  len- 
demain ils  étaient  tous  rétablis'.  »  —  Ce  miel  devait  ses 
propriétés  vénéneuses  aux  plantes  sur  lesquelles  avaient 
butiné  les  abeilles.  Ces  plantes  étaient  probablement,  non 
pas  des  azalées,  comme  on  le  prétend,  mais  des  solanées, 
telles  que  la  belladone,  la  stramoine  et  la  jusquiame. 

Dans  les  pays  des  Mosynèques,  où  était  située  la  ville 
de  Gérasonte  (d'où  l'on  croit  originaire  le  cerisier) ,  les 
G-recs  trouvèrent  en  abondance  du  blé,  principalement 
de  Vépeavtre^  Ceia,  et  «  des  châtaignes  que  les  indigènes 
mangeaient  bouillies  ou  cuites  en  guise  de  pain^  »  — 
Les  anciens  distinguaient,  comme  nous,  deux  espèces 
d'épeautre,  sous  les  noms  dezeia  et  d'o/yra,  La  première 
espèce  était  probablement  l'épeautre  proprement  dit,  le  tri- 
ticum  spelta,  L.,qui  se  distingue,  à  la  simple  vue,  du  fro- 
ment cultivé,  par  ses  épis  bien  moins  larges  et  ventrus  ; 
la  seconde  espèce  était,  selon  toute  apparence,  letriticum 
monococcum,  le  froment  locular  ,  dont  la  farine  fournis- 
sait une  bouillie  excellente,  désignée  par  les  Romains  sous 
le  nom  à'alica. 

Aucune  expédition  militaire  ne  fut  aussi  utile  au  pro- 
grès des  sciences  que  celle  d'Alexandre  le  Grand.  Si  le 
fds  de  Philippe  de  Macédoine  n'eût  été  que  l'instrument 
aveugle  de  la  haine  séculaire  des  Grrecs  contre  le  succes- 


1.  Xénoph.  Anab.,  iv,  8,  20-21, 

2.  Ibid.,  V,  4,  28-39. 


ANTIQUITÉ.  45 

seur  de  Darius  et  de  Xerxès,  sa  gloire  ne  serait  que  celle 
d'un  audacieux  et  heureux  conquérant;  mais  le  disciple 
d'Aristote  s'était  fait  accompagner  d'hommes  capables 
d'observer  les  merveilles  de  la  nature,  et  les  résultats  de 
ses  conquêtes,  mettant  indissolublement  l'Asie  et  l'Afrique 
en  rapport  avec  l'Europe,  ne  devaient  jamais  s'anéantir. 

Au  nombre  des  espèces  végétales  dont  la  connaissance 
se  répandit  rapidement  depuis  l'expédition  d'Alexandre  le 
Grand  (de  334  à  322  avant  J.  G.),  il  nous  suffira  de  citer 
le  citronnier,  le  cannellier,  le  poivrier,  etc. 

Le  citronnier  [malus  medica^  L.),  que  Pline  appelle  pom- 
mier de  l'Assyrie  ou  de  la  Médie,  malus  Assyria,  malus 
Medica^  ne  fut  acclimaté  en  Italie  que  par  Palladius,  au 
cinquième  siècle  de  notre  ère.  Du  temps  de  Pline,  on  ne 
le  cultivait  que  dans  des  vases  de  poterie,  percés  d'ouver- 
tures pour  faire  respirer  les  racines  (fictilibus  in  vasis, 
dato  per  cavernas  radicibus  spiramento).  «  Mais,  ajoute 
le  naturaliste  romain,  cet  arbre  n'a  voulu  jusqu'à  présent 
prospérer  que  chez  les  Mèdes  et  en  Perse  (nisi  apud 
Medos  et  in  Perside  nasci  voluil).  »  En  même  temps  il  en 
donne  comme  caractère,  «  de  porter  des  fruits  dans  toutes 
les  saisons  :  les  uns  tombent  pendant  que  les  autres 
mûrissent,  et  que  d'autres  encore  commencent  à  paraître. 
Son  feuillage  ressemble  à  celui  de  l'arbousier,  avec  des 
épines  intercurrentes.  La  pomme  (citron)  ne  se  mange 
point  ;  mais  son  odeur  sert,  comme  celle  de  la  feuille,  à 
chasser  les  teignes  des  vêtements.  Les  Parthes  nobles  en 
emploient  les  graines  pour  aromatiser  leurs  aliments  et 
leur  haleine.  »  —  Théophraste  (iv,  4)  s'accorde  ici  avec 
Pline   (xii,  7). 

Athénée,  écrivain  du  troisième  siècle  de  notre  ère, 
apprit  d'un  de  ses  amis,  qui  avait  été  gouverneur 
d'Egypte,  que  le  citron  est  l'antidote  de  tous  les  poi- 
sons. «  Cet  ami,  raconte-t-il,  avait  un  jour  condamné 
quelques  criminels  à  être  mordus  par  des  serpents  veni- 
meux :  ils  allaient  subir  leur  sentence,  lorsque  la  mai- 


46  HISTOIRE  DÉ  LA  BOTANIQUE. 

tresse  aune  taverne  leur  donna,  par  pitié,  du  citron 
qu'elle  avait  à  la' main;  ils  le  prirent, le  mangèrent,  et  ne 
reçurent  aucun  mal  des  aspics,  aux  piqûres  desquels  ils 
furent  exposés  K  » 

Il  ne  faut  pas  confondre  les  pommes  médiques  ou 
assyriennes,  qui  sont,  comme  nous  venons  devoir,  les 
citrons,  avec  les  pommes  persiques,  mala  persica.  Celles- 
ci  sont  les  pêches,  fruits  de  Vamygdalus  persica,  L.  Sui- 
vant Diphile  de  Sipliné,  cité  par  Athénée,  les  pommes  ou 
prunes,  coccymela,  de  Perse,  sont  d'un  suc  de  moyenne 
qualité,  mais  plus  nourrissantes  que  les  pommes  ordi- 
naires. Pline  avait  entendu  dire  que  le  pêcher,  Persica 
arbor,  possède  en  Perse,  sa  patrie,  des  propriétés  véné- 
neuses, et  qu'il  fut,  par  les  rois,  transplanté  en  Egypte 
comme  un  moyen  de  supplice.-  Ce  que  Pline  rapporte  ici, 
comme  un  simple  bruit,  auquel  il  refusait  toute  créance,' 
montre  que  les  anciens  connaissaient  le  violent  poison 
(acide  prussique)  qu'on  peut  retirer  des  noyaux  de  pêche 
piles.  C'est  ce  qui  explique  pourquoi  le  pêcher  était 
consacré  à  Harpocrate,  au  dieu  du  silence,  comme  nous 
l'apprend  Plutarque,dans  son  traité  à'Isis  tt  Osiris. 

La  cannelle,  écorce  du  laurus  ciiinamomum^L.,  avait  été 
pour  la  première  fois  apportée  en  Europe  par  les  Phéni- 
ciens, qui  faisaient  le  commerce  de  l'Inde  par  la  mer 
Rouge;  c'est  pourquoi  la  pointe  méridionale  de  cette  mer 
reçut  le  nom  de  cap  des  Aromates.  Du  reste,  le  nom 
même  de  cinnamomum,  en  hébreu  kinnamôn,  est  d'origine 
sémitique  ou  phénicienne.  Mais  l'expédition  d'Alexandre 
compléta  les  renseignements  très-vagues  qu'on  avait  eus 
jusqu'alors  sur  le  cannellier.  Hérodote  propagea  les  fables 
par  lesquelles  les  rusés  marchands  de  Tyr  ou  de  Sidon 
avaient  essayé  de  cacher  l'origine  du  cinnamomum  et  de 
la  casia  (écorce  du  laurus  cassia,  L.)  ;  et  on  crut  pendant 


1.  Athénée,  Deipnosopk.,  iv,  26. 


ANTIQUITÉ.  4t 

longtemps   que  ces  aromates  provenaient  des  Imnclilles 
de  bois  avec  lesquelles  le  phénix  construit  son  nid. 

Parmi  les  épices  qui,  depuis  Alexandre,  s'introduisi- 
rent en  Grrèce  et  de  là  en  Italie,  nous  citerons  le  poivre, 
le  gingembre  et  le  cardamome.  «  Bien  des  choses,  dit 
Plutarque,  que  nos  ancêtres  trouvaient  détestables,  sont 
aujourd'hui  fort  goûtées,  w  Tel  était,  entre  autres,  lepom-e 
(uÉTOpt),  que  Pline  appelle  piper  longum^  en  distinguant, 
selon  le  degré  de  maturité,  le  poivre  noir  du  poivre  blanc^ 
Déjà  à  l'époque  de  Martial,  les  cuisiniers  de  Rome  fai- 
saient un  grand  usage  de  poivre  : 

0  quam  saepe  petet  vina,  piperque  coquus  ^ 

Tandis  qu'on  prenait  avec  raison  le  poivre  pour  le  fruit 
d'un  arbre,  on  n'ignorait  pas  que  le  gingembre  (zingiber 
de  Pline,  yiyyî^tpi  de  Galien)  était  la  racine  d'une  plante 
herbacée.  C'est,  en  effet,  la  racine  de  Yamomum  zingi- 
ber^ à  tige  herbacée  et  à  feuilles  planes,  engainantes. 
Mais,  au  lieu  d'être  originaire  de  l'Arabie  et  de  la  Tro- 
glodytique,  comme  le  prétendaient  Dioscoride,  Pline, 
Galien  et  Oribase,  cette  plante  a  pour  patrie  la  zone 
australe,  insulaire,  de  l'Inde.  Les  marchands  l'employaient, 
suivant  Pline,  à  falsifier  les  autres  épices,  particulière- 
ment le  poivre. 

On  connaissait  aussi,  depuis  l'expédition  d'Alexandre, 
le  cardamome,  xapoa[ji.w[;i.ov,  nom  donné  aux  graines  de 
Vamomum  c'ardamomum ,  plante  de  la  même  famille  que 
le  gingembre. 

L'un  des  arbres  que  les  compagnons  d'Alexandre  admi- 
raient le  plus,  c'était  le  figuier  de  l'Inde,  le  figuier  des 
pagodes  (^cw5re%io5a,L).  Cet  arbre,  d'un  aspectsingulier, 
pousse  de  ses  branches  de  longs  rejets  pendants  qui  res- 
semblent à  des  cordes;    ces  rejets  gagnent  la  terre^   s'y 

1.  Pline,  XII,  14. 

2.  Martial,  xiii,  13,  1; 


48  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

enracinent  et  forment  de  nouveaux  troues,  qui  à  leur  tour 
en  produisent  d'autres  semblables ,  de  telle  sorte  qu'un 
seul  arbre,  s'étendant  et  se  multipliant  ainsi  de  tous  côtés, 
présente  une  seule  cime  d'une  étendue  prodigieuse ,  et 
qu'on  dirait  posée  sur  un  grand  nombre  de  troncs,  comme 
le  serait  la  voûte  d'un  vaste  édifice,  soutenue  par  de  nom- 
breuses colonnes*. 

Les  étoffes  de  coton  étaient  depuis  longtemps  usitées 
chez  les  Égyptiens  et  les  Hébreux.  Mais  le  cotonnier 
[gossympinus  arbor^  de  Pline)  ne  commença  d'être  connu 
en  Grèce  que  depuis  l'expédition  d'Alexandre.  Il  est  vrai 
qu'Hérodote  (m,  106)  avait  déjà  parlé  des  «  arbres  de 
l'Inde  qui  ont  pour  fruit  une  laine,  plus  belle  que  la  laino 
des  brebis,  et  dont  les  Indiens  se  servaient  pour  faire  des 
vêtements.  »  Mais  le  disciple  du  maître  d'Alexandre  le 
Grand,  Théopbraste,  fournit  à  ce  sujet  des  détails^,  qui 
manquaient  au  père  de  l'histoire,  et  que  les  écrivains 
n'ont  fait  que  copier.  Signalons,  en  passant,  une  erreur 
qui  fut  longtemps  accréditée  :  on  croyait  que  la  soie,  la 
matière  lanugineuse  des  5ere6;  (Indo-Chinois)  était  fournie, 
comme  le  coton,  par  un  arbre  particulier,  dont  les  feuilles 
devaient  ressembler  à  celles  du  mûrier.  Pollux,  dans  son 
Onomasticon,  annonça  le  premier  que  les  bombyx,  pro- 
duisant la  soie,  étaient  des  vers,  des  chenilles  (axojXrixe;), 
filant  une  toile  comme  les  araignées. 

En  somme,  le  quart  environ  des  plantes  décrites  par 
Théophraste,  Dioscoride,  Pline  et  Galien,  était  inconnu 
en  Europe  avant  l'expédition  d'Alexandre  le  Grand 

1.  Théophraste,  iv,  b;  Pline,  xii,  11  ;  Quinte-Curce,  ix,  1. 

2.  Théophraste,  iv,  9 


ANTIQUITÉ.  49 


PbytoIogîCg 


iSous  le  nom  de  phylologie  nous  comprendrons ,  non 
plus  la  description  des  espèces  végétales  dont  la  réunion 
forme  une  flore,  mais  les  idées  qu'on  a  successivement 
émises  sur  l'origine,  ]a  constitution  et  la  vie  des  plantes'. 
Ces  idées  étaient,  comme  pour  les  autres  sciences,  d'abord 
purement  spéculatives,  c'est-à-dire  dépourvues  de  toute 
sanction  expérimentale. 

Empédocle  d'Agngenie  écrivit,  vers  440  avant  J.  G.,  un 
livre  Sur  la  nature  (flspl  o-utsck) ,  en  hexamètres.  Dans  ce 
livre,  qui  est,  à  l'exception  d'un  petit  nombre  de  frag- 
ments, entièrement  perdu,  le  célèbre  philosophe  ensei- 
gnait que  «  les  plantes  apparurent  avant  la  formation 
complète  de  la  terre,  qu'elles  ont,  comme  les  aniroaux, 
des  instincts,  des  sentiments  et  même  de  l'intelligence, 
enfin  qu'elles  ont  les  deux  sexes  réunis.  »  Ces  idées  n'é- 
taient que  l'exagération  d'un  fait  vulgaire,  à  savoir  que  les 
plantes  naissent  et  meurent  comme  tous  les  êtres  vivants. 
Elles  ont  même  été  renouvelées  de  nos  jours  par  ceux  qui 
voient  autre  chose  que  de  simples  mouvements  mécaniques 
dans  les  phénomènes  de  la  sensitive  et  d'autres  espèces 
végétales.  Quant  au  sexe  des  plantes,  la  fécondation  du 
dattier  à  fruits  par  les  fleurs  du  dattier  sans  fruits  pou- 
vait facilement  y  conduire.  Aristote  saisit  toute  l'im- 
portance de  cette  assimilation  du  règne  végétal  au 
règne  animal  quand  il  dit  :  «  Chez  tous  les  êtres  (animaux) 


1.  Plutarque,  De  placitis  philos.,  v,  26;  Sextus  Empiricus,  adrers. 
Math.,  vni,  286;  Nicolas  de  Damas,  De  plantis  (édit.  F.  Meyer; 
Leipz.  Î841). 


50  HISTOIRE   DE  LA  BOTANIQUE. 

cfui  ont  ïa  faculté  de  se  transporter  d'un  lieu  dans  un 
autre,  le  sexe  masculin  est  séparé  du  sexe  féminin:  tel 
individu  est  mâle,  tel  autre  est  femelle,  comme  dans 
l'espèce  humaine.  Chez  les  végétaux,  au  contraire,  les  deux 
sexes  sont  réunis,  et  la  graine  est  le  résultat  immédiat  de 
cette  réunion  ^  »  Sans  doute  cette  proposition  est  trop  ab- 
solue, puisqu'il  y  a  des  animaux  qui  se  reproduisent  comme 
les  plantes;  mais  elle  n'en  est  pas  moins  remarquable. 
En  commentant  ce  vers  d'Empédocle  :  <>.  Les  arbres  mêmes 
pondent  des  œufs,  à  commencer  par  l'olive,  3>  Aristote 
compare  la  graine  à  l'œuf,  et  il  ajoute  qu'une  partie  seu- 
lement de  la  graine  constitue  le  végétal  futur,  et  que  le 
reste  ne  sert  qu'à  nourrir  la  gemmule  et  la  radicelle. 
Rien  n'estplus  exact  que  cette  remarque. 

Suivant  Anaxagore  de  Glazomène,  l'air  est  rempli  de 
semences  qui,  entraînées  par  les  eaux  de  pluie,  produisent 
des  végétaux.  Tout  ce  qui  vit  respire,  la  plante  aussi  bien 
que  l'animal. 

Hippon  de  Rhegium,  qui  faisait  venir  toute  substance 
de  l'eau,  enseignait  le  premier  que  toute  plante  cultivée, 
abandonnée  à  elle-même,  retourne  au  type  sauvage.  Cette 
opinion  était  partagée  par  Platon,  lorsqu'il  regardait  les 
espèces  sauvages  comme  plus  anciennes  que  les  espèces 
cultivées, 

Aristote^  ce  génie  vraiment  encyclopédique,  avait  écrit 
un  ouvrage  sur  la  Théorie  des  plantes,  qui  malheureuse- 
ment n'est  pas  parvenu  jusqu'à  nous.  On  lui  attribuait 
encore  d'autres  ouvrages  du  même  genre,  qui  sont  égale- 
ment perdus.  Les  fragments  phytologiques  d'Aristote  ont 
été  recueillis  par  Wimmer  (  Phytologise  aristotelicx  frag- 
menta ;^ves\diM,  1838,  in-8°).  En  voici  les  points  les  plus 
saillants.  Il  y  a  des  plantes  qui  ne  vivent  qu'un  an,  tandis 
qu'il  y  en  a  d'autres  qui  peuvent  vivre  un  grand  nombre 
d'années.  C'est  la  première  distinction  aui  ait  été  faite  des 

1.  Aristote,  De  générât,  animaîium,  i,  23. 


ANTIQUITÉ.  51 

plantes  en  annuelles  et  vivaces.  —  Ce  que  les  mol- 
lusques sont  pour  l'élément  humide,  les  végétaux  le  sont 
pour  l'élément  terrestre:  les  premiers  sont  les  plantes  de 
la  mer,  et  les  derniers  les  huîtres  de  la  terre.  Les  racines 
sont  l'organe,  par  lequel  le  végétal  absorbe  ses  ali- 
ments. —  Aristote  ne  soupçonnait  pas  encore  la  fonction 
respiratoire  des  feuilles.  Ces  organes  ne  devaient,  selon 
lui,  servir  qu'à  couvrir  ou  protéger  le  fruit.  C'était  là  le 
but  qui  leur  était  assigné  par  la  nature,  dont  l'objet 
principal  consiste  dans  la  matière  et  dans  la  forme. 

Tout  être  qui  sort  d'un  œuf  vit  d'abord  comme  un  végé- 
tal :  la  gemmule  s'accroît  comme  l'embryon.  Les  racines 
sont  les  analogues  des  intestins  ;  elles  puisent  les  aliments 
dans  le  sol  qui  est  pour  la  plante  ce  que  la  cavité  ab- 
dominale est  pour  l'animal.  Avant  d'arriver  à  se  mouvoir 
librement,  à  changer  déplace,  l'embryon  d'où  sortira  l'ani- 
mal est  fixé  d'abord  à  l'utérus,  où  il  a  une  vie  purement 
végétative.  —  Aristote  touchait  ici  à  une  analogie  qui  ne 
fut  découverte  que  plus  tard_,  à  savoir  que  l'embryon, 
d'où  sortira  le  végétal,  a  dans  la  graine  à  peu  près  les 
mêmes  organes  (cordon  ombilical,  placenta,  etc.)  que 
l'embryon  dans  l'œuf. 

La  chute  des  feuilles,  Aristote  la  comparait  àlamuedes 
oiseaux  et  au  changement  du  pelage  de  certains  quadru- 
pèdes, et  il  en  attribuait  la  cause  à  un  défaut  de  chaleur  hu- 
mide. Le  phénomène  périodique  de  la  chute  des  feuilles, 
coïncidant  avec  celui  de  l'hivernation  de  quelques  espèces 
animales,  l'avait  particulièrement  frappé.  «  Pourquoi,  se 
demandait-il,  les  cheveux  ne  repoussent-ils  pas  aux  têtes 
chauves,  tandis  que  le  feuillage  de  la  plante  et  le  pelage 
de  l'animal  hivernant  se  renouvellent  régulièrement?  C'est 
que  l'homme  porte  en  lui-même  l'hiver  et  l'été  ;  les  âges 
de  sa  vie  sont  ses  saisons.  La  vie  des  plantes  et  des 
animaux  hivernants  est,  au  contraire,  intimement  liée  aux 
périodes  de  l'année,  aux  saisons  proprement  dites.... 
Pourquoi,  demandait-il  encore,  un  grain  de  blé  produit-il 


52  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

toujours  le  même  blé,  pourquoi  l'olive  ne  produit-elle 
qu'un  olivier  de  même  espèce,  etc.  ?  Ce  n'est  point  là, 
évidemment,  l'effet  du  hasard  ou  d'une  coïncidence  for- 
tuite ;  ce  n'est  pas  davantage  le  résultat  de  l'action  des 
éléments,  ni  de  l'attraction  et  de  la  répulsion.  Il  y  a  donc 
là  quelque  chose  de  prémédité,  de  rationnel,  de  divin, 
d'éternel.  » 

D'après  la  doctrine  d'Aristote,  la  femelle  représente  la 
matière,  et  le  mâle  le  mouvement;  les  deux  sexes,  dis- 
tincts dans  les  animaux  supérieurs,  se  trouvent  confondus 
dans  les  plantes.  —  Ceci  n'est  pas  vrai  d'une  manière 
absolue  ;  car  il  y  a  des  espèces  végétales  où  les  fleurs 
mâles  et  les  fleurs  femelles  sont  parfaitement  distinctes, 
qu'elles  viennent,  soit  sur  la  même  tige  (fleurs  monoïques), 
soit  sur  des  tiges  différentes  (fleurs  dioïques).  Sauf  ces 
deux  cas,  le  fait  énoncé  par  Aristote  est  certain  :  dans 
l'immense  majorité  des  plantes,  les  fleurs  renferment 
les  deux  sexes  ;  elles  sont  hermaphrodites.  «  Tout  cela, 
ajoute  le  chef  de  l'école  péripatéticienne,  a  été  arrangé  con- 
formément à  la  raison.  L'unique  affaire,  le  seul  but  de  la 
plante,  est  dans  la  production  de  la  graine,  et  comme 
cette  produetion  a  lieu  par  l'accouplement  du  mâle  et  de 
la  femelle,  les  deux  sexes  se  trouvent  réunis  dans  les 
plantes.  » 

Aristote  enfin  adopte  la  doctrine  de  quelques-uns  de  ses 
prédécesseurs,  d'après  laquelle  tout  ce  qui  vit  a  une  âme, 
conséquemment  les  végétaux  n'en  sont  pas  plus  dépourvus 
que  les  animaux.  Puis,  partant  de  là,  il  admet  au  moins 
trois  espèces  d'âmes  :  l'âme  nutritive,  qui  préside  aux 
fonctions  nutritives  ;  l'âme  sensible,  comprenant  les  sens 
et  les  mouvements  de  relation,  et  l'âme  rationnelle.  La 
première  est  le  partage  exclusif  des  végétaux;  elle  s'a- 
joute à  l'âme  sensible  dans  les  animaux;  l'homme  seul 
contient  toutes  les  âmes  réunies.  Cette  division  remarqua- 
ble a  reçu  depuis  lors  de  nombreuses  applications. 


ANTIQUITÉ.  53 


La  botanique  traitée  par  les  disciples  d'ArIstote. 


Au  nombre  des  disciples  d'Aristote  qui  avaient  pris  le 
règne  végétal  pour  objet  de  leurs  études,  on  compte  par- 
culièrement  Phanias,  Dicéarque  et  Théophraste. 

Phanias  le  botaniste,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec 
Phanias  le  stoïcien,  ami  de  Posidonius  d'Alexandrie, 
était  natif  d'Érésus  dans  l'île  de  Lesbos,  et  vivait  vers 
350  avant  notre  ère.  De  son  ouvrage  Sur  les  plantes  (TIspl 
çuTwv)  il  ne  nous  reste  plus  qu'un  très-petit  nombre  de 
fragments,  conservés  dans  Athénée.  A  juger  par  ces  frag- 
ments, il  s'était  surtout  occupé  des  fruits.  C'est  ainsi 
qu'Athénée  rapporte,  entre  autres,  d'après  Phanias,  que 
les  Mendéens  avaient  la  coutume  d'arroser  les  grappes 
de  raisin  avec  le  jus  amer  des  fruits  d'élatérium  [yno- 
mordica  elaterium^  L.?  ),  pour  enlever  au  vin  son  âpreté, 
pour  lui  donner  du  velouté  ;  car  c'est  là  ce  que  les  Grecs 
entendaient  par  oTvoç  (xaXaxoç,  vin  mou.  —  Phanias  appela 
le  premier  l'attention  des  observateurs  sur  ce  qu'on 
nomme  aujourd'hui  les  végétaux  agames  ou  cryptoga- 
mes^ quand  il  dit  :  «  Il  y  a  des  plantes  qui  n'ont  ni 
fleurs,  ni 'organes  de  fructification  apparents;  tels  sont 
les  champignons ,  les  mousses ,  les  Fougères .  »  —  Il 
compara  le  fruit  de  la  mauve  à  un  gâteau  rond,  à  bord 
denté.  Les  fruits  des  légumineuses  (haricot,  pois,  fève,  len- 
tille, etc.)  et  des  ombellifères  (anis,  fenouil,  coriandre, 
ciguë,  etc.)  paraissent  avoir  été  l'objet  de  ses  études  spé- 
ciales. 

Dicéarque^  de  Messine,  avait  été  chargé  par  les  succes- 
seurs d  Alexandre  le  Grand  de  mesurer  la  hauteur  des 
montagnes  de  la  Grèce.  Ayant  trouvé  1250  pieds  de  hau- 


54  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

teur  verticale  au  mont  Pélion,  qui  passait  pour  la 
plus  haute  montagne  de  la  contrée,  il  déclara  que  cette 
hauteur  n'était  qu'une  saillie  insignifiante  sur  la  circon- 
'  férence  de  la  terre,  comparativement  à  la  longueur  du 
trayon  terrestre.  Il  décrivit  en  même  temps  les  arbres  et 
'les  plantes  herbacées  qui  forment  la  végétation  du  mont 
'  Pélion  ^ 

Théophraste  mérite  ici  uùe  mention  particulière,  à 
raison  de  l'importance  de  ses  ouvrages,  qui  nous  sont 
parvenus.  Compatriote  de  Phanias,  il  naquit  vers  370 
avant  Jésus-Christ,  à  Erésus  dans  l'île  de  Lesbos.  Il  vint 
fort  jeune  à  Athènes,  où  il  assista  d'abord  aux  leçons  de 
Platon,  et  suivit,  après  la  mort  de  ce  maître,  l'enseigne- 
ment d'Aristote,  auquel  il  resta  toujours  fidèle.  Après  la 
mort  d'Aristote  (en  322  avant  Jésus-Christ),  qui  lui  avait 
légué  sa  bibliothèque,  Théophraste  devint  le  chef  de 
l'école  lîéripatéticienne.  Il  eut  pour  amis  les  principaux 
lieutena.its  d'Alexandre,  notamment  Gassandre  et  Pto- 
lémée.  Ce  dernier  essaya  vainement  de  l'attirer  en  Egypte. 
Théophraste  fut,  comme  son  maître,  accusé  d'impiété  par 
quelques  Athéniens  ultra-religieux,  protnoteurs  d'une  loi 
qui  interdisait,  sous  peine  de  mort,  l'ouverture  dune 
école  philosophique,  sans  y  avoir  été  autorisé  par  l'aréo- 
page et  le  peuple.  Cette  loi  liberticide  fut  rapportée  Tannée 
suivante.  Théophraste  atteignit  un  âge  très-avancé  :  il 
mourut  presque  centenaire.  Suivant  saint  Jérôme,  il 
mourut  à  l'âge  de  107  ans. 

Les  deux  ouvrages  de  botanique  qui  nous  sont  parvenus 
de  lui,  ont  pour  titre,  l'un  l'Histoire  des  plantes  (Uspi 
çpuTwv  tffTopi'a),  en  dix  livres,  l'autre  les  Causes  (Aïna  cpu- 
cixa)  des  plantes.  Le  premier  de  ces  ouvrages  a  été  publié, 
avec  des  commentaires  prolixes,  par  Boddœus'à  Stapel, 
Amsterd.    1644,    in-fol.    avec  fig.    Le  second  se   trouve 


1.  Voy.   Gail,  Geographi  gnrci  minores,  t.  II,  p.   140  et  suiv. 

(Paris,  1828,  in-8"J. 


ANTIQUITÉ.  55 

dans  l'édition  estimée  des  œuvres  de  Théophraste,  par 
J.  G.  Schneider  (5  vol.  in-8°,  Leipz.  1818-1825). 

Les  Caractères  de  Théophraste,  étrangers  à  la  bota- 
nique, ont  eu  de  nombreuses  éditions.  Wimmer  avait 
commencé  une  édition  complète  des  écrits  de  Théophraste  ; 
mais,  faute  d'encouragements,  il  ne  put  en  donner  que 
le  tome  I,  contenant  l'Histoire  des  plantes;  Breslau,  1842, 
in- 8°. 

L'auteur  de  l'Histoire  des  plantes  traite,  dans  le  premier 
chapitre,  des  parties  ou  organes  des  végétaux.  Il  distingue 
très-bien  les  parties  qui,  telles  que  les  racines  et  la  tige, 
sont  permanentes,  des  parties  qui,  telles  que  les  feuilles, 
les  fleurs,  les  fruits,  n'ont  qu'une  durée  limitée.  Poursui- 
vant les  analogies  de  la  plante  avec  l'animal,  il  regarde  les 
nervures  de  la  feuille  comme  des  veines,  et  il  assimile 
les  fibres  du  bois  aux  fibres  de  la  chair,  la  sève  au  sang. 
Sa  classification  est  celle  des  végétaux  divisés  en  arbres, 
arbrisseaux,  arbustes  et  plantes  herbacées.  Cependant  il 
les  divise  aussi  en  plantes  terrestres  et  plantes  aquatiques^ 
en  plantes  à  feuillage  persistant^  et  en  plantes  à  feuillage 
caduc^  etc.  Les  chapitres  (xi  et  xiii)  du  premier  livre,  qui 
traitent  des  fleurs,  des  fruits,  des  graines  et  de  leurs  en- 
veloppes, offrent  beaucoup  d'intérêt.  Nous  en  dirons 
autant  des  chapitres  qui,  dans  le  deuxième  livre,  traitent 
de  la  durée  et  de  la  maladie  des  arbres,  des  diff'érentes 
espèces  de  bois,  de  leur  propagation  et  de  leur  multipli- 
cation. 

Dans  le  huitième  chapitre  du  second  livre  se  trouve  la 
description  d'une  espèce  de  palmier,  remarquable  par  la 
division  de  son  tronc  en  deux  branches  principales  qui  se 
subdivisent  à  leur  tour,  et  dont  les  rameaux  ont  aussi 
leurs  bifurcations  :  c'est  le  cucifera  thebaïca  de  Delisle 
(le  dourn  des  Arabes),  particulier  à  la  Haute-Egypte. 

A  la  fin  du  même  livre  (neuvième  chapitre),  l'auteur 
s'étend  sur  la  caprification^  procédé  qui  consistait  à  hâter 
la  maturation  des  fruits  du  figuier  cultivé  au  moyen  des 


56  HISTOIRE  DE  LA  BOTAjNlQUE. 

piqûres  d'insectes  nés  sur  une  espèce  de  figuier  sauvage, 
nommé  Ipivdç.  Malgré  les  détails  qu'en  donnent  Théo- 
pliraste  et  Pline  [Hist.  nat.,  xv,  22  ;  xvii,  44),  il  est  diffi 
cije  d'en  apprécier  exactement  la  valeur.  Cependant  ce 
procédé  est  encore  aujourd'hui  en  usage  dans  les  îles  de 
l'Archipel;  et  voici  les  renseignements  que  nous  donne  à 
cet  égard  Tournefort,  dans  son  Voyage  au  Levant.  «  On 
cultive,  rapporte-t-il,  dans  la  plupart  des  îles  de  l'Archi- 
pel, deux  espèces  de  figuiers  :  la  première,  qui  est  le 
figuier  sauvage,  s'appelle  ornos  [perinos  des  anciens  Grecs, 
le  caprificus  des  Latins)  ;  la  seconde  espèce  est  le  figuier 
domestique.  Le  sauvage  porte  trois  sortes  de  fruits  abso- 
lument nécessaires  pour  faire  mûrir  ceux  du  figuier 
domestique.  Les  fruits  qu'on  nomme  fornites,  paraissent 
dans  le  mois  d'août  et  durent  jusqu'en  novembre  sans 
mûrir;  il  s'y  engendre  de  petits  vers,  d'où  sortent  certains 
moucherons  que  l'on  ne  voit  voltiger  qu'autour  de  ces 
arbres.  Dans  les  mois  d'octobre  et  novembre,  ces  mou- 
cherons pic[uent  d'eux-mêmes  les  seconds  fruits  des 
mêmes  pieds  de  figuier  ;  ces  fruits,  que  l'on  appelle 
cratitires,  ne  se  montrent  qu'à  la  fin  de  septembre.  Les 
fornites  tombent  peu  à  peu  après  la  sortie  de  leurs  mou- 
cherons; les  cratitires  restent,  au  contraire,  sur  l'arbre 
jusqu'au  mois  de  mai,  et  renferment  les  œufs  que  les 
moucherons  des  fornites  y  ont  déposés  en  les  piquant. 
Dans  le  mois  de  mai  la  troisième  sorte  de  fruits  commence 
à  pousser  sur  les  mêmes  pieds  de  figues  sauvages,  qui  ont 
produit  les  deux  autres.  Ce  dernier  fruit,  qui  se  nommo 
orn.i,  est  beaucoup -plus  gros;  lorsqu'il  a  une  certaine  gros- 
seur, et  que  son  œil  commence  à  s'entr'ouvrir,il  est  piqué 
dans  cette  partie  par  les  moucherons  des  cratitires,  qui 
se  trouvent  en  état  de  passer  d'un  fruit  à  l'autre  pour  y 
décharger  leurs  œufs....  Ces  trois  sortes  de  fruits  ne  sont 
pas  bons  à  manger  ;  ils  sont  destinés  à  faire  mûrir  les 
fruits  des  figuiers  domestiques.  Voici  l'usage  qu'on  en 
fait.  Pendant  les  mois  de  juin  et  de  juillet,  les   paysans 


ANTIQUITE.  57 

prennent  les  orni  au  moment  où  leurs  moucherons  sont 
prêts  à  sortir,  et  les  portent  tous,  enfilés  dans  des  fétus, 
sur  les  figuiers  domestiques.  Si  l'on  manque  ce  temps 
favorable,  les  orni  tombent  et  les  fruits  du  figuier  domes- 
tique ne  mûrissant  pas,  tombent  aussi  dans  peu  de 
temps.  Les  paysans  connaissent  si  bien  ce  précieux  mo- 
ment que  tous  les  matins,  eiî  faisant  leur  revue,  ils  ne 
transportent  sur  les  figuiers  que  les  orni  bien  condition- 
nés, autrement  ils  perdraient  leur  récolte....  Enfin,  les 
paysans  ménagent  si  bien  les  orni^  que  leurs  moucherons 
font  mûrir  les  fruits  du  figuier  domestique  dans  l'espace 
de  quarante  jours,...  Je  ne  pouvais  assez  admirer  la  pa- 
tience des  Grecs  occupés  pendant  plus  de  deux  mois  à 
porter  ces  piqueurs  d'un  figuier  à  l'autre;  j'en  appris  bien- 
tôt la  raison  :  un  seul  de  leurs  arbres  rapporte  ordinai- 
rement jusqu'à  deux  cent  quatre-vingts  livres  de  figues, 
au  lieu  que  les  nôtres  n'en  rendent  pas  vingt-cinq  livres. 
Les  piqueurs  contribuent  peut-être  à  la  maturité  des 
fruits  du  figuier  domestique,  en  faisant  extravaser  le  suc 
nourricier  dont  ils  déchirent  les  tuyaux  en  déchargeant 
leurs  œufs  ;  peut-être  aussi  qu'outre  leurs  œufs  ils  laissent 
échapper  quelque  liqueur  propre  à  fermenter  doucement 
avec  le  lait  de  la  figue  et  en  attendrir  la  chair.  Nos  figues, 
en  Provence  et  à  Paris  même,  mûrissent  bien  plus  tôt  si 
on  pique  leurs  yeux  avec  une  paille  graissée  d'huile 
i'olive'.  » 

Au  nombre  des  espaces  végétales  décrites  par  Théo- 
phraste  dans  son  Histoire  des  plantes^  nous  signalerons 
encore  la  sensitive  [mimosa  puclica)^  le  citronnier,  la  mâ- 
cre  (trapa  natans),  le  silphium,  l'oseille,  etc.  A  propos 
d'une  plante  nommée  anthemon^  il  fait  remarquer  quo 
ses  fleurs  se  développent  non  pas  de  bas  en  haut,  comme 
chez  les  autres  plantes,  mais  de  haut  en  bas. 


1.  Tournefort,  Relation  d'un  Voijage  du  Levant,  t.  I,  p.  130  (Ams- 
terdam, 1718,  in-4''). 


58  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

Des  causes  des  plantes.  —  C'est  dans  cet  ouvrage  que 
Théophraste  a  consigné  ses  principales  théories.  Gomme 
Aristote,  il  admet  la  génération  spontanée,  surtout  pour  les 
végétaux  inférieurs.  Mais  il  croit,  chose  digne  de  remar- 
que, que  dans  beaucoup  de  cas  la  reproduction  de  ces  vé- 
gétaux s'explique  plus  naturellement  par  le  transport  des 
semences  par  la  pluie,  par  des  inondations,  et  même  par 
l'air.  Il  chercha  l'un  des  premiers  à  débarrasser  la  science 
de  cette  téiéologie  erronée  qui  rapporte  tout  dans  la  nature 
aux  usages  de  l'homme.  «  La  nature  a,  dit-il, ses  principes 
en  elle-même,  c'est  par  là  qu'elle  agit  conformément  à  ses 
propres  plans  (rà  aÙToy-ata).  La  partie  charnue  de  la 
pomme  (le  péricarpe)  n'existe  pas  pour  être  mangée  par 
l'homme,  mais  pour  protéger  le  fruit.  » 

Tous  les  phénomènes  de  la  végétation  sont  ramenés 
par  Théophraste  à  l'action  de  la  chaleur  et  du  froid,  et  à 
celle  de  l'humidité  et  de  la  sécheresse.  Il  consacra  pres- 
que tout  le  second  livre  des  Causes  des  plantes  aux  in- 
fluences que  la  pluie,  la  neige,  les  vents,  l'exposition  au 
nord  ou  au  sud,  à  l'est  ou  à  l'ouest,  les  eaux  douces  et  les 
eaux  salées,  les  différentes  sortes  de  terrain,  peuvent 
exercer  sur  les  productions  végétales.  «  Les  arbres  trop 
rapprochés^  sur  lesquels,  dit-il^  n'agit  ni  le  soleil,  ni  le 
vent,  deviennent  élancés,  grêles,  et  perdent  facilement  les 
fruits  avant  leur  maturité....  Les  arbres  stériles  ou  por- 
tant peu  de  fruits  vivent  plus  longtemps  que  les  arbies 
fertiles.  » 

Les  mouvements  qu'éprouvent  les  feuilles  et  les  fleurs 
de  certaines  plantes,  avaient  été  observés  déjà  par  Théo- 
phraste, conséquemment  bien  longtemps  avant  Linné.  Ou 
trouve  encore  dans  les  Causes  des  plantes  la  description  de 
différentes  maladies  des  végétaux,  particulièrement  des 
céréales,  la  manière  de  conserver  les  graines,  la  transfor- 
mation des  espèces  sauvages  par  la  culture,  le  développe- 
ment d'excroissances  ou  de  monstruosités,  la  comparaison 


ANTIQUITE.  59 

des  s^raminées  avec  les  légumineuses,  enfin  une  série  de 
chapitres  sur  la  saveur  et  l'odeur  des  plantes. 


La    botanique  depuis  Théophraste  jusqu  â.  PIîne>. 


Bien  des  événements  se  sont  passés  dans  l'intervalle 
compris  entre  le  quatième  siècle  antérieur  à  notre  ère  et 
le  milieu  du  premier  siècle  après  Jésus-Ghrist.  Les  lieu- 
tenants d'Alexandre  se  sont  formé  des  royaumes  avec  les 
débris  de  vastes  conquêtes,  royaumes  éphémères,  àl'excep- 
tion  de  celui  de  l'Egypte  fondé  parPtolémée,  surnommé 
le  Sauveur  (Soter).  Cet  habile  prince  et  ses  successeurs 
firent  d'Alexandrie  le  siège  de  la  culture  intellectuelle,  ils 
y  fixèrent  un  moment  la  civilisation,  qui  des  côtes  ionien- 
nes de  l'Asie  Mineure  s'était  transportée  dans  l'Attique. 
La  division  des  Grecs  appela  l'intervention  des  Piomains 
qui  finirent  par  faire  du  pays,  où  les  dieux  du  paganisme 
avaient  fixé  leur  séjour,  une  province  de  leur  vaste  em- 
pire. Tous  ces  changements  ne  devaient  être  guère  favo- 
rables aux  progrès  de  la  science. 

Nous  ne  connaissons  que  par  des  citations  de  Pline, 
d'Athénée,  et  de  quelques  scoliastes,  les  noms  de  Diphile, 
de  Philotime,  d'Erasistrate  de  Géos,  d'Hérophile  de  Ghal- 
cédoine,  d'Apollonius,  d'Andréas,  d'Héraclide  de  Tarente, 
etc.,  qui  avaient  écrit  sur  différentes  parties  d'histoire 
naturelle  et  de  matière  médicale  *.  Le  seul  écrivain  de 
cette  période  alexandrins  dont  il  nous  reste  encore  des 
ouvrages  relatifs  à  la  connaissance  des  plantes,  c'est  Ni- 
candre  de  Golophon. 

Nicandre,  sur  lequel  nous  n'avons  que  des  renseigne- 

1.  Voy.  H.  F.  Meyer,  Geschichte  der  Botanik,  1. 1,  p.  227-244. 


60  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

ments  épars  et  contradictoires,  vivait  dans  le  second  siècle 
avant  notre  ère.  Il  dédia  un  de  ses  poëmes  à  Attale,  roi 
de  Pergame,  dernier  de  ce  nom,  lequel  monta  sur  le  trône 
en  138  avant  Jésus-Christ.  Il  nous  reste  de  lui  deux 
poëmes  didactiques,  dont  l'un  a  pour  titre  0-/ipiaxot,com- 
liosé  de  958  hexamètres,  l'autre  est  intitulé  \kz\iw<^<j.rxy.a,  et 
contient  630  vers.  De  ses  Géoponiques  il  ne  reste  que  des 
fragments,  qui  se  trouvent  réunis  dans  l'édition  que  J.Gr. 
Schneider  a  donnée  des  Thériaques  [Nicandri  Colopho7iii 
Theriaca^  etc.,  Leipz.  1816,  in-8). 

Trois  plantes  sont  particulièrement  recommandées,  dans 
les  Thériaques,  contre  toutes  les  maladies:  ce  sont  la 
chironia,  V aristoloche  et  le  triphyllon.  Un  mot  sur  chacune 
de  ces  plantes. 

La  chironia.  «  Ce  qu'il  faut,  dit  Nicandre,  prendre 
d'abord,  c'est  la  racine  salutaire  de  Chiron,  ainsi  nommée 
parce  que  le  centaure  Ghiron,  le  Kronide,  la  trouva  sur  le 
col  neigeux  du  Pélion.  La  tige  est  entourée  de  feuilles 
semblables  à  celles  de  l'amaracos,  sa  fleur  est  jaune  d'or, 
sa  racine  n'est  pas  très-profonde.  »  —La  plante  dont  il  est 
ici  question,  était  probablement  une  espèce  de  gentiane, 
peut-être  la  grande  gentiane  à  fleurs  jaunes  {gentiana 
lutea^  L.)  ;  elle  habite  les  régions  alpestres,  et  sa  racine  a 
été  de  tout  temps  d'un  grand  usage  en  médecine.  En  au- 
cun cas  la  chironia  de  Nicandre  ne  saurait  être  la  petite 
centaurée  {Verythrœa  centauriwn);  car  celle-ci,  partout 
répandue  en  Europe,  a  les  fleurs  roses,  quelquefois  blan- 
ches,  jamais   jaunes. 

L'aristolochia  de  Nicandre.  «  L' aristolochia  qui  aime 
l'ombre,  porte,  comme  le  lierre,  ses  feuilles  sur  une  tige 
grimpante,  ses  fleurs  sont  teintes  dej^ourpre,  d'une  odeur 
pénétrante,  et  se  changent  en  un  fruit  pyriforme.  La 
racine  est  ronde....  »  C'était  probablement  notre  aristolo- 
chia  rotundifolia^  L.,  encore  aujourd'hui  commune  dane 
les  lieux  ombragés  des  montagnes  de  la  Orèce,  particu- 


ANTIQUITÉ.  •  61 

lièrement  aux  environs  de  Delphes  et  dans  l'île  d'Eu- 
hée'. 

Le  triphyllon  ou  trifolié  de  Nicandre,  qui  se  plaît  sur 
les  monts  touffus  ou  dans  des  précipices,  s'appelait  aussi 
minyanthes:  «  son  feuillage  rappelle  celui  du  lotos,  et  son 
odeur  celle  de  la  rue;  et  quand  elle  fleurit,  elle  exhale  une 

odeur  de  bitume »  Ce  dernier  caractère  a  fait  conjecturer 

avec  raison  que  le  triphyllon, ainsi  décrit,  était  une  légumi- 
neuse,  1b  psoraha  bituminosa^  qui  se  rencontre  encore  au- 
jourd'hui fréquemment  en  Grèce  ;  les  habitants  la  dési- 
gnent sous  le  nom  de  aypio  TpicpuXÀt,  trifoliée  sauvage^.  Ce 
n'est  doncpasnotre  trèfle  d'eau,  menyanthes  trifoliata^  L., 
comme  on  aurait  pu  d'abord  le  croire. 

Le  second  poëme  de  Nicandre,  intitulé  AXE;tcpap,u.axa, 
traite  des  poisons  et  de  leurs  antidotes.  Les  anciens  en  fai- 
saient grand  cas;  Bioscoride,  Aétius  et  d'autres  le  consul- 
taient souvent.  Les  Sikelica,  les  Bœotica^  les  Thebaica  et  les 
Mlolica  étaient  des  poèmes  oià,  à  juger  par  les  fragments 
qui  nous  en  restent,  il  était  question  des  plantes  de  la  Si- 
cile, de  la  Béotie,  des  environs  de  Thèbes,  et  de  l'Étolie. 

Parmi  les  herboristes  ou  rhizotomes  de  l'époque  de  Ni- 
candre, nous  devons  citer  Grateus,  Dionysios  et  Metro- 
doros.  Malheureusement  aucun  de  leurs  écrits  ne  nous  est 
parvenu.  On  peut  en  dire  autant  d'un  certain  nombre 
d'écrivains,  postérieurs  à  cette  époque,  tels  que  Mnési- 
thée  d'Athènes,  Hikesios,  Mikton  ou  Mycon,  Dalion, 
Solon  de  Smyrne,  Pharnakès,  Amérias  le  Macédonien, 
etc.,  dont  Pline  a  donné  la  liste  et  qui  se  trouve  repro- 
duite dans  IsiBibliotheca  botanicade  Hailer'.Des  fragments 
de  leurs  écrits  sont  imprimés  dans  le  recueil  précieux  que 
Gassianus  Bassus  a  publié,  en  912-919  de  notre  ère,  sous 
le  titre  de  Geoponica. 


1.  Fraas,  Synopsis  plant,  florx  classicœ,  p.  267. 

2.  Dioscoride  (m,  113)  lui  donnait  déjà  le  nom  àe  triphyllon. 

3.  Voy.  Meyer,  Gerchichte  der  Botanik,  t.  I,  p.  2aû  et  suiv. 


*52  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

Nous  ne  devons  pas  ouliliericile  prince  des  poètes  idyl- 
liques, Théocrite.  Ce  poëte,  qui  vivait  en  Sicile,  250  ans 
avant  notre  ère,  parle  de  beaucoup  de  plantes  qui  se  re- 
trouvent dans  les  Géorgiques  et  les  Bucoliques  de  Vir- 
gile. La  flore  de  ces  deux  poètes  a  été  l'objet  de  travaux 
particuliers  de  M.  Fée.  Malheureusement  il  faut  se  con- 
tenter le  plus  souvent  de  quelques  qualificatifs  pour  ar- 
river à  reconnaître ,  d'une  façon  plus  ou  moinb  certaine, 
l'espèce  végétale  que  le  poëte  aura  voulu  désigner.  C'est 
ainsi  que  «  la  violette  d'un  pourpre  noir,  to  Ïov  jjLÉXav,  est 
probablement  la  jacinthe  (lis  mariagon),  marquée  de  lettres, 
à  Ypa7:rà  uaxtvOoç.  Il  faut  deviner  les  tleurs  qui  «entrent 
dans  les  bouquets  printaniers,  »  èv  tûîç  axe-x/âvoti;  xà  irpôîTa 
Xï'Yovxai.  On  est  réduit  à  conjecturer  que  «  le  cytise  (-cov 
xuTicrov),  que  suit  la  chèvre,  est  une  plante  grimpante^  »  — 
Les  mots  de  «  doux  bruissements,  »  aou  ti  to  t|^t6upt(jij.a, 
rendent  en  quelque  sorte  onomatopiquement  le  bruit  que 
produit  une  légère  brise  en  traversant  les  feuilles  acicu- 
laires  du  pin  (tcitôç) '■^ .  —  hebutomus  aigu^  jioÛTOfji.ov  6;u  (qui 
n'est  pas  le  butomusiimbeUatus^de'L.)^  et  le  touffu  cyperus, 
paoù;  xuTCf-ipoç,  désignent  sans  doute  différentes  esj)èces 
de  carex,  telles  que  le  carex  acutus  et  le  carex  cyperus^  qui 
aiment  bien  l'humidité  d'une  ,9ranrfe;)roîne  (Xeiawv  y-éyac)  '. 
Quant  aux  mots  xuaveov  /EXtoovtov,  ils  s'appliquent,  non  pas 
à  une  chélidone  à  fleurs  bleues  (les  chôlidonium  ont  les 
fleurs  jaunes),  mais  à  la  glaucescence  du  feuillage  d'une 
papavéïacée  ^  Rien  n'est  plus  beau  que  cette  alliance  de  la 
sensibilité  du  poëte  avec  la  contemplation  de  la  nature 

Cessez  votre   bucolique,  ô  Muses,  cessez  votre  chant  ; 
Maintenant  que  les  ronces,  que  les  épines,  portent  des  violettes, 
Que  le  beau  Narcisse  fleurisse  sur  le  genévrier. 


1.  Théocrite,  Idyll.  x,  28-3 

2.  Idyll.  I,  1. 

3.  Idyll.  XIII,  3a, 

4.  Ibid.,  41. 


ANTIQUITE.  63 

Que  tous  les  contraires  se  mélangent,  que  le  pin  produise  des  poires, 
Puisque  Daphnis  est  mort....  ». 

Nicolas  de  Damas  est,  de  tous  les  écrivains  grecs  dupre- 
mier  siècle  de  notre  ère,  le  seul  dont  il  nous  soit  resté  un 
ouvrage  sur  la  botanique.  Encore  cet  ouvrage  ne  nous 
est-il  parvenu  que  dans  une  traduction  latine,  barbare,  faite, 
par  un  nommé  Alfred,  sur  une  version  arabe.  Ordinaire- 
ment attribué  à  Aristote,  il  a  pour  titre  :  De  plantis  libri 
dtto(E.  H.  F.  Meyer,  Leipz.  lb41,in-8'').  La  version  arabe 
est  de  Honaïn  ibn  Ischak,  cfui  vivait  de  809  à  877  de  notre 
ère,  et  s'était  fait  connaître  par  des  translations  nombreu- 
ses d'ouvrages  grecs  en  arabe  ou  en  syriaque. 

L'auteur,  qui  s'en  rapporte  à  l'autorité  des  maîtres 
plutôt  qu'à  l'observation  expérimentale,  définit  la  plante 
ce  un  être  vivant,  privé  de  mouvement  de  relation  et  fixé 
au  sol.  »  Il  lui  suppose  une  âme,  différente  de  celle  de  l'a- 
nimal, en  tant  qu'elle  manque  de  sentiment.  «  L'âme  na- 
turelle de  ces  plantes  a,  dit-il,  pour  principale  fonction 
d'attirer  et  s'approprier  de  la  nourriture;  l'animallapossède 
aussi.  »  — Ses  idées  sur  le  sexe  des  plantes  étaient  pure 
ment  imaginaires,  et  les  raisonnements  dans  lesquels  il 
entre  à  ce  sujet  tiennent  bien  plus  de  la  dialectique  pure 
que  de  l'étude  de  la  réalité.  Mais  sa  classification  des 
végétaux  suivant  la  nature  du  terrain  est  l'expresit^ion 
même  de  ce  qui  est.  Il  reconnaît  ainsi  que  les  végétaux 
qui  croissent  aux  bords  des  rivières  ou  dans  les 
marais  sont  tout  à  fait  différents  de  ceux  des  localités  éle- 
vées, sèches  et  arides.  Il  croit  en  même  temps  à  la  trans- 
formation des  espèces  cultivées  en  espèces  sauvages  et 
réciproquement. 

Le  texte  latin  de  ce  Traité  des  plantes,  que  cite  Roger 
Bacon  en  l'attribuant  à  Aristote,  est  rempli  de  termes  ara 
bes  et  syriaques,  ce  qui  ne  contribue  pas  Deu  à  l'obscurcir 

1.  Théocrite,  Idylle  i,  131  et  suiv. 


64  HISTOIRE  dp:  la  BOTANIQUE 


La  botanique  chez  les  Romains. 


En  passant  des  Grecs  aux  Romains,  on  voit  l'étude  des 
plantes  se  rapprocher  davantage  de  l'occident  de  la  région 
méditerranéenne.  Cette  étude  prit  un  cachet  essentielle- 
ment pratique,  comme  nous  le  montrent  les  écrits  quinous 
restent  des  Scriptores  rei  rusticse  (édit.  J.  Math.  Gessner, 
Leipz.  1734-35,  2  vol.  in-4°,  et  J.  G.  Schneider,  ibid., 
1793-96,  4  vol.  in-S").  Nous  allons  les  passer  rapidement 
en  revue,  dans  leur  ordre  chronologique. 

Caton  V Ancien.  —  Son  traité  De  re  rustica  est  une 
réunion  de  préceptes,  d'observations  faites  jour  par  jour 
et  exposés  sans  aucun  ordre.  C'est  pourquoi  on  l'avait 
longtemps  regardé  comme  la  production  d'un  grammai- 
rien de  beaucoup  postérieur  à  l'époque  de  Caton.  Mais 
la  critique  a  montré  quel  ouvrage  de  Caton  l'Ancien  portait 
précisément  ce  caractère  d'un  journal,  et  que  nous  avons 
là  un  des  monuments  les  plus  anciens  de  la  littéra- 
ture romaine*.  Car  Caton  l'Ancien,  surnommé  le  Censeur, 
mourut  en  147  avant  Jésus-Christ,  à  l'âge  de  quatre-vingt- 
cinq  ans,  cinq  ans  avant  la  destruction  de  Carthage,  à 
laquelle  il  avait  tant  contribué  par  ses  discours  au  Sénat, 
invariablement  terminés  par  ces  mots,  devenus  fameux  : 
Cœlevum  censeo  Carthaginem  esse  delendam.  —  «  Le  plus 
grand  éloge,  dit-il  dès  le  commencement  de  son  livre, 
qu'on  pût  autrefois  faire  d'un  citoyen,  c'était  de  le  présenter 
comme  uu  bon  cultivateur  et  un  bon  colon,  bonum  agri- 
colam  bonumque  colonum....  C'est  de  cette  classe  de  ci- 


1.  Kletz,  dans    Nouvelles  Annales  de  philologie  et  de  pédagogique 
(en  allemanci),  t.  X,  p.  5  (1844). 


ANTIQUITÉ.  65 

toyens  que  sortent  les  hommes  les  plus  forts  et  les  meil- 
leurs soldats.  Leur  gain  honnête  les  attache  à  la  patrie  et 
au  sol;  les  pensées  d'envie,  de  luxe  et  d'ambition  ne  les 
troublent  point.  »  —  L'auteur  fait  ensuite  des  observa- 
tions pleines  d'intérêt  pour  l'histoire  de  l'économie  ru- 
rale. 

Les  plantes  qui  se  trouvent  mentionnées  dans  le  traité 
de  Gaton  sont  au  nombre  d'environ  cent  vingt.  Nous  y 
remarquons  particulièrement  l'asperge  {asparagvis) ^  dont 
la  culture  n'a  guère  changé  depuis  lors,  c'est-à-dire  de- 
puis deux  mille  ans.  L'auteur  recommande  de  choisir 
pour  cela  une  terre  grasse  et  humide,  d'y  faire  des  fossés 
d'une  certaine  largeur,  et  d'y  planter  les  griffes  d'asperges 
par  rangées  que  séparent  des  intervalles  égaux  ^  Parmi 
les  arbres  fruitiers,  l'olivier  et  le  figuier  occupent  le  pre- 
mier rang  ;  puis  viennent  les  pommiers  et  les  poiriers.  II 
est  difficile  de  déterminer  à  quelles  variétés  de  nos  pom- 
mes appartenaient  les  mala  struthea,  scantiana^  quiriana. 
Le  cognassier  et  le  grenadier  étaient,  à  cause  de  la  forme 
de  leurs  fruits  [malum  cotoneum  et  malum  punicum)  ^  ran- 
gés au  nombre  des  pommiers. 

Gaton  parle  de  six  variétés  de  poires,  nommées  en  par- 
tie d'après  les  pays  d'où  elles  proviennent  ;  telles  étaiem 
les  poires  d'Anicie,  de  Tarente,  de  Voles  ;  celle  qui  avait 
la  forme  d'un  concombre  s'appelait  cucurbitinum^  et  les 
deux  autres  portaient  les  noms  de  musteum  et  de  semen- 
tivum.  Il  ne  fait  que  mentionner  le  prunier,  prunus.  Le 
cerisier  lui  était  encore  inconnu.  i 

Varron.  —  Un  des  esprits  les  plus  actifs  de  son  temps, 
Tiuentius  Varron  (mort  en  26  avant  Jésus-Ghrist ,  à 
l'âge  de  quatre-vingt-dix  ans),  lié  avec  Pompée  et  Gicé- 
lon,  s'était  appliqué  à  presque  toutes  les  branches  des 
connaissances  humaines,  principalement   aux  origines  de 

1.  De  re  rustica,  clxi. 


66  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

la  langue  latine,  à  l'archéologie  et  à  l'agriculture.  Son 

traité  DcrervsUca.  est  le  seul  de  ses  ouvrages  qui  nous  ait 
été  conservé  intégralement.  Il  se  compose  de  trois  livres, 
dont  le  premier  traite  de  l'agriculture  proprement  dite  ;  le 
deuxième,  de  l'élève  du  bétail;  le  troisième,  des  volières, 
des  vaches,  des  viviers.  Au  trente-neuvième  chapitre  du 
premier  livre  on  trouve  mentionné  le  cerisier,  cerasus^  sur 
la  culture  duquel  s'est  étendu  Palladius.  Parmi  les  autres 
arbres  ou  arbrisseaux  indiqués  par  Varron,  on  remarque 
l'arbousier,  le  sapin,  le  genévrier,  le  platane,  le  peuplier, 
le  saule,  le  sorbier,  etc.  Les  légumes  alors  les  plus  cultivés 
étaient  le  pois,  la  fève,  la  lentille,  la  vesce,  l'ervilie,  le 
lupin,  le  concombre,  le  chou.  Parmi  les  plantes  culti- 
vées pour  leurs  propriétés  aromatiques,  on  distinguait  le 
serpollet,  Vocimum  (basilic),  plusieurs  espèces  de  mélisse 
ou  de  menthe,  confondues  sous  les  noms  grecs  de  melissa^ 
mentha,  mellissophyllon,  melmon;  le  romarin  {ros  mari- 
nus)  ;  le  thym,  etc.  *. 

Le  traité  de  Varron  et  celui  de  Gaton  se  complètent  réci- 
proquement: ce  qui  est  à  peine  esquissé  dans  l'un  est  dé- 
taillé dans  l'autre.  Nous  citerons,  comme  exemple,  la  culture 
de  la  vigne,  de  l'olivier,  des  plantes  fourragères  et  des 
plantes  médicinales.  Varron  mentionne  le  premier  deux 
espèces  fourragères  jusqu'alors  inconnues  en  Italie,  la  mé- 
dique  {medica)^  probablement  notre  luzerne  {mcdicago  sa- 
liva)^ et  le  cytise  [cytisum]  ou  luzerne  arborescente  (Ȕe- 
dicago  arborea).  La  première  avait  pour  patrie,  non  pas 
l'Espagne,  comme  le  prétend  de  GandoUe,  mais  la  Médie, 
comme  son  nom  l'indique^;  la  seconde  était  originaire  de 
l'île  de  Kythnos,  l'une  des  Gyclades.  Ces  deux  espèces  de 
plantes  fourragères,  remplaçant  avec  avantage  les  feuilles 
d'arbres  indigènes,  avec  lesquelles  on  nourrissait  en  Italie 


1.  Varron,  Dere  ruslica,  m,  16,  où  se  trouve  éauméré  un  yraiu; 
nombre  d'espèces  végétales. 

2.  Comp.  St'abon,  xi,  13. 


ANTIQUITÉ.  67 

les  bestiaux,  avaient  trouvé  un  panégyriste  dans  Amplii- 
loque  d'Athènes  ^ 

Un  mot  sur  l'introduction  à\i  cerisier.  Athénée,  dans  sou 
Banquet  des  savants  (ii,  11),  fait  ainsi  parler  Larensius  : 
a  Vous  autres  Grecs,  vous  vous  attribuez  beaucoup  de 
choses,  soit  comme  les  ayant  dénommées,  soit  comme  les 
ayant  découvertes.  Mais  vous  ignorez  sans  doute  que  Lu- 
culius,  général  des  armées  romaines,  après  avoir  vaincu 
Mithridate  et  Tigrane,  apporta  le  premier  le  cerisier  de 
Gérasonte  en  Italie,  et  il  le  nomma  cerasus  du  nom  de 
cette  ville  du  Pont.  »  —  Cette  opinion  fut  également  pro- 
pagée par  Pline  {cerosi  ante  victoriam  mithridoUcmn 
L.  Luculli  non  fuere  in  Italia)  ^,  par  Ammien  Marcellin 
(xxii,  8),  par  Tertullien  (Apolog.  xi)  et  par  saint  Jérôme 
[Epist.  XIX,  ad  Eustachiiim). 

Voici  cependant  ce  que  l'auteur  du  Banquet  des  Savants 
fait  répliquer  à  Larensius  par  Daphnus  :  «  Diphile  de 
Sipline,  homme  très-renommé,  et  qui  a  vécu  nombre 
d'années  avant  Luculle,  c'est-à-dire  sous  Lysimaque,  un 
des  successeurs  d'Alexandre,  fait  mention  des  cerises,  en 
disant  :  «  les  cerises  sont  stomachiques,  mais  peu  nour- 
rissantes... »  —  A  cela  nous  ajouterons  le  témoignage  de 
Théophraste,  contemporain  de  Lysimaque.  Théophraste 
décrit  [Hist.  Plant..,  m,  13)  le  cerisier,  xEpa^oç,  comme  un 
arbre  déjà  connu  de  son  temps;  il  en  compare  le  port  et 
l'écorce  à  ceux  du  tilleul...  «  Sa  fleur,  dit-il,  est  blanche, 
et  ressemble  à  celle  du  poirier  et  du  néflier,  n  — Le  ceri- 
sier appartient,  en  effet,  à  la  même  famille  que  le  poirier 
et  le  néflier.  —  «  Son  fruit,  continue-t-il,  est  rcage, 
semblable  à  celui  du  diospyros;  il  a  un  noyau  moins 
dur  que  celui  du  diospyros.  » 

Les  commentateurs  de  Théophraste,  particulièrement 
Bodeeus  à  Stapel,  se  sont  vainement  efforcés  d'interpréter 

1.  Pline,  Hist.  nat.,  xvm,  6. 

2.  Ibid.,  XV,  30. 


68  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

dans  un  autre  sens  ce  passage,  qui  présente  le  cerisier  comme 
bien  plus  ancien  que  ne  le  prétendaient  les  Romains.  Ce- 
pendant les  deux  opinions,  en  apparence  contradictoires, 
])euvent  très-bien  se  concilier.  Le  cerisier  de  Diphile  et  de 
Théophraste  était  tout  simplement  le  cerisier  sauvage, 
notre  merisier  [cerasus  avium)^  qui  se  rencontre  dans  beau- 
coup de  bois  de  l'Europe,  tandis  que  le  cerisier  que  Lu- 
cullus  apporta  de  l'Asie  en  Italie,  et  qui,  d'après  Pline,  se 
propagea,  en  moins  de  cent  cinquante  ans,  jusque  dans  la 
Grande-Bretagne,  était  notre  cerisier  domestique.  Cet 
arbre  est  encore  aujourd'hui  très-communaux  environs  de 
Gérasonte,  sur  le  littoral  de  la  mer  Noire.  «  La  campagne 
de  Gérasonte  nous  parut,  rapporte  Tournefort,  très-belle  ; 
ce  sont  des  collines  couvertes  de  bois  oîi  les  cerisiers 
naissent  d'eux-mêmes  ^  » 

Colianelle.  —  Natif  de  Gadix,  Golumelle  parcourut,  au 
commencement  du  premier  siècle  de  notre  ère,  l'Espagne, 
la  Gaule,  l'Italie,  la  Grèce,  plusieurs  provinces  de  l'Asie 
INIineure,  particulièrement  la  Gilicie  et  la  Syrie.  Il  visita 
aussi  les  côtes  de  l'Afrique,  surtout  les  environs  de  Car- 
tbage,  afin  d'y  suivre  pas  à  pas  les  travaux  agricoles 
décrits  par  Magon  dans  son  Traité  d'Agriculture,  au 
manuscrit  autographe  duquel  les  Romains  rendaient 
autant  d'honneur  qu'aux  fameux  livres  Sibyllins,  et  qui  de- 
vint, comme  ceux-ci,  la  proie  des  flammes,  l'an  de  Rome 
670.  Après  ses  voyages,  Golumelle  s'établit  à  Rome  pour 
y  rédiger  son  Traité  d'Agriculture  ( De  re  rustica,  en  treize 
livres),  précédé  d'une  préface  où  il  déplore  l'état  d'avilis- 
sement dans  lequel  était,  depuis  la  chute  de  la  Républi- 
que, tombée  l'agriculture.  «  Je  vois  partout,  dit-il,  des  écoles 
ouvertes  aux  rhéteurs,  à  la  danse,  à  la  musique,  même 
aux  saltimbanques;  les  cuisiniers,  les  barbiers  sont  en 
vogue  ;  on  tolère  des  maisons  infâmes  où  les  jeux  et  tous 

1.  Relation  d'un  Voyage  du  Levant,  t.  II,  p.  98  (édit.  in-4°). 


ANTIQUITÉ  69 

les  vices  attirent  la  jeunesse  imprudente;  tandis  que  pour 
l'art  qui  fertilise  la  terre,  il  n'y  a  rien,  ni  maître,  ni 
élèves,  ni  justice,  ni  protection.  Voulez -vous  bâtir,  vous 
rencontrez  à  chaque  pas  des  architectes.  Voulez-vous 
courir  les  hasards  de  la  mer,  vous  trouverez  jDartout  des 
constructeurs.  Mais  souhaitez-vous  tirer  parti  de  votre 
héritage,  améliorer  les  procédés  qui  vous  semblent  mal 
entendus,  vous  n'avez  ni  guides,  ni  gens  qui  vous  com- 
prennent. Et  si  je  me  plains  de  ce  mépris,  on  me  parle 
aussitôt  de  la  stérilité  actuelle  du  sol;  on  va  jusqu'à  me 
dire  que  la  température  actuelle  est  changée.  Le  mal  est 
plus  près  de  vous,  ô  mes  contemporains  !  L'or,  au  lieu  de 
se  répandre  dans  les  campagnes,  qui  nourrissent  les 
villes,  est  jeté  à  pleines  mains  au  luxe,  à  la  débauche,  aux 
exactions.  Écoutez-en  mon  expérience,  reprenez  la  char- 
rue....» Ces  plaintes,  chose  triste  à  constater,  sont  encore 
aujourd'hui,  après  un  laps  de  près  de  deux  mille  ans,  en 
grande  partie  fondées. 

Les  quatre  premiers  livres  du  Traité  de  Columelle  sont 
consacrés  aux  exploitations  rurales,  aux  labours,  aux 
semailles,  aux  engrais,  à  la  culture  des  champs,  des  prés 
et  de  la  vigne.  La  culture  de  l'olivier,  du  grenadier,  du 
noyer,  des  pommiers  et  du  cytise  fait  le  sujet  du  cin- 
quième livre.  Le  cytise  de  Columelle  est,  selon  Thiébaud 
de  Barnéaud,  non  pas  la  luzerne  arborescente  {medicago 
arborea)^  mais  le  faux  ébénier  (cyiwi/5  laburnum^L.)  ^  Les 
quatre  livres  suivants  (6*,  7^,  8«  et  9*)  traitent  de  l'élève 
des  bestiaux,  des  oiseaux  de  basse-cour  et  des  abeilles. 
Le  10"  livre,  en  vers,  est  consacré  à  la  culture  des  jardins, 
que  l'auteur  recommande  de  bien  arroser,  «parce  qu'ils  ont, 
dit -il,  toujours  soif,  semper  sitiunt  horti.  »  Les  mauvaises 
herbes  qui  les  infestent,  sont  décrites  dans  un  langage 
très-poétique.  Les  livres  II*  et  12'  ont  pour  objet  les 
principales  industries    agricoles.  Le   13*  et  dernier  livre 

1.  Mém.  de  VAcad.  des  Sciences,  année  1814. 


70  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

traite  de  l'arboriculture.  —  Pour  perpétuer  la  mémoire  du 
célèbre  agronome  romain,  Wahl  a  donné  le  nom  de  colu- 
mellia  à  un  genre  de  plantes  originaires  du  Pérou  et 
voisines  des  calcéolaires. 

Virgile.  — D'une  cinquantaine  d'années  antérieur  à  Golu- 
melle,  Virgile  est  souvent  cité  par  celui-ci  comme  une 
autorité.  C'est  que,  à  l'exception  de  Théocrite,  son  modèle, 
peu  de  poètes  ont  eu  un  sentiment  plus  vrai  et  plus  pro- 
fond de  la  nature.  Ce  sentiment,  qui  éclate  à  chaque  page 
des  Bucoliques  et  surtout  des  Géorgiques,  se  retrouve 
dans  l'Enéide,  et  il  n'a  pas  peu  contribué  au  déploiement 
de  ces  qualités  qui,  si  l'on  excepte  Homère,  manquent  à 
presque  tous  les  poètes  épiques. 

Les  Bucoliques  ou  Églogues  sont  les  véritables  débuts 
de  la  muse  Yirgilienne.  Ces  poèmes  champêtres  furent 
composés,  de  43  à  37  avant  J.  G,,  pendant  les  troubles 
civils  qui  suivirent  la  mort  de  César.  Le  genre  idyllique 
était  alors  inconnu  aux  Romains.  Virgile  ne  pouvait 
mieux  faire  que  de  prendre  pour  modèle  Théocrite  :  il 
l'imita  non-seulement  dans  le  choix  de  ses  sujets,  mais  il 
lui  emprunta  des  vers  et  des  développements  tout  entiers. 
Rien  de  plus  attachant  que  cette  poésie  de  la  nature,  en- 
trelacée de  feuillages  et  de  fleurs  : 

Les  sillons  destinés  aux  céréales.... 
Sont  envahis  par  la  triste  ivraie  [infelix  lolium)  et  les  avoines  stériles  ; 
A  la  place  de  la  douce  violette  et  du  narcisse  pourpré  s'élèvent 

Le  chardon  et  la  ronce  '. 

L'épithète  de  purpitreus^  que  Virgile  donne  ici  au  nar- 
cisse, ne  peut  s'apjiliquer  qu'à  la  petite  couronne  pourpre 
qui  occupe  le  centre  de  la  fleur  blanche  du  narcisse  des 
poètes  {7iarcissus  poeticus  L.).  Quel  air  de  fête  cette  fleur 
donne  aux  prairies  lorsau'elle  s'ouvre  aux  rayons  du  soleil 
printanier  ! 

.  L  Eclog.^  V,  38  et  suiv. 


ANTIQUITÉ.  71 

Quant  à  ce  vers  si  souvent  cité  : 

Alba  ligustra  cadunt,  vaccinia  nigra  leguntur  *, 

nous  avons  montré  ailleurs  qu'il  s'agit  ici  d'une  seule  et 
même  espèce  végétale,  de  notre  troène  {Hgustrum  vul- 
gare,  L.),  dont  les  fleurs  blanches,  printanières,  tombent 
{alba  ligustra  cadunt) ,  tandis  que  les  baies  noires  qui  leur 
succèdent  en  automne,  sont  cueillies  pour  servir  en  tein- 
ture, comme  nos  airelles  [vaccinia  nigra  leguntur)  ^.  [ 
Après  les  Bucoliques  parurent  les  Géorgiques^  qui  coû- 
tèrent au  poète  également  six  ans  de  travail  (de  37  à  31 
avant  J.  G.).  Quelques  plantes  y  sont  si  bien  décrites  qu'il 
est  facile  d'y  reconnaître  les  synonymes  de  la  nomenclature 
moderne.  Telle  est,  entre  autres,  cette  belle  espèce  de 
marguerite,  qui  se  rencontre  dans  les  prés  (flos  in  pralis) 
et  qui  mérite  d'être  comparée  à  une  étoile  [aster  amellvs), 
quand  elle  montre  au-dessus  de  ses  feuilles,  denses  comme 
un  gazon,  une  forêt  de  capitules  fleuris  [ingente?n  tollit 
de  cespite  silvam)^  disposés  en  corymbe,  fleurs  composées 
d'une  couronne  d'or  {aureus  ipse),  garnie  de  rayons  d'un 
pourpre  foncé  comme  les  pétales  de  la  violette.  C'est  là  la 
caractéristique  de  notre  aster  amellus^  que  le  poète  a 
chanté  dans  ces  vers  : 

Est  etiam  flos  in  pratis,  cui  nomen  amello 
Fecere  agricolae,  facilis  quaerentibus  herba; 
Namque  uno  ingentem  tollit  de  cespite  silvam, 
Aureus  ipse;  sed  in  foliis,  quae  plurima  circum 
Funduntur,  violae  subi ucet  purpura  nigrae  ', 

Jj  aster  amellus^  L.,  que  sa  beauté  a  fait  surnommer  œil 
du  Christ^  appartient  aux  contrées  méridionales,  où  il  se 
plaît  sur  les  collines  arides.  La  plupart  des  plantes  n'étant 
désignées  dans  d'autres  vers  de  Virgile  que  par  un  ou  deux 

1.  Edog.,  II,  18. 

2.  Voy.  Nos  Saisons,  P»  série,  p.  334. 

3.  Georg.,  iv,  271  et  suiv. 


72  HISTOIRE  DE  LA   BOTANIQUE. 

qualificatifs,  il  est  plus  difficile  d'en  déterminer  exacte- 
ment les  espèces;  tels  sont  Vamomum^  le  crocus  rubens 
d'automne,  probablement  notre  colchicum  autumnale^  — 
le  galbanum^  thurifera  arbor^  —  ïulva  paluslris  {typha 
latifolia?),  —  lespmper  frondens  acantlius  [Vacucia  vera?)^ 
—  les  centauria  graveolentia ^  etc.* 

Hygin  écrivit  sur  les  Gréorgiques  de  Virgile  un  ouvrage 
qui  ne  nous  est  pas  parvenu. 

Horace,  Vitnwe''  l'architecte  et  Strabnn  le  géographe^ 
ont  donné,  dans  leurs  ouvrages,  quelques  observations 
qui  ne  sont  pas  sans  intérêt  pour  l'histoire  de  la  science. 


Aperçn  historique  de  la  boJnnîque,  depuis  le  premier 
siècle  de  notre  ère  jusqu'au  moyen  âge  (époque  de 
Charlemagne) . 


Deux  auteurs ,  souvent  cités,  ouvrent  cette  période  : 
Dioscoride  et  Pline. 

Dioscoride.  —  Natif  d'Anazarbe  en  Cilicie,  Dioscoride 
paraît  avoir  vécu,  comme  Pline,  dans  la  première  moiLié 
du  premier  siècle  de  notre  ère.  Il  nous  reste  de  Dioscoride 
un  Traité  de  matière  médicale  (n^pt  ùlriç  larpix^ç),  dont 
Sprengel,  qui  en  a  donné  une  excellente  édition  (Leipzig, 
1829,  2  vol.  in-8°),  a  relevé  les  principales  espèces  végé- 


1.  Voy.  Fée,  Flore  de  Virgile,  dans  la  collection  des  Classiques 
latins  de  Lemaire.  Retzins,  Flora  Virgiliana;  Londres,  1809,  in-S". 
Tenore,  Osservazioni  sulla  flora  Virgiliana,  Naples,  1826,  in-8". 

2.  Meyer,  Geschichte  der  Bot.  t.  I,  p.  382  et  siiiv. 

3.  Meyer,  Versuch  hntnnincher  Frliiuternngen  zu  Sirabnn,  etc.; 
Koenigsberg,  1852,  in-S°. 


ANTIQUITÉ.  73 

(aies  dans  son  Histoire  de  la  Botinique.  Ainsi,  la  plante 
que  Dioscoride  désigne  sous  le  nom  de  mu  (i,  10),  était, 
selon  toute  apparence ,  la  grande  valériane  {valeriana  phu 
de  Lin.,  valeriana  Dioscoridis  de  Hawkins),  qui  croît  dans 
les  lieux  montagneux  des  contrées  méridionales  ;  elle  est 
facile  à  reconnaître  à  sa  gross3  racine  odorante,  à  ses 
feuilles,  dont  les  inférieures  sont  entières  ou  à  trois  loLes, 
et  les  supérieures  pinnatifides,  ainsi  qu'à  ses  fleurs  dis- 
posées en  une  panicule  rouge  ou  blanche.  Dioscoride  et 
d'autres  écrivains  ont  donné  le  nom  de  nard^  vapSoç,  à 
beaucoup  de  plantes  aromatiques,  particulièrement  à  la 
valériane,  dont  la  plupart  des  espèces  sont  remarquables 
par  leur  odeur  caractéristique.  Le  nard  celtique^  ^  xeX-rtxr) 
vapSoç,  est  le  valeriana  celtica  de  L.,  qu'on  trouve  en 
Grèce,  en  Italie  et  jusque  sur  les  montagnes  du  Piémont 
et  du  Dauphiné.  Le  nard  indien  et  le  nard  des  montagnes 
paraissent  être  également  des  valérianes  [valeriana  Hard- 
wickii  et  v.  tuberosa). 

Ce  que  Dioscoride  dit  de  ce  qu'il  nomme  matière  in- 
dienne tinctoriale  bleue ,  ivStxov  Sacpixov  xuavosiSsç,  montre 
que  les  anciens  connaissaient  l'indigo^;  mais,  contraire- 
ment à  l'opinion  de  Sprengel,  il  n'est  pas  aussi  certain 
qu'ils  connussent  la  plante,  Vindigofera  tinctoria^  d'où  pro- 
venait l'indigo.  Nous  ne  partageons  pas  davantage  le  sen- 
timent de  Sprengel,  quand  nous  le  voyons  rapporter  l'hé- 
liotrope ou  tournesol,  fiXtorpoutov,  de  Dioscoride  et  de  Pline, 
à  notre  heliotropium  europceum.  Cette  borraginée,  commune 
dans  les  décombres  et  les  terrains  en  friche,  n'attire  en  rien 
les  regards  du  passant  :  ses  fleurs,  d'un  blanc  bleuâtre, 
sont  petites,  disposées  en  épis  scorpioïdes,  et  ne  présentent 
aucun  mouvement  qu'on  puisse  rapporter  à  l'action  du 
soleil.  Il  n'en  est  pas  de  même  d'un  certain  nombre  de 
ces  fleurs  composées  qui,  comme  le  soleil  [helianthus  an- 
nuuSjL.)^  semblent  rechercher  la  lumière  de  l'astre  du  jour 

1.  Voy.  Beckmann,  Geschichte  d»r  Erjînd.,  t.  IV,  d.  47.5. 


74  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

Quant  à  l'isatis^  ïdaTtç,  que  les  teinturiers  employaient 
pour  teindre  la  laine,  c'était  bien,  à  juger  par  la  courte 
description  qu'en  donne  Dioscoride,  notre  isatis  tincloria^ 
crucifère  qui  croît  naturellement  dans  une  grande  partie 
de  l'Europe,  et  qui  se  distingue  par  ses  feuilles  glau- 
ques, lancéolées,  embrassantes,  dans  lesquelles  réside 
une  matière  tinctoriale  bleue.  C'est  cette  matière  qui  a 
pendant  longtemps  remplacé  l'indigo. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'établissement  exact  de  la  synony- 
mie de  Dioscoride,  comparée  avec  la  synonymie  des  bo- 
tanistes modernes,  offre  des  difficultés  presque  insurmon- 
tables ;  et  nous  sommes  loin  d'admettre  tout  ce  qui  a  été 
tenté  à  cet  égard  par  le  savant  auteur  de  ÏHistoria  m  her- 
bariasK 

Pline  l'Ancien.  —  Le  prince  des  naturalistes  romams 
mourut  âgé  de  cinquante-six  ans  (en  7  9  après  J.  G.),  vic- 
time de  son  ardeur  scientifique.  Pendant  qu'il  comman- 
dait la  flotte,  stationnée  à  Misène ,  il  voulut  explorer  le 
Vésuve,  au  moment  où  une  éruption  de  cendres  en- 
gloutit les  villes  d'Herculanum  et  de  Pompéi.  Le  vaste 
recueil  de  curiosités  de  toutes  sortes  qu'il  laissa  sous  le 
titre  de  Historia  naturalis,  en  trente-sept  livres,  comprend 
le  règne  végétal,  depuis  le  douzième  jusqu'au  vingt-bui- 
tième  livre.  Cette  partie  a  été  commentée  avec  une  grande 
autorité  par  Desfontaines,  dans  lest.  Y-VII  de  l'excellente 
édition  de  Pline,  de  la  collection  des  Classiques  latins  de 
Lemaire. 

A  l'exemple  de  ses  prédécesseurs,  Pline  adopte  la  division 
primitive  des  plantes  en  arbres  et  en  herbes  ;  il  commence  le 
douzième  livre  de  son  Histoire  naturelle  par  les  arbres  et 
leurs  usages  en  général.  Il  s'étend  d'abord  sur  le  platane 
[plalanus  orientalis)^  et  admire  la  grosseur  des  platanes  de 
l'Académie  et  du  Lycée,  où  se  promenaient  à  Athènes  les 

1.  Sprengel,  Uist.  rei  hfrli.,t.  I,  p.  152etsuiv. 


ANTIQUITÉ.  75 

sciples  de  Platon  et  d'Aristote.  Puis  il  traite  des  arbres 
étrangers  ou  encore  peu  connus,  tels  que  le  citronnier 
hnalus  assyria  ou  medica]^  les  cotonniers  «  arbres  porte- 
laine  des  Sères  »  [lanigeras  Sérum  arbores)  ;  l'ébénier  {ebe- 
mis)]  le  spina  indica,  dont  on  n'a  pas  encore  la  déter- 
mination exacte;  le  figuier  d'Inde  [ficus  religiosa,  L.),  et  le 
pistachier,  «  arbre  semblable  au  térébinthe  et  portant  des 
fruits  comme  l'amandier.  »  Il  décrit  ensuite  la  racine  de 
gingembre  [radix  zingiberi)  ^  espèce  d'amomum ,  qu'il 
supposait  être  un  arbre ,  comme  le  poivrier  ;  le  poivre 
cubèbe  [piper  cubeba,  L.),  qu'il  nomme  garyophyllon.,  ce 
qui  pourrait  faire  croire  au  giroflier,  indigène  des  îles 
Moluques;  le  costus  de  l'Inde,  probablement  la  cannelle 
blanche;  le  nard  sylvestre  [asarum  europseum) ^  à  feuilles 
rondes,  toujours  vertes  comme  celles  du  lierre,  et  à  fleurs 
pourpres;  les  arbres  d'où  découlent  l'oliban,  l'encens,  la 
myrrhe,  etc. 

Pline  et  Dioscoride  parlent  à  peu  près  dans  les  mêmes 
termes  d'un  suc  concrète  qu'ils  appellent  saccharon  et  qui 
était  notre  sucre.  «  Le  saccharon  le  plus  estimé  vient, 
disent-ils,  de  l'Inde.  C'est  un  miel  recueilli  sur  des  ro- 
seaux [mel  in  arundinibus  collecturn)^  blanc  comme  de  la 
gomme,  croquant  sous  les  dents  [dentibus  fragile)^  de  la 
grosseur  d'une  noisette,  et  propre  seulement  aux  usages 
de  la  médecine,  ad  medicinx  tantum  usum.  »  Pline  parle 
a'.^ssi,  d'après  Onésicrite,  d'arbres  de  l'Hyrcanie,  dont  les 
feuilles  ressemblaient  à  celles  du  figuier,  et  qui  laissaient, 
vers  le  matin,  suinter  du  miel.  G'étaierit  probablement  des 
espèces  d'érables,  dont  les  feuilles  sécrètent,  en  effet,  une 
liqueur  sucrée.  Notons  en  passant  que  l'eau-de-vie,  pro- 
duit de  fermentation  du  sucre,  était  d'abord,  comme 
le  sucre  lui-même,  employée  en  médecine,  longtemps  avant 
d'entrer  dans  la  consommation  alimentaire. 

Le  phénomène  que  Pline  raconte  d'un  arbre  de  l'île  du 
golfe  Arabique,  a  été  généralisé  par  Linné  sous  le  nom 
à'horloge  ou  de  sommeil  des  plantes.  «La  tleur  qui,  dit-il, 


76  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

se  ferme  la  nuit,  commence  à  s'ouvrir  au  lever  du  soleil,  et 
est  entièrement  épanouie  à  midi.  Les  indigènes  disent 
qu'elle  dort,  n  C'était  probablement  une  espèce  d'acacia. 

Le  treizième  livre  de  l'Histoire  naturelle  de  Pline  con- 
tinue l'histoire  des  arbres  et  arbrisseaux,  tels  que  les 
palmiers  (dattier,  palmier  doum,  chamxrops  humilis), 
pistachier,  caroubier,  etc.  On  y  trouve  aussi  la  descrip- 
tion de  plusieurs  végétaux  non  arborescents,  tels  que  le 
papyrus,  d'oîi  vient  l'usage  du  papier,  le  lotus  du  Nil, 
diverses  espèces  de  ferula^  etc. 

Le  quatorzième  livre  est  consacré  à  la  vigne,  à  sa  culture 
et  aux  perfectionnements  de  ses  produits.  Les  Romains  lais- 
saient parvenir  la  vigne  à  toute  sa  hauteur,  et  ne  lui  donnaient 
pour  appui  que  les  arbres  le  long  desquels  ils  la  faisaient 
grimper.  Les  Grecs,  au  contraire,  préféraient  le  système 
des  vignes  basses,  qui  est  le  système  moderne  et  qu'on 
pratique  encore  aujourd'hui  en  Grèce,  notamment  dans 
les  îles  de  l'Archipel.  C'est  ce  fait  général  qu'il  faut  tou- 
jours avoir  présent  à  l'esprit  pour  bien  comprendre  les 
écrits  des  agronomes  anciens.  Presque  tous  les  vins 
étaient,  dans  l'antiquité,  chauffés  et  aromatisés,  et  l'usage 
de  ces  vins  s'est  conservé  durant  le  moyen  âge. 

Le  quinzième  livre  a  pour  objet  l'olivier,  sa  culture  et 
les  différentes  espèces  d'huiles.  Il  traite,  en  outre,  du  se- 
bestier  [myxa],  du  pêcher,  des  poiriers,  des  pommiers,  des 
sorbiers,  das  noyers,  des  mûriers,  des  cerisiers,  des  cor- 
nouillers et  des  lauriers.  —  Le  seizième  livre  est  consa- 
cré principalement  à  la  description  des  arbres  forestiers, 
tels  que  les  chênes,  que  l'auteur  divise  en  sauvages  {sil- 
vestres)  et  en  cultivés  [cultx).  Le  hêtre,  qui  s'élève  très-haut, 
fagus  alla,  étend  au  loin  ses  rameaux,  patula^  a  un  feuil- 
lage touffu,  densa,  épaississant  l'ombre,  umhrosa  cacu- 
mina,  toutes  qualités  chantées  déjà  par  Virgile  : 

Cœditur  et  tilia  ante  jugo  levis,  altaque  fagus. 

Tityre,  tu  patulae  recubans  sub  tegmine  fagi. 


ANTIQUITÉ.  77 


Tantum  inter  densa  umbrosa  cacumina,  fagus  '. 

La  description  du  hêtre  est  suivie  de  celle  des  arbres 
résineux,  comprenant  le  pin  silvestre  [pinaster)^  le  sapin 
[picea)^  l'épicée  {txda).  On  y  trouve  aussi  l'histoire  des 
tilleuls,  de  l'érable  [acer]^  de  l'ormeau  [ulmus],  du  buis 
{buxus)^  des  peupliers,  des  saules,  etc.  —  Le  dix-septième 
livre  traite  de  l'arboriculture,  des  pépinières,  de  la  taille, 
de  la  greffe,  des  irrigations.  —  Le  dix -huitième  livre 
contient  l'histoire  naturelle  des  céréales,  les  pronostics, 
bons  ou  mauvais,  tirés  des  astres,  les  engrais,  les  semail- 
les, la  conservation  des  blés,  etc.  — Le  dix-neuvième  livre 
est  consacré  à  l'horticulture  et  à  la  culture  du  lin,  —  Le 
vingtième  livre  traite  des  plantes  potagères  et  des  remè- 
des qu'elles  fournissent.  —  Le  vingt-unième  contient  l'é  • 
numération  des  plantes  entrant  dans  la  composition  des 
couronnes  dont  les  Romains  se  plaisaient  à  faire  étalage. 
—  Les  livres  suivants  (vingt-un  à  vingt-huit)  sont  consa- 
crés à  la  matière  médicale.  Les  remèdes  y  sont  exposés, 
tantôt  suivant  la  nature  des  maladies  qu'ils  étaient  suppo- 
sés guérir,  lantôt  suivant  l'ordre  alphabétique. 

On  chercherait  vainement  dans  Pline  des  détails  précis 
de  physiologie  végétale  et  des  indices  d'une  méthode  de 
classification  rationnelle. 

Nous  ne  ferons  que  citer  les  médecins  qui,  tels  que 
Scribonius  Largus  (médecin  de  l'empereur  Claude),  Galien, 
Cclse,  Oribase^  Aétius,  Alexandre  de  Tralles,  Paul  d^Egine^ 
n'ont  parlé  que  très-sommairement  des  plantes  em- 
ployées en  médecine.  Nous  pouvons  ajouter  à  cette  liste 
les  écrivains  qui,  comme  Apicius,  ne  voyaient  dans  les 
végétaux  qu'une  matière  utile  pour  l'art  culinaire. 

Citons  aussi  Palladius  et  Isidore  de  Séoille.  Le  premier 


1.  Georg.,  i,  173  ;  Bue,  i,  1  ;  ii,  3» 


78  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

(vivant  dans  le  quatrième  siècle  après  J.  G.)  est  auteur 
d'un  traité  De  re  rustica^  en  quatorze  livres,  dont  le  pre- 
mier donne  des  règles  générales  sur  l'agriculture;  les 
douze  livres  suivants  traitent  des  travaux  agricoles;  le 
quatorzième  livre,  écrit  en  vers  élégiaques,  est  consacré  à  la 
greffe  des  arbres.  L'ouvrage  de  Palladius,  très-populaire 
au  moyen  âge  (Vincent  de  Beauvais  en  inséra  une  grande 
partie  dans  son  Spéculum  naturale)^  est  une  compilation 
faite  d'après  les  traités  de  Caton,  de  Varron  et  de  Colu- 
melle.  Il  se  trouve  imprimé  d'ans  les  collections  des  Scrip- 
tores  rei  rusticss  de  Mathise  et  de  Schneider. 

Isidore  de  Séville  (né  en  570,  mort  en  636)  parle  d'un 
certain  nombre  de  plantes  dans  le  dix-septième  livre  de 
son  ouvrage  encyclopédique,  intitulé  les  Origi7ies  (édit. 
par  J.  Arevoli;  Rome,  1797-1803,  7  vol.  in-4").L'un  des 
premiers  il  mentionne  la  rhubarbe  sous  le  nom  de  rheum 
barbarum^  par  opposition  aux  rheum  ponticum  [rhaponti- 
cum)  et  rheum  indicum^  indiqués  par  des  écrivains  plus 
anciens. 

Parmi  les  auteurs  dont  les  écrits,  quoique  étranger^  à 
la  botanique ,  contiennent  des  renseignements  utiles  pour 
l'histoire  de  cette  science,  nous  citerons  Athénée  (les  Dei- 
pnosophistes  ou  Banquet  des  saimnts)^  Pollux  [Onomasli- 
con),  Serenus  Samonicus  [De  medicina  prœcepta  saluberri- 
ma),  Florentinus  [Georgica] ,  Sextus  et  Jules  l'Africain 
[Cesti],  Jules  Solin,  Ammien  Marcellin,  Théodore  Pri- 
scien,  Marcelle  l'Empirique,  Sérapion,  Gosmas  l'Indi- 
copleuste,  etc.  On  trouve  des  fragments  et  extraits  de  ces^ 
auteurs  dans  les  Geoponica^  recueil  fait  par  ordre  de  l'em- 
pereur Gonstantin  VII,  surnommé  Porphyrogénète  (né  en 
905,  mort  en  959),  et  dont  Nicolas  a  donné  une  excel- 
lente édition  (Leipzig,  1781,  4  vol.  in-S"). 

Les  Capitulaires  de  Gharlemagne  renferment  quelques 
noms  de  plantes  qui  ne  sont  pas  sans  intérêt  pour  l'his- 
toire de  la  science.  La  nielle,  commune  dans  les  champs 
de  blé,  s'y  ap^udle  gith,  et  ce  nom  se  retrouve  dans  celui 


ANTIQUITÉ.  79 

d'agrostemma  githago,  donné  à  la  même  plante  par  Linné. 

La  menthe  aquatique  s'y  nomme  menthastrum^  nom  déjà 
employé  par  Serenus  Samonicus;  la  petite  centaurée,  fe~ 
brifuga;  la  carotte,  carruca;  la  garance,  warentia;  la 
joubarbe,  Jovis  barba;  la  guimauve,  ibischa  mismalva;  le 
cabaret  [asarum  europseum,  L.)  vulgigina;  le  pois  cultivé, 
pisus  mauriscus  ^   etc. 

Cette  nomenclature  montre  l'influence  que  les  langues 
vulgaires  ou  barbares  commençaient  alors  à  exercer  sur 
la  langue  latine. 


LIVRE  DEUXIEME. 

LA   BOTANIQUE    AU    MOYEN    AGE. 


La  période,  si  arbitrairement  circonscrite  sous  le  nom 
de  moyen  âge,  comprend,  après  la  chute  de  l'empire  ro- 
main, l'intervalle  de  temps  où  l'esprit  humain  semble 
avoir  recueilli  ses  forces  pour  se  déployer  tout  à  coup,  au 
seizième  siècle,  dans  toutes  les  directions  à  la  fois. 

Toutes  les  races  humaines  n'ont  pas  une  égale  part  à 
ce  grand  mouvement  de  la  civilisation,  dont  les  sciences 
composent  l'élément  essentiellement  progressif,  et  à  la  tête 
duquel  se  trouve  la  race  aryenne  ou  indo-européenne. 
La  race  mongole,  représentée  parles  Chinois  et  les  Japo- 
nais, y  a  contribué  pour  une  part  aussi  obscure  que  res- 
treinte, et  les  Arabes,  race  sémitique,  dont  l'histoire  se 
trouve  mêlée  davantage  à  celle  de  notre  race,  n'ont  guère 
fait  que  propager  les  lumières  des  Grecs,  et  préparé 
ainsi  l'époque  de  la  Renaissance. 


Botanistes  arabes* 

C'est  presque  exclusivement  dans  ses  rapports  avec 
la  médecine  que  les  Arabes,  plutôt  poëtes  qu'obser- 
vateurs ,  ont  étudié   la   botanique.   Les  écrits  de  Mesué, 


I 


MOYEN   ÂGE.  81 

deRliasés,  d'Ibn-Baïthar,  d'Aviccnne,  d'Averroës,  d'Aven- 
zoar,  etc.,  en  témoignent. 

De  tous  les  médecins  arabes,  Ahd-Allatif  paraît  être  le 
seul  qui  ait  montré  une  connaissance  assez  approfondie 
des  principales  espèces  végétales.  Aussi  mérite-t-il  que 
nous  nous  y  arrêtions  un  instant. 

Né  à  Bagdad,  en  1162  de  notre  ère,  Abd-Allatif  était 
lié  d'amitié  avec  le  vizir  Bohadin,  qui  jouissait  de  toute  la 
faveur  du  sultan  Saladin.  Ainsi  protégé,  il  put  se  procurer 
tous  les  moyens  nécessaires  pour  visiter  fructueusement 
l'Egypte.  Il  vint  mourir  dans  sa  ville  natale,  à  l'âge  de 
soixante-neuf  ans.  Sa  Relation  de  VEgijpte  a  été  traduite 
en  français  par  Sylvestre  de  Sacy;  Paris,    1810,  in-i". 

Abd-Allatif  a  décrit,  comme  plantes  particulières  à 
l'Egypte,  les  espèces  dont  nous  allons  dire  un  mot. 

Le  bamia  est,  à  juger  parla  caractéristique  que  l'auteur 
en  donne ,  ïhibiscus  esculentus ,  vulgairement  nommé 
gombo.  Son  fruit  ressemble  à  un  petit  concombre  hérissé 
de  poils  raides,  et  divisé  par  des  cloisons  en  cinq  loges 
qui  contiennent  des  graines  rondes.  «  A  cause  de  son 
mucilage  légèrement  sucré,  ajoute  l'auteur,  les  habitants 
de  l'Egypte  le  coupent  par  petits  morceaux  et  le  font 
cuire  avec  de  la  viande,  n  C'est  l'usage  qu'on  fait  encore 
aujourd'hui  de  cette  malvacée  dans  beaucoup  de  contrées 
méridionales ,  notamment  en  Syrie  et  dans  le  nord  de 
l'Afrique.  Les  méloukia  et  khatmi  étaient  aussi  des  espèces 
de  malvacées,  voisines  des  hibiscus. 

Le  lèbkah  était  un  arbre  de  belle  apparence.  Abd-Allatif 
en  a  décrit  le  fruit  avec  beaucoup  de  détails. «Le  fruit  du  lèb- 
kah est,  dit-il,  du  volume  d'une  grosse  datte,  encore  verte, 
et  lui  ressemble  pour  la  couleur,  si  ce  n'est  qu'il  est  d'an 
vert  plus  foncé.  Tant  qu'il  est  vert,  il  a  une  saveur  astrin- 
gente, comme  la  datte  verte  ;  mais  à  sa  maturité  il  de- 
vient doux  et  visqueux.  Son  noyau  ressemble  à  celui  de 
la  prune  ou  à  l'intérieur  du  fruit  de  l'amandier;  d'un 
blanc  tirant  sur  le  gris,  il  se  casse  aisément,  et  en  dedans 

6 


82  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

se  trouve  une  amande  humide,  blanche,  douce  au  toucher. 
La  chair  de  cette  amande ,  qui  se  raccornit  beaucoup 
par  la  dessiccation,  est  d'une  saveur  très-amère  et  pro- 
duit sur  la  langue  la  sensation  d'une  piqûre  qui  persiste 
longtemps.  »  Enfin  l'auteur  répète,  d'après  Dioscoride  et 
Nicolas  de  Damas,  que  «  le  lébkah  était  dans  la  Perse  un 
poison  mortel  ;  mais  qu'ayant  été  transplanté  en  Egypte, 
il  est  devenu  un  aliment.  »  —  Bien  des  conjectures  ont 
été  émises  sur  la  véritable  nature  de  cet  arbre,  (|ui  était 
déjà  rare  en  Egypte  à  l'époque  d'Abd-Allatif,  c'est-à-dire 
au  douzième  siècle.  Suivant  les  uns,  c'était  le  persea  de 
Théophraste,  de  Dioscoride,  de  Galien,  etc.  Mais  ici 
commence  la  difficulté.  Qu'était-ce  que  le  persea  des  an- 
ciens? La  plupart  s'accordent  à  l'identifier  avec  l'abrico- 
tier ou  le  pêcher,  dont  le  noyau  contient,  en  effet,  une 
amande  amère,  imprégnée  d'un  poison  violent  (acide  prus- 
sique).  Quel  [ues-uns  en  font  une  espèce  de  laurier  :  c'était 
l'avis  de  l'Écluse  et  de  Linné  en  donnant  à  l'avocatier 
le  nom  de  laurus  persea.  Mais  indépendamment  de  ce 
que  l'avocatier  est  originaire  de  l'Amérique,  la  descrip- 
tion que  les  anciens  donnent  du  persea,  ne  s'applique  ni 
à  l'abricotier,  ni  au  pêcher,  ni  au  laurus  persea.  Dans  un 
mémoire  lu  en  1818  à  l'Académie  des  sciences,  Delisle  a 
montré  que  le  lébkah  des  anciens  Arabes  ou  le  persea  de 
Théophraste  doit  être  rapporté  au  xymenia  segyptiaca  de 
Linné;  il  en  fait  en  même  temps  un  genre  particulier 
sous  le  nom  de  balanites.  Cet  arbre,  aujourd'hui  presque 
introuvable  en  Egypte,  semble  avoir  émigré,  comme 
beaucoup  d'espèces  végétales  et  même  animales,  vers  la 
Nubie  et  l'Abyssinie.  Il  est,  en  effet,  commun  dans  ces 
contrées,  où  il  se  nomme  heglyg\  Son  fruit,  qui  ressemble 
à  la  datte,  et  qui  devient  doux  en  mûrissant,  rappelle  tout 
à  fait  la  description  qu'Abd-Allatif  a  faite  du  lébkah. 
Le    djoummeïz   est   incontestablement  une  espèce  de 

1  Voy.  p.  27. 


MOYEN  AGE.  83 

liguier,  le  ficus  sycomor us  de  Linné.  «  Cet  arbre  semble, 
dit  Abd-Allatif,  être  un  figuier  sauvage  ;  ses  fruits  nais- 
sent sur  le  bois  et  non  à  l'aisselle  des  feuilles.  On  en  fait 
sept  récoltes  par  an,  et  on  en  mange  pendant  quatre  mois 
de  l'année.  Quelcfues  jours  avant  qu'on  en  fasse  la  cueil- 
lette, un  homme  muni  d'une  pointe  de  fer  monte  sur  l'ar- 
bre, et  fait  avec  cet  instrument  une  piqûre  à  tous  les  fruits 
l'un  après  l'autre  :  il  coule  de  la  plaie  une  liqueur  d'un 
blanc  de  lait  qui  ne  tarde  pas  à  brunir  ;  c'est  cette  opéra- 
tion qui  donne  aux  fruits  une  saveur  sucrée.  Il  y  en  a  qui 
sont  extrêmement  doux,  plus  même  que  la  figue;  mais 
on  y  trouve  toujours  un  arrière-goût  de  bois.  L'arbre  est 
grand  comme  un  vieux  noyer....  On  se  sert  de  son  bois 
pour  la  construction  des  maisons,  et  l'on  en  fait  des  portes 
et  d'autres  gros  ouvrages  ;  il  dure  très-longtemps,  et  souffre 
l'eau  et  le  soleil  sans  en  être  endommagé.  »  —  Cette  des- 
cription s'accorde  parfaitement  avec  celle  que  Prosper 
Alpin  (i7wï.  nat.  ^Egypt.,  part.  II,  p.  12),  Sonnini  [Voyage 
clans  la  haute  et  basse  Egypte,  t.  I,  p.  352  et  suiv.)  et  d'au- 
tres voyageurs  ont  donnée  du  figuier  sycomore.  Nous  avons 
déjà  dit  (p.  8)  que  les  caisses  de  momies  égyptiennes  ont 
été  faites  avec  le  bois  de  cet  arbre. 

Le  haumier.  C'est  Vamyris  gileadensis,  L.,  qu'il  ne  faut 
pas  confondre  avec  le  sapin  baumier  [abies  balsamifera)^ 
qui  appartient  aux  forêts  de  l'Amérique  septentrionale. 
Abd-Alladf  trouva  le  vrai  baumier  en  Egypte,  dans  un 
enclos  soigneusement  gardé.  «  C'est,  dit-il,  un  arbuste 
d'environ  une  coudée  de  hauteur.  Il  a  deux  écorces  :  l'une 
extérieure,  qui  est  rouge  et  mince;  l'autre  intérieure, 
verte  et  épaisse;  quand  on  mâche  celle-ci,  elle  laisse  dans 
la  bouche  une  saveur  onctueuse  et  un  goût  aromatique  ; 
ses  feuilles  ressemblent  à  celles  de  la  rue.  »  —  Cette  des- 
cription s'accorde  en  tout  point  avec  celle  du  baumier 
que  Belon  observa,  au  seizième  siècle,  dans  un  jardin 
près  du  Caire,  et  qu'il  rapporte  aux  xylobalsamum  et  car^ 
pobalsamum  des  anciens.  Il  insiste  surtout  sur  la  forme 


84  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

d'S  feuilles  impari-pennées.  «  Les  feuilles  sont,  dit-il, 
ordonnées  à  la  manière  du  lentisque,  à  savoir  de  côté  et 
d'autre,  comme  nous  voyons  aux  feuilles  des  rosiers; 
toutefois  la  grandeur  n'excède  point  la  feuille  des  pjis 
chiches,  et  est  faite  de  telle  façon  que  la  dernière  feuil- 
lette (foliole),  qui  est  au  bout,  fait  que  le  nombre  en  soit 
impair,  tellement  que  comptant  les  feuillettes  de  toute  la 
feuille,  on  y  en  trouve  trois,  cinq  ou  sept,  et  nous  n'avons 
guères  vu  qu'elles  dépassent  le  nombre  sept.  La  feuillette 
de  l'extrémité  est  plus  grande  que  les  autres  qui  suivent; 
car  elles  vont  en  amoindrissant,  comme  il  advient  à  la 
feuille  de  la  rue*.  » 

Abd-Allatif  a  le  premier  fait  connaître  tous  les  détails 
relatifs  à  la  récolte  du  baume.  «  Après  avoir,  rapporte- 
t-il,  arraché  de  l'arbuste  toutes  ses  feuilles ,  on  fait 
au  tronc  des  incisions  avec  une  pierre  aiguë;  cette  opé- 
ration exige  de  l'adresse ,  car  il  faut  couper  l'écorce 
externe  et  fendre  celle  de  dessous ,  mais  de  manière 
que  la  fente  n'atleigne  pas  le  bois;  si  l'on  attaque 
le  bois ,  l'incision  ne  donnera  aucun  produit.  La 
fente  faite  comme  nous  venons  de  dire,  on  attend  que 
le  suc  de  l'arbuste  coule  sur  le  bois;  on  le  ramasse 
avec  le  doigt,  que  l'on  essuie  sur  le  bord  d'une  corne. 
Quand  la  corne  est  pleine,  on  la  vide  dans  des  bouteilles 
de  verre,  ce  que  l'on  continue  sans  interruption  jusqu'à 
ce  que  la  récolte  soit  finie  et  qu'il  ne  coule  plus  rien 
de  l'écorce.  Plus  l'air  est  humide,  plus  l'arbuste  four- 
nit une  récolte  abondante;  elle  agt, au  contraire,  médiocre 
dans  les  années  de  sécheresse.  »  —  On  faisait,  pendant 
tout  le  moyen  âge,  un  grand  commerce  avec  le  baume, 
nommé  baume  de  Giléad,  que  l'on  disait  venir  de  la  Judée, 
Mais  Abd-Allatif  raconte  qu'il  n'avait  trouvé  aucun  bau- 
raier  en  Palestine.  Mandeville,  Prosper  Alpin,  Belon  et 

1.  Bclon,  les  Observations  de  plusieurs  singularités  trouvées  en 
Grèce,  Asie,  Egypte,  etc.,  liv.  ii,  c.  39  (Anvers,  1555,  in-l2).  Com- 
parez Prosper  Alpin,  Ilist.  nat.  Àgtjpt.,  part,  n,  p.  14. 


MOYEN  ÂGE.  &c 

d'autres  voyageurs  ont  confirmé  l'assertion  du  médeciri 
arabe. 

Le  kholkas  d'Abd-AUatif  et  d'Ibn-Beïtar  est,  à  n'en 
pas  douter,  Varum  cobcasia,  L.,  bien  cfue  de  l'Écluse  el 
d'autres  aient  essayé  de  l'identilier  avec  la  fève  d'Egypte 
des  anciens,  qui  était,  comme  nous  l'avons  dit,  une  nym- 
phéacée  [nymphxa  nelumbo^  L.).  Ce  que  Abd-AUatif  ra- 
conte de  la  racine  de  Varum  colocasia  a  été  reconnu  vrai 
pour  les  racines  de  presque  toutes  les  aroïdées.  «  La  sa- 
veur de  cette  racine  est,  dit-il,  un  peu  astringente  et  extrê- 
mement acre.  Quand  on  la  fait  bouillir,  elle  perd  toute  son 
âcreté,  et  peut  servir  de  nourriture.  »  Ce  genre  d'aliment, 
qui  rappelle  la  racine  de  manioc  du  Nouveau-Monde, 
était  très-usité  chez  les  anciens  habitants  de  l'Egypte  ; 
c'est  ce  qui  explique  pourquoi  on  l'a  confondu  avec  la 
fève  d'Egypte,  jadis  également  employée  comme  nourriture. 

On  conserve  dans  les  principales  bibliothèques  publi- 
ques de  l'Europe,  particulièrement  à  celles  de  Leyde,  de 
Paris,  de  l'Escurial  et  de  Vienne,  un  certain  nombre  de 
manuscrits  arabes  qui  intéressent  plus  ou  moins  directe- 
ment l'histoire  de  la  botanique.  Ces  manuscrits,  la  plu- 
part inédits,  ne  méritent  guère,  sauf  quelques  rares  excep- 
tions, de  voir  le  jour,  à  juger  du  moins  par  les  analyses 
qu'on  en  a  données  *. 


Botanistes  byzantins* 

La  division  du  grand  empire  romain  en  empire  grec  ou 
d'Orient,  ayant  pour  capitale  Gonstantinople  (Byzance), 
et  en  empire  d'Occident ,  ayant  Rome  pour  capitale  ,  les 
discordes  sanglantes  qui  s'en  suivirent,  entretenues  par 


1.  Voy.  H.   V.   Meyer,   Geschichte  der  Botaidk,  t,  II,  page  99  et 
suivantes. 


86  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

l'invasion  des  barbares,  tout  cela  n'était  guère  propre  à 
favoriser  le  développement  de  la  science. 

D'ailleurs  les  Grecs  du  Bas-Empire  s'occupèrent  bien 
moins  de  l'étude  de  la  nature  que  de  discussions  théolo- 
giques et  de  rédactions  de  chroniques  ou  d'autres  re- 
cueils. Photius,Théophane,  Nonnus,  Psellus,  Suidas,  etc., 
n'ont  traité  de  quelques  plantes  que  très-incidemment. 
Nous  ne  devons  ici  une  mention  spéciale  qu'à  Siméon 
Sethus  et  à  Nicolas  Myrepsus. 

Siméon  Sethus  écrivit  un  ouvrage  Sur  les  aliments^  ran- 
gés par  ordre  alphabétique,  et  le  dédia  à  l'empereur  Mi- 
chel Ducas,  qui  régna  de  1071  à  1080.  Cet  ouvrage  a  été, 
entre  autres,  traduit  en  latin,  par  Martin  Bogdan,  et  publié 
sous  le  titre  de  Simeonis  Selhi  magistri  Aniiocheni  volu- 
nien  de  Alimentorum  facultatibusjuxta  ordinem  lUlerarurn 
digestum,  etc.,  Paris,  1658,  in-8°.  On  y  trouve  pour  la 
première  fois  mentionné  le  camphre,  xaacpoupà.  «  C'est, 
dit  l'auteur,  la  résine  d'un  arbre  indien,  d'une  grandeur 
telle  qu'il  peut  ombrager  une  centaine  d'hommes.  »  Le 
laurus  camphora,  L.,  d'où  l'on  retire  le  camphre,  est  loin 
d'avoir  ces  dimensions.  Sethus  tenait  ses  renseignements 
probablement  de  quelques  marchands  qui  se  plaisaient, 
par  leurs  exagérations,  à  cacher  la  véritable  provenance 
du  camphre. 

En  parlant  de  Vasperge^  àffTtapaYoç,  Sethus  dit  :  «  Cette 
sorte  de  légume  était  naguère  inconnue;  on  1  a  mainte- 
nant en  abondance  au  printemps  :  on  ne  connaissait  jus- 
qu'alors que  l'asperge  amère,  qu'on  nomme  éliodaphné^ 
E>£ioSacpvyi,  »  L'asperge  cultivée  [asparagus  officinalis^  L.), 
dont  Sethus  n'ignorait  pas  l'action  sur  la  sécrétion  uri- 
naire,  était  connue  depuis  longtemps,  puisque  Gaton  en 
parle  déjà,  comme  nous  l'avons  montré.  Galien  cepen- 
dant n'en  faisait  pas  usage  *.  h'élioda'Dhné  paraissait  être 

1.  Voy.  Galien,  liv.  n,  des  Aliments  (t.  VI,  p.  641  et  suiv.  de  l'édit. 
de  Kûlin). 


MOYEN  AGE.  87 

une  espèce  de  ruscus^  de  la  même  famille  que  l'as- 
perge. 

Laôfiro/ZejîcapuôcpuîiÀov,  mentionnée  par  Sethus,  était  con- 
nue seulement  depuis  le  septième  siècle  de  notre  ère.  Paul 
d'Égine  en  parle.  Sethus  a  le  premier  mdiqué  la  noix  de 
muscade^  sous  le  nom  de  xàpuov  àpojfiiaTtxov.  A  cette  même 
épice  paraît  s'appliquer  le  nom  de  noix  indienne,  qu'on 
trouve  dans  Aétius,  qui  vivait  au  commencement  du 
sixième  siècle. 

Sethus  emploie  le  nom  de  marouUia  (fxapouXXia)  pour 
désigner  la  laitue  cultivée,  qui  se  nommait  aussi  ihrida- 
kiné  {(ipiBoLx.i'vri)^^  d'où  le  nom  de  tliridace,  par  lequel  on 
désigne  aujourd'hui  le  suc  concrète  de  la  laitue.  —  Le 
nom  de  tarchon  (Top/dv),  également  employé  par  Sethus, 
est  le  tarcoun,  par  lequel  les  Arabes  désignent  notre  estra- 
gon, artemisia  dracunculus^ . 

Nicolas  Myrepsus ,  souvent  confondu  avec  Nicolas  Prx- 
podiiis,  écrivit,  au  treizième  siècle,  un  traité  en  grec  Sur 
la  composition  des  médicaments,  qui  fut  traduit  en  latin  par 
Léonard  ,Fuchs,  sous  le  titre  de  :  Medicamentorum  opus, 
etc.,  Bâle,  1549,  in-fol.  On  y  trouve  pour  la  première  fois 
mentionnés  :  l'herbe  au  musc  [erodium  moschatum ^Willd.), 
sous  le  nom  de  moscho-botanon^  ^QG-/o-p6-:tx^o\i  ;  le  chardon 
béni  [centaiirea  benedicta^  L.),  sous  le  nom  de  cardio-bola- 
non,  xapoto-poTavov  ;  la  nielle,  sous  celui  de  cocalis  du  blé 
(xoxaXiçToîj  ciTou);  le  fraisier,  sous  celui  de  fragouli^  cppotyouXt. 
Myrepsus  et  son  contemporain,  le  médecin  Actuarius,  ont 
aussi  les  premiers  parlé  de  l'action  purgative  des  ieuilkij 
et  des  fruits  du  séné  (cassia  senna). 


1.  Voy.  Fabricius,  Biblioth.  Grgpca,  t.  XII,  p.  608. 

2.  Rauwolf,  Reiseins  llorymland,  p.  73. 


88  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 


Botanistes  de  l'Oceident. 

Nous  placerons  ici  un  auteur  qui,  sous  le  nom  de 
Macer  Floridus^  a  écrit  un  médiocre  poëme,  en  hexamètres, 
sur  les  vertus  des  plantes,  De  viribus  herbaruvi,  dont 
J.  Sillig  a  donné  une  édition  estimée  (Leipz.,  1832,  in-8). 
Bien  des  conjectures  ont  été  émises  sur  l'époque  à  laquelle 
vivait  cet  auteur  ;  une  chose  certaine,  c'est  qu'il  n'est  point 
postérieur  au  treizième  siècle,  puisqu'il  est  souvent  cité 
par  Vincent  de  Beauvais.  Quelques-uns  l'ont  faussement 
identifié  avec  l'ancien  poëte  romain  Ji^milius  Maor; 
d'autres,  sur  la  foi  de  certains  manuscrits,  l'ont  présenté 
comme  identique  avec  Othon  de  Morimont  [Odo  Mure- 
mundensis)  ou  Othon  de  Meung  {Odo  Magdiuiensis)^Yiva.nt 
l'un  et  l'autre  au  douzième  siècle.  Il  aurait  donc  été  Fran- 
çais. C'était  là  l'opinion  de  Haller  et  de  Ghoulant,  se 
fondant  sur  ce  que  beaucoup  de  mots,  employés  par 
Macer,  se  retrouvent  encore  aujourd'hui  en  français,  tels 
que  maurella^  morelle,  gaisdo^  gaude,  jusquiamus^  jus- 
quiame.  Suivant  Renzi*,  Macer  appartient  à  l'école  de 
tSalerne,  et  F.  Meyer  le  croit  antérieur  à  cette  école. 

L'École  de  Salerne  exerça  une  grande  influence  sur  la 
culture  des  sciences  naturelles  au  moyen  âge.  La  création 
de  celte  école  était  due  aux  moines  du  mont  Gassin,  près 
do  Naples,  parmi  lesquels  on  cite,  comme  particulière- 
ment versés  en  médecine,  Desiderius,  Alfan  et  surtout 
Constantin  l'Africain.  Ce  dernier,  natif  de  Garthage,  vivait 
vers  1050.  Son  contemporain,  Gariopontas,  passe  pour 
l'auteur  du  traité  De  simplicibus  medicaminibus  ad  Pater- 
nianum.,  qui  se  trouve  parmi  les  écrits  faussement  attri- 
bués à  Galien.  On  y  trouve,  entre  autres,  le  mot  salvicula 

1.  Collectio  Salernitana,  i,  p.  213  et  suiv. 


MOYEN  ÂGE.  89 

[saliunca  de  Pline),  qui  s'applique,  croyons-nous,  à  une 
petite  omhellifère  partout  assez  commune  dans  les  bois 
au  printemps,  à  la  sanicle  [sanicula  Europxa)^  ancienne- 
ment fort  usitée  en  médecine,  témoin  ce  dicton  : 

Avec  la  bugle  et  la  sanicle  (prononcez  sanique) 
On  fait  au  cliirurgien  la  nique. 

Le  Regimen  sanitatis  Salernitanum,  sorte  de  Codex  en 
vers  léonins,  souvent  édité,  de  l'école  de  Salerne,  et  que 
Michel  Lelong  a  traduit  en  français  sous  le  titre  de 
Le  régime  de  santé  de  Veschole  de  Salerne  (Paris,  1633, 
in-8),  fait  le  plus  grand  cas  de  la  sauge,  comme  mé- 
dicament. Il  s'étonne  même  «  qu'en  cultivant  la  sauge 
dans  son  jardin  un  homme  puisse  mourir  :  » 

Cur  moriatur  homo,  cui  salvia  crescit  in  horto? 
Salvia  salvatrix,  naturae  conciliatrix. 

Les  conquêtes  de  Gharlemagne,  et  plus  tard  les  croisa- 
des introduisirent  le  goût  de  l'histoire  naturelle,  particu- 
lièrement de  la  botanique  médicale,  dans  des  contrées  de 
plus  en  plus  éloignées  de  la  région  méditerranéenne. 
L'Allemagne,  à  peine  sortie  de  l'état  de  barbarie  où 
l'avait  trouvée  saint  Boniface,  produisit,  dès  le  neuvième 
siècle,  WalaiVid,  surnommé  Stratus  ou  Strabon. 

Disciple  de  Rab^n  Maur,  célèbre  abbé  de  Fulda,  Wa- 
lafrld^  abbé  de  Reichenau,  mort  en  849,  chanta,  en  444 
hexamètres,  les  plantes  qu'il  cultivait  dans  son  jardin. 
Son  poëme,  intitulé  7/orîu/M5,  jardinet,  a  été  souvent  édité. 
L'édition  la  plus  récente  est  de  F.  A.  Reuss  (Wûrzb., 
1834,  in-8).  Parmi  les  plantes  du  jardinet  de  Walafrid,  on 
remarque  :  la  sauge,  la  rue,  l'aurone  [abrotanum]^  le  con- 
combre, le  melon,  l'absinthe,  la  marrube  (marrubium), 
le  fenouil,  le  glayeul,  la  livèche  [Ubysticum)^  le  cerfeuil,  le 
lis,  le  pavot,  la  sclarée  (sauge),  la  menthe,  l'ache,  la 
bétoine ,  l'aigremoine ,  la  cataire  ou  herbe  aux  chats 
incpeta  cataria),  le  radis,  la  rose,  etc. 


90  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

L'abbesse  Hildegarde  compte  aussi  au  nombre  des  per- 
sonnes qui  s'intéressaient  à  l'étude  des  plantes,  à  une 
époque  où  les  sciences  étaient  encore  à  peu  près  incon- 
nues en  Allemagne.  Née  en  1099  à  Bechelheim,  elle  fonda, 
en  1148,  un  monastère  sur  le  mont  Saint-Rupert,  près  de 
Bingen,  aux  bords  du  Rhin,  d'où  son  sui^nom  de  Pinguia; 
elle  y  termina  sa  vie.  On  lui  attribue  des  miracles,  et  ell-' 
fut  canonisée  après  sa  mort. 

R^enommée  pour  sa  piété  et  son  savoir,  sainte  Hilde- 
garde a  laissé  un  ouviage  d'histoire  naturelle  médicale, 
intitulé  De  physica^  en  quatre  livres,  dont  le  premier 
traite  des  éléments,  de  quelques  fleuves  de  la  Germanie, 
de  la  nature  et  des  propriétés  des  métaux  ;  le  deuxième,  de 
la  nature  et  des  propriétés  des  légumes,  des  fruits  et  des 
herbes;  le  troisième,  de  la  nature  et  des  propriétés  des 
arbres,  des  arbrisseaux,  des  arbustes  et  de  leurs  fruits  ; 
le  quatrième,  de  la  nature  et  des  propriétés  des  poissons, 
des  oiseaux  et  des  animaux  terrestres.  Cet  ouvrage  a  été 
imprimé  dans  la  collection  des  médecins  de  J.  Schott; 
Strasbourg,  1544,  in-fol.  C'est  plus  qu'un  simple  composé 
d'emprunts  faits,  selon  la  coutume  d'alors,  aux  écrivains 
grecs,  romains  et  arabes;  car  il  contient  beaucoup  d'ob- 
servations originales.  Il  est  en  même  temps  précieux  pour 
la  détermination  exacte  des  synonymes. 

L'abbesse  Hildegarde  eut  le  mérite  d'employer  la  pre- 
mière sa  langue  maternelle  là  où  l'on  n'était  habitué  qu'à  se 
servir  du  grec  et  du  latin.  C'est  ce  c[u'attestent  les  ex- 
pressions de  Fic/i6ona,  haricot  ;  Bachminza^  menthe  aqua- 
tique; Lungwurz^  pulmonaire;  Haselwiirtz^  cabaret; 
Ringella^  souci  des  champs;  Siorchenschnabel ^  bec  de 
grue  ou  herbe-à-Robert  ;  Erdpfefer,  piment  terrestre  ;  Hu- 
nesdarm^  boyau  de  géline  ou  mouron  {stellaria  média)  ; 
Weich^  liouque;  Himmelsschuzela ,  primevère;  Walberc^ 
airelle;  Yfja^  if;  Hartbaum,  cornouiller;  Bluoth-ivurtz 
(racine  de  sang),  la  tormentille,  dont  la  décoction  de  ra- 
cines est  rouge  ;  Gelisia,  ortie  blanche  ou  jaune  ;  Rifelbire, 


MOYEN  ÂGE.  91 

gioseillier  à  maquereau  [ribes  grossularia,  L.)  ;  Weggrasz^ 
traînasse  [polygoiium  aviculare)^  etc. 

