HISTOIRE
UNIVERSELLE
PUBLrtE
Par une société de professeurs et de savants
sous LA DIRECTION
DE V. DURUY
HISTOIRE
DE LA
BOTANIQUE
DE LA
MINÉRALOGIE ET DE LA GÉOLOGIE
OUVRAGES DE M. HOEFER
PUBLIÉS PAR LA MÊME LIBRAIRIE
Histoire de la physique et de la chimie, depuis les
temps les plus reculés jusqu'à nos jours, i volume in-l(i,
broché. 4 fr.
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çaise, avec deux préfaces, des notes et un index, par
Ferd. Hoefer; 2« édition. 4 vol. in-16. 14 fr.
CouLOMMiEHS. — Typographie Paul BKODARD,
HISTOIRE
DE LA
BOTANIQUE
DE LA
MINÉRALOGIE ET DE L/V GÉOLOGIE
DEPUIS LES TEMPS LES PLUS RECULÉS
JUSQU'A NOS JOURS
FERDINAND HOEFER
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET C'^
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
1882
I^f^^(4
i%<jV^
HISTOIRE
DE
LA BOTANIQUE.
LIVRE PREMIER.
LA BOTANIQUE DANS L'ANTIQUITÉ
La connaissance de l'enveloppe végétale nécessaire à
la nourriture de l'homme, connaissance qui constitue la
botanique (du grec, êoiavr), végétal)^ a suivi le mouvement
de la civilisation. Les peuples primitifs ne nous ont rien
transmis à ce sujet. Gela devait être; ils ignoraient l'u-
sage de l'écriture. L'histoire de la botanique commence
dès que l'esprit observateur a pu transmettre ses actes à
la postérité. Elle sert en quelque sorte d'échelle graphi-
que à ce mouvement.
Flore biblique.
Le plus ancien document que nous ayons ici à consul»
ter, c'est la Bible. La Bible nous transporte, par ses ré-
cits, dans les contrées orientales du bassin méditerranéen,
1
2 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
telles quelaPhénicie, la Palestine, l'Egypte. C'était laque
siégeait, il y a trois mille ans, la civilisation, quand l'Eu-
rope était encore plongée dans les ténèbres de la barbarie.
Les plantes que nous allons, le texte biblique à la
main, passer en revue, appartiennent à cette zone qui
s'étend depuis le littoral de la Pliénicie jusqu'au bord
occidental de i'Euphrate.
Parmi les céréales, nous signalerons d'abord le
khillah^ qui était une espèce de froment, le gîtoî des
Grecs; puis lesehorah, qui était l'orge, comme le montre
l'étymologie de ce nom (de l'hébreu sahar, être rude),
par allusion aux arêtes de l'épi). Le froment et l'orge
sont originaires de la Perse, s'il faut en croire le rapport
des voyageurs naturalistes, tels que Olivier et André
Michaux, qui y ont trouvé ces céréales à l'état sauvage.
Le seigle ne paraît pas avoir été non plus inconnu aux
anciens habitants de l'Asie occidentale; mais ils en fai-
saient fort peu de cas. Le dokhan ou dourah^ que presque
tous les interprètes ont inexactement rendu par millet^
était de tout temps la céréale par excellence des peuples
de l'Orient: c'était notre sorgho, espèce de houque [holciis
sorglium^h.) y ïsicile à reconnaître à lalargeur de ses feuilles,
et surtout à ses épillets en panicule, qui sont, comme
les graines, d'un brun plus ou moins foncé. C'est à ce
dernier caraotère que fait sans doute allusion le nom
sémitique de dokhan, qui dérive évidemment de dokhan,
être de couleur brunâtre.
Au nombre des végétaux à graines féculentes, apparte-
nant à lafamille des légumineuses, on trouve cité, dans l'An-
cien Testament, le iwl, que la Vulgate a traduit ])Rrfaba,
fève. Mais, selon toutes les probabilités, il faut entendre par
là le pois chiche , qui était de tout temps cultivé comme
plante alimentaire dans les contrées méridionales. Le
nom même de pôl, qui signifie gonfler ou bouillir, rap-
pelle le latin bulla ou le français peiil, par lequel on dé-
signait autrefois un légume arrondi, gonflé, ayant quel(|U(.
ANTIQUITÉ. 3
ressemblance avec une bulle de savon, et cette com-
paraison ne peut guère convenir qu'au pois chiche. On
sait d'ailleurs que beaucoup de peuples anciens, notam-
ment les Egyptiens, avaient interdit l'usage des fèves
tjar des motifs de religion.
L'adaschim , que les traducteurs ont rendu par lentille ,
était la vesce, à juger par l'étymologie de ce nom. Car
adaschim (pluriel à'edesch) vient d'adasch, faire paître un
troupeau. Or ce n'étaient pas les lentilles, mais les vesces
qui servaient anciennement , comme encore aujourd'hui,
à amender les terres en jachère, en fournissant aux trou-
peaux des pâturages excellents. Au reste , la vesce est
plus commune que la lentille dans les contrées méri-
dionales de l'Ancien Monde. Les Arabes l'appellent
encore aujourd'hui adasch. Ce ne fut donc pas pour un
plat de lentilles, mais pour un plat de vesces, qu'Ésaû
vendit son droit d'aînesse^
Aucun pays ne devait être plus propre à la culture des
oignons que la basse Egypte : ces plantes aiment un ter-
rain alluvionnaire, humide. Il ne faut pas juger des
oignons du midi par ceux du nord, qui ont une saveur
acre et excitent le larmoiement. Les oignons cultivés
dans les régions méridionales, et particulièrement en
Egypte, sont doux, mucilagineux, et beaucoup plus gros
que ceux du nord. Les Hébreux, traversant le désert, re-
grettaient beaucoup les oignons d'Egypte ^ Ils regrettaient
aussi les abattikhim, qui étaient, non pas nos melons
mais les pastèques, qui font encore aujourd'hui la nourri-
ture favorite des Orientaux pendant les chaleurs de l'été.
Qu'était le khatsir, dont il est souvent parlé dans l'An-
cien Testament? Contrairement à l'opinion des traduc-
teurs qui rendent ce mot par poireau, nous pensons que
c'était une espèce de graminée, riche en sucre, et dont on
1. Genèse, xxv, 34.
2. Nombres, xi, 5.
4 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
pouvait mâcher la tige. Peut-être était-ce la véritable canne
à sucre, mentionnée par Dioscoride et Pline, et connue,
depuis la plus haute antiquité, des peuples de l'Orient.
Les Juifs avaient, suivant le Talmud, la coutume
d'assaisonner tous leurs mets à l'ail. D'après Hérodote,
on lisait sur la pyramide de Ghéops, en caractères
hiéroglyphiques, la quantité d'aulx, d'oignons et de raves
que les ouvriers avaient consommés pendant la construc-
tion de ce monuments
Les 'pakkuot^ que l'on a traduit indifféremment par
coloquintes et par concombres sauvages, étaient les fruits
du momordica elaterium^li., à juger par l'étymologie du
mot, dérivant de paka, qui signifie, dans les idiomes sémiti-
ques, rompre^ éclaler. Or ceci ne saurait s'appliquer qu'à
cette cucurbitacée dont les fruits, à l'époque de leur
maturité, se détachent de leur pédoncule avec bruit et
lancent au loin les graines et le suc qu'ils contiennent.
Le momordica elalcnum est une plante propre à la région
méditerranéenne et bien connue des anciens : ses fruits
sont, comme l'indique la Bible, amers et vénéneux^.
Les arbres et arbrisseaux portaient la dénomination
générale de eiz, qui dérive à'alsah^ dur, et signifie primi-
tivement le bois^. L'étymologie donne donc ici l'un des
caractères essentiels qui servent à définir l'arbre et l'ar-
brisseau, savoir la lignosilé de la tige.
Voici les principaux arbres dont il est question dans
l'Ancien Testament.
DalUer. — Le dattier [phœnix dactylifera^ L.) caractérise
avec le palmier nain [chamœrops humilis) la région médi-
terranéenne. Il frappe immédiatement tous les regards par
sa tige svelte, élancée, dépourvue de branches et cou-
ronnée d'une cime de grandes feuilles en éventail. Toutes
1. Hérodote, ii, 125.
2. Il Rois, IV, 39-40.
3. Genèse, xL, 19; Deutéronome, xxi, 22.
ANTIQUITE. 5
les parties de cet arbre sont utilisées : la tige fournit
une liaueur fermentescible, les feuilles servent à tisser
divprs ouvrages, et les dattes sont pour les Orientaux ce
que la pomme de terre est pour les habitants de l'Europe.
La Mésopotamie, la Syrie, la Palestine et quelques con-
trées de l'Arabie et de l'Afrique septentrionale passaient
anciennement pour les pays les plus riches en dattes.
Mais il faut aujourd'hui, au rapport des voyageurs,
beaucoup rabattre de ces richesses.
La Bible ne parle pas d'une pratique agricole, fort an-
cienne en Egypte, qui consistait à secouer la poussièrft des
fleurs mâles du dattier au-dessus du dattier à fleurs fe-
melles, pour obtenir des fruits capables de mûrir. On sait
cependant de temps immémorial que sans cette précau-
tion la récolte des dattes avorte immanquablement. Com-
ment la fécondation artificielle du dattier n'a-t-elle pas
plus tôt conduit à la découverte des organes sexuels chez
les plantes?
Grenadier. — Le rimmôn des Hébreux et des Chaldéens
était le ^ua des Grecs, le malus punica des Romains. Le
grenadier était appelé joitnica, parce qu'on le croyait d'ori-
gine punique, des environs de Garthage. Il est au nombre
des arbres caractéristiques de la région méditerranéenne.
La pomme grenade était un des sept fruits de la Terre
Promise'. Plusieurs endroits de la Palestine, fertile en
grenades, portaient le nom de Rimmôn. Le grand prêtre
des Hébreux avait ses habits sacerdotaux ornés de grena-
des, et la fleur (balauste) du grenadier se voit représentée
sur des médailles phéniciennes et carthaginoises.
Amandier. — La région méditerranéenne est la véritable
patrie de l'amandier, que les Hébreux désignaient par le
nom de schaked. Ge nom a pour racine schakad.^ veiller,
par allusion aux fleurs qui paraissent avant les feuilles,
dès les premiers jours du printemps, au réveil de la
1. Deutéronome, vni, 8.
6 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
nature. C'est sui" cette étymologie que repose cette sorte
de jeu de mots qu'on lit au chapitre i, 9-12, de Jérémie:
« Que voyez-vous, Jérémie? Et je répondis : Je vois une
branche d'amandier. » Les mots soulignés ont été rendus
fort inexactement, selon nous, par: « Je suis une verge
qui veille.» L'inexactitude de' cette traduction, fondée
cependant sur l'autorité de la Vulgate, est démontrée par
la suite du texte de Jérémie : « Et Jéhovah dit : Vous avez
bien vu; car je veille pour accomplir mes paroles. » Le
mot TpiU [schaked], (sans les points massorétiques), étant
en même temps un substantif' et le participe du verbe
schakad, signifie tout à la fois amandier et celui qui veille.
Il est rare de voir, dans les langues anciennes, donner
plusieurs synonymes à un seul et même arbre. Aussi
n'admettrons-nous pas avec Celsius que louz signifie aman-
dier, comme schaked. Le nom de louz, qui rappelle le nux
des Latitis, était appliqué, d'une manière générale, aux
fruits à noix. C'est pourquoi les Septante ont eu rai-
son de traduire ce nom hébreu par noyer [juglansregia, L.),
arbre assez bien connu des anciens, et que l'on croit origi-
naire de la Perse. Mais nous rejetons, comme erronée,
la version des traducteurs modernes (allemands, danois et
suédois), d'après lesquels louz serait le noisetier {corylus
avellana, L.) ; car, autant cet arbrisseau est commun en
France , en Allemagne, en Danemark, en Suède, autant
il est rare en Palestine et dans les pays circonvoisins.
Oranger. — Le nom hébreu de tappouakh a été appliqué
par les traducteurs à la pomme et au pommier. Cette
interprétation est, selon nous, complètement inexacte. Carie
pommier étant un arbre de la zone tempérée froide, pros-
père fort peu en Egypte, en Arabie, en Palestine, etc.;
jamais ses fruits n'y attirent, ni par leur odeur, ni par leur
saveur, l'attention des passants. Mais on trouve, dans la
région méditerranéenne, un arbre bien connu, dont toutes
les parties exhalent une odeur fort agréable : c'est l'oran-
ger. C'est à lui que convient le nom de tappouakh, qui
ANTIQUITÉ. 7
dérive de nappakli^' répandre une bonne odeur ; c'est à lui
que conviennent ces paroles du Cantique des Cantiques,
vu, 9 : « Et l'odeur de votre bouche sera comme celle
des oranges * . » Tous les traducteurs cependant disent : « Et
l'odeur de votre bouche sera comme celle des pommes. »
Olivier. — La connaissance de l'o/wier et de ses usages
remonte à la plus haute antiquité. La Genèse en fait
mention sous le nom zaïth., qui se retrouve dans tous les
'diomes sémitiques. Nous y reviendrons plus loin.
Figuier. — Les interprètes et commentateurs de l'Ancien
Testament ont appliqué le nom de leènah, tantôt au bana-
nier [musa paradisinca^ L.), tantôt au figuier commun
[ficus carica, L.). Ainsi ils admettaient que les feuilles,
dont Adam etÈve couvraient leur nudité, étaient les larges
feuilles du bananier. Cependant, dans d'autres passages de
la Bible, ce nom est aussi celui du figuier commun, dont les
fruits sont énumérés parmi les productions de la Terre Pro-
mise. Les figues de la Palestine étaient renommées ; elles
portaient des noms différents, non-seulement d'après les
variétés de l'espèce, mais suivant leur degré de maturité, de
dessiccation ou de forme. Ainsi les figues d'hiver s'appe-
laient paguim (oXuv6ot des Septante, grossi de la Vulgate) ^;
les figuesprécoces ou printanières,6icouro//i^,nom encore
aujourd'hui employé par les Arabes {bucar) pour désigner
la même chose ; enfin les figues desséchées et réduites en
masses compactes se nommaient debeiin, TraXaôr, des Grrecs.
Or, puisqu'on donnait déjà des noms différents aux fruits
provenant d'une seule et même espèce d'arbre, il n'est
guère probable que ce même nom de teènah ait été appli-
qué à la fois au'bananier et au figuier proprement dit.
Sycomore. — Le schikmahdn livre des Rois est bien le
figuier de Pharaon ou sycomore [ficvs sycomorus^ L.), qu'il
ne faut pas confondre avec notre érable. Le nom de syco-
1. Cantique, ii, 13.
2. Jérémie, xxviii, 4.
8 ' HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
more, dérivé de aZxoc, figue et de [xwpo; mûrier, est très-
expressif. Cet arbre ressemble, en effet, par ses fruits au
figuier, et par ses fouilles au mûrier. Le sycomore paraît
avoir été autrefois plus fréquent en Palestine et en Egypte
qu'il ne l'est aujourd'hui. On le rencontre assez abon-
damment dans la Nubie. Son bois, qui passe pour résis-
ter à la pourriture, servait, chez les Égyptiens, à la fa-
brication des caisses de momie.
Cèdre. — Les prophètes parlent souvent de l'erè^, quicsl
bien le cèdre [pinus cedrus)^ et non pas, comme l'ont pré-
tendu divers interprètes, le pin sylvestre. Gela résulte de ce
passage d'Ézéchiel (xxxi, 3) : « Voyez Assur ; il était
comme un érèz sur le Liban: ses branches étaient belles,
touffues et répandant l'ombre; il était haut, et sa cheve-
lure s'élevait d'entre les rameaux serrés. » Cette descrip-
tion s'applique en tout point au cèdre du Liban.
Le cyprès ou bérosch est presque toujours cité, dans
l'Ancien Testament, à côté du cèdre. C'est qu'en effet ces
deux arbres peuvent rivaliser ensemble par leur hauteur,
par la verdure sombre de leur feuillage persistant et par
les usages de leur bois, qui, imprégné de résine, résiste
longtemps à la putréfaction. Le bois de cèdre et de cyprès,
la gloire du Liban., selon l'expression d'Isaïe , avait été
employé dans la construction du temple de Salomon.
Le kinnamôn était au nombre des aromates avec les-
quels Moïse prépara, selon l'ordre de Jéhovah , l'huile
sainte'. Si ce nom désigne réellement, ce qui paraît in-
contestable, la cannelle^ c'est-à-dire l'écorce de plusieurs
espèces de cinnamomiim., arbres de l'Inde et particulière-
ment de l'île de Ceylan (la fameuse Taprobane des
anciens), il faudra admettre que les habitants du pays de
Chanaan, c'est-à-dire les Phéniciens , entretenaient déjà
du temps de Moïse un commerce actif avec l'Inde. Go.
commerce se faisait communément par l'intermédiaire
1. Eiode, XXX, 23.
ANTIQUITÉ. 9
des Arabes ; c'est pourquoi on prenait, pendant longtemps,
les denrées de l'Inde pour des produits de l'Arabie.
Hérodote, dans les renseignements qu'il nous donne sur
la cannelle (m, 111), fut la dupe des rusés marchands de
Tyr, qui répandaient des contes pour dérouter la concur-
rence. Il ajoute cependant avec raison que c'est des
Phéniciens que « nous avons appris le nom et la chose ».
Le kinnamomon des Grecs était donc, sans aucun doute,
le kinnarnon des Hébreux et des Phéniciens. Quant
à la connaissance de l'arbre qui produit la cannelle, elle
resta pendant longtemps un mystère pour les botanistes.
Myrrhe. — Le nom hébreu de mor (dérivant de mara>\
découler, être amer) paraît être la racine des mots grec et
latin, [^-upp'x, myrrha. La myrrhe est, en effet, une sub-
stance amère, résineuse, qui découle d'un certain arbre ;
de tout temps fort estimée des Orientaux, elle se rencontre
dans le commerce en larmes ou en grains, dont les plus
volumineux ont la grosseur d'une noisette. Elle vient de
l'Arabie et de l'Abyssinie. Mais quel est l'arbre qui la
fournit? Les renseignements quo nous donnent à cet
égard les anciens, sont fort divergents. D'après Théo-
phraste et Diodore, c'est un arbre qui, par son fruit et son
feuillage, ressemble au tèî-ébinthe, espèce de lentisque^-
Pline le compare au genévrier^, et Dioscoride à un
acacia ^ Bélon et d'autres naturalistes modernes inclinent
vers l'opinion de Dioscoride. Mais s'il y a des acacias qui
fournissent de la gomme, il n'y en a aucun qui donne une
substance résineuse semblable àla myrrhe. Il est infiniment
plus probable que l'arbre myrrhifère appartient à la famille
des térébinthacées, plantes presque toutes remplies de ré-
sine aromatique. Cette opinion, appuyée sur l'autoiité de
Théophraste et de Diodore, est confirmée par deux voya-
1. Théophraste, Hist. plant., ix, 4; Diodore, v, 41.
2. Pline, Hir>. nat., xii, 15
3. Dioscoride, Mr'. med., i, 76.
10 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
geurs naturalistes, Ehrenberg et Hemprich. Le premier
a décrit l'arbre d'où découle la myrrhe: il l'appelle bulsa-
inodendron myrrha (famille des térébinthacées), voisin du
genre bosweilia^ dont plusieurs espèces fournissent l'en-
cens.
La myrrhe, presque toujours associée à d'autres sub-
stances résineuses, aromatiques, jouait un grand rôle
dans les pratiques religieuses des Juifs et des Égyptiens.
Elle entrait dans l'huile sainte, qui servait à oindre le
Tabernacle ; elle était au nombre des présents offerts par
les Mages. Nicodème l'employa , mêlée à d'autres aro-
mates, pour embaumer le corps du Christ. Le vin myr-
rhiné ( olvoç i<r[j.upv[a[i.£v(;(;) qu'on donnait à boire à Jésus
sur la croix \ était amer, excitant, mais ne possédait
aucune des propriétés narcotiques que lui supposaient les
commentateurs.
Qu'était-ce que le pischtah, dont il est si souvent ques-
tion dans l'Ancien Testament? Nous pensons que c'était
le coton, contrairement à l'opinion des interprètes qui ont
traduit pischtnh par lin. Notre opinion est corroborée par
un passage de Josué (ii, 6) , où il est question d'une
femme de Jéricho, nommée Rahab, qui cacha chez elle
des hommes dans des « bois de cotonniers », hepischteh
haëts, mots que les traducteurs ont rendus par « sous
des bottes de lin ». Or le cotonnier, d'annuel qu'il est,
devient vivace et ligneux dans une contrée chaude, comme
l'était la vallée de Jéricho, où il peut acquérir les dimen-
sions d'un arbre moyen. Ceux qui objectent que le coton,
était inconnu aux anciens, oublient, qu'au rapport de Pline
{Hist. nat., XIX, 1) le cotonnier était cultivé de tout temps
en Arabie et en Egypte, et que les Phéniciens et les Car-
thaginois répandirent l'usage du coton en Grèce, en Italie
et en Espagne. Le coton le plus fin était appelé, en hé-
breu, bouts; P'jffcoç, byssus, chez les Grecs et les Romains.
1. s. Marc, xv, 23.
ANTIQUITÉ. 11
Le mot atad* a été divei-sement rendu par buisson,
églantier^ petit houx, prunier sauvage, etc. Cependant les
Arabes désignent par le même mot une espèce de rham-
née, lerhamnus paliurus, L., arbrisseau très-commun en
Palestine, et remarquable par ses fortes épines. Hassel-
quist^ donne à notre arbrisseau le nom de rhamnus spina
Christi, supposant avec beaucoup de probabilité que les
Juifs avaient fait de ses rameaux la couronne d'épines du
Christ.
Les doudàim de la Bible, que les traducteurs rendent
tantôt par mandragores^ tantôt par pommes d^amour,
paraissent être les fruits, non pas d'une solanée , mais
d'une asclépiadacée , de Vasdepias gigantea. C'est un
arbre qui croît en Palestine, ainsi que dans la Haute
Egypte. « Son fruit, rapporte Robinson, est semblable à
une pomme lisse, de couleur jaunâtre, et disposé en
faisceau de trois à quatre; si on le comprime, il crève
avec bruit comme une vessie gonflée d'air, et il ne reste
dans la main qu'une enveloppe mince et des filamen,ts
fibreux; il contient une espèce de soie fine, avec les
graines*. » Robinson avait trouvé cet arbre à Aïn-Gidy,
sur le littoral de la mer Morte. Les fleurs paraissent de
très-bonne heure, car déjà en mai on en voit les fruits.
Cette particularité s'accorde parfaitement avec ce qu'on
lit dans le Cantique des Cantiques (vu, 12 et 13), où il
est question des plantes dont les fleurs annoncent le
retour du printemps. Dans ce même passage, on men-
tionne le parfum des fleurs dé doudaïm^ caractère qui ne
s'applique ni à la mandragore, ni à aucune solanée. Enfin,
les fruits de Yasclepias gigantea^ connus sous le nom de
pommes de Sodome^ passaient chez les Orientaux pour
1. Juges, XIX, 14 et 15 ; Psaumes, vm, 10.
2. Iter Palestinum (Stockh. 1757, p. 5'23).
3. Robinson, Palestine, Journal d'un Voyageur en 1838, t. I,
p. 472.
12 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
un puissant aphrodisiaque ; c'est, aussi la propriété que
semble, d'accord avec l'étymologie de douclaïm (de dod
amour), leur attribuer l'auteur sacré {Genèse, xxx, 1 5 et 1 6).
Nous nous bornerons à signaler parmi les princip^los
plantes annuelles et vivaces, mentionnées dans l'Ancien
Testament, les espèces suivantes :
Kikaiôn. — Ce végétal, sous lequel s'abrita le prophèt;^
Jonas, était probablement le ricin [ricinus palmaChristi).
Le ricin, qui est annuel dans uos climats, devient vi-
vace en Orient, on il acquiert les dimensions d'un
arbre, et répand, par ses larges feuilles palmées, un
ombrage épais. Le kiki^ nom que les Égyptiens donnaient,
suivant Diodore [Bibl. Hist., i, 34), à l'huile de ricin,
rappelle tout à fait le nom hébreu de kikaiôn. C'est donc
à tort que les anciens interprètes l'ont traduit par lierre
(xKjCTov, hedera). D'autres ont entendu par là une espèce
de cucurbitacée'.
Lis. — Dans le temple de Salomon les chapiteaux des
colonnes avaient la forme du schoschan., et on y voyait un
bassin ou coupe artificielle, semblable à une fleur de
schoschan épanouie ^ Le psalmiste parle d'un instrument
de musique qui, à cause de sa forme, avait reçu le nom
de schoschan^. Le Cantique des Cantiques donne le même
nom comme un symbole de grâce et de beauté. De l'exa-
men comparatif de ces détails on a conclu avec raison
que le schoschan des Hébreux ne pouvait être que le
lis [Ulium candidum,L.). D'ailleurs ce mot a pour racine
S'Msch, blancheur, et le lis est indigène de l'Orient. On
rencontre encore aujourd'hui de nombreuses espèces de
liliacées dans les vallées" de la Palestine, particulière-
ment aux environs de Hébron (Khalil) ^
1. Voy. Celsius, llierobotanicon, t. II , p. 273-282, et Niebiilir,
Description de l'Arabie, 1. 1, p. 208.
2. 1 Bois VII, 19, 22 ; xxvi, 2.
3. Ps. XLV, 1 ; LX, 1.
4. Voy. Schubert, Beise in das Morgenland, t. II, p. 275.
ANTIQUITÉ. 13
Parmi les plantes amères, comprises sous la dénomina-
tion générale de lednah (irixpia, àvaYxai), on remarque
surtout deux espèces d'armoise, Varteïïiisiajudaica,Ij.^el\si
santoline {arteinisiasaatolina^L.), communes en Palestine
cL dans les ouaddis de l'Arabie. Peut-être est-ce à l'une
de ces armoises que Salomon a voulu comparer la fin
amère d'une prostituée *. « Nourrir quelqu'un de lednah »
était une locution proverbiale pour exprimer un châti-
ment raffiné. Si ce châtiment était la peine capitale, le
lednah devait être une plante vénéneuse, par conséquent
différente de nos armoises.
Hysope. — Le nom d'hysope [ucaionoi, hyssopus) vient
de l'hébreu ézôb. Sur l'ordre de Moïse, les Israélites en
Egypte faisaient des aspersions avec l'hysope trempé
dans le sang de l'agneau pascaP. Les lépreux, pour se
purifier après leur guérison, devaient offrir de l'hysope
trempé dans du sang de passereau ^ On faisait aussi des
aspersions avec de l'hysope trempé dans l'eau, contenant
des cendres d'une vache rousse immolée''. Tout le monde
connaît ce verset du psalmiste : « Tu m'aspergeras
avec de l'hysope, et je serai purifié. » — Mais l'hy-
sope des anciens est-il réellement l'hysope des botanistes
modernes, Vhyssopus officinalis? Cette questicii doit être
résolue négativement, si, comme cela paraît incontestable,
le mot ézdb dérive de azub , être rude ou velu ; car la
plante que nous appelons aujourd'hui hysope n'est ni
rude, ni velue : ses feuilles et sa tige sont plutôt lisses et
glabres. Cependant l'hysope dont les Hébreux se servaient
dans leurs purifications, était une de ces plantes aroma-
tiques dont se compose la famille des labiées. Suivant Ge-
senius, c'était une espèce de menthe ou d'origan. Le prieur
du couvent de Sainto-Cather'ie, au mont Sinaï, montra
i. Prov., V, 4.
2. Exode, xn, 22.
3. Lévit., XIV, 4, 6, 51, 52.
4. rsombies, xix, IG.
14 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
au voyageur naturaliste Schubert, comme étant l'hysope
de la Bii3le, une espèce de labiée, qui par la forme de ses
feuilles se rapprochait du teucrium pollium, L. Si des
connaissances d'histoire naturelle pouvaient se transmettre
intactes par voie de tradition, il faudrait s'en rapporter
au jugement des moines du Mont-Sinaï. Quoi qu'il en
soit, Vézôb de l'Ancien Testament ne paraît guère être le
même que VuGawTzoç, dont il est parlé dans l'Évangile de
de saint Jean (xix , 29), et qui servit à présenter au
Christ sur la croix une éponge imbibée de vinaigre.
Cet hysope était probablement le romarin, arbrisseau
propre à la région méditerranéenne, et dont la tige et les
rameaux peuvent acquérir une grandeur considérable.
Cette conjecture rend inutile l'explication d'Hiller, d'après
laquelle on aurait attaché l'éponge à une touffe d'hysope,
fixée au bout d'un roseau.
Le gad de l'Ancien Testament (Exode, xvi, 41; Nomb.
XI, 7) est la coriandre [coriandrium salivum^ L.), ombelli-
fère commune dans la région méditerranéenne. Cette
interprétation a été donnée par Gesenius [Lexicon He-
braicum) d'après un passage de Dioscoride*, et sur ce
que les Phéniciens ou Carthaginois l'appelaient goïd.
Or le nom de goïd est évidemment le gad des Hébreux.
Quant au nom même de coriandrium^ en grec xoptov, il
dérive de xôpt;, punaise, et se rapporte à un des caractères
distinctifs du coriandrium sativum : les feuilles exhalent
une odeur de punaise marquée, tandis que les graines
ont une odeur très-agréable et une saveur aromatique.
Le panier de jonc, thébah gomèh^ dans lequel fut exposé
sur le Nil Moïse enfant^, était sans doute un de ces
petits bateaux de papyrus dont se servaient les Égyp-
tiens : les tiges étaient soudées avec de l'asphalte et de la
poix. Isaïe (viu, 11) parle de navires de papyrus glis-
1. MaL rned., m, 64.
2. Exode, u, 3.
ANTIQUITÉ. 15
sant à la surface des eaux. Au rapport du voyageur
Bruce, les Nubiens et les Abyssiniens font encore
aujourd'hui usage de bateaux légers, construits avec des
tiges de papyrus. Pour comprendre cet usage, il faut
savoir que les tiges triangulaires du papyrus peuvent,
dans des conditions de température et de sol convenables,
acquérir les dimensions d'un gros tronc.
Le papyrus {cyperus papyrifcra)^ si célèbre pour la fa-
l)rication du papier, est aujourd'hui très-rare en Egypte.
Jadis si abondant dans le Delta, il se trouve maintenant
relégué aux bords de quelques lacs ou rivières de la
Nubie, de l'Abyssinie et du Soudan.
Ij aghrèmon, dont il est question dans les Prophètes',
était, comme le papyrus, une plante palustre, à juger
seulement par son nom (de agam, marais). Elle servait
à la fois comme combustible et pour faire des palis-
sades. A raison de ce double usage , nous pensons que
c'était le grand roseau à quenouille {arundo donax, L.)
C'est, en effet, la plus forte espèce du genre arundo : sa
tige dure, ligneuse, haute de trois à quatre mètres, est
employée encore aujourd'hui à faire des claies et des pa-
lissades ; on s'en sert aussi en guise de combustible dans
les contrées méridionales où cette espèce est indigène.
Nous ne pousserons pas plus loin cette énumération
des espèces végétales mentionnées dans la Bible. Elle doit
suffire pour montrer combien il règne, parmi les inter-
prètes, d'incertitude sur la détermination de ces espèces.
La même incertitiide se retrouve dans les livres sacrés de
l'Inde et de la Chine. Aussi n'en parlerons-nous pas ici.
Cependant au milieu des tâtonnements primitifs on
voit déjà poindre l'idée de deux classifications distinctes.
L'une repose sur les propriétés des plantes en rapport
avec leur emploi ; c'est la classification des plantes en
1. Isaïe, XXXV, 7; Jérémie, li, 32; Job, XLI, 11.
16 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Utiles et en 7iuisibles.Les plantes utiles se divisent en ali-
mentaires^ en textiles^ etc.; les plantes nuisibles, qui
comprennent les poisons, sont presque toutes des plantes
médicinales.
La seconde classification, tout aussi ancienne que la
première, se rattache moins à l'utilité matérielle, immé-
diate, que les hommes peuvent tirer du règne végétal;
elle relève davantage de l'ordre intellectuel et scientifi-
que. Cette classification se présente tout naturellement à
l'esprit humain. Placez un enfant au milieu d'une cam-
pagne fertile, et engagez-le à grouper les plantes qui
l'environnent. Gomment s'y prendra-t-il ? Il commencera
par mettre les arbî'es d'un côté, et les herbes de l'autre.
C'est la classification qu'avait suivie Salomon; car la
Bible (I Rois, iv, 33) dit de ce roi « qu'il avait traité de
tous les arbres depuis le cèdre du Liban jusqu'à l'hysope
qui sort des murailles. »
FMore d'Homère.
Les poèmes d'Homère, qui étaient aussi vénérés des
Grecs que les livres de l'Ancien Testamei^t l'étaient des
Juifs, nous font encore mieux pénétrer dans la zone végé-
tale qui caractérise la région méditerranéenne. Les cô-
tes de l'Ionie, antique siège de la civilisation, nous rap-
prochent déjà de la Grèce.
Parmi les plantes dont parle l'immortel poëte, Volioier
occupe le premier rang. Homère distingue nettement l'o
livier cultivé (iXat'ï)) de l'olivier sauvage (cpuXiV,)', et il pré-
sente le premier comme ornant les jardins de Laërte et
d'Alcinoûs. L'entrée du port d'Ithaque était ombragée par
un olivier aux rameaux étendus (xavûfpwXXoi; èXaîï))^. L'oli-
1. Odyssée, v, 477.
2. Odyssée, x , 102.
ANTIQUITÉ. 17
vier n'était pas seulement utile par l'huile que fournis-
saient ses fruits, son bois servait à la fabrication de beau-
coup d'ustensiles. C'est ce qui fit dire à Golumelle : olea
prima omnium arborum est., « l'olivier est le premier de
tous les arbres. »
Les Grecs ne sont pas d'accord sur l'origine de l'olivier,
de tout temps si commun dans leur pays. Selon les uns,
il fut transporté d'Egypte à Athènes par Gécrops en 1580
avant l'ère chrétienne ; selon d'autres, ce fut Hercule qui,
au retour de ses expéditions, apporta l'olivier en Grèce
et le planta sur le mont Olympe. Les Grecs avaient cet
arbre en si grande vénération, qu'ils en firent le symbole
de la sagesse, de l'abondance et de la paix. Il passait pour
un bienfait de Minerve. Les vainqueurs aux jeux de l'É-
lide étaient couronnés de rameaux d'olivier. Il était pri-
mitivement défendu de faire servir l'olivier à des usages
profanes, et on ne permettait pas de brûler sur les autels
des dieux les branches qu'on présentait pour demander
la paix. Les Phocéens, qui fondèrent Marseille environ
600 ans avant J. G., passent pour avoir introduit l'olivier
en Italie et dans les Gaules. D'après une tradition, rap-
portée par Pline, il n'y avait pas encore, sous le règne
de Tarquin l'Ancien, d'olivier en Italie.
Les chênes faisaient particulièrement l'admiration des
anciens : Homère en témoigne. Mais il importe surtout
de ne pas confondre les espèces méridionales avec celles
qui ne se plaisent que dans la zone tempérée froide.
Parmi les premières on distingue le chêne à glands
comestibles [quercus esculus), celui qu'Homère désigne
sous le nom de cpriyd; [fagus], enle qualifiant de « très- bel
arbre de Jupiter ».
ETffav utt' aîyio/^oto Atoç TrepixaXXsï (filfoi' .
Ils le placèrent (Sarpédon blessé par Hector) sous un très-beau
chêne de Jupiter, porteur de l'égide.
1. Iliade, V, 693.
18 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Il no, faut point se laisser induire en erreur parle mot
fagus (œviYoi;) , qui s'applique aussi au hêtre [fagus sylvotica).
Le hêtre sans doute est aussi un très-bel arbre, digne, par
la magnificence de son port, de la majesté de Jupiter. Mais
il devait être rare, sinon introuvable, dans les plaines de
la Troade où l'Iliade nous transporte. Le hêtre, remar-
quable par son feuillage luisant et son écorce lisse, gri-
sâtre, se plaît surtout dans les régions sous-alpines.
Théophraste et Pline le connaissaient. Ce dernier
distingua parfaitement le fruit du hêtre, le faîne triangu-
laire, du gland arrondi, comestible'. Les glands du ce-/;Yoç
(de cpayi», je mange) composaient la nourriture primitive
de beaucoup de peuplades anciennes, particulièrement
des Arcadiens, qui reçurent de là l'épithètedepaXavocpâyot,
mangeurs de glands.
Quant au nom général de Spîîç, chêne^ il s'appliquait,
suivant les épithètes que lui donnait le poëte, tantôt à
l'yeuse [quercus ilex^L.)^ employé en palissades à cause de
la dureté de son bois [Odyssée, xiv, 12), tantôt aux chênes
cerris [quercus cerris), arbres à hautes et larges cimes,
•Spusç u']^[xapy|Vot et ûi]/ixofj(,oi^. Ces derniers, communs dans
les forêts du midi, diffèrent des chênes de nos forêts
septentrionales par leurs feuilles plus profondément
découpées et par leurs cupules dont les écailles se termi-
nent par de longs filaments.
Le frêne^ j^-eXtri, qui croissait dans les montagnes, et
servait à faire des bois de lance, était probablement le
fraximis ornus de Linné , plus propre aux contrées
méridionales que le fraxinus excelsm\ L. '
L'arbre que les nymphes plantèrent sur le tertre cou-
vrant les cendres d'Aétion% était-il réellement, comme le
croit Sprengel, notre ormeau, ulmus campestris "* 1 C'est
1. Pline, Hist. nat., xvi.
2. Iliade, xii, 132; xxni, 118.
3. Iliade, vi, 419.
4. Sprengel, Hixt. rei herhario'. t. T, p. 23.
ANTIQUITÉ. ig
fort douteux; car le nom de Tzrt\é-f\, ici employé, paraît
s'appliquer plutôt à une espèce de peuplier. Achille, lut-
tant contre le courant du Scamandre, « saisit de ses mains
le peuplier bien poussé, grand : »
.... TTTsXïTjv i'Xe yepdiv
Eôcpusa, [is.yé.'k'/]'^ ....
Les qualificatifs de« Liicn poussé, grand, » conviennent
parfaitement à un arbre qui, tel que le peuplier, se plaît
aux bords des fleuves. Du reste, la même incertitude se
présente pour la détermination exacte des arbres qui
ornaient l'île de Calypso. Les
lOii^pv] t', aïystpo? t', IXârr] t' •:^v oùpavoM.iix-/iç,
étaient-ils réellement Vaune, le peuplier^ le sapin ? Il est
permis d'en douter.
Quant au 7r>-aTaviffT0<; [Iliaâp^ ii, 307), c'était bien le pla-
tane [piqtanus orientalh)^ encore aujourd'hui commun en
Asie Mineure. A raison de son port, il mérite bien
l'épithète de fce.iw, xotXvi, que lui donne Homère.
Qu'était-ce que le lotus d'Homère ? Avant de répondre
à cette question, il importe d'abord d'établir que ce
même nom s'appliquait à des espèces végétales très-diffé-
rentes.
Ainsi, le lotm hleu et le lotus rose dont parle Hérodote,
étaient des plantes aquatiques, des nymphéacées, ancien-
nement aussi abondantes dans le Nil qu'elles y sont
aujourd'hui rares. Le lotus à fleurs bleues, nymphsea
cxrulea (nchtmbium speciosum), aie fruit semblable aune
capsule de pavot ; il renferme une quantité prodigieuse de
petites graines que les Égyptiens employaient à la fabri-
cation de leur pain. Les fleurs bleues de cette belle nym-
phéacée, qui se retrouve encore dans les fleuves de l'Inde, se
voient fréquemment peintes sur les antiques monuments
de l'Egypte. Le lotus à fleurs roses, nymphsea nelumbo^
donnait la fève d'Egypte (xuafAoç Aîyutttioç). Ces fèves sont
20 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
contenues dans une capsule, percée de trous au sommet,
et ayant tout à fait la forme d'une pomme d'arrosoir.
Hérodote parle aussi d'un lotus à grandes fleurs blanches,
semblables à celles du lis, et dont la racine était comes-
tible. C'était là, non pas une nymphéacée, comme on l'a
prétendu, mais une espèce d'aroïdée, probablement
l'arum colocasia. Ses belles fleurs blanches faisaient
partie de la coiffure d'Isis et d'Osiris. On les figurait
aussi sur la tête d'Harpocrate.
Le nom de iotus s'appliquait également au micocoulier
[celtis australis^ L.), arbre de la grandeur d'un poirier,
propre à la région méditerranéenne. Ses fruits, qui ressem
l3lent à des fèves, sont insipides et inodores ^ Son bois, re-
marquable par sa dureté et sa couleur brune, servait à la
fabrication des flûtes et des statues de divinités. C'est pour-
quoi XwToç est quelquefois synonyme de aùXo'ç, flûte. — Le
diospyros lotus était le lotier arborescent, à baies rouges,
légèrement sucrées, cultivé en Italie, autour des habita-
tions *.
Parmi les herbes de la campagne dont parlait Télé-
maque, se trouvait aussi un lotus'. Etait-ce le mélilot ou
le lotier corniculé de nos botanistes ? Voilà ce qui n'est
guère facile à décider.
Enfin l'arbrisseau dont les fruits servaient d'aliment aux
Lotophages, était, d'après l'opinion la plus accréditée,
lejujubier (r/iamrms /o/w5,L., ziziphus lotus, Encyclop.).
Clusius, J. Bauhin, Linné, Shaw, partagèrent cette
opinion. Poiret et Desfontaines essayèrent de la confir-
mer. Poiret trouva le ziziphus lotus sur le littoral de
Tunis et de Tripoli, particulièrement dans la petite Syrte
et dans l'île de Djerbi. Desfontaines l'observa dans les
mêmes contrées ; la description qu'il en fait s'accorde
1. Théophraste, Hist. plant., iv, 3.
2. Columelle, vu, 9.
3. Odyssée, iv, G03.
ANTIQUITÉ. 21
avec celle qu'en donne Polybe. « Le lotus des Loto-
jihages est, dit cet historien, un arbrisseau rude et armé
d'épines. Ses feuilles sont petites, vertes et semblables à
celles du r/iaînnu5; ses fruits, encore tendres, ressemblent,
lorsqu'ils sont mûrs, aux baies du myrte; en prenant
une couleur rousse, ils égalent en grosseur les olives
rondes, et contiennent un noyau osseux. » Polybe donne
encore d'autres renseignements sur le lotus. « Lorsqus
le fruit, ajoute-t-il, est mûr, les Lotophages le cueillent,
l'écrasent et le renferment dans des vases. Ils ne font
aucun choix des fruits qu'ils destinent à la nourriture
des esclaves; mais ils choisissent ceux qui sont de meil-
leure qualité pour les hommes libres. Leur saveur ap-
proche de celle des figues ou des dattes. On en fait aussi
une sorte de vin en les mêlant avec de l'eau. Cette
liqueur est très-bonne, mais elle ne se conserve pas au
delà de dix jours. » — Ces renseignements s'accordent
avec ceux d'Hérodote. « Le fruit du lolus est, dit-il, de
la grosseur d'une baie de lentisque et d'une saveur ana-
logue à celle des dattes. Les Lotophages préparent du
vin avec ce fruité »
Ainsi, suivant les autorités que nous venons de citer,
les fruits du lotus d'Homère étaient les jujubes, assez
communes sur les côtes de l'Afrique septentrionale. Mais
il faut cependant reconnaître que ces fruits, o'ils peuvent
être de quelque ressource pour des peuplades sauvages,
n'ont aucune des qualités que leur assignait le poète. D'a-
bord les fleurs du jujubier, parfaitement insipides, n ■.
se mangent point; ces paroles d'Homère, àvOtvov e.o/-,
mets fleuri^ ne leur sont donc pas applicables :
.. -.ETTLÔriULev
FaiVis AwTO'xxxYCDV, oix' avOivov eioap àoouaiv *•
1. Hérodoie, iv, 177.
2. Odyssée, ix, 83-84
22 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
.... Nous descendîmes
Sur la terre des Lotophages, qui mangent un mets fleuri.
On a beau forcer le sens des mots, on n'en fera jamais
sortir ce qui ne s'y trouve pas : avôivov signifie fleuri,
ce qui est de la fleur\ et stoap^ mets^ à moins qu'on ne lui
donne le sens de splendide.
Puis, les jujubes, d'une saveur inférieure à celle des
dattes, sont loin d'avoir le goût du miel ; enfin elles n'ont
rien de cette douceur qui puisse faire oublier à ceux qui
en mangent le retour dans leur patrie. On ne saurait
donc en aucune façon leur appliquer la suite des vers du
7 oëte :
Ttov o' ô'ffTtc; XojTOÎo cpayoi p.EXr/ioéa xapTiôv,
Où>c er' aTrayyàXai TrâÀiv 7]Ô£À£V, oùoè V££a()at.
Aucun de ceux qui eut mangé du fruit mielleux du lotos
Ne voulut y renoncer, ni revenir (dans son pays).
On peut s'étonner avec raison que Desfontaines, dans
son Histoire du /oius*,n'aitpasfait mention d'un arbre qui a
beaucoup plus de titres que le jujubier à être pris pour
le lotus d'Homère ; cet arbre c'est le caroubier [ceralonia
siliqua^ L.), de la famille des légumineuses. Ses fleurs
papilionacées, en grappe, ont une saveur sucrée, très-
agréable, due aux jjetites gousses (siliques) tendres, qui
commencent à se montrer bien avant que les corolles ne
soient tombées. C'est ce qui justifie parfaitement cette
locution d'Homère, àvOivov el^ap, mets fleuri^ qui a donné
tant de mal aux interprètes. Quant aux longues gousses,
qu'on nomme caroubes^ il suffit d''en avoir goûté pour
leur trouver immédiatement cette saveur mielleuse qui
rappelle le \t.z\vrfii(x xap7rdv,//unf mielleux^ d'Homère, bien
différent de la saveur des jujubes.
Il est d'autant plus étonnant que personne n'ait songe
1. Dans les Mém. de l'Acad. dm Sciences, année 1788, p. 443
et suiv.
ANTIQUITE. 23
avant nous, à propos des Lotophages, au fruit du carou-
bier*, que cet arbre était connu de tout temps des
peuples groupés autour du grand bassin méditerranéen,
et qu'encore aujourd'hui il est une ressource alimentaire
pour les populations du littoral de l'Afrique, précisément
là où Homère plaçait le pays des Lotophages. Notre
opinion a été confirmée depuis par M. Ph. Bonne, profes-
seur au collège d'Alger, parfaitement à même d'étudier
la question sous tous ses points de vue^.
Le népenthès, vvitovôsç d'Homère, a également exercé
l'esprit des commentateurs. A juger par son étymologie,
le népenthès était un produit propre à chasser la tristesse,
TTc'vôoi;. C'est aussi le sens que lui donne le poëte quand
il dit qu'Hélène
Jeta aussitôt dans le vin, qu'ils (les convives de Ménélas) buvaient,
un poison,
Contraire à la tristesse (népenthès) et à la colère, faisant oublier tous
les maux.
^utiV ap' eîç oivov [3ocXe (pâpixaxov, ev6ôv Ittivov^
NviTicVÔîç t' à'/oÀov T£, xa/cwv ÊTCtXr/Jov aTirâvTwv.
Et pour mieux préciser encore l'action de ce cj/aptjLax&v,
mot qui signifie à la fois poison et médicament , le poëte
ajoute :
Celui qui en a avalé après qu'on l'a mêlé à la coupe.
Peut rester une journée sans répandre une larme sur les joues,
Alors même que lui viendraient à mourir père et mère,
Ou qu'il verrait devant lui périr, par le fer, un frère ou un fils chéri.
"0<; To xaTajipô^eisv, Ittyiv xp-zit-^pi [i.iyciri,
Oux àv £(fy)[/.sptdi; y= P^'Aoi scaxà Saxpu Trapsiwv,
1. Nous en avons parlé pour la première fois dans notre volume
de VU Hivers pittoresque, contenant les États Tripolitains, page 83
(Paris, 1850).
2. Le caroubier ou l'arbre des Lotophages, par Philippe Bonne,
membre fondateur du Comice agricole d'Alger, etc. Alger, 18G9,
iû-18.
2A HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
OùS' et 01 jcaTaxeÔvaiy) \i.'f\vt\o xe ■KOLvf^Q ts,
OiiS' £1 01 irpoTcàpoiôev ào-Xcpôv, ^ tpîXov uiov,
XaXxw OYi'tocoev, 6 S' 6:p6aX[jLoTffiv ôpwto^
On a beaucoup discuté pour savoir ce qu'était le népen-
thès d'Homère. Suivant les uns, c'était la cynoglosse [cyno-
glossum officinale^ h.). Mais cette plante, de la famille des
borraginées, n'a aucune des vertus que le poëte attribuait
au népenthès. Suivant les autres, c'était la stramoine
[datura stramonium^h.), de la famille des solanées. Ceux-
là a])prochaient davantage de la vérité. Selon d'autres,
le népenthès aurait été tout simplement du vin capiteux,
procurant une prompte et longue ivresse ^. Enfin, il y en a
qui prennent le cpoépjxaxov d'Hélène pour une espèce d'inule,
Vinuia Helenium de Linné, qui n'est aucunement narcoti-
que. Cette opinion ne mérite pas même d'être réfutée.
Nous croyons que le fameux népenthès dont parlent,
après Homère, Pline [Hist. nat.^ xxi, 3S7 et 91, xxv, 5),
Macrobe et Eustathe, était l'opium. Ce suc concrète du
pavot [papaver ^om^ii/erum, L.) réunit, en effet, toutes les
propriétés qu'on attribuait à la drogue employée par Hé-
lène, initiée à la connaissance des poisons.
Diodore nous apprend qu'on invoquait les vers cités
plus haut comme un témoignage du séjour d'Homère en
Egypte. « En effet, ajoute-t-il, les femmes de Thèbes (en
Egypte) connaissent encore aujourd'hui la puissance du
népenthès, et les Diospolitaines (Thébaines) sont les
seules qui s'en servent depuis un temps immémorial pour
dissiper la colère et la tristesse*. » — On voit que l'opium
a joué, de toute antiquité, un grand rôle en Orient,
Une autre femme, que le poëte nous représente comme
bien plus habile encore que la belle Hélène à préparer
1. Odyssée, iv, 220-226.
2. Voy. VExcursus de Desfontaines, dans le t. II, p. 151 et suiv., de
l'édition de Pline (GoUect. des Classiques de Lemaire, Paris, 1830).
3. DioJore, i, 97.
ANTIQUITÉ. 25
des poisons, c'était la fameuse Gircé, qui hébergeait chez
elle des loups et des lions apprivoisés après leur avoir
donné des poisons [ircù xaxà cDapf«.ax' ISwxev). Ces bêtes
féroces la suivaient comme des chiens , caressant leur
maîtresse. C'est Gircé qui changea les compagnons
d'Ulysse en pourceaux, après les avoir enivrés et touchés
de sa baguette, Ulysse aurait subi le même sort, si Mer-
cure ne lui eût pas montré le moyen de neutraliser l'ac
tion du 9otpp.ajiov de Gircé, par une plante
Qui avait la racine noire et la fleur d'un blanc de lait ;
Les dieux la nomment moly ; elle est difficile à creuser
Aux mortels.
'Pt![ï) [/.£v jjLsXav effxe, -{aka.x.-:i ok ttxïXov àvOoç*
MwÀu oÉ [XIV xaXéouai Osor ^aXsTtov oi x' opuaaetv
'AvÔpac-', ys Ûv7)T0Îat'.
Quelle était la plante, appelée moly? Les anciens, tels
qu'Ovide, Lycophron et les scoliastes qui en parlent, ne
nous donnent là-dessus aucun renseignement précis.
Théophraste [Hist. plant. ^ ix, 15) dit que la racine du
moly est bulbeuse, que ses feuilles sont semblables à
celles de la scille, et il indique les bords du Phénée en
Arcadie comme lieu de provenance du moly le plus estimé.
G'était donc une plante qui aimait les localités humides.
Pline répète à peu près les mêmes détails; et il ajoute
que des auteurs grecs ont dépeint la fleur comme jaune,
tandis qu'Homère la décrit comme blanche^
Partant de ces données, Glusius (de l'Ecluse) et J. Bau-
hin ont cru voir dans le moly d'Homère une espèce
à'allium, genre qui contient , entre autres , l'oignon et
l'ail, réputés propres à combattre les effets de l'ébriété.
Adoptant cette opinion, Linné a donné le nom homérique
1. Odyssée, x, 212 et siiiv.
2. Pline, Hist. nat., xxv,8.
â6 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
de moly à l'ail doré [alliuni moly)^ que l'on cultive dans
les parterres, à cause de ses fleurs nombreuses d'un beau
jaune, à odeur alliacée, très-pénétrante.
Le moly était , suivant nous, une espèce à'arum^ pro-
bablement la serpentaire [arum dracunculus^ L.), dont
la réputation contre les maléfices est fort ancienne. Sa
racine bulbeuse, qui trace profondément, est noire, im-
prégnée d'un suc laiteux, corrosif; l'enveloppe de la fleur
(spathe) est marquée, comme la hampe, de taches blan-
ches. Tout cela s'accorde très -bien avec les caractères
donnés par Homère à une plante recommandée par le
dieu qui avait son caducée enroulé de serpents. Ajoutons
enfin que la serpentaire est une plante propre aux lo-
calités humides et ombragées de la région méditerra-
néenne.
Les autres plantes mentionnées par Homère sont :
Vasphodèle^ qui formait, près des Portes du Soleil (Gibral-
tar), la prairie (aacioSiXôv )i£tu.cova) habitée par les âmes,
fantômes des trépassés [^uy^oi\, etâwXa xkjjlovtwv) *; c'était
VaspJiodelus ramosus^ belle plante méditerranéenne, dont
les racines bulbeuses sont comestibles, et que les anciens
plantaient près des tombeaux, dans la croyance que lés
mânes s'en nourrissaient. — he pavot ([Jirixcov), qui penche
la tête, chargée de graines [Iliade^ viii, 306. — Le xpo>coç
et le 6axiv9o(; [Iliade, viii, 347), plantes prin tanières ,
comme le sont le safran et la. jacinthe. — Le jonc (ayoîvoç),
qui croît aux bords des fleuves [Odyssée, v, 463). — Le
cornouiller (xpavetY]), avec le fruit duquel Gircé nourrissait
les compagnons d'Ulysse, changés en pourceaux [Odys-
sée, X, 242). — Le peuplier noir (aiysipoç) [Odyssée, vu, 106;
XVII, 208), et le peuplier blanc (à/spon?), qu'Hercule, après
sa descente aux enfers, avait rapporté des bords de l'Aché-
ron [Iliade, xiii, 389; xvi, 482). — Le sapin (iXaT-/)), qui
habite le mont Ida [Iliade, xiv, 287). — On trouve aussi
1. Odyssée, xxiv, 13-14.
ANTIQUITÉ. 27
dans les poèmes d'Homère une mention fréquente du blù
(Cîiâ), d'une terre fertile en blé^ Çeiotopo; à'poupa, et de la vigne,
cultivée à Ithaque et à l'île de Schéria dans les jardins
d'Alcinoùs.
Flore du paganisme.
Les plantes jouaient un grand rôle dans le symbolisme
hiéroglyphique des Egyptiens. Osiris et Harpocrate sont
ligures naviguant assis sur des feuilles de lotos. A Isis
était consacré le ftnea. Qu'était-ce que le Tcepaia ou
Tiepaîa? Les opinions sont divisées là-dessus. Suivant les
uns, c'était le pêche7\ en s'appuyant sur ce passage de
Diodore : « Il croît aussi en Egypte plusieurs espèces
d'arbres, parmi lesquels on distingue le persea^ dont les
fruits sont remarquables par leur douceur; cet arbre a été
importé de l'Ethiopie par les Perses à l'époque oùGarabyse
était maître du pays^.s) Suivant d'autres, au nombre
desquels se trouve Sprejigel, c'était le sebeslier {corclia
myxa)^ arbre à feuilles arrondies, amincies à leur base,
riches en nervures,, dont le pétiole sort d'un nodule cupu-
liforme. Ses fruits drupacés, connus sous le nom de
sebestes^ ont une saveur sucrée ; ils étaient autrefois em-
ployés en médecine. Cet arbre, anciennement commun dans
la haute Egypte, y est aujourd'hui extrêmement rare. Au
rapport de Delisle, le perséa est le balaniles xgyptiaca^
le heglyg ou lebakh des Arabes, arbre de six à sept mè-
tres de haut, dont le fruit a quelque ressemblance avec
celui du dattier. Il ne se rencontre aujourd'hui que sur
les frontières de l'Ethiopie-.
Sur les monuments assyriens ou perses, rapportés des
1, Diodore, i, 34 (t. I, p. 39 de la 2' édit. de notre traduction)
2. Delisle, Flore de VEgijpte (dans le t. XIX, p. 263, de la Descrip-
tion de l'Egypte).
28 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
fouilles de Khorsabad, on voit la figure d'une divinité
tenant dans la main droite un produit végétal , qu'on a
pris pour une pomme de pin, et qui est, selon nous, tout
simplement un bourgeon, reconnaissable à sa forme et à
la disposition de ses écailles, symbole du réveil de la na-
ture au printemps. Le même bourgeon se montre épanoui
au sommet de la tête de la figure, garnie de cornes, sym-
bole du principe fécondant '.
Les arbres les plus beaux, ou caractérisés par queLjue
propriété saillante, étaient consacrés chacun à une divinité
particulière. A Jupiter était consacré le châtaignier :
.... Jovi quae maxima frondet
iEsculus'.
A Hercule le peuplier, à Bacchus la vigne, à Vénus le
myrte, à Apollon le laurier :
Populus Alcidae gratissioaa, vitis laccho,
Formosse myrlus Venerij sua laurea Phœbo '.
Les arbres de la forêt, notamment les chênes, étaient
animés par des nymphes, les Dryades. Quelques-unes de
ces divinités faisaient pour ainsi dire corps avec ces ar-
bres, d'où leur nom de Ilamachyades ^
Les Héliades, filles du Soleil, furent métamorphosées
en peupliers noirs, qui passaient pour sécréter le suc-
cin\
A l'origine de la jacinthe se rattache tout un mythe.
Apollon avait tué involontairement d'un coup de disque
le jeune et beau Spartiate Hyacinthus. Pour perpétuer les
traces de sa douleur, ce dieu fit naître une fleur, belle
1. Voyez notie Babylonie, Assyrie, etc., p. 320, composant le t. IX
de l'Asie de l'Univers pittoresque.
2. Virgile, Georg., ii, 15.
3. Virgile, Eclog., vu, 6I-G2.
4. Virgile, Eclog., v, 50 ; x, 62.
5. Virgile, En., x, 190; Diod., v, 23.
ANTIQUITÉ. 29
comme le lis; seulement sa couleur, au lieu d'être blan-
che, était pourprée. Non content de cela, Apollon inscrivit
ses pleurs sur les feuilles, et les lettres ai ai^ que porte
la fleur, marquent les gémissements du dieu :
FIos oritur, formamque capit qiiam lilia; si non
Purpureus color hic, argenteus esset in illis.
Non salis hoc Pliœbo est, is enim fuit auctor honoris:
Ipse sucs gemitus foliis inscribit, et ai ai
Flos liabet inscriptum, funestaque littera ducta est •.
La seule fleur, connue des anciens, à laquelle puissent
convenir ces caractères, c'est, non pas une jacinthe propre-
ment dite, mais une espèce de lis, le lis martagon [LiUum
marlagon, L.). Les segments de la corolle, fortement rou-
lés en dehors, sont marqués de taches noires, auxquelles il
est facile, avec un peu d'imagination, de trouver quelque
ressemblance avec certaines lettres grecques.
Du sang de Vénus naquit la rose, et de ses larmes
l'anémone :
XÎ^t ôoSov TixTEi, Tot Se Saxpua xotv àv£[ji.ojvav^.
Une plante, remarquable par ses fleurs d'un beau rouge
foncé, Vadonis xstivalis^ doit sa naissance au sang d'A-
donis que Vénus fit périra Cette plante s'appelle encore
aujourd'hui la goalte de sang.
La fleur en laquelle fut changée la nymphe Glytie\
passe pour celle d'une espèce dé crucifère, voisine de la
giroflée, pour Viiesperis matronalis.
Phérénicus, poète épique d'Héraclée, se rendit célèbre
en imaginant des métamorphoses de ce genre. Il chaula,
entre autres, le figuier, le cornouiller, le peuplier, le hêtre,
1. Ovide, Metamorph. , x, 212 et suiv.
2. Bion, I. 166.
3. Ovide, Metam., x, 725
4. Ibid., X, 267.
30 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
comme étant des Hamadryades, engendrées par le com-
merce d'Oxyle avec une nymphe.
La mythologie, cette religion d'artistes, qui animait
tout le règne végétal, prêtait singulièrement à la poésie.
Les croyances austères qui lui ont succédé ont arrêté
ces élans de l'imagination.
Le jardin des Hespérides, dont les pommes d'or étaien:
gardées par un dragon à cent têtes, renfermait, sou;
une forme poétique, quelques faits réels. Les Hespéridc;;
étaient les nymphes de l'Occident, filles de Jupiter et
d'Hespérus. Mais l'Occident change de signification sui-
vant la région oti l'observateur se trouve placé relative-
ment au soleil. Ainsi, pour les Hellènes, l'Asie Mineure
était l'Orient, tandis que pour les habitants de l'Asie
Mineure la Grèce était l'Occident. Maintenant, quel est
le peuple auquel les Grecs ont emprunté la plupart de
leurs légendes mythologiques ? Ce sont, selon leur propre
aveu, les Egyptiens. Or à l'occident de l'Egypte et au
midi du Péloponnèse est située la Gyrénaïque, portion
orientale du littoral de l'Afrique septentrionale. C'est
dans la Gyrénaïque que les plus anciens géographes
placent le jardin des Hespérides. Voici ce qu'on lit dans
le Périple de Scylax : « Le golfe formé par le promontoire
de Phycus est inabordable. Près de là se trouve le jardin
des Hespérides. G'est un lieu de dix-huit orgyes, ceint de
toute part de précipices si escarpés qu'il n'est accessible
d'aucun côté. Il a deux stades d'étendue en tout sens, sa
longueur étant égale à sa largeur. Ce jardin est rempli
d'arbres serrés les uns contre les autres, et dont les bran-
ches s'entrelacent. Ce sont des lotus, des pommiers de
toute espèce, des grenadiers, poiriers, arbousiers, mûriers,
myrtes, lauriers, lierres, oliviers cultivés et sauvages,
amandiers et noyers ^ »
En résumé, suivant le témoignage de Scylax, c'est près
1. Scylax, Peripl, 110 (édit. Gronov.).
ANTIQUITÉ. 31
du golfe formé par le promontoire de Phycus (aujourd'hui
Ras-Sem) qu'il faut placer le jardin des Hespérides. Ce
témoignage semble confirmé par les voyageurs modernes.
Ainsi, au rapport de Pacho, on retrouve encore, dans
le lieu indiqué, tous les arbres nommés par Scylax, à
l'exception des noyers et des pommiers. Dans l'emplace-
ment inabordable, ceint de précipices rocailleux, le voya-
geur voit l'allégorie du dragon préposé à la garde du
jardin des Hespérides *. A quelque distance du cap Phycus
sont les ruines de Beneglidem, l'ancienne Balacris, située
sur la route qui conduisait à Ptolémaïs, à quinze milles
de Gyrène, suivant Ptolémée. Non loin de là était le port
où abordèrent probablement les Argonautes, lorsque du
cap Malé ils furent rejetés sur les côtes de l'Afrique par
un vent du nord. Hercule, qui était au nombre des Argo-
nautes, parvint, d'après la légende, à s'emparer des pom-
mes d'or du jardin des Hespérides.
Poètes, historiens et voyageurs, tous ont vanté la beauté
et la fertilité de cette plage. Pindare l'appelle «la />■wg'^7ère,
le Jardin de Jupiter, le Jardin de Vénus. » Selon Théo-
phraste, les terres de la Gyrénaïque étaient légères, vivi-
fiées par un air pur et sec ; l'olivier et le cyprès y acqué-
raient une rare beauté*. « Le territoire limitrophe de la
Gyrénaïque, dit Diodore, est excellent et produit quantité
de fruits, car il est non-seulement fertile en blé, mais il
produit aussi des vignes, des oliviers et toutes sortes de
fruits sauvages. »
Strabon plaçait le jardin des Hespérides aux environs
de la grande Syrte. « Ceux qui habitent, dit-il, le fond
de la Syrte, ne mettent que quatre jours pour se rendre
au jardin des Hespérides, en suivant la direction du le-
vant d'hiver. »
Délia Gella, qni de nos jours l'a parcouru, s'accorde
1. Pacho, Voyage dans la Marmarîque et la Cyv.énaïque, p. 172.
2. Théophraste, Hist. plant., vi, 27 ; iv 3.
32 HISTOIRE DE LA BOTANIOCIE.
avec ces témoignages. Ainsi, au rapport de ce voyageur,
les deux arbres dont parle Théophraste comme acquérant
une rare beauté dans la Gyrénaïque, l'olivier et le cyprès,
présentent encore aujourd'hui, dans cette contrée, une vé-
gétation singulièrement luxuriante*. C'est dans la plaine
située entre la partie élevée de la Gyrénaïque et le bord
de la mer qu'il place le jardin des Hespérides. Toute
cette étendue de côte, à partir de l'ouest du cap Ras-Sera
(Phycus), est rendue à peu près inaccessible par les in-
nombrables rochers qui la bordent. Derrière ces rochers
se trouvent les belles prairies d'Ericab.
On a beaucoup discuté pour savoir si les pommes
dorées du jardin des Hespérides étaient des citrons
ou des oranges. Cette question a peu d'importance. Il
suffit de savoir qu'aujourd'hui, comme autrefois, on ren-
contre des citronniers et des orangers sur tout le littoral
de l'Afrique , depuis la Gyrénaïque jusqu'aux Colonnes
d'Hercule.
Dans le même territoire de la Gyrénaïque, qu'habi-
taient les Lotophages , se trouvait aussi le sUphium,
plante à laquelle les anciens attribuaient les propriétés
les plus merveilleuses. Pline lui reconnaissait, entre
autres, celles d'endormir les moutons et de faire éternuer
les chèvres ^
Le suc de cette plante se vendait au poids de l'or. Le
silphium fut un des principaux objets du commerce des
Gyiénéens; il passa en proverbe comme un symbole de
richesses. Une tige de silphium était regardée comme
un présent digne des princes et des dieux. César retira
d'une de ces tiges, conservée dans le trésor public de
Rome, la somme de quinze cents marcs d'argent. Les
Cyrénéens avaient consacré cette plante à leurs souverains
1. Délia Cella, Viaggio da Tripoli di Barb aria aile frontière occt-
dentali deW Egitto, p. 77 et 119.
2. Pline, Hist. nat., xii, 23.
1
ANTIQUITÉ. 33
les p'us vertueux. Ainsi, sur plusieurs médailles de Cy-
rène, on voit, d'un côté, la tête du roi Battus ou de Jupiter
Ammon, et, de l'autre, la figure du silphium.
Le suc de cette plante, qui passait pour une sorte de
panacée, s'obtenait par l'incision de la tige et de la
racine. Le suc de la tige s'appelait thysias^ et celui de
la racine, caulias. L'un et l'autre portaient le nom de
larmes de la Cyrénaïque. Le suc de la racine était préféré
à celui de la tige, parce qu'il se conservait plus long-
temps. Pour empêcher qu'il ne se corrompît, on y mêlait
de la farine. Une loi fixait le temps et la manière de faire
l'incision, ainsi que la quantité de suc que l'on devait en
tirer pour ne pas faire périr la plante.
Enfin, de quelle espèce végétale était le silphium^ et
dans quelle partie de la côte africaine le rencontrait-on
plus particulièrement ?
Scylax et Hérodote plaçaient le silphium dans la région
littorale de la Pentapole libyque, depuis l'ile de Platée
jusqu'à l'entrée de la Grande Syrte. Catulle le plaçait
près de Gyrène. Arrien et Pline le reléguaient sur la lisière
intérieure des terres fertiles, tandis que, suivant Ptolémée
et Strabon, il ne se voyait que dans la partie centrale du
désert du sud de la Cyrénaïque. On a essayé de concilier
ces opinions, en donnant le nom de Cyrénaïque à toute
l'étendue orientale de la côte libyqvie, y compris la région
ammonienne. Partant de là on a supposé que le silphium
croissait dans toute cette vaste contrée, au nord, aussi
^ bien qu'au sud, ce qui semblerait justifier les noms de
Cyrénaïque silphifère, de Lrbya silphifera, etc. Mais cette
explication est contredite par la nature du sol, qui n'est
pas la même dans la partie septentrionale que dans la
partie méridionale de la Libye.
Depuis les sommets, qui dominent l'ancienne Cherso-
nèse cyrénaïque, jusqu'à la côte orientale de la Grande
Syrte, on trouve fréquemment, dans un espace qui s'étend
au sud, tout au plus à huit ou dix lieues du rivage, une
3
34 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE,
grande espèce d'ombellifère, que les Arabes nomment
derias, et dont voici les principaux caractères : racine
fusiforme, charnue, très-longue, d'un brun foncé à la
surface ; tige striée, atteignant deux ou trois pieds de
hauteur, et s'élevant sur un collet épais d'où jaillit, si
on l'incise, un suc laiteux, abondant; feuilles luisantes,
surdécomposées, caduques ; fleurs en ombelles jaunes ;
graines ovales, comprimées, bordées d'une membrane
transparente. Ces caractères s'accordent parfaitement avec
ceux que donne Pline. En effet, suivant ce naturaliste,
la racine du silphium était d'un brun foncé et avait
plus d'une coudée de longueur. A l'endroit où elle sortait
hors de terre était une grosse tubérosité (collet) qui, par
incision, laissait suinter un suc laiteux. Ses graines
étaient aplaties (comprimées) ; ses feuilles tombaient tous
les ans, dès que soufflait le vent du midi^
Mais le silphium des anciens croît-il encore aujourd'hui
dans la Gyrénaïque? Si, du temps de Plante^, on en faisait
encore d'abondantes récoltes, le silphium commençait à
devenir rare dès l'époque de Strabon. Au siècle de Pline
(i" siècle de notre ère), il avait été détruit par les bestiaux,
et on ne connaissait plus qu'un laser, provenant de la
Perse et de l'Arménie, très-inférieur à celui de la Gyré-
naïque. Sous Néron, on n'en trouva plus qu'un seul
pied, qui fut envoyé à ce prince comme une curiosité
rare. Strabon attribue la cause de la rareté du silphium^
de son temps, à une invasion des Barbares qui avaient
cherché à le détruire par l'extirpation de ses racines. En
répétant ce fait, Solin ajoute que les Gyrénéens avaient
eux-mêmes contribué à détruire le silphium, pour se
délivrer des impôts énormes dont il était l'objet. Mais il
n'est guère probable qu'on puisse ainsi anéantir toute une
espèce végétale. Un fragment de racine, une graine
1. Pline, }list.nat.,xix, 15.
2, Piaule, liudens, acl. m, se. 2, vers 15 tt 16, ' ■
ANTIQUITE. 35
échappée par hasard, peuvent en assurer la propagation.
On peut donc admettre, comme une chose très-probable,
que le laserpitium dévias de Pacho, ou le thapsia silphium
de Viviani, qui se rencontre encore aujourd'hui dans
les États Tripolitains, est le sUphiùm des anciens. Seule-
ment, dans ce cas, il faut beaucoup rabattre des propriétés
merveilleuses de cette plante. La plupart des voyageurs
ont reconnu, comme Pline, sa propriété d'être nuisible
aux bestiaux. Mais c'est à ]3eu près le seul caractère que
le laserpitium derias partage avec le silphium des an-
ciens.
Suivant Desfontaines ^, le silphium ou le laser des
anciens était l'assa fœtida, suc concrète de la longue
racine noire du ferula assa fœtida. Son odeur alliacée,
repoussante (d'où son nom officinal de stercus diaboli),
était anciennement fort recherchée, au point qu'on s'en
servait pour aromatiser les mets, ce qui justifie le proverbe
que « des goûts et des couleurs il ne faut pas disputer. »
Le narthex des Grecs était aussi une espèce de ferula [f.
nartheca de Poiret) . Tournefort dit l'avoir retrouvé dans les
îles de l'Archipel. « La tige, épaisse d'environ trois pouces,
a, dit-il, cinq pieds de haut ; elle est remplie d'une moelle
blanche qui, étant bien sèche, prend feu comme la mèche.
Le feu s'y conserve parfaitement bien, ce qui peut servir
à expliquer un passage d'Hésiode qui, parlant du feu que
Prométhée vola dans le ciel, dit qu'il l'emporta dans une
férule. Ces tiges sont assez fortes pour servir d'appui, et
trop légères pour blesser ceux que l'on frappe; c'est pour-
quoi Bacchus, législateur, ordonna sagement aux premiers
hommes qui buvaient du vin de se servir de cannes de
férule, parce que souvent, dans la fureur du vin, ils se
cassaient la tête avec les bâtons ordinaires. Les prêtres du
même dieu s'appuyaient sur des tiges de férule.... Plu-
l. Pline, Ilist. nat., t. VJ, p. 465 {Excunus, m, de l'éditioa de
Lemaire).
36 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
tarque et Strabon remarquent qu'Alexandre tenait les
œuvres d'Homère dans une cassette de férule*. »
La flore médicale d'Hippocrate et de Galien se compose
à peine de deux cents plantes, dont les noms sont loin de
se rapporter à des espèces exactement déterminées. Ainsi,
ïellcbore noii\ IXXÉêopoç fjiéXaç, dont la racine passait pour
guérir la folie, était, selon toute apparence, non pas notre
rose de Noël [helkborus niger^ L.), mais Vhelleborus orien-
ta lis, 'Encyd. Anticyre était le lieu qui fournissait le meil-
leur ellébore; d'où vint le proverbe d'envoyer à Anticyre
les personnes malades du cerveau. En visitant l'île d'An-
ticyre, l'Eubée, la Béotie, le mont Hélicon, Tournefort
n'y trouva que l'ellébore oriental. Il en essaya l'usage;
mais le succès ne répondit pas à son attente.
Le panais opopanax [pastinaca opopanax, L.) fournit,
par l'incision des racines, une gomme-résine, qui paraît
avoir figuré dans la pharmacopée des anciens. Mais il
n'est pas certain que le panakés (uavaxE;) d'Hippocrate
(d'où le nom de panacée) soit cette gomme-résine. Le
panais opopanax se rencontre dans la Syrie. Ni Sibthorp,
ni Fraas ne l'ont rencontré en Grèce. L'auteur de la Fbra
grxca (Sibthorp) dit que le panais commun [pastinaca sa-
liva) croît aux bords des champs cultivés, dans les îles de
l'Archipel. C'est de celui-là que parlent Dioscoride (iir, bO)
et Pline (xxii, 22).
Parmi les autres ombellifères de la flore hippocrato-
galénique, nous citerons le buprcslis (pouTrpvioriç), qui
paraît être le buplevnom fnUicosum, L., commun dans la
région méditerranéenne; ses feuilles ovales, lisses,
devaient, à cause de leur persistance pendant l'hiver,
attirer de tout temps l'attention sur cette espèce arbores-
cente. — Le sèscli (Ghùi), qui n'appartient àaucune espèce
de séséli des botanistes modernes, est, suivant Sprengel, !c
lordylium officinale, L., dont les graines ont la saveur de
1. Tournefort, Voyage au Levant, t. I, p. 290.
ANTIQUITÉ. 37
celles du camin et passent pour diurétiques. Dîoscoride
(m, 56) en parle sous le nomde -ropoûXtovou ffSCTeXt xf/ittxdv.
Son l'éséli étldopique^ aÉdeXt atOitoTnxôv, était le bupkvrum
fruticosum. On le rencontre assez abondamment sur les
collines arides du Péloponnèse.
Le conium^ xtôvsiov d'Hippocrate et de Théophraste,
que Pline nommait ciciita^ paraît être notre grande
ciguë, conium maculatum^ facile à reconnaître à son
odeur vireuse et à ses tiges, parsemées de taches li-
vides comme la peau d'un serpent. Celte ombellifère
abonde dans les localités humides de la Grèce, à l'excep-
tion de l'Attique où elle est rare^ Est-ce là la ciguë que
l'Aréopage d'Athènes employait pour faire périr les con-
damnés à la peine capitale, et que la mort de Socrate a
suffi pour immortaliser ? C'est très-probable, bien qu'il y en
ait qui prétendent que la ciguë, qui remplaçait chez les
Athéniens notre guillotine, était la cicutaire, cicwïa virosa,
L. Mais cette espèce, dont le suc est aussi vénéneux que
celui de la grande ciguë, préfère les contrées du nord à
celles du midi.
Lemarathnmi, [i.apa6pov d'Hippocrate et de Théophraste,
est notre fenouil (anetlnmi fœnicuhim.L.), dont toutes les
parties exhalent une odeur caractéristique. On le rencontre
IVéquemmentsur le littoral de l'Attique, à quelque distance
de la mer, souvent en compagnie avec une espèce voisine,
Vanelhum graveolens^ L., que Théophraste avait déjà
indiquée sous le nom d'aneth^ avr,6ov.
Parmi les autres plantes de la flore médicale, on re-
marque : Viris (?pi<; Hipp.), que Théophraste qualifie
d'odorante, de céleste, d'admirable; c'était Yiris floren-
iiria^ L., dont la racine a une odeur de violette, et qu'on
Irouve, suivant Sibthorp, sur le Taygète ; — la garance,
IpuOpdSavoç, cultivée dans les plaines maritimes de l'Atti-
que, de Salamine,de l'Eubée;— lascammonée(<7xajx{iL(ov(ov
1. Fnsis, Synopsis plantarum florx dassicse, p. 141.
38 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Hipp., i7xau[jLt.)vict Diosc.) était le convolvidus scammoma^
dont la racine donne par incision une gomme-résine, bien
connue des anciens comme purgative; — la. jusquiame^
(Joaxûafxoç (fève de porc) , dont les anciens distinguaient
l'espèce noire (6. [xÉXaç) et l'espèce blanche (u. àeuxoç); — la
violette odorante qu'Hippocrate appelle )^£uxol'ov, et Théo-
phraste, ïo-^, l'un et l'autre avec l'épithète de noire, ■vh (jisXav ;
elle est aujourd'hui rare en Grèce ; — le cyclamen, xuxXâunvo;
d'Hippocrate, était, non pas comme le prétend Sprengel, le
cyclamen europœum^L. , qui appartient à l'Europe centrale,
mais une espèce particulière, le cyclamen grsecum, Sib.,
également remarquable par sa grosse racine, amylacée,
renfermant un suc drastique ; — le stnjchnos, cxpu/vo;, était,
soit la douce-amère, remarquable par ses baies d'un rouge
écarlate, soit la morelle, caractérisée par ses baies noires-
— Vacté, axTvi d'Hippocrate, étaitl'hièble, sambucus ebulus,
L., tandis que Vactea, àxxîa (axTÎ^) de Théophraste était
notre sureau, sambucus nigra, qui affecte, en effet, comme
le dit Théophraste, la forme d'un arbre et croît dans les
lieux plutôt secs qu'humides. — he poly carpe, TroXuxapTrov
d'Hippocrate, qui croissait péirmi les mauvaises herbes
des champs cultivés, a exercé la sagacité des commenta-
teurs. Suivant les uns, c'était la persicaire {polygonum
persicaria, L."^; suivant d'autres, c'était une espèce de mé-
larapyre ou la nielle. Nous croyons que c'était tout simple-
ment une renoncule, peut-être le ranunculus arvensis: le
nom de polycarpe lui conviendrait parfaitement.
Flore extra-inéditcrranéennc.
Les rapports des Grecs avec le vaste empire des Perses,
qui par l'expédition de Gambyse avaient conquis l'Egypte
ANTIQUITE. 39
(en 525 avant J. G.), contribuèrent beaucoup à dévelop-
per leurs connaissances en histoire naturelle. Hérodote
explora la Mésopotamie, étudia sur le terrain les marches
de Xerxès, ripandit tant de lumières sur la mystérieuse
Egypte, sur les parties voisines de la Libye et de l'Arabie,
et visita, en observateur attentif, la Phénicie, la Pales-
tine et la Syrie. Ces voyages comprennent un intervalle
d'environ dix ans (de 454 à 444 avant J. G.). Un autre
Grec célèbre, dont nous ne connaissons les ouvrages que
par les fragments conservés dans Diodore, Gtésias, résida
longtemps à la cour de Perse, et devint médecin d'Ar-
taxerxès Mnémon. Il faisait partie de la suite de ce roi à
la bataille de Gunaxa (en l'an 400 avant J. G.), que per-
dirent les Grecs engagés par Gyrus à la révolte contre son
frère. Xénophon, conduisant à travers des régions jus-
qu'alors inexplorées les 'débris de l'armée grecque, profita
de l'occasion pour faire plus d'une remarque utile pour
l'histoire naturelle.
En parlant de la Babylonie, Hérodote apprenait à ses
compatriotes que toute la région située entre l'Euphrate
et le Tigre était, comme l'Egypte, sillonnée de canaux
qui portent la fertilité dans les champs couverts de cé-
réales. « On n'essaye pas, dit-il, d'y cultiver des arbres
fruitiers, ni le figuier, ni la vigne, ni l'olivier; car le ter-
rain est si propice aux céréales que le blé rapporte, en
moyenne, deux cents et, dans les années les plus favora-
bles, trois cents pour un. Les feuilles du froment et de
l'orge y acquièrent facilement jusqu'à quatre doigts de
largeur. » — Il s'agit probablement ici d'un froment et
d'une orge différents de nos espèces.
Hérodote admirait surtout les dimensions du millet et
du sésame de la Babylonie. « Je n'en parlerai pas, dit-il,
bien que j'en aie une parfait icon:aissance, très-convaincu
que ceux qui n'ont pas visité la Babylonie ne croiraient
pas ce que je leur dirais de ses productions.... Les habi-
tants ont des palmiers plantés dans toute la plaine ; la
40 HISTOIRE DE L.\ BOTANIQUE.
plupart portent des fruits, d'où ils tirent des aliments,
du vin et du miel. Ils les soignent à la manière des fi-
guierb : ils attachent aux palmiers à dattes ce que les
Grecs nomment les mdles des palmiers (cpoivixwv toùç
apffêvaç); l'insecte (4'ïiv) qui s'y trouve mûrit la datte en
y pénétrant, et l'empêche de tomber ^ 5> On voit par ce
passage que les Babyloniens avaient, comme les Grecs,
connaissance du sexe des plantes. Le palmier {phœnix
dactylifera) devait, en effet, le mieux se prêter à cette
découverte : les deux sexes s'y trouvent disposés chacun
sur une tige différente, comme dans toutes les plantes
dioïques ; le palmier qui portait des fruits était réputé du
sexe féminin, et le palmier stérile, du sexe masculin.
Seulement, au lieu d'attribuer la fécondation du palmier
femelle à la poussière des fleurs du mâle, on l'attribuait
à un insecte. Ce n'est que beaucoup plus tard que l'on
reconnut que les insectes qui butinent sur les fleurs mâles,
ne font que transporter la poussière fécondante sur les
fleurs femelles.
Hérodote fit le premier connaître le vin de palmier. Il
rapporte que Gambyse envoya aux Éthiopiens, par l'in-
termédiaire des Ichthyophages, quelques mesures de ce
vin. « Dans les contrées voisines de la Haute-Egypte, on
en fait, dit-il', encore aujourd'hui usage. On l'obtient par
la fermentation du suc qui s'écoule des jeunes pousses du
sommet des palmiers à l'époque de leur taille. »
Ses voyages dans les principales régions de l'Ancien
Continent lui permettaient de faire des observations qui ne
devaient qu'après de longs siècles fournir des éléments à la
géographie botanique et agricole. Telles sont, entre autres,
les zones végétales, dans lesquelles Hérodote divise la
Gyrénaïque. Voici cette division. « La Gyrénaïque, pays
le plus élevé de la Libye qu'occupent les nomades, a trois
1. Hérodote, i, 193.
2. Ibid., m, 20.
ANTIQUITÉ. 41
zones dignes de remarque, déterminées par les saisons.
Dans la première, qui comprend le littoral, la moisson et
la vendange se font de bonne heure. Quand elles y sont
terminées, les fruits commencent à mûrir dans la zone
intermédiaire, qui s'élève à partir de la zone que l'on
appelle les colHnes (pouvoi) ; lorsque la récolte y est faite,
les productions de la partie supérieure de la colline, la
plus haute de tout le pays, touchent à la maturité ; de telle
sorte que quand les fruits donnés par les deux premières
récoltes ont été consommés, les fruits de la dernière région
succèdent aux premiers. Les Gyrénéens ont ainsi huit mois
d'automne*. » — A cette description il ne manquait, pour
être complète, que l'indication des distances. Strabon et
Pline y ont suppléé en rapportant que dans l'espace de
cent stades du rivage, le pays est couvert d'arbres, et que
dans une étendue de cent stades plus au sud, il ne produit
que des céréales.
Gfésias avait donné les plus curieux détails sur les mer-
veilles de Babylone, notamment sur le fameux Jardin
suspendu^ ouvrage, non pas de Sémiramis, mais de Na-
buchodonosor. Ce roi l'avait fait construire pour plaire
à une de ses femmes, qui, originaire de la Perse, regret-
tait les prés de ses montagnes. Le Jardin suspendu, de
forme carrée, avait environ cent vingt mètres de côté; on
y montait par des degrés, sur des terrasses posées les
unes au-dessus des autres. Ces terrasses étaient soutenues
par des colonnes qui supportaient tout le poids des plan-
tations; la colonne la plus élevée supportait le sommet
du jardin. Les plates-formes des terrasses étaient com-
posées de blocs de pierres, recouverts d'une couche de
roseaux mêlés de bitume; sur cette couche reposait une
double rangée de briques cuites, cimentées avec du plâtre;
ces briques étaient, à leur tour, recouvertes de lames de
plomb, afin d'empêcher l'eau de filtrer à travers les atter-
1. Hérodote, iv, 198 et 199.
42 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
risscments artificiels et de pénétrer dans les fondations.
Sur cette couverture enfin se trouvait répandue une masse
de terreau suffisante pour recevoir les racines des plus
grands arbres. « Ce sol artificiel était, ajoute l'historien,
rempli d'arbres de toute espèce, capables de charmer la
vue par leurs dimensions et leur beauté. Les colonnes
s'élevaient graduellement, laissaient par leurs interstices
pénétrer la lumière, et donnaient accès aux appartements
royaux, nombreux et diversement ornés. Une seule de
ces colonnes était creuse depuis le sommet jusqu'à la
base ; elle contenait les machines hydrauliques qui fai-
saient monter de l'Euphrate une grande quantité d'eau,
sans que personne ne pût rien voir à l'extérieur*. 53 — Il est
à regretter que l'historien n'ait pas fait connaître au moins
les principales espèces végétales cultivées sur les terrasses
du Jardin supendu.
Xénophon, qui commandait l'arrière-garde dans la
fameuse retraite des Dix mille, a soin de signaler les
principaux traits de la physiologie végétale des pays qu'il
traversait. Ainsi, « en passant par la Gilicie, il vit, non
loin de Tarse, une grande et belle plaine, bien arrosée,
couverte de vignes et d'arbres de toute espèce. « Cette
plaine produisait aussi « du sésame, du sorgho (fxsXiv/)),
du millet (sKyypov), du froment et de l'orge en abondance^.5>
— Le sésame (cvica[4:ov), l'un des végétaux caractéristiques
de l'Orient [sesamum orientale^ L.), était alors cultivé,
comme l'est aujourd'hui le pavot, à cause de l'huile qu'on
retirait de ses graines. Il est, suivant Pline, originaire de
l'Inde, et l'huile de sésame, remarquable par sa blancheur,
était, selon Dioscoride, fort recherchée des Egyptiens^
Dans la partie méridionale de la Mésopotainie, Xéno-
phon vit la rive plate de l'Euphrate entièrement couverte
d'absinthe. Ammien Marcellin s'accorde ici avec le gé-
1. Diodore, n, 10.
2. Xénophon, Anabasis, i, 2,22.
3. Pline, Hist. nat., xviii, 22; Dioscoride, i, 121.
ANTIQUITÉ. 43
neral grec. « Dans cette plaine étendue, aiide, on ne
trouve, dit-il, que de l'eau saumâtre, que de trislesherhes,
telles que Vabrotamim, Vabsinthium et le dracontkmi* . »
Le nom de à']/tvGiov, a&smî/nam, s'appliquait à toutes les
hautes herbes amères, de la famille des corymhifères. Ce
qui le prouve, c'est la qualili cation d'orforanï^SiEÙcoor), comme
des aromates (airavia vjaav £ÙwS-/], wçTTEp «pco[x«Ta), que leur
donne l'historien grec. — Un peu plus loin, dans le voisi-
nage de Babylone, le pays « était tout à fait dénudé de
végétation; on n'y voyait ni arbre, ni herbe^ »
En Arménie, dans la contrée des Garduques, où les
Grrecs eurent à lutter contre tant d'obstacles, Xénophon
rencontra des villages dont les habitations étaient, comme
des cavernes, creusées dans le sol. Ces habitations souter-
raines, cil étaient logés des bœufs, des moutons, des
chèvres et des poules, étaient en même temps des maga-
sins de blé, d'orge et de légumes. « Il y avait aussi, ajoute
Xénophon, des cratères remplis àevin d'orge; des grains
d'orge nageaient à la surface du liquide, qui portait aussi
des chaumes sans nœuds (>tâ).a[xot yovaTa ou/. I/ovteç), les
uns plus petits, les autres plus grands ^ jj Les habitants
des montagnes inhospitalières de l'Arménie, où le froid
empêche la vigne de croître, remplaçaient le vin par la
bière ; car c'est là ce que signifie oîvo; xpiôtvo;, vin d'orge.
Nous devons rappeler ici le breuvage des anciens Germains,
« cette liqueur d'orge ou de froment changée, par la fer-
mentation (corruption), en une espèce; de vin, 3> humor ex
hordeo aut frumento in quamdam sîmilitudinem vini
corruptus., dont parle Tacite''. Quant aux chaumes sans
nœuds., qui ont tant occupé les commentateurs de Xéno-
phon, ils servaient sans doute à aspirer le liquide, pour
le boire, et pour cela il fallait que les chaumes ou tiges
1. Am. Marcel., xxvi, 8.
2. Xénophon, Anabas., i, 5, 1 et 4.
3. Ibid. , IV, 5, 28.
4. Tacite, De morib. Germ., 123.
44 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
creuses fussent dépourvus de diaphragmes à l'intérieur,
c'est-à-dire sans nœuds.
En traversant la Golchide , non loin de Trébizonde ,
Xénophon rencontra de nombreuses ruches de miel. « Tous
les soldats qui, dit-il, mangèrent de ce miel, eurent
le délire; les uns eurent en même temps des vomisse-
ments , les autres la diarrhée , aucun ne put se tenir
debout ; ils ressemblaient à des gens ivres , à des fous
et à des mourants; mais personne ne mourut, et le len-
demain ils étaient tous rétablis'. » — Ce miel devait ses
propriétés vénéneuses aux plantes sur lesquelles avaient
butiné les abeilles. Ces plantes étaient probablement, non
pas des azalées, comme on le prétend, mais des solanées,
telles que la belladone, la stramoine et la jusquiame.
Dans les pays des Mosynèques, où était située la ville
de Gérasonte (d'où l'on croit originaire le cerisier) , les
G-recs trouvèrent en abondance du blé, principalement
de Vépeavtre^ Ceia, et « des châtaignes que les indigènes
mangeaient bouillies ou cuites en guise de pain^ » —
Les anciens distinguaient, comme nous, deux espèces
d'épeautre, sous les noms dezeia et d'o/yra, La première
espèce était probablement l'épeautre proprement dit, le tri-
ticum spelta, L.,qui se distingue, à la simple vue, du fro-
ment cultivé, par ses épis bien moins larges et ventrus ;
la seconde espèce était, selon toute apparence, letriticum
monococcum, le froment locular , dont la farine fournis-
sait une bouillie excellente, désignée par les Romains sous
le nom à'alica.
Aucune expédition militaire ne fut aussi utile au pro-
grès des sciences que celle d'Alexandre le Grand. Si le
fds de Philippe de Macédoine n'eût été que l'instrument
aveugle de la haine séculaire des Grrecs contre le succes-
1. Xénoph. Anab., iv, 8, 20-21,
2. Ibid., V, 4, 28-39.
ANTIQUITÉ. 45
seur de Darius et de Xerxès, sa gloire ne serait que celle
d'un audacieux et heureux conquérant; mais le disciple
d'Aristote s'était fait accompagner d'hommes capables
d'observer les merveilles de la nature, et les résultats de
ses conquêtes, mettant indissolublement l'Asie et l'Afrique
en rapport avec l'Europe, ne devaient jamais s'anéantir.
Au nombre des espèces végétales dont la connaissance
se répandit rapidement depuis l'expédition d'Alexandre le
Grand (de 334 à 322 avant J. G.), il nous suffira de citer
le citronnier, le cannellier, le poivrier, etc.
Le citronnier [malus medica^ L.), que Pline appelle pom-
mier de l'Assyrie ou de la Médie, malus Assyria, malus
Medica^ ne fut acclimaté en Italie que par Palladius, au
cinquième siècle de notre ère. Du temps de Pline, on ne
le cultivait que dans des vases de poterie, percés d'ouver-
tures pour faire respirer les racines (fictilibus in vasis,
dato per cavernas radicibus spiramento). « Mais, ajoute
le naturaliste romain, cet arbre n'a voulu jusqu'à présent
prospérer que chez les Mèdes et en Perse (nisi apud
Medos et in Perside nasci voluil). » En même temps il en
donne comme caractère, « de porter des fruits dans toutes
les saisons : les uns tombent pendant que les autres
mûrissent, et que d'autres encore commencent à paraître.
Son feuillage ressemble à celui de l'arbousier, avec des
épines intercurrentes. La pomme (citron) ne se mange
point ; mais son odeur sert, comme celle de la feuille, à
chasser les teignes des vêtements. Les Parthes nobles en
emploient les graines pour aromatiser leurs aliments et
leur haleine. » — Théophraste (iv, 4) s'accorde ici avec
Pline (xii, 7).
Athénée, écrivain du troisième siècle de notre ère,
apprit d'un de ses amis, qui avait été gouverneur
d'Egypte, que le citron est l'antidote de tous les poi-
sons. « Cet ami, raconte-t-il, avait un jour condamné
quelques criminels à être mordus par des serpents veni-
meux : ils allaient subir leur sentence, lorsque la mai-
46 HISTOIRE DÉ LA BOTANIQUE.
tresse aune taverne leur donna, par pitié, du citron
qu'elle avait à la' main; ils le prirent, le mangèrent, et ne
reçurent aucun mal des aspics, aux piqûres desquels ils
furent exposés K »
Il ne faut pas confondre les pommes médiques ou
assyriennes, qui sont, comme nous venons devoir, les
citrons, avec les pommes persiques, mala persica. Celles-
ci sont les pêches, fruits de Vamygdalus persica, L. Sui-
vant Diphile de Sipliné, cité par Athénée, les pommes ou
prunes, coccymela, de Perse, sont d'un suc de moyenne
qualité, mais plus nourrissantes que les pommes ordi-
naires. Pline avait entendu dire que le pêcher, Persica
arbor, possède en Perse, sa patrie, des propriétés véné-
neuses, et qu'il fut, par les rois, transplanté en Egypte
comme un moyen de supplice.- Ce que Pline rapporte ici,
comme un simple bruit, auquel il refusait toute créance,'
montre que les anciens connaissaient le violent poison
(acide prussique) qu'on peut retirer des noyaux de pêche
piles. C'est ce qui explique pourquoi le pêcher était
consacré à Harpocrate, au dieu du silence, comme nous
l'apprend Plutarque,dans son traité à'Isis tt Osiris.
La cannelle, écorce du laurus ciiinamomum^L., avait été
pour la première fois apportée en Europe par les Phéni-
ciens, qui faisaient le commerce de l'Inde par la mer
Rouge; c'est pourquoi la pointe méridionale de cette mer
reçut le nom de cap des Aromates. Du reste, le nom
même de cinnamomum, en hébreu kinnamôn, est d'origine
sémitique ou phénicienne. Mais l'expédition d'Alexandre
compléta les renseignements très-vagues qu'on avait eus
jusqu'alors sur le cannellier. Hérodote propagea les fables
par lesquelles les rusés marchands de Tyr ou de Sidon
avaient essayé de cacher l'origine du cinnamomum et de
la casia (écorce du laurus cassia, L.) ; et on crut pendant
1. Athénée, Deipnosopk., iv, 26.
ANTIQUITÉ. 4t
longtemps que ces aromates provenaient des Imnclilles
de bois avec lesquelles le phénix construit son nid.
Parmi les épices qui, depuis Alexandre, s'introduisi-
rent en Grrèce et de là en Italie, nous citerons le poivre,
le gingembre et le cardamome. « Bien des choses, dit
Plutarque, que nos ancêtres trouvaient détestables, sont
aujourd'hui fort goûtées, w Tel était, entre autres, lepom-e
(uÉTOpt), que Pline appelle piper longum^ en distinguant,
selon le degré de maturité, le poivre noir du poivre blanc^
Déjà à l'époque de Martial, les cuisiniers de Rome fai-
saient un grand usage de poivre :
0 quam saepe petet vina, piperque coquus ^
Tandis qu'on prenait avec raison le poivre pour le fruit
d'un arbre, on n'ignorait pas que le gingembre (zingiber
de Pline, yiyyî^tpi de Galien) était la racine d'une plante
herbacée. C'est, en effet, la racine de Yamomum zingi-
ber^ à tige herbacée et à feuilles planes, engainantes.
Mais, au lieu d'être originaire de l'Arabie et de la Tro-
glodytique, comme le prétendaient Dioscoride, Pline,
Galien et Oribase, cette plante a pour patrie la zone
australe, insulaire, de l'Inde. Les marchands l'employaient,
suivant Pline, à falsifier les autres épices, particulière-
ment le poivre.
On connaissait aussi, depuis l'expédition d'Alexandre,
le cardamome, xapoa[ji.w[;i.ov, nom donné aux graines de
Vamomum c'ardamomum , plante de la même famille que
le gingembre.
L'un des arbres que les compagnons d'Alexandre admi-
raient le plus, c'était le figuier de l'Inde, le figuier des
pagodes (^cw5re%io5a,L). Cet arbre, d'un aspectsingulier,
pousse de ses branches de longs rejets pendants qui res-
semblent à des cordes; ces rejets gagnent la terre^ s'y
1. Pline, XII, 14.
2. Martial, xiii, 13, 1;
48 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
enracinent et forment de nouveaux troues, qui à leur tour
en produisent d'autres semblables , de telle sorte qu'un
seul arbre, s'étendant et se multipliant ainsi de tous côtés,
présente une seule cime d'une étendue prodigieuse , et
qu'on dirait posée sur un grand nombre de troncs, comme
le serait la voûte d'un vaste édifice, soutenue par de nom-
breuses colonnes*.
Les étoffes de coton étaient depuis longtemps usitées
chez les Égyptiens et les Hébreux. Mais le cotonnier
[gossympinus arbor^ de Pline) ne commença d'être connu
en Grèce que depuis l'expédition d'Alexandre. Il est vrai
qu'Hérodote (m, 106) avait déjà parlé des « arbres de
l'Inde qui ont pour fruit une laine, plus belle que la laino
des brebis, et dont les Indiens se servaient pour faire des
vêtements. » Mais le disciple du maître d'Alexandre le
Grand, Théopbraste, fournit à ce sujet des détails^, qui
manquaient au père de l'histoire, et que les écrivains
n'ont fait que copier. Signalons, en passant, une erreur
qui fut longtemps accréditée : on croyait que la soie, la
matière lanugineuse des 5ere6; (Indo-Chinois) était fournie,
comme le coton, par un arbre particulier, dont les feuilles
devaient ressembler à celles du mûrier. Pollux, dans son
Onomasticon, annonça le premier que les bombyx, pro-
duisant la soie, étaient des vers, des chenilles (axojXrixe;),
filant une toile comme les araignées.
En somme, le quart environ des plantes décrites par
Théophraste, Dioscoride, Pline et Galien, était inconnu
en Europe avant l'expédition d'Alexandre le Grand
1. Théophraste, iv, b; Pline, xii, 11 ; Quinte-Curce, ix, 1.
2. Théophraste, iv, 9
ANTIQUITÉ. 49
PbytoIogîCg
iSous le nom de phylologie nous comprendrons , non
plus la description des espèces végétales dont la réunion
forme une flore, mais les idées qu'on a successivement
émises sur l'origine, ]a constitution et la vie des plantes'.
Ces idées étaient, comme pour les autres sciences, d'abord
purement spéculatives, c'est-à-dire dépourvues de toute
sanction expérimentale.
Empédocle d'Agngenie écrivit, vers 440 avant J. G., un
livre Sur la nature (flspl o-utsck) , en hexamètres. Dans ce
livre, qui est, à l'exception d'un petit nombre de frag-
ments, entièrement perdu, le célèbre philosophe ensei-
gnait que « les plantes apparurent avant la formation
complète de la terre, qu'elles ont, comme les aniroaux,
des instincts, des sentiments et même de l'intelligence,
enfin qu'elles ont les deux sexes réunis. » Ces idées n'é-
taient que l'exagération d'un fait vulgaire, à savoir que les
plantes naissent et meurent comme tous les êtres vivants.
Elles ont même été renouvelées de nos jours par ceux qui
voient autre chose que de simples mouvements mécaniques
dans les phénomènes de la sensitive et d'autres espèces
végétales. Quant au sexe des plantes, la fécondation du
dattier à fruits par les fleurs du dattier sans fruits pou-
vait facilement y conduire. Aristote saisit toute l'im-
portance de cette assimilation du règne végétal au
règne animal quand il dit : « Chez tous les êtres (animaux)
1. Plutarque, De placitis philos., v, 26; Sextus Empiricus, adrers.
Math., vni, 286; Nicolas de Damas, De plantis (édit. F. Meyer;
Leipz. Î841).
50 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
cfui ont ïa faculté de se transporter d'un lieu dans un
autre, le sexe masculin est séparé du sexe féminin: tel
individu est mâle, tel autre est femelle, comme dans
l'espèce humaine. Chez les végétaux, au contraire, les deux
sexes sont réunis, et la graine est le résultat immédiat de
cette réunion ^ » Sans doute cette proposition est trop ab-
solue, puisqu'il y a des animaux qui se reproduisent comme
les plantes; mais elle n'en est pas moins remarquable.
En commentant ce vers d'Empédocle : <>. Les arbres mêmes
pondent des œufs, à commencer par l'olive, 3> Aristote
compare la graine à l'œuf, et il ajoute qu'une partie seu-
lement de la graine constitue le végétal futur, et que le
reste ne sert qu'à nourrir la gemmule et la radicelle.
Rien n'estplus exact que cette remarque.
Suivant Anaxagore de Glazomène, l'air est rempli de
semences qui, entraînées par les eaux de pluie, produisent
des végétaux. Tout ce qui vit respire, la plante aussi bien
que l'animal.
Hippon de Rhegium, qui faisait venir toute substance
de l'eau, enseignait le premier que toute plante cultivée,
abandonnée à elle-même, retourne au type sauvage. Cette
opinion était partagée par Platon, lorsqu'il regardait les
espèces sauvages comme plus anciennes que les espèces
cultivées,
Aristote^ ce génie vraiment encyclopédique, avait écrit
un ouvrage sur la Théorie des plantes, qui malheureuse-
ment n'est pas parvenu jusqu'à nous. On lui attribuait
encore d'autres ouvrages du même genre, qui sont égale-
ment perdus. Les fragments phytologiques d'Aristote ont
été recueillis par Wimmer ( Phytologise aristotelicx frag-
menta ;^ves\diM, 1838, in-8°). En voici les points les plus
saillants. Il y a des plantes qui ne vivent qu'un an, tandis
qu'il y en a d'autres qui peuvent vivre un grand nombre
d'années. C'est la première distinction aui ait été faite des
1. Aristote, De générât, animaîium, i, 23.
ANTIQUITÉ. 51
plantes en annuelles et vivaces. — Ce que les mol-
lusques sont pour l'élément humide, les végétaux le sont
pour l'élément terrestre: les premiers sont les plantes de
la mer, et les derniers les huîtres de la terre. Les racines
sont l'organe, par lequel le végétal absorbe ses ali-
ments. — Aristote ne soupçonnait pas encore la fonction
respiratoire des feuilles. Ces organes ne devaient, selon
lui, servir qu'à couvrir ou protéger le fruit. C'était là le
but qui leur était assigné par la nature, dont l'objet
principal consiste dans la matière et dans la forme.
