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4Ai'
COLLECTION D'HISTORIENS CONTEMPORAINS
HISTOIRE
DE LA
CIVILISATION
EN ANGLETERRE
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Bruxelles.— Typ. A. Lacroix, Ybrboigkbotim et C u , nie Royale, 3, impasse du Parc
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I
HENRY THOMAS BUCKLE
HISTOIRE
DE LA
CIVILISATION
EN ANGLETERRE
TRADUCTION AUTORISÉE, PAR A. BAILLOT
TOME QUATRIÈME
PARIS
* * « • :
LIBRAIRIE INTERNATIONALE : jfMA*S
46, BOULEVARD MONTMARTRE, 4.5
au coin de la me Vivienne
A. LACEOIX, VEKBOECKHOVEN ET C'% ÉDITEURS
MÊME MAISON A BRUXELLES , A LEIPZIG ET A LIVOURNE
1865
Droit de reproduction réservé
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O^uyi^s^J^ £ûk
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v.
HISTOIRE
DELA
CIVILISATION EN ANGLETERRE
CHAPITRE XV
Esquisse de l'histoire de l'intellect espagnol depuis la cinquième siècle
jusqu'au milieu du neuvième.
Dans le volume précédent j'ai essayé d'établir quatre pro-
positions principales, que je considère comme les bases
fondamentales de l'histoire de la civilisation : 1° les progrès
du genre humain dépendent du succès des investiga-
tions dans les lois des phénomènes de la nature et de la
proportion dans laquelle se répand la connaissance de ces
lois; 2° avant que cette investigation puisse commencer, il
faut que l'esprit de doute soit né et que, venant d'abord en
aide aux investigations, il en soit aidé ensuite; 3° les décou-
vertes ainsi obtenues accroissent l'influence des vérités in-
tellectuelles et diminuent, relativement, non absolument,
les vérités morales ; car les vérités morales, ne pouvant de-
venir aussi nombreuses, sont plus stationnaires que les véri-
tés intellectuelles; 4° le grand ennemi de ce mouvement, et
par conséquent le grand ennemi de la civilisation, c'est l'es-
T IV. 4
426803
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HISTOIRE
prit protecteur, je veux dire l'idée que la société ne peut
prospérer si l'État et l'Église ne guident et ne protègent nos
moindres pas dans les affaires de la vie : l'État enseignant
aux hommes ce qu'ils doivent faire, l'Église leur enseignant
ee qu'ils doivent croire : telles sont les propositions que
j'estime comme étant des plus essentielles pour la saine in-
telligence de l'histoire et que j'ai défendues comme toute
proposition doit être défendue par inductions et par déduc-
tions. La défense par induction comprend une collection de
faits historiques et scientifiques qui suggèrent et autorisent
les conclusions tirées de ces faits ; la défense par déduction
c'est la vérification de ces conclusions, c'est prouver com-
ment elles expliquent l'histoire de tous les pays et leurs for-
tunes diverses. Je n'ai rien de nouveau à ajouter, quant à
présent, au moyen de défense par induction ; quant à la dé-
fense par déduction, j'espère qu'elle puisera dans ce volume
des forces considérables qui m'aideront à confirmer non seu-
lement les quatre propositions sus-énoncées, mais encore d'au-
tres propositions secondaires qui, quoiqu'elles en découlent,à
strictement parler, exigent cependant une vérification à part.
Suivant le plan que nous avons tracé, le reste de cette in-
troduction doit être consacré à l'examen de l'histoire d'Es-
pagne, d'Ecosse, d'Allemagne, et des États-Unis d'Amérique,
dans le but d'élucider des principes qui ne trouvent pas dans
les seuls faits de l'histoire d'Angleterre une confirmation
suffisante. Dans ma pensée, l'Espagne est le pays oh les
conditions fondamentales des progrès d'une nation ont été
le plus ouvertement violées ; c'est aussi le pays sur (lequel le
châtiment encouru par cette violation a pesé le plus lourde-
ment, et c'est celui où nous trouverons le plus grand nombre
de faits instructifs à l'appui de notre thèse : que la prédomi-
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 7
aance de certaines opinions chez un peuple doit entraîner
sa ruine.
Nons avons vu que les vieilles civilisations tropicales pos-
sédaient de certains traits caractéristiques que j'ai appelés
« les aspects de la nature. » En enflammant l'imagination,
ils encouragèrent la superstition et empêchèrent d'oser ana-
lyser des phénomènes physiques qui paraissaient mena-
çants; en d'autres termes, ils retardèrent la création des
sciences physiques. Un fait intéressant à constater, c'est
qu'aucun pays d'Europe n'a, sous ce rapport, autant de traits
de ressemblance avec les contrées tropicales que l'Espagne.
Aucune autre partie de l'Europe ne parait être aussi claire-
ment désignée par la nature comme le siège et le refuge de la
superstition. En nous reportant aux preuves que nous avons
déjà données (1) on se rappellera que les principales causes
physiques de la superstition furent les famines, les épidé-
mies, les tremblements de terre, et les climats malsains qui,
en abrégeant la durée ordinaire de la vie, poussent à invo-
quer plus fréquemment et avec plus d'ardeur une aide sur-
naturelle. Ces particularités prises en masse sont bien plus
saillantes en Espagne que partout ailleurs en Europe. Ce ne
sera donc pas sans utilité que nous donnerons un abrégé tel
qu'il puisse démontrer combien ont été malfaisants les effets
qu'ils ont produits en formant le caractère national.
Si nous exceptons l'extrémité septentrionale de l'Espagne,
nous pouvons affirmer que les deux principaux traits caracté-
ristiques du climat de cette contrée sont la chaleur et la sé-
cheresse, augmentées encore par les difficultés d'irrigation
que la nature a créées sur tous les points. Car les rivières qui
(1) Voyet le second chapitre dn premier volume de Bnck\e, Histoire de la civilisation.
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8 HISTOIRE
coupent cette terre roulent pour la plupart dans des lits bien
trop profonds pour qu'elles puissent servir à l'arrosement du
sol qui, par suite, est et a toujours été d'une aridité ex-
trême (1). C'est à cette cause et à la rareté des pluies que
cette contrée d'Europe, aussi richement douée sous tous au-
tres rapports, doit d'avoir été plus souvent et plus sérieuse-
ment que tout autre pays le siège de la sécheresse et de la
famine (2). Ces vicissitudes du climat, surtout dans les par-
ties centrales, faisaient de l'Espagne un pays habituellement
malsain, ce qui, avec la fréquence de la famine, pendant
tout le moyen âge, rendit les ravages de la peste on ne peut *
plus funestes (3). Ajoutons à cela que dans le Péninsule,
(1) « The low state of agriculture in S pain may be ascribed partly to physical and partly
to moral causes. At the head of the former must be placed the heat of tbe climate and the
aridity of tbe soil. Most part of the rivera with which the country is intersected rim in
deep beds and are but little available ezcept in a few favoured localities for pnrposes of
irrigation. ■ M'Culloch , Geographical and Statistical Dictionnary. Lond., 1849, t. II,
pag. 708. Voyez aussi Laborde, Spain. Lond., 1809, t. IV, pag. 284; t. V, pag. 361. L'aridité
relative des différentes parties de l'Espagne est établie dans Gook, Spain. Lond., 1834,
t. II, pag. 216-219.
(2) Snr ces sécheresses et ces famines , voyez Hariana , Historia de Espafla. Madrid ,
1794, t. II, pag. 270; t. III, pag. 225; t. IV, pag. 32; Conde, Historia de la dominaçion de
los Arabes en Espana. Paris, 1840, pag. 142, 149, 154, 170; Davila, Historia de la vida
de Felipe Tercero. Madrid, 1771, in-fol., lib. n, pag. 114; Glarke, Letters conceming the
Spanish Nation. Lond., 1763, in-4*, pag. 282; Udal ap Rhys Tour tkrough Spain.
Lond., 1760, pag. 292, 293; Spain by an American. Lond., 1831, t. II, pag. 282; Hoskîns,
Spain. Lond., 1851, 1. 1, pag. 127, 132, 152. t Èspana es castigada frementemente con las
sequedades y faltas de llnvias. • Muriel, Gobierno de Carlos III. Madrid. 1839, pag. 193.
(3) « Anadase à todo esto las repetidas pestes, y mortales epidemias que han afligido à
las provincias de Espana, mayormente à las méridionales que han sido las mas sujetas à
estas plagas. De estas se hace mencion en los anales é historias muy fréquente mente ; y en
su confirmacion se puede leer el tratado histôrico, 6 epidemiolôgia que sobre ellas ha
publicado Don Joachîn de Villalba, donde se vera con dolor y espanto con quanta frequencia
se repetian estos azotes desde mediados del siglo decimoquarto. > « Dos exemplos
bien recientes y dolorososihemos visto,y conservaremos en la memoria,en los formidables
estragos que acaban de Ipadecer gran parte del reyno de Sevilla , Cadix, y sus contornos,
Malaga, Cartagena, y Alicante; sin contar la mortandad con que han afligido à la mayor
parte de los pueblos de ambas Castillas las epidemias de calenturas putridas en el ano
pasado de 4805. » t Por otra parte la fondation de tantas capillas y procesiones à
San Roque, y SanàSebastian,?como abogados contre la peste, que todavia se conservan en
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE.
comprenant le Portugal, les tremblements de terre ont causé
de grands désastres (1), ont surexcité les sentiments supersti-
la mayor parte de nuestras cindades de Espana, son otro testimonio de los grandes y repe-
tidos estragos que habian padecido sus paeblos de este azote. Y el gran numéro de medicos
espanoles que publicaron tratados preservatfvos y curativos de la peste en los reynados de
Carlos V, Felipe II, Felipe III, 3 Felipe IV, contirman mas la verdad de los hechos. » Cap-
many, Questiones criticas. Madrid, 1807, pag. M, 53. Voyez aussi pag. 66, 67, et Janer,
Condition social de los Moriscos de Espana, Madrid, 1857, pag. 106, 107, et la notice sur
Malaga dans Bourgoing, Tableau de l'Espagne. Paris, 1808, t. III, pag. 242.
(1) < Earthquakes are still often felt at Granada and along the coast of the province of
Alicante, where their effects hâve been very disastrous. Much fnrther in tbe interior, in the
small Sierra del Tremédal, or district of Albarracia, in the province of Terruel, éruptions
and shocks hâve been very fréquent since the most remote periods ; the black porphyry is
there seen traversing the altered strata of the politic formation. The old inhabitants of
the country speak of sinking of the ground and of the escape of sulphureous gases when
they were young; thèse same phenomena haveoccnrred duriug four consécutive months of
the preceding winter, accompanied by earthquakes, which bave caused considérable mischief
to the buildings of seven villages situated within a radius of two leagues. They hâve not,
however, been attended with any loss of life, on account of the inhabitants hastening to
abandon their dwellings at the first indications of danger. ■ Ezguerra on the Geology of
Spain, dans le Quarterly Journal of the Geological Society of London, t. VI,
pag. 412, 413. Lond., 1850. « The provinces of Malaga, Murcia, and Granada, and, in Por-
tugal, the country round Lisbon, are recorded at several periods to hâve been devastated,
by great earthquakes. ■ Lyell, Principles of Geology. Lond., 1853, pag. 358. « Los terre-
motos son tan sensibles y fréquentes en lo alto de las montanas, como en lo llano, pues
Sévi lia esta sujeta à ellos hallandose situada sobre una Uannra tan igual y baxa como
Holanda. ■ Bowles, Introduction à la Historia natural de EspafUt. Madrid, 1789, in-4%
pag. 90, 91. « The littoral plains, especially about Cartagena and Alicante, are much subject
to earthquakes. ■ Ford, Spain, 1847, pag. 168. ■ This corner of Spain is the chief volcanic
district of the Peninsula, which stretches from Cabo de Gâta to near Cartagena ; the earth-
quakes are very fréquent. > Ford, pag. 174. » Spain, including Portugal, in îts external confi-
guration, with ist vast tableland of the two Castiles, rising nearly 2,000 feet above the sea,
is perhaps the most interesting portion of Europe, not only in this respect, but as a région
of earthquake disturbance, where the energy and destroying power of this agency hâve been
more than displayed upon the most tremenduous scale. > lAzllel, Earhtquake Catalogue
ofthe British Association. Rapport pour 1858, pag. 9. Lond., 1858. — Je cite ces passages
tout au long en partie à cause de leur intérêt comme vérités physiques et en partie parce
que les faits qu'ils confirment sont essentiels à la saine intelligence de l'histoire d'Espagne.
Leur influence sur le caractère espagnol a, je le crois, été indiquée pour la première fois
dans mon Histoire de la civilisation, 1. 1, pag. 112, 113. Je ne m'inquiétai pas alors
d'appuyer sur des faits la preuve de la fréquence des tremblements de terre dans la pénin-
sule, parce que je supposai que toute personne connaissant un peu l'histoire physique de
la terre ne pouvait l'ignorer ; mais, en avril 1858, une critique de mon ouvrage parut dans
la Revue d'Édinbourg où Ton ne m'épargna aucune des erreurs que je suis censé avoir
commises. A la page 468 de celte Revue, le critique, après avoir mis mes lecteurs en garde
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10 HISTOIRE
lieux queces phénomènes provoquent naturellement, et nous
pourrons nous faire une idée de l'incertitude de la vie, dans
contre mes • jaccuracies, • fait observer que M. Buckle soutient que les tearthquakes and
Tolcanic erro plions are most fréquent and more destructive in Italy and in the Spanish and
Portugese peniosula than in any other of the great cou o tries, wbence he infers by a sin-
gular process of reasoning, that superstition is more rife and the clergy more powerful; but
that the fine arts floorish poetry is cuitivated and the science* negleeted. Every lihkîn
this chain is more or less fautty. There is no volcaoo in the Spanish peniosula and the ouiy
earthqnake known to hâve occurred there iras that of Lisbon. » Il est certain que je ne dois
pas m'attendre à ce qu'un écrivain de revue, qui fait un article courant daneun but immé-
diat et qui sait que son article n'aura pas plutôt été lu qu'il sera rejeté et oublié, puisse
dans des circonstances aussi défavorables se donner la peine d'entrer dans tous les détails
de son sujet afin de s'en rendre maître. Ce serait de ma part le comble de l'injustice. Cet
auteur n'a aucun intérêt à être exact ; son nom n'est pas connu, et sa réputation, s'il en a,
n'est pas en jeu, et ses erreurs, quand il en commet, méritent toute indulgence, car elles ne
sont pas destinées à vivre plus longtemps que sa publication éphémère qui les transmet,
et ne peuvent par conséquent faire beaucoup de mal. — Ces considérations m'ont rendu
très sobre de répliques aux critiques anonymes dont j'ai pn être l'objet; mais le passage
de la Revue d'Edimbourg sur lequel je viens d'appeler l'attention témoigne d'une igno-
rance si particulière, que je désire le sauver de l'oubli comme curiosité littéraire. Ai-je
besoin de dire que je pourrais réfuter tout aussi facilement les autres accusations dont j'ai
pu être l'objet? Mais il ne pourra venir à l'esprit de qui que ce soit qu'après des années
d'études constantes et consciencieuses, j'aie pu commettre ces erreurs que m'opposent met
adversaires, erreurs qui pourraient tout au plus être celles d'un enfant. Disons une fois
pour toutes que je n'ai affirmé aucune vérité sans en avoir devers moi les preuves nom-
breuses et irréfragables ; mais il m'«st impossible d'en faire la nomenclature complète. Ce
que j'ai entrepris offre déjà un champ si large que, pour le mener à bonne fin , il me faut
compter non sur la générosité de mon lecteur, mais sur sa bonne foi. Je ne crois pas me mon-
trer trop exigeant en Ini demandant qne si, à l'avenir, il hésitait à se prononcer entre moi et
mes critiques, il veuille me donner le bénéfice du doute, et se rappeler que des faits réunis
avec réflexion et dans une œuvre lentement mûrie, signée du nom de l'auteur, doivent l'em-
porter comme exactitude sur ceux que l'on jette dans les revues ou les journaux, car ces
derniers sont non seulement écrits à la hâte et sans études préalables, mais ils ne portent
pas non pins la signature de leur auteur; ce qui les décharge de toute responsabilité , de
tout risque, ne peut ajouter à leur réputation et ne les expose à aucune censure.— Le mit
est qu'il y a eu en Espagne, l'Italie exceptée, plus de tremblements de terre que dans toutes
les autres parties de l'Europe. Le nombre des existences et des propriétés détruites par
cette cause, si on les réunissait, formerait un total imposant. Quant à ces phénomènes,
nous ajoutons ceux qui, moins terribles dans leurs résultats destructeurs, ne laissent pas
cependant d'avoir coûté la vie non pas à des centaines d'individus, mais à des mille et des
mille et d'avoir propagé la superstition à un degré inouï, il devient évident qu'ils ont en
une énorme influence sur le caractère national des Espagnols. Quiconque voudra se donner
la peine de consulter les passages suivants y trouvera la preuve décisive des ravages causés
par les tremblements de terre dans l'Espagne seule, c'est à dire sans y comprendre le Por-
tugal. Ils se rapportent tous à une période de temps comprenant moins de deux cents ans»
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 11
ces contrées; nous comprendrons ainsi avec quelle facilité
un clerçjé rusé et ambitieux put faire de cette incertitude un
puissant moyen d'influence (1).
le premier tremblement de terre ayant eu lieu en 1639 et le dernier en 4829 : Lettres de
madame de Villars, ambassadrice en Espagne. Amsterdam, 1759, pag. 205; Laborde,
Spain. Lond., 1809, t. I, pag. 169: Dnnlop, Memoirs of Spain. Édinb., 1834, t. II,
pag. 996, 227; Boisel, Journal du voyage d'Espagne. Paris, 1669, in-4% pag. 243; Mallet,
Earthquake Catalogue of the British Association. Lond., 1858. Rapport pour 1853,
pag. 146 ; pour 4854, pag. 26, 27, 54, 55, 57, 58, 65, 110, 440, 173, 196, 202 ; Swinburne, Travels
through Spain. Lond., 1787, t. 1, pag. 166; Ford, Spain. Lond., 1847, pag. 178; Bacon,
Six Yearsin Biscay. Lond., 1838, pag. 32. Comparez avec Iuglis, Spain. Lond., 1831,
1. 1, pag. 398; t. II, pag. 289 291. Ces écrivains racontent les ravages produits pendant cent
quatre-vingt-dix ans. De leurs récits il résulte qu'en Espagne une génération ne s'est pas
écoulée sans que les tremblements de terre n'aient détruit des châteaui, des villages, des
Tilles entières et causé la mort d'une quantité d'hommes, de femmes et d'enfants. Cependant
à en croire notre détracteur anonyme, il est douteux qu'il y ait jamais en un seul tremble-
ment de terre en Espagne, car, dit il, dans toute la péninsule, en y comprenant le Portugal,
« the only earthquake known to hâve occurred there was that of Lisbon. »
(1) $ur les craintes superstitieuses provoquées par les tremblements de terre en, Espagne,
voyez un bon passage de Conde {Historia de la dominacion de los Arabes, pag.- 155) :
tEnelano267,diajueves,22de la luna de Xawâl,temblô la tierra con tan espantosoruido
y estremecimiento, que cayeron muchos alcazares y magniflcos edifîcios, y otros quedaron
rauy quebrantados, se hundieron montes, se abrieron penascos,y la tierra se hundiôy
tragô pueblos y alturas , el mar se retrajô y aparté de las costas , y desaparecieron islas
y escollos en el mar. Las gentes abandonaban los pueblos y huiao à los campos, las aves
salian de sus nidos, y las fieras espantadas dejaban sus grutas y madrîgueras con gênerai
tarbacion y trastorno; nunca los hombres vieron ni oyeron cosa semejante ; se arruinaron
machos pueblos de la costa méridional y occidental de Espana. Todas estas cosas influyeron
tanto en los animos de los hombres, y en especial en la ignorante multitud, que no pudo
Almondhir persuadirles que eran cosas naturales, aunque poco frecuentes, que no tenian
iaflujo ni relacion con las obras de los hombres , ni con sus empresas , sino por su igno-
rancia y vanos temores, que lo mismo temblada la tierra para los muslimes que para los
crisManos, para las fieras que para las inocentes criaturas. » Comparez Geddes, Tracts con-
rerning Spain. Lond., 1730, 1. 1, pag. 89, et Marina qui, dans l'année 1395, dit (Historia
de Espana, t. Y, pag. 27)-: « Temblô la tierra en Valencia mediado el mes de Diciembre,
con que muchos edifîcios cayeron por tierra, otros quedaron desplomados ; que era ma ravi Ma
y làatima. El pueblo como agorero que es, pensaba eran senales del cielo y pronosticos
de los danos que teraian. » L'histoire d'Espagne abonde en exemples de celte espèce. Ils sont
beaucoup trop nombreux pour être cités tous ou même pour qu'on y renvoie. Mais ce sujet a
tant d'importance et il a été si mal interprété, qu'on risque d'ennuyer le lecteur. Je vais
encore prouver par un exemple que les tremblements de terre ont entretenu la superstition
en Espagne. En 1504, t an earthquake, accompanied by a tremendous hurricane , such as
the oldest men did not remember, had visited Àndulasia, and especially Carmona, a place
belonging to the Queen, and occasioned frightful désolation there. The superstitions Spa-
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12 HISTOIRE
Un autre trait caractéristique de ce pays, c'est que la vie
pastorale y domine et y est entretenue surtout par la diffi-
culté que l'on y éprouve à prendre des habitudes régulières
d'industrie agricole. Dans presque toute l'Espagne, le climat
rend le travail impossible au laboureur pendant la plus
grande partie du jour (1) ; et ce repos forcé encourage chez
le peuple une irrégularité de conduite, une instabilité, qui le
pousse à préférer la vie errante du berger au travail plus as-
sidu de l'agriculture (2). Pendant toute la durée de la guerre
qu'ils firent à leurs conquérants mahométans, ils furent ex-
posés à tant de sorties et de pillages de la part de l'ennemi,
qu'ils comprirent la nécessité de pouvoir emporter leurs
moyens d'existence, c'est pourquoi ils préférèrent le produit
niards row read in thèse portants the prophétie signs by wfiich Heaven announces
some great calamity. Prayers toere put up in every temple, » etc. Prescott, History of
Ferdinand and Isabella. Paris, 1842, t. III, pag. 174.
(1) Bnckle, History of Civilization, 1. 1, pag. 40. Voyez aussi Laborde, Spain, t. IV,
pag. 42.
(2) Un écrivain de la première partie du dix-huitième siècle fait mention c d'el gran
nnmero.de pastores que hay. • Uztariz, Theorica y Practica de comerdo, 3* édit.
Madrid, 1757, in-fol., pag. 20. Sur l'époque des Arabes, voyez Gonde, Historia de la domi-
nacion, pag. 244: « Muchos pueblos, siguiendo su natural inclination, se entregaron à la
ganaderia. » De là t the wandering life so congenial to the habits of the Spanish peasantry, >
cité dans Cook, Spain, 1. 1, pag. 85, où cependant ne se trouve pas indiqué le rapport entre
ce fait et la constitution physique du pays. M. Ticknor résout ce problème avec la pénétra-
tion et l'exactitude qui lui sont propres : «The climate and condition of the Peninsula,
'which from a very remote period had favoured the shepherd's life and his pursuits, facili-
tated, no doubt, if they did not occasion, the first introduction into Spanish poetry of a
pastoral tone, whose echoes are heard far back among the old ballads.a • From
the Middle Ages the occupations of a shepherd's life had prevailed in Spain and Portnga 1
to a greater extent than elsewhere in Europe; and, probably, in conséquence of this cir-
cumstance , eclogues and bocolics were early known in the poetry of both coun tries, and
became connected in both with the origin of the popular drama. ■ Ticknor, History of
Spanish Literature.Load., 1849, t. III, pag. 9, 36. Pour la littérature pastorale en Espagne,
▼oyez Bonterwek, History of spanish literature. Lond., 1823, 1. 1, pag. 123-129, et, snr le
grand nombre des nouvelles pastorales, Southey, Letlers from Spain. Bus toi, 1799, uag. 336.
Mais ces auteurs n'ont saisi qu'un côté de la question, et ils ont oublié d'établir les rapports
ntre la littérature et les phénomènes physiques et sociaux.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 15
de leurs troupeaux aux produits de leurs terres : ils devin-
rent pasteurs au lieu d'agriculteurs, par la seule raison qu'ils
auraient moins à souffrir dans le cas où la guerre tournerait
contre eux. Même après la prise de Tolède, bien avant dans
le onzième siècle, les habitants de la frontière dans l'Estra-
madure, la Manche et la Nouvelle Castille étaient presque
tous bergers, et le bétail paissait dans la campagne, et non
dans des prairies de propriété privée (1). Tout cela augmenta
l'incertitude de la vie et fortifia l'amour des aventures et cet
esprit romanesque qui plus tard donna le ton à la littérature
populaire. Ainsi tout devint précaire, inquiet, incertain ;
penser et rechercher, était chose impossible ; le doute n'exis-
tait pas, et la voie se trouvait prête pour les superstitions,
pour les croyances enracinées et persévérantes qui, dans les
temps anciens, formèrent le trait principal de l'histoire de la
nation espagnole.
Il est impossible de déterminer le degré d'influence que
ces circonstances eussent pu avoir sur la destinée ultérieure
de l'Espagne dans le cas où elles eussent agi seules, mais on
ne peut douter qu'elles n'aient eu des conséquences impor-
tantes, quoique l'insuffisance des preuves nous mette dans
(1) Voyes les mémoires de Jovellanos dans V Espagne de Laborde, t. IV, pag. 127. Celait
la conséquence nécessaire de ces attaques vindicatives an moyen desquelles mahométans
et chrétiens semblèrent avoir résolu de faire de l'Espagne un désert, les uns ravageant les
champs des antres et détruisant tout ce qu'ils rencontraient sur leur passage. Conde, Domi-
nation de los Arabes, pag. 75, 188, 278, 346, 396, 417, 418, 471, 499, 500, 505, 523, 539, 541,
551, 578, 645, 651, 658. Voici un de ces cas, pris dans le onzième siècle : • La conslancia de
Alfonso ben Ferdeland en hacer entradas y talas en tierra de Toledo dos veces cada, ano,
né tanta que empobreciô y apuré los pueblos; > « el tirano Alfonsa talô y quemô
los campos y los pueblos. » Conde, pag. 346. Ces ravages, continués à peu près sans interrup-
tion pendant sept cents ans environ, ont eu beaucoup d'influence sur le caractère national
des Espagnols; ils valent la peine de recourir à Mariana , Historia de Espana, t. m,
pag. 438; t. IV, pag. 193, 314; t. V, pag. 92, 317, 337, et à Cricourt, Hist. des Arabes d'Es-
pagne. Paris, 1846, 1. 1, pag. 99.
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U HISTOIRE
l'impossibilité de les apprécier avec exactitude. Mais c'est là
un point de peu d'importance quant au résultat actuel parce
qu'une longue suite d'événements ayant une part d'influence
plus grande encore ont concouru en se confondant avec ceux
que nous venons de citer à former une combinaison à la-
quelle rien n'a pu résister et qui nous aide à suivre avec cer-
titude les faits qui ont amené plus tard la décadence de {a
nation. L'histoire de l'abaissement de l'Espagne devient trop
claire pour qu'on s'y trompe quand ou l'étudié en prenant
pour bases les principes généraux que j'ai énoncés et qui se
trouvent eux-mêmes confirmés par le jour qu'ils jettent sur ce
sujet aussi instructif que navrant.
Après la chute de l'empire romain Je fait principal qui se
présente le premier dans l'histoire d'Espagne est l'établisse-
ment des Wisigoths et le règne de leurs opinions dans la
Péninsule. Comme les Suèves qui les avaient précédés, ils
étaient ariens, et l'Espagne, pendant cent cinquante ans,
devint le point de ralliement de cette fameuse hérésie (1) à
laquelle adhérèrent la plupart des tribus des Goths. Vers la
fin du cinquième siècle, les Francs, aussitôt leur conver-
sion, adoptèrent la croyance orthodoxe opposée et furent
encouragés à déclarer la guerre à leurs voisins hérétiques.
Clovis, qui était alors roi des Francs, fut considéré par
(1) La chronologie incertaine de la première partie de l'histoire d'Espagne est aux yeux
ti*o.o grand nombre d'écrivains, quant à la dorée de l'arianisme, an point d'une importance
bien plus grande que la mort ou l'avènement ri«s -ois. Antequera (Hisloria de la législa-
tion espanola. Madrid, 1849, pag. 37) dit : «La secta arriana, pues, segun las epocas
ujadas, permaneciô en Espana 125 anos. > Fk'iry (Hist. ecclésiastique, t. VU, pag. 586.
Paris, 1758) dit : « Environ 180 ans, » et M'Crie, qui est en général bien informé, dit dans
son Rist. de la réforme en Espagne. Édinb., 1829, pag. 7 : * Arianism was the prevailing
and established creed of the country for nearly two centuries. » U s'en rapporte à Grégoire
de Tours. C'est donc avec raison que M. Fauriel dit de cette question : « Une question
qui souffre des difficultés. > Voyez son bel ouvrage Uist. de la Gaule méridionale. Paris,
1836, 1. 1, pag. 10.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 15
l'Église comme le champion de la Toi en faveur de laquelle
il attaqua les Wisigoths incrédules (1). Ses successeurs,
poussés par les mêmes motifs, poursuivirent la même poli-
tique (2) et pendant près d'un siècle il y eut guerre d'opi-
nions entre la France et l'Espagne; l'empire des Wisigoths
en fut sérieusement compromis, et plus d'une fois il se vit
.à deux doigts de sa perte. Et c'est ainsi qu'en Espagne une
guerre pour l'indépendance nationale devint une guerre pour
la religion nationale (3) et qu'une alliance intime fut con-
tractée entre les rois anciens et le clergé arien. Le clergé
dans ces âges d'ignorance savait qu'il n'avait qu'à gagner à
une semblable alliance (4) ; il recevait en retour des prières
(1) En 496, le clergé orthodoxe regardait Clovis comme « le champion qu'il peut opposer
aux hérétiques visigoths et burgoodes. » Fauriel, Hi&t. de la Gaule méridionale, t. H,
.pag. 41. Il se plaisait à le comparer à Gédéon (pag. 66). Comparez Fleury, Hist. ecclésias-
tique, t. VII, pag. 89, 90. Ortiz est tellement enthousiaste, qu'il oublie son patriotisme et
loue chaudement le barbare féroce qui fit, il est vrai, la guerre à son pays, mais dont las
opinions théoriques étaient jugées saines. « Mientras Alarico desfogaba su encono contra los
Catolicos, tuvô la Iglesia Galicana el consuelo de ver Catolico à su gran Rey Clodoveo. Era
el ûnieo Monarca del mando que à la sazon profesaba la Religion verdadera. t Ortiz, Comr
pendio de la Hisloria de Espana, t. Il, pag. 96. Paris, 1796.
(2) Ainsi, en 53l,Childebert marcha contre les Visigoths parce qu'ils étaient ariens. Fauriel,
Hist. de la Gaule méridionale, t. II, pag. 131. Et en 542 Childebert et Clotaire firent une
nouvelle attaque et mirent le siège devant Saragosse (pag. 142). t No advertian los Godos
lo que su falsa creencia les perjudicaha, y si lo advertian, su obcecacion les haeia no poner
remedio. Los reyes francos,queeran catolicos, les movian guerras en las Galias porarrianos,
y los obispos catolicos de la misma Galîa gotica deseaban la domination de los Franco s. »
Lafueute, Historia de Eipana, t. II, pag. 380. Madrid, 1850.
(3) t Los Francos por el araor que tenîan a la Religion catholica, que poco an tes abra-
zftran, aborrecian a los Visigodos como gente inficionada de la secta Arriaaa. » Mariana ,
Hiêtoria de Espana, t. II, pag. 43. Parlant d'une de leurs grandes batailles, il dit
page 46 : « Vulgarme&te se llamô el campo Arriano por causa de la religion que los Godos
seguian. »
(4) « fin religion el en croyance, comme en toute chose, les Visigoths se montrèrent plus
série», plus profonds, plus tenaces que les Burgondes. J'ai dit ailleurs commentais étaient
devenus presque en même temps chrétiens et ariens. Transplantés en Gaule et en Espagne,
non seulement ils avaient persévéré dans leur hérésie, ils s'y étaient affermis, affectionnés,
et dans le peu que l'histoire laisse apercevoir de leur clergé on s'assure qu'il était austère,
zélé, et qu'il exerçait un grand empire sur les chefs comme sur la masse de la nation visi-
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16 HISTOIRE
qu'il offrait contre l'ennemi et des miracles qu'il opérait à
l'occasion, des avantages temporels considérables. C'est ici
qu'il faut chercher la source de cette immense influence des
prêtres en Espagne, influence qu'ils n'ont pas cessé de pos-
séder, depuis et que les événements subséquents sont venus
fortifier. Bien avant dans le sixième siècle, le clergé latin
convertit ses maîtres les Wisigoths, et le gouvernement es-
pagnol, en devenant orthodoxe, conféra naturellement à ses
chefs spirituels une autorité égale à celle que leur reconnais-
sait la hiérarchie arienne (1). Disons même que les maîtres
de l'Espagne reconnaissants envers ceux qui les avaient re-
tirés du sentier de l'erreur, furent plus disposés à accroître
le pouvoir de l'Église qu'à le diminuer. Le clergé tira parti
de cette disposition et il en résulta que, vers le milieu du
septième siècle, le clergé et les classes qui dépendaient de
lui eurent plus d'influence en Espagne que dans toute autre
partie de l'Europe (2). Les synodes ecclésiastiques furent
goibe. » Les rois visigoths se croyaient obligés à de grandes démonstrations de
respect pour leur clergé arien. » Fanriel, Histoire de la Gaule méridionale, t. 1,
pag. 577,578.
(1) t L'abjuration de Recared ent lien entre les années 586 et 589. Dnnham, Hist . ofSpain
and Portugal. Lond., 1832, 1. 1, pag. 126-118; Mariana, Hist. de Espana, t. II, pag. 99-101 ;
Ortiz, Compendio de la historia de Espafla, t. II, pag. 120; Lafoente, HisL de Espaiïa,
t. II, pag. 360-363. Lafoente (pag. 384) dit : t Recaredo fué el primero que con todo el ardor
de un néofito,comenzô en el tercer concilio toledano à dar â estas asembleas conocimiento
y décision en negocios pertenecientes al gobierno temporal de los pneblos. » De même
Antequera (Hist. de la Législation, pag. 31 ) est heureux de pouvoir faire observer que
« Recaredo abjuré la beregia arriana, abrazô decididamente la religion de Jesu-Cristo, y
concediô â los ministros de la Iglesia una influencia en el gobierno del Estado, que
vino àseren adelante, ilimilada y absoluta. »
(2) i As for the councils beld nnder tbe Visigotb kings of S pain dnring tbe seventh cen-
tury, it is not easy to détermine wbether tbey are to be considered as ecclesiastical or tem
poral assemblies. No kingdom was so thoroughly nnder tbe bondage of the hierarcby as
Spain. ■ Hallam, Middle Ages, édit. 1846, 1. 1, pag. 511. t Les prêtres étaient les seuls qui
avaient conservé et même augmenté leur influence dans la monarchie goth-espagnole. >
Sempere, Hist. des Cortès d'Espagne. Bordeaux, 1815, pag. 19. Compares Lafoente, Hist,
de Espaûa, t. II , pag. 368, sur • la influencia y preponderancia del clero, ya solo en los
negocios eeclesiàsticos, sino tambien en los politicos y de estado. •
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 17
non seulement les conciles de l'Église, ils Turent aussi les
parlements de la couronne (1). A Tolède, alors la capitale de
de l'Espagne, le pouvoir du clergé fut immense. Il se mani-
festait avec tant d'ostentation que dans un concile qui s'y tint
en 633, nous voyons le roi se prosterner littéralement la
face contre terre aux pieds des évêques (2) et un demi-siècle
plus tard, l'historien ecclésiastique dit que cette pratique
humiliante fut répétée par un autre roi, parce que, dit-il,
c'était une coutume établie (3). D'autres faits de même na-
ture prouvent que cette cérémonie n'était point une cérémo-
nie insignifiante. La même tendance se retrouve dans la
jurisprudence, puisque, d'après le code des Wisigoths tout
laïque, soit comme demandeur, soit comme défendeur,
pouvait exiger que sa cause, au lieu d'être jugée par le
magistrat civil, le fût par l'évêque du diocèse. Ce n'est pas
tout : quand les deux partis étaient d'accord pour préférer
le tribunal civil, l'évêque pouvait encore réformer le ju-
gement, s'il estimait que la cause avait été mal jugée ; c'est
à lui qu'il appartenait de veiller à l'administration de
la justice et d'apprendre aux magistrats comment ils de-
vaient remplir leurs fonctions (4). Une autre preuve plus
(1) t Bat it is in Spain, afler the Visigoths had cast off their Arianism, ttiat the bishops
more manifestly influence the whole character of the législation. The synods of Toledo
were not merely national councils, but parliaments of the realm. • Milman, Hist. of Latin
ChHstianity. Lond., 1854, 1. 1, pag. 380. Voyez aussi Antequera, Hist. de la législation
Espaflola, pag. 41 , 42.
(2) En 633, à un concile de Tolède, le roi « s'étant prosterné à terre devant les évêques. >
Fleury, Hist. ecclésiastique, t. VHI, pag. 308. Paris, 4758.
(3) En 688, à l'un des conciles de Tolède, t le roi Égica y était en personne, et, après s'être
prosterné devant les évêques, suivant la coutume, il fit lire un mémoire où il leur deman-
dait conseil, » etc. Fleury, Hist. ecclésiastique, t. IX, pag. 89. Paris, 1758.
(4) Voyez un sommaire très court, mais admirable de cette partie du code des Visigoths
dans Durham, Hist. of Spain* t. IV, pag. 77, 78. La meilleure histoire en anglais peut être
d'un pays étranger. «In Spain the bishops had a spécial charge to keep continuai vratch over
the administration of justice and were summoned on ail great occasions to instruct the
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tS HISTOIRE
pénible encore de la domination du clergé en Espagne, c'est
que les lois contre les hérétiques y furent plus dures qu'en
tout autre pays : les juifs en particulier y furent poursuivis
avec une inexorable rigueur (1). Le désir de maintenir la
foi fut assez fort pour provoquer la déclaration formelle
qu'aucun souverain ne serait reconnu, s'il ne promettait de
la conserver pure de toute fausse interprétation. Il va sans
dire que les juges de cette pureté étaient ces mêmes évoques
aux suffrages desquels le roi devait son trône (2).
Telles furent les circonstances qui, durant le septième
siècle comme dans les siècles précédents, assurèrent à
l'Église espagnole une influence qui n'a point eu d'égale en
jndges to act with piety and justice. > Bfilman , Hist. of Latin Christianity , 1854, t. 1,
pag. 386. Le concile de Tolède en 633 donne avis aux évêqaes d'admonester les juges. Fleury,
Hi8t. ecclésiastique, t. VIII, pag. 313. Un savant jurisconsulte espagnol, Sempere, dit des
évêques : « Le code du Fuero Juzgo fat leur ouvrage ; les juges étaient sujets à leur juri-
diction ; les plaideurs, grevés par la sentence du juge, pouvaient se plaindre aux évêques,
et ceux-ci évoquer ainsi leurs arrêts, les réformer et châtier les magistrats. Les procureurs
du roi, comme les juges, étaient obligés de se présenter aux synodes diocésains annuels
pour apprendre des ecclésiastiques l'administration de la justice; enfin le gouvernement des
Goths n'était qu'une monarchie théocratique. • Sempere, Monarchie espagnole. Paris,
4896, t. l,pag.6; t. II, pag. 212, 214.
(1) « The terrible laws against heresy and the atrocious juridical persécutions of the
jewe, already designate Spain as the throne aud centre of merciless bigotry. i Milman,
HisL of Latin Christianity, 1. 1, pag. 381. « Tan luego como la religion catôlica se hallô
dominando en el trono y en el pueblo commenzaron los concilianos toledanos à dictar
disposiciones canônicas y à prescribir castigos contra los idolâtras, contra los judios, 7
contra los hereges. » Lafuente, HisL de Espafla, t. IX, pap. 199, 200. Voyez aussi pag. 2H,
et t. II, pag. 406, 417, 451 ; Prescott, HisL of Ferdinand and Isabella, 1. 1, pag. 235, 236;
Johnstone, Lnstitutes of the Civil Laws of Spain, pag. 262; Circourt, Hist. des Arabes
d'Espagne, 1. 1, pag. 260, 261, et Southey, Chronicle of the Cod, pag. 18. J'indique tout
particulièrement ces passages à cause de l'assertion extraordinaire du docteur Crie, que
« on a review of cri minai proceedings in Spain anterior to the establishment of the court
of Inquisition, it appears in gênerai that heretics were more mildly treated there than in
other countries. » M'Crie, Hist. of the Reformation in Spain, pag. 83, le meilleur livre
qu'il y ait sur les protestants espagnols.
(2) Un concile de Tolède en 638 ordonne • qu'à l'avenir aucun roi ne montera sur le trônp
qu'il ne promette de conserver la foi catholique. » Et dans un autre concile en 681 : « Le roi
y présenta un écrit par lequel il prioit les évêques de lui assurer le royaume qu'il tenoit de
leurs suffrages. » Fleury, Hist. ecclésiastique, t. VIII, pag. 339; t. IX, pag. 70.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. I!)
Europe (1). De bonne heure, au huitième siècle, eut lieu un
événement qui en apparence brisa et dispersa la hiérarchie,
mais qui au fond lui fut très favorable. En 711, les maho*
métans firent voile de la côte d'Afrique et vinrent débarquer
au sud de l'Espagne ; en l'espace de trois ans ils conquirent
tout le pays excepté les régions presque inaccessibles du
nord-ouest. Les Espagnols, à l'abri de toute attaque dans
leurs montagnes (2), reprirent bientôt courage; ils rallièrent
leurs forces éparses et, à leur tour, ils assaillirent les con-
quérants. Une lutte désespérée s'ensuivit; elle dura près
de huit siècles et pour la seconde fois en Espagne on vit une
guerre d'indépendance être aussi une guerre de religion : la
guerre entre les Arabes infidèles et les chrétiens espagnols
entre les trinitaires de France et les ariens d'Espagne con-
tinuait lentement et en surmontant de grandes difficultés;
les chrétiens avancèrent en combattant toujours. Vers le mi-
lieu du neuvième siècle, ils atteignirent la ligne du Doura (3).
Avant la fin du onzième siècle, ils avaient conquis jusqu'au
Tage, et Tolède leur ancienne capitale tombait entre leurs
mains en 1085 (4). De grands efforts restaient néanmoins à
(1) Ces heureux temps ont été chaudement vantés par an théologien moderne, parce que
pendant toute leur durée l'Église « ha opuosto un muro de hronce al error,» et parce qu'il
y avait • la mas estrecha concordia entre el imperio y el sacerdocio, por cuyo inestimable
beneficio debemos hacer incesantes votos. » Observaciones sobre El Présente y El Par-
venir de la lglesia en Espana, por Domingo Costa y Borras, Obispo de Barcelona.
Barcelooa,1857, pag. 73,75.
(2) Vers lesquelles ils s'enfuirent avec une vitesse qui justifia dans la bouche de leur grand
ennemi Muza cet éloge quelque peu ambigu : t Dijo, son leones en sus castillos , aguilas en
sus caballos, y mugeres en sus escuadrones de a pié; pero si ren la ocasion la sabien apro-
vechar, y cuando, quedan vencidos son cabras en escapar à los montes, que non ven la
tierza que pisan. » Conde, Hist. de la dominacion de los Arabes, pag. 30.
(3) Prescott, Hist. of Ferdinand and Isabella, 1. 1, pag. xxxvm,287. Lafuente {Hist.
. de Espaila, t. III, pag. 363) désigne l'époque assez peu distinctement : «Basta el Dnero.»
Comparez Florez, Memorias de las Reynas Catholieas. Madrid, in-4*, 1764, 1. 1, pag. 68.
(4) On trouve un récit très animé de la prise de cette ville dans Mariana, Hist. de
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20 HISTOIRE
faire. Au sud, la lutte revêtit les caractères les plus sanglants;
elle se prolongea avec tant d'obstination, que ce ne fut pas
avant la prise de Malaga, en 1487, et de Grenade, en 1493,
qne l'empire chrétien fut rétabli et que la vieille monarchie
espagnole remonta définitivement sur le trône (1).
Ces événements eurent sur le caractère espagnol une
influence remarquable. Pendant huit siècles successifs tout
le pays fut engagé dans une croisade religieuse, et pendant
que d'autres pays n'eurent que des guerres saintes qu'acci-
dentellement, l'Espagne les conserva et les prolongea pendant
plus de vingt générations (2), car il ne s'agissait pas seule-
ment pour elle de reprendre un territoire, mais de rétablir
une croyance et il arriva que les interprètes de cette croyance
prirent une position élevée importante. Dans le camp et dans
Espafla, t. II, pag. 506-513. Après lui Ortîz (Compendio de la historia, t. III, pag. 156)
et Lafaente (Hist. gênerai, t. IV, pag. 236-242) paraissent mous. On trouve le point de vue
mahométan, le premier coup décisif porté contre leur cause, dans Conde, Hist. de la domi-
nation de los Arabes, pag. 347 : « Asi se perdiô aquella inclita ciudad , y acabô el reino
de Toledo con grave perdida del Islam. ■ Le poiot de vue chrétien est que « concedié
Dios al Rey la conquista de aquella capital. » Florez, Reynas Catholicas, 1. 1, pag. 165.
(1) Circoort, Hist. des Arabes, t. 1, pag. 313, 349; Conde, Domination de los
Arabes, pag. 656, 664; Ortiz, Compendio, t. V, pag. 509, 561; Lafuente, Historia, t. IX,
pag. 341, 399.
(2) t According to the magnifîcent style of the Spanish historians , eight centuries of
almost uninterrupted warfare elapsed , and tbree thousand seven hundred battles were
fought, before the last of the Moorish kingdoms in Spain submitted to tbe Christian arma. >
Robertson, Charles V, par Prescott. Lond., 1857, pag. 65. « En nuestra mismaEspana, en
Léon y Castilla, en esta nueva Tierra Santa, doode se sostenia una cruzada perpétua y con-
stante contra los infieles, donde se mantenia en todo su fervor el espiritu à la vez religioso
y guerrera. * Lafuente, Hist. de Espana, t. V, pag. 293. « Era Espana theatro de una
continua guerra contra los enemigos de la Fe. » Florez, Reynas Catholieas, 1. 1, pag. 226.
t El glorioso empeno de exterminar à los enemigos de la Fe. » Pag. 453. « Esta guerra
sagrada. > T. II, pag. 800. « Se armaron nuestros Reyes Catholicos, con zelo y animo alen-
tada del cielo; y como la causa era de Religion para ensanchar los Dominios de la Fe,
sacrifîcaron todas las fuerzas del Reyno, y sus mismas personas. a Pag. 801. Ce qu'on appe-
lait les indulgences de la croisade étaient accordées « aux Espagnols qui combattraient
contre les Mores. > Fleury, Hist. ecclésiastique, t. XVIII, pag. m; t. XIX, pag. 158, 458 ;
t. XXI, pag. 171.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 21
la chambre du conseil, la voix des ecclésiastique» était en-
tendue et obéie, car comme la guerre avait pour but la pro-
pagation du christianisme, il semblait juste que les ministres
qu'elle intéressait surtout y jouassent un rôle considéra*
Me (1). De plus le danger qui menaçait le pays était immi-
nent, il surexcita les sentiments superstitieux que tout dan-
ger éveille, et auquel, comme je l'ai démontré ailleurs (2),
les civilisations tropicales durent quelques-unes de leurs
particularités principales. A peine les chrétiens espagnols
eurent-ils été chassés de leurs maisons et se furént-ils réfu-
giés dans le Nord, que ce grand principe fyt mis à l'œuvre.
Dans leur retraite au milieu des montagnes, ils conservaient
un coffre de reliques de saints; ils croyaient devoir être leur
sauvegarde (3). Ce coffre était pour eux comme un étendard
national autour duquel ils se ralliaient, et à l'aide duquel
ils remportaient de miraculeuses victoires sur leurs ennemis
infidèles. Ils se disaient les soldats de la croix, aussi leur
esprit prit-il l'habitude des considérations surnaturelles à un
degré que nous avons de la peine à comprendre, et qui les
distingua sous ce rapport de toute autre nation euro-
péenne (4). Leurs jeunes gens avaient des visions, leurs
(1) t En aqoellos tiempos (y doro hasta todo el siglo XV y toma de Grenada) erao los
obispos los primeros capitanes de los exercitos. » Ortiz, Compendio, t. III, pag. 189.
Los prelados habian sido siempre los primeros no solo en promover la guerra contra Mores,
sino à presentarse en campana con todo sn poder y esfnerzo , animando à los demas con
las palabras y el exemplo. » T. V, pag. 507, 508.
(2) Hist. of Civilization, t. 1, pag. 110418.
(3) c Les chrétiens avaient apporté dans les Asturies une arche on coffre plein de reliques
qu'ils regardèrent depuis comme la sauvegarde de leur État. » « Elle fut emportée
et mise enfin à Oviedo, comme le lieu le plus sûr, l'ère 773, l'an 775. » Fleury, Hist. ecclé-
siastique, t. IX, pag. 190. Cette « arca llena de reliquias > fut emportée dans les Asturies
en 714. Mariana, Hist. de Esparla, t. II, pag. 227. Et suivant Ortiz {Compendio, t. H,
pag. 182), ce fut i un tesoro inestimable de sagradas reliquias. t Voyez aussi Gedde,
Tracts conceming Spain, t. II, pag. 237. Lond., 1730, et Ford, Spain, 1847, pag. 388.
(4) c But no people ever fait themselves to be so absolutely soldiers of the cross as the
T. IV. 2
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2Î HISTOIRE
vieillards avaient des rêves (1). D'étranges avertissements
leurs descendaient du ciel ; de mystérieux présages leur appa-
raissaient à la veille de la bataille et Ton remarquait que
toutes les fois qu'un mahométan violait la tombe d'un saint
chrétien, il en sortait le tonnerre et des éclairs pour repousser
l'incrédule et au besoin pour châtier son audacieux sacri-
lège (2),
Dans un tel état de choses le clergé ne pouvait manquer
Spaniards did, from the time of their Moorish wars; do people ever trusted so constantly
to the récurrence of miracles in the affairs of their daily life; and therefore no people ever
talked of Divine thingsas of matters in their nature so familiar and common-place. Traces
of this state of feeling and character are to be fonnd in Spanish literature on ail sides. »
Ticknor, Hist. of Spanish Literature, t. II, pag. 333. Comparez Bouterwek,/ft«t. of
Spanish Literature, 1. 1, pag. 106, 106, et le récit de la bataille de Navas dans Circourt,
Hist. des Arabes d'Espagne, 1. 1, pag. 153 : « On vonlait trouver partout des miracles. »
Quelques-uns de ces miracles les plus frappants se trouvent dans Laf uente, Hist. de Espqna,
t. V, pag. 227; Mariana, Hist. de Espana, 1. 11, pag. 378, 395; t. III, pag. 338, et Ortiz
Compendio, t. III, pag. 248 ; t. IV, pag. 22.
(1) L'un des plus curieux de ces rêves prophétiques est conservé dans Conde, Domina-
don de los Arabes, pag. 378, 379, ainsi que la façon dont ils furent interprétés. Ils se réali-
sèrent pour la plupart. En 844 : * El Apostol Santiago, segun que lo prometiera al Rey,fué
visto en un caballo blanco, y con una bandera blanca y en medio délia una cruz roxa, que
capitaneaba nuestra gente. a Mariana, Hist. de Espaûa, t. II, pag. 310, 311. En 957 : « £1
Apostol Santiago fué visto entre las hacas dar la Victoria à los fieles. » Pag. 382. En 1236 :
c Publicôse por cierto que San Jorge ayudô à los Christianos, y que se hallô en la pelea. ■
T. III, pag 323. Sur les rêves qui couvraient ces apparences, voyez Mariana, t. II,
pag. 309, 446 ; t. III, pag. 15, 106.
(2) « Priests mingle in the council and the camp, and, arrayed in their sacerdotal robes,
not unfrequently led the armies to battle. They interpreted the will of Heaven as myste-
riously revealed in dreams and visions. Miracles were a familiar occurrence. The violated
tombs of the saints sentforth thunders and lightnings to consume the invaders. » Prescott,
Hist. of Ferdinand and Isabella, 1. 1, pag. xxxix. Au milieu du neuvième siècle eut lieu
le fait suivant : «En lo mas cruel de lostormentos (auxquels les chrétiens furent exposés)
subiô Abderramen un dia à las azuteas ô galerias de su Palacio. Descubriô desde alli los
cuerpos de los Santos martirizados en los patibulos y atravesados con los palos, mandé los
quemasen todos para que no quedase reliquia. Cumpliôse luego la ôrden : pero aquel impio
probô bien presto los rigores de la venganza divina que volvia por la sangre derramada de
sus Santos. lmprovisamente se le pegô la lengua al paladar y fauces; cerrôsele la boca, y
no pudo pronunciar una palabra , ni dar un gemido. Conduxeronle sus criados â la cama,
mnriô aquella misma noche, y antes de apagarse las hogneras en que ardian los santos
cuerpos, entrô la infeliz aima de Abderramen en los eternos fuegos de! inlierno. * Ortiz,
Corapendio, t. III, pag. 52.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 25
d'étendre son influence, ou plutôt disons que le cours des
événements retendit pour lui. Les chrétiens espagnols en-
fermés pendant un laps de temps considérable dans leurs
montagnes des Asturies , privés de leurs anciennes res-
sources , dégénérèrent bien vite et perdirent jusqu'à la
pauvre civilisation qu'ils avaient acquise. Dépouillés de toutes
leurs richesses, confinés dans les limites d'une région com-
parativement aride, ils retombèrent dans la barbarie et pen-
dant cent ans au moins ils vécurent sans arts, sans com-
merce et sans littérature (1). Plus leur ignorance allait crois-
sant, plus la superstition augmentait, et plus celle-ci à son
tour fortifiait l'autorité des prêtres. Ce qui advint fut donc
tout naturel : l'invasion mahométane appauvrit les chré-
tiens; la pauvreté engendra l'ignorance; l'ignorance engen-
dra la crédulité, et la crédulité, en enlevant aux hommes la
faculté et le désir de comprendre par eux-mêmes, engendra
l'esprit de vénération, et confirma ces habitudes de soumis-
sion et cette obéissance aveugle envers l'Église qui est, mal-
heureusement, le trait particulier et dominant de l'histoire
des Espagnols.
De ce que nous venons de dire, il faut conclure donc que
l'invasion mahométane fortifia les sentiments religieux du
(1> Circourt {Hist. des Arabes, t. 1, pag. 5) dît : « Les chrétiens qui ne voulurent pas se
soumettre forent rejetés dans les incultes ravins des Pyrénées, où ils parent se maintenir
comme les bêtes fanves se maintiennent dans les forêts. ■ Le récit le plus curieux sur l'état
des chrétiens espagnols dans la dernière partie du huitième siècle et dans la première
partie du neuvième se trouve dans Conde, Hist. de la domination, pag. 95, 125. « Referian
de estos pueblos de Galicia que son cristianos, y de los mas bravos de Afranc; pero que
viven como fieras, que nunca lavan sus cuerpos ni vestidos , que no se los madan, y los
Uevan puestos hasta que se los caen despedazados en andrajos, que entran unos en las casas
de otros sin pedir licencia. » En A. D. 815 : t No habia gnerra sino contra cristianos
por mantener frontera, y no con deseo de ampliar y extender los limites del reino, ni por
esperanza de sacar grandes riquezas, por ser los cristianos gente pobre de montana, sin
saber nada de comercio ni de buenas artes. »
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24 HISTOIRE
peuple espagnol de trois manières : d'abord, en provoquant
une guerre religieuse, longue et obstinée; en maintenant la
présence constante de dangers imminents, et enfin par la
pauvreté, et par conséquent par l'ignorance qu'elle amena
parmi les chrétiens.
Ces événements qu'avaient devancés la grande guerre de
Tarianisme, avec leur cortège de phénomènes physiques
dont j'ai déjà indiqué la tendance dans la même direction:
pour les rendre plus frappants encore, produisirent un tel
effet, en se combinant avec les facultés énergiques du peuple;
qu'en Espagne l'élément théologique ne fut bientôt plus seu-
lement unedes parties du caractère national, mais qu'il devint
le caractère même. Les rois d'Espagne les plus capables et les
plus ambitieux se virent contrainte de suivre le sillon tracé, et
les despotes succombèrent sous4a pression des opinions reçue»
tout. en se faisant l'illusion qu'ils le» dirigeaient. La guérie
contre Grenade, sur la fin du quinzième siècle, fut bien 1
plutôt une guerre religieuse qu'une guerre politique, et le but
d'Isabelle, qui fit les plus grands sacrifices pourla mener à
bonne fin et qui, comme capacité et comme loyauté, était
bien supérieure à Ferdinand, fut moins l'acquisition d'une
partie de territoire que la propagation de la foi catholique (1).
Les événements qui suivirent sont faits pour dissiper tous les
(1) « Isahella may be regardai as the soûl of Uns war. She engaged in it with the mos
exalted views, le*s to acquire lerritory than to reestablish the empire of the Cross over the
ancien t domain of christeodom.» Prescott, iftat. of Ferdinand and IsabeUa, t. I,pag.3W.
Comparez Fleury (HisL ecclésiastique, t. XXIII, pag. 583) : t Bannir de tonte l'Europe la
secte de Mahomet, » et Circourt (HisL des Arabes d'Espagne, t. II, pag. 99, 109) : «Pour
elle une seule chose afait de l'importance : extirper de ses royaumes le nom et la secte de
Mahomet. • « Sa rie fut presque exclusivement consacrée à faire triompher la croix
sur le croissant.» Mariana (HisL de Espana, t. V, pag, 51,52) fait un grand éloge de son
caractère qui, nous nous plaisons à le reconnaître, était parfait au point de vue espagnol.
Voyez aussi Florez, Reynas Catholicas, t. II, pag. 774, 778, 8».
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 25
doutes qu'on pourrait conserver sur l'objet de la querelle;
car à peine la guerre était-elle terminée, que Ferdinand et
Isabelle rendirent un décret qui expulsait du pays tout juif
qui se refusait à renier sa foi, afin que le sol de l'Espagne
ne fût plus souillé par la présence des incrédules (1). Faire
des juifs des chrétiens, ou si l'on n'y réussissait les exter-
miner, tel était l'office de l'inquisition qui fut établie sous
ce même règne, et qui, à la fin du quinzième siècle, était en
pleine activité (2). Pendant le seizième siècle, le trône fut
(1) « En Espaça los Reyes Don Fernando y Dona lsabel luego que se viôron desembara-
zados de la guerra de los Moros, acordâron de echar de todo su reyno à los Judios. > Mariana*
Hist. de Espana, t. VI, pag. 303. Un historien espagnol, écrivant, il n'y a pas tout à lait
soixante et dix ans, exprimait son approbation dans les termes suivants : « Arraacado de
nnestra peninsnla el imperio Mahometano, qnedaba todavia la secta Jndayca, peste acaso
mas perniciosa, y sin dnda mas peligrosay extendida, por estar los Judios establecidos en
todos los pneblos de ella. Pero los Catolieos Monarcas, cnyo mayor afan era degarraigar de
sus reynos toda planta y raiz infecta y contraria â la fé de Jesu-Cristo, dieron decreto en
Qranada dia 30 de Marzo del ano nrismo de 14îtë, mandando saliasen de sus dominios los
Judios que no se bantizasen dentro -de 4 meses. » Ortiz, Compendio. Madrid, 4798, t. V,
pag. 564. L'importance qu'il y a à connaître le jngement que portent les Espagnols sur ces
événements et d'autres semblables me décide à transcrire tout au long leurs propres expres-
sions, ce qui dans d'antres circonstances pourrait paraître superflu. En général les histo-
riens s'attachent trop aux transactions publiques et pas assez aux opinions qu'elles sou-
lèvent. Cependant, en fait, les opinions forment la partie la plus précieuse de l'histoire, car
elles sont le résultat des causes .générales, tandis que les actes politiques sont souvent les
particularités de puissantes individualités. Je ne pais au juste déterminer le nombre des
juifs chassés. .L'estimation varie de 160,000 à 800,000. PrescoU, Hist. of Fordincmdund
IsabeUa, t. II, pag. 148; Mariana, Hist. de Espana^t. VI, pag. 304; Ortiz, Compendio*
t. V, pag. 564; Lafuente, Hist. de Espana, t. IX, pag. U% 413; Llorente, Hist. de l'inqui-
sition. Paris, 1817, 1. 1, pag. 261 ; Mata, Dos Discursos. Madrid, 1794, pag. 64, 65; Castro,
Decadencia de Espana. Cadiz, 1852, pag. 19.
(2) Elle avait été introduite en Aragon en 1241 Mais suivant M. Tapia, • sin embargo la
persecncion se limité entonces à la secta de los albigenses ; y como de ellos hubo tan pocos
en Castilla,no se considéré sin duda necèsario en ellael establecimiento de aquel tribunal.»
Tapia, Hist. de la civilizacion Espailola. Madrid, 1840, t. II, pag. 302. Llorente, il est
vrai, dit {Hist. de l'inquisition d'Espagne. Paris, 1817, 1. 1, pag. 88) : «Il est incertain
si au commencement du xv* siècle l'inquisition existait en Castille. >Dans le nouvel ouvrage
de M. Lafuente, 1232 est indiqué comme la date la çlus récente ; mais « â fines del sigles XI V
y principios del XV apenas puede saberse si existia » le tribunal de l'inquisition en Cas-
tille. * Lafuente, Hist. de Espafla, t. IX, pag. 904-206. Madrid, 1852. C'est donc avec toute
saison que Mariana (HisUrria, t. VI, pag. 171) appelle l'inquisition de Ferdinand et dlsa-
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28 HISTOIRE
occupé par deux princes d'un grand esprit et tous les deux
marchèrent dans la même voie. Charles-Quint, qui succéda
à Ferdinand en 1516, gouverna l'Espagne pendant quarante
ans, et le caractère général de son administration fut le
même que celui de ses prédécesseurs. Quant à sa politique
étrangère, ses trois principales guerres furent contre la
France, contre les princes allemands et contre la Turquie.
La première fut une guerre séculière, mais les deux der-
nières furent essentiellement religieuses. Dans la guerre
contre l'Allemagne, il défendit l'Église contre les innova-
tions; et à la bataille de Muhlberg, il réduisit si complète-
ment les princes protestants, qu'il retarda pendant quelque
temps les progrès de la réforme (1). Dans l'autre grande
guerre, champion du christianisme contre le mahométisme,
il consomma ce que son grand-père avait commencé.
Charles défit et chassa les mahométans de l'Est, de la même
manière que Ferdinand les avait chassés de l'Ouest : la dé-
faite des Turcs devant Vienne fut, au seizième siècle, ce que
la défaite des Arabes devant Grenade avait été au quin-
zième (2). Ce fut donc avec raison qu'à la fin de sa carrière
Charles se vantait d'avoir toujours préféré sa foi à son pays,
et que le but principal de son ambition avait été de soutenir
les intérêts du christianisme (3). Le zèle avec lequel il com-
belle t un nuevo y santo tribunal. » Voyez aussi Florez, Membrias de las Reynas Cathô-
licas, t. II, pag. 799.
(1) Prescott, Hist. of Philip II, t. 1, pag. 23. Lond., 1857; Davies, Hist. ofHoUand,
t. I, pag. 447. Lond., 1841. Sur le caractère religieux de la politique allemande, com-
parez Mariana, Hist. de Espana, t. VII, pag. 330; Ortiz, Comp&ndio, t. VI, pag. 195.
(2) Prescott, Philip II, 1. 1, pag. 3, et la suite de Y Hist. ecclésiastique de Fleury,
t. XXVII , pag. 280. Robertson est porté à déprécier la grandeur de ce fait, quoiqu'il loue
Charles-Quint d'avoir terminé la guerre. Hist. of Charles V, pag. 246.
(3) Dans le discours qu'il fit lors de son abdication, il est dit que « ne had been ever
mindful of the interests of the dear laud of his birth, but above ail of the great interests of
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 27
battit pour la foi apparaît dans ses efforts contre l'hérésie
dans les Pays-Bas. D'après des autorités contemporaines,
très compétentes, cinquante à cent mille personnes furent
mises à mort sous son règne dans la Néerlande pour leurs
opinions religieuses (1). Des recherches plus récentes ont
fait douter de ces faits (2), que l'on a sans doute exagérés;
mais nous savons qu'entre 1520 et 1550, il publia une série
de lois qui avaient pour but de faire décapiter, brûler vifs ou
enterrer vivants tous ceux qui étaient convaincus d'hérésie.
Les pénalités étaient variées et s'appliquaient selon les cas ;
mais on était tenu de prononcer la peine capitale contre tout
individu qui avait acheté un livre entaché d'hérésie, contre
celui qui l'avait vendu ou qui l'avait seulement copié pour
son usage particulier (3). Le dernier conseil qu'il adressa à
son fils fut en harmonie avec ces mesures. Quelques jours
seulement avant sa mort, il signa un codicile à son testa-
ment portant qu'il recommandait de ne point faire grâce aux
hérétiques, de les mettre tous à mort, et de veiller au main-
tien de la sainte inquisition, seule capable d'accomplir une
œuvre aussi louable (4).
christianity. His first object had been to maintain thèse inviolate against the infidel. »
Prescott, Philip II, t. 1, pag. 8. Minana fait l'éloge de t el César con piadoso y noble ânimo
exponia sa vida à los peligros para extender los limites del imperio chrisliano. » Continua-
cion de Mariana, t. VIII, pag. 952. Comparez avec la suite de YHist. ecclésiastique de
Fleury, t. XXXI, pag. 19.
(1) Grotias dit 100,000, Bor, Meteren et Paul disent 50,000. Watson, HisL of Philip II.
Lond., 1839, pag. 45, 51 ; Davies, HisL ofHolland. Lond., 1841, 1. 1, pag. 498, 499; Motley,
Dutch Republic. Lond., 1858, 1. 1, pag. 103, 104.
(2) M. Prescott, si ma mémoire ne me trompe pas, le met en doute. Mais l'opinion de
l'éminent historien doit perdre de sa valeur, parce qu'il ignore la littérature hollandaise
où il faut aller chercher ses preuves. Sur ce point comme sur beaucoup d'antres, l'estimable
ouvrage de M. Motley laisse peu à désirer.
(3) Prescott, Philip II, 1. 1, pag. 196, 197. Les premières personnes furent brûlées en 1523.
Motley, Dutch Republic, 1. 1, pag. t>9. On trouve la description de la manière de brûler
vif dans Davies, HisL ofHolland, 1. 1, pag. 383; t II, pag. 311, 312.
(4) Il mourut le 21 septembre, et le 9 il avait signé un codicile dans lequel il t enjoigned
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«S HISTOIRE
II ne faut pas attribuer cette politique barbare aux vices
ou au tempérament particulier du maître, mais à l'action
combinée de causes plus larges qui réagirent sur l'individu
et l'entrainèrent dans leur course. Charles n'était point un
homme vindicatif; sa nature le portait plutôt à la clémence
qu'à la rigueur ; nul ne peut mettre en doute sa sincérité :
il fit ce qu'il croyait être son devoir; et il fut un ami si
tendre, que ceux qui le connurent le mieux furent ceux qui
l'aimèrent le mieux (1); cependant cela ne suffit pas à lui
hisson tofollowupand to bring to justice everyheretic in his dominions, and his without
exception and without favour, or mercy to any one. He conjnred Philip to cherish the holy
inquisition as the best means of accomplishing this good work. » Prescott, Additions to
Robertson's Charles Y, pag. 576. Voyez anssi ses instructions à Philippe dans Raumer,
Mit. of the Sixteenth and Seventeenêh Centuries, 1. 1, pag. 91, et, pour son opinion sur
l'inquisition, voyez sa conversation avec air Thomas Wyatt, imprimée d'après les papiers
de l'État dans Fronde, His t. ofEngland, t. ITT, pag. 456. Lond., 1858. On pourrait croire
à de la déclamation, mais dans Tapia (Civiiisacion Espatiota. Madrid, 1646, i. Ul,
pag. 76, 77), on trouvera une lettre officielle très ferme dans laquelle Charles n'hésite pas
à dire : « La Santa Inquisicion como officïo santo'y pnesto por los reyes cathôlicos nnestros
Sefiores y abuelos à honra de Oios nuestro Senor y de nuestra santa fé cathôlica, teogo firme
é entranablemente asentado y fijado en mi coraxon, para la mandar favorecer y honrar,
como principe justo y temeroso de Dios es obligado y debe hacer. » — Le codicile de
Charles existe encore ou du moins il existait il y a peu de temps au milieu des archives de
Simancas. Ford, Spain, 1847, pag. 334. Dans le grand ouvrage de M. Lafuente, Hist. de
Espana, t. XII, pag. 494, 495. Madrid, 1853, on y renvoie dans un langage qui en plus d'un
sens est parfaitement espagnol : » Su testamento y codicilo respiran las ideas cristianas y
religiosa8 en que habia vivido y la piedad que sefîalô su muerte. » « Es muy de
notar su primera clàusnla (c'est à dire le codicile) por la cual déjà muy encarecidamente
recomendado al rny Don Felipe que use de todo rigor en el castigo de los hereges lutepaoos
que habian sido presos y se hubieren de prender en Espana. » « Sin escepcion do
persona alguna, ni admîtir ruegos, ni tener respeto à persona alguna ; porqne para al eftcto
de ello favoresca y mande favorecer al Santo Officio de la Inquisicion, » etc.
(1) On pent accuser le témoignage d'un compatriote de partialité, mais d'un autre côté,
Raumer, dans son excellent ouvrage HiU. ofthe Sixteenth and Seventeenth Centuries ,
1. 1 , pag. 22, fait observer avec raison que l'on a mal apprécié son caractère, * by reason
that historiane hâve availed themselves by préférence of the inimical narratives of Urench
sud protestant irritées. > Pour me tenir entre ces deux extrêmes, je vais transcrire le résumo
du règne de Charles V tel qu'il est donné par un savant écrivain exempt de tout préjugé :
• Tortoouaas iras sometimes the policy of the emperor, he ne ver, like Francis, acted nith
treacbery ; his mind had too much of native grandeur for such baseness. Sincère in religion
and friendship, faithful to his vrord, dément beyond example, libéral towards his servants,
indefatigable in his régal duties, anxious for the welfare of his subjecls,and gênerai ly
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 2f>
tonner une opinion. Il fut obligé tl'obéir aux tendances du
siècle et du pays dans lesquels il vécut, et la nature de nés
tendances devint plus évidente encore après sa mort, quand
sur le trône d'Espagne, on vit se maintenir pendant plus de
quarante ans un prince qui y était monté à la fleur de l'âge,
; par droit d'héritage, et dont le règne est surtout intéressant
comme symptôme et comme conséquence du caractère du
,penple qu'il gouverna,
Philippe II qui succéda à Charles- Quint, enl555, fut, on peut
le dire, rincarnation de son époque. Le plus éminent de ses
Jbio^graj)hes se borne à dire de lui qu'il fut Je type le plus
^parfait du caractère national de son pays {l). Sa maxime
favorite, la clef de toute sa politique, était que « il vaut
mieux ne pas régner, que régner sur des hérétiques (2). »
Armé du pouvoir suprême, il employa toutes ses facultés à
faire de cette maxime un principe. Aussitôt qu'il apprit que
les protestants se faisaient des prosélytes en Espagne, il n'eut
plus de repos qu'il n'eût étouffé l'hérésie (3), et il fut si ad-
mirablement secondé par le sentiment général du peuple,
qu'il put, sans courir aucun risque pour lui-même, supprimer
des opinions qui ébranlèrent toutes les autres parties de
JMameless in privât» lire, his character will not suffer by a comparison with that ofany
jnonarch of his Urnes. » Dunham, His t. of Spain, t. V, pag. M. < La clémence était Je fond
.de son caractère. > Pag. 30.
(1) ■ The Spaniards, as he grew in years , beheld, with pride and satisfaction , in their
future sovereign, the most perfect type of the national character. > Prescott, Hist. of
Philip II, 1. 1, pag. 39. Et aussi dans Motley, Dutch Republic, 1. 1, pag. 128 : « He vas
entirely a Spaniard, > et dans Lafueate, ffisi. de Espana, 1. 1, pag. 155 : « Pero el reinado
de Felipe fné todo Espanol. >
(2) Prescott, Philip II, t. 1, pag. 68, 210; t. II, pag. 26; Watson, Philip II, pag. 55.
Comparez Flenry , Mist.. ecclésiastique, t. XXXIV, pag. 273.
(3) t Gomo era tan xeloso en la extirpation de la heregia, nno de sus primeros cnidados
fné el castigo de los Lnteranos ; y à presencia suya, se execntô en Valladolid,el diaocho de
.Octobre, el suplicio de mnchos reos de .este de)ito.»Minana, Continuation de Mariana,
t. IX, pag. 212.
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50 HISTOIRE
l'Europe. La réforme, en Espagne, mourut; après quelques
efforts, il ne fallut pas plus de dix ans pour que le dernier
vestige en eût disparu (1). Les Hollandais voulurent adop-
ter et ils adoptèrent en effet, en maintes circonstances, la
doctrine réformée; aussi Philippe leur fit-il la guerre, une
guerre cruelle qui dura trente ans et qu'il continua jusqu'à
sa mort, parce qu'il s'était juré d'extirper la nouvelle
croyance (2). Il donna l'ordre de brûler vif tout hérétique
qui refuserait d'abjurer. Si l'hérétique abjurait , il lui
était accordé quelque indulgence; mais il avait été souillé,
il devait mourir. Au lieu d'être brûlé vif, il était exécuté
voilà tout (3). Nous ne savons pas au juste le nombre de
ceux qui moururent dans les Pays-Bas (4). Mais Albe se
(1) « The contest with Protestantism in Spain, under such auspices, was short. It began
in earnest and in blood about 1559, and was substantially ended in 1570. » Ticknor, Hist.
ofSpanish Literature, t. 1, pag. 425. Voyei aussi M'Oie, Hist. ofthe Re formation in
Spain, pag. 336, 346. C'est ainsi que « Espana se préservé del contagio. Hizolo con las armas
Carlos V, y con las hogueras los inquisidores. Espana se aislô del movimiento europeo. •
Lafuente, Hist. de Espana, 1. 1, pag. 144. Madrid, 1850. M. Lafuente ajoute que dans son
opinion toute la chrétienté est sur le point d'imiter le bon exemple donné par l'Espagne en
rejetant le protestantisme : «Si no nos equivocamos,en nuestra misma edad se notan sla-
lomas de ir manchando este problema hàcia su résolution. El catolicismo gana prosélitos ;
los protestantes de hoy no son lo que antes fueron, y creemos que la unidad catôlica se
realizarà.»
(2) « Avant l'arrivée d'Albe, « Philip's commands to Margaret were imperatire, to use her
utmost efforts to extirpate the heretics.» Davies,/fis£. ofHolland, t. I, pag. 551. Et en 1563,
il écrivait : « The example and calamities of France prove how wholesome it is to punish
heretics with rigour. » Raumer, Hist. of the Sixteenth and Seventeenth Centuries, 1. 1,
pag. 171. Les Espagnols estimaient que les Hollandais étaient coupables d'un double crime
comme rebelles envers Dieu et le roi : « Rebeldes à Dios por la heregia y â su Principe à
quien debian obedecer. » Mariaca, Hist. de Espana, t. VII, pag. 410. « Tratarian de secreto
de quitar la obediencia à Dios y à su Principe. > Vanderhammen, Don Filipe el Prudente
Secundo deste Nombre. Madrid, 1632, pag. 44, rev. Ou, comme le dit Minana, Philippe
« ténia los mismos enemigos que Dios. » Continuacion de Mariana, t. X, pag. 139.
(3) Motley, Duteh Republic, 1. 1, pag. 229 ; Watson, Philip II, t. II, pag. 31, 52, 177.
(4) M. Motley, à la date de 1566, dit : « The prince of Orange estimated that up to this
period fifty thousand persons in the provinces had been put to death in obédience to the
edicts. He was a moderate man and accustomed to weigh his words. > Motley, DutcK
/tepuWtc,t.I,pag.424,425.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 31
vantait avec orgueil d'avoir mis à mort de sang-froid plus
de dix-huit mille personnes sans compter un bien plus
grand nombre tuées sur le champ de bataille (1). Ce qui
porterait le nombre des victimes pendant la courte durée
de son pouvoir à plus de quarante mille. Ce calcul ne peut
guère être loin de la vérité, puisque nous savons d'après
d'autres sources que dans l'espace de moins d'un an, plus
de dix-huit mille furent exécutées ou brûlées (2). Ces mesures
étaient dues à Philippe qui les avait ordonnées comme
parties essentielles de son plan général (3). Le désir domi-
nant de son esprit, auquel il sacrifiait toute autre consi-
dération, c'était de réduire à néant la nouvelle croyance et
de replacer la vieille foi dans son ancienne splendeur. Son
immense ambition, son amour desordonné du pouvoir
suprême ne venaient qu'en second. Il ambitionna l'empire
de l'Europe parce qu'il eut l'immense désir d'y rétablir sans
conteste l'autorité de l'Église (4), Toute sa politique, toutes
(i) Watson, Philip ll 3 pag. 248, 249. Tapia {Civilisation Espanola, t. III, pag. 95 ) dit :
« Quito la vida à mas de diez y ocbo mil protestantes con di versos géneros de saplicios. »
Comparez Motley, Dutch Republic , t. II, pag. 423, et Davies, Hist. of Rolland, 1. 1,
pag. 608.
(2) Davies, Hist. of Holland, 1. 1, pag. 567. Vanderhammen (DonFilipe el Prudente.
Madrid, 1632, pag. 52, rev.) certifie avec bonheur que « muriessen mil y setecientas persouas
eu pocos dias con fuego cordel y cuchillo en diversos lugares. >
(3) c El Duque de Àlba, obrando en conformidad â las instrncciones de su soberano, y
apoyado en la aprobacion que merecian al rey todas sus medidas. > Lafuente , Hist. de
Espafla, t. XIII, pag. 221.
(4) « lt was to restore the Gatholic Church that ne desired to obtain the empire of
Europe. > Davies, Hist. of Holland, t. II, pag. 329. « El protesté siempre c que sus desinios
en la guerra, y sus exercitos no se encaminauan à otra cosa, que el ensalçamienlo de la
Religion Christiana. » Vanderhammen, DonFilipe el Prudente, pag. 125. tElque aspiraba
à someter todas las naciones de la tierra à su credo religioso. » Lafuente, Hist. de Espaça,
t. XV, pag. 203. L'évêque de Salamanque, en 1563, se vantait ouvertement de ce ■ que son
roi ne s'étoit marié avec la reine d'Angleterre que pour ramener cette isle à l'obéissance de
l'Église. » Continuation de Fleury, Hist. ecclésiastique, t. XXXIII, pag. 331. Comparez
Ortiz, Compendio, t. VI, pag. 204. < Este casamiento no debiô de tener otras miras que el
de la religion. >
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3fi HISTOIBE
ses guerres tendirent vers oe tbnl antique. Peu après eon
avènement au trône il conclut avec le pape un traité igno-
minieux afin qu'on ne put l'accuser de porter les armes
contre Je chef du monde chrétien (1) et sa dernière grande
entreprise, la plus importante de toutes sous bien des rap-
ports, fut d'équiper, au prix de sacrifices incroyables d'argent,
;eefcte fameuse armada avec laquelle il espérait abaisser l'An-
gleterre et couper dans sa racine l'hérésie de l'Europe en
-enlevant aux protestants leur principal soutien et le se»!
asile où ils fussent certains de trouver un refuge sûr et
honorable (2).
Pendant que Philippe marchait sur les traces de ses pré-
décesseurs en prodiguant Je sang et le trésor de l'Espagne,
afin de propager les saines opinions religieuses (3), le
(i) Sut *ce traité, le seul traité humiliant qu'il ait jamais conclu, voyez Prescott,
Philip II, t. J, pag. 404. Son dernier conseil à son fils en montant fut « Siempre ^stareis
en la obediencia de la Santa Iglesia Romaoa, y del Sumo pontifice, teniendole por Tuestro
Padre espiritual. • Davila, Hist. de la Vida de Felipe Tercero. Madrid ,1771, io-fol.,
Jib. i, pag. .29. Suivant un autre écrivain, « la nltima palabra que le salie con el eepiritu,
lue : « Yo muero eomo Catôlico Ghristiano en la Fe y obediencia de la Iglesia Romana,
-y respeto al Papa, como à quien trae en sus manos las lianes del Ciel o,como i Principe de
la Iglesia, y Teniente de Dios sobre el imperio de las aimas. > Vanderhammen, DonFiHpe
el Prudente , pag. 12*.
(2) Elisabeth, réunissant les trois terribles qualités de l'hérésie, du pouvoir et du talent,
était en horreur aux Espagnols àun degré incroyable, et il n'y eut jamais d'entreprise pins
vraiment nationale que l'équipement de l'armada contre elle. Un ou deux -passages d'un
«rave historien feront ressortir les sentiments qu'elle inspirait même après sa mort et aide-
ront le lecteur i former son opinion sur l'esprit espagnol à cette époque : «J sa bel, ô Jexabel,
Reyna de Inglaterra, heretica C al vin is ta, y la mayor perseguidora que ha tenido la saagre
de Jesu-Christo y los bijos de la Iglesia. * Davila, Hist. de Felipe Tercero, pag. 74. * Los
sueesos de fuera causaron admiracion ; y el mayor y muy esperado de toda la Ghristiandad
foe la muerte de Isabela, Reyna de Inglaterra, heretica €alvinista, que hiao su nombre
famoso con la infamia de eu vida, y perseguir à la Iglesia, derramando la sandre de los
Santos, que defendian la verdadera Religion Gatôlica-, dexando registradas sus maldades
en las historias pùblicas del mundo, pasando su aima âcoger el desdichado fruto de su
obstinada soberbia en laepenas del Inferno, donde conoco con el castigo perpetoo-el engaao
de su vida. » Pag. 88, 64.
(3) Un des écrivains contemporains les plus éminents dit : « It was Philip's enthnsiasm
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DE LA CIVILISATION BN ANGLETERRE. 55
peuple, au Heu de se révolter contre un système aussi mons-
trueux 9 y adhérait au contraire et le sanctionnait avec bon-
heur. Il ne se contenta même pas de le sanctionner, il fit
presque un Dieu de l'homme qui l'avait imposé. Jamais
peuu&re on ne vit de prince adoré de ses sujets comme te
fut Philippe II pendant un aussi long espace de temps et à
travers autant de viciésitude» de la fortune. Dans la bonne
eomme dans la, mauvaise fortune, le» Espagnols s'attachè-
rent à' lui avec une fidélité, une loyauté inébranlable. Leur
amour n'en fut diminué ni par ses revers, ni par son aspect
farouche, ni par ses cruautés ou par ses exactions exorbi-
tantes. En dépit de tout, ils l'aimèrent jusqu'à la fin. Dans
son arrogance folle, Philippe ne permettait à aucun, pas
même aux nobles les plus puissants, de lui adresser la parole
autrement qu'à genoux, et il ne répondait que par demi*
mots, laissant à ceux à qui il avait parlé le soin de complé-
ter sa pensée et d'obéir à ses commandements du mieux
qu'ils pouvaient (1). Et tous se montraient prêts à obéir à
ses moindres désirs. Un contemporain de Philippe frappé
des hommages universels dont il fut l'objet, dit que les
Espagnols « ne se contentaient pas de l'aimer, de le
t» embody the wiath of God against hereties. » Motley, Dutch Republic, t. II, pag. 15fc
« Philip lived bot to enforce what he chose to considnr the wil! of God. » Pag. 285.
(1) < Personne vivante ne partait à loi qu'à genoux, et disoit pour son eicuse à cela
cpiflestant petit de corps, chacun eust paru plus eslevé que lui, outre qu'il sçavoit que les
Espagnols estoient d'humeur si altiôre et hautaine, qu'il estoit besoin qu'il les traittast de
trotte façon ; et peur ce mesme ne se laissoit voir que peu souvent du peuple, n'y mesme des
grands, sinon aux jours solennels et action nécessaire en cette façon? Il faisoit ses com-
mandements i demy mot, et falloit que l'on devinast le reste, et que l'on ne manquast à
bien accomplir toutes ses intentions; mesmes les gentilshommes de sa chambre et antres,
qui approchaient plus près de sa personne n'eussent osé parler devant tuy s'il ne leur eust
commandé se tenant un tout seul i la fois près de la porte du lieu oA il estoit, et demeu*
ran nud teste incessamment et appuyé contre un tapisserie, pour attendre et recevoir ses-
commandements. > Mémoires de Cheverny, pag. 352, 353, dans Petitot, Collection des»
jnémoireê, t. XXXVI. Paris, 1823.