L'étude  de  la  botanique  s'étendit  de  plus  en  plus  du 
midi  au  nord.  Dès  le  treizième  siècle,  elle  avait  gagné 
jusqu'aux  îles  Scandinaves,  témoin  le  danois  Harpestreng 
(mort  en  1244),  qui  traduisit  dans  sa  langue  Macer  Fio- 
ridus,  en  y  ajoutant  des  commentaires.  Cette  traduction 
a  été  publiée  par  Christian  Molbech;  Copenhague,  1826, 
in-8. 

Les  hommes  d'étude  du  treizième  siècle  avaient  tous 
le  génie  plus  ou  moins  encyclopédique,  en  tant  qu'ils 
aimaient  à  s'occuper  de  presque  toutes  les  sciences  trans- 
mises par  l'antiquité.  Albert  le  Grand,  Vincent  de  Bau- 
vais,  Barthélémy  l'Anglais,  Roger  Bacon,  etc.,  en  offrent 
les  exemples  les  plus  remarquables.  Cependant  la  partie 
de  leur  temps  qu'ils  ont  consacrée  à  l'étude  des  plantes, 
est  relativement  fort  minime;  et  encore  cette  étude  n'in- 
téresse-t-elle  guère  que  la  matière  médicale,  si  variée  au 
moyen  âge. 

Albert  de  BoHstedt,  surnommé  le  Grande  évêque  de  Ra- 
tisbonne  (né  en  1193,  mort  en  1280),  a  composé  sur  les 
plantes  divers  écrits  {De  vegeîabilibvs  et  plantis  libri  vu) 
qui  se  trouvent  imprimés  dans  le  sixième  volume  de  l'édi- 
tion Lyonnaise  (de  Pierre  Jammy),  composée  de  vingt  et  un 
volumes  in-fol.,  1651.  F.  Meyer  en  a  donné  une  analyse 
détaillée*.  Il  en  résulte  que  ces  écrits  renferment  très- 
peu  de  doctrines  et  d'observations  nouvelles;  l'autorité 
d'Aristote  l'y  emporte  encore  sur  celle  de  la  nature.  Dans 
le  chapitre  qui  traite  des  arbres,  nous  trouvons,  entre  autres, 
une  description  assez  exacte  et  très-bien  faite  de  l'aune 
[alnus  glutinosa),  arbre  plus  commun  dans  le  nord  que 
dans  le  midi.  Albert  le  Grand  était  à  même  de  l'observer 
en  Allemagne,  où  l'aune  abonde  aux  bords    des  rivières. 

1.  Geschichte  der  Botanik,  t.  IV,  p.  ^lO  et  suiv. 


92  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

a  C'est,  dit-il,  un  arbre  qui  aime  les  lieux  humides; 
son  bois  rougeâtre,  recouvert  d'une  écorce  brune  et  assez 
lisse,  donne  des  cendres  d'une  parfaite  blancheur.  Il  se 
développe  par  couches  ou  anneaux  [tunicis  ligneis)  ;  à 
l'état  sec  il  se  fend  plus  facilement  que  le  bois  de  sapin, 
et  il  peut  se  conserver  sous  l'eau  pendant  des  siècles.  Les 
feuilles  de  l'aune  sont  arrondies  comme  celles  du 
poirier,  mais  pas  si  dures  et  d'un  vert  plus  foncé  ;  dans 
leur  jeunesse,  elles  sont  enduites  d'une  humeur  visqueuse, 
à  laquelle  manque  l'arôme  des  feuilles  du  peuplier.  En 
hiver,  l'aune  pousse,  comme  le  noisetier,  des  pendelo- 
ques (chatons).  En  été,  il  leur  succède  des  fruits  noirs,  de 
la  grosseur  de  l'olive,  semblables  aux  cônes  de  pin,  et 
renfermant  les  semences....  » 

Le  traité  Deviribus  herbarum,  livre  de  recettes  cabalis- 
tiques, sur  lequel  Haller  et  Sprengel  ont  jugé  trop  sévère- 
ment Albert  le  Grand,  n'est  pas  de  lui. 

Vincent  deBeauvais,  surnommé  le  Pline  du  moyen  âge 
(né  vers  1190,  mort  vers  1264),  est  l'auteur  d'une  vaste 
compilation,  qui  porte,  dans  les  manuscrits,  indifférem- 
ment les  titres  de  Bibliotlieca  mundi^  de  Spéculum  majus^ 
et  de  Spéculum  triplex  [naturak,  historiale  et  doolrinale) 
et  qui  a  été  imprimé  par  Jean  Mentelin,  a  Strasbourg, 
1473,  dix  vol.  in-fol.'.  Les  livres  dix  et  quinze  du  Spccu- 
lum  naturale  ont  seuls  quelque  intérêt  pour  la  botanique. 
On  y  trouve,  d'après  les  récits  des  voyageurs,  la  première 
mention  du  vernis  du  Japon  [ailanthus  glandulosa,  Dcsf.), 
bel  arbre  qui  est  depuis  longtemps  naturalisé  en  Eu- 
rope. 

Roger  Bacon  ne  s'était  occupé  de  botanique  que  très- 
incidemment. 

Le  De  proprietalibus  rerum^  et  le  De  natura  rerum^  le 
premier  attribué  à  Barthélémy  V Anglais^  le    second    à 

1.  Voy.  Uist.  lia.  de  La  France,  t.  XVllI. 


MOYEN  Age.  93 

Thomas  de  Cantiprato^  étaient  des  livres  très-populaires 
dès  le  quatorzième  siècle. 

Pierre  de  Crescence,  sénateur  de  Bologne,  écrivit  vers 
1306,  sur  l'ordre  do  Charles  II,  roi  de  Sicile  et  de  Jéru- 
salem, un  livre  sur  l'agriculture  et  les  plantes  en  général. 
Ce  livre  a  été  souvent  imprimé  à  la  fin  du  quinzième 
siècle  et  au  commencement  du  seizième  siècle.  Nous 
possédons  l'édition  de  Bâle,  de  1538,  qui  a  pour  titre  : 
De  ac/rlculiura  ^  omnibusque  plantnrvm  et  animalium, 
libri  XII,  etc.,  autore  optimo  agricoln  et.  philosapho  Petro 
Crescentiensi.  L'auteur  montre  qu'il  était  plutôt  agro- 
nome que  botaniste  proprement  dit.  Il  a  parlé,  l'un  des 
premiers,  du  ranunculus  flammula^  qu'il  appelle  simple- 
ment flammula^  et  dont  il  signale  la  parenté  avec  la  clé- 
matite [iiidolba,  se.  clematis  vitalbn).  «  Celle-ci,  dit-il,  a 
les  fleurs  blanches,  tandis  que  la  flammula]e%  a  jaunes.  » 
Ce  qu'il  nommeyarw.?,  c'est  Varum  arisarum.  Il  parle  aussi 
du  panicaut  sous  le  nom  de  trincmm  {eryngium  campes- 
ire)-^  de  la  garance,  qu'il  appelle  rw&èa,  etc.  Beaucoup  de  ses 
descriptions  ont  été  empruntées  au  livre  de  Platearius, 
de  l'école  de  Salerne  [Circa  instans^  Lyon,  1525,  in-4o). 

La  Clavis  sanationis  de  Simon  de  Janua,  le  Liber  Pan- 
d'clarum  medicinse^  et  le  Bvch  der  Natur  (livre  de  la 
nature),  de  Conrad  de  Meyenberg,  étaient  des  ouvrages 
souvent  consultés  aux  quatorzième  et  quinzième  siècles. 


Voyages  scientifiques. 

Pour  étendre  les  connaissances  en  histoire  naturelle,  il 
faut  que  l'observateur  se  déplace,  qu'il  change  de  lieu  à  la 
surface  du  globe.  Tant  que  les  peuples,  dépositaires  de 
la  civilisation,  restaient  groupés  autour  du  grand  bassin 
méditerranéen ,  le  savoir  des  naturalistes  se  bornait 
aux  espèces  végétales  ou  animales,  exclusivement  propres 


94  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

àla  région  méditerranéenne.  Alexandre  le  Grand,  par  pes 
conquêtes,  Pythéas  de  Marseille,  par  ses  voyages,  élar- 
girent les  premiers,  au  midi  et  au  nord,  l'horizon  de  la 
science.  Pythéas  poussa  ses  explorations,  vers  350  avant 
Jésus-Christ,  jusqu'au  nord  des  îles  Britanniques  [uUima 
Thulé)  et  jusqu'aux  côtes  de  la  mer  Baltique,  d'où  les  mar- 
chands Phéniciens  apportaient  la  résine  fossile,  connue 
sous  le  nom  d'ambre  jaune  ou  de  succin.  Malheureusement 
les  renseignements  qu'il  avait  communiqués  à  ses  contem- 
porains sur  la  végétation  septentrionale,  ne  nous  sont  point 
parvenus,  sauf  un  petit  nombre  de  fragments,  conservés 
par  Strabon  et  d'autres.  On  sait  trop  peu  de  chose  des 
expéditions  maritimes ,  phéniciennes  et  carthaginoises 
(Périples),  pour  apprécier  leur  influence  sur  le  progrès  de 
l'histoire  naturelle.  Avec  l'extension  de  l'Empire  romain, 
la  science  aurait  dû  également  agrandir  son  domaine,  si 
l'esprit  militaire  pouvait  se  concilier  avec  l'esprit  d'obser- 
vation. Plus  tard,  les  Arabes  et  les  Croisés  ne  s'éloignè- 
rent guère  de  la  région  méditerranéenne. 

A  l'époque  où  les  Normands  envahirent  la  France,  des 
pêcheurs  Scandinaves  découvrirent,  aux  confins  du  septen- 
trion, après  avoir  navigué  sans  doute  à  travers  des  mon- 
tagnes de  glaces,  une  vaste  contrée  qui,  à  cause  de  son 
aspect  verdoyant,  reçut  le  nom  de  Groenland^  c'est-à-dire 
Contrée  verte.  La  tradition  désigne  Éric,  surnommé  den 
Rœde  (le  Rouge),  chef  normand,  et  son  fils  Leif  comme 
ayant,  en  990,  les  premiers  colonisé  la  côte  orientale,  au- 
jourd'hui presque  inabordable,  de  cet  immense  pont  de 
glace  et  de  neige  jeté  par  la  nature  entre  l'Ancien  et  le 
Nouveau  Continent.  Vers  la  même  époque,  un  Islandais, 
nommé  Bjarne,  ayant  voulu  rejoindre  son  père,  ami  d'Eric, 
en  Groenland,  fut  entraîné  par  une  tempête  au  loin  dans 
l'ouest,  d'où  il  aperçut  une  région  très-boisée;  c'était, 
dit-on,  l'entrée  du  fleuve  Saint-Laurent  (Amérique  sep- 
tentrionale). Mais,  détourné  par  le  courant  de  ce  fleuve, 
il  ne  put  aborder  les  côtes,  et  revint  en  Groenland,  où  il 


MOYEN  ÂGE.  95 

raconta  à  Éric  son  aventure.  Sur  ce  récit,  Éric  équipa  un 
navire  monté  par  trente-cinq  hommes,  et  en  confia  le 
commandement  à  son  fils  Leif.  Celui-ci  mit  à  la  voile,  et 
découvrit  d'abord  VHelluland  (Terre-Neuve);  de  là,  se 
dirigeant  vers  le  sud,  il  signala  une  contrée  couverte  de 
forêts  (Nouvelle-Ecosse).  Poussé  plus  loin  par  le  vent,  il 
trouva  un  pays  d'un  climat  plus  doux  et  couvert  d'une 
riche  végétation  (lehttoral  du  Canada),  où  il  s'établit  pour 
passer  l'hiver.  Un  Allemand,  nommé  Tûrker,  qui  faisait 
partie  de  cette  expédition,  s'aventura  dans  l'intérieur  du 
pays;  il  y  trouva  du  blé  et  la  vigne  sauvage,  ce  qui, fit 
donner  à  ce  pays  le  nom  de  Wynland  (pays  de  vigne). 
Tel  est  le  récit  des  légendes  Scandinaves'.  Quoi  qu'il  en 
soit,  il  n'est  pas  impossible  que  des  navigateurs  norwé- 
giens  ou  islandais  aient  abordé  le  nord  de  l'Amérique, 
plusieurs  siècles  avant  la  découverte  du  Nouveau-Monde 
par  Christophe  Colomb. 

Au  treizième  siècle,  il  y  eut  plusieurs  voyageurs  qui 
se  livrèrent,  en  passant,  à  des  observations  d'histoire  na- 
turelle. 

Jacques  de  Vilry^  près  de  Paris,  célèbre  prédicateur, 
ayant  résidé  dix  ans  en  Palestine  (de  1217  à  1227),  écrivit 
une  Histoire  de  Jérusalem  en  trois  livres,  imprimée  dans 
Bongars,  Gesta  Dei  per  Francos  (Hanau,  1611,  in-fol.).  Le 
chapitre  quatre-vingt-cinq  du  tome  I,  p.  1,  est  consacré 
à  la  description  de  diverses  productions  naturelles  pro- 
pres à  la  Palestine. 

Toute  une  famille  de  marchands  vénitiens,  celle  des 
PoU^  s'illustra  par  des  voyages  faits  dans  l'Asie  centrale 
et  orientale,  où  aucun  Européen  n'avait  encore  pénétré^. 
Le  plus  célèbre   est  connu  sous  le  nom  de  Marco   Polo 

1,  Voy.  Torfaeus,  Groenlandia  antiqua;  Copenhague  ,  17CG. 
Schroeder,  Om  scandinavernes  fordoa,  etc.,  ibid. ,  1818. 

2.  Voy.  l'article  Polo  (Marco"^  de  M.  Pauthier,  dans  la  Biographie 
générale. 


96  HISTOIRE  DE   LA   BOTANIQUE. 

(né  à  Venise   vers    125G,   mort  en   1323  dans  la  même 
ville). 

Les  voyages  des  Poli  ont  été  publiés  en  italien,  en 
français  et  en  latin  ;  ils  se  trouvent  dans  plusieurs  recueils, 
notamment  dans  celui  de  Ramusio  (Venise,  1583,  in-foL). 

Le  second  voyage  des  deux  frères  Poli  en  Mongolie  et  en 
Chine,  après  avoir  passé  par  la  Syrie  et  l'Arménie,  a  été  le 
plus  riche  en  résultats  pour  la  science  dont  l'histoire  nous 
occupe  ici.  A  Mossoul,  les  frères  Poli  admirèrent  la  cul- 
ture du  cotonnier;  à  Bassora,  sur  le  Tigre,  ils  mangèrent 
les  meilleures  dattes  du  monde  ;  en  Perse,  ils  trouvèrent 
du  froment,  de  l'orge,  du  millet,  du  vin  et  des  arbres 
fruitiers  en  abondance.  A  Timochaïm  (Damagban  dans  le 
Tabaristan),  ils  virent  «  un  arbre  remarquable,  l'arbre  du 
suleil^que  les  chrétiens  nomment  arbre  sec:  «il  est  élevé, 
épais  ;  ses  feuilles  sont,  d'un  côté  vertes,  de  l'autre  blan- 
ches; ses  fruits,  gros  comme  les  châtaignes,  sont  hérissés 
d'aspérités  et  ligneux;  son  bois  est  dur  et  de  la  couleur 
de  celui  du  buis.  »  Il  s'agit  ici  évidemment  du  platane 
{platanus  orienîalis).  —  Plus  loin,  les  mêmes  voyageurs 
nous  apprennent  que  sur  les  montagnes  des  environs  de 
Succuir(So-Tschéu),  en  Chine,  croît  en  abondance  la  rhu- 
barbe la  plus  estimée,  et  que  les  marchands  l'exportent 
de  là  dans  toutes  les  parties  du  monde.  Les  environs 
de  Gouza  (Tscho-Tschéu)  sont  décrits  comme  étant  cou- 
verts de  mûriers^  propres  à  l'éducation  des  vers  à  soie. 
Le  bambou  est  signalé  comme  très-commun  aux  bords  du 
fleuve  Jaune   et  de  ses  affluents. 

Les  deux  frères  voyageurs  mentionnent  aussi  les  arbres 
à  épices,  tels  que  le  poivrier,  le  muscadier,  comme 
croissant  dans  les  îles  de  Java  et  de  Sumatra.  Ils 
ont  les  premiers  décrit  les  noix  de  coco  [cocos  nuclfera, 
L.),  «  noix  grosses  comme  la  tête  d'un  homme,  bonnes 
à  manger,  d'une  saveur  sucrée,  d'une  blancheur  de  lait, 
remplies  à  l'intérieur  d'un  suc  frais  et  limpide,  préférable 
au  meilleur  vin.  »  Ils  parlent  aussi  des  bananes  [musa 


MOYEN  ÂGE.  97 

pnradisiaca,  L.)  qu'ils  aipellent  pommes  de  paradis^  dos 
noix  de  bétel,  du  camphre,  du  gingembre,  de  divers  bois 
tinctoriaux,  etc.*. 

Le  franciscain  Odorlc  de  Pordenonc  [De  Porto  Naonis] 
en  Frioul  (né  en  l'286,  mort  en  1331),  suivit  les  traces  de 
INIarco  Polo.  Envoyé  en  1318  comme  missionnaire  en 
Chine,  il  passa  par  Gonstantinople  et  Trebizonde,  traversa 
l'Arménie  et  la  Perse  ;  de  Ormuz  il  longea  la  côte  de 
Malabar,  et  se  dirigea,  par  l'île  de  Ceylan  et  l'Archipel 
indien,  vers  le  Thibetet  la  Chine.  Il  fut  de  retour  en  1330, 
après  avoir  suivi  une  route  qu'il  n'a  pas  indiquée.  La 
Relation  de  son  voyage  a  été  imprimée  dans  le  tome  II 
du  recueil  deRamusio  {Raccolta  délie  naviyazioni  eviaggi). 
Ses  descriptions  s'accordent,  en  général,  avec  celles  de 
Marco  Polo.  On  y  trouve  mentionnés  la  canne  à  sucre, 
Je  ])alraier  «  doù-l'on  tire  une  farine  »  {sagus  farini] 
fcni)^  le  palmier  à  sucre  [arenga  saccharifera),  le  bambou 
[bambusa  aruiidinacea),  etc. 

Un  gentilhomme  anglais,  John  Mandeville  ou  Maundc- 
ville  (né  à  Saint-Albans  vers  1300,  mort  à  Liège  en  1372), 
remplit  le  quatorzième  siècle  du  récit  de  ses  merveilleux 
voyages  en  Egypte  et  en  Asie,  où  il  erra  pendant  trente- 
quatre  ans  (de  1322  à  1356).  Sa  Relation,  dont  il  existe  de 
nombreux  marascrits  en  français  et  en  anglais,  fut  pour 
la  première  fois  imprimée  en  français  à  Lyon,  en  1480 
(édition  très-rare).  A  côté  de  beaucoup  de  sujets  fabu- 
leux, on  y  trouve  des  observations  exactes.  Ainsi,  l'auteur 
décrit  très-bien  les  fours  à  poulets  de  l'Egypte,  la  poste 
aux  pigeons,  la  récolte  du  baume,  le  gisement  des  dia- 
mants, la  végétation  et  la  récolte  du  poivre,  etc. 

1.  Voy.  H.  F.  Meyer,  Geacliichte  der  Botan.,  t.  IV,  p.  127  et  suiv. 


LIVRE  TROISIEME. 

U  BOTANIQUE  DANS  LES  TEMPS   MODERNES. 


La  Botanique  ilepuîs  la  découverte  de  rAmériquc. 


La  découverte  du  Nouveau-Monde,  à  la  fin  du  quinzième 
siècle,  ouvrit  tout  à  coup  aux  sciences  nalurclles  un 
champ  illimité.  La  comparaison  des  plantes  des  deux 
hémisphères,  si  longtemps  restés  inconnus  l'un  à  l'autre, 
imprima  à  l'étude  de  la  botanique  une  impulsion  extraor- 
dinaire. Et,  par  un  heureux  concours  de  circonstances, 
cette  impulsion  coïncida  avec  le  réveil  soudain  des  études 
classiques.  Théophraste,  Dioscoride,  Pline,  pour  ne  citer 
que  les  principaux  botanistes  de  l'antiquité,  trouvèrent 
de  dignes  commentateurs  ou  interprètes  dans  Théodore 
Gaza ,  Hermolao  Barbare  Nicolas  Leonicenus ,  Ma- 
thiole,  etc.  D'un  autre  côté,  les  nombreux  recueils  ou 
lexiques  qui  parurent  dès  le  milieu  du  quinzième  siècle, 
sous  les  titres  à'Herbolaria^  Herbiers,  Herbals^  en  Allema- 
gne, en  France,  en  Angleterre,  ne  contribuèrent  pas  jaeu 
à  populariser  la  botanique. 


TEMPS  MODERNES.  99 

Colomb  avait  rapporté  de  son  premier  voyage,  où  il 
aborda  à  l'île  de  Haïti  {Hispaniola),  divers  objets  naturels, 
tels  que  des  fruits  et  des  peaux  de  bêtes.  La  reine  Isabelle, 
la  principale  promotrice  de  ce  grand  voyage  de  décou- 
vertes, engagea  l'amiral  à  continuer  ses  collections;  dans 
une  lettre  écrite  de  Ségovie  au  mois  d'août  1494,  elle  lui 
demande  surtout  «  les  oiseaux  qui  peuplent  les  forêts  et 
les  rivages,  dans  ces  pays  où  régnent  un  autre  climat  et 
d'autres  saisons.  »  Parmi  les  productions  naturelles  que 
Colomb  rapporta  de  son  second  voyage,  on  remarque 
surtout  le  fruit  de  l'ananas  [bromelia  ananas).  La  chair 
exquise  et  la  forme  singulière  de  ce  fruit,  qui  ressemble 
à  une  pomme  de  pin,  avaient  surtout  fixé  son  attention  : 
Cierla  fruta^  que  parecia  pinas  verdes^  y  venas  de  una  carne^ 
que  parecia  melon,  muy  olorosay  suave.  Le  roi  Ferdinand 
d'Espagne  préféra  ce  fruit,  s'il  faut  en  croire  Pierre  le 
Martyr  [De  rébus  oceanicis,  Dec. II,  lib.xxxix),à  tous  les 
autres.  Malgré  son  manque  absolu  de  connaissances  en 
histoire  naturelle,  Colomb  avait  ce  sens  observateur  dont 
étaient  complètement  dépourvus  les  conquistadores  qui, 
comme  Cortez,  les  Pizzare,  etc.,  n'apportèrent  dans  le 
Nouveau-Monde  que  l'esprit  de  conquête  et  d'extermina- 
tion. «  Ce  n'est  pas  à  eux,  dit  avec  raison  Alexandre  delîum- 
boldt,  que  l'on  doit  faire  honneur  das  progrès  scientifiques 
qui  ont  incontestablement  leur  principe  dans  la  découverte 
du  Nouveau  Continent,  et  sont  venus,  agrandir  les  con- 
naissances des  Européens....  Ces  progrès  sont  l'œuvre 
de  voyageurs  plus  pacifiques  ;  ils  sont  dus  à  un  petit 
nombre  d'hommes  distingués,  fonctionnaires  municipaux,' 
ecclésiastiques  et  médecins.  Habitant  d'anciennes  villes 
indiennes,  dont  quelques-unes  étaient  situées  à  12  000 
pieds  au-dessus  de  la  mer,  ces  hommes  pouvaient  obser- 
.ver  de  leurs  propres  yeux  la  nature  qui  les  entourait, 
vérifier  et  combiner,  pendant  un  long  séjour,  ce  que 
d'autres  avaient  vu,  recueillir  des  productions  de  la 
nature,  les  décrire  et  les  envoyer  à   leurs   amis  d'Eu- 


100  IIlbTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

rope.  Il   suffit  de  nommer  Gomara,  Ovicdo  et  Henian- 
dez'.  » 

Un  mot  sur  ces  pionniers  des  connaissances  naturelles 
du  Nouveau-Monde. 

ï'rançois  Lopez  de  Gomara  (né  aux  îles  Canaries  vers 
1500,  mort  en  1560)  passa  quatre  ans,  comme  mission- 
naire, en  Amérique,  et  publia,  après  son  retour  en  Europe, 
son  Hisloria  gênerai  de  las  Indias^  con  la  conquista;  Mé- 
dine,  15 i3,  in-fol.  L'auteur  fait  connaître  les  productions 
du  Mexique  les  plus  remarquables  :  le  cactus  qui  nourrit 
la  cochenille ,  si  précieuab  comme  matière  tinctoriale 
rouge  [cactus  coccinellifcr)  ;  le  baumier  de  Tolu  [to- 
luifera  Lalsamuni);  l'arbre  dont  le  fruit  sert  à  faire  le 
chocolat  [theobroma  cacao);  l'agave  [agave  americana), 
qui  présente  l'aspect  de  l'aloës,  et  qui  abondait  autour 
des  théocallis  ou  anciens  temples  des  Mexicains.  Ap- 
portée en  Europe  vers  le  milieu  du  seizième  siècle,  cette 
plante,  dont  la  longue  hampe  fleurie  attire  les  regards, 
croît  aujourd'hui  naturellement  en  Portugal,  en  Espagne, 
sur  les  côtes  septentrionales  de  l'Afrique,  en  Italie  et 
dans  le  midi  de  la  France. 

Fernandez  de  Ooiedo  (né  à  Madrid  en  1478,  mort  à 
Valladohd  en  1557)  passa  dix  ans  comme  alcaïde  dans 
l'Ile  d'Hispaniola  (Saii.:-Domingue) ,  et  fit,  en  1535,  pa- 
.  raître  à  Séville  la  première  partie  de  son  importante 
Historia  gênerai  et  natural  de  las  Indias  occidentales.  Dans 
cet  ouvrage,  dont  une  partie  reste  encore  en  manuscrit, 
il  est  parlé  du  manioc  [jatro'pha  manioc),  racine  féculente 
qui  à  l'état  frais  renferme  un  suc  vénéneux,  susceptible 
d'être  enlevé  par  le  lavage  et  la  dessiccation. 

Voici  d'autres  plantes  qu'Oviedo  avait  qj)servées  dans 
les  Antilles  :  le  goyavier  {psidium  pyriferum,  L.),  dont  le 
fruit  ressemble  à  une  poire  de  moyenne  grosseur;  le 
bois  de  gayac  [guayacimi  o(ficinale) ,  préconisé  pendant 

1.  A.  de  Humboldt,  Cosmos,  t.  II,  p.  332  {de  notre  tiaducUon). 


TEMPS  MODERNES.  101 

longtemps  comme  un  spécifique  contre  la  syplnns;  le 
chou  palmiste  {areca  oleracea,  L.);  l'avocatier  [laurus  per- 
sea,  L.),  qu'il  nomme  perales ;  le  calebassier  [crescentia 
cujete),  dont  le  péricarpe  (enveloppe  du  fruit)  sert  à  faire 
des  vases;  la  hatate,  racine  tuberculeuse  d'un  liseron 
[convolvuhis  halatas)^  qui  a  beaucoup  d'analogie  avec  la 
pomme  de  terre.  Celle-ci  [solanum  tuberosimi,  L.),  qui 
portait  d'abord  le  nom  de  papas,  fut  trouvée  dans  les 
hautes  régions  du  Pérou,  et  pour  la  première  fois  décrite 
par  Zarate  dans  son  Hisloria  del  descubrimienio  y  con- 
guista  del  Perù;  Anvers,  1555,  in-8°.  On  la  cultiva  d'a- 
bord comme  plante  d'ornement. 

François  Hernandez,  natif  de  Tolède,  était  médecin  de 
Philippe  II,  roi  d'Espagne.  Celui-ci  l'envoya  en  Amérique 
pour  lui  faire  étudier  les  productions  naturelles  du 
Nouveau  Continent.  Chargé  de  reproduire  par  de  bons 
dessins  toutes  les  curiosités  végétales  et  animales  du 
Mexique,  il  put  enrichir  ses  collections  en  prenant  copie 
de  plusieurs  peintures  d'histoire  naturelle_,  qui  avaient 
été  exécutées  avec  beaucoup  de  soin  par  les  ordres  de 
Nezahoualcoyotl,  roi  de  Tezcouco,  un  demi-siècle  avant 
l'arri^^ée  des  Espagnols.  D'après  les  témoignages  de 
Fernand  Cortez  dans  ses  rapports  à  Charles-Quint,  il  n'y 
avait,  à  l'époque  où  fut  conquis  l'empire  de  Montézuma, 
dans  aucune  partie  de  l'Europe,  des  jardins  botaniques 
et  des  ménageries  comparables  à  ceux  de  Houantepec, 
de  Chapoltepec,  de  Iztapalapan  et  de  Tezcouco  ^  Hernan- 
dez  trouva  encore  vivantes  beaucoup  de  plantes  médici- 
nales dans  les  anciens  jardins  des  souverains  aztèques, 
particulièrement  dans  celui  de  Houantepec.  Les  terribles 
guerriers  espagnols  n'avaient  pas  ravagé  ces  jardins,  par 
respect  pour  un  hôpital  qu'ils  avaient  établi  dans  le  voi- 
sinage. Une  partie  du  recueil  des  travaux  de  Hernandez 
ne  fut  publiée  que  longtemps  après  sa  mort  par  Fr.  Xime- 

1.  Piescolt,  Conquest  o[  Mexico,  1. 1,  p.  178;  t.  II,  p.  66  et  117-121. 


102  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

nés,  sous  le  titre:  De  la  naturaleça  y  mrtudes  de  las 
arbolcs,  plantas  y  animales  de  la  Nueva  Espana,  en  espe- 
cial  de  la  provincia  de  Mexico,  de  que  se  aprovecha  la 
medecina;  Mexico,  1615,  iii-4». 

Les  plantes  du  Paraguay  eurent  pour  premier  descrip- 
teur européen  le  poëté-missionnaire  Martin  del  Barco.  Natif 
de  1  Estrémadure  ,  il  passa,  en  1573,  au  Paraguay,  et 
écrivit,  sous  le  titre  de  Argentina,  l'histoire  en  vers  de  la 
rivière  de  la  Plata,  imprimée  à  Lisbonne,  en  1602,  et 
réimprimée  dans  le  t.  III  du  recueil  de  Barca,  Madrid, 
1749.  On  y  trouve  la  description  de  trois  plantes  bien 
caractéristiques:  1°  la  plante  dont  la  racine  passait  pour 
un  spécifique  contre  la  piqûre  des  serpents  venimeux, 
plante  qui  reçut  depuis  le  nom  de  dorstenia  contrayerva,  L., 
et  devint  le  type  d'un  genre  remarquable  par  son  inflores- 
cence, formée  d'un  réceptacle  étalé,  légèrement  concave, 
portant  des  fleurs  mâles  et  des  fleurs  femelles  :  en  rappro- 
chant les  bords  de  ce  réceptacle,  on  voit  naître  vme  figue, 
et  si  on  pouvait  l'élever  de  manière  à  lui  faire  prendre  en 
longueur  ce  qu'il  a  perdu  en  largeur,  on  aurait  la  mûre.  — 
2°  La  sensitive  [mimosa  pudira),  qui  se  trouve  aussi  dans 
l'Ancien  Monde,  et  dont  Théophraste  connaissait  déjà  les 
phénomènes  d'irritabilité.  —  3"Lagrenadilleou  fleur  delà 
Veission  (passifîora  cserulea,  L.),  plante  essentiellement 
américaine,  et  qui  a  été,  depuis  le  milieu  du  seizième 
siècle,  introduite  en  Europe,  où  elle  s'est  acclimatée. 
Elle  est  chère  aux  poètes  religieux,  qui  la  supposent 
figurer  les  instruments  de  la  Passion:  le  beau  cercle  de 
filaments  pourpres  et  violets  représente  la  couronne  d'é- 
pines, les  trois  styles  sont  les  clous,  la  feuille,  terminée 
en  pointe,  figure  la  lance,  et  la  vrille  le  fouet. 

Aux  Espagnols  qui  exploraient,  dans  la  première  moitié 
du  seizième  siècle ,  le  Nouveau-Monde ,  il  faut  ajouter 
l'italien  Jérôme  Benzoni.  Ce  voyageur  s'embarqua  en 
1541  pour  l'Amérique,  où  il  séjourna  jusqu'en  1556. 
Il  publia  les  résultats  de  ses  observations  sous  le  titre  de 


TEMPS  MODERNES.  103 

Histoire  du  Nouveau-Monde^  contenant  la  description  des  îles ^ 
des  mers  nouvellement  découvertes^  et  des  nouvelles  cités  par- 
courues et  visitées  pendant  V espace  de  dix-huit  am;  Venise, 
1556  iii-4°,  souvent  réimprimé.  Parmi  les  plantes  que  l'au- 
teur décrit,  on  remarque  le peïwn,  qui  est  le  tabac  (mco^iana 
tabacum^li.).  Peu  de  temps  après  le  retour  de  Benzoni  en 
Europe,  cette  solanée  était  cultivée  dans  les  jardins  de  Lis- 
bonne comme  un  spécifique  contre  les  ulcérations  mali- 
gnes. L'ambassadeur  français  Jean  Nicot,  ayant  entendu 
parler  des  propriétés  merveilleuses  de  cette  plante,  en  rap- 
porta des  échantillons  à  la  cour  de  France.  Benzoni  men- 
tionne aussi  le  coca^  feuilles  de  Verythroxyliim  coca,  que 
les  Péruviens  mâchent  comme  les  Indiens  le  bétel.  Cette 
habitude,  qui  dégénère  facilement  en  passion,  entraîne  des 
dangers  aussi  grands  que  l'abus  de  l'opium. 

Le  Brésil  fut  pour  la  première  fois  exploré,  sous  le 
rapport  de  l'histoire  naturelle,  par  un  voyageur  français, 
André  Thevet{né  à  Angoulême  en  1502,  mort  à  Paris  en 
1590).  Dans  ses  Singvlaritez  de  la  France  antarctique, 
autrement  nommée  Amérique  (Paris,  1558,  petit  in-4''), 
A.  Thevet  décrit  :  le  copahou  ou  baumier  de  copahu  [copai- 
fera  officinalis)  ;  le  marobi  ou  pistachier  de  terre  [arachis 
hypogœa)^  qui  appartient  à  la  zone  tropicale  du  Nouveau 
et  de  l'Ancien  Continent;  l'ayri  [zamia  furfurncea^  Ait.), 
palmier  qui  retiferme,  comme  presque  toutes  les  espèces 
de  zamias  propres  à  l'Afrique  australe  plutôt  qu'au  Brésil, 
une  moelle  amylacée,  ayant  toutes  les  propriétés  du 
sagou. 

La  connaissance  plus  exacte  de  la  flore  du  Brésil  date 
seulement  de  la  première  moitié  du  dix-septième  siècle. 
En  1637,  le  comte  Maurice  de  Nassau,  nommé  gouver- 
neur de  la  partie  alors  hollandaise  du  Brésil,  emmena  avec 
lui  son  médecin,  Guillaume  Pi^on,  qui  s'adjoignit  comme 
aide  un  naturaliste  allemand,  Marggraff  de  Liebstaedt, 
Avec  les  moyens  que  leur  avait  fournis  le  gouverneur, 
Pison  et  Marggraff  visitèrent  les  contrées  voisines  de  la 


104  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

mer,  depuis  le  Rio-Grrande  jusqu'au  sud  de  Fernambouc. 
Leurs  papiers  et  leurs  notes  furent  remis  au  célèbre 
géographe  Jean  de  Laet,  qui  les  publia  à  Amsterdam 
(L.  Elzevir),  en  1648,  un  vol.  in-fol.,  divisé  en  deux  par- 
ties. La  première  partie  contient  les  travaux  de  Pison, 
sous  le  titre  de  De  medicina  Brasiliensi^  en  quatre  livres, 
dont  le  quatrième  seul  traite  des  plantes  {De  facvltatibvs 
simpUcium)  ;  la  deuxième  partie,  comprenant  les  recher- 
ches de  Marggraff  (mort  en  1644,  sur  la  côte  de  Guinée), 
est  intitulée  :  Historia  rerum  naturalium  Brasiltœ ,  en 
huit  livres,  dont  les  trois  premiers  ti^aitent  exclusivement 
des  plantes  du  Brésil.  L'intelligence  du  texte,  très-bien 
imprimé,  est  facilitée  par  de  belles  gravures  sur  bois. 
Les  principales  plantes  ou  productions  végétales  qu'on 
trouve  décrites  et  figurées  dans  cet  ouvrage,  sont:  le  bali- 
sier [canna  indica) ,  qui  fait  aujourd'hui  l'ornement  de 
nos  jardins;  la  noix  d'acajou,  fruit  de  Vanacardium 
occidentale^  qu'il  faut  distinguer  de  la  pomme  d'acajou , 
qui  n'est  qu'un  pédoncule  extraordinairement  déve- 
loppé et  gorgé  d'un  suc  fortement  astringent  ;  l'anil  ou 
indigotier  ;  l'igname  de  l'Amérique  équinoxiale  [dioscorea 
alata,Ij.),  souvent  confondu  avec  la  batate;  la  racine 
d'ipécacuanha  ;  le  sassafras  [laurus  sassafras^  L.),  que 
Monardes  avait  déjà  fait  connaître  vers  1549,  et  qui  fut 
introduit  en  Europe  par  Munting,  en  Ib'bb;  le  manguier 
{mangifera  indica),  dont  le  fruit,  gros  comme  une  poire, 
est  savoureux  et  d'une  odeur  agréable;  le  manglier 
(rhizophora  mangle),  remarquable  par  ses  longues  racinco, 
découvertes;  le  cururu  ou  curare,  avec  lequel  les  indigènes 
empoisonnent  leurs  ilèches.  Ce  poison  qui,  appliqué  sur 
le  tissu  vivant,  détermine  la  paralysie  du  mouvement 
musculaire  volontaire,  est  tiré  d'une  plante  grimpante, 
qui  se  rapproche,  moins  des  paitllinia  que  des  strychnos\ 

1.  Foy.  Al.  de  Humboldt,  Tableaux  de  la  nature^  t.    ,  p.  2  3  de  notre 
traduction  (Paris,  1850,10-8"). 


TEMPS  MODERNES.  105 

Nous  devons  ici  dire  un  mot  des  cinchonn^  de  ces  pré- 
cieux arbres  de  quinquina,  qui  par  leurs  tiges  élancées  et 
la  teinte  rougâtre  de  leurs  grandes  feuilles,  caractérisent 
la  végétation  intertropicale  (environs  de  Loxa  et  hauts  pla- 
teaux de  Bogota  et  de  Popayan)  de  l'Amérique  du  Sud. 
Ce  ne  fut  que  vers  1639  que  l'écorce  de  quinquina  fixa 
l'attention  des  Européens  qui  habitaient  le  Pérou.  Ses 
propriétés  fébrifuges  paraissent  avoir  été  depuis  long- 
temps connues  des  indigènes,  «  Les  chasseurs  de  quin- 
quina, cazadores  de  cascarilla,  c'est  ainsi  qu'on  appelle  à 
Loxa  les  Indiens  qui  ramassent  tous  les  ans  la  plus 
efficace  de  toutes  les  écorces  de  cfuinquina,  celle  du 
cinchona  condaminea,  dans  les  montagnes  solitaires  de 
Caxanuma,  d'Uritusinga  et  de  Rumisitana,  —  les  chas- 
seurs de  quinquina,  dit  Alex,  de  Humboldt,  grimpent, 
non  sans  danger,  jusqu'au  sommet  des  plus  hauts  ar- 
bres, pour  avoir  de  là  une  vue  étendue,  et  distinguer 
au  loin,  par  la  teinte  rougeâtre  des  grandes  feuilles,  les 
tiges  élancées  du  cinchona  *.»  —  La  comtesse  de  Cinchone 
(d'où  le  nom  de  cinchona)^  épouse  du  vice-roi  espagnol 
du  Pérou,  en  1638,  ayant  été  guérie,  par  ce  remède,  d'une 
opiniâtre  fièvre  tierce,  le  fit  connaître  en  Europe.  Mais 
les  médecins  européens  étaient  près  de  quarante  ans  sans 
l'adopter.  Ce  fut,  dit-on,  un  Anglais,  nommé  Talbot,  qui 
ie  mit  en  vogue  en  1676-,  et  Louis  XIV  acheta  de  lui  la 
manière  de  l'employer  à  doses  convenables.  A  dater  de 
cette  époque  jusqu'à  nos  jours ,  le  quinquina  a  soutenu 
sa  réputation  comme  spécifique  des  fièvres  intermit- 
tentes. 

Le  quinquina  et  la  pomme  de  terre  sont  au  nombre 
des  plus  précieux  bienfaits  dont  nous  soyons  redevables 
au  Nouveau-Monde. 

Jardins  botaniques.  —  Après  la  découverte  de  l'Améri- 
1 .  Tableaux  de  la  nature,  t.  II,  p.  109. 


106  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

que,  les  jardins  botaniques^  créés  dans  différents  pays 
de  l'Europe,  contribuèrent  très-puissamment  à  la  popu- 
larisation et  au  développement  de  la  science.  Ils  n'étaient 
primitivement  destinés  qu'à  la  culture  des  plantes  médi- 
cinales. Le  plus  ancien  de  ce  genre  fut  établi,  en  1533,  par 
le  Vénitien  Gualterus,  dans  un  emplacement  accordé  par  la 
république  de  Venise^  Cette  même  république  adjoignit, 
en  1545,  àl'université  de  Padoue,  un  jardin  spécialement 
consacré  à  l'instruction  des  élèves  en  médecine,  et  en  confia 
la  direction  au  professeur  Fr.  Buonafede.  Il  fut  suivi  de 
près  par  l'établissement  du  jardin  de  plantes  médicina- 
les de  l'Université  médicéenne  de  Pise,  rivale  de  celle  de 
Padoue.  Ce  jardin  eut,  en  1549,  Anguillara  pour  premier 
directeur  et  démonstrateur  {ostensor  simplicium).  L'uni- 
versité de  Bologne  eut  le  sien  depuis  1568.  Ulysse  Aldro- 
vandi  en  fut  le  premier  directeur;  il  eut  pour  successeur 
André  Gésalpin. 

L'exemple  de  l'Italie  fut  suivi  par  la  Hollande.  La  créa- 
tion du  jardin  de  la  faculté  de  médecine  de  Leyde  date 
de  1577.  La  France  ne  resta  pas  en  arrière.  Henri  IV  fit,  en 
1598,  construire  à  Montpellier  un  jardin  auquel  la  faculté 
de  médecine  de  cette  ville  doit  depuis  lors  en  grande  par- 
tie sa  réputation  ;  il  en  donna  la  direction  à  Richier,  qui 
eut,  en  1632,  pour  successeur  son  neveu  de  Belleval.  Ce 
même  roi  avait  déjà  chargé,  en  1-597,  Jean  Robin  de  cul- 
tiver à  Paris,  dans  un  jardin  particulier,  les  plantes  que 
quelques  voyageurs  avaient  apportées  de  l'Amérique '^ 
Jean  Robin  avait  pour  aide  son  fils  Vespasien  (né  à 
Paris  en  1579, mort  en  1662),  à  qui  on  doit  l'introduction 
du  robinier  ou  faux-acacia  [robiiiia  pseudo-acacia).  Le 
père  de  tous  les  robiniers,  aujourd'hui   répandus    dans 

1.  Rob.  de  Visiani,  Velle  bene  merenze  de'  Veneti  nella  bofanica,^ 
Venise,  1854,  in-4'>,  p.  38. 

2.  Antoine  de  Jussieu,  Discours  sur  le  progrès  de  la  botanique  au 
Jardin  Royal  de  Paris,  p.  7  (Paris,  1718,  in-4°). 


TEMPS  MODERNES.  107 

toute  l'Europe,  fut  planté,  en  1635,  par  Vespasien  Ro- 
bin, et  se  voit  encore  aujourd'hui,  singulièrement  en- 
dommagé par  l'injure  du  temps,  au  Jardin  des  Plantes  à 
Paris. 

Exposons  maintenant  sommairement,  par  ordre  chro- 
nologique, les  travaux  des  principaux  botanistes  mo- 
dernes. 


Botanistes  da  seizième  rîôcIc. 


UoTANiSTES  ITALIENS.  —  La  rivalité  qu'entretenaient, 
en  Italie,  les  universités  de  Padoue,  de  Pise,  de  Bologne, 
etc.,  fut  très-favorable  au  mouvement  de  la  science.  Nous 
signalerons  ici  les  hommes  qu'elle  produisit  en  bota- 
nique. 

Jean  Manardi  (né  en  1462  à  Ferrare,  mort  en  1530), 
médecin  de  Ladislas,  roi  de  Hongrie,  s'efforça  de  montrer 
dans  ses  Epistolse  médicinales  (Bâlo,  1540,  in-fol.)  que 
les  Arabes  n'étaient  que  d'ignorants  compilateurs,  ayant 
emprunté  presque  tout  leur  savoir  aux  Grecs.  Il  parle, 
l'un  des  premiers,  des  anthères,  de  ces  petits  globules  ou 
sachets,  généralement  jaunes,  qui  couronnent  les  fila- 
ments de  la  fleur. 

Un  de  ses  élèves,  Antoine  Brassavola  (né  à  Ferrare  en 
1500,  mort  en  i570),  reçut  du  roi  de  France  François  I" 
le  surnom  de  Musa,  à  l'occasion  d'une  thèse  qu'il  avait 
soutenue  à  Paris  De  omni  re  scibili.  Son  Examen  omnium 
simplicium  medicamentorum  (Rome,  1536,  in-fol.)  est  un 
savant  commentaire  des  anciens.  Il  écrivit,  l'un  des  pre- 
miers, sur  la  racine  de  quinquina  et  le  bois  de  gayac  :  De 
radicis  chinonx  usu^  cum  qusestionibus  de  ligno  sancto;  Ve- 
nise, 1566,  in-fol 


lOb  HISTOIRE   DE  LA  BOTANIQUE. 

Andn'  Mathiole  ou  Mattioli  (né  à  Sienne  en  1501,  moi! 
à  Trente,  en  i577)  s'est  fait  une  grande  renommée  |iar 
son  commentaire  surDioscoride,  souvent  réimprimé  et  tra- 
duit dans  les  principales  langues  de  l'Europe.  Les  nom- 
breuses gravures  qui  accompagnent  le  texte  sont,  en  géné- 
ral, assez  médiocres,  et  représentent  des  plantes  quelque- 
fois imaginaires.  Lapartie  la  plus  intéressante  et  vraiment 
originale  de  l'ouvrage  de  Mathiole  comprend  les  rensei- 
gnements qui  lui  avaient  été  transmis  sur  les  plantes  de 
l'Asie  Mineure  par  le  médecin  Guillaume  Quakelbeen,  at- 
taché àBusbecq,  ambassadeur  de  l'empereur  d'Allemagne 
à  Gonstantinople.  Tournefort  a  très-sévèrement  jugé 
Mathiole  d'  «  esprit  léger,  vaniteux  et  aimant  la  contro- 
verse. « 

Lucas  Ghi7ii  (né  près  d'Imola  en  1500,  mort  en  1556) 
occupa,  en  1534,  la  chaire  de  botanique  à  l'université  de 
Padoue  et  fut  plus  tard  appelé  à  diriger  le  jai^din  des 
plantes,  nouvellement  fondé  à  Pise.  Il  eut  pour  disciples 
Ulysse  Aldrovande,  Constantin  de  Rhodes,  Anguillara,  et 
fournit  à  Mathiole  un  grand  nombre  d'observations.  Bien 
qu'il  n'ait  laissé  aucun  ouvrage  sur  la  botanique,  il  pas- 
sait auprès  de  ses  contemporains  pour  avoir  beaucoup 
contribué  au  progrès  de  cette  science.  Pour  perpétuer  son 
souvenir,  Schreber  et  Willdenow  ont  donné  le  nom  de 
ghinia  à  un  genre  de  plantes  de  la  famille  dos  pyvé- 
nacées. 

Aloysio  Anguillara  (natif  d'Anguillara  dans  les  États 
Romains,  mort  à  Ferrare  en  1570)  visita,  en  naturaliste, 
l'Italie,  l'Illyrie,  la  Turquie,  les  îles  de  Crète,  de  Chypre, 
de  Corse,  de  Saixlaigne,  une  partie  de  la  Suisse  et  les 
environs  de  Marseille.  Principalement  occupé  de  la  concor- 
dance des  noms  anciens  avec  les  noms  modernes,  il  exposa 
ses  idées  dans  des  lettres  adressées  à  Marinello,un  de  ses 
correspondants.  Marinello  réunit  quatorze  de  ces  lettres, 
et  les  publia  du  consentement  de  leur  auteur,  sous  le 
titre  de  Semptici  deW  eccellente  M.  Anguillara,  etc.;  Venise, 


TEMPS  MODERNES.  109 

Î5C1  ,  in-4»  et  in-12.  L'édition  in-l2  est  préférée,  parce 
qu'il  y  a  des  gravures  de  plantes  (le  chamseleon  et  le 
s-;dum  arborescens]  qui  manquent  dans  l'édition  in-4°. 
Anguillara  montra  que  les  noms  vulgaires  des  plantes 
sont  souvent  ceux  des  anciens,  légèrement  modifiés.  Ses 
descriptions,  très-courtes,  sont  si  exacles,  qu'elles  suffi- 
sent pour  reconnaître  toutes  les  espèces  indiquées.  Il  y  en  a 
au  moins  une  vingtaine  qu'il  a  le  premier  fait  connaître. 
Tournefort  et  Séguier  (Bibliothèque  botanique) ontinàkiué 
une  traduction  latine,  extrêmement  rare,  d'Anguillara, 
de  Simplicibus  liber  primus^  avec  des  notes  de  Gaspard 
Bauhin  (Bâle,  1593  in-S").  Anguillara  et  Mathiole  furent 
des  adversaires  irréconciliables. 

Castor  Durante  (natif  de  Viterbe,  mort  en  1590),  méde- 
cin du  pape  Sixte-Quint,  publia  en  1584,  à  Venise,  un 
volume  in-fol.,  intitulé  Herbario  nuovo,  où  se  trouvent 
figurées  les  principales  plantes,  jusqu'alors  connues  de 
l'Europe,  des  Indes  orientales  et  occidentales.  Nous  de- 
vons ajouter  que  les  gravures  sur  bois,  au  nombre  de  874, 
sont  très-inexactes,  mal  exécutées  et  quelquefois  imagi- 
naires. Plumier  a  donné,  en  l'honneur  de  Castor  Durante, 
le  nom  de  castorea  à  un  genre  de  plantes  voisin  des  ga- 
tiliers,  dont  Linné  a  depuis  changé  le  nom  en  celui  de 
duranta. 

Jean  Costeo  ou  Costœus  (natif  de  Lodi,  mort  en  1603) 
se  fit  connaître  par  son  ouvrage  De  universali  stirpium 
natura  libriduo;  Turin,  1578,  in-4".  C'est  une  paraphrase 
de  Théophraste  et  de  Dioscoride.  On  y  trouve  très-peu 
d'observations  originales. 

André  Césalpin  (né  à  Arezzo,  en  1519,  mort  en  1603) 
est  le  seul  naturaliste  de  cette  époque  qui  mérite  qu'on 
s'y  arrête  un  peu  plus  longuement.  Il  montra,  dès  son  jeune 
âge,  une  grande  indépendance  d'esprit  dans  ses  rapports 
avec  ses  maîtres  et  ses  condisciples.  Il  étudia  d'aboi^d  la 
médecine  et  fut  bientôt  reçu  docteur.  Rompant  avec  les 
doctrines  traditionnelles  de  la  scolastique ,  il  ouvrit,  l'un 


110  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

des  premiers,  largement,  la  voie  expérimentale.  C'est  ainsi 
qu'il  parvint  à  des  découvertes  inattendues,  parmi  les- 
quelles nous  citerons  celle  de  la  circulation  du  sang,  gé- 
néralement attribuée  à  Harvey  *. 

Voyant  la  botanique  livrée  à  un  fatras  d'érudition  et  à 
une  exagération  de  vertus  médicinales  souvent  fictives, 
Gésalpin  introduisit  dans  la  science  les  principes  de  la 
méthode  et  les  lumières  de  l'observation.  Son  immortel 
ouvrage  De  plantis  libri  XVI  (Florence,  1583,  in-4'')  est  le 
premier  essai  d'une  véritable  systématisation  de  la  bota- 
nique. L'auteur  commence  par  examiner  les  différentes 
parties  de  la  plante.  Il  en  montre  les  vaisseaux  remplis 
d'un  suc  nutritif  ou  lactescent,  et  les  signale  comme  les 
analogues  des  vaisseaux  sanguins  de  l'animal.  Il  attribue  la 
circulation  de  la  sève  à  la  chaleur  ambiante.  «Les  plantes, 
dit-il,  manquent  de  sens  pour  attirer  de  la  terre  et  de  l'air 
les  aliments  nécessaires  ;  ceux-ci  ne  s'y  introduisent  pas 
non  plus  par  un  moyen  mécanique,  ni  par  l'horreur  du 
vide,  ni  par  la  force  magnétique  :  c'est  la  chaleur  qui  dé- 
termine cette  action,  j)  D'après  la  théorie  de  Gésalpin  les 
feuilles  naissent  de  l'écorce  ;  leurs  nervures  ont  pour 
origine  le  liber.  La  moelle  n'a  pas  la  même  importance 
que  l'écorce;  on  peut  enlever  la  moelle  sans  que  la  plante 
périsse,  tandis  qu'en  enlevant  l'écorce  tout  autour  de  la 
tige,  on  la  fait  mourir.  Passant  ensuite  à  l'examen  du 
bourgeon  et  de  la  graine,  il  affirme  que  celui-là  diffère 
de  celle-ci  comme  le  fétus  de  l'œuf  :  la  graine  ne  con- 
tient, comme  l'œuf,  que  le  principe  du  mouvement  vital, 
tandis  que  le  germe  ou  le  fétus  vit  comme  un  parasite 
sur  la  mère  qui  le  porte. 

Dans  l'anatomie  de  la  fleur,  Gésalpin  distingua  parfaite- 
ment la  partie  accessoire  de  la  partie  principale.  «La  partie 
accessoire,  se  compose,  dit-il,  des  folioles,  les  unes  vertes, 
les  autres  colorées,  qui  ne  sont  que  les  enveloppes  des 

1.  Voy.  Gésalpiû,  Quasstiones  peripatetica;,  V,  4. 


TEMPS  MODERNES.  111 

ts  (involucra  frucluum)  ;  la  partie  principale  est  située 
dedans  de  ces  enveloppes;  elle  se  compose  des ^tarnma 
des  flocci.  »  Par  stamina,  il  entendait,  non  pas  comme 
us  aujourd'hui,  les  étamines^   mais  les  styles  qui  sur- 
ontent  les  ovaires  (processus  seminum),  tandis  que  ses 
ocons  ou  flocci  étaient  nos  éto,mines,  les  stimulants  de 
iropagation  des   ovules  [seminum  propagines).  Les  deux 
iexes,  mâle  et  femelle,  peuvent  ainsi  être  renfermés  dans 
la  même  fleur,  dont  l'enveloppe  externe  [exterius  floris 
involucrum)  est  appelée  calice  [calyx)  par  l'auteur.  «  Le 
calice,  ajoute-t-il,  est  nourri  par  l'écorce  ;  cest  pourquoi 
il  ne  tombe  pas  avec  la  fleur  et  entoure  généralement  le 
fruit.  »  Il   reconnaît  aussi  que  les  deux  sexes    existent 
quelquefois   sur  des   tiges   différentes ,  comme  dans   le 
chanvre,  la  mercuriale,  le  genévrier,    etc.    Mais    l'idée 
ne  lui  vint  pas  de  fonder  là-dessus  toute   une  classifica- 
tion. 

A  l'exemple  des  anciens,  Gésalpin  divisa  les  plantes  en 
arbres  et  en  herbes.  Il  fonde  cette  première  division  sur 
la  durée  vitale  :  «Les  plantes  à  tige  ligneuse  vivent,  dit-il, 
beaucoup  plus  longtemps  que  les  plantes  à  lige  herbacée,  jj 
Il  classe  ensuite  les  arbres  suivant  la  direction  de  l'embryon 
contenu  dans  la  graine,  et  ce  fait  a  depuis  lors  attiré  l'at- 
tention de  tous  les  botanistes.  Quant  à  la  classification 
des  herbes,  bien  plus  nombreuses,  il  met  d'abord  à  part 
celles  qui  ont  des  graines  apparentes,  puis  celles  qui 
n'en  ont  pas,  comme  les  lichens,  les  mousses,  etc.  Il 
subdivise  ensuite  les  plantes  à  graines  apparentes,  en 
celles  qui  n'ont  qu'une  graine,  et  en  celles  qui  en  ont  un 
plus  grand  nombre.  Les  plantes  à  une  graine  sont  à  leur 
tour  subdivisées,  suivant  que  cette  graine  est  nue  dans  le 
calice,  ou  qu'elle  est  contenue  dans  une  capsule  ou  dans 
une  baie.  Puis,  le  fait  de  la  graine  nue  ou  enveloppée  d'un 
péricarpe  quelconque,  il  l'applique  aux  plantes  qui  ont  ou 
deux,  ou  trois,  ou  quatre  graines.  Il  fait  en  même  temps 
intervenir  la  forme  de  la    racine,  fibreuse  ou    bulbeuse. 


112  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

l'nlin  les  plantes  qui  ont  un  grand  nombre  de  graines, 
il  les  subdivise  suivant  la  disposition  et  la  l'orme  de  leurs 
fleurs.  Il  parvint  ainsi  à  former  quinze  groupes,  si  bien 
caractérisés  qu'en  étudiant  une  plante  il  est  facile  de  re- 
connaître auquel  de  ces  groupes  elle  appartient. 

C'est  là,  remarque  ici  Thiébaud  deBarnéaud,  que  Tour- 
nefort  nousditavoir  puisé  les  éléments  des  genres  établis 
par  Gésalpin  ;  c'est  là  que  Robert  Morison  et  Jean  Rai 
sont  allés  prendre  l'idée  des  rapports  naturels  des  espèces 
dont  ils  s'attribuent  tout  l'bonneur.  C'est  encore  là  que  se 
trouvent  les  matériaux  de  la  carpologie,  que  Gœrtner, 
Correa  de  Serra,  Richard  et  Mirbel  ont  poussée  si  loin. 
De  l'observation  régulière  des  parties  de  la  fructification 
doit  sortir  le  meilleur  système  de  classification  des  plan- 
tes ;  cette  classification  est  exacte  en  plusieurs  points, 
mais  elle  demande  à  être  complétée.  Elle  ne  le  sera  ja- 
mais qu'en  présence  de  la  nature  vivante,  lorsque  l'on 
suivra  le  fruit  dans  tous  ses  développements  et  dans  les 
modifications  que  lui  fait  subir  la  loi  des  avortements. 
Rien  n'a  encore  été  ajouté  aux  principes  posés  par  Gésal- 
pin relativement  aux  principes  à  suivre  pour  l'établisse- 
ment des  familles  et  d'une  méthode  essentiellement  na- 
turelle'. » 

Gésalpin  a  laissé  un  herbier,  qui  se  conserve  reli- 
gieusement au  Cabinet  d'histoire  naturelle  de  Florence;  il 
est  composé  de  768  espèces  bien  séchées,  collées  sur  pa- 
pier, et  accompagnées  des  noms  que  l'auteur  leur  a  don- 
nés, ainsi  que  des  noms  vulgaires  qu'elles  portent  dans 
plusieurs  contrées  de  l'Ralie.  — Plumier  a  donné  le  nom 
de  cxsalpinia  à  un  genre  de  légumineuses  d'Amérique,  poui 
perpétuer  la  mémoire  de  l'illustre  savant  qui  avait  con- 
sacré toute  sa  vie  au  progrès  de  la  science. 

Botanistes  français.  — LaFrance  ne  devait  pas  rester 

1.  Voy.  Encyclopédie  des  gens  du  monde,  à  l'article  Césalintt,. 


TEMPS  MODERNES.  113 

étrangère  au  souffle  de  rénovation  qui,  dès  la  fin  du  quin- 
zième siècle,  pénétra  toute  l'Europe. 

Jean  Ruel  (néà  Soissons  en  1479,  mort  à  Paris  en  1537) 
ouvre  la  série  des  botanistes  d'alors.  Doyen  de  la  Faculté 
de  médecine  de  Paris  en  1508  et  1509,  il  devint  médecin 
du  roi  François  I".  Mais  pour  mieux  suivre  son  goût 
l'our  l'étude  il  se  démit  de  sa  charge,  entra  dans  les  ordres 
et  fut  pourvu  d'un  canonicat  à  Notre-Dame.  Son  traité 
P.e  nntura  sUrpium  libri  très,  magnifiquement  imprimé, 
en  1536,  à  Paris  (vol.  in-fol.)  par  Simon  Goliné,  est  une 
sorte  de  répertoire  des  connaissances  botaniques  acquises 
jusqu'à  la  fin  du  quinzième  siècle.  Au  commencement  du 
premier  livre  l'auteur  traite  des  plantes  en  général,  de 
leurs  organes,  de  leur  nutrition,  des  parties  qui  les  com- 
posent, de  la  difterence  des  feuilles,  des  fleurs,  etc.;  mais 
on  n'y  trouve  aucune  méthode  de  classification.  Les 
autres  pages  du  premier  livre  sont  consacrées  à  l'histoire 
des  arbres,  rangés  par  ordre  alphabétique;  et  les  deux 
livres  restants  traitent  des  plantes  herbacées.  Les  an- 
ciens, particulièrement  Théophraste,  Dioscoride  et  Pline, 
y  sont  très-habilement  commentés.  — Plumier  a  dédié  à  la 
mémoire  de  Ruel  le  genre  ruellia,  de  la  famille  des  acan- 
thacées. 

Jacques  Dalechamp  ou  Dalechamps  (né  à  Gaen  en  1513, 
mort  en  1588  à  Lyon)  étudia  la  médecine  à  Montpellier, 
où  il  eut  pour  maître  Rondelet,  et  vint,  en  1552,  s'établir 
à  Lyon  comme  praticien.  Versé  dans  la  connaissance  des 
anciens,  il  traduisit  en  latin  Athénée,  l'accompagna  de 
savants  commentaires,  et  donna  une  édition  estimée  de 
Pline.  Mais  son  œuvre  principale  a  pour  titre  :  Historia 
(jeneralis  plantariim,  in  libros  XV 111  per  certas  classes  nrii- 
ficiose  digesla,  etc.;  Lyon  (Guillaume  Rouillé),  2  vol.  in- 
fol.,  1587;  quelques  exemplaires  portent  la  date  de  1586'. 

1.  Desmoulins  dt.iia  aussi  de  cet  ouvrage  une  traduction  françai-e, 
fort  estimée;  elle  a  pour  titre:  Histoire  getw'rale  des  pla7ites,  soitio 


114  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

Cet  ouvrage,  qui  fut  achevé  par  Desmoulins  (Molinœus) 
avec  les  matériaux  fournis  par  Dalechamps,  montre  com- 
hien  le  besoin  d'une  classification  méthodique  des  plantes 
se  faisait  dès  lors  généralement  sentir.  Ainsi,  le  premier 
livre  traite  des  arbres  qui  naissent  spontanément  dans  les 
bois  ;  le  deuxième  livre,  des  arbrisseaux  qui  forment  les 
buissons  et  des  arbustes  qui  naissent  spontanément  ;  le  troi- 
sième livre,  des  arbres  cultivés  dans  les  parcs  et  les  ver- 
gers ;  le  quatrième  livre,  des  céréales  et  plantes  agricoles  ; 
le  cinquième  livre,  des  plantes  potagères  et  herbes  des  jar- 
dins ;  le  sixième  livre,  des  ombelliféres;  le  septième  livre, 
des  plantes  d'ornement;  le  huitième  livre,  des  plantes  odo- 
riférantes ;  le  neuvième  livre,  des  plantes  palustres;  le 
dixième  livre,  des  plantes  qui  croissent  dans  les  terrains 
pierreux ^  sablonneux,  secs;  le  onzième  livre,  àes  plantes 
qui  naissent  dans  un  sol  ombragé,  humide  et  gras;  le 
douzième  livre,  des  plantes  littorales  et  marines  ;  le  trei- 
zième livre,  des  plantes  grimpantes  ;  le  quatorzième  livre, 
des  chardons  et  d'autres  plantes  épineuses;  le  quinzième 
livre,  des  plantes  bulbeuses,  à  racines  charnues  et  génicu- 
lées  ;  le  seizième  livre,  des  plantes  purgatives;  le  dix-sep- 
tième livre,  des  plantes  vénéneuses  ;  le  dix-huitième  livre, 
des  plantes  exotiques.  Il  y  a  là,  comme  on  voit,  un  essai  de 
classification,  fondé  tout  à  la  fois  sur  l'usage,  sur  les  pro- 
priétés, sur  la  forme  extérieure  et  l'habitat  des  espèces 
végétales.  Cet  essai  laissait  sans  doute  beaucoup  à  désirer: 
les  ombelliféres  se  trouvent,  par  exemple,  confondues  avec 
des  corymbifères,  telle  que  l'achiliée  mille-feuilles.  Mais 
cela  montre  combien  il  faut  de  temps  pour  que  l'œil  per- 
fectionné arrive  à  rectifier  les  erreurs  commises  par  l'œil 
commun.  C'est  une  remarque  que  nous  aurons  souvent 
l'occasion  de  faire. 

Dalechamps  était  secondé  dans  son  œuvre  par  des  cor- 
latine  de  la  bibliothèque  de  M.  Jacques  Dalechamps,  puis  faite  fran- 
çoiseparM   Jçan  Dcsmoulins;  Lyon,  1615,  2  vol.  in-fo). 


TEMPS  MODERNES.  115 

respondants  nombreux,  établis  dans  différents  pays  do 
l'Europe.  Il  avait  composé  lui-même  une  collection,  con- 
sidérable pour  le  temps,  des  plantes  qui  croissent  dans  lo 
Lyonnais,  province  heureusement  située  entre  les  Alpes 
et  la  zone  méridionale  de  la  France.  Son  Histoire  générale 
des  plantes  renferme  2751  gravures  intercalées  dans  le  texte, 
dont  beaucoup  de  doubles  et  de  triples,  en  général  assez 
médiocres.  Elle  a  été  peut- être  un  peu  trop  sévèrement  ap- 
préciée par  M.  Fée.  «  On  ne  doit  pas,  dit-il,  chercher  dans 
ce  livre  des  idées  nouvelles,  même  pour  le  temps,  et  nous 
ne  croyons  pas  qu'il  ait  fait  faire  un  seul  pas  à  la  science. 
C'est  une  simple  paraphrase  des  ouvrages  de  Théophraste, 
de  Dioscoride  et  de  Pline,  presque  sans  critique  ;  mais 
l'érudition  y  est  vaste,  et  ce  n'est  pas  sans  intérêt  qu'on 
le  parcourt',  jj 

Charles  de  l'Écluse,  plus  connu  sous  le  nom  latinisé 
de  Clusius  (né  à  Arras  en  1525,  mort  à  Leyde  en  i609), 
eut  une  vie  aussi  laborieuse  qu'accidentée,  dont  voici  les 
principaux  traits  *.  D'une  famille  protestante,  il  fit  ses 
premières  études  à  Gand  et  suivit,  àLouvain,  des  cours  de 
droit.  De  là  il  se  rendit  en  1548  à  Marbourg,  et  passa 
l'année  suivante  à  l'université  de  Wittemberg,  attiré  par  la 
réputation  de  Mélanchthon.  En  1550,  on  le  trouve  à  Mont- 
pellier, suivant  les  leçons  de  Rondelet,  dans  la  maison 
duquel  il  demeura  trois  ans.  Ce  fut  là  qu'il  abandonna 
lo  droit  pour  se  livrer  entièrement  à  l'étude  de  la  méde- 
cine et  des  sciences  naturelles,  particulièrement  de  la  bo- 
tanique. Après  avoir  visité  le  midi  de  la  France,  le  Piémont 
et  la  Savoie,  il  passa  par  Genève,  Bâle  et  Cologne  pour  se 
rendre  à  Anvers,  où  son  père  s'était  réfugié  pour  échap- 
per à  la  persécution  des  protestants.  Il  y  séjourna  pen- 

1.  M.  Fée,  article  Dalechamps,  dans  la  Biographie  générale. 

2.  La  vie  de  TEcluse  n'a  été  bien  connue  que  depuis  la  publication 
de  sa  correspondance  par  L.  Ch.  Treviranus  [Caroli  Clusii  Atrebatis 
et  Conr.  Gesneri  Tigurini  Epistolae  ineditœ;  Leipzig,  1830,  in-8»). 


116  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

dant  environ  hinl  ans  (de  1555  à  1563).  Dans  cet  inter- 
valle il  lit  un  voyage  à  Paris,  et  traduisit  du  hollandais 
en  français  le  Cruydeboeck  (Herbier)  de  Dodoens.  En  1564, 
on  le  trouve  à  Augsbourg,  où  il  se  lia  d'amitié  avec  les 
frères  Fugger,  les  Rothschild  du  seizième  siècle,  et  les 
accompagna  dans  un  voyage  qu'ils  firent  en  France,  en 
Espagne  et  en  Portugal.  De  l'Écluse  profita  de  ce  voyage 
pour  explorer  la  presqu'île  Ibérique,  depuis  les  Pyrénées 
jusqu'cà  Gibraltar,  et  depuis  Valence  jusqu'à  Lisbonne. 
Il  rapporta  de  cette  longue  herborisation  des  dessins 
très-bien  faits,  d'après  nature,  de  près  de  deux  cents  espèces 
de  plantes,  jusqu'alors  inconnues.  Aux  environs  de  Gi- 
braltar il  s'était  cassé  le  bras  en  tombant  de  cheval.  Re- 
tourné à  Anvers,  il  y  résida  quelque  temps,  visita  en 
1571  Paris  et  Londres,  et  fut  appelé,  en  1573,  à  Vienne 
par  Maxi milieu  II  pour  diriger  les  jardins  impériaux,  nou- 
vellement établis.  Il  y  introduisit  beaucoup  de  plantes 
exotiques,  et  profita  de  sa  position  pour  étudier  la  flore 
de  l'Autriche  et  de  la  Hongrie,  et  pour  visiter  une  s:conde 
fois  l'Angleterre.  Là  il  fit  connaissance  avec  le  célèbre 
circumnavigateur,  François  Drake,  qui  lui  communiqua 
une  foule  de  renseignements  utiles.  En  1581,  il  eut  le 
malheur  de  se  luxer  le  coude-pied  et  de  se  fracturer  la 
malléole.  Sa  famille  ayant  eu  beaucoup  à  souffrir  de  l'in- 
tolérance des  catholiques,  de  l'Écluse  quitta  Vienne  après 
un  séjour  de  quatorze  ans,  pour  se  retirer,  en  1587,  à 
Francfort,  où  il  vécut  dans  la  retraite.  Son  amour  de  la 
science  le  mit  en  rapport  avec  le  savant  landgrave  de 
Hesse,  Guillaume  IV  ;  il  le  visita  souvent  à  Gassel  et  re- 
çut de  lui  une  pension.  A  Francfort  il  eut  encore  le  mal- 
heur de  se  casser  la  cuisse  droite;  mal  guéri  il  ne  put 
pendant  longtemps  marcher  qu'avec  des  béquilles  Se? 
souffrances  se  compliquèrent  d'une  hernie  qui  l'empêchait 
de  faire  de  longues  excursions.  Cependant  ses  sens  ei 
son  intelligence  se  conservèrent  intacts  jusqu'à  l'extrême 
vieillesse.   En  1593,   il  fut  appelé  comme  professeur  de 


TEMPS  MODERNES.  117 

botanique  à  l'université  de  Leyde,  et  c'est  là  qu'il  termina 
sa  vie,  en  1609,  à  l'âge  de  quatre-vingt-quatre  ans 

Ses  travaux,  oîi  une  vaste  érudition  se  trouve  unie  à  un 
rare  esprit  d'observation,  le  mettent  au  premier  rang  des 
botanistes  du  seizième  siècle.  Ils  ont  pour  titres  :  Rario- 
ram  aliquot  slirpium  per  Hispanias  obsei'vatarum  hislo- 
rix^  etc.;  Anvers,  1576,  in -8°  ^233  gravures  sur  bois)  ; 
—  Rariorum  plantarum  historia;  ibid.,  160',  in-fol.-;  — 
Exoticorum  libri  decem ,  quitus  animalium ,  plantarum , 
aromatum^  aliorumque  peregrinorum  fructuum  hùtorix 
ckscribuntur;  ibid,  1605,  in-fol;  et  comme  appendice  aux 
ouvrages  précédents  :  Curx  posteriores^  seu  piurimarum  non 
ante  cognitarum  aut  descriptarum  stirpium^  etc.;  ibid.  1611, 
in-4°.  De  l'Écluse  avait  aussi  traduit  en  latin  les  principaux 
écritsde  Garciasab  Orto,  de  Monardes,  de  Acosta  etde  Be- 
lon.  C'est  lui  qui  a  introduit  dans  les  Pays-Bas  les  papas 
ou  camotes^  plus  tard  connues  sous  le  nom  de  pommes  de 
terre.  Des  échantillons  en  avaient  été  apportés  du  Pérou 
en  1586  par  François  Drake,  qui  en  donna  à  Sherard,  de 
Londres.  Celui-ci  les  cultiva  dans  son  jardin  et  en  partagea 
les  produits  avec  de  l'Écluse. 

Mathias  Lo>Z,  plus  connu  sous  le  nom  latinisé  de 
Lobelius  (né  à  Lille  en  1538,  mort  à  Highgate  en  1616), 
étudia  la  médecine  à  Montpellier,  où  il  eut,  comme  de 
l'Écluse,  Rondelet  pour  maître.  Il  parcourut,  en  herbo- 
risant, le  midi  de  la  France,  une  partie  de  l'Italie,  le 
Tyrol,  la  Suisse  et  l'Allemagne,  et  vint  s'établir  comme 
médecin,  d'abord  à  Anvers,  puis  à  Delft.  Vers  1569  il  se 
rendit  en  Angleterre,  accompagna  en  1592  lord  Zouch 
dans  son  ambassade  près  de  la  cour  de  Danemark,  obtint 
le  titre  de  botanographe  du  roi  Jacques  I",  et  passa  les 
dernières  années  de  sa  vie  aux  environs  de  Londres,  au- 
près de  sa  fille,  mariée  à  Jacques  Coël.  Plumier  a  donné, 
en  l'honneur  de  Lobel,  le  nom  de  lobelia^  au  genre  type 
de  la  famille  des   lobéliacées,  voisine  des  campanules. 

Le  princi^^al   ouvrage    de  Lobel,  fait  en  collaboration 


118  HISTOlKJi  DE  LA  BOTANIQUE. 

avec  Pierre  Pena  (pour  les  plantes  du  midi  de  la  France) , 
a  pour  titre:  Slirpium  adversaria  nova  ;  Londres,  1570 
in-4*',  souvent  réimprimé  (les  éditions  in-foL,  de  Londres 
1605,  de  Leyde  1610,  et  de  Francfort  1651,  considéra- 
blement augmentées,  portent  le  titre  de  DUiicidœ  dm]jli- 
cium  inedicamentorum  explicationes  et  stirpium  advei^sa- 
ria).  La  disposition  des  matières  renferme  les  éléments 
d'une  classification  par  familles  naturelles.  Ainsi,  l'auteur 
comprend  les  céréales  et  les  roseaux  dans  sa  description 
des  graminées  [gramina);  de  là  il  passe  aux  iris  [irides]^ 
aux  joncs  [junci)^  aux  asphodèles  [asphodeli)^  auxquels  il 
réunit  les  jacinthes,  les  narcisses,  les  lis  et  même  les 
orchis.  Cet  ensemble  de  plantes  appartient  précisé- 
ment à  la  grande  division  de  ce  qu*on  a  depuis  nommé 
les  monocotylédoiies.  Parmi  les  autres  groupes,  on  re- 
marque :  les  plantes  à  siliques  [sUiquosx)  ^  auxquelles  il 
réunit  à  tort  le  réséda  et  le  séneçon;  les  chicoracées  {seri- 
des)]  les  plantes  à  fleurs  labiées  (/ûôiaî*)  ;  les  plantes  à 
feuilles  rudes  (asperifoligs) ,  etc. 

Un  autre  ouvrage  de  Lobel,  intitulé  :  Observationes 
sive  slirpium  hislorix  (Anvers,  1570,  in-fol.),  fut  longtemps 
populaire,  à  cause  d'un  index  en  sept  langues.  Quelques 
matériaux  d'un  ouvrage  projeté  tombèrent  entre  les  mains 
de  Parkinson,  qui  les  incorpora  dans  son  Thealrum. 

Au  seizième  siècle  la  botanique  était  à  son  apogée  en 
Porliigal  et  en  Espagne^  à  en  juger  par  les  travaux  des 
savants  que  nous  allons  sommairement  passer  en  revue. 

Juan  Rodrigo  de  Castel-Branco^  plus  connu  sous  le 
nom  à'Amatus  Lusitanus{né  en  1511,  mort  vers  la  fin  du 
même  siècle),  d'origine  juive,  étudia  la  médecine  à  Sala- 
manque,  voyagea  en  France,  en  Italie,  en  Allemagne,  en 
Hollande.  Par  suite  de  ses  démêlés  avec  Mathiole,  il  fut 
dénoncé  comme  juif  à  l'Inquisition,  et  dut,  pour  sauver 
sa  vie,  se  réfugier  en  Turquie,  où  il  mourut.  Ses  commen- 
taires sur  Dioscoride  (in  Dioscoridis  de  maleria  medica 


•    TEMPS  MODERNES.  119 

libros  quinque  enurnerationes ^  Venise,  1553,  in-8")  témoi- 
gnent de  beaucoup  d'érudition. 

André  Laguna  (né  à  Ségovie  en  1499,  mort  en  1560) 
étudia  la  médecine  à  Paris  et  à  Tolède,  fut  attaché  au 
service  de  Charles-Quint,  et  se  fit,  comme  Amalus  Lusi- 
tanus,  connaître  par  des  commentaires  sur  Dioscoride 
(Anvers,  1555,  in-fol.,  souvent  réimprimé).  Suivant  Mo- 
rejon ,  il  eut  le  premier  l'idée  de  faire  graver,  non  plus 
sur  bois,  mais  sur  cuivre,  les  dessins  de  plantes  et  d'a- 
nimaux*. 

Nicolas  Monardès  (natif  de  Séville,  mort  en  1578),  étudia 
la  médecine  à  l'université  d'Alcala  de  Henarès,  et  la  prati- 
qua jusqu'à  sa  mort  dans  sa  ville  natale.  Il  se  fit  la  répu- 
tation d'un  botaniste  distingué  par  plusieurs  ouvrages,  par- 
ticulièrement par  De  rosa  et  parlibiisejus;  Demalis^  ciliis, 
auraniiis  et  limoniis  (Anvers,  1565,  in-8°),  et  De  las  dro- 
gas  de  las  Indias  (Séville,  1565  in-8",  traduit  en  latin  par 
de  l'Écluse,  et  en  français  par  Colin).  Pour  perjjétuer  la 
mémoire  de  Monardès,  Linné  a  donné  le  nom  àemonarda 
à  un  genre  de  la  famille  des  labiées. 

Lorenzo  Ptrez^  pharmacien  de  Tolède,  décrivit  beau- 
coup de  plantes  médicinales  nouvelles  dans  son  Hisioria 
theriacx  (Tolède,  1575,  in-4°),  et  surtout  dans  son  De 
medicamenloram  simplicium  et  compositorum  délecta  ho- 
dierno  apud  nostros  phannacopolas  extantium^  etc.  (Ibid., 
1590,  in-4''),  livres  extrêmement  rares. 

Nous  parlerons  plus  loin ,  à  propos  des  voyageurs  du 
seizième  siècle,  de  Garcia  ab  Orto  et  d'Acosta. 

Ce  n'est  guère  qu'à  dater  de  cette  époque  que  l'on  com- 
mença, en  Angleterre^  à  s'intéresser  à  l'étude  des  plantes. 

Antoine  Ascham^  médecin  à  Burnisliton,  dans  le  York- 
shire,  allia  dans  son  Petit  Herbier  [A  Ixjllel  Hcrbal  of  the 
propî'elies  of  herbes,  etc.,  Lond.,  1550,  in-12),  la  botanique 

1.  Historia  biografica  de  la  medicina  espanola,  t.  II,  p.  227  el  suiv. 


120  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

avec  l'astrologie,  en  essayant  de  montrer  quelles  plantes 
sont  sujettes  à  l'influence  des  astres,  et  quels  sont  les 
jours  les  plus  convenables  pour  en  faire  usage,  suivant 
les  constellations  du  zodiaque,  où  se  trouve  la  lune. 

William  Turner  (natif  de  Morpeth,  dans  leNorthumber- 
land,  mort  en  1568)  étudia  la  médecine  et  la  théologie  à 
Cambridge,  et  embrassa  la  cause  de  la  réforme,  ce  qui  le 
fit  mettre  en  prison  par  l'évêque  Grardiner.  Après  avoir 
recouvré  la  liberté,  il  se  réfugia  sur  le  continent,  résida 
longtemps  à  Cologne,  à  Bâle,  à  Ferrare,  oii  il  se  fit  rece- 
voir docteur,  et  ne  retourna  dans  sa  patrie  qu'en  1547, 
après  la  mort  d'Henri  VIII.  La  persécution  des  protestants 
ayant  recommencé  sous  le  règne  de  Marie  Tudor,  qui  eut 
Gardiner  pour  premier  ministre,  Tûrner  quitta  de  nouveau 
l'Angleterre,  pour  n'y  revenir  qu'à  l'avènement  de  la  reine 
Elisabeth,  en  1558.  Peu  de  mois  avant  sa  mort,  il  publia 
la  troisième  partie  de  son  Herbier  (A  new  Herbal  wherein 
are  contayned  the  names  of  herbes  in  greek,  latin^  english^ 
dutch,  french,  and  in  the  potecaries  andherbaries  latin,  with 
their  proprelies,  etc.,  Lond.,  in-fol.  1568).  La  première 
partie  avait  paru  en  1551  à  Londres,  avec  une  dédidace  au 
duc  de  Sommerset,  protecteur  de  Turner,  et  la  deuxième 
partie,  à  Cologne,  en  1562. 

Dans  cet  ouvrage,  très-important  pour  l'histoire  de  la 
botanique  en  Angleterre,  les  plantes  sont  rangées  par 
ordre  alphabétique  de  noms  latins.  L'auteur  indique 
souvent  les  localités  où  elles  croissent,  et  il  s'étend  sur 
les  caractères  qui  les  distinguent  les  unes  des  autres. 
Uherba  brilannica  est,  suivant  lui,  la  bistorte  [polygo- 
nwrn  bistorla^  L.).  Il  ajouta  quatre-vingt-dix  figures  de 
plantes  à  celles  qu'il  avait  (au  nombre  de  plus  de  400) 
empruntées  pour  son  Herbier  à  la  première  édition  (1545) 
de  l'ouvrage  de  Léonard  Fuchs.  Turner  est  le  premier  qui 
ait  donné  la  figure  de  la  luzerne,  qu'il  nomme  horned  clo~ 
ver,  à  cause  de  la  forme  cornue  du  fruit;  et  suivant  Pult- 
ney,  il  a  introduit  cette  plante  fourragère  en  Angleterre  ^ 


TEMPS  MODERNES.  121 

Bulleyn  (mort  en  1576),  Maplet,  auteur  de  A  green 
forest  (Cambridge,  1567),  Penny,  ami  et  collaborateur  de 
l'Écluse,  Lyte,  auteur  d'un  Neiv  Herbal  (Lond.,  1578),  où 
se  trouve  pour  la  première  fois  figurée  la  bruyère,  erica 
tetralix^  suivirent  les  traces  de  Turner. 

Jean  Gérard  ou  Sherard  (né  à  Nantwich,  en  lc45,  mort 
en  1607)  publia,  en  1596,  le  catalogue  des  plantes  {Cata- 
logus  arborum,  fruticum  ac  plantarum,  tain  indigenarum 
quani  exoticarum,  etc.)  de  son  propre  jardin.  La  deuxième 
édition  de  ce  catalogue  est  dédiée  à  sir  Walter  Raleigh, 
qui,  presque  en  même  temps  que  Fr.  Drake,  rapporta  du 
Nouveau-Monde  la  pomme  de  terre  dans  la  Grande-Bre- 
tagne. Le  catalogue  de  Sherard  contient  1033  espèces, 

Ij'AUemagne,  la  Hollande  et  la  Suisse^  où  les  guerres 
de  religion  et  la  soif  de  la  liberté  avaient  mis,  au 
seizième  siècle,  tous  les  esprits  en  effervescence,  produisi- 
rent en  même  temps  des  naturalistes  de  premier  ordre  :  il 
suffit  de  nommer  Brunfels,  Tragus,  Fuchs,  Tabernœ- 
montanus,  Gordus,  Gonrad  Gesner,  Gamerarius,  Dodoens. 
Un  mot  sur  tous  ces  hommes  qui  ont  si  puissamment 
contribué  au  progrès  de  la  science. 

Othon  Brunfels  (né  aux  environs  de  Mayence  vers 
1470,  mort  à  Berne  en  1534),  fils  d'un  tonnelier,  entra 
dans  un  couvent  de  chartreux  pour  satisfaire  son  goût 
pour  l'étude  des  sciences.  A  l'époque  où  les  doctrines  de 
Luther  commençaient  à  se  répandre  en  Allemagne,  il 
quitta  son  couvent  et  se  fit  prédicateur  protestant.  Il  fut 
ensuite,  pendant  neuf  ans,  maître  d'école  à  Strasbourg, 
étudia  la  médecine,  obtint  à  Bâle  le  grade  de  docteur 
et  remplit  à  Berne  les  fonctions  de  médecin  inspecteur.  Il 
s'occupa  l'un  des  premiers  de  la  flore  indigène,  comme 
le  montre    son   principal  ouvrage  intitulé    :    Herbaruni 

1.  Pultney,  Esquisses  historiques  et  biographiques  des  progrès  de 
la  holaiiique  en  Angleterre,  t.  I,  p.  74  (de  la  traduction  fiançaue; 
Paris,  1809). 


I2â  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

vivse  îcones  ad  naturx  imitationem  summa  cum  diligeniia 
cl  arti/icio  effigialœ,  etc.;  tome  I",  Strasbourg,  1530,  in- 
fol.;  1. 1,  ibid.,  1531,  in-foL;  t.IIl  (posthume),  ibid.,  1536, 
in-fol.,  avec  un  appendice  contenant  divers  documents 
relatifs  à  la  botanique.  Les  figures  (gravures  sur  bois) 
des  t.  I  et  III  sont  supérieures,  pour  le  dessin,  à  celles 
des  autres  ouvrages  publiés  à  cette  même  époque.  Le 
t.  II  renferme  le  résumé  des  descriptions  données  par  les 
anciens  botanistes,  et  dans  le  t.  III  on  trouve  les  opinions 
propres  de  l'auteur.  De  cet  important  ouvrage,  véritable 
flore  des  environs  de  Strasbourg  et  de  la  rive  gauche  du 
Rhin,  il  existe  plusieurs  éditions  allemandes  dont  les 
plus  anciennes  sont  :  Contrafayt  Krœuterbuch^  Strasb. 
Î532,  in-fol.;  ibid.,  1534,  in-4o.  Aucune  méthode  n'a 
présidé  à  la  distribution  des  espèces  végétales  qui  y  sont 
décrites. 

Brunfels  imprima  à  la  science  une  direction  féconde 
en  donnant  l'exemple  des  herborisations.  Parmi  les  es- 
pèces qu'il  a  le  premier  décrites ,  on  remarque  :  la  vé- 
ronique à  feuilles  de  serpolet ,  qu'il  nomme  exfragia 
nobilis  ;  l'herbe  de  la  Trinité  [anémone  hepatica^  L.);  l'as- 
clepias  domjDte-venin,  qu'il  appelle /lyrundi'nar/a;  le  d7'aba 
verna;  Veupharsia  officinalis;  la  linaire(a?iîirr/iJnMm /i;ia- 
ria)  ;  la  cardamine  des  prés  ;  le  séneçon,  qu'il  nomm° 
verbena  femina,  etc.  —  Plumier  lui  a  consacré,  sous  le 
nom  de  brunfelsia,  un  genre  de  solanées  de  l'Amérique. 

Jérôme  Bock,  plus  connu  sous  le  nom  de  Tragus  (tra- 
duction grecque  de  Bock,  bouc),  né  à  Heiderbach  près  de 
Deux-Ponts,  en  1498,  mort  à  Hornbach  en  1554,  suivit  les 
traces  de  son  ami  Brunfels.  Ayant  partagé  ses  études  entre  la 
théologie  et  la  médecine, il  devint  uu  partisan  zélédelaré- 
forme  de  Luther,  fut  appelé  en  1533,  comme  pastur,  à 
Hornbach,  et  y  cumula  son  ministère  avec  les  fonctions  de 
médecin  et  d'apothicaire.  Les  troubles  religieux  le  forcè- 
rent plus  tard  à  chercher  un  asile  à  Saarbruck,  où  il  fut 
hospitalièremeut  accueilli  par  le  comte  de  Ka^ssuu. 


TEMPS  MODERNES.  123 

Son  Histoire  des  plantes  indigènes,  qui  parut  en  1539,  à 
Strasbourg,  sous  le  titre  de  New  Krxuterbuch^  eut  un  im- 
mense succès.  On  était,  en  effet,  tellement  habitué  à  ne 
voir,  en  fait  de  botanique,  que  des  paraphrases  ou  des  com- 
mentaires de  Théophraste  et  de  Dioscoride,  que  le  livre  de 
Bock  fut  un  véritable  événement.  Il  fut  édité  dix  fois  dans 
le  même  siècle  et  dans  la  même  ville.  La  première  édi- 
tion est  sans  figures;  la  seconde,  parue  en  1546,  sous  le 
simple  titre  de  Kneuterhuch,  en  caractères  gothiques,  con- 
tient 165  gravures  sur  bois,  moins  bien  exécutées  que 
dans  la  traduction  latine  de  David  Kyber  {Hieromjmi  Tra- 
gi  De  Stirpium,  maxime  earum  quœ  in  Germania  nostra 
nascuntur,  usitatis  nomenclatvris,  propriisque  differenliis, 
etc.;  1552,  in-fol.).  En  tête  de  cette  édition  latine  se 
trouve  une  savante  introduction  de  Conrad  Gesner,  ami 
de  l'auteur.  Elle  est  suivie  d'une  caractéristique  des 
plantes  [stirpium  differentise)  suivant  leur  port,  les  for- 
mes de  leurs  racines,  de  leurs  feuilles,  de  leurs  fleurs, 
de  leurs  fruits,  etc.,  par  Textor  (Tixier),  le  Segusien. 

A  l'ordre  alphabétique,  jusqu'alors  usité.  Bock  préféra 
la  distribution  des  plantes  en  sauvages  et  en  cultivées,  en 
herbes,  arbrisseaux  et  arbres.  Il  commença  ses  descrip- 
tions par  celle  de  l'ortie  commune,  parce  que  sa  famille 
portait,  dit-on,  dans  ses  armoiries  une  feuille  d'ortie. 
Mais  il  est  plus  probable  que  c'était  pour  se  moquer  des 
botanistes  qui  commencent  leurs  descriptions  par  les 
plantes  les  plus  rares,  que  personne  souvent  n'al'occasion 
de  voir.  Il  y  avait  dans  cette  idée  toute  une  révolution. 

Toutes  les  plantes  que  Bock  décrit  ont  été  observées 
par  lui-même ,  et  dessinées  d'après  nature.  Il  s'étend 
peu  sur  les  fleurs  et  les  fruits  ;  mais  l'aspect  général  des 
plantes  et  les  localités  où  elles  se  trouvent  sont  très-bien 
indiquées.  Leurs  propriétés  et  leurs  synonymies  [no- 
menclaturœ)  y  sont  longuement  exposées.  Ce  qui  frappe 
le  lecteur  dès  le  début  du  livre,  c'est  que  l'ortie  blanche, 
la  marrube.  la  mélisse,  la  sauge,  la  menthe,  le  basilic,  le 


124  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE 

calament ,  le  serpolet ,  le  thym  ,  la  sarriette,  l'hysope, 
le  romarin,  la  lavande,  se  trouvent  réunis  en  un  groupe 
naturel  qui,  à  l'époque  de  Tragus,  n'avait  pas  de  nom 
particulier,  et  qui  s'appelle  aujourd'hui  la  famille  natu- 
relle des  labiées.  Le  même  phénomène  de  classification, 
pour  ainsi  dire  inconscient,  s'y  présente  pour  les  corym- 
hifères  (camomille,  matricaire,  tanaisie),  les  borraginées 
(cynoglosse,  buglosse,  bourache,  consoude),  les  euphor- 
biacées  [tithymalis,  esula)^  les  solanées  (morelle,  douce- 
amère  ,  alkékenge),  les  ombellifères  (branc-ursine  ,  per- 
sil, panais,  carotte,  fenouil,  aneth,  carum  carvi),  et  pour 
d'autres  plantes  dont  le  groupement  par  familles  s'impose 
en  quelque  sorte  à  tout  esprit  observateur. — Pour  immor- 
taliser le  nom  de  Tragus  (Bock),  Plumier  a  donné  le  nom 
de  tragia  à  un  genre  de  Ja  famille  des  euphorbiacées. 

Léonard  Fuchs  (né  en  1501  à  Memblingen  en  Bavière, 
mort  à  Tubingue  en  1566)  fit  ses  études  à  Heilbronn  et 
à  Erfurt,  les  compléta  à  Ingolstadt,  où  il  obtint,  en 
1524,  le  grade  de  docteur  eu  médecine,  s'établit  comme 
praticien  à  Munich  oià  il  se  maria,  retourna,  en  1526, 
comme  professeur  à  l'université  de  Ingolstadt,  se  rendit 
deux  ans  après  à  Anspach,  pour  occuper  le  poste  de  pre- 
mier médecin  du  margrave  Georges  de  Brandebourg, 
s'acquit  une  grande  renommée  par  le  traitement  de  l'épi- 
démie miliaire  (suette),  qui,  en  1529,  avait  envahi  l'Al- 
lemagne, et  reprit,  en  1533,  sa  chaire  de  professeur  à 
Ingolstadt.  Mais  s'étant  déclaré  partisan  des  doctrines 
de  Luther,  les  jésuites,  qui  dominaient  dans  cette  ville,  lui 
suscitèrent  des  désagréments,  et  il  revint,  dans  l'automne 
de  la  même  année,  auprès  du  margrave,  à  Anspach,  où 
il  se  distingua  comme  médecin  pendant  une  nouvelle  épi- 
démie, qualifiée  de  peste.  Il  n'y  resta  que  deux  ans  ;  car  dès 
1535  il  accepta  du  duc  Albert  de  Wurtemberg  une  chaire 
de  professeur  à  l'université  nouvellement  fondée  de  Tu- 
bingue ;  et  c'est  là  qu'il  resta  jusqu'à  la  fin  de  ses  jours.  En 
1536,  il  perdit  sa  femme  qui  l'avait  rendu  père  de  dix  en- 


TEMPS  MODI']RNES.  125 

fi:nt,s,  et  il  épousa  dans  la  même  année  la  fille  d'un  pas- 
,teur.  Il  resta  sourd  à  toutes  les  offres  des  souverains  qui 
l'appelaient  dans  leurs  pays.  L'ouvrage  qui  le  fit  connaître 
comme  l'un  des  principaux  botanistes  de  son  temps,  a  pour 
titre  :  Dehistoria  stirpium  commentarii insignes^  etc.;  Bâle, 
1542,  in-fol.,  dont  parut,  en  1543,  une  édition  allemande  : 
Neio  Krœuterbuch,  etc.  Cet  ouvrage  eut  de  nombreuses 
traductions,  et  fut  souvent  réimprimé  tant  in-fol.  qu'in-8°, 
Haller  donna  la  préférence  aux  éditions  in-8°.  Celle  que 
j'ai  sous  les  yeux  a  été  imprimée  à  Lyon,  en  1551,  du 
vivant  de  l'auteur.  En  tête  se  trouve  l'épître  dédicatoire 
à  l'électeur  Joachira,  margrave  de  Brandebourg.  Les 
gravures  sur  bois,  qui  accompagnent  le  texte,  approchent 
par  l'exactitude  de  celles  de  Brunfels. 

Fuchs  s'était,  comme  'Bock,  principalement  attaché  à 
l'étude  de  la  flore  allemande.  Ses  descriptions  des  espèces 
indigènes  sont  au  nombre  d'environ  quatre  cents.  On  y 
remarque  la  véronique  beccabunga,  sous  le  nom  de 
sium^  la  lysimachia  nummulaire,  sous  le  nom  de  centum- 
morbia^  la  parisette,  appelée  aconitum  pardalianches^ 
l'œillet  des  chartreux,  betonica  sylvatica;  le  géranium 
erodium,  le  g.  molle,  le  g.  robertianum,  le  g.  disseclum, 
le  g.  pratense,  le  g.  sanguineum^  sont  désignés  par  gera- 
nium  I,  II,  III ,  IV,  v,  vi.  —  Plumier  a  donné,  en  souve- 
nir du  célèbre  botaniste  allemand,  le  nom  de  fuchsia  à  un 
genre  de  plantes  originaires  du  Chili. 

Théodore  Tabernœmontanus ,  ainsi  nommé  d'après 
son  lieu  natal,  Bergzabern,  dans  la  Bavière  rhénane, 
suivit  les  traces  de  Jérôme  Bock,  visita  la  France,  où  il 
étudia  la  médecine,  et  devint,  après  son  retour  en  Alle- 
magne, médecin  de  l'électeur  palatin.  La  botanique  fut 
toujours  son  étude  favorite,  dans  la  conviction  que  Dieu 
'  a  mis  dans  les  plantes  de  chaque  pays  les  vertus  ap- 
propriées à  la  guérison  de  toutes  les  maladies  endémi- 
ques. Il  mourut  à  Heidelberg,  en  1590,  à  un  âge  fort 
avancé.  Pendant  trente-six  ans  il  réunit  un  herbier  déplus 


126  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

de  trois  mille  espèces ,  dont  il  publia  en  partie  la  des- 
cription sous  le  titre  de  K)  œuterbuch.  Le  premier  volume, 
in-folio,  parut  en  1588  à  Francfort.  Après  la  mort  de 
l'auteur,  Nie.  Braun  publia  le  reste  de  cet  important 
ouvrage.  D'autres  éditions  parurent  à  Francfort,  en  1614, 
1625,  et  à  Bâle,  en  1654,  1687,  1731.  C'est  cette  dernière 
(2  vol.  gr.  in-fol.)  considérablement  augmentée  et  amé- 
liorée par  Gaspard  et  Jérôme  Bauhin,  que  je  possède.  Le 
titre  énonce  qu'on  y  trouve  «  de  belles  figures  d'arbres, 
d'arbrisseaux,  d'herbes,  croissant  en  Allemagne  et  en  pays 
étrangers,  tels  que  l'Espagne,  les  Indes,  le  Nouveau- 
Monde,  avec  leurs  noms  dans  toutes  les  langues,  etc.  » 
Aucun  ordre  ne  préside  à  la  distribution  des  espèces  dé- 
crites, au  nombre  d'environ  5800,  dont  2480  assez  exacte- 
ment gravées  sur  bois  à  l'exception  d'un  petit  nombre 
d'imaginaires.  Nous  y  voyons,  entre  autres,  que  le  nom 
à'alsine  y  est  appliqué  à  des  plantes  de  genres  différents. 
Ainsi,  les  alsine  mojor,  a.minor^  a.  corniciilatn^  a.  pelrxa^ 
a.  rubra,  a.  recta^  a.  hederacea,  a.  foliis  trissaginis,  a.  fo- 
liis  veronicse^  a.  palustris^  sont  le  mouron  [stellaria  mé- 
dia), l'arénaire  [arenaria  serpilli folio) ,  le  draba  verna,  le 
cerastium  dichoiomum,  le  saxifroga  tridactylites^  le  ue?'o- 
nica  triphyllos^  la  véronique  à  feuilles  de  lierre,  la  véro- 
nique agreste,  la  véronique  des  champs  {v.  arvôusis)^  le 
cerastium  aquaticum.  —  En  honneur  de  Tabernœmon- 
tanus,  Linné  a  donné  le  nom  de  tabernsemontana  à  un 
genre  d'apocynées. 

Euricius  Cordus^  (né  en  1486,  à  Siemershausen,  près 
Frankenberg  en  Hesse,  mort  à  Brème  en  1538),  fils  d'un 
fermier,  devenu  professeur  à  l'université  de  Marbourg,  nou- 
vellement fondée,  montra  de  bonne  heure  un  vif  penchant 
pour  la  poésie  latine  et  la  botanique,  ainsi  que  l'attes- 
tent d'une  part  son  épithalame  pour  les  noces  de  son 
ami   et    condisciple    Eobanus   Hessus,   ses   épigmmmes 

1.  Son  vérilatile  nom  était  Eherioein. 


TEMPS  MODERNES  127 

contre  Je  pnpismo  en  faveur  de  Luther  dont  il  avait,  l'un 
des  premiers,  embrassé  les  doctrines  ;  d'autre  part,  sa 
traduction  des  poèmes  de  Nicandre,  et  surtout  son  Bota- 
nologicon,  seu  colloquium  de  herbis  (Cologne,  1534,  in-S"), 
fait  en  imitation  des  colloques  d'Érasme,  avec  lequel  il 
était  lié  d'amitié.  Le  Botanologicon  est  un  colloque  (en 
183  pages),  plein  de  verve,  entre  l'auteur,  trois  de  ses  amis 
qui  sont  venus  le  voir  à  Marbourg,  et  un  disciple.  Fran- 
çais de  nation.  L'entretien  roule  principalement  sur  la 
synonymie  des  plantes  (|u'on  rencontre  le  plus  communé- 
ment dans  les  jardins  et  dans  les  champs.  L'auteur  fait 
aussi  quelques  digressions  sur  les  plantes  décrites  par  les 
anciens,  et  il  prétend,  entre  autres,  que  Vamomum  de 
Dioscoride  est  la  fameuse  rose  de  Jéricho,  Vanastatica 
hierochuntica. 

Son  fils,  Vakrius  Cor  dus  (né  en  1515,  à  Siemershau- 
sen,  mort  à  Rome  en  1544),  fut  un  des  meilleurs  bota- 
nistes de  son  temps.  Dirigé  dans  ses  premières  études 
par  son  père,  il  alla,  pour  se  perfectionner  en  grec,  suivre 
à  Wittemberg les  leçons  de  Mélanchthon  sur  \q9,  Alexiphar- 
maca  de  Nicandre,  et  s'y  lia  d'amitié  avec  Crato  de  Kraff- 
theim,  l'ami  de  Conrad  Gresner.  Il  fréquenta  aussi  l'uni- 
versité de  Leipzig,  et  conçut  l'idée  de  réformer  la  phar- 
maceutique par  une  étude  plus  exacte  des  minéraux  et 
des  plantes  indigènes,  comparativement  aux  notions 
transmises  par  les  anciens.  On  voit  par  cet  exemple  que 
les  esprits  le  plus  pénétrés  de  la  nécessité  d'interroger 
la  nature  n'avaient  pas  encore  renoncé  au  culte  des  an- 
ciens, qui  étaient  toujours  considérés  comme  les  plus 
grandes  autorités  scientifiques. 

Pour  atteindre  son  but,  Cordus  se  mit  à  parcourir  la 
Thuringe  et  la  Saxe,  explorant  les  mines  de  Freyberg 
et  la  flore  de  la  Suisse  saxonne.  En  1540,  il  fit,  à  Wittem- 
berg, foyer  du  protestantisme,  des  cours  publics  sur  la 
matière  médicale  de  Dioscoride,  et  reprit,  en  1542,  ses 
voyages.  B  se  dirigea  cette  fois  vers  le  midi,  en  passant 


128  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

par  Nurenberg;  de  là  il  se  rendit,  en  compagnie  de  son 
ami  Jérôme  Schreiber,  en  Suisse,  et  vit  à  Zurich  Conrad 
Gesner.  De  la  Suisse  il  passa  en  Italie,  ayant  pour  com- 
pagnons de  route  Nicolas  Friedewald,  étudiant  prussien, 
et  Sittard  de  Cologne,  dont  Mélanchthon  regretta  la  mort 
prématurée.  Le  tracé  de  son  itinéraire  lui  fit  successive- 
ment visiter  Venise,  Padoue,  Pise,  Lucques,  Livourne, 
Sienne.  A  Venise  il  étudia  l'ichthyologie  de  la  mer  Adria- 
tique, et  décrivit,  d'une  manière  exacte,  soixante-six  es- 
pèces de  poissons  ;  le  manuscrit  de  ces  descriptions 
tomba,  plus  de  vingt  ans  après  la  mort  de  l'auteur,  entre 
les  mains  de  ConradCesner.  A  quelque  distance  de  Rome, 
Gordus  fut  saisi  d'une  fièvre  violente,  causée,  selon  les 
uns,  par  l'ingestion  d'une  boisson  froide,  le  corps  étant  en 
sueur,  selon  d'autres,  par  un  coup  de  pied  de  cheval  qui 
aurait  déterminé  une  inflammation  grave.  Quoi  qu'il  en 
soit,  il  mourut  loin  de  sa  famille,  à  l'âge  de  vingt-neuf 
ans  et  demi,  victime  de  son  zèle  pour  la  science.  Suspsct 
d'hérésie,  il  fut  privé  des  derniers  secours  de  la  religion, 
et  sans  l'intervention  d'un  prêtre  charitable,  son  corps 
aurait  été  jeté  dans  le  Tibre.  Deux  bourgeois  qui  se 
trouvaient  par  hasard  à  Rome,  firent  ensevelir  à  leurs 
frais  leur  compatriote  dans  l'église  allemande  de  Sainte- 
Marie  delV  Anima. 

La  mort  prématurée  de  Valerius  Cordiis  produisit  une 
vive  sensation  parmi  les  savants  de  l'Europe,  et  excita 
même  la  verve  de  plusieurs  poètes  d'alors.  Cornélius  Sit- 
tard recueillit  les  manuscrits  et  les  herbiers  de  son  infor- 
tuné compagnon  de  voyage  et  les  transmit  à  la  famille  de 
Gordus.  G.  Gesner  réunit  les  papiers  de  son  ami,  en  un 
volume  in-folio,  et  les  fit  imprimer  en  1561  à  Strasbourg, 
chez  Josias  Richel.  Ce  volume  contient  de  Gordus  :  Anno- 
taiiones  in  Dioscaridis  de  materia  medica  libros  V;  —  His- 
ton'œ  stirpiuni  libri  IV;  —  Sylva,  qua  rerum  fossUium  in 
Germania  plurimarum^  metallorum,  lapidum  et  stirpiuni 
aliquol  rariorum  nolitiam  brevissime  persequitur ;  —  De 


TEMPS  MODERNES.  129 

artificiosis  extraclionibus  liber;  —  Compositiones  médici- 
nales aliquot  non  vulgares.  Le  Dispensatorium  pharmaco- 
rum^  etc.,  avait  paru,  du  vivant  de  l'auteur,  à  Nuren- 
berg,  1535,  iii-8";  souvent  réimprimé,  et  traduit  en 
français  sous  le  titre  de  Guidon  des  apothicaires;  Lyon, 
1572,  in-12. 

Au  nombre  des  plantes  que  Valerius  Gordus  a  le  premier 
fait  bien  connaître,  nous  citerons  :  le  parnassia  paluslris^ 
sous  le  nom  àJhepalica  alha^  le  phalangium  ramosum  et 
ph.  liliago,  Vadoxa  moschatelHna,  le  saxifraga  alzoon^ 
les  ranunculus  arvensis,  r.  bidbosus,  r.  flammula;  le  vacci- 
nium  oxycoccos;  le  drosera  7'otundifolia^  le  lactuca  saligna 
sous  le  nom  à'ixopus,  Yepipactis  latifolia^  sous  celui  à'a- 
llsma.  Il  a  très-bien  caractérisé  la  famille  des  légumi- 
neuses, et  indiqué  le  premier  la  reproduction  des  fougères 
par  les  granules  (spores)  que  l'on  voit  à  la  surface  infé- 
rieure des  feuilles.  Plumier  a  donné,  en  l'honneur  de 
Gordus,  le  nom  de  cardia  au  genre  type  de  la  famille  des 
cordiacées. 

Gonrad  Gesner  (né  à  Zurich  en  1516,  mort  en  1565),  fils 
d'un  tanneur,  a  puissamment  contribué  aux  progrès  de  la 
botanique  et  de  la  zoologie.  Sa  famille  ayant  été  impliquée 
dans  les  querelles  sanglantes  qui  éclatèrent  entre  les  réfor- 
més de  Zurich  et  les  cantons  catholiques ,  il  fut  hospita- 
lièrement  accueilli  à  Strasbourg  parle  célèbre  théologien 
Capiton,  qui  lui  enseigna  l'hébreu.  Ayant  obtenu  de  sa 
ville  natale  un  petit  secours  en  argent,  il  en  profita  pour 
voyager  en  France.  Il  séjourna  quelque  temps  à  Bourges, 
où  il  donna,  pour  vivre,  des  leçons  de  grec  et  de  latin. 
En  1534,  ou  le  trouve  à  Paris.  Au  lieu  d'y  étudier  la 
médecine,  comme  il  en  avait  l'intention,  il  passa  son 
temps  dans  les  bibliothèques,  en  commerce  avec  les  sa- 
vants, et  suivit  la  pente  naturelle  de  son  esprit  encyclo- 
pédique. De  retour  à  Zurich,  il  reçut  un  petit  emploi 
dans  l'enseignement,  et  se  maria  n'ayant  pas  encore  ses 
vingt  ans  accomplis.  En  1537,  il  commença  ses   études 

9 


130  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

médicales  à  Bâle,  mais  il  les  interrompit  bientôt  pour 
accepter  les  fonctions  de  professeur  des  langues  anciennes 
à  Lausanne.  Au  bout  de  trois  ans  il  quitta  cette  place 
pour  aller  continuer  ses  études  médicales  à  Montpellier, 
et  vint  les  achever  à  Bâle,  où  il  obtint  en  1541  le  grade  de 
docteur.  Nommé  médecin  inspecteur  de  Zurich,  il  devint, 
quelques  années  après,  professeur  de  philosophie  et 
d'histoire  naturelle  à  l'université  de  sa  ville  natale.  Ses 
temps  de  vacances  étaient  remplis  par  des  excursions 
dans  les  Alpes,  par  des  voyages  en  Allemagne,  en  Au- 
triche et  en  Italie.  Il  mourut  dans  sa  quarante-neuvième 
année,  victime  de  son  zèle  pour  les  malades  qu'il  soignait 
pendant  l'épidémie  qui  ravageait  Zurich  en  1564  et  1565, 
Animé  de  l'amour  pur  de  la  science,  désintéressé  et  sans 
ambition,  Conrad  Gesner  était  resté  fidèle  à  cette  belle 
devise  qu'on  voit  inscrite  au  verso  du  titre  de  sa  Biblio- 
theca  universalis  : 

Non  mihi,  sed  studiis  communibus  ista  paravi. 
Sic  vos  non  vobismellificatis,  apes. 

Conrad  Gesner,  surnommé  le  Pline  de  l'Allemagne,  fait 
époque  dans  l'histoire  de  la  botanic[ue,  parce  qu'il  a  le 
premier  insisté  sur  la  nécessité  d'une  étude  exacte  de  la 
fleur  et  du  fruit  pour  une  classification  méthodique  des 
plantes.  Ce  fut  là  une  innovation  d'autant  plus  grande 
que  presque  tous  les  botanistes  anciens  avaient  singuliè- 
rement négligé  cette  étude.  A  toute  occasion  il  y  revient. 
Ainsi,  on  lit  dans  sa  correspondance  qu'il  pria  un  de  ses 
amis  de  lui  dessiner  le  fruit  d'une  tulipe,  de  manière  à 
rendre  bien  apparente  la  position  des  graines.  «  Car  j'ai 
l'habitude,  ajoute-t-il,  d'ajouter  à  mes  figures  de  plantes 
toujours  celles  du  fruit  et  des  graines,  afin  qu'on  puisse 
mieux  saisir  l'ensemble  des  caractères  distinctifs^  33  H  fil 
ressortir  en  même  temps,  par  ses  descriptions  aussi  bien 

l.  Gesner,  Epist.  médicinal,  lib.  m.  (Zurich,  1577.  in-4«.') 


TEMPS  MODERNES.  131 

que  par  ses  dessins,  que  toutes  les  plantes  qui  ont  la 
même  forme  de  fleurs  et  de  fruits  sont  également  sem- 
blables dans  leurs  autres  parties,  qu'elles  se  ressemblent 
souvent  par  leurs  propriétés,  et  qu'en  les  rapprochant, 
on  obtient  des  groupes  naturels.  C'est  ainsi  qu'il  fut  con- 
duit à  introduire,  l'un  des  premiers,  dans  la  science  l'éta- 
blissement des  genres  et  des  espèces.  «  Il  faut,  dit-il, 
admettre,  qu'il  n'y  a  pas  de  plantes  qu'on  ne  puisse  ratta- 
cher à  un  genre  et  celui-ci  diviser  en  deux  ou  plusieurs 
espèces  [quœ  non  genus  aliquod  constituant  in  duas  aut 
plures  species  dividendum).  Les  anciens  n'ont  décrit  qu'une 
seule  gentiane;  moi,  j'en  connais  plus  de  dix  espèces.  « 
Il  établit  aussi  le  premier,  avec  une  rare  sagacité,  la 
différence  qui  existe  entre  la  variété  et  Vespèce.  Ayant  un 
jour  reçu  une  branche  de  houx  (ilex  aquifoUum)  dont  les 
feuilles  ne  portaient  chacune  qu'un  seul  aiguillon  à  l'ex- 
trémité, il  recommanda  à  celui  qui  la  lui  avait  envoyée 
de  s'assurer  si  ce  caractère  est  constant  on  passager.  Il  fit  la 
même  recommandation  au  sujet  d'une  chicorée  dont  la 
tige  présentait  quelque  chose  d'anormal.  «  Dispose  bien, 
dit-il,  tes  observations  pour  l'été  prochain;  car  si  la 
graine  de  cette  chicorée  produit  une  tige  pareille,  ce  sera 
une  espèce  figurée  suivant  les  procédés  de  la  nature 
[rem  secundum  naturam  esse  conjicies)]  sinon,  ce  sera 
une  simple  variété ,  formée  en  dehors  des  procédés  de  la 
nature  [prœter  naturam).  »  Voilà  comment  cet  esprit  ob- 
servateur a  pu  s'élever  à  la  conception  d'un  plan  général  de 
la  nature  et  préparer  la  voie  à  une  classification  naturelle, 
G.  Gesner  avait  projeté  une  Histoire  générale  des  plantes 
pour  faire  pendant  à  son  Histoire  des  animaux.  Il  avait 
déjà  réuni  beaucoup  de  matériaux,  parmi  lesquels  se 
trouvaient  1500  ligures  de  plantes,  la  plupart  admirable- 
ment bien  dessinées  par  lui-même,  lorsque  la  mort  vint 
le  surprendre.  Il  légua  son  trésor  à  sou  ami  Gaspard  Wolf, 
à  la  condition  de  le  publier.  Celui-ci,  n'ayant  pu  s'enten- 
dre avec  un  éditeur,  le  céda  à  Joachim  Camerarius,  sous 


132  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

la  même  condition.  Mais  ce  dernier  se  contenta  d'en  tirer 
ce  qui  pouvait  lui  convenir.  Ce  ne  l'ut  que  près  de  cent 
cinquante  ans  après  la  mort  de  J.  Gamerarius,  que  les 
pa]3iers  de  Gesner  tombèrent  entre  les  mains  de  Trew, 
qui  s'adjoignit  G.  Schmiedel  et  le  célèbre  graveur  sur 
cuivre  Seligmann  de  Nuremberg,  pour  les  mettre  enfin  au 
jour  sous  le  titre  de  Conradi  Gesneri  opéra  botanica, 
2  vol.  in-fol.  ;  Nui«emberg,  1751-1771. 

Gomme  descripteur,  G.  Gesner  eut  le  mérite  de  faire 
le  premier  connaître  un  grand  nombre  de  plantes  alpes- 
tres, parmi  lesquelles  nous  citerons  :  cryngium  alpinum., 
swcrtia  perennis^  rhododendron  ferrugineum ,  dryas  octo- 
petala^  gentiana  punclata,  g.  purpurca^  artemisia  vallc- 
siaca,  etc. 

Son  histoire  naturelle  du  mont  Pilate  [Descriptlo  monlis 
fracti;  Zurich,  1555,  in-4°),  à  laquelle  se  trouve  joint 
l'opuscule  De  raris  et  admirandis  herhis^^  est  le  premier 
essai  d'une  monographie  d'une  flore  spéciale  des  Alpes. 
Quanta  r^is for ia  plantarum  C.  Gesneri  (Paris,  1 541 ,  in-18), 
c'est  une  œuvre  de  jeunesse,  qui  ne  renferme  rien  de 
Qouveau. 

Le  genre  gesncria.  type  de  la  famille  des  gesnéria- 
cées,  a  été  établi  par  Linné  en  l'honneur  de  G.  Gesner, 
qui  le  premier  avait  proposé  de  donner  les  noms  d'hommes 
célèbres  à  des  plantes  inconnues  aux  anciens.  On  en  a 
depuis  singulièrement  abusé. 

Benoît  Arelius  (né  à  Berne  vers  1505,  mort  en  1578), 
professeur  à  l'université  de  Marbourg,  où.  il  enseignait  la 
théologie  selon  les  doctrines  de  Galvin,  entretenait  un 
commerce  littéraire  avec  G.  Gesner,  et  passait  ses  mo- 
ments de  loisir  à  herboriser  dans  les  montagnes  de  la 
Suisse.  Il  publia  le  premier,  sous  forme  Je  lettres  à  Pepe- 
rinus,  la  flore  du  Niesen  et  du  Stockhorn,  deux  montagnes 
de  rOberland  bernois  [Descriptio  Stockhorni  etNessi,  mon- 

1.  Réimpr,  dans  Schîuclizer,  llisl,  nal,  Hclvcl. 


TEMPS  MODERNES.  133 

tium  in  Bernartium  Helveticorum  dilione^  etnascentium  in  eis 
stirpium) ,  imprimée  dans  Valerius  Gordus  etC.  Gesner,  Hor- 
tus  Germaniœ ^  et  Annot.ationes  in Dioscoridem  (Zurich,  1561 , 
in-fol.).Arei.ius  y  fait  connaître,  avec  leurs  synonymes  suis- 
ses, une  quarantaine  d'espèces  qui  n'avaient  pas  encore  été 
décrites,  et  parmi  lesquelles  on  remarque  la  violette  jaune 
des  Alpes  (viola  biflora]^  le  fluchlume  ou  oreille  d'ours 
(primula  auricula)^  ïedeldistel  ou  chardon  noble  [eryn- 
gium  alpinum)^  le  balmemlriUen  ou  saule  réticulé  [salix 
reticulata)^  le  brûndlin  [orchis  odoratissima) .  Conrad  Ges^ 
ner  a  donné,  en  mémoire  de  son  ami,  le  nom  à'aretia  à 
une  très-petite  plante  de  la  famille  des  primevères, 
qu'Aretius  avait  décrite  le  premier.  Haller  et  Linné  ont 
conservé  ce  nom,  et  l'ont  donné  au  genre  auquel  appartient 
cette  plante  lilliputienne  [aretia  helveiica). 

Parmi  les  herborisateurs  alpestres  de  la  même  époque, 
nous  citerons  encore  Galceolarius,  Pona,  Fabricius. 

François  Calceolari  ou  Galceolarius^  élève  de  L.  Gliini , 
était  pharmacien  à  Vérone.  En  1554,  il  fit,  en  compa- 
gnie d'Ulysse  Aldrovande,  un  voyage  au  mont  Baldo, 
situé  au  bord  oriental  du  lac  de  Guarda,  et  très-fertile  on 
plantes.  Il  répéta  plusieurs  fois  ce  voyage  avec  Anguil- 
lara,Jean  et  Gaspard  Bauhin,  et  communiqua  les  résultats 
de  ses  observations  à  Jean-Baptiste  Oliva,  qui  les  publia 
d'abord  en  italien  (Venise,  1556,  in-4'';  édit.  rarissime), 
puis  en  latin  sous  le  titre  d'Iler  Baldl  Montis  (Venise, 
1571,  1584,  in-4°).  Cet  opuscule  a  été  reproduit  par 
Seguier  dans  ses  Plantx  Veronenses^  et  à  la  suite  de  V Epi- 
tome  Malhioli  de  Gamerarius  (Francf.,  1586,  in-4'').  On  y 
trouve  pour  la  première  fois  décrits  :  anémone  baldensiSy 
arnica  scorpioides,  le  tordylium  officinale  sous  le  nom  de 
seseli  creticum^  etc.  —  En  mémoire  de  Galceolari,  le 
P.  Feuillée  a  donné  le  nom  de  calceolariak  un  genre  de 
scrofularinées,  originaires  du  Pérou. 

Le  même  mont  Baldo  fut  exploré  par  Jean  Pona,  de 
Vérone,  confrère  de  Galceolari.  Il  communiqua  les  résul- 


134  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

tats  de  ses  observations  d'abord  à  de  l'Écluse,  puis  il  les 
publia  à  part  sous  le  titre  de  Plantœ,  sive  simplicia  quœ 
in  monte  Baldo  reperiuntur  (Baie,  1608,  in-4°). 

Jean  Fabricius,  curé  de  Goire,  explora  vers  1555  la 
flore  du  mont  Galand  dans  le  pays  des  Grisons,  et  fit  le 
Dremier  connaître  la  renoncule  des  srlaciers,  le  doronic 
plantain,  le  veratrum  album,  etc.  ^ 

Joachim  Camerarius,  nom  latinisé  de  Kammer-meister. 
(né  à  Nuremberg  en  1534,  mort  en  1598),  fils  de  Joach. 
Gamerarius,  ami  de  Luther  et  de  Mélanchthon,  eut  pour 
maîtres  les  meilleurs  professeurs  de  l'Allemagne  et  de 
l'Italie,  et  pour  condisciples  ou  amis  les  premiers  savants 
de  son  époque.  Reçu  docteur  en  médecine  à  Bologne  en 
1562,  il  exerça  sa  profession  dans  sa  ville  natale  et  préco- 
nisa beaucoup  l'usage  des  végétaux.  Vainement  plusieurs 
princes  cherchèrent-ils  à  se  l'attacher  ;  il  refusa  les  offres 
les  plus  brillantes,  fidèle  à  cette  belle  devise  «  qu'il  ne 
faut  pas  se  mettre  au  service  d'autrui,  quand  on  peut  être 
son  propre  maître  :  alterius  non  sit,  qui  swùs  esse  polest.  » 
Il  fonda  une  académie  de  médecine  à  Nurenberg,  et  créa 
un  jardin  de  botanique,  où  il  introduisit  des  plantes  jus- 
qu'alors inconnues.  Il  en  publia  le  catalogue  sous  le  titre 
de Hortus medicus  et  philosophicus  (Francf. ,  1 588, in-4°) .  Son 
Epitome utilissima  P.  A.  Mathioli,  etc.  (Francf.,  1586,  in-4''), 
abrégé  des  commentaires  de  Mathiole  sur  Dioscoride, 
contient  plus  de  mille  gravures  sur  bois,  tirées  de  la  collec- 
tion que  G.  Gesner  avait  laissée  en  mourant.  On  en  trouve 
aussi  dans  son  Plantarum  tam  indigenarum  quam  exotica- 
rum  icônes  (Anvers,  1597,  in-4°).  Gamerarius  était  aidé 
dans  ses  travaux  par  son  neveu,  Joachim  Jungermann  , 
de  Leipzig,  (|ui  mourut  en  1591,  à  Gorinthe,  pendant  un 
voyage  en  Orient.  Parmi  les  gravures  les  mieux  réussies, 
Sprengel  {Historia  rei  Het^barise,  t.  I,  p.  431),  signale  : 
Echium  italicum,  agave  americana^  hallota  alba^cardamine 

1.  Voy.Valerius  Cordus,  Annotationes  in  Dioscorid. 


TEMPS  MODERNES.  135 

nîrsuta,  sherardia  arvensis^  hibiscus  syriacus,  etc.  Plumiev 
a  rlédié  à  la  mémoire  de  ce  savant  un  genre  d'apocynées, 
sous  le  nom  de  cameraria. 

Rambert  Dodoens,  plus  connu  sous  le  nom  de  Dodo- 
nœus  ou  Dodonée^  qu'on  pourrait  surnommer  le  Thêophraste 
néerlandais^  naquit  à  Malines  en  1518,  et  étudia  la  mé- 
decine à  Louvain,  où  il  obtint,  en  1535,  le  grade  de  li- 
cencié. Esprit  encyclopédique,  il  s'occupa  en  même 
temps  de  littérature  ancienne,  de  mathématiques  et  d'as- 
tronomie. Mais  la  botanique  demeura  sa  science  favorite. 
Après  avoir  voyagé  en  Allemagne  et  en  Italie,  il  devint, 
en  1572,  médecin  de  l'empereur  Maximilien,  et  conserva  le 
même  poste  sous  le  successeur  de  ce  prince,  Rodolphe  IL 
Une  discussion  violente  qu'il  eut  avec  son  confrère, 
Graton  de  Kraftheim ,  le  dégoûtèrent  de  la  cour,  et  il  re- 
tourna dans  son  pays  natal  pour  veiller  à  l'administration 
de  se§  biens.  En  1 582,  il  accepta  une  chaire  de  médecine  à 
l'université  de  Leyde  et  consacra  les  deux  dernières  an- 
nées de  sa  vie  à  l'enseignement.  Il  mourut  à  Leyde,  à 
l'âge  de  soixante-huit  ans. 