Tout être qui sort d'un œuf vit d'abord comme un végé-
tal : la gemmule s'accroît comme l'embryon. Les racines
sont les analogues des intestins ; elles puisent les aliments
dans le sol qui est pour la plante ce que la cavité ab-
dominale est pour l'animal. Avant d'arriver à se mouvoir
librement, à changer déplace, l'embryon d'où sortira l'ani-
mal est fixé d'abord à l'utérus, où il a une vie purement
végétative. — Aristote touchait ici à une analogie qui ne
fut découverte que plus tard_, à savoir que l'embryon,
d'où sortira le végétal, a dans la graine à peu près les
mêmes organes (cordon ombilical, placenta, etc.) que
l'embryon dans l'œuf.
La chute des feuilles, Aristote la comparait àlamuedes
oiseaux et au changement du pelage de certains quadru-
pèdes, et il en attribuait la cause à un défaut de chaleur hu-
mide. Le phénomène périodique de la chute des feuilles,
coïncidant avec celui de l'hivernation de quelques espèces
animales, l'avait particulièrement frappé. « Pourquoi, se
demandait-il, les cheveux ne repoussent-ils pas aux têtes
chauves, tandis que le feuillage de la plante et le pelage
de l'animal hivernant se renouvellent régulièrement? C'est
que l'homme porte en lui-même l'hiver et l'été ; les âges
de sa vie sont ses saisons. La vie des plantes et des
animaux hivernants est, au contraire, intimement liée aux
périodes de l'année, aux saisons proprement dites....
Pourquoi, demandait-il encore, un grain de blé produit-il
52 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
toujours le même blé, pourquoi l'olive ne produit-elle
qu'un olivier de même espèce, etc. ? Ce n'est point là,
évidemment, l'effet du hasard ou d'une coïncidence for-
tuite ; ce n'est pas davantage le résultat de l'action des
éléments, ni de l'attraction et de la répulsion. Il y a donc
là quelque chose de prémédité, de rationnel, de divin,
d'éternel. »
D'après la doctrine d'Aristote, la femelle représente la
matière, et le mâle le mouvement; les deux sexes, dis-
tincts dans les animaux supérieurs, se trouvent confondus
dans les plantes. — Ceci n'est pas vrai d'une manière
absolue ; car il y a des espèces végétales où les fleurs
mâles et les fleurs femelles sont parfaitement distinctes,
qu'elles viennent, soit sur la même tige (fleurs monoïques),
soit sur des tiges différentes (fleurs dioïques). Sauf ces
deux cas, le fait énoncé par Aristote est certain : dans
l'immense majorité des plantes, les fleurs renferment
les deux sexes ; elles sont hermaphrodites. « Tout cela,
ajoute le chef de l'école péripatéticienne, a été arrangé con-
formément à la raison. L'unique affaire, le seul but de la
plante, est dans la production de la graine, et comme
cette produetion a lieu par l'accouplement du mâle et de
la femelle, les deux sexes se trouvent réunis dans les
plantes. »
Aristote enfin adopte la doctrine de quelques-uns de ses
prédécesseurs, d'après laquelle tout ce qui vit a une âme,
conséquemment les végétaux n'en sont pas plus dépourvus
que les animaux. Puis, partant de là, il admet au moins
trois espèces d'âmes : l'âme nutritive, qui préside aux
fonctions nutritives ; l'âme sensible, comprenant les sens
et les mouvements de relation, et l'âme rationnelle. La
première est le partage exclusif des végétaux; elle s'a-
joute à l'âme sensible dans les animaux; l'homme seul
contient toutes les âmes réunies. Cette division remarqua-
ble a reçu depuis lors de nombreuses applications.
ANTIQUITÉ. 53
La botanique traitée par les disciples d'ArIstote.
Au nombre des disciples d'Aristote qui avaient pris le
règne végétal pour objet de leurs études, on compte par-
culièrement Phanias, Dicéarque et Théophraste.
Phanias le botaniste, qu'il ne faut pas confondre avec
Phanias le stoïcien, ami de Posidonius d'Alexandrie,
était natif d'Érésus dans l'île de Lesbos, et vivait vers
350 avant notre ère. De son ouvrage Sur les plantes (TIspl
çuTwv) il ne nous reste plus qu'un très-petit nombre de
fragments, conservés dans Athénée. A juger par ces frag-
ments, il s'était surtout occupé des fruits. C'est ainsi
qu'Athénée rapporte, entre autres, d'après Phanias, que
les Mendéens avaient la coutume d'arroser les grappes
de raisin avec le jus amer des fruits d'élatérium [yno-
mordica elaterium^ L.? ), pour enlever au vin son âpreté,
pour lui donner du velouté ; car c'est là ce que les Grecs
entendaient par oTvoç (xaXaxoç, vin mou. — Phanias appela
le premier l'attention des observateurs sur ce qu'on
nomme aujourd'hui les végétaux agames ou cryptoga-
mes^ quand il dit : « Il y a des plantes qui n'ont ni
fleurs, ni 'organes de fructification apparents; tels sont
les champignons , les mousses , les Fougères . » — Il
compara le fruit de la mauve à un gâteau rond, à bord
denté. Les fruits des légumineuses (haricot, pois, fève, len-
tille, etc.) et des ombellifères (anis, fenouil, coriandre,
ciguë, etc.) paraissent avoir été l'objet de ses études spé-
ciales.
Dicéarque^ de Messine, avait été chargé par les succes-
seurs d Alexandre le Grand de mesurer la hauteur des
montagnes de la Grèce. Ayant trouvé 1250 pieds de hau-
54 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
teur verticale au mont Pélion, qui passait pour la
plus haute montagne de la contrée, il déclara que cette
hauteur n'était qu'une saillie insignifiante sur la circon-
' férence de la terre, comparativement à la longueur du
trayon terrestre. Il décrivit en même temps les arbres et
'les plantes herbacées qui forment la végétation du mont
' Pélion ^
Théophraste mérite ici uùe mention particulière, à
raison de l'importance de ses ouvrages, qui nous sont
parvenus. Compatriote de Phanias, il naquit vers 370
avant Jésus-Christ, à Erésus dans l'île de Lesbos. Il vint
fort jeune à Athènes, où il assista d'abord aux leçons de
Platon, et suivit, après la mort de ce maître, l'enseigne-
ment d'Aristote, auquel il resta toujours fidèle. Après la
mort d'Aristote (en 322 avant Jésus-Christ), qui lui avait
légué sa bibliothèque, Théophraste devint le chef de
l'école lîéripatéticienne. Il eut pour amis les principaux
lieutena.its d'Alexandre, notamment Gassandre et Pto-
lémée. Ce dernier essaya vainement de l'attirer en Egypte.
Théophraste fut, comme son maître, accusé d'impiété par
quelques Athéniens ultra-religieux, protnoteurs d'une loi
qui interdisait, sous peine de mort, l'ouverture dune
école philosophique, sans y avoir été autorisé par l'aréo-
page et le peuple. Cette loi liberticide fut rapportée Tannée
suivante. Théophraste atteignit un âge très-avancé : il
mourut presque centenaire. Suivant saint Jérôme, il
mourut à l'âge de 107 ans.
Les deux ouvrages de botanique qui nous sont parvenus
de lui, ont pour titre, l'un l'Histoire des plantes (Uspi
çpuTwv tffTopi'a), en dix livres, l'autre les Causes (Aïna cpu-
cixa) des plantes. Le premier de ces ouvrages a été publié,
avec des commentaires prolixes, par Boddœus'à Stapel,
Amsterd. 1644, in-fol. avec fig. Le second se trouve
1. Voy. Gail, Geographi gnrci minores, t. II, p. 140 et suiv.
(Paris, 1828, in-8"J.
ANTIQUITÉ. 55
dans l'édition estimée des œuvres de Théophraste, par
J. G. Schneider (5 vol. in-8°, Leipz. 1818-1825).
Les Caractères de Théophraste, étrangers à la bota-
nique, ont eu de nombreuses éditions. Wimmer avait
commencé une édition complète des écrits de Théophraste ;
mais, faute d'encouragements, il ne put en donner que
le tome I, contenant l'Histoire des plantes; Breslau, 1842,
in- 8°.
L'auteur de l'Histoire des plantes traite, dans le premier
chapitre, des parties ou organes des végétaux. Il distingue
très-bien les parties qui, telles que les racines et la tige,
sont permanentes, des parties qui, telles que les feuilles,
les fleurs, les fruits, n'ont qu'une durée limitée. Poursui-
vant les analogies de la plante avec l'animal, il regarde les
nervures de la feuille comme des veines, et il assimile
les fibres du bois aux fibres de la chair, la sève au sang.
Sa classification est celle des végétaux divisés en arbres,
arbrisseaux, arbustes et plantes herbacées. Cependant il
les divise aussi en plantes terrestres et plantes aquatiques^
en plantes à feuillage persistant^ et en plantes à feuillage
caduc^ etc. Les chapitres (xi et xiii) du premier livre, qui
traitent des fleurs, des fruits, des graines et de leurs en-
veloppes, offrent beaucoup d'intérêt. Nous en dirons
autant des chapitres qui, dans le deuxième livre, traitent
de la durée et de la maladie des arbres, des diff'érentes
espèces de bois, de leur propagation et de leur multipli-
cation.
Dans le huitième chapitre du second livre se trouve la
description d'une espèce de palmier, remarquable par la
division de son tronc en deux branches principales qui se
subdivisent à leur tour, et dont les rameaux ont aussi
leurs bifurcations : c'est le cucifera thebaïca de Delisle
(le dourn des Arabes), particulier à la Haute-Egypte.
A la fin du même livre (neuvième chapitre), l'auteur
s'étend sur la caprification^ procédé qui consistait à hâter
la maturation des fruits du figuier cultivé au moyen des
56 HISTOIRE DE LA BOTAjNlQUE.
piqûres d'insectes nés sur une espèce de figuier sauvage,
nommé Ipivdç. Malgré les détails qu'en donnent Théo-
pliraste et Pline [Hist. nat., xv, 22 ; xvii, 44), il est diffi
cije d'en apprécier exactement la valeur. Cependant ce
procédé est encore aujourd'hui en usage dans les îles de
l'Archipel; et voici les renseignements que nous donne à
cet égard Tournefort, dans son Voyage au Levant. « On
cultive, rapporte-t-il, dans la plupart des îles de l'Archi-
pel, deux espèces de figuiers : la première, qui est le
figuier sauvage, s'appelle ornos [perinos des anciens Grecs,
le caprificus des Latins) ; la seconde espèce est le figuier
domestique. Le sauvage porte trois sortes de fruits abso-
lument nécessaires pour faire mûrir ceux du figuier
domestique. Les fruits qu'on nomme fornites, paraissent
dans le mois d'août et durent jusqu'en novembre sans
mûrir; il s'y engendre de petits vers, d'où sortent certains
moucherons que l'on ne voit voltiger qu'autour de ces
arbres. Dans les mois d'octobre et novembre, ces mou-
cherons pic[uent d'eux-mêmes les seconds fruits des
mêmes pieds de figuier ; ces fruits, que l'on appelle
cratitires, ne se montrent qu'à la fin de septembre. Les
fornites tombent peu à peu après la sortie de leurs mou-
cherons; les cratitires restent, au contraire, sur l'arbre
jusqu'au mois de mai, et renferment les œufs que les
moucherons des fornites y ont déposés en les piquant.
Dans le mois de mai la troisième sorte de fruits commence
à pousser sur les mêmes pieds de figues sauvages, qui ont
produit les deux autres. Ce dernier fruit, qui se nommo
orn.i, est beaucoup -plus gros; lorsqu'il a une certaine gros-
seur, et que son œil commence à s'entr'ouvrir,il est piqué
dans cette partie par les moucherons des cratitires, qui
se trouvent en état de passer d'un fruit à l'autre pour y
décharger leurs œufs.... Ces trois sortes de fruits ne sont
pas bons à manger ; ils sont destinés à faire mûrir les
fruits des figuiers domestiques. Voici l'usage qu'on en
fait. Pendant les mois de juin et de juillet, les paysans
ANTIQUITE. 57
prennent les orni au moment où leurs moucherons sont
prêts à sortir, et les portent tous, enfilés dans des fétus,
sur les figuiers domestiques. Si l'on manque ce temps
favorable, les orni tombent et les fruits du figuier domes-
tique ne mûrissant pas, tombent aussi dans peu de
temps. Les paysans connaissent si bien ce précieux mo-
ment que tous les matins, eiî faisant leur revue, ils ne
transportent sur les figuiers que les orni bien condition-
nés, autrement ils perdraient leur récolte.... Enfin, les
paysans ménagent si bien les orni^ que leurs moucherons
font mûrir les fruits du figuier domestique dans l'espace
de quarante jours,... Je ne pouvais assez admirer la pa-
tience des Grecs occupés pendant plus de deux mois à
porter ces piqueurs d'un figuier à l'autre; j'en appris bien-
tôt la raison : un seul de leurs arbres rapporte ordinai-
rement jusqu'à deux cent quatre-vingts livres de figues,
au lieu que les nôtres n'en rendent pas vingt-cinq livres.
Les piqueurs contribuent peut-être à la maturité des
fruits du figuier domestique, en faisant extravaser le suc
nourricier dont ils déchirent les tuyaux en déchargeant
leurs œufs ; peut-être aussi qu'outre leurs œufs ils laissent
échapper quelque liqueur propre à fermenter doucement
avec le lait de la figue et en attendrir la chair. Nos figues,
en Provence et à Paris même, mûrissent bien plus tôt si
on pique leurs yeux avec une paille graissée d'huile
i'olive'. »
Au nombre des espaces végétales décrites par Théo-
phraste dans son Histoire des plantes^ nous signalerons
encore la sensitive [mimosa puclica)^ le citronnier, la mâ-
cre (trapa natans), le silphium, l'oseille, etc. A propos
d'une plante nommée anthemon^ il fait remarquer quo
ses fleurs se développent non pas de bas en haut, comme
chez les autres plantes, mais de haut en bas.
1. Tournefort, Relation d'un Voijage du Levant, t. I, p. 130 (Ams-
terdam, 1718, in-4'').
58 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Des causes des plantes. — C'est dans cet ouvrage que
Théophraste a consigné ses principales théories. Gomme
Aristote, il admet la génération spontanée, surtout pour les
végétaux inférieurs. Mais il croit, chose digne de remar-
que, que dans beaucoup de cas la reproduction de ces vé-
gétaux s'explique plus naturellement par le transport des
semences par la pluie, par des inondations, et même par
l'air. Il chercha l'un des premiers à débarrasser la science
de cette téiéologie erronée qui rapporte tout dans la nature
aux usages de l'homme. « La nature a, dit-il, ses principes
en elle-même, c'est par là qu'elle agit conformément à ses
propres plans (rà aÙToy-ata). La partie charnue de la
pomme (le péricarpe) n'existe pas pour être mangée par
l'homme, mais pour protéger le fruit. »
Tous les phénomènes de la végétation sont ramenés
par Théophraste à l'action de la chaleur et du froid, et à
celle de l'humidité et de la sécheresse. Il consacra pres-
que tout le second livre des Causes des plantes aux in-
fluences que la pluie, la neige, les vents, l'exposition au
nord ou au sud, à l'est ou à l'ouest, les eaux douces et les
eaux salées, les différentes sortes de terrain, peuvent
exercer sur les productions végétales. « Les arbres trop
rapprochés^ sur lesquels, dit-il^ n'agit ni le soleil, ni le
vent, deviennent élancés, grêles, et perdent facilement les
fruits avant leur maturité.... Les arbres stériles ou por-
tant peu de fruits vivent plus longtemps que les arbies
fertiles. »
Les mouvements qu'éprouvent les feuilles et les fleurs
de certaines plantes, avaient été observés déjà par Théo-
phraste, conséquemment bien longtemps avant Linné. Ou
trouve encore dans les Causes des plantes la description de
différentes maladies des végétaux, particulièrement des
céréales, la manière de conserver les graines, la transfor-
mation des espèces sauvages par la culture, le développe-
ment d'excroissances ou de monstruosités, la comparaison
ANTIQUITE. 59
des s^raminées avec les légumineuses, enfin une série de
chapitres sur la saveur et l'odeur des plantes.
La botanique depuis Théophraste jusqu â. PIîne>.
Bien des événements se sont passés dans l'intervalle
compris entre le quatième siècle antérieur à notre ère et
le milieu du premier siècle après Jésus-Ghrist. Les lieu-
tenants d'Alexandre se sont formé des royaumes avec les
débris de vastes conquêtes, royaumes éphémères, àl'excep-
tion de celui de l'Egypte fondé parPtolémée, surnommé
le Sauveur (Soter). Cet habile prince et ses successeurs
firent d'Alexandrie le siège de la culture intellectuelle, ils
y fixèrent un moment la civilisation, qui des côtes ionien-
nes de l'Asie Mineure s'était transportée dans l'Attique.
La division des Grecs appela l'intervention des Piomains
qui finirent par faire du pays, où les dieux du paganisme
avaient fixé leur séjour, une province de leur vaste em-
pire. Tous ces changements ne devaient être guère favo-
rables aux progrès de la science.
Nous ne connaissons que par des citations de Pline,
d'Athénée, et de quelques scoliastes, les noms de Diphile,
de Philotime, d'Erasistrate de Géos, d'Hérophile de Ghal-
cédoine, d'Apollonius, d'Andréas, d'Héraclide de Tarente,
etc., qui avaient écrit sur différentes parties d'histoire
naturelle et de matière médicale *. Le seul écrivain de
cette période alexandrins dont il nous reste encore des
ouvrages relatifs à la connaissance des plantes, c'est Ni-
candre de Golophon.
Nicandre, sur lequel nous n'avons que des renseigne-
1. Voy. H. F. Meyer, Geschichte der Botanik, 1. 1, p. 227-244.
60 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
ments épars et contradictoires, vivait dans le second siècle
avant notre ère. Il dédia un de ses poëmes à Attale, roi
de Pergame, dernier de ce nom, lequel monta sur le trône
en 138 avant Jésus-Christ. Il nous reste de lui deux
poëmes didactiques, dont l'un a pour titre 0-/ipiaxot,com-
liosé de 958 hexamètres, l'autre est intitulé \kz\iw<^<j.rxy.a, et
contient 630 vers. De ses Géoponiques il ne reste que des
fragments, qui se trouvent réunis dans l'édition que J.Gr.
Schneider a donnée des Thériaques [Nicandri Colopho7iii
Theriaca^ etc., Leipz. 1816, in-8).
Trois plantes sont particulièrement recommandées, dans
les Thériaques, contre toutes les maladies: ce sont la
chironia, V aristoloche et le triphyllon. Un mot sur chacune
de ces plantes.
La chironia. « Ce qu'il faut, dit Nicandre, prendre
d'abord, c'est la racine salutaire de Chiron, ainsi nommée
parce que le centaure Ghiron, le Kronide, la trouva sur le
col neigeux du Pélion. La tige est entourée de feuilles
semblables à celles de l'amaracos, sa fleur est jaune d'or,
sa racine n'est pas très-profonde. » —La plante dont il est
ici question, était probablement une espèce de gentiane,
peut-être la grande gentiane à fleurs jaunes {gentiana
lutea^ L.) ; elle habite les régions alpestres, et sa racine a
été de tout temps d'un grand usage en médecine. En au-
cun cas la chironia de Nicandre ne saurait être la petite
centaurée {Verythrœa centauriwn); car celle-ci, partout
répandue en Europe, a les fleurs roses, quelquefois blan-
ches, jamais jaunes.
L'aristolochia de Nicandre. « L' aristolochia qui aime
l'ombre, porte, comme le lierre, ses feuilles sur une tige
grimpante, ses fleurs sont teintes dej^ourpre, d'une odeur
pénétrante, et se changent en un fruit pyriforme. La
racine est ronde.... » C'était probablement notre aristolo-
chia rotundifolia^ L., encore aujourd'hui commune dane
les lieux ombragés des montagnes de la Orèce, particu-
ANTIQUITÉ. • 61
lièrement aux environs de Delphes et dans l'île d'Eu-
hée'.
Le triphyllon ou trifolié de Nicandre, qui se plaît sur
les monts touffus ou dans des précipices, s'appelait aussi
minyanthes: « son feuillage rappelle celui du lotos, et son
odeur celle de la rue; et quand elle fleurit, elle exhale une
odeur de bitume » Ce dernier caractère a fait conjecturer
avec raison que le triphyllon, ainsi décrit, était une légumi-
neuse, 1b psoraha bituminosa^ qui se rencontre encore au-
jourd'hui fréquemment en Grèce ; les habitants la dési-
gnent sous le nom de aypio TpicpuXÀt, trifoliée sauvage^. Ce
n'est doncpasnotre trèfle d'eau, menyanthes trifoliata^ L.,
comme on aurait pu d'abord le croire.
Le second poëme de Nicandre, intitulé AXE;tcpap,u.axa,
traite des poisons et de leurs antidotes. Les anciens en fai-
saient grand cas; Bioscoride, Aétius et d'autres le consul-
taient souvent. Les Sikelica, les Bœotica^ les Thebaica et les
Mlolica étaient des poèmes oià, à juger par les fragments
qui nous en restent, il était question des plantes de la Si-
cile, de la Béotie, des environs de Thèbes, et de l'Étolie.
Parmi les herboristes ou rhizotomes de l'époque de Ni-
candre, nous devons citer Grateus, Dionysios et Metro-
doros. Malheureusement aucun de leurs écrits ne nous est
parvenu. On peut en dire autant d'un certain nombre
d'écrivains, postérieurs à cette époque, tels que Mnési-
thée d'Athènes, Hikesios, Mikton ou Mycon, Dalion,
Solon de Smyrne, Pharnakès, Amérias le Macédonien,
etc., dont Pline a donné la liste et qui se trouve repro-
duite dans IsiBibliotheca botanicade Hailer'.Des fragments
de leurs écrits sont imprimés dans le recueil précieux que
Gassianus Bassus a publié, en 912-919 de notre ère, sous
le titre de Geoponica.
1. Fraas, Synopsis plant, florx classicœ, p. 267.
2. Dioscoride (m, 113) lui donnait déjà le nom àe triphyllon.
3. Voy. Meyer, Gerchichte der Botanik, t. I, p. 2aû et suiv.
*52 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Nous ne devons pas ouliliericile prince des poètes idyl-
liques, Théocrite. Ce poëte, qui vivait en Sicile, 250 ans
avant notre ère, parle de beaucoup de plantes qui se re-
trouvent dans les Géorgiques et les Bucoliques de Vir-
gile. La flore de ces deux poètes a été l'objet de travaux
particuliers de M. Fée. Malheureusement il faut se con-
tenter le plus souvent de quelques qualificatifs pour ar-
river à reconnaître , d'une façon plus ou moinb certaine,
l'espèce végétale que le poëte aura voulu désigner. C'est
ainsi que « la violette d'un pourpre noir, to Ïov jjLÉXav, est
probablement la jacinthe (lis mariagon), marquée de lettres,
à Ypa7:rà uaxtvOoç. Il faut deviner les tleurs qui «entrent
dans les bouquets printaniers, » èv tûîç axe-x/âvoti; xà irpôîTa
Xï'Yovxai. On est réduit à conjecturer que « le cytise (-cov
xuTicrov), que suit la chèvre, est une plante grimpante^ » —
Les mots de « doux bruissements, » aou ti to t|^t6upt(jij.a,
rendent en quelque sorte onomatopiquement le bruit que
produit une légère brise en traversant les feuilles acicu-
laires du pin (tcitôç) '■^ . — hebutomus aigu^ jioÛTOfji.ov 6;u (qui
n'est pas le butomusiimbeUatus^de'L.)^ et le touffu cyperus,
paoù; xuTCf-ipoç, désignent sans doute différentes esj)èces
de carex, telles que le carex acutus et le carex cyperus^ qui
aiment bien l'humidité d'une ,9ranrfe;)roîne (Xeiawv y-éyac) '.
Quant aux mots xuaveov /EXtoovtov, ils s'appliquent, non pas
à une chélidone à fleurs bleues (les chôlidonium ont les
fleurs jaunes), mais à la glaucescence du feuillage d'une
papavéïacée ^ Rien n'est plus beau que cette alliance de la
sensibilité du poëte avec la contemplation de la nature
Cessez votre bucolique, ô Muses, cessez votre chant ;
Maintenant que les ronces, que les épines, portent des violettes,
Que le beau Narcisse fleurisse sur le genévrier.
1. Théocrite, Idyll. x, 28-3
2. Idyll. I, 1.
3. Idyll. XIII, 3a,
4. Ibid., 41.
ANTIQUITE. 63
Que tous les contraires se mélangent, que le pin produise des poires,
Puisque Daphnis est mort.... ».
Nicolas de Damas est, de tous les écrivains grecs dupre-
mier siècle de notre ère, le seul dont il nous soit resté un
ouvrage sur la botanique. Encore cet ouvrage ne nous
est-il parvenu que dans une traduction latine, barbare, faite,
par un nommé Alfred, sur une version arabe. Ordinaire-
ment attribué à Aristote, il a pour titre : De plantis libri
dtto(E. H. F. Meyer, Leipz. lb41,in-8''). La version arabe
est de Honaïn ibn Ischak, cfui vivait de 809 à 877 de notre
ère, et s'était fait connaître par des translations nombreu-
ses d'ouvrages grecs en arabe ou en syriaque.
L'auteur, qui s'en rapporte à l'autorité des maîtres
plutôt qu'à l'observation expérimentale, définit la plante
ce un être vivant, privé de mouvement de relation et fixé
au sol. » Il lui suppose une âme, différente de celle de l'a-
nimal, en tant qu'elle manque de sentiment. « L'âme na-
turelle de ces plantes a, dit-il, pour principale fonction
d'attirer et s'approprier de la nourriture; l'animallapossède
aussi. » — Ses idées sur le sexe des plantes étaient pure
ment imaginaires, et les raisonnements dans lesquels il
entre à ce sujet tiennent bien plus de la dialectique pure
que de l'étude de la réalité. Mais sa classification des
végétaux suivant la nature du terrain est l'expresit^ion
même de ce qui est. Il reconnaît ainsi que les végétaux
qui croissent aux bords des rivières ou dans les
marais sont tout à fait différents de ceux des localités éle-
vées, sèches et arides. Il croit en même temps à la trans-
formation des espèces cultivées en espèces sauvages et
réciproquement.
Le texte latin de ce Traité des plantes, que cite Roger
Bacon en l'attribuant à Aristote, est rempli de termes ara
bes et syriaques, ce qui ne contribue pas Deu à l'obscurcir
1. Théocrite, Idylle i, 131 et suiv.
64 HISTOIRE dp: la BOTANIQUE
La botanique chez les Romains.
En passant des Grecs aux Romains, on voit l'étude des
plantes se rapprocher davantage de l'occident de la région
méditerranéenne. Cette étude prit un cachet essentielle-
ment pratique, comme nous le montrent les écrits quinous
restent des Scriptores rei rusticse (édit. J. Math. Gessner,
Leipz. 1734-35, 2 vol. in-4°, et J. G. Schneider, ibid.,
1793-96, 4 vol. in-S"). Nous allons les passer rapidement
en revue, dans leur ordre chronologique.
Caton V Ancien. — Son traité De re rustica est une
réunion de préceptes, d'observations faites jour par jour
et exposés sans aucun ordre. C'est pourquoi on l'avait
longtemps regardé comme la production d'un grammai-
rien de beaucoup postérieur à l'époque de Caton. Mais
la critique a montré quel ouvrage de Caton l'Ancien portait
précisément ce caractère d'un journal, et que nous avons
là un des monuments les plus anciens de la littéra-
ture romaine*. Car Caton l'Ancien, surnommé le Censeur,
mourut en 147 avant Jésus-Christ, à l'âge de quatre-vingt-
cinq ans, cinq ans avant la destruction de Carthage, à
laquelle il avait tant contribué par ses discours au Sénat,
invariablement terminés par ces mots, devenus fameux :
Cœlevum censeo Carthaginem esse delendam. — « Le plus
grand éloge, dit-il dès le commencement de son livre,
qu'on pût autrefois faire d'un citoyen, c'était de le présenter
comme uu bon cultivateur et un bon colon, bonum agri-
colam bonumque colonum.... C'est de cette classe de ci-
1. Kletz, dans Nouvelles Annales de philologie et de pédagogique
(en allemanci), t. X, p. 5 (1844).
ANTIQUITÉ. 65
toyens que sortent les hommes les plus forts et les meil-
leurs soldats. Leur gain honnête les attache à la patrie et
au sol; les pensées d'envie, de luxe et d'ambition ne les
troublent point. » — L'auteur fait ensuite des observa-
tions pleines d'intérêt pour l'histoire de l'économie ru-
rale.
Les plantes qui se trouvent mentionnées dans le traité
de Gaton sont au nombre d'environ cent vingt. Nous y
remarquons particulièrement l'asperge {asparagvis) ^ dont
la culture n'a guère changé depuis lors, c'est-à-dire de-
puis deux mille ans. L'auteur recommande de choisir
pour cela une terre grasse et humide, d'y faire des fossés
d'une certaine largeur, et d'y planter les griffes d'asperges
par rangées que séparent des intervalles égaux ^ Parmi
les arbres fruitiers, l'olivier et le figuier occupent le pre-
mier rang ; puis viennent les pommiers et les poiriers. II
est difficile de déterminer à quelles variétés de nos pom-
mes appartenaient les mala struthea, scantiana^ quiriana.
Le cognassier et le grenadier étaient, à cause de la forme
de leurs fruits [malum cotoneum et malum punicum) ^ ran-
gés au nombre des pommiers.
Gaton parle de six variétés de poires, nommées en par-
tie d'après les pays d'où elles proviennent ; telles étaiem
les poires d'Anicie, de Tarente, de Voles ; celle qui avait
la forme d'un concombre s'appelait cucurbitinum^ et les
deux autres portaient les noms de musteum et de semen-
tivum. Il ne fait que mentionner le prunier, prunus. Le
cerisier lui était encore inconnu. i
Varron. — Un des esprits les plus actifs de son temps,
Tiuentius Varron (mort en 26 avant Jésus-Ghrist , à
l'âge de quatre-vingt-dix ans), lié avec Pompée et Gicé-
lon, s'était appliqué à presque toutes les branches des
connaissances humaines, principalement aux origines de
1. De re rustica, clxi.
66 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
la langue latine, à l'archéologie et à l'agriculture. Son
traité DcrervsUca. est le seul de ses ouvrages qui nous ait
été conservé intégralement. Il se compose de trois livres,
dont le premier traite de l'agriculture proprement dite ; le
deuxième, de l'élève du bétail; le troisième, des volières,
des vaches, des viviers. Au trente-neuvième chapitre du
premier livre on trouve mentionné le cerisier, cerasus^ sur
la culture duquel s'est étendu Palladius. Parmi les autres
arbres ou arbrisseaux indiqués par Varron, on remarque
l'arbousier, le sapin, le genévrier, le platane, le peuplier,
le saule, le sorbier, etc. Les légumes alors les plus cultivés
étaient le pois, la fève, la lentille, la vesce, l'ervilie, le
lupin, le concombre, le chou. Parmi les plantes culti-
vées pour leurs propriétés aromatiques, on distinguait le
serpollet, Vocimum (basilic), plusieurs espèces de mélisse
ou de menthe, confondues sous les noms grecs de melissa^
mentha, mellissophyllon, melmon; le romarin {ros mari-
nus) ; le thym, etc. *.
Le traité de Varron et celui de Gaton se complètent réci-
proquement: ce qui est à peine esquissé dans l'un est dé-
taillé dans l'autre. Nous citerons, comme exemple, la culture
de la vigne, de l'olivier, des plantes fourragères et des
plantes médicinales. Varron mentionne le premier deux
espèces fourragères jusqu'alors inconnues en Italie, la mé-
dique {medica)^ probablement notre luzerne {mcdicago sa-
liva)^ et le cytise [cytisum] ou luzerne arborescente (Ȕe-
dicago arborea). La première avait pour patrie, non pas
l'Espagne, comme le prétend de GandoUe, mais la Médie,
comme son nom l'indique^; la seconde était originaire de
l'île de Kythnos, l'une des Gyclades. Ces deux espèces de
plantes fourragères, remplaçant avec avantage les feuilles
d'arbres indigènes, avec lesquelles on nourrissait en Italie
1. Varron, Dere ruslica, m, 16, où se trouve éauméré un yraiu;
nombre d'espèces végétales.
2. Comp. St'abon, xi, 13.
ANTIQUITÉ. 67
les bestiaux, avaient trouvé un panégyriste dans Amplii-
loque d'Athènes ^
Un mot sur l'introduction à\i cerisier. Athénée, dans sou
Banquet des savants (ii, 11), fait ainsi parler Larensius :
a Vous autres Grecs, vous vous attribuez beaucoup de
choses, soit comme les ayant dénommées, soit comme les
ayant découvertes. Mais vous ignorez sans doute que Lu-
culius, général des armées romaines, après avoir vaincu
Mithridate et Tigrane, apporta le premier le cerisier de
Gérasonte en Italie, et il le nomma cerasus du nom de
cette ville du Pont. » — Cette opinion fut également pro-
pagée par Pline {cerosi ante victoriam mithridoUcmn
L. Luculli non fuere in Italia) ^, par Ammien Marcellin
(xxii, 8), par Tertullien (Apolog. xi) et par saint Jérôme
[Epist. XIX, ad Eustachiiim).
Voici cependant ce que l'auteur du Banquet des Savants
fait répliquer à Larensius par Daphnus : « Diphile de
Sipline, homme très-renommé, et qui a vécu nombre
d'années avant Luculle, c'est-à-dire sous Lysimaque, un
des successeurs d'Alexandre, fait mention des cerises, en
disant : « les cerises sont stomachiques, mais peu nour-
rissantes... » — A cela nous ajouterons le témoignage de
Théophraste, contemporain de Lysimaque. Théophraste
décrit [Hist. Plant.., m, 13) le cerisier, xEpa^oç, comme un
arbre déjà connu de son temps; il en compare le port et
l'écorce à ceux du tilleul... « Sa fleur, dit-il, est blanche,
et ressemble à celle du poirier et du néflier, n — Le ceri-
sier appartient, en effet, à la même famille que le poirier
et le néflier. — « Son fruit, continue-t-il, est rcage,
semblable à celui du diospyros; il a un noyau moins
dur que celui du diospyros. »
Les commentateurs de Théophraste, particulièrement
Bodeeus à Stapel, se sont vainement efforcés d'interpréter
1. Pline, Hist. nat., xvm, 6.
2. Ibid., XV, 30.
68 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
dans un autre sens ce passage, qui présente le cerisier comme
bien plus ancien que ne le prétendaient les Romains. Ce-
pendant les deux opinions, en apparence contradictoires,
])euvent très-bien se concilier. Le cerisier de Diphile et de
Théophraste était tout simplement le cerisier sauvage,
notre merisier [cerasus avium)^ qui se rencontre dans beau-
coup de bois de l'Europe, tandis que le cerisier que Lu-
cullus apporta de l'Asie en Italie, et qui, d'après Pline, se
propagea, en moins de cent cinquante ans, jusque dans la
Grande-Bretagne, était notre cerisier domestique. Cet
arbre est encore aujourd'hui très-communaux environs de
Gérasonte, sur le littoral de la mer Noire. « La campagne
de Gérasonte nous parut, rapporte Tournefort, très-belle ;
ce sont des collines couvertes de bois oîi les cerisiers
naissent d'eux-mêmes ^ »
Colianelle. — Natif de Gadix, Golumelle parcourut, au
commencement du premier siècle de notre ère, l'Espagne,
la Gaule, l'Italie, la Grèce, plusieurs provinces de l'Asie
INIineure, particulièrement la Gilicie et la Syrie. Il visita
aussi les côtes de l'Afrique, surtout les environs de Car-
tbage, afin d'y suivre pas à pas les travaux agricoles
décrits par Magon dans son Traité d'Agriculture, au
manuscrit autographe duquel les Romains rendaient
autant d'honneur qu'aux fameux livres Sibyllins, et qui de-
vint, comme ceux-ci, la proie des flammes, l'an de Rome
670. Après ses voyages, Golumelle s'établit à Rome pour
y rédiger son Traité d'Agriculture ( De re rustica, en treize
livres), précédé d'une préface où il déplore l'état d'avilis-
sement dans lequel était, depuis la chute de la Républi-
que, tombée l'agriculture. « Je vois partout, dit-il, des écoles
ouvertes aux rhéteurs, à la danse, à la musique, même
aux saltimbanques; les cuisiniers, les barbiers sont en
vogue ; on tolère des maisons infâmes où les jeux et tous
1. Relation d'un Voyage du Levant, t. II, p. 98 (édit. in-4°).
ANTIQUITÉ 69
les vices attirent la jeunesse imprudente; tandis que pour
l'art qui fertilise la terre, il n'y a rien, ni maître, ni
élèves, ni justice, ni protection. Voulez -vous bâtir, vous
rencontrez à chaque pas des architectes. Voulez-vous
courir les hasards de la mer, vous trouverez jDartout des
constructeurs. Mais souhaitez-vous tirer parti de votre
héritage, améliorer les procédés qui vous semblent mal
entendus, vous n'avez ni guides, ni gens qui vous com-
prennent. Et si je me plains de ce mépris, on me parle
aussitôt de la stérilité actuelle du sol; on va jusqu'à me
dire que la température actuelle est changée. Le mal est
plus près de vous, ô mes contemporains ! L'or, au lieu de
se répandre dans les campagnes, qui nourrissent les
villes, est jeté à pleines mains au luxe, à la débauche, aux
exactions. Écoutez-en mon expérience, reprenez la char-
rue....» Ces plaintes, chose triste à constater, sont encore
aujourd'hui, après un laps de près de deux mille ans, en
grande partie fondées.
Les quatre premiers livres du Traité de Columelle sont
consacrés aux exploitations rurales, aux labours, aux
semailles, aux engrais, à la culture des champs, des prés
et de la vigne. La culture de l'olivier, du grenadier, du
noyer, des pommiers et du cytise fait le sujet du cin-
quième livre. Le cytise de Columelle est, selon Thiébaud
de Barnéaud, non pas la luzerne arborescente {medicago
arborea)^ mais le faux ébénier (cyiwi/5 laburnum^L.) ^ Les
quatre livres suivants (6*, 7^, 8« et 9*) traitent de l'élève
des bestiaux, des oiseaux de basse-cour et des abeilles.
Le 10" livre, en vers, est consacré à la culture des jardins,
que l'auteur recommande de bien arroser, «parce qu'ils ont,
dit -il, toujours soif, semper sitiunt horti. » Les mauvaises
herbes qui les infestent, sont décrites dans un langage
très-poétique. Les livres II* et 12' ont pour objet les
principales industries agricoles. Le 13* et dernier livre
1. Mém. de VAcad. des Sciences, année 1814.
70 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
traite de l'arboriculture. — Pour perpétuer la mémoire du
célèbre agronome romain, Wahl a donné le nom de colu-
mellia à un genre de plantes originaires du Pérou et
voisines des calcéolaires.
Virgile. — D'une cinquantaine d'années antérieur à Golu-
melle, Virgile est souvent cité par celui-ci comme une
autorité. C'est que, à l'exception de Théocrite, son modèle,
peu de poètes ont eu un sentiment plus vrai et plus pro-
fond de la nature. Ce sentiment, qui éclate à chaque page
des Bucoliques et surtout des Géorgiques, se retrouve
dans l'Enéide, et il n'a pas peu contribué au déploiement
de ces qualités qui, si l'on excepte Homère, manquent à
presque tous les poètes épiques.
Les Bucoliques ou Églogues sont les véritables débuts
de la muse Yirgilienne. Ces poèmes champêtres furent
composés, de 43 à 37 avant J. G,, pendant les troubles
civils qui suivirent la mort de César. Le genre idyllique
était alors inconnu aux Romains. Virgile ne pouvait
mieux faire que de prendre pour modèle Théocrite : il
l'imita non-seulement dans le choix de ses sujets, mais il
lui emprunta des vers et des développements tout entiers.
Rien de plus attachant que cette poésie de la nature, en-
trelacée de feuillages et de fleurs :
Les sillons destinés aux céréales....
Sont envahis par la triste ivraie [infelix lolium) et les avoines stériles ;
A la place de la douce violette et du narcisse pourpré s'élèvent
Le chardon et la ronce '.
L'épithète de purpitreus^ que Virgile donne ici au nar-
cisse, ne peut s'apjiliquer qu'à la petite couronne pourpre
qui occupe le centre de la fleur blanche du narcisse des
poètes {7iarcissus poeticus L.). Quel air de fête cette fleur
donne aux prairies lorsau'elle s'ouvre aux rayons du soleil
printanier !
. L Eclog.^ V, 38 et suiv.
ANTIQUITÉ. 71
Quant à ce vers si souvent cité :
Alba ligustra cadunt, vaccinia nigra leguntur *,
nous avons montré ailleurs qu'il s'agit ici d'une seule et
même espèce végétale, de notre troène {Hgustrum vul-
gare, L.), dont les fleurs blanches, printanières, tombent
{alba ligustra cadunt) , tandis que les baies noires qui leur
succèdent en automne, sont cueillies pour servir en tein-
ture, comme nos airelles [vaccinia nigra leguntur) ^. [
Après les Bucoliques parurent les Géorgiques^ qui coû-
tèrent au poète également six ans de travail (de 37 à 31
avant J. G.). Quelques plantes y sont si bien décrites qu'il
est facile d'y reconnaître les synonymes de la nomenclature
moderne. Telle est, entre autres, cette belle espèce de
marguerite, qui se rencontre dans les prés (flos in pralis)
et qui mérite d'être comparée à une étoile [aster amellvs),
quand elle montre au-dessus de ses feuilles, denses comme
un gazon, une forêt de capitules fleuris [ingente?n tollit
de cespite silvam)^ disposés en corymbe, fleurs composées
d'une couronne d'or {aureus ipse), garnie de rayons d'un
pourpre foncé comme les pétales de la violette. C'est là la
caractéristique de notre aster amellus^ que le poète a
chanté dans ces vers :
Est etiam flos in pratis, cui nomen amello
Fecere agricolae, facilis quaerentibus herba;
Namque uno ingentem tollit de cespite silvam,
Aureus ipse; sed in foliis, quae plurima circum
Funduntur, violae subi ucet purpura nigrae ',
Jj aster amellus^ L., que sa beauté a fait surnommer œil
du Christ^ appartient aux contrées méridionales, où il se
plaît sur les collines arides. La plupart des plantes n'étant
désignées dans d'autres vers de Virgile que par un ou deux
1. Edog., II, 18.
2. Voy. Nos Saisons, P» série, p. 334.
3. Georg., iv, 271 et suiv.
72 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
qualificatifs, il est plus difficile d'en déterminer exacte-
ment les espèces; tels sont Vamomum^ le crocus rubens
d'automne, probablement notre colchicum autumnale^ —
le galbanum^ thurifera arbor^ — ïulva paluslris {typha
latifolia?), — lespmper frondens acantlius [Vacucia vera?)^
— les centauria graveolentia ^ etc.*
Hygin écrivit sur les Gréorgiques de Virgile un ouvrage
qui ne nous est pas parvenu.
Horace, Vitnwe'' l'architecte et Strabnn le géographe^
ont donné, dans leurs ouvrages, quelques observations
qui ne sont pas sans intérêt pour l'histoire de la science.
Aperçn historique de la boJnnîque, depuis le premier
siècle de notre ère jusqu'au moyen âge (époque de
Charlemagne) .
Deux auteurs , souvent cités, ouvrent cette période :
Dioscoride et Pline.
Dioscoride. — Natif d'Anazarbe en Cilicie, Dioscoride
paraît avoir vécu, comme Pline, dans la première moiLié
du premier siècle de notre ère. Il nous reste de Dioscoride
un Traité de matière médicale (n^pt ùlriç larpix^ç), dont
Sprengel, qui en a donné une excellente édition (Leipzig,
1829, 2 vol. in-8°), a relevé les principales espèces végé-
1. Voy. Fée, Flore de Virgile, dans la collection des Classiques
latins de Lemaire. Retzins, Flora Virgiliana; Londres, 1809, in-S".
Tenore, Osservazioni sulla flora Virgiliana, Naples, 1826, in-8".
2. Meyer, Geschichte der Bot. t. I, p. 382 et siiiv.
3. Meyer, Versuch hntnnincher Frliiuternngen zu Sirabnn, etc.;
Koenigsberg, 1852, in-S°.
ANTIQUITÉ. 73
(aies dans son Histoire de la Botinique. Ainsi, la plante
que Dioscoride désigne sous le nom de mu (i, 10), était,
selon toute apparence , la grande valériane {valeriana phu
de Lin., valeriana Dioscoridis de Hawkins), qui croît dans
les lieux montagneux des contrées méridionales ; elle est
facile à reconnaître à sa gross3 racine odorante, à ses
feuilles, dont les inférieures sont entières ou à trois loLes,
et les supérieures pinnatifides, ainsi qu'à ses fleurs dis-
posées en une panicule rouge ou blanche. Dioscoride et
d'autres écrivains ont donné le nom de nard^ vapSoç, à
beaucoup de plantes aromatiques, particulièrement à la
valériane, dont la plupart des espèces sont remarquables
par leur odeur caractéristique. Le nard celtique^ ^ xeX-rtxr)
vapSoç, est le valeriana celtica de L., qu'on trouve en
Grèce, en Italie et jusque sur les montagnes du Piémont
et du Dauphiné. Le nard indien et le nard des montagnes
paraissent être également des valérianes [valeriana Hard-
wickii et v. tuberosa).
Ce que Dioscoride dit de ce qu'il nomme matière in-
dienne tinctoriale bleue , ivStxov Sacpixov xuavosiSsç, montre
que les anciens connaissaient l'indigo^; mais, contraire-
ment à l'opinion de Sprengel, il n'est pas aussi certain
qu'ils connussent la plante, Vindigofera tinctoria^ d'où pro-
venait l'indigo. Nous ne partageons pas davantage le sen-
timent de Sprengel, quand nous le voyons rapporter l'hé-
liotrope ou tournesol, fiXtorpoutov, de Dioscoride et de Pline,
à notre heliotropium europceum. Cette borraginée, commune
dans les décombres et les terrains en friche, n'attire en rien
les regards du passant : ses fleurs, d'un blanc bleuâtre,
sont petites, disposées en épis scorpioïdes, et ne présentent
aucun mouvement qu'on puisse rapporter à l'action du
soleil. Il n'en est pas de même d'un certain nombre de
ces fleurs composées qui, comme le soleil [helianthus an-
nuuSjL.)^ semblent rechercher la lumière de l'astre du jour
1. Voy. Beckmann, Geschichte d»r Erjînd., t. IV, d. 47.5.
74 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Quant à l'isatis^ ïdaTtç, que les teinturiers employaient
pour teindre la laine, c'était bien, à juger par la courte
description qu'en donne Dioscoride, notre isatis tincloria^
crucifère qui croît naturellement dans une grande partie
de l'Europe, et qui se distingue par ses feuilles glau-
ques, lancéolées, embrassantes, dans lesquelles réside
une matière tinctoriale bleue. C'est cette matière qui a
pendant longtemps remplacé l'indigo.
Quoi qu'il en soit, l'établissement exact de la synony-
mie de Dioscoride, comparée avec la synonymie des bo-
tanistes modernes, offre des difficultés presque insurmon-
tables ; et nous sommes loin d'admettre tout ce qui a été
tenté à cet égard par le savant auteur de ÏHistoria m her-
bariasK
Pline l'Ancien. — Le prince des naturalistes romams
mourut âgé de cinquante-six ans (en 7 9 après J. G.), vic-
time de son ardeur scientifique. Pendant qu'il comman-
dait la flotte, stationnée à Misène , il voulut explorer le
Vésuve, au moment où une éruption de cendres en-
gloutit les villes d'Herculanum et de Pompéi. Le vaste
recueil de curiosités de toutes sortes qu'il laissa sous le
titre de Historia naturalis, en trente-sept livres, comprend
le règne végétal, depuis le douzième jusqu'au vingt-bui-
tième livre. Cette partie a été commentée avec une grande
autorité par Desfontaines, dans lest. Y-VII de l'excellente
édition de Pline, de la collection des Classiques latins de
Lemaire.
A l'exemple de ses prédécesseurs, Pline adopte la division
primitive des plantes en arbres et en herbes ; il commence le
douzième livre de son Histoire naturelle par les arbres et
leurs usages en général. Il s'étend d'abord sur le platane
[plalanus orientalis)^ et admire la grosseur des platanes de
l'Académie et du Lycée, où se promenaient à Athènes les
1. Sprengel, Uist. rei hfrli.,t. I, p. 152etsuiv.
ANTIQUITÉ. 75
sciples de Platon et d'Aristote. Puis il traite des arbres
étrangers ou encore peu connus, tels que le citronnier
hnalus assyria ou medica]^ les cotonniers « arbres porte-
laine des Sères » [lanigeras Sérum arbores) ; l'ébénier {ebe-
mis)] le spina indica, dont on n'a pas encore la déter-
mination exacte; le figuier d'Inde [ficus religiosa, L.), et le
pistachier, « arbre semblable au térébinthe et portant des
fruits comme l'amandier. » Il décrit ensuite la racine de
gingembre [radix zingiberi) ^ espèce d'amomum , qu'il
supposait être un arbre , comme le poivrier ; le poivre
cubèbe [piper cubeba, L.), qu'il nomme garyophyllon., ce
qui pourrait faire croire au giroflier, indigène des îles
Moluques; le costus de l'Inde, probablement la cannelle
blanche; le nard sylvestre [asarum europseum) ^ à feuilles
rondes, toujours vertes comme celles du lierre, et à fleurs
pourpres; les arbres d'où découlent l'oliban, l'encens, la
myrrhe, etc.
Pline et Dioscoride parlent à peu près dans les mêmes
termes d'un suc concrète qu'ils appellent saccharon et qui
était notre sucre. « Le saccharon le plus estimé vient,
disent-ils, de l'Inde. C'est un miel recueilli sur des ro-
seaux [mel in arundinibus collecturn)^ blanc comme de la
gomme, croquant sous les dents [dentibus fragile)^ de la
grosseur d'une noisette, et propre seulement aux usages
de la médecine, ad medicinx tantum usum. » Pline parle
a'.^ssi, d'après Onésicrite, d'arbres de l'Hyrcanie, dont les
feuilles ressemblaient à celles du figuier, et qui laissaient,
vers le matin, suinter du miel. G'étaierit probablement des
espèces d'érables, dont les feuilles sécrètent, en effet, une
liqueur sucrée. Notons en passant que l'eau-de-vie, pro-
duit de fermentation du sucre, était d'abord, comme
le sucre lui-même, employée en médecine, longtemps avant
d'entrer dans la consommation alimentaire.
Le phénomène que Pline raconte d'un arbre de l'île du
golfe Arabique, a été généralisé par Linné sous le nom
à'horloge ou de sommeil des plantes. «La tleur qui, dit-il,
76 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
se ferme la nuit, commence à s'ouvrir au lever du soleil, et
est entièrement épanouie à midi. Les indigènes disent
qu'elle dort, n C'était probablement une espèce d'acacia.
Le treizième livre de l'Histoire naturelle de Pline con-
tinue l'histoire des arbres et arbrisseaux, tels que les
palmiers (dattier, palmier doum, chamxrops humilis),
pistachier, caroubier, etc. On y trouve aussi la descrip-
tion de plusieurs végétaux non arborescents, tels que le
papyrus, d'oîi vient l'usage du papier, le lotus du Nil,
diverses espèces de ferula^ etc.
Le quatorzième livre est consacré à la vigne, à sa culture
et aux perfectionnements de ses produits. Les Romains lais-
saient parvenir la vigne à toute sa hauteur, et ne lui donnaient
pour appui que les arbres le long desquels ils la faisaient
grimper. Les Grecs, au contraire, préféraient le système
des vignes basses, qui est le système moderne et qu'on
pratique encore aujourd'hui en Grèce, notamment dans
les îles de l'Archipel. C'est ce fait général qu'il faut tou-
jours avoir présent à l'esprit pour bien comprendre les
écrits des agronomes anciens. Presque tous les vins
étaient, dans l'antiquité, chauffés et aromatisés, et l'usage
de ces vins s'est conservé durant le moyen âge.
Le quinzième livre a pour objet l'olivier, sa culture et
les différentes espèces d'huiles. Il traite, en outre, du se-
bestier [myxa], du pêcher, des poiriers, des pommiers, des
sorbiers, das noyers, des mûriers, des cerisiers, des cor-
nouillers et des lauriers. — Le seizième livre est consa-
cré principalement à la description des arbres forestiers,
tels que les chênes, que l'auteur divise en sauvages {sil-
vestres) et en cultivés [cultx). Le hêtre, qui s'élève très-haut,
fagus alla, étend au loin ses rameaux, patula^ a un feuil-
lage touffu, densa, épaississant l'ombre, umhrosa cacu-
mina, toutes qualités chantées déjà par Virgile :
Cœditur et tilia ante jugo levis, altaque fagus.
Tityre, tu patulae recubans sub tegmine fagi.
ANTIQUITÉ. 77
Tantum inter densa umbrosa cacumina, fagus '.
La description du hêtre est suivie de celle des arbres
résineux, comprenant le pin silvestre [pinaster)^ le sapin
[picea)^ l'épicée {txda). On y trouve aussi l'histoire des
tilleuls, de l'érable [acer]^ de l'ormeau [ulmus], du buis
{buxus)^ des peupliers, des saules, etc. — Le dix-septième
livre traite de l'arboriculture, des pépinières, de la taille,
de la greffe, des irrigations. — Le dix -huitième livre
contient l'histoire naturelle des céréales, les pronostics,
bons ou mauvais, tirés des astres, les engrais, les semail-
les, la conservation des blés, etc. — Le dix-neuvième livre
est consacré à l'horticulture et à la culture du lin, — Le
vingtième livre traite des plantes potagères et des remè-
des qu'elles fournissent. — Le vingt-unième contient l'é •
numération des plantes entrant dans la composition des
couronnes dont les Romains se plaisaient à faire étalage.
— Les livres suivants (vingt-un à vingt-huit) sont consa-
crés à la matière médicale. Les remèdes y sont exposés,
tantôt suivant la nature des maladies qu'ils étaient suppo-
sés guérir, lantôt suivant l'ordre alphabétique.
On chercherait vainement dans Pline des détails précis
de physiologie végétale et des indices d'une méthode de
classification rationnelle.
Nous ne ferons que citer les médecins qui, tels que
Scribonius Largus (médecin de l'empereur Claude), Galien,
Cclse, Oribase^ Aétius, Alexandre de Tralles, Paul d^Egine^
n'ont parlé que très-sommairement des plantes em-
ployées en médecine. Nous pouvons ajouter à cette liste
les écrivains qui, comme Apicius, ne voyaient dans les
végétaux qu'une matière utile pour l'art culinaire.
Citons aussi Palladius et Isidore de Séoille. Le premier
1. Georg., i, 173 ; Bue, i, 1 ; ii, 3»
78 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
(vivant dans le quatrième siècle après J. G.) est auteur
d'un traité De re rustica^ en quatorze livres, dont le pre-
mier donne des règles générales sur l'agriculture; les
douze livres suivants traitent des travaux agricoles; le
quatorzième livre, écrit en vers élégiaques, est consacré à la
greffe des arbres. L'ouvrage de Palladius, très-populaire
au moyen âge (Vincent de Beauvais en inséra une grande
partie dans son Spéculum naturale)^ est une compilation
faite d'après les traités de Caton, de Varron et de Colu-
melle. Il se trouve imprimé d'ans les collections des Scrip-
tores rei rusticss de Mathise et de Schneider.
Isidore de Séville (né en 570, mort en 636) parle d'un
certain nombre de plantes dans le dix-septième livre de
son ouvrage encyclopédique, intitulé les Origi7ies (édit.
par J. Arevoli; Rome, 1797-1803, 7 vol. in-4").L'un des
premiers il mentionne la rhubarbe sous le nom de rheum
barbarum^ par opposition aux rheum ponticum [rhaponti-
cum) et rheum indicum^ indiqués par des écrivains plus
anciens.
Parmi les auteurs dont les écrits, quoique étranger^ à
la botanique , contiennent des renseignements utiles pour
l'histoire de cette science, nous citerons Athénée (les Dei-
pnosophistes ou Banquet des saimnts)^ Pollux [Onomasli-
con), Serenus Samonicus [De medicina prœcepta saluberri-
ma), Florentinus [Georgica] , Sextus et Jules l'Africain
[Cesti], Jules Solin, Ammien Marcellin, Théodore Pri-
scien, Marcelle l'Empirique, Sérapion, Gosmas l'Indi-
copleuste, etc. On trouve des fragments et extraits de ces^
auteurs dans les Geoponica^ recueil fait par ordre de l'em-
pereur Gonstantin VII, surnommé Porphyrogénète (né en
905, mort en 959), et dont Nicolas a donné une excel-
lente édition (Leipzig, 1781, 4 vol. in-S").
Les Capitulaires de Gharlemagne renferment quelques
noms de plantes qui ne sont pas sans intérêt pour l'his-
toire de la science. La nielle, commune dans les champs
de blé, s'y ap^udle gith, et ce nom se retrouve dans celui
ANTIQUITÉ. 79
d'agrostemma githago, donné à la même plante par Linné.
La menthe aquatique s'y nomme menthastrum^ nom déjà
employé par Serenus Samonicus; la petite centaurée, fe~
brifuga; la carotte, carruca; la garance, warentia; la
joubarbe, Jovis barba; la guimauve, ibischa mismalva; le
cabaret [asarum europseum, L.) vulgigina; le pois cultivé,
pisus mauriscus ^ etc.
Cette nomenclature montre l'influence que les langues
vulgaires ou barbares commençaient alors à exercer sur
la langue latine.
LIVRE DEUXIEME.
LA BOTANIQUE AU MOYEN AGE.
La période, si arbitrairement circonscrite sous le nom
de moyen âge, comprend, après la chute de l'empire ro-
main, l'intervalle de temps où l'esprit humain semble
avoir recueilli ses forces pour se déployer tout à coup, au
seizième siècle, dans toutes les directions à la fois.
Toutes les races humaines n'ont pas une égale part à
ce grand mouvement de la civilisation, dont les sciences
composent l'élément essentiellement progressif, et à la tête
duquel se trouve la race aryenne ou indo-européenne.
La race mongole, représentée parles Chinois et les Japo-
nais, y a contribué pour une part aussi obscure que res-
treinte, et les Arabes, race sémitique, dont l'histoire se
trouve mêlée davantage à celle de notre race, n'ont guère
fait que propager les lumières des Grecs, et préparé
ainsi l'époque de la Renaissance.
Botanistes arabes*
C'est presque exclusivement dans ses rapports avec
la médecine que les Arabes, plutôt poëtes qu'obser-
vateurs , ont étudié la botanique. Les écrits de Mesué,
I
MOYEN ÂGE. 81
deRliasés, d'Ibn-Baïthar, d'Aviccnne, d'Averroës, d'Aven-
zoar, etc., en témoignent.
De tous les médecins arabes, Ahd-Allatif paraît être le
seul qui ait montré une connaissance assez approfondie
des principales espèces végétales. Aussi mérite-t-il que
nous nous y arrêtions un instant.
Né à Bagdad, en 1162 de notre ère, Abd-Allatif était
lié d'amitié avec le vizir Bohadin, qui jouissait de toute la
faveur du sultan Saladin. Ainsi protégé, il put se procurer
tous les moyens nécessaires pour visiter fructueusement
l'Egypte. Il vint mourir dans sa ville natale, à l'âge de
soixante-neuf ans. Sa Relation de VEgijpte a été traduite
en français par Sylvestre de Sacy; Paris, 1810, in-i".
Abd-Allatif a décrit, comme plantes particulières à
l'Egypte, les espèces dont nous allons dire un mot.
Le bamia est, à juger parla caractéristique que l'auteur
en donne , ïhibiscus esculentus , vulgairement nommé
gombo. Son fruit ressemble à un petit concombre hérissé
de poils raides, et divisé par des cloisons en cinq loges
qui contiennent des graines rondes. « A cause de son
mucilage légèrement sucré, ajoute l'auteur, les habitants
de l'Egypte le coupent par petits morceaux et le font
cuire avec de la viande, n C'est l'usage qu'on fait encore
aujourd'hui de cette malvacée dans beaucoup de contrées
méridionales , notamment en Syrie et dans le nord de
l'Afrique. Les méloukia et khatmi étaient aussi des espèces
de malvacées, voisines des hibiscus.
Le lèbkah était un arbre de belle apparence. Abd-Allatif
en a décrit le fruit avec beaucoup de détails. «Le fruit du lèb-
kah est, dit-il, du volume d'une grosse datte, encore verte,
et lui ressemble pour la couleur, si ce n'est qu'il est d'an
vert plus foncé. Tant qu'il est vert, il a une saveur astrin-
gente, comme la datte verte ; mais à sa maturité il de-
vient doux et visqueux. Son noyau ressemble à celui de
la prune ou à l'intérieur du fruit de l'amandier; d'un
blanc tirant sur le gris, il se casse aisément, et en dedans
6
82 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
se trouve une amande humide, blanche, douce au toucher.
La chair de cette amande , qui se raccornit beaucoup
par la dessiccation, est d'une saveur très-amère et pro-
duit sur la langue la sensation d'une piqûre qui persiste
longtemps. » Enfin l'auteur répète, d'après Dioscoride et
Nicolas de Damas, que « le lébkah était dans la Perse un
poison mortel ; mais qu'ayant été transplanté en Egypte,
il est devenu un aliment. » — Bien des conjectures ont
été émises sur la véritable nature de cet arbre, (|ui était
déjà rare en Egypte à l'époque d'Abd-Allatif, c'est-à-dire
au douzième siècle. Suivant les uns, c'était le persea de
Théophraste, de Dioscoride, de Galien, etc. Mais ici
commence la difficulté. Qu'était-ce que le persea des an-
ciens? La plupart s'accordent à l'identifier avec l'abrico-
tier ou le pêcher, dont le noyau contient, en effet, une
amande amère, imprégnée d'un poison violent (acide prus-
sique). Quel [ues-uns en font une espèce de laurier : c'était
l'avis de l'Écluse et de Linné en donnant à l'avocatier
le nom de laurus persea. Mais indépendamment de ce
que l'avocatier est originaire de l'Amérique, la descrip-
tion que les anciens donnent du persea, ne s'applique ni
à l'abricotier, ni au pêcher, ni au laurus persea. Dans un
mémoire lu en 1818 à l'Académie des sciences, Delisle a
montré que le lébkah des anciens Arabes ou le persea de
Théophraste doit être rapporté au xymenia segyptiaca de
Linné; il en fait en même temps un genre particulier
sous le nom de balanites. Cet arbre, aujourd'hui presque
introuvable en Egypte, semble avoir émigré, comme
beaucoup d'espèces végétales et même animales, vers la
Nubie et l'Abyssinie. Il est, en effet, commun dans ces
contrées, où il se nomme heglyg\ Son fruit, qui ressemble
à la datte, et qui devient doux en mûrissant, rappelle tout
à fait la description qu'Abd-Allatif a faite du lébkah.
Le djoummeïz est incontestablement une espèce de
1 Voy. p. 27.
MOYEN AGE. 83
liguier, le ficus sycomor us de Linné. « Cet arbre semble,
dit Abd-Allatif, être un figuier sauvage ; ses fruits nais-
sent sur le bois et non à l'aisselle des feuilles. On en fait
sept récoltes par an, et on en mange pendant quatre mois
de l'année. Quelcfues jours avant qu'on en fasse la cueil-
lette, un homme muni d'une pointe de fer monte sur l'ar-
bre, et fait avec cet instrument une piqûre à tous les fruits
l'un après l'autre : il coule de la plaie une liqueur d'un
blanc de lait qui ne tarde pas à brunir ; c'est cette opéra-
tion qui donne aux fruits une saveur sucrée. Il y en a qui
sont extrêmement doux, plus même que la figue; mais
on y trouve toujours un arrière-goût de bois. L'arbre est
grand comme un vieux noyer.... On se sert de son bois
pour la construction des maisons, et l'on en fait des portes
et d'autres gros ouvrages ; il dure très-longtemps, et souffre
l'eau et le soleil sans en être endommagé. » — Cette des-
cription s'accorde parfaitement avec celle que Prosper
Alpin (i7wï. nat. ^Egypt., part. II, p. 12), Sonnini [Voyage
clans la haute et basse Egypte, t. I, p. 352 et suiv.) et d'au-
tres voyageurs ont donnée du figuier sycomore. Nous avons
déjà dit (p. 8) que les caisses de momies égyptiennes ont
été faites avec le bois de cet arbre.
Le haumier. C'est Vamyris gileadensis, L., qu'il ne faut
pas confondre avec le sapin baumier [abies balsamifera)^
qui appartient aux forêts de l'Amérique septentrionale.
Abd-Alladf trouva le vrai baumier en Egypte, dans un
enclos soigneusement gardé. « C'est, dit-il, un arbuste
d'environ une coudée de hauteur. Il a deux écorces : l'une
extérieure, qui est rouge et mince; l'autre intérieure,
verte et épaisse; quand on mâche celle-ci, elle laisse dans
la bouche une saveur onctueuse et un goût aromatique ;
ses feuilles ressemblent à celles de la rue. » — Cette des-
cription s'accorde en tout point avec celle du baumier
que Belon observa, au seizième siècle, dans un jardin
près du Caire, et qu'il rapporte aux xylobalsamum et car^
pobalsamum des anciens. Il insiste surtout sur la forme
84 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
d'S feuilles impari-pennées. « Les feuilles sont, dit-il,
ordonnées à la manière du lentisque, à savoir de côté et
d'autre, comme nous voyons aux feuilles des rosiers;
toutefois la grandeur n'excède point la feuille des pjis
chiches, et est faite de telle façon que la dernière feuil-
lette (foliole), qui est au bout, fait que le nombre en soit
impair, tellement que comptant les feuillettes de toute la
feuille, on y en trouve trois, cinq ou sept, et nous n'avons
guères vu qu'elles dépassent le nombre sept. La feuillette
de l'extrémité est plus grande que les autres qui suivent;
car elles vont en amoindrissant, comme il advient à la
feuille de la rue*. »
Abd-Allatif a le premier fait connaître tous les détails
relatifs à la récolte du baume. « Après avoir, rapporte-
t-il, arraché de l'arbuste toutes ses feuilles , on fait
au tronc des incisions avec une pierre aiguë; cette opé-
ration exige de l'adresse , car il faut couper l'écorce
externe et fendre celle de dessous , mais de manière
que la fente n'atleigne pas le bois; si l'on attaque
le bois , l'incision ne donnera aucun produit. La
fente faite comme nous venons de dire, on attend que
le suc de l'arbuste coule sur le bois; on le ramasse
avec le doigt, que l'on essuie sur le bord d'une corne.
Quand la corne est pleine, on la vide dans des bouteilles
de verre, ce que l'on continue sans interruption jusqu'à
ce que la récolte soit finie et qu'il ne coule plus rien
de l'écorce. Plus l'air est humide, plus l'arbuste four-
nit une récolte abondante; elle agt, au contraire, médiocre
dans les années de sécheresse. » — On faisait, pendant
tout le moyen âge, un grand commerce avec le baume,
nommé baume de Giléad, que l'on disait venir de la Judée,
Mais Abd-Allatif raconte qu'il n'avait trouvé aucun bau-
raier en Palestine. Mandeville, Prosper Alpin, Belon et
1. Bclon, les Observations de plusieurs singularités trouvées en
Grèce, Asie, Egypte, etc., liv. ii, c. 39 (Anvers, 1555, in-l2). Com-
parez Prosper Alpin, Ilist. nat. Àgtjpt., part, n, p. 14.
MOYEN ÂGE. &c
d'autres voyageurs ont confirmé l'assertion du médeciri
arabe.
Le kholkas d'Abd-AUatif et d'Ibn-Beïtar est, à n'en
pas douter, Varum cobcasia, L., bien cfue de l'Écluse el
d'autres aient essayé de l'identilier avec la fève d'Egypte
des anciens, qui était, comme nous l'avons dit, une nym-
phéacée [nymphxa nelumbo^ L.). Ce que Abd-AUatif ra-
conte de la racine de Varum colocasia a été reconnu vrai
pour les racines de presque toutes les aroïdées. « La sa-
veur de cette racine est, dit-il, un peu astringente et extrê-
mement acre. Quand on la fait bouillir, elle perd toute son
âcreté, et peut servir de nourriture. » Ce genre d'aliment,
qui rappelle la racine de manioc du Nouveau-Monde,
était très-usité chez les anciens habitants de l'Egypte ;
c'est ce qui explique pourquoi on l'a confondu avec la
fève d'Egypte, jadis également employée comme nourriture.
On conserve dans les principales bibliothèques publi-
ques de l'Europe, particulièrement à celles de Leyde, de
Paris, de l'Escurial et de Vienne, un certain nombre de
manuscrits arabes qui intéressent plus ou moins directe-
ment l'histoire de la botanique. Ces manuscrits, la plu-
part inédits, ne méritent guère, sauf quelques rares excep-
tions, de voir le jour, à juger du moins par les analyses
qu'on en a données *.
Botanistes byzantins*
La division du grand empire romain en empire grec ou
d'Orient, ayant pour capitale Gonstantinople (Byzance),
et en empire d'Occident , ayant Rome pour capitale , les
discordes sanglantes qui s'en suivirent, entretenues par
1. Voy. H. V. Meyer, Geschichte der Botaidk, t, II, page 99 et
suivantes.
86 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
l'invasion des barbares, tout cela n'était guère propre à
favoriser le développement de la science.
D'ailleurs les Grecs du Bas-Empire s'occupèrent bien
moins de l'étude de la nature que de discussions théolo-
giques et de rédactions de chroniques ou d'autres re-
cueils. Photius,Théophane, Nonnus, Psellus, Suidas, etc.,
n'ont traité de quelques plantes que très-incidemment.
Nous ne devons ici une mention spéciale qu'à Siméon
Sethus et à Nicolas Myrepsus.
Siméon Sethus écrivit un ouvrage Sur les aliments^ ran-
gés par ordre alphabétique, et le dédia à l'empereur Mi-
chel Ducas, qui régna de 1071 à 1080. Cet ouvrage a été,
entre autres, traduit en latin, par Martin Bogdan, et publié
sous le titre de Simeonis Selhi magistri Aniiocheni volu-
nien de Alimentorum facultatibusjuxta ordinem lUlerarurn
digestum, etc., Paris, 1658, in-8°. On y trouve pour la
première fois mentionné le camphre, xaacpoupà. « C'est,
dit l'auteur, la résine d'un arbre indien, d'une grandeur
telle qu'il peut ombrager une centaine d'hommes. » Le
laurus camphora, L., d'où l'on retire le camphre, est loin
d'avoir ces dimensions. Sethus tenait ses renseignements
probablement de quelques marchands qui se plaisaient,
par leurs exagérations, à cacher la véritable provenance
du camphre.
En parlant de Vasperge^ àffTtapaYoç, Sethus dit : « Cette
sorte de légume était naguère inconnue; on 1 a mainte-
nant en abondance au printemps : on ne connaissait jus-
qu'alors que l'asperge amère, qu'on nomme éliodaphné^
E>£ioSacpvyi, » L'asperge cultivée [asparagus officinalis^ L.),
dont Sethus n'ignorait pas l'action sur la sécrétion uri-
naire, était connue depuis longtemps, puisque Gaton en
parle déjà, comme nous l'avons montré. Galien cepen-
dant n'en faisait pas usage *. h'élioda'Dhné paraissait être
1. Voy. Galien, liv. n, des Aliments (t. VI, p. 641 et suiv. de l'édit.
de Kûlin).
MOYEN AGE. 87
une espèce de ruscus^ de la même famille que l'as-
perge.
Laôfiro/ZejîcapuôcpuîiÀov, mentionnée par Sethus, était con-
nue seulement depuis le septième siècle de notre ère. Paul
d'Égine en parle. Sethus a le premier mdiqué la noix de
muscade^ sous le nom de xàpuov àpojfiiaTtxov. A cette même
épice paraît s'appliquer le nom de noix indienne, qu'on
trouve dans Aétius, qui vivait au commencement du
sixième siècle.
Sethus emploie le nom de marouUia (fxapouXXia) pour
désigner la laitue cultivée, qui se nommait aussi ihrida-
kiné {(ipiBoLx.i'vri)^^ d'où le nom de tliridace, par lequel on
désigne aujourd'hui le suc concrète de la laitue. — Le
nom de tarchon (Top/dv), également employé par Sethus,
est le tarcoun, par lequel les Arabes désignent notre estra-
gon, artemisia dracunculus^ .
Nicolas Myrepsus , souvent confondu avec Nicolas Prx-
podiiis, écrivit, au treizième siècle, un traité en grec Sur
la composition des médicaments, qui fut traduit en latin par
Léonard ,Fuchs, sous le titre de : Medicamentorum opus,
etc., Bâle, 1549, in-fol. On y trouve pour la première fois
mentionnés : l'herbe au musc [erodium moschatum ^Willd.),
sous le nom de moscho-botanon^ ^QG-/o-p6-:tx^o\i ; le chardon
béni [centaiirea benedicta^ L.), sous le nom de cardio-bola-
non, xapoto-poTavov ; la nielle, sous celui de cocalis du blé
(xoxaXiçToîj ciTou); le fraisier, sous celui de fragouli^ cppotyouXt.
Myrepsus et son contemporain, le médecin Actuarius, ont
aussi les premiers parlé de l'action purgative des ieuilkij
et des fruits du séné (cassia senna).
1. Voy. Fabricius, Biblioth. Grgpca, t. XII, p. 608.
2. Rauwolf, Reiseins llorymland, p. 73.
88 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Botanistes de l'Oceident.
Nous placerons ici un auteur qui, sous le nom de
Macer Floridus^ a écrit un médiocre poëme, en hexamètres,
sur les vertus des plantes, De viribus herbaruvi, dont
J. Sillig a donné une édition estimée (Leipz., 1832, in-8).
Bien des conjectures ont été émises sur l'époque à laquelle
vivait cet auteur ; une chose certaine, c'est qu'il n'est point
postérieur au treizième siècle, puisqu'il est souvent cité
par Vincent de Beauvais. Quelques-uns l'ont faussement
identifié avec l'ancien poëte romain Ji^milius Maor;
d'autres, sur la foi de certains manuscrits, l'ont présenté
comme identique avec Othon de Morimont [Odo Mure-
mundensis) ou Othon de Meung {Odo Magdiuiensis)^Yiva.nt
l'un et l'autre au douzième siècle. Il aurait donc été Fran-
çais. C'était là l'opinion de Haller et de Ghoulant, se
fondant sur ce que beaucoup de mots, employés par
Macer, se retrouvent encore aujourd'hui en français, tels
que maurella^ morelle, gaisdo^ gaude, jusquiamus^ jus-
quiame. Suivant Renzi*, Macer appartient à l'école de
tSalerne, et F. Meyer le croit antérieur à cette école.
L'École de Salerne exerça une grande influence sur la
culture des sciences naturelles au moyen âge. La création
de celte école était due aux moines du mont Gassin, près
do Naples, parmi lesquels on cite, comme particulière-
ment versés en médecine, Desiderius, Alfan et surtout
Constantin l'Africain. Ce dernier, natif de Garthage, vivait
vers 1050. Son contemporain, Gariopontas, passe pour
l'auteur du traité De simplicibus medicaminibus ad Pater-
nianum., qui se trouve parmi les écrits faussement attri-
bués à Galien. On y trouve, entre autres, le mot salvicula
1. Collectio Salernitana, i, p. 213 et suiv.
MOYEN ÂGE. 89
[saliunca de Pline), qui s'applique, croyons-nous, à une
petite omhellifère partout assez commune dans les bois
au printemps, à la sanicle [sanicula Europxa)^ ancienne-
ment fort usitée en médecine, témoin ce dicton :
Avec la bugle et la sanicle (prononcez sanique)
On fait au cliirurgien la nique.
Le Regimen sanitatis Salernitanum, sorte de Codex en
vers léonins, souvent édité, de l'école de Salerne, et que
Michel Lelong a traduit en français sous le titre de
Le régime de santé de Veschole de Salerne (Paris, 1633,
in-8), fait le plus grand cas de la sauge, comme mé-
dicament. Il s'étonne même « qu'en cultivant la sauge
dans son jardin un homme puisse mourir : »
Cur moriatur homo, cui salvia crescit in horto?
Salvia salvatrix, naturae conciliatrix.
Les conquêtes de Gharlemagne, et plus tard les croisa-
des introduisirent le goût de l'histoire naturelle, particu-
lièrement de la botanique médicale, dans des contrées de
plus en plus éloignées de la région méditerranéenne.
L'Allemagne, à peine sortie de l'état de barbarie où
l'avait trouvée saint Boniface, produisit, dès le neuvième
siècle, WalaiVid, surnommé Stratus ou Strabon.
Disciple de Rab^n Maur, célèbre abbé de Fulda, Wa-
lafrld^ abbé de Reichenau, mort en 849, chanta, en 444
hexamètres, les plantes qu'il cultivait dans son jardin.
Son poëme, intitulé 7/orîu/M5, jardinet, a été souvent édité.
L'édition la plus récente est de F. A. Reuss (Wûrzb.,
1834, in-8). Parmi les plantes du jardinet de Walafrid, on
remarque : la sauge, la rue, l'aurone [abrotanum]^ le con-
combre, le melon, l'absinthe, la marrube (marrubium),
le fenouil, le glayeul, la livèche [Ubysticum)^ le cerfeuil, le
lis, le pavot, la sclarée (sauge), la menthe, l'ache, la
bétoine , l'aigremoine , la cataire ou herbe aux chats
incpeta cataria), le radis, la rose, etc.
90 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
L'abbesse Hildegarde compte aussi au nombre des per-
sonnes qui s'intéressaient à l'étude des plantes, à une
époque où les sciences étaient encore à peu près incon-
nues en Allemagne. Née en 1099 à Bechelheim, elle fonda,
en 1148, un monastère sur le mont Saint-Rupert, près de
Bingen, aux bords du Rhin, d'où son sui^nom de Pinguia;
elle y termina sa vie. On lui attribue des miracles, et ell-'
fut canonisée après sa mort.
R^enommée pour sa piété et son savoir, sainte Hilde-
garde a laissé un ouviage d'histoire naturelle médicale,
intitulé De physica^ en quatre livres, dont le premier
traite des éléments, de quelques fleuves de la Germanie,
de la nature et des propriétés des métaux ; le deuxième, de
la nature et des propriétés des légumes, des fruits et des
herbes; le troisième, de la nature et des propriétés des
arbres, des arbrisseaux, des arbustes et de leurs fruits ;
le quatrième, de la nature et des propriétés des poissons,
des oiseaux et des animaux terrestres. Cet ouvrage a été
imprimé dans la collection des médecins de J. Schott;
Strasbourg, 1544, in-fol. C'est plus qu'un simple composé
d'emprunts faits, selon la coutume d'alors, aux écrivains
grecs, romains et arabes; car il contient beaucoup d'ob-
servations originales. Il est en même temps précieux pour
la détermination exacte des synonymes.
L'abbesse Hildegarde eut le mérite d'employer la pre-
mière sa langue maternelle là où l'on n'était habitué qu'à se
servir du grec et du latin. C'est ce c[u'attestent les ex-
pressions de Fic/i6ona, haricot ; Bachminza^ menthe aqua-
tique; Lungwurz^ pulmonaire; Haselwiirtz^ cabaret;
Ringella^ souci des champs; Siorchenschnabel ^ bec de
grue ou herbe-à-Robert ; Erdpfefer, piment terrestre ; Hu-
nesdarm^ boyau de géline ou mouron {stellaria média) ;
Weich^ liouque; Himmelsschuzela , primevère; Walberc^
airelle; Yfja^ if; Hartbaum, cornouiller; Bluoth-ivurtz
(racine de sang), la tormentille, dont la décoction de ra-
cines est rouge ; Gelisia, ortie blanche ou jaune ; Rifelbire,
MOYEN ÂGE. 91
gioseillier à maquereau [ribes grossularia, L.) ; Weggrasz^
traînasse [polygoiium aviculare)^ etc.
L'étude de la botanique s'étendit de plus en plus du
midi au nord. Dès le treizième siècle, elle avait gagné
jusqu'aux îles Scandinaves, témoin le danois Harpestreng
(mort en 1244), qui traduisit dans sa langue Macer Fio-
ridus, en y ajoutant des commentaires. Cette traduction
a été publiée par Christian Molbech; Copenhague, 1826,
in-8.
Les hommes d'étude du treizième siècle avaient tous
le génie plus ou moins encyclopédique, en tant qu'ils
aimaient à s'occuper de presque toutes les sciences trans-
mises par l'antiquité. Albert le Grand, Vincent de Bau-
vais, Barthélémy l'Anglais, Roger Bacon, etc., en offrent
les exemples les plus remarquables. Cependant la partie
de leur temps qu'ils ont consacrée à l'étude des plantes,
est relativement fort minime; et encore cette étude n'in-
téresse-t-elle guère que la matière médicale, si variée au
moyen âge.
Albert de BoHstedt, surnommé le Grande évêque de Ra-
tisbonne (né en 1193, mort en 1280), a composé sur les
plantes divers écrits {De vegeîabilibvs et plantis libri vu)
qui se trouvent imprimés dans le sixième volume de l'édi-
tion Lyonnaise (de Pierre Jammy), composée de vingt et un
volumes in-fol., 1651. F. Meyer en a donné une analyse
détaillée*. Il en résulte que ces écrits renferment très-
peu de doctrines et d'observations nouvelles; l'autorité
d'Aristote l'y emporte encore sur celle de la nature. Dans
le chapitre qui traite des arbres, nous trouvons, entre autres,
une description assez exacte et très-bien faite de l'aune
[alnus glutinosa), arbre plus commun dans le nord que
dans le midi. Albert le Grand était à même de l'observer
en Allemagne, où l'aune abonde aux bords des rivières.
1. Geschichte der Botanik, t. IV, p. ^lO et suiv.
92 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
a C'est, dit-il, un arbre qui aime les lieux humides;
son bois rougeâtre, recouvert d'une écorce brune et assez
lisse, donne des cendres d'une parfaite blancheur. Il se
développe par couches ou anneaux [tunicis ligneis) ; à
l'état sec il se fend plus facilement que le bois de sapin,
et il peut se conserver sous l'eau pendant des siècles. Les
feuilles de l'aune sont arrondies comme celles du
poirier, mais pas si dures et d'un vert plus foncé ; dans
leur jeunesse, elles sont enduites d'une humeur visqueuse,
à laquelle manque l'arôme des feuilles du peuplier. En
hiver, l'aune pousse, comme le noisetier, des pendelo-
ques (chatons). En été, il leur succède des fruits noirs, de
la grosseur de l'olive, semblables aux cônes de pin, et
renfermant les semences.... »
Le traité Deviribus herbarum, livre de recettes cabalis-
tiques, sur lequel Haller et Sprengel ont jugé trop sévère-
ment Albert le Grand, n'est pas de lui.
Vincent deBeauvais, surnommé le Pline du moyen âge
(né vers 1190, mort vers 1264), est l'auteur d'une vaste
compilation, qui porte, dans les manuscrits, indifférem-
ment les titres de Bibliotlieca mundi^ de Spéculum majus^
et de Spéculum triplex [naturak, historiale et doolrinale)
et qui a été imprimé par Jean Mentelin, a Strasbourg,
1473, dix vol. in-fol.'. Les livres dix et quinze du Spccu-
lum naturale ont seuls quelque intérêt pour la botanique.
On y trouve, d'après les récits des voyageurs, la première
mention du vernis du Japon [ailanthus glandulosa, Dcsf.),
bel arbre qui est depuis longtemps naturalisé en Eu-
rope.
Roger Bacon ne s'était occupé de botanique que très-
incidemment.
Le De proprietalibus rerum^ et le De natura rerum^ le
premier attribué à Barthélémy V Anglais^ le second à
1. Voy. Uist. lia. de La France, t. XVllI.
MOYEN Age. 93
Thomas de Cantiprato^ étaient des livres très-populaires
dès le quatorzième siècle.
Pierre de Crescence, sénateur de Bologne, écrivit vers
1306, sur l'ordre do Charles II, roi de Sicile et de Jéru-
salem, un livre sur l'agriculture et les plantes en général.
Ce livre a été souvent imprimé à la fin du quinzième
siècle et au commencement du seizième siècle. Nous
possédons l'édition de Bâle, de 1538, qui a pour titre :
De ac/rlculiura ^ omnibusque plantnrvm et animalium,
libri XII, etc., autore optimo agricoln et. philosapho Petro
Crescentiensi. L'auteur montre qu'il était plutôt agro-
nome que botaniste proprement dit. Il a parlé, l'un des
premiers, du ranunculus flammula^ qu'il appelle simple-
ment flammula^ et dont il signale la parenté avec la clé-
matite [iiidolba, se. clematis vitalbn). « Celle-ci, dit-il, a
les fleurs blanches, tandis que la flammula]e% a jaunes. »
Ce qu'il nommeyarw.?, c'est Varum arisarum. Il parle aussi
du panicaut sous le nom de trincmm {eryngium campes-
ire)-^ de la garance, qu'il appelle rw&èa, etc. Beaucoup de ses
descriptions ont été empruntées au livre de Platearius,
de l'école de Salerne [Circa instans^ Lyon, 1525, in-4o).
La Clavis sanationis de Simon de Janua, le Liber Pan-
d'clarum medicinse^ et le Bvch der Natur (livre de la
nature), de Conrad de Meyenberg, étaient des ouvrages
souvent consultés aux quatorzième et quinzième siècles.
Voyages scientifiques.
Pour étendre les connaissances en histoire naturelle, il
faut que l'observateur se déplace, qu'il change de lieu à la
surface du globe. Tant que les peuples, dépositaires de
la civilisation, restaient groupés autour du grand bassin
méditerranéen , le savoir des naturalistes se bornait
aux espèces végétales ou animales, exclusivement propres
94 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
àla région méditerranéenne. Alexandre le Grand, par pes
conquêtes, Pythéas de Marseille, par ses voyages, élar-
girent les premiers, au midi et au nord, l'horizon de la
science. Pythéas poussa ses explorations, vers 350 avant
Jésus-Christ, jusqu'au nord des îles Britanniques [uUima
Thulé) et jusqu'aux côtes de la mer Baltique, d'où les mar-
chands Phéniciens apportaient la résine fossile, connue
sous le nom d'ambre jaune ou de succin. Malheureusement
les renseignements qu'il avait communiqués à ses contem-
porains sur la végétation septentrionale, ne nous sont point
parvenus, sauf un petit nombre de fragments, conservés
par Strabon et d'autres. On sait trop peu de chose des
expéditions maritimes , phéniciennes et carthaginoises
(Périples), pour apprécier leur influence sur le progrès de
l'histoire naturelle. Avec l'extension de l'Empire romain,
la science aurait dû également agrandir son domaine, si
l'esprit militaire pouvait se concilier avec l'esprit d'obser-
vation. Plus tard, les Arabes et les Croisés ne s'éloignè-
rent guère de la région méditerranéenne.
A l'époque où les Normands envahirent la France, des
pêcheurs Scandinaves découvrirent, aux confins du septen-
trion, après avoir navigué sans doute à travers des mon-
tagnes de glaces, une vaste contrée qui, à cause de son
aspect verdoyant, reçut le nom de Groenland^ c'est-à-dire
Contrée verte. La tradition désigne Éric, surnommé den
Rœde (le Rouge), chef normand, et son fils Leif comme
ayant, en 990, les premiers colonisé la côte orientale, au-
jourd'hui presque inabordable, de cet immense pont de
glace et de neige jeté par la nature entre l'Ancien et le
Nouveau Continent. Vers la même époque, un Islandais,
nommé Bjarne, ayant voulu rejoindre son père, ami d'Eric,
en Groenland, fut entraîné par une tempête au loin dans
l'ouest, d'où il aperçut une région très-boisée; c'était,
dit-on, l'entrée du fleuve Saint-Laurent (Amérique sep-
tentrionale). Mais, détourné par le courant de ce fleuve,
il ne put aborder les côtes, et revint en Groenland, où il
MOYEN ÂGE. 95
raconta à Éric son aventure. Sur ce récit, Éric équipa un
navire monté par trente-cinq hommes, et en confia le
commandement à son fils Leif. Celui-ci mit à la voile, et
découvrit d'abord VHelluland (Terre-Neuve); de là, se
dirigeant vers le sud, il signala une contrée couverte de
forêts (Nouvelle-Ecosse). Poussé plus loin par le vent, il
trouva un pays d'un climat plus doux et couvert d'une
riche végétation (lehttoral du Canada), où il s'établit pour
passer l'hiver. Un Allemand, nommé Tûrker, qui faisait
partie de cette expédition, s'aventura dans l'intérieur du
pays; il y trouva du blé et la vigne sauvage, ce qui, fit
donner à ce pays le nom de Wynland (pays de vigne).
Tel est le récit des légendes Scandinaves'. Quoi qu'il en
soit, il n'est pas impossible que des navigateurs norwé-
giens ou islandais aient abordé le nord de l'Amérique,
plusieurs siècles avant la découverte du Nouveau-Monde
par Christophe Colomb.
Au treizième siècle, il y eut plusieurs voyageurs qui
se livrèrent, en passant, à des observations d'histoire na-
turelle.
Jacques de Vilry^ près de Paris, célèbre prédicateur,
ayant résidé dix ans en Palestine (de 1217 à 1227), écrivit
une Histoire de Jérusalem en trois livres, imprimée dans
Bongars, Gesta Dei per Francos (Hanau, 1611, in-fol.). Le
chapitre quatre-vingt-cinq du tome I, p. 1, est consacré
à la description de diverses productions naturelles pro-
pres à la Palestine.
Toute une famille de marchands vénitiens, celle des
PoU^ s'illustra par des voyages faits dans l'Asie centrale
et orientale, où aucun Européen n'avait encore pénétré^.
Le plus célèbre est connu sous le nom de Marco Polo
1, Voy. Torfaeus, Groenlandia antiqua; Copenhague , 17CG.
Schroeder, Om scandinavernes fordoa, etc., ibid. , 1818.
2. Voy. l'article Polo (Marco"^ de M. Pauthier, dans la Biographie
générale.
96 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
(né à Venise vers 125G, mort en 1323 dans la même
ville).
Les voyages des Poli ont été publiés en italien, en
français et en latin ; ils se trouvent dans plusieurs recueils,
notamment dans celui de Ramusio (Venise, 1583, in-foL).
Le second voyage des deux frères Poli en Mongolie et en
Chine, après avoir passé par la Syrie et l'Arménie, a été le
plus riche en résultats pour la science dont l'histoire nous
occupe ici. A Mossoul, les frères Poli admirèrent la cul-
ture du cotonnier; à Bassora, sur le Tigre, ils mangèrent
les meilleures dattes du monde ; en Perse, ils trouvèrent
du froment, de l'orge, du millet, du vin et des arbres
fruitiers en abondance. A Timochaïm (Damagban dans le
Tabaristan), ils virent « un arbre remarquable, l'arbre du
suleil^que les chrétiens nomment arbre sec: «il est élevé,
épais ; ses feuilles sont, d'un côté vertes, de l'autre blan-
ches; ses fruits, gros comme les châtaignes, sont hérissés
d'aspérités et ligneux; son bois est dur et de la couleur
de celui du buis. » Il s'agit ici évidemment du platane
{platanus orienîalis). — Plus loin, les mêmes voyageurs
nous apprennent que sur les montagnes des environs de
Succuir(So-Tschéu), en Chine, croît en abondance la rhu-
barbe la plus estimée, et que les marchands l'exportent
de là dans toutes les parties du monde. Les environs
de Gouza (Tscho-Tschéu) sont décrits comme étant cou-
verts de mûriers^ propres à l'éducation des vers à soie.
Le bambou est signalé comme très-commun aux bords du
fleuve Jaune et de ses affluents.
Les deux frères voyageurs mentionnent aussi les arbres
à épices, tels que le poivrier, le muscadier, comme
croissant dans les îles de Java et de Sumatra. Ils
ont les premiers décrit les noix de coco [cocos nuclfera,
L.), « noix grosses comme la tête d'un homme, bonnes
à manger, d'une saveur sucrée, d'une blancheur de lait,
remplies à l'intérieur d'un suc frais et limpide, préférable
au meilleur vin. » Ils parlent aussi des bananes [musa
MOYEN ÂGE. 97
pnradisiaca, L.) qu'ils aipellent pommes de paradis^ dos
noix de bétel, du camphre, du gingembre, de divers bois
tinctoriaux, etc.*.
Le franciscain Odorlc de Pordenonc [De Porto Naonis]
en Frioul (né en l'286, mort en 1331), suivit les traces de
INIarco Polo. Envoyé en 1318 comme missionnaire en
Chine, il passa par Gonstantinople et Trebizonde, traversa
l'Arménie et la Perse ; de Ormuz il longea la côte de
Malabar, et se dirigea, par l'île de Ceylan et l'Archipel
indien, vers le Thibetet la Chine. Il fut de retour en 1330,
après avoir suivi une route qu'il n'a pas indiquée. La
Relation de son voyage a été imprimée dans le tome II
du recueil deRamusio {Raccolta délie naviyazioni eviaggi).
Ses descriptions s'accordent, en général, avec celles de
Marco Polo. On y trouve mentionnés la canne à sucre,
Je ])alraier « doù-l'on tire une farine » {sagus farini]
fcni)^ le palmier à sucre [arenga saccharifera), le bambou
[bambusa aruiidinacea), etc.
Un gentilhomme anglais, John Mandeville ou Maundc-
ville (né à Saint-Albans vers 1300, mort à Liège en 1372),
remplit le quatorzième siècle du récit de ses merveilleux
voyages en Egypte et en Asie, où il erra pendant trente-
quatre ans (de 1322 à 1356). Sa Relation, dont il existe de
nombreux marascrits en français et en anglais, fut pour
la première fois imprimée en français à Lyon, en 1480
(édition très-rare). A côté de beaucoup de sujets fabu-
leux, on y trouve des observations exactes. Ainsi, l'auteur
décrit très-bien les fours à poulets de l'Egypte, la poste
aux pigeons, la récolte du baume, le gisement des dia-
mants, la végétation et la récolte du poivre, etc.
1. Voy. H. F. Meyer, Geacliichte der Botan., t. IV, p. 127 et suiv.
LIVRE TROISIEME.
U BOTANIQUE DANS LES TEMPS MODERNES.
La Botanique ilepuîs la découverte de rAmériquc.
La découverte du Nouveau-Monde, à la fin du quinzième
siècle, ouvrit tout à coup aux sciences nalurclles un
champ illimité. La comparaison des plantes des deux
hémisphères, si longtemps restés inconnus l'un à l'autre,
imprima à l'étude de la botanique une impulsion extraor-
dinaire. Et, par un heureux concours de circonstances,
cette impulsion coïncida avec le réveil soudain des études
classiques. Théophraste, Dioscoride, Pline, pour ne citer
que les principaux botanistes de l'antiquité, trouvèrent
de dignes commentateurs ou interprètes dans Théodore
Gaza , Hermolao Barbare Nicolas Leonicenus , Ma-
thiole, etc. D'un autre côté, les nombreux recueils ou
lexiques qui parurent dès le milieu du quinzième siècle,
sous les titres à'Herbolaria^ Herbiers, Herbals^ en Allema-
gne, en France, en Angleterre, ne contribuèrent pas jaeu
à populariser la botanique.
TEMPS MODERNES. 99
Colomb avait rapporté de son premier voyage, où il
aborda à l'île de Haïti {Hispaniola), divers objets naturels,
tels que des fruits et des peaux de bêtes. La reine Isabelle,
la principale promotrice de ce grand voyage de décou-
vertes, engagea l'amiral à continuer ses collections; dans
une lettre écrite de Ségovie au mois d'août 1494, elle lui
demande surtout « les oiseaux qui peuplent les forêts et
les rivages, dans ces pays où régnent un autre climat et
d'autres saisons. » Parmi les productions naturelles que
Colomb rapporta de son second voyage, on remarque
surtout le fruit de l'ananas [bromelia ananas). La chair
exquise et la forme singulière de ce fruit, qui ressemble
à une pomme de pin, avaient surtout fixé son attention :
Cierla fruta^ que parecia pinas verdes^ y venas de una carne^
que parecia melon, muy olorosay suave. Le roi Ferdinand
d'Espagne préféra ce fruit, s'il faut en croire Pierre le
Martyr [De rébus oceanicis, Dec. II, lib.xxxix),à tous les
autres. Malgré son manque absolu de connaissances en
histoire naturelle, Colomb avait ce sens observateur dont
étaient complètement dépourvus les conquistadores qui,
comme Cortez, les Pizzare, etc., n'apportèrent dans le
Nouveau-Monde que l'esprit de conquête et d'extermina-
tion. « Ce n'est pas à eux, dit avec raison Alexandre delîum-
boldt, que l'on doit faire honneur das progrès scientifiques
qui ont incontestablement leur principe dans la découverte
du Nouveau Continent, et sont venus, agrandir les con-
naissances des Européens.... Ces progrès sont l'œuvre
de voyageurs plus pacifiques ; ils sont dus à un petit
nombre d'hommes distingués, fonctionnaires municipaux,'
ecclésiastiques et médecins. Habitant d'anciennes villes
indiennes, dont quelques-unes étaient situées à 12 000
pieds au-dessus de la mer, ces hommes pouvaient obser-
.ver de leurs propres yeux la nature qui les entourait,
vérifier et combiner, pendant un long séjour, ce que
d'autres avaient vu, recueillir des productions de la
nature, les décrire et les envoyer à leurs amis d'Eu-
100 IIlbTOIRE DE LA BOTANIQUE.
rope. Il suffit de nommer Gomara, Ovicdo et Henian-
dez'. »
Un mot sur ces pionniers des connaissances naturelles
du Nouveau-Monde.
ï'rançois Lopez de Gomara (né aux îles Canaries vers
1500, mort en 1560) passa quatre ans, comme mission-
naire, en Amérique, et publia, après son retour en Europe,
son Hisloria gênerai de las Indias^ con la conquista; Mé-
dine, 15 i3, in-fol. L'auteur fait connaître les productions
du Mexique les plus remarquables : le cactus qui nourrit
la cochenille , si précieuab comme matière tinctoriale
rouge [cactus coccinellifcr) ; le baumier de Tolu [to-
luifera Lalsamuni); l'arbre dont le fruit sert à faire le
chocolat [theobroma cacao); l'agave [agave americana),
qui présente l'aspect de l'aloës, et qui abondait autour
des théocallis ou anciens temples des Mexicains. Ap-
portée en Europe vers le milieu du seizième siècle, cette
plante, dont la longue hampe fleurie attire les regards,
croît aujourd'hui naturellement en Portugal, en Espagne,
sur les côtes septentrionales de l'Afrique, en Italie et
dans le midi de la France.
Fernandez de Ooiedo (né à Madrid en 1478, mort à
Valladohd en 1557) passa dix ans comme alcaïde dans
l'Ile d'Hispaniola (Saii.:-Domingue) , et fit, en 1535, pa-
. raître à Séville la première partie de son importante
Historia gênerai et natural de las Indias occidentales. Dans
cet ouvrage, dont une partie reste encore en manuscrit,
il est parlé du manioc [jatro'pha manioc), racine féculente
qui à l'état frais renferme un suc vénéneux, susceptible
d'être enlevé par le lavage et la dessiccation.
Voici d'autres plantes qu'Oviedo avait qj)servées dans
les Antilles : le goyavier {psidium pyriferum, L.), dont le
fruit ressemble à une poire de moyenne grosseur; le
bois de gayac [guayacimi o(ficinale) , préconisé pendant
1. A. de Humboldt, Cosmos, t. II, p. 332 {de notre tiaducUon).
TEMPS MODERNES. 101
longtemps comme un spécifique contre la syplnns; le
chou palmiste {areca oleracea, L.); l'avocatier [laurus per-
sea, L.), qu'il nomme perales ; le calebassier [crescentia
cujete), dont le péricarpe (enveloppe du fruit) sert à faire
des vases; la hatate, racine tuberculeuse d'un liseron
[convolvuhis halatas)^ qui a beaucoup d'analogie avec la
pomme de terre. Celle-ci [solanum tuberosimi, L.), qui
portait d'abord le nom de papas, fut trouvée dans les
hautes régions du Pérou, et pour la première fois décrite
par Zarate dans son Hisloria del descubrimienio y con-
guista del Perù; Anvers, 1555, in-8°. On la cultiva d'a-
bord comme plante d'ornement.
François Hernandez, natif de Tolède, était médecin de
Philippe II, roi d'Espagne. Celui-ci l'envoya en Amérique
pour lui faire étudier les productions naturelles du
Nouveau Continent. Chargé de reproduire par de bons
dessins toutes les curiosités végétales et animales du
Mexique, il put enrichir ses collections en prenant copie
de plusieurs peintures d'histoire naturelle_, qui avaient
été exécutées avec beaucoup de soin par les ordres de
Nezahoualcoyotl, roi de Tezcouco, un demi-siècle avant
l'arri^^ée des Espagnols. D'après les témoignages de
Fernand Cortez dans ses rapports à Charles-Quint, il n'y
avait, à l'époque où fut conquis l'empire de Montézuma,
dans aucune partie de l'Europe, des jardins botaniques
et des ménageries comparables à ceux de Houantepec,
de Chapoltepec, de Iztapalapan et de Tezcouco ^ Hernan-
dez trouva encore vivantes beaucoup de plantes médici-
nales dans les anciens jardins des souverains aztèques,
particulièrement dans celui de Houantepec. Les terribles
guerriers espagnols n'avaient pas ravagé ces jardins, par
respect pour un hôpital qu'ils avaient établi dans le voi-
sinage. Une partie du recueil des travaux de Hernandez
ne fut publiée que longtemps après sa mort par Fr. Xime-
1. Piescolt, Conquest o[ Mexico, 1. 1, p. 178; t. II, p. 66 et 117-121.
102 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
nés, sous le titre: De la naturaleça y mrtudes de las
arbolcs, plantas y animales de la Nueva Espana, en espe-
cial de la provincia de Mexico, de que se aprovecha la
medecina; Mexico, 1615, iii-4».
Les plantes du Paraguay eurent pour premier descrip-
teur européen le poëté-missionnaire Martin del Barco. Natif
de 1 Estrémadure , il passa, en 1573, au Paraguay, et
écrivit, sous le titre de Argentina, l'histoire en vers de la
rivière de la Plata, imprimée à Lisbonne, en 1602, et
réimprimée dans le t. III du recueil de Barca, Madrid,
1749. On y trouve la description de trois plantes bien
caractéristiques: 1° la plante dont la racine passait pour
un spécifique contre la piqûre des serpents venimeux,
plante qui reçut depuis le nom de dorstenia contrayerva, L.,
et devint le type d'un genre remarquable par son inflores-
cence, formée d'un réceptacle étalé, légèrement concave,
portant des fleurs mâles et des fleurs femelles : en rappro-
chant les bords de ce réceptacle, on voit naître vme figue,
et si on pouvait l'élever de manière à lui faire prendre en
longueur ce qu'il a perdu en largeur, on aurait la mûre. —
2° La sensitive [mimosa pudira), qui se trouve aussi dans
l'Ancien Monde, et dont Théophraste connaissait déjà les
phénomènes d'irritabilité. — 3"Lagrenadilleou fleur delà
Veission (passifîora cserulea, L.), plante essentiellement
américaine, et qui a été, depuis le milieu du seizième
siècle, introduite en Europe, où elle s'est acclimatée.
Elle est chère aux poètes religieux, qui la supposent
figurer les instruments de la Passion: le beau cercle de
filaments pourpres et violets représente la couronne d'é-
pines, les trois styles sont les clous, la feuille, terminée
en pointe, figure la lance, et la vrille le fouet.
Aux Espagnols qui exploraient, dans la première moitié
du seizième siècle , le Nouveau-Monde , il faut ajouter
l'italien Jérôme Benzoni. Ce voyageur s'embarqua en
1541 pour l'Amérique, où il séjourna jusqu'en 1556.
Il publia les résultats de ses observations sous le titre de
TEMPS MODERNES. 103
Histoire du Nouveau-Monde^ contenant la description des îles ^
des mers nouvellement découvertes^ et des nouvelles cités par-
courues et visitées pendant V espace de dix-huit am; Venise,
1556 iii-4°, souvent réimprimé. Parmi les plantes que l'au-
teur décrit, on remarque le peïwn, qui est le tabac (mco^iana
tabacum^li.). Peu de temps après le retour de Benzoni en
Europe, cette solanée était cultivée dans les jardins de Lis-
bonne comme un spécifique contre les ulcérations mali-
gnes. L'ambassadeur français Jean Nicot, ayant entendu
parler des propriétés merveilleuses de cette plante, en rap-
porta des échantillons à la cour de France. Benzoni men-
tionne aussi le coca^ feuilles de Verythroxyliim coca, que
les Péruviens mâchent comme les Indiens le bétel. Cette
habitude, qui dégénère facilement en passion, entraîne des
dangers aussi grands que l'abus de l'opium.
Le Brésil fut pour la première fois exploré, sous le
rapport de l'histoire naturelle, par un voyageur français,
André Thevet{né à Angoulême en 1502, mort à Paris en
1590). Dans ses Singvlaritez de la France antarctique,
autrement nommée Amérique (Paris, 1558, petit in-4''),
A. Thevet décrit : le copahou ou baumier de copahu [copai-
fera officinalis) ; le marobi ou pistachier de terre [arachis
hypogœa)^ qui appartient à la zone tropicale du Nouveau
et de l'Ancien Continent; l'ayri [zamia furfurncea^ Ait.),
palmier qui retiferme, comme presque toutes les espèces
de zamias propres à l'Afrique australe plutôt qu'au Brésil,
une moelle amylacée, ayant toutes les propriétés du
sagou.