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34 HISTOIRE
respecter, mais qu'ils allaient jusqu'à l'adoration. Ils esti-
maient que ses ordres étaient sacrés; les violer c'était
offenser Dieu (1). »
Qu'un homme comme Philippe, qui ne compta jamais un
ami, dont toute la personne froide et hautaine repoussait la
confiance, maître dur, parent dénaturé, roi sanguinaire
et sans pitié, qu'il ait pu être vénéré de toute la nation, au
milieu de laquelle il vivait et qui suivait des yeux toutes ses
actions, c'est là un des faits les plus étonnants et les plus
inexplicables qui à la première vue nous frappe tout
d'abord, dans l'histoire moderne. Trouver un roi qui se
distingue par toutes les qualités les plus propres à inspirer
la terreur et le dégoût et être obligé de reconnaître qu'il fut
bien plus aimé que craint et qu'il fut l'idole d'un très grand
peuple pendant toute la durée d'un règne très long, c'est là
un fait si remarquable, qu'il mérite une étude sérieuse ; aussi
est-il nécessaire pour éclaircir un point aussi difficile d'en-
trer plus avant dans les causes de cet esprit de fidélité qui
pendant plusieurs siècles a distingué les Espagnols de la
plupart des autres peuples de l'Europe.
(1) Tels sont les mots que rapporte Contarini comme cités dans Rank, Ottoman and
Spani8h Empires. Lond., 1843, pag. 33. Sismondi, quoiqu'il ignorât ce passage, fait
observer dans sa Literature ofthe South of Europe (t. VII, pag. 273. Lond., 1846) que
Philippe, quoiqu'il fût « little entitled to praise, has yet been always regarded with enthn-
siasm by the Spaniards. » Environ un demi-siècle après sa mort, sommerdyck visita l'Es-
pagne, et dans son curieux ouvrage sur ce pays il nous apprend que Philippe était appelé
« le Saiomon de son siècle. > Aarsens de Sommerdyck, Voyage d'Espagne. Paris, 1665,
in-4°, pag. 63, 95. Voyez aussi Yanez, Memorias para la Historia de Felipe 111. Madrid,
1723, pag. 294. < El gran Felipe, aquel Sabio Saiomon. > Un autre écrivain le compare à
Numa : « Hacia grandes progresos la piedad, à la quai se dedicaba tanto el Rey Don Felipe,
que parecia su reynado en Espana lo que en Roma el de Numa, despues de Rômnlo. »
Minana, Continuation de Mariana, t. IX, pag. 241. Quand il mourut, c celebradas sus
exêquias entre lagrimas y gemidos. » T. X, pag. 259, 260. Nous apprenons en outre (Vander-
hammen, Filipe Segundo. Madrid, 1632, pag. 120, rev.) que le peuple lui reconnaissait
c una grandeza adorable, y alguna cosa mas que las ordinarias à los demas nombres. »
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 35
L'immense influence du clergé fut incontestablement une
première cause. Car les maximes que ce corps puissant in-
culque dans l'esprit du peuple, l'excitent à accorder à leurs
princes un respect plus grand que de lui-même il ne serait
porté à accorder. L'on ne peut mettre en doute qu'il n'y ait
une connexion réelle et pratique entre la fidélité et la super-
stition ; c'est un fait consacré par l'histoire que ces deux
sentiments ont grandi ensemble et vieilli ensemble, et c'est
en vérité ce à quoi Ton doit s'attendre quand on part de
bases spéculatives, car ces deux sentiments sont le produit
de la vénération qui rendent les hommes humbles dans leur
conduite et crédules dans leur foi (1). L'expérience et la
raison se réunissent donc pour indiquer ce fait comme une
loi générale de l'esprit ; il peut ne pas être respecté dans
certains cas exceptionnels, mais il doit l'être le plus sou-
vent. Peut-être le seul cas dans lequel ce principe fait dé-
faut, se présente-t-il quand le gouvernement, comprenant
mal ses intérêts, offense le clergé et se sépare de lui. Une
lutte s'établit alors entre la superstition et la fidélité au
prince; les politiques s'attachent à ce dernier principe, les
spiritualistes, au premier. Un pareil état de guerre se pré-
sente en Ecosse; mais l'histoire n'en offre pas beaucoup
d'exemples et certes il ne se présenta jamais en Espagne où,
au contraire, plusieurs circonstances concoururent à cimen-
ter l'union entre la couronne et l'Église, à accoutumer le
peuple à les regarder toutes deux avec un même respect,
une même vénération.
La plus saillante de ces circonstances fut, sans aucun
doute, la grande invasion arabe, qui repoussa les chrétiens
(1) « Habits of révérence, which carried into religion, cause superstition, and of carried
into politics, cause despotism. » Buckie, Hist. of Civilisation, 1. 1, pag. 616.
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39 HISTOIRE
dans un coin de l'Espagne et les réduisit à de telles extré-
mités, qu'il ne fallut rien de moins que la plus stricte disci-
pline, l'obéissance la plus absolue à leur roi, et la foi en des
secours surnaturels, pour leur conserver l'esprit de résistance.
Du fond de leurs montagnes, ils se firent un rempart contre
l'envahissement du mahométisme qui inspirait une égale
horreur à tous les rois chrétiens. Le clergé avait le même
intérêt à chasser les mahométans d'Espagne. Pendant plus
de huit cents ans, un traité d'alliance entre l'Église et l'État
Ait une nécessité imposée aux Espagnols par les particula-
rités de leur position ; et après que la nécessité eut cessé
d'être, il arriva tout naturellement que l'association des
idées survécut au danger primitif et que l'esprit du peuple
en avait reçu une impression qu'il était devenu presque im-
possible d'effacer.
A l'appui de cette impression et de la fidélité sans exemple
qui en fut le résultat, nous trouvons à chaque pas de nou-
veaux témoignages. Dans aucun autre pays on ne trouve un
aussi grand nombre de vieilles balades se rattachant immé-
diatement à l'histoire nationale. Et l'on a observé que ce qui
les caractérise, c'est le zèle avec lequel elles inculquent
l'obéissance et la dévotion envers les princes; c'est à cette
sevrée plutôt que dans les grandeurs militaires qu'ils puisent
leurs exemples favoris de vertu (1). En littérature, la première
(1) « More baltads are connectée with Spanish history than with any other and in gênerai
they are better. The most striking peculiarity of the whole mass is, perhaps, to be foand in
the degree in which it expresses the national character. Loyalty is constantly prominent.
The lord of Butrago sacrifices his own life to save that of bis sovereign, » etc. T&cknor,
Hi8t. of Spanish Literature, 1. 1, pag. 133. t In the unplicit obédience of the old spanish
knight, the order of the king was paramoont to every considération, even in the case of
frienaship and love. This code of obédience has passed into a proverb t mas pesa, el Rey
que la sangre. » Ford, Spain, pag. 183. Compares l'admirable petit ouvrage de M. Levés,
the Spanis Drama. Lond., 1846, pag. 12Q. c Ballads fall of war, loyalty, and lo?e. »
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 37
grande manifestation de l'esprit espagnol fut le poème le
Cid, écrit à la fin du douzième siècle et dans lequel nous
trouvons de nouvelles preuves de cette fidélité extraordi-
naire au prince que les circonstances avaient imposée au
peuple (1). Les conciles ecclésiastiques nous montrent la
même tendance ; car, à quelques exceptions près, aucune
autre Église ne s'est montrée aussi ardente à soutenir les
prérogatives des roi3 (2). Dans la législation civile, nous
voyons à l'œuvre le même principe; car il est reconnu,
d'après de hautes autorités, qu'aucun système de lois ne
consacre à un aussi haut degré la fidélité au prince que les
codes espagnols (3). Leurs auteurs dramatiques mêmes ne
(1) Voyez quelques remarques intéressantes de Fourrage de M. Tapia, Civilisation
JBspanada, 1. 1. Il dit que, quoique cruellement persécuté par Alfonso, la première choie
que fit le Cid, après avoir remporté une grande victoire, fut d'envoyer son capitaine avec
Tordre < para que lleve al rey Alfonso treinta caballos arabes bien ensillados con sendas
espadas pendientes de los arsones en senal de homenage, à pesar del agravio que habia
recibido. * Pag. 274. Et i la page 380 : • Comedio y obediente sùbdito & un rey que
tan mal le habia tratado. > Southey (Chronicle of the Cid, pag. 268) remarque avec
surprise que les vieilles chroniques représentent le Cid comme « offering to kiss the feet of
the king. »
(2) Le seizième concile de Tolède appelait les rois < vicaires de Dieu et du Christ,» et
rien n'est plus fréquent dans les conciles de cette époque que leurs exhortations aux peuples
pour l'observation du serment de fidélité à leur roi et leurs anathèmes contre les séditieux. »
Sempere, Monarchie espagnole, 1. 1, pag. 41. « Aparté de los asnntos de derecho civil y
canonico y de otros varios que dicen relation al gobierno de la Iglesia, sobre los cuales
se contienen en todos ellos dispociones mny utiles y acertadas, la mayor parte de las leyes
dictadas en estas assembleas tnvieron por objeto dar fuerza y estabilidad al poder real,
proclamando su inviolabilidad y estableciendo graves penas contra los infractores ; con-
denar las heregias, » etc. Antequera, Hist. de la Législation Espaûola, pag. 47.
(3) ■ Loyalty to a superior is carried to a more atrocious lenght by the Spanish law
than I hâve seen it elsewhere. > « The Partidas (P. 2, T. 13, L. 1) speaks of an
old law whereby any man who openly wished to see the King dead, was condemned to
death, and the loss of ail that he had. The utmost mercy to be shown him was to spare his
Jife and pluck ont his eyes, that he might never see with them what he had desired. To
defame the King is declared as great a crime as to kill him , and in like manner to be
punished. The utmost mercy that could be allowed was to eut ont the offender's tongue. »
(P. 2, T. 13, L. 4). Southey, Chronicle ofthe Cid, pag. 442. Comparez John s ton, Civil Lata
ofSpain. Lond., 1825, pag. 209, sur « blasphemers ofthe King. »
T IV. 3
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38 HISTOIRE
représentaient pas volontiers sur la scène un acte de rébel-
lion, tant ils craignaient d'avoir l'air de soutenir ce qui, aux
yeux de tout bon Espagnol, est le plus odieux de tous les
crimes (1). Le roi sanctifiait tout ce qu'il touchait. Nul ne
pouvait monter le cheval qu'avait monté le roi (2). Nul ne
pouvait épouser la maîtresse que le roi avait abandon-
née (3), Cheval ou maîtresse était également sacré et c'était
faire acte d'impiété, pour tout sujet, que d'oser loucher à ce
qui avait eu l'honneur d'approcher de l'oint du seigneur. De
semblables règles ne s'appliquaient pas aux princes régnants
(1) C'est ainsi que Montai van , poète et dramaturge eminent, né en 1602, « avoided, we
are told,representing rébellion on the stage, lest ne should seem to encourage it. » Ticknor,
Hist. of Spanish Lileralure, t. Il, pag. 283. Pareil esprit se déploie dans les pièces de
Calderon et de Lope de Vega. Sur la t loyauté castillane, » démontrée dans une des comé-
dies de Calderon, voyez Hallam, Liter. of Europe* * édit. Lond., 1843, t. III, pag. 63, et,
quant à Lope, voyez Lewes, On the Spanish Drama, pag. 78.
(2) « His Majesty's horses could never be used by an y other person. One day, vrhile
Philip IV -was going in procession to the church of Our Lady of Atocha , the Duke of
Médina de las Torres offerod to présent him vrith a beautiful steed which belonged to him,
and which was accounted the finest in Madrid; butjlhe King declined the gift,because he
should regret to render so noble an animal ever after useless. > Dnnlop, Memoirs, t. II,
pag. 372. Madame d'Aulnoy, qui voyageait en Espagne en 1679 et qui par sa position puisait
ses informations aux meilleures sources, fut informée de ce genre d'étiquette, t L'on m'a
dit que, lorsque le roy s'est servy d'un cheval, personne par respeet ne le monte jamais. »
D'Aulnoy, Relation du voyage d'Espagne. Lyon , 1693, t. U , pag. 40. Au milieu du dix-
huitième siècle, je trouve encore signalée cette coutume de fidélité qui sans doute est encore
de tradition dans les écuries d'Espagne. «If the king has once honoured a pad so much as
to cross his back, it is never to be used again by an y body else. » A Tour throughSpain,
by Udul ap Rhys, 2' édit. Lond., 1760, pag. 15.
(3) Madame d'Aulnoy, qui était très curieuse en ces matières, dit (Relation du voyage
d'Espagne, t. II, pag. 411 ) : t II y a une autre étiquette, c'est qu'après que le roi a eu une
maîtresse, s'il vient à la quitter, il faut qu'elle se fasse religieuse, comme je vous l'ai déjà
écrit, et Ton m'a conté que le feu roi, s'estant amoureux d'une dame du palais, il fut un soir
fraper doucement à la porte de sa chambre. Comme elle comprit que c'estoit lui, elle ne
voulut pas lui ouvrir, et elle se contenta de lui dire au travers de la porte : Baya, baya*
con Dios, no quiero ser monja, c'est à dire : t Allez, allez, Dieu vous conduise, je n*ai
pas envie d'estre religieuse. > C'est ainsi que Henri IV de Castille, qui monta sur le trône
en 1454, fit de l'une de ses maîtresses une « abbess of a convent in Toledo. » Dans ce cas
particulier il avait d'abord, an grand scandale de tous, chassé « her predecessor, a lad;
of noble rank and irreproachable character. » Prescoil, Ferdinatui and Jsabella , 1. 1»
pag. 68.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 3!)
seuls; au contraire, elles leur survivait, et par une sorte de
vertu posthume, il était défendu à la femme du roi de se
remarier après sa mort. Elle avait été choisie par le roi ;
dès lors elle était élevée au dessus du reste des mortels;
elle ne pouvait moins faire que de se retirer dans un cou-
vent, où elle avait le reste de sa vie pour pleurer la perte
irréparable de son seigneur et maitre. La coutume donnait
force de lois à ces usages (1). Ils avaient leur sanction dans
la volonté du peuple et n'étaient que l'expression de la haute
fidélité de la nation espagnole. Leurs écrivains l'exaltent, et
avec raison, car certes elle n'avait nulle part sa pareille et
rien ne semblait assez fort pour l'ébranler. Les mauvais rois
comme les bons rois la retrouvaient également loyale ; elle
fut dans toute sa force, toute sa grandeur avec la gloire
de l'Espagne au seizième siècle ; elle fut remarquable dans le
déclin de la nation au dix-septième siècle et elle a survécu
aux guerres civiles du dix-huitième (2). Ce sentiment est
(1) II y a cependant une vieille loi très remarquable sons la forme d'an canon publié par
le troisième concile de Sarragosse, qui porte que les veuves royales « seront obligées à
prendre l'habit de religieuses et à s'enfermer dans un monastère pour le reste de leur vie. »
Flenry, Hist. ecclésiastique, t. IX, pag. i04. En 1065, Ferdinand I* r mourut, et, dit le
biographe de la reine d'Espagne, « la Reyna sobreviviô : y parece que muerto su marido,
entrô en algun monasterio : lo que expressamos no tanto por la costumbreantigua qnanto
por constar en la memoria referida de la Iglesia de Léon el dictado de c consegrada â Dios, »
frase que dénota estado religioso. > Florez, Memorias de las Reynas Catholicas.
Madrid, 1761, in-4*, 1. 1, pag. 148. En 1667, il fut établi en principe que « les reines d'Espagne
s'en sortent point. > Le couvent de las Seiioras descalças reaies est fondé afin que a les
reines veuves s'y enferment. » Discours du comte de Castrilla à la reine d'Espagne,
dans Mignet, Négociations relatives à la succession d'Espagne, t. II, pag. 604. Paris,
4835, in-4*. Cet estimable ouvrage se compose pour la plus partie de documents inédits
jusque-là, tirés des archives de Simanca. Ils eussent été plus utiles aux historiens critiques
si on avait donné le texte espagnol original.
(2) Voyez quelques bonnes observations sur San Felipe dans Ticknor, Hist. of Spanisfi
lilerature, t. III, pag. 213,214, dont on peut facilement corroborer le témoignage. Exemple :
Lafuente, en l'année 1710, dit : « Ni el abandono de la Francia, ni la prolongacion y los
azares de la guerra, ni los sacrificios pecuniarios y personales de tantos anos, nada bastada
a entibiar el amor de los Castellanps à su rey Felipe V. » Hist. de Espana, t. VIII, pag. 258.
Et Berwick (Mémoires, t. II, pag. 114, édit. Paris, 1778) ? t La fidélité inouïe des Espa-
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40 HISTOIRE
si bien entré dans les traditions du pays, qu'après avoir été
une passion, il est presque devenu un article de foi natio-
nale. Clarendon, dans son histoire de la grande insurrec-
tion anglaise qui, il le sait bien, ne pouvait jamais trouver
son égale en Espagne, fait à ce sujet une observation aussi
pertinente qu'elle est juste. Il dit que le manque de respect
envers le roi est aux yeux des Espagnols « un crime mons-
trueux » parce que « une humble vénération pour leurs
princes constitue une partie vitale de leur religion (1). »
C'était donc là les deux grands éléments dont le caractère
espagnol était formé. Fidélité et superstition; révérence
pour le roi et révérence pour le clergé, tels étaient les grands
principes qui influençaient l'esprit espagnol, et gouvernaient
la marche de l'histoire espagnole. Les circonstances parti-
culières et sans exemple qui avaient donné naissance à ces
principes viennent d'être indiquées, et, connaissant leur
gnols, » et neuf années plus tôt nne lettre de Lonville à Torcy : « Le mot révolte, pris dans
une acception rigoureuse, n'a pas de sens en Espagne. » Lonville , Mèm. sur l'établisse-
ment de la maison de Bourgogne en Espagne, édit. Paris, 1818, 1. 1, pag. 128. Voyez
aussi Mèm. de Ripperda. Lond., 1740, pag. 58, et Mèm. de Grammont, t. H, pag. 77, édit.
Petitot. Paris, 1827. Tous ces passages prouvent la loyauté espagnole au dix-huitième siècle,
excepté en ce qui concerne Grammont, qui se rapporte au dix-septième siècle, et qu'il est
bon de comparer avec les observations de madame d'Àulnoy, qui écrit de Madrid en 1679 :
< Quelques richesses qu'ayent les grands seigneurs, quelque grande que soit leur fierté on
leur présomption, ils obéissent aux moindres ordres du roy avec une exactitude et un respect
que Ton ne peut assez louer. Sur le premier ordre ils partent, ils reviennent, ils vont en
prison ou en exil sans se plaindre. Il ne se peut trouver une soumission et une obéissance
plus parfaite, ni un amour plus sincère, que celui des Espagnols pour leur roi. Ce nom leur
est sacré, et, pour réduire le peuple à tout ce que Ton souhaite, il suffit de dire t le roi le
veut. • D'Aulnoy, Voyage, t. II, pag. 256, 257.
(1) • And Olivarez had been heard to censure very severely the duke's (Buckingham's)
familiarity and want of respect towards the prince, a crime monstrous to the Spa-
niard. » t Their submiss révérence to their princes being a vital part of their reli-
gion. » Clarendon, Hist. ofthe Rébellion, édit. Oxford, 1843, pag. 15. Quant à la religion
de la fidélité au roi à une période plus reculée , voyez Florez , Reynas Catholicas, 1. 1,
pag. 421 ? « La persona del Rey fue mirada de susfieles vassallos con respeto tan sagrado ; »
que la résistance était « una especie de sacrilegio. »
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 41
origine, il nous reste à tracer leurs conséquences. L'examen
des résultats sera d'autant plus important, que non seulement
ces sentiments n'ont été nulle part en Europe aussi forts,
aussi permanents, aussi purs, mais aussi que l'Espagne étant
située à la pointe extrême du continent, dont elle est séparée
parles Pyrénées, s'est trouvée, par suite de causes physiques
et morales, rarement en contact avec les autres nations (1).
Le cours des choses n'étant pas, par conséquent, dérangé
par les coutumes étrangères, il est plus facile de découvrir
les conséquences simples et naturelles de la superstition et
de la fidélité, deux des sentiments les plus puissants et les
plus désintéressés qui puissent trouver place dans le cœur
humain , et dont l'action réunie nous met sur la trace des
principaux événements de l'histoire de l'Espagne.
Les résultats de cette combinaison furent, pendant une
longue période, ostensiblement avantageux, et certainement
magnifiques. En effet, l'Église et la couronne faisant cause
commune, et étant encouragées par l'appui cordial du peuple,
se dévouèrent entièrement à leurs entreprises, et déployèrent
une ardeur qui devait en assurer le succès. Les chrétiens,
avançant peu à peu du nord de l'Espagne, gagnant du ter-
rain pas à pas, poussèrent en avant jusqu'à ce qu'ils fussent
parvenus à la frontière méridionale, subjuguèrent compléte-
(1) On considérait ces obstacles comme presque in?incibles. Fontenay Mareuil,qui visitai
l'Espagne en 1612 et qui était très fier de ce voyage, dit : « Au reste, parce qu'on ne va pas .
anssy ordinairement en Espagne qu'en France, en Italie et ailleurs, et qu'estant comme en
un coin et séparée du reste du monde par la mer ou par les Pyrénées, on n'en a, ce me semble»
guère de connoissanc9 , j'ay pensé que je devois faire icy une petite digression pour dire*
ce que j'en ay appris dans ce voyage et despuis. » Mém. de Fontenay Mareuil, dans la
Collection des mémoires par Petitot, t. L, p. 169, 1" série. Paris, 1826. Soixante et dix
ans plus tard, un autre écrivain disait des Pyrénées : « Ces montagnes sont à nos voyageurs
modernes ce qu'étoit aux anciens mariniers le Non plus ultra et les colomnes du grand
Hercule. > L* Estât de l'Espagne. Genève, 1681, Epistre, pag. h. Cet ouvrage peu connu
iorme le troisième volume du Prudent voyageur.
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45 HISTOIRE
ment les mahométans, et réunirent le pays tout entier sous
un seul gouvernement et sous une seule croyance. Ce grand
résultat fut accompli vers la tin du quinzième siècle, et il
jeta sur le nom espagnol un lustre extraordinaire (1). Long-
temps occupée de ses propres guerres religieuses, l'Espagne
avait jusqu'alors fort peu attiré l'attention des puissances
étrangères, et n'avait en elle-même que peu de loisir pour
s'occuper des autres pays. Mais à cette époque, formant une
monarchie compacte et indivise, elle prit tout à coup une
position importante dans les affaires de l'Europe (2). Pendant
le siècle suivant, sa puissance fit des progrès si rapides, qu'on
n'en trouve aucun exemple dans le monde depuis les jours
de l'empire romain. Jusqu'en 1478, l'Espagne fut divisée en
États indépendants et souvent hostiles; la Grenade apparte-
nait aux mahométans; le trône de Castille éiait occupé par
un prince, et le trône d'Aragon par un autre. Mais avant
l'an 1590, non seulement ces fragments se trouvèrent fer-
mement consolidés en un seul royaume, mais de nouvelles
conquêtes se succédèrent assez rapidement pour mettre en
danger l'indépendance de l'Europe. L'histoire de l'Espagne,
pendant cette période, est l'histoire d'une prospérité non
interrompue. Cette nation, récemment ravagée par les
(i) < Cod razon se mirô la cooqmsta de Granada, no como nn aconiecimiento pu rame n te
Espanol , sino como un suceso que interesaba al mundo. Con razon tambien se regocijô
toda la cristiandad. Hacia medio siglo que otros ma^ometanos se habian apoderado de
Constantinopla ; la caida de la capital y del imperio bizaniino en poder de los Turcos habia
llenado de terror à la Europa; pero la Europa se consolé al saber que en Espana habia
concluido la dominacion de los musulmanes. » Lafuente Hist. de Espafla, t. XI» pag. 15.
(2) • L'Espagne, longtemps partagée en plusieurs États et comme étrangère au reste de
l'Europe, devint tout à coup une puissance redoutable, faisant pencher pour elle la balance
de la politique. • Koch, Tableau des révolutions de l'Europe. Paris, 1823, 1. 1, pag. 362.
Au sujet du rapport entre ceci et certains changements dans la littérature qui y correspon-
dent, voyez Boutenrek, Hist. ofSpanish Literature, 1. 1, pag. 148-152, où se trouvent
quelques spéculations assez ingénieuses, mais difficiles à soutenir.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 43
guerres civiles, et divisée par des croyances hostiles, parvint
en trois générations à amener à son territoire le Portugal,
la Navarre, et le Roussi lion. Soit par diplomatie, soit par la
force des armes, elle obtint l'Artois, la Franche-Comté ,
les Pays-Bas, ainsi que le Milanais, Naples, la Sicile, la
Sardaigne, les îles Baléares et les îles Canaries. Un de ces
rois fut empereur d'Allemagne ; et son fils influença les con-
seils de l'Angleterre dont il épousa la reine. La puissance
turque, alors une des plus formidables du monde, fut brisée
«t refoulée. La monarchie française fut humiliée, les armées
françaises constamment battues, Paris se trouva une fois en
danger imminent; et un roi de France, après avoir été
vaincu dans une campagne décisive, fut fait prisonnier et
conduit à Madrid. Les hauts faits de l'Espagne furent aussi
remarquables en dehors de l'Europe. En Amérique, les
Espagnols devinrent possesseurs de territoires qui couvraient
soixante degrés de latitude, et comprenaient les deux tropi-
ques. Outre le Mexique, l'Amérique centrale, Venezuela, la
nouvelle Grenade, le Pérou, et Chili , ils firent la conquête
de Cuba, de saint Domingue, de la Jamaïque, et d'autres
îles. En Afrique, ils s'emparèrent deCeuta, deMélilla, d'oran,
de Bougie, de Tunis, et portèrent la terreur sur toute la côte
de Barbarie. En Asie, ils eurent des établissements des deux
côtés du Dékhan, prirent possession d'une partie de Malacca,
et s'établirent dans les Moluques. Enfin, par la conquête du
noble archipel des Philippines, ils réunirent leurs posses-
sions les plus éloignées et établirent une communication
entre tous les parties de cet empire énorme qui faisait le
tour du monde.
Il s'éleva alors en Espagne un esprit militaire tel qui ne
s'était jamais montré dans aucune autre nation. Toute
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U HISTOIRE
l'intelligence du pays qui n'était pas employée au service de
l'Église se dévoua à la carrière des armes. En réalité, ces
deux professions étaient souvent réunies; et on dit que les
ecclésiastiques continuèrent en Espagne à combattre comme
soldats longtemps après que cette coutume eut été aban-
donnée dans le reste de l'Europe (1). En tout cas, la ten-
dance générale est évidente. La liste des batailles et des
sièges dans lesquels les Espagnols furent vainqueurs au
seizième siècle et dans une partie du quinzième serait assez
pour prouver leur vaste supériorité militaire sur leurs con-
temporains, et montrerait quel génie ils avaient déployé
dans le perfectionnement des arts de destruction. On pour-
rait en trouver une autre preuve dans ce fait singulier que
depuis l'époque de la Grèce ancienne, aucune contrée n'a
produit autant de littérateurs éminents qui aient été en
même temps soldats. Caldéron, Cervantes et Lope de Vega
risquèrent leur vie en combattant pour leur pays. Un grand
nombre d'auteurs célèbres adoptèrent également la profes-
sion militaire, ettm peut citer parmi eux,Argote deMolina,
Àcuna, Bernai, Diaz del Castillo, Boscan, Carrillo, Cetina,
Ercilla, Espinel, Hurtado de Mendoza, Marmol Garvajal,
Perez de Gusman , Pulgar, Rebolledo , Roxas et quel-
ques autres ; qui tous rendirent ainsi, sans le savoir,
témoignage à l'esprit qui régnait universellement en
Espagne.
Nous avons donc ici une combinaison qui plaira à un
grand nombre de lecteurs, et qui, à l'époque où elle avait
(i) « The holy war with the infidels (Mahométans), perpetuated Ihe vobecoming spec-
tacle of militant ecclesiastics among the Spaniards , to a still later period, and long after
it had disappeared from the rest of civiliied Europe. » Prescott, Hist. of Ferdinand and
i*aoeU<vM,pag.l61
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. *5
lieu, excita l'admiration, si ce n'est même la terreur, de
l'Europe. Nous avons un grand peuple brûlant d'ardeur
militaire, patriotique, et religieuse, dont le zèle ardent se
trouvait augmenté, plutôt qu'adouci, par une obéissance
respectueuse envers le clergé, et par un dévoûment chevale-
resque à son roi. L'énergie de l'Espagne, étant ainsi excitée
et contrôlée en même temps, devint prudente autant que
vive; et c'est à cette rare union de qualités opposées que
nous devons attribuer les grands succès que nous venons
d'énumérer. Mais ce qu'il y a de malsain dans un progrès de
ce genre, c'est qu'il dépend beaucoup trop des individus, et
ne peut par conséquent être permanent. Un pareil mouve-
ment ne peut durer qu'autant qu'il est dirigé par des hommes
capables. Mais du moment que les chefs compétents ont
pour successeurs des hommes incapables, le système tombe
immédiatement, parce que le peuple qui a été accoutumé à
fournir à chaque entreprise le zèle nécessaire, n'a pas été
habitué à déployer l'habileté qui doit guider son zèle. Dans
une condition pareille, un pays gouverné par des princes
héréditaires doit nécessairement tomber dans la décadence ;
car il est évident que dans le cours ordinaire des choses,
des rois incapables doivent se rencontrer quelquefois. La
décadence commence aussitôt que cette circonstance se
présente ; car le peuple, habitué à ne pas raisonner sa fidé-
lité, se laisse conduire partout où l'on veut, et donne à des
conseils nuisibles la même obéissance qu'il donnait avant
à des conseils pleins de sagesse. Ceci nous amène à corn*
prendre la différence essentielle qui existe entre la civilisa*
tion de l'Espagne et la civilisation de l'Angleterre. Les
Anglais sont un peuple disposé à la censure, difficile à
satisfaire, susceptible, se plaignant sans cesse de- ses gou-
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46 HISTOIRE
vernants, soupçonnant leurs idées, discutant leurs mesures
avec un esprit d'hostilité, accordant très peu de pouvoir à
l'Église ou à la couronne, dirigeant ses propres affaires à sa
manière, et prêt, à la moindre provocation, à renier cette
fidélité de convention, qui est sur ses lèvres sans jamais
pénétrer dans son cœur, et n'est qu'une habitude restant à
la surface, et non une passion enracinée dans l'esprit. La
fidélité des Anglais n'est pas une fidélité qui leur ferait
sacrifier leurs libertés pour plaire à leur roi, et ils ne per-
dent jamais le vif sentiment de leurs propres intérêts. Il en
résulte qu'en Angleterre le progrès ne s'arrête pas, que les
rois soient bons ou mauvais. De toute façon, le grand mou-
vement suit sa marche progressive. Les rois d'Angleterre
ont eu leur bonne part d'imbécillité et de crimes. Et pour-
tant, des hommes même comme Henri III et Charles II ont
été incapables de nuire à leurs pays. Anne et les deux
premiers Georges étaient dune ignorance grossière; leur
éducation était misérable, et la nature leur avait donné la
faiblesse et l'obstination.
Leurs règnes réunis durèrent près de soixante ans ; et
après eux, pendant une autre période de soixante années,
le pays fut gouverné par un prince que la maladie rendit
pendant longtemps incapable, et on peut dire en toute
vérité que les époques où cette incapacité se fit le plus
sentir, furent les périodes les moins funestes de son règne.
Ce n'est pas ici le moment de censurer les principes
monstrueux soutenus par Georges III; les écrivains con-
temporains hésitent souvent à rendre un jugement; la
postérité se charge de cette tâche; mais il est évident que
ni son intelligence étroite, ni sa nature despotique, ni sa
misérable superstition, ni la bassesse incroyable de l'ignoble
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 47
épicurien qui lui succéda sur le trône, n'ont pu arrêter la
marche de la civilisation anglaise ou refouler le mouve-
ment de la prospérité de l'Angleterre. Le peuple marcha
en avant, sans s'occuper de ses misères. La folie de ses
rois ne pouvait le faire dévier de sa route, parce qu'il savait
bien que sa destinée était dans ses propres mains, et qu'il
possédait en lui-même ces ressources et cette fertilité de
combinaison qui seules peuvent rendre l'homme grand,
heureux et sage.
Mais en Espagne, du moment que le gouvernement fai-
blit, la nation tomba en ruines (1). Pendant toute la pé-
riode de prospérité dont nous venons de parler, le trône
espagnol avait été occupé sans exception par des princes
capables et intelligents. Ferdinand et Isabelle, Charles Y et
(1) Un éminent légiste espagnol a fait quelques remarques qui méritent d'être citées et
qui contiennent un singulier mélange de vérité et d'erreur : «Comment la monarchie espa-
gnole fut-elle déchue de tant de grandeur et de gloire? Comment perdit-elle les Pays-Bas
«t le Portugal dans le dix-septième siècle, et s'y trouva t-elie réduite à n'être qu'un sque-
lette de ce qu'elle avait été auparavant? Comment vit-elle disparaître plus d'une moitié
de sa population? Comment, possédant les mines inépuisables du nooveau monde, les
revenus de l'État n'étaient à peine que de six millions de ducats sous le règne de Phi-
lippe III? Comment son agriculture et son industrie forent-elles ruinées, et comment
presque tout son commerce passa-t-il dans les mains de ses plus grands ennemis? Ce n'est
point ici le lieu d'examiner les véritables causes d'une métamorphose si triste ; il suffira
d'indiquer que tous les grands empires contiennent en eux-mêmes le germe de leur
dissolution, » etc. « D'ailleurs les successeurs de ces deux monarques (Charles V et Phi-
lippe II) n'eurent point les mêmes talens, ni les ducs de Lerme et d'Olivarès, leurs minis-
tres, ceux du cardinal Cisneros, et il est difficile de calculer l'influence de la bonne ou de
la mauvaise direction des affaires sur la prospérité ou les malheurs des nations. Sous une
même forme de gouvernement, quel qu'il puisse être , elles tombent ou se relèvent sui-
vant la capacité des hommes qui les dirigent et d'après les circonstances où ils agissent. >
Sempere, Hist. des Cortès. Bordeaux, 1815, pag. 365-267. Sur les deux passages qui sont
donnés en italiques, le premier est une tentative maladroite pour expliquer des phénomènes
compliqués par une métaphore qui évite la peine de généraliser leurs lois. L'autre passage,
quoique parfaitement vrai en ce qui touche l'Espagne, se réfère à cette application géné-
rale que M. Sempere croit possible, car en Angleterre comme aux États-Unis d'Amérique
la prospérité nationale a progressé d'un pas ferme, même avec des gouvernants inca-
pables.
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4* HISTOIRE
Philippe II forment une série de souverains sans parallèle,
pour une période d'une même étendue» dans aucun autre
pays. C'est par eux que furent accomplies les grandes choses;
c'est grâce à eux que l'Espagne fleurit, du moins en appa-
rence. Mais ce qui arriva quand ils eurent disparu de la
scène du monde, prouva combien toute cette grandeur était
artificielle et combien est carié ce système de gouvernement
qui demande à être protégé avant de prospérer, et qui,
ayant pour base la fidélité et le respect du peuple, fende*
son succès non sur l'intelligence de la nation tout entière,
mais sur l'habileté de ceux auxquels sont confiés les intérêts*
de la nation.
Philippe II, le dernier des grands rois de l'Espagne, mou-
rut en 1598, et après sa mort la décadence fut d'une rapi-
dité de mauvais augure (1). De 1598 à 1700, le trône fut
occupé par Philippe III, Philippe IV et Charles II. Quel
contraste frappant entre eux et leurs prédécesseurs! (2).
Philippe III et Philippe IV étaient paresseux, ignorants,
faibles de jugement, et passèrent leur vie au milieu des plai-
sirs les plus bas et les plus sordides. Charles II, le dernier
de cette dynastie autrichienne qui avait été si remarquable*
avait, pour ainsi dire, tous les défauts qui peuvent rendre un.
(1) « With Philip II ends the greatness of Ibe kiDgdom, which from that period declined
▼ith fearftti rapidity. » Dunham, Hist. ofSpain, t. V, pag. 87. Et Ortiz (Compendia^
t. VII, Prologo, pag. 6) réunit dans la même catégorie < la muerte de Felipe II y prind*
pîos de nuestra decadeocia. » Le même historien judicieux remarque dans on autre passage»
(t. Vf, pag. 211) qne, si Philippe III avait été égal i son père , l'Espagne eût continué à
prospérer. Plnsienrs écrivains espagnols modernes , en examinant les frais énormes occa-
sionnés par la politique de Philippe II et les dettes qu'il contracta, ont pensé que la déca>-
denee date des dernières années de son règne. Mais, en réalité, la prodigalité d'un gourer^
nement ne peut ruiner une nation.
(2) t Àbstraido Felipe III en devociones, amante Felipe IV de regocijos, mortificade
Carlos II per padecimieatos, cuidâronse poco ô nada de la gobernacion del Estado, y con-
fiâronla & validos altaneros, codiciosos, iocapaces, y de muy fuoesta memoria. » Rio, Hist.
del Reinado de Carlo UL Madrid, 1856, 1. 1, pag. 33.
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DE LÀ CIVILISATION ENANGLETERRE. 49
homme ridicule et méprisable. Il était tel de corps et d'es-
prit, que dans un pays moins fidèle à ses rois, il eût été l'ob-
jet de la dérision universelle. Quoiqu'il mourût à la force
de l'âge, il avait l'air d'un homme courbé par l'âge et par la
débauche. A trente-cinq ans, il était complètement chauve,
il avait perdu ses sourcils, il était paralysé, épileptique et
notoirement impuissant (1). Sa physionomie; semblable à
celle d'un idiot, était positivement révoltante. Sa bouche
était énorme et la mâchoire inférieure avançait d'une façon
si hideuse, qu'il ne pouvait ni joindre les dents, ni mâcher
ses aliments (2). Il serait impossible de croire à son igno-
rance, si elle n'était attestée par des témoignages dignes de
foi. Il ne connaissait ni les noms des villes importantes, ni
même ceux des provinces de son royaume ; et pendant la
guerre avec la France, il plaignit un jour l'Angleterre d'avoir
.perdu des villes qui, en réalité, faisaient partie de son
(1) t San» espérance de postérité. » Mi Ilot, Mém. de Noailles, 1. 1, pag. 419. • Incapaz
de tener hijos. > Ortiz, Compendio, t. VI, pag. 560. Voyez anssi Mém. de LonviUe, 1. 1,
pag. 82, et les allusions dans les Lettres de madame de VillarSj édit. Amsterdam, 1759,
pag. 53, £40, 164. Elle était ambassadrice en Espagne sons Charles H. M. Lafoente qni, si je
ne me trompe, ne cite jamais ces lettres intéressantes et qni, dn reste, ne s'est guère servi
que de données espagnoles, se risque néanmoins à dire que t la circnnstancia de no haber
tenido sncesion, falta qne en gênerai se achabaca mas al rey que à la reina, • etc. Hist. de
Eipandj t. XVII, pag. 198, 199. Madrid, 1856. Selon le biographe des reines d'Espagne,
quelques personnes attribuèrent cela à la sorcellerie : < Y ann se dijo si intervenia male-
flcio. > Florez, Mem. de las Reynas Catholicas, t. II, pag. 973. Madrid, 1761, in-4\
(2) En 1696, Stanhope, le ministre anglais à Madrid, écrivait : « He has a menons
stomach, and swallows ail he eats whole, for tiis nether jaw stands so mnch ont that his two
rows of teeth cannot meet; to compensate which, he has a prodigious wide throat, so that
a gizzard or liver of a hen passes down whole, and his weak stomach not being able to digest
it, he voids it in the same manner. » Manon, Spain under Charles 11. Lond., 1840,
pag. 79, nne curieuse collection de documents originaux complètement applicables à tous,
les historiens espagnols qne j'ai lus. On trouvera une description de Charles II enfant dans
Mignet, Négociations relatives à la succession d'Espagne. Paris, 18354842, in-4% 1. 1,
pag. 294, 295, 310, 396, 404, 410 ; t. II, pag. 130 ; t. III, pag. 418, 419, 423. Voyez aussi t. IV,
pag. 636. Au sujet de sa taciturnité, la seule marque de bon sens qu'il ait jamais donnée :
« Le roi l'écouta et ne lui répondit rien. >
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50 HISTOIRE
propre territoire (1). Enfin il était plongé dans la superstition
la plus avilissante ; il se croyait constamment tenté par le
diable ; il se faisait exorciser comme étant possédé d'esprits
mauvais; et il ne voulait se retirer dans sa chambre à cou-
cher qu'avec son confesseur et deux moines qu'il faisait cou-
cher près de lui toute la nuit (2).
Il fut alors facile de voir que la grandeur de l'Espagne
était bâtie sur le sable. Avec des souverains capables, le
pays prospérait; avec des souverains imbécilles il tomba
dans la décadence. Les misérables princes du dix-septième
siècle détruisirent presque tout ce qui avait été fait par les
grands rois du seizième. La chute de l'Espagne fut si ra-
pide, que pendant les trois règnes qui suivirent la mort de
Philippe II, la plus puissante monarchie du monde tomba
jusqu'au dernier degré de l'abaissement, fut insultée impu-
nément par les nations étrangères, fit banqueroute plus
d'une fois, perdit ses plus belles possessions, devint un
objet d'opprobre général, et servit de thème aux savants
et aux moralistes pour disserter sur l'incertitude des
choses humaines ; elle eut enfin cette cruelle humiliation de
voir son territoire divisé par un traité auquel on ne lui per-
(1) « Le roy demeurait dans une profonde ignorance et de ses affaires et même des États
de sa couronne; à peine connoissoit-il quelles étoient les places qui loi appartenoient hors
du continent d'Espagne. » « La perte de Barcelone lai fat plus sensible qu'aucune
autre, parce que cette ville, capitale de la Catalogne et située dans le continent de l'Espagne,
lui étoit plus connue que les villes de Flandre, dont il ignorait l'importance aa point de
croire que Mons appartenoit au roi d'Angleterre, et de le plaindre lorsque le roi fit là
conquête de cette province. » Mém. du marquis de Torcy, 1. 1, pag. 19, 23, édii. Petitot.
Paris, 1828.
(2) « Fancying everything that is said or done to be a temptation of the devil, and never
thinking himself safe but with his confessor, and two friars by his side, whom he makes lie
in his chamber every night. » Manon, Spain under Charles 11, pag. 102. C'est sans doute
cette grande affection pour les moines qui fait dire à un historien espagnol que le roi avait
«coraion pio y religioso. » Bacallar, Comentarios de la Guerra de Espancij 1. 1, pag. 20.
Le meilleur compte rendu de l'exorcisme se trouve dans Lafuente, Hist. de Espana*
t. XVII, pag. 294-309. Il y a un chapitre entier intitulé : Los Hechizos del Rey.\
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. , 51
mit pas de prendre part, et auquel il lui était impossible de
s'opposer (1). L'Espagne vida alors jusqu'à la lie la coupe
amère de sa propre honte. Sa gloire avait disparu, elle était
humiliée.
La maîtresse du monde, la reine de l'Océan, la terreur
des nations, l'Espagne n'était plus ; son pouvoir était anéanti
pour jamais. C'était à elle qu'on pouvait appliquer cette
amère lamentation que le plus grand des fils de l'homme a
placée sur les lèvres mourantes d'un homme d'État. Le pa-
triote espagnol n'avait-il pas bien raison, dans sa douleur
profonde, de pleurer le sort de son pays, de son royaume,
de sa contrée si chère, si longtemps adorée pour sa réputa-
tion dans le monde entier, et maintenant donnée à bail
comme une propriété ou comme une métairie (2). Ce
(1) • La foiblesse de l'Espagne ne permettait pas à son roi de se ressentir du traitement
dont il croyoit à propos de se plaindre. » Mém. de Torcy, 1. 1, pag. 81. On» comme le dit
amèrement un éminent écrivain espagnol , t las naciones estrangeras disponiendo de la
monarqnia espanola como de bienes sin dueno. t Tapia, Civilizacion espailola, t. III,
. pag. 167.
(2) ■ This royal throne of kings, this scepter'd isle,
This earth of Majesty, his seat of Mars,
This other Eden, demi-paradise ;
This fortress, bnilt by nature for herself
Àgainst infection and the hand of war;
This happy breed of men, this little world,
This precions stone set in the silver sea,
Which serves it in the office of a wall,
Or as a moat défensive to a honse,
Against the envy of less happier lands;
This blessed plot, this earth, this realm, this England,
This nurse, this teeming wornb of royal kings,
Fear'd by their breed and famous by their birth,
Renowned for their deeds as far from home,
For Christian service and trne chivalry,
As is the sepnlchre in stubborn Jewry
Of the world's ransom, blessed Mary 's son :
This land of such dear soûls, this dear, dear land,
Dear for her réputation through the world,
1s now leas'd out, I die pronunciog it,
Like to a tenement or pelting far m. >
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52 HISTOIRE
serait une tâche fatigante et sans profit de raconter les pertes
et les désastres de l'Espagne pendant le dix-septième siècle.
Sans doute, la cause immédiate de cet état de choses fut un
mauvais gouvernement et des rois incapables; mais la
cause véritable et évidente qui détermina complètement le
progrès de celte décadence, fut l'existence de cet esprit de
fidélité et de révérence grâce auquel le peuple se soumit à ce
qui eût été rejeté avec mépris dans tout autre pays, et qui,
en l'habituant à avoir une confiance extrême dans quelques
individus, réduisit la nation à cette position précaire dans
laquelle une série de princes incapables devait nécessaire-
ment renverser l'édifice élevé par leurs illustres prédé-
cesseurs (1).
L'influence croissante de l'Eglise espagnole fut la première
et la plus remarquable conséquence de l'énergie décroissante
du gouvernement espagnol. En effet, la fidélité et la super-
stition étant les principaux éléments du caractère national,
et ces deux éléments étant le résultat d'une révérence habi-
tuelle, il était évident que, si la révérence n'était pas affai-
blie, ce qu'on prenait à un élément serait donné à l'autre.
Aussi, comme le gouvernement espagnol, pendant le dix-
septième siècle, perdit, grâce à son extrême imbécillité une
partie du pouvoir qu'il possédait sur les affections du
peuple, il arriva naturellement que l'Église intervint, s'em-
(1) < La théorie espagnole sur le gouvernement est parfaitement établie dans le passage
suivant de Davila, Life of Philip 111. Ses remarques s'appliquent à Philippe II, «que solo
ha via goberaado sin validos ni privados, tomando para si solo,como primera causa de sa
gobierno, el mandar, prohibir, premiar, castigar, hacer mercedes, conocer sugetos, elegir
Ministros, dar oficios, y tener como espiritu, que andaba sobre las aguas, ciencia y provï-
dencia de todo, para que na la se hiciese sin su saber y querer; no serviendo los Ministros
mas que de poner por obra (obedeciendo) lo que su Senor mandaba, velando sobre cada
uno,como pastor de sus ovejas, para ver la verdad con que executan sus mandamientos j
acuerdos. • Davila, Hist. de Felipe Tercero, lib. i, pag. 22, 23.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 53
para de la place vacante, et reçut ce que la couronne avait
perdu. En outre, la faiblesse du gouvernement exécutif
encouragea les prétentions du clergé et l'enhardit à com-
mettre des actes d'usurpation que les souverains espagnols
du seizième siècle n'eussent jamais permis, en dépit de leur
superstition (1). De là vient ce fait remarquable que, pen-
dant que dans tous les autres pays de premier ordre, excepté
TÉcosse, le pouvoir de l'Église diminua pendant le dix-sep-
tième siècle, il augmenta réellement en Espagne. Les con-
séquencesdece fait sont dignes de l'attention, non seulement
des étudiants philosophiques de l'histoire, mais aussi de
tous ceux qui ont à cœur la prospérité de leur patrie,
ou qui prennent intérêt à l'administration pratique des
affaires publiques.
Pendant les vingt-trois années qui suivirent la mort de
Philippe II, le trône fut occupé par Philippe III, prince
aussi remarquable par sa faiblesse que ses prédécesseurs
l'avaient été par leurs talents. Pendant plus d'un siècle, les
Espagnols avaient été habitués à être entièrement gouvernés
par des rois qui avaient surveillé avec une persévérance
infatigable toutes les affaires les plus importantes et qui
étaient toujours restés maîtres de leurs ministres. Mais
Philippe III, dont la nonchalance arrivait presque à la stu-
pidité, était incapable d'un travail pareil, et il abandonna le
gouvernement à Lerma, qui conserva le pouvoir suprême
(1) Philippe II lui-même conserva toujours on certain ascendant sur la hiérarchie ecclé-
siastique, quoiqu'il fût complètement imbu des préjugés reHgieox. cWhile Philip vas
thos willing to exalt the religions order, already far toe poverfal , he iras careful that it
saould nevergain such a height as would enable itio o ver top the royal authority.» Prescott,
Hiêt.ofPhiHp II, t. IN ,pa§- 338. t Pero este moaaroa Un afecto à la Inquisition mientras
le sema para bus fines, saMa bien tener i raya al Santo Oftcio c«ando irtentaba invadir6
usurpar las preemlnencias 4e la attorMad rèat, 6 atrogarstia pederdesmedido.» Lafuente>
Hist. de Espaûa, t. XV, pag. il*.
T. IV. 4
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54 HISTOIRE
pendant vingt ans (1). Chez on peuple aussi fidèle à son roi
que le peuple espagnol , un procédé aussi extraordinaire ne
pouvait manquer d'affaiblir le pouvoir exécutif; car, dans
l'opinion du peuple, l'intervention immédiate et irrésistible
du souverain était essentielle à l'administration des affaires,
et au bien-être de la nation. Lerma, qui connaissait par-
faitement ce sentiment, et qui savait que sa position était
très précaire, désirait naturellement la raffermir de façon à
ne pas être complètement dépendant de la faveur du roi.
Dans ce but, il fit alliance avec le clergé, et depuis le com-
mencement jusqu'à la fin de sa longue administration, il fit
tout ce qu'il put pour augmenter l'autorité de ses alliés (2).
L'influence que la couronne perdit revint ainsi au clergé, à
l'opinion duquel on accorda une déférence plus grande
encore que celle qui avait été accordée à l'Église par les
princes superstitieux du seizième siècle. Dans cet arrange-
(i) • Por coyo absolato poderio se executaba todo. » Yanez, Memoriaiparala Historia
de Felipe III , Prologo, pag. 150. • An absoluteness in power over king and kingdom. »
Lettre de sir Charles Cornwallis anx lords do conseil d'Angleterre, datée de Valladolid ,
31 mai 1605, dans Winwood, MemoriaU , t. II, pag. 73. Lond., 1725, in-fol. « Porqne no
era fàcil imaginar entonces, ni por fortuna se ha repetido el ejemplo despnés, que hobiera
on monarca tan prôdigo de autoridad, y al propio tiempo tan indolente, que por no tomarse
siqoiera el trabajo de fîrmar los docnmentos de Estado, qoisiera dar 4 la firma de un vasalla
suyo la misma autoridad que à la suya propia, y que advirtiera y ordenira, como ordenô
Felipe 111 à todos sus consejos, tribunales, y sùbditos, que dieran à los despachos tirmados
por el duque de Lerma el mismo cumplimiento y obediencia, y los ejecutàran y guar-
diran con el mismo respeto que si fueran firmados por él. » Lafuente , Hist. de EspaAa,
t. XV, pag. 449, 450. « El duque de Lerma, su valido, era el que gobernaba el reino solo. »
T. XVII, pag. 332. Il resta au pouvoir de 1598 à 1618. Ortiz, Compendio, t. VI,
pag. 290, 325.
(2) Davila {Hist. de Felipe Tercero, lib. n, pag. M), après avoir fait l'éloge des qualités
personnelles de Lerma , ajoute : « Y sin estas grandes partes tu?o demostraciones chrîs-
tianas, manifestandolo en los conventos, iglesias, colegiatas, hospitales, ermitas y catedrai ,
que dejô fundadas, en que gastô, como me consta de los libros de su Contaduria, un millon
ciento cincuenta y dos mil doscientos ochenta y très ducados. » Âpres une aussi monstrueuse
prodigalité, Watson a parfaitement raison de dire que Lerma montra « the most devoted
attachaient to the church,» et t conciliated the favour of ecclesiastics. » Watson, Hist. of
Philip III. Lond., 1839, pag. 4, 8, 46, 224.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 55
meut, les intérêts du peuple furent nécessairement laissés
de côté. Son bien-être ne formait pas partie du plan géné-
ral. Au contraire, le clergé, reconnaissant vis-à-vis d'un gou-
vernement qui appréciait si hautement son mérite et qui
avait des dispositions si religieuses, lui donna le bénéfice
de toute son influence ; et le joug d'un double despotisme
fut rivé plus solidement que jamais sur le cou de cette mal-
heureuse nation, qui allait recueillir le fruit amer d'une sou-
mission constante et ignominieuse (1).
Nous avons toutes les preuves possibles relativement à
l'augmentation de la puissance de l'Église espagnole pendant
le dix-septième siècle. Les couvents et les églises se multi-
plièrent avec une rapidité si alarmante, et leurs richesses
devinrent si prodigieuses, que les Cortès elles-mêmes, en
dépit de leur abaissement, risquèrent une remontrance
publique. En 1626, cinq ans seulement après la mort de
Philippe III, elles demandèrent qu'on prit quelque mesure
pour arrêter les empiétements de l'Église. Dans ce docu-
(1) Philippe UI ne déploya jamais la moindre énergie, excepté pour seconder las efforts
de son ministère ponr accroître l'influence de l'Église ; anssi l'historien espagnol dit-il qu'il
était le « monarque le pins pienx parmi tons cenx qui ont occupé le trône d'Espagne depuis
saint Ferdinand. » Sempere, Monarchie espagnole, 1. 1, pag. 245. « El principal cnidado
de nnestro Rey era tener à Dios por amigo, grangear y beneficiar su gracia, para que le
asistiese propicio en qnanto obrase y dixese. De aqui tuvieron principio tantos dones ofre-
cidos à Dios, tan ta fundacion de Conventos, y favores hechos à Iglesias y Relîgiones. >
Davila, Hist . de Felipe Tercero, lib. h, pag. 170. Sa femme, Marguerite, avait une égale
activité. Voyez Florez, Reynas Catholicas, t. H, pag. 915, 916. « Demas de los frutos que
diô para el Cielo y para la tierra nuestra Reyna, tuvo otros de ambas lineas en fundaciones
de templos y obras de piedad para bien del.Reyno y de la Iglesia. En Valladolid fundô el
Convento de las Franciscas descalzas. En Madrid trasladô à las Agustinas Recoletas de
Santa lsabel desde la cal le del Principe al sitio en que hoy estan. Protegiô con sus limosnas
la fundacion de la Iglesia de Carmelitas descalzas de Santa Ana ; y empezô à fnndar el Real
Convento de las Agustinas Recoletas con titnlo de la Encarnacion en este misma Corte ,
cnya primera piedra se pnso à 10 de Junio del 1611. En la parroqnia de S. Gil jnnto a
Palacio introdnjô los Religiosos Franciscos, cayo Convento persévéra hoy con la misma
advocacion. » Nons verrons bientôt dans quelle condition se trouvait le pays pendant qne
tout cela se passait.
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56 MSTOUE
ment fort remarquable, les Cortès, assemblées à Madrid,
déclarèrent qu'il ne se passait pas un jour sans qse quelques
laïques fussent dépouillés de leurs biens pour enrichir les
ecclésiastiques; et que cet abus était arrivé à ma tel point,
qu'il y avait alors en Espagne -plus de neuf mille monas-
tères (1). Je crois que ce chiffre prodigieux n'a jamais été
réfuté, et plusieurs antres circonstances semblent le corro-
borer. DavUa, qui vivait sans le règne de Philippe (II,
affirme qu'en 1623, les dominicains et ies franciscains
étaient au nombre de ttent&denx raille (2). Les au4res*rdres
ecclésiastiques augmentaient dans la même proportion.
Avant la mort de Philippe III, il y avait plus 4e cent prêtres
attachés à la seule cathédrale de Séville ; et dans de éiocèie
de Séville il y avait quatorze orille chapelains. Le diooèae de
Calahorra en comptait dix-huit mille (3), Cette épouvan-
<A) La teneur de la pétition était : « Que te tmtasse «em ma* verts de poner limite *
108 bienes, que se sacauan cada dia del braço seglar al eclesiastico, enflaqneciendo no tan
sole el patrimonio real , mas el oomnn, poes siendp aqael libre de pechos, oontribueienec,
y ganelas, alojamientos, haespedes, y otros graaameoes mayores, presidios, guerras, y
soidados.* « Que las Religiones «ran mâchas, iat Mendicantas en «ces» ,7 «I
Clero en grande maltitnd. Que ania en Eqpaoa 9,088 mona*teties, auo no -cootando los 4e
Monjas.Qae yuan metiendo pocoi, poeo, con dotaoioaes, cefradiaSjCapeAlMMtH, o<on coopta*,
a todo el Reyno en su poder. Qoe se atajaase tanto mal. Q«e Anniesse Jiamero en losfraylas,
modération en los Conuenlos, y ann en lot Clerigos aeglares. » Ceapedas, MiH. de Dm,
Felipe IV. Baroetona, 4634, in fol., lib. vii, cap. a, pag. 371, rev.
(2) « fin este ano, qoe iba escribiendo esta Hûtoria,.traiian laaQrdenasdeSaataDemiage
y S. Francisco en £spana, treinta y dos mil Religiosos* y tos Obtspados 4e GaUhorra f
Pamplona veinte y qnatro mil clerigos : poes que tendran ias éemas JUligioaes, y los dema*
Obispados? » Darila, Hist. de Felipe Tercero, lib. n ^nag. 315. Voyetoasai cbap. 10m,
pag. «48, 348, et, an sujet de raagmentation des oeovents, veyei ¥aaes, Memmria* pans
la Hitort* de Felipe III, j>ag. 240, 268, 3Û4, 9».
(î) <€ The reign of Philip III , samamed from his piety the Geod, m» ftfae golden âge etf
Caorchmen. Thoogh religions foundations mère aiready too ■mnwnms, «reat additions
weramade ,to them ; and in those which alreaAy existed, mwjaltaanff«hanael8«meie eiecftaa.
Thas, tfee dnke of Lerma fonnded seren masasteties and Iwe ceHefietechorohe*; Un»,
aleo, the diocèse of Calahorra ammbeced tfcOOOchapiaiK, Seidlle^.WO^Bowiiséleatry tin
miasstem of religion srere mnltipiinA, wiU apptar stilt «orecl«aiiy#am»the mot <h*t the
cathedral of Séville alooe had a hundred, when half-a-dozen wonld aaumedly bave 1
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 57
table condition paraissait sans remède. Plus l'Église deve-
nait riche, plus les laïques se sentaient encouragés à entrer
dans les ordres; de sorte que les intérêts temporels étaient
de jour en jour plus sacrifiés (1). En dépit de la manière
soudaine dont il avait commencé, le mouvement progressait
très régulièrement, et avec d'autant plus de facilité, qu'il
avait été précédé par une longue série de circonstances»
Depuis le cinquième siècle, le cours des événements avait
manifesté une tendance continuelle de ce côté, et avait
assuré au clergé ua empire qui n'eût été toléré dans aueua
autre pays. Ainsi préparé, le peuple lui-même contempla
en silence ce qu'il ne pouvait empêcher sans impiété; car,
ainsi que le remarque un historien espagnol, on considérait
sufficient for the public offices of dévotion. » Dnnham, Hist. ofSpain, t. V, pag. 274. D'après
le passage de D&viia, cité dans la note précédente, il y avait 24,000 « cJerigœ » dans les
deux diocèses de Caiahorra et de Pamplona. >
fcL) « Boire tante, crecia por instantes y se aumentaba- prodigiesament* el podar y la
autorîdad da la Jgieaia. Sus piogâas riqneaas desmembraban de unamanera considérable
laarentas.de la corena; y el estado ecclesiâstico, que machos abmzaroa en un prinap» à
conseenencia de las. desgracias y calamtdades de la época, foé despnes el mas solicitacfaa
por las inmensas ventajaa qpe ofrecia sa condicion coaparada con la de las clases res-
tantes. » Antequera*, Hist. de fa. Législation, pag. 223, 22*. Voye* aussi dans Camper
maneaUpendictià ta Education. Madrid, 1775-1777, W I, pag. 465, et U IV, pag. 219) un
compte rendu de l'université de Tolède en 1619 ou 1620 : « hay dobladosreligiososi.elefigae
y estodiantes; porqae ya no> hallan oùra modo de vivir, ni de potier êustentart&. %
Si M. Laluente avait connu ce passage et. ceux que je vais citer plus loin,, il eût, je croie,
einrimé son opinion d'une manière plus ferme sur cette période dans sa brillante histoire
d'Espagne. Relativement aux grandes richesses des convenu en 1679, lorsque le pays était
dans une pauvreté abjecte, voyez une lettre datée de Madrid 25 juillet 1679 dans d'Aulney*
Relation du voyage df Espagne. Lyon„1693, t. Il* pag. 251. Biais l'évidence la plus reculée
que je connaisse se trouve dans une lettre écrite en 1609 au prince Henri d'Angleterre pat
sir Charles Cornwellie, l'ambassadeur anglais, à Madrid. « The fumitnre oltheir chnrefaes
kftie> and the riches and lustre of their sepnlchurea made in every monasterie ( the gênerai
tovertye et fehis kingdomecoasidered), are almostineredible. The (aily of this nation roay
say vwth Bavyde (though in another sensé) : « Zelus domus tu» comedil me; »► for,
assuredtys the riches of the Itompesall hatbin a manne* ail fallen> into the mouthes: and
dfivoroinfc Mirantes ofthe Spiritual. » Winwood, Mémorial* of A flairs, of State, t. Ut,
pag. 20. Lond., 1725, in fol.
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58 HISTOIRE
comme une hérésie toute proposition qui tendait à diminuer
les richesses énormes que possédait alors l'Église espa-
gnole (1).
Un autre fait très intéressant prouve combien cet état de
choses semblait naturel. En règle générale, le dix-septième
siècle fut remarquable en Europe par la naissance d'une
littérature séculière qui laissa complètement de côté les
théories ecclésiastiques; les écrivains les plus influents, tels
que Bacon et Descartes, étant laïques, et les enoemis plutôt
que les amis de l'Église, composèrent leurs ouvrages dans
des vues purement temporelles. Mais l'Espagne ne profita
nullement de ce revirement dans les idées (2). Dans ce
pays, l'Église conserva son influence sur les esprits les plus
élevés comme sur les intelligences les plus bornées. L'opi-
(i) « Deux millions de ducats, que le clergé possédait sous le régne de Charles V, étaient
réputés comme un revenu exorbitant, et an demi-siècle pins tard, lorsque ces revenus s'éle-
vaient à huit millions, on qualifiait d'hérétique toute proposition tendante à opérer quelque
modification dans leur accroissement. » Sempere, Monarchie espagnole, t. II, pag. 16.
(2) Dans un ouvrage sur la littérature espagnole, qui a été publié il y a environ soixante
et dix ans et qui fit alors beaucoup de bruit, cette singularité est franchement admise,
mais elle est plutôt considérée comme un honneur pour l'Espagne, cette contrée ayant pro-
duit, nous dit-on, des philosophes bien plus profonds que Bacon, Descartes et Newton, qui,
tout capables qu'ils fussent, ne pouvaient se comparer aux grands penseurs de la péninsule.
De pareilles assertions venant d'un homme vraiment capable et jusqu'à un certain point
compétent, ont une grande importance pour l'histoire de l'opinion, et, comme ce livre est
assez rare, j'en donnerai quelques extraits : « Confiesan los Franceses con ingennidad que
Descartes fné un novelista ; y con todo eso quieren hacerle pasar por ei promotor de la
filosofia en Europa, como si su filosofia se desemejase mucho de la que dominaba en las
sectas de la antigfiedad. Su tratado « del Metodo » es nada en comparacion de los libros
« de la Corruption de las artes > de Juan Luis Vives, que le antecediô buen numéro de an os. »
Oracion Apologética por la Espafla y su mérito liierario por D. J. P. Forner. Madrid,
1786, pag. xi. « No hemos tenido en los efectos un Cartesio, no un Neuton : démoslo de
barato : pero hemos tenido justi simos legisladores y excelentes filôsofos pràcticos, que han
preferidoel inefable gusto detrabajar en beneficio de la humanîdad à la ociosa ocnpacion
de edificar mundos imaginarios en la soiedad y silencio de un gabinete. » pag. 11 1 Nada se
disputaba en Espana. » Pag. 61. A la page 143, il compare Bacon à Vives, et conclut en
disant (pag. 146) que Vives joignait « una gloriosa superioridad sobre todos lossabios de
todos los siglos. ■
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 59
nion publique avait une telle force, que les auteurs tenaient
tous à orgueil d'appartenir à la profession ecclésiastique,
dont ils défendaient les intérêts avec un zèle digne des siècles
de ténèbres. Cervantes devint un moine franciscain trois ans
avant sa mort (1), Lope de Yega était prêtre; il était égale-
ment membre de l'inquisition; et en 1623, il assista à un
auto-dafé, dans lequel on brûla un hérétique devant une
foule immense, en dehors de la porte d'Alcala à Madrid (2).
Moreto, un des plus grands auteurs dramatiques de l'Espagne,
porta le costume monastique pendant les douze dernières
années de sa vie (3). Montalvan, dont les pièces sont encore
connues, était prêtre et membre de l'inquisition (4), Tar-
rega, Mira de Mescua, et Tirso de Molina, auteurs drama-
tiques de talent, étaient tous les trois membres du clergé (5).
Solis, le célèbre historien du Mexique, était également un
ecclésiastique (6), Sandoval, que Philippe III nomma son
historiographe, et qui est l'autorité la plus compétente pour
le règne de Charles Y, était d'abord un moine bénédictin ; il
devint ensuite évêque de Tuy, et fut plus tard élevé à l'évêché
(i) Il ne fit profession qu'en 1616, mais il commença à porter le costume en 1613.
■ Tal era su situation el sâbado santo 2 de april (1616) que por no poder salir de su
casa hubieron de darle en ella la profesion de la vénérable ôrden tercera de San Francisco,
cuyo hâbito habia tomado en Alcalà, el dia 2 de judio de 1613. » Navarre te, Vida de Cer-
vantes, pag. en, préface à Don Quijote. Barcelona, 1839. Même en 1609, dit Navarrete
(pag. lui), « se ha creido que entonces se incorporé tambien Cervantes, como lo bizo Lope
de Vega, en la congrégation del oratorio del Caballero de Gracia, mien tr as que su muger y
su bermana dona Andréa se dedicaban à semejantes ejercicios de piedad en la vénérable
ôrden tercera de San Francisco, cuyo hâbito reeibieron en 8 de junio del mismo ano. >
(2) Ticknor, Hist. ofSpanish Literature, t. II, pag. 125, 126, 437, 147, 148.
(3) Idem, ibid., t. II, pag. 374; Biographie universelle, t. XXX, pag. 149, 190.
(4) Ticknor, Hist. ofSpanish Literature, t. II, pag. 276,327.
(5) Idem, ibid., t. Il, pag. 327.
(6) Bouterwek, Hist. ofSpanish Literature, 1. 1, pag. 525. Hais la meilleure description
est celle de son biographe qui nous assure de ces deux faits : qu'il reçut t todas las ôrdenes
sagradas,* et qu'il était « devotfsimo de Maria santisima. » Vida de Solis, pag. 15, dans
Solis, Hist. de la Conquista de Mejico, édit. Paris, 1844.
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60 HISTOIRE
de Pampelune(l). Davilaje biographe de Philippe III, était
prêtre (2). Mariana appartenait à Tordre des jésuites (3) ; et
Minana, le continuateur de l'histoire de Mariana, était su-
périeur d'un couvent à Valence (4). Martin Carrillo était
jurisconsulte en même temps qu'historien ; ce qui ne l'em-
pêcha pas d'entrer dansles ordres et de devenir chanoine de
Saragosse (5). Antonio, le plus savant bibliographe de l'Espa-
gne, était chanoine de Séville (6). Gracian, dont les ouvrages
en prose ont eu de nombreux lecteurs et qui était alors
considéré comme un grand écrivain, était jésuite (7). La
même tendance se manifestait parmi les poètes. Paravieino
fut pendant seize ans le prédicateur favori à la cour de Phi-
lippe III et de Philippe IV (8). Zamora était moine (9).
Argensola était chanoine de Saragosse (10). Gongora était
prêtre (il); et Rioja avait un poste élevé dans Tinquisi-
tion(12). Calderon était chapelain de Philippe IY (15) ; et le
fanatisme qui ternit son brillant génie était si violent, qu'il
(i) Biographie universelle, t. XL, pag. 319.
(9) « Sacerdote soy. > Davila, HisL de la Vida de Felipe Tercero, lib. 11, pa«. 915.
(3) Biographie universelle, t. XXVII, pag. 48.
(4) /MA, t. XIX, pag. 80.
(5) /MA, t. VU, pag. 919.
(6) /MA, t. H, pag. m
(7) Ticknor, HisL ofSpanish Literature, t. III, pag. 177.
(8) Idem, *MA, t. II, pag. 491 ; t. III, pag. 117, 118*
(9) Sismondi, Literature of tàfi South of Europe, t. II, pag. 34a Lood., 184*.
(10) « Père en fia murio Doa Andrée Marlinei, y anoediole en la Canongia nuestro Bar-
tholome. » Pellicer, Ensayo de una Bibliotkeca. Madrid, 1778, n-4°, pag. 94. tfètait le
jeune Argensola.
(11) Ticknor, Hist. ofSpanish IAterature, t. II, pag. 48&
(19) « Occopied a high place in the Inquisition. » Ticknor, 1. 11, pag. 507. « Prit les ordres
et ofctiDt on canonkat. » Btog> universelle, t. XXXVIII, pag. 190.
(13) En 1663, Philippe IV • le honré- eon otra Cappellania de hoaor ta sa real Gapill*. >
Vida de Calderon, pag. iv, dans Las Comedias de Calderon, édit. Keii, Leipaig,
1897.
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DE LA CIVILISATION BN ANGLETERRE. 61
tût appelé le poète de l'inquisition (1). Son amour pour
l'Église était une passion, et il ne reculait devant rien pour
avancer ses intérêts. En Espagne, de tels sentiments étaient
naturels; mais ils paraissent si étranges aux autres nations,
qu'un célèbre critique a déclaré qu'il était impossible de
lire sans indignation les œuvres de Galderon (2). S'il en est
ainsi, tons les auteurs espagnols de son temps méritent le
même mépris. Il était presque impossible de trouver à cette
époque un Espagnol qui ne partageât pas ces sentiments,
YiHaviciosa lui-même, l'auteur d'un des meilleurs poèmes
burlesques en langue espagnole, était non seulement membre
de l'inquisition, Mais il enjoignit dans son testament à sa
familie et k toua ses descendants de se vouer au service de
cette* noble institution, n'importe dans quel poste ils pour-
raient la servir, ajoutant que tout ce qui lui appartenait était
digne de vénération («"). Dans une pareille condition sociale,
tout ce qui se rattachait au* intérêts temporels ou scientà-
(1) < Calderon is, in fact, the trne poet of the Inquisition. Animated by a religions
faejèng, v*teb il too visible in ail hk pièce», hp. inspires me ooly *ith horrorfbr Uie faitii
^Jtych be professes. » Sismondi, Literaùure of the Soutk of Europe, t. II, pag. 379.
Comparez Lewes, On the Spanieh Drama, pag. 176-179.
(2) $a4fi dit : *€aMerqn de la Barea exeike encore pins une sorte d'indifnation, matgvé
son génie dramatique qui le mit an dessus de Vega, son prédécesseur. En lisant ses drames
sans prévention , vous diriez qu'il a voulu faire servir son talent uniquement à confirmer
toi IPtmttei leesuBQMtiUQB! If & plus ikUcnlesde sa nation* » Giogueaé, f/itf . littéraire
de l'Italie, t. XU, pag. 499. Paris, 1834.
(3) ». Bntrô enfei ano de 16» â ser Helator dei Consejo de la General Inquisition,
onpoi «mptaû sjotîq y deeempeno eontodo bonor mncbos anos, » Et M déclara : « En esta
clans d U de su Testament : « Y por qoanto yo y mis bermanos y toda nnestra familia nos
nemoe sustentade, auterfeado y pueeto en estado- con las honras y mercede», que nos Ha
hqcno ai sauta Qficio dû la Inquisition, à^quien, he»os servido como nuestros antepassados ;
encargo afectuosissimamente â todos mis sucessores le sean para siempre los mas respe-
tneses sertidoves y criados, viviendo en oonpackm de a» sanfeo servioio, procnrando ade-
lantarse y senajarse en èi, quanto les fheje possible» en qnalquiera de sus ministerios ; pues
todos son tan dignos de estimacion y veneracion. > La JHosquea, por ViUaviciosa,
Irologo» paf t »u>édlU NaArid* 177.
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62 HISTOIRE
fiques était nécessairement impossible. Tout le monde
croyait ; personne ne s'enquérait. Dans les classes élevées,
chacun s'occupait d'art militaire ou de théologie, et un grand
nombre s'adonnait aux deux professions. Les littérateurs se
prêtaient volontiers au préjugé dominant. On traitait avec
respect, même avec une vénération timide, tout ce qui tou-
chait à l'Église. Des talents qui eussent été dignes d'une
meilleure cause étaient consacrés & faire l'éloge de toutes les
folies que la superstition inventait. Plus une coutume était
cruelle et absurde, plus il se trouvait d'écrivains pour la
défendre, sans qu'un seul osât l'attaquer. La quantité d'ou-
vrages espagnols écrits pour prouver la nécessité des persé-
cutions religieuses est incalculable; et ces livres étaient
publiés dans un pays où il eût été impossible de trouver un
individu sur mille ayant le moindre doute sur le droit
qu'avait l'Église de brûler les hérétiques. Quant aux miracles,
qui forment l'autre ressource importante des théologiens, ils
étaient continuels au dix-septième siècle, et on ne manquait
jamais de les enregistrer. Tous les hommes de lettres tenaient
à honneur d'écrire sur ce sujet. Les saints étaient également
en grande réputation; leurs biographies étaient innom-
brables, et étaient écrites avec ce mépris de la vérité qui est
généralement le caractère distinctif de ce genre de composi-
tion. Tels étaient les topiques qui occupaient les esprits en
Espagne. Les monastères, les couvents, les ordres religieux,
et les cathédrales se partageaient l'attention publique, et les
écrivains leur consacraient d'énormes in-folios, afin d'enre-
gistrer et de laisser à la postérité tout ce qui se rapportait à
ces questions intéressantes. Dans le fait, on a vu souvent un
seul couvent ou une seule cathédrale avoir plusieurs histo-
riens qui tous luttaient de zèle , et tenaient à honneur de
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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 63
jeter le plus grand lustre possible sur l'Église et de défendre
les intérêts dont l'Église était la protectrice (1),
Telle fut la prépondérance de la profession ecclésiastique
et tels furent les hommages rendus aux intérêts ecclésias-
tiques durant le dix-septième siècle (2). Les Espagnols
firent tout ce qu'ils purent pour ajouter au pouvoir de
l'Église dans ce siècle même où les autres nations se met-
taient pour la première fois sérieusement à l'œuvre avec l'in-
tention de l'affaiblir. Cette malheureuse particularité fut
sans aucun doute le produit des événements précédents ;
mais elle fut aussi la cause immédiate de la décadence de
l'Espagne, car quoi qu'il ait pu arriver à des époques anté-
rieures, il est certain que dans les temps modernes la pros-
périté des nations dépend des principes auxquels le clergé
tout entier doit invariablement être opposé. Sous Phi-
lippe II, il acquit une force immense; et sous ce même
(1) • Hardly a convent or a saint of any note in Spain, dnring the sixteenth and ser en-
teenth centuries, failed of especial commémoration; and each of the religions orders and
great eathedrals had at least one historian, and most of them several. The nnmber of books
on Spanish ecclesiastical history, is therefore , one that may well be called enormons. »
Ticknor, Hist. of Spanish Literature, t. III, pag. 132. Forner nous assnre asseï inutile-
ment, ce dont personne n'a jamais douté, que « los estudios sagrados jamas decayeron en
Espana. > Forner, Oraeion Apologética. Madrid, 1786, pag. 141.
(î) En 1623, Howell écrit de Madrid : « Such is the révérence they bear to the cburch hère,
and so holy a concert they hâve of ail ecclesiastics , that the greatest Don in Spain will
tremble to offer the meanest of them any outrage or auront. » Howell, Letters, édit. Lond.,
1754, pag. 138. « The révérence they show to the holy function of the church is wonderfal ;
princes and queens will not disdain to kiss a capucin's sleeve or the surplice of a
priest « There are no such sceptics aod cavillers there, as in other places.!
Pag. 496. En 1669, un autre écrivain dit : « En Espagne les religieux sont les maîtres , et
remportent sur tout où ils se trouvent. » Voyes Faits en divers temps en Espagne.
Amsterdam, 1700, pag. 35. Pour citer une autorité de plus, voyes le tableau que Ton fait de
la société espagnole sous le règne de Philippe IV : « No habia familia coq quien no estu-
vieron entroncados los frailes por amistad ô parentesco ; in casa que les cerrara sns puertas ;
ni conversacion en que no se les cediera la palabra ; ni mesa en que no se les obligara &
ocupar la primera silla, ni résolution grave entre ricos ô pobres que se adoptera sin su con-
sejo ; y si no tomaban parte en ellas, las satisfacciones domésticas no eran cabales. ■ Rio,
Hist. del Heinado Carlos 111, 1. 1, pag. 94.
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64 HISTOIRE
règne, il signala celle nouvelle ère de son pouvoir, en obte-
nant, au moyen de circonstances d'une horrible barbarie,
l'expulsion de toute la nation maure ; cet acte fut en lui-même
si atroce (1) et si terrible dans ses conséquences, que quel*
ques écrivains ont attribué à ce seul fait la ruine de l'Es-
pagne; ils oublient que d'autres causes bien plus impor-
tantes étaient en fermentation, et que ce crime coloesri ne
pouvait jamais être perpétré que (feus un pays qui, étant
habitué depuis longtemps à voir dans l'hérésie la plus hor-
rible de toutes les offenses, était préparé pour pvrger la
terre à tout prix, en même temps qu'il se délivrait lui méflK
des hommes dont la seule présence était regardée çommt
une insulte à la foi chrétienne.
Après la réduction du dernier royaume mahométan en
Espagne, bien avant dans te quinzième siècle, le grand bat
que poursuivirent les Espagnols fut de convertir ceux qu'ils
avaient conquis (2). Ils croyaient que l'existence future
de tout ua peuple était en jeu» et voyant que les exhorta-
tions de leur clergé étaient sans effet, ils eurent recours à
d'autres moyens; ils persécutèrent les hommes qu'ils étaient
incapables de convaincre. En brûlant les uns, torturant les
autres, en les menaçant tous, ils réussirent enfia, et nous
avons la certitude qu'après Tannée 1526 il n'y avait plus en
Espagne de mahométan qui n'eût été converti au cbrisfia-»
(1) Le cardinal Richelieu, qui n'était pa* très susceptible de pitié, l'appel* «le pia*
hardi, le pins barbare conseil dont l'histoire de tons les siècles précédents fasse meatioa •
SismencM, /Mal; des Français, t. XXII, pag. W3. Paris, *8».
(î) « Porqne los Reyoe qnerienda, que en todo el Reine foeaen Christianea, emManen à
Frai Francisco Ximeoez, que fue Arzobispe de Toleéo i Cardeaal, paraqne los persaadiese.
Mas ello», génie dura, pertiaaa, nnewunente conquistada, eatofieron recies» » Meadosa,
Guerrar de Granada que ftizo FeUpa II centra foa Af ortagoa. Valenoia, 1776, tarir,
pag. 10. L'antear de ce lirre naquit dans les premières années du seisième siècle i Grenade
où il Tècut pendant an long laps de temps.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 65
ni&me {1). Un nombre infini fut baptisé de force; mais
une fois baptisés, ils étaient censés appartenir k l'Église et
ne relevaient plus que de sa discipline (2). Cette disci-
pline, c'était l'inquisition qui l'administrait, et pendant le
reste du seizième siècle, elle soumit ces nouveaux chrétiens
ou Maures, comme on les appelait alors (3), au traite-
ment le plus barbare. La sincérité de ces conversions for-
cées était mise en doute; c'était donc l'affaire de l'Église de
la mettre à l'épreuve (4). Te gouvernement civil lui venait
en aide; ainsi, entre autres ordonnances, Philippe publia
un édit en 1566, qui enjoignait aux Maures d'abandonner
boutes choses pouvant leur rappeler en quoi que ce fût, leur
première religion. Il leur était enjoint, sous des peines sé-
vères, d'apprendre l'espagnol et de jeter tous leurs livres
(t) L'année 1536 vit donc disparaître dans toutes les parties de l'Espagne les signes exté-
rieurs 4e l'islamisme. » Gircourt, Hist. des Arabes d'Espagne. Paris, 4846, t. II, pag. 390.
M. Laiuente (Ni*t. de iSspafkb, t. X, pag. 132) dit de 1503 que t desde en t onces, por pri-
mera «vw al eabo de écho sêglos, no quedô tin solo habitante en Espana qne esteriormente
diera cnlto à Mataoma. • Mais an t. XI, pag. 447, il dit qu'en Tannée 1534 < volvieron imme-
dtaÇameute i sub ritos y ceremonias mustfmicas. » Comme M. de Circonrt connaissait par-
faitement tous les matériaux dont s'est serti Lafuente, et que de plus il est bien mieux
•fue ce dernier un écrivain critique, il y a toute probabilité que les assertions de M. Gircourt
son* les plus exactes.
(S) «Ces malheureux auraient été tous exterminés, s'ils n'avaient consenti à recevoir le
baptême. A.» milieu des décombres de leurs maisons, sur les cadavres fumans de leurs
femmes, ils .s'agenouillèrent. Les germaaos, ivres de sang, firent l'office de prêtres; l'un
d'eux prit un .balai, aspergea la foule des musulmans, en prononçant les paroles sacra-
mentelles, éteint avoir fait des chnétiens. 1,'armée des germanos se répandit ensuite dans
le pays environnant, saccageant d'abord, baptisant après.» Gircourt, Hist. des A/robes
d'Espagne, t. Il, pag. 175. Voyei aussi pag. 903.
(3) C'était leur nom général, mais en Aragon on les appelait tomadizos, • en lenguaf*
imuttaott. t Janer, Qmdwkm de ho$ àtarise&s de Espafta. Madrid, 1857, pag. 36.
(4) iftecifeieron el Sacramento por eomodfdad, no de volnntad, y asi encubrian todo lo
poesiMe el viuir y morir en lasecta de Ifahoma, siendo infieles apostatas.» Vanderhammea,
FitipeSâgundo, pag. 13. • Porque la Inquisition las eomenxô a apretar mas de lo ordi-
«ario. • Ifandwa, Gwerra ée Gmnada, pag. 90. « Poner nuevo cuidado i diligencia en
deectbrtr le* «ttivos ëeatoe nombres. * Pag. 36. fit cependant ce même écrivain a l'irapa-
.lEHoeiietiéetemer centre la religion mahométane fn'il appelle une religion cruelle. «Cruel
i abominable religion aplacar à Dios con vida i sangre inocentei » Pag. 107, 108.
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66 HISTOIRE
arabes. H leur était défendu de lire dans leur langue na-
tive, de l'écrire ou même de la parler dans leurs propres
maisons. Leurs cérémonies, leurs jeux, tout était sévère-
ment prohibé. Défense leur était faite de se livrer aux
récréations qui avaient été celles de leurs pères; défense
aussi de porter les mêmes vêtements. Leurs femmes devaient
sortir sans voiles sur le visage; et comme se baigner était
une coutume païenne, tous les bains publics devaient être
détruits, comme aussi tous les bains dans les maisons pri-
vées (1).
Par ces mesures et d'autres semblables (2), ce malheu-
reux peuple, réduit aux dernières extrémités, se révolta, et
en 1568, il prit le parti désespéré de mesurer ses forces
(i) Vanderhammen {Filipe Segundo, pag. 11 Madrid, 1632) nous dit seulement que
« por cednla el ano sesenta y seis les mandé dexassen el habito, lengua y costumbres de
Moros, y fuessen Christianos y lo pareciessen. » Mais ce qu'on avait prévu c'était « que
dentro de très anos aprendiesen los Moriscos à hahlar la lengua castellana, y de alli ade
lante ninguno pudiese hablar, leer ni escribir aràbigo en pnblico ni en secreto : que todos
los contratos que se hiciesen en aràbigo faesen nnlos : que todos los libres asi escritos los
llevasen en término de treinta dias al présidente de la andiencia de Granada para que
los mandase examinai-, devolviendoseles aqnellos que no ofrecieran ioconveniente para
que los pndiesen gnardar solo dorante los très anos : que no se hicieran de nuevo marlotas,
almalafas, cal sas ni otra snerte de vestidos de los qae se nsaban en tiempos de moros; que
dorante este tiempo,1as mojeres vestidas à la morisca llerarian la cara descnbierta; qae
no nsasen de las ceremonias ni de los regocijos moros en las bodas, sino conforme al nso
de la Santa Madré Iglesia, abriendo las puertas de sas casas en taies dias, y tambien en
los de fiesta, no haciendo zambras ni leylas con instmmentos ni can tares moriscos, annqne
no dijesen en ellos cosas contraria à la religion cristiana,» etc. Janer, Condicion de los
Moriscos y pag. 31, 32, ou Ton trouvera d'antres détails que Pon devrait comparer avec
Circourt, Hist. des Arabes d'Espagne, t. II, pag. 278,983,459463.