Dodoens  était  intimement  lié  avec  de  l'Écluse  etLobel. 
Leur  liaison  tourna  au  profit  de  la  science.  Ces  trois  amis 
se  communiquaient  réciproquement  leurs  travaux.  Do- 
doens mit  dans  ses  ouvrages  des  gravures  faites  pour  les  ou- 
vrages de  Lobel  et  de  l'Écluse,  et  ceux-ci  en  firent  autant 
pour  les  gravures  de  leur  ami,  en  sorte  qu'il  est  souvent 
difficile  de  distinguer  ce  qui  appartient  à  chacun  en  pro- 
pre. Le  principal  ouvrage  de  Dodoens  a  pour  titre  :  Stir- 
pium  historix  Pemptades  sex,  sive  libri  triginta;  Anvers, 
1583,  in-fol.,  avec  1303  figures  sur  bois.  Dans  cet  ou- 
vrage se  trouvent  fondus  tous  les  écrits  antérieurs  de 
l'auteur,  parmi  lesquels  on  remarque  :  De  frugum  hislo- 
ria,  etc.,  Anvers,  1552,  in- 12;  Cruydeboeck,  etc.,  1554, 
in-fol.  (en  caractères  gothiques);  Hisloria  frumentoritm^ 
leguminum^  etc.;  ibid.  1565,in-12;  Florum  et  coronaria- 
rum  odoratarumque  normullarum  herbarum^ etc., histcriai 


136  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE 

ibid.,  1558,  in-S";  Purgantium  aliorumque  ea  facientium, 
etc.,  historiœ  Hbri  IV;  ibid.,  1574,  in-12;  Hisloria  vi- 
tis  vt'iique  et  stwpium  nonnullarum  aliarum;  Cologne, 
1580.  in-12.  Dodoens  prépara  une  nouvelle  édition  de  son 
grand  ouvrage  ;  mais  elle  ne  parut  qu'après  la  mort  de 
l'auteur,  avec  les  additions  et  les  corrections  qu'il  avait 
laissées  ;  Anvers  1618,  in-fol.;  la  même  réimprimée  à  An- 
vers, 1618,  et  1644,  in-fol.  Cette  édition,  que  nous  avons  sous 
les  yeux,  et  qui  passe  pour  la  meilleure,  est  enrichie  de 
quelques  planches  nouvelles,  et  de  la  description  de  plu- 
sieurs plantes  étrangères,  empruntées  à  Charles  de  l'É- 
cluse. Bien  que  Dodoens  fût  vivement  préoccupé  de  lané- 
cessité  d'une  classification  méthodique,  — stirpium  histo- 
riam  meditanti  de  ordine  non  exigua  accessit  sollicitudo^ 
dit-il  dans  la  préface  de  la  première  Pemptade,  — il  n'eut 
pas  de  principes  arrêtés,  et  se  laissa,  dans  la  distribution 
des  plantes,  presque  exclusivement  guider  par  leur  utilité 
économique  et  médicale.  C'est  ainsi  que  les  céréales  se 
trouvent  réunies  aux  légumineuses,  et  le  sarrasin  vient  à  la 
suite  du  froment.  L'immense  majorité  des  plantes  conte- 
nues dans  l'ouvrage  du  grand  botaniste  néerlandais  ap- 
partient à  la  flore  allemande,  considérée  comme  type  de 
la  flore  de  l'Europe  centrale.  Parmi  les  espèces  qui  s'y 
voient  pour  la  première  fois  décrites  et  dessinées,  on 
remarque  :  le  miroir  de  Vénus  {campanula  spéculum) , 
le  phelandrium  aquatlcum^  la  couronne  impériale  (fri- 
tillaria  imperialis),  introduite  dans  le  jardin  de  Maxi- 
milien  II  en  1576,  la  tulipe  sauvage,  la  bruyère  cen- 
drée ,  la  fleur  de  Chalcédoine  [lychnis  chalcedonica) ,  le 
cerastium  commun,  sous  le  nom  à'alsine  spuria^  la  ficaire 
sous  le  nom  de  chelidonium  minus,  la  jacinthe  des  bois 
[hyacinlhus  non  scriplus) ,  la  brunelle ,  l'alchemille ,  le 
vuccinium  vilis  Idœa^  le  genêt  épineux  {ulex  europseus)^  la 
jacée  {centaurea  nigra),  le  séneçon  visqueux,  sous  le  nom 
à'erigeron  majus ,  etc.  —  Linné  a  donné,  en  mémoire  de 
Dodoens,  le  nom  de  dodonœa  à  un  genre  de  sapindacées. 


TEMPS  MODERNES.  137 

Théodoric  Dorsten  et  Adam  Lonicer,  tous  deux  pro- 
fesseurs à  l'universifé  de  Marhourg  vers  le  milieu  du 
seizième  siècle,  se  firent  connaître,  le  premier  par  son 
Botanicon(Fv3ind.,  1540,  in-fol.),  enrichi  de  gravures  par 
Egenolpli,  et  le  second  par  son  Hisloria  naluralis,  ouvrage 
paru  en  1551,  publié  plus  tard  en  allemand  sous  le  titre 
de  Krseuterhuch  (Herbier),  contenant  plus  de  sept  cents  gra- 
vures. Plumier  établit,  en  honneur  de  Dorsten,  le  genre 
dorstenia,  voisin  des  mûriers,  et  Linné  donna,  en  mé- 
moire de  Lonicer,  le  nom  de  lonicera  à  un  genre  de  ca- 
prifoliacées. 


Bofnnistcs  voyageurs. 


Les  hommes  qui,  dans  l'intérêt  de  la  science,  ne  crai- 
gnaient pas  de  s'aventurer  au  loin,  avaient  alors  beau- 
coup de  mérite  ;  car  à  la  fin  du  quinzième  siècle  et  au  sei- 
zième, les  voyages  lointains  étaient  encore  périlleux  et  se- 
més de  beaucoup  plus  d'obstacles  qu'aujourd'hui. 

Au  nombre  de  ces  intrépides  pionniers  de  la  science 
nous  devons  mentionner,  en  première  ligne,  Gadamosto, 
Garcia  da  Orta  [ab  Horto)^  Acosta,  Belon,  Guilandini, 
Rauwolf,  Prosper  Alpin  et  Linschoten. 

Encouragé  par  l'infant  don  Henri  de  Portugal,  le  Vé- 
nitien Cadamosto  visita,  près  de  quarante  ans  avant  la 
découverte  de  l'Amérique,  les  îles  de  Canaries  et  de  Ma- 
dère, décrivit  le  premier  le  dragonier  {dracœna  draco), 
donna  des  renseignements  exacts  sur  la  canne  à  sucre  et 
sur  le  lichen  qui  fournit  l'orseille.  En  explorant  la  côte 
occidentale  de  l'Afrique  jusqu'au  Sénégal,  il  vit  le  fa- 
meux baobab  {adansonia  baobab)^  ce  géant  du  règne  vé- 
gétal. On  en  trouve  la  description,  ainsi  que  celle  du  dra- 


138  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

gonier,  dans  Ramusio,  la  Prima  navigazione  pcrVOceano. 
etc.  (Vicence,  1507,  in-4o). 

Le  Portugais  Garciti  da  Orta^  plus  connu  sous  -e 
nom  latinisé  de  Garcia  ab  Horto^  s'embarqua  en  1534, 
pour  les  Indes  orientales,  avec  le  titre  .de  médecin  en  chef 
du  roi,  et  s'y  lia  d'amitié  avec  Gamoens  qui  lui  a  consa- 
cré quelques  beaux  vers.  Il  résida  longtemps  à  Bombay  et 
à  Groa,  décrivit  le  premier  le  choléra  asiatique,  et  publia 
le  résultat  de  ses  observations ,  en  portugais,  sous  le  titre 
de  Coloquios  dos  simples  e  droguas^  etc,;  Goa,  avril  1563, 
in-4°.  La  forme  de  dialogues,  empruntée  à  Platon  qui, 
dans  les  écoles,  commençait  à  détrôner  Aristote,  était 
alors  souvent  employée  par  les  savants.  De  l'Écluse  tra- 
duisit en  latin  ce  livre  rarissime,  dont  quelques  exeiji- 
plaires  seulement  étaient  parvenus  en  Europe  [Clusius^ 
Aromatum  et  simplicium  apud  Indos  nascentiwji,  etc. ,  autore 
Garcia,  ab  Horto  ;  Anvers  1567);  mais  il  lui  enleva  sa 
forme  primitive,  qui  en  faisait  le  principal  charme.  Il  fut 
iraduit  en  italien  par  Ziletti  (Venise,  1582,  in-8°)  et  en 
îrs,nçais  par  Ant.  Colin  (Garcie  du  Jardin,  Histoire  des  dro- 
gues, etc.  Lyon,  1619,  pet.  in-S").  On  y  trouve  pour  la 
première  fois  décrits,  entre  autres,  le  palmier  areca  et 
l'arbrisseau  qui  produit  la  noix  vomique  {strychnos  nux 
vomica),  que  l'auteur  appelle  bois  de  couleuvre. 

Le  médecin  Christophe  Acosta^  natif  de  la  Mozambi- 
que, colonie  portugaise,  se  rendit,  vers  1550,  aux  Indes 
orientales  pour  y  chercher  des  drogues.  Après  y  avoir  fait 
un  assez  long  séjour,  il  vint  se  fixer  à  Burgos,  en  Espa- 
gne, où  il  fit  paraître,  deux  ans  avant  sa  mort,  en  espa- 
gnol, les  résultats  de  ses  recherches  sous  le  titre  de  Tra^ 
tado  de  las  drogas  y  medicinas  de  las  Indias  orientales, 
con  sus  plantas^  etc.;  1578,  in-4''.  Cet  ouvrage,  où  l'auteui 
a  souvefnt  copié  Garcia  ab  Horto,  fut  traduit  en  italier 
par  Guikndini  (Venise,  1585,  in-4°),  en  latin  par  de  l'É- 
cluse (dans  ses  Exotica;  Anvers,  1585,  in-8°,  à  la  suite  du 
livre  de  Garcia  ab  Horto)  et  en  français  par  Antoine  Co- 


TEMPS  MODERNES.  139 

lin,  apothicaire  à  Lyon  {Traicté  de  Christophle  de  la  Coste, 
médecin  et  chirurgien,  Des  drogues  et  médicaments  qui 
naissent  aux  Indes  ;  Lyon,  1602,  pet.  in-S").  On  y  trouve 
pour  la  première  fois  décrits  et  figurés  la  sensilive  (figure 
inexacte),  et  le  moringa  [hyperantheramoringa^lu.)^  arbre 
de  l'Asie  tropicale,  dont  la  racine  et  l'écorce  ont  l'o- 
deur et  la  saveur  du  raifort,  et  dont  la  graine  glandiforme 
(connue  des  anciens  sous  les  noms  de  paXavo;  [iLupetl^oc-zi,  glans 
unguentaria^  nux  hehen^  balanus  myristica)  donne  une 
huile  grasse,  qui  rancit  difficilement  et  que  les  Orientaux 
emploient  pour  leurs  pommades  ou  onguents. 

Le  Français  Pierre  Belon^  natif  du  hameau  de  la  Soul- 
letière  (Sarthe),  suivit  les  cours  de  Valerius  Gordus  à  l'u- 
niversité de  Wittemberg,  à'où  Luther  venait  de  lancei 
ses  fameuses  thèses,  et  fut,  lors  de  son  retour  en  France, 
arrêté  et  emprisonné,  comme  suspect  d'hérésie,  à  Thion- 
ville,  alors  occupé  par  les  Espagnols.  Remis  en  liberté,  il 
vint  à  Paris  où  il  obtint  le  grade  de  docteur  en  médecine, 
et  entreprit,  peu  de  temps  après,  un  grand  voyage  en 
Orient,  pour  voir  de  près  les  plantes  et  les  médicaments 
dont  il  avait  lu  l'histoire  dans  les  livres.  Son  protec- 
teur, le  cardinal  de  Tournon,  lui  en  fournit  les  moyens. 
Belon  partit  de  France  en  1546,  et  y  fut  de  retour  en 
1549.  Dans  cet  intervalle,  il  visita  successivement  la  Grèce, 
l'île  de  Crète,  Gonstantinople,  l'île  de  Lemnos,  l'île  de 
Thasos,  le  mont  Athos,  la  Thrace,  la  Macédoine,  l'Asie 
Mineure,  les  îles  de  Ghio,  de  Mételin,  de  Samos  et  de 
Rhodes.  Là  il  s'embarqua  pour  Alexandrie,  vit  le  Caire, 
et  parcourut  la  Basse-Egypte;  delà  il  entra  en  Palestine, 
passant  par  l'isthme  de  Suez,  et  franchit  le  mont  Sinaï.  Il 
visita  Jérusalem,  le  mont  Liban,  Alep,  Damas,  Antioche, 
Tarsus,  et  revint  à  Gonstantinople  par  l'Anatolie.  A  Rome 
il  rencontra  deux  zoologistes  célèbres.  Rondelet  et  Sal- 
viani.  Il  y  rencontra  aussi  soû  protecteur,  le  cardinal  de 
Tournon,  qui  siégeait  alors  au  conclave,  convoqué  depuis 
la  mort  du  pape  Paul  III.  L'intrépide  voyageur  fit  plus 


140  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

qu'il  n'avait  promis  :  non-seulement  il  enrichit  l'histoire 
naturelle  d'un  grand  nombre  d'observations  entièrement 
neuves,  mais  il  fit  aussi  connaître  les  ruines,  les  antiqui- 
tés, l'état  religieux  et  moral  des  pays  qu'il  avait  parcou- 
rus. Il  consigna  les  résultats  de  son  expédition  scientifi- 
que dans  un  ouvrage  remarquable,  intitulé  :  les  Observa- 
tions de  plusieurs  singularitez  et  choses  mémorables,  trou- 
vées en  Grèce,  Asie^  Judée^  Egypte,  Arabie  et  auUres  pays 
estranges,  rédigées  en  trois  livres;  Paris  (G.  Caveilat),  1553, 
in-4°,  et  Anvers  (Plantin)  1555,  petit  in-8°,  avec  quel- 
ques bonnes  gravures  sur  bois,  intercalées  dans  le  texte. 
L'Ecluse  l'a  traduit  en  latin  (Anvers;  1589,  in- 12). 
On  y  trouve  pour  la  première  fois  bien  décrits  et  dessi- 
nés :  le  platane  (platanus  orientalis) ,  l'apios  (euphorbia 
apios),  ombilic  de  Vénus  [cotylédon  umbilicus,  L.),le  séné 
d'Alexandrie  [cassia  lanceolata) ,  l'acacia  [acacia  vera),  etc. 

On  doit  aussi  à  Belon  une  histoire  assez  exacte  des  co- 
nifères (pin,  sapin,  mélèze,  cyprès,  cèdre,  etc.)  qui  for- 
ment les  forêts  d'essences  résineuses  ;  elle  a  pour  titre  :  De 
arboribus  coniferis ,  resiniferis  ,  etc.,  Paris  (Gr.  Cavellat) , 
1553,  in-4°,  avec  figures.  Cet  éminent  naturaliste  eut  une 
fin  malheureuse.  Il  fut  assassiné  par  une  main  inconnue  en 
traversant,  un  soir  du  mois  d'avril  1564,  le  bois  de  Bou- 
logne. Il  avait  à  peine  quarante-sept  ans. 

Melchior  Guilandinus,  nom  latinisé  de  l'allemand 
Wieland,  natif  de  Kœnigsberg,  s'était  de  bonne  heure  pas- 
sionné pour  l'histoire  naturelle.  Dans  le  but  d'achever  ses 
études,  il  partit  pour  l'Italie,  résida  quelque  temps  à  Ve- 
nise et  trouva  un  protecteur  dans  Marie  Gabello_,  l'un  des 
directeurs  de  l'Université  à  Padoue.  Celui-ci  lui  procura 
les  moyens  de  visiter,  en  1559  et  1560,  l'Egypte  et  la  Syrie. 
Wieland  en  revenait  chargé  des  productions  les  plus  cu- 
rieuses, lorsqu'il  tomba  entre  les  mains  des  pirates  près 
de  Gagliari.  Emmené  comme  esclave  dans  les  États  bar- 
baresques,  il  ne  recouvra  sa  liberté  que  par  une  forte  ran- 
çon, payée  par  le  célèbre  anatoraiste  Fallope,  qui  s'inté- 


TEMPS  MODERNES.  141 

rossait  vivement  aux  progrès  de  la  botanique.  A  son  re- 
tour en  Italie,  il  obtint,  en  1561,  la  direction  du  jardin 
médicinal  de  Padoue,  pJace  à  laquelle  il  joignit  bientôt  la 
chaire  de  botanique.  Depuis  lors  V/ieland  italianisa  son 
nom  allemand  en  le  changeant  en  celui  de  Guilandini^ 
fX  mourut  en  1589  à  un  âge  fort  avancé.  Il  fut  un  des 
plus  violents  adversaires  de  Mathiole ,  à  juger  par  son 
livre  intitulé  Theon  (Padoue,  1558,  in-4°).  Son  ouvrage 
le  plus  intéressant  est  celui  qui  traite  du  papyrus,  qu'il 
avait  observé  en  Egypte  {Papijrus^  hoc  est  commentanW) 
in  tria  Plinii  Majoris  de  papyro  capita;  Venise,  1572, 
in-4").  La  synonymie  des  anciens,  comparée  avec  celle 
des  modernes,  était  le  principal  objet  de  son  De  stirpium 
aliquot  nominihus  vetustis  ac  novis,  etc.;  (Bâle,  1557, 
in-4°),  et  de  ses  Conjectanea  synonymica  plantarum  cum 
horti  Patavini  catalogo,  etc.,  publiés  par  J.  G.  Schenetz, 
après  la  mort  de  l'auteur  (Francfort,  1600,  in-8°).  Linné 
a  établi  le  genre  guilandina,  pour  rappeler  le  nom  du 
célèbre  botaniste  voyageur. 

Léonard  Rauwolf^  que  ses  savants  contemporains  nom- 
maient DasylycKS  (traduction  grecque  de  Rauwolf^  qui 
signifie  rude  loup)^  était  fils  d'un  riche  négociant  d'Augs- 
bourg.  Après  avoir  fréquenté  les  principales  universités  de 
l'Allemagne,  il  étudia  la  médecine  à  Montpellier,  et  ob- 
tint, en  1562,  le  grade  de  docteur  à  l'Université  de  Va- 
lence. Passionné  pour  la  botanique,  il  alla  herboriser  en 
Suisse  et  e|i  Italie,  et  visita  toutes  les  localités  où  l'on  cul- 
tivait des  plantes  rares.  Voulant  voir  au  naturel  les  plan- 
tes dont  parlent Théophraste,  Dioscoride,  Pline,  Galien  et 
les  médecins  arabes,  il  résolut  de  faire  un  voyage  en 
Orient.  Parti  d'Augsbourg  le  15  mai  1573,  il  passa  par  Lin- 
dau,  Goire,  Gôme,  notant  les  plantes  qu'il  rencontra  en 
route,  traversa  laLombardie  et  le  Piémont,  et  vint,  le  2  sep- 
tembre suivant,  s'embarquer  à  Marseille  avec  Ulrich 
Kraft,  fils  du  bourgmestre  d'Ulm,  sur  un  navire  italien,  la 
Santa-Croce,  appartenantà  son  beau-frère,  riche  marchand 


14â  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

de  drogues.  Le  30  septembre,  il  débarque  à  Tripoli  de 
Syrie,  et  fait  connaître  la  flore  des  environs  de  cette  ville 
de  commerce,  alors  très-florissante.  Il  visite  ensuite  Da- 
mas et  Alep,  dont  il  décrit  les  productions  naturelles. 
Aux  environs  d'Alep  il  recueillit  plusieurs  échantillons 
de  plantes  qu'il  colla  sur  des  feuillets  de  papier  pour  les 
faire,  après  son  retour,  graver  sur  bois.  Dans  cette  ville 
il  se  prépara  pour  un  long  voyage  qu'il  devait  pousser  jus- 
qu'aux frontières  de  la  Perse,  à  travers  le  désert  qui  sé- 
pare la  Syrie  de  l'Euphrate.  Déguisé  en  marchand  turc  et 
muni  d'un  sauf-conduit  du  pacha  d'Alep,  il  se  mit  en 
route,  le  13  août  1574,  avec  une  caravane,  en  compagnie 
d'un  Hollandais  qui  avait  longtemps  résidé  dans  le  pays 
et  en  connaissait  la  langue.  Il  atteignit  ainsi  Bir,  s'em- 
barqua sur  l'Euphrate,  s'arrêta  à  Raka,  où  il  fut  rançonné 
par  la  douane  ;  toucha,  en  descendant  le  fleuve,  à  Ana,  à 
Hadid,  et  visita,  à  la  hauteur  d'Elugo,  l'emplacement  de 
Babylone,  où  il  frignale  les  débris  d'une  antique  tour, 
qu'il  prend  pour  celle  dont  parle  la  Genèse,  et  que  d'in- 
nombrables lézards  et  serpents  l'empêchaient  d'explorer. 
Il  traversa  ensuite  la  Mésopotamie,  et  vint  à  Bagdad  sur 
le  Tigre.  Il  compare  la  cité  des  khalifes  à  la  situation 
de  Bâle  aux  bords  du  Rhin,  et  en  donne  une  description 
détaillée,  en  y  joignant  la  flore  du  pays.  Le  10  février  il 
effectua  son  retour  par  l'ancienne  Médie  et  le  pays  des 
Kourdes,  s'arrêta  quelque  temps  à  Mossoul,  «qui  s'appe- 
lait, dit-il,  jadis  Ninive,  »  et  revint  par  Orpha,^Bir,  Nizib, 
à  Alep,  après  avoir  traversé  la  Palmyrène,  le  royaume 
d'Odonat.  Dans  cette  longue  traversée,  la  qualité  de  mé- 
decin lui  avait  été  très-utile,  ainsi  qu'à  tous  ses  compa- 
gnons de  voyage.  Il  employa  plusieurs  mois  à  explorer  la 
Phénicie  et  la  Palestine;  il  vit  Tyr,  Sidon,  Jaffa  (Joppé),  le 
mont  Garmel,  les  cèdres  du  mont  Liban  (il  en  compta  en- 
core vingt-quatre),  Jérusalem  et  les  principaux  lieux  il- 
lustrés par  les  récits  de  la  Bible.  Enfin  le  savant,  et  intré- 
pide voyageur  se  rembarqua  à  Tripoli  pour  Venise,  et  fut 


TEMPS  MODERNES.  143 

de  retour  à  Augsbourg  le  12  février  1576,  après  une 
absence  de  près  de  trois  ans.  Nommé  médecin  en  phef  de 
riiôpitai  de  sa  ville  natale,  il  perdit  cette  place  pour  n'a- 
voir pas  voulu  abjurer  le  protestantisme  qu'il  avait  sin- 
cèrement embrassé.  Quittant  alors  Augsbourg,  il  se  retira 
à  Linz,  et  servit  comme  médecin  militaire  dans  les  cam- 
pagnes de  Hongrie,  où  il  mourut  de  la  dyssenterie,  pen- 
dant le  siège  de  la  forteresse  de  Hatvan,  en  septembre 
1596.  Pour  perpétuer  la  mémoire  de  Rauwolf,  Plumier 
adonné  le  nom  de  rauwolfia  à  un  genre  de  plantes, 
adopté  par  Linné. 

Le  voyage  de  Rauwolf  a  paru  sous  le  titre  àe  Aigentlicne 
Beschreibung  der  Raiss ,  so  er  vor  diser  zeit  gegen  Auffgang  inn 
die  Morgenlxndei\  fûrnemlich  Syriam,  ludxam.  Arabiam., 
etc.,  nicht  ohne  geringe  Mûhe  und  grosse  Gefahr  selbst  vol- 
bracht,  etc.  (Relation  exacte  du  voyage  de  Rauwolf  dans 
les  contrées  de  l'Orient,  la  Syrie,  la  Judée,  l'Arabie,  etc., 
voyage  achevé  non  sans  de  grands  périls,  etc.).  Cet  inté- 
ressant ouvrage,  que  j'ai  sous  les  yeux, 'est  écrit  en  dialecte 
souabe,  et  divisé  en  trois  parties,  petit  in-4°,  qui  furent 
imprimées  en  1582,  à  Lauingen  par  Léonard  Reinmichel. 
Il  y  a  été  joint  une  quatrième  partie  ,  imprimée  en  1532, 
qui  ne  se  trouve  pas  dans  les  différentes  réimpressions  et 
traductions  qui  ont  été  faites  du  livre  de  Rauwolf  ^  Cette 
quatrième  partie  contient  quarante-deux  gravures  d'es- 
pèces végétales,  extraites  de  l'herbier  c[ue  l'auteur  avait 
rapporté  de  son  voyage.  Cet  herbier  (composé  de  cinq 
gros  volumes  in-folio),  sur  les  feuilles  duquel  étaient  collés 
les  échantillons,  fut  pris  et  transporté  à  Stockholm,  pen- 
dant la  guerre  de  Trente  ans.  La  reine  Christine,  de  Suède, 
en  fit  cadeau  à  Isaac  Vossius,  qui  l'emporta  avec  lui  d'a- 
bord à  La  Haye,  puis  à  Londres.  Enfin,  après  la  mort  de 
Vossius,  il  fut  rapporté  en  Hollande  et  déposé  à  la  Biblio- 
thèque deLeyde,  où  il  doit  se  trouver  encore.  F.  Gronovius 

1,  Voy.  l'article  Raimolf,  dans  la  Biograghie  générale. 


144  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

l'utilisa  pour  sa  Flora  Orientalis^  où  il  donne  (au  tome  IV) 
la  liste  de  338  espèces  provenant  de  l'herbier  de  Rauwolf. 
Au  nombre  de  ces  espèces  se  trouvent  anabasys  aphylla^ 
scorzonera  tuberosa,  erigeron  tuberosum,  leontice  chryso- 
gonum,  hibiscus  tiHonum^  astragalus  coluteoïdes,  gnapha- 
lium  sanguinewn,  statice  sinuata,  artemisiajudaica,  etc. 

Prosper  Alpin^  natif  de  Marostica  près  de  Vicenze,  sui- 
vit d'abord  la  carrière  militaire  ;  mais  il  la  quitta  bientôt 
pour  étudier  la  médecine  à  Padoue,  où  il  devint  docteur 
en  1578.  Entraîné  par  un  goût  irrésistible  pour  la  botani- 
que, surtout  pour  la  connaissance  des  plantes  médicinales, 
il  résolut,  à  l'exemple  de  Gralien,  de  voyager  à  la  recherche 
du  végétal  qui  produit  le  baume,  et  il  accepta  avec  empres- 
sement la  place  de  médecin  de  Greorge  Emo,  qui  venait 
d'être  nommé  consul  de  la  République  de  Venise  au  Caire. 
Parti  de  Venise  le  12  septembre  1580,  il  n'arriva  en 
Egypte  qu'au  commencement  du  mois  de  juillet  de  l'année 
suivante,  après  une  longue  et  périlleuse  navigation.  Il  ha- 
bita pendant  trois  ans  le  Caire,  visita  la  vallée  du  Nil, 
Alexandrie,  parcourut  les  îles  de  la  Grèce,  surtout  Candie, 
interrogeant  la  nature  plus  encore  que  les  hommes  pour 
s'instruire;  car,  dans  plus  d'un  endroit  de  ses  ouvrages, 
esquissés  en  Egypte,  il  se  plaint  de  ce  qu'il  avait  rare- 
ment rencontré  des  gens  capables  de  le  renseigner.  Après 
un  séjour  d'environ  six  ans  en  Orient,  il  revint,  en  1586, 
dans  sa  patrie  et  résida  quelque  temps  à  Gênes,  où  il  fut 
attaché  comme  médecin  au  célèbre  amiral  André  Doria. 
Le  sénat  de  Venise  lui  confia,  en  1593,  la  chaire  de  bo- 
tanique et  la  direction  du  jardin  de  l'Université  de  Pa- 
doue. Accablé  d'infirmités,  dont  il  avait  contracté  les  ger- 
mes dans  ses  voyages,  devenu  presque  sourd  à  la  fin  de 
sa  vie,  il  mourut,  en  1607,  à  Padoue,  dans  sa  soixante- 
quatrième  année.  En  honneur  d'Alpinus,  Linné  a  donné 
le  nom  d'nlpinia  à  un  genre  de  zingibéracées. 

Le  premier  ouvrage,  publié  par  Alpinus  après  son  re- 
tour de  rjÉgypte,  a  pour  titre  :  De  Balsamo  Dialoyus,  in 


TEMPS  MODERNES.  145 

quo  verissima  Balsami  flantx,  Opobalsami^  Carpobalsami 
et  Xylohalsami  cognitlo,  pleiisque  antiquorum  atque  junio- 
rum  medicorum  occulta,  nunc  elucescit;  Venise  ,  1590, 
in-4";  réimprimé  à  Padoue,  1639,  à  la  suite  de  l'édition 
donnée  par  Vesling  d'un  autre  ouvrage  d'Alpin  [De  plan- 
iis  ji^gypti).  Les  noms  de  balsamum,  opobalsamum,  etc., 
s'appliquaient  alors  à  tous  les  sucs  végétaux  gommo- 
résineux,  dont  on  faisait  un  grand  usage  en  médecine.  Le 
baume  dont  il  est  ici  question,  provenait,  selon  Spren- 
gel,.  d'une  espèce  à'amyris  (figurée  à  la  p.  48  de  l'édit. 
de  Padoue,  1639),  que  Bartholin  dit  avoir  vue  dans  le 
jardin  d'Alpinus  à  Padoue. 

Le  second  ouvrage,  beaucoup  plus  important  que  le 
premier,  est  intitulé  :  De  plantis  ^Egypti  Liber,  in  quo  non 
pauci,  qui  circa  herbarum  materiam  irrepserunt,  errores 
deprehenduntur,  etc.;  Venise,  1592,  in-4°;  cum  observa- 
tionibus  et  notis  Joan.  Veslingii:  accessit  Liber  de  Balsamo; 
1640,  in-4°.  C'est  cette  édition  qui  sert  à  mon  analyse. 
On  y  trouve  la  description  d'environ  cinquante  plan- 
tes d'Egypte ,  avec  leurs  gravures  intercalées  dans  le 
texte;  parmi  ces  plantes,  une  vingtaine  n'avaient  pas  en- 
core été  décrites,  ou  l'avaient  été  incomplètement.  Nous 
citerons,  entre  autres  :  le  nabec  ou  zizyphus  spina  Christi, 
l'uzeg  ou  lycium  europseum,  depuis  lors  très-répandu  en 
Europe,  l'acacia  du  Sénégal,  le  melochia  ou  corchorus oli- 
torius,  l'origan  d'Egypte,  la  casse  absus,  le  cotonnier  bx- 
borescent,  l'aènts  ?jr«catortm,  la  coronille  Sesban,  etc. 
Cet  ouvrage  fut  refondu  et  réuni  à  un  travail  d'Alpinus 
sur  l'Histoire  naturelle  de  l'Egypte,  qui  resta  longtemps 
en  manuscrit,  et  ne  parut  qu'en  1735,  sous  le  titre  :  His- 
toriœ  naturalis  JEgypti  Libri  quatuor^ opusposthumum,  etc.; 
Leyde,  2  vol.  in-4°,  avec  de  nombreuses  gravures  et  leri 
commentaires  de  Vesling,  qui  avait  visité  le  Caire,  et  suc- 
cédé à  P.  Alpin  dans  la  chaire  de  botanique,  à  Padoue. 
On  y  trouve  une  description  détaillée  du  laserpitium  et 
du  lotus  du   Nil.  A  cette  histoire  naturelle  de  l'Egypte, 

10 


146  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

dont  les  matériaux  avaient  été  recueillis  par  l'auteur  pen- 
dant son  séjour  en  Orient,  il  faut  ajouter  De  medicina 
yEgyptiorum  libri  IV,  traité  auquel  se  trouve  joint,  dans 
l'édition  de  1645,  (Paris,  in-4''),  l'opuscule  de  Bontius,  De 
Medicina  Indor^um.  Le  chap.  m  du  livre  IV  contient  la 
première  description  qui  ait  été  faite  du  café  sous  le  nom 
de  chaoua,  ainsi  que  du  caféier  qu'Alpin  avait  vu  dans  le 
verger  d'un  bey  turc,  au  Caire. 

Prosper  Alpin  avait  aussi  laissé  les  matériaux  d'un  ou- 
vrage d'ensemble  sur  les  plantes  exotiques.  Ils  furent 
réunis  par  son  fils  Alpino  Alpini  (mort  en  1637,  profes- 
seur de  botanique  à  Padoue),  et  publiés  sous  le  titre  :  De 
plantis  exoticis  libri  duo;  Venise,  1627,  réédités  en  1656, 
in-4°,  avec  planches  gravées  sur  cuivre.  On  y  trouve  la 
description  d'un  assez  grand  nombre  d'espèces  nouvelles 
{teucrium  creticum,  cistus  creticus,  pyrus  cretica,  sapona- 
ria  cretica^  campanula  Alpini,  alyssum  creticum^  calanan- 
chelutea,  achillea  cretica,  etc.),  que  l'auteur  cultivait  dans 
le  jardin  de  Padoue,  et  qui  lui  avaient  été  envoyées  par 
Gapello,  gouverneur  vénitien  de  l'île  de  Crète,  et  par  Pal- 
merius  d'Ancône,  résidant  au  Caire. 

Jean-Hugues  Linschooten  (né  à  Harlem  en  1563,  mort 
en  1611)  s'embarqua,  en  1579,  au  Texel,  s'attacha,  à  Lis- 
bonne, au  service  deVicente  Fonseca,  archevêque  de  Goa, 
et  suivit  ce  prélat  aux  Indes  Orientales.  Il  y  recueillit  des 
documents  curieux  s«ur  les  îles  et  les  côtes  de  l'océan  In- 
dien, comprises  entre  la  Chine  et  le  cap  de  Bonne-Espé- 
rance. Après  la  mort  de  Fonseca,  en  1589,  Linschooten 
revint  en  Hollande,  et  y  publia  la  relation  de  son  voyage 
en  hollandais  (La  Haye,  1591,  in-fol.).  Cette  relation  pa- 
rut en  latin  sous  le  titre  de  Navigatio  ac  Itinerarium  Joli. 
Hug.  Linscotaniin  Orientalem  sive Lusitanorum Indiam,  etc. 
(La  Haye,  1599,  in-fol. ).  On  y  trouve  (p.  58-83)  des  dé- 
tails intéressants  sur  les  principales  productions  naturel- 
les de  l'Inde,  de  l'île  de  Ceylan  et  des  îles  de  la  Sonde. 
Nous  signalerons  particulièrement  la  description  de  l'eu 


TEMPS  MODERNES.  147 

genia  jambos,  (dont  le  fruit,  semblable  à  une  petite  pom- 
me, imprègne  la  bouche  d'une  odeur  de  rose),  du  palmier 
arec,  àumaing\ier{rhizopliorus  mangle)^  et  de  la  tubéreuse 
(polyanthcs  tuherosa)  ,  dont  la  première  mention  a  été 
faite,  en  1594,  par  Paludanus  (dans  l'édit,  de  Linschooten 
de  1599). 


Botanistes  du  dix-septième  siècle. 


Deux  frères ,  Jean  et  Gaspard  Bauhin  occupent ,  par 
leurs  travaux,  le  premier  rang  parmi  les  botanistes  de  la 
fin  du  seizième  siècle  et  du  commencement  du  dix-sep- 
tième„  Leur  père,  natif  d'Amiens,  persécuté  en  France 
pour  avoir  embrassé  le  protestantisme,  était  venu  se 
fixer  à  Bâle,  où  il  fut  agrégé  au  collège  des  médecins, 

Jean  Bauhin  (né  à  Bâle  en  1541 ,  mort  en  1616)  étu- 
dia la  botanique,  sous  L.  Fuchs,  à  Tubingue,  et  se  lia,  à 
Zurich,  d'amitié  avec  Conrad  Gesner,  qu'il  accompagna 
dans  ses  excursions  scientifiques  en  Suisse.  Après  avoir 
ainsi  visité  une  partie  des  Alpes,  notamment  le  pays  des 
Grisons,  il  se  mit,  pour  enrichir  ses  herbiers,  à  parcourir 
l'Alsace,  la  Forêt  Noire  ,  la  Haute-Bourgogne  et  la  Lom- 
bardie  ;  il  séjourna  quelque  temps  à  Padoue,  et  suivit  à 
Bologne  les  cours  d'AÎdrovande.  Il  passa  ensuite  enFrance, 
entendit  à  Montpellier  le  célèbre  Rondelet,  explora  le  Lan- 
guedoc, particulièrement  les  environs  de  Narbonne  et  le 
Dauphiné,  si  riches  en  plantes  intéressantes.  A  Lyon  il  fît 
connaissance  avec  Dalechamps  ;  mais ,  pour  se  soustraire 
à  des  persécutions  auxquelles  il  était  en  butte  comme  pro- 
testant, il  se  hâta  de  quitter  la  France.  Après  avoir  ré- 
sidé quelque  temps  à  Genève ,  il  revint  exercer  la  mé- 
decine dans  sa  ville  natale.  En  1570 ,  le  duc  Ulric ,  de 


148  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

Wirtomberg-Montbéliard  ,  l'appela  auprès  de  lui  et  se 
l'attacha  comme  premier  médecin.  Ces  fonctions,  que 
Jean  Bauhin  remplit  pendant  quarante-trois  ans,  lui  ])er- 
mirent  de  poursuivre  fructueusement  son  étude  favorite  : 
le  duc  Ulric  aimait  la  botanique  et  faisait  cultiver,  dans 
son  jardin  de  Montbéliard  ,  un  grand  nombre  de  plantes 
nouvellement  introduites  en  Europe. 

Ainsi  favorisé  par  les  circonstances,  Jean  Bauhin  put 
réunir  les  matériaux  de  deux  ouvrages  considérables,  qui 
ne  parurent,  avec  des  additions  nombreuses,  qu'après  sa 
mort.  L'un  a  pour  titre  :  Historiœ  plantarum  generaUs 
novx  et  absolutœ  Prodromus;  Yverdun  ,  1619,  in-4'';  il 
fut  publié  par  les  soins  de  J.  H.  Gherler  ,  médecin  de 
Bâle,  qui  avait  épousé  la  fille  unique  de  Jean  Bauhin. 
L'autre  ouvrage ,  beaucoup  plus  important ,  est  intitulé  : 
Historia  universalis  plantarum  nova  et  absolutissima  cum 
consensu  et  dissensu  circa  eas;  Yverdun,  1660-1661,  3  vol. 
in-foL,  publiés  par  Fr.  L.  de  Glrafenried,  patrice  de  Berne, 
et  Ghabrée ,  médecin  d' Yverdun ,  qui  y  ont  ajouté  leurs 
propres  observations.  Cet  ouvrage ,  vaste  compilation  des 
travaux  de  Dalechamps,  Fuchs,  Dodonée,  Lobel,  de  l'É- 
cluse, etc.,  contient  à  peu  près  tout  ce  qui  avait  été  écrit 
sur  les  plantes  depuis  l'antiquité  jusqu'au  dix-septième 
siècle.  Il  est  divisé  en  quarante  livres  qui  représentent 
en  quelque  sorte  les  classes  ,  comme  les  chapitres  repré- 
sentent les  familles  du  règne  végétal.  On  y  trouve  la  des- 
cription d'environ  cinq  mille  plantes,  avec  trois  mille  cinq 
cent  soixante-dix-sept  figures ,  dont  la  plupart  sont  em- 
pruntées à  Fuchs.  Les  frais  de  publication,  qui  s'élevaient 
à  quatre-vingt-dix  mille  francs  environ  de  notre  monnaie, 
furent  avancés  par  de  Grafenried.  Les  deux  premiers  vo- 
lumes sont  dédiés  aux  avoyers  de  Berne ,  et  le  troisième 
l'a  été  à  Henri,  duc  d'Orléans-Longueville,  prince  de 
Neuchâtel.  Ghabrée  en  publia  un  abrégé  sous  le  titre  de 
Sciagraphia  (Genève,  1666,  1676  et  1677,  in-fol).  Toutes 
les  figures  de  VHistoria  universalis  plantarum  s'y  trou- 


TEMPS  MODERNES.  149 

vent  reproduites;  c'est  rénumération  |à  peu  près  com- 
plète des  plantes  jusqu'alors  connues.  Au  nombre  des  es- 
pèces pour  la  première  fois  indiquées,  on  remarque  :  la 
nummulaire  rouge  [anagallis  Unella)  ^  la  herniaire  velue 
[herniaria  hirsuta),  le  jonc  aigu,  l'arenaiHa  trinervia,  le 
sediim  saxatilc^  le  ranunculus  glacialis^  le  trifoliiwi  tomen- 
tosum^  la  jacobée  aquatique  [achillea  nana) ,  epipaclis 
ovata^  salix  reticulata^  pteris  crispa^  etc. 

Jean  Bauhin  avait  publié,  de  son  vivant,  sa  correspon- 
dance avec  G.  Gesner  {Epistolx  ad  Gesnerum;  Bâle,  1594, 
in-8°) ,  fort  intéressante  pour  l'histoire  de  la  botanique, 
et  un  petit  traité  sur  les  eaux  minérales  de  Boll  [Historia 
novi  et  admirahilis  fonlis  balneique  BoUcnsis^  in  ducatu 
WiiHenibergico ,  etc.;  Montbéliard,  1598,  in-4").  On  y 
trouve  une  courte  description  des  plantes  qui  croissent 
dans  les  environs ,  particulièrement  de  l'aune  blanche 
[alnus  incana]  et  du  peplis  poHula ,  nommé  par  l'auteur 
alsine  minima. 

Son  frère  puîné,  Gaspard  Bauhin  (né  à  Bâle  en  1560, 
mort  en  1624),  se  livra  avec  le  même  zèle  à  l'étude  de  la 
médecine  et  de  la  botanique.  Après  avoir  visité  l'Italie,  la 
France  et  l'Allemagne  ^  ce  qui  le  mit  en  relation  avec 
les  principaux  savants  d'alors,  il  devint,  en  1596, 
médecin  du  duc  Frédéric  de  Wirtemberg,  et  occupa  depuis 
1614  jusqu'à  sa  mort  la  chaire  de  médecine  et  de  bota- 
nique à  Bâle.  Le  premier,  il  essaya  de  porter  l'ordre  dans 
le  chaos  de  la  synonymie  et  delà  nomenclature,  alors  usitées 
en  botanique.  Il  désigna  les  plantes  par  quelques  phrases 
courtes,  significatives,  et  créa  la  plupart  des  noms  géné- 
riques qui  furent  plus  tard  universellement  adoptés. 
C'est  ainsi  qu'en  anatomie  il  avait  désigné  les  muscles 
d'après  leur  forme ,  leurs  attaches  et  leurs  usages.  Gas- 
pard Bauhin  ne  fut  donc  pas ,  comme  on  voit,  un  simple 
compilateur  :  le  mode  caractéristique  de  son  laconisme 
descriptif,  suivi  par  Tournefort,  Linné  et  L.  de  Jussieu, 
l'a  posé  comme  un  esprit  vraiment  original   et  organisa- 


150  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

teur.  Son  OuxoTrivai ,  seu  Enumeratio  plantarum  ah  her- 
boriis  nostro  sseculo  descriptarum  cum  eorum  differentiis 
(Bâle,  1596,  in-4''),  ouvrage  remarquable,  orné,  sur  le 
verso  du  titre ,  du  portrait  de  l'auteur  à  l'âge  de  vingt- 
neuf  ans,  contient  la  description  succincte  de  deux  mille 
sept  cents  espèces,  avec  leurs  variétés;  il  commence  par 
les  graminées  et  finit  par  les  papilionacées.  On  y  trouve, 
entre  autres,  la  première  mention  exacte,  détaillée,  de  la 
pomme  de  terre ,  que  l'auteur  rangea,  avec  une  sagacité 
rare,  dans  la  famille  des  solanées ,  en  lui  donnant  le  nom 
de  solanum  tuberosum ,  qu'elle  a  conservé.  Il  nous  ap- 
prend en  même  temps  que  la  pomme  de  terre  était  alors 
cultivée  comme  une  curiosité  dans  les  jardins  d'un  petit 
nombre  d'amateurs  qu'il  désigne  nominativement  ^  Le 
Phytopinax  ne  devait  être  que  la  première  partie  d'un 
grand  travail,  dont  la  suite  n'a  point  paru. 

L'ouvrage,  auquel  Gaspard  Bauhin  dut  sa  plus  grande 
réputation,  a  pour  titre  :  llîva^  theatri  botanici^  sive  Index 
Theophrasti,  Dioscoridis,  Plinii  et  botanorum  qui  a  sœculo 
scripserunt  opéra,  plantarum  circiter  sex  millium  ab  ipsis 
exhihitarum  nomina,  etc.,  Bâle,  1594,  in-4°  (souvent  réim- 
primé). Cet  ouvrage  classique,  fruit  de  quarante  années 
de  travaux,  a  été,  jusqu'à  Tournefort  et  Linné,  pour  ainsi 
dire  l'évangile  des  botanistes  :  on  y  trouve  des  indices  ir- 
récusables de  la  classification  naturelle,  inaugurée  un 
siècle  et  demi  plus  tard.  Mentionnons  encore  de  lui  une 
flore  des  environs  de  Bâle  {Catalogus  plantarum  circa 
Basileim  nascentium,  etc.,  Bâle,  1622,  in-S"),  qui  a  servi 
en  quelque  sorte  de  modèle  aux  nombreux  travaux  de  ce 
genre  ;  une  édition  estimée  des  ouvrages  de  Mathiole  ; 
une  critique,  un  peu  acerbe,  de  l'ouvrage  de  Dalechamps 

1.  A  la  suite  du  *uT6uiva|  (Bâle,  1596)  que  je  possédasse  trouvent:  le 
traité  de  Pona  et  de  Belle  sur  la  flore  du  mont  Baldo  et  de  Vérone;  le 
commentaire  de  Maronea  sur  ramomitm  de  Dioscoride;  diverses  thèses 
médicinales,  théologiques  et  philosophiques  (Demonstris,  De  anima, 
De  angelis,  De  anima  rationali,  De  mente  humana,  etc.). 


TEMPS  MODERNES.  151 

[Animadversiones  in  Historiam  generalcm  plantarum  Lug- 
duni  editom,  etc.;  Francfort,  1602,  in-4°);  DpdâpofAoç  theatri 
botanici,  in  quo  plantas  supra  sexcentx  ^  ob  ipso  primum 
descriptx,  cum  plurimis  figuris  proponuntur;  Francfort, 
1620,  in-4°;  le  nombre  des  plantes  nouvelles,  décrites  ici 
pour  la  première  fois,  se  réduit,  selon  Sprengel,  à  environ 
deux  cent  cinquante.  Quant  au  Theatrum  botanicum,  sive 
Historia  plantarum  ex  veterum  et  recentiorum  placitis,  etc. 
(Baie,  1658,  in-fol.),  ouvrage  conçu  sur  un  vaste  plan,  il 
ne  parut  que  trente  ans  après  la  mort  de  l'auteur,  par  les 
soins  de  son  fils  Jean-Gaspard. 

Parmi  les  plantes  pour  la  première  fois  décrites  par 
Gaspard  Bauhin,  on  remarque  :  le  lilas  de  Perse  [sy- 
ringa  persica) ,  la  véronique  scutellée,  la  phléole  [phleum 
pratense),  la  canche  [aira  caryophyllsea)^  la  queue  de  re- 
nard [alopecurus  agrestis)^  la  houque  [holcus  lanatus),  la 
cretelle  {cynosurus  cristatus]^  plusieurs  espèces  de  patu- 
rins  (poa  compressa,  p.  bulbosa),  trilicumpinnatum^  ribes 
alpinum,  astrantia  minor,  monotropa  hypopitys,  stachys 
arvensis,  aster  alpinus,  salix  herbacea,  etc.  —  Plumier  a 
donné,  en  honneur  de  Gaspard  Bauhin,  le  nom  de  bauhi- 
nia^  à  un  genre  de  plantes  exotiques,  de  la  famille  des  lé- 
gumineuses. 

Angleterre.  —  En  Angleterre,  la  culture  de  la  bota- 
nique, longtemps  négligée,  prit  tout  à  coup  un  essor 
rapide  sous  la  direction  de  Parkinson,  de  Morison  et 
surtout  de  Ray. 

John  Parkinson  (ne  à  Londres  en  1567,  mort  vers  1645), 
xpothicaire  de  Jacques  I"  et  de  Charles  P"",  exerça  pen- 
dant de  longues  années  la  pharmacie  à  Londres.  Pour 
satisfaire  son  goût  pour  la  botanique,  il  entretenait  un 
jardin  rempli  à  la  fois  de  fleurs  rares  et  déplantes  utiles;  il 
en  donna  la  description  dans  un  livre  intitulé  :  Paradisi 
in  sole  Paradisus  terrestris,  or  a  choicc  gardeu  of  ail  sorts 
of  rarest  (lowers  (Londres,   1629,  in-fol.,  avec  cent  neuf 


152  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE 

figures  sur  jDois).  En  adoptant  le  singulier  titre  de  Para- 
disus  in  sole,  l'auteur  a  joué  sur  son  nom  de  Pai'k  in  sun 
(parc  dans  le  soleil).  Ge  livre  a  de  l'intérêt  en  ce  qu'il  per- 
met d'apprécier  l'état  de  l'horticulture  d'alors,  en  montrant 
qu'on  cultivait  plus  de  cent  vingt  variétés  de  tulipes, 
soixante  d'anémones,  cinquante  d'hyacinthes,  plus  de 
1  quatre-vingt-dix  de  narcisses,  soixante-dix  d'œillets,  plus 
i  de  soixante  variétés  de  prunes,  autant  de  poires  et  de 
pommes,  trente  de  cerises  et  vingt  de  pêches.  En  1640, 
Parkinson  publia  ime  sorte  d'herbier,  sous  le  titre  de 
Theatrum  botanicuin  (Londres,  1640,  in-fol.,  avec  de 
nombreuses  gravures).  Plus  complet  que  l'édition  de 
ÏHerbal  de  Sherard,  publié  en  1633  par  Thomas  Johnson 
(auteur  de  Vlter  Cantlanum,  1632,  in-8°,  et  du  Mercurius 
hoianicus ,  1634),  le  Theatrum  botanicum  contient  une 
classification  en  dix-sept  tribus,  fondées  sur  les  vertus 
connues  ou  présumées  des  plantes  (plantes  odorantes, 
cathartiques,  purgatives,  vénéneuses,  vulnéraires,  etc.)  — 
Plumier  a  donné,  en  honneur  de  Parkinson,  le  nom  de 
parkinsonia  à  un  genre  de  légumineuses. 

'Rohari  Morison  (né  en  1620  à  Aberdeen,  mort  en  1683 
à  Londres),  ruiné  et  proscrit  après  la  mort  de  Charles  I", 
vint  chercher  un  asile  en  France.  Il  étudia  la  médecine 
à  Angers,  où.  il  fut  reçu  docteur  en  1648,  et  obtint,  dix 
ans  après,  la  direction  du  jardin  que  Gaston ,  duc  d'Or- 
léans, possédait  dans  ses  domaines  de  Blois.  Après  l'avé- 
nement  de  Charles  II,  il  retourna  en  Angleterre,  et  fut, 
en  1669,  chargé  de  faire  à  Oxford  un  cours  de  botanique 
en  qualité  de  garde  du  jardin  médicinal.  Son  principal  ou- 
vrage a  pour  titre  :  Plantarum  Historia  universalis  Oxo- 
niensis  (Oxford,  1680,  in-fol.);  cette  histoire,  terminée  par 
Dodart  en  1699,  est  accompagnée  de  cent  vingt-quatre 
planches,  comprenant  environ  douze  cents  figures,  dont 
î  la  plupart  sont  originales.  La  méthode  suivie  par  l'auteur 
est  celle  de  Césalpin  :  elle  est  fondée  plutôt  sur  l'orgaui- 


TEMPS  MODERNES.  1-3 

sation  de  la  Heur  et  du  fruit  que  sur  les  propriétés  des 
plantes. 

On  doit  encore  à  Morison  la  première  monographie 
des  ombellifères  [Planlarum  embelli  fer  arum  dislributio 
nova;  Oxfort,  1672,  in-fol.) ,  et  une  édition  du  Jardin 
royal  de  Blois,  ouvrage  d'Abel  Brunyer  [Hortus  regim 
Blesiensis,  cum  notulis,  etc.  (Lond.  1669,  in-S").  Morison 
y  a  joint,  entre  autres,  un  tableau  des  erreurs  de  Bauhin, 
que  Haller,  dans  sa  Bibliolheca  Botanica,  qualifie  à'invi- 
diosum  opus. 

John  Ray^  connu  aussi  sous  le  nom  latinisé  de  Raius 
(né  en  1628,  à  Black-Notley,  dans  l'Essex,  mort  en  1704), 
fit  ses  études  au  collège  de  la  Trinité  à  Cambridge,  où  il 
occupa  successivement,  de  1651  à  1655  ,  les  chaires  de 
grec  et  de  mathématiques.  Mais  la  botanique  étant  de- 
venue bientôt  son  occupation  favorite,  il  alla  souvent  her- 
boriser aux  environs  de  Cambridge,  et  consigna  ses  pre- 
mières observations  dans  son  Catalogus  planlarum  circa 
Cantabrigiam  nascentium,  in-12,  petit  manuel  de  la  flore 
des  environs  de  Cambridge,  qui  contient  quelques  détails 
intéressants  sur  la  structure  des  fleurs.  Pour  bien  s'ini- 
tier à  la  connaissance  des  plantes  de  sa  patrie,  Ray  fit, 
du  9  août  au  18  septembre  1658,  une  excursion  dans  le 
pays  de  Galles;  en  1661  (du  26  juillet  au  30  août)  il 
alla,  en  compagnie  de  quelques  amis  ,  herboriser  en 
Ecosse  ;  et  l'année  suivante  il  fit  un  troisième  voyage, 
plus  long  que  les  deux  premiers  :  il  visita  d'abord  le 
Cheshire,  traversa  les  comtés  du  centre  de  l'Angleterre, 
explora  le  nord  du  pays  de  Galles ,  le  Somerset  et  le  De- 
vonshire.  Cette  herborisation  dura  près  de  deux  mois  et 
demi  (du  8  mai  au  18  juillet).  Les  espèces  qu'il  avait  re- 
cueillies devaient  entrer  dans  le  catalogue  général  des 
plantes  d'Angleterre,  dont  il  s'occupait  alors  et  qui  parut 
en  1670,  à  Londres  [Catalogus  plantanan  Anglise  et  insu- 
larum  adjacentium^  etc.).  Les  cryptogames  y  occupent 
pour  la  première  fois  une  certaine  place.  Le  18  avril  1 663. 


154  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

Ray  partit  pour  le  continent,  et  y  séjourna  jusqu'en  1666. 
Dans  cet  intervalle  il  parcourut,  en  herborisant,  la  Hol- 
lande, la  France,  l'Allemagne,  la  Suisse  et  l'Italie,  et 
poussa  ses  explorations  jusqu'en  Sicile  et  à  Malte.  Dans 
l'été  de  1667,  il  fit,  avec  son  ami  Willugby,  sa  quatrième 
excursion  dans  l'intérieur  de  l'Angleterre,  devint,  peu  de 
temps  après,  membre  de  la  Société  Royale  de  Londres, 
et  fit,  en  l'automne  de  la  même  année,  son  cinquième 
voyage,  dans  le  Yorkshire  et  le  Westmoreland.  Au  prin- 
temps de  1669,  Ray  et  Willugby  entreprirent,  sur  les 
traces  de  Tonge  et  de  Beal,  une  suite  d'expériences  sur  le 
mouvement  de  la  sève  dans  les  arbres.  Ils  choisirent, 
comme  les  plus  propres  à  cet  effet,  le  bouleau  et  l'érable , 
et  constatèrent  deux  courants,  l'un  ascendant,  l'autre  des- 
cendant, sans  établir  cependant  aucune  doctrine  sur  la 
circulation  réelle  du  liquide  nourricier  *.  En  1671,  quoique 
souffrant  d'une  maladie  de  foie,  il  fît,  en  compagnie  de 
Thomas  Willisel,  un  sixième  voyage  d'herborisation; 
après  avoir  exploré  le  Derbyshire,  l'Yorkshire,  tous  les 
comtés  du  nord  jusqu'à  Berwick,  il  revint  par  l'évêché  de 
Durham.  Dans  la  même  année,  il  perdit  son  généreux 
ami  Willugby,  qui  l'avait  aidé  dans  presque  tous  ses 
travaux.  Cette  perte  lui  fut  très-sensible.  En  1673,  il  se 
maria,  à  l'âge  de  quarante-quatre  ans,  et  publia,  peu  de 
temps  après ,  le  résumé  de  ses  voyages  dans  une  partie 
des  Pays-Bas,  de  l'Allemagne,  de  la  France  et  de  l'Italie, 
sous  le  titre  d'Observations  topographlcal,  etc.,  Londres, 
1673,in-8°.  L'auteur  décrit  non-seulement  les  productions 
naturelles  de  ces  différents  pays,  mais  les  antiquités  et 
curiosités  historiques  qu'il  y  rencontra.  Un  séjour  de  six 
mois  en  Suisse  lui  avait  donné  une  connaissance  spéciale 
des  plantes  du  Mont  Salève,  près  de  Genève,  et  du  Jura. 
Après  son  mariage,  Ray  vint  résider  à  Middleton-Hall,  où 
il  remplissait  les  dernières  volontés  de  Willugby,  d'être 

1.  Voy.  t.  IV,  année  1670,  des  Philosoph.  Transactions. 


TEMPS  MODERNES.  155 

le  tuteur  de  ses  fils  et  l'éditeur  des  Oiseaux  et  Poissons 
dont  celui-ci  en  mourant  lui  avait  laissé  les  manuscrits. 

Retiré  depuis  1679  à  Falkborne-Hall ,  près  de  son  lieu 
natal,  Ray  s'occupa  d'écrire  son  grand  ouvrage  sur  l'His- 
toire générale  des  plantes.  Il  y  préluda,  en  1682,  par  son 
Methodus  plantarum^  augmenté  des  tableaux  synoptiques 
qu'il  avait  publiés,  en  1668,  dans  le  Beat  character  de 
Wilkins^  Les  plantes  y  sont  classées  d'après  leurs  fruits 
et  leur  aspect  général;  les  arbres  et  arbrisseaux  sont  di- 
visés en  neuf  classes,  les  arbustes  ou  sous-arbrisseaux  en 
six,  et  les  herbes  en  quarante-sept.  Plus  tard  l'auteur  mo- 
difia, dans  sa  Dissertatio  de  variis  plantarum  methodis^ 
Lond.  1696,  sa  classification  fondée  sur  le  fruit  et  en 
reconnut  franchement  les  imperfections  ;  mais  il  pense 
qu'on  peut  faire  les  mêmes  objections  contre  les  classifi- 
cations fondées  sur  la  fleur.  Les  deux  premiers  volumes 
du  grand  ouvrage  de  Ray,  que  Haller  et  Linné  appelaient 
opus  immensi  laboris^  parurent  à  Londres,  le  premier  en 
1686,  et  le  deuxième  en  1688,  sous  le  titre  de  Historia 
plantarum  generalis^  species  hactemis  éditas  aliasque  in- 
super militas  noviter  inventas  et  descriptas  complectens  ^ 
etc.,  in-fol.  L'auteur  le  dédia  à  Hotton,  et  l'enrichit  non- 
seulement  de  ses  propres  observations ,  mais  de  celles  de 
Bauhin,  de  Morison,  de  Breynius,  de  Mentzel,  pour  les 
plantes  indigènes,  ainsi  que  de  celles  de  Hernandez,  de 
Pison,  de  Margraff,  de  Bontius,  etc.,  pour  les  plantes  exo- 
tiques. Le  troisième  volume  de  VHistoria  plantarum,  au- 
quel avaient  directement  contribué  Sloane  ,  Petiver,  She- 
rard,  parut  en  1704.  On  y  trouve  l'indication  de  plus  de 
onze  mille  sept  cents  plantes.  L'appendice  contient 
plusieurs  catalogues  de  plantes,  fort  intéressantes  au  point 

1.  Dans  la  nouvelle  édition  de  1703  du  Methodus  plantarum,  l'auteur 
rejette  l'ancienne  dénomination  de  plantes  moins  parfaites,  appliquée 
aux  mousses  et  aux  champignons.  Ses  caractères  génériques,  em- 
pruntés à  la  forme  de  la  feuille,  à  la  couleur,  à  l'odorat,  etc.,  de  la 
fleur ,  laissent  beaucoup  à  désirer. 


l56  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

de  vue  historique.  Ce  volume  est  le  dernier  que  Ray  fit 
paraître  de  son  vivant.  Les  infirmités  (ulcères  variqueux 
aux  jambes)  dont  il  était  atteint  ne  l'empêchèrent  pas  de 
travailler  jusqu'à  trois  mois  avant  sa  mort,  arrivée  à  l'âge 
de  soixante-seize  ans.  Son  corps  fut  inhumé  dans  la  petite 
église  de  Black-Notley,  où  ses  amis  lui  élevèrent  un  mo- 
nument, décoré  d'une  inscription  latine ,  finissant  par  ces 
mots  : 

Sic  bene  latuit,  bene  vixit  vir  beatus 
Quem  prsesens  tetas  colit,  postera  mirabitur. 

Ray  eut  de  vives  discussions  avec  Rivin  et  Touruefort, 
au  sujet  de  l'importance  de  la  fleur  et  du  fruit  dans  les 
méthodes  de  classification.  Il  défendit  contre  ses  adver- 
saires l'ancienne  division  du  règne  végétal  en  arbres  et 
en  herbes,  parfaitement  fondée,  selon  lui,  sur  ce  que  les 
arbres  ont  des  bourgeons,  tandis  que  les  herbes  en  sont 
dépourvues.  Quant  aux  espèces  végétales  que  Ray  a  le 
premier  caractérisées,  nous  citerons  plusieurs  graminées, 
telles  que  aira  prœcox,  festuca  duriuscula,  f.  uniglumis^ 
avena  pubescens,  a.  pratensis,  galium  anglicum^  seclum 
anglicum,  trifolium  filiforme,  orcliis  pyramidalis,  ranun- 
culus  parviforus,  sagina  erccta,  equisetum  palustre,  spla- 
chnum  ovatum,  conferva  gelatinosa,  etc. 

Faisons  maintenant  connaissance  avec  les  botanistes 
contemporains  de  Ray,  que  l'on  pourrait  surnommer  à 
Custe  titre  le  Pline  anglais.  —  William  How  (né  à  Londres  en 
1619,mortenl656)publia  le  premier  une  flore  des  plantes 
indigènes  d'Angleterre  sous  le  titre  de  Phytologia  Britan- 
nica, locos  natales  exhibens  indigenarum  stirpium  sponte 
emcrgentium ;  Loud.,  1650,  in-12.  C'est  un  catalogue  de 
2220  plantes,  y  compris  les  mousses  et  les  champignons. 
Le  mot  de  flora,  appliqué  à  ce  genre  de  recueil,  se  trouve 
dans  la  préface.  Il  n'a  été  pour  la  première  fois  employé 
dans  ce  sens  sur  le  titre  d'un  ouvrage  que  par  Simon 
PaulU  (né  à  Rostock  en  1603,  mort  à  Copenhague  en 
1680)  pour  sa  Flora  Danica;  Copenhague,  1648,   in-4'*. 


«   TEMPS  MODERNES.  15'' 

Cowley,  clans  un  poème  sur  les  plantes  (publié  en  1662), 
montre  les  charmes  de  la  déesse  Flore  dans  le  narcisse, 
l'anémone,  la  violette,  la  tulipe,  etc. 

Jean  Tradescant,  originaire  de  Hollande,  jardinier  du 
roi  Charles  I",  donna,  dans  son  Muséum  Tradescantianum 
(Lond.,  1656,  in-12),  la  liste  des  plantes  par  lui  culti- 
vées. Son  fils  (mort  en  1662),  qui  hérita  d'une  précieuse 
collection  de  curiosités  naturelles,  plus  tard  réunie  au 
musée  Ashmoléen,  fit  un  voyage  en  Virginie,  d'où  il  intro- 
duisit en  Angleterre  plusieurs  plantes  d'Amérique;  telle 
est,  entre  autres,  l'éphémère,  à  trois  pétales  d'un  beau  bleu, 
aui  reçut  de  Linné  le  nom  de  tradescantla  virginiaca. 

La.  Panbotanologie  sive  Enchiridion  botanicum  (Oxf. ,  1 659) 
deLovel,  le  Compleat  Herbal  de  Pechey,  The  English  Herbal 
de  Salmon,  sont  de  simples  listes  nomenclaturales,  qui 
ont  été  utilisées  par  Ray  pour  la  composition  de  son 
grand  ouvrage.  Cette  remarque  s'applique  aussi  aux  tra- 
vaux de  l'apothicaire  Doody  (mort  à  Londres  en  1706), 
d'Edouard  Lhwyd  (mort  en  1709),  de  Thomas  Lawson, 
du  docteur  Robinson,  qui  tous  entretenaient  une  corres- 
pondance active  avec  le  Pline  anglais. 

Parmi  les  contemporains  de  F.  Ray,  Plukenet  et  Peti- 
ver   méritent  une    mention  plus  détaillée. 

Léonard  Plukenet  (né  en  1642,  mort  en  1710),  dont 
l'origine  et  la  vie  sont  peu  connues,  obtint  de  la  reine 
Anne  la  surintendance  du  jardin  d'Hamptoncourt  et  le 
titre  de  professeur  royal  de  botanique,  grâce  aux  ouvrages 
qui  lui  avaient  fait  une  juste  renommée,  et  qui  sont 
intitulés:  Phy  tographia  [Lonà.,  1691-1696,  4  part,  in-4''); 
Almagestum  botanicum  {ibid.,  1696,in-4°);  AlmagesH  bota- 
nicl  Mantissa  (ibid.,  1700,  in-4°);  et  Amaltheum  botanicum 
{ibid.,  1705,  in-4°).  Après  la  mort  de  l'auteur,  aussi  modeste 
que  savant,  ces  quatre  ouvrages  ont  été  réunis  en  1720  et 
1769,  et  augmentés,  en  1779,  d'un  Index  ^SirGiseke.  Ils  con- 
tiennent plus  de  2740  petites  figures  de  plantes,  dessinées 
par  différents  artistes  et  rangées  par  ordre  alphabétique. 


158  HISTOIRE  DE  LA  BOTANKJUE. 

Parmi  les  plantes  nouvelles  ou  qu'il  a  le  premier  fait  bien 
connaître ,  nous  citerons  :  veronica  tenella  ,  utricularia 
minor^  cyperus  arenarius,  periploca  esculenta^  monotropa 
uniflora^  silène  virginiaca,  nepeta  virginiaca,  tussilago 
japonica^  arnica  crocea,  sic.  Plumier  a  donné,  en  honneur 
de  Plukenet,  le  nom  de  plukeneiia  à  un  genre  de  la 
famille  des  euphorbiacées. 

James  Petiver  (mort  à  Londres  en  1718),  pharmacien, 
fut  un  des  collaborateurs  les  plus  actifs  de  J.  Ray.  Sa 
collection  de  curiosités  naturelles  (Musœum  Petiveria- 
îiwm),  contenant  des  fossiles  et  des  plantes  rares,  fait 
aujourd'hui  partie  du  British  Muséum.  Dans  son  Gazophy- 
lacium  naturse  et  artis  (Lond.,  1702-1711),  il  a  donné  la 
description  de  plusieurs  plantes  nouvelles,  et  sa  Pterigra- 
phia  americana^  continens  icônes  plus  quam  cccc  filicum 
variarum  specierum  (Lond.,  1712,  in-fol.),  est  précieuse 
pour  l'histoire  des  fougèi^es.  Plumier  lui  a  dédié  le  genre 
petiveria,  de  la  famille  des  chénopodiacées. 

Petiver  et  Plukenet  sont,  suivant  Pulteney',  les  pre- 
miers botanistes  anglais  qui  aient  donné  des  noms  de 
personnes  à  des  genres  de  plantes.  Mais  cette  coutume 
est  fort  ancienne,  comme  l'avait  déjà  montré  Jean  Bauhin 
dans  un  opuscule,  devenu  fort  rare,  intitulé  :  De  plantis  a 
Divis  Sanctisve  nomen  habentibus  (1591). 

Allemagne.  —  L'Allemagne  prit  une  part  presque 
aussi  active  que  l'Angleterre  au  mouvement  de  la  bota- 
nique descriptive  et  classificative,  témoin  Jung,  Junger- 
mann,  Amman,  Rivin,  Breynius,  P.  Hermann,  Gh.  Knaut. 

Joachim    Jung    (né   à  Lûbeck  en    1587,  mort  à  Ham- 
bourg en  1657),  fut  pendant  cinq  ans  professeur  de  ma- 
thématiques à  Griessen,  reçut,  en  1618,  à  Padoue,  le  grad 
de  docteur,  et  obtint  en  1624  une  place  de  professeur  à 

1.  Esquisses  historiques  et  biographiques  des  progrès  de  la  botani- 
que en  Angleterre,  t.  II,  p.  43. 


TEMPS  MODERNES.  159 

l'université  de  Rostock.  Mais  il  dut  bientôt  quitter  cette 
place  par  suite  des  intrigues  de  ses  ennemis  qui  le 
dénoncèrent  aux  autorités  comme  étant  un  des  chefs  de 
la  secte  des  Rose-flroix.  Il  passa  les  dernières  années  de 
sa  vie  à  Hambourg,  comme  directeur  du  gymnase.  Ses 
opuscules,  étant  devenus  rares,  ont  été  réunis,  quatre- 
vingt-dix  ans  après  sa  mort,  par  Seb.  Albrecht,  et  pu- 
bliées sous  le  titre  de  Joach.  Jungii  Lubecensis  opuscula 
botanico-physica,  etc.  Goburg,  1747,  in-4°, 

J.  Jung  occupe  une  place  importante  dans  l'histoire  de 
la  science,  parce  qu'il  insista  plus  particulièrement  sur  la 
nécessité  de  distinguer,  pour  les  besoins  d'une  classifi- 
cation méthodique,  les  caractères  constants  des  carac- 
tères variables.  C'est  ce  qu'il  a  très-bien  exposé  dans  son 
Isagoge  phytoscopica^  que  j'ai  sous  les  yeux.  L'auteur 
divise  chaque  plante  en  deux  parties  essentielles,  l'une 
inférieure,  comprenant  la  racine  (axe  descendant),  l'autre 
supérieure  (axe  ascendant),  comprenant  la  tige  avec  ses 
branches  et  ses  organes  appendiculaires  (feuille,  fleur, 
fruit).  Le  plan  de  séparation,  limes  communis^  de  ces 
deux  parties  fondamentales,  douées  de  mouvements  con- 
traires, se  nomme  le  fond^  Tnjôfxriv  en  grec;  c'est  ce  qu'on 
nomme  depuis  le  nœud  vital.  Les  feuilles,  où  l'auteur  a 
soin  de  distinguer  la  surface  supérieure  de  la  surface 
inférieure,  se  trouvent  pour  la  première  fois  divisées  en 
simples  et  en  composées.  «  Il  ne  faut  pas,  dit-il,  comme  le 
t'ont  les  ignorants  ou  les  observateurs  inattentifs,  confon- 
dre la  feuille  composée  [folium  compositum)  avec  un  ra- 
muscule  ou  scion;  car  elle  a,  comme  la  feuille  simple^ 
une  ace  supérieure  et  une  face  inférieure,  et  elle  tombe 
de  même  en  automne.  » 

Jung  paraît  avoir  le  premier  employé  le  mot  pétiole 
ou  pédicule  pour  désigner  «  la  partie  étendue  en  longueur 
qui  maintient  la  feuille  et  la  fixe  à  la  tige  »  :  Petiolus^ 
sive  pediculus  folii,  est  pars  in  longitudinem  extensa^  qux 
folium  suslinet  et  cauli  connectit.  On  voit  par  ce  passage 


160  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE.  ■ 

que  Jung  appliquait  le  mot  folium^  à  proprement  parler, 
au  Hfttbe  de  la  feuille;  et  il  n'ignorait  pas  que  les  ner- 
vures [nervi]  de  celle-ci  ne  sont  que  les  ramifications  du 
pétiole.  Il  fut  aussi  le  premier  à  diviser  les  feuilles 
composées  en  digitées  [digitata)  et  en  pennées  [pennatd], 
indiquant  par  ce  nom  que  les  folioles  sont  disposées, 
sur  deux  points  opposés  du  pétiole  ou  nervure  principale, 
comme  les  barbes  d'une  plume  (penna).  Il  ne  lui  avait 
pas  non  plus  échappé  que  les  folioles  ainsi  disposées 
peuvent  être  en  nombre  pair  ou  en  nombre  impair.  De 
là  sa  division,  depuis  universellement  adoptée,  des  feuil- 
les pennées  en  pari-pennées,  pariter  pennata^  comme 
dans  la  fève,  le  pois,  la  vesce,  et  en  impari-pennées, 
impariter  pcnnata^  comme  dans  le  rosier,  le  frêne,  le 
sorbier,  la  potentille.  «  La  feuille,  ou  plutôt  la  folia- 
ture  [foliatura) ,  est,  dit-il,  impari-pennée  quand  l'extré- 
mité de  la  nervure  principale  se  termine  par  une  feuille 
unique,  ce  qui  rend  le  nombre  des  folioles  impair.  » 
L'emploi  des  noms  d'opposées,  d'alternes  et  de  conjuguées 
(bi-juguées,  tri-juguées,  etc.)  remonte  au  même  phyto- 
graphe.  Pour  ce  qui  concerne  la  structure  de  la  fleur,  nous 
voyons  le  mot  périanthe,penanî/iiwm(qui  signifie  littéra^ 
lement  ce  qui  est  autour  de  la  fleur ^  irepl  avôoç),  également 
pour  la  première  fois  employé  par  Jung.  Mais  il  ne  l'ap- 
plique qu'au  calice,  et  il  ne  donne  le  nom  de  fleur,  flos^ 
qu'à  la  corolle,  ce  qui  explique  le  choix  du  mot  perian- 
Ihium.  «  Le  perianthium,  dit-il,  est  ce  qui  enveloppe  cette 
partie  délicate,  colorée,  qu'on  nomme  la  fleur.  »  Les 
plantes  n'ayant  qu'une  seule  enveloppe  florale,  comme  la 
jacinthe,  la  tulipe,  rentraient,  pour  lui,  dans  la  division 
des  plantes  à  fleurs  nues  [flores  nudi). 

Jung  distingua  également  la  fleur  simple  de  la  fleur 
composée  [flos  compositus)^  qui  forme  le  caractère  de  toute 
une  famille  (famille  des  composées).  Il  emploie  le  mot 
de  capitule  [capituluni]  pour  désigner  la  sommité  fleurie 
de  la  tige,  et  le  mot  de  fleurons  [floscuU]  pour  désigner 


TEMPS  MODERNES.  161 

les  parties  de  la  ileur  composée.  Il  appelle  disf{ue  radié 
[discus  radiatus)  le  capitule  dont  les  fleurons  occupent  le 
centre,  et  les  demi-fleurons  le  bord.  Il  se  sert  aussi 
des  mots  de  stamina  et  de  stylus^  pour  désigner  les  éta- 
mincs  et  le  style  couronné  du  stigmate;  mais  il  igno- 
rait le  rôle  que  ces  organes  jouent  dans  la  fécondation. 
Le  sexe  féminin  était,  selon  lui,  représenté  par  l'in- 
dividu (tige)  qui  donne  les  grains, et  le  sexe  masculin  par  la 
tige  qui  ne  produit  que  des  fleurs  stériles.  C'est  assez  dire 
qu'il  n'admettait  pas  l'existence  de  fleurs  réunissant  les 
deux  sexes  (fleurs  hermaphrodiLes),  et  qu'il  ne  coimais- 
sait,  comme  les  anciens,  que  les  fleurs  dioïques  (palmier, 
mercuriale,  etc.).  Jung  distingua  aussi  le  fruit  delà  graine, 
et  dans  celle-ci  il  signala  l'existence  de  l'embryon,  qu'il 
nomme  le  cœur  de  la  semence  [cor  seminis).  Enfin  il  fvit 
le  premier  à  fixer  l'attention  sur  la  situation  variable  de 
l'embryon  ;  c'est  ainsi  qu'il  nomme  l'embryon  infère  ou 
supèrô^  suivant  que  cet  important  organe  occupe  la  base 
ou  le  sommet  de  la  graine. 

Toutes  ces  connaissances  organographiques,  Jung  les 
présentait  comme  nécessaires  à  l'établissement  des  clas- 
ses, des  genres  et  des  espèces,  à  ce  qu'il  appelait  la 
doxoscopie  des  plantes  ou  la  phytoscoj)ie.  Son  De  plantis 
doxoscopia  est  le  premier  essai  qui  ait  été  fait  d'un  véri- 
table Gênera  plcmtarum. 

Louis  Jungermann  (né  à  Leipzig  en  1572,  mort  à  Alt- 
dorf  en  1653),  professeur  de  botanique  à  l'université 
d'Altdorf  depuis  1625,  neveu  de  Joachim  Jungermann, 
qui  mourut,  pendant  un  voyage  en  Orient,  à  Gorinthe  en 
]591,  imprima  à  la  science  une  direction  particulière 
par  l'étude  des  flores  locales,  comme  l'attestent  ses  cata- 
logues des  plantes  des  environs  d'Altdorf,  de  Griessen,  etc. 
[Catalogus  plantarum  quse  circa  Altdorfium  Noricuni^ 
iiascimtur;  Alt.,  1516,  va.- k°  \  Cornu  copia  florx  Giessensis^ 
proventu  spontanearum  slirpiuin  cum  jlora  Altdorfiensl 
amice  et  amocne  conspiranlis^  etc.,  ibid.,  1629.  in-4°).   Il 

11 


162  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

avait  fondé  le  jardin  botanique  de  Griessen  et  rédigé  le 
texte  de  l'ouvrage  de  Besler  (mort  pharmacien  à  Nurem- 
berg en  1629),  intitulé  :  Hortus  Eystettensis  ;  Nuremberg, 
1613,  4  vol.  in-fol.,  contenant  356  planches,  gravées  sur 
cuivre.  La  gravure  sur  cuivre  commençait  alors  à  rem- 
placer la  gravure  sur  bois  dans  les  ouvrages  d'histoire 
naturelle. 

Pour  honorer  la  mémoire  de  Jungermann,  Linné  a 
donné  le  nom  de  Jungermannia,  à  un  genre  de  mousses. 

Volckamer,  médecin  de  Nuremberg  (né  en  1616,  mort 
en  1693),  suivit  les  traces  de  Jungermann.  ^d.  Flora Norim- 
bergensis  ne  parut  qu'après  sa  mort  (1700,  in-4°).  D'autres 
l'imitèrent;  tels  sont:  Rolfmck  (né  en  1599,  mort  en 
1673),  qui  avait  fondé,  en  162?,  le  jardin  botanique  do 
léna  et  publié  un  traité  De  vegetabilibiis  (1672,  in-4°); 
Oléarius,  pasteur  à  Halle  (né  en  1655,  mort  en  1711)^ 
auteur  du  Speciimn  florœ  Hallensis  (1668,  in-12);  Rud- 
heck  (né  en  1630,  mort  en  1702),  dont  on  a  un  cata- 
logue des  plantes  du  jardin  botanique  d'Upsal  (1658, 
Belicix  vallis  Jacobx  (Upsal  1l66,  in-12),  et  Canwi 
elysii  lib.  II  (Upsal,  170.,  m-foL). 

Paul  Ammann  (né  à  Breslau  en  Î634,  mort  à  Leipzig 
en  1691),  qui  créa  le  jardin  botanique  de  Leipzig,  où  il 
fut  professeur,  adopta  les  principes  de  Jung  pour  la  ca- 
ractéristique des  genres,  particulièrement  fondée  sur  les 
organes  de  la  fructification.  Son  Character  planlarum 
naturalis  (Leipzig,  1685,  .in-12)  contient  la  description 
succincte  de  1476  espèces  et  genres. 

Paul  Hermann  (né  à  Halle  en  1646,  mort  à  Leyde  en 
1695),  qui  résida  huit  ans  à  Batavia  comme  médecin  de 
la  compagnie  hollandaise  des  Indes,  suivit  la  méthode  de 
Morison  dans  son  Catalogue  du  jardin  botanique  de 
Leyde,  où  il  occupa  depuis  1679  une  chaire  de  professeur, 
Sou  principal  ouvrage  a  pour  titre  ;  Paradisus  Bâtavus. 
continens  plus  centum  plantas  œre  incisas  et  descriptloni- 
bus  illustratas,  Leyde,  1698,  in-4°.  On  y  trouve  pour  la 


tEMPS  MODERNES.  163 

premère  fois  décrites  :  le  tulipier  {liriodenclrontulipifera)^ 
le  myrte  de  Geylan  [myrtus  ceyla7iica)^  zamia  furfuracea, 
psoraleapinnata,  vicia  bengalensis,sophora  tomentosa,  etc. 

Auguste  Rivin  (né  à  Leipzig  en  1652,  mort  en  1723), 
qui  occupa  depuis  1691  la  chaire  de  botanique  à  l'univer- 
sité de  sa  ville  natale,  rejeta  l'ancienne  division  des  plan- 
tes en  arbres,  et  établit  le  premier  un  système  de  classi- 
fication sur  la  forme  de  la  corolle,  et  en  développa  les 
principes  dans  son  Introduclio  generalis  inrem  herbariam 
(Leipzig,  1690,  in-fol.).  Il  fit,  bien  avant  Linné,  particu- 
lièrement ressortir  l'importance  de  distinguer  chaque 
plante  par  deux  noms  significatifs,  le  premier  indic[uant 
le  genre,  le  second  l'espèce.  Son  Ordo  plantarum  qux 
sunt  flore  irregulari^  telrapetalo  (Leipzig,  1691,  in-fol.) 
comprend  toute  la  famille  des  légumineuses,  de  même 
que  son  Ordo  plantarum  qux  sunt  flore  irregulari,  penta- 
petalo  (Leipzig,  1699, in-fol.),  comprend  les  ombellifères, 
les  genres  delpkinium^  viola  et  géranium.  D'une  humeur 
querelleuse,  Rivin  eut  des  discussions  très-vives,  au  sujet 
de  sa  méthode,  avec  Ray,  avec  Dillenius  et  avec  Schel- 
bammer,  professeur  de  léna,  qui  avait  écrit  De  nova 
plantarum  in  classes  digerendi  ratione  (Hamb.,  1695, 
in-4''). 

GbrisLian  Knauth  (né  en  1654,  mort  à  Halle  en  1716), 
qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  Christophe  Knaut  (auteur 
d'une  Flore  des  environs  de  Halle),  modifia  le  système 
de  Rivin  dans  son  Methodus  plantarum  genuina  (Halle, 
1705,  in-4°),  en  accordant  une  égale  importance  à  la  fleur 
et  au  fruit. 

Jacques  Breyn  (né  en  1637,  mort  en  1697),  riche  mar- 
chand de  Dantzig,  s'était  passionné  pour  la  culture  des 
plantes  rares,  dont  il  donna  la  description  dans  Planta- 
rum exoticarum  aliarumque  minus  cognitarum  cenluria 
prima  (Gedani,  1678,  in-fol.).  Ce  volume,  que  nous  avons 
sous  les  yeux,  est  suivi  d'un  appendice  sur  le  camphrier 
et  l'arbuste  à  thé,  et  de  101  magnifiques  planches  sur 


164  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

cuivre.  Pour  la  beauté  de  l'impression  et  du  papier,  c'est 
un  des  chefs-d'œuvre  typographiques  du  seizième  siècle. 
L'auteur  y  a  plus  tard  ajouté  le  Prodomus primus  (Dantzig, 
1680,  in-4°)  et  le  Prodomus  secundus  (1689  in-4°).  Ces 
deux  opuscules,  augmentés  de  notes  et  de  30  planches, 
furent  réimprimés  en  1739  par  son  fils  Philippe  Breyn,  au- 
teur d'un  tra-ité  De  fungis  offlcmalibus  (Leyde,  1702,  in-4°^. 

Pays-Bas.  —  Les  Pays-Bas,  enrichis  par  leur  com- 
merce et  leur  industrie,  que  les  guerres  d'indépendance 
semblaient  avoir  développés  plutôt  qu'affaiblis,  avaient 
vers  cette  époque  les  plus  beaux  jardins  du  monde.  La 
culture  des  tulipes  y  avait  été  poussée,  entre  autres,  à 
un  degré  extraordinaire  ;  les  oignons  de  variétés  rares  se 
vendaient  à  des  prix  fabuleux  et  étaient  cotés  à  la  Bourse 
d'Amsterdam.  Le  jardin  de  l'université  de  Leyde  eut 
successivement  pour  directeur  Gh.  de  L'Ecluse,  Bon- 
tius,  Paaw,  Vorstius,  Schuyl,  P.  Hermann,  Hotton, 
Boerhaave.  Ces  noms  montrent  combien  l'horticulture 
était  dès   lors  en  honneur. 

Le  jardin  botanique  d'Amsterdam ,  où  van  der  Steel 
avait  introduit  des  plantes  du  cap  de  Bonne-Espérance 
dont  il  était  gouverneur  ,  fut  confié  à  Frédéric  Ruysch 
pour  la  démonstration  des  plantes  indigènes  ,  et  à  Jean 
Commelyn  (né  à  Amsterdam  en  1629,  mort  en  1692),  pour 
la  culture  des  plantes  exotiques.  C'est  ce  dernier  qui  nous 
a  fait  connaître,  dans  Horti  medici  Amstelodamensis  plan- 
tœ  rariores  exoticse  (Amsterdam,  1697,  in-foL),  les  plantes 
des  Indes  orientales  et  occidentales  cultivées  dans  le  jar- 
din médicinal  d'Amsterdam.  Ce  beau  volume,  que  nous 
avons  sous  les  yeux,  contient  cent  douze  grandes  planches 
sur  cuivre,  très-bien  exécutées.  Parmi  les  espèces  qui 
s'y  trouvent  pour  la  première  fois  décrites  et  dessinées , 
nous  remarquons  :  Blattaria  ceylanica^  le  ricin  d'Amé- 
rique (Jalropha  urens,  L.),  alcea  bengalensis,  oxalis  spi- 
nosa^    cassia  occidentalis,   c.   chamaecrista ^  phalangium 


TEMPS  MODERNES.  165 

j'iliiopicum  [anlluricum  revolutum^  W.),  liliuin  zeylani- 
cum,  calla  {arum)  setkiopica,  arum  trilobatum  ,  vitis  idxa 
xthiopica  [royena  glabra,  L.),  le  cerisier  de  la  Jamaïcfue 
[malpighia  glabra^  L.),  erythroxylum  japonicum,  cassia 
javanica,  etc.  Les  descriptions  sont  en  hollandais  et  en 
latin,  avec  des  notes  de  Frédéric  Ruysch  et  de  Frédéric 
Kiggelar. 

Gaspard  Commelyn  (né  à  Amsterdam  en  1667,  mort 
en  1731),  neveu  de  Jean  Commelyn,  publia  en  1706  une 
suite  (deuxième  partie)  à  ce  premier  volume.  On  lui  doit, 
en  partie,  la  publication  de  l'Hortus  Malabaricus^  et  une 
flore  de  Malabar  (Leyde,  1696,  in-fol.).  Linné  a  donné, 
en  mémoire  de  Commelyn,  le  nom  de  commelyna  au 
genre  type  des  commelynacées. 

Parmi  les  horticulteurs  les  plus  estimés  des  Pays-Bas, 
nous  signalerons  Siveerts  (Emmanuel) ,  qui  fut  jardi- 
nier de  l'empereur  Rodolphe  II ,  et  qui  décrivit  et  dessina 
dans  son  Florilegium  (Francf.,  1612,  in-fol.)  plusieurs  h 
liacées  et  iridées  nouvelles  {iris  Sivertii,  gladiolus  iridifo- 
lius^  amaryllis  orientalis)  ]  et  Henri  Munting  (né  en  1605, 
mort  à  Groningue),  qui  fonda  le  jardin  botanique  de  Gro- 
ningue,  et  donna  la  description  des  espèces  rares  qu'il  y 
cultivait  {Hortus  botanicus  Groningx^  etc.,  Gron.,  1646, 
in-8°).  Il  eut  pour  successeur  dans  la  chaire  de  botanique 
son  fils,  Abraham  Munting  (né  en  1626,  mort  en  1683), 
qui  a  publié,  entre  autres,  un  Traité  de  la  culture  des 
plantes  (en  hollandais)  ;  Amsterd.,  1672,  in-i' 

Italie.  —  L'Italie  compta  en  tête  de  ses  botanistes 
Fabio  Colonna^  plus  connu  sous  le  nom  latin  de  Fabius 
Columna  (né  à  Naples  en  1567,  mort  en  1650).  Atteint 
depuis  son  enfance  du  mal  caduc,  il  se  mit  à  étudier  les 
anciens  pour  y  découvrir  quelque  remède  propre  à  gué- 
rir sa  maladie.  Il  tomba  sur  le  Phu  de  Dioscoride,  le  prit 
pour  la  valériane  officinale,  et  finit,  en  l'employant,  par  se 
débarrasser  des  accès  d'épilepsie.   La  maladie   avait  fait 


166  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUF.    ' 

de  lui  un  botaniste,  et  la  botanique  en  devait  faire  un 
peintre  et  un  graveur.  En  effet,  il  dessina  lui-même  ses 
plantes ,  et  en  fit  la  description  dans  un  ouvrage  qu'il 
publia,  à  vingt-cinq  ans,  sous  le  titre  de  <I>v*-:oêâ(7avoc , 
sive  plantarum  aliquot  anliquorum  delineationibus  magis 
respondenlium  Historia;  Naples,  1692,  avec  trente-six 
planches,  qui  passent  à  tort  pour  les  premières  qui  aient 
été  gravées  sur  cuivre  ;  une  nouvelle  édition  parut  à  Milan 
en  174i,  in-i",  avec  des  annotations  de  Plancus,  profes- 
seur de  Sienne.  Cet  ouvrage  du  jeune  auteur,  qui  était 
membre  de  l'Académie  des  Lyncei,  est  un  des  meilleurs 
commentaires  de  Théopliraste,  de  Dioscoride  et  de  Pline. 

On  a  aussi  de  F.  Golonna  un  traité  de  quelques  plan- 
tes moins  connues,  sous  le  titre  de  :  "Exopatrt;  prima 
etsecunda  minus  cognitarumrariorumqiienostro  cœlo  orien- 
tium  stirpium  (Rome,  1606  et  1616,  in-4°,  avec  fig.).  Par- 
mi les  plantes  qui  se  trouvent  pour  la  première  fois  dé- 
crites dans  cet  ouvrage,  on  remarque  :  la  croisette  [va- 
lantia  cruciata)^  très-commune  aux  environs  de  Paris,  la 
cynoglossedes  Apennins,  la  gentiane  ciliée,  une  espèce  drj 
scutellaire  {scuteUaria  ColuninsBy  L.),  une  nouvelle  espèce 
de  cynoglosse  [cynoglossum  Columnœ^  Sprengel),  sem- 
pei'vwum  arachnoideum,  euphorbia  sylvatica  (commune 
dans  nos  environs),  hypericum  hirsuUim^  thrmcia  liirta^ 
hieracium  aurcmtiacum,  etc. 

Fabio  dolonna  a  fourni  des  Annotations  et  Additions  à 
l'abrégé  de  l'histoire  naturelle  de  Hernandez,  fait  par  Rec- 
chi  sur  l'ordre  de  Philippe  II,  et  publié,  après  la  mort  de 
ce  médecin  du  monarque  espagnol,  par  le  prince  Gesi  et 
les  membres  de  l'académie  des  Lyncei^  sous  le  titre  de 
Rerum  medicarum  Novœ  Hispanise  thésaurus^  Rome,  1651, 
in- fol.,  avec  de  nombreuses  gravures  sur  bois.  C'est  dans 
ces  Annotations,  contenant  des  détails  morphologiques 
curieux,  que  Golonna  proposa  le  premier  de  donner  aux 
folioles  de  la  corolle  le  nom  de  pétales^  pour  les  distinguer 
des  feuilles  proprement  dites  :  Nos  floris  foliota^  ad  dif~ 


TEMPS  MODERNES.  167 

ferfntiam  foUorum^  TTsxaXa  dici  magis  propne  censuimus 
(p.  853).  A  la  fin  de  ce  même  ouvrage  se  trouvent  les 
Tiibks  phytosophiques  du  prince  de  Gesi,  fondateur  de 
l'académie  des  Lyncei. 

Quant  à  l'ouvrage  posthume  de  Recchi,  que  nous  ana- 
lysons, il  contient,  entre  autres,  une  histoire  détaillée 
de  Vhelianthus  annuus  (le  tournesol  ou  fleur  du  soleil, 
originaire  du  Pérou),  et  la  description  du  maïs,  céréale  ca- 
ractéristique du  Nouveau-Monde*.  Avant  son  impression 
à  Rome,  une  copie  du  manuscrit  de  Recchi  était  parvenue 
à  Mexico  et  il  avait  été  traduit  en  espagnol  par  le  P.  Fran- 
cisco Ximenez,  sous  le  titre  :  De  la  naturalezza  y  virtu- 
clts  de  los  arholes^  plantas  y  animales  de  la  Nueva  Espana, 
etc.  (Mexico,  1615,  in-4°). 

Paul  Boccone  (né  à  Palerme  en  1633,  mort  en  1704; 
se  passionna  de  bonne  heure  pour  l'étude  de  l'histoire 
naturelle,  particulièrement  de  la  botanique.  Cette  étude 
était  alimentée  par  le  jardin  médicinal  que  Pietro  Gas- 
telli,  élève  de  Gésalpin,  avait  fondé  en  1639  à  Palerme. 
Il  parcourut,  en  herborisant,  l'Italie,  la  France,  l'Allema- 
gne, l'Angleterre,  fut  associé,  en  1696,  à  l'académie  des 
Curieux  de  la  Nature,  alors  la  plus  célèbre  société  savante 
de  l'Allemagne,  enseigna  la  botanique  à  Ferdinand  II, 
duc  de  Toscane,  et  devint  professeur  à  Padoue;  vers  la  fin 
de  sa  vie  il  entra  dans  l'ordre  de  Gîteaux,  et  alla,  sous  le 
nom  de  frère  Silvio^  mourir  dans  un  couvent  des  en- 
virons de  sa  ville  natale.  De  ses  nombreux  travaux  nous 
ne  citerons  ici  que  Icônes  et  Descriptiones  variarum  planta- 
runiSiciliœ,  GalliœethaUœ^etc.^Lyon^  1674,  in-4''.  Cet  ou- 
vrage, accompagné  de  52  planches,  où  chaque  plante  est  ca- 
ractérisée par  quelques  mots  significatifs,  fut  mis  au  jour 
sur  les  instances  de  Morison,  qui  en  surveilla  l'impression 
et  y  joignit  une  préface;  —  iMuseo  di  plante  rare  délia 
Sicilia^  Malta,  Corsica,  Pîemonte,  Germam'a;  Venise,  1697, 

1.  Recchi,  Rer.  med.  Nov,  Hisp.,  p.  228  ,  maïs,  p,  242. 


IPS  HISTOIRE  DE  LA   BOTANIQUE. 

in-'i",  avec  J33  planches,  contenant  319  figures.  L'auleur 
publia  cet  ouvrage  à  la  prière  de  Sherard,  qu'il  avait  connu 
à  Venise.  Plusieurs  de  ces  plantes  avaient  été  empruntées 
au  P.  Barrelier,  comme  Boccone  l'avoue  lui-même  dans 
plusieurs  endroits  de  son  livre  ;  l'accusation  de  plagiat, 
lancée  contre  Boccone  par  Antoine  de  Jussieu,  est  donc 
mal  fondée.  Parmi  les  plantes  que  Boccone  a  le  premier 
décrites  et  dessinées,  on  remarque  :  une  espèce  de  galium 
[galium  Bocconi,  L.),  tillsea  muscosa^  epilobium  alpestre, 
polygonuni  alpinum,  silène  vaUesia,  alyssum  saxatile,  une 
espèce  de  pyrethrum  (pyrethrum  Bocconi,  L.),  centaurea 
melitensis,  arum  arisarum,  boletus  tuberasler,  etc. 

Le  jardin  botanique  de  Bologne,  dirigé  longtemps  par 
Aldrovrande,  le  Gesner  de  l'Italie,  acquit  un  haut  degré 
de  splendeur  sous  la  direction  des  frères  Ambrosini  (Bar- 
thélémy et  Hyacinthe),  et  de  Zanoni,  leur  successeur. 
Jacques  Zanoni  (né  en  1615,  mort  en  1682)  y  introdui- 
sit, avec  le  concours  du  P.  Mathieu,  missionnaire  des 
Indes  orientales,  beaucoup  de  plantes  exotiques.  Son  7^- 
toria  botanica  (Bologne,  1675,  in-fol.)  est  une  simple  "des- 
cription de  quelques  plantes  rares,  rangées  par  ordre  al- 
phabétique, et  comparées  avec  la  synonymie  des  anciens; 
une  2"  édition  parut  à  Bologne  en  1742,  par  les  soins  de 
Gaët.  Monti,  qui  y  ajouta  des  notes  et  des  planches.  Parmi 
les  plantes  qui  s'y  trouvent  pour  la  première  fois  décrites, 
on  remarque  :  Jsnardia  palustris,  artocarpus  integrifoUa, 
mimosa rubricaulis,  caryotaurens,  bignonia  capreolata,  etc. 
Zanoni  eut  pour  successeur  Triomfetti,  qui  admettait  la 
génération  spontanée  ;  il  publia  Observationes  de  ortu  et 
vcgctatione  plantarum  (Rome,  1685,  in-4°).  Cet  ouvrage 
fut  augmenté  d'une  histoire  de  quelques  plantes  nouvel- 
les, quand  Triomietti  passa  à  la  direction  du  jardin  du 
collt'ge  de  la  Sapience  à  Rome. 

Tobie  Aldini,  de  Gesena,  dirigeait  alors  le  jardin  du 
cardinal  Odoard  Farnèse,  dont  il  était  médecin.  Il  décrivit 
le  premier  Vacacia  farnesiana  dans  son  Exaclissima  De- 


TEMPS  MODERNES.  169 

scriptio  rariorum  quarumdam  planlarum^ipix  conlinentur 
BonicV  in  horto  farnesino  (Rome,  1625,  in-fol.  avec  des 
planches  sur  cuivre  et  des  gravures  sur  bois  intercalées 
dans  le  texte.  L'acacia  de  Farnèse  y  porte  le  nom  de  aca- 
cia indien  farnesiana  (p.  2  et  7,  planches  I  et  II). 

Jean-Baptiste  Ferrari^  de  Sienne  (né  en  1584,  mort  en 
1655),  s'associa  aux  plus  célèbres  artistes  d'alors,  tels  que 
Gruido  Reni  et  Pierre  Berettini  pour  dessiner  et  décrire  les 
plus  belles  fleurs  des  jardins  de  Rome  dans  son  livre  De 
florum  natura,  Rome,  1633,  in-4°.  On  y  trouve,  entre  au- 
tres, la  première  description  du  jasmin,  de  Vhœmanthus 
coccineus,  de  Y/iibiscus  viutabilis^  etc. 

Le  jardin  de  Messine,  fondé  en  1639,  fut  décrit  par 
Pierre  Caslelli  [Hortus  Messanensis  ;  Messine,  1640,  in-4°). 
Le  P.  Fr.  Cupani  y  introduisit  beaucoup  d'espèces  nou- 
velles qu'il  avait  recueillies  dans  ses  excursions,  et  les  dé- 
crivit dans  son  Hortus  CathoUcus ;  Naples,  1696,in-4<'.  Jos. 
Bonsiglioli^  d'Ancône,  donna  la  flore  du  mont  Etna,  que 
Carrera  a  insérée  dans  11  Mongibello  descritto  (Gatane, 
1636,  in-4").  Ph.  Cavallini  fît  connaître,  dans  son  Pugil- 
lum  Meliteum^  1689,  les  plantes  de  l'île  de  Mafte. 

Portugal  et  Espagne. —  Le  Portugal  et  l'Espagne  ne 
produisirent  pas  beaucoup  de  botanistes  au  dix-septième 
siècle.  La  science  commençait  à  y  décliner,  par  suite  de 
la  guerre  que  l'inquisition  ne  cessait  de  faire  à  la  liberté 
de  la  pensée.  Nous  n'avons  à  citer  ici  que  Gabriel  Gris- 
Lvus^  qui  publia  une  petite  flore  du  Portugal  sous  le 
titre  de  Vindarium  lusltanicum  ;  Lisbonne,  1661,  in-8°. 

France.  —  En  France,  la  botanique  était  dans  sa  pé- 
riode croissante.  Après  la  mort  deRichierde  Belleval,  dont 
les  travaux  ne  fui-ent  réunis  et  publiés  que  par  Brousson- 
net  [Opuscules  de  Richier  deBelleval;  Paris,  1785,  in-8°), 
Pierre  Magnol  (né  à  Montpellier  en  1638,  mort  en  1715) 
obtint,  en  1694,  la  chaire  de  botanique  et  la  direction  du 


170  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

jardm  médicinal,  après  avoir  abjuré  le  protestantisme.  Il 

fit  paraître  :  Prodromus  historix  generaHs  plantaruw^ 
in  qua  familise  per  tabulas  disponuntur  (Montpel.,  1689, 
in  8°),  rédigé  d'après  les  idées  de  Rai  etdeMorison; 
Botanicon  Monspeliense  (Lyon,  1676,  in-8°);  Hortus  regius 
Monspeliensis  (Mont^. ,  1697,  in-S").  Parmi  les  espèces  nou- 
velles qui  s'y  trouvent  décrites,  on  remarque  :  Lonicera 
pyrenaica^  arenaria  laricifolia,  saxifraga  hirsuta^  xan- 
thium  spinosum,  teucrium  lucidum^  lepidium  nudicavl'. 
etc.  P.  Magnol  paraît  avoir  l'un  des  premiers  introduit 
dans  la  science  le  nom  de  famille,  pour  désigner  des 
groupes  naturels  de  plantes. 

Son  ouvrage  le  plus  important,  intitulé  Novus  Charac- 
ter  plantarum,  ne  fut  publié  qu'après  sa  mort  par  son 
fils,  Antoine  Magnol.  Critiquant  le  système  de  Tournefort, 
l'auteur  propose  une  classification  nouvelle,  fondée  sur  le 
calice  pour  les  principales  divisions,  et  sur  la  corolle  pour 
les  subdivisions.  Il  établit  en  fait  que  toute  plante  a  un 
calice.;,  soit  libre,  soit  adhérent  au  fruit  ou  confondu  avec 
le  péricarpe.  Quand  il  n'y  a  qu'une  seule  enveloppe  flo- 
rale, il  lui  conserve  le  nom  de  calice,  à  l'exclusion  de  ce- 
lui de  corolle.  Linné  a  établi,  en  souvenir  du  botaniste 
français,  le  genre  magnolia,  types  des  magnoliacés. 

Le  jardin  royal  du  Louvre,  jardin  botanique  de  Paris, 
fondé  vers  1590  par  Henri  IV,  trouva  un  habile  et  actif 
directeur  dans  Jean  Robin,  qui  en  avait  publié  le  premier 
catalogue  [Catalogus  stirpium  tam  indlgenarum  quam  exo- 
ticarum  quse  Lutetiss  coluntur;  Paris,  1601,  in-12),  et 
fourni  le  texte  pour  le  Jardin  du  roy  Henri  IV,  par  P. 
Vallet,  brodeur  ordinaire  du  roy  (Paris,  1608,in-fol.). 

La  fondation  de  ce  jardin  fut  suivie  de  celui  du  Jardin 
des  PZrt«îe5  proprement  dit,  sur  le  plan  soumis  à  Louis  XIII 
par  Gui  de  la  Brosse  (mort  en  1641),  grand-oncle  du 
célèbre  Fagon,  premier  médecin  de  Louis  XIV.  Mais  ce 
plan  ne  fut  réalisé  qu'en  1626,  après  de  vives  instances 
auprès  du  cardinal  de  Richelieu.  Ce  la  Brosse,  premier 


TKMPy  MODERNES.  171 

médecin  de  Louis  XIII,  fut  aussi  le  premier  intendant  de 
cet  établissement,  qui  s'appelait  à' ahovà  Jardin  royal  des 
plantes  médicinales.  Son  ouvrage,  intitulé  De  la  nature, 
vertu  et  utilité  des  plantes.,  et  dessin  du  Jardin  royal  de  mé- 
decine (Paris,  1626,  in-8°  ;  2"=  édit.  augmentée,  1640,  in-fol., 
avec  50  planches  sur  cuivre),  est  utile  à  consulter  pour  l'his- 
toire de  la  science.  Son  Recueil  des  plantes  du  Jardin  du 
Roy.,  gr.  in-fol.,  qu'il  ne  put  achever,  ne  l'est  pas  moins. 
Voici  ce  qu'en  dit  Antoine  de  Jussieu  :  «  Gui  de  la 
Brosse,  dans  le  dessein  de  faire  connaître  la  supériorité  du 
Jardin  du  Roi,  se  servit  de  la  main  d'Abraham  Brosso 
pour  représenter  en  un  volume  in-folio  les  plantes  singu- 
lières qu'il  y  élevait,  et  qui  manquaient  aux  autres  jar- 
dins. C'était  un  ouvrage  d'une  grande  entreprise,  de  l'é- 
chantillon duquel  nous  avons  cinquante  planches;  dans 
ce  nombre,  il  y  a  certaines  espèces  qu'aucun  botaniste 
depuis  lui  ne  peut  se  vanter  d'avoir  possédées.  Ces  cin- 
quante planches,  que  feu  M.  Fagon,  son  neveu  maternel, 
sauva  longtemps  après  des  mains  d'un  chaudronnier  au- 
quel les  héritiers  de  la  Brosse,  qui  connaissaient  peu  leur 
mérite,  les  avaient  livrées,  étaient  les  restes  de  près  de 
quatre  cents  autres  déjà  gravées  ^jj  —  Antoine  de  Jussieu 
et  Vaillant  sauvèrent  ces  débris,  et  en  firent  tirer  seule- 
ment une  soixantaine  d'exemplaires,  c[u'ils  distribuèrent 
à  leurs  amis  ou  collègues. 

C'est  pendant  C[u'il  exerçait,  en  1635,  après  la  mort  de 
Gui  de  la  Brosse,  les  fonctions  de  «  démonstrateur  des 
plantes  médicinales  du  Jardin  du  roi,  »  que  Vespasien  y 
planta  le  premier  acacia  (robinier),  introduit  en  Europe. 
Gaspard  Bauhin  se  félicitait  d'avoir  reçu  de  lui  quatre 
plantes  originaires  du  Canada  [rudbeckia  laciniuta,  rhvs 
triphyllum,  solidago  mexicana  et  spirœa  hypericifolia). 

L'introduction  des  plantes  de  l'Amérique  septentrionale, 
mieux  appropriées  à  notre  climat  que  les  plantes  de  l'A-  ' 

1.  Mém.  (le  l'Acad.  des  sciences,  année  1727. 


172  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

mérique  méridionale,  occupait  alors  beaucoup  de  méde- 
cins botanistes,  comme  le  montre  l'ouvrage  de  Jacques- 
Philippe  Cornut  (né  à  Paris  en  1606,  mort  en  1651),  in- 
titulé :  Canadensium  Plantarum  aliarumque  nonclum 
editarmn  Historia,  Paris,  1635,.in-4°.  A  cette  époque  la 
France  possédait  le  Canada.  Samuel  de  Ghamplain  y  avait 
fondé,  en  1608,  la  ville  de  Québec,  d'où  le  commerce  ti- 
rait de  grands  avantages.  Pierre  Morin,  Jean  et  Vespa- 
sien  Robin  cultivaient  dans  leurs  jardins  un  certain 
nombre  de  plantes  qu'ils  avaient  fait  venir  du  Canada  et 
d'autres  pays  lointains.  C'est  de  ces  plantes  que  Cornut 
donne  la  description  ;  car  il  ne  paraît  pas  avoir  lui-même 
visité  le  Canada.  Cette  description  commence  par  les  fou- 
gères et  finit  par  une  espèce  de  légumineuse  [lupinus  in- 
dicvs).  Le  texte  est  accompagné  de  soixante  planches 
intercalées  et  gravées  soigneusement  à  l'eau-forte  par 
Vallot. 

Parmi  les  plantes  que  Cornut  fit  connaître  et  dont 
quarante  étaient  entièrement  nouvelles,  on  remarque 
1°  le  gladiolus  xlhiopicus^  flore  coccineo;  c'est  une  es- 
pèce de  glaïeul,  aujourd'hui  parfaitement  acclimatée  et  cul- 
tivée dans  tous  les  jardins  sous  le  nom  de  fleur  du  cardi- 
nal; elle  venait  de  ileurir  pour  la  première  fois  à  Paris, 
et  peut-être  en  Europe,  en  octobre  1633,  lorsque  Cornut 
la  fit  dessiner  pour  son  ouvrage.  2°  'L'acacia  americana 
Robini;  c'est  le  robinier  ou  faux  acacia  (robinia  pseudo- 
acacia,  L.j.  Cornut  le  confond  avec  l'acacia  d'Egypte,  dé- 
crit par  Dioscoride  et  Prosper  Alpin,  et  qui  était  un  vé- 
ritable acacia,  bien  différent,  par  ses  fleurs  en  glomérules 
jaunes,  du  faux  acacia,  dont  les  fleurs  blanches,  papilio- 
nacées,  en  grappes,  ressemble  à  celles  du  pois,  ou,  comme 
dit  Cornut  :  flos  albus,  piso  similis,  in  uvam  compositus. 
Seulement  il  se  trompe  quand  il  ajoute  que  la  grappe  n'est 
pas  pendante,  comme  dans  le  cytise,  mais  dressée.  C'est 
Cornut  qui  a  le  premier  observé  ce  mouvement  particu- 
lier que  les  feuilles  du  robinier  éprouvent  sous  l'influence 


TEMPS  MODERNES.  '  173 

de  la  lumière  solaire,  phénomène  que  Linné  généralisa 
sous  le  nom  de  sommeil  des  plantes.  3"  Le  vitis  lacintatis 
foliis;  c'est  la  vigne  vierge  {vitis  quinquefolia.,  L.),  devenue 
depuis  lors  si  commune  pour  former  des  haies  et  des  ber- 
ceaux. 4°  'L'apios  americana;  c'est  l'apios  tuberosa  de 
Linné,  la  même  plante,  à  racine  tuberculeuse,  dont  on  a 
récemment  essayé  la  culture  pour  la  substituer  à  celle  de 
la  pomme  de  terre.  L'apios  d'Amérique  était  cultivée  avec 
soin  (comme  le  montré  la  planche,  p.  201)  à  Paris  dans 
le  jardin  de  Robin,  vers  1630,  alors  que  la  pomme  de 
terre  était  encore  complètement  inconnue  en  France.  L'au- 
teur remarque  que  les  tubercules  de  l'apios  peuvent  res- 
ter en  terre  tout  l'hiver,  et  qu'ils  ne  germent  qu'au  prin- 
temps ;  il  en  constate  aussi  la  saveur  agréable  et  les  pro- 
priétés nutritives. 

Toutes  les  plantes  dont  Gornut  donne  la  description 
dans  son  Histoire  des  plantes  du  Canada,  ne  sont  pas  ori- 
ginaires de  l'Amérique;  il  y  en  a  aussi  qui  appartiennent 
à  l'Ancien  Monde,  telles  que  cyclamen  orientale,  apocynum 
syriacum,  althsea  î'osea,  etc.  L'ouvrage  se  termine  par  VEn- 
chiridion  botanicum  parisiense.  C'est  un  simple  catalogue  de 
plantes,  le  premier  essai  qui  ait  été  fait  d'une  flore  des  en- 
virons de  Paris.  Il  est  divisé  par  journées  d'herborisation, 
commençant  par  le  village  de  Ghaillot,  et  finissant  par 
Montmartre,  après  avoir  passé  par  le  bois  de  Boulogne, 
Neuilly,  le  Mont-Valérien,  Saint-Gloud,  la  butte  de  Sè- 
vres, Meudon,  Grentilly,  Ivry,  Palaiseau,  La  Roquette, 
Gharenton,  Montfaucon,  Aubervilliers,  La  Barre,  Mont- 
morency, Saint-Prix,  Sainte-Reine.  La  nomenclature  est 
celle  de  Lobel,  et  comprend  environ  450  espèces  de  pha- 
nérogames ou  le  tiers  de  la  flore  des  environs  de 
Paris. 

La  flore  de  l'Europe  méridionale  fut  particulièrement 
étudiée  par  Jacques  Barrelier  (né  à  Paris  en  1606,  mort 
en  1673).  Renonçant  à  la  profession  médicale  qu'il  avait 
d'abord  embrassée,  Barrelier  entra,  en   1635,  dans  l'or- 


174  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE 

dre  de  Saint-Dominique,  et  consacra  tous  ses  moments 
de  loisir  à  sa  science  favorite.  Assistant,  en  16!i6,  le  P. 
Thomas  Tarco,  général  de  l'ordre,  dans  une  tournée  d'ins- 
pection, il  explora  la  Provence,  le  Languedoc  et  TEspagne, 
d'où  il  rapporta  de  nombreux  échantillons  de  plantes.  De 
retour  de  son  voyage,  il  se  mit  à  parcourir  les  Apennins, 
une  grande  partie  de  l'Italie,  et  résida  vingt-trois  ans  à 
Rome,  où  il  fonda  le  Jardin  des  plantes  du  couvent  de 
Saint-Xyste.  Il  revint  en  1672  dans  sa  ville  natale,  et 
s'établit  au  couvent  de  la  rue  Saint-Honoré.  Ce  fut  là  qu'il 
entreprit  de  publier  un  grand  ouvrage  qui  devait  avoir 
pour  titre  :  Hortus  mundi  ou  Orbis  botanicus^  pour  la  ré- 
daction duquel  il  entretenait  une  correspondance  active  avec 
les  principaux  botanistes  de  l'Europe;  il  avait  déjà  fait 
graver  à  Rome  une  partie  des  plantes  dont  il  devait  don- 
ner la  description.  Cette  entreprise  était  encouragée  par 
Gaston,  duc  d'Orléans,  pour  lequel  il  avait  formé  un  her- 
bier, particulièrement  composé  des  plantes  du  Dauphiné. 
Barrelier  était  tout  occupé  de  son  travail,  lorsqu'il  suc- 
comba à  un  accès  d'asthme,  dont  il  avait  contracté  le 
germe  en  Italie.  Les  manuscrits  qu'il  avait  légués  à  la 
bibliothèque  des  Jacobins  Saint-Honoré,  furent  dispersés 
après  sa  mort;  ses  papiers  botaniques  devinrent  la  proie 
d'un  incendie,  et  on  ne  sauva  que  les  planches  en  cuivre 
de  V Hortus  mundi.  Antoine  de  Jussieu  les  recueillit,  et  en 
fit  le  sujet  d'un  beau  volume  qui  a  pour  titre  :  Plantx  per 
Galliam,  Hispaniam  et  Italiam  observatœ^  iconibus  œneis 
exhibitse  a  R.  P.  Jacobo  Barreliero,  Parisino;  opus  posthu- 
mum^  etc.;  Paris,  1714,  in-fol.  Ce  volume,  que  nous  pos- 
sédons, contient  1327  figures,  réparties  sur  324  planches, 
sans  compter  3  planches  de  coquillages.  La  plupart  de  ces 
figures  sont  d'un  dessin  fort  net,  mais  elles  laissent  beau- 
coup à  désirer  pour  l'exactitude  des  organes  de  la  repro- 
duction. Le  texte  succinct  qui  les  accompagne  ne  repose  sur 
aucun  principe  de  classification.  Parmi  les  plantes  pour  la 
première  fois  décrites  et  dessinées,  on  remarque  :  une  espèce 


TEMPS  MODERNES.  175 

de  sauge  [salvia  Barrelieri),  une  espèce  de  phlêole(pft,?mm 
Boehmeri)^  une  esipèce à' oxalis  (oxalisBarrelieri)^  une  espèce 
de  sisymbrium  [sisymbrium  Barrelieri) ,  artemisia  arrago- 
nensis,  une  espèce  de  séneçon  [senecio  Barrelieri]^  quelques 
espèces  de  champignons  (phallus  Hadriani,  clatlirus  floves- 
cens,  boletus  polyGephahts),  etc.  —  En  mémoire  de  Barrelier, 
Plumier  a  établi  le  genre  barreliera,  de  la  famille  des 
acanthacées. 

Joseph  Pitton  de  Tournefort  couronne  l'œuvre  des  bo- 
tanistes descripteurs  et  classificateurs  du  dix-septième 
siècle.  Né  à  Aix  le  5  juin  1656,  il  fut,  contrairement  à 
ses  goûts,  destiné  par  ses  parents  à  l'état  ecclésiastique. 
Aussi  désertait-il  souvent  le  séminaire,  où  il  était  entré, 
pour  herboriser  à  la  campagne.  «  Il  pénétrait,  raconte 
Fontenelle,  par  adresse  ou  par  présents  dans  tous  les  lieux 
fermés  où  il  pouvait  croire  qu'il  y  avait  des  plantes  qui 
n'étaient  pas  ailleurs  ;  si  ces  sortes  de  moyens  ne  réussis- 
saient pas,  il  se  résolvait  plutôt  à  y  entrer  furtivement,  et 
un  jour  il  pensa  être  accablé  de  pierres  par  des  paysans  qui 
le  prenaient  pour  un  voleur.  »  Après  la  mort  de  son  père, 
arrivée  en  Î677,  Tournefort  put  se  livrer  sans  contrainte  à 
sa  passion  pour  la  botanique,  encouragé  d'ailleurs  par  son 
oncle  maternel,  médecin  habile  et  estimé.  Il  profita  de  sa 
liberté  pour  explorer,  en  1678,  les  montagnes  de  la  Sa- 
voie et  du  Dauphiné,  en  rapporta  quantité  de  plantes  sè- 
ches, et  commença  cet  herbier  qui,  considérablement 
accru,  est  devenu  ime  des  principales  richesses  du  Mu- 
séum d'histoire  naturelle  de  Paris.  Quittant  la  théologie, 
il  se  rendit,  l'année  suivante  (1679)  à  Montpellier  pour 
suivre  des  cours  d'anatomie  et  de  médecine,  sans  négliger 
la  flore  de  cette  région,  que  Linné  qualifiait  de  paradis 
dos  botanistes.  En  avril  1681,  il  partit  pour  Barcelone 
et  alla  explorer  les  montagnes  de  la  Catalogne,  en  com- 
pagnie de  nombreux  condisciples.  Les  Pyrénées  étaient 
trop  proches  pour  ne  pas  tenter  un  herborisateur  aussi 
infatigable.  Son  courage  et  sa  frugalité  y  furent  mis  à  de 


176  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

rudes  épreuves.  Il  fut,  un  jour,  raconte  son  biographe, 
enseveli  sous  les  ruines  d'une  cabane  où  il  avait  passé  la 
nuit,  et  ne  réussit  à  s'en  tirer  qu'au  risque  de  sa  vie.  Les 
miquelets  espagnols  le  dépouillèrent  plusieurs  fois,  et  il 
ne  dut  son  salut  qu'à  la  pauvreté  de  son  accoutrement  ;  le 
peu  d'argent  qu'il  portait  avec  lui  était  caché  dans  l'inté- 
rieur d'un  morceau  de  pain  noir  qui  ne  tentait  la  cupidité 
d'aucun  bandit. 

Le  nom  de  Tournefort  parvint  à  Fagon,  alors  mé- 
decin de  la  reine,  et,  grâce  à  cette  protection,  l'intrépide 
herborisateur  obtint,  en  1683,  la  place  de  démonstrateur 
de  botanique  au  Jardin  Royal  des  plantes.  Cet  emploi 
n'amortit  pas  son  ardeur  de  touriste.  Il  retourna  en  Es- 
pagne, voulut  vérifier,  en  Andalousie,  la  fécondation  des 
palmiers,  dont  avaient  parlé  les  anciens,  et  poussa  son 
excursion  jusqu'en  Portugal.  Il  visita  aussi  l'Angleterre 
et  la  Hollande.  A  Leyde,  il  vit  P.  Hermann,  qui  voulut 
l'avoir  pour  successeur  à  la  chaire  de  botanique.  Nommé 
en  1692  membre  de  l'Académie  des  sciences  sur  la  re- 
commandation de  l'abbé  Bignon  (né  en  1662,  mort  en 
1745),  il  ne  fit  paraître  qu'en  1694  son  premier  ouvrage 
intitulé  :  Les  éléments  de  botanique^  ou  Méthode  pour  con- 
naître les  plantes;  Paris,  3  vol.  in-8°.  Il  en  donna,  en 
1700,  une  édition  latine,  considérablement  augmentée, 
sous  le  titre  à' Institutiones  rei  herbariœ,  3  vol.  in-4°,  dont 
un  de  texte  avec  47 ô  planches;  il  s'y  trouve  joint  un  Co- 
roUarium;  1703,  in-4° ,  avec  13  planches.  Cet  ouvrage 
capital,  sur  lequel  nous  allons  revenir,  fut  réimprimé 
avec  des  additions  d'Antoine  de  Jussieu;  Lyon,  1719, 
in-4°  (trad.  en  français  par  Jolyclerc;  Lyon,  1797,  6  vol. 
in- 8°). 

En  1698,  Tournefort  fut  reçu,  avec  un  grand  appareil, 

1.  L'abbé  Bignon,  membre  de  l'Académie  des  inscriptions  et  belles- 
lettres,  fut  un  des  plus  zélés  protecteurs  de  Tournefort,  qui  lui  mar- 
qua sa  reconnaissance  en  donnant  le  nom  de  bignonia  à  un  genre  de 
plantes  d'Amérique. 


TEMPS  MODERNES.  177 

docfeur  en  médecine  de  la  faculté  de  Pans,  sous  la  pré- 
sidence de  Fagon,  à  qui  il  avait  dédié  sa  thèse.  Dans  la 
même  année  il  publia  son  Histoire  des  plantes  qui  nais- 
sent aux  environs  de  Paris,  avec  leurs  usages  dans  la  mé- 
decine (Paris,  1698,  in-12;  nouvelle  édit.,  1725,  2  vol. 
in- 12,  revue  et  augmentée  par  Bernard  de  Jussieu).  Cet 
ouvrage,  oii  ont  puisé  d'utiles  renseignements  tous  les  au- 
teurs de  flores  parisiennes,  est  divisé  en  six  herborisations, 
déterminant  les  stations  d'un  grand  nombre  de  jdantes. 
Sur  la  proposition  du  comte  de  Pontchartrain,  Tourne- 
fort  reçut  de  Louis  XIV  l'ordre  d'aller  en  Orient  pour  y 
faire  des  observations  sur  toute  l'histoire  naturelle,  ainsi 
que  sur  les  mœurs,  la  religion  et  le  commerce  des  peu- 
ples de  ces  régions.  Après  avoir  été  présenté  au  roi,  il 
partit  de  Paris  le  9  mars  1700,  accompagné  de  l'habile 
dessinateur  Aubriet  et  de  Gundelsheimer,  jeune  méde- 
cin allemand.  Il  visita  la  Crète,  les  îles  de  l'Archipel, 
Gonstantinople,  les  côtes  méridionales  de  la  mer  Noire, 
l'Arménie,  la  Géorgie,  le  mont  Ararat,  et  revint  par  l'A- 
sie Mineure  en  passant  à  Smyrne.  La  peste  qui  sévissait  à 
Alexandrie,  l'empêcha  d'explorer  l'Egypte  et  la  Syrie.  Il 
était  de  retour  à  Marseille  le  3  juin  1702.  Il  fut  facile  devoir 
avec  quelle  intelligence  il  avait  rempli  sa  mission.  Treize 
cent  cinquante-six  plantes  ,  la  plupart  nouvelles  et  fort 
bien  décrites,  vinrent  prendre  place  dans  le  catalogue  des 
richesses  végétales  alors  connues.  Peu  après  son  retour,  il 
fut  nommé  piofesseur  de  médecine  aii  Collège  de  France. 
Il  était  dans  toute  la  force  de  l'âge  lorsqu'il  vint  à  mou- 
rir, à  cinquante-deux  ans,  par  suite  d'un  accident  malheu- 
reux. En  passant  par  la  rue  de  Copeau,  près  du  Jardin 
des  Plantes,  il  avait  été  atteint  en  pleine  poitrine  par  le 
timon  d'un  charrette.  Il  languit  pendant  un  mois,  et  pro- 
fita de  ce  court  répit  pour  mettre  en  ordre  ses  papiers, 
notamment  ceux  qui  devaient  terminer  la  Relation  de  son 
voyage.  Cet  ouvrage  parut  neuf  ans  après  la  mort  de  l'au- 
teur [Relation  d'un  voyage  du  Levant,  etc.;  Paris,  Imp. 