La connaissance plus exacte de la flore du Brésil date
seulement de la première moitié du dix-septième siècle.
En 1637, le comte Maurice de Nassau, nommé gouver-
neur de la partie alors hollandaise du Brésil, emmena avec
lui son médecin, Guillaume Pi^on, qui s'adjoignit comme
aide un naturaliste allemand, Marggraff de Liebstaedt,
Avec les moyens que leur avait fournis le gouverneur,
Pison et Marggraff visitèrent les contrées voisines de la
104 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
mer, depuis le Rio-Grrande jusqu'au sud de Fernambouc.
Leurs papiers et leurs notes furent remis au célèbre
géographe Jean de Laet, qui les publia à Amsterdam
(L. Elzevir), en 1648, un vol. in-fol., divisé en deux par-
ties. La première partie contient les travaux de Pison,
sous le titre de De medicina Brasiliensi^ en quatre livres,
dont le quatrième seul traite des plantes {De facvltatibvs
simpUcium) ; la deuxième partie, comprenant les recher-
ches de Marggraff (mort en 1644, sur la côte de Guinée),
est intitulée : Historia rerum naturalium Brasiltœ , en
huit livres, dont les trois premiers ti^aitent exclusivement
des plantes du Brésil. L'intelligence du texte, très-bien
imprimé, est facilitée par de belles gravures sur bois.
Les principales plantes ou productions végétales qu'on
trouve décrites et figurées dans cet ouvrage, sont: le bali-
sier [canna indica) , qui fait aujourd'hui l'ornement de
nos jardins; la noix d'acajou, fruit de Vanacardium
occidentale^ qu'il faut distinguer de la pomme d'acajou ,
qui n'est qu'un pédoncule extraordinairement déve-
loppé et gorgé d'un suc fortement astringent ; l'anil ou
indigotier ; l'igname de l'Amérique équinoxiale [dioscorea
alata,Ij.), souvent confondu avec la batate; la racine
d'ipécacuanha ; le sassafras [laurus sassafras^ L.), que
Monardes avait déjà fait connaître vers 1549, et qui fut
introduit en Europe par Munting, en Ib'bb; le manguier
{mangifera indica), dont le fruit, gros comme une poire,
est savoureux et d'une odeur agréable; le manglier
(rhizophora mangle), remarquable par ses longues racinco,
découvertes; le cururu ou curare, avec lequel les indigènes
empoisonnent leurs ilèches. Ce poison qui, appliqué sur
le tissu vivant, détermine la paralysie du mouvement
musculaire volontaire, est tiré d'une plante grimpante,
qui se rapproche, moins des paitllinia que des strychnos\
1. Foy. Al. de Humboldt, Tableaux de la nature^ t. , p. 2 3 de notre
traduction (Paris, 1850,10-8").
TEMPS MODERNES. 105
Nous devons ici dire un mot des cinchonn^ de ces pré-
cieux arbres de quinquina, qui par leurs tiges élancées et
la teinte rougâtre de leurs grandes feuilles, caractérisent
la végétation intertropicale (environs de Loxa et hauts pla-
teaux de Bogota et de Popayan) de l'Amérique du Sud.
Ce ne fut que vers 1639 que l'écorce de quinquina fixa
l'attention des Européens qui habitaient le Pérou. Ses
propriétés fébrifuges paraissent avoir été depuis long-
temps connues des indigènes, « Les chasseurs de quin-
quina, cazadores de cascarilla, c'est ainsi qu'on appelle à
Loxa les Indiens qui ramassent tous les ans la plus
efficace de toutes les écorces de cfuinquina, celle du
cinchona condaminea, dans les montagnes solitaires de
Caxanuma, d'Uritusinga et de Rumisitana, — les chas-
seurs de quinquina, dit Alex, de Humboldt, grimpent,
non sans danger, jusqu'au sommet des plus hauts ar-
bres, pour avoir de là une vue étendue, et distinguer
au loin, par la teinte rougeâtre des grandes feuilles, les
tiges élancées du cinchona *.» — La comtesse de Cinchone
(d'où le nom de cinchona)^ épouse du vice-roi espagnol
du Pérou, en 1638, ayant été guérie, par ce remède, d'une
opiniâtre fièvre tierce, le fit connaître en Europe. Mais
les médecins européens étaient près de quarante ans sans
l'adopter. Ce fut, dit-on, un Anglais, nommé Talbot, qui
ie mit en vogue en 1676-, et Louis XIV acheta de lui la
manière de l'employer à doses convenables. A dater de
cette époque jusqu'à nos jours , le quinquina a soutenu
sa réputation comme spécifique des fièvres intermit-
tentes.
Le quinquina et la pomme de terre sont au nombre
des plus précieux bienfaits dont nous soyons redevables
au Nouveau-Monde.
Jardins botaniques. — Après la découverte de l'Améri-
1 . Tableaux de la nature, t. II, p. 109.
106 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
que, les jardins botaniques^ créés dans différents pays
de l'Europe, contribuèrent très-puissamment à la popu-
larisation et au développement de la science. Ils n'étaient
primitivement destinés qu'à la culture des plantes médi-
cinales. Le plus ancien de ce genre fut établi, en 1533, par
le Vénitien Gualterus, dans un emplacement accordé par la
république de Venise^ Cette même république adjoignit,
en 1545, àl'université de Padoue, un jardin spécialement
consacré à l'instruction des élèves en médecine, et en confia
la direction au professeur Fr. Buonafede. Il fut suivi de
près par l'établissement du jardin de plantes médicina-
les de l'Université médicéenne de Pise, rivale de celle de
Padoue. Ce jardin eut, en 1549, Anguillara pour premier
directeur et démonstrateur {ostensor simplicium). L'uni-
versité de Bologne eut le sien depuis 1568. Ulysse Aldro-
vandi en fut le premier directeur; il eut pour successeur
André Gésalpin.
L'exemple de l'Italie fut suivi par la Hollande. La créa-
tion du jardin de la faculté de médecine de Leyde date
de 1577. La France ne resta pas en arrière. Henri IV fit, en
1598, construire à Montpellier un jardin auquel la faculté
de médecine de cette ville doit depuis lors en grande par-
tie sa réputation ; il en donna la direction à Richier, qui
eut, en 1632, pour successeur son neveu de Belleval. Ce
même roi avait déjà chargé, en 1-597, Jean Robin de cul-
tiver à Paris, dans un jardin particulier, les plantes que
quelques voyageurs avaient apportées de l'Amérique '^
Jean Robin avait pour aide son fils Vespasien (né à
Paris en 1579, mort en 1662), à qui on doit l'introduction
du robinier ou faux-acacia [robiiiia pseudo-acacia). Le
père de tous les robiniers, aujourd'hui répandus dans
1. Rob. de Visiani, Velle bene merenze de' Veneti nella bofanica,^
Venise, 1854, in-4'>, p. 38.
2. Antoine de Jussieu, Discours sur le progrès de la botanique au
Jardin Royal de Paris, p. 7 (Paris, 1718, in-4°).
TEMPS MODERNES. 107
toute l'Europe, fut planté, en 1635, par Vespasien Ro-
bin, et se voit encore aujourd'hui, singulièrement en-
dommagé par l'injure du temps, au Jardin des Plantes à
Paris.
Exposons maintenant sommairement, par ordre chro-
nologique, les travaux des principaux botanistes mo-
dernes.
Botanistes da seizième rîôcIc.
UoTANiSTES ITALIENS. — La rivalité qu'entretenaient,
en Italie, les universités de Padoue, de Pise, de Bologne,
etc., fut très-favorable au mouvement de la science. Nous
signalerons ici les hommes qu'elle produisit en bota-
nique.
Jean Manardi (né en 1462 à Ferrare, mort en 1530),
médecin de Ladislas, roi de Hongrie, s'efforça de montrer
dans ses Epistolse médicinales (Bâlo, 1540, in-fol.) que
les Arabes n'étaient que d'ignorants compilateurs, ayant
emprunté presque tout leur savoir aux Grecs. Il parle,
l'un des premiers, des anthères, de ces petits globules ou
sachets, généralement jaunes, qui couronnent les fila-
ments de la fleur.
Un de ses élèves, Antoine Brassavola (né à Ferrare en
1500, mort en i570), reçut du roi de France François I"
le surnom de Musa, à l'occasion d'une thèse qu'il avait
soutenue à Paris De omni re scibili. Son Examen omnium
simplicium medicamentorum (Rome, 1536, in-fol.) est un
savant commentaire des anciens. Il écrivit, l'un des pre-
miers, sur la racine de quinquina et le bois de gayac : De
radicis chinonx usu^ cum qusestionibus de ligno sancto; Ve-
nise, 1566, in-fol
lOb HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Andn' Mathiole ou Mattioli (né à Sienne en 1501, moi!
à Trente, en i577) s'est fait une grande renommée |iar
son commentaire surDioscoride, souvent réimprimé et tra-
duit dans les principales langues de l'Europe. Les nom-
breuses gravures qui accompagnent le texte sont, en géné-
ral, assez médiocres, et représentent des plantes quelque-
fois imaginaires. Lapartie la plus intéressante et vraiment
originale de l'ouvrage de Mathiole comprend les rensei-
gnements qui lui avaient été transmis sur les plantes de
l'Asie Mineure par le médecin Guillaume Quakelbeen, at-
taché àBusbecq, ambassadeur de l'empereur d'Allemagne
à Gonstantinople. Tournefort a très-sévèrement jugé
Mathiole d' « esprit léger, vaniteux et aimant la contro-
verse. «
Lucas Ghi7ii (né près d'Imola en 1500, mort en 1556)
occupa, en 1534, la chaire de botanique à l'université de
Padoue et fut plus tard appelé à diriger le jai^din des
plantes, nouvellement fondé à Pise. Il eut pour disciples
Ulysse Aldrovande, Constantin de Rhodes, Anguillara, et
fournit à Mathiole un grand nombre d'observations. Bien
qu'il n'ait laissé aucun ouvrage sur la botanique, il pas-
sait auprès de ses contemporains pour avoir beaucoup
contribué au progrès de cette science. Pour perpétuer son
souvenir, Schreber et Willdenow ont donné le nom de
ghinia à un genre de plantes de la famille dos pyvé-
nacées.
Aloysio Anguillara (natif d'Anguillara dans les États
Romains, mort à Ferrare en 1570) visita, en naturaliste,
l'Italie, l'Illyrie, la Turquie, les îles de Crète, de Chypre,
de Corse, de Saixlaigne, une partie de la Suisse et les
environs de Marseille. Principalement occupé de la concor-
dance des noms anciens avec les noms modernes, il exposa
ses idées dans des lettres adressées à Marinello,un de ses
correspondants. Marinello réunit quatorze de ces lettres,
et les publia du consentement de leur auteur, sous le
titre de Semptici deW eccellente M. Anguillara, etc.; Venise,
TEMPS MODERNES. 109
Î5C1 , in-4» et in-12. L'édition in-l2 est préférée, parce
qu'il y a des gravures de plantes (le chamseleon et le
s-;dum arborescens] qui manquent dans l'édition in-4°.
Anguillara montra que les noms vulgaires des plantes
sont souvent ceux des anciens, légèrement modifiés. Ses
descriptions, très-courtes, sont si exacles, qu'elles suffi-
sent pour reconnaître toutes les espèces indiquées. Il y en a
au moins une vingtaine qu'il a le premier fait connaître.
Tournefort et Séguier (Bibliothèque botanique) ontinàkiué
une traduction latine, extrêmement rare, d'Anguillara,
de Simplicibus liber primus^ avec des notes de Gaspard
Bauhin (Bâle, 1593 in-S"). Anguillara et Mathiole furent
des adversaires irréconciliables.
Castor Durante (natif de Viterbe, mort en 1590), méde-
cin du pape Sixte-Quint, publia en 1584, à Venise, un
volume in-fol., intitulé Herbario nuovo, où se trouvent
figurées les principales plantes, jusqu'alors connues de
l'Europe, des Indes orientales et occidentales. Nous de-
vons ajouter que les gravures sur bois, au nombre de 874,
sont très-inexactes, mal exécutées et quelquefois imagi-
naires. Plumier a donné, en l'honneur de Castor Durante,
le nom de castorea à un genre de plantes voisin des ga-
tiliers, dont Linné a depuis changé le nom en celui de
duranta.
Jean Costeo ou Costœus (natif de Lodi, mort en 1603)
se fit connaître par son ouvrage De universali stirpium
natura libriduo; Turin, 1578, in-4". C'est une paraphrase
de Théophraste et de Dioscoride. On y trouve très-peu
d'observations originales.
André Césalpin (né à Arezzo, en 1519, mort en 1603)
est le seul naturaliste de cette époque qui mérite qu'on
s'y arrête un peu plus longuement. Il montra, dès son jeune
âge, une grande indépendance d'esprit dans ses rapports
avec ses maîtres et ses condisciples. Il étudia d'aboi^d la
médecine et fut bientôt reçu docteur. Rompant avec les
doctrines traditionnelles de la scolastique , il ouvrit, l'un
110 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
des premiers, largement, la voie expérimentale. C'est ainsi
qu'il parvint à des découvertes inattendues, parmi les-
quelles nous citerons celle de la circulation du sang, gé-
néralement attribuée à Harvey *.
Voyant la botanique livrée à un fatras d'érudition et à
une exagération de vertus médicinales souvent fictives,
Gésalpin introduisit dans la science les principes de la
méthode et les lumières de l'observation. Son immortel
ouvrage De plantis libri XVI (Florence, 1583, in-4'') est le
premier essai d'une véritable systématisation de la bota-
nique. L'auteur commence par examiner les différentes
parties de la plante. Il en montre les vaisseaux remplis
d'un suc nutritif ou lactescent, et les signale comme les
analogues des vaisseaux sanguins de l'animal. Il attribue la
circulation de la sève à la chaleur ambiante. «Les plantes,
dit-il, manquent de sens pour attirer de la terre et de l'air
les aliments nécessaires ; ceux-ci ne s'y introduisent pas
non plus par un moyen mécanique, ni par l'horreur du
vide, ni par la force magnétique : c'est la chaleur qui dé-
termine cette action, j) D'après la théorie de Gésalpin les
feuilles naissent de l'écorce ; leurs nervures ont pour
origine le liber. La moelle n'a pas la même importance
que l'écorce; on peut enlever la moelle sans que la plante
périsse, tandis qu'en enlevant l'écorce tout autour de la
tige, on la fait mourir. Passant ensuite à l'examen du
bourgeon et de la graine, il affirme que celui-là diffère
de celle-ci comme le fétus de l'œuf : la graine ne con-
tient, comme l'œuf, que le principe du mouvement vital,
tandis que le germe ou le fétus vit comme un parasite
sur la mère qui le porte.
Dans l'anatomie de la fleur, Gésalpin distingua parfaite-
ment la partie accessoire de la partie principale. «La partie
accessoire, se compose, dit-il, des folioles, les unes vertes,
les autres colorées, qui ne sont que les enveloppes des
1. Voy. Gésalpiû, Quasstiones peripatetica;, V, 4.
TEMPS MODERNES. 111
ts (involucra frucluum) ; la partie principale est située
dedans de ces enveloppes; elle se compose des ^tarnma
des flocci. » Par stamina, il entendait, non pas comme
us aujourd'hui, les étamines^ mais les styles qui sur-
ontent les ovaires (processus seminum), tandis que ses
ocons ou flocci étaient nos éto,mines, les stimulants de
iropagation des ovules [seminum propagines). Les deux
iexes, mâle et femelle, peuvent ainsi être renfermés dans
la même fleur, dont l'enveloppe externe [exterius floris
involucrum) est appelée calice [calyx) par l'auteur. « Le
calice, ajoute-t-il, est nourri par l'écorce ; cest pourquoi
il ne tombe pas avec la fleur et entoure généralement le
fruit. » Il reconnaît aussi que les deux sexes existent
quelquefois sur des tiges différentes , comme dans le
chanvre, la mercuriale, le genévrier, etc. Mais l'idée
ne lui vint pas de fonder là-dessus toute une classifica-
tion.
A l'exemple des anciens, Gésalpin divisa les plantes en
arbres et en herbes. Il fonde cette première division sur
la durée vitale : «Les plantes à tige ligneuse vivent, dit-il,
beaucoup plus longtemps que les plantes à lige herbacée, jj
Il classe ensuite les arbres suivant la direction de l'embryon
contenu dans la graine, et ce fait a depuis lors attiré l'at-
tention de tous les botanistes. Quant à la classification
des herbes, bien plus nombreuses, il met d'abord à part
celles qui ont des graines apparentes, puis celles qui
n'en ont pas, comme les lichens, les mousses, etc. Il
subdivise ensuite les plantes à graines apparentes, en
celles qui n'ont qu'une graine, et en celles qui en ont un
plus grand nombre. Les plantes à une graine sont à leur
tour subdivisées, suivant que cette graine est nue dans le
calice, ou qu'elle est contenue dans une capsule ou dans
une baie. Puis, le fait de la graine nue ou enveloppée d'un
péricarpe quelconque, il l'applique aux plantes qui ont ou
deux, ou trois, ou quatre graines. Il fait en même temps
intervenir la forme de la racine, fibreuse ou bulbeuse.
112 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
l'nlin les plantes qui ont un grand nombre de graines,
il les subdivise suivant la disposition et la l'orme de leurs
fleurs. Il parvint ainsi à former quinze groupes, si bien
caractérisés qu'en étudiant une plante il est facile de re-
connaître auquel de ces groupes elle appartient.
C'est là, remarque ici Thiébaud deBarnéaud, que Tour-
nefort nousditavoir puisé les éléments des genres établis
par Gésalpin ; c'est là que Robert Morison et Jean Rai
sont allés prendre l'idée des rapports naturels des espèces
dont ils s'attribuent tout l'bonneur. C'est encore là que se
trouvent les matériaux de la carpologie, que Gœrtner,
Correa de Serra, Richard et Mirbel ont poussée si loin.
De l'observation régulière des parties de la fructification
doit sortir le meilleur système de classification des plan-
tes ; cette classification est exacte en plusieurs points,
mais elle demande à être complétée. Elle ne le sera ja-
mais qu'en présence de la nature vivante, lorsque l'on
suivra le fruit dans tous ses développements et dans les
modifications que lui fait subir la loi des avortements.
Rien n'a encore été ajouté aux principes posés par Gésal-
pin relativement aux principes à suivre pour l'établisse-
ment des familles et d'une méthode essentiellement na-
turelle'. »
Gésalpin a laissé un herbier, qui se conserve reli-
gieusement au Cabinet d'histoire naturelle de Florence; il
est composé de 768 espèces bien séchées, collées sur pa-
pier, et accompagnées des noms que l'auteur leur a don-
nés, ainsi que des noms vulgaires qu'elles portent dans
plusieurs contrées de l'Ralie. — Plumier a donné le nom
de cxsalpinia à un genre de légumineuses d'Amérique, poui
perpétuer la mémoire de l'illustre savant qui avait con-
sacré toute sa vie au progrès de la science.
Botanistes français. — LaFrance ne devait pas rester
1. Voy. Encyclopédie des gens du monde, à l'article Césalintt,.
TEMPS MODERNES. 113
étrangère au souffle de rénovation qui, dès la fin du quin-
zième siècle, pénétra toute l'Europe.
Jean Ruel (néà Soissons en 1479, mort à Paris en 1537)
ouvre la série des botanistes d'alors. Doyen de la Faculté
de médecine de Paris en 1508 et 1509, il devint médecin
du roi François I". Mais pour mieux suivre son goût
l'our l'étude il se démit de sa charge, entra dans les ordres
et fut pourvu d'un canonicat à Notre-Dame. Son traité
P.e nntura sUrpium libri très, magnifiquement imprimé,
en 1536, à Paris (vol. in-fol.) par Simon Goliné, est une
sorte de répertoire des connaissances botaniques acquises
jusqu'à la fin du quinzième siècle. Au commencement du
premier livre l'auteur traite des plantes en général, de
leurs organes, de leur nutrition, des parties qui les com-
posent, de la difterence des feuilles, des fleurs, etc.; mais
on n'y trouve aucune méthode de classification. Les
autres pages du premier livre sont consacrées à l'histoire
des arbres, rangés par ordre alphabétique; et les deux
livres restants traitent des plantes herbacées. Les an-
ciens, particulièrement Théophraste, Dioscoride et Pline,
y sont très-habilement commentés. — Plumier a dédié à la
mémoire de Ruel le genre ruellia, de la famille des acan-
thacées.
Jacques Dalechamp ou Dalechamps (né à Gaen en 1513,
mort en 1588 à Lyon) étudia la médecine à Montpellier,
où il eut pour maître Rondelet, et vint, en 1552, s'établir
à Lyon comme praticien. Versé dans la connaissance des
anciens, il traduisit en latin Athénée, l'accompagna de
savants commentaires, et donna une édition estimée de
Pline. Mais son œuvre principale a pour titre : Historia
(jeneralis plantariim, in libros XV 111 per certas classes nrii-
ficiose digesla, etc.; Lyon (Guillaume Rouillé), 2 vol. in-
fol., 1587; quelques exemplaires portent la date de 1586'.
1. Desmoulins dt.iia aussi de cet ouvrage une traduction françai-e,
fort estimée; elle a pour titre: Histoire getw'rale des pla7ites, soitio
114 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Cet ouvrage, qui fut achevé par Desmoulins (Molinœus)
avec les matériaux fournis par Dalechamps, montre com-
hien le besoin d'une classification méthodique des plantes
se faisait dès lors généralement sentir. Ainsi, le premier
livre traite des arbres qui naissent spontanément dans les
bois ; le deuxième livre, des arbrisseaux qui forment les
buissons et des arbustes qui naissent spontanément ; le troi-
sième livre, des arbres cultivés dans les parcs et les ver-
gers ; le quatrième livre, des céréales et plantes agricoles ;
le cinquième livre, des plantes potagères et herbes des jar-
dins ; le sixième livre, des ombelliféres; le septième livre,
des plantes d'ornement; le huitième livre, des plantes odo-
riférantes ; le neuvième livre, des plantes palustres; le
dixième livre, des plantes qui croissent dans les terrains
pierreux ^ sablonneux, secs; le onzième livre, àes plantes
qui naissent dans un sol ombragé, humide et gras; le
douzième livre, des plantes littorales et marines ; le trei-
zième livre, des plantes grimpantes ; le quatorzième livre,
des chardons et d'autres plantes épineuses; le quinzième
livre, des plantes bulbeuses, à racines charnues et génicu-
lées ; le seizième livre, des plantes purgatives; le dix-sep-
tième livre, des plantes vénéneuses ; le dix-huitième livre,
des plantes exotiques. Il y a là, comme on voit, un essai de
classification, fondé tout à la fois sur l'usage, sur les pro-
priétés, sur la forme extérieure et l'habitat des espèces
végétales. Cet essai laissait sans doute beaucoup à désirer:
les ombelliféres se trouvent, par exemple, confondues avec
des corymbifères, telle que l'achiliée mille-feuilles. Mais
cela montre combien il faut de temps pour que l'œil per-
fectionné arrive à rectifier les erreurs commises par l'œil
commun. C'est une remarque que nous aurons souvent
l'occasion de faire.
Dalechamps était secondé dans son œuvre par des cor-
latine de la bibliothèque de M. Jacques Dalechamps, puis faite fran-
çoiseparM Jçan Dcsmoulins; Lyon, 1615, 2 vol. in-fo).
TEMPS MODERNES. 115
respondants nombreux, établis dans différents pays do
l'Europe. Il avait composé lui-même une collection, con-
sidérable pour le temps, des plantes qui croissent dans lo
Lyonnais, province heureusement située entre les Alpes
et la zone méridionale de la France. Son Histoire générale
des plantes renferme 2751 gravures intercalées dans le texte,
dont beaucoup de doubles et de triples, en général assez
médiocres. Elle a été peut- être un peu trop sévèrement ap-
préciée par M. Fée. « On ne doit pas, dit-il, chercher dans
ce livre des idées nouvelles, même pour le temps, et nous
ne croyons pas qu'il ait fait faire un seul pas à la science.
C'est une simple paraphrase des ouvrages de Théophraste,
de Dioscoride et de Pline, presque sans critique ; mais
l'érudition y est vaste, et ce n'est pas sans intérêt qu'on
le parcourt', jj
Charles de l'Écluse, plus connu sous le nom latinisé
de Clusius (né à Arras en 1525, mort à Leyde en i609),
eut une vie aussi laborieuse qu'accidentée, dont voici les
principaux traits *. D'une famille protestante, il fit ses
premières études à Gand et suivit, àLouvain, des cours de
droit. De là il se rendit en 1548 à Marbourg, et passa
l'année suivante à l'université de Wittemberg, attiré par la
réputation de Mélanchthon. En 1550, on le trouve à Mont-
pellier, suivant les leçons de Rondelet, dans la maison
duquel il demeura trois ans. Ce fut là qu'il abandonna
lo droit pour se livrer entièrement à l'étude de la méde-
cine et des sciences naturelles, particulièrement de la bo-
tanique. Après avoir visité le midi de la France, le Piémont
et la Savoie, il passa par Genève, Bâle et Cologne pour se
rendre à Anvers, où son père s'était réfugié pour échap-
per à la persécution des protestants. Il y séjourna pen-
1. M. Fée, article Dalechamps, dans la Biographie générale.
2. La vie de TEcluse n'a été bien connue que depuis la publication
de sa correspondance par L. Ch. Treviranus [Caroli Clusii Atrebatis
et Conr. Gesneri Tigurini Epistolae ineditœ; Leipzig, 1830, in-8»).
116 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
dant environ hinl ans (de 1555 à 1563). Dans cet inter-
valle il lit un voyage à Paris, et traduisit du hollandais
en français le Cruydeboeck (Herbier) de Dodoens. En 1564,
on le trouve à Augsbourg, où il se lia d'amitié avec les
frères Fugger, les Rothschild du seizième siècle, et les
accompagna dans un voyage qu'ils firent en France, en
Espagne et en Portugal. De l'Écluse profita de ce voyage
pour explorer la presqu'île Ibérique, depuis les Pyrénées
jusqu'cà Gibraltar, et depuis Valence jusqu'à Lisbonne.
Il rapporta de cette longue herborisation des dessins
très-bien faits, d'après nature, de près de deux cents espèces
de plantes, jusqu'alors inconnues. Aux environs de Gi-
braltar il s'était cassé le bras en tombant de cheval. Re-
tourné à Anvers, il y résida quelque temps, visita en
1571 Paris et Londres, et fut appelé, en 1573, à Vienne
par Maxi milieu II pour diriger les jardins impériaux, nou-
vellement établis. Il y introduisit beaucoup de plantes
exotiques, et profita de sa position pour étudier la flore
de l'Autriche et de la Hongrie, et pour visiter une s:conde
fois l'Angleterre. Là il fit connaissance avec le célèbre
circumnavigateur, François Drake, qui lui communiqua
une foule de renseignements utiles. En 1581, il eut le
malheur de se luxer le coude-pied et de se fracturer la
malléole. Sa famille ayant eu beaucoup à souffrir de l'in-
tolérance des catholiques, de l'Écluse quitta Vienne après
un séjour de quatorze ans, pour se retirer, en 1587, à
Francfort, où il vécut dans la retraite. Son amour de la
science le mit en rapport avec le savant landgrave de
Hesse, Guillaume IV ; il le visita souvent à Gassel et re-
çut de lui une pension. A Francfort il eut encore le mal-
heur de se casser la cuisse droite; mal guéri il ne put
pendant longtemps marcher qu'avec des béquilles Se?
souffrances se compliquèrent d'une hernie qui l'empêchait
de faire de longues excursions. Cependant ses sens ei
son intelligence se conservèrent intacts jusqu'à l'extrême
vieillesse. En 1593, il fut appelé comme professeur de
TEMPS MODERNES. 117
botanique à l'université de Leyde, et c'est là qu'il termina
sa vie, en 1609, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans
Ses travaux, oîi une vaste érudition se trouve unie à un
rare esprit d'observation, le mettent au premier rang des
botanistes du seizième siècle. Ils ont pour titres : Rario-
ram aliquot slirpium per Hispanias obsei'vatarum hislo-
rix^ etc.; Anvers, 1576, in -8° ^233 gravures sur bois) ;
— Rariorum plantarum historia; ibid., 160', in-fol.-; —
Exoticorum libri decem , quitus animalium , plantarum ,
aromatum^ aliorumque peregrinorum fructuum hùtorix
ckscribuntur; ibid, 1605, in-fol; et comme appendice aux
ouvrages précédents : Curx posteriores^ seu piurimarum non
ante cognitarum aut descriptarum stirpium^ etc.; ibid. 1611,
in-4°. De l'Écluse avait aussi traduit en latin les principaux
écritsde Garciasab Orto, de Monardes, de Acosta etde Be-
lon. C'est lui qui a introduit dans les Pays-Bas les papas
ou camotes^ plus tard connues sous le nom de pommes de
terre. Des échantillons en avaient été apportés du Pérou
en 1586 par François Drake, qui en donna à Sherard, de
Londres. Celui-ci les cultiva dans son jardin et en partagea
les produits avec de l'Écluse.
Mathias Lo>Z, plus connu sous le nom latinisé de
Lobelius (né à Lille en 1538, mort à Highgate en 1616),
étudia la médecine à Montpellier, où il eut, comme de
l'Écluse, Rondelet pour maître. Il parcourut, en herbo-
risant, le midi de la France, une partie de l'Italie, le
Tyrol, la Suisse et l'Allemagne, et vint s'établir comme
médecin, d'abord à Anvers, puis à Delft. Vers 1569 il se
rendit en Angleterre, accompagna en 1592 lord Zouch
dans son ambassade près de la cour de Danemark, obtint
le titre de botanographe du roi Jacques I", et passa les
dernières années de sa vie aux environs de Londres, au-
près de sa fille, mariée à Jacques Coël. Plumier a donné,
en l'honneur de Lobel, le nom de lobelia^ au genre type
de la famille des lobéliacées, voisine des campanules.
Le princi^^al ouvrage de Lobel, fait en collaboration
118 HISTOlKJi DE LA BOTANIQUE.
avec Pierre Pena (pour les plantes du midi de la France) ,
a pour titre: Slirpium adversaria nova ; Londres, 1570
in-4*', souvent réimprimé (les éditions in-foL, de Londres
1605, de Leyde 1610, et de Francfort 1651, considéra-
blement augmentées, portent le titre de DUiicidœ dm]jli-
cium inedicamentorum explicationes et stirpium advei^sa-
ria). La disposition des matières renferme les éléments
d'une classification par familles naturelles. Ainsi, l'auteur
comprend les céréales et les roseaux dans sa description
des graminées [gramina); de là il passe aux iris [irides]^
aux joncs [junci)^ aux asphodèles [asphodeli)^ auxquels il
réunit les jacinthes, les narcisses, les lis et même les
orchis. Cet ensemble de plantes appartient précisé-
ment à la grande division de ce qu*on a depuis nommé
les monocotylédoiies. Parmi les autres groupes, on re-
marque : les plantes à siliques [sUiquosx) ^ auxquelles il
réunit à tort le réséda et le séneçon; les chicoracées {seri-
des)] les plantes à fleurs labiées (/ûôiaî*) ; les plantes à
feuilles rudes (asperifoligs) , etc.
Un autre ouvrage de Lobel, intitulé : Observationes
sive slirpium hislorix (Anvers, 1570, in-fol.), fut longtemps
populaire, à cause d'un index en sept langues. Quelques
matériaux d'un ouvrage projeté tombèrent entre les mains
de Parkinson, qui les incorpora dans son Thealrum.
Au seizième siècle la botanique était à son apogée en
Porliigal et en Espagne^ à en juger par les travaux des
savants que nous allons sommairement passer en revue.
Juan Rodrigo de Castel-Branco^ plus connu sous le
nom à'Amatus Lusitanus{né en 1511, mort vers la fin du
même siècle), d'origine juive, étudia la médecine à Sala-
manque, voyagea en France, en Italie, en Allemagne, en
Hollande. Par suite de ses démêlés avec Mathiole, il fut
dénoncé comme juif à l'Inquisition, et dut, pour sauver
sa vie, se réfugier en Turquie, où il mourut. Ses commen-
taires sur Dioscoride (in Dioscoridis de maleria medica
• TEMPS MODERNES. 119
libros quinque enurnerationes ^ Venise, 1553, in-8") témoi-
gnent de beaucoup d'érudition.
André Laguna (né à Ségovie en 1499, mort en 1560)
étudia la médecine à Paris et à Tolède, fut attaché au
service de Charles-Quint, et se fit, comme Amalus Lusi-
tanus, connaître par des commentaires sur Dioscoride
(Anvers, 1555, in-fol., souvent réimprimé). Suivant Mo-
rejon , il eut le premier l'idée de faire graver, non plus
sur bois, mais sur cuivre, les dessins de plantes et d'a-
nimaux*.
Nicolas Monardès (natif de Séville, mort en 1578), étudia
la médecine à l'université d'Alcala de Henarès, et la prati-
qua jusqu'à sa mort dans sa ville natale. Il se fit la répu-
tation d'un botaniste distingué par plusieurs ouvrages, par-
ticulièrement par De rosa et parlibiisejus; Demalis^ ciliis,
auraniiis et limoniis (Anvers, 1565, in-8°), et De las dro-
gas de las Indias (Séville, 1565 in-8", traduit en latin par
de l'Écluse, et en français par Colin). Pour perjjétuer la
mémoire de Monardès, Linné a donné le nom àemonarda
à un genre de la famille des labiées.
Lorenzo Ptrez^ pharmacien de Tolède, décrivit beau-
coup de plantes médicinales nouvelles dans son Hisioria
theriacx (Tolède, 1575, in-4°), et surtout dans son De
medicamenloram simplicium et compositorum délecta ho-
dierno apud nostros phannacopolas extantium^ etc. (Ibid.,
1590, in-4''), livres extrêmement rares.
Nous parlerons plus loin , à propos des voyageurs du
seizième siècle, de Garcia ab Orto et d'Acosta.
Ce n'est guère qu'à dater de cette époque que l'on com-
mença, en Angleterre^ à s'intéresser à l'étude des plantes.
Antoine Ascham^ médecin à Burnisliton, dans le York-
shire, allia dans son Petit Herbier [A Ixjllel Hcrbal of the
propî'elies of herbes, etc., Lond., 1550, in-12), la botanique
1. Historia biografica de la medicina espanola, t. II, p. 227 el suiv.
120 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
avec l'astrologie, en essayant de montrer quelles plantes
sont sujettes à l'influence des astres, et quels sont les
jours les plus convenables pour en faire usage, suivant
les constellations du zodiaque, où se trouve la lune.
William Turner (natif de Morpeth, dans leNorthumber-
land, mort en 1568) étudia la médecine et la théologie à
Cambridge, et embrassa la cause de la réforme, ce qui le
fit mettre en prison par l'évêque Grardiner. Après avoir
recouvré la liberté, il se réfugia sur le continent, résida
longtemps à Cologne, à Bâle, à Ferrare, oii il se fit rece-
voir docteur, et ne retourna dans sa patrie qu'en 1547,
après la mort d'Henri VIII. La persécution des protestants
ayant recommencé sous le règne de Marie Tudor, qui eut
Gardiner pour premier ministre, Tûrner quitta de nouveau
l'Angleterre, pour n'y revenir qu'à l'avènement de la reine
Elisabeth, en 1558. Peu de mois avant sa mort, il publia
la troisième partie de son Herbier (A new Herbal wherein
are contayned the names of herbes in greek, latin^ english^
dutch, french, and in the potecaries andherbaries latin, with
their proprelies, etc., Lond., in-fol. 1568). La première
partie avait paru en 1551 à Londres, avec une dédidace au
duc de Sommerset, protecteur de Turner, et la deuxième
partie, à Cologne, en 1562.
Dans cet ouvrage, très-important pour l'histoire de la
botanique en Angleterre, les plantes sont rangées par
ordre alphabétique de noms latins. L'auteur indique
souvent les localités où elles croissent, et il s'étend sur
les caractères qui les distinguent les unes des autres.
Uherba brilannica est, suivant lui, la bistorte [polygo-
nwrn bistorla^ L.). Il ajouta quatre-vingt-dix figures de
plantes à celles qu'il avait (au nombre de plus de 400)
empruntées pour son Herbier à la première édition (1545)
de l'ouvrage de Léonard Fuchs. Turner est le premier qui
ait donné la figure de la luzerne, qu'il nomme horned clo~
ver, à cause de la forme cornue du fruit; et suivant Pult-
ney, il a introduit cette plante fourragère en Angleterre ^
TEMPS MODERNES. 121
Bulleyn (mort en 1576), Maplet, auteur de A green
forest (Cambridge, 1567), Penny, ami et collaborateur de
l'Écluse, Lyte, auteur d'un Neiv Herbal (Lond., 1578), où
se trouve pour la première fois figurée la bruyère, erica
tetralix^ suivirent les traces de Turner.
Jean Gérard ou Sherard (né à Nantwich, en lc45, mort
en 1607) publia, en 1596, le catalogue des plantes {Cata-
logus arborum, fruticum ac plantarum, tain indigenarum
quani exoticarum, etc.) de son propre jardin. La deuxième
édition de ce catalogue est dédiée à sir Walter Raleigh,
qui, presque en même temps que Fr. Drake, rapporta du
Nouveau-Monde la pomme de terre dans la Grande-Bre-
tagne. Le catalogue de Sherard contient 1033 espèces,
Ij'AUemagne, la Hollande et la Suisse^ où les guerres
de religion et la soif de la liberté avaient mis, au
seizième siècle, tous les esprits en effervescence, produisi-
rent en même temps des naturalistes de premier ordre : il
suffit de nommer Brunfels, Tragus, Fuchs, Tabernœ-
montanus, Gordus, Gonrad Gesner, Gamerarius, Dodoens.
Un mot sur tous ces hommes qui ont si puissamment
contribué au progrès de la science.
Othon Brunfels (né aux environs de Mayence vers
1470, mort à Berne en 1534), fils d'un tonnelier, entra
dans un couvent de chartreux pour satisfaire son goût
pour l'étude des sciences. A l'époque où les doctrines de
Luther commençaient à se répandre en Allemagne, il
quitta son couvent et se fit prédicateur protestant. Il fut
ensuite, pendant neuf ans, maître d'école à Strasbourg,
étudia la médecine, obtint à Bâle le grade de docteur
et remplit à Berne les fonctions de médecin inspecteur. Il
s'occupa l'un des premiers de la flore indigène, comme
le montre son principal ouvrage intitulé : Herbaruni
1. Pultney, Esquisses historiques et biographiques des progrès de
la holaiiique en Angleterre, t. I, p. 74 (de la traduction fiançaue;
Paris, 1809).
I2â HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
vivse îcones ad naturx imitationem summa cum diligeniia
cl arti/icio effigialœ, etc.; tome I", Strasbourg, 1530, in-
fol.; 1. 1, ibid., 1531, in-foL; t.IIl (posthume), ibid., 1536,
in-fol., avec un appendice contenant divers documents
relatifs à la botanique. Les figures (gravures sur bois)
des t. I et III sont supérieures, pour le dessin, à celles
des autres ouvrages publiés à cette même époque. Le
t. II renferme le résumé des descriptions données par les
anciens botanistes, et dans le t. III on trouve les opinions
propres de l'auteur. De cet important ouvrage, véritable
flore des environs de Strasbourg et de la rive gauche du
Rhin, il existe plusieurs éditions allemandes dont les
plus anciennes sont : Contrafayt Krœuterbuch^ Strasb.
Î532, in-fol.; ibid., 1534, in-4o. Aucune méthode n'a
présidé à la distribution des espèces végétales qui y sont
décrites.
Brunfels imprima à la science une direction féconde
en donnant l'exemple des herborisations. Parmi les es-
pèces qu'il a le premier décrites , on remarque : la vé-
ronique à feuilles de serpolet , qu'il nomme exfragia
nobilis ; l'herbe de la Trinité [anémone hepatica^ L.); l'as-
clepias domjDte-venin, qu'il appelle /lyrundi'nar/a; le d7'aba
verna; Veupharsia officinalis; la linaire(a?iîirr/iJnMm /i;ia-
ria) ; la cardamine des prés ; le séneçon, qu'il nomm°
verbena femina, etc. — Plumier lui a consacré, sous le
nom de brunfelsia, un genre de solanées de l'Amérique.
Jérôme Bock, plus connu sous le nom de Tragus (tra-
duction grecque de Bock, bouc), né à Heiderbach près de
Deux-Ponts, en 1498, mort à Hornbach en 1554, suivit les
traces de son ami Brunfels. Ayant partagé ses études entre la
théologie et la médecine, il devint uu partisan zélédelaré-
forme de Luther, fut appelé en 1533, comme pastur, à
Hornbach, et y cumula son ministère avec les fonctions de
médecin et d'apothicaire. Les troubles religieux le forcè-
rent plus tard à chercher un asile à Saarbruck, où il fut
hospitalièremeut accueilli par le comte de Ka^ssuu.
TEMPS MODERNES. 123
Son Histoire des plantes indigènes, qui parut en 1539, à
Strasbourg, sous le titre de New Krxuterbuch^ eut un im-
mense succès. On était, en effet, tellement habitué à ne
voir, en fait de botanique, que des paraphrases ou des com-
mentaires de Théophraste et de Dioscoride, que le livre de
Bock fut un véritable événement. Il fut édité dix fois dans
le même siècle et dans la même ville. La première édi-
tion est sans figures; la seconde, parue en 1546, sous le
simple titre de Kneuterhuch, en caractères gothiques, con-
tient 165 gravures sur bois, moins bien exécutées que
dans la traduction latine de David Kyber {Hieromjmi Tra-
gi De Stirpium, maxime earum quœ in Germania nostra
nascuntur, usitatis nomenclatvris, propriisque differenliis,
etc.; 1552, in-fol.). En tête de cette édition latine se
trouve une savante introduction de Conrad Gesner, ami
de l'auteur. Elle est suivie d'une caractéristique des
plantes [stirpium differentise) suivant leur port, les for-
mes de leurs racines, de leurs feuilles, de leurs fleurs,
de leurs fruits, etc., par Textor (Tixier), le Segusien.
A l'ordre alphabétique, jusqu'alors usité. Bock préféra
la distribution des plantes en sauvages et en cultivées, en
herbes, arbrisseaux et arbres. Il commença ses descrip-
tions par celle de l'ortie commune, parce que sa famille
portait, dit-on, dans ses armoiries une feuille d'ortie.
Mais il est plus probable que c'était pour se moquer des
botanistes qui commencent leurs descriptions par les
plantes les plus rares, que personne souvent n'al'occasion
de voir. Il y avait dans cette idée toute une révolution.
Toutes les plantes que Bock décrit ont été observées
par lui-même , et dessinées d'après nature. Il s'étend
peu sur les fleurs et les fruits ; mais l'aspect général des
plantes et les localités où elles se trouvent sont très-bien
indiquées. Leurs propriétés et leurs synonymies [no-
menclaturœ) y sont longuement exposées. Ce qui frappe
le lecteur dès le début du livre, c'est que l'ortie blanche,
la marrube. la mélisse, la sauge, la menthe, le basilic, le
124 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE
calament , le serpolet , le thym , la sarriette, l'hysope,
le romarin, la lavande, se trouvent réunis en un groupe
naturel qui, à l'époque de Tragus, n'avait pas de nom
particulier, et qui s'appelle aujourd'hui la famille natu-
relle des labiées. Le même phénomène de classification,
pour ainsi dire inconscient, s'y présente pour les corym-
hifères (camomille, matricaire, tanaisie), les borraginées
(cynoglosse, buglosse, bourache, consoude), les euphor-
biacées [tithymalis, esula)^ les solanées (morelle, douce-
amère , alkékenge), les ombellifères (branc-ursine , per-
sil, panais, carotte, fenouil, aneth, carum carvi), et pour
d'autres plantes dont le groupement par familles s'impose
en quelque sorte à tout esprit observateur. — Pour immor-
taliser le nom de Tragus (Bock), Plumier a donné le nom
de tragia à un genre de Ja famille des euphorbiacées.
Léonard Fuchs (né en 1501 à Memblingen en Bavière,
mort à Tubingue en 1566) fit ses études à Heilbronn et
à Erfurt, les compléta à Ingolstadt, où il obtint, en
1524, le grade de docteur eu médecine, s'établit comme
praticien à Munich oià il se maria, retourna, en 1526,
comme professeur à l'université de Ingolstadt, se rendit
deux ans après à Anspach, pour occuper le poste de pre-
mier médecin du margrave Georges de Brandebourg,
s'acquit une grande renommée par le traitement de l'épi-
démie miliaire (suette), qui, en 1529, avait envahi l'Al-
lemagne, et reprit, en 1533, sa chaire de professeur à
Ingolstadt. Mais s'étant déclaré partisan des doctrines
de Luther, les jésuites, qui dominaient dans cette ville, lui
suscitèrent des désagréments, et il revint, dans l'automne
de la même année, auprès du margrave, à Anspach, où
il se distingua comme médecin pendant une nouvelle épi-
démie, qualifiée de peste. Il n'y resta que deux ans ; car dès
1535 il accepta du duc Albert de Wurtemberg une chaire
de professeur à l'université nouvellement fondée de Tu-
bingue ; et c'est là qu'il resta jusqu'à la fin de ses jours. En
1536, il perdit sa femme qui l'avait rendu père de dix en-
TEMPS MODI']RNES. 125
fi:nt,s, et il épousa dans la même année la fille d'un pas-
,teur. Il resta sourd à toutes les offres des souverains qui
l'appelaient dans leurs pays. L'ouvrage qui le fit connaître
comme l'un des principaux botanistes de son temps, a pour
titre : Dehistoria stirpium commentarii insignes^ etc.; Bâle,
1542, in-fol., dont parut, en 1543, une édition allemande :
Neio Krœuterbuch, etc. Cet ouvrage eut de nombreuses
traductions, et fut souvent réimprimé tant in-fol. qu'in-8°,
Haller donna la préférence aux éditions in-8°. Celle que
j'ai sous les yeux a été imprimée à Lyon, en 1551, du
vivant de l'auteur. En tête se trouve l'épître dédicatoire
à l'électeur Joachira, margrave de Brandebourg. Les
gravures sur bois, qui accompagnent le texte, approchent
par l'exactitude de celles de Brunfels.
Fuchs s'était, comme 'Bock, principalement attaché à
l'étude de la flore allemande. Ses descriptions des espèces
indigènes sont au nombre d'environ quatre cents. On y
remarque la véronique beccabunga, sous le nom de
sium^ la lysimachia nummulaire, sous le nom de centum-
morbia^ la parisette, appelée aconitum pardalianches^
l'œillet des chartreux, betonica sylvatica; le géranium
erodium, le g. molle, le g. robertianum, le g. disseclum,
le g. pratense, le g. sanguineum^ sont désignés par gera-
nium I, II, III , IV, v, vi. — Plumier a donné, en souve-
nir du célèbre botaniste allemand, le nom de fuchsia à un
genre de plantes originaires du Chili.
Théodore Tabernœmontanus , ainsi nommé d'après
son lieu natal, Bergzabern, dans la Bavière rhénane,
suivit les traces de Jérôme Bock, visita la France, où il
étudia la médecine, et devint, après son retour en Alle-
magne, médecin de l'électeur palatin. La botanique fut
toujours son étude favorite, dans la conviction que Dieu
' a mis dans les plantes de chaque pays les vertus ap-
propriées à la guérison de toutes les maladies endémi-
ques. Il mourut à Heidelberg, en 1590, à un âge fort
avancé. Pendant trente-six ans il réunit un herbier déplus
126 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
de trois mille espèces , dont il publia en partie la des-
cription sous le titre de K) œuterbuch. Le premier volume,
in-folio, parut en 1588 à Francfort. Après la mort de
l'auteur, Nie. Braun publia le reste de cet important
ouvrage. D'autres éditions parurent à Francfort, en 1614,
1625, et à Bâle, en 1654, 1687, 1731. C'est cette dernière
(2 vol. gr. in-fol.) considérablement augmentée et amé-
liorée par Gaspard et Jérôme Bauhin, que je possède. Le
titre énonce qu'on y trouve « de belles figures d'arbres,
d'arbrisseaux, d'herbes, croissant en Allemagne et en pays
étrangers, tels que l'Espagne, les Indes, le Nouveau-
Monde, avec leurs noms dans toutes les langues, etc. »
Aucun ordre ne préside à la distribution des espèces dé-
crites, au nombre d'environ 5800, dont 2480 assez exacte-
ment gravées sur bois à l'exception d'un petit nombre
d'imaginaires. Nous y voyons, entre autres, que le nom
à'alsine y est appliqué à des plantes de genres différents.
Ainsi, les alsine mojor, a.minor^ a. corniciilatn^ a. pelrxa^
a. rubra, a. recta^ a. hederacea, a. foliis trissaginis, a. fo-
liis veronicse^ a. palustris^ sont le mouron [stellaria mé-
dia), l'arénaire [arenaria serpilli folio) , le draba verna, le
cerastium dichoiomum, le saxifroga tridactylites^ le ue?'o-
nica triphyllos^ la véronique à feuilles de lierre, la véro-
nique agreste, la véronique des champs {v. arvôusis)^ le
cerastium aquaticum. — En honneur de Tabernœmon-
tanus, Linné a donné le nom de tabernsemontana à un
genre d'apocynées.
Euricius Cordus^ (né en 1486, à Siemershausen, près
Frankenberg en Hesse, mort à Brème en 1538), fils d'un
fermier, devenu professeur à l'université de Marbourg, nou-
vellement fondée, montra de bonne heure un vif penchant
pour la poésie latine et la botanique, ainsi que l'attes-
tent d'une part son épithalame pour les noces de son
ami et condisciple Eobanus Hessus, ses épigmmmes
1. Son vérilatile nom était Eherioein.
TEMPS MODERNES 127
contre Je pnpismo en faveur de Luther dont il avait, l'un
des premiers, embrassé les doctrines ; d'autre part, sa
traduction des poèmes de Nicandre, et surtout son Bota-
nologicon, seu colloquium de herbis (Cologne, 1534, in-S"),
fait en imitation des colloques d'Érasme, avec lequel il
était lié d'amitié. Le Botanologicon est un colloque (en
183 pages), plein de verve, entre l'auteur, trois de ses amis
qui sont venus le voir à Marbourg, et un disciple. Fran-
çais de nation. L'entretien roule principalement sur la
synonymie des plantes (|u'on rencontre le plus communé-
ment dans les jardins et dans les champs. L'auteur fait
aussi quelques digressions sur les plantes décrites par les
anciens, et il prétend, entre autres, que Vamomum de
Dioscoride est la fameuse rose de Jéricho, Vanastatica
hierochuntica.
Son fils, Vakrius Cor dus (né en 1515, à Siemershau-
sen, mort à Rome en 1544), fut un des meilleurs bota-
nistes de son temps. Dirigé dans ses premières études
par son père, il alla, pour se perfectionner en grec, suivre
à Wittemberg les leçons de Mélanchthon sur \q9, Alexiphar-
maca de Nicandre, et s'y lia d'amitié avec Crato de Kraff-
theim, l'ami de Conrad Gresner. Il fréquenta aussi l'uni-
versité de Leipzig, et conçut l'idée de réformer la phar-
maceutique par une étude plus exacte des minéraux et
des plantes indigènes, comparativement aux notions
transmises par les anciens. On voit par cet exemple que
les esprits le plus pénétrés de la nécessité d'interroger
la nature n'avaient pas encore renoncé au culte des an-
ciens, qui étaient toujours considérés comme les plus
grandes autorités scientifiques.
Pour atteindre son but, Cordus se mit à parcourir la
Thuringe et la Saxe, explorant les mines de Freyberg
et la flore de la Suisse saxonne. En 1540, il fit, à Wittem-
berg, foyer du protestantisme, des cours publics sur la
matière médicale de Dioscoride, et reprit, en 1542, ses
voyages. B se dirigea cette fois vers le midi, en passant
128 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
par Nurenberg; de là il se rendit, en compagnie de son
ami Jérôme Schreiber, en Suisse, et vit à Zurich Conrad
Gesner. De la Suisse il passa en Italie, ayant pour com-
pagnons de route Nicolas Friedewald, étudiant prussien,
et Sittard de Cologne, dont Mélanchthon regretta la mort
prématurée. Le tracé de son itinéraire lui fit successive-
ment visiter Venise, Padoue, Pise, Lucques, Livourne,
Sienne. A Venise il étudia l'ichthyologie de la mer Adria-
tique, et décrivit, d'une manière exacte, soixante-six es-
pèces de poissons ; le manuscrit de ces descriptions
tomba, plus de vingt ans après la mort de l'auteur, entre
les mains de ConradCesner. A quelque distance de Rome,
Gordus fut saisi d'une fièvre violente, causée, selon les
uns, par l'ingestion d'une boisson froide, le corps étant en
sueur, selon d'autres, par un coup de pied de cheval qui
aurait déterminé une inflammation grave. Quoi qu'il en
soit, il mourut loin de sa famille, à l'âge de vingt-neuf
ans et demi, victime de son zèle pour la science. Suspsct
d'hérésie, il fut privé des derniers secours de la religion,
et sans l'intervention d'un prêtre charitable, son corps
aurait été jeté dans le Tibre. Deux bourgeois qui se
trouvaient par hasard à Rome, firent ensevelir à leurs
frais leur compatriote dans l'église allemande de Sainte-
Marie delV Anima.
La mort prématurée de Valerius Cordiis produisit une
vive sensation parmi les savants de l'Europe, et excita
même la verve de plusieurs poètes d'alors. Cornélius Sit-
tard recueillit les manuscrits et les herbiers de son infor-
tuné compagnon de voyage et les transmit à la famille de
Gordus. G. Gesner réunit les papiers de son ami, en un
volume in-folio, et les fit imprimer en 1561 à Strasbourg,
chez Josias Richel. Ce volume contient de Gordus : Anno-
taiiones in Dioscaridis de materia medica libros V; — His-
ton'œ stirpiuni libri IV; — Sylva, qua rerum fossUium in
Germania plurimarum^ metallorum, lapidum et stirpiuni
aliquol rariorum nolitiam brevissime persequitur ; — De
TEMPS MODERNES. 129
artificiosis extraclionibus liber; — Compositiones médici-
nales aliquot non vulgares. Le Dispensatorium pharmaco-
rum^ etc., avait paru, du vivant de l'auteur, à Nuren-
berg, 1535, iii-8"; souvent réimprimé, et traduit en
français sous le titre de Guidon des apothicaires; Lyon,
1572, in-12.
Au nombre des plantes que Valerius Gordus a le premier
fait bien connaître, nous citerons : le parnassia paluslris^
sous le nom àJhepalica alha^ le phalangium ramosum et
ph. liliago, Vadoxa moschatelHna, le saxifraga alzoon^
les ranunculus arvensis, r. bidbosus, r. flammula; le vacci-
nium oxycoccos; le drosera 7'otundifolia^ le lactuca saligna
sous le nom à'ixopus, Yepipactis latifolia^ sous celui à'a-
llsma. Il a très-bien caractérisé la famille des légumi-
neuses, et indiqué le premier la reproduction des fougères
par les granules (spores) que l'on voit à la surface infé-
rieure des feuilles. Plumier a donné, en l'honneur de
Gordus, le nom de cardia au genre type de la famille des
cordiacées.
Gonrad Gesner (né à Zurich en 1516, mort en 1565), fils
d'un tanneur, a puissamment contribué aux progrès de la
botanique et de la zoologie. Sa famille ayant été impliquée
dans les querelles sanglantes qui éclatèrent entre les réfor-
més de Zurich et les cantons catholiques , il fut hospita-
lièrement accueilli à Strasbourg parle célèbre théologien
Capiton, qui lui enseigna l'hébreu. Ayant obtenu de sa
ville natale un petit secours en argent, il en profita pour
voyager en France. Il séjourna quelque temps à Bourges,
où il donna, pour vivre, des leçons de grec et de latin.
En 1534, ou le trouve à Paris. Au lieu d'y étudier la
médecine, comme il en avait l'intention, il passa son
temps dans les bibliothèques, en commerce avec les sa-
vants, et suivit la pente naturelle de son esprit encyclo-
pédique. De retour à Zurich, il reçut un petit emploi
dans l'enseignement, et se maria n'ayant pas encore ses
vingt ans accomplis. En 1537, il commença ses études
9
130 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
médicales à Bâle, mais il les interrompit bientôt pour
accepter les fonctions de professeur des langues anciennes
à Lausanne. Au bout de trois ans il quitta cette place
pour aller continuer ses études médicales à Montpellier,
et vint les achever à Bâle, où il obtint en 1541 le grade de
docteur. Nommé médecin inspecteur de Zurich, il devint,
quelques années après, professeur de philosophie et
d'histoire naturelle à l'université de sa ville natale. Ses
temps de vacances étaient remplis par des excursions
dans les Alpes, par des voyages en Allemagne, en Au-
triche et en Italie. Il mourut dans sa quarante-neuvième
année, victime de son zèle pour les malades qu'il soignait
pendant l'épidémie qui ravageait Zurich en 1564 et 1565,
Animé de l'amour pur de la science, désintéressé et sans
ambition, Conrad Gesner était resté fidèle à cette belle
devise qu'on voit inscrite au verso du titre de sa Biblio-
theca universalis :
Non mihi, sed studiis communibus ista paravi.
Sic vos non vobismellificatis, apes.
Conrad Gesner, surnommé le Pline de l'Allemagne, fait
époque dans l'histoire de la botanic[ue, parce qu'il a le
premier insisté sur la nécessité d'une étude exacte de la
fleur et du fruit pour une classification méthodique des
plantes. Ce fut là une innovation d'autant plus grande
que presque tous les botanistes anciens avaient singuliè-
rement négligé cette étude. A toute occasion il y revient.
Ainsi, on lit dans sa correspondance qu'il pria un de ses
amis de lui dessiner le fruit d'une tulipe, de manière à
rendre bien apparente la position des graines. « Car j'ai
l'habitude, ajoute-t-il, d'ajouter à mes figures de plantes
toujours celles du fruit et des graines, afin qu'on puisse
mieux saisir l'ensemble des caractères distinctifs^ 33 H fil
ressortir en même temps, par ses descriptions aussi bien
l. Gesner, Epist. médicinal, lib. m. (Zurich, 1577. in-4«.')
TEMPS MODERNES. 131
que par ses dessins, que toutes les plantes qui ont la
même forme de fleurs et de fruits sont également sem-
blables dans leurs autres parties, qu'elles se ressemblent
souvent par leurs propriétés, et qu'en les rapprochant,
on obtient des groupes naturels. C'est ainsi qu'il fut con-
duit à introduire, l'un des premiers, dans la science l'éta-
blissement des genres et des espèces. « Il faut, dit-il,
admettre, qu'il n'y a pas de plantes qu'on ne puisse ratta-
cher à un genre et celui-ci diviser en deux ou plusieurs
espèces [quœ non genus aliquod constituant in duas aut
plures species dividendum). Les anciens n'ont décrit qu'une
seule gentiane; moi, j'en connais plus de dix espèces. «
Il établit aussi le premier, avec une rare sagacité, la
différence qui existe entre la variété et Vespèce. Ayant un
jour reçu une branche de houx (ilex aquifoUum) dont les
feuilles ne portaient chacune qu'un seul aiguillon à l'ex-
trémité, il recommanda à celui qui la lui avait envoyée
de s'assurer si ce caractère est constant on passager. Il fit la
même recommandation au sujet d'une chicorée dont la
tige présentait quelque chose d'anormal. « Dispose bien,
dit-il, tes observations pour l'été prochain; car si la
graine de cette chicorée produit une tige pareille, ce sera
une espèce figurée suivant les procédés de la nature
[rem secundum naturam esse conjicies)] sinon, ce sera
une simple variété , formée en dehors des procédés de la
nature [prœter naturam). » Voilà comment cet esprit ob-
servateur a pu s'élever à la conception d'un plan général de
la nature et préparer la voie à une classification naturelle,
G. Gesner avait projeté une Histoire générale des plantes
pour faire pendant à son Histoire des animaux. Il avait
déjà réuni beaucoup de matériaux, parmi lesquels se
trouvaient 1500 ligures de plantes, la plupart admirable-
ment bien dessinées par lui-même, lorsque la mort vint
le surprendre. Il légua son trésor à sou ami Gaspard Wolf,
à la condition de le publier. Celui-ci, n'ayant pu s'enten-
dre avec un éditeur, le céda à Joachim Camerarius, sous
132 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
la même condition. Mais ce dernier se contenta d'en tirer
ce qui pouvait lui convenir. Ce ne l'ut que près de cent
cinquante ans après la mort de J. Gamerarius, que les
pa]3iers de Gesner tombèrent entre les mains de Trew,
qui s'adjoignit G. Schmiedel et le célèbre graveur sur
cuivre Seligmann de Nuremberg, pour les mettre enfin au
jour sous le titre de Conradi Gesneri opéra botanica,
2 vol. in-fol. ; Nui«emberg, 1751-1771.
Gomme descripteur, G. Gesner eut le mérite de faire
le premier connaître un grand nombre de plantes alpes-
tres, parmi lesquelles nous citerons : cryngium alpinum.,
swcrtia perennis^ rhododendron ferrugineum , dryas octo-
petala^ gentiana punclata, g. purpurca^ artemisia vallc-
siaca, etc.
Son histoire naturelle du mont Pilate [Descriptlo monlis
fracti; Zurich, 1555, in-4°), à laquelle se trouve joint
l'opuscule De raris et admirandis herhis^^ est le premier
essai d'une monographie d'une flore spéciale des Alpes.
Quanta r^is for ia plantarum C. Gesneri (Paris, 1 541 , in-18),
c'est une œuvre de jeunesse, qui ne renferme rien de
Qouveau.
Le genre gesncria. type de la famille des gesnéria-
cées, a été établi par Linné en l'honneur de G. Gesner,
qui le premier avait proposé de donner les noms d'hommes
célèbres à des plantes inconnues aux anciens. On en a
depuis singulièrement abusé.
Benoît Arelius (né à Berne vers 1505, mort en 1578),
professeur à l'université de Marbourg, où. il enseignait la
théologie selon les doctrines de Galvin, entretenait un
commerce littéraire avec G. Gesner, et passait ses mo-
ments de loisir à herboriser dans les montagnes de la
Suisse. Il publia le premier, sous forme Je lettres à Pepe-
rinus, la flore du Niesen et du Stockhorn, deux montagnes
de rOberland bernois [Descriptio Stockhorni etNessi, mon-
1. Réimpr, dans Schîuclizer, llisl, nal, Hclvcl.
TEMPS MODERNES. 133
tium in Bernartium Helveticorum dilione^ etnascentium in eis
stirpium) , imprimée dans Valerius Gordus etC. Gesner, Hor-
tus Germaniœ ^ et Annot.ationes in Dioscoridem (Zurich, 1561 ,
in-fol.).Arei.ius y fait connaître, avec leurs synonymes suis-
ses, une quarantaine d'espèces qui n'avaient pas encore été
décrites, et parmi lesquelles on remarque la violette jaune
des Alpes (viola biflora]^ le fluchlume ou oreille d'ours
(primula auricula)^ ïedeldistel ou chardon noble [eryn-
gium alpinum)^ le balmemlriUen ou saule réticulé [salix
reticulata)^ le brûndlin [orchis odoratissima) . Conrad Ges^
ner a donné, en mémoire de son ami, le nom à'aretia à
une très-petite plante de la famille des primevères,
qu'Aretius avait décrite le premier. Haller et Linné ont
conservé ce nom, et l'ont donné au genre auquel appartient
cette plante lilliputienne [aretia helveiica).
Parmi les herborisateurs alpestres de la même époque,
nous citerons encore Galceolarius, Pona, Fabricius.
François Calceolari ou Galceolarius^ élève de L. Gliini ,
était pharmacien à Vérone. En 1554, il fit, en compa-
gnie d'Ulysse Aldrovande, un voyage au mont Baldo,
situé au bord oriental du lac de Guarda, et très-fertile on
plantes. Il répéta plusieurs fois ce voyage avec Anguil-
lara,Jean et Gaspard Bauhin, et communiqua les résultats
de ses observations à Jean-Baptiste Oliva, qui les publia
d'abord en italien (Venise, 1556, in-4''; édit. rarissime),
puis en latin sous le titre d'Iler Baldl Montis (Venise,
1571, 1584, in-4°). Cet opuscule a été reproduit par
Seguier dans ses Plantx Veronenses^ et à la suite de V Epi-
tome Malhioli de Gamerarius (Francf., 1586, in-4''). On y
trouve pour la première fois décrits : anémone baldensiSy
arnica scorpioides, le tordylium officinale sous le nom de
seseli creticum^ etc. — En mémoire de Galceolari, le
P. Feuillée a donné le nom de calceolariak un genre de
scrofularinées, originaires du Pérou.
Le même mont Baldo fut exploré par Jean Pona, de
Vérone, confrère de Galceolari. Il communiqua les résul-
134 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
tats de ses observations d'abord à de l'Écluse, puis il les
publia à part sous le titre de Plantœ, sive simplicia quœ
in monte Baldo reperiuntur (Baie, 1608, in-4°).
Jean Fabricius, curé de Goire, explora vers 1555 la
flore du mont Galand dans le pays des Grisons, et fit le
Dremier connaître la renoncule des srlaciers, le doronic
plantain, le veratrum album, etc. ^
Joachim Camerarius, nom latinisé de Kammer-meister.
(né à Nuremberg en 1534, mort en 1598), fils de Joach.
Gamerarius, ami de Luther et de Mélanchthon, eut pour
maîtres les meilleurs professeurs de l'Allemagne et de
l'Italie, et pour condisciples ou amis les premiers savants
de son époque. Reçu docteur en médecine à Bologne en
1562, il exerça sa profession dans sa ville natale et préco-
nisa beaucoup l'usage des végétaux. Vainement plusieurs
princes cherchèrent-ils à se l'attacher ; il refusa les offres
les plus brillantes, fidèle à cette belle devise « qu'il ne
faut pas se mettre au service d'autrui, quand on peut être
son propre maître : alterius non sit, qui swùs esse polest. »
Il fonda une académie de médecine à Nurenberg, et créa
un jardin de botanique, où il introduisit des plantes jus-
qu'alors inconnues. Il en publia le catalogue sous le titre
de Hortus medicus et philosophicus (Francf. , 1 588, in-4°) . Son
Epitome utilissima P. A. Mathioli, etc. (Francf., 1586, in-4''),
abrégé des commentaires de Mathiole sur Dioscoride,
contient plus de mille gravures sur bois, tirées de la collec-
tion que G. Gesner avait laissée en mourant. On en trouve
aussi dans son Plantarum tam indigenarum quam exotica-
rum icônes (Anvers, 1597, in-4°). Gamerarius était aidé
dans ses travaux par son neveu, Joachim Jungermann ,
de Leipzig, (|ui mourut en 1591, à Gorinthe, pendant un
voyage en Orient. Parmi les gravures les mieux réussies,
Sprengel {Historia rei Het^barise, t. I, p. 431), signale :
Echium italicum, agave americana^ hallota alba^cardamine
1. Voy.Valerius Cordus, Annotationes in Dioscorid.
TEMPS MODERNES. 135
nîrsuta, sherardia arvensis^ hibiscus syriacus, etc. Plumiev
a rlédié à la mémoire de ce savant un genre d'apocynées,
sous le nom de cameraria.
Rambert Dodoens, plus connu sous le nom de Dodo-
nœus ou Dodonée^ qu'on pourrait surnommer le Thêophraste
néerlandais^ naquit à Malines en 1518, et étudia la mé-
decine à Louvain, où il obtint, en 1535, le grade de li-
cencié. Esprit encyclopédique, il s'occupa en même
temps de littérature ancienne, de mathématiques et d'as-
tronomie. Mais la botanique demeura sa science favorite.
Après avoir voyagé en Allemagne et en Italie, il devint,
en 1572, médecin de l'empereur Maximilien, et conserva le
même poste sous le successeur de ce prince, Rodolphe IL
Une discussion violente qu'il eut avec son confrère,
Graton de Kraftheim , le dégoûtèrent de la cour, et il re-
tourna dans son pays natal pour veiller à l'administration
de se§ biens. En 1 582, il accepta une chaire de médecine à
l'université de Leyde et consacra les deux dernières an-
nées de sa vie à l'enseignement. Il mourut à Leyde, à
l'âge de soixante-huit ans.
Dodoens était intimement lié avec de l'Écluse etLobel.
Leur liaison tourna au profit de la science. Ces trois amis
se communiquaient réciproquement leurs travaux. Do-
doens mit dans ses ouvrages des gravures faites pour les ou-
vrages de Lobel et de l'Écluse, et ceux-ci en firent autant
pour les gravures de leur ami, en sorte qu'il est souvent
difficile de distinguer ce qui appartient à chacun en pro-
pre. Le principal ouvrage de Dodoens a pour titre : Stir-
pium historix Pemptades sex, sive libri triginta; Anvers,
1583, in-fol., avec 1303 figures sur bois. Dans cet ou-
vrage se trouvent fondus tous les écrits antérieurs de
l'auteur, parmi lesquels on remarque : De frugum hislo-
ria, etc., Anvers, 1552, in- 12; Cruydeboeck, etc., 1554,
in-fol. (en caractères gothiques); Hisloria frumentoritm^
leguminum^ etc.; ibid. 1565,in-12; Florum et coronaria-
rum odoratarumque normullarum herbarum^ etc., histcriai
136 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE
ibid., 1558, in-S"; Purgantium aliorumque ea facientium,
etc., historiœ Hbri IV; ibid., 1574, in-12; Hisloria vi-
tis vt'iique et stwpium nonnullarum aliarum; Cologne,
1580. in-12. Dodoens prépara une nouvelle édition de son
grand ouvrage ; mais elle ne parut qu'après la mort de
l'auteur, avec les additions et les corrections qu'il avait
laissées ; Anvers 1618, in-fol.; la même réimprimée à An-
vers, 1618, et 1644, in-fol. Cette édition, que nous avons sous
les yeux, et qui passe pour la meilleure, est enrichie de
quelques planches nouvelles, et de la description de plu-
sieurs plantes étrangères, empruntées à Charles de l'É-
cluse. Bien que Dodoens fût vivement préoccupé de lané-
cessité d'une classification méthodique, — stirpium histo-
riam meditanti de ordine non exigua accessit sollicitudo^
dit-il dans la préface de la première Pemptade, — il n'eut
pas de principes arrêtés, et se laissa, dans la distribution
des plantes, presque exclusivement guider par leur utilité
économique et médicale. C'est ainsi que les céréales se
trouvent réunies aux légumineuses, et le sarrasin vient à la
suite du froment. L'immense majorité des plantes conte-
nues dans l'ouvrage du grand botaniste néerlandais ap-
partient à la flore allemande, considérée comme type de
la flore de l'Europe centrale. Parmi les espèces qui s'y
voient pour la première fois décrites et dessinées, on
remarque : le miroir de Vénus {campanula spéculum) ,
le phelandrium aquatlcum^ la couronne impériale (fri-
tillaria imperialis), introduite dans le jardin de Maxi-
milien II en 1576, la tulipe sauvage, la bruyère cen-
drée , la fleur de Chalcédoine [lychnis chalcedonica) , le
cerastium commun, sous le nom à'alsine spuria^ la ficaire
sous le nom de chelidonium minus, la jacinthe des bois
[hyacinlhus non scriplus) , la brunelle , l'alchemille , le
vuccinium vilis Idœa^ le genêt épineux {ulex europseus)^ la
jacée {centaurea nigra), le séneçon visqueux, sous le nom
à'erigeron majus , etc. — Linné a donné, en mémoire de
Dodoens, le nom de dodonœa à un genre de sapindacées.
TEMPS MODERNES. 137
Théodoric Dorsten et Adam Lonicer, tous deux pro-
fesseurs à l'universifé de Marhourg vers le milieu du
seizième siècle, se firent connaître, le premier par son
Botanicon(Fv3ind., 1540, in-fol.), enrichi de gravures par
Egenolpli, et le second par son Hisloria naluralis, ouvrage
paru en 1551, publié plus tard en allemand sous le titre
de Krseuterhuch (Herbier), contenant plus de sept cents gra-
vures. Plumier établit, en honneur de Dorsten, le genre
dorstenia, voisin des mûriers, et Linné donna, en mé-
moire de Lonicer, le nom de lonicera à un genre de ca-
prifoliacées.
Bofnnistcs voyageurs.
Les hommes qui, dans l'intérêt de la science, ne crai-
gnaient pas de s'aventurer au loin, avaient alors beau-
coup de mérite ; car à la fin du quinzième siècle et au sei-
zième, les voyages lointains étaient encore périlleux et se-
més de beaucoup plus d'obstacles qu'aujourd'hui.
Au nombre de ces intrépides pionniers de la science
nous devons mentionner, en première ligne, Gadamosto,
Garcia da Orta [ab Horto)^ Acosta, Belon, Guilandini,
Rauwolf, Prosper Alpin et Linschoten.
Encouragé par l'infant don Henri de Portugal, le Vé-
nitien Cadamosto visita, près de quarante ans avant la
découverte de l'Amérique, les îles de Canaries et de Ma-
dère, décrivit le premier le dragonier {dracœna draco),
donna des renseignements exacts sur la canne à sucre et
sur le lichen qui fournit l'orseille. En explorant la côte
occidentale de l'Afrique jusqu'au Sénégal, il vit le fa-
meux baobab {adansonia baobab)^ ce géant du règne vé-
gétal. On en trouve la description, ainsi que celle du dra-
138 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
gonier, dans Ramusio, la Prima navigazione pcrVOceano.
etc. (Vicence, 1507, in-4o).
Le Portugais Garciti da Orta^ plus connu sous -e
nom latinisé de Garcia ab Horto^ s'embarqua en 1534,
pour les Indes orientales, avec le titre .de médecin en chef
du roi, et s'y lia d'amitié avec Gamoens qui lui a consa-
cré quelques beaux vers. Il résida longtemps à Bombay et
à Groa, décrivit le premier le choléra asiatique, et publia
le résultat de ses observations , en portugais, sous le titre
de Coloquios dos simples e droguas^ etc,; Goa, avril 1563,
in-4°. La forme de dialogues, empruntée à Platon qui,
dans les écoles, commençait à détrôner Aristote, était
alors souvent employée par les savants. De l'Écluse tra-
duisit en latin ce livre rarissime, dont quelques exeiji-
plaires seulement étaient parvenus en Europe [Clusius^
Aromatum et simplicium apud Indos nascentiwji, etc. , autore
Garcia, ab Horto ; Anvers 1567); mais il lui enleva sa
forme primitive, qui en faisait le principal charme. Il fut
iraduit en italien par Ziletti (Venise, 1582, in-8°) et en
îrs,nçais par Ant. Colin (Garcie du Jardin, Histoire des dro-
gues, etc. Lyon, 1619, pet. in-S"). On y trouve pour la
première fois décrits, entre autres, le palmier areca et
l'arbrisseau qui produit la noix vomique {strychnos nux
vomica), que l'auteur appelle bois de couleuvre.
Le médecin Christophe Acosta^ natif de la Mozambi-
que, colonie portugaise, se rendit, vers 1550, aux Indes
orientales pour y chercher des drogues. Après y avoir fait
un assez long séjour, il vint se fixer à Burgos, en Espa-
gne, où il fit paraître, deux ans avant sa mort, en espa-
gnol, les résultats de ses recherches sous le titre de Tra^
tado de las drogas y medicinas de las Indias orientales,
con sus plantas^ etc.; 1578, in-4''. Cet ouvrage, où l'auteui
a souvefnt copié Garcia ab Horto, fut traduit en italier
par Guikndini (Venise, 1585, in-4°), en latin par de l'É-
cluse (dans ses Exotica; Anvers, 1585, in-8°, à la suite du
livre de Garcia ab Horto) et en français par Antoine Co-
TEMPS MODERNES. 139
lin, apothicaire à Lyon {Traicté de Christophle de la Coste,
médecin et chirurgien, Des drogues et médicaments qui
naissent aux Indes ; Lyon, 1602, pet. in-S"). On y trouve
pour la première fois décrits et figurés la sensilive (figure
inexacte), et le moringa [hyperantheramoringa^lu.)^ arbre
de l'Asie tropicale, dont la racine et l'écorce ont l'o-
deur et la saveur du raifort, et dont la graine glandiforme
(connue des anciens sous les noms de paXavo; [iLupetl^oc-zi, glans
unguentaria^ nux hehen^ balanus myristica) donne une
huile grasse, qui rancit difficilement et que les Orientaux
emploient pour leurs pommades ou onguents.
Le Français Pierre Belon^ natif du hameau de la Soul-
letière (Sarthe), suivit les cours de Valerius Gordus à l'u-
niversité de Wittemberg, à'où Luther venait de lancei
ses fameuses thèses, et fut, lors de son retour en France,
arrêté et emprisonné, comme suspect d'hérésie, à Thion-
ville, alors occupé par les Espagnols. Remis en liberté, il
vint à Paris où il obtint le grade de docteur en médecine,
et entreprit, peu de temps après, un grand voyage en
Orient, pour voir de près les plantes et les médicaments
dont il avait lu l'histoire dans les livres. Son protec-
teur, le cardinal de Tournon, lui en fournit les moyens.
Belon partit de France en 1546, et y fut de retour en
1549. Dans cet intervalle, il visita successivement la Grèce,
l'île de Crète, Gonstantinople, l'île de Lemnos, l'île de
Thasos, le mont Athos, la Thrace, la Macédoine, l'Asie
Mineure, les îles de Ghio, de Mételin, de Samos et de
Rhodes. Là il s'embarqua pour Alexandrie, vit le Caire,
et parcourut la Basse-Egypte; delà il entra en Palestine,
passant par l'isthme de Suez, et franchit le mont Sinaï. Il
visita Jérusalem, le mont Liban, Alep, Damas, Antioche,
Tarsus, et revint à Gonstantinople par l'Anatolie. A Rome
il rencontra deux zoologistes célèbres. Rondelet et Sal-
viani. Il y rencontra aussi soû protecteur, le cardinal de
Tournon, qui siégeait alors au conclave, convoqué depuis
la mort du pape Paul III. L'intrépide voyageur fit plus
140 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
qu'il n'avait promis : non-seulement il enrichit l'histoire
naturelle d'un grand nombre d'observations entièrement
neuves, mais il fit aussi connaître les ruines, les antiqui-
tés, l'état religieux et moral des pays qu'il avait parcou-
rus. Il consigna les résultats de son expédition scientifi-
que dans un ouvrage remarquable, intitulé : les Observa-
tions de plusieurs singularitez et choses mémorables, trou-
vées en Grèce, Asie^ Judée^ Egypte, Arabie et auUres pays
estranges, rédigées en trois livres; Paris (G. Caveilat), 1553,
in-4°, et Anvers (Plantin) 1555, petit in-8°, avec quel-
ques bonnes gravures sur bois, intercalées dans le texte.
L'Ecluse l'a traduit en latin (Anvers; 1589, in- 12).
On y trouve pour la première fois bien décrits et dessi-
nés : le platane (platanus orientalis) , l'apios (euphorbia
apios), ombilic de Vénus [cotylédon umbilicus, L.),le séné
d'Alexandrie [cassia lanceolata) , l'acacia [acacia vera), etc.
On doit aussi à Belon une histoire assez exacte des co-
nifères (pin, sapin, mélèze, cyprès, cèdre, etc.) qui for-
ment les forêts d'essences résineuses ; elle a pour titre : De
arboribus coniferis , resiniferis , etc., Paris (Gr. Cavellat) ,
1553, in-4°, avec figures. Cet éminent naturaliste eut une
fin malheureuse. Il fut assassiné par une main inconnue en
traversant, un soir du mois d'avril 1564, le bois de Bou-
logne. Il avait à peine quarante-sept ans.
Melchior Guilandinus, nom latinisé de l'allemand
Wieland, natif de Kœnigsberg, s'était de bonne heure pas-
sionné pour l'histoire naturelle. Dans le but d'achever ses
études, il partit pour l'Italie, résida quelque temps à Ve-
nise et trouva un protecteur dans Marie Gabello_, l'un des
directeurs de l'Université à Padoue. Celui-ci lui procura
les moyens de visiter, en 1559 et 1560, l'Egypte et la Syrie.
Wieland en revenait chargé des productions les plus cu-
rieuses, lorsqu'il tomba entre les mains des pirates près
de Gagliari. Emmené comme esclave dans les États bar-
baresques, il ne recouvra sa liberté que par une forte ran-
çon, payée par le célèbre anatoraiste Fallope, qui s'inté-
TEMPS MODERNES. 141
rossait vivement aux progrès de la botanique. A son re-
tour en Italie, il obtint, en 1561, la direction du jardin
médicinal de Padoue, pJace à laquelle il joignit bientôt la
chaire de botanique. Depuis lors V/ieland italianisa son
nom allemand en le changeant en celui de Guilandini^
fX mourut en 1589 à un âge fort avancé. Il fut un des
plus violents adversaires de Mathiole , à juger par son
livre intitulé Theon (Padoue, 1558, in-4°). Son ouvrage
le plus intéressant est celui qui traite du papyrus, qu'il
avait observé en Egypte {Papijrus^ hoc est commentanW)
in tria Plinii Majoris de papyro capita; Venise, 1572,
in-4"). La synonymie des anciens, comparée avec celle
des modernes, était le principal objet de son De stirpium
aliquot nominihus vetustis ac novis, etc.; (Bâle, 1557,
in-4°), et de ses Conjectanea synonymica plantarum cum
horti Patavini catalogo, etc., publiés par J. G. Schenetz,
après la mort de l'auteur (Francfort, 1600, in-8°). Linné
a établi le genre guilandina, pour rappeler le nom du
célèbre botaniste voyageur.
Léonard Rauwolf^ que ses savants contemporains nom-
maient DasylycKS (traduction grecque de Rauwolf^ qui
signifie rude loup)^ était fils d'un riche négociant d'Augs-
bourg. Après avoir fréquenté les principales universités de
l'Allemagne, il étudia la médecine à Montpellier, et ob-
tint, en 1562, le grade de docteur à l'Université de Va-
lence. Passionné pour la botanique, il alla herboriser en
Suisse et e|i Italie, et visita toutes les localités où l'on cul-
tivait des plantes rares. Voulant voir au naturel les plan-
tes dont parlent Théophraste, Dioscoride, Pline, Galien et
les médecins arabes, il résolut de faire un voyage en
Orient. Parti d'Augsbourg le 15 mai 1573, il passa par Lin-
dau, Goire, Gôme, notant les plantes qu'il rencontra en
route, traversa laLombardie et le Piémont, et vint, le 2 sep-
tembre suivant, s'embarquer à Marseille avec Ulrich
Kraft, fils du bourgmestre d'Ulm, sur un navire italien, la
Santa-Croce, appartenantà son beau-frère, riche marchand
14â HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
de drogues. Le 30 septembre, il débarque à Tripoli de
Syrie, et fait connaître la flore des environs de cette ville
de commerce, alors très-florissante. Il visite ensuite Da-
mas et Alep, dont il décrit les productions naturelles.
Aux environs d'Alep il recueillit plusieurs échantillons
de plantes qu'il colla sur des feuillets de papier pour les
faire, après son retour, graver sur bois. Dans cette ville
il se prépara pour un long voyage qu'il devait pousser jus-
qu'aux frontières de la Perse, à travers le désert qui sé-
pare la Syrie de l'Euphrate. Déguisé en marchand turc et
muni d'un sauf-conduit du pacha d'Alep, il se mit en
route, le 13 août 1574, avec une caravane, en compagnie
d'un Hollandais qui avait longtemps résidé dans le pays
et en connaissait la langue. Il atteignit ainsi Bir, s'em-
barqua sur l'Euphrate, s'arrêta à Raka, où il fut rançonné
par la douane ; toucha, en descendant le fleuve, à Ana, à
Hadid, et visita, à la hauteur d'Elugo, l'emplacement de
Babylone, où il frignale les débris d'une antique tour,
qu'il prend pour celle dont parle la Genèse, et que d'in-
nombrables lézards et serpents l'empêchaient d'explorer.
Il traversa ensuite la Mésopotamie, et vint à Bagdad sur
le Tigre. Il compare la cité des khalifes à la situation
de Bâle aux bords du Rhin, et en donne une description
détaillée, en y joignant la flore du pays. Le 10 février il
effectua son retour par l'ancienne Médie et le pays des
Kourdes, s'arrêta quelque temps à Mossoul, «qui s'appe-
lait, dit-il, jadis Ninive, » et revint par Orpha,^Bir, Nizib,
à Alep, après avoir traversé la Palmyrène, le royaume
d'Odonat. Dans cette longue traversée, la qualité de mé-
decin lui avait été très-utile, ainsi qu'à tous ses compa-
gnons de voyage. Il employa plusieurs mois à explorer la
Phénicie et la Palestine; il vit Tyr, Sidon, Jaffa (Joppé), le
mont Garmel, les cèdres du mont Liban (il en compta en-
core vingt-quatre), Jérusalem et les principaux lieux il-
lustrés par les récits de la Bible. Enfin le savant, et intré-
pide voyageur se rembarqua à Tripoli pour Venise, et fut
TEMPS MODERNES. 143
de retour à Augsbourg le 12 février 1576, après une
absence de près de trois ans. Nommé médecin en phef de
riiôpitai de sa ville natale, il perdit cette place pour n'a-
voir pas voulu abjurer le protestantisme qu'il avait sin-
cèrement embrassé. Quittant alors Augsbourg, il se retira
à Linz, et servit comme médecin militaire dans les cam-
pagnes de Hongrie, où il mourut de la dyssenterie, pen-
dant le siège de la forteresse de Hatvan, en septembre
1596. Pour perpétuer la mémoire de Rauwolf, Plumier
adonné le nom de rauwolfia à un genre de plantes,
adopté par Linné.
Le voyage de Rauwolf a paru sous le titre àe Aigentlicne
Beschreibung der Raiss , so er vor diser zeit gegen Auffgang inn
die Morgenlxndei\ fûrnemlich Syriam, ludxam. Arabiam.,
etc., nicht ohne geringe Mûhe und grosse Gefahr selbst vol-
bracht, etc. (Relation exacte du voyage de Rauwolf dans
les contrées de l'Orient, la Syrie, la Judée, l'Arabie, etc.,
voyage achevé non sans de grands périls, etc.). Cet inté-
ressant ouvrage, que j'ai sous les yeux, 'est écrit en dialecte
souabe, et divisé en trois parties, petit in-4°, qui furent
imprimées en 1582, à Lauingen par Léonard Reinmichel.
Il y a été joint une quatrième partie , imprimée en 1532,
qui ne se trouve pas dans les différentes réimpressions et
traductions qui ont été faites du livre de Rauwolf ^ Cette
quatrième partie contient quarante-deux gravures d'es-
pèces végétales, extraites de l'herbier c[ue l'auteur avait
rapporté de son voyage. Cet herbier (composé de cinq
gros volumes in-folio), sur les feuilles duquel étaient collés
les échantillons, fut pris et transporté à Stockholm, pen-
dant la guerre de Trente ans. La reine Christine, de Suède,
en fit cadeau à Isaac Vossius, qui l'emporta avec lui d'a-
bord à La Haye, puis à Londres. Enfin, après la mort de
Vossius, il fut rapporté en Hollande et déposé à la Biblio-
thèque deLeyde, où il doit se trouver encore. F. Gronovius
1, Voy. l'article Raimolf, dans la Biograghie générale.
144 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
l'utilisa pour sa Flora Orientalis^ où il donne (au tome IV)
la liste de 338 espèces provenant de l'herbier de Rauwolf.
Au nombre de ces espèces se trouvent anabasys aphylla^
scorzonera tuberosa, erigeron tuberosum, leontice chryso-
gonum, hibiscus tiHonum^ astragalus coluteoïdes, gnapha-
lium sanguinewn, statice sinuata, artemisiajudaica, etc.
Prosper Alpin^ natif de Marostica près de Vicenze, sui-
vit d'abord la carrière militaire ; mais il la quitta bientôt
pour étudier la médecine à Padoue, où il devint docteur
en 1578. Entraîné par un goût irrésistible pour la botani-
que, surtout pour la connaissance des plantes médicinales,
il résolut, à l'exemple de Gralien, de voyager à la recherche
du végétal qui produit le baume, et il accepta avec empres-
sement la place de médecin de Greorge Emo, qui venait
d'être nommé consul de la République de Venise au Caire.
Parti de Venise le 12 septembre 1580, il n'arriva en
Egypte qu'au commencement du mois de juillet de l'année
suivante, après une longue et périlleuse navigation. Il ha-
bita pendant trois ans le Caire, visita la vallée du Nil,
Alexandrie, parcourut les îles de la Grèce, surtout Candie,
interrogeant la nature plus encore que les hommes pour
s'instruire; car, dans plus d'un endroit de ses ouvrages,
esquissés en Egypte, il se plaint de ce qu'il avait rare-
ment rencontré des gens capables de le renseigner. Après
un séjour d'environ six ans en Orient, il revint, en 1586,
dans sa patrie et résida quelque temps à Gênes, où il fut
attaché comme médecin au célèbre amiral André Doria.
Le sénat de Venise lui confia, en 1593, la chaire de bo-
tanique et la direction du jardin de l'Université de Pa-
doue. Accablé d'infirmités, dont il avait contracté les ger-
mes dans ses voyages, devenu presque sourd à la fin de
sa vie, il mourut, en 1607, à Padoue, dans sa soixante-
quatrième année. En honneur d'Alpinus, Linné a donné
le nom d'nlpinia à un genre de zingibéracées.
Le premier ouvrage, publié par Alpinus après son re-
tour de rjÉgypte, a pour titre : De Balsamo Dialoyus, in
TEMPS MODERNES. 145
quo verissima Balsami flantx, Opobalsami^ Carpobalsami
et Xylohalsami cognitlo, pleiisque antiquorum atque junio-
rum medicorum occulta, nunc elucescit; Venise , 1590,
in-4"; réimprimé à Padoue, 1639, à la suite de l'édition
donnée par Vesling d'un autre ouvrage d'Alpin [De plan-
iis ji^gypti). Les noms de balsamum, opobalsamum, etc.,
s'appliquaient alors à tous les sucs végétaux gommo-
résineux, dont on faisait un grand usage en médecine. Le
baume dont il est ici question, provenait, selon Spren-
gel,. d'une espèce à'amyris (figurée à la p. 48 de l'édit.
de Padoue, 1639), que Bartholin dit avoir vue dans le
jardin d'Alpinus à Padoue.
Le second ouvrage, beaucoup plus important que le
premier, est intitulé : De plantis ^Egypti Liber, in quo non
pauci, qui circa herbarum materiam irrepserunt, errores
deprehenduntur, etc.; Venise, 1592, in-4°; cum observa-
tionibus et notis Joan. Veslingii: accessit Liber de Balsamo;
1640, in-4°. C'est cette édition qui sert à mon analyse.
On y trouve la description d'environ cinquante plan-
tes d'Egypte , avec leurs gravures intercalées dans le
texte; parmi ces plantes, une vingtaine n'avaient pas en-
core été décrites, ou l'avaient été incomplètement. Nous
citerons, entre autres : le nabec ou zizyphus spina Christi,
l'uzeg ou lycium europseum, depuis lors très-répandu en
Europe, l'acacia du Sénégal, le melochia ou corchorus oli-
torius, l'origan d'Egypte, la casse absus, le cotonnier bx-
borescent, l'aènts ?jr«catortm, la coronille Sesban, etc.
Cet ouvrage fut refondu et réuni à un travail d'Alpinus
sur l'Histoire naturelle de l'Egypte, qui resta longtemps
en manuscrit, et ne parut qu'en 1735, sous le titre : His-
toriœ naturalis JEgypti Libri quatuor^ opusposthumum, etc.;
Leyde, 2 vol. in-4°, avec de nombreuses gravures et leri
commentaires de Vesling, qui avait visité le Caire, et suc-
cédé à P. Alpin dans la chaire de botanique, à Padoue.
On y trouve une description détaillée du laserpitium et
du lotus du Nil. A cette histoire naturelle de l'Egypte,
10
146 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
dont les matériaux avaient été recueillis par l'auteur pen-
dant son séjour en Orient, il faut ajouter De medicina
yEgyptiorum libri IV, traité auquel se trouve joint, dans
l'édition de 1645, (Paris, in-4''), l'opuscule de Bontius, De
Medicina Indor^um. Le chap. m du livre IV contient la
première description qui ait été faite du café sous le nom
de chaoua, ainsi que du caféier qu'Alpin avait vu dans le
verger d'un bey turc, au Caire.
Prosper Alpin avait aussi laissé les matériaux d'un ou-
vrage d'ensemble sur les plantes exotiques. Ils furent
réunis par son fils Alpino Alpini (mort en 1637, profes-
seur de botanique à Padoue), et publiés sous le titre : De
plantis exoticis libri duo; Venise, 1627, réédités en 1656,
in-4°, avec planches gravées sur cuivre. On y trouve la
description d'un assez grand nombre d'espèces nouvelles
{teucrium creticum, cistus creticus, pyrus cretica, sapona-
ria cretica^ campanula Alpini, alyssum creticum^ calanan-
chelutea, achillea cretica, etc.), que l'auteur cultivait dans
le jardin de Padoue, et qui lui avaient été envoyées par
Gapello, gouverneur vénitien de l'île de Crète, et par Pal-
merius d'Ancône, résidant au Caire.
Jean-Hugues Linschooten (né à Harlem en 1563, mort
en 1611) s'embarqua, en 1579, au Texel, s'attacha, à Lis-
bonne, au service deVicente Fonseca, archevêque de Goa,
et suivit ce prélat aux Indes Orientales. Il y recueillit des
documents curieux s«ur les îles et les côtes de l'océan In-
dien, comprises entre la Chine et le cap de Bonne-Espé-
rance. Après la mort de Fonseca, en 1589, Linschooten
revint en Hollande, et y publia la relation de son voyage
en hollandais (La Haye, 1591, in-fol.). Cette relation pa-
rut en latin sous le titre de Navigatio ac Itinerarium Joli.
Hug. Linscotaniin Orientalem sive Lusitanorum Indiam, etc.
(La Haye, 1599, in-fol. ). On y trouve (p. 58-83) des dé-
tails intéressants sur les principales productions naturel-
les de l'Inde, de l'île de Ceylan et des îles de la Sonde.
Nous signalerons particulièrement la description de l'eu
TEMPS MODERNES. 147
genia jambos, (dont le fruit, semblable à une petite pom-
me, imprègne la bouche d'une odeur de rose), du palmier
arec, àumaing\ier{rhizopliorus mangle)^ et de la tubéreuse
(polyanthcs tuherosa) , dont la première mention a été
faite, en 1594, par Paludanus (dans l'édit, de Linschooten
de 1599).
Botanistes du dix-septième siècle.
Deux frères , Jean et Gaspard Bauhin occupent , par
leurs travaux, le premier rang parmi les botanistes de la
fin du seizième siècle et du commencement du dix-sep-
tième„ Leur père, natif d'Amiens, persécuté en France
pour avoir embrassé le protestantisme, était venu se
fixer à Bâle, où il fut agrégé au collège des médecins,
Jean Bauhin (né à Bâle en 1541 , mort en 1616) étu-
dia la botanique, sous L. Fuchs, à Tubingue, et se lia, à
Zurich, d'amitié avec Conrad Gesner, qu'il accompagna
dans ses excursions scientifiques en Suisse. Après avoir
ainsi visité une partie des Alpes, notamment le pays des
Grisons, il se mit, pour enrichir ses herbiers, à parcourir
l'Alsace, la Forêt Noire , la Haute-Bourgogne et la Lom-
bardie ; il séjourna quelque temps à Padoue, et suivit à
Bologne les cours d'AÎdrovande. Il passa ensuite enFrance,
entendit à Montpellier le célèbre Rondelet, explora le Lan-
guedoc, particulièrement les environs de Narbonne et le
Dauphiné, si riches en plantes intéressantes. A Lyon il fît
connaissance avec Dalechamps ; mais , pour se soustraire
à des persécutions auxquelles il était en butte comme pro-
testant, il se hâta de quitter la France. Après avoir ré-
sidé quelque temps à Genève , il revint exercer la mé-
decine dans sa ville natale. En 1570 , le duc Ulric , de
148 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Wirtomberg-Montbéliard , l'appela auprès de lui et se
l'attacha comme premier médecin. Ces fonctions, que
Jean Bauhin remplit pendant quarante-trois ans, lui ])er-
mirent de poursuivre fructueusement son étude favorite :
le duc Ulric aimait la botanique et faisait cultiver, dans
son jardin de Montbéliard , un grand nombre de plantes
nouvellement introduites en Europe.
Ainsi favorisé par les circonstances, Jean Bauhin put
réunir les matériaux de deux ouvrages considérables, qui
ne parurent, avec des additions nombreuses, qu'après sa
mort. L'un a pour titre : Historiœ plantarum generaUs
novx et absolutœ Prodromus; Yverdun , 1619, in-4''; il
fut publié par les soins de J. H. Gherler , médecin de
Bâle, qui avait épousé la fille unique de Jean Bauhin.
L'autre ouvrage , beaucoup plus important , est intitulé :
Historia universalis plantarum nova et absolutissima cum
consensu et dissensu circa eas; Yverdun, 1660-1661, 3 vol.
in-foL, publiés par Fr. L. de Glrafenried, patrice de Berne,
et Ghabrée , médecin d' Yverdun , qui y ont ajouté leurs
propres observations. Cet ouvrage , vaste compilation des
travaux de Dalechamps, Fuchs, Dodonée, Lobel, de l'É-
cluse, etc., contient à peu près tout ce qui avait été écrit
sur les plantes depuis l'antiquité jusqu'au dix-septième
siècle. Il est divisé en quarante livres qui représentent
en quelque sorte les classes , comme les chapitres repré-
sentent les familles du règne végétal. On y trouve la des-
cription d'environ cinq mille plantes, avec trois mille cinq
cent soixante-dix-sept figures , dont la plupart sont em-
pruntées à Fuchs. Les frais de publication, qui s'élevaient
à quatre-vingt-dix mille francs environ de notre monnaie,
furent avancés par de Grafenried. Les deux premiers vo-
lumes sont dédiés aux avoyers de Berne , et le troisième
l'a été à Henri, duc d'Orléans-Longueville, prince de
Neuchâtel. Ghabrée en publia un abrégé sous le titre de
Sciagraphia (Genève, 1666, 1676 et 1677, in-fol). Toutes
les figures de VHistoria universalis plantarum s'y trou-
TEMPS MODERNES. 149
vent reproduites; c'est rénumération |à peu près com-
plète des plantes jusqu'alors connues. Au nombre des es-
pèces pour la première fois indiquées, on remarque : la
nummulaire rouge [anagallis Unella) ^ la herniaire velue
[herniaria hirsuta), le jonc aigu, l'arenaiHa trinervia, le
sediim saxatilc^ le ranunculus glacialis^ le trifoliiwi tomen-
tosum^ la jacobée aquatique [achillea nana) , epipaclis
ovata^ salix reticulata^ pteris crispa^ etc.
Jean Bauhin avait publié, de son vivant, sa correspon-
dance avec G. Gesner {Epistolx ad Gesnerum; Bâle, 1594,
in-8°) , fort intéressante pour l'histoire de la botanique,
et un petit traité sur les eaux minérales de Boll [Historia
novi et admirahilis fonlis balneique BoUcnsis^ in ducatu
WiiHenibergico , etc.; Montbéliard, 1598, in-4"). On y
trouve une courte description des plantes qui croissent
dans les environs , particulièrement de l'aune blanche
[alnus incana] et du peplis poHula , nommé par l'auteur
alsine minima.
Son frère puîné, Gaspard Bauhin (né à Bâle en 1560,
mort en 1624), se livra avec le même zèle à l'étude de la
médecine et de la botanique. Après avoir visité l'Italie, la
France et l'Allemagne ^ ce qui le mit en relation avec
les principaux savants d'alors, il devint, en 1596,
médecin du duc Frédéric de Wirtemberg, et occupa depuis
1614 jusqu'à sa mort la chaire de médecine et de bota-
nique à Bâle. Le premier, il essaya de porter l'ordre dans
le chaos de la synonymie et delà nomenclature, alors usitées
en botanique. Il désigna les plantes par quelques phrases
courtes, significatives, et créa la plupart des noms géné-
riques qui furent plus tard universellement adoptés.
C'est ainsi qu'en anatomie il avait désigné les muscles
d'après leur forme , leurs attaches et leurs usages. Gas-
pard Bauhin ne fut donc pas , comme on voit, un simple
compilateur : le mode caractéristique de son laconisme
descriptif, suivi par Tournefort, Linné et L. de Jussieu,
l'a posé comme un esprit vraiment original et organisa-
150 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
teur. Son OuxoTrivai , seu Enumeratio plantarum ah her-
boriis nostro sseculo descriptarum cum eorum differentiis
(Bâle, 1596, in-4''), ouvrage remarquable, orné, sur le
verso du titre , du portrait de l'auteur à l'âge de vingt-
neuf ans, contient la description succincte de deux mille
sept cents espèces, avec leurs variétés; il commence par
les graminées et finit par les papilionacées. On y trouve,
entre autres, la première mention exacte, détaillée, de la
pomme de terre , que l'auteur rangea, avec une sagacité
rare, dans la famille des solanées , en lui donnant le nom
de solanum tuberosum , qu'elle a conservé. Il nous ap-
prend en même temps que la pomme de terre était alors
cultivée comme une curiosité dans les jardins d'un petit
nombre d'amateurs qu'il désigne nominativement ^ Le
Phytopinax ne devait être que la première partie d'un
grand travail, dont la suite n'a point paru.
L'ouvrage, auquel Gaspard Bauhin dut sa plus grande
réputation, a pour titre : llîva^ theatri botanici^ sive Index
Theophrasti, Dioscoridis, Plinii et botanorum qui a sœculo
scripserunt opéra, plantarum circiter sex millium ab ipsis
exhihitarum nomina, etc., Bâle, 1594, in-4° (souvent réim-
primé). Cet ouvrage classique, fruit de quarante années
de travaux, a été, jusqu'à Tournefort et Linné, pour ainsi
dire l'évangile des botanistes : on y trouve des indices ir-
récusables de la classification naturelle, inaugurée un
siècle et demi plus tard. Mentionnons encore de lui une
flore des environs de Bâle {Catalogus plantarum circa
Basileim nascentium, etc., Bâle, 1622, in-S"), qui a servi
en quelque sorte de modèle aux nombreux travaux de ce
genre ; une édition estimée des ouvrages de Mathiole ;
une critique, un peu acerbe, de l'ouvrage de Dalechamps
1. A la suite du *uT6uiva| (Bâle, 1596) que je possédasse trouvent: le
traité de Pona et de Belle sur la flore du mont Baldo et de Vérone; le
commentaire de Maronea sur ramomitm de Dioscoride; diverses thèses
médicinales, théologiques et philosophiques (Demonstris, De anima,
De angelis, De anima rationali, De mente humana, etc.).
TEMPS MODERNES. 151
[Animadversiones in Historiam generalcm plantarum Lug-
duni editom, etc.; Francfort, 1602, in-4°); DpdâpofAoç theatri
botanici, in quo plantas supra sexcentx ^ ob ipso primum
descriptx, cum plurimis figuris proponuntur; Francfort,
1620, in-4°; le nombre des plantes nouvelles, décrites ici
pour la première fois, se réduit, selon Sprengel, à environ
deux cent cinquante. Quant au Theatrum botanicum, sive
Historia plantarum ex veterum et recentiorum placitis, etc.
(Baie, 1658, in-fol.), ouvrage conçu sur un vaste plan, il
ne parut que trente ans après la mort de l'auteur, par les
soins de son fils Jean-Gaspard.
Parmi les plantes pour la première fois décrites par
Gaspard Bauhin, on remarque : le lilas de Perse [sy-
ringa persica) , la véronique scutellée, la phléole [phleum
pratense), la canche [aira caryophyllsea)^ la queue de re-
nard [alopecurus agrestis)^ la houque [holcus lanatus), la
cretelle {cynosurus cristatus]^ plusieurs espèces de patu-
rins (poa compressa, p. bulbosa), trilicumpinnatum^ ribes
alpinum, astrantia minor, monotropa hypopitys, stachys
arvensis, aster alpinus, salix herbacea, etc. — Plumier a
donné, en honneur de Gaspard Bauhin, le nom de bauhi-
nia^ à un genre de plantes exotiques, de la famille des lé-
gumineuses.
Angleterre. — En Angleterre, la culture de la bota-
nique, longtemps négligée, prit tout à coup un essor
rapide sous la direction de Parkinson, de Morison et
surtout de Ray.