(2) Quelques-unes des résolutions qui furent prises avant 1566 pour humilier les Maures
sont énumérées dans Prescott, Hist. of Philip il, t. m, pag. 10, et ailleurs. Sous le règne
de Charles V il y eut plusieurs actes de tyrannie locale qui échappent i l'historien général.
Un de ces actes de la part d'un évéque espagnol mérite d'être cité : « On le vit pousser
l'intolérance jusqu'à faire raser les femmes et les obliger à racler leurs ongles pour en faire
disparaître les traces du henné, cosmétique inoftensif dont il abhorrait l'usage, en raison
de ce que les Arabes l'avaient introduit. » Circourt, Hist. des Arabes d'Espagne, t. II,
pag. 226.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 67
contre toute la monarchie espagnole. Le résultat ne pou-
vait guère être douteux ; mais les Maures, exaspérés par les
souffrances et risquant le tout pour le tout, prolongèrent la
lutte jusqu'en 1571, époque à laquelle l'insurrection fut en-
fin maîtrisée (1). Cette lutte infructueuse avait diminué
et leur nombre et leurs forces; aussi, pendant les vingt-sept
années qui restaient au règne de Philippe II, on n'entend
presque plus parler d'eux. Il est probable que, malgré des
échauffourées partielles, les vieilles animosités se seraient
calmées et avec le temps auraient entièrement disparu. 11
n'y avait dans tous les cas aucun prétexte pour que les Espa-
gnols usassent de violence, car il était absurde de supposer
que les Maures, affaiblis de toutes parts, humiliés, découra-
gés et épars dans tout le royaume, eussent pu, l'eussent-ils
désiré, rien entreprendre, en présence des ressources du
gouvernement.
C'est après la mort de Philippe II que commença le mou-
vement que j'ai décrit tout à l'heure et qui, contrairement
à ce qui se passa chez les autres nations, assura au clergé
espagnol, au dix-septième siècle, un pouvoir plus grand que
celui qu'il avait eu au seizième. Les conséquences ne se
firent pas attendre. Le clergé trouva bientôt que les mesures
prises par Philippe contre les Maures n'étaient pas assez dé-
(i) La scène qui la termina en mars 1571 est habilement décrite dans Prescott, Hist. of
Philip III, t. III, pag. 148-151. Le snperbe courage des Maures est attesté par Mendoxa
dans son histoire contemporaine de la guerre; mais lorsqu'il raconte les horribles outrages
qu'ils commirent, nous n'en doutons pas, il ne fait point la part des provocations intoléra-
bles et sans cesse répétées qu'ils eurent à supporter pendant un temps indéfini de la part
des chrétiens. Ce qu'il dit d'une des batailles est fort curieux , et je ne me rappelle pas
l'avoir vu nulle autre part. « Fue porfiado por ambas partes el combate hasta à las
espadas, de que los Mores se aprovechan menos que nosotros, por tener las suyas un
filo i no herir ellos de punta. > Mendoxa, Guerra de Granada, édit. in-4*. Valencia,
1776, pag. 166.
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HISTOIRE
cimes, et même pendant sa vie, il songea au règne suivant
sous lequel il espérait voir ces chrétiens dé sincérité dou-
teuse détruits complètement ou du moins chassés de l'Es-
pagne (1). Tant que Philippe fut sur le trône, la prudence
<fo gouvernement mit en quelque sorte un frein à l'ardeur
de l'Église, et le roi, écoutant en cela les conseils 4e ses mi-
nistres les plus capables, refusa d'adopter des mesures aux-
quelles on le poussait et auxquelles son propre caractère te
portait également (2). Mais comme on l'a vu déjà, sous
(t) 11 donna nue preuve de me espérances le jonr même de la aoifcsauee de Philippe III
en 1578 : « Predicando en nn iugar de Aragon, todo de Moriscos, Ilamado Ricla, ô Torellas,
nn religioso, Ilamado Vargas, el mismo dia, que naciô sn Magestad, Viendo ôl poco frnto,
que hacia con sas sermones, diio, como en Prdfseia, à aqeella gente rebelde : Paeea©
despedir de vaestros pechos esta infernal secta, sabed, qne na hacido en Gastilla
un Principe que os ha de echar de Espana. ■ Porreno, Dichos y Hechos de Phelipe III y
dans Yanez, Memorias. Madrid, 1738, pag. 9At, et à peu près dans les mêmes termes dan*
Janer, Condition de los Moriscos, pag. 60. M. Prescott, dans soo Hist, de Philippe II,
t. III , pag. 139, cite une lettre MS. de don Juan d'Autriche à Philippe ÏI , écrite en 159b,
qai établit que les moines prêchaient ouvertement contre la doneeur avec laquelle te roi
traitait les Maures : « Predicaudo en los pùlpitos publicamen te contra labenigoidad y cle-
mencia que V. M. ha mandado usar con esta gente. ■
(2) Dans un ouvrage publié récemment et d'une autorité incontestable, on nie que Phi-
lippe II ait eu le désir de chasser les Maures. « El câracter austero y la sevefridad de
Felipe II redundabaD en favorde los Moriscos, porque no daba oidesà las instisacioaesdè
al go nos personajesquesenalaban la expulsion gênerai como unico remedio eficaz para los
maies que ofrecia al pais aquella desventurada raza. Acababa el monarca de tocar los tristes
resnltados de una emigraclbn por las funestas eonseouenoî* de la fiespobtaoion dei reinb
granadino, y preferia eontinnar en la sendA de la concUiacion, procurando de nuero la
ensenanza de los con versos. ■ Janer, Condition de los Moriscos. Madrid, 1889, pag. 59.
Mais, sans nous attacher à ce qu'il y a de contraire dans cette assertion à tout ce que nous
savons sur le caractère de Philippe , nous avons dans le sens opposé sur cette question le
témoignage de l'archevêque de Ribera, qui a eu de fréquentes communications avec 4e toi
sur ce sujet et qui dit positivement que le roi désirait l'eiputsion des Maures hors d'Espagne.
«El hecharlosMoros des te Reyno,ha sido cosa muy desseadà, y procarada, por los Repas
Predecessores del Rey nuestro Senor, aunque no executada. » « El Rey Don Felipe
Segundo, nuestro Senor, despues de suceder en estos fteynos, iweo el mismo desseo; y assi
mandé, que se juntassen los Preiados deste fteyno para basear wmedio el an* de 1568;
siendo Arçobispo desta Metropoli el Reverendfssimo Don MernandO de Lloases. Hisierons*
en aquella Junta algunas Gonstituciones de considérai**. Visto qfeetto aprovechaba*,
mandé el ano 1587 que se hiziesse otra Junta, en Ta quai fnè hrtUéyo ;anadknos tambien
algunas nue vas Gonstituciones. Y constando à su Magestad que no era batftaotes : tas
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 69
son successeur, le clergé prit de nouvelles forces et bientôt
il se sentit assez puissant pour entreprendre une dernière
croisade contre les misérables restes de la nation maure (1).
L'archeyêque de Valence fut le premier à entrer en lice.
En 1602, cetéminent prélat présenta à Philippe un mémoire
contre les Maures; ses idées furent soutenues franchemeut
par le clergé, la couronne ne les découragea point; aussi pour
arriver à frapper le coup, présenta-t-il un autre mémoire sur
le même objet (2). L'archevêque parlait comme un homme
que son rang, son autorité, mettent en position d'être le
représentant naturel de l'Église espagnole. Il affirmait au
roi que tous les désastres qui avaient accablé la monar-
diligencias passadas, y que siempre perseveraban en su heregia, se resolvia de Mandarlos
hechar del reyno, 6 por lo menos meterlos dentro de la tierra.» Ximenez, Vida de Hibera.
Roma, 1734, in-4% pag. 419, 420. Cet important passage ne laisse aucun doute quant aux
sentiments réels de Philippe, à moins que nous ne prenions sur nous d'affirmer que Ribera
a sciemment fait un mensonge. 11 est assez étrange qu'un livre qui contient un passage aussi
remarquable soit inconnu de M. Janer et de M. Lafuente.
(1) « El rey Felipe III , nombre de rudo ingenio , se dejaba gobernar con facilidad ppr
aquellos que sabiendos los temores de su conciencia, se aprovechaban de su imbecilidad
para conseguir cuanta querian.Muchosecclesiâsticos,recordando las expulsiones dejudios
y Moros ejecutadas de ôrden de Fernando é Isabel , y conociendo que à Felipe III , séria
agradable imitar à estos monarcas, le aconsejaron que condenase ai destierro à todos la ley
mahometana, sino que tenian tratos con los Tnrcos y entre si para buscar sus libertades por
medio del rigor de las armas. > Castro, Decadencia de Kspana. Cadix, 1853, pag. 101, 102.
i2) Ces mémoires sont imprimés comme appendices à la vie par Ximenes. Voyez le livre
très curieux ayant pour titre Vida y Virtudes del Vénérable Siervo de Dios D. Juan
de RiÇera, por el R. P. Fr. Juan Ximenes. Roma, 1734, in-4% pag. 367-374, 376-393. Cet
ouvrage est, je crois, très rare ; il est certain que j'ai fait de vains efforts pour m'en procurer
un exemplaire d'Espagne ou d'Italie, et, après plusieurs années de recherches infruc-
tueuses, j'ai trouvé celui que je possède à présent dans l'étalage d'un bouquiniste. M. de
Circourt, dans sa savante histoire des Arabes d'Espagne, ne semble pas en avoir eu con-
naissance, car il se plaint de n'avoir pu se procurer les ouvrages de Ribera, dont il ne cite
par conséquent les mémoires que de seconde main. Circourt, Hist. des Arabes d* Espagne.
Paris, 1846, t. III, pag. 168, 351. yTatson ne parait pas l'avoir connu non plus, quoique,
comme M. de Circourt, il renvoie à la vie d'Escriva par Ribera. Walson, Philip 111. Lond.,
1839, pag. 214-221. Ged des donne un extrait de ces mémoires; ce savant et exact écrivain
a la mauvaise habitude de ne point indiquer les sources de ses informations. Geddes,
Tracts. Lond., 1730, 1. 1, pag. 60-71.
T TV. 5
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70 HISTOIRE
chie venaient de la présence de ces. incrédules; qu'il fallait
les détruire comme David avait détruit les Philistins et
Saul les Amalécites (1). Il déclarait que l'armada que Phi-
lippe avait équipée contre l'Angleterre eu 1588 avait péri
parce que Dieu ne permettait pas la réussite d'une entreprise
au dehors, tant que ceux qui la dirigeaient laissaient en paix
les hérétiques chez eux. L'expédition d'Alger avait échoué
pour le même motif. Le ciel manifestait sa volonté que rien
ne prospérât tant que l'Espagne se verrait habitée par des
apostats (2). Il exhortait donc le roi à exiler tous les Maures,
à l'exception de quelques-uns, qu'ils pourraient condamner
aux galères et d'autres dont on ferait des esclaves et qu'on
(i) « Por lo quai se puede créer, que nuestro Senor ha querido reservar esta obra tan
digna de pecho Real para Vuestra Magestad , como réservé la libertad de sa pueblo para
Moyses, la entrada de la Tierra de Promission para Josue, la vengança de la injuria antigua
de los Amalequitas para Saul, y la Victoria de los Filisteos para David. » Ximenes, Vida
de Riberu, pag. 370-377: «Y al primer Rey que tuvo el Mundo, en siendo elegtdo por
Dios, y confirmado en su Reyno, le ambia à mandar por un Propheta que destrnya a
los Amalequitas, sin dexar nombres, ni mugeres, ni ninos, aunque seân de lèche, en fin que
no quede rastro de ellos, ni des sus haziendas. Y porque no cumpliô exactamente su man-
damiento, cayô en indignacion de Dios, y fue privado del Reyno. Al segundo Rey, que fue
David, le mandô Dios en siendo jurado, que destruyesse los Philisteos, como lo hizo. >
(2) « El ano quando se perdiô la poderosa Armada, que iba à Inglaterra, confiado de la
benignidad del Rey nuestro Senor, que esta en el cielo, me atrevi con el zelo de fiel vassallo
y Capellan, à dezir à Su Magestad; que aviendo gastado mucho tiempo en discurrir, que
causa podia aver para que Dios, nuestro Senor, permitiesse aquel mal sucesso, se me ha via
ofrectdo una cosa de mucha consideracion , y era, querer dezir la Magestad Divina à Su
Magestad Catôlica; que mientras no ponia remedio en estas heregias de Espana, cuyos
Reynos le avia encomendado, no se debia ocupar en remediar las de los Reynos agenos. »
Y ahora confiando en la mi s m a benignidad, y clemencia de Vuestra Magestad, me atrevo
iambien à dezir, que aviendo considerado la causa, porque Dios nos ho quitado de las
manos la toma de Argel, aviendose dispuesto todas las prevenciones para ella con la mayor
prudencia, y sagacidad, que hemos visto en nuestros tiempos, y sirviendonos el mar, y les
ayres, y las ocasiones , de la manera , que podiamos dessear, tengo por sin duda, que ha
sido, querer nuestro Senor dar à Vuestra Magestad el ûltimo recuerdo de la obligacion, que
tiene, de resolver esta plàtica. » Ximenez, Vida de Ribera, pag. 373. Ce serait pitié de
laisser de pareils spécimens de raisonnement théologique enfouis dans un vieil in-quarto
romain. Je me félicite et mon lecteur avec moi de l'acquisition de ce volume qui est un
vaste répertoire d'armes puissantes quoique vieillies.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 71
enverrait travailler dans les mines d'Amérique (1). La gloire
du règne de Philippe serait ainsi assurée dans la postérité;
et sa renommée serait portée bien plus haut que celle de ses
prédécesseurs qui sur tous ces points avaient négligé leur
devoir manifeste (2) .
Ces remontrances, outre qu'elles étaient en harmonie avec
les idées bien connues de l'Église d'Espagne, furent chaude-
ment appuyées par l'archevêquede Tolède, primat d'Espagne.
Celui-ci ne différait que sur un point avec l'archevêque de
Valence. L'archevêque de Valence jugeait qu'il était inutile
de faire partager aux enfants au dessous de sept ans le ba-
nissement général, il croyait qu'on pouvait, sans danger pour
la foi, les séparer de leurs parents et les garder en Espagne.
L'archevêque de Tolède s'y opposait fortement. Il ne voulait
pas, disait-il, courir le risque de voir le sang pur des chré-
(1) c Todas estas cosas, y otras muchas, qoe dexo de dezir, por no ser proliio, me hazen
evidencia, de que eonviene para el servicio de Dios nuestro Senor, y qoe Vuestra Magestad
esta obligado en conciencia, como Rey, y Snpremo Senor, à qui en toca de justicia defender,
y conservar sns Reynos, mandar desterrar de Espana todos estos Moriscos, sin que qnede
nombre, ni mnger grande, ni peqneno; reservando tan solamente los ninos, y ninas, que
no Ilegaren â siete anos, para que se gnarden entre nosotros, repartiendolos por las casas
particulares de Christianos viejos. "Y ann hay opinion de personas doctas, que estos taies
ninos y ninas, los poede Vuestra Magestad dar por esclavos, y lo fundan con razones pro-
bables. > Ximenez, Vida de Ribera, pag. 379, 380. «Destos que se han de desterrar, podra
Vuestra Magestad tomarlos que fuere servido por esclavos, para proveer sus Galeras, ô para
embîar â las minas de las Indias, sin escrupulo alguno de conciencia, lo que tambien sera
de no poca utilidad. ■ Pag. 384. Agir ainsi c'était être miséricordieux, car ils méritaient
tous la peine capitale, c merecian pena capital. > Pag. 381.
(8) c Aora, Catolica Magestad, vemos que Dios nuestro Senor hareservado para Vuestra
Magestad, y para su Real Corona, el nombre, y hechos de Rey Catholico .- permitiendo por
sus secretos juizios, que los que han sido siempre enemigos de su Iglesia se conserven, y
que los que antes eran Calholicos, ayan degenerado, y apostatado de su santa leyy assi va
la bonra de Dios nuestro Senor, y el exemplo, y confusion de los otros Reyes, en que Vuestra
Magestad tenga sus Reynos limpios de herege s, y principal mente à Espana. Yquando esto
hunesse de costar grandes trabajos, y todo el oro, y plata, que hay en las Indias, estaria
muy bien empleado : pues se atraviessa la honra de Dios, la de sn santa Iglesia, el antiguo
renombre desta Corona, » etc. Ximenez, Vida de Ribera, pag. 382. Et sur la négligence
apportée à l'accomplissement de ce devoir par Charles V et Philippe II, voyez pag. 370.
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72 HISTOIRE
tiens souillé par les infidèles ; il déclarait que plutôt que de
voir un de ces incroyants corrompre le pays, il les ferait
passer tous, hommes, femmes et enfants au fil de l'épée (1).
C'était le désir d'un parti puissant dans l'Église qu'au
lieu de les bannir, on les mît tous à mort. Il jugeait qu'on
châtiment pareil ferait du bien, en frappant de terreur les
.hérétiques de toutes les nations. Bled a, le célèbre domiai-
cain, un des hommes le plus influents de son temps, penchait
pour cette exécution, et il désirait qu'on la JU conscien-
cieusement. Il disait que pour l'exemple on devrait couper
Je cou à tous les Maures d'Espagne, parce .qu'il était impos-
sible de savoir lesquels étaient chrétiens au fond du coeur, et
qu'il valait mieux laisser la chose à Dieu ; il reconnaîtrait
bien les siens, et saurait récompenser ceux qui étaient de
bons catholiques (2).
(1) < The most powerful promoter of their expulsion was Don Bernardo de ftoias y 8an-
doval , Cardinal Archbishop of Toledo , and InquisHor-General andChanoèllor of Spain.
This great p relate, who was brother to the Duke of Lerma, by whom the kiogfor some
years before, and for some years after the expulsion was absointely gOYented, was «o xealous
to hâve the whole race of tbe Moriscoes extingaisbed , that fae oppoaed tbe detamtng of
their children who were under seren years of âge, affinai ng tbat of the two be jodged it
more adrisable to eut tbe throatsofall the Moriscoes, Bien, ■women,andchildfeo, thanto
hâve any of their children kft in Spain, to défile the true Spanish bJood with a mixte» ef
the Moorish. » Geddes, Tracts, 1. 1 , pag. 85, 86. Nararrete a fait un brillant éloge delà
piété et des antres nobles qualités de ce prélat; il dit que * lleaaado deespteûdor conisn
virtad très sillas episcopales, mereciô que Clémente VIII lehoorasecoo elcapelo, yfué
elevadoa la primada de Toledo y al empleo de ioqnisidor gênerai. * Vida de Cervantas,
pag. xcvn, xcvni. Barcelona, 1839.
(2) i He did assure ail the old Christian laity , tbat wbeoever the king ahonld give the
word, they might, without any scrople of conscience, eut tbe throats *f ail the Moriscoes,
and nol spare any of them upon their professing themaehres ChrisUans ;.bot to follow Ifce
holy and laudable example of the Groisado tbat was raised against the AUb&geofies, who,
upon their havingmadethemseivesmastersof the cityofBeseir^wherein weretwofaundoad
thousand Catholics and Hereticks, did ask Father Arnold, a Gistercian «onk,*wbo*»îi
their chief preaeher : « Whether they shonid put any U> the sword.that pretended Jo ;be
Catholics; • and were answered bythe holy Abbot : c Tbat they shouM kill ail witha*t
distinction, and leave it to God, who knew his owa, to peward them £>r beia* tr«e Gaèbo-
licks in tbe next world;» which was accord ingl y executed. » Geddes, 1. 1, pag. 84.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 73
II devint évident que le sort des misérables débris d'uue
nation jadis opulente était décidé. Les scrupules de Phi-
lippe III lui défendaient de lutter contre l'Église, et son
ministre le duc de Lerme ne voulut pas compromettre son
autorité par l'apparence même d'une opposition. En 1609,
il annonça au roi que l'expulsion des Maures était devenue
nécessaire. « C'est une grande résolution, » répliqua Phi-
lippe. « Qu'elle soit mise à exécution (1). Et elle le fut avec
une inflexible barbarie. Environ un million d'habitants, les
plus industrieux de l'Espagne furent traqués et chassés
comme des bétes sauvages, parce que la sincérité de leurs
opinions religieuses était mise en doute (2). Plusieurs d'entre
eux furent tués, comme ils approchaient de la côte; d'autres
(1) * Grand» résolution f Contesté el débil monarca al ministre favorito, hacedto vos,
doque. • Lafuente, Hist. de Espana, t. XV, pag. 375. Mais celte réplique, bien loin d'être
une preuve de faiblesse de la part de Philippe III , n'était qae l'application strictement
logique des principes qa*il nourrissait et qui étaient universellement acceptés en Espagne.
Nous savons de son biographe contemporain que c determino el Rey en los pnneipios de
su Reynado, corno Rey tan poderoso y Catolico, de consegrar y dedicar à Dios la potencia
de sas Consejos y Armas para eitingoir y acabar los enemigos de le Inglesia Santa. 9
Davila, Hist de la Vida de Felipe Tercero, lib. 1, pag. 44.
(2) Tel Je est l'estimation moyenne. Quelques auteurs la disent pins forte, d'autres
moindre. Un écrivain dit : c The numbers expelled hâve been estimated at four handred
thousandfamilies or two millions of soûls. > Clarke, Internai State ofSpain. Lond., .818,
pag. 33. Mais on ne peut croire à un nombre pareil. H. Castro ( Decadencia de Espana.
Cadix, 1853, pag. 105) dit : 1 Espana perdié en los Moriscos un millon de habitantes, »
et M. Janer {Condition de los Moriscos. Madrid, 1857, pag. 93 : • Sin entrar en caiculos
sobre los que babia cuando se expidiô el édicté de Yalencia en 1609, ni sobre los que ïene»
cieron en las rebeliones, de mano armada, de sed, de hambre â ahogados , creeraos poder
njar de la peninsula, despidiéndose para siempre de las costas y fronleras de Espana,cuya
cifra deduciinoa deé examen y contexto de unos y otros escri tores, de las listas que nos han
gaedabo de los expuisos, de los datos de diversas relaeiones, estados y documentos exami-
nadoscoo este solo inteato.i Et plus loin page 105: «Laexpul8iondeunmillofl,ônovecientos
mil de sas habitantes. • Liorente (Hist. de L'inquisition, t. III, pag. 490. Paris, 1818) dit :
•Un million d'habitants utiles et laborieux. > Xi menez (Vida de Ribera. Roma, 1734, in-4%
pag. 70) : tNoveeieatos mil, 9 et Boisel, qui fut en Espagne cinquante ans après l'expulsion
et ctllteea les preuves offertes par les traditions, dit : • 11 sortit neuf cent tant de mille
hommes de compte fait de Valence, d'Andalousie et de Castille. > Boisel , Journal du
voyage d'Espagne. Paris, 1660, in-4', pag. 275.
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74 HISTOIRE
furent battus et pillés ; et le plus grand nombre fit voile
pour l'Afrique dans le plus piteux état. Pendant la traver-
sée, l'équipage de plus d'un vaisseau tomba sur les passa-
gers; les hommes furent pillés, les femmes violées et les
enfants jetés à la mer. Ceux qui parvinrent à se soustraire à
ce sort débarquèrent sur la côte de Barbarie où ils furent
attaqués par les Bédouins et plusieurs furent passés au fil de
Tépée. D'autres s'enfuirent au désert et moururent de faim.
Nous n'avons pas de rapport authentique sur le nombre
d'individus qui furent sacrifiés, mais de très grandes autorités
affirment que pendant une expédition qui emportait cent
quarante mille hommes en Afrique, plus de cent mille virent
arriver la mort sous ses formes les plus terrifiantes, peu de
mois après leur expulsion d'Espagne (1).
Pour la première fois, l'Église fut vraiment triomphante (2).
Pour la première fois, on pouvait aller des Pyrénées au
détroit de Gibraltar sans rencontrer un seul hérétique. Tous
étaient orthodoxes, tous étaient purs. Tout habitant de ce
grand pays obéissait à l'Église et craignait son roi, et par
suite de cette heureuse combinaison, on put croire que la
(i) Watson, Philip III, pag. 234, 235; Da?ila, Vida de Felipe III, pag. 146; Yanei
Memorias para la Historia de Felipe III, pag. 281, 290; Janer, Condition de los
Jioriscos, pag. 83,84, 90. Quelques particularités touchant leur expulsion se trouvent
dans les lettres de Cottington sur Madrid qui furent écrites en 1609, mais qui ont peu de
Taleur. Winwood, Mémorial* of Affaire of State, t. III , pag: 73, 91 , 103, 118. Londres,
in-fol., 1725.
(2) Dans un sermon fait de nos jours en commémoration de leur expulsion, le prédica-
teur s'écrie joyeusement : c Pues, que mayor bonra podemos tener en este Reyno, que ser
todos ios que viviraos en el, fieles à Dios, y al Rey, sin compania de estos hereges y tray-
dores ? » Ximenez, Vida de Ribera, pag. 423. Un antre prédicateur s'écrie : c Al fin salieron
estos, y quedô la tierra libre de la iofamia de este gente. • Davila , Vida de Felipe Ter-
cero, pag. 149. Voyez aussi pag. 151. « Y es digno de poner en consideracion el zelo que los
Reyes de Espana tuvieron en todo tiempo de sustentar la Fé catôlica; pues en diferentes
expulsiones que han hecho, han sacado de sus Reynos très millones de Moros, y dos mil-
lones de Judios, enemigos de nuestra Iglesia. >
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. * 75
prospérité et la grandeur de l'Espagne étaient assurées. Le
nom dePhilippe III, passait à l'immortalité : la postérité ne se
lasserait point d'admirer cet acte héroïque par suite duquel
les derniers débris d'une race infidèle étaient repoussés de
la terre. Ceux qui avaient pris part, même une part très
éloignée, à cette œuvre glorieuse devaient être récompensés
par les plus grandes bénédictions. Eux et leurs familles
étaient placés sous la protection immédiate du ciel. La terre
rendrait plus de fruits et les arbres plieraient sous les leurs;
l'arbre à pin pousserait là où venait l'épine, et le myrthe à la
place des ronces. Une nouvelle ère allait être inaugurée;
l'Espagne délivrée de son hérésie allait être à l'aise; les
hommes vivant en sûreté pourraient dormir à l'ombre de,
leurs vignes, cultiver leurs jardins en paix et manger le fruit
des arbres qu'ils auraient plantés (1).
Telles étaient les promesses de l'Église; et le peuple
croyait. C'est à nous maintenant de rechercher jusqu'à quel
point ces promesses furent tenues, les espérances réalisées
(1) Voyez le sermon de l'archevêque de Valence imprimé tout an long dans l'appendice
de Ximenez, Vida de Hibera, pag. 411*428. Je voudrais pouvoir le citer en entier, mais le
lecteur doit se contenter d'une partie de la péroraison (pag. 4%, 427) : • Entre las feliii-
dades, que cuenta el Espiritu Santo que tuvieron los hijos de Israël en el govierno del Rey
Salomon, es una; que vivian los nombres seguros, durmiendo à la sombra de su parra, y de
su higuera, sin tener de quien temer. Assi estaremos en este Reyno de aqui adelante,
por la misericordia de nuestro Senor, y paternal providencia de Su Magestad , todo nos
sobrarâ, y la misma tierra se fertilizarâ y darà fruto de bendicion. Brocardico es, de que
todos usubades, diziendo que despues, que estos se banlizaron, no se avia visto un ano
fertil ; aora todos lo seran, porque las heregias y blasfemias de estos tenian esterilizada,
abrasada, y inficioaada la tierra, como dixo el Real Propheta David, con tantos pecados
y abominaciones. > «Y edificaràn en las tierras, que antes eran desiertas, plan-
tando vinas, y bebiendo el vino de elias, y sembrarân huertas, y comeran del fruto de los
àrboles, que han plantado, y nunca seran hechados de sus casas, dize Dios. Todo esto pro.
mete nuestro Senor por dos Prophetas suyos. Todo (digo otra vez) nos sobrarâ. > C'était
là ce qui attendait le peuple, tandis que le roi dans le même sermon est comparé à David
(pag. 416) ; une autre haute autorité déclare qu'en expulsant les Maures il a accompli un
si grand exploit {hazaha), que * duràra su memoria por los veinderos siglos. > Porreno,
dans Yanez, Memorias para Felipe 111, pag. 281.
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76 HISTOIRE
et quelles furent les conséquences d'un acte, provoqué par
le clergé, accepté par la nation et chaleureusement applaudi
par quelques-uns des plus grands génies que l'Espagne ait
produits (1).
Quelques mots suffiront à en déduire les conséquences
sur la prospérité matérielle de l'Espagne. Des corps nom-
breux d'agriculteurs laborieux et d'artisans habiles se reti-
rèrent subitement de toutes les parties du pays. Les meil-
(1) ■ Amidst thedevoot exaltation of the whole kingdom,— Cervantes, Lope de Vega, and
others of the principal men of genins then alive, joining in thé gênerai jobilee. » Ticknor,
JJist. ofSpanish Literalure, 1. 1, pag. 428, 429. Compare* Dunlop, Memoirs, 1. 1, pag. 16.
Porreoo dit qu'il peut être placé an nombre des sept merveilles dn monde, « la podemos
poner entre las siete maravillas del mundo. » Yanez, Memorias, pag. 297, et Davila (Vida
de Felipe Tercero, lib. it, cap. xu, pag. 139) dit que c'est un Pelaya. Tout cela est assez
naturel; mais ce qui est vraiment curieux, c'est de suivre les débris modernes de ce senti
ment. Campomanes (Apendice à la Educacion Popular, t. IV, pag. 130. Madrid, 1777),
homme très capable et bien plus libéral que la plupart de ses compatriotes, n'a pas honte
de dire • « La justa expulsion de los Moriscos desde 1610 à 1613. • Ortiz, en 1801, s'exprime
avec un peu plus d'hésitation , mais il est évident qu'il approuve la mesure qui délivra
l'Espagne de « la perniciosa semilla de Mahoma que réstaba en ella. ■ Cofopendio de la
Historia de Espaiia, t. VI, pag. 301, 305. Ce n'est pas tout ; jusqu'en 1856 le grand histo-
rien moderne de l'Espagne , tout en admettant le mal qu« cet horrible crime fit au pays*
nous assure en même temps qu'il eut cet c immense advantage > d'avoir pour résultat
i'nnité religieuse, et il ne comprend pas que cette unité qu'il préconise engendre la soumis-
sion, la torpeur de l'esprit funeste à tout progrès réel, parce qu'il arrête l'exercice et le choc
des opinions qui aiguisent l'esprit et le préparentaux grandes choses. * Con la expnlsioii
se complété el principio de la unidad religiosa en Espana, que fué un bien inmenso , pero
se consumé la ruina de la agriculture que fué un inmense mal. > Lafuente, Hist. de Espam,
t. XVII, pag. 340. Madrid, 1856. Et un an après que cette opinion avait été donnée au
monde, un autre éminent écrivain, dans un ouvrage couronné par l'Académie royale d'his-
toire, alla plus loin encore en déclarant que non seulement l'expulsion des Maures était
un grand bienfait, parce qu'elle assurait l'unité de la croyance, mais que cette unité était
€ necessary on the Spanish soil. » « Y si bajo el aspecto econômico reprobamos semejante
medida por la influencia perniciosa que tuvo desde el momento de die tarse, la imparcia-
lidad de historiadores nos obliga à respetarla por los inmensos bienes que produjô en ei
ôrden religioso y en el ôrden politico. • c La unidad religiosa era necesaria en el
suelo espanol. > Janer, Condicïon social de los Moriscos de Esparla. Madrid, 1857,
pag. 110, 114. Que penser d'un pays où de semblables opinions sont exprimées non par
quelque obscur fanatique dn haut de sa chaire, mais par des hommes de talent, par dés
savants qui les répandent avec toute l'autorité de leur position, et que l'on juge, si toutefois
6n se permet de les juger, comme trop avancés et trop libéraux pour le peuple auquel il.*
s'adressent?
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 11
leur? systèmes de culture connus étaient pratiqués par les
Maures, qui labouraient et arrosaient sans jamais se lasser (1) .
La culture du riz, du coton et du sucre, et la fabrication de
la soie et du papier leur étaient confiées presque exclusive-
ment (2). Par leur expulsion, tout fut perdu en une fois, et
presque tout pour toujours. Car les chrétiens espagnols
considéraient de semblables travaux comme au dessous
d'eux. A les e& croire, la guerre et la religion étaient les
deux seules vocations qui ne fussent point indignes d'un
homnbe d'honneur. Combattre pour son roi ou entrer dans
les ordres était honorable; toute autre profession était basse
et sfordide @î). Aussi, quand les Maures eurent été repous*
ses d'Espagne, il ne se trouva personne pour se mettre à
leur place ; les arts et les manufactures dégénérèrent oh
(1) t Los Moros eran moy diestros en todo lo que mira à obras de agoa. > Campomanes,
Âpendice à la Education Popular, t. 111, pag. cvn. « The Moors were the most intelli-
gent àgrfeuinirists Spain ever had. » Latoorde, Spain, t. II, pag. 210. Even Jovellenos admet
que « except in the parts occopied by the Moors, the Spaniards were totally nnacqaainted
wîth the art of irrigation. » Clarke, Internai State of Spain, pag. 116. Voyez aussi Circourt,
Arabes d'Espagne, t. II, pag. 170, 171, et Townsend, Spain, t. III, pag. 174. Des restes de
leurs magnifiques aqueducs existent encore. Hoskins, Spain, 1. 1, pag. 120, 125, 291, 292.
Compare» Spain by an American, t. Iï, pag. 112, avec l' Estât de l'Espagne. Genève, 1681,
pag. 399.
(2) Comparez Janer, Condition de los Moriscos , pag. 47, «8, avec Campomanes,
Âpendice à la Education Popular, t. III, pag. xxii, et Dunlop, Memoirs, 1. 1, pag. 13.
(3) Les plus raisonnables des 1 Espagnols notent avec regret ce mépris de la nation pouf
tonte espèce d'industrie utile. Voyez Campomanes, Education Popular, pag. 12 , el
Sempere, Monarchie espagnole, t. II, pag. 277, 278. Un individu voyageant en Espagne
eh 1669 dit dû peuple : « Ils méprisent tellement le travail, que la plupart des artistes »oilt
étrangers, i Voyages faite en divers temps, par M. M***. Amsterdam, 1700, pag. 80. Un
autre voyageur entre 1693 et 1695 dit : < They think it below the dignity of a Spaniard to
labour and provide for thé future. » fravels by a Gentleman (par Bromley ?). Lond., 1702,
pag. 35. Un troisième, en 1670, nous assure < qu'ils souffrent plus aisément la faim et les
autres nécessités de la vie que de travailler, disent-ils, comme des mercenaires, ce qui n'ap-
partient qu'à des esclaves. » D'Àulhoy, Relation du voyage d'Espagne. Lyon, 1693, t. H,
pj&é. 369, 370. Pour ptus d'exemples, voyez Labat, Voyages en Espagne. Paris, 1730, 1. 1,
pag. 2&!>, 286; Capmany, Questiones criticaè, pag. 43, 48, 49; Laborde, Spain, 1. 1,
pag. i; Rarike, Spanish Empire, pag. 103; Townsend , Joutriey through Spain, t. IT,
pag. 240, 241.
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78 HISTOIRE
furent entièrement perdus, et des régions immenses de
terres arabes demeurèrent incultes. Quelques-unes des par-
ties les plus riches des provinces de Valence et de Grenade
furent si négligées, que les moyens de nourriture manquè-
rent pour la rare population qui y restait encore (1). Des
districts entiers devinrent tout d'un coup des déserts, et
jusqu'à ce jour même ils n'ont pas encore été repeuplés en-
tièrement. Ces solitudes donnèrent un refuge aux contre-
bandiers et aux brigands qui succédèrent ainsi aux laborieux
habitants qui les occupaient autrefois ; et l'on dit qu'il faut
dater de l'expulsion des Maures l'existence de ces bandes
organisées de voleurs, qui, après cette époque, devinrent le
fléau de l'Espagne, et qu aucun gouvernement depuis n'a
réussi à extirper complètement (2).
À ces conséquences désastreuses il nous faut en ajouter
d'autres d'une nature différente et bien plus sérieuses encore
s'il était possible. La victoire remportée par l'Église accrut
(1) ■ Pudo, pues, decirse con razon de nuestra patria, que de Arabia Feliz se habia coo-
vertido en Arabia desierta, y de Valencia en particular, que el bello jardin de Espana se
habia convertido en pàramo seco y deslucido. Dejôse en brève sentir en todas partes el
azote delhambre; y al alegre bullicio de las poblaciones sncediô el melancôlico silencio de
ios despoblados, y ai frecuente cruzar de los labradores y trajineros por los caminos siguiô
el peligroso encnentro de los salteadores que los infestaban abrigàndose en las rainas de
los pueblos desiertos. » Janer, Condition de los Moriscos, pag. 100. Voyez aussi Dunlop»
Memoirs, t: I, pag. 16. Campomanes dit : t El gran numéro de arlesanos, que salieron cou
la expulsion de los Moriscos, causô un golpe mortai à las manufacturas, y à la labranza. »
Apendice à la Education Popular, 1. 1, pag. 13. Et à la page 268 : • El punto de deçà-
dencia de nuestras manufacturas, puede fiiarse desde el ano de 1609, en que tubo principio
la expulsion de los Moriscos. >
(2) t Sor la carte d'Espagne, en mille endroits est inscrit ce funeste mot, despoblado;
en mille endroits la nature a repris la place des cultures. Étudiez la direction des * despo-
blados a et consultez les registres des commissaires de l'expulsion, fous verrez presque
toujours que les familles morisques couvraient ces solitudes. Leur patrimoine abandonné
forma le domaine des voleurs, qui établirent avec une sorte de sécurité leurs correspon-
dances effrontées à travers toute l'Espagne. Le brigandage s'organisa comme une profession
ordinaire, et la contrebande, sa compagne, leva le front avec autant d'audace, autant de
succès. ■ Gircourt, Hist. de» Arabes d'Espagne, t. III, pag. 227,228.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 79
à la fois et son pouvoir et sa réputation. Pendant tout le
reste du dix-septième siècle, non seulement les intérêts du
clergé primèrent les intérêts laïques, mais c'est à peine si
Ton songea à ces derniers. Les plus grands hommes (à peine
compte t-on une exception) devinrent ecclésiastiques, et
toutes les conditions temporelles, toutes les idées de poli-
tique terrestre furent méprisées et réduites à néant. Nul ne
cherchait à s'instruire, nul ne doutait, nul n'osait demander
si ce qui était, était bien. L'esprit de chacun se prosternait,
s'anéantissait. Et pendant que les autres pays marchaient
en avant, l'Espagne seule reculait. Les autres pays ajou-
taient à leur somme de connaissances, en créant des arts,
en élargissant le domaine de la science. L'Espagne, engour-
die dans une torpeur mortelle, charmée, ensorcelée par sa
superstition maudite qui minait ses forces, présenta à l'Eu-
rope l'exemple solitaire d'une décadence constante. Pour
elle toute espérance était morte, et avant que le dix-septième
siècle fût terminé, il n'y avait plus qu'à se demander
quelles mains porteraient le dernier coup, qui démembrerait
cet empire jadis si puissant, dont les ténèbres s'étendaient
sur le monde et dont les vastes ruines se montraient encore
si imposantes!
Il serait presque impossible de suivre les différents pas
qui marquèrent la décadence de l'Espagne, puisque les Es-
pagnols eux-mêmes, plus tard, trop tard, quand la honte les
prit, se sont abstenus d'écrire ce qui aurait été l'histoire
de leur propre humiliation ; si bien que nous n'avons point
d'histoire détaillée des misérables règnes de Philippe IV et
de Charles I er , qui comprennent une période de près de
vingt-huit années (1). Cependant j'ai pu réunir quelques
(i) c Declinô pues muy sensiblemente la vaste monarquia, y callaron atODitos los histo-
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8d HISTOIRE
faits assez insignifiants. Au commencement du dix-septième
siècle, la population de Madrid était évaluée à quatre cent
iiille âmes; au commencement du dix-huitième siècle, k
moins de deux cent mille (1). Seville, l'une des plus riches
cités de l'Espagne, comptait, au seizième siècle, plus de
seize mille métiers, qui donnaient du travail à plus de cent
trente mille individus (2). A l'avènement de Philippe V, ces
rïadores, como hdyendo la necesidad de traer à la memoria los que veian y apenas creian.
Bamudeciô pues la historia de Espana en los dos reynados de Felipe IV y Carloi II viendo
continuaba nuestra decadeocia, hasta quedar Espana al nivel de los menos poderosos
Estados de Europa. Este silencio nos ha prirado de saber no solo las causas de nuestra
deeadenria, sino tambien de los acontecimientos civiles y militares del sigloXVII. » Ortie,
Compendio de la Hist. de Espana, t. VI , Prologo , pag. i. Aucun effort ne fnt fait pour
remplir cette lacune dont Ortiz se plaignait avant 1856,époque i laquelle H. LfruénteputiKa
à Madrid les seizième et dix-septième yolnmes de son histoire d'Espagne qoi contiennent
les règnes de Philippe IV tt de Charles II. Je ne me permettrais pas de parler irrespectueu-
sement de cet ouvrage; au contraire, il est impossible de le tire sans intérêt* cadse de
l'admirable clarté avec laquelle les sujets sont disposés, et aussi à cause du style magnilique
qui rappelle les plus beanx jours de la prose castillane. Mais je me vois forcé de reconnaître
que, comme histoire et surtout une histoire qui entreprend de remonter aux causes dé la
décadence de l'Espagne, c'est un échec complet. D'abord M. Lafoente ne s'est pas émancipé
de ces mêmes préjugés auxquels son pays est redevable de cette décadence. En second lieu
il n'a pas, surtout pendant les règnes de Philippe IV et de Charles II, assec soigneusement
recherché les matériaux qui devaient le conduire 4 i'étode des changements économiques
qu'a subis l'Espagne. Comme le but vers lequel je dirige mes études m'obligent à voir lès
affaires d'un point de vue plus large et plus générai que lui, il arrive tout naturellement
que les conclusions auxquelles nous arrivons sont très différentes ; mais je tiens a témoi-
gner, quelque valeur que l'on puisse attacher à mon témoignage, du grand mérite de dé livré
comme œuvre d'art. Comme œuvre de science, il me semble qu'il n'a rien effectué. M n'a
jeté aucun jour nouveau sur l'histoire réelle de cette nation jadis splendide et dont son
éloquence, son savoir et soft goût font die lui un des principaux ornements.
(1) Voyez Dunlop, Memoirs, t. II, pag. 330, et d'intéressants calculs dans Ustaritz,
Theorica y Practica de Comercio. Madrid, 1757, in-fol.,pag. 35,36. Vu l'ignorance <fau*»
frétais quanta la statistique, de semblables calculs sont nécessairement imparfaits, mais
après la désolation de l'Espagne au dix-septième siècle, une diminution de la population
de la capitale était inévitable. Il est vrai qu'un contemporain de Charles II établit qu'en 1(89
Madrid n'avait que 150,000 habitants. Méritoires de LonvUle. Paris, 4848, 1. 1, pag « 71
Cette évaluation est prise dans c un mémoire manuscrit en langue espagnole trouvé dans
les papiers du marquis de Lonville. » Pag. 67.
(S) Capmftny {QueêHones Criticas, pag. 30)» qui semblé avoir écrit sou ouvrage très
remarquable, mais non pas très exact, dans le seul but de dissimuler la décadence de son
pays, a fait erreur en donnent ces chiffre». Mes chiffres sent tirés du rapport officiel présente
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. SI
seize mille métiers étaient tombés à moins de trois cents (1),
et dans un rapport des Cortès à Philippe IV, en 1662, il est
établi que la cité ne renfermait plus que le quart du nombre
de ses anciens habitants, et que tout, jusqu'aux vignes et aux
oliviers cultivés dans ses environs, et formant une partie
considérable de ses richesses, était presque entièrement
négligé (2). Tolède, au milieu du seizième siècle, avait plus
de cinquante manufactures de laine; en 1665, elle n'en
avait plus que treize, presque toute celte industrie ayant
suivi les Maures et s'étant établie avec eux à Tunis (3). Par
la même cause, l'art de la fabrication de la soie, pour lequel
Tolède était renommé, était tout à fait perdu, et près de
quarante mille personnes qui en vivaient étaient privées dp
leurs moyens d'existence (4). D'autres branches d'industrie
eurent le même sort. Au seizième siècle, et au commence-
ment du dix-septième, l'Espagne jouissait d'une grande ré-
en 1701 par la corporation du commerce {gremios) de Séville. cFijan la época de lamina
fie nuestrastabricas desde el reynado de Felipe II y anaden haber llegado à tener solo en
esta ciudad al arte-mayor, y menor de la sede, el numéro de mas de diez y seis mil telares,
y se ocnpaban en los exercicios adhérentes à él, mas de cienlo treinta mil personas de ambos
sexes. » Campomanes, Apendice à la Education Popular. Madrid, 1757, 1. 1, pag. 475.
* Voyez aussi Ustariz, Theorica y Practica de Comercio, pag. 14. t Diez y seis mil telares,»
où l'on ne cite, il faut le dire, aucune autorité.
(1) # El principal et igen y causa de que los 16,000 telares de seda, lana, oro y plata, que
se contaban en Sevilla, se hallen oy redacidos à menosde 300. > Uztariz, Theoricay Prac-
tiea de Gomercio, pag. 243.
(2) Sempere, Monarchie espagnole, t. II, pag. 53, lequel renvoie au rapportons cortès
publié par Alphonse Nunez de Castro.
(3) Laborde, Spain, t. IV, pag. 338, dans lequel on dit aussi que Tunis devint, en consé-
quence de l'expulsion des Maures, célèbre par la manufacture des fez qui « plus tard forent
unités à Orléans.» Comparez sur les manufactures de fez i Tunis une note dans Campo-
manes, Apendice à la Education Popular, t. IV, pag. 249.
(4) « JToJède, où se mettaient en ouvre 435,000 livres de soie, avait déjà perdu ce travail
qui suffisait autrefois à l'existence de 38*484 personnes. La population de cette ville avait
épreuve mm tiers de diminution» et. vingt-cinq maisons de ses familles les plus illustres
étaient passées dans Je domaine de divers couvents. > Sempere y Monarchie espagnole,
t;H 4 pag*30.
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82 HISTOIRE
putation pour la fabrication des gants qu'elle expédiait en
énormes quantités sur plusieurs points du monde ; la France
et l'Angleterre en faisaient grand cas; ils étaient exportés
jusque dans les Indes. Eh bien, Marti nez de Meta, qui
écrivit en l'année 1665, nous assure qu'à cette époque cette
source de richesse avait disparu ; la fabrication des gants
avait complètement cessé, quoiqu'elle eût autrefois, dit-il,
existé dans toutes les villes de l'Espagne (1). Dans la pro-
vince de Castille, jadis si florissante, tout tombait en ruine.
Ségovie même perdit ses manufactures et n'eut bientôt plus
que le souvenir de son ancienne richesse (2). La ruinede Burgos
fut tout aussi rapide ; le commerce de cette cité fameuse
périt et ses rues désertes et ses maisons vides présentèrent
un tableau si désolant, qu'un contemporain, frappé d'un pa-
reil ravage, s'écrie que Burgos n'a plus que son nom (3). Dans
(1) Voyez son intéressant essai réimprimé dans l'appendice de Campomanes, t. IV,
pag. 251. 11 dit : « La fàbrica de los gnantes , qoe tenian poeos anos à todas las ciodades
de estos reynos para el consumo de Espana y las Indias, era muy considérable; y se ha
destroido, despues que se diô entrada al consumo de guantes estrangeros. a Un pareil fait
affirmé par un contemporain est sans réplique , mais l'explication qu'il donne n'est pas
applicable.
(2) Ségovie, telle qu'elle était en 1659, est décrite comme suit dans Boisel , Journal du
voyage d'Espagne. Paris, 1669, in-4', pag. 186 : « Autresfois cette ville, qui paroist assez
grande, estoit fort riche, tant à cause que les rois de Castille y demeuroient, qu'à cause du
grand commerce des laines et des beaux draps qui s'y faisoient; mais à présent le trafic
n'y est plus, et l'on n'y fait plus que fort peu de draps, de sorte que la ville est presque
déserte et fort pauvre. Une marque de sa pauvreté, du mauvais ordre d'Espagne et du peu
de prévoyance des Espagnols (quoy qu'on dise de leur flegme), c'est que le jour que j'y
arrivay jusques à deux heures après midy il n'y avoit point eu de pain en toute la ville, et
ils ne s'en étonnoient point. > La diminution des manufactures de soie et de laine de Ségovie
est mentionnée par Martinez de la Mata qui écrivit en 1650. Voyez son Dos Discursos,
édité par Cango. Madrid, 1794, pag. 8. Saint-Simon, qui y était en 1722, dit : t A l'égard de
leurs laines, j'en vis les manufactures à Ségovie qui me parurent peu de chose et fort tom-
bées de leur ancienne réputation. > Mémoires du duc de Saint-Simon , t. XXXVII ,
pag. 230. Paris, 1841. Ségovie était renommée pour les belles couleurs de ses draps, dont la
teinture se tirait d'un coquillage trouvé dans les Indes occidentales qu'on suppose être la
pourpre des anciens. Voyez une note.de Dillen, Spain> 1781, pag. 19,20.
(3) Tel est le langage que tient un Espagnol au milieu du dix-septième siècle : c Porque à
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 85
d'autres districts, le résultat fut également funeste. Les
belles provinces du Midi, si richement dotées par la nature,
étaient autrefois si florissantes, que leurs contributions suffi-
saient à elles seules, en cas de besoin, à remplir le trésor
impérial ; mais, elles diminuèrent avec tant de rapidité, qu'en
Tannée 1640 on se trouva dans l'impossibilité de les aug-
menter d'une taxe qui put produire quelque chose (1). Durant
la dernière moitié du dix-septième siècle, les choses devin-
rent pires, et la pauvreté et la misère du peuple passèrent
toute description. Dans les villages près de Madrid, les habi-
tants mouraient littéralement de faim; et les fermiers qui
avaient des approvisionnements refusaient de vendre parce
laciudad de Burgos, cabeza de Castilla, no le ha quedado sino el nombre, ni aun vestigios
de sas rainas; redneida la grandeza de sns tratos, Prior, y Cônsules, y ordeoanzas para la
conservation de ellos, â 600 vecinos, que conservan e nombre, y lnstre de aqaella antigna y
noble ciudad, que encerrô en si mas de seis mil, sin la gente soelta, natnral, y forastera. >
Campomanes, Apendice à la Educacion, t. I, pag. 453. Madrid, 1775. Un Hollandais de
beaucoup d'esprit, qui visita Burgos en 1665, dit : « Elle a été autrefois fort marchande,
mais depuis peu elle a presque perdu tout son commerce. ■ Aarsens de Somme rdyck, Voyage
d'Espagne. Paris, 1665, in-4*, pag. 16. Quant à moi, j'estime que de pareils faits sont bien
plus du ressort de l'histoire réelle de l'Espagne que les détails sur les rois, sur les traités et
sur les batailles que les historiens se sont plu à accumuler.
(1) « Could contribnte little to the exigencies of the slate.g» Dunlop , Memoirs , 1. 1,
pag. 285. Compare* Lamentos Apologéticos t dans Dos Discursos, édit. Conga. Madrid,
1794, pag. 82, sur l'état des choses dans » lo mas fertil de Àndalucia. » Le gouvernement
commença à sentir qu'il y avait quelque chose à faire quand il vit qu'il n'y avait plus moyen
d'arracher d'argent au peuple. En mai 1667, un conseil d^at convoqué par la reine lui
rendit cette réponse : « Quant aux ressources qu'on voudrait tirer de l'Espagne sous forme
de dons volontaires ou autrement , le conseil estime qu'il est bien difficile d'imposer aux
peuples des charges nouvelles. > Et en novembre de la même année, à une autre réunion du
conseil, un mémoire fut rédigé portant que t depuis le règne de don Ferdinand le Catho>
ligue jusqu'à ce jour, la monarchie d'Espagne ne s'est pas encore vue si près de sa ruine, si
épuisée, si dénuée des ressources nécessaires pour faire face à un grand péril. » Voyez les
extraits des.séances des conseils publiés, je crois, pour la première fois par M. Mignet dans
ses Négociations relatives à la succession d'Espagne, t. II, pag. 124, 801. Paris,
1835, in-4\ Voyex aussi dans le même ouvrage très estimé (t. II, pag. 127) une lettre à
Louis XIV de son ambassadeur à Madrid, datée du 2 juin 1667, établissant que « l'extré-
mité est ici si grande, qu'il se fait une contribution volontaire de tous les particuliers
qu'on appelle donativo pour fournir quelque argent pour les nécessités publiques.»
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8<4 HISTOIRE
que, quoiqu'ils eussent besoin d'argent, ils craignaient en-
core plus de voir leur famille mourir près d'eux faute de tout.
[^ conséquence de tout ceci fut que la capitale courut le dan-
ger d'être prise par la famine, et comme les menaces ordi-
naires n'avaient aucun résultat, il fut décidé, en 1664, que le
président de la Castille se rendrait, suivi de la force armée et
du bourreau, dans les villages adjacents et contraindrait les
habitants à porter leurs provisions au marché de Madrid (4).
La pauvreté régnait dans toute l'Espagne. Cette contrée, jadis
riche et prospère, se voyait couverte d'une foule de moines
et de prêtres, dont la rapacité insatiable absorbait le peu de
bien qui lui restait, et il arriva bientôt que le gouvernement,
quoiqu'il fût sans ressources, ne put lever aucun argent. Les
collecteurs de taxe, pour feire face au déficit, eurent recours
aux mesures les plus désespérées. Ils ne se contentaient pas
de saisir la literie et tout le mobilier, ils enlevaient les toits
des maisons et en vendaient les matériaux au plus offrant.
Les habitants prenaient la fuite, abandonnant leurs champs
sans culture. Une multitude d'individus sans abri, exposés à
toutes les variations de l'atmosphère, au froid comme à l'ar-
deur du soleil, mouraient encore de faim. Des villages entiers
furent désertés, et dans plus d'une ville les deux tiers au
moins des maisons se trouvèrent, à la fin du dix-septième
siècle, entièrement détruites (2).
(1) En 1664, si? Richard Fanshawe écrit de Madrid an secrétaire Bennet : «Since my last
to you,of yesterday, the Président of Castile,having,by the king's spécial and angry com-
niand , gone forth to the neighbonring villages, attended vritn the hanghman, and what-
soever else of terror incident to his place and derogatory to his per&on, the markets in this
town begin to be fnrnished again plentifnlly enoogh. » Memoirs of Lady Fanshatoe,
written by herself, édit. Lond., 1830, pag. 391.
(2) Il fallait la preuve positive et incontestable donnée par on témoin contemporain ponr
qu'on pût ajouter foi à de pareils faits. En 1666, Alvarei Osorioy Redin écrivit stuDiêCursos.
Ils forent publiés en 1667 et 1688; ils forent réimprimés à Madrid en 1775 etde ce dernier
onvrage (pag. 345-348) j'extrais les détails suivants : « Es preciso decir con la mayor bre-
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 85
' Tant de calamités détruisirent en Espagne toute énergie,
toute vitalité. Partout la vie, la puissance disparurent. Les
troupes espagnoles furent défaites à Rocroy en 1643 et plu-
sieurs écrivains attribuent à cette défaite la perte de la répu-
tation militaire de l'Espagne (1). Ce n'était là qu'un fait
entre plusieurs autres (2). En 1656, on proposa d'équiper
vedad, que pide el asunto, en la forma que los comisionantes cootinuamente estàn saqueando
todos los Ingares, con capa de servir a V. M. Entran en ellos, intiman sus comisiooes à las
justieias, y ellas les suplican, lengan misericordia de los moradores, que estàn con mâcha
necesidad. Y luego qne toman el nso , dicen : que à ellos no les toca dispensar en hacer
gracias : qne traen orden de eobrar con todo rigor las cantidades , que deben los lugares ;
y tambien dicen han de eobrar sus salarios. Y se Tan entrando por las casas de los pobres
labradores, y demâs vecinos ; y con mucha cuenta y razon , les quitan el poeo dinero, que
tienen : y à los que no tienen , les sacan prendas : y donde no las hallan * les quitan las
pobres camas, en que duermen : y se detienen en vender las prendas, todo el tiempo que
pueden. » • Los saquéos referidos van oontinuando, obligando à los mas vecinos
de los lugares, à que se vayan huyendo de sus casas, dexando baldias sus haciendas de
campo ; y los cobradores no tienen lâstima de todas estas miserias, y asolaciones, como si
ntraran en lugares de enemigos. Las casas, que hallan varias, si hay quien si las compre,
las venden : y quando no pueden venderlas, las quitan los texados; y venden la texa, y
madera por qualquier dinero. Con esta destruicion gênerai, no han quedado en pie en los
lugares la tercera parte de casas, y de han muerto de necesidad gran multitud de personas.
Con lo quai los Ingares no tienen la mitad de familias, qoe antiguamente habia en Espana.
Y si no se pone remedio â todo referido, sera preciso, que la vengan à poblar de otros
Reynos. »
(1) « Alli acabô aquella antigua milicia espanola que desde el tiempo de los reyes catô-
licos habia ganado tan gloriosos triunfos, siendo el terror de sus enemigos. » Tapia,
CivUizacion Espanola, t. III, pag. 150. Madrid, 1840. < La batalla de Rocroy, en qne el
jôven Gondé recogiô los laureles con que engalanô la dorado cuna del nino Luis XIV, acabo
con la repntacion que aun habian podido ir conservando los viejos tercios espanoles de
Flandres. > Lafnente, Hist. de Espana, t. XVII, pag. 368. Madrid, 1856.
(2) Dans Glarendon {State Papers, 1. 1, pag. 275. Oxford, 1767, in-fol.) je trouve une lettre
écrite par Hopton au secrétaire Windebank, datée de Madrid le 31 mai 1636. L'auteur
de cette communication officielle donne la description des troupes espagnoles qoi viennent
d'Ôtre levées et dit : » I hâve observed thèse levies and I find the horses are so weak, as the
most of them will nerer be able to go to the rendez-vous, and those very hardly gotten
the infantry so unwilling to serve, as they are carried like gallow slaves, in chains, which
serves not the tnrn, and so far short of the number that was proposed as they corne not to
one of three. » Ceci se passait huit ans avant la bataille de Rocroy. Après, les choses s'empi -
rôrent rapidement. Une lettre de sir Edward Hyde au secrétaire Nicholas, datée de Madrid
le 18 mars 1649-50, établit que » Spanish affaires are really in huge disorder and capable
of being rendered almost desperate. » Une autre lettre du 14 avril 1650 porte : « If s orne
miracle do not préserve them, the crown must be speedily destroyed.» Glarendon , State
T. IV. 6
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86 HISTOIRE
une petite flotte ; mais l'industrie de la pêche sur les côtés
avait été tellement négligée, qu'il fut impossible de trouver
assez de matelots pour équiper les quelques vaisseaux qu'on
demandait (1). Les cartes qu'on avait dressées étaient perdues
Pa/per s, t. III, pag. 13, 17. Oxford, 1786. Un rapport officiel sur les Pays-Bas, présenté à
Louis XIV en 1655, déclare que les Hollandais « considered Spain so weakened, as to be
out of condition to renew the war within the next one hundred years. » Raumer, Hist. of
thesixteenth andSeventeenth Centuries, illustrated by Original Documents. Lond.,
1835, 1. 1, pag. 337. Voyez aussi Mignet, Négociations relatives à la succession d'Es-
pagne. Paris, 1635 1642, in-4°, 1. 1, pag. 37, 38, 314, 315; t. III, pag. 684; t. IV, pag. 218, et
l'État de l'Espagne. Genève, 1681, pag. 83, 271. < L'Espagne faisant en nos jours plus de
pitié que de peur à ceux qu'elle a tenus longtems dans une crainte perpétuelle et dans une
respectueuse vénération. • « Aussi peut-on dire que les Espagnols qui étoient
autrefois des lions, ou des véritables hommes et incomparables en valeur, sont maintenant
des cerfs ou des femmes et enfin des personnes peu propres à la guerre. » Et enfin l'explica-
tion de tout ceci dans Yanez, Memorias, Prologo, pag. 148, 149. Madrid, 1723. t La Monar-
quia de Espana, cuya decadencia la aria yà Dios decretado desde el ano de 1621, > etc., qui
pousse le blasphème jusqu'à accuser le Tout-Puissant de ce qu'ils ne devaient qu'à leur
propre folie, parce qu'ils s'obstinaient à fermer les y eux sur les véritables causes de leur ruine.
(1) c A centuryago, Spain had been as suprême at sea as on land ; her ordinary naval
force was 140 gallies which mère the terror both of the Mediterranean and Atlantic. But
now ( 1656) in conséquence of the déclin of commerce and fisheries on the coast, instead of
numerous squadrons of the Darias and Mendozas -which were -wont to attend the move-
ment s of the first great John of Austria and the Emperor Charles the présent high admirai
of Spain, and favourite son of its monarch, put to sea with three writched gallies, which,
withdifficulty, escaped from some Alegerine corsairs and were afterwards nearly ship-
wrecked on the coast of Africa. » Dunlop, Memoirs, 1. 1, pag. 549. En 1663, «il n'y avait à
Cadix ni vaisseaux ni galères en état d'aller en mer. Les Maures insultaient audacieuse-
ment les côtes de l'Andalousie, et prenaient impunément les barques qui se hasardaient à
une lieue de la rade. Le duc d'Albuquerque, qui commandait les forces navales, se plai-
gnait hautement de la position humiliante dans laquelle on le laissait. Il avait demandé
avec instance qu'on lui donnât des matelots et des soldats pour mettre sur les vaisseaux ;
mais le comte de Castrillo, président du conseil de finances ( de la hacienda) avait déclaré
qu'il n'avait ni argent ni la possibilité d'en trouver, et conseillait de renoncer à l'armée
navale. » Mignet, Négociations relatives à la succession d'Espagne, 1. 1, pag. 315, 316.
Paris, 1835, in-4*. D'après les manuscrits contemporains, même en 1648 l'Espagne était
« become so feebte in point of naval affairs as to be obligea to hire Outch vessels for carrying
on her American commerce. » Macpherson, Annals of Commerce, t. II, pag. 435. Lond.,
1805, in-4*. Enfin, pour compléter notre série de preuves, il existe une lettre dans Claren-
don, State Papers, t. II, pag. 86. Oxford, 1773, io-fol., écrite de Madrid en juin 1640, por-
tant que « for ships they hâve few, marinera fewer, landsmen not so many as they need,
and, by ail signs, money not at ail that can be spared. » L'histoire d'Espagne durant cette
période n'a jamais été écrite, et je me vois forcé pour ma propre justification de donner ces
passages et quelques autres de même nature dans toute leur étendue au risque, je le crains
bien, d'ennuyer quelques lecteurs.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 87
ou oubliées; et l'ignorance des pilotes espagnols était notoire
à ce point que personne ne voulait se confier à eux(l). Quant
au service militaire, il est établi, dans un rapport sur l'Es-
pagne, que bien avant dans le dix-septième siècle la plupart
des troupes avaient déserté leur drapeau, et que le peu qui y
étaient restées fidèles étaient déguenillées, ne recevaient
point leur paie et mouraient de faim (2). Un autre récit nous
montre ce beau royaume, si puissant autrefois, complètement
déchu et sans défense; les villes frontières sans garnisons,
les fortifications démantelées et tombant en ruine; les
magasins sans munitions; les arsenaux vides; les ateliers
sans ouvriers et jusqu'à fart de construire les navires entiè-
rement perdu (3).
(1) Et quand on se fiait à eux on était dnpe. C'est ce que Stanhope eut lieu de reconnaître
au commencement de sa carrière comme ministre de la Grande Bretagne à la courde Madrid
en 1690. Voyez sa lettre à lord Shrewsbury dans Manon, Spainunder Charles II. Lond.,
1840, pag. 3. c We were forced into a small port called Ferrol, three leagues short of the
Groyne and bythe ignorance of a spanish pilot our ships fell foui one with another and the
admiral's ship was on ground for some hours, but got off clear without any damage. > Le
fait est que les marins espagnols, jadis les navigateurs les plus hardis et les plus habiles du
monde, étaient dégénérés à ce point qu'au commencement du dix-huitième siècle, nous
trouvons qu'il est reconnu qne « to form a Spaniard to marine affairs is transporting
them into unknown countries. » The History of Cardinal Alberoni. Lond., 1719, pag. 257.
(2) < Le peu de soldats qui résistaient à la désertion étaient vêtus de haillons, sans solde,
sans pain. » Mémoires de Louville, édit. Paris, 1818, 1. 1, pag. 72. » Dans l'état le plus
misérable. » Pag. 43. Comparez Lafnenle sons le règne de Philippe IV (Historia, t. XVI,
pag. 519) : « Los soldados peleuban andrajosos y medio desnudos. » Et d'Aulnoy en 1679
(Relation du voyage d'Espagne, 1. 1, pag. 168) : « Il est rare que dans tout un régiment il
se trouve denx soldats ayant plus d'une chemise.
(3) t Ruinosos los muros de sus fortalezas, aûn ténia Barceiona abiertas las brecha, que
hiso el duque de Vendoma; y desde Rosas ha 8 ta Cadiz, no habia Alcazar, ni Castillo, no
solo presidiado , pero ni montada su artilleria. La misma negligencia se admiraba en los
puertos de Vizcaya, y Galicia; no tenian los almazenes sus provisiones, faltaban fundi-
dores de armas , y las que habia, eran de ningun uso. Vacios los arsenales y artilleres, se
habia olvidado el arte de construir naves, y no ténia el Rey mas que las destinadas al
comercio de Indias, y algunos galeones; seis galeras, consumidasdel tiempo, y del ocio, se
ancoraban en Caragena. > Bacallar, Comentarios de la Guerra de Espafta, 1. 1, pag. 43.
Un témoin oculaire dit que c the best fortresses consisting of ruined walls, mounted with
hère and there a rusty cannon, and the man thought an able engineerwho knewhowto lire
them. «Ripperda, A/emotr*, 2' édit. Lond., 1740, pag. 227.
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88 HISTOIRE
Pendant que le pays tout entier était languissant et
comme Trappe au cœur par quelque maladie mortelle, les
plus horribles scènes se passaient dans la capitale sous les
yeux mêmes du souverain. Les habitants de Madrid étaient
affamés, et les mesures arbitraires auxquelles on avait eu
recours pour leur procurer des vivres ne pouvaient leur pro-
curer qu'un soulagement temporaire. Plusieurs tombèrent,
épuisés, dans les rues; plusieurs moururent en tombant;
on en trouva d'autres morts sur les grands chemins, mais
personne n'avait de quoi venir à leur secours. Le désespoir
s'empara du peuple; il perdit bientôt tout empire sur lui-
même. En 1680, les ouvriers de Madrid ainsi qu'un grand
nombre de commerçants s'organisèrent en bandes, forcèrent
les maisons fermées, puis ils les pillèrent et en tuèrent les
habitants à la face du soleil (1). Durant les dernières vingt
années du dix-septième siècle, la capitale ne fut pas seule*
ment dans un état d'insurrection mais d'anarchie. La société
se relâchait, elle semblait se dissoudre et ses éléments
se disperser. Pour employer le langage emphatique d'un
contemporain, il n'y avait ni liberté ni réserve (2). Les
fonctions ordinaires du gouvernement exécutif étaient sus-
pendues. La police de Madrid, ne pouvant obtenir les
(1) Dunlop, Memoirs, t. II, pag. 224, 225. En 1680, madame de Villa», femme de l'am-
bassadeur de France, écrit de Madrid que tel était l'état des affaires dans cette ville que son
mari trouva bon qu'elle retournât dans son pays. Lettres de madame de Villars. Amster-
dam, 1759, pag. 169. Une lettre écrite par l'ambassadeur de Danemark en 1677 parle de
toutes les maisons de Madrid comme étant toutes aussi bien montées de haut en bas « from top
to bottom. > Mignet, Négociations relatives à la succession df Espagne, t. IV» pag. 63&
Paris, 1842, in-4*. C'est surtout en Andalousie que les morts par la lamine ont été nom-
breuses. Voyez Tapia, Civilization Espafiola, t. III, pag. 167. * En Andalucia ecpecial-
mente moria mueha gente de hambre, y el consulado de Sevilla enviô una diputacion para
representar que aquella ciudad habia quedado reducida à la cuarta parte de la poblacion
que habia tenido cincuenta anos antes. > Sur l'état du peuple en général, comparée les
Lettres de Villars, pag. 145,152,161.
(2) c Point de libertés et poinl de frein. * Mém. de LouviUe, t. i, pag. 68.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 89
arrérages de la paie qui lui était due se débanda et s'adonna
au vol et h la rapine. Personne ne voyait de remède
à tant de maux. Le trésor était vide et il était impos-
sible de le remplir. La cour était si pauvre que l'argent
manquait pour payer les gages des domestiques privés du
roi et pour faire face aux dépenses journalières de sa
maison (1). En 1695, on suspendit le paiement des pen-
sions, et le traitement des officiers et des ministres de la
couronne fut diminué d'un tiers (2). Mais rien ne pouvait
arrêter le mal. La famine et la pauvreté ne faisaient
qu'augmenter (3), et en 1699, Stanhope, ministre anglais ré-
(I) En 4684, l'ambassadrice de Madrid écrit : « Je ne vous parle pas de la misère de ce
royaume La faim est jusque dans le palais. J'élais hier avec hnit on dix camaristes et la
Moline qui disaient qu'il y avait fort longtemps qu'on ne leur donnait plus ni pain ni viande.
Atx écuries du roi et de la reine, de même. » Lettres de madame la marquise de Villars
Amsterdam, 4759, pag. 246, 247. L'année qui suivit la mort de Charles II « il n'y avait pas
defonds pour les choses les plus nécessaires, pour la cuisine, l'écurie, les valets de pied,» etc.
Millot, Mém. du duc de Noailles, t. II, pag. 26, (dit. Petitot. Paris, 4828. Entre autres
misérables expédients, l'argent courant était si déprécié que, dans une lettre de Martin au
docteur Feaser datée de Madrid le 6 mars 4680, nous lisons : c The fall of money to one
fourth part of its former value. » Miscellany ofthe Spalding Club, t. V, pag. 487. Aber-
deen, in-4% 4852.
(i) c The king has taken away, by a late decree a third part of ail wages and salaries of ail
officers and ministers without exception and suspended for the ensuing year, 4694, ail pen-
sions for life granled either by himself or his father. » Lettre de l'ambassadeur d'Angleterre,
datée de Madrid 48 novembre 4693, dans Manon, Spain under Charles II. Lond., 4840,
pag. 40. Ce fait est eneore constaté par Millot, Mém. de Noailles, 1. 1, pag. 360. Paris, 4828 :
«Retranchant le tiers des dépenses de sa maison et des appointements de ses officiers tant
militaires que civils. » Dans le règne précédent, la pension avait été. supprimée pour quelque
temps au moins. En 4650, sir Edward Hyde écrit de Madrid : « There is an uni versai stop of
ail pensions which hâve been granted formerly. » Glarendon, State Paper s, t. II, pag. 538.
Oxford, 4773. La mesure qui fut prise ensuite fut en 4667 une proposition pour taxer les
salaires des membres du conseil de Gastille, d'Aragon, etc.; mais cette idée fut abandonnée
et tous enfin furent englobés avec les autres fonctionnaires publics dans l'édii de 4693.
Voyez la lettre de l'ambassadeur tie France à Louis XIV, datée de Madrid le 2 juin 4667,
dans Mignet, Négociations, t. H, pag. 428. Paris, 4835, in-4*. Le seul moyen de retrouver
l'histoire de l'Espagne au dix-septième siècle, c'est de comparer ces documents et quelques
antres de même nature avec les pauvres notes qui se trouvent éparses dans les écrivains
espagnols.
(3) En 4695, « the misérable poverty in this country. » Travels through Spain, per-
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90 HISTOIRE
sidant à Madrid, écrit qu'il ne se passe pas un jour que l'on
ne tue dans les rues des gens qui se battent pour avoir da
pain; que son secrétaire a vu cinq femmes mourir étouffées
par la populace ameutée devant une boulangerie, et que,
comme si la misère n avait pas atteint ses dernières limites,
plus de vingt mille mendiants de la campagne sont venus
grossir le nombre de ceux de la capitale (1).
Si cet état de choses avait encore duré pendant une gêné*
ration, l'anarchie la plus sauvage aurait régné partout et
l'édifice de la société eût croulé (2). La seule chance de
salut pour l'Espagne, la seule qui pût l'empêcher de retomber
dans la barbarie, c'était qu'elle tombât, et au plus vite, sous
une domination étrangère. Il le fallait de tout nécessité, et l'on
put craindre un moment que ce changement ne revêtît une
forme qui eût été particulièrement odieuse à la nation, car
bien avant dans le dix-septième siècle, Ceuta fut tout à coup
formed by a Gentleman, Lond., 4702, pag. 61 Et la même année : • L'Espagne manquant
de tout, d'hommes et d'argent. » Mém. de Nouilles, 1. 1, pag. 402. « L'Espagne presque
anéantie. » Pag. 424.
(1) Voyez les lettres dans Mahon (Spain under Charles H, pag. 138-440) da 24 mai :
< We hâve an addition of above 20,000 beggars, flocked from the country round, to share
in that little hère is, who were starving at home, and look like ghosts. > Du 27 mai : < The
scarcity of bread is growing on apace towards a famine, which increases, by vast m alti-
tudes of poor that swarm in upon us from the coantries roand abont. I shifled the best
1 conld till this day, bot the difficalty of getting any without authority, bas made me recur
to the corregidor, as most of the foreign ministers had done before ; he very coarteously,
after inquiriog what m y family was, gave me an order for twenty loaves every day : but
I must send two leaguas, to vellajas, to fetch it, as I hâve done this night,and my serrants
with long guns to secore it when they hâve it otherwise it would be taken from them, for
several people are killed every day in the streets in scuffles for bread, ail being lawfnl prise
that any body can catch. » « My secretary, Don Francisco, sawyesterday five poor
women stiffled to death by the crowd before a bake houle. »
(2) Même M. Lafaente qui, n'ayant eu recours à aucune des autorités que j'ai citées dans
ces dernières pages, ne peut avoir aucune idée exacte de l'extrême misère de l'Espagne, et
reconnaît que • jamâs monarcas ni pueblo alguno se vieron en tan lastimosa situation y en
tan misera trance como se hallaron en este tiempo ( 4699) Carlos II y la Espana. » Lafaente,
liist. de Espana, t. XVII, pag. 426. Madrid, 4856.
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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 91
assiégée par les mahométans, et comme le gouvernement
espagnol n'avait ni troupes, ni vaisseaux, on conçut les plus
grandes appréhensions sur le sort de cette importante forte-
resse; car on ne pouvait guère douter que si elle tombait
au pouvoir de l'ennemi, l'Espagne ne fût de nouveau envahie
par les infidèles qui, cette fois du moins, eussent rencontré
peu de difficultés pour réduire un peuple affaibli par les
souffrances, un peuple affamé, à demi mort (\).
Heureusement, en l'année 1700, quand les affaires allaient
au plus mal, Charles H, le roi idiot, mourut et l'Espagne
tomba entre les mains de Philippe Y, petit-fils de Louis XIV.
La dynastie des Bourbons (2) en succédant à la dynastie au-
trichienne, amena plusieurs grands changements. Philippe,
qui régna de 1700 à 1746 (5) était Français, non seulement
par la naissance et l'éducation, mais par. les sentiments et
toutes ses habitudes (4). À la veille de son entrée en
(I) c Les Maures d'Afrique assiégeoient Ceata. Le roi d'Espagne manqnoit non seulement
de troupes, mais de vaisseaux pour transporter le peu de secours qu'il pouroit y envoyer :
Louis XIV lui fit offrir les troupes et les vaisseaux dont il auroit besoin. 11 s'agissoit non
seulement de conserver Ceuta, mais de plus Oran ; par conséquent d'empêcher la prise de
deux places dont la conquête facilitait aux Maures un retour en Espagne. » Mém. du mar'
quis de Torcy, 1. 1, pag. 46, édit. Paris, 1828. A propos des attaques contre Ceuta de 1696
à 1696, voyez Ortix, Compendio de la Historia de Espalia, t. VI, pag. 556, 557, 561.
(3) Un célèbre écrivain moderne a fait là-dessus quelques remarques qui sont trop con-
tradictoires pour être omises •» Con el siglo XVII acabo tambienladinastia anstriaca en
Espana, dejando à esta nacion pobre, despoblada, sin fuerzas maritimas ni terrestres, y
por consiguiente à merced de las demas potencias que intentaron repartir entre si sus
colonias y provincias. Asi habia desparecido en poco mas de un siglo aquella grandeza y
poderio, aquella fuerza y heroismo, aquella cultura é ilustracion con que abia descoliado
entre todas las naciones. > Biografia de Ensenada, dans Navarrete, Opt&culos. Madrid,
1848, t. II, pag, 5.
(3) Excepté pendant le court interrégne de Louis, en 1724, qui ne dura que quelques mou,
et pendant lesquels le jeune prince, quoiqu'on l'appelât t le roi > n'eut aucun pouvoir
réel el Philippe fut en réalité le maître. « Aun el nuevo rey no resolvia negocio de consi-
dération sin asenso de su padre. » Ortiz, Compendio, t. VU, pag. 374.
(4) Saint-Simon, qui connaissait bien Philippe et qui fut en Espagne en 1721 et en 1722»
dit de lui : ■ L'amour de la France lui sortait de partout. » Mém. du duc de Saint-Simon
Paris, 1841, t. XXXVII, pag. 3. Et en 1746, peu de temps après sa mort, Noailles écrit
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92 HISTOIRE
Espagne, Louis lui avait recommandé de ne jamais oublier
qu'il était Français, et qu'il pourrait un jour monter sur le
trône de France (1). Devenu roi, il négligea les Espagnols,
méprisa leurs conseils et mit tout le pouvoir dont il pouvait
disposer entre les mains de ses compatriotes (2). Les affaires
de l'Espagne furent donc administrées désormais par des
sujets de Louis XIV, et son ambassadeur à Madrid y rem-
plissait le plus souvent les fonctions de premier mi-
nistre (3). La plus puissante des monarchies n'était guère
plus qu'une province de France, car toute affaire de quel-
que importance se décidait à Paris d'où Philippe lui-même
recevait ses instructions (4).
d'Aranjuez : < Ce prince a le cœur tout français. » Millot, Mém. de Noailles. Paris, 4829,
t. IV, pag. 494.
(1) « N'oublie* jamais que von s êtes Français et ce qni peut tous arriver. » Millot, Mém.
de Noailles, t. II, pag. 6. Comparez Coxe, Mem. ofthe Bourbon Kings ofSpain. LoncL,
1815,t.I,pag.403.
(2) En 4702, Philippe* parlait moins que jamais, et seulement anx Français, comme s'ils
eussent été les seuls êtres de son espèce. » Mém. de Louville, 1. 1, pag. 976. « Le dégoût
que Philippe laissait voir pour sa cour espagnole. » Pag. 333. Un homme d'État célèbre ou
plutôt ayant une grande notoriété, vers la fin du siècle, s'écrie avec indignation : t It vras on
the accession of the Bourbon dynasty, that foreigners came to govern us on our native soûl. »
Godoy, Memoirs, édit. Lond., 4836, t. II, pag. 274.
(3) En 4704, c'était du devoir de l'ambassadeur de France < qu'il pût au besoin être pre-
mier ministre d'Espagne. » Millot, Mém. de Noailles, t. II, pag. 34. « Que l'ambassadeur
de Sa Majesté soit ministre du roi catholique; que sans en avoir le titre, il en exerce les
fonctions; qu'il aide au roi d'Espagne à connaître l'état de ses affaires et à gouverner par
lui-même. » Pag. 55. En 4702, Mazarin écrit à Louis XIV : « Comme il est absolument néces-
saire que l'ambassadeur de Votre Majesté en Espagne ait un crédit sa os bornes auprès du
roy son petit fils. » Pag. 483. En 4705, Amelot, l'ambassadeur français, « décidait de tout en
Espagne. » Mém. de Louville, t. II, pag. 465. Et en 1706 : • Étant à la tête des affaires et
* joignant presque les fonctions de premier ministre à celles de l'ambassadeur. > Noailles,
t II, pag. 39&
(4) En 4703 : < Il est clair que l'embarras de Philippe venait surtout de la crainte que
ses décisions ne fussent point approuvées en France où toutes les affaires importantes se
décidaient. » Millot, Mém. de Noailles, t. II, pag. 244. t The kiog of France had atways
certain perso os at Madrid, which composed a ceuncil, of which that of Versailles was the
soûl; and whose members were ail créatures of the French court and sent to Madrid from
Urne to time to direct ail affairs there, accord ing to the vievs of the Most Christian King,
and te give him an account of every thing that passed in the Councils of the Escurial. Aibe-
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 95
La vérité est que l'Espagne» brisée, vaincue, se sentait
incapable de quoi que ce fût, et puisqu'il fallait que le pays
fût gouverné, il fallut que des étrangers fussent appelés au
gouvernement (1). Même en 1682, c'est à dire dix-huit ans
avant l'avènement de Philippe V, il ne s'était pas trouvé un
Espagnol versé dans l'art de la guerre; si bien que Charles II
s'était vu forcé de confier la défense militaire des Pays-Bas
espagnols à de Grana, ambassadeur d'Autriche à Madrid (2).
Quand donc la guerre de succession éclata en 1702, les Espa-
gnols furent les premiers à demander que le commandement
de leurs troupes fût confié à un étranger (3).
roni got to be initiated in the mysteries of Uns cabal. > HisL of Cardinal Alberoni. Lood . ,
17|9, pag. 70. Les historiens espagnols n'aiment pas à reconnaître ce fait incontestable
cependant; mais Bacallar, après avoir parlé de l'influence de l'ambassadeur de France,
ajoute franchement : < Desde entonces tomaron tanta mano sobre los deEspana los mi Bis-
tros Franceses,quedieroo mas zelos â los Principes viendo estrechar la union à un grado,
que todo se ponia al arbitrio de Luis XIV. » Bacallar, Comentarios de la Guerra de
j£*/WftM.I,pag.33.
(i) Ce vétéran diplomate fut lui-même si frappé de ce que l'Espagne échappait à la ruine
complète, qu'il attribue ce changement de maîtres à l'intervention directe de la divinité.
« Sa seule puissance avait placé Philippe V sur le trône d'Espagne ; elle seule pouvoit l'y
staintenir ; les hommes n'a voient pas conduit ce grand événement. > Mém. de Torcy, 1. 1,
pag. 333. c Le trône où Dieu l'avoit placé. > Pag. 401. Voyez aussi t. II , pag. 3, 227. < The
Spanish people reeeived him with unhesitating obédience to the deceased king's will, and
rejoiced at the prospect of a ru le that would at least hâve the merit of being différent from
tjiat under which they had so long withered. » Mem. of Peterborough. Lond., 4853, 1. 1,
pag. 402. ilfuchos espanoles recibieron porsu soberano à Felipe V, cansadosde la domina-
cion de la casa de Austria. Esperaban de la mudanza de la dinastia la feiicidad y el buen
gobierao. > Castro, Decadencia de Espaila. Cadiz, 1852, pag. 131. Et encore Millot, Mém.
de NoaiUes, 1. 1, pag. 420, 426 ; t. II, pag. 9.
(2) 11 i committed the military defence of thèse provinces to the Marquis of Grana, the
Anstrian ambassador at Madrid, from the want of any Spanish commander -whose courage
or military endowments qualified him to repel such an enemy as the king of France. »
Dunlop, Memoirs, t. II, pag. 232. Comparez sur l'absence de généraux espagnols, Mém. du
maréchal de Grammont, édit. Paris, 1827, t. II, pag. 82. On peut voir l'opinion que Grana
loi-même se formait du gouvernement espagnol par une conversation qn'il eut à Madrid
en 1680 avec l'ambassadrice de France et qui se trouve conservée dans sa correspondance.
lettres de madame la marquise de Villars. Amsterdam, 1759, pag. 118, 119.
(3) Voyez la lettre de Philippe V à Louis XIV, datée du 22 juin 1702, dans les Mém. de
Nouilles. Paris. 1828, édit. Petitot, t. II, pag. 256, 257.