12 


178  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

roy.  ,1717,2  vol.  in-4°  ;  Lyon,  1717,3  vol.  in-8°  ;  Amsterd. , 
1718,  2  vol.  in-4°).  Parmi  les  plantes  qui  s'y  trouvent 
pour  la  première  fois  décrites,  on  remarque  :  une  espèce 
de  celtis  [celtis  Tourne  for  lii),  une  espèce  d'origan  [origa- 
num  Tournefortii)^  la  bourrache  orientale,  l'echium  orien- 
tal, la  férule  orientale,  le  daphné  du  Pont,  le  verbascum 
pinnatifide,  la  saxifrage  cymbalaire,  hypericum  orientale, 
papaver  orientale^  etc. 

Dans  les  mémoires  qu'il  avait  communiqués  à  l'Acadé- 
mie des  sciences  de  1692  à  1707,  Tournefort  a  déterminé 
les  caractères  de  plusieurs  genres  de  plantes,  tels  que 
hydrocharis ,  menispermum ,  polygala,  mesembryanthe- 
nmm,  camphorosma,  myrica,  orobanche^  clitoria^  valan- 
tia,  lavatera;  il  a  décrit  plusieurs  espèces  de  champi- 
gnons, indiqué  leur  culture  et  traité  de  la  fonction  des 
vaisseaux  dans  certaines  plantes. 

Robert  Brown  a  consacré  à  la  mémoire  de  Tournefort 
le  genre  tourneforlia^  de  la  famille  des  borraginées. 


Système  de  Tournefort. 


La  classification  qui  porte  le  nom  de  Tournefort  a  ré- 
gné dans  la  science  pendant  près  d'un  siècle.  A  l'exemple 
des  anciens,  l'auteur  commence  par  distribuer  tout  le 
règne  végétal  en  herbes  et  en  arbres.  Considérant  ensuite 
la  fleur,  il  en  isole  la  corolle,  pour  diviser  toutes  les 
plantes  (herbes  et  arbres)  en  celles  qui  ont  des  pétales 
{pétalées)  et  celles  qui  n'en  ont  point  [apétales).  Les  péta- 
lées,  simples  ou  composées,  sont  subdivisées  en  mono- 
pétales^  de  forme  régulière  ou  de  forme  irrégulière,  et  en 
dolypétaleSy  également  de  forme  régulière  ou  irrégulière. 


TEMPS  MODERNES.  179 

Il  est  ainsi  parvenu  à  créer  vingt-deux  classes,  aont  voici 
le  tableau  : 

il  il.Campaniforme.i. 

\régulières .  Jll.  Infundioulifor- 
monopétales/        (,^        |         mes. 
j.     ,     ,.-         III.  Personnées. 
IV.   Cruciformei. 
i  ou  Vvi.  Hosacées. 

)  /régulières    J^^^'    Ombelliféreu . 

f  1    °  '   jVIII.    Caryophyl  • 

ou        f  .  /         ou         /  ^^^*- 

\polypétales.\         °"         fiX.  Liliacées. 

irrégulières. l^-  Papitionacécs. 
\       °  IXI.  Anomales. 

(XII.  Flosculeuses. 

composées ^"'-    Demi-lloscu- 

"^  •  )  leuses. 

1  (XIV.  Radiées. 

f  (XV.  il  élamines. 

,„    I  apétales ^^^i;  ^«"^  ^'T'" 

'U     \     '^  IXVII.  Sans    fleurs 

\  ni  fruits. 

(XVIII.     Apétales 

^[Arbres,  apétales S?""' 

à     (      ^jj  (xiX.  .4merîtocees. 

'fleurs.'  (monopétales XX.  Monopétales. 

'pétalées  !         °^         t régulières.. i XXI.  Rosacées. 

"' jpolypétales.]         ou         JXXII,  Papiliona- 

[  (irrégulières.  (  cées. 

C'est  avec  raison  qu'on  a  reproché  à  l'auteur  de  ce 
système  d'avoir  exagéré  la  valeur  taxonomique  de  la  co- 
rolle ^  Considérée  dans  ses  modifications  principales,  la 
corolle  ne  peut,  en  effet,  fournir  qu'un  petit  nombre  de 
classes,  tandis  qu'elle  peut  en  donner  un  nombre  indéfini, 
si  on  la  considère  dans  ses  modifications  accessoires.  C'est 
ce  que  Tournefort  a  senti  lui-même,  en  créant  sa  onzième 
classe,  les  anomales.^  pour  y  faire  entrer  les  corolles  qui 
s'éloignaient  des  formes  les  plus  tranchées. Les  affinités 
naturelles  devaient  également  souffrir  de  la  séparation  des 
plantes  herbacées  d'avec  les  plantes  ligneuses.  Malgré 
ces  défauts,  il  faut  reconnaître  l'excellence  de  l'établisse- 

1.  Ce  reproche  lui  avait  été  déjà  directement  adressé  par  Ray, 
comme  le  montre  la  lettre  de  Tournefort  à  Sherard  {De  optima  me- 
thodo  instituendain  re  herbaria;  Paris,  1697,  in-8°) 


180  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

ment  primordial  des  Labiées,  des  Crucifères,  des  Lilia- 
cées,  des  Ombellifères,  des  Papilionacées,  conservé  jus- 
qu'à nos  jours  sous  le  nom  de  familles  naturelles. 

Les  classes  sont  subdivisées  en  espèces  et  en  genres,  la 
plupart  très-bien  caractérisés.  Plus  de  130  genres,  établis 
par  Tournefort,  ont  été  conservés  par  les  botanistes,  si 
avides  de  changement.  Dans  ses  descriptions  il  distingue 
nettement  les  espèces  des  variétés,  en  montrant  l'incon- 
stance de  certains  caractères.  En  voyant  avec  quelle 
exactitude  les  planches  (gravées  sur  les  dessins  d'Aubriet), 
qui  accompagnent  ses  Eléments  de  botanique,  où  se  trouve 
exposée  sa  méthode  de  classification,  reproduisent  les 
parties  les  plus  mystérieuses  de  la  fleur  et  du  fruit,  on 
s'étonne  que  Tournefort  ne  soit  pas  Barvenu  à  saisir  le 
phénomène  de  la  fécondation. 


Botanistes  anatomistes   et    physiologistes 


L'invention  du  microscope  poussa  les  esprits  vers 
l'étude  des  organes  et  des  mouvements  de  la  vie,  tant 
animale  que  végétale,  pendant  que  la  fondation  des  socié- 
tés savantes,  telles  que  l'Académie  des  Lyncei  en  Italie, 
la  Société  des  Curieux  de  la  Nature  en  Allemagne,  l'Aca- 
démie des  sciences  à  Paris,  la  Société  royale  de  Lon- 
dres, faisait  d§  plus  en  plus  généraliser  la  méthode  ex- 
périmentale. Mais  déjà  avant  l'emploi  du  microscope  on 
rencontre  les  indices  d'une  importante  éclosion  d'idées 
et  de  faits  nouveaux. 

Ainsi,  un  médecin  de  Venise,  Joseph  Aromatari  (né 
vers  1586,  mort  en  1660),  dans  une  lettre  De  generatione 
pkmtarum  ex  seminibus,  adressée  à  Barthélémy  Nanti, 
signala  l'embryon  de  la  graine  comme  le  végétal  en  rai- 


TEMPS  MODERNES.  181 

mature,  et  regarda  la  matière  (amidon,  huile,  etc.)  qui 
entoure  l'embryon  comme  l'analogue  de  l'albumine 
de  l'œuf  ^  Les  principes  établis  dans  cette  lettre,  qui 
annonce  en  même  temps  un  ouvrage,  resté  inachevé,  sur 
la  génération,  furent  adoptés  par  Harvey,  qui  les  déve- 
loppa. 

Thomas  Brown^  dans  ses  Enquirks  inlo  the  vu'igar 
errors  (Lond.,  1650,  in-fol.  ),  fit  le  premier  ressortir  la 
fréquence  du  nombre  cinq  dans  les  graines  et  les  divi- 
sions des  enveloppes  florales.  Le  chevalier  Digby,  May  or  ^ 
R.  Boyle  signalèrent  l'intervention  de  l'air  nitro-aérien 
(oxygène)  dans  les  phénomènes  de  la  germination,  de  la 
végétation  et  de  la  respiration.  Christophe  Merret  pu- 
blia dans  le  premier  volume  des  Mémoires  de  la  Société 
royale  de  Londres,  dont  il  fut  un  des  premiers  membres, 
diverses  expériences  sur  l'absorption  de  l'humidité  de 
l'air  par  les  végétaux. 

A  l'aide  du  microscope,  Nath.  Henshatu  découvrit,  sui- 
vant Birch  {Hist.  soc.  migl.,  I,  37),  les  vaisseaux  respira- 
toires (trachées)  dans  le  noyer;  R.  Hooke  examina  la  couche 
subéreuse  de  l'écorce,  les  sporules  des  mousses,  et  les 
vaisseaux  laticifères,  qu'il  croyait  faussement,  comme  les 
veines  des  animaux,  garnis  de  valvules  à  l'intérieur.  Le 
roi  Charles  II  ayant  chargé  la  Société  royale  de  Londres 
de  lui  expliquer  les  mouvements  de  la  sensitive,  l'opi- 
nion fut  partagée  :  les  uns  en  trouvaient  la  cause  dans  un 
effluve  subtil,  les  autres,  et  de  ce  nombre  étaient  Hooke 
et  Verduc,  dans  la  structure  fibrillaire  de  la  plante. 

Adrien  Spicgel  (né  en  1578  à  Bruxelles,  mort  en  1625, 
professeur  à  Padoue)    traita  dans  son  Isagoges  in  rr.m  hcv 
bariam  libri  II  (Padoue,    1606,    in-4'',   Leyde  (Elzevi)' 


1.  Cette  lettre,  très-rare^  parut  pour  la  première  fois  clans  une  dis- 
sertation d'Aromatari  sur  la  rage  (Diss.  de  rabie;  Venise,  1625,  in-4'). 
Elle  a  été  réimprimée  à  la  suite  des  Opuscules  botanico -physique.-;  le 
Jung  (Cubourg,  1747,  in-4°). 


182  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

1633,  in-32)  des  différentes  parties  des  plantes,  sans  en- 
tier dans  l'examen  de  leur  structure  intime. 

Cet  aperçu  organographique  est  suivi  de  la  description 
d'un  certain  nombre  d'espèces  végétales  à  la  distribution 
desquelles  n'a  présidé  aucun  principe  général  de  classifi- 
cation. Ainsi  l'auteur  commence  par  l'orcliis  [satyriam)  ; 
de  là  il  passe  au  trèfle  {trifolium)^  genre  dans  lequel  il 
range  le  citise,  le  mélilot,  beaucoup  d'autres  plantes  dont 
les  feuilles  se  composent  de  trois  folioles.  Il  réunit  dans 
un  même  groupe  la  chicorée,  la  laitue,  la  chondrille  et 
l'épervière  [liieracium).  Il  place  les  choux  [brassica]  à  côté 
des  joncs  et  des  prêles  [equisetum).  Sous  le  nom  de  li- 
num,  il  comprend  à  la  fois  le  lin,  la  linaire  et  l'euphorbe; 
sous  celui  d'ortie  [urtica],  il  comprend  des  espèces  très- 
différentes,  telles  que  les  orties  proprement  dites,  plu- 
sieurs labiées  (les  lamium  et  le  calament)  et  le  galeopsis. 
Après  les  verbascum  (moUène,  bouillon  blanc)  viennent 
les  graminées:  les  unes  (les  graminées  fourragères),  sous 
le  nom  général  de  gramen;  les  autres,  telles  que  les  cé- 
réales, sous  celui  de  frumentum^  milium^  panicum.  Les 
euphorbes  sont  comprises  sous  la  dénomination  générale 
de  tithymalus.  Par  le  nom  de  violx  sont  désignées  non- 
seulement  les  violettes,  mais  plusieurs  liliacées  et  di- 
verses campanules.  En  parlant  des  œillets,  l'auteur  ex- 
plique l'origine  de  leur  nom  de  caryophyllam,  appliqué 
depuis  à  toute  une  famille  de  plantes (caryophyllées).«  Ce 
nom  vient,  dit-il,  de  ce  que  l'œillet  ressemble,  par  son 
calice  couronné,  par  sa  corolle  épanouie,  à  l'épice  qui, 
sous  le  nom  de  clou  de  girofle  {caryophylli  fructus),  nous 
vient  de  l'Inde.  Le  chapitre  qui  traite  du  narcisse  est  imc 
histoire  complète  du  narcissus  des  anciens.  Il  en  est  de 
même  du  chapitre  de  l'anémone,  de  la  jacinthe,  du  pavot, 
du  concombre  {cucumis).  Cette  intéressante  description 
de  nos  plantes  communes  se  termine  par  le  chapitre  qui 
traite  du  pois,  de  la  fève,  du  lupin;  de  l'orobe,  de  la  len- 
tille, et  d'autres  plantes  désignées  sous  la  dénomination 


I 


TEMPS  MODERNES.  153 

générale  de  legumlna,  d'où  le  nom  de  Légumineuses  ap- 
pliqué à  toute  la  famille. 

Dans  ce  même  livre,  qui  est  une  véritable  introduction 
à  la  botanique,  Spiegel  a  donné,  l'un  des  premiers,  des 
indications  pratiques  à  l'usage  des  herborisants.  Pour  fa- 
ciliter la  connaissance  des  plantes,  il  insiste  avec  raison 
sur  la  nécessité  de  choisir  dans  chaque  genre  une  espèce 
type,  qu'il  nomme  species  média ^  comme  expression  d'une 
moyenne.  Il  fournit  aussi  des  préceptes  utiles  sur  la  ma- 
nière de  dessécher  les  plantes  et  de  préparer  des  her- 
biers, qu'il  appelle  hortihyemales^  jardins  d'hiver,  comme 
étant  propres  à  remplacer,  pour  l'étude,  les  plantes  qui 
fleurissent  pendant  la  belle  saison.  Il  décrit  aussi  un  pro- 
cédé très-commode  pour  les  personnes  qui  ne  savent  pas 
dessiner.  Ce  procédé  consiste  à  enduire  d'encre  d'impri- 
merie une  planchette  lisse,  d'y  appliquer  la  plante,  verte 
ou  desséchée,  et  à  porter  la  plante,  ainsi  imbibée  d'en- 
cre, sur  le  papier  qui  doit  en  recevoir  l'image.  La  pression 
exercée  avec  la  main  ou  avec  une  étoffe  achève  le  calque. 
—  L'auteur  recommande  aussi  de  faire  des  expériences 
répétées  sur  l'action  des  végétaux,  employés  soit  comme 
aliments,  soit  comme  médicaments.  Il  raconte,  à  ce  sujet, 
l'histoire  d'un  cultivateur  qui  s'était  empoisonné  en  mêlant 
à  une  salade  de  laitue  des  fleurs  d'une  espèce  de  thlaspi, 
et  il  montre  comment  les  mêmes  plantes  n'agissent  pas 
de  la  même  façon  sur  des  personnes  diflérentes.  —  L'ou- 
vrage se  termine  par  le  catalogue  des  plantes  qui  étaient, 
en  1633,  cultivées  dans  le  jardin  académique  de  Leyde. 
Parmi  ces  plantes,  au  nombre  d'environ  onze  cents,  il  y 
a  plusieurs  espèces  d'Amérique,  particulièrement  du  Pé- 
rou, du  Mexique,  de  la  Virginie,  alors  récemment  intro- 
duites en  Europe. 

Grew  et  Malpighi  sont  les  véritables  fondateurs  de 
l'anatomie  et  de  la  physiologie  des  plantes.  Un  mot  sur 
la  vie  et  les  travaux  de  ces  deux  grands  observateurs 

Néhémie  Grtw  (né  veis  1628  à  Goventry,  mort  à  Lon- 


184  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

cires  en  1711),  élevé  dans  le  presbytérianisme,  pour- 
suivit, depuis  la  restauration  de  Charles  II,  ses  études 
à  l'étranger.  Reçu  docteur  en  médecine,  il  vint  s'établir 
dans  sa  ville  natale.  C'est  là  qu'il  commença,  vers  1664, 
ses  recherches  sur  l'anatomie  et  la  physiologie  dès  plan- 
tes. Il  y  avait  été  encouragé  par  le  docteur  Sampson, 
lui  montrant  un  passage  du  traité  de  Glisson,  De  Eepate, 
où  l'auteur  indique  la  phytotomie  (anatomie  végétale"" 
comme  un  sujet  encore  inexploré  et  propre  à  éclaircir  le 
traitement  des  maladies.  En  1662,  Grew  vint  se  fixer  à 
Londres,  et  devint,  peu  de  temps  après,  membre  de  la 
Société  royale,  à  laquelle  il  avait  communiqué,  dès  1670, 
son  premier  essai  sur  l'anatomie  des  plantes,  sous  le  titre 
de  Idea  on  philosophical  History  of  Plants  (imprimé  en 
1673,  in-12,  aux  frais  de  la  Société  royale  de  Londres). 
D'autres  essais,  publiés  depuis,  furent  par  la  suite  réunis 
en  un  volume  in-folio;  ils  forment  le  célèbre  ouvrage  de 
Grcw,  The  Anatomy  o/P/miïs;  Londres,  1682,  avec  83  plan- 
ches. La  traduction  française  en  fut  faite  sous  les  yeux 
de  l'auteur,  qui  en  fît  lui-même  les  corrections  et  les  ad- 
ditions ;  elle  parut  par  les  soins  de  Le  Vasseur,  Paris. 
1679,  in-12. 

Suivant  l'ordre  d'évolution  du  végétal ,  Grew  com- 
mence par  l'étude  de  l'embryon  et  finit  par  celle  du  fruit. 
Pour  ne  pas  se  perdre  dans  des  généralités  abstraites,  il 
prend,  pour  la  désigner,  une  graine  à  la  portée  de  tous, 
la  grosse  fève  des  marais.  Dans  la  pellicule  extérieure,  fa- 
cile à  séparer  quand  la  fève  n'est  pas  desséchée,  il  signale 
d'abord  une  ouverture  située  à  l'une  des  extrémités  de  la 
graine  et  correspondant  à  ce  que  Grew  appelle  la  radicule 
(mot  depuis  universellement  adopté)  de  l'embryon  :  c'est 
l'indice  de  la  base  de  la  graine.  Cette  ouverture  (qui  a 
été  plus  tard  appelée  micropyle  par  Tui'pin)  varie  beau- 
coup  de   grandeur. 

«  Il  y  a  des  graines  où,  fait  observer  Grew,  elle  est  si 
petite  qu'il  est  très-difficile  de  l'apercevoir  sans  l'aide  du 


I 


TEMPS   MODERNES.  185 

microscope,  et  dans  quelques-unes  il  faut,  pour  la  découvrir, 
couper  une  partie  de  la  graine  même,  qui  autrement  en 
empêcherait  la  vue.   3)  Le  choix  que  l'auteur 
avait  fait  de  la  fève  des  marais,  était  très-heu- 
reux.  Non-seulement  toutes  les  parties  inté- 
rieures qu'il  voulait  étudier,  s'y  trouvent  gros 
sies,  mais  il  lui  était  facile  de  montrer  que  la 
peau  ou  pellicule,  appelée  plus  tard  épisperme, 
(fui  recouvre  la  graine  se  compose  manifeste- 
ment de  deux  membranes  :   l'une   extérieure, 
dure,  qui  reçut  de  Gœrtner  le  nom  -de   testa;         ^ 
l'autre  intérieure,  plus  mince,  qu'on  appelle  aujourd'hui 
tcgmen  ou  endoplèvre. 

Grew  ne  donna  pas  de  nom  particulier  à  ce  qu'on  ap- 
pelle le  hile  ou  ombilic  [h  de  la  fig.  1),  «  endroit  où  se 
rompt  le  pédicule  auquel  la  gi'aine  est  attachée.»  Mais  il 
eut  soin  de  faire  remarquer  que  l'ouverture  signalée,  le 
micropyle  [m  de  la  fig.  1)  peut  se  trouver  dans  des  points 
différents,  plus  ou  moins  éloignés  du  hile,  mais  toujours 
correspondant  à  la  radicule.  Il  distingua  nettement  l'em- 
bryon proprement  dit  du  corps  de  la  graine,  corps  amy- 
lacé, huileux,  qu'on  est  depuis  convenu  d'appeler  ïa- 
mande.  Il  indiqua,  outre  la  radicule  ,  ce  qu'il  nomme  la 
plume  (plumule),  partie  qui  fait  suite  à  la  radicule  et 
forme,  par  son  développement,  la  tige  de  la  plante;  «elle 
se  divise,  dit-il,  au  sommet  en  plusieurs  branches,  de  sorte 
qu'elle  ressemble  à  un  petit  bouquet  de  plumes,  et  c'est 
pour  cela  que  je  lui  donne,  dit  l'auteur,  le  nom  de  plume.  » 
On  voit  que  Grew  réunissait  sous  un  même  nom  la  ti- 
gelle  et  la  gemmule,  parties  qui  furent  distinguées  par  la 
suite. 

Le  même  auteur  a  fait  aussi  le  premier  connaître  la 
véritable  nature  des  fleurs  composées,  dont  les  centres 
jaunes  ou  cœurs- fleuris^  comme  on  les  appelait  alors, 
étaient  pris  pour  des  étamines.  «  Les  cœurs-fleuris, 
comme  ceux  des  soucis,  des  fleurs  de  tanaisie,  sontordinai- 


186  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

rement,  ait-il,  appelés  étamînes,  parce  qu'on  les  voit  com- 
posés de  filets  simples,  quasi  stamina;  mais  les  observa- 
tions que  j'ai  faites  m'ont  persuadé  qu'ils  ne  sont  pas  bien 
nommés,  car  quelque  différentes  que  soient  les  véritables 
étamines  de  diverses  fleurs,  les  prétendues  étamines  des 
cœurs-fleuris  (capitules)  qui  ce  paraissent  être  que  de 
simples  filets,  sont  chacune  composées  de  deux  ou  de  plu- 
sieurs parties  différentes  et  qui  ont  toutes  des  figures  de 
petites  fleurs  :  c'est  pour  cela  que  je  les  appelle  fleurons.^:' 

Il  fallut  attendre  jusqu'au  dix-septième  siècle  de  notre 
ère  pour  apprendre  à  distinguer  ce  qui  aurait  du  sauter 
aux  yeux  de  tous  les  passants  depuis  l'apparition  de 
l'homme  sur  le  globe  terrestre.  Preuve  nouvelle  que  l'œil 
du  corps  est  fort  peu  de  chose  sans  le  concours  de  l'œil, 
si  lentement  développé,  de  l'esprit. 

Marcel  Malpighi  avait  pris  l'anatomie  microscopique 
pour  objet  de  presque  tous  ses  travaux.  Né  en  1628 
à  Grevalcuore  dans  le  Bolonais,  il  perdit  de  bonne 
heure  ses  pai^ents  et  fut  longtemps  indécis  sur  le  choix 
d'une  carrière.  D'après  le  conseil  de  son  professeur  de  phi- 
losophie, Fr.  Natalis,  il  se  mit  à  étudier  la  médecine  à 
Bologne.  Ce  fut  là  que  se  développa  son  goi^it  pour  l'ana- 
tomie, sous  la  direction  des  professeurs Massari  etMariano. 
Reçu  docteur  en  1653,  il  passa,  comme  professeur,  do 
l'université  de  Bologne  à  celle  de  Pise,  où  il  se  lia  d'a- 
mitié avec  Borelli  ;  mais  l'air  vif  de  Pise  ayant  été  con- 
traire à  sa  santé,  il  revint  bientôt  à  Bologne  reprendre 
son  ancien  poste.  C'est  là  qu'il  publia  son  premier  ou- 
vrage sur  la  structure  des  poumons  [De  pulmonibus  obser- 
vationes  anatomicse;  Bologne,  1661,  in-fol.).  En  1662,  il 
accepta  une  place  de  professeur  à  Messine,  et  en  1691 
on  le  voit  à  Rome  occuper  le  poste  de  j)remier  médecin 
d'Innocent  XII.  Il  y  mourut  trois  ans  après,  à  l'âge  de 
soixante-sept  ans.  Pour  honorer  la  mémoire  de  Malpighi, 
Linné  a  établi  le  genre  malpighia  comme  type  de  la  fa- 
mille des  malpighiacées. 


TEMPS  MODERNES.  187 

En  1675,  Malpighi  avait  dédié  à  la  Société  royale  de 
Londres,  dont  il  était  membre  depuis  1669,  un  travai 
important,  sur  l'anatomie  microscopique  des  plantes  : 
Anatome  plantarum^  Londres,  1675,  in-fol.,  ouvrage  con- 
tenant 54  planches  sur  cuivre,  et  suivi,  en  guise  d'ap- 
pendice, de  l'anatomie  du  poussin  [De  ovo  incubato)^  le 
tout  magnifiqLiement  imprimé  aux  frais  et  par  ordre  de 
îa  Société  royale.  L'auteur  commence  ses  recherches  par 
le  tissu  cellulaire  qui  entre  dans  la  constitution  de  tous 
les  végétaux,  et  en  forme  quelquefois  des  parties  entières. 
En  l'examinant  au  microscope,  il  montre  ce  tissu  com- 
posé de  vésicules  de  forme  variable,  auxquels  il  donna 
le  premier  le  nom  d'utricules  (utricitli).  C'est  pourquoi 
on  appelle  aussi  le  tissu  cellulaire  tisiu  utriculaire. 
Gomme  démonstration,  il  choisit  d'abord 
l'épiderme  du  maïs,  et  en  fit  le  dessin 
que  voici  (fig.  2). 

Puis,  il  observa  le  même  tissu  sur  l'é- 
piderme du  poirier,  de  la  chicorée,  de 
l'ache,  du  chanvre,  du  saule,  du  peu- 
plier, etc.  Il  fit  voir  que  les  utricules  que 
ce  tissu  présente  sont  soudées  entre  elles 
par  une  substance  intercellulaire,  qui  a 
depuis  reçu  le  nom  de  cysloblastème. 
Cette  structure,  signalée  pour  la  première 
fois  par  Malpighi,  a  été  parfaitement 
mise  en  lumière  par  des  observateurs 
plus  récents,  notamment  par  Sprengel, 
Linck,  Dutrochet,  etc.  Pour  séparer  la 
matière  soudante  des  utricules  soudées,  il  suffit  de  faire 
bouillir  le  tissu  cellulaire  pendant  quelques  minutes  dans 
de  l'eau.  La  moelle  des  plantes  n'est  formée  que  de  tissu 
utriculaire.  ! 

Malpighi  comprenait  sous  le  nom  de  réseau  fibreux,  relei 
fibrosum,  tout  à  la  fois  le  tissu  utriculaire  et  le  tissu  fibreux 
proprement  dit,   qui  n'est  en   effet  qu'une  modification 


188  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

du  premier.  Cependant  dans  ses  dessins,  particulièrement 
dans  celui  qui  représente  (tab.  IV,  fig.  19  de  VAnatomc 
•plantarum)  une  portion  de  la  surface  d'une  tige  de  ronce 
décortiquée,  il  indique  (voyez  fig.  3)  les  cellules  allongées 
et  obliques  à  leurs  extrémités,  qu'on  donne  comme  ca- 
ractéristiques pour  distinguer  le  tissu  utriculaire  du  tissu 
fibreux. 

Il  fut  aussi  le  premier  à  signaler  l'analogie  de  struc- 
ture et  de  fonction  de  certains  vaisseaux  de  plantes  avec 
les  vésicules  pulmonaires  {vesiculi  pulmoiians)  des  in- 
sectes, et  il  leur  donna  le  nom  de  trachées;  mais  il  les 
représenta  assez  mal,  comme  le  montre  la  figure  ci- 
dessous  (fig.  4),  empruntée  à  son  ouvrage. 


Malpighi  admettait  l'élasticité  des  lames  spirales  qui 
composent  les  trachées,  et  môme  la  possibilité  de  se  di- 
later et  de  se  contracter  alternativement  pendant  la  res- 
piration. Il  en  montra  la  présence  dans  l'écorce  aussi  bien 
que  dans  les  fleurs.  Quant  aux  différentes  espèces  de  vais- 
seaux que  le  microscope  a  fait  découvrir  dans  les  plan- 
tes, il  règne  encore  beaucoup  d'obscurité  dans  les  des- 
criptions et  dessins  du  célèbre  phytotomiste. 


TEMPS  MODERNES.  189 

Les  recherches  de  Malpighi  sur  la  germination  sont 
classiques.  Les  termes  qu'il  emploie,  presque  tous 
adoptés  depuis,  montrent  l'analogie  qui  existe  entre  l'em- 
hryon  qui  se  développe  dans  la  graine,  et  l'embryon  qui 
se  développe  dans  la  matrice.  Les  mots  d' ombilic,  de 
cordon  ombilical,  de  seconcline,  àe  péricarpe,  etc.,  sont  de 
sa  création,  La  fleur,  par  laquelle  il  entendait  le  calice 
et  la  corolle,  ne  fait  que  protéger,  suivant  lui,  l'em- 
bryon naissant.  Uétamine,  qu'il  représente  comme  étant 
composée  du  filet  {petiolus)  terminé  par  l'anthère,  sorte 
de  capsule  (capsula),  ne  devait  servir  qu'à  l'élaboration 
et  à  la  dépuration  des  humeurs  du  végétal.  Les  dessins 
qu'il  donne  des  grains  du  pollen,  contenus  dans  les 
loges  [loculi]  de  l'anthère,  ne  sont  pas  d'une  parfaite 
exactitude  microscopique.  Le  style,  à  sommet  plus  ou 
moins  élargi,  n'était  également  pour  lui  qu'un  organe  ac- 
cessoire de  l'ovaire. 

Grew  et  Malpighi,  bien  que  personne  n'ait  poussé 
aussi  loin  qu'eux  l'anatomie  et  la  physiologie  végétale, 
n'avaient  pas  encore  des  idées  bien  nettes  sur  le  sexe  des 
plantes.  Cependant  on  ne  manquait  pas  d'indices  sur 
l'existence  de  ces  organes.  Ainsi,  en  1604,  Adam  Zalu- 
zanius  traita  du  sexe  des  plantes  dans  Methodiis  herbaria 
(Francf.,  in-4°).  11  affirme  que  la  plupart  des  plantes  sont 
hermaphrodites  ou  androgynes  (les  deux  sexes  réunis  dans 
une  même  fleur),  et  que  quelques-unes  seulement  ont  les 
deux  sexes  séparés. 

Jacques  Robert,  directeur  du  jardin  d'Oxford,  avait 
fait,  en  1681,  d'accord  avec  Grrew,  des  expériences  sur 
le  compagnon  blanc  [lychnis  dioïca,  L.),  plante  très- 
commune  dans  nos  climats.  Il  en  était  résulté  ce 
fait ,  que  les  ovules  des  fleurs  de  la  tige  fructifère 
avortent  ou  demeurent  stériles,  s'ils  ne  se  trouvent  pas 
en  contact  avec  les  anthères  ou  sachets  polliniques 
des  fleurs  de  la  tige  staminifère.  Sherard,  Blair,  Ray 
urent   connaissance   de  ce  fait  important;    et  dès  1686 


190  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

on  voit  Ray  s'étendre  sur  la  fonction  fécondante  des  an- 
thères*. 

Rodolphe-Jacques  Camemms  (néàTubingue  en  1665, 
mort  en  1721),  de  la  même  famille  que  Joachim  Game- 
rarius ,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  alla  plus  loin 
dans  cette  voie.  Dans  une  lettre  adressée  en  1694  à  Va- 
lentin^,  il  fit  voir  que  les  graines  sont  impropres  à  la 
reproduction  lorsqu'elles  viennent  de  fleurs  qui  ont  été 
dépouillées  de  leurs  étamines.  Il  avait  fait  des  expérien- 
ces sur  le  chanvre,  dont  les  graines  ne  germaient  point 
quand  il  n'y  avait  pas  de  tiges  à  fleurs  staminifères. 

Après  Grrew  et  Malpighi,  Leeuwenhoek  (né  en  1632, 
mort  en  1723)  examina  soigneusement  au  microscope  le 
tissu  cellulaire  et  les  différentes  transformations  de  ce 
tissu.  Il  nia  les  différences  sexuelles  des  plantes,  aperçut 
les  conduits  intercellulaires,  trouva  des  trachées  dans  le 
tronc  même  des  arbres  et  signala  le  premier  les  vaisseaux 
ponctués,  rayés,  etc.,  que  les  phytotomistes  de  notre  épo- 
que ont  fait  particulièrement  connaître. 

La  physiologie  végétale  eut  pour  promoteurs  Claude 
Perrault,  Dodart,  Mariotte,  etc. 

Claude  Perrault  (né  en  1613,  mort  en  1688),  aussi 
bon  anatomiste  qu'architecte,  comprit,  l'un  des  premiers, 
la  nécessité  d'admettre  une  circulation  de  la  sève  dans  les 
plantes.  La  racine  remplissait,  suivant  lui,  les  fonctions 
du  cœur,  aspirant  les  sucs  de  la  terre  [sève  ascendante) 
pour  les  faire  en  partie  évaporer  par  les  feuilles  qu'il  sup- 
posait aider  la  maturation  des  fruits.  Mais  la  plus  grande 
partie  des  sucs  absorbés  par  les  racines  devait  redescen- 
dre [sève  descendante)  en  passant  entre  l'écorce  et  le  bois. 
Pour  le  démontrer,  il  fit,  expérience  souvent  répétée  de- 
puis, une  forte  ligature  autour  d'un  arbre,'  et  constata, 

1.  Eist.  plant.,  t.  I,  p.  17. 

2.  De  sexuplantarum  Epistola;  Tubing.,  1694,  in-4°,  inséré  dans  les 
Miscellan,  nat.  Cur.,  decad.  III;  réimprimé  en  1749. 


TEMPS  MODERNES.  191 

au  bout  de  quelque  temps,  une  intumescence  marquée  de 
l'écorce  au-dessus  de  l'étranglement  artificiel*, 

Denis  Dodart  (né  en  1634,  mort  en  1707),  auteur  d'un 
grand  nomJire  de  notices  scientifiques,  notamment  de  la 
Préface  des  mémoires  pour  servir  à  l'histoire  des  plantes^ 
publiés  en  1660  par  l'Académie  des  sciences,  essaya  de 
résoudre  des  questions  d'un  vif  intérêt. 

Pourquoi  la  tige,  demandait-il,  tend-elle  toujours  à 
s'élever?  Pour  répondre  à  cette  question,  il  fit  interve- 
nir l'action  des  rayons  solaires,  agissant  sur  les  fibres 
et  les  sucs  de  la  tige  autrement  que  sur  ceux  de  la  ra- 
cine^. Le  premier  il  considéra  le  végétal  comme  un  être 
collectif,  composé  d'une  multitude  de  germes  ou  de  bour- 
geons, dont  chacun  est  capable  de  produire  un  individu. 
Il  calcula  ainsi  qu'un  ormeau  de  taille  moyenne  peut 
produire  au  moins    1584  millions  de  germes. 

Édme  Mariotte  (mort  en  1684)  publia,  en  1679,  sous 
forme  d'une  lettre  adressée  à  Lantin,  conseiller  au  parle- 
ment de  Bourgogne,  un  Essay  de  la  végétation  des  plantes. 
Il  y  traite  particulièrement  de  la  composition  des  plantes 
d'après  les  idées  chimiques  d'alors.  Mais  on  y  rencontre 
aussi  quelques  considérations  de  physiologie  végétale  fort 
intéressantes.  Ainsi,  par  exemple,  il  explique  l'ascension 
de  la  sève  par  la  loi  de  la  capillarité;  «  car  partout,  dit-il, 
où  il  y  a  des  tuyaux  très-étroits  qui  touchent  l'eau,  celle- 
ci  y  entre  et  même  elle  y  monte  contre  sa  pente  naturelle.  » 
Il  observa  aussi  le  premier  que  le  suc  coloré  des  plantes 
circule  dans  des  vaisseaux  différents  de  ceux  qui  contien- 
nent la  sève  ou  suc  incolore.  Les  poils  dont  certaines 
plantes  sont  couvertes,  il  les  considérait  comme  destinés 
à  sucer  la  rosée  et  la  pluie,  parce  que  les  herbes  aqua- 
tiques en  sont  dépourvues.  Pour  savoir  comment  se  fait 
la  maturation  des  fruits  et  des  graines,  Mariotte  n'hésite 

1.  Essais  de  physique,  4  vol.  in-12  (Paris,  1680-1688). 

2.  Mém.  de  l'Acad.  des  sciences,  année  1700,  p.  78. 


192  HISTOIRE   DE  LA  BOTANIQUE. 

pas  à  reconnaître  «  c[u'il  faut  remarquer  et  considérer 
beaucoup  de  choses.  »  Aussi  sa  théorie  laisse-t-elle  beau- 
coup à  désirer. 

Paul  Reneaulme,  médecin  de  Blois,  émit,  au  commen- 
cement du  dix-septième  siècle,  l'idée  que  la  fonction  des 
feuilles  consiste  à  absorber  l'humidité  et  l'air  pour  éla- 
borer la   séve^ 

Daniel  Coxe  communiqua  à  la  Société  royale  de  Lon- 
dres des  observations  sur  l'ascension  de  la  sève  entre  l'é- 
corce  et  le  bois. 

Dedii^  médecin  de  Montpellier,  traita,  dans  son  livre 
De  Vâme  des  plantes  (Leyde,  1685,  in- 12),  une  question 
déjà  soulevée  par  les  anciens  et  reprise  de  nos  jours.  Il 
croyait  à  la  génération  spontanée,  comme  Boccone  et 
Triumfetti,  auteur  des  Obscrvaliones  de  ortu  el  vegeta- 
tiom  plantarum;  Rome,    1685,in-4°. 


Botanistes  voyageurs. 


Le  Mexique,  le  Pérou,  le  Brésil  sont  les  premières  ré- 
gions qui,  peu  de  temps  après  la  découverte  du  Nouveau- 
Monde,  aient  été  explorées  par  des  naturalistes,  témoins 
Hernandez,  Pison,  Margraff,  etc.,  dont  nous  avons  parlé 
plus  haut.  Ce  fut  bientôt  le  tour  de  l'Amérique  septen- 
trionale, où  quelques  Anglais,  sous  la  conduite  de  William 
Penn,  fondèrent,  en  1682,  sur  les  bords  de  la  Delaware, 
la  ville  de  Philadelphie. 

1.  Ce  même  médecin  avait  imaginé  de  donner  des  noms  grecs  aux 
plantes  décrites  dans  son  Spécimen  hintori  ,r  -plantarum  ;  Paris,  1611, 
in-4".  Ainsi,  il  appelle  le  lilas  xaAoêÔTpuxtç  (belle-grappe),  la  gentiane 
asclépias,  oauvaxecpav/)  (plante  à  couronne  velue). 


TEMPS  MODERNES.  193 

Jean  Banister  (mort  vers  1689)  s'était  fixé  au  sud  de 
la  Delaware,  dans  une  contrée  d'un  climat  doux,  où 
avaient  été  ci'éés  les  premiers  établissements  européens, 
en  1584,  sous  le  règne  d'Elisabeth,  contrée  littorale  qui 
reçut,  en  l'honneur  de  cette  reine  célibataire,  le  nom  de 
Virginie.  Il  y  passa  son  temps  à  collectionner  les  plantes  et 
les  insectes  les  plus  curieux,  à  les  décrire  et  à  en  dessiner 
une  grande  partie.  Il  envoya,  en  1680,  un  catalogue  des 
plantes  de  la  Virginie  à  J.  Ray,  qui  le  publia  dans  le  t.  II, 
p.  1928,  de  son  ouvrage.  Un  jour,  gravissant  un  rocher 
escarpé  pour  y  aller  chercher  une  plante,  le  pied  lui  glissa, 
et  il  tomba  dans  un  précipice  où  il  se  fracassa  la  tête.  L'her- 
bier de  Banister  tomba  dans  les  mains  de  Sloane.  Pour 
honorer  la  mémoire  de  ce  martyr  de  la  science,  Houstoii 
établit  le  genre  banistera. 

Hans  Sloane  (né  en  1660  en  Irlande,  mort  en  1753  à 
Ghelsea)  accompagna  en  1687,  comme  médecin,  le  duc 
d'Albemarle,  qui  venait  d'être  nommé  gouverneur  de  la 
Jamaïque.  Il  profita  du  séjour  d'un  an  dans  cette  île  pour 
en  étudier  la  flore,  et  en  rapporter  en  Angleterre  quatre- 
vingts  espèces.  Il  publia  le  résultat  de  son  travail  sous  le 
titre  de  :  Catalogus  plantorum  qux  in  insula  Jamaica 
sponte  proveniunt  vel  vulgo  coluntur;  Lond.,  1696,  in-B». 
Il  avait  aussi  exploré  l'île  de  Madère,  les  Barbades, 
etc.,  comme  le  montre  son  ouvrage,  devenu  très-rare,  in- 
titulé :  Voyage  ta  the  islands  Madera,  Barbadoes,  Chrlsto- 
pher, etc.,  Lond.,  1707-1725,  2  vol.  in-fol.,  avec  274  plan- 
ches. Parmi  les  plantes  pour  la  première  fois  décrites  par 
Sloane,  et  cpii,  en  1688,  passaient  encore  pour  nouvelles, 
on  remarque  :  Justicia  nilida  et  /.  coniata,  ipomœa  viola- 
cea  et  i.  parviflora,  jacquinia  armillaris,  sophora  occiden- 
talis,  melastoma  argenteum^  clethra  tinifoUa^  rubus  jamai- 
ceîisis^  ériger  on  jamaicense.,  aristolochia  odoratissima,  bé- 
gonia acutifolia,  juniperus  virginiana,  pteris  heterophylla, 
etc.  —  Sloane  fit  un  des  premiers  connaître  les  fougères 
arborescentes  des  régions  tropicales.  Collaborateur  de  J. 

13 


194  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

Ray,  il  fut  nommé,  après  la  mort  de  Newton,  en  1727, 
président  de  la  Société  royale  de  Londres.  A  l'âge  de 
quatre-vingts  ans,  il  se  démit  de  toutes  ses  places  pour  se 
retirer  à  Ghelsea,  où  il  mourut  à  quatre-vingt-treize  ans. 

Charles  Plumier  (né  à  Marseille  en  1648,  mort  en  1704 
au  port  de  Sainte-Marie,  près  Cadix).  Entré  de  bonne 
heure  dans  l'ordre  des  Minimes,  instruit  dans  la  botani- 
que par  Boccone  et  Tournefort,  il  accompagna,  en  1689, 
Surian  dans  les  Antilles  françaises,  pour  étudier  les  pro- 
ductions naturelles  de  ces  îles.  Une  pension  et  le  titre  de 
botaniste  du  roi  furent  la  récompense  de  son  zèle.  Par 
ordre  de  Louis  XIV,  il  visita  encore  deux  fois  l'Amérique, 
en  1693  et  1695,  et  fit  des  courses  multipliées  dans  l'île  de 
Saint-Domingue  et  sur  la  côte  méridionale  du  Mexique. 
Chargé  de  l'étude  des  meilleures  espèces  de  quinquina,  il 
allait  s'embarquer  de  nouveau,  lorsqu'il  mourut  d'une 
fluxion  de  poitrine,  à  l'âge  de  cinquante-six  ans. 

On  se  fait  difficilement  une  idée  de  l'activité  prodi- 
gieuse déployée  par  Plumier  pendant  une  vie  relalivement 
bien  courte.  Outre  ses  ouvrages  imprimés  [Descriptions 
des  plantes  de  l' Amérique,  Paris,  1693,  in-fol.,  avec  108 
planches;  Nova  plantarum  americanarum  gênera,  Paris, 
1703,  in-4°,  avec  40  pi.,  supplément  aux  Institutions  de 
Tournefort;  Traité  des  fougères  de  l'Amérique^  1705,  in- 
fol.,  avec  172  pi.;  Plantarwn  americanarum  fascic.  X,  ou- 
vrage posthume,  édité  parBurmann,  à  Amsterdam,  1755- 
1760,  in-fol.,  avec  262  planches),  il  a  laissé  de  nombreux 
manuscrits,  dont  une  partie  (22  vol.  in-fol.)  se  conserve 
à  la  Bibliothèque  nationale  et  au  Muséum  d'histoire  na- 
turelle de  Paris;  d'autres  ont  été  dispersés  en  Hollande 
et  en  Allemagne  ;  plusieurs  ont  été  perdus.  Dessinateur 
aussi  habile  que  fécond,  il  fit,  au  simple  trait,  un  grand 
nombre  de  figures  de  plantes  et  d'animaux.  Le  nombre 
de  ces  figures,  d'une  rare  exactitude,  s'élève  à  près  de 
6000  dans  le  catalogue  du  P.  Feuillet.  La  plupart  des 
genres,  établis  par  Plumier  et  presque  tous  dédiés  à  des 


TEMPS  MODERNES.  195 

botanistes  ou  voyageurs  de  mérite,  ont  été  conservés  par 
Linné  et  ses  successeurs.  Parmi  ces  genres  nous  cite- 
rons :  Maranta,  cardia,  lonicera,  fuchsia,  dorstenia,  cx- 
salpinia,  etc.  Quant  aux  espèces  qu'il  a  le  premier  décrites, 
elles  sont  trop  nombreuses  pour  être  énumérées  ici. 

Louis  Feuillet  (né  en  IbôO,  mort  à  Marseille  en  1732), 
de  l'ordre  des  Minimes,  joignit  la  connaissance  de  l'astro- 
nomie à  celle  de  la  botanique.  Il  visita  dans  un  premier 
voyage  (de  1703  à  1706)  les  Antilles  et  la  côte  de  Caracas; 
dans  un  second  voyage  il  parcourut  le  Chili  et  le  Pérou 
(de  1709  à  1711).  Il  en  rapporta  les  matériaux  de  sou 
Histoire  des  plantes  médicinales  qui  sont  les  plus  d'usage 
aux  royaumes  du  Pérou  et  du  Chili,  etc.;  Paris,  1714, 
3  vol.  in-4'',  avec  planches.  On  y  trouve  la  description  de 
plusieurs  espèces  nouvelles. 

William  Dampier  (né  à  East-Coker  en  1652,  mort  en 
1710),  qui  visita  comme  corsaire  les  côtes  de  l'Amérique, 
les  îles  de  l'océan  Pacifique,  la  Nouvelle-Hollande  et  les 
Indes  orientales,  a  décrit,  dans  sa  Relation,  un  certain 
nombre  de  plantes  jusqu'alors  inconnues,  particulière- 
ment celles  de  la  Nouvelle-Hollande  ^  Parmi  ces  derniè- 
res nous  mentionnerons  :  metrosideros  hispidus,  solanum 
ferox,  glycine  coccinea,  casuarina  equisetifolia ,  banksia 
olesefolia,  lobelia  oleœfolia.  Dampier  est  le  premier  naviga- 
teur qui  nous  ait  donné  quelques  renseignements  sur  la 
ilore  si  singulière  de  la  Nouvelle-Hollande,  découverte  en 
1642  par  le  Hollandais  Tasman. 

Pendant  que  le  Nouveau-Monde  était  ainsi  ouvert  aux 
investigations  de  la  science,  les  Indes  orientales  furent 
explorées  par  Bontius,  Grimm,  Rheede,  Rumphius;  la 
Chine  et  le  Japon,  par  Boym,  Cloyer,  Neuhoff,  Ksempfer; 
['île  deKhusan  et  les  îles  Philippines,  parCuningham  et  Ka- 
mel.  Li'île  de  Madagascar  eut  Flacourt  pour  explorateur , 

1.  NewVoyage  round  the  world,  etc.  Lond. ,  1699,  in-8°  ;  traduit  eu 
français,  Rouen,  1715,  5  vol.  in-12,  avec  cartes  et  figures. 


196  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

VÉgyple  et  l'Afrique  boréale  lurent  visitées  par  Vesling  et 
Gluyt.  L'Asie  Mineure  fut  parcourue  par  Sherard  et 
Wheler.  Les  régions  même  de  l'extrême  nord,  V Islande  et 
le  Groenland,  furent  abordées  par  suite  de  cette  ardeur 
d'exploration,  qui  devait  bientôt  embrasser  tout  le  globe 
terrestre.  Un  mot  sur  la  vie  et  les  travaux  de  ces  voya- 
geurs. 

Jacques  Bontius^  natif  de  Leyde,  résida,  vers  le  com- 
mencement du  dix-septième  siècle,  dans  les  possessions 
hollandaises  des  Indes  orientales.  Il  en  fit  connaître  les 
principales  productions  employées  en  médecine,  et  rec- 
tifia beaucoup  de  passages  de  Garcias  ab  Horto,  d'Acostaet 
deNicolasMonardes,  dans  son  traité  De  medicina  Indorum 
libri  IV  (Leyde,  1642,  in-12),  réimprimé  à  la  fin  de  l'ou- 
vrage de  Prosper  Alpin,  De  medicina  jEgyptiorum  (Paris, 
1645,  in  4°).  Parmi  les  nouvelles  espèces  décrites  par 
Bontius,  nous  citerons:  le  thé  [ihea  viridi) ,  saverrhoa  ca~ 
rumbola,  la  rose  de  Chine  {hibiscus  rosasinensis)^morinda 
citrifolia^pipcr  siriboa,  etc. 

Nicolas  Grimm  (né  en  1641,  mort  en  1711),  médecin 
de  Stockholm,  visita,  vers  la  fin  du  dix-septième  siècle, 
l'Hindoustan,  d'où  il  envoya  à  l'Académie  des  Curieux 
de  la  Nature  les  dessins  et  les  descriptions  du  nepenthes 
distillatoria^  d'un  liseron  à  racine  de  salsepareille,  et  de 
l'igname  {dioscorea  saliva)^. 

Adrien  va7i  Rheede  tôt  Draakenstein  (mort  en  1699) 
profita  de  sa  haute  position  de  gouverneur  général  des 
établissements  hollandais  de  l'Inde  pour  satisfaire  son 
goût  pour  la  botanique  et  commencer  la  publication  d'un 
ouvrage  monumental,  intitulé  Hortus  malabaricus.  Vour  la, 
mise  au  jour  de  cet  ouvrage,  qui  ne  fut  terminé  qu'après 
la  mort  du  gouverneur  (Amsterdam,  1670-1703,  12  vol.  in- 
foL,  accompagnés  de  nombreuses  et  magnifiques  planches), 
Rheede  avait  été  secondé  par  Arnold  Syen,  G.  ten  Rhyne, 

[.  Ephcincrid.  Nat.  cur.,  decad.ll,  an.  1  et  3. 


TEMPS  MODERNES.  197 

J.  Gommelyn,  mais  surtout  par  le  P.  Mathieu  de  Saint- 
Joseph,  carme  napolitain.  Missionnaire  dans  l'Inde  depuis 
plus  de  trente  ans,  le  P.  Mathieu  avait  recueilli,  aidé  de 
ses  néophytes,  toutes  les  plantes  qui  lui  paraissaient  di- 
gnes d'être  peintes  et  décrites.  Gomme  les  dessins  et  les  des- 
criptions du  carme  missionnaire  n'étaient  pas  tous  exempts 
d'erreur,  Rheede  chargea  Jean  Gascarius,  missionnaire 
évangélique  en  Gochinchine,  d'en  faire  le  triage  pour  choi- 
sir ce  qu'il  y  avait  de  plus  exact.  Parmi  les  nombreuses 
espèces  végétales  qui  se  trouvent  pour  la  première  fois 
décrites  et  dessinées  dans  le  Hortus  malabaricus^  nous 
citerons  :  costus  speciosus^  nerium  odorum ,  tradesccmtia 
malabarica^  celtis  orientalis,  daphne  pohjstachya^  eugenia 
malaccensis ^  plusieurs  espèces  de  bignonia  [b.  spathica, 
chelonoïdes^  indica^  longifolia) ^  avicennia  tomentosa,  bom- 
bax  nepetophyllwn,  etc. 

G":  Eveihard  Rumpf  (né  à  Hanau  en  1637,  mort  en 
1707),  livré  au  commerce,  se  rendit  dans  les  Indes 
orientales  et  y  devint  gouverneur  des  îles  Moluques.  Au 
milieu  des  spendeurs  de  la  florâ  tropicale,  il  se  mit  à 
dessiner  les  plantes  qu'il  avait  sous  ses  yeux,  et  bientôt 
aidé  d'un  certain  nombre  de  jeunes  botanistes,  graveurs 
et  descripteurs,  il  commença,  en  1690,  un  ouvrage  m;i- 
gnifique,  qui,  après  la  mort  de  Rumpf,  fut  continué  et 
mis  au  jour  par  les  soins  de  J.  Rurmann,  sous  le  titre 
de  Herbarium  amboinense^  Amsterd.,  1741-1 751,  7  vol.  in- 
fol.  Au  nombre  des  espèces  nouvelles  qui  s'y  trouvent  dé- 
crites et  figurées,  on  remarque  :  amomum  echinatum  et  a. 
villosum,  eugenia  javaïiica,  bégonia  luherosa-,  urticanivea, 
areca  spicata,  etc. 

Le  Hortus  malaharicus  et  le  Herbarium  amhoinense  for- 
ment la  flore  la  plus  splendideet  jusqu'alors  la  plus  com- 
plète de  l'Indoustan  et  des  îles  de  la  Sonde. 

Michel  Boym  (mort  en  1659),  missionnaire  polonais  de 
l'ordre  des  Jésuites,  esquissa  le  premier  une  flore  de  la 
Chine,  Flora  sinensis,  opuscule  imprimé  à  Vienne  en  1656 


198  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

(traduit  en  français  dans  Thevenot) .  Il  tut  suivi  dans  cette 
voie  par  André  Cleyer,  natif  de  Gassel,  médecin  de  la 
Compagnie  hollandaise  de  Batavia.  Ses  lettres  sur  la  flore 
de  la  Chine  et  du  Japon  se  trouvent  dans  B.  Valentin,  His- 
toria  simplicium^  p.  377  et  suiv.  lia  puhlié  sous  son  nom 
une  traduction  des  quatre  livres  de  Wang-cho-Ho,  sur  les 
médicaments  simples  des  Chinois  (Spécimen  medicinse  si- 
nensis;  Francf.,  1682).  On  a  aussi  de  Cleyer  des  observa- 
tions sur  différentes  plantes  du  Japon,  avec  des  dessins, 
insérés  dans  les  Éphémérides  des  Curieux  de  la  Nature. 
On  y  remarque,  comme  espèces  nouvelles  :  ligustrwn  ja- 
ponicum^  evonymus  japonicus,  vitis  japonica,  lilium  japo- 
nicum,  eury a  japonica,  broussonetia  papyrifera,  etc. 

Jean  Neuhof^  dans  sa  Relation  de  l'ambassade  de  la 
compagnie  hollandaise  des  Indes  auprès  du  premier  em- 
pereur mandchou-tatare  de  la  Chine',  donne  (p.  319-345) 
la  description  et  les  dessins  des  principales  productions 
du  Céleste-Empire,  parmi  lesquelles  nous  signalerons  par- 
ticulièrement le  thé  ou  Tcha,  et  le  smilax  china.  Les  dé- 
tails dans  lesquels  il  entre  relativement  à  la  culture  du 
thé,  dont  l'usage  commençait  seulement  à  s'introduire  en 
Europe,  sont  très-curieux. 

Engelbert  Kœmpfer  (né  à  Lemgo  en  1651,  mort  en 
1716)  fut  le  premier  à  ouvrir  sérieusement  le  Japon  aux 
investigations  des  naturalistes  européens.  D'un  irrésistible 
penchant  pour  les  voyages,  il  avait  déjà  parcouru  les  prin- 
cipales contrées  de  l'Europe  et  visité  une  partie  de  l'Asie, 
lorsqu'il  s'embarqua,  le  7  mai  1690,  comme  médecin,  à 
bord  du  navire  de  commerce  envoyé  tous  les  ans  par  la 
Compagnie  des  Indes  néerlandaises  aux  îles  du  Japon.  Il 
revint  en  Europe  en  1693,  et  mourut  dans  sa  ville  natale, 
à  l'âge  de  soixante-cinq  ans,  après  avoir  fait  paraître  les 

1.  Die  Gesandschafft  der  Ost-Indischen  Gesellschaft  an  den  Tarta- 
rischen  Cham,  und  nunmehr  auch  Sinischen  Keyser ,  etc.  Amsferd., 
1669,  in-fol.,  avec  de  nombreuses  figures  intercalées  dans  le  texte. 


1 


TEMPS  MODERNES,  199 

principaux  résultats  de  ses  observations  sous  le  titre 
à'Amœnitalum  exoticarum  physico-politico-medicarum 
fasciculi  F,  Lemgo,  1712,  in-4<',  avec  gravures.  Le  cin- 
quième fascicule  contient  la  description  des  plantes  japo- 
naises collectionnées  par  l'auteur  et  par  ses  disciples  ori- 
ginaires du  Nippon.  Les  manuscrits  laissés  par  Ksempfer 
restèrent  inédits  jusqu'à  ce  que  Hans  Sloane  les  eût  ac- 
quis des  héritiers  de  l'illustre  voyageur  et  en  eût  ordonné, 
en  partie,  la  traduction  et  la  publication  sous  le  titre  do 
History  of  Japon  and  Siam,  ivritten  in  high  deutsch  by 
Engl.  Kssmpfer^  and  englisfi'd  by  J.  G.  Scheuchzer;  Lond., 
1727,  2  vol.  in-fol.  Cet  ouvrage  ne  tarda  pas  à  être  tra- 
duit en  français  par  Des  Maiseaux,  sous  le  titre  à'His- 
loire  naturelle^  civile  et  ecclésiastique  de  fenij-iredu  Japon, 
la  Haye,  1729,  2  vol.  in-fol.;  itid.,  1731,  3  voL  in-12, 
avec  planches  et  cartes.  En  appendice  se  trouvent  plu- 
sieurs extraits  des  Aniœnilates  exoticse.  Ce  n'est  qu'en 
1773  qu'il  parut  en  allemand,  langue  dans  laquelle  l'au- 
teur avait  primitivement  rédigé  son  travail.  Cette  version 
originale  (Lemgo,  2  vol.  in-4°)  est  préférable  anxiraduc- 
tions  qui  l'avaient  précédée. 

L'herbier  de  Ksempfer  est  conservé  au  British  Mu- 
séum. Les  noms  japonais  et  les  noms  latins,  inscrits  à 
côté  des  échantillons  de  cet  herbier,  facilitent  l'établis- 
sement de  la  synonymie  botanique.  D'après  cet  herbier 
et  les  papiers  de  Kaempfer,  Banks  publia,  Icônes  selectœ 
plantarum  quas  in  Japonia  coUegit  et  cklineavit  Eng. 
Ksempfer,  ex  archetypis  in  museo  Britannico  asservatis; 
Lond.,  1791,  in-fol.  (89  planches).  Parmi  les  plantes  que 
Ksempfer  a  fait  le  premier  connaître,  nous  citerons  :  le 
vernis  du  Japon  [rhus  vernix) ,  aralia  japonica,  hemero- 
callis  japonica,  phytolacca  octandra,  le  néflier  du  Japon, 
bignonia  catalpa^  aucuba  japonica,  cupresms  japonica, 
daphne  odora,  etc. 

Jacques  Cunningham,  chirurgien  de  la  compagnie  an- 
glaise des  Indes  orientales,  résida  successivement  à  Êmouï, 


200  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

siu'  la  côte  de  la  Chine,  dans  l'île  de  Kliusan,  à  Pulo- 
Gondor,  collectionna  de  nombreuses  plantes  dans  ces  dif- 
férentes localités,  et  les  envoya  à  Ray,  à  Plukenet  et  à 
Petiver,  qui  les  ont  décrites  et  figurées  dans  leurs  ou- 
vrages. Il  a  le  premier  fait  connaître  la  flore  de  l'île  de 
l'Ascension,  dans  les  Transactions  philosophiques  de  Lon- 
dres, année  1.699,  p.  298  et  suiv.  Cette  flore,  si  pauvre, 
se  compose  de  quelques  espèces  d'euphorbe  [euphorbia 
origanoides^  e.  chamœsyce),  d'une  espèce  de  liseron  [con- 
volvulus  pes  caprse),  et  d'une  espèce  de  sida  (s.  fœtida). 
R.  Brown  a  dédié  à  la  mémoire  de  Gunningham  le  genre 
cunninghamia ^  de  la  famille  des  Rubiacées. 

G.  Joseph  Kamel^  natif  de  Brûnn  en  Moravie,  résida 
longtemps  aux  îles  Philippines,  comme  pharmacien  de 
la  société  des  missionnaires  jésuites  de  Manille.  Ce  fut 
de  Luçon,  principale  des  îles  Philippines,  qu'il  envoya,  à 
partir  de  1693,  un  grand  nombre  de  plantes  à  Petiver  et 
à  Ray.  Ces  plantes  se  trouvent  décrites  dans  l'appendice 
au  t.  III  de  l'Histoire  des  plantes  de  Ray  [Herbarum  alia- 
rumque  stirpium  in  insula  Luzone,  Philippinarum  prima^ 
nascentium,  a  R.  P.  Georgio  Josepho  Camelio,  observa- 
tarum  et  descriptarum  Syllabiis) .  A  côtéd'espèces  connues 
s'en  trouvent  d'autres,  jusqu'alors  tout  à  fait  inconnues, 
telles  que  bradleya  philippica^  illicium  anisalum  (anis 
"étoile),  etc.  Kamel  fit  le  premier  connaître  la  fève  de 
Saint-Ignace,  d'où  l'on  tire  la  strychnine,  et  il  publia  un 
petit  traité  des  plantes  grimpantes  de  Manille  dans  les 
Philosoph.  Transact.  vol.  XXI,  p.  88,  et  vol.  XXIV, 
p.  1709.  Linné  lui  a  consacré  le  genre  camélia^  composé 
de  beaux  arbustes,  originaires  du  Japon. 

L'île  de  Madagascar  est  une  des  terres  les  plus  riches 
eu  plantes.  Les  Français  y  fondèrent  en  1652  les  pre- 
miers établissements  de  commerce.  Etienne  de  Flacoiirt^ 
(né  à  Orléans  en  1607,  mort  en  1660),  nommé  directeur 
général  de  la  compagnie  de  l'Orient,  profita  de  sa  posi- 
tion pour  faire  explorer  l'île  de  Madagascar,  et  donna  des 


TEMPS  MODERNES.  201 

renseignements  qui  jusqu'à)  ors  avaient  complètement  man- 
qué. Sa  Relation  de  la  grande  isle  de  Madagascar  (Paris, 
1658,  in-4  ;  i'' édit.  ibid.,  1661,  in-4°)  contient  un  chapi- 
tre intéressant  sur  la  végétation  de  cette  île.  Les  figure 
qui  représentent  les  plantes,  sommairement  décrites,  son 
de  très-petite  dimension  et  d'un  dessin  tout  à  fait  primi 
tif.  Parmi  ces  plantes  on  remarque  comme  nouvelles  : 
nrychnos  spinosa,  agathophyllum  aromaticum ,  lirianthum 
trinervium,  humbertm  madagascariensis,  etc.  Flacourt  aie 
premier  décrit  avec  détail,  sous  le  nom  indigène  à'onra- 
mitaco,  le  ncpenthes  madagascariensis ,  plante  extrême- 
ment remarquable  par  la  pointe  de  sa  feuille  terminée  en 
un  petit  cruchon  muni  de  son  couvercle,le  tout  ayant  l'ap- 
parence d'une  ileur  ou  d'un  fruit.  «  C'est,  dit-il,  une  plante 
qui  vient  haute  de  deux  coudées,  qui  porte  au  bout  de  ses 
feuilles,  longues  d'une  paulme,  une  fleur  ou  fruit  creux, 
sembhible  à  un  petit  vase  qui  a  son  couvercle  :  cela  est 
très-admirable  à  voir;  il  y  en  a  de  rouges  et  de  jaunes, 
les  jaunes  sont  les  plus  grandes.  Les  habitants  de  ce  pays 
ont  un  scrupule  de  cueillir  les  fleurs  (les  petits  vases  mu- 
nis de  leurs  couvercles) ,  disant  que  quiconque  les  cueille 
en  passant  il  ne  manque  pas  la  même  journée  de  pleu- 
voir, ce  que  j'ai  fait,  —  et  il  n'a  pas  plu  pour  cela.  » 

L'Héritier  a  donné  le  nom  de  flacourlia  ramontcM  h 
un  arbrisseau  épineux,  que  Flacourt  a  le  premier  fait 
connaître  sous  le  nom  indigène  à'alamotou. 

Auger  Cluyt,  fils  de  Clutiits  (nom  latinisé  de  Cluyt), 
premier  directeur  du  jardin  botanique  de  Leyde,  fondé  en 
1577,  visita  trois  fois  la  côte  septentrionale  de  l'Afrique, 
et  eut  le  malheur  d'être  pris  et  dépouillé  par  les  Bé- 
douins, des  mains  desquels  il  parvint  cependant  à  s'é- 
chapper ;  car  en  1631  il  fit  paraître  à  Amsterdam  son  Art 
d'emballer  et  d'envoyer  au  loin  les  arbres^  les  plantes,  les 
fruits  et  les  grains^  et,  trois  ans  après,  il  publia  un  traiti 
Sur  la  noix  de  coco  des  îles  Maldives. 

Jean  Vesling,  natif  de  Minden  en  Westphalie,  profes- 


202  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

seur  à  Padoue  (né  en  1598,  mort  en  1649),  visita  l'E- 
gypte sur  les  traces  de  Prosper  Alpin.  Son  ouvrage  De 
plantis  j.'Egypti  observationes  (Padoue,  1638,  in-4°)  contient, 
parmi  les  espèces  pour  la  première  fois  décrites  et  dessi- 
nées, le  liseron  du  Caire  (convolvulus  cairicus),  la  jus- 
quiame  dorée,  momordica  luffa^  acacia  vera^  etc. 

L'Asie  Mineure  fut  pour  la  première  fois  botanique- 
ment  explorée  par  William  Sherard.  Né  en  1659  àBushby 
dans  le  comté  de  Leicester,  W.  Sherard  se  passionna  de 
J3onne  heure  pour  les  excursions  botaniques.  En  1690,  il 
visita  l'île  de  Gersey,  et  envoya  à  J.  Ray  la  liste  des  plan- 
tes qui  y  croissent.  Trois  ans  après,  on  le  trouve  à  la  re- 
cherche des  plantes  dans  les  montagnes  du  Jura  et  no- 
tamment sur  le  mont  Salève  près  de  Genève.  lien  envoya 
également  le  catalogue  à  J.  Ray,  qui  le  publia  comme 
supplément  à  sa  Sylloge  stirpium  europœarum.  Nommé 
en  1602  consul  de  Smyrne,  il  profita  de  son  séjour  dans 
le  Levant  pour  rassembler  des  échantillons  de  toutes  les 
plantes  de  l'Asie  Mineure  et  de  l'Archipel,  et  commencer 
ce  fameux  herbier  qui  passait  pour  avoir  contenu  douze 
mille  espèces.  Il  le  légua  à  l'université  d'Oxford,  en  même 
temps  qu'une  somme  de  3000  livres  sterling  pour  la  créa- 
tion d'une  chaire  de  botanique,  avec  la  clause  expresse 
que  son  ami  Dillenius  l'occuperait  le  premier.  Sherard  dé- 
crivit dans  les  Transact.  Philos,  (t.  XXXII,  p.  147)  le  sumac 
vénéneux  (rhus  toxicodendron) ,  sous  le  nom  de  poison-wood- 
tree,  indiqué  par  Plukenet  sous  le  nom  d'arbor  americana 
alatis  foliis.  Il  fut  aussi  l'éditeur  du  Paradisus  batavus  de 
P.  Hermann,  et  probablement  l'auteur  du  petit  catalogue 
du  Jardin  des  plantes  à  Paris,  intitulé  Schola  botanica, 
sive  calalogas  pianlarum,  quas  ab  aliquot  annisin  Horto  Re- 
gio  Parisiensi  studiosis  indigitavit  vir  clarissimus  Joseph 
Pilton  Tournefort,  etc.  Edente  in  lucem  S.  W.  A.  (She- 
rard William  Anglus),  suivi  an  Prodromus  ParadisiBatavi 
de  P.  Hermann,  Amsterd.,  1699,  in-18.  —  Dillenius, 
dans  sa  Flora  Gissensis  a  donné  le  nom  de  Sherard  à  une 


TEMPS    MODERNES.  203 

rubiacée  [sherardia  arvensis),  assez  commune  dans  nos 
environs,  comme  dans  toute  l'Europe  centrale. 

Le  Spitzberg  et  le  Groenland  furent  visités  en  1671  par 
Frédéric  Markns^  chirurgien  de  marine,  natif  de  Ham- 
bourg. Il  publia  sa  relation  sous  le  titre  de  Spitzbergsche 
und  Grœnlândische  Reisebeschreibung  (  Relation  d'un 
voyage  au  Spitzberg  et  au  Groenland);  Hamb.,  1675, 
in-4°,  avec  planches,  ouvrage  traduit  en  italien,  en  hol- 
landais, en  anglais  et  en  français.  On  y  trouve  les  pre- 
mières observations  qui  aient  été  faites  sur  la  végétation 
si  pauvre  des  régions  circumpolaires  de  notre  hémisphère. 
Au  milieu  de  quelques  descriptions  très-imparfaites,  on 
reconnaît  les  espèces  suivantes ,  caractéristiques  de  la 
zone  glaciale  :  saxifraga  nivalis,  rammculus  glacialis^ 
r.  hyperborseus^  cerastium  alpinum,  sclix  herbacea,  co- 
chlearia  groenlandica,  etc. 


LIVRE  QUATRIEME 

PRO&RÈS  DE  LA  BOTANIQUE   DEPUIS   LE   DIX-HUITIÈME  SIÈCLE 
JUSQU'A  NOS  JOURS. 


Dans  les  siècles  précédents,  les  hommes  s'étaient  en 
quelque  sorte  emparés  de  la  science  pour  l'accommoder  à 
leurs  usages  ou  se  faire  valoir  par  leurs  conceptions  sys- 
tématiques. De  là  la  nécessité  de  l'historien  de  mettre  en 
relief  certaines  personnalités  pour  y  rattacher  le  mouve- 
ment scientifique.  A  partir  du  dix-septième,  les  obser- 
vations continuant  à  s'accumuler,  c'est  la  science  qui  va 
s'emparer  des  hommes,  pour  les  traîner  en  quelque  sorte 
à  sa  suite.  Là,  les  personnes  doivent  s'eifacer  devant  les 
résultats  de  l'observation,  qui  marquent  le  besoin  de  s'i- 
dentifier de   plus  en  plus  avec  les  mystères  de  la  nature. 

Ces  résultats  peuvent  se  ramener  à  trois  divisions  ;  nous 
les  nommerons  :  1°  la  Phytonomie,  comprenant  les  systè- 
mes de  classification  ou  les  groupements  des  plantes,  sui- 
vant certaines  lois  ou  méthodes,  par  familles,  tribus,  gen- 
res et  espèces  ;  2°  la.  Phytologie*^  traitant  de  l'anatômie, 
de   la  physiologie,    de   la  morphologie   végétales  ;   3°  la 

1.  Le  mot  logos,  qui  forme  la  terminaison  de  beaucoup  de  noms 
grécisés,  ne  signifie  pas  seulement  discours,  mais  aussi  ra/son.  Le  nom 
de  phytologie  est  donc  bien  choisi  par  nous  pour  désigner  les  reclier- 
ches  qui  portent  sur  la  structure  et  les  fonctions  des  plantes,  sur  la 
raison  des  choses. 


TEMPS  MODERNES  205 

Pliytographie,  ayant  pour  objet  la  description  des  espèces 
végétales  de  différents  pays  du  globe,  leur  culture  ou 
leur  acclimatation,  et  leur  distribution  géographique. 


I.  Phytonomie. 

Le  système  de  Tournefort,  que  nous  avons  exposé  plus 
haut,  mit  la  discorde  parmi  les  botanistes  au  commence- 
ment du  dix-huitième  siècle  ;  les  uns  l'admettaient  en 
cherchant  à  le  perfectionner  ;  les  autres  le  rejetaient  en 
essayant  de  le  remplacer.  Parmi  les  premiers  se  fit  remar- 
quer Sébastien  Vaillant,  et  parmi  les  derniers,  Dille- 
nius. 

La  valeur  des  organes  sexuels  comme  moyen  de  classi- 
fication avait  déjà  commencé  à  poindre  dans  les  travaux 
des  prédécesseurs  de  Linné.  Partisan  des  idées  de  Jung, 
de  Ray  et  de  Rivin,  le  médecin  H.  Burkhard  [né  en  1676, 
à  Wolfenbûttel,  mort  en  1738)  montra,  dans  une  lettre 
adressée  à  Leibniz',  qu'il  faut  chercher  le  cai-actère  na- 
turel, distinctif,  invariable,  des  plantes,  non  pas  dans  la 
forme  des  fleurs,  comme  le  voulait  Tournefort,  ni  dans 
les  racines,  comme  venait  de  le  proposer  Ghr.  Grakenholz, 
mais  dans  les  organes  de  la  fécondation  et  de  la  fructifi- 
cation. «  Ces  organes  (étamines  et  pistils)  sont,  disait-il, 
bien  plus  importants  que  le  calice  et  la  corolle.  C'est  de 
là  que  doit  partir  toute  vraie  classification.  »  Il  s'étendit 
ensuite  sur  le  pollen  contenu  dans  les  anthères,  décrivit 
la  nature  glandulaire  du  stigmate,  propre  à  recevoir  la 
poussière  pollinique,  et  il  fit  le  premier  voir  que  les  grains 
de  pollen,  reçus  sur  le  stigmate,  passent  de  là  par  le 
style  dans  l'ovaire.  Il  observa  l'inégalité  de  longueur  des 

1.  De  caractère  plantarum  naturali,  1702;  réimp.  à  Helmsteedt, 
1750,  in-12,  avec  une  préface  de  Heisler. 


206  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

étamines  dans  les  crucifères  et  les  labiées  (deux  étamiues 
plus  courtes  sur  les  six  étamines  des  crucifères  et  sur  les 
quatre  étamines  des  labiées),  il  signala  la  soudure  des 
étamines  par  leurs  filaments  dans  les  malvacées  et  par 
leurs  anthères  dans  les  composées,  enfin  il  fit  ressortir 
l'importance  de  ces  caractères  pour  classer  les  plantes 
par  groupes  naturels. 

Admettant  avec  Tournefort  les  deux  grandes  divisions 
des  végétaux  en  monocotylédones  et  en  dicotylédones, 
Hermann  Boerhaave  (né  près  de  Leyde  en  1668,  mort  en 
1738),  aussi  bon  médecin  ^ue  chimiste  et  botaniste,  les 
subdivisa,  à  l'exemple  de  P.  Hermann,  en  gymnospermes 
(plantes  à  graines  nues)  et  en  angiospermes  (plantes  à  grai- 
nes entourées  d'enveloppes  constituant  le  fruit).  Séb.  Vail- 
lant insista,  dans  son  opuscule  Sur  la  structure  des  fleurs 
(Leyde,  1718,  in-4°),  sur  la  nécessité  de  tenir  compte  des 
caractères  qui  affectent  les  organes  sexuels.  Il  pense  que 
ce  n'est  pas  le  pollen  lui-même,  mais  seulement  un  ef- 
fluve (spiritus)  de  la  poussière  fécondante,  qui  pénètre 
jusqu'aux  ovules  contenus  dans  l'ovaire.  Il  rejette  la  divi- 
sion des  plantes  en  arbres  et  en  herbes,  parce  que  les 
fleurs  et  particulièrement  les  organes  sexuels  sont  souvent 
les  mômes  dans  les  arbres  que  dans  les  herbes. 

La  découverte  des  animalcules  spermatiques  par  Leu- 
wenhoek  porta  quelques  botanistes  à  les  assimiler  aux 
granules  qui  se  meuvent  (mouvement  brownien)  dans  l'in- 
térieur des  grains  de  pollen  :  ces  granules  mobiles  se- 
raient les  embryons  tout  formés,  qui  n'auraient  ensuite 
besoin  que  de  se  développer  dans  l'ovaire  végétal.  C'est 
ce  que  S.  Morland  essaya  de  démontrer  sur  plusieurs  li- 
liacées,  dont  le  style  creux  laisse  facilement  pénétrer  le 
pollen  jusqu'aux  ovules  de  l'ovaire'.  Supposant  aux  ovules 
un  petit  orifice  par  où  devait  s'introduire  le  pollen,  il  crut 


1.  Acl.  Erudit.,  an.  1705,  p.  275. 


ΣMPS  MODERNES.  20? 

reconnaître  le  vestige  de  cet  orifice  même  sur  la  graine 
mûre,  tout  près  du  hile,  orifice  déjà  signalé  par  Malpi- 
ghi  [micropyle  de  Turpin)'. 

Les  observations  de  Morland  furent  reprises  par  Claude- 
Joseph  Ceoy/roy  (néàParis  en  1685,  mort  en  1752). Celui 
ci  établit  en  fait  que  les  anthères,  qui  ne  manquent  dans 
aucune  plante,  sont  toujours  disposées  de  manière  à  faci- 
liter la  fécondation  des  ovules  par  le  pollen,  et  il  montra, 
par  des  expériences  faites  sur  le  maïs,  que  les  ovules  ne 
deviennent  de  véritables  graines  qu'après  avoir  subi  le 
contact  du  pollen^.  Il  étendit  le  système  sexuel  jusqu'aux 
champignons,  et  fut  suivi  dans  cette  voie  par  Ant.  Réau- 
mur. 

Richard  Bradley  (mort  en  1732,  professeur  de  botani- 
que à  l'université  de  Cambridge),  auteur  de  VHisturia 
plantarum  succulentarum  (Lond.,  1716-1727,  in-4°),  qui 
contient  la  première  description  des  différentes  espèces  de 
mesembrianthemum  ^  s'occupa  beaucoup  du  sexe  des 
plantes.  La  fécondation  se  fait,  suivant  lui,  parce  que  le 
pollen,  de  nature  cireuse,  est  magnétiquement  attiré  par 
le  stigmate.  Il  montra,  par  l'examen  microscopique,  que 
les  grains  polliniques  de  même  forme  caractérisent  des 
groupes  naturels  de  plantes.  Ses  connaissances  horticoles 
lui  permirent  de  faire  de  nombreuses  expériences  sur  la 
production  des  variétés  par  des  fécondations  de  fleurs 
d'espèces  différentes  '. 

L'étude  des  végétaux  qui  n'ont  pas,  en  apparence,  de 
système  sexuel,  fut  pour  la  première  fois  sérieusement 
abordée  par  Dillenius^.  Son  ouvrage  fondamental, //isto/'ta 
muscorum  (Oxf.,1741 ,  in-i^iavec  de  nombreuses  planches, 

1.  Annales  du  Muséum,  t.  XXXIX,  p.  200. 

2.  Sur  la  structure  et  Vusage  des  principales  parties  des  fleurs;  dans 
les  Mém.  de  TAcad.,  année  1711. 

3.  A  newimprovementofplanting  and  gardening;  Lond.,  1717,  in-8. 

4.  Jean-Jacques  DiiieniMs,  né  à  Darmstadt  en  1687,  étudia  la  mé- 
decine à  Giessen,  et  fit,  en  1721 ,  connaître  la  flore  des  environs    de 


•208  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE 

dessinées  et  gravées  par  l'auteur),  contient  plus  de  cent 
genres  nouveaux,  encore  aujourd'hui  conservés.  Il  im- 
porte de  noter  que  Dillenius  prend  le  nom  de  muscus^ 
mousse,  dans  le  sens  le  plus  étendu  :  il  décrit  sous  ce 
nom  non-seulement  les  mousses  proprement  dites,  mais 
des  plantes  qui  en  ont  plus  ou  moins  l'apparence,  telles 
que  les  conferves,  les  lichens,  les  champignons  filamen- 
teux ,  les'  rhizospermes,  les  lycopodes  et  les  hépati- 
ques. 

Ces  végétaux,  qui  reçurent  de  Linné  le  nom  de  crypto- 
games^  Dillenius  les  distribue  en  deux  classes  :  en  musci 
dépourvus  de  capitules  fleuris  {capitulis  (loridis  destituti)^ 
et  en  musci  pourvus  de  capitules  fleuris.  La  première 
classe  comprend  les  conferves  [musci  non  peltés,ni  tuber- 
cules), et  les  lichens  {musci  peltés  ou  tubercules).  La  se- 
conde classe  se  subdivise  1°  en  musci  à  capitules  dures, 
polycoques^  ou  monocoques,  comme  dans  les  jungermnn- 
nia^\  2»  en  musci  à  capitules  mous,  comme  dans  les  mar- 
chantia,  dans  les  bryum,  hypnum,  polytrichum,  etc. 
Dillenius  fut  plus  de  vingt  ans  à  correspondre  et  à  voya- 
ger pour  réunir  les  matériaux  de  son  HisLoire  aes  mousses. 
Linné,  qui  n'eut  pas  à  s'en  louer  comme  homme,  lui  a 
édié  le  genre  type  de  la  famille  des  dilléniacées. 
Ce  que  Dillenius  avait  fait  pour  les  conferves,  les  li- 
chens et  les  mousses,  Scheuchzer,  professeur  à  Zurich 
(né  en  1684,  mort  en  1737),  le  tenta  pour  les  graminées, 
les  juncées  et  les  cypéracées.  Il  insista  sur  la  disposi- 
tion des  épillets,  formant  des  épis  ou  des  panicules,  sui- 
vant qu'ils  sont  placés  sur  des  axes  ramifiés  ou  sur  des 
axes  non  ramifiés.  Cette  distinction  lui  permit  de  séparer 
des  genres  qui  avaient  été  jusqu'alors  confondus.  Il  fit  aussi 

cette  ville.  Ayant  montré  des  préférences  pour  J.  Ray,  aux  dépens  de 
Tournefort  et  de  Rivin,    il  fut  particulièrement  apprécié  en  Angle- 
terre. Devenu  professeur  de  botanique  à  Oxford,  sur  la  recommanda- 
tion de  W.  Siierard,  il  y  mourut  en  1747. 
3.  Le  nom  de  coque  (coccus)  est  donné  ici  à  la  capsule  fermée. 


TEMPS  MODERNES.  209 

ressortir  comme  caractère  générique  l'insertion  de  l'arête 
sur  le  calice  commun  (glumelie)  de  l'épillet.  Parmi  les 
espèces  qui  ont  été  pour  la  première  fois  décrites  par 
Scheuchzer  dans  son  A grostographia  (Zurich,  1719,  in-4°, 
réédité  par  Haller,  en  1775,  in-4°)  on  remarque  :  holcus 
mollis,  aira  canescens,  a.  csespitosa^  poàalpi7ia^  p.  nemo- 
ralis,  festuca  pratensis,  bromus  arvensis,  b.  giganteiis  y 
elymus  europxus^  etc.  Parmi  les  cypéracées,  qui  se  dis- 
tinguent des  graminées  par  leur  gaîne  non  fendue,  on 
remarque  ;  carex  brachystachys,  c.  limosa,  c.  lobata, 
c.  fœlidrj,  etc.,  et,  parmi  les  juncées,  qui  se  distinguent 
des  graminées  et  des  cypéracées  parleurs  fruits  capsulaires 
à  trois  valves,  les  scirpus  cnmpestris,  juncus  spadiccus^  etc. 

Scheuchzer  eut  pour  émule  Joseph  Monti  (né  à  Bologne 
en  1682,  mort  en  1760).  Dans  son  Catalogi  stirpium  agri 
Bononiensis  Prodomus,  gramina  ac  hujus  modi  afftnia 
co?7ip^ecfen5(Bolog.,l  719,  in-4°  avec  fig.),  Monti,  professeur 
de  Bologne,  a  divisé  les  graminées  en  deux  classes,  en 
herbes  gramini  foliée  s  et.  en  graminées  {gramina)  propre- 
ment dites.  Dans  la  première  classe  il  range  les  genres 
triticum^  secale,  hordeum.^  oryza,  milium^  etc.;  la  se- 
conde classe,  il  la  subdivise  en  loliacées,  phalaroïdées, 
avénacées,  arundinacées,  etc.  Monti  a  le  premier  décrit 
les  carex  glomeratus  et  c.  serotinus.  Micheli  a  donné  le 
nom  de  montia  à  un  genre  de  portulacées. 

Rejetant  la  doctrine  sexuelle,  Jules  Pontedera  (né  à  Vi- 
cence  en  1688,  mort  en  1757),  professeur  à  l'Université 
de  Padoue  depuis  1719,  essaya,  dans  son  Anthologia  sive 
De  floris  naturalibrilll  (Pad.,  1720,  in-4''avecpl.),  de  con- 
cilier le  système  de  Tournefort  avec  celui  de  Rivin,  en 
prenant  pour  base  de  ses  divisions  les  fruits,  le  nombre 
des  pétales  et  la  forme  des  fleurs. 

Pontedera  soutenait  que  le  pollen  ne  passe  pas  par 
le  stigmate,  mais  que  l'humidité  des  anthères  descend, 
par  les  filaments,  jusqu'à  l'ovaire.  C'est  pourquoi,  ajou- 
tait-il, les  étamines  adhèrent  souvent  aux  pétales  et  au 

U 


210  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

tube  de  la  corolle.  Le  suc  mielleux,  sécrété  par  le  dis- 
que, devait  servir  à  faire  mûrir  les  graines.  Il  n'admet- 
tait pas  que  la  poussière  pollinique  pût,  dans  les 
plantes  dioïques ,  être  transportée  sur  les  ailes  du  vent, 
et  il  expliquait  la  fécondation  des  palmiers  par  des  in- 
sectes qui,  s'échappant  des  fleurs  mâles,  hâtent,  comme 
dans  les  figuiers  (caprifî cation),  la  maturation  des  fruits. 

Pontedera  a  mieux  mérité  de  la  science  par  son  Corn- 
pendiurn  tabularum  ôoïamcarwm  (Padoue,  1718,  in-4°), 
sorte  de  flore  de  l'Italie  cisalpine,  qui  contient  plusieurs 
espèces  nouvelles.  Linné  lui  a  dédié  le  genre  pontede- 
ria^  type  de  la  petite  famille  des  pontédériacées,  voisines 
des  iridées. 

Le  système  sexuel,  attaqué  par  Pontedera,  trouva  un 
défenseur  zélé  dans  le  médecin  écossais  Patrice  Blair^ 
mort  à  Boston  vers  1728.  Dans  ses  Botanical  Essays 
(Lond.,  1720,  in-S")  Blair  recommandait  de  ne  pas  rejeter 
légèrement  les  faits  acquis,  en  cas  de  doute  de  les  mieux 
approfondir  pour  les  rectifier,  et  de  s'appliquer  à  bien 
caractériser  les  anciens  genres.  Il  reprochait  à  Tour- 
nefort  de  ne  pas  avoir  nettement  distingué  les  ordres  des 
genres,  et,  tout  en  reconnaissant  que  le  pollen  est  néces- 
saire pour  la  fécondation,  il  ne  croyait  pas  que  cette  pous- 
sière fécondante  donnât  aux  ovules  leurs  embryons. 
J.  Logan  fit  vers  la  même  époque  des  expériences  sur  la 
fécondation  des  graines  de  maïs'. 

Le  système  de  Rivin  fut  renouvelé  avec  quelques  modi- 
fications par  J.  Ernest  Hebcnstreit  (né  en  1703  à  Neustadt 
sur  rOrla,  mort  à  Leipzig;  en  1757),  dans  De,  continuanda 
Rivinorum  indmtria  (Leipzig,  1726,  in-4").  Ce  même  na- 
turaliste avait  été  envoyé  par  Frédéric- Auguste  II,  roi  de 
Saxe  et  de  Pologne,  pour  explorer  les  États  Barbaresques. 
Il  y  passa  près  de  deux  ans  ;  mais  il  ne  publia  pas  les  ré- 
sultats de  son  voyage. 

li  Philos.  Transact.  an.  1 736,  p.  1 92* 


TEMPS  MODERNES.  211 

Le  Hongrois  G-.  Henri  Kramer  entreprit  de  concilier 
Rivin  et  Tournefort  dans  son  Tentamen  novurriy  sive  me- 
thodus  Rivino-Tournefortiana  (Dresde,  1728,  in-S"),  où  les 
plantes  se  trouvent  classées  par  mois.  Il  créa,  entre  autres, 
la  famille  des  personnées,  d'après  la  forme  de  la  corolle, 
et  divisa  les  composées  en  celles  dont  les  fleurs  restent 
épanouies  toute  la  journée  et  en  celles  qui  se  ferment 
vers  midi.  Quant  à  la  doctrine  de  la  fécondation  par  des 
organes  sexuels,  il  la  traitait  d'inepte,  d'impudique,  d'or- 
durière,  etc. 

Enfin,  parmi  les  botanistes  dont  les  travaux  préparèrent 
l'avéneraent  de  Linné,  P.  Antoine  Micheli  occupe  le  pre- 
mier rang.  Né  en  1679,  à  Florence,  il  devint,  en  1706, 
professeur  àPise,  et  il  s'identifia  si  bien  avec  sa  science  fa- 
vorite, que  Sherard  le  mettait  au-dessus  de  tous  les  botanis- 
tes contemporains.  Il  composa  le  premier  un  Gênera  plan- 
tarum,  suivant  la  méthode  de  Tournefort  (Nova  plantarum 
gcnera  juxta  methodum  Tourne fortii  disposita;  Florence, 
1729,  in-fol.  avec  108  pi.).  Il  s'occupa  avec  soin  de  lare- 
production  des  lichens,  des  champignons  et  des  mousses 
et  créa  les  genres  marsilea,  ju7igermannia,  linckia,  vallis- 
neria,  zannichellia,  etc.  Dans  les  graminées,  il  décrivit  le 
premier  la  glumellule  comme  une  petite  corolle  interne 
dipétale,  et  il  rangea  cette  famille  entre  la  quatorzième  et 
la  quinzième  classe  de  Tournefort.  Il  indiqua  les  vrais  ca- 
ractères des  genres  scirpus,  cyperus^  schœnus,  eriophorum^ 
fit  une  étude  approfondie  des  carex,  et  décrivit  le  premier 
les  carex  mucronata,  c.  panicea^  c.  pulicaris,  c.  divulsa^ 
c.  muricata  ,  etc.  Il  fit  connaître  presque  toutes  les 
espèces  àejungermannia^et  décrivit,  comme  espèces  nou- 
velles, parmi  les  lichens  :  parmelia  plumbea,  cetraria 
islandica  ;  parmi  les  champignons  et  byssus  :  amanita  in- 
carnata,  heivella  in  fula,  marche  lia  gigas,  botrytis  simple  x  et 
ramosa^  monilia  glauca,  racodiurn  cellare,  etc. 

Les  esprits  étaient  ainsi  partagés,  lorsque  le  grand  na- 
turaliste suédois  vint  fixer  l'état  de  la  science.  Né  le  12 


212  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

mai  1707  à  Rashult  dans  le  Smoland,  Charles  Linné  re- 
çut l'instruction  élémentaire  à  l'école  de  son  village,  et, 
ayant  montré  un  goût  décidé  pour  l'histoire  naturelle,  il 
fut  admis,  en  1727,  sur  la  recommandation  du  docteur 
Rothmann,  à  compléter  ses  études  d'abord  à  l'université 
de  Lund,  puis  à  celle  d'Upsal,  où  il  eut  pour  maîtres  et 
amis  0.  Rudbeck,  fils  de  l'auteur  des  Deliciœ  Vallis  Jaco- 
bœae,  et  0.  Celsius,  auteur  de  VHierobotanicon.  Ce  fut  après 
la  lecture  de  la  lettre  de  Burckhardt  à  Leibniz,  et  du  dis- 
cours de  Vaillant  sur  la  structure  des  fleurs,  que  Linné 
conçut,  à  l'âge  de  vingt-quatre  ans,  le  plan  de  sa  classi- 
fication célèbre,  fondée  sur  les  considérations  tirées  des 
organes  sexuels  des  plantes.  Il  l'exposa,  en  1731,  dans 
VHortus  Uplandicus.  Ici  se  présente  un  événement  décisif 
pour  les  travaux  du  jeune  naturaliste. 

Stimulé  par  l'exemple  des  rois  de  Danemark,  puissants 
promoteurs  de  la  flore  Scandinave,  Charles  XI,  roi  de 
Suède,  ordonna,  en  1695,  à  0.  Rudbeck  de  faire  connaî- 
tre la  végétation  de  la  Laponie.  Le  savant  professeur  vi- 
sita cette  région  inhospitalière  et  en  rapporta  un  grand 
nombre  de  plantes,  la  plupart  inconnues  jusqu'alors.  Le 
premier  volume  venait  de  paraître,  lorsque  tout  le  tirage 
du  volume  et  les  matériaux  de  tout  le  reste  de  l'ouvrage, 
qui  devait  avoir  sept  volumes,  furent  détruits  dans  le  fu- 
meux incendie  d'Upsal,  en  1702.  Cependant  le  projet  d'une 
exploration  scientifique  de  la  Laponie  n'avait  pas  été  aban- 
donné. La  Société  royale  des  sciences  de  Suède  chargea 
Linné  de  le  réaliser.  Le  13  mai  1732,  Linné  partit  d'Up- 
sal, ne  portant  avec  lui  que  deux  chemises,  un  portefeuille 
contenant  du  papier  et  des  plumes,  et  un  bâton  sur  le- 
quel étaient  marquées  des  mesures.  Il  se  dirigea  versl'An- 
germannland,  et  faillit  être  tué  par  un  quartier  de  roche 
qu'un  guide  fit  maladroitement  rouler  sur  lui  pendant 
qu'il  escaladait  le  mont  Skula.  A  Uméa,  on  lui  présenta 
le  voyage  de  Laponie  comme  plein  de  périls  à  cette  épo- 
que de  l'année.  Mais  rien  ne  put  le  décourager.  Il  attei- 


TEMPS  MODERNES.  213 

gniL  bientôt  Lyksela,  traversa  à  la  nage  le  fleuve  Jukta, 
franchit  la  Pithoa  et  la  Luloa,  passa  les  Alpes  laponnes^ 
parcourut  la  Finmark,  visita  Torneo,  Abo,  les  îles  d'Aa- 
land  et  fut  de  retour  à  Upsal  en  novembre  de  la  même 
année.  Ce  voyage,  exécuté  avec  des  moyens  presque  nuls, 
et  si  important  par  ses  résultats  scientifiques,  nous  monti-e 
Linné  bravant  les  dangers,  toujours  préoccupé  d'observer 
la  nature  et  faisant  éclater  une  joie  d'enfant  à  chaque  dé- 
couverte d'une  plante  inconnue.  Aussitôt  après  son  re- 
tour, il  publia,  dans  les  Actes  de  la  Société  royale  de  Suède, 
le  Prodrome  de  la  flore  laponne,  et  fit,  plus  tard,  paraître 
l'ensemble  de  son  travail  sous  le  titre  àe  Flora  lapponica, 
exhibens  plantas  per  Lapponiam  crescen tes, etc.,  Amsterd., 
1737,  in-8°.  Parmi  les  espèces  nouvelles  qui  y  sont  dé- 
crites et  figurées ,  on  remarque  :  pinguicola  alpina, 
p.  villosa,  azalea  lapponica,  andromeda  hypnoides,  erica 
cxrulea,  lychnis  apelala  ,  ranunculus  lapponicus,  pedi- 
cularis  lapponica,  p.  flammea,  p.  hirsuta,  cardamine  hel- 
lidifolia,  salix  glauca,  s.  hastata,  s.  lapponum,  cetraria 
nivalis,  etc. 

C'est  dans  l'd  Flora  lapponica  que  Linné  a  fait  le  premier 
l'application  du  système  de  classification  dont  nous  allons 
dire  un  mot. 

«  Il  sera  pour  moi  le  grand  Apollon,  erit  mihi  magnus 
Apollo^  »  disait  Linné  de  celui  qui  parviendrait  à  fonder 
la  méthode  naturelle  sur  des  bases  inébranlables.  C'est  le 
système  de  Linné  qui  forme  la  principale  assise  de  cette 
méthode.  Il  repose  sur  les  organes  de  la  reproduction, 
comprenant  les  étamines  (mâles)  et  les  pistils  (femelles). 
Ces  organes  sont  ou  visibles  ou  cachés  ;  de  là  la  division 
générale  des  plantes  en  phanérogames  (à  organes  sexuels 
visibles)eten  cryptogames  {k  organes  sexuels  cachés).  Les 
phanérogames  peuvent  avoir  les  deux  sexes  (étamines  et 
pistils)  réunis  dans  la  même  fleur,  c'est-à-dire  entourés 
du  même  périanthe,  ou  les  avoir  chacun  dans  une  fleur 
différente.  De  là  la  division  particulière  des  phanérogames 


214 


HISTOIRE  DE   LA  BOTANIQUE. 


en  hermaphrodites  ou  monoclines  (à  un  seul  lit),  et  en 
unisexuelles  ou  didines  (à  deux  lits).  Parmi  les  plantes  her- 
maphrodites, qui  forment  l'immense  majorité  des  espèces 
végétales,  les  unes  ont  les  étamines  libres,  en  nombre  plus 
ou  moins  grand,  à  filets  plus  ou  moins  longs,  les  autres 
les  ont  soudées  soit  par  les  filets,  soit  par  les  anthères, 
mais  distinctes  du  pistil;  d'autres  enfin  les  ont  soudées 
avec  le  j)istil.  Ces  distinctions  (ordres  et  sections)  ont  per- 
mis d'établir  vingt-trois  classes.  Les  plantes  cryptogames 
forment  à  elles  seules  la  vingt-quatrième  et  dernière 
classe.  Voici  le  tableau  de  la  classification  linnénne  : 


I,   PLANTES  PHANEROGAMES, 

A.     MONOCLINES     OU     HERMAPHRODITES. 

a.  Étamines  libres. 
Nombre  d'Étamines  :  Classes. 

Une 1  Monandrie 

Deux 2  Diandrie 

Trois 3  Triandrie 

Quatre 4  Tétrandrie 

Cinq 5  Pentandrie 

Six 6  Hexandrie 

Sept ■ 7  Ileptandrie 

Huit 8  Octaudrie 

Neuf 9  Ennéandrie 

Dix 10  Décandrie 

Onze .     Il  Dodécandrie 

Plus  de  douze,  souvent  vingt 12  Icosandrie 

Un  grand  nombre,  jusqu'à,  cent  et  plus...     13  Polyandrie 

Quatre  étamines,dontdeuxà  filets  plus  longs.     14  Didynamie 

Six  étamines,  dont  quatre  à  filets  plus  longs    15  Tétradynamie 


b.  Étamines  soudées. 

a.  Par  les  filets,  unis  en  un  corps 16  Monadelphie 

p.  Id.  en  deux  corps 17  Diadelphie 

y.  Id.  en  plusieurs  corps  .. .  18  Polyadelphie 

h.  Parles  anthères  (pistil  distinct) 19  Syngénésie 

£.  Par  les  anthères,  attachées  au  pistil. ...  20  Cynandric 


TEMPS  MODERNES.  215 


B.  DICLINES  00  UNISEXUELLES. 


Chaque  sexe  (étamines  ou  pistil)  dans  une  fleur  différente. 

a.  Sur  le  même  pied 21     Monœcie 

p.  Sur  deux  pieds  différents 22    Diœcie 

y.  Sur  des  pieds  différents  ou  sur  le  même 

pied  avec  des  fleurs  liermaphrodites. . .     23    Polygamie 


II.   PLANTES  CRYPTOGAMES. 

Champignons^  lichens,  mousses,  fougères. 

En  jetant  un  coup  d'œil  sur  ce  tableau,  on  est  d'abord 
émerveillé  de  la  simplicité  de  cette  classification.  Il  suffit, 
eu  effet,  de  compter  et  de  désigner  en  grec  les  étamines  ou 
mâles  (àvops;),  pour  connaître  immédiatement  toutes  les 
classes  jusqu'à  la  dixième  inclusivement.  Mais  déjà  une 
première  difficulté  se  présente  à  la  onzième  classe  :  celle-ci 
devrait  s'appeler  hendècandrie.  Or  il  n'y  a  pas  de  fleurs  à 
onze  étamines.  La  nature  a  sauté  par-dessus  ce  nombre  pour 
arriver  sans  transition  au  nombre  àoVii&  {dodécandrie) .  k\\ 
delà,  le  nombre  des  étamines  varie  de  quatorze  à  vingt  (il  n'y 
a  pas  de  fleurs  à  treize  étamines)  ^onxVicosandrie.  Au  delà 
de  vingt,  on  ne  compte  plus  les  étamines  {polyandrie).  Là 
cesse  le  premier  élément  classifîcateur.  Pour  établir  les 
classes  suivantes,  depuis  la  quatorzième,  Linné  s'est 
adressé,  non  plus  au  nombre,  mais  au  rapport  des  étami- 
nes entre  elles  et  avec  le  pistil  ;  les  étamines  plus  longues 
sont  appelées  des  puissances  (ouvafjieic),  et  les  groupes  de 
filets  soudés  ont  reçu  le  nom  de  frères  (àoeXcpoi) .  Là  où 
chaque  sexe  fait  ménage  à  part  (xXtvy|),les  fleurs  unisexuées 
n'ont  qu'une  ou  deux  maisons  (ol'xoi),  suivant  qu'elles  se 
trouvent  sur  la  même  tige  ou  sur  deux  tiges  différentes. 
Le  mélange  des  deux,  c'est  la  polygamie.    . 

Ce  langage  poétique,  d'ailleurs  naturel  à  Linné,  était 


216  HISTOIIU-:   DE   LA  BOTANIQUE. 

alors  à  la  mode,  témoin  le  Carmen  elegiacum  de  amoribus 
el  connubiis  plantarum  (Leyde,  1732,  in-4")  d'Adrien  van 
Roy  en,  professeur  de  botanique  à  l'université  de  Leyde. 

La  Hollande  était  depuis  plus  d'un  siècle  le  lieu  de  re- 
fuge de  tous  les  hommes  d'élite  persécutés  dans  leur 
patrie.  En  hutte  à  la  jalousie  de  quelques  médiocrités, 
Linné  quitta  la  Suède,  se  fit  recevoir  en  1735  docteur 
en  médecine  à  Harderwyk,  vit  Boerhaave  à  Leyde  et  fut 
très-hien  accueilli  à  Amsterdam  par  J.  Burmann  et 
G.  Gliffort.  Riche  amateur  de  la  botanique,  Gliffort  char- 
gea le  savant  suédois  de  la  direction  de  son  jardin  à  Har- 
tecamp,  près  d'Amsterdam,  et  lui  fournit  les  moyens  de. 
visiter  l'Angleterre  et  de  s'y  lier  avec  Dillenius.  Linné  passa 
deux  ans  dans  la  retraite  de  Hartecamp,  et  c'est  là  qu'il 
composa  les  ouvrages  qui  ont  assuré  sa  gloire  :  Systema 
naîiw*,  Leyde,  1735,  in-fol.  ;  Fundamenta  bolanica  (Ams- 
terd.,  1736,  in-12),  qui  eurent  plus  tard  pour  commentaires 
la  PliUosophia  bolanica  (Stockîi.,  1751,  souvent  rééditée)*; 
BiblioiJuca  bolanica^  ihià.;  Gênera  plantarum  [Leyde ^  1737, 
in-8°),  contenant  les  caractères  de  955  genres,  nombre 
considérable,  augmenté  dans  les  éditions  subséquentes.  Cet 
ouvrage  fut  suivi,  en  1758,  du Species  plantarum  (la  1" édi- 
tion de  1764  est  qualifiée  de  légale,  parce  que  les  botanistes 
s'y  sont  conformés,  comme  les  théologiens  à  la  Vulgate)  ; 
Vlridarium  Cliffortianum^  1738,  in-8o;  Horlus  Cli/fortia- 
nus.  Amsterd.,  1737  ;  ]\]usa  CUfforliana^  Leyde,  1736  ; 
Critica  bolanica^  Leyde,  1738,  in-S"  ;  Classes  plantarum^ 
ibid.,  1738,  in-S". 

Toujours  aidé  par  Gliffort,  Linné  prit,  en  1738,  congé 
de  ses  amis  de  Hollande,  traversa  la  Belgique,  passa  par 
Cambrai  dont  il  visita  les  environs,  et  arriva  à  Paris,  où  il 
s'empressa  de  voir  Bernard  de  Jussieu,  pour  lequel  il 
avait  une  lettre  de  VanRoyen.  Malheureusement  il  igno- 

1.  C'est  dans  la.  Philosophie  botanique  que  se  trouve  l'énoncé  de-ce 
principe,  si  souvent  cité:  Natura  non  facit  saltus. 


TEMPS  MODERNES.  217 

rait  la  langue  française  et  ne  rencontra  à  Paris  qu'un  seul 
homme  parlant  le  suédois,  le  célèbre  géomètre  Glairaut. 
Ayant  peu  d'aptitude  pour  les  langues  modernes,  Linné 
s'entretenait  toujours  en  latin  avec  les  étrangers.  Avant 
de  quitter  Paris,  il  alla  récolter  sur  les  coteaux  de  Meudon 
3t  dans  la  forêt  de  Fontainebleau,  beaucoup  de  plantes  que 
la  nature  refuse  à  la  Suède.  Puis  il  gagna  Rouen  et  s'y 
embarqua  pour  Stockholm,  où  il  s'établit  comme  médecin, 
après  avoir  épousé  la  fille  du  docteur  Morœus,  à  laquelle 
il  était  fiancé  depuis  plusieurs  années.  Il  ne  tarda  pas 
à  être  au  comble  de  ses  vœux  en  succédant  à  Rosen,  son 
jaloux  adversaire,  dans  la  chaire  de  botanique  à  l'uni- 
versité d'Upsal.  Là,  au  milieu  des  événements  qui  agi- 
tèrent alors  l'Europe,  Linné  fut  le  centre  auquel  venaient 
aboutir  presque  tous  les  travaux  importants  d'histoire  na- 
turelle. Ses  Amœnilates  exoticœ  (1749-1777),  recueil  de 
dissertations  et  de  thèses  inaugurales,  témoignent  à  la 
fois  d'une  activité  scientifique  rare,  de  l'influence  de  son 
enseignement  et  de  l'attachement  de  ses  nombreux  dis- 
ciples. Ayant  embrassé  tous  les  règnes  de  la  nature,  il  fit 
paraître,  en  1775,  sa  dernière  publication  :  Planix  Suri- 
namenses.  Il  avait  commencé  par  la  flore  polaire,  pour  fi- 
nir par  la  flore  tropicale. 

Dans  la  vaste  correspondance  de  Linné  on  remarque 
des  lettres  confidentielles  que  Haller  eut  le  tort  de  publier 
sans  y  être  autorisé.  Haller,  qui  aspirait  à  la  domination 
universelle  dans  la  république  des  sciences  et  des  lettres, 
se  conduisit  à  l'égard  de  l'illustre  Suédois,  non  plus  en 
ami,  mais  en  rival.  Dans  ce  conflit  de  deux  hommes  d'une 
valeur  à  peu  près  égale,  Linné  fit  preuve  d'une  grande 
modération.  Comblé  des  témoignages  de  la  plus  haute  con- 
sidération, il  mourut  le  10  janvier  1778,  à  l'âge  de 
soixante-dix  ans  huit  mois,  la  même  année  que  Haller, 
J.  J.  Rousseau,  Pitt,  Lekain  et  Voltaire. 

Voici  le  jugement  émis  par  M.  A.  Fée  sur  le  mérite  de 
Linné.  «  On  a  donné,  dit  ce  savant  botaniste,  à  Linné  le 


218  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

suruom  de  «  Pline  du  Nord  »,  et  il  a  été  comparé  à  Dios- 
coride.  Ces  rapprochements  sont  dérisoires,  même  en 
faisant  la  part  des  temps.  Linné  ne  peut  être  comparé  à 
personne  ;  il  a  son  génie  propre.  C'est  le  réformateur  le 
plus  heureux  qui  ait  jamais  paru  ;  il  a  beaucoup  décou- 
vert, et  toutes  ses  innovations  ont  été  acceptées....  Il  se- 
rait plus  juste  peut-être  de  le  mettre  en  parallèle  avec 
Aristote,  qui  sans  doute  a  beaucoup  fait  par  lui-même, 
mais  qui  n'a  pas  fait  avancer  la  science  par  ses  disciples. 
Le  naturaliste  suédois  ne  doit  pas  non  plus  être  comparé 
à  Buffon,  peintre  éloquent  de  la  nature.  L'écrivain  fran- 
çais peignit  la  nature  à  grands  traits,  et  sema  d'aperçus 
ingénieux  un  style  séduisant,  toujours  facile  et  pur. 
Linné,  au  contraire,  a  tout  sacrifié  à  la  concision,  et  elle 
est  si  étonnante  que  souvent  un  seul  paragraphe  des 
écrits  de  ce  naturaliste  a  donné  lieu  à  des  ouvrages  im- 
portants et  volumineux.  On  compte  chez  Linné  le  nombre 
des  faits  par  le  nombre  des  mots  ;  et  si  l'on  dit  du  génie 
de  Buffon  qu'il  était  comparable  à  la  majesté  de  la  na- 
ture, on  peut  dire  de  celui  de  Linné  qu'il  était  aussi  vaste 
et  aussi  varié  qu'elle.  L'un  semblait  né  pour  la  peindre, 
l'autre  pour  la  décrire.  Si  Buffon  n'eût  pas  vécu,  sans 
doute  la  perte  eût  été  grande,  surtout  pour  la  France  ; 
mais  si  Linné  ne  fût  pas  venu  porter  la  lumière  dans  les 
sciences  naturelles,  s'il  n'eût  pas  créé  cette  nomenclature 
si  ingénieuse,  celle  du  genre  et  de  l'espèce,  nomenclature 
qui  porte  son  nom  et  qui  s'est  étendue  à  toutes  les  bran- 
ches des  connaissances  humaines,  les  sciences  naturelles 
n'eussent  pas  reçu  cette  impulsion  puissante  vers  le  pro- 
grès, qui  se  continue  de  nos  jours'.  » 

Le  système  de  Linné  eut,  dès  son  apparition,  autant  de 
partisans  que  de  détracteurs.  Th.  Ludwig  (né  en  1709, 
mort  en  1773),  professeur  à  Leipzig,  qui  avait  vu,  eu 
Orient,  pratiquer  la  fécondation  des  dattiers,  admettait  les 

1.  Article  Linné,  dans  là  Biographie  générale ,  t.  XXXI,  col.  295. 


TEMPS  MODERNES.  219 

organes  sexuels  comme  base  d'une  classification,  mais  il 
niait  la  constance  des  fleurs  hermaphrodites,  monoïques 
ou  dioiques,  dans  un  même  genre.  Il  fit  aussi  remarquer 
que  dans  plusieurs  genres,  indiqués  par  Linné  comme  mo- 
nadelphes,  il  y  a  des  fleurs  polyadelphes  ^. 

Gonr.  Fabricius  (né  en  1714,  mort  en  1774)  signala 
aussi  diverses  corrections  à  faire  au  système  de  Linné  ^, 
tandis  que  Jean  Gesner^  professeur  à  Zurich  (né  en  1709, 
mort  en  1790),  Ernest  Slieff,  Aug.  de  Bergen,  Mar. 
Schiera,  de  Milan,  l'adoptèrent  pleinement. 

Haller  fit  des  réserves  qui  devaient  aboutir  au  rejet  du 
système  linnéen'  :  Hamberger  lui  répliqua.  Il  s'ensuivit 
une  polémique  violente,  où  le  beau  côté  n'était  pas  du 
côté  de  Haller.  Laurent  Heister  publia  plusieurs  libelles 
contre  Linné  et  sa  méthode. 

Jacques  Wachenclorf  {né  en  1702,  mort  en  1758)  ima- 
gina une  méthode  mixte.  Divisant  les  plantes  en  phané- 
ranlhes  et  cryplantlies,  il  porta  son  attention  sur  le  nom- 
bre des  étamines,  comparé  à  celui  des  pétales  :  il 
appelait  poUaplostémopétales  les  plantes  où  le  nombre  des 
étamines  dépassait  de  beaucoup  celui  des  pétales  ;  puis,  di- 
plostemones,  triplostemones,  pentapiostemones,  celles  où  le 
nombre  des  étamines  était  le  double,  le  triple,  le  qua- 
druple, le  quintuple,  de  celui  des  étamines*.  Ce  système 
ne  fut  pas  adopté. 

Les  cryptogames,  dont  la  connaissance  laissait  le  plus  à 
désirer,  furent  soumises  à  de  nouvelles  études  par  Chris- 
tophe Schmiedel  et  surtout  par  Théophile  Gleditsch  (né  à 
Leipzig  en  1714,  mort  en  1786.)  Ce  dernier  examina  avec 
soin  les  corpuscules  transparents  que  Micheli  avait  aper- 
çus dans  les  lamelles  des  agarics.  Son  système,  où  les 
cryptogames  formaient  la  cinquième  et  dernière  classe, 

1.  Ludwig,  Observât,  inmethodum  Linnœi;  Francf.,  1739. 

2.  Primitix  florœ  Butisbacensis;  Wetzlar,  1773,  in-8°. 

3.  Uorti  UUrajeclini  Index ,  1747,  in-8°. 


220  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

repose  sur  l'insertion  des  étamines,  soit  sur  le  réceptacle 
ou  nectaire,  soit  sur  les  pétales,  soit  sur  le  calice,  soit  sur 
le  pistil.  De  là  quatre  classes  de  phanérogames  :  les  tha- 
lamosUmoncs^  les  pélalostemoiies^  les  calycostemones^  les 
shjlostemones* .  Les  caractères  des  ordres  ou  familles  dont 
chacune  de  ces  classes  se  composait,  étaient  empruntés  à 
l'inflorescence,  à  la  situation  du  fruit,  etc.  Laurent  de 
Jussieu  profita  du  travail  de  Gleditsch. 

Donati,  Ginnani,  Peyssonel,  Hill,  Ellis,  Baster,  Tar- 
gioni  Tozetti,  Th.  Gmelin,  Maratti,  s'occupèrent  particu- 
lièrement de  la  caractéristique  des  algues  et  des  fougcns. 
Mais  leurs  observations  contiennent  beaucoup  d'erreurs 
relativement  aux  organes  de  fructification  et  au  mode  de 
propagation  de  ces  plantes^. 

Boissier  l'e  Sauvages  (né  en  1706,  mort  en  1767),  pro- 
fesseur de  médecine  à  Montpellier,  crut  faciliter  1  étude 
de  la  botanique  en  proposant  de  classer  les  plantes  d'a- 
près la  forme  des  feuilles  '.  La  tentative  échoua,  à  cause 
de  l'instabilité  des  caractères  tirés  des  feuilles  ;  mais  elle  ne 
fut  pas  sans  utilité,  parce  qu'elle  appelait  l'attention  sur 
la  disposition  de  ces  organes  (feuilles  alternes^  opposées ^ 
èparses),  sur  la  variabilité  de  la  forme  des  feuilles  à 
différents  points  de  leur  axe  (feuilles  radicales^  cauUnai- 
res]^  sur  leur  forme  générale  (feuilles  ovalaires^  ellipti- 
ques, lancéolées,  etc.),  sur  leur  division  (feuilles  composées, 
pennées,  palmées,  etc.) 

A  rencontre  de  Charles  Alston  qui,  dans  son  Tirocinium 
botanicu7n  Edimburgense  (Edimb.,  1753,  in-8"),  essaya  de 
renverser  le  système  de  Linné,  le  professeur  Scopoli  (né 
en  1723,  mort  en  1788)  entreprit  de  le  perfectionner.  Cri- 
tiquant les   caractères  génériques  de  Linné,  il  distingua 

1.  Gledilsch,  Systema  plantarum  a  staminum  situ;  Berl.,  I7û8 
in-S°. 

2.  Voy.  Sprengel,  Hist.  rci  herb.,  t.  II,  p.  354-362. 

3.  Sauvages,  Mellwdus  folioruni;  La  Uaje,  175),  in-8°. 


TEMPS  MODERNES.^  221 

le  premier  le  digitaria  du  panicum,  le  sesleria  du  cynosu- 
rus,  Vapargia  du  leontodon,  le  cirsium  du  carduus^  le 
neoîlia  de  l'op/iry^,  etc.  Il  réunit  par  groupes  les  stellaria^ 
arenaria  et  cerarastium;  les  potentilla,  tormentilla  et 
fragaria;  les  gnaphalium  et  filago  ;  les  mespilus  et  cra- 
tœgus.  Presque  toutes  les  corrections  de  Scopoli  faites  à 
la  nomenclature  linnéenne  ont  été  adoptées.  Les  change- 
ments que  voulaient  y  apporter  Duhamel  du  Monceau  et 
E.  Guettard,  ne  furent  pas  admis  par  les  botanistes.  Aussi 
ne  nous  y  arrêterons-nous  pas. 

A  l'époque  qui  nous  occupe,  tous  les  naturalistes  parlè- 
rent de  la  méthode  naturelle^  par  opposition  au  système  de 
Linné.  Mais  ces  mots  étaient  très -vagues  dans  l'esprit  de 
beaucoup  d'entre  eux.  Adanson  en  fixa  le  premier  le 
sens'.  «  La  méthode  naturelle,  dit-il  (dans  la  préface  de 
ses  Familles  naturelles  des  plantes)^  doit  être  unique,  uni- 
verselle ou  générale,  c'est-à-dire  ne  souffrir  aucune  excep- 
tion et  être  indépendante  de  notre  volonté,  mais  se  régler 
sur  la  nature  des  êtres,  qui   consiste  dans  l'ensemble  de 


1.  Michel  Adanson,  né  à  Aix  en  1727,  partit  à  vingt  et  un  ans  pour 
le  Sénégal,  et  revint  en  1764  dans  sa  patrie,  après  cinq  ans  de  séjour 
dans  un  climat  brûlant  et  malsain.  Les  résultats  de  son  voyage  paru- 
rent, en  17f)7,  sous  le  titre  d'Hisioire  naturelle  du  Sénégal.  En  pré- 
sence des  difficultés  qu'il  avait  éprouvées  à  classer  les  richesses  de  la 
zone  tropicale  suivant  les  systèmes  de  Tournefort  et  de  Linné,  il  entre- 
prit un  projet  de  réforme  qui  devait  s'étendre  jusqu'à  l'orthographe 
française,  et  dont  l'ouvrage  sur  les  Familles  naturelles  des  Plantes 
(Paris,  1763,  2  vol.  in-8°)  ne  devait  être  que  le  commencement.  Mais 
ce  projet,  dont  il  donna  un  exposé  complet  dans  le  Journal  de  Pliy- 
sique  (mars  1775),  ayant  été  jugé  trop  vaste,  pour  être  réalisable,  par 
ses  collègues  mêmes  de  l'Académie  des  Sciences,  il  en  conçut  un 
vif  chagrin,  devint  quelque  peu  misanthrope,  et  ne  vécut  plus  que  dar* 
uneprofonde  retraite, sans  cesser  cependant  de  travaillerau  progrès  de 
la  science.  On  raconte  que  quand,  après  la  réorganisation  de  l'Institut, 
on  lui  écrivit  de  venir  prendre  place  parmi  ses  collègues,  il  répondit 
qu'il  ne  pouvait  pas  se  rendre  à  cette  invitation,  parce  qu'il  n'avait  pas 
de  souliers.  Il  mourut,  en  Î806,  à  l'âge  de  soixante-dix-neuf  ans. 


222  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

leurs  parties  et  de  leurs  qualités;  il  n'est  pas  douteux 
qu'il  ne  peut  y  avoir  de  méthode  naturelle  en  botanique 
que  celle  qui  considère  l'ensemble  de  toutes  les  parties  des 
plantes.  »  C'est  parce  que  Linné  ne  s'était  attaché  qu'à  une 
seule  partie,  aux  organes  sexuels,  que  son  système  était 
qualifié  à'artificiel. 

Cependant  il  est  bon  de  rappeler  que  Linné  s'était 
préoccupé,  avant  Adanson,  d'une  classification  par  famil- 
les naturelles.  «  Je  vous  sais  occupé,  écrivait-il  à  Haller 
(le  13  avril  1737),  à  établir  des  familles  naturelles  ;  plaise 
à  Dieu  que  vous  finissiez  ce  travail  et  que  vous  le  rendiez 
public.  Je  me  suis  moi-même  exercé  longtemps  sur  ce 
sujet,  quoiqu'il  fut  peut-être  au-dessus  de  mes  forces  ;  je 
pense  avoir  réuni  plus  de  matériaux  que  beaucoup  d'au- 
tres, et  néanmoins  j'ai  laissé  beaucoup  de  lacunes,  j) 

Les  lacunes  que  Linné  ,  Haller  et  Adanson  avaient 
laissées,  Chr.  Oeder  {Elementa  botanica^  Copenh.,  ]764, 
in-8"),  N.  Crantz  {Instituliones  rei  herbarise,  Vienne, 
1766,  in-S"),  D.  Giseke  {System ata  plantarum  recentiora, 
G-oett.,  in-4°),  J.Wernischek  (Gênera  plantarum,  Vienne, 
1764,  in-8»),  J.  Jîili  {The  vegetable  System,  Lond.,  1759- 
1775),D.  Meese  (Plantarum  rudimenta,  Leeuward.,  1763, 
in-4°),  J,  Jacquin,  Sclireber,  Murray,  etc.,  essayèrent  de 
les  combler.  Mais  ils  ne  réussirent  que  très-incompléte- 
ment  dans  cette  entreprise. 

Les  de  Jussieu  méritent  ici  seuls  une  mention  spéciale. 
Bernard  de  Jussieu^  était  en  correspondance  avec  Linné, 

t.  Bernard  de  Jussieu  (né  à  Lyon  en  16?9,  mort  à  Paris  en  1777) 
était  frère  cadet  d'Antoine  de  Jussieu  (né  à  Lyon  en  1686,  mort  à  Paris 
en  1758),  qui  édita  l'ouvrage  de  Barrelier,  analysé  plus  liaut,  signala 
les  empreintes  de  végétaux  dans  les  houilltres  de  Saint -Etienne,  dé- 
crivit le  premier  la  fleur  et  le  fruit  du  caféier,  envoyé  à  Louis  XIV  et 
qui,  confié  à  Desclieux  par  Chirac,  devait,  dès  1719,  servir  de  souche  à 
tous  les  caféiers  des  Antilles.  Il  laissa  en  manuscrit  le  Traité  des 
vertus  des  Plantes.  Bernard  de  Jussieu,  auteur  de  la  nouvelle  édition 
des  Plantes  des  environs  de  Paris,  de  Tournefort,  fut,  de  1722  jus- 
qu'à sa  mort,  sous-démonstrateur  de  botanique  au  Jardin  du  roi,  et 


TEMPS  MODERNES.  223 

Voici  ce  qu'il  lui  écrivait  le  15  février  1752  :  «  J'apprends 
avec  plaisir  que  vous  êtes  nommé  professeur  de  botanique 
à  Upsal.  Vous  pourrez  maintenant  vous  livrer  entièrement 
au  culte  de  Flore,  et  pénétrer  plus  loin  que  vous  n'avez 
pu  le  faire  encore  dans  le  sentier  que  vous  avez  décou- 
vert, et  donner  enfin  une  méthode  naturelle  de  classifica- 
tion, que  les  vrais  amis  de  la  science  désirent  si  vive- 
ment. »  Tout  en  faisant  cette  recommandation  à  Linné , 
Bernard  de  Jussieu  travaillait  de  son  côté  dans  la  même 
voie.  Mais  comme  il  n'a  rien  publié  à  ce  sujet,  on  ne 
peut  le  juger  que  d'après  de  simples  catalogues  manus- 
crits. Dans  un  de  ces  catalogues,  on  trouve  une  classifi- 
cation appliquée,  en  1759,  à  la  plantation  du  jardin  bo- 
tanique de  Trianon  ;  un  autre  de  ces  catalogues  a  été 
publié  par  Laurent  de  Jussieu,  en  tête  de  son  Gênera 
plantarum.  On  voit  d'après  ces  documents  que  Bernard 
de  Jussieu  connaissait  la  valeur  des  caractères,  tirés  du 
développement  de  l'embryon  et  de  l'insertion  des  éta- 
mines  relativement  à  l'ovaire.  C'est  à  lui,  en  effet,  qu'on 
doit  1°  le  groupement  général  des  végétaux  en  acotylé- 
dones  (végétaux  dépourvus  de  feuilles  embryonnaires 
nommés  cotylédones)^  en  monocotylédones  (végétaux  à  une 
feuille  embryonnaire)  et  en  dicotylédones  (végétaux  à  deux 
feuilles  embryonnaires)  ;  2°  le  groupement  particulier  des 
monocotylédones  en  épigynes  (étamines  insérées  sur  l'o- 
vaire), en  pèrigynes  (étamines  insérées  sur  le  calice  ou  au- 
tour de  l'ovaire)  et  en  hypogynes  (étamines  insérées  au- 
dessous  de  l'ovaire)  ;  puis  celui  des  dicotylédones  en  épi- 
gynes, hypogynes,  pèrigynes  et  didines  (unisexuées). 
Ces  éléments  furent  développés  par  Lawrenï  de  Jussieu, 

contribua  à  la  publication  de  beaucoup  de  travaux  de  botanique.  C'est 
lui  qui  planta,  en  1736,  au  Jardin  des  Plantes,  le  cèdre  du  Liban  que 
lui  avait  envoyé  W.  Sherard.  Jl  l'y  transporta,  dit-on,  dans  son  chapeau 
de  la  maison  n"  13  de  la  rue  des  Bernardins,  où  il  habitait.  Bernard 
et  Antoine  étaient  fils  de  Christophe  de  Jussieu,  pharmacien  de  Lyon, 
auteur  du  Nouveau  Traité  de  la  Thériaque  (Trévoux,  1708), 


224  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

neveu  d'Antoine  et  de  Bernard  de  Jussieu'.  Dans  la  clas- 
sification de  Laurent  de  Jussieu,  aujourd'hui  générale- 
ment adoptée,  les  acotylédones ,  les  monocotylédones  et 
les  dicotylédones  forment  les  trois  embranchements  du  rè- 
gne végétal.  Ces  embranchements  sont  divisés  en  classes, 
au  nombre  de  quinze,  fondées  sur  l'insertion  des  éta- 
mines  par  rapport  à  l'ovaire  [épigynie  ou  êpistami7iie) . 
Dans  les  dicotylédones,  l'auteur  a  fait  aussi  intervenir  la 
corolle,  organe  très-secondaire  en  lui-même,  mais  qui 
devient  essentiel  par  son  union  avec  l'ovaire  ;  de  là  la 
division  de  la  fleur  en  ap'tale  (lorsque  la  corolle  manque), 
en  monopétale  et  en  polypétale.  La  monoclinie  et  la  dicli- 
nie  ont  été  empruntées  à  Linné.  Enfin  les  quinze  classes 
de  Laurent  de  Jussieu  comprennent  cent  familles.  En 
voici  le  tableau  : 

I.  ACOTYLÉDONES. 

1'"  Classe. 