John Parkinson (ne à Londres en 1567, mort vers 1645),
xpothicaire de Jacques I" et de Charles P"", exerça pen-
dant de longues années la pharmacie à Londres. Pour
satisfaire son goût pour la botanique, il entretenait un
jardin rempli à la fois de fleurs rares et déplantes utiles; il
en donna la description dans un livre intitulé : Paradisi
in sole Paradisus terrestris, or a choicc gardeu of ail sorts
of rarest (lowers (Londres, 1629, in-fol., avec cent neuf
152 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE
figures sur jDois). En adoptant le singulier titre de Para-
disus in sole, l'auteur a joué sur son nom de Pai'k in sun
(parc dans le soleil). Ge livre a de l'intérêt en ce qu'il per-
met d'apprécier l'état de l'horticulture d'alors, en montrant
qu'on cultivait plus de cent vingt variétés de tulipes,
soixante d'anémones, cinquante d'hyacinthes, plus de
1 quatre-vingt-dix de narcisses, soixante-dix d'œillets, plus
i de soixante variétés de prunes, autant de poires et de
pommes, trente de cerises et vingt de pêches. En 1640,
Parkinson publia ime sorte d'herbier, sous le titre de
Theatrum botanicuin (Londres, 1640, in-fol., avec de
nombreuses gravures). Plus complet que l'édition de
ÏHerbal de Sherard, publié en 1633 par Thomas Johnson
(auteur de Vlter Cantlanum, 1632, in-8°, et du Mercurius
hoianicus , 1634), le Theatrum botanicum contient une
classification en dix-sept tribus, fondées sur les vertus
connues ou présumées des plantes (plantes odorantes,
cathartiques, purgatives, vénéneuses, vulnéraires, etc.) —
Plumier a donné, en honneur de Parkinson, le nom de
parkinsonia à un genre de légumineuses.
'Rohari Morison (né en 1620 à Aberdeen, mort en 1683
à Londres), ruiné et proscrit après la mort de Charles I",
vint chercher un asile en France. Il étudia la médecine
à Angers, où. il fut reçu docteur en 1648, et obtint, dix
ans après, la direction du jardin que Gaston , duc d'Or-
léans, possédait dans ses domaines de Blois. Après l'avé-
nement de Charles II, il retourna en Angleterre, et fut,
en 1669, chargé de faire à Oxford un cours de botanique
en qualité de garde du jardin médicinal. Son principal ou-
vrage a pour titre : Plantarum Historia universalis Oxo-
niensis (Oxford, 1680, in-fol.); cette histoire, terminée par
Dodart en 1699, est accompagnée de cent vingt-quatre
planches, comprenant environ douze cents figures, dont
î la plupart sont originales. La méthode suivie par l'auteur
est celle de Césalpin : elle est fondée plutôt sur l'orgaui-
TEMPS MODERNES. 1-3
sation de la Heur et du fruit que sur les propriétés des
plantes.
On doit encore à Morison la première monographie
des ombellifères [Planlarum embelli fer arum dislributio
nova; Oxfort, 1672, in-fol.) , et une édition du Jardin
royal de Blois, ouvrage d'Abel Brunyer [Hortus regim
Blesiensis, cum notulis, etc. (Lond. 1669, in-S"). Morison
y a joint, entre autres, un tableau des erreurs de Bauhin,
que Haller, dans sa Bibliolheca Botanica, qualifie à'invi-
diosum opus.
John Ray^ connu aussi sous le nom latinisé de Raius
(né en 1628, à Black-Notley, dans l'Essex, mort en 1704),
fit ses études au collège de la Trinité à Cambridge, où il
occupa successivement, de 1651 à 1655 , les chaires de
grec et de mathématiques. Mais la botanique étant de-
venue bientôt son occupation favorite, il alla souvent her-
boriser aux environs de Cambridge, et consigna ses pre-
mières observations dans son Catalogus planlarum circa
Cantabrigiam nascentium, in-12, petit manuel de la flore
des environs de Cambridge, qui contient quelques détails
intéressants sur la structure des fleurs. Pour bien s'ini-
tier à la connaissance des plantes de sa patrie, Ray fit,
du 9 août au 18 septembre 1658, une excursion dans le
pays de Galles; en 1661 (du 26 juillet au 30 août) il
alla, en compagnie de quelques amis , herboriser en
Ecosse ; et l'année suivante il fit un troisième voyage,
plus long que les deux premiers : il visita d'abord le
Cheshire, traversa les comtés du centre de l'Angleterre,
explora le nord du pays de Galles , le Somerset et le De-
vonshire. Cette herborisation dura près de deux mois et
demi (du 8 mai au 18 juillet). Les espèces qu'il avait re-
cueillies devaient entrer dans le catalogue général des
plantes d'Angleterre, dont il s'occupait alors et qui parut
en 1670, à Londres [Catalogus plantanan Anglise et insu-
larum adjacentium^ etc.). Les cryptogames y occupent
pour la première fois une certaine place. Le 18 avril 1 663.
154 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Ray partit pour le continent, et y séjourna jusqu'en 1666.
Dans cet intervalle il parcourut, en herborisant, la Hol-
lande, la France, l'Allemagne, la Suisse et l'Italie, et
poussa ses explorations jusqu'en Sicile et à Malte. Dans
l'été de 1667, il fit, avec son ami Willugby, sa quatrième
excursion dans l'intérieur de l'Angleterre, devint, peu de
temps après, membre de la Société Royale de Londres,
et fit, en l'automne de la même année, son cinquième
voyage, dans le Yorkshire et le Westmoreland. Au prin-
temps de 1669, Ray et Willugby entreprirent, sur les
traces de Tonge et de Beal, une suite d'expériences sur le
mouvement de la sève dans les arbres. Ils choisirent,
comme les plus propres à cet effet, le bouleau et l'érable ,
et constatèrent deux courants, l'un ascendant, l'autre des-
cendant, sans établir cependant aucune doctrine sur la
circulation réelle du liquide nourricier *. En 1671, quoique
souffrant d'une maladie de foie, il fît, en compagnie de
Thomas Willisel, un sixième voyage d'herborisation;
après avoir exploré le Derbyshire, l'Yorkshire, tous les
comtés du nord jusqu'à Berwick, il revint par l'évêché de
Durham. Dans la même année, il perdit son généreux
ami Willugby, qui l'avait aidé dans presque tous ses
travaux. Cette perte lui fut très-sensible. En 1673, il se
maria, à l'âge de quarante-quatre ans, et publia, peu de
temps après , le résumé de ses voyages dans une partie
des Pays-Bas, de l'Allemagne, de la France et de l'Italie,
sous le titre d'Observations topographlcal, etc., Londres,
1673,in-8°. L'auteur décrit non-seulement les productions
naturelles de ces différents pays, mais les antiquités et
curiosités historiques qu'il y rencontra. Un séjour de six
mois en Suisse lui avait donné une connaissance spéciale
des plantes du Mont Salève, près de Genève, et du Jura.
Après son mariage, Ray vint résider à Middleton-Hall, où
il remplissait les dernières volontés de Willugby, d'être
1. Voy. t. IV, année 1670, des Philosoph. Transactions.
TEMPS MODERNES. 155
le tuteur de ses fils et l'éditeur des Oiseaux et Poissons
dont celui-ci en mourant lui avait laissé les manuscrits.
Retiré depuis 1679 à Falkborne-Hall , près de son lieu
natal, Ray s'occupa d'écrire son grand ouvrage sur l'His-
toire générale des plantes. Il y préluda, en 1682, par son
Methodus plantarum^ augmenté des tableaux synoptiques
qu'il avait publiés, en 1668, dans le Beat character de
Wilkins^ Les plantes y sont classées d'après leurs fruits
et leur aspect général; les arbres et arbrisseaux sont di-
visés en neuf classes, les arbustes ou sous-arbrisseaux en
six, et les herbes en quarante-sept. Plus tard l'auteur mo-
difia, dans sa Dissertatio de variis plantarum methodis^
Lond. 1696, sa classification fondée sur le fruit et en
reconnut franchement les imperfections ; mais il pense
qu'on peut faire les mêmes objections contre les classifi-
cations fondées sur la fleur. Les deux premiers volumes
du grand ouvrage de Ray, que Haller et Linné appelaient
opus immensi laboris^ parurent à Londres, le premier en
1686, et le deuxième en 1688, sous le titre de Historia
plantarum generalis^ species hactemis éditas aliasque in-
super militas noviter inventas et descriptas complectens ^
etc., in-fol. L'auteur le dédia à Hotton, et l'enrichit non-
seulement de ses propres observations , mais de celles de
Bauhin, de Morison, de Breynius, de Mentzel, pour les
plantes indigènes, ainsi que de celles de Hernandez, de
Pison, de Margraff, de Bontius, etc., pour les plantes exo-
tiques. Le troisième volume de VHistoria plantarum, au-
quel avaient directement contribué Sloane , Petiver, She-
rard, parut en 1704. On y trouve l'indication de plus de
onze mille sept cents plantes. L'appendice contient
plusieurs catalogues de plantes, fort intéressantes au point
1. Dans la nouvelle édition de 1703 du Methodus plantarum, l'auteur
rejette l'ancienne dénomination de plantes moins parfaites, appliquée
aux mousses et aux champignons. Ses caractères génériques, em-
pruntés à la forme de la feuille, à la couleur, à l'odorat, etc., de la
fleur , laissent beaucoup à désirer.
l56 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
de vue historique. Ce volume est le dernier que Ray fit
paraître de son vivant. Les infirmités (ulcères variqueux
aux jambes) dont il était atteint ne l'empêchèrent pas de
travailler jusqu'à trois mois avant sa mort, arrivée à l'âge
de soixante-seize ans. Son corps fut inhumé dans la petite
église de Black-Notley, où ses amis lui élevèrent un mo-
nument, décoré d'une inscription latine , finissant par ces
mots :
Sic bene latuit, bene vixit vir beatus
Quem prsesens tetas colit, postera mirabitur.
Ray eut de vives discussions avec Rivin et Touruefort,
au sujet de l'importance de la fleur et du fruit dans les
méthodes de classification. Il défendit contre ses adver-
saires l'ancienne division du règne végétal en arbres et
en herbes, parfaitement fondée, selon lui, sur ce que les
arbres ont des bourgeons, tandis que les herbes en sont
dépourvues. Quant aux espèces végétales que Ray a le
premier caractérisées, nous citerons plusieurs graminées,
telles que aira prœcox, festuca duriuscula, f. uniglumis^
avena pubescens, a. pratensis, galium anglicum^ seclum
anglicum, trifolium filiforme, orcliis pyramidalis, ranun-
culus parviforus, sagina erccta, equisetum palustre, spla-
chnum ovatum, conferva gelatinosa, etc.
Faisons maintenant connaissance avec les botanistes
contemporains de Ray, que l'on pourrait surnommer à
Custe titre le Pline anglais. — William How (né à Londres en
1619,mortenl656)publia le premier une flore des plantes
indigènes d'Angleterre sous le titre de Phytologia Britan-
nica, locos natales exhibens indigenarum stirpium sponte
emcrgentium ; Loud., 1650, in-12. C'est un catalogue de
2220 plantes, y compris les mousses et les champignons.
Le mot de flora, appliqué à ce genre de recueil, se trouve
dans la préface. Il n'a été pour la première fois employé
dans ce sens sur le titre d'un ouvrage que par Simon
PaulU (né à Rostock en 1603, mort à Copenhague en
1680) pour sa Flora Danica; Copenhague, 1648, in-4'*.
« TEMPS MODERNES. 15''
Cowley, clans un poème sur les plantes (publié en 1662),
montre les charmes de la déesse Flore dans le narcisse,
l'anémone, la violette, la tulipe, etc.
Jean Tradescant, originaire de Hollande, jardinier du
roi Charles I", donna, dans son Muséum Tradescantianum
(Lond., 1656, in-12), la liste des plantes par lui culti-
vées. Son fils (mort en 1662), qui hérita d'une précieuse
collection de curiosités naturelles, plus tard réunie au
musée Ashmoléen, fit un voyage en Virginie, d'où il intro-
duisit en Angleterre plusieurs plantes d'Amérique; telle
est, entre autres, l'éphémère, à trois pétales d'un beau bleu,
aui reçut de Linné le nom de tradescantla virginiaca.
La. Panbotanologie sive Enchiridion botanicum (Oxf. , 1 659)
deLovel, le Compleat Herbal de Pechey, The English Herbal
de Salmon, sont de simples listes nomenclaturales, qui
ont été utilisées par Ray pour la composition de son
grand ouvrage. Cette remarque s'applique aussi aux tra-
vaux de l'apothicaire Doody (mort à Londres en 1706),
d'Edouard Lhwyd (mort en 1709), de Thomas Lawson,
du docteur Robinson, qui tous entretenaient une corres-
pondance active avec le Pline anglais.
Parmi les contemporains de F. Ray, Plukenet et Peti-
ver méritent une mention plus détaillée.
Léonard Plukenet (né en 1642, mort en 1710), dont
l'origine et la vie sont peu connues, obtint de la reine
Anne la surintendance du jardin d'Hamptoncourt et le
titre de professeur royal de botanique, grâce aux ouvrages
qui lui avaient fait une juste renommée, et qui sont
intitulés: Phy tographia [Lonà., 1691-1696, 4 part, in-4'');
Almagestum botanicum {ibid., 1696,in-4°); AlmagesH bota-
nicl Mantissa (ibid., 1700, in-4°); et Amaltheum botanicum
{ibid., 1705, in-4°). Après la mort de l'auteur, aussi modeste
que savant, ces quatre ouvrages ont été réunis en 1720 et
1769, et augmentés, en 1779, d'un Index ^SirGiseke. Ils con-
tiennent plus de 2740 petites figures de plantes, dessinées
par différents artistes et rangées par ordre alphabétique.
158 HISTOIRE DE LA BOTANKJUE.
Parmi les plantes nouvelles ou qu'il a le premier fait bien
connaître , nous citerons : veronica tenella , utricularia
minor^ cyperus arenarius, periploca esculenta^ monotropa
uniflora^ silène virginiaca, nepeta virginiaca, tussilago
japonica^ arnica crocea, sic. Plumier a donné, en honneur
de Plukenet, le nom de plukeneiia à un genre de la
famille des euphorbiacées.
James Petiver (mort à Londres en 1718), pharmacien,
fut un des collaborateurs les plus actifs de J. Ray. Sa
collection de curiosités naturelles (Musœum Petiveria-
îiwm), contenant des fossiles et des plantes rares, fait
aujourd'hui partie du British Muséum. Dans son Gazophy-
lacium naturse et artis (Lond., 1702-1711), il a donné la
description de plusieurs plantes nouvelles, et sa Pterigra-
phia americana^ continens icônes plus quam cccc filicum
variarum specierum (Lond., 1712, in-fol.), est précieuse
pour l'histoire des fougèi^es. Plumier lui a dédié le genre
petiveria, de la famille des chénopodiacées.
Petiver et Plukenet sont, suivant Pulteney', les pre-
miers botanistes anglais qui aient donné des noms de
personnes à des genres de plantes. Mais cette coutume
est fort ancienne, comme l'avait déjà montré Jean Bauhin
dans un opuscule, devenu fort rare, intitulé : De plantis a
Divis Sanctisve nomen habentibus (1591).
Allemagne. — L'Allemagne prit une part presque
aussi active que l'Angleterre au mouvement de la bota-
nique descriptive et classificative, témoin Jung, Junger-
mann, Amman, Rivin, Breynius, P. Hermann, Gh. Knaut.
Joachim Jung (né à Lûbeck en 1587, mort à Ham-
bourg en 1657), fut pendant cinq ans professeur de ma-
thématiques à Griessen, reçut, en 1618, à Padoue, le grad
de docteur, et obtint en 1624 une place de professeur à
1. Esquisses historiques et biographiques des progrès de la botani-
que en Angleterre, t. II, p. 43.
TEMPS MODERNES. 159
l'université de Rostock. Mais il dut bientôt quitter cette
place par suite des intrigues de ses ennemis qui le
dénoncèrent aux autorités comme étant un des chefs de
la secte des Rose-flroix. Il passa les dernières années de
sa vie à Hambourg, comme directeur du gymnase. Ses
opuscules, étant devenus rares, ont été réunis, quatre-
vingt-dix ans après sa mort, par Seb. Albrecht, et pu-
bliées sous le titre de Joach. Jungii Lubecensis opuscula
botanico-physica, etc. Goburg, 1747, in-4°,
J. Jung occupe une place importante dans l'histoire de
la science, parce qu'il insista plus particulièrement sur la
nécessité de distinguer, pour les besoins d'une classifi-
cation méthodique, les caractères constants des carac-
tères variables. C'est ce qu'il a très-bien exposé dans son
Isagoge phytoscopica^ que j'ai sous les yeux. L'auteur
divise chaque plante en deux parties essentielles, l'une
inférieure, comprenant la racine (axe descendant), l'autre
supérieure (axe ascendant), comprenant la tige avec ses
branches et ses organes appendiculaires (feuille, fleur,
fruit). Le plan de séparation, limes communis^ de ces
deux parties fondamentales, douées de mouvements con-
traires, se nomme le fond^ Tnjôfxriv en grec; c'est ce qu'on
nomme depuis le nœud vital. Les feuilles, où l'auteur a
soin de distinguer la surface supérieure de la surface
inférieure, se trouvent pour la première fois divisées en
simples et en composées. « Il ne faut pas, dit-il, comme le
t'ont les ignorants ou les observateurs inattentifs, confon-
dre la feuille composée [folium compositum) avec un ra-
muscule ou scion; car elle a, comme la feuille simple^
une ace supérieure et une face inférieure, et elle tombe
de même en automne. »
Jung paraît avoir le premier employé le mot pétiole
ou pédicule pour désigner « la partie étendue en longueur
qui maintient la feuille et la fixe à la tige » : Petiolus^
sive pediculus folii, est pars in longitudinem extensa^ qux
folium suslinet et cauli connectit. On voit par ce passage
160 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE. ■
que Jung appliquait le mot folium^ à proprement parler,
au Hfttbe de la feuille; et il n'ignorait pas que les ner-
vures [nervi] de celle-ci ne sont que les ramifications du
pétiole. Il fut aussi le premier à diviser les feuilles
composées en digitées [digitata) et en pennées [pennatd],
indiquant par ce nom que les folioles sont disposées,
sur deux points opposés du pétiole ou nervure principale,
comme les barbes d'une plume (penna). Il ne lui avait
pas non plus échappé que les folioles ainsi disposées
peuvent être en nombre pair ou en nombre impair. De
là sa division, depuis universellement adoptée, des feuil-
les pennées en pari-pennées, pariter pennata^ comme
dans la fève, le pois, la vesce, et en impari-pennées,
impariter pcnnata^ comme dans le rosier, le frêne, le
sorbier, la potentille. « La feuille, ou plutôt la folia-
ture [foliatura) , est, dit-il, impari-pennée quand l'extré-
mité de la nervure principale se termine par une feuille
unique, ce qui rend le nombre des folioles impair. »
L'emploi des noms d'opposées, d'alternes et de conjuguées
(bi-juguées, tri-juguées, etc.) remonte au même phyto-
graphe. Pour ce qui concerne la structure de la fleur, nous
voyons le mot périanthe,penanî/iiwm(qui signifie littéra^
lement ce qui est autour de la fleur ^ irepl avôoç), également
pour la première fois employé par Jung. Mais il ne l'ap-
plique qu'au calice, et il ne donne le nom de fleur, flos^
qu'à la corolle, ce qui explique le choix du mot perian-
Ihium. « Le perianthium, dit-il, est ce qui enveloppe cette
partie délicate, colorée, qu'on nomme la fleur. » Les
plantes n'ayant qu'une seule enveloppe florale, comme la
jacinthe, la tulipe, rentraient, pour lui, dans la division
des plantes à fleurs nues [flores nudi).
Jung distingua également la fleur simple de la fleur
composée [flos compositus)^ qui forme le caractère de toute
une famille (famille des composées). Il emploie le mot
de capitule [capituluni] pour désigner la sommité fleurie
de la tige, et le mot de fleurons [floscuU] pour désigner
TEMPS MODERNES. 161
les parties de la ileur composée. Il appelle disf{ue radié
[discus radiatus) le capitule dont les fleurons occupent le
centre, et les demi-fleurons le bord. Il se sert aussi
des mots de stamina et de stylus^ pour désigner les éta-
mincs et le style couronné du stigmate; mais il igno-
rait le rôle que ces organes jouent dans la fécondation.
Le sexe féminin était, selon lui, représenté par l'in-
dividu (tige) qui donne les grains, et le sexe masculin par la
tige qui ne produit que des fleurs stériles. C'est assez dire
qu'il n'admettait pas l'existence de fleurs réunissant les
deux sexes (fleurs hermaphrodiLes), et qu'il ne coimais-
sait, comme les anciens, que les fleurs dioïques (palmier,
mercuriale, etc.). Jung distingua aussi le fruit delà graine,
et dans celle-ci il signala l'existence de l'embryon, qu'il
nomme le cœur de la semence [cor seminis). Enfin il fvit
le premier à fixer l'attention sur la situation variable de
l'embryon ; c'est ainsi qu'il nomme l'embryon infère ou
supèrô^ suivant que cet important organe occupe la base
ou le sommet de la graine.
Toutes ces connaissances organographiques, Jung les
présentait comme nécessaires à l'établissement des clas-
ses, des genres et des espèces, à ce qu'il appelait la
doxoscopie des plantes ou la phytoscoj)ie. Son De plantis
doxoscopia est le premier essai qui ait été fait d'un véri-
table Gênera plcmtarum.
Louis Jungermann (né à Leipzig en 1572, mort à Alt-
dorf en 1653), professeur de botanique à l'université
d'Altdorf depuis 1625, neveu de Joachim Jungermann,
qui mourut, pendant un voyage en Orient, à Gorinthe en
]591, imprima à la science une direction particulière
par l'étude des flores locales, comme l'attestent ses cata-
logues des plantes des environs d'Altdorf, de Griessen, etc.
[Catalogus plantarum quse circa Altdorfium Noricuni^
iiascimtur; Alt., 1516, va.- k° \ Cornu copia florx Giessensis^
proventu spontanearum slirpiuin cum jlora Altdorfiensl
amice et amocne conspiranlis^ etc., ibid., 1629. in-4°). Il
11
162 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
avait fondé le jardin botanique de Griessen et rédigé le
texte de l'ouvrage de Besler (mort pharmacien à Nurem-
berg en 1629), intitulé : Hortus Eystettensis ; Nuremberg,
1613, 4 vol. in-fol., contenant 356 planches, gravées sur
cuivre. La gravure sur cuivre commençait alors à rem-
placer la gravure sur bois dans les ouvrages d'histoire
naturelle.
Pour honorer la mémoire de Jungermann, Linné a
donné le nom de Jungermannia, à un genre de mousses.
Volckamer, médecin de Nuremberg (né en 1616, mort
en 1693), suivit les traces de Jungermann. ^d. Flora Norim-
bergensis ne parut qu'après sa mort (1700, in-4°). D'autres
l'imitèrent; tels sont: Rolfmck (né en 1599, mort en
1673), qui avait fondé, en 162?, le jardin botanique do
léna et publié un traité De vegetabilibiis (1672, in-4°);
Oléarius, pasteur à Halle (né en 1655, mort en 1711)^
auteur du Speciimn florœ Hallensis (1668, in-12); Rud-
heck (né en 1630, mort en 1702), dont on a un cata-
logue des plantes du jardin botanique d'Upsal (1658,
Belicix vallis Jacobx (Upsal 1l66, in-12), et Canwi
elysii lib. II (Upsal, 170., m-foL).
Paul Ammann (né à Breslau en Î634, mort à Leipzig
en 1691), qui créa le jardin botanique de Leipzig, où il
fut professeur, adopta les principes de Jung pour la ca-
ractéristique des genres, particulièrement fondée sur les
organes de la fructification. Son Character planlarum
naturalis (Leipzig, 1685, .in-12) contient la description
succincte de 1476 espèces et genres.
Paul Hermann (né à Halle en 1646, mort à Leyde en
1695), qui résida huit ans à Batavia comme médecin de
la compagnie hollandaise des Indes, suivit la méthode de
Morison dans son Catalogue du jardin botanique de
Leyde, où il occupa depuis 1679 une chaire de professeur,
Sou principal ouvrage a pour titre ; Paradisus Bâtavus.
continens plus centum plantas œre incisas et descriptloni-
bus illustratas, Leyde, 1698, in-4°. On y trouve pour la
tEMPS MODERNES. 163
premère fois décrites : le tulipier {liriodenclrontulipifera)^
le myrte de Geylan [myrtus ceyla7iica)^ zamia furfuracea,
psoraleapinnata, vicia bengalensis,sophora tomentosa, etc.
Auguste Rivin (né à Leipzig en 1652, mort en 1723),
qui occupa depuis 1691 la chaire de botanique à l'univer-
sité de sa ville natale, rejeta l'ancienne division des plan-
tes en arbres, et établit le premier un système de classi-
fication sur la forme de la corolle, et en développa les
principes dans son Introduclio generalis inrem herbariam
(Leipzig, 1690, in-fol.). Il fit, bien avant Linné, particu-
lièrement ressortir l'importance de distinguer chaque
plante par deux noms significatifs, le premier indic[uant
le genre, le second l'espèce. Son Ordo plantarum qux
sunt flore irregulari^ telrapetalo (Leipzig, 1691, in-fol.)
comprend toute la famille des légumineuses, de même
que son Ordo plantarum qux sunt flore irregulari, penta-
petalo (Leipzig, 1699, in-fol.), comprend les ombellifères,
les genres delpkinium^ viola et géranium. D'une humeur
querelleuse, Rivin eut des discussions très-vives, au sujet
de sa méthode, avec Ray, avec Dillenius et avec Schel-
bammer, professeur de léna, qui avait écrit De nova
plantarum in classes digerendi ratione (Hamb., 1695,
in-4'').
GbrisLian Knauth (né en 1654, mort à Halle en 1716),
qu'il ne faut pas confondre avec Christophe Knaut (auteur
d'une Flore des environs de Halle), modifia le système
de Rivin dans son Methodus plantarum genuina (Halle,
1705, in-4°), en accordant une égale importance à la fleur
et au fruit.
Jacques Breyn (né en 1637, mort en 1697), riche mar-
chand de Dantzig, s'était passionné pour la culture des
plantes rares, dont il donna la description dans Planta-
rum exoticarum aliarumque minus cognitarum cenluria
prima (Gedani, 1678, in-fol.). Ce volume, que nous avons
sous les yeux, est suivi d'un appendice sur le camphrier
et l'arbuste à thé, et de 101 magnifiques planches sur
164 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
cuivre. Pour la beauté de l'impression et du papier, c'est
un des chefs-d'œuvre typographiques du seizième siècle.
L'auteur y a plus tard ajouté le Prodomus primus (Dantzig,
1680, in-4°) et le Prodomus secundus (1689 in-4°). Ces
deux opuscules, augmentés de notes et de 30 planches,
furent réimprimés en 1739 par son fils Philippe Breyn, au-
teur d'un tra-ité De fungis offlcmalibus (Leyde, 1702, in-4°^.
Pays-Bas. — Les Pays-Bas, enrichis par leur com-
merce et leur industrie, que les guerres d'indépendance
semblaient avoir développés plutôt qu'affaiblis, avaient
vers cette époque les plus beaux jardins du monde. La
culture des tulipes y avait été poussée, entre autres, à
un degré extraordinaire ; les oignons de variétés rares se
vendaient à des prix fabuleux et étaient cotés à la Bourse
d'Amsterdam. Le jardin de l'université de Leyde eut
successivement pour directeur Gh. de L'Ecluse, Bon-
tius, Paaw, Vorstius, Schuyl, P. Hermann, Hotton,
Boerhaave. Ces noms montrent combien l'horticulture
était dès lors en honneur.
Le jardin botanique d'Amsterdam , où van der Steel
avait introduit des plantes du cap de Bonne-Espérance
dont il était gouverneur , fut confié à Frédéric Ruysch
pour la démonstration des plantes indigènes , et à Jean
Commelyn (né à Amsterdam en 1629, mort en 1692), pour
la culture des plantes exotiques. C'est ce dernier qui nous
a fait connaître, dans Horti medici Amstelodamensis plan-
tœ rariores exoticse (Amsterdam, 1697, in-foL), les plantes
des Indes orientales et occidentales cultivées dans le jar-
din médicinal d'Amsterdam. Ce beau volume, que nous
avons sous les yeux, contient cent douze grandes planches
sur cuivre, très-bien exécutées. Parmi les espèces qui
s'y trouvent pour la première fois décrites et dessinées ,
nous remarquons : Blattaria ceylanica^ le ricin d'Amé-
rique (Jalropha urens, L.), alcea bengalensis, oxalis spi-
nosa^ cassia occidentalis, c. chamaecrista ^ phalangium
TEMPS MODERNES. 165
j'iliiopicum [anlluricum revolutum^ W.), liliuin zeylani-
cum, calla {arum) setkiopica, arum trilobatum , vitis idxa
xthiopica [royena glabra, L.), le cerisier de la Jamaïcfue
[malpighia glabra^ L.), erythroxylum japonicum, cassia
javanica, etc. Les descriptions sont en hollandais et en
latin, avec des notes de Frédéric Ruysch et de Frédéric
Kiggelar.
Gaspard Commelyn (né à Amsterdam en 1667, mort
en 1731), neveu de Jean Commelyn, publia en 1706 une
suite (deuxième partie) à ce premier volume. On lui doit,
en partie, la publication de l'Hortus Malabaricus^ et une
flore de Malabar (Leyde, 1696, in-fol.). Linné a donné,
en mémoire de Commelyn, le nom de commelyna au
genre type des commelynacées.
Parmi les horticulteurs les plus estimés des Pays-Bas,
nous signalerons Siveerts (Emmanuel) , qui fut jardi-
nier de l'empereur Rodolphe II , et qui décrivit et dessina
dans son Florilegium (Francf., 1612, in-fol.) plusieurs h
liacées et iridées nouvelles {iris Sivertii, gladiolus iridifo-
lius^ amaryllis orientalis) ] et Henri Munting (né en 1605,
mort à Groningue), qui fonda le jardin botanique de Gro-
ningue, et donna la description des espèces rares qu'il y
cultivait {Hortus botanicus Groningx^ etc., Gron., 1646,
in-8°). Il eut pour successeur dans la chaire de botanique
son fils, Abraham Munting (né en 1626, mort en 1683),
qui a publié, entre autres, un Traité de la culture des
plantes (en hollandais) ; Amsterd., 1672, in-i'
Italie. — L'Italie compta en tête de ses botanistes
Fabio Colonna^ plus connu sous le nom latin de Fabius
Columna (né à Naples en 1567, mort en 1650). Atteint
depuis son enfance du mal caduc, il se mit à étudier les
anciens pour y découvrir quelque remède propre à gué-
rir sa maladie. Il tomba sur le Phu de Dioscoride, le prit
pour la valériane officinale, et finit, en l'employant, par se
débarrasser des accès d'épilepsie. La maladie avait fait
166 HISTOIRE DE LA BOTANIQUF. '
de lui un botaniste, et la botanique en devait faire un
peintre et un graveur. En effet, il dessina lui-même ses
plantes , et en fit la description dans un ouvrage qu'il
publia, à vingt-cinq ans, sous le titre de <I>v*-:oêâ(7avoc ,
sive plantarum aliquot anliquorum delineationibus magis
respondenlium Historia; Naples, 1692, avec trente-six
planches, qui passent à tort pour les premières qui aient
été gravées sur cuivre ; une nouvelle édition parut à Milan
en 174i, in-i", avec des annotations de Plancus, profes-
seur de Sienne. Cet ouvrage du jeune auteur, qui était
membre de l'Académie des Lyncei, est un des meilleurs
commentaires de Théopliraste, de Dioscoride et de Pline.
On a aussi de F. Golonna un traité de quelques plan-
tes moins connues, sous le titre de : "Exopatrt; prima
etsecunda minus cognitarumrariorumqiienostro cœlo orien-
tium stirpium (Rome, 1606 et 1616, in-4°, avec fig.). Par-
mi les plantes qui se trouvent pour la première fois dé-
crites dans cet ouvrage, on remarque : la croisette [va-
lantia cruciata)^ très-commune aux environs de Paris, la
cynoglossedes Apennins, la gentiane ciliée, une espèce drj
scutellaire {scuteUaria ColuninsBy L.), une nouvelle espèce
de cynoglosse [cynoglossum Columnœ^ Sprengel), sem-
pei'vwum arachnoideum, euphorbia sylvatica (commune
dans nos environs), hypericum hirsuUim^ thrmcia liirta^
hieracium aurcmtiacum, etc.
Fabio dolonna a fourni des Annotations et Additions à
l'abrégé de l'histoire naturelle de Hernandez, fait par Rec-
chi sur l'ordre de Philippe II, et publié, après la mort de
ce médecin du monarque espagnol, par le prince Gesi et
les membres de l'académie des Lyncei^ sous le titre de
Rerum medicarum Novœ Hispanise thésaurus^ Rome, 1651,
in- fol., avec de nombreuses gravures sur bois. C'est dans
ces Annotations, contenant des détails morphologiques
curieux, que Golonna proposa le premier de donner aux
folioles de la corolle le nom de pétales^ pour les distinguer
des feuilles proprement dites : Nos floris foliota^ ad dif~
TEMPS MODERNES. 167
ferfntiam foUorum^ TTsxaXa dici magis propne censuimus
(p. 853). A la fin de ce même ouvrage se trouvent les
Tiibks phytosophiques du prince de Gesi, fondateur de
l'académie des Lyncei.
Quant à l'ouvrage posthume de Recchi, que nous ana-
lysons, il contient, entre autres, une histoire détaillée
de Vhelianthus annuus (le tournesol ou fleur du soleil,
originaire du Pérou), et la description du maïs, céréale ca-
ractéristique du Nouveau-Monde*. Avant son impression
à Rome, une copie du manuscrit de Recchi était parvenue
à Mexico et il avait été traduit en espagnol par le P. Fran-
cisco Ximenez, sous le titre : De la naturalezza y virtu-
clts de los arholes^ plantas y animales de la Nueva Espana,
etc. (Mexico, 1615, in-4°).
Paul Boccone (né à Palerme en 1633, mort en 1704;
se passionna de bonne heure pour l'étude de l'histoire
naturelle, particulièrement de la botanique. Cette étude
était alimentée par le jardin médicinal que Pietro Gas-
telli, élève de Gésalpin, avait fondé en 1639 à Palerme.
Il parcourut, en herborisant, l'Italie, la France, l'Allema-
gne, l'Angleterre, fut associé, en 1696, à l'académie des
Curieux de la Nature, alors la plus célèbre société savante
de l'Allemagne, enseigna la botanique à Ferdinand II,
duc de Toscane, et devint professeur à Padoue; vers la fin
de sa vie il entra dans l'ordre de Gîteaux, et alla, sous le
nom de frère Silvio^ mourir dans un couvent des en-
virons de sa ville natale. De ses nombreux travaux nous
ne citerons ici que Icônes et Descriptiones variarum planta-
runiSiciliœ, GalliœethaUœ^etc.^Lyon^ 1674, in-4''. Cet ou-
vrage, accompagné de 52 planches, où chaque plante est ca-
ractérisée par quelques mots significatifs, fut mis au jour
sur les instances de Morison, qui en surveilla l'impression
et y joignit une préface; — iMuseo di plante rare délia
Sicilia^ Malta, Corsica, Pîemonte, Germam'a; Venise, 1697,
1. Recchi, Rer. med. Nov, Hisp., p. 228 , maïs, p, 242.
IPS HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
in-'i", avec J33 planches, contenant 319 figures. L'auleur
publia cet ouvrage à la prière de Sherard, qu'il avait connu
à Venise. Plusieurs de ces plantes avaient été empruntées
au P. Barrelier, comme Boccone l'avoue lui-même dans
plusieurs endroits de son livre ; l'accusation de plagiat,
lancée contre Boccone par Antoine de Jussieu, est donc
mal fondée. Parmi les plantes que Boccone a le premier
décrites et dessinées, on remarque : une espèce de galium
[galium Bocconi, L.), tillsea muscosa^ epilobium alpestre,
polygonuni alpinum, silène vaUesia, alyssum saxatile, une
espèce de pyrethrum (pyrethrum Bocconi, L.), centaurea
melitensis, arum arisarum, boletus tuberasler, etc.
Le jardin botanique de Bologne, dirigé longtemps par
Aldrovrande, le Gesner de l'Italie, acquit un haut degré
de splendeur sous la direction des frères Ambrosini (Bar-
thélémy et Hyacinthe), et de Zanoni, leur successeur.
Jacques Zanoni (né en 1615, mort en 1682) y introdui-
sit, avec le concours du P. Mathieu, missionnaire des
Indes orientales, beaucoup de plantes exotiques. Son 7^-
toria botanica (Bologne, 1675, in-fol.) est une simple "des-
cription de quelques plantes rares, rangées par ordre al-
phabétique, et comparées avec la synonymie des anciens;
une 2" édition parut à Bologne en 1742, par les soins de
Gaët. Monti, qui y ajouta des notes et des planches. Parmi
les plantes qui s'y trouvent pour la première fois décrites,
on remarque : Jsnardia palustris, artocarpus integrifoUa,
mimosa rubricaulis, caryotaurens, bignonia capreolata, etc.
Zanoni eut pour successeur Triomfetti, qui admettait la
génération spontanée ; il publia Observationes de ortu et
vcgctatione plantarum (Rome, 1685, in-4°). Cet ouvrage
fut augmenté d'une histoire de quelques plantes nouvel-
les, quand Triomietti passa à la direction du jardin du
collt'ge de la Sapience à Rome.
Tobie Aldini, de Gesena, dirigeait alors le jardin du
cardinal Odoard Farnèse, dont il était médecin. Il décrivit
le premier Vacacia farnesiana dans son Exaclissima De-
TEMPS MODERNES. 169
scriptio rariorum quarumdam planlarum^ipix conlinentur
BonicV in horto farnesino (Rome, 1625, in-fol. avec des
planches sur cuivre et des gravures sur bois intercalées
dans le texte. L'acacia de Farnèse y porte le nom de aca-
cia indien farnesiana (p. 2 et 7, planches I et II).
Jean-Baptiste Ferrari^ de Sienne (né en 1584, mort en
1655), s'associa aux plus célèbres artistes d'alors, tels que
Gruido Reni et Pierre Berettini pour dessiner et décrire les
plus belles fleurs des jardins de Rome dans son livre De
florum natura, Rome, 1633, in-4°. On y trouve, entre au-
tres, la première description du jasmin, de Vhœmanthus
coccineus, de Y/iibiscus viutabilis^ etc.
Le jardin de Messine, fondé en 1639, fut décrit par
Pierre Caslelli [Hortus Messanensis ; Messine, 1640, in-4°).
Le P. Fr. Cupani y introduisit beaucoup d'espèces nou-
velles qu'il avait recueillies dans ses excursions, et les dé-
crivit dans son Hortus CathoUcus ; Naples, 1696,in-4<'. Jos.
Bonsiglioli^ d'Ancône, donna la flore du mont Etna, que
Carrera a insérée dans 11 Mongibello descritto (Gatane,
1636, in-4"). Ph. Cavallini fît connaître, dans son Pugil-
lum Meliteum^ 1689, les plantes de l'île de Mafte.
Portugal et Espagne. — Le Portugal et l'Espagne ne
produisirent pas beaucoup de botanistes au dix-septième
siècle. La science commençait à y décliner, par suite de
la guerre que l'inquisition ne cessait de faire à la liberté
de la pensée. Nous n'avons à citer ici que Gabriel Gris-
Lvus^ qui publia une petite flore du Portugal sous le
titre de Vindarium lusltanicum ; Lisbonne, 1661, in-8°.
France. — En France, la botanique était dans sa pé-
riode croissante. Après la mort deRichierde Belleval, dont
les travaux ne fui-ent réunis et publiés que par Brousson-
net [Opuscules de Richier deBelleval; Paris, 1785, in-8°),
Pierre Magnol (né à Montpellier en 1638, mort en 1715)
obtint, en 1694, la chaire de botanique et la direction du
170 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
jardm médicinal, après avoir abjuré le protestantisme. Il
fit paraître : Prodromus historix generaHs plantaruw^
in qua familise per tabulas disponuntur (Montpel., 1689,
in 8°), rédigé d'après les idées de Rai etdeMorison;
Botanicon Monspeliense (Lyon, 1676, in-8°); Hortus regius
Monspeliensis (Mont^. , 1697, in-S"). Parmi les espèces nou-
velles qui s'y trouvent décrites, on remarque : Lonicera
pyrenaica^ arenaria laricifolia, saxifraga hirsuta^ xan-
thium spinosum, teucrium lucidum^ lepidium nudicavl'.
etc. P. Magnol paraît avoir l'un des premiers introduit
dans la science le nom de famille, pour désigner des
groupes naturels de plantes.
Son ouvrage le plus important, intitulé Novus Charac-
ter plantarum, ne fut publié qu'après sa mort par son
fils, Antoine Magnol. Critiquant le système de Tournefort,
l'auteur propose une classification nouvelle, fondée sur le
calice pour les principales divisions, et sur la corolle pour
les subdivisions. Il établit en fait que toute plante a un
calice.;, soit libre, soit adhérent au fruit ou confondu avec
le péricarpe. Quand il n'y a qu'une seule enveloppe flo-
rale, il lui conserve le nom de calice, à l'exclusion de ce-
lui de corolle. Linné a établi, en souvenir du botaniste
français, le genre magnolia, types des magnoliacés.
Le jardin royal du Louvre, jardin botanique de Paris,
fondé vers 1590 par Henri IV, trouva un habile et actif
directeur dans Jean Robin, qui en avait publié le premier
catalogue [Catalogus stirpium tam indlgenarum quam exo-
ticarum quse Lutetiss coluntur; Paris, 1601, in-12), et
fourni le texte pour le Jardin du roy Henri IV, par P.
Vallet, brodeur ordinaire du roy (Paris, 1608,in-fol.).
La fondation de ce jardin fut suivie de celui du Jardin
des PZrt«îe5 proprement dit, sur le plan soumis à Louis XIII
par Gui de la Brosse (mort en 1641), grand-oncle du
célèbre Fagon, premier médecin de Louis XIV. Mais ce
plan ne fut réalisé qu'en 1626, après de vives instances
auprès du cardinal de Richelieu. Ce la Brosse, premier
TKMPy MODERNES. 171
médecin de Louis XIII, fut aussi le premier intendant de
cet établissement, qui s'appelait à' ahovà Jardin royal des
plantes médicinales. Son ouvrage, intitulé De la nature,
vertu et utilité des plantes., et dessin du Jardin royal de mé-
decine (Paris, 1626, in-8° ; 2"= édit. augmentée, 1640, in-fol.,
avec 50 planches sur cuivre), est utile à consulter pour l'his-
toire de la science. Son Recueil des plantes du Jardin du
Roy., gr. in-fol., qu'il ne put achever, ne l'est pas moins.
Voici ce qu'en dit Antoine de Jussieu : « Gui de la
Brosse, dans le dessein de faire connaître la supériorité du
Jardin du Roi, se servit de la main d'Abraham Brosso
pour représenter en un volume in-folio les plantes singu-
lières qu'il y élevait, et qui manquaient aux autres jar-
dins. C'était un ouvrage d'une grande entreprise, de l'é-
chantillon duquel nous avons cinquante planches; dans
ce nombre, il y a certaines espèces qu'aucun botaniste
depuis lui ne peut se vanter d'avoir possédées. Ces cin-
quante planches, que feu M. Fagon, son neveu maternel,
sauva longtemps après des mains d'un chaudronnier au-
quel les héritiers de la Brosse, qui connaissaient peu leur
mérite, les avaient livrées, étaient les restes de près de
quatre cents autres déjà gravées ^jj — Antoine de Jussieu
et Vaillant sauvèrent ces débris, et en firent tirer seule-
ment une soixantaine d'exemplaires, c[u'ils distribuèrent
à leurs amis ou collègues.
C'est pendant C[u'il exerçait, en 1635, après la mort de
Gui de la Brosse, les fonctions de « démonstrateur des
plantes médicinales du Jardin du roi, » que Vespasien y
planta le premier acacia (robinier), introduit en Europe.
Gaspard Bauhin se félicitait d'avoir reçu de lui quatre
plantes originaires du Canada [rudbeckia laciniuta, rhvs
triphyllum, solidago mexicana et spirœa hypericifolia).
L'introduction des plantes de l'Amérique septentrionale,
mieux appropriées à notre climat que les plantes de l'A- '
1. Mém. (le l'Acad. des sciences, année 1727.
172 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
mérique méridionale, occupait alors beaucoup de méde-
cins botanistes, comme le montre l'ouvrage de Jacques-
Philippe Cornut (né à Paris en 1606, mort en 1651), in-
titulé : Canadensium Plantarum aliarumque nonclum
editarmn Historia, Paris, 1635,.in-4°. A cette époque la
France possédait le Canada. Samuel de Ghamplain y avait
fondé, en 1608, la ville de Québec, d'où le commerce ti-
rait de grands avantages. Pierre Morin, Jean et Vespa-
sien Robin cultivaient dans leurs jardins un certain
nombre de plantes qu'ils avaient fait venir du Canada et
d'autres pays lointains. C'est de ces plantes que Cornut
donne la description ; car il ne paraît pas avoir lui-même
visité le Canada. Cette description commence par les fou-
gères et finit par une espèce de légumineuse [lupinus in-
dicvs). Le texte est accompagné de soixante planches
intercalées et gravées soigneusement à l'eau-forte par
Vallot.
Parmi les plantes que Cornut fit connaître et dont
quarante étaient entièrement nouvelles, on remarque
1° le gladiolus xlhiopicus^ flore coccineo; c'est une es-
pèce de glaïeul, aujourd'hui parfaitement acclimatée et cul-
tivée dans tous les jardins sous le nom de fleur du cardi-
nal; elle venait de ileurir pour la première fois à Paris,
et peut-être en Europe, en octobre 1633, lorsque Cornut
la fit dessiner pour son ouvrage. 2° 'L'acacia americana
Robini; c'est le robinier ou faux acacia (robinia pseudo-
acacia, L.j. Cornut le confond avec l'acacia d'Egypte, dé-
crit par Dioscoride et Prosper Alpin, et qui était un vé-
ritable acacia, bien différent, par ses fleurs en glomérules
jaunes, du faux acacia, dont les fleurs blanches, papilio-
nacées, en grappes, ressemble à celles du pois, ou, comme
dit Cornut : flos albus, piso similis, in uvam compositus.
Seulement il se trompe quand il ajoute que la grappe n'est
pas pendante, comme dans le cytise, mais dressée. C'est
Cornut qui a le premier observé ce mouvement particu-
lier que les feuilles du robinier éprouvent sous l'influence
TEMPS MODERNES. ' 173
de la lumière solaire, phénomène que Linné généralisa
sous le nom de sommeil des plantes. 3" Le vitis lacintatis
foliis; c'est la vigne vierge {vitis quinquefolia., L.), devenue
depuis lors si commune pour former des haies et des ber-
ceaux. 4° 'L'apios americana; c'est l'apios tuberosa de
Linné, la même plante, à racine tuberculeuse, dont on a
récemment essayé la culture pour la substituer à celle de
la pomme de terre. L'apios d'Amérique était cultivée avec
soin (comme le montré la planche, p. 201) à Paris dans
le jardin de Robin, vers 1630, alors que la pomme de
terre était encore complètement inconnue en France. L'au-
teur remarque que les tubercules de l'apios peuvent res-
ter en terre tout l'hiver, et qu'ils ne germent qu'au prin-
temps ; il en constate aussi la saveur agréable et les pro-
priétés nutritives.
Toutes les plantes dont Gornut donne la description
dans son Histoire des plantes du Canada, ne sont pas ori-
ginaires de l'Amérique; il y en a aussi qui appartiennent
à l'Ancien Monde, telles que cyclamen orientale, apocynum
syriacum, althsea î'osea, etc. L'ouvrage se termine par VEn-
chiridion botanicum parisiense. C'est un simple catalogue de
plantes, le premier essai qui ait été fait d'une flore des en-
virons de Paris. Il est divisé par journées d'herborisation,
commençant par le village de Ghaillot, et finissant par
Montmartre, après avoir passé par le bois de Boulogne,
Neuilly, le Mont-Valérien, Saint-Gloud, la butte de Sè-
vres, Meudon, Grentilly, Ivry, Palaiseau, La Roquette,
Gharenton, Montfaucon, Aubervilliers, La Barre, Mont-
morency, Saint-Prix, Sainte-Reine. La nomenclature est
celle de Lobel, et comprend environ 450 espèces de pha-
nérogames ou le tiers de la flore des environs de
Paris.
La flore de l'Europe méridionale fut particulièrement
étudiée par Jacques Barrelier (né à Paris en 1606, mort
en 1673). Renonçant à la profession médicale qu'il avait
d'abord embrassée, Barrelier entra, en 1635, dans l'or-
174 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE
dre de Saint-Dominique, et consacra tous ses moments
de loisir à sa science favorite. Assistant, en 16!i6, le P.
Thomas Tarco, général de l'ordre, dans une tournée d'ins-
pection, il explora la Provence, le Languedoc et TEspagne,
d'où il rapporta de nombreux échantillons de plantes. De
retour de son voyage, il se mit à parcourir les Apennins,
une grande partie de l'Italie, et résida vingt-trois ans à
Rome, où il fonda le Jardin des plantes du couvent de
Saint-Xyste. Il revint en 1672 dans sa ville natale, et
s'établit au couvent de la rue Saint-Honoré. Ce fut là qu'il
entreprit de publier un grand ouvrage qui devait avoir
pour titre : Hortus mundi ou Orbis botanicus^ pour la ré-
daction duquel il entretenait une correspondance active avec
les principaux botanistes de l'Europe; il avait déjà fait
graver à Rome une partie des plantes dont il devait don-
ner la description. Cette entreprise était encouragée par
Gaston, duc d'Orléans, pour lequel il avait formé un her-
bier, particulièrement composé des plantes du Dauphiné.
Barrelier était tout occupé de son travail, lorsqu'il suc-
comba à un accès d'asthme, dont il avait contracté le
germe en Italie. Les manuscrits qu'il avait légués à la
bibliothèque des Jacobins Saint-Honoré, furent dispersés
après sa mort; ses papiers botaniques devinrent la proie
d'un incendie, et on ne sauva que les planches en cuivre
de V Hortus mundi. Antoine de Jussieu les recueillit, et en
fit le sujet d'un beau volume qui a pour titre : Plantx per
Galliam, Hispaniam et Italiam observatœ^ iconibus œneis
exhibitse a R. P. Jacobo Barreliero, Parisino; opus posthu-
mum^ etc.; Paris, 1714, in-fol. Ce volume, que nous pos-
sédons, contient 1327 figures, réparties sur 324 planches,
sans compter 3 planches de coquillages. La plupart de ces
figures sont d'un dessin fort net, mais elles laissent beau-
coup à désirer pour l'exactitude des organes de la repro-
duction. Le texte succinct qui les accompagne ne repose sur
aucun principe de classification. Parmi les plantes pour la
première fois décrites et dessinées, on remarque : une espèce
TEMPS MODERNES. 175
de sauge [salvia Barrelieri), une espèce de phlêole(pft,?mm
Boehmeri)^ une esipèce à' oxalis (oxalisBarrelieri)^ une espèce
de sisymbrium [sisymbrium Barrelieri) , artemisia arrago-
nensis, une espèce de séneçon [senecio Barrelieri]^ quelques
espèces de champignons (phallus Hadriani, clatlirus floves-
cens, boletus polyGephahts), etc. — En mémoire de Barrelier,
Plumier a établi le genre barreliera, de la famille des
acanthacées.
Joseph Pitton de Tournefort couronne l'œuvre des bo-
tanistes descripteurs et classificateurs du dix-septième
siècle. Né à Aix le 5 juin 1656, il fut, contrairement à
ses goûts, destiné par ses parents à l'état ecclésiastique.
Aussi désertait-il souvent le séminaire, où il était entré,
pour herboriser à la campagne. « Il pénétrait, raconte
Fontenelle, par adresse ou par présents dans tous les lieux
fermés où il pouvait croire qu'il y avait des plantes qui
n'étaient pas ailleurs ; si ces sortes de moyens ne réussis-
saient pas, il se résolvait plutôt à y entrer furtivement, et
un jour il pensa être accablé de pierres par des paysans qui
le prenaient pour un voleur. » Après la mort de son père,
arrivée en Î677, Tournefort put se livrer sans contrainte à
sa passion pour la botanique, encouragé d'ailleurs par son
oncle maternel, médecin habile et estimé. Il profita de sa
liberté pour explorer, en 1678, les montagnes de la Sa-
voie et du Dauphiné, en rapporta quantité de plantes sè-
ches, et commença cet herbier qui, considérablement
accru, est devenu ime des principales richesses du Mu-
séum d'histoire naturelle de Paris. Quittant la théologie,
il se rendit, l'année suivante (1679) à Montpellier pour
suivre des cours d'anatomie et de médecine, sans négliger
la flore de cette région, que Linné qualifiait de paradis
dos botanistes. En avril 1681, il partit pour Barcelone
et alla explorer les montagnes de la Catalogne, en com-
pagnie de nombreux condisciples. Les Pyrénées étaient
trop proches pour ne pas tenter un herborisateur aussi
infatigable. Son courage et sa frugalité y furent mis à de
176 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
rudes épreuves. Il fut, un jour, raconte son biographe,
enseveli sous les ruines d'une cabane où il avait passé la
nuit, et ne réussit à s'en tirer qu'au risque de sa vie. Les
miquelets espagnols le dépouillèrent plusieurs fois, et il
ne dut son salut qu'à la pauvreté de son accoutrement ; le
peu d'argent qu'il portait avec lui était caché dans l'inté-
rieur d'un morceau de pain noir qui ne tentait la cupidité
d'aucun bandit.
Le nom de Tournefort parvint à Fagon, alors mé-
decin de la reine, et, grâce à cette protection, l'intrépide
herborisateur obtint, en 1683, la place de démonstrateur
de botanique au Jardin Royal des plantes. Cet emploi
n'amortit pas son ardeur de touriste. Il retourna en Es-
pagne, voulut vérifier, en Andalousie, la fécondation des
palmiers, dont avaient parlé les anciens, et poussa son
excursion jusqu'en Portugal. Il visita aussi l'Angleterre
et la Hollande. A Leyde, il vit P. Hermann, qui voulut
l'avoir pour successeur à la chaire de botanique. Nommé
en 1692 membre de l'Académie des sciences sur la re-
commandation de l'abbé Bignon (né en 1662, mort en
1745), il ne fit paraître qu'en 1694 son premier ouvrage
intitulé : Les éléments de botanique^ ou Méthode pour con-
naître les plantes; Paris, 3 vol. in-8°. Il en donna, en
1700, une édition latine, considérablement augmentée,
sous le titre à' Institutiones rei herbariœ, 3 vol. in-4°, dont
un de texte avec 47 ô planches; il s'y trouve joint un Co-
roUarium; 1703, in-4° , avec 13 planches. Cet ouvrage
capital, sur lequel nous allons revenir, fut réimprimé
avec des additions d'Antoine de Jussieu; Lyon, 1719,
in-4° (trad. en français par Jolyclerc; Lyon, 1797, 6 vol.
in- 8°).
En 1698, Tournefort fut reçu, avec un grand appareil,
1. L'abbé Bignon, membre de l'Académie des inscriptions et belles-
lettres, fut un des plus zélés protecteurs de Tournefort, qui lui mar-
qua sa reconnaissance en donnant le nom de bignonia à un genre de
plantes d'Amérique.
TEMPS MODERNES. 177
docfeur en médecine de la faculté de Pans, sous la pré-
sidence de Fagon, à qui il avait dédié sa thèse. Dans la
même année il publia son Histoire des plantes qui nais-
sent aux environs de Paris, avec leurs usages dans la mé-
decine (Paris, 1698, in-12; nouvelle édit., 1725, 2 vol.
in- 12, revue et augmentée par Bernard de Jussieu). Cet
ouvrage, oii ont puisé d'utiles renseignements tous les au-
teurs de flores parisiennes, est divisé en six herborisations,
déterminant les stations d'un grand nombre de jdantes.
Sur la proposition du comte de Pontchartrain, Tourne-
fort reçut de Louis XIV l'ordre d'aller en Orient pour y
faire des observations sur toute l'histoire naturelle, ainsi
que sur les mœurs, la religion et le commerce des peu-
ples de ces régions. Après avoir été présenté au roi, il
partit de Paris le 9 mars 1700, accompagné de l'habile
dessinateur Aubriet et de Gundelsheimer, jeune méde-
cin allemand. Il visita la Crète, les îles de l'Archipel,
Gonstantinople, les côtes méridionales de la mer Noire,
l'Arménie, la Géorgie, le mont Ararat, et revint par l'A-
sie Mineure en passant à Smyrne. La peste qui sévissait à
Alexandrie, l'empêcha d'explorer l'Egypte et la Syrie. Il
était de retour à Marseille le 3 juin 1702. Il fut facile devoir
avec quelle intelligence il avait rempli sa mission. Treize
cent cinquante-six plantes , la plupart nouvelles et fort
bien décrites, vinrent prendre place dans le catalogue des
richesses végétales alors connues. Peu après son retour, il
fut nommé piofesseur de médecine aii Collège de France.
Il était dans toute la force de l'âge lorsqu'il vint à mou-
rir, à cinquante-deux ans, par suite d'un accident malheu-
reux. En passant par la rue de Copeau, près du Jardin
des Plantes, il avait été atteint en pleine poitrine par le
timon d'un charrette. Il languit pendant un mois, et pro-
fita de ce court répit pour mettre en ordre ses papiers,
notamment ceux qui devaient terminer la Relation de son
voyage. Cet ouvrage parut neuf ans après la mort de l'au-
teur [Relation d'un voyage du Levant, etc.; Paris, Imp.
12
178 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
roy. ,1717,2 vol. in-4° ; Lyon, 1717,3 vol. in-8° ; Amsterd. ,
1718, 2 vol. in-4°). Parmi les plantes qui s'y trouvent
pour la première fois décrites, on remarque : une espèce
de celtis [celtis Tourne for lii), une espèce d'origan [origa-
num Tournefortii)^ la bourrache orientale, l'echium orien-
tal, la férule orientale, le daphné du Pont, le verbascum
pinnatifide, la saxifrage cymbalaire, hypericum orientale,
papaver orientale^ etc.
Dans les mémoires qu'il avait communiqués à l'Acadé-
mie des sciences de 1692 à 1707, Tournefort a déterminé
les caractères de plusieurs genres de plantes, tels que
hydrocharis , menispermum , polygala, mesembryanthe-
nmm, camphorosma, myrica, orobanche^ clitoria^ valan-
tia, lavatera; il a décrit plusieurs espèces de champi-
gnons, indiqué leur culture et traité de la fonction des
vaisseaux dans certaines plantes.
Robert Brown a consacré à la mémoire de Tournefort
le genre tourneforlia^ de la famille des borraginées.
Système de Tournefort.
La classification qui porte le nom de Tournefort a ré-
gné dans la science pendant près d'un siècle. A l'exemple
des anciens, l'auteur commence par distribuer tout le
règne végétal en herbes et en arbres. Considérant ensuite
la fleur, il en isole la corolle, pour diviser toutes les
plantes (herbes et arbres) en celles qui ont des pétales
{pétalées) et celles qui n'en ont point [apétales). Les péta-
lées, simples ou composées, sont subdivisées en mono-
pétales^ de forme régulière ou de forme irrégulière, et en
dolypétaleSy également de forme régulière ou irrégulière.
TEMPS MODERNES. 179
Il est ainsi parvenu à créer vingt-deux classes, aont voici
le tableau :
il il.Campaniforme.i.
\régulières . Jll. Infundioulifor-
monopétales/ (,^ | mes.
j. , ,.- III. Personnées.
IV. Cruciformei.
i ou Vvi. Hosacées.
) /régulières J^^^' Ombelliféreu .
f 1 ° ' jVIII. Caryophyl •
ou f . / ou / ^^^*-
\polypétales.\ °" fiX. Liliacées.
irrégulières. l^- Papitionacécs.
\ ° IXI. Anomales.
(XII. Flosculeuses.
composées ^"'- Demi-lloscu-
"^ • ) leuses.
1 (XIV. Radiées.
f (XV. il élamines.
,„ I apétales ^^^i; ^«"^ ^'T'"
'U \ '^ IXVII. Sans fleurs
\ ni fruits.
(XVIII. Apétales
^[Arbres, apétales S?""'
à ( ^jj (xiX. .4merîtocees.
'fleurs.' (monopétales XX. Monopétales.
'pétalées ! °^ t régulières.. i XXI. Rosacées.
"' jpolypétales.] ou JXXII, Papiliona-
[ (irrégulières. ( cées.
C'est avec raison qu'on a reproché à l'auteur de ce
système d'avoir exagéré la valeur taxonomique de la co-
rolle ^ Considérée dans ses modifications principales, la
corolle ne peut, en effet, fournir qu'un petit nombre de
classes, tandis qu'elle peut en donner un nombre indéfini,
si on la considère dans ses modifications accessoires. C'est
ce que Tournefort a senti lui-même, en créant sa onzième
classe, les anomales.^ pour y faire entrer les corolles qui
s'éloignaient des formes les plus tranchées. Les affinités
naturelles devaient également souffrir de la séparation des
plantes herbacées d'avec les plantes ligneuses. Malgré
ces défauts, il faut reconnaître l'excellence de l'établisse-
1. Ce reproche lui avait été déjà directement adressé par Ray,
comme le montre la lettre de Tournefort à Sherard {De optima me-
thodo instituendain re herbaria; Paris, 1697, in-8°)
180 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
ment primordial des Labiées, des Crucifères, des Lilia-
cées, des Ombellifères, des Papilionacées, conservé jus-
qu'à nos jours sous le nom de familles naturelles.
Les classes sont subdivisées en espèces et en genres, la
plupart très-bien caractérisés. Plus de 130 genres, établis
par Tournefort, ont été conservés par les botanistes, si
avides de changement. Dans ses descriptions il distingue
nettement les espèces des variétés, en montrant l'incon-
stance de certains caractères. En voyant avec quelle
exactitude les planches (gravées sur les dessins d'Aubriet),
qui accompagnent ses Eléments de botanique, où se trouve
exposée sa méthode de classification, reproduisent les
parties les plus mystérieuses de la fleur et du fruit, on
s'étonne que Tournefort ne soit pas Barvenu à saisir le
phénomène de la fécondation.
Botanistes anatomistes et physiologistes
L'invention du microscope poussa les esprits vers
l'étude des organes et des mouvements de la vie, tant
animale que végétale, pendant que la fondation des socié-
tés savantes, telles que l'Académie des Lyncei en Italie,
la Société des Curieux de la Nature en Allemagne, l'Aca-
démie des sciences à Paris, la Société royale de Lon-
dres, faisait d§ plus en plus généraliser la méthode ex-
périmentale. Mais déjà avant l'emploi du microscope on
rencontre les indices d'une importante éclosion d'idées
et de faits nouveaux.
Ainsi, un médecin de Venise, Joseph Aromatari (né
vers 1586, mort en 1660), dans une lettre De generatione
pkmtarum ex seminibus, adressée à Barthélémy Nanti,
signala l'embryon de la graine comme le végétal en rai-
TEMPS MODERNES. 181
mature, et regarda la matière (amidon, huile, etc.) qui
entoure l'embryon comme l'analogue de l'albumine
de l'œuf ^ Les principes établis dans cette lettre, qui
annonce en même temps un ouvrage, resté inachevé, sur
la génération, furent adoptés par Harvey, qui les déve-
loppa.
Thomas Brown^ dans ses Enquirks inlo the vu'igar
errors (Lond., 1650, in-fol. ), fit le premier ressortir la
fréquence du nombre cinq dans les graines et les divi-
sions des enveloppes florales. Le chevalier Digby, May or ^
R. Boyle signalèrent l'intervention de l'air nitro-aérien
(oxygène) dans les phénomènes de la germination, de la
végétation et de la respiration. Christophe Merret pu-
blia dans le premier volume des Mémoires de la Société
royale de Londres, dont il fut un des premiers membres,
diverses expériences sur l'absorption de l'humidité de
l'air par les végétaux.
A l'aide du microscope, Nath. Henshatu découvrit, sui-
vant Birch {Hist. soc. migl., I, 37), les vaisseaux respira-
toires (trachées) dans le noyer; R. Hooke examina la couche
subéreuse de l'écorce, les sporules des mousses, et les
vaisseaux laticifères, qu'il croyait faussement, comme les
veines des animaux, garnis de valvules à l'intérieur. Le
roi Charles II ayant chargé la Société royale de Londres
de lui expliquer les mouvements de la sensitive, l'opi-
nion fut partagée : les uns en trouvaient la cause dans un
effluve subtil, les autres, et de ce nombre étaient Hooke
et Verduc, dans la structure fibrillaire de la plante.
Adrien Spicgel (né en 1578 à Bruxelles, mort en 1625,
professeur à Padoue) traita dans son Isagoges in rr.m hcv
bariam libri II (Padoue, 1606, in-4'', Leyde (Elzevi)'
1. Cette lettre, très-rare^ parut pour la première fois clans une dis-
sertation d'Aromatari sur la rage (Diss. de rabie; Venise, 1625, in-4').
Elle a été réimprimée à la suite des Opuscules botanico -physique.-; le
Jung (Cubourg, 1747, in-4°).
182 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
1633, in-32) des différentes parties des plantes, sans en-
tier dans l'examen de leur structure intime.
Cet aperçu organographique est suivi de la description
d'un certain nombre d'espèces végétales à la distribution
desquelles n'a présidé aucun principe général de classifi-
cation. Ainsi l'auteur commence par l'orcliis [satyriam) ;
de là il passe au trèfle {trifolium)^ genre dans lequel il
range le citise, le mélilot, beaucoup d'autres plantes dont
les feuilles se composent de trois folioles. Il réunit dans
un même groupe la chicorée, la laitue, la chondrille et
l'épervière [liieracium). Il place les choux [brassica] à côté
des joncs et des prêles [equisetum). Sous le nom de li-
num, il comprend à la fois le lin, la linaire et l'euphorbe;
sous celui d'ortie [urtica], il comprend des espèces très-
différentes, telles que les orties proprement dites, plu-
sieurs labiées (les lamium et le calament) et le galeopsis.
Après les verbascum (moUène, bouillon blanc) viennent
les graminées: les unes (les graminées fourragères), sous
le nom général de gramen; les autres, telles que les cé-
réales, sous celui de frumentum^ milium^ panicum. Les
euphorbes sont comprises sous la dénomination générale
de tithymalus. Par le nom de violx sont désignées non-
seulement les violettes, mais plusieurs liliacées et di-
verses campanules. En parlant des œillets, l'auteur ex-
plique l'origine de leur nom de caryophyllam, appliqué
depuis à toute une famille de plantes (caryophyllées).« Ce
nom vient, dit-il, de ce que l'œillet ressemble, par son
calice couronné, par sa corolle épanouie, à l'épice qui,
sous le nom de clou de girofle {caryophylli fructus), nous
vient de l'Inde. Le chapitre qui traite du narcisse est imc
histoire complète du narcissus des anciens. Il en est de
même du chapitre de l'anémone, de la jacinthe, du pavot,
du concombre {cucumis). Cette intéressante description
de nos plantes communes se termine par le chapitre qui
traite du pois, de la fève, du lupin; de l'orobe, de la len-
tille, et d'autres plantes désignées sous la dénomination
I
TEMPS MODERNES. 153
générale de legumlna, d'où le nom de Légumineuses ap-
pliqué à toute la famille.
Dans ce même livre, qui est une véritable introduction
à la botanique, Spiegel a donné, l'un des premiers, des
indications pratiques à l'usage des herborisants. Pour fa-
ciliter la connaissance des plantes, il insiste avec raison
sur la nécessité de choisir dans chaque genre une espèce
type, qu'il nomme species média ^ comme expression d'une
moyenne. Il fournit aussi des préceptes utiles sur la ma-
nière de dessécher les plantes et de préparer des her-
biers, qu'il appelle hortihyemales^ jardins d'hiver, comme
étant propres à remplacer, pour l'étude, les plantes qui
fleurissent pendant la belle saison. Il décrit aussi un pro-
cédé très-commode pour les personnes qui ne savent pas
dessiner. Ce procédé consiste à enduire d'encre d'impri-
merie une planchette lisse, d'y appliquer la plante, verte
ou desséchée, et à porter la plante, ainsi imbibée d'en-
cre, sur le papier qui doit en recevoir l'image. La pression
exercée avec la main ou avec une étoffe achève le calque.
— L'auteur recommande aussi de faire des expériences
répétées sur l'action des végétaux, employés soit comme
aliments, soit comme médicaments. Il raconte, à ce sujet,
l'histoire d'un cultivateur qui s'était empoisonné en mêlant
à une salade de laitue des fleurs d'une espèce de thlaspi,
et il montre comment les mêmes plantes n'agissent pas
de la même façon sur des personnes diflérentes. — L'ou-
vrage se termine par le catalogue des plantes qui étaient,
en 1633, cultivées dans le jardin académique de Leyde.
Parmi ces plantes, au nombre d'environ onze cents, il y
a plusieurs espèces d'Amérique, particulièrement du Pé-
rou, du Mexique, de la Virginie, alors récemment intro-
duites en Europe.
Grew et Malpighi sont les véritables fondateurs de
l'anatomie et de la physiologie des plantes. Un mot sur
la vie et les travaux de ces deux grands observateurs
Néhémie Grtw (né veis 1628 à Goventry, mort à Lon-
184 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
cires en 1711), élevé dans le presbytérianisme, pour-
suivit, depuis la restauration de Charles II, ses études
à l'étranger. Reçu docteur en médecine, il vint s'établir
dans sa ville natale. C'est là qu'il commença, vers 1664,
ses recherches sur l'anatomie et la physiologie dès plan-
tes. Il y avait été encouragé par le docteur Sampson,
lui montrant un passage du traité de Glisson, De Eepate,
où l'auteur indique la phytotomie (anatomie végétale""
comme un sujet encore inexploré et propre à éclaircir le
traitement des maladies. En 1662, Grew vint se fixer à
Londres, et devint, peu de temps après, membre de la
Société royale, à laquelle il avait communiqué, dès 1670,
son premier essai sur l'anatomie des plantes, sous le titre
de Idea on philosophical History of Plants (imprimé en
1673, in-12, aux frais de la Société royale de Londres).
D'autres essais, publiés depuis, furent par la suite réunis
en un volume in-folio; ils forment le célèbre ouvrage de
Grcw, The Anatomy o/P/miïs; Londres, 1682, avec 83 plan-
ches. La traduction française en fut faite sous les yeux
de l'auteur, qui en fît lui-même les corrections et les ad-
ditions ; elle parut par les soins de Le Vasseur, Paris.
1679, in-12.
Suivant l'ordre d'évolution du végétal , Grew com-
mence par l'étude de l'embryon et finit par celle du fruit.
Pour ne pas se perdre dans des généralités abstraites, il
prend, pour la désigner, une graine à la portée de tous,
la grosse fève des marais. Dans la pellicule extérieure, fa-
cile à séparer quand la fève n'est pas desséchée, il signale
d'abord une ouverture située à l'une des extrémités de la
graine et correspondant à ce que Grew appelle la radicule
(mot depuis universellement adopté) de l'embryon : c'est
l'indice de la base de la graine. Cette ouverture (qui a
été plus tard appelée micropyle par Tui'pin) varie beau-
coup de grandeur.
« Il y a des graines où, fait observer Grew, elle est si
petite qu'il est très-difficile de l'apercevoir sans l'aide du
I
TEMPS MODERNES. 185
microscope, et dans quelques-unes il faut, pour la découvrir,
couper une partie de la graine même, qui autrement en
empêcherait la vue. 3) Le choix que l'auteur
avait fait de la fève des marais, était très-heu-
reux. Non-seulement toutes les parties inté-
rieures qu'il voulait étudier, s'y trouvent gros
sies, mais il lui était facile de montrer que la
peau ou pellicule, appelée plus tard épisperme,
(fui recouvre la graine se compose manifeste-
ment de deux membranes : l'une extérieure,
dure, qui reçut de Gœrtner le nom -de testa; ^
l'autre intérieure, plus mince, qu'on appelle aujourd'hui
tcgmen ou endoplèvre.
Grew ne donna pas de nom particulier à ce qu'on ap-
pelle le hile ou ombilic [h de la fig. 1), « endroit où se
rompt le pédicule auquel la gi'aine est attachée.» Mais il
eut soin de faire remarquer que l'ouverture signalée, le
micropyle [m de la fig. 1) peut se trouver dans des points
différents, plus ou moins éloignés du hile, mais toujours
correspondant à la radicule. Il distingua nettement l'em-
bryon proprement dit du corps de la graine, corps amy-
lacé, huileux, qu'on est depuis convenu d'appeler ïa-
mande. Il indiqua, outre la radicule , ce qu'il nomme la
plume (plumule), partie qui fait suite à la radicule et
forme, par son développement, la tige de la plante; «elle
se divise, dit-il, au sommet en plusieurs branches, de sorte
qu'elle ressemble à un petit bouquet de plumes, et c'est
pour cela que je lui donne, dit l'auteur, le nom de plume. »
On voit que Grew réunissait sous un même nom la ti-
gelle et la gemmule, parties qui furent distinguées par la
suite.
Le même auteur a fait aussi le premier connaître la
véritable nature des fleurs composées, dont les centres
jaunes ou cœurs- fleuris^ comme on les appelait alors,
étaient pris pour des étamines. « Les cœurs-fleuris,
comme ceux des soucis, des fleurs de tanaisie, sontordinai-
186 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
rement, ait-il, appelés étamînes, parce qu'on les voit com-
posés de filets simples, quasi stamina; mais les observa-
tions que j'ai faites m'ont persuadé qu'ils ne sont pas bien
nommés, car quelque différentes que soient les véritables
étamines de diverses fleurs, les prétendues étamines des
cœurs-fleuris (capitules) qui ce paraissent être que de
simples filets, sont chacune composées de deux ou de plu-
sieurs parties différentes et qui ont toutes des figures de
petites fleurs : c'est pour cela que je les appelle fleurons.^:'
Il fallut attendre jusqu'au dix-septième siècle de notre
ère pour apprendre à distinguer ce qui aurait du sauter
aux yeux de tous les passants depuis l'apparition de
l'homme sur le globe terrestre. Preuve nouvelle que l'œil
du corps est fort peu de chose sans le concours de l'œil,
si lentement développé, de l'esprit.
Marcel Malpighi avait pris l'anatomie microscopique
pour objet de presque tous ses travaux. Né en 1628
à Grevalcuore dans le Bolonais, il perdit de bonne
heure ses pai^ents et fut longtemps indécis sur le choix
d'une carrière. D'après le conseil de son professeur de phi-
losophie, Fr. Natalis, il se mit à étudier la médecine à
Bologne. Ce fut là que se développa son goi^it pour l'ana-
tomie, sous la direction des professeurs Massari etMariano.
Reçu docteur en 1653, il passa, comme professeur, do
l'université de Bologne à celle de Pise, où il se lia d'a-
mitié avec Borelli ; mais l'air vif de Pise ayant été con-
traire à sa santé, il revint bientôt à Bologne reprendre
son ancien poste. C'est là qu'il publia son premier ou-
vrage sur la structure des poumons [De pulmonibus obser-
vationes anatomicse; Bologne, 1661, in-fol.). En 1662, il
accepta une place de professeur à Messine, et en 1691
on le voit à Rome occuper le poste de j)remier médecin
d'Innocent XII. Il y mourut trois ans après, à l'âge de
soixante-sept ans. Pour honorer la mémoire de Malpighi,
Linné a établi le genre malpighia comme type de la fa-
mille des malpighiacées.
TEMPS MODERNES. 187
En 1675, Malpighi avait dédié à la Société royale de
Londres, dont il était membre depuis 1669, un travai
important, sur l'anatomie microscopique des plantes :
Anatome plantarum^ Londres, 1675, in-fol., ouvrage con-
tenant 54 planches sur cuivre, et suivi, en guise d'ap-
pendice, de l'anatomie du poussin [De ovo incubato)^ le
tout magnifiqLiement imprimé aux frais et par ordre de
îa Société royale. L'auteur commence ses recherches par
le tissu cellulaire qui entre dans la constitution de tous
les végétaux, et en forme quelquefois des parties entières.
En l'examinant au microscope, il montre ce tissu com-
posé de vésicules de forme variable, auxquels il donna
le premier le nom d'utricules (utricitli). C'est pourquoi
on appelle aussi le tissu cellulaire tisiu utriculaire.
Gomme démonstration, il choisit d'abord
l'épiderme du maïs, et en fit le dessin
que voici (fig. 2).
Puis, il observa le même tissu sur l'é-
piderme du poirier, de la chicorée, de
l'ache, du chanvre, du saule, du peu-
plier, etc. Il fit voir que les utricules que
ce tissu présente sont soudées entre elles
par une substance intercellulaire, qui a
depuis reçu le nom de cysloblastème.
Cette structure, signalée pour la première
fois par Malpighi, a été parfaitement
mise en lumière par des observateurs
plus récents, notamment par Sprengel,
Linck, Dutrochet, etc. Pour séparer la
matière soudante des utricules soudées, il suffit de faire
bouillir le tissu cellulaire pendant quelques minutes dans
de l'eau. La moelle des plantes n'est formée que de tissu
utriculaire. !
Malpighi comprenait sous le nom de réseau fibreux, relei
fibrosum, tout à la fois le tissu utriculaire et le tissu fibreux
proprement dit, qui n'est en effet qu'une modification
188 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
du premier. Cependant dans ses dessins, particulièrement
dans celui qui représente (tab. IV, fig. 19 de VAnatomc
•plantarum) une portion de la surface d'une tige de ronce
décortiquée, il indique (voyez fig. 3) les cellules allongées
et obliques à leurs extrémités, qu'on donne comme ca-
ractéristiques pour distinguer le tissu utriculaire du tissu
fibreux.
Il fut aussi le premier à signaler l'analogie de struc-
ture et de fonction de certains vaisseaux de plantes avec
les vésicules pulmonaires {vesiculi pulmoiians) des in-
sectes, et il leur donna le nom de trachées; mais il les
représenta assez mal, comme le montre la figure ci-
dessous (fig. 4), empruntée à son ouvrage.
Malpighi admettait l'élasticité des lames spirales qui
composent les trachées, et môme la possibilité de se di-
later et de se contracter alternativement pendant la res-
piration. Il en montra la présence dans l'écorce aussi bien
que dans les fleurs. Quant aux différentes espèces de vais-
seaux que le microscope a fait découvrir dans les plan-
tes, il règne encore beaucoup d'obscurité dans les des-
criptions et dessins du célèbre phytotomiste.
TEMPS MODERNES. 189
Les recherches de Malpighi sur la germination sont
classiques. Les termes qu'il emploie, presque tous
adoptés depuis, montrent l'analogie qui existe entre l'em-
hryon qui se développe dans la graine, et l'embryon qui
se développe dans la matrice. Les mots d' ombilic, de
cordon ombilical, de seconcline, àe péricarpe, etc., sont de
sa création, La fleur, par laquelle il entendait le calice
et la corolle, ne fait que protéger, suivant lui, l'em-
bryon naissant. Uétamine, qu'il représente comme étant
composée du filet {petiolus) terminé par l'anthère, sorte
de capsule (capsula), ne devait servir qu'à l'élaboration
et à la dépuration des humeurs du végétal. Les dessins
qu'il donne des grains du pollen, contenus dans les
loges [loculi] de l'anthère, ne sont pas d'une parfaite
exactitude microscopique. Le style, à sommet plus ou
moins élargi, n'était également pour lui qu'un organe ac-
cessoire de l'ovaire.
Grew et Malpighi, bien que personne n'ait poussé
aussi loin qu'eux l'anatomie et la physiologie végétale,
n'avaient pas encore des idées bien nettes sur le sexe des
plantes. Cependant on ne manquait pas d'indices sur
l'existence de ces organes. Ainsi, en 1604, Adam Zalu-
zanius traita du sexe des plantes dans Methodiis herbaria
(Francf., in-4°). 11 affirme que la plupart des plantes sont
hermaphrodites ou androgynes (les deux sexes réunis dans
une même fleur), et que quelques-unes seulement ont les
deux sexes séparés.
Jacques Robert, directeur du jardin d'Oxford, avait
fait, en 1681, d'accord avec Grrew, des expériences sur
le compagnon blanc [lychnis dioïca, L.), plante très-
commune dans nos climats. Il en était résulté ce
fait , que les ovules des fleurs de la tige fructifère
avortent ou demeurent stériles, s'ils ne se trouvent pas
en contact avec les anthères ou sachets polliniques
des fleurs de la tige staminifère. Sherard, Blair, Ray
urent connaissance de ce fait important; et dès 1686
190 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
on voit Ray s'étendre sur la fonction fécondante des an-
thères*.
Rodolphe-Jacques Camemms (néàTubingue en 1665,
mort en 1721), de la même famille que Joachim Game-
rarius , dont nous avons parlé plus haut, alla plus loin
dans cette voie. Dans une lettre adressée en 1694 à Va-
lentin^, il fit voir que les graines sont impropres à la
reproduction lorsqu'elles viennent de fleurs qui ont été
dépouillées de leurs étamines. Il avait fait des expérien-
ces sur le chanvre, dont les graines ne germaient point
quand il n'y avait pas de tiges à fleurs staminifères.
Après Grrew et Malpighi, Leeuwenhoek (né en 1632,
mort en 1723) examina soigneusement au microscope le
tissu cellulaire et les différentes transformations de ce
tissu. Il nia les différences sexuelles des plantes, aperçut
les conduits intercellulaires, trouva des trachées dans le
tronc même des arbres et signala le premier les vaisseaux
ponctués, rayés, etc., que les phytotomistes de notre épo-
que ont fait particulièrement connaître.
La physiologie végétale eut pour promoteurs Claude
Perrault, Dodart, Mariotte, etc.
Claude Perrault (né en 1613, mort en 1688), aussi
bon anatomiste qu'architecte, comprit, l'un des premiers,
la nécessité d'admettre une circulation de la sève dans les
plantes. La racine remplissait, suivant lui, les fonctions
du cœur, aspirant les sucs de la terre [sève ascendante)
pour les faire en partie évaporer par les feuilles qu'il sup-
posait aider la maturation des fruits. Mais la plus grande
partie des sucs absorbés par les racines devait redescen-
dre [sève descendante) en passant entre l'écorce et le bois.
Pour le démontrer, il fit, expérience souvent répétée de-
puis, une forte ligature autour d'un arbre,' et constata,
1. Eist. plant., t. I, p. 17.
2. De sexuplantarum Epistola; Tubing., 1694, in-4°, inséré dans les
Miscellan, nat. Cur., decad. III; réimprimé en 1749.
TEMPS MODERNES. 191
au bout de quelque temps, une intumescence marquée de
l'écorce au-dessus de l'étranglement artificiel*,
Denis Dodart (né en 1634, mort en 1707), auteur d'un
grand nomJire de notices scientifiques, notamment de la
Préface des mémoires pour servir à l'histoire des plantes^
publiés en 1660 par l'Académie des sciences, essaya de
résoudre des questions d'un vif intérêt.
Pourquoi la tige, demandait-il, tend-elle toujours à
s'élever? Pour répondre à cette question, il fit interve-
nir l'action des rayons solaires, agissant sur les fibres
et les sucs de la tige autrement que sur ceux de la ra-
cine^. Le premier il considéra le végétal comme un être
collectif, composé d'une multitude de germes ou de bour-
geons, dont chacun est capable de produire un individu.
Il calcula ainsi qu'un ormeau de taille moyenne peut
produire au moins 1584 millions de germes.
Édme Mariotte (mort en 1684) publia, en 1679, sous
forme d'une lettre adressée à Lantin, conseiller au parle-
ment de Bourgogne, un Essay de la végétation des plantes.
Il y traite particulièrement de la composition des plantes
d'après les idées chimiques d'alors. Mais on y rencontre
aussi quelques considérations de physiologie végétale fort
intéressantes. Ainsi, par exemple, il explique l'ascension
de la sève par la loi de la capillarité; « car partout, dit-il,
où il y a des tuyaux très-étroits qui touchent l'eau, celle-
ci y entre et même elle y monte contre sa pente naturelle. »
Il observa aussi le premier que le suc coloré des plantes
circule dans des vaisseaux différents de ceux qui contien-
nent la sève ou suc incolore. Les poils dont certaines
plantes sont couvertes, il les considérait comme destinés
à sucer la rosée et la pluie, parce que les herbes aqua-
tiques en sont dépourvues. Pour savoir comment se fait
la maturation des fruits et des graines, Mariotte n'hésite
1. Essais de physique, 4 vol. in-12 (Paris, 1680-1688).
2. Mém. de l'Acad. des sciences, année 1700, p. 78.
192 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
pas à reconnaître « c[u'il faut remarquer et considérer
beaucoup de choses. » Aussi sa théorie laisse-t-elle beau-
coup à désirer.
Paul Reneaulme, médecin de Blois, émit, au commen-
cement du dix-septième siècle, l'idée que la fonction des
feuilles consiste à absorber l'humidité et l'air pour éla-
borer la séve^
Daniel Coxe communiqua à la Société royale de Lon-
dres des observations sur l'ascension de la sève entre l'é-
corce et le bois.
Dedii^ médecin de Montpellier, traita, dans son livre
De Vâme des plantes (Leyde, 1685, in- 12), une question
déjà soulevée par les anciens et reprise de nos jours. Il
croyait à la génération spontanée, comme Boccone et
Triumfetti, auteur des Obscrvaliones de ortu el vegeta-
tiom plantarum; Rome, 1685,in-4°.
Botanistes voyageurs.
Le Mexique, le Pérou, le Brésil sont les premières ré-
gions qui, peu de temps après la découverte du Nouveau-
Monde, aient été explorées par des naturalistes, témoins
Hernandez, Pison, Margraff, etc., dont nous avons parlé
plus haut. Ce fut bientôt le tour de l'Amérique septen-
trionale, où quelques Anglais, sous la conduite de William
Penn, fondèrent, en 1682, sur les bords de la Delaware,
la ville de Philadelphie.
1. Ce même médecin avait imaginé de donner des noms grecs aux
plantes décrites dans son Spécimen hintori ,r -plantarum ; Paris, 1611,
in-4". Ainsi, il appelle le lilas xaAoêÔTpuxtç (belle-grappe), la gentiane
asclépias, oauvaxecpav/) (plante à couronne velue).
TEMPS MODERNES. 193
Jean Banister (mort vers 1689) s'était fixé au sud de
la Delaware, dans une contrée d'un climat doux, où
avaient été ci'éés les premiers établissements européens,
en 1584, sous le règne d'Elisabeth, contrée littorale qui
reçut, en l'honneur de cette reine célibataire, le nom de
Virginie. Il y passa son temps à collectionner les plantes et
les insectes les plus curieux, à les décrire et à en dessiner
une grande partie. Il envoya, en 1680, un catalogue des
plantes de la Virginie à J. Ray, qui le publia dans le t. II,
p. 1928, de son ouvrage. Un jour, gravissant un rocher
escarpé pour y aller chercher une plante, le pied lui glissa,
et il tomba dans un précipice où il se fracassa la tête. L'her-
bier de Banister tomba dans les mains de Sloane. Pour
honorer la mémoire de ce martyr de la science, Houstoii
établit le genre banistera.
Hans Sloane (né en 1660 en Irlande, mort en 1753 à
Ghelsea) accompagna en 1687, comme médecin, le duc
d'Albemarle, qui venait d'être nommé gouverneur de la
Jamaïque. Il profita du séjour d'un an dans cette île pour
en étudier la flore, et en rapporter en Angleterre quatre-
vingts espèces. Il publia le résultat de son travail sous le
titre de : Catalogus plantorum qux in insula Jamaica
sponte proveniunt vel vulgo coluntur; Lond., 1696, in-B».
Il avait aussi exploré l'île de Madère, les Barbades,
etc., comme le montre son ouvrage, devenu très-rare, in-
titulé : Voyage ta the islands Madera, Barbadoes, Chrlsto-
pher, etc., Lond., 1707-1725, 2 vol. in-fol., avec 274 plan-
ches. Parmi les plantes pour la première fois décrites par
Sloane, et cpii, en 1688, passaient encore pour nouvelles,
on remarque : Justicia nilida et /. coniata, ipomœa viola-
cea et i. parviflora, jacquinia armillaris, sophora occiden-
talis, melastoma argenteum^ clethra tinifoUa^ rubus jamai-
ceîisis^ ériger on jamaicense., aristolochia odoratissima, bé-
gonia acutifolia, juniperus virginiana, pteris heterophylla,
etc. — Sloane fit un des premiers connaître les fougères
arborescentes des régions tropicales. Collaborateur de J.
13
194 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Ray, il fut nommé, après la mort de Newton, en 1727,
président de la Société royale de Londres. A l'âge de
quatre-vingts ans, il se démit de toutes ses places pour se
retirer à Ghelsea, où il mourut à quatre-vingt-treize ans.
Charles Plumier (né à Marseille en 1648, mort en 1704
au port de Sainte-Marie, près Cadix). Entré de bonne
heure dans l'ordre des Minimes, instruit dans la botani-
que par Boccone et Tournefort, il accompagna, en 1689,
Surian dans les Antilles françaises, pour étudier les pro-
ductions naturelles de ces îles. Une pension et le titre de
botaniste du roi furent la récompense de son zèle. Par
ordre de Louis XIV, il visita encore deux fois l'Amérique,
en 1693 et 1695, et fit des courses multipliées dans l'île de
Saint-Domingue et sur la côte méridionale du Mexique.
Chargé de l'étude des meilleures espèces de quinquina, il
allait s'embarquer de nouveau, lorsqu'il mourut d'une
fluxion de poitrine, à l'âge de cinquante-six ans.
On se fait difficilement une idée de l'activité prodi-
gieuse déployée par Plumier pendant une vie relalivement
bien courte. Outre ses ouvrages imprimés [Descriptions
des plantes de l' Amérique, Paris, 1693, in-fol., avec 108
planches; Nova plantarum americanarum gênera, Paris,
1703, in-4°, avec 40 pi., supplément aux Institutions de
Tournefort; Traité des fougères de l'Amérique^ 1705, in-
fol., avec 172 pi.; Plantarwn americanarum fascic. X, ou-
vrage posthume, édité parBurmann, à Amsterdam, 1755-
1760, in-fol., avec 262 planches), il a laissé de nombreux
manuscrits, dont une partie (22 vol. in-fol.) se conserve
à la Bibliothèque nationale et au Muséum d'histoire na-
turelle de Paris; d'autres ont été dispersés en Hollande
et en Allemagne ; plusieurs ont été perdus. Dessinateur
aussi habile que fécond, il fit, au simple trait, un grand
nombre de figures de plantes et d'animaux. Le nombre
de ces figures, d'une rare exactitude, s'élève à près de
6000 dans le catalogue du P. Feuillet. La plupart des
genres, établis par Plumier et presque tous dédiés à des
TEMPS MODERNES. 195
botanistes ou voyageurs de mérite, ont été conservés par
Linné et ses successeurs. Parmi ces genres nous cite-
rons : Maranta, cardia, lonicera, fuchsia, dorstenia, cx-
salpinia, etc. Quant aux espèces qu'il a le premier décrites,
elles sont trop nombreuses pour être énumérées ici.
Louis Feuillet (né en IbôO, mort à Marseille en 1732),
de l'ordre des Minimes, joignit la connaissance de l'astro-
nomie à celle de la botanique. Il visita dans un premier
voyage (de 1703 à 1706) les Antilles et la côte de Caracas;
dans un second voyage il parcourut le Chili et le Pérou
(de 1709 à 1711). Il en rapporta les matériaux de sou
Histoire des plantes médicinales qui sont les plus d'usage
aux royaumes du Pérou et du Chili, etc.; Paris, 1714,
3 vol. in-4'', avec planches. On y trouve la description de
plusieurs espèces nouvelles.
William Dampier (né à East-Coker en 1652, mort en
1710), qui visita comme corsaire les côtes de l'Amérique,
les îles de l'océan Pacifique, la Nouvelle-Hollande et les
Indes orientales, a décrit, dans sa Relation, un certain
nombre de plantes jusqu'alors inconnues, particulière-
ment celles de la Nouvelle-Hollande ^ Parmi ces derniè-
res nous mentionnerons : metrosideros hispidus, solanum
ferox, glycine coccinea, casuarina equisetifolia , banksia
olesefolia, lobelia oleœfolia. Dampier est le premier naviga-
teur qui nous ait donné quelques renseignements sur la
ilore si singulière de la Nouvelle-Hollande, découverte en
1642 par le Hollandais Tasman.
Pendant que le Nouveau-Monde était ainsi ouvert aux
investigations de la science, les Indes orientales furent
explorées par Bontius, Grimm, Rheede, Rumphius; la
Chine et le Japon, par Boym, Cloyer, Neuhoff, Ksempfer;
['île deKhusan et les îles Philippines, parCuningham et Ka-
mel. Li'île de Madagascar eut Flacourt pour explorateur ,
1. NewVoyage round the world, etc. Lond. , 1699, in-8° ; traduit eu
français, Rouen, 1715, 5 vol. in-12, avec cartes et figures.
196 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
VÉgyple et l'Afrique boréale lurent visitées par Vesling et
Gluyt. L'Asie Mineure fut parcourue par Sherard et
Wheler. Les régions même de l'extrême nord, V Islande et
le Groenland, furent abordées par suite de cette ardeur
d'exploration, qui devait bientôt embrasser tout le globe
terrestre. Un mot sur la vie et les travaux de ces voya-
geurs.
Jacques Bontius^ natif de Leyde, résida, vers le com-
mencement du dix-septième siècle, dans les possessions
hollandaises des Indes orientales. Il en fit connaître les
principales productions employées en médecine, et rec-
tifia beaucoup de passages de Garcias ab Horto, d'Acostaet
deNicolasMonardes, dans son traité De medicina Indorum
libri IV (Leyde, 1642, in-12), réimprimé à la fin de l'ou-
vrage de Prosper Alpin, De medicina jEgyptiorum (Paris,
1645, in 4°). Parmi les nouvelles espèces décrites par
Bontius, nous citerons: le thé [ihea viridi) , saverrhoa ca~
rumbola, la rose de Chine {hibiscus rosasinensis)^morinda
citrifolia^pipcr siriboa, etc.
Nicolas Grimm (né en 1641, mort en 1711), médecin
de Stockholm, visita, vers la fin du dix-septième siècle,
l'Hindoustan, d'où il envoya à l'Académie des Curieux
de la Nature les dessins et les descriptions du nepenthes
distillatoria^ d'un liseron à racine de salsepareille, et de
l'igname {dioscorea saliva)^.
Adrien va7i Rheede tôt Draakenstein (mort en 1699)
profita de sa haute position de gouverneur général des
établissements hollandais de l'Inde pour satisfaire son
goût pour la botanique et commencer la publication d'un
ouvrage monumental, intitulé Hortus malabaricus. Vour la,
mise au jour de cet ouvrage, qui ne fut terminé qu'après
la mort du gouverneur (Amsterdam, 1670-1703, 12 vol. in-
foL, accompagnés de nombreuses et magnifiques planches),
Rheede avait été secondé par Arnold Syen, G. ten Rhyne,
[. Ephcincrid. Nat. cur., decad.ll, an. 1 et 3.
TEMPS MODERNES. 197
J. Gommelyn, mais surtout par le P. Mathieu de Saint-
Joseph, carme napolitain. Missionnaire dans l'Inde depuis
plus de trente ans, le P. Mathieu avait recueilli, aidé de
ses néophytes, toutes les plantes qui lui paraissaient di-
gnes d'être peintes et décrites. Gomme les dessins et les des-
criptions du carme missionnaire n'étaient pas tous exempts
d'erreur, Rheede chargea Jean Gascarius, missionnaire
évangélique en Gochinchine, d'en faire le triage pour choi-
sir ce qu'il y avait de plus exact. Parmi les nombreuses
espèces végétales qui se trouvent pour la première fois
décrites et dessinées dans le Hortus malabaricus^ nous
citerons : costus speciosus^ nerium odorum , tradesccmtia
malabarica^ celtis orientalis, daphne pohjstachya^ eugenia
malaccensis ^ plusieurs espèces de bignonia [b. spathica,
chelonoïdes^ indica^ longifolia) ^ avicennia tomentosa, bom-
bax nepetophyllwn, etc.
G": Eveihard Rumpf (né à Hanau en 1637, mort en
1707), livré au commerce, se rendit dans les Indes
orientales et y devint gouverneur des îles Moluques. Au
milieu des spendeurs de la florâ tropicale, il se mit à
dessiner les plantes qu'il avait sous ses yeux, et bientôt
aidé d'un certain nombre de jeunes botanistes, graveurs
et descripteurs, il commença, en 1690, un ouvrage m;i-
gnifique, qui, après la mort de Rumpf, fut continué et
mis au jour par les soins de J. Rurmann, sous le titre
de Herbarium amboinense^ Amsterd., 1741-1 751, 7 vol. in-
fol. Au nombre des espèces nouvelles qui s'y trouvent dé-
crites et figurées, on remarque : amomum echinatum et a.
villosum, eugenia javaïiica, bégonia luherosa-, urticanivea,
areca spicata, etc.
Le Hortus malaharicus et le Herbarium amhoinense for-
ment la flore la plus splendideet jusqu'alors la plus com-
plète de l'Indoustan et des îles de la Sonde.
Michel Boym (mort en 1659), missionnaire polonais de
l'ordre des Jésuites, esquissa le premier une flore de la
Chine, Flora sinensis, opuscule imprimé à Vienne en 1656
198 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
(traduit en français dans Thevenot) . Il tut suivi dans cette
voie par André Cleyer, natif de Gassel, médecin de la
Compagnie hollandaise de Batavia. Ses lettres sur la flore
de la Chine et du Japon se trouvent dans B. Valentin, His-
toria simplicium^ p. 377 et suiv. lia puhlié sous son nom
une traduction des quatre livres de Wang-cho-Ho, sur les
médicaments simples des Chinois (Spécimen medicinse si-
nensis; Francf., 1682). On a aussi de Cleyer des observa-
tions sur différentes plantes du Japon, avec des dessins,
insérés dans les Éphémérides des Curieux de la Nature.
On y remarque, comme espèces nouvelles : ligustrwn ja-
ponicum^ evonymus japonicus, vitis japonica, lilium japo-
nicum, eury a japonica, broussonetia papyrifera, etc.
Jean Neuhof^ dans sa Relation de l'ambassade de la
compagnie hollandaise des Indes auprès du premier em-
pereur mandchou-tatare de la Chine', donne (p. 319-345)
la description et les dessins des principales productions
du Céleste-Empire, parmi lesquelles nous signalerons par-
ticulièrement le thé ou Tcha, et le smilax china. Les dé-
tails dans lesquels il entre relativement à la culture du
thé, dont l'usage commençait seulement à s'introduire en
Europe, sont très-curieux.
Engelbert Kœmpfer (né à Lemgo en 1651, mort en
1716) fut le premier à ouvrir sérieusement le Japon aux
investigations des naturalistes européens. D'un irrésistible
penchant pour les voyages, il avait déjà parcouru les prin-
cipales contrées de l'Europe et visité une partie de l'Asie,
lorsqu'il s'embarqua, le 7 mai 1690, comme médecin, à
bord du navire de commerce envoyé tous les ans par la
Compagnie des Indes néerlandaises aux îles du Japon. Il
revint en Europe en 1693, et mourut dans sa ville natale,
à l'âge de soixante-cinq ans, après avoir fait paraître les
1. Die Gesandschafft der Ost-Indischen Gesellschaft an den Tarta-
rischen Cham, und nunmehr auch Sinischen Keyser , etc. Amsferd.,
1669, in-fol., avec de nombreuses figures intercalées dans le texte.
1
TEMPS MODERNES, 199
principaux résultats de ses observations sous le titre
à'Amœnitalum exoticarum physico-politico-medicarum
fasciculi F, Lemgo, 1712, in-4<', avec gravures. Le cin-
quième fascicule contient la description des plantes japo-
naises collectionnées par l'auteur et par ses disciples ori-
ginaires du Nippon. Les manuscrits laissés par Ksempfer
restèrent inédits jusqu'à ce que Hans Sloane les eût ac-
quis des héritiers de l'illustre voyageur et en eût ordonné,
en partie, la traduction et la publication sous le titre do
History of Japon and Siam, ivritten in high deutsch by
Engl. Kssmpfer^ and englisfi'd by J. G. Scheuchzer; Lond.,
1727, 2 vol. in-fol. Cet ouvrage ne tarda pas à être tra-
duit en français par Des Maiseaux, sous le titre à'His-
loire naturelle^ civile et ecclésiastique de fenij-iredu Japon,
la Haye, 1729, 2 vol. in-fol.; itid., 1731, 3 voL in-12,
avec planches et cartes. En appendice se trouvent plu-
sieurs extraits des Aniœnilates exoticse. Ce n'est qu'en
1773 qu'il parut en allemand, langue dans laquelle l'au-
teur avait primitivement rédigé son travail. Cette version
originale (Lemgo, 2 vol. in-4°) est préférable anxiraduc-
tions qui l'avaient précédée.
L'herbier de Ksempfer est conservé au British Mu-
séum. Les noms japonais et les noms latins, inscrits à
côté des échantillons de cet herbier, facilitent l'établis-
sement de la synonymie botanique. D'après cet herbier
et les papiers de Kaempfer, Banks publia, Icônes selectœ
plantarum quas in Japonia coUegit et cklineavit Eng.
Ksempfer, ex archetypis in museo Britannico asservatis;
Lond., 1791, in-fol. (89 planches). Parmi les plantes que
Ksempfer a fait le premier connaître, nous citerons : le
vernis du Japon [rhus vernix) , aralia japonica, hemero-
callis japonica, phytolacca octandra, le néflier du Japon,
bignonia catalpa^ aucuba japonica, cupresms japonica,
daphne odora, etc.
Jacques Cunningham, chirurgien de la compagnie an-
glaise des Indes orientales, résida successivement à Êmouï,
200 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
siu' la côte de la Chine, dans l'île de Kliusan, à Pulo-
Gondor, collectionna de nombreuses plantes dans ces dif-
férentes localités, et les envoya à Ray, à Plukenet et à
Petiver, qui les ont décrites et figurées dans leurs ou-
vrages. Il a le premier fait connaître la flore de l'île de
l'Ascension, dans les Transactions philosophiques de Lon-
dres, année 1.699, p. 298 et suiv. Cette flore, si pauvre,
se compose de quelques espèces d'euphorbe [euphorbia
origanoides^ e. chamœsyce), d'une espèce de liseron [con-
volvulus pes caprse), et d'une espèce de sida (s. fœtida).
R. Brown a dédié à la mémoire de Gunningham le genre
cunninghamia ^ de la famille des Rubiacées.
G. Joseph Kamel^ natif de Brûnn en Moravie, résida
longtemps aux îles Philippines, comme pharmacien de
la société des missionnaires jésuites de Manille. Ce fut
de Luçon, principale des îles Philippines, qu'il envoya, à
partir de 1693, un grand nombre de plantes à Petiver et
à Ray. Ces plantes se trouvent décrites dans l'appendice
au t. III de l'Histoire des plantes de Ray [Herbarum alia-
rumque stirpium in insula Luzone, Philippinarum prima^
nascentium, a R. P. Georgio Josepho Camelio, observa-
tarum et descriptarum Syllabiis) . A côtéd'espèces connues
s'en trouvent d'autres, jusqu'alors tout à fait inconnues,
telles que bradleya philippica^ illicium anisalum (anis
"étoile), etc. Kamel fit le premier connaître la fève de
Saint-Ignace, d'où l'on tire la strychnine, et il publia un
petit traité des plantes grimpantes de Manille dans les
Philosoph. Transact. vol. XXI, p. 88, et vol. XXIV,
p. 1709. Linné lui a consacré le genre camélia^ composé
de beaux arbustes, originaires du Japon.
L'île de Madagascar est une des terres les plus riches
eu plantes. Les Français y fondèrent en 1652 les pre-
miers établissements de commerce. Etienne de Flacoiirt^
(né à Orléans en 1607, mort en 1660), nommé directeur
général de la compagnie de l'Orient, profita de sa posi-
tion pour faire explorer l'île de Madagascar, et donna des
TEMPS MODERNES. 201
renseignements qui jusqu'à) ors avaient complètement man-
qué. Sa Relation de la grande isle de Madagascar (Paris,
1658, in-4 ; i'' édit. ibid., 1661, in-4°) contient un chapi-
tre intéressant sur la végétation de cette île. Les figure
qui représentent les plantes, sommairement décrites, son
de très-petite dimension et d'un dessin tout à fait primi
tif. Parmi ces plantes on remarque comme nouvelles :
nrychnos spinosa, agathophyllum aromaticum , lirianthum
trinervium, humbertm madagascariensis, etc. Flacourt aie
premier décrit avec détail, sous le nom indigène à'onra-
mitaco, le ncpenthes madagascariensis , plante extrême-
ment remarquable par la pointe de sa feuille terminée en
un petit cruchon muni de son couvercle,le tout ayant l'ap-
parence d'une ileur ou d'un fruit. « C'est, dit-il, une plante
qui vient haute de deux coudées, qui porte au bout de ses
feuilles, longues d'une paulme, une fleur ou fruit creux,
sembhible à un petit vase qui a son couvercle : cela est
très-admirable à voir; il y en a de rouges et de jaunes,
les jaunes sont les plus grandes. Les habitants de ce pays
ont un scrupule de cueillir les fleurs (les petits vases mu-
nis de leurs couvercles) , disant que quiconque les cueille
en passant il ne manque pas la même journée de pleu-
voir, ce que j'ai fait, — et il n'a pas plu pour cela. »
L'Héritier a donné le nom de flacourlia ramontcM h
un arbrisseau épineux, que Flacourt a le premier fait
connaître sous le nom indigène à'alamotou.