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94 HISTOIRE
En 1 704, on vit, fait inouï, le duc de Berwick, un Anglais !
mener les Espagnols à l'ennemi, avec le titre de capitaine
général de l'armée espagnole (1). Le roi d'Espagne, mécon-
tent de lui, voulut le remplacer ; mais au lieu de nommer un
Espagnol à sa place, il s'adressa à Louis XIV pour avoir un
autre général, et ce poste important fut confié au maréchal
Tessé, un Français (2). Un peu plus tard, Berwick fut rappelé
à Madrid et reçut Tordre de se mettre à la tête des troupes
espagnoles et de défendre Estramadure en Castille (5). Il le
fit avec succès, et à la bataille d'Àlmansa qu'il livra en 1707,
il battit l'ennemi, détruisit le parti du prétendant Charles (4)
(4) Voyez Bacallar, Comentarios de la Guerra de EspaHa, t. 1, pag. 437, 466, où il est
appelé « el Daque de Bervich. » Voici ce qu'il dit lai-méme ; « J'arrivai à Madrid le 45 février
(4701), où d'abord S. M. catholique me fit capitaine général de ses armées. ■ Mém. de
Berwich. Paris, 4778, t. I, pag. 227, et voyei pag. xxv. Personne ne pourrait supposer
ce fait d'après les observations de M. Lafnente dans son Hist. de Espafla. Madrid, 4857,
t. XVIII, pag. 80.
(2) t Philippe n'était pas content de Berwick ou plutôt il témoigna ne le pas être, et il
demanda un autre général à Louis XIV. On lui envoya le maréchal Tessé pour qui il avait
montré du penchant. » Millot, Mém. de Noailles, t. II, pag. 334. Berwick attribue sa démis-
sion à l'influence de Grammont et de la reine d'Espagne. Mém. de Berwick, t. I,
pag. 269-273. Ce qui est vrai, c'est que le nouveau général fut tout-puissant. En décem-
bre 4705, la princesse des Ursins écrit de Madrid à madame de Maintenon : t M. le maréchal
de Tessé, quand il est à Madrid, est consulté et décide sur tontes les affaires, autantpour
le moins que M. l'ambassadeur, et lorsqu'il est à l'armée il est le maître absolu non
seulement des troupes de France, mais encore de celles d'Espagne, commandant aux capi-
taines généraux, ses anciens , contre l'usage du pays. » Lettres inédites de madame de
Maintenon et de madame la princesse des Ursins. Paris, 4826, t. III, pag. 259.
(3) En 4796, < le duc de Berwick, redemandé par Philippe V, arrive à Madrid le 44 mars,
avec le titre de maréchal de France, pour défend re l'Est ramad are et la Castille, ayant ras-
semblé ce qu'il peut de troupes espagnoles, empêcha les ennemis d'entreprendre le siège de
Badajoz. » Millot, M ém. de Noailles, t. Il, pag. 387. Philippe » pria le roi, son grand-père, d'en*
voyer un général pour commander sur les frontières de Portugal. Ce fut donc sur moi que
le choix tomba. » Mém. de Berwick, 1. 1, pag. 305.
(4) Dans un ouvrage publié récemment (Mem. de Peterborough. Lond., 4853, t. I,
pag. 448,455,464,206,240; t. II, pag. 34, 93), on ne se contente pas d'appeler Charles le roi
d'Espagne (ce qu'il n'a jamais été, car l'Espagne a toujours refusé de le reconnaître), mais
en dépit de l'histoire on dit de lui Charles III, tandis que Philippe V n'est que c Philip of
Anjou, t Si l'on admettait cela, il en résulterait que celui que les Espagnols appellent
Charles III, aurait à changer son nom et deviendrait Charles IV, et Charles IV serait
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 95
et affermit le trône de Philippe (1). La guerre continua
néanmoins; aussi Philippe écrivait-il en 1710 à Paris pour
demander un autre général en désignant le duc de Vendôme
comme celui qui lui serait tout particulièrement agréable (2).
Cet habile commandant, aussitôt arrivé, ranima les conseils
espagnols et défit complètement les alliés (3). Si bien que la
guerre, qui assura l'indépendance de l'Espagne, dut son succès
à l'habileté d'étrangers et à ce fait que les campagnes furent
conçues et conduites non par les Espagnols eux-mêmes,
mais par des généraux anglais et français.
Il en fut de même pour les finances. À la fin du dix-sep-
tième siècle, elles étaient dans un tel désordre, que Porto-
Charles V. II est vraiment ridicule que de simples biographes se permettent de créer ainsi
des obstacles dans le vaste champ de l'histoire pour y faire place à leurs préférences et
cherchent à en déranger les nomenclatures, parce qu'ils se sont pris de passion pour le héros
dont ils écrivent la vie.
(1) « This victory established the throne of Philip. » Dunham,/ft*l. ofSpain, t. Y,
pag. 436. t A victory which maybejustly saidtohavesavedSpaio.» Coxe, Bourbon Kings
ofSpain, 1. 1, pag. 408. Ortiz lui-même reconnaît que si Berwiek avait été battu, le roi Phi-
lippe aurait été perdu : t Esta batalla de Aimansa, que las circunstancias hicieron ruidosa,
comenzô à poner mejor la corona de Espana en la cabeza de Felipe V ; y se tuvo por indubi-
table que si la hubiera*perdido, tambien hubiera perdido la corona.» Ortiz, Compendio,
t. VII, pag. 416. Voyez aussi Lafuente, Hist. de Espana, t. XVI II , pag. 485. « Berwiek, à
quien, sin duda, debiô su salvacion la Espana. >
(2) c Sa réputation étoit grande et bien établie; le roi d'Espagne avoit été témoin de sa
conduite en Lombardie; il demanda au roi un général si capable de commander ses
armées. » Mém. de Torcy, 1. 1, pag. 386. Voyez aussi Hist. of Alberoni. Lond., 4719,
pag. 45. « Le duc de Vendôme alloit enfin commander les troupes d'Espagne. » Mém. de
Nouilles y t. III, pag. 12. A en croire Berwiek, l'offre lui fut faite d'abord. Mém. de Berwiek,
t. II, pag. 106, 109. M. Lafuente, sans citer son autorité, dit (Hist. de Espana, t. XVIII,
pag. 279) : c Luego que se perdio la batalla de Zaragoza escribiô Felipe al rey Cristianisimo,
su abuelo, rogândole que, ya que no pudiera socorrerle con tropas, le enviira al menos al
duque de Berwiek 6 al de Vendôme. » Mais, comme Berwiek doit avoir eu les moyens de
connaître le fait mieux que personne, il doit avoir raison quand il dit qu'on s'adressa
d'abord à lui »
(3) « Vendôme arrived at this moment to call into action the spirit of the monarch and
the zeal of his subjects. » Coxe, Bourbon Kings ofSpain, t. U, pag. 41. t The arrivai
of the Duke de Vendôme again changea the fate of Spain. > Memoirs of Peterborough ,
t. Il, pag. 130.
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96 HISTOIRE
Carrero qui à l'avènement de Philippe Y était ministre de
nom en Espagne, exprima le désir de les voir administrées
par quelqu'un envoyé de Paris pour les rétablir (1). 11 sen-
tait qu'il n'y avait en Espagne personne qui fût à la hauteur
de cette tâche, et il était loin d'être le seul de cette opinion.
En 1701, Louville écrivit à Torcy, que si un financier ne
venait pas bientôt de France, il n'y aurait bientôt plus de
finances à administrer (2). Le choix tomba sur Orry qui
arriva à Madrid dans Tété de 1701 (3). Il trouva toutes
choses dans le plus misérable état, et l'incapacité des Espa-
gnols lui parut si évidente, qu'il se vit contraint de prendre
non seulement la gestion des finances, mais aussi celle du
département de la guerre. Pour sauver les apparences, Cana-
lez fut ostensiblement ministre de la guerre en titre ; mais
comme il était de la plus complète ignorance en tout ce qui
concernait les affaires, il ne faisait que la besogne courante
du département que dirigeait en réalité Orry lui-même (4).
(1) c Portocarrero, abrumado con las dificultades de la gobernacion , que excedian en
mucho à sus escasas laces, no contente con haber indacido al rey à qne aumentàra sn con-
sejo de gabinete con dos ministros màs, qne fneron el marqués de Mancera, présidente del
de Aragon, y el duqoe de Mont alto, del de Italia, pidiô à Luis XIV le enviàra nna persona
qne pudiera establecer nn plan de hacienda en Espana, y cor régir y reformar los abuses
de la administracion. » Lafnente, Hist. de Espafia, t. XVIII, pag. 15. Le 22 jnin 1701,
Louis XIV écrit an dnc dUarcourt : i Qu'enfin le cardinal Porto-Carrero m'a fait demander
quelqu'un intelligent en matière de finances pour voir et connoître l'état de celles du roi
d'Espagne, ponr examiner les moyens les plus propres de soulager ses sujets et de pourfoir
aux plus pressans besoins du public; qu'il m'assure que toute l'Espagne le désire en
général: toutes ces raisons m'ont déterminé à choisir le sieur Orry pour l'envoyer à Madrid.»
Millot, JUém. de NoaiUes, t. II, pag. 44.
(2) t II faudra que l'homme que tous enverrez pour les finances (car vous aurex la
bonté d'en envoyer un ou bien nous n'aurons plus de finances).* JUém. de Louville, 1. 1,
pag. 149.
(3) Jbid., 1. 1, pag. 181.
(4) « Canalez, qu'on a substitué à Rivas pour le département de la guerre, n'a aucun talent
pour cet emploi, selon l'instruction, et toute l'Espagne voit clairement qu'Orry ne le lui a
procuré qu'afiu d'en exercer les fonctions sous le nom d'un Espagnol. » Millot, JUém. de
NoaiUes, t. III, pag. 305. En l'anriee 1704. Voyez aussi sur le pouvoir d'Orry au département
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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 97
Cette domination française continua sans interruption
jusqu'au second mariage de Philippe Y, en 1714, et jusqu'à
mort de Louis XIV, en 1715, deux événements qui affai-
blirent considérablement son influence et la détruisirent
même pendant quelque temps. Cependant l'autorité perdue
par les Français ne fut pas transmise à des Espagnols, mais
à d'autres étrangers. Entre 1714 et 1726 les deux hommes
les plus puissants, les plus éminents en Espagne furent Âlbe-
roni, un Italien, et Ripperda, un Hollandais. Ripperda fut
congédié en 1726 (1) et après sa chute, les affaires d'Espagne
furent confiées à Konigseg un Allemand, qui était ambassa-
deur d'Autriche à Madrid (2). Grimaldo même qui fut aux
affaires avant et après le renvoi de Ripperda, était un disciple
de l'école française, il était venu avec Orry (3). Tous ces
de la guerre, Mem. de Berwick, t. 1, pag. 226, 227,306, 316; t. II, pag. 166. Berwick détes-
tait Orry ; il dit de toi (t.&lpag. 232) : t II se mêlait de tout etfaisait tout. » Mais il n'est pas
douteux qu'il oe fût un homme des plus habiles, ot M. Lafuente (Utit. de Espanu. Madrid.
1857, t. XIX, pag. 253) avoue naïvement c es lo cierto que hizo abrir mucho les ojos de los
espanoles en materia de administracion. » Comparez t. XVIII, pag. 369; Ment, du duc de
Saint-Simon. Paris, 1842, t. VII, pag. 102, 195, et Bacallar, Comentarios de la Guerra
de EspaHa, 1. 1, pag. 82, 83, 99, 168; t. II, pag. 95, 107. Bacallar le traite durement.
(1) Ripperda, Memoirs. Lond., 1740, 2* édit., pag. 117, 118, Saint-Simon (Mémoires,
t. XXXVI» pag. 246) dit que Ripperda était c premier ministre aussi absolu que le fut jamais
son prédécesseur Alberooi. Les pamphlétaires et les écrivains politiques du dernier siècle
ont été injustes envers Alberooi. Ce ministre, malgré la témérité dangereuse de sa nature,
fut l'un des meilleurs ministres qui gouverna l'Espagne. M. Lafuente, tout en reconnaissant
ses torts, dit (Hist. de Espana, t. XIX, pag. 437, 43t) : «Negarle gran capacidad séria una
gran injasticia. Tampoco puede disconocerse que réanimé y régénéré laEspana, leventàn-
dota a un grado de esplendor y de grandeza eu que nunca se habia vuelto à vez desde los
mejores tiempos de Felipe II. » Voyez aussi un bon résumé de ce qu'il fit pour l'Espagne
dans Tapia, Hist. de la Civilizacion Espafiola. Madrid, 1840, t. IV, pag. 50, 51.
(2) « The all-powerfui Konigseg. » Goxe, Bourbon Rings of Spain, t. III, pag. 154.
t The prince mover of the Spanish counsels. » Pag. 159. En 1727-28 : « Konigseg usurped the
control over every opération of government. > Pag. 190, et voyez pag. 235. Le grand pou-
voir dont il jouissait est aussi signalé dans Lafuente {Hist. de Espalla, t. XIX, pag. 71) :
c El nombre de mas influjo y valimiento en la corte. »
(3) c Originally a clerk under Orri, he gained the favour of his employer, » etc. Coxe,
Bourbon Kings ofSpain, t. III, pag. 39. Coxe eut communication d'une grande quantité
de lettres écrites au dix-huitiéme siècle par des personnages qui se rattachaient à l'Espagne
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98 HISTOIRE
faits oe furent pas te résultat d'accidents fortuits, ils ne te
furent même pas des caprices de la cour : l'esprit national
était mort en Espagne, et des étrangers, imbus des idées
étrangères, pouvaient seuls se montrer à la hauteur des de-
voirs qui incombaient au gouvernement. Aux autorités que
j'ai déjà cités sur ces faits, j'ajouterai encore deux autres
témoignages. Noailles, très bon juge en ces matières, qui
n'était nullement prévenu contre les Espagnols, affirme posi-
tivement que leur dévoùment au roi n'empêchait pas
qu'ils ne fussent incapables de gouverner tant ils étaient
ignorants dans Fart de la guerre ou de la politique (1).
En 1711, Bonnac dit qu'on avait pris la résolution de ne pins
mettre d'Espagnol à la tête des affaires parce que ceux qu'on
avait employés jusque-là s'étaient montrés incapables ou infi-
dèles^).
Le gouvernement d'Espagne, enlevé aux espagnols, com-
mença à se relever. Les changements furent petits, mais la
direction fut bonne, et si, comme nous le verrons plus tard,
ils furent impuissants à opérer la régénération de l'Espagne,
c'est que les causes générales dominantes ne purent être
détruites. Cependant l'intention était bonne; et les premiers
efforts tendirent à revendiquer les droits des laïques, et
et dont un grand nombre sont encore inédites. Ce livre est très estimable, et comme récit
des événements politiques il est supérieur à tontce que les Espagnols ont produit, quoique
l'auteur, ai-je besoin de le dire? soit bien inférieur à M. Lafaente comme écrivain et même
comme artiste par la manière dont il groupe les faits.
(1) « Que les Espagnols depuis longtemps ignoroient la guerre et la politique ; qu'on devoit
être sensible à leurs démonstrations d'attachement et de zèle, sans les croire suffisantes
pour soutenir un État • » l'incapacité des sujets pour le gouvernement. « Millot,
Mém. de Noailles, t. III, pag. 24, 25.
(2) c C'était un parti pris, comme l'observe Bonnac, de ne plus mettre le gouvernement
entre leurs mains. On avoit trouvé parmi eux peu d'hommes capables des grands emplois :
ceux à qui on les avoit confiés , malheureux ou infidèles, avoient inspiré de l'éloignement
pour les autres. > Millot, Mém. de Noailles, t. III, pag. 81.
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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 99
à diminuer l'autorité des ecclésiastiques. A peine les Fran-
çais eurent-ils établi leur domination, qu'ils suggérèrent
l'idée de pourvoir aux premiers besoins de l'État, en obligeant
le clergé à abandonner une partie des richesses qu'il avait
accumulées dans les églises (1). Louis XIY lui-même insista
pour que le poste important de président de la Gastille ne
fût pas confié à un ecclésiastique, parce que, dit-il, en Espagne
les prêtres et les moines n'avaient déjà que trop de pou-
voir (2). Orry, dont l'influence pendant plusieurs années fut
immense, l'exerça dans le même sens. Il s'efforça de dimi-
nuer les immunités du clergé quant aux taxes et aussi quant
à son exemption de toute juridiction laïque. Il s'opposa au
privilège du sanctuaire ; il chercha à dépouiller l'Église du
droit d'asile. Il alla jusqu'à attaquer l'inquisition et agit si
puissamment sur l'esprit du roi, que Philippe fut sur le point
de suspendre ce terrible tribunal et d'abolir l'office de grand
inquisiteur (3). Il abandonna bientôt cette idée et il eut
grand'raison ; car il n'est pas douteux que, si elle eût été
mise à exécution, elle eût donné lieu à une révolution dans
laquelle Philippe eût probablement perdu la couronne (4).
(4) En 4701 : t Les églises d'Espagne ont des richesses immenses en or et en argenterie
qui augmentent tons les jonrs par le crédit des religieux, et cela rend l'espèce très rare dans
le commerce. On propose d'obliger le clergé à Tendre une partie de cette argenterie. Ayant
que de prendre ce parti, il en faùdroit bien examiner non seulement l'utilité, que l'on con-
noit , mais anssi les inconvéniens qu'un pareil ordre ponrroit produire. » Millot, Mém. de
NoaiUeSj t. II, pag. 60.
(2) c II insistoit sur la nécessité de ne pas donner à un ecclésiastique ni à une créature
du cardinal la présidence de Gastille, quand on rempliroit cette importante place; les
prêtres et les moines n'avoient déjà que trop de pouvoir. » Millot, Mém. deNoailleSj t. II,
pag. 77. Comparez pag. 74,72, une lettre de Lonville à Torçy datée du 5 août 4704.
(3) Coxe, Bourbon Kings of Spain, t. II, pag. 463-465; Mém. de Noailles, t. III,
pag. 443.
(4) En 4744, Philippe V n'ayant pas eu le bénéfice d'une éducation espagnole, on jugea
nécessaire de l'éclairer sur l'inquisition. On lui apprit donc que i la pureza de la religion
Catôlica en estos reynos se debia à la vigilancia de la Inquisicion y sus ministros , todos
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400 HISTOIRE
En pareil cas, la réaction se serait faite et l'Église en serait
sortie plus forte que jamais. Cependant plusieurs choses
se firent pour l'Espagne malgré les Espagnols eux-mêmes (i).
En 4707, le clergé se vit forcé de céder comme contribua
tion à l'État une petite part de ses énormes richesses,
quoiqu'on voulût bien déguiser la taxe sous le titre d'em-
prunt (2). Dix ans plus tard, sous l'administration d'Albe»-
roni, on mit fin à cette hypocrisie, et le gouvernement ne se
contenta pas de percevoir ce qu'on appelait alors « la taxe
ecclésiastique, il fit mettre en prison ou exiler tous les prê-
tres qui refusaient de payer en se fondant sur les privilèges
de leur ordre (3). C'était là une décision hardie à prendre en
justos, clémentes y circunspectos, no rigidos, violentos ni crueles, como por error ô malicia
lus pintan oomnnmente los Franeeses. Y que la eonservacion de la monarquia depeadia
eo gran parte de mantener ilibata la religion catôlica. » Ortiz, Compendio, t. VII, pag. 286.
Bacallar (Gomentarios, t. II, pag. 423425) lait nn récit intéressant des attaques aux droits
de l'Église, lesquels, dit-il (pag. 122), étaient « poco ajastados à la doctrina de los Santos
Padres, à la Inmanidad de la Iglesia, y qne sonaban à heregia. ■ Il ajoute avec intention
( pag. 125) : « Los pneblos de Espana, qne son tan religlosos, y professan la mayor venera»
cion à la Iglesia, creian qne esta se atrapellaba y huvo alguna interna inquietud no
sin fomento de los adveivos al Rey, cuyo puro, y sincero corazon podia ser enga-
Hado; pero no indncido à un eridente error contra los sagrados caoones,i etc. De pareils
passages, tirés du dix-huitième siècle et venant du marquis de San Phelipe, ne sont pas de
peu d'importance pour l'histoire espagnole.
(1) Dès le mois de mai 1702, Philippe V, dans une lettre à Louis XIV, se plaint de ce que
les Espagnols lui font de l'opposition en toutes choses, c Je crois être obligé de tous dire
que je m'aperçois de plus en plus du peu de xèle que les Espagnols ont pour mon service,
dans les petites choses comme dans les grandes, et qu'ils s'opposent à tout ce que je désire. •
Mil lot, Mém. de Noailles, t. II, pag. 136. Le dégoût qu'inspiraient aux Espagnols les
réformes libérales préconisées par les Français alla en augmentant jusqu'en l'année 1709.
« Se renovaron los antiguos odios entre las dos nationes,con tanto ardor, que deseaban las
tropas Espanolas el haber de combatir con los Franeeses. ■ Bacallar, Comentarios, 1. 1,
pag. 360.
(2) « L'opulence de l'Église devait évidemment fournir des secours à la patrie. Un
emprunt de quatre millions, fait sur le clergé l'année précédente de 1707, avait cependant
fort déplo au pape ou à ses ministres. » Millot, Mém. de Noailles, t. II» pag. 412.
(3) Il (Àlberoni) c continuée also the exaction of the ecclesiastical tax, in spite of the
papal prohibitions, imprisoning or banishing the refractory priests who defended the pri-
vilèges of their order. • Coxe, Bourbon Kings ofSpain, t. U, pag. 288.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 101
Espagne, et pas un Espagnol ne s'y fût hasardé. Mais Albe-
roni était étranger ; les traditions du pays ne lui étaient pas
familières, et dans une autre circonstance mémorable il osa
les braver. Le gouvernement de Madrid, agissant toujours
dans un accord parfait avec l'opinion publique, s'était con-
stamment refusé à traiter avec les infidèles : les infidèles,
c'étaient tous les peuples dont les idées religieuses diffé-
raient des leurs. Il était arrivé que de semblables négocia-
tions n'avaient pu être évitées, mais on les avait entamées
avec crainte et en tremblant que la foi immaculée des Espa-
gnols ne se vît entachée par un trop grand contact avec les in-
croyants. Même en 1698, quand il fut évident pour tous que
la monarchie était agonisante et que rien ne pouvait la
sauver des étreintes de l'ennemi, le préjugé était si fort que
les Espagnols refusèrent le secours que leur offraient les
Hollandais parce que les Hollandais étaient des hérétiques.
A cette époque la Hollande avait les relations les plus in-
times avec l'Angleterre, qui avait intérêt à assurer l'indé-
pendance de l'Espagne contre les machinations de la France.
Le fait ne pouvait être mis en doute ; cependant les théolo-
giens espagnols ayant été consultés sur cette proposition,
déclarèrent qu'elle n'était pas admissible, parce qu'elle offri-
rait aux Hollandais des moyens pour propager leurs opi-
nions religieuses, et qu'au point de vue religieux il valait
mieux être vaincu par un ennemi catholique qu'être secouru
par un ami protestant (1).
(1) Le 2 janvier 1698, Stanhope, ministre d'Angleterre à Madrid, écrit de cette capitale :
i This coort is not at ail inclined to admit the offer of the Dutch troops to garrison their
places in Flanders. They hâve consulted their theologians , who déclare against it as a
matter of conscience, since it wonld give great opportunités to the spreadiog of heresy.
They hâve not yet sent their answer ; but it is believed it will be in the négative, and that
they will rather choose to lie at the mercy of the French, as being Catholics. > Manon,
Spain under Charles II, pag. 98, 99.
T IV. 7
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102 HISTOIRE
Cependant si les Espagnols haïssaient les protestants, ils
haïssaient plus encore les mahometans (1). Ils ne pouvaient
oublier que les adeptes de cette croyance avaient autrefois
conquis presque toute l'Espagne, et que pendant plusieurs
siècles ils étaient restés .les maîtres des plus belles parties
du pays. Ce souvenir fortifiait leur animosité religieuse et
faisait d'eux les principaux soutiens de presque toutes les
guerres contre les mahometans de la Turquie ou de
l'Arabie (2). Mais Alberoni, comme étranger, était peu sen-
sible à toutes ces considérations, et, à la grande stupéfaction
de toute l'Espagne, se faisant une loi de la nécessité poli-
tique, il ne fit pas plus de cas des principes de l'Église que
s'ils n'avaient jamais existé et il conclut une alliance avec les
mahometans et leur fournit des armes et de l'argent (3). Il
(1) • Entre el catolicismo y las différentes seetas qne brotaron en las tmaginaciones 4e
Cal vino y de Lutero podia mediar tolerancia, y aun transaction, si bien, corao dice un escri-
tor politico , cnando se comienza à transigir sobre un prineipio, ese principio comienza à
perdef sn imperio sobre las sociedades bnmanas. Pero entre el cristianismo de los Espa-
noles y el mahometismo de los Moriscos era imposible todo avenimiento. » Janer, Condi-
tion Social de los Moriscos. Madrid, 1857, pag . 113.
(2) Le marquis de San Phelipe, qui écrivit en 1725, dit : ■ Es ley fondamental de los
Reyes Catholicos, nunca hacer la paz con los Mabometanos ; y esta guerra permanece desde
01 Rey Don Pelayo, por mas de siete siglos, sin bacer jamàs paces, ni tregaas coq ellos,
como cada dia las hacen el Emperador, y otros Principes Calbolicos. » Bacallar, Comen-
tarios de la Guerra de Espaiia, t. II, pag. 169. Dans Pour rage qui eat le plus d'influence
et que produisit le règne de Philippe V, je trouve le passage instructif qui suit : « Aunque
en los Puertos de las dilatadas Costas, que de Europa, Àsia y Àfrica bana el Mediterraneo,
se bace comercio muy considérable, y util por diversas naciones, no podrà Espana tener
gran parte en él, mientras se observare la maxima de hacer continua guerra â todos los
Moros y Turcos, en cuyo dominio se hallan la mayor parte de aquellas Provincias; sin
embargo de ser constante, que en esta guerra, aunque procedida de zelo chrisliano,
es mayor el dafto que recibimos, que el que ocasionamos à los inficles (la manière
dont l'esprit mercantile se montre ici est des plus curieuses) à lo menos de machos anos à
esta parte, como lo he explicado en diversos capitulos. ■ Uztariz, Theorica y Practica
de Comercio. Madrid, 1757, pag. 399. Cette édition est la troisième de ce livre qui, si l'on
considère les circonstances dans lesquelles il fut écrit, est une œuvre remarquable.
(3) Comparez Coxe, Bourbon Kings ofSpain, 1719, pag. 119, 353, et Bacallar, Comen-
tarios de la Guerra de Espaiia, t. II, pag. 168, 169. L'indignation que causa cette con-
duite peut facilement se comprendre, et Alberoni, se voyant en péril, profita du secret des
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DE LA CIVILISATION J3N ANGLETERRE. 103
n'est que trop vrai qu'en agissant ainsi Alberoni se mit sou-
vient en opposition avec le sentiment national et qu'il vécut
pour se repentir de sa hardiesse. Mais il est vrai aussi que
sa politique fut l'expression d'un grand mouvement séculier
antithéologique qui se fit sentir dans toute l'Europe pen-
dant le dix-huitième siècle. Ce mouvement eut son contre-
coup sur le gouvernement espagnol, mais le peuple ne le
sentit pas. C'est qu'à la tête du gouvernement, pendant un
grand nombre d'années, s'étaient trouvés des étrangers ou
bien des habitants du pays imbus de l'esprit étranger. Et
c'est pourquoi aussi pendant la plus grande partie du dix-
huitième siècle on voit les hommes politiques de l'Espagne
former une classe à part, vivant, si je puis m'exprtmer ainsi, de
ses seules ressources intellectuelles bien plus que les hommes
politiques d'aucune autre nation à la même époque. Que ce
fait indiquât un état maladif et prouvât que le progrès en
-politique ne produit de bien réel qu'autant que le peuple le
désire avant qu'il lui soit imposé, c'est ce qui sera admis
par quiconque a compris les leçons que renferme l'histoire.
Nous en verrons bientôt les résultats en Espagne. Mais il
convient que je prouve encore par quelques exemples à quel
point l'influence de l'Église avait abaissé l'esprit national et
comment, en décourageant toute curiosité, en enchaînant
toute liberté de la pensée, elle avait fini par réduire le pays
à un tel état, que les facultés du peuple, rouillées par le dé-
Uêgdciations pour en nierune partie ou tout au moins pour nier les accusations formulées
contre lui. Voyez sa lettre pleine d'indignation et cependant très prudente adressé** an
pape dans Hxst. of Alberoni, 1719, pag. 124. Ortiz, qui éridemment n'avait pas cherché à
se convaincre, est si mal informé, qu'il suppose que c'est là une malheureuse accusation
contre Alberoni après sa chute. « Caïdo ya porentonces Alberoni de sa grandeza, expeiido
ignominiosamente de Ëspana , y aun perseguido por el Rey en Italia, preso en Roma per
ôrden del Papa, etc., no era dificil atribnirle culpas agenas ô no cometidas. > Note dans
Ortix, Compendio, t. VU, pag. 321.
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104 HISTOIRE
faut d'usage, étaient au dessous des services qu'on attendait
d'elles, si bien que dans toutes les branches de la vie poli-
tique, de la philosophie spéculative et des arts industriels, on
dut appeler des étrangers pour faire le travail que les Espa-
gnols étaient devenus incapables de faire eux-mêmes.
L'ignorance dans laquelle la force de l'adversité avait fait
tomber les Espagnols, et leur inactivité physique ou morale
seraient incroyables si elles n'étaient attestées de toutes les
façons et par un grand nombre de faits. Grammont, écrivant
d'après sa connaissance personnelle de l'état de l'Espagne
pendant la dernière moitié du dix-septième siècle, dit que
non seulement les classes supérieures ne connaissent rien
en fait de science ou de littérature, mais qu'elles ne savent
presque rien des événements les plus ordinaires qui se sont
passés dans leur propre pays. Les classes inférieures, ajoute-
t-il, sont également ignorantes et paresseuses; elles s'en
rapportent aux étrangers pour faire la récolte de leur fro-
ment, de leurs foins et pour la construction de leurs mai-
sons (\). Un autre observateur, qui a vécu dans la société
(1) • Leur paresse et l'ignorance non seulement df s arts et des sciences, mais quasi géné-
ralement de tout ce qui se passe hors de l'Espagne, et on peut dire même hors du lieu oà
ils habitent, vont presque de pair et sont inconcevables. La pauvreté est grande parmi eux,
ce qui provient de leur extrême paresse; car si nombre de nos Français n'aîloient faucher
leurs foins, couper leurs blés et faire leurs briques, je crois qu'ils courroient fortune de se
laisser mourir de faim et de se tenir sous des tentes pour ne se pas donner la peine de bâtir
des maisons. » « L'éducation de leurs enfans est semblable à celle qu'ils ont eue de
leurs pères, c'est à dire sans qu'ils apprennent ni sciences ni exercices, et je ne crois pas que
parmi tous les grands que j'ay pratiqués il s'en trouvât un seul qui sût décliner son nom. »
t Ils n'ont nulle curiosité de voir les pays étrangers, et encore moins de s'enquérir
de ce qui s'y passe. • Mém. du maréchal te Grammont, t. II, pag. 77, 78, 82, 83, dans
Collection des mémoires, par Petitot et Monmerqué,t. LVII. Voyez aussi Aarsensde
Sommerdyck, Voyage d'Espagne. Paris, 1665, in-4% pag. 124. «La terre mesme n'y est pas
toute cultivée par des gens du pays ; au temps du labourage, des semailles et de la récolte,
i t leur v ient quantité de paysans du Béarn et d'autres endroits de France qui gagnent beau-
coup d'argent pour mettre leurs bleds en terre et pour les recueillir. Les architectes et
charpentiers y sont aussi pour la plupart eslrangers,qui se font payer au triple de ce qu'ils
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 105
de Madrid et qui la juge telle qu'elle existait eu l'année 1679,
nous assure que des hommes occupant les positions les plus
élevées, ne trouvaient pas nécessaire que leurs fils étu-
diassent, et queceux qui se destinaient à la carrière des armes
ne pouvaient pas apprendre les mathématiques , car il n'y
avait ni école où Ton pût les apprendre, ni maîtres pour les
enseigner (1). Les livres étaient regardés comme tout à
fait inutiles, à moins que ce ne fussent des livres de dévo-
tion; personne n'en faisait collection, et jusqu'au dix-hui-
tième siècle, Madrid ne posséda pas une seule bibliothèque
publique (2). Cette même ignorance régnait dans les villes
connues pour se dévouera renseignement. Salamanque était
le siège de la plus ancienne et de la plus fameuse université
d'Espagne, et c'est là, ou nulle part, qu'il faut chercher l'en-
couragement donné à la science (3). Eh bien, de Torres
gagneraient en leur pays. Dans Madrid on ne voit pas nn portenr d'eau qui ne soit estran^er,
et la plupart des cordonniers et tailleurs le sont anssi. »
(1) «Mais anssi de quelle manière les élève-t-on? Ils n 'étudient point; on néglige de leur
donner d'habiles précepteurs; dés qu'on les destine à l'épée, on ne se soucie pas qu'ils
apprennent le latin ni l'histoire. On devroit au moins leur enseigner ce qui est de leur %
mestier, les mathématiques, à faire des armes et à monter à cheval. Ils n'y pensent seule-
ment pas. Il n'y a point ici d'académie ni de maîtres qui montrent ces sortes de choses.
Les jeunes hommes passent le teins qu'ils derroient emploïer à s'instrnire dans une oisiveté
pitoïable. • Lettre de Madrid, datée du 27 juin 1769, dans d'Aulnoy, Relation du voyage
d'Espagne. Lyon, 1693, t. If, pag. 232, 233.
(2) « Madrid étant la capitale d'une monarchie aussi vaste, il n'y eut dans cette ville
jusqu'à l'époque du régne de Philippe V aucune bibliothèque publique. » Sempere, de la
Monarchie espagnole. Paris, 1826, t. II, pag. 79.
(3) L'université fut transférée de Palencia à Salamanque dans les premières années du
treizième siècle. Forner, Oracion Apologética por la Espaila. Madrid, 1786, pag. 170.
Elle était déià très prospère au commencement du quinzième siècle (Sempere, de la Momtr-
chie espagnole, 1. 1, pag. 65), et en 1535 on dit que c'était * a great university conteyning
seven or eight thonsand students. » Voyez une lettre de John Mason, datée de Valladolid le
3 juillet 1535, dans Ellis, Original Letters. Lond., 1827, 2* série, t. II, pag. 56. Mais, comme
tout ce qui valait quelque chose en Espagne, elle tomba au dix-septième siècle, et Monconys,
qui l'examina en détail en 1688 et qui fait l'éloge de quelques-unes des dispositions encore
en usage alors, ajoute : « Mais je suis aussi contraint de dire après tant de louanges, que les
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106 HISTOIRE
qui cependant était Espagnol et qui fit son éducation à
Salamanque, dans les premières années du dix-huitième
siècle, déclare qu'il a suivi l'université pendant cinq ans,
sans même se douter de l'existence des sciences mathé-
matiques (1). Jusqu'en Tannée 1771 , cette même uni-
versité se refusa publiquement à laisser enseigner les
découvertes de Newton, donnant pour raisons que le sys-
tème de Newton ne concordait pas avec la religion rêvé*
lée, aussi bien que le système d'Aristote (2). Dans toute
écoliers qui étudient daoi cette université sont des vrais ignoras». » Les Voyage» de
M. de Moncony8. Paris, 1695, 4* partie, t. V, pag. 22. Cette ignorance dont Blonconys non»
donne plusieurs exemples très curieux n'empêche pas les écrivains espagnols de cette
époque, et de bien longtemps encore après, de dire de l'université de Salamanca que c'est la
plus grande institution de ce genre dans le monde entier. « La mayor del orbe, madré glorio-
sisima de todas las ciencias y de los mas véhémentes ingenios, que han ilustrado las edades.»
Vida deCalderon de la Barca, pag. m,iv, réimprimée dans l'édition de Keil de Calderoo.
Leipzig, 1827. Comparez Davila (Felipe Tercero, pag. 81) : iSalamanca madré de ciencias
y letras. > Yanez (Mcmorias, pag. 228) : « Universidad insigne, y Officina de las bnenas
Letras de Espana. • Baeallar (Comentarios, 1. 1, pag. 238) : t El emporîo de las ciencias. »
Et Ximenez (Vida de Ribera, pag. 6) : Salamanea, cathedra uni versai de las Arles, y
emporio de todas ciencias. ■
(1) « Says that after ne had been fi ve years in one of the schools of the University there,
it vas by accident he learned the existence of mathematical sciences, t Ticknor, Hist. of
* Spanisn Literature, 1. 111, pag. 223. Un célèbre auteur espagnol se vante au dix-huitième
siècle de l'ignorance de ses compatriotes dans les mathématiques, et trouve dans la négli-
gence qu'ils mettent à s'instruire dans cette science la preuve de leur supériorité sur les
autres peuples. • No so deie deslumbrar con los àsperos calcules é intrincadas demostra-
ciones geometricas, con que, astuto ni entendimiento disimula el engano con los disfraces
de la verdad. El uso de las matemàticas es la alquimia en la fcsica que da apariencias de
oro à lo que no lo es. > Forner, Oracion Afohgética por la Espafta y su Mérito Lite-
rario. Madrid, 1786, pag. 38. Comparez sa notice méprisante (pag. 66) sur ees geos insi-
gnifiants qui « con titulo de filosofos han dado algun aumento à las matemàticas, > et sa
comparaison (pag. 222) de Mercada avec Newton.
(2) « L'université de Salamanque, excitée par le conseil à réformer ses études en l'an-
née 1771, lui répondit • qu'elle ne pouvait se séparer du péripatétisme, parce que tes sys-
tèmes de Newton, Gassendi et Descartes ne concordent pas autant avec les vérités révélées
que ceux d'Aristote. îSempere, Monarchie espagnole, 1. 11, pag. 152. Cette réplique, dit
M. Sempere (pag. 153) se trouve • dans la collection des ordonnances royales. > Dans les
Letters from Spain by an Bnglish Oflicer. Lond», 1788, il est dit que dans toutes les
universités espagnoles « Newton and modem phitosophy is still prohibited. Nothing can
supplant Aristotle and the superstitions fatbers and doctors of the Chureh. »
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 107
l'Espagne on suivait le même programme d'études. Partout
la science était méprisée, les recherches découragées. Feijoo
qui, en dépit de sa superstition et d'une dose de servilité
dont aucun Espagnol de cette époque ne pouvait se dé-
fendre, et<qui ebercha à éclairer ses compatriotes en matière
de science, a laissé le souvenir de son opinion dans l'his-
toire, et il prétend que quiconque aura appris tout ce que Top
enseignait de son temps sous le nom de philosophie, se trou*
vera, pour récompense de tout son travail, plus ignorant
quand il l'aura fini qu'en commençant (1). Et Ton ne peut
douter qu'il ne fût dans le vrai. L'on ne peut douter qu'en
Espagne plus un homme recevait l'enseignement donné,
moins il savait. Car on lui apprenait que l'esprit de re-
cherche était coupable, que l'intelligence doit être bridée,
que la crédulité et l'obéissance sont les premiers attributs
de l'homme. Le duc de Saint-Simon, ambassadeur de
France à Madrid, en 1724 et 1722, résume ses observations
en disant qu'en Espagne la science est un crime et l'igno-
rance une vertu (2), Cinquante ans plus tard, un homme
d'une grande finesse d'esprit, frappé d'étonnement à la vue
de l'état de l'esprit national, exprime son opinion daps une
phrase aussi sentencieuse et presque aussi sévère. Cherchant
une comparaison qui donne une idée de l'obscurantisme gé-
(1) On, comme il le dit loi-môme, ne savait que « very Utile more thao nothing. » « El
que estndiô Logica, y Metaphysica, cou lo demàs que, debaxo del nombre de Philosofia, se
ensena en las Escaelas, por bien que sepa todo, sabe muy poco mas que nada; pero suena
mncho. Dicese, que es un gran Pbilosofo; y no es Philosofo grande, ni chico. » Feijoo,
Theatro Critico Univwsal. Madrid, 1741, t. II, pag. 187, 5* édit.
(2) t La science est un crime, l'ignorance et la stupidité la première vertu. > Mém. dv>
dm de Saint-Simon. Paris, 1840, t. XXXV, pag. 209. Ailleurs ( t. XXXVI, pag. 252) il dit :
< Les jésuites savants partout et en tout genre de science, ce qui ne leur est pas même dis-
puté par leurs ennemis, les jésuites, dis-je, sont ignorants en Espagne, mais d'une ignorance,
à surprendre.»
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108 HISTOIRE
néral, il dit avec emphase que l'éducation ordinaire d'un
homme quelque peu comme il faut en Angleterre, constitue
en Espagne ce qu'on appelle un savant (1).
Ceux qui savent ce qu'était l'éducation ordinaire d'un
homme comme il faut en Angleterre il y a quatre-vingts ans,
apprécieront la valeur de cette comparaison et compren-
dront à quel degré un pays devait être plongé dans l'igno-
rance, pour mériter qu'on lui jette pareille insulte au visage.
On ne pouvait, en vérité, dans un tel état de choses, s'attendre
à ce que les Espagnols fissent aucune de ces découvertes
qui accélèrent la marche des nations ; ils ne voulaient même
pas des découvertes des autres peuples et jetées par eux
dans le droit commun. Un peuple qui se piquait par dessus
tout d'être orthodoxe et royaliste, n'avait que faire de nou-
veautés pleines de dangers à leurs yeux, car c'étaient des in-
novations dans leurs opinions.
Les Espagnols désiraient marcher dans la voie de leurs
ancêtres et ne pas voir la foi dans le passé brusquement
troublée. Dans le monde inorganique, ils rejetaient dédai-
gneusement les magnifiques découvertes de Newton ; dans
le monde organique, cent cinquante années après que Har-
vey l'avait démontrée, ils niaient encore la circulation du
sang (2). Ces choses étaient nouvelles, il valait mieux
(1) tThe common éducation of an English gentleman would constitate a man oflearning
hère; and, should he ùnderstand Greek, he would be quite a phenomenon. » Swinburne,
TraveU through Spain in 1775 and 1776. Lond., 1787, t. II, pag. 212,213,2* édit.
(2) En 1787, Townsend , homme accompli qui voyageait en Espagne dans le bat unique
d'étudier 1'é'at de la science et la condition économique du pays et qui, par des études
préalables , se mit au niveau d'une pareille entreprise, dit : il hâve observed in gênerai,
thaï the pbysicians with whom I bave had occasion to converse, are disciples of their favou-
rite doctor Piquer, wbo denied or at Ieast doubted of the circulation of the blood. » Town-
send, Journey through Spain. Lond., 1792* 2* édit., t. III, pag. 281. Cependant à cette
époque les médecins espagnols commençaient à lire Hoffmann, Cullen et d'autres théoriciens
hérétiques, dans les ouvrages desquels ils forent tout étonnés de voir que la circulation du
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 109
attendre, réfléchir, ne pas les accueillir avec trop de hâte!
Par suite du même principe, quand dans l'année 1760,
quelques hommes du gouvernement aux idées hardies pro-
posèrent de faire nettoyer les rues de Madrid ; cette audace
excita la colère générale. Ce ne fut pas seulement les gens
du peuple qui exprimèrent hautement leur blâme, les gens
qu'on qualifiait de bien élevés firent chorus avec eux. Le
gouvernement en appela au corps médical, comme ayant la
haute direction de la santé publique : le corps médical n'hé-
sita pas à donner son opinion : il n'y avait pas lieu à enlever
les immondices ; les déplacer, c'était faireune expérience dont
il était impossible de calculer les conséquences. Leurs pères
avaient bien vécu dans l'ordure, pourquoi n'y vivraient-ils pas,
eux? Leurs pères étaient des hommes sages, qui savaient ce
qu'ils faisaient. Les odeurs mêmes dont quelques personnes se
plaignaient, étaient probablement très saines, car l'air étant
vif et piquant, il était extrêmement probable que les mau-
vaises exhalaisons, en rendant l'atmosphère plus lourde,
combattaient quelques-unes de ses propriétés malsaines.
Donc les médecins de Madrid émirent l'opinion qu'il valait
mieux laisser toutes choses comme leurs ancêtres les avaient
laissées, et qu'on n'essayât, en aucune façon, de remuer les
ordures qui étaient éparpillées de tous les côtés (1).
sang était un fait reconnu qui ne soulevait même plus nne question de doute. Mais le*
étudiants devaient accepter de semblables faits de confiance: car, ajoute Townsend
(pag. 283), • in their médical classes, they hâve no dissections. • Comparez Laborde, Spain.
Lond., 1809, 1. 1, pag. 76; t. III, pag. 315, et Godoy, Memoirs. Lond., 4836, t. II, pag. 157.
Godoy, en parlant des trois collèges de chirurgie de Madrid, de Barcelone et de Cadix, dit
que jusque sous son administration, en 1793, ■ in the capital, even that of San Carlos had
not a lecture room for practical instruction. »
(1) Ce petit épisode est cité par Cabarrus dans son Elogio de Carlos III. Madrid, 1789,
in4% pag. xiv. • La salubridad del ayre , la limpieza y seguridad de las cal les. »
« Pero ? quien créera que este noble empeno produxo las mas vivas quejas : que se con-
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HO HISTOIRE
Comment supposer, quand de semblables idées avaient
cours sur la conservation de la santé (4), que Ton réussit
dans le traitement appliqué aux maladies? La saignée et lea
purgatifs étaient les seuls remèdes ordonnés par les méde-
cins espagnols (2). Leur ignorance dans tout ce qui touchait
mortô el vulgo de todas clases; y que tuvo varias autondade* à sa fa?or la extrena doctrina
de que los vapores mefiticos eran an correctivo saladable de la rigidez del climat • On
trouvera d'amples détails dans l'histoire très détaillée d* Charles 111, récemment pubjièe pat
M. Rio, dont je vais donner an oa deaz extraits : « Para la limpieza de las cal les poseia
mayores 6 menores fondos el ayantamiento, y caando el Rey qniso potier la mano en este
ramo de policf a, le preseataron dictamenes de médicos en que se defendia el absurde de se?
elemento de salobridad la basura. > Rio, HUt. del Reinado de Carlos III. Madrid, 1856,
t. IV, pag. 54. Voyez aussi 1. 1, pag. 267, 268, où l'on dit qne, quand le ministre Bsqailaehe
persévéra dans ses efforts pour faire nettoyer les rues de Madrid , cent qui s'opposaient à
cette mesure recherchèrent quelle était l'opinion de leurs pères à ce sujet. Ils trouvèrent
« que le presentaron cierta originalisima consulta heeha por los medicos bajo el reiaado
de uno de los Felipes de Austria, y reducida à demostrar que, siendo sumamente sutil el aire
de la poblacion à causa de estar prôxima la sierra de Guadarrama, ocasionaria los mayores
estragos si no se impregnara en los vapores de las inmundicias desparramadas por las
ealles. » Nous savons par un autre témoignage que cette opinion était depuis longtemps
celle des médecins de Madrid. Ce témoin, les Espagnols ne le connaissent point. Sir Richard
Wynne,*qui visita cette capitale en 1623, décrit une coutume dégoûtante des habitants; il
ajoute : « Being desirous to know why so beastly a custom is suffered, they say il's a thing
prescribed by their physicians ; for they hold the air to be so piercing and subtle, that this
kindof corrupting it with thèse ill vapoora keeps it in good temper. » The Aulobiograpkg
and Correspondence ofSir Simonds D'Elues, éditée par J. 0. Halliwell. Lond., 1845,
t. II, pag. 446.
(1) Trente ans plus tard on disait avec raison que < es menester deshacer lodo to oue h
ha hecho, » et < confiar exclusivamente el precioso depôsito de la sanidad publica à las
manos capaces de conservarlo y mejorarlo. t Carlos por el Conde de Cabarrus. Madrid,
1813, pag. 280. Ces lettres, quoique peu connues, renferment plusieurs faits intéressants
écrits en 1792 et 1793. Voyez pag. 34 et le prologue, pag. i.
(2) On préférait la saignée. Voyez-en la preuve curieuse dansTownsend,/ourna^Arow0A
Spain, en 1786 et 1787, t. Il, pag. 37-39. Townsend, qui s'entendait un peu en médecine, fut
stupéfait de l'ignorance et de l'indifférence des médecins espagnols. cThe science and prac-
tice of médecine are at the lovrest ebb in Spain, but more especially in the Àsturias. i Com-
parez Sprengel, Hist. de la médecine. Paris, 1815, t. III, pag. 21, avee Winwood, Même-
riais. Lond., 4725, in-fol., t. Il, pag. 219. La dernière citation renvoie à la « terrible purgtnj
and ietting blood • auxquelles étaient exposés les Espagnols sous le règne de Philippe U|*
Un autre auteur dit beaucoup plus tard que « la saignée leur est assez familière. Ils se la
font faire hors du lit lorsque leurs forces le permettent, et ils en usent par précaution ;
ils se font tirer du sang deux jours de suite du bras droit et du gauche, disant
qu'il faut égaliser le sang. On peut juger par là si la circulation leur est connue.
Voyages faits en Espagne, par M. M***. Amsterdam, 1700, pag. 112. Voyez encore Claire,
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. lit
aux fonctions les plus ordinaires du corps humain était des
plus inconcevables et ne peut s'expliquer que par la supposition
qu'en médecine, comme dans toutes les autres branches de
la science, les Espagnols du dix-huitième siècle n'en savaient
pas plus que leurs devanciers du seizième. Sous beaucoup
de rapports ils en savaient moins peut-être, car leur mode de
traitement était si violent que s'y soumettre pour quelque
temps seulement c'était se condamner à une mort cer-
taine (1). Leur propre roi, Philippe Y, n'osa jamais se
mettre dans leurs mains, il préféra un médecin irlandais (2).
Les Irlandais n'avaient pas grande réputation médicale/
mais tout était préférable à un docteur espagnol (3). Les
arts ressortant de la science médicale et de la chirurgie
étaient également arriérés. Les instruments étaient grossiers
et les drogues mal préparées. La pharmacie était inconnue.
Letters coneeming the Spanish Nation. Lond., 1763, iu-4% pag. G5, et Spain by an
American. Lond., 1831, t. II, pag. 321.
(1) En 1780, le pauvre Cumberiand fut aussi près qoe possible d'être tué en quelques
jours par trois de leurs chirurgiens. Le plus dangereux de ces trois assaillants n'était
cependant rien de moins que le« chief surgeon of the Guardes de corps, «qui, dit le malheu-
reux patient, fut • sent to me by anthority. » Voyez Mem. of Richard Cumberland,
written by himself. Lond., 1807, t. II, pag. 67, 68.
(2) Duclos dit de Philippe V : ■ Il étà*it fort attentif sur sa santé; son médecin , s'il eût
été intrigant, aurait pu jouer un grand rôle. Hyghens, Irlandais qui occupait cette première
place, fort éloigné de l'intrigue et de la cupidité, instruit dans son art, s'en occupait unique*
ment. Après sa mort, la reine fît donner la place à Servi, son médecin particulier. » Duclos,
Mémoires. Paris, 1791, 2* édit., t. II, pag. 200, 201. « Hyghens, premier médecin, était
Irlandais. » Mém. du duc de Saint-Simon, édit. Paris, 1841, t. XXXVI, pag. 215.
(3) On ne pouvait fermer ses yeux à ce fait que les amis et les parents succombaient sous
le traitement avec une telle rapidité, que la maladie était devenue synonyme de mort.
Aussi, malgré l'antipathie que leur inspirait la nation française, ils avaient recours aux
services de médecins français toutes les fois qu'ils le pouvaient. En 1707, la princesse des
Urains écrit de Madrid à madame de Maintenon : i Les chirurgiens espagnols sont més-
estimés même de ceux de leur nation. » Et dans une autre lettre : « Les Espagnols con-
viennent que les médecins français sont beaucoup plus savants que les leurs; ils s'en
servent même très volontiers, mais ils sont persuadés que ceux de la faculté de Montpellier
remportent sur les autres. ■ Lettres inédites de madame de Maintenon et de la prin-
cesse des Ursins, t. III, pag. 112; t. IV, pag. 90.
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112 HISTOIRE
Les boutiques d'apothicaires des plus grandes villes tiraient
leurs approvisionnements du dehors, et ce qu'on pouvait
espérer de mieux dans les petites villes et dans les provinces
éloignées de la capitale, c'est que les remèdes, tous de la
plus mauvaise qualité, ne fussent au moins pas nuisibles.
Au milieu du dix-huitième siècle, l'Espagne ne comptait pas
un seul chimiste pratique. Gampomanes lui-même certifie
que jusqu'en 1776 on ne put pas trouver dans tout le pays
un seul homme capable de fabriquer les drogues les plus
communes, telles que la magnésie, les sels de Glauber et les
préparations de mercure et d'antimoine. Cet éminent homme
d'État ajoute cependant qu'on est sur le point d'établir à
Madrid un laboratoire de chimie, et quoique cette entreprise
sans précédent dans le passé doive être regardée comme
une nouveauté monstrueuse, il exprime la confiance qu'avec
le temps elle aidera à combattre l'ignorance de ses compa-
triotes (1).
Tout ce qui pouvait être d'un usage pratique, tout ce qui
secondait les efforts de la science venait de pays étrangers.
Ensenada, le ministre bien connu de Ferdinand VI, fut
(1) Gampomanes (Apendice à la Education Popular. Madrid, 1776, t. III, pag. 74, 75),
pariant d'an ouvrage sur la distillation, dit : ■ La tercera (parte) describe la preparacion
de 108 producios quimicos sôlidos : esto es la preparacion de varias snstancias terreas ,
como argamasa, magnesia blanca, ojos de cangrejo, etc., la de varios sales, como sal de
glanbero, amonîaco, cristal minerai, borax rftfenado, etc., y la del antimonio, mercurio,
plomo, litargirio, etc., comunicando sobre todo io expresado varias noticias, que demuestran
lo mucho que conducen a los progresos del arte, las observaciones del fisico reflexivo;
unidas à la pràctica de un professor experimentado, este arte en todo su extension falta
en Espana. Solo le tenemos para aguardientes, rosolis, y mistelas. La saludpublica es
demasiado importante para depender de los estranos en casas esenciales; quando
no estimalase nuestra industria la manutencion de mucba familias. > « Gran parte
de estas cosas se introducen fnera, por no conocerse bien las operaciones quimicos. No son
dificultosas en la execucion ; pero es necesario enseitarlas y conocer los instrumentas
quesonaproposito. Un laboratorio quimico, que se va à establecer en Madrid, produ-
cira maestros para, las capitales del reyno. >
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 113
épouvanté de l'abrutissement de la nation dont il essaya,
mais inutilement, de la relever. A la tête des affaires, au
milieu du dix-huitième siècle, il reconnaît publiquement
qu'il n'y a en Espagne aucun enseignement du droit public
de la physique, de l'anatomie ou de la botanique. Ii dit en-
core qu'il n'existe point de bonnes canes d'Espagne et que
personne ne sait comment en dresser une. Toutes leurs
cartes viennent de France et de Hollande; elles sont, dit-il,
très inexactes, mais comme les Espagnols sont incapables
d'en faire, ils n'ont rien de mieux pour se guider. Il
déclare qu'un pareil état est honteux car, continue-il, avec
amertume, sans les Français ou les Hollandais aucun Espa-
gnol ne pourrait avoir une idée de la position de sa ville
natale, ni de la distance d'un endroit à un autre (4).
Le seul remède à tant de maux semblait être le secours
fie l'étranger; et l'Espagne étant tombée sous la domination
d'une dynastie étrangère, le secours était venu. Cervi établit
(1) «Sa ministro el célèbre Ensenada, que ténia grandes miras en todos los ramos de la
administration pûblica, deseaba ardientemente mejorar la ensenanza, lamentândose del
atraso en que esta se hallaba. « Es menester, decia hablando de las nniversidades, reglar
►ns câtedras, reformar las superfluas-y establecer las que f al tan con nue vas ordenanzas
para asegurar el mejor método de estudios. No se que haya catedra alguna de derecho
publico, de fisica esperimenlal, de analomia y botànica. No hay puntuales carias geogra-
ficas del reino y de sus provincias, ni quien las sepa grabar, ni tenemos otras que las
imperfecta8 que vienen de Francia y Holanda. De esto proviene que igaoramos la ver-
dadera situacion de los pueblos y sus distancias, que es una vergûenza. » Tapia, Civiliza-
cion Espanola. Madrid, 1840, t. IV, pag. 268, 269. Voyez aussi Biografia de Ensenada,
dans Navarrete, Coleccion de Opusculos. Madrid, 1848, t. II, pag. 21,22. « Le parecia
vergonzoso que para conocer la situaciOD y distancias respeclivas de nueslros mismos pue-
blos y lugares, dependiésemos de los Franceses y Holandeses, quienes por sus mapas imper-
feclas de la peninsula extraian de ella sumas considérables. » Quatre-vingt ans après que
Ensenada s'est plaint en ces termes, un voyageur parcourant l'Espagne constate que
« a décent map of any part, even of the country round the gâtes of tbe capital, cannot be
fouDd. » Cook, Spain from 1829 to 1832. Lond., 1834, 1. 1, pag. 322. Comparez Notices of
Geological Memoirs, pag. 1, à la fin de Quarterly Journal of the Geological Society.
Lond., 1850, t. VI : « Even a good geographical map of the Peninsula does nol exist. >
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114 HISTOIRE
les sociétés médicales de Madrid et de Séville ; Virgili fonda
le collège de chirurgie à Cadix et Boroles mit tous ses
efforts à propager chez les Espagnols l'étude de la minéra-
logie (1). On fit venir des professeurs de tous les pays; on
s'adressa à Linné pour qu'il envoyât de la Suède quelqu'un
qui pût donner une idée de la botanique aux étudiants en
médecine (2). Plusieurs autres mesures de cette nature
furent prises par le gouvernement dont les efforts infatiga-
bles mériteraient nos plus grands éloges si nous ne savions
combien un gouvernement est impuissant à éclairer une
nation et combien il est absolument essentiel que le désir de
progresser vienne d'abord du peuple. Le progrès ne peut
être réel s'il n'est spontané. Le mouvement pour être effectif
doit venir du dedans non du dehors; il faut qu'il procède des
casses générales agissant sur tout le pays et non de la seule
volonté de quelques individus puissants. Pendant le dix-
huitième siècle, tous les éléments de progrès furent prodi-
gués aux Espagnols, mais les Espagnols ne voulaient point
progresser (3). Ils étaient satisfaits d'eux-mêmes; ils ne dou-
taient point de la véracité de leurs opinions; ils étaient fiers
du savoir dont ils avaient hérité, ils désiraient ne point le
diminuer et ne point l'augmenter. Incapables de douter,
(1) H. Rio {Hist. del Reinado de Carlos 111, t. I,pag. 185) mentionne ce fait d'une
façon très caractéristique : « Varios extranjeros disUaguidos hnllaron fralernidad entre
{os Espailoles y correspondieron , hidalgamenle , al hospedaje : Cervi diô vida i las
socledades médicas de Madrid 7 Serilla; Virgili al colegio de Girngia de Cadix ; qner trabajo
*in descanso para que el jardin Botanico no fnera nn simple Ingar de recréa, sino principal-
mente de estadio ; Bowles comonicô grande impulse â la mineralogia, 1 etc.
(t) J'ai égaré les preuves à l'appui de ce fait, mais le lecteur peut compter sur son exac-
titude.
(3) Towosend (Journey through Spain in 1786 and 1787, t. II, pag. 275) dit : « Don
Antonio Selano, professor of expérimental philosophy, merits attention for the clearoess
and précision of his démonstrations ; bot nafortunately, although his lectures are deltrered
gratis, such is the want of taste for science in Madrid, tbat nobody attends them. >
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 115
ils ne pouvaient avoir la volonté de chercher la vérité. Les
vérités les plus nouvelles, les plus belles, transmises dans le
flos magnifique langage, le plus compréhensible, ne produi-
saient aucun effet sur ces hommes dont l'esprit était endurci
dans l'esclavage. Depuis le cinquième siècle, une succession
tton interrompue d'événements, ramenant les mêmes coïn-
cidences, avaient poussé le caractère national dans une di-
rection particulière, et ni les hommes d'État, ni les rois, ni
tes législateurs n'avaient pu quelque chose contre ce courant.
Le dix-septième siècle avait cependant été pour tous le
point culminant de l'échelle de progression. Dans ce siècle,
fa nation espagnole tomba dans une léthargie dont elle n'est
point revenue comme nation. Cette léthargie fut un som-
meil de mort, non de repos. Ce fut un sommeil dans lequel,
les facultés an lieu de reprendre des forces demeurèrent pa-
ralysées, et dans lequel aussi une torpeur froide universelle
succéda à cette activité glorieuse, quoiqu'elle ne fût pas
générale, qui avait acquis à l'Espagne un nom redoutable
et lui assurait alors le respect de ses plus cruels ennemis.
Les beaux-arts mêmes dans lesquels l'Espagne excellait
autrefois dégénéraient comme te reste, et, de l'aveu de leurs
propres écrivains, au commencement du dix-huitième siècle
ils étaient dans un état complet de décadence (1). Les
arts qui assurent la sûreté d'un peuple étaient aussi tombés
(i) «La ignorancia reioante en los uilimos aflos del siglo XVII depravô en tal manera el
ttuen gusto. que à principios del XVIII las artes se hallaban en la mas lastimosa deca-
dentia. • Tapia, Civilizacion Espafiola. Madrid, 18*0, t. IV, pag. 346. Voyez aussi snr la
décadence on plutôt sur la perte du goût, Velasquez, Origenes de la Pœsia Castellana.
Mftlaga, 1754, in-4*. c Un siglo, corrompido , en 4ue las letras estaban abandonadas, y el
buen gusto casi desterrado de toda la nation.* Pag. 70. « Al passo que la nation perdia el
buen gusto , y las letras iban caminando a su total decadencia. » Pag. 107. » Los caminos
por donde nvestros poetas en el siglo passado se apartaron del buen gusto en esta parte.
Pag. 170.
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116 HISTOIRE
que ceux qui contribuent aux plaisirs d'une nation. Il n'y
avait pas un Espagnol qui sût construire un vaisseau, pas un
qui sût le gréer quand il était construit, La conséquence na-
turelle de tous ces faits fut qu'à la fin du dix-septième, les
quelques navires que possédait l'Espagne étaient si pourris
que, dit un historien, c'est à peine s'ils pouvaient supporter
le feu de leurs propres canons (1). En 1752, le gouverne-
ment-ayant pris la détermination de rétablir la marine se
trouva dans l'obligation d'envoyer en Angleterre pour avoir
des charpentiers, et aussi des ouvriers pour faire les cordes
et les voiles, car l'habileté des habitants du pays n'allait
pas jusqu'à des industries si compliquées (2). C'est ainsi que
les ministres de la couronne, dont le talent et l'énergie, rela-
tivement aux circonstances où les plaçait l'incapacité du
peuple, étaient des plus remarquables, parvinrent à équiper
une flotte supérieure à aucune de celles qu'avait vues l'Espa-
gne depuis plus d'un siècle (3). Ils prirent aussi plusieurs
autres mesures tendant à mettre la défense de la nation
dans des conditions satisfaisantes, quoiqu'ils fussent obligés
d'avoir recours à des étrangers. L'armée de terre et la ma-
rine étaient dans le plus complet désarroi; il fallut réorgani-
ser ces deux services. La discipline de l'infanterie fut rétablie
(I) i Solo cnatro navios de linea y sois de poco porte dejaron los reyes de origen austriaco,
y lodos tan podridos que apenas podian aguantar el fuego de sas propias baterias. * Rio,
Uist. del Reinado de Carlos 111. Madrid, 1856, 1. 1, pag. 184.
• (2) c Se mandaron construir 12 navios à la vez , y se contrataron otros. Por medio de
D. Jorge Juan se trajeron de Iuglaterra los mas habiles constructores y maestros para las
f ibricas de jarcia, lona y otras. » Biografia de Ensenada, dans Na?arrete, CoUecciondé
Opùsculos. Madrid, 1848, t. II, pag. 18. M. Rio, acceptant ces faits comme choses reçues,
dit tranquillement : « 0. Jorge Juan fue à Londres para estudiar la construccion de navios. >
JlisL del Reinado de Carlos 111. Madrid, 1856, t. IV, pag. 485.
(3) M. Lafuente dit que Eusenada était le sauveur el presque le créateur de la marine
espagnole, c de la cual fué el rastaurador, y casi pudiera decirse el creador. > Lafuente,
llist. de Espaila. Madrid, 1857, t. XIX, pag. 344.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 117
par O'Reilly, Irlandais, à la surin tendance duquel furent con-
fiées les écoles militaires d'Espagne (1). A Cadix, on fonda une
grande école navale, mais à la tête de cette école fut placé
le colonel Godia, officier français (2). L'artillerie était aussi
devenue presque inutile; elle fut remontée par Maritz le
Français, et Gonzala l'Italien rendit le même service aux ar-
senaux (3).
Les mines, qui sont une des plus grandes sources natu-
relles de la richesse de l'Espagne, avaient aussi souffert de
l'ignorance et de l'apathie dans lesquelles la force des cir-
constances avait plongé le pays. Elles étaient ou complète-
ment négligées, ou si elles étaient exploitées, c'était par
des étrangers. Les célèbres mines de Cobalt, situées dans la
vallée de Gistan, en Aragon, étaient entièrement aux mains
des Allemands qui, durant la première moitié du dix-hui-
tième siècle, en tirèrent d'immenses profits (4). De même
les mines d'argent de Guadalcanal, les plus riches de l'Es-
pagne furent entreprises par des étrangers et non par des
(1) c C'est par un Irlandais aussi, O'Reilly, que la discipline de l'infanterie esl réformée. »
Bourgoing, Tableau de l'Espagne moderne, Paris, 1808, t. II, pag. 143. « Las Escuales
militares del puerto de Santa Maria para la infanteria, que dirigio con tanto acierto el
gênerai Ofarril bajo las ôrdones del con de O'Reilly. > Tapia, CivilizacionEspanolat. IV,
pag. 128.
(2) c Vino à dirigir la academia de guardias marinas de Cadix. > Tapia, Civilizacion
Espailola, t. IV, pag. 79. c Godin figuro como director del colegio de guardias marinas. »
Rio, Hist. de Carlos III, 1. 1, pag. 186. Compares Biographie universelle. Paris, 1816,
t. XVII, pag. 564.
(3) Voyez les remarques intéressantes dans Bourgoing, Tableau de l'Espagne moderne.
Paris, 1808, t. II, pag. 96, 142. C'est donc avec toute raison que, quelques années plus tard,
on reconnaît que a c'est à des étrangers que l'Espagne doit presque tous les plans, les réformes
et les connaissance* dont elle a eu besoin. » Voyage en Espagne, par le marquis de Langh,
1785, t. II, pag. 159.
(4) «Como los del pais entendian poco de trabajar minas, tinieron de Alemania algunos
pràcticos para ensenarlos. c « Los Alemanes sacharon de dicba mina por largo
tiempo cosa de 500 à 600 quintales de cobalto al ano. » Bowles, Hist. Naturalde Espafia.
Madrid, 1789, in-4% pag. 418, 419. Voyez aussi DU Ion, Spain. Dublin, 1781, pag. 227-229.
T IV. t
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118 HISTOIRE
habitants du pays. Elles avaient été découvertes au seizième
siècle, mais, comme tant d'autres choses importantes, elles
avaient été oubliées pendant tout le dix-septième, et elles
furent rouvertes par des aventuriers anglais; l'entreprise, les
instruments, le capital et les mineurs mêmes, tout venait
d'Angleterre (1). Une autre mine plus fameuse encore est
celle d'Almaden dans la Manche qui donne du mercure de la
plus fine qualité et à profusion. Ce métal, outre qu'il est in-
dispensable dans plusieurs des arts les plus communs de la
vie, avait une valeur particulière pour l'Espagne parce que,
sans le mercure, For et l'argent du nouveau monde ne pou-
vaient être extraits de leur minerai. La nature a eu soin de
préparer toutes les voies pour qu'il fût facile de le recueillir;
le cinnabre y est d'une richesse extraordinaire. Il fut un
temps où l'on tirait d'Almaden des quantités énormes de
mercure; eh bien, malgré la demande qui allait toujours
croissant des pays étrangers, la mine rendit moins pendant
quelque temps. Le gouvernement espagnol s'inquiéta;
il ne voulait pas qu'une source de richesses si impor-
tante fût tarie; il résolut de faire une enquête sur la
manière dont la mine était exploitée ; et après avoir constaté
qa'aucun Espagnol ne possédait les connaissances nécessai-
res pour une pareille enquête, les conseils de la couronne
se virent obligés d'appeler des étrangers à leur aide. En
4752, un naturaliste irlandais, nommé Bowles, fut chargé
de visiter Almaden et de rendre compte des causes de la di-
(1) t In 1728, a ne* adventurer undertook the work of opening the mines of Guadaleanâl.
This was Lady Mary Herbert , daaghter of tbe Marquis of P<rois. » c Lady Mary
departed from Madrid for Guadaleanâl, to which miners and eogines bad been sent front
England at her expense, and at that of ber relation, M. Gage, who accompanied her, and of
her father, the marquis. » Jacob , Historical Inquiry inlo the Production and Con-
êumption ofthe Precious Metals. Lond., 4831, t. ï, pag.278,279.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 119
minution du rendement. II reconnut bientôt que les mineurs
avaient contracté l'habitude de creuser les puits de la mine
perpendiculairement, au lieu de suivre la direction de la
veine (1). Un système aussi absurde expliquait suffisamment
pourquoi elle ne rapportait plus rien, et Bowles expliqua que
si l'on voulait les creuser obliquement, la mine redeviendrait
sans doute productive. Le gouvernement tint compte de
l'observation et donna des ordres en conséquence. Mais les
mineurs tenaient trop à leurs vieilles habitudes pour s'y
soumettre. Ils continuèrent de creuser les puits comme
l'avaient fait leurs pères, parce que ce que leurs pères avaient
fait devait être bien fait. Il fallut retirer la mine de leurs
mains; mais l'Espagne ne pouvait fournir d'autres travail-
leurs et ou dut envoyer chercher des mineurs en Alle-
magne (2). A leur arrivée les choses changèrent de face; la
mine, sous la haute direction d'un Irlandais, et creusée par
des Allemands, fit de rapides progrès, et, malgré les
désavantages contre lesquels des nouveaux venus ont tou-
jours à lutter, la conséquence immédiate de ce changement
Ait que le rendement du mercure fut doublé et que le prix
4e revient diminua en proportion (3).
(1) « Los mineros de Almaden nunca hicieron los socavones siguieodo la inclination de
las betas, sino perpendiculares, y baxaban â ellos puestos en una especie de cubos atados
desde arriba con cnerdas. De este mal metodo se origine todo al dèsôrden de la mina por-
que al paso que los operarios penetraban dentro de tierra , era forzosa que 8e apartasen
de las betas y las perdiesen. «Bowles, Hist. Nat. de Espafla. Madrid, 1789, in-4% pag. 14
(2) « Fue mi proyecto bien recibido del ministerio, y habiendo hecfio venir minerçs
Alemanes, le han exécuta do en gran parte con mncha habilidad. Los mineros Espanoles
de Almaden son atrevidos y tienen robnstez, mana y penetrarion qnanta es menester, de
soerte que con el Uempo serân excelentes mineros, puet no les falta otra cosa que la
verdadera ciencia de la minas. » Bowles, Hist. natural de Espafia, pag. 46. La der-
nière partie de cette phrase indique le désir de faire accorder les intérêts de la vérité avec les
exigences d*nn livre imprimé à l'imprimerie royale de Madrid et approuvé par les autorités
espagnoles.
(3) • Encargado por el gobierno el laborioso extrangero Bowles de proponer los medios
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120 HISTOIRE
Tant d'ignorance pesant sur tonte la nation et Rappliquant
à toutes les choses de la vie est à peine concevable quand on
considère les immenses avantages que les Espagnols
avaient possédés jadis. Ce fait est plus frappant encore quand
on le met en regard de l'habileté du gouvernement qui, pen-
dant plus de quatre-vingts ans, ne cessa de travailler à amé-
liorer la condition du pays. Dans les premières années du
dix-huitième siècle, Ripperda établit une grande manufac-
ture de laine à Ségovie, ville autrefois prospère et indus-
trieuse. Mais les procédés de fabrication les plus ordinaires
étaient oubliés, et il fut obligé d'appeler de Hollande des
ouvriers fabricants pour enseigner aux Espagnols à tisser
la laine, art dans lequel, en de meilleurs jours, nul ne les
avait égalés (1). En 1757, Wall, qui était alors minis-
tre, construisit sur une plus grande échelle une manufac-
ture analogue à Guadalajara dans la nouvelle Castille. Mais
quelque chose se dérangea dans la machine, et comme les
Espagnols ne savaient rien, et tenaient fort peu à savoir
quelque chose en quoi que ce fût, on fut obligé de faire ve-
nir d'Angleterre un ouvrier pour l'arranger (2). Enfin, les con-
seillers de Charles III, désespérant d'exciter le peuple au
travail par les moyens ordinaires, s'avisèrent d'un expédient
r onvenieates para booeflciar coq mas acierto las famosas minas de axogue del Al m ad en
descnbriô algonos nuevos procedimientos por medio de los cnales casi se dnplicaron loi
productos de aqnellas, y bajô nna mitad el precio de los axogues. > Tapia, Civilizacion
Esparwla, t. IV, pag. 117.
(1) Hem. of Ripperda. Lond., 1740, 2-édit., pag. 23, 62,91, 104. « A ship arrived ai Cadii
with fifty manufacturera on board , whom tbe Baron de Ripperda bad drawn togeiber in
Holland. > « The new manufactures atSego?ia, which, thoogh at Ibis time wholly
managed by foreigners, be wished, in tbe next âge, mighl be carried on by the Spaniards
t hemselves, and by tbem only. »
*(1) « Tbe minister, Wall, an irishman, conlrived to decoy over one Thomas Bevan, from
Melksham, in Wiltshire, to set tbe macbinery and matters to rigbts. * Ford, Spain. Lond.,
1847, pag. 5».
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 121
plus simple : ils invitèrent des milliers d'artisans à venir
s'établir en Espagne, comptant que leur exemple et leur in-
vasion inattendue réveillerait la nation de son engourdisse-
ment (1). Tout fut inutile; l'esprit du pays était mort ; rien
ne pouvait le rappeler à la vie. Au nombre des essais qui
furent tentés, il faut citer la création d'une banque natio-
nale; c'était une idée que caressaient les politiques; ils
attendaient un grand bien de cette institution qui étendrait
le crédit et ferait des avances aux personnes engagées dans
les affaires. Ce projet fut mis à exécution, mais il n'atteignit
pas le but qu'on se proposait. Quand un peuple n'est pas en-
treprenant, rien ne peut faire qu'il le devienne. Une grande
banque dans un pays comme l'Espagne, c'était une création
exotique qui pouvait y vivre par artifice, mais que la nature du
sol ne pouvait faire prospérer. Aussi fut-elle étrangère dans
son origine et dans son achèvement, car ce fut le Hollandais
Ripperda (2) qui la proposa et c'est au Français Cabarrus
qu'elle dut son organisation définitive (3).
La même loi dominait toute chose. Dans la diplomatie, les
hommes les plus capables n'étaient pas les Espagnols, c'étaient
(1) t Ademas de la invitacion que se hizo à millares de operarios extrangeros para venir
à establecerse en Espana, » etc. Tapia, Civilizacion Espailola, t. IV, pag. 112, 113
En 1768, Harris, qui fit la route de Pampelone à Madrid, écrit : 1 1 did not observe a dozen
men either at piough or any other kind of labour on the road. » Diaries and Correspon-
dance of James Harris, earl of Malmesbury. Lond., 1844, 1. 1, pag. 38.
(2) « A national bank, a design onginally snggested by Ripperda. » Coxe, Bourbon Kings
ofSpain, t. V, pag. 202.
(3) Boargoing, ignorant que la priorité avait été pour Ripperda, dit (Tableau de l'Es-
pagne moderne, t. II, pag. 49) :t L'idée de la banque nationale fut donnée au gouverne-
ment par un banquier français, M. Cabarrus. » Comparez Rio, Hist. del Reinado de
Carlos III, t. IV, pag. 122, 123 : • Banco nacional de San Carlos; propusolo Cabarrus,
apoyôlo Floridablanca, y sancionôlo el soberano por Real cedula de 2 de Junio de 1782. »
Voilà qui sonne bien , mais la catastrophe inévitable suivit bientôt. « Charles IV, > dit le
prince de la Paix, « had just ascended the throne; the bank of San Carlos was rapidly
falling, and on the verge of bank ruptey. » Godoy, Memoirs. Lond , 1836, 1. 1, pag. 124.
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12* HISTOIRE
des étrangers; et, pendant tout le dix-huitième siècle, nous
voyons souvent se renouveler ce fait étrange, que l'Espagne
est représentée par des ambassadeurs français, italiens et
même irlandais (1). Rien n'était indigène; l'Espagne ne fai-
sait rien par elle-même. Philippe Y, qui régna de 1700 à
1746 et fut investi d'un pouvoir immense, ne cessa de s'at-
tacher aux idées de son pays natal : il fut Français jusqu'à
son dernier jour. Durant les trente années qui suivirent sa
mort, les trois noms les plus marquants dans la politique es*
pagnole furent Wall, né en France de parents irlandais (2) ;
Grimaldi, natif de Genève (5) et Esquilache, natif de Si-
(1) < A Londres, à Stockholm, à Paris, à Vienne et à Venise, le souverain est représenté
par des étrangers. Le prince de Massarano, Italien, ambassadeur en Angleterre; le comte
de Lacy, Irlandais, ministre à Stockholm ; le marquis de Grimaldi, ambassadeur en Franc*
avant de parvenir au ministère; le marquis de Sqailaci, ambassadeur à Venise après sa
retraite du ministère. Bourgoing, Tableau de l'Espagne, t. II, pag. 142, 143. Rajouterai
que sous le règne de Philippe V, un Italien, le marquis de Beretti Landi, représentait l'Es-
pagne en Suisse et qu'ensuite il la représenta à La Haye (Ripperda, Memoirs, 1740,
pag. 37, 38), et qu'un peu avant ou même en 1779, Lancy remplit le même poste à Saint-
Pétersbourg. Malmesbury, Diaries and Correspondance, 1844, 1. 1, pag. 261. De même
aussi Rio (HisC. de Carlos III, 1. 1, pag. 288,289) dit des négociations importantes qui
eurent lieu en 1761 entre l'Espagne, l'Angleterre et la France : c Yasf de las negociaciones
en que Luis XV trataba de enredar à Carlos III quedaron absolutamente excinidos los
Espanoles, como que por una parte las iban à seguir el dnque deChoiseul y el marques de
Ossun , Franceses , y por otra el Irlandés D. Ricardo Wall , y el Genovés marques de Gri-
maldi. • Vers le même temps Clarke écrit dans ses Letters concerning the Spanish
Nation. Lond., 1763, in-4% pag. 331 : • S pain bas, for many years past, been under the direc-
tion of foreign ministers. Whelher this hathbeen owiog topant of capacity in the natives,
or disinclination in the sovereign,I will not take upon me to say; snch as it is, the native
nobility lament it as a great calamity. ■
(2) Lord Stanhope, qui est en général bien informé sur les affaires d'Espagne, dit que
Wall était • a native of Ireland. » Manon, Hist. of England. Lond., 1853, 3* édil., t. IV,
pag. 182. Hais dans les Mém. de NoaiUes ( édit. Paris, 1829, t. IV, pag. 47 ) on le dit * Irlan-
dais d'origine, né en France. » Voyez aussi Biografia deEnsenada, dans Navarrete,
Opûsculos. Madrid, 1848, t. II, pag. 26 : t D. Ricardo Wall, Irlandés de origen, nacido en
Francia. > Swinburn , qui le connaissait personnellement et qui a donné de lui quelques
particularités, ne dit pas où il naquit. Swinburn, Travels through Spain. Lond., 1787,
2- édit., 1. 1, pag. 314-318.
(3) • A Genoese, and a créature of France, i Dunham, Hist . of Spain, t. V, pag. 170.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 123
cile (1). Esquilache administra les finances pendant plusieurs
années ; et après avoir possédé la confiance de Charles III à
un degré bien rare pour un ministre, il ne fut remercié qu'en
1766, et pour céder aux mécontentements qu'avaient soule-
vés dans le peuple les innovations hardies de cet étran-
ger (2). Wall,- horçme bien plus remarquable encore, fut, à
défaut de bon diplomate espagnol, envoyé extraordinaire à
Londres en 1747. Il y exerça une grande influence dans les
affaires d'État, puis il fut placé à la tête des affaires en 1754
et fut tout- puissant jusqu'en 1763 (3). Quand cet éminent
Irlandais abandonna sa position, Grimaldi, le Génois, lui
succéda; il gouverna l'Espagne de 1763 à 1777, et pendant
ce temps fut tout dévoué à la politique française (4). Son
protecteur principal, Choiseul, l'avait pénétré de ses propres
idées; c'est par ses conseils que Grimaldi se laissait surtout
guider (5). Aussi Choiseul, qui était alors premier ministre
en France, avait-il l'habitude de se vanter, non sans exagé-
(1) « Era Siciliano. • Rio, Hist. del Reinado de Carlos 111, t. 1, pag. 244.
(2) Le récit le plus complet de sa démission est donné par M. Rio dans le premier chapitre
da second volume de son Hist. del Reinado de Carlos 111 j qu'il faut cependant comparer
avec Coxe, Bourbon Kings ofSpain, t. IV, pag. 340-346. Coxe écrit Squilaci, mais j'adopte
l'orthographe des écrivains espagnols qui écrivent Esquilache. Son influence sur le roi était
si grande que, selon Coxe (t. IV, pag. 347), Charles III « publicly said that, « if he was
reduced to a morsel of bread he would divide it with Squilaci. »
(3) Coxe, Kings of Spain, t. IV, pag. 15, 135; Rio, Hist. de Carlos III, 1. 1, pag. 141,
247, 400, 401 ; Navarrete, Biografia de Ensenada, pag. 26, 28.
(4) Il se démit de ses fonctions en 1776, mais il garda son poste jusqu'à l'arrivée de son
successeur Florida Blanca en 1777, Rio, hist. de Carlos III, t. III, pag. 171, 174. Se repar-
tant à sa nomination en 1763, M. Rio fait observer (t. I, pag. 402) : a De que Grimaldi
creciera en fortuna se pudo congratular no Roma, sino Francia. • En 1770, Harris, le diplo-
mate, alors en Espagne, écrit : « His doctrine is absolntely french ; guided in every thing
by the French closet, » etc. Malmeshury, Diaries and Correspondance. Lond., 1844, 1. 1,
pag. 56.
(5) i Guided in his opérations by the counsels of Choiseul. • Coxe , Bourbon Kings ùf
Spain, t. IV, pag. 339. t The prosecution of the schemes which he had concerted with
Choiseul. > Pag. 373. t His friend and patron. » Pag. 391, et t. V, pag. 6.
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134 HISTOIRE
ration sans doute, mais aussi avec assez de vérité de ce que
son influence était encore plus grande à Madrid qu'à Ver-
sailles (1).
Peut-être pourra-t-on contester ce fait, mais ce qui est
certain, c'est qu'il n'y avait pas plus de quatre ans que Gri-
maldi était à la têle des affaires lorsque l'ascendant de la
France se manifesta d'une façon bien remarquable. Choiseul
qui haïssait les jésuites et venait de les faire expulser de
France, voulut aussi les faire expulser d'Espagne (2). L'exé-
cution de ce projet fut confié à Aranda, Espagnol de nais-
sance, mais dont l'esprit avait été cultivé en France et qui
avait puisé dans la société de Paris une haine des plus fortes
contre toutes les formes du pouvoir ecclésiastique (3). Ce
projet préparé secrètement futhabilementmené (4). En 1767,
(1) a Personne n'ignorait le crédit prodigieux que M. Choisenl avait sur le roi d'Espagne
dont il se vantait lui-même, an point que je lai ai on! dire qu'il était plus sûr de sa prépon-
dérance dans le cabinet de Madrid que dans celui de Versailles. » Mém. du baron de
Besenval, écrits par lui-même. Paris, 1805, t. II, pag. 14, 15.
(2) M. Muriel (Gobierno del Rey Don Carlos III. Madrid, 1839, pag. 44, 45) dit de leur
expulsion de l'Espagne : a Este acto de violencia hecho meramente por complacer al duque
de Choisenl, ministro de Franciay protector del partido filosôfico.» Voyez aussi Crétineau-
Joly ,Hist. de la compagnie de Jésus. Paris, 1845, t. V, pag. 291 ; Georgel, Mém. pour
servir à l*hi8loire des événements depuis 1760. Paris, 1817, 1. 1, pag. 95.