1.  Champignons.  4.  Mousses. 

2.  Algues.  5.  Fougères 

3.  Hépatiques.  6,  Nayades. 

II.  MONOCOTYLÉDONES. 

2=  Classe.  M.onohypogynie 

7.  Aroïilées.  9.  Cypéroïdées. 

8.  Typliéacées.  10.  Graminées. 

1.  Antoine-Laurent  de  Jussieu  (né  à  Lyon  en  1748,  mort  en  183G) 
était  fils  de  Joseph  de  Jussieu  (né  à  Lyon  en  1704,  mort  en  1779),  qui 
fut  le  compagnon  de  voyage  de  La  Condamine,  et  parcourut  pendant 
trente-cinq  ans  l'Amérique  méridionale.  Joseph  de  Jussieu  était  frère 
d'Antoine  etde  Bernard  de  Jussieu.  Laurent,  leur  neveu,  s'immortalisa 
par  son  Gênera  plantarum,  dont  la  dernière  feuille  venait  d'être  impri- 
mée lorsque  éclata  la  Révolution,  le  14  juillet  1789,  par  la  prise  de  la 
Bastille. 

L'année  suivante,  il  contribua  à  la  réorganisation  du  Muséum  d'his- 
toire naturelle,  dont  il  refusa  la  direction  qui  lui  était  offerte,  en  1800, 
par  le  ministre  de  l'intérieur,  Lucien  Bonaparte. 


TEMPS  MODERNES. 


2J5 


3"^  Classe.  Monopérigynic. 


11.  Palmiers. 

12.  Asparaginées. 

13.  Juncées. 

14.  Liliacées. 


15.  Broméliacées. 

16.  Asphodélées. 

17.  Narcissées. 

18.  Iridées. 


4*=  Classe.   Monoe'pigijnie. 


19.  Musacées. 

20.  Cannées. 


21.  Orchidées. 

22.  Hydrocharidées, 


III.    DICOTYLÉDONES. 

A.  MoNOCLiNES.  a.  Apétales. 
5*  Classe.  Epistaminie, 
23.  Aristolochiées. 


6"  Classe.  Péristaminie. 


24.  Eléagnées. 

25.  Thyméléacées. 

26.  Protéacées. 


27.  Laurinées. 

28.  Polygonées. 

29.  Atriplicées 


7'  Classe.  Hyposlaminie. 


30.  Amaranthacées. 

31.  Plantaginées. 


32.  Nyclaginées. 

33.  Plumbaainées. 


b.    Monopétales. 
8°  Classe.   HypocorolUe. 


34.  Lysimachiées. 

35.  Pédiculariées. 

36.  Acanthacées. 

37.  Jasminées. 

38.  Viticées. 

39.  Labiées. 

40.  Scrofulariées. 

41.  Solanées. 


42.  Borraginées. 

43.  Convolvulacées, 

44.  Polémoniées. 

45.  Bignoniacées. 
46    Gentianées. 

47.  Apocynées. 

48.  Sapotées, 


15 


226 


HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 


9°  Classe.  Péricorollie. 


49.  Guayacées. 

50,  Rhododendrées. 


51.  Ericacées. 

52.  CampanulacéGS. 


10''  Classe.  Epicorollie.  a.  Synanthérées. 


63.  Cichoracées. 
54.  Cynocéphalées. 


55.  Coryml3ifères. 


11«  Classe.  Epicorollie.  p.  Chorisanthérées. 


56.  Dipsacées. 

57.  Rubiacées. 


58.  Caprifoliées. 


12*=  Classe.  Epi^yétalie.  y.  Folypétales. 
59.  Araliacées.  GO.  OmLelIifères. 


13'^  Classe.  HypopélaUe. 


61. 

Ranunculacées. 

72.  Vitifères. 

62. 

.Papavéracées. 

73.  Géraniées. 

63. 

Crucifères. 

74.  Malvacées. 

64. 

Capparidées. 

75.  Magnoliacées. 

65. 

Sapindacées. 

76.  Anonées. 

66. 

Acérinées. 

77.  Ménispermées. 

67. 

Malpighiacées. 

78.  Berbéridées. 

68. 

Hypéricinées. 

79.  Tiliacées. 

69. 

Gultifères. 

80,  Cissées. 

70. 

Aurantiacées. 

81.  Rutacées. 

71. 

Méliacées. 

82.  Caryophyilées 

14^  Classe. 

Péripétalie. 

83. 

Sempervivées. 

90.  Saxifragées. 

84. 

Cactées. 

91.  Salicaricées. 

85. 

Portulacées. 

92.  Rosacées. 

86 

Ficoïdées. 

93.  Légumineuses. 

87. 

Onagraires. 

94.  Térébinthacécs 

88. 

Myrtées. 

95.  Rbarunées, 

89. 

Mélastcmées. 

TEMPS  MODERNES..  227 

B.     DICLINES. 

15^  Classe.   Diclinie. 

96.  Euphorbiacées,  99.  AmentaCées 

97.  Cucurbilacées.  100.  Conifères. 

98.  Urticées. 

Ge  fut  en  1773  que  Laurent  de  Jussieu  exposa  les 
principes  de  cette  classification  dans  un  mémoire  Sur  les 
Renoncules^  présenté  à  l'Académie  des  sciences,  qui 
l'admit  dans  son  sein.  L'année  suivante,  il  développa  ces 
principes  en  les  appliquant  à  l'ensemble  des  familles 
naturelles  ^  Il  s'agissait  de  replanter  l'école  de  botanique 
du  Jardin  du  Roi  d'après  une  méthode  nouvelle,  celle  de 
Tournefort  étant  devenue  insuffisante.  On  ne  pouvait 
guère  songer  à  introduire  le  système  linnéen,  alors  uni- 
versellement adopté,  dans  un  établissement  qui  avait  pour 
administrateur  Buffon,  intolérant  rival  de  Linné.  C'est 
dans  ces  circonstances  que  Laurent  .de  Jussieu  se  char- 
gea de  l'ordre  qui  devait  présider  à  la  replantation, 
commencée  en  automne  1773  et  terminée  au  printemps 
de  1774.  Il  avait  pour  cela  largement  profité  des  conseils 
de  son  oncle  Bernard,  qui  ne  cessait  de  lui  répéter 
«qu'il  y  a  dans  les  végétaux  des  caractères  qui  sont  incom- 
patibles les  uns  avec  les  autres,  et  qui  s'excluent.  »  Son 
attention  avait  été  de  bonne  heure  dirigée  sur  la  subordi- 
nation des  caractères  qui,  suivant  son  expression,  doivent 
«  se  peser  et  non  compter  n.  Là  est  le  secret  de  la  mé- 
thode naturelle,  dont  les  principes  se  trouvent  développés 
dans  une  introduction,  remarquable  de  pensée  et  de  style, 
placée  en  tête  de  l'ouvrage  fondamental  de  Laurent  de 
Jussieu:  Gênera  'plantarum,  secundum  ordines  naturales 
disposita,  juxta  mclhodum  in  Horto  Regio  Parisiensi  exa- 

1.  Ejcposilion  d'un  notirel  ordre  de  Plantes,  adopté  dans  les  dé- 
monstrations du  Jardin  Royal  (dans  les  Mémoires  de  l'Acadé' 
mie  des  Sciences,  année  1774). 


2i8  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

ratum,  anno  1774;  Paris,  1789,  in-8°.  De  1789  à  1824, 
l'auteur  ne  cessa  de  travailler  au  perfectionnement  des 
familles  qu'il  avait  établies,  et  de  préparer  les  matériaux 
d'une  seconde  édition  de  son  Gênera^  qui  ne  devait  jamais 
voir  le  jour.  A  raison  de  l'affaiblissement  de  sa  vue  (il 
devint  presque  aveugle  vers  la  fin  de  sa  longue  carrière), 
il  se  contenta  de  remanier  les  groupes  dans  une  série  de 
notes  ou  de  mémoires  publiés  dans  les  Annales  du  MuséumK 
La  classification  de  L.  de  Jussieu  fut  une  innovation 
qui,  chose  remarquable,  apparut  juste  au  moment  où 
venait  d'éclater  la  révolution  de  1789.  Cette  coïnci- 
dence, jointe  à  des  imperfections  inévitables,  suffisait  aux 
yeux  de  quelques-uns  pour  la  rejeter  ou  la  remplacer  par 
d'autres  méthodes.  De  ce  nombre  étaient  Conrad  Mœnch^ 
professeur  de  botanique  à  Strasbourg  (né  en  1744,  mort 
en  1805),  et  Balth.  Borkhausen  (né  à  Griessen  en  1760, 
mort  à  Dai'mstadt  en  1806).  Le  premier  divisa,  comme 
Grleditsch,  les  phanérogames  en  parapétalostèmones^  en 
allagostémones,  en  stigmatostémones ^  suivant  que  les  éta- 
mines  sont  insérées,  soit  sur  le  disque  nectarifère,  soit 
alternativement  sur  le  calice  et  la  corolle,  ou  au  sommet 
de  l'ovaire  ^.  Le  second  divisa  les  cryptogames,  dont  il 
s'était  plus  particulièrement  occupé,  en  plantes  séminifè- 
res,  à  organes  de  fructification  indéterminés  [fougères 
rhizospermes ^  mousses,  fucus],  et  en  plantes  dépourvues 
de  vraies  semences  et  d'organes  sexuels  [algues,  champi- 
gnons)^. Mais  aucun  de  ces  systèmes  ne  fut  adopté.  Nous 
en  dirons  autant  des  tentatives  faites  par  F.  Fischer,  de 
P.  Cassel,  de  Kurt  Sprengel,  de  L.  de  Vest,  d'Aug.-Fr. 

1.  Voy.  l'excellent  article  de  L.  de  Jussieu,  par  M.  Decaisne,  dans  la 
Biographie  générale  (t.  XXVII,  col.  279). 

2.  Mœnch,  Methodus  plantas  horti  botanici  et  agri  Marburgensis  a 
slaminum  situ  describendi;  Strab.,  ]7'''4,  in-8°. 

3.  Borkhausen,  Tentamen  dispositionis  plantarum  Germaniai  se- 
cu7idum  novam  methodum,  etc.;  Darmstadt,  1809,  in-8°  (ouvrage 
jnsl.hu  me). 


TEMPS  MODERNES.  259 

Schweigger  ,  de  Schultz-Schullzenstein,    de    Martius    ci 
d'autres  botanistes  allemands. 

En  France  même,  la  classification  de  L.  de  Jussieu  fut 
loin  de  recevoir  l'unanimité  des  suffrages.  Pour  facilitez- 
aux  commençants  l'étude  de  la  botanique,  Lamarck^  ima- 
gina une  méthode,  que  l'on  a  depuis  désignée  sous  le  nom 
de  méthode  analytique  ou  dichotomique.  Elle  consiste  à 
poser  à  l'élève  une  première  question,  qui  partage  les 
végétaux  en  deux  classes,  entre  lesquelles  il  doit  choisir 
d'après  un  caractère  de  la  plante,  qui  la  placé  nécessaire- 
ment dans  l'une  des  deux  à  l'exclusion  de  l'autre  ;  puis 
une  seconde  question,  qui  partage  la  classe  désignée  en 
deux  ordres  à  l'un  desquels  la  plante  se  rapportera  ;  puis 
une  troisième,  une  quatrième,  etc.,  de  manière  qu'à  cha- 
que cfuestion  le  cercle  se  resserre,  jusqu'à  ce  cjue  la  der- 
nière conduise,  par  une  série  d'exclusions  successives,  à 
l'espèce  cherchée.  C'est  une  simple  méthode  de  recher- 
ches. Lamarck  en  fit  l'application  dans  sa  Flore  française. 

E.  P.  Ventenat  (né  en  1757,  mort  en  1808)  et  Jeaurae 
Saint-Hilaire  popularisèrent  la  méthode  naturelle.  Gorrea 
da  Serra  (mort  eu  1823),  Louis-Claude  Richard,  A.  Sa- 
lisbury  et  surtout  Robert  Brown  contribuèrent  puissam- 
ment à  la  modifier. 

Mais  la  découverte  de  nouvelles  plantes,  non  classifia- 
bles  d'après  les  systèmes  jusqu'alors  inventés,  puis  les 
progrès  de  l'anatomie  et  de  la  physiologie  végétales,  né- 
cessitèrent bientôt  une  réforme  plus  sérieuse.  Augustin 
Pyrame  de  Candolle  entreprit  cette  réforme  ^.  Les  groupes 
généraux  du  règne  végétal  sont,  suivant  lui,  formés  parles 

1.  Jean-Baptiste  Monet  de  Lamarck  (né  en  1744,  mort  à  Paris  en 
1839)  quitta  le  service  militaire  pour  se  consacrer  à  l'histoire  natu- 
relle, et  contribua,  en  1793,  à  la  réorganisation  du  Jardin  des  Plantes. 
Sa  vie  fut  tout  entière  dans  ses  travaux. 

2.  Augustin  Pyrame  de  Candolle  (né  à  Genève,  en  1778,  mort 
en  I841)j  élève  de  Desfontaines,  fut  depuis  1817  professeur  de 
botanique  de  sa  ville  natale.  Il  publia,  entre  autres,  le  Prodromus  sys- 


230  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

végétaux  cellulaires  ou  inembryonés  (acotylédones) ,  et  par 
les  végétaux  vasculaires  ou  embryo7iés,  divisés  en  endo- 
gènes ou  xnonocotylédones^  et  en  exogènes  ou  dicotylédones. 
L.  de  Jussieu  avait  commencé  la  série  des  familles  natu- 
relles par  les  familles  de  plantes  dont  l'organisation  est  la 
plus  simple  (les  champignons),  afin  de  s'élever  graduelle- 
ment vers  celles  dont  l'organisation  est  la  plus  complexe. 
De  Candolle  suivit -une  marche  inverse  en  prenant  pour 
point  de  départ  les  familles  des  plantes  qui  ont  le  plus 
grand  nombre  d'organes,  et  ces  organes  biens  distmcts 
les  uns  des  autres.  Il  commença  donc  par  les  exogènes, 
pour  finir  par  les  végétaux  cellulaires. 

Les  EXOGÈNES  ou  dicotylédones  sont  partagés  en  deux 
groupes,  suivant  que  leur  périanthe  est  double  ou  simple. 
De  là  les  divisions  suivantes  : 

A.  Exogènes  bichlamydés  (à  périanthe  double),  qui  se 
subdivisent  en  : 

1°  Thalamiflores,  ayant  les  pétales  distincts,  insérés  sur 
le  réceptacle; 

2°  Caliciflores^  ayant  les  pétales  libres,  ou  plus  ou 
moins  soudés,  périgyniques  (insérés  sur  le  calice)  ; 

3°  Çorolliflores,  ayant  les  pétales  soudés  en  une  corolle 
gamopétale  hypogyne  ou  non  attachée  au  calice  ; 

B.  Exogènes  à  périanthe  simple,  composant  le  seul 
groupe  des  monochlamydés. 

Les  ENDOGÈNES  OU  monocotylédoues  sont  divisés  en  ; 

1°  Endogènes  phanérogames ,  dont  la  fructification  est 
visible  et  régulière  ; 

2°  Endogènes  cryptogames^  dont  la  fructification  est  ca- 
chée, inconnue  ou  irrégulière. 

Enfin  les  végétaux  cellulaires  ou  acotylédones,  c'est-à- 


lematis  regni  vegetabilis,  Paris,  1824  et  années  suivantes  :  immense 
répertoire,  continué,  après  la  mort  de  l'auteur,  par  son  fils,  avec  le 
concours  des  botanistes  les  plus  distingués  de  notre  époque. 


TEMPS  MODERNES.  231 

dire  ceux  qui  n'ont  que  des  tissus  cellulaires,  sans  vais- 
seaux, se  divisent  en  : 

1°  Foliacés^  ayant  des  expansions  foliacées  et  des  sexes 
apparents  ; 

2°  Aphylles,  n'ayant  pas  d'expansions  foliacées,  ni  de 
sexes  apparents. 

Telle  est  l'esquisse  des  groupes  fondamentaux,  établis 
par  P.  de  Gandolle.  L'auteur  y  a  fait  entrer  toutes  les  fa- 
milles de  plantes  connues,  en  commençant  par  les  renon- 
culacées  et  finissant  par  les  algues. 

Mais  cette  classification  elle-même  était  loin  de  répon- 
dre à  toutes  les  indications  de  la  science.  C'est  pourquoi 
d'autres  tentatives  furent  faites  par  Lindley,  A.  Ri- 
chard, Bartling,  Oken,  Endliclier,  Reichenbach,  Will- 
komm,  etc.  Voici,  en  somme,  en  quoi  elles  consistent. 

John  Lindley  (né  en  1799  à  Getton  près  Nordwich), 
voyant  que  beaucoup  de  genres  avaient  été  rejetés  par  de 
Jussieu  et  de  Gandolle  dans  les  catégories  des  plantes 
incertse  sedis,  sans  qu'il  fut  possible  d'en  marquer  les 
affinités  avec  les  familles  anciennes,  imagina  de  créer  des 
ordres  {cohortes)  et  sous-ordres  [nixus],  qui  devaient 
mieux  ménager  les  transitions  entre  les  divisions  éta- 
blies *. 

Vers  la  même  époque,  Achille  Richard  (né  à  Paris,  eu 
1794  mort  en  185-2),  professeur  d'histoire  naturelle  à  la 
Faculté  de  médecine  de  Paris,  introduisit  dans  le  règne 
végétal  deux  sortes  de  groupes,  les  tribus  et  sous-familles j 
pour  faire  disparaître  les  genres  incertœ  sedis. 

F.-Th.  Bartling,  entreprit  de  concilier  le  système  de  L, 
de  Jussieu  avec  celui  de  De  Gandolle,  en  créant  soixante 
ordres  pour  lier  les  classes  aux  familles,  et  en  ajoutant 
neuf  familles  nouvelles  aux  246  familles  déjà  établies.  Il 
divisa  en  outre,  les  monocotylédones  en  chlamydoblastes 

1,  An  Introduction  of  the  natural  System  of  hotamj,  etc.  ;  Londres, 
1830,  ia-8«. 


232  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

(à  emJ^ryon  couvert)  et  en  gymnoblastes  (à  embryon  nu)  ; 
de  même  qu'il  partagea  les  acotylédones  en  homonémés 
(à  germes  en  filaments  égaux)  et  en  hétéronèmés  (à  germes 
en  filaments  inégaux)  K 

L.  Oken  (né  en  1779,  mort  en  1851),  professeur  d'his- 
toire naturelle  à  Zurich,  divisa  le  règne  végétal  en  sept 
classes,  suivant  la  prédominance  de  la  racine,  de  la  tige, 
du  feuillage,  de  la  fleur,  du  fruit.  Chaque  classe  est  sub- 
divisée en  4  ordres,  chaque  ordre  en  4  tribus,  et  chaque 
tribu  en  4  familles.  Plus  tard  l'auteur  modifia  son  sys- 
tème, mais  toujours  de  manière  à  y  faire  revenir  sans 
cesse  le  nombre  quatre,  le  fameux  quaternaire  des  Pytha- 
goriciens ^  L.  Rudolphi  suivit  la  même  voie,  sans  plus  de 
succès. 

Endlicher^^  professeur  de  botanique  à  Vienne,  créa, 
d'accord  avec  le  professeur  Unger,  un  système,  d'après 
lequel  il  divisait  tout  le  règne  végétal  en  thallophytes  (plantes 
qui  n'ont  ni  axe,  ni  expansion  foliacée,  et  où  l'accroissement 
s'effectue  sur  tous  les  points  de  la  surface),  et  en  cormo- 
phijtes  (plantes  pourvues  d'axes  et  de  feuilles,  et  où  l'ac- 
croissement s'effectue  dans  une  direction  déterminée). 
Les  thallophytes  sont  divisés  en  protophyles  (algues  et 
fougères)  et  en  hystérophytes  (champignons).  Les  cormo- 
phytes  se  partagent  en  acrobniés,  en  amphibryés  et  àcram- 
phibryés,  suivant  que  l'accroissement  se  fait  en  longueur 
(par  le  sommet  de  l'axe),  en  épaisseur  (par  les  divisions 
latérales  de  l'axe),  ou  à  la  fois  en  longueur  et  en  épais 
seur.  Les  acrobryés  sont  subdivisés  en  3  cohortes  :  les 
axophytes  (mousses),  /)rotop%ie5  (cryptogames  vasculaires) 

1.  Ordines  plantarum;  Goettingue,  1830,  in-8°- 

2.  Oken,  Systema  orbis  vegetabilium  ;  Greifswald,  1830,  in-8°. 

3.  EUenne-Lâdislas  Endlicher,  né  en  180i  à  Presbourg,  était  pro- 
fesseur de  botanique  à  Vienne,  lorsqu'il  se  tua  d'un  coup  de  pistolet  en 
1849.  Son  collaborateur,  l'nger,  a  été  frappé  de  mort  subite  (en  avril 
1870).  Une  grande  obscurité  règne  sur  son  genre  de  mort.  On  pense 
qu'Unger  a  été  étranglé  dans  son  lit. 


TEMPS  MODERNES.  23? 

et  hystérophytes  (rhizantliées) .  Les  amphibryés  compren- 
nent une  seule  cohorte,  et  les  acrambryés  quatre  :  les 
gymnospermes  (conifères),  les  apétales  [monochlamydés  de 
DeCand.),  les  gamopétales  [coroUi  flores  et  cali  ci  flores  gamo- 
pétales de  De  Gand.)  et  les  diapétales  (pléiopètales  calici- 
flores  et  thalamiflores  de  De  and.).  Enfin  les  thallo- 
phytes comprennent  3  et  les  Gormophytes  58  classes, 
et  ces  61  classes  réunies  sont  à  leur  tour  distribuées  en 
278  ordres  ou  familles  ^  Ce  système  n'a  été  adopté  que 
par  un  petit  nombre  de  botanistes. 

Henri  Gottlieb  Reichenbach  (né  à  Leipzig  en  1793),  pro- 
fesseur d'histoire  naturelle  à  l'académie  médico-chirurgi- 
cale de  Dresde,  partit  de  l'idée  que  les  points  successifs 
du  développement  organique  d'une  plante  isolée  com- 
plète, doivent  se  retrouver  dans  la  totalité  du  règne 
végétal.  En  conséquence,  il  divisa  ce  règne  en  trois  degrés 
(gradus),  comprenant  les  inophytes  (plantes  fibreuses),  les 
stèléchophytes  (plantes  à  tiges)  et  les  anthocarpophytes 
(plantes  à  fleurs  et  à  fruits).  Ces  deux  embranchements 
sont  partagés  en  huit  classes  [champignons^  lichens,  chlo- 
rophytes,  coléophytes,  synchlamydées^  synpètalées^  calycan- 
thées,  thalamanthèes)  ;  chaque  classe  est  divisée  en  trois 
ordres,  et  chaque  ordre  est  subdivisé  en  familles,  au 
nombre  de  132  ^.  Ce  système  a  pour  point  de  départ  une 
hypothèse  qui  ne  se  réalise  que  là  où  l'auteur  s'accorde 
avec  de  Jussieu  et  de  Gandolle  ;  il  ne  fait  alors  que  de 
donner  d'autres  noms  à  des  choses  qui  sont  au  fond  les 
mêmes. 

L'un  des  systèmes  les  plus  récents  est  celui  de  Mau- 
rice WillJwmm^   professeur  à  l'université   de  Leipzig.  Il 


1.  Eodlicher,  Enchiridion  bota)iicum,  exhibens  classes  et  ordines 
plantarum;  Leipzig,  1841,  in-8°. 

2.  Reichenbach,   Uebersicht   des   Gewœchsreiclis  in  seinen  vatilr- 
\       lichen  Endwickelungsstufen ;  Leipz.,  1828,  in-8°. 


23i  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

partage  ie  règne  végétal  en  deux  grands  embranchements, 
dont  le  premier  comprend  les  plantes  à  spores  (cryptoga- 
mes), et  le  second,  les  plantes  à  graines  (phanérogames) 
Les  sporophytes  (plantes  à  spores)  sont  divisés  en  angio- 
spores  ou  plantes  dont  les  spores  restent  jusqu'à  leur  sé- 
paration entourés  des  cellules  où  ils  se  sont  développés 
(champignons,  lichens,  algues),  et  en  gymnospores ^  ou 
plantes  dont  les  spores  deviennent  de  bonne  heure  libres 
par  la  résorption  de  leurs  cellules  (mousses,  fougères, 
équisétacées,  etc.).  Les  spcrmatophytes  (plantes  à  graines) 
contiennent  les  gymnospermes  et  les  angiospermes.  Ces  di- 
visions se  décomposent  en  classes,  ordres  et  familles  ^.  Ce 
système,  fort  simple,  mérite  d'être  pris  en  considération. 
Les  essais  de  classification,  que  nous  venons  de  passer 
en  revue,  montrent  que  le  nombre  des  familles  du  règne 
végétal  ne  peut  point  être  rigoureusement  fixé,  et  que  les 
lois  qui  servent  à  les  établir  sont  loin  d'être  constantes  : 
elles  tiennent  de  la  mobilité  do  tous  les  phénomènes  de 
la  vie. 


II.  Phytologie. 

Les  découvertes  microscopiques  de  Malpighi,  de  Grew 
et  de  Leeuwenhoek devinrent  un  objet  de  violentes  criti- 
ques ;  elles  furent  rejetées  comme  entachées  d'erreur  par 
tous  ceux  qui,  —  et  ils  étaient  nombreux,  —  prenaient  le 
microscope  pour  un  instrument  trompeur.  J.  B.  Trium- 
fetti  (mort  en  1707),  directeur  du  jardin  botanique  du  col- 
lège de  la  Sapience  à  Rome,  et  J.  Jérôme  Sbarajlia  (né  en 
1641,  mort  en  1710), professeurà  Bologne,  se  firent  particu- 
lièrement remarquer  par  la  violence  de  leurs  attaques  :  le 
premier  dans  ses  Yindicise  veritatis  (Rome,  1 703 ,  in-4) ,  le  se-  ' 

t 

1.  Willkomm,  Anleitung  sum  Studium  der  wissenschaftUchen  Bo- 
tanik,  etc.  Leipz.,  1854,  in-8". 


TEMPS  MODERNES.  235 

cond  dans  ses  Oculûrum  et  mentis  vigilise  (Bologne,  1704, 
in-4).  Fontenelle,  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  des 
sciences,  fut  lui-même  au  nombre  de  ceux  qui  s'élevaient 
contre  l'emploi  du  microscope,  «  parce  que  cet  instrument, 
disait-il,  ne  montre  que  ce  que  l'on  veut  voir*.  55 

Winckler,  dans  son  Histoire  de  la  botanique,  rappelle 
ici  avec  beaucoup  d'à-propos  le  mot  de  Boerne  :  «  Lors- 
que Pythagore  découvrit  son  fameux  théorème,  il  offrit 
aux  dieux  une  hécatombe;  depuis  lors  toutes  les  bêtes 
tremblent  à  chaque  annonce  d'une  vérité  nouvelle.  y> 
Ajoutons  cependant  que  ceux  qui  s'insurgent  contre  les 
vérités  nouvelles  ne  sont  pas  tous  des  bêtes,  témoin  Fon- 
tenelle; mais  c[u'ils  subissent  le  joug  de  l'autorité  tradi- 
tionnelle :  ce  sont  des  aveugles. 

Les  premiers  travaux  micrographiques  trouvèrent,  chose 
digne  de  remarque,  un  défenseur  convaincu  dans  le  célèbre 
philosophe  Christian  Wolf  (né  en  1679,  mort  en  1754  à 
Halle).  Ce  métaphysicien  géomètre  répéta  les  expériences 
de  Nieuvi^entyt  en  montrant,  à  l'aide  de  la  machine  pneu- 
matique, que  les  trachées  contiennent  de  l'air  et  que  ce 
sont  de  véritables  organes  respiratoires.  Partisan  de  la 
doctrine  des  causes  finales,  il  admettait  que  les  fibres  sont 
diversement  entrelacées  pour  mieux  résister  à  l'action  flé- 
chissante des  vents;  que  les  vaisseaux  sont  creux,  afin  de 
contenir  des  sucs  de  diverse  nature  ;  que  les  vaisseaux 
rayonnes  vont  de  l'écorce  à  la  moelle  pour  bien  distribuer 
les  aliments,  etc.  ^.  —  L.  Ph.  Thilmmig  suivit  la  même 
voie  que  Gh.  Wolf. 

Le  mouvement  du  suc  nourricier,  ascendant  dans  la  tige 
et  descendant  dans  la  racine,  devint,  pour  beaucoup  d'ob- 
servateurs, un  intéressant  objet  de  recherches,  ia  Hire,  d'ac- 

1.  Hist.  de  VAcadimie  des  Sciences,  1711,  p.  43. 

2.  Ch.  Wolf,  Yernûnflige  GedankenvondenWirkungen  der  Natiir; 
Halle,  1723,  iii-8°. 

3.  Thûmmig,  Essai  d'une  explication  rationnelle  des  principaux 
phénomènes  de  la  nature  (en  allem.);  Halle,  1722,  in-8°. 


236  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

cordavec  Kniglit,  l'attribuait  à  la  différence  de  densité  des 
sucs  * .  Gr.  Starken  essaya  d'expliquer,  par  la  disposition  incli- 
née des  feuilles  séminales  de  l'embryon,  pourquoi  certaines 
plantes  grimpantes,  tels  que  le  houblon,  le  chèvre-feuille, 
les  ménispermés,  etc.,  s'enroulent  de  gauche  à  droite,  tandis 
que  d'autres,  comme  le  haricot,  le  liseron,  etc.,  s'enroulent 
de  droite  à  gauche,  affirmant  que  les  plantes  qui  s'élèvent 
droites  ont  la  radicule  opposée  à  la  gemmule.  Mais  cette 
manière  de  voir  ne  s'accorde  pas  toujours  avec  la  réalité  ; 
car  les  ménispermés  volubiles  ont  la  radicule  droite,  au 
milieu  des  cotylédons,  tandis  que  d'autres  plantes,  non 
volubiles,  telles  que  les  justicia^  les  corrigiola,  etc.,  l'ont 
oblique^. 

Etienne  Haies  (né  en  1677,  mort  en  1771),  membre  de 
la  Société  royale  de  Londres,  après  avoir  essayé  d'appré- 
cier la  force  avec  laquelle  le  cœur  pousse  le  sang  dans  les 
artères,  fit  des  expériences  analogues  sur  les  végétaux.  Il 
constata  que  la  force  de  transpiration  des  plantes  est  infi- 
niment plus  grande  que  celle  des  animaux.  Il  démontra 
aussi  la  force  d'absorption  de  l'humidité  par  les  feuilles. 
Ses  expériences,  très-bien  faites,  sont  décisives®. 

Elles  furent,  en  partie,  reprises  par  J.  E.  Guettard  (né  à 
É Lampes  en  1715,  mort  en  1786).  Ce  naturaliste  parvint  à 
un  résultat  longtemps  contesté,  et  qui  n'a  été  mis  hors  de 
doute  que  par  les  travaux  récents  de  M.  Duchartre,  à 
savoir  que  l'eau  qui  pénètre  dans  les  organes  des  plantes, 
n'y  arrive  que  par  les  racines,  et  que  les  feuilles  ne  con- 
courent point  à  son  absorption*. 

Guettard  soumit  le  premier  les  poils,  les  aiguillons  et 

1.  Mém.  de  VAcad.  des  Scienc,  année  1711,  p.  65. 

2.  Starken,  Gy ros  convolvulorum  evoïvere  tentalnt;  Relmst.,  1705, 
in-4°  (ThÔBB  inaugurale). 

3.  Haies,  Yegetable  staticks,  Lond.,  1757,  in-8*  (trad.  en  français 
par  Buffon). 

4.  Mém.  de  VAcad.,  année  1748,  p.  833  et  suiv.;  et  année  1749, 
p.  382  et  suiv. 


TEMPS  MODERNES.  237 

les  glandes  des  végétaux  à  un  examen  attentii.  Th.  Eller 
de  Berlin  (né  en  1689,  mort  en  1760)  fit,  comme  Haies  et 
Guettard,  des  recherches  sur  la  transpiration  des  plantes'. 

Une  fille  de  Linné,  Élisaheth-Ghristine,  observa  la 
première  que  les  vapeurs  exhalées  par  les  fleurs  sont 
souvent  inflammables^. 

Le  P.  Sarrabat,  dit  de  Labaisse^  fit,  l'un  des  premiers, 
des  expériences,  au  moyen  d'un  liquide  coloré,  pour  mon- 
trer que  l'ascension  de  la  sève  ne  s'effectue  ni  par  l'é- 
corce,  ni  par  la  moelle,  comme  on  l'avait  pensé,  mais  par 
les  fibres  ligneuses,  et  qu'elle  passe  de  là  dans  les  ner- 
vures des  feuilles  et  dans  les  fibrilles  des  fleurs.  Il  mon- 
tra aussi  que  si,  dans  ces  expériences  (faites  avec  le  phy- 
tolacca  octandra)^  l'écorce  se  trouve  teinte,  c'est  que  la  sève 
y  a  été  portée  par  les  vaisseaux  rayonnes  qui  vont  de  la 
moelle  à  l'écorce  en  traversant  le  bois^ 

La  question  de  l'âme  des  plantes  fut  reprise  par  Gasp. 
Bose^  professeur  de  Leipzig*,  à  propos  des  mouvements 
de  la  rose  de  Jéricho  et  de  la  sensitive,  que  Bufay  (Mém. 
de  l'Académie  des  sciences)  attribuait  à  une  structure  fibril- 
laire  spéciale.  —  La  doctrine  de  la  génération  spontanée  des 
champignons,  et  surtout  de  la  truffe  par  la  putréfaction  de 
détritus  organiques,  trouva  des  partisans  dans  le  comte 
Marsigli  de  Bologne  (né  en  1658,  mort  en  1730),  et  dans 
le  célèbre  médecin  Lancisi  (né  en  165(i,  mort  en  1720). 

Gilles  Aug.  Bazin.,  médecin  de  Strasbourg  (mort  en 
1754),  essaya  d'expliquer  l'ascension  de  la  sève  et  l'ac- 
croissement vertical  par  la  succion  de  vésicules  aériennes, 
succion  qui  se  manifeste  dans  les  vaisseaux  spiraux,  assi- 
milés aux  trachées  des  insectes.  Les  racines,  dépourvues 

1.  Mémoires  de  l'Académie  de  Berlin,  année  1748,  p.  10  et  suiv. 

2.  Mémoires  de  l'Académie  des  Sciences  de  Suède,  année  1752, 
p.  291. 

3 .  Sarrabat,  Dissertation  sur  la  circulation  de  la  sève  des  plantes; 
Bordeaux,  1738,  in-8°. 

4.  Bose,  De  motu  plantarum  sensus  asmulo;  Leipz.,  1728,  in-S." 


238  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

de  trachées,  peuvent  se  diriger  en  tous  sens  à  la  recherche 
de  leur  nourriture  et  de  l'humidité*.  Ludwig  révoqua  en 
doute  le  mouvement  aspiratoire  que  Bazin  attribuait  aux 
trachées  des  plantes. 

Les  trachées,  ou  vaisseaux  spiraux,  sur  lesquelles  Fr. 
Walker  et  Jamperl  avaient  émis  les  idées  les  plus  erro- 
nées, furent  soumis  à  un  examen  plus  attentif  par  Se- 
ligmann,  J.  Trew  et  surtout  par  Reichel  {Diss.  de  vasis 
plantarum  spiralibus^  Leipzig,  1758,  in-4°). 

Les  grains  de  pollen  devinrent  un  objet  d'études  spé- 
ciales pour  Needham,  qui  a  tant  fait  pour  la  microgra- 
phie. Il  admettait  que  les  grains  polliniques  contiennent 
les  germes,  que  les  ovaires  ne  faisaient  qac,  dévelop- 
per^. Cette  manière  de  voir  paraissait  contredite  par  les 
observations  de  Fr.  Moeller^  de  Berlin,  qui,  répétant  les 
expériences  de  Spallanzani  sur  les  plantes  dioïques, 
trouva  que  l'ablation  des  fleurs  mâles  dans  un  champ 
d'épinards  et  de  chanvre  n'empêchait  pas  les  fleurs  fe- 
melles de  produire  des  graines  fertiles.  Mais  le  profes- 
seur Kœstner,  de  Grœttingue,  fit  voir  que  ces  expériences 
ne  prouvent  rien,  parce  que  l'épiuard  et  le  chanvre,  classés 
parmi  les  plantes  dioïques,  renferment  quelquefois  des 
fleurs  hermaphrodites,  et  qu'on  en  trouve  même  sur  les 
saules,  décrits  comme  essentiellement  dioïques'.  Moeller 
est  plus  dans  le  vrai  lorsqu'il  compare  les  bulbes  aux 
bourgeons,  et  qu'il  fait  dépendre  des  bourgeons  ou  gem- 
mes l'accroissement  des  végétaux*. 

Le  tissu  cellulaire  fut  présenté  par  G.  R.  Boehmer  (né 
en  1723,  mort  en  1803)  comme  la  trame  fondamentale  de 


1.  Observations  inr  les  iilantcs  ctleur  analogie  avec  les  insectes- 
Strasb.,  n41,in-8°. 

2.  Needham,  Nouvelles  découvertes  faites  avec  le  microscope;  Levde 
1747,  in-g". 

3.  Hamburg.  Maga%.,  II,  454  ;  III,  410. 

4.  Moeller,  Oekon.  phijsikal.  Abliandl.,  t.  I  et  V. 


TEMPS  MODERNES.  239 

la  plante,  et  il  en  déduisit  tout  le   système  vasculaire*. 

L'idée  des  transformations  commençait  alors  à  poindre 
dans  beaucoup  d'esprits.  J.  Hill  (né  en  1716,  mort  en  1775) 
lit  venir  les  pétales,  par  voie  de  métamorphose,  des  cou- 
ches externes  de  l'écorce,  et  le  réceptacle  de  la  fleur  des 
couches  internes  de  l'écorce^  Il  décrivit  le  premier  les 
spongioles  ou  extrémités  fibrillaires  des  racines,  et  consacra 
un  travail  spécial  au  sommeil  des  plantes  :  The  sleep  of 
plants;  1757,  in-8.  Enfin  il  étudia  la  structure  des  vaisseaux 
en  se  servant  de  liquides  colorés. 

Les  fonctions  des  feuilles  ont  été  l'objet  d'un  travail 
classique  de  Charles  J5onneî  (né  à  Genève  en  1720,  mort  en 
1793).  Ce  travail  {Recherches  sur  l'vsagp' des  feuilles^  17c4, 
in-8°)  se  compose  de  cinq  mémoires  :  le  premier  contient 
un  grand  nombre  d'expériences  pour  démontrer  que  les 
feuilles  sont  des  espèces  de  «  racines  aériennes  qui  pom- 
pent l'humidité  et  les  exhalaisons  répandues  dans  l'air, 
et  que  la  surface  inférieure  des  feuilles  est  le  principal 
siège  de  la  succion  et  de  la  transpiration.  »  Le  second 
mémoire  traite  de  la  direction  naturelle  des  feuilles.  Cette 
direction  est  telle,  que  la  surface  inférieure  regarde  tou- 
jours le  sol  d'où  elle  pompe  la  vapeur  nourricière,  et  que 
si  elle  vient  à  être  changée,  «  les  feuilles  savent  la  repren- 
dre d'elles-mêmes  par  un  mouvement  qui  leur  est  propre, 
et  qui  paraît  presque  aussi  spontané  que  ceux  que  so 
donnent  divers  animaux  pour  des  fins  analogues,  »  Le 
troisième  mémoire  a  pour  objet  la  distribution  symétrique 
des  feuilles.  Le  quatrième  donne  des  expériences  sur  des 
feuilles  qui,  détachées  de  leur  sujet,  ont  poussé  un  grand 
nombre  de  racines  et  sont  devenues  elles-mêmes  des  plan- 
tes en  quelque  sorte  complètes.  L'auteur  y  décrit  aussi 


1.  Boehmer,  De  celhdoso  vegetahilium  cnntextu;  "Witterab.,   1753, 
in -4. 

2.  Hill,  OutUnes  of  a  System  of  vegelable  génération;  Londres, 
1758,  in-8°. 


240  HISTOIRE  DE   LA  BOTANIQUE. 

diverses  monstruosités  dont  il  indique  l'origine  ;  c'est  le 
premier  essai  qui  ait  été  fait  d'une  tératologie  végétale.  Le 
cinquième  mémoire  traite  de  la  question,  souvent  agitée, 
de  l'ascension  de  la  sève;  des  injections  colorées  ont 
permis  à  l'auteur  de  suivre  de  l'œil  la  marche  du  liquide 
dans  une  grande  partie  de  son  parcours.  Mais  si  la  sève 
ascendante  est  réelle,  l'existence  de  la  sève  descendante 
n'est  point  par  là  démontrée  :  en  un  mot  la  circulatioii  de 
la  sève  paraissait  à  Gh.  Bonnet  au  moins  très-douteuse. 
Dans  le  m.ême  mémoire  il  réfute  par  l'expérience  l'opinion 
d'après  laquelle  le  blé  pourrait  se  convertir  en  ivraie  ;  et 
il  démontre  que  le  défaut  de  lumière  est  la  cause  de  l'alté- 
ration des  plantes  qu'on  élève  dans  des  lieux  obscurs,  et 
que  les  jardiniers  ont  nommée  étiolement. 

Les  stomates  (oscula) ,  dont  est  parsemée  la  face  infé- 
rieure des  feuilles,  furent  examinées  avec  soin  par  H.  B. 
de  Saussure,  le  célèbre  voyageur  des  Alpes  (né  en  1740, 
mort  en  1799).  Il  montra  que  ces  ouvertures  sont  entou- 
rées d'un  rebord  glandulaire,  adhérent  aux  parois  du  tissu 
cellulaire,  qu'elles  manquent  dans  les  pétales,  et  que  c'est 
par  là  que  les  feuilles  absorbent  des  fluides  ^ 

La  circulation  de  la  sève,  dont  la  réalité  avait  été  révo- 
quée en  doute  par  Gh.  Bonnet,  fut  démontrée  par  L.  Du- 
hamel de  Monceau.  Get  ingénieux  expérimentateur  montra 
d'abord,  dans  sa  Physique  des  arbres  (Paris,  1758,  in-^), 
que  la  sève  descendante  diffère  de  la  sève  ascendante,  ainsi 
que  des  sucs  propres,  qu'elle  entretient  continuellement 
le  cambium,  entre  l'écorce  et  le  bois,  et  qu'elle  concourt 
essentiellement  à  la  nutrition  du  végétal.  Ges  donnée;, 
importantes  furent  confirmées  par  d'autres  observateur.-. 
C'est  ainsi  que  Treviranus  montra  qu'en  effet  les  sucs 
propres  des  euphorbes,  des  pavots,  de  la  chélidoine,  etc., 
loin  d'être  de  même  nature  que  la  sève  descendante,  ne 

1.  B.  de  Saussure,  Observations  sur  l'écorce  des  feuilles  et  pétales; 
Genève,  1762,  in-4''. 


TEMPS  MODERNES.  241 

sont  que  des  fluides  excrémentitiels,  analogues,  non  point 
au  sang,  mais  à  la  bile,  à  la  salive,  etc.,  qui  ne  concou- 
rent qu'indirectement  à  la  nutrition. 

Duhamel  fit  encore  de  nombreuses  expériences  sur  l'ac- 
croissement des  arbres  (dicotylédones)  en  diamètre  ;  run(! 
des  plus  concluantes  consistait  à  faire  passer  l'anse  d'un 
fil  d'argent  dans  le  liber  ou  partie  interne  de  l'écorco. 
Au  bout  de  deux  ou  trois  ans,  le  fil  se  trouvait  engagé 
au  milieu  des  couches  ligneuses.  L'observateur  en  con- 
clut que  le  liber,  au  milieu  duquel  le  fil  d'argent  se 
voyait  engagé,  s'était  transformé  en  bois  ;  conséquem- 
ment  que  la  couche  fibreuse  interne  de  l'écorce  forme 
petit  à  petit  la  nouvelle  couche  ligneuse,  qui  chaque  an- 
née s'ajoute  aux  couches  de  bois  successivement  produi- 
tes. Rien  n'est  plus  fondé,  en  apparence,  que  cette  théo- 
rie de  l'accroissement  externe.  On  ne  tarda  pas  cependant 
à  constater  que  ce  n'est  pas,  comme  le  croyait  Duhamel, 
le  liber  qui  se  transforme  en  bois,  mais  que  l'accrois- 
sement du  tronc  s'effectue  dans  la  couche  utriculaire, 
sous-jacente  au  liber,  dans  la  couche  du  cambium.  De  là 
naquit  une  nouvelle  théorie,  qui  va  conduire  la  science 
jusqu'à  nos  jours.  En  voici  la  filiation. 

Jean-Nicolas  La/lire  (né  à  Paris  en  1685,  mort  en  1727), 
fils  du  célèbre  géomètre  de  ce  nom,  avait  émis,  en  1719, 
dans  les  Mémoùes  de  rAcaclémie  des  sciences,  Vojiinion  que 
les  bourgeons  sont  les  agents  essentiels  de  l'accroissement 
des  tiges  en  diamètre,  et  que  c'est  de  leur  base  que  par- 
tent et  descendent  les  fibres,  qui  forment  chaque  année 
les  nouvelles  couches  ligneuses,  qui  viennent  augmenter 
la  grosseur  de  la  tige.  Cette  théorie  était  entièrement  ou- 
bliée, quand  elle  fut  reprise,  en  1 809,  par  Du  Petit-Thovars. 
De  ses  observations  ce  botaniste  conckit  que  les  bour- 
geons sont  en  C[uelque  sorte  des  «  embryons  germants  », 
pour  lesquels  la  couche  de  cambium,  située  entre  l'é- 
corce et  le  boii5,  remplit  le  même  usage  que  le  sol  pour 
les  graines  qui  germent.   Pendant  que  le  bourgeon  va 

16 


242  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE 

former  une  jeune  branche,  sa  base  donne  naissance  à  des 
fibres ,  qui  remplissent  l'office  des  radicules  de  l'em- 
bryon. Ces  fibres  descendent  à  travers  la  couche  humide 
de  cambium,  où  elles  rencontrent  celles  qui  proviennent 
des  autres  bourgeons;  toutes  s'anastomosent,  prennent 
de  la  consistance  et  forment  ainsi  chaque  année  une  nou- 
velle couche  de  bois*.  Cette  théorie,  que  la  greffe  en 
écusson  paraissait  confirmer,  allait  succomber  sous  des 
attaques  réitérées,  quand  elle  fut  reprise,  avec  certaines 
modifications,  par  Gaudichaud (né  en  1780,  mort  en  1854). 

D'après  ce  botaniste,  l'organisation  de  la  tige  et  des 
parties  appendiculaires,  telles  que  les  feuilles,  les  calices, 
les  corolles,  les  étamines,  les  pistils,  n'est  que  le  résul- 
tat du  développement  d'un  seul  organe  primitif,  dont 
l'embryon  monocotylédoné  est  le  type.  En  effet,  de  même 
que  l'on  observe  dans  l'embryon  monocotylédoné,  lorsqu'il 
a  piis  tout  son  expansion  normale,  un  mamelon  radicu- 
laire  qui  constitue  son  système  descendant,  puis  une  tigelle, 
un  cotylédon  et  son  support,  lesquels  forment  son  sys- 
tème ascendant,  de  même  aussi  on  voit,  dans  le  végétal 
plus  avancé,  la  racine  qui  représente  la  radicule,  c'est-à- 
dire  le  système  descendant,  et  le  mérithalle  avec  la  feuille 
et  son  pétiole,  qui  représentent  la  tigelle,  le  cotylédon, 
ainsi  que  son  support,  c'est-à-dire  le  système  ascendant.  Le 
type  simple  que  présente  l'embryon  monocotylédoné  se 
double,  se  triple,  se  quadruple,  se  quintuple,  etc.,  dans 
l'embryon  dicotylédoné,  et  il  en  est  de  même  de  l'appa- 
reil vasculaire  qu'il  renferme. 

Tout  cela  se  démontre  rigoureusement  par  l'anatomie 
de  la  jeune  plante.  L'appareil  vasculaire  se  compose  de 
deux  ordres  de  vaisseaux  :  l'un  se  porte  du  collet  de  la  ra- 
cine au  bourgeon,  l'autre  du  bourgeon  à  l'extrémité  de  la 
racine.  Le  premier  élève  jusqu'au  bourgeon  la  sève  brute 

1.  Du  Petit-Thouars,  Essais  sur  la  végétation,  considérée  dans  le 
développement  des  bourgeons;  Paris,  1809,  in-S". 


TEMPS  MODERNES.  243 

([ui  s'y  élabore  ;  le  second  conduit  jusqu'à  la  racine  une 
partie  de  la  sève  élaborée.  Celui-ci,  dans  les  dycotylédonés, 
se  prolongeant  entre  l'écorce  et  le  bois,  forme  les  nouvel- 
les couches  ligneuses  par  son  union  avec  les  utricules  nées 
de  la  tige,  et  contribue,  de  cette  façon,  à  l'accroissement 
en  diamètre,  tandis  que  l'autre,  s'allongeant  au  centre  et 
aboutissant  au  bourgeon  qui  transforme  en  matière  orga- 
nisée une  partie  de  la  sève  venue  de  la  racine,  travaille  à 
l'accroissement  en  longueur.  Il  suit  de  là  que  le  bourgeon 
ne  reçoit  d'en  bas  rien  de  solide,  rien  d'organisé,  qu'il 
crée  de  toute  pièce  les  vaisseaux  qui  entrent  dans  sa 
composition  et  que  ce  sont  les  mêmes  vaisseaux,  déve 
loppés  intérieurement,  qui  se  représentent  dans  les  cou- 
ches ligneuses  de  la  tige  et  de  la  racine,  dont  ils  consti- 
tuent la  portion  la  plus  importante.  Quant  aux  utricules 
des  couches,  soit  qu'elles  s'allongent  de  bas  en  haut,  ou 
du  centre  à  la  circonférence,  elles  s'organisent  sur  place, 
entre  l'écorce  et  le  bois,  et  n'ont  rien  de  commun  avec 
le  bourgeon  ^ 

Telle  est,  en  substance,  la  théorie  de  &audichaud.  Peu 
favorisée  en  France,  elle  fut  soutenue  en  Angleterre  par  des 
observateurs  d'un  grand  mérite,  entre  autres  par  Knight 
et  Lindley. 

Respiration  des  plantes.  —  Les  travaux  de  Bonnet 
et  de  Duhamel  du  Monceau  avaient  préparé  la  décou- 
verte de  la  fonction  respiratoire  des  feuilles.  En  cherchant 
le  moyen  de  rendre  le  gaz  acide  carbonique  propre  à  la 
respiration  et  à  la  combustion,  Priestley  trouva,  en  1771, 
que  les  végétaux  peuvent,  non-seulement  vivre  dans  ce 
gaz  oii  les  oiseaux  périssent ,  mais  qu'ils  le  rendent 
respirable,    d'irrespirable    qu'il  était;  il  constata  même 

1 .  La  théorie  de  Gaudichaud  se  trouve  exposée  dans  Vlntrodudîon 
(1"  partie)  au  Voyage  autour  du  monde  sur  la  corvette  la  Bonite 
(Paris,  1851);  elle  est  accompagnée  d'un  bel  atlas,  composé  de 
planches  coloriées. 


244  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

que  ce  changement  ne  se  produit  que  sous  l'influence  de 
la  lumière  du  jour,  et  qu'il  cesse  la  nuit.  Malheureuse- 
ment l'observation  de  Priestley  ne  fut  bien  comprise 
qu'après  la  découverte  de  l'oxygène  et  celle  de  la  com- 
position du  gaz  acide  carbonique. 

C'est  par  une  sorte  d'engrenage  inéluctable  qu'une 
science  fait,  en  marchant,  avancer  une  autre  science  :  le 
progrès  de  la  physiologie  dépendait  de  l'avancement  de  la 
chimie. 

Depuis  la  découverte  des  gaz  dont  l'air  atmosphérique 
n'est  qu'un  mélange,  les  observateurs  fixèrent  plus  parti- 
culièrement leur  attention  sur  les  phénomènes  qui  se 
passent  dans  ce  milieu  matériel  où  s'opère  la  vie  des 
plantes  et  animaux.  Il  fut  d'abord  reconnu  que  tous  les 
gaz  qui  constituent  l'air  ne  sont  pas  également  respira- 
bles,  et  qu'il  n'y  en  a  quun  seul,  l'oxygène,  l'air  vital 
par  excellence,  qui  soit  absolument  nécessaire  à  l'entre- 
tien de  la  respiration.  Instruit  par  les  expériences  de 
Priestley  que  le  règne  végétal  et  la  règne  animal  se  prê- 
tent un  mutuel  concours,  J.  Ingenhousz  (né  à  Bréda  eu 
1730,  mort  en  Angleterre  en  1799)  essaya  de  pénétrer 
plus  avant  dans  ce  mystère*;  il  fut  bientôt  suivi  dans  la 
même  voie  par  J.  Sembler,  de  Genève  (né  en  1742,  mort 
en  1809)^.  Ces  deux  observateurs  établirent,  par  leurs 
expériences,  que  les  plantes,  sous  l'influence  de  la  lumière, 
décomposent  l'acide  carbonique  en  fixant  le  carbone  et 
mettant  l'oxygène  en  liberté,  tandis  que  dans  l'obscurité 
elles  respirent  comme  les  animaux,  en  absorbant  l'oxy- 
gène de  l'air  et  en  dégageant  de  l'acide  carbonique. 

La  découverte  de  la  fonction  respiratoire  des  plantes 
provoqua  une  étude  plus  attentive  des  organes  par  lesquels 
cette  fonction   devait  s'exercer.   La  membrane  transpa- 

1.  Ingenhousz,  Expériences  sur  les  végétaux;  Paris,  1780,  in-8°. 

2.  Senebier,  Reclterches  stir  l'influence  de  la  lumière  solaire  pour 
métamorphoser  l'air  fixe  en  air  pur  par  la  végétation;  Genève,  178;5 , 
in-8°. 


TEMPS  MODERNES.  245 

rente,  incolore  qui,  sous  le  nom  d'épiderme^  recouvre 
toutes  les  parties  du  végétal  aussi  bien  que  de  l'animal, 
avait  été  soumise  à  l'examen  microscopique  déjà  par  Mal- 
pighi  et  G-rew.  Malpighi  soutenait  que  l'épiderme  est 
formé  par  les  utricules  externes  du  tissu  cellulaire,  épaissies 
et  endurcies  par  l'action  atmosphérique.  Cette  opinion  eut 
pour  défenseurs  H.  D.  Moldenhawer^  Antoine  Krocker% 
J.  J.  Bernhardi*,  Gh,  A.  Rudolphi*,  Fr.  Linck^,  Brisseau- 
MirheP,  etc.  Grew,  au  contraire,  présentait  l'épiderme 
comme  une  membrane  tout  à  fait  distincte  du  tissu  sur 
lequel  elle  se  trouvait  appliquée.  Gette  seconde  opinion 
fut  appuyée  par  B.  H.  de  Saussure,  J.  Hedwig,  Trevira- 
nus,  Amici,  Ad.  Brongniart,  Hugo  Mohl  et  par  d'autres. 
Les  travaux  de  ces  observateurs  ont  mis  l'existence  de  l'é- 
piderme, comme  membrane  distincte,  hors  de  doute.  Bien 
plus,  d'après  les  recherches  de  Henslow,  d'Adolphe  Bron- 
gniart et  de  H.  Mohl,  cette  membrane  elle-même  se 
compose  de  deux  pellicules,  l'une  extérieure  {cuticule)^ 
d'apparence  granuleuse,  percée  d'ouvertures  en  forme  de 
boutonnières,  l'autre,  sous-jacente,  formée  d'une  ou  de 
plusieurs  couches  d'ulricules  soudées  entre  elles  et  souvent 
incrustées  de  silice,  comme  dans  l'épiderme  des  prêles 
d'eau  et  des  graminées. 

Les  ouvertures  en  forme  de  boutonnières,  appelées  sto- 
viates,  pores  corticaux,  glandes  corticales^  dont  l'épiderme 
est  percé,  avaient  été  également  observées  déjà  par  Malpi- 
ghi et  Grew.  Mais  ce  n'est  que  plus  tard  qu'il  fut  recon- 
nu, particulièrement  par  Amici,  que  ces  petites  bouches 
sont  bordées  d'une  sorte  de  bourrelet,  formé  par  un  nom- 
bre variable  de  cellules  épidermiques,  et  que  ces  bourre- 

1.  Diss.  de  vasis  plantarum;  Utrecht,  1779,  in-S". 

2.  De  plantarum  epidermide;  Halle,  1800,  in-8°. 

3.  Beobaclitungen  ûber  P flanzenge fasse  ;  Erf.,  1805,  in-S°. 

4.  Anatomie  und  Plnjsiol.  der  Pflansen;  Goett.,  1807. 
il.  Anat.  der  Pflansen;  Berl.,  1807. 

G.  Traité  d'anatomie  et  physiol.  vég.;  Paris,  an  X,  in-8'. 


246  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

lets, espèces  de  sphincters,  sont  susceptibles,  sous  diverses 
influences  atmosphériques,  de  se  dilater  ou  de  se  resserrer. 
Communs  sur  l'épiderme  des  feuilles  et  des  jeunes  tiges,  les 
stomates,  variables  de  grandeur  suivant  les  espèces  végé- 
tales, manquent  sur  l'épiderme  des  racines,  des  pétioles, 
des  pétales,  des  vieilles  tiges,  des  graines  et  des  fruits 
charnus.  Gomment  ces  pores  se  terminent-ils  ?  Les  opinions 
sont  encore  partagées.  Suivant  Link,  Nées  d'Esenheck  et 
Rohert  Brown,  ce  sont  de  petites  poches  glandulaires,  fer- 
mées. Mais  Hugo  Mohl,  et  d'autres  phytonomistes  plus 
récents,  croient,  d'après  leurs  observations,  que  les  sto- 
mates sont  perforés,  que  la  formation  de  leur  fente  est 
due  au  dédoublement  d'une  cloison,  existant  dans  l'intc- 
rieurde  l'utricule,  qui  se  partagerait  ainsi  en  deux  lèvres. 
Brisseau-Mirbel  a  donné  des  détails  intéressants  sur  le 
développement  des  stomates  dans  les  cryptogames  ^ 
Quant  à  l'usage  des  stomates,  il  est  encore  obscur.  Ils  ne 
sont  pas  destinés,  comme  le  croyait  Amici,  à  l'absorption 
de  l'humidité,  puisque  l'eau  les  fait  fermer  et  qu'ils 
correspondent  à  des  vides  intérieurs,  privés  de  sucs. 
L'observation  a  montré  qu'ils  ne  servent  pas  davantage  à 
l'évaporation,  et  qu'on  ne  peut  pas  non  plus,  avec  Link, 
les  mettre  au  nombre  des  organes  excrétoires,  puisqu'ils 
correspondent  à  des  espaces  vides.  Suivant  l'opinion 
d'Achille  Richard,  généralement  admise  aujourd'hui,  les 
stomates  jouent  un  rôle  important  dans  la  respiration 
et  sont  spécialement  destinés  à  l'exhalation  de  l'oxy- 
gène, provenant  de  la  décomposition  de  l'acide  carboni- 
que ahsorhé  ou  inspiré.  Fermés  pendant  la  nuit,  ils  ne 
s'ouvrent,  en  effet,  que  le  jour,  sous  l'influence  de  la 
lumière;  et  les  arbres  qui,  d'après  les  observations  de 
DeCaudoUe,  n'ont  pas  de  stomates,  manquent  aussi  de  la 
faculté  de  dégager  de  l'oxygène. 

1.  Recherches  sur  le  marchantia  polymorpha ;  Mém.  de  l'Acad.  des 
Sciences,  année  1832. 


TEMPS  MODERNES.  247 

A.  Brongmart,  Th.  de  Saussure,  Dutrochet,  Delile  et 
d'autres,  ont  montré  par  leurs  recherches  que  la  structure 
des  feuilles  est  merveilleusement  en  rapport  avec  les 
fonctions  respiratoires  et  nutritives.  Leur  parenchyme  est 
disposé,  surtout  à  la  face  inférieure,  de  manière  à  for- 
mer de  petites  poches,  les  poches  pneumatiques,  communi- 
quant toutes  entre  elles,  et  où  s'introduisent,  par  les  pores 
de  l'épiderme,  tous  les  éléments  de  l'air  (oxygène,  azote, 
hydrogène  et  carbone,  —  ces  deux  derniers  provenant 
de  la  décomposition  de  l'eau  et  de  l'acide  carbonique), 
qui  entrent  dans  la  composition  chimique  du  végétal. 
Arrivée  aux  extrémités  de  son  parcours,  la  sève  ascen- 
dante subit  le  contact  de  l'air  dans  les  poches  pneumati- 
ques, et  s'y  modifie  exactement  comme  le  sang  veineux 
se  modifie  d£tns  les  poumons  par  l'action  de  l'air.  C'est 
ainsi  qu'on  reconnut  que  les  feuilles  sont  les  analogues 
des  poumons. 

Quel  office  remplissent  alors  les  trachées?  Depuis Mal- 
pighi  et  Grew,  tous  les  phytotomistes  se  sont  accordés  sur 
ce  point  que  la  trachée  est  une  lame  étroite,  mince,  trans- 
parente [spiricule],  qui,  roulée  en  hélice  ou  spirale,  forme 
par  ses  tours  rapprochés  un  tube  cylindrique  plus  ou 
moins  allongé.  Mais  ils  ont  commencé  à  se  diviser  sur 
la  question  de  savoir  si  les  tours  de  la  spiricule  sont 
simplement  soudés  par  une  membrane  très-déchirable, 
placée  entre  eux,  ou  si  la  spiricule  est  roulée  sur  la  sur- 
face externe  d'un  véritable  tube.  Cette  dernière  opinion, 
qui  était  celle  de  Hedwig,  a  été  abandonnée.  La  pre- 
mière, établie  par  les  recherches  de  Kieser  et  de  Dutro- 
chet, a  prévalu.  On  s'est  divisé  davantage  sur  la  nature 
de  la  spiricule.  Se  rapprochant  de  l'idée  de  Hedwig, 
Mustel,  Link,  Viviani,  Mirbel,  ont  présenté  la  trachée 
comme  formée  de  deux  tubes,  l'un  interne,  cylindrique, 
charriant  de  l'air,  — ■  tube  pneumatophore,  —  l'autre,  ex- 
terne, excessivement  délié,  roulé  en  spirale  autour  du 
tube  pneumatophore,  et  qui  a  reçu  le  nom  de  vaisseau 


248  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

adducteur  ou  chylifère.  Cette  façon  de  voir  n'a  pas  été 
adoptée  par  les  observateurs  plus  récents,  qui  tous  ad- 
mettent que  le  corps  roulé  en  spirale  est  un  corps  plein, 
cylindrique  ou  comprimé.  Longtemps  incertain  sur  la 
manière  dont  se  terminent  les  trachées  à  leurs  extrémités, 
on  s'accorde,  depuis  les  travaux  de  Nées  d'Esenbeck  et  de 
Dutrocliet,  à  donner  à  leurs  terminaisons  une  forme 
conique. 

Les  trachées  ou  vaisseaux  spiraux  contiennent-ils  de  la 
sève  ou  de  l'air?  Une  singulière  confusion  a  régné  ici 
parmi  les  observateurs  :  les  uns  n'y  ont  vu  que  de  la  sève, 
les  autres  y  ont  trouvé  de  l'air.  Ils  avaient  tous  raison; 
leurs  observations  étaient  exactes  :  la  confusion  venait 
de  ce  qu'ils  avaient  observé  ces  vaisseaux  à  des  périodes 
différentes  de  la  végétation.  Il  a  été,  en  effet,  reconnu 
que  les  trachées,  qui  ont  pour  siège  d'élection  les  parois 
du  canal  médullaire,  le  pétiole  et  les  nervures  des  feuilles, 
les  calices,  les  pétales,  les  filets  des  étamines  et  les  pa- 
rois de  l'ovaire,  contiennent  de  la  sève  seulement  dans  la 
première  période  de  la  végétation,  quand  ce  liquide  s'élève 
en  abondance  par  le  milieu  de  la  tige,  et  que  les  feuilles 
et  les  fleurs  commencent  à  se  développer  ;  mais  que  l'air 
s'y  substitue  insensiblement  à  la  sève  à  mesure  que  les  dif- 
férentes parties  de  la  plante  prennent  de  l'accroissement. 
C'est  dans  cette  seconde  période  que  les  trachées  devien- 
nent des  organes  respiratoires.  L'air  va  par  là,  pour  ainsi 
dire,  à  la  recherche  du  suc  nutritif  dans  toutes  les  parties 
oîi  celui-ci  se  renconti-e,  —  comme  dans  la  respiration 
des  insectes,  —  pendant  que  le  suc  nutritif  vient  se  faire 
élaborer  dans  les  appendices  foliacés,  comme  chez  les 
animaux  à  respiration  pulmonaire. 

Les  vaisseaux  observés  par  H.  Mohl,  Schleiden,  Mol- 
denhawer,  Link,  Slack,  etc.,  sous  le  nom  de  vaisseaux 
annulaires,  rayés,  s calari formes,  ponctués,  réticulés,  ne 
sont,  d'après  l'opinion  généralement  adoptée,  que  des 
modifications  de  la  trachée.  Aussi  les  a-t-on  compris  sou^ 


TEMPS  MODERNES.  249 

la  dénomination  générale  de  fausses  trachées.  De  ces  vais- 
seaux diffèrent  ceux  que  Schulz  a  le  premier  fait  con- 
naître sous  le  nom  de  vaisseaux  laticifères.  Ce  sont  des 
tubes  à  parois  membraneuses,  transparentes,  n'offrant  ni 
lignes,  ni  stries,  ni  lames,  ni  ponctuations.  Chez  les  plantes 
dicotylédones,  ils  sont  surtout  nombreux  dans  la  moelle  et 
dans  le  tissu  utriculaire  de  l'écorce,  comme  l'ont  montré 
Meyen  et  d'autres.  Charriant  la  sève  élaborée  ou  des- 
cendante [latex),  les  vaisseaux  laticifères  sont  les  organes 
de  la  circulation  du  suc  vital,  circulation  que  Schulze  a 
nommée  la  cyclose^,  et  où  l'endosmose  et  V exosmose  de  Dn- 
trocliet,  deux  modes  d'absorption  des  liquides  dépendant 
de  la  différence  de  leur  densité,  paraissent  jouer  un  rôle 
important. 

Notons,  en  passant,  que  sous  le  nom  de  vaisseaux  pro- 
pres, qui  tend  à  disparaître  de  la  science,  différents  ob- 
servateurs avaient  confondu  les  cavités  ou  vacuoles  où 
s'accumulent  des  sucs  résineux,  avec  les  méats  intercel- 
lulaires et  les  vaisseaux  laticifères. 

Quelle  est  l'origine  de  tous  les  vaisseaux  ou  du  tissu 
vasculaire  ?  Frappé  du  fait  qu'une  toute  jeune  plante  ne 
se  compose  que  de  tissu  cellulaire  et  qu'elle  ne  ren- 
ferme des  vaisseaux  qu'à  une  période  plus  avancée  de 
son  développement,  Treviranus  entreprit  une  série  d'ob- 
servations qui  lui  permirent  d'établir  que  les  vaisseaux 
proviennent  de  cellules  (utricules)  placées  bout  à  bout, 
dont  les  cloisons  horizontales  (diaphragmes)  ont  été  com- 
plètement ou  en  partie  résorbées.  Les  fibres,  qui  con- 
stituent le  bois  et  les  nervures  des  feuilles,  ont  la  même 
origine,  puisqu'elles  résultent  de  la  réunion  de  cellules 
très-allongées  ou  de  tubes  très-courts,  terminés  en  pointes 
à  leurs  deux  extrémités.  Tout  se  trouve  ainsi  ramené  à 
l'élément  constitutif  du  tissu  cellulaire,  à  l'utricule,  sur 

l.  Schulze,  Sur  la  circulation  et  sur  les  vaisseaux  lactifères  (latici- 
fères) dans  Les  plantes;  Berlin  et  Paris,  1839. 


250  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

le  développement  duquel  les  observateurs  ont  été  loin  de 
s'accorder.  Suivant  Treviranus  et  Turpin,  ce  dévelop- 
pement s'effectue  par  les  granules  de  chlorophylle  (ma- 
tière colorante  verte),  condensées  dans  les  utricules  du 
tissu  cellulaire.  Suivant  Schleiden,  il  s'opère  par  des  nuclei 
ou  des  cytoblastes  (vésicules-germes)  qui  paraissent  autour 
de  quelques  granules  comme  une  coagulation  granuleuse. 
D'après  H.  Mohl,  l'utricule  se  forme  par  une  membrane 
intérieure  qu'il  nomme  utriciile  primordiale^.  Un  fait 
certain,  c'est  que  le  tissu  cellulaire  ou  parencbyme  s'ac- 
croît par  la  multiplication  et  l'expansion  des  utricules 
qui  le  composent.  Il  y  a  des  végétaux  qui  sont  entière- 
ment formés  de  tissu  cellulaire  (utriculaire),  tels  que  les 
champignons,  les  algues,  les  lichens,  tandis  qu'il  y  en  a 
beaucoup  d'autres  qui  se  composent  à  la  fois  de  tissu 
cellulaire  et  de  vaisseaux.  C'est  ce  qui  a  fait,  comme  nous 
avons  vu,  distribuer  à  de  Gandolle  tout  le  règne  végétal 
en  plantes  cellulaires  et  en  plantes  vasculaires. 

Un  phénomène  curieux,  se  rattachant  à  la  circulation  du 
latex  (cyclose),  c'est  le  mouvement  giratoire  du  fluide  nu- 
tritif [protoplasme],  contenu  dans  les  utricules  du  tissu 
cellulaire.  Ce  phénomène  fut  pour  la  première  fois  ob- 
servé, en  1772,  par  Bonaventura  Corti  dans  certaines 
plantes  aquatiques  [chara  hispida  et  caulinia  fragilis). 
De  ses  observations,  publiées  en  1775^,  le  savant  italien 
conclut  que  le  liquide  de  chaque  cellule  présente  un 
mouvement  particulier,  indépendant  de  celui  des  autres 
cellules,  et  que  ce  mouvement  rotatoire  s'exécute  invaria- 
blement dans  le  même  sens  le  long  de  la  face  interne  des 
parois  cellulaires.  Treviranus  arriva,  en  1807,  à  des  ré- 
sultats identiques  sans  avoir  connu  le  travail  de  Gorti.  Il 

1.  Morel,  Hall.  bot.  Zeitung,  année  1844. 

2.  B.  Corti,  Lettera  sulla  circulaaione  del  (luido,  scoperta  in 
varie  piante;  Modena,  1775. 


TEMPS  MODERNES.  251 

crut    d'abord     que    cette    giration    du    liquide    nutritif 

ne  s'observait  que  dans  les  plantes  aquatiques  dont  les 
cellules  allongées  tiennent  en  quelque  sorte  lieu  de  vais- 
seaux. Mais  depuis  les  recherches  de  Schleiden,  de  Mohl, 
de  Meyen,  de  Schultz,  d'Amici,  de  Raspail,  de  Slack,  de 
Gœppert,  de  Donné,  etc.,  il  a  été  reconnu  que  ce  phéno- 
mène est  à  peu  près  général,  et  que  si  on  ne  l'a  pas 
aperçu  dans  beaucoup  d'autresvégétaux,c'estque  le  fluide 
circulant  dans  les  utricules  était  tout  à  fait  incolore  et 
dénué  des  granules  qui  permettent  d'en  suivre  le  mouve- 
ment. Ces  granules,  et  le  mouvement  giratoire  qu'elles 
impriment,  s'aperçoivent  le  mieux  dans  les  utricules  du  ca- 
lice de  l'éphémère  [tradescantia  virginiacà)  ^  dans  les  poils 
de  la  corolle  du  liseron,  des  campanules,  des  labiées,  et 
surtout  dans  les  poils  qui  garnissent  les  racines  flottantes 
du  petit  nénuphar  [hydrocharis  morsus  ranse). 

Les  libres  si  enchevêtrées  du  dattier,  que  Desfontaines 
avait  soumises  à  une  étude  particulière,  devinrent  pour 
Mirbel  le  point  de  départ  d'une  série  d'observations  inté- 
ressantes sur  l'accroissement  des  végétaux  monocotylè- 
donès,  comparé  à  celui  des  dicotylédones^.  Ces  observa- 
tions montrèrent  qu'il  existe  une  similitude  complète 
entre  le  bulbe  et  le  stipe  (tige  des  palmiers)  ;  que  le 
bulbe  de  l'oignon,  de  l'ail,  du  lis,  etc.,  n'estpas  seulement 
un  bourgeon  surmontant  une  racine,  mais  un  assemblage 
des  trois  organes  essentiels  de  la  nutrition  (racine,  tige  et 
feuilles)  ;  que  les  caïeux,  qui  se  forment  à  l'aisselle  d'une 
écaille  (feuille)  de  bulbe,  remplacent  les  bourgeons  qui 
se  développent  à  l'aisselle  des  feuilles  dans  les  végétaux 
dicotylédones  ;  que  dans  les  monotylédonés  ces  bourgeons 
auxiliaires  avortent  presque  constamment,  ou  restent  à 
l'état  rudimentaire,  comme  cela  se  voit  dans  la  plupart  des 
graminées  et  dans   les   palmiers,  à  l'exception  du  pal- 

1.  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Sciences,  13  janvier  1843,  et 
7  octobre  1844. 


252  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

mier  doume,  du   dragonnier,  de  certaines  espèces  d'yuc- 
ca, etc. 

La  structure  et  le  développement  des  feuilles  furent 
particulièrement  étudiés  par  Suringar  %  Hœven^,  Berta', 
Drejer'',  Payen^,  Grûjer%  etc.  Quant  à  la  disposition  de 
ces  organes  appendiculaires  sur  leur  axe,  les  botanistes  y 
restèrent  longtemps  inattentifs.  Ce  n'est  guère  que  depuis 
une  quarantaine  d'années  qu'on  a  commencé  à  s'en  oc- 
cuper d'une  manière  spéciale.  L'arrangement  des  feuilles 
par  deux  (feuilles  opposées),  par  trois  ou  un  plus  grand 
nombre  à  la  même  hauteur  de  la  tige,  de  manière  à  former 
des  verticilles,  avait  été  remarqué  depuis  longtemps.  Mais 
ce  n'est  qu'en  1831  que  F.  Scïiimper  et  Al.  Braun  ont  les 
premiers  abordé  géométriquement  la  disposition  des  feuil- 
les alternes  ou  éparses,  et  ont  créé  une  nouvelle  branche 
de  la  science,  nommée  la  phyllotaxie  ' .  En  examinant,  par 
exemple,  une  branche  gourmande  de  pêcher,  on  constate 
que  les  feuilles  n'y  sont  pas  arrangées  au  hasard  et 
qu'elles  forment  autour  de  la  branche  une  spirale  parfai- 
tement régulière.  Ainsi,  en  partant  d'une  feuille  quelcon- 
que de  cette  branche  on  remarque  que  la  sixième  feuille 
recouvre  la  première,  et  que  c'est  toujours  après  deux  tours 
de  spire  qu'on  arrive  à  la  feuille  qui  a  servi  de  point  de 
départ;  c'est  la  disposition  quinconciale.  L'arrangement 
le  plus  simple  est  celui  des  feuilles  alternes  placées  sur 
deux  rangs  (distiques)  :  en  partant  d'une  première  feuille, 
on  voit  qu'après  un  tour  de  spire,  la  troisième  recouvre 
la  première,   etc.  En  désignant  par  le  numérateur  d'une 


1.  De  foliorum  ortu,  situ,  fabrica,  etc.;  Leyde,  1820,  in-4°. 

2.  De  fol.  ortu,  etc.;  ibid.,  1826,  in-4°. 

3-  Mem.  suW  anatomia  délie  foglie,  etc.;  Parme^  1828,  in-4". 

4.  Etementa  phytologLr  ;  Copenh.,  1840,  in-S». 

5.  Essai  sur  la  nervation  des  plantes  ;  Paris,  1840,  in-4". 

6.  Bot.  Zeit.,  année  1851. 

7.  Flora,  1835,  n"  10,  11  et  12  ;  Nova  Act.  Nat.  Cur.;  Bonn,  t.  XV, 
p.  195  et  suiv.j  Annales  des  sciences  naturelles,  année  1836,  3J  7 , 


TEMPS  MODERNES.  253 

fraction  le  nombre  des  tours  de  spire  et  par  le  dénomi- 
nateur le  nombre  de  feuilles  nécessaires  pour  qu'elles  se 
recouvrent,  on  a  trouvé  dans  le  règne  végétal  la  série  des 
cycles  que  voici  : 

1      1     2     3     5_    8 
2'    3'    5'    8'    13'    21' 

Pendant  que  Schimper  et  Braun  poursuivaient  leurs 
recherches  en  Allemagne,  L.  et  A.  Bravais  arrivèrent,  en 
France,  à  peu  près  aux  mêmes  résultats  ^  La  même  ques- 
tion a  été  étudiée  depuis  par  Kunth' ,  Hochstetter  %  Neu- 
mann*,  et  d'autres. 

Les  différentes  parties  de  la  fleur,  ainsi  que  la  disposi- 
tion des  fleurs  sur  leur  axe  [inflorescence) ,  ont  été  dans  ces 
derniers  temps  l'objet  de  nombreux  travaux.  Parmi  les  au- 
teurs de  ces  travaux,  nous  citerons  particulièrement  Rœ- 
per  ^,  Boreau^,  Purkinje ',  H.  Molli®,  Gruillard^,  Kirsclile 
ger*",  Auguste  Saint-Hilaire^*,  Duchartre^^,  Schleiden, 
Schacht ,  etc. 

La  doctrine  sur  la  fécondation,  généralement  adoptée 
depuis  Linné,  fut  vivement  attaquée  par  J.  B.  Willbrand, 


1.  L,  et  A.  Bravais,  Essai  sur  la  disposition  générale  des  feuilles'  reC' 
tisériées,  dans  les  Annal,  des  Scienc.  nat.,  VU,  p.  42  et  suiv. 

2.  Kanth,  Ueber  Blattstellung  dei-  Dil:otijledonen;  Berlin,  1843,  iu-8». 

3.  Flora,  n"  12,  ann.  1850. 

4.  Ueber  den  Quincunx,  etc.;  Dresde  et  Leip.,  1854, in-S". 

5.  Observât,  sur  la  nature  de  fleurs  et  les  inflorescences  ;   dans 
Seringe,  Mélanges  bot.,  vol.  II  ;  juin  1826. 

6.  Observât,  sur  les  enveloppes  florales,  etc.;  Paris,  1827. 

7.  De  celluiis  antherarum  fibrosis,    necnon  de  granorum  pollinis 
formis  ;  Bves\a.u,  1830-40. 

8.  Ueber  die  mànnlichen  Blùthen  der  Coniferen;  Tub.,  1837. 

9.  Sur  la  formation  et  le  développement  des  organes  floraux  ;  Pa- 
ris, 1835. 

10.  fessai  sur  les  folioles  carpiques  ou  carpidies  ;  Strasb.,  1846. 

11.  Morphologie  végétale  ;  Pans,  1847,  in-8. 

12.  Annales  des  sciences  nat.;  mai  1848. 


254  HISTOIRE  DE  La  BOTANIQUE. 

dans  une  notice  [Existe-tAl  dans  les  plantes  une  différence 
sexuelle?)  publiée,  en  1830,  dans  Bot.  Zeitung  (t.  II, 
p.  585  et  suiv.).Schleiden  à  Berlin,  et  Endlicher  à  Vienne, 
émirent  en  1837,  mie  théorie  qui  tendait  à  renverser  l'idée 
qu'on  s'était  faite  jusqu'alors  des  fonctions  des  éta- 
niines  et  du  pistil.  D'après  cette  théorie,  le  pollen  con- 
tiendrait les  rudiments  de  l'embryon  :  conséquement 
l'étamine  serait  l'organe  sexuel  femelle,  tandis  que  le  pis- 
lil  serait  l'organe  sexuel  mâle,  parce  que  les  ovules  se- 
raient uniquement  destinés  à  fournir  aux  rudiments  de 
l'embryon  les  matériaux  nécessaires  à  leur  développement. 
Unger,  Wydler,  Gréléznoff  et  d'autres  botanistes  adoptè- 
rent cette  théorie,  renouvelée  en  1850  par  Schacht.  Elle  fut 
vivement  combattue  d'abord  par  Hartig,  Meyen,  Amici,et 
plus  tard  par  H.  Mohl,  Hofmeister  et  Tulasne.  La  ques- 
tion paraît  devoir  être  résolue  dans  le  sens  des  derniers 
observateurs. 

Les  phénomènes  de  l'irritabilité  et  du  sommeil  des 
plantes  ont  été  l'objet  des  travaux  de  Labat,  de  F.  Johns- 
ton,  de  Nasse,  de  Morren,  de  Dutrochet,  de  Meyen,  de 
Brûcke,  de  Fée,  de  Meyer,  de  Dassen,  de  Fritsch,  etc., 
que  nous  ne  pouvons  ici  que  mentionner. 

Pour  satisfaire  ce  besoin  de  l'esprit  qui  cherche  partout 
l'unité  dans  la  variété,  les  botanistes  imaginèrent  diverses 
doctrines  sur  la  métamorphose  des  plantes.  Regardant  la 
moelle  comme  la  partie  la  plus  essentielle  du  végétal,  Lin- 
né en  faisait  venir,  par  voie  de  transformation,  le  pistil, 
considéré  comme  l'organe  le  plus  important  de  la  fleur; 
il  plaçait  les  vaisseaux  de  la  nutrition  dans  l'écorce,  dont 
la  partie  interne  [liber]  devait  former  les  couches  annuel- 
les du  bois  ;  enfin  de  la  partie  externe  de  l'écorce  prove- 
nait, selon  lui,  le  calice,  de  la  partie  interne  la  corolle,  du 
bois  l'appareil  sexuel  mâle  (étamines).  Ayant  pris  l'arbre 
pour  type  de  la  végétation,  Linné  pensait  qu'à  toutes  les 
plantes  il  faut  au  moins  deux  ans  pour  produire  une  florai- 
son complète,  et  que  dans  les  plantes  annuelles  l'apparition 


TEMPS  MODERNES.  255 

de  la  fleur  est  une  floraison  anticipée,  une  prolepsis,  pour 
nous  servir  de  son  expression*. 

Cette  théorie  n'était  pas  soutenable.  Mieux  inspiré  que 
Linné,  Gaspard  Frédéric  Wolff  prit,  pour  le  rappeler,  la 
feuille  comme  principe  de  la  métamorphose  végétale.  C'est 
ainsi  que  le  calice,  la  corolle,  les  étamines,  l'ovaire,  ne  se- 
raient que  des  feuilles  transformées^.  Cette  idée  fut  reprise 
et  développée  par  Grœthe,  voulant  «  unir  ce  que  Linné  avait 
séparé.  »  Seulement,  au  lieu  d'expliquer,  comme  Wolff,  les 
métamorphoses  delà  feuille  par  un  affaiblissement  succes- 
sif de  la  force  végétative,  le  grand  poète  allemand  posait 
en  principe  une  sorte  d'hiérarchie  de  la  végétation,  dont  le 
point  culminant  était  représenté  par  la  fleur*.  Cette  théo- 
rie, adoptée  par  Fr.  S.  Voigt,  Kieser,  Oken,  Nées  d'E- 
senbeck,  etc.,  devint  bientôt  générale  et  se  fondit  avec  la 
doctrine  de  la  symétrie  des  organes,  doctrine  de  de  Ca.n- 
doUe,  développée  par  Aug.  Saint-Hilaire.  Cette  doctrine 
explique  les  écarts  de  la  symétrie  des  organes  par  des  dé- 
générescences, par  des  avortements  et  des  adhérences. 


III.  Phytograpbie. 

La  connaissance  des  plantes,  primitivement  limitée  à 
la  région  méditerranéenne,  va  finir  par  embrasser  la  pres- 
que totalité  de  la  surface  du  globe  terrestre.  Gomme  les 
hommes  qui  y  ont  le  plus  contribué  appartiennent  à 
l'Europe,  on  comprendra  aisément  la  division  du  tableau 
descriptif  des  espèces  végétales  en  flore   européenne   ou 

1.  Amœnitates  acad.,  vol.  IV,  p.  368  (ann.  1755),  et  vol.  VI,  p.  324 
(ann.  1760). 

2.  Nov.  Comment,  acad.  Petrop.,  t.  XII,  p.  473,  et  t.  XIII,  p.  478  et 
suiv. 

3.  Goethe,  Tersuchdie  Metamorph.  der  Pflanzen  su  erklûren;  Go- 
tha, 1790. 


256  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

indigène,  et  en  flore  exotique,  comprenant  les  plantes  de 
l'Asie,  de  l'Alrique,  de  l'Amérique,  de  l'Australie  et  des 
îles  annexes  de  ces  continents. 


FLORE  INDIGENE  SPECIALE  ET  GENERALE. 

Dans  toute  l'Europe  il  n'y  a  pas  de  flore  plus  intéres- 
sante que  celle  de  la  Suisse.  J.  J.  Scheuchzer  (mort  en 
1733),  professeur  de  Zurich,  ne  la  fit  connaître  que  très- 
imparfaitement  dans  son  Oupicrtcpoir/];  helveticus,  sive  Iti- 
iiera  per  Helvelise  regiones  (Leyde,  1723,  4  vol.  in-4'').  On 
lui  doit  la  description  de  deux  nouvelles  espèces  de  phy- 
teuma{ph.  Scheuchzeri  et  ph.  ovatum).  —  Haller,  que  nous 
avons  déjà  eu  l'occasion  de  citer,  aussi  distingué  comme 
physiologiste  et  poète  que  comme  botaniste,  auteur  de  la 
Bibliotheca  botanica  (Zurich,  1771,  2  vol.  in-4*'),  réunit  le 
premier  les  matériaux  d'une  histoire  complète  des  plantes 
de  la  Suisse  dans  son  Historia  stirpium  Helvetiœ  indigena- 
rum  (Berne,  3  vol.  in-foL,  avec  de  beaux  et  nombreux 
dessins).  On  y  trouve  la  description  de  2486  espèces  de 
plantes,  parmi  lesquelles  nous  citerons  comme  ayant  été 
pour  la  première  fois  figurées,  aretia  helvetica  et  a.  alpi- 
na,  laserpitium  hirsutum,  suxijraga  muscoides  et  5.  mu- 
lata,  arenaria  muUicaulis,  pedicularis  verlicillata,  oxytropis 
campestris,  cnicus  spinosissimus ,  etc.  Haller  eut  pour 
principal  aide  Werner  de  la  Chenal,  professeur  de  bota- 
nique à  Bâle.  Louis  Reynier  donna  des  suppléments  à 
l'ouvrage  de  Haller.  —  Parmi  les  botanographes  plus  ré- 
cents de  la  Suisse,  nous  citerons  :  B.  Suter  (Flora  Helve- 
tica, 2  vol.  in-12,  Zurich)  ;  de  Glairville  {Manuel  d'her- 
borisation e?i  Suisse;  Winterthur,  181 1,  in-S")  ;  Wahlenberg 
{De  vegetatione  et  climate  in  Helvetia  septentrionali,  etc.; 
Zurich,  1813,  in-S»);  Gh.  Seringe  {Musée  helvétique,  etc.; 
Berne,  1818;  Herbier  portatif  des  Alpes,  in-4°);  Ph.  Gau- 


TEMPS  MODERNES.  257 

din  [Flora  Helvetica;  Zurich,  7  vol.  in-S»,  1828-1833, 
ouvrage  important,  continué  après  la  mort  de  l'auteur 
par  Monnard,  1836);  J.  Hegetschweiler  {Flora  der 
Scliweiz^  publié  après  la  mort  de  l'auteur  par  0.  Heer; 
Zurich,  1840,  in-12).  Les  cantons  de  Bâle,  de  Berne,  de 
Lucerne,  de  Genève,  de  Vaud,  de  Zurich,  de  Saint-Gall, 
des  Grisons,  eurent  leurs  flores  particulières,  rédigées  par 
liagenbach,  J.  Brown,  G.  Krauer,  Fr.  Reuter,  D.  Rapin, 
A.  Kœlliker,  J,  Wartmann  et  A.  Moritzi. 

La  France  fut  explorée  par  des  botanistes  distingués. 
Tournefort  ne  dédaigna  pas  d'écrire  une  Flore  des  envi- 
rons de  Paris.  Il  fut  suivi  dans  cette  voie  par  son  disciple, 
Séba&'tien  Faiton/ (né  à  Magny  ,en  1669,  mort  à  Paris 
en  1722).  Démonstrateur  au  Jardin  du  Roi,  S.  Vaillant 
amassa,  pendant  près  de  trente  ans,  les  matériaux  d'un 
magnifique  ouvrage ,  le  Botanicon  Parisienso  (Leyde  et 
Amsterdam,  1727,  in- fol.,  avec  une  carte  des  environs  de 
Paris  et  trois  cents  figures  de  plantes  dessinées  par  G. 
Aubriet),  qui  ne  parut  qu'après  la  mort  de  l'auteur,  par  les 
soins  de  Boerhaave.  On  y  trouve  la  description  et  les 
dessins  d'un  grand  nombre  d'espèces  nouvelles  de  mous- 
ses, de  lichens  et  de  champignons.  Parmi  les  phanéroga- 
mes, pour  la  première  fois  exactement  présentées,  on  re- 
marque :  poa  compressa,  exacum  filiforme,  silène  galHca, 
géranium  columbinum,  aira  aquatica,  agrestis  interrupta, 
etc.  N'oublions  pas  que  l'on  doit  à  S.  Vaillant  l'introduction 
(en  1714)  des  serres  chaudes  en  France.  —  Parmi  les  flo- 
rigraphes  des  environs  de  Paris,  nous  nommerons  en- 
core, avec  la  date  de  leurs  publications  :  Fabregou, 
(1740),  Dalibard  (1749),  L.  Thuillier  (1790),  J.  Buchoz 
(1797),  Pierre  Buillard  (1776-1780), B.  Francœur(1801). 
A.  et  F.  Plée  (1811),  D.  Dupont  (1813),  V.  Mérat(1812)^ 
A.  Vigneux(1812),  Poiteau  et  Turpin  (1813),  Chevalier 
1826-1827),  Cosson  et  Germain  (1845.) 

La  flore  spéciale  des  provinces  de  la  France  fut  l'objet 
des  travaux  de  J.  Garidel  [Provence  et  surtout  les  environs 

17 


258  HISTOIRE  DE   LA  BOTANIQUE. 

d'Aix,  1715),  D.  Villers  [Bauphinè,  1779),  R.  Durand, 
[Bourgogne,  1782),  Willemot,  Lamoureux  et  Godron  [Lor- 
raine, 1780,  1803  et  1848),  Gh.  Stolz  [Alsace,  1802),  Tris- 
tan et  Dubois  [Orléanais,  1803  et  1810),  A.  Delarhre  [Au- 
vergne, 1795),  Graterau  [Languedoc,  1789),  Picot-Lapey- 
rouse,  Ramond,  Bergeret  et  Noublet  [Pyrénées,  1789, 
1795,  1803  et  1837),  Roussel,  Renault  et  Brébisson  [Nor- 
ma7idie,n96,  1804  et  1829etsuiv.),  Bastard  [Anjou,  1809), 
Balbis  [Lyonnais,  1828),  Boreau  [Centre  de  la  France,  1840). 
Parmi  les  florigraphes  des  départements,  nous  signale- 
rons :  Viviani  (Corse,  1824),  Desmoulins  [Dordogne,  1840), 
F.  Dujardin  [Indre-et-Loire,  1833),  Lorey  et  Duret  [Côte- 
d'Or,  1831),  Arnauld  [Haute-Loire,  1830),  Hollandre  [Mo- 
selle^ 1842),  etc. 

Monet  de  Lamarck  conçut  le  premier  l'idée  d'une  Flore 
générale  de  la  France  (1792),  qui  fut  en  partie  exécutée 
parDeCandolle,  Jaume  Saint-Hilaire,  Loiseleur-Deslong- 
champs  et  Duby  (1834-1838). 

La  première  Flore  générale  de  l'Allemagne  à  peu  près 
complète  fut  publiée  par  Gruill.  Roth,  médecin  de  Vegesack 
[Tentamen  florx  germanicœ;  Leip.,  1787-1800, 3vol.  in-S"). 
Mais  son  travail  devait  être  bientôt  dépassé  par  les  ou- 
vrages de  Schrader  (mort  en  1836),  professeur  à  Groettin- 
gue%  de  J.  Sturm^,  de  Gr.  L.  Reichenbach  [Flora  germa- 
nica,  etc.,  1832  et  années  suiv.),  de  Jos.  Kocli  (mort  en 
18li9),  professeur  à  Erlangen^,  de  G.  Meigen,  etc*. 

Les  ouvrages  de  Jacquin  (né  à  Leyde  en  1727,  mort  à 
Vienne  en  1817),  de  Grantz,  de  Horst  et  de  L.  Trat- 
linick  sur  la  Flore  de  V Autriche  sont  fort  estimés ^  Kurt 

1.  Flora  germanica  ;  Gœtting.,  1806,  in-8;  il  n'en  parut  que  le  1" 
vol. 

2.  Deutschlands  Flora,  etc.  1798-1848.  149  cahiers. 

3.  Veulsch.  Flora,  1823-1839,  o  vol.  in-8. 

4.  Deutsch.  Flora,  1836-1842. 

5.  Jacquin,  Enumeratio  stirpium,  etc.  Vienne,  1762;  —  Ciantz, 
Stirpes  austriacœ,   Vienne  et  Leipz.  1762-1769;  —  Horst,  Flora  uui,- 


TEMPS  MODERNES.  259 

Sprengel  (mort  en  1833,  professeur  à  Halle),  l'auteur  de 
YHistoria  rei  herbariœ,  s'était  aussi  beaucoup  occupé  de 
la  flore  allemande. 

Parmi  les  florigraphes  des  différentes  parties  de  l'Al- 
lemagne, on  remarque,  pour  la  Prusse  :  G.  L.  Willdenow 
(né  en  1765,  mort  professeur  à  Berlin,  en  1812),  auteur 
d'une  édition  estimés  du  Species  plantarum  de  Linné  (10 
vol.,  1797-1810)  \  Kunth  (1813),  Loreck  [Flora  porussica, 
1826-1830),   R.  Schmidt  (1843). 

Pour  la.  Bavière  :  Schrank^,  j.  A.  Schuîtes,  professeur 
à  l'université  de  Gracovie,  auteur  d'une  histoire  de  la  bo 
tanique  (Vienne,  1817,  in-8°)^  Pour  le  Wurtemberg  : 
Schûhler  et Martens  (F^ora  v.  Wûrtemb.Tnl:).^  1834,  in-8''). 
Pour  le  pays  àe  Bade  :  Gh.  Gmelin  [Flora  badensis,  1805- 
26),  L.  Succow,  H.  Dierbach. 

Pour  la  Saxe  :  H.  Ficinus  [Flore  de  Dresde.,  1808),  G. 
Baumgarten  {Flore  de  Leipzig,  1790),  L.  Reiclienbach 
[Flore  de  la  Saxe,  1841),  HoUet  Heynliold  (1842).  Pour  la 
Thuringe  :  Schenck,  Schlechtendal  et  Laugethal  [Flora  v. 
Thûring en,  lena.,  1835-48). 

Pour  les  différentes  parties  de  l'empire  d'Autriche, 
nous  citerons  Kosteletzki(F/ore  de  laBohême,  1824),  Rosch- 
mann  [Flore  du  Tyrol,  '.738),  Scopoli  [Flore  de  la  Car- 
niole,  1760),  Zawadsky  [Flore  de  la  Galicie,  1835),  Maly 
{Flore  de  la  Sty rie,  1837),  Lang  [Flore  de  la  Hongrie), 
Visiani  [Flore  de  la  Dalmatie,  1840-51). 

L'étude  des  plantes  indigènes  a  été,  dans  la  Grande- 
Bretagne,  l'objet  de  travaux  aussi  importants  que  variés. 
Nous   ne  mentionnerons  que  la    Flora   anglica  (Lond., 

triaca,  1827  1831,  2  vol.  in-8  ;  —  Trattinick,  Flora  des  Œst.  Kaiserth., 
1822,2  vol.  in-4. 

1.  Willdenow,  Flora  Berolin.,  1757-58 }  Florw  Berol.  ProdromuSi 
1787. 

2.  Baierische  Reise,  1786, 

3.  Baieni's  Flora,  1811. 


260  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

1762,  in-8°)  de  W.  Hudson,  mort  en  1793,  pharmarcien  à 
Londres;  la  Flora  britannica  (Lond.,  1760)  de  J.  Hill;  le 
British  herbal  (1770,  in-fol.)  de  J.  Edwards  ;  le  Catalogue 
ofbritish  plants  eX  Flora  londinensis  (1787-88,  continué 
par  Hookcr)  deW.  Gurtis,  pharmacien  de  Londres,  mort 
en  1770);  la  Flora  britannica  (1800-1804,  3  vol.  in-S") 
d'Ed.  Smith,  né  en  1759,  mort  en  1828  à  Londres;  le 
British  flora  (1812,  5  vol.  in-8°j  de  J.  Thornton  ;  la 
Flora  rustica,  etc.,  (1794)  de  Th.  Martyn,  professeur  à 
Cambridge,  mort  en  1825;  The  british  flora  {1832^-06^2  vol. 
in-8")  de  W.  J.  Hooker  (né  à  Norwich  en  1785),  directeur 
du  Jardin  royal  de  Kew;  A  synopsis  of  British  flora  (1829 
et  suiv.)  de  J  Lindley  (né  en  1799  à  Gatton,  près  de  Nor- 
wich), professeur  de  botanique  à  l'université  de  Londres, 
auteur  du  Vegetable  Kingclom  (Lond.,  1846),  etc.  Nous  ne 
devons  pas  oublier,  dans  cette  énumération,  le  Hortus  Ke- 
loensis^  ouvrage  d'une  grande  autorité,  qui  fut  commencé 
en  1789  par  W.  Alton,  directeur  du  Jardin  royal  de  Kew, 
continué  par  Townsend  Alton,  fils  de  W.  Alton,  puis 
complété  pour  la  partie  scientifique  par  Robert  Brown,  et 
enrichi  de  ligures  par  Fr.  Bauer. 

Pour  la  connaissance  de  la  flore  de  la  Belgique  et  des 
Pays-Bas^  nous  mentionnerons  :  Delicise  gallo -belgicx 
(Strasb.,  1799,  2  vol.  in-S")  de  J.  Necker,  la  Botanograpliie 
(Lille,  1799  et  suiv.)  de  J.  B.  Lestiboudois,  mort  en  1805, 
de  Fr.  Jos.  Lestiboudois,  mort  en  1815,  et  de  Thémisto- 
cle  Lestiboudois,  fils  du  précédent,  et  surtout  l'impor- 
tante Flora  Batava  (1800-1847,  9  vol.  in-4«)  de  J.  Kops 
et  G.  Sepp. 

Le  royaume  de  Danemark,  y  compris  la  Norwêge,  l'Is- 
lande, lesîles  Faro'éet  le  Groenland,  eut  pour  florigraphes  : 
Oeder  (né  en  1728,  mort  en  1791), professeur  de  botanique 
à  l'université  de  Copenhague,  auteur  des  trois  premiers 
volumes  de  la  Flora  danica  (1761-70),  ouvrage  monumental, 
•  continué  par  F.  Mùller,  Vahl  et  Hornernann  (3-9  vol.  in- 


TEMPS  MODERNES.  261 

foL,  1770-94),  E.  Gunner,  Ftom  norwegica  (1766-72),  Fr. 
Rottholl  (mort  en  1797,  professeur  à  Copenhague),  De 
plantis  hlandix  et  Groenlandix. 

La  flore  de  la  Suède  et  celle  de  la  Laponie  eurent  pour 
principal  auteur  Linné  ;  sa  Flora  suecica  parut  en  1 745 ,  huit 
ans  après  sa  flore  de  la  Laponie.  Ces  travaux  furent  plus 
tard  complétés  par  Gr.  Wahlenberg  [Flora  lapponica, 
Stockh.,  1812,  in-8°)  et  Flora  suecica,  Leipz.,  1824-33, 
2  vol.  in-8°).  Acharius,  Agardh  et  Fries  y  ajoutèrent  une 
étude  approfondie  des  cryptogames. 

Parmi  les  florigraphes  de  l'Italie  se  sont  distingués  : 
Gh.  Allioni,  mort  en  1802,  professeur  à  Turin  [Flora  Pede- 
monîana,  1785,  3  vol.  in-foL),  J.H.  Moris  [Flora  Sardoa, 
Turin,  1835-1843),  J.  Passerini  [Flora  Italise  superioris, 
Milan,  1844),  F.  Maratti  [Flora  romana,  Rome,  1822), 
Mich.  Tenore  [Flora  napolitana,  Naples,  1811-1830,  5  vol. 
in-fol.,  l'une  des  flores  spéciales  les  plus  complètes),  Gr. 
Gussone  [Flora  sicula,  Naples,  1829  et  suiv.). 

L'Espagne,  le  Portugal,  la  Grèce,  la  Turquie  et  la  Rus- 
sie, n'ont  guère  été  étudiées,  sous  le  rapport  de  l'histoire 
naturelle,  que  par  des  savants  étrangers  à  ces  pays,  ou 
par  des  indigènes  ayant  longtemps  séjourné  à  l'étranger. 
Nous  citerons  pour  VEspagne  :  le  Suédois  P.  Loeffling 
(né  en  1729,  mort  en  1756),  dans  son  Iter  hispanicum 
(Stockh.,  1752);  J.  Gavanilles  (né  à  Valence  en  1745,  mort 
à  Madrid  en  1804),  qui  avait  étudié  la  botanique  à  Paris 
pendant  un  séjour  de  douze  ans  dans  cette  ville  ^  ;  le  Fran- 
çais Roissier^;  les  Allemands  Reuter  [Chloris  austro-his- 
panica,  Ratish.,  1846)  et  Willkomm  [Icônes  et  descriptiones 
plantarum^  etc.,Leip.,  1852  et  suiv.). 

Vouvle  Portugal,  l'Italien  D.  Vandelli  (F/ora?  lusitanien 

1.  Icônes  et  descriptiones  plantarum  quse  aut  sponte  in  Hispama 
crescunt,  aut  in  hortis  hospitantur  ;  Mad.,  1791-97,  2vol.  in-folio,  avec 
un  supplém.  d'Ignacio  Franco;  Mad.,  1798. 

2.  Voijage  botanique  dans  le  midi  de  VEspagne,  Paris,  1839-45, 
2  vol.  in^". 


362  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

spécimen,  Goimbre,  1788),  Gorrea  da  Serra  (né  en  1750, 
mort  en  1823),  membre  de  la  Société  royale  de  Londres 
où  il  avait  résidé*.  A.  F.  Linck,  de  Berlin,  qui  avait  ac- 
compagné, en  1 798  et  1 799,  le  comte  de  Hoffmansegg,  dans 
un  voyage  en  Espagne  et  Portugal,  commença,  en  1809, 
la  publication  d'une  Flore  portugaise,  dont  le  vingt-troi- 
sième fascicule  parut  en  1840,  et  qui  est  restée  inachevée. 

John  Sibthorp  (mort  en  1796,  professeur  à  Oxford),  qui 
avait  visité  une  partie  de  la  Grèce  et  de  l'Asie  Mineure, 
entreprit  un  vaste  ouvrage  sur  la  Flore  de  ces  contrées, 
qui  ne  parut  qu'après  sa  mort,  par  les  soins  d'E.  Smith 
[Flora  grseca,  etc.  Lond.,  1806-1840,  10  vol.  in-fol.).  Du- 
mont  d'Urville  donna  une  liste  des  plantes  qu'il  avait 
cueillies,  en  1822,  dans  les  îles  de  l'Archipel  grec  et  sur 
le  littoral  du  Pont-Euxin  ^. 

Hincke  et  Manolesko  explorèrent  en  1833-1836  la  Tur- 
quie d'Europe.  Les  résultats  de  leur  exploration  furent 
publiés  par  Frivaldsky  [Succinctx  diagnoses  specierumplan- 
tarumin  Turcia  europsea  collect.,  1837).  Jaubert,  Sieber, 
Greville,  Délia  Porta,  Margot  et  Reuter  firent  spéciale- 
ment connaître  la  Flore  du  Péloponèse,  des  Gyclades,  de 
la  Crète,  des  îles  Ioniennes,  notamment  des  îles  Gorfou 
et  de  Zante, 

La  connaissance  des  plantes  de  la  Russie  d'Europe  est 
principalement  due  aux  travaux  de  Pallas  [Flora  Rossica, 
St-Pétersb.,  1784-88,  2  vol.),  de  Ledebours  [Flora  Rossica, 
Stuttg.,  1842-52,  3  vol.  in-S")^  et  de  Trautvetter  {Grun- 
driss  einer  Geschichte  der  Botanik  in  Bezug  auf  Russland; 
St-Pétersb.,-  1837). 

Le  projet  d'une  Flore  générale  de  l'Europe  n'a  été  jus- 
qu'ici qu'incomplètement  réahsé  par  Laicharding,  mort 
en  1797, professeur  à  ln^^v\xck[Vegetabilia  europsea,  1770- 


\.  Notices  sur  Jes  fleurs  portugaises,  Aa.ns  Philos.  Transacl.  1796, 
Transact.  ofthe  linn.  Soc,  t.  V  et  VI;  Annales  du  muséum,  t.  VI,  VIII 
IX,  XetXIV. 

2.  Enumeraiio  plantarum,  etc.,  Paris,  1822,  in-S». 


TEMPS  MODERNES.  263 

71,  2  vol.  in-8*>),  par  Boissieu  [Flore  d'Europe,  Lyon, 
Î805-7,  3  vol.  in-8"),  et  par  J.  J.  Roemer  [Flora  europxa 
inchoata^  Nuremb.,  1797-1811,  in-S"). 


FLORE  EXOTIQUE. 

Les  naturalistes  voyageurs,  qui  ont  agrandi  le  domaine 
de  la  science,  souvent  aux  dépens  de  leur  santé  ou  de  leur 
vie,  méritent  que  nous  nous  y  arrêtions  un  peu  plus  long- 
temps. Pour  donner  un  rapide  aperçu  de  leurs  travaux, 
nous  procéderons  par  ordre  de  pays. 

Asie.  —  Linné  avait  souvent  exprimé  ses  regrets  de 
ce  qu'on  eût  entièrement  négligé  l'histoire  naturelle  de  la 
Palestine,  qui  pouvait  être  d'un  si  grand  secours  pour 
l'intelligence  de  la  Bible.  Un  de  ses  disciples,  Frédéric 
Hasselquist  (né  en  1722  à  Toernevalla) ,  résolut  dès  lors  de 
combler  la  lacune  signalée.  Après  s'être  préparé  pendant 
deux  ans  pour  son  voyage,  il  s'embarqua  pour  Smyrne,  où 
il  arriva  le  26  novembre  1749.  Il  y  passa  l'hiver  et  l'été 
suivants  en  faisant  des  excursions  dans  les  environs.  A 
Smyrne,  il  s'embarqua  pour  Alexandrie,  et  visita  l'Egypte. 
Après  avoir,  en  mars  1751,  quitté  le  Caire,  il  parcourut 
la  Palestine,  la  Phénicie,  l'île  de  Chypre  et  vint,  l'année 
suivante,  mourir  d'épuisement  à  Smyrne,  à  l'âge  de  trente 
ans.  Ses  créanciers  firent  saisir  ses  collections  et  ne  con- 
sentirent à  les  laisser  déposer  dans  le  musée  de  Stockholm 
que  lorsque  la  reine  Louise  Ulrique  les  eut  désintéressés. 
Les  papiers  de  Hasselquist  furent  publiés  en  suédois  par 
Linné,  sous  le  titre  de  Resa  till  heliga  Landet  (voyage  en 
Terre -Sainte);  Stockh.,  1757,  2  vol.  in-8»,  trad.  franc., 
Paris,  1762).  Parmi  les  curiosités  végétales  sur  lesquelles 
l'auteur  s'étend,  nous  citerons  la  pomme  de  Sodome  et 


264  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

l'épine  du  Christ  (une  espèce  de  palinurus).  Il  donna 
aussi  la  description  et  le  dessin  des  lawsonia  spinosa^ 
acacia  lebbeck,  cornucopia  cucullata^  etc. 

Jean  Mafiti  (né  à  Florence  en  1736,  mort  en  1800),  qui 
avait  résidé  longtemps  dans  diverses  contrées  de  l'Orient 
(Syrie,  Palestine,  Chypre), publia  vers  la  même  époque  ses 
Viaggi  per  l'isola  Cipro  e  per  la  Siria  e  Palestina,  fait' 
deWanno  1760-1768,  Lucques,  1769-1776,  9  vol.  in-8% 
avec  fig.  (trad.  franc.,  Paris,  1791,  2  vol.  in-8°).  On  y 
trouve  des  notions  intéressantes  sur  la  rose  de  Jéricho 
{anastatica  hierochuntica)^  sur  le  palmier  nsim{chamxrops 
humilis)^  le  Laumier  [amyris  gileadensis)  ^  etc. 

Sur  les  instances  de  Michaelis,  célèbre  orientaliste  et 
archéologue  biblique,  Frédéric  V,  roi  de  Danemark,  en- 
voya, sous  la  conduite  de  Niebuhr,  une  expédition  scien- 
tifique en  Orient.  Linné  obtint  que  Forskal  en  ferait  partie 
comme  naturaliste.  «  Forskal,  écrivait  Linné  (le  9  nov. 
1759  dans  une  lettre  à  Ellis),  est  l'un  de  mes  meilleurs 
disciples....  Si  Dieu  le  conserve,  nous  devrons  en  attendre 
une  foule  de  découvertes  intéressantes.  »  Parti  au  com- 
mencement de  janvier  1761,  Forskal  vit  une  partie  des 
localités  visitées  par  Tournefort,  parcourut  des  contrées 
de  l'Arabie  jusqu'alors  inabordées,  et  il  allait  explorer- le 
mont  Sadder,  lorsqu'il  fut  atteint  de  la  peste  et  mourut 
à  Djérim,  dix-huit  mois  environ  après  avoir  quitté  sa  pa- 
trie. Ce  peu  de  temps  lui  avait  suffi  pour  faire  d'amples 
collections  d'animaux  et  de  plantes.  Niebuhr  mit  en  ordre 
les  collections  et  papiers  de  son  compagnon,  et  fit  paraî- 
tre, en  1775,  Flora  j'Egyliaco-Arabica^  etc.,  Copenhague, 
in-4o.  Les  plantes  recueillies  par  Forskal  sont  au  nombre 
de  plus  de  2000,  dont  la  moitié  entièrement  nouvelles. 
La  terminologie  scientifique  y  est  accompagnée  des  noms 
vulgaires,  grecs,  turcs  et  arabes.  Linné  a  consacré  à  la 
mémoire  de  son  courageux  disciple  le  genre  forskalia,  do 
la  famille  des  urticacées. 

La  Palestine  et  la  Syrie  furent  particulièrement  ex]jl(i- 


TEMPS  MODERNES.  265 

rées  par  Labillardière  (né  à  Alençon  en  1755,  mort  en 
1834).  Docteur  eu  médecine,  il  partit  de  Marseille  en  1786, 
séjourna  quelque  temps  dans  l'île  de  Chypre,  et  se  ren- 
dit de  là  en  Syrie.  Dans  le  mont  Liban,  il  trouva  la  fa- 
meuse forêt  de  cèdres,  dont  parle  la  Bible,  réduite  à  une 
centaine  d'arbres.  La  superposition  des  climats  qu'il  y 
observa  lui  fit  répéter,  d'après  les  poètes  arabes,  que  «  le 
Liban  porte  l'hiver  sur  sa  tête,  le  printemps  sur  ses  épau- 
les, et  l'automne  dans  son  sein,  pendant  que  l'été  dort  à 
ses  pieds.  «  H  publia  les  résultats  de  ses  observations 
dans  un  ouvrage  qui,  commencé  en  1795,  ne  fut  terminé 
({u'en  1812,  sous  le  titre  de  :  Icônes  plantarum  Syrise  ra- 
riorum  descriptionibus,  etc.,  illustratse;  in-4°,  avec  des  fi- 
gures de  Redouté.  Ce  qui  avait  retardé  la  publication  de 
ce  bel  ouvrage,  c'était  le  décret  de  l'Assemblée  consti- 
tuante (9  février  1791),  portant  qu'une  expédition  serait 
faite  pour  la  recherche  de  La  Pérouse.  Labillardière  fit 
partie  de  cette  expédition  sous  les  ordres  d'Entrecasteaux, 
Embarqué  sur  la  Recherche,  il  eut  l'occasion  de  visiter  les 
environs  du  Gap,  le  pays  de  Diémen,  la  Nouvelle-Calédonie, 
les  nombreux  archipels  de  la  mer  du  Sud.  Après  une  naviga- 
tion périlleuse  le  long  des  côtes  de  la  Nouvelle-Hollande, 
les  navires  de  l'expédition  furent  capturés  (en  octobre 
1793)  par  les  Hollandais;  l'équipage,  déclaré  prisonnier 
de  guerre,  fut  emmené  à  Batavia,  et  ne  recouvra  sa  liberté 
qu'à  la  fin  de  mars  1 795.  Labillardière  gagna  l'Ile  de  Fran- 
ce; mais  ses  collections  avaient  été  transportées  en  Angle- 
terre. Le  célèbre  Joseph  Banks  les  fit  restituer  intactes. 
«  J'aurais  craint,,  disait-il,  d'enlever  à  un  homme  une  des 
idées  botaniques  qu'il  était  allé  conquérir  au  péril  de  sa 
vie.  »  Le  Novœ  Èollandix  plantarum  spécimen  (Paris, 
1804-1806  2  vol.,in-4°)  et  le  Sertum  Austro-Caledonicum 
de  Labillardière  contiennent  les  dessins  et  la  description 
d'un  grand  nombre  de  plantes  inconnues  jusqu'alors. 
Smith  a  donné  le  nom  de  labillardiera  à  un  genre  aus- 
tralien de  la  famille  des  apocynées. 


266  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

Le  comte  Jaubert(né  en  1798),  que  les  préoccupations 
de  la  politique  n'ont  point  empêché  de  se  livrer  avec  suc- 
cès à  l'étude  de  la  botanique  [il  fut,  en  1840,  ministre  des 
travaux  publics),  rapporta  d'un  voyage  qu'il  fit,  en  1839, 
en  Orient  (Asie  Mineure  et  Syrie),  de  riches  matériaux,  et 
il  publia,  en  collaboration  avec  M.  Ed.  Spach  :  lllustra- 
tiones  plantarum  orientalium,  ou  Choix  des  plantes  nouvelles 
ou  peu  connues  de  l'Asie  occidentale;  Paris,  1842-1846, 
2  vol.  in-4°,  avec  figures. 

Le  célèbre  entomologiste  Olivier  (né  en  1756,  aux  Arcs, 
près  Toulon,  mort  à  Lyon  en  1814)  profita  d'une  mission 
que  lui  avait  confiée  le  ministre  Roland  auprès  du  shah  de 
Perse,  pour  étudier  la  flore  de  la  Mésopotamie.  Parti  de 
Paris  en  octobre  1792,  après  s'être  adjoint  Bruguière, 
qu'il  eut  la  douleur  de  perdre  à  Ancône,  il  parcourut  pen- 
dant six  ans  une  partie  de  l'Asie,  et  consigna  dans  son 
Voyage  dans  l'empire  Oiloman  (Paris,  1801-1807,  6  vol. 
in-8o  avec  atlas)  beaucoup  de  détails  curieux  concernant 
l'histoire  naturelle. 

Léon  de  Laborde  rapporta  de  l'Arabie  Pétrée  les  élé- 
ments d'une  petite  flore,  qui  furent  mis  en  ordre  par 
Delile^ 

Disciple  de  Linné,  Jean-Gérard  Koenig  (né  en  1728, 
mort  en  1785)  visita,  en  1785,  aux  frais  du  gouvernement 
danois,  les  Indes  orientales;  il  se  préparait  à  explorer  le 
Thibet,  lorsque  la  mort  le  surprit  à  Tranquebar.  Ses  pa- 
piers ,  publiés  par  Rotterbœll  [Bescripl.  et  icon.  ;  Co- 
penhague, 1773,  in-8°),  complètent,  sous  beaucoup  de 
rapports,  la,  Flora  indica  (Leyde,  1768,  in-8°)  et  le  Thé- 
saurus zeylanicus  (Amsterd.,  1 737,  in-4°)  de  JeanBurmann, 
mort  en  1780,  professeur  de  botanique  à  Amsterdam. 
Linné  a  dédié  à  la  mémoire  de  Koenig  le  genre  koenig ia^ 
de  la  famille  des  polygonées. 

1.  Fragments  d'une  flore  de  V Arabie  Pétrée,  etc.  Paris,  1830, 
in-4°. 


TEMPS  MODERNES.  267 

Pierre  Osbeck  {Voyage  aux  Indes  orientales,  Rostock, 
1765);  P.  Sonnerai  (Voyage  aux  Indes  orientales,  etc., 
Paris.  1782,  2  vol.  in-4°)  ;  Roxburgh  [Plants  of  the  coast 
of  Coromandel,  Lond.  1795-1819,  3  vol.  in-foL);  Wal- 
lich  {Descriptions  of  some  rare  Indian  plants,  Calcutta, 
1818);  Th.  Golebrooke  [Asiatic  Researches,  vol.  IX  et 
XII);  Rich.  et  Rob.  Wight  {Illustrations  of  Indian  botany^ 
1831),  médecin  en  chef  de  la  compagnie  des  Indes;  Schmid 
{Plantœ  indicx,  1835),  n'ont  épargné  aucune  peine  pour 
enrichir  la  flore  de  l'Indoustan. 

L'île  de  Java^  d'une  végétation  aussi  luxuriante  que 
variée,  et  où  se  trouve  le  siège  (Batavia)  de  la  compagnie 
hollandaise,  a  été  depuis  un  siècle  souvent  explorée  scien- 
tifiquement. Qu'il  nous  suffise  de  citer  le  catalogue  des 
plantes  de  cette  île  {Namlyst  der  planten,  etc..  Batavia, 
1780-82,  in-4'')  de  Rademacher,  mort  en  1783,  membre 
du  conseil  de  la  compagnie  hollandaise  des  Indes  Orien- 
tales, et  surtout  les  travaux  de  Gh.-L.  Blume,  professeur  de 
botanique  à  Leyde.  Pendant  un  séjour  de  neuf  ans  qu'il 
fit  à  Java,  il  recueillit,  aidé  de  Nagel,  Kent  et  Zippelius, 
un  grand  nombre  d'espèces  végétales.  De  retour  dans  sa 
patrie,  en  1826,  il  réunit  ces  matériaux  aux  herbiers  que 
Reinwardt,  Kuhl  et  Hasselt  avaient  rapportés  de  l'archipel 
Indien,  et  mit  successivement  au  jour  sa  Flore  de  Java 
(Brux.,  1828  et  suiv.,  in-foL),  sous  le  titre  de  Enumeratio 
plantar.  Javse  et  insularum  adjacentium,  etc.,efl;  herbariis 
Reinwardtii,  etc.,  La  Haye,  1830,  in-8°,  et  Rumphia^  etc., 
Leyde,  1835-37,  in-fol.  Plus  récemment  l'île  de  Java  a  été 
explorée  par  Fr.  Junghuhn  {Topographische  und  naturwis- 
se7ischaftliche  Reisen  durcli  Java;  Magd.,  1845),  et  H.  de 
Vriese  [Plantx  novœ,  etc.,  Amsterd.,1845,in-4°). — Mars- 
den,  dans  son  History  of  Sumatra  (Lond.,  1784,  in-4°),  et 
W.  Jack,  dans  sa  Description  of  Malayan  plants  (Hooker, 
Bot.  MiscelL,  vol.  I*',  p.  290  et  vol.  II,  p.  60,  années 
1828-31)  ont  donné  un  aperçu  de  la  flore  de  l'île  de  Su- 
matra. Enfin  M.  Decaisne  a  décrit  un  certain  nombre  de 


268  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

plantes  de  l'île  de  Timor^  qu'y  avaient  recueillies  plu- 
sieurs voyageurs  naturalistes  ^ 

La  Cochinchine  a  été  l'objet  d'un  travail  important  du 
P.  Loureiro,  jésuite  portugais  (mort  en  1796).  Sa  Flora 
Cockinchinensis  (Lisbonne,  1790,  2  vol.  in-4°,  réimprimée 
à  Berlin  en  1793,  avec  des  notes  de  Willdenow)  est  encore 
aujourd'hui  consultée  avec  fruit.  J.  Barrow,  dans  son 
voyage  en  Cochinchine  (années  1792  et  1793),  a  donné 
sur  la  végétation  de  l'Indo-Ghine  quelques  renseignements 
intéressants.  On  doit  aussi  quelques  données  précieuses 
sur  la  flore  du  Thibet  et  du  Boutan  à  Sam.  Turner,  dans 
la  Belation  de   son  ambassade  à  la  cour  du  Grand  Lama. 

La  flore  de  la  Chine  est  encore  aujourd'hui  très-impar- 
faitement connue.  Aux  notions  que  Sonnerat  et  Macartney 
avaient  fournies  dans  leurs  voyages,  il  faut  ajouter  l'énu- 
mération  des  plantes  de  la  Chine  septentrionale,  donnée  par 
Bunge  [Enumeratio  plantarum  quas  in  China  borealicollegit; 
St.-Pétersb.,  1831,  in-4°),  par  Kirilow  (1837)  et  par  Tur- 
czaninow  [Bulletin  de  la  Soc.  des  naturalistes  de  Moscou 
t.  V).  Les  plantes  recueillies  par  Buchanam  dans  le 
Népal  furent  décrites  par  David  Don  [Prodromus  florx 
Nepalensis;  Lond.,  1825,  in-8°). 

La  flore  du  Japon  est  beaucoup  mieux  connue  que  celle 
de  la  Chine,  grâce  aux  travaux  de  Thunberg  et  de  Sie- 
bold.  Suédois  d'origine,  Thunberg  (né  en  1743,  mort  en 
1828,  à  Upsal),  disciple  de  Linné,  s'embarqua,  en  1771, 
comme  médecin  à  bord  d'un  vaisseau  de  la  compagnie 
hollandaise  des  Indes  Orientales  ;  après  trois  ans  de  séjour 
au  Cap,  oii  il  fit,  en  compagnie  de  son  ami  Sparrman,  de 
nombreuses  observations  d'histoire  naturelle,  il  se  rendit 
à  Java,  puis  au  Japon.  Il  passa  cinq  ans  dans  ce  dernier 
pays  ou  plutôt  dans  l'îlot  de  Décima,  qui  avait  été  assi- 
gné comme  comptoir  aux  Hollandais.  Il  dut  à  sa  qualité 
de  médecin  la  faveur  de  franchir  quelquefois  ces  limites 

1.  Nouvelles  Annales  du  Muséum,  t.  ICI,  p.  333-501. 


TEMPS  MODERNES.  269 

et  d'herboriser  dans  les  montagnes  du  voisinage.  Il  y 
recueillit  un  grand  nombre  de  plantes  jusqu'alors  incon- 
nues, et  publia  plus  tard  les  résultats  de  ses  herborisa- 
tions sous  le  titre  àe  Flora  japonica  (Leipz.,  1784,  in-8°), 
et'îtones plantarum  japonicarum  (Upsal,  1794-1805,  in-fol. 
50  tab.).  De  retour  à  Upsal,  en  1784,  il  fut  nommé  à  la 
chaire  de  Linné,  qu'il  occupa  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  à 
l'âge  de  quatre-vingt-cinq  ans.  Retzius  lui  dédia  le  genre 
thunbergia,  de  la  famille  des  acanthacées.  —  Philippe- 
François  de  Siebold  (né  en  1796,  à  Wûrzbourg)  entra, 
comme  Thunberg,  au  service  de  la  compagnie  hollandaise, 
pour  satisfaire  ses  goûts  de  voyage  et  d'histoire  naturelle. 
Attaché  en  1823  comme  médecin  à  une  mission  diplomati- 
que, envoyée  par  le  gouvernement  néerlandais  au  Japon,  il 
dut  d'abord  également  borner  ses  excursions  scientifiques 
aux  environs  de  Décima.  Mais  bientôt  il  eut,  par  l'intermé- 
diaire des  indigènes  qu'il  essayait  d'initier  à  la  science,  la 
faculté  de  faire  des  herbiers  avec  des  plantes  que  ses  élèves 
japonais  lui  envoyaient  de  l'intérieur  de  l'empire.  Après  son 
retour  en  Europe  (en  1830),  il  publia,  en  collaboration 
avec  Zuccariniet  d'autres  botanistes,  une  Flora  japonica; 
Leyde,  1835-1853,  in-fol.,  avec  de  nombreuses  planches. 
La  Sibérie  fut  explorée,  sous  le  règne  de  l'impératrice 
Anne,  par  une  expédition  scientifique  dont  Jean-Georges 
Gmelin(né  à  Tubingen  en  1709,  mort  en  1755)  était  le 
botaniste.  Il  avait,  entre  autres,  pour  compagnons^  W. 
Steller  et  Et.  Krascheninikow.  Un  des  principaux  résul- 
tats de  cette  expédition,  qui  dura  dix  ans  (de  1733  à 
1743),  fut  la  publication  de  la  F/om  sibirica,  St.-Pétersb., 
1747-69,  4  vol.  in-4°  avec  217  fig.;  les  deux  premiers 
volumes  sont  de  Gmelin,  auteur  du^  Voyage  en  Sibérie. 
La  flore  de  la  Sibérie  fut  depuis  complétée  par  Fr.  Adams, 
Redowsky  et  L.  Fischer*,  ([ui  visitèrent  cette  région  aux 
Irais  du  gouvernement  russe. 