Auger Cluyt, fils de Clutiits (nom latinisé de Cluyt),
premier directeur du jardin botanique de Leyde, fondé en
1577, visita trois fois la côte septentrionale de l'Afrique,
et eut le malheur d'être pris et dépouillé par les Bé-
douins, des mains desquels il parvint cependant à s'é-
chapper ; car en 1631 il fit paraître à Amsterdam son Art
d'emballer et d'envoyer au loin les arbres^ les plantes, les
fruits et les grains^ et, trois ans après, il publia un traiti
Sur la noix de coco des îles Maldives.
Jean Vesling, natif de Minden en Westphalie, profes-
202 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
seur à Padoue (né en 1598, mort en 1649), visita l'E-
gypte sur les traces de Prosper Alpin. Son ouvrage De
plantis j.'Egypti observationes (Padoue, 1638, in-4°) contient,
parmi les espèces pour la première fois décrites et dessi-
nées, le liseron du Caire (convolvulus cairicus), la jus-
quiame dorée, momordica luffa^ acacia vera^ etc.
L'Asie Mineure fut pour la première fois botanique-
ment explorée par William Sherard. Né en 1659 àBushby
dans le comté de Leicester, W. Sherard se passionna de
J3onne heure pour les excursions botaniques. En 1690, il
visita l'île de Gersey, et envoya à J. Ray la liste des plan-
tes qui y croissent. Trois ans après, on le trouve à la re-
cherche des plantes dans les montagnes du Jura et no-
tamment sur le mont Salève près de Genève. lien envoya
également le catalogue à J. Ray, qui le publia comme
supplément à sa Sylloge stirpium europœarum. Nommé
en 1602 consul de Smyrne, il profita de son séjour dans
le Levant pour rassembler des échantillons de toutes les
plantes de l'Asie Mineure et de l'Archipel, et commencer
ce fameux herbier qui passait pour avoir contenu douze
mille espèces. Il le légua à l'université d'Oxford, en même
temps qu'une somme de 3000 livres sterling pour la créa-
tion d'une chaire de botanique, avec la clause expresse
que son ami Dillenius l'occuperait le premier. Sherard dé-
crivit dans les Transact. Philos, (t. XXXII, p. 147) le sumac
vénéneux (rhus toxicodendron) , sous le nom de poison-wood-
tree, indiqué par Plukenet sous le nom d'arbor americana
alatis foliis. Il fut aussi l'éditeur du Paradisus batavus de
P. Hermann, et probablement l'auteur du petit catalogue
du Jardin des plantes à Paris, intitulé Schola botanica,
sive calalogas pianlarum, quas ab aliquot annisin Horto Re-
gio Parisiensi studiosis indigitavit vir clarissimus Joseph
Pilton Tournefort, etc. Edente in lucem S. W. A. (She-
rard William Anglus), suivi an Prodromus ParadisiBatavi
de P. Hermann, Amsterd., 1699, in-18. — Dillenius,
dans sa Flora Gissensis a donné le nom de Sherard à une
TEMPS MODERNES. 203
rubiacée [sherardia arvensis), assez commune dans nos
environs, comme dans toute l'Europe centrale.
Le Spitzberg et le Groenland furent visités en 1671 par
Frédéric Markns^ chirurgien de marine, natif de Ham-
bourg. Il publia sa relation sous le titre de Spitzbergsche
und Grœnlândische Reisebeschreibung ( Relation d'un
voyage au Spitzberg et au Groenland); Hamb., 1675,
in-4°, avec planches, ouvrage traduit en italien, en hol-
landais, en anglais et en français. On y trouve les pre-
mières observations qui aient été faites sur la végétation
si pauvre des régions circumpolaires de notre hémisphère.
Au milieu de quelques descriptions très-imparfaites, on
reconnaît les espèces suivantes , caractéristiques de la
zone glaciale : saxifraga nivalis, rammculus glacialis^
r. hyperborseus^ cerastium alpinum, sclix herbacea, co-
chlearia groenlandica, etc.
LIVRE QUATRIEME
PRO&RÈS DE LA BOTANIQUE DEPUIS LE DIX-HUITIÈME SIÈCLE
JUSQU'A NOS JOURS.
Dans les siècles précédents, les hommes s'étaient en
quelque sorte emparés de la science pour l'accommoder à
leurs usages ou se faire valoir par leurs conceptions sys-
tématiques. De là la nécessité de l'historien de mettre en
relief certaines personnalités pour y rattacher le mouve-
ment scientifique. A partir du dix-septième, les obser-
vations continuant à s'accumuler, c'est la science qui va
s'emparer des hommes, pour les traîner en quelque sorte
à sa suite. Là, les personnes doivent s'eifacer devant les
résultats de l'observation, qui marquent le besoin de s'i-
dentifier de plus en plus avec les mystères de la nature.
Ces résultats peuvent se ramener à trois divisions ; nous
les nommerons : 1° la Phytonomie, comprenant les systè-
mes de classification ou les groupements des plantes, sui-
vant certaines lois ou méthodes, par familles, tribus, gen-
res et espèces ; 2° la. Phytologie*^ traitant de l'anatômie,
de la physiologie, de la morphologie végétales ; 3° la
1. Le mot logos, qui forme la terminaison de beaucoup de noms
grécisés, ne signifie pas seulement discours, mais aussi ra/son. Le nom
de phytologie est donc bien choisi par nous pour désigner les reclier-
ches qui portent sur la structure et les fonctions des plantes, sur la
raison des choses.
TEMPS MODERNES 205
Pliytographie, ayant pour objet la description des espèces
végétales de différents pays du globe, leur culture ou
leur acclimatation, et leur distribution géographique.
I. Phytonomie.
Le système de Tournefort, que nous avons exposé plus
haut, mit la discorde parmi les botanistes au commence-
ment du dix-huitième siècle ; les uns l'admettaient en
cherchant à le perfectionner ; les autres le rejetaient en
essayant de le remplacer. Parmi les premiers se fit remar-
quer Sébastien Vaillant, et parmi les derniers, Dille-
nius.
La valeur des organes sexuels comme moyen de classi-
fication avait déjà commencé à poindre dans les travaux
des prédécesseurs de Linné. Partisan des idées de Jung,
de Ray et de Rivin, le médecin H. Burkhard [né en 1676,
à Wolfenbûttel, mort en 1738) montra, dans une lettre
adressée à Leibniz', qu'il faut chercher le cai-actère na-
turel, distinctif, invariable, des plantes, non pas dans la
forme des fleurs, comme le voulait Tournefort, ni dans
les racines, comme venait de le proposer Ghr. Grakenholz,
mais dans les organes de la fécondation et de la fructifi-
cation. « Ces organes (étamines et pistils) sont, disait-il,
bien plus importants que le calice et la corolle. C'est de
là que doit partir toute vraie classification. » Il s'étendit
ensuite sur le pollen contenu dans les anthères, décrivit
la nature glandulaire du stigmate, propre à recevoir la
poussière pollinique, et il fit le premier voir que les grains
de pollen, reçus sur le stigmate, passent de là par le
style dans l'ovaire. Il observa l'inégalité de longueur des
1. De caractère plantarum naturali, 1702; réimp. à Helmsteedt,
1750, in-12, avec une préface de Heisler.
206 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
étamines dans les crucifères et les labiées (deux étamiues
plus courtes sur les six étamines des crucifères et sur les
quatre étamines des labiées), il signala la soudure des
étamines par leurs filaments dans les malvacées et par
leurs anthères dans les composées, enfin il fit ressortir
l'importance de ces caractères pour classer les plantes
par groupes naturels.
Admettant avec Tournefort les deux grandes divisions
des végétaux en monocotylédones et en dicotylédones,
Hermann Boerhaave (né près de Leyde en 1668, mort en
1738), aussi bon médecin ^ue chimiste et botaniste, les
subdivisa, à l'exemple de P. Hermann, en gymnospermes
(plantes à graines nues) et en angiospermes (plantes à grai-
nes entourées d'enveloppes constituant le fruit). Séb. Vail-
lant insista, dans son opuscule Sur la structure des fleurs
(Leyde, 1718, in-4°), sur la nécessité de tenir compte des
caractères qui affectent les organes sexuels. Il pense que
ce n'est pas le pollen lui-même, mais seulement un ef-
fluve (spiritus) de la poussière fécondante, qui pénètre
jusqu'aux ovules contenus dans l'ovaire. Il rejette la divi-
sion des plantes en arbres et en herbes, parce que les
fleurs et particulièrement les organes sexuels sont souvent
les mômes dans les arbres que dans les herbes.
La découverte des animalcules spermatiques par Leu-
wenhoek porta quelques botanistes à les assimiler aux
granules qui se meuvent (mouvement brownien) dans l'in-
térieur des grains de pollen : ces granules mobiles se-
raient les embryons tout formés, qui n'auraient ensuite
besoin que de se développer dans l'ovaire végétal. C'est
ce que S. Morland essaya de démontrer sur plusieurs li-
liacées, dont le style creux laisse facilement pénétrer le
pollen jusqu'aux ovules de l'ovaire'. Supposant aux ovules
un petit orifice par où devait s'introduire le pollen, il crut
1. Acl. Erudit., an. 1705, p. 275.
ΣMPS MODERNES. 20?
reconnaître le vestige de cet orifice même sur la graine
mûre, tout près du hile, orifice déjà signalé par Malpi-
ghi [micropyle de Turpin)'.
Les observations de Morland furent reprises par Claude-
Joseph Ceoy/roy (néàParis en 1685, mort en 1752). Celui
ci établit en fait que les anthères, qui ne manquent dans
aucune plante, sont toujours disposées de manière à faci-
liter la fécondation des ovules par le pollen, et il montra,
par des expériences faites sur le maïs, que les ovules ne
deviennent de véritables graines qu'après avoir subi le
contact du pollen^. Il étendit le système sexuel jusqu'aux
champignons, et fut suivi dans cette voie par Ant. Réau-
mur.
Richard Bradley (mort en 1732, professeur de botani-
que à l'université de Cambridge), auteur de VHisturia
plantarum succulentarum (Lond., 1716-1727, in-4°), qui
contient la première description des différentes espèces de
mesembrianthemum ^ s'occupa beaucoup du sexe des
plantes. La fécondation se fait, suivant lui, parce que le
pollen, de nature cireuse, est magnétiquement attiré par
le stigmate. Il montra, par l'examen microscopique, que
les grains polliniques de même forme caractérisent des
groupes naturels de plantes. Ses connaissances horticoles
lui permirent de faire de nombreuses expériences sur la
production des variétés par des fécondations de fleurs
d'espèces différentes '.
L'étude des végétaux qui n'ont pas, en apparence, de
système sexuel, fut pour la première fois sérieusement
abordée par Dillenius^. Son ouvrage fondamental, //isto/'ta
muscorum (Oxf.,1741 , in-i^iavec de nombreuses planches,
1. Annales du Muséum, t. XXXIX, p. 200.
2. Sur la structure et Vusage des principales parties des fleurs; dans
les Mém. de TAcad., année 1711.
3. A newimprovementofplanting and gardening; Lond., 1717, in-8.
4. Jean-Jacques DiiieniMs, né à Darmstadt en 1687, étudia la mé-
decine à Giessen, et fit, en 1721 , connaître la flore des environs de
•208 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE
dessinées et gravées par l'auteur), contient plus de cent
genres nouveaux, encore aujourd'hui conservés. Il im-
porte de noter que Dillenius prend le nom de muscus^
mousse, dans le sens le plus étendu : il décrit sous ce
nom non-seulement les mousses proprement dites, mais
des plantes qui en ont plus ou moins l'apparence, telles
que les conferves, les lichens, les champignons filamen-
teux , les' rhizospermes, les lycopodes et les hépati-
ques.
Ces végétaux, qui reçurent de Linné le nom de crypto-
games^ Dillenius les distribue en deux classes : en musci
dépourvus de capitules fleuris {capitulis (loridis destituti)^
et en musci pourvus de capitules fleuris. La première
classe comprend les conferves [musci non peltés,ni tuber-
cules), et les lichens {musci peltés ou tubercules). La se-
conde classe se subdivise 1° en musci à capitules dures,
polycoques^ ou monocoques, comme dans les jungermnn-
nia^\ 2» en musci à capitules mous, comme dans les mar-
chantia, dans les bryum, hypnum, polytrichum, etc.
Dillenius fut plus de vingt ans à correspondre et à voya-
ger pour réunir les matériaux de son HisLoire aes mousses.
Linné, qui n'eut pas à s'en louer comme homme, lui a
édié le genre type de la famille des dilléniacées.
Ce que Dillenius avait fait pour les conferves, les li-
chens et les mousses, Scheuchzer, professeur à Zurich
(né en 1684, mort en 1737), le tenta pour les graminées,
les juncées et les cypéracées. Il insista sur la disposi-
tion des épillets, formant des épis ou des panicules, sui-
vant qu'ils sont placés sur des axes ramifiés ou sur des
axes non ramifiés. Cette distinction lui permit de séparer
des genres qui avaient été jusqu'alors confondus. Il fit aussi
cette ville. Ayant montré des préférences pour J. Ray, aux dépens de
Tournefort et de Rivin, il fut particulièrement apprécié en Angle-
terre. Devenu professeur de botanique à Oxford, sur la recommanda-
tion de W. Siierard, il y mourut en 1747.
3. Le nom de coque (coccus) est donné ici à la capsule fermée.
TEMPS MODERNES. 209
ressortir comme caractère générique l'insertion de l'arête
sur le calice commun (glumelie) de l'épillet. Parmi les
espèces qui ont été pour la première fois décrites par
Scheuchzer dans son A grostographia (Zurich, 1719, in-4°,
réédité par Haller, en 1775, in-4°) on remarque : holcus
mollis, aira canescens, a. csespitosa^ poàalpi7ia^ p. nemo-
ralis, festuca pratensis, bromus arvensis, b. giganteiis y
elymus europxus^ etc. Parmi les cypéracées, qui se dis-
tinguent des graminées par leur gaîne non fendue, on
remarque ; carex brachystachys, c. limosa, c. lobata,
c. fœlidrj, etc., et, parmi les juncées, qui se distinguent
des graminées et des cypéracées parleurs fruits capsulaires
à trois valves, les scirpus cnmpestris, juncus spadiccus^ etc.
Scheuchzer eut pour émule Joseph Monti (né à Bologne
en 1682, mort en 1760). Dans son Catalogi stirpium agri
Bononiensis Prodomus, gramina ac hujus modi afftnia
co?7ip^ecfen5(Bolog.,l 719, in-4° avec fig.), Monti, professeur
de Bologne, a divisé les graminées en deux classes, en
herbes gramini foliée s et. en graminées {gramina) propre-
ment dites. Dans la première classe il range les genres
triticum^ secale, hordeum.^ oryza, milium^ etc.; la se-
conde classe, il la subdivise en loliacées, phalaroïdées,
avénacées, arundinacées, etc. Monti a le premier décrit
les carex glomeratus et c. serotinus. Micheli a donné le
nom de montia à un genre de portulacées.
Rejetant la doctrine sexuelle, Jules Pontedera (né à Vi-
cence en 1688, mort en 1757), professeur à l'Université
de Padoue depuis 1719, essaya, dans son Anthologia sive
De floris naturalibrilll (Pad., 1720, in-4''avecpl.), de con-
cilier le système de Tournefort avec celui de Rivin, en
prenant pour base de ses divisions les fruits, le nombre
des pétales et la forme des fleurs.
Pontedera soutenait que le pollen ne passe pas par
le stigmate, mais que l'humidité des anthères descend,
par les filaments, jusqu'à l'ovaire. C'est pourquoi, ajou-
tait-il, les étamines adhèrent souvent aux pétales et au
U
210 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
tube de la corolle. Le suc mielleux, sécrété par le dis-
que, devait servir à faire mûrir les graines. Il n'admet-
tait pas que la poussière pollinique pût, dans les
plantes dioïques , être transportée sur les ailes du vent,
et il expliquait la fécondation des palmiers par des in-
sectes qui, s'échappant des fleurs mâles, hâtent, comme
dans les figuiers (caprifî cation), la maturation des fruits.
Pontedera a mieux mérité de la science par son Corn-
pendiurn tabularum ôoïamcarwm (Padoue, 1718, in-4°),
sorte de flore de l'Italie cisalpine, qui contient plusieurs
espèces nouvelles. Linné lui a dédié le genre pontede-
ria^ type de la petite famille des pontédériacées, voisines
des iridées.
Le système sexuel, attaqué par Pontedera, trouva un
défenseur zélé dans le médecin écossais Patrice Blair^
mort à Boston vers 1728. Dans ses Botanical Essays
(Lond., 1720, in-S") Blair recommandait de ne pas rejeter
légèrement les faits acquis, en cas de doute de les mieux
approfondir pour les rectifier, et de s'appliquer à bien
caractériser les anciens genres. Il reprochait à Tour-
nefort de ne pas avoir nettement distingué les ordres des
genres, et, tout en reconnaissant que le pollen est néces-
saire pour la fécondation, il ne croyait pas que cette pous-
sière fécondante donnât aux ovules leurs embryons.
J. Logan fit vers la même époque des expériences sur la
fécondation des graines de maïs'.
Le système de Rivin fut renouvelé avec quelques modi-
fications par J. Ernest Hebcnstreit (né en 1703 à Neustadt
sur rOrla, mort à Leipzig; en 1757), dans De, continuanda
Rivinorum indmtria (Leipzig, 1726, in-4"). Ce même na-
turaliste avait été envoyé par Frédéric- Auguste II, roi de
Saxe et de Pologne, pour explorer les États Barbaresques.
Il y passa près de deux ans ; mais il ne publia pas les ré-
sultats de son voyage.
li Philos. Transact. an. 1 736, p. 1 92*
TEMPS MODERNES. 211
Le Hongrois G-. Henri Kramer entreprit de concilier
Rivin et Tournefort dans son Tentamen novurriy sive me-
thodus Rivino-Tournefortiana (Dresde, 1728, in-S"), où les
plantes se trouvent classées par mois. Il créa, entre autres,
la famille des personnées, d'après la forme de la corolle,
et divisa les composées en celles dont les fleurs restent
épanouies toute la journée et en celles qui se ferment
vers midi. Quant à la doctrine de la fécondation par des
organes sexuels, il la traitait d'inepte, d'impudique, d'or-
durière, etc.
Enfin, parmi les botanistes dont les travaux préparèrent
l'avéneraent de Linné, P. Antoine Micheli occupe le pre-
mier rang. Né en 1679, à Florence, il devint, en 1706,
professeur àPise, et il s'identifia si bien avec sa science fa-
vorite, que Sherard le mettait au-dessus de tous les botanis-
tes contemporains. Il composa le premier un Gênera plan-
tarum, suivant la méthode de Tournefort (Nova plantarum
gcnera juxta methodum Tourne fortii disposita; Florence,
1729, in-fol. avec 108 pi.). Il s'occupa avec soin de lare-
production des lichens, des champignons et des mousses
et créa les genres marsilea, ju7igermannia, linckia, vallis-
neria, zannichellia, etc. Dans les graminées, il décrivit le
premier la glumellule comme une petite corolle interne
dipétale, et il rangea cette famille entre la quatorzième et
la quinzième classe de Tournefort. Il indiqua les vrais ca-
ractères des genres scirpus, cyperus^ schœnus, eriophorum^
fit une étude approfondie des carex, et décrivit le premier
les carex mucronata, c. panicea^ c. pulicaris, c. divulsa^
c. muricata , etc. Il fit connaître presque toutes les
espèces àejungermannia^et décrivit, comme espèces nou-
velles, parmi les lichens : parmelia plumbea, cetraria
islandica ; parmi les champignons et byssus : amanita in-
carnata, heivella in fula, marche lia gigas, botrytis simple x et
ramosa^ monilia glauca, racodiurn cellare, etc.
Les esprits étaient ainsi partagés, lorsque le grand na-
turaliste suédois vint fixer l'état de la science. Né le 12
212 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
mai 1707 à Rashult dans le Smoland, Charles Linné re-
çut l'instruction élémentaire à l'école de son village, et,
ayant montré un goût décidé pour l'histoire naturelle, il
fut admis, en 1727, sur la recommandation du docteur
Rothmann, à compléter ses études d'abord à l'université
de Lund, puis à celle d'Upsal, où il eut pour maîtres et
amis 0. Rudbeck, fils de l'auteur des Deliciœ Vallis Jaco-
bœae, et 0. Celsius, auteur de VHierobotanicon. Ce fut après
la lecture de la lettre de Burckhardt à Leibniz, et du dis-
cours de Vaillant sur la structure des fleurs, que Linné
conçut, à l'âge de vingt-quatre ans, le plan de sa classi-
fication célèbre, fondée sur les considérations tirées des
organes sexuels des plantes. Il l'exposa, en 1731, dans
VHortus Uplandicus. Ici se présente un événement décisif
pour les travaux du jeune naturaliste.
Stimulé par l'exemple des rois de Danemark, puissants
promoteurs de la flore Scandinave, Charles XI, roi de
Suède, ordonna, en 1695, à 0. Rudbeck de faire connaî-
tre la végétation de la Laponie. Le savant professeur vi-
sita cette région inhospitalière et en rapporta un grand
nombre de plantes, la plupart inconnues jusqu'alors. Le
premier volume venait de paraître, lorsque tout le tirage
du volume et les matériaux de tout le reste de l'ouvrage,
qui devait avoir sept volumes, furent détruits dans le fu-
meux incendie d'Upsal, en 1702. Cependant le projet d'une
exploration scientifique de la Laponie n'avait pas été aban-
donné. La Société royale des sciences de Suède chargea
Linné de le réaliser. Le 13 mai 1732, Linné partit d'Up-
sal, ne portant avec lui que deux chemises, un portefeuille
contenant du papier et des plumes, et un bâton sur le-
quel étaient marquées des mesures. Il se dirigea versl'An-
germannland, et faillit être tué par un quartier de roche
qu'un guide fit maladroitement rouler sur lui pendant
qu'il escaladait le mont Skula. A Uméa, on lui présenta
le voyage de Laponie comme plein de périls à cette épo-
que de l'année. Mais rien ne put le décourager. Il attei-
TEMPS MODERNES. 213
gniL bientôt Lyksela, traversa à la nage le fleuve Jukta,
franchit la Pithoa et la Luloa, passa les Alpes laponnes^
parcourut la Finmark, visita Torneo, Abo, les îles d'Aa-
land et fut de retour à Upsal en novembre de la même
année. Ce voyage, exécuté avec des moyens presque nuls,
et si important par ses résultats scientifiques, nous monti-e
Linné bravant les dangers, toujours préoccupé d'observer
la nature et faisant éclater une joie d'enfant à chaque dé-
couverte d'une plante inconnue. Aussitôt après son re-
tour, il publia, dans les Actes de la Société royale de Suède,
le Prodrome de la flore laponne, et fit, plus tard, paraître
l'ensemble de son travail sous le titre àe Flora lapponica,
exhibens plantas per Lapponiam crescen tes, etc., Amsterd.,
1737, in-8°. Parmi les espèces nouvelles qui y sont dé-
crites et figurées , on remarque : pinguicola alpina,
p. villosa, azalea lapponica, andromeda hypnoides, erica
cxrulea, lychnis apelala , ranunculus lapponicus, pedi-
cularis lapponica, p. flammea, p. hirsuta, cardamine hel-
lidifolia, salix glauca, s. hastata, s. lapponum, cetraria
nivalis, etc.
C'est dans l'd Flora lapponica que Linné a fait le premier
l'application du système de classification dont nous allons
dire un mot.
« Il sera pour moi le grand Apollon, erit mihi magnus
Apollo^ » disait Linné de celui qui parviendrait à fonder
la méthode naturelle sur des bases inébranlables. C'est le
système de Linné qui forme la principale assise de cette
méthode. Il repose sur les organes de la reproduction,
comprenant les étamines (mâles) et les pistils (femelles).
Ces organes sont ou visibles ou cachés ; de là la division
générale des plantes en phanérogames (à organes sexuels
visibles)eten cryptogames {k organes sexuels cachés). Les
phanérogames peuvent avoir les deux sexes (étamines et
pistils) réunis dans la même fleur, c'est-à-dire entourés
du même périanthe, ou les avoir chacun dans une fleur
différente. De là la division particulière des phanérogames
214
HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
en hermaphrodites ou monoclines (à un seul lit), et en
unisexuelles ou didines (à deux lits). Parmi les plantes her-
maphrodites, qui forment l'immense majorité des espèces
végétales, les unes ont les étamines libres, en nombre plus
ou moins grand, à filets plus ou moins longs, les autres
les ont soudées soit par les filets, soit par les anthères,
mais distinctes du pistil; d'autres enfin les ont soudées
avec le j)istil. Ces distinctions (ordres et sections) ont per-
mis d'établir vingt-trois classes. Les plantes cryptogames
forment à elles seules la vingt-quatrième et dernière
classe. Voici le tableau de la classification linnénne :
I, PLANTES PHANEROGAMES,
A. MONOCLINES OU HERMAPHRODITES.
a. Étamines libres.
Nombre d'Étamines : Classes.
Une 1 Monandrie
Deux 2 Diandrie
Trois 3 Triandrie
Quatre 4 Tétrandrie
Cinq 5 Pentandrie
Six 6 Hexandrie
Sept ■ 7 Ileptandrie
Huit 8 Octaudrie
Neuf 9 Ennéandrie
Dix 10 Décandrie
Onze . Il Dodécandrie
Plus de douze, souvent vingt 12 Icosandrie
Un grand nombre, jusqu'à, cent et plus... 13 Polyandrie
Quatre étamines,dontdeuxà filets plus longs. 14 Didynamie
Six étamines, dont quatre à filets plus longs 15 Tétradynamie
b. Étamines soudées.
a. Par les filets, unis en un corps 16 Monadelphie
p. Id. en deux corps 17 Diadelphie
y. Id. en plusieurs corps .. . 18 Polyadelphie
h. Parles anthères (pistil distinct) 19 Syngénésie
£. Par les anthères, attachées au pistil. ... 20 Cynandric
TEMPS MODERNES. 215
B. DICLINES 00 UNISEXUELLES.
Chaque sexe (étamines ou pistil) dans une fleur différente.
a. Sur le même pied 21 Monœcie
p. Sur deux pieds différents 22 Diœcie
y. Sur des pieds différents ou sur le même
pied avec des fleurs liermaphrodites. . . 23 Polygamie
II. PLANTES CRYPTOGAMES.
Champignons^ lichens, mousses, fougères.
En jetant un coup d'œil sur ce tableau, on est d'abord
émerveillé de la simplicité de cette classification. Il suffit,
eu effet, de compter et de désigner en grec les étamines ou
mâles (àvops;), pour connaître immédiatement toutes les
classes jusqu'à la dixième inclusivement. Mais déjà une
première difficulté se présente à la onzième classe : celle-ci
devrait s'appeler hendècandrie. Or il n'y a pas de fleurs à
onze étamines. La nature a sauté par-dessus ce nombre pour
arriver sans transition au nombre àoVii& {dodécandrie) . k\\
delà, le nombre des étamines varie de quatorze à vingt (il n'y
a pas de fleurs à treize étamines) ^onxVicosandrie. Au delà
de vingt, on ne compte plus les étamines {polyandrie). Là
cesse le premier élément classifîcateur. Pour établir les
classes suivantes, depuis la quatorzième, Linné s'est
adressé, non plus au nombre, mais au rapport des étami-
nes entre elles et avec le pistil ; les étamines plus longues
sont appelées des puissances (ouvafjieic), et les groupes de
filets soudés ont reçu le nom de frères (àoeXcpoi) . Là où
chaque sexe fait ménage à part (xXtvy|),les fleurs unisexuées
n'ont qu'une ou deux maisons (ol'xoi), suivant qu'elles se
trouvent sur la même tige ou sur deux tiges différentes.
Le mélange des deux, c'est la polygamie. .
Ce langage poétique, d'ailleurs naturel à Linné, était
216 HISTOIIU-: DE LA BOTANIQUE.
alors à la mode, témoin le Carmen elegiacum de amoribus
el connubiis plantarum (Leyde, 1732, in-4") d'Adrien van
Roy en, professeur de botanique à l'université de Leyde.
La Hollande était depuis plus d'un siècle le lieu de re-
fuge de tous les hommes d'élite persécutés dans leur
patrie. En hutte à la jalousie de quelques médiocrités,
Linné quitta la Suède, se fit recevoir en 1735 docteur
en médecine à Harderwyk, vit Boerhaave à Leyde et fut
très-hien accueilli à Amsterdam par J. Burmann et
G. Gliffort. Riche amateur de la botanique, Gliffort char-
gea le savant suédois de la direction de son jardin à Har-
tecamp, près d'Amsterdam, et lui fournit les moyens de.
visiter l'Angleterre et de s'y lier avec Dillenius. Linné passa
deux ans dans la retraite de Hartecamp, et c'est là qu'il
composa les ouvrages qui ont assuré sa gloire : Systema
naîiw*, Leyde, 1735, in-fol. ; Fundamenta bolanica (Ams-
terd., 1736, in-12), qui eurent plus tard pour commentaires
la PliUosophia bolanica (Stockîi., 1751, souvent rééditée)*;
BiblioiJuca bolanica^ ihià.; Gênera plantarum [Leyde ^ 1737,
in-8°), contenant les caractères de 955 genres, nombre
considérable, augmenté dans les éditions subséquentes. Cet
ouvrage fut suivi, en 1758, du Species plantarum (la 1" édi-
tion de 1764 est qualifiée de légale, parce que les botanistes
s'y sont conformés, comme les théologiens à la Vulgate) ;
Vlridarium Cliffortianum^ 1738, in-8o; Horlus Cli/fortia-
nus. Amsterd., 1737 ; ]\]usa CUfforliana^ Leyde, 1736 ;
Critica bolanica^ Leyde, 1738, in-S" ; Classes plantarum^
ibid., 1738, in-S".
Toujours aidé par Gliffort, Linné prit, en 1738, congé
de ses amis de Hollande, traversa la Belgique, passa par
Cambrai dont il visita les environs, et arriva à Paris, où il
s'empressa de voir Bernard de Jussieu, pour lequel il
avait une lettre de VanRoyen. Malheureusement il igno-
1. C'est dans la. Philosophie botanique que se trouve l'énoncé de-ce
principe, si souvent cité: Natura non facit saltus.
TEMPS MODERNES. 217
rait la langue française et ne rencontra à Paris qu'un seul
homme parlant le suédois, le célèbre géomètre Glairaut.
Ayant peu d'aptitude pour les langues modernes, Linné
s'entretenait toujours en latin avec les étrangers. Avant
de quitter Paris, il alla récolter sur les coteaux de Meudon
3t dans la forêt de Fontainebleau, beaucoup de plantes que
la nature refuse à la Suède. Puis il gagna Rouen et s'y
embarqua pour Stockholm, où il s'établit comme médecin,
après avoir épousé la fille du docteur Morœus, à laquelle
il était fiancé depuis plusieurs années. Il ne tarda pas
à être au comble de ses vœux en succédant à Rosen, son
jaloux adversaire, dans la chaire de botanique à l'uni-
versité d'Upsal. Là, au milieu des événements qui agi-
tèrent alors l'Europe, Linné fut le centre auquel venaient
aboutir presque tous les travaux importants d'histoire na-
turelle. Ses Amœnilates exoticœ (1749-1777), recueil de
dissertations et de thèses inaugurales, témoignent à la
fois d'une activité scientifique rare, de l'influence de son
enseignement et de l'attachement de ses nombreux dis-
ciples. Ayant embrassé tous les règnes de la nature, il fit
paraître, en 1775, sa dernière publication : Planix Suri-
namenses. Il avait commencé par la flore polaire, pour fi-
nir par la flore tropicale.
Dans la vaste correspondance de Linné on remarque
des lettres confidentielles que Haller eut le tort de publier
sans y être autorisé. Haller, qui aspirait à la domination
universelle dans la république des sciences et des lettres,
se conduisit à l'égard de l'illustre Suédois, non plus en
ami, mais en rival. Dans ce conflit de deux hommes d'une
valeur à peu près égale, Linné fit preuve d'une grande
modération. Comblé des témoignages de la plus haute con-
sidération, il mourut le 10 janvier 1778, à l'âge de
soixante-dix ans huit mois, la même année que Haller,
J. J. Rousseau, Pitt, Lekain et Voltaire.
Voici le jugement émis par M. A. Fée sur le mérite de
Linné. « On a donné, dit ce savant botaniste, à Linné le
218 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
suruom de « Pline du Nord », et il a été comparé à Dios-
coride. Ces rapprochements sont dérisoires, même en
faisant la part des temps. Linné ne peut être comparé à
personne ; il a son génie propre. C'est le réformateur le
plus heureux qui ait jamais paru ; il a beaucoup décou-
vert, et toutes ses innovations ont été acceptées.... Il se-
rait plus juste peut-être de le mettre en parallèle avec
Aristote, qui sans doute a beaucoup fait par lui-même,
mais qui n'a pas fait avancer la science par ses disciples.
Le naturaliste suédois ne doit pas non plus être comparé
à Buffon, peintre éloquent de la nature. L'écrivain fran-
çais peignit la nature à grands traits, et sema d'aperçus
ingénieux un style séduisant, toujours facile et pur.
Linné, au contraire, a tout sacrifié à la concision, et elle
est si étonnante que souvent un seul paragraphe des
écrits de ce naturaliste a donné lieu à des ouvrages im-
portants et volumineux. On compte chez Linné le nombre
des faits par le nombre des mots ; et si l'on dit du génie
de Buffon qu'il était comparable à la majesté de la na-
ture, on peut dire de celui de Linné qu'il était aussi vaste
et aussi varié qu'elle. L'un semblait né pour la peindre,
l'autre pour la décrire. Si Buffon n'eût pas vécu, sans
doute la perte eût été grande, surtout pour la France ;
mais si Linné ne fût pas venu porter la lumière dans les
sciences naturelles, s'il n'eût pas créé cette nomenclature
si ingénieuse, celle du genre et de l'espèce, nomenclature
qui porte son nom et qui s'est étendue à toutes les bran-
ches des connaissances humaines, les sciences naturelles
n'eussent pas reçu cette impulsion puissante vers le pro-
grès, qui se continue de nos jours'. »
Le système de Linné eut, dès son apparition, autant de
partisans que de détracteurs. Th. Ludwig (né en 1709,
mort en 1773), professeur à Leipzig, qui avait vu, eu
Orient, pratiquer la fécondation des dattiers, admettait les
1. Article Linné, dans là Biographie générale , t. XXXI, col. 295.
TEMPS MODERNES. 219
organes sexuels comme base d'une classification, mais il
niait la constance des fleurs hermaphrodites, monoïques
ou dioiques, dans un même genre. Il fit aussi remarquer
que dans plusieurs genres, indiqués par Linné comme mo-
nadelphes, il y a des fleurs polyadelphes ^.
Gonr. Fabricius (né en 1714, mort en 1774) signala
aussi diverses corrections à faire au système de Linné ^,
tandis que Jean Gesner^ professeur à Zurich (né en 1709,
mort en 1790), Ernest Slieff, Aug. de Bergen, Mar.
Schiera, de Milan, l'adoptèrent pleinement.
Haller fit des réserves qui devaient aboutir au rejet du
système linnéen' : Hamberger lui répliqua. Il s'ensuivit
une polémique violente, où le beau côté n'était pas du
côté de Haller. Laurent Heister publia plusieurs libelles
contre Linné et sa méthode.
Jacques Wachenclorf {né en 1702, mort en 1758) ima-
gina une méthode mixte. Divisant les plantes en phané-
ranlhes et cryplantlies, il porta son attention sur le nom-
bre des étamines, comparé à celui des pétales : il
appelait poUaplostémopétales les plantes où le nombre des
étamines dépassait de beaucoup celui des pétales ; puis, di-
plostemones, triplostemones, pentapiostemones, celles où le
nombre des étamines était le double, le triple, le qua-
druple, le quintuple, de celui des étamines*. Ce système
ne fut pas adopté.
Les cryptogames, dont la connaissance laissait le plus à
désirer, furent soumises à de nouvelles études par Chris-
tophe Schmiedel et surtout par Théophile Gleditsch (né à
Leipzig en 1714, mort en 1786.) Ce dernier examina avec
soin les corpuscules transparents que Micheli avait aper-
çus dans les lamelles des agarics. Son système, où les
cryptogames formaient la cinquième et dernière classe,
1. Ludwig, Observât, inmethodum Linnœi; Francf., 1739.
2. Primitix florœ Butisbacensis; Wetzlar, 1773, in-8°.
3. Uorti UUrajeclini Index , 1747, in-8°.
220 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
repose sur l'insertion des étamines, soit sur le réceptacle
ou nectaire, soit sur les pétales, soit sur le calice, soit sur
le pistil. De là quatre classes de phanérogames : les tha-
lamosUmoncs^ les pélalostemoiies^ les calycostemones^ les
shjlostemones* . Les caractères des ordres ou familles dont
chacune de ces classes se composait, étaient empruntés à
l'inflorescence, à la situation du fruit, etc. Laurent de
Jussieu profita du travail de Gleditsch.
Donati, Ginnani, Peyssonel, Hill, Ellis, Baster, Tar-
gioni Tozetti, Th. Gmelin, Maratti, s'occupèrent particu-
lièrement de la caractéristique des algues et des fougcns.
Mais leurs observations contiennent beaucoup d'erreurs
relativement aux organes de fructification et au mode de
propagation de ces plantes^.
Boissier l'e Sauvages (né en 1706, mort en 1767), pro-
fesseur de médecine à Montpellier, crut faciliter 1 étude
de la botanique en proposant de classer les plantes d'a-
près la forme des feuilles '. La tentative échoua, à cause
de l'instabilité des caractères tirés des feuilles ; mais elle ne
fut pas sans utilité, parce qu'elle appelait l'attention sur
la disposition de ces organes (feuilles alternes^ opposées ^
èparses), sur la variabilité de la forme des feuilles à
différents points de leur axe (feuilles radicales^ cauUnai-
res]^ sur leur forme générale (feuilles ovalaires^ ellipti-
ques, lancéolées, etc.), sur leur division (feuilles composées,
pennées, palmées, etc.)
A rencontre de Charles Alston qui, dans son Tirocinium
botanicu7n Edimburgense (Edimb., 1753, in-8"), essaya de
renverser le système de Linné, le professeur Scopoli (né
en 1723, mort en 1788) entreprit de le perfectionner. Cri-
tiquant les caractères génériques de Linné, il distingua
1. Gledilsch, Systema plantarum a staminum situ; Berl., I7û8
in-S°.
2. Voy. Sprengel, Hist. rci herb., t. II, p. 354-362.
3. Sauvages, Mellwdus folioruni; La Uaje, 175), in-8°.
TEMPS MODERNES.^ 221
le premier le digitaria du panicum, le sesleria du cynosu-
rus, Vapargia du leontodon, le cirsium du carduus^ le
neoîlia de l'op/iry^, etc. Il réunit par groupes les stellaria^
arenaria et cerarastium; les potentilla, tormentilla et
fragaria; les gnaphalium et filago ; les mespilus et cra-
tœgus. Presque toutes les corrections de Scopoli faites à
la nomenclature linnéenne ont été adoptées. Les change-
ments que voulaient y apporter Duhamel du Monceau et
E. Guettard, ne furent pas admis par les botanistes. Aussi
ne nous y arrêterons-nous pas.
A l'époque qui nous occupe, tous les naturalistes parlè-
rent de la méthode naturelle^ par opposition au système de
Linné. Mais ces mots étaient très -vagues dans l'esprit de
beaucoup d'entre eux. Adanson en fixa le premier le
sens'. « La méthode naturelle, dit-il (dans la préface de
ses Familles naturelles des plantes)^ doit être unique, uni-
verselle ou générale, c'est-à-dire ne souffrir aucune excep-
tion et être indépendante de notre volonté, mais se régler
sur la nature des êtres, qui consiste dans l'ensemble de
1. Michel Adanson, né à Aix en 1727, partit à vingt et un ans pour
le Sénégal, et revint en 1764 dans sa patrie, après cinq ans de séjour
dans un climat brûlant et malsain. Les résultats de son voyage paru-
rent, en 17f)7, sous le titre d'Hisioire naturelle du Sénégal. En pré-
sence des difficultés qu'il avait éprouvées à classer les richesses de la
zone tropicale suivant les systèmes de Tournefort et de Linné, il entre-
prit un projet de réforme qui devait s'étendre jusqu'à l'orthographe
française, et dont l'ouvrage sur les Familles naturelles des Plantes
(Paris, 1763, 2 vol. in-8°) ne devait être que le commencement. Mais
ce projet, dont il donna un exposé complet dans le Journal de Pliy-
sique (mars 1775), ayant été jugé trop vaste, pour être réalisable, par
ses collègues mêmes de l'Académie des Sciences, il en conçut un
vif chagrin, devint quelque peu misanthrope, et ne vécut plus que dar*
uneprofonde retraite, sans cesser cependant de travaillerau progrès de
la science. On raconte que quand, après la réorganisation de l'Institut,
on lui écrivit de venir prendre place parmi ses collègues, il répondit
qu'il ne pouvait pas se rendre à cette invitation, parce qu'il n'avait pas
de souliers. Il mourut, en Î806, à l'âge de soixante-dix-neuf ans.
222 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
leurs parties et de leurs qualités; il n'est pas douteux
qu'il ne peut y avoir de méthode naturelle en botanique
que celle qui considère l'ensemble de toutes les parties des
plantes. » C'est parce que Linné ne s'était attaché qu'à une
seule partie, aux organes sexuels, que son système était
qualifié à'artificiel.
Cependant il est bon de rappeler que Linné s'était
préoccupé, avant Adanson, d'une classification par famil-
les naturelles. « Je vous sais occupé, écrivait-il à Haller
(le 13 avril 1737), à établir des familles naturelles ; plaise
à Dieu que vous finissiez ce travail et que vous le rendiez
public. Je me suis moi-même exercé longtemps sur ce
sujet, quoiqu'il fut peut-être au-dessus de mes forces ; je
pense avoir réuni plus de matériaux que beaucoup d'au-
tres, et néanmoins j'ai laissé beaucoup de lacunes, j)
Les lacunes que Linné , Haller et Adanson avaient
laissées, Chr. Oeder {Elementa botanica^ Copenh., ]764,
in-8"), N. Crantz {Instituliones rei herbarise, Vienne,
1766, in-S"), D. Giseke {System ata plantarum recentiora,
G-oett., in-4°), J.Wernischek (Gênera plantarum, Vienne,
1764, in-8»), J. Jîili {The vegetable System, Lond., 1759-
1775),D. Meese (Plantarum rudimenta, Leeuward., 1763,
in-4°), J, Jacquin, Sclireber, Murray, etc., essayèrent de
les combler. Mais ils ne réussirent que très-incompléte-
ment dans cette entreprise.
Les de Jussieu méritent ici seuls une mention spéciale.
Bernard de Jussieu^ était en correspondance avec Linné,
t. Bernard de Jussieu (né à Lyon en 16?9, mort à Paris en 1777)
était frère cadet d'Antoine de Jussieu (né à Lyon en 1686, mort à Paris
en 1758), qui édita l'ouvrage de Barrelier, analysé plus liaut, signala
les empreintes de végétaux dans les houilltres de Saint -Etienne, dé-
crivit le premier la fleur et le fruit du caféier, envoyé à Louis XIV et
qui, confié à Desclieux par Chirac, devait, dès 1719, servir de souche à
tous les caféiers des Antilles. Il laissa en manuscrit le Traité des
vertus des Plantes. Bernard de Jussieu, auteur de la nouvelle édition
des Plantes des environs de Paris, de Tournefort, fut, de 1722 jus-
qu'à sa mort, sous-démonstrateur de botanique au Jardin du roi, et
TEMPS MODERNES. 223
Voici ce qu'il lui écrivait le 15 février 1752 : « J'apprends
avec plaisir que vous êtes nommé professeur de botanique
à Upsal. Vous pourrez maintenant vous livrer entièrement
au culte de Flore, et pénétrer plus loin que vous n'avez
pu le faire encore dans le sentier que vous avez décou-
vert, et donner enfin une méthode naturelle de classifica-
tion, que les vrais amis de la science désirent si vive-
ment. » Tout en faisant cette recommandation à Linné ,
Bernard de Jussieu travaillait de son côté dans la même
voie. Mais comme il n'a rien publié à ce sujet, on ne
peut le juger que d'après de simples catalogues manus-
crits. Dans un de ces catalogues, on trouve une classifi-
cation appliquée, en 1759, à la plantation du jardin bo-
tanique de Trianon ; un autre de ces catalogues a été
publié par Laurent de Jussieu, en tête de son Gênera
plantarum. On voit d'après ces documents que Bernard
de Jussieu connaissait la valeur des caractères, tirés du
développement de l'embryon et de l'insertion des éta-
mines relativement à l'ovaire. C'est à lui, en effet, qu'on
doit 1° le groupement général des végétaux en acotylé-
dones (végétaux dépourvus de feuilles embryonnaires
nommés cotylédones)^ en monocotylédones (végétaux à une
feuille embryonnaire) et en dicotylédones (végétaux à deux
feuilles embryonnaires) ; 2° le groupement particulier des
monocotylédones en épigynes (étamines insérées sur l'o-
vaire), en pèrigynes (étamines insérées sur le calice ou au-
tour de l'ovaire) et en hypogynes (étamines insérées au-
dessous de l'ovaire) ; puis celui des dicotylédones en épi-
gynes, hypogynes, pèrigynes et didines (unisexuées).
Ces éléments furent développés par Lawrenï de Jussieu,
contribua à la publication de beaucoup de travaux de botanique. C'est
lui qui planta, en 1736, au Jardin des Plantes, le cèdre du Liban que
lui avait envoyé W. Sherard. Jl l'y transporta, dit-on, dans son chapeau
de la maison n" 13 de la rue des Bernardins, où il habitait. Bernard
et Antoine étaient fils de Christophe de Jussieu, pharmacien de Lyon,
auteur du Nouveau Traité de la Thériaque (Trévoux, 1708),
224 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
neveu d'Antoine et de Bernard de Jussieu'. Dans la clas-
sification de Laurent de Jussieu, aujourd'hui générale-
ment adoptée, les acotylédones , les monocotylédones et
les dicotylédones forment les trois embranchements du rè-
gne végétal. Ces embranchements sont divisés en classes,
au nombre de quinze, fondées sur l'insertion des éta-
mines par rapport à l'ovaire [épigynie ou êpistami7iie) .
Dans les dicotylédones, l'auteur a fait aussi intervenir la
corolle, organe très-secondaire en lui-même, mais qui
devient essentiel par son union avec l'ovaire ; de là la
division de la fleur en ap'tale (lorsque la corolle manque),
en monopétale et en polypétale. La monoclinie et la dicli-
nie ont été empruntées à Linné. Enfin les quinze classes
de Laurent de Jussieu comprennent cent familles. En
voici le tableau :
I. ACOTYLÉDONES.
1'" Classe.
1. Champignons. 4. Mousses.
2. Algues. 5. Fougères
3. Hépatiques. 6, Nayades.
II. MONOCOTYLÉDONES.
2= Classe. M.onohypogynie
7. Aroïilées. 9. Cypéroïdées.
8. Typliéacées. 10. Graminées.
1. Antoine-Laurent de Jussieu (né à Lyon en 1748, mort en 183G)
était fils de Joseph de Jussieu (né à Lyon en 1704, mort en 1779), qui
fut le compagnon de voyage de La Condamine, et parcourut pendant
trente-cinq ans l'Amérique méridionale. Joseph de Jussieu était frère
d'Antoine etde Bernard de Jussieu. Laurent, leur neveu, s'immortalisa
par son Gênera plantarum, dont la dernière feuille venait d'être impri-
mée lorsque éclata la Révolution, le 14 juillet 1789, par la prise de la
Bastille.
L'année suivante, il contribua à la réorganisation du Muséum d'his-
toire naturelle, dont il refusa la direction qui lui était offerte, en 1800,
par le ministre de l'intérieur, Lucien Bonaparte.
TEMPS MODERNES.
2J5
3"^ Classe. Monopérigynic.
11. Palmiers.
12. Asparaginées.
13. Juncées.
14. Liliacées.
15. Broméliacées.
16. Asphodélées.
17. Narcissées.
18. Iridées.
4*= Classe. Monoe'pigijnie.
19. Musacées.
20. Cannées.
21. Orchidées.
22. Hydrocharidées,
III. DICOTYLÉDONES.
A. MoNOCLiNES. a. Apétales.
5* Classe. Epistaminie,
23. Aristolochiées.
6" Classe. Péristaminie.
24. Eléagnées.
25. Thyméléacées.
26. Protéacées.
27. Laurinées.
28. Polygonées.
29. Atriplicées
7' Classe. Hyposlaminie.
30. Amaranthacées.
31. Plantaginées.
32. Nyclaginées.
33. Plumbaainées.
b. Monopétales.
8° Classe. HypocorolUe.
34. Lysimachiées.
35. Pédiculariées.
36. Acanthacées.
37. Jasminées.
38. Viticées.
39. Labiées.
40. Scrofulariées.
41. Solanées.
42. Borraginées.
43. Convolvulacées,
44. Polémoniées.
45. Bignoniacées.
46 Gentianées.
47. Apocynées.
48. Sapotées,
15
226
HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
9° Classe. Péricorollie.
49. Guayacées.
50, Rhododendrées.
51. Ericacées.
52. CampanulacéGS.
10'' Classe. Epicorollie. a. Synanthérées.
63. Cichoracées.
54. Cynocéphalées.
55. Coryml3ifères.
11« Classe. Epicorollie. p. Chorisanthérées.
56. Dipsacées.
57. Rubiacées.
58. Caprifoliées.
12*= Classe. Epi^yétalie. y. Folypétales.
59. Araliacées. GO. OmLelIifères.
13'^ Classe. HypopélaUe.
61.
Ranunculacées.
72. Vitifères.
62.
.Papavéracées.
73. Géraniées.
63.
Crucifères.
74. Malvacées.
64.
Capparidées.
75. Magnoliacées.
65.
Sapindacées.
76. Anonées.
66.
Acérinées.
77. Ménispermées.
67.
Malpighiacées.
78. Berbéridées.
68.
Hypéricinées.
79. Tiliacées.
69.
Gultifères.
80, Cissées.
70.
Aurantiacées.
81. Rutacées.
71.
Méliacées.
82. Caryophyilées
14^ Classe.
Péripétalie.
83.
Sempervivées.
90. Saxifragées.
84.
Cactées.
91. Salicaricées.
85.
Portulacées.
92. Rosacées.
86
Ficoïdées.
93. Légumineuses.
87.
Onagraires.
94. Térébinthacécs
88.
Myrtées.
95. Rbarunées,
89.
Mélastcmées.
TEMPS MODERNES.. 227
B. DICLINES.
15^ Classe. Diclinie.
96. Euphorbiacées, 99. AmentaCées
97. Cucurbilacées. 100. Conifères.
98. Urticées.
Ge fut en 1773 que Laurent de Jussieu exposa les
principes de cette classification dans un mémoire Sur les
Renoncules^ présenté à l'Académie des sciences, qui
l'admit dans son sein. L'année suivante, il développa ces
principes en les appliquant à l'ensemble des familles
naturelles ^ Il s'agissait de replanter l'école de botanique
du Jardin du Roi d'après une méthode nouvelle, celle de
Tournefort étant devenue insuffisante. On ne pouvait
guère songer à introduire le système linnéen, alors uni-
versellement adopté, dans un établissement qui avait pour
administrateur Buffon, intolérant rival de Linné. C'est
dans ces circonstances que Laurent .de Jussieu se char-
gea de l'ordre qui devait présider à la replantation,
commencée en automne 1773 et terminée au printemps
de 1774. Il avait pour cela largement profité des conseils
de son oncle Bernard, qui ne cessait de lui répéter
«qu'il y a dans les végétaux des caractères qui sont incom-
patibles les uns avec les autres, et qui s'excluent. » Son
attention avait été de bonne heure dirigée sur la subordi-
nation des caractères qui, suivant son expression, doivent
« se peser et non compter n. Là est le secret de la mé-
thode naturelle, dont les principes se trouvent développés
dans une introduction, remarquable de pensée et de style,
placée en tête de l'ouvrage fondamental de Laurent de
Jussieu: Gênera 'plantarum, secundum ordines naturales
disposita, juxta mclhodum in Horto Regio Parisiensi exa-
1. Ejcposilion d'un notirel ordre de Plantes, adopté dans les dé-
monstrations du Jardin Royal (dans les Mémoires de l'Acadé'
mie des Sciences, année 1774).
2i8 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
ratum, anno 1774; Paris, 1789, in-8°. De 1789 à 1824,
l'auteur ne cessa de travailler au perfectionnement des
familles qu'il avait établies, et de préparer les matériaux
d'une seconde édition de son Gênera^ qui ne devait jamais
voir le jour. A raison de l'affaiblissement de sa vue (il
devint presque aveugle vers la fin de sa longue carrière),
il se contenta de remanier les groupes dans une série de
notes ou de mémoires publiés dans les Annales du MuséumK
La classification de L. de Jussieu fut une innovation
qui, chose remarquable, apparut juste au moment où
venait d'éclater la révolution de 1789. Cette coïnci-
dence, jointe à des imperfections inévitables, suffisait aux
yeux de quelques-uns pour la rejeter ou la remplacer par
d'autres méthodes. De ce nombre étaient Conrad Mœnch^
professeur de botanique à Strasbourg (né en 1744, mort
en 1805), et Balth. Borkhausen (né à Griessen en 1760,
mort à Dai'mstadt en 1806). Le premier divisa, comme
Grleditsch, les phanérogames en parapétalostèmones^ en
allagostémones, en stigmatostémones ^ suivant que les éta-
mines sont insérées, soit sur le disque nectarifère, soit
alternativement sur le calice et la corolle, ou au sommet
de l'ovaire ^. Le second divisa les cryptogames, dont il
s'était plus particulièrement occupé, en plantes séminifè-
res, à organes de fructification indéterminés [fougères
rhizospermes ^ mousses, fucus], et en plantes dépourvues
de vraies semences et d'organes sexuels [algues, champi-
gnons)^. Mais aucun de ces systèmes ne fut adopté. Nous
en dirons autant des tentatives faites par F. Fischer, de
P. Cassel, de Kurt Sprengel, de L. de Vest, d'Aug.-Fr.
1. Voy. l'excellent article de L. de Jussieu, par M. Decaisne, dans la
Biographie générale (t. XXVII, col. 279).
2. Mœnch, Methodus plantas horti botanici et agri Marburgensis a
slaminum situ describendi; Strab., ]7'''4, in-8°.
3. Borkhausen, Tentamen dispositionis plantarum Germaniai se-
cu7idum novam methodum, etc.; Darmstadt, 1809, in-8° (ouvrage
jnsl.hu me).
TEMPS MODERNES. 259
Schweigger , de Schultz-Schullzenstein, de Martius ci
d'autres botanistes allemands.
En France même, la classification de L. de Jussieu fut
loin de recevoir l'unanimité des suffrages. Pour facilitez-
aux commençants l'étude de la botanique, Lamarck^ ima-
gina une méthode, que l'on a depuis désignée sous le nom
de méthode analytique ou dichotomique. Elle consiste à
poser à l'élève une première question, qui partage les
végétaux en deux classes, entre lesquelles il doit choisir
d'après un caractère de la plante, qui la placé nécessaire-
ment dans l'une des deux à l'exclusion de l'autre ; puis
une seconde question, qui partage la classe désignée en
deux ordres à l'un desquels la plante se rapportera ; puis
une troisième, une quatrième, etc., de manière qu'à cha-
que cfuestion le cercle se resserre, jusqu'à ce cjue la der-
nière conduise, par une série d'exclusions successives, à
l'espèce cherchée. C'est une simple méthode de recher-
ches. Lamarck en fit l'application dans sa Flore française.
E. P. Ventenat (né en 1757, mort en 1808) et Jeaurae
Saint-Hilaire popularisèrent la méthode naturelle. Gorrea
da Serra (mort eu 1823), Louis-Claude Richard, A. Sa-
lisbury et surtout Robert Brown contribuèrent puissam-
ment à la modifier.
Mais la découverte de nouvelles plantes, non classifia-
bles d'après les systèmes jusqu'alors inventés, puis les
progrès de l'anatomie et de la physiologie végétales, né-
cessitèrent bientôt une réforme plus sérieuse. Augustin
Pyrame de Candolle entreprit cette réforme ^. Les groupes
généraux du règne végétal sont, suivant lui, formés parles
1. Jean-Baptiste Monet de Lamarck (né en 1744, mort à Paris en
1839) quitta le service militaire pour se consacrer à l'histoire natu-
relle, et contribua, en 1793, à la réorganisation du Jardin des Plantes.
Sa vie fut tout entière dans ses travaux.
2. Augustin Pyrame de Candolle (né à Genève, en 1778, mort
en I841)j élève de Desfontaines, fut depuis 1817 professeur de
botanique de sa ville natale. Il publia, entre autres, le Prodromus sys-
230 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
végétaux cellulaires ou inembryonés (acotylédones) , et par
les végétaux vasculaires ou embryo7iés, divisés en endo-
gènes ou xnonocotylédones^ et en exogènes ou dicotylédones.
L. de Jussieu avait commencé la série des familles natu-
relles par les familles de plantes dont l'organisation est la
plus simple (les champignons), afin de s'élever graduelle-
ment vers celles dont l'organisation est la plus complexe.
De Candolle suivit -une marche inverse en prenant pour
point de départ les familles des plantes qui ont le plus
grand nombre d'organes, et ces organes biens distmcts
les uns des autres. Il commença donc par les exogènes,
pour finir par les végétaux cellulaires.
Les EXOGÈNES ou dicotylédones sont partagés en deux
groupes, suivant que leur périanthe est double ou simple.
De là les divisions suivantes :
A. Exogènes bichlamydés (à périanthe double), qui se
subdivisent en :
1° Thalamiflores, ayant les pétales distincts, insérés sur
le réceptacle;
2° Caliciflores^ ayant les pétales libres, ou plus ou
moins soudés, périgyniques (insérés sur le calice) ;
3° Çorolliflores, ayant les pétales soudés en une corolle
gamopétale hypogyne ou non attachée au calice ;
B. Exogènes à périanthe simple, composant le seul
groupe des monochlamydés.
Les ENDOGÈNES OU monocotylédoues sont divisés en ;
1° Endogènes phanérogames , dont la fructification est
visible et régulière ;
2° Endogènes cryptogames^ dont la fructification est ca-
chée, inconnue ou irrégulière.
Enfin les végétaux cellulaires ou acotylédones, c'est-à-
lematis regni vegetabilis, Paris, 1824 et années suivantes : immense
répertoire, continué, après la mort de l'auteur, par son fils, avec le
concours des botanistes les plus distingués de notre époque.
TEMPS MODERNES. 231
dire ceux qui n'ont que des tissus cellulaires, sans vais-
seaux, se divisent en :
1° Foliacés^ ayant des expansions foliacées et des sexes
apparents ;
2° Aphylles, n'ayant pas d'expansions foliacées, ni de
sexes apparents.
Telle est l'esquisse des groupes fondamentaux, établis
par P. de Gandolle. L'auteur y a fait entrer toutes les fa-
milles de plantes connues, en commençant par les renon-
culacées et finissant par les algues.
Mais cette classification elle-même était loin de répon-
dre à toutes les indications de la science. C'est pourquoi
d'autres tentatives furent faites par Lindley, A. Ri-
chard, Bartling, Oken, Endliclier, Reichenbach, Will-
komm, etc. Voici, en somme, en quoi elles consistent.
John Lindley (né en 1799 à Getton près Nordwich),
voyant que beaucoup de genres avaient été rejetés par de
Jussieu et de Gandolle dans les catégories des plantes
incertse sedis, sans qu'il fut possible d'en marquer les
affinités avec les familles anciennes, imagina de créer des
ordres {cohortes) et sous-ordres [nixus], qui devaient
mieux ménager les transitions entre les divisions éta-
blies *.
Vers la même époque, Achille Richard (né à Paris, eu
1794 mort en 185-2), professeur d'histoire naturelle à la
Faculté de médecine de Paris, introduisit dans le règne
végétal deux sortes de groupes, les tribus et sous-familles j
pour faire disparaître les genres incertœ sedis.
F.-Th. Bartling, entreprit de concilier le système de L,
de Jussieu avec celui de De Gandolle, en créant soixante
ordres pour lier les classes aux familles, et en ajoutant
neuf familles nouvelles aux 246 familles déjà établies. Il
divisa en outre, les monocotylédones en chlamydoblastes
1, An Introduction of the natural System of hotamj, etc. ; Londres,
1830, ia-8«.
232 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
(à emJ^ryon couvert) et en gymnoblastes (à embryon nu) ;
de même qu'il partagea les acotylédones en homonémés
(à germes en filaments égaux) et en hétéronèmés (à germes
en filaments inégaux) K
L. Oken (né en 1779, mort en 1851), professeur d'his-
toire naturelle à Zurich, divisa le règne végétal en sept
classes, suivant la prédominance de la racine, de la tige,
du feuillage, de la fleur, du fruit. Chaque classe est sub-
divisée en 4 ordres, chaque ordre en 4 tribus, et chaque
tribu en 4 familles. Plus tard l'auteur modifia son sys-
tème, mais toujours de manière à y faire revenir sans
cesse le nombre quatre, le fameux quaternaire des Pytha-
goriciens ^ L. Rudolphi suivit la même voie, sans plus de
succès.
Endlicher^^ professeur de botanique à Vienne, créa,
d'accord avec le professeur Unger, un système, d'après
lequel il divisait tout le règne végétal en thallophytes (plantes
qui n'ont ni axe, ni expansion foliacée, et où l'accroissement
s'effectue sur tous les points de la surface), et en cormo-
phijtes (plantes pourvues d'axes et de feuilles, et où l'ac-
croissement s'effectue dans une direction déterminée).
Les thallophytes sont divisés en protophyles (algues et
fougères) et en hystérophytes (champignons). Les cormo-
phytes se partagent en acrobniés, en amphibryés et àcram-
phibryés, suivant que l'accroissement se fait en longueur
(par le sommet de l'axe), en épaisseur (par les divisions
latérales de l'axe), ou à la fois en longueur et en épais
seur. Les acrobryés sont subdivisés en 3 cohortes : les
axophytes (mousses), /)rotop%ie5 (cryptogames vasculaires)
1. Ordines plantarum; Goettingue, 1830, in-8°-
2. Oken, Systema orbis vegetabilium ; Greifswald, 1830, in-8°.
3. EUenne-Lâdislas Endlicher, né en 180i à Presbourg, était pro-
fesseur de botanique à Vienne, lorsqu'il se tua d'un coup de pistolet en
1849. Son collaborateur, l'nger, a été frappé de mort subite (en avril
1870). Une grande obscurité règne sur son genre de mort. On pense
qu'Unger a été étranglé dans son lit.
TEMPS MODERNES. 23?
et hystérophytes (rhizantliées) . Les amphibryés compren-
nent une seule cohorte, et les acrambryés quatre : les
gymnospermes (conifères), les apétales [monochlamydés de
DeCand.), les gamopétales [coroUi flores et cali ci flores gamo-
pétales de De Gand.) et les diapétales (pléiopètales calici-
flores et thalamiflores de De and.). Enfin les thallo-
phytes comprennent 3 et les Gormophytes 58 classes,
et ces 61 classes réunies sont à leur tour distribuées en
278 ordres ou familles ^ Ce système n'a été adopté que
par un petit nombre de botanistes.
Henri Gottlieb Reichenbach (né à Leipzig en 1793), pro-
fesseur d'histoire naturelle à l'académie médico-chirurgi-
cale de Dresde, partit de l'idée que les points successifs
du développement organique d'une plante isolée com-
plète, doivent se retrouver dans la totalité du règne
végétal. En conséquence, il divisa ce règne en trois degrés
(gradus), comprenant les inophytes (plantes fibreuses), les
stèléchophytes (plantes à tiges) et les anthocarpophytes
(plantes à fleurs et à fruits). Ces deux embranchements
sont partagés en huit classes [champignons^ lichens, chlo-
rophytes, coléophytes, synchlamydées^ synpètalées^ calycan-
thées, thalamanthèes) ; chaque classe est divisée en trois
ordres, et chaque ordre est subdivisé en familles, au
nombre de 132 ^. Ce système a pour point de départ une
hypothèse qui ne se réalise que là où l'auteur s'accorde
avec de Jussieu et de Gandolle ; il ne fait alors que de
donner d'autres noms à des choses qui sont au fond les
mêmes.
L'un des systèmes les plus récents est celui de Mau-
rice WillJwmm^ professeur à l'université de Leipzig. Il
1. Eodlicher, Enchiridion bota)iicum, exhibens classes et ordines
plantarum; Leipzig, 1841, in-8°.
2. Reichenbach, Uebersicht des Gewœchsreiclis in seinen vatilr-
\ lichen Endwickelungsstufen ; Leipz., 1828, in-8°.
23i HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
partage ie règne végétal en deux grands embranchements,
dont le premier comprend les plantes à spores (cryptoga-
mes), et le second, les plantes à graines (phanérogames)
Les sporophytes (plantes à spores) sont divisés en angio-
spores ou plantes dont les spores restent jusqu'à leur sé-
paration entourés des cellules où ils se sont développés
(champignons, lichens, algues), et en gymnospores ^ ou
plantes dont les spores deviennent de bonne heure libres
par la résorption de leurs cellules (mousses, fougères,
équisétacées, etc.). Les spcrmatophytes (plantes à graines)
contiennent les gymnospermes et les angiospermes. Ces di-
visions se décomposent en classes, ordres et familles ^. Ce
système, fort simple, mérite d'être pris en considération.
Les essais de classification, que nous venons de passer
en revue, montrent que le nombre des familles du règne
végétal ne peut point être rigoureusement fixé, et que les
lois qui servent à les établir sont loin d'être constantes :
elles tiennent de la mobilité do tous les phénomènes de
la vie.
II. Phytologie.
Les découvertes microscopiques de Malpighi, de Grew
et de Leeuwenhoek devinrent un objet de violentes criti-
ques ; elles furent rejetées comme entachées d'erreur par
tous ceux qui, — et ils étaient nombreux, — prenaient le
microscope pour un instrument trompeur. J. B. Trium-
fetti (mort en 1707), directeur du jardin botanique du col-
lège de la Sapience à Rome, et J. Jérôme Sbarajlia (né en
1641, mort en 1710), professeurà Bologne, se firent particu-
lièrement remarquer par la violence de leurs attaques : le
premier dans ses Yindicise veritatis (Rome, 1 703 , in-4) , le se- '
t
1. Willkomm, Anleitung sum Studium der wissenschaftUchen Bo-
tanik, etc. Leipz., 1854, in-8".
TEMPS MODERNES. 235
cond dans ses Oculûrum et mentis vigilise (Bologne, 1704,
in-4). Fontenelle, secrétaire perpétuel de l'Académie des
sciences, fut lui-même au nombre de ceux qui s'élevaient
contre l'emploi du microscope, « parce que cet instrument,
disait-il, ne montre que ce que l'on veut voir*. 55
Winckler, dans son Histoire de la botanique, rappelle
ici avec beaucoup d'à-propos le mot de Boerne : « Lors-
que Pythagore découvrit son fameux théorème, il offrit
aux dieux une hécatombe; depuis lors toutes les bêtes
tremblent à chaque annonce d'une vérité nouvelle. y>
Ajoutons cependant que ceux qui s'insurgent contre les
vérités nouvelles ne sont pas tous des bêtes, témoin Fon-
tenelle; mais c[u'ils subissent le joug de l'autorité tradi-
tionnelle : ce sont des aveugles.
Les premiers travaux micrographiques trouvèrent, chose
digne de remarque, un défenseur convaincu dans le célèbre
philosophe Christian Wolf (né en 1679, mort en 1754 à
Halle). Ce métaphysicien géomètre répéta les expériences
de Nieuvi^entyt en montrant, à l'aide de la machine pneu-
matique, que les trachées contiennent de l'air et que ce
sont de véritables organes respiratoires. Partisan de la
doctrine des causes finales, il admettait que les fibres sont
diversement entrelacées pour mieux résister à l'action flé-
chissante des vents; que les vaisseaux sont creux, afin de
contenir des sucs de diverse nature ; que les vaisseaux
rayonnes vont de l'écorce à la moelle pour bien distribuer
les aliments, etc. ^. — L. Ph. Thilmmig suivit la même
voie que Gh. Wolf.
Le mouvement du suc nourricier, ascendant dans la tige
et descendant dans la racine, devint, pour beaucoup d'ob-
servateurs, un intéressant objet de recherches, ia Hire, d'ac-
1. Hist. de VAcadimie des Sciences, 1711, p. 43.
2. Ch. Wolf, Yernûnflige GedankenvondenWirkungen der Natiir;
Halle, 1723, iii-8°.
3. Thûmmig, Essai d'une explication rationnelle des principaux
phénomènes de la nature (en allem.); Halle, 1722, in-8°.
236 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
cordavec Kniglit, l'attribuait à la différence de densité des
sucs * . Gr. Starken essaya d'expliquer, par la disposition incli-
née des feuilles séminales de l'embryon, pourquoi certaines
plantes grimpantes, tels que le houblon, le chèvre-feuille,
les ménispermés, etc., s'enroulent de gauche à droite, tandis
que d'autres, comme le haricot, le liseron, etc., s'enroulent
de droite à gauche, affirmant que les plantes qui s'élèvent
droites ont la radicule opposée à la gemmule. Mais cette
manière de voir ne s'accorde pas toujours avec la réalité ;
car les ménispermés volubiles ont la radicule droite, au
milieu des cotylédons, tandis que d'autres plantes, non
volubiles, telles que les justicia^ les corrigiola, etc., l'ont
oblique^.
Etienne Haies (né en 1677, mort en 1771), membre de
la Société royale de Londres, après avoir essayé d'appré-
cier la force avec laquelle le cœur pousse le sang dans les
artères, fit des expériences analogues sur les végétaux. Il
constata que la force de transpiration des plantes est infi-
niment plus grande que celle des animaux. Il démontra
aussi la force d'absorption de l'humidité par les feuilles.
Ses expériences, très-bien faites, sont décisives®.
Elles furent, en partie, reprises par J. E. Guettard (né à
É Lampes en 1715, mort en 1786). Ce naturaliste parvint à
un résultat longtemps contesté, et qui n'a été mis hors de
doute que par les travaux récents de M. Duchartre, à
savoir que l'eau qui pénètre dans les organes des plantes,
n'y arrive que par les racines, et que les feuilles ne con-
courent point à son absorption*.
Guettard soumit le premier les poils, les aiguillons et
1. Mém. de VAcad. des Scienc, année 1711, p. 65.
2. Starken, Gy ros convolvulorum evoïvere tentalnt; Relmst., 1705,
in-4° (ThÔBB inaugurale).
3. Haies, Yegetable staticks, Lond., 1757, in-8* (trad. en français
par Buffon).
4. Mém. de VAcad., année 1748, p. 833 et suiv.; et année 1749,
p. 382 et suiv.
TEMPS MODERNES. 237
les glandes des végétaux à un examen attentii. Th. Eller
de Berlin (né en 1689, mort en 1760) fit, comme Haies et
Guettard, des recherches sur la transpiration des plantes'.
Une fille de Linné, Élisaheth-Ghristine, observa la
première que les vapeurs exhalées par les fleurs sont
souvent inflammables^.
Le P. Sarrabat, dit de Labaisse^ fit, l'un des premiers,
des expériences, au moyen d'un liquide coloré, pour mon-
trer que l'ascension de la sève ne s'effectue ni par l'é-
corce, ni par la moelle, comme on l'avait pensé, mais par
les fibres ligneuses, et qu'elle passe de là dans les ner-
vures des feuilles et dans les fibrilles des fleurs. Il mon-
tra aussi que si, dans ces expériences (faites avec le phy-
tolacca octandra)^ l'écorce se trouve teinte, c'est que la sève
y a été portée par les vaisseaux rayonnes qui vont de la
moelle à l'écorce en traversant le bois^
La question de l'âme des plantes fut reprise par Gasp.
Bose^ professeur de Leipzig*, à propos des mouvements
de la rose de Jéricho et de la sensitive, que Bufay (Mém.
de l'Académie des sciences) attribuait à une structure fibril-
laire spéciale. — La doctrine de la génération spontanée des
champignons, et surtout de la truffe par la putréfaction de
détritus organiques, trouva des partisans dans le comte
Marsigli de Bologne (né en 1658, mort en 1730), et dans
le célèbre médecin Lancisi (né en 165(i, mort en 1720).
Gilles Aug. Bazin., médecin de Strasbourg (mort en
1754), essaya d'expliquer l'ascension de la sève et l'ac-
croissement vertical par la succion de vésicules aériennes,
succion qui se manifeste dans les vaisseaux spiraux, assi-
milés aux trachées des insectes. Les racines, dépourvues
1. Mémoires de l'Académie de Berlin, année 1748, p. 10 et suiv.
2. Mémoires de l'Académie des Sciences de Suède, année 1752,
p. 291.
3 . Sarrabat, Dissertation sur la circulation de la sève des plantes;
Bordeaux, 1738, in-8°.
4. Bose, De motu plantarum sensus asmulo; Leipz., 1728, in-S."
238 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
de trachées, peuvent se diriger en tous sens à la recherche
de leur nourriture et de l'humidité*. Ludwig révoqua en
doute le mouvement aspiratoire que Bazin attribuait aux
trachées des plantes.
Les trachées, ou vaisseaux spiraux, sur lesquelles Fr.
Walker et Jamperl avaient émis les idées les plus erro-
nées, furent soumis à un examen plus attentif par Se-
ligmann, J. Trew et surtout par Reichel {Diss. de vasis
plantarum spiralibus^ Leipzig, 1758, in-4°).
Les grains de pollen devinrent un objet d'études spé-
ciales pour Needham, qui a tant fait pour la microgra-
phie. Il admettait que les grains polliniques contiennent
les germes, que les ovaires ne faisaient qac, dévelop-
per^. Cette manière de voir paraissait contredite par les
observations de Fr. Moeller^ de Berlin, qui, répétant les
expériences de Spallanzani sur les plantes dioïques,
trouva que l'ablation des fleurs mâles dans un champ
d'épinards et de chanvre n'empêchait pas les fleurs fe-
melles de produire des graines fertiles. Mais le profes-
seur Kœstner, de Grœttingue, fit voir que ces expériences
ne prouvent rien, parce que l'épiuard et le chanvre, classés
parmi les plantes dioïques, renferment quelquefois des
fleurs hermaphrodites, et qu'on en trouve même sur les
saules, décrits comme essentiellement dioïques'. Moeller
est plus dans le vrai lorsqu'il compare les bulbes aux
bourgeons, et qu'il fait dépendre des bourgeons ou gem-
mes l'accroissement des végétaux*.
Le tissu cellulaire fut présenté par G. R. Boehmer (né
en 1723, mort en 1803) comme la trame fondamentale de
1. Observations inr les iilantcs ctleur analogie avec les insectes-
Strasb., n41,in-8°.
2. Needham, Nouvelles découvertes faites avec le microscope; Levde
1747, in-g".
3. Hamburg. Maga%., II, 454 ; III, 410.
4. Moeller, Oekon. phijsikal. Abliandl., t. I et V.
TEMPS MODERNES. 239
la plante, et il en déduisit tout le système vasculaire*.
L'idée des transformations commençait alors à poindre
dans beaucoup d'esprits. J. Hill (né en 1716, mort en 1775)
lit venir les pétales, par voie de métamorphose, des cou-
ches externes de l'écorce, et le réceptacle de la fleur des
couches internes de l'écorce^ Il décrivit le premier les
spongioles ou extrémités fibrillaires des racines, et consacra
un travail spécial au sommeil des plantes : The sleep of
plants; 1757, in-8. Enfin il étudia la structure des vaisseaux
en se servant de liquides colorés.
Les fonctions des feuilles ont été l'objet d'un travail
classique de Charles J5onneî (né à Genève en 1720, mort en
1793). Ce travail {Recherches sur l'vsagp' des feuilles^ 17c4,
in-8°) se compose de cinq mémoires : le premier contient
un grand nombre d'expériences pour démontrer que les
feuilles sont des espèces de « racines aériennes qui pom-
pent l'humidité et les exhalaisons répandues dans l'air,
et que la surface inférieure des feuilles est le principal
siège de la succion et de la transpiration. » Le second
mémoire traite de la direction naturelle des feuilles. Cette
direction est telle, que la surface inférieure regarde tou-
jours le sol d'où elle pompe la vapeur nourricière, et que
si elle vient à être changée, « les feuilles savent la repren-
dre d'elles-mêmes par un mouvement qui leur est propre,
et qui paraît presque aussi spontané que ceux que so
donnent divers animaux pour des fins analogues, » Le
troisième mémoire a pour objet la distribution symétrique
des feuilles. Le quatrième donne des expériences sur des
feuilles qui, détachées de leur sujet, ont poussé un grand
nombre de racines et sont devenues elles-mêmes des plan-
tes en quelque sorte complètes. L'auteur y décrit aussi
1. Boehmer, De celhdoso vegetahilium cnntextu; "Witterab., 1753,
in -4.
2. Hill, OutUnes of a System of vegelable génération; Londres,
1758, in-8°.
240 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
diverses monstruosités dont il indique l'origine ; c'est le
premier essai qui ait été fait d'une tératologie végétale. Le
cinquième mémoire traite de la question, souvent agitée,
de l'ascension de la sève; des injections colorées ont
permis à l'auteur de suivre de l'œil la marche du liquide
dans une grande partie de son parcours. Mais si la sève
ascendante est réelle, l'existence de la sève descendante
n'est point par là démontrée : en un mot la circulatioii de
la sève paraissait à Gh. Bonnet au moins très-douteuse.
Dans le m.ême mémoire il réfute par l'expérience l'opinion
d'après laquelle le blé pourrait se convertir en ivraie ; et
il démontre que le défaut de lumière est la cause de l'alté-
ration des plantes qu'on élève dans des lieux obscurs, et
que les jardiniers ont nommée étiolement.
Les stomates (oscula) , dont est parsemée la face infé-
rieure des feuilles, furent examinées avec soin par H. B.
de Saussure, le célèbre voyageur des Alpes (né en 1740,
mort en 1799). Il montra que ces ouvertures sont entou-
rées d'un rebord glandulaire, adhérent aux parois du tissu
cellulaire, qu'elles manquent dans les pétales, et que c'est
par là que les feuilles absorbent des fluides ^
La circulation de la sève, dont la réalité avait été révo-
quée en doute par Gh. Bonnet, fut démontrée par L. Du-
hamel de Monceau. Get ingénieux expérimentateur montra
d'abord, dans sa Physique des arbres (Paris, 1758, in-^),
que la sève descendante diffère de la sève ascendante, ainsi
que des sucs propres, qu'elle entretient continuellement
le cambium, entre l'écorce et le bois, et qu'elle concourt
essentiellement à la nutrition du végétal. Ges donnée;,
importantes furent confirmées par d'autres observateur.-.
C'est ainsi que Treviranus montra qu'en effet les sucs
propres des euphorbes, des pavots, de la chélidoine, etc.,
loin d'être de même nature que la sève descendante, ne
1. B. de Saussure, Observations sur l'écorce des feuilles et pétales;
Genève, 1762, in-4''.
TEMPS MODERNES. 241
sont que des fluides excrémentitiels, analogues, non point
au sang, mais à la bile, à la salive, etc., qui ne concou-
rent qu'indirectement à la nutrition.
Duhamel fit encore de nombreuses expériences sur l'ac-
croissement des arbres (dicotylédones) en diamètre ; run(!
des plus concluantes consistait à faire passer l'anse d'un
fil d'argent dans le liber ou partie interne de l'écorco.
Au bout de deux ou trois ans, le fil se trouvait engagé
au milieu des couches ligneuses. L'observateur en con-
clut que le liber, au milieu duquel le fil d'argent se
voyait engagé, s'était transformé en bois ; conséquem-
ment que la couche fibreuse interne de l'écorce forme
petit à petit la nouvelle couche ligneuse, qui chaque an-
née s'ajoute aux couches de bois successivement produi-
tes. Rien n'est plus fondé, en apparence, que cette théo-
rie de l'accroissement externe. On ne tarda pas cependant
à constater que ce n'est pas, comme le croyait Duhamel,
le liber qui se transforme en bois, mais que l'accrois-
sement du tronc s'effectue dans la couche utriculaire,
sous-jacente au liber, dans la couche du cambium. De là
naquit une nouvelle théorie, qui va conduire la science
jusqu'à nos jours. En voici la filiation.
Jean-Nicolas La/lire (né à Paris en 1685, mort en 1727),
fils du célèbre géomètre de ce nom, avait émis, en 1719,
dans les Mémoùes de rAcaclémie des sciences, Vojiinion que
les bourgeons sont les agents essentiels de l'accroissement
des tiges en diamètre, et que c'est de leur base que par-
tent et descendent les fibres, qui forment chaque année
les nouvelles couches ligneuses, qui viennent augmenter
la grosseur de la tige. Cette théorie était entièrement ou-
bliée, quand elle fut reprise, en 1 809, par Du Petit-Thovars.
De ses observations ce botaniste conckit que les bour-
geons sont en C[uelque sorte des « embryons germants »,
pour lesquels la couche de cambium, située entre l'é-
corce et le boii5, remplit le même usage que le sol pour
les graines qui germent. Pendant que le bourgeon va
16
242 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE
former une jeune branche, sa base donne naissance à des
fibres , qui remplissent l'office des radicules de l'em-
bryon. Ces fibres descendent à travers la couche humide
de cambium, où elles rencontrent celles qui proviennent
des autres bourgeons; toutes s'anastomosent, prennent
de la consistance et forment ainsi chaque année une nou-
velle couche de bois*. Cette théorie, que la greffe en
écusson paraissait confirmer, allait succomber sous des
attaques réitérées, quand elle fut reprise, avec certaines
modifications, par Gaudichaud (né en 1780, mort en 1854).
D'après ce botaniste, l'organisation de la tige et des
parties appendiculaires, telles que les feuilles, les calices,
les corolles, les étamines, les pistils, n'est que le résul-
tat du développement d'un seul organe primitif, dont
l'embryon monocotylédoné est le type. En effet, de même
que l'on observe dans l'embryon monocotylédoné, lorsqu'il
a piis tout son expansion normale, un mamelon radicu-
laire qui constitue son système descendant, puis une tigelle,
un cotylédon et son support, lesquels forment son sys-
tème ascendant, de même aussi on voit, dans le végétal
plus avancé, la racine qui représente la radicule, c'est-à-
dire le système descendant, et le mérithalle avec la feuille
et son pétiole, qui représentent la tigelle, le cotylédon,
ainsi que son support, c'est-à-dire le système ascendant. Le
type simple que présente l'embryon monocotylédoné se
double, se triple, se quadruple, se quintuple, etc., dans
l'embryon dicotylédoné, et il en est de même de l'appa-
reil vasculaire qu'il renferme.
Tout cela se démontre rigoureusement par l'anatomie
de la jeune plante. L'appareil vasculaire se compose de
deux ordres de vaisseaux : l'un se porte du collet de la ra-
cine au bourgeon, l'autre du bourgeon à l'extrémité de la
racine. Le premier élève jusqu'au bourgeon la sève brute
1. Du Petit-Thouars, Essais sur la végétation, considérée dans le
développement des bourgeons; Paris, 1809, in-S".
TEMPS MODERNES. 243
([ui s'y élabore ; le second conduit jusqu'à la racine une
partie de la sève élaborée. Celui-ci, dans les dycotylédonés,
se prolongeant entre l'écorce et le bois, forme les nouvel-
les couches ligneuses par son union avec les utricules nées
de la tige, et contribue, de cette façon, à l'accroissement
en diamètre, tandis que l'autre, s'allongeant au centre et
aboutissant au bourgeon qui transforme en matière orga-
nisée une partie de la sève venue de la racine, travaille à
l'accroissement en longueur. Il suit de là que le bourgeon
ne reçoit d'en bas rien de solide, rien d'organisé, qu'il
crée de toute pièce les vaisseaux qui entrent dans sa
composition et que ce sont les mêmes vaisseaux, déve
loppés intérieurement, qui se représentent dans les cou-
ches ligneuses de la tige et de la racine, dont ils consti-
tuent la portion la plus importante. Quant aux utricules
des couches, soit qu'elles s'allongent de bas en haut, ou
du centre à la circonférence, elles s'organisent sur place,
entre l'écorce et le bois, et n'ont rien de commun avec
le bourgeon ^
Telle est, en substance, la théorie de &audichaud. Peu
favorisée en France, elle fut soutenue en Angleterre par des
observateurs d'un grand mérite, entre autres par Knight
et Lindley.
Respiration des plantes. — Les travaux de Bonnet
et de Duhamel du Monceau avaient préparé la décou-
verte de la fonction respiratoire des feuilles. En cherchant
le moyen de rendre le gaz acide carbonique propre à la
respiration et à la combustion, Priestley trouva, en 1771,
que les végétaux peuvent, non-seulement vivre dans ce
gaz oii les oiseaux périssent , mais qu'ils le rendent
respirable, d'irrespirable qu'il était; il constata même
1 . La théorie de Gaudichaud se trouve exposée dans Vlntrodudîon
(1" partie) au Voyage autour du monde sur la corvette la Bonite
(Paris, 1851); elle est accompagnée d'un bel atlas, composé de
planches coloriées.
244 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
que ce changement ne se produit que sous l'influence de
la lumière du jour, et qu'il cesse la nuit. Malheureuse-
ment l'observation de Priestley ne fut bien comprise
qu'après la découverte de l'oxygène et celle de la com-
position du gaz acide carbonique.
C'est par une sorte d'engrenage inéluctable qu'une
science fait, en marchant, avancer une autre science : le
progrès de la physiologie dépendait de l'avancement de la
chimie.
Depuis la découverte des gaz dont l'air atmosphérique
n'est qu'un mélange, les observateurs fixèrent plus parti-
culièrement leur attention sur les phénomènes qui se
passent dans ce milieu matériel où s'opère la vie des
plantes et animaux. Il fut d'abord reconnu que tous les
gaz qui constituent l'air ne sont pas également respira-
bles, et qu'il n'y en a quun seul, l'oxygène, l'air vital
par excellence, qui soit absolument nécessaire à l'entre-
tien de la respiration. Instruit par les expériences de
Priestley que le règne végétal et la règne animal se prê-
tent un mutuel concours, J. Ingenhousz (né à Bréda eu
1730, mort en Angleterre en 1799) essaya de pénétrer
plus avant dans ce mystère*; il fut bientôt suivi dans la
même voie par J. Sembler, de Genève (né en 1742, mort
en 1809)^. Ces deux observateurs établirent, par leurs
expériences, que les plantes, sous l'influence de la lumière,
décomposent l'acide carbonique en fixant le carbone et
mettant l'oxygène en liberté, tandis que dans l'obscurité
elles respirent comme les animaux, en absorbant l'oxy-
gène de l'air et en dégageant de l'acide carbonique.
La découverte de la fonction respiratoire des plantes
provoqua une étude plus attentive des organes par lesquels
cette fonction devait s'exercer. La membrane transpa-
1. Ingenhousz, Expériences sur les végétaux; Paris, 1780, in-8°.
2. Senebier, Reclterches stir l'influence de la lumière solaire pour
métamorphoser l'air fixe en air pur par la végétation; Genève, 178;5 ,
in-8°.
TEMPS MODERNES. 245
rente, incolore qui, sous le nom d'épiderme^ recouvre
toutes les parties du végétal aussi bien que de l'animal,
avait été soumise à l'examen microscopique déjà par Mal-
pighi et G-rew. Malpighi soutenait que l'épiderme est
formé par les utricules externes du tissu cellulaire, épaissies
et endurcies par l'action atmosphérique. Cette opinion eut
pour défenseurs H. D. Moldenhawer^ Antoine Krocker%
J. J. Bernhardi*, Gh, A. Rudolphi*, Fr. Linck^, Brisseau-
MirheP, etc. Grew, au contraire, présentait l'épiderme
comme une membrane tout à fait distincte du tissu sur
lequel elle se trouvait appliquée. Gette seconde opinion
fut appuyée par B. H. de Saussure, J. Hedwig, Trevira-
nus, Amici, Ad. Brongniart, Hugo Mohl et par d'autres.
Les travaux de ces observateurs ont mis l'existence de l'é-
piderme, comme membrane distincte, hors de doute. Bien
plus, d'après les recherches de Henslow, d'Adolphe Bron-
gniart et de H. Mohl, cette membrane elle-même se
compose de deux pellicules, l'une extérieure {cuticule)^
d'apparence granuleuse, percée d'ouvertures en forme de
boutonnières, l'autre, sous-jacente, formée d'une ou de
plusieurs couches d'ulricules soudées entre elles et souvent
incrustées de silice, comme dans l'épiderme des prêles
d'eau et des graminées.
Les ouvertures en forme de boutonnières, appelées sto-
viates, pores corticaux, glandes corticales^ dont l'épiderme
est percé, avaient été également observées déjà par Malpi-
ghi et Grew. Mais ce n'est que plus tard qu'il fut recon-
nu, particulièrement par Amici, que ces petites bouches
sont bordées d'une sorte de bourrelet, formé par un nom-
bre variable de cellules épidermiques, et que ces bourre-
1. Diss. de vasis plantarum; Utrecht, 1779, in-S".
2. De plantarum epidermide; Halle, 1800, in-8°.
3. Beobaclitungen ûber P flanzenge fasse ; Erf., 1805, in-S°.
4. Anatomie und Plnjsiol. der Pflansen; Goett., 1807.
il. Anat. der Pflansen; Berl., 1807.
G. Traité d'anatomie et physiol. vég.; Paris, an X, in-8'.
246 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
lets, espèces de sphincters, sont susceptibles, sous diverses
influences atmosphériques, de se dilater ou de se resserrer.
Communs sur l'épiderme des feuilles et des jeunes tiges, les
stomates, variables de grandeur suivant les espèces végé-
tales, manquent sur l'épiderme des racines, des pétioles,
des pétales, des vieilles tiges, des graines et des fruits
charnus. Gomment ces pores se terminent-ils ? Les opinions
sont encore partagées. Suivant Link, Nées d'Esenheck et
Rohert Brown, ce sont de petites poches glandulaires, fer-
mées. Mais Hugo Mohl, et d'autres phytonomistes plus
récents, croient, d'après leurs observations, que les sto-
mates sont perforés, que la formation de leur fente est
due au dédoublement d'une cloison, existant dans l'intc-
rieurde l'utricule, qui se partagerait ainsi en deux lèvres.
Brisseau-Mirbel a donné des détails intéressants sur le
développement des stomates dans les cryptogames ^
Quant à l'usage des stomates, il est encore obscur. Ils ne
sont pas destinés, comme le croyait Amici, à l'absorption
de l'humidité, puisque l'eau les fait fermer et qu'ils
correspondent à des vides intérieurs, privés de sucs.
L'observation a montré qu'ils ne servent pas davantage à
l'évaporation, et qu'on ne peut pas non plus, avec Link,
les mettre au nombre des organes excrétoires, puisqu'ils
correspondent à des espaces vides. Suivant l'opinion
d'Achille Richard, généralement admise aujourd'hui, les
stomates jouent un rôle important dans la respiration
et sont spécialement destinés à l'exhalation de l'oxy-
gène, provenant de la décomposition de l'acide carboni-
que ahsorhé ou inspiré. Fermés pendant la nuit, ils ne
s'ouvrent, en effet, que le jour, sous l'influence de la
lumière; et les arbres qui, d'après les observations de
DeCaudoUe, n'ont pas de stomates, manquent aussi de la
faculté de dégager de l'oxygène.
1. Recherches sur le marchantia polymorpha ; Mém. de l'Acad. des
Sciences, année 1832.
TEMPS MODERNES. 247
A. Brongmart, Th. de Saussure, Dutrochet, Delile et
d'autres, ont montré par leurs recherches que la structure
des feuilles est merveilleusement en rapport avec les
fonctions respiratoires et nutritives. Leur parenchyme est
disposé, surtout à la face inférieure, de manière à for-
mer de petites poches, les poches pneumatiques, communi-
quant toutes entre elles, et où s'introduisent, par les pores
de l'épiderme, tous les éléments de l'air (oxygène, azote,
hydrogène et carbone, — ces deux derniers provenant
de la décomposition de l'eau et de l'acide carbonique),
qui entrent dans la composition chimique du végétal.
Arrivée aux extrémités de son parcours, la sève ascen-
dante subit le contact de l'air dans les poches pneumati-
ques, et s'y modifie exactement comme le sang veineux
se modifie d£tns les poumons par l'action de l'air. C'est
ainsi qu'on reconnut que les feuilles sont les analogues
des poumons.
Quel office remplissent alors les trachées? Depuis Mal-
pighi et Grew, tous les phytotomistes se sont accordés sur
ce point que la trachée est une lame étroite, mince, trans-
parente [spiricule], qui, roulée en hélice ou spirale, forme
par ses tours rapprochés un tube cylindrique plus ou
moins allongé. Mais ils ont commencé à se diviser sur
la question de savoir si les tours de la spiricule sont
simplement soudés par une membrane très-déchirable,
placée entre eux, ou si la spiricule est roulée sur la sur-
face externe d'un véritable tube. Cette dernière opinion,
qui était celle de Hedwig, a été abandonnée. La pre-
mière, établie par les recherches de Kieser et de Dutro-
chet, a prévalu. On s'est divisé davantage sur la nature
de la spiricule. Se rapprochant de l'idée de Hedwig,
Mustel, Link, Viviani, Mirbel, ont présenté la trachée
comme formée de deux tubes, l'un interne, cylindrique,
charriant de l'air, — ■ tube pneumatophore, — l'autre, ex-
terne, excessivement délié, roulé en spirale autour du
tube pneumatophore, et qui a reçu le nom de vaisseau
248 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
adducteur ou chylifère. Cette façon de voir n'a pas été
adoptée par les observateurs plus récents, qui tous ad-
mettent que le corps roulé en spirale est un corps plein,
cylindrique ou comprimé. Longtemps incertain sur la
manière dont se terminent les trachées à leurs extrémités,
on s'accorde, depuis les travaux de Nées d'Esenbeck et de
Dutrocliet, à donner à leurs terminaisons une forme
conique.
Les trachées ou vaisseaux spiraux contiennent-ils de la
sève ou de l'air? Une singulière confusion a régné ici
parmi les observateurs : les uns n'y ont vu que de la sève,
les autres y ont trouvé de l'air. Ils avaient tous raison;
leurs observations étaient exactes : la confusion venait
de ce qu'ils avaient observé ces vaisseaux à des périodes
différentes de la végétation. Il a été, en effet, reconnu
que les trachées, qui ont pour siège d'élection les parois
du canal médullaire, le pétiole et les nervures des feuilles,
les calices, les pétales, les filets des étamines et les pa-
rois de l'ovaire, contiennent de la sève seulement dans la
première période de la végétation, quand ce liquide s'élève
en abondance par le milieu de la tige, et que les feuilles
et les fleurs commencent à se développer ; mais que l'air
s'y substitue insensiblement à la sève à mesure que les dif-
férentes parties de la plante prennent de l'accroissement.
C'est dans cette seconde période que les trachées devien-
nent des organes respiratoires. L'air va par là, pour ainsi
dire, à la recherche du suc nutritif dans toutes les parties
oîi celui-ci se renconti-e, — comme dans la respiration
des insectes, — pendant que le suc nutritif vient se faire
élaborer dans les appendices foliacés, comme chez les
animaux à respiration pulmonaire.
Les vaisseaux observés par H. Mohl, Schleiden, Mol-
denhawer, Link, Slack, etc., sous le nom de vaisseaux
annulaires, rayés, s calari formes, ponctués, réticulés, ne
sont, d'après l'opinion généralement adoptée, que des
modifications de la trachée. Aussi les a-t-on compris sou^
TEMPS MODERNES. 249
la dénomination générale de fausses trachées. De ces vais-
seaux diffèrent ceux que Schulz a le premier fait con-
naître sous le nom de vaisseaux laticifères. Ce sont des
tubes à parois membraneuses, transparentes, n'offrant ni
lignes, ni stries, ni lames, ni ponctuations. Chez les plantes
dicotylédones, ils sont surtout nombreux dans la moelle et
dans le tissu utriculaire de l'écorce, comme l'ont montré
Meyen et d'autres. Charriant la sève élaborée ou des-
cendante [latex), les vaisseaux laticifères sont les organes
de la circulation du suc vital, circulation que Schulze a
nommée la cyclose^, et où l'endosmose et V exosmose de Dn-
trocliet, deux modes d'absorption des liquides dépendant
de la différence de leur densité, paraissent jouer un rôle
important.
Notons, en passant, que sous le nom de vaisseaux pro-
pres, qui tend à disparaître de la science, différents ob-
servateurs avaient confondu les cavités ou vacuoles où
s'accumulent des sucs résineux, avec les méats intercel-
lulaires et les vaisseaux laticifères.
Quelle est l'origine de tous les vaisseaux ou du tissu
vasculaire ? Frappé du fait qu'une toute jeune plante ne
se compose que de tissu cellulaire et qu'elle ne ren-
ferme des vaisseaux qu'à une période plus avancée de
son développement, Treviranus entreprit une série d'ob-
servations qui lui permirent d'établir que les vaisseaux
proviennent de cellules (utricules) placées bout à bout,
dont les cloisons horizontales (diaphragmes) ont été com-
plètement ou en partie résorbées. Les fibres, qui con-
stituent le bois et les nervures des feuilles, ont la même
origine, puisqu'elles résultent de la réunion de cellules
très-allongées ou de tubes très-courts, terminés en pointes
à leurs deux extrémités. Tout se trouve ainsi ramené à
l'élément constitutif du tissu cellulaire, à l'utricule, sur
l. Schulze, Sur la circulation et sur les vaisseaux lactifères (latici-
fères) dans Les plantes; Berlin et Paris, 1839.
250 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
le développement duquel les observateurs ont été loin de
s'accorder. Suivant Treviranus et Turpin, ce dévelop-
pement s'effectue par les granules de chlorophylle (ma-
tière colorante verte), condensées dans les utricules du
tissu cellulaire. Suivant Schleiden, il s'opère par des nuclei
ou des cytoblastes (vésicules-germes) qui paraissent autour
de quelques granules comme une coagulation granuleuse.
D'après H. Mohl, l'utricule se forme par une membrane
intérieure qu'il nomme utriciile primordiale^. Un fait
certain, c'est que le tissu cellulaire ou parencbyme s'ac-
croît par la multiplication et l'expansion des utricules
qui le composent. Il y a des végétaux qui sont entière-
ment formés de tissu cellulaire (utriculaire), tels que les
champignons, les algues, les lichens, tandis qu'il y en a
beaucoup d'autres qui se composent à la fois de tissu
cellulaire et de vaisseaux. C'est ce qui a fait, comme nous
avons vu, distribuer à de Gandolle tout le règne végétal
en plantes cellulaires et en plantes vasculaires.
Un phénomène curieux, se rattachant à la circulation du
latex (cyclose), c'est le mouvement giratoire du fluide nu-
tritif [protoplasme], contenu dans les utricules du tissu
cellulaire. Ce phénomène fut pour la première fois ob-
servé, en 1772, par Bonaventura Corti dans certaines
plantes aquatiques [chara hispida et caulinia fragilis).
De ses observations, publiées en 1775^, le savant italien
conclut que le liquide de chaque cellule présente un
mouvement particulier, indépendant de celui des autres
cellules, et que ce mouvement rotatoire s'exécute invaria-
blement dans le même sens le long de la face interne des
parois cellulaires. Treviranus arriva, en 1807, à des ré-
sultats identiques sans avoir connu le travail de Gorti. Il
1. Morel, Hall. bot. Zeitung, année 1844.
2. B. Corti, Lettera sulla circulaaione del (luido, scoperta in
varie piante; Modena, 1775.
TEMPS MODERNES. 251
crut d'abord que cette giration du liquide nutritif
ne s'observait que dans les plantes aquatiques dont les
cellules allongées tiennent en quelque sorte lieu de vais-
seaux. Mais depuis les recherches de Schleiden, de Mohl,
de Meyen, de Schultz, d'Amici, de Raspail, de Slack, de
Gœppert, de Donné, etc., il a été reconnu que ce phéno-
mène est à peu près général, et que si on ne l'a pas
aperçu dans beaucoup d'autresvégétaux,c'estque le fluide
circulant dans les utricules était tout à fait incolore et
dénué des granules qui permettent d'en suivre le mouve-
ment. Ces granules, et le mouvement giratoire qu'elles
impriment, s'aperçoivent le mieux dans les utricules du ca-
lice de l'éphémère [tradescantia virginiacà) ^ dans les poils
de la corolle du liseron, des campanules, des labiées, et
surtout dans les poils qui garnissent les racines flottantes
du petit nénuphar [hydrocharis morsus ranse).
Les libres si enchevêtrées du dattier, que Desfontaines
avait soumises à une étude particulière, devinrent pour
Mirbel le point de départ d'une série d'observations inté-
ressantes sur l'accroissement des végétaux monocotylè-
donès, comparé à celui des dicotylédones^. Ces observa-
tions montrèrent qu'il existe une similitude complète
entre le bulbe et le stipe (tige des palmiers) ; que le
bulbe de l'oignon, de l'ail, du lis, etc., n'estpas seulement
un bourgeon surmontant une racine, mais un assemblage
des trois organes essentiels de la nutrition (racine, tige et
feuilles) ; que les caïeux, qui se forment à l'aisselle d'une
écaille (feuille) de bulbe, remplacent les bourgeons qui
se développent à l'aisselle des feuilles dans les végétaux
dicotylédones ; que dans les monotylédonés ces bourgeons
auxiliaires avortent presque constamment, ou restent à
l'état rudimentaire, comme cela se voit dans la plupart des
graminées et dans les palmiers, à l'exception du pal-
1. Comptes rendus de l'Académie des Sciences, 13 janvier 1843, et
7 octobre 1844.
252 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
mier doume, du dragonnier, de certaines espèces d'yuc-
ca, etc.
La structure et le développement des feuilles furent
particulièrement étudiés par Suringar % Hœven^, Berta',
Drejer'', Payen^, Grûjer% etc. Quant à la disposition de
ces organes appendiculaires sur leur axe, les botanistes y
restèrent longtemps inattentifs. Ce n'est guère que depuis
une quarantaine d'années qu'on a commencé à s'en oc-
cuper d'une manière spéciale. L'arrangement des feuilles
par deux (feuilles opposées), par trois ou un plus grand
nombre à la même hauteur de la tige, de manière à former
des verticilles, avait été remarqué depuis longtemps. Mais
ce n'est qu'en 1831 que F. Scïiimper et Al. Braun ont les
premiers abordé géométriquement la disposition des feuil-
les alternes ou éparses, et ont créé une nouvelle branche
de la science, nommée la phyllotaxie ' . En examinant, par
exemple, une branche gourmande de pêcher, on constate
que les feuilles n'y sont pas arrangées au hasard et
qu'elles forment autour de la branche une spirale parfai-
tement régulière. Ainsi, en partant d'une feuille quelcon-
que de cette branche on remarque que la sixième feuille
recouvre la première, et que c'est toujours après deux tours
de spire qu'on arrive à la feuille qui a servi de point de
départ; c'est la disposition quinconciale. L'arrangement
le plus simple est celui des feuilles alternes placées sur
deux rangs (distiques) : en partant d'une première feuille,
on voit qu'après un tour de spire, la troisième recouvre
la première, etc. En désignant par le numérateur d'une
1. De foliorum ortu, situ, fabrica, etc.; Leyde, 1820, in-4°.
2. De fol. ortu, etc.; ibid., 1826, in-4°.
3- Mem. suW anatomia délie foglie, etc.; Parme^ 1828, in-4".
4. Etementa phytologLr ; Copenh., 1840, in-S».
5. Essai sur la nervation des plantes ; Paris, 1840, in-4".
6. Bot. Zeit., année 1851.
7. Flora, 1835, n" 10, 11 et 12 ; Nova Act. Nat. Cur.; Bonn, t. XV,
p. 195 et suiv.j Annales des sciences naturelles, année 1836, 3J 7 ,
TEMPS MODERNES. 253
fraction le nombre des tours de spire et par le dénomi-
nateur le nombre de feuilles nécessaires pour qu'elles se
recouvrent, on a trouvé dans le règne végétal la série des
cycles que voici :
1 1 2 3 5_ 8
2' 3' 5' 8' 13' 21'
Pendant que Schimper et Braun poursuivaient leurs
recherches en Allemagne, L. et A. Bravais arrivèrent, en
France, à peu près aux mêmes résultats ^ La même ques-
tion a été étudiée depuis par Kunth' , Hochstetter % Neu-
mann*, et d'autres.