(3) L'archidiacre Coxe, avec le ton que l'on prend volontiers dans sa profession, dit
d' Aranda : a In France he had acqnired the grâces of polisbed society, and imbibed thaï
freedom of sentiment which then began to be fashionable, and hassince been carried
to such a dangerous excess. > Cox«, Bourbon Kings of Spain, t. IV, pag. 401 Son
grand ennemi, le prince de la Paix, avec le désir de se montrer sévère, fait son éloge sans
le vouloir et dit qu'il était a connected with tbe most distinguished literary Frenchmen of
tbe middle of the last century , » et qu'il était a divested of religions préjudices , though
swayed by philosophical enthusiasm. * Godoy, Memoirs. Lond., 1836, 1. 1, pag. 319. La
prévention de quelques hommes a parfois un grand prix. Le prince ajoute qu'Aranda
< conld only lay claim to the inferior merit of a sectarian attachaient. > II oublie qu'en
Espagne toute personne éclairée doit nécessairement faire partie d'nne secte peu nom-
breuse.
(4) Cabarrus {Elogio de Carlos 111. Madrid, 1789, in-4% pag. rnv) dit avec malice :
a El acierto de la execncion que correspondiô al pulso y prudencia con que se habia delibe-
rado esta providencia importante, pasarà & la ultima posteridad. >
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 125
le gouvernement espagnol, sans vouloir entendre ce que les
jésuites pouvaient dire pour leur défense et, à vrai dire, sans
le moindre avertissement, leur signifia tout d'un coup leur
expulsion. Ils furent chassés du pays où ils étaient nés,
qu'ils chérissaient depuis si longtemps, avec une animosité
telle que non seulement leurs richesses furent confisquées, et
qu'ils furent réduits à là portion congrue, mais on les avertit
que s'ils publiaient la moindre justification en leur faveur,
le peu qu'on leur laissait leur serait retiré. En même temps
on déclarait que quiconque prendrait la liberté d'écrire sur
les jésuites, s'il était sujet espagnol, serait condamné à mort
comme coupable de haute trahison (1).
Tant d'audace de la part du gouvernement (2) fit trembler
l'inquisition elle-même. Ce tribunal, jadis tout-puissant,
maintenant menacé et soupçonné par les autorités civiles,
devint plus circonspect dans ses actes, et plus indulgent vis-
à-vis des hérétiques. Au lieu d'extirper les infidèles par cen-
taines et par milliers, il en fut réduit à de tels embarras que,
de 1746 à 1759, il ne put brûler que dix personnes; et seu-
(1) Coxe, Bourbon Kings of Spain, t. IV, pag. 362. M. Rio, dans le second volome de
ion Histoire de Char les 11 7 (Madrid, 1856) a fait nn récit très peu philosophique et guère
pins exact de l'expulsion des jésuites qu'il ne considère qu'au point de rue espagnol, oubliant
que ce fait était le résultat d'un mouvement européen à la tête duquel la France s'était
placée. Il nie l'influence de Choiseui ( pag. 125), trouve à redire aux assertions parfaitement
exactes de Coxe, et finit par attribuer ce grand événement à des causes n'existant que dans
la péninsule. « De ser los jesuitas adversarios del regalismo emanô su ruina en Espana ,
cuando triunfaban las opiniones sostenidas con herôico teson desde mucho ànles por doc-
tisimos jurisconsultes. » Pag. 519.
(2) Un des plus récents historiens des jésuites remarque avec indignation - « Depuis deux
cent vingt ans les jésuites vivent et prêchent en Espagne. Ils sont comblés de bienfaits
par des monarques dont ils étendent la souveraineté. Le clergé et les masses acceptent
avec bonheur leur intervention. Tout à coup l'Ordre se voit déclaré coupable d'un crime de
lèse-majesté, d'un attentat public que personne ne peut spécifier. La sentence prononce la
peine sans énoncer le délit. » Crétineau-Joly, Hist. de la compagnie de Jésus. Paris, 1845,
t. V, pag. «95.
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116 HISTOIRE
leroeot quatre de 1759 à 1788 (1). Cette diminution extraor-
dinaire pendant la dernière période fut due en partie à la
grande influence d'Àranda, l'ami des encyclopédistes et d'au-
tres sceptiques français. Cet homme remarquable fut prési-
dent de la Castille jusqu'en 1773 (2), et ce fut lui qui dé-
fendit à l'inquisition de s'immiscer dans les tribunaux
civils (5). Il forma aussi le projet d'abolir entièrement cette
institution; mais son plan échoua parce que ses amis de
Paris, auxquels il l'avait confié, le rendirent public préma-
turément (4). Néanmoins son influence fut si grande» qu'après
l'année 1781 aucun hérétique ne fut condamné au bûcher;
l'inquisition craignant trop le gouvernement pour rien faire
qui pût compromettre l'existence de la sainte institution^).
(1) Dunham, Hist. ofSpain, t. V, pag. 285, dans laquelle les faits sont bien groupés. Ua
«xcellent ouvrage (Hist. of the Inquisition) par Llorente n'est pas assez exact; mais c'est
un livre honnête, ce qui est surprenant.
(2) Rio, Hist. de Carlos III, t. III, pag. 103-107, qui peut être comparée à la description
de Coxe, qui tira ses renseignements d'un ami, d'Aranda. Coxe, Bourbon Kings ofSpain,
t. IV, pag. 401-415. Une bonne biographie d'Aranda serait très intéressante. Celle qie
donne Ta Biographie universelle est trop courte et mal écrite.
(3) Coxe, Bourbon Kings ofSpain, t. IV, pag. 407.
(4) « When at Paris, in 1786, 1 received the following anecdote from a person connectai
with the encyclopedists. During his résidence in that capital , d'Aranda had frequently
testified to the 1 itéra ti with whom he associated, his resolution to obtain the abolition of the
Inquisition, should he ever be called to power. His appointment was, therefore, exultingly
hailod by the party, particularly by d'Alembert; and he had scarcely begun his reforma
before an article vas inserted in the Eocyclopaedia, then printing,in which this eventwas
oonfldently anticipated , from the libéral principles of the minister. D'Aranda vas struclt
on reading this article, and said : t This imprudent disclosure will taise such a ferment
agaiost me, that my plans will be foiled. > He was not mistaken in his conjecture. > Coxe*
Bourbon Kings ofSpain, t. IV, pag. 408.
(5) Même le cas en 1781 paraît avoir été pour sorcellerie plutôt que pour hérésie. « La
dernière victime qui périt dans les flammes fut une béate; on la brûla à Séville, le 7 novem-
bre 1781 , comme ayant fait un pacte et entretenu un commerce charnel avec le démon , et
pour avoir été impénitente négative. Elle eût pu éviter la mort en s'avouant coupable du
crime dont on l'accusait. » Llorente. Hist. de l'inquisition d'Espagne. Paris, 1818, t. IV,
pag. 970. Vers cette époque la torture commence à être abandonnée en Espagne. Voyes une
note intéressante dans Johnston , Institutes of the Civil Law of Spain. Lond., 18»,
pag. 363.
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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 1*7
En 1777, Grimaldi, l'un des principaux partisans de la
politique antithéologique introduite en Espagne par la
France, cessa d'être ministre ; mais son successeur fut FIo-
rida Blanca, qui était sa créature et auquel il légua sa poli-
tique en même temps que son autorité (1). Les affaires poli-
tiques continuèrent donc à progresser dans la même direction.
Sous le nouveau ministre aussi bien que sous ses prédéces-
seurs, le gouvernement se montra aussi résolu à affaiblir
l'autorité de l'Église et à revendiquer les droits des laïques.
Il subordonna en toute chose les intérêts ecclésiastiques aux
intérêts séculiers. Nous pourrions en donner de nombreux
exemples; mais il y eh a un qui est trop important pour le
passer sous silence. Nous avons vu qu'au commencement du
dix-huitième siècle, Àlberoni, lorsqu'il était à la tête des
affaires, fut accusé de ce qu'on considérait en Espagne
comme un crime énorme : d'avoir fait alliance avec les maho-
métans; et il est évident que ce fut là une des causes
de sa chute, car on pensait alors que nul avantage tem-
porel ne pouvait justifier un traité d'union , ni même un
traité de paix entre une nation chrétienne et une nation
d'infidèles (2). Mais le gouvernement espagnol qui, grâce
aux causes que j'ai exposées, était bien plus avancé que
l'Espagne elle-même, devenait peu à peu plus audacieux
et plus disposé à imposer au pays ses idées de progrès.
(i) ■ Menesteres decir que el marqués de Grimaldi cayô venciendo à sus enemigos, pues,
Yéjos de legarles el poder, à que aspiraban con anhelo, trasmitiôlo à nna de sas màs légi-
timas hechuras ; que lai era y por tal se reconoçia el conde de Floridablanca. > Rio, Hist.
lUd Reinado de Carlos ///, t. III, pag. t5i, 151
(S) En 1690, on disait que « since the expulsion of the Moors, > un roi d'Espagne n'avait
jamais envoyé un ambassadeur à un prince mahométan. Voyez Manon , Spain under
Charles II, pag 5. Cette année-là un ambassadeur fut envoyé au Maroc; mais ce fut seule-
ment pour traiter du rachat des prisonniers, et certainement sans la moindre intention de
conclure un traité de paix.
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1Î8 HISTOIRE
Mais l'esprit du peuple n'était pas encore capable de les
comprendre. Il en résulta qu'en 1782 Florida Blanca con-
clut avec la Turquie un traité qui mit fin à la guerre reli-
gieuse. Cette mesure frappa d'étonnement les autres puis-
sances européennes qui pouvaient à peine croire que les
Espagnols fussent disposés à cesser les efforts qu'ils avaient
faits si longtemps pour extirper les infidèles (2). xMais l'Eu-
rope était à peine remise de sa surprise, lorsque se passèrent
d'autres événements du même genre et tout aussi fou-
droyants. En 1784, l'Espagne signa un traité de paix avec
Tripoli, et en 1785 avec Alger (2). Ces traités étaient à
peine ratifiés, qu'un autre fut conclu avec Tunis en
1786 (2). De sorte que le peuple espagnol, à sa grande sur-
prise, se trouva en paix avec des nations qu'il avait abhor-
rées pendant plus de dix siècles, et que tout gouvernement
chrétien devait, dans l'opinion de l'Église espagnole, com-
battre sans relâche et extirper, s'il le pouvait.
Laissant de côté pour un moment les conséquences éloi-
gnées et intellectuelles de ces transactions, on ne peut dou-
ter que leurs conséquences immédiates et matérielles n'aient
été très salutaires, bien qu'elles ne produisissent aucun avan-
(i) • The other European courts, with surprise and regret, witnessed the conclusion of a
treaty which terminated the political and religions rivalry so long sobsisting between Spain
and the Porte.» Coxe, Bourbon Kings of Spain, t. V, pag. 152, 153. « Un« des maximes
de la politique espagnole avait été celle de maintenir nne guerre perpétuelle contre les
mahométans, même après la conquête de Grenade. Ni les pertes incalculables éprouvées par
suite de ce système, ni l'exemple de la France et d'autres puissances catholiques qui ne se
faisaient point scrupule d'être en paix avec les Turcs, n'avaient suffi pour détromper l'Es-
pagne sur l'inconvenance d'une telle politique. Le génie éclairé de Charles III corrigea un
préjugé aussi dangereux ; dicta la paix avec les empereurs de Turquie et d'autres potentats
mahométans ; délivra ses sujets de la terrible piraterie des corsaires, et ouvrit à leur com-
merce de nouvelles voies pour spéculer avec de plus grands avantages.» Sempere, la
Monarchie espagnole, t. II, pag. 160.
(î) Rio, Hist. del Reinado de Carlos 111, t. IV, pag. 1143.
(3) Idem, ibid., t. IV, pag. 16, 17.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 129
tage durable, ainsi que nous le verrons présentement, parce
qu'elles étaient arrêtées par l'opération défavorable de cau-
ses plus puissantes et plus générales. On doit pourtant re-
connaître que les résultats directs furent extrêmement avan-
tageux ; et ceux qui ne prennent qu'une vue étroite des choses
humaines, auraient bien pu supposer que ces avantages se-
raient permanents. La ligne immense de côtes qui s'étend
depuis les royaumes de Fez et du Maroc, jusqu'à l'extrémité
de l'empire turc, ne pouvait plus vomir ces innombrables
pirates qui jusqu'alors avaient balayé les mers, capturé les
vaisseaux espagnols, et fait esclaves les sujets de l'Espagne.
Autrefois, on payait annuellement des sommes immenses
pour rançonner ces malheureux prisonniers (1); tous ces
maux n'existaient plus maintenant. En outre, le commerce
de l'Espagne prenait un grand essor ; de nouveaux marchés
se trouvaient ouverts, et ses navires pouvaient se montrer
sans danger dans les riches contrées du Levant. Ceci accrût
ses richesses, qui furent également augmentées par une au-
tre circonstance, qui fut le résultat de ces événements. En
effet, les parties les plus fertiles de l'Espagne sont celles qui
sont baignées par la Méditerranée, et pendant des siècles
elles avaient été la proie des corsaires mahométans qui, dé-
(1) « Ha sido notable el numéro de eau ti vos, que los piratas de Berberia hao hecho sobre
nuestras costas por très centurias. En el siglo pasado se solian calcnlar existentes à la vez
en Argel, treinta mil personas espanolas. Su rescale à razon de mil pesos por cada persona
â lo menosj ascendia & 30 millones de pesos. > Campomanes, Apendice à la Education
Popular. Madrid, 1775, 1. 1, pag. 373. Relativement aux précautions qu'il fallait prendre
pour défendre les côtes de l'Espagne contre les corsaires, voyez Uztariz, Theoricay Prac-
tica de Comercio. Madrid, 1757, in-fol., pag. 172, 173, 8226-226, et Lafuen te t HisL de
Espafla. Madrid, 1855, t. XV, pag. 476. Vers le milieu du dix huitième siècle, il fallait avoir
des troupes pour surveiller constamment les côtes de l'Espagne sur la Méditerranée, t in
order to give the alarm upon the appearance of the enemy. Voyez il Tour UtroughSpain
by Udal ap Rhys. Lond., 1760, 2* édit., pag. 170. Quant à la situation au dix-septième
siècle, voyez Janer, Condition de los Moriscos. Madrid, 1857, pag. 63.
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130 HISTOIRE
barquaot souvent au moment où l'on s'y attendait le moins,
avaient fini par causer une telle terreur, que les habitants
s'étaient peu à peu retirés dans l'intérieur, et avaient re-
noncé à cultiver le sol le plus fertile de leur pays. Mais,
grâce aux traités qu'on venait de conclure, ces dangers
n'existaient plus; le peuple revint occuper ses anciennes
habitations; la terre Tut de nouveau cultivée; des villages
s'élevèrent ; des fabriques Turent établies ; et la prospérité
publique parut être posée sur des bases plus solides qu'à
aucune autre époque, depuis que les mahométans avaient
été chassés de la Grenade (1).
J'ai maintenant placé devant le lecteur les mesures les
plus importantes prises par les hommes d'État capables et
énergiques qui gouvernèrent l'Espagne pendant la plus
grande partie du dix-huitième siècle. En considérant de
quelle manière ces réformes furent accomplies, il ne faut pas
oublier le caractère personnel de Charles III qui occupa le
trône de 1759 à 1788 (2). C'était un homme d'une grande
(1) « De esta snerte quedaron los mares limpios de piratas desde los reinos de Fes y
Marruecos hasta los ultimos dominios del emperador Turco , por el Meditwrâneo todo ;
viôse à meoodo la bandera espaoola en Levante, y las mismas naciones mercantiles que la
persignieron indirectement*, preferiaBla ahora, resnltando el aomento del comercio y de la
Real marina, y la pericia de sus tripulaciones, y el mayor brillo de Espana y de sa augusto
Soberano : termino hnbo la esclavitnd de tantos mil la rus de infelices con abandono de ans
familias é indelebles perjnicios de la religion y el Estado, cesando tambiea la continua
eitraccioo de énormes snmas para los rescates que, al pasoqae nos empobrecian, pasaban
à enriquecer à nnestros contrarios, y à faciliter sns armamentos para ofendernos; y se
etnpeiaban à cnltivar ràpidamente en las costas del Mediterràneo legnas de terrenos los
mis fertiles del mnndo, desamparados y eriales hasta entônces por miedo à los piratas,
y donde se formaban ya pneblos eoteros para dar salida à los fratos y las manufacturas. »
Rio, Hist. del Reinado de Carlos III, t. IV, pag. 17, 18.
(3) M. Rio, dont la volumineuse histoire do règne de Charles III est, malgré de nombreuses
omissions, une œuvre importante, a apprécié l'influence personnelle du roi plus justement
que tout autre écrivain ; il a en accès à des documents inédits qui prouvent la grande énergie
et l'activité de Charles. • Entre sus mas notables figuras ninguna aventaja i la de
Carlos III ; y no por el lugar jer arquieo que ocupa, si no por el brillante papel que repre-
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 131
énergie, et quoique né eu Espagne, il ne partageait pas les
sentiments de son peuple. Lorsqu'il devint roi, il avait été
longtemps absent de son pays, et il avait contracté le goût
de coutumes et surtout d'opinions complètement opposées à
celtes qui étaient naturelles aux Espagnols (1). Comparé à
ses sujets, it était certainement très éclairé. Ils adoraient la
forme la plus complète, et par conséquent la plus nuisible,
4e la puissance spirituelle qui ait jamais existé en Europe.
Charles entreprit de restreindre cette puissance. Sous ce
rapport comme sous beaucoup d'autres, il alla bien plus loin
<jue Ferdinand NI et que Philippe Y, quoique ces monar-
ques eussent accompli, sous l'influence des idées françaises,
ce qui n'étaitpas sans danger à leur époque (S). Le clergé, in-
digné de pareilles mesures, murmura et alla même jusqu'à la
menace (3). Il déclara que Charles, en dépouillant l'Église,
en lui enlevant ses privilèges, etf insultant ses ministres,
ruinait l'Espagne à jamais (4). Mais le roi, dont le caractère
sonta, ora lome la iniciatira, ora el consejo» para efectaar las innumerables reformas qne
le valieron inextinguible fama. Ya se que algunos tacban à este Mooarca de cortedad de
feeés y de estrechez de miras ; y que algunos otros suponen que sus ministres le engaoaron
6 sorprendieron para dletar ciertas providencias. Cuarenia y ocho tomos de cartas sema-
nales y escritas de su puno desde octubre de 1759 hasta marzo dé 1783 al marques de
fanocci, existehtes en el arcWTO de Simancas, por mi leidas hoja tras hoja, sacando de
ellas largos apuntes, sirven à maravilla para pintarle tal como era, y penetrar hasta sus
màs recônditos pensamientos, y contradecir à los que le juzgan à bulto. ■ Rio , HUt. del
neinado de Carlos III. Madrid, 1806, 1. 1, pag. mi, xxiii.
(1) « Although born and educated in Spain, Charles had quitted the country at too.
earljr an âge to retain a partiaHty to ils customs, laws, manners, and language; while,
trom his résidence abroad, and his intercourse with France, he had formed a natural pré-
dilection for the French character and institutions. > Coxe, Bourbon Kings of Spain ,
t. IV, pag. 337.
■(8) Il « far surpassed his t*o predeeessors In his exertions to reform the morals, and
tesftrara the poirer of the clergy. i Ibid., t. V, pag. 215.
(S) Ses mesures « atarmarou al clero en gênerai, que empesé à murmiirar con impaciencia,
y aun algunos de sus indïviduos se propasaron à violentos actos. > Tapîa , Civilizacion
£*pû«oJa,t.IV,pag.98.
(4) Une accusation populaire contre le gouvernement était «que se despojara à la Iglesia
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13* HISTOIRE
était ferme et quelque peu obstiné, persévéra dans sa politi-
que; et comme ses ministres étaient, ainsi que lui, des
hommes d'une habileté reconnue, ils réussirent à mettre à
exécution la plupart de leurs projets, en dépit de l'opposition
qu'ils rencontrèrent. Malgré leurs erreurs et leur peu de
clairvoyance, il est impossible de ne pas admirer l'honnê-
teté, le courage et le désintéressement qu'ils montrèrent en
essayant de changer les destinées de la nation superstitieuse
et à demi barbare sur laquelle ils régnaient. Mais il est évi-
dent que dans ce cas, comme dans tous les cas semblables,
en attaquant les abus que le peuple s'acharnait à aimer, ils
augmentèrent l'affection que ces abus inspiraient. C'est une
tâche ingrate de vouloir changer les opinions par des lois.
Non seulement on échoue, mais on cause une réaction qui
laisse les opinions plus fortes que jamais. Il faut d'abord
changer l'opinion, et alors on peut changer la loi. Du mo-
ment qu'on a convaincu le peuple que la superstition est
nuisible, on peut prendre des mesures actives contre les
classes qui excitent la superstition et qui vivent par elles.
Mais quelque pernicieux que puisse être un intérêt, quelque
dangereuse que puisse être une classe, qu'on prenne garde
de les attaquer par la force, à moins que le progrès des lu-
mières n'ait d'abord sapé leur base, et ébranlé leur influence
sur l'esprit national. C'est là l'erreur qu'ont toujours com-
mise les plus ardents réformateurs, qui, dans leur désir d'ar-
river à leur but, ont permis au mouvement politique de
de gos iomunidades. » Rio, Hist. del Reinado de Carlos III, t. II, pag. 54. Voyez aussi les
pag. 201, 202, pour a ne lettre écrite en 1766 par i'évéque de Coenca an confesseur du roi,
dans laquelle le prélat dit « que Espana corria â su ruina que ya no corria, sino que volaba,
y que yaestaba perdida sin remedio humano,» et que la cause de ceci était la persécution
de la pauvre Église, qui était » saqueada en sus bienes, ultrajada en sus ministros, y atro-
peilada en su inmunidad. »
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 135
devancer le mouvement intellectuel, et qui, en renversant
ainsi l'ordre naturel, ne font qu'augmenter leurs souffrances
ou celles de leurs descendants. Ils portent la main sur l'au-
tel, et le feu en jaillit pour les consumer. Alors vient une
nouvelle période de superstition et de despotisme, une nou-
velle époque sombre à ajouter aux annales de l'humanité.
Si cela arrive, c'est parce que les hommes ne veulent pas at-
tendre le moment favorable et s'entêtent à vouloir précipi-
ter la marche des choses. C'est ainsi qu'en France et en
Allemagne les amis de la liberté ont donné ptus de force à la
tyrannie; ce sont les ennemis de la superstition qui lui ont
donné une nouvelle existence* On croit encore dans ces con*
trées que le gouvernement peut régénérer la société; et par
conséquent, aussitôt que les hommes qui oot des opinions
libérales arrivent au pouvoir, ils en usent avec trop de pro-
digalité, croyant que c'est le meilleur moyen d'assurer la
réussite de leurs projets. Cette illusion, quoique moins gé-
nérale en Angleterre, y règne beaucoup trop ; mais comme
dans ce pays l'opinion publique contrôle les hommes d'État,
le peuple anglais échappe aux maux qui ont frappé les au-
tres nations, parce qu'en Angleterre, le gouvernement ne
peut faire des lois que la nation repousse. Cependant les
habitudes du peuple espagnol étaient si serviles, et il avait
si longtemps gémi sous le joug, que lorsque le gouvernement
attaqua, au dix-huitième siècle, ses préjugés les plus chers,
il osa rarement résister ; il n'avait d'ailleurs aucun moyen
légal de faire entendre sa voix. Mais la violence de ses sen-
timents n'en était pas moins grande. La réaction se prépa-
rait en silence, et elle était manifeste avant la fin du siècle.
Tant que Charles III vécut, elle fut tenue en échec, en partie
par la crainte qu'inspirait son gouvernement actif et vigou-
T.IV 9
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434 HISTOIRE
reux, et en partie parce que plusieurs des réformes qu'il in-
troduisit étaient si évidemment utiles, qu elles jetaient sur
son règne un éclat que toutes les classes pouvaient appré-
cier. Outre l'immunité que sa politique assura contre les
ravages incessants des pirates, il avait obtenu pour l'Espagne
le traité de paix le plus honorable qui eût été signé pen-
dant les deux derniers siècles par un gouvernement espa-
gnol ; circonstances qui rappelaient au peuple les jours les
plus glorieux du règne de Philippe II (1). Lorsque Charles
monta sur le trône, l'Espagne était à peine une puissance
de troisième ordre ; à sa mort, elle eut le droit de se consi-
dérer comme une puissance de premier ordre, puisqu'elle
avait depuis quelques années traité sur un pied d'égatité avec
la France, l'Angleterre et l'Autriche, et pris une part im-
portante dans les conseils de l'Europe. Le caractère person-
nel de Charles avait grandement contribué à ce résultat; son
honnêteté inspirait le respect, autant que son énergie inspi-
rait la crainte (2). Comme homme, sa renommée était
(i) Goxe (Bourbon Kingt ofSpain, t. V, pag. 144) appelle la paix de 1783 « the most
honourable and advantageous ever eoncluded by the crown of Spam sioce the peace of
St. Qui d tin. »De même, M. Rio (Hist. del Reinado de Carlos ///, t. III, pag. 397) : iSiglos
habian pasado para Espana de continuas y porfiadas contiendas, sio llegar nnnca, desde la
famosa jornada de San Qniotin y al arborear el reinado de Felipe II, tan gloriosamente al
reposo. ■
(2) Vers la fin de son règne, un observateur contemporain, qui était bien loin d'être pré-
venu en sa faveur, rend témoignage à ■ tbe honest and obstinate adhérence of his présent
Catholic Majesty to ail his treaties, principles, and engagements. • Letters by an English
Officer. Lond., 1788, t. II, pag. 329. Comparez Muriel (Gobierno del Rey Don Carlos ///»
Madrid, 1839, pag. 34) : « Tan conocido Uegô à ser Carlos III en los reinos estranos por la
rectitud de su caràcter, que en las desavenencias que ocurrian entre los gobieroos, todos
conseil tian en tomarie por àrbitro, y se sometian a sus decisiooes, • et Cabarrus (Elogio de
Carlos III. Madrid, 1789, io-4% pag. il) : « Esta probidad llega à ser el resorte politico de
la Europa; todas las cortes penetradas de respeto à sus virtudes le buscan por àrbitro y
mediador. » On trouvera aussi dans Rio (Hist. del Reinado de Carlos III, t. IV,
pag. 41-43,253) la preuve du grand respect que les puissances- étrangères avaient pour
Charles III.
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jOO'
DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 135
grande; comme souverain, aucun de ses contemporains né
l'égalait, à l'exception dé Frédéric de Prusse, dont l'immense
talent fut d'ailleurs terni par une ignoble rapacité et par un
désir incessant de circonvenir ses voisins. Charles III n'avait
pas ces défauts; mais il s'occupa sérieusement des défenses
de l'Espagne ; il la plaça sur le pied de guerre, et la rendit
plus formidable qu'elle ne l'avait été depuis le seizième
siècle. Au lieu d'être exposée aux insultes de chaque petit
potentat qui cherchait à triompher de sa faiblesse, la nation
fut en mesure de résister, et même d'attaquer si cela deve-
nait nécessaire. L'armée eut de meilleures troupes, une dis-
cipline plus régulière, et on s'occupa sérieusement de ses
besoins et de son bien-être. La marine fut presque doublée
quant au nombre des vaisseaux, et plus que doublée quant k
son efficacité (1). Tout cela fut accompli sans imposer de
nouvelles charges au peuple. En réalité, les ressources na-
tionales se développèrent à un tel point, que de lourds impôts
eussent été payés plus facilement sous le règne de Charles If I
que des impôts plus légers sous le règne de ses prédéces-
seurs. On introduisit une régularité jusque-là inconnue dans
la méthode de fixer et de percevoir les contributions publi-
ques (2). On rendit plus faciles les lois de mainmorte, et on
prit des mesures pour diminuer la rigidité des substitu-
tions (3). On délivra l'industrie du pays d'un grand nombre
d'entraves qui lui avaient été longtemps imposées, et les
principes du libre commerce furent si bien admis, qu'en
4765 on abrogea les anciennes lois sur le blé; on en permit
(i) Ait sujet de l'augmentation de la marine, comparez Tapia, Civilizadon EspaftolQj
t. IV, pag. 127, avec Muriel, Gobierno del Rey Carlos III, pag. 73, 82.
(2) Ces améliorations financières furent principalement dues à un Français nommé
, Cabarrus. Voyez Rio, Hist. del Reinado de Carlos III, t. IV, pag. 122, 123.
(3) Rio, Ibid., t. IV, pag. 164-166, et Tapia, Civilizadon Espaflola, t. IV, pag. 96, 97.
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136 HISTOIRE
l'exportation ainsi que le transit entre les différentes par-
ties de l'Espagne sans aucune des précautions absurdes
que les gouvernements antérieurs avaient jugé à propos
d'inventer (1).
Ce fut aussi sous le règne de Charles III que les colonies
américaines furent pour la première fois traitées d'après les
maximes d'une politique sage et libérale. La conduite du
gouvernement espagnol sous ce rapport offre un contraste
tout en faveur de l'Espagne avec la politique que suivit à ta
même époque envers nos grandes colonies l'homme in-
capable et borné qui occupait alors le trône d'Angleterre.
Pendant que les mesures violentes de Georges III poussaient
les colonies anglaises à la rébellion, Charles III s'occupait
activement à concilier les colonies espagnoles. Pour y par-
venir, et pour donner toute facilité au développement de
leur prospérité, il fit tout ce qu'il était possible de faire avec
les ressources qu'il avait à sa disposition. En 4764, il éta-
blit, et c'était vraiment une grande chose à cette époque,
des communications directes et mensuelles avec l'Amérique,
afin d'introduire plus facilement les réformes qu'il méditait,
et de s'occuper plus sérieusement des réclamations des
colonies (2). L'année suivante, le libre commerce fut ac-
cu ■ La proridencia mas acertada para el fomeoto de noestra agricaltora fne sin dada
la real pragmàtica de 11 de jalio de 1766, por la caal se aboliô la Usa de los gtanos, y se
jpermitiô el libre comercio de ellos. • Tapia, CiiHlizacion E&pafiota, t. IV, pag. 10$. Voyez
aussi DUIod, Spain, pag. 69, et Townsend, Spain, t. II, pag. 230. La premier pas en faveur
de cette grande réforme fat fait en 1751. Voyez redit de cette même année : « Ltbertase 4e
derecûQS el trigo, cebada,centeno y mais que por mar se transportée de nnas provinelas
à otras de estos dominios. > Ce document, qui est important ponr l'histoire de l'économie
politique,est imprimé dans l'appendice à Y Education Popular, de Campomanes. Madrid,
1775, t. II, pag. 16, 17.
(2) < Pronto se establecieron los correos maritimos y comnniearon con regnlaridad y
frecuencia no vistas hasta entônces la metrôpoli y las colonias. Por efecto del importante
decreto de 34 de agosto de 1764, salia el primera de cada mes on paquebot de la Corana
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 137
cordé aux Antilles, dont les abondantes denrées pouvaient
maintenant circuler librement, à l'avantage mutuel de la
colonie, et de ses voisins (1). De nombreuses améliora**
tîons furent introduites dans toutes les colonies, la tyran-*
nie des gens en place fut arrêtée, et les charges imposées
au peuple furent diminuées (2). Enfin, en 1778, les prin-
cipes du commerce libre ayant réussi dans les Antilles,
furent également appliqués au continent américain; les ports
du Pérou et de la Nouvelle Espagne furent ouverts ; et ces
mesures donnèrent une impulsion immense à la prospérité
de ces magnifiques colonies que la nature avait faites riches
et fertiles, mais que la folie de l'homme avait rendues pau-
vres (3).
11 en résulta une réaction si rapide sur la mère patrie,
qu'à peine l'ancien système du monopole était-il renversé,
que le commerce de l'Espagne progressa, et continua à pro~
cou toda la correspondencia de las Indias ; desembarcàbala en la Habana, y desde alli se
distribua en balandras y otros bajetes a propôsito para puotear les vienios escases, à
Veraeruz, Portobelo , Cartagena, islas de Barlovento y provincias de la Plata; y aquellos
ligeros buques volvian à la Habana , de donde zarpaba mensualmente y en dia fijo otro
paquebot para la Coruna. • Rio, Hisl. ciel Reénado de Carlos III, t. 1, pag. 438. Mais
cette partie do projet, qui avait pour bot de rendre Coruoa la rivale de Cadiz, parait n'avoir
pas réussi. Voyez une lettre écrite de Coruna en 1774, dans Dâlrymple, Travels through
Spain. Lond.,1777, in-4% pag. 99,
(1) Voyez les édits dans Campomanes, Apendice. Madrid, 1775, t. II, pag. 37-47. Ils sont
tous les deux datés du 16 octobre 1765.
(2) Alaman disait avec raison « que el gobierno de America llegô al colmo de su perfec-
Cion en tiempo de Carlos III. » Rio, Hist. del Keinado de Carlos III y t. IV, pag. 141. Et
Humboldt fait observer {Essai politique sur le royaume de la Nouvelle Espagne. Paris,
1811, in-4% 1. 1, pag. 102) que : t (Test le roi Charles III surtout qui, par des mesures aussi sages
qu'énergiques, est devenu le bienfaiteur des indigènes; il a annulé les Encomiendas ; il
a défendu les Repartimientos , par lesquels les corregidcrs se constituoient arbitraire-
ment les créanciers et par conséquent les maîtres du travail des natifs, en les pourvoyant,
à des prix exagérés, de chevaux, de mulets et de vêtemeng {ropa). »
(3) Cabarrus, Elogio de Carlos III. Madrid, 1789, pag. xlii, et la note de Canga dans
fiartinez de la Mata, Dos Discursos. Madrid, 1794, pag. 31. Mais ces écrivains n'étaient
pas assez versés en économie politique pour apprécier complètement cette mesure.
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138 HISTOIRE
gresser jusqu'à ce que l'exportation et l'importation eussent
atteint un chiffre t qui dépassait l'attente des auteurs de la
réforme eux-mêmes. En effet, l'exportation des denrées
étrangères fut triplée, celle des produits de la mère patrie
fut quintuplée, et le chiffre des importations de l'Amérique
se multiplia par neuf (1).
On révoqua un grand nombre d'impôts qui pesaient lour-
dement sur les basses classes; et comme leurs charges se
trouvèrent ainsi considérablement allégées, on espéra que
leur condition s'améliorerait rapidement (2). Pour leur
donner encore de plus grands avantages, on fit certains
changements dans la procédure, qui leur permirent de ré-
clamer la justice des tribunaux publics, lorsqu'ils auraient à
se plaindre de leurs supérieurs. Jusque-là, un homme pau-
yre n'avait pas la moindre chance de réussir contre un
riche ; mais pendant le règne de Charles III, le gouverne-
ment introduisit des ordonnances qui donnaient aux labou-
reurs et aux ouvriers la possibilité d'obtenir justice, lorsque
leurs maîtres les frustraient de leurs gages, ou violaient les
contrats qu'ils avaient faits avec eux (3).
Les classes ouvrières ne furent pas les seules à jouir de
ces mesures libérales. Les ctasses littéraires et scientifiques
furent également encouragées et protégées. En affaiblissant
(1) c Early in the reign of Charles, steps had been taken towards the adoption of more
libéral principles in tbe commerce with America; but, in the year 1778, a complète and
radical change was introdnced. The establishment of a free trade rapidly prodnced the most
bénéficiai conséquences. The export of foreign goods vas tripled» of home-produce quia-
tupled ; and the retnrns from America angmented in the astonishing proportion of nine to
one. The produce of the customs increased with equal rapidity. » Clarke, Examination of
the Internai State ofSpain. Lond., 1818, pag. 72.
(2) Coxe, Bourbon Kings ofSpain, t. V, pag. 197, 317,318.
(3) Voyez ce que dit Florida Blanca dans Coxe, Bourbon Kings ofSpain, t. V, pag. 331 :
« To facilitate to artisans and journeymen the scanty payment of their labours, in spite of
ihe privilèges and interest of the powerful. »
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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 159
le pouvoir de l'inquisition, Charles diminua considérable-
ment une source de dangers à laquelle ces classes avaient
été longtemps exposées. Le roi était d'ailleurs toujours prêt
à les récompenser; il avait lui-même un esprit cultivé et il
aimait à être regardé comme le patron des hommes éclai-
rés (1). Peu après son accession au trône, il promulgua une
loi qui exemptait du service militaire les imprimeurs, ainsi
que toutes les personnes dont la profession avait trait à l'im-
primerie, tels que les fondeurs de caractère, etc. (2). Il
essaya de donner une nouvelle vie aux vieilles universités,
et s'efforça de rétablir leur discipline et leur réputation (3).
Il fonda des écoles, dota des collèges, récompensa les
professeurs, et accorda des pensions. Sa munificence sem-
blait inépuisable, et est suffisante à elle seule pour expli-
quer la vénération que les littérateurs espagnols ont pour sa
mémoire. Ils ont toute raison de regretter de ne pas avoir
vécu sous son règne, au lieu de vivre maintenant. Charles
considérait que leurs intérêts étaient identiques avec les in-
térêts du savoir; et il estimait ces derniers à un si haut de-
gré, qu'en 1771 il établit comme un principe gouvernemen-
tal que l'éducation était la plus importante de toutes les
branches du service public (4).
(i) Rio, Hist. del Reinado de Carlos III, t. IV, pag. 317*318, et d'autres.
(2) i Desde mi felii advenimiento al trono > ( dijo el Rey en la ordenanza de reemplazos)
• ha merecido mi Real proteccion el arte de la imprenta, y, para que pueda arraigarse sôli-
damente m estos reinos, veogo en deelarar la extencion del sorteo y servicio militar, no
solo à los impresores, sino tambieo à los fandidores que se empleen de continue» en este
ejercicio, y à los abridores de punzooes y matrices. » Rio, Hist. del Reinado de Caries III»
t. UI, pag. 213.
(3) Relatirement aux mesures prises pour réformer les universités entre 1768 et 1774 v
voyez Rio, HisL del Reinado de Carlos III , t. III, pag. 185-210. Comparez t. IV,
pag. «6-299.
(4) f La éducation de la juventnd por los maestros de primeras letras es uno y'aun el
mas principal ramo de la policia y buen gobierno del Estado. • Real Provision de II de
julio de 1171, publiée dans Rio, t. IU, pag. 181
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140 HISTOIRE
Ce ne fut pas tout. Il n'y a aucune exagération à dire que
sous le règne de Charles III la physionomie générale de
l'Espagne changea plus que pendant les cent cinquante
années qui s'étaient écoulées depuis l'expulsion définitive
des mahométans. Lors de son avènement en 1759, la poli-
tique sage et pacifique de son prédécesseur, Ferdinand VI,
avait mis ce prince à même non seulement de payer une
grande partie des dettes de la couronne, mais aussi d'accu-
muler et de laisser derrière lui des sommes considérables (4).
Charles en profita pour commencer les magnifiques travaux
publics qui devaient, plus que tous les autres actes de son
administration , frapper les sens, et rendre son règne popu-
laire. Puis, lorsque les ressources placées à sa disposition de-
vinrent plus grandes, par l'augmentation de la richesse publi-
que plutôt que par l'imposition de nouvelles charges, il en
consacra une grande partie à l'achèvement de ses projets. Il
embellit tellement la ville de Madrid, que l'on disait quarante
ans après sa mort que c'était à lui qu'elle devait toute sa
magnificence. Les monuments et les jardins publics, les
belles promenades autour de la ville, ses superbes portes,
ses institutions, jusqu'aux routes qui conduisent aux envi-
rons, sont l'œuvre de Charles III, et les trophées remar-
quables qui attestent son génie et la somptuosité de ses
goûts (2).
(1) M. Lafaente, qui a loué avec justice l'amour de Ferdinand VI pourja paix (Hist. de
Espafla, t. 1, pag. 203; t. XIX, pag. 286, 378), ajoute (t. XIX, pag. 384) : « De modo que
eon mon se admira, y es ei testimonio mas bonroso de la buena administracion eeonémica
de este reinado, que ai morir este buen monarca dejâra, no diremos nosotros replelas y
apuntaladas las arcas pttblicas, como hiperboiicamente suete decirse, pero si con el consi-
dérable sobrante de trescientos millones de reaies, despues de cubiertas todaa las aten-
eiooes del Estado : fenômeno que puede decirse se veia por primera toi en fispana, y
resultado satisfactorio, que aun supuesta una buena administracion, solo pudo obtenerse à
fat or de su prudente politica de neutralidad y de pas. »
(2) i But is to Cbarles UI tbat Madrid owes ail iU présent magnificence. Ubdef bis>ea?e,
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 141
Dans d'autres parties du pays, des routes furent ouvertes
et des canaux creusés, afin d'augmenter le commerce en
établissant des voies de communication à travers des régions
jusqu'alors impraticables. A l'avènement de Charles III, la
Sierra Morena tout entière n'était habitée que par les
animaux féroces et les bandits qui s'y réfugiaient (1). Aucun
voyageur ne pouvait s'y aventurer; et le commercé se trou-
vait ainsi exclu d'une région que la nature avait marquée
comme l'une des plus grandes artères de l'Espagne, placée
comme elle l'est entre les bassins du Guadiana et du Goa-
dalquivir, et sur la route directe entre les ports de la Médi-
terranée et ceux de l'Atlantique. Le gouvernement actif de
Charles III résolut de remédier au mal ; mais le peuple espa-
gnol n'ayant pas l'énergie nécessaire pour accomplir ces
projets, on persuada à six mille Hollandais et Flamands de
venir s'établir, en 1767, dans la Sierra Morena. A teur arri-
vée, on leur distribua des terres; des routes furent ouvertes
à travers tout le district, des villages furent construits, et ce
- Ibe royal palace vas finished, the noble gâtes of Alcalà and San Vincente were raised ; the
.4Ustom»house, the post-office, the muséum, and royal prin'ing-office, were constructed;
the academy of the three noble arts improved ; the cabinet of natnral history, the botaaic
garde», the national bank of San Carlos, and many gratuitoos schools established ; while
convenient roads leading from the city, and delightfal walks planled within and vrithoot
tt,and adorned by statues and fonntains, combine to annoeoce the solicitnde of tbis patentai
king. » Spain by an American. Lond., 1831, 1. 1, pag. 406. Voyei aussi pag. 297.
(4) Le passage suivant décrit sa situation en 1766 : « Por temor 6 por connivencia de los
Tenteras, dentro de sns casas concertaban frecuentemente los ladrones sus robos,y los
ejecutabaii à mansalva, ocultàndose en gaaridas de qne ahuyentaban à las fieras. Acaso à
tiay largas dittaucias se descubrian entre contados caserios algunos pastores como los
que alli hizo encontrar el ilustre manco de Lepanto al ingenioso hidalgo de la Mancha.
Farte de la Sierra estuvo poblada en tiempo de Moros ; actualmente ya no babia mâs que
tspesos matorrales hasta en torno de la ermita de Santa Elena, donde resonaron cànticos
de gracias al Cielo por el magnifico triunfo de las Navas. > Rio* Hist. del Reinado de
Carlos II], t. III, pag. 9. Relativement à la condition de la Sierra Morena un siècle plus
«et, Toyei Boise!, Journal du voyage d'Espagne. Paris, 1669, in-4*, pag. 62, 296, qui rap-
pelle « le lieu le plus dés? rt, et ou il n'y a que quelques venta* sans villages. >
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142 HISTOIRE
qui était un désert impénétrable, devint tout à coup un ter-
ritoire riant et fertile (1).
Presque toutes les routes de l'Espagne furent réparées ;
certains fonds ayant été dès Tannée 4760 mis de côté dans
ce but (2). On commença une grande quantité de nouveaux
travaux; et on introduisit de si grandes améliorations, tout
en employant la plus grande vigilance pour empêcher le
péculat des employés du gouvernement, qu'au bout de quel-
ques années la dépense pour l'entretien des voies publiques
fut réduite de plus de moitié (3). Parmi les entreprises qui
furent heureusement terminées, les plus importantes furent
la route de Malaga à Antequera (4), et celle d'Aquilas à
Lorca (5). Ces routes établirent la communication entre la
Méditerranée et l'intérieur de l'Andalousie et de la Murcie.
Pendant que ces voies étaient établies dans le sud et dans
le sud-est de l'Espagne, d'autres s'ouvraient au nord et au
nord-ouest. En 1769, on commença une route entre Bilbao
et Osma (6); et bientôt après la route entre Galicia et Astorga
(i) Rio, Hi8t. del Reinado de Carlos III, t. III, pag. 9-li, 35. En 1771, « sin auxilio de
la Real hacienda pudieron mantenerse al fin los colonos. > Pag. 42. Voyez aussi t. IV»
pag. 114, 115. Ponr l'histoire de cette colonie, voyez lnglis, Spain. Lond., 1831, t. II,
pag. 29-31.
(2) < En 1760 se destiné por primera vei an fondo especial para la constraccion de cami-
nos. • Tapia, Civilizacion Espailola, t. IV, pag. 123.
(3) Dans le fait, M. Rio dit que la dépense fnt réduite des deux tiers et dans quelques
endroits des trois quarts, t Antes se regulaba en un millon de reaies la constraccion de cada
légua ; ahora solo ascendia à la tercera ô cuarta parte de esta suma. » Rio, Hist. del Reinado
de Carlos III, t. IV, pag. 117.
(4) Une note dans Bowles {Hist. Natural de Espana. Madrid, 1789, in-4% pag. 158)
appelle cette route « un camino alineado y sôlido. * Dans Cook (Spain. Lond., 1834, 1. 1,
pag. 209 ) on l'appelle « a magnificent road. •
(5) « Para dar salida à los frutos, que regaban los pantanos de Lorca, ejecutose una
bien trazada via al puerto de las Aguilas. » Rio, Hist. del Reinado de Carlos III, t. IV,
pag. 115, 116. ,
(6) En 1769, Baretti écrivait : c The Biscayans are actually making a noble road, vhicn
is to go from Bilbao to Osma. » Baretti, Journey through England, Portugal, Spain
and France. Lond., 1770, t. IV, pag. 311. ,
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 143
fut terminée (1). Tous ces travaux furent exécutés avec tant
d'habileté que les chemins de l'Espagne, autrefois les plus
mauvais en Europe, se trouvèrent classés parmi les meil-
leurs. Dans le fait, un juge compétent et qui est loin d'être
favorablement disposé pour l'Espagne, admet qu'à la mort
de Charles (II il était impossible de trouver de meilleures
routes dans aucun pays (2).
Dans l'intérieur, les rivières furent rendues navigables, et
des canaux établis pour les réunir ensemble. L'Èbre coule
au cœur même de l'Aragon et dans une partie de la Vieille
Castille; il est navigable pour le commerce jusqu'à Logrono,
et en redescendant jusqu'à Tudela. Mais entre Tudela et Sa-
ragosse, la navigation est interrompue par la grande rapi-
dité de son courant et par les nombreux rochers qui se
trouvent dans son lit. Il en résulte que la Navarre est privée
de sa voie naturelle de communication avec la Méditerra-
née. Sous le règne de Charles Y, on essaya de remédier à
cet inconvénient; mais le projet ne put réussir; il fut mis
de côté et complètement oublié jusqu'à ce qu'il fût repris
deux siècles plus tard par Charles III. Sous ses auspices, on
projeta le grand canal d'Aragon et la magnifique idée de
réunir la Méditerranée et l'Atlantique. Mais ce fut là un des
cas nombreux dans lesquels le gouvernement espagnol était
(1) < Otras diferentes «arrêteras, constraidas de nuevo ô rehabilitadas, mnltiplicaron
las comunicaeiones dorante los nueve primeras anos de estar à cargo de Floridablanca la
snperintendencia gênerai de caminos, haciéndose de fàcil y cômodo transite* pontos esca-
brosos como el del Puerto de la Cadena y los que médian entre Astorga y Galicia, y Mâlaga
y Anteqoera. » Rio, BUL del Reinado de Carlos III, t. IV, pag. 415.
(£) «The reigns of Ferdinand the Sixth and Charles the Third prodneed the most bénéficiai
changes in this important branch of political economy. New roads were opened, whien were
carefully levelled, and constrocted with solidity. There are at the présent time in Spain
several soperb roads, snch as may vie with the fioest in Europe; indeed, they hâve been
made with snperior jodgment, and npon a grander scale. > Laborde, Spain, édit. Lond.,
1809, t. IV, pag. 427.
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144 HISTOIRE
beaucoup trop en avance sur l'Espagne elle-même ; et on dut
abandonner un projet pour lequel les ressources du pays
étaient insuffisantes. Néanmoins ce qui fut réellement ac-
compli avait une immense valeur. On construisit un canal
jusqu'à Saragosse, et on put se servir de l'Ébre non seule-
ment comme moyen de transport, mais aussi pour Frrriga-
tiondusol. On procurait ainsi même aux extrémités occiden-
tales de f Aragon un commerce faeile et avantageux. De plus
on rendit plus productives les anciennes terres dont ht valeur
augmenta, et on en livra de nouvelles à l'agriculture. Ceci
profita également à d'autres parties de l'Espagne. La Cas-
tille par exemple avait toujours été dépendante de PÂragon
pour ses approvisionnements en temps de disette, bien que
FAragon ne pût, avec l'ancien système, produire plus qu'il
ne fallait pour sa propre consommation. Mais grâce à ce
grand canal, auquel vint se joindre à la même époque celui
de Tausté (1), le sol de l'Aragon devint plus productif qu'il
ne l'avait jamais été, et les plaines fertiles de l'Èbre produi-
sirent d'une manière si abondante qu'elles purent fournir du
blé et d'autres denrées alimentaires aux Castillans aussi bien
qu'aux Aragonnais (2).
Le gouvernement de Charles 111 construisit encore an
canal entre Amposta et Alfaques (3), qui arrosait l'extrémité
(i) Coie, Bourbon Kings ofSpain, t. V, pag . 887.
(2) Idem, f fttrf., t. V, pag. 198, 199, 286, 287? Toirasend, Spain, t. 1, pag. H%U5 ; Laborde,
Sfain, t. II, pag. 271. Ce canal, qui devait ouvrir me fibre communication entre fe golfe de
Gascogne et la Méditerranée, est à peine remarqué dans Bffacpherson, ifnnaJrof Commerce,
t. IV, pag. 95, 96, un ouvrage fort savant, mais très imparfait en ce qui regarde l'Espagne.
La valeur économique de celte grande entreprise et le succès qu'elle obtint sont beaucoup
trop rabaissés dans Ford, Spain, pag. 587, un ouvrage qui, malgré les éloges qu'il a reçus,
est fait avec négligence et qui induit en erreur les lecteurs qui ne peuvent le comparer à
d'antres autorités compétentes. L'histoire de Chartes III de M. Rio contient à ce sujet des
renseignements intéressants.
(3) Idem, ibid., t. V, pag. 288, 289, sur l'autorité de Florida Blanca lui-même.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 145
méridionale de la Catalogne, et livra à l'agriculture un im-
naeose district qui n'avait jamais été cultivé par suite du
manque eomplet d'eau. Une autre entreprise plus grande
encore, qui appartient à ce règne» fut une tentative, qui ne
réusait qu'«n partie, d'établir par eau une voie de communi-
cation £ûtre la capitale et l'Atlantique, en creusant un canal
entre Madrid et Tolède, d'où les marchandises eussent été
transportées sur le Tage jusqu'à Lisbonne, ce qui eût ouvert
entièrement le commerce de l'Ouest (1). Mais ce noble pro-
jet, comme beaucoup d'autres, fut arrêté par la mort de
Charles III, qui mit fin à tous ces progrès. Une fois qu'il eut
disparu, la nation retomba dans son inactivité; et il devint
évident que ces grands travaux avaient pour base la politi-
que, et non le vœu de la nation; en d'autres termes qu'ils
étaient dus seulement à l'influence d'individus dont les plus
grands efforts n'aboutissent jamais à rien, lorsqu'ils rencon-
trent l'opposition de ees causes générales qui ne sont quel-
quefois pas visibles, mais auxquelles tout obéît.
Raisonnant d'après les maximes ordinaires aux hommes
d'État, Charles III avait bien le droit d'espérer que, grâce à
ce qu'il avait accompli, les destinées de l'Espagne seraient à
jamais changées. En effet tous cefe travaux, et beaucoup
d'autres qu'il fit exécuter (2), ne furent pas payés, comme
(1) Goxe, £o%rban Kings çf Spain, t. V, pag. 499 ; Towneeurt, Spain, 4.1, pag. 80*.
(2) Voyez ce que dit Florida Blanca dans Goxe, Bourbon Kings of Spain, t. Y, pag. 289 :
• In many other parts similar works hâve been promoted, for canals of irrigation, and for
encouragipg agriculture and traîne. The canals of Manzanares and Guadarraroa are conti-
nued by means of the national bank, which has appropriated one-hatf of the profits denved
from the export of silver to this end. » « The town of Almuradiel, foraed in the
middle of the campo nuevo of Andalnsia, for the rugged pass of Despena Perros, is another
example of agriculture for the neighbouring places; since, instead of voods and frightful
déserts, we hâve seen in a few years public buildings, houses, plantations, and cultivated
lands, produeing every species of grain and fruits, which border the road, and banish the
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146 HISTOIRE
cela arrive trop souvent, par des impôts qui pesaient sur le
peuple et entravaient son industrie. Il avait près de lui, l'aidant
sans cesse de leurs conseils, des hommes qui avaient réelle-
ment à cœur le bien public, et qui n'eussent jamais été cou-
pables d'une erreur aussi fatale. Sous son gouvernement, la
richesse de la nation s'accrut d'une manière considérable, et
le bien-être des basses classes, loin d'être diminué, augmenta
d'une façon notable. Les impôts étaient distribués avec plus
de justice. Certaines contributions que l'autorité executive
du dix-septième siècle ne pouvait parvenir à arracher au
peuple, étaient, sous Charles III, payées régulièrement, et,
grâce au développement des ressources nationales, elles de-
vinrent à la fois plus productives et moins onéreuses. Les
finances publiques furent administrées avec une économie
dont le règne précédent avait donné l'exemple, règne pen-
dant lequel la politique prudente et pacifique de Ferdinand VI
posa la base d'un grand nombre des améliorations que nous
venons d'énumérer. Ferdinand légua à Charles III un trésor
qu'il n'avait pas extorqué, mais économisé. Parmi les réfor-
mes qu'il introduisit, et que je n'ai pas voulu relater dans
la crainte d'accumuler ces détails, il y en a une très impor-
tante et qui caractérise parfaitement sa politique. Avant son
règne, l'Espagne avait été saignée, tous les ans, d'une somme
considérable, par suite du droit que s'arrogeait le pape de
présenter certains riches bénéfices et de recevoir une frac-
danger of robbers and banditti. Voyez aussi Muriel, Gobiemo del Rey Don Carlos IH,
pag. 5 : « Habiendo sido el reinado de Carlos III una série continua de mejoras en todos
ramos. » et cette remarquable description (pag. 15) : Agriculture, artes mecànicas, corner-
cio, ensenansa, milicia, navegacion, ciencias, letras,legisIacion, en una palabra, todo cuanto
puede inflair en la prosperidad del Estado, todo llamô la atencion de los ministros, y en
todo hicieron las mejoras que permitian las circunstancias. » Quant aux améliorations
dans l'intérieur du pays, voyez le même excellent ouvrage, pag. 187-192.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 147
tion de leurs revenus, probablement comme récompense de
là peine qu'il se donnait. Le pape fut relevé de cette charge
par Ferdinand VI, qui assura à la couronne d'Espagne le
droit de conférer ces bénéfices, et conserva ainsi au pays les
sommes énormes qui avaient jusqu'alors servi au luxe de la
cour de Rome (1). C'était là une des mesures qui plaisaient
à Charles III, parce qu'elle était en harmonie avec ses pro-
pres idées; aussi trouvons-nous que, sous son règne,
elle fut non seulement mise à exécution, mais même éten-
due. En effet, s'apercevant qu'en dépit de ses efforts, les
sentiments des Espagnols sur ces matières les poussaient à
faire des offrandes à celui qu'ils vénéraient comme le chef
de l'Église, le roi résolut d'exercer son contrôle même sur
ces dons volontaires. Pour arriver à ce but, divers projets lui
furent suggérés; et il se décida enfin pour une mesure qui
paraissait devoir être efficace. On promulgua un ordre royal
stipulant que personne ne pouvait envoyer de l'argent à
Rome; mais que si quelque individu avait des paiements à
faire dans cette ville, l'argent devait passer par les mains
des ambassadeurs ou autres agents de la couronne d'Es-
pagne (2).
Si nous passons maintenant en revue les transactions
que j'ai énumérées et si nous les considérons dans leur en-
(1) An sujet de cette mesure, qui fut mise à exécution en 1754, voyez Tapia, Civilizacion
Espaflola. Madrid, 1840, t. IV, pag. 81, 82. « Fne este tratado ntilisimo para la Espana,
pnes por él se liberté del pago de énormes snmas que hasta entonces habian pasado à los
estados pontificos. En el informe canônico-legal escrito à virtnd de real ôrden en 1746 por
el fiscal de la câmara de Castilla Don Blas de Jover, se decia; qne segnn el testimonio del
historiador Cabrera, en el espacîo de 30 anos el solo renglon de las coadjntorias y dispensas
habia hecho pasar à Roma de la corona de Castilla millon y medio de dncados romanos.
Y anade el mismo Jover qne à principios del siglo XVIII subia ann esta contribncion cada
ano en todos los estados de la monarquia espanola à 500,000 escudos romanos, que era un
tertio poco mas ô menos de lo que Roma percibia de toda la cristiandad. •
(2) Voyei l'appendice I à Coxe, Bourbon Kings ofSpain, t. V, pag. 334.
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148 HISTOIRE
semble depuis l'avènement de Philippe V jusqu'à la mort de
Charles III, c'est à dire une période de près de quatre-vingt
dix ans, nous serons frappés d'étonnement par leur unité,
par la régularité de leur marche, et par leur succès appa-
rent. En les examinant seulement à un point de vue poli-
tique, il est douteux qu'un progrès aussi vaste et aussi con-
stant se soit jamais vu dans aucun pays» n'importe à quelle
époque. Pendant trois générations successives il n'y eut de
la part du gouvernement ni pause, ni réaction, ni hésita-
tion. Les améliorations et les réformes ne cessèrent de se
succéder rapidement Le pouvoir de l'Église, qui a toujours
été la plaie de l'Espagne , et auquel jusqu'alors aucun des
hommes d'État les plus hardis n'avaient osé toucher, fut res-
treint en toutes choses par une série d'hommes politiques,
depuis Orry jusqu'à Florida Blanea, dont les efforts lurent
pendant près de trente ans assistés par le zèle de Charles III,
le plus habile monarque qui ait occupé le trône depuis la
mort de Philippe IL L'inquisition elle-même apprit à trem-
bler, et fut forcée de relâcher ses victimes. Le bûcher des
hérétiques fut éteint. La torture fut abandonnée. Les per-
sécutions pour cause d'hérésie cessèrent. Au lieu de punir
les hommes pour des crimes imaginaires, le gouvernement
se montra disposé à «'occuper de leurs véritables intérêts, à
alléger leurs fardeaux, à augmenter leur bien-être, et à
mettre un frein à la tyrannie de ceux auxquels l'autorité
était confiée. On essaya de réprimer la cupidité du -clergé et
de l'empêcher d'accaparer à son gré la richesse nationale.
Dans ce but, les lois de mainmorte furent modifiées, et di-
verses mesures adoptées pour mettre obstacle à la volonté
des personnes disposées à gaspiller leur fortune en la lé-
guant à des établissements ecclésiastiques. Les véritables
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 149
intérêts de la société furent en ceci, comme en toute autre
chose, préférés aux intérêts fictifs. Pour la première fois
depuis que l'Espagne avait possédé un gouvernement, le
pouvoir se donna pour but de placer les classes sécu-
lières au dessus des classes spirituelles, de décourager
l'attention exclusive qu'on avait jusqu'alors donnée à des
questions complètement inconnues et qu'il est impossible
de résoudre; et de substituer à ces spéculations stériles le
goût des sciences et de la littérature. Gomme partie essen-
tielle de ce plan, les jésuites furent chassés, le droit de sanc-
tuaire fut enfreint, et toute la hiérarchie , depuis l'évêque
le plus puissant jusqu'au moine le plus insignifiant, apprit
à craindre la loi, à réprimer ses passions et à mettre un
frein à l'insolence avec laquelle elle avait jusqu'alors traité
toutes les classes de la société. De pareilles mesures eussent
été des actes remarquables dans tous les pays; dans une
contrée comme l'Espagne elles étaient merveilleuses. J'en
ai donné une description abrégée et par conséquent impar-
faite, mais elle est suffisante pour montrer avec quelle dé-
termination le gouvernement travailla à diminuer la super-
stition, à arrêter le fanatisme, à stimuler l'intelligence, à
encourager l'industrie, et à réveiller le peuple de son som-
meil de mort. J'ai laissé de côté un grand nombre de me-
sures très importantes et qui toutes tendaient vers le même
but, parce que je cherche à me renfermer dans les points
saillants qui marquent le plus distinctement le mouvement
général. Quiconque voudra étudier à fond l'histoire de l'Es-
pagne pendant cette période, trouvera de nouvelles preuves
de l'habileté et de la vigueur des hommes qui étaient à la
tête des affaires, et qui consacrèrent toute leur énergie à ré-
générer le pays qu'ils gouvernaient. Mais ces études spé-
t iv. 10
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150 HISTOIRE
ciales demandent des hommes spéciaux; et je serai satisfait
si je suis parvenu à embrasser la marche générale et les con-
tours de l'ensemble.. Mon but sera rempli si j'ai établi la pro-
position générale, et si j'ai convaincu le lecteur de la netteté
avec laquelle les hommes d'État de l'Espagne ont compris
les maux sous lesquels leur patrie gémissait, et du zèle avec
lequel ils se sont consacrés à guérir ces maux et à relever ta
fortune d'une monarchie qui avait non seulement été Tune
des principales de l'Europe, mais encore qui avait tenu le
sceptre sur le territoire le plus magnifique et le plus étendu
qui ait jamais été réuni sous une même autorité depuis la
chute de l'empire romain.
Ceux qui croient qu'un gouvernement peut civiliser une
nation, et que les législateurs sont la cause du progrès
social, s'attendront naturellement à ce que l'Espagne
recueillit les avantages permanents des maximes libérales
qui furent alors, pour la première fois, mises à exécution.
Mais le fait est que malgré sa sagesse, cette politique ne
servit à rien, simplement parce qu'elle allait à rencontre de
l'enchaînement tout entier des circonstances qui Pavaient
précédé. Elle était en opposition avec les habitudes de
l'esprit national, et elle fut introduite au milieu d'une société
qui n'était pas encore assez mûre pour la comprendre.
Aucune réforme ne peut avoir un résultat véritablement utile
si elle n'est pas l'œuvre de l'opinion publique, si le peuple
lui-même ne prend pas l'initiative. En Espagne, pendant le
dix-huitième siècle, l'influence étrangère et les complica-
tions de la politique extérieure donnèrent des gouvernants
éclairés à une nation qui ne l'était pas (1). Il en résulta que
(f) Il est important d'observer <jae les Cortés, le seul endroit où la ?oix du peuple avait
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 151
pendant on certain temps de grandes choses furent accom-
plies. On remédia aux abus, on redressa les griefs, on intro-
duisit de nombreuses et importantes améliorations, et un
esprit de telérance se manifesta, qui ne s'était jamais encore
vu dans cette contrée superstitieuse et entièrement sous l'in-
fluence des prêtres. Mais l'esprit de l'Espagne n'était pas
touché. La surface, on pourrait dire les symptômes des
choses, étaient améliorées, mais les choses elles-mêmes
n'étaient nullement changées. Sous cette surface, et bien
loin de la portée de tout remède politique, agissaient les
grandes causes générales, dont l'action existait depuis
bien des siècles, et qui devaient certainement tôt ou tard
forcer les hommes d'État à revenir sur feurs pas, à inaugurer
une politique mieux adaptée aux traditions du pays et en
harmonie avec les circonstances qui avaient donné naissance
à ces traditions.
La réaction vint enfin. Charles III mourut en 1788 et eut
pour successeur Charles IV, un roi de race vraiment espa-
gnole, dévot, orthodoxe et ignorant (1). On vit alors combien
les choses étaient incertaines, et le peu de confiance qu'on
pouvait accorder à des réformes qui, au lieu d'être suggérées
par le peuple, lui étaient imposées par les classes politiques.
Charles IV, prince faible et méprisable (2), fut néanmoins
quelque chance de se faire entendre, ne s'assemblèrent que trois fois pendant tonte la durée
du dix-hnitième siècle et seulement pour la forme. « Les cortès ne se réunirent que trois fois
pendant le dix-huitième siècle, et plutôt encore comme des solennités formulaires pour la
prestation du serment aux princes héritiers de la couronne que comme étant nécessaires
pour de nouvelles lois et des contributions. » Sempere, Hist. des Cortès d'Espagne.
Bordeaux, 1815, pag. 270.
(1) En combinant ces trois qualités, il a mérité et reçu la cordiale approbation de l'éréque
actuel de Barcelone qui, dans son récent ouvrage sur l'Église espagnole, l'appelle • un
monarca tan piadoso. t Observaciones sobre El Présente y El Parvenir de la Iglesia
en EspaHa, par Domingo Costa y Borras. Barcelona, 1857, pag. 57.
(2)Alison lui-même qui, dan» son Hist. of Europe, donne généralement de grands
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152 HISTOIRE
si bien soutenu daos ses idées générales, par les sentiments
de la nation espagnole, qu'en moins de cinq ans il parvint
à renverser complètement la politique libérale dont l'établis-
sement avait demandé trois générations d'hommes d'État.
En moins de cinq ans tout fut changé. L'Église reconquit
son empire; on abolit toute liberté de discussion ; on ressus-
cita les anciens principes arbitraires dont on n'avait plus
entendu parler depuis le dix-septième siècle; les prêtres
reprirent toute leur importance; on intimida les hommes
de lettres, on découragea la littérature; l'inquisition, se
réveillant tout à coup, déploya une énergie qui fit trembler
ses ennemis, et elle prouva que tous les efforts qu'on avait
faits pour l'affaiblir n'avait pu réussir à altérer sa vigueur ou
à intimider son ancienne intrépidité.
Les ministres de Charles III et les auteurs des grandes
réformes qui avaient signalé son règne furent renvoyés pour
être remplacés par d'autres conseillers qui convenaient
mieux au nouvel état de choses. Charles IY aimait trop
l'Église pour tolérer la présence d'hommes d'État éclairés.
Aranda et Florida Blanca furent tous les deux destitués, et
tous les deux mis en prison (1). Jovellanos fut banni de la
cour, et Cabarrus fut emprisonné (2). Car ces hommes émi-
nents eussent refusé de prêter les mains aux mesures que
le gouvernement méditait. La politique qui avait été sui-
éloges aux hommes de sa trempe, le traite avec an certain mépris. «Charles IV was
not destitute of good qualities, bat he was a veak, incapable prince. » Édinb., 1849, t. VIII,
pag. 382.
(1) Sempere, Monarchie espagnole, i. II, pag. 167. Je n'ai pas besoin d'ajouter que la
description donnée dans les mémoires de Godoy ne mérite pas la moindre confiance. Ceux
qui connaissent l'histoire de l'Espagne verront bien qne ce livre a été écrit par Godoy dans
le bat de relever sa propre réputation en diffamant le caractère des plus éminents de ses
contemporains.
(2) Ticknor, Hist. ofSpanish Literature, t. III, pag. 277, 278.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 153
vie avec tant de persévérance pendant près de quatre-vingt-
dix ans était snr le point d'être abandonnée, afin de ressus-
citer dans toute sa vigueur primitive l'ancien empire du dix-
septième siècle, c'est à dire l'empire de l'ignorance, de la
tyrannie et de la superstition.
Une fois encore les ténèbres régnèrent sur l'Espagne; une
fois encore les ombres de la nuit couvrirent cette misérable
contrée. Les formes les plus hideuses de l'oppression, dit
un écrivain distingué, semblèrent s'abattre sur le pays avec
une force nouvelle et sinistre (1). En même temps, et
comme partie essentielle du nouveau système, on défendit
toute investigation capable de stimuler l'esprit, et on envoya
à toutes les universités un ordre qui interdisait l'étude de la
philosophie morale ; le ministre qui expédia cet ordre faisait
observer à bon droit, que le roi n'avait pas besoin de philo-
sophes (2). Mais on n'avait rien à craindre; il était peu pro-
bable que l'Espagne produisît une chose aussi dangereuse.
La nation n'osait pas, et ce qui est plus sérieux, ne voulait
pas résister; elle céda, et laissa le roi libre de faire comme
il l'entendait. En quelques années il réussit à neutraliser les
réformes les plus précieuses que ses prédécesseurs avaient
introduites. Ayant éloigné les conseillers capables qui avaient
entouré son père, il confia les postes les plus élevés à des
hommes dont l'esprit était aussi étroit que le sien ; il mit le
pays à deux doigts de la banqueroute, et, ainsi que le remar-
(1) a In ail its worst forma, therefore, oppression, mil, poli lical, and religions, appeared
to be settling down, wilh a new and portentons weight, on the whole conniry. » Ticknor,
HUt. ofSpanish Literature, t. III, pag. 318.
(2) « Caballero, fearing the progress of ail learning, which might distnrb the peace of the
Court, sent, not long since, a circnlar order to the nniversilies, forbidding the stndy of
moral philosophy. i His Majesty, » it was said in the order, « was not in want of philoso-
phe™, bot of good and obedient snbjects. » Doblado, Letters from Spain, pag. 358.
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154 HISTOIRE
que un historien espagnol, il épuisa toutes les ressources de
l'ÉUt (1).
Telle était la condition de l'Espagne vers la fin du dis-
huitième siècle. Elle fut bientôt envahie par la France* et
cette malheureuse contrée eut à souffrir toutes les calamités
et à passer par toutes les formes de l'avilissement. Il y a
pourtant en ceci une différence. Les calamités peuvent être
infligées par les autres ; mais un peuple ne peut être avili
que par ses propres actes. Le spoliateur étranger fait du mal;
il ne peut causer la honte. Il en est des nations comme des
individus; nul ne peut être déshonoré s'il reste sincère. Dans
le siècle où nous vivons, l'Espagne a été opprimée et pillée,
et l'opprobre s'est attaché aux voleurs et non ï ceux qui
étaient volés. Elle a été envahie par une soldatesque brutale
et licencieuse; ses campagnes ont été désolées, ses villes
mises à sac, ses villages brûlés. C'est à ceux qui ont commis
ces crimes et non aux victimes que la honte appartient.
Même au point de vue matériel ces pertes peuvent être ré-
parées, si le peuple qui les subit est rompu à ces habi-
tudes d'empire sur soi-même et de confiance en soi qui
sont les sources de toute grandeur réelle. A l'aide de ces
sentiments, toute perte peut être réparée, on peut remédier
à tous les maux. Sans eux, le coup le plus léger peut être
fatal. Ces sentiments sont inconnus en Espagne, et il semble
impossible de les y établir. Dans cette contrée, le peuplé a
été si longtemps accoutumé à obéir implicitement à la cou-
ronne et à l'Église, que la fidélité au roi et la superstition
religieuse ont usurpé la place de ces émotions plus nobles
(i) « Le gouvernement de Charles IV avait épuisé tontes les ressources de l'État. > Sem-
pere, fiist. des Cortès d'Espagne» pag. 323.
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DE LA CIVILISATION EK ANGLETERRE. 155
auxquelles une nation doit toute liberté, et en l'absence des-
quelles elle ne peut jamais arriver au sentiment vrai de l'in-
dépendance.
Plus d'une fois, pendant le dix-neuvième siècle, s'est ma-
nifesté un esprit dont on aurait pu attendre de meilleures
choses, g» 1812, en 1820 et en 1836, quelques réforma-
teurs ardents et enthousiastes essayèrent de rendre au peuple
espagnol la liberté en dotant l'Espagne d'une constitution.
Ils réussirent un moment, et ce fut tout. Us pouvaient don-
ner les formes du gouvernement constitutionnel ; mais ils
ne pouvaient trouver les traditions et les habitudes qui don-
nent une action à ces formes. Us imitèrent la voix de la
liberté; ils copièrent ses institutions; ils singèrent même
ses gestes. Et puis quoi ? Au premier coup de la mauvaise
fortune, leurs assemblées furent dissoutes, leurs lois abro-
gées. La réaction inévitable ne tarda pas à se présenter,
Après chaque révolution, le pouvoir de gouvernement prit
une nouvelle force, les principes du despotisme furent con-
firmés, et les libéraux espagnols apprirent à regretter le
jour où ils s'étaient vainement efforcés de donner la liberté
à leur malheureuse patrie (1).
(1) Ea Espagne la voix du peuple a toujours parlé contre le parti libéral, comme Font
observé nn grand nombre d'écrivains qui n'en connaissent pas la raison. M. Walton (Révo-
lutions ofSpain. Lond., 1837, 1. 1, pag. 322, 323) dit des cortès : « Public indignation
hnrled them from their seats in 1814; and in 1823 they vere orerpowered, not by the arms
of France, but by tue displeasure of their ovn countrymen, » etc. Voyez aussi pag. 290, et
Quin, Memoir$ of Ferdinand the Seventh.Loné., 1824, pag. 121, où il dit que « in ail the
towns through which the King passed, the multitude , excited by the friars and clergy,
overturned the constitutional stone, and uttered the most atrocious insults against the
Constitution, the Cortes, and the Libérais.» Comparez Sempere, HUt. des Cortès, pag. 335,
et Bacon, Six Years in Biscay, pag. 40. Dans le fait, un très intelligent écrivain sur les
affaires espagnoles en 1855 affirme avec beaucoup de vérité que l'Espagne est « un pays où
les populations sont i coup sûr moins libérales que les gouvernemens. ». Annuaire d*s
Deux Mondes, 1854, 1855. Paris, 1855, pag. 26$.
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156 HISTOIRE
Ce qui rend cet insuccès plus digne de remarque , c'est
que les Espagnols ont possédé à cette époque très reculée
des privilèges municipaux et des franchises semblables à
celles que nous avons en Angleterre et auxquels on a sou-
vent attribué notre grandeur. Mais ces institutions, quoi
qu'elles puissent conserver la liberté, ne peuvent jamais la
créer. L'Espagne avait la forme de la liberté sans en avoir
l'esprit; aussi cette forme disparut-elle bientôt, malgré tout
ce qu'elle semblait promettre. En Angleterre, l'esprit avait
précédé la forme, et par conséquent la forme est restée.
C'est ainsi que les Espagnols ont pu se vanter de posséder
des institutions libres un siècle avant les Anglais, mais sans
pouvoir les conserver, par la simple raison qu'ils avaient les
institutions et rien de plus. L'Angleterre n'eut une repré-
sentation populaire qu'en 1254 (1) ; mais en Castille elle
exista en 1169 (2), et en Aragon dès 1133 (3). La première
charte accordée à une cité anglaise ne date que du douzième
siècle (4), tandis qu'en Espagne une charte fut conférée à
la ville de Léon en l'an 1020 ; et dans le cours du onzième
siècle l'affranchissement des villes y était aussi assuré qu'il
était légalement possible de le faire (5). Le fait est néan-
moins qu'en Espagne ces institutions, au lieu de résulter des
besoins du peuple, durent leur origine à la politique de ceux
qui le gouvernaient. Les citoyens ne les désiraient pas; on
les leur accorda. En effet, pendant la guerre contre les ma-
hométans, les rois chrétiens de l'Espagne, à mesure qu'ils
(i) Voy. t. II.
(2) Preseott, Hist. of Ferdinand andlsabella, t. 1, pag. xltht.
(3) Ibid., t.I,pag.xcYi.
(4) Hallam, Middle Ages. Lond., 1846, 5* édit., t. II, pag. 153-157, qu'il faut comparer avec
Hallam, Supplemental Notes. Lond., 1848, pag. 323-327.
(5) Ibid. , t. 1, pag. 373 ; Preseott, Ferdinand and Isabella, 1. 1, pag. xlt, xlti.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 1.17
avançaient vers le Sud, désirant naturellement engager
leurs sujets à s'établir dans les villes frontières, où ils pou-
vaient affronter et repousser l'ennemi, accordèrent dans
ce but des chartes aux cités et des privilèges aux habi-
tants (i).
Lorsque les mahométàns se trouvèrent peu à peu refoulés
depuis les Asturies jusqu'à Grenade, les frontières changè-
rent et les franchises s'étendirent aux nouvelles conquêtes,
afin de récompenser ceux qui occupaient le poste le plus
dangereux. Cependant les causes générales que j'ai indi-
quées préparaient la nation aux habitudes de fidélité et de
superstition qui grandirent dans une proportion fatale à l'es-
prit de la liberté. Dans ces circonstances, les institutions ne
servirent à rien. Elles ne purent prendre racine; elles
avaient été établies par une combinaison politique, et une
autre combinaison politique les détruisit. A la fin du qua-
torzième siècle, les Espagnols s'étaient si bien fixés sur le
territoire dont ils venaient de faire la conquête qu'ils
n'avaient plus à craindre d'en être chassés (2) ; et il était
peu probable qu'ils pussent de longtemps conquérir de
nouvelles provinces et expulser les mahométàns des for-
teresses de la Grenade. Par conséquent les circonstances
qui avaient donné naissance aux privilèges municipaux
(1) « Ce fat alors que les successeurs de Pelage descendirent de leurs montagnes dans les
plaines, de leurs forteresses perchées sur des rocs inaccessibles dans les Tilles populeuses,
le long des flaires, dans de fertiles vallées et sur les côtes de la mer; ce fut alors que la
Tille d'Astorgue revint du pouvoir des Arabes à celui des Asturiens et chassa toute la partie
musulmane de ses habitants ; ce fat alors, enfin, que commencèrent en Espagne ces conces-
sions de franchises municipales par lesquelles les rois et les seigneurs chrétiens cherchèrent
à attirer des populations chrétiennes dans les lieux d'où ils avaient chassé les musulmans. »
Fauriel, Hist. de la Gaule méridionale. Paris, 1836, t. III, pag. 215. Voyei aussi Sempere,
Monarchie espagnole, t. II, pag. 256, 257.
(2) Au sujet de la confiance croissante des Espagnols vers le milieu du quatorzième siècle,
voyei un intéressant passage dans Mariana, Hist. de Espaila, t. IV, pag. 172, 173.
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158 mSTOlBE
avaient changé ; et du moment que ee changement fut ap*
parent, les privilèges commencèrent à disparaître. N'étant
pas adaptés aux mœurs du peuple, ils devaient tomber à la
première occasion (1). Leur déclin fut visible dès la fiq du
quatorzième siècle; ils avaient presque entièrement dis*
paru à la fin du quinzième siècle et ils avaient complète-
ment cessé d'exister au commencement du seizième (2).
C'est ainsi que les causes générales finissent toujours par
triompher de tous les obstacles. Dans la moyenne des choses
elles sont irrésistibles. Leur action est souvent attaquée e»t
est quelquefois arrêtée pour une courte période par les
hommes politiques qui sont toujours prêts avec leurs re-
mèdes empiriques. Mais lorsque l'esprit du siècle est anti-
pathique à ces remèdes,, ils ne peuvent réussir que pour un
(4) Les députés des villes finirent en effet par renverser leurs propres libertés, comme le
remarque fort bien un historien espagnol « 11 n'est pas étonnant que les monarques espa-
gnols tâchassent d'affermir leur autorité autant que possible, et encore moins que leurs
conseillers et leurs ministres coopérassent à leurs desseins. L'histoire de toutes les nations
nous offre de nomhreux exemples de cette politique; mais ce qu'il y a de plus remar-
quable dans celle d'Espagne, c'est que les députés des villes, qui auraient dû être
les plus zélés défenseurs de leurs droits, conspirèrent ouvertement contre le tiers?
état, et tentèrent d'anéantir les restes de l'ancienne représentation nationale. ■ Se m père,
Hist des Cortès oY Espagne, pag. 913. Il est fort étonnant que M. Sempere ne se soit jamais
demandé pourquoi cela arrivait en Espagne et non ailleurs. Un écrivain plus récent, réflé-
chissant à la destruction de l'élément municipal par l'autorité royale, donne une solution
qui comme bien d'autres solutions n'est que l'énoncé du même fait dans des termes diffé-
rents : c Al fin la autoridad real logrô alcanzar un gran predominio en el gobierno municipal
de los pnebio&tPorque los corregidores y alcaldes mayores Uegaron à eclipsar la influencia
de los adelantados y alcaldes elegidos por los pueblos* » Antequera, Hist. de la LegisUf.-
don Espaftola. Madrid, 1849, pag. 287. Ceci ne fait que raconter de nouveau l'événement
au lieu de l'expliquer.
(2) La destruction finale de la liberté populaire est attribuée par beaucoup d'écrivains à
la bataille de Villalar en 1521, bien qu'il soit certain que si les royalistes l'avaient perdue,
au lieu de la gagner, le résultat eût été le même. J'avais eu l'intention i une époque d'écrire
l'histoire des éléments municipaux et représentatifs pendant le quinzième siècle, et les
matériaux que je réunis alors m'ont donné la conviction que le sentiment de la liberté n'a
jamais existé en Espagne, et que par conséquent les formes extérieures de la liberté devaient
nécessairement disparaître tôt ou tard.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 1*9-
certain temps, au bout duquel la réaction surgit et fait payer
cher les violences passées. Quiconque voudra se donner la
peine de comparer l'histoire de la législation avec l'histoire
de l'opinion, trouvera la preuve évidente de mes assertions
dans les annales de touies les contrées civilisées. Le sort des
cités espagnoles nous a déjà donné cette preuve; le sort de
l'Église d'Espagne la confirmera de nouveau. Pendant plus
de quatre-vingts ans après la mort de Charles II, les maîtres
de l'Espagne s'efforcèrent d'affaiblir la puissance ecclésias-
tique; et le résultat de tous leurs efforts fut qu'un roi insi-
gnifiant et incapable comme Charles IV parvint avec la plus
grande facilité à renverser rapidement tout ce qu'ils avaient
fait. C'est parce que si, pendant le dix-huitième siècle, le
clergé fut assailli par la loi, il était soutenu par l'opinion.
Les opinions d'un peuple dépendent invariablement des
grandes causes générales qui influencent la nation tout en-
tière ; mais ses lois sont trop souvent l'œuvre de quelques
individus puissants qui les font malgré la volonté nationale.
Lorsque les législateurs meurent ou perdent leur charge, il
est toujours possible que leurs successeurs aient des vues
complètement différentes et renversent leur plan. Mais au
milieu de ces fluctuations de la vie politique, les causes
générales restent les mêmes, bien qu'elles soient souvent
cachées et ne deviennent visibles que lorsque les hommes
d'État les ramènent à la surface et les investissent en plein
jour de l'autorité publique.
C'est ce que Charles IV fit en Espagne, et lorsqu'il prit
des mesures en faveur de l'Église et contre la liberté d'inves-
tigation, il sanctionna purement et simplement les habitudes
nationales que ses prédécesseurs avaient méconnues. L'em-
pire que la hiérarchie de cette contrée possède sur l'opinion
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160 HISTOIRE
publique a toujours été proverbiale; mais il est encore plus
grand qu'on ne le suppose généralement. Nous avons déjà
vu ce qu'était cet empire au dix-septième siècle; et au dix-
huitième il n'y avait aucun signe de sa décadence, excepté
parmi quelques hommes à l'esprit audacieux qui ne pou-
vaient rien accomplir tant que la voix du peuple était contre
eux. Labat, qui voyageait en Espagne dans les premières
années du règne de Philippe Y, nous apprend que lorsqu'un
prêtre disait la messe, les seigneurs de la plus haute no-
blesse considéraient comme un honneur de l'aider à revêtir
ses vêtements, qu'ils s'agenouillaient devant lui et lui bai-
saient les mains (1). On peut s'imaginer ce qu'était le sen-
timent général lorsque la plus orgueilleuse aristocratie de
l'Europe s'abaissait à de pareilles pratiques. Labat affirme
qu'un Espagnol n'était pas considéré comme véritablement
orthodoxe s'il ne laissait au moins une portion de ses biens
à l'Église, tant le respect pour la hiérarchie était devenu
une partie essentielle du caractère national (2).
Un exemple plus curieux encore se manifesta à propos
de l'expulsion des jésuites. Ce corps jadis utile, mais main-
tenant embarrassant, était au dix-huitième siècle ce qu'il
est au dix-neuvième, c'est à dire l'ennemi acharné du pro-
(1) « Ceux qui servent la messe en Espagne, soit religieux on séculiers, ne manquent
jamais d'aider le prêtre à s'habiller, et le font avec beaucoup de respect. Les plus grands
seigneurs s'en font honneur, et, à mesure qu'ils présentent au prêtre quelque partie des
ornemens, ils lui baisent la main. On se met à genoux pour donner à laver au prêtre pen-
dant la messe, et, après qu'il a essuyé ses doigts, celui qui lui a donné l'eau, demeurant
à genoux, lui présente le bassin retourné, sur lequel le prêtre met sa main pour la lui laisser
baiser. Au retour à la sacristie, il ne manque pas d'aider le prêtre à se déshabiller, après
quoi il se met à genoux pour recevoir sa bénédiction et baiser sa main. » Labat, Voyages
en Espagne et en Italie. Paris, 1730, 1. 1, pag. 36.