1.  Mcin.  de  lu  Soc.  des  nat.  de  Moscou,  t.  J,  III,  IV,  VetIX. 


270  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

Fr.  d  Ledebours  entreprit,  en  1826,  en  compagnie  de 
Meyer  et  de  Bunge,  ses  disciples,  un  voyage  dans  les 
montagnes  de  l'Altaï  et  la  steppe  des  Kirguises  de 
Soongaine.  La  Relation  de  son  voyage  fut  suivie  de  la 
Flora  altaïca  (Berlin,  1829-1834,  4  vol.  in-8°),  qui  contient 
la  description  d'un  grand  nombre  d'espèces  nouvelles.  On 
doit  la  connaissance  des  plantes  de  la  Davourie  et  du  lac 
Baïkal  à  Nicolas  de  Turczaninow,  qui  parcourut  ces  con- 
trées de  1828  à  1835». 

Le  voyage  d'Alexandre  de  Humboldt  dans  l'Asie  centrale 
(Paris,  1843)  ne  fut  pas  non  plus  sans  résultat  pour  la 
phytograpliie  de  ces  régions  encore  fort  peu  connues.  Nous 
en  dirons  autant  du  voyage  plus  récent  des  frères  Schla- 
gintweit  dans  l'Asie  centrale.  Les  collections  de  plantes 
du  Gachemyr  et  des  régions  alpines  des  Indes,  envoyées  au 
Muséum  d'histoire  naturelle  de  Paris  par  Victor  Jaque- 
mont  (mort  en  1 832  à  Bombay,  des  fatigues  de  son  voyage), 
et  dont  la  description,  commencée  en  1844,  par  M.  Gam- 
bassèdes,  fut  continuée  par  M.  Decaisne,  montrent  l'ana- 
logie frappante  qui  existe  entre  la  végétation  de  ces  ré- 
gions élevées  de  l'Asie  centrale  et  celle  de  l'Europe 
tempérée.  Cette  analogie  a  été  confirmée  par  l'exploration 
de  la  Chine  septentrionale,  et  sm^tout'par  les  recherches 
d'un  savant  missionnaire,  l'abbé  David,  auquel  le  Muséum 
de  Paris  doit  de  nombreuses  coL/gctions,  formées  dans  la 
Mongolie,  au  nord  de  Péking^. 

Afrique.  —  Le  grand  ouvrage  publié  par  l'expédition 
française  d'Egypte'  (Paris,  1812,  in-fol.)  contient  de  pré- 
cieux renseignements  de  Raffenau-Delile,  l'un  des  mem- 
bres de  cette  expédition,  sur  les  plantes  du  pays  des 
Pharaons,  qu'Hérodote  appelait  avec  raison  un  présent  du 


1.  Flora baikalensi-dahurica; Moscou,  1842  et  années  suiv.,  gr.  iu-S". 

2.  M.  A.  Brongniartj  Rapport  sur  les  progrès  de  la  botanique  pltyto- 
graphiqiiCjTp.  187  (Paris,  ISiiS). 


TEMPS  MODERNES.  271 

Nil.  Si  l'on  joint  à  ces  renseignements,  ainsi  qu'à  ceux 
qu'on  trouve  épars  dans  les  voyages  de  Sonnini,  de  Sait, 
de  Denon,  quelques  notices  de  Bové,  d'Aucher  Êloy,  de 
Coquebert  de  Montbret,  de  Schimper,  on  aura  à  peu  près 
tout  ce  qui  a  été  publié  sur  la  flore  de  l'Egypte. 

La  flore  de  VAbyssinie,  si  intéressante  à  étudier  en  rai- 
son de  la  grande  variété  du  climat  et  des  altitudes  du  sol, 
n'était  guère  connue  que  par  les  plantes  indiquées  dans  le 
voyage  de  Bruce,  par  celles  qu'avait  signalées  R.  Brown 
à  la  suite  du  voyage  de  Sait,  et  par  celles  qu'avait  décrites 
Delile,  en  appendice  au  voyage  de  Galinier  et  Féret, 
lorsque  Achille  Richard  publia  son  Tentamen  florx  Abys- 
sinise  (Paris,  1847,  2  vol.  in-8°],  d'après  les  matériaux 
recueillis,  de  1838  à  1843,  par  Quantin-Dillon  et  Petit, 
voyageurs  du  Muséum  d'histoire  naturelle  de  Paris,  qui 
moururent  victimes  de  leur  dévouement  à  la  science  sur 
la  terre  étrangère.  A  la  flore  abyssinienne  se  rattachent  la 
plupart  des  espèces  décrites  par  M.  Gourbon  dans  sa  Flore 
de  file  de,  Dyssée  (mer  Rouge)  *. 

De  l'Afrique  orientale,  jusqu'à  présent  fort  peu  visitée 
par  les  voyageurs  naturalistes,  on  ne  connaît  guère  que 
les  herbiers  rapportés  de  Zanzibar  par  Boivin,  et  plus 
tard  par  M.  Grandidier. 

Depuis  Flacourt,  l'île  de  Madagascar  a  été  parcourue 
par  un  assez  grand  nombre  de  voyageurs  naturalistes, 
parmi  lesquels  nous  citerons  Dupetit-Thouars,  Chapelier, 
Boyer,  Richard,  Goudot,  Pervillé,  etc.  Les  riches  collec- 
tions qu'ils  en  ont  rapportées  et  qui  se  trouvent  déposées 
au  Muséum  d'histoire  naturelle  et  au  Musée  de  B.  Deles- 
scrt,  ont  été,  en  partie,  l'objet  d'un  examen  particulier  de 
la  part  de  M.  Tulasne  [Florœ  Madagascariensis  fragmenta]^. 
On  y  remarque  une  abondance  de  certaines' formes  végé- 
tales qui  sont  rares  sur  d'autres  points  du  globe. 

J.  Annales  des  sciences  nat.,  W  série,  t.  XVIII,  p.  130  (année  186'2). 
2.  Annales  des  sciences  nat.,  t.  VI  (1855)  et  t.  VIII  (1857). 


272  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

Si  les  gouverneurs  des  Iles  de  France  et  de  la  Réunion 
(Bourbon)  avaient  été  tous  animés  du  même  esprit  que 
Pierre  Poivre  (né  en  1719,  à  Lyon,  mort  en  1786),  nous 
connaîtrions  aujourd'hui  à  fond  la  végétation  des  îles 
austro-orientales  de  l'Afrique.  Bravant  mille  dangers,  cet 
homme  de  bien  introduisit,  en  1750,  à  l'Ile  de  France 
quelques  arbres  à  épices,  qui  furent  le  commencement  du 
jardin  d'acclimatation  de  cette  île.  On  ne  saurait  s'ima- 
giner les  précautions  qu'avaient  prises  les  Hollandais 
pour  s'assurer  le  commerce  exclusif  des  épices.  Non  con- 
tents d'infliger  la  peine  de  mort  à  celui  qui  aurait  arraché 
un  plant  de  leurs  précieux  arbres,  ils  avaient  pris  à  tâche 
de  confectionner  de  fausses  cartes  de  l'Archipel  des 
Indes,  afin  d'engager  dans  d'homicides  écueils  le  naviga- 
teur assez  hardi  pour  entrer  en  concurrence  avec  ces  avides 
marchands.  Nommé  en  1767  intendant  de  l'Ile  de  France, 
Poivre  encouragea  par  tous  les  moyens  à  sa  disposition 
les  voyageurs  naturalistes,  notamment  Gommerson,  mort 
dans  cette  île  en  1773.  Son  exemple  fut  suivi  par  Nie.  de 
Géré,  mort  en  1810,  directeur  du  jardin  d'acclimatation 
fondé  par  Poivre.  Il  accueillit  parfaitement  Aubert  Du- 
petit-Thouars  (né  en  1753,  mort  en  1831),  qu'un  long 
séjour  aux  Iles  de  France  et  de  la  Réunion  mit  à  même 
de  préparer  les  éléments  nécessaires  pour  une  flore  com- 
plète de  ces  régions  ^ 

J.  Burmann  esquissa  le  premier  une  flore  du  Gap  de 
Bonne-Espérance  (alors  colonie  hollandaise)  avec  les  col- 
lections que  lui  avaient  envoyées  plusieurs  voyageurs'-, 
Ge  travail  fut  notablement  augmenté  par  J.  Bergius  (Dc- 
soiptiones  plant,  ex  Capite Bonis Spei;  Stock.,  1767),  etp.'ii 
Thunberg,  qui  résida  au  Gap  de  1772  à  1775,  et  publu:. 

1.  Aub.  Dupetit-Thouars,  HisL  des  végétaux  recueillis  sur  les  îles  de 
France,  la  Réunion  et  Madagascar,  l'"^ partie,  Paris,  1804  ei  1806,  in-V'. 
—  Nova  gênera  Madagascaricnsia,  etc.,  Paris,  1806,  in-8°. 

2.  Prodromus  florœ capensis  ;  — Rarior.  African.  plant,  deçà--: 
années  1738-39. 


TEMPS  MODERNES.  273 

Flora  capensis,  etc.,  Upsal,  1807-1813.  On  trouve  aussi 
diverses  notions  de  botanique  dans  les  voyages  de  Kolb, 
de  Sparrman,  de  Lichtenstein,  de  J.  Barrow,  de  Bur- 
chell,  etc.,  dans  les  pays  des  Hottentots  et  des  Gafres. 
Mais  c'est  surtout  à  Drège*,  à  Eckion,  à  Zeyher^  et  à 
Krause  que  l'on  doit  une  connaissance  plus  exacte  de  la 
végétation  si  caractéristique  de  l'Afrique  australe. 

La  côte  occidentale  de  l'Afrique,  où  les  établissements 
européens  sont  plus  fréquents  que  sur  la  côte  orientale, 
est  aussi  mieux  connue  que  celle-ci,  réputée  d'ailleurs 
extrêmement  insalubre.  Adanson,  dont  nous  avons  déjà 
parlé  plus  haut,  entreprit  à  ses  propres  frais  d'explorer, 
l'un  des  premiers,  le  Sénégal.  Parti  de  Marseille  à  l'âge 
de  vingt-un  ans,  il  débarqua  à  l'île  de  Gorée  au  commen- 
cement de  1749,  visita  le  Sénégal  à  une  assez  grande  dis- 
tance dans  l'intérieur,  et  était  de  retour  dans  sa  patrie  le 
8  février  1754,  après  cinq  ans  de  séjour  dans  un  climat 
brûlant  et  malsain.  Les  résultats  de  cette  exploration  se 
trouvent  consignés  dans  V Histoire  naturelle  du  Sénégal; 
Paris,  1757,  in-4°.  Parmi  les  végétaux  qu'il  a  fait  connaî- 
tre, on  remarque  surtout  le  baobab  et  les  arbres  (acacias) 
qui  produisent  la  gomme  dite  d'Arabie^  l'un  des  princi- 
paux objets  de  commerce  du  Sénégal*.  On  ne  connais- 
sait jusqu'alors  le  baobaib,  d'une  épaisseur  gigantes- 
que, que  par  le  récit  de  quelques  voyageurs,  et  on  était 
tenté  de  reléguer  au  rang  des  fables  la  grosseur  de  29  à 
30  pieds  qu'ils  donnaient  à  son  diamètre.  Adanson  non- 
seulement  confirma  leur  récit,  mais  il  décrivit  l'accrois- 
sement progressif  de  cet  arbre  singulier,  appelé  depuis 
adansonia  baobab,  et  le  premier  il  en  signala  l'analogie 
avec  les  mauves'^.  — Le  Voyage  de  J.  B.  L.  Durand  (mort 

1.  Comment,  de  plantis  Africœ  australis  (décrites  par  F.  Meyer)  ; 
Leipz.,  1835-47,  in-8". 

2.  Enumeratio  plantât.  Africœ  australis,  etc.,  Hamb.  1834-1837. 

3.  Mém.  de  VAcad.,  1773  et  1779. 

4.  Mém.  del'Acad.,  1761. 

18 


274  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

en  1812)  au  Sénégal  (Paris,  1802,  2  vol.  avec  atlas,  m-k°) 
contient  aussi  quelques  données  sur  la  Flore  de  la  Séné- 
gambie.  Mais  il  faut  venir  jusqu'à  notre  époque  pour 
rencontrer  sur  cette  flore  des  renseignements  plus  précis. 
Leprieur  et  Perrotet,  qui  habitèrent  la  Sénégambie  de 
1824  à  1839,  rapportèrent  de  ce  pays  de  riches  collections 
de  plantes.  Ce  fut  sur  ces  collections  que  A.  Richard 
rédigea  le  premier  volume  de  la  Flore  de  Sénégambie  ; 
Paris,  1830-1832. 

Sur  la  végétation  de  la  Guinée^  on  trouve  quelques  no- 
tions dans  le  voyage  duDanois  P.  E.  Isert,  mort  en  1789, 
à  l'âge  de  trente-deux  ans,  et  dans  divers  ouvrages 
d'A.  Afzelius*  qui  visita,  en  1792,  la  colonie  africaine  de 
Sierra-Leone,  et  perdit  presque  toutes  ses  collections  lors 
de  la  prise  de  cette  colonie  par  les  Anglais^  Il  faut  y 
ajouter  IsiFlore  d'Oware  et  de  Bénin  {V  avis  ^  1804-1807,  2  vol. 
in-fol.)  de  Palissot  de  Beauvois  (mort  en  1820)  qui,  au  péril 
de  sa  vie,  séjourna  pendantcinqans(de  1786  à  1791)  dans  les 
petits  royaumes  d'Oware  et  de  Bénin  (Guinée).  Les  éta- 
blissements français  du  Gabon  et  les  stations  faites  sur 
quelques  autres  points  du  golfe  de  Guinée  ont  fourni  aux 
collections  du  Muséum  de  Paris  des  herbiers  fort  intéres 
sants.  Ces  herbiers,  dus  principalement  aux  recherches 
de  M.  Aubry  le  Comte,  de  M.  Griffon  du  Bellay  et  du 
P.  Duparquet,  ont  été,  de  la  part  de  M.  Bâillon,  l'objet  d'une 
série  de  notices  remarquables  sur  les  dilléniacées,  les  ano- 
nacées,  les  ménispermées,  les  chrysobalanées  et  les  con- 
naracées,  familles  caractéristiques  de  la  flore  de  ces  ré- 
gions *. 

Les  autres  parties  de  la  côte  occidentale  de  rAfri(|Uv 
sont  restées  à  peu  près  inexplorées,  à  l'exception  des 
bords   du  Congo ,  où  Christian  Smith  recueillit  quelques 

1.  Gênera  plantarum  guineensium  etc. ,  Upsal,  1804;  — Stirpinm 
in  Guinea  medicinalium  species,  etc.;  ibid.;  1818-1829,  in-4". 

2.  M.  A.  Brongniart,  Rapport  sur  les  progrès  de  la  botanique  phyt(f 
graphique,  p.  183  (Paris,  1868). 


TEMPS  MODERNES.  275 

plantes,  qui  ont  été  décrites  par  Robert  BroWn  (Lond,, 
1818,  in-'i°). 

Sur  la  végétation  de  l'intérieur  de  l'Afrique,  nous 
n'avons  que  des  renseignements  fort  incomplets,  fournis 
par  les  voyageurs  Oudney,  Denliam,  Glapperton,  et  plus 
récemment  par  Barth  et  Overweg. 

La  végétation  de  l'Afrique  septentrionale  ou  méditerra- 
néenne, dont  les  côtes  ont  été  longtemps  désignées  sous 
le  nom  d'États  barbaresques^  était  peu  connue  avant  les 
voyages  de  Shaw,  de  Vahl,  de  Poiret.  C'est  à  Desfontai- 
nes (né  en  1751,  mort  en  1833  professeur  à  la  faculté  de 
médecine  de  Paris)  que  l'on  en  doit  une  connaissance  plus 
détaillée.  Son  voyage  biennal  d'exploration,  s'étendant 
depuis  les  frontières  de  Tripoli  jusqu'à  celles  du  Maroc, 
comprenait  surtout  les  régions  de  l'Atlas  ;  il  descendit  les 
pentes  méridionales  de  cette  chaîne  de  montagnes  pour 
s'avancer  jusque  vers  les  limites  du  désert  de  Sahara,  ac- 
compagnant les  deys  qui  se  portaient  sur  tous  les  points 
d'un  vaste  territoire  pour  y  recueillir  les  impôts.  Desfon- 
taines fit  une  ample  récolte  déplantes,  dont  il  a  donné  la 
description  dans  sa  Flora  atlantica  ;  2  vol.  in-4°,  avec  260 
planches  ;  Paris,    1798-1800. 

PaulDellaGella  visita  en  1817  la  régence  de  Tripoli;  leK 
plantes  qu'il  y  recueillit  furent  décrites  par  Viviani'. 

De  la  conquête  d'Alger  en  1 830  date  une  nouvelle  ère 
pour  la  flore  de  l'Afrique  septentrionale. La  Commission 
scientifique  instituée  pour  l'exploration  de  l'Algérie  lit  pa- 
raître en  1847-1848  un  premier  volume,  consacré  à  la 
cryptogamie.  Ce  volume  a  été  rédigé  par  MM.  Durieu  de 
Maisonneuve,  Montagne,  Léveillé  et  Tulasne.  En  1852, 
M.  Cosson  fut  adjoint  à  M.  Durieu  (chargé  de  la  partie 
botanique  de  la  Commission  de  l'Algérie)  ;  il  publia  en 
1867  un  second  volume  (comprenant  les  graminées  et  les 
cypéracées),  sur  un  plan  trop  vaste  pour  être  poursuivi. 

1.  Florœ  libycde  spécimen;  Gênes,  1824,  in-folio,  avec  27planclies. 


276  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

Avant  ce  travail,  Mungby,  botaniste  anglais,  avait  publié, 
en  1847,  une  flore  de  l'Algérie,  mais  qui  ajoutait  peu  de 
détails  nouveaux  à  la  flore  atlantique  de  Desfontaines. 
M.  Boissier,de  Genève,  avait  aussi  fait  connaître,  à  la  suite 
d'un  voyage  en  Algérie,  quelques  espèces  nouvelles,  re- 
cueillies par  lui  *  ;  et  M.  Debeaux,  pharmacien  militaire, 
avait  mis  au  jour  les  résultats  de  ses  explorations  dans  la 
haute  Kabylie^'. 

Amérique.  —  Les  établissements  anglais  du  nord  de 
l'Amérique,  origines  de  la  grande  république  des  Etats- 
Unis,  favorisèrent  singulièrement  la  connaissance  de  la 
flore  du  Nouveau-Monde.  Mettant  à  profit  les  herbiers 
rapportés  par  le  médecin  John  Glayton,  J.  Fr.  Gronovius 
(mort  en  1762,  sénateur  de  Leyde)  publia  une  flore  de  la 
Virginie',  dont  la  végétation  avait  été  déjà  étudiée  par  John 
Mitchell*.  Linné  décrivit  les  plantes  qu'avait  recueillies 
Golde,  aidé  de  sa  fille  Jenny,  dans  l'État  de  New- York*. 
Il  décrivit  de  même  celles  que  lui  avait  envoyées  de  New- 
York,  de  New-Jersey  et  de  Pensylvanie,  Pierre  Kalm,  pro- 
fesseur d'Abo,  qui  visita  ces  colonies  en  1747-49.  Aces 
données  il  faut  joindre  la  Flora  Caroliniana{Lond.^  1788, 
in-8°)  de  Th.  Walther,  les  observations  du  P.  Xavier  de 
Gharlevoix  sur  la  végétation  du  Canada,  celles  de  J.  Bar- 
tram,  faites  pendant  son  voyage  de  Pensylvanie  aux  lacs 
Onondago,  Oswego  et  Ontario  (Lond.,  1751,  in-8°),  enfin 
les  renseignements  de  Miguel  Venegas  sur  les  plantes  de 

Galifornie  ''. 

Le  premier  ouvrage  sur  la  flore  générale  de  Y  Améri- 
que du  nord  est  dû  à  André  Michaux  (né  en   1 746,  à  la 

1.  Pugillus  plantarum  novarumAfricxhorealis,  etc.; Genève,  1802. 

2.  Actes  de  la  Soc.  linnéenne  de  Bordeaux,  t.  XXI,  ann.  1856. 

3.  FZora  mrçmfca  ;  Leyde,  1739-43,  2  vol.  in-g". 

4.  Act.  I^at.Curios.,  vol.  VIII,  p.  187. 

5.  Act.  Soc.  UpsaL,  années  1743  et  siiiv. 

6.  Ana  ural  andcivil  history  of  California ;  Lond.,  1759,  in-8. 


TEMPS  MODERNES.  277 

ferme  de  Satory,  près  Versailles, mort  en  1802).  Ce  cou- 
rageux voyageur  naturaliste,  fils  d'un  riche  fermier, 
commença,  en  1782,  par  visiter,  pendant  un  séjour  de 
deux  ans  auprès  du  shah  de  Perse  (qu'il  avait  guéri 
d'une  maladie  réputée  incurable),  une  partie  de  la  vaste 
région  comprise  entre  le  golfe  Persique  et  la  mer  Cas- 
pienne. Il  se  proposait  de  pénétrer  dans  le  Thibet,  lors- 
qu'il fut  rappelé  en  France  ;  il  y  apporta,  en  juin  1785,  une 
riche  collection  de  plantes  et  de  graines.  Chargé  quelques 
mois  plus  tard,  par  le  Grouvernement,  de  créer  aux  envi- 
rons de  New-York  une  vaste  pépinière,  destinée  à  recevoir 
les  arbres  et  arbustes  qui  croissent  dans  l'Amérique  sep- 
tentrionale, il  y  engagea  toute  sa  fortune  et  employa  douze 
ans  à  parcourir  les  espaces,  alors  à  peu  près  déserts,  qui 
s'étendent  d'un  océan  à  l'autre.  Ruiné  par  suite  de  la  Ré- 
volution, il  se  décida  à  revenir  en  France.  Il  allait  mettre 
pied  sur  le  sol  natal,  lorsque  le  bâtiment  qu'il  montait  fit 
naufrage  sur  les  côtes  de  la  Hollande  ;  il  perdit  tous  ses 
effets,  moins  les  caisses  qui  renfermaient  ses  collections. 
Après  avoir  vainement  sollicité  le  règlement  des  arrérages 
d'une  pension,  il  s'adjoignit  à  l'expédition  du  capitaine 
Baudin  en  Australie,  et  mourut  d'une  fièvre  pernicieuse 
dans  l'île  de  Madagascar,  où  il  avait  commencé  d'établir 
une  pépinière.  Son  fils  (né  en  1770,  mort  en  1855),  qui 
accompagna  son  père  en  Amérique,  publia  Flora  Boreali- 
Americana;  Paris,  1803,  2  vol.  in-8°,  avec  fig.  Autour  de 
cet  ouvrage  viennent  se  grouper  les  travaux  de  Nuttal 
[The gênera ofthe  N or Ih- American  plants^  etc.;  Philadelphie 
1818),  de  Rafinesque  Schmaltz  {New  flora  of  North-Ame- 
rica;  Phil.,  1836),  d'Eaton,  de  Schweinitz,  de  Barton, 
d'Asa-Gray,  ainsi  qu'un  grand  nombre  de  flores  spécia- 
les des  différents  Etats  de  l'Union*. 

La  connaissance  des  plantes  du  Mexique  a  été  étendue 


1.  Voy.  la  liste  de  ces  flores  dans  "Winckler,   Geschichte  der  Bot., 
.  373-375,  et  572-574  (Fiancf.,  1854,  ia-8°). 


278  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

par  Paul  de  la  Llave  et  J.  Lexarga  {Novorum  vegetab. 
descriptiones ;  Mexique,  1824-1825),  par  W.  Schiede,  F. 
Deppe,  Wislicenius,  etc.,  voyageurs  allemands Miumboldt 
et  Bonpland  y  ont  puissamment  contribué.  Enfin  les 
membres  de  la  Commission  française  instituée  après  la 
création  éphémère  de  l'empire  du  Mexique  ont  fait  par- 
venir au  Muséum  de  Paris  des  collections  dont  l'examen 
pourrait  fournir  un  tableau  plus  complet  de  la  végétation 
de  cette  vaste  contrée. 

Les  îles  de  la  mer  des  Antilles,  qui  avec  les  États  du 
Yucatan  et  de  Guatemala  forment  ce  qu'on  pourrait  ap- 
peler y  Amérique  centrale,  ont  été  explorées  par  un  grand 
nombre  de  voyageurs  naturalistes.  Nous  nous  bornerons 
à  citer  :  Griffith  Hughes  (The  naturalhistory  ofBarbados; 
Lond.,  1750,  in-fol.),  Patrick  Browne  (Civil  and  natural 
history  ofJamaica;  Lond.,  1756,  in-fol.),  Jacquin  (Enume- 
ratio  plantarum  quas  in  insulis  Caribxis  detexii.,  Leyde, 
17Ô0),  0.  Schwartz  (Nova  gênera  etspecies,  etc.;  Stockh  , 
1788),  Richard  de  Tussac  (Flora  Antlllarum^  etc.;  Paris, 
1808-1827,  4  vol.  in-fol.),  Descourtilz  (Flore  médicale  des 
Antilles;  Paris,  1821-1829,  8  vol.  in-8°),  Ramon  de  la 
Sagra  (Histoire  physique,  etc.;  de  Vile  de  Cuba;  V axis ^  1838, 
suiv.),  etc. 

U Amérique  du  Sud^  justementrenommée  par  ses  splen- 
deurs végétales,  a  continué  d'attirer  de  nombreux  explo- 
rateurs. Pour  la  Guyane,  nous  mentionnerons  Aublct 
[Histoire  des  plantes  delà  Guyane  française,  Paris,  1775,  4 
vol.  in-4'')  ;  pour  la  Nouvelle  Grenade,  Mutis  (dans  les 
Nov.  Act.  Soc.  Upsal.;  Stockh.,  t.  V);  pour  les  provinces 
de  Caracas,  de  la  Nouvelle-Grenade,  de  la  Nouvelle-Anda- 
lousie, de  VOrénoque,  Aimé  Bonpland  et  Alex,  de  Hum- 
boldt  (PlantcC  œquinoctiales,  etc.,  Paris,  1805  et  suiv.); 
pour  le  Brésil  eila  Paraguay,  le  prince  Max.  deNeuwied, 
Man'lius  (Flora  Brasiliensis,  etc.,  Stuttg.  et  Tub.,  1829  et 

1.  Linnxa,  t.  IV  et  suiv. 


TEMPS  MODERNES.  279 

suiv.),  Auguste  Saint-Hilaire  [Hist.  des  plantes  les  plus 
remarquables  du  Brésil  et  du  Paraguay;  Paris,  1824  et 
suiv.;  Flora  Brasilia  meridionalis^  etc.),  Gaudichaud, 
M.  Weddel,  etc. 

Pour  le  Pérou  et  le  Chili  :  Ruiz  et  Pavon  {Flora 
peruvianaet  chilensis;  Maàr.,  1798-1802,  4  vol.  in-foL), 
qui  profitèrent  des  recherches  de  Dombey,  leur  infortuné 
compagnon  de  voyage*.  M.  Claude  Gay  habita  pendant 
dix  ans  (1832-42)  le  Chili,  et  publia  sur  la  flore  de  ce 
pays  un  ouvrage  complet.  MM.  Barnéoud,  Clos,  Remy, 
Desvaux,  Richard  ont  pris  une  part  importante  à  la  ré- 
daction de  la  Flore  chilienne  de  G.  Gay. 

Pour  les  îles  situées  à  l'est  de  la  Patagonie,  encore 
inexplorée,  nous  mentionnerons  J.  Pernetty  {Journal  d'un 
voyage  fait  aux  îles  des  Malouines;  Berlin,  1769),  et  Gaudi- 
chaud {Flore  des  îles  Malouines,  dans  les  Annales  des  nat., 
t.  IV,  année  1825).  C'est  principalement  à  l'amiral  Dû- 
ment d'Urville  que  l'on  doit  la  connaissance  de  la  vé- 
gétation Si  pauvre  des  régions  antarctiques. 

Sur  la  flore  si  étrange  de  l'Australie^  Joseph  Banks, 
compagnon  du  capitaine  Cook  (premier  voyage),  Reinhold 
et  Georges  Forster  qui  accompagnèrent  Cook  dans  son 
deuxième  voyage,  Edw.  Smith  et  Salisbury  (^4  spécimen 
ofthe  botany of  New-HollandiLonà.,  1793,  in-4°)  nous  ont 
donné  les  premiers  renseignements.  Ils  furent  complétés 
par  Labillardière,  attaché  comme  naturaliste  à  l'expédi- 
tion d'Entrecasteaux,  envoyée,  en  1791,  à  la  recherche  de 


1.  Joseph  Dombey  avait  été  charge  par  le  ministre  Turgot  d'explorer 
l'Amérique  espagnole,  pour  en  rapporter  les  espèces  végétales  sus- 
ceptibles d'être  acclimatées  en  France.  Le  20  octobre  1777,  il  s'embar- 
qua à  Cadix  avec  Ruis  et  Pavon,  botanistes  espagnols.  Il  serait  trop 
long  de  raconter  toutes  les  tracasseries  auxquelles  il  fut  en  butte  de  la 
part  des  autorités  espagnoles  du  Chili  et  du  Pérou  pour  assurer  à  leurs 
compatriotes  le  fruit  des  travaux  de  Dombey,  qui,  en  retournant  en 
Amérique,  fut  pris  (en  octobre  1793)  par  des  corsaires,  et  périt  dans  les 
prisons  de  Monlserrat,  à  Fàge  de  cinquante-un  ans. 


280  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

La  Pérouse.  Labillardière  visita  les  parages  de  la  Nou- 
velle-Calédonie et  longea  la  côte  sud-ouest  de  la  Nouvelle- 
Hollande,  où  il  faillit  plusieurs  fois  faire  naufrage.  Ses 
collections  contenaient  plus  de  quatre  mille  plantes,  dont 
les  trois  quarts  étaient  d'espèces  jusqu'alors  inconnues. 
Elles  tombèrent  entre  les  mains  des  Anglais,  qui  étaient 
alors  en  guerre  avec  la  France.  Le  président  de  la  Société 
Royale  de  Londres,  Joseph  Banks  s'empressa  de  les  lui 
renvoyer  intactes,  ainsi  que  nous  l'avons  raconté  plus 
haut*.  L'ouvrage  déjà  cité  de  Labillardière  {Novœ  Hollaoï- 
dix  plantarum  spécimen,  Paris,  1804-1806,  2  vol.  in-4°) 
donne  la  description  et  le  dessin  de  deux  cent  soixante- 
cinq  espèces.  L'une  des  plus  curieuses  de  ces  espèces,  c'est 
le  cephalotus  foUicularis,  qui  croît  dans  les  lieux  les  plus 
humides  et  dont  les  feuilles,  en  godet,  sont  toujours  rem- 
plies d'eau  et  d'un  grand  nombre  de  petits  insectes. 

Leschenault  (né  à  Ghâlon-sur-Saône,  en  1773,  mort  à 
Paris  en  1826),  qui  fit,  en  1800,  partie  du  Voyage  aux 
terres  australes  de  Péron  et  Freycinet,  a  donné  le  premier, 
dans  le  tome  II  de  la  relation  de  ce  voyage,  un  aperçu 
général,  exact,  de  la  Végétation  de  la  Nouvelle-Hollande  et 
de  la  terre  de  Diémen,  dont  nous  allons  extraire  les  points 
les  plus    saillants. 

Ce  qui  frappe  ici  le  plus  l'Européen,  comme  lors  de 
la  découverte  de  l'Amérique,  c'est  l'absence  de  toutes 
nos  céréales.  Les  habitants  de  la  terre  de  Diémen  man- 
gent la  racine  d'une  fougère  [pteris  esculenta),  qui  offre 
une  nourriture  insuffisante.  L'introduction  de  nos  cé- 
réales fut  un  immense  bienfait  pour  les  Australiens.  La 
végétation  de  la  Nouvelle-Hollande  a  une  physionomie 
particulière  que  Leschenault  a  essayé  de  mettre  en  re- 
lief. «  Les  parties  méridionales  de  l'Afrique  sont,  dit-il, 
les  seules  à  la  végétation  desquelles  on  puisse  comparer  celle 
de  la  Nouvelle- Hollande  ;  par   les   mêmes  parallèles,  on 

1 .  Voy.  p.  265. 


TEMPS  MODERNES.  281 

retrouve  ces  innombrables  légions  de  bruyères  et  de  pro- 
téacées,  qui  renferment  plusieurs  arbustee  remarquables 
par  leurs  formes  gracieuses  et  délicates,  et  qui  parent  la 
stérilité  de  l'un  et  de  l'autre  climat.  Mais  dans  tous  les 
lieux  que  nous  avons  visités,  et  surtout  sur  la  côte  occi- 
dentale de  la  Nouvelle-Hollande,  nous  n'avons  retrouvé, 
dans  les  grandes  masses,  ni  la  majesté  des  forôts  vierges 
du  Nouveau-Monde,  ni  la  variété  et  l'élégance  de  celles 
de  l'Asie,  ni  la  délicatesse  et  la  fraîcheur  des  bois  de  nos 
contrées  tempérées  de  l'Europe.  La  végétation  est  générale- 
ment sombre  et  triste,  et  n'a  pas  l'aspect  de  celle  de  nos 
arbresverts  ou  de  nos  bruyères;  les  fruits, pour  la  plupart, 
sont  ligneux;  les  feuilles  de  presque  toutes  les  plantes 
sont  linéaires,  lancéolées,  petites,  coriaces  et  spinescentes. 
Cette  contexture  des  végétaux  est  l'effet  de  l'aridité  du  sol 
et  de  la  sécheresse  du  climat.  C'est  à  ces  mêmes  causes 
qu'est  due  sans  doute  la  variété  des  cryptogames  et  des 
plantes  herbacées.  Les  graminées,  qui  ailleurs  sont  généra- 
lement molles  et  flexibles,  participentici  de  la  rigidité  des 
autres  plantes.  On  en  voit  des  exemples  remarquables  dans 
Yuniola  distichophylla^  décrite  par  M.  Labillardière,  et 
dans  une  espèce  de  festuca,  que  j'ai  trouvée  sur  la  côte 
occidentale,  et  dont  toutes  les  feuilles  sont  autant  d'aiguil- 
lons. La  plupart  des  plantes  de  la  Nouvelle-Hollande  ap- 
partiennent à  des  genres  nouveaux,  et  celles  qui  se  rattachent 
à  des  genres  déjà  connus,  sont  presque  autant  d'espèces 
nouvelles.  Les  familles  naturelles,  qui  dominent,  sont 
celles  des  protéacées,  des  bruyères,  des  composées,  des 
légumineuses  et  des  myrtoïdes.  Les  plus  grands  arbres 
appartiennent  tous  à  cette  dernière  famille,  et  presque 
exclusivement  au  genre  eucalyptus.  » 

Les  arbres  les  plus  connus  sont  l'eucalyptus  resinifera, 
qui  sécrète  une  gomme  rouge,  réputée  par  les  Européens 
comme  un  très-bon  remède  contre  la  dyssenterie  ;  et  l'eu- 
calyptus robusta,  qui  parvient  à  une  hauteur  considéra- 
ble et  fournit  un  bon  bois  de  construction.  Son  accrois- 


282  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

sèment  lent  l'empêchera  d'être  introduit   avec  avantage 
dans  nos  forêts. 

Les  autres  plantes  signalées  par  Leschenault  comme 
caractéristiques  de  la  végétation  de  la  Nouvelle-Hollande 
sont  les  melaleuca,  dont  l'écorce,  de  plusieurs  pouces 
d'épaisseur,  est  formée  de  feuillets  minces,  flexibles  et 
très-  doux,  qui  se  détachent  facilement,  et  qui  servent 
aux  indigènes  à  garnir  l'intérieur  de  leurs  cabanes  ;  les 
xanthorœa,  d'où  découle  abondamment  une  résine  odo- 
rante, dont  les  naturels  se  servent  pour  boucher  les  su- 
tures de  leurs  canots,  ou  pour  souder  la  hampe  de  leurs 
sagaies  avec  la  pointe  en  bois  dur  ;  les  casuarina^  qui 
varient  de  dimension  depuis  un  tiers  de  mètre  jusqu'à 
plusieurs  mètres  de  hauteur  ;  les  metrosideros^  dont  l'es- 
pèce décrite  par  Leschenault  sous  le  nom  àem.paludosa, 
à  cause  des  lieux  marécageux  où  elle  croît,  est  un  très- 
bel  arbuste,  remarquable  par  ses  épis  de  fleurs,  très-longs 
et  du  rouge  le  plus  éclatant.  Leschenault  mentionne  en- 
core comme  caractéristique  un  bignonia^  arbuste  à  feuilles 
épaisses,  dont  les  fleurs  blanches  ont  une  forte  odeur  de 
tubéreuse;  un  calorophus,  dont  les  feuilles  frisées  forment 
d'agréables  panaches;  une  espèce  de  mimosa,  dont  les 
rameaux  tortueux  s'entrelacent  et  forment  des  touffes 
épaisses,  sous  lesquelles  se  retirent  les  kangurous  à  ban- 
des; un  eucalyptus  (e.  glohulosa?),  remarquable  par  la 
forme  de  ses  fruits,  qui  ressemblent  à  de  petites  urnes  ; 
un  très-joli  et  très-singulier  liseron  sans  tige,  dont  les 
fleurs  purpurines  et  solitaires  sortent  immédiatement  de 
terre  et  ne  sont  entourées  que  de  quatre  à  cinq  très-petites 
feuilles  linéaires,  qu'elles  cachent  sous  leur  corolle  *. 

Robert  Brown  (né  en  1781),  attaché  à  l'expédition  du 
capitaine  Flinders,  explora  en  1801,  avec  le  peintre 
Ferd.    Bauer,    bien  des  contrées  qui,  au  commencement 

1.  Voyage  de  découvertes  aux  Terres  australes,  t.  II,  p.  35S-o72 
(Paris,  1816,  2  vol,  ia-4°  avec  atlas). 


TEMPS  MODERNES.  283 

de  notre  siècle,  étaient  encore  sauvages  et  qui  sont  aujour- 
d'iiui  couvertes  de  cités  florissantes.  Après  avoir  visité  la 
terre  de  Diémen  et  les  îles  du  détroit  de  Banks,  il  revint, 
en  1805,  en  Angleterre,  avecune  collection  de  quatre  mille 
espèces  de  plantes,  et  publia  successivement  Prodromus 
Florse  Novse  HoUandiœ,  Lond. ,  1810,  in-4o;  General  Remarks 
on  the  botany  of  terra  Australis,  ibid.,  1814,  et  Supple- 
mentum  primum  Florse  Novse  Hollandiœ,  ibid.,  1830. 

A  la  suite  de  ces  ouvrages  il  convient  de  mentionner 
les  travaux  d'Endlicher,  de  Bentham,  deFenyl  et  Scliott', 
de  M.  Raoul,  chirurgien  de  la  marine  française^,  ainsi 
que  les  collections  envoyées  de  la  Nouvelle-Calédonie  (co- 
lonie française  depuis  1860)  au  Muséum  de  Paris  par 
MM.  Vieillard,  Deplanche,  Pauclier,  Thiébaut  et  Bau- 
douin. Ces  travaux  et  ces  collections  montrent  d'une 
part  que  les  fougères  prédominent  dans  les  régions  in- 
sulaires, et,  de  l'autre,  que  la  végétation  de  la  Nouvelle- 
Calédonie  forme  le  chaînon  intermédiaire  entre  la  végéta- 
tion de  la  Nouvelle-Hollande  et  celle  des  îles  de  l'Asie 
tropicale. 


Géographie   botanique. 

Cette  branche  de  la  science  est  toute  moderne.  Jus- 
qu'au dix-huitième  siècle  les  botanistes  n'avaient  aucune 
idée  de  l'influence  du  milieu  climatérique  sur  la  végéta- 
tion. Cette  influence  leur  échappait  tellement,  qu'ils 
croyaient  devoir  retrouver  les  plantes  de  la  Grèce  et  de 
l'Italie,  mentionnées  par  Théophraste,  Dioscoride  et 
Pline,  non-seulement  dans  toutes  les  autres  parties  de 
l'Ancien  Continent,  mais  même  dans  le  Nouveau-Monde. 


1.  Enumeratio  planîarum  quas  in  Novx  Eollandix  ora  ausiro' 
occidentali  collegit  Karl  v.  Hùgel  ;  Vienne,  1738,  iii-4". 

2.  Choix  de  plantes  de  la  Nouvelle-Zélande  ;  Paris,  1846. 


28k  HISTOIRE  DE  LA  BOTANIQUE. 

De  là  une  multitude  de  travaux  inutiles  sur  la  concordance 
de  la  synonymie  ancienne  avec  la  synonymie  moderne. 
Mais  depuis  que  les  voyages  d'exploration  se  sont  multi- 
pliés, on  a  commencé  à  reconnaître  l'erreur, 

Christian  Mentzel  (mort  en  1701,  médecin  de  l'électeur 
do.  Brandebourg),  qui  avait  parcouru  le  nord  et  le  midi  do 
l'Europe,  paraît  déjà  avoir  eu  l'idée  de  classer  les  plantes 
d'après  les  climats.  Mais,  au  lieu  d'y  donner  suite,  il  se 
contenta  d'écrire  un  dictionnaire,  de  plantes  polyglotte 
{Lexico7i  plantarum  polyglotton  universale;  Berl.,  1696  et 
1715,  in-foL).  C'est  Tournefort  qui  le  premier  remarqua, 
pendant  son  ascension  du  mont  Ararat,  la  végétation  comme 
superposée  par  étages.  Cependant  il  ne  s'étendit  pas  beau- 
coup sur  cette  remarque,  qui  fut  reprise  par  Linné,  Hal- 
1er,  par  Adanson  etB.  de  Saussure  ( Koî/ag'e  dans  les  Alpes). 
Giraud  Soulavie,  dans  son  Histoire  naturelle  de  lu  France 
méridionale (PsiTis,  1783),  distribua  le  premier  les  plantes 
par  zones  ou  climats.  Frédéric  Stromeyer  émit,  au  commen- 
cement de  notre  siècle,  des  considérations  importantes  sur 
l'influence  physique  du  sol  et  les  limites  de  la  végétation'. 
Mai?  c'est  à  Gr.  R.  Treviranus  que  nous  devons  l'établisse- 
ment des  principes  de  la  géographie  botanique  et  géologique , 
dans  un  travail  remarquable  Sur  la  distribution  des  corps 
vivants  à  la  surface  du  globe^.  Alex,  de  Humboldt  et  Bon- 
plaud  s'attachèrent  plus  particulièrement  àla  géographie  des 
plantes  et  lui  imprimèrent  une  direction  vraiment  scien- 
tifique ^  Léopold  de  Buch,  dans  ses  Voyages  en  Norwége 
et  en  Laponie  (1810),  et  aux  îles  de  Canaries  (1817),  in- 
sista sur  les  différences  de  la  végétation  suivant  les  lati- 
tudes et  les  altitudes.  Gr.Wahlenberg,  professeur  d'Upsal, 

1.  Commentatio  inauguralis  sistens.  Uist.  vegetabilium  geograi'li 
spécimen;  Gœtt.,  1800,  in-4°. 

2.  Ce  travail  comprend  tout  le  tome  II  delà.  Biologie  de  Trc\i- 
ranus  (Gœtting.,  1803,  in-S"). 

3.  Essai  sur  la  géographie  des  plantes,  accompagné  d'un  tableau 
physique  des  régions  équinoxiales ,  etc.  ;  Paris,  an  XIII  (1805),  iii-4". 


TEMPS  MODERNES.  285 

fit  particulièrement  ressortir  ces  différences  dans  sa  Flore 
de  la  Laponie,  accompagnée  d'une  carte  botanico  géogra- 
phique (Berl.,  1812),  dans  son  travail  sur  la  Végétation  de 
la  Suisse  septentrionale^  et  dans  sa  Flore  des  monts  Gar- 
pathes(Gœtting.,  1814).Vers  la  même  époque,  De  Gandolle 
divisa  la  France  en  régions  botanico-géographiques,  en 
tenant  surtout  compte  de  la  hauteur  des  localités  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer,  et  R.  Brown  publia  ses 
Observations  de  géographie  botaniques  sur  l'Australie. 

L'élan  était  donné.  Fréd.  Schouw,  Wilbrand,  Mirbel, 
Beilschmied,  Meyen,  Rœmer,  Unger,  Adrien  de  Jussieu, 
Gh.  Martins,  etc.,  n'ont  eu  depuis  qu'à  suivre  la  route 
indiquée. 

1 .  De  végétât,  et  climat,  in  Helvetia  septentrionali  inter  flumina 
Rlienum  etArolam,  etc.;  Zurich,  1813. 


HISTOIRE 


DE    LA 


MINÉRALOGIE 


ET   DE 


LA  GÉOLOGIE 


HISTOIRE 


MINERALOGIE 


ET    DE 


LA    GEOLOGIE. 


MINÉRALOGIE. 

Pierres  considérées  couime  précieuses  ou  rares 
par  les  anciens. 

D'après  la  Genèse,  la  terre  pierreuse,  aride,  a  paru, 
dans  l'ordre  de  la  création,  avant  la  terre  nourricière, 
animée  par  les  manifestations  variées  de  la  vie.  L'auto- 
rité biblique  se  trouve  ici  d'accord  avec  l'autorité  de  la 
science. 

L'examen  attentif  d'une  roche  brillante,  cristalline,  a 
pu  faire  naître  une  série  d'observations  du  plus  haul, 
intérêt.  Mais  ces  observations  se  sont  d'abord  primitive- 
ment arrêtées  aux  objets  qui,  par  leur  éclat  et  par  leurs 
teintes  variées,  attirent  les  regards,  non-seulement  des 
hommes  sauvages,  mais  même  de  certains   animaux,  li'!s 

l'j 


290  HISTOIRE  DÉ  LA  MINÉRALOGIE. 

que  les  corbeaux,  les  pies,  etc.  La  connaissance  des 
pierres  précieuses  a  donc  dû  précéder  celle  des  roches  com- 
munes :  c'est  la  branche  la  plus  ancienne  de  la  minéra- 
logie. 

Le  président  de  l'aréopage  égyptien,  composé  de  trente 
juges,  portait  autour  du  cou  une  chaîne  d'or,  à  laquelle 
était  suspendue  une  petite  figure  eu  pierres  précieuses, 
représentant  la  vérité*.  Quelles  étaient  ces  pierres  pré- 
cieuses? 

Moïse,  qui  avait  longtemps  résidé  en  Egypte,  va  nous 
donner  ici  quelques  renseignements  utiles.  Au  nombre 
des  usages  que  les  Israélites  avaient  empruntés  aux  Égyp- 
tiens, il  faut  certainement  placer  le  rational  ou  pec- 
toral du  grand  prêtre,  qui  remplissait  des  fonctions  ana- 
logues à  celles  du  président  du  tribunal  suprême  de  l'E- 
gypte. Le  pectoral  était  une  pièce  carrée,  tissue  de  fils 
d'or,  entremêlés  de  fils  de  lin  teints  en  violet,  en  pourpre 
et  en  écarlate.  Cette  pièce,  que  le  grand  prêtre  portait 
sur  la  poitrine  par-dessus  l'éphod,  était  ornée  de  douze 
pierres  précieuses,  disposées  sur  quatre  rangs  ou  tourim 
(de  nu,  tour^  rang).  «Au  premier  rang,  il  y  avait,  disent 
les  interprètes,  la  sardoine^  la  topaze  et  Vémeraude;  au 
second,  Vescarboucle^  le  saphir  et  le  jaspe;  au  troisième, 
le  ligure,  l'agate  et  l'améthyste;  au  quatrième  rang,  la 
chrysolithe,  l'onyx  et  le  béi^yl.  »  On  y  voyait  gravés  les 
noms  des  douze  tribus  d'Israël  ^. 

Les  noms  de  ces  pierres  et  leur  signification  méritent 
une  étude  plus  approfondie. 

Sardoine.   —  Le  nom   hébreu  de  ms',  odem,  que  les 

Septante  ont  traduit  par  Txpotov,  et  la  Vulgate  par  sar- 
dius,  désigne  une  pierre  rouge,  s'il  faut  s'en  rapporter  à 
son  étymologie  [adom,  en  hébreu,  signifie  rouge).  On  aura 


1.  Diodore,  I,  75. 

2.  Lxode,  XXVIII,  1 


PIERRES  PRÉCIEUSES.  291 

donc  à  choisir  entre  le  rubis,  la  cornaline  et  le  grenat. 
Le  rubis,  rubinus  (de  ruber,  ronge) ^  de  tout  temps  fort 
estimé,  a  été  compris,  dans  l'antiquité,  parmi  les  escar- 
boucles,  carbunculi,  nom  appliqué  à  toutes  les  pierres 
précieuses  dont  la  transparence  rappelle  l'éclat  d'un 
charbon  incandescent.  Il  offre  de  nombreuses  variétés 
(rubis  balais,  rubis  spinelle,  corindon  rouge,  rubis  orien- 
tal ou  saphir  rouge),  dont  la  composition  chimique  n'a 
été  reconnue  que  de  nos  jours  :  ce  sont  des  aluminates  de 
magnésie  naturels,  appartenant  aux  terrains  de  mica- 
schiste. Les  grenats,  qui  doivent  leur  nom  à  la  couleur 
de  feu  de  la  fleur  du  grenadier  {punica  granalum),  sont 
en  général  opaques  ou  d'une  faible  transparence  ;  il  y  en 
a  de  pourprés,  dits  syriens,  d'orangés,  dits  hyacinthes, 
de  vermeils,  d'un  rouge  coquelicot,  etc.  Leur  composi- 
tion a  été  trouvée  assez  variable  :  ce  sont  des  combinai- 
sons de  silice,  d'alumine,  de  peroxyde  de  fer,  avec  de  la 
chaux,  de  la  magnésie,  etc.  Les  anciens  les  comprenaient, 
en  partie,  parmi   les  escarboucles. 

La  cornaline  paraît  être  la  véritable  sardoine  des  an- 
ciens ;  c'est  une  espèce  d'agate  ou  de  quarz ,  dont  la 
pâte  fine,  demi-transparente,  susceptible  d'un  beau  poli, 
est  colorée  de  nuances  vives  et  variées.  Les  agates 
bleuâtres,  gris  de  perle,  fortement  translucides,  portent  le 
nom  de  Qalcédoines;  celles  d'un  rouge  de  sang,  nuancées 
de  teintes  ondulées  d'un  brun  jaunâtre  clair,  sont  les  cor- 
naiùies  proprement  dites;  celles  d'un  rouge  brunâtre  foncé 
ou  d'un  rouge  orangé  sont  les  sardoines. 

On  n'est  pas  d'accord  sur  l'origine  de  ce  dernier  nom. 
Les  uns,  comme  Pline*,  le  font  dériver  de  Sardes^  nom  de 
l'ancienne  capitale  de  la  Lydie  :  gemma  vulgaris,  primum 
Sardibus  reperta;  les  autres,  comme  saint  Épiphane,  le 
font  venir  de  sarda^  sardine,  à  cause  des  nuances  cha- 
toyantes que  prend  ce  poisson  conservé  dans  du  sel  :  pisci 

1.  Pline,  XXXVII,  7. 


292  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

sale  condilo  et inveterato  similis^;  d'autres  enfin  le  dédui- 
sent du  grec  sarx,  chair,  à  cause  de  sa  couleur. 

Tliéophraste  et  Pline  divisaient  les  sardoines  en  mâles 
{mares)  et  en  femelles  [fœminse]  :  les  dernières  étaient 
d'un  rouge  clair,  les  premières  d'un  rouge  foncé  ;  c'étaient 
sans  doute  de  simples  variétés  de  cornaline.  Les  gemmes, 
les  abraxas,  les  talismans  et  autres  pierres  gravées,  qui 
nous  sont  parvenus  de  l'antiquité  et  du  moyen  âge, 
étaient  pour  la  plupart  des  sardoines. 

Topaze.  —  Suivant  les  auteurs  grecs,  tels  que  Or- 
phée, Agatharchide ,  Strahon,  Diodore,  la  topaze  était 
jaune,  couleur  d'or,  comme  la  chrysolithe,  avec  laquelle  on 
a  voulu  l'identifier;  tandis  que  d'après  les  auteurs  latins, 
notamment  Pline,  elle  était  de  couleur  verte.  Rappelons 
ici  que,  selon  Diodore  et  Strabon,  la  topaze^  10  loni- 
^lov,  venait  d'une  île  de  la  mer  Rouge  nommée  Ophiode, 
c'est-à-dire  Serpentine.  On  sait  que  la  serpentine  est  une 
pierre  verte  ;  mais,  d'autre  part,  le  nom  hébreu  de  pitedah, 
HToa,  que  tous  les  interprètes  ont  rendu  par  topaze^  se 

rattache  au  mot  pita^  qui  en  sanscrit  signifie  jaune. 
Quoi  qu'il  en  soit,  la  topaze  était  particulièrement  estimée 
des  anciens.  On  en  ignora  longtemps  la  composition.  Ce 
n'est  que  depuis  un  siècle  à  peine  qiie  l'on  sait  que  la 
topaze,  dont  les  principales  formes  ciistallines  sont  un 
prisme  rhomboïdal  ou  un  prisme  hexaèdre,  est  une  combi- 
naison naturelle  d'alumine,  de  silice  et  d'acide  fluorique, 
empâtée  dans  le  quarz  et  le  feldspath  des  roches  grani- 
tiques. 

Émeraude.  —  Il  résulte  de  plusieurs  passages  d'au- 
teurs anciens  que  le  nom  de  smaragdus ^  ctjiapaYSoç  (dérivé 
probablement  de  [xapfxaCpw,  miroiter)  s'appliquait  à  toute 
pierre  verte,  tels  que  l'aiguë  marine,  le  jaspe,  le  mala- 
chite, etc.,  et  même  au  verre  artificiellement  coloré    en 


1.  Sai 


nt  Épiphane,  De  duodecim  gemmis,  etc. 


PIERRF.S  PRÉCIEUSES.  293 

vert,  comme  l'étaient  les  colonnes  (colonnes  d'émeraude) 
du  temple  d'Hercule  à  Tyr  *.  Mais  il  ne  faudrait  pas  in- 
duire de  là,  comme  l'ont  fait  quelques  commentateurs, 
que  ce  même  nom  ne  pouvait  pas  s'appliquer  à  l'éme- 
raude  proprement  dite.  Pline  en  a  donné  une  longue  descrip- 
tion, où  il  fait  ressortir  la  lumière  que  cette  pierre  précieuse 
«  lance  en  rayons  aussi  vifs  que  doux,  faisant  resplendir 
l'air  qui  l'environne  et  teignant  par  son  irradiation  l'eau 
dans  laquelle  on  la  plonge  ^.  >> 

Dans  les  fragments  qui  nous  restent  de  son  traité 
Des  pierres  [Hipi  XîOwv),  Théophraste  dit  que  «  l'émeraude 
est  rare  et  ne  se  trouve  jamais  en  grand  volume.  »  Il 
nous  apprend  aussi  qu'on  se  plaisait  à  porter  l'éme- 
raude en  bagues,  et  que  les  artistes  la  taillaient,  soit 
en  cabochon  pour  faire  flotter  la  lumière,  soit  en  table 
pour  la  réfléchir  comme  un  miroir,  soit  en  creux  régulier 
dans  lequel,  sur  uu  fond  agréable  à  l'œil,  venaient  se 
peindre  les  objets  en  raccourci.  Pline  parle  d'une  éme- 
raude  sur  laquelle  était  gravée  Amymoe,  l'une  des  Da- 
naïdes,  et  il  rapporte  la  gravure  de  ces  pierres  chez  les 
Grrecs  à  une  époque  qui  répond,  chez  les  Romains,  au  rè- 
gne du  dernier  des  Tarquins.  Selon  Clément  d'Alexandrie, 
le  farneux  cachet  de  Polycrate  était  une  émeraude,  gravée 
par  Théodore  de  Samos. 

Le  mot  hébreu  barêketh^  ripin,  que  tous  les  interprètes 

ont  rendu  par  émeraude,  dérive  de  barak,  éclair.  La  forme 
cristalline  de  l'émeraude  (prismes  à  six  faces),  pas  plus 
que  celle  des  autres  pierres  précieuses,  n'avait  aucune- 
ment attiré  l'attention  des  anciens. 

C'est  dans  l'émeraude  que  la  glucyne,  terre  particulière, 
découverte  en  1798par  Vauquelin,  se  trouve  naturellement 
combinée  avec  la  silice  et  l'alumine. 

Escarboude.  —  Le  terme  de  Moïse,   nophekh  ("2j), 

1.  Hérodote,  ii,  44. 

2.  Pline,  IJist.  nat.,  xxxvii,  16. 


294  HISTOIRE  DE  LA   MINÉRALOGIE. 

que  les  Septante  ont  rendu  par  àvôpa^,  carbunculus^  escar- 
boucle,  signifie-t-il  le  diamant,  le  rubis  ou  toute  autre 
pierre  précieuse?  La  plupart  des  lexicographes,  Gesenius 
en  tête,  n'osent  pas  se  prononcer  à  cet  égard.  Ce  qu'il  y 
a  de  certain,  c'est  que  le  nom  d'escarboucle  pouvait  s'ap- 
pliquer à  toute  espèce  de  pierre  qui,  soit  au  soleil,  soit 
même  dans  l'obscurité,  brillait  d'un  feu  très-vif,  rappe- 
lant l'éclat  d'un  charbon  ardent.  Le  diamant  jouit  de  cette 
propriété,  et,  chose  remarquable,  il  n'est,  en  réalité,  que 
du  charbon  pur,  carbunculus^  cristallisé.  Mais  les  anciens 
ont  clairement  désigné  le  diamant  sous  le  nom  de  aSajj.aç, 
adanias  (de  Safjia^siv,  dompter,  et  l'a  privatif),  faisant  al- 
lusion à  sa  dureté  extrême.  Pline  a  positivement  observé 
que  le  diamant  seul  peut  rayer  toutes  les  autres  pierres  ^. 
Il  ajoute  qu'on  ne  le  trouve  qu'en  petite  quantité,  de  la 
grosseur  d'une  graine  de  concombre  au  plus  [non  amplior 
cucumis  semine),  qu'à  cause  de  sa  rareté,  cette  pierre, 
transparente  et  incolore  (colore  translucido),  cristallisée 
en  octaèdres  [laterum  sexangulo  levore  turbinatus  in  mu- 
cronenï),  n'entre  que  dans  l'ornement  des  rois,  et  qu'elle 
accompagne  généralement  l'or  dans  les  mines  de  l'Ethio- 
pie, de  l'Arabie  et  de  l'Inde.  «  On  en  rencontre  cependant 
aussi,  dit-il,  de  la  grosseur  d'une  noisette  [magnitudine 
avcHanœ  nuclei)  ^.  »  —  On  s'est  complu  depuis  à  faire 
l'histoire  des  plus  gros  diamants  qui  ont  passé  dans 
différentes  successions  de  trésors. 

L'escarboucle  n'est  pas  non  plus  le  cristal  de  roche; 
car  les  anciens  donnaient  à  la  silice  pure  cristallisée  le 
nom  de  cristal,  xpuaxaXXov,  crijstaUwn^  par  excellence.  Ils 
croyaient,  comme  l'attestent  Théophraste,  Diodore,  Pline, 
Sénèque,  que  c'était  de  l'eau  concrétée  par  un  froid  ex- 
cessif [gelu  vehementiore  concretum) ,  et  ils  indiquaient 


1.  Pline,  xxxvni,  76, 

2.  /6id.,  XXXVII,  15. 


PIERRES  PRÉCIEUSES.  295 

comme  principal  lieu  de  provenance  les  Alpes  toujours 
couvertes  de  neige. 

Beaucoup  de  commentateurs  admettent  que  l'escar- 
houcle  était  le  rubis.  Buffon  partage  cette  opinion  en  la 
modifiant.  «  Gomme  le  mot  latin  carbunculus  indique, 
dit-il,  une  substance  couleur  de  feu,  on  ne  peut  l'appli- 
quer qu'au  rubis  ou  au  grenat,  et  les  rubis  étant  plus 
rares  et  en  plus  petit  volume  que  les  grenats,  nous  nous 
croyons  bien  fondés  à  croire  que  l'escarboucle  des  anciens 
était  un  vrai  grenat  d'un  grand  volume^  et  tel  qu'ils 
ont  décrit  leur  carbunculus  '.  » 

Saphir.  —  Ce  mot,  qui  dérive  évidemment  de  l'hébreu 
ou  du  chaldéen  saphar,  12D,  graver,  se  retrouve,  avec  de 
très-légères  modifications,  à  peu  près  dans  toutes  les-lan- 
gues;  il  paraît  avoir  été  appliqué  primitivement  àtoutes  les 
pierres  cristallisées  propres  à  la  gravure.  Plus  tard  ou 
l'a  spécialement  appliqué  au  corindon  ou  saphir  bleu,  au 
lubis  des  lapidaires  (rubis  oriental)  et  à  l'améthyste  orien- 
tale (saphir  violet) .  Les  plus  beaux  saphirs  venaient,  sui- 
vant Pline  et  Marbode  [De  lapid.pret.  cap.  lui),  de  la  Mé- 
die,  qui  est  ici  sans  doute  prise  pour  l'Inde. 

On  ne  sait  que  depuis  le  commencement  de  notre  siè- 
cle que  le  saphir  ou  corindon,  incolore,  translucide, 
rivalisant  en  beauté  et  en  dureté  avec  le  diamant'' 
est  de  l'argile  pure  (alumine)  cristallisée,  qu'à  l'état  im- 
pur il  constitue  la  terre  connue  dans  l'industrie  sous  le 
nom  à'émeri,  et  que  cette  terre  aluminée,  naturellement 
cristallisée  avec  de  très-petites  quantités  d'oxyde  de  fer,  de 
manganèse,  de  nickel,  de  chrome,  présente  les  teintes  les 
plus  riches  et  les  plus  variées.  C'est  là-dessus  que  repose 
la  fabrication  des  pierres  précieuses,  susceptibles  de  rem- 
placer les  pierres  fines  naturelles. 

Jaspe.  —  Au  second  rang  des  pierres  précieuses  qui 
ornaient  le  pectoral  du  grand  pontife,  se  trouvait  le  iaha- 

1.  Buffon,  t.  XI  (minéraux),  p.  267  (de  l'édition  de  Flourens). 


296  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE 

lom  (DSn>"j,  mot  hébreu  (dérivé  de  halam,  broyer),  sur 
la  valeur  duquel  les  interprètes  ne  sont  pas  d'accord  :  les 
uns  le  rendent  par  diamant,  les  autres  par  émeraude, 
d'autres  enfin  par  jaspe.  C'est  la  dernière  interprétation 
qui  a  été  généralement  adoptée.  Mais  ici  encore  il  y  a 
beaucoup  d'incertitude  :  le  jaspe  des  anciens,  tel  que  le 
décrit  Pline,  était  vert  et  souvent  translucide,  uim  eîs.^j^e 
translucet  jaspis,  tandis  que  le  jaspe  des  modernes  est  du 
quartz  (silice),  mêlé  principalement  d'oxyde  de  fer  ;  la  pré- 
sence de  cet  oxyde  (mélange  de  protoxyde  et  de  sesquioxyde) , 
hydraté  ou  non,  produit  les  diverses  variétés  de  jaspes  rou- 
ges, jaunes,  verts,  etc.,  à  cassure  terne,  non  vitreuse,  où 
les  couleurs  sont  tantôt  uniformément  répandues,  tantôt 
disposées  par  bandes,  par  zones,  par  taches,  etc.  Les 
jaspes  terehinthizusa,  grammatias,  polygrammos,  stellata 
rutilis  punctis,  jasponyx, onychipunclata,  capnias,  turbida, 
étaient  des  espèces  d'agates,  principalement  des  calcé- 
doines plus  ou  moins  transparentes,  marquées  de  raies 
ou  de  taches  blanches,  sur  un  fond  sombre  ou  enfumé. 
Ces  pierres  servaient  surtout  de  cachets;  celle  qui  par 
sa  couleur  se  rapprochait  de  l'émeraude,  et  qui  était  tra- 
versée, au  milieu,  par  une  ligne  blanche,  était  particu- 
lièrement en  usage  comme  un  amulette  pour  se  préserver 
du  démon  de  la  luxure  et  acquérir  de  la  puissance  ^ 

Ligure.  —  On  a  beaucoup  discuté  sur  la  signification 
du  mot  hébreu  leschem  (dïtS),  que  les  Septante  et  la  Vul- 
gate  ont  traduit  par  h-(6piov,'ligurium.  Suivant  saint  Épi- 
phane,  c'était  une  pierre  purpurine,  semblable  à  l'hya- 
cinthe. D'après  Théophraste  et  Pline  .le  ligure  ou  lyncurius 
(dérivé  de  lynx),  c'était  le  succin,  résine  fossile,  compacte 
{electrwn),  dont  les  anciens  connaissaient  les  propriétés 
électriques,  et  qui  passait  pour  une  concrétion  excrémen- 
titielle  du  lynx,  espèce  de  chat  saurage,    plus  commune 

1.  Pline,  xxxvii,  37. 


PIERRES  PRÉCIEUSES.  297 

autrefois  qu'aujourd'hui.  Enfin  il  y  en  a  qui  pensent  que 
le  Hgurium  ou  lyncurius  était  la  tourmaline,  borosilicate 
d'alumine  naturel,  d'un  noir  bleuâtre,  quelquefois  incolore 
ou  légèrement  rosé,  dont  les  singulières  propriétés  phy- 
siques ne  sont  guère  bien  connues  que  depuis  environ 
un  siècle. 

Agate.  —  Le  schebo  ,  linz;',  des  Hébreux  est,  s'il  faut  en 
croire  les  interprètes,  notre  agate,  qui  appartient,  comme 
la  calcédoine,  le  jaspe,  la  cornaline,  etc.,  à  la  classe  des 
quartz  ou  des  pierres  fines  ayant  pour  principale  compo- 
sition chimique  la  silice.  Le  nom  à'achate,  àx^-cr^ç^  est, 
suivant  Théophraste  (IIspl  Xi'Qojv),  emprunté  à  celui  d'un 
fleuve  de  la  Sicile,  où  cette  pierre  abondait.  Ses  nuances 
variées  lui  avaient  valu  des  appellations  diverses,  telles 
que  iaspachate,  cérachate,  hèmachate,  leucacliate,  dendra- 
chate,  etc.  Pline  attribue  aux  agates,  entre  autres,  la  pro- 
priété de  guérir  les  morsures  de  scorpions,  d'étancher 
la  soif,  étant  portées  dans  la  bouche,  de  rendre  les  athlètes 
invulnérables,  etc.  Il  signale  aussi  l'usage  qu'en  faisaient 
les  médecins  ou  pharmaciens  pour  la  confection  des  pe- 
tits mortiers  dans  lesquels  ils  broyaient  leurs  médica- 
ments*. 

Améthyste.  —  Cette  pierre,  qui  est  du  quartz  coloré 
en  violet  par  de  l'oxyde  de  manganèse,  doit  son  nom 
grec  d'améthyste,  aasOuaToç,  selon  les  uns,  à  la  propriété 
de  dissiper  l'ivresse  [iii^],  selon  les  autres,  à  sa  couleur 
de  vin  d'un  rouge  violet.  Deux  épigrammes  de  l'Antho- 
logie grecque  (IV,  18)  font  allusion  à  cette  double  étymo- 
logie.  Au  rapport  de  Pline,  les  améthystes  les  plus  recher- 
chées provenaient  de  l'Inde  et  de  l'Arabie  Pétrée.  On  leur 
attribuait  des  vertus  surnaturelles  ;  on  y  gravait  l'image 
du  soleil  ou  de  la  lune,  et  on  les  portait  suspendues  au 
cou  par  des   poils   de  cynocéphale  ou  par  des  plumes 

1.  Pline,  xxxvii,  54. 


298  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

d'hirondelle  * .  D'après  l'étymologie  du  nom  liéLreu  à'hak 
lamah^  de  [khalam,  ûSn  rêver),  nom  que  tous  les  inter- 
prètes  ont  rendu  par  améthyste  ^    cette  pierre  aurait  la 
vertu  de  donner  des  songes  à  ceux  qui  la  portent. 

Chrysolithe.  —  Si  l'on  ne  s'en  rapporte  qu'à  l'éty- 
mologie, le  nom  de  chrysolithe  (de  /putroç  or,  et  lî^oc,  pierre) 
devra  s'appliquer  à  toutes  les  pierres  ou  matières  jaunes, 
telles  que  la  topaze,  le  corindon  jaune  (topaze  orientale), 
l'olivine,  une  variété  cristalline  du  péridote,  la  pyrite, 
le  succin,etc.  Les  anciens  faisaient  venir  leurs  chrysolithes 
particulièrement  de  l'Espagne,  comme  l'atteste  son  nom 

hébreu  de  dareschisch  (ywilj ,  qui  est  aussi  le  nom  de  la 

ville  de  Tartessus.  On  sait  que  cette  antique  cité,  dont  il 
est  souvent  question  dans  la  Bible,  était  le  principal  en- 
trepôt du  commerce  des  Phéniciens  sur  le  Bétis  (Guadal- 
quivir). 

Onyx.  —  D'après  la  description  qu'en  donnent  Théo- 
phraste,  Pline  (xxxvii,  24)  et  Isidore  de  Séville  [Ori- 
gines, XVI,  8).,  l'onyx  est  une  variété  d'agate  rubanée  en 
deux  ou  trois  couleurs  par  des  zones  très-fixes,  lactes- 
centes, semblables  à  celles  qu'on  remarque  à  la  base  des 
ongles,  d'où  le  nom  à'o7iyx,  qui  en  grec  signifie  ongle. 
Pline  ajoute  que  l'onyx  ne  diffère  que  de  nom  de  la  sar- 
doine:  ncc  sardse  nalura  differenda  est,  dividux  ex  eodem 
nomine.  De  là  le  nom  de  sardonyx,  donné  par  les  anciens 
à  cette  variété  de  quartz  (agate)  rubanée  ou  striée. 

Tous  les  interprètes  s'accordent  à  voir  dans  le  schoham 

(^Dnu)  des  Hébreux  l'onyx  ou  le  sardonyx.  Les  Grecs,  qui  ont 

excellé  dans  la  gravure  en  creux  et  en  relief  sur  les  pier- 
res, recherchaient  ces  belles  agates  pour  en  faire  des 
camées.  Il  nous  reste  un  certain  nombre  de  ces  pierres 
gravées,  dont  on  ne  saurait  se  lasser  d'admirer  la  beauté 

1.  Pline,  XXXVII,  40.—  Marbode,  De  lapid.  prêt.,  cap.  iv.  —  Albert 
le  Grand,  Lib.  de  minerai.,  II. 


PIERRES  PRÉCIEUSES.  299 

du  travail,  la  nelteté  et  la  finesse  du  trait  dans  îe  relief, 
qui  se  détache  si  parfaitement  du  fond  de  la  pierre  qu'on 
le  croirait  fait  à  part  et  ensuite  collé  sur  cette  même 
pierre.  Ils  choisissaient  pour  ces  beaux  camées  principale- 
ment les  onyx  blancs  et  rouges. 

Béryl.  —  Le  béryl  {{i-qcoK/.oç ,  beryllus)  des  Grecs  et 
des  Romains  paraît  bien  être  ce  qu'on  appelle  aujour- 
d'hui ôery^,  c'est-à-dire  une  espèce  d'émeraude  bleue, 
([ui  a  pour  composition  chimique  la  silice,  l'alumine  et 
la  glucine.  La  variété,  dans  laquelle  le  bleu  présente 
une  teinte  verdâtre,  est  l'aiguë  marine.  C'est  de  celle-ci 
que  parle  saint  Épiphane  dans  son  opuscule  Des  douze 
pierres  précieuses  d'Aaron  ;  il  dit  qu'on  la  trouve  dans  la 
chaîne  du  Taurus.  Au  rapport  de  Pline,  le  béryl  est 
commun  dans  l'Inde,  où  l'on  aurait  découvert  le  moyen 
d'imiter  les  pierres  précieuses,  notamment  les  béryls,  par 
la  teinture  (métallique)  du  cristal  de  roche  ^ 

Nous  ignorons  sur  quoi  se  sont  fondés  les  interprètes 

pour  traduire  le  nom  hébreu  de  iâschepeh  f ns^' j ,  déri- 
vant de  schapah^  être  lisse,  par  béryl,  au  lieu  de  le  traduire 
par  jaspe,  nom  qui  se  trouve  dans  toutes  les  langues  an- 
ciennes et  dont  l'origine  sémitique  paraît  certaine. 

Les  pierres  que  nous  venons  de  passer  en  revue,  la 
plupart  remarquables  par  leurs  figures  régulières,  cris- 
tallines, sont  les  unes  translucides,  les  autres  demi-trans- 
parentes ou  opaques.  Elles  formaient  le  pectoral  ou  ratio- 
nal  d'Aaron,  frère  aîné  de  Moïse,  premier  grand  prêtre 
des  Juifs  (mort  en  1450  avant  J.  G.),  et  elles  composaient 
depuis  lors,  comme  nous  l'avons  dit,  le  principal  orne- 
ment, le  khoschen,  le  loyelov  (rationale)  de  l'éphod  des 
grands  pontifes  de  la  même  nation.  Au  milieu  creux  de  cet 
ornement,  milieu  qui  se  nommait  le  khoschen  hamisch^ 


1.  Pline,  XXXVII,  20  :  —  Indi...,  gemmas  tîngendo  adulterare  repe- 
rerunt,  sed  prsecipue  heryllos. 


300  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

pat^  le  Xoysiov  ou  ^oyetov  xpiasto;  des  Septante,  c'est-à-dire 
le  rational  du  jugement^  étaient  gravées  ourim  ('d'IIN)  et 

thummim     /D'an),    deux    mots    qui  signifient    lumière 

(révélation)  et  vérité  (intégrité).  «  Ces  mots  seront,  ajoute 
Moïse,  sur  le  cœur  d'Aaron,  lorsqu'il  paraîtra  devant 
Jehovah  ^  » 

Quel  était  le  véritable  sens  de  tout  cela  ?  Bien  des  con- 
jectures, plus  ou  moins  inadmissibles,  ont  été  émises  à 
cet  égard.  Suivant  Spencer,  dont  l'opinion  réunit  beau- 
coup de  partisans,  les  ourim  et  thummim  étaient  des 
statuettes  de  figure  humaine,  analogues  aux  antiques  the- 
raphim^  espèce  de  pénates  donnant  des  oracles  chez  les 
Araméens,  ancêtres  du  peuple  hébreu  :  un  Dieu  ou  ange 
répondait  aux  questions  du  grand  prêtre  *.  Tout  en  adop- 
tant l'opinion  de  Spencer,  S.  Munk  la  modifie  en  cher- 
chant à  établir  que  «  ces  figures,  symboles  de  la  vérité 
et  de  la  justice,  étaient  employées,  d'une  certaine  ma- 
nière, comme  un  sort  que  l'on  considérait  comme  un 
jugement  de  Dieu  ^  «  Nous  allons  voir  ce  qu'il  faudra 
penser  de  ces  différentes  opinions. 

Rappelons  d'abord  que  les  pierres  précieuses  du  pec- 
toral des  grands  prêtres  hébreux  ornaient  aussi  le  vête- 
ment sacerdotal  des  rois  de  Tyr*,  et  qu'elles  formaient 
les  douze  assises  de  l'enceinte  de  la  nouvelle  Jérusalem, 
dont  parle  l'Apocalypse  (xxi,  20).  Nous  ne  devons  pas 
ensuite  oublier  le  rôle  que  la  plupart  de  ces  pierres 
jouaient  dans  la  comj)ositiondes  talismans  (du  grec  tÉXsaj/a, 
perfection)  et  des  amulettes.  Pline  nous  représente  les 
mages,  pontifes  de  l'Orient  (d'où  vient  le  mot  de  magié)^ 
comme  ayant  été  particulièrement  initiés  à  la  connais- 

1.  Exode,  xxxvM,30. 

2    J.  Spencer,  De  legihus  Hebr.rorum  ritualibus  et  earum  rationi- 
hus  libri  m  ;  Cambridge,  1685,2  vol.  ia-fol. 
3.  S.  Munk,  La  Palestine^  dans  VUnivers  pittoresque,  p.  176. 
'(.  Ézéchiel,  xxvm,  13. 


PIERRES  PRÉCIEUSES.  301 

sance  des  vertus  surnaturelles  de  l'agate,  de  l'émeraude, 
de  l'onyx,  etc.  Orphée,  poëte  du  cycle  pythagoricien, 
attribue,  dans  ses  Lithica,  aux  pierres  une  action  mysté- 
rieuse. A  propos  d'une  pierre  dont  l'éclat  lui  avait  valu 
le  nom  de  sidérite,  il  dit  qu'en  la  tenant  devant  les  yeux, 
on  se  sent  animé  du  souffle  de  la  prophétie.  Suivant  la 
doctrine  des  bouddhistes,  le  saphir  calme  l'effervescence  de 
l'âme,  et  préserve  de  l'envie  et  du  mensonge.  Marbodc 
ajoute  que,  pour  porter  cette  pierre,  il  faut  avoir  le  cœur 
chast3  et  pur.  Il  serait  trop  long  d'énumérer  les  vertus 
singulières  que  devait  posséder  le  diamant,  le  grenat, 
l'agate,  le  cristal  de  roche ,  l'émeraude ,  l'onyx,  etc. 
Théophraste,  Dioscoride,  Galien,  Isidore  de  Séville,  Avi- 
cenne,  Albert  le  Grand,  bref  la  plupart  des  écrivains  de 
l'antiquité  en  font  mention.  Mais  tout  cela  était,  en  grande 
partie,  traité  de  fable,  jusqu'à  ce  qu'on  eût,  vers  la  fin  du 
dix-huitième  siècle,  observé  l'action  très-réelle  de  certains 
minéraux  sur  des  somnambules.  Les  observations  de  ce 
genre  se  multiplièrent.  Kerner,  dans  la  Voyante  de  Pre- 
vorst ,  a  consacré  tout  un  chapitre  *  sur  l'action  des 
minéraux  et  des  pierres  précieuses  suivant  qu'ils  ont 
pour  principale  composition  la  silice  (quartz)  ou  l'alu- 
mine. Enfin,  assez  récemment  on  a  constaté,  par  des 
expériences  positives,  que  l'éclat  des  cristaux  ou  des  sub- 
stances translucides  provoque  chez  certaines  personnes  un 
véritable  sommeil  magnétique.  C'est  le  phénomène  qui  a 
reçu  le  nom  d'hypnotisme.  Ne  pourrait-on  pas  trouver, 
dans  ce  que  nous  venons  de  rappeler,  l'explication  des 
ourim  et  thummim,  ainsi  que  l'emploi  des  pierres  brillan- 
tes par  les  rois  ou  les  pontifes  prophètes  de  l'antiquité  ? 

1.  Die  Seherin  von  Prevorst,  p.    55-103  (Stuttg.   et  Tub.,   1846, 
in-8°). 


302  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 


Pierres  ou  roches  communes. 

Les  anciens  avaient,  comme  nous,  observé  que  l'écorce 
pierreuse,  inanimée,  de  la  terre,  se  trouve  la  même  sous 
tous  les  climats,  que  l'aspect  des  mêmes  roches  peut,  dans 
les  régions  les  plus  lointaines,  rappeler  au  voyageur  le 
souvenir  de  la  patrie  absente,  tandis  que  les  végétaux  et 
les  animaux  le  distraient  ou  l'étonnent  par  leur  variété 
infinie.  Mais  ils  ignoraient  absolument  que  la  chaux^  la 
silice  et  V argile,  mêlées  aux  détritus  de  la  nature  vivante, 
forment  la  presque  totalité  de  la  surface  terrestre  et  que 
ces  substances  minérales,  réduites  à  leur  plus  grand  état 
de^  simplicité,  ne  sont  que  des  rouilles,  des  oxydes  de 
naétaux  aussi  brillants  que  l'argent.  Il  a  fallu  des  milliers 
d'années  pour  arriver  à  cette  importante  connaissance. 
Pourquoi? Parce  que  ces  substances,  par  la  variabilité  de 
leur  couleur,  de  leur  densité,  de  leur  dureté,  de  toutes 
leurs  qualités  extérieures  enfin,  trompent  l'œil  et  donnent 
complètement  le  change  sur  la  simplicité  de  leur  com- 
position intérieure ,  moléculaire.  C'est  cette  variabilité 
même  qui  constitue  leur  histoire  géologique  et  minéra- 
logique. 

Chaux.  — La  terre  alcaline,  la  chaux  des  chimistes, 
n'existe  dans  la  nature  qu'en  combinaison  avec  l'acide  car- 
bonique, l'acide  sulfurique,  la  silice,  l'alumine  (argilepure), 
l'oxyde  de  fer,  etc.  Dans  ces  combinaisons  diverses,  elle 
présente,  sous  le  nom  général  de  pierre  calcaire,  les 
aspects  les  plus  variés,  forme  les  plus  puissantes  assises 
du  globe  ,  et  affecte  toutes  les  positions  imaginables , 
parmi  lesquelles  prédominent  les  couches  horizontales. 
Ces  points  de  vue  scientifiques,  étant  le  fruit  du  travail 
de  longues  générations,  devaient  nécessairement  échapper 
à  l'esprit  des  anciens. 


PIERRES  COMMUNES.  303 

C'est  principalement  à  la  pierre  calcaire  que  s'appliqua 
cette  remarque  que  les  hommes,  pour  construire  leurs 
demeures,  palais  et  monuments,  ont  pris  au-dessous 
du  sol  ce  qui  est  au-dessus.  Vitruve  a  particulièrement 
insisté  sur  l'usage  des  roches  calcaires  comme  pierres  à 
bâtir,  suivant  qu'elles  sont  tendres  (mollia)  ou  dures. 
«  Les  tendres  se  taillent,  dit-il,  avec  facilité  (in  opère 
faciliter  traclanlur)^  et  résistent  parfaitement,  si  elles 
sont  employées  dans  des  lieux  couverts;  mais,  dans  des 
lieux  ouverts ,  elles  sont  rongées  et  dissoutes  par  les 
gelées.  55  Ces  pierres  perméables,  appelées  gélives,  devaient 
être  rejetées  des  constructions.  Suivant  Vitruve,  la  pierre 
de  Tibur,  assez  dure,  résiste  le  mieux  aux  injures  de 
l'air  *.  La  pierre  de  Tibur  [saxum  Tiburlinum)  paraît  être 
cette  variété  de  tuf  calcaire  connue  sous  le  nom  de  traver- 
tin. Formée  de  masses  stratifiées  à  texture  compacte  et 
celluleuse,  de  couleur  blanchâtre  ou  jaunâtre ,  elle  con- 
tient souvent  des  débris  de  limnées ,  d'hélices ,  de  palu- 
dines  et  d'autres  coquillages.  C'est  au  travertin  que  les 
principaux  monuments  de  Rome  doivent  leur  magni- 
ficence et  leur  durée. 

Le  tophus^  tuf,  de  Vitruve  et  de  Pline,  était  probable- 
ment notre  calcaire  grossier,  presque  entièrement  com- 
posé de  débris  coquillers  marins,  réunis  par  un  ciment 
calcaire  auquel  il  doit  sa  consistance.  Facile  à  tailler,  il 
conserve  quelquefois  assez  de  ténacité  pour  se  prêter  aux 
exigences  de  la  sculpture.  C'était  sans  doute  le  tophus 
qui  servait  à  la  construction  des  édifices  publics  de  l'anti- 
quité grecque  et  romaine.  Le  temple  de  Jupiter  à  Élis, 
l'édifice  de  Pestum ,  au  bord  du  lac  de  Salerne,  le  temple 
de  Grirgenti,  etc.,  en  étaient  bâtis. 

Sous  le  nom  de  marmor,  fjiap[;.apoç,  marbre,  les  anciens 
comprenaient  toutes  les  roches,  quelle  que  fût  leur  cou- 
leur, susceptibles  de  polissure,  telles  que  le  granit,  lepor- 

1.  Vitruve,  De  archited.,  n,  7. 


304  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

phyre,  le  malachite,  les  calcaires  compactes,  etc.  Plus 
tard  ce  nom  reçut  une  signification  plus  restreinte  :  il  nr 
s'appliquait  plus  qu'à  ces  types  de  calcaires  primitifs 
qui  composent  les  chefs-d'œuvre  de  la  sculpture  antique, 
et  parmi  lesquels  les  marbres  de  Paros  et  de  Carrare 
occupent  le  premier  rang.  Ces  marbres,  qu'Alex.  deHurn- 
boldt  considère  comme  une  modification  du  calcaire  sédi- 
menteux  par  la  chaleur  terrestre  et  par  le  voisinage  d'une 
roche  d'éruption,  sont  exempts  de  fossiles.  Au  marbre 
blanc,  retiré  des  îles  de  Paros,  de  Naxos  et  de  Tinos,  on 
donnait,  suivant  Pline,  l'épithète  de  lychnites ,  parce  que 
les  ouvriers  le  travaillaient  sous  terre  à  la  lumière  des 
flambeaux.  Les  marbres  oolithes  (de  wov  œuf  et  XîOo; 
pierre),  composés  de  petits  graviers  arrondis,  semblables 
à  des  œufs  de  poissons,  étaient  moins  recherchés,  à  cause 
de  leur  dureté  moindre. 

Calcaire  coquiller.  —  Il  est  impossible  que  les  an- 
ciens philosophes,  presque  tous  observateurs  de  la  nature, 
n'aient  pas  été  frappés  de  la  présence  de  ces  débris 
d'animaux  à  coquilles  dans  ces  grands  blocs  de  calcaire, 
qui  constituent  une  des  meilleures  pierres  de  construction. 
Xénophane  de  Golophon,  cité  par  Origène  *,  a  le  premier 
signalé  des  coquilles  marines  dans  le  calcaire,  des  tra- 
ces de  poissons  dans  les  carrières  de  Syracuse,  et  des 
empreintes  de  laurier  dans  celles  de  l'île  de  Paros.  Héro- 
dote mentionne  les  coquilles  fossiles  de  l'Egypte.  Eudoxe 
de  Gnide,  cité  par  Strabon,  parle  des  poissons  fossiles 
(opuxToi  t)(^9ù(;)  de  la  Paphlagonie,  et  Théophraste  des 
pierres  trouvées  près  de  Munda,  en  Espagne,  offrant  des 
empreintes  de  palmiers.  Ce  dernier  mentionne  encore^ 
des  plantes  fossiles,  rencontrées  au  delà  de  Gadès,  et  plu- 
sieurs espèces  de  charbon  de  terre  dans  la  Liguric. 
l'Élide  et  d'autres  pays.  Nous  y  reviendrons. 

1.  Philosophumena,  ch.  xiv. 

2.  Hisl.  Plant.,  iv,  7. 


PIERRES  COMMUNES.  305 

Des  ossements  de  grands  mammifères  étaient  pris  pour 
des  restes  de  géants.  Tels  étaient  les  corps  observés  par 
Plilégon  de  Tralles  dans  la  grotte  d'Artémis  en  Dalmatie  : 
les  côtes  sternales  avaient  16  aunes  de  long.  Ce  même 
philosophe  parle  aussi  de  la  dent  d'un  géant,  longue  d'un 
pied,  consacrée  à  l'empereur  Tibère.  Pline,  Aulu-Grelle, 
Pausanias,  Solin,  mentionnent  des  sarcophages  décou- 
verts par  suite  de  tremblements  de  terre,  ou  provenant 
de  fouilles  exécutées  sur  divers  points  de  la  Grèce  et  de 
l'Asie  Mineure.  Suétone,  dans  la  Vie  d'Auguste,  parle  le 
premier,  comme  provenant  de  grands  animaux,  des  osse- 
ments de  géants  réunis  à  Gaprée. 

Il  serait  oiseux  d'énumérer  toutes  les  observations  de 
fossiles,  qui  se  sont  multipliées  depuis  l'antiquité  jusqu'à 
nos  jours,  et  qui  ont  donné  naissance  à  la  paléontologie^ 
branche  importante  de  la  géologie.  Mais  nous  ne  sau- 
rions passer  sous  silence  les  théories  engendrées  par  ces 
observations.  Nous  en  parlerons  plus  loin. 

Craie.  —  Le  mot  creto,  craie,  n'avait  aucunement  chez 
les  anciens  le  sens  restreint  qu'il  a  aujourd'hui.  Ce  mot 
correspondait  plutôt  à  ce  que  nous  appelons  le  calcaire;  il 
s'appliquait  à  des  terres  argileuses  et  magnésiennes.  C'est 
ce  que  montrent  les  nombreuses  épithètes  que  Pline  donne 
à  la  craie,  telles  que  argtntaria^  chalcidica,  cimolia^  ere- 
thrla,  figulina^  rhodia,  jullonia,  virîdis,  etc.  La  pierre 
meulière  même,  lapis  molaris^  était  comprise  sous  la  dé- 
nomination générale  de  creta. 

La  craie  argentaire,  creta  argeiXtaria,  était  une  espèce 
de  talc  (talc  de  Venise),  une  terre  magnésienne.  Composée 
de  lamelles,  d'un  blanc  d'argent,  grasse  au  toucher. (d'où 
son  nom  de  stéatile  ou  talc)^  elle  était,  réduite  en  poudre, 
employée  comme  cosmétique,  pour  rendre  la  peau  lisse, 
luisante,  «ît  lui  donner  une  apparence  de  fraîcheur  ;  elle 
sert  encore  aujourd'hui  de  base  au  fard,  dont  le  principe 
colorant  est  le  rouge  de  carthame.  La  craie  verte,  creta  vi- 
ridiSj  était  également  une  terre  magnésienne;  c'était  le  talc 

20 


306  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

écailleux.  ou  fibreux,  variant  du  blanc  au  vert,  dont  la  pou- 
dre réduite  en  pâte  fine  compose  les  crayons  colorés,  con- 
nus sous  le  nom  de  pastels^  et  qui,  dans  son  état  naturel, 
est  employé  par  les  tailleurs  en  guise  de  craie  (craie  de 
Briançon)  pour  tracer  leurs  coupes  sur  les  étoffes.  C'est  pro- 
bablement encore  d'une  terre  magnésienne,  d'une  stéatite 
(craie  d'Espagne),  que  se  servaient  les  Romains  pour  blan- 
chir la  borne  terminale  dans  le  Cirque  et  pour  marquer 
les  pieds  des  esclaves  destinés  à  être  vendus. 

Quant  à  la  terre  à  foulon,  C7'eta  fullonia,  employée 
à  dégraisser  les  étoffes  de  laine,  c'était  une  terre  argi- 
leuse, combinée  avec  de  la  silice,  delà  chaux  et  de  la  ma- 
gnésie. Elle  appartenait,  ainsi  que  la  creta  figu'ina  (terre 
à  potier] ,  à  ce  genre  de  pierres,  extrêmement  répandues  dans 
tous  les  étages  des  terrains  secondaires,  que  l'on  désigne 
depuis  deux  siècles  à  peine  sous  le  nom  général  àe  mar- 
nes\  et  dont  on  tire  un  si  grand  parti  pour  l'amende- 
ment de  certains  sols.  Les  craies  chalcidienne,  éréthrienne, 
rhodienne^  paraissent  avoir  été  aussi  des  espèces  de 
marnes. 

Pline  nous  apprend  que  la  craie,  creta^  que  l'on  mêlait 
à  de  la  farine  de  blé,  provenait  des  envii^ons  de  Pouzzoles 
et  de  Naples^.  Or  cette  localité  est  exempte  de  ce  qu'on 
appelle  aujourd'hui  la  craie;  mais  elle  est  caractérisée  par 
une  terre  argileuse  et  magnésienne. 

Y  a-t-il  des  terres  nutritives?  Question  fort  intéressante, 
qui  a  été  souvent  soulevée  sans  avoir  pu  être  résolue 
d'une  manière  positive.  Les  Otomaques,  peuplade  sauvage 
des  bords  de  î'Orénoque,  dans  l'Amérique  méridionale, 
mangent,  quand  les  eaux  du  fleuve  sont  trop  hautes  pour 

1.  Ce  nom  ne  vient  pas,  comme  on  l'a  prétendu,  de  celui  de  la  ri- 
vière de  Marne,  mais  du  latin  marga  et  de  l'allemand  mergel  (argile). 
Les  marnes  sont  dites  argileuses,  calcaires  ou  siliceuses,  suivant  que 
l'argile,  la  chaux  ou  la  silice  dominent  dans  une  pâte  terne,  plus  ou 
moins  compacte. 

2.  Pline,  Hist.  naU,  xviii,  29. 


PIERRES  COMMUNES.  307 

leur  fournir  les  poissons,  une  argile  grasse,  douce  au  tou- 
cher, vraie  terre  de  pipe,  jaunâtre,  colorée  par  un  peu 
d'oxyde  de  fer.  Ils  la  choisissent  en  la  distinguant  d'au- 
tres terres  semblables,  qui  leur  paraissent  moins  agréables 
au  goût.  Ils  la  pétrissent  et  en  font  des  boulettes,  qu'ils 
grillent  sur  un  feu  doux  jusqu'à  ce  que  la  croûte  en  de- 
vienne rougeâtre.  Ces  Indiens,  pendant  la  saison  des  pluies, 
mangent  de  grandes  quantités  de  cette  glaise  sans  préju- 
dice pour  leur  santé  ;  ils  s'en  rassasient  et  regardent  eux- 
mêmes  la  terre  comme  une  matière  nutritive  ^ 

Des  faits  analogues  ont  été  observés  sur  d'autres  conti- 
nents. En  Guinée,  les  nègres  mangent  une  terre  jaunâtre, 
qu'ils  nomment  caouac.  Au  rapport  de  Labillardière,  les 
habitants  de  la  Nouvelle-Calédonie  appaisent  leur  faim  avec 
des  morceaux  de  terre  ollaire,  friable,  de  la  grosseur  du 
poing.  Les  Tongouses,  Tartares  nomades  de  la  Sibérie, 
passent  pour  faire  leur  nourriture  d'une  espèce  de  terre 
argileuse,  mélangée  avec  du  lait.  «  A  Java,  ditLeschenault, 
la  terre  que  mangent  quelquefois  les  indigènes,  est  une 
espèce  d'argile  rougeâtre,  un  peu  ferrugineuse  ;  on  l'étend 
en  lames  minces,  on  la  fait  torréfier  sur  des  plaques  de 
tôle,  après  l'avoir  roulée  en  petits  cornets,  à  peu  près 
comme  l'écorce  de  cannelle,  et  on  la  vend  sur  les  marchés 
sous  le  nom  de  tana-empo.  »  —  Au  rapport  de  Berzelius 
et  de  Retzius,  on  consomme,  dans  le  nord  de  la  Suède, 
annuellement  plusieurs  centaines  de  charges  d'une  terre 
d'infusoires  semblable  à  de  la  farine  ;  les  paysans  en  font 
usage,  moins  par  besoin  que  par  passe-temps.  Dans  quel- 
ques endroits  de  la  Finlande,  on  mêle  une  certaine  terre 
au  pain;  ce  sont  des  carapaces  vides  d'animalcules,  si  peti- 
tes qu'elles  ne  croquent  pas  même  sous  les  dents  ;  elles  ras 
sasient  sans  nourrir.  Les  chroniques  parlent  de  la  con- 
sommation de  cette  terre  d'infusoires,  que,  pendant  la 

1  Alex,  de  Humboldt,  Tableaux  de  la  nature,  t.  I,  p.  212  de  notre 
traduction). 


308  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

guerre  de  Trente  ans,  on  taisait  -manger,  sous  le  nom  de 
farine  de  montagne^  aux  populations  affamées  de  l'Allema- 
gne septentrionale. 

En  résumé,  les  anciens  avaient  donné,  en  l'absence  de 
toute  analyse  chimique,  le  même  nom  à  des  substances 
très-différentes  de  composition.  Ce  n'est  guère  que  depuis 
le  milieu  du  siècle  passé  que  l'on  donne  le  nom  de  craie. 
à  la  chaux  combinée  avec  l'acide  carbonique,  au  carbonate 
de  chaux.  Gomme  ce  carbonate  forme  la  base  des  coquil- 
lages pulvérisés,  Buffon  a  émis  l'hypothèse  qu'il  est  en- 
gendré de  toute  pièce  par  les  animaux  qui  les  habitem 
Généralisant  cette  hypothèse,  on  a  supposé  depuis  que  le 
sable  (silice),  le  sous-carbonate  de  fer  (rouille),  et  beau- 
coup d'autres  substances  du  règne  minéral  pouvaient  bien 
être  des  produits  du  règne  animal , 

Guidés  par  le  simple  aspect,  les  anciens  rattachaient  le 
gypse,  gypsum^  à  la  chaux,  calx.  Mais,  comme  pour  la 
craie,  bien  des  siècles  devaient  s'écouler  avant  d'arriver  à 
reconnaître  que  le  gypse  est  de  la  chaux  combinée  avec 
l'huile  de  vitriol  (acide  sulfurique),  que  c'est,  en  un  mot, 
du  sulfate  de  chaux,  et  que  le  plâtre  n'est  que  du  gypse 
ou  du  sulfate  de  chaux  qui  a  perdu,  par  l'action  de  la 
chaleur,  son  eau  de  cristallisation. 

L'albâtre,  alabastrites,  avait  été  .également  rapproché 
des  pierres  calcaires,  particulièrement  des  marbres,  dont 
il  partage  la  diversité  de  nuances.  Les  Romains  em- 
ployaient l'albâtre,  ayant  la  couleur  du  miel,  à  faire  ces 
vases  à  onguents,  vasa  unguentaria^  appelés  alabastra, 
dont  l'antiquité  nous  a  transmis  de  nombreux  échantillons. 
La  matière  de  ces  vases,  l'albâtre,  bien  moins  dur  que  le 
marbre,  a  la  même  composition  que  le  gypse;  c  esi  un 
sulfate  de  chaux,  ce  qu'ignoraient  absolument  les  an- 
ciens. Sa  translucidité  le  rapproche  de  la  pierre  spécu- 
laire,  lapis  specularis,  qui  est  aussi  un  sulfate  de  chaux 
cristallisé,  et  probablement  identique  avec  le  sélénile  ou 
y aphroselenon  de  Pline  et  de  Dioscoride. 


PIERRES  COMMUNES. 


309 


Silice  .  —  Le  nom  de  silex  était  particulièrement  affecté 
à  ce  que  les  minéralogistes  modernes  appellent  silexpyro- 
maque^  pétrosilex,  pierre  à  fusil.  Ils  auraient  mieux  fait 
de  choisir  le  nom  de  pyrode^  épithète  donnée  au  fils  de 
Gilix,  personnage  légendaire  qui,  selon  Pline,  apprit  aux 
hommes  à  faire  du  feu  au  moyen  de  cette  pierre  dure  : 
ignem  e  silice  elicere  monstravit  Pyrodes ^  Cilicis  fdius^. 

Cette  roche,  d'une  teinte  semblable  à  celle  de  la  corne, 
et  d'une  dureté  supérieure  à  celle  du  marbre,  est  remar- 
quable par  sa  cassure  luisante,  vitreuse,  à  arêtes  tran- 
chantes; c'est  ce  qui  l'a  fait  employer,  en 
guise  d'armes  et  d'outils  tranchants,  par  les 
peup_es  primitifs  ou  sauvages,  à  une  époque 
(âge  de  pierre)  où  les  usages  du  bronze  et 
du  fer  étaient  encore  inconnus. 

Les  pierres  de  tormerre,  les  PpovTeîa  et  xe- 
pauviadesGrrecs,  que  l'on  rencontre  dans  dif- 
férents terrains,  étaient  des  roches  siliceuses, 
taillées  en  haches,  en  coins,  etc.,  naturelle- 
ment ou  par  la  main  de  l'homme*.  N'ou- 
blions pas  cependant quecertains cocfuillages 
fossiles,  surtout  les  bélemnites,  avaient  l'hon- 
neur, à  cause  de  leur  forme  particulière, 
d'être  comptées  parmi  les  pierres  lancées, 
comme  des  flèches,  par  le  Dieu  du  tonnerre 
(voy.  ci-contre,  la  coupe  verticale  du  bé- 
lemnites arenarius  de  Schlotheim). 

A  chacune  des  formes  si  variées  de  la  si- 
lice fut  appliqué  dès  le  principe  un  nom  dif-  f 
férent;  la  science  qui  devait  pénétrer  dans  la 
constitution  intime,  moléculaire,  des  corps,  restait  encorL- 
à  créer.  Il  aurait  été  bien  difficile  d'affirmer,  par  la  siia 

1.  Pline,  Hist.  nat.,  vu,  59. 

2.  A  une  époque  où  le  bronze  et  le  fer  étaient  déjà  connus  les  Jiiiî>^ 
employaient,  pour  certaines  cérémonies  religieuses,  telles  que  la  ci'- 
concision,  des  couteaux  de  pierre  (silice).  Josué   v   2. 


310  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

pie  inspection  des  qualités  extérieures ,  que  l'agate ,  le 
cristal  de  roche  (crî/5îa//it?n),  le  quartz,  le  grès,  le  sable,  ne 
sont  au  fond  que  de  la  silice.  Ce  n'est  que  depuis  le  dix-huitiè- 
me siècle  de  notre  ère  que  l'on  a  pu  se  convaincre  que  le 
cristal  de  roche  ne  diffère  du  caillou  ou  quartz,  ainsi  que 
du  grès  ou  du  sable,  que  par  leur  état  d'agrégation. 
Mais  Buffon  était  encore  dans  l'erreur  quand  il  présentait 
pour  la  formation  du  grès  l'eau  comme  i'agglutinatif 
des  débris  de  quartz  réduits  en  petits  grains  ;  car  ce  qui, 
dans  les  grès,  relie  entre  eux  les  grains  de  quartz  vitreux 
(hyalin),  c'est  un  ciment  silico-calcaire.  Il  se  trompait 
encore  quand  il  prétendait  «  que  les  cailloux  les  plus  durs 
et  tous  nos  verres  factices  se  convertissent  en  terre  argi- 
leuse par  la  longue  impression  de  l'humidité  de  l'air.  » 
Mais  il  savait  que  les  colorations  jaunes  et  rouges  des 
grès  sont  dues  à  des  infiltrations  ferrugineuses.  Ce  n'est 
qu'au  commencement  de  notre  siècle  que  l'on  découvrit  ce 
qui  aurait  bien  étonné  les  anciens,  à  savoir,  que  la  silice, 
que  la  terre  siliceuse  qui  revêt  des  formes  si  variées,  se 
compose  d'air  vital  (oxygène)  et  d'un  métal  semblable  à 
l'argent  (silicium),  et  que  la  silice  se  comporte  avec  la 
chaux,  la  magnésie,  la  rouille  de  fer,  etc.,  comme  un  vé- 
ritable acide  (acide  silicique). 

Argile.  —  La  confusion  que  nous  venons  de  signaler 
pour  les  terres  calcaires  et  siliceuses,  existait  plus  particu- 
lièrement pour  les  différentes  formes  qu'affecte  la  terre  ar- 
gileuse. Le  nom  à'argile  est  d'origine  grecque  :  Vargilos^ 
^  â^fikoq,  dont  parle  Théophraste,  est  bien  la  terre  argi- 
leuse. Le  même  nom  se  retrouve  aussi  dans  Pline.  A  côté 
dîargïlla  se  rencontra  celui  àemarga,  d'oià  dérive,  comme 
nous  l'avons  dit,  le  nom  de  marne  ou  margne.  Le  natu- 
raliste romain  distingue  entre  elles  plusieurs  espèces  de 
terre  argileus-^  par  leur  simple  différence  de  coloration 
naturelle.  Après  avoir  nommé  l'argile  blanche,  le  leucar- 
gillon,  notre  terre  à  pipe,  il  cite  l'argile  rouge  [rufa),  l'ar- 
gile brune  (coLUmbina) ,  l'argile  tofeuse  ou  vitrifîable  (io- 


PIERRES  COMMUNES.  311 

facea)^  l'argile  sablonneuse  (arenacea).  Les  Mégariens 
employaient,  dit-il,  l'argile  blanche  pour  amender  un  sol 
froid  et  humide*.  Les  autres  espèces  servaient  à  la  fa- 
brication des  briques,  des  tuiles,  de  la  poterie. 

Les  vases  étrusques  que  l'on  montre  dans  nos  musées, 
témoignent  de  l'antiquité  de  l'art  de  travailler  l'argile. 
Moins  rouges  que  les  vases  faits  avec  l'argile  d'Arcueil,  ils 
ne  sont  guère  plus  légers,  et,  leur  pâte  étant  généralement 
moins  fine,  les  couleurs  et  les  arêtes  sont  toujours  moins 
vives.  Les  vases  à  rafraîchir,  les  alcarazas,  connus  de  temps 
immémorial  en  Chine,  en  Perse,  en  Syrie,  en  Egypte,  sont 
faits  avec  une  pâte  argileuse,  remarquable  parles  pores  qui 
laissent  suinter  l'eau  et  produisent  par  la  prompte  évapo- 
ration  de  ce  liquide  un  abaissement  de  température  mar- 
qué. 

L'argile  blanche,  la  terre  à  pipe,  était,  sous  le  nom  de 
creta^  très-souvent  confondue  avec  la  craie  proprement 
dite.  On  a  cependant  lieu  d'être  surpris  que  les  anciens 
ne  se  soient  pas  aperçus  que  la  première  happe  à  la  langue 
et  que  sa  pâte  éprouve,  sous  l'influence  de  la  chaleur,  un 
mouvement  de  retrait,  tandis  que  la  dernière  ne  présente 
rien  de  semblable,  enfin  qu'ils  aient  ignoré  ces  moyens 
bien  simples  pour  distinguer  l'argile  de  la  craie. 

C'est  son  état  extérieur  de  poudre  fine  et  légère,  sem- 
blable à  la  farine,  qui  a  fait  jusqu'au  dix-huitième  siècle 
identifier  l'argile  pure  avec  toutes  les  terres  blanches 
pulvérulentes,  telles  que  la  chaux,  la  silice,  la  magnésie. 
C'étaient  là  pour  les  minéralogistes  anciens  de  véritables 
produits  de  transformation  :  ils  croyaient  à  la  transmuta- 
tion des  terres,  comme  les  chimistes  à  la  transmutation  des 
métaux.  Ces  croyances  formaient  alors  le  fond  commun  de 
la  science,  qui  seule  se  transforme  avec  le  temps. 

Écoutez  Buffon.  «  L'argile  doit,  dit-il,  son  origine  à  la 
décomposition  des  matières  vitreuses  qui,  par  l'impres- 

1.  Pline,  Hist.  nal.,  xvii,  4. 


312  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

sion  des  éléments  humides,  se  sont  divisées,  atténuées  et 
réduites  en  terre.  Cette  vérité  est  démontrée  par  les  faits  : 
1°  Si  l'on  examine  les  cailloux  les  plus  durs  et  les  autres 
matières  vitreuses,  exposées  depuis  longtemps  à  l'air,  on 
verra  que  leur  surface  a  blanchi  et  que  dans  cette  partie 
extérieure  le  caillou  s'est  ramolli  et  décomposé,  tandis 
que  l'intérieur  a  conservé  sa  dureté,  sa  sécheresse  et  sa 
couleur  ;  si  l'on  recueille  cette  matière  blanche  en  la  ra- 
clant, et  qu'on  la  détrempe  avec  de  l'eau,  l'on  verra  que 
c'est  une  matière  qui  a  déjà  pris  le  caractère  d'une  terre 
spongieuse  et  ductile,  et  qui  approche  de  la  nature  de 
l'argile  ;  2°  les  laves  des  volcans  et  tous  nos  verres  factices, 
de  quelque  qualité  qu'ils  soient,  se  convertissent  en 
terre  argileuse  ;  3°  nous  voyons  les  sables  des  granités  et 
des  grès,  les  paillettes  du  mica,  et  même  les  jaspes  et  les 
cailloux  les  plus  durs  se  ramollir,  blanchir  par  l'impres- 
sion de  l'air,  et  prendre  à  leur  surface  tous  les  caractères 
de  la  terre  argileuse.  » 

Ce  passage,  si  magistralement  affirmatif,  montre  com- 
bien il  est  facile  à  l'erreur  de  se  glisser  dans  la  science, 
sous  le  masque  de  «  la  vérité  démontrée  par  les  faits  ». 
Rien  sans  doute  n'est  plus  vrai  que  cette  altération  des 
granités,  des  jaspes,  des  cailloux,  etc.,  sous  l'influence  des 
agents  atmosphériques,  et  la  réduction  de  ces  matières  en 
une  matière  blanche,  pulvérulente.  Mais  affirmer  que 
cette  matière  est  de  l'argile,  sans  s'être  préalablement 
demandé  si  toutes  les  poudres  blanches  ainsi  produites 
ne  se  réduisent  au  fond  qu'à  une  seule,  ou  si  elles  sont 
difl'érentes  les  unes  des  autres,  c'est  subordonner  la  mar- 
che de  l'expérience  à  la  conception  d'une  théorie,  c'est 
faire  dire  à  la  nature  ce  que  l'homme  y  a  mis.  Une  fois 
lancé  dans  cette  voie,  on  ne  s'arrête  plus.  Non  content  de 
réduire  toutes  les  terres  blanches  à  une  seule,  Buffon 
créa,  dans  son  imagination,  cet  «  acide  universel  qui, 
produit  de  la  combinaison  du  feu,  de  la  terre  et  de  l'eau, 
se  retrouve  dans   toutes  les   argiles,  »  Cet  enchaînement 


PIERRES  COMMUNES.  313 

d'erreurs  disparut  bientôt  devant  l'analyse  chimique,  qui, 
dédaignant  les  qualités  extérieures,  trompeuses,  allait 
chercher  les  caractères  distinctifs  dans  la  constitution 
moléculaire  des  substances, 

La  distinction  des  argiles  en  pures  et  en  impures  a  été 
faite  de  bonne  heure.  Les  premières,  auxquelles  s'appli  • 
([uait  plus  particulièrement  le  nom  de  leucargille^  étaient 
reconnues  réi'ractaires  au  feu,  tandis  qu'on  savait  que  les 
dernières  sont  fusibles,  à  cause  des  diverses  matières  aux- 
quelles elles  se  trouvent  mélangées.  C'est  l'argile  impure, 
mélangée  de  silice,  d'oxyde  de  fer,  etc.,  qui  s'appelle  glaise, 
dérivé  de  glesum,  nom  de  basse  latinité,  désignant  la 
terre  plastique. 

Les  minéralogistes  modernes  ont  donné  le  nom  de 
schisle  (du  grec  aytÇstv,  fendre)  à  toutes  les  roches  carac- 
térisées par  une  structure  fossile  ou  feuilletée.  Ces  roches 
ont  une  composition  assez  complexe  ;  en  général,  l'argile,  la 
magnésie,  l'oxyde  de  fer,  quelquefois  la  silice  et  le  bitume, 
y  dominent.  Quand  c'est  l'argile  qui  l'emporte,  le  schiste 
est  surnommé  argileux.  Dans  les  schistes  ardoisés  et  mi- 
cacés c'est  la  magnésie  qui  prédomine.  Théophraste  et 
Pline  se  sont  les  premiers  servis  du  mot  schistos  ;  mais  ils 
l'appliquaient  seulement  au  schiste  ferrugineux  en  le 
confondant  avec  l'hématite  ou  sanguine  (fer  oligiste),  ainsi 
qu'aux  schistes  bitumineux,  inflammables  comme  la  ré- 
sine, et  au  schiste  aluneu'x,  qui  portait  plus  particulière- 
ment le  nom  à'alumen.  [C'est  de  là  que  les  chimistes  ont 
tiré,  à  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  le  mot  d'alumine^ 
réservé  à  la  terre  argileuse  pure,  telle  qu'elle  provient 
de  la  décomposition  de  l'alun.  Peu  d'années  après,  ils 
montrèrent,  à  la  grande  surprise  de  tout  le  monde,  que 
l'alumine  est,  au  même  titre  que  la  chaux  et  la  silice, 
une  véritable  rouille  blanche,  un  oxyde  métallique,  com- 
posé d'oxygène  et  d'aluminium,  métal  d'un  éclat  argen- 
tin, comme  le  sont  le  calcium  et  le  silicium. 


314  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

Les  anciens  tout  en  parlant  des  «  schistes  qui  brûlent 
en  répandant  une  odeur  de  bitume,  »  n'y  ont  pas  signalé 
la  présence  d'empreintes  de  végétaux  et  d'animaux  fossi- 
les; de  même  qu'ils  paraissent  avoir  ignoré  que  les  schis- 
tes argileux  et  bitumineux  recouvrent  ordinairement  les 
bancs  de  houille. 

Les  anciens  ont-ils  connu  la  houille?  Parmi  les  pierres 
les  plus  friables,  dit  Théophraste  dans  son  Traité  des 
pierres^  il  y  en  a  qui  s'allument  et  brûlent  comme  des 
charbons.  Telles  sont  les  pierres  que  l'on  trouve  «  dans 
les  mines  des  environs  de  Bena  (ville  de  Thrace)  :  elles 
prennent  feu  lorsqu'on  y  jette  des  charbons  incandes- 
cents;... éteintes,  elles  peuvent  se  rallumer.  »  Le  même 
auteur  cite  encore  la  Ligurie,  l'Élide,  le  cap  d'Érimée, 
comme  recelant  des  pierres  semblables;  il  leur  donne  le 
nom  d'anthrax  (charbon),  et  ajoute  que  ces  charbons  fos- 
siles, faciles  à  broyer,  répandent  par  leur  combustion  une 
odeur  résineuse,  en  laissant  pour  résidu  une  terre  scorieuse. 
A  tous  ces  caractères  il  est  impossible  de  ne  pas  recon- 
naître la  houille  ou  le  charbon  de  terre. 

L'ampélite,  ampelitis,  dont  parlaient  Dioscoride  et  Pline, 
était  une  pierre  noire,  bitumineuse,  susceptible  de  s'ef- 
fleurir  à  l'air,  et  qu'on  mettait  aux  pieds  des  vignes  pour 
tuer  les  insectes  nuisibles  à  cette  plante  ;  de  là  sans  doute 
son  nom,  qui  signifie  littéralement  pierre  de  vigne.  Pline 
dit  qu'elle  ressemble  au  bitume,  se  broie  avec  de  l'huile, 
et,  quoique  grillée,  conserve  sa  couleur  noire*.  Rome  de 
Lisle  et  Haûy  regardaient  l'ampélite  des  anciens  comme 
un  schiste  noir,  bitumineux,  qui  accompagne  le  gisement 
houiller.  Le  sagda  de  Samothrace,  que  Pline  décrit  comme 
noir,  très-léger  et  ressemblant  au  bois  [ligno  sintilis), 
paraît  être  une  espèce  de  lignite,  probablement  le  lignite 
fibreux,  qui  montre  distinctement  une  structure  végétale. 

A    ces    mêmes    substances    minérales    se   rattache  le 

1.  Pline,  Hist.  nat.,  xxxv,  56. 


flERRES  COMMUNES.  315 

gagates,  dont  Pline  nous  a  laissé  la  description  suivante: 
«  Cette  pierre  doit  son  nom  à  un  lieu  et  à  une  rivière  de 
la  Lycie.  Elle  est  noire,  légère,  fragile,  peu  différente  du 
bois,  et  d'une  odeur  forte,  lorsqu'on  la  frotte.  Les  lettres 
qu'on  trace  avec  elle  sur  des  vases  de  poterie  ne  s'effacent 
point;  elle  brûle  en  exhalantune  odeur  sulfureuse.  35  Nous 
faisons  abstraction  des  propriétés  merveilleuses  que  lui 
prête  le  même  auteur,  comme  celles  de  s'éteindre  par 
l'huile,  de  se  rallumer  par  l'eau,  de  guérir  l'épilepsie,  de 
raffermir  les  dents  ébranlées,  de  faire  recoiinaître  la  vir- 
ginité en  exerçant  une  action  particulière  sur  la  sécrétion 
urinaire^  etc. 

De  toutes  les  opinions  émises  sur  le  gagâtes  des  anciens, 
la  plus  probable  est  celle  qui  l'identifie  avec  le  lignite 
piciforme,  plus  connue  sous  le  nom  de  jayet  ou  de  succin 
noir.  D'un  beau  noir,  facile  à  tailler  et  à  polir,  le  jayet 
a  été,  de  temps  immémorial,  recherché  et  exploité  comme 
objet  d'ornement. 

L'exploitation  de  la  houille  comme  combustible  ne  re- 
monte guère  au  delà  du  seizième  siècle  de  notre  ère.  Les 
Anglais,  aux  environs  de  Newcastle,  et  les  Belges,  dans 
le  pays  de  Liège,  paraissent  avoir  les  premiers  fait  usage 
du  charbon  de  terre  pour  chauffer  leurs  foyers  et  alimen- 
ter leurs  usines. 

Les  théories  sur  l'origine  de  ce  précieux  combustible  ne 
se  sont  pas  fait  attendre  :  à  peu  près  toutes  d'accord  suj 
son  origine  végétale,  elles  se  divisent  sur  son  mode  de  trans- 
formation. La  première  et,  en  apparence,  la  plus  simple, 
était  celle  qui  attribuait  la  production  des  houillères  à  l'ac- 
tion du  feu.  Buffbn  s'attacha  particulièrement  à  la  réfuter. 
D'après  sa  théorie,  les  roches  vitreuses  ont  été  les  premières 
produites  par  le  feu  primitif;  puis,  après  la  précipitation 
des  eaux,  maintenues  d'abord  à  l'état  de  vapeur,  les  grès, 
les  argiles,  les  calcaires  se  sont  formés  des  débris  et  de 

1.  Pline,  Hisl.nat.,  xxxvj,  34. 


316  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

la  détérioration  de  ces  mêmes  roches  vitreuses  par  l'ac- 
tion de  l'élément  humide.  Les  coquillages  marins  ont 
pris  ensuite  naissance  et  se  sont  multipliés  en  innombra- 
ble quantité,  avant  et  durant  la  retraite  des  eaux.  «  A 
mesure,  ajoute  Buffon,  que  les  eaux  laissaient,  en  s'abais- 
sant,  les  parties  hautes  du  globe  à  découvert,  les  terrains 
élevés  se  couvraient  d'arbres  et  d'autres  végétaux,  lesquels, 
abandonnés  à  la  seule  nature,  ne  croissaient  et  ne  se  mul- 
tipliaient que  pour  périr  de  vétusté  et  pourrir  sur  la 
terre  ou  pour  être  entraînés  par  les  eaux  courantes  au 
fond  des  mers;  enfin  ces  mêmes  végétaux,  ainsi  que  leurs 
détritus  en  terreau  et  en  limon,  ont  formé  les  dépôts 
en  amas  ou  en  veines  que  nous  retrouvons  aujourd'hui 
dans  le  sein  de  la  terre  sous  la  forme  de  charbon,  nom 
assez  impropre,  parce  qu'il  paraît  supposer  que  cette  ma- 
tière végétale  a  été  attaquée  et  cuite  par  le  feu,  tandis 
qu'elle  n'a  subi  qu'un  plus  ou  moins  grand  degré  de  dé- 
composition par  l'humidité*.  »  ^ 

L'opinion  de  Buffon,  que  lahouille  est  d'origine  aqueuse, 
a  été  adoptée  par  les  géologues  récents.  «  Le  charbon  de 
terre  ne  provient  point,  dit  Alex,  de  Humboldt,  de  végé- 
taux carbonisés  par  le  feu,  mais  de  végétaux  décomposés 
par  la  voie  humide  sous  l'influence  de  l'acide  sulfurique. 
La  preuve  la  plus  frappante  dont  on  puisse  arguer  en  fa- 
veur de  cette  opinion,  a  été  donnée  par  G-œppert  [Archives 
de  minéralogie  de  Karsten,  t.  XVIil,  p.  530).  Gœppert  a 
examiné  un  fragment  de  l'arbre  à  ambre  qui  a  été  trans- 
formé en  charbon  sans  que  l'ambre  ait  subi  d'altération  ; 
le  charbon  et  l'ambre  s'y  trouvent  jutxaposés*.  » 

Il  serait  peut-être  plus  exact  d'attribuer  la  formation 
des  houillères,  qu'on  rencontre  dans  les  profondeurs  de 
presque  toutes  les  régions  du  globe,    à  une   de    ces  com- 

.  Œuvres  de  Buffon,  t.  X,  p.  213  (édition  de  Flourens). 
2.  Alex,  de  Humboldt,  Cosmos,  U  I,  p.  550  (de  Tédition  française). 


PIERRES  COMMUNES.  317 

bufjtions  lentes,  à  une  véritable  chroniocausie,  dont  la  na- 
ture offre  de  nombreux  exemples. 

Aux  terres  calcaires,  argileuses  et  siliceuses,  qui  com- 
posent la  plus  grande  partie  de  l'écorce  terrestre,  nous 
ne  saurions  nous  dispenser  d'ajouter  les  terres  magné- 
sienne et  ocreuse. 

La  magnésie,  confondue  longtemps  avec  la  craie  et  la 
terre  àpipe,  forme  la  base  du  talc,  du  mica,  des  stéatites, 
des  ardoises  (phyllades),  en  général  de  toutes  les  sub- 
stances minérales  dont  le  toucher  donne  à  la  main  la  sen- 
sation d'un  corps  gras,  d'où  les  noms  de  talc  (de  l'alle- 
mand talg*^  graisse)  et  de  stéatite  (du  grec  aTs'ap,  graisse}. 
La  plupart  de  ces  substances  étaient  connues  des  an- 
ciens. Le  mica,  (du  latin  micare,  briller),  ils  pouvaient 
l'avoir  observé,  sous  forme  de  paillettes  blanches,  bril- 
lantes, dans  le  granité,  dans  le  syénite  (granité  rose),  la- 
pis Sienus^  dont  se  composent  beaucoup  de  statues  et  mo- 
numents égyptiens.  La  pierre  arabe,  transparente  comme 
du  verre  [lapis  vitri  modo  translucidus) ,  semblable  à  la 
pierre  spéculaire,  est  probablement  aussi  du  mica  ^.  La 
terre  samienne,  dont  une  espèce  s'appelait  étoile,  aster,  de 
Sarnos,  était,  selon  Avicenne,  le  talc,  qui  peut,  ajoute  le 
médecin  arabe,  être  calciné  au  feu  le  plus  violent  sans  s'al- 
térer. Ses  colorations  diverses  lui  ont  valu  les  noms  de  5e- 
lenites,  argyrodamas  (diamant  d'argent),  gallaica,  galac- 
tiles  (pierre  de  lait),  leucogœa  (terre  blanche),  dont 
l'interprétation  exacte  à  exercé  l'esprit  des  commentateurs. 

Le  nom  de  stéatites  se  trouve  dans  Pline  ;  mais  cet  au- 
teur ne  dit  pas  si  la  pierre  ainsi  désignée  ressemble  à  un 
corps  gras  par  la  vue  ou  par  le  toucher.  Dans  le  premier 
cas,  lestéatite  de  Pline  pourrait  être  une  espèce  de  cail- 
lou ou  de  quartz.  Suivant  Pott',  il  faudrait  ranger  parmi 

1.  Ce  mot  allemand  paraît  être  d'origine  arabe,  car  on  le  trouve 
déjà  dans  Avicenne. 

2.  Pline,  Hist.  nat.,  xxxvi,  46. 

3.  Voy.  Pott,  Mémoires  de  l'Académie  de  Berlin,  année  1746,  p.   65. 


318  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

les  sléatites  la  pierre  ollaire,  lapis  oUarls,  et  la  pierre  de 
Gôme,  lapis  Comensis. 

La  pierre  ponce,  j^MWé'j;,  qui  à  cause  de  sa  légèreté  était 
qualifiée  de  spuma  maris,  écume  de  mer,  le  lin  fossile 
ou  amiante,  qui  devait  à  son  incomLustibilité  le  nom  grec 
d'asbeste  (de  affêsaToç,  inexlinguible,  incombustible), 
étaient  des  pierres  également  connues  des  anciens.  Elles 
contiennent  toutes,  comme  les  pierres  qui  servaient  à  la 
fabrication  des  vases  murrhins  (espèce  de  porcelaine  demi- 
transparente),  des  quantités  plus  ou  moins  notables  de  terre 
magnésienne.  Ce  n'est  qu'au  commencement  du  dix- 
huitième  siècle  que  la  magnésie,  de  tout  temps  confon- 
due avec  la  chaux,  fut  pour  la  première  fois  décrite  comme 
une  terre  particulière  par  Frédéric  Hoffmann,  à  l'occasion 
de  l'analyse  du  sel  d'Epsom  (sulfate  de  magnésie),  dont 
elle  forme  la  base*. 