Les différentes parties de la fleur, ainsi que la disposi-
tion des fleurs sur leur axe [inflorescence) , ont été dans ces
derniers temps l'objet de nombreux travaux. Parmi les au-
teurs de ces travaux, nous citerons particulièrement Rœ-
per ^, Boreau^, Purkinje ', H. Molli®, Gruillard^, Kirsclile
ger*", Auguste Saint-Hilaire^*, Duchartre^^, Schleiden,
Schacht , etc.
La doctrine sur la fécondation, généralement adoptée
depuis Linné, fut vivement attaquée par J. B. Willbrand,
1. L, et A. Bravais, Essai sur la disposition générale des feuilles' reC'
tisériées, dans les Annal, des Scienc. nat., VU, p. 42 et suiv.
2. Kanth, Ueber Blattstellung dei- Dil:otijledonen; Berlin, 1843, iu-8».
3. Flora, n" 12, ann. 1850.
4. Ueber den Quincunx, etc.; Dresde et Leip., 1854, in-S".
5. Observât, sur la nature de fleurs et les inflorescences ; dans
Seringe, Mélanges bot., vol. II ; juin 1826.
6. Observât, sur les enveloppes florales, etc.; Paris, 1827.
7. De celluiis antherarum fibrosis, necnon de granorum pollinis
formis ; Bves\a.u, 1830-40.
8. Ueber die mànnlichen Blùthen der Coniferen; Tub., 1837.
9. Sur la formation et le développement des organes floraux ; Pa-
ris, 1835.
10. fessai sur les folioles carpiques ou carpidies ; Strasb., 1846.
11. Morphologie végétale ; Pans, 1847, in-8.
12. Annales des sciences nat.; mai 1848.
254 HISTOIRE DE La BOTANIQUE.
dans une notice [Existe-tAl dans les plantes une différence
sexuelle?) publiée, en 1830, dans Bot. Zeitung (t. II,
p. 585 et suiv.).Schleiden à Berlin, et Endlicher à Vienne,
émirent en 1837, mie théorie qui tendait à renverser l'idée
qu'on s'était faite jusqu'alors des fonctions des éta-
niines et du pistil. D'après cette théorie, le pollen con-
tiendrait les rudiments de l'embryon : conséquement
l'étamine serait l'organe sexuel femelle, tandis que le pis-
lil serait l'organe sexuel mâle, parce que les ovules se-
raient uniquement destinés à fournir aux rudiments de
l'embryon les matériaux nécessaires à leur développement.
Unger, Wydler, Gréléznoff et d'autres botanistes adoptè-
rent cette théorie, renouvelée en 1850 par Schacht. Elle fut
vivement combattue d'abord par Hartig, Meyen, Amici,et
plus tard par H. Mohl, Hofmeister et Tulasne. La ques-
tion paraît devoir être résolue dans le sens des derniers
observateurs.
Les phénomènes de l'irritabilité et du sommeil des
plantes ont été l'objet des travaux de Labat, de F. Johns-
ton, de Nasse, de Morren, de Dutrochet, de Meyen, de
Brûcke, de Fée, de Meyer, de Dassen, de Fritsch, etc.,
que nous ne pouvons ici que mentionner.
Pour satisfaire ce besoin de l'esprit qui cherche partout
l'unité dans la variété, les botanistes imaginèrent diverses
doctrines sur la métamorphose des plantes. Regardant la
moelle comme la partie la plus essentielle du végétal, Lin-
né en faisait venir, par voie de transformation, le pistil,
considéré comme l'organe le plus important de la fleur;
il plaçait les vaisseaux de la nutrition dans l'écorce, dont
la partie interne [liber] devait former les couches annuel-
les du bois ; enfin de la partie externe de l'écorce prove-
nait, selon lui, le calice, de la partie interne la corolle, du
bois l'appareil sexuel mâle (étamines). Ayant pris l'arbre
pour type de la végétation, Linné pensait qu'à toutes les
plantes il faut au moins deux ans pour produire une florai-
son complète, et que dans les plantes annuelles l'apparition
TEMPS MODERNES. 255
de la fleur est une floraison anticipée, une prolepsis, pour
nous servir de son expression*.
Cette théorie n'était pas soutenable. Mieux inspiré que
Linné, Gaspard Frédéric Wolff prit, pour le rappeler, la
feuille comme principe de la métamorphose végétale. C'est
ainsi que le calice, la corolle, les étamines, l'ovaire, ne se-
raient que des feuilles transformées^. Cette idée fut reprise
et développée par Grœthe, voulant « unir ce que Linné avait
séparé. » Seulement, au lieu d'expliquer, comme Wolff, les
métamorphoses delà feuille par un affaiblissement succes-
sif de la force végétative, le grand poète allemand posait
en principe une sorte d'hiérarchie de la végétation, dont le
point culminant était représenté par la fleur*. Cette théo-
rie, adoptée par Fr. S. Voigt, Kieser, Oken, Nées d'E-
senbeck, etc., devint bientôt générale et se fondit avec la
doctrine de la symétrie des organes, doctrine de de Ca.n-
doUe, développée par Aug. Saint-Hilaire. Cette doctrine
explique les écarts de la symétrie des organes par des dé-
générescences, par des avortements et des adhérences.
III. Phytograpbie.
La connaissance des plantes, primitivement limitée à
la région méditerranéenne, va finir par embrasser la pres-
que totalité de la surface du globe terrestre. Gomme les
hommes qui y ont le plus contribué appartiennent à
l'Europe, on comprendra aisément la division du tableau
descriptif des espèces végétales en flore européenne ou
1. Amœnitates acad., vol. IV, p. 368 (ann. 1755), et vol. VI, p. 324
(ann. 1760).
2. Nov. Comment, acad. Petrop., t. XII, p. 473, et t. XIII, p. 478 et
suiv.
3. Goethe, Tersuchdie Metamorph. der Pflanzen su erklûren; Go-
tha, 1790.
256 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
indigène, et en flore exotique, comprenant les plantes de
l'Asie, de l'Alrique, de l'Amérique, de l'Australie et des
îles annexes de ces continents.
FLORE INDIGENE SPECIALE ET GENERALE.
Dans toute l'Europe il n'y a pas de flore plus intéres-
sante que celle de la Suisse. J. J. Scheuchzer (mort en
1733), professeur de Zurich, ne la fit connaître que très-
imparfaitement dans son Oupicrtcpoir/]; helveticus, sive Iti-
iiera per Helvelise regiones (Leyde, 1723, 4 vol. in-4''). On
lui doit la description de deux nouvelles espèces de phy-
teuma{ph. Scheuchzeri et ph. ovatum). — Haller, que nous
avons déjà eu l'occasion de citer, aussi distingué comme
physiologiste et poète que comme botaniste, auteur de la
Bibliotheca botanica (Zurich, 1771, 2 vol. in-4*'), réunit le
premier les matériaux d'une histoire complète des plantes
de la Suisse dans son Historia stirpium Helvetiœ indigena-
rum (Berne, 3 vol. in-foL, avec de beaux et nombreux
dessins). On y trouve la description de 2486 espèces de
plantes, parmi lesquelles nous citerons comme ayant été
pour la première fois figurées, aretia helvetica et a. alpi-
na, laserpitium hirsutum, suxijraga muscoides et 5. mu-
lata, arenaria muUicaulis, pedicularis verlicillata, oxytropis
campestris, cnicus spinosissimus , etc. Haller eut pour
principal aide Werner de la Chenal, professeur de bota-
nique à Bâle. Louis Reynier donna des suppléments à
l'ouvrage de Haller. — Parmi les botanographes plus ré-
cents de la Suisse, nous citerons : B. Suter (Flora Helve-
tica, 2 vol. in-12, Zurich) ; de Glairville {Manuel d'her-
borisation e?i Suisse; Winterthur, 181 1, in-S") ; Wahlenberg
{De vegetatione et climate in Helvetia septentrionali, etc.;
Zurich, 1813, in-S»); Gh. Seringe {Musée helvétique, etc.;
Berne, 1818; Herbier portatif des Alpes, in-4°); Ph. Gau-
TEMPS MODERNES. 257
din [Flora Helvetica; Zurich, 7 vol. in-S», 1828-1833,
ouvrage important, continué après la mort de l'auteur
par Monnard, 1836); J. Hegetschweiler {Flora der
Scliweiz^ publié après la mort de l'auteur par 0. Heer;
Zurich, 1840, in-12). Les cantons de Bâle, de Berne, de
Lucerne, de Genève, de Vaud, de Zurich, de Saint-Gall,
des Grisons, eurent leurs flores particulières, rédigées par
liagenbach, J. Brown, G. Krauer, Fr. Reuter, D. Rapin,
A. Kœlliker, J, Wartmann et A. Moritzi.
La France fut explorée par des botanistes distingués.
Tournefort ne dédaigna pas d'écrire une Flore des envi-
rons de Paris. Il fut suivi dans cette voie par son disciple,
Séba&'tien Faiton/ (né à Magny ,en 1669, mort à Paris
en 1722). Démonstrateur au Jardin du Roi, S. Vaillant
amassa, pendant près de trente ans, les matériaux d'un
magnifique ouvrage , le Botanicon Parisienso (Leyde et
Amsterdam, 1727, in- fol., avec une carte des environs de
Paris et trois cents figures de plantes dessinées par G.
Aubriet), qui ne parut qu'après la mort de l'auteur, par les
soins de Boerhaave. On y trouve la description et les
dessins d'un grand nombre d'espèces nouvelles de mous-
ses, de lichens et de champignons. Parmi les phanéroga-
mes, pour la première fois exactement présentées, on re-
marque : poa compressa, exacum filiforme, silène galHca,
géranium columbinum, aira aquatica, agrestis interrupta,
etc. N'oublions pas que l'on doit à S. Vaillant l'introduction
(en 1714) des serres chaudes en France. — Parmi les flo-
rigraphes des environs de Paris, nous nommerons en-
core, avec la date de leurs publications : Fabregou,
(1740), Dalibard (1749), L. Thuillier (1790), J. Buchoz
(1797), Pierre Buillard (1776-1780), B. Francœur(1801).
A. et F. Plée (1811), D. Dupont (1813), V. Mérat(1812)^
A. Vigneux(1812), Poiteau et Turpin (1813), Chevalier
1826-1827), Cosson et Germain (1845.)
La flore spéciale des provinces de la France fut l'objet
des travaux de J. Garidel [Provence et surtout les environs
17
258 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
d'Aix, 1715), D. Villers [Bauphinè, 1779), R. Durand,
[Bourgogne, 1782), Willemot, Lamoureux et Godron [Lor-
raine, 1780, 1803 et 1848), Gh. Stolz [Alsace, 1802), Tris-
tan et Dubois [Orléanais, 1803 et 1810), A. Delarhre [Au-
vergne, 1795), Graterau [Languedoc, 1789), Picot-Lapey-
rouse, Ramond, Bergeret et Noublet [Pyrénées, 1789,
1795, 1803 et 1837), Roussel, Renault et Brébisson [Nor-
ma7idie,n96, 1804 et 1829etsuiv.), Bastard [Anjou, 1809),
Balbis [Lyonnais, 1828), Boreau [Centre de la France, 1840).
Parmi les florigraphes des départements, nous signale-
rons : Viviani (Corse, 1824), Desmoulins [Dordogne, 1840),
F. Dujardin [Indre-et-Loire, 1833), Lorey et Duret [Côte-
d'Or, 1831), Arnauld [Haute-Loire, 1830), Hollandre [Mo-
selle^ 1842), etc.
Monet de Lamarck conçut le premier l'idée d'une Flore
générale de la France (1792), qui fut en partie exécutée
parDeCandolle, Jaume Saint-Hilaire, Loiseleur-Deslong-
champs et Duby (1834-1838).
La première Flore générale de l'Allemagne à peu près
complète fut publiée par Gruill. Roth, médecin de Vegesack
[Tentamen florx germanicœ; Leip., 1787-1800, 3vol. in-S").
Mais son travail devait être bientôt dépassé par les ou-
vrages de Schrader (mort en 1836), professeur à Groettin-
gue% de J. Sturm^, de Gr. L. Reichenbach [Flora germa-
nica, etc., 1832 et années suiv.), de Jos. Kocli (mort en
18li9), professeur à Erlangen^, de G. Meigen, etc*.
Les ouvrages de Jacquin (né à Leyde en 1727, mort à
Vienne en 1817), de Grantz, de Horst et de L. Trat-
linick sur la Flore de V Autriche sont fort estimés ^ Kurt
1. Flora germanica ; Gœtting., 1806, in-8; il n'en parut que le 1"
vol.
2. Deutschlands Flora, etc. 1798-1848. 149 cahiers.
3. Veulsch. Flora, 1823-1839, o vol. in-8.
4. Deutsch. Flora, 1836-1842.
5. Jacquin, Enumeratio stirpium, etc. Vienne, 1762; — Ciantz,
Stirpes austriacœ, Vienne et Leipz. 1762-1769; — Horst, Flora uui,-
TEMPS MODERNES. 259
Sprengel (mort en 1833, professeur à Halle), l'auteur de
YHistoria rei herbariœ, s'était aussi beaucoup occupé de
la flore allemande.
Parmi les florigraphes des différentes parties de l'Al-
lemagne, on remarque, pour la Prusse : G. L. Willdenow
(né en 1765, mort professeur à Berlin, en 1812), auteur
d'une édition estimés du Species plantarum de Linné (10
vol., 1797-1810) \ Kunth (1813), Loreck [Flora porussica,
1826-1830), R. Schmidt (1843).
Pour la. Bavière : Schrank^, j. A. Schuîtes, professeur
à l'université de Gracovie, auteur d'une histoire de la bo
tanique (Vienne, 1817, in-8°)^ Pour le Wurtemberg :
Schûhler et Martens (F^ora v. Wûrtemb.Tnl:).^ 1834, in-8'').
Pour le pays àe Bade : Gh. Gmelin [Flora badensis, 1805-
26), L. Succow, H. Dierbach.
Pour la Saxe : H. Ficinus [Flore de Dresde., 1808), G.
Baumgarten {Flore de Leipzig, 1790), L. Reiclienbach
[Flore de la Saxe, 1841), HoUet Heynliold (1842). Pour la
Thuringe : Schenck, Schlechtendal et Laugethal [Flora v.
Thûring en, lena., 1835-48).
Pour les différentes parties de l'empire d'Autriche,
nous citerons Kosteletzki(F/ore de laBohême, 1824), Rosch-
mann [Flore du Tyrol, '.738), Scopoli [Flore de la Car-
niole, 1760), Zawadsky [Flore de la Galicie, 1835), Maly
{Flore de la Sty rie, 1837), Lang [Flore de la Hongrie),
Visiani [Flore de la Dalmatie, 1840-51).
L'étude des plantes indigènes a été, dans la Grande-
Bretagne, l'objet de travaux aussi importants que variés.
Nous ne mentionnerons que la Flora anglica (Lond.,
triaca, 1827 1831, 2 vol. in-8 ; — Trattinick, Flora des Œst. Kaiserth.,
1822,2 vol. in-4.
1. Willdenow, Flora Berolin., 1757-58 } Florw Berol. ProdromuSi
1787.
2. Baierische Reise, 1786,
3. Baieni's Flora, 1811.
260 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
1762, in-8°) de W. Hudson, mort en 1793, pharmarcien à
Londres; la Flora britannica (Lond., 1760) de J. Hill; le
British herbal (1770, in-fol.) de J. Edwards ; le Catalogue
ofbritish plants eX Flora londinensis (1787-88, continué
par Hookcr) deW. Gurtis, pharmacien de Londres, mort
en 1770); la Flora britannica (1800-1804, 3 vol. in-S")
d'Ed. Smith, né en 1759, mort en 1828 à Londres; le
British flora (1812, 5 vol. in-8°j de J. Thornton ; la
Flora rustica, etc., (1794) de Th. Martyn, professeur à
Cambridge, mort en 1825; The british flora {1832^-06^2 vol.
in-8") de W. J. Hooker (né à Norwich en 1785), directeur
du Jardin royal de Kew; A synopsis of British flora (1829
et suiv.) de J Lindley (né en 1799 à Gatton, près de Nor-
wich), professeur de botanique à l'université de Londres,
auteur du Vegetable Kingclom (Lond., 1846), etc. Nous ne
devons pas oublier, dans cette énumération, le Hortus Ke-
loensis^ ouvrage d'une grande autorité, qui fut commencé
en 1789 par W. Alton, directeur du Jardin royal de Kew,
continué par Townsend Alton, fils de W. Alton, puis
complété pour la partie scientifique par Robert Brown, et
enrichi de ligures par Fr. Bauer.
Pour la connaissance de la flore de la Belgique et des
Pays-Bas^ nous mentionnerons : Delicise gallo -belgicx
(Strasb., 1799, 2 vol. in-S") de J. Necker, la Botanograpliie
(Lille, 1799 et suiv.) de J. B. Lestiboudois, mort en 1805,
de Fr. Jos. Lestiboudois, mort en 1815, et de Thémisto-
cle Lestiboudois, fils du précédent, et surtout l'impor-
tante Flora Batava (1800-1847, 9 vol. in-4«) de J. Kops
et G. Sepp.
Le royaume de Danemark, y compris la Norwêge, l'Is-
lande, lesîles Faro'éet le Groenland, eut pour florigraphes :
Oeder (né en 1728, mort en 1791), professeur de botanique
à l'université de Copenhague, auteur des trois premiers
volumes de la Flora danica (1761-70), ouvrage monumental,
• continué par F. Mùller, Vahl et Hornernann (3-9 vol. in-
TEMPS MODERNES. 261
foL, 1770-94), E. Gunner, Ftom norwegica (1766-72), Fr.
Rottholl (mort en 1797, professeur à Copenhague), De
plantis hlandix et Groenlandix.
La flore de la Suède et celle de la Laponie eurent pour
principal auteur Linné ; sa Flora suecica parut en 1 745 , huit
ans après sa flore de la Laponie. Ces travaux furent plus
tard complétés par Gr. Wahlenberg [Flora lapponica,
Stockh., 1812, in-8°) et Flora suecica, Leipz., 1824-33,
2 vol. in-8°). Acharius, Agardh et Fries y ajoutèrent une
étude approfondie des cryptogames.
Parmi les florigraphes de l'Italie se sont distingués :
Gh. Allioni, mort en 1802, professeur à Turin [Flora Pede-
monîana, 1785, 3 vol. in-foL), J.H. Moris [Flora Sardoa,
Turin, 1835-1843), J. Passerini [Flora Italise superioris,
Milan, 1844), F. Maratti [Flora romana, Rome, 1822),
Mich. Tenore [Flora napolitana, Naples, 1811-1830, 5 vol.
in-fol., l'une des flores spéciales les plus complètes), Gr.
Gussone [Flora sicula, Naples, 1829 et suiv.).
L'Espagne, le Portugal, la Grèce, la Turquie et la Rus-
sie, n'ont guère été étudiées, sous le rapport de l'histoire
naturelle, que par des savants étrangers à ces pays, ou
par des indigènes ayant longtemps séjourné à l'étranger.
Nous citerons pour VEspagne : le Suédois P. Loeffling
(né en 1729, mort en 1756), dans son Iter hispanicum
(Stockh., 1752); J. Gavanilles (né à Valence en 1745, mort
à Madrid en 1804), qui avait étudié la botanique à Paris
pendant un séjour de douze ans dans cette ville ^ ; le Fran-
çais Roissier^; les Allemands Reuter [Chloris austro-his-
panica, Ratish., 1846) et Willkomm [Icônes et descriptiones
plantarum^ etc.,Leip., 1852 et suiv.).
Vouvle Portugal, l'Italien D. Vandelli (F/ora? lusitanien
1. Icônes et descriptiones plantarum quse aut sponte in Hispama
crescunt, aut in hortis hospitantur ; Mad., 1791-97, 2vol. in-folio, avec
un supplém. d'Ignacio Franco; Mad., 1798.
2. Voijage botanique dans le midi de VEspagne, Paris, 1839-45,
2 vol. in^".
362 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
spécimen, Goimbre, 1788), Gorrea da Serra (né en 1750,
mort en 1823), membre de la Société royale de Londres
où il avait résidé*. A. F. Linck, de Berlin, qui avait ac-
compagné, en 1 798 et 1 799, le comte de Hoffmansegg, dans
un voyage en Espagne et Portugal, commença, en 1809,
la publication d'une Flore portugaise, dont le vingt-troi-
sième fascicule parut en 1840, et qui est restée inachevée.
John Sibthorp (mort en 1796, professeur à Oxford), qui
avait visité une partie de la Grèce et de l'Asie Mineure,
entreprit un vaste ouvrage sur la Flore de ces contrées,
qui ne parut qu'après sa mort, par les soins d'E. Smith
[Flora grseca, etc. Lond., 1806-1840, 10 vol. in-fol.). Du-
mont d'Urville donna une liste des plantes qu'il avait
cueillies, en 1822, dans les îles de l'Archipel grec et sur
le littoral du Pont-Euxin ^.
Hincke et Manolesko explorèrent en 1833-1836 la Tur-
quie d'Europe. Les résultats de leur exploration furent
publiés par Frivaldsky [Succinctx diagnoses specierumplan-
tarumin Turcia europsea collect., 1837). Jaubert, Sieber,
Greville, Délia Porta, Margot et Reuter firent spéciale-
ment connaître la Flore du Péloponèse, des Gyclades, de
la Crète, des îles Ioniennes, notamment des îles Gorfou
et de Zante,
La connaissance des plantes de la Russie d'Europe est
principalement due aux travaux de Pallas [Flora Rossica,
St-Pétersb., 1784-88, 2 vol.), de Ledebours [Flora Rossica,
Stuttg., 1842-52, 3 vol. in-S")^ et de Trautvetter {Grun-
driss einer Geschichte der Botanik in Bezug auf Russland;
St-Pétersb.,- 1837).
Le projet d'une Flore générale de l'Europe n'a été jus-
qu'ici qu'incomplètement réahsé par Laicharding, mort
en 1797, professeur à ln^^v\xck[Vegetabilia europsea, 1770-
\. Notices sur Jes fleurs portugaises, Aa.ns Philos. Transacl. 1796,
Transact. ofthe linn. Soc, t. V et VI; Annales du muséum, t. VI, VIII
IX, XetXIV.
2. Enumeraiio plantarum, etc., Paris, 1822, in-S».
TEMPS MODERNES. 263
71, 2 vol. in-8*>), par Boissieu [Flore d'Europe, Lyon,
Î805-7, 3 vol. in-8"), et par J. J. Roemer [Flora europxa
inchoata^ Nuremb., 1797-1811, in-S").
FLORE EXOTIQUE.
Les naturalistes voyageurs, qui ont agrandi le domaine
de la science, souvent aux dépens de leur santé ou de leur
vie, méritent que nous nous y arrêtions un peu plus long-
temps. Pour donner un rapide aperçu de leurs travaux,
nous procéderons par ordre de pays.
Asie. — Linné avait souvent exprimé ses regrets de
ce qu'on eût entièrement négligé l'histoire naturelle de la
Palestine, qui pouvait être d'un si grand secours pour
l'intelligence de la Bible. Un de ses disciples, Frédéric
Hasselquist (né en 1722 à Toernevalla) , résolut dès lors de
combler la lacune signalée. Après s'être préparé pendant
deux ans pour son voyage, il s'embarqua pour Smyrne, où
il arriva le 26 novembre 1749. Il y passa l'hiver et l'été
suivants en faisant des excursions dans les environs. A
Smyrne, il s'embarqua pour Alexandrie, et visita l'Egypte.
Après avoir, en mars 1751, quitté le Caire, il parcourut
la Palestine, la Phénicie, l'île de Chypre et vint, l'année
suivante, mourir d'épuisement à Smyrne, à l'âge de trente
ans. Ses créanciers firent saisir ses collections et ne con-
sentirent à les laisser déposer dans le musée de Stockholm
que lorsque la reine Louise Ulrique les eut désintéressés.
Les papiers de Hasselquist furent publiés en suédois par
Linné, sous le titre de Resa till heliga Landet (voyage en
Terre -Sainte); Stockh., 1757, 2 vol. in-8», trad. franc.,
Paris, 1762). Parmi les curiosités végétales sur lesquelles
l'auteur s'étend, nous citerons la pomme de Sodome et
264 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
l'épine du Christ (une espèce de palinurus). Il donna
aussi la description et le dessin des lawsonia spinosa^
acacia lebbeck, cornucopia cucullata^ etc.
Jean Mafiti (né à Florence en 1736, mort en 1800), qui
avait résidé longtemps dans diverses contrées de l'Orient
(Syrie, Palestine, Chypre), publia vers la même époque ses
Viaggi per l'isola Cipro e per la Siria e Palestina, fait'
deWanno 1760-1768, Lucques, 1769-1776, 9 vol. in-8%
avec fig. (trad. franc., Paris, 1791, 2 vol. in-8°). On y
trouve des notions intéressantes sur la rose de Jéricho
{anastatica hierochuntica)^ sur le palmier nsim{chamxrops
humilis)^ le Laumier [amyris gileadensis) ^ etc.
Sur les instances de Michaelis, célèbre orientaliste et
archéologue biblique, Frédéric V, roi de Danemark, en-
voya, sous la conduite de Niebuhr, une expédition scien-
tifique en Orient. Linné obtint que Forskal en ferait partie
comme naturaliste. « Forskal, écrivait Linné (le 9 nov.
1759 dans une lettre à Ellis), est l'un de mes meilleurs
disciples.... Si Dieu le conserve, nous devrons en attendre
une foule de découvertes intéressantes. » Parti au com-
mencement de janvier 1761, Forskal vit une partie des
localités visitées par Tournefort, parcourut des contrées
de l'Arabie jusqu'alors inabordées, et il allait explorer- le
mont Sadder, lorsqu'il fut atteint de la peste et mourut
à Djérim, dix-huit mois environ après avoir quitté sa pa-
trie. Ce peu de temps lui avait suffi pour faire d'amples
collections d'animaux et de plantes. Niebuhr mit en ordre
les collections et papiers de son compagnon, et fit paraî-
tre, en 1775, Flora j'Egyliaco-Arabica^ etc., Copenhague,
in-4o. Les plantes recueillies par Forskal sont au nombre
de plus de 2000, dont la moitié entièrement nouvelles.
La terminologie scientifique y est accompagnée des noms
vulgaires, grecs, turcs et arabes. Linné a consacré à la
mémoire de son courageux disciple le genre forskalia, do
la famille des urticacées.
La Palestine et la Syrie furent particulièrement ex]jl(i-
TEMPS MODERNES. 265
rées par Labillardière (né à Alençon en 1755, mort en
1834). Docteur eu médecine, il partit de Marseille en 1786,
séjourna quelque temps dans l'île de Chypre, et se ren-
dit de là en Syrie. Dans le mont Liban, il trouva la fa-
meuse forêt de cèdres, dont parle la Bible, réduite à une
centaine d'arbres. La superposition des climats qu'il y
observa lui fit répéter, d'après les poètes arabes, que « le
Liban porte l'hiver sur sa tête, le printemps sur ses épau-
les, et l'automne dans son sein, pendant que l'été dort à
ses pieds. « H publia les résultats de ses observations
dans un ouvrage qui, commencé en 1795, ne fut terminé
({u'en 1812, sous le titre de : Icônes plantarum Syrise ra-
riorum descriptionibus, etc., illustratse; in-4°, avec des fi-
gures de Redouté. Ce qui avait retardé la publication de
ce bel ouvrage, c'était le décret de l'Assemblée consti-
tuante (9 février 1791), portant qu'une expédition serait
faite pour la recherche de La Pérouse. Labillardière fit
partie de cette expédition sous les ordres d'Entrecasteaux,
Embarqué sur la Recherche, il eut l'occasion de visiter les
environs du Gap, le pays de Diémen, la Nouvelle-Calédonie,
les nombreux archipels de la mer du Sud. Après une naviga-
tion périlleuse le long des côtes de la Nouvelle-Hollande,
les navires de l'expédition furent capturés (en octobre
1793) par les Hollandais; l'équipage, déclaré prisonnier
de guerre, fut emmené à Batavia, et ne recouvra sa liberté
qu'à la fin de mars 1 795. Labillardière gagna l'Ile de Fran-
ce; mais ses collections avaient été transportées en Angle-
terre. Le célèbre Joseph Banks les fit restituer intactes.
« J'aurais craint,, disait-il, d'enlever à un homme une des
idées botaniques qu'il était allé conquérir au péril de sa
vie. » Le Novœ Èollandix plantarum spécimen (Paris,
1804-1806 2 vol.,in-4°) et le Sertum Austro-Caledonicum
de Labillardière contiennent les dessins et la description
d'un grand nombre de plantes inconnues jusqu'alors.
Smith a donné le nom de labillardiera à un genre aus-
tralien de la famille des apocynées.
266 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Le comte Jaubert(né en 1798), que les préoccupations
de la politique n'ont point empêché de se livrer avec suc-
cès à l'étude de la botanique [il fut, en 1840, ministre des
travaux publics), rapporta d'un voyage qu'il fit, en 1839,
en Orient (Asie Mineure et Syrie), de riches matériaux, et
il publia, en collaboration avec M. Ed. Spach : lllustra-
tiones plantarum orientalium, ou Choix des plantes nouvelles
ou peu connues de l'Asie occidentale; Paris, 1842-1846,
2 vol. in-4°, avec figures.
Le célèbre entomologiste Olivier (né en 1756, aux Arcs,
près Toulon, mort à Lyon en 1814) profita d'une mission
que lui avait confiée le ministre Roland auprès du shah de
Perse, pour étudier la flore de la Mésopotamie. Parti de
Paris en octobre 1792, après s'être adjoint Bruguière,
qu'il eut la douleur de perdre à Ancône, il parcourut pen-
dant six ans une partie de l'Asie, et consigna dans son
Voyage dans l'empire Oiloman (Paris, 1801-1807, 6 vol.
in-8o avec atlas) beaucoup de détails curieux concernant
l'histoire naturelle.
Léon de Laborde rapporta de l'Arabie Pétrée les élé-
ments d'une petite flore, qui furent mis en ordre par
Delile^
Disciple de Linné, Jean-Gérard Koenig (né en 1728,
mort en 1785) visita, en 1785, aux frais du gouvernement
danois, les Indes orientales; il se préparait à explorer le
Thibet, lorsque la mort le surprit à Tranquebar. Ses pa-
piers , publiés par Rotterbœll [Bescripl. et icon. ; Co-
penhague, 1773, in-8°), complètent, sous beaucoup de
rapports, la, Flora indica (Leyde, 1768, in-8°) et le Thé-
saurus zeylanicus (Amsterd., 1 737, in-4°) de JeanBurmann,
mort en 1780, professeur de botanique à Amsterdam.
Linné a dédié à la mémoire de Koenig le genre koenig ia^
de la famille des polygonées.
1. Fragments d'une flore de V Arabie Pétrée, etc. Paris, 1830,
in-4°.
TEMPS MODERNES. 267
Pierre Osbeck {Voyage aux Indes orientales, Rostock,
1765); P. Sonnerai (Voyage aux Indes orientales, etc.,
Paris. 1782, 2 vol. in-4°) ; Roxburgh [Plants of the coast
of Coromandel, Lond. 1795-1819, 3 vol. in-foL); Wal-
lich {Descriptions of some rare Indian plants, Calcutta,
1818); Th. Golebrooke [Asiatic Researches, vol. IX et
XII); Rich. et Rob. Wight {Illustrations of Indian botany^
1831), médecin en chef de la compagnie des Indes; Schmid
{Plantœ indicx, 1835), n'ont épargné aucune peine pour
enrichir la flore de l'Indoustan.
L'île de Java^ d'une végétation aussi luxuriante que
variée, et où se trouve le siège (Batavia) de la compagnie
hollandaise, a été depuis un siècle souvent explorée scien-
tifiquement. Qu'il nous suffise de citer le catalogue des
plantes de cette île {Namlyst der planten, etc.. Batavia,
1780-82, in-4'') de Rademacher, mort en 1783, membre
du conseil de la compagnie hollandaise des Indes Orien-
tales, et surtout les travaux de Gh.-L. Blume, professeur de
botanique à Leyde. Pendant un séjour de neuf ans qu'il
fit à Java, il recueillit, aidé de Nagel, Kent et Zippelius,
un grand nombre d'espèces végétales. De retour dans sa
patrie, en 1826, il réunit ces matériaux aux herbiers que
Reinwardt, Kuhl et Hasselt avaient rapportés de l'archipel
Indien, et mit successivement au jour sa Flore de Java
(Brux., 1828 et suiv., in-foL), sous le titre de Enumeratio
plantar. Javse et insularum adjacentium, etc.,efl; herbariis
Reinwardtii, etc., La Haye, 1830, in-8°, et Rumphia^ etc.,
Leyde, 1835-37, in-fol. Plus récemment l'île de Java a été
explorée par Fr. Junghuhn {Topographische und naturwis-
se7ischaftliche Reisen durcli Java; Magd., 1845), et H. de
Vriese [Plantx novœ, etc., Amsterd.,1845,in-4°). — Mars-
den, dans son History of Sumatra (Lond., 1784, in-4°), et
W. Jack, dans sa Description of Malayan plants (Hooker,
Bot. MiscelL, vol. I*', p. 290 et vol. II, p. 60, années
1828-31) ont donné un aperçu de la flore de l'île de Su-
matra. Enfin M. Decaisne a décrit un certain nombre de
268 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
plantes de l'île de Timor^ qu'y avaient recueillies plu-
sieurs voyageurs naturalistes ^
La Cochinchine a été l'objet d'un travail important du
P. Loureiro, jésuite portugais (mort en 1796). Sa Flora
Cockinchinensis (Lisbonne, 1790, 2 vol. in-4°, réimprimée
à Berlin en 1793, avec des notes de Willdenow) est encore
aujourd'hui consultée avec fruit. J. Barrow, dans son
voyage en Cochinchine (années 1792 et 1793), a donné
sur la végétation de l'Indo-Ghine quelques renseignements
intéressants. On doit aussi quelques données précieuses
sur la flore du Thibet et du Boutan à Sam. Turner, dans
la Belation de son ambassade à la cour du Grand Lama.
La flore de la Chine est encore aujourd'hui très-impar-
faitement connue. Aux notions que Sonnerat et Macartney
avaient fournies dans leurs voyages, il faut ajouter l'énu-
mération des plantes de la Chine septentrionale, donnée par
Bunge [Enumeratio plantarum quas in China borealicollegit;
St.-Pétersb., 1831, in-4°), par Kirilow (1837) et par Tur-
czaninow [Bulletin de la Soc. des naturalistes de Moscou
t. V). Les plantes recueillies par Buchanam dans le
Népal furent décrites par David Don [Prodromus florx
Nepalensis; Lond., 1825, in-8°).
La flore du Japon est beaucoup mieux connue que celle
de la Chine, grâce aux travaux de Thunberg et de Sie-
bold. Suédois d'origine, Thunberg (né en 1743, mort en
1828, à Upsal), disciple de Linné, s'embarqua, en 1771,
comme médecin à bord d'un vaisseau de la compagnie
hollandaise des Indes Orientales ; après trois ans de séjour
au Cap, oii il fit, en compagnie de son ami Sparrman, de
nombreuses observations d'histoire naturelle, il se rendit
à Java, puis au Japon. Il passa cinq ans dans ce dernier
pays ou plutôt dans l'îlot de Décima, qui avait été assi-
gné comme comptoir aux Hollandais. Il dut à sa qualité
de médecin la faveur de franchir quelquefois ces limites
1. Nouvelles Annales du Muséum, t. ICI, p. 333-501.
TEMPS MODERNES. 269
et d'herboriser dans les montagnes du voisinage. Il y
recueillit un grand nombre de plantes jusqu'alors incon-
nues, et publia plus tard les résultats de ses herborisa-
tions sous le titre àe Flora japonica (Leipz., 1784, in-8°),
et'îtones plantarum japonicarum (Upsal, 1794-1805, in-fol.
50 tab.). De retour à Upsal, en 1784, il fut nommé à la
chaire de Linné, qu'il occupa jusqu'à sa mort, arrivée à
l'âge de quatre-vingt-cinq ans. Retzius lui dédia le genre
thunbergia, de la famille des acanthacées. — Philippe-
François de Siebold (né en 1796, à Wûrzbourg) entra,
comme Thunberg, au service de la compagnie hollandaise,
pour satisfaire ses goûts de voyage et d'histoire naturelle.
Attaché en 1823 comme médecin à une mission diplomati-
que, envoyée par le gouvernement néerlandais au Japon, il
dut d'abord également borner ses excursions scientifiques
aux environs de Décima. Mais bientôt il eut, par l'intermé-
diaire des indigènes qu'il essayait d'initier à la science, la
faculté de faire des herbiers avec des plantes que ses élèves
japonais lui envoyaient de l'intérieur de l'empire. Après son
retour en Europe (en 1830), il publia, en collaboration
avec Zuccariniet d'autres botanistes, une Flora japonica;
Leyde, 1835-1853, in-fol., avec de nombreuses planches.
La Sibérie fut explorée, sous le règne de l'impératrice
Anne, par une expédition scientifique dont Jean-Georges
Gmelin(né à Tubingen en 1709, mort en 1755) était le
botaniste. Il avait, entre autres, pour compagnons^ W.
Steller et Et. Krascheninikow. Un des principaux résul-
tats de cette expédition, qui dura dix ans (de 1733 à
1743), fut la publication de la F/om sibirica, St.-Pétersb.,
1747-69, 4 vol. in-4° avec 217 fig.; les deux premiers
volumes sont de Gmelin, auteur du^ Voyage en Sibérie.
La flore de la Sibérie fut depuis complétée par Fr. Adams,
Redowsky et L. Fischer*, ([ui visitèrent cette région aux
Irais du gouvernement russe.
1. Mcin. de lu Soc. des nat. de Moscou, t. J, III, IV, VetIX.
270 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Fr. d Ledebours entreprit, en 1826, en compagnie de
Meyer et de Bunge, ses disciples, un voyage dans les
montagnes de l'Altaï et la steppe des Kirguises de
Soongaine. La Relation de son voyage fut suivie de la
Flora altaïca (Berlin, 1829-1834, 4 vol. in-8°), qui contient
la description d'un grand nombre d'espèces nouvelles. On
doit la connaissance des plantes de la Davourie et du lac
Baïkal à Nicolas de Turczaninow, qui parcourut ces con-
trées de 1828 à 1835».
Le voyage d'Alexandre de Humboldt dans l'Asie centrale
(Paris, 1843) ne fut pas non plus sans résultat pour la
phytograpliie de ces régions encore fort peu connues. Nous
en dirons autant du voyage plus récent des frères Schla-
gintweit dans l'Asie centrale. Les collections de plantes
du Gachemyr et des régions alpines des Indes, envoyées au
Muséum d'histoire naturelle de Paris par Victor Jaque-
mont (mort en 1 832 à Bombay, des fatigues de son voyage),
et dont la description, commencée en 1844, par M. Gam-
bassèdes, fut continuée par M. Decaisne, montrent l'ana-
logie frappante qui existe entre la végétation de ces ré-
gions élevées de l'Asie centrale et celle de l'Europe
tempérée. Cette analogie a été confirmée par l'exploration
de la Chine septentrionale, et sm^tout'par les recherches
d'un savant missionnaire, l'abbé David, auquel le Muséum
de Paris doit de nombreuses coL/gctions, formées dans la
Mongolie, au nord de Péking^.
Afrique. — Le grand ouvrage publié par l'expédition
française d'Egypte' (Paris, 1812, in-fol.) contient de pré-
cieux renseignements de Raffenau-Delile, l'un des mem-
bres de cette expédition, sur les plantes du pays des
Pharaons, qu'Hérodote appelait avec raison un présent du
1. Flora baikalensi-dahurica; Moscou, 1842 et années suiv., gr. iu-S".
2. M. A. Brongniartj Rapport sur les progrès de la botanique pltyto-
graphiqiiCjTp. 187 (Paris, ISiiS).
TEMPS MODERNES. 271
Nil. Si l'on joint à ces renseignements, ainsi qu'à ceux
qu'on trouve épars dans les voyages de Sonnini, de Sait,
de Denon, quelques notices de Bové, d'Aucher Êloy, de
Coquebert de Montbret, de Schimper, on aura à peu près
tout ce qui a été publié sur la flore de l'Egypte.
La flore de VAbyssinie, si intéressante à étudier en rai-
son de la grande variété du climat et des altitudes du sol,
n'était guère connue que par les plantes indiquées dans le
voyage de Bruce, par celles qu'avait signalées R. Brown
à la suite du voyage de Sait, et par celles qu'avait décrites
Delile, en appendice au voyage de Galinier et Féret,
lorsque Achille Richard publia son Tentamen florx Abys-
sinise (Paris, 1847, 2 vol. in-8°], d'après les matériaux
recueillis, de 1838 à 1843, par Quantin-Dillon et Petit,
voyageurs du Muséum d'histoire naturelle de Paris, qui
moururent victimes de leur dévouement à la science sur
la terre étrangère. A la flore abyssinienne se rattachent la
plupart des espèces décrites par M. Gourbon dans sa Flore
de file de, Dyssée (mer Rouge) *.
De l'Afrique orientale, jusqu'à présent fort peu visitée
par les voyageurs naturalistes, on ne connaît guère que
les herbiers rapportés de Zanzibar par Boivin, et plus
tard par M. Grandidier.
Depuis Flacourt, l'île de Madagascar a été parcourue
par un assez grand nombre de voyageurs naturalistes,
parmi lesquels nous citerons Dupetit-Thouars, Chapelier,
Boyer, Richard, Goudot, Pervillé, etc. Les riches collec-
tions qu'ils en ont rapportées et qui se trouvent déposées
au Muséum d'histoire naturelle et au Musée de B. Deles-
scrt, ont été, en partie, l'objet d'un examen particulier de
la part de M. Tulasne [Florœ Madagascariensis fragmenta]^.
On y remarque une abondance de certaines' formes végé-
tales qui sont rares sur d'autres points du globe.
J. Annales des sciences nat., W série, t. XVIII, p. 130 (année 186'2).
2. Annales des sciences nat., t. VI (1855) et t. VIII (1857).
272 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Si les gouverneurs des Iles de France et de la Réunion
(Bourbon) avaient été tous animés du même esprit que
Pierre Poivre (né en 1719, à Lyon, mort en 1786), nous
connaîtrions aujourd'hui à fond la végétation des îles
austro-orientales de l'Afrique. Bravant mille dangers, cet
homme de bien introduisit, en 1750, à l'Ile de France
quelques arbres à épices, qui furent le commencement du
jardin d'acclimatation de cette île. On ne saurait s'ima-
giner les précautions qu'avaient prises les Hollandais
pour s'assurer le commerce exclusif des épices. Non con-
tents d'infliger la peine de mort à celui qui aurait arraché
un plant de leurs précieux arbres, ils avaient pris à tâche
de confectionner de fausses cartes de l'Archipel des
Indes, afin d'engager dans d'homicides écueils le naviga-
teur assez hardi pour entrer en concurrence avec ces avides
marchands. Nommé en 1767 intendant de l'Ile de France,
Poivre encouragea par tous les moyens à sa disposition
les voyageurs naturalistes, notamment Gommerson, mort
dans cette île en 1773. Son exemple fut suivi par Nie. de
Géré, mort en 1810, directeur du jardin d'acclimatation
fondé par Poivre. Il accueillit parfaitement Aubert Du-
petit-Thouars (né en 1753, mort en 1831), qu'un long
séjour aux Iles de France et de la Réunion mit à même
de préparer les éléments nécessaires pour une flore com-
plète de ces régions ^
J. Burmann esquissa le premier une flore du Gap de
Bonne-Espérance (alors colonie hollandaise) avec les col-
lections que lui avaient envoyées plusieurs voyageurs'-,
Ge travail fut notablement augmenté par J. Bergius (Dc-
soiptiones plant, ex Capite Bonis Spei; Stock., 1767), etp.'ii
Thunberg, qui résida au Gap de 1772 à 1775, et publu:.
1. Aub. Dupetit-Thouars, HisL des végétaux recueillis sur les îles de
France, la Réunion et Madagascar, l'"^ partie, Paris, 1804 ei 1806, in-V'.
— Nova gênera Madagascaricnsia, etc., Paris, 1806, in-8°.
2. Prodromus florœ capensis ; — Rarior. African. plant, deçà--:
années 1738-39.
TEMPS MODERNES. 273
Flora capensis, etc., Upsal, 1807-1813. On trouve aussi
diverses notions de botanique dans les voyages de Kolb,
de Sparrman, de Lichtenstein, de J. Barrow, de Bur-
chell, etc., dans les pays des Hottentots et des Gafres.
Mais c'est surtout à Drège*, à Eckion, à Zeyher^ et à
Krause que l'on doit une connaissance plus exacte de la
végétation si caractéristique de l'Afrique australe.
La côte occidentale de l'Afrique, où les établissements
européens sont plus fréquents que sur la côte orientale,
est aussi mieux connue que celle-ci, réputée d'ailleurs
extrêmement insalubre. Adanson, dont nous avons déjà
parlé plus haut, entreprit à ses propres frais d'explorer,
l'un des premiers, le Sénégal. Parti de Marseille à l'âge
de vingt-un ans, il débarqua à l'île de Gorée au commen-
cement de 1749, visita le Sénégal à une assez grande dis-
tance dans l'intérieur, et était de retour dans sa patrie le
8 février 1754, après cinq ans de séjour dans un climat
brûlant et malsain. Les résultats de cette exploration se
trouvent consignés dans V Histoire naturelle du Sénégal;
Paris, 1757, in-4°. Parmi les végétaux qu'il a fait connaî-
tre, on remarque surtout le baobab et les arbres (acacias)
qui produisent la gomme dite d'Arabie^ l'un des princi-
paux objets de commerce du Sénégal*. On ne connais-
sait jusqu'alors le baobaib, d'une épaisseur gigantes-
que, que par le récit de quelques voyageurs, et on était
tenté de reléguer au rang des fables la grosseur de 29 à
30 pieds qu'ils donnaient à son diamètre. Adanson non-
seulement confirma leur récit, mais il décrivit l'accrois-
sement progressif de cet arbre singulier, appelé depuis
adansonia baobab, et le premier il en signala l'analogie
avec les mauves'^. — Le Voyage de J. B. L. Durand (mort
1. Comment, de plantis Africœ australis (décrites par F. Meyer) ;
Leipz., 1835-47, in-8".
2. Enumeratio plantât. Africœ australis, etc., Hamb. 1834-1837.
3. Mém. de VAcad., 1773 et 1779.
4. Mém. del'Acad., 1761.
18
274 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
en 1812) au Sénégal (Paris, 1802, 2 vol. avec atlas, m-k°)
contient aussi quelques données sur la Flore de la Séné-
gambie. Mais il faut venir jusqu'à notre époque pour
rencontrer sur cette flore des renseignements plus précis.
Leprieur et Perrotet, qui habitèrent la Sénégambie de
1824 à 1839, rapportèrent de ce pays de riches collections
de plantes. Ce fut sur ces collections que A. Richard
rédigea le premier volume de la Flore de Sénégambie ;
Paris, 1830-1832.
Sur la végétation de la Guinée^ on trouve quelques no-
tions dans le voyage duDanois P. E. Isert, mort en 1789,
à l'âge de trente-deux ans, et dans divers ouvrages
d'A. Afzelius* qui visita, en 1792, la colonie africaine de
Sierra-Leone, et perdit presque toutes ses collections lors
de la prise de cette colonie par les Anglais^ Il faut y
ajouter IsiFlore d'Oware et de Bénin {V avis ^ 1804-1807, 2 vol.
in-fol.) de Palissot de Beauvois (mort en 1820) qui, au péril
de sa vie, séjourna pendantcinqans(de 1786 à 1791) dans les
petits royaumes d'Oware et de Bénin (Guinée). Les éta-
blissements français du Gabon et les stations faites sur
quelques autres points du golfe de Guinée ont fourni aux
collections du Muséum de Paris des herbiers fort intéres
sants. Ces herbiers, dus principalement aux recherches
de M. Aubry le Comte, de M. Griffon du Bellay et du
P. Duparquet, ont été, de la part de M. Bâillon, l'objet d'une
série de notices remarquables sur les dilléniacées, les ano-
nacées, les ménispermées, les chrysobalanées et les con-
naracées, familles caractéristiques de la flore de ces ré-
gions *.
Les autres parties de la côte occidentale de rAfri(|Uv
sont restées à peu près inexplorées, à l'exception des
bords du Congo , où Christian Smith recueillit quelques
1. Gênera plantarum guineensium etc. , Upsal, 1804; — Stirpinm
in Guinea medicinalium species, etc.; ibid.; 1818-1829, in-4".
2. M. A. Brongniart, Rapport sur les progrès de la botanique phyt(f
graphique, p. 183 (Paris, 1868).
TEMPS MODERNES. 275
plantes, qui ont été décrites par Robert BroWn (Lond,,
1818, in-'i°).
Sur la végétation de l'intérieur de l'Afrique, nous
n'avons que des renseignements fort incomplets, fournis
par les voyageurs Oudney, Denliam, Glapperton, et plus
récemment par Barth et Overweg.
La végétation de l'Afrique septentrionale ou méditerra-
néenne, dont les côtes ont été longtemps désignées sous
le nom d'États barbaresques^ était peu connue avant les
voyages de Shaw, de Vahl, de Poiret. C'est à Desfontai-
nes (né en 1751, mort en 1833 professeur à la faculté de
médecine de Paris) que l'on en doit une connaissance plus
détaillée. Son voyage biennal d'exploration, s'étendant
depuis les frontières de Tripoli jusqu'à celles du Maroc,
comprenait surtout les régions de l'Atlas ; il descendit les
pentes méridionales de cette chaîne de montagnes pour
s'avancer jusque vers les limites du désert de Sahara, ac-
compagnant les deys qui se portaient sur tous les points
d'un vaste territoire pour y recueillir les impôts. Desfon-
taines fit une ample récolte déplantes, dont il a donné la
description dans sa Flora atlantica ; 2 vol. in-4°, avec 260
planches ; Paris, 1798-1800.
PaulDellaGella visita en 1817 la régence de Tripoli; leK
plantes qu'il y recueillit furent décrites par Viviani'.
De la conquête d'Alger en 1 830 date une nouvelle ère
pour la flore de l'Afrique septentrionale. La Commission
scientifique instituée pour l'exploration de l'Algérie lit pa-
raître en 1847-1848 un premier volume, consacré à la
cryptogamie. Ce volume a été rédigé par MM. Durieu de
Maisonneuve, Montagne, Léveillé et Tulasne. En 1852,
M. Cosson fut adjoint à M. Durieu (chargé de la partie
botanique de la Commission de l'Algérie) ; il publia en
1867 un second volume (comprenant les graminées et les
cypéracées), sur un plan trop vaste pour être poursuivi.
1. Florœ libycde spécimen; Gênes, 1824, in-folio, avec 27planclies.
276 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
Avant ce travail, Mungby, botaniste anglais, avait publié,
en 1847, une flore de l'Algérie, mais qui ajoutait peu de
détails nouveaux à la flore atlantique de Desfontaines.
M. Boissier,de Genève, avait aussi fait connaître, à la suite
d'un voyage en Algérie, quelques espèces nouvelles, re-
cueillies par lui * ; et M. Debeaux, pharmacien militaire,
avait mis au jour les résultats de ses explorations dans la
haute Kabylie^'.
Amérique. — Les établissements anglais du nord de
l'Amérique, origines de la grande république des Etats-
Unis, favorisèrent singulièrement la connaissance de la
flore du Nouveau-Monde. Mettant à profit les herbiers
rapportés par le médecin John Glayton, J. Fr. Gronovius
(mort en 1762, sénateur de Leyde) publia une flore de la
Virginie', dont la végétation avait été déjà étudiée par John
Mitchell*. Linné décrivit les plantes qu'avait recueillies
Golde, aidé de sa fille Jenny, dans l'État de New- York*.
Il décrivit de même celles que lui avait envoyées de New-
York, de New-Jersey et de Pensylvanie, Pierre Kalm, pro-
fesseur d'Abo, qui visita ces colonies en 1747-49. Aces
données il faut joindre la Flora Caroliniana{Lond.^ 1788,
in-8°) de Th. Walther, les observations du P. Xavier de
Gharlevoix sur la végétation du Canada, celles de J. Bar-
tram, faites pendant son voyage de Pensylvanie aux lacs
Onondago, Oswego et Ontario (Lond., 1751, in-8°), enfin
les renseignements de Miguel Venegas sur les plantes de
Galifornie ''.
Le premier ouvrage sur la flore générale de Y Améri-
que du nord est dû à André Michaux (né en 1 746, à la
1. Pugillus plantarum novarumAfricxhorealis, etc.; Genève, 1802.
2. Actes de la Soc. linnéenne de Bordeaux, t. XXI, ann. 1856.
3. FZora mrçmfca ; Leyde, 1739-43, 2 vol. in-g".
4. Act. I^at.Curios., vol. VIII, p. 187.
5. Act. Soc. UpsaL, années 1743 et siiiv.
6. Ana ural andcivil history of California ; Lond., 1759, in-8.
TEMPS MODERNES. 277
ferme de Satory, près Versailles, mort en 1802). Ce cou-
rageux voyageur naturaliste, fils d'un riche fermier,
commença, en 1782, par visiter, pendant un séjour de
deux ans auprès du shah de Perse (qu'il avait guéri
d'une maladie réputée incurable), une partie de la vaste
région comprise entre le golfe Persique et la mer Cas-
pienne. Il se proposait de pénétrer dans le Thibet, lors-
qu'il fut rappelé en France ; il y apporta, en juin 1785, une
riche collection de plantes et de graines. Chargé quelques
mois plus tard, par le Grouvernement, de créer aux envi-
rons de New-York une vaste pépinière, destinée à recevoir
les arbres et arbustes qui croissent dans l'Amérique sep-
tentrionale, il y engagea toute sa fortune et employa douze
ans à parcourir les espaces, alors à peu près déserts, qui
s'étendent d'un océan à l'autre. Ruiné par suite de la Ré-
volution, il se décida à revenir en France. Il allait mettre
pied sur le sol natal, lorsque le bâtiment qu'il montait fit
naufrage sur les côtes de la Hollande ; il perdit tous ses
effets, moins les caisses qui renfermaient ses collections.
Après avoir vainement sollicité le règlement des arrérages
d'une pension, il s'adjoignit à l'expédition du capitaine
Baudin en Australie, et mourut d'une fièvre pernicieuse
dans l'île de Madagascar, où il avait commencé d'établir
une pépinière. Son fils (né en 1770, mort en 1855), qui
accompagna son père en Amérique, publia Flora Boreali-
Americana; Paris, 1803, 2 vol. in-8°, avec fig. Autour de
cet ouvrage viennent se grouper les travaux de Nuttal
[The gênera ofthe N or Ih- American plants^ etc.; Philadelphie
1818), de Rafinesque Schmaltz {New flora of North-Ame-
rica; Phil., 1836), d'Eaton, de Schweinitz, de Barton,
d'Asa-Gray, ainsi qu'un grand nombre de flores spécia-
les des différents Etats de l'Union*.
La connaissance des plantes du Mexique a été étendue
1. Voy. la liste de ces flores dans "Winckler, Geschichte der Bot.,
. 373-375, et 572-574 (Fiancf., 1854, ia-8°).
278 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
par Paul de la Llave et J. Lexarga {Novorum vegetab.
descriptiones ; Mexique, 1824-1825), par W. Schiede, F.
Deppe, Wislicenius, etc., voyageurs allemands Miumboldt
et Bonpland y ont puissamment contribué. Enfin les
membres de la Commission française instituée après la
création éphémère de l'empire du Mexique ont fait par-
venir au Muséum de Paris des collections dont l'examen
pourrait fournir un tableau plus complet de la végétation
de cette vaste contrée.
Les îles de la mer des Antilles, qui avec les États du
Yucatan et de Guatemala forment ce qu'on pourrait ap-
peler y Amérique centrale, ont été explorées par un grand
nombre de voyageurs naturalistes. Nous nous bornerons
à citer : Griffith Hughes (The naturalhistory ofBarbados;
Lond., 1750, in-fol.), Patrick Browne (Civil and natural
history ofJamaica; Lond., 1756, in-fol.), Jacquin (Enume-
ratio plantarum quas in insulis Caribxis detexii., Leyde,
17Ô0), 0. Schwartz (Nova gênera etspecies, etc.; Stockh ,
1788), Richard de Tussac (Flora Antlllarum^ etc.; Paris,
1808-1827, 4 vol. in-fol.), Descourtilz (Flore médicale des
Antilles; Paris, 1821-1829, 8 vol. in-8°), Ramon de la
Sagra (Histoire physique, etc.; de Vile de Cuba; V axis ^ 1838,
suiv.), etc.
U Amérique du Sud^ justementrenommée par ses splen-
deurs végétales, a continué d'attirer de nombreux explo-
rateurs. Pour la Guyane, nous mentionnerons Aublct
[Histoire des plantes delà Guyane française, Paris, 1775, 4
vol. in-4'') ; pour la Nouvelle Grenade, Mutis (dans les
Nov. Act. Soc. Upsal.; Stockh., t. V); pour les provinces
de Caracas, de la Nouvelle-Grenade, de la Nouvelle-Anda-
lousie, de VOrénoque, Aimé Bonpland et Alex, de Hum-
boldt (PlantcC œquinoctiales, etc., Paris, 1805 et suiv.);
pour le Brésil eila Paraguay, le prince Max. deNeuwied,
Man'lius (Flora Brasiliensis, etc., Stuttg. et Tub., 1829 et
1. Linnxa, t. IV et suiv.
TEMPS MODERNES. 279
suiv.), Auguste Saint-Hilaire [Hist. des plantes les plus
remarquables du Brésil et du Paraguay; Paris, 1824 et
suiv.; Flora Brasilia meridionalis^ etc.), Gaudichaud,
M. Weddel, etc.
Pour le Pérou et le Chili : Ruiz et Pavon {Flora
peruvianaet chilensis; Maàr., 1798-1802, 4 vol. in-foL),
qui profitèrent des recherches de Dombey, leur infortuné
compagnon de voyage*. M. Claude Gay habita pendant
dix ans (1832-42) le Chili, et publia sur la flore de ce
pays un ouvrage complet. MM. Barnéoud, Clos, Remy,
Desvaux, Richard ont pris une part importante à la ré-
daction de la Flore chilienne de G. Gay.
Pour les îles situées à l'est de la Patagonie, encore
inexplorée, nous mentionnerons J. Pernetty {Journal d'un
voyage fait aux îles des Malouines; Berlin, 1769), et Gaudi-
chaud {Flore des îles Malouines, dans les Annales des nat.,
t. IV, année 1825). C'est principalement à l'amiral Dû-
ment d'Urville que l'on doit la connaissance de la vé-
gétation Si pauvre des régions antarctiques.
Sur la flore si étrange de l'Australie^ Joseph Banks,
compagnon du capitaine Cook (premier voyage), Reinhold
et Georges Forster qui accompagnèrent Cook dans son
deuxième voyage, Edw. Smith et Salisbury (^4 spécimen
ofthe botany of New-HollandiLonà., 1793, in-4°) nous ont
donné les premiers renseignements. Ils furent complétés
par Labillardière, attaché comme naturaliste à l'expédi-
tion d'Entrecasteaux, envoyée, en 1791, à la recherche de
1. Joseph Dombey avait été charge par le ministre Turgot d'explorer
l'Amérique espagnole, pour en rapporter les espèces végétales sus-
ceptibles d'être acclimatées en France. Le 20 octobre 1777, il s'embar-
qua à Cadix avec Ruis et Pavon, botanistes espagnols. Il serait trop
long de raconter toutes les tracasseries auxquelles il fut en butte de la
part des autorités espagnoles du Chili et du Pérou pour assurer à leurs
compatriotes le fruit des travaux de Dombey, qui, en retournant en
Amérique, fut pris (en octobre 1793) par des corsaires, et périt dans les
prisons de Monlserrat, à Fàge de cinquante-un ans.
280 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
La Pérouse. Labillardière visita les parages de la Nou-
velle-Calédonie et longea la côte sud-ouest de la Nouvelle-
Hollande, où il faillit plusieurs fois faire naufrage. Ses
collections contenaient plus de quatre mille plantes, dont
les trois quarts étaient d'espèces jusqu'alors inconnues.
Elles tombèrent entre les mains des Anglais, qui étaient
alors en guerre avec la France. Le président de la Société
Royale de Londres, Joseph Banks s'empressa de les lui
renvoyer intactes, ainsi que nous l'avons raconté plus
haut*. L'ouvrage déjà cité de Labillardière {Novœ Hollaoï-
dix plantarum spécimen, Paris, 1804-1806, 2 vol. in-4°)
donne la description et le dessin de deux cent soixante-
cinq espèces. L'une des plus curieuses de ces espèces, c'est
le cephalotus foUicularis, qui croît dans les lieux les plus
humides et dont les feuilles, en godet, sont toujours rem-
plies d'eau et d'un grand nombre de petits insectes.
Leschenault (né à Ghâlon-sur-Saône, en 1773, mort à
Paris en 1826), qui fit, en 1800, partie du Voyage aux
terres australes de Péron et Freycinet, a donné le premier,
dans le tome II de la relation de ce voyage, un aperçu
général, exact, de la Végétation de la Nouvelle-Hollande et
de la terre de Diémen, dont nous allons extraire les points
les plus saillants.
Ce qui frappe ici le plus l'Européen, comme lors de
la découverte de l'Amérique, c'est l'absence de toutes
nos céréales. Les habitants de la terre de Diémen man-
gent la racine d'une fougère [pteris esculenta), qui offre
une nourriture insuffisante. L'introduction de nos cé-
réales fut un immense bienfait pour les Australiens. La
végétation de la Nouvelle-Hollande a une physionomie
particulière que Leschenault a essayé de mettre en re-
lief. « Les parties méridionales de l'Afrique sont, dit-il,
les seules à la végétation desquelles on puisse comparer celle
de la Nouvelle- Hollande ; par les mêmes parallèles, on
1 . Voy. p. 265.
TEMPS MODERNES. 281
retrouve ces innombrables légions de bruyères et de pro-
téacées, qui renferment plusieurs arbustee remarquables
par leurs formes gracieuses et délicates, et qui parent la
stérilité de l'un et de l'autre climat. Mais dans tous les
lieux que nous avons visités, et surtout sur la côte occi-
dentale de la Nouvelle-Hollande, nous n'avons retrouvé,
dans les grandes masses, ni la majesté des forôts vierges
du Nouveau-Monde, ni la variété et l'élégance de celles
de l'Asie, ni la délicatesse et la fraîcheur des bois de nos
contrées tempérées de l'Europe. La végétation est générale-
ment sombre et triste, et n'a pas l'aspect de celle de nos
arbresverts ou de nos bruyères; les fruits, pour la plupart,
sont ligneux; les feuilles de presque toutes les plantes
sont linéaires, lancéolées, petites, coriaces et spinescentes.
Cette contexture des végétaux est l'effet de l'aridité du sol
et de la sécheresse du climat. C'est à ces mêmes causes
qu'est due sans doute la variété des cryptogames et des
plantes herbacées. Les graminées, qui ailleurs sont généra-
lement molles et flexibles, participentici de la rigidité des
autres plantes. On en voit des exemples remarquables dans
Yuniola distichophylla^ décrite par M. Labillardière, et
dans une espèce de festuca, que j'ai trouvée sur la côte
occidentale, et dont toutes les feuilles sont autant d'aiguil-
lons. La plupart des plantes de la Nouvelle-Hollande ap-
partiennent à des genres nouveaux, et celles qui se rattachent
à des genres déjà connus, sont presque autant d'espèces
nouvelles. Les familles naturelles, qui dominent, sont
celles des protéacées, des bruyères, des composées, des
légumineuses et des myrtoïdes. Les plus grands arbres
appartiennent tous à cette dernière famille, et presque
exclusivement au genre eucalyptus. »
Les arbres les plus connus sont l'eucalyptus resinifera,
qui sécrète une gomme rouge, réputée par les Européens
comme un très-bon remède contre la dyssenterie ; et l'eu-
calyptus robusta, qui parvient à une hauteur considéra-
ble et fournit un bon bois de construction. Son accrois-
282 HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
sèment lent l'empêchera d'être introduit avec avantage
dans nos forêts.
Les autres plantes signalées par Leschenault comme
caractéristiques de la végétation de la Nouvelle-Hollande
sont les melaleuca, dont l'écorce, de plusieurs pouces
d'épaisseur, est formée de feuillets minces, flexibles et
très- doux, qui se détachent facilement, et qui servent
aux indigènes à garnir l'intérieur de leurs cabanes ; les
xanthorœa, d'où découle abondamment une résine odo-
rante, dont les naturels se servent pour boucher les su-
tures de leurs canots, ou pour souder la hampe de leurs
sagaies avec la pointe en bois dur ; les casuarina^ qui
varient de dimension depuis un tiers de mètre jusqu'à
plusieurs mètres de hauteur ; les metrosideros^ dont l'es-
pèce décrite par Leschenault sous le nom àem.paludosa,
à cause des lieux marécageux où elle croît, est un très-
bel arbuste, remarquable par ses épis de fleurs, très-longs
et du rouge le plus éclatant. Leschenault mentionne en-
core comme caractéristique un bignonia^ arbuste à feuilles
épaisses, dont les fleurs blanches ont une forte odeur de
tubéreuse; un calorophus, dont les feuilles frisées forment
d'agréables panaches; une espèce de mimosa, dont les
rameaux tortueux s'entrelacent et forment des touffes
épaisses, sous lesquelles se retirent les kangurous à ban-
des; un eucalyptus (e. glohulosa?), remarquable par la
forme de ses fruits, qui ressemblent à de petites urnes ;
un très-joli et très-singulier liseron sans tige, dont les
fleurs purpurines et solitaires sortent immédiatement de
terre et ne sont entourées que de quatre à cinq très-petites
feuilles linéaires, qu'elles cachent sous leur corolle *.
Robert Brown (né en 1781), attaché à l'expédition du
capitaine Flinders, explora en 1801, avec le peintre
Ferd. Bauer, bien des contrées qui, au commencement
1. Voyage de découvertes aux Terres australes, t. II, p. 35S-o72
(Paris, 1816, 2 vol, ia-4° avec atlas).
TEMPS MODERNES. 283
de notre siècle, étaient encore sauvages et qui sont aujour-
d'iiui couvertes de cités florissantes. Après avoir visité la
terre de Diémen et les îles du détroit de Banks, il revint,
en 1805, en Angleterre, avecune collection de quatre mille
espèces de plantes, et publia successivement Prodromus
Florse Novse HoUandiœ, Lond. , 1810, in-4o; General Remarks
on the botany of terra Australis, ibid., 1814, et Supple-
mentum primum Florse Novse Hollandiœ, ibid., 1830.
A la suite de ces ouvrages il convient de mentionner
les travaux d'Endlicher, de Bentham, deFenyl et Scliott',
de M. Raoul, chirurgien de la marine française^, ainsi
que les collections envoyées de la Nouvelle-Calédonie (co-
lonie française depuis 1860) au Muséum de Paris par
MM. Vieillard, Deplanche, Pauclier, Thiébaut et Bau-
douin. Ces travaux et ces collections montrent d'une
part que les fougères prédominent dans les régions in-
sulaires, et, de l'autre, que la végétation de la Nouvelle-
Calédonie forme le chaînon intermédiaire entre la végéta-
tion de la Nouvelle-Hollande et celle des îles de l'Asie
tropicale.
Géographie botanique.
Cette branche de la science est toute moderne. Jus-
qu'au dix-huitième siècle les botanistes n'avaient aucune
idée de l'influence du milieu climatérique sur la végéta-
tion. Cette influence leur échappait tellement, qu'ils
croyaient devoir retrouver les plantes de la Grèce et de
l'Italie, mentionnées par Théophraste, Dioscoride et
Pline, non-seulement dans toutes les autres parties de
l'Ancien Continent, mais même dans le Nouveau-Monde.
1. Enumeratio planîarum quas in Novx Eollandix ora ausiro'
occidentali collegit Karl v. Hùgel ; Vienne, 1738, iii-4".
2. Choix de plantes de la Nouvelle-Zélande ; Paris, 1846.
28k HISTOIRE DE LA BOTANIQUE.
De là une multitude de travaux inutiles sur la concordance
de la synonymie ancienne avec la synonymie moderne.
Mais depuis que les voyages d'exploration se sont multi-
pliés, on a commencé à reconnaître l'erreur,
Christian Mentzel (mort en 1701, médecin de l'électeur
do. Brandebourg), qui avait parcouru le nord et le midi do
l'Europe, paraît déjà avoir eu l'idée de classer les plantes
d'après les climats. Mais, au lieu d'y donner suite, il se
contenta d'écrire un dictionnaire, de plantes polyglotte
{Lexico7i plantarum polyglotton universale; Berl., 1696 et
1715, in-foL). C'est Tournefort qui le premier remarqua,
pendant son ascension du mont Ararat, la végétation comme
superposée par étages. Cependant il ne s'étendit pas beau-
coup sur cette remarque, qui fut reprise par Linné, Hal-
1er, par Adanson etB. de Saussure ( Koî/ag'e dans les Alpes).
Giraud Soulavie, dans son Histoire naturelle de lu France
méridionale (PsiTis, 1783), distribua le premier les plantes
par zones ou climats. Frédéric Stromeyer émit, au commen-
cement de notre siècle, des considérations importantes sur
l'influence physique du sol et les limites de la végétation'.
Mai? c'est à Gr. R. Treviranus que nous devons l'établisse-
ment des principes de la géographie botanique et géologique ,
dans un travail remarquable Sur la distribution des corps
vivants à la surface du globe^. Alex, de Humboldt et Bon-
plaud s'attachèrent plus particulièrement àla géographie des
plantes et lui imprimèrent une direction vraiment scien-
tifique ^ Léopold de Buch, dans ses Voyages en Norwége
et en Laponie (1810), et aux îles de Canaries (1817), in-
sista sur les différences de la végétation suivant les lati-
tudes et les altitudes. Gr.Wahlenberg, professeur d'Upsal,
1. Commentatio inauguralis sistens. Uist. vegetabilium geograi'li
spécimen; Gœtt., 1800, in-4°.
2. Ce travail comprend tout le tome II delà. Biologie de Trc\i-
ranus (Gœtting., 1803, in-S").
3. Essai sur la géographie des plantes, accompagné d'un tableau
physique des régions équinoxiales , etc. ; Paris, an XIII (1805), iii-4".
TEMPS MODERNES. 285
fit particulièrement ressortir ces différences dans sa Flore
de la Laponie, accompagnée d'une carte botanico géogra-
phique (Berl., 1812), dans son travail sur la Végétation de
la Suisse septentrionale^ et dans sa Flore des monts Gar-
pathes(Gœtting., 1814).Vers la même époque, De Gandolle
divisa la France en régions botanico-géographiques, en
tenant surtout compte de la hauteur des localités au-
dessus du niveau de la mer, et R. Brown publia ses
Observations de géographie botaniques sur l'Australie.
L'élan était donné. Fréd. Schouw, Wilbrand, Mirbel,
Beilschmied, Meyen, Rœmer, Unger, Adrien de Jussieu,
Gh. Martins, etc., n'ont eu depuis qu'à suivre la route
indiquée.
1 . De végétât, et climat, in Helvetia septentrionali inter flumina
Rlienum etArolam, etc.; Zurich, 1813.
HISTOIRE
DE LA
MINÉRALOGIE
ET DE
LA GÉOLOGIE
HISTOIRE
MINERALOGIE
ET DE
LA GEOLOGIE.
MINÉRALOGIE.
Pierres considérées couime précieuses ou rares
par les anciens.
D'après la Genèse, la terre pierreuse, aride, a paru,
dans l'ordre de la création, avant la terre nourricière,
animée par les manifestations variées de la vie. L'auto-
rité biblique se trouve ici d'accord avec l'autorité de la
science.
L'examen attentif d'une roche brillante, cristalline, a
pu faire naître une série d'observations du plus haul,
intérêt. Mais ces observations se sont d'abord primitive-
ment arrêtées aux objets qui, par leur éclat et par leurs
teintes variées, attirent les regards, non-seulement des
hommes sauvages, mais même de certains animaux, li'!s
l'j
290 HISTOIRE DÉ LA MINÉRALOGIE.
que les corbeaux, les pies, etc. La connaissance des
pierres précieuses a donc dû précéder celle des roches com-
munes : c'est la branche la plus ancienne de la minéra-
logie.
Le président de l'aréopage égyptien, composé de trente
juges, portait autour du cou une chaîne d'or, à laquelle
était suspendue une petite figure eu pierres précieuses,
représentant la vérité*. Quelles étaient ces pierres pré-
cieuses?
Moïse, qui avait longtemps résidé en Egypte, va nous
donner ici quelques renseignements utiles. Au nombre
des usages que les Israélites avaient empruntés aux Égyp-
tiens, il faut certainement placer le rational ou pec-
toral du grand prêtre, qui remplissait des fonctions ana-
logues à celles du président du tribunal suprême de l'E-
gypte. Le pectoral était une pièce carrée, tissue de fils
d'or, entremêlés de fils de lin teints en violet, en pourpre
et en écarlate. Cette pièce, que le grand prêtre portait
sur la poitrine par-dessus l'éphod, était ornée de douze
pierres précieuses, disposées sur quatre rangs ou tourim
(de nu, tour^ rang). «Au premier rang, il y avait, disent
les interprètes, la sardoine^ la topaze et Vémeraude; au
second, Vescarboucle^ le saphir et le jaspe; au troisième,
le ligure, l'agate et l'améthyste; au quatrième rang, la
chrysolithe, l'onyx et le béi^yl. » On y voyait gravés les
noms des douze tribus d'Israël ^.
Les noms de ces pierres et leur signification méritent
une étude plus approfondie.
Sardoine. — Le nom hébreu de ms', odem, que les
Septante ont traduit par Txpotov, et la Vulgate par sar-
dius, désigne une pierre rouge, s'il faut s'en rapporter à
son étymologie [adom, en hébreu, signifie rouge). On aura
1. Diodore, I, 75.
2. Lxode, XXVIII, 1
PIERRES PRÉCIEUSES. 291
donc à choisir entre le rubis, la cornaline et le grenat.
Le rubis, rubinus (de ruber, ronge) ^ de tout temps fort
estimé, a été compris, dans l'antiquité, parmi les escar-
boucles, carbunculi, nom appliqué à toutes les pierres
précieuses dont la transparence rappelle l'éclat d'un
charbon incandescent. Il offre de nombreuses variétés
(rubis balais, rubis spinelle, corindon rouge, rubis orien-
tal ou saphir rouge), dont la composition chimique n'a
été reconnue que de nos jours : ce sont des aluminates de
magnésie naturels, appartenant aux terrains de mica-
schiste. Les grenats, qui doivent leur nom à la couleur
de feu de la fleur du grenadier {punica granalum), sont
en général opaques ou d'une faible transparence ; il y en
a de pourprés, dits syriens, d'orangés, dits hyacinthes,
de vermeils, d'un rouge coquelicot, etc. Leur composi-
tion a été trouvée assez variable : ce sont des combinai-
sons de silice, d'alumine, de peroxyde de fer, avec de la
chaux, de la magnésie, etc. Les anciens les comprenaient,
en partie, parmi les escarboucles.
La cornaline paraît être la véritable sardoine des an-
ciens ; c'est une espèce d'agate ou de quarz , dont la
pâte fine, demi-transparente, susceptible d'un beau poli,
est colorée de nuances vives et variées. Les agates
bleuâtres, gris de perle, fortement translucides, portent le
nom de Qalcédoines; celles d'un rouge de sang, nuancées
de teintes ondulées d'un brun jaunâtre clair, sont les cor-
naiùies proprement dites; celles d'un rouge brunâtre foncé
ou d'un rouge orangé sont les sardoines.
On n'est pas d'accord sur l'origine de ce dernier nom.
Les uns, comme Pline*, le font dériver de Sardes^ nom de
l'ancienne capitale de la Lydie : gemma vulgaris, primum
Sardibus reperta; les autres, comme saint Épiphane, le
font venir de sarda^ sardine, à cause des nuances cha-
toyantes que prend ce poisson conservé dans du sel : pisci
1. Pline, XXXVII, 7.
292 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
sale condilo et inveterato similis^; d'autres enfin le dédui-
sent du grec sarx, chair, à cause de sa couleur.
Tliéophraste et Pline divisaient les sardoines en mâles
{mares) et en femelles [fœminse] : les dernières étaient
d'un rouge clair, les premières d'un rouge foncé ; c'étaient
sans doute de simples variétés de cornaline. Les gemmes,
les abraxas, les talismans et autres pierres gravées, qui
nous sont parvenus de l'antiquité et du moyen âge,
étaient pour la plupart des sardoines.
Topaze. — Suivant les auteurs grecs, tels que Or-
phée, Agatharchide , Strahon, Diodore, la topaze était
jaune, couleur d'or, comme la chrysolithe, avec laquelle on
a voulu l'identifier; tandis que d'après les auteurs latins,
notamment Pline, elle était de couleur verte. Rappelons
ici que, selon Diodore et Strabon, la topaze^ 10 loni-
^lov, venait d'une île de la mer Rouge nommée Ophiode,
c'est-à-dire Serpentine. On sait que la serpentine est une
pierre verte ; mais, d'autre part, le nom hébreu de pitedah,
HToa, que tous les interprètes ont rendu par topaze^ se
rattache au mot pita^ qui en sanscrit signifie jaune.
Quoi qu'il en soit, la topaze était particulièrement estimée
des anciens. On en ignora longtemps la composition. Ce
n'est que depuis un siècle à peine qiie l'on sait que la
topaze, dont les principales formes ciistallines sont un
prisme rhomboïdal ou un prisme hexaèdre, est une combi-
naison naturelle d'alumine, de silice et d'acide fluorique,
empâtée dans le quarz et le feldspath des roches grani-
tiques.
Émeraude. — Il résulte de plusieurs passages d'au-
teurs anciens que le nom de smaragdus ^ ctjiapaYSoç (dérivé
probablement de [xapfxaCpw, miroiter) s'appliquait à toute
pierre verte, tels que l'aiguë marine, le jaspe, le mala-
chite, etc., et même au verre artificiellement coloré en
1. Sai
nt Épiphane, De duodecim gemmis, etc.
PIERRF.S PRÉCIEUSES. 293
vert, comme l'étaient les colonnes (colonnes d'émeraude)
du temple d'Hercule à Tyr *. Mais il ne faudrait pas in-
duire de là, comme l'ont fait quelques commentateurs,
que ce même nom ne pouvait pas s'appliquer à l'éme-
raude proprement dite. Pline en a donné une longue descrip-
tion, où il fait ressortir la lumière que cette pierre précieuse
« lance en rayons aussi vifs que doux, faisant resplendir
l'air qui l'environne et teignant par son irradiation l'eau
dans laquelle on la plonge ^. >>
Dans les fragments qui nous restent de son traité
Des pierres [Hipi XîOwv), Théophraste dit que « l'émeraude
est rare et ne se trouve jamais en grand volume. » Il
nous apprend aussi qu'on se plaisait à porter l'éme-
raude en bagues, et que les artistes la taillaient, soit
en cabochon pour faire flotter la lumière, soit en table
pour la réfléchir comme un miroir, soit en creux régulier
dans lequel, sur uu fond agréable à l'œil, venaient se
peindre les objets en raccourci. Pline parle d'une éme-
raude sur laquelle était gravée Amymoe, l'une des Da-
naïdes, et il rapporte la gravure de ces pierres chez les
Grrecs à une époque qui répond, chez les Romains, au rè-
gne du dernier des Tarquins. Selon Clément d'Alexandrie,
le farneux cachet de Polycrate était une émeraude, gravée
par Théodore de Samos.
Le mot hébreu barêketh^ ripin, que tous les interprètes
ont rendu par émeraude, dérive de barak, éclair. La forme
cristalline de l'émeraude (prismes à six faces), pas plus
que celle des autres pierres précieuses, n'avait aucune-
ment attiré l'attention des anciens.
C'est dans l'émeraude que la glucyne, terre particulière,
découverte en 1798par Vauquelin, se trouve naturellement
combinée avec la silice et l'alumine.
Escarboude. — Le terme de Moïse, nophekh ("2j),
1. Hérodote, ii, 44.
2. Pline, IJist. nat., xxxvii, 16.
294 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
que les Septante ont rendu par àvôpa^, carbunculus^ escar-
boucle, signifie-t-il le diamant, le rubis ou toute autre
pierre précieuse? La plupart des lexicographes, Gesenius
en tête, n'osent pas se prononcer à cet égard. Ce qu'il y
a de certain, c'est que le nom d'escarboucle pouvait s'ap-
pliquer à toute espèce de pierre qui, soit au soleil, soit
même dans l'obscurité, brillait d'un feu très-vif, rappe-
lant l'éclat d'un charbon ardent. Le diamant jouit de cette
propriété, et, chose remarquable, il n'est, en réalité, que
du charbon pur, carbunculus^ cristallisé. Mais les anciens
ont clairement désigné le diamant sous le nom de aSajj.aç,
adanias (de Safjia^siv, dompter, et l'a privatif), faisant al-
lusion à sa dureté extrême. Pline a positivement observé
que le diamant seul peut rayer toutes les autres pierres ^.
Il ajoute qu'on ne le trouve qu'en petite quantité, de la
grosseur d'une graine de concombre au plus [non amplior
cucumis semine), qu'à cause de sa rareté, cette pierre,
transparente et incolore (colore translucido), cristallisée
en octaèdres [laterum sexangulo levore turbinatus in mu-
cronenï), n'entre que dans l'ornement des rois, et qu'elle
accompagne généralement l'or dans les mines de l'Ethio-
pie, de l'Arabie et de l'Inde. « On en rencontre cependant
aussi, dit-il, de la grosseur d'une noisette [magnitudine
avcHanœ nuclei) ^. » — On s'est complu depuis à faire
l'histoire des plus gros diamants qui ont passé dans
différentes successions de trésors.
L'escarboucle n'est pas non plus le cristal de roche;
car les anciens donnaient à la silice pure cristallisée le
nom de cristal, xpuaxaXXov, crijstaUwn^ par excellence. Ils
croyaient, comme l'attestent Théophraste, Diodore, Pline,
Sénèque, que c'était de l'eau concrétée par un froid ex-
cessif [gelu vehementiore concretum) , et ils indiquaient
1. Pline, xxxvni, 76,
2. /6id., XXXVII, 15.
PIERRES PRÉCIEUSES. 295
comme principal lieu de provenance les Alpes toujours
couvertes de neige.
Beaucoup de commentateurs admettent que l'escar-
houcle était le rubis. Buffon partage cette opinion en la
modifiant. « Gomme le mot latin carbunculus indique,
dit-il, une substance couleur de feu, on ne peut l'appli-
quer qu'au rubis ou au grenat, et les rubis étant plus
rares et en plus petit volume que les grenats, nous nous
croyons bien fondés à croire que l'escarboucle des anciens
était un vrai grenat d'un grand volume^ et tel qu'ils
ont décrit leur carbunculus '. »
Saphir. — Ce mot, qui dérive évidemment de l'hébreu
ou du chaldéen saphar, 12D, graver, se retrouve, avec de
très-légères modifications, à peu près dans toutes les-lan-
gues; il paraît avoir été appliqué primitivement àtoutes les
pierres cristallisées propres à la gravure. Plus tard ou
l'a spécialement appliqué au corindon ou saphir bleu, au
lubis des lapidaires (rubis oriental) et à l'améthyste orien-
tale (saphir violet) . Les plus beaux saphirs venaient, sui-
vant Pline et Marbode [De lapid.pret. cap. lui), de la Mé-
die, qui est ici sans doute prise pour l'Inde.
On ne sait que depuis le commencement de notre siè-
cle que le saphir ou corindon, incolore, translucide,
rivalisant en beauté et en dureté avec le diamant''
est de l'argile pure (alumine) cristallisée, qu'à l'état im-
pur il constitue la terre connue dans l'industrie sous le
nom à'émeri, et que cette terre aluminée, naturellement
cristallisée avec de très-petites quantités d'oxyde de fer, de
manganèse, de nickel, de chrome, présente les teintes les
plus riches et les plus variées. C'est là-dessus que repose
la fabrication des pierres précieuses, susceptibles de rem-
placer les pierres fines naturelles.
Jaspe. — Au second rang des pierres précieuses qui
ornaient le pectoral du grand pontife, se trouvait le iaha-
1. Buffon, t. XI (minéraux), p. 267 (de l'édition de Flourens).
296 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE
lom (DSn>"j, mot hébreu (dérivé de halam, broyer), sur
la valeur duquel les interprètes ne sont pas d'accord : les
uns le rendent par diamant, les autres par émeraude,
d'autres enfin par jaspe. C'est la dernière interprétation
qui a été généralement adoptée. Mais ici encore il y a
beaucoup d'incertitude : le jaspe des anciens, tel que le
décrit Pline, était vert et souvent translucide, uim eîs.^j^e
translucet jaspis, tandis que le jaspe des modernes est du
quartz (silice), mêlé principalement d'oxyde de fer ; la pré-
sence de cet oxyde (mélange de protoxyde et de sesquioxyde) ,
hydraté ou non, produit les diverses variétés de jaspes rou-
ges, jaunes, verts, etc., à cassure terne, non vitreuse, où
les couleurs sont tantôt uniformément répandues, tantôt
disposées par bandes, par zones, par taches, etc. Les
jaspes terehinthizusa, grammatias, polygrammos, stellata
rutilis punctis, jasponyx, onychipunclata, capnias, turbida,
étaient des espèces d'agates, principalement des calcé-
doines plus ou moins transparentes, marquées de raies
ou de taches blanches, sur un fond sombre ou enfumé.
Ces pierres servaient surtout de cachets; celle qui par
sa couleur se rapprochait de l'émeraude, et qui était tra-
versée, au milieu, par une ligne blanche, était particu-
lièrement en usage comme un amulette pour se préserver
du démon de la luxure et acquérir de la puissance ^
Ligure. — On a beaucoup discuté sur la signification
du mot hébreu leschem (dïtS), que les Septante et la Vul-
gate ont traduit par h-(6piov,'ligurium. Suivant saint Épi-
phane, c'était une pierre purpurine, semblable à l'hya-
cinthe. D'après Théophraste et Pline .le ligure ou lyncurius
(dérivé de lynx), c'était le succin, résine fossile, compacte
{electrwn), dont les anciens connaissaient les propriétés
électriques, et qui passait pour une concrétion excrémen-
titielle du lynx, espèce de chat saurage, plus commune
1. Pline, xxxvii, 37.
PIERRES PRÉCIEUSES. 297
autrefois qu'aujourd'hui. Enfin il y en a qui pensent que
le Hgurium ou lyncurius était la tourmaline, borosilicate
d'alumine naturel, d'un noir bleuâtre, quelquefois incolore
ou légèrement rosé, dont les singulières propriétés phy-
siques ne sont guère bien connues que depuis environ
un siècle.
Agate. — Le schebo , linz;', des Hébreux est, s'il faut en
croire les interprètes, notre agate, qui appartient, comme
la calcédoine, le jaspe, la cornaline, etc., à la classe des
quartz ou des pierres fines ayant pour principale compo-
sition chimique la silice. Le nom à'achate, àx^-cr^ç^ est,
suivant Théophraste (IIspl Xi'Qojv), emprunté à celui d'un
fleuve de la Sicile, où cette pierre abondait. Ses nuances
variées lui avaient valu des appellations diverses, telles
que iaspachate, cérachate, hèmachate, leucacliate, dendra-
chate, etc. Pline attribue aux agates, entre autres, la pro-
priété de guérir les morsures de scorpions, d'étancher
la soif, étant portées dans la bouche, de rendre les athlètes
invulnérables, etc. Il signale aussi l'usage qu'en faisaient
les médecins ou pharmaciens pour la confection des pe-
tits mortiers dans lesquels ils broyaient leurs médica-
ments*.
Améthyste. — Cette pierre, qui est du quartz coloré
en violet par de l'oxyde de manganèse, doit son nom
grec d'améthyste, aasOuaToç, selon les uns, à la propriété
de dissiper l'ivresse [iii^], selon les autres, à sa couleur
de vin d'un rouge violet. Deux épigrammes de l'Antho-
logie grecque (IV, 18) font allusion à cette double étymo-
logie. Au rapport de Pline, les améthystes les plus recher-
chées provenaient de l'Inde et de l'Arabie Pétrée. On leur
attribuait des vertus surnaturelles ; on y gravait l'image
du soleil ou de la lune, et on les portait suspendues au
cou par des poils de cynocéphale ou par des plumes
1. Pline, xxxvii, 54.
298 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
d'hirondelle * . D'après l'étymologie du nom liéLreu à'hak
lamah^ de [khalam, ûSn rêver), nom que tous les inter-
prètes ont rendu par améthyste ^ cette pierre aurait la
vertu de donner des songes à ceux qui la portent.
Chrysolithe. — Si l'on ne s'en rapporte qu'à l'éty-
mologie, le nom de chrysolithe (de /putroç or, et lî^oc, pierre)
devra s'appliquer à toutes les pierres ou matières jaunes,
telles que la topaze, le corindon jaune (topaze orientale),
l'olivine, une variété cristalline du péridote, la pyrite,
le succin,etc. Les anciens faisaient venir leurs chrysolithes
particulièrement de l'Espagne, comme l'atteste son nom
hébreu de dareschisch (ywilj , qui est aussi le nom de la
ville de Tartessus. On sait que cette antique cité, dont il
est souvent question dans la Bible, était le principal en-
trepôt du commerce des Phéniciens sur le Bétis (Guadal-
quivir).
Onyx. — D'après la description qu'en donnent Théo-
phraste, Pline (xxxvii, 24) et Isidore de Séville [Ori-
gines, XVI, 8)., l'onyx est une variété d'agate rubanée en
deux ou trois couleurs par des zones très-fixes, lactes-
centes, semblables à celles qu'on remarque à la base des
ongles, d'où le nom à'o7iyx, qui en grec signifie ongle.
Pline ajoute que l'onyx ne diffère que de nom de la sar-
doine: ncc sardse nalura differenda est, dividux ex eodem
nomine. De là le nom de sardonyx, donné par les anciens
à cette variété de quartz (agate) rubanée ou striée.
Tous les interprètes s'accordent à voir dans le schoham
(^Dnu) des Hébreux l'onyx ou le sardonyx. Les Grecs, qui ont
excellé dans la gravure en creux et en relief sur les pier-
res, recherchaient ces belles agates pour en faire des
camées. Il nous reste un certain nombre de ces pierres
gravées, dont on ne saurait se lasser d'admirer la beauté
1. Pline, XXXVII, 40.— Marbode, De lapid. prêt., cap. iv. — Albert
le Grand, Lib. de minerai., II.
PIERRES PRÉCIEUSES. 299
du travail, la nelteté et la finesse du trait dans îe relief,
qui se détache si parfaitement du fond de la pierre qu'on
le croirait fait à part et ensuite collé sur cette même
pierre. Ils choisissaient pour ces beaux camées principale-
ment les onyx blancs et rouges.
Béryl. — Le béryl {{i-qcoK/.oç , beryllus) des Grecs et
des Romains paraît bien être ce qu'on appelle aujour-
d'hui ôery^, c'est-à-dire une espèce d'émeraude bleue,
([ui a pour composition chimique la silice, l'alumine et
la glucine. La variété, dans laquelle le bleu présente
une teinte verdâtre, est l'aiguë marine. C'est de celle-ci
que parle saint Épiphane dans son opuscule Des douze
pierres précieuses d'Aaron ; il dit qu'on la trouve dans la
chaîne du Taurus. Au rapport de Pline, le béryl est
commun dans l'Inde, où l'on aurait découvert le moyen
d'imiter les pierres précieuses, notamment les béryls, par
la teinture (métallique) du cristal de roche ^
Nous ignorons sur quoi se sont fondés les interprètes
pour traduire le nom hébreu de iâschepeh f ns^' j , déri-
vant de schapah^ être lisse, par béryl, au lieu de le traduire
par jaspe, nom qui se trouve dans toutes les langues an-
ciennes et dont l'origine sémitique paraît certaine.
Les pierres que nous venons de passer en revue, la
plupart remarquables par leurs figures régulières, cris-
tallines, sont les unes translucides, les autres demi-trans-
parentes ou opaques. Elles formaient le pectoral ou ratio-
nal d'Aaron, frère aîné de Moïse, premier grand prêtre
des Juifs (mort en 1450 avant J. G.), et elles composaient
depuis lors, comme nous l'avons dit, le principal orne-
ment, le khoschen, le loyelov (rationale) de l'éphod des
grands pontifes de la même nation. Au milieu creux de cet
ornement, milieu qui se nommait le khoschen hamisch^
1. Pline, XXXVII, 20 : — Indi..., gemmas tîngendo adulterare repe-
rerunt, sed prsecipue heryllos.
300 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
pat^ le Xoysiov ou ^oyetov xpiasto; des Septante, c'est-à-dire
le rational du jugement^ étaient gravées ourim ('d'IIN) et
thummim /D'an), deux mots qui signifient lumière
(révélation) et vérité (intégrité). « Ces mots seront, ajoute
Moïse, sur le cœur d'Aaron, lorsqu'il paraîtra devant
Jehovah ^ »
Quel était le véritable sens de tout cela ? Bien des con-
jectures, plus ou moins inadmissibles, ont été émises à
cet égard. Suivant Spencer, dont l'opinion réunit beau-
coup de partisans, les ourim et thummim étaient des
statuettes de figure humaine, analogues aux antiques the-
raphim^ espèce de pénates donnant des oracles chez les
Araméens, ancêtres du peuple hébreu : un Dieu ou ange
répondait aux questions du grand prêtre *. Tout en adop-
tant l'opinion de Spencer, S. Munk la modifie en cher-
chant à établir que « ces figures, symboles de la vérité
et de la justice, étaient employées, d'une certaine ma-
nière, comme un sort que l'on considérait comme un
jugement de Dieu ^ « Nous allons voir ce qu'il faudra
penser de ces différentes opinions.
Rappelons d'abord que les pierres précieuses du pec-
toral des grands prêtres hébreux ornaient aussi le vête-
ment sacerdotal des rois de Tyr*, et qu'elles formaient
les douze assises de l'enceinte de la nouvelle Jérusalem,
dont parle l'Apocalypse (xxi, 20). Nous ne devons pas
ensuite oublier le rôle que la plupart de ces pierres
jouaient dans la comj)ositiondes talismans (du grec tÉXsaj/a,
perfection) et des amulettes. Pline nous représente les
mages, pontifes de l'Orient (d'où vient le mot de magié)^
comme ayant été particulièrement initiés à la connais-
1. Exode, xxxvM,30.
2 J. Spencer, De legihus Hebr.rorum ritualibus et earum rationi-
hus libri m ; Cambridge, 1685,2 vol. ia-fol.
3. S. Munk, La Palestine^ dans VUnivers pittoresque, p. 176.
'(. Ézéchiel, xxvm, 13.
PIERRES PRÉCIEUSES. 301
sance des vertus surnaturelles de l'agate, de l'émeraude,
de l'onyx, etc. Orphée, poëte du cycle pythagoricien,
attribue, dans ses Lithica, aux pierres une action mysté-
rieuse. A propos d'une pierre dont l'éclat lui avait valu
le nom de sidérite, il dit qu'en la tenant devant les yeux,
on se sent animé du souffle de la prophétie. Suivant la
doctrine des bouddhistes, le saphir calme l'effervescence de
l'âme, et préserve de l'envie et du mensonge. Marbodc
ajoute que, pour porter cette pierre, il faut avoir le cœur
chast3 et pur. Il serait trop long d'énumérer les vertus
singulières que devait posséder le diamant, le grenat,
l'agate, le cristal de roche , l'émeraude , l'onyx, etc.
Théophraste, Dioscoride, Galien, Isidore de Séville, Avi-
cenne, Albert le Grand, bref la plupart des écrivains de
l'antiquité en font mention. Mais tout cela était, en grande
partie, traité de fable, jusqu'à ce qu'on eût, vers la fin du
dix-huitième siècle, observé l'action très-réelle de certains
minéraux sur des somnambules. Les observations de ce
genre se multiplièrent. Kerner, dans la Voyante de Pre-
vorst , a consacré tout un chapitre * sur l'action des
minéraux et des pierres précieuses suivant qu'ils ont
pour principale composition la silice (quartz) ou l'alu-
mine. Enfin, assez récemment on a constaté, par des
expériences positives, que l'éclat des cristaux ou des sub-
stances translucides provoque chez certaines personnes un
véritable sommeil magnétique. C'est le phénomène qui a
reçu le nom d'hypnotisme. Ne pourrait-on pas trouver,
dans ce que nous venons de rappeler, l'explication des
ourim et thummim, ainsi que l'emploi des pierres brillan-
tes par les rois ou les pontifes prophètes de l'antiquité ?
1. Die Seherin von Prevorst, p. 55-103 (Stuttg. et Tub., 1846,
in-8°).
302 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
Pierres ou roches communes.
Les anciens avaient, comme nous, observé que l'écorce
pierreuse, inanimée, de la terre, se trouve la même sous
tous les climats, que l'aspect des mêmes roches peut, dans
les régions les plus lointaines, rappeler au voyageur le
souvenir de la patrie absente, tandis que les végétaux et
les animaux le distraient ou l'étonnent par leur variété
infinie. Mais ils ignoraient absolument que la chaux^ la
silice et V argile, mêlées aux détritus de la nature vivante,
forment la presque totalité de la surface terrestre et que
ces substances minérales, réduites à leur plus grand état
de^ simplicité, ne sont que des rouilles, des oxydes de
naétaux aussi brillants que l'argent. Il a fallu des milliers
d'années pour arriver à cette importante connaissance.
Pourquoi? Parce que ces substances, par la variabilité de
leur couleur, de leur densité, de leur dureté, de toutes
leurs qualités extérieures enfin, trompent l'œil et donnent
complètement le change sur la simplicité de leur com-
position intérieure , moléculaire. C'est cette variabilité
même qui constitue leur histoire géologique et minéra-
logique.
Chaux. — La terre alcaline, la chaux des chimistes,
n'existe dans la nature qu'en combinaison avec l'acide car-
bonique, l'acide sulfurique, la silice, l'alumine (argilepure),
l'oxyde de fer, etc. Dans ces combinaisons diverses, elle
présente, sous le nom général de pierre calcaire, les
aspects les plus variés, forme les plus puissantes assises
du globe , et affecte toutes les positions imaginables ,
parmi lesquelles prédominent les couches horizontales.
Ces points de vue scientifiques, étant le fruit du travail
de longues générations, devaient nécessairement échapper
à l'esprit des anciens.
PIERRES COMMUNES. 303
C'est principalement à la pierre calcaire que s'appliqua
cette remarque que les hommes, pour construire leurs
demeures, palais et monuments, ont pris au-dessous
du sol ce qui est au-dessus. Vitruve a particulièrement
insisté sur l'usage des roches calcaires comme pierres à
bâtir, suivant qu'elles sont tendres (mollia) ou dures.
« Les tendres se taillent, dit-il, avec facilité (in opère
faciliter traclanlur)^ et résistent parfaitement, si elles
sont employées dans des lieux couverts; mais, dans des
lieux ouverts , elles sont rongées et dissoutes par les
gelées. 55 Ces pierres perméables, appelées gélives, devaient
être rejetées des constructions. Suivant Vitruve, la pierre
de Tibur, assez dure, résiste le mieux aux injures de
l'air *. La pierre de Tibur [saxum Tiburlinum) paraît être
cette variété de tuf calcaire connue sous le nom de traver-
tin. Formée de masses stratifiées à texture compacte et
celluleuse, de couleur blanchâtre ou jaunâtre , elle con-
tient souvent des débris de limnées , d'hélices , de palu-
dines et d'autres coquillages. C'est au travertin que les
principaux monuments de Rome doivent leur magni-
ficence et leur durée.
Le tophus^ tuf, de Vitruve et de Pline, était probable-
ment notre calcaire grossier, presque entièrement com-
posé de débris coquillers marins, réunis par un ciment
calcaire auquel il doit sa consistance. Facile à tailler, il
conserve quelquefois assez de ténacité pour se prêter aux
exigences de la sculpture. C'était sans doute le tophus
qui servait à la construction des édifices publics de l'anti-
quité grecque et romaine. Le temple de Jupiter à Élis,
l'édifice de Pestum , au bord du lac de Salerne, le temple
de Grirgenti, etc., en étaient bâtis.
Sous le nom de marmor, fjiap[;.apoç, marbre, les anciens
comprenaient toutes les roches, quelle que fût leur cou-
leur, susceptibles de polissure, telles que le granit, lepor-
1. Vitruve, De archited., n, 7.
304 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
phyre, le malachite, les calcaires compactes, etc. Plus
tard ce nom reçut une signification plus restreinte : il nr
s'appliquait plus qu'à ces types de calcaires primitifs
qui composent les chefs-d'œuvre de la sculpture antique,
et parmi lesquels les marbres de Paros et de Carrare
occupent le premier rang. Ces marbres, qu'Alex. deHurn-
boldt considère comme une modification du calcaire sédi-
menteux par la chaleur terrestre et par le voisinage d'une
roche d'éruption, sont exempts de fossiles. Au marbre
blanc, retiré des îles de Paros, de Naxos et de Tinos, on
donnait, suivant Pline, l'épithète de lychnites , parce que
les ouvriers le travaillaient sous terre à la lumière des
flambeaux. Les marbres oolithes (de wov œuf et XîOo;
pierre), composés de petits graviers arrondis, semblables
à des œufs de poissons, étaient moins recherchés, à cause
de leur dureté moindre.
Calcaire coquiller. — Il est impossible que les an-
ciens philosophes, presque tous observateurs de la nature,
n'aient pas été frappés de la présence de ces débris
d'animaux à coquilles dans ces grands blocs de calcaire,
qui constituent une des meilleures pierres de construction.
Xénophane de Golophon, cité par Origène *, a le premier
signalé des coquilles marines dans le calcaire, des tra-
ces de poissons dans les carrières de Syracuse, et des
empreintes de laurier dans celles de l'île de Paros. Héro-
dote mentionne les coquilles fossiles de l'Egypte. Eudoxe
de Gnide, cité par Strabon, parle des poissons fossiles
(opuxToi t)(^9ù(;) de la Paphlagonie, et Théophraste des
pierres trouvées près de Munda, en Espagne, offrant des
empreintes de palmiers. Ce dernier mentionne encore^
des plantes fossiles, rencontrées au delà de Gadès, et plu-
sieurs espèces de charbon de terre dans la Liguric.
l'Élide et d'autres pays. Nous y reviendrons.
1. Philosophumena, ch. xiv.
2. Hisl. Plant., iv, 7.
PIERRES COMMUNES. 305
Des ossements de grands mammifères étaient pris pour
des restes de géants. Tels étaient les corps observés par
Plilégon de Tralles dans la grotte d'Artémis en Dalmatie :
les côtes sternales avaient 16 aunes de long. Ce même
philosophe parle aussi de la dent d'un géant, longue d'un
pied, consacrée à l'empereur Tibère. Pline, Aulu-Grelle,
Pausanias, Solin, mentionnent des sarcophages décou-
verts par suite de tremblements de terre, ou provenant
de fouilles exécutées sur divers points de la Grèce et de
l'Asie Mineure. Suétone, dans la Vie d'Auguste, parle le
premier, comme provenant de grands animaux, des osse-
ments de géants réunis à Gaprée.
Il serait oiseux d'énumérer toutes les observations de
fossiles, qui se sont multipliées depuis l'antiquité jusqu'à
nos jours, et qui ont donné naissance à la paléontologie^
branche importante de la géologie. Mais nous ne sau-
rions passer sous silence les théories engendrées par ces
observations. Nous en parlerons plus loin.
Craie. — Le mot creto, craie, n'avait aucunement chez
les anciens le sens restreint qu'il a aujourd'hui. Ce mot
correspondait plutôt à ce que nous appelons le calcaire; il
s'appliquait à des terres argileuses et magnésiennes. C'est
ce que montrent les nombreuses épithètes que Pline donne
à la craie, telles que argtntaria^ chalcidica, cimolia^ ere-
thrla, figulina^ rhodia, jullonia, virîdis, etc. La pierre
meulière même, lapis molaris^ était comprise sous la dé-
nomination générale de creta.
La craie argentaire, creta argeiXtaria, était une espèce
de talc (talc de Venise), une terre magnésienne. Composée
de lamelles, d'un blanc d'argent, grasse au toucher. (d'où
son nom de stéatile ou talc)^ elle était, réduite en poudre,
employée comme cosmétique, pour rendre la peau lisse,
luisante, «ît lui donner une apparence de fraîcheur ; elle
sert encore aujourd'hui de base au fard, dont le principe
colorant est le rouge de carthame. La craie verte, creta vi-
ridiSj était également une terre magnésienne; c'était le talc
20
306 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
écailleux. ou fibreux, variant du blanc au vert, dont la pou-
dre réduite en pâte fine compose les crayons colorés, con-
nus sous le nom de pastels^ et qui, dans son état naturel,
est employé par les tailleurs en guise de craie (craie de
Briançon) pour tracer leurs coupes sur les étoffes. C'est pro-
bablement encore d'une terre magnésienne, d'une stéatite
(craie d'Espagne), que se servaient les Romains pour blan-
chir la borne terminale dans le Cirque et pour marquer
les pieds des esclaves destinés à être vendus.