(2) « Telle est la coutume du païs, on s'exposeroit à laisser douter de sa foi, et passer an
moins pour maran ou chrétien nouveau, si on ne laissoit pas le tiers de ses biens mobiliers
à l'Église. » Labat, Voyages en Espagne, 1. 1, pag. 968.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 161
grès et de la tolérance. Le gouvernement de l'Espagne,
voyant que les jésuites s'opposaient à tous ses projets de
réforme, résolut de se débarrasser d'un obstacle qu'il ren-
contrait sans cesse sur son chemin. Les jésuites venaient
d'être traités en France comme une plaie publique, et avaient
été supprimés d'un seul coup sans aucune difficulté. Les
conseillers de Charles III ne virent aucune raison pour ne
pas imiter en Espagne une mesure aussi salutaire, et en 1767,
suivant l'exemple qui leur avait été donné par les Français
en 1764, ils abolirent ce grand appui de l'Église (1). Le
gouvernement supposa que c'était là une mesure décisive
qui affaiblirait la puissance ecclésiastique, d'autant plus que
le roi lui avait donné sa cordiale approbation. L'année sui-
vante, Charles III, ainsi que c'était sa coutume, parut sur le
balcon du palais à l'occasion de la Saint-Charles, prêt à
accorder toute demande que le peuple lui adresserait. Cette
demande consistait généralement à prier le roi de destituer
quelque ministre ou d'abolir quelque impôt. Mais cette fois
les citoyens de Madrid, au lieu de penser aux choses de ce
monde, pensèrent que des intérêts plus graves se trouvaient
en danger, et à la surprise, à la terreur de la cour, ils de-
mandèrent d'une voix unanime qu'on permit aux jésuites
de revenir et de porter leur costume ordinaire, afin que
l'Espagne pût se réjouir de la vue de ces saints hommes (2).
(1) L'opinion du pape était que Charles III avait par cette mesure mis son âme en
danger. » Dans an bref adressé à Charles III il déclara « que les actes du roi contre les
jésuites mettaient évidemment son salut en danger. > Crétineau-Joly, Hist. de Ut compa-
gnie de Jésus. Paris, 18*5, t. V, pag. 302.
(2) Comme cette circonstance, qui est remarquée par Crétineau-Joly (Hist. de Ui com-
pagnie de Jésus, t. V, pag. 311) et par d'autres écrivains (Dunham, Hist. ofSpain, t. V,
pag. 180), n'a pas été représentée sous sa véritable couleur et a même été mise en doute par
un auteur; je transcris ici le compte rendu de Coxe, qui avait des renseignements sur le
règne de Charles III de témoins oculaires. « A remarkable and alarming proof of their
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162 HISTOIRE
Que peut-on faire avec une pareille nation ? A quoi serrent
les lois lorsque l'opinion publique se déclare aussi fortement
contre elles? En présence de pareils obstacles, et en dépit
de ses bonnes intentions, le gouvernement de Charles III se
trouva impuissant. Dans le fait, il fut plus qu'impuissant.
Il fit réellement du mal, car en excitant la sympathie popu-
laire en faveur de l'Église, il donna une nouvelle force à ce
qu'il voulait affaiblir. La nation espagnole continua à chérir
de plus en plus cette Église cruelle et persécutrice, toute
souillée qu'elle était des crimes les plus abominables. De
toutes parts cette Église recevait des legs et des dons consi-
dérables, les Espagnols ne demandant pas mieux de se dé-
pouiller et de dépouiller leur famille pour augmenter ses
immenses richesses. Florida Blanca, ministre de la cou-
ronne en 1788, affirma que pendant les cinquante dernières
années, les revenus de l'Église avaient augmenté avec une
telle rapidité que leur valeur était plus que doublée (1).
influence vas given at Madrid, the year afler their expulsion. At the festival of St. Charles,
when the monarch sho-wed himself to the people from the balcony of the palace, and iras
accostomed to grant their gênerai reqnest; to the surprise and confusion of the tf noie Court,
the Toice of the immense multitude, with one accord, demanded the return of the Jésuite,
and the permission for them to vrear the habit of the secular clergy. This unexpected inci-
dent alarmed and mortified the King; and, after a vigilant inqairy,he thought proper to
banish the Cardinal Arehbishop of Toledo, and bis Grand Vicar, as the secret instigators
of this tumultuary pétition. > Coxe, Bourbon Kings ofSpain. Lond., 1815, 2* édit., t, IV,
pag. 368, 369. Les remarques faites sur cette circonstance par M. Rio (Hïst. del Reinado
de Carlos III. Madrid, 1856, t. II, pag. 197-199) ne font guère l'éloge de sa critique ou de sa
candeur. Un critique ne met pas en doute la description d'un contemporain, lorsque cette
description raconte ce qui est probable et ce qui n'a jamais été nié par ceux qui vivaient à
cette époque. Loin de le nier, M. Muriel, le savant traducteur de l'ouvrage de Coxe en espa-
gnol, lui a donné la sanction de son nom. Et il est certainement peu candide de la part de
M. Rio d'imputer à Coxe l'erreur qui plaçait cette circonstance en 1767, et de prouver
ensuite que, d'après ce qui était arrivé à l'archevêque de Tolède, elle ne pouvait avoir en
lieu cette année-là, car Coxe affirme que c'était en 1768, « the year after their expulsion, »
(1) Voyez ce que dit Florida B lança dans l'appendice I à Coxe, Bourbon Kings ofSpain,
t. V, pag. 281 Un autre Espagnol, le prince de la Paix, dit qu'à l'accession de Charles IV»
en 1788, « the cloisters -were encnmbered with an ever-increasing number of monks of ail
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. t6S
L'inquisition elle-même, l'institution la plus barbare que
l'homme ait jamais inventée, fut soutenue par l'opinion pu-
blique contre les attaques de la couronne. Le gouvernement
espagnol voulait la renverser, et fit tous ses efforts pour dimi-
nuer son pouvoir; mais le peuple espagnol la chérissait
comme un bouclier contre les empiétements de l'hérésie (1).
On vit un exemple de ce sentiment en 1778 : l'inquisition
ayant condamné un hérétique, plusieurs des membres les
^lus influents de la noblesse se rendirent à l'exécution en
qualité d'aides, heureux d'avoir l'occasion de montrer pu-
bliquement leur obéissance et leur docilité vis-à-vis de
fÉglise (2).
oïders and of ail âges.,» Godoy, Memoirs, édit. Lond., 1836, 1. 1, pag. 126. Voyez aussi
an sujet des établissements ecclésiastiques quelques remarques intéressantes dans les
lettres de Cabarrus : a Con que horrible desproporcion superabundan los individuos esté-
ril9s â los operarios utiles y preciosos, » Carias escritas por el Coude de Cabarrus.
Madrid, 1813, pag. 133.
(1) Un écrivain célèbre du régne de Philippe V dit de l'inquisition : < Su exacta vigi-
lancia comprehende ignalmente à Naturales y Estrangeros. » Uztariz, Theorica y Prao
tica de Comercio. Madrid, 1757,3' édit., in- fol., pag. 27. Lorsqu'un homme comme Uztariz
•pouvait écrire une pareille phrase, nous pouvons nous imaginer ce que pouvait le peuple
qui était bien plus ignorant que lui et bien plus orthodoxe. M. Tapia, dans un passage
remarquable et plus hardi qu'à l'ordinaire , admet franchement que ce fut la force de
l'opinion publique qui empêcha Charles III d'abolir l'inquisition. « Estrano pareceria que
babiéndose hecho tanto en aquel reinado para limitar el poder escesivo del clero, y acabar
con àbsurdas preocupaoiones, no se suprimiese el monstruoso tribunal de la inquisition;
pero es necesario tener présente quel el rey despues del motin de Madrid procedia con
timidez en toda providencia que pudiese contrariar la opinion pùblica; y él creia que los
~Espanoles querian la inquisition , eomo se lo manifesté al ministro Roda y al coude de
Aranda, anadiendo que en nada coartaba su autoridad. » Tapia, Civilizaeion EspaHola.
Madrid, 1840, t. IV, pag. 98. L'inquisition nous semble un singulier objet pour mériter
l'affection publique, mais cette affection existait positivement. « L'inquisition si révérée en
Espagne. > Mèm. de Louville, 1. 1, pag. 36. Et Geddes {Tracts. Lond., 1730, 1. 1, pag. 400)
nous dit que « the Inquisition is not orily established by ïaw, but by a wonderful fascina-
tion is se fixed in the hearts and affections of the people, that one tbat should offer the
least affront to another, for having been an informer or witness in the Inquisition, would
be torn in a thousand pièces. »
(9) « The&milrars of the Inquisition, Abrantes, Mora, and others, grandees of Spain ,
attended as servants, without bats or svords. » Coxe, Bourbon Rings of Spain, t. IV,
pag. 418, 419.
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164 HISTOIRE
Toutes ces choses étaient naturelles, elles étaient dans
Tordre. Elles résultaient d'une longue série de causes dont
j'ai essayé de suivre l'opération pendant le treizième siècle,
depuis le commencement de la guerre arienne. Ces causes
forcèrent les Espagnols à être superstitieux, et il était com-
plètement inutile de chercher à changer leur nature par la
législation. Le seul remède contre la superstition est la
science. Elle seule peut détruire cette peste de l'esprit hu-
main. Sans elle le lépreux ne peut être purifié, l'esclave ne
peut être rendu à la liberté. C'est à la connaissance des lois
et des rapports intimes des choses que l'Europe est rede-
vable de sa civilisation, et c'est précisément cette connais-
sance qui a toujours manqué à l'Espagne. Jusqu'à ce qu'on
ait suppléé à ce manque, jusqu'à ce que la science, avec son
esprit hardi et investigateur, ait fermement posé son droit à
examiner librement tous les sujets d'après sa propre mé-
thode, il est certain que ni la littérature, ni les universités,
ni les législateurs, ni les réformateurs d'aucun genre, ne
pourront tirer le peuple de la misérable condition, des ténè-
bres épaisses dans lesquelles le cours des choses l'a nécessai-
rement plongé.
Aucune grande amélioration politique, quelque plausible
ou attrayante qu'elle puisse paraître, ne peut produire un
bien durable , si elle n'est pas précédée par un change-
ment dans l'opinion publique; et tout changement dans
l'opinion publique doit être précédé par le progrès des
connaissances. Ce sont là deux propositions dont la preuve
se trouve dans l'histoire de tous les pays, mais qui sont
particulièrement évidentes dans l'histoire de l'Espagne.
Les Espagnols ne manquaient de rien excepté de la science.
Ils ont eu d'immenses richesses, des territoires fertiles et
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 165
bien peuplés dans toutes les parties du globe. Leur contrée,
baignée par l'Atlantique et la Méditerranée, et possédant
des ports excellents, est admirablement située pour le com-
merce entre l'Europe et l'Amérique, commerce dont elle
pourrait être la maîtresse dans les deux hémisphères (1).
Ils eurent, à une époque très reculée, de vastes privilèges
municipaux; ils eurent des parlements indépendants, le
droit de choisir leurs magistrats et de gouverner leurs pro-
pres cités. Us ont eu des villes riches et florissantes, de
nombreuses manufactures et d'habiles artisans dont les pro-
ductions remarquables se vendaient facilement sur tous les
marchés du monde. Ils avaient cultivé les beaux-arts avec
un grand succès ; leurs nobles et exquises peintures, leurs
magnifiques églises étaient justement rangées parmi les plus
grandes merveilles de la main-d'œuvre de l'homme. Us par-
lent une langue sonore, belle et flexible, et leur littérature
n'est pas indigne de leur langue. Leur sol produit des tré-
sors de tout genre. Il déborde de vin et d'huile; il produit
les fruits les plus délicieux avec une exubérance presque
tropicale (2). Il contient les minéraux les plus précieux dans
une profusion qui n'a de pareille dans aucune autre partie
de l'Europe. Nulle part on ne trouve des marbres aussi rares,
aussi magnifiques, et si rapprochés de la mer qu'ils peuvent
(i) Un éminent géographe moderne dit : < From the eitent of its coast-line, its numerons
ports, its geographical position, and natural prodacts, Spain possesses greater commercial
advantages than any other country of Europe. • Johnston, Dictionary of Physical, Sta-
tistical and Historical Geography. Lond., 1850, pag. 1213.
t(2) • No qaiero hablar de los frutos de Espana, no obstante que los produzca tan exqui-
sitos de todas especies. Solo dire que sus naranjas du l ce s las traxeron de la China los
Portugueses, y que de Portngal se ha difandido sa planta por lo restante de Europa. En fin,
Espana es celebrada entre otras cosas por sas limones, por la fragancia de sus cidras, por
sas limas dulces, por sus granadas, por sas azeytanas, que merecieron ser alabadas hasta
del gran Ciceron, y sas almendras, sas higos, sas avas, etc. • Bowles, Hist. Natural de
Espana. Madrid, 1789, in-4°, pag. 236.
T. IV 11
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166 HISTOIRE
facilement être chargés sur des navires et transportés dans
les contrées qui en ont besoin (1). Quant aux métaux, c'est
à peine s'il y en a un seul que l'Espagne ne possède pas en
grandes quantités. Ses mines d'argent et de mercure sont
bien connues. Elle abonde en cuivre (2) et en plomb (3). Le
fer et la bouille, les deux articles les plus utiles de toutes les
productions du règne inorganique (4), sont également abon-
dants dans cette contrée favorisée. On dit que le fer existe
dans toutes les parties de l'Espagne, et d'une qualité supé-
rieure (5); on prétend que les mines de houilles des Astu-
ries sont inépuisables (6). En un mot, la nature s'est mon-
(1) t The marbles of Spain are in greater variety and beauly than those of any country
in Europe, and most valnable kinds of them are in situations of easy access and communi-
cation with the sea; bnt they hâve long been entirely neglected, the greater part being
unknow, even to the more intelligent of the natives. » Cook, Spain. Lond., 1834, t. H,
pag. 51. Dans le cabinet d'histoire naturelle à Madrid, « the spécimens of marbles are
splendid,and show what treasnres yet remain buried in the Peninsnla. • Ford, Spam.
Lond., 1847, pag. 413.
(2) « Hay infinitas mioas de cobre en Espana las qnales nnnca se han tocado. • Bowles,
Hi&t. Natural de Espaila, Discnrso Preliminar, pag. 34.
(3) En 1832, Cook écrivait : « The lead-mines of the Sierra de Gador are in a state of
repletion at présent from the enormous quaotity of the minerai, and thn facility of raising
it. » « Lead abonnds in other parts of the same chain, nearer to Almeria. » Cook,
Spain, t. II, pag. 75. t The most valnable of the ezisting Spanish mines are those of lead
in Granada; and the supplies obtained from them dnring the last twenty years hâve been
so large, that they hâve occasioned the abandonnant of several less productive mines in
other conntries, and a considérable fall in the price of lead. * M'Culloch, Geographicaland
Statistical Dictionary. Lond., 1849, t. Il, pag. 705.
(4) J'emploie le langage populaire en plaçant la houille dans le règne inorganique, malgré
son tissu cellulaire et son origine végétale.
(5) < The most valnable of the whole minerai riches of Spain will be in ail probability, in
a few years, the iron, -which is found every where, and of the best qnalities. » Cook, Spain,
t. II, pag. 78. Voyez aussi Bowles, Hist. Natural de Espaila, pag. 56,67, 106, 273, 346, 415,
et Ford, Spain, pag. 565, 618.
(6) < The quantity is inexhaustible, the quality excellent, the working of eitraordinary
facility, and they possess an easy communication with the sea; yet they are praciically
useless, and afford only a misérable existence to a i&m labourers and mules used in con-
veying the minerai to Gijon. • Cook, Spain, t. II, pag. 79,80. « In the immédiate neighbour-
hood of Oviedo are some of the largest coal-fields in Europe. » Ford, Spain, pag. 381.
Comparez pag. 392,606.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 167
trée si prodigue, qu'on peut dire sans crainte d'exagération
que l'Espagne possède dans son sein presque tous les pro-
duits naturels qui peuvent satisfaire les besoins ou la curio-
sité de l'homme (1).
Ce sont là des dons splendides ; c'est à l'historien de dire
de quelle manière ils ont été employés. Le peuple qui les
possède ne manque certainement pas de qualités naturelles.
Il a eu sa bonne part d'hommes d'État éminents, de grands
rois, de magistrats capables et de législateurs remarquables.
Il a eu des gouvernements vigoureux et habiles, et son his-
toire est illustrée par un grand nombre de patriotes coura-
geux et désintéressés qui ont tout sacrifié pour leur pays.
La bravoure du peuple n'a jamais été mise en doute, et l'hon-
neur pointilleux d'un gentilhomme espagnol est passé en
proverbe dans le monde entier. Quant à la nation en géné-
ral, les meilleurs observateurs déclarent que les Espagnols
sont nobles, généreux, francs, intègres, amis sincères et
-zélés, affectueux dans toutes les relations privées de la vie,
charitables, et humains (2). Leur sincérité en matières reli-
(1) < La nacion espanola posée casi quantas producciones naturales puede apetecer la
necesidad, ô curiosidad de los hombres. » Campomanes, Apendice à la Education Popu-
lar. Madrid, 1777, t. IV, pag. vi.
(2) « Ils sont fort charitables, tant à cause du mérite que Ton s'acquiert par les aumônes
que par l'inclination naturelle qu'ils ont à donner, et la peine [effective qu'ils souffrent
lorsqu'ils sont obligés, soit par leur pauvreté, soit par quelqu'autre raison, de refuser ce
qu'on leur demande. Ils ont encore la bonne qualité de ne point abandonner leurs amis
pendant qu'ils sont malades. » « De manière que des personnes qui ne se voyent
point quatre fois en un an se voyent tous les jours deux ou trois fois dés qu'ils souffrent. •
D'Aulnoy, Relation du voyage d'Espagne. Lyon, 4693, t. II, pag. 374. t They are grave,
temperate, and sober ; firm and warm in their friendships, thongh cautions and slow in coo-
tracting \hem. » A Tour through Spain by Udal ap Hhys. Lond., 1760, 2' édit., pag. 3.
« When they bave once professed it, none are more faithful friends. > « They hâve
great probity and integrity of principle. » Clarke, Letters conceming the Spanish Nation.
Lond., 1763, in-4% pag. 334. * To express that ail I feel, on the recollection of their goodness,
would appear like adulation; but I may venture at least to say, that simplicity, sincerity,
generosity, a high sensé of dignity, and strong principle» of honour, are the most prominent
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168 HISTOIRE
gieuses est incontestable (1). Us sont en outre éminemment
sobres, et leur frugalité est bien connue (2). Et pourtant
toutes ces grandes qualités ne leur ont servi à rien, et leur
seront complètement inutiles tant qu'ils resteront ignorants.
Il est impossible de dire ce qu'il adviendra de ce malheureux
pays, et s'il entrera jamais dans la bonne voie (3). A moins
and 8trikiog fea tores of the Spanish character. > Townsend, Journey through Spain.
Lond., 1792,2* édit., t. III, pag. 353. » The Spaniards, though naturally deep and artfdl
politicians, bave still something so nobly frank and hoffest in their disposition. > Letters
from Spain by an English Officer. Lond., 4788, t. II, pag. 471. « The Spaniards hâve fewer
bad qualities than any other people that I hâve had the opportunity to know. » Croker,
Travels through Spain. Lond., 4799, pag. 237, 238. « Spanish probity is proverbial, and
it conspicuously shines in commercial relations. • Laborde, Spain. Lond., 4809, t. IV,
pag. 423. « Certainly, if it be taken in the mass,no people are more hnmane than the Spa-
niards, or more compassionate and kind in their feelings to others. Tbey probably excel
other nations, rather than fall belovr them, in this respect. > Cook, Spain. Lond., 1834, 1. 1,
pag. 189. « The Spaniards are kind-hearted in ail the relations of life. » Hoskins , Spain.
Lond., 1851, 1. 11, pag. 58. Je citerai enfin le témoignage de deux hommes, politiques de
profession, bien connus des Espagnols, c They are brave, honest, and gênerons.»
Diaries and the Correspondance of the Eart of Malrnesbury. Lond., 1844, t. I,
pag. 48. Et lord Holland, suivant Moore, admet a that the Spaniards altogether are
amoDgst the best people of Europe. > Moore, Memoirs, edited by Lord John Russell.
Lond., 1853, t. III, pag. 253.
(1) C'est ce que prouve leur histoire de la manière la plus décisive, et, quant à leur con-
dition actuelle, fauteur des Rmelations of Spain in 1845 (t. I, pag. 340) dit : «But reli-
gion is so deeply rooted in the national character, that the most fnrious political storms,
which prostrate everything else, blow over this and leave it unscathed. It is only amongst
the educated maie population that any lack of fervour is witnessed. >
(2) «The habituai tempérance of thèse people is really astonishing : I never saw a Spa-
niard drink a second glass of vrine. With the lower order of people, a pièce of bread with
an apple, an onion, or pomegranate, is their usual repast. > Croker, TraveU in Spain.
Lond., 1799, pag. 116. t They are tempera te, or rather abstemious, in their living to a great
degree : borracho is the higbest term of reproach ; and it is rare to see a drunken man ,
except it be among the carriers or muleteers. » Dalrymple, Travels through Spain. Lond.,
1777, in-4% pag. 174. c Drunkenness is a vice almost unkoown in Spain among people of a
respectable class, and very uncommon even among the lowerorders. » Esménard, note
dans Godoy, Memoirs. Lond., 1836, t. II, pag. 321.
(3) « This is the most wonderful country nnder the sun ; for hère , intellect melds no
power. » Inglis, £pain. Lond., 1831, 1. 1, pag. 101. «Tandis que l'activité publique, en
Espagne, se porte depuis quelques années dans la sphère des intérêts pratiques et matériels,
il semble, au contraire, qu'il y ait une sorte de ralentissement dans la vie intellectuelle. •
Annuaire des Deux Mondes pour 1850, pag. 410. t La vie intellectuelle n'est point, mal-
heureusement , la sphère où se manifeste le plus d'activité en Espagne, t Ibid. pour
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 169
que l'Espagne n'entre dans cette voie, toutes les améliora-
tions qu'on essaiera d'y faire pénétrer n'iront pas plus loin
que la surface. La seule marche à suivre, c'est de diminuer
la superstition du peuple ; et cela ne peut être effectué que
par le progrès de la science physique, qui, en familiarisant
le peuple avec les idées d'ordre et de régularité, empiètent
graduellement sur les anciennes notions de perturbation, de
prodige, et de miracle, et habituent l'esprit à trouver l'expli-
cation des vicissitudes humaines dans des considérations
naturelles, au lieu de chercher cette explication dans des
considérations purement surnaturelles.
C'est vers ce but que tout a tendu depuis près de trois
siècles dans les contrées les plus avancées de l'Europe. Mais
en Espagne, malheureusement, l'éducation a toujours été,
et est encore aujourd'hui, entre les mains du clergé, qui
s'oppose à tout progrès, parce qu'il sait bien que le progrès
serait fatal à sa puissance (1). Aussi, le peuple restant dans
18564857, pag. 356. « It is singular, upon landing in the Peninsula, and making a short
excursion for a new miles in any direction, to see reprodnced the manners of England five
centuries bock, — to find yourself thrown into the midst of a society vhich is a close
counterpart of that extinct semi-civilization of which no trace is to be fonnd in our
history later than the close of the fonrteenth centnry and the reign of Richard the Second. »
Révélation* ofSpain in 4845 by an English Résident, t. II, pag. l.
(1) « That the Spaniards, as a people, are ignorant, snpremely ignorant, it is impossible
to dissemble; but this cornes from the control of éducation being altogether in the hands
of the clergy, who exert themselves to maintain that ignorance to which they are indebted
for their power. » Spain by an American, t. II, pag. 360. t The schools in Madrid are ail
condncted by Jesnits; and the éducation received in thera, is snch as might be expected
from their heads. » lnglis, Spain, 1. 1, pag. 156 « Private éducation hère, is almost entirely
in the hands of the clergy. » Révélations of Spain in 1845, t. II, pag. 27. En Espagne,
comme dans tont pays catholique ou protestant, le clergé, considéré comme corps, enseigne
la foi à l'exclusion de la science, et, par une sorte d'instinct conservateur, décourage la
hardiesse d'investigation , sans laquelle on peut acquérir beaucoup d'érudition , mais pas
de vraies connaissances. Le clergé en Espagne est plus puissant que dans aucun autre pays ;
c'est pourquoi il manifeste ses tendances hardiment et sans crainte. On peut en voir un
exemple dans un récit récemment publié par l'évêque de Barcelone, dans lequel, après une
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170 HISTOIRE
l'ignorance, et les causes de cette ignorance étant toujours
les mêmes, le pays ne retire aucun avantage des gouverne-
ments éclairés qu'il a pu avoir à de longs intervalles, ou des
mesures libérales qui ont été parfois adoptées. Les réforma*
teurs espagnols ont tous, avec de très rares exceptions,
vivement attaqué l'Église, dont ils voyaient clairement que
l'autorité devait diminuer. Mais ce qu'ils n'ont pas vu, c'est
que pour être vraiment utile, cette diminution doit être le
résultat de la pression exercée par l'opinion publique sur les
hommes d'État. En Espagne, ce sont les hommes politiques
qui prirent l'initiative, pendant que le peuple restait en
arrière. Aussi, ce qui était fait à une époque a toujours été,
en Espagne, défait à une autre. Lorsque les libéraux arrivè-
rent au pouvoir, ils supprimèrent l'inquisition ; mais Ferdi-
nand VU la rétablit facilement, parce que, quoiqu'elle eut
été détruite par les législateurs espagnols, son existence con-
venait aux mœurs et aux traditions de la nation espa-
gnole (1). De nouveaux changement ayant lieu, cet odieux
Tiolente attaque contre les connaissances physiques et philosophiques, il termine ainsi :
« No intento recriminar à ningan catôlico de los que se asocian al nnevo sistema de filosofar
y de extender indefinidamente el imperio de esta ciencia, pero deseo que fijen toda su atea-
nion en los pnntos que no haré sino indicar. Primero,que las escaelas de Holanda, A le mania,
Inglaterra y Francia desafectas al Calolicismo , han iniciado y promovido con el mayor
empeno ciertas discnsiones filosôficas, presentândolas como an trianfo de la raxon sobre la
Religion, de la filosoffa sobre la teologia, del matcrialismo sobre el espiritualismo. Segando,
que sas màximas no son, en gran parte, mas qne reprodocciones ô naevas evoluciones de
errores mil veces refntados y condenados por la sana filosofia y por la Iglesia; bajo cuyo
eoncepio no tienen por que felicitarse en raxon de sa progreso, sino mas bien avergoniarse
por sn retrocesc. ■ Costa y Borras, Iglesia en Espana. Barcelona, 1857, pag. 159.
(1) « Immediately after his arrivai in Madrid, Ferdinand re-established the Inquisition;
and his decree for that purpose was hailed throughout ail Spain with illuminations,
thanksgivings, and other rejoicings. » Quin , M emoirs of Ferdinand VII. Lond.,1834,
pag. 189, 190. Un théologien éminent remarque : c La divina ProTidencia abreviô los dias
de praeba, y la catolica Espana respiré cenida con los laureles del trianfo, recobrando luego
à sa tan deseado monarca, el senor rey don Fernando VII. » Costa y Borras, Observaciones
sobre la Iglesia en Espaila. Barcelona, 1857, pag. 91.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 17i
tribunal fut de nouveau aboli en 1820. Mais si la forme
n'existe plus, l'esprit vit encore (1). Quoique le nom, le
corps, l'apparence visible de l'inquisition aienl disparu,
l'esprit qui l'avait engendrée est enchâssé dans le cœur du
peuple, et, à la moindre provocation, il reprendrait une nou-
velle vigueur, et réclamerait le rétablissement de cette
institution qui est l'effet, bien plus que la cause, de la
bigoterie intolérante de la nation espagnole.
C'est de cette manière que d'autres attaques qui furent
faites contre l'Église, d'une manière plus systématique, de-
puis le commencement de ce siècle, réussirent d'abord, mais
devaient être nécessairement déjouées peu après (2). Sous
Joseph, en 1809, les ordres monastiques furent supprimés,
et leurs biens confisqués (3). Mais l'Espagne gagna peu à
cette mesure. La nation était du côté des moines (4) ; et leurs
ordres furent rétablis aussitôt que la tempête fut passée. En
(1) < The spirît of the Inquisition is still alive; for no king, cortes, or constitution, ever
permits in Spain any approach to any religions toleration. » Ford, Spain. Lond., 1847,
pag. 60. < Les cortès anraient beau permettre l'exercice du culte protestant on juif, il n'est
point certain que cela ne suscitât de périlleux conflits. » Annuaire des Deux Mondes ou
histoire générale des divers Etats (1854-1855). Paris, 1855 t. V, pag. 272, un ouvrage
remarquable écrit sur le plan de VAnnual Register, mais de beaucoup supérieur. Quant à
la possibilité de rétablir l'inquisition, comparez deux passages intéressants dans Spainby
an American, 1831, t. II, pag. 330, et Inglis, Spain, 1831, 1. 1, pag. 85. Depuis lors l'Église
a reçn une force nouvelle par le succès de la guerre essentiellement religieuse que l'Espagne
vient de faire aux Maures. Et, si quelque nouvelle catastrophe politique avait lieu en
Espagne, le rétablissement de l'inquisition ne m'étonnerait nullement.
(2) Comparez Bacon, Six Years in Biscay. Lond., 1838, pag. 40, 41, 50, avec Quin,
Memoirs of Ferdinand the Seventh, pag. 192, 193.
(3) Walton, Révolutions of Spain. Lond.,1837, t. H, pag. 343.
(4) Peu de temps avant la suppression des ordres monastiques, « le respect pour le froc
en général est poussé si loin, qu'on lui attribue une vertu préservative même au delà de la
vie, quelque peu régulière qu'elle ait été. Aussi n'y a-t-il rien de si commun que de voiries
morts ensevelis en robe de moines et conduits ainsi à leur dernière demeure à visage décou-
vert. » «De même que le froc accompagne les Espagnols au tombeau, de même il eu
saisit quelques-uns au sortir du berceau. Il n'est pas rare de rencontrer de petits moines de
quatre à cinq ans polissonnant dans la rue. » Bourgoing, Tableau de l'Espagne. Paris,
1808, t. II, pag. 330, 331.
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172 HISTOIRE
1836, il y eut un nouveau mouvement politique, et les libé-
raux étant à la tête des affaires, Mendizabal sécularisa tous
les biens de l'Église, et dépouilla presque entièrement le
clergé de ses richesses énormes et mal acquises (1). Il ne sa-
vait pas combien il est inutile d'attaquer une institution, si
Ton ne peut commencer par diminuer son influence. Trop
confiant dans le pouvoir de la législation, il ne pensa pas
assez à la puissance de l'opinion. Le résultat le prouva clai-
rement. La réaction commença au bout de quelques années.
En 1845, on promulgua ce qu'on appela « la loi de dévolu-
tion, » qui fut le premier pas vers le rétablissement des biens
du clergé (2). En 1851, sa position fut encore améliorée
par le célèbre concordat, par lequel le droit d'acquérir lui
Ait solennellement confirmé aussi bien que celui de possé-
der (3). La nation accepta de tout cœur ces mesures (4).
Telle était pourtant la folie du parti libéral que, seulement
(1) La confiscation eut lien à différentes époques entre 1835 et 4841. Comparez Ford,
Spain, pag. 48; Révélations of Spain by an English Résident, 1. 1, pag. 366; Costa y
Borras, Iglesia en Espana, pag. 95; Annuaire des Deux Mondes pour 1850. Paris, 1851,
pag. 369. J'ai cherché vainement une histoire détaillée de ces transactions.
(2) « Dès 1845 ane loi dite de dévolution, en attendant un règlement définitif, applique à
la dotation dn clergé une portion des biens ecclésiastiques non vendus. » Annuaire des
Deux Mondes, 1851-52. Paris, 1852, pag. 318.
(3) « Il y a ici un règlement solennel, sous la forme d'un traité, de toutes les affaires rela-
tives à l'Église; c'est le concordat de 1851. Le concordat reconnaît à l'Église le droit d'ac-
quérir et de posséder. » Ibid., 1854-55. Paris, 1855, pag. 273.
(4) L'année même où le concordat fut publié, M. Hoskins, le célèbre voyageur africain»
homme d'une intelligence évidemment remarquable, publia, à son retour d'Espagne, ane
description de ce pays. Son ouvrage est précieux, car il dépeint l'état de l'opinion publique
avant le concordat , lorsque le clergé espagnol était encore sous le coup de mesures bien
intentionnées, mais peu judicieuses du parti libéral. « We visited thèse churches on a Snnday,
and were surprised lo find them ail crowded to ezcess. The incomes of the clergy are greatly
reduced, but their fortunes are gradually reviving. » Hoskins, Spain. Lond., 1851, 1. 1,
pag. 25. « The priests are slowly re-establishing their power in 'Spain. » T. II, pag.201.
c The crovded churches , and , notvrithstanding the appropriation of their revenues, the
absence of ail appearance of anything like poverty in the chapels and services, prove tnat
the Spaniards are now as devout wrshippers, and as zealous friends of the Church,as
they were in her palmy days. » T. II, pag. 281.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 173
quatre années plus tard, lorsqu'il obtint pour un moment le
pouvoir, il annula tous ces arrangements, et révoqua les
concessions qui avaient été faites à l'Église, et que, malheu-
reusement pour l'Espagne, l'opinion publique avait rati-
fiées (1). On pouvait facilement deviner quels seraient les
résultats de cette politique. Le peuple courut aux armes en
Aragon et dans d'autres parties de l'Espagne ; une insurrec-
tion carliste éclata, et le cri de : « La religion est en dan-
ger, » retentit à travers tout le pays (2). Il est impossible de
servir une pareille nation. Les réformateurs furent naturel-
lement renversés, et leur parti dispersé pendant l'automne
de 1856. La réaction fit alors des progrès si rapides, qu'au
printemps de 1857, la politique des deux années précédentes
fut complètement changée. Ceux qui avaient rêvé la pos-
sibilité de régénérer leur pays, virent toutes leurs espérances
anéanties. Le nouveau ministère prit des mesures plus en
harmonie avec l'esprit national. Au mois de mai 1857, les
cortès s'assemblèrent. Les représentants du peuple donnè-
rent leur sanction aux actes du gouvernement exécutif, et,
grâce à leur autorité, les mesures les plus nuisibles du con-
cordat de 1851 furent amplement confirmées, la vente des
biens de l'Église fut défendue, et toutes les limites qui
avaient été placées à la puissance ecclésiastique furent révo-
quées d'un seul coup (3).
(1) « La loi de désamortissement, promulguée le 1" mai 1855, ordonne, comme on sait,
la mise en Tente de tons les biens de mainmorte et en particulier des biens qui restent
encore i l'Eglise. • Annuaire des Deux Mondes, 1855-56, pag. 310. Voyez aussi Ibid.,
1854-55, pag. 274, et, pour les mesures prises contre l'Église en 1855, Costa y Borras, Obser-
vaciones sobre la Jglesia en EspaHa. Barcelona, 1857, pag. 119, 286, 292, et relativement
à la loi du 1" mai, voyez pag. 247.
(2) « Aussi le premier mot d'ordre de l'insurrection a été la défense de la religion. »
Annuaire des Deux Mondes, 1854-55, pag. 275.
(3) Annuaire des Deux Mondes, 1856-57, pag. 315-317, 324-331, 336.
«
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174 HISTOIRE
Le lecteur pourra maintenant comprendre la véritable na-
ture de la civilisation espagnole. Il verra comment, sous les
noms retentissants de fidélité et de religion, se cachent les
poisons mortels auxquels ces noms ont toujours servi de
manteau, mais qu'il est du devoir de l'historien d'exposer
au grand jour. Un esprit aveugle de respect, prenant la
forme d'une soumission honteuse vis-à-vis de la couronne et
de l'Église, est le vice capital et essentiel du peuple espa-
gnol. C'est son seul vice national, et il a suffi pour le ruiner
complètement. C'est un vice dont toutes les nations ont
cruellement souffert, et dont beaucoup souffrent encore.
Mais nulle part en Europe ce principe n'a dominé aussi
longtemps qu'en Espagne. Aussi, nulle part en Europe
les conséquences n'ont été si évidentes et si fatales. L'idée
de la liberté y est morte, si même on peut dire que la liberté
y a jamais existé, dans la véritable signification du mot.
Sans doute il y a eu, et il y aura encore, des explosions;
mais ce sont des explosions de licence plutôt que de liberté.
Dans les contrées les plus civilisées, la tendance générale
est d'obéir même aux lois injustes, mais, tout en y obéis-
sant, d'insister pour les faire abroger. C'est parce que nous
sentons qu'il vaut mieux faire disparaître les griefs que leur
résister. Tout en nous soumettant à l'injustice, nous atta-
quons le système qui produit cette injustice. Mais pour
qu'une nation adopte ce système, il lui faut une certaine
portée d'esprit qu'il était impossible d'atteindre dans les
période signorantes de l'histoire européenne. Aussi trouvons-
nous que si les troubles étaient fréquents au moyen âge, les
rébellions étaient rares. Mais, depuis le seizième siècle, les
insurrections locales, provoquées par les injustices fla-
grantes, diminuent et sont remplacées par des révolutions
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 175
qui s'attaquent directement à la source même de l'injustice.
Il est évident que ce changement est avantageux ; d'abord
parce qu'il est toujours utile de remonter de l'effet à la cause,
et ensuite parce que, les révolutions étant moins fréquentes
que les insurrections, la paix de la société serait moins sou-
vent troublée, si le peuple se bornait entièrement au remède
le plus violent. D'un autre côté, les insurrections ont géné-
ralement tort; les révolutions ont toujours raison. Une in-
surrection est trop souvent un effort insensé et passionné
d'individus ignorants qui, furieux de quelque injustice du
moment, ne s'arrêtent pas à en rechercher les causes éloi-
gnées et générales. Mais une révolution, lorsqu'elle est
l'œuvre de la nation elle-même, est un spectacle magni-
fique et imposant, parce qu'au sentiment d'indignation
produit par la présence de l'injustice, elle joint les qualités
intellectuelles de prévoyance et de combinaison, et parce
que, réunissant dans un seul acte quelques-unes des plus
hautes qualités de notre nature, elle arrive à un double but:
au châtiment de l'oppresseur, au soulagement de l'opprimé.
Mais en Espagne, il n'y a jamais eu une véritable révolution;
il n y a jamais eu une grande rébellion nationale. Le peuple
y est souvent sans frein; mais il n'y est jamais libre. Nous
retrouvons encore chez lui cette couleur caractéristique de
la barbarie, qui fait que les hommes préfèrent la désobéis-
sance occasionnelle à la liberté systématique. Il y a certains
sentiments de notre nature que sa fidélité servile elle-même
ne peut déraciner, et qui, de temps en temps, la poussent à
résister à l'injustice. Ces instincts sont heureusement la pro-
priété inaliénable de l'humanité, que nous ne pouvons
perdre, et qui sont souvent notre dernière ressource contre
les extravagances de la tyrannie. Et c'est là tout ce que
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176 HISTOIRE
l'Espagne possède aujourd'hui. Les Espagnols résistent, non
parce qu'ils sont Espagnols, mais parce qu'ils sont hommes.
Mais, tout en résistant, ils révèrent. Ils se soulèvent contre un
impôt vexatoire; mais ils se prosternent devant un système
dont l'impôt est le moindre mal. Ils frappent le percepteur
des contributions; mais ils tombent à genoux devant le
prince méprisable qui emploie les services du percepteur.
Ils insultent même le moine importun et ennuyeux, ou bien
ils tournent quelquefois en ridicule le prêtre doucereux et
arrogant; mais telle est leur infatuation, qu'ils risqueraient
leur vie pour défendre cette Église cruelle qui leur a infligé
des malheurs affreux, et à laquelle ils se cramponnent comme
à ce qu'ils ont de plus cher au monde.
Nous trouvons liés à ces habitudes de l'esprit, et en réa-
lité faisant partie de ces habitudes, un respect pour l'anti-
quité, et un attachement démesuré pour les anciennes opi-
nions, pour les anciennes croyances, et pour les anciennes
coutumes, qui nous rappellent les civilisations méridionales
qui florissaient autrefois. Ces préjugés ont été à une cer-
taine époque universels en Europe ; mais ils commencèrent
à disparaître au seizième siècle, et sont aujourd'hui complè-
tement dissipés, excepté en Espagne, où ils ont toujours été
entretenus. Dans cette contrée, ils conservent leur force
primitive, et produisent leurs résultats naturels. En encou-
rageant l'idée que toutes les vérités les plus importantes à
connaître sont déjà connues, ils répriment ces aspirations,
et émoussent cette confiance généreuse dans l'avenir sans
lesquelles rien de grand ne peut être accompli. Un peuple
dont le regard est sans cesse fixé sur le passé, ne se remuera
jamais pour pousser à la roue du progrès; c'est à peine s'il
croira à la possibilité du progrès. Pour lui l'antiquité est
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 177
synonyme de sagesse» et toute amélioration est une innova-
tion dangereuse. L'Europe a langui pendant des siècles dans
cet état ; l'Espagne se traîne encore dans cette même condi-
tion sociale. Aussi les Espagnols sont- ils remarquables
par une inertie , un manque d'élasticité , une absence
complète d'espérance, qui les isolent, dans notre siècle
remuant et entreprenant, du monde civilisé. Convaincus qu'il
y a peu à faire, ils ne sont pas pressés de l'accomplir. Per-
suadés que les connaissances dont ils ont hérité sont bien
plus grandes que celles qu'ils pourraient acquérir, ils ne
désirent rien changer à leurs possessions intellectuelles, parce
qu'ils croient que le moindre changement pourrait en dimi-
nuer la valeur. Satisfaits de ce qui a déjà été légué, ils sont
en dehors de ce grand mouvement européen, qui, clairement
visible pour la première fois au seizième siècle, a depuis
cette époque constamment marché en avant, ébranlant les
anciennes opinions, détruisant les vieilles folies, réformant
et améliorant de tous côtés, influençant même des contrées
aussi barbares que la Russie et la Turquie ; mais laissant
l'Espagne intacte. Pendant que l'intelligence humaine a fait
les progrès les plus prodigieux et les plus incroyables, pen-
dant que les découvertes s'accumulent de toutes parts autour
de nous avec une telle rapidité que les esprits les plus forts,
éblouis par l'éclat de leur splendeur, ne peuvent les contem-
pler dans leur ensemble, pendant que d'autres découvertes
plus importantes encore, et plus éloignées de l'expérience
ordinaire, sont évidemment sur le point d'être faites, et
peuvent déjà être aperçues dans un lointain obscur par les
penseurs les plus avancés ; pendant que le voile est rudement
arraché, et que la nature, violée de tous côtés, est forcée de
révéler ses secrets, son économie, sa structure, et ses lois,
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178 HISTOIRE
à réaergie indomptable de l'homme; pendant que l'Europe
résonne du bruit des grands exploits intellectuels, avec les-
quels les gouvernements despotiques eux-mêmes semblent
sympathiser afin de pouvoir les détourner de leur cours na-
turel, et s'en servir comme de nouveaux instruments pour
opprimer plus encore les libertés du peuple; pendant que,
au milieu de ce bruit étourdissant et de cette grande excita*
tion, l'esprit public est agité et violemment ballotté, l'Es-
pagne continue à dormir, paisible, insouciante, impassive,
ne recevant aucune impression du reste du monde, et ne
faisant aucune impression sur lui. Elle est là, à la pointe
extrême du continent, masse énorme et inerte, dernier
représentant des sentiments et des idées du moyen âge. Et
ce qui est le plus triste symptôme, c'est qu'elle est satisfaite
de sa condition. Elle est la nation la plus arriérée de l'Eu-
rope, et pourtant elle se croit la plus avancée. Elle est fière
de tout ce qui devrait la faire rougir. Elle est fière de l'anti-
quité de ses opinions; fière de son orthodoxie; fière de la
force de sa foi ; fière de sa crédulité puérile et incommen-
surable ; fière de sa répugnance à améliorer sa croyance ou
ses coutumes ; fière de sa haine pour les hérétiques, fière de
la vigilance constante avec laquelle elle a déjoué tous leurs
efforts pour s'établir légalement sur son sol.
Toutes ces choses réunies produisent ce triste résultat
auquel on donne le nom d'Espagne. L'histoire de ce seul
mot est l'histoire de presque toutes les vicissitudes dont la
race humaine est susceptible. Elle comprend les extrêmes
de la force et de la faiblesse, de la richesse illimitée et de
la pauvreté abjecte. C'est l'histoire du mélange de races, de
langages et de sang différents. Elle renferme presque toutes
les combinaisons politiques que peut inventer l'esprit de
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 479
l'homme; une infinité de lois, des constitutions de tous
genres, depuis la plus stricte jusqu'à la plus libérale. Démo-
cratie, monarchie, gouvernement par les prêtres, gouverne-
ment par les municipalités, gouvernement par la noblesse,
gouvernement par les chambres représentatives, gouverne-
ment par les indigènes, gouvernement par les étrangers,
tout a été essayé, et essayé en vain. Les moyens matériels
ont été employés avec prodigalité, les arts, les inventions,
les machines ont été introduits de l'étranger, des manufac-
tures ont été établies, les communications ouvertes, des
routes construites, des canaux creusés, des mines exploitées,
des ports formés en un mot; il y a eu toute espèce de chan-
gement, excepté celui de l'opinion ; il y a eu en tout des
améliorations, excepté dans les connaissances intellec-
tuelles. Et il en résulte qu'en dépit des efforts des différents
gouvernements, en dépit de l'influence des coutumes étran-
gères, et en dépit de ces améliorations physiques, qui tou-
chent seulement la surface de la société sans y pénétrer, il
n'y a aucun signe de progrès national ; les prêtres gagnent
du terrain plutôt qu'ils n'en perdent; la plus légère attaque
contre l'Église soulève le peuple; les moeurs déréglées du
clergé, et les vices odieux qui ont, pendant notre siècle,
souillé lé trône, ne peuvent rien pour affaiblir l'esprit de
superstition et de fidélité que la force accumulée de tant de
siècles a gravé dans l'esprit, et buriné dans le cœur de la
nation espagnole.
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CHAPITRE XVI
État de l'Ecosse jusqu'à la fin du quatorzième siècle.
Dans le tableau que nous venons de tracer de la grandeur
et de la décadence de l'Espagne , nous avons cherché à
peindre les gradations successives par lesquelles une nation,
qui fut autrefois Tune des plus grandes de la terre, s'affaissa et
fut renversée de son haut piédestal. Si nos regards se re-
portent sur cette histoire, quelle scène frappante se déroule
devant nous ! Ainsi voilà un pays, où la nature a prodigué
toutes ses richesses, pays dont les habitants sont braves,
fidèles et religieux ; de plus, à l'abri, par sa position géogra-
phique, des risques des révolutions européennes qui, grâce
à l'opération des causes générales que j'ai indiquées, s'élève
tout à coup à une grandeur inouïe; et puis, sans que la
moindre combinaison nouvelle se produise, par la simple
continuation des mêmes causes, tombe avec la même rapi-
dité. Cependant ces vicissitudes, tout étranges et surpre-
nantes qu'elles paraissent, sont parfaitement régulières. Elles
sont la conséquence naturelle d'un état social où, l'esprit de
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 181
protection étant arrivé à son comble, tout se fait pour le
peuple et rien par le peuple. Partout où cet état de choses
est en vigueur, la politique peut progresser, mais la nation
reste stationnaire. Agrandissement de territoire, gloire et
puissance portées au plus haut point, amélioration dans les
rouages de l'administration, dans le maniement des finances,
dans l'organisation de l'armée, dans la pratique et la théorie
de la guerre, dans les jongleries de la diplomatie, enfin dans
tous ces divers expédients qui permettent à une nation de
duper et d'insulter un autre pays, tout cela, dis-je, peut s'ac-
complir, mais loin de profiter au peuple, tous ces avantages
se retourneront contre lui de deux façons différentes. En
premier lieu, plus l'influence des classes dominantes aug-
mente, plus s'accroît et tend à passer à l'état chronique, ce
respect aveugle et servile que les hommes ne sont que trop
portés à ressentir pour ceux qui sont au dessus d'eux, et
partout où domine cet esprit, il a été funeste aux plus
nobles qualités du citoyen, et, par suite, à la grandeur
durable de la nation. En second lieu, par cela même
que les ressources du pouvoir exécutif se multiplient, le
pays est aussi incapable que peu désireux de corriger les
erreurs de ceux qui sont à la tête des affaires. C'est pour cela
qu'en Espagne, comme en tout pays placé dans les mêmes
circonstances, au moment même où tout présente l'aspect le
plus florissant, au fond, la gangrène exerce ses plus grands
ravages. En présence de magnifiques triomphes politiques,
la nation se précipite vers sa ruine, et la crise s'approche à
grands pas : alors, l'édifice tout entier étant bouleversé,
rien ne subsiste plus, rien, si ce n'est le mémorable exemple,
fécond en enseignement, des conséquences qui s'ensui-
vront infailliblement chez un peuple qui, s'abandonnant à la
T. IV. 12
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182 HISTOIRE
superstition et au respect aveugle de l'autorité, abdique ses
propres fonctions, récuse toute responsabilité, renonce à
remplir ses plus hauts devoirs et se ravale jusqu'à servir
d'instrument passif aux volontés du trône et de l'autel.
Telle est la grande leçon que nous retirons de l'histoire de
l'Espagne. L'histoire de l'Ecosse nous donnera une autre
leçon d'un genre différent et pourtant identique. Dans ce
dernier pays, les progrès de la nation ont été fort lents,
mais, après tout, fort sûrs. Le sol en est des plus ingrats; le
pouvoir exécutif, sauf de rares exceptions, a toujours été
faible ; et le peuple ne s'est jamais courbé sous le faix des
sentiments de fidélité que la force des choses imposa aux
Espagnols. Assurément, ce n'est pas d'un attachement su-
perstitieux pour leurs princes qu'on pourrait accuser les
Écossais (1). Nous autres Anglais, nous n'avons pas toujours
usé de la plus grande tendresse vis-à-vis de nos souverains,
et parfois nous les avons châtiés avec une sévérité que cer-
taines gens trouvent excessive. Voilà ce que nous ont repro-
ché maintes fois les nations plus soumises du continent; et,
en Espagne particulièrement, notre conduite a excité une
suprême horreur. Mais rapprochons notre histoire de celle
de nos voisins du Nord, et nous serons bien forcés de nous
décorer du titre de peuple doux et bénévole (2). Les rébel-
(1) Un de leurs historiens dit arec une certaine satisfaction : c But the Scots were seldom
distinguished for loyalty. > Laing, Hist. of Sootland, édit. 1819, t. III, pag. 199. Voye*
aussi pag. 366. Brodie {HUt. of the BriH&h Empire, 1. 1, pag. 383) : « The little respect
paid to royalty is conspicuous in every page of Scottish history. » On encore, selon les termes
de Wilkes, parlant a la chambre des eommants : « Scotland seems, indeed, the natnral
foyer of rébellion, as Egypt is of the plagne. » ParL Hist., t. XIX, pag. 810. Et Nimmo
(HUt. ofStirlingshire, 1777, pag. 219) : «Never was any race of monarchs more nnfortu-
nate than the Scottish. Their reigns were gwjerally turbulent and disai trous, and their own
end often tragical. >
(2) Un Écossais bien connu au dix-septième siècle va jusqu'à dire dédaigneusement en
parlant des Anglais : tSuch is the obsequiousness,and almosUuperstHîous dévotion of that
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 183
lions ont plus abondé en Ecosse que partout ailleurs : les
Écossais ont fait la guerre à presque tous leurs rois et en ont
décapité un certain nombre. Pour ne parler que d'une dy-
nastie, voici comment ils se comportèrent : Jacques I er et
Jacques III sont massacrés ; révolte contre Jacques II et Jac-
ques VII; Jacques V est saisi et jeté en prison ; Marie Stuart
condamnée à la réclusion dans une forteresse et plus tard
dépossédée de la couronne : son successeur, Jacques VI, est
emprisonné : on le promène, couvert de chaînes, par tout le
pays, une fois même on attente à ses jours. Us déployèrent
la plus grande animosité contre Charles I er et ils furent les
premiers à couper court à sa folle carrière. Trois ans avant
que les Anglais osassent se soulever contre le tyran, les
Écossais prirent hardiment les armes et marchèrent contre
lui. Le service qu'ils rendirent à la cause de la liberté est
immense, et on ne saurait trop l'estimer ; mais ce qu'il y a
de singulier dans cette affaire, c'est qu'après s'être emparés
de la personne de Charles, ils le vendirent aux Anglais en
retour d'une grosse somme d'argent dont ils avaient un
pressant besoin, en raison de leur pauvreté. On ne trouve
pas d'exemple d'une pareille vente dans l'histoire; et, quoi-
que les Écossais eussent pu alléguer, non sans raison, que
c'était le seul profit qu'ils eussent retiré, ou pussent jamais
retirer, de l'existence de leur prince héréditaire, néanmoins,
nation towards their prince, a Saillies, Lettera, t. 1, pag. 204. Ceci toutefois était écrit en
1639; depuis lors nous en avons assez fait ponr effacer ce reproche. En revanche, an auteur
anglais dn dix-septième siècle, poussé par l'indignation, accuse les Écossais (et c'est là une
évidente exagération ) d'avoir mis à mort quarante de leurs rois : « Forty of their kings hâve
been barbarously murdered by them; and half as many more hâve either made away vrith
tbemselves, for fear of their torturing of them, or bave died miserably in strait impri-
sonment. » Account ofScotomdj tnl670, Harleiun MisceUany, édit. Park, 1810, t. VI,
pag. 140. Se reporter à deux curieux passages dans Shield, Hinci let Loose, 1687,
pag. 8,9,15.
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184 - HISTOIRE
ce fait est unique dans son genre ; il est sans précédents, on
ne l'a jamais imité, et c'est un symptôme frappant de l'état
de l'opinion publique et des sentiments du pays où il a pu se
produire.
Cependant, si, en ce qui touche au respect envers l'auto-
rité, le contraste entre l'Ecosse et l'Espagne est complet, il y
a, chose étrange à dire, la plus étroite ressemblance entre
ces deux pays, sous le rapport de la superstition : toutes
deux, ces nations ont permis à leur clergé d'exercer une im-
mense domination, et elles ont soumis leurs actes et leur con-
science à l'autorité de l'Église. Gomme corollaire naturel,
dans ces deux pays, l'intolérance a été et est encore un mal
criant; et, en matière de religion, ils partagent habituelle-
ment en commun une bigoterie, certes, honteuse pour l'Es-
pagne, mais cent fois plus honteuse pour l'Ecosse, qui a pro-
duit beaucoup de philosophes très illustres, qui étaient tout
disposés à élever les aspirations du peuple, mais qui ont vai-
nement tenté d'effacer la tâche grave qui dépare la beauté de
l'esprit national et tend à neutraliser ses autres qualités (et
elles sont nombreuses et admirables).
C'est là le paradoxe apparent, la difficulté réelle de l'his-
toire d'Ecosse. Que le savoir n'ait pas produit dans ce pays les
effets qui partout ailleurs en découlent; que, dans une nation
adonnée à une grossière superstition, se rencontre une litté-
rature hardie et amie du libre-penser, mais impuissante à
diminuer cette superstition ; que le peuple tienne tête sans
cesse à ses rois et se prosterne toujours devant ses prêtres ;
que, libéral en politique, il soit intolérant en religion ; en-
fin que, comme corollaire naturel de tout cela, des hommes
qui dans l'étude des faits visibles et extérieurs, ainsi que
dans la voie pratique, déploient une finesse et une audace
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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 185
presque sans égales dans tout ce qui a trait à la vie spécu-
lative et à des questions de théorie, tremblent comme des
brebis devant leurs pasteurs, et acquiescent à toutes les ab-
surdités qu'ils peuvent ouïr, si elles ont reçu la sanction de
l'Église, que tous ces contrastes puissent coexister; voilà,
dis-je, qui semble à première vue une étrange contradic-
tion, et est, à coup sûr, un phénomène digne d'être soi-
gneusement étudié. Indiquer les causes de cette anomalie,
dépeindre les résultats qu'a entraînés cette anomalie, tel sera
l'objet de la dernière partie de ce volume : sans doute, cette
étude sera quelque peu étendue ; mais, je l'espère, elle ne
sera pas prolixe aux yeux de ceux qui reconnaissent l'im-
portance de cet examen et qui n'ignorent pas combien les
historiens même les plus complets de la nation écossaise ont
négligé ces recherches.
En Ecosse, comme partout ailleurs, le cours des choses a
été influencé par la position géographique du pays : par là,
j'entends, non seulement ses particularités intrinsèques, mais
aussi sa situation vis-à-vis des pays environnants. L'Ecosse est
proche de l'Irlande, contiguë à l'Angleterre, et, grâce à la
proximité des îles Orcades et Shetland, elle fut éminem-
ment exposée aux attaques de la grande race des pirates
qui, pendant plusieurs siècles, habita la péninsule Scandi-
nave. Considérée simplement en elle-même, elle est monta-
gneuse et stérile ; la nature y a semé de tels obstacles que,
pendant longtemps, il fut impossible d'ouvrir des voies de
communications régulières entre ses différentes parties :
ce ne fut même que dans la seconde partie du dix-huitième
siècle que les Highlands jouirent de ces améliorations (1).
(1) En Angleterre les moyens de communication étaient pitoyables; en Ecosse c'était
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486 HISTOIRE
Enfin, et ce point, comme nous le verrons bientôt, était très
important, le sol le plus fertile de l'Ecosse est au sud , et,
par conséquent, il était sans cesse ravagé par les Anglais
limitrophes. De là, l'accumulation des richesses entravée ;
l'agrandissement des villes arrêté, par suite des risques con-
bien pis. Morer, rendant compte de ce qu'il vit en 1689, dit : « 6tage-coaches they bave none ;
yet there are a few Hackney's at Edinburgh, which they may hire înto the conntry apon
urgent occasions. The truth is, the roads will hardly allow 'em those cooveniences, which is
the reason that their gentry, men and women, chose rather to use their horses. > Morer,
Account ofScotland. Lond., 1701, pag. 34. A l'égard du nord de l'Ecosse, nous lisons ce
qui suit daté d'Inverness entre 1726 et 1730 : « The Highlands are but little known even to
the inhabitants of the low country ofScotland, for they hâve «ver dreaded the difficultés
and dangers of travelling among the mountains; and, when some extraordirfary occasion
has obliged any ooe of them to snch a progress, he has, generally speaking, made his
testament before he set ont, as though he were entering upon a long and dangerous sea-
voyage, wherein it was very doubtful if he should ever return. > Letters from a Gentleman
in the North ofScotland, édit. Lond., 1815, 1. 1, pag. 4. Entre 1720 et 1730, on creusa des
rentes militaires dans certaines parties des Highlands. cBut they were laid down by a prac-
tical soldier, and destined for warlike purposes, with scarcely any view towards the ends
for which free and peaceful citizens open up a System of internai transit, a Burton, Hist. of
Scotland, t. Il, pag. 285. Consultez en outre Chalmers, Caledonia, t. II, pag. 96. Ce qui
confirme ce fait, c'est qu'entre Inverness et Edimbourg, « until 1755, the mail was conveyed
by men on foot. » Account of Invernesshire, M'Culloch, British Empire, 1. 1, pag. 299.
Ajoutons que, dans Anderson (Essay on the Highlands, 1817, pag. 119, 120), on établit
qne « a postchaise was first seen in InTerness itself in 1760, and was, for a considérable
time, the only four — wheeled carriage in the district. > Quant aux voies de communication
dans la province de Perth, consultez Penny, Traditions of Perth; quant aux grandes routes
d'Aberdeen à Inverness et d*Aberdeen à Edimbourg , se reporter à Kennedy, Annals of
Aberdeen, pag. 269, 270. On n'a jamais écrit l'histoire de l'amélioration des routes pendant
la seconde partie du dix-huitième siècle; cependant ce sujet est de la plus grande impor-
tance , en ce qui touche aux résultats intellectuels de cette époque , par cela même qu'elle
amena la fusion des deux peuples, et, en ce qui touche aux résultats économiques, par cela
même qu'elle aida au commerce. On pourra se faire une idée de l'énergie extraordinaire que
l'Ecosse montra sur ce point en rapprochant ces divers ouvrages ■ Chalmer, Caledonia,
t II, pag. 494, 865, 939; t. m, pag. 599, 799; Crawfurd, HisU ofthe Shire ofRenfrew,
part, u, pag. 128, 160; Irving, Hist. of Dumbartonshire, pag. 245, 246; Sinclair, Statist.
Account ofScotland, 1. 1, pag. 109, 210, 367, 430, 496; t. H, pag. 498; t. m, pag. 331,
352, 363 ; t. IV, pag. 313; t. V, pag. 128, 234, 235, 315, 364, 365; t. VI, pag. 107, 154, 180, 458;
t. VII, pag. 135, 251, 275, 299, 417; t. VH1, pag. 81, 243, 344, 345, 541 ; t. IX, pag. 414, 530 ;
t. X, pag. 221, 237, 238, 466, 618; t. XI, pag. 127, 380, 418, 432, 522, 541; t. XII, pag. 99;
t. XIII, pag. 42, 141, 488, 542, 663; t. XIV, pag. 217, 227, 413, 443, 446, 506; t. XV,
pag. 54, 88, 276 ; t. XVI, pag. 120; t. XVU, pag. 5, 267, 297, 377, 533; t. XVIII, pag. 3U9i
t. XX, pag. 156.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. !8Î
sidérables auxquels elles étaient sujettes; de là enfin pour
l'esprit municipal, l'impossibilité de se développer, esprit
qui eût pu exister si, au lieu d'être situées au sud, les pro»
vinces les plus favorisées de la nature se fussent trouvées au
nord. Si la position avait été intervertie, de telle sorte
que les Highlands eussent été au sud et les Lowlands au
uord (2) , dès le treizième siècle, les terribles invasions
des pirates Scandinaves ne se renouvelant plus, les régions
fertiles de l'Ecosse , jouissant désormais d'une sécurité
relative, auraient vu s'établir des cités, qui, grâce à l'ao
tivité du peuple, auraient acquis une prospérité qui eût
introduit un nouvel élément dans les affaires de l'Ecosse et
changé le cours de son histoire. Néanmoins, il ne devait
pas en être ainsi; et, comme nous avons à nous occuper des
événements tels qu'ils sont, je vais essayer de dépeindre les
conséquences résultant des particularités physiques que nous
venons d'indiquer; et, en coordonnant leurs effets, je ferai
ressortir, autant qu'il sera en mon pouvoir, leur signification
générale et comment ils ont façonné le caraetère national.
Le premier fait que nous connaissions sur l'histoire
d'Ecosse, c'est l'invasion des Romains, sous Agricola, à la
Un du premier siècle. Cependant, ni les conquêtes de ce
prince, ni celles de ses successeurs, ne firent d'impression
durable. Le pays ne fut jamais, à vrai dire, subjugué, et
tout se borna à une occupation militaire qui, malgré l'éta-
blissement de nombreuses forteresses, de murs et de rem-
et) remploie le terme Highlands dans le sens ordinaire, mais pen exact, suivant lequel
on comprend tonte l'Ecosse do détroit de Pentland jnsqn'an pied des montagnes, à quelques
milles an nord de Glascow, Stiriing,Perth et Dundee. Tontes distinctions de ce genre sont
nécessairement assez Tagoes, les limites naturelles n'étant jamais nettement marquées.
Rapprochez Macky , Scotland , pag. 184(1732), d'Anderson, Guide to the Highlands
(1847), pag. 17,18.
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188 HISTOIRE
parts, ne plia en rien l'esprit national. Sévère lui-même, qui,
en 209, entreprit la dernière et la plus importante expédi-
tion contre l'Ecosse, ne pénétra pas, à ce qu'il parait, plus
loin qne le détroit de Moray (1) ; et, dès qu'il se retira, les
aborigènes, reprirent les armes et regagnèrent leur indépen-
dance. Les expéditions suivantes ne furent pas conduites
snr une échelle assez large pour qu'elles eussent la moindre
chance de succès. D'ailleurs, les Romains, loin d'être k la
hauteur de cette tâche, commençaient eux-mêmes à dégé-
nérer. Dans leurs plus beaux jours, leurs vertus ne furent
que les vertus d'un peuple barbare, et, à l'époque dont nous
parlons, ils étaient sur le point de les perdre. Dès l'origine,
leur système fut si étroit et si imparfait, que l'accroissement
des richesses, source d'amélioration chez toutes les nations
vraiment civilisées, causa aux Romains un tort irrépa-
rable : le luxe les corrompit au lieu de les policer. De nos
jours, si nous rapprochons les différents pays de l'Europe,
nous trouvons que les plus riches sont également les plus
puissants, les plus humains et les plus heureux. Nous vivons
dans une société éclairée, ou la richesse est à la fois la cause
et l'effet du progrès, tandis que la pauvreté est la mère,
trop féconde bêlas! de la faiblesse, de l'infortune et da
(1) Browne (Hist. of the Highlands, 1. 1, pag. 33) dit que < he traversod the wbole of
north Britain, from the wall of Antoninns to the very extremity of the Island. > La même
assertion se trouve dans Pennant, Scolland, 1. 1, pag. 90. Ni l'an ni l'autre de ces auteurs
ne disent a quelle source ils ont été puiser ce fait; mais il est probable qu'ils se sont rap-
portés à un passage contenu dans Buchanan, Rerum Scoticarum Historiée, lib. rr,
pag. 94 : t Neque tamen desideratis quinquaginta millibus (ut scribit Dion) prias ab
innepto destiterunt, qnam finem insulae pénétrassent. > Je crois toutefois que les anti-
quaires écossais s'accordent aujourd'hui à reconnaître que cette assertion est erronée,
ainsi que Chalmers fut le premier à le tout. Consultez son outrage , Culedonia, t. I,
pag. 187, livre précieux et plein de science, mais malheureusement défectueux sous le
rapport du plan et du style qui est vraiment pitoyable. Consultes aussi Irriog, Hist. of
Dumbartonshire, in-4% 1860, pag. 14.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 189
crime. Quant aux Romains, il ne sortirent du sein de la
pauvreté que pour se jeter dans les bras du vice. Le fonde-
ment de leur grandeur était si peu stable, que les résultats
même, découlant de leur puissance, furent désastreux pour
cette puissance. L'empire leur donna la richesse, et la richesse
renversa l'empire. Leur caractère national, malgré sa vi-
gueur apparente, était réellement d'un si frêle tissu que sou
propre développement fut sa ruine. A mesure qu'il grandit,
il se rapetisse. C'est pour cela que, aux troisième et qua-
trième siècles, leur domination sur le monde diminua à vue
d'œil. Leur autorité étant sapée, d'autres nations survinrent
naturellement; de telle sorte que les incursions de ces
hordes étranges qui descendirent du Nord comme un tor-
rent et auxquelles on attribue souvent la catastrophe finale,
furent tout au plus l'occasion, mais nullement la cause de la
chute de l'empire romain. Depuis longtemps tout avait
tendu à amener ce grand et salutaire événement. Les fléaux
et les oppresseurs du genre humain qu'une fausse et aveugle
sympathie a revêtus de nobles qualités qu'ils n'eurent jamais
en partage, durent reporter leurs regards sur eux-mêmes; et,
lorsque, après avoir battu partout en retraite, au milieu du
cinquième siècle, ils retirèrent leurs troupes de tous les
points de la Grande Bretagne, en cela ils exécutèrent
simplement un mouvement qu'un enchaînement de circons-
tances qui se déroulaient depuis plusieurs générations, avait
rendu inévitable.
C'est à partir de ce point que nous commençons à distin-
guer les effets de ces particularités physiques et géogra-
phiques qui, je l'ai dit, influèrent sur les destinées de
l'Ecosse. A mesure que les Romains perdirent du terrain,
l'Irlande, en raison de sa proximité, dirigea bientôt ses
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190 HISTOIRE
attaques contre l'Ecosse : l'Irlande, île fertile , dont te sol
riche et tons les dons de la nature avaient amené la sura-
bondance dans la population, et partant un esprit turbulent.
Le surcroit qui, aux époques civilisées, se traduit par l'émi*
gration, se traduit, dans les temps barbares, par l'invasion*
Aussi les Irlandais, on Seotts, comme on les appelait, s'éta-
blirent-ils par la force des armes dans la partie occidentale
de lËcosse : il finirent par se rencontrer avec les Pietés,
qui occupaient l'Est. Il s'ensuivit une lutte acharnée qui
dura quatre siècles après la retraite des Romains et jeta le
pays dans la plus grande confusion. Enfin, au milieu du
neuvième siècle, Keuneth M' Alpine, roi des Seotts, l'em-
porta et soumit entièrement les Pietés (i). Le pays fut alors
gouverné par un seul chef; et les vainqueurs, s'assimilant peu
à peu les vaincus, donnèrent leur nom à toute la nation qui,
au dixième siècle, reçut la dénomination d'Ecosse (2).
Cependant le royaume n'était pas destiné à jouir du
repos; car sur ces entrefaites, la Norwége, par suite de circons*
(1) L'histoire de l'Ecosse, à cette période, est plongée dans la pins grande obscurité et
peut-être n'en sortira-t-elle jamais. Pour les faits qne je cite dans mon texte, je les ai puisés
principalement aux sources suivantes : < Fordan, Scotichronicon, 1. 1 ; Bochanan, Herum
Sboticarum Historiée, lib. y, pag. 191-132, ainsi que le commencement do sixième livre.
En outre diverses parties de Bede; Pinkerton, Enqwryinto the Early History ofScot-
land; Chalmers, Caledonia; le premier volume de Browne, Hist. ofthe Highlands, et
surtout le livre profond et plein de fines données de M. Skene, Highlanders ofScotlaruL
Dans ce dernier ouvrage (pag. 26-33) la frontière occidentale des Pietés est tracée avec
beaucoup d'habileté, bien qu'on y puisse voir peut-être une certaine incertitude.
(2) Sur ce point nous sommes encore dans l'obscurité; on ne sait pas d'une manière cet-
laine quand le nom de Scotia fat donné à l'Ecosse. Par conséquent la date que j'ai fixée n'est
qu'approximative. Pour arriver à la déterminer, f ai rapproché les passages suivants qui se
contredisent souvent l'un l'autre : Chalmers, Caledonia, 1. 1, pag. 339; Browat, Hist. of
the UiçMands, 1. 1, pag. 34; Pinkerton, Enquiry into the Early History ofSeoUand,
1. 1, pag. 953, 254; t. II, pag. 151, 928, 237, 240; Spottiswoode, Hist. of the Church of
ScoUand, édit. Russell, 1851, 1. 1, pag. 16» note, où cependant i'on prête à Pinkerton une
assertion qu'il n'a jamais faite. Skene, Highlanders, 1. 1, pag. 45,61, 244; Anderson, Prize
Bssay oit the HigMands, pag. 34.
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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 191
tances qu'il serait superflu de raconter, s'était élevée an rang
de la pins grande puissance maritime de l'Europe. L'usage
que cette race de pirates fit de sa force constitue l'un des
traits les plus caractéristiques de l'histoire d'Ecosse : de
plus, cela nous prouve combien de poids il faut attacher aux
questions géographiques, quand on considère une époque
primitive. Les îles les plus rapprochées de la côte étendue
de la Norwége sont les Iles Shetland : de là, jusqu'aux
Orcades, la navigation est facile. Les pirates du Nord s'em-
parèrent de ces îles, petites sans doute mais pour eux fort
utiles; car ils en firent des postes intermédiaires, d'où ils
s'élançaient pour piller impunément les côtes d'Ecosse.
Sans cesse renforcés par la Norwége, ils descendirent des
Orcades aux neuvième et dixième siècles, et s'établirent
d'une manière permanente en Ecosse même, occupant non
seulement Gaithness,mais aussi une grande partie du Suther-
land. Un autre détachement s'empara des iles occidentales
(Western ïsland), et Skye n'étant séparée de la terre ferme
que par un détroit très resserré, les pirates traversèrent
facilement ce bras et vinrent 3e fixer à Western Ross (2).
Ces nouveaux colons firent une guerre incessante et funeste
à toutes les provinces environnantes : une grande partie de
l'Éeosse étant ainsi sans cesse inquiétée, aucune améliora-
tion sociale ne put se produire. Disons mieux, ce malheureux
pays ne fut à l'abri des dangers des incursions des Norvégiens
qu'après les désastres qui accompagnèrent la dernière expé-
dition conduite par Haco : en 1363, celui-ci quitta la Suède
à la tête d'une nombreuse flotte : à ces prodigieux arme-
(1) Pinkerton, Enquiry into the Early History of Scotland, 1. 1, pag. 13Ô, 317 ; t. II,
pag. 179, 298; Skene, Highlanders, 1. 1, pag. 90, 91, 94, 106, 114, 258, 259; Chalmers,
Caledonia, 1. 1, pag. 340-347. '
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192 HISTOIRE
ments vinrent encore s'ajouter des renforts fournis par les
Orcades et les Hébrides. L'Ecosse ne pouvait opposer qu'une
faible résistance. Haco,en compagnie de ses alliés, longea la
côte occidentale jusqu'au Mull de Kentire, mit le pays à feu
et à sang, saisit Arran et Bute, pénétra jusque dans le détroit
de Clyde, se rabattit tout à coup sur Loch Lomonel, dé-
truisit tout ce qui se trouvait sur les bords et dans les îles
de ce lac, ravagea le comté tout entier de Stirling et enfin
menaça l'Ayrshire où il se proposait de descendre avec toutes
ses forces. Heureusement, les intempéries de la saison
mirent fin à cette vaste expédition : les tempêtes disper-
sèrent ou détruisèrent la flotte tout entière (i). Dès lors, le
cours des choses en Suède prévint toute nouvelle tentative;
tout danger de ce coté ayant disparu, l'on put espérer que
l'Ecosse jouirait désormais de la paix et en consacrerait les
loisirs au développement des ressources naturelles qui lui
étaient échues en partage, particulièrement dans les districts
plus favorisés du Sud.
Mais il ne devait pas en être ainsi. A peine la Norwége
a-t-elle mis un terme à ses incursions, que l'Angleterre com-
mence les siennes. Au commencement du treizième siècle,
la ligne de démarcation tirée entre les Normands et les
Saxons allait tellement s'effaçant en Angleterre, qu'en beau-
coup de cas il était impossible de distinguer une race de
l'autre (2) ; vienne le milieu du même siècle et, fondues, elles
formeront une puissante nation : or cette nation ayant pour
voisin un peuple relativement faible, il était certain que le
(i) Tytler, Hist. ofScotland, t. 1, pag. 38-54; Hollinshead, ScottUh Chronicle, t. 1,
pag. 399-403. Dans cette chronique, on s'occupe trop de la prouesse des Écossais et trop
peu des éléments qui dispersèrent la flotte. Consultes Irving, Hist. of Dumbartonshire,
pag. 48, 49.
(î) Buckle, Hist. of Civilization, 1. 1, pag. 565, 56fi.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 193
plus fort chercherait à opprimer le plus débile (1). Dans un
siècle barbare et ignorant, la gloire militaire l'emporte sur
toutes les autres : aussi les Anglais, avides de conquêtes,
jettent-ils les yeux sur TÉ cosse; qu'une occasion favorable
se présente, et, à coup sûr, ils envahiront ce pays : il est
proche, quelle tentation ! il est sans défense, suppose-t-on ;
dès lors, la tentation est irrésistible. En 1290, Edouard I er
se détermine à profiter des troubles qui agitent l'Ecosse au
sujet de la succession au trône. Inutile de décrire les in-
trigues qui s'ensuivent : il suffira de dire qu'en 1296, Pépée
est tirée et Edouard envahit un pays que depuis longtemps
il désire conquérir. Que lui importent les millions de livres
sterling, les centaines de mille hommes qu'il faudra sacrifier
avant que la guerre ait une fin (1)? Lutte d'une longueur et
d'une cruauté sans exemple ! Au milieu de ces horreurs, les
Écossais, malgré leur résistance héroïque, malgré leurs
victoires partielles, ont à subir tous les maux que peut leur
infliger un orgueilleux et insolent voisin. Les Anglais n'ont
qu'un désir, subjuguer l'Ecosse ! mais malgré leurs efforts
plusieurs fois renouvelés, ils ont ignominieusement échoué
. (1) Dans Tytler {Hist. of Scotland, t. 1, pag. 18) on indique • the early part of the
jeign > d'Alexandre III comme la période où « the first approaches were made towardsthe
great plan for the rédaction of Scotland. > Alexandre III monta sur le trône en 1249. Aupa-
ravant les deux nations éprouvaient des sentiments bien différents; ainsi, à la fin du
douzième siècle, • the two nations, according to Fordun, seemed one people; Englishmen
travelling at pleasnre throngh ail the corners of Scotland (?) and Scotchman in like manner
through England. » Kidpath, Boder Hislory, pag. 76. Consultez Dalrymple, Annals of
Scotland, 1. 1, pag. 158. A cette époque, l'Angleterre, étant faible, était animée de disposi-
tions pacifiques.
(2) Un vieil auteur écossais dit avec une certaine exagération : «The year 1296, at which
tyme, the bloodyest and longest warr that ever was betwixt two nationes fell out, and
«ontinued two hundreth and sextie years , to the undoeing and ruineing of many noble
fomilies, with the slaughter of a million of men, > Somerville, Mem. ofthe Somervilles,
1. 1, pag. 61.
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1M HISTOIRE
dans leur entreprise (1). Néanmoins, la souffrance est in-
calculable et ce qui l'aggrave, c'est ce fait important que
la région la plus fertile de l'Ecosse est précisément celle
qui est la plus exposée aux ravages des Anglais. De là, ainsi
que nous le verrons bientôt, pour le caractère national de
très curieux résultats : aussi, sans entrer dans de grands
détails, nous allons tracer un court précis des conséquences
immédiates des luttes longues et sanguinaires.
En 1296, les Anglais font leur entrée dans Berwick, la
ville la plus riche de l'Ecosse, non contents de détruire la
cité, ils passent presque tous les habitants au fil de l'épée (2);
puis ils marchent sur Aberdeen et Elgin, et ils dévastent si
complètement le pays, que les Écossais, se réfugiant dans les
montagnes, dépouillés de tous leurs biens, n'ont plus d'autres
ressources que de se défendre derrière les forteresses érigées
par la nature et d'imiter la tactique de leurs ancêtres bar*
bares guerroyant, douze siècles auparavant, contre les Ro-
mains (3). En 1298, nouvelle incursion des Anglais qui,
(1) Se reporter a quelques remarques fort justes et piquantes dans Home, HisU ofthe
House of Douglas.
(2) i Anno grati» MCCXCVI tertio kalendas Aprilis, villa et castre de Berevvico, per
magnincum regem Àngli» Eadvvardum captis, omnes ibidem inuentos Angli gladio occi-
derant, paucis exceptis, qui ipsam villam postmodum abiorarunt. » Flores Historiarum
ptr Matthceum Westmonasteriensem collecti. Lond., 1570, tu-fol., lib. h, pag. 408.
« Atque modo prodicto villa capta, civibus prostratis, rex Anglise prœdictus nulli aetati
parcens aut serai, duobus diebus rivulis de cruore occisorum fluentibus,septem millia et
quingentas animas promiscui seiûs jusserat, in sua tyrannide des&viens, trueidari. »
Fordun, Scotichronicon* dira Goodall. Édinb., 1775, in-fol., t. II, pag. 199, 160. • Seeutus
Bex cum peditum copiig miserabilem omnis generis caedem edit. » Buchanan, Rerum
Scoticarum Historia. Abredonise, 1762, lib. vin, pag. 200. «They left not one créature alive
of the Scotish blood within ail that tonne. > Hollinshead, Scottisti Chronicle. Arbroath,
1805, in-4°, 1. 1, pag. 418. En 1286, c'est à dire rien que dix ans auparavant : « No other port
of Scotland, in point of commercial importance, came near to a comparison îrith Benrick. •
Hacpherson, Annals of Commerce. Lond., in-4% 1805, 1. 1, pag. 446. Tels furent les crimes
horribles que commirent nos tristes et ignorants ancêtres.
(3) < The Scots assembled in troops and companies, and betaking themselves to the
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DE LA CIVILISATION ES ANGLETERRE. 195
après avoir brûlé Penh et Saint-Andrews , portent leurs
ravages dans toute la région du sud et de l'ouest (1). En 1510,
ils pénètrent en Ecosse par les comtés de l'Est, et faisant
main basse sur tous les approvisionnements qui subsistent
encore, il en résulte une famine si terrible que les habitants
en sont réduits à se repaître de la chair des chevaux et
autres animaux (2). Dans toute l'étendue de l'Ecosse méri-
dionale, depuis Test jusqu'à l'ouest, la population végète
dans la plus affreuse condition : presque tous les citoyens sont
sans abri, mourant de fain. En 1314, poussés par le déses-
poir, ils se rallient un instant et, à la bataille de Bannock*
bu m, ils font essuyer une sévère défaite à leurs oppresseurs*
Cependant leur ennemi acharné rôde toujours sur la fron-
tière, il les enserre de si près que, en 1322, Bruce, pour
déjouer une invasion, est obligé de transformer en désert
toutes les provinces situées au Sud du détroit de Forth,
tandis que le peuple se réfugie, comme auparavant, dans
les montagnes (3). Cette fois donc, lorsque Edouard II
-woods, mountains and morasses, in which their fathers had defended themselYes against
the Romans, prepared for a gênerai insurrection against the English power.» Scott, Hist,
of Scotland, t.*I, pag. 70. An nord, ce semble, cette expédition ne dépassa pas Elgin.
Consultez Tytler, Hist. of Scotland, 1. 1, pag. 119, et Chalmers, Caiedonia, 1. 1, pag. 667.
Bnchanaa en résume ainsi les résultats généraux : • Hanc Stragem ex agrorum inculte
oonsecuta est famés, et famen pestis, unde major, qnam a bello clades timebatur. > Rerum
Sooticarum Historia, lib. Tin, pag. 903.
(1) «The arrny then advanced into Scotland by moderato marches, wasting and destroying
eferything on their way. • « À party of Edward's arrny, sent northwards, wasted
tbe conntry,and bnrnt Perth and Saint-Andrews. » Ridpath, Border History, pag. 146, 147.
(S) « The king entered Scotland by the eastern march with a great arrny. »
« There was this year to terrible a dearth and scarcity of provisions in Scotland , arising
trom the haroc of war, that many were obliged to feed on the flesh of horses and other car-
rion. » Ibid., pag. 164, 165. Se reporter aussi à Fordun, Scoiichronicon, t. II, pag. 249}243.
« Quo anno, propter guerrarum discrimina, tanta erat panis inopia et victualium caristia
in Seotia, quod in plerisqne locis, compellente famis necessitate, multi carnibus equorum
et aliorum pecorum immnndorum vescebantur. »
(3) Bruce « carefully laid the whola bordera vaste as far as the Firth of Forth, removing
the inhabitants to the mountains, with ail their effects of any vaine. When the English
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196 HISTOIRE
atteint Edimbourg, il ne pille rien par la raison que, tout le
pays n'étant qu'une morne solitude, il n'y a rien à piller ;
mais, à son retour, il fait ce qu'il peut : sur son chemin,
quelques couvents donnent seuls signe de vie ; il se rabat
sur eux, dépouille les monastères de Melrose.et d'Holyrood,
brûle l'abbaye de Dryburgh et pourfend les moines que l'âge
ou la maladie clouent forcément dans leurs cloîtres (1).
En 1336, son successeur, Edouard III rassemble une nom-
breuse armée, après avoir dévasté les Lowlands et une
grande partie des Highlands, détruit tout ce qu'il peut ren-
contrer jusqu'à Inverness (2). En 1346, irruption des Anglais
dans les provinces de Tweeddale, de la Merse, Eltrick,
Armandale et Galloway (3); en 1355, Edouard se repré-
sente et déploie encore plus de cruauté; église, village,
ville, bref tout ce qui est sur son passage est réduit en cen-
dres (4). A peine ces terribles dégâts sont-ils quelque peu ré-
army entered , they found a land of désolation , which famine seemed to gnard. » Scott,
HUt. ofScotland, 1. 1, pag. 145. Consulte! également Bachanan, Rerum Scoticarum
HUtoria, lib. vin, pag. 318.
(1) « Eadwardus, rex Angliae, intravit Scotiam corn magno exercitu equitum et peditum,
ac navium multitudine copiosa , dnodecimo die menais Augusti, et nsqne villam de Edin-
burgh pervenit. » • Spoliatis tamen tnnc in redita Angloram et pradatis monat-
terii8 Sanctœ Gracis de Edinbnrgh et de Melros, atqne ad magnam desolationem perductis.
In ipso namqne monasterio de Melros dominos Willelmns de Peblis, ejnsdem monasterii
Prior,nnns etiam monachns tnnc infirmas, et duo converti caeci effecti, in dormi torio
eorumdemabeisdem Anglis sunt interfecti, et plures monachi lethaliter vulnerati. Corpus
Dominicum super magnum altare fuit projectum, ablatâ pixide argenteâ in quâ erat repo-
situm. Hona8terium de Driburgh igné penitus consumptum est et in pnlverem redactam.