L'ocre,  ochra  des  anciens,  était  l'hydrate  d'oxyde  de  fer 
jaune  ;  ce  qui  le  prouve,  c'est  que  Théophraste  dit  qu'on 
obtenait  la  couleur  rouge,  rubrica,  [x(Xto;,  avec  laquelle 
on  peignait,  entre  autres,  les  proues  des  navires  ([juXto- 
7rapr,ot  v7,eç  d'Homère,  où  [^.iXto;,  est  traduit  inexactement 
par  miniurn),  par  la  combustion  de  l'ocre^. 

On  sait  que  l'hydrate  d'oxyde  de  fer  jaune  se  trans- 
forme, par  la  calcination,  en  oxyde  de  fer  rouge  (colcothar). 

Le  sil  de  Pline  et  de  Vitruve  était  la  terre  jaune  ocreuse, 
telle  que  l'employaient  les  peintres.  Le  sil  atiicum  éiaiii  le 
plus  estimé.  Tous  les  terrains  jaunes  et  rouges,  si  répan- 
dus à  la  surface  du  globe,  doivent  leur  coloration  à  la 
présence  de  la  rouille  de  fer  :  ils  sont,  en  un  mot,  ferrugi- 
neux. Ce  fait,  que  les  anciens  avaient  seulement  entrevu,  ne 
fut  démontré  que  depuis  la  création  de  l'analyse  chimique. 

Les   roches  ou  substances  minérales  que  nous  venons 


l.Voy.  notre  Histoire  de  la  chimie,  t.  Il,  p.  229  (2"  édit.). 

2.  Théophraste,  De  lapidibus  :  yiverai  (xiXxo;  xai  èx  t^;  «xP^î  xara- 

X«lO(J.éVTJ. 


PALÉONTOLOGIE  DES  ANCIENS.  319 

dépasser  en  revue,  et  qui,  dans  leurs  diverses  combinai- 
sons, forment  les  terrains  dits  secondaires,  tertiaires  et 
quaternaires,  disposés  par  strates  plus  ou  moins  réguliers, 
portent  les  traces  d'une  action  manifeste  de  l'eau.  C'est  là 
qu'on  trouve  les  animaux  et  les  plantes  fossiles,  dont  les 
uns  appartiennent  à  un  monde  éteint,  tandis  que  les 
autres  participent  à  la  faune  et  à  la  flore  actuelles. 


Déluge  universel. 
Premières   théories   paléontologiques. 


Le  philosophe  Xénophane  paraît  avoir  le  premier,  cinq 
siècles  avant  notre  ère,  émis  l'idée  d'un  renouvellement 
périodique  des  êtres  vivant  à  la  surface  terrestre.  «  Tous 
les  hommes,  dit-il,  périssent  chaque  fois  que  la  terre  vient 
à  être  recouverte  par  la  mer ,  qu'elle  devient  du  limon 
(ttïiXoç  Ytv/iTai)  ;  après  chacune  de  ces  catastrophes  com- 
mence une  nouvelle  création,  une  nouvelle  série  d'êtres, 
et  ces  changements  portent  tous  les  caractères  d'un  ordre 
régulier  (xal  toÎJto  T^ôcat  xoTs  xd(j[ji.oiç  yl^îa^ai  xaxaêâXXeiv  * ) .  » 

Suivant  Anaximandre,  contemporain  de  Xénophane,  les 
premiers  animaux  se  développèrent  dans  l'eau,  se  recouvri- 
rent d'enveloppes  épineuses,  dont  ils  se  dépouillaient  en- 
suite pour  chercher  à  vivre  sur  les  terres  émergées.  Ces  pre- 
mières formes  animales  furent,  après  une  certaine  période, 
remplacées  par  d'autres  ^  L'opinion  d'Anaximandre  nous 
rappelle  la  tradition  égyptienne,  d'après  laquelle  il  se 
produisait,  dans  une  contrée  de  la  Thébaïde,  «  des  rats 
si  prodigieux  par  leur  grandeur  et  leur  nombre  que  le 


1.  Xénophane,  cité  par  Origène,  Philosophumena,  ch.  xvr,  et  par 
Eusèbe,  Prœpar.  evang. 

2.  Plutarque,  Ve  Placit.  philos.,  v,  19. 


320  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

spectateur  en  restait  frappé  de  surprise,  et  que  plusieurs 
de  ces  animaux,  formés  seulement  jusqu'à  la  poitrine  et 
aux  pattes  de  devant,  se  débattaient,  tandis  que  le  reste 
du  corps,  encore  informe  et  rudimentaire,  demeurait  en- 
gagé dans   le  limon C'est  pourquoi,  ajoute  la  même 

tradition,  un  sol  aussi  propice  que  celui  de  la  Haute- 
Egypte  a  dû  produire  les  premiers  hommes ^  »  Guvier  a 
représenté  Anaximandre  comme  le  véritable  précuî-seur 
de  de  Maillet  (Talliamed)  et  de  Lamarck,  parce  que  ce 
philosophe  ionien  aurait  prétendu  «  que  les  hommes 
avaient  été  primitivement  poissons,  puis  reptiles,  puis 
mammifères,  et  enfin  ce  qu'ils  sont  maintenant  ^.  »  Le 
mythe  d'Oannès,  monstre  moitié  homme  et  moitié  pois- 
son, se  rapproche  plus  de  la  doctrine  d' Anaximandre  que 
de  celle  du  livre  sanscrit  de  Vaivasvata. 

Divers  fragments  conservés  par  Aristote  et  Plutarque 
attribuent  à  Empédocle  (vivant  450  ans  avant  Jésus- 
Christ)  au  moins  trois  périodes  distinctes  dans  la  création 
des  êtres  vivants.  Dans  la  première,  les  corps  auraient  été 
composés  de  parties  asymétriques,  inachevées  ;  dans  la 
seconde,  la  symétrie  se  serait  de  plus  en  plus  dessinée, 
et  dans  la  troisième,  les  formes  se  seraient  achevées  par 
une  distribution  plus  parfaite  de  leurs  éléments  consti- 
tutifs. La  nature  aurait  ainsi  procédé  par  voie  de  tâton- 
nement dans  ses  créations  successives  ;  et  cette  théorie, 
où  la  formation  des  monstres  jouait  un  grand  rôle,  a  été 
depuis  renouvelée  par  les  modernes.  Mais  le  langage  du 
célèbre  Sicilien  est  trop  vague  et  trop  incomplet  pour 
qu'on  puisse  y  trouver  les  premiers  linéaments  de  la  pa- 
léontologie. C'est  encore  à  Empédocle  qu'on  attribue  l'i- 
dée que  les  plantes  ont  apparu  avant  les  animaux  à  la 
surface  de  la  terre,  idée  confirmée  depuis  par  l'observa- 
tion. 

1.  Diodore,  i,  10. 

2.Cuvier,  Histoire  dessciences  naturelles,  t.  I.  —  Plutarque,  Sym- 
pos.,  viu. 


PALÉONTOLOGIE  DES  ANCIENS.  321 

L'eau  ayant  été  dès  le  principe  admise  comme  le  prin- 
cipal élément  de  destruction  et  de  rénovation,  la  croyance 
traditionnelle  d'un  déluge  trouva  facilement  accès  chez 
les  esprits  même  les  moins  crédules.  Mais  ce  déluge 
était-il  universel  ou  partiel  ? 

Le  déluge  biblique,  où  périrent  tous  les  hommes  et  les 
animaux,  à  l'exception  de  ceux  que  Noé  avait  sauvés  dans 
son  arche,  était  universel,  suivant  le  récit  de  Moïse.  Ce 
récit,  admirable  de  simplicité,  n'est-il  qu'un  mythe,  ou 
est-il  l'expression  d'un  grand  fait  historique?  Les  opi- 
nions sont  ici  partagées.  Nous  n'entreprendrons  pas  de 
les  discuter.  Mais  nous  devons  rappeler  que  le  souvenir 
d'un  cataclysme,  d'une  inondation  immense  qui  aurait 
envahi  la  terre,  se  retrouve  dans  les  traditions  les  plus 
anciennes  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Continent. 

LePurana  et  le  Mahabharata,  livres  sacrés  des  Hindous, 
contiennent  des  détails  qui,  tels  que  «  l'homme  juste  Menou 
sauvé  du  déluge,  et  le  vaisseau  de  Vaïvasvata,  abordant 
au  sommet  de  l'Himalaya,»  ont  beaucoup  d'analogie  avec 
le  récit  de  la  Genèse  * . 

Le  Ghou-King,  le  plus  ancien  livre  des  Chinois,  donne 
la  relation  d'un  déluge,  que  diverses  circonstances  ont 
fait  rapporter  à  celui  de  Noé.  Ce  déluge  arriva,  d'après 
la  chronologie  chinoise  la  plus  accréditée,  sous  le  règne 
de  Ty-Ko,  père  d'Yao.  Ty-Ko  est  le  dixième  descendant 
de  Hoang-Ty,  comme,  d'après  la  Bible,  Noé  est  le  dixième 
descendant  d'Adam. 

Les  Perses  ont  conservé  aussi  la  tradition  d'une  inon- 
dation universelle,  ayant  couvert  toute  la  terre  et  fait 
périr  tout  le  genre  humain,  à  l'exception  d'un  petit  nom- 
bre de  personnes.  Au  rapport  de  Zoroastre,  le  Moïse  des 
Perses,  ce  déluge  fut  envoyé  en  punition  des  crimes 
commis  par  une  race  perverse^. 

1.  Asiatic  Researches,  t.  I,  p.  230  (Lond.,  1801). 

2.  Hyde,  De  relig.  vet.  Persarum,  ch.  x,  p.  171. 

21 


322  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

Le  déluge  dont  parlait  Bércse,  prêtre  chaldéen,  plus 
de  trois  siècles  avant  notre  ère,  paraît  être  identique  avec 
celui  de  Moïse.  «  On  croit,  dit-il,  qu'en  Arménie,  sur  la 
montagne  des  Gordiens,  il  existe  encore  une  partie  de 
l'arche  de  Noé;  les  habitants  y  exploitent  le  bitume  dont 
elle  était  enduite,  en  conservent  les  restes  avec  soin,  etc.^  » 
Le  récit  du  déluge  de  Xissouthros,  donné  par  Georges  le 
Syncelle  d'après  des  fragments  de  Bérose,  d'Alexandre 
Polyhistor,  d'Apollodore,  rappelle  en  tout  point  le  récit 
mosaïque. 

Les  déluges  d'Inachus,  d'Ogygès  et  de  Deucalion  n'é- 
taient que  des  inondations  partielles,  s'il  faut  en  croire 
les  poètes  et  mythographes  de  l'antiquité  gréco-romaine. 
On  a  cependant  essayé  de  les  assimiler  tous  les  trois  au 
déluge  universel  de  Noé. 

Les  Mexicains  avaient  représenté  dans  leurs  peintures 
les  scènes  d'un  déluge  tout  à  fait  semblable  àcelui  de  Noé. 
Un  seul  homme,  nommé  Gox-cox  ou  Tocipaitli,  et  une 
seule  femme,  nommée  Xochiquetzal,  se  sauvèrent  dans 
une  petite  barque.  Ils  eurent  beaucoup  d'enfants,  qui 
restèrent  tous  muets  jusqu'à  ce  qu'une  colombe,  du  haut 
d'un  arbre,  leur  eût  appris  à  parler  ;  mais  leurs  langues 
étaient  si  diverses  qu'il  leur  fut  impossible  de  s'entendre. 
D'après  la  légende  des  Tlascollas,  les  hommes  qui  se 
sauvèrent  du  déluge  furent  changés  en  singes,  mais  peu 
à  peu  ils  recouvrèrent  le  langage  en  recouvrant  la  raison^. 

Les  quatre  âges  ou  cycles  dans  lesquels  les  Mexicains 
avaient,  au  rapport  d'Alexandre  de  Humboldt,  divisé  le 
monde,  ne  manquent  pas  d'une  certaine  analogie  avec 
des  périodes  géologiques.  Le  premier  cycle  s'appelait 
l'âge  de  la  terre;  le  deuxième  cycle,  l'âge  rouge  ou  de  feu  ; 
le  troisième,  l'âge  du  vent  ou  de  l'air;  le  quatrième,  l'âge 

1.  Bérose,  Chaldxorum  Historiœ  qUcV  siipersimt,  p.  60  (édition 
Richter). 

2.  Clavigero,  Sloria  del  Messico,  t.  II,  p.  6  (Cesena,  1780). 


PALEONTOLOGIE  DES  ANCIENS.  323 

de  l'eau.  Dans  cette  dernière  période,  une  grande  inon- 
dation fit  périr  l'espèce  humaine.  Les  hommes,  ajoute  la 
légende,  furent  convertis  en  poissons,  à  l'exception  d'un 
homme  et  d'une  femme  qui  se  sauvèrent  dans  le  tronc 
d'un  ahahuéte  ou  cyprès  chauve*. 

D'après  une  tradition,  rapportée  par  le  P.  Gharlevoix, 
et  répandue  parmi  les  tribus  de  l'Amérique  septentrio- 
nale, tous  les  hommes  auraient  été  primitivement  détruits 
par  un  déluge,  et  Dieu  ou  le  Grand-Esprit  aurait,  pour 
repeupler  la  terre,  changé  les  animaux  en  hommes. 

Suivant  la  légende  des  Péruviens,  il  fut  un  temps  où 
l'eau  du  ciel  inonda  les  champs  et  les  cités  ;  tout  se  noya, 
à  l'exception  de  quelques  hommes  qui  s'étaient,  avec 
des  provisions  et  quelques  animaux,  réfugiés  dans  un 
navire.  Quand  ils  sentirent  que  la  pluie  avait  cessé,  ils 
firent  sortir  des  animaux  qui  revinrent  souillés  de  fange  ; 
par  là  ils  jugèrent  que  les  eaux  avaient  baissé  ^. 

Le  même  genre  de  tradition  se  retrouve  chez  les  peu- 
ples de  rOcéanie,  particulièrement  chez  les  habitants  des 
îles  de  Taïti. 

Une  telle  unanimité  chez  les  races  les  plus  diverses, 
chez  toutes  les  nations  anciennes  et  modernes,  civilisées 
ou  sauvages,  pourrait-elle  reposer  sur  un  fait  imaginaire^? 

A  défaut  d'autres  témoignages,  l'inspection  des  couches 
plus  ou  moins  profondes  de  l'écorce  terrestre,  la  nature 
sédimenteuse  de  certains  terrains  (secondaire,  tertiaire  et 
alluvionnaire),  leur  stratification,  la  conformation  de  cer- 
taines roches,  brèches,  pouddingues,  cailloux  roulés,  etc., 
et  surtout  la  fossilisation  (pétrification)  d'un  grand  nom- 
bre de  corps  organisés  océaniques,  auraient  dû  suffire, 
aux  yeux  des  moins  crédules,  pour  admettre  l'action  macé- 

1.  Al.  de  Humboldt,  Vue  des  Cordillères,  p.  202  et  suiv.  (Paris. 
1810,  in-fol.). 

2-  Lopez  de  Gomara,  Histoire  générale  des  Indes,  y,  14. 

3.  L'abbé  Ed.  Lambert  a  réuni  dans  une  brochure  intéressante  (Pa- 
ris, 1868)  les  légendes  et  les  preuves  archéologiques  du  déluge. 


3â4  HISTOIRE  DE  LA  MINERALOGIE. 

rante  des  eaux  sur  presque  toute  la  surface  de  la  terre. 
Les  ammonites,  les  bélemnites,  les  nummulites,  ne  sont 
pas  rares,  surtout  dans  les  terrains  secondaire  et  tertiaire. 
S'il  y  a  quelque  doute  sur  l'identification  des  cornes  d'Ara- 
mon,  trouvées  en  Ethiopie,  et  des  Idœidactyli  de  Pline 
avec  les  ammonites  et  les  bélemnites,  il  est  du  moins 
certain  que  les  anciens  connaissaient  les  nummulites. 
Strabon  en  vit  en  Egypte  près  des  Pyramides.  «  Ce  sont, 
dit-il,  des  monceaux  de  petits  éclats  de  pierre  élevés  en 
avant  de  ces  monuments.  On  en  trouve  qui,  pour  la  forme 
et  la  grandeur,  ressemblent  à  des  lentilles;  on  dirait  des 
grains  à  moitié  déballés.  »  Mais,  loin  d'y  reconnaître 
l'action  des  eaux  ou  des  êtres  qu'elles  pouvaient  charrier, 
la  plupart  des  anciens  n'y  voyaient  que  les  restes  pétri- 
fiés des  lentilles  dont  se  nourrissaient  les  ouvriers  em- 
ployés à  la  construction  des  Pyramides.  Strabon  regardait 
cependant  cette  opinion  comme  peu  vraisemblable,  parce 
qu'il  y  avait  près  d'Amasis,  son  lieu  natal,  une  colline 
qui  se  prolongeait  au  milieu  d'une  plaine  et  qui  était 
remplie  «  de  petites  pierres  de  tuf,  semblables  à  des  len- 
tilles. »  Un  voyageur  récent,  M.  de  Tchihatchef,  a 
rapporté  précisément  de  cette  même  localité  de  nombreu- 
ses nummulites,  que  personne  n'y  avait  signalées  depuis 
l'ancien  géographe  grec. 

Le  prince  des  médecins  arabes,  Avicenne,  parait  avoir 
le  premier,  vers  le  onzième  siècle  de  notre  ère,  compris 
tout  le  parti  que  l'on  pouvait  tirer  de  l'action  des  eaux  et 
de  l'existence  des  fossiles  pour  arriver  à  une  théorie  géné- 
rale de  la  terre.  Ce  qui  le  préoccupait  d'abord,  comme 
tous  les  géologues,  c'était  de  se  rendre  exactement  compte 
de  la  formation  des  montagnes.  «  Les  montagnes  peuvent, 
dit-il,  provenir  de  deux  causes  :  ou  elles  sont  l'effet  du 
soulèvement  de  la  croûte  terrestre,  comme  cela  arrive 
dans  un  violent  tremblement  de  terre  ;  ou  elles  sont  l'ef- 
fet de  l'eau  qui,  en  se  frayant  une  route  nouvelle,  a  creusé 
des  vallées  en  même  temps  qu'elle  a  produit  des  monta- 


PALEONTOLOGIE  DES  ANCIENS.  32b 

gnes;  car  il  y  a  des  roches  molles  et  des  roches  dures. 
L'eau  et  le  vent  charrient  les  unes  et  laissent  les  autr.s 
intactes.  La  plupart  des  éminences  du  sol  ont  cette  ori- 
gine.... Ce  qui  montre  que  l'eau  a  été  ici  la  principale 
cause,  c'est  qu'on  voit  sur  beaucoup  de  roches  les  em- 
preintes d'animaux  aquatiques  et  d'autres.  Quant  à  la 
matière  terreuse  et  jaune  qui  recouvre  la  surface  des 
montagnes,  elle  n'a  pas  la  même  origine  que  le  squelette 
de  la  montagne  :  elle  provient  de  la  désorganisation  des 
débris  d'herbes  et  de  limon  amenés  par  l'eau.  Peut-être 
provient-elle  aussi  de  l'ancien  limon  de  la  mer,  qui  cou- 
vrait autrefois  toute  la  terre  * .  » 

Le  passage  cité  contient  en  germe  toute  la  théorie  des 
formations  par  voie  aqueuse,  dont  il  sera  parlé  plus  loin. 
On  y  remarquera  aussi  l'explication  des  terrains  allu- 
vionnaires par  l'effet  d'un  déluge  universel. 

Bien  que  Boccace,  au  quatorzième  siècle,  Léonard  de 
Vinci,  Fracastor,  André  Gésalpin,  Alessandro  degli  Ales- 
sandri,  au  seizième  siècle,  eussent  présenté  les  coquilles 
fossiles  comme  la  meilleure  preuve  d'un  ancien  séjour 
de  la  mer  sur  le  continent.  Cardan,  Matthiole,  Calceolari, 
persistèrent  à  ne  voir  dans  ces  productions  que  des  jeux 
de  la  nature  ou  l'effet  de  certaines  influences  occultes. 

Au  dix-septième  siècle,  van  Helmont,  Fabio  Golonna, 
Boccone,  renouèrent  le  fil  interrompu  des  idées  ration- 
nelles entrevues  dans  l'antiquité. 

Les  coquilles  et  les  plantes  fossiles  sont  pour  van  Hel- 
mont autant  de  preuves  d'un  monde  antédiluvien,  en- 
glouti par  les  eaux.  Ce  grand  observateur,  qui  peut  être 
considéré  comme  l'un  des  fondateurs  de  la  paléontologie, 
conservait  dans  son  musée  la  mâchoire  d'un  éléphant 
fossile  (mammouth),   de  plusieurs  pieds  de  long,  trouvée 

1.  Avicenne,  De  conglutinatione  lapidum ,  dans  Manget,  Biblioth. 
chimica,  1. 1. 


326  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

à  Hingsen,  sur  l'Escaut,  à  douze  pieds  au-dessous  du 
sol». 

Fahio  Golonna  fut  le  premier  à  reconnaître  que  toutes 
les  espèces  fossiles  ne  sont  pas  d'origine  marine,  qu'il  y 
en  avait  de  terrestres  et  d'eau  douce.  Il  donna,  sous  le 
nom  de  coucha  anomia^  la  première  description  scientifi- 
que d'un  de  ces  curieux  coquillages  fossiles  qui  reçurent, 
en  1689,  parLhuyd,  le  nom  de  térébratules^  genre  de  mol- 
lusques bracliiopodes,Tnélangés  avec  les  ammonites  et  les 
bélemnites  dans  les  terrains  anciens,  secondaires.  F.  Go- 
lonna fut  aussi  le  premier  à  démontrer  que  les  glosso- 
pètres  (langues  de  pierre)  n'étaient  point  des  langues  de 
serpent  pétrifiées,  mais  des  dents  de  poissons  du  genre 
carcharias  (requins),  mêlées  avec  des  buccins,  des  huîtres 
et  autres  productions  marines'.  Les  glossopètres  ne  sont 
en  effet,  que  des  dents  de  raies  ou  de  requins.  Golonna 
s'efforça  vainement  de  faire  partager  sa  manière  de  voir  à 
ses  collègues  de  l'Académie  des  Lincei,  qui  avait  été  pour- 
tant créée  dans  le  but  de  déraciner  les  vieilles  erreurs. 

L'opinion  de  Golonna  au  sujet  des  glossopètres  fut  par- 
tagée par  Boccone,  qui  démontra  anatomiquement  l'iden- 
tité de  ces  fossiles  avec  les  dents  de  requin.  Il  fit  en  même 
temps  voir  c{ue  les  pierres  étoilées  sont  des  fossilis  marins, 
ayant  leurs  analogues  parmi  les  échinodermes,  tels  que  les 
oursins  ou  hérissons  de  mer'.  Tout  cela  n'empêcha  pas  les 
savants  de  continuer  à  fermer ,  pour  la  plupart,  l'oreille 
à  la  vérité.  Et,  au  dix-huitième  siècle,  les  deux  célèbres 
naturalistes  italiens  étaient  encore  loin  d'avoir  réuni  tous 
es  suffrages.  Voltaire,  par  exemple,  ne  voulut  jamais 
croire  que  les  glossopètres,  les  pierres  étoilées,  les  cornes 
d'Ammon,  etc.,  fussent  d'origine  marine.  Il  les  regardait 

1.  Ortus  medicinœ,  p.  34  el  suiv.  (Lyon,  1656,  in-foL). 

2.  F.  Colonna,  Osserrazio7ii  degli  animali  aqxmtici,  etc.;  en  appen- 
dice au  Traité  de  Purpura;  1616. 

3.  Recherchas  et  observations  naturelles,  p.  316  (Amsterd.,  1634 
in-S"). 


PALEONTOLOGIE  DES  ANCIENS.  327 

comme  des  fossiles  terrestres.  «  Je  n'ai  jamais  osé  pen- 
ser, ajoxitait-il,  que  ces  g] ossopètres  pussent  être  des  lan- 
gues de  chien  marin,  et  je  suis  de  l'avis  de  celui  qui  a 
dit  qu'il  voudrait  autant  croire  que  des  milliers  de  femmes 
sont  venues  déposer  leurs  couchas  Veneris  sur  un  rivage, 
que  de  croire  que  des  milliers  de  chiens  marins  y  sont 
venus  apporter  leurs  langues.  » 

Cependant  plus  de  trente  années  avant  l'Essai  sur  les 
mœurs  et  l'esprit  des  nations^  où  Voltaire  a  déposé  cette 
burlesque  critique ,  avaient  déjà  paru  les  fameux  Entre- 
tiens d'un  philosophe  indien  avec  un  missionnaire  français 
sur  la  diminution  de  la  mer,  la  formation  de  la  terre,  l'ori- 
gine de  l'homme,  etc.,  par  TeUiamed  (anagramme  de  De 
Maillet^].  Après  avoir  montré  que  les  pierres  éloignées  de 
la  mer,  comme  celles  qui  en  sont  le  plus  rapprochées,  ont 
le  même  aspect  et  les  mêmes  caractères,  qu'on  y  rencontre 
partout,  à  toutes  les  hauteurs,  des  coquilles  pétrifiées  et 
différentes  les  unes  des  autres,  que  les  pierres,  dans  les 
carrières,  sont  de  couleurs,  de  dureté,  de  qualité  variables, 
et  qu'elles  sont  disposées  par  lits  au-dessus  les  unes  des 
autres,  l'auteur  conclut  que  les  eaux  de  la  mer  ont  pri- 
mitivement enveloppé  tout  le  globe  et  qu'elles  ont  di- 
minué peu  à  peu  jusqu'à  leur  état  actuel  ;  de  là  il  déduit 
la  formation  des  terrains,  celle  des  continents  et  des  îles, 
ainsi  que  le  développement  successif  des  végétaux  et  dès 
animaux.  Enfin  il  ne  manque  pas  de  rappeler  que  cette 
opinion  était  aussi  celle  des  prêtres  égyptiens,  trois  mille 
ans  avant  qu'il  ne  vînt  puiser  ses  inspirations  dans  cette 
vallée  qui  était,  selon  le  mot  d'Hérodote,  interprète  de  la 
tradition  égyptienne,  «  un  don  du  Nil.  y> 

Suivant  le  même  auteur,  le  niveau  de  la  mer  dépassait, 
à  l'origine,  le  sommet  des  plus  hautes  montagnes  ;  mais 
alors  on  n'y  rencontrait  pas  encore  d'êtres  organisés.  Sur 

1.  Benoît  de  Maillet  (né  en  1656,  mort  à  Marseille  en  1738)  fut  con- 
sul génér&l  dans  le  Levant,  et  séjourna  longtemps  en  Egypte. 


328  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

les  pentes  des  montagnes,  qui  apparurent  après  le  premier 
abaissement  des  eaux,  se  formèrent  d'abord  les  plantes, 
puis  vinrent  les  poissons  et  les  coquillages,  vivant  au  mi- 
lieu des  débris  et  des  accumulations  de  sable,  de  vase  et 
d'autres  matériaux  provenant  de  la  destruction  des  roches 
anciennes,  et  ainsi  se  succédèrent  les  diverses  couches  qui 
ensevelissaient  au  fur  et  à  mesure  les  animaux  que  ces 
mers  virent  apparaître. 

Des  restes  d'industrie  humaine ,  des  débris  de  sque- 
lettes humains,  firent  admettre  à  de  Maillet  la  contempo- 
ranéité  de  l'homme  avec  des  espèces  animales  antérieu- 
res au  déluge.  Cette  contemporanéité,  niée  par  Cuvier  et 
son  école,  a  été  de  nos  jours  remise  sur  le  tapis  par 
M.  Boucher  de  Perthes. 


Histoire    des  roches  ignées. 

Les  roches  ou  substances  minérales,  qui  attestent  par  leur 
cassure  vitreuse  et  par  leur  structure  cristalline ,  l'action 
primordiale  du  feu,  les  roches  ignées  n'offrent  aucune 
trace  d'êtres  organiques  :  la  vie  ne  s'y  était  jamais  fixée. 
C'est  pourquoi  on  leur  a  donné  le  nom  de  roches  azoï- 
ques. 

Le  granité  est  l'une  des  plus  répandues  de  ces  roches.  Les 
anciens  le  connaissaient  ;  mais  ils  ne  le  désignaient  pas 
sous  le  nom  de  granité  :  ce  nom  ne  commença  à  être 
employé  que  vers  la  fin  du  dix-septième  siècle.  Pline  parle 
du  syènite,  qui  est  le  granité  rose  dos  géologues  modernes. 
«  Autour  de  Sijène,  dans  la  Thébaïde,  on  trouve,  dit-il, 
le  syénite  {syenites),  que  l'on  appelait  auparavant pyropos- 
cilon,  c'est-à-dire  variée  de  rouge.  »  L'auteur  ajoute  que 
cette  pierre  servait  à  faire  ces  colonnes  ou  monolithes 
{trabes),  appelés  obélisques,   d'un  mot  qui,  en  égyptien, 


ROCHES  IGNÉES.  329 

signifie  rayon^  parce  qu'ils  étaient  consacrés  à  la  divinité 
du  soleil*. 

Sous  la  dénomination  de  granile^  on  comprend  aujour- 
d'hui une  roche  à  cassure  raboteuse,  composée  de  feld- 
spath, de  quartz  et  de  mica.  Toutefois,  il  y  a  cent  cin- 
quante ans  à  peine,  on  y  comprenait  même  les  grès  et 
les  pouddingues.  B.  de  Saussure  fît  le  premier  disparaître 
cette  confusion.  «  Ceux  qui  n'ont,  dit-il,  observé  que 
superficiellement  les  granités,  les  regardent  comme  des 
espèces  de  grès  ou  comme  des  grains  de  sable,  réunis  et 
agorlutinés  ensemble  ,  et  c'est  même  vraisemblablement  de 
cette  apparence  grenue  qu'ils  ont  reçu  le  nom  de  granité. 
Mais  si  on  étudie  attentivement  leur  structure,  on  verra 
que  toutes  les  petites  pièces  dont  le  granité  est  composé, 
s'adaptent  les  unes  aux  autres  avec  une  précision  qu'il  est 
impossible  de  supposer  dans  un  arrangement  fortuit  de 
parties  séparées.  Les  grès,  les  brèches,  les  pouddingues, 
qui  ont  été  réellement  formés  par  la  réunion  de  fragments 
détachés,  n'ont  pas  leurs  parties  aussi  parfaitement  engre- 
nées les  unes  dans  les  autres.  De  plus,  dans  ces  mêmes  pier- 
res, on  voit  pour  l'ordinaire  les  interstices  des  fragments 
dont  elles  sont  formées,  remplis  d'une  espèce  de  pâte  ou 
de  ciment,  qui  sert  à  les  soutenir,  et  à  les  lier  ensemble. 
Dans  les  granités,  au  contraire,  il  est  impossible  de  dis- 
tinguer aucun  ciment  :  toutes  les  parties  paraissent  égale- 
ment intégrantes  et  sont  si  bien  adaptées  les  unes  aux 
autres,  qu'on  dirait  qu'elles  ont  été  pétries  ensemble, 
pendant  qu'elles  étaient  encore  tendres  et  flexibles  ^.  » 

C'est  cette  alliance  intime  des  parties  intégrantes  qui  a 
fait  supposer  que  ces  masses  de  monuments  granitiques 
qui  nous  restent  des  anciens  et  dont  le  transport  parais- 
sait surpasser  les  forces  humaines,  étaient  des  mélanges 
de  différentes  pâtes  qui  auraient  été  pétries  sur  les  lieux. 


1.  Pline,  XXXVI,  13  et  14. 

2.  B.  de  Saussure,  Voxjages  dans  les  Alpes,  t.  I,  §  134. 


330  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

B.  de  Saussure  a  l'un  des  premiers  remarqué  que  le 
quartz,  le.  mica  et  le  feldspath,  dont  se  composent  les  gra- 
nités, varient  de  proportion,  non-seulement  dans  différentes 
roches,  mais  souvent  dans  les  différentes  parties  d'une 
même  roche  ;  que  le  quartz  y  varie  le  moins  de  couleur, 
qu'il  est  d'ordinaire  blanc,  transparent  ou  d'un  gris 
tirant  sur  le  violet;  que  les  lames  brillantes  du  mica 
revêtent  toutes  les  nuances  imaginables,  depuis  le  blanc 
jusqu'au  noir.  Quant  au  feldspath,  son  histoire  montre 
combien  la  géologie  a  été  inutilement  encombrée  jîar  une 
foule  de  noms  barbares,  empruntés  à  la  fois  au  grec,  au 
latin,  aux  idiomes  germaniques,  Scandinaves,  etc. 

Le  nom  hybride  de  feldspath,  composé  de  l'allemand 
feld,  champ,  et  du  grec  spathe,  lame,  signifie  littéralement 
la7ne  des  champs,  ce  qui  n'a  aucun  sens  précis.  Les  minéra- 
logistes du  dix-huitième  siècle  appelaient  spaths  certains 
carbonates  de  chaux  lamellaires,  particulièrement  le  spath 
d'Islande,  dont  les  lames  présentent  le  phénomène  opti- 
que de  la  double  réfraction.  Bientôt  ils  appliquèrent  ce  mot 
à  toutes  les  substances  cristallisées  en  lamelles,  dont  le 
feldspath  ne  devait  d'abord  être  qu'une  espèce.  B.  de  Saus- 
sure le  caractérisa  ainsi  comme  espèce  minérale  :  «  Le 
feldspath  est,  dit-il,  composé  de  lames  brillantes,  dont  la 
forme  est  ou  rhomboïdale  ou  rectangulaire.  Ces  lames, 
superposées  les  unes  aux  autres,  forment  par  leur  assem- 
blage quelquefois  des  cubes  ou  des  rhomboïdes,  mais  le 
plus  souvent  des  prismes  à  quatre  côtés  rectangulaires, 
d'une  longueur  double  ou  triple  de  leur  largeur.  Quelques- 
uns  de  ces  cristaux  ont  a  l'une  de  leurs  extrémités,  et 
quelquefois  à  leurs  deux  extrémités,  une  ou  deux  de  leur 
arêtes  abattues.  Souvent  les  faces  de  ces  cristaux  parais- 
sent divisées  suivant  leur  longueur  en  deux  parties  égales, 
et  l'une  de  ces  parties  brille  et  chatoie,  tandis  que  l'autre 
paraît  mate.  Si  on  les  observe  à  la  loupe,  on  verra  que 
cette  division  apparente  vient  de  ce  que  les  lames,  dont  ces 
cristaux  sont  composés,  n'ont  pas  des  deux  côtés  le  même 


ROCHES  IGNÉES.  331 

arrangement  ou  la  même  inclinaison  ;  d'où  il  arrive 
qu'elles  ne  réfléchissent  pas  sous  le  même  angle ,  les 
rayons  de  lumière  K  »  —  La  substance  ainsi  cristallisée 
pouvant  être  blanche,  jaune,  rouge,  violette,  noire,  cha- 
cune de  ces  colorations  était  considérée  comme  une  variété 
de  feldspath. 

Cependant  les  minéralogistes  îî3  tardèrent  pas  à  s'aper- 
cevoir que  la  cristallisation  n'est  pas  toujours  un  moyen 
de  classification  sûr,  et  lorsque  par  les  progrès  de  l'ana- 
lyse, ils  acquirent  la  certitude  qu'une  même  substance 
peut  cristalliser  de  deux  manières  difl"érentes,  ils  ne  pou- 
vaient guère  se  dispenser  de  recourir  aux  lumières  de  la 
chimie.  Mais  que  d'erreurs  il  y  avait  encore  à  traverser 
avant  d'atteindre  la  vérité  !  Sage ,  dans  ses  Éléments  de 
minéralogie  docimostique  (t.  I,  p.  250) ,  considérait  le 
feldspath  comme  un  quartz  (silice).  Voyant  que  le  feld- 
spath se  vitrifie  au  degré  de  chaleur  où  le  quartz  ne  se 
vitrifie  point,  Wallerius  n'admettait  pas  l'opinion  de 
Sage  :  pour  lui,  le  feldspath  était  un  mélange  de  silice  et 
de  terre  calcaire.  Ni  l'un  ni  l'autre  ne  tenaient  encore  la 
vérité.  Kirwan  trouva  le  feldspath  composé,  sur  100  par  • 
ties,  de  67  p.  de  silice,  de  14  p.  d'argile  pure,  de  11p. 
de  terre  pesante  (baryte)  et  de  8  p.  de  magnésie.  La  con- 
statation de  l'argile  pure  (alumine)  était  un  grand  pas  de 
fait;  mais,  à  côté  de  ce  résultat,  il  y  avait  bien  des  erreurs 
dans  l'analyse  de  Kirwan.  L'analyse  donnée  parB.  de  Saus- 
sure différait  notablement  de  celle  du  chimiste  anglais.  Ce 
célèbre  voyageur  des  Alpes  trouva,  dans  100  p.  de  feld- 
spath :  43  de  silice,  37,05  d'argile  (alumine),  1,70  de 
chaux,  4  de  fer  et  14,25  de  perte.  Cette  perte  énorme  de 
plus  de  14  p.  0/0  attira  justement  son  attention;  il  l'at- 
tribuait au  dégagement  de  quelques  fluides  élastiques, 
notamment  de  l'eau  et  de  l'air.  Mais  il  se  passa  encore  près 
de  cinquante    ans,  avant  qu'on  s'aperçût  qu'elle  était,  en 

1.  B.  de  Saussure,  Voyages  dans  les  Alpes,  t.  I,  §  77. 


332  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

réalité,  due  à  la  présence  d'un  alcali  très-soluble  dans 
l'eau,  tel  que  la  potasse  ou  la  soude,  ayant  la  propriété  de 
vitrifier  la  silice  et  l'alumine,  enfin  que  le  feldspath  est 
un  silicate  naturel  d'alumine  et  de  potasse,  dans  lequel 
la  potasse  peut  être  remplacée  par  la  soude,  par  la  chaux 
ou  la  magnésie. 

Aujourd'hui ,  on  regarde  l'ancienne  espèce  feldspath 
comme  formant  un  groupe  d'espèces  minérales,  parmi 
lesquelles  Yorthose  de  Haûy,  Yalhite  (pétrosilex),  Voligo- 
clase,  la  ryacslite  et  la  labradorite  (jade  de  Lamétherie) 
occupent  le  principal  rang.  Dans  la  première  espèce, 
prise  pour  type  du  groupe,  la  base  alcaline  est  représentée 
par  la  potasse  ;  dans  la  2%  elle  l'est  par  la  soude  ;  dans 
la  3",  par  la  chaux  ;  dans  la  4",  par  la  potasse  et  la 
soude  réunies  ;  dans  la  5*,  par  la  soude  et  la  chaux  réu- 
nies. Depuis  les  travaux  d'Abich,  de  Gustave  Rose  et 
d'Alex,  de  Humboldt,  ce  cadre  a  été  élargi  par  l'adjonc- 
tion de  Vandésine^  de  Vanorlhite,  de  la  carnalite,  de  la 
pétasite,  de  la  triphane,  etc.,  entrant  dans  la  compo- 
sition de  diverses  roches  primitives ,  analogues  au  gra- 
nité. 

Le  gneiss,  nom  dont  on  ignore  la  véritable  étymologie, 
a  été  jusqu'à  la  fin  du  dix-huitième  siècle  confondu  avec  le 
granité.  Quelques  géologues,  parmi  lesquels  il  faut  citer 
Werner  et  B.  de  Saussure,  signalèrent  alors  comme  une 
espèce  distincte  une  roche  granitoïde,  remarquable  par 
sa  texture  schisteuse,  due  principalement  à  la  prédomi- 
nance des  lamelles  de  mica,  et  par  l'absence  ou  l'appari- 
tion accidentelle  du  quartz,  qui  ne  manque  jamais  dans 
le  granité  proprement  dit.  C'est  cette  roche  granitoïde  qui 
reçut  le  nom  de  gneiss.  Très-souvent  associée  au  mica- 
schiste, caractérisé  par  des  feuillets  de  mica  souvent  très- 
étendus,  elle  forme  avec  le  granité  la  masse  primitive, 
fondamentale,  les  assises  du  globe  terrestre. 

Les  granités  et  les  gneiss  sont  les  saxa  fissilia  (roches 
feuilletées)  et  les  saxa  solida  (roches  en  masse)  de  Wal- 


Minéraux.  333 

lerius.  Ces  deux  espèces  de  roches  forment  la  charpente 
des  hautes  montagnes,  telles  que  les  chaînes  centrales 
des  Alpes,  des  Cordillères,  de  l'Oural,  du  Caucase,  de 
l'Altaï,  etc.  B.  de  Saussure  crut,  par  ses  observations, 
pouvoir  établir  «qu'on  ne  les  trouve  jamais  assises  sur  des 
montagnes  d'ardoise  ni  de  pierre  calcaire,  qu'elles  ser- 
vent, au  contraire,  de  base  à  celles-ci  et  ont  par  consé- 
quent existé  avant  elles.  »  C'est  pourquoi  il  leur  assigna 
le  nom  de  montagnes  primitives,  tandis  que  celles  d'ar- 
doise et  de  pierre  calcaire  devaient  être  qualifiées  de 
montagnes  secondaires.  Cette  division  devint  le  point  de 
départ  des  principales  théories  géologiques, 


Aperça  historique  des  minéraux  contenus  dans  les 
terrains  primitifs. 

Les  terrains  primitifs  de  gneiss  et  de  micaschiste  ont 
donné  naissance  aux  principaux  travaux  minéralogiques. 

Dans  le  gneiss  on  trouve  engagé  ordinairement  sous 
forme  de  petits  amas  vitreux,  cristallisés  dans  le  système 
clinorhombique,  le  pyroxène  (du  grec  -rcûp  feu,  et  ^évoî 
hôte),  nom  donné  par  Haûy*.  Ce  nom,  que  son  auteur 
croyait  n'avoir  appliqué  qu'à  une  seule  espèce  minérale, 
a  été  trouvé  depuis  comprendre  tout  un  genre  de  sub- 
stances isomorphes  ou  à  structure  cristalline  identique,  et 
ayant  une  composition  analogue  :  ces  substances  sont  des 
silicates  de  chaux,  de  magnésie,  de  protoxyde  de  fer  ou  de 
manganèse,  bases  qui  peuvent  se  remplacer  mutuellement 
de  manière  à  former  1»  la  diopside^  cristaux  blancs  où  la 
silice  s'est  combinée  avec  la  chaux  et  la  magnésie;  2°  la 
sahlite^  cristaux  d'une  teinte  verte  plus  ou  moins  foncée, 

1.  René  Just  Haûy,  né  en  1743  à  Saint-Just  en  Picardie,  mourut 
à  Paris  en  1822.  (Voy.  pour  plus  de  détails,  p.  346.) 


334  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

due  au  protoxyde  de  fer,  uni  à  la  chaux  et  à  la  magnésie. 
3''ïaugite^  cristaux  d'un  vert  tirant  sur  le  noir,  teinte  pro- 
duite par  une  plus  forte  pro}iortion  de  protoxyde  de  fer  ; 
4"  la  paulite  ou  Vhypersthène,  cristaux  d'un  noir  bronzé, 
où  la  silice  se  trouve  combinée  avec  la  magnésie  et  le  pro- 
toxyde de  fer  ;  5°  la  diallage  chatoyante,  cristaux  brunâtres 
de  silicate  de  magnésie,  de  protoxyde  de  fer  et  de  manga- 
nèse. Ces  pyroxènes  sont  un  élément  essentiel  des  ba- 
saltes, des  trapps,  des  dolérites  et  de  certains  por- 
phyres. 

A  côté  des  pyroxènes  vient  se  placer  un  autre  groupe 
ae  substances  isomorphes,  dont  l'histoire  montre  com- 
bien les  origines  de  la  minéralogie  sont  obscures  et  em- 
brouillées. La  rencontre  d'un  cristal  dans  les  fissures 
d'une  substance  en  masse,  sur  la  nature  de  laquelle  il  règne 
de  l'incertitude  «  est,  pour  nous  servir  d'une  expression  de 
Brongniart,  une  bonne  fortune  :  c'est  le  mot  écrit  à  côté  de 
l'énigme.  »  Gomme  ces  cristaux  sont  rares  et  qu'il  faut 
quelquefois  parcourir  bien  des  montagnes  pour  en  trou- 
ver un  seul,  les  minéralogistes  s'y  jettent  à  l'envi  :  c'est 
à  qui  imposera  à  chacun  de  ces  cristaux  une  dénomina- 
tion nouvelle.  Se  ravisant  ensuite,  ils  réunissent  ce  qu'ils 
avaient  séparé,  pour  distinguer  enfin  de  nouveau  ce  qu'ils 
avaient  d'abord  confondu. 

Le  mot  schorl  est  un  exemple  de  ces  abus  que  l'on 
peut  faire  du  langage.  Ce  mot,  qui  rappelle  l'allemand 
schorn,  cheminée,  a  été  appliqué  aux  substances  cristal- 
lines les  plus  diverses,  n'ayant  souvent  entre  elles  aucune 
analogie,  ni  de  forme,  ni  de  composition.  Aussi  le  miné- 
ralogiste, quand  il  était  interrogé  par  un  profane  sur  la 
nature  d'une  pierre  d'origine  ignée,  avait-il  coutume  de 
se  tirer  d'embarras,  en  répondant  imperturbablement  : 
«  C'est  un  schorl.  » 

Il  serait  trop  long  d'énumérer  toutes  les  substances 
cristallines  disséminées  dans  des  roches  primitives  et 
auxquelles  on  a  donné  ce  nom.   Citons  seulement  ïépi- 


MINÉRAUX.  335 

dote,  d'un  vert  plus  ou  moins  foncé,  et  qui  a  reçu  un 
grand  nombre  de  synonymes,  tels  que  schorl  vert,  thallite, 
arendalile,  zoysite,  delphinite,  stralite,  pistacite,  akanti- 
cône;  la  diallage  [Veuphotide  de  Brongniart,  le  gabbro  de 
L.  de  Buch),  présentant  de  petites  lamelles  très-bril- 
lantes et  dures,  dont  Haûy  a  décrit  trois  variétés  prin- 
cipales sous  les  noms  de  diallage  verte  (smaragdite  de 
Saussure ,  émeraudite  de  Daubenton),  de  diallage  cha- 
toyante {schillcrspalh  de  Werner,  spath  chatoyant  de  Bro- 
chant), et  de  diallage  métalloïde  [bronzite  et  pistrite  de 
quelques  minéralogistes);  Vamphigèîie on  Vaxinite,  remar- 
quable par  ses  cristaux  en  prismes  quadraugulaires,  tel- 
lement amincis  et  aplatis  aux  bords  qu'ils  sont  tranchants 
comme  le  fer  d'une  hache  (en  grec  aa;me);  la  tourmaline, V  am- 
phibole^ le  pyroxène,  etc.  Wallerius,  Rome  de  Lisle  et  Sage 
avaient  déjà  réuni  les  schorls  aux  basaltes.  Enfin  on  avait 
tant  abusé  du  mot  schorl,  queHaûy  crut  devoir  l'effacer  de 
la  nomenclature  minéralogique.  Il  fut  ainsi  conduit  à  réunir 
dans  un  même  groupe,  sous  le  nom  d'amphibole  (du  grec 
amphibolos ,  ambigu),  les  substances  d'abord  comprises  sous 
le  nom  commun  de  schorl,  et  que  Werner  avait  séparées, 
d'après  quelques  caractères  extérieurs,  fort  peu  décisifs. 
Plus  tard,  la  découverte  de  l'isomorphisme  fit  considérer  ce 
groupe,  caractérisé,  comme  les  pyroxènes,  par  des  prismes 
obliques  à  base  rhomboïdale,  non  plus  comme  une  véritable 
espèce,  mais  comme  un  genre  d'espèces  isomorphes, 
c'est-à-dire  d'espèces  analogues  et  tiès-rapprochées  les 
unes  des  autres  tant  par  leur  forme  cristalline  que  par 
leur  composition  atomique.  La  première  manière  de  voir 
fut  remise  en  crédit  par  les  analyses  de  Gustave  Rose, 
qui  montra  que  les  amphiboles  sont,  comme  les  pyroxènes 
ou  schorls  volcaniques,  composées  d'un  atome  de  bisilicate 
de  chaux  et  de  trois  atomes  de  bisilicate  de  magnésie,  )a 
chaux  et  surtout  la  magnésie  pouvant  être,  en  tout  ou  en 
partie,  remplacée  par  le  protoxyde  de  fer  ou  par  le  pro- 
toxyde  de  manganèse. 


336  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

Cependant  les  minéralogistes  continuèrent  à  distinguer 
les  amphiboles  des  pyroxènes,  parce  que  les  premiers  sont 
plus  fusibles  que  les  seconds,  etsurtoutparce  que  les  espè- 
ces amphiboliques  leur  paraissaient,  non  pas  isomorphes 
dans  le  sens  rigoureux  du  mot,  mais  seulement  plésiomor- 
phes^  c'est-à-dire  àpeu  ptxs  de  même  forme.  Partant  de  là,  ils 
ont  essayé  de  rattacher  toutes  les  variétés  d'amphibole  à  trois 
espèces  distinctes  :  1°  la  trémolite  [grammatite  de  Haûy'), 
ainsi  nommée  par  le  P.  Pini  et  de  Saussure,  parce  qu'ils  la 
rencontrèrent  dans  le  Val  Tremola,  entre  Airolo  et  l'hospice 
du  Saint-Gothard,  et  la  signalèrent,  vers  1775,  comme  une 
pierre  nouvelle.  B.  de  Saussure  fut  frappé  de  voiries  pris- 
mes blancs  ou  verdâtres  de  ce  minéral  (amphibole  blanche) , 
formant  de  longues  baguettes,  répandre  de  1?  lumière  quand 
on  les  frottait  dans  l'obscurité.  Il  remarqua  aussi  que  la 
trémolite  se  rattache,  par  sa  structure,  aux  amiantes  ou 
asbestes,  et  qu'au  Saint-Grothard  elle  a  pour  gangue  une 
espèce  de  calcaire  qui  ressemble  à  du  grès  blanc  (calcaire 
saccharoïde  des  terrains  micaschisteux),  et  à  laquelle  son 
fds  donna  le  nom  de  dolomie,  «  du  nom  du  commandeur 
de  Dolomieu  qui  le  premier  a  fixé  l'attention  des  natura- 
listes sur  cette  pierre  singulière^.  »  La  trémolite,  en  tant 
que  bisilicate  à  base  de  chaux  et  de  magnésie,  correspond 
au  pyroxène  diopside.  —  2"  h'anthophyUite;  c'est,  d'après 
l'analyse  de  Vopelius,  une  trémolite  dont  la  chaux  a  été 
remplacée  par  le  protoxyde  de  fer.  Cette  substance  miné- 
rale fut  découverte  à  Kongsberg,  en  Norwége,  par  Schu- 
macher; qui  en  a  donné  la  première  description.  N'ayant 
pu  la  rapporter  à  aucun  des  minéraux  connus,  il  lui  a 
donné  le  nom  à'anthophyllite  (àvôoç  fleur  et  cpûXXov  feuille), 
à  cause  de  sa  couleur,  qui  est  d'un  brun  d'oeillet.  On  l'a 

1.  Le  nom  de  grammatite  (de  gramma,  ligne)  vient  de  ce  que  dans 
les  apparentes  cassures  transversales  des  baguettes  prismatiques  de  la 
trémolite  on  aperçoit  souvent  une  ligne  colorée  dans  la  direction  de 
la  grande  diagonale. 

2.  B.  de  Saussure^  Voyage  dans  les  Alpes. 


MINERAUX.  337 

trouvée  depuis  à  Helsingfors  en  Finlande  et  à  Inkevtonk 
en  Groenland,  et  on  a  reconnu  que  l'antliophyllite  est  pour 
les  amphiboles  ce  que  l'hyperstène  est  pour  les  pyroxènes. 
—  3°  il' amphibole  proprement  dite,  composée  d'un  atome 
de  trisilicate  de  chaux  et  d'un  atome  de  bisilicate  de  fer, 
comprend  deux  sous-espèces ^  Vactinote  et  la  hornblende. 
L'actinote,  d'abord  appelée  schorl  vert  des  talcSy  doit  son 
nom  (du  ^rec  actis,  rayon)  à  ses  cristaux  en  longs  prismes 
ou  en  longues  aiguilles  rayonnées,  translucides,  d'un  vert 
plus  ou  moins  foncé  ;  elle  fut  décrite  par  B.  de  Saussure 
sous  le  nom  de  rayonnante  (strahlstein  de  Werner),  sur 
des  échantillons  qu'il  avait  trouvés,  sous  forme  de  noyaux 
ovales,  dans  du  gneiss  micacé,  près  de  Zumloch,  dans  la 
vallée  du  Rhône.  Lamétherie  lui  donna  le  nom  de  zille- 
rite,  parce  qu'on  la  trouve  dans  le  Zillerthal,  en  Tyrol, 
et  il  fit  de  ses  variétés,  aciculaire,  lamellaire  et  fibreuse, 
une  espèce  particulière,  sous  le  nom  à'asbestoïde. 

L'actinote  correspond,  par  sa  composition,  à  la  sahlite 
pyroxénique.  La  hornblende  (de  l'allemand  horn  corne,  et 
blenden,  éblouir)  a  une  composition  analogue.  Le  plus  sou- 
vent engagée,  en  lamelles  prismatiques,  dans  la  syénite 
et  la  diorite,  elle  forme  quelquefois  des  masses  rocheuses, 
connues  sous  le  nom  à' amphibolites .  L'ouralite  de  Gr.  Rose 
et  l'arfwedsonite  se  rapprochent  de  la  hornblende. 

Les  grenats,  les  graphites,  les  macles  se  rencontrent, 
comme  les  pyroxènes  et  les  amphiboles,  dans  le  granité, 
dans  le  gneiss,  dans  le  micaschiste  et  d'autres  roches  pri- 
mitives. Les  grenats  ont  plus  particulièrement  fixé  l'at- 
tention des  cristallographes  :  leurs  cristaux  rentrent  dans 
le  système  cubique,  ayant  pour  forme  habituelle  un  do- 
décaèdre irrégulier,  terminé  par  des  rhombes  ;  et  leur 
belle  couleur  rouge,  qui  rappelle  celle  des  pommes  de  gre- 
nade, d'oii  le  nom  de  grenat^  les  ont  fait  de  tout  temps 
rechercher  des  lapidaires. 

h'asteria  des  anciens,  qui  a  vainement  exercé  la  saga- 
cité des  philologues ,  était  probablement  un  de  ces  gre- 

22 


338  HISTOIRE  DE  LA  MINERALOGIE. 

nats  qui,  couverts  de  stries  parallèles  aux  arêtes  du  dodé- 
caèdre rhomboïdal,  présentent  un  phénomène  optique 
bien  remarquable.  Lorsqu'on  les  taille  en  plaque  perpen- 
diculairement à  l'axe ,  la  section  passant  par  deux  angles 
trièdres  opposés  au  dodécaèdre,  et  qu'on  vient  ensuite 
regarder,  au  travers  d'une  pareille  plaque,  un  point  lumi- 
neux ou  la  flamme  d'une  bougie,  on  aperçoit  une  étoile 
à  six  branches,  d'où  sans  doute  le  nom  d'asteria^  d'une 
teinte  très-vive,  qui  paraissent  se  diriger  vers  les 
angles  de  l'hexagone  formé  par  la  coupe  transver- 
sale du  cristal  ;  on  remarque  en  même  temps  une 
courbe  lumineuse  circulaire  (cercle  parhélique  de  Babinet), 
qui  passe  par  le  point  de  croisement  des  branches  de 
l'astérie,  c'est-à-dire  par  le  point  lumineux.  Les  théories 
que  les  physiciens  ont  données  de  ce  phénomène,  présenté 
encore  par  d'autres  minéraux,  tels  que  le  corindon,  sont 
loin  d'être  concordantes. 

Les  anciennes  analyses  de  Klaproth  avaient  déjà  mon- 
tré que  les  grenats  appartiennent  au  grand  groupe  des 
silico-aluminates  de  chaux  et  de  magnésie,  dans  lesquels 
les  sesquioxydes  de  fer,  de  manganèse  et  de  chrome  sem- 
blent jouer  le  rôle  de  matière  tinctoriale  joav  voie  ignée. 
Ici  encore  la  manie  nomenclaturale  a  créé  de  singuliers 
embarras.  L.  Gr.  Karsten,  célèbre  minéralogiste  alle- 
mand (né  à  Butzow  en  1768,  mort  en  1810),  a  nommé 
almandin  (grenat  syrien)  le  grenat  composé  princi- 
palement d'alumine  et  de  silice,  mélanite  (grenat  noir 
de  Frascati),  le  grenat  contenant  beaucoup  de  chaux 
provenant  surtout  de  sa  gangue,  joyro/)e  (grenat  de  Bohême) 
le  grenat  où  dominerait  la  magnésie,  sans  exclure  les 
autres  parties  constitutives.  A  cette  nomenclature  il  faut 
ajouter  la  topazolite  (merveille  des  lapidaires),  Vuivaro- 
wite,  d'un  beau  vert  d'émeraude,  la  colophanite^  d'un 
jaune  roux,  Vessonite  ou  pierre  de  cannelle,  l'hyacinthe, 
le  grenat  grossulaire^  le  grenat  blanc  (leucite,  leucolithe), 
1  amphigène  (ainsi  nommée  à  cause  de  ses  deux  formes  de 


METEORITES.  339 

clivage),  '  idiocrase,  Vaplome  d'Haûy,  qrii  sont  tous  des 
silico-aluminates  du  même  genre. 

Le  graphite  (plombagine),  qui  passa  longtemps  pour  un 
carbure  de  fer,  et  qui  forme  la  mine  des  crayons  (d'oii 
son  nom,  de  Ypaqiw,  j'écris),  a  été  reconnu  pour  n'être  quo 
du  charbon  presque  pur.  On  s'étonna  qu'une  matière 
combustible  comme  le  charbon  eût  pu  se  rencontrer,  — 
le  l'ait  est  certain,  —  dans  du  granité  et  d'autres  roches 
d'origine  ignée.  Mais  comment  le  graphite  peut-il,  ainsi 
que  M.  Reichenbach  et  d'autres  l'ont  constaté,  entrer  dans 
la  composition  des  météorites,  de  ces  pierres  qui,  venues 
probablement  d'autres  mondes,  deviennent  perceptibles 
dans  le  voisinage  de  notre  planète? 

Enfin  c'est  dans  les  terrains  primitifs  que  l'on  rencontre 
la  plus  grande  partie  des  minerais  qui  renferment  pres- 
que tous  nos  métaux,  et  qui,  à  raison  de  leur  utilité, 
avaient  déjà  attiré  l'attention  des  anciens.  L'art  de  leur 
exploitation  constitue  la  métallurgie,  dont  l'histoire  se 
rattache  à  celle  de  la  chimie. 


Météorites.  —   Aperça   historique. 


Les  météorites,  plus  anciennement  connus  sous  le  nom 
à'aéivlithes,  c'est-à-dire  de  pierres  tombées  de  l'air  (de 
dvip  air,  et  X{ôo;  pierre],  mettent  la  terre  directement  en 
rapport  avec  le  ciel,  la  géologie  avec  l'astronomie.  Les 
bolides  et  les  étoiles  filantes  rentrent  dans  la  même  catégo- 
rie de  phénomènes. 

Les  plus  anciennes  traditions  parlent  de  pierres  de  fou- 
dre, de  pierres  tombées  du  ciel.  La  Chronique  de  Paros 
mentionne  une  masse  de  fer  tombée  sur  le  mont  Ida. 
Tite  Live  (I,  3 1  )  parle  d'une  pluie  de  pierres,  arrivée  sur  le 
mont  Albain.  Anaxagore  de  Glazomène  paraît  s'être,  l'un 


340  HISTOIRE  DE  LA  MINERALOGIE. 

des  premiers,  livré  à  l'étude  des  météorites,  qu'il  considérait 
comme  des  pierres  tombées  du  soleil.  C'est  d'après  ce 
philosophe  que  Pline,  Plutarque  et  d'autres,  ont  décrit  la 
fameuse  pierre  tombée,  dans  la  seconde  année  de  la  78* 
olympiade  (année  467  avant  J.  G.),  près  du  fleuve  Mgos 
(iÊgos-Potamos) ,  en  Thrace,  et  qui  s'y  voyait  encore  au 
commencement  de  notre  ère.  Suivant  Pline,  elle  était  delà 
grosseur  d'un  char,  de  couleur  sombre,  coïnme  si  elle  avait 
subi  l'action  du  feu  {colore  adusîo)  * .  «  Malgré  les  inutiles 
tentatives  que  le  voyageur  Browne  fit,  dit  Alex,  de  Hum- 
boldt,  pour  la  découvrir,  je  ne  renonce  pas  àl'espoir  qu'un 
jour  on  pourra  retrouver,  plus  de  2300  ans  après  sa  chute, 
cette  masse  météorique,  dont  la  destruction  ne  me  paraît 
guère  admissible^.  »  Ces  chutes  de  pierres,  qu'on  a  ob- 
servées, en  tout  temps,  sur  presque  tous  les  points  de  la 
surface  terrestre',  étaient  dans  l'antiquité  considérées 
comme  des  présages,  à  l'exemple  des  comètes. 

C'est  seulement  depuis  l'année  1798  que  l'attention  des 
savants  est  fortement  attirée  vers  l'étude  des  météorites 
et  que  l'existence  réelle  de  ces  corps,  ou,  pour  ainsi  dire, 
leur  autonomie,  est  définitivement  admise.  Cette  con- 
quête de  la  science  se  rattache  en  effet  à  la  chute  de  pier- 
res observée,  aux  environs  de  Bénarès  dans  l'Inde,  le  19 
décembre  1798.  Jusque-là  le  phénomène  de  la  chute  des 
pierres  était  nié  de  la  manière  la  plus  formelle  par  les  sa- 
vants, et,  par  exemple,  l'Académie  de"s  sciences  de  Paris 
avait  en  1768,  par  l'organe  de  Lavoisier,  rejeté  dans 
le  domaine  des  illusions  propres  à  l'ignorance  l'idée 
qu'il  pût  tomber  des  corps  solides  de  l'atmosphère.  La 
chose  est  d'autant  plus  remarquable  que  vers  cette  même 
époque  et  dans  les   années  suivantes  il  y  eut  un  nombre 

1.  Pline,  Hisl.  nat.,  II,  59. 

2.  Alex,  de  Humboldt,  Cosmos,  1. 1,  p.  132. 

3.  On  en  trouve  la  liste,  par  ordre  chronologique,  dans  Arago,  As- 
tronomie populaire,  t.  IV,  p.  184  et  suiv. 


( 


MÉTÉORITES.  341 

relativement  grand  de  chutes  de  météorites  dans  les  pays 
civilisés,  tels  que  la  France,  l'Italie,  l'Espagne,  l'Angle- 
terre, etc.,  et  il  est  bien  digne  d'attention  que  ce  fut  une 
chute  arrivée  au  fond  de  l'Inde,  dans  les  circonstances  les 
plus  ordinaires,  qui  eut  le  privilège  de  fixer  l'attention  de 
tous  les  physiciens. 

Le  chimiste  anglais  Howard,  ayant  analysé  non-seule- 
ment la  pierre  indienne,  mais  beaucoup  d'autres  pierres 
tombées  à  diverses  époques  et  en  diftérents  pays,  constata 
l'uniformité  de  composition  de  la  plupart  d'entre  elles.  Ce 
fait  saisissant,  en  ébranlant  l'incrédulité,  n'entraîna  ce- 
pendant pas  les  convictions  de  l'Académie  des  sciences  de 
Paris;  c'est  ce  dont  un  physicien  genevois,  Pictet,  eut 
bientôt  occasion  de  faire  l'expérience.  Pictet  avait,  pendant 
un  voyage  en  Angleterre,  acquis  la  conviction  que  la 
chute  des  pierres  était  un  phénomène  réel.  Il  écrivit  à  Pa- 
ris et  fit  une  communication  sur  ce  sujet  à  l'Académie 
des  sciences.  C'était  en  novembre  1802.  Il  trouva  l'Aca- 
démie si  mal  disposée  que,  suivant  l'expression  d'un  his- 
torien, «  il  lui  fallut  une  sorte  de  courage  pour  achever 
sa  lecture.  y> 

Le  fait  est  d'autant  moins  explicable  que  sept  années 
s'étaient  déjà  écoulées  depuis  la  publication  d'un  travail 
devenu  célèbre  du  physicien  allemand  Ghladni ,  où 
l'auteur  développait,  avec  une  hardiesse  qui  étonne,  l'hy- 
pothèse d'après  laquelle  les  météorites  constitueraient  de 
petits  corps  célestes,  indépendants,  et  se  mouvant  dans 
l'espace  jusqu'à  ce  qu'un  astre  de  grand  volume  les  attire 
et  les  précipite  sur  sa  surface. 

Quoi  qu'il  en  soit,  un  mois  après  la  lecture  de  Pictet, 
Vauquelin,  qui  sur  l'invitation  de  Howard  avait  fait  l'ana- 
lyse de  différentes  pierres  météoriques,  présenta  à  l'Aca- 
démie les  résultats  de  ses  recherches,  résultats  confor- 
mes à  ceux  du  chimiste  anglais.  A  son  tour  il  provoqua 
une  vive  opposition  parmi  les  académiciens,  et  ceux-ci  al- 
laient repousser  formellement  ses  conclusions,  quand  La- 


342  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

place  les  arrêta  :  «  H  est  possible,  dit-il,  qu'il  tombe  sur 
notre  globe  des  masses  lancées  par  les  volcans  de  la 
Lune.  Ne  rejetez  donc  pas  comme  impossible  un  fait  qui 
mérite  d'être  soigneusement  examiné.  » 

Aussi  attendit-on  avec  impatience  qu'une  chute  permît 
de  constater  avec  précision  toutes  les  conditions  du  phé- 
nomène. 

L'occasion  arriva  bientôt.  Vers  la  fin  du  mois  d'avril 
1803,  des  lettres  écrites  du  département  de  l'Orne  appor- 
tèrent à  Paris  la  nouvelle  que,  le  26  du  même  mois,  en- 
tre une  et  deux  heures  de  l'après-midi ,  un  phénomène 
prodigieux,  subitement  apparu  aux  environs  de  la  ville  de 
l'Aigle,  avait  frappé  d'étonnement  et  de  terreur  toutes  les 
personnes  et  même  tous  les  animaux  qui  en  avaient  été 
témoins.  Au  milieu  d'un  ciel  serein,  un  nuage  s'était 
montré  du  sud  au  nord;  une  explosion  épouvantable, 
entendue  de  plusieurs  kilomètres  à  la  ronde,  en  était  sor- 
tie ;  plusieurs  décharges  avaient  suivi,  semblables  à  des 
feux  de  mousqueterie,  puis  un  roulement  terrible,  qui 
s'était  prolongé  pendant  plusieurs  minutes;  enfin  des 
pierres  s'étaient  échappées  de  ce  nuage  effrayant,  on  les 
avait  entendues  siffler,  on  les  avait  vues  rebondir  sur  le 
sol  et  s'enfoncer  en  terre;  on  en  citait  une  du  poids  de 
7  à  8  kilogrammes,  enfouie  à  la  profondeur  de  50  centimè- 
tres. On  prétendait  en  avoir  ramassé  sur  une  grande 
étendue  de  pays.  Plusieurs  de  ces  pierres  anivèrent  à 
Paris  en  même  temps  que  la  nouvelle  de  leur  chute.  Grises 
àl'intérieur,  grenues,  fendillées,  remplies  de  parcellesbril- 
iantes  et  métalliques,  elles  étaient  toutes  recouvertes  d'une 
sorte  de  vernis  de  couleur  noire. 

L'annonce  de  cet  événement  produisit  à  Paris  la  plus 
vive  sensation,  et,  sur  la  demande  de  l'Institut,  le  minis- 
tre de  l'instruction  publique  chargea  Biot  de  se  rendre 
sur  le  théâtre  du  phénomène  et  d'y  ouvrir  une  enquête. 
Le  résultat  de  cette  enquête  fut  la  confirmation  de  tous 
les  récits  populaires  que  les  savants  avaient  jusque-là  re- 


MÉTÉORITES.  343 

jetés  avec  tant  de  dédain,  et  l'admission  dans  la  science 
du  phénomène  de  la  chute  des  pierres. 

Mais  la  question,  une  fois  résolue,  de  la  réalité  du 
phénomène,  d'autres  questions  étaient  par  cela  même 
posées  :  elles  se  réunirent  sous  deux  chefs,  qui  sont  la 
nature  et  l'origine  dos  météorites.  Howard  et  Vauquelin 
avaient  déjà  analysé  quelques  pierres  d'origine  céleste. 
Le  résultat  de  leurs  travaux  fut  que  ces  pierres  conte- 
naient surtout  de  la  silice,  de  la  magnésie,  du  fer  et  du 
nickel.  Laugier  y  reconnut  le  chrome,  dont  la  fréquence 
est  très-remarquable;  Berzélius,  l'étain  et  le  cuivre,  etc.; 
et  aujourd'hui  le  nombre  des  corps  simples  rencontrés 
dans  les  météorites  s'élève  à  trente  environ. 

Mais  à  mesure  que  les  analyses  se  multipliaient,  on 
reconnut,  contrairement  à  la  première  opinion  de  Howard, 
que  toutes  les  météorites  sont  bien  loin  d'être  identiques 
entre  elles.  Par  exemple,  la  belle  collection  de  météorites 
du  Muséum  d'histoire  naturelle,  fondée  par  Gordier  et 
agrandie  par  M.  Daubrée,  renferme  les  représentants  de 
plus  de  200  chutes,  que  M.  Stanislas  Meunier  a  été 
amené,  par  ses  études,  à  distribuer  entre  43  types  de  ro- 
ches parfaitement  distincts  les  uns  des  autres  et  affectés 
maintenant  de  noms  particuliers. 

Dans  ces  roches  célestes,  les  corps  simples  que  nous 
venons  d'indiquer  se  présentent  associés  entre  eux  sous  la 
forme  de  minéraux  terrestres,  mais  dont  beaucoup  aussi  ont 
un  caractère  spécial. Ces  espèces  minérales  sont  dès  àpré- 
sent  au  nombre  d'au  moins  une  cinquantaine,  et  les  recher- 
ches ultérieures  les  multiplieront  sans  doute.  Les  minéraux 
les  plus  fréquents  sont  des  alliages  de  fer  et  de  nickel, 
des  silicates  magnésiens,  comme  le  péridote  et  le  pyroxène, 
le  graphite,  un  sulfure  de  fer  et  de  nickel,  qui  forme  sou- 
vent dans  les  fers  météoriques  de  gros  amas  cylindroïdes 
très-remarquables,  un  phosphure  do  fer  et  de  nickel,  etc. 

L'association  de  ces  divers  minéraux  est  très  intéres- 
sante  à  étudier.  M.   Sorby,  savant   observateur  anglais. 


344  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

a  surtout  examiné  à  cet  égard  les  tranches  délitées  dans 
les  pierres  avec  assez  de  minceur  pour  être  transparentes 
et  pouvoir  être  placées  sur  le  porte-objet  du  microscope. 

Un  minéralogiste  allemand,  M.  Widmannstœtten,  s'est 
occupé  de  la  structure  des  fers  météoriques  et  il  a  mon- 
tré que  les  divers  minéraux  qui  y  sont  mélangés  sont 
disposés  dans  la  masse  de  façon  à  constituer  des  réseaux 
souvent  très-réguliers.  Pour  cela  il  polit  une  lame  de  fer 
et  la  traite  par  un  acide.  Au  lieu  de  s'attaquer  uniformé- 
ment comme  le  ferait  le  fer  terrestre,  la  lame  présente  un 
moiré  particulier,  aunuel  on  a  donné  le  nom  de  figure  de 
Widmannstsetten  et  dont  l'étude  a  été  fort  instructive. 

Enfin,  M.  Stanislas  Meunier,  en  étudiant  les  minéraux 
qui  se  sont  développés  dans  les  fers  météoriques,  a  re- 
connu qu'ils  occupent  les  uns  vis-à-vis  des  autres  des  si- 
tuations parfaitement  fixes,  et  qu'ils  offrent  une  grande 
constance  dans  leur  association. 

On  ne  pouvait  étudier  la  nature  des  météorites  sans  se 
demander  quel  a  été  leur  mode  de  formation.  Sous  ce 
rapport,  on  n'a  pas  été  très-heureux  jusqu'à  présent. 
Parmi  les  divers  travaux  faits  dans  cette  voie  il  faut  citer 
d'une  manière  toute  particulière  les  longues  recherches 
de  M.  Daubrée,  qui  a  fait  fondre  un  très-grand  nombre 
de  météorites  et  parallèlement  un  très-grand  nombre  de 
roches  terrestres  de  composition  comparable.  La  conclu- 
sion qu'il  est  légitime  de  tirer  de  ces  expériences  est  que 
les  météorites  ne  se  sont  évidemment  pas  produites  dans 
des  conditions  analogues  à  celles  qu'on  réalise  dans  nos 
fourneaux  de  laboratoire,  et  que  leur  mode  de  production 
se  rapproche  le  plus  de  la  formation  des  roches  primor- 
diales de  la  terre  et  particulièrement  du  granité.  A  cet  égard, 
il  faut  mentionner  une  expérience  qui  a  permis  à  M.  Sta- 
nislas Meunier  de  reproduire  dans  tous  ses  détails  une 
météorite,  la  météorite  noire  tombée  en  Algérie,  en  1867, 
au  moyen  d'une  roche  terrestre,  c'est-à-dire  au  moyen  de 
ia  serpentine  des  Alpes,  Pour  reproduire  la  météorite  ar- 


MÉTÉORITES.  345 

tificiellement,  il  a  suffi  de  chauffer  la  serpentine,  mais 
sans  la  fondre,  dans  un  courant  d'hydrogène. 

Relativement  à  l'origine  des  météorites,  les  tentatives 
ont  été  très-nombreuses,  et  il  est  curieux,  au  point  de  vue 
historique,  de  les  passer  rapidement  en  revue.  Parmi  ces 
tentatives  il  importe  d'abord  de  distinguer  celles  qui  sont 
de  simples  hypothèses  plus  ou  moins  vraisemblables,  de 
celles  qui,  au  contraire,  ont  eu  pour  but  de  faire  décou- 
ler la  solution  cherchée  d'expériences  et  d'observations 
scientifiques.  Les  premières  sont  incomparablement  les 
dIus  nombreuses,  il  suffira  d'en  citer  deux. 

La  première  hypothèse  a  pour  auteur  Ghladni  ;  nous 
l'avons  déjà  citée.  La  seconde,  imaginée  par  Laplace,  déve- 
loppée par  Poisson  et  reprise  de  nos  jours  par  M.  Law- 
rence Smith,  voit  dans  les  météorites  des  fragments  lancés 
par  des  volcans  lunaires  avec  assez  de  violence  pour  péné- 
trer dans  la  sphère  d'attraction  de  la  terre.  Ce  ne  sont  là 
que  deux  manières  de  voir  plus  ou  moins  vraisemblables, 
que  l'on  peut  admettre  ou  repousser  d'après  le  sentiment 
du  moment,  mais  que  rien  jusqu'ici  ne  semble  démon- 
trer. Leurs  auteurs  bornent  leurs  efforts  à  écarter  tout 
ce  qui  pourrait  conclure  à  la  fausseté  de  leurs  sys- 
tèmes. 

De  ces  diverses  manières  de  voir  se  distingue  la  théo- 
rie à  laquelle  M.  Stanislas  Meunier  a  été  conduit  par 
l'observation  exclusive  des  caractères  offerts  par  les  mé- 
téorites. Il  a  reconnu,  en  effet,  d'une  façon  qui  paraît  inat- 
taquable en  ce  sens  que  plusieurs  méthodes,  absolument 
indépendantes  entre  elle^,  concourent  à  ce  même  résultat, 
que  les  météorites  les  plus  diverses  ont  été  ensemble  en 
relations  stratigraphiques.  De  plus,  il  a  observé  dans  les 
météorites  des  traces  toutes  semblables  à  celles  que  les 
phénomènes  géologiques  impriment  sur  les  roches  ter- 
restres. 

De  cet  ensemble  d'observations,  l'auteur  a  conclu  que 
les  pierres  qui  tombent  du  ciel  proviennent  d'un  astre  ja- 


346  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

dis  unique  et  maintenant  brisé.  La  rupture  d'un  astre  se» 
rait  donc,  d'après  M.  Stanislas  Meunier,  l'effet  d'une 
cause  naturelle,  soumettant  la  vie  sidérale  à  un  cycle 
tout  à  fait  comparable  à  celui  de  la  vie  organique.  L'en- 
semble des  études  relatives  à  cet  important  sujet  constitue 
une  science  nouvelle,  à  laquelle  M.  Stanislas  Meunier 
■propose  de  donner  le  nom  de  géologie  comparée. 


Fondateurs  de  la  minéralogie  moderne. 
Cristallograxihic. 

Depuis  longtemps  on  avait  remarqué  que  beaucoup  de 
substances  inorganiques  minérales  afl'ectent  des  formes 
polyédriques,  et  que  certains  cristaux  étaient  semblables 
!x  quelques-uns  des  corps  réguliers  de  la  géométrie,  tels 
que  l'octaèdre  et  le  cube.  On  avait  de  tout  temps  admiré 
le  beau  prisme  hexagonal,  terminé  par  des  sommets  py- 
ramidaux, du  cristal  de  roche  (quartz  hyalin).  Les  phy- 
siciens y  avaient  remarqué  le  phénomène  de  la  double 
réfraction  comme  dans  le  spath  d'Islande  (chaux  carbo- 
natée  transparente),  dont  ils  mesurèrent  même  les  angles 
de  cristallisation.  Les  philosophes  n'avaient  émis  sur  les 
cristaux  que  des  idées  vagues,  quand  ils  ne  les  passaient 
pas  entièrement  sous  silence.  La  plupart  ne  regardaient 
les  solides  polyédriques  que  comme  des  accidents  ou  des 
hasards  de  la  nature.  Ce  fut  un  naturaliste  qui  sentit  le 
premier  que  les  cristaux  devaient  être  le  résultat  de  causes 
régulières,  constantes.  C'est  Linné  qui  doit  être  mis  au 
nombre  des  fondateurs  de  la  cristallographie. 

Buffon,  qui  aimait  mieux  planer  dans  des  généralisations 
que  descendre  dans  l'examen  des  détails,  fut  le  premier  à 
établir  en  principe  que  «  toutes  les  fois  qu'on  dissout  une 
matière,  soit  par  l'eau,  soit  par  le  feu,  elle  ne  manque  pas 
de  cristalliser,  pourvu  qu'on  tienne  cette  matière  dissoute 


CRISTALLOGRAPHIE.  347 

assez  longtemps  en  repos  pour  que  ses  particules  simi- 
laires et  déjà  figurées  puissent  exercer  leur  force  d'affi- 
nité, s'attirer  réciproquement,  se  joindre  et  se  réunir.  i:> 
Puis,  faisant  ressortir  l'importance  de  l'action  du  temps, 
il  ajoutait  :  «Notre  art  peut  imiter  ici  la  nature  dans  tous 
les  cas  où  il  ne  faut  pas  trop  de  temps,  comme  pour  la 
cristallisation  des  sels  ;  mais,  quoique  la  substance  du 
temps  ne  soit  pas  matérielle,  néanmoins  le  temps  entre 
comme  élément  général,  comme  ingrédient  réel  et  plus 
nécessaire  qu'aucun  autre  dans  toutes  les  compositions 
de  la  matière.  Or  la  dose  de  ce  grand  élément  ne  nous 
est  point  connue  ;  il  faut  peut-être  des  siècles  pour  opé- 
rer la  cristallisation  d'un  diamant,  tandis  qu'il  ne  faut 
que  quelques  minutes  pour  faire  cristalliser  un  sel  ^  « 

Rome  de  Lisle  choisit  le  premier  les  cristaux  comme 
un  objet  d'études  spécial.  Dans  sa  Cristallograjjhie^  qui 
parut  en  1772,  il  décrivit  avec  soin  un  grand  nombre  de 
cristaux,  la  plupart  inconnus  ou  mal  déterminés  avant 
lui.  Ainsi  il  fît,  entre  autres,  connaître,  sous  le  nom  de 
pierre  de  croix,  la,  crucile  de  Lamétherie,le  chiastolithe  de 
Karsten,  le  macle  de  Brochant  et  de  Brongniart,  une 
substance  minérale  cristallisée  en  prismes  quadrangu- 
laires  qui  présentent,  sur  leur  coupe  transversale,  des  des- 
sins particuliers  produits  par  une  matière  noire,  disposée 
tantôt  au  centre  du  cristal  sous  la  forme  d'un  carré, 
tantôt  suivant  les  diagonales  et  figurant  alors  une  sorte 
de  croix.  Ce  groupement  résulte  de  la  réunion  en  sens 
contraire  (angle  de  rotation  de  180°)  de  deux  cristaux  sem- 
blables. Haûy  lui  donna  le  nom  à'hémitropie,  depuis  lors 
universellement  adopté.  Il  mesura  mécaniquement  le? 
angles  entre  les  pans  de  prismes,  et  mit  en  lumière  un 
fait  fondamental,  à  savoir  que  ces  angles  ont  une  mesure) 
'constante  dans  la  même  variété  minérale. 

Depuis  lors,  un  assez  grand  nombre  de  naturalistes  eti 

1.  Buffon,  Œuvres,  t.  X,  p.  8  (édition  de  M.  Flourens), 


348  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

de  physiciens  se  livrèrent  à  des  observations  cristallogra- 
phiques.  Mais  aucun  n'alla  dans  cette  voie  aussi  loin  que 
Haûy,  qui  devint  ainsi  le  principal  fondateur  de  la  miné- 
ralogie moderne. 

Haûy  était  professeur  de  seconde  au  collège  du  Gardi- 
nal-Lemoiie,  quand  il  entra  un  jour  au  cours  de  minéra- 
logie que  Daubenton  faisait  au  Jardin  du  Roi,  voisin  de  ce 
collège.  Familiarisé  avec  l'étude  de  la  botanique,  il  se  de- 
mandait si  les  formes  si  simples  des  minéraux  ne  pour- 
raient pas  être  soumises  à  des  lois,  comme  on  a  essayé  de 
le  faire  pour  les  formes  beaucoup  plus  compliquées  des 
fleurs  et  des  fruits.  Gomment,  se  disait-il,  la  même 
pierre,  le  même  sel  se  montrent-ils  en  cubes,  en  prismes, 
en  aiguilles,  tandis  que  la  rose  a  toujours  les  mêmes  pé- 
tales, le  gland  la  même  courbure,  le  cèdre  la  même  hau- 
teur et  le  même  développement....  Rempli  de  ces  idées, 
il  eut  un  jour,  chez  un  de  ses  amis,  amateur  de  miné- 
raux, l'heureuse  maladresse  de  laisser  tomber  un  beau 
groupe  de  spath  calcaire,  cristallisé  en  prismes.  Un  de  ces 
prismes  se  brisa  de  manière  à  montrer  sur  sa  cassure  des 
faces  non  moins  lisses  que  celles  du  dehors,  et  qui  pré- 
sentaient l'apparence  d'un  cristal  nouveau,  tout  différent  du 
prisme  pour  la  forme.  Haûy  ramassa  ce  fragment;  il  en 
examina  les  faces,  leurs  inclinaisons,  leurs  angles.  H  dé- 
couvre, à  sa  grande  surprise,  qu'elles  sont  les  mêmes  que 
dans  le  spath  en  cristaux  rhomboïdes,  que  dans  le  spath 
d'Islande.  Un  monde  nouveau  semblait  à  l'instant  s'ou- 
vrir à  lui.  H  rentre  dans  son  cabinet,  prend  un  spath  cris- 
tallisé en  pyramide  hexaèdre,  ce  que  l'on  appelait  dent 
de  cochon  ;  il  essaye  de  le  casser,  et  il  en  voit  encore  sor- 
tir ce  rhomboïde,  ce  spath  d'Islande;  les  éclats  qu'il  en 
fait  tomber  sont  eux-mêmes  de  petits  rhomboïdes;  il  casse 
un  troisième  cristal,  celui  que  l'on  nommait  lenticulaire  : 
c'est  encore  un  rhomboïde  qui  se  montre  dans  le  centre, 
et  des  rhomboïdes  plus  petits  qui  s'en  détachent.  «  Tout 
est  trouvé,  s'écrie  t-il  :  les  molécules  du  spath   calcaire 


CRISTALLOGRAPHIE.  349 

n'ont  qu'une  seule  et  même  forme  ;  c'est  en  se  groupant 
diversement  qu'elles  composent  ces  cristaux  dont  l'exté- 
rieur si  varié  nous  fait  illusion.  »Et  partant  de  cette  idée, 
il  lui  fut  bien  aisé  d'imaginer  que  les  couches  de  ces  mo- 
lécules s'empilant  les  unes  sur  les  autres,  et  se  rétrécissant 
à  mesure,  devaient  former  de  nouvelles  pyramides,  de  nou- 
veaux polyèdres,  et  envelopper  le  premier  cristal  comme 
d'un  autre  cristal  où  le  nombre  et  la  figure  des  faces  ex- 
térieures pourraient  différer  beaucoup  des  faces  primitives, 
suivant  que  les  couches  nouvelles  auraient  diminué  de  tel 
ou  tel  côté,  et  dans  telle  ou  telle  proportion.  Si  c'était  là 
le  véritable  principe  de  la  cristallisation,  il  ne  pourrait 
manquer  de  régner  aussi  dans  les  cristaux  des  autres 
substances  :  chacune  d'elles  devait  avoir  des  molécules 
constituantes  identiques,  un  noyau  toujours  semblable  à 
lui-même,  des  lames  ou  des  couches  accessoires  produi- 
sant toutes  les  variétés.  Pour  vérifier  cette  idée,  Hauy 
n'hésita  pas  à  mettre  en  pièces  sa  petite  collection;  ses 
cristaux  éclatent  sous  le  marteau  ;  partout  il  retrouve  une 
structure  fondée  sur  la  même  loi.  Dans  le  grenat,  c'est  un 
tétraèdre  ;  dans  le  spath  fluor,  c'est  un  octaèdre  ;  dans  la 
pyrite,  c'est  un  cube  ;  dans  le  gypse,  dans  le  spath  pe- 
sant, ce  sont  des  prismes  droits  à  quatre  pans,  mais 
dont  les  bases  ont  des  angles  différents,  qui  forment  les 
molécules  constituantes;  toujours  les  cristaux  se  brisent 
en  lames  parallèles  aux  faces  du  noyau.  Les  faces  exté- 
rieures se  laissant  toujours  concevoir  comme  résultant  du 
décroissement  des  lames  superposées,  d^croissement  plus 
ou  moins  rapide,  et  qui  se  fait  tantôt  par  les  angles,  tan- 
tôt par  les  bords,  les  faces  nouvelles  ne  sont  que  de  pe- 
tits escaliers  ou  que  de  petites  séries  de  pointes  produites 
par  le  retrait  de  ces  lames,  mais  qui  paraissent  planes  à 
l'œil,  à  cause  de  leur  ténuité.  Aucun  des  cristaux  qu'il 
examina  ne  lui  offrit  d'exception  à  sa  loi  '.  ' 

1 .  Cuvier,  Éloge  historîqiie  de  Haûy. 


350  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

Haûy  ne  s'arrêta  pas  à  mi-chemin.  Pour  que  sa  dé- 
couverte fût  complète,  une  troisième  condition  devait  être 
remplie.  Le  noyau,  la  molécule  constituante,  ayant  cha- 
cun une  forme  fixe  et  géométriquement  déterminable  dans 
ses  angles  et  dans  les  rapports  de  ses  lignes,  les  faces  se- 
condaires étant,  de  même,  faciles  à  déterminer  d'après  les 
lois  de  décroissement,  on  devait,  le  noyau  et  les  molécules 
étant  une  fois  donnés,  pouvoir  calculer  d'avance  les  an- 
gles et  les  lignes  de  toutes  les  faces  secondaires  que  les 
décroissements  pourraient  produire.  Haûy  se  remit  à  ap- 
prendre la  géométrie  pour  vérifier  l'exactitude  de  ses  oÎd- 
servations.  «  Dès  ses  premiers  essais,  dit  Guvier,  il  se 
vit  pleinement  récompensé.  Le  prisme  hexaèdre  qu'il 
avait  cassé  par  mégarde,  lui  donna,  par  des  observations 
ingénieuses  et  par  des  calculs  assez  simples,  une  valeur 
fort  approchée  des  angles  de  la  molécule  du  spath  ;  d'au- 
tres calculs  lui  donnèrent  ceux  des  faces  qui  s'y  ajoutent 
par  chaque  décroissement,  et  en  appliquant  l'instrument, 
le  goniomètre^  aux  cristaux,  il  trouva  les  angles  précisé- 
ment de  la  mesure  que  donnait  le  calcul.  Les  faces  se- 
condaires des  autres  cristaux  se  déduisirent  tout  aussi  fa- 
cilement de  leurs  faces  primitives  ;  il  reconnut  même  que 
presque  toujours,  pour  produire  les  faces  secondaires,  il 
suffit  de  décroissements  dans  des  proportions  assez  sim- 
ples, comme  le  sont  en  général  les  rapports  des  nombres 
établis  par  la  nature.  » 

Arrivé  à  ce  point,  Haûy  parla  de  ses  découvertes  à  Dau- 
benton,  qui  en  fit  part  à  Laplace.  Celui-ci  l'engagea  ave- 
nir les  présenter  à  l'Académie  des  sciences.  Le  10  janvier 
1781,1e  savant  minéralogiste  lut  devant  cette  compagnie 
un  premier  mémoire,  où  il  traitait  des  grenats  et  des 
spaths  calcaires.  Daubenton  et  Bezout  en  firent  le  rap- 
port au  mois  suivant  ;  mais  ils  n'avaient  pas  bien  saisi  la 
nature  de  ces  découvertes.  Le  22  août  de  la  même  année, 
Haûy  lut  à  l'Académie  un  second  mémoire,  où  il  ne 
traitait   que  des   spaths   calcaires  ;   les  mêmes  commis- 


CRISTALLOGRAPHIE.  351 

saires  firent  un  rapport  au  mois  de  décembre,  et  cette 
fois  ils  montrèrent  qu'ils  s'étaient  mis  au  fait  des  idées 
de  l'auteur  et  qu'ils  en  comprenaient  toute  l'impor- 
tance. 

Les  travaux  de  Haûy  firent  bientôt  naître  l'envie.  On  rap- 
pela qu'un  jeune  chimiste  suédois,  du  nom  de  Gahn,  qui 
devint  professeur  à  Abo,  avait  remarqué,  six  ou  sept  ans 
avant  Haûy,  en  brisant  un  cristal  de  spath  pyramidal,  que 
le  noyau  de  ce  cristal  était  un  rhomboïde  semblable  au  spath 
d'Islande.  Gahn  avait  fait  part  de  son  observation  à  Berg- 
mann,  son  maître,  et  celui-ci,  au  lieu  de  la  répéter  sur 
des  cristaux  différents  et  de  s'assurer  expérimentalement 
dans  quelles  limites  le  fait  pouvait  se  généraliser,  s'était 
jeté  dans  de  vaines  hypothèses.  De  ce  rhomboïde  du  spath 
il  prétendait  déduire  non-seulement  les  autres  cristaux 
de  spath,  mais  ceux  du  grenat,  ceux  de  l'hyacinthe,  qui 
n'ont  avec  lui  aucun  rapport  de  structure.  On  n'en  accusa 
pas  moins  Haûy  de  s'être  emparé  de  l'idée  de  Bergmann, 
et  on  déclara,  en  outre,  sa  méthode  fausse.  Rome  deLisle 
l'attaqua  durement  et  trouva  plaisant  de  le  traiter  de  cris- 
talloclaste  {briseur  de  cristaux).  Haûy  ne  répondit  que  par 
de  nouvelles  recherches.  «  Bientôt  ses  observations  fourni- 
rent, rapporte  Guvier,  des  caractères  de  première  impor- 
tance à  la  minéralogie.  Dans  ses  nombreux  essais  sur  les 
spaths,  il  avait  remarque  que  la  pierre,  dite  spath  perlé, 
que  l'on  regardait  alors  comme  une  variété  du  spath  pe- 
sant (baryte  sulfatée),  a  le  même  noyau  que  le  spath  cal- 
caire, et  une  analyse  que  l'on  en  fit  prouva  qu'en  effet 
elle  ne  contient,  comme  le  spath  calcaire,  que  de  la  chaux 
carbonatée.  Si  les  minéraux  bien  déterminés,  quant  àleur 
espèce  et  à  leur  composition,  se  dit-il  aussitôt,  ont  chacun 
son  noyau  et  sa  molécule  constituante  fixe,  il  doit  en  être 
de  même  de  tous  les  minéraux  distingués  par  la  nature 
et  dont  la  composition  n'est  point  encore  connue.  Ce 
noyau,  cette  molécule^  pourra  donc  suppléer  à  la  com- 
position par  la  distinction  des  substances,  et  dès  la  pre- 


352  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

mière  ajaplication  qu'il  fit  de  cette  idée,  il  porta  la  lumière 
dans  une  partie  de  la  science,  que  tous  les  travaux  de  ses 
prédécesseurs  n'avaient  pu  éclaircir.  »  C'est  ainsi  que  Haûy 
parvint  à  mettre  de  l'ordre  dans  une  foule  de  pierres,  con- 
fondues ensemble  jusqu'alors  sous  les  noms  de  5c/ior^5  et 
de  zèolithes. 

Disséminés  dans  le  Journal  de  Physique,  àansle  Journal 
des  mines  et  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  des  sciences, 
etc.,  les  travaux  de  Haûy  furent  repris  et  développés  dans 
son  Traité  de  minéralogie,  dont  la  première  édition  parut  en 
1801  (4  vol.  in-8°,  avec  atlas  in-4'').  L'auteur  y  a  classé  les 
minéraux  d'après  la  forme  de  leurs  molécules,  mettant  en 
première  ligne  la  cristallisation  pour  déterminer  les  es- 
pèces. Il  la  préférait  pour  cela  à  l'analyse  chimique,  dans 
l'opinion  que  celle-ci  n'avait  pas  les  moyens  sûrs  de  dis- 
tinguer les  substances  accidentelles  des  essentielles,  et 
que  chaque  jour  elle  trouvait  de  nouveaux  éléments  qui 
lui  étaient  restés  cachés.  «  Il  n'est  presque  plus,  ajoute 
Guvier,  de  minéral  cristallisable  dont  Haûy  n'ait  déter- 
miné le  noyau  et  les  molécules  avec  la  mesure  de  leurs 
angles  et  la  proportion  de  leurs  côtés,  et  dont  il  n'ait 
rapporté  àces  premiers  éléments  toutes  les  formes  secondai- 
res, en  déterminant  pour  chacune  les  divers  décroissements 
qui  la  produisent,  et  en  fixant  par  le  calcul  leurs  angles  et 
leurs  faces.  C'est  ainsi  qu'il  a  fait  enfin  de  la  minéralogie 
une  science  tout  aussi  précise  et  tout  aussi  méthodique  que 
l'astronomie.  Mais  ce  qui  est  tout  particulier,  c'est  que 
son  ouvrage  (le  Traité  de  minéralogie)  n'est  pas  moins  re- 
marquable par  sa  rédaction  et  la  méthode  qui  y  règne  que 

par  les  idées  originales  sur  lesquelles  il  repose Haûy 

s'y  montre  habile  écrivain  et  bon  géomètre  autant  que 
savant  minéralogiste  :  on  voit  qu'il  y  a  retrouvé  toutes  ses 
premières  études  ;  on  y  reconnaît  jusqu'à  l'influence  de 
ses  premiers  amusements  de  physique.  S'il  faut  apprécier 
1  électricité  des  corps,  leur  magnétisme,  leur  action  sur  la 
umière,  il    imagine  des  moyens  ingénieux  et   simples. 


CRISTALLOGRAPHIE.  353 

de  petits  instruments  portatifs  :  le  physicien  y  vient  sans 
cesse  au  secours  du  minéralogiste  et  ducristallographe.« 
Guvier  reprochait  seulement  à  Haûy  de  n'avoir  pas  eu 
assez  d'égards  aux  observations,  faites  postérieurement 
aux  siennes,  avec  le  nouveau  goniomètre  de  Wollaston  sur 
les  angles  du  spath  calcaire,  du  spath  magnésifère  et  du 
fer  spathicjue'. 

L'ère  nouvelle  de  la  minéralogie  commence  avec  l'ap- 
parition du  Traité  de  minéralogie  de  Haûy.  La  définition 
rigoureuse  qui  y  est  faite  de  l'espèce  minérale,  considérée 
comme  la  collection  de  tous  les  individus  dont  les  molé- 
cules physiques  sont  semblables  en  tout  point,  c'est-à- 
dire  de  même  forme  cristalline  et  de  même  composition 
atomique  (chimique),  les  travaux,  dont  cette  définition  de- 
vint le  point  de  départ,  valurent  à  l'école  de  Haûy  le  sur- 
nom de  géométrique. 

Werner,  précédé  en  Suède  par  Wallerius,créa  à  Frey- 
berg,  en  Saxe,  l'école  qu'Alex.  Brongniart  a  proposé  d'ap- 
peler empirique^  parce  qu'elle  se  fondait  uniquement  sur 
le  témoignage  des  sens,  accordant  une  attention  trop  ex- 
clusive aux  caractères  extérieurs,  à  ceux  que  nous  con- 
statons à  l'aide  de  nos  seuls  organes,  sans  le  secours  d'au- 
cun instrument  artificiel.  Ramenant  la  détermination  des 
minéraux  à  des  procédés  méthodiques,  Werner  parvint  à 
définir  tous  leurs  caractères  extérieurs  avec  une  précision 
inconnue  jusqu'alors.  Mais  après  avoir  reconnu  que  la  du- 
reté, la  cassure,  etc.,  ne  sont  que  les  conséque»ces  de  la 
forme  des  molécules  et  de  leur  arrangement,  l'école  de 
Freyberg  ne  tarda  pas  à  se  fondre  dans  les  écoles  géomé- 
trique et  chimique. 

Vécole  chimique,    qui  eut  pour  fondateurs  Gronstadt 
Bergmann  et  Kirwan,  comprend  les  minéralogistes  qui  ont 
basé  leurs  principes  de  classification  sur  la  composition 

1.  Cuvier,  Éloge  historique  de  Haûy  (lu  à  l'Académie  des  sciences  le 
2  juin  1823). 

23 


3b4  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

chimique,  telle  que  la  donne  l'analyse.  Représentée  de 
nos  jours  par  Gustave  Rose  et  Berzelius,  elle  a  rendu 
d'immenses  services  à  la  science  en  réunissant,  par  l'iso- 
morphisme,  en  groupes  naturels,  comme  nous  l'avons 
montré  plus  haut,  des  substances  dont  la  classification  fut 
tout  ce  qu'il  y  avait  de  plus  arbitraire  en  minéralogie.  Ces 
services  semblent  avoir  été  méconnus  par  beaucoup  de 
minéralogistes  qui  reprochent  aux  chimistes  de  trop  effa- 
cer, dans  le  classement  des  espèces  minérales,  le  rôle  du 
naturaliste,  «  de  se  borner  aux  seuls  résultats  de  l'analyse, 
réduisant  la  minéralogie  à  n'être  plus  qu'un  simple  ap- 
pendice de  la  chimie  minérale,  et  par  là  l'annulant  en 
l'absorbant  tout  entière  au  profit  de  leur  science  ^  » 

Frédéric  Mohs,  professeur  de  minéralogie  à  l'école  de 
Graetz  (né  en  1774  à  Gernrode  au  Harz,  mort  en  1839, 
près  de  Bellune),  devint  le  chef  d'une  école  particulière, 
dans  laquelle  il  a  été  précédé  par  Daubenton  et  suivi  par 
Breithaupt  ;  c'est  Vécole  des  naturalistes  purs,  qui,  pour 
prendre  en  quelque  sorte  leur  revanche  du  dédain  que 
les  chimistes  avaient  témoigné  pour  les  caractères  physi- 
ques, repoussent,  à  leur  tour,  toutes  les  données  de  la 
chimie,  prétendant  qu'elle  ne  saurait  fournir  des  caractères 
inhérents  aux  espèces,  parce  qu'elle  dénature  les  minéraux, 
et  que  la  cristallographie  et  la  physique  peuvent  seules  nous 
les  dépeindre  tels  qu'ils  sont  réellement.  Mais  cette  ma- 
nière de  voir  est  évidemment  exagérée.  Indépendamment 
de  ce  que  notre  organisation  bornée  ne  nous  permet  pas 
de  saisir  à  l'aide  de  nos  sens  les  molécules  constituantes  et 
que  nous  ne  pouvons  arriver  à  cette  connaissance  que  par 
une  voie  indirecte,  par  des  déductions  tirées  des  résultats 
de  l'analyse  chimique  et  de  l'ensemble  des  faits  cristallogra- 
phiques,  le  chef  de  l'école  naturaliste  se  trompait  encore 
en  voulant  assimiler  la  minéralogie  à  la  zoologie;  car  l'in- 


1.  M.  Delafosse,  article  Minéralogie,  da,ns  le  Dictionnaire  dliisloire 
naturelle  de  Ch.  d'Orbigny. 


CRISTALLOGRAPHIE.  355 

dividualisme  qui  caractérise  les  êtres  vivants,  n  a  rien  de 
commun  avec  le  caractère  d'échantillons  des  minéraux  ; 
le  minéralogiste  peut  détacher  une  parcelle  du  minéral  à 
déterminer,  sans  altérer  en  rien  le  reste  de  la  masse. 

Les  modifications  singulières  que  présente  la  lumière 
polarisée  dans  son  trajet  à  travers  les  cristaux  transpa- 
rents, ont  également  appelé  l'attention  des  physiciens  sur 
la  constitution  moléculaire  cristalline  des  substances 
minérales.  Un  rayon  de  lumière  polarisée  est  pour  le 
minéralogiste,  suivant  une  juste  remarque  de  Biot,  comme 
une  sorte  de  sonde  déliée,  avec  laquelle  il  interroge  dans 
tous  les  sens  la  structure  des  cristaux.  Ce  rayon  reçoit, 
en  effet,  dans  chacune  des  positions  qu'il  peut  prendre, 
pour  ainsi  dire  l'empreinte  des  modifications  les  plus 
légères  de  la  structure  cristalline  et  la  transmet  ainsi  fi- 
dèlement à  l'organe  de  la  vue.  L'optique  des  cristaux, 
sur  laquelle  est  fondée  Y  école  physique^  a  été  principale- 
ment cultivée,  en  Angleterre  par  Brewster  ;  en  France 
par  Biot  et  M.  Babinet. 

En  dépit  de  la  résistance  des  anciennes  écoles,  les  prin- 
cipes chimiques  ont  fini  par  envahir  la  minéralogie.  Hauy 
avait  déjà  classé  les  substances  minérales,  en  prenant  pour 
genres  les  bases  et  pour  espèces  les  acides  ;  exemples  :  chaux 
carbonatée,  chaux  sulfatée,  etc.  Beudant  se  rapprocha 
davantage  de  la  nomenclature  chimique,  en  prenant,  au 
contraire,  les  acides  pour  genres  et  les  bases  pour  espè- 
ces ;  de  là  viennent  les  noms  de  silicates  de  chaux,  de 
magnésie,  etc.,  également  adoptés  par  les  chimistes  et  par 
les  minéralogistes.  Brouguiart  et  Kobell  ont  proposé  une 
classification  mixte,  dans  laquelle  les  espèces  sont  grou- 
pées tantôt  par  les  acides,  tantôt  par  les  bases. 

Parmi  les  minéralogistes  récents  qui  ont,  par  leurs  tra- 
vaux, particulièrement  contribué  aux  progrès  de  la 
science,  nous  citerons  Senarmont  et  M.  Delai'osse, 


356  HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE. 

Dans  un  premier  mémoire,  publié  en  1840,  Senarmont* 
montra  que  les  substances  cristallines  douées  de  l'opa- 
cité métallique  impriment  à  la  lumière  des  modifications 
tout  autres  que  les  miroirs  homogènes  métalliques.  Dans 
un  second  mémoire,  paru  en  ISkl,  il  prit  pour  objet  de 
ses  recherches  la  polarisation  elliptique,  et  essaya  d'éta- 
blir que  les  cristaux  opaques  réfractent  la  lumière  suivant 
les  mêmes  lois  que  les  autres,  et  sont  doués  comme  eux 
de  la  double  réfraction. 

M.  Delafosse  ^  attira  le  premier  l'attention  des  cristal- 
lographes  sur  les  relations  qui  existent  entre  le  sens  du 
pouvoir  rotatoire  des  substances  minérales  et  le  sens  de 
l'orientation  des  facettes  hémiédriques  qui  les  modi- 
fient. Ses  observations  sur  le  cristal  de  roche  sont  deve- 
nues le  point  de  départ  d'un  grand  nombre  de  recherches 
du  plus  haut  intérêt. 

Enfin,  nous  ne  devons  pas  passer  sous  silence  les 
longs  et  patients  travaux  de  M.  Graudin  (né  en  1804,  à 
Saintes)  qui  obtint  le  premier,  à  l'aide  de  son  chalumeau,  de 
petits  cristaux  de  jjierres  précieuses,  notamment  le  rubis 
et  le  corindon,  avec  leurs  éléments  constitutifs  naturels. 
Depuis  1831,  ce  modeste  savant  s'est  occupé,  avec  une 
rare  patience,  du  groupement  des  atomes  pour  former  les 
molécules  cristallines.  Ses  résultats,  publiés  partiellement 
dans  les  Comptes  rendus  de  l'Académie  et  dans  d'autres 
recueils,  n'ont  pas  encore  été  réunis  en  un  corps  de  doc- 
trine. 

1 

1.  Hxireau  de  Senarmont,  né  à  Broué  (Eure-et-Loir),  sortit,  en 
1829,  le  premier  de  l'École  polytechnique,  dirigea  les  mines  de  Rive- 
de-Giers  et  du  Creuzot,  remplaça,  en  1852,  Beudant,  à  l'Académie  des 
sciences,  et  mourut  en  1868  à  Paris.  Ses  principaux  travaux  ont  paru 
dans  les  Annales  des  mines  et  dans  les  Annales  de  physique  et  de 
chimie. 

2.  Gabriel  Delafosse,  né  vers  1795,  entra  en  1813  à  l'École  nor- 
male, devint  professeur  de  minéralogie  à  la  Sorbonne  et  fut  nommé,  en 
1857,  membre  de  l'Académie  des  sciences. 


GEOLOGIE. 

Principales  théories  géologiques. 


Sur  les  différentes  couches  pierreuses  qui  forment 
l'écorce  terrestre  se  trouve  inscrite,  en  caractères  ineffa- 
çables, l'histoire  primitive  de  notre  globe.  Les  unes 
portent  les  traces  de  l'action  de  l'eau,  les  autres  celles 
de  l'action  du  feu. 

Le  fait  de  l'action  de  l'eau  a  été  reconnu  dès  la  plus 
haute  antiquité,  comme  nous  l'avons  montré  plus  haut, 
par  les  traditions  d'un  déluge  universel,  et  par  les  échan- 
tillons de  plantes  et  d'animaux  fossiles,  dont  la  plupart, 
même  aux  yeux  de  quelques  anciens,  portent  d'irrécusables 
témoignages  d'un  monde  éteint. 

Quant  au  fait  de  l'action  du  feu,  dont  nous  avons  éga- 
lement signalé  d'incontestables  traces,  on  le  trouve  déjà 
indiqué  par  l'antique  légende  du  Typhon,  qui,  dans  sa 
fuite  souterraine  du  Caucase  en  Italie,  vomissait  des 
flammes.  Les  éruptions  de  l'Etna  et  du  Vésuve  pouvaient 
avoir  donné  naissance  au  mythe  du  Pyriphlégéthon  :  les 
laves  étaient  les  affluents  du  fleuve  de  feu  circulaire.  Dans 
l'intérieur  de  ces  monts  ignivomes,  Héphestosou  Vulcain 
avait  établi  ses  forges;  Pluton,  le  Jupiter  souterrain,  qui 
portait  primitivement  le  nom  de  Hadès  (Enfer),  était  qua- 
lifié de  donneur  de  richesses  (TrXouToSoxrîp)  ;  et  on  trouve, 
dès  le  troisième  siècle  de  notre  ère,  la  croyance  à  un  feu 


358  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE. 

central'.  Les  noms  de  basalte  et  àe  porphyre  nous  viennent 
des  anciens,  et  lors  même  qu'ils  ne  s'appliqueraient  pas 
exactement  aux  roches  que  nos  géologues  désignent  ainsi, 
il  est  néanmoins  hors  de  doute  que  les  Grecs  et  les  Ro- 
mains ne  se  trompaient  pas  sur  l'origine  ignée  ou  volca- 
nique de  beaucoup  de  roches  qu'ils  pouvaient  avoir  sous 
les  yeux. 

Enfin,  le  neptunisme  et  le  plutonism-e,  l'idée  d'une 
formation  de  pierres  sédimenteuses  (roches  exogènes)  et 
celle  d'une  formation  de  pierres  éruptives  (roches  endogè- 
nes), comprenant  les  roches  plutoniques  (granité,  gneiss, 
porphyre  non  quartzeux)  et  les  roches  volcaniques  pro- 
prement dites  (basalte,  trachyte,  phonolithe),  se  trouvaient 
déjà  en  germe  dans  l'antiquité^. 

Quand  l'homme  qui  interroge  la  nature  rencontre  des 
faits  propres  à  exalter  son  imagination  ou  à  donner  à 
l'esprit  un  rapide  essor,  il  ne  manque  pas  d'en  profiter 
pour  créer  des  théories  ou  des  systèmes,  dans  lesquels  il 
semble  se  complaire,  en  quelque  sorte  se  mirer.  Gomme 
ces  créations  portent  un  cachet  tout  individuel,  elles  sont 
inséparables  chacune  du  nom  de  son  auteur. 

Avant  l'exposé  des  théories  qui  depuis  la  fin  du  dix- 
septième  siècle  surgirent  tout  à  coup  en  assez  grand 
nombre,  nous  devons  mentionner  les  idées  d'un  esprit  émi- 
nent,  de  Bernard  Palissy  (né  en  1499,  mort  à  Paris  en 
1589),  sur  la  constitution  géologique  du  sol.  «  Nous  savons 
dit-il,  qu'en  plusieurs  lieux  les  terres  sont  faites  par  di- 
vers bancs,  et  en  les  fossoyant  on  trouve  quelquefois  un 
banc  de  terre,  un  autre  de  sable,  un  autre  de  pierre  et  de 
chaux,  et  un  autre  de  terre  argileuse  ;  et  communément 
les  terres  sont  ainsi  faites  par  bancs  distingués.  Je  ne  te 
donnerai  qu'un  exemple  pour  te  servir  de  tout  ce  que  j'en 
saurais  jamais  dire  :  Regarde  les  carrières  de  terre  argi- 

1.  Alex,  de  Humboldt,  Cosmos,  t.  I,  p.  59  (de  l'édition  allemande). 

2.  Voy.  plus  haut,  p.  326. 


THÉORIES  GÉOLOGIQUES.  359 

leuse  qui  sont  près  de  Paris,  entre  la  bourgade  d'Auteuil 
et  de  Ghaillot,  et  tu  verras  que,  pour  trouver  la  terre  d'ar- 
gile j  il  faut  premièrement  ôter  une  grande  épaisseur  de 
terre,  une  autre  épaisseur  de  gravier,  et  puis  après  on 
trouve  une  autre  épaisseur  de  roc,  et  au-dessous  dudit 
roc  on  trouve  ime  grande  épaisseur  de  terre  d'argile,  do 
laquelle  on  fait  toute  la  tuile  de  Paris  et  lieux  circon- 
voisins  ^.  ^  —  Ces  paroles  ne  contiennent  rien  de  fictif  : 
elles  ne  sont  que  la  simple  expression  d'un  fait. 

Bernard  Palissy,  dont  le  nom  appartient  plus  particu- 
lièrement à  l'histoire  de  la  chimie,  recommanda  l'un  des 
premiers  l'emploi  de  la  sonde  pour  s'assurer  de  la  nature 
d'un  terrain.  «  Mais  si  tu  rencontrais,  demande  la  Théorie 
(dans  un  curieux  dialogue  entre  la  Théorique  et  la  Practique) 
des  rocs  durs,  comment  te  prendrais-tu  pour  les  percer  ? 
—  La  Practique  répond  :  «  A  la  vérité,  cela  serait  fâ- 
cheux. Toutefois  il  me  semble  qu'une  tarière  torcière  les 
percerait  aisément;  et  après  la  torcière,  on  pourrait  mettre 
une  autre  torcière,  et  par  tel  moyen  on  pourrait  trouver 
des  terres  de  marne,  voire  des  eaux  pour  faire  puits, 
lesquelles  bien  souvent  pourraient  monter  plus  haut  que 
le  lieu  où  la  pointe  de  la  torcière  les  aura  trouvées;  et 
cela  se  pourra  faire  moyennant  qu'elles  viennent  de  plus 
haut  que  le  fond  du  trou  que  tu  auras  fait.  »  De  là  à  la 
découverte  des  puits  artésiens  il  n'y  avait  qu'un  pas, 

Bien  avant  le  chancelier  Bacon,  Bernard  Palissy  avait 
recommandé  la  méthode  expérimentale  comme  le  seul 
moyen  de  faire  avancer  la  science. 

Mais  cette  méthode,  déjà  prônée  par  Aristote,  devait, 
comme  la  morale,  exister  en  paroles  plutôt  qu'en  ac- 
tes. C'est  ce  que  montrent  les  innombrables  conceptions 
imaginaires  par  lesquelles  la  science  n'a  jamais  cessé 
d'être  envahie , 

l.  Delà  marne,  dans  les  Œuvres  de  Bernard  Palissy,  p.  141  et  suiv. 
(édition  Paris,  1777,  in-4''). 


360  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE. 


Théorie  de  Bnrnet. 


Thomas  Burnet  (né  en  1635,  mort  en  1715),  théolo- 
gien écossais,  imagina  une  théorie  dont  il  gratifia  le  pu- 
blic dans  un  livre  élégamment  écrit  en  latin,  qui  a  pour 
titre  :  Telluris  theoria  sacra  (Lond.,  1681,  in-4'^).  D'a- 
près cette  théorie,  la  terre  était  à  l'origine  un  mélange 
informe  de  liquides  et  de  solides ,  un  chaos  composé 
de  matières  de  toutes  espèces  et  de  toutes  sortes  de  for- 
mes; peu  à  peu  ces  matières  se  groupèrent  pour  for- 
mer un  noyau  solide,  compacte  ;  les  eaux  se  rassemblèren 
autour  de  ce  noyau  et  l'enveloppèrent  de  toute  part;  les 
liquides  plus  légers  que  l'eau  entourèrent  cette  première 
enveloppe,  et  furent  à  leur  tour  enveloppés  de  l'air  qui  en- 
tourait toute  la  circonférence  du  globe.  C'est  ainsi  que, 
entre  l'orbe  de  l'air  et  celui  de  l'eau,  il  se  forma  un  orbe 
d'huile  ou  de  matières  grasses  plus  légères  que  l'eau. 
L'air  était  encore  fort  impur  et  chargé  d'une  très-grande 
quantité  de  particules  terrestres;  ces  particules,  se  dépo- 
sant peu  à  peu  sur  la  couche  grasse  et  huileuse,  formè- 
rent par  leur  mélange  la  première  terre  habitable  et  le 
premier  séjour  de  l'homme.  Ce  terrain,  gras  et  léger,  de- 
vait éminemment  favoriser  le  développement  des  premiers 
germes  de  la  vie.  A  cette  période  primordiale,  que  l'au- 
teur suppose  avoir  duré  seize  siècles,  la  surface  du  globe 
terrestre  était  parfaitement  unie,  sans  montagnes,  sans 
mers,  sans  anfractuosités.  Mais  la  chaleur  du  soleil  dessé- 
chant peu  à  peu  cette  croûte  limoneuse,  ne  la  fit  d'abord 
que  fendiller  ;  bientôt  ces  fendilles  s'élargirent,  les  cre- 
vasses se  multiplièrent  et  pénétrèrent  jusqu'à  l'orbe  du 
liquide  plus  pesant.  En  un  instant  la  terre  s'écroula, 
tomba  par  morceaux  dans  l'abîme  d'eau  qui  était  au- 
dessous,  et  voilà  comment  se  fit  le  déluge  universel.  Ces 


THÉORIES  GÉOLOGIQUES,  361 

masses  de  terre,  tombant  dans  l'abîme,  formèrent  les 
inégalités  de  toutes  espèces,  les  îles,  les  continents  qu'on 
observe  à  la  surface  actuelle  du  globe. 

Cette  théorie,  qui  n'est  qu'un  roman,  fut  réfutée  par 
un  ami  de  Newton,  par  Keill,  dans  un  opuscule  intitulé  : 
Examination  of  the  theory  of  Eartfi  (Lond.,  1734,  2*  édit.). 


Théorie  de  Whiston. 

William  Whiston,  (né  en  1667,  à  Norton,  mort  en 
1752,  à  Londres),  théologien  dissident  et  professeur  de 
mathématiques  à  l'université  de  Cambridge,  où  il  avait, 
en  1703,  succédé  à  Newton,  est  l'auteur  d'une  théorie 
plus  sérieuse  que  celle  de  Burnet.  D'après  la  théorie  de 
Whiston,  exposée  dans  un  livre  intitulé  :  A  new  theory 
of  Earth  from  Us  origine  to  the  consummation  of  ail  things 
(Lond.,  1698,  in-8°),  la  création  dont  parle  Moïse  n'est 
pas  celle  de  l'univers,  qui  comprend  d'innombrables  mon- 
des semblables  au  nôtre;  le  récit  de  la  Genèse  ne  s'ap- 
plique qu'à  la  nouvelle  forme  que  la  terre  a  prise  lors- 
que la  main  du  Créateur  l'a  tirée  du  nombre  des  comètes 
pour  en  faire  une  planète.  Car,  dans  le  système  du  savant 
anglais,  l'origine  de  notre  terre,  le  chaos  primitif,  fut 
l'atmosphère  d'une  comète  ;  le  mouvement  révolutif  de  la 
terre  autour  du  soleil,  indéterminé  d'abord  comme  celui 
de  presque  toutes  les  comètes ,  n'est  devenu  annuel 
qu'avec  la  nouvelle  forme  planétaire  ;  avant  le  déluge,  l'or- 
bite terrestre  était  un  cercle  parfait;  l'année  solaire  et 
l'année  lunaire  étaient  de  même  durée,  contenant  chacune 
360  jours;  le  déluge  a  commencé  le  dix-huitième  jour  de 
novembre  de  l'année  2365  de  la  période  Julienne  (2349  ans 
avant  l'ère  chrétienne),  au  moment  où  une  comète  a  passé 
tout  près  du  globe  terrestre. 

L'auteur  parle  aussi  de  la  chaleur  centrale  qui,  de  l'in- 


c62  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE. 

térieur  du  globe,  devait  irradier  constamment  vers  la  cir- 
conférence". Il  attribue  au  déluge  universel  tous  les  chan- 
gements arrivés  à  la  surface  et  à  l'intérieur  du  globe. 
Traitant  enfin  de  l'état  futur  de  la  terre,  il  dit  qu'elle  pé- 
rira par  le  feu,  que  sa  destruction  sera  précédée  de  ton- 
nerres et  de  météores  effroyables,  que  le  soleil  et  la  lune 
auront  l'aspect  hideux,  que  les  cieux  paraîtront  s'écrouler  ; 
mais  qu'après  que  le  feu  aura  dévoré  tout  ce  que  la  terre 
contient  d'impur,  après  qu'elle  sera  vitrifiée  et  devenue 
transparente  comme  le  cristal,  les  saints  et  les  bienheu- 
reux viendront  en  prendre  possession  pour  l'habiter  jus- 
qu'au temps  du  jugement  dernier. 

Critiquant  cette  théorie,  après  l'avoir  analysée,  Buffon 
reproche  surtout  à  Whiston  d'avoir  étrangement  mêlé  la 
science  divine  avec  les  sciences  humaines,  en  prenant  les 
passages  de  l'Écriture  pour  des  faits  de  physique  et  pour 
des  résultats  d'observations  astronomiques. 


Théorie  de  Woodward. 

Dans  son  Essay  toioard  the  naiural  Historij  of  the  Earlh, 
Woodward  est  parti  d'un  fait  d'observation  exact  pour 
arriver  à  des  conclusions  fausses.  Ainsi,  il  dit  avoir  re- 
connu par  ses  yeux  que  toutes  les  matières  qui  composent 
la  terre  en  Angleterre,  depuis  sa  surface  jusqu'aux  en- 
droits les  plus  profonds  où  il  est  descendu,  sont  disposées 
par  couches  ;  qu'un  grand  nombre  de  'ces  couches  renfer- 
ment des  coquilles  et  d'autres  productions  marines; 
qu'elles  sont  horizontales  et  posées  les  unes  au-dessus  des 
autres  comme  le  seraient  des  matières  transportées  par  les 
eaux  et  déposées  en  forme  de  sédiments.  Il  s'est  ensuite 
assuré  par  ses  correspondants  et  par  ses  amis  que  «  dans 
tous  les  autres  pays,  la  terre  est  composée  de  même,  et 
qu'on  y  trouve  des  coquilles  non-seulement  dans  les  plai- 


THÉORIES  GÉOLOGIQUES.  363 

nés,  mais  encore  sur  les  plus  hautes  montagnes,  dans  les 
carrières  les  plus  profondes,  etc.  »  Il  conclut  de  là  qu'à 
l'épocfue  du  déluge  la  terre  a  été  totalement  dissoute  ; 
que  cette  dissolution  s'est  faite  par  les  eaux  du  grand 
abîme  qui,  répandues  à  la  surface  terrestre,  ont  délayé  et 
réduit  en  pâte  les  pierres,  les  rochers,  les  minéraux,  etc.; 
enfin  que  les  dépôts  statifiés  se  sont  précipités  en  même 
temps  suivant  leur  pesanteur  spécifique.  Woodward  ad- 
mettait dans  l'intérieur  du  globe  un  foyer  de  chaleur, 
qui  doit,  dit-il,  avoir  pour  effet  de  faire  sortir  du  vaste 
abîme  une  certaine  quantité  d'eau;  après  avoir  produit  les 
sources  et  les  fontaines,  cette  eau  s'évapore  dans  l'atmo- 
sphère pour  retomber  en  pluie,  d'où  il  résulte  que  le  ré- 
servoir intérieur  ne  s'épuise  jamais. 


Théorie  de  Sténon. 

Homme  de  génie,  anatomiste  habile,  premier  médecin 
de  Ferdinand  II,  grand-duc  de  Florence,  Sténon  (né  en 
1631,  à  Copenhague,  mort  en  1687  à  Schwerin)  a  écrit, 
dans  un  opuscule  intitulé  :  De  solido  inlra  solidum  natu- 
rallter  contento  (Florence,  1669,  76  pages  in-4°),  quelques 
vues  qui  sont  du  plus  haut  intérêt  pour  l'histoire  de  la 
géologie.  Ses  raisonnements  ont  la  rigueur  de  déductions 
géométriques.  Ainsi,  il  commence  par  établir  en  axiomes 
1°  que  lorsqu'un  corps  solide  tst  de  toute  part  enveloppé 
par  un  autre  corps  solide,  celui  qui  a  donné  à  l'autre  son 
empreinte  s'est  développé  le  premier;  2°  que  dans  le  cas 
où  un  corps  solide  est  de  tous  points  semblable  à  un 
autre  corps  solide,  non-seulement  par  son  aspect  exté- 
rieur et  sa  configuration,  mais  encore  par  sa  composition 
intime,  le  lieu  ouïe  mode  de  leur  production  doivent  être 
les  mêmes.  De  là  il  induit  que  l'existence  de  fossiles  est 
antérieure  à  celle  des  roches  où  ils  sont  enfermés  ;  que  les 


364  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE. 

terrains  stratifiés,  étant  complètement  analogues  aux  dé- 
pôts laissés  par  les  eaux  troubles,  doivent  avoir  la  même 
origine;  enfin  que  les  corps  extraits  de  la  terre  et  qui 
présentent  exactement  la  même  structure  de  plantes  ou 
d'animaux,  ont  été  produits  de  la  même  manière,  dans 
les  mêmes  conditions  et  dans  les  mêmes  lieux. 

Sténon  est  ainsi  parvenu  à  distinguer  le  premier  les 
terrains  en  primitifs^  caractérisés  par  l'absence  de  tout 
fossile,  et  en  terrains  secondaires  ou  de  formation  plus  ré- 
cente, caractérisés  par  la  présence  de  fossiles.  Il  a  signalé 
en  même  temps  la  différence  des  végétaux  et  des  coquilles 
comme  un  moyen  de  distinguer  les  couches  sédimenteu- 
ses,  dues  aux  eaux  de  la  mer,  de  celles  dont  il  faut  rappor- 
ter l'origine  aux  eaux  fluviales.  Du  fait  de  l'horizontalité, 
inséparablement  lié  à  celui  d'un  dépôt  sédimentaire,  et 
de  ce  que  des  couclies  de  cette  nature  tapissent  le  flanc 
des  montagnes,  il  conclut  que  ces  couches  ont  dû  être 
soulevées  et  redressées  par  l'effort  des  vapeurs  souterrai- 
nes et  que  celles-ci,  s'étant  embrasées  et  cherchant  à  se 
dégager,  ont  produit,  dans  certaines  directions,  des  sou- 
lèvements de  l'écorce  terrestre,  et  dans  d'autres,  des  affais- 
sements avec  effractions.  Ces  vues  ont  servi  de  base  à  la 
géologie  moderne. 