Quant à la terre à foulon, C7'eta fullonia, employée
à dégraisser les étoffes de laine, c'était une terre argi-
leuse, combinée avec de la silice, delà chaux et de la ma-
gnésie. Elle appartenait, ainsi que la creta figu'ina (terre
à potier] , à ce genre de pierres, extrêmement répandues dans
tous les étages des terrains secondaires, que l'on désigne
depuis deux siècles à peine sous le nom général àe mar-
nes\ et dont on tire un si grand parti pour l'amende-
ment de certains sols. Les craies chalcidienne, éréthrienne,
rhodienne^ paraissent avoir été aussi des espèces de
marnes.
Pline nous apprend que la craie, creta^ que l'on mêlait
à de la farine de blé, provenait des envii^ons de Pouzzoles
et de Naples^. Or cette localité est exempte de ce qu'on
appelle aujourd'hui la craie; mais elle est caractérisée par
une terre argileuse et magnésienne.
Y a-t-il des terres nutritives? Question fort intéressante,
qui a été souvent soulevée sans avoir pu être résolue
d'une manière positive. Les Otomaques, peuplade sauvage
des bords de î'Orénoque, dans l'Amérique méridionale,
mangent, quand les eaux du fleuve sont trop hautes pour
1. Ce nom ne vient pas, comme on l'a prétendu, de celui de la ri-
vière de Marne, mais du latin marga et de l'allemand mergel (argile).
Les marnes sont dites argileuses, calcaires ou siliceuses, suivant que
l'argile, la chaux ou la silice dominent dans une pâte terne, plus ou
moins compacte.
2. Pline, Hist. naU, xviii, 29.
PIERRES COMMUNES. 307
leur fournir les poissons, une argile grasse, douce au tou-
cher, vraie terre de pipe, jaunâtre, colorée par un peu
d'oxyde de fer. Ils la choisissent en la distinguant d'au-
tres terres semblables, qui leur paraissent moins agréables
au goût. Ils la pétrissent et en font des boulettes, qu'ils
grillent sur un feu doux jusqu'à ce que la croûte en de-
vienne rougeâtre. Ces Indiens, pendant la saison des pluies,
mangent de grandes quantités de cette glaise sans préju-
dice pour leur santé ; ils s'en rassasient et regardent eux-
mêmes la terre comme une matière nutritive ^
Des faits analogues ont été observés sur d'autres conti-
nents. En Guinée, les nègres mangent une terre jaunâtre,
qu'ils nomment caouac. Au rapport de Labillardière, les
habitants de la Nouvelle-Calédonie appaisent leur faim avec
des morceaux de terre ollaire, friable, de la grosseur du
poing. Les Tongouses, Tartares nomades de la Sibérie,
passent pour faire leur nourriture d'une espèce de terre
argileuse, mélangée avec du lait. « A Java, ditLeschenault,
la terre que mangent quelquefois les indigènes, est une
espèce d'argile rougeâtre, un peu ferrugineuse ; on l'étend
en lames minces, on la fait torréfier sur des plaques de
tôle, après l'avoir roulée en petits cornets, à peu près
comme l'écorce de cannelle, et on la vend sur les marchés
sous le nom de tana-empo. » — Au rapport de Berzelius
et de Retzius, on consomme, dans le nord de la Suède,
annuellement plusieurs centaines de charges d'une terre
d'infusoires semblable à de la farine ; les paysans en font
usage, moins par besoin que par passe-temps. Dans quel-
ques endroits de la Finlande, on mêle une certaine terre
au pain; ce sont des carapaces vides d'animalcules, si peti-
tes qu'elles ne croquent pas même sous les dents ; elles ras
sasient sans nourrir. Les chroniques parlent de la con-
sommation de cette terre d'infusoires, que, pendant la
1 Alex, de Humboldt, Tableaux de la nature, t. I, p. 212 de notre
traduction).
308 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
guerre de Trente ans, on taisait -manger, sous le nom de
farine de montagne^ aux populations affamées de l'Allema-
gne septentrionale.
En résumé, les anciens avaient donné, en l'absence de
toute analyse chimique, le même nom à des substances
très-différentes de composition. Ce n'est guère que depuis
le milieu du siècle passé que l'on donne le nom de craie.
à la chaux combinée avec l'acide carbonique, au carbonate
de chaux. Gomme ce carbonate forme la base des coquil-
lages pulvérisés, Buffon a émis l'hypothèse qu'il est en-
gendré de toute pièce par les animaux qui les habitem
Généralisant cette hypothèse, on a supposé depuis que le
sable (silice), le sous-carbonate de fer (rouille), et beau-
coup d'autres substances du règne minéral pouvaient bien
être des produits du règne animal ,
Guidés par le simple aspect, les anciens rattachaient le
gypse, gypsum^ à la chaux, calx. Mais, comme pour la
craie, bien des siècles devaient s'écouler avant d'arriver à
reconnaître que le gypse est de la chaux combinée avec
l'huile de vitriol (acide sulfurique), que c'est, en un mot,
du sulfate de chaux, et que le plâtre n'est que du gypse
ou du sulfate de chaux qui a perdu, par l'action de la
chaleur, son eau de cristallisation.
L'albâtre, alabastrites, avait été .également rapproché
des pierres calcaires, particulièrement des marbres, dont
il partage la diversité de nuances. Les Romains em-
ployaient l'albâtre, ayant la couleur du miel, à faire ces
vases à onguents, vasa unguentaria^ appelés alabastra,
dont l'antiquité nous a transmis de nombreux échantillons.
La matière de ces vases, l'albâtre, bien moins dur que le
marbre, a la même composition que le gypse; c esi un
sulfate de chaux, ce qu'ignoraient absolument les an-
ciens. Sa translucidité le rapproche de la pierre spécu-
laire, lapis specularis, qui est aussi un sulfate de chaux
cristallisé, et probablement identique avec le sélénile ou
y aphroselenon de Pline et de Dioscoride.
PIERRES COMMUNES.
309
Silice . — Le nom de silex était particulièrement affecté
à ce que les minéralogistes modernes appellent silexpyro-
maque^ pétrosilex, pierre à fusil. Ils auraient mieux fait
de choisir le nom de pyrode^ épithète donnée au fils de
Gilix, personnage légendaire qui, selon Pline, apprit aux
hommes à faire du feu au moyen de cette pierre dure :
ignem e silice elicere monstravit Pyrodes ^ Cilicis fdius^.
Cette roche, d'une teinte semblable à celle de la corne,
et d'une dureté supérieure à celle du marbre, est remar-
quable par sa cassure luisante, vitreuse, à arêtes tran-
chantes; c'est ce qui l'a fait employer, en
guise d'armes et d'outils tranchants, par les
peup_es primitifs ou sauvages, à une époque
(âge de pierre) où les usages du bronze et
du fer étaient encore inconnus.
Les pierres de tormerre, les PpovTeîa et xe-
pauviadesGrrecs, que l'on rencontre dans dif-
férents terrains, étaient des roches siliceuses,
taillées en haches, en coins, etc., naturelle-
ment ou par la main de l'homme*. N'ou-
blions pas cependant quecertains cocfuillages
fossiles, surtout les bélemnites, avaient l'hon-
neur, à cause de leur forme particulière,
d'être comptées parmi les pierres lancées,
comme des flèches, par le Dieu du tonnerre
(voy. ci-contre, la coupe verticale du bé-
lemnites arenarius de Schlotheim).
A chacune des formes si variées de la si-
lice fut appliqué dès le principe un nom dif- f
férent; la science qui devait pénétrer dans la
constitution intime, moléculaire, des corps, restait encorL-
à créer. Il aurait été bien difficile d'affirmer, par la siia
1. Pline, Hist. nat., vu, 59.
2. A une époque où le bronze et le fer étaient déjà connus les Jiiiî>^
employaient, pour certaines cérémonies religieuses, telles que la ci'-
concision, des couteaux de pierre (silice). Josué v 2.
310 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
pie inspection des qualités extérieures , que l'agate , le
cristal de roche (crî/5îa//it?n), le quartz, le grès, le sable, ne
sont au fond que de la silice. Ce n'est que depuis le dix-huitiè-
me siècle de notre ère que l'on a pu se convaincre que le
cristal de roche ne diffère du caillou ou quartz, ainsi que
du grès ou du sable, que par leur état d'agrégation.
Mais Buffon était encore dans l'erreur quand il présentait
pour la formation du grès l'eau comme i'agglutinatif
des débris de quartz réduits en petits grains ; car ce qui,
dans les grès, relie entre eux les grains de quartz vitreux
(hyalin), c'est un ciment silico-calcaire. Il se trompait
encore quand il prétendait « que les cailloux les plus durs
et tous nos verres factices se convertissent en terre argi-
leuse par la longue impression de l'humidité de l'air. »
Mais il savait que les colorations jaunes et rouges des
grès sont dues à des infiltrations ferrugineuses. Ce n'est
qu'au commencement de notre siècle que l'on découvrit ce
qui aurait bien étonné les anciens, à savoir, que la silice,
que la terre siliceuse qui revêt des formes si variées, se
compose d'air vital (oxygène) et d'un métal semblable à
l'argent (silicium), et que la silice se comporte avec la
chaux, la magnésie, la rouille de fer, etc., comme un vé-
ritable acide (acide silicique).
Argile. — La confusion que nous venons de signaler
pour les terres calcaires et siliceuses, existait plus particu-
lièrement pour les différentes formes qu'affecte la terre ar-
gileuse. Le nom à'argile est d'origine grecque : Vargilos^
^ â^fikoq, dont parle Théophraste, est bien la terre argi-
leuse. Le même nom se retrouve aussi dans Pline. A côté
dîargïlla se rencontra celui àemarga, d'oià dérive, comme
nous l'avons dit, le nom de marne ou margne. Le natu-
raliste romain distingue entre elles plusieurs espèces de
terre argileus-^ par leur simple différence de coloration
naturelle. Après avoir nommé l'argile blanche, le leucar-
gillon, notre terre à pipe, il cite l'argile rouge [rufa), l'ar-
gile brune (coLUmbina) , l'argile tofeuse ou vitrifîable (io-
PIERRES COMMUNES. 311
facea)^ l'argile sablonneuse (arenacea). Les Mégariens
employaient, dit-il, l'argile blanche pour amender un sol
froid et humide*. Les autres espèces servaient à la fa-
brication des briques, des tuiles, de la poterie.
Les vases étrusques que l'on montre dans nos musées,
témoignent de l'antiquité de l'art de travailler l'argile.
Moins rouges que les vases faits avec l'argile d'Arcueil, ils
ne sont guère plus légers, et, leur pâte étant généralement
moins fine, les couleurs et les arêtes sont toujours moins
vives. Les vases à rafraîchir, les alcarazas, connus de temps
immémorial en Chine, en Perse, en Syrie, en Egypte, sont
faits avec une pâte argileuse, remarquable parles pores qui
laissent suinter l'eau et produisent par la prompte évapo-
ration de ce liquide un abaissement de température mar-
qué.
L'argile blanche, la terre à pipe, était, sous le nom de
creta^ très-souvent confondue avec la craie proprement
dite. On a cependant lieu d'être surpris que les anciens
ne se soient pas aperçus que la première happe à la langue
et que sa pâte éprouve, sous l'influence de la chaleur, un
mouvement de retrait, tandis que la dernière ne présente
rien de semblable, enfin qu'ils aient ignoré ces moyens
bien simples pour distinguer l'argile de la craie.
C'est son état extérieur de poudre fine et légère, sem-
blable à la farine, qui a fait jusqu'au dix-huitième siècle
identifier l'argile pure avec toutes les terres blanches
pulvérulentes, telles que la chaux, la silice, la magnésie.
C'étaient là pour les minéralogistes anciens de véritables
produits de transformation : ils croyaient à la transmuta-
tion des terres, comme les chimistes à la transmutation des
métaux. Ces croyances formaient alors le fond commun de
la science, qui seule se transforme avec le temps.
Écoutez Buffon. « L'argile doit, dit-il, son origine à la
décomposition des matières vitreuses qui, par l'impres-
1. Pline, Hist. nal., xvii, 4.
312 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
sion des éléments humides, se sont divisées, atténuées et
réduites en terre. Cette vérité est démontrée par les faits :
1° Si l'on examine les cailloux les plus durs et les autres
matières vitreuses, exposées depuis longtemps à l'air, on
verra que leur surface a blanchi et que dans cette partie
extérieure le caillou s'est ramolli et décomposé, tandis
que l'intérieur a conservé sa dureté, sa sécheresse et sa
couleur ; si l'on recueille cette matière blanche en la ra-
clant, et qu'on la détrempe avec de l'eau, l'on verra que
c'est une matière qui a déjà pris le caractère d'une terre
spongieuse et ductile, et qui approche de la nature de
l'argile ; 2° les laves des volcans et tous nos verres factices,
de quelque qualité qu'ils soient, se convertissent en
terre argileuse ; 3° nous voyons les sables des granités et
des grès, les paillettes du mica, et même les jaspes et les
cailloux les plus durs se ramollir, blanchir par l'impres-
sion de l'air, et prendre à leur surface tous les caractères
de la terre argileuse. »
Ce passage, si magistralement affirmatif, montre com-
bien il est facile à l'erreur de se glisser dans la science,
sous le masque de « la vérité démontrée par les faits ».
Rien sans doute n'est plus vrai que cette altération des
granités, des jaspes, des cailloux, etc., sous l'influence des
agents atmosphériques, et la réduction de ces matières en
une matière blanche, pulvérulente. Mais affirmer que
cette matière est de l'argile, sans s'être préalablement
demandé si toutes les poudres blanches ainsi produites
ne se réduisent au fond qu'à une seule, ou si elles sont
difl'érentes les unes des autres, c'est subordonner la mar-
che de l'expérience à la conception d'une théorie, c'est
faire dire à la nature ce que l'homme y a mis. Une fois
lancé dans cette voie, on ne s'arrête plus. Non content de
réduire toutes les terres blanches à une seule, Buffon
créa, dans son imagination, cet « acide universel qui,
produit de la combinaison du feu, de la terre et de l'eau,
se retrouve dans toutes les argiles, » Cet enchaînement
PIERRES COMMUNES. 313
d'erreurs disparut bientôt devant l'analyse chimique, qui,
dédaignant les qualités extérieures, trompeuses, allait
chercher les caractères distinctifs dans la constitution
moléculaire des substances,
La distinction des argiles en pures et en impures a été
faite de bonne heure. Les premières, auxquelles s'appli •
([uait plus particulièrement le nom de leucargille^ étaient
reconnues réi'ractaires au feu, tandis qu'on savait que les
dernières sont fusibles, à cause des diverses matières aux-
quelles elles se trouvent mélangées. C'est l'argile impure,
mélangée de silice, d'oxyde de fer, etc., qui s'appelle glaise,
dérivé de glesum, nom de basse latinité, désignant la
terre plastique.
Les minéralogistes modernes ont donné le nom de
schisle (du grec aytÇstv, fendre) à toutes les roches carac-
térisées par une structure fossile ou feuilletée. Ces roches
ont une composition assez complexe ; en général, l'argile, la
magnésie, l'oxyde de fer, quelquefois la silice et le bitume,
y dominent. Quand c'est l'argile qui l'emporte, le schiste
est surnommé argileux. Dans les schistes ardoisés et mi-
cacés c'est la magnésie qui prédomine. Théophraste et
Pline se sont les premiers servis du mot schistos ; mais ils
l'appliquaient seulement au schiste ferrugineux en le
confondant avec l'hématite ou sanguine (fer oligiste), ainsi
qu'aux schistes bitumineux, inflammables comme la ré-
sine, et au schiste aluneu'x, qui portait plus particulière-
ment le nom à'alumen. [C'est de là que les chimistes ont
tiré, à la fin du dix-huitième siècle, le mot d'alumine^
réservé à la terre argileuse pure, telle qu'elle provient
de la décomposition de l'alun. Peu d'années après, ils
montrèrent, à la grande surprise de tout le monde, que
l'alumine est, au même titre que la chaux et la silice,
une véritable rouille blanche, un oxyde métallique, com-
posé d'oxygène et d'aluminium, métal d'un éclat argen-
tin, comme le sont le calcium et le silicium.
314 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
Les anciens tout en parlant des « schistes qui brûlent
en répandant une odeur de bitume, » n'y ont pas signalé
la présence d'empreintes de végétaux et d'animaux fossi-
les; de même qu'ils paraissent avoir ignoré que les schis-
tes argileux et bitumineux recouvrent ordinairement les
bancs de houille.
Les anciens ont-ils connu la houille? Parmi les pierres
les plus friables, dit Théophraste dans son Traité des
pierres^ il y en a qui s'allument et brûlent comme des
charbons. Telles sont les pierres que l'on trouve « dans
les mines des environs de Bena (ville de Thrace) : elles
prennent feu lorsqu'on y jette des charbons incandes-
cents;... éteintes, elles peuvent se rallumer. » Le même
auteur cite encore la Ligurie, l'Élide, le cap d'Érimée,
comme recelant des pierres semblables; il leur donne le
nom d'anthrax (charbon), et ajoute que ces charbons fos-
siles, faciles à broyer, répandent par leur combustion une
odeur résineuse, en laissant pour résidu une terre scorieuse.
A tous ces caractères il est impossible de ne pas recon-
naître la houille ou le charbon de terre.
L'ampélite, ampelitis, dont parlaient Dioscoride et Pline,
était une pierre noire, bitumineuse, susceptible de s'ef-
fleurir à l'air, et qu'on mettait aux pieds des vignes pour
tuer les insectes nuisibles à cette plante ; de là sans doute
son nom, qui signifie littéralement pierre de vigne. Pline
dit qu'elle ressemble au bitume, se broie avec de l'huile,
et, quoique grillée, conserve sa couleur noire*. Rome de
Lisle et Haûy regardaient l'ampélite des anciens comme
un schiste noir, bitumineux, qui accompagne le gisement
houiller. Le sagda de Samothrace, que Pline décrit comme
noir, très-léger et ressemblant au bois [ligno sintilis),
paraît être une espèce de lignite, probablement le lignite
fibreux, qui montre distinctement une structure végétale.
A ces mêmes substances minérales se rattache le
1. Pline, Hist. nat., xxxv, 56.
flERRES COMMUNES. 315
gagates, dont Pline nous a laissé la description suivante:
« Cette pierre doit son nom à un lieu et à une rivière de
la Lycie. Elle est noire, légère, fragile, peu différente du
bois, et d'une odeur forte, lorsqu'on la frotte. Les lettres
qu'on trace avec elle sur des vases de poterie ne s'effacent
point; elle brûle en exhalantune odeur sulfureuse. 35 Nous
faisons abstraction des propriétés merveilleuses que lui
prête le même auteur, comme celles de s'éteindre par
l'huile, de se rallumer par l'eau, de guérir l'épilepsie, de
raffermir les dents ébranlées, de faire recoiinaître la vir-
ginité en exerçant une action particulière sur la sécrétion
urinaire^ etc.
De toutes les opinions émises sur le gagâtes des anciens,
la plus probable est celle qui l'identifie avec le lignite
piciforme, plus connue sous le nom de jayet ou de succin
noir. D'un beau noir, facile à tailler et à polir, le jayet
a été, de temps immémorial, recherché et exploité comme
objet d'ornement.
L'exploitation de la houille comme combustible ne re-
monte guère au delà du seizième siècle de notre ère. Les
Anglais, aux environs de Newcastle, et les Belges, dans
le pays de Liège, paraissent avoir les premiers fait usage
du charbon de terre pour chauffer leurs foyers et alimen-
ter leurs usines.
Les théories sur l'origine de ce précieux combustible ne
se sont pas fait attendre : à peu près toutes d'accord suj
son origine végétale, elles se divisent sur son mode de trans-
formation. La première et, en apparence, la plus simple,
était celle qui attribuait la production des houillères à l'ac-
tion du feu. Buffbn s'attacha particulièrement à la réfuter.
D'après sa théorie, les roches vitreuses ont été les premières
produites par le feu primitif; puis, après la précipitation
des eaux, maintenues d'abord à l'état de vapeur, les grès,
les argiles, les calcaires se sont formés des débris et de
1. Pline, Hisl.nat., xxxvj, 34.
316 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
la détérioration de ces mêmes roches vitreuses par l'ac-
tion de l'élément humide. Les coquillages marins ont
pris ensuite naissance et se sont multipliés en innombra-
ble quantité, avant et durant la retraite des eaux. « A
mesure, ajoute Buffon, que les eaux laissaient, en s'abais-
sant, les parties hautes du globe à découvert, les terrains
élevés se couvraient d'arbres et d'autres végétaux, lesquels,
abandonnés à la seule nature, ne croissaient et ne se mul-
tipliaient que pour périr de vétusté et pourrir sur la
terre ou pour être entraînés par les eaux courantes au
fond des mers; enfin ces mêmes végétaux, ainsi que leurs
détritus en terreau et en limon, ont formé les dépôts
en amas ou en veines que nous retrouvons aujourd'hui
dans le sein de la terre sous la forme de charbon, nom
assez impropre, parce qu'il paraît supposer que cette ma-
tière végétale a été attaquée et cuite par le feu, tandis
qu'elle n'a subi qu'un plus ou moins grand degré de dé-
composition par l'humidité*. » ^
L'opinion de Buffon, que lahouille est d'origine aqueuse,
a été adoptée par les géologues récents. « Le charbon de
terre ne provient point, dit Alex, de Humboldt, de végé-
taux carbonisés par le feu, mais de végétaux décomposés
par la voie humide sous l'influence de l'acide sulfurique.
La preuve la plus frappante dont on puisse arguer en fa-
veur de cette opinion, a été donnée par G-œppert [Archives
de minéralogie de Karsten, t. XVIil, p. 530). Gœppert a
examiné un fragment de l'arbre à ambre qui a été trans-
formé en charbon sans que l'ambre ait subi d'altération ;
le charbon et l'ambre s'y trouvent jutxaposés*. »
Il serait peut-être plus exact d'attribuer la formation
des houillères, qu'on rencontre dans les profondeurs de
presque toutes les régions du globe, à une de ces com-
. Œuvres de Buffon, t. X, p. 213 (édition de Flourens).
2. Alex, de Humboldt, Cosmos, U I, p. 550 (de Tédition française).
PIERRES COMMUNES. 317
bufjtions lentes, à une véritable chroniocausie, dont la na-
ture offre de nombreux exemples.
Aux terres calcaires, argileuses et siliceuses, qui com-
posent la plus grande partie de l'écorce terrestre, nous
ne saurions nous dispenser d'ajouter les terres magné-
sienne et ocreuse.
La magnésie, confondue longtemps avec la craie et la
terre àpipe, forme la base du talc, du mica, des stéatites,
des ardoises (phyllades), en général de toutes les sub-
stances minérales dont le toucher donne à la main la sen-
sation d'un corps gras, d'où les noms de talc (de l'alle-
mand talg*^ graisse) et de stéatite (du grec aTs'ap, graisse}.
La plupart de ces substances étaient connues des an-
ciens. Le mica, (du latin micare, briller), ils pouvaient
l'avoir observé, sous forme de paillettes blanches, bril-
lantes, dans le granité, dans le syénite (granité rose), la-
pis Sienus^ dont se composent beaucoup de statues et mo-
numents égyptiens. La pierre arabe, transparente comme
du verre [lapis vitri modo translucidus) , semblable à la
pierre spéculaire, est probablement aussi du mica ^. La
terre samienne, dont une espèce s'appelait étoile, aster, de
Sarnos, était, selon Avicenne, le talc, qui peut, ajoute le
médecin arabe, être calciné au feu le plus violent sans s'al-
térer. Ses colorations diverses lui ont valu les noms de 5e-
lenites, argyrodamas (diamant d'argent), gallaica, galac-
tiles (pierre de lait), leucogœa (terre blanche), dont
l'interprétation exacte à exercé l'esprit des commentateurs.
Le nom de stéatites se trouve dans Pline ; mais cet au-
teur ne dit pas si la pierre ainsi désignée ressemble à un
corps gras par la vue ou par le toucher. Dans le premier
cas, lestéatite de Pline pourrait être une espèce de cail-
lou ou de quartz. Suivant Pott', il faudrait ranger parmi
1. Ce mot allemand paraît être d'origine arabe, car on le trouve
déjà dans Avicenne.
2. Pline, Hist. nat., xxxvi, 46.
3. Voy. Pott, Mémoires de l'Académie de Berlin, année 1746, p. 65.
318 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
les sléatites la pierre ollaire, lapis oUarls, et la pierre de
Gôme, lapis Comensis.
La pierre ponce, j^MWé'j;, qui à cause de sa légèreté était
qualifiée de spuma maris, écume de mer, le lin fossile
ou amiante, qui devait à son incomLustibilité le nom grec
d'asbeste (de affêsaToç, inexlinguible, incombustible),
étaient des pierres également connues des anciens. Elles
contiennent toutes, comme les pierres qui servaient à la
fabrication des vases murrhins (espèce de porcelaine demi-
transparente), des quantités plus ou moins notables de terre
magnésienne. Ce n'est qu'au commencement du dix-
huitième siècle que la magnésie, de tout temps confon-
due avec la chaux, fut pour la première fois décrite comme
une terre particulière par Frédéric Hoffmann, à l'occasion
de l'analyse du sel d'Epsom (sulfate de magnésie), dont
elle forme la base*.
L'ocre, ochra des anciens, était l'hydrate d'oxyde de fer
jaune ; ce qui le prouve, c'est que Théophraste dit qu'on
obtenait la couleur rouge, rubrica, [x(Xto;, avec laquelle
on peignait, entre autres, les proues des navires ([juXto-
7rapr,ot v7,eç d'Homère, où [^.iXto;, est traduit inexactement
par miniurn), par la combustion de l'ocre^.
On sait que l'hydrate d'oxyde de fer jaune se trans-
forme, par la calcination, en oxyde de fer rouge (colcothar).
Le sil de Pline et de Vitruve était la terre jaune ocreuse,
telle que l'employaient les peintres. Le sil atiicum éiaiii le
plus estimé. Tous les terrains jaunes et rouges, si répan-
dus à la surface du globe, doivent leur coloration à la
présence de la rouille de fer : ils sont, en un mot, ferrugi-
neux. Ce fait, que les anciens avaient seulement entrevu, ne
fut démontré que depuis la création de l'analyse chimique.
Les roches ou substances minérales que nous venons
l.Voy. notre Histoire de la chimie, t. Il, p. 229 (2" édit.).
2. Théophraste, De lapidibus : yiverai (xiXxo; xai èx t^; «xP^î xara-
X«lO(J.éVTJ.
PALÉONTOLOGIE DES ANCIENS. 319
dépasser en revue, et qui, dans leurs diverses combinai-
sons, forment les terrains dits secondaires, tertiaires et
quaternaires, disposés par strates plus ou moins réguliers,
portent les traces d'une action manifeste de l'eau. C'est là
qu'on trouve les animaux et les plantes fossiles, dont les
uns appartiennent à un monde éteint, tandis que les
autres participent à la faune et à la flore actuelles.
Déluge universel.
Premières théories paléontologiques.
Le philosophe Xénophane paraît avoir le premier, cinq
siècles avant notre ère, émis l'idée d'un renouvellement
périodique des êtres vivant à la surface terrestre. « Tous
les hommes, dit-il, périssent chaque fois que la terre vient
à être recouverte par la mer , qu'elle devient du limon
(ttïiXoç Ytv/iTai) ; après chacune de ces catastrophes com-
mence une nouvelle création, une nouvelle série d'êtres,
et ces changements portent tous les caractères d'un ordre
régulier (xal toÎJto T^ôcat xoTs xd(j[ji.oiç yl^îa^ai xaxaêâXXeiv * ) . »
Suivant Anaximandre, contemporain de Xénophane, les
premiers animaux se développèrent dans l'eau, se recouvri-
rent d'enveloppes épineuses, dont ils se dépouillaient en-
suite pour chercher à vivre sur les terres émergées. Ces pre-
mières formes animales furent, après une certaine période,
remplacées par d'autres ^ L'opinion d'Anaximandre nous
rappelle la tradition égyptienne, d'après laquelle il se
produisait, dans une contrée de la Thébaïde, « des rats
si prodigieux par leur grandeur et leur nombre que le
1. Xénophane, cité par Origène, Philosophumena, ch. xvr, et par
Eusèbe, Prœpar. evang.
2. Plutarque, Ve Placit. philos., v, 19.
320 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
spectateur en restait frappé de surprise, et que plusieurs
de ces animaux, formés seulement jusqu'à la poitrine et
aux pattes de devant, se débattaient, tandis que le reste
du corps, encore informe et rudimentaire, demeurait en-
gagé dans le limon C'est pourquoi, ajoute la même
tradition, un sol aussi propice que celui de la Haute-
Egypte a dû produire les premiers hommes ^ » Guvier a
représenté Anaximandre comme le véritable précuî-seur
de de Maillet (Talliamed) et de Lamarck, parce que ce
philosophe ionien aurait prétendu « que les hommes
avaient été primitivement poissons, puis reptiles, puis
mammifères, et enfin ce qu'ils sont maintenant ^. » Le
mythe d'Oannès, monstre moitié homme et moitié pois-
son, se rapproche plus de la doctrine d' Anaximandre que
de celle du livre sanscrit de Vaivasvata.
Divers fragments conservés par Aristote et Plutarque
attribuent à Empédocle (vivant 450 ans avant Jésus-
Christ) au moins trois périodes distinctes dans la création
des êtres vivants. Dans la première, les corps auraient été
composés de parties asymétriques, inachevées ; dans la
seconde, la symétrie se serait de plus en plus dessinée,
et dans la troisième, les formes se seraient achevées par
une distribution plus parfaite de leurs éléments consti-
tutifs. La nature aurait ainsi procédé par voie de tâton-
nement dans ses créations successives ; et cette théorie,
où la formation des monstres jouait un grand rôle, a été
depuis renouvelée par les modernes. Mais le langage du
célèbre Sicilien est trop vague et trop incomplet pour
qu'on puisse y trouver les premiers linéaments de la pa-
léontologie. C'est encore à Empédocle qu'on attribue l'i-
dée que les plantes ont apparu avant les animaux à la
surface de la terre, idée confirmée depuis par l'observa-
tion.
1. Diodore, i, 10.
2.Cuvier, Histoire dessciences naturelles, t. I. — Plutarque, Sym-
pos., viu.
PALÉONTOLOGIE DES ANCIENS. 321
L'eau ayant été dès le principe admise comme le prin-
cipal élément de destruction et de rénovation, la croyance
traditionnelle d'un déluge trouva facilement accès chez
les esprits même les moins crédules. Mais ce déluge
était-il universel ou partiel ?
Le déluge biblique, où périrent tous les hommes et les
animaux, à l'exception de ceux que Noé avait sauvés dans
son arche, était universel, suivant le récit de Moïse. Ce
récit, admirable de simplicité, n'est-il qu'un mythe, ou
est-il l'expression d'un grand fait historique? Les opi-
nions sont ici partagées. Nous n'entreprendrons pas de
les discuter. Mais nous devons rappeler que le souvenir
d'un cataclysme, d'une inondation immense qui aurait
envahi la terre, se retrouve dans les traditions les plus
anciennes de l'Ancien et du Nouveau Continent.
LePurana et le Mahabharata, livres sacrés des Hindous,
contiennent des détails qui, tels que « l'homme juste Menou
sauvé du déluge, et le vaisseau de Vaïvasvata, abordant
au sommet de l'Himalaya,» ont beaucoup d'analogie avec
le récit de la Genèse * .
Le Ghou-King, le plus ancien livre des Chinois, donne
la relation d'un déluge, que diverses circonstances ont
fait rapporter à celui de Noé. Ce déluge arriva, d'après
la chronologie chinoise la plus accréditée, sous le règne
de Ty-Ko, père d'Yao. Ty-Ko est le dixième descendant
de Hoang-Ty, comme, d'après la Bible, Noé est le dixième
descendant d'Adam.
Les Perses ont conservé aussi la tradition d'une inon-
dation universelle, ayant couvert toute la terre et fait
périr tout le genre humain, à l'exception d'un petit nom-
bre de personnes. Au rapport de Zoroastre, le Moïse des
Perses, ce déluge fut envoyé en punition des crimes
commis par une race perverse^.
1. Asiatic Researches, t. I, p. 230 (Lond., 1801).
2. Hyde, De relig. vet. Persarum, ch. x, p. 171.
21
322 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
Le déluge dont parlait Bércse, prêtre chaldéen, plus
de trois siècles avant notre ère, paraît être identique avec
celui de Moïse. « On croit, dit-il, qu'en Arménie, sur la
montagne des Gordiens, il existe encore une partie de
l'arche de Noé; les habitants y exploitent le bitume dont
elle était enduite, en conservent les restes avec soin, etc.^ »
Le récit du déluge de Xissouthros, donné par Georges le
Syncelle d'après des fragments de Bérose, d'Alexandre
Polyhistor, d'Apollodore, rappelle en tout point le récit
mosaïque.
Les déluges d'Inachus, d'Ogygès et de Deucalion n'é-
taient que des inondations partielles, s'il faut en croire
les poètes et mythographes de l'antiquité gréco-romaine.
On a cependant essayé de les assimiler tous les trois au
déluge universel de Noé.
Les Mexicains avaient représenté dans leurs peintures
les scènes d'un déluge tout à fait semblable àcelui de Noé.
Un seul homme, nommé Gox-cox ou Tocipaitli, et une
seule femme, nommée Xochiquetzal, se sauvèrent dans
une petite barque. Ils eurent beaucoup d'enfants, qui
restèrent tous muets jusqu'à ce qu'une colombe, du haut
d'un arbre, leur eût appris à parler ; mais leurs langues
étaient si diverses qu'il leur fut impossible de s'entendre.
D'après la légende des Tlascollas, les hommes qui se
sauvèrent du déluge furent changés en singes, mais peu
à peu ils recouvrèrent le langage en recouvrant la raison^.
Les quatre âges ou cycles dans lesquels les Mexicains
avaient, au rapport d'Alexandre de Humboldt, divisé le
monde, ne manquent pas d'une certaine analogie avec
des périodes géologiques. Le premier cycle s'appelait
l'âge de la terre; le deuxième cycle, l'âge rouge ou de feu ;
le troisième, l'âge du vent ou de l'air; le quatrième, l'âge
1. Bérose, Chaldxorum Historiœ qUcV siipersimt, p. 60 (édition
Richter).
2. Clavigero, Sloria del Messico, t. II, p. 6 (Cesena, 1780).
PALEONTOLOGIE DES ANCIENS. 323
de l'eau. Dans cette dernière période, une grande inon-
dation fit périr l'espèce humaine. Les hommes, ajoute la
légende, furent convertis en poissons, à l'exception d'un
homme et d'une femme qui se sauvèrent dans le tronc
d'un ahahuéte ou cyprès chauve*.
D'après une tradition, rapportée par le P. Gharlevoix,
et répandue parmi les tribus de l'Amérique septentrio-
nale, tous les hommes auraient été primitivement détruits
par un déluge, et Dieu ou le Grand-Esprit aurait, pour
repeupler la terre, changé les animaux en hommes.
Suivant la légende des Péruviens, il fut un temps où
l'eau du ciel inonda les champs et les cités ; tout se noya,
à l'exception de quelques hommes qui s'étaient, avec
des provisions et quelques animaux, réfugiés dans un
navire. Quand ils sentirent que la pluie avait cessé, ils
firent sortir des animaux qui revinrent souillés de fange ;
par là ils jugèrent que les eaux avaient baissé ^.
Le même genre de tradition se retrouve chez les peu-
ples de rOcéanie, particulièrement chez les habitants des
îles de Taïti.
Une telle unanimité chez les races les plus diverses,
chez toutes les nations anciennes et modernes, civilisées
ou sauvages, pourrait-elle reposer sur un fait imaginaire^?
A défaut d'autres témoignages, l'inspection des couches
plus ou moins profondes de l'écorce terrestre, la nature
sédimenteuse de certains terrains (secondaire, tertiaire et
alluvionnaire), leur stratification, la conformation de cer-
taines roches, brèches, pouddingues, cailloux roulés, etc.,
et surtout la fossilisation (pétrification) d'un grand nom-
bre de corps organisés océaniques, auraient dû suffire,
aux yeux des moins crédules, pour admettre l'action macé-
1. Al. de Humboldt, Vue des Cordillères, p. 202 et suiv. (Paris.
1810, in-fol.).
2- Lopez de Gomara, Histoire générale des Indes, y, 14.
3. L'abbé Ed. Lambert a réuni dans une brochure intéressante (Pa-
ris, 1868) les légendes et les preuves archéologiques du déluge.
3â4 HISTOIRE DE LA MINERALOGIE.
rante des eaux sur presque toute la surface de la terre.
Les ammonites, les bélemnites, les nummulites, ne sont
pas rares, surtout dans les terrains secondaire et tertiaire.
S'il y a quelque doute sur l'identification des cornes d'Ara-
mon, trouvées en Ethiopie, et des Idœidactyli de Pline
avec les ammonites et les bélemnites, il est du moins
certain que les anciens connaissaient les nummulites.
Strabon en vit en Egypte près des Pyramides. « Ce sont,
dit-il, des monceaux de petits éclats de pierre élevés en
avant de ces monuments. On en trouve qui, pour la forme
et la grandeur, ressemblent à des lentilles; on dirait des
grains à moitié déballés. » Mais, loin d'y reconnaître
l'action des eaux ou des êtres qu'elles pouvaient charrier,
la plupart des anciens n'y voyaient que les restes pétri-
fiés des lentilles dont se nourrissaient les ouvriers em-
ployés à la construction des Pyramides. Strabon regardait
cependant cette opinion comme peu vraisemblable, parce
qu'il y avait près d'Amasis, son lieu natal, une colline
qui se prolongeait au milieu d'une plaine et qui était
remplie « de petites pierres de tuf, semblables à des len-
tilles. » Un voyageur récent, M. de Tchihatchef, a
rapporté précisément de cette même localité de nombreu-
ses nummulites, que personne n'y avait signalées depuis
l'ancien géographe grec.
Le prince des médecins arabes, Avicenne, parait avoir
le premier, vers le onzième siècle de notre ère, compris
tout le parti que l'on pouvait tirer de l'action des eaux et
de l'existence des fossiles pour arriver à une théorie géné-
rale de la terre. Ce qui le préoccupait d'abord, comme
tous les géologues, c'était de se rendre exactement compte
de la formation des montagnes. « Les montagnes peuvent,
dit-il, provenir de deux causes : ou elles sont l'effet du
soulèvement de la croûte terrestre, comme cela arrive
dans un violent tremblement de terre ; ou elles sont l'ef-
fet de l'eau qui, en se frayant une route nouvelle, a creusé
des vallées en même temps qu'elle a produit des monta-
PALEONTOLOGIE DES ANCIENS. 32b
gnes; car il y a des roches molles et des roches dures.
L'eau et le vent charrient les unes et laissent les autr.s
intactes. La plupart des éminences du sol ont cette ori-
gine.... Ce qui montre que l'eau a été ici la principale
cause, c'est qu'on voit sur beaucoup de roches les em-
preintes d'animaux aquatiques et d'autres. Quant à la
matière terreuse et jaune qui recouvre la surface des
montagnes, elle n'a pas la même origine que le squelette
de la montagne : elle provient de la désorganisation des
débris d'herbes et de limon amenés par l'eau. Peut-être
provient-elle aussi de l'ancien limon de la mer, qui cou-
vrait autrefois toute la terre * . »
Le passage cité contient en germe toute la théorie des
formations par voie aqueuse, dont il sera parlé plus loin.
On y remarquera aussi l'explication des terrains allu-
vionnaires par l'effet d'un déluge universel.
Bien que Boccace, au quatorzième siècle, Léonard de
Vinci, Fracastor, André Gésalpin, Alessandro degli Ales-
sandri, au seizième siècle, eussent présenté les coquilles
fossiles comme la meilleure preuve d'un ancien séjour
de la mer sur le continent. Cardan, Matthiole, Calceolari,
persistèrent à ne voir dans ces productions que des jeux
de la nature ou l'effet de certaines influences occultes.
Au dix-septième siècle, van Helmont, Fabio Golonna,
Boccone, renouèrent le fil interrompu des idées ration-
nelles entrevues dans l'antiquité.
Les coquilles et les plantes fossiles sont pour van Hel-
mont autant de preuves d'un monde antédiluvien, en-
glouti par les eaux. Ce grand observateur, qui peut être
considéré comme l'un des fondateurs de la paléontologie,
conservait dans son musée la mâchoire d'un éléphant
fossile (mammouth), de plusieurs pieds de long, trouvée
1. Avicenne, De conglutinatione lapidum , dans Manget, Biblioth.
chimica, 1. 1.
326 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
à Hingsen, sur l'Escaut, à douze pieds au-dessous du
sol».
Fahio Golonna fut le premier à reconnaître que toutes
les espèces fossiles ne sont pas d'origine marine, qu'il y
en avait de terrestres et d'eau douce. Il donna, sous le
nom de coucha anomia^ la première description scientifi-
que d'un de ces curieux coquillages fossiles qui reçurent,
en 1689, parLhuyd, le nom de térébratules^ genre de mol-
lusques bracliiopodes,Tnélangés avec les ammonites et les
bélemnites dans les terrains anciens, secondaires. F. Go-
lonna fut aussi le premier à démontrer que les glosso-
pètres (langues de pierre) n'étaient point des langues de
serpent pétrifiées, mais des dents de poissons du genre
carcharias (requins), mêlées avec des buccins, des huîtres
et autres productions marines'. Les glossopètres ne sont
en effet, que des dents de raies ou de requins. Golonna
s'efforça vainement de faire partager sa manière de voir à
ses collègues de l'Académie des Lincei, qui avait été pour-
tant créée dans le but de déraciner les vieilles erreurs.
L'opinion de Golonna au sujet des glossopètres fut par-
tagée par Boccone, qui démontra anatomiquement l'iden-
tité de ces fossiles avec les dents de requin. Il fit en même
temps voir c{ue les pierres étoilées sont des fossilis marins,
ayant leurs analogues parmi les échinodermes, tels que les
oursins ou hérissons de mer'. Tout cela n'empêcha pas les
savants de continuer à fermer , pour la plupart, l'oreille
à la vérité. Et, au dix-huitième siècle, les deux célèbres
naturalistes italiens étaient encore loin d'avoir réuni tous
es suffrages. Voltaire, par exemple, ne voulut jamais
croire que les glossopètres, les pierres étoilées, les cornes
d'Ammon, etc., fussent d'origine marine. Il les regardait
1. Ortus medicinœ, p. 34 el suiv. (Lyon, 1656, in-foL).
2. F. Colonna, Osserrazio7ii degli animali aqxmtici, etc.; en appen-
dice au Traité de Purpura; 1616.
3. Recherchas et observations naturelles, p. 316 (Amsterd., 1634
in-S").
PALEONTOLOGIE DES ANCIENS. 327
comme des fossiles terrestres. « Je n'ai jamais osé pen-
ser, ajoxitait-il, que ces g] ossopètres pussent être des lan-
gues de chien marin, et je suis de l'avis de celui qui a
dit qu'il voudrait autant croire que des milliers de femmes
sont venues déposer leurs couchas Veneris sur un rivage,
que de croire que des milliers de chiens marins y sont
venus apporter leurs langues. »
Cependant plus de trente années avant l'Essai sur les
mœurs et l'esprit des nations^ où Voltaire a déposé cette
burlesque critique , avaient déjà paru les fameux Entre-
tiens d'un philosophe indien avec un missionnaire français
sur la diminution de la mer, la formation de la terre, l'ori-
gine de l'homme, etc., par TeUiamed (anagramme de De
Maillet^]. Après avoir montré que les pierres éloignées de
la mer, comme celles qui en sont le plus rapprochées, ont
le même aspect et les mêmes caractères, qu'on y rencontre
partout, à toutes les hauteurs, des coquilles pétrifiées et
différentes les unes des autres, que les pierres, dans les
carrières, sont de couleurs, de dureté, de qualité variables,
et qu'elles sont disposées par lits au-dessus les unes des
autres, l'auteur conclut que les eaux de la mer ont pri-
mitivement enveloppé tout le globe et qu'elles ont di-
minué peu à peu jusqu'à leur état actuel ; de là il déduit
la formation des terrains, celle des continents et des îles,
ainsi que le développement successif des végétaux et dès
animaux. Enfin il ne manque pas de rappeler que cette
opinion était aussi celle des prêtres égyptiens, trois mille
ans avant qu'il ne vînt puiser ses inspirations dans cette
vallée qui était, selon le mot d'Hérodote, interprète de la
tradition égyptienne, « un don du Nil. y>
Suivant le même auteur, le niveau de la mer dépassait,
à l'origine, le sommet des plus hautes montagnes ; mais
alors on n'y rencontrait pas encore d'êtres organisés. Sur
1. Benoît de Maillet (né en 1656, mort à Marseille en 1738) fut con-
sul génér&l dans le Levant, et séjourna longtemps en Egypte.
328 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
les pentes des montagnes, qui apparurent après le premier
abaissement des eaux, se formèrent d'abord les plantes,
puis vinrent les poissons et les coquillages, vivant au mi-
lieu des débris et des accumulations de sable, de vase et
d'autres matériaux provenant de la destruction des roches
anciennes, et ainsi se succédèrent les diverses couches qui
ensevelissaient au fur et à mesure les animaux que ces
mers virent apparaître.
Des restes d'industrie humaine , des débris de sque-
lettes humains, firent admettre à de Maillet la contempo-
ranéité de l'homme avec des espèces animales antérieu-
res au déluge. Cette contemporanéité, niée par Cuvier et
son école, a été de nos jours remise sur le tapis par
M. Boucher de Perthes.
Histoire des roches ignées.
Les roches ou substances minérales, qui attestent par leur
cassure vitreuse et par leur structure cristalline , l'action
primordiale du feu, les roches ignées n'offrent aucune
trace d'êtres organiques : la vie ne s'y était jamais fixée.
C'est pourquoi on leur a donné le nom de roches azoï-
ques.
Le granité est l'une des plus répandues de ces roches. Les
anciens le connaissaient ; mais ils ne le désignaient pas
sous le nom de granité : ce nom ne commença à être
employé que vers la fin du dix-septième siècle. Pline parle
du syènite, qui est le granité rose dos géologues modernes.
« Autour de Sijène, dans la Thébaïde, on trouve, dit-il,
le syénite {syenites), que l'on appelait auparavant pyropos-
cilon, c'est-à-dire variée de rouge. » L'auteur ajoute que
cette pierre servait à faire ces colonnes ou monolithes
{trabes), appelés obélisques, d'un mot qui, en égyptien,
ROCHES IGNÉES. 329
signifie rayon^ parce qu'ils étaient consacrés à la divinité
du soleil*.
Sous la dénomination de granile^ on comprend aujour-
d'hui une roche à cassure raboteuse, composée de feld-
spath, de quartz et de mica. Toutefois, il y a cent cin-
quante ans à peine, on y comprenait même les grès et
les pouddingues. B. de Saussure fît le premier disparaître
cette confusion. « Ceux qui n'ont, dit-il, observé que
superficiellement les granités, les regardent comme des
espèces de grès ou comme des grains de sable, réunis et
agorlutinés ensemble , et c'est même vraisemblablement de
cette apparence grenue qu'ils ont reçu le nom de granité.
Mais si on étudie attentivement leur structure, on verra
que toutes les petites pièces dont le granité est composé,
s'adaptent les unes aux autres avec une précision qu'il est
impossible de supposer dans un arrangement fortuit de
parties séparées. Les grès, les brèches, les pouddingues,
qui ont été réellement formés par la réunion de fragments
détachés, n'ont pas leurs parties aussi parfaitement engre-
nées les unes dans les autres. De plus, dans ces mêmes pier-
res, on voit pour l'ordinaire les interstices des fragments
dont elles sont formées, remplis d'une espèce de pâte ou
de ciment, qui sert à les soutenir, et à les lier ensemble.
Dans les granités, au contraire, il est impossible de dis-
tinguer aucun ciment : toutes les parties paraissent égale-
ment intégrantes et sont si bien adaptées les unes aux
autres, qu'on dirait qu'elles ont été pétries ensemble,
pendant qu'elles étaient encore tendres et flexibles ^. »
C'est cette alliance intime des parties intégrantes qui a
fait supposer que ces masses de monuments granitiques
qui nous restent des anciens et dont le transport parais-
sait surpasser les forces humaines, étaient des mélanges
de différentes pâtes qui auraient été pétries sur les lieux.
1. Pline, XXXVI, 13 et 14.
2. B. de Saussure, Voxjages dans les Alpes, t. I, § 134.
330 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
B. de Saussure a l'un des premiers remarqué que le
quartz, le. mica et le feldspath, dont se composent les gra-
nités, varient de proportion, non-seulement dans différentes
roches, mais souvent dans les différentes parties d'une
même roche ; que le quartz y varie le moins de couleur,
qu'il est d'ordinaire blanc, transparent ou d'un gris
tirant sur le violet; que les lames brillantes du mica
revêtent toutes les nuances imaginables, depuis le blanc
jusqu'au noir. Quant au feldspath, son histoire montre
combien la géologie a été inutilement encombrée jîar une
foule de noms barbares, empruntés à la fois au grec, au
latin, aux idiomes germaniques, Scandinaves, etc.
Le nom hybride de feldspath, composé de l'allemand
feld, champ, et du grec spathe, lame, signifie littéralement
la7ne des champs, ce qui n'a aucun sens précis. Les minéra-
logistes du dix-huitième siècle appelaient spaths certains
carbonates de chaux lamellaires, particulièrement le spath
d'Islande, dont les lames présentent le phénomène opti-
que de la double réfraction. Bientôt ils appliquèrent ce mot
à toutes les substances cristallisées en lamelles, dont le
feldspath ne devait d'abord être qu'une espèce. B. de Saus-
sure le caractérisa ainsi comme espèce minérale : « Le
feldspath est, dit-il, composé de lames brillantes, dont la
forme est ou rhomboïdale ou rectangulaire. Ces lames,
superposées les unes aux autres, forment par leur assem-
blage quelquefois des cubes ou des rhomboïdes, mais le
plus souvent des prismes à quatre côtés rectangulaires,
d'une longueur double ou triple de leur largeur. Quelques-
uns de ces cristaux ont a l'une de leurs extrémités, et
quelquefois à leurs deux extrémités, une ou deux de leur
arêtes abattues. Souvent les faces de ces cristaux parais-
sent divisées suivant leur longueur en deux parties égales,
et l'une de ces parties brille et chatoie, tandis que l'autre
paraît mate. Si on les observe à la loupe, on verra que
cette division apparente vient de ce que les lames, dont ces
cristaux sont composés, n'ont pas des deux côtés le même
ROCHES IGNÉES. 331
arrangement ou la même inclinaison ; d'où il arrive
qu'elles ne réfléchissent pas sous le même angle , les
rayons de lumière K » — La substance ainsi cristallisée
pouvant être blanche, jaune, rouge, violette, noire, cha-
cune de ces colorations était considérée comme une variété
de feldspath.
Cependant les minéralogistes îî3 tardèrent pas à s'aper-
cevoir que la cristallisation n'est pas toujours un moyen
de classification sûr, et lorsque par les progrès de l'ana-
lyse, ils acquirent la certitude qu'une même substance
peut cristalliser de deux manières difl"érentes, ils ne pou-
vaient guère se dispenser de recourir aux lumières de la
chimie. Mais que d'erreurs il y avait encore à traverser
avant d'atteindre la vérité ! Sage , dans ses Éléments de
minéralogie docimostique (t. I, p. 250) , considérait le
feldspath comme un quartz (silice). Voyant que le feld-
spath se vitrifie au degré de chaleur où le quartz ne se
vitrifie point, Wallerius n'admettait pas l'opinion de
Sage : pour lui, le feldspath était un mélange de silice et
de terre calcaire. Ni l'un ni l'autre ne tenaient encore la
vérité. Kirwan trouva le feldspath composé, sur 100 par •
ties, de 67 p. de silice, de 14 p. d'argile pure, de 11p.
de terre pesante (baryte) et de 8 p. de magnésie. La con-
statation de l'argile pure (alumine) était un grand pas de
fait; mais, à côté de ce résultat, il y avait bien des erreurs
dans l'analyse de Kirwan. L'analyse donnée parB. de Saus-
sure différait notablement de celle du chimiste anglais. Ce
célèbre voyageur des Alpes trouva, dans 100 p. de feld-
spath : 43 de silice, 37,05 d'argile (alumine), 1,70 de
chaux, 4 de fer et 14,25 de perte. Cette perte énorme de
plus de 14 p. 0/0 attira justement son attention; il l'at-
tribuait au dégagement de quelques fluides élastiques,
notamment de l'eau et de l'air. Mais il se passa encore près
de cinquante ans, avant qu'on s'aperçût qu'elle était, en
1. B. de Saussure, Voyages dans les Alpes, t. I, § 77.
332 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
réalité, due à la présence d'un alcali très-soluble dans
l'eau, tel que la potasse ou la soude, ayant la propriété de
vitrifier la silice et l'alumine, enfin que le feldspath est
un silicate naturel d'alumine et de potasse, dans lequel
la potasse peut être remplacée par la soude, par la chaux
ou la magnésie.
Aujourd'hui , on regarde l'ancienne espèce feldspath
comme formant un groupe d'espèces minérales, parmi
lesquelles Yorthose de Haûy, Yalhite (pétrosilex), Voligo-
clase, la ryacslite et la labradorite (jade de Lamétherie)
occupent le principal rang. Dans la première espèce,
prise pour type du groupe, la base alcaline est représentée
par la potasse ; dans la 2% elle l'est par la soude ; dans
la 3", par la chaux ; dans la 4", par la potasse et la
soude réunies ; dans la 5*, par la soude et la chaux réu-
nies. Depuis les travaux d'Abich, de Gustave Rose et
d'Alex, de Humboldt, ce cadre a été élargi par l'adjonc-
tion de Vandésine^ de Vanorlhite, de la carnalite, de la
pétasite, de la triphane, etc., entrant dans la compo-
sition de diverses roches primitives , analogues au gra-
nité.
Le gneiss, nom dont on ignore la véritable étymologie,
a été jusqu'à la fin du dix-huitième siècle confondu avec le
granité. Quelques géologues, parmi lesquels il faut citer
Werner et B. de Saussure, signalèrent alors comme une
espèce distincte une roche granitoïde, remarquable par
sa texture schisteuse, due principalement à la prédomi-
nance des lamelles de mica, et par l'absence ou l'appari-
tion accidentelle du quartz, qui ne manque jamais dans
le granité proprement dit. C'est cette roche granitoïde qui
reçut le nom de gneiss. Très-souvent associée au mica-
schiste, caractérisé par des feuillets de mica souvent très-
étendus, elle forme avec le granité la masse primitive,
fondamentale, les assises du globe terrestre.
Les granités et les gneiss sont les saxa fissilia (roches
feuilletées) et les saxa solida (roches en masse) de Wal-
Minéraux. 333
lerius. Ces deux espèces de roches forment la charpente
des hautes montagnes, telles que les chaînes centrales
des Alpes, des Cordillères, de l'Oural, du Caucase, de
l'Altaï, etc. B. de Saussure crut, par ses observations,
pouvoir établir «qu'on ne les trouve jamais assises sur des
montagnes d'ardoise ni de pierre calcaire, qu'elles ser-
vent, au contraire, de base à celles-ci et ont par consé-
quent existé avant elles. » C'est pourquoi il leur assigna
le nom de montagnes primitives, tandis que celles d'ar-
doise et de pierre calcaire devaient être qualifiées de
montagnes secondaires. Cette division devint le point de
départ des principales théories géologiques,
Aperça historique des minéraux contenus dans les
terrains primitifs.
Les terrains primitifs de gneiss et de micaschiste ont
donné naissance aux principaux travaux minéralogiques.
Dans le gneiss on trouve engagé ordinairement sous
forme de petits amas vitreux, cristallisés dans le système
clinorhombique, le pyroxène (du grec -rcûp feu, et ^évoî
hôte), nom donné par Haûy*. Ce nom, que son auteur
croyait n'avoir appliqué qu'à une seule espèce minérale,
a été trouvé depuis comprendre tout un genre de sub-
stances isomorphes ou à structure cristalline identique, et
ayant une composition analogue : ces substances sont des
silicates de chaux, de magnésie, de protoxyde de fer ou de
manganèse, bases qui peuvent se remplacer mutuellement
de manière à former 1» la diopside^ cristaux blancs où la
silice s'est combinée avec la chaux et la magnésie; 2° la
sahlite^ cristaux d'une teinte verte plus ou moins foncée,
1. René Just Haûy, né en 1743 à Saint-Just en Picardie, mourut
à Paris en 1822. (Voy. pour plus de détails, p. 346.)
334 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
due au protoxyde de fer, uni à la chaux et à la magnésie.
3''ïaugite^ cristaux d'un vert tirant sur le noir, teinte pro-
duite par une plus forte pro}iortion de protoxyde de fer ;
4" la paulite ou Vhypersthène, cristaux d'un noir bronzé,
où la silice se trouve combinée avec la magnésie et le pro-
toxyde de fer ; 5° la diallage chatoyante, cristaux brunâtres
de silicate de magnésie, de protoxyde de fer et de manga-
nèse. Ces pyroxènes sont un élément essentiel des ba-
saltes, des trapps, des dolérites et de certains por-
phyres.
A côté des pyroxènes vient se placer un autre groupe
ae substances isomorphes, dont l'histoire montre com-
bien les origines de la minéralogie sont obscures et em-
brouillées. La rencontre d'un cristal dans les fissures
d'une substance en masse, sur la nature de laquelle il règne
de l'incertitude « est, pour nous servir d'une expression de
Brongniart, une bonne fortune : c'est le mot écrit à côté de
l'énigme. » Gomme ces cristaux sont rares et qu'il faut
quelquefois parcourir bien des montagnes pour en trou-
ver un seul, les minéralogistes s'y jettent à l'envi : c'est
à qui imposera à chacun de ces cristaux une dénomina-
tion nouvelle. Se ravisant ensuite, ils réunissent ce qu'ils
avaient séparé, pour distinguer enfin de nouveau ce qu'ils
avaient d'abord confondu.
Le mot schorl est un exemple de ces abus que l'on
peut faire du langage. Ce mot, qui rappelle l'allemand
schorn, cheminée, a été appliqué aux substances cristal-
lines les plus diverses, n'ayant souvent entre elles aucune
analogie, ni de forme, ni de composition. Aussi le miné-
ralogiste, quand il était interrogé par un profane sur la
nature d'une pierre d'origine ignée, avait-il coutume de
se tirer d'embarras, en répondant imperturbablement :
« C'est un schorl. »
Il serait trop long d'énumérer toutes les substances
cristallines disséminées dans des roches primitives et
auxquelles on a donné ce nom. Citons seulement ïépi-
MINÉRAUX. 335
dote, d'un vert plus ou moins foncé, et qui a reçu un
grand nombre de synonymes, tels que schorl vert, thallite,
arendalile, zoysite, delphinite, stralite, pistacite, akanti-
cône; la diallage [Veuphotide de Brongniart, le gabbro de
L. de Buch), présentant de petites lamelles très-bril-
lantes et dures, dont Haûy a décrit trois variétés prin-
cipales sous les noms de diallage verte (smaragdite de
Saussure , émeraudite de Daubenton), de diallage cha-
toyante {schillcrspalh de Werner, spath chatoyant de Bro-
chant), et de diallage métalloïde [bronzite et pistrite de
quelques minéralogistes); Vamphigèîie on Vaxinite, remar-
quable par ses cristaux en prismes quadraugulaires, tel-
lement amincis et aplatis aux bords qu'ils sont tranchants
comme le fer d'une hache (en grec aa;me); la tourmaline, V am-
phibole^ le pyroxène, etc. Wallerius, Rome de Lisle et Sage
avaient déjà réuni les schorls aux basaltes. Enfin on avait
tant abusé du mot schorl, queHaûy crut devoir l'effacer de
la nomenclature minéralogique. Il fut ainsi conduit à réunir
dans un même groupe, sous le nom d'amphibole (du grec
amphibolos , ambigu), les substances d'abord comprises sous
le nom commun de schorl, et que Werner avait séparées,
d'après quelques caractères extérieurs, fort peu décisifs.
Plus tard, la découverte de l'isomorphisme fit considérer ce
groupe, caractérisé, comme les pyroxènes, par des prismes
obliques à base rhomboïdale, non plus comme une véritable
espèce, mais comme un genre d'espèces isomorphes,
c'est-à-dire d'espèces analogues et tiès-rapprochées les
unes des autres tant par leur forme cristalline que par
leur composition atomique. La première manière de voir
fut remise en crédit par les analyses de Gustave Rose,
qui montra que les amphiboles sont, comme les pyroxènes
ou schorls volcaniques, composées d'un atome de bisilicate
de chaux et de trois atomes de bisilicate de magnésie, )a
chaux et surtout la magnésie pouvant être, en tout ou en
partie, remplacée par le protoxyde de fer ou par le pro-
toxyde de manganèse.
336 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
Cependant les minéralogistes continuèrent à distinguer
les amphiboles des pyroxènes, parce que les premiers sont
plus fusibles que les seconds, etsurtoutparce que les espè-
ces amphiboliques leur paraissaient, non pas isomorphes
dans le sens rigoureux du mot, mais seulement plésiomor-
phes^ c'est-à-dire àpeu ptxs de même forme. Partant de là, ils
ont essayé de rattacher toutes les variétés d'amphibole à trois
espèces distinctes : 1° la trémolite [grammatite de Haûy'),
ainsi nommée par le P. Pini et de Saussure, parce qu'ils la
rencontrèrent dans le Val Tremola, entre Airolo et l'hospice
du Saint-Gothard, et la signalèrent, vers 1775, comme une
pierre nouvelle. B. de Saussure fut frappé de voiries pris-
mes blancs ou verdâtres de ce minéral (amphibole blanche) ,
formant de longues baguettes, répandre de 1? lumière quand
on les frottait dans l'obscurité. Il remarqua aussi que la
trémolite se rattache, par sa structure, aux amiantes ou
asbestes, et qu'au Saint-Grothard elle a pour gangue une
espèce de calcaire qui ressemble à du grès blanc (calcaire
saccharoïde des terrains micaschisteux), et à laquelle son
fds donna le nom de dolomie, « du nom du commandeur
de Dolomieu qui le premier a fixé l'attention des natura-
listes sur cette pierre singulière^. » La trémolite, en tant
que bisilicate à base de chaux et de magnésie, correspond
au pyroxène diopside. — 2" h'anthophyUite; c'est, d'après
l'analyse de Vopelius, une trémolite dont la chaux a été
remplacée par le protoxyde de fer. Cette substance miné-
rale fut découverte à Kongsberg, en Norwége, par Schu-
macher; qui en a donné la première description. N'ayant
pu la rapporter à aucun des minéraux connus, il lui a
donné le nom à'anthophyllite (àvôoç fleur et cpûXXov feuille),
à cause de sa couleur, qui est d'un brun d'oeillet. On l'a
1. Le nom de grammatite (de gramma, ligne) vient de ce que dans
les apparentes cassures transversales des baguettes prismatiques de la
trémolite on aperçoit souvent une ligne colorée dans la direction de
la grande diagonale.
2. B. de Saussure^ Voyage dans les Alpes.
MINERAUX. 337
trouvée depuis à Helsingfors en Finlande et à Inkevtonk
en Groenland, et on a reconnu que l'antliophyllite est pour
les amphiboles ce que l'hyperstène est pour les pyroxènes.
— 3° il' amphibole proprement dite, composée d'un atome
de trisilicate de chaux et d'un atome de bisilicate de fer,
comprend deux sous-espèces ^ Vactinote et la hornblende.
L'actinote, d'abord appelée schorl vert des talcSy doit son
nom (du ^rec actis, rayon) à ses cristaux en longs prismes
ou en longues aiguilles rayonnées, translucides, d'un vert
plus ou moins foncé ; elle fut décrite par B. de Saussure
sous le nom de rayonnante (strahlstein de Werner), sur
des échantillons qu'il avait trouvés, sous forme de noyaux
ovales, dans du gneiss micacé, près de Zumloch, dans la
vallée du Rhône. Lamétherie lui donna le nom de zille-
rite, parce qu'on la trouve dans le Zillerthal, en Tyrol,
et il fit de ses variétés, aciculaire, lamellaire et fibreuse,
une espèce particulière, sous le nom à'asbestoïde.
L'actinote correspond, par sa composition, à la sahlite
pyroxénique. La hornblende (de l'allemand horn corne, et
blenden, éblouir) a une composition analogue. Le plus sou-
vent engagée, en lamelles prismatiques, dans la syénite
et la diorite, elle forme quelquefois des masses rocheuses,
connues sous le nom à' amphibolites . L'ouralite de Gr. Rose
et l'arfwedsonite se rapprochent de la hornblende.
Les grenats, les graphites, les macles se rencontrent,
comme les pyroxènes et les amphiboles, dans le granité,
dans le gneiss, dans le micaschiste et d'autres roches pri-
mitives. Les grenats ont plus particulièrement fixé l'at-
tention des cristallographes : leurs cristaux rentrent dans
le système cubique, ayant pour forme habituelle un do-
décaèdre irrégulier, terminé par des rhombes ; et leur
belle couleur rouge, qui rappelle celle des pommes de gre-
nade, d'oii le nom de grenat^ les ont fait de tout temps
rechercher des lapidaires.
h'asteria des anciens, qui a vainement exercé la saga-
cité des philologues , était probablement un de ces gre-
22
338 HISTOIRE DE LA MINERALOGIE.
nats qui, couverts de stries parallèles aux arêtes du dodé-
caèdre rhomboïdal, présentent un phénomène optique
bien remarquable. Lorsqu'on les taille en plaque perpen-
diculairement à l'axe , la section passant par deux angles
trièdres opposés au dodécaèdre, et qu'on vient ensuite
regarder, au travers d'une pareille plaque, un point lumi-
neux ou la flamme d'une bougie, on aperçoit une étoile
à six branches, d'où sans doute le nom d'asteria^ d'une
teinte très-vive, qui paraissent se diriger vers les
angles de l'hexagone formé par la coupe transver-
sale du cristal ; on remarque en même temps une
courbe lumineuse circulaire (cercle parhélique de Babinet),
qui passe par le point de croisement des branches de
l'astérie, c'est-à-dire par le point lumineux. Les théories
que les physiciens ont données de ce phénomène, présenté
encore par d'autres minéraux, tels que le corindon, sont
loin d'être concordantes.
Les anciennes analyses de Klaproth avaient déjà mon-
tré que les grenats appartiennent au grand groupe des
silico-aluminates de chaux et de magnésie, dans lesquels
les sesquioxydes de fer, de manganèse et de chrome sem-
blent jouer le rôle de matière tinctoriale joav voie ignée.
Ici encore la manie nomenclaturale a créé de singuliers
embarras. L. Gr. Karsten, célèbre minéralogiste alle-
mand (né à Butzow en 1768, mort en 1810), a nommé
almandin (grenat syrien) le grenat composé princi-
palement d'alumine et de silice, mélanite (grenat noir
de Frascati), le grenat contenant beaucoup de chaux
provenant surtout de sa gangue, joyro/)e (grenat de Bohême)
le grenat où dominerait la magnésie, sans exclure les
autres parties constitutives. A cette nomenclature il faut
ajouter la topazolite (merveille des lapidaires), Vuivaro-
wite, d'un beau vert d'émeraude, la colophanite^ d'un
jaune roux, Vessonite ou pierre de cannelle, l'hyacinthe,
le grenat grossulaire^ le grenat blanc (leucite, leucolithe),
1 amphigène (ainsi nommée à cause de ses deux formes de
METEORITES. 339
clivage), ' idiocrase, Vaplome d'Haûy, qrii sont tous des
silico-aluminates du même genre.
Le graphite (plombagine), qui passa longtemps pour un
carbure de fer, et qui forme la mine des crayons (d'oii
son nom, de Ypaqiw, j'écris), a été reconnu pour n'être quo
du charbon presque pur. On s'étonna qu'une matière
combustible comme le charbon eût pu se rencontrer, —
le l'ait est certain, — dans du granité et d'autres roches
d'origine ignée. Mais comment le graphite peut-il, ainsi
que M. Reichenbach et d'autres l'ont constaté, entrer dans
la composition des météorites, de ces pierres qui, venues
probablement d'autres mondes, deviennent perceptibles
dans le voisinage de notre planète?
Enfin c'est dans les terrains primitifs que l'on rencontre
la plus grande partie des minerais qui renferment pres-
que tous nos métaux, et qui, à raison de leur utilité,
avaient déjà attiré l'attention des anciens. L'art de leur
exploitation constitue la métallurgie, dont l'histoire se
rattache à celle de la chimie.
Météorites. — Aperça historique.
Les météorites, plus anciennement connus sous le nom
à'aéivlithes, c'est-à-dire de pierres tombées de l'air (de
dvip air, et X{ôo; pierre], mettent la terre directement en
rapport avec le ciel, la géologie avec l'astronomie. Les
bolides et les étoiles filantes rentrent dans la même catégo-
rie de phénomènes.
Les plus anciennes traditions parlent de pierres de fou-
dre, de pierres tombées du ciel. La Chronique de Paros
mentionne une masse de fer tombée sur le mont Ida.
Tite Live (I, 3 1 ) parle d'une pluie de pierres, arrivée sur le
mont Albain. Anaxagore de Glazomène paraît s'être, l'un
340 HISTOIRE DE LA MINERALOGIE.
des premiers, livré à l'étude des météorites, qu'il considérait
comme des pierres tombées du soleil. C'est d'après ce
philosophe que Pline, Plutarque et d'autres, ont décrit la
fameuse pierre tombée, dans la seconde année de la 78*
olympiade (année 467 avant J. G.), près du fleuve Mgos
(iÊgos-Potamos) , en Thrace, et qui s'y voyait encore au
commencement de notre ère. Suivant Pline, elle était delà
grosseur d'un char, de couleur sombre, coïnme si elle avait
subi l'action du feu {colore adusîo) * . « Malgré les inutiles
tentatives que le voyageur Browne fit, dit Alex, de Hum-
boldt, pour la découvrir, je ne renonce pas àl'espoir qu'un
jour on pourra retrouver, plus de 2300 ans après sa chute,
cette masse météorique, dont la destruction ne me paraît
guère admissible^. » Ces chutes de pierres, qu'on a ob-
servées, en tout temps, sur presque tous les points de la
surface terrestre', étaient dans l'antiquité considérées
comme des présages, à l'exemple des comètes.
C'est seulement depuis l'année 1798 que l'attention des
savants est fortement attirée vers l'étude des météorites
et que l'existence réelle de ces corps, ou, pour ainsi dire,
leur autonomie, est définitivement admise. Cette con-
quête de la science se rattache en effet à la chute de pier-
res observée, aux environs de Bénarès dans l'Inde, le 19
décembre 1798. Jusque-là le phénomène de la chute des
pierres était nié de la manière la plus formelle par les sa-
vants, et, par exemple, l'Académie de"s sciences de Paris
avait en 1768, par l'organe de Lavoisier, rejeté dans
le domaine des illusions propres à l'ignorance l'idée
qu'il pût tomber des corps solides de l'atmosphère. La
chose est d'autant plus remarquable que vers cette même
époque et dans les années suivantes il y eut un nombre
1. Pline, Hisl. nat., II, 59.
2. Alex, de Humboldt, Cosmos, 1. 1, p. 132.
3. On en trouve la liste, par ordre chronologique, dans Arago, As-
tronomie populaire, t. IV, p. 184 et suiv.
(
MÉTÉORITES. 341
relativement grand de chutes de météorites dans les pays
civilisés, tels que la France, l'Italie, l'Espagne, l'Angle-
terre, etc., et il est bien digne d'attention que ce fut une
chute arrivée au fond de l'Inde, dans les circonstances les
plus ordinaires, qui eut le privilège de fixer l'attention de
tous les physiciens.
Le chimiste anglais Howard, ayant analysé non-seule-
ment la pierre indienne, mais beaucoup d'autres pierres
tombées à diverses époques et en diftérents pays, constata
l'uniformité de composition de la plupart d'entre elles. Ce
fait saisissant, en ébranlant l'incrédulité, n'entraîna ce-
pendant pas les convictions de l'Académie des sciences de
Paris; c'est ce dont un physicien genevois, Pictet, eut
bientôt occasion de faire l'expérience. Pictet avait, pendant
un voyage en Angleterre, acquis la conviction que la
chute des pierres était un phénomène réel. Il écrivit à Pa-
ris et fit une communication sur ce sujet à l'Académie
des sciences. C'était en novembre 1802. Il trouva l'Aca-
démie si mal disposée que, suivant l'expression d'un his-
torien, « il lui fallut une sorte de courage pour achever
sa lecture. y>
Le fait est d'autant moins explicable que sept années
s'étaient déjà écoulées depuis la publication d'un travail
devenu célèbre du physicien allemand Ghladni , où
l'auteur développait, avec une hardiesse qui étonne, l'hy-
pothèse d'après laquelle les météorites constitueraient de
petits corps célestes, indépendants, et se mouvant dans
l'espace jusqu'à ce qu'un astre de grand volume les attire
et les précipite sur sa surface.
Quoi qu'il en soit, un mois après la lecture de Pictet,
Vauquelin, qui sur l'invitation de Howard avait fait l'ana-
lyse de différentes pierres météoriques, présenta à l'Aca-
démie les résultats de ses recherches, résultats confor-
mes à ceux du chimiste anglais. A son tour il provoqua
une vive opposition parmi les académiciens, et ceux-ci al-
laient repousser formellement ses conclusions, quand La-
342 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
place les arrêta : « H est possible, dit-il, qu'il tombe sur
notre globe des masses lancées par les volcans de la
Lune. Ne rejetez donc pas comme impossible un fait qui
mérite d'être soigneusement examiné. »
Aussi attendit-on avec impatience qu'une chute permît
de constater avec précision toutes les conditions du phé-
nomène.
L'occasion arriva bientôt. Vers la fin du mois d'avril
1803, des lettres écrites du département de l'Orne appor-
tèrent à Paris la nouvelle que, le 26 du même mois, en-
tre une et deux heures de l'après-midi , un phénomène
prodigieux, subitement apparu aux environs de la ville de
l'Aigle, avait frappé d'étonnement et de terreur toutes les
personnes et même tous les animaux qui en avaient été
témoins. Au milieu d'un ciel serein, un nuage s'était
montré du sud au nord; une explosion épouvantable,
entendue de plusieurs kilomètres à la ronde, en était sor-
tie ; plusieurs décharges avaient suivi, semblables à des
feux de mousqueterie, puis un roulement terrible, qui
s'était prolongé pendant plusieurs minutes; enfin des
pierres s'étaient échappées de ce nuage effrayant, on les
avait entendues siffler, on les avait vues rebondir sur le
sol et s'enfoncer en terre; on en citait une du poids de
7 à 8 kilogrammes, enfouie à la profondeur de 50 centimè-
tres. On prétendait en avoir ramassé sur une grande
étendue de pays. Plusieurs de ces pierres anivèrent à
Paris en même temps que la nouvelle de leur chute. Grises
àl'intérieur, grenues, fendillées, remplies de parcellesbril-
iantes et métalliques, elles étaient toutes recouvertes d'une
sorte de vernis de couleur noire.
L'annonce de cet événement produisit à Paris la plus
vive sensation, et, sur la demande de l'Institut, le minis-
tre de l'instruction publique chargea Biot de se rendre
sur le théâtre du phénomène et d'y ouvrir une enquête.
Le résultat de cette enquête fut la confirmation de tous
les récits populaires que les savants avaient jusque-là re-
MÉTÉORITES. 343
jetés avec tant de dédain, et l'admission dans la science
du phénomène de la chute des pierres.
Mais la question, une fois résolue, de la réalité du
phénomène, d'autres questions étaient par cela même
posées : elles se réunirent sous deux chefs, qui sont la
nature et l'origine dos météorites. Howard et Vauquelin
avaient déjà analysé quelques pierres d'origine céleste.
Le résultat de leurs travaux fut que ces pierres conte-
naient surtout de la silice, de la magnésie, du fer et du
nickel. Laugier y reconnut le chrome, dont la fréquence
est très-remarquable; Berzélius, l'étain et le cuivre, etc.;
et aujourd'hui le nombre des corps simples rencontrés
dans les météorites s'élève à trente environ.
Mais à mesure que les analyses se multipliaient, on
reconnut, contrairement à la première opinion de Howard,
que toutes les météorites sont bien loin d'être identiques
entre elles. Par exemple, la belle collection de météorites
du Muséum d'histoire naturelle, fondée par Gordier et
agrandie par M. Daubrée, renferme les représentants de
plus de 200 chutes, que M. Stanislas Meunier a été
amené, par ses études, à distribuer entre 43 types de ro-
ches parfaitement distincts les uns des autres et affectés
maintenant de noms particuliers.
Dans ces roches célestes, les corps simples que nous
venons d'indiquer se présentent associés entre eux sous la
forme de minéraux terrestres, mais dont beaucoup aussi ont
un caractère spécial. Ces espèces minérales sont dès àpré-
sent au nombre d'au moins une cinquantaine, et les recher-
ches ultérieures les multiplieront sans doute. Les minéraux
les plus fréquents sont des alliages de fer et de nickel,
des silicates magnésiens, comme le péridote et le pyroxène,
le graphite, un sulfure de fer et de nickel, qui forme sou-
vent dans les fers météoriques de gros amas cylindroïdes
très-remarquables, un phosphure do fer et de nickel, etc.
L'association de ces divers minéraux est très intéres-
sante à étudier. M. Sorby, savant observateur anglais.
344 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
a surtout examiné à cet égard les tranches délitées dans
les pierres avec assez de minceur pour être transparentes
et pouvoir être placées sur le porte-objet du microscope.
Un minéralogiste allemand, M. Widmannstœtten, s'est
occupé de la structure des fers météoriques et il a mon-
tré que les divers minéraux qui y sont mélangés sont
disposés dans la masse de façon à constituer des réseaux
souvent très-réguliers. Pour cela il polit une lame de fer
et la traite par un acide. Au lieu de s'attaquer uniformé-
ment comme le ferait le fer terrestre, la lame présente un
moiré particulier, aunuel on a donné le nom de figure de
Widmannstsetten et dont l'étude a été fort instructive.
Enfin, M. Stanislas Meunier, en étudiant les minéraux
qui se sont développés dans les fers météoriques, a re-
connu qu'ils occupent les uns vis-à-vis des autres des si-
tuations parfaitement fixes, et qu'ils offrent une grande
constance dans leur association.
On ne pouvait étudier la nature des météorites sans se
demander quel a été leur mode de formation. Sous ce
rapport, on n'a pas été très-heureux jusqu'à présent.
Parmi les divers travaux faits dans cette voie il faut citer
d'une manière toute particulière les longues recherches
de M. Daubrée, qui a fait fondre un très-grand nombre
de météorites et parallèlement un très-grand nombre de
roches terrestres de composition comparable. La conclu-
sion qu'il est légitime de tirer de ces expériences est que
les météorites ne se sont évidemment pas produites dans
des conditions analogues à celles qu'on réalise dans nos
fourneaux de laboratoire, et que leur mode de production
se rapproche le plus de la formation des roches primor-
diales de la terre et particulièrement du granité. A cet égard,
il faut mentionner une expérience qui a permis à M. Sta-
nislas Meunier de reproduire dans tous ses détails une
météorite, la météorite noire tombée en Algérie, en 1867,
au moyen d'une roche terrestre, c'est-à-dire au moyen de
ia serpentine des Alpes, Pour reproduire la météorite ar-
MÉTÉORITES. 345
tificiellement, il a suffi de chauffer la serpentine, mais
sans la fondre, dans un courant d'hydrogène.
Relativement à l'origine des météorites, les tentatives
ont été très-nombreuses, et il est curieux, au point de vue
historique, de les passer rapidement en revue. Parmi ces
tentatives il importe d'abord de distinguer celles qui sont
de simples hypothèses plus ou moins vraisemblables, de
celles qui, au contraire, ont eu pour but de faire décou-
ler la solution cherchée d'expériences et d'observations
scientifiques. Les premières sont incomparablement les
dIus nombreuses, il suffira d'en citer deux.
La première hypothèse a pour auteur Ghladni ; nous
l'avons déjà citée. La seconde, imaginée par Laplace, déve-
loppée par Poisson et reprise de nos jours par M. Law-
rence Smith, voit dans les météorites des fragments lancés
par des volcans lunaires avec assez de violence pour péné-
trer dans la sphère d'attraction de la terre. Ce ne sont là
que deux manières de voir plus ou moins vraisemblables,
que l'on peut admettre ou repousser d'après le sentiment
du moment, mais que rien jusqu'ici ne semble démon-
trer. Leurs auteurs bornent leurs efforts à écarter tout
ce qui pourrait conclure à la fausseté de leurs sys-
tèmes.
De ces diverses manières de voir se distingue la théo-
rie à laquelle M. Stanislas Meunier a été conduit par
l'observation exclusive des caractères offerts par les mé-
téorites. Il a reconnu, en effet, d'une façon qui paraît inat-
taquable en ce sens que plusieurs méthodes, absolument
indépendantes entre elle^, concourent à ce même résultat,
que les météorites les plus diverses ont été ensemble en
relations stratigraphiques. De plus, il a observé dans les
météorites des traces toutes semblables à celles que les
phénomènes géologiques impriment sur les roches ter-
restres.
De cet ensemble d'observations, l'auteur a conclu que
les pierres qui tombent du ciel proviennent d'un astre ja-
346 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
dis unique et maintenant brisé. La rupture d'un astre se»
rait donc, d'après M. Stanislas Meunier, l'effet d'une
cause naturelle, soumettant la vie sidérale à un cycle
tout à fait comparable à celui de la vie organique. L'en-
semble des études relatives à cet important sujet constitue
une science nouvelle, à laquelle M. Stanislas Meunier
■propose de donner le nom de géologie comparée.
Fondateurs de la minéralogie moderne.
Cristallograxihic.
Depuis longtemps on avait remarqué que beaucoup de
substances inorganiques minérales afl'ectent des formes
polyédriques, et que certains cristaux étaient semblables
!x quelques-uns des corps réguliers de la géométrie, tels
que l'octaèdre et le cube. On avait de tout temps admiré
le beau prisme hexagonal, terminé par des sommets py-
ramidaux, du cristal de roche (quartz hyalin). Les phy-
siciens y avaient remarqué le phénomène de la double
réfraction comme dans le spath d'Islande (chaux carbo-
natée transparente), dont ils mesurèrent même les angles
de cristallisation. Les philosophes n'avaient émis sur les
cristaux que des idées vagues, quand ils ne les passaient
pas entièrement sous silence. La plupart ne regardaient
les solides polyédriques que comme des accidents ou des
hasards de la nature. Ce fut un naturaliste qui sentit le
premier que les cristaux devaient être le résultat de causes
régulières, constantes. C'est Linné qui doit être mis au
nombre des fondateurs de la cristallographie.
Buffon, qui aimait mieux planer dans des généralisations
que descendre dans l'examen des détails, fut le premier à
établir en principe que « toutes les fois qu'on dissout une
matière, soit par l'eau, soit par le feu, elle ne manque pas
de cristalliser, pourvu qu'on tienne cette matière dissoute
CRISTALLOGRAPHIE. 347
assez longtemps en repos pour que ses particules simi-
laires et déjà figurées puissent exercer leur force d'affi-
nité, s'attirer réciproquement, se joindre et se réunir. i:>
Puis, faisant ressortir l'importance de l'action du temps,
il ajoutait : «Notre art peut imiter ici la nature dans tous
les cas où il ne faut pas trop de temps, comme pour la
cristallisation des sels ; mais, quoique la substance du
temps ne soit pas matérielle, néanmoins le temps entre
comme élément général, comme ingrédient réel et plus
nécessaire qu'aucun autre dans toutes les compositions
de la matière. Or la dose de ce grand élément ne nous
est point connue ; il faut peut-être des siècles pour opé-
rer la cristallisation d'un diamant, tandis qu'il ne faut
que quelques minutes pour faire cristalliser un sel ^ «
Rome de Lisle choisit le premier les cristaux comme
un objet d'études spécial. Dans sa Cristallograjjhie^ qui
parut en 1772, il décrivit avec soin un grand nombre de
cristaux, la plupart inconnus ou mal déterminés avant
lui. Ainsi il fît, entre autres, connaître, sous le nom de
pierre de croix, la, crucile de Lamétherie,le chiastolithe de
Karsten, le macle de Brochant et de Brongniart, une
substance minérale cristallisée en prismes quadrangu-
laires qui présentent, sur leur coupe transversale, des des-
sins particuliers produits par une matière noire, disposée
tantôt au centre du cristal sous la forme d'un carré,
tantôt suivant les diagonales et figurant alors une sorte
de croix. Ce groupement résulte de la réunion en sens
contraire (angle de rotation de 180°) de deux cristaux sem-
blables. Haûy lui donna le nom à'hémitropie, depuis lors
universellement adopté. Il mesura mécaniquement le?
angles entre les pans de prismes, et mit en lumière un
fait fondamental, à savoir que ces angles ont une mesure)
'constante dans la même variété minérale.
Depuis lors, un assez grand nombre de naturalistes eti
1. Buffon, Œuvres, t. X, p. 8 (édition de M. Flourens),
348 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
de physiciens se livrèrent à des observations cristallogra-
phiques. Mais aucun n'alla dans cette voie aussi loin que
Haûy, qui devint ainsi le principal fondateur de la miné-
ralogie moderne.
Haûy était professeur de seconde au collège du Gardi-
nal-Lemoiie, quand il entra un jour au cours de minéra-
logie que Daubenton faisait au Jardin du Roi, voisin de ce
collège. Familiarisé avec l'étude de la botanique, il se de-
mandait si les formes si simples des minéraux ne pour-
raient pas être soumises à des lois, comme on a essayé de
le faire pour les formes beaucoup plus compliquées des
fleurs et des fruits. Gomment, se disait-il, la même
pierre, le même sel se montrent-ils en cubes, en prismes,
en aiguilles, tandis que la rose a toujours les mêmes pé-
tales, le gland la même courbure, le cèdre la même hau-
teur et le même développement.... Rempli de ces idées,
il eut un jour, chez un de ses amis, amateur de miné-
raux, l'heureuse maladresse de laisser tomber un beau
groupe de spath calcaire, cristallisé en prismes. Un de ces
prismes se brisa de manière à montrer sur sa cassure des
faces non moins lisses que celles du dehors, et qui pré-
sentaient l'apparence d'un cristal nouveau, tout différent du
prisme pour la forme. Haûy ramassa ce fragment; il en
examina les faces, leurs inclinaisons, leurs angles. H dé-
couvre, à sa grande surprise, qu'elles sont les mêmes que
dans le spath en cristaux rhomboïdes, que dans le spath
d'Islande. Un monde nouveau semblait à l'instant s'ou-
vrir à lui. H rentre dans son cabinet, prend un spath cris-
tallisé en pyramide hexaèdre, ce que l'on appelait dent
de cochon ; il essaye de le casser, et il en voit encore sor-
tir ce rhomboïde, ce spath d'Islande; les éclats qu'il en
fait tomber sont eux-mêmes de petits rhomboïdes; il casse
un troisième cristal, celui que l'on nommait lenticulaire :
c'est encore un rhomboïde qui se montre dans le centre,
et des rhomboïdes plus petits qui s'en détachent. « Tout
est trouvé, s'écrie t-il : les molécules du spath calcaire
CRISTALLOGRAPHIE. 349
n'ont qu'une seule et même forme ; c'est en se groupant
diversement qu'elles composent ces cristaux dont l'exté-
rieur si varié nous fait illusion. »Et partant de cette idée,
il lui fut bien aisé d'imaginer que les couches de ces mo-
lécules s'empilant les unes sur les autres, et se rétrécissant
à mesure, devaient former de nouvelles pyramides, de nou-
veaux polyèdres, et envelopper le premier cristal comme
d'un autre cristal où le nombre et la figure des faces ex-
térieures pourraient différer beaucoup des faces primitives,
suivant que les couches nouvelles auraient diminué de tel
ou tel côté, et dans telle ou telle proportion. Si c'était là
le véritable principe de la cristallisation, il ne pourrait
manquer de régner aussi dans les cristaux des autres
substances : chacune d'elles devait avoir des molécules
constituantes identiques, un noyau toujours semblable à
lui-même, des lames ou des couches accessoires produi-
sant toutes les variétés. Pour vérifier cette idée, Hauy
n'hésita pas à mettre en pièces sa petite collection; ses
cristaux éclatent sous le marteau ; partout il retrouve une
structure fondée sur la même loi. Dans le grenat, c'est un
tétraèdre ; dans le spath fluor, c'est un octaèdre ; dans la
pyrite, c'est un cube ; dans le gypse, dans le spath pe-
sant, ce sont des prismes droits à quatre pans, mais
dont les bases ont des angles différents, qui forment les
molécules constituantes; toujours les cristaux se brisent
en lames parallèles aux faces du noyau. Les faces exté-
rieures se laissant toujours concevoir comme résultant du
décroissement des lames superposées, d^croissement plus
ou moins rapide, et qui se fait tantôt par les angles, tan-
tôt par les bords, les faces nouvelles ne sont que de pe-
tits escaliers ou que de petites séries de pointes produites
par le retrait de ces lames, mais qui paraissent planes à
l'œil, à cause de leur ténuité. Aucun des cristaux qu'il
examina ne lui offrit d'exception à sa loi '. '
1 . Cuvier, Éloge historîqiie de Haûy.
350 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
Haûy ne s'arrêta pas à mi-chemin. Pour que sa dé-
couverte fût complète, une troisième condition devait être
remplie. Le noyau, la molécule constituante, ayant cha-
cun une forme fixe et géométriquement déterminable dans
ses angles et dans les rapports de ses lignes, les faces se-
condaires étant, de même, faciles à déterminer d'après les
lois de décroissement, on devait, le noyau et les molécules
étant une fois donnés, pouvoir calculer d'avance les an-
gles et les lignes de toutes les faces secondaires que les
décroissements pourraient produire. Haûy se remit à ap-
prendre la géométrie pour vérifier l'exactitude de ses oÎd-
servations. « Dès ses premiers essais, dit Guvier, il se
vit pleinement récompensé. Le prisme hexaèdre qu'il
avait cassé par mégarde, lui donna, par des observations
ingénieuses et par des calculs assez simples, une valeur
fort approchée des angles de la molécule du spath ; d'au-
tres calculs lui donnèrent ceux des faces qui s'y ajoutent
par chaque décroissement, et en appliquant l'instrument,
le goniomètre^ aux cristaux, il trouva les angles précisé-
ment de la mesure que donnait le calcul. Les faces se-
condaires des autres cristaux se déduisirent tout aussi fa-
cilement de leurs faces primitives ; il reconnut même que
presque toujours, pour produire les faces secondaires, il
suffit de décroissements dans des proportions assez sim-
ples, comme le sont en général les rapports des nombres
établis par la nature. »
Arrivé à ce point, Haûy parla de ses découvertes à Dau-
benton, qui en fit part à Laplace. Celui-ci l'engagea ave-
nir les présenter à l'Académie des sciences. Le 10 janvier
1781,1e savant minéralogiste lut devant cette compagnie
un premier mémoire, où il traitait des grenats et des
spaths calcaires. Daubenton et Bezout en firent le rap-
port au mois suivant ; mais ils n'avaient pas bien saisi la
nature de ces découvertes. Le 22 août de la même année,
Haûy lut à l'Académie un second mémoire, où il ne
traitait que des spaths calcaires ; les mêmes commis-
CRISTALLOGRAPHIE. 351
saires firent un rapport au mois de décembre, et cette
fois ils montrèrent qu'ils s'étaient mis au fait des idées
de l'auteur et qu'ils en comprenaient toute l'impor-
tance.
Les travaux de Haûy firent bientôt naître l'envie. On rap-
pela qu'un jeune chimiste suédois, du nom de Gahn, qui
devint professeur à Abo, avait remarqué, six ou sept ans
avant Haûy, en brisant un cristal de spath pyramidal, que
le noyau de ce cristal était un rhomboïde semblable au spath
d'Islande. Gahn avait fait part de son observation à Berg-
mann, son maître, et celui-ci, au lieu de la répéter sur
des cristaux différents et de s'assurer expérimentalement
dans quelles limites le fait pouvait se généraliser, s'était
jeté dans de vaines hypothèses. De ce rhomboïde du spath
il prétendait déduire non-seulement les autres cristaux
de spath, mais ceux du grenat, ceux de l'hyacinthe, qui
n'ont avec lui aucun rapport de structure. On n'en accusa
pas moins Haûy de s'être emparé de l'idée de Bergmann,
et on déclara, en outre, sa méthode fausse. Rome deLisle
l'attaqua durement et trouva plaisant de le traiter de cris-
talloclaste {briseur de cristaux). Haûy ne répondit que par
de nouvelles recherches. « Bientôt ses observations fourni-
rent, rapporte Guvier, des caractères de première impor-
tance à la minéralogie. Dans ses nombreux essais sur les
spaths, il avait remarque que la pierre, dite spath perlé,
que l'on regardait alors comme une variété du spath pe-
sant (baryte sulfatée), a le même noyau que le spath cal-
caire, et une analyse que l'on en fit prouva qu'en effet
elle ne contient, comme le spath calcaire, que de la chaux
carbonatée. Si les minéraux bien déterminés, quant àleur
espèce et à leur composition, se dit-il aussitôt, ont chacun
son noyau et sa molécule constituante fixe, il doit en être
de même de tous les minéraux distingués par la nature
et dont la composition n'est point encore connue. Ce
noyau, cette molécule^ pourra donc suppléer à la com-
position par la distinction des substances, et dès la pre-
352 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
mière ajaplication qu'il fit de cette idée, il porta la lumière
dans une partie de la science, que tous les travaux de ses
prédécesseurs n'avaient pu éclaircir. » C'est ainsi que Haûy
parvint à mettre de l'ordre dans une foule de pierres, con-
fondues ensemble jusqu'alors sous les noms de 5c/ior^5 et
de zèolithes.
Disséminés dans le Journal de Physique, àansle Journal
des mines et dans les Mémoires de l'Académie des sciences,
etc., les travaux de Haûy furent repris et développés dans
son Traité de minéralogie, dont la première édition parut en
1801 (4 vol. in-8°, avec atlas in-4''). L'auteur y a classé les
minéraux d'après la forme de leurs molécules, mettant en
première ligne la cristallisation pour déterminer les es-
pèces. Il la préférait pour cela à l'analyse chimique, dans
l'opinion que celle-ci n'avait pas les moyens sûrs de dis-
tinguer les substances accidentelles des essentielles, et
que chaque jour elle trouvait de nouveaux éléments qui
lui étaient restés cachés. « Il n'est presque plus, ajoute
Guvier, de minéral cristallisable dont Haûy n'ait déter-
miné le noyau et les molécules avec la mesure de leurs
angles et la proportion de leurs côtés, et dont il n'ait
rapporté àces premiers éléments toutes les formes secondai-
res, en déterminant pour chacune les divers décroissements
qui la produisent, et en fixant par le calcul leurs angles et
leurs faces. C'est ainsi qu'il a fait enfin de la minéralogie
une science tout aussi précise et tout aussi méthodique que
l'astronomie. Mais ce qui est tout particulier, c'est que
son ouvrage (le Traité de minéralogie) n'est pas moins re-
marquable par sa rédaction et la méthode qui y règne que
par les idées originales sur lesquelles il repose Haûy
s'y montre habile écrivain et bon géomètre autant que
savant minéralogiste : on voit qu'il y a retrouvé toutes ses
premières études ; on y reconnaît jusqu'à l'influence de
ses premiers amusements de physique. S'il faut apprécier
1 électricité des corps, leur magnétisme, leur action sur la
umière, il imagine des moyens ingénieux et simples.
CRISTALLOGRAPHIE. 353
de petits instruments portatifs : le physicien y vient sans
cesse au secours du minéralogiste et ducristallographe.«
Guvier reprochait seulement à Haûy de n'avoir pas eu
assez d'égards aux observations, faites postérieurement
aux siennes, avec le nouveau goniomètre de Wollaston sur
les angles du spath calcaire, du spath magnésifère et du
fer spathicjue'.
L'ère nouvelle de la minéralogie commence avec l'ap-
parition du Traité de minéralogie de Haûy. La définition
rigoureuse qui y est faite de l'espèce minérale, considérée
comme la collection de tous les individus dont les molé-
cules physiques sont semblables en tout point, c'est-à-
dire de même forme cristalline et de même composition
atomique (chimique), les travaux, dont cette définition de-
vint le point de départ, valurent à l'école de Haûy le sur-
nom de géométrique.
Werner, précédé en Suède par Wallerius,créa à Frey-
berg, en Saxe, l'école qu'Alex. Brongniart a proposé d'ap-
peler empirique^ parce qu'elle se fondait uniquement sur
le témoignage des sens, accordant une attention trop ex-
clusive aux caractères extérieurs, à ceux que nous con-
statons à l'aide de nos seuls organes, sans le secours d'au-
cun instrument artificiel. Ramenant la détermination des
minéraux à des procédés méthodiques, Werner parvint à
définir tous leurs caractères extérieurs avec une précision
inconnue jusqu'alors. Mais après avoir reconnu que la du-
reté, la cassure, etc., ne sont que les conséque»ces de la
forme des molécules et de leur arrangement, l'école de
Freyberg ne tarda pas à se fondre dans les écoles géomé-
trique et chimique.
Vécole chimique, qui eut pour fondateurs Gronstadt
Bergmann et Kirwan, comprend les minéralogistes qui ont
basé leurs principes de classification sur la composition
1. Cuvier, Éloge historique de Haûy (lu à l'Académie des sciences le
2 juin 1823).
23
3b4 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
chimique, telle que la donne l'analyse. Représentée de
nos jours par Gustave Rose et Berzelius, elle a rendu
d'immenses services à la science en réunissant, par l'iso-
morphisme, en groupes naturels, comme nous l'avons
montré plus haut, des substances dont la classification fut
tout ce qu'il y avait de plus arbitraire en minéralogie. Ces
services semblent avoir été méconnus par beaucoup de
minéralogistes qui reprochent aux chimistes de trop effa-
cer, dans le classement des espèces minérales, le rôle du
naturaliste, « de se borner aux seuls résultats de l'analyse,
réduisant la minéralogie à n'être plus qu'un simple ap-
pendice de la chimie minérale, et par là l'annulant en
l'absorbant tout entière au profit de leur science ^ »
Frédéric Mohs, professeur de minéralogie à l'école de
Graetz (né en 1774 à Gernrode au Harz, mort en 1839,
près de Bellune), devint le chef d'une école particulière,
dans laquelle il a été précédé par Daubenton et suivi par
Breithaupt ; c'est Vécole des naturalistes purs, qui, pour
prendre en quelque sorte leur revanche du dédain que
les chimistes avaient témoigné pour les caractères physi-
ques, repoussent, à leur tour, toutes les données de la
chimie, prétendant qu'elle ne saurait fournir des caractères
inhérents aux espèces, parce qu'elle dénature les minéraux,
et que la cristallographie et la physique peuvent seules nous
les dépeindre tels qu'ils sont réellement. Mais cette ma-
nière de voir est évidemment exagérée. Indépendamment
de ce que notre organisation bornée ne nous permet pas
de saisir à l'aide de nos sens les molécules constituantes et
que nous ne pouvons arriver à cette connaissance que par
une voie indirecte, par des déductions tirées des résultats
de l'analyse chimique et de l'ensemble des faits cristallogra-
phiques, le chef de l'école naturaliste se trompait encore
en voulant assimiler la minéralogie à la zoologie; car l'in-
1. M. Delafosse, article Minéralogie, da,ns le Dictionnaire dliisloire
naturelle de Ch. d'Orbigny.
CRISTALLOGRAPHIE. 355
dividualisme qui caractérise les êtres vivants, n a rien de
commun avec le caractère d'échantillons des minéraux ;
le minéralogiste peut détacher une parcelle du minéral à
déterminer, sans altérer en rien le reste de la masse.
Les modifications singulières que présente la lumière
polarisée dans son trajet à travers les cristaux transpa-
rents, ont également appelé l'attention des physiciens sur
la constitution moléculaire cristalline des substances
minérales. Un rayon de lumière polarisée est pour le
minéralogiste, suivant une juste remarque de Biot, comme
une sorte de sonde déliée, avec laquelle il interroge dans
tous les sens la structure des cristaux. Ce rayon reçoit,
en effet, dans chacune des positions qu'il peut prendre,
pour ainsi dire l'empreinte des modifications les plus
légères de la structure cristalline et la transmet ainsi fi-
dèlement à l'organe de la vue. L'optique des cristaux,
sur laquelle est fondée Y école physique^ a été principale-
ment cultivée, en Angleterre par Brewster ; en France
par Biot et M. Babinet.
En dépit de la résistance des anciennes écoles, les prin-
cipes chimiques ont fini par envahir la minéralogie. Hauy
avait déjà classé les substances minérales, en prenant pour
genres les bases et pour espèces les acides ; exemples : chaux
carbonatée, chaux sulfatée, etc. Beudant se rapprocha
davantage de la nomenclature chimique, en prenant, au
contraire, les acides pour genres et les bases pour espè-
ces ; de là viennent les noms de silicates de chaux, de
magnésie, etc., également adoptés par les chimistes et par
les minéralogistes. Brouguiart et Kobell ont proposé une
classification mixte, dans laquelle les espèces sont grou-
pées tantôt par les acides, tantôt par les bases.
Parmi les minéralogistes récents qui ont, par leurs tra-
vaux, particulièrement contribué aux progrès de la
science, nous citerons Senarmont et M. Delai'osse,
356 HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE.
Dans un premier mémoire, publié en 1840, Senarmont*
montra que les substances cristallines douées de l'opa-
cité métallique impriment à la lumière des modifications
tout autres que les miroirs homogènes métalliques. Dans
un second mémoire, paru en ISkl, il prit pour objet de
ses recherches la polarisation elliptique, et essaya d'éta-
blir que les cristaux opaques réfractent la lumière suivant
les mêmes lois que les autres, et sont doués comme eux
de la double réfraction.
M. Delafosse ^ attira le premier l'attention des cristal-
lographes sur les relations qui existent entre le sens du
pouvoir rotatoire des substances minérales et le sens de
l'orientation des facettes hémiédriques qui les modi-
fient. Ses observations sur le cristal de roche sont deve-
nues le point de départ d'un grand nombre de recherches
du plus haut intérêt.
Enfin, nous ne devons pas passer sous silence les
longs et patients travaux de M. Graudin (né en 1804, à
Saintes) qui obtint le premier, à l'aide de son chalumeau, de
petits cristaux de jjierres précieuses, notamment le rubis
et le corindon, avec leurs éléments constitutifs naturels.
Depuis 1831, ce modeste savant s'est occupé, avec une
rare patience, du groupement des atomes pour former les
molécules cristallines. Ses résultats, publiés partiellement
dans les Comptes rendus de l'Académie et dans d'autres
recueils, n'ont pas encore été réunis en un corps de doc-
trine.
1
1. Hxireau de Senarmont, né à Broué (Eure-et-Loir), sortit, en
1829, le premier de l'École polytechnique, dirigea les mines de Rive-
de-Giers et du Creuzot, remplaça, en 1852, Beudant, à l'Académie des
sciences, et mourut en 1868 à Paris. Ses principaux travaux ont paru
dans les Annales des mines et dans les Annales de physique et de
chimie.
2. Gabriel Delafosse, né vers 1795, entra en 1813 à l'École nor-
male, devint professeur de minéralogie à la Sorbonne et fut nommé, en
1857, membre de l'Académie des sciences.
GEOLOGIE.
Principales théories géologiques.
Sur les différentes couches pierreuses qui forment
l'écorce terrestre se trouve inscrite, en caractères ineffa-
çables, l'histoire primitive de notre globe. Les unes
portent les traces de l'action de l'eau, les autres celles
de l'action du feu.
Le fait de l'action de l'eau a été reconnu dès la plus
haute antiquité, comme nous l'avons montré plus haut,
par les traditions d'un déluge universel, et par les échan-
tillons de plantes et d'animaux fossiles, dont la plupart,
même aux yeux de quelques anciens, portent d'irrécusables
témoignages d'un monde éteint.
Quant au fait de l'action du feu, dont nous avons éga-
lement signalé d'incontestables traces, on le trouve déjà
indiqué par l'antique légende du Typhon, qui, dans sa
fuite souterraine du Caucase en Italie, vomissait des
flammes. Les éruptions de l'Etna et du Vésuve pouvaient
avoir donné naissance au mythe du Pyriphlégéthon : les
laves étaient les affluents du fleuve de feu circulaire. Dans
l'intérieur de ces monts ignivomes, Héphestosou Vulcain
avait établi ses forges; Pluton, le Jupiter souterrain, qui
portait primitivement le nom de Hadès (Enfer), était qua-
lifié de donneur de richesses (TrXouToSoxrîp) ; et on trouve,
dès le troisième siècle de notre ère, la croyance à un feu
358 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.
central'. Les noms de basalte et àe porphyre nous viennent
des anciens, et lors même qu'ils ne s'appliqueraient pas
exactement aux roches que nos géologues désignent ainsi,
il est néanmoins hors de doute que les Grecs et les Ro-
mains ne se trompaient pas sur l'origine ignée ou volca-
nique de beaucoup de roches qu'ils pouvaient avoir sous
les yeux.