Ac alia pia loca quamplurima per praBdicti régis violentiam ignis fiamma consumpsit :
quod, Deo retribuente eisdem in prosperum non cessit. » Fordun, Scotichronicon , t. II,
pag. 278. ■ In redeundo sacra juxta ac prophana spoliata. Monasteria Driburgum et Mul-
jrossla etiam cœsis monachis infirmioribus, qui vel defectu viritm, Tel senectutis fidncla
«oli remanserant, incensa. > Buchanan, Rerum Scoticarum HUtoria, lib. vni, pag 919.
(2) Fordun, Scotichronicon, t. II, pag. 322, 323 ; Dalrymple, Aurais, t. II, pag. 232, 447;
Scott, HUt. of Scotland, 1. 1, pag. 187, 188.
(3) Tytler, HUt. of Scotland, 1. 1, pag. 461.
(4) Dalrymple, AnnaU, t. II, pag. 288; Fordun, Scotichronicon, t. II, pag. 352-354.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 197
parés qu'une autre tempête se précipite sur la terre dévouée
aux dieux infernaux. Eu 1385, Richard II s'élance à travers
les comités du Sud jusqu'à Aberdeen, portant la ruine de
tous côtés; les cités d'Edimbourg, Dunfermline Perth et
Dundee sont la proie des flammes (1).
Par suite de ces désastres, l'agriculture est partout inter-
rompue; en maints endroits les terres. restent en jachère
pendant plusieurs générations (2). Les laboureurs prennent
la fuite ou sont massacrés; et, faute de bras, les plus belles
parties de l'Ecosse sont transformées en solitudes, couvertes
de ronces et de halliers. Dans l'intervalle qui s'écoule entre
les invasions, quelques habitants, s'armant de courage,
quittent les montagnes pour venir élever de misérables
huttes à la place de leurs anciennes demeures. Infortunés!
(1) « Rex Angliae, Richardus secundus aegrè ferens Scotos et Fraocos tam atrociter terram
suam depraedare, et municipia sua assilire et ad terram prosternere, exercitum collegit
grandem, et intravit Scotiam, aetate tune novemdecim annorum, in multitudine superba
progrediens, omnia circumquaque perdens, et nihil salvans; templa Dei et sanctuaria reli-
giosorum monasteria viz. Driburgh, Melros et Newbottel, ac nobilem villam de Edinburgh,
en m ecclesia Sancti JSgidii ejusdem,voraci flammà incineravit; et, destructione permaximâ
factâ per eum in Laudonia, ad propria sine damno repatriavit. » Fordun, Scolichronicon,
t. II, pag. 401. » En ce séjour que le roi Richard fit en Haindebourch, les Ànglois coururent
tout le pays d'environ et y firent monlt de desrois; mais nullui n'y trouvèrent; car tout
avoient retrait eus es forts, et ess es grands bois, et là chassé tout leur bétail. >
t Et ardirent les Anglois la ville de Saint-Jean-Ston en Ecosse, où la rivière du Tay cuert,
et y a un bon port pour aller partout le monde ; et puis la ville de Bondi» ; et n'épargnoient
abbayes ni œoûtiers ; tout mettoient les Ànglois en feu et en flambe; et coururent jusques à
Abredane les coureurs et l'avant-garde. » Les Chroniques de Froissart, édit. Buchon.
Paris, 1835, t. II, pag. 334, 335. Consultez également, à l'égard de cette infâme expédition,
Chalmers, CoJLedonia, t. Il, pag. 592, 593, et Buchanan, Rerum Scoticarum Historia,
jib. ix, pag. 253 : < Nulli loco, neque sacro, neqne profano, nulli homini, qui modo militari
esset aetate, parcebat. »
(2) « Agriculture was ruined ; and the very necessaries of life -were losl vhen the principal
lords had scarcely a bed to lye on. > Chalmers, Caledonia, t. II, pag. 142. Voyez également,
à la page 867 du même volume quelques curieux extraits des chartes écossaises et autres
sources qui peignent bien l'horrible condition du pays. Quant à la difficulté de trou ver des
vivres, consultez Fordun, Scotichronicon, t. II, pag. 242, 324; Dalrymple, Armais, 1. 1,
pag. 307 ; t. H, pag. 238, 330, et Tytler, Hist. ofScotland, t. II, pag. 94.
T. IV 13
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ItS HISTOIRE
ils sont pourchassés jusqu'à leurs portes mêmes par des
loups en quête de nourriture et que la faim rend furieux.
Echappent-ils à ces bêtes féroces et affamées, eux-mêmes, leur
famille sont exposés à un danger encore plus horrible. Car,
dans ces jours de désolation, où la famine se népand partout,
le désespoir, pervertissant lame, fait commettre aux hommes
de nouveaux crimes. Oui, il y a des cannibales dans le pays; et
les auteurs contemporains nous apprennent qu'un homne
et sa femme, qui passent enfin en jugement, n'ont subsisté
pendant longtemps qu'en dépeçant des corps d'enfants qu'Us
attrapaient vivants dans des pièges pour se repaître de leur
chair et s'abreuver de leur sang (1).
Ainsi s'écoule le quatorzième siècle. Au quinzième, les
funestes incursions des Anglais deviennent relativement
rares; et, bien que les frontières soient le théâtre d'hostilités
constantes (2), nous ne voyons pas que, depuis 1400, aucun
de nos rois envahisse l'Ecosse (3). Enfin un terme étant mis
(1) On trouvera des détails sur les cannibales de l'Ecosse dans Lindsay of PiUeoUie,
Chronicles of Scottandj t. I, pag. 163, et dans Hollinsbead, Scottish Chronicle, t. D,
pag. 16, 99. Dans Fordun (Scotichronicon, t. II, pag. 331) on lit l'affrense description sii-
vante qui se rapporte i la province de Perth en 1339 : « Teta illa patrie circnmvieina eo
tempore in tantam fait vastata, qaod non remansit qnasi domns inhabitata, sedfer» et
cerf i de montions descend entes circà villam ssapids venabanlnr. Tantatnnc temporisfaeta
est caristia, et vfttnalinm inopia, nt passim plebicnia deficeret, et tanqnam oves herbas
depascentes, in foveis mortaa reperirentnr. Prope illine in abditis latitabat qnidam robustns
rnsticns, Crysticleik nonine, cnm viragine snâ, qui mnlierenlis et pueris ac javenflms
insidiabantnr» et tanqnam lnpi eos strangnlantes, de ipsornm carnibos victitabant. »
(2) Les drei nations mêmes fassent-elles en paix, les populations limitrophes étaient en
gnerre. Consultez ftidpath, Border History, pag. 140, 306, 394. On trouvera d'antres
témoignages sur cette anarchie passée à l'état chronique dans Holliashead, &ott&A Chro-
nicle, t. II, pag. 30; Lesley, Hist. of Scoiland, pag. 40, 52, 67 ; Sadler, State Paper s, 1. 1,
pag. 300, 301, 444, 44»; State Paper* ofthe Reign of Henry VIII, t. IV, pag. 366, 370,
309, 570; t. Y, pag. 17, 18, 161 ; Hiêt. ofJame»theSemt, pag. 31,91, 146.
(3) En 1400, Henri IV « made the last invasion whieh an Engtish monareh ever eendncted
tote Scetland. • TyWer, Hiet. ofScotiand, t. II, pag. 406. Ce n'est toutefois, dit-on, qne
tons le régne d'Elisabeth qn'nn menarqne anglais c had the policy lo disavoir any cleim
•f sovereignty over Scotland. > Chalmers, Calêdonia, 1. 1, pag. 650.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 190
à ces cruelles incursions qui ont fait de l'Ecosse un désert,
le pays respire et commence à recouvrer sa force (1).
Cependant, quoique les pertes matérielles soient peu à peu
réparées, quoique les champs soient de nouveau cultivés et
les villes rebâties, il y a d'autres conséquences auxquelles
il est moins facile de remédier et dont les effets cuisants
feront longtemps souffrir le peuple, je veux dire, la puis-
sance excessive de la noblesse et l'absence de tout esprit
municipal. La force des nobles et la faiblesse des citoyens,
voilà ce qui caractérise surtout l'Ecosse durant les quin-
zième et seizième siècles : deux tendances que les ravages
des Anglais développent directement , ainsi que je vais le
montrer. Nous verrons de plus que ce concours de circon-
stances accroît l'autorité du clergé, amoindrit l'influence des
•classes intellectuelles et rend la superstition plus dominante
qu'elle ne l'eût été autrement. C'est ainsi qu'en Ecosse,
comme en tous autres pays, tout s'enchaîne, rien n'est casuel
au accidentel ; le cours tout entier des choses est régi par
des causes générales qui, par suite de leur étendue et de
leur éloignement, échappent souvent à l'attention, mais
qui, une fois reconnues, se distinguent à nos yeux par une
simplicité et une uniformité qui sont les traits invariables
des plus hautes vérités auxquelles soit parvenu l'esprit
humain.
Ce qui favorisa en premier lieu l'autorité des nobles, ce
(i) Hais très lentement. Pinkerton {Hist. of Scotland > 1. 1, pag. «6, 167) dit : * The fré-
quent "wars ftetween Scotland and Engtand, since the death of Alexander III, had occasioned
to the former cotmtry the loss of more tban a centnrr in the progress of civilisation. While
in England, onty the northern provinces were exposed to the Scotish incorsions, Scotland
snfered in its most eirilized departments. It is apparent thatin thereignof Aleiander III,
the kingdom vas more abnndant in the osefal arts and manufactures, than it was in the
time of Robert III. >
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200 HISTOIRE
fut la configuration même du pays. Des montagnes, des
marais, des lacs et des étangs, que les ressources de Fart
moderne même ont rendu seulement depuis peu accessibles,
offraient aux grands chefs écossais des repaires d'où ils pou-
vaient impunément défier la couronne (1). En outre, à
cause de la pauvreté du sol, les armées avaient peine à
trouver des moyens de subsistance, et pour cette seule
raison, les troupes du roi étaient souvent incapables de
poursuivre les barons audacieux et mutins (2). Pendant le
quatorzième siècle, l'Ecosse fut sans cesse ravagée parles
Anglais : or, durant les intervalles de leur absence, c'eût
été de la part du roi une entreprise désespérée que de cher-
cher à réprimer des sujets aussi puissants: il lui eût fallu
traverser des régions si dénudées par la main de l'ennemi,
qu'on n'y trouvait plus les moindres choses nécessaires à
l'existence. D'ailleurs, la guerre avec les Anglais amoindrit
l'autorité de la couronne, d'une manière aussi absolue que
relative. Ses terres, situées dans le Sud, étaient sans cesse
ravagées par les populations limitrophes, si bien qu'avant le
(1) Grâce à ces circonstances, leurs châteaux étaient les forteresses les plus redoutables
de l'Europe , exception faite de l'Allemagne. Quant à leur emplacement, qui était si bien
choisi qu'en beaucoup de cas la position était presque inattaquable, consultez Chalmers,
Caledonia, t. H, pag. 122, 406, 407, 918, 919,- 1. III, pag. 268, 269, 356-359, 864; Pennant,
Scotland,, t. 1, pag. 175, 177; Sinclair, Scotland, t. III, pag. 169; t. Vil, pag. 510; t. XI,
pag. 102, 212, 407, 408; t. XII, pag. 25, 58; t. XIII, pag. 598 ; t. XV, pag. 187 ; t. XVI, pag. 554;
t. XVIII, pag. 579; t. XIX, pag. 474; t. XX, pag. 56, 312; Macky, Scotland, pag. 183, 297,
ainsi que quelques excellentes observations dans Nimma, Hist. of Stirlingshire, pag. 56.
Ni l'Angleterre, ni la France, ni l'Italie, ni l'Espagne, n'offrirent des avantages naturels aussi
immenses à son aristocratie.
(2) t By retiring to his own castle, a mutinons baron could defy the power of his sovereign,
it being almost impracticable to lead an army through a barren country, to places of diffi-
cult access to a single man. » Hist. of Scotland, liv. i, pag. 59; Robertson, Works, édit.
Lond. , 1831. Malgré les immenses matériaux qui ont été mis au jour depuis l'époque de
Robertson, son History of Scotland est encore estimable, résultat qu'elle est d'un esprit
vaste qui permit à son auteur d'embrasser les vues générales qui échappent aux compila'
teurs ordinaires, tout habiles qu'ils soient.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 201
milieu du quatorzième siècle, elles avaient grandement
perdu de leur valeur (i). En 1546, David II tomba entre les
mains des Anglais; et, durant les onze années de sa capti-
vité, \eè nobles, levant haut la tête, s'arrogèrent, nous dit un
historien, le train et le titre de princes (2). Plus longtemps
dura la guerre avec l'Angleterre, plus ces conséquences se
firent sentir : aussi, avant la fin du quatorzième siècle, un
certain nombre de familles s'étaient élevées en Ecosse à une
telle prééminence, qu'il était évident qu'il arriverait de deux
choses l'une, ou il y aurait lutte acharnée entre elles et la cou-
ronne, ou le pouvoir exécutif serait réduit à se départir de
ses fonctions les plus essentielles pour laisser le pays en
proie à la farouche domination de ces chefs audacieux (3).
Dans une crise semblable, le trône eût dû trouver ses
alliés naturels parmi les citoyens, les bourgeois libres qui,
dans presque tous les pays de l'Europe, se montrèrent les
adversaires ardents et déterminés de la noblesse, dont les
habitudes licencieuses portaient ombrage non seulement à
leur commerce, mais aussi à leur liberté individuelle. Eh
bien, sur ce point encore, la longue guerre avec l'Angleterre
servit les intérêts de l'aristocratie écossaise. Car, les enva-
hisseurs se débordant dans les provinces méridionales, qui
étaient en même temps les seules fertiles, il était impossible
(1) c The patrimooy of the crown had been serionsly dilapidated during the period of
confusion which succeeded the battle of Durham. » Tytler, Hist. of Scotland, t. II,
pag. 86.
(2) « During the long captivity of David, the nobles had been Completel y insubordinate
and affected the style and litle of princes. » Tytler, Hist. of Scotland, t. II, pag. 85-
Consultez également, à l'égard de la condition des barons sous David H, Skene, Highlan-
derêj t. Il, pag. 63-67.
(3) En 1299, « a soperior baron was in every respect a king in miniature. » Tytler, Hist. of
Scotland, t. II, pag. 150. En 1377, « the power of the barons had been decidedly increasing
since the days of Robert the first. » Pag. 332. Enfin, vers 1398, ce pouvoir s'était élevé encore
plus haut. Pag. 392.
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202 HISTOIRE
que des villes fleurissent dans les lieux mêmes destinés à
cet effet par la nature. Or, pas de grandes cités, donc pas
d'abri pour les citoyens, par conséquent, pas d'esprit muni-
cipal. Par suite de ce défaut, la couronne fut privée de la
grande ressource qui permit aux rois d'Angleterre de rogner
le pouvoir de la noblesse et de châtier la licence qui avait si
longtemps entravé les progrès de ta société.
Pendant le moyen âge, les villes d'Ecosse furent tellement
insignifiantes, qu'il n'en est arrivé jusqu'à nous que pen de
descriptions, les auteurs contemporains reportant toute leur
attention sur les faits et gestes des nobles et du clergé.
Quant au peuple qui allait chercher un abri dans les murs
de ces misérables cités, tout ce que nous en savons est très
incomplet : toutefois, il est certain que, pendant tonte la
durée des guerres avec l'Angleterre, les habitants s'enfuyaient
généralement à l'approche de l'ennemi, et que leurs tristes
chaumières étaient réduites en cendres (1). Ces émigra-
tions continuelles, cette vie errante , engendrèrent chez ce
peuple un caractère qui étouffa toutes habitudes réglées d'in-
dustrie ; n est-ce pas là une des causes qui empêchent les
hommes de s'unir pour former une communauté? Ce que nous
disons s'applique plus spécialement aux Lowlands; quant au
Nord, il ne manquait pas d'autres malheurs aussi terribles.
Les féroces Highlahders, qui n'avaient d'autres moyens
d'existence que le pillage, étaient sans cesse menaçants : à
leurs hordes venaient souvent s'ajouter les pirates des îles
occidentales (Western Islands). Tout ce qui ressemblait à la
(1) Relativement à cette coutume d'incendier les villes d'Ecosse, qui paraît avoir été
inféodée dans le sang de nos ancêtres si humains, consultes Cfealmers, Caledonia, t. II,
pag. 503, 593; Kennedy, Annals ofAberdeen, t. I, pag. 18, 27, 375; t. II, pag. 301; Mener,
Hist. of Dumfermline, pag. 55* 56; Sinclair, Scolland, t. V, pag. 486; t. X, pag. 581;
t.. XIX, pag. 161 ; Ridpath, Border kislory* pag. 147, 221,265.
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DE LA CIVILISATION BN ANGLETERRE. fOS
richesse enflammait leur cupidité. Savaient-ils qu'un homme
possédait quelque bien, vite ils brûlaient de s'en emparer;
et détruire était leur plus grand plaisir après le vol (1). Âber-
deen et Invernets furent particulièrement exposées à leurs
attaques; et, fe deux reprises différentes durant le quinzième
siècle, Invernets fut totalement détruite par le feu, sans
compter les énormes rançons qu'elle dut payer maintes fois
pour éviter pareil sort (2).
(4) Un statut parlementaire écossais, daté de 1597, en donne une curieuse description :
■ They hawe tykwayis t h roche thair barbarus inhumuoitie maid and presentlie makis the
saidis hielaadis and Iles qïk are maist commodious in tharoe selwes alsueiti be the ferteih
litie of the ground as be riche fischeingis altogidder vnproffîtabill bai the to thame selffis
and to ail vthuris his hienes liegis within this reaime ; thay nathair intertening onie ciuil or
honeet societie amangis thame seffis neyther zit admittit vtheris bis hienesse lièges te
tralficque within thair boundis vithe saiftie of thair Hues and godes; for remeid quhairof
and that the saidis inhabitantis of the saidis hilandeis and Iles may the better be rednced
to ane godlie, honest, and ciuill maner of living, it is statute and ordanit, » etc. Acts ofthe
Parliament8 of Scotland, édit. in-fol., 1816, t. IV, pag. 138. Ces légères particularités du
caractère des Highlanders subsistèrent dans toute leur force jusque vers to milieu du dix-
huitième siècle, ainsi qu'on le verra dans le cours de cette histoire. Sans anticiper sur ee
qui sera développé dans un des chapitres suivants, je renverrai simplement le lecteur à deux
passages intéressants : Pennant, Scotl&nd, t. 1, pag. 154, et Héron, Scotkmd, 1. 1,
pag. 218, 219, qui tous deux font très bien ressortir l'état des choses un peu avant 1745.
(2) Inverness fut détruite par l'incendie en 1429 (Gregory, His t. ofthe Wettem Highr
lande, pag. 36), et une seconde fois en 1455 (Buchanan, Rerum Seoticarum Historia,
lib. xi, pag. 322). La plus grande partie en fut aussi brûlée en 1411. Consultez Andersen,
On the Highlands (1827),'pag. 82. Aberdeen, en raison de ses plus grandes riebesses, offrait
plus de tentation, mais aussi elle était pins à même de se défendre. Néanmoins les registres
de son conseil municipal nous fournissent de curieux témoignages au sujet de la crainte
constante de ses citoyens et des précautions prises pour repousser les attaques parfois dei
Anglais et parfois des clans. Voyes le CouncU Register of 4berdmi (publié par le Spah
ding Club. Aberdeen, 1844-1848, in-4*), 1. 1, pag. 8, 19, 60, 83, 197, 219, 232, 268 ; t. II, pag. 82.
Le dernier article, a la date du 31 juillet 1593, porte : • The disordourit and lajrles heland-
men in Birss, Glentanner, and their about, nocht onlie in the onmercif ul murthering of men
and bairnis, bot in the maisterfuM and violent robbing and spulzeing of ail the bôstiall,
guidis, and geir of a gryt pair! of the inhabitantis of theas boundis, rasiog of gry t hairschip
f urth of the samen, being committit to ewous and nar this burgh, within xx mylis theirunto,
denysit and ordanit for preservatioun of this burgh and inhabitantis theirof, ftra the tyran-
nous invasion of the saidis bieland men, quha bas na respect to God nor man ; that the haill
inhabitantis of this burgh, fensiball persones ais weitl onfrie as frie, salbe in reddiuess
weill armit for the defence of this burgh, thair awin lyvis , gudia» and geir, and resistinf
• and rt pseasing of the sald heland men, as ocea&ioun salbe offered, at ail tymes and houris
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904 HISTOIRE
En proie à ces inquiétudes continuelles (1), tiraillée au
nord, au sud, comment l'Ecosse eût-elle pu se livrer à une
paisible industrie? On ne pouvait bâtir une ville qu'elle ne
fut sur-le-champ exposée à être détruite. Aussi, durant plu-
sieurs siècles, pas de manufacture, nul commerce à peine,
toutes les transactions s'opérant par trocs (2) ; quelques-uns
des arts les plus vulgaires étaient inconnus. Leurs armes
mêmes, les Écossais ne pouvaient les forger; et cependant chez
un peuple aussi belliqueux, c'eût été là un métier profitable;
mais ils étaient si peu experts en pareille matière que, dans
les premières années du quinzième siècle, presque toutes
leurs cottes d'armes, leurs lames et même les arcs et les
flèches étaient de fabrique étrangère; la Flandre leur four-
nissait entièrement les fers et les pointes de ces armes (3).
as thay salbe requirt and chargit. • En 1688 même, nous voyons qu'on se plaint des incur-
sions des Highlanders qoi ont enlevé par force des femmes à Aberdeen on dans le voisinage.
Record* ofthe Synod of Aberdeen, pag. 290. On trouvera d'autres récits détaillés de leurs
méfaits aux seizième et dix-septième siècles dans Kennedy, Armais of Aberdeen, 1. 1,
pag. 133; Spalding, Hist. ofthe Troubles, 1. 1, pag. 25, 217 ; Extract from the Presbytery
book ofStrathbogie, pag. 62-73.
(1) La raison même pour laquelle Perth cessa d'être la capitale de l'Ecosse fut que < its
vicinity to the Highlands » en faisait pour la royauté une résidence assez dangereuse. »
Lawson, Book of Perth, pag. xxxi.
(2) A l'égard de l'emploi habituel du troc et du manque de métaux précieux en Ecosse,
consultez Spalding Club MisceUany, t. IV, pag. lvii-lx« En 1492, la trésorerie d'Aberbeen
fut obligée d'emprnnter 4 liv. 16 schell. Kennedy, Annale of Aberdeen, 1. 1, pag. 61.
Voyez aussi Sinclair, Statistical Account of Scotland, t. V, pag. 542. Tynes Moryson,
qui se trouvait en Ecosse à la fin du seizième siècle, dit : « The gentlemen reckon their reve-
nues not by rents of money but by chauldrons of victuals. » Moryson, ltinerary. Lond.,
1617, in-fol., part, m, pag. 155, livre rare et excessivement curieux , qu'on ferait bien de
réimprimer. Cent ans après Moryson on remarque que, < in Eo gland, the rents are paid in
money,- in Scotland, ihey are, generally speaking, paid in kind, or victual as theycaU it. »
De Foe, Hist. ofthe Union, pag. 130.
(3) Sous Jacques I" (14244436), ■ it appears that armours, nay spears, and bows and
arrows were chieflly imported... In particular, the heads of arrows and of spears seem to
hâve been entirely imported from Flanders. » Pinkerton, Hist. of Scotland, 1. 1, pag. 163.
Nous voyons dans Rymer, Fœdera, qu'en 1368, deux Ecossais, ayant à vider un duel,
firent venir leurs armures de Londres. Macpherson, Annals of Commerce, 1. 1, pag. 575.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 205
Les Écossais s'adressaient aux artisans flamands pour tout ce
qui avait rapport au train ordinaire d'une ferme, tels que
chariots, voitures à bras etc., qu'en 1475, on importait régu-
lièrement des Pays-Bas (1). Quant aux arts qui témoignent
d'un certain degré de raffinement, ils leur étaient inconnus
à cette époque, et le furent pendant longtemps encore (2).
Jusqu'au dix-septième siècle, l'Ecosse n'eut ni verrerie (3),
ni savonnerie (4). Aux yeux des hautes classes mêmes, c'eût
été une absurdité que d'avoir des fenêtres vitrées dans leurs
misérables demeures (5) ; et comme ce n'étaient pas seule-
(i) Bibel of Englisti Policy, livre qu'on suppose avoir été écrit sous le régne
d'Edouard IV» nous apprend que « the Scotish imports from Flanders were mercery, but
mère haberdas hery, cart-wheels and wheelbarrows. » Pinkerton, Hist. ofScotland, 1. 1,
pag. 406. Nous lisons dans Mercer {Hist. of DumferrrUine) que, au quinzième siècle,
«even in the best parts of Scotiand the inhabitants could not manufacture the most neces-
sary articles. Flanders vas the great mart in those times, and from Bruges chiefly, the Scots
imported even horse-shoes,harness, saddles, bridles, cart-wheels and wheel-barrows, besides
ail their mercery and haberdas hery. »
(2) Pendant longtemps Aberdeen fut l'une des villes les plus riches, et, sous certains
rapports , les plus avancées de l'Ecosse. Cependant il appert des registres communaux
d'Aberdeen que i in the beginning of the sixteenth century there was not a mechanic in the
town capable to exécute the ordinary repairs of a clock. * Kennedy, Annals of Aberdeen,
1. 1, pag. 99. A l'égard des horloges fabriquées en Ecosse au milieu du seizième siècle,
consultez l'ouvrage intéressant de Bf. Merley, Life of Cardan , t. II, pag. 128. Cardan se
trouvait en Ecosse en 1552.
(3) Vers 1619, sir George Hay « set up at the village of Wernyss, in Fife, a small glass-
work, being the first known to hâve existed amongst us. * Chamber, Annals j 1. 1, pag. 506.
Voyez aussi pag. 428.
(4) i Before this Urne, soap was imported into Scotiand from foreign countries , chiefly
from Flanders. * Ibid., 1. 1, pag. 507. L'époque indiquée est 1619 ; c'est alors, dit-on, qu'une
fabrique fut établie à Leith. On parle, à la date de 1650, dansBalfour {Annales, t. IV,
pag. 68) des i sope-workes of Leith. »
(5) Ray, qui voyagea en Ecosse vers 1661, dit : i In the best Scottish ho uses, even the
klog's palaces, the Windows are not glazed throughout, but the upper part only ; the lower
hâve two wooden shuts or folds to open at pleasure and admit tre fresh air. •
«The ordinary country-houses are pitiful cots, built of stone, and covered with turves,
having in them but one room, many of them no chimneys, the Windows very small noies and
not glazed. » Ray, Itineraries. Lond., 1846, pag. 153, publiés par D. Lankester. < About
1782* the giass window was beginning to make its appearance in the small farm-houses. >
Brown, Hist* of Glasgow, t. II, pag. 265.
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m msTOiiE
ment leurs maisons qui se distinguaient par la saleté, mais
aussi leurs personnes, le savon était un article trop pei
demandé pour que personne fut tenté d'établir une savon-
nerie (1). Dans toutes ses autres parties, l'industrie n'était
pas moins arriérée. Ce n'est qu'en 1630 que l'art de tanner
les cuirs fut introduit en Ecosse (2^; et l'on pose en fait,
(assertion qui parait entièrement justifiée) que la première
papeterie n'y fut créée que dans la seconde partie <U dix-
huitième siècle (3).
(i) En 1650, on dit au sujet des Écossais que < many of their coomen are so sluttish that
th«y do Dot waah their lioen above once a mouth, nor their hands and faces above once s
year. > Whitelock, Mémorial*. Lond., 1732, in fol., pag. 468. Un antre voyageur dit sept
ou huit ans après : c The linen they supplied us with, were it not to boast of, was Httle or
nothiog différent from fthose female complexions that never washed their faces to relaie
their christendom. » Franck, Northern Memoirs, édit. Édinb., 18$1, pag. 9*. Un célèbre
Écossais parle, en 1698, des habitudes de malpropreté de ses compatriotes; mais il nous ea
donne une raison assez grotesque, car, selon roi, ces habitudes Tenaient en grande partie
de la position de la capitale : < As the happy situation of London has been the principal
cause of the glory and riches of England, so the bad situation of Edinburgh has been oae
great occasion of the poverty and uncleanKness in wbieh the greaterpart of the peopleof
Scotland live. > Second Discourse on the Affaire of Scotland, dans Fleteher of Saltata,
Political Works. Glasgow, 1749, pag. 119. Un autre Écossais, au nombre de ses réaiaii-
cences des premières années dn dix-huitième siècle, compte celle-ci : «Table and body-
linen were seldom shifted. > Memoirs by Sir Archibatd Grant of Monymusk, SpaicUng
Club Miscetlany, t. II, pag. 100. Enfin nous avons la preuve certaine que dans quelques
parties de l'Ecosse, à la fin même du dix-huitième siècle, le peuple remplaçait le saven par
un article trop dégoûtant pour qu'on le nomme. Consultes la lettre écrite par le révé-
rend William Lesfie à sir John Sinclair. Sinclair, Statistical Account of Scotland, i IX,
pag. 177.
(2) Ghamber, Annalg, 1. 1, pag. 512.
(3) Une papeterie fut établie près d'Edimbourg en 1675; maisc there is reason tocoaclude
this paper-mill was not continued, and that paper-making was not success fully introdoceè*
into Scotland till the middle of the succeeding century. > Ghamber, Annals, t. n, pag. 3*
J'ai eu teNement de preuves de l'extrême exactitude de ce précieux ouvrage, q«e j'hésiterais
à douter de ce que peut affirmer M. Ghamber, surtout lorsque (et c'est ici le cas) je ne ptH
m'en rapporter qu'à ma mémoire. Mais il me semble avoir trouvé quelque part la preuve qu'ea
réussit à fabriquer du papier en Ecosse à la fin du dix-septième siècle, bien que je ne puisse
me rappeler les passages. Cependant Arnot, dans son Hist. of Edinburgh, pag. 599, dit :
« About forty years ago, printing er writing paper began to be mannfaetured in Seotland
Before that, papers were imported from Borland, or brought from England. » L'onvrafe
d'Aroot ayant paru en 4788, cette assertion coïoeide avec celle de 11. Chamber. Ajoutai!
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HISTOIRE D.E LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 207
Au milieu de cette stagnation générale, les Tilles les plus
florissantes, on le supposera facilement, ne contenaient
qu'une population clafr-semée. En effet, les hommes avaient
si peu d'occupations, qu'ils eussent été réduits à la famine,
s'ils s'étaient agglomérés en grand nombre. Glascow, l'une
des plus anciennes cités de l'Ecosse fut fondée, dit-on, vers
le sixième siècle (4). Quoi qu'il en soit, an douxième siècle,
c'était un centre riche et prospère, jouissant du privilège de
tenir foire et marché (2). Elle possédait une administration
municipale, dirigée par des prévôts et baillis revêtus de pleins
pouvoirs, indépendants de l'évêque et possédant un sceau
particulier (3). Eh bien, malgré tout, cette fameuse ville elle-
même n'eut aucun espèce de commerce avant le quinzième
siècle : ce n'est qu'à partir de cette époque que ses habitants
apprêtent le saumon pour l'exporter (4) : hors cette industrie,
Glascow était inhabile à rien entreprendre» Aussi nesUil pas
surprenant de trouver que, au milieu même du quinzième
siècle, sa population tout entière ne dépassait pas quinze cents
qu'à ht fin du dix-huitième siècle, il y avait i two paper-milis near Perth » (Héron, Journey
through Scotland* Perth, 1799, 1. 1, pag. 447), et que, en 1751 et 1763, les deux premières
papeteries forent établies au nord du Forth. Sinclair, Statistical Account ofScotland,
t. IX, pag. 899; t. XVI, pag. 373. Consultes également Lettke, Letters from Scotland
in 4792, pag. 4».
(4) < This city iras fonnded about the sixth century. > fefUre, Hist. of Glasgow, pag. 190.
Consultez aussi Denholm, Hist. of Glasgow, pag. 2.
(2) Eu 1472, Glascow reçut la permission d'établir un marché, et en 4190 de tenir une
foire. Voyez les chartes, appendice, Gibson, Hist. of Glasgow, pag. 299, 30».
(3) i By the sale of land made by Robert de llytbyngby to Mr. Reginald de lrewyne,
a. d. 1268, il is évident that the town iras then governed by provosts, aldermen, or
iraniens, and baillies , who seem to bave been iodependent of the bishop, and were pos-
sessed of a eommon seal, distinct from the ooe made nse of by the bishop and chapter. •
Gibson, Hist. of Glasgow, pag. 72.
(4) « A Mr. William Elphinston is made mention of as the nrst promoter of trade in
Glasgow, so early as the year 4420 ; the trade which he promoted iras, in ail probability, the
cnring and exporting of salmou. » Gibson, Hist. of Glasgow, pag. 203. Consultez également
nTUre, Hist. of Glasgow, pag. 99.
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208 HISTOIRE
âmes, dont la richesse consistait en menu bétail et en
quelques arpents de terre mal cultivées (1).
A une époque encore plus récente, nous trouvons d'autres
villes qui, malgré la célébrité attachée à leurs noms, sont
tout aussi arriérées : Dunfermline, par exemple, féconde en
souvenirs historiques, résidence favorite des rois d'Ecosse et
où siégèrent mains parlements écossais (S). Voilà, à première
vue, des événements propres donner de la célébrité à une ville:
mais cette illusion s'évanouit, dès que nous pénétrons plus
attentivement jusqu'au fond des choses. Cette ville où se
produisirent tous ces événements que fut-elle? Malgré l'éclat
de la royauté et du sénat, Dunfermline qui, à la fin du trei-
zième siècle, n'était encore qu'un pauvre village, un amas
de huttes en bois (3), avait fait si peu de progrès, qu'au com-
mencement du dix -septième siècle, sa population tout
entière, y compris celle de ses misérables faubourgs, ne
dépassait pas mille âmes (4), chiffre considérable, néan-
moins, pour une ville d'Ecosse. A la même époque, nous
dit-on, Greenock était un village consistant en une seule
rangée de cabanes, occupées par de pauvres pêcheurs (5).
(1) Gibson (Hist. of Glasgow, pag. 74), tout en désirant donner un aperça favorable de
la condition primitive de sa ville natale , dit que, en 1450, les habitants « might perhaps
amonnt to fifleen hundred, » et que < their wealth consisted in a few burrow-roods very 111-
enltivated, and in some s mail caltlej which fed on their commons. »
(2) « Dunfermline continned to be a favourite royal résidence as long as the Seotlish
dynasty existed. Charles I was born hère ; as also his sister Elizabeth afterwards Qaeen of
Bohemia, from whom her présent Hajesty is descended ; and Charles II paid a visit tothis
ancîent seat of royalty in 1650. The Scottish parliament iras oflen held in it. > At'Culloch,
Geographical Dictionary. Lond., 1849, 1. 1, pag. 723. Consulte! Blercer, Hist. of Dun-
fermline, 1828, pag. 56, 58, et Chalmers, Hist. of Dunfermline, 1844, pag. 264.
(3) En 1385, c'était • only a sorry wooden village, belonging to the mooastery. » Mercer,
Hist. of Dunfermline, pag. 62.
(4) t Ms. Annals. » Chalmers, Hist. of Dunfermline, pag. 327. Nous lisons, i la date
de 1624, dans Balfour (Annals, édit. 1825, t. II, pag. 99) : « The quholl bodey of the towne,
which did consist of 120 tenements, and 287 families, was brunt and consumed. »
(5) « Greenock, which is now one of the largest shipping towns in Scotland, was, in the
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DE LÀ. CIVILISATION EN ANGLETERRE. 209
Kilmarnock, aujourd'hui grand centre d'industrie et de
richesses, contenait, en 1668, de cinq à six cents habi-
tants (1). A prendre même une date plus rapprochée, Paisley,
en 1700, possédait une population, qui, d'après les plus
hautes estimations, ne montait pas à trois mille per-
sonnes (2).
Aberdeen, la métropole du Nord, était considérée comme
l'une des villes les plus influentes, et pendant le moyen âge,
son pouvoir et son importance n'excitèrent pas peu d'envie.
Mais pouvoir et importance sont deux mots qui, comme
tous autres, sont relatifs et signifient des choses différentes
à des périodes différentes. Certes, la grandeur de cette cité
ne nous éblouira pas, quand nous saurons que, d'après des
calculs basés sur ses registres de décès, elle ne pos-
sédait, en 1572, que deux mille neuf cents habitants
environ (3). Voilà un fait qui aidera à dissiper plus d'une de
ces idées vagues qu'on se fait des anciennes villes de
end of the sixteenth century, a mean fishing village, consisting of a single row of thatched
cottages, which was inhabited by poor fishermen. » Chalmers, Caledonia, 1824, in-4°, t. III,
pag. 806.
(1) En mai 1668, Kilmarnock fut brûlé, et t the event is cbiefly worthy of notice as mar-
king the smallness of Kilmarnock in those days, when, as yet, there was no such thfng as
mannfactnring industry in the conntry. A hundred and twenty families speaks to a popula-
tion of between five and six hundred. » Ghamber, Annals, t. Il, pag. 320. En 4658, un témoin
oculaire donne la description suivante de leurs maisons : t Little better tban huts.» Franck,
Northern Mémoire, pag. 101.
(2) • Belwiit two and three thousand soûls. » Denholm, Hist. of Glasgow, pag. 542.
(3) A la date de 1572, les registres d'Aberdeen accusent 72 morts dans Tannée. Une mor-
talité de 1 sur 40 serait une supputation excessive, à considérer les habitudes du peuple à
cette époque. Cependant, en supposant que la moyenne fût de 1 sur 40, cela nous donnerait
pour la population un chiffre de 2,880, et si, comme je n'en doute pas, les décès étaient plus
élevés, naturellement la population devait être moindre. Kennedy, dans son ouvrage plein
de valeur, mais où la pénétration fait défaut, suppose que t one fiftieth part of the inhabi-
tants died annnaily, » quoiqu'il soit certain qu'il n'existait pas de ville en Europe où un
résultat aussi favorable se produisit. D'après cette hypothèse, que contredisent tous les
témoignages de la statistique parvenue jusqu'à nous, le chiffre serait de 72 X 50 =3,600.
Consultez Kennedy, Annals of Aberdeen, 1. 1, pag. 103.
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SW HISTOIRE
l'Ecosse, surtout si nous ne perdons pas de vie qu'il se rap-
porte à une date où, l'anarchie du moyen âge ayant disparu,
Àberdeen se relevait depuis quelque temps. Cette cité, si,
toutefois, un aussi mince assemblage de citoyens mérite le
nom de cité, n'en était pas moins l'une des plus peuplées de
l'Ecosse. Depuis le treizième siècle jusqu'à la fin da quator-
zième, on ne trouve ailleurs une telle agglomération d'Écos-
sais, si ce n'est à Perth , Edimbourg, et peut-être bien à
saint Andrews (4). A l'égard de cette dernière ville, je n'ai
pu recueillir de détails précis (2) ; qvantà Perth et Edim-
bourg, nous avons des données plus certaines. Longtemps
capitale de l'Ecosse, Perth, même après avoir perdu cette
prééminence, fut regardée comme la seconde cité du
royaume (5). Ses richesses, prétendait-on, étaient surpre-
nantes; et tout bon Écossais s'enorgueillissait de Perth,
comme l'une des principales merveilles du pays (4). Cepen-
(1) « St. Andrews , Perth aod Aberdeen appear to hâve been the three mort populaces
cities before the Reformation. » Lawson, Roman Catholic Ctturch in Scotland, 1835,
pag. 36. On retrouve la même assertion dans Lyon, Hist. ofSt. Andrews, 1. 1, pag. %
Hais ni l'un ni l'antre de ces deux aotenrs ne paraissent avoir fait grandes recherches sur
ce sujet; autrement ils n'auraient pas été supposer qn 'Aberdeen était plus grande qu'Edim-
bourg.
(2) J'ai parcouru attentivement les deux histoires de Saint -Andrews par le docteur
Orierson et par M. Lyon , mais je n'y ai rien trouvé qui pût me renseigner d'une manière
certaine sur l'histoire primitive de cette cité. L'ouvrage de 11. Lyon, qui est en deux
gros volumes, est des plus superficiels, même eu égard à une histoire locale, ce qui n'est
pas peu dire.
(3) i Of the thirteen Parliaments held in the relgn of ring James I, eleven were held at
Perth, ooe atStirling, and one at Edtnburgh. The national councils of the Scottish clergy
wer e held there uniformly till 1459. Though iosing its prééminence by the sélection of
Edinburgh as a capital, Perth has uniformly and constantly maintained the second place
in the order of burghs, and its right to do so has been repeatedly and solemnly acknow-
ledged. » Penny, Traditions of Perth, pag. 231. Voyei aussi pag. 906. Il paraîtrait aussi,
d'après ce que nous dit Froissart, qu'Edimbourg était considérée comme la capitale dans
la dernière partie du quatorzième siècle.
(4) Je trouve un exemple des éloges décernés à Perth ailleurs même que chez les Écos-
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 211
dant, d'après le calcul fait récemment par un juge très com-
pétent en pareille matière, sa population, en 4585, restait
au dessous de neuf mille âmes (1). Voilà qui surprendra plus
d'un lecteur; quoique, à considérer l'état de la société à
cette époque, ce n'est pas de ce que ce chiffre fiftt si bas qu'il
faut s'étonner, mais bien de ce qu'il fût si haut. Car Edim-
bourg même malgré les fonctionnaires et les nombreux
intrigants qui voltigent sans cesse autour des cours, ne con-
tenait pas, à la fin de quatorzième siècle, plus de seize mille
habitants (2). Un chroniqueur contemporain nous donne une
description de la condition générale de ses citoyens. Frois-
sart, qui visita l'Ecosse, et rapporte ce qu'il a vu aussi bien
que ce qu'il a entendu dire, nous fait un tableau lamentable
de l'état des choses. Les habitations, à Edimbourg, étaient
de simples huttes, mélange de chaume et de ramée, masures
si légèrement construites, que l'une d'elles venait-elle à être
détruite, on ne mettait que trois jours à la refaire. Quant au
peuple qui s'abritait dans ces misérables repaires, Froissart,
qui n'est pas coutumier du fait d'exagération, nous assure
sais. Alexandre Nechaus : « Takes notice of Perth in the following distich, quoted in
Camden's Britannia :
c Transis ample Tai, fer rura, per oppida, p^r Perth :
Regnnm s&stentant Hlins nrbis opes. »
Tiras Englished in Bishop Gibson's Translation of Camden's Boofc :
« Great Tay, throogh Perth, throogh toims, thronghconntry Aies :
Perth the whole kingdom with her wealth snpplies. *
(Sinclair, Scotlctndj t. XVIII, pag. 5M. )
(4) tiyHT X 6 as 8,562, the computed population in 1584 and 1985, exclusive of the extraor-
dinary mortality caused by the plague. * Chamber, Annals of Scottand, 1858, 1. 1,
pag. 158.
Ht) « The inhabitants of the capital, in the reign of Robert II, hardty exceeded sixteen
tfeonsand. » Pinkerton, Bisl . ofScotland, 1. 1, pag. 152.
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212 HISTOIRE
que les Français, s'ils ne l'avaient pas vu, n'auraient voulu
croire que semblable dénûment pût exister : ce fut la pre-
mière fois, ajoute-t-il, que ses compatriotes comprirent ce
qu'était la véritable pauvreté (1).
Depuis cette époque, nul doute qu'il ne se soit produit des
améliorationsconsidérables : mais combien ellesétaient lentes!
ainsi, à la fin même du seizième siècle, on ne trouvait aucun
habile artisan ; tout honnête métier était universellement dé*
daigné (2). Est il donc surprenant que ces citoyens pauvres,
(1) Lorsque les Français arrivèrent à Edimbourg, les Écossais s'écrièrent : « Quel diable
les a mandés? Ne savons-nous pas bien faire notre guerre sans eux aux Anglois? Nous ne
ferons jà bonne besogne tant comme ils soient avec nous. On leur dise que ils s'en reboisent,
et que nous sommes gens assez en Escosse pour parmaintenir notre guerre, et que point
nous ne voulons leur compagnie. Us ne nous entendent point, ni nous eux; nous ne savons
parler ensemble; ils auront tantôt riflé et mangé tout ce qui est en ce pays : ils nous feront
plus de contraires, de dépits et de dommages, si nous les laissons convenir, que les Anglois
ne feroient si ils s'étoient embattus entre nous sans ardoir. Et si les Anglois ardent nos
maisons, que peut-il chaloir? Nous les aurons tantôt refaites à bon marché, nous n'y met-
tons au refaire que trois jours, mais que nous ayons quatre ou six estaches et de la ramée
pour lier par dessus. » — t Ainsi disoient les escots en Escosse à la venue des seigneurs de
France. » « Et quand les Anglois y chevauchent ou que ils y vont, ainsi que ils y
ont été plusieurs fois, il convient que lenrs pourvéances, si ils veulent vivre, les suivent
toujours au dos ; car on ne trouve rien sur le pays : à grand'peine y recuevre l'en du fer
poor ferrer les chevaux , ni du cuir pour faire harnois , selles ni brides. Les choses toutes
faites leur viennent par mer de Flandre, et quand cela leur fait défaut, ils n'ont nulle chose.
Quand ces barons et ces chevaliers de France qui a voient appris ces beaux hôtels à trouver
ces salles parées, ces chasteaui et ces bons mois lits pour reposer, se virent et trouvèrent
en celle povreté, si commencèrent à rire et à dire : c En quel pays nous a ci amenés l'amiral?
Nous ne sçumes oncques que ce fût de povreté ni de dureté fors maintenant. > Froissart,
Croniques. Paris, 1835, édit. Buchon, t. II, pag. 314, 315. « The hovels of the common
people were slight érections of turf, or twigs, which, as they were often laid vaste by war,
were bnilt merely for temporary accommodation. Their towns consisted chiefly of wooden
cottages. » t Even as laie as 1600, the houses of Edinburgh "were chiefly built of
wood. * Chalmers, Caledonia, 1. 1, pag. 802. Nous lisons dans un autre récit écrit en 1670 :
» The houses of the commonalty are very mean , mud-wall and thatch , the best ; but the
poorer sort live in such misérable huts as never ye beheld. » t In some parts ,
where turf is plentiful, they build up little cabbins thereof, with arched roofs of turf,
without a stick of timber in it ; when the house is dry enough to burn, it serves them for
fuel, and they remove to another. » Harleian Miscellany, 1810, in-4% t. VI, pag. 139.
(2) • Our manufactures were carried on by the meanestof the peopie, who had small
stocks, and were of no réputation. Thèse were, for the most part, workmen for home-
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 213
malheureux et ignorants, allassent souvent acheter la pro-
tection de quelque puissant seigneur, en retour de l'abandon
de l'étroite indépendance qu'ils eussent pu conserver (1)? Peu
de villes osaient choisir leur premier magistrat parmi le
peuple : l'habitude était de conférer à un seigneur du voisi-
nage l'autorité de prévôt ou de bailli (2). Il arriva même sou-
vent que ces fonctions devenaient héréditaires, et qu'on les
consumpt, such as masons, house-carpenters, armourers, blacksmiths, taylors, shoemakers,
and the like. Oor weavers were few in nnmber, and in the greatest contempt, as their
employments were more sedentary, and themselves reckoned less fit forwar, in which ail
were obliged to set ?e , when the exigencies of the country demanded their attendance. >
The Intérêt of Scotland considewd. Édinb., 1733, pag. 82. Pinkerton (Hist. of Scot-
land, t. II, pag. 392), s'appuyant sur Je manuscrit de Sloane, dit : « The author of an inte-
resting memoir concerning the state of Scotland about 1590, observes, that the husbandmen
were a kind of slaves, only holding their lands from year to year ; that the nobility being
too numerous for the extent of the country, there arose to great an inequality of rank and
revenue; and there was no middle station between a proud landholderandthosewho,
having no property to lose, were ready for any tumult. A rich yeomanry, numerous mer-
chants and tradesmen of property, and ail the dénominations of the middle class, so impor-
tant in a flourishing society, were long to he confined to England. * Treize ans plus tard,
les manufactures de l'Ecosse • were confined to a few of the coarsest nature, without
which the poorest nations are unable to subsist. > Laing, Hist. of Scotland, t. III,
pag. 7.
(1) Ainsi, par exemple, « the town of Dunbar naturally grew up under the shelter of the
castle of the same name. « • Dunbar became the town, in demesn, of the successive
Earls of Dunbar and March, partaking of their influences, whether unfortunate or happy. >
Chalmers, Caledonia, t. II, pag. 416. « But when the régal government became at any
time feeble, thèse towns,unequal to their own protection, placed themselves under the
shelter of the most powerful lord in their neighbourhood.Thus, the town of Elgyn found it
necessary, at varions periods between the years 1389 and 1452, to accept of many charters
of protection, and discharges of taxes, from the Earls of Moray, who held it in some species
of vassalage. > Sinclair, Scotland, t. V, pag. 3. Consultez Pinkerton, Hist. ofScotlandj
t. II, pag. 396, et deux lettres écrites en 1543 et 1544 par les magistrats d'Aberdeen au comte
de Huntly et reproduites dans Council Register of Aberdeen, 1. 1, pag. 190, 201. Ils lui
disent : < Te haf our band as protectour to Ross. >
(2) Tytler, History of Scotland* t. IV, pag. 131, 225, ainsi que Pinkerton, History
of Scotland, t. II, pag. 179. Parfois les nobles ne laissèrent pas même aux citoyens
l'apparence de liberté des élections ; ils les décidaient par le sort des armes. Nous en trou-
vons un exemple dans ce qui arriva à Perth en 1544 : • Where a claim for the office of
provost was decided by arms, between lord Kuthwen on the one side, supportedd>y a
numerous train of his vassals, and lord Gray, with norman Leslie master of Rothes, and
charteri8 of kinfauns, on the other. > Tytler, t. IV, pag. 323.
T. IV 14
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tU HISTOIRE
regardait comme le droit consacré de quelque famille aris-
tocratique (1). Devant le chef de cette famille, tout cédait :
son autorité était si incontestable, qu'une insulte faite à l'un
de ses partisans était punie, comme si elle eût été faite au
seigneur même (2). Les bourgeois, députés au parlement,
étaient sous l'entière dépendance du noble gouverneur de la
ville. Jusqu'à une époque très récente, il n'y eut pas en
Ecosse de représentation véritablement populaire. Les pré-
tendus représentants devaient voter suivant le mot d'ordre;
par le fait, ils n'étaient que les délégués de l'aristocratie; et,
comme ils ne formaient pas une chambre à part, ils sié-
geaient et délibéraient sous les yeux de leurs maîtres puis-
sants, qui ne se gênaient point pour les violenter (3).
(1) On trouvera des exemples de cette coutume dans Hollinshead, Scottish ChronicUj
t. II, pag. 290; Brown, Hist. of Glasgow, t. II, pag. 154 ; Denholm , Hist. of Glasgow,
pag. 249; Mercer, Hist. ofDunfermline, pag. 83.
(2) c Ad in jury inflicted on the i man • of a nobleman was resented as nrach as if he
himsetf had been the injured party. » Préface to the Council Register ofAberdeen, t. X,
pag. xii.
(3) Voyez dans Macanlay, hist. of Engl&nd, 1. 1, pag. 93, une description très pitto-
resque de l'Ecosse en 1639: « The Parliament of the northern kingdomwasa very différent
body from that which bore the same name in En gland, c « The three estâtes sat
in one honse. The commissioners of the burghs were considered merely as retainers of the
great nobles. > etc. Considérons une époque plus rapprochée : lord Cockburn nous dépeint
sous de sombres couleurs la situation de l'Ecosse en 1794, année ou Jeffrey débuta au bar-
reau : t There iras then, in this country, no popuiar représentation, no emancipated burghs,
no effective rival of the estabtished chnrch, no indépendant press, no free public meetings,
and no botter trial by jury , even in potitieal cases (except high treason), than what was
consistent with the cireumstanees, that the juron were not sent into court under aay
impartial raie, and that, when in court, those who were to try the case were named by the
presiding judge. The Scotch représentatives were only forty-five, of whom thirty were
elected for counties, and fifteen for towns. Both from its priée and its nature (being enve-
loped in féodal and technical absurdities) the élective franchise in counties, where alone
it existed, was far above the reach of the whoie lower, and of a great majority of the middle,
and of many eren of the higher, ranks. There were probably not above 1,500 or 2,000 county
electors in ail Scotland ; a body not too large to be feeld, hope included, in gouvernements
hands. The return, therefore of a single opposition member was never to be expected. »
« Of the fifteen town members, Edinburgh returned one. The otkerfourteen were
produced by clusters of four or five nnconnected burghs electing each one detogate, and
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 215
Dans ces circonstances, comment la couronne eut-elle pu
raisonnablement compter sur l'appui d'une classe qui n'avait
par elle-même aucune influenceet dont les privilèges res-
treints ne subsistaient que parce qu'on voulait bien les to-
lérer? Cependant, il y avait une autre classe excessivement
puissante, vers laquelle les rois d'Ecosse se retournèrent na-
turellement ; je veux dire, le clergé : intéressées toutes deux
à rabaisser la noblesse, l'Église et la royauté firent cause
commune contre l'aristocratie. Pendant un espace de temps
considérable, disons mieux, jusque dans la seconde partie
du seizième siècle, les rois, presque sans exception, favori-
sèrent le clergé en augmentant ses privilèges par tous les
moyens possibles. La réforme vint dissoudre cette alliance
peur faire surgir de nouvelles combinaisons que j'indiquerai
tout à l'heure. Mais, tant qu'elle dura, cette alliance fut très
utile au clergé, par cela même qu'elle revêtissait ses préten-
tions d'une sanction légitime et le faisait ressortir comme le
pilier de l'ordre, le support du gouvernement régulier. Après
tout, le résultat prouva clairement que les seigneurs pou-
vaient faire mieux encore que de contre-ba lancer la ligue
formée contre eux. En effet, à considérer leur énorme pou-
thèse four or five delegales eleeting the représentative. Wbatever this system may hâve
been origioally, it had grown, in référence to the people, iolo as complète a mockery as if
H had been invented for their dégradation. The people had nothing to do with it. It vas al)
managed by town-councils, of never more than thirty-three members; and e?ery town-
conncil was self-elected, and conseqaently perpetnated its own interests. The élection of
either the town or the coanty member was a matter of snch utter indifférence to the people,
tfcat they often only koew of it by the ringing of a bell, or by seeing it mentioned next day
in a newspaper; for the farce was gênerai ly performed in an apartment from which, if
convenient, the pnbtic conld be eieladed, and nev§r in the open air. » Cockburn, Life of
Jeffrey. Édimb., 1852, 1. 1, pag. 74-76. Relativement aux phases de la représentation par-
lementaire en Ecosse depuis l'époque décrite par lord Gockbnrn jusqu'au Reform-Bill,
consultez Irving, UisL of Dumbartonshire , pag. 275, 276, ainsi qne Moore, Memmrs.
Lond., 18534854, publiés sons la direction de lord John Russell, t. IV, pag. 268; t. VI,
pag. 153, 154.
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216 HISTOIRE
voir, on ne peut que s'étonner que le clergé ait prolongé
aussi longtemps la lutte (car il ne finit par avoir le dessous
qu'en 1560). Que les hostilités aientété si acharnées, qu'elles
se soient maintenues durant une période aussi considérable,
voilà ce à quoi, en se plaçant à un point de vue restreint,
l'on n'eût pu s'attendre. Je vais essayer d'en donner la rai-
son; et je réussirai, je l'espère, à démontrer qu'en Ecosse
cette immense influence des classes tbéocratiques est due à
un long enchaînement de causes générales qui leur permirent
non seulement de tenir tête à l'aristocratie la plus puissante
de l'Europe, mais encore, après avoir paru à jamais terras-
sées, de se relever aussi fortes et vigoureuses qu'auparavant
pour exercer, en qualité de pasteurs protestants, une action
qui ne le cède en rien à celle qu'ils exercèrent comme prê-
tres catholiques.
De tous les pays protestants, l'Ecosse est sans conteste
celui où le cours des choses a le plus longuement et le plus
grandement aidé aux intérêts de la superstition. Nous redi-
rons plus tard comment ces intérêts furent appuyés durant
les dix-septièmeet dix-huitième siècles. Quant à présent, nous
nous proposons d'examinerlescausesdeleurpremier dévelop-
pement et de faire voir comment ils se rattachèrent non seule-
ment à la réforme, mais aussi revêtirent ce grand événement
de certaines particularités extrêmement remarquables et qui
sont diamétralement opposées à ce qui se passa en Angle-
terre.
Si le lecteur n'a pas perdu de vue ce que j'ai établi ail-
leurs , il se rappellera que les deux sources principales
de la superstition sont l'ignorance et le danger, l'ignorance
qui empêche l'homme de se rendre compte des causes natu-
relles, et le danger qui le conduit à reporter ces causes à
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 217
des causes surnaturelles. Or, pour exprimer cette proposi-
tion en d'autres termes, le sentiment de vénération qui, sous
Pun de ses aspects, prend la forme de la superstition, est le
produit de la surprise et de la crainte; or il est évident
que la surprise se relie à l'ignorance et la crainte au dan-
ger (1). C'est pour cela que tout ce qui, en n'importe quel
pays, augmente la somme totale de Tétonnement, ou la
somme totale du péril, a une tendance directe à accroître la
somme totale delà superstition et, par conséquent, à affermir
l'autorité du sacerdoce.
Appliquons ces principes à l'Ecosse , et nous pourrons
éclaircir plusieurs points de son histoire. En premier lieu,
sa configuration présente un contraste marqué avec celle de
l'Angleterre : là, les divers aspects de la nature sont plus
susceptibles d'engendrer chez un peuple ignorant des su-
perstitions puissantes et durables. Des orages, d'épais ri-
deaux de vapeurs, un ciel noir que vient souvent sillonner
l'éclair, le tonnerre roulant son grondement de montagne
en montagne et frappant tous les échos , les tempêtes
dangereuses, les vents déchaînés qui soulèvent les lacs in-
nombrables dont le pays est parsemé, le torrent impétueux
qui précipite ses eaux sur le chemin du voyageur et l'em-
pêche d'avancer, combien tout cela diffère étrangement de ces
phénomènes plus simples, plus tranquilles, au milieu des-
quels le peuple anglais a développé sa prospérité et bâti ses
(1) Il faut distinguer entre surprise et admiration; la première est le produit de l'igno-
rance, la seconde des lumières. L'ignorance s'émerveille devant les prétendues irrégularités
de la nature; la science admire sa régularité. Les premiers écrivains se sont rarement
attachés à cette distinction, parce qu'ils se laissaient surprendre par l'étvmologie du mot
admiration. Sauf en jurisprudence, les Romains jie pénétrèrent jamais jusqu'au fond des
choses, et l'emploi erroné que ces penseurs superficiels firent deadmirari engendra cette
erreur si commune parmi nos vieux écrivains, à savoir «j'admire» au lieu de « I monder. >
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*I8 HISTOIRE
superbes cités. Ces particularités ont affecté jusqu'à la
croyance eu la sorcellerie, Tune des plus sombres supersti-
tions qui aient jamais défiguré l'esprit humain : et l'on a fort
bien observé que tandis que, d'après la version anglaise, la
sorcière était un être affreux, décrépit, rabougri, esclave
plutôt que mai tresse des démons qui l'obsédaient, en Ecosse,
elle s'élevait à la dignité de puissante enchanteresse qui, do-
minant l'esprit malin et le forçant d'exécuter ses ordres, ré-
pandait parmi le peuple une terreur beaucoup plus profonde
et plus continue (1).
(1) t Our Scotti8h witch is a far more frightful beiog than her supernatural coadjutoron
the south side of the Tweed. She sometimes seems to rise from the proper sphère of the
witch, who is only the slave, into that of the sorcerer, who is master of the démon
« Io a people, so far behind their neighboars in domestic organisation, poor aod hardj,
inhabitingacountry of mountains, torrents, and rocks, where cultivât ion was scanty,
aocnstomed to gloomy mists and wiid storms, every impression must necessarily assume
a corresponding character. Superstitions, like fnngnses and vermin, are existences peco-
liar to the spot where they appear, aod are goterned by its physical accidents. »
• And thns it ig that the indications of witchcraft in Scotland are as différent from those
of the superstition which in Eogland reçoives the same Dame, as the Grampian Mon n tains
from Shooter's Hill or Kennington Common. » Bu r ton, Criminal Trials in SeoUand,
1. 1, pag. 240,243. Voilà qui est admirablement dit, on ne saurait rien y ajouter. Dans
Brown, Hist. oftheHighlands, 1. 1, pag. 106, et dans Sinclair, Scotland, t. IV, pag. 560,
it est également traité, mais avec moins de talent, des rapports entre les superstitions des
Écossais et les aspects de la nature daos leur. pays. Dans Hume, Commentaries on the
laws of Scotland, nous trouvons un passage intéressant sur les hautes prétentions de la
sorcellerie écossaise, qui ne se ravala jamais comme dans les autres pays à l'état de simple
duperie, mais se produisit toujours comme une foi opiniâtre et profondément enracinée.
« For among the many trials for witchcraft which fill the record, I hâve not observed
that there is even one which proceeds upon the notion of a vain or cheating art, falsety
used by an impostor to deceive the weak and credulous. > On recueillera d'autres détails
sur la sorcellerie en Ecosse dans les ouvrages suivants : Mackenrie, Criminal Laws of
Scotland (4699), pag. 42,56; Correspond, of Mrs. Grant of Laggan, t. in, pag. 186,187;
Southey, Life of Bell, t. I, pag. 52; Vernon, Correspondence, t. II, pag. 301; Weld,
Hist. ofthe Royal Society, 1. 1, pag. 89; Lelters from a gentleman in the North of
Scotland, 1. 1, pag. 220,221; The SpoUiswoode MisceUany, t. Il, pag. U; Lyon, Hist.
ofSt-Andrews, t. Il, pag. 56, 57. 11 est à peine nécessaire défaire allusion à l'ouvrage de
Jacques I" et à celui de sir Walter Scott, puisqu'ils sont connus de tous ceux que l'histoire
de la sorcellerie intéresse ; cependant P^eairn, Criminal Trials, quoiqu'on le Use moins,
est un livre plus précieux, en ce qu'il contient tous les matériaux nécessaires pour étudier
cette forme de la superstition des Écossais.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 21*
Les guerres perpétuelles et sanglantes qui désolèrent
l'Ecosse, et surtout les ravages cruels des Anglais au quator-
zième siècle, entraînèrent de semblables résultats. Partout
où la religion prédomine? l'influence de ses ministres est
invariablement raffermie par une guerre longue et dange-
reuse, dont les incertitudes troublent les esprits et les pous-
sent, lorsque les ressources naturelles viennent à manquer,
à en appeler an surnaturel : que Dieu les aide, disent-ils!
Alors l'importance du clergé s'agrandit ; jamais les églises
n'ont vu tant de fidèles se presser dans leurs asiles; enfin le
prêtre, se représentant comme l'interprète des volontés
divines, élève la voix : qu'on écoute le prophète! il console
le peuple des pertes qu'il a subies dans une juste cause, ou
bien il lui annonce que ces pertes sont la punition de ses
péchés; Dieu l'avertit qu'il n'a pas été suffisamment attentif
à ses devoirs religieux, en d'autres termes, qu'il a négligé
les rites et les cérémonies, où le prêtre lui-même a un
intérêt personnel.
Est-il donc étonnant que le quatorzième siècle qui vit les
souffrances de l'Ecosse portées à leur comble, fut aussi l'âge
d'or du clergé? Si bien que, au fur et à mesure que le pays
s'appauvrissait, les classes tbéocratiques devinrent en pro-
portion plus riches que le reste de la nation. Même au
quinzième siècle, et dans la première partie du seizième,
au moment où l'industrie commençait à prendre un certain
essor, malgré la condition améliorée des classes séculières,
nous dit-on, leurs richesses réunies, y compris les biens de
tous les ordres, égalaient à peine les richesses de l'Église (1).
(i) Pinkerlon (HisL ofScotland, U I,pagf 414) dit que sous Jacquet II et Jacques III :
« The wealth of the Church was at least équivalent to tuai of ail the lay interest. » Se
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220 HISTOIRE
Si donc le clergé fut aussi rapace et aussi prospère dans une
époque jouissant dune sécurité relative, que dùt-ce être
dans ces temps antérieurs où les dangers étant beaucoup plus
imminents? Il n'était presque personne qui, avant la mort, ne
fit quelque donation à l'Église, chacun voulant témoigner
son respect envers des personnages qui en savaient plus que
leur prochain et qui, par leurs prières, pouvaient détourner
le mal présent ou assurer la félicité future? Certes, le clergé
dut moissonner à pleines mains (i).
Autre conséquence de ces guerres prolongées : le nombre
de gens qui embrassaient la carrière ecclésiastique était
disproportionné à celui de la population; pourquoi? Parce
que l'Église seule offrait quelque chance de sécurité; les
monastères en particulier regorgeaient de profès qui espé-
raient par là, quoique souvent en vain, être à l'abri des pil-
reporter aussi à Life of Spotliswoode, pag. 53, 1. 1, History ofthe Church ofScotland.
« The Damerons déviées employed by ecclesiastics, both secular and regnlar, for enricbing
the several Fonndations to which they were aitached, had iransferred into their hands
more than half of the territorial property of Scotland, or of Us annnal produce. » En ce
qui tonche à la première partie du seizième siècle, un auteur très compétent établit que
quelque temps avant la Réforme, t the full half ofthe wealth ofthe nation belonged to
the clergy. » M'Crie, Life ofKnox, pag. 10. Nous lisons dans nn autre outrage : « If we
take into account the annual value of ail thèse abbeys and monasteries, in conjnnctioo
with the bishoprics, itwill appear at once that the Scottish Catholic hierarchy iras more
munificently endowed, considering the extent and resources of the kingdom, than it was
in any other conntry in Europe. > Lawson, Roman Catholic Church in Scotland,
pag. 22. Consultes aussi, pour les retenus de l'épiscopat écossais qui, eu égard à la
pautreté du pays, étaient traiment énormes, Lyon, Hist. of St Andrews, t. I,
pag. 97, 125.
(1) « They coula employ ail the motives of fear and of hope, of terror and of consola-
tion, which operate most powerfully on the human mind. They haunthed the weak and
the credulous; they besieged the beds of the sick and ofthe dying; they sufiéred few to
go out of the world without leating marks of their liberality to the Church, and taught
them to componnd with the almighty for their sins, by bestowing riches upon chote who
called themselves his servants.! Hist. ofScotland, t. Il, pag. 89; Robertson, Works. Il
est intéressant d'observer l'ardeur que met chaque clergé à exposer les artifices des autres
clergés. En rapprochant ces diverses assertions, nous antres, gens séculiers, nous pouvons
nous faire une idée du système théocratique dans son ensemble.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 221
lages et des massacres qui désolaient l'Ecosse. Lorsque, au
quinzième siècle, le pays commença à panser ses plaies,
tout commerce, toute industrie faisant défaut, l'Église fut le
meilleur chemin de la richesse (1) ; aussi les gens paisibles
allèrent-ils dans son sein chercher la sécurité, et les ambi-
tieux les moyens les plus sûrs d'arriver aux honneurs.
Ainsi ce fut à l'absence de grandes cités, au manque
d'industrie qui le distingue, que le clergé dut les nom-
breuses recrues qui vinrent grossir ses rangs, plus serrés
qu'ils n'eussent été dans d'autres circonstances : et ce qu'il
y a de très remarquable , c'est que ce n'est pas seulement
son nombre qui s'en accrut, mais aussi les dispositions du
peuple à se soumettre à ses pasteurs. De sa nature, et par
suite des incidents de sa vie de chaque jour, le laboureur
est plus superstitieux que l'artisan industriel, par la raison
qu'il a à faire à des forces plus mystérieuses, c'est à dire
plus difficiles à généraliser et à prévoir (2). C'est pourquoi,
en général, les habitants des régions agricoles montrent
plus de respect envers les doctrines de leur clergé que les
habitants des districts manufacturiers. L'agrandissement
des cités a donc été l'une des causes principales de l'abaisse-
ment du pouvoir ecclésiastique; : or, entre autres circon-
stances, ce fait même, que jusqu'au dix-huitième siècle
l'Ecosse ne posséda aucune ville qui méritât le nom de cité,
nous explique la force des superstitions en Ecosse et l'in-
fluence extraordinaire du clergé écossais.
A ces causes il fait en ajouter une très importante. La
configuration du pays, la faiblesse de la royauté, la néces-
(i) Pinkerton fait observer, à la date de 1514, que t ecclesiastical dignities préseoted
almostthe only path to eminence. » HisU of Scotland, t. II, pag. 123.
(2) Voy. 1. 1".
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HISTOIRE
site d'être sans cesse sous les armes pour repousser les inva-
sions de l'étranger, tout cela réuni contribua à développer
ces habitudes de rapine inhérentes à toute société primitive:
c'est dire que l'ignorance régna en souveraine. Pas d'étude,
nulles connaissances, jusqu'au quinzième siècle, pas d'uni-
versité! la première remonte à 1412, elle fut fondée à Saint-
Andrews (1). Quand ils ne guerroyaient pas contre l'ennemi,
les nobles consacraient leurs loisirs à se pourfendre les uns
les autres et à se voler réciproquement leur bétail (2). Leur
ignorance était si profonde, qu'à la fin du quatorzième siècle,
nous dit-on, l'on ne pouvait trouver un seul baron écossais
qui sût signer (5). Comme il n'y avait rien qui approchât
(1) Arnot {Hi8t. ofEdinburgh, pag. 386) dit que l'université de St-Andrews fat fondée
en 1412 ; on tronve la même assertion dans Kennedy, Annals of Aberdeen, t. II, pag. 83.
Qrierson, dans son Hist. of St-Andrews, pag. 14, dit : t In 1410, the city of SHUdrftvs
first saw the establishment of ils famons nniversity, the most ancient institution of the
kind that eiists io Scotland ; • mais à la page 144 du même ouvrage, nous lisons : < The
clarter constituting and declaring it to be a nniversity » dated at St- Andrews, the 27 Ch.
of february, 1411. • Se reporter aussi à Lyon, Hist. of St-Andrews, 1. 1, pag. 203, 206,
t. Il, pag. 223. Quoi qu'il en soit, • at the commencement of the fifteenth century, no nni-
versity eiisted in Scotland; and the youth who were désirons of a libéral éducation were
under the nècessity of seekiog it abroad. » M'Cric, Life ofMelville, 1. 1, pag. 211. Ces!
en 1413 qne la charte accordée par le pape, et approuvant les statuts de l'université, fat
reçue en Ecosse. Lawson, Roman catholic Churoh in Scotland, pag. 12.
(2) C'étaient les beaux jours où, comme le dit avec beaucoup de délicatesse, un juris-
consulte écossais : a Thieving iras not the peculiar habit of the low and indigent, bot often
common to them with persons of rank and landed estate. » Hume, Commentaries on the
Law of Scotland, 1. 1, p. 126. Comme c'était habitueNement au bétail qu'on s'en prenait*
on trouva un nouveau nom pour «et acte : ainsi nous lisons à la page 148 que < it iras dis-
tinguis hed by the nome of Hership or Herdship, being the driving away of numbers of
cattle, or other bestial, by the masterful force of armed peuple. »
(3) Tytler, qni aima fort son pays et qui est assez enclin à porter aux nues tout ce qnâ
est écossais, avoue cependant que c from the accession of Alexander III to the death of
David II (1370) it would be impossible, et believe to prodttce as single Instaure of a Scot-
tish Baron who could sign his own name. » Tytler, Hist. of Scotland, t. Il, pag. 239, 240.
Au sujet du seizième siècle, je trouve cette mention accidentelle : « David Straiton, a Ca-
det of the house of Laureston. . . court not read. » "Wodrow, Collections, t. II, pag. 5, 6.
Le fameux chef, Walter Scott de Harden, se maria en 1567 : • His marriage contract is
signed by a notary, because none of the parties could write their names. » Chambec,
Annals, t. l,pag. 46. On lit dans Crawfurd, Hist. ofRenfrew, part, m, pag» 313 1 c The
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 283
d'une classe moyenne, nous pouvons nous faire une idée
des ténèbres dans lesquelles était plongée la masse du
peuple (1), ténèbres, néanmoins, presque insondables pour
nous. Gomment eût pu s'exercer l'intellectdu vulgaire, puisque
tout faisait défaut, commerce, arts, industrie, qui exigent
du talent et de l'habileté? Les Écossais restèrent engourdis
dans une telle grossièreté, qu'un fin observateur, qui visita
leur pays en 1560, fut si frappé de leur barbarie, de leur
manque d'entregent qu'il les assimile à des sauvages (2).
Un autre écrivain, au commencement du quinzième siècle,
'es décore du même titre ; à ses yeux, Écossais et animaux ne
ne faisant qu'une seule et même classe, il déclare que
l'Ecosse est « plus pleine de sauvagine que de bestaii (5). *
Grâce à ce concours de circonstances, grâce aussi à cette
ignorance se prosternant devant les accidents de la nature,
le clergé avait, au quinzième siècle, obtenu plus d'influence
en Ecosse qu'en tout autre pays de l'Europe, à l'unique excep*
tion de l'Espagne. La puissance de ta noblesse s'étant accrue
tout aussi rapidement, il était naturel que la couronne, reje-
tée dans l'ombre par les grands barons, recherchât l'appui
de l'Église. Pendant le quinzième siècle, et partie du sei-
zième, cette alliance fut étroitement maintenue (4); et l'his»
modem practia of subscribinf naines to writes of moment was not used in Scotland UU
about the year 1540 ; » mais l'auteur oublie de nous dire pourquoi cette coutume n'existait
pas auparavant. En 1564, > Robert Scott of Thirsltane, ancestor of lord Napier, eould not
*ign his name. » Piteairn, Criminal Trials in Scotland, t. III, pag. 394.
(1) Un Écossais, un véritable savant, nous dit : c Scotland was no less ignorant and
superstitions at the beginning of tbe fifteenth century, than it was towards the close of
tne twelfth.» Datrymple, Annals of Scotland, 1. 1, p. 428.
(2) « Et sont ainsi comme gens sauvages qui ne se savent avoir ni de nulli accointer. >
Les Chroniques de Froissait, édit. Buchon. Paris, 1835, t. II, pag. 315.
(3) ■ Plus pleine de sauvagine que de bestaii. » Histoire de Charles VI, par le La-
boureur.
(4) Nous en trouvons des exemples à une époque plus reculée, mais cette alliance n'était
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224 HISTOIRE
toire politique de l'Ecosse n'est que le compte rendu de la
lutte soutenue par le trône et l'autel contre l'immense auto-
rité de la noblesse; lutte qui, après avoir duré environ cent
soixante ans, aboutit au triomphe de l'aristocratie et à la
chute du clergé. Mais les faits que nous venons de retracer,
avaient tellement greffé la superstition sur le caractère
national, que les classes théocra tiques relevèrent bientôt la
tête : sous le titre nouveau de protestants, les prêtres devin-
rent aussi formidables que sous leur ancien titre de catholi-
ques. Quarante trois ans après l'établissement de la réforme
en Ecosse, Jacques VI monta sur le trône d'Angleterre et put
concentrer toutes les forces de son nouveau royaume du Sud
contre les barons insoumis du Nord. Dès lors , l'aristocratie
écossaise commença abaisser; l'Église, n'étant plus contre-
balancée, acquit une telle puissance que, pendant les dix-
septième et dix-huitième siècles, elle fut l'obstacle le plus
insurmontable aux progrès de l'Ecosse ; aujourd'hui même,
elle exerce une domination incompréhensible aux yeux de
ceux qui n'ont pas soigneusement étudié l'enchaînement de
ses antécédents. Décrire en détail la longue suite d'événe-
ments qui amenèrent ce déplorable résultat serait contraire
au but de cette introduction qui est d'établir des principes
larges et généreux. Cependant, afin de mettre clairement la
question sous les yeux du lecteur, il sera nécessaire que je
trace une légère esquisse de la position que la noblesse
maintint vis-à-vis du clergé aux quinzième et seizième
siècles et que j'indique comment cette situation des
deux ordres et leur haine implacable l'un pour l'autre ame-
pas alors passée à l'état chronique. Tytler, Hist, of Scoland, 1. 1, pag. 66; Dalrymple,
Armais, t. 1, pag. 72, 110, 111, 194, t. III, pag. 296,Nimma, Hist. of Stirlingshire, pag.88-
Chalmers, Hist. of Dunfermline, pag. 133, 134.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 225
nèrent la réforme. Nous verrons alors que le grand mouve-
ment protestant, partout ailleurs démocratique, fut aristo-
cratique en Ecosse. Nous verrons aussi que la réforme en
Ecosse, n'étant pas l'œuvre du peuple, n'a jamais produit les
les effets auxquels on eût pu s'attendre, ceux, par exemple,
qu'elle produisit en Angleterre. Il n'est que trop évident
que, tandis que dans ce dernier pays, le protestantisme a di-
minué la superstition, affaibli le clergé, encouragé la tolérance,
en un mot, assuré le triomphe des intérêts séculiers sur les
intérêts théocratiques, ses effets ont été bien différents en
Ecosse, et que l'Église écossaise, changeant sa forme, sans
modifier son esprit, entretint non seulement ses prétentions
avec amour, mais, malheureusement, conserva son ancien
pouvoir ; enfin que, tout en perdant de jour en jour de leur
pouvoir, les pasteurs écossais déploient encore, chaque fois
qu'ils le peuvent, un esprit altier et dominateur qui témoigne
de l'immense faiblesse qui subsiste réellement au sein de
la nation, où le ridicule, avec ses cent voix d'airain, ne vient
pas tuer des prétentions aussi extravagantes.
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CHAPITRE XVII
Situation de l'Ecosse aux quinzième et seizième siècles
Dans les premières années du quinzième siècle, l'alliance
de la couronne et de l'Église se révéla au grand jour , ainsi
que son but, le renversement de la noblesse. On en
trouve déjà des indices dans la politique d'Albany qui, pen-
dant toute la durée de la régence (1406-1419) s'appliqua
surtout à favoriser et à raffermir le clergé (1). Avant lui,
aucun gouvernement n'avait osé affronter l'aristocratie : il
lui porta le premier coup. Donald, l'un des plus puis-
sants barons écossais, prince indépendant même, grâce à
la possession des îles occidentales (Western Mes), s'était
emparé du comté de Ross : l'eût-il conservé, il eût été à
même de jeter le défi à la royauté. Soutenu par l'Église,
Albany s'avança sur son territoire en 1411, l'obligea à
renoncer au comté et, après avoir fait sa soumission en per-
sonne, à livrer des otages comme garants de sa fidélité
(1) « The Chnrch <was eminently favoured toy Albany. • Pinkertoo, History of Scot-
land, t. 1, pag. 86. Mais Pinkertoo se méprend sur sa politique à L'égard des nobles.
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HISTOIRE DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 227
dans l'avenir (1). Une telle vigueur de la part du pouvoir
exécutif était chose rare en Ecosse (2); ce fut le prélude
d'une série d'attaques qui aboutirent à l'annexion en faveur
de la couronne, non seulement du comté de Ross, mais aussi
des îles occidentales (3). Jacques I er poursuivit avec plus
d'énergie encore la politique imaginée par Albany. En t424,
Jacques, prince hardi et actif, réussit à faire rendre une
loi, fendant obligatoire pour une grande partie des barons,
la production de leurs chartes, afin que Ton pût constater,
parmi les terres qu'ils posâf daient, celles qui relevaient
autrefois de la couronne (4). En outre, pour s'attirer l'affec-
tion du clergé, il publia, en 1425, un édit autorisant
l'évêque de Saint-Andrews à faire retourner à l'Église tous
les biens qui en avaient été distraits par aliénation : tous
les officiers de justice devaient prêter main forte à l'exécu-
(i) Skene, Hig Mander s, t. II, pag. 72, 74; Browne, Hist. of tlte Highlands, t. 1,
pag. 161; t. IV, pag. 435, 436.
(3) Chalmers (Caledonia, 1. 1, pag. 826-827) parlant de l'état des choses avant Albany,
dit : < There is not a trace of any attempt by Robert H, to limit the power of the nobles,
whatever ne may hâve added, by his improvident grants, to their indépendance. He ap-
poars not to hâve attempted to raise the royal prérogative firom the debasement in which
the imprudence and misfortunes of David II, had left it » Et, an tnjet de son successeur
Robert 111 : • So mild a prince, and so weak a man, iras not very likely to make any
attempt upon the power of others, when he conld scarcely support his own. > En 1476
■ the Earldom of Ross was inalienably annexed to the Crown ; and a great blow was thns
strnck at the power and grandeur of afamily which had so repeatedly disturbed the tran-
quillity of Scotland. • Gregory, History of the Western Highlands, Edinburg, 1836,
pitg. 50, En 1493, « John* fourth and last Lord of the Isles, was forfeited, and deprived of
. bis title and estâtes. > loid, pag. 58.
(3) En 1476, « the Earldom of Koss was inalienably annexed lo the Crown ; and a great
btow was thns struck at the power and grandeur of a family which had so repeatedly
disturbed the trauQUillity of Scotland.» Gregory, HUtory ofthe Western Highlands,
Edinburgh, 1836, pag. 50. En 1493, « John, fourth and last Lord of the Isles, was forfei-
Uid, and deprived of his title and estâtes. • Jbid., pag. 58.
(4) Comme les détenteurs des terres de la couronne étaient légalement, sinon réellement,
les tenanciers du roi, l'acte déclara que < gif it tike the king, he may ger sumonde ail and
sindry his tenand at lanchfull day and place to scltawe thar chartis. » The Acts ofthe
Parliament of Scotland, t. II, pag. 4, S 9, edit. in-folio, 1814.
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228 HISTOIRE
tion de ce décret (1). Ceci se passait en juin : or ce qui
nous démontre que cela n'était qu'une partie du plan général,
c'est que quelques mois auparavant, le roi, après avoir
fait tout à coup arrêter, en plein parlement, à Perth, plus
d'une vingtaine des principaux barons, en fit décapiter
quatre et confisqua plusieurs de leurs fiefs (2). Deux ans
après, usant de la même perfidie, il convoqua les chefs des
Highlands à Inverness, se saisit de leurs personnes, en fit
exécuter trois et en emprisonna plus de quarante dans dif-
férentes parties du royaume (3).
Grâce à ces mesures, en soutenant aussi l'Église avec
le même zèle qu'il déployait contre les nobles, le roi s'ima-
ginait pouvoir intervertir l'ordre des choses établies et con-
solider la suprématie du trône sur l'aristocratie (4). Mais en
(1) «On the 8th Jane, 1425, James issued a commission to Henry, bishop of S t- Andrews,
authorising him to résume ail aliénations from the Church, with power of anathema, and
ordersto ail justiciaries toassist. This carions paper is preserved in Harl. Ms. 4637, t. m,
f. 189. * Pinkerton, Hist. of Scotland, 1. 1, pag. 116. L'archevêque Spottiswoode, que cette
politique enchante, la dénomme c a gond king, » et dit : « He bnilt forthe Carthosiaosi
beautiful monastery at Perth, bestowing large revenues npon the same. • Spottiswoode,
Hist. ofthe Church of Scotland, 1. 1, p. 113. Et Keith nous assure que Jacques 1" alla
même un jour jusqu'à donner à un évoque a a silver cross, in which was contained a bit
of the wooden cross on which the apo tle St Andrews had been crucified. > Keith, Cata-
logue ofScoth Bishops, 1755, pag. 67.
(2) Rapprochez Balfour, Annales, t. I, pag. 153, 156, de Pinkerton, Hist., t. I,
pag. 113, 115. Entre ces deux auteurs il y a une légère différence, mais elle est sans impor-
tance.
(3) Tytler, Hist. of Scotland, t. III, pag. 95, 96; Skene, Highlanders, t. II,
pag. 75, et une description assez écourtée dans Gregory, Hist. ofthe Western Islands,
pag. 35.
(4) Tytler {Hist. of Scotland, t. III, pag. 126) i la date de 1433, dit : i In the midst of
bis labours for the pacification of his northern dominions, and his anxiety for the suppres-
sion of heresy, the king never forgot his great plan for the diminution of the exorbitant
power of the nobles. > P. 84. c It was a principle of this enterprising monarch, in hi*
scheme8 for the recovery and consolidation of his own power, to cultivate the friendship
of the clergy, whom he regarded as a counterpoise to the nobles. » Lord Somerville {Me-
morie of the SomerviUeSj t. 1, pag. 173) dit que la haute noblesse fut < never or seldome
called to counsell dureing thisking's reign. >
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 229
cela il s'exagérait son pouvoir. A l'exemple de presque tous
les politiques, il prisait trop la valeur des remèdes politiques.