Théorie  de  LieibnisE. 

D'après  les  théories  que  nous  venons  de  passer  en  re- 
vue, la  terre  doit  finir  par  le  feu.  Suivant  Leibniz,  elle  a 
dû,  au  contraire,  commencer  par  là.  Descartes  avait  déjà 
dit  que  la  terre  était  un  soleil  encroûté,  c'est-à-dire  éteint, 
qu'elle  cachait,  dans  son  intérieur  un  foyer  ardent,  et  que 
la  réaction  de  ce  foyer  contre  la  surface  avait  produit  les 
inégalités  qu'on  y  remarque.  C'était  à  la  fois  affirmer  l'ori- 
gine ignée  du  globe,  l'existence  du  feu  central  et  le  mode 


THÉORIES  GÉOLOGIQUES.  365 

de  formation  desprincipales  chaînes  de  montagnes.  Leib- 
niz, qui  s'était  initié  en  France  aux  doctrines  de  Descar- 
tes, qui  avait  eu,  en  Italie,  des  conférences  avec  Sténon, 
et  qui  savait  penser  par  lui-même  ,  fit  sur  la  physique  du 
globe  un  système  qui,  tout  en  conservant  son  originalité, 
tient  tout  à  la  fois  des  idées  de  Descartes  et  de  celles 
de  Sténon. 

Voici,  en  résumé,  la  théorie  de  Leibniz.  La  terre  et 
toutes  les  autres  planètes  étaient  autrefois  des  étoiles  lu- 
mineuses par  elles-mêmes.  Primitivement  liquéfiées  par  le 
feu,  elles  se  sont  éteintes,  faute  de  matière  combustible, 
et  sont  devenues  opaques  ^  Par  la  condensation  de  la  ma- 
tière à  la  surface,  la  chaleur  a  été  concentrée,  et  la  croûte 
refroidie  s'est  affermie.  De  la  sorte  est  né  l'astre  opaque, 
destiné  à  réfléchir  des  rayons  étrangers.  «  Si  les  grands 
ossements  de  la  terre,  ces  roches  nues  (nous  citons  l'au- 
teur textuellement),  ces  impérissables  silex,  sont  presque 
entièrement  vitrifiés,  cela  ne  prouve-t-il  pas  qu'ils  provien- 
nent de  la  fusion  des  corps,  opérée  par  la  puissante 
action  du  feu  de  la  nature  sur  la  matière  encore  tendre? 
Et  l'action  de  ce  feu  surpassant  infiniment  en  intensité 
et  en  durée  celle  de  nos  fourneaux,  faut-il  s'étonner  si 
elle  a  amené  un  résultat  que  les  hommes  maintenant  ne 
peuvent  atteindre,  bien  que  l'art  fasse  de  continuels  pro- 
grès, qu'il  enfante  chaque  jour  des  nouveautés  extraordi- 
naires, et  qu'il  porte  même  quelquefois  à  un  degré  de 
dureté  très-prononcé  les  corps  qu'il  est  parvenu  à  fondre?  » 

L'aspect  vitreux  des  grès,  des  sables,  des  pierres  sili- 
ceuses, des  cailloux,  si  abondamment  répandus,  des 
quartz,  disséminés  dans  tous  les  granités  et  gneiss,  a  fait 
dire  à  Leibniz  que  «  le  verre  est  en  quelque  sorte  la  base 
de  la  terre,  et  qu'il  est  caché  sous  le  masque  de  la  plu- 
part des  autres  substances.  » 

1.  D'après  les  théories  les  plus  récentes,  c'est  là,  chose  curieuse,  le 
même  sort  qui  serait  réservé  au  soleil,  centre  de  notre  monde. 


366  xIISTOIRE  DE  .LA  GÉOLOGIE. 

Ce  qu'il  dit  ensuite  de  l'origine  de  la  salure  de  la  mer 
réunit  toutes  les  chances  de  probabilité.  Il  cherche,  en 
effet,  très-bien  à  établir  que,  pendant  la  période  de  l'incan- 
descence du  globe^  toutes  les  eaux  ont  dû  être  projetées  au 
loin  dans  l'espace  sous  forme  de  vapeurs;  que,  par  suite  de 
l'abaissement  de  la  température,  ces  vapeurs,  se  trouvant 
en  contact  avec  la  surface  refroidie  de  la  terre ,  se  con- 
densaient en  eau,  et  que  celle-ci,  délayant  les  scories,  a 
retenu  en  elle  les  sels  solubles,  d'où  une  sorte  de  lessive 
ou  de  saumure,  qui  est  l'origine  de  la  salure  de  la  mer. 

A  l'appui  de  cette  hypothèse,  nous  ajouterons  que, 
d'après  les  analyses  les  plus  récentes,  les  sels  que  la  mer 
tient  en  dissolution  et  qui  lui  communiquent  ses  propriétés 
caractéristiques,  se  retrouvent  dans  la  composition  des 
roches  d'origine  ignée. 

Les  saillies  et  les  anfractuosités  de  la  surface  terrestre 
proviennent,  suivant  Leibniz,  des  inégalités  dans  le  mou- 
vement de  retrait  pendant  le  refroidissement  des  masses 
formées  par  le  feu.  «  Ces  masses  se  sont,  dit-il,  inégale- 
ment raffermies,  et  ont  éclaté  çà  et  là,  de  sorte  que  cer- 
taines portions,  en  s'affaissant,  ont  formé  le  creux  des 
vallons,  tandis  que  d'autres,  plus  compactes,  sont  restées 
debout  comme  des  colonnes  et  ont  ainsi  constitué  les 
montagnes,  » 

Leibniz  était  loin  de  croire  que  toutes  les  pierres  ou 
roches  proviennent  d'une  fusion  primordiale  ;  il  n'admet- 
tait l'origine  ignée  que  pour  les  roches  les  plus  anciennes, 
formant  en  quelque  sorte  la  base  de  la  terre.  «  Al'action  du 
feu,  il  faut,  dit-il,  joindre  celle  des  eaux,  qui,  par  leur 
poids,  tendaient  à  se  creuser  un  lit  dans  un  soi  encore 
mou;  et  puis,  soit  par  le  poids  de  la  matière,  soit  par 
l'explosion  des  gaz,  la  croûte  terrestre  venant  à  se  briser, 
l'eau  a  été  chassée  (par  le  feu)  des  profondeurs  de  l'abîme 
à  travers  les  décombres,  et,  se  joignant  à  celle  qui  s'écou- 
lait naturellement  des  lieux  élevés ,  a  donné  lieu  à  de 
vasles  inondations  qui  ont  laissé,  sur  différents  points, 


THÉORIES  GÉOLOGIQUES.  367 

d'abondants  sédiments.  Ces  sédiments  se  sont  durcis;  et, 
par  le  retour  de  la  même  cause,  les  couches  sédimen- 
teuses  se  sont  superposées,  et  la  face  de  la  terre,  peu 
consistante  encore,  a  été  ainsi  souvent  renouvelée,  jus- 
qu'à ce  que,  les  causes  perturbatrices  ayant  été  épuisées 
et  équilibrées,  un  état  plus  stable  s'est  enfin  produit. 
Gela  doit  nous  faire  comprendre  dès  à  présent  la  double 
origine  des  substances  solides,  d'abord  par  leur  refroidis- 
sement après  la  fusion  ignée,  et  puis,  par  de  nouvelles 
agrégations    après   leur  dissolution  dans  l'eau,  » 

Il  était  impossible  d'établir  plus  nettement  la  distinction, 
aujourd'hui  universellement  adoptée ,  des  roches  érup- 
tives  ou  ignées  et  des  roches  sédimenteuses. 

La  condmsation  des  vapeurs  à  la  surface  refroidie  du 
globe  et  le  déplacement  des  eaux  par  suite  des  mcdifîca- 
tions  violentes  qu'a  subies  cette  même  surface,  expliquent 
à  Leibniz  la  présence  des  fossiles  de  tout  genre  que  l'on 
trouve  répandus  dans  les  terrains  sédimenteux  des  conti- 
nents. A  cette  occasion  il  s'élève  avec  force  contre  les  pré- 
tendus observateurs  qui  regardent  les  fossiles  comme  des 
jeux  de  la  nature.  «  Ils  se  servent,  dit-il,  d'un  mot  vide 
de  sens,  ceux  qui  nous  présentent  ces  pierres  ichthyomor- 
phcs  comme  un  exemple  indubitable  des  caprices  du  gé- 
nie des  choses^  espérant  par  là  trancher  toutes  les  difficul- 
tés, et  nous  prouver  que  la  nature,  cette  grande  fabrica- 
trice,  imite,  comme  en  se  jouant,  des  dents  et  des  osse- 
ments d'animaux,  des  coquilles  et  des  serpents.  Et  toute.? 
les  fois  qu'on  leur  objecte  qu'en  dehors  du  règne  animal 
il  ne  se  produit  que  des  semblants  informes  d'organisation, 
ils  invoquent  nos  pierres  (fossiles) ,  dans  lesquelles,  il 
faut  l'avouer,  la  perfection  du  dessin  ne  laisse  rien  à  dé- 
sirer; car  on  y  reconnaît,  au  premier  coup  d'oeil,  l'espèce 
à  laquelle  appartient  le  poisson,  et  il  n'y  a  rien  de  changé, 
ni  dans  la  symétrie  des  parties,  ni  dans  leurs  proportions. 
Mais  il  est  à  craindre  qu'un  argument  tiré  d'une  si  par- 
faite ressemblance,  ne  prouve  le  contraire  de  ce  qu'on  vou- 


368  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE. 

[Irait  étahlir.  Il  y  a  un  tel  rapport  entre  ces  prétendus 
simulacres  de  poissons  et  la  réalité,  leurs  nageoires  et 
[eurs  écailles  sont  reproduites  avec  tant  de  précision,  et 
la  multiplicité  de  ces  images  en  un  même  lieu  est  si 
grande,  que  nous  supposons  plus  volontiers  une  cause 
manifeste  et  constante  qu'un  jeu  du  hasard,  ou  je  ne  sais 
quelles  idées  génératrices  ,  vaines  démonstrations  sous 
lesquelles  s'abrite  l'orgueilleuse  ignorance  des  philo- 
sophes. » 

Les  arguments,  que  Leibniz  fait  valoir  en  faveur  de  sa 
thèse,  lui  paraissaient  avec  raison,  sans  réplique.  «  Que 
peut-on,  demande-t-il,  nous  opposer,  si  nous  disons  qu'un 
grand  lac  avec  ses  poissons,  par  suite  d'un  tremblement  de 
terre  ou  d'une  inondation,  ou  de  toute  autre  cause  majeure, 
a  été  enseveli  dans  du  limon,  qui,  en  se  durcissant,  a  con- 
servé les  vestiges  et  comme  la  reproduction  en  relief  des 
poissons,  dont  le  corps,  d'abord  empreint  sur  la  masse 
encore  molle,  a  été  ensuite  pénétré  et  remplacé  par  une 
matière  plus  dure?  »  Comparant  le  procédé  employé  ici 
par  la  nature  avec  l'art  des  orfèvres,  il  ajoute  :  «  Aj)rès 
avoir  enveloppé  une  araignée  ou  quelque  autre  insecte 
d'une  matière  appropriée  à  ce  but,  en  y  laissant  toutefois 
une  étroite  issue,  les  orfèvres  font  durcir  cette  matière  au 
feu,  puis,  à  l'aide  du  mercure  qu'ils  y  introduisent,  ils 
chassent  par  la  petite  ouverture  les  cendres  de  l'animal, 
et  à  leur  place  ils  font  couler  par  la  même  voie  de  l'ar- 
gent fondu,  enfin,  brisant  l'écale,  ils  trouvent  un  animal 
d'argent  avec  son  appareil  de  pattes,  d'antennes  et  de  fi- 
brilles d'une  similitude  étonnante.  » 

Leibniz  persistait  à  croire  que  ces  empreintes  d'animaux 
fossiles  proviennent  de  véritables  animaux.  A  cet  égard, 
son  opinion  était  nettement  arrêtée.  Aux  objections  des 
savants  qui  avaient  peine  à  se  persuader  que  la  mer  eût 
occupé  le  sommet  des  hautes  montagnes  ou  qu'il  y  eût 
eu  là  des  productions  marines,  il  répond  que  cela  vient 
de  ce  qu'ils  jugent  trop  de  l'état  primitif  du  gloire  ijar 


THÉORIES  GÉOLOGIQUES.  369 

son  état  actuel,  qu'ils  ne  cherchent  que  dans  les  pluies  la 
cause  du  déluge,  et  qu'ils  ne  prennent  point  garde  que 
«  les  eaux  du  vaste  abîme  ont  dû  rompre  leurs  digues  ei 
déborder.  »  —  A  ceux  qui  s'étonnent  de  ne  retrouver  dans 
aucune  mer  les  analogues  de  certains  fossiles,  tels  que  les 
cornes  d'Ammon,  Leibniz  demande  si  l'on  est  sûr  d'avoir 
exploré  tous  les  abîmes  souterrains  et  les  dernières  profon- 
deurs de  l'Océan.  Il  rappelle  en  même  temps  que  le  Nou- 
veau-Monde nous  offre  une  foule  d'espèces  animales  au- 
paravant inconnues.  Enfin  il  ne  saurait  se  défendre  de  l'idée 
que  «  dans  les  grands  changements  que  le  globe  a  subis, 
beaucoup  d'espèces  animales  ont  été  transformées.  » 

Voilà  comment  Leibniz  s'est  élevé,  par  la  seule  péné- 
tration de  son  génie,  à  l'idée  d'espèces  perdues  ou  trans- 
formées. Entrant  ensuite  dans  l'examen  des  détails,  il 
cite  les  ossements  de  certaines  cavernes,  les  défenses 
d'éléphants  fossiles,  que  les  Russes  désignent  sous  le  nom 
de  mammouths;  il  parle  des  bélemnites  ou  dactyles,  qu'il 
soupçonne  avec  raison  appartenir  à  quelque  animal 
marin  ;  il  décrit  les  langues  de  pierre,  les  glossopètres, 
qu'il  déclare  n'être  que  des  dents  de  requin,  les  pierres 
judaïques,  signalées  par  des  voyageurs  à  Bethléem  et  qui 
sont  des  pointes  d'oursins  fossiles.  Il  dit  avoir  rencon- 
tré, dans  quelques  mines  du  Harz,  des  dents  et  des  por- 
tions de  mâchoires,  d'une  dimension  telle,  qu'on  ne  saurait 
les  rapporter  à  aucun  animal  actuellement  connu.  C'était 
probablement  le  mégathérium,  gigantesque  pachyderme  an- 
tédiluvien. —  Leibniz  finit  l'exposé  de  sa  théorie  par  l'ori- 
gine de  la  tourbe,  «qui  n'estpoint,  dit-il,  de  la  terre,  mais 
bien  un  amas  de  matières  végétales,  accidentellement  formé 
de  bruyères,  de  mousse,  de  gazon,  de  racines  et  de  ro- 
seaux de  marais,  desséchés  et  condensés  à  la  longue.  » 

En  terminant  cette  analyse,  n'oublions  pas  de  rappeler 
que  Leibniz  a  le  premier  proclamé  l'emploi  du  micro- 
scope pour  l'avancement  de  ces  recherches,  et  il  s'indigne 
«  de  la  paresse  des  hommes  qui  ne  daignent  pas  ouvrir  les 


370  HISTOIRE  DE  LA  GEOLOGIE. 

yeux  et  entrer  en  possession  de  la  science  qu'on  leur  a 
préparée.  » 

Telles  sont  les  éléments  d'une  science  nouvelle  que 
Leibniz  voulait  qu'on  appelât  Géographie  naturelle  (les 
noms  de  Géologie  et  àe  Paléontologie  sont  de  création  plus 
récente) .  Consignés  pour  la  première  fois  dans  le  Journal 
des  Savants  de  Leipzig  [Acta  Eruditorum  Lips.^  cahier  du 
mois  de  janvier  1693)*,  ces  éléments  reparurent,  sous  le 
litre  de  Protogœa,  en  1749  (édit.  L.  Scheidt,  Gœtting.)^, 
trente-trois  ans  après  la  mort  de  Leibniz,  l'année  même  où 
Buffon  fit  paraître  les  trois  premiers  volumes  de  son  His- 
toire naturelle. 

Les  idées  mises  en  avant  par  les  Acta  Eruditorum  de 
Leipzig  n'eurent,  malgré  leur  hardiesse  et  leur  nouveauté, 
aucun  retentissement.  Le  nom  même  de  leur  auteur, 
rival  de  Newton,  n'éveilla  pas  l'attention  du  public. 
Scheuchzer,  l'auteur  de  la  Physica  sacra,  continua  dans 
un  mémoire,  adressé  en  1708  à  l'Académie  des  sciences, 
d'en  appeler  à  la  théologie  plutôt  qu'à  l'observation  ;  (  t 
la  masse  des  penseurs,  sans  en  excepter  Voltaire -,  conti- 
nuait à  ne  voir  dans  les  fossiles  que  des  jeux  de  la  na- 
ture. 

Cependant  quelques  vues  originales  ne  tardèrent  pas  à 
se  faire  jour.  Telles  étaient,  entrre  autres,  les  idées  de 
Bourguet.  Dans  ses  Lettres  philosophiques  sur  la  formation 
des  sols  et  des  cristaux,  suivies  d'un  Mémoire  sur  la  théorie 
de  la  terre  (Amsterdam,  1729,  in-12),  ce  naturaliste  (né  à 
Nîmes,  en  1678,  mort  à  Neufchâtel,  en  1742),  présenta 
des  considérations  fort  remarquables  sur  la  manière  dont 
les  montagnes  sont  groupées,  sur  la  correspondance 
de  leurs  angles,  et   sur  l'orientation  uniforme  de  chaque 

1.  Et  non  en  1683,  comme  l'ont  écrit  Buffjn  et  Cuvier. 

2.  Cet  intéressant  opuscule  a  été  traduit  en  français  par  le  Dr  Ber- 
trand de  Saint-Germain,  sous  le  litre  de  Protogée  ou  de  la  format  ion 
des  révolutions  du  glohe,  par  Leibniz  (Paris,  1859,  in-8i. 

3.  Voy.  plus  haut,  p.  325. 


THÉORIES  GÉOLOGIQUES.  371 

groupe  de  montagnes.  Il  s'attachait  ainsi  à  montrer  que 
ces  masses  en  relief  doivent  leur  origine  à  une  même 
cause,  agissant  simultanément  sur  de  vastes  étendues.  Les 
idées  de  Bourguet  ont  été  reprises  de  nos  jours,  ainsi 
que  ses  conjectures  svir  le  mode  de  formation  des  roches 
anciennes  et  des  fossiles,  conjectures  fondées  sur  la  manière 
dont  se  forment  sous  nos  yeux  certaines  espèces  de  roches- 


Théorie  de  Bnffon. 

Son  premier  essai  de  cosmogonie,  la  Théorie  de  la  terre, 
que  Buffon  avait  publiée  en  1749,  était  une  tentative  in- 
complète. Perdant  de  vue  l'origine  ignée  de  la  terre,  il 
n'y  envisageait  que  l'action  des  eaux  à  la  surface  du 
globe;  il  attribuait  à  leur  mouvement  de  fluctuation  et 
au  limon  qu'elles  déposent  la  formation  des  montagnes 
en  général,  ce  qvxi  était  inadmissible.  Mais,  dans  les  Epo- 
ques de  la  nature^  publiées  trente  ans  plus  tard,  il  se  rat- 
tacha aux  idées  de  Leibniz.  La  forme  de  la  terre,  sphéroïde 
renflé  à  l'équateur  et  aplati  à  ses  pôles,  lui  révèle  l'état 
de  fluidité  primitif  de  notre  planète.  «  Le  globe  terres- 
tre, dit-il,  a  précisément  la  figure  que  prendrait  un  globe 
fluide  qui  tournerait  sur  lui-même  avec  la  vitesse  que 
nous  connaissons  au  globe  de  la  terre.  »  De  ce  que  cet 
état  de  fluidité  de  la  masse  terrestre  n'a  pu  s'opérer  ni 
par  la  dissolution,  ni  par  le  délayement  dans  l'eau  (à 
cause  de  l'insolubilité  de  la  plupart  des  substances  terres- 
tres, et  de  la  quantité  d'eau  relativement  trop  petite), 
l'auteur  conclut  que  «  cette  fluidité  a  été  une  liquéfaction 
causée  par  le  feu.  53  Le  fait  de  cette  liquéfaction  primor- 
diale est  encore  confirmé  par  la  chaleur  intérieure  propre 
du  globe,  que  Bufi'on  admet  pleinement.  «  Cette  chaleur 
nous  est,  dit-il,  démontrée  par  la  comparaison  de  nos 
hivers  et  de  nos  étés  ;  et  on  la  reconnaît  d'une  manière 


372  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE. 

encore  plus  palpable  dès  qu'on  pénètre  au  dedans  de  la 
terre;  elle  est  constante  en  tous  lieux  pour  chaque  pro- 
fondeur, et  elle  paraît  augmenter  à  mesure  que  l'on  des- 
cende» La  température  des  eaux  thermales  et  les  phéno- 
mènes volcaniques  en  sont  également  des  témoignages 
irrécusables. 

D'accord  avec  Palissy,  Sténon,  Leibniz,  etc.,  Buffor 
reconnaît  la  nature  sédimentaire  des  couches  superficielles 
du  globe,  et  que  ces  couches  sont  semées  de  productions 
marines,  dont  la  présence,  loin  des  rivages  et  jusqu'au 
sommet  des  montagnes,  atteste  le  séjour  prolongé  des 
mers  sur  toute  la  surface  terrestre.  Il  comprit  que  des 
espèces  entières  avaient  dû  disparaître  dans  les  révolu- 
tions du  globe.  Il  revient  souvent  sur  un  fait  important 
que  Leibniz  avait  entrevu,  à  savoir  les  espèces  'perdues 
qu'il  signale  aux  recherches  des  naturalistes  futurs. 

Les  ossements  d'éléphants  et  de  rhinocéros ,  qu'on 
avait  découverts  du  temps  de  Buffon,  en  Sibérie,  au  Ca- 
nada, en  Angleterre,  en  Allemagne,  firent  naître  chez 
l'éminent  naturaliste  le  raisonnement  que  voici.  Ces 
grands  animaux,  de  même  que  les  palmiers  dont  on  a 
trouvé  des  empreintes  dans  les  houillères  du  Nord,  exi- 
gent, pour  leur  constitution  et  leur  développement,  une 
température  beaucoup  plus  élevée  que  celle  qui  règne 
actuellement  dans  ces  contrées.  Les  régions  septentrio- 
nales de  l'Océan  et  des  nouveaux  continents  jouissaient 
donc  primitivement  d'une  température  à  peu  près  égale  à 
celle  des  tropiques.  Quelle  était  la  cause  de  cet  étrange 
phénomène?  Ce  ne  pouvait  être  l'action  du  soleil,  à  moins 
de  supposer  que,  par  suite  d'une  révolution  radicale  de 
notre  système  planétaire,  nos  rapports  avec  l'astre  radieux 
ont  complètement  changé.  C'est  ainsi  que  Buftbn  fut 
conduit   à  admettre  que  cette  température  primitive  des 

1.  Cette  augmentation  est,  en  moyenne ,  d'un  degré  du  thermomètre 
centigrade,  par  environ  33  mètres  de  profondeur. 


THEORIES  GÉOLOGIQUES.  373 

régions  septentrionales  tenait  à  la  chaleur  propre  du 
globe,  et  qu'elle  s'était  longtemps  maintenue  après  la 
condensation  des  vapeurs  à  la  surface  de  la  terre  refroidie. 

Quant  aux  fossiles  communs  aux  deux  continents,  Buf- 
fon  y  voyait  la  preuve  manifeste  que  l'Ancien  et  le  Nou- 
veau-Monde étaient  primitivement  unis,  et  que  leur  dis- 
jonction fut  l'effet  d'une  de  ces  phases  par  lesquelles  la 
nature  en  travail  préparait  l'apparition  de  l'homme,  dont 
les  débris  des  premiers  âges  n'offrent  point  de  traces. 

Ces  diverses  phases  de  la  création  étaient  pour  Buffon 
autant  d'époques^  qui  devaient  à  peu  près  correspondre 
aux  jours  de  la  G-enèse. 

Leibniz  et  Buffon  avaient  laissé  trop  de  lacunes  dans 
les  détails,  trop  d'observations  incomplètes  ou  inexactes 
dans  leurs  généralités,  pour  ne  pas  faire  naître  de  pro- 
fonds dissentiments  parmi  leurs  successeurs.  La  question 
de  savoir  quelle  prépondérance  il  faut  accorder  au  feu  ou 
à  l'eau  dans  la  constitution  du  globe  fit  naître  de  vives 
polémiques.  De  là  deux  écoles  opposées  qui  se  disputèrent, 
pendant  quelque  temps,  le  domaine  de  la  science,  celle 
des  Yulcaniens  et  celle  des  Nepluniens. 


liC   Yulcauisme. 


L'école  des  Vulcaniens  eut  pour  représentants,  en  An- 
gleterre, Hutton  et  Playfair,  en  France  Desmarest  et  Do- 
lomieu. 

^wWon^part  de  ce  principe,  que  les  causes  qui  modifient 

1.  James  Hutton  (né  en  1726  à  Edimbourg,  mort  en  1797  dans  la 
même  ville)  se  livra  particulièrement  à  l'étude  de  la  géoIo:^ie,  de  la 
météorologie  et  de  l'économie  rurale.  lia  publié  sur  ces  sciences  des 
ouvrages  estimés;  mais  ce  qui  le  fit  surtout  apprécier  du  monde  sa- 
vant, c'est  sa  théorie  de  la  Terre,  Theory  of  Earth;  Édimbouig  17% 
2  vol.  "  ' 


374  HISTOIRE  DE  LA  GEOLOGIE. 

encore  aujourd'hui  partiellement  l'écorce  terrestre,  suf- 
fisent pour  expliquer  les  révolutions  du  globe  aux  épo- 
ques les  plus  reculées.  Ainsi  les  tremblements  de  terre 
nous  font  comprendre  comment  les  couches  épaisses 
déposées  par  les  eaux  de  la  mer  peuvent  avoir  été  l)risées 
et  bouleversées  en  divers  sens.  A  cette  cause  modifica- 
trice, présentée  par  les  tremblements  de  terre,  sont  liées 
les  éruptions  volcaniques.  Et  comme  ces  éruptions  sup- 
posent à  l'intérieur  du  globe  un  loyer  ardent,  le  savant 
écossais  présente  ce  foyer  comme  la  source  des  boule- 
versements dont  nous  voyons  partout  des  preuves,  et, 
par  le  ralentissement  de  l'activité  de  ce  foyer,  il  cherche 
à  expliquer  l'état  de  stabilité  relatif  dont  nous  jouissons. 
Cette  théorie  fut  reprise  et  développée  par  Playfair'. 

Dans  ses  Illustrations of  îhe  Hutlonian  theoryoftheEahrt 
(Edimb.,  1802,  in-8»),  P/ay/"c«>,  revenant  sur  l'action  de  la 
chaleur  interne,  essaya  de  montrer  qu'elle  n'avait  pu  que 
ramollir  les  couches  supérieures  ou  les  terrains  strati- 
fiés, tandis  qu'elle  avait  entièrement  fondu  les  couches 
inférieures,  en  leur  donnant  l'aspect  de  substances  cristal- 
lisées au  milieu  des  eaux.  Cette  même  chaleur  a  dû, 
selon  lui,  injecter  par  sa  force  expansive  la  matière 
fluide  de  l'intérieur  à  travers  les  couches  superjacentes, 
et  produire  ainsi  les  veines  et  les  filons  qu'on  y  remar- 
que. Elle  a  dû  même  soulever  ces  masses  au-dessus  du 
niveau  des  eaux  et  donner  naissance  à  des  îles  et  à  des 
continents.  Ces  îles  et  ces  continents  se  dégradent  peu  à 
peu  par  l'action  de  l'air  et  des  eaux  courantes;  leurs  débris 
s'accumulent  au  fond  de  l'Océan,  y  forment  de  nouvelles 
couches,  qui  un  jour  seront  à  leur  tour  soulevées  pour 
former  des  îles  et  des  continents.  Cette  alternative  de 

1.  John  Playfair  (né  en  n48,  mort  à  Edimbourg  en  1819)  em- 
brassa d'abord  l'état  ecclésiastique,  et  l'abandonna  ensuite  pour  se  li- 
vrer à  son  goût  pour  les  mathématiques  et  les  sciences  naturelles.  Vers 
la  fin  de  sa  vie  il  entreprit  un  voyage  en  Italie  pour  y  étudier  le  système 
géologique  des  Alpes» 


THÉORIES  GÉOLOGIQUES.  375 

destruction  et  de  formation  a  eu  lieu  plusieurs  fois,  et 
pourra  se  reproduire  indéfiniment. 

Desmarest  avait  fait  des  productions  volcaniques  l'ob- 
jet spécial  de  ses  recherches.  Il  inclinait  donc  naturelle- 
ment du  côté  des  vulcaniens.  En  étudiant  les  volcans 
éteints  de  l'Auvergne,  il  reconnut  que  les  basaltes,  ré- 
pandus à  profusion  dans  cette  contrée ,  se  rattachaient 
à  des  bouches  ignivomes,  et  que  la  disposition  de  ces  ro- 
ches en  nappes,  en  colonnes  prismatiques,  révélait  l'action 
du  feu.  Il  les  regardait  comme  des  produits  de  décom- 
position du  granité*.  B.  de  Saussure  essaya  de  réfuter 
cette  opinion^. 

Gratet  de  Dolomieu  était  devenu,  comme  Desmarest, 
partisan  du  vulcanisme  par  la  direction  de  ses  études. 
Né  en  1750,  à  Dolomieu,  en  Dauphiné,  Gratet  entra  très- 
jeune  dans  l'ordre  de  Malte,  et  il  le  quitta  bientôt  à  la  suite 
d'un  duel  où  il  avait  tué  son  adversaire ,  chevalier  comme 
lui.  Il  se  livra  dès  lors  à  des  voyages  scientifiques.  En 
1777,  on  le  voit  parcourir  le  Portugal;  l'année  sui- 
vante, l'Espagne;  en  1780  et  1781,  la  Sicile  et  les  îles 
Eoliennes;  en  1782,  la  chaîne  des  Pyrénées,  et  en  1783, 
le  midi  de  l'Italie,  où  l'avait  attiré  le  mémorable  tremble- 
ment de  terre  de  la  Galabre'. 


1.  Mém.  de  l'Académie  des  sciences,  année  lîîl,  p.  273. 

2.  B.  de  Saussure,  Voyages  dans  les  Alpes,  t.  I,  §  172  et  suiv. 

'S.  En  1789  et  1790,  Dolomieu  visita  le  Mont-Blanc  et  le  Mont-Rose, 
il  examina  les  roches  qui  forment  la  vallée  du  Rhône,  il  franchit  le 
Saint-Gothard  et  suivit  la  chaîne  des  Apennins,  depuis  le  lac  Majeur 
jusqu'aux  rives  du  Garigliano  ;  il  foula  les  cratères  éteints  de  la  plaine 
latine,  retrouva  aux  champs  Phlégréens  le  pays  des  Lestrygons,  et  re- 
vint en  France  en  1791,  apportant  de  riches  collections  minéralogi 
ques.  Dans  les  années  suivantes,  il  explora  l'Auvergne  et  les  Vosges. 
La  part  qu'il  prit  à  l'expédition  d'Egypte  lui  permit  de  visiter  le 
Delta,  la  vallée  du  INil  et  les  sables  mouvants  de  la  Libye.  Le  7  mars 
1799,  il  se  rembarqua  à  Alexandrie;  rejeté  par  une  tempête  dans  le 
golfe  de  Tarente,  il  fut  fait  prisonnier,  endura  pendant  vingt-un 
mois,  dans  les  cachots  de  l'Ordre  de  Malte,  à  Messine,  les  plus  horri- 


376  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE. 

Dolomieu  faisait  ses  courses  géologiques  à  pied,  le  sac 
sur  le  dos,  le  marteau  à  la  main  ;  elles  développèrent  en 
lui  de  grandes  pensées  sur  les  révolutions  du  globe,  sur  le 
soulèvement  des  montagnes,  sur  le  siège  des  conflagrations 
des  volcans,  sur  le  trapp  \  sur  l'origine  du  basalte,  sur  la 
nature  d'un  calcaire  particulier  qui  a  reçu  le  nom  de  dolomie. 

L'origine  du  basalte,  de  cette  roche  d'un  brun  tirant 
sur  le  noir,  sur  le  vert  et  le  rouge  foncés,  et  qui  a  pour 
principaux  éléments  la  silice ,  l'alumine ,  la  chaux  et 
l'oxyde  de  fer,  était  alors,  parmi  les  géologues,  l'objet 
d'une  vive  controverse,  sur  laquelle  il  convient  de  nous 
arrêter  un  instant. 

Tous  les  géologues  qui  avaient  visité  l'Etna,  le  Vésuve, 
l'Auvergne,  l'île  de  Ténériffe,  l'île  de  Bourbon ,  etc., 
et  qui  y  avaient  observé  des  prismes  massifs  de  basalte, 
caractéristiques  des  pays  volcaniques,  en  étaient  revenus 
avec  la  conviction  que  le  basalte  est  d'origine  plutonique 
ou  ignée.  Cette  conviction  s'était  encore  corroborée  par  la 
ressemblance  des  basaltes  avec  des  laves  compactes  d'une 
origine  volcanique  évidente,  ressemblance  d'autant  plus 
grande  que  plusieurs  laves  prennent  un  retrait  prismatique 
rappelant  la  forme  du  basalte.  Il  y  eut  donc  unanimité  sur 
l'origine  ignée  du  basalte.  Bergmann,  ayant  analysé  un  ba- 
salte de  l'île  de  Stafi"a,  souleva  le  premier  quelques  doutes 

blés  privations  et  souffrances.  Il  eut  encore  la  force  d'y  rédiger  son 
Traité  de  philosophie  minéralogique  et  son  Mémoire  sur  l'espèce  mi- 
nérale, et  de  les  écrire  avec  un  morceau  de  bois  noirci  à  la  fumée  de 
sa  lampe,  sur  les  pages  d'une  Bible,  le  seul  livre  qu'on  lui  eût  laissé. 
Il  mourut  (le  15  mars  1801)  peu  de  temps  après  sa  mise  en  liberté.  Ses 
principaux  travaux  ont  été  consignés  dans  son  Voyage  aux  îles  de  Li- 
pan  (Paris,  1783,  in-8°)  ;  dans  sa  Description  de  l'éruption  de  l'Etna 
(Paris,  1788,  in-8'');  dans  le  Journal  de  Physique,  le  Journal  des  Mines 
et  dans  les  Mémoires  de  l'Académie. 

1.  Le  mot  trapp  ou  treppe  signifie  escalier  dans  les  langues  germa- 
niques. Il  a  été  donné  à  une  roche  noire  comme  le  basalte,  et  qui  se 
brise  en  morceaux  parallélipipédiques,  ce  qui  fait  que  les  montagues 
qui  en  sont  composées  (comme  en  Suède),  offrent,  dans  leurs  pentes 
escarpées,  des  espèces  de  gradins. 


THÉORIES  GÉOLOGIQUES.  377 

à  cet  égard.  Ces  doutes  se  propagèrent  depuis  que 
Dolomieu  avait  dit  que  «  les  basaltes  des  contrées  de 
l'Ethiopie,  employés  par  les  Égyptiens  pour  leurs  statues 
et  leurs  ornements,  n'étaient  point  volcaniques  ;  que  les 
naturalistes  et  les  sculpteurs  italiens,  accoutumés  à  regar- 
der toutes  les  pierres  noires  comme  volcaniques,  leur 
avaient  attribué  cette  origine,  d'autant  plus  facilement 
qu'ils  se  servaient  pour  restaurer  les  statues  de  laves  très- 
compactes.  3>  Desmarest  avait  décrit  les  basaltes  d'Au- 
vergne sous  le  nom  de  gabbro^  que  les  Italiens  appli- 
quent à  une  pierre  d'origine  aqueuse.  Enfin,  Werner 
affirmait  avoir  vu  dans  les  montagnes  de  Scheiben- 
berg,  en  Saxe,  que  la  luacke^,  alors  généralement  regar- 
dée comme  de  formation  aqueuse,  passait  à  l'état  de 
basalte  par  des  nuances  insensibles,  et  il  en  concluait  que 
cette  roche  s'était  formée  dans  l'eau. 

De  cette  discordance  naquirent  des  discussions  violentes. 
Les  vulcauiens  citaient,  à  l'appui  de  leur  thèse,  les  expé- 
riences de  Hall  sur  la  fusion  comparée  du  basalte  et  du 
diorite^.  Hall  avait  montré  que  le  basalte  et  le  g/ûnstein 
(diorite),  dont  l'origine  ignée  était  incontestée,  donnaient 
par  la  fusion  un  verre  homogène  semblable;  que  ce  verre, 
fondu  de  nouveau  et  refroidi  lentement,  donnait  une  pierre 
à  cassure  terreuse  ,  absolument  identique.  Les  neptu- 
niens  opposaient  à  leurs  antagonistes  la  forme  prismatique, 
comme  caractérisant  la  cristallisation  aqueuse.  Hs  ci- 
taient  à  leur  appui  la  montagne  basaltique  de  Stolpen, 


1.  Le  nom  de  wacke  ou  de  grauwacke  s'applique  à  une  roche  d'un 
gris  ou  noir  verdàtre,  assez  mal  déterminée,  et  qui  semble  faire  le 
passage  des  pierres  argileuses  aux  basaltes. 

2.  Le  nom  de  diorite  a  été  donné  par  Haily  à  une  roche  qu'Alex. 
Brongniartappelait  diabase.  Composé  de  feldspath  albite  et  d'amphibole 
hornblende,  le  divrite  a  reçu  les  noms  de  grùnstein,  trapp,  cornéenne, 
ophite,  aphanite,  suivant  qu'elle  est  verte  ou  noire,  plus  ou  moins 
variée  de  taches  comme  la  serpentine,  dans  laquelle  elle  peut  se  trans- 
former. La  protogine,  roche  talqueuse,  granitoïde,  l'accompagne. 


378  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE. 

à  six  lieues  de  Dresde,  et  les  basaltes  qui  couronnent,  eu 
forme  de  dômes  et  de  chapiteaux,  les  sommets  de  la  chaîne 
qui  sépare  la  Saxe  royale  de  la  Bohême.  Ils  insistaient 
particulièrement  sur  ce  que  ces  dômes  ou  cônes  de  ba- 
salte avaient  pour  assises  des  colonnes  multipliées  géné- 
ralement très-minces,  interposées  entre  des  couches  d'au- 
tres substances  d'une  origine  certainement  aqueuse, 
telles  que  des  grès,  des  pierres  calcaires,  etc.;  ces  sub- 
stances sont  quelquefois  comme  entrelacées  avec  ces 
couches  et  en  suivent  toutes  les  sinuosités,  comme  Fortis 
l'a  observé  en  passant  de  Valdagno  à  Schio  dans  le 
Yicentiu. 

Mais  comment  expliquer  la  présence,  à  peu  près 
constante ,  des  basaltes  dans  des  pays  évidemment 
volcaniques?  Les  neptuniens  ne  firent  qu'accroître  les 
difficultés  en  disant  que  «  le  terrain  basaltique  est  le  seul 
propre  à  la  formation  des  volcans,  que  ce  terrain  leur  a 
donné  naissance  plutôt  qu'il  ne  l'a  reçue  d'eux,  que  les 
laves  basaltiques  sont  le  produit  de  l'altération  des  basal- 
tes, et  que  ces  laves  sont,  avec  les  basaltes,  les  seules 
roches  connues  qui  contiennent  une  aussi  grande  quantité 
de  fer.  » 

Ces  discussions,  où.  l'on  se  payait,  de  part  et  d'autre, 
plus  souvent  de  mots  et  d'hypothèses  que  d'observations 
exactes,  aboutirent  à  une  sorte  d'opinion  mixte.  D'après 
cette  opinion,  professée  par  Dolomieu,  da  Rio,  Fortis, 
Spalanzani,  etc.,  les  basaltes  sont,  les  uns  volcaniques, 
les  autres  d'origine  aqueuse;  les  basaltes  de  Saxe  et 
ceux  d'Ethiopie,  et  probablement  ceux  d'Ecosse  et  d'Ir- 
lande, appartiennent  sûrement  à  cette  seconde  catégorie, 
tandis  que  les  basaltes  d'Italie  et  ceux  d'Auvergne  doivent 
être  rangés,  en  partie,  sinon  en  totalité,  dans  la  première 
catégorie.  D'après  une  dernière  hypothèse ,  soutenue  par 
Patrin ,  les  basaltes  sont  le  produit  d'une  éruption 
boueuse  de  volcans  sous-marins,  et  c'est  à  la  nature  de 
cette  éruption  qu'ils  doivent  leurs  principaux  caractères. 


THÉORIES  GÉOLOGIQUES.  379 

Alex.    Brongniart  a  présenté  cette  hypothèse   comme  la 
plus  vraisemblable  ^ 

La  question  est  aujourd'hui  vidée.  Sans  s'être  laissé 
égarer  par  quelques  cas  isolés,  d'une  anomalie  apparente, 
où  des  veines  de  basalte  ont  pénétré,  soit  un  lit  de  charbon 
de  terre  sans  lui  avoir  enlevé  une  partie  notable  de  son 
carbone,  soit  des  couches  de  grès  sans  leur  avoir  donné  un 
aspect  de  fritte  ou  de  scorie,  soit  des  couches  de  craie,  sans 
que  la  craie  ait  été  convertie  en  marbre  granulaire,  tous  les 
géologues  reconnaissent  maintenant  que  le  basalte  est  un 
produit  de  formation  ignée,  sorti  du  sein  de  la  terre  à 
l'état  fluide,  par  de  longues  fissures^  ou  par  des  chemi- 
nées étroites,  plus  ou  moins  cylindriques. 


Théorie  de  Lnplace. 

L'auteur  de  la  Mécanique  céleste  a  essayé  de  se  rendre 
compte  de  la  formation  de  la  terre,  ainsi  que  de  tou- 
tes les  planètes,  par  une  hypothèse  qui  a  réuni  beau» 
coup  de  partisans.  D'après  cette  hypothèse,  l'atmos- 
phère du  soleil  s'est  primitivement  étendue  au  delà 
des  orbes  de  toutes  les  planètes,  de  manière  à  former 
ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  une  étoile  nébuleuse  ,  et 
elle  s'est  resserrée  successivement  jusqu'à  ses  limites 
actuelles.  Les  planètes  ont  été  formées  aux  limites  succes- 
sives de  cette  atmosphère  par  la  condensation  graduelle 
des  zones  de  vapeurs  qu'elle  a  abandonnées  dans  le  plan  de 
l'équateur,  en  se  refroidissant.  Ces  zones  de  vapeur  ont  pu 
former,  par  leur  refroidissement,  des  anneaux  liquides  ou 
solides  autour  du  noyau  central,  anneaux  semblables  à 

1.  Dictionnaire  des  sciences  naturelles,  article  basalte  [t.  IV,  p.  121  ; 
Paris,  1816). 

2.  C.  Prévbsf.  rlans  le  Dictionnaire  d'histoire  universelle  de  Charles 
d'Ûrliiguy,  art.  basalte  [i.  II,  p.  483  ;  Paris,  1842). 


380  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE. 

ceux  de  Saturne  ;  mais,  en  général,  elles  se  sont  réunies  de 
manière  à  produire  plusieurs  globes  distincts,  s'attirant  les 
uns  les  autres.  La  terre  n'est  donc  que  le  résultat  de  la 
condensation  d'une  masse  originairement  gazeuse,  et  la 
lune  a  été  formée  par  l'atmosphère  de  la  terre ,  comme  les 
planètes  par  celle  du  soleil.  La  théorie  de  Laplace  a  l'a- 
vantage de  faire  très-bien  comprendre  la  période  primitive 
de  notre  planète. 

Le  IVeptunisme. 

Le  chef  de  l'école  des  neptuniens,  Werner^  profes- 
seur à  l'école  des  mines  de  Freyberg  (Saxe),  réunis- 
sait pendant  plus  de  quarante  ans  (de  1775  à  1817) 
autour  de  sa  chaire  une  jeunesse  nombreuse,  avide  de 
s'instruire  ^  Le  premier  il  fit  de  l'étude  des  mine- 
rais et  de  l'art  du  mineur  une  science  à  part,  et,  en  lui 
donnant  le  nom  d'oryctognosie,  il  la  sépara  de  la  minéra- 
logie proprement  dite  ;  de  même  qu'il  sépara,  sous  le 
nom  de  géognosie ,  la  connaissance  positive  des  masses 
constitutives  de  l'écorce  terrestre,  de  ce  qu'on  appelait  la 
géogénie,  c'est-à-dire  l'histoire  ou  la  théorie  delaformation 
du  globe.  Suivant  le  système  auquel  Wernera  attaché  son 
nom,  l'eau  est  la  source  de  toute  formation.  Recouvrant,  à 
l'origine,  toute  la  surface  du  globe,  y  compris  le  sommet 
des  plus  hautes  montagnes,  l'eau  tenait  en  dissolution  ou 
en  suspension  les  éléments  de  tous  les  terrains  ;  ceux  qui 

1.  Abraham -Gottlob  Werner  (né  à  Wehrau  en  Silésie  en  1750, 
mort  à  Dresde  en  1817)  ne  s'était,  pendant  son  long  enseignement, 
ab-enté  que  deux  fois  de  Freyberg  :  en  1802,  où  il  reçut  à  Paris  le 
brevet  d'associé  étranger  de  l'Institut  et  celui  de  citoyen  français;  et 
en  1817,  étant  allé  à  Dresde  dans  l'espoir  de  trouver  quelque  soulage- 
ment à  sa  dernière  maladie.  Parmi  ses  principaux  élèves,  on  remarque 
Alex,  de  Humboldt,  Léopold  de  Buch.  Son  Traité  d'oryctognosie 
(Freyberg,  1792    iu-8°)  est  le  plus  remarquable  de  ses  ouvrages. 


THÉORIES  GÉOLOGIQUES.  381 

se  sont  déposés  les  premiers,  les  plus  anciens  dépôts, 
ont  formé  les  principales  assises  ou  les  principales  som- 
mités. L'eau  Laissant  peu  à  peu  de  niveau,  et  son  action 
dissolvante  venant  à  changer,  de  nouveaux  dépôts  ont 
recouvert  les  premiers  sous  forme  de  couches  d'une 
grande  étendue,  mais  en  s'élevant  à  des  hauteurs  de 
moins  en  moins  considérables.  Le  niveau  venant  à  baisser 
encore,  une  agitation  plus  grande  des  eaux  rendait  la 
cristallisation  plus  confuse,  et  bientôt  n'apparurent  que 
des  masses  terreuses,  desimpies  sédiments  ;  les  courants, 
de  plus  en  plus  rapprochés  du  fond  de  l'immense  réser- 
voir,  l'attaquèrent,  en  détachèrent  des  fragments,  les 
chassèrent  et  mêlèrent  ainsi  des  dépôts  purement  méca- 
niques aux  précipités  chimiques  qui  se  formaient  sans 
cesse.  A  ces  périodes  d'agitation  succédèrent  des  périodes 
de  tranquillité,  et  c'est  alors  que  les  êtres  organisés  firent 
leur  première  apparition.  Mais  ces  périodes  de  tranquillité 
furent  interrompues  par  de  grandes  révolutions:  à  deux 
époques  difterentes  les  eaux  ont  extraordinairement  haussé 
de  niveau,  et  elles  ont  produit  de  nouveaux  dépôts 
cristallins  qui  ont  recouvert  tous  les  terrains  formés  pré- 
cédemment. En  somme,  aux  yeux  du  chef  des  neptuniens, 
toutes  les  roches,  même  le  basalte,  étaient  des  précipités 
chimiques  d'une  sorte  de  fluide  chaotique,  formant,  à  l'ori- 
gine des  choses,  une  mer  universelle. 


Adversaires   de    l'école   wernerîenne. 

Ce  ne  sont  pas  les  vulcaniens  proprement  dits  qui 
portèrent  au  système  de  Werner  les  plus  rudes  coups; 
ce  sont  les  élèves  mêmes  du  célèbre  professeur  de  Frey- 
berg  qui  le  firent  tomber.  Élevé  à  l'école  wernérienne, 
où  il  eut  pour  condisciple  Alex,  de  Humboldt,  Léopold 


382  HISTOIRE  DE  LA  GEOLOGIE. 

di  Buch^,  était  encore  partisan  de  la  théorie  neptunienne 
lorsqu'il  fit,  en  1797,  paraître  sa  Description  géognosti- 
qiie  de  la  Silésie,  où  le  basalte,  le  gneiss  et  le  mi- 
caschiste se  trouvent  classés  parmi  les  formations 
aqueuses. 

Cependant,  de  Pargine  en  Italie,  le  disciple  de  Werner, 
L.  deBuch,  écrivait  déjà  (vers  1798)  à  son  ami  Humboldt  : 
«Ici  les  diverses  espèces  de  roches  semblent  avoir  été  bou- 
leversées par  le  chaos.  Je  trouve  les  couches  de  porphyre 
sur  le  calcaire  secondaire,  et  les  schistes  micacés  sur  le 
porphyre.  Tout  cela  ne  menace-t-il  pas  de  renverser  les 
beaux  systèmes  par  lesquels  on  prétend  expliquer  les  épo- 
ques des  formations?  »  Bientôt  ses  doutes  s'accrurent 
avec  l'étude  des  volcans.  A  la  suite  de  son  exploration 
du  Vésuve,  il  peignit  avec  une  verve  poétique  les  for- 
midables efforts  du  déchaînement  des  forces  souterraines. 
Le  voyage  d'Italie  lui  fit  comprendre  que  l'examen  des 
couches  tranquillement  déjiosées  par  les  eaux  n'était  pas, 
comme  on  le  croyait  à  Freyberg,  toute  la  géologie,  que  la 
nature  ne  se  révèle  que  dans  ses  crises  et  que  là  seule- 
ment on  pouvait  espérer  lui  dérober  ses  secrets. 

Le  voyage  d'Auvergne  opéra  un  changement  complet 
dans  les  idées  de  L.  de  Buch.  Guettard,  l'un  des  maîtres 
de  Lavoisier,  avait  découvert,  en  1751,  les  volcans  éteints 

1.  Léopold  de  Buch  (né  en  1774  à  Stolpe,  mort  en  1853  à  Berlin) 
parcourut  dès  1798  rilalie  et  l'Auvergne  à  différentes  reprises,  pédes- 
trement,  le  sac  au  dos  et  le  marteau  du  géologue  h  la  main;  il  visita 
pendant  deux  ans  (de  juillet  1806  en  octobre  1808)  les  îles  Scandi- 
naves, pénétrajusqu'au  cap  Nord,  et  établit  un  centre  d'observations 
dans  l'île  déserte  de  Mager-Oe.  Il  explora,  en  1815,  les_  Iles  Cana- 
ries, visita,  à  son  retour,  les  côtes  de  l'Irlande  et  de  l'Ecosse,  et  le 
groupe  basaltique  des  îles  Hébrides.  Huit  mois  avant  sa  mort  (en  l'été 
de  1852),  il  avait  encore  visité  l'Auvergne:  ce  fut  sa  dernière  excur- 
sion. Ses  principaux  travaux  se  trouvent  consignés  dans  le  recueil  des 
Mémoires  de  l'Académie  de  Berlin.  Parmi  ses  autres  publications,  on 
remarque  surtout  sa  Description  physique  des  iles  Canaries  (Ber- 
lin, 1825,  in-8°,  avec  atlas)  et  sa  Carte  géologique  de  l'Allemagne, 
en  42  feuilles  (Berlin,  1832,  2'  édition). 


THÉORIES  GÉOLOGIQUES.  383 

de  l'Auvergne  :les  laves,  les  cendres,  les  scories,  les  mon- 
tagnes avec  leurs  cônes  cratériformes  auraient  dû  depuis 
longtemps  démontrer  aux  habitants  qu'ils  foulaient  un  sol 
autrefois  embrasé.  Cependant  un  étonnement  général  ac- 
cueillit une  découverte  à  peine  soupçonnée.  En  1763, 
Desmarest,  visitant  le  Puy-de-Dôme,  signala  les  piliers 
de  pierre  noire  dont  la  figure  et  la  position  lui  rappelaient 
tout  ce  qu'il  avait  lu  sur  les  basaltes.  Ces  colonnes ,  par 
leur  régularité,  portaient  l'empreinte  d'un  produit  fondu 
par  le  feu.  Mais  où  cet  agent  modificateur  réside-t-il? 
Bien  profondément  au-dessous  de  l'écorce  consolidée  du 
globe,  avait  osé  dire  Dolomieu. 

Avant  de  se  prononcer,  Léopold  de  Buch  voulut  obser- 
ver lui-même  ces  cratères  éteints,  ces  basaltes  fondus, 
qui  dérangeaient  singulièrement  le  système  de  Werner. 
Son  exploration  de  l'Auvergne  fut  un  acte  d'indépendance. 
Le  moyen  de  rester  fidèle  à  son  maître  quand  il  voyait, 
contrairement  à  l'enseignement  reçu,  le  granité,  le  gneiss, 
le  porphyre  au-dessus  du  calcaire,  le  foyer  des  volcans  au- 
dessous  des  roches  réputées  les  plus  profondes,  le  basalte 
lié  à  la  lave,  et  partout  des  traces  de  soulèvement  et  de 
redressement!  Son  exploration  des  îles  Canaries  et  celle 
de  la  presqu'île  Scandinave  achevèrent  de  le  convaincre. 

Son  voyage  au  nord  de  l'Europe  le  mit  sur  la  voie  de  la 
solution  d'un  grand  problème. Depuis  plus  d'un  demi-siècle, 
les  habitants  des  côtes  de  la  Norvège  s'étaient  aperçus  d'un 
abaissement  graduel  du  niveau  de  la  mer.  Sur  le  conseil 
du  physicien  Celsius,  on  avait  gravé  des  marques  sur  les 
rochers  de  Gralfe  et  de  Calmar.  Linné  lui-même  était  venu 
tracer  un  niveau  sur  un  bloc  dont  il  a  fait  la  description. 
Telle  ville  maritime  étant  devenue  continentale,  tel  pe- 
tit bras  de  mer  se  trouvant  transformé  en  grande  route,  les 
indigènes  croyaient  fermement  que  les  eaux  de  la  mer  di- 
minuaient. Ce  phénomène  étrange  frappa  beaucoup  l'esprit 
de  L.  de  Buch,  «  Il  est  certain,  se  disait-il,  que  le  niveau 
de  la  mer  ne  peut  s'abaisser  ;  l'équilibre  des  eaux  s'y  op- 


384  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE. 

pofie.  Cependant  le  mouvement  de  retrait  est  un  fait  in- 
contestable. Pour  sortir  d'embarras,  il  ne  restait  d'autre 
moyen  que  de  supposer  que  le  sol  de  la  presqu'île  Scan- 
dinave s'est  soulevé  depuis  Friedrichs-hall  jusqu'à  Abo.  » 
Voyant  dans  les  bouleversements  des  couches  primitives 
du  globe,  dans  la  sortie  des  basaltes  et  de  toutes  les  ro- 
ches cristallines,  l'effet  d'une  cause  souterraine,  volcani- 
que, L.  de  Buch  finit  par  rattacher  aux  réactions  de  la 
terre  le  soulèvement  des  montagnes  et  celui  de  contrées 
entières,  telle  que  la  Suède. 

Ce  grand  géologue  distingua  l'effort  qui  soulève  de  l'ef- 
fort qui  rompt  :  au  premier  il  donnait  le  nom  de  cratère  de 
soulèvement^  au  second  celui  de  cratère  d'éruption.  Pour 
lui  les  volcans  sont  des  «  communications  permanentes 
entre  l'atmosphère  et  l'intérieur  du  globe.  3>  Il  les  divise 
en  deux  classes,  les  volcans  centraux  et  les  chaînes  volca- 
niques :  les  premiers  forment  le  centre  d'un  grand  nombre 
d'éruptions  qui  se  sont  faites  autour  d'eux;  les  seconds 
sont  disposés  dans  une  même  direction,  comme  une 
grande  fente  ou  rupture  du  globe.  Ces  poiites  de  rochers, 
soulevées  par  le  feu  souterrain  lui  suggérèrent  l'idée  que 
les  innombrables  îles  de  l'océan  Pacifique,  que  l'on  avait 
considérées  jusqu'alors  comme  les  sommets  d'un  continent 
submergé,  étaient  des  îles  de  soulèvement. 

L.  de  Buch  n'avait  d'abord  présenté  son  idée  favorite 
du  soulèvement  des  montagnes  qu'avec  beaucoup  de  ré- 
serve. Mais,  à  mesure  queles  observations  s'accumulaient,  il 
devint  plus  hardi.  En  1822,  après  une  étude  nouvelle  du 
Tyrol  méridional,  il  déclara,  dans  un  écrit  publié  sous  le 
titre  de  Lettre,  que  toutes  les  masses  redressées  du  globe 
doivent  leur  position  actuelle  «  à  un  véritablement  soulè- 
vement. »  Cette  manière  de  voir  lui  expliqua  un  fait, 
resté  jusque-là  sans  interprétation  plausible,  la  présence 
de  coquilles  marines  sur  le  sommet  des  plus  hautes  mon- 
tagnes. En  montrant  que  ce  ne  sont  pas  les  mers  qui  se 
sont  soulevées  jusqu'au  sommet  des  montagnes,  puisque 


THÉORIES  GÉOLOGIQUES.  385 

ce  sont,  au  contraire,  les  montagnes  qui  se  sont  soulevées 
du  fond  des  mers,  L.  de  Buch  parvint  à  résoudre  les  plus 
grandes  difficultés  qui  esusent  jusqu'alors  occupé  l'esprit 
des  géologues. 

Alexandre  de  Humboldt  adopta  pleinement  les  idées  de 
son  ami  et  condisciple  ^  Ce  génie  universel,  qui  devait 
laisser  des  traces  de  son  passage  dans  presque  toutes  les 
branches  des  connaissances  humaines,  avait  fait  de  la 
géologie  l'étude  de  sa  première  jeunesse.  Encore  élève  de 
l'université  de  Gœttingen,  il  fit  dans  l'intervalle  des  va- 
cances, de  1787  à  1789,  des  excursions  géologiques  au 
Harz  et  aux  bords  du  Rhin,  et  il  en  publia  les  résul- 
tats sous  le  titre  de  Sur  les  basaltes  du  Rhin.  Son  goût 
pour  cette  science  lui  fit  suivre,  dès  1791,  les  cours  de 
Werner  à  la  célèbre  école  des  mines  de  Freyberg.  A  sa 
sortie  de  cette  école,  où  il  s'était  lié  avec  L.  de  Buch  et 
André  delRio,  il  fit  paraître  un  essai  de  flore  souterraine 
{Spécimen florœsubterranesefribergensis^  etc.,  Berlin,  1793, 
in-4°)  et  occupa  jusqu'en  1797  la  place  de  directeur  géné- 
ral des  mines  d'Anspach  et  Bayreuth.  Vers  la  fin  d'une 
vie  si  bien  remplie,  il  revint  à  l'étude  favorite  de  sa  pre- 
mière jeunesse,  et  résuma  admirablement  bien,  dans  le 
Cosmos^  les  idées  qui  forment  en  quelque  sorte  les  as- 
sises de  l'édifice  géologique,  Ces  idées,  également  éloi- 
gnées de  ce  que  le  neptunisme  et  le  vulcanisme  avaient 
d'exclusif,  font  une  juste  part  de  l'action  du  feu  et  de  l'ac- 
tion des  eaux  dans  l'ossature  du  globe  terrestre. 

Les  travaux  de  L.  de  Buch  stimulèrent  l'esprit  des 
géologues.  Ils  ne  furent  pas  étrangers  à  la  théorie  des 
chaînes  de  montagnes  parallèles,  à  laquelle  M.  Élie  de 
Deaumont  a   attaché  son  nom^.  Cet  illustre   savant,    qui 

1.  Alex,  de  Humboldt  (né  le  14  septembre  1769)  était  de  cinq  ans 
,  plus  âgé  que  L,   de    Buch,  qui  mourut  six  ans  avant  lui.  Alex,  de 

Humboldt  est  mort,  en  18ô9,  dans  sa  quatre-vingt-dixième  année. 

2.  M,  Élie  de  Beaumont,  né  à  Canon  (Calvados),  en  1798,  a  succède 

25 


386  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE, 

dressa,  de  concert  avec  Dufrénoy,  La  Carte  géologique  de  ta 
France,  est  parvenu  à  établir  que  des  chaînes  de  monta- 
gnes, indépendantes  les  unes  des  autres,  ont  été  soulevées 
subitement  à  de  certaines  époques  et  que  toutes  les  chaî- 
nes contemporaines,  ainsi  soulevées,  ont  conservé  leur 
parallélisme,  même  dans  les  régions  les  plus  distantes. 
Nous  ne  saurions  mieux  faire  que  de  citer  ici  l'auteur  lui- 
môme.  «  L'histoire  de  la  terre,  dit  M.  Élie  de  Beau-mont, 
présente  d'une  part  de  longues  périodes  de  repos  compa- 
ratif, pendant  lesquelles  le  dépôt  de  la  matière  sédimen- 
taire  s'est  opéré  d'une  manière  aussi  régulière  que  conci- 
nue  ;  et  de  l'autre,  des  périodes  de  très-courte  durée, 
pendant  lesquelles  ont  eu  lieu  de  violents  paroxysmes 
qui  ont  interrompu  la  continuité  de  cette  action.  Chacune 
de  ces  époques  de  paroxysme  ou  de  révolution  dans  l'état 
de  la  surface  de  la  terre  a  déterminé  la  formation  subite 
d'un  grand  nombre  de  chaînes  de  montagnes.  Toutes  ces 
chaînes  soulevées  par  la  même  révolution  ont  une  direc- 
tion uniforme,  et  sont  parallèles  les  unes  aux  autres,  à  un 
petit  nombre  de  degrés  près,  lors  même  qu'elles  se  trou- 
vent dans  des  contrées  très-éioignées  entre  elles.  Quant 
aux  chaînes,  soulevées  à  des  époques  différentes,  elles 
ont,  pour  la  plupart,  des  directions  différentes.  Chacune 
de  ces  révolutions  a  toujours  coïncidé  avec  un  autre  phé- 
nomène, savoir  le  passage  d'une  formation  sédimentaire  à 
une  autre,  caractérisée  par  une  différence  considérable  de 
ses  types  organiques.  Outre  que  ces  mouvements  violents 
de  paroxysme  ont  eu  lieu  depuis  les  époques  géologiques 
les  plus  anciennes,  ils  peuvent  encore  se  reproduire  à 
l'avenir  ;  de  sorte  que  l'état  de  repos  dans  lequel  nous 
vivons  actuellement  sera  peut-être  un  jour  interrompu  nar 

à  Arago  dans  la  place  de  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  des  scien- 
ces. On  a  de  lui  de  nombreuses  notices  dans  les  Annales  des  mines, 
dans  les  Annales  des  sciences  naturelles,  dans  les  Comptes  rendus  et 
les  Mémoires  de  V Académie.  Ses  travaux  se  trouvent  résumés  dans 
ses  Leçons  de  géologie,  3  vol.  in-8°j  Paris,  1845  et  années  suivantes. 


THÉORIES  GEOLOGIQUES.  387 

le  soulèvement  subit  d'un  nouveau  système  de  chaînes  de 
montagnes  parallèles.  On  peut  dire  qu'une  seule  révolu- 
tion a  eu  lieu  dans-  les  temps  historiques,  lorsque  les  An- 
des atteignirent  leur  hauteur  actuelle;  car  cette  chaîne,  qui 
probablement  a  été  soulevée  la  dernière,  est  la  plus  nel- 
tement  tranchée  de  toutes  celles  qu'on  observe  aujourd'hui 
à  la  surface  du  globe,  et  celle  qui  présente  les  traits  les  moins 
altérés.  Comme  l'émersion  subite  des  grandes  masses  de 
montagnes  hors  de  l'océan  doit  occasionner  une  agitation 
violente  dans  les  eaux,  ne  se  pourrait-il  pas  que  le  soulève- 
ment des  Andes  ait  donné  lieu  à  ce  déluge  temporaire  dont 
les  traditions  d'un  si  grand  nombre  de  peuples  font  men- 
tion? Enfin  les  révolutions  successives  dont  nous  venons  de 
parler  ne  peuvent  être  rapportées  à  des  forces  volcaniques 
ordinaires;  mais  il  est  probable  qu'elles  sont  dues  au  re- 
froidissement séculaire  de  l'intérieur  de  notre  planète*.  » 
La  théorie  de  M.  Élie  deBeaumont  repose  sur  le  faitgéné- 
ralque  voici.  En  examinant  avec  soin  la  plupart  des  chaînes 
de  montagnes  et  leurs  environs,  on  voit  les  couches  les 
plus  récentes  s'étendre  horizontalement  jusqu'au  pied  de 
ces  chaînes,  comme  cela  aurait  pu  avoir  lieu  si  elles  se 
fussent  déposées  dans  des  mers  ou  dans  des  lacs  dont  ces 
montagnes  auraient  en  partie  formé  les  rivages  ;  tandis 
que  les  autres  lits  sédimentaires,  redressés  et  plus  ou 
moins  contournés  sur  les  flancs  des  montagnes,  s'élèvent 
quelquefois  jusqu'aux  cimes  les  plus  hautes.  Il  existe  donc 
dans  chaque  chaîne  de  montagnes  et  dans  leur  voisinage 
immédiat  deux  classes  de  roches  sédimentaires,  les  strates 
anciennes  ou  inclinées  et  les  couches  récentes  ou  horizon- 
tales. De  là  il  est  permis  de  déduire  que  le  soulèvement 
de  la  chaîne  elle-même  a  dû  s'effectuer  entre  l'époque  à 
laquelle  se  sont  déposés  les  lits  aujourd'hui  inclinés  et 
celle  où  se  sont  formées  les  couches  horizontales  qu'on 
observe  à  ses  pieds.  Les  Pyrénées  en  offrent  un  exemple. 

1.  Annales  des  sciences  nalurelies,  année  1829. 


388  HISTOIRE  DE  LA  GEOLOGIE. 

D'autres  chaînes  sont  contemporaines  de  celles  des  Pyré- 
nées, quand  les  couches  inclinées  et  les  couches  hori- 
zontales renferment  les  mêmes  types  organiques. 

Cette  théorie  ne  manqua  pas  de  critiques.  Un  géo- 
logue anglais,  Charles  Lyell  (né  le  14  novembre  1797 
à  Kinnordyl),  auteur  d'un  ouvrage  estimé  {Principles 
of  Geology^  Londres,  1840,  3  volumes  in-8»),  et  partisan 
zélé  du  métamorphisme  (transformation  graduelle  des  ro- 
ches) afait  observer,  entre  autres,  que  le  mot  contemporain 
ne  doit  pas  s'appliquer  à  un  simple  moment,  mais  à  tout 
le  temps  qui  s'est  écoulé  entre  l'accumulation  des  strates 
inclinées  et  celle  des  couches  horizontales.  Ce  serait, 
ajoute-t-il,  une  supposition  bien  gratuite  d'admettre  que 
les  couches  inclinées  qui  s'appuient,  par  exemple,  sur  les 
flancs  des  Pyrénées,  soient  précisément  les  dernières  qui 
aient  été  déposées  durant  la  période  crétacée,  ou  que  aussi- 
tôt après  leur  redressement  toutes  ou  presque  toutes  les 
espèces  animales  et  végétales  qu'elles  renferment  aujour- 
d'hui à  l'état  fossile,  aient  été  subitement  détruites. 


Théorie  du  Ulétamorphisuie. 

En  admettant  également  l'action  du  feu  et  celle  de 
l'eau,  on  était  arrivé  à  établir,  sans  conteste,  deux  classes 
de  pierresou  de  roches  :  1°  lesroches  éruptives  (endogènes), 
sorties  de  l'intérieur  du  globe  soit  à  l'état  de  fusion,  vot- 
caniquement,  soit  à  l'état  de  ramollissement,  plutonique- 
ment.  Les  failles  béantes  qui  livraient  passage  à  ces  ro- 
ches (granité,  porphyre,  diorite,  serpentine,  mélaphyre, 
basalte),  ont  été  comblées  par  les  chaînes  de  montagnes 
poussées  au  dehors  (soulevées)  ;  elles  ont  disparu  avec 
la  période  chaotique,  ignée,  primitive,  dont  le  monde 
actuel  n'est  qu'un  faible  reflet  avec  son  petit  nombre  de 
volcans  en  activité.  2"  Les  roches  se dimenteuses  (exogènes), 


THÉORIES  GÉOLOGIQUES.  389 

dont  l'horizontalité  a  été  détruite  par  les  roches  éruptives. 
Déposées  ou  précipitées  du  sein  des  eaux,  suivant  que 
leur  matière  constituante  se  trouvait  à  l'état  de  simple 
mélange  ou  chimiquement  dissoute  dans  le  milieu  li  - 
quide,  les  roches  de  sédiment  s'appelaient  aussi,  impro- 
prement, formations  de  transition^  secondaires  et  teriiai- 
res;  elles  composent  les  couches  de  calcaire,  de  schiste 
argileux,  les  lits  de  houille  et  les  bancs  d'infusores,  puis- 
sante formation,  dont  la  découverte,  assez  récente,  est  due 
aux  travaux  d'Ehrenberg.  Les  couches  de  travertin  (cal- 
caire d'eau  douce),  qui  se  déposent  journellement  à  Rome, 
comme  à  Hohart-Town  en  Australie,  les  petits  bancs  de 
calcaire  très-dur,  que  nos  mers  produisent,  sous  des  in- 
fl'.iences  encore  peu  connues,  sur  les  côtes  de  certaines 
îles,  donnent  une  image  affaiblie  de  cette  seconde  période 
de  formation. 

Les  géologues  wernériens,  presque  exclusivement  gui- 
dés par  la  structure  apparente  des  roches,  décrivaient  ces 
deux  classes  de  i-oches  sous  le  nom  de  saxa  solida  (roches  en 
masse)  et  de  5aica/i.v5i7ia  (roches  schisteuses).  Ils  admettaient 
une  troisième  classe,  comprenant  les  conglomérats  ou  ro- 
ches agrégées  {saxa  aggregata).  Ils  se  servaient  du  mot  de 
brèche  pour  désigner  des  marbres  composés  de  fragments 
calcaires,  et  de  celui  de  pouddingue  pour  des  pierres  for- 
mées par  la  réunion  d'un  grand  nombre  de  petits  silex.  En 
même  temps  ils  rapprochaient  ces  conglomérats  des  grès, 
ce  Les  pouddingues  et  les  brèches  ne  diffèrent  des  grès,  dit 
B.  de  Saussure,  qu'en  ce  que  leurs  grains  sont  plus 
gros,  les  intervalles  de  ces  grains  par  cela  même  plus 
grands,  et  le  ciment  qui  remplit  les  intervalles,  plus 
abondant  et  plus  visible.  »  Aujourd'hui  le  mot  de  co7iglc- 
mérat  a  reçu  une  signification  plus  étendue  :  on  le  donne  à 
tous  les  débris  de  roches,  ignées  ou  aqueuses,  consolidés, 
cimentés  par  l'intermédiaire  de  l'oxyde  de  fer  ou  de  ma- 
tières argileuses  et  calcaires.  «  Lorsque,  dit  L.  de  Buch, 
des  îles  de  basalte  ou  des  monts  de  trachyte  ont  été  sou- 


390  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOCxIE. 

levés  à  travers  de  grandes  fractures,  il  est  résulté  du  frot* 
tement  des  masses  ascendantes  contre  les  parois  des 
failles,  que  le  basalte  ou  le  trachyte  se  sont  trouvés  en- 
tourés de  conglomérats  formés  aux  dépens  de  leur  propre 
matière.  Les  grains  qui  composent  les  grès  d'un  grand 
nombre  de  formations  ont  été  détachés  par  le  frottement 
des  roches  d'éruption  plutoniques  ou  volcaniques  plutôt 
que  par  la  force  d'érosion  d'une  mer  voisine.  L'existence 
de  cette  espèce  de  conglomérat,  qu'on  rencontre  en  masses 
énormes  dans  les  deux  hémisphères,  révèle  l'intensité  de 
la  force  avec  laquelle  les  roches  d'éruption  se  sont  fait 
jour  à  travers  les  couches  solides  de  l'écorce  terrestre.  Les 
eaux  se  sont  ensuite  emparées  de  ces  débris,  et  les  ont 
disséminés  par  couches  sur  le  fond  même  qu'elles  recou- 
vrent aujourd'hui  ' .  3) 

Le  même  géologue  montre  ensuite  comment  le  grès 
rouge  (le  todtliegende  des  montagnes  de  flœtz  de  la  Thu- 
ringe)  et  le  terrain  houiller  ont  dû  être  produits  par  l'é- 
ruption des  roches  porphyritiques.  Si  l'on  rapproche  ces 
considérations  de  l'explication  qu'il  a  donnée  de  la  forma- 
tion de  la  dolomie,  on  ne  saura  s'empêcher  de  reconnaître 
L.  de  Buch  pour  le  véi'itable  auteur  de  la  théorie  du  mé- 
tamorphisme, qui  rend  compte  d'une  dernière  classe 
de  roches  (roches  métamorphiques) ,  de  la  plus  haute  im- 
portance. La  théorie  du  métamorphisme  était  fondée 
du  moment  où  l'on  eut  reconnu  les  transformations  va- 
riées, mécaniques  et  chimiques,  que  les  roches  peuvent 
subir  dans  le  vaste  atelier  des  forces  souterraines.  Les 
preuves  ne  manquèrent  j^as  à  l'appui.  Ainsi,  au  fait,  si- 
gnalé par  L.  de  Buch,  de  la  formation  de  masses  dolo- 
mitiques  par  l'action  ignée  d'une  roche  éruptive  sur  les 
strates  de  calcaire  compacte  dans  le  Tyrol  méridional  et 
le  versant  italien  de  la  chaîne  des  Alpes  ^,  il  faut  ajouter  le 

1.  L.  de  Buch,  Lettres  géognostiques,  p.  75  et  suiv. 

2.  Le  calcaire,  en  se  modifiant,  présente  d'abord  des  crevasses,  tapis- 


PALÉONTOLOGIE  MODERNE.  391 

résultat  des  observations  faites  par  Alex,  de  Humboldt  et 
par  Gustave  Rose  dans  l'Oural  et  l'Altaï.  Ces  savants  y  ont 
vu  le  schiste  argileux  transformé,  par  l'action  plutonique 
dii  granité  en  une  masse  granitoïde,  composée  de  feldspath 
et  de  grandes  parcelles  de  mica.  Dans  les  Alpes,  au  mont 
Saint-Gothard  la  marne  calcaire  a  été  changée,  par  l'érup- 
tion du  granité,  successivement  en  micaschiste  et  en  gneiss.  ' 
La  production  du  gneiss  et  du  micaschiste,  sous  l'influence 
de  contact  du  granit,  s'observe  dans  beaucoup  d'autres 
localités,  tels  que  le  Fichtelgebirge  et  le  groupe  oolithique 
de  la  Tarentaise,  où  l'on  a  trouvé  des  bélemnites  dans  des 
roches  calcaires,  altérées  au  point  qu'on  pouvait  les  pren- 
dre pour  du  micaschiste.  On  cite  encore  l'ardoise  d'un 
noir  bleuâtre  et  brillant,  comme  un  produit  de  transfor- 
mation du  schiste  argileux  par  le  voisinage  de  roches 
plutoniques  ;  le  jaspe,  comme  étant  produit  par  l'action 
volcanique  du  porphyre  augitique.  Le  marbre  granulaire, 
notamment  le  marbre  de  Carrare  est  aussi  un  produit  de 
transformation,  par  des  actions  plutoniques,  du  grès  cal- 
caire (maagno)  qui  se  montre,  dans  les  Alpes  Apennines, 
entre  le  micaschiste  et  le  schiste  talqueux*. 

sées  (Je  cristaux  rhomboïdes  de  magnésie,  et  finit  par  n'être  v^u'un 
amas  de  cristaux  granulaires  de  calcaire  saccharoïde  (dolotnie),  où 
l'on  ne  trouve  plus  de  trace  de  la  stratification  originaire,  ni  aucun 
des  fossiles  qui  y  étaient  primitivement  contenus.  Des  feuilles  de  talc 
et  des  masses  de  serpentine  (provenant  de  la  roche  éruptive)  sont  dissé- 
minées çà  et  là  dans  le  calcaire  transformé  et  devenu  ainsi  une  ro- 
che nouvelle.  S'élevant  verticalement  en  murailles  polies,  d'une 
éblouissante  blancheur,  jusqu'à  plusieurs  milliers  de  pieds  de  hauteur, 
la  dolomie  forme  un  paysage  de  montagnes  fantastique  dans  le  Fas- 
sathal. 

1 .  Voy.,  sur  le  métamorphisme,  Alex,  de  Humboldt,  Cosmos,  t.  I, 
p.  29^  et  suiv.  (de  l'édition  française). 


392  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE, 


Paîéontologie  moilePHC. 

La  théorie  des  formations  solides  de  l'écorce  terrestre 
s'est  dégagée  de  ses  enti-aves  originelles  par  l'étude  des 
restes  organiques,  végétaux  et  animaux,  appliquée  à  la 
détermination  de  l'âge  relatif  des  terrains  ou  des  roches. 
Ces  restes,  depuis  longtemps  signalés,  comme  nous  l'avons 
montré  plus  haut,  n'ont  reçu  leur  véritable  signification  que 
depuis  les  travaux  paléontologiques  de  Guvier  et  de  Bron- 
gniart,  suivis  de  ceux  de  Lyell,  de  Buckland,  de  Murchi- 
son,  d'Agassiz,  de  Lindley,  de  Constant  Prévost,  d'Alcide 
d'Orbigny,  d'Archiac,  etc.  ;  ils  sont  devenus  les  points  de 
répère  de  la  chronologie  du  globe  terrestre,  déjà  pres- 
sentie par  le  génie  de  Hooke.  Avant  ces  travaux,  on  pré- 
tendait reconnaître  les  espèces  vivantes  parmi  les  organi- 
sations éteintes,  comme  au  seizième  siècle  on  confondait, 
sur  de  faussos  analogies,  les  animaux  de  l'Amérique, 
récemment  découverte,  avec  ceux  de  l'Ancien  Monde. 

Pierre  Camper,  Sœmmering  etBlumenbach  avaient  déjà 
essayé  d'appliquer  les  ressources  de  l'anatomie  comparée 
à  l'étude  des  ossements  des  grands  animaux  fossiles  ver- 
tébrés, lorsque  Georges  Cuvier  fit  paraître,  en  1812,  ses 
Recherches  sur  les  ossements  fossiles,  précédées,  en  guise  d'in- 
troduction, du  Discours  sur  les  révolutions  du  globe.  Ses 
premiers  travaux  paléontologiques  remontent  à  1796.  A 
cette  époque  il  avait  présenté  à  l'Institut  un  mémoire  où 
il  cherchait  à  établir  que  l'éléphant  fossile,  dont  les  débris 
se  rencontrent  en  un  si  grand  nombre  de  localités,  diffère 
spécifiquement  de  l'éléphant  d'Afrique,  ainsi  que  de  celui 
des  Indes.  Il  avoue  lui-même  que  ce  fait  lui  ouvrit  des 
vues  toutes  nouvelles  sur  la  théorie  de  la  terre.  «  Lorsque 
la  vue  de  quelques  ossements  d'ours  et  d'éléphants  m'ins- 
pira,  dit-il,   l'idée  d'appliquer   les    règles  générales  de 


PALÉONTOLOGIE  MODERNE.  393 

l'anatomie  à  la  reconstruction  et  à  la  détermination  des 
ossements  fossiles,  lorsque  je  commençais  à  m'apercevoir 
que  ces  espèces  n'étaient  point  représentées  par  celles  de 
nos  jours,  je  ne  me  doutais  guère  que  je  marchasse  sur 
un  sol  rempli  de  dépouilles  plus  extraordinaires  encore 
que  celles  que  j'avais  vues  jusque-là,  ni  que  je  fusse  des- 
tiné à  reproduire  à  la  lumière  des  genres  entiers,  inconnus 
au  monde  actuel  et  ensevelis  depuis  des  temps  incalcu- 
lables à  de  grandes  profondeurs.  » 

Un  jour  de  l'année  1798,  un  particulier,  nommé 
Vuarin,  apporta  à  Cuvier  quelques  ossements  qu'il  avait 
recueillis  dans  les  plâtrières  de  Montmartre.  Guvier 
reconnut  au  premier  coup  d'œil  que  ces  ossements 
provenaient  d'animaux  entièrement  inconnus.  Il  se  met 
aussitôt  en  rapport  avec  les  ouvriers  employés  à  l'ex- 
ploitation de  ces  plâtrières,  les  encourageant  par  des 
récompenses  quand  ils  lui  apportaient  des  fragments 
bien  conservés,  et  bientôt  il  posséda  une  collection  d'os- 
sements fossiles  assez  riche  pour  pouvoir  entreprendre 
sérieusement  ses  recherches.  Voici  comment  l'auteur 
raconte  lui-même  ses  débuts  dans  cette  voie  de  décou- 
vertes inattendues  :  «  Dès  les  premiers  moments  je  m'a- 
perçus, dit-il,  qu'il  y  avait  plusieurs  espèces  dans  nos 
plâtres  ;  bientôt  après  je  vis  qu'elles  appartenaient  à  plu- 
sieurs genres,  et  que  ces  espèces,  de  genres  différents, 
étaient  souvent  de  même  grandeur  entre  elles,  en  sorte 
que  la  grandeur  pouvait  plutôt  m 'égarer  que  m 'aider. 
J'étais  dans  le  cas  d'un  homme  à  qui  l'on  aurait  donné 
pêle-mêle  des  débris  mutilés  et  incomplets  de  quelques 
centaines  de  squelettes  appartenant  à  vingt  sortes  d'ani- 
maux. Il  fallait  que  chaque  os  allât  retrouver  celui  auquel 
il  devait  tenir  :  c'était  presque  une  résurrection  en  petit, 
et  je  n'avais  pas  à  ma  disposition  la  trompette  toute-puis- 
sante :  mais  les  lois  immuables  prescrites  aux  êtres  vi- 
vants y  suppléèrent,  et,  à  la  voix  de  l'anatomie  comparée, 
.  chaque  os,  chaque  portion  d'os  reprit  sa  place.  Je   n'ai 


394  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE 

point  d'expression  pour  peindre  le  plaisir  que  j'éprouvai 
en  voyant,  à  mesure  que  je  découvrais  un  caractère,  toutes 
les  conséquences  plus  ou  moins  prévues  de  ce  caractère 
se  développer  successivement  :  les  pieds  se  trouver 
conformes  à  ce  qu'avaient  annoncé  les  dents,  les  dents  à 
ce  qu'annonçaient  les  pieds;  les  os  des  jambes,  des  cuisses, 
tous  ceux  qui  devaient  réunir  les  parties  extrêmes,  se 
trouver  conformés  comme  on  pouvait  le  jnger  d'avance, 
en  un  mot,  chacune  de  ses  espèces  renaître,  pour  ains 
dire,  d'un  seul  de  ces  éléments.  Ceux  qui  auront  la  pa- 
tience de  me  suivre  pourront  prendre  une  idée  des 
sensations  que  j'ai  éprouvées  en  restaurant  ainsi  par  degrés 
ces  antiques  monuments  d'épouvantables  révolutions.  » 

Voilà  comment  cet  homme  de  génie  parvint  à  reconstituer, 
à  ressusciter,  suivant  son  expression,  les  animau::  à  l'aide 
de  leurs  débris.  Les  difficultés  qu'il  avait  rencontrées  dans 
sa  comparaison  des  éléphants  fossiles  avec  les  éléphants 
du  monde  actuel  étaient  peu  de  chose  à  côté  de  celles  qu'il 
rencontra  dans  la  détermination  des  espèces  des  plâtrières 
de  Montmartre.  Ces  espèces  n'appartenant  pas,  pour  la 
plupart,  à  la  faune  actuelle,  il  en  résultait  que  la  vie  n'a 
pa»  toujours  revêtu  les  formes  que  nous  lui  voyons 
aujourd'hui,  et  que  de  nombreuses  générations  d'êtres  ont 
disparu  par  suite  des  révolutions  de  notre  planète.  Les 
idées  fantasticpes  d'autrefois  se  dissipèrent  pour  faire  place 
aux  conquêtes  de  la  science.  Scheuchzer  avait  décrit  un 
squelette  comme  étant  de  la  race  d'homme  maudite,  an- 
térieure au  déluge.  Guvier  démontra,  en  observant  la 
pierre  qui  contenait  ce  débris,  et  qui  était  conservée  au 
musée  de  Harlem,  que  le  prétendu  témoin  du  déluge, 
homo  diluvii  testis^  n'était  qu'une  grosse  salamandre. 

Après  avoir  reconstitué  les  ossements  fossiles  de  Mont- 
martre, Guvier  voulut  chercher  dans  l'étude  géologique 
du  bassin  de  Paris  la  solution  des  questions  qui  se  pres- 
saient dans  son  esprit.  Mais  comme  il  était  jusqu'alors 
resté  à  peu  près  étranger  à  la  géologie,  il  s'adjoignit  pour 


PALÉONTOLOGIE  MODERNE.  395 

collaborateur  Alexandre  Brongniart^.  Pendant  quatre  ans 
les  deux  savants  explorèrent  de  concert  tous  les  environs 
(le  Paris,  et  publièrent  les  résultats  de  leurs  excursions, 
en  1810,  d'abord  sous  le  titre  d'Essai  sur  la  géographie 
minéralogiqve  du  bassin  de  Paris,  et  plus  tard,  avec  des 
augmentations,  sous  le  titre  de  Description  géologique  des 
environs  de  Paris  (1835,  3*  édit.,  in-8°,  avec  atlas).  Dans 
cet  ouvrage,  on  trouve  pour  la  première  fois  la  distinction 
essentielle  entre  le  terrain  marin  et  le  terrain  d'eau  douce. 
Cette  distinction,  acquise  depuis  à  la  science,  est  fondée 
sur  ce  que  le  terrain  d'eau  douce  est  composé  de  deux 
bancs  d'argile,  dont  l'un,  inférieur,  formé  d'argile  plas- 
tique, infusible,  servant  à  faire  de  la  faïence  et  de  la  po- 
terie fine,  ne  renferme  aucun  débris  organique,  tandis  que 
le  banc  supérieur,  formé  de  ce  que  les  ouvriers  appel- 
lent fausse  glaise,  séparé  du  banc  inférieur  par  un  lit  de 
sable,  est  souvent  très-riche  en  débris  de  corps  organisés, 
dont  l'origine  n'est  point  marine,  mais  qui  ont  dû  vivre, 
comme  leurs  congénères  actuels,  ou  dans  les  eaux  douces 
ou  à  la  surface  du  sol.  «  C'est,  ajoutent  les  auteurs,  aux 
limites  supérieures  de  la  formation  d'argile  et  de  lignite 
que  se  montre  le  plus  ordinairement  le  mélange  et  même 
l'alternance  des  animaux  marins,  et  des  animaux  et  végé- 
taux terrestres  ou  d  eau  douce.  Mais  à  mesure  qu'on  s'élève 
dans  ce  mélange,  les  corps  organisés  d'origine  lacustre  et 
terrestre  diminuent,  tandis  que  les  corps  marins  devien- 
nent tellement  dominants  qu'ils  se  montrent  bientôt  seuls, 
ce  qui  pi^ouve  encore  que  l'origine  principale  du  terrain 
d'argile  et  de  lignite  n'est  point   sous-marin,  et  ce  qui 

1.  Alexandre  Brongniart  (né  à  Paris  en  1770,  mort  en  1847)  était 
d'une  année  plus  jeune  que  Cuvier,  et  mourut  quinze  ans  après  son 
collaborateur.  Il  fut  depuis  1801  directeur  de  la  manufacture  de 
Sèvres,  professa  la  minéralogie  au  Jardin  des  Plantes,  et  fit  paraître, 
outre  sa  collaboration  à  la  Description  géologique  des  environs  de 
Paris  (Paris,  18'22),  un  Trmté  des  arts  céramiques  {Ihid.,  1845),  fruit 
de  quarante  ans  de  travaux  et  d'études. 


396  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE. 

jus  Lille  le  nom  que  nous  lui  avons  douiié  de  premier  ter- 
rain d'eau  douce.  »  Ils  avaient  appelé  dernier  terrain 
d'eau  douce  un  mélange  de  marne  et  de  silice  qui  ne  con- 
tient que  des  coquilles  d'eau  douce  en  abondance,  et  qui 
remplit  les  vides  laissés,  d'une  part  entre  le  calcaire 
siliceux  et  le  calcaire  grossier,  coquillier,  et  de  l'autre 
entre  le  gypse  et  la  marne.  Quant  à  la  masse  calcaire, 
riche  en  fossiles  marins,  il  faudrait  la  considérer  comme 
s'étant  déposée  dané  un  vaste  espace  creux,  dans  une  sorte 
de  golfe  dont  les  côtes  étaient  de  craie  ;  ce  serait  là  le 
fond  du  bassin  de  Paris. 

Suivant  Laurillard,  c'est  Guvier  (et  non  pas  Bron- 
gniart,  comme  on  l'a  dit)  qui  eut  le  premier  l'idée  de  la 
distinction  des  terrains  marins  et  des  terrains  d'eau  douce, 
et  cette  idée  lui  vint  subitement,  dans  un  endroit  de  la 
forêt  de  Fontainebleau  que  l'on  appelle  le  Mont-Pier- 
reux*. 

Après  avoir  étudié  les  espèces  fossiles,  non  plus  en 
elle-mêmes,  mais  dans  leurs  rapports  avec  les  terrains 
qui  recèlent  leurs  débris,  et  après  s'être  assuré  que  dans 
chaque  localité  plusieurs  générations  d'êtres  vivants  se 
sont  remplacées  les  unes  les  autres,  Guvier  arriva  à  la 
démonstration  positive  de  cette  succession  d'époques  géo- 
logiques que  Buffon  avait  entrevues.  Mais  parmi  ces 
innombrables  fossiles,  on  n'avait  jamais  trouvé  d'osse- 
ments humains. 

C'est  en  vain  qu'aidé  des  ressources  d'une  vaste  érudi- 
tion, il  chercha  dans  la  mythologie,  dans  l'histoire,  dans 
l'archéologie,  dans  l'astronomie,  des  documents  certains 
sur  l'antiquité  de  notre  espèce  ;  partout  il  rencontra  la 
même  réponse  :  c'est  que  notre  espèce  appartient  à  une 
époque  relativement  récente  et  ne  remonte  pas  au  delà  de 
six  mille  ans.  Ce  fait  paraissait  être  confirmé  par  l'histoire 

1.  Laurillard  était  depuis  1804  secrétaire  de  Cuvier,  et  l'accompa- 
gnait dans  fes  excnmons. 


PALÉONTOLOGIE  MODERNE.  397 

de  la  terre.  «  Tout  porte  à  croire,  dit  Guvier,  que  l'espèce 
humaine  n'existait  point,  dans  les  pays  où  se  découvrent 
les  os  fossiles,  à  l'époque  des  révolutions  qui  ont  enfoui 
ces  os....  Mais  je  n'en  veux  pas  conclure  que  l'homme 
n'existait  point  du  tout  avant  cette  époque  :  il  pouvait 
habiter  quelques  contrées  peu  étendues,  d'où  il  a  repeu- 
plé la  terre  après  ces  événements  terribles  ;  peut-être 
aussi  les  lieux  où  il  se  tenait  ont-ils  été  entièrement  abî- 
més et  les  os  ensevelis  au  fond  des  mers  actuelles,  à 
l'exception  du  petit  nombre  d'individus  qui  ont  conservé 
son  espèce.  Je  pense  donc  que  s'il  y  a  quelque  chose  de 
constaté  en  géologie,  c'est  que  la  surface  de  notre  globe 
a  été  victime  d'une  grande  et  subite  révolution,  dont  la 
date  ne  peut  remonter  au  delà  de  cinq  ou  six  mille  ans; 
que  cette  révolution  a  enfoui  et  fait  disparaître  les  hommes 
et  les  espèces  des  animaux  aujourd'hui  les  plus  connus  ; 
qu'elle  a,  au  contraire,  mis  à  sec  le  fond  de  la  dernière 
mer,  et  en  a  formé  les  pays  aujourd'hui  habités  ;  que  c'est 
depuis  cette  révolution  que  le  petit  nombre  des  individus 
épargnés  par  elle  se  sont  répandus  et  propagés  sur  les 
terrains  nouvellement  mis  à  sec,  et  que  par  conséquent 
c'est  depuis  cette  époque  seulement  que  nos  sociétés  ont 
repris  une  marche  progressive,  et  qu'elles  ont  formé  des 
établissements,  recueilli  des  faits  naturels  et  combiné 
des  systèmes.  Où  donc  était  alors  le  genre  humain?  Ce 
dernier  et  ce  plus  parfait  ouvrage  du  Créateur  existait-il 
quelque  part?  Les  animaux  qui  l'accompagnent  mainte- 
nant, dont  il  n'y  a  point  de  traces  parmi  les  fossiles, 
r entouraient-ils?  Les  pays  où  il  vivait  avec  eux  ont-ils 
été  engloutis?...  C'est  ce  que  l'étude  des  fossiles  ne  nous 
dit  pas.  » 

On  voit  par  cette  citation  que  Guvier  n'était  pas  aussi 
absolu  dans  ses  affirmations  qu'on  l'a  prétendu.  Il  y  avait 
encore  de  la  place  pour  des  recherches  ultérieures,  et 
M.  Boucher  de  Perthes  a  très-bien  pu,  de  nos  jours,  sou- 
tenir la  thèse  de  la  contemporanéité  de  l'homme  avec  des 


398  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE 

espèces  éteintes,  et  reculer  ainsi  l'âge  de  notre  espèce  bien 
au  delà  des  limites  indiquées. 

Depuis  les  travaux  de  Guvier,  la  paléontologie,  mar- 
chant d'accord  avec  la  géologie,  s'est  enrichie  d'une  multi- 
tude de  faits  nouveaux  dont  nous  ne  pouvons  signaler  ici 
que  les  jîrincipaux.  Dans  ce  rapide  aperçu  historique, 
nous  laisserons  de  côté  la  branche  purement  morpholo- 
gique de  la  paléontologie,  qui  ne  cherche,  dans  l'étude 
des  fossiles,  qu'à  combler  les  lacunes  qui  se  présentent 
dans  les  séries  d'êtres  actuellement  vivants;  nous  nous 
attacherons  exclusivement  à  sa  branche  géologique,  qui 
considère  les  fossiles  en  rapport  avec  la  formation  sédi- 
mentaire  du  globe,  où  se  sont  passés  ces  cataclysmes  et  ces 
soulèvements  qui  ont  eu  pour  suite  la  destruction  des 
espèces  anciennes,  végétales  ou  animales,  et  l'apparition 
d'autres  espèces,  improprement  nommées  créations  nou- 
velles. 

L'ensemble  de  la  formation  sédimentaire,  théâ- 
tre de  la  paléontologie,  comprend,  en  allant  de  bas  en 
haut,  comme  autant  d'époques  géologiques  subdivisées 
en  périodes  :  1°  le  terrain  de  transition^  reposant  sur  les 
roches  dites  azoïques,  parce  qu'on  n'y  rencontre  aucune 
trace  de  corps  organique;  il  a  été  divisé  par  les  géologues 
allemands  en  grauwackes  inférieure  et  supérieure,  et  par 
Murchison*  en  systèmes  silurien  [éiaige  ampélitique de  Gov- 


1.  Roderic  Murchison,  né  en  1792,  à  Taradale,  en  Ecosse,  se  fit 
particulièrement  connaître  par  son  exploration  géologique  du  nord  du 
pays  de  Galles.  Il  établit,  dès  1831,  que  cette  masse  caractéristique  de 
couches  sédimentaires,  déchirées  çà  et  là  par  des  roches  d'origine 
ignée,  formait  un  système  unique,  auquel  il  donna  le  nom  de  silurien, 
parce  que  les  roches  qui  en  déterminent  le  type  se  trouvent  dans  la 
contrée  occupée,  du  temps  des  Romains,  par  la  peuplade  des  Silures 
{Philosuphical  Magazine,  1832).  Fias  iaiVà,  il  établit,  de  concertavec 
Sedgwick,  que  les  roches  stratifiées  des  contrées  de  Devon  et  de  Cor- 
nouailles  devaient  être  assimilées  au  vieux  grès  rouge  d'Ecosse  {old 
red  sandstone),  et  il  leur  imposa  le  nom  de  système  devomen.  Mais  ce 
système  ne  se  voit  pas  seulement  en  Angleterre,  on  le  rencontre  aussi 


PALÉONTOLOGIE  MODERNE.  399 

dier)  et  devonien  (étage  des  grès  pourprés  de  Gordier), 
division  aujourd'hui  généralement  adoptée  ;  2°  le  terrain 
carbonifère,  comprenant  l'étage  du  calcaire  de  montagne 
(calcaire  carbonifère) ,  l'étage houiller,  l'étage  des  psépliites 
(le  tocltliegende  ou  nouveau  grès  rouge  inférieur  des  Alle- 
mands, partie  du  terrain  pénéen  ou  pernilen  de  Murchison 
et  de  la  période  salino-magnénenne  de  Gordier),  l'étage  du 
calcaire  magnésien  [zechstein  des  Allemands,  calcaire  pé- 
néen de  Brongniart)  ;  3°  Le  terrain  de  trias  *,  ainsi  nommé 
parce  qu'il  comprend  trois  dépôts  minéralogiquement 
très-distincts  :  les  grès  bigarrés  {nouveau  grès  rouge  des 
Anglais,  formation  pœcilienne  de  M.  Huot),  le  calcaire 
cocfuillier  [muschelkalk  des  Allemands),  et  la  marne  irisée 
[keuper  des  Allemands,  red  marie  des  Anglais)  ;  4"  le  ter- 
rain jurassique,  composé  des  étages  du  lias^  et  de  Voo- 
lithe;  5°  le  terrain  crétacé  ou  le  grès  massif,  comprenant 
l'étage  néocomien  ou  groupe  wealdien^  (terrain  apticn 
d'Alc.  d'Orbigny),  l'étage  glauconieux  (grès  vert,  terrain 
albienou  turonien  d'Alc.  d'Orbigny),  la  craie  proprement 
dite;  ^°  le  terrain  paléothérien,  ainsi  nommé  à  cause  de  ses 
nombreux  débris  de  paléothérium,  comprend  cette  longue 
série  de  formations  de  calcaire  grossier,  de  marnes,  de 
sables  (grès  quarzeux),  de  gypse,  de  molasses,  de  faluns 
(dépôts  coquilliers),  qui  commence  au-dessus  de  la  craie 


en  Belgique,  sur  les  bords  du  Rhin,  en  Bretagne,  et  dans  d'autres 
contrées  de  l'Europe. 

1.  Alex,  de  Humboldt  appelle  trias  inférieur  le  terrain  houiller,  et 
trias  supérieur  le  terrain  de  trias  proprement  dit. 

2.  Le  mot  anglais  lias,  insignihant  par  lui-même,  a  été  appliqué  a 
la  bas«  du  terrain  jurassique,  composé  principalement  de  ce  grès  jau- 
nâtre (grès  du  lias)  qui  comprend  la  plus  grande  partie  du  quader 
sandstein  (pierre  à  Ijâtir  des  Allemands). 

3.  Le  nom  de  weald  désigne  diverses  parties  des  contrées  de  Kent, 
ae  Surrey  et  de  Sussex,  où  ce  groupe  ,  principalement  composé  de  sa 
Me  et  de  grès  ferrugineux,  a  été  particulièrement  observé.  Le  dépôt 
correspondant,  observé  en  France,  en  Suisse,  etc.,  a  reçu  le  nom  de 
néocomien. 


400  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE. 

blanche  et  se  termine  aux  alluvions.  Ce  terrain,  qui  a  été 
plus  particulièrement  exploré  par  les  paléontologistes,  a 
été  divisé  par  Lyell  en  périodes  éocène  (terrain  tertiaire 
inférieur,  étage  parisien  inférieur),  miocène  (étage  des 
molasses  et  des  faluns,  terrain  tertiaire  moyen),  et  jjlio- 
cène^  (étage  du  crag,  terrain  tertiaire  supérieur,  terrain 
quaternaire  de  quelques  géologues).  Enfin,  après  la  for- 
mation sédimentaire,  dont  nous  venons  d'énumérer  les 
principaux  étages,  terrains,  périodes  ou  systèmes,  vien- 
nent les  TERRAINS  DE  TRANSPORT  OU  DALLUVION,  qui  ont 

été  divisés  en  allumons  anciennes  {diluvium  de  quelques 
géologues,  nouveau  pliocène  de  Lyell,  terrain  clysmitn 
ou  des  blocs  slraliques^  terrain  de  transport  ancien)  et  en 
alluvions  modernes  {terrains  post-diluviens^  période  jo- 
vieune  de  Brongniart,  terrain  récent)^  comprenant,  entre 
autres,  les  stalactites,  stalagmites,  les  tufs,  les  travertins 
et  autres  concrétions  calcaires. 

En  jetant  un  coup  d'oeil  sur  toutes  ces  couches  fossi- 
lifères, de  plusieurs  milliers  de  mètres  de  profondeur,  on 
a  remarqué  çà  et  là  des  êtres  organisés,  conservés  intacts 
jusque  dans  les  moindres  détails  de  leur  tissu,  témoin 
cette  sépia,  découverte  par  Miss  Mary  Anning  dans  l'oo- 
lithe  inférieure  du  terrain  jurassique,  d'où  on  a  pu  retirer 
encore  la  matière  noire  dont  cet  animal  se  servait,  il  y  a 
des  milliers  d'années,  pour  échapper  à  ses  ennemis. 
Ailleurs  on  ne  retrouve  que  des  vestiges  incomplets, 
l'empreinte  d'une  coquille,  les  traces  qu'un  animal  a  lais- 
sées en  courant  sur  une  argile  molle,  ou  des  résidus  de 

1.  Par  les  mots  pliocène  (du  grec  tïXeTov,  plus)  et  miocène  (du  grec 
(jiEïov,  moins).  Lyell  a  voulu  exprimer  le  plus  ou  le  moins  d'analogie 
que  les  mollusques  fossiles  de  ces  groupes  ou  étages  présentent  avec 
les  mollusques  actuellement  vivants.  Quant  au  groupe  tertiaire  qui 
repose  immédiatement  au-dessus  de  la  craie,  groupe  que  Lyell  appelle 
la  période  éocène  (du  grec  rjwc,  aurore),  il  ne  mérite  pas  ce  nom,  «car, 
comme  le  dit  Ehrenberg,  Vaurore  du  monde  où  nous  vivons  s'étend 
bien  plus  en  avant  dans  les  âges  antérieurs  qu'on  ne  l'a  cru  jusqu'à 
présent.  »  (Ehrenberg,  Mém.  de  l'Académie  de  Berlin.  1839,  p.  164) 


PALÉONTOLOGIE  MODERNE.  kO\ 

%  digestion,  désignés  sous  le  nom  de  coprolithes .  Buck- 
md  compare  ces  excréments  pétrifiés  à  des  pommes  de 
!rre  répandues  en  abondance  sur  le  soP.  Les  corps  or- 
anisés  contenus  dans  les  couches  sédimentaires  les  plus 
nciennes  sont  non-seulement  de  formes  très-diverses, 
lais  souvent  dans  un  tel  état  de  déformation  qu'il  est 
ifficile  d'en  apprécier  exactement  les  caractères.  Tels 
3nt,  parmi  les  organisations  végétales,  quelques  équi- 
îtacées  (prêles  d'eau),  lycopodiacées  et  fougères  arho- 
3scentes^,  et,  parmi  les  organisations  animales,  une  as- 
jciation  singulière  de  polypiers  pierreux,  de  crustacés 
rilobites  aux  yeux  réticulaires),  de  brachiopodes  (spiri- 
u-es),  de  céphalopodes  (orthocères,  nautiles),  d'encri- 
ites,  de  térébratules,  etc.  Tel  fut  le  point  de  départ  des 
lanifestationa  apparentes  de  la  vie  sur  notre  planète. 
Parmi  les  animaux  vertébrés,  les  poissons,  d'une  forme 
:range,  ont  les  premiers  apparu.  Les  céphalaspides  aux 
)urds  boucliers,  dont  certains  fragments  du  genre  pté- 
chthys  ont  été  longtemps  pris  pour  des  trilobites,  ca- 
ictérisent  exclusivement  le  terrain  devonien  (vieux  grès 
)uge)  ^  En  allant  de  là  de  bas  en  haut,  on  rencontre 
iccessivement  les  reptiles  et  les  mammifères.  C'est  dans 
:  calcaire  magnésien  (zechstein)  qu'on  a  découvert  le 
remier  reptile  {protosaurus  de  Mayer,  espèce  de  mo- 
itor,  selon  Guvier),  qui  avait  déjà  attiré  l'attention  de 
eibniz.  Le  paléosaurus  et  le  thecodontosaurus  de  Bris- 
)1  sont,  suivant  Murchison,  des  reptiles  de  la  même 
îoque.  Leur  nombre  va  en  augmentant  dans  le  calcaire 


LBuckland,  Geology  considered  with  référence  the  to  natural  theo- 
gy,  vcl.  I,  p.  188  et  suiv. 

2.  Adilfihe  Brongniart,  né  à  Paris  en  1801,  fils  d'Alexandre  Bron- 
liart,  a  beaucoup  contribué  à  la  connaissance  de  la  flore  fossile  par 
n  Histoire  des  végétaux  fossiles,  ou  Recherches  botaniques  et  géologi- 
tes,  etc.,  Paris,  1828  et  suiv.  2  vol.  in-4°. 

:i.  Agassiz,  Monographie  des  poissons  fossiles  du  vieux  grès 
uije. 


I 


26 


402  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE. 

r,oq;uillier,  dans  la  marne  irisée  (keuper)  et  dans  le  ter- 
rain jurassique,  où  il  atteint  son  maximum.  A  l'époque 
représentée  par  ce  terrain,  vivaient  le  plésiosaure  au  long 
cou  de  cygne,  formé  de  trente  vertèbres,  le  mégalo- 
saure,  gigantesque  crocodilien  de  quinze  mètres  de  lon- 
gueur, garnis  de  pieds  semblables  à  ceux  d'un  lourd 
mammifère  terrestre  ;  huit  espèces  d'ichthyosaures,  énor- 
mes poissons-lézards,  le  géosaure  [lacerta  gigantea  de 
Sœmmering)  et  sept  espèces  de  ptérodactyles,  garnis 
d'ailes  membraneuses  poilues,  hideux  reptiles  volants, 
pareils  aux  dragons  légendaires  ^  Dans  la  craie,  où  se 
trouve  le  colossal  iguanodon,  probablement  herbivore, 
le  nombre  des  reptiles  crocodiliens  va  en  diminuant. 
Quant  aux  crocodiliens  dont  les  espèces  existent  encore 
aujourd'hui,  on  en  trouve,  selon  Guvier,  jusque  dans  le 
terrain  tertiaire,  et  Vhonio  diluvii  testis  de  Scheuchzer,  la 
grande  salamandre,  voisine  de  Taxolotl  des  lacs  du 
Mexique,  appartient,  suivant  Al.  de  Humboldt,  aux  plus 
récents  dépôts  d'eau  dou3e  d'Œningen.  C'est  dans  le  ter- 
rain jurassique  qu'on  a  découvert  les  premiers  mammi- 
fères (le  thylacotherium  Prevostii  et  le  th.  Bachlandi),  voi- 
sins de  la  famille  des  marsupiaux;  et  c'est  dans  le  plus 
ancien  dépôt  du  terrain  crétacé  qu'on  a  trouvé  le  pre- 
mier oiseau  fossile.  Le  nombre  des  ornitholithes  (oiseaux 
fossiles)  augmente  dans  le  gypse  de  la  formation  ter- 
tiaire ^ 

Telles  sont,  dans  l'état  actuel  de  la  science,  les  limites 
géologiques  inférieures  des  poissons,  des  reptiles,  de-, 
oiseaux  et  des  mammifères,  représentant  les  quatre  clas- 
ses de  la  grande  division  des  animaux  à  vertèbres. 

Quant  aux  animaux  sans  vertèbres,  il  a  été  difficile 
d'établir  une  relation  bien  certaine  entre  la  succession  de 


1.  H.  de  Mayer,  Palxologica,  p.  228  et  suiv. 

2.  Valenciennea,   Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences,  an- 
née 1838,  p.  580. 


PALÉONTOLOGIE  MODERNE.  403 

leurs  espèces  et  l'âge  des  terrains  où  on  les  trouve.  Ainsi, 
des  céphalopodes  et  des  crus'acés  d'une  organisation 
relativement  très-élevée  se  rencontrent  dans  les  plus 
anciens  terrains  sédimentaires,  en  compagnie  avec  des 
coraux  pierreux  et  des  serpulites,  placés  sur  les  limites 
du  règne  végétal  et  du  règne  animal.  Cependant  on  a  vu 
des  coquilles  fossiles,  comme  des  goniatites,  des  trilo- 
bites,  des  nummulites,  groupés  de  manière  à  former  des 
montagnes  entières.  Certaines  familles  se  trouvent  régu- 
lièrement associées  à  des  strates  superposés  d'un  même 
terrain.  Ainsi,  parmi  les  ammonites,  classées  par  L.  de 
Buch  en  familles  bien  définies  par  la  disposition  de  leurs 
lobes,  les  cératites  appartiennent  au  calcaire  cocfuillier, 
les  ariètes  au  lias,  les  goniatites  à  la  grauwacke.  Les 
bélemnites  ont  leur  limite  inférieure  dans  le  keuper,  si- 
tué au-dessous  du  calcaire  jurrassique,  et  leur  limite 
supérieure  dans  la  craie.  On  a  constaté  encore  que  les 
eaux  des  régions  les  plus  distantes  ont  été  habitées  aux 
mêmes  époques  par  des  testacés  identiques.  C'est  ainsi 
que  L.  de  Buch  et  Alcide  d'Orbigny  ont  signalé,  le  pre- 
mier ,  des  exogyres  et  des  trigonies  dans  l'hémisphère 
austral  (volcan  Maypo,  au  Chili),  le  second,  des  ammoni- 
tes et  des  gryphées  dans  l'Himalaya  et  dans  les  plaines  de 
Cutch  (Inde),  exactement  identiques  avec  les  espèces  de 
Vhorizon  ou  mer  géologique,  représentée  par  la  formation 
jurassique. 

Les  limites  supérieures  des  vertébrés  et  des  inverté- 
brés sont  d'autant  plus  difficiles  à  déterminer,  que  les 
espèces  éteintes  se  confondent,  souvent  à  d'assez  grandes 
profondeurs,  avec  des  espèces  encore  vivantes.  Par  exem- 
ple, les  couches  de  craie,  où  gisent  des  reptiles  gigan- 
tesques, tout  un  monde  détruit  de  coraux  et  de  coquilles, 
et  deux  espèces  de  poissons  sauroïdes  (poissons  qui,  par 
leurs  écailles  recouvertes  d'émail,  se  rapprochent  des  rep- 
tiles), sont,  d'après  les  observations  d'Ehrenberg,  entiè- 
rement composées  de  polythalames  microscopiques,  dont 


404  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE. 

la  pl-upart  des  espèces  vivent  aujourd'hui  dans  nos  mers. 
Dans  les  terrains  d'alluvion,  les  espèces  éteintes  de 
mammifères  gigantesques,  tels  que  les  mastodontes,  les 
dinothériums,  le  mégathériums,  le  mylodon  d'Owen,  es- 
pèce  de  paresseux,  long  de  trois  mètres  et  demi,  se 
trouvent  associées  avec  des  ossements  d'éléphants,  de 
rhinocéros,  de  girafes,  dont  les  espèces,  actuellement  vi- 
vantes, appartiennent  au  climat  tropical  que  l'on  suppose 
avoir  régné  à  l'époque  des  mastodontes. 

Passons  de  la  faune  à  la  flore  fossile. 

Partant  d'une  vue  théorique  sur  la  gradation  des 
êtres  organisés,  on  a  cru  pouvoir  affirmer  que  la  vie 
végétale  est  la  condition  nécessaire  du  développement 
de  la  vie  animale,  et  que  par  conséquent  la  première  a 
dû  apparaître  avant  la  seconde.  Mais  aucun  fait  ne  pa- 
raît justifier  cette  théorie,  si  plausible  en  apparence.  Au- 
jourd'hui encore  n'y  a-t-il  pas  des  races  entières  qui, 
comme  les  Esquimaux,  vivent  exclusivement  de  poissons 
et  de  cétacés? 

Les  plus  anciennes  couches  de  sédiment,  les  strates  silu- 
riennes, ne  renferment  que  des  plantes  marines  (fucus), 
à  feuilles  cellulaires.  Les  strates  devoniennes  sont  les  pre- 
mières où  l'on  trouve  quelques  plantes  vasculaires  (cala- 
mites,  lycopodiacées).  Le  terrain  houiller  forme  les  véri- 
tables catacombes  de  la  flore  primitive,  dont  on  connaît 
déjà  environ  quatre  cents  espèces,  réparties  sur  les  grands 
embranchements  du  règne  végétal,  cryptogames  et  pha- 
nérogames (monocotylédones  et  dicotylédones).  Parmi  ces 
plantes,  aux  formes  étranges,  disséminées  dans  toutes  les 
houillères  du  globe,  on  remarque  les  lycopodes  arbores- 
cents, les  calamités,  semblables  aux  prêles  d'eau;  les  si- 
gillaria  squammeux,  de  vingt  mètres  de  longueur,  quel- 
quefois debout  et  enracinés  ;  les  stigmaria,  semblables 
aux  cactus;  d'innombrables  fougères,  souvent  accompa- 
gnées de  leurs  troncs  témoignant  de  la  constitution 
insulaire  primordiale   du  globe;  les  cycadées,  qui  par 


PALEONTOLOGIE    MODERNE  405 

leur  aspect  extérieur  ressemblent  aux  palmiers  de  nos 
régions  tropicales,  tandis  que  par  la  structure  de  la  fleur 
et  de  la  graine  elles  se  rapprochent  des  conifères  de  nos 
régions  septentrionales.  Toute  cette  végétation  primitive 
a  maintenu,  à  travers  les  périodes  qui  se  sont  succédé 
depuis  le  vieux  grès  rouge  jusqu'aux  dernières  couches 
de  la  craie,  les  caractères  qui  la  distinguent  de  la  végéta- 
tion du  monde  actuel. 

La  masse  des  végétaux  accumulés  en  certains  lieux  par 
les  courants,  et  transformés  ensuite  en  houille,  montre  com- 
bien l'atmosphère  du  monde  primitif  devait  être  chargée 
d'acide  carbonique,  pour  fournir  à  ces  végétaux  le  carbone 
néceesaire.  Les  cycadées  devaient  jouer  à  cette  époque  pri- 
mordiale un  plus  grand  rôle  qu'aujourd'hui  :  accompa- 
gnant les  conifères  depuis  la  formation  houillère,  elles 
manquent  presque  entièrement  dans  la  période  des  grès 
bigarrés,  où  certains  conifères  se  sont  puissamment  dé- 
veloppés, et  atteignent  leur  maximum  dans  le  keuper  et 
le  lias;  elles  diminuent  dans  les  époques  subséquentes, 
alors  que  les  conifères  et  les  palmiers  augmentent  de  nom- 
bre*. Dans  la  craie,  ce  sont  les  plantes  marines  et  les  naïa- 
dées  qui  prédominent.  Dans  la  période  tertiaire  moyenne, 
on  voit  réapparaître  des  palmiers  et  des  cycadées.  Enfin 
les  pins,  les  sapins,  les  cupulifères,  les  érables,  les  peu- 
pliers, qui  caractérisent  la  dernière  période  de  la  végé- 
tation, offrent  la  plus  grande  analogie  avec  ceux  de  la 
flore  actuelle.  Le  succin  de  la  Baltique,  dont  les  anciens 
faisaient  un  commerce  important,  provenait  d'une  espèce 
très-résineuse  de  sapin  rouge  (pinites  succinifer,  Goeppert). 

Les  grandes  variations,  déjà  signalées  par  Guvier,  qui  ont 
eu  lieu  successivement  dans  les  types  généraux  de  la  vie, 
présentent  des  relations  numériques  dont  Lyell  en  An- 
gleterre et  Deshayes  en  France  ont   fait   l'objet  de  leuis 

1.  Goeppert,  Cycadées  fossiles,  dans  les  Travaux  de  la  Société  silé- 
sienne,  année  1843,  p.  33  et  suiv. 


406  HISTOIRE  DE  LA  GÉOLOGIE. 

recherches.  Une  chose  certaine,  c'est  que  les  faunes  et  les 
llores  fossiles  diffèrent  d'autant  plus  des  formes  animales 
et  végétales  actuelles,  que  les  terrains  où  elles  se  trou- 
vent sont  plus  anciens.  Toutes  les  observations  sont  d'ac- 
cord sur  ce  point  fondamental. 


Théorie    des    caases   actuelles. 

Les  théories  que  nous  avons  plus  haut  passées  en  revue, 
ont  présenté  le  globe  comme  ayant  été,  à  de  longues  pé- 
riodes, le  siège  de  révolutions  et  de  cataclysmes  dont  au- 
cun mortel  n'a  été  témoin.  Quelques  géologues  cependant 
ont  pensé  que  les  causes  qui  agissent  encore  aujourd'hui, 
quoique  très-lentement,  sous  nos  yeux,  suffisent  pour  ex- 
pliquer les  changements  dont  notre  planète  a  été  successi- 
vement le  théâtre.  En  tète  de  ces  géologues,  nous  devons 
citer  Constant  Prévost*. 

Dès  1 809  G.  Prévost  avait  signalé  une  série  de  faits  nou- 
veaux concernant  la  présence  de  coquilles  marines  au  mi- 
lieu des  dépôts  d'eau  douce,  et  de  coquilles  d'eau  douce 
au  milieu  de  dépôts  marins.  Il  essaya  d'expliquer  ces 
faits  par  la  rencontre  en  un  même  bassin  de  courants 
marins  et  d  affluents  fluviatiles,  donnant  naissance  à  des 
alternances  répétées  de  deux  sortes  de  dépôts. 

G.  Prévost  appliqua  d'abord  cette  manière  de  voir  à  la 
formation  du  bassin  de  Paris.  Par  ses  travaux  ultérieurs,  il 
appela  l'attention  des  géologues  sur  l'existence  de  terrains 
tertiaires,  plus  ou  moins  récents  que  les  autres  suivant  les 
localités.  Ses  recherches  Sur  les  falaises  de  la  Normandie  h 


1.  Constant  Prévost  (né  à  Paris  en  1787,  mort  en  1856),  membre  de 
l'i^cadémiedes  sciences,  fut  un  des  fondateurs  de  la  Société  géologique 
de  France.  Ses  principaux  travaux  ont  été  publiés  dans  les  Bulletins 
de  cette  Société. 


PALÉONTOLOGIE  MODERNE.  407 

conduisirent  à  comparer  les  terrains  secondaires  de  la 
Normandie  avec  ceux  de  la  Grrande-Bretagne.  Reprenant, 
en  1827,  la  question  de  l'origine  des  formations  du  bas- 
sin de  Paris,  il  battit  en  brèche  l'ancienne  théorie  des 
submersions  itératives  de  nos  continents  par  les  mers, 
pour  lui  substituer  celle  des  affluents  fluviatiles.  Dans 
l'île  de  Julia,  apparue  en  1831  dans  les  eaux  delà  Sicile, 
il  ne  vit  qu'un  cratère  d'éruption,  formé  de  déjections 
pulvérulentes.  Partant  de  nouvelles  observations,  faites 
en  Sicile  et  aux  environs  de  Naples,  en  Auvergne  et  dans 
le  Vivarais,  il  étendit  cette  manière  de  voir  aux  anciennes 
montagnes  volcaniques  de  l'Italie  et  de  la  France  cen- 
trale :  le  Vésuve,  l'Etna,  le  Mont-Dore  et  le  Cantal  ne 
seraient,  d'après  lui,  que  de  simples  cônes  produits  par 
des  accumulations  successives  de  matières  projetées  à 
l'état  pulvérulent  ou  épanchées  sous  forme  de  cou- 
lées. 

Cette  doctrine  était  en  opposition  ouverte  avec  celle 
des  géologues  qui  admettent,  comme  prélude  aux  phéno- 
mènes subséquents,  le  soulèvement  des  roches  subja- 
centes.  Les  discussions  soulevées  à  cet  égard  par  M.  Elie 
de  Beaumont  portèrent  Constant  Prévost  à  exposer  ses 
propres  idées  sur  la  formation  des  chaînes  de  montagnes, 
et  il  poursuivit  dès  lors  sans  relâche  l'application  de  la 
théorie  des  causes  actuelles  à  l'histoire  complète  de  la  terre, 
s'attachant  à  démontrer  l'identité  et  le  synchronisme,  à 
toutes  les  époques  géologiques,  des  actions  ignées  et  des 
actions  sédimentaires'.  Dans  cette  théorie,  les  révolutions 
violentes,  séparées  par  des  intervalles  de  repos,  disparais- 
sent et  sont  remplacées  par  une  continuité  d'action  qui  va 
nn  diminuant  depuis  son  origine. 

De  tout  ce  qui  précède,  il  résulte  que  la  géologie  est 


1.  Voy.  l'article  Prévost  (Constant)  dans  la  Biographie  générale, 
t.  XLI,  coL  16. 


408  HISTOIRE  DE  LA  GEOLOGIE. 

loin  d'avoir  dit  son  dernier  mot.  En  cela  elle  partage  le 
sort  de  toutes  les  autres  sciences.  L'histoire  de  la  science 
se  continue  comme  celle  des  hommes  qui  y  consacrent 
leurs  efforts. 


FIN 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


HISTOIRE    DE    LA    BOTANIQU  E. 

LIVRE  PREMIER. 

LA   BOTANIQUE   DANS   L'aNTIQUITÉ. 

Flore  biblique 1 

Flore  d'Homère 16 

Flore  du  paganisme 27 

Flore  extra-méditerranéenne 38 

Phylologie , 4Q 

La  botanique  traitée  par  les  disciples  d'Aristote o3 

La  botanique  depuis  Théophraste  jusqu'à  Pline 59 

La  botanique  chez  les  Romains 64 

Aperçu  historique  de  la  botanique  depuis   le  premier  siècle  de 

notre  ère  jusqu'au  moyen  âge  (époque  de  Charlemagne) .    ,  72 

LIVRE  DEUXIÈME. 

LA    BOTANIQUE    AU    MOYEN    AGE. 

Botanistes  arabes ,  80 

Botanistes  byzantins    8S 

Botanistes  de  l'Occident 88 

Voyages  scientifiques 93 


410  TABLE  DES  MATIÈRES 

LIVRE  TROISIEME. 

LA  BOTANIQUE  DANS  LES  TEMPS  M0DERNL3. 

La  botanique  depuis  la  découverte  de  l'Amérique 98 

Botanistes  du  seizième  siècle 107 

Botanistes  voyageurs 131 

Botanistes  du  dix-septième  siècle l''"? 

Système  de  Tournefort 178 

Botanistes  anatomistes  et  physiologistes 180 

Botanistes  voyageurs , 192 

LIVRE  QUATRIÈME. 

PROGRÈS  DE   LA   BOTANIQUE    DEPUIS   LE   DIX-HUITIÈÎ.IE   SIÈCLE   JUSQU'a 
NOS   JOURS. 

I.  Phytonomie 205 

II.  Phytologie 234 

III.  Phytographie 255 

Flore  exotique 2G2 

Géographie  botanique 283 


HISTOIRE  DE  LA  MINÉRALOGIE  ET  DE  LA  QEOLGGIE. 


MINERALOGIE. 

Pierres  considérées  comme  précieuses  par  les  anciens 288 

Pierres  ou  roclies  communes 300 

Déluge  universel.  Premières  théories  paléontologiques 317 

Histoire  dos  roches  ignées , 326 

Aperçu  historique  des  minéraux  contenus  dans  les  terrains  pri- 
mitifs      331 

Météorites.  Aperçu  historique 337 

Fondateurs  de  la  minéralogie  moderne.  Cristallographie 3'i4 


TABLE  DES  MATIÈRES.  411 


GÉOLOGIE. 


Premières  théories  géologiques 357 

Théorie  de  Burnet , 360 

Théorie  de  Whiston , 361 

Théorie  de  Woodward 362 

Théorie  de  Sténoa 363 

Théorie  de  Leibnitz 36'i: 

Théorie  de  Buffon 371 

Le  vulcanisme 373 

Théorie  de  Laplace , 379 

Le  r^eptunisme 380 

Adversaires  de  l'école  Wernérieniie 38 i 

Théorie  du  métamorphisme 388 

Paléontologie  moderne , 392 

Théorie  des  causes  actuelles , 406 


FIN   DE  LA  XABLE  DES  MATIERES. 


COULOMMIERS.  —  IMPWMERIE  PAUL  BRODARD- 


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