Enfin, le neptunisme et le plutonism-e, l'idée d'une
formation de pierres sédimenteuses (roches exogènes) et
celle d'une formation de pierres éruptives (roches endogè-
nes), comprenant les roches plutoniques (granité, gneiss,
porphyre non quartzeux) et les roches volcaniques pro-
prement dites (basalte, trachyte, phonolithe), se trouvaient
déjà en germe dans l'antiquité^.
Quand l'homme qui interroge la nature rencontre des
faits propres à exalter son imagination ou à donner à
l'esprit un rapide essor, il ne manque pas d'en profiter
pour créer des théories ou des systèmes, dans lesquels il
semble se complaire, en quelque sorte se mirer. Gomme
ces créations portent un cachet tout individuel, elles sont
inséparables chacune du nom de son auteur.
Avant l'exposé des théories qui depuis la fin du dix-
septième siècle surgirent tout à coup en assez grand
nombre, nous devons mentionner les idées d'un esprit émi-
nent, de Bernard Palissy (né en 1499, mort à Paris en
1589), sur la constitution géologique du sol. « Nous savons
dit-il, qu'en plusieurs lieux les terres sont faites par di-
vers bancs, et en les fossoyant on trouve quelquefois un
banc de terre, un autre de sable, un autre de pierre et de
chaux, et un autre de terre argileuse ; et communément
les terres sont ainsi faites par bancs distingués. Je ne te
donnerai qu'un exemple pour te servir de tout ce que j'en
saurais jamais dire : Regarde les carrières de terre argi-
1. Alex, de Humboldt, Cosmos, t. I, p. 59 (de l'édition allemande).
2. Voy. plus haut, p. 326.
THÉORIES GÉOLOGIQUES. 359
leuse qui sont près de Paris, entre la bourgade d'Auteuil
et de Ghaillot, et tu verras que, pour trouver la terre d'ar-
gile j il faut premièrement ôter une grande épaisseur de
terre, une autre épaisseur de gravier, et puis après on
trouve une autre épaisseur de roc, et au-dessous dudit
roc on trouve ime grande épaisseur de terre d'argile, do
laquelle on fait toute la tuile de Paris et lieux circon-
voisins ^. ^ — Ces paroles ne contiennent rien de fictif :
elles ne sont que la simple expression d'un fait.
Bernard Palissy, dont le nom appartient plus particu-
lièrement à l'histoire de la chimie, recommanda l'un des
premiers l'emploi de la sonde pour s'assurer de la nature
d'un terrain. « Mais si tu rencontrais, demande la Théorie
(dans un curieux dialogue entre la Théorique et la Practique)
des rocs durs, comment te prendrais-tu pour les percer ?
— La Practique répond : « A la vérité, cela serait fâ-
cheux. Toutefois il me semble qu'une tarière torcière les
percerait aisément; et après la torcière, on pourrait mettre
une autre torcière, et par tel moyen on pourrait trouver
des terres de marne, voire des eaux pour faire puits,
lesquelles bien souvent pourraient monter plus haut que
le lieu où la pointe de la torcière les aura trouvées; et
cela se pourra faire moyennant qu'elles viennent de plus
haut que le fond du trou que tu auras fait. » De là à la
découverte des puits artésiens il n'y avait qu'un pas,
Bien avant le chancelier Bacon, Bernard Palissy avait
recommandé la méthode expérimentale comme le seul
moyen de faire avancer la science.
Mais cette méthode, déjà prônée par Aristote, devait,
comme la morale, exister en paroles plutôt qu'en ac-
tes. C'est ce que montrent les innombrables conceptions
imaginaires par lesquelles la science n'a jamais cessé
d'être envahie ,
l. Delà marne, dans les Œuvres de Bernard Palissy, p. 141 et suiv.
(édition Paris, 1777, in-4'').
360 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.
Théorie de Bnrnet.
Thomas Burnet (né en 1635, mort en 1715), théolo-
gien écossais, imagina une théorie dont il gratifia le pu-
blic dans un livre élégamment écrit en latin, qui a pour
titre : Telluris theoria sacra (Lond., 1681, in-4'^). D'a-
près cette théorie, la terre était à l'origine un mélange
informe de liquides et de solides , un chaos composé
de matières de toutes espèces et de toutes sortes de for-
mes; peu à peu ces matières se groupèrent pour for-
mer un noyau solide, compacte ; les eaux se rassemblèren
autour de ce noyau et l'enveloppèrent de toute part; les
liquides plus légers que l'eau entourèrent cette première
enveloppe, et furent à leur tour enveloppés de l'air qui en-
tourait toute la circonférence du globe. C'est ainsi que,
entre l'orbe de l'air et celui de l'eau, il se forma un orbe
d'huile ou de matières grasses plus légères que l'eau.
L'air était encore fort impur et chargé d'une très-grande
quantité de particules terrestres; ces particules, se dépo-
sant peu à peu sur la couche grasse et huileuse, formè-
rent par leur mélange la première terre habitable et le
premier séjour de l'homme. Ce terrain, gras et léger, de-
vait éminemment favoriser le développement des premiers
germes de la vie. A cette période primordiale, que l'au-
teur suppose avoir duré seize siècles, la surface du globe
terrestre était parfaitement unie, sans montagnes, sans
mers, sans anfractuosités. Mais la chaleur du soleil dessé-
chant peu à peu cette croûte limoneuse, ne la fit d'abord
que fendiller ; bientôt ces fendilles s'élargirent, les cre-
vasses se multiplièrent et pénétrèrent jusqu'à l'orbe du
liquide plus pesant. En un instant la terre s'écroula,
tomba par morceaux dans l'abîme d'eau qui était au-
dessous, et voilà comment se fit le déluge universel. Ces
THÉORIES GÉOLOGIQUES, 361
masses de terre, tombant dans l'abîme, formèrent les
inégalités de toutes espèces, les îles, les continents qu'on
observe à la surface actuelle du globe.
Cette théorie, qui n'est qu'un roman, fut réfutée par
un ami de Newton, par Keill, dans un opuscule intitulé :
Examination of the theory of Eartfi (Lond., 1734, 2* édit.).
Théorie de Whiston.
William Whiston, (né en 1667, à Norton, mort en
1752, à Londres), théologien dissident et professeur de
mathématiques à l'université de Cambridge, où il avait,
en 1703, succédé à Newton, est l'auteur d'une théorie
plus sérieuse que celle de Burnet. D'après la théorie de
Whiston, exposée dans un livre intitulé : A new theory
of Earth from Us origine to the consummation of ail things
(Lond., 1698, in-8°), la création dont parle Moïse n'est
pas celle de l'univers, qui comprend d'innombrables mon-
des semblables au nôtre; le récit de la Genèse ne s'ap-
plique qu'à la nouvelle forme que la terre a prise lors-
que la main du Créateur l'a tirée du nombre des comètes
pour en faire une planète. Car, dans le système du savant
anglais, l'origine de notre terre, le chaos primitif, fut
l'atmosphère d'une comète ; le mouvement révolutif de la
terre autour du soleil, indéterminé d'abord comme celui
de presque toutes les comètes , n'est devenu annuel
qu'avec la nouvelle forme planétaire ; avant le déluge, l'or-
bite terrestre était un cercle parfait; l'année solaire et
l'année lunaire étaient de même durée, contenant chacune
360 jours; le déluge a commencé le dix-huitième jour de
novembre de l'année 2365 de la période Julienne (2349 ans
avant l'ère chrétienne), au moment où une comète a passé
tout près du globe terrestre.
L'auteur parle aussi de la chaleur centrale qui, de l'in-
c62 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.
térieur du globe, devait irradier constamment vers la cir-
conférence". Il attribue au déluge universel tous les chan-
gements arrivés à la surface et à l'intérieur du globe.
Traitant enfin de l'état futur de la terre, il dit qu'elle pé-
rira par le feu, que sa destruction sera précédée de ton-
nerres et de météores effroyables, que le soleil et la lune
auront l'aspect hideux, que les cieux paraîtront s'écrouler ;
mais qu'après que le feu aura dévoré tout ce que la terre
contient d'impur, après qu'elle sera vitrifiée et devenue
transparente comme le cristal, les saints et les bienheu-
reux viendront en prendre possession pour l'habiter jus-
qu'au temps du jugement dernier.
Critiquant cette théorie, après l'avoir analysée, Buffon
reproche surtout à Whiston d'avoir étrangement mêlé la
science divine avec les sciences humaines, en prenant les
passages de l'Écriture pour des faits de physique et pour
des résultats d'observations astronomiques.
Théorie de Woodward.
Dans son Essay toioard the naiural Historij of the Earlh,
Woodward est parti d'un fait d'observation exact pour
arriver à des conclusions fausses. Ainsi, il dit avoir re-
connu par ses yeux que toutes les matières qui composent
la terre en Angleterre, depuis sa surface jusqu'aux en-
droits les plus profonds où il est descendu, sont disposées
par couches ; qu'un grand nombre de 'ces couches renfer-
ment des coquilles et d'autres productions marines;
qu'elles sont horizontales et posées les unes au-dessus des
autres comme le seraient des matières transportées par les
eaux et déposées en forme de sédiments. Il s'est ensuite
assuré par ses correspondants et par ses amis que « dans
tous les autres pays, la terre est composée de même, et
qu'on y trouve des coquilles non-seulement dans les plai-
THÉORIES GÉOLOGIQUES. 363
nés, mais encore sur les plus hautes montagnes, dans les
carrières les plus profondes, etc. » Il conclut de là qu'à
l'épocfue du déluge la terre a été totalement dissoute ;
que cette dissolution s'est faite par les eaux du grand
abîme qui, répandues à la surface terrestre, ont délayé et
réduit en pâte les pierres, les rochers, les minéraux, etc.;
enfin que les dépôts statifiés se sont précipités en même
temps suivant leur pesanteur spécifique. Woodward ad-
mettait dans l'intérieur du globe un foyer de chaleur,
qui doit, dit-il, avoir pour effet de faire sortir du vaste
abîme une certaine quantité d'eau; après avoir produit les
sources et les fontaines, cette eau s'évapore dans l'atmo-
sphère pour retomber en pluie, d'où il résulte que le ré-
servoir intérieur ne s'épuise jamais.
Théorie de Sténon.
Homme de génie, anatomiste habile, premier médecin
de Ferdinand II, grand-duc de Florence, Sténon (né en
1631, à Copenhague, mort en 1687 à Schwerin) a écrit,
dans un opuscule intitulé : De solido inlra solidum natu-
rallter contento (Florence, 1669, 76 pages in-4°), quelques
vues qui sont du plus haut intérêt pour l'histoire de la
géologie. Ses raisonnements ont la rigueur de déductions
géométriques. Ainsi, il commence par établir en axiomes
1° que lorsqu'un corps solide tst de toute part enveloppé
par un autre corps solide, celui qui a donné à l'autre son
empreinte s'est développé le premier; 2° que dans le cas
où un corps solide est de tous points semblable à un
autre corps solide, non-seulement par son aspect exté-
rieur et sa configuration, mais encore par sa composition
intime, le lieu ouïe mode de leur production doivent être
les mêmes. De là il induit que l'existence de fossiles est
antérieure à celle des roches où ils sont enfermés ; que les
364 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.
terrains stratifiés, étant complètement analogues aux dé-
pôts laissés par les eaux troubles, doivent avoir la même
origine; enfin que les corps extraits de la terre et qui
présentent exactement la même structure de plantes ou
d'animaux, ont été produits de la même manière, dans
les mêmes conditions et dans les mêmes lieux.
Sténon est ainsi parvenu à distinguer le premier les
terrains en primitifs^ caractérisés par l'absence de tout
fossile, et en terrains secondaires ou de formation plus ré-
cente, caractérisés par la présence de fossiles. Il a signalé
en même temps la différence des végétaux et des coquilles
comme un moyen de distinguer les couches sédimenteu-
ses, dues aux eaux de la mer, de celles dont il faut rappor-
ter l'origine aux eaux fluviales. Du fait de l'horizontalité,
inséparablement lié à celui d'un dépôt sédimentaire, et
de ce que des couclies de cette nature tapissent le flanc
des montagnes, il conclut que ces couches ont dû être
soulevées et redressées par l'effort des vapeurs souterrai-
nes et que celles-ci, s'étant embrasées et cherchant à se
dégager, ont produit, dans certaines directions, des sou-
lèvements de l'écorce terrestre, et dans d'autres, des affais-
sements avec effractions. Ces vues ont servi de base à la
géologie moderne.
Théorie de LieibnisE.
D'après les théories que nous venons de passer en re-
vue, la terre doit finir par le feu. Suivant Leibniz, elle a
dû, au contraire, commencer par là. Descartes avait déjà
dit que la terre était un soleil encroûté, c'est-à-dire éteint,
qu'elle cachait, dans son intérieur un foyer ardent, et que
la réaction de ce foyer contre la surface avait produit les
inégalités qu'on y remarque. C'était à la fois affirmer l'ori-
gine ignée du globe, l'existence du feu central et le mode
THÉORIES GÉOLOGIQUES. 365
de formation desprincipales chaînes de montagnes. Leib-
niz, qui s'était initié en France aux doctrines de Descar-
tes, qui avait eu, en Italie, des conférences avec Sténon,
et qui savait penser par lui-même , fit sur la physique du
globe un système qui, tout en conservant son originalité,
tient tout à la fois des idées de Descartes et de celles
de Sténon.
Voici, en résumé, la théorie de Leibniz. La terre et
toutes les autres planètes étaient autrefois des étoiles lu-
mineuses par elles-mêmes. Primitivement liquéfiées par le
feu, elles se sont éteintes, faute de matière combustible,
et sont devenues opaques ^ Par la condensation de la ma-
tière à la surface, la chaleur a été concentrée, et la croûte
refroidie s'est affermie. De la sorte est né l'astre opaque,
destiné à réfléchir des rayons étrangers. « Si les grands
ossements de la terre, ces roches nues (nous citons l'au-
teur textuellement), ces impérissables silex, sont presque
entièrement vitrifiés, cela ne prouve-t-il pas qu'ils provien-
nent de la fusion des corps, opérée par la puissante
action du feu de la nature sur la matière encore tendre?
Et l'action de ce feu surpassant infiniment en intensité
et en durée celle de nos fourneaux, faut-il s'étonner si
elle a amené un résultat que les hommes maintenant ne
peuvent atteindre, bien que l'art fasse de continuels pro-
grès, qu'il enfante chaque jour des nouveautés extraordi-
naires, et qu'il porte même quelquefois à un degré de
dureté très-prononcé les corps qu'il est parvenu à fondre? »
L'aspect vitreux des grès, des sables, des pierres sili-
ceuses, des cailloux, si abondamment répandus, des
quartz, disséminés dans tous les granités et gneiss, a fait
dire à Leibniz que « le verre est en quelque sorte la base
de la terre, et qu'il est caché sous le masque de la plu-
part des autres substances. »
1. D'après les théories les plus récentes, c'est là, chose curieuse, le
même sort qui serait réservé au soleil, centre de notre monde.
366 xIISTOIRE DE .LA GÉOLOGIE.
Ce qu'il dit ensuite de l'origine de la salure de la mer
réunit toutes les chances de probabilité. Il cherche, en
effet, très-bien à établir que, pendant la période de l'incan-
descence du globe^ toutes les eaux ont dû être projetées au
loin dans l'espace sous forme de vapeurs; que, par suite de
l'abaissement de la température, ces vapeurs, se trouvant
en contact avec la surface refroidie de la terre , se con-
densaient en eau, et que celle-ci, délayant les scories, a
retenu en elle les sels solubles, d'où une sorte de lessive
ou de saumure, qui est l'origine de la salure de la mer.
A l'appui de cette hypothèse, nous ajouterons que,
d'après les analyses les plus récentes, les sels que la mer
tient en dissolution et qui lui communiquent ses propriétés
caractéristiques, se retrouvent dans la composition des
roches d'origine ignée.
Les saillies et les anfractuosités de la surface terrestre
proviennent, suivant Leibniz, des inégalités dans le mou-
vement de retrait pendant le refroidissement des masses
formées par le feu. « Ces masses se sont, dit-il, inégale-
ment raffermies, et ont éclaté çà et là, de sorte que cer-
taines portions, en s'affaissant, ont formé le creux des
vallons, tandis que d'autres, plus compactes, sont restées
debout comme des colonnes et ont ainsi constitué les
montagnes, »
Leibniz était loin de croire que toutes les pierres ou
roches proviennent d'une fusion primordiale ; il n'admet-
tait l'origine ignée que pour les roches les plus anciennes,
formant en quelque sorte la base de la terre. « Al'action du
feu, il faut, dit-il, joindre celle des eaux, qui, par leur
poids, tendaient à se creuser un lit dans un soi encore
mou; et puis, soit par le poids de la matière, soit par
l'explosion des gaz, la croûte terrestre venant à se briser,
l'eau a été chassée (par le feu) des profondeurs de l'abîme
à travers les décombres, et, se joignant à celle qui s'écou-
lait naturellement des lieux élevés , a donné lieu à de
vasles inondations qui ont laissé, sur différents points,
THÉORIES GÉOLOGIQUES. 367
d'abondants sédiments. Ces sédiments se sont durcis; et,
par le retour de la même cause, les couches sédimen-
teuses se sont superposées, et la face de la terre, peu
consistante encore, a été ainsi souvent renouvelée, jus-
qu'à ce que, les causes perturbatrices ayant été épuisées
et équilibrées, un état plus stable s'est enfin produit.
Gela doit nous faire comprendre dès à présent la double
origine des substances solides, d'abord par leur refroidis-
sement après la fusion ignée, et puis, par de nouvelles
agrégations après leur dissolution dans l'eau, »
Il était impossible d'établir plus nettement la distinction,
aujourd'hui universellement adoptée , des roches érup-
tives ou ignées et des roches sédimenteuses.
La condmsation des vapeurs à la surface refroidie du
globe et le déplacement des eaux par suite des mcdifîca-
tions violentes qu'a subies cette même surface, expliquent
à Leibniz la présence des fossiles de tout genre que l'on
trouve répandus dans les terrains sédimenteux des conti-
nents. A cette occasion il s'élève avec force contre les pré-
tendus observateurs qui regardent les fossiles comme des
jeux de la nature. « Ils se servent, dit-il, d'un mot vide
de sens, ceux qui nous présentent ces pierres ichthyomor-
phcs comme un exemple indubitable des caprices du gé-
nie des choses^ espérant par là trancher toutes les difficul-
tés, et nous prouver que la nature, cette grande fabrica-
trice, imite, comme en se jouant, des dents et des osse-
ments d'animaux, des coquilles et des serpents. Et toute.?
les fois qu'on leur objecte qu'en dehors du règne animal
il ne se produit que des semblants informes d'organisation,
ils invoquent nos pierres (fossiles) , dans lesquelles, il
faut l'avouer, la perfection du dessin ne laisse rien à dé-
sirer; car on y reconnaît, au premier coup d'oeil, l'espèce
à laquelle appartient le poisson, et il n'y a rien de changé,
ni dans la symétrie des parties, ni dans leurs proportions.
Mais il est à craindre qu'un argument tiré d'une si par-
faite ressemblance, ne prouve le contraire de ce qu'on vou-
368 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.
[Irait étahlir. Il y a un tel rapport entre ces prétendus
simulacres de poissons et la réalité, leurs nageoires et
[eurs écailles sont reproduites avec tant de précision, et
la multiplicité de ces images en un même lieu est si
grande, que nous supposons plus volontiers une cause
manifeste et constante qu'un jeu du hasard, ou je ne sais
quelles idées génératrices , vaines démonstrations sous
lesquelles s'abrite l'orgueilleuse ignorance des philo-
sophes. »
Les arguments, que Leibniz fait valoir en faveur de sa
thèse, lui paraissaient avec raison, sans réplique. « Que
peut-on, demande-t-il, nous opposer, si nous disons qu'un
grand lac avec ses poissons, par suite d'un tremblement de
terre ou d'une inondation, ou de toute autre cause majeure,
a été enseveli dans du limon, qui, en se durcissant, a con-
servé les vestiges et comme la reproduction en relief des
poissons, dont le corps, d'abord empreint sur la masse
encore molle, a été ensuite pénétré et remplacé par une
matière plus dure? » Comparant le procédé employé ici
par la nature avec l'art des orfèvres, il ajoute : « Aj)rès
avoir enveloppé une araignée ou quelque autre insecte
d'une matière appropriée à ce but, en y laissant toutefois
une étroite issue, les orfèvres font durcir cette matière au
feu, puis, à l'aide du mercure qu'ils y introduisent, ils
chassent par la petite ouverture les cendres de l'animal,
et à leur place ils font couler par la même voie de l'ar-
gent fondu, enfin, brisant l'écale, ils trouvent un animal
d'argent avec son appareil de pattes, d'antennes et de fi-
brilles d'une similitude étonnante. »
Leibniz persistait à croire que ces empreintes d'animaux
fossiles proviennent de véritables animaux. A cet égard,
son opinion était nettement arrêtée. Aux objections des
savants qui avaient peine à se persuader que la mer eût
occupé le sommet des hautes montagnes ou qu'il y eût
eu là des productions marines, il répond que cela vient
de ce qu'ils jugent trop de l'état primitif du gloire ijar
THÉORIES GÉOLOGIQUES. 369
son état actuel, qu'ils ne cherchent que dans les pluies la
cause du déluge, et qu'ils ne prennent point garde que
« les eaux du vaste abîme ont dû rompre leurs digues ei
déborder. » — A ceux qui s'étonnent de ne retrouver dans
aucune mer les analogues de certains fossiles, tels que les
cornes d'Ammon, Leibniz demande si l'on est sûr d'avoir
exploré tous les abîmes souterrains et les dernières profon-
deurs de l'Océan. Il rappelle en même temps que le Nou-
veau-Monde nous offre une foule d'espèces animales au-
paravant inconnues. Enfin il ne saurait se défendre de l'idée
que « dans les grands changements que le globe a subis,
beaucoup d'espèces animales ont été transformées. »
Voilà comment Leibniz s'est élevé, par la seule péné-
tration de son génie, à l'idée d'espèces perdues ou trans-
formées. Entrant ensuite dans l'examen des détails, il
cite les ossements de certaines cavernes, les défenses
d'éléphants fossiles, que les Russes désignent sous le nom
de mammouths; il parle des bélemnites ou dactyles, qu'il
soupçonne avec raison appartenir à quelque animal
marin ; il décrit les langues de pierre, les glossopètres,
qu'il déclare n'être que des dents de requin, les pierres
judaïques, signalées par des voyageurs à Bethléem et qui
sont des pointes d'oursins fossiles. Il dit avoir rencon-
tré, dans quelques mines du Harz, des dents et des por-
tions de mâchoires, d'une dimension telle, qu'on ne saurait
les rapporter à aucun animal actuellement connu. C'était
probablement le mégathérium, gigantesque pachyderme an-
tédiluvien. — Leibniz finit l'exposé de sa théorie par l'ori-
gine de la tourbe, «qui n'estpoint, dit-il, de la terre, mais
bien un amas de matières végétales, accidentellement formé
de bruyères, de mousse, de gazon, de racines et de ro-
seaux de marais, desséchés et condensés à la longue. »
En terminant cette analyse, n'oublions pas de rappeler
que Leibniz a le premier proclamé l'emploi du micro-
scope pour l'avancement de ces recherches, et il s'indigne
« de la paresse des hommes qui ne daignent pas ouvrir les
370 HISTOIRE DE LA GEOLOGIE.
yeux et entrer en possession de la science qu'on leur a
préparée. »
Telles sont les éléments d'une science nouvelle que
Leibniz voulait qu'on appelât Géographie naturelle (les
noms de Géologie et àe Paléontologie sont de création plus
récente) . Consignés pour la première fois dans le Journal
des Savants de Leipzig [Acta Eruditorum Lips.^ cahier du
mois de janvier 1693)*, ces éléments reparurent, sous le
litre de Protogœa, en 1749 (édit. L. Scheidt, Gœtting.)^,
trente-trois ans après la mort de Leibniz, l'année même où
Buffon fit paraître les trois premiers volumes de son His-
toire naturelle.
Les idées mises en avant par les Acta Eruditorum de
Leipzig n'eurent, malgré leur hardiesse et leur nouveauté,
aucun retentissement. Le nom même de leur auteur,
rival de Newton, n'éveilla pas l'attention du public.
Scheuchzer, l'auteur de la Physica sacra, continua dans
un mémoire, adressé en 1708 à l'Académie des sciences,
d'en appeler à la théologie plutôt qu'à l'observation ; ( t
la masse des penseurs, sans en excepter Voltaire -, conti-
nuait à ne voir dans les fossiles que des jeux de la na-
ture.
Cependant quelques vues originales ne tardèrent pas à
se faire jour. Telles étaient, entrre autres, les idées de
Bourguet. Dans ses Lettres philosophiques sur la formation
des sols et des cristaux, suivies d'un Mémoire sur la théorie
de la terre (Amsterdam, 1729, in-12), ce naturaliste (né à
Nîmes, en 1678, mort à Neufchâtel, en 1742), présenta
des considérations fort remarquables sur la manière dont
les montagnes sont groupées, sur la correspondance
de leurs angles, et sur l'orientation uniforme de chaque
1. Et non en 1683, comme l'ont écrit Buffjn et Cuvier.
2. Cet intéressant opuscule a été traduit en français par le Dr Ber-
trand de Saint-Germain, sous le litre de Protogée ou de la format ion
des révolutions du glohe, par Leibniz (Paris, 1859, in-8i.
3. Voy. plus haut, p. 325.
THÉORIES GÉOLOGIQUES. 371
groupe de montagnes. Il s'attachait ainsi à montrer que
ces masses en relief doivent leur origine à une même
cause, agissant simultanément sur de vastes étendues. Les
idées de Bourguet ont été reprises de nos jours, ainsi
que ses conjectures svir le mode de formation des roches
anciennes et des fossiles, conjectures fondées sur la manière
dont se forment sous nos yeux certaines espèces de roches-
Théorie de Bnffon.
Son premier essai de cosmogonie, la Théorie de la terre,
que Buffon avait publiée en 1749, était une tentative in-
complète. Perdant de vue l'origine ignée de la terre, il
n'y envisageait que l'action des eaux à la surface du
globe; il attribuait à leur mouvement de fluctuation et
au limon qu'elles déposent la formation des montagnes
en général, ce qvxi était inadmissible. Mais, dans les Epo-
ques de la nature^ publiées trente ans plus tard, il se rat-
tacha aux idées de Leibniz. La forme de la terre, sphéroïde
renflé à l'équateur et aplati à ses pôles, lui révèle l'état
de fluidité primitif de notre planète. « Le globe terres-
tre, dit-il, a précisément la figure que prendrait un globe
fluide qui tournerait sur lui-même avec la vitesse que
nous connaissons au globe de la terre. » De ce que cet
état de fluidité de la masse terrestre n'a pu s'opérer ni
par la dissolution, ni par le délayement dans l'eau (à
cause de l'insolubilité de la plupart des substances terres-
tres, et de la quantité d'eau relativement trop petite),
l'auteur conclut que « cette fluidité a été une liquéfaction
causée par le feu. 53 Le fait de cette liquéfaction primor-
diale est encore confirmé par la chaleur intérieure propre
du globe, que Bufi'on admet pleinement. « Cette chaleur
nous est, dit-il, démontrée par la comparaison de nos
hivers et de nos étés ; et on la reconnaît d'une manière
372 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.
encore plus palpable dès qu'on pénètre au dedans de la
terre; elle est constante en tous lieux pour chaque pro-
fondeur, et elle paraît augmenter à mesure que l'on des-
cende» La température des eaux thermales et les phéno-
mènes volcaniques en sont également des témoignages
irrécusables.
D'accord avec Palissy, Sténon, Leibniz, etc., Buffor
reconnaît la nature sédimentaire des couches superficielles
du globe, et que ces couches sont semées de productions
marines, dont la présence, loin des rivages et jusqu'au
sommet des montagnes, atteste le séjour prolongé des
mers sur toute la surface terrestre. Il comprit que des
espèces entières avaient dû disparaître dans les révolu-
tions du globe. Il revient souvent sur un fait important
que Leibniz avait entrevu, à savoir les espèces 'perdues
qu'il signale aux recherches des naturalistes futurs.
Les ossements d'éléphants et de rhinocéros , qu'on
avait découverts du temps de Buffon, en Sibérie, au Ca-
nada, en Angleterre, en Allemagne, firent naître chez
l'éminent naturaliste le raisonnement que voici. Ces
grands animaux, de même que les palmiers dont on a
trouvé des empreintes dans les houillères du Nord, exi-
gent, pour leur constitution et leur développement, une
température beaucoup plus élevée que celle qui règne
actuellement dans ces contrées. Les régions septentrio-
nales de l'Océan et des nouveaux continents jouissaient
donc primitivement d'une température à peu près égale à
celle des tropiques. Quelle était la cause de cet étrange
phénomène? Ce ne pouvait être l'action du soleil, à moins
de supposer que, par suite d'une révolution radicale de
notre système planétaire, nos rapports avec l'astre radieux
ont complètement changé. C'est ainsi que Buftbn fut
conduit à admettre que cette température primitive des
1. Cette augmentation est, en moyenne , d'un degré du thermomètre
centigrade, par environ 33 mètres de profondeur.
THEORIES GÉOLOGIQUES. 373
régions septentrionales tenait à la chaleur propre du
globe, et qu'elle s'était longtemps maintenue après la
condensation des vapeurs à la surface de la terre refroidie.
Quant aux fossiles communs aux deux continents, Buf-
fon y voyait la preuve manifeste que l'Ancien et le Nou-
veau-Monde étaient primitivement unis, et que leur dis-
jonction fut l'effet d'une de ces phases par lesquelles la
nature en travail préparait l'apparition de l'homme, dont
les débris des premiers âges n'offrent point de traces.
Ces diverses phases de la création étaient pour Buffon
autant d'époques^ qui devaient à peu près correspondre
aux jours de la G-enèse.
Leibniz et Buffon avaient laissé trop de lacunes dans
les détails, trop d'observations incomplètes ou inexactes
dans leurs généralités, pour ne pas faire naître de pro-
fonds dissentiments parmi leurs successeurs. La question
de savoir quelle prépondérance il faut accorder au feu ou
à l'eau dans la constitution du globe fit naître de vives
polémiques. De là deux écoles opposées qui se disputèrent,
pendant quelque temps, le domaine de la science, celle
des Yulcaniens et celle des Nepluniens.
liC Yulcauisme.
L'école des Vulcaniens eut pour représentants, en An-
gleterre, Hutton et Playfair, en France Desmarest et Do-
lomieu.
^wWon^part de ce principe, que les causes qui modifient
1. James Hutton (né en 1726 à Edimbourg, mort en 1797 dans la
même ville) se livra particulièrement à l'étude de la géoIo:^ie, de la
météorologie et de l'économie rurale. lia publié sur ces sciences des
ouvrages estimés; mais ce qui le fit surtout apprécier du monde sa-
vant, c'est sa théorie de la Terre, Theory of Earth; Édimbouig 17%
2 vol. " '
374 HISTOIRE DE LA GEOLOGIE.
encore aujourd'hui partiellement l'écorce terrestre, suf-
fisent pour expliquer les révolutions du globe aux épo-
ques les plus reculées. Ainsi les tremblements de terre
nous font comprendre comment les couches épaisses
déposées par les eaux de la mer peuvent avoir été l)risées
et bouleversées en divers sens. A cette cause modifica-
trice, présentée par les tremblements de terre, sont liées
les éruptions volcaniques. Et comme ces éruptions sup-
posent à l'intérieur du globe un loyer ardent, le savant
écossais présente ce foyer comme la source des boule-
versements dont nous voyons partout des preuves, et,
par le ralentissement de l'activité de ce foyer, il cherche
à expliquer l'état de stabilité relatif dont nous jouissons.
Cette théorie fut reprise et développée par Playfair'.
Dans ses Illustrations of îhe Hutlonian theoryoftheEahrt
(Edimb., 1802, in-8»), P/ay/"c«>, revenant sur l'action de la
chaleur interne, essaya de montrer qu'elle n'avait pu que
ramollir les couches supérieures ou les terrains strati-
fiés, tandis qu'elle avait entièrement fondu les couches
inférieures, en leur donnant l'aspect de substances cristal-
lisées au milieu des eaux. Cette même chaleur a dû,
selon lui, injecter par sa force expansive la matière
fluide de l'intérieur à travers les couches superjacentes,
et produire ainsi les veines et les filons qu'on y remar-
que. Elle a dû même soulever ces masses au-dessus du
niveau des eaux et donner naissance à des îles et à des
continents. Ces îles et ces continents se dégradent peu à
peu par l'action de l'air et des eaux courantes; leurs débris
s'accumulent au fond de l'Océan, y forment de nouvelles
couches, qui un jour seront à leur tour soulevées pour
former des îles et des continents. Cette alternative de
1. John Playfair (né en n48, mort à Edimbourg en 1819) em-
brassa d'abord l'état ecclésiastique, et l'abandonna ensuite pour se li-
vrer à son goût pour les mathématiques et les sciences naturelles. Vers
la fin de sa vie il entreprit un voyage en Italie pour y étudier le système
géologique des Alpes»
THÉORIES GÉOLOGIQUES. 375
destruction et de formation a eu lieu plusieurs fois, et
pourra se reproduire indéfiniment.
Desmarest avait fait des productions volcaniques l'ob-
jet spécial de ses recherches. Il inclinait donc naturelle-
ment du côté des vulcaniens. En étudiant les volcans
éteints de l'Auvergne, il reconnut que les basaltes, ré-
pandus à profusion dans cette contrée , se rattachaient
à des bouches ignivomes, et que la disposition de ces ro-
ches en nappes, en colonnes prismatiques, révélait l'action
du feu. Il les regardait comme des produits de décom-
position du granité*. B. de Saussure essaya de réfuter
cette opinion^.
Gratet de Dolomieu était devenu, comme Desmarest,
partisan du vulcanisme par la direction de ses études.
Né en 1750, à Dolomieu, en Dauphiné, Gratet entra très-
jeune dans l'ordre de Malte, et il le quitta bientôt à la suite
d'un duel où il avait tué son adversaire , chevalier comme
lui. Il se livra dès lors à des voyages scientifiques. En
1777, on le voit parcourir le Portugal; l'année sui-
vante, l'Espagne; en 1780 et 1781, la Sicile et les îles
Eoliennes; en 1782, la chaîne des Pyrénées, et en 1783,
le midi de l'Italie, où l'avait attiré le mémorable tremble-
ment de terre de la Galabre'.
1. Mém. de l'Académie des sciences, année lîîl, p. 273.
2. B. de Saussure, Voyages dans les Alpes, t. I, § 172 et suiv.
'S. En 1789 et 1790, Dolomieu visita le Mont-Blanc et le Mont-Rose,
il examina les roches qui forment la vallée du Rhône, il franchit le
Saint-Gothard et suivit la chaîne des Apennins, depuis le lac Majeur
jusqu'aux rives du Garigliano ; il foula les cratères éteints de la plaine
latine, retrouva aux champs Phlégréens le pays des Lestrygons, et re-
vint en France en 1791, apportant de riches collections minéralogi
ques. Dans les années suivantes, il explora l'Auvergne et les Vosges.
La part qu'il prit à l'expédition d'Egypte lui permit de visiter le
Delta, la vallée du INil et les sables mouvants de la Libye. Le 7 mars
1799, il se rembarqua à Alexandrie; rejeté par une tempête dans le
golfe de Tarente, il fut fait prisonnier, endura pendant vingt-un
mois, dans les cachots de l'Ordre de Malte, à Messine, les plus horri-
376 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.
Dolomieu faisait ses courses géologiques à pied, le sac
sur le dos, le marteau à la main ; elles développèrent en
lui de grandes pensées sur les révolutions du globe, sur le
soulèvement des montagnes, sur le siège des conflagrations
des volcans, sur le trapp \ sur l'origine du basalte, sur la
nature d'un calcaire particulier qui a reçu le nom de dolomie.
L'origine du basalte, de cette roche d'un brun tirant
sur le noir, sur le vert et le rouge foncés, et qui a pour
principaux éléments la silice , l'alumine , la chaux et
l'oxyde de fer, était alors, parmi les géologues, l'objet
d'une vive controverse, sur laquelle il convient de nous
arrêter un instant.
Tous les géologues qui avaient visité l'Etna, le Vésuve,
l'Auvergne, l'île de Ténériffe, l'île de Bourbon , etc.,
et qui y avaient observé des prismes massifs de basalte,
caractéristiques des pays volcaniques, en étaient revenus
avec la conviction que le basalte est d'origine plutonique
ou ignée. Cette conviction s'était encore corroborée par la
ressemblance des basaltes avec des laves compactes d'une
origine volcanique évidente, ressemblance d'autant plus
grande que plusieurs laves prennent un retrait prismatique
rappelant la forme du basalte. Il y eut donc unanimité sur
l'origine ignée du basalte. Bergmann, ayant analysé un ba-
salte de l'île de Stafi"a, souleva le premier quelques doutes
blés privations et souffrances. Il eut encore la force d'y rédiger son
Traité de philosophie minéralogique et son Mémoire sur l'espèce mi-
nérale, et de les écrire avec un morceau de bois noirci à la fumée de
sa lampe, sur les pages d'une Bible, le seul livre qu'on lui eût laissé.
Il mourut (le 15 mars 1801) peu de temps après sa mise en liberté. Ses
principaux travaux ont été consignés dans son Voyage aux îles de Li-
pan (Paris, 1783, in-8°) ; dans sa Description de l'éruption de l'Etna
(Paris, 1788, in-8''); dans le Journal de Physique, le Journal des Mines
et dans les Mémoires de l'Académie.
1. Le mot trapp ou treppe signifie escalier dans les langues germa-
niques. Il a été donné à une roche noire comme le basalte, et qui se
brise en morceaux parallélipipédiques, ce qui fait que les montagues
qui en sont composées (comme en Suède), offrent, dans leurs pentes
escarpées, des espèces de gradins.
THÉORIES GÉOLOGIQUES. 377
à cet égard. Ces doutes se propagèrent depuis que
Dolomieu avait dit que « les basaltes des contrées de
l'Ethiopie, employés par les Égyptiens pour leurs statues
et leurs ornements, n'étaient point volcaniques ; que les
naturalistes et les sculpteurs italiens, accoutumés à regar-
der toutes les pierres noires comme volcaniques, leur
avaient attribué cette origine, d'autant plus facilement
qu'ils se servaient pour restaurer les statues de laves très-
compactes. 3> Desmarest avait décrit les basaltes d'Au-
vergne sous le nom de gabbro^ que les Italiens appli-
quent à une pierre d'origine aqueuse. Enfin, Werner
affirmait avoir vu dans les montagnes de Scheiben-
berg, en Saxe, que la luacke^, alors généralement regar-
dée comme de formation aqueuse, passait à l'état de
basalte par des nuances insensibles, et il en concluait que
cette roche s'était formée dans l'eau.
De cette discordance naquirent des discussions violentes.
Les vulcauiens citaient, à l'appui de leur thèse, les expé-
riences de Hall sur la fusion comparée du basalte et du
diorite^. Hall avait montré que le basalte et le g/ûnstein
(diorite), dont l'origine ignée était incontestée, donnaient
par la fusion un verre homogène semblable; que ce verre,
fondu de nouveau et refroidi lentement, donnait une pierre
à cassure terreuse , absolument identique. Les neptu-
niens opposaient à leurs antagonistes la forme prismatique,
comme caractérisant la cristallisation aqueuse. Hs ci-
taient à leur appui la montagne basaltique de Stolpen,
1. Le nom de wacke ou de grauwacke s'applique à une roche d'un
gris ou noir verdàtre, assez mal déterminée, et qui semble faire le
passage des pierres argileuses aux basaltes.
2. Le nom de diorite a été donné par Haily à une roche qu'Alex.
Brongniartappelait diabase. Composé de feldspath albite et d'amphibole
hornblende, le divrite a reçu les noms de grùnstein, trapp, cornéenne,
ophite, aphanite, suivant qu'elle est verte ou noire, plus ou moins
variée de taches comme la serpentine, dans laquelle elle peut se trans-
former. La protogine, roche talqueuse, granitoïde, l'accompagne.
378 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.
à six lieues de Dresde, et les basaltes qui couronnent, eu
forme de dômes et de chapiteaux, les sommets de la chaîne
qui sépare la Saxe royale de la Bohême. Ils insistaient
particulièrement sur ce que ces dômes ou cônes de ba-
salte avaient pour assises des colonnes multipliées géné-
ralement très-minces, interposées entre des couches d'au-
tres substances d'une origine certainement aqueuse,
telles que des grès, des pierres calcaires, etc.; ces sub-
stances sont quelquefois comme entrelacées avec ces
couches et en suivent toutes les sinuosités, comme Fortis
l'a observé en passant de Valdagno à Schio dans le
Yicentiu.
Mais comment expliquer la présence, à peu près
constante , des basaltes dans des pays évidemment
volcaniques? Les neptuniens ne firent qu'accroître les
difficultés en disant que « le terrain basaltique est le seul
propre à la formation des volcans, que ce terrain leur a
donné naissance plutôt qu'il ne l'a reçue d'eux, que les
laves basaltiques sont le produit de l'altération des basal-
tes, et que ces laves sont, avec les basaltes, les seules
roches connues qui contiennent une aussi grande quantité
de fer. »
Ces discussions, où. l'on se payait, de part et d'autre,
plus souvent de mots et d'hypothèses que d'observations
exactes, aboutirent à une sorte d'opinion mixte. D'après
cette opinion, professée par Dolomieu, da Rio, Fortis,
Spalanzani, etc., les basaltes sont, les uns volcaniques,
les autres d'origine aqueuse; les basaltes de Saxe et
ceux d'Ethiopie, et probablement ceux d'Ecosse et d'Ir-
lande, appartiennent sûrement à cette seconde catégorie,
tandis que les basaltes d'Italie et ceux d'Auvergne doivent
être rangés, en partie, sinon en totalité, dans la première
catégorie. D'après une dernière hypothèse , soutenue par
Patrin , les basaltes sont le produit d'une éruption
boueuse de volcans sous-marins, et c'est à la nature de
cette éruption qu'ils doivent leurs principaux caractères.
THÉORIES GÉOLOGIQUES. 379
Alex. Brongniart a présenté cette hypothèse comme la
plus vraisemblable ^
La question est aujourd'hui vidée. Sans s'être laissé
égarer par quelques cas isolés, d'une anomalie apparente,
où des veines de basalte ont pénétré, soit un lit de charbon
de terre sans lui avoir enlevé une partie notable de son
carbone, soit des couches de grès sans leur avoir donné un
aspect de fritte ou de scorie, soit des couches de craie, sans
que la craie ait été convertie en marbre granulaire, tous les
géologues reconnaissent maintenant que le basalte est un
produit de formation ignée, sorti du sein de la terre à
l'état fluide, par de longues fissures^ ou par des chemi-
nées étroites, plus ou moins cylindriques.
Théorie de Lnplace.
L'auteur de la Mécanique céleste a essayé de se rendre
compte de la formation de la terre, ainsi que de tou-
tes les planètes, par une hypothèse qui a réuni beau»
coup de partisans. D'après cette hypothèse, l'atmos-
phère du soleil s'est primitivement étendue au delà
des orbes de toutes les planètes, de manière à former
ce qu'on est convenu d'appeler une étoile nébuleuse , et
elle s'est resserrée successivement jusqu'à ses limites
actuelles. Les planètes ont été formées aux limites succes-
sives de cette atmosphère par la condensation graduelle
des zones de vapeurs qu'elle a abandonnées dans le plan de
l'équateur, en se refroidissant. Ces zones de vapeur ont pu
former, par leur refroidissement, des anneaux liquides ou
solides autour du noyau central, anneaux semblables à
1. Dictionnaire des sciences naturelles, article basalte [t. IV, p. 121 ;
Paris, 1816).
2. C. Prévbsf. rlans le Dictionnaire d'histoire universelle de Charles
d'Ûrliiguy, art. basalte [i. II, p. 483 ; Paris, 1842).
380 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.
ceux de Saturne ; mais, en général, elles se sont réunies de
manière à produire plusieurs globes distincts, s'attirant les
uns les autres. La terre n'est donc que le résultat de la
condensation d'une masse originairement gazeuse, et la
lune a été formée par l'atmosphère de la terre , comme les
planètes par celle du soleil. La théorie de Laplace a l'a-
vantage de faire très-bien comprendre la période primitive
de notre planète.
Le IVeptunisme.
Le chef de l'école des neptuniens, Werner^ profes-
seur à l'école des mines de Freyberg (Saxe), réunis-
sait pendant plus de quarante ans (de 1775 à 1817)
autour de sa chaire une jeunesse nombreuse, avide de
s'instruire ^ Le premier il fit de l'étude des mine-
rais et de l'art du mineur une science à part, et, en lui
donnant le nom d'oryctognosie, il la sépara de la minéra-
logie proprement dite ; de même qu'il sépara, sous le
nom de géognosie , la connaissance positive des masses
constitutives de l'écorce terrestre, de ce qu'on appelait la
géogénie, c'est-à-dire l'histoire ou la théorie delaformation
du globe. Suivant le système auquel Wernera attaché son
nom, l'eau est la source de toute formation. Recouvrant, à
l'origine, toute la surface du globe, y compris le sommet
des plus hautes montagnes, l'eau tenait en dissolution ou
en suspension les éléments de tous les terrains ; ceux qui
1. Abraham -Gottlob Werner (né à Wehrau en Silésie en 1750,
mort à Dresde en 1817) ne s'était, pendant son long enseignement,
ab-enté que deux fois de Freyberg : en 1802, où il reçut à Paris le
brevet d'associé étranger de l'Institut et celui de citoyen français; et
en 1817, étant allé à Dresde dans l'espoir de trouver quelque soulage-
ment à sa dernière maladie. Parmi ses principaux élèves, on remarque
Alex, de Humboldt, Léopold de Buch. Son Traité d'oryctognosie
(Freyberg, 1792 iu-8°) est le plus remarquable de ses ouvrages.
THÉORIES GÉOLOGIQUES. 381
se sont déposés les premiers, les plus anciens dépôts,
ont formé les principales assises ou les principales som-
mités. L'eau Laissant peu à peu de niveau, et son action
dissolvante venant à changer, de nouveaux dépôts ont
recouvert les premiers sous forme de couches d'une
grande étendue, mais en s'élevant à des hauteurs de
moins en moins considérables. Le niveau venant à baisser
encore, une agitation plus grande des eaux rendait la
cristallisation plus confuse, et bientôt n'apparurent que
des masses terreuses, desimpies sédiments ; les courants,
de plus en plus rapprochés du fond de l'immense réser-
voir, l'attaquèrent, en détachèrent des fragments, les
chassèrent et mêlèrent ainsi des dépôts purement méca-
niques aux précipités chimiques qui se formaient sans
cesse. A ces périodes d'agitation succédèrent des périodes
de tranquillité, et c'est alors que les êtres organisés firent
leur première apparition. Mais ces périodes de tranquillité
furent interrompues par de grandes révolutions: à deux
époques difterentes les eaux ont extraordinairement haussé
de niveau, et elles ont produit de nouveaux dépôts
cristallins qui ont recouvert tous les terrains formés pré-
cédemment. En somme, aux yeux du chef des neptuniens,
toutes les roches, même le basalte, étaient des précipités
chimiques d'une sorte de fluide chaotique, formant, à l'ori-
gine des choses, une mer universelle.
Adversaires de l'école wernerîenne.
Ce ne sont pas les vulcaniens proprement dits qui
portèrent au système de Werner les plus rudes coups;
ce sont les élèves mêmes du célèbre professeur de Frey-
berg qui le firent tomber. Élevé à l'école wernérienne,
où il eut pour condisciple Alex, de Humboldt, Léopold
382 HISTOIRE DE LA GEOLOGIE.
di Buch^, était encore partisan de la théorie neptunienne
lorsqu'il fit, en 1797, paraître sa Description géognosti-
qiie de la Silésie, où le basalte, le gneiss et le mi-
caschiste se trouvent classés parmi les formations
aqueuses.
Cependant, de Pargine en Italie, le disciple de Werner,
L. deBuch, écrivait déjà (vers 1798) à son ami Humboldt :
«Ici les diverses espèces de roches semblent avoir été bou-
leversées par le chaos. Je trouve les couches de porphyre
sur le calcaire secondaire, et les schistes micacés sur le
porphyre. Tout cela ne menace-t-il pas de renverser les
beaux systèmes par lesquels on prétend expliquer les épo-
ques des formations? » Bientôt ses doutes s'accrurent
avec l'étude des volcans. A la suite de son exploration
du Vésuve, il peignit avec une verve poétique les for-
midables efforts du déchaînement des forces souterraines.
Le voyage d'Italie lui fit comprendre que l'examen des
couches tranquillement déjiosées par les eaux n'était pas,
comme on le croyait à Freyberg, toute la géologie, que la
nature ne se révèle que dans ses crises et que là seule-
ment on pouvait espérer lui dérober ses secrets.
Le voyage d'Auvergne opéra un changement complet
dans les idées de L. de Buch. Guettard, l'un des maîtres
de Lavoisier, avait découvert, en 1751, les volcans éteints
1. Léopold de Buch (né en 1774 à Stolpe, mort en 1853 à Berlin)
parcourut dès 1798 rilalie et l'Auvergne à différentes reprises, pédes-
trement, le sac au dos et le marteau du géologue h la main; il visita
pendant deux ans (de juillet 1806 en octobre 1808) les îles Scandi-
naves, pénétrajusqu'au cap Nord, et établit un centre d'observations
dans l'île déserte de Mager-Oe. Il explora, en 1815, les_ Iles Cana-
ries, visita, à son retour, les côtes de l'Irlande et de l'Ecosse, et le
groupe basaltique des îles Hébrides. Huit mois avant sa mort (en l'été
de 1852), il avait encore visité l'Auvergne: ce fut sa dernière excur-
sion. Ses principaux travaux se trouvent consignés dans le recueil des
Mémoires de l'Académie de Berlin. Parmi ses autres publications, on
remarque surtout sa Description physique des iles Canaries (Ber-
lin, 1825, in-8°, avec atlas) et sa Carte géologique de l'Allemagne,
en 42 feuilles (Berlin, 1832, 2' édition).
THÉORIES GÉOLOGIQUES. 383
de l'Auvergne :les laves, les cendres, les scories, les mon-
tagnes avec leurs cônes cratériformes auraient dû depuis
longtemps démontrer aux habitants qu'ils foulaient un sol
autrefois embrasé. Cependant un étonnement général ac-
cueillit une découverte à peine soupçonnée. En 1763,
Desmarest, visitant le Puy-de-Dôme, signala les piliers
de pierre noire dont la figure et la position lui rappelaient
tout ce qu'il avait lu sur les basaltes. Ces colonnes , par
leur régularité, portaient l'empreinte d'un produit fondu
par le feu. Mais où cet agent modificateur réside-t-il?
Bien profondément au-dessous de l'écorce consolidée du
globe, avait osé dire Dolomieu.
Avant de se prononcer, Léopold de Buch voulut obser-
ver lui-même ces cratères éteints, ces basaltes fondus,
qui dérangeaient singulièrement le système de Werner.
Son exploration de l'Auvergne fut un acte d'indépendance.
Le moyen de rester fidèle à son maître quand il voyait,
contrairement à l'enseignement reçu, le granité, le gneiss,
le porphyre au-dessus du calcaire, le foyer des volcans au-
dessous des roches réputées les plus profondes, le basalte
lié à la lave, et partout des traces de soulèvement et de
redressement! Son exploration des îles Canaries et celle
de la presqu'île Scandinave achevèrent de le convaincre.
Son voyage au nord de l'Europe le mit sur la voie de la
solution d'un grand problème. Depuis plus d'un demi-siècle,
les habitants des côtes de la Norvège s'étaient aperçus d'un
abaissement graduel du niveau de la mer. Sur le conseil
du physicien Celsius, on avait gravé des marques sur les
rochers de Gralfe et de Calmar. Linné lui-même était venu
tracer un niveau sur un bloc dont il a fait la description.
Telle ville maritime étant devenue continentale, tel pe-
tit bras de mer se trouvant transformé en grande route, les
indigènes croyaient fermement que les eaux de la mer di-
minuaient. Ce phénomène étrange frappa beaucoup l'esprit
de L. de Buch, « Il est certain, se disait-il, que le niveau
de la mer ne peut s'abaisser ; l'équilibre des eaux s'y op-
384 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.
pofie. Cependant le mouvement de retrait est un fait in-
contestable. Pour sortir d'embarras, il ne restait d'autre
moyen que de supposer que le sol de la presqu'île Scan-
dinave s'est soulevé depuis Friedrichs-hall jusqu'à Abo. »
Voyant dans les bouleversements des couches primitives
du globe, dans la sortie des basaltes et de toutes les ro-
ches cristallines, l'effet d'une cause souterraine, volcani-
que, L. de Buch finit par rattacher aux réactions de la
terre le soulèvement des montagnes et celui de contrées
entières, telle que la Suède.
Ce grand géologue distingua l'effort qui soulève de l'ef-
fort qui rompt : au premier il donnait le nom de cratère de
soulèvement^ au second celui de cratère d'éruption. Pour
lui les volcans sont des « communications permanentes
entre l'atmosphère et l'intérieur du globe. 3> Il les divise
en deux classes, les volcans centraux et les chaînes volca-
niques : les premiers forment le centre d'un grand nombre
d'éruptions qui se sont faites autour d'eux; les seconds
sont disposés dans une même direction, comme une
grande fente ou rupture du globe. Ces poiites de rochers,
soulevées par le feu souterrain lui suggérèrent l'idée que
les innombrables îles de l'océan Pacifique, que l'on avait
considérées jusqu'alors comme les sommets d'un continent
submergé, étaient des îles de soulèvement.
L. de Buch n'avait d'abord présenté son idée favorite
du soulèvement des montagnes qu'avec beaucoup de ré-
serve. Mais, à mesure queles observations s'accumulaient, il
devint plus hardi. En 1822, après une étude nouvelle du
Tyrol méridional, il déclara, dans un écrit publié sous le
titre de Lettre, que toutes les masses redressées du globe
doivent leur position actuelle « à un véritablement soulè-
vement. » Cette manière de voir lui expliqua un fait,
resté jusque-là sans interprétation plausible, la présence
de coquilles marines sur le sommet des plus hautes mon-
tagnes. En montrant que ce ne sont pas les mers qui se
sont soulevées jusqu'au sommet des montagnes, puisque
THÉORIES GÉOLOGIQUES. 385
ce sont, au contraire, les montagnes qui se sont soulevées
du fond des mers, L. de Buch parvint à résoudre les plus
grandes difficultés qui esusent jusqu'alors occupé l'esprit
des géologues.
Alexandre de Humboldt adopta pleinement les idées de
son ami et condisciple ^ Ce génie universel, qui devait
laisser des traces de son passage dans presque toutes les
branches des connaissances humaines, avait fait de la
géologie l'étude de sa première jeunesse. Encore élève de
l'université de Gœttingen, il fit dans l'intervalle des va-
cances, de 1787 à 1789, des excursions géologiques au
Harz et aux bords du Rhin, et il en publia les résul-
tats sous le titre de Sur les basaltes du Rhin. Son goût
pour cette science lui fit suivre, dès 1791, les cours de
Werner à la célèbre école des mines de Freyberg. A sa
sortie de cette école, où il s'était lié avec L. de Buch et
André delRio, il fit paraître un essai de flore souterraine
{Spécimen florœsubterranesefribergensis^ etc., Berlin, 1793,
in-4°) et occupa jusqu'en 1797 la place de directeur géné-
ral des mines d'Anspach et Bayreuth. Vers la fin d'une
vie si bien remplie, il revint à l'étude favorite de sa pre-
mière jeunesse, et résuma admirablement bien, dans le
Cosmos^ les idées qui forment en quelque sorte les as-
sises de l'édifice géologique, Ces idées, également éloi-
gnées de ce que le neptunisme et le vulcanisme avaient
d'exclusif, font une juste part de l'action du feu et de l'ac-
tion des eaux dans l'ossature du globe terrestre.
Les travaux de L. de Buch stimulèrent l'esprit des
géologues. Ils ne furent pas étrangers à la théorie des
chaînes de montagnes parallèles, à laquelle M. Élie de
Deaumont a attaché son nom^. Cet illustre savant, qui
1. Alex, de Humboldt (né le 14 septembre 1769) était de cinq ans
, plus âgé que L, de Buch, qui mourut six ans avant lui. Alex, de
Humboldt est mort, en 18ô9, dans sa quatre-vingt-dixième année.
2. M, Élie de Beaumont, né à Canon (Calvados), en 1798, a succède
25
386 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE,
dressa, de concert avec Dufrénoy, La Carte géologique de ta
France, est parvenu à établir que des chaînes de monta-
gnes, indépendantes les unes des autres, ont été soulevées
subitement à de certaines époques et que toutes les chaî-
nes contemporaines, ainsi soulevées, ont conservé leur
parallélisme, même dans les régions les plus distantes.
Nous ne saurions mieux faire que de citer ici l'auteur lui-
môme. « L'histoire de la terre, dit M. Élie de Beau-mont,
présente d'une part de longues périodes de repos compa-
ratif, pendant lesquelles le dépôt de la matière sédimen-
taire s'est opéré d'une manière aussi régulière que conci-
nue ; et de l'autre, des périodes de très-courte durée,
pendant lesquelles ont eu lieu de violents paroxysmes
qui ont interrompu la continuité de cette action. Chacune
de ces époques de paroxysme ou de révolution dans l'état
de la surface de la terre a déterminé la formation subite
d'un grand nombre de chaînes de montagnes. Toutes ces
chaînes soulevées par la même révolution ont une direc-
tion uniforme, et sont parallèles les unes aux autres, à un
petit nombre de degrés près, lors même qu'elles se trou-
vent dans des contrées très-éioignées entre elles. Quant
aux chaînes, soulevées à des époques différentes, elles
ont, pour la plupart, des directions différentes. Chacune
de ces révolutions a toujours coïncidé avec un autre phé-
nomène, savoir le passage d'une formation sédimentaire à
une autre, caractérisée par une différence considérable de
ses types organiques. Outre que ces mouvements violents
de paroxysme ont eu lieu depuis les époques géologiques
les plus anciennes, ils peuvent encore se reproduire à
l'avenir ; de sorte que l'état de repos dans lequel nous
vivons actuellement sera peut-être un jour interrompu nar
à Arago dans la place de secrétaire perpétuel de l'Académie des scien-
ces. On a de lui de nombreuses notices dans les Annales des mines,
dans les Annales des sciences naturelles, dans les Comptes rendus et
les Mémoires de V Académie. Ses travaux se trouvent résumés dans
ses Leçons de géologie, 3 vol. in-8°j Paris, 1845 et années suivantes.
THÉORIES GEOLOGIQUES. 387
le soulèvement subit d'un nouveau système de chaînes de
montagnes parallèles. On peut dire qu'une seule révolu-
tion a eu lieu dans- les temps historiques, lorsque les An-
des atteignirent leur hauteur actuelle; car cette chaîne, qui
probablement a été soulevée la dernière, est la plus nel-
tement tranchée de toutes celles qu'on observe aujourd'hui
à la surface du globe, et celle qui présente les traits les moins
altérés. Comme l'émersion subite des grandes masses de
montagnes hors de l'océan doit occasionner une agitation
violente dans les eaux, ne se pourrait-il pas que le soulève-
ment des Andes ait donné lieu à ce déluge temporaire dont
les traditions d'un si grand nombre de peuples font men-
tion? Enfin les révolutions successives dont nous venons de
parler ne peuvent être rapportées à des forces volcaniques
ordinaires; mais il est probable qu'elles sont dues au re-
froidissement séculaire de l'intérieur de notre planète*. »
La théorie de M. Élie deBeaumont repose sur le faitgéné-
ralque voici. En examinant avec soin la plupart des chaînes
de montagnes et leurs environs, on voit les couches les
plus récentes s'étendre horizontalement jusqu'au pied de
ces chaînes, comme cela aurait pu avoir lieu si elles se
fussent déposées dans des mers ou dans des lacs dont ces
montagnes auraient en partie formé les rivages ; tandis
que les autres lits sédimentaires, redressés et plus ou
moins contournés sur les flancs des montagnes, s'élèvent
quelquefois jusqu'aux cimes les plus hautes. Il existe donc
dans chaque chaîne de montagnes et dans leur voisinage
immédiat deux classes de roches sédimentaires, les strates
anciennes ou inclinées et les couches récentes ou horizon-
tales. De là il est permis de déduire que le soulèvement
de la chaîne elle-même a dû s'effectuer entre l'époque à
laquelle se sont déposés les lits aujourd'hui inclinés et
celle où se sont formées les couches horizontales qu'on
observe à ses pieds. Les Pyrénées en offrent un exemple.
1. Annales des sciences nalurelies, année 1829.
388 HISTOIRE DE LA GEOLOGIE.
D'autres chaînes sont contemporaines de celles des Pyré-
nées, quand les couches inclinées et les couches hori-
zontales renferment les mêmes types organiques.
Cette théorie ne manqua pas de critiques. Un géo-
logue anglais, Charles Lyell (né le 14 novembre 1797
à Kinnordyl), auteur d'un ouvrage estimé {Principles
of Geology^ Londres, 1840, 3 volumes in-8»), et partisan
zélé du métamorphisme (transformation graduelle des ro-
ches) afait observer, entre autres, que le mot contemporain
ne doit pas s'appliquer à un simple moment, mais à tout
le temps qui s'est écoulé entre l'accumulation des strates
inclinées et celle des couches horizontales. Ce serait,
ajoute-t-il, une supposition bien gratuite d'admettre que
les couches inclinées qui s'appuient, par exemple, sur les
flancs des Pyrénées, soient précisément les dernières qui
aient été déposées durant la période crétacée, ou que aussi-
tôt après leur redressement toutes ou presque toutes les
espèces animales et végétales qu'elles renferment aujour-
d'hui à l'état fossile, aient été subitement détruites.
Théorie du Ulétamorphisuie.
En admettant également l'action du feu et celle de
l'eau, on était arrivé à établir, sans conteste, deux classes
de pierresou de roches : 1° lesroches éruptives (endogènes),
sorties de l'intérieur du globe soit à l'état de fusion, vot-
caniquement, soit à l'état de ramollissement, plutonique-
ment. Les failles béantes qui livraient passage à ces ro-
ches (granité, porphyre, diorite, serpentine, mélaphyre,
basalte), ont été comblées par les chaînes de montagnes
poussées au dehors (soulevées) ; elles ont disparu avec
la période chaotique, ignée, primitive, dont le monde
actuel n'est qu'un faible reflet avec son petit nombre de
volcans en activité. 2" Les roches se dimenteuses (exogènes),
THÉORIES GÉOLOGIQUES. 389
dont l'horizontalité a été détruite par les roches éruptives.
Déposées ou précipitées du sein des eaux, suivant que
leur matière constituante se trouvait à l'état de simple
mélange ou chimiquement dissoute dans le milieu li -
quide, les roches de sédiment s'appelaient aussi, impro-
prement, formations de transition^ secondaires et teriiai-
res; elles composent les couches de calcaire, de schiste
argileux, les lits de houille et les bancs d'infusores, puis-
sante formation, dont la découverte, assez récente, est due
aux travaux d'Ehrenberg. Les couches de travertin (cal-
caire d'eau douce), qui se déposent journellement à Rome,
comme à Hohart-Town en Australie, les petits bancs de
calcaire très-dur, que nos mers produisent, sous des in-
fl'.iences encore peu connues, sur les côtes de certaines
îles, donnent une image affaiblie de cette seconde période
de formation.
Les géologues wernériens, presque exclusivement gui-
dés par la structure apparente des roches, décrivaient ces
deux classes de i-oches sous le nom de saxa solida (roches en
masse) et de 5aica/i.v5i7ia (roches schisteuses). Ils admettaient
une troisième classe, comprenant les conglomérats ou ro-
ches agrégées {saxa aggregata). Ils se servaient du mot de
brèche pour désigner des marbres composés de fragments
calcaires, et de celui de pouddingue pour des pierres for-
mées par la réunion d'un grand nombre de petits silex. En
même temps ils rapprochaient ces conglomérats des grès,
ce Les pouddingues et les brèches ne diffèrent des grès, dit
B. de Saussure, qu'en ce que leurs grains sont plus
gros, les intervalles de ces grains par cela même plus
grands, et le ciment qui remplit les intervalles, plus
abondant et plus visible. » Aujourd'hui le mot de co7iglc-
mérat a reçu une signification plus étendue : on le donne à
tous les débris de roches, ignées ou aqueuses, consolidés,
cimentés par l'intermédiaire de l'oxyde de fer ou de ma-
tières argileuses et calcaires. « Lorsque, dit L. de Buch,
des îles de basalte ou des monts de trachyte ont été sou-
390 HISTOIRE DE LA GÉOLOCxIE.
levés à travers de grandes fractures, il est résulté du frot*
tement des masses ascendantes contre les parois des
failles, que le basalte ou le trachyte se sont trouvés en-
tourés de conglomérats formés aux dépens de leur propre
matière. Les grains qui composent les grès d'un grand
nombre de formations ont été détachés par le frottement
des roches d'éruption plutoniques ou volcaniques plutôt
que par la force d'érosion d'une mer voisine. L'existence
de cette espèce de conglomérat, qu'on rencontre en masses
énormes dans les deux hémisphères, révèle l'intensité de
la force avec laquelle les roches d'éruption se sont fait
jour à travers les couches solides de l'écorce terrestre. Les
eaux se sont ensuite emparées de ces débris, et les ont
disséminés par couches sur le fond même qu'elles recou-
vrent aujourd'hui ' . 3)
Le même géologue montre ensuite comment le grès
rouge (le todtliegende des montagnes de flœtz de la Thu-
ringe) et le terrain houiller ont dû être produits par l'é-
ruption des roches porphyritiques. Si l'on rapproche ces
considérations de l'explication qu'il a donnée de la forma-
tion de la dolomie, on ne saura s'empêcher de reconnaître
L. de Buch pour le véi'itable auteur de la théorie du mé-
tamorphisme, qui rend compte d'une dernière classe
de roches (roches métamorphiques) , de la plus haute im-
portance. La théorie du métamorphisme était fondée
du moment où l'on eut reconnu les transformations va-
riées, mécaniques et chimiques, que les roches peuvent
subir dans le vaste atelier des forces souterraines. Les
preuves ne manquèrent j^as à l'appui. Ainsi, au fait, si-
gnalé par L. de Buch, de la formation de masses dolo-
mitiques par l'action ignée d'une roche éruptive sur les
strates de calcaire compacte dans le Tyrol méridional et
le versant italien de la chaîne des Alpes ^, il faut ajouter le
1. L. de Buch, Lettres géognostiques, p. 75 et suiv.
2. Le calcaire, en se modifiant, présente d'abord des crevasses, tapis-
PALÉONTOLOGIE MODERNE. 391
résultat des observations faites par Alex, de Humboldt et
par Gustave Rose dans l'Oural et l'Altaï. Ces savants y ont
vu le schiste argileux transformé, par l'action plutonique
dii granité en une masse granitoïde, composée de feldspath
et de grandes parcelles de mica. Dans les Alpes, au mont
Saint-Gothard la marne calcaire a été changée, par l'érup-
tion du granité, successivement en micaschiste et en gneiss. '
La production du gneiss et du micaschiste, sous l'influence
de contact du granit, s'observe dans beaucoup d'autres
localités, tels que le Fichtelgebirge et le groupe oolithique
de la Tarentaise, où l'on a trouvé des bélemnites dans des
roches calcaires, altérées au point qu'on pouvait les pren-
dre pour du micaschiste. On cite encore l'ardoise d'un
noir bleuâtre et brillant, comme un produit de transfor-
mation du schiste argileux par le voisinage de roches
plutoniques ; le jaspe, comme étant produit par l'action
volcanique du porphyre augitique. Le marbre granulaire,
notamment le marbre de Carrare est aussi un produit de
transformation, par des actions plutoniques, du grès cal-
caire (maagno) qui se montre, dans les Alpes Apennines,
entre le micaschiste et le schiste talqueux*.
sées (Je cristaux rhomboïdes de magnésie, et finit par n'être v^u'un
amas de cristaux granulaires de calcaire saccharoïde (dolotnie), où
l'on ne trouve plus de trace de la stratification originaire, ni aucun
des fossiles qui y étaient primitivement contenus. Des feuilles de talc
et des masses de serpentine (provenant de la roche éruptive) sont dissé-
minées çà et là dans le calcaire transformé et devenu ainsi une ro-
che nouvelle. S'élevant verticalement en murailles polies, d'une
éblouissante blancheur, jusqu'à plusieurs milliers de pieds de hauteur,
la dolomie forme un paysage de montagnes fantastique dans le Fas-
sathal.
1 . Voy., sur le métamorphisme, Alex, de Humboldt, Cosmos, t. I,
p. 29^ et suiv. (de l'édition française).
392 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE,
Paîéontologie moilePHC.
La théorie des formations solides de l'écorce terrestre
s'est dégagée de ses enti-aves originelles par l'étude des
restes organiques, végétaux et animaux, appliquée à la
détermination de l'âge relatif des terrains ou des roches.
Ces restes, depuis longtemps signalés, comme nous l'avons
montré plus haut, n'ont reçu leur véritable signification que
depuis les travaux paléontologiques de Guvier et de Bron-
gniart, suivis de ceux de Lyell, de Buckland, de Murchi-
son, d'Agassiz, de Lindley, de Constant Prévost, d'Alcide
d'Orbigny, d'Archiac, etc. ; ils sont devenus les points de
répère de la chronologie du globe terrestre, déjà pres-
sentie par le génie de Hooke. Avant ces travaux, on pré-
tendait reconnaître les espèces vivantes parmi les organi-
sations éteintes, comme au seizième siècle on confondait,
sur de faussos analogies, les animaux de l'Amérique,
récemment découverte, avec ceux de l'Ancien Monde.
Pierre Camper, Sœmmering etBlumenbach avaient déjà
essayé d'appliquer les ressources de l'anatomie comparée
à l'étude des ossements des grands animaux fossiles ver-
tébrés, lorsque Georges Cuvier fit paraître, en 1812, ses
Recherches sur les ossements fossiles, précédées, en guise d'in-
troduction, du Discours sur les révolutions du globe. Ses
premiers travaux paléontologiques remontent à 1796. A
cette époque il avait présenté à l'Institut un mémoire où
il cherchait à établir que l'éléphant fossile, dont les débris
se rencontrent en un si grand nombre de localités, diffère
spécifiquement de l'éléphant d'Afrique, ainsi que de celui
des Indes. Il avoue lui-même que ce fait lui ouvrit des
vues toutes nouvelles sur la théorie de la terre. « Lorsque
la vue de quelques ossements d'ours et d'éléphants m'ins-
pira, dit-il, l'idée d'appliquer les règles générales de
PALÉONTOLOGIE MODERNE. 393
l'anatomie à la reconstruction et à la détermination des
ossements fossiles, lorsque je commençais à m'apercevoir
que ces espèces n'étaient point représentées par celles de
nos jours, je ne me doutais guère que je marchasse sur
un sol rempli de dépouilles plus extraordinaires encore
que celles que j'avais vues jusque-là, ni que je fusse des-
tiné à reproduire à la lumière des genres entiers, inconnus
au monde actuel et ensevelis depuis des temps incalcu-
lables à de grandes profondeurs. »
Un jour de l'année 1798, un particulier, nommé
Vuarin, apporta à Cuvier quelques ossements qu'il avait
recueillis dans les plâtrières de Montmartre. Guvier
reconnut au premier coup d'œil que ces ossements
provenaient d'animaux entièrement inconnus. Il se met
aussitôt en rapport avec les ouvriers employés à l'ex-
ploitation de ces plâtrières, les encourageant par des
récompenses quand ils lui apportaient des fragments
bien conservés, et bientôt il posséda une collection d'os-
sements fossiles assez riche pour pouvoir entreprendre
sérieusement ses recherches. Voici comment l'auteur
raconte lui-même ses débuts dans cette voie de décou-
vertes inattendues : « Dès les premiers moments je m'a-
perçus, dit-il, qu'il y avait plusieurs espèces dans nos
plâtres ; bientôt après je vis qu'elles appartenaient à plu-
sieurs genres, et que ces espèces, de genres différents,
étaient souvent de même grandeur entre elles, en sorte
que la grandeur pouvait plutôt m 'égarer que m 'aider.
J'étais dans le cas d'un homme à qui l'on aurait donné
pêle-mêle des débris mutilés et incomplets de quelques
centaines de squelettes appartenant à vingt sortes d'ani-
maux. Il fallait que chaque os allât retrouver celui auquel
il devait tenir : c'était presque une résurrection en petit,
et je n'avais pas à ma disposition la trompette toute-puis-
sante : mais les lois immuables prescrites aux êtres vi-
vants y suppléèrent, et, à la voix de l'anatomie comparée,
. chaque os, chaque portion d'os reprit sa place. Je n'ai
394 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
point d'expression pour peindre le plaisir que j'éprouvai
en voyant, à mesure que je découvrais un caractère, toutes
les conséquences plus ou moins prévues de ce caractère
se développer successivement : les pieds se trouver
conformes à ce qu'avaient annoncé les dents, les dents à
ce qu'annonçaient les pieds; les os des jambes, des cuisses,
tous ceux qui devaient réunir les parties extrêmes, se
trouver conformés comme on pouvait le jnger d'avance,
en un mot, chacune de ses espèces renaître, pour ains
dire, d'un seul de ces éléments. Ceux qui auront la pa-
tience de me suivre pourront prendre une idée des
sensations que j'ai éprouvées en restaurant ainsi par degrés
ces antiques monuments d'épouvantables révolutions. »
Voilà comment cet homme de génie parvint à reconstituer,
à ressusciter, suivant son expression, les animau:: à l'aide
de leurs débris. Les difficultés qu'il avait rencontrées dans
sa comparaison des éléphants fossiles avec les éléphants
du monde actuel étaient peu de chose à côté de celles qu'il
rencontra dans la détermination des espèces des plâtrières
de Montmartre. Ces espèces n'appartenant pas, pour la
plupart, à la faune actuelle, il en résultait que la vie n'a
pa» toujours revêtu les formes que nous lui voyons
aujourd'hui, et que de nombreuses générations d'êtres ont
disparu par suite des révolutions de notre planète. Les
idées fantasticpes d'autrefois se dissipèrent pour faire place
aux conquêtes de la science. Scheuchzer avait décrit un
squelette comme étant de la race d'homme maudite, an-
térieure au déluge. Guvier démontra, en observant la
pierre qui contenait ce débris, et qui était conservée au
musée de Harlem, que le prétendu témoin du déluge,
homo diluvii testis^ n'était qu'une grosse salamandre.
Après avoir reconstitué les ossements fossiles de Mont-
martre, Guvier voulut chercher dans l'étude géologique
du bassin de Paris la solution des questions qui se pres-
saient dans son esprit. Mais comme il était jusqu'alors
resté à peu près étranger à la géologie, il s'adjoignit pour
PALÉONTOLOGIE MODERNE. 395
collaborateur Alexandre Brongniart^. Pendant quatre ans
les deux savants explorèrent de concert tous les environs
(le Paris, et publièrent les résultats de leurs excursions,
en 1810, d'abord sous le titre d'Essai sur la géographie
minéralogiqve du bassin de Paris, et plus tard, avec des
augmentations, sous le titre de Description géologique des
environs de Paris (1835, 3* édit., in-8°, avec atlas). Dans
cet ouvrage, on trouve pour la première fois la distinction
essentielle entre le terrain marin et le terrain d'eau douce.
Cette distinction, acquise depuis à la science, est fondée
sur ce que le terrain d'eau douce est composé de deux
bancs d'argile, dont l'un, inférieur, formé d'argile plas-
tique, infusible, servant à faire de la faïence et de la po-
terie fine, ne renferme aucun débris organique, tandis que
le banc supérieur, formé de ce que les ouvriers appel-
lent fausse glaise, séparé du banc inférieur par un lit de
sable, est souvent très-riche en débris de corps organisés,
dont l'origine n'est point marine, mais qui ont dû vivre,
comme leurs congénères actuels, ou dans les eaux douces
ou à la surface du sol. « C'est, ajoutent les auteurs, aux
limites supérieures de la formation d'argile et de lignite
que se montre le plus ordinairement le mélange et même
l'alternance des animaux marins, et des animaux et végé-
taux terrestres ou d eau douce. Mais à mesure qu'on s'élève
dans ce mélange, les corps organisés d'origine lacustre et
terrestre diminuent, tandis que les corps marins devien-
nent tellement dominants qu'ils se montrent bientôt seuls,
ce qui pi^ouve encore que l'origine principale du terrain
d'argile et de lignite n'est point sous-marin, et ce qui
1. Alexandre Brongniart (né à Paris en 1770, mort en 1847) était
d'une année plus jeune que Cuvier, et mourut quinze ans après son
collaborateur. Il fut depuis 1801 directeur de la manufacture de
Sèvres, professa la minéralogie au Jardin des Plantes, et fit paraître,
outre sa collaboration à la Description géologique des environs de
Paris (Paris, 18'22), un Trmté des arts céramiques {Ihid., 1845), fruit
de quarante ans de travaux et d'études.
396 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.
jus Lille le nom que nous lui avons douiié de premier ter-
rain d'eau douce. » Ils avaient appelé dernier terrain
d'eau douce un mélange de marne et de silice qui ne con-
tient que des coquilles d'eau douce en abondance, et qui
remplit les vides laissés, d'une part entre le calcaire
siliceux et le calcaire grossier, coquillier, et de l'autre
entre le gypse et la marne. Quant à la masse calcaire,
riche en fossiles marins, il faudrait la considérer comme
s'étant déposée dané un vaste espace creux, dans une sorte
de golfe dont les côtes étaient de craie ; ce serait là le
fond du bassin de Paris.
Suivant Laurillard, c'est Guvier (et non pas Bron-
gniart, comme on l'a dit) qui eut le premier l'idée de la
distinction des terrains marins et des terrains d'eau douce,
et cette idée lui vint subitement, dans un endroit de la
forêt de Fontainebleau que l'on appelle le Mont-Pier-
reux*.
Après avoir étudié les espèces fossiles, non plus en
elle-mêmes, mais dans leurs rapports avec les terrains
qui recèlent leurs débris, et après s'être assuré que dans
chaque localité plusieurs générations d'êtres vivants se
sont remplacées les unes les autres, Guvier arriva à la
démonstration positive de cette succession d'époques géo-
logiques que Buffon avait entrevues. Mais parmi ces
innombrables fossiles, on n'avait jamais trouvé d'osse-
ments humains.
C'est en vain qu'aidé des ressources d'une vaste érudi-
tion, il chercha dans la mythologie, dans l'histoire, dans
l'archéologie, dans l'astronomie, des documents certains
sur l'antiquité de notre espèce ; partout il rencontra la
même réponse : c'est que notre espèce appartient à une
époque relativement récente et ne remonte pas au delà de
six mille ans. Ce fait paraissait être confirmé par l'histoire
1. Laurillard était depuis 1804 secrétaire de Cuvier, et l'accompa-
gnait dans fes excnmons.
PALÉONTOLOGIE MODERNE. 397
de la terre. « Tout porte à croire, dit Guvier, que l'espèce
humaine n'existait point, dans les pays où se découvrent
les os fossiles, à l'époque des révolutions qui ont enfoui
ces os.... Mais je n'en veux pas conclure que l'homme
n'existait point du tout avant cette époque : il pouvait
habiter quelques contrées peu étendues, d'où il a repeu-
plé la terre après ces événements terribles ; peut-être
aussi les lieux où il se tenait ont-ils été entièrement abî-
més et les os ensevelis au fond des mers actuelles, à
l'exception du petit nombre d'individus qui ont conservé
son espèce. Je pense donc que s'il y a quelque chose de
constaté en géologie, c'est que la surface de notre globe
a été victime d'une grande et subite révolution, dont la
date ne peut remonter au delà de cinq ou six mille ans;
que cette révolution a enfoui et fait disparaître les hommes
et les espèces des animaux aujourd'hui les plus connus ;
qu'elle a, au contraire, mis à sec le fond de la dernière
mer, et en a formé les pays aujourd'hui habités ; que c'est
depuis cette révolution que le petit nombre des individus
épargnés par elle se sont répandus et propagés sur les
terrains nouvellement mis à sec, et que par conséquent
c'est depuis cette époque seulement que nos sociétés ont
repris une marche progressive, et qu'elles ont formé des
établissements, recueilli des faits naturels et combiné
des systèmes. Où donc était alors le genre humain? Ce
dernier et ce plus parfait ouvrage du Créateur existait-il
quelque part? Les animaux qui l'accompagnent mainte-
nant, dont il n'y a point de traces parmi les fossiles,
r entouraient-ils? Les pays où il vivait avec eux ont-ils
été engloutis?... C'est ce que l'étude des fossiles ne nous
dit pas. »
On voit par cette citation que Guvier n'était pas aussi
absolu dans ses affirmations qu'on l'a prétendu. Il y avait
encore de la place pour des recherches ultérieures, et
M. Boucher de Perthes a très-bien pu, de nos jours, sou-
tenir la thèse de la contemporanéité de l'homme avec des
398 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
espèces éteintes, et reculer ainsi l'âge de notre espèce bien
au delà des limites indiquées.
Depuis les travaux de Guvier, la paléontologie, mar-
chant d'accord avec la géologie, s'est enrichie d'une multi-
tude de faits nouveaux dont nous ne pouvons signaler ici
que les jîrincipaux. Dans ce rapide aperçu historique,
nous laisserons de côté la branche purement morpholo-
gique de la paléontologie, qui ne cherche, dans l'étude
des fossiles, qu'à combler les lacunes qui se présentent
dans les séries d'êtres actuellement vivants; nous nous
attacherons exclusivement à sa branche géologique, qui
considère les fossiles en rapport avec la formation sédi-
mentaire du globe, où se sont passés ces cataclysmes et ces
soulèvements qui ont eu pour suite la destruction des
espèces anciennes, végétales ou animales, et l'apparition
d'autres espèces, improprement nommées créations nou-
velles.
L'ensemble de la formation sédimentaire, théâ-
tre de la paléontologie, comprend, en allant de bas en
haut, comme autant d'époques géologiques subdivisées
en périodes : 1° le terrain de transition^ reposant sur les
roches dites azoïques, parce qu'on n'y rencontre aucune
trace de corps organique; il a été divisé par les géologues
allemands en grauwackes inférieure et supérieure, et par
Murchison* en systèmes silurien [éiaige ampélitique de Gov-
1. Roderic Murchison, né en 1792, à Taradale, en Ecosse, se fit
particulièrement connaître par son exploration géologique du nord du
pays de Galles. Il établit, dès 1831, que cette masse caractéristique de
couches sédimentaires, déchirées çà et là par des roches d'origine
ignée, formait un système unique, auquel il donna le nom de silurien,
parce que les roches qui en déterminent le type se trouvent dans la
contrée occupée, du temps des Romains, par la peuplade des Silures
{Philosuphical Magazine, 1832). Fias iaiVà, il établit, de concertavec
Sedgwick, que les roches stratifiées des contrées de Devon et de Cor-
nouailles devaient être assimilées au vieux grès rouge d'Ecosse {old
red sandstone), et il leur imposa le nom de système devomen. Mais ce
système ne se voit pas seulement en Angleterre, on le rencontre aussi
PALÉONTOLOGIE MODERNE. 399
dier) et devonien (étage des grès pourprés de Gordier),
division aujourd'hui généralement adoptée ; 2° le terrain
carbonifère, comprenant l'étage du calcaire de montagne
(calcaire carbonifère) , l'étage houiller, l'étage des psépliites
(le tocltliegende ou nouveau grès rouge inférieur des Alle-
mands, partie du terrain pénéen ou pernilen de Murchison
et de la période salino-magnénenne de Gordier), l'étage du
calcaire magnésien [zechstein des Allemands, calcaire pé-
néen de Brongniart) ; 3° Le terrain de trias *, ainsi nommé
parce qu'il comprend trois dépôts minéralogiquement
très-distincts : les grès bigarrés {nouveau grès rouge des
Anglais, formation pœcilienne de M. Huot), le calcaire
cocfuillier [muschelkalk des Allemands), et la marne irisée
[keuper des Allemands, red marie des Anglais) ; 4" le ter-
rain jurassique, composé des étages du lias^ et de Voo-
lithe; 5° le terrain crétacé ou le grès massif, comprenant
l'étage néocomien ou groupe wealdien^ (terrain apticn
d'Alc. d'Orbigny), l'étage glauconieux (grès vert, terrain
albienou turonien d'Alc. d'Orbigny), la craie proprement
dite; ^° le terrain paléothérien, ainsi nommé à cause de ses
nombreux débris de paléothérium, comprend cette longue
série de formations de calcaire grossier, de marnes, de
sables (grès quarzeux), de gypse, de molasses, de faluns
(dépôts coquilliers), qui commence au-dessus de la craie
en Belgique, sur les bords du Rhin, en Bretagne, et dans d'autres
contrées de l'Europe.
1. Alex, de Humboldt appelle trias inférieur le terrain houiller, et
trias supérieur le terrain de trias proprement dit.
2. Le mot anglais lias, insignihant par lui-même, a été appliqué a
la bas« du terrain jurassique, composé principalement de ce grès jau-
nâtre (grès du lias) qui comprend la plus grande partie du quader
sandstein (pierre à Ijâtir des Allemands).
3. Le nom de weald désigne diverses parties des contrées de Kent,
ae Surrey et de Sussex, où ce groupe , principalement composé de sa
Me et de grès ferrugineux, a été particulièrement observé. Le dépôt
correspondant, observé en France, en Suisse, etc., a reçu le nom de
néocomien.
400 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.
blanche et se termine aux alluvions. Ce terrain, qui a été
plus particulièrement exploré par les paléontologistes, a
été divisé par Lyell en périodes éocène (terrain tertiaire
inférieur, étage parisien inférieur), miocène (étage des
molasses et des faluns, terrain tertiaire moyen), et jjlio-
cène^ (étage du crag, terrain tertiaire supérieur, terrain
quaternaire de quelques géologues). Enfin, après la for-
mation sédimentaire, dont nous venons d'énumérer les
principaux étages, terrains, périodes ou systèmes, vien-
nent les TERRAINS DE TRANSPORT OU DALLUVION, qui ont
été divisés en allumons anciennes {diluvium de quelques
géologues, nouveau pliocène de Lyell, terrain clysmitn
ou des blocs slraliques^ terrain de transport ancien) et en
alluvions modernes {terrains post-diluviens^ période jo-
vieune de Brongniart, terrain récent)^ comprenant, entre
autres, les stalactites, stalagmites, les tufs, les travertins
et autres concrétions calcaires.
En jetant un coup d'oeil sur toutes ces couches fossi-
lifères, de plusieurs milliers de mètres de profondeur, on
a remarqué çà et là des êtres organisés, conservés intacts
jusque dans les moindres détails de leur tissu, témoin
cette sépia, découverte par Miss Mary Anning dans l'oo-
lithe inférieure du terrain jurassique, d'où on a pu retirer
encore la matière noire dont cet animal se servait, il y a
des milliers d'années, pour échapper à ses ennemis.
Ailleurs on ne retrouve que des vestiges incomplets,
l'empreinte d'une coquille, les traces qu'un animal a lais-
sées en courant sur une argile molle, ou des résidus de
1. Par les mots pliocène (du grec tïXeTov, plus) et miocène (du grec
(jiEïov, moins). Lyell a voulu exprimer le plus ou le moins d'analogie
que les mollusques fossiles de ces groupes ou étages présentent avec
les mollusques actuellement vivants. Quant au groupe tertiaire qui
repose immédiatement au-dessus de la craie, groupe que Lyell appelle
la période éocène (du grec rjwc, aurore), il ne mérite pas ce nom, «car,
comme le dit Ehrenberg, Vaurore du monde où nous vivons s'étend
bien plus en avant dans les âges antérieurs qu'on ne l'a cru jusqu'à
présent. » (Ehrenberg, Mém. de l'Académie de Berlin. 1839, p. 164)
PALÉONTOLOGIE MODERNE. kO\
% digestion, désignés sous le nom de coprolithes . Buck-
md compare ces excréments pétrifiés à des pommes de
!rre répandues en abondance sur le soP. Les corps or-
anisés contenus dans les couches sédimentaires les plus
nciennes sont non-seulement de formes très-diverses,
lais souvent dans un tel état de déformation qu'il est
ifficile d'en apprécier exactement les caractères. Tels
3nt, parmi les organisations végétales, quelques équi-
îtacées (prêles d'eau), lycopodiacées et fougères arho-
3scentes^, et, parmi les organisations animales, une as-
jciation singulière de polypiers pierreux, de crustacés
rilobites aux yeux réticulaires), de brachiopodes (spiri-
u-es), de céphalopodes (orthocères, nautiles), d'encri-
ites, de térébratules, etc. Tel fut le point de départ des
lanifestationa apparentes de la vie sur notre planète.
Parmi les animaux vertébrés, les poissons, d'une forme
:range, ont les premiers apparu. Les céphalaspides aux
)urds boucliers, dont certains fragments du genre pté-
chthys ont été longtemps pris pour des trilobites, ca-
ictérisent exclusivement le terrain devonien (vieux grès
)uge) ^ En allant de là de bas en haut, on rencontre
iccessivement les reptiles et les mammifères. C'est dans
: calcaire magnésien (zechstein) qu'on a découvert le
remier reptile {protosaurus de Mayer, espèce de mo-
itor, selon Guvier), qui avait déjà attiré l'attention de
eibniz. Le paléosaurus et le thecodontosaurus de Bris-
)1 sont, suivant Murchison, des reptiles de la même
îoque. Leur nombre va en augmentant dans le calcaire
LBuckland, Geology considered with référence the to natural theo-
gy, vcl. I, p. 188 et suiv.
2. Adilfihe Brongniart, né à Paris en 1801, fils d'Alexandre Bron-
liart, a beaucoup contribué à la connaissance de la flore fossile par
n Histoire des végétaux fossiles, ou Recherches botaniques et géologi-
tes, etc., Paris, 1828 et suiv. 2 vol. in-4°.
:i. Agassiz, Monographie des poissons fossiles du vieux grès
uije.
I
26
402 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.
r,oq;uillier, dans la marne irisée (keuper) et dans le ter-
rain jurassique, où il atteint son maximum. A l'époque
représentée par ce terrain, vivaient le plésiosaure au long
cou de cygne, formé de trente vertèbres, le mégalo-
saure, gigantesque crocodilien de quinze mètres de lon-
gueur, garnis de pieds semblables à ceux d'un lourd
mammifère terrestre ; huit espèces d'ichthyosaures, énor-
mes poissons-lézards, le géosaure [lacerta gigantea de
Sœmmering) et sept espèces de ptérodactyles, garnis
d'ailes membraneuses poilues, hideux reptiles volants,
pareils aux dragons légendaires ^ Dans la craie, où se
trouve le colossal iguanodon, probablement herbivore,
le nombre des reptiles crocodiliens va en diminuant.
Quant aux crocodiliens dont les espèces existent encore
aujourd'hui, on en trouve, selon Guvier, jusque dans le
terrain tertiaire, et Vhonio diluvii testis de Scheuchzer, la
grande salamandre, voisine de Taxolotl des lacs du
Mexique, appartient, suivant Al. de Humboldt, aux plus
récents dépôts d'eau dou3e d'Œningen. C'est dans le ter-
rain jurassique qu'on a découvert les premiers mammi-
fères (le thylacotherium Prevostii et le th. Bachlandi), voi-
sins de la famille des marsupiaux; et c'est dans le plus
ancien dépôt du terrain crétacé qu'on a trouvé le pre-
mier oiseau fossile. Le nombre des ornitholithes (oiseaux
fossiles) augmente dans le gypse de la formation ter-
tiaire ^
Telles sont, dans l'état actuel de la science, les limites
géologiques inférieures des poissons, des reptiles, de-,
oiseaux et des mammifères, représentant les quatre clas-
ses de la grande division des animaux à vertèbres.
Quant aux animaux sans vertèbres, il a été difficile
d'établir une relation bien certaine entre la succession de
1. H. de Mayer, Palxologica, p. 228 et suiv.
2. Valenciennea, Comptes rendus de l'Académie des sciences, an-
née 1838, p. 580.
PALÉONTOLOGIE MODERNE. 403
leurs espèces et l'âge des terrains où on les trouve. Ainsi,
des céphalopodes et des crus'acés d'une organisation
relativement très-élevée se rencontrent dans les plus
anciens terrains sédimentaires, en compagnie avec des
coraux pierreux et des serpulites, placés sur les limites
du règne végétal et du règne animal. Cependant on a vu
des coquilles fossiles, comme des goniatites, des trilo-
bites, des nummulites, groupés de manière à former des
montagnes entières. Certaines familles se trouvent régu-
lièrement associées à des strates superposés d'un même
terrain. Ainsi, parmi les ammonites, classées par L. de
Buch en familles bien définies par la disposition de leurs
lobes, les cératites appartiennent au calcaire cocfuillier,
les ariètes au lias, les goniatites à la grauwacke. Les
bélemnites ont leur limite inférieure dans le keuper, si-
tué au-dessous du calcaire jurrassique, et leur limite
supérieure dans la craie. On a constaté encore que les
eaux des régions les plus distantes ont été habitées aux
mêmes époques par des testacés identiques. C'est ainsi
que L. de Buch et Alcide d'Orbigny ont signalé, le pre-
mier , des exogyres et des trigonies dans l'hémisphère
austral (volcan Maypo, au Chili), le second, des ammoni-
tes et des gryphées dans l'Himalaya et dans les plaines de
Cutch (Inde), exactement identiques avec les espèces de
Vhorizon ou mer géologique, représentée par la formation
jurassique.
Les limites supérieures des vertébrés et des inverté-
brés sont d'autant plus difficiles à déterminer, que les
espèces éteintes se confondent, souvent à d'assez grandes
profondeurs, avec des espèces encore vivantes. Par exem-
ple, les couches de craie, où gisent des reptiles gigan-
tesques, tout un monde détruit de coraux et de coquilles,
et deux espèces de poissons sauroïdes (poissons qui, par
leurs écailles recouvertes d'émail, se rapprochent des rep-
tiles), sont, d'après les observations d'Ehrenberg, entiè-
rement composées de polythalames microscopiques, dont
404 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.
la pl-upart des espèces vivent aujourd'hui dans nos mers.
Dans les terrains d'alluvion, les espèces éteintes de
mammifères gigantesques, tels que les mastodontes, les
dinothériums, le mégathériums, le mylodon d'Owen, es-
pèce de paresseux, long de trois mètres et demi, se
trouvent associées avec des ossements d'éléphants, de
rhinocéros, de girafes, dont les espèces, actuellement vi-
vantes, appartiennent au climat tropical que l'on suppose
avoir régné à l'époque des mastodontes.
Passons de la faune à la flore fossile.
Partant d'une vue théorique sur la gradation des
êtres organisés, on a cru pouvoir affirmer que la vie
végétale est la condition nécessaire du développement
de la vie animale, et que par conséquent la première a
dû apparaître avant la seconde. Mais aucun fait ne pa-
raît justifier cette théorie, si plausible en apparence. Au-
jourd'hui encore n'y a-t-il pas des races entières qui,
comme les Esquimaux, vivent exclusivement de poissons
et de cétacés?
Les plus anciennes couches de sédiment, les strates silu-
riennes, ne renferment que des plantes marines (fucus),
à feuilles cellulaires. Les strates devoniennes sont les pre-
mières où l'on trouve quelques plantes vasculaires (cala-
mites, lycopodiacées). Le terrain houiller forme les véri-
tables catacombes de la flore primitive, dont on connaît
déjà environ quatre cents espèces, réparties sur les grands
embranchements du règne végétal, cryptogames et pha-
nérogames (monocotylédones et dicotylédones). Parmi ces
plantes, aux formes étranges, disséminées dans toutes les
houillères du globe, on remarque les lycopodes arbores-
cents, les calamités, semblables aux prêles d'eau; les si-
gillaria squammeux, de vingt mètres de longueur, quel-
quefois debout et enracinés ; les stigmaria, semblables
aux cactus; d'innombrables fougères, souvent accompa-
gnées de leurs troncs témoignant de la constitution
insulaire primordiale du globe; les cycadées, qui par
PALEONTOLOGIE MODERNE 405
leur aspect extérieur ressemblent aux palmiers de nos
régions tropicales, tandis que par la structure de la fleur
et de la graine elles se rapprochent des conifères de nos
régions septentrionales. Toute cette végétation primitive
a maintenu, à travers les périodes qui se sont succédé
depuis le vieux grès rouge jusqu'aux dernières couches
de la craie, les caractères qui la distinguent de la végéta-
tion du monde actuel.
La masse des végétaux accumulés en certains lieux par
les courants, et transformés ensuite en houille, montre com-
bien l'atmosphère du monde primitif devait être chargée
d'acide carbonique, pour fournir à ces végétaux le carbone
néceesaire. Les cycadées devaient jouer à cette époque pri-
mordiale un plus grand rôle qu'aujourd'hui : accompa-
gnant les conifères depuis la formation houillère, elles
manquent presque entièrement dans la période des grès
bigarrés, où certains conifères se sont puissamment dé-
veloppés, et atteignent leur maximum dans le keuper et
le lias; elles diminuent dans les époques subséquentes,
alors que les conifères et les palmiers augmentent de nom-
bre*. Dans la craie, ce sont les plantes marines et les naïa-
dées qui prédominent. Dans la période tertiaire moyenne,
on voit réapparaître des palmiers et des cycadées. Enfin
les pins, les sapins, les cupulifères, les érables, les peu-
pliers, qui caractérisent la dernière période de la végé-
tation, offrent la plus grande analogie avec ceux de la
flore actuelle. Le succin de la Baltique, dont les anciens
faisaient un commerce important, provenait d'une espèce
très-résineuse de sapin rouge (pinites succinifer, Goeppert).
Les grandes variations, déjà signalées par Guvier, qui ont
eu lieu successivement dans les types généraux de la vie,
présentent des relations numériques dont Lyell en An-
gleterre et Deshayes en France ont fait l'objet de leuis
1. Goeppert, Cycadées fossiles, dans les Travaux de la Société silé-
sienne, année 1843, p. 33 et suiv.
406 HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE.
recherches. Une chose certaine, c'est que les faunes et les
llores fossiles diffèrent d'autant plus des formes animales
et végétales actuelles, que les terrains où elles se trou-
vent sont plus anciens. Toutes les observations sont d'ac-
cord sur ce point fondamental.
Théorie des caases actuelles.
Les théories que nous avons plus haut passées en revue,
ont présenté le globe comme ayant été, à de longues pé-
riodes, le siège de révolutions et de cataclysmes dont au-
cun mortel n'a été témoin. Quelques géologues cependant
ont pensé que les causes qui agissent encore aujourd'hui,
quoique très-lentement, sous nos yeux, suffisent pour ex-
pliquer les changements dont notre planète a été successi-
vement le théâtre. En tète de ces géologues, nous devons
citer Constant Prévost*.
Dès 1 809 G. Prévost avait signalé une série de faits nou-
veaux concernant la présence de coquilles marines au mi-
lieu des dépôts d'eau douce, et de coquilles d'eau douce
au milieu de dépôts marins. Il essaya d'expliquer ces
faits par la rencontre en un même bassin de courants
marins et d affluents fluviatiles, donnant naissance à des
alternances répétées de deux sortes de dépôts.
G. Prévost appliqua d'abord cette manière de voir à la
formation du bassin de Paris. Par ses travaux ultérieurs, il
appela l'attention des géologues sur l'existence de terrains
tertiaires, plus ou moins récents que les autres suivant les
localités. Ses recherches Sur les falaises de la Normandie h
1. Constant Prévost (né à Paris en 1787, mort en 1856), membre de
l'i^cadémiedes sciences, fut un des fondateurs de la Société géologique
de France. Ses principaux travaux ont été publiés dans les Bulletins
de cette Société.
PALÉONTOLOGIE MODERNE. 407
conduisirent à comparer les terrains secondaires de la
Normandie avec ceux de la Grrande-Bretagne. Reprenant,
en 1827, la question de l'origine des formations du bas-
sin de Paris, il battit en brèche l'ancienne théorie des
submersions itératives de nos continents par les mers,
pour lui substituer celle des affluents fluviatiles. Dans
l'île de Julia, apparue en 1831 dans les eaux delà Sicile,
il ne vit qu'un cratère d'éruption, formé de déjections
pulvérulentes. Partant de nouvelles observations, faites
en Sicile et aux environs de Naples, en Auvergne et dans
le Vivarais, il étendit cette manière de voir aux anciennes
montagnes volcaniques de l'Italie et de la France cen-
trale : le Vésuve, l'Etna, le Mont-Dore et le Cantal ne
seraient, d'après lui, que de simples cônes produits par
des accumulations successives de matières projetées à
l'état pulvérulent ou épanchées sous forme de cou-
lées.
Cette doctrine était en opposition ouverte avec celle
des géologues qui admettent, comme prélude aux phéno-
mènes subséquents, le soulèvement des roches subja-
centes. Les discussions soulevées à cet égard par M. Elie
de Beaumont portèrent Constant Prévost à exposer ses
propres idées sur la formation des chaînes de montagnes,
et il poursuivit dès lors sans relâche l'application de la
théorie des causes actuelles à l'histoire complète de la terre,
s'attachant à démontrer l'identité et le synchronisme, à
toutes les époques géologiques, des actions ignées et des
actions sédimentaires'. Dans cette théorie, les révolutions
violentes, séparées par des intervalles de repos, disparais-
sent et sont remplacées par une continuité d'action qui va
nn diminuant depuis son origine.
De tout ce qui précède, il résulte que la géologie est
1. Voy. l'article Prévost (Constant) dans la Biographie générale,
t. XLI, coL 16.
408 HISTOIRE DE LA GEOLOGIE.
loin d'avoir dit son dernier mot. En cela elle partage le
sort de toutes les autres sciences. L'histoire de la science
se continue comme celle des hommes qui y consacrent
leurs efforts.
FIN
TABLE DES MATIÈRES.
HISTOIRE DE LA BOTANIQU E.
LIVRE PREMIER.
LA BOTANIQUE DANS L'aNTIQUITÉ.
Flore biblique 1
Flore d'Homère 16
Flore du paganisme 27
Flore extra-méditerranéenne 38
Phylologie , 4Q
La botanique traitée par les disciples d'Aristote o3
La botanique depuis Théophraste jusqu'à Pline 59
La botanique chez les Romains 64
Aperçu historique de la botanique depuis le premier siècle de
notre ère jusqu'au moyen âge (époque de Charlemagne) . , 72
LIVRE DEUXIÈME.
LA BOTANIQUE AU MOYEN AGE.
Botanistes arabes , 80
Botanistes byzantins 8S
Botanistes de l'Occident 88
Voyages scientifiques 93
410 TABLE DES MATIÈRES
LIVRE TROISIEME.
LA BOTANIQUE DANS LES TEMPS M0DERNL3.
La botanique depuis la découverte de l'Amérique 98
Botanistes du seizième siècle 107
Botanistes voyageurs 131
Botanistes du dix-septième siècle l''"?
Système de Tournefort 178
Botanistes anatomistes et physiologistes 180
Botanistes voyageurs , 192
LIVRE QUATRIÈME.
PROGRÈS DE LA BOTANIQUE DEPUIS LE DIX-HUITIÈÎ.IE SIÈCLE JUSQU'a
NOS JOURS.
I. Phytonomie 205
II. Phytologie 234
III. Phytographie 255
Flore exotique 2G2
Géographie botanique 283
HISTOIRE DE LA MINÉRALOGIE ET DE LA QEOLGGIE.
MINERALOGIE.
Pierres considérées comme précieuses par les anciens 288
Pierres ou roclies communes 300
Déluge universel. Premières théories paléontologiques 317
Histoire dos roches ignées , 326
Aperçu historique des minéraux contenus dans les terrains pri-
mitifs 331
Météorites. Aperçu historique 337
Fondateurs de la minéralogie moderne. Cristallographie 3'i4
TABLE DES MATIÈRES. 411
GÉOLOGIE.
Premières théories géologiques 357
Théorie de Burnet , 360
Théorie de Whiston , 361
Théorie de Woodward 362
Théorie de Sténoa 363
Théorie de Leibnitz 36'i:
Théorie de Buffon 371
Le vulcanisme 373
Théorie de Laplace , 379
Le r^eptunisme 380
Adversaires de l'école Wernérieniie 38 i
Théorie du métamorphisme 388
Paléontologie moderne , 392
Théorie des causes actuelles , 406
FIN DE LA XABLE DES MATIERES.
COULOMMIERS. — IMPWMERIE PAUL BRODARD-
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