Le législateur et le magistrat pourront un instant pallier le
mal; effectuer une guérison, jamais. Les maux généraux
dépendent de causes générales qui sont au dessus de leur
art. Qu'ils touchent les symptômes de la maladie, soit :
quant à la maladie elle-même, elle déjoue leurs efforts et
trop souvent leur traitement ne fait que l'empirer. En
Ecosse, le pouvoir de la noblesse était une affreuse maladie
qui minait les forces vives de la nation : mais enfin elle avait
longtemps couvé, elle était passée à l'état chronique : invétérée
qu'elle était, le temps seul pouvait la guérir; la violence
était impuissante à la diminuer. Au contraire, dans ce cas,
comme en tous autres, que les politiques cherchent à faire
beaucoup de bien, et le résultat infaillible sera un mal
immense. Action outrée d'un côté entraîne réaction de
l'autre, et voilà l'équilibre de l'état social dérangé. Les inté-
rêts opposés se heurtant, toute sécurité disparaît! De nou-
velles inimitiés s'allument, les anciennes s'enveniment,
les dissensions, la discorde naturelle redoublent, et pour-
quoi? Tout simplement parce que les hommes d'État ne
veulent pas comprendre qu'en opérant sur un grand pays,
ils ont à faire à une organisation si subtile, d'une telle com-
plexité, et de plus si obscure, que viennent-ils, ces pas*
teurs d'hommes, à y introduire un changement, on peut
affirmer que cent fois contre une le changement sera nui-
sible , et qu'ils auront , presque toujours , beaucoup à
faire pour protéger ou raffermir ses points particuliers : car
cette organisation possède par elle-même le pouvoir de
réparer ses propres maux, et pour y parvenir, il ne lui
faut que deux choses : le temps et la liberté ! c'est à dire,
T. IV 15
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230 HISTOIRE
deux choses dont la prive trop souvent l'intervention des
hommes au pouvoir.
C'est ce qui eut lieu en Ecosse au quinzième siècle.
Pourquoi les tentatives de Jacques I er échouèrent-elles?
Parce que c'étaient des mesures particulières dirigées contre
des affections générales. Des idées , des opinions, engen-
drées par un long enchaînement de circonstances, et pro-
fondément enracinées dans l'esprit public, avaient donné à
l'aristocratie un immense pouvoir : que tous les nobles en
Ecosse aient été décapités, que tous leurs châteaux aient
été rasés, tous leurs fiefs confisqués, supposons tout cela;
eh bien , sans contredit , il serait venu un jour où leurs
successeurs auraient acquis une influence plus étendue
que jamais , parce que l'injustice commise aurait accru le
dévoâment de leurs partisans et de leurs suivants. Toute pas-
sion n'en fait-elle pas naitre une contraire? La cruauté d'au-
jourd'hui ne produit-elle pas demain la sympathie? La haine
de l'injustice, plus que tout autre principe, contribue à ni-
veler les inégalités et à maintenir la balance des affaires.
Oui, tyrannie, c'est cette aversion pour toi, qui, faisant vibrer
les cordes les plus intimes du cœur, rend ton triomphe défi-
nitif à jamais impossible. Voilà ce qui constitue la noblesse
de notre nature : partie primordiale qui, empreinte de la
beauté divine, révèle sa haute origine, et, divinatrice, pa-
rant aux éventualités les plus éloignées, est pour nous la plus
sûre garantie que la victoire de la violence ne sera jamais
suprême, que, tôt ou tard, le despotisme finira par être ren-
versé, enfin que les affreux desseins des méchants ne pré-
vaudront jamais contre les intérêts éternels de la race
humaine.
En ce qui regarde Jacques I er , la réaction se produisit
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 231
plutôt qu'on ne pouvait s'y attendre ; et comme elle eut lieu
de son vivant, elle fut à la fois réaction et peine du talion.
Pendant plusieurs années, il continua à opprimer impuné-
ment les nobles (1) ; mais en 1346, ils se retournent contre
lui, et lui font subir le dernier supplice pour venger leurs
frères décapités (2). Alors leur pouvoir se releva avec la
même rapidité qu'il avait été courbé. Dans le sud de l'Ecosse,
les Douglas exerçaient une autorité suprême (3), et le chef
de cette famille, un comte, jouissait de revenus qui égalaient
à peu près ceux de la couronne (4). Et, pour montrer que
son autorité égalait sa richesse il se présenta, à la cérémonie
du mariage de Jacques II (1449), avec une suite de cinq
mille vassaux (5), tous partisans déterminés et armés, tenus
d'obéir à tous ses ordres. Non, qu'un noble Écossais eût
besoin d'employer la contrainte pour se faire obéir par ses
gens. La servitude était volontaire, inféodée dans les mœurs
de la nation. A cette époque, comme longtemps après, il
(1) Consultez Chalmers, Caledonia, t. Il, p. 963, et Bûcha nan, Rerum Scoticarum
Historia, iib. x,p.286.
(2) Tytler, History of Scotland, t. III, p. 157, 158.
(3) Lindsay of Pitscottie (Chronicle*, 1. 1, pag. 2) dit qu'aussitôt après la mort de Jac-
ques I", < Alexander, Earle of Douglas, being uerie potent in kine and friendis, contemned
ail the kingis office ris, in respect of his great puissance. » C'est dans l'ouvrage profond
mais mal coordonné de Chalmers que j'ai trouvé le meilleur aperçu du développement des
Douglas. Caledonia, 1. 1, pag. 579, 583.
(4) En 1440, < the chief of that family had revenues perhaps équivalent to thoseof the
Scottish monarch. • Pinkerton, Hislory of Scotland, t. I,pag. 192.
(5) It may giveus some idea of the immense power possessed at this period by the Earl
of Douglas, vrhen we mention that on this chi vairons occasion, themilitary suite by which
he was surrounded, and at the head of which he conducted the Scottish champions to the
lists, consisted of a force amounting to five thousand men. • Tytler, History of Scotland,
t. III, pag. 215. Le vieil historien de cette famille dit : « He is not easy to be dealt with;
they must hâve mufles that would catch such a cat. Indeed, he behaved himself as one that
thought he woult not be in danger of them; he entertained a great family; he rode ever
well accompanied when he came in pnblick; 1,000 or 2,000 horse %ere his ordinary
train. » Hume, History ofthe House of Douglas, 1. 1, pag. 273, 274, réimprimé à Edim-
bourg, 1743.
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232 HISTOIRE
était aussi déshonorable que peu sûr de ne pas appartenir
à un grand clan ; et qui n'était pas assez favorisé du sort
pour se rattacher à une haute famille, prenait habituellement
le nom de quelque grand chef et achetait sa protection en
se consacrant à son service (1).
Les comtés de Crawford et de Ross occupaient dans le Nord
la même position que le comte de Douglas dans le Sud (2) ;
Séparément formidables, unis, rien ne semblait devoir leur
résister. Ainsi, lorsqu'à la fin du quinzième siècle, ils
arrivèrent à former une ligue étroite contre tous les ennemis
communs, il eût été difficile de déterminer la limite où
s'arrêterait leur pouvoir ou le mode d'action que le gouver-
nement pourrait employer contre eux, si ce n'est de semer la
discorde dans leurs rangs (3).
Cependant, sur ces entrefaites, la violence de la part de
couronne avait accru la disposition où était la noblesse de
diriger ses forces contre le trône. Ce dernier, au lieu de puiser
une leçon dans le sort qui était échu à Jacques I er , imita ses
(i) Au dix-septième siècle, < To be withoal a chief, involved a kind of disrepute; and
tbose who had do distinct Personal position of their owo, would find it necessary to
become a Gordon or a Crichton, as prudence or inclination might point ont. • Burton,
Criminal Trials in Scotland, 1. 1, pag. 207. Voir dans Pitcairn, Criminal Trials
in Scotland, t. III, pag. 230, « the protective surname of Douglas; » et dans Skene,
Highlanders, t. H, pag. 252, l'extrême importance qu'on attachait au nom de Mac-
gregor.
(2) « Men of the greatest puissance and force next the Douglases that were in Scotland
in their times. » Hume, History oftheHouse of Douglas, 1. 1, pag. 344. Le grand pou-
voir des comtes de Ross dans le Nord date du treizième siècle. Consultez Skene, Highlan-
ders, 1. 1, pag. 133, i34, t. Il, pag. 52.
(3) En 1445, le comte de Douglas conclut, « ane offensiue and defensiue league andcom-
binatione aganist ail, none excepted (not the king himselue), with the Earle of Crawfurd,
and Donald, Lord of the Isles ; wich was mutually sealled and subscriued by them three,
the 7 day of Marche. * Balfour, Annales, 1. 1, pag. 173. A cette ligue se joignirent d'autres
familles nobles : • He maid bandis with the Erle of Graufurd, and with Donald lorde of
the Ylis, and Erle ofKoss,to take part every ane with other,and withdyvers uther noble
men also. » Lesley, History of Scotland (1436-1561), pag. 18.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 233
actes tortueux, et poursuivit la même politique qui avait
entraîné sa ruine. Parce que les Douglas formaient la famille
la plus puissante de toutes, on résolut de les faire mourir;
ne pouvant les tuer par la force, appel fut fait à la trahison.
En 1440, le comte de Douglas, enfant de quinze ans, et
son frère, plus jeune encore, sont amicalement invités à
venir rendre visite au roi à Edimbourg. A peine arrivés,
ils sont saisis d'après Tordre du chancelier; ils sont soumis
à un jugement dérisoire, déclarés coupables, traînés jusque
dans la cour du château, et décapités sur l'heure (1).
A considérer le profond attachement des Écossais pour
leurs chefs, est ce exagérer que de dire que ce meurtre bar-
bare eut pour résultat d'affermir la classe que l'on voulait
intimider? Non. Cependant, ce crime horrible fut le fait
du gouvernement seul, le roi étant alors mineur : mais le roi
lui-même fut l'auteur du second assassinat. En 1542,
Jacques H, avec force démonstration de politesse, manda
le comte de Douglas (2) à la cour, alors réunie à Stirling.
Le comte hésita ; mais Jacques triompha de sa répugnance,
en lui envoyant un sauf-conduit revêtu de la signature royale
et du grand sceau. Devant cet engagement formel de la
royauté, les craintes de Douglas se dissipèrent. Il se rendit
(i) On trouvera un récit intéressant de ce crime infâme dans Hume, Hist. ofthe House
of Douglas, 1. 1, pag. 274, 288; l'auteur est fort indigné, et rien n'est plus natnrel. D'un
autre côté, Lesley, évêque de Ross, raconte ce fait avec un parfait sang-froid, qui caracté-
rise fort bien l'animosité qui existait entre les nobles et le clergé, et qui l'empêcha de
regarder le meurtre de ces deux enfants comme un crime. < And eflir he was set doua to
the burd with the governour, chancellour, and otheris noble men présent, tbe meit was
sudantlie removed , and ane bullis heid presented , quhilk in thay daies was ane
signe ofexecutione; and incontinent tbe said erle, David bis broder, and Malcome Fle-
ming of Cummernal, wer beidit before the castell yett of Edenburgh. » Lesley, History,
pag. i6.
(2) Cousin des deux enfants massacrés en 1440. Hume, Hist. ofthe House of Douglas y
1. 1, pag. 297, 316.
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254 HISTOIRE
en toute hâte à Stirling où il fut reçu avec les plus grands
honneurs (1). Le soir même de son arrivée, à la fin du
souper, tout à coup le roi se répand en reproches contre lui
et, dégainant, lui donne un coup de poignard, Gray l'achève
avec une hache, et Douglas tombe mort sur le plancher, en
présence du souverain qui Ta attiré à sa cour pour le mas-
sacrer avec impunité (2).
La férocité du caractère écossais, résultat naturel de
l'ignorance et de la pauvreté de la nation, fut, sans nul
doute, Tune des causes*, et non la moindre, de pareils
crimes,crimes que les chefs de l'État commettaient, non
pas en secret, mais en plein jour. Qui nierait, cependant,
qu'une autre cause ce fut l'influence du clergé dont l'intérêt
était d'humilier la noblesse et qui n'apportait aucun scru-
pule dans le choix des moyens (3)? A mesure que la cou-
ronne se détachait de plus en plus de l'aristocratie, elle se
rapprochait davantage de l'Église. En 1443, un édit fut
rendu dans le but de protéger les biens du clergé contre les
attaques des barons (4). Assurément dans une société sem-
blable, il était plus facile de rendre des lois que de les faire
(1) f With assurance under the brand seal. • Hume, Hist. ofthe House of Douglas,
1. 1, p. 351 ; Nimma, Hist. of Stirlingshire, pag. 246, 322, 323.
(2) Home, House of Douglas, t. I, pag. 351, 353. Le roi « stabbed him in the breast
with a dagger. At the same instant Patrick Gray struck him on the head with a pole-ai.
The rest that were attending at the door, hearing the noise, entred, and fell also npon
him; and, to show their affection to the king, gave him every man his blow after ne vas
dead. » Lindsay of Pitscottie, Chronicles ofScotland, 1. 1, p. 103. • He strak him throw
the bodie thairwith; and thairefter the guard, hearing the tumult within the chamber,
rnsched in and slew the earle ont of hand. >
(3) Dans Nimma, Hist. of Stirlingshire, pag. 99, 100, on fait remonter les discussioos
de la noblesse et de l'Église an milieu du quinzième siècle : cette assertion est peut être
exacte, en tant qu'elle se rapporte à l'extension de cette haine, mais on distingue nette-
ment ce mouvement cinquante ans plus tôt. v
(4) Acts oftfie Parliament of Scotland, t. II, pag. 33, « the statute of halykirk quhilk
is oppressit and hurt. >
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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 255
exécuter : mais enfin cette mesure est l'indice de la tendance
générale du gouvernement et de son alliance avec l'Église.
D'ailleurs, nul ne pouvait s'y tromper (1). Pendant près de
vingt ans, le conseiller intime et avoué de la couronne fut
Kennedy, évêque de Saint-Andrews, qui resta au pouvoir
jusqu'à sa mort (1466) durant la minorité de Jacques III (2).
Ennemi acharné des barons, il déploya contre eux une ani-
mosité incessante que vinrent redoubler des insultes per-
sonnelles : car le comte de Crawford avait pillé ses terres,
et le comte de Douglas avait tenté de se saisir de sa personne
pour le jeter, disait-il, dans les fers (3). Cela eût suffi pour
(1) En 1449, Jacques II c writh that affectionate respect for ibe clergy, which could not
fail to be experienced by a prince who had successfully employed tbeir support and aduice
to escape from the tyranny of bis nobles, granted to them some important privilèges. »
Tytler, Hist. ofScotlandt, t. III, pag.226. Voir aussi pag. 309. Entre autres mesures de ce
genre, il accorda aux moines de Paisley une partie de la juridiction qui, en certains
cas, appartenait à la couronne. Charte, 13 janvier 1451-2. Cbalmer, Caledonia, t. III,
pag. 823.
(2) Pinkerton, Hist. of Scotland, t. I, pag. 188,209,247,254. Keitb, Catalogue of
Scotch Bishop8,pdLg.i9; Ridpath, Border History, pag. 298; Hollinsbead, Scottish
Chronicle, t. II, p. 101. Dans Somerville, Memorie of the Somervilles, 1. 1, pag. 213, il
est dit, à la date de 1452, que, poussé par la crainte, le roi avait songé à se sauver : la
crainte d'affronter la noblesse, dit-il, « had once possest his majestie with some thoungbts
of going ont of the countrey ; but that he was perswaded to the contrary by Bishop Ken-
nedie, then Arch-bishop of Saint-Andrewes, whose counsell at that tyme and eftirward,
in most th.ings be followed, which at lenglh proved to his majesties great advantage. »
Lesley, History, pag. 23. > The king wes put to sic a sharp point, that he wes deter-
minit tb haif left the reaime, and to haif passit in Fraunce by sey, were not tbat bischop
James Kennedy of St-Androis causit him to tarrye. >
(3) « His lands were plnndered by the Earl of Crawford and Alexander Ogilvie of Inve-
raritie, at the instigation of the Earl of Douglas, who had farther instructed them to seize,
if possible, the person of the bishop, and to put him in irons. > Memoir of Kennedy,
Chamber, Lives of Schotmen, t. III, pag. 307, Glasgow, 1834. « Sed Kennedus et setate,
etconsilio, ac proinde auctoritate caeteros anteibat. In eum potissimum ira est versa. Cra-
fordiae cornes et Alexander Ogilvius contlato satis magno exercitu, agros ejus in Fifa latè
populati, dum prœdam magis, quam causam sequuntur, omni génère cladis in vicina eliam
praedia grassati , nemine congredi auso pleni praedarum in Angustiam revertuntur.
Kennedus ad sua arma conversus comitem Crafordiœ disceptationem juris fugientem
diris ecclesiasticis est prosecutus. » Buchanan, Rerum Scoticarum Historia, lib. xi,
pag. 306.
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236 HISTOIRE
exciter le plus doux des hommes; et, comme à l'époque où
Jacques II assassina Douglas, Kennedy jouissait d'une in- r
fluence presque absolue, il est probable que l'évêque fut com-
plice de cette infâme complot. Quoiqu'il en soit, il n'exprima
aucun blâme : et lorsque, par suite de ce meurtre, les Dou-
glas et leurs partisans se révoltèrent ouvertement, Kennedy
donna au roi un conseil plein de ruse et d'insinuation, et
qui caractérise hautement l'esprit insidieux de sa profession.
Prenant en main un faisceau de dards, il lui fit voir que,
liés ensemble, on ne pouvait les rompre, mais que, séparés,
on les brisait sans effort; voulant dire par là que pour ren-
verser les barons, il fallait les désunir et les ruiner un par
un (1).
Certes, il avait raison, en tant qu'il y allait des intérêts
de son ordre; mais, à considérer l'intérêt de la nation, il est
évident que le pouvoir de la noblesse, malgré ses abus
criants, était, après tout, avantageux, puisque c'était la seule
barrière au despotisme. Oui, les maux qu'entraînèrent les
barons furent immenses; mais ils détournèrent d'autres mal-
heurs qui eussent été cent fois pires. L'anarchie du présent
assura la liberté future. La moyenne classe n'existant pas,
(1) ■ This holie bischop schew ane similitud to the king, qnhilk might bring bim to
expérience bow be might invaid againes the Donglass, and the rest of the conspiratooris.
This bischop tuik furth ane great scheife of arrowes knit togidder werrie fast, and desired
him to pat thame to his knie, and break tbame. The king said it was not possible, becans
theywar somany, and so weill fastened togidder. The bischop answeired, it waswerriP
true, bot yitt he -wold latt the king sea how to break tbame : and pnlled ont on be on, and
tua be tua, qnhill he had brokin thame ail ; then said to the king, » Yea most doe with the
conspiratonris in this manner, and thair complices that are risen againes yow, qnbo arc
so many in nnmber, and so hard knit togidder in conspiracie againes yow, that yea cannot
gett thame brokin toggider. Bntt be sick pratick as I hâve schowin yow be the similitnd of
thir arrows, that is to say, yea must conqaeis and break lord by lord be thamselffis, for
yea may not deall with thame ail at once. • Lindsay of Pitscottie, Ctironicles ofScol-
land, t. I, pag. 173, 173.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 257
il n'y avait que trois ordres dans l'État, à savoir, le gouver-
nement, le clergéet la noblesse. Les deux premiers faisaient
cause commune contre le troisième : il est donc certain que,
s'ils avaient remporté la victoire, l'Ecosse eût passé sous le
joug le plus horrible qu'on puisse imposer à une nation.
Roi absolu, Église absolue, voilà les deux chefs qui, unis-
sant leur jeu, eussent tyrannisé tout un peuple qui, en dépit
de sa barbarie et de son ignorance, chérissait une certaine
liberté rude et grossière, qu'il était bon qu'il possédât, mais
qui, en présence d'une telle dualité, eût été à coup sûr
étouffée.
Heureusement, la puissance de la noblesse avait jeté
de trop profondes racines dans l'esprit du peuple pour que
cette catastrophe fût possible. En vain Jacques III fit-il tous
ses efforts pour rabaisser les barons (1) et élever leurs
rivaux, les prêtres (2), rien ne put ébranler l'autorité de
l'aristocratie, et, en 1482, convaincus des tendances du roi,
les nobles se rassemblèrent, et l'influence qu'ils exerçaient
sur leurs partisans était telle qu'ils se saisirent facilement de
la personne de Jacques et l'emprisonnèrent au château
d'Edimbourg (3). A peine délivré, de nouvelles querelles sur-
girent (4) : aussi, en 1488, les principaux barons réunissent
(1) t He wald nocht suffer the noblemen to corne to his présence, and to governe the
reaime be thair counsell. » Leslej, H istory of ScoWand, pag. 48. «Wald nocht ose the
counsall of his nobilis; ■ pag. 55. « Exclnding the nobility. > Home, history ofthe House
of Douglas, t. II, pag. 33. ■ The nobility seeing his résolution to roin tbem ; > pag. 46:
c Hes contemiog his oobility. • Balfour, Annales, 1. 1, pag. 906.
(2) AJso to aggrandize tbem. See, for instance, what « has obtained the name of the
golden charter, from the ample privilégies it contaios, confirmed to Archbishop Shevez
by James III, on 9th. July 1480. > Grierson, History of Saint Andrews, pag. 58.
Cupar. 1838.
(3) c Snch vas the influence of the aristocracy over their warlike follovers, that the kiog
-vas confeyed to the castle of Edinbnrgh, vithont commotion of mur mur. > Pinkerton, His t.
ofScotland, 1. 1, pag. 308.
(4) « The king and his ministers mnltiplied the insnlts which they offered to the nobi-
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238 HISTOIRE
leurs troupes, lui livrent bataille et, après l'avoir défait, le
font mourir (1). Jacques IY lui succéda : sous ce prince, il
n'y eut rien de changé, c'est à dire, d'un côté les nobles, de
l'autre la royauté et le clergé. Tout ce que le roi put faire
pour soutenir l'Église, il l'exécuta avec empressement. En
1493; il réussit à faire rendre une loi, assurant l'immunité
des sièges de saint Andrews et de Glascow, les deux plus
importants de l'Ecosse (2). En 1503, il obtint la révocation
générale de toutes les donations préjudiciables à l'Église,
soit qu'elles eussent été accordées par le parlement ou par
le conseil privé (3). Enfin, en 1508, d'après l'avis d'EI-
phinston, évêque d'Aberdeen, il osa prendre une mesure
encore plus audacieuse. Ce fin et ambitieux prélat persuada
à Jacques de remettre en vigueur, pour les diriger contre la
noblesse, plusieurs droits tombés en désuétude, en vertu
desquels le roi pouvait, dans certaines circonstances, s'em-
parer dès fiefs, et pouvait même, toutes les fois que le détenteur
relevait de la couronne, toucher presque tous les revenus
durant la minorité du propriétaire (4).
lity. > c A proclamation was issoed , forbidding any person lo appear in arms
-within tbe precincts of tbe conrl ; -wbicb, at as time when no man of rank left his owd hoase
-witboat a numerous retinne or armed followers, was, in effect, debarring the nobles from
ail access to tbe king. • « His neglect of tbe nobles irritated, bnt did not weaken
them. > Hist. ofScolland, liv. i, pag. «8; Robertson, Works, édit. Lond.,1831.
(1) Balfour, Annales, 1. 1, pag. 213, 214; Bncbanan, Rerum Scoticarum HUtoria,
lib. ni, pag. 358. Lindsay de Pitscottie (Chronicles, 1. 1, pag. 222) dit : « Tbis may be ans
example to àll kingis tbat cnmes heirefter, not to fall from God. »..'...• For, if ne
bad used tbe coansali of bis wysc lordis and barrones, be bad not cam to sick dispa-
ratioon. >
(2) Acts of the Parliaments ofScotland, in-fol., 1814, t. II, pag. 232. t Tbat the said
abbaceis confirmit be tbame sali neid na pronisionn of tbe court of Rome. >
(3) Acts of tlie Parliaments ofScotland, t. II, pag. 240, et le sommaire do statut
(pag. 21) : « Révocation of donations, statotis, and ail nthir thingis burtand tbe croone
or bali kirk. » L'année suivante (1504), le roi ■ greatly augmented > les revenus de l'éréché
de Galloway. Ghalmers, Caledonia, t. III, pag. 417.
(4) Pinkerton, Hist. ofScotland, t. Il, pag. 63; Calderwood, Hist. of the Kirk of
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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 259
Avancer ces prétentions était chose facile, les mettre à
exécution, impossible. A cette époque, les nobles gagnaient
plutôt du terrain qu'ils n'en perdaient ; et, après la mort de
Jacques IV (1513), ils devinrent si puissants, durant la mino-
rité de Jacques V, que le régent Albany, de désespoir, déposa
deux fois les rênes dugouvernement, pour les abandonner com-
plètement (1). 11 quitta l'Ecosse en 1524, et avec lui sembla
s'évanouir l'autorité du pouvoir exécutif. Bientôt les Douglas
se saisirent du roi et contraignirent Beaton, archevêque de
saint Andrews, le personnage le plus influent parmi le
clergé, à se démettre des fonctions de chancelier (2). Dès
lors, ils exercent le commandement suprême, eux ou leurs
adhérents remplissent toutes les places, les intérêts sécu-
liers l'emportent, et le clergé est tout à fait rejeté dans
l'ombre (3). Néanmoins, en 1528, il se produisit un événe-
Scotland. Édinb., 1849, Wodrow Society, t. Vin, pag. 135. Ce dernier auteur dit : tThe
bishop devysed wayes to King James the Fourth, how he might attaine to great gaine and
profit. He advised him to eall his harona and ail those that held any lands within the
reaime , to show their évidents by way of récognition ; and, if they had not sufficient wri-
tings for their warrant, to dispone upon their lands at his pleasure ; for the which advice
he was greatlie hated. Bnt the king, perceaving the conntrie to grodge, agreed easilie with
the possessors. >
(1) L'époque de la.régenced' Albany a été mal comprise parles premiers historiens ; cette
question a été soigneusement traitée par M. Tytler, et c'est dans son ouvrage estimable
quoique trop diffus qu'on trouvera le meilleur aperçu. Tytler, Hist. of Scotland, t. IV,
pag. 96460. Quant aux hostilités qui eurent lieu entre Albany et les nobles, consultez lrving,
Hist. of Dumbartonshire, pag. 99. A l'égard de l'accroissement de leur pouvoir dans le
Nord après la mort de Jacques IV, se reporter à Gregory, Hist, of the Western Highr
lands, pag. 114, 115.
(2) Tytler, Hist, of Scotland, t. IV, pag. 180482 : « Within a few mouths, there was not
an office of trust or émolument in the kingdom which was not filled by a Douglas or by a
créature of that bouse. » Voyez aussi pag. 187, 194, et Keitb, Catalogue of Scotch Bishops,
pag. 22, 23. Beaton, qui fut si rudement dépossédé de la chancellerie que, selon Keilh, il
fut en 1525 obligé « to lurk among bis friends for fear of his life, ■ est dépeint comme l'nn des
principaux partisans du gouvernement d' Albany en 1524, • that most hath favoured the
Duke of Albany. » State Papers of the Reign of Henry VIII, t. IV, pag. 97.
(3) Le pouvoir absolu des Douglas dura depuis la fin de la régence d'Albany jusqu'à
l'évasion du roi (1528). Keith, Hist. oftheAffairs ofthe Church and State in Scotland,
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240 HISTOIRE
ment qui permit aux classes ecclésiastiques non seulement
de recouvrer leur ancienne position, mais aussi d'acquérir
une certaine prééminence qui, en fin de compte, leur fut
fatale. Impatient d'un état de choses aussi peu favorables à
l'Église, l'archevêque Beaton organisa une conspiration,
grâce à laquelle Jacques s'échappa des mains des Douglasret
se réfugia dans le château de Stirling (1). Cette réaction
subite ne fut pas la cause réelle et dominante de l'établisse*
ment du protestantisme en Ecosse; mais, sans conteste, elle
en fut la cause première. En effet, l'Église dirigeait alors le
gouvernement : par conséquent, les nobles le plus influents
furent persécutés, quelques-uns même chassés du pays ; tou-
tefois, si le pouvoir politique des seigneurs avait disparu, leur
pouvoir social subsistait, quoiqu'ils fussent dépouillés de leurs
honneursetde leurs richesses, réduits à l'exil, à la pauvreté,
pourchassés comme traitres; le véritable fondement de
leur autorité ne fut pas ébranlé, parce que résultant d'un
long enchaînement de circonstances, cette autorité était
basée sur les affections du peupla C'est pourquoi les
barons, même les proscrits, même les déchus, purent pour-
suivre contre leurs ennemis une lutte ardue, mais qui finit
1. 1, pag. 33-35. Consulte* Balfour, AnnaUê, t. 1, pag. 257 : ■ The Earle of Angus violeotley
takes one him the gouerniment, and retanes the kiog in effecte a prison nr with bim ; daring
which tyme ne, tbe Earle of Lennox, and George Douglas, bis anen brother, frely disposses
ypone ail affaires both of chnrcbe and staite. >
(1) Tytler, Hist. ofScotland, t. IV, pag. 195, 196. Nous lisons dans le curieux ouvrage
intitulé : A Diurnal of Occurrents, pag. 10 : « In the leir of God 1500, tnantie ancht zeiris,
the kingis grâce by slicht wan away fra the Donglassis. » De Stirling il se rendit à Edim-
bourg, le 6 jnillet 1518, et alla « to the bosshop of Sainct Andros loegeing.» Voyes une
lettre écritele 18 juillet 1528 par lord Dacre à Wolsey (State Papers of Henry VIIJ, U IV,
pag. 501 ). Se reporter également i une proclamation publiée le 10 septembre 1538 et citée
dans Pitcairn, Criminal Trials in Scotland, 1. 1, part, i, pag. 138, 139. J'indique particu-
lièrement ces documents, parce que Lindsay de Pitscottie (Chronicles of Scotland, t. II,
pag. 335 ) fait remonter la fuite de Jacques à 1527, et que généralement il est l*un des auteurs
anciens les plus exacts, si toutefois il est l'auteur du livre qui porte son nom.
\
Ji*
DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 241
par réussir. Le désir de se venger les aiguillonnait, leurs
efforts se décuplant, il y eut une guerre à mort entre Taris*
tocratie et l'Eglise écossaise. Jusqu'à un certain point cette
lutte remarquable ne fut que la continuation de celle qui avait
pris naissance dans les premiers jours du quinzième siècle,;
combien plus acharnée! après avoir duré sans interrup-
tion pendant trente-deux ans, elle finit par le triomphe de
la noblesse qui, en 1560, renversa entièrement l'Église et
détruisit presque toute la théocratie écossaise.
Les histoires ordinaires nous retracent, quoique d'une
manière assez confuse, les incidents de cette lutte et les
vicissitudes qu'éprouvèrent les deux partis : il suffira donc
que j'indique les points saillants, et qu'en laissant de côté
jt tout détail inutile, j'essaie d'éclaircir le mouvement général.
De cette façon, l'unité du plan tout entier se déroulant
.,- devant nous, nous verrons que la destruction de l'Église
i: ; catholique fut l'achèvement naturel de ce grand courant,
., et que le dernier acte de ce drame splendide, loin d'être
D une conclusion violente et irrégulière, découle admirable-
L ment de toute l'intrigue qui précède.
i Lorsque Jacques parvint à s'échapper en 1528, il n'était
âgé que de seize ans : et sa politique, si tant est qu'on puisse
; * lui supposer la moindre volonté déterminée, fut dirigée par
: .; le clergé auquel il devait sa liberté et qui était son protec-
teur naturel. Son principal conseiller fut l'archevêque de
** Saint-Andrews, et le poste important de chancelier qui,
: sous les Douglas, avait été rempli par un fonctionnaire
J$ séculier, fut alors conféré à l'archevêque de Glascow (1).
i Taudis que ces deux prélats régnaient souverainement,
0*
*** (1) State Paper s of Henry VI U, t. IV, pag. 801.
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242 HISTOIRE
l'abbé d'Olyrood fut créé trésorier et l'évêque de Dunkeld
garde des sceaux (1). A tout membre noble, même à tout
partisan de la maison de Douglas, défense fut faite de s'ap-
procher à plus de douze milles de la cour, sous peine d'être
poursuivi comme traître (2). On dirigea une expédition
contre le comte de Gaithness qui fut défait et tué (3). Peu
de temps auparavant, le comte d'Augus avait été banni et
ses biens confisqués (4). Les Douglas furent proclamés hors
la loi et proscrits (5). De plus, le gouvernement fit empri-
sonner le comte de Bothwell, Home, Maxwell, les deux
Kerrs, et les barons de Buuleuch, de Johnston et de Pol-
warth (6).
Tout cela ne laissait pas d'être assez rigoureux : con-
séquence de la restauration de l'Église. On se prépara à
frapper d'autres coups également décisifs. En 1531, le roi
enlève au comte de Crawford la plus grande partie de ses
fiefs, et jette le comte d'Argyle dans les fers (7). Il rebute
même les nobles qui se sont montrés disposés à le suivre.
(1) < Archibald vas depryvit of the thesaorarie, an<J placit thairin Robert Cairncorse,
abbot of Halyradhons. And aïs was tane fra the said Archibald the privie seill, and was
givin to the bischope of Donketl. » A Diumal of Occurrents, pag. il.
(2) Tytler (Hist. of Scotland, t. IV, pag 196) dit : « His flrst act was to summon a
couDcil, and issne a proclamation that no lord or follower of the honse of Douglas shonld
dare to approach within six miles of the court, under pain of treason. > L'on ne cite pas
d'autorité à l'appui, et l'historien de la famille des Douglas dit très distinctement : t Within
twelve miles of the king nnder pain of death. » Home, House of Douglas, t. H, pag. 99.
Voyez également Diumal of Occurrents, pag. 10 : « That nane of thame nor tbair fami-
Iiaris cnm neir the king be tnelf myllis, > par la raison qne t the said kingis grâce haid greit
snspicionn of the temporall tordis, becans thaj favonrit snm pairt the Donglassis. » Diumal
of Occurrents^ pag. 12.
(S) ■ The Erle of Caithnes and tyve hnndreth of his men wes slayne and df o-wnit in the
see. • Lesley, 1K«C. of Scotland, pag. 141.
(4) Tytler, Hist. of Scotland, t. IV, pag. 203, 204.
(5) Acts ofthe Parliaments of Scotland, édit. in-fol., 1814, t. H, pag. 324.
(6) Tytler, Hist. of Scotland, t. IV, pag. 207.
(7) Idem, ibid., t. IV, pag. 212.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 243
En toute occasion, il leur témoigne la plus grande froideur,
tandis qu'il revêt leurs rivaux, les prêtres, des plus hautes
dignités (1). Enfin, en 1532, il cherche à terrasser l'aristo-
cratie, en lui enlevant une grande partie de la juridiction
qu'elle exerçait depuis un temps immémorial et qui consti-
tuait l'une de ses forces. A l'instigation de l'archevêque de
Glascow, il établit ce qu'on appela le Collège of justice :
désormais tout procès devra être porté devant cette cour,
au lieu d'être soumis comme jusqu'alors à la cour baronnale.
Le nouveau tribunal devra être composé de quinze juges,
dont huit seront ecclésiastiques; et pour ne pas laisser sub-
sister de doute sur la portée de cet édit, il est décidé que le
président sera toujours un membre de l'Église (2).
C'en était trop : la coupe déjà pleine déborda, et l'exaspé-
ration des seigneurs alla presque jusqu'à la folie. Leur haine
pour le clergé ne connut plus de frein; brûlant d'assouvir
(4) « His preferenèe of the clergy to the temporal lords digusted thèse proud chiefs. •
Tytler, HisU ofScotland, t. IV, pag. 230. Voyez aussi pag. 236. Dans une lettre qu'il écrivit
à Henri VIII, en 1541, il établit ses raisons : c We persaif be zonre saidis writingis yat Ze
ar informyt yat yair suld be sum thingis laitlie attemptat be oore kirkmen to oure hnrte
and skaith, and contrar oure mynde and plesure. We can nocbt understand, quhat sold
move Zon to beleif the samyn, assonring Zou We hâve nevir fund bot faithfuU and
trew obédience ofyame at ail tymes, nor yai seik nor attemptis nonthir jorisdictioun
nor previlegijs, forthir nor yai hâve nsit sen the first institntionn of the Kirk ofScotland,
qnhilk We may nocbt aponn oore conscience alter nor change in the respect We bave to
the hononr and faith of God and Halikirk, and donttis na inconvénient be yame to corne
to Ws and onre reaime yertbrou; for sen the Kirk wes first institnte in onr reaime, the
stait yairof hes nevir failzeit, bot hes remanyt evir obedient to oure progenitouris ,
and in our tyme mair thankefull to Ws, nor evir yai wer of before. i Cette lettre,
qui sons plusieurs points de vue mérite d'être lue , se trouve dans les State Papers of
Henry VIII, in-4% 1836, t. V, pag. 188490.
(2) Tytler, Hist. ofScotland, t. IV, pag. 212, 213. Arnot, Hist. of Edinburgh*
pag. 468: tFifteen ordinaryjudges,seven churchmen, seven laymen and a président whom
it behoved to be a churchman. » Le statut {Acts ofthe Parliaments ofScotland* t. n,
pag. 335) porte : « XIIIJ psouns half spoale half temporall wt ane président. > M. Lawson
(Roman Catholic Church in Scotland, pag. 81 ) suppose que ce fut l'archevêque de Saint-
Andrews qui conseilla rétablissement de ce tribunal.
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3*4 HISTOIRE
leur vengeance, ils se jetèrent non seulement dans les bras
de l'Angleterre et entretinrent des intelligences secrètes avec
Henri VIII, mais nombre d'entre eux allèrent encore plus
loin et manifestèrent une tendance marquée vers les prin-
cipes de la réforme. A mesure que l'inimitié entre l'aristo-
cratie et l'Église s'envenima, le désir de réformer cette der-
nière prit corps de plus en plus : des motifs d'intérêt venant
développer ce goût d'innovation, en quelques années, l'im-
mense majorité de la noblesse adopta des opinions protes-
tantes très avancées : n'importe, l'hérésie, aux yeux des
seigneurs, est bonne du moment qu'elle leur permet de
nuire à une Église qui vient de leur causer de si grands
maux et avec laquelle eux et leurs ancêtres sont en guerre
depuis près de cent cinquante ans (1).
Sur ces entrefaites, Jacques I er resserra l'alliance de la
royauté et de l'Église. En 1534, ô triomphe de l'Église! il
assiste en personne au jugement de quelques hérétiques qui
furent condamnés par les évéques au bûcher (2). L'année
suivante, on lui offrit, ce qu'il accepta de grand cœur, le
(1) Keitb , qui évidemment o admire pas cette partie de l'histoire de son pays, dit à la
date de 1546 : « Several of our nobility found it their temporal interest, as much as their
spiritual, to sway with tbe new opinions as to religions matters. » Keith, Affaire of
Church and State, 1. 1, pag. 112, 113. Pins loin il ajoute avec pins de franchise naturelle
encore : « The noblemen wanled to finger the patrimony of the kirkmen. > T. III, pag. IL
t2) « In the month of Angust (1534), the bishops having gotten fltten opportunitie,
renewed their battell aganest Jesns Christ. David Stratilon, a gentelman of the Honse of
Lawrestoune, and Mr. Norman Gowrlay, was brought to jodgement in tbe Àbby of Haly
rndhoQse. The king himself, ail cloathed with reid, being présent, grait pains war taken
upon David Stratonn to move bim to recant and burn bis bill ; bot he, ever standing to bis
défonce, vas in end adjndged to the fire. He asked grâce at tbe king. The bishops answred
proudlie, tbat « the king's hands war bound, and that he had no grâce to give to soch as
were by law condemned. > So was he, with Mr. Norman, afler dinner, upon the 37th day of
Agust,led to a place beside tbe Rude of Greenside, between Leth and Edinburg, to the
iutent that the inhabitants of Fife, seeing the fire, might be striken with terroor and feare. »
Pitcairn, Criminal Trials in ScoUand, 1. 1, part, i, pag. 210* ; Calderwood, HUt. of the
Kirk of Scotland, 1. 1, pag. 106, 107.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. £45
titre de défenseur de la foi, qu'on enleva à fleuri VIII pour
le lui donner, l'impiété du prince anglais, disait-on, l'en
rendant indigne(l). A tous égards, Jacques hérita de ce titre.
Ferme soutien du clergé, il n'admit à son conseil privé que
des ecclésiastiques, à peu d'exceptions près : il n'était pas
sage, déclarait-il, de donner aux laïques une trop grande
part dans le gouvernement (2). Enfin, en 1538, il dévoila
encore davantage sa politique, en épousant en secondes
noces Marie de Guise : par là, il établit des relations intimes
avec la plus puissante famille catholique de l'Europe, les
Guise, aussi ambitieux qu'influents, dont le but hautement
proclamé était de soutenir la foi catholique et de la protéger
contre les grossières et barbares attaques qui partaient en
roéme temps de tous les points de l'Europe (3).
L'Église acclama cette nouvelle alliance : elle y voyait Je
garant des intentions du roi. La suite prouva qu'elle ne s'était
pas trompée. David Beaton, qui avait négocié le mariage,
devint le conseiller, le confident de Jacques pendant le
reste de son règne. Créé archevêque de Saint-Andrews,
en 1539 (4), Beaton employa toute son influence à persécuter
(1) i It appears, by a letter in tha State -pape r Office , tbat Henry remonstrated agains
this litle being given to James. ■ Tytler, Hitt. of Scotland, t. IV, pag. 223. Se reporter
aussi à la pag. 258.
08) En 4535, c bis privy conncil were mostly ecclesiastics. > Ibid., t. IV, pag. 222. Sir
; Ralph Sadler écrit durant son ambassade en Ecosse ( 1539-40) : « So tbat tbe king, as far as
I can perçoive, is of force driven to use tbe biahops and bis clergy as bis only ministersfer
tbe direction of bis realm. Tbey be tbe men of vit and policy that I see hère; tbey be never
ont of tbe king's ear. And if tbey smell any thing tbat in the least point may touch them,
or that the king seem to be content with any such thing, straigbt tbey inculk to qim, hoy
cathoiic a prince his father was, and foed him both wilh faîr words and many, in snch vise
. as by tbose policies tbey lead him (having also the whole governance of his affairs) as
they will. • State Paper» and Letter s ofSir Aalpk Sadler, t. J, pag. =47.
(3) State Paper* of Henry VU!, t V, pag. 128; A Diurnal ofOccurrenU, pgg. 23.
Le révérend M. Kirkton déclare que la nouvelle reine était t ane egge of tbe bloody nest of
Guise. » Kirkton, ffiH. ofthe Church ofScottond, pag. 7.
(4) c At bis return home, he vas made coadjator, and declared future successor to his
T. IV 16
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246 HISTOIRE
les protestants : jamais le fanatisme n'avait été poussé si
loin. Un grand nombre se réfugièrent en Angleterre (1), où
ils grossirent les rangs des proscrits qui attendaient que
l'heure de la vengeance sonnât. Alors ces derniers et leurs
partisans restés en Ecosse formèrent une coalition avec les
seigneurs mécontents, et particulièrement avec les Douglas (2) ,
que leur immense pouvoir mettait à la tête de l'aristocratie
écossaise et qui se rattachaient à presque toutes les grandes
familles soit par d'anciennes alliances , soit aussi par
le lien plus serré de l'intérêt commun, l'abaissement du
clergé (3).
Dans ces conjonctures, tous les yeux se tournèrent vers
les Douglas qui étaient alors les hôtes de Henri VIII, et
mûrissaient leurs plans (4). Quoiqu'ils n'osassent pas encore
retourner en Ecosse, ils étaient tenus au courant de tout
nncle in tbe primacy of St-Andrews, in which see be came to be fully invested apon the
death of bis nncle tbe next year, 1539. ■ Keith, Catalogue of Scotch Bishops, pag. 23, 2i.
(1) M'Crie, LifeofKnox, pag. 20; Spottiswoode, Hist. of the Church of Scotland,
t. 1, pag. 139 ; Lawton, Roman Catholic Church in Scotland, pag. 178; Wodrow, CoUec-
tions upon the Lives ofthe Reformera, t. 1, pag. 10U.
(2) Tytler (Hist. of Scotland, t. IV, pag. 241 ) dit qne les cruautés exercées en 1539 obli-
gèrent « many of tbe persecnted families to embrace the interests of tbe Donglases. ■
(3) On affirme, an sujet de la famille des Donglas, qu'au commencement du seizième
siècle i tbeir alliances and their power were equal to one-halfof tbe nobilityof Scot-
land. > Brown, Hist. of Glasgow, 1. 1, pag. 8. Relativement à leur parenté, consultes Home,
Hist. of the House of Douglas, 1. 1, pag. xix, 252, 298 ; t. II, pag. 293.
(4) Henri VIII, « in the year 1532, sought it directly,among the conditions of peace, that
the Douglas, according to his promise, should be restored. For King Henry's own part, ne
entertained tbem with ali kind of beneficence and honour, and made botb the Earl and
Sir George of his Privy Conncil. » Hume, Hist. ofthe House of Douglas, t. II, pag. 105, 106.
Jacques voyait d'un mauvais œil toutes les communications qui existaient entre les Don-
glas et ses autres sujets. Qu'y faire? il n'y pouvait mais. Voyez la lettre qu'il écrivit à sir
Thomas Erskine (Miscettany ofthe Spalding Club, t. Il, pag. 193) et commençant par
ces mots : c I commend me rycht hartly to yow, and -weit ye that it is murmuryt hyr that ye
sould a spolkyn with Gorge and Archebald Dougles in England, quhylk wase again my
command and your promys quhan we departed. > Se reporter également au compte rendu
des poursuites intentées contre lady Trakware , John Mathesone, John Hume et consorts
dans Pitcairn, Criminal Trials in Scotland, 1. 1, part, i, pag. 161, 177, 202, 243,247.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 247
ce qui se passait par leurs espions et leurs agents, et leurs
communications avec leurs partisans en Ecosse se poursui-
vaient sans interruption. D'ailleurs, les covenants féodaux,
les obligations de redevances d'hommes, et autres arrange-
ments, qui, même s'ils étaient contre la légalité, étaient
encore en vigueur : tout cela permettait aux Douglas de
compter sûrement sur une grande partie des seigneurs les
plus puissants, que la domination du clergé exaspérait et qui
accueillaient avec empressement l'espoir d'un changement
qui pût amoindrir l'autorité de l'Église (1).
(1) « Tbe Douglases were still main tain ed with high favour and gênerons allowances in
England; their power, although nominally extinct, was still far from being destroyed;
their spies penetrated into every quarter, followed the king to France, and gave information
of his most private motions ; their fendal covenants and bands of manrent stili existed ,
and ibonnd many of the most potent nobility to their interest; whiist the vtgour of the king's
government, and his préférence of the clergy to the temporal lords, disgusted thèse prond
chiefs, and disposed them to hope for a recovery of their influence from any change which
might take place. » Tytler, Hist. ofScotland, t. IV, pag. 229, 230. Ces redevances d'hommes
dont parle Tytler constituaient l'un des moyens les plus efficaces par lesquels la noblesse
écossaise assurait son pouvoir. Sans cela il eût été fort difficile à l'aristocratie de résister
aux forces réunies de la royauté et de l'Église. A ce compte elles méritent toute notre atten-
tion. Chalmers (Caledonia, t. 1, pag. 824) déclare qu'il ne trouve pas d'exemple de ces
redevances avant 1354; mais lord Somerville (Memorie ofthe Somervilles, 1. 1, pag. 74)
en cite un à la date de 1281. C'est le premier cas qu'il m'ait été donné de rencontrer; ce n'est
qu'aux quinzième et seizième siècles qu'ils devinrent assez communs. Consultez Hume, Hist.
of the House of Douglas* t. II, pag. 19; Somerville, Memorie, 1. 1, pag. 234; Pitcairn,
Criminal Trials of Scotland, t. III, pag. 83; Irving, Hist. of Dumbartonshire ,
pag. 442, 143; Skene, Highlanders, t. II, pag. 186; Gregory, Hist. ofthe Western High-
landersj pag. 126; Kennedy, Annals of Aberdeen, t. I, pag. 55; Miscellany ofthe
Spalding Club, t. II, pag. cvi, 93, 251 ; t. IV, pag. xlvhi, 179. Gomme ces covenants aidaient
puissamment à maintenir la balance du pouvoir et à empêcher la monarchie écossaise de
tourner an despotisme, il va sans dire qu'on fit rendre au parlement des lois contre eux.
Voyez un de ces actes à la date de 1457 et un second à la date de- 1555 relatifs anx « lige >
et t bandis of manrent and mantenance. > Acts ofthe Parliaments of Scotland, t. II,
p. 50, 495. Des lois de cette nature, étant contraires aux tendances du siècle et aux nécessités
sociales, n'altérèrent en rien la coutume générale, quoique plusieurs individus fussent
punis. Jusque vers 1620 ou 1630, époque à laquelle la guerre fut consommée, la grande révo-
lution qui subordonna le pouvoir de l'aristocratie à celui du clergé, les redevances
d'hommes se renouvelèrent fréquemment. Mais, à partir de cette époque, le changement
introduit dans les affaires de la nation effectua sans difficulté, disons même spontanément,
ce que le pouvoir législatif avait vainement tenté d'accomplir. Les nobles, réduits peu à
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248 HISTOIRE
En présence de deux partis aussi distincts, dans un pays
où, la moyenne classe n'existant pas, le peuple comptait
pour rien et suivait l'impulsion qu'on lui donnait, il est
évident que le triomphe ou la défaîte de la réforme en
Ecosse dépendait simplement du triomphe ou de la défaite
des nobles. Ceux-ci brûlaient de se venger. La seule
question douteuse pour eux était de savoir s'ils étaient assez
forts? Contre eux, la royauté et l'Église; avec eux, les tra-
ditions féodales, l'esprit de corps, l'esprit de clan, le dévoù-
ment et l'obéissance de leurs innombrables partisans et, ce
qui importait également, cet attachement aux grands noms
et aux vieilles familles qui distingue encore aujourd'hui
l'Ecosse, mais dont nous ne saurions trop faire valoir l'in-
fluence au seizième siècle.
L'heure d'agir s'approchait. En 1540, le gouvernement,
sous l'entière dépendance du clergé fit rendre de nouvelles
lois contre les protestants dont les intérêts étaient alors
identiques à ceux de la noblesse. Aux termes de ces ordon-
nances, nul hérétique, toute personne même soupçonnée
d'hérésie, ne pouvait à l'avenir remplir aucune fonction;
défense à tous catholiques de donner asile ou protection à
quiconque faisait profession des nouvelles opinions (1).
p«u à l'impuissance, perdirent courage et cessèrent d'avoir recours aux expédients qui
avaient si longtemps sontenn leor ordre. D'année en année les redevances d'hommes
devinrent pins rares, et il est dontenx qu'on en trouve nn seul exemple après 1661. Chai mers,
-Caledonidj t. III, pag. 33, 33. Toutefois il est si imprudent d'affirmer une négation que
je n'entends pas me reposer entièrement sur cette date; quelques autres cas ont pu se pro-
duire plus tard; mais, s'il en est ainsi, ils sont peu nombreux, et il«st certain que, à parler
en termes généraux, le milieu du dix-septième siècle est l'époque de leur disparition.
(I) Acts ofthe Parltamenu ofScotkmd, t. II, pag. 370, 371. « That na man quhatsueuir
stait or conditioun he be luge ressaure cherish nor fator ony heretike. • » And
alswa that'na persoun tbat hes bene suspect it of hérésie bowbeit thai beressauit to penance
and grâce sali in this reaime exers haif nor bronk ony honest «stait degré office nor judi-
cato' spuall nor temporale in burgh nor Vont nor na saine ad mit lit to be of our coun-
sale. «
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 249
Àfors, animé par la victoire, dévoré du désir d'anéantir ses
anciens rivaux, le clergé atta encore plus loin. Tel fut l'achar-
nement diabolique des prêtres que, la même année, ils
remirent à Jacques une liste contenant les noms de plus de
trois cents membres de l'aristocratie qu'ils accusaient for-
mellement d'hérésie, en ajoutant qu'il fallait les faire
mourir et que le roi agirait sagement en confisquant leurs
kiens (1).
Ils se doutaient peu, ces hommes ardents et vindicatifs,
ils se doutaient peu de l'orage qu'ils provoquaient et qui
allait fondre sur leurs têtes, pour les couvrir de confusion
eux et leur Église ! Non que nous ayons lieu de croire qu'une
conduite plus avisée eût sauvé la théocratie écossaise, au
contraire, selon toute probabilité, le sort du clergé était
irrévocablement fixé, car les causes générales qui régirent le
mouvement tout entier avaient opéré depuis si longtemps,
qu'il ei( été à peine possible à cette heure-là de les prévenir.
Mais, en admettant même comme certain que les jours du
clergé écossais fussent comptés, il est également certain
que sa violence rendit sa chute plus terrible, par cela même
(1) Lindsay de Pitscottie (Chronicles , t. II, pag. 383) dit qu'ils « devysed to pat ane
discord and variance'betaixt the tordis and gentlmen with thair prince,* for they delaited,
and gave Vp to the king in writt, to the number of thrittie seoir of earles, tordis, and
barrones, gentlmen and craftismen, thaï îs, as thei alledgit, wer aH heretickis, and leived
not after the Pope's taris, and ordinance of the holiie kirk; quhilk his grâce souldesteme
as ane capital! etyme, to an y man that did the same. ■ t ail thair tandis, rentes,
gnidis, and geir apperteania proppertie to your grâce, for thair eontempt of onr holiie
father the Pope, and hU lavis, aod high contempt of yonr graee's authoritie. » On trouva
ce document parmi les papiers du roi après sa mort ; il en résultait que des sii cents noms
portés wr cette liste pins de trois cents étaient ceux des principaux seigneurs, t Eam
tàmorem anxerunt codieiili post régis interitnm reperti, e quibus supra trecentorum è
prima nobilitate nomina continebantur. i Buebanan, Rerum Scoticarum Historié,
lib. iv, pag. 424; Sadler, State Papers, 1809, 1. 1, pag. 94; Watson , Hietoricall Collée-
tiens e/' Ecctesiastick Âffairs in Scotland, 46Ô7, pag. 22. Selon Watson, cela « was
called the bloudy scroH. t
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250 HISTOIRE
qu'elle accrut l'effervescence des passious de ses adversaires.
Sans doute, la traînée de poudre était là, sans doute les
ennemis du clergé avaient tout mis en œuvre pour amener
une explosion prochaine ; mais ce fut l'Église elle même
qui approcha la mèche et fit sauter la mine.
En 1542, voyant que l'Église et la royauté voulaient abso-
lument leur ruine, les nobles se décidèrent à tenter au delà
de ce qu'ils avaient jamais fait : ils refusèrent péremptoirement
de faire la guerre à l'Angleterre. Ils n'ignoraient pas que la
guerre où Jacques voulait les entraîner, avait été fomentée
par le clergé, dans le double but de couper court à toute
communication avec les proscrits et d'arrêter à la frontière
les idées hérétiques (1). Résolus de déjouer ces desseins,
ils déclarèrent unanimement, devant l'armée réunie, qu'ils
ne marcheraient pas contre l'Angleterre. Menaces, pro-
messes, tout fut vain. Jacques, piqué jusqu'au vif, se relira,
en donnant Tordre de disperser l'armée. A peine était-il
parti, que le clergé chercha à rallier les troupes et à leur
persuader d'agir contre l'ennemi. Un petit nombre de
barons, honteux de ce qui, à leurs yeux, était une lâche
désertion, paraissaient disposés à avancer. Mais tous les
(1) Durant l'automne de 1542, Jacques c was encouragea by the clergy to engage in a war
against Ring Henry, who both assured him of victory, since he fought against an heretical
prince, and advanced an annuity of 50,000 crowns for prosecuting the war. > Crawfurd,
Hiët. of the Shire of RenfretUj 1782, in-4 # , part, i, pag. 82. Voyez State Papersof
Henry VIII, t. V, pag. 154. Une lettre écrite en 1539 par Norfolk à Cronrwell : t By diverse
oiher vaies I am advertised that the clergie of Scotlande be in such fear that their kiog
shold do theire, as the kinges highnes hath done in this reaime, that they do their best to
bring their master to the warr; and by many vaies 1 am advertised that a great parte of
the temporaltie there "wold their king shold followe our insample, wich I pray God yeve
hym grâce to corne uoto. > Même après la bataille de Solway , il est notoire que le clergé
poursuivit la même politique. » And undoubtedlie, the kyrkemen labor, by ail the meanes
theycan,to empêche the unitie and establishment of thiese two reaimes; uppon what
groundes ye can easelie conjecture. » Lettre de Sadler à Parr, en date à Édinbonrg do
27 mars 1543 (State Papers of Henry VIII, in-4% 4836, t. V, pag. 271.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 25t
autres refusèrent, et, pendant qu'ils restaient dans cet état
de doute et de trouble, les Anglais, les prenant à l'impro-
viste, tombèrent tout à coup au milieu de leurs rangs en
désordre, et après leur avoir fait essuyer une déroute com-
plète, en firent un grand nombre prisonniers. honte! Dix
mille Écossais s'enfuirent devant trois cents cavaliers an-
glais (1) ! On vint apporter cette nouvelle à Jacques au mo-
ment même où il se lamentait sur la désobéissance de ses
barons : c'en était trop pour son orgueil et sa sensibilité.
Ces coups redoublés le firent chanceler, une fièvre lente
ruina ses forces, il tomba dans un long marasme et, après
avoir refusé tous les secours de Part, il mourut au mois de
décembre 1542, laissant une fille en bas âge, Marie; sous
le règne de cette princesse devait se décider pour toujours
la lutte entre l'aristocratie et l'Église (2).
La mort de Jacques V accrut l'influence des nobles : mais
ce qui contribua encore plus à la raffermir, ce fut le dis-
crédit qui s'attacha au clergé pour avoir poussé à une guerre
qui avait abouti à de si honteux résultats (3). Les exilés
vinrent bientôt renforcer les seigneurs : dès qu'ils apprirent
la bonne nouvelle, ils se préparèrent à quitter TAngle-
(1) c Ten thousand Scottish troops fled at the sight of three hundred English cavalry,
with scarce a moment ary résistance. > Tytler, Hist. of Scotland, t. IV, pag. 264.
(2) On trouvera le meilleur récit de tous ces événements dans Tytler, Hist. ofScotland,
t. IV, pag. 260-267. J'ai consulté également Ridpath, Border History , pag. 372, 373;
Hollinshead, Scottish Chronicle, t. II, pag. 207-209; Lesley, History, pag. 163-166;
Lindsay de Pitscottie, Chronicles, t. II, pag. 399 406; Calderwood, Hist. of the Kirk of
Scotland, t. I, pag. 145452; Buchanan, Rerum Scoticarum Historia, lib. xiv,
pag. 420, 421.
(3) t This defeat being so very dishonourable, especially to the clergy, who stirred up
the king to that atlempt, and promised him great success from it ; and there being such a
visible évidence of the anger of Cod, fighting by his providence against them, ail men were
struck with fear and astonishment ; the bishops were ashamed to «how their faces for a
time. » Stevenson, Hist. ofthe Church ofScotland. Édinb., 1840, pag. 30.
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Ut HISTOIRE
terre (1). Dans les premiers jours de 1543, Angus et Douglas
reprirent le chemin de l'Ecosse (2), suivis bientôt d'autres
Bobles dont la plupart professaient le protestantisme, quoique
à vrai dire, comme la suite le prouva, ce protestantisme
trouvât sa raison d'être dans le désir ardent de piller et de
se venger. Aux termes du testament de Jacques, le cardinal
Beaton était désigné comme devant servir de tuteur à la
reine et administrer le royaume (3). Homme sans principes,
mais doué de hautes capacités, Beaton était respecté, en
qualité de chef de l'Église nationale, car il était archevêque
de Saint-Andrews et primat d'Ecosse. Cependant, les nobles
l'arrêtant sur-le-champ (4), Le dépouillèrent de la régence
(1) Nous pou? on s en croire facilement nn ancien chroniqueur lorsqu'il nous dit : * The
nobilitie did not greatiie take his death grievouslie, becaus* he had fined manie, impri»
soned more, and caused no small few (for avoiding his displeasure) lo Aie into England,
and ratber to commit themselves to the enemie than to his anger. • Hollinshead, Scotttià
Chronicle, t. II, pag. 210.
(2) Hume, hist. ofthe house of Douglas, t. II, pag. iii.
(3) On a souvent dit que ce testament était fictif, mais je ne puis trouver aucune preuve
qui justifie cette assertion, si ce n'est la déclaration d'Arran (Sadler, State Papers, 1. 1,
pag. 138) et le témoignage, — si Ton peut appeler cela un témoignage, — des historiens
écossais qui ne se vantent pas d'avoir examiné l'écriture et qui, en leur qualité de protestants,
s'imaginent que par cela même qu'un homme est cardinal il est capable de tous les crimes.
Il n'y a pas de doute que Beaton était un personnage dénué de tous principes, et que par
conséquent il était capable de commettre ce faux. Mais enfin nous n'avons aucune preute»
et le testament répond bien au caractère du roi ; il est tel qu'on pouvait s'y attendre. Quant
à Arran, son assertion ne mérite pas qu'on s'y arrête; très peu scrupuleux lui-même, il
reprit les fonctions dont on avait dépouillé Beaton, sous le prétexte que le testament était
l'œuvre d'un faussaire. Si des circonstances de cette nature ne rendent pas un témoin
inhabile à déposer, alors quelques-uns des principes les mieux établis sont faux. Le lecteur
qui désirerait pénétrer plus avant dans ce sujet peut consulter parmi les auteurs qui sou-
tiennent que le testament est fictif: Buchanan , Rerum Scoticarum Historia, liv. xv,
pag. 422; Knox, Hist. ofthe Reformation, t. I, pâg. 91, 92; Irving, Hist. of Dumbar-
tonshire, pag. 102, et parmi ceux qui soutiennent que le testament est véritable : Lyon,
Hist. ofSt.-'Andrews, 1. 1, pag. 304, 305. D'autres écrivains laissent cette question dans le
doute : Tytler, Hist. ofScotland, t. IV, pag. 274; Lawson, Roman Church in Scotland,
pag. 99 ; Keith, Càurch, and State in Scotlandj 1. 1, pag. 63.
(4) Le 26 janvier 1542-43, « the said cardinal! was put in pressoune in Dalkeith. • A Diur-
nal of Occurrentêj pag. 26. Voyez également, au sujet de son emprisonnement, une lettre
écrite le 16 mars par Angus et Douglas, State Papcrs of Henry VIII, t. V, pag. 263. îl était
alors en « firmance. »
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 253
pour en revêtir Je comte d'Arran qui affichait alors un
grand zèle pour le protestantisme; mais il renia plus tard
ses opinions quand l'occasion favorable se présenta. Parmi
les partisans de la nouvelle secte, les plus puissants étaient
le comte d'Àngus et les Douglas (1). Une prescription
de quinze années purgeait leur condamnation ; on rappela
l'acte de proscription porté contre eux, et leurs biens et leurs
honneurs leur furent restitués (2). Il était évident que l'aris-
tocratie avait repris à l'Église non seulement le pouvoir exé-
cutif, mais aussi le pouvoir législatif, et elle les mettait tous
deux largement en œuvre. Lord Maxwell, l'un des seigneurs
les plus actifs, avait, à l'exemple de la plupart d'entre eux,
embrassé les principes de la réforme en haine de la théo-
cratie (3). Au printemps de 1543, il obtint du comte d'Arran,
gouverneur de l'Ecosse, la permission de présenter une pro-
(i) Le 12 mars, le parlement confirma sa nomination. Acls ofthe Parliaments of Scoù-
land* t. Il, pag. 411 : « Tuto r lau'full to the queuis grâce and gouoour of ibis reaime. > Il
e*clnt le clergé du pouvoir. Le 90 mars de la même année» sir Ralph Sadler écrit à Henri VIII .-
• Sir George Douglas brooght me into tbe Council Chamber, were I found a great nnmber
of noblemen and others at a long board, and divers standing, bat not one bis hop nor
priest among them. At the apper end of the board sat tbe governour. • Sadler, State
Papersy 1. 1, pag. 78.
(2) Acte of the Parlidments of Scotlandj t. II, pag. 415, 419, 434, et Tytter, Hist. of
ScoUand, t. IV, pag. 285.
(3) c Had become a convert to its doctrines. • Tytler, Hist. ofScotland, t. IV, pag. 28t>.
Mais, comme tons les antres nobles, il ne connaissait presque rien au sujet de ces doctrines
et s'eM souciait encore moins, et de plus il était très vénal. Sir Ralph Sadler écrit à
Henri VIII à la date de 1543 (avril) : c And the lord Maxwell told me apart, j lhat, indeed, ne
lacked sil ver, and had no vray of relief but to your majesty ; • whicb he prayed me to signify
into the same. I asked him wnat woold relieve him? and he said, 300 liv.; « for tbe whicb, »
lie sàid, t aa your majesty seemed, when he vras with your grâce, to bave him in more trust
and crédit than the rest of your majesly's prisoner's, so he trusted to do you as good service
as any of them; and amongst them they will do you such service, as, if the war succeed, ye sball
make an easy conqnest of this realm ; as for his part he shall deliver into your handê,
#t the entry ofyemr army, the keye of the same on the west marches, being ail the
êtrongholds there in his custody. ■ 1 offered him présent ly to write to my lord of Soffolk
fer 100 liv. for him, if hewonld; but be said, tbe wonld stay till he heard again from your
majesty in that behalf. > Sadler, State Papers, 1. 1, pag. 165.
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25 é HISTOIRE
position aux Lors ofthe articles, chargés d'examiner les pro-
jets de loi qui devaient être soumis au parlement. Le but de
cette proposition était de permettre au peuple de lire la Bible
traduite en écossais ou en anglais. Le clergé dirigea toutes
ses forces contre une mesure qu'il considérait, non sans
raison, comme très funeste à sa religion, puisque ce n'était
rien de moins que concéder un principe fondamental du pro-
testantisme. Vains efforts! Le flot montait, montait tou-
jours, impossible de le refouler. Les Lords of the articles
adoptèrent la proposition qui, avec leur autorisation, fut
présentée au parlement et volée. Le gouvernement y donna
son assentiment, et, au milieu des lamentations de l'Église,
on proclama la nouvelle loi, avec toutes formalités néces-
saires, sur la grande place d'Edimbourg (1).
A peine les nobles avaient-ils regagné le pouvoir que la
discorde se glissa dans leur camp. Résolus à piller l'Église,
ils ne pouvaient s'entendre sur le partage futur des dépouilles.
Us n'étaient pas non plus d'accord sur le mode de procéder:
les uns voulaient un schisme hautement déclaré et immé-
diat, les autres désiraient qu'on avançât avec prudence, qu'on
temporisât avec leurs adversaires, afin d'arriver peu à
peu à affaiblir la classe ecclésiastique. Le parti le plus actif
et le plus zélé était connu sous le nom de parli anglais (2),
à cause des relations intimes de ses membres avec Henri VIII,
dont plusieurs recevaient de l'argent. Mais, en 1544, la
(1) Acts ofthe Parliaments of Scotland, t. II, pag. 4i5, 425; Sadler, State Papers,
t. I, pag. 83. Knox, dans son Hist. of the Reformation, t. 1, pag. 100, dit avec assez de
iioesse : c The clergy hearts long répugned ; tmtt in the end, cooricted by reassonis, and
by mukitud of votes in thare contrare, thei also condiscended ; aod also, by act of Par-
liament it vas maid free to ail man and woman to reid the scriptures in thair awin tonng,
or io the Engliss toung; and so war ail actes maid in the contrair abolished. ■
(2) On, ainsi que Keith les dénomma, «English Lords. ■ Hist. ofthe Affaira ofChurch
and state in ScoUand., 1. 1, pag. 60
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 255
guerre éclata entre l'Angleterre et l'Ecosse; et le clergé,
ayant à sa tête l'archevêque Beaton, réussit tellement à sou-
lever le vieux levain de la haine nationale contre les Anglais,
que les nobles furent un instant forcés de plier sous l'orage
et de réclamer l'alliance de la France. Pendant quelques
mois, on eût dit que l'Église et l'aristocratie, oubliant leur
ancienne inimitié invétérée, étaient sur le point de faire
cause commune (1) .
Cependant, ce ne fut là qu'une illusion passagère. La
haine entre les deux ordres était implacable (2). Durant le
printemps de 1545, les principaux seigneurs protestants for-
mèrent le projet d'assassiner l'archevêque Beaton (3), qu'ils
(4) En mai 4544, les Anglais attaquèrent l'Ecosse (Tytler, History, t. IV, pag. 316), et le
même mois te « Anglo-Scottish party > ne comprenait que les comtes de Lennox et de Glen-
cairn, puisque même c Angus, George Donglas, and their nu mérous and powerful adhérents,
joined the cardinal. » Pag. 319. Quant au rôle que joua le clergé, voyez dans Sadler {State
Papers, 1. 1, pag. 173) une lettre adressée à Henri VIII, en date du 1" mai 1543 : t And as
to the kirk-men, I assure your majesty they seek the war by ail the means they can, and
do daily entertain the noblemen with money and rewards to sustain the wars, rather than
there should be any agreement with your majesty; thinking, verily, that if peace and
unity succeed, that they shall be reformed, and lose their glory, which they had rather die,
and put ail this realm in hazard, lhan they would forego. » Voyez aussi pag. 484, note.
(2) Buchanan rapporte une très curieuse conversation entre le régent et Douglas, et,
comme je ne sache pas qu'elle se trouve dans un autre ouvrage, je vais la citer. Bien que la
date ne soit pas indiquée, il appert évidemment du texte qu'elle eut lieu en 4544 ou 4545.
t Ibi cum Prorex suam deploraret solitudinem , et se a nobilitate derelictum quereretur ,
Duglassius ostendit c id ipsius cnlpa fieri, non nobilium, qui et fortunas omnes et vitam
ad pnblicam salutem tuendam conferrent, quorum consilio contempto ad sacrificulorum
nutum circumageretur, qui foris imbelles, domi seditiosi, omniumque periculorum expertes
alieni laboris fructu ad suas voluptates abuterentur. Ex hoc fonte inter te et proceres facta
est suspicio, quae (quôd neutri alteris fidatis) rébus gerendis maxime est impedimento. »
Herum Scoticarum Bistoria, lib. xv, pag. 435. Buchanan était alors âgé de trente-huit
ans ; il est très probable qu'une conversation du genre de celle qu'il rapporte eut jieu,
quoique l'historien ait pu y ajouter quelques coups de pinceau. Quoi qu'il en soit, c'était
un trop grand rhéteur pour aller inventer des faits auxquels ses contemporains n'auraient
pas ajouté foi ou qui leur eussent paru improbables ; de telle sorte que, à ces deux points
de vue, le passage est un précieux témoignage de l'inimitié invétérée que la noblesse portait
à l'Église.
(3) Tytler, Hist. ofScotland, t. IV, pag. 337 : « The plot is entirely unknown either to
our Scottish or English historians : and now, after the lapse of nearly three centuries, has
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256 HISTOIRE
haïssaient plus que tout autre, d'abord parce qu'il était le
chef de l'Église, et ensuite parce que c'était le plus capable
et le moins scrupuleux de tous leurs adversaires. Néan-
moins, un an se passa avant qu'ils pussent mettre fenr
dessein à exécution ; et ce ne fut qu'au mois de mai 4546
qu'un jeune baron, Lesley, accompagné du laird de Grange
et de quelques autres, fit irruption dans Saint-Andrews et
massacra le primat dans son château (1).
On peut aisément s'imaginer l'horreur de l'Église, à la
nouvelle de cet acte lâche et barbare (2). Mais, sans s'arrê-
ter aux récriminations du clergé, et fort de l'appui d'un puis-
sant parti, les conspirateurs justifièrent cet assassinat, s em-
parèrent du château de Saint-Andrews et se préparèrent à le
défendre jusqu'à la dernière extrémité. A ce moment, ils
been discovered in the secret correspondence of ihe State-paper Office. » Ce fut an mois
d'avril 1544 que ce complot se forma. Voyei State Paper* of Henry VJI1, t. V, pag. 377, et
la fin de la préface du t. IV. Mais Tytler et l'éditeur des State Paper» semblent avoir
négligé Passertion contenue dans Sadler (Papers) au sujet de ce crime, et qui indiquerait
qu'avant cette époque même il en avait été question. Voyez dan* cette collection (t. I,
pag. 77) une conversation, à la date de mars 1543, entre sir Ralph Sadler et le conte
d'Arrao, Sadler étant présenté par le comte de Glencairn. Dans cette circonstance le comte
d'Arran se servit, en parlant de Beaton, d'une expression dont sir Ralph comprit évidem-
ment la signification : c By God, » quoth ne, « ne shalt never corne ont of prison whitst I may
hâve mine owû will, except it be to his farther mischtef I aïlowed the same vrell and saM. •
It were pity, but he should receive such reward as his merits did require. »
(1) State Papers of Henry VIII, t. V, pag. 566; A Diurnal of Oceurrents, pag. 42;
Caldtrwood, Hist. of the Kirk of Scotland, t. I, pag. 321-313. Lindsay de Pitscottie
(Chronicles, t. Il, pag. 484) rapporte au sujet de ce meurtre un incident qui est trop hor-
rible pour que je le cite; il suffira de dire qu'on commit un outrage obscène sur le cadavre
de la victime. Bien qu'on ne puisse aujourd'hui raconter en détail des faits de cette
nature, ils caractérisent tellement cette époque, qu'on ne dort pas les passer entièrement
sous silence.
(2) A ce sujet, voici ce que disent deux historiens protestants : * God admonishedraen, by
this judgment, that he vrill in end be avenged upon tyran d s for their craettie, howsoevev
they strenthen themselves. » Calderweod, Hist. of the Kirk of Scotland, 1. 1* pag. 23k
t And whoever considers the circumstances, must acknowledge it vas a s ta pendons aet of
the judgment of the Lord, and that the *hole was overruled and guided by Divine Prori-
dence. » Stevenson, Hist. ofthe Church and State ofScotland, pag. 3».
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 257
trouvèrent un défenseur de la révolution dans la personne
d'un homme très remarquable qui parut alors pour la pre-
mière fois en public et qui, étant admirablement approprié
à son siècle, était destiné à jouer le plus grand rôle dans ces
temps de trouble.
Cet homme était John Knox. Dire qu'il était sans peur et
incorruptible, qu'il défendit avec un zèle infatigable, ce qui,
à ses yeux, était la vérité et qu'il se consacra avec une
énergie qui ne se ralentit jamais à ce qu'il regardait comme
le plus noble objet; certes, ce n'est qoe rendre stricte jus-
tice aux nombreuses et hautes qualités dont il était doué.
Mais, d'un autre côté, il était dur, inflexible, parfois
brutal : non content de rester insensible devant la souffrance
humaine, il lui arrivait de la tourner en raillerie, et de la
poursuivre de ses sarcasmes grossiers, produits d'une hu-
mour excessive (1) ; enfin il aima la domination à un tel
point, qu'impatient devant la moindre opposition, il broyait
tous ceux qui entravaient son chemin ou contrariaient, ne
fût-ce que pour un instant, les desseins qu'il formait pour
l'avenir.
Des historiens, qui ne sont que trop portés à attribuer de
vastes résultats aux efforts individuels, tout en perdant de
vue ces grandes causes générales sans lesquelles toute tenta-
tive individuelle serait futile, ces historiens, dis-je, ont exa-
géré à plaisir la part d'influence que Knox prit au dévelop-
pement du protestantisme. Cependant, il fit à lui seul plus
que tout autre homme (2), quoique, en ce qui touche à
(1) Nous lisons même dans M'Crîe, Life of Knox, pag. xxxv : c The ill-timed merrimeat
ne displays in retating the foui deed of Beaton's mnrder. »
(2) Quelque temps avant sa mort il s'écria avec un honnête et justifiable orgneil : « What
I hâve bene to nry couotrie, albeit, this vnthankfall aige will not kno'we, yet the aiges to
corne wilbe compelled to bear witnes to the trenth. > Baonatyoe, Journal, pag. 419. Ban-
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258 HISTOIRE
l'Ecosse, il ne jouât un rôle véritablement important qu'à
partir de 1559, c'est à dire lorsque le triomphe du protes-
tantisme était déjà assuré : il n'eut donc qu'à recueillir le
bénéfice du mouvement qui s'était opéré durant sa longue
absence. Sa première tentative fut une complète échauffourée;
et de tous ses actes, c'est celui qui a fait le plus de tort à sa
.réputation; je veux dire son alliance avec les assassins de
l'archevêque Beaton, en 1546; il se rendit au château de
Saint-Andrews, s'y renferma avec les meurtriers, prêt à par-
tager leur sort, et, dans un ouvrage qu'il publia par la suite,
il justifia hautement ce lâche méfait (1). Rien ne saurait ex-
cuser cette conduite, et c'est avec un certain sentiment de
juste satisfaction que nous apprenons que les Français
s'élant emparés du château, en 1547, Knox fut traité avec
une grande sévérité et condamné aux galères, d'où il ne
sortit qu'en 1549(2).
Pendant les cinq années suivantes, Knox séjourna en An-
gleterre : en 1554, il quitta ce dernier pays pour se rendre
à Dieppe (3) ; puis il voyagea à l'étranger. II ne revint en
natyne était le secrétaire de Knox. 11 est à regretter qu'on n'ait pas encore publié une
biographie bien faite de Knox. Celle de M' G rie est un panégyrique avengle et peu judicieux
qui , en provoquant une réaction dans l'opinion , a fait du tort à la réputation du grand
réformateur. D'un autre côté, la secte des Ejriscopalians en Ecosse ne veut absolument
rien voir de la véritable grandeur de Knox; elle est incapable de discerner son intense
amour pour la vérité et la noble hardiesse de son caractère.
(1) Tytler, Hist. of Scotland., t. IV, pag. 374, 375; ITCrie, Life ofKnox, pag. 27,28;
Lawson, Roman Catfiolic Church in Scotland, pag. 154; Presbytery displayed,
pag. 28; Shield, Hind let Loose (1687), pag. 14, 39, 638. Dans son Hist. of Reformation,
1. 1, pag. 177, 180, il décore cet assassinat du titre de • godly fact, > et ajoute : • Thèse ar
the workis of our God, ■ ce qui, en bon anglais, équivaut à dire que Dieu est un assassin.
Toutefois, bien que tous ces faits réunis soient assez tristes, je conviens avec M'Oie qu'il
n'j a pas de preuve digne de foi qui puisse nous faire supposer qu'il fût complice de ces
meurtriers; il n'en sera pas moins convenable de consulter il Diurnal of Occurrents,
pag. 42, et Lyon, Hist. of St.-Andretos , t. II, pag. 364.
(2) M'Crie, Life ofKnox, pag. 38, 43, 350; Argyll, Presbytery Examined, pag. 19.
(3) M'Crie, Life ofKnox, pag. 44-71.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 259
Ecosse que dans l'automne de 1555; tous les principaux no-
bles et leurs partisans l'accueillirent avec enthousiasme (1).
Cependant, pour des motifs qu'on n'a pas suffisamment
éclairés, j'imagine, par suite de sa répugnance, à jouer un
rôle secondaire au milieu de ces hautains seigneurs, il quitta
de nouveau l'Ecosse en 1556, et alla se fixer à Genève, où
on l'avait invité à diriger une congrégation en qualité de
pasteur (2). II resta à l'étranger jusqu'en 1559, époque à la-
quelle la lutte était presque terminée, tellement les nobles
avaient réussi à saper les fondements de l'Église.
Les événements qui avaient longtemps couvé se précipi-
taient alors rapidement. En 1554, la reine-mère avait repris
la régence des mains d'Arran (5) : c'était Marie de Guise
dont nous avons indiqué le mariage avec Jacques V, comme
étant l'un des signes caractéristiques de la politique alors
dominante. Laissée à elle-même, la régente eût probable-
ment fait peu de mal (4) ; mais sa famille était là qui, puis-
ci) M'Crie, Life ofKnox, pag. 99. Quant aux nobles qui lai firent accueil et suivirent ses
prêches, voyez pag. 102.
(2) t Influenced by motives which hâve never been fully comprehended , he departed
to Geneva, where, for a time, he became Pastor of a Protestant congrégation. » Russell,
Hist. ofthe Church ofScotland, 1. 1, pag. 193. M'Crie, qui ne voit aucune difficulté, dit
simplement : « In the month of July 1566, he left Scotland and, having arrived at Dieppe
he proceeded with his family to Geneva. > Life ofKnox, pag. 107.
(3) Kqoi, dans son langage épicé, dit en parlant delà régente, que lui confier ce poste
c'est mettre une lettre sur le dos d'une vache : c She maid Régent in the year of God 1354.
and a croune putt upone hir head, als seimlyea sight (yf men had eis) as to putt a sadill
upone the back of ane unrewly kow. » J'extrais ce passage de l'excellente édition de
M. Laing (Knox,ift*«. ofthe Heformation, 1. 1, pag. 242). Cependant dans "Watson, His-
toricall Collections of the Ecclesiastick Affairs, pag. 73, nous trouvons une légère
différence : • As seemly a sight, • saith John Knox in the new Gospel language, • as to put
the saddle upon the back of an unruly Sow. •
(4) Le duc d'Argyll, dans son Presbytery Examined, pag. 9, l'appelle • ambitions and
intriguing. > Cependant non seulement Lesley lui donne des éloges, ce à quoi l'on pouvait
s'attendre (History, pag. 289, 290), mais Buchanan lui-même lui rend justice; nous trou-
vons ce passage plein d'une gracieuseté qui n'est pas habituelle chez un auteur aussi pro-
testant et démocratique : t Mors ejus varie mentes hominum affecit. Nam et apud quosdam
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260 i HISTOIRE
sa ote ot fanatique, la pressait d'extirper l'hérésie, et du
même eoup d'abaisser la noblesse. D'après le conseil de ses
frères, Je duc de Guise et le cardinal de Lorraine, elle pro-
posa, en 1555, de remplacer les troupes, composées des ba-
rons et de leurs suivants, par une armée permanente. Or
•une telle force, salariée par l'État, n'eût été qu'un aveugle
instrument entre les mains de la royauté : mais les nobles,
pénétrant ces desseins, forcèrent Marie d'y renoncer : nous
et nos vassaux, dirent-ils, nous suffisons à défendre
l'Ecosse : qu'est il besoin d'une armée (1)? Sa seconde tenta-
tive fut de raffermir les intérêts du parti catholique, ce
qu'elle effectua en 1556 par le mariage de sa fille avec te
Dauphin. Cette alliance mit le comble au pouvoir des
Guises (2), dont la nièce, déjà reine d'Ecosse, deviendrait,
dans l'ordre naturel des choses, reine de France. Il n'y eut
pas de mesure extrême qu'ils ne conseillassent à leur sœur,
en lui promettant le concours des troupes françaises. De leur
côté, les seigneurs ne fléchirent point, et se préparèrent à
la lutte. En décembre 1557, un certain nombre d'entre eux
s'étaient engagés par une convention écrite à se soutenir
mutuellement pour résister à la tyrannie qui les mena-
eoram, qnibuscum armis contenait, non médiocre soi destderiom reliquit. Erat enim sin-
.galari ingenio praedita, et animo ad seqnitalem admodum pro pensa. » Bachanan, iteriM»
Scoticawwi Uistoria, lib.xvj, pag. 487.
(i) H\8U ofScotlandj Ht. n, pag. 91 (Robertsop, Works, 483i; Tytler, History, t. V,
pag. 22,53). Il semblerait, d'après ce qne nons dit Lesley (£f «tory, .pag. 254,â36),
que certains seigneurs favorisèrent ce projet .dans l'espoir de s'attirer las bannes grâces
de la reine. < Albeit som of the tordis of the nobilitie for pleasonr of the gnose seamad
to aggre thairto for the tyme, yit the barronis and gentill men vas natiag content
thairwith. * « Affirming tbat thair foirfatberis and predioessonris had défendit
the samyn (c'est à dire le royaume ) mony hundreth yerïs, railyeantlie with thair arwia
haedis. >
(2) • It completed the almost deepotic power of the honse of fioise. • Tytler, Hist. of
Scotlandj t. V, pag. 27.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 261
çait (1). Après avoir pris le titre de Lords ofthe congréga-
tion, ils dépêchèrent de tous cotés leurs agents pour re-
cueillir les signatures ou l'assentiment verbal de tous les
citoyens qui désiraient la réforme religieuse (2). Ils écrivi-
rent en outre à Knox : ses prêches étant goûtés du peuple,
seraient, pensaient-ils, un brandon de rébellion (3). Knox se
trouvait alors à Genève; il ne se rendit à leur appel qu'au
mois de mai 1559 (4) : mais, à cette heure, le résultat de la
lutte pendante était à peine douteux ; les nobles avaient en-
tièrement réussi à renforcer le parti et avaient toute raison
de compter sur l'appui d'Elisabeth.
Neuf jours après le retour de Knox, le premier coup fut
frappé. Le 11 mai 1559, il prêcha à Pesth. Après le sermon,
des troubles surgirent, le peuple pilla les églises et renversa
les monastères (5). La reine-mère, rassemblant ses troupes
en toute bâte, marcha sur la ville. Mais les seigneurs étaient
(1) Cette convention» qui fait époque dans l'histoire d'Ecosse, porte la date dn 3 décem-
bre 1557. Elle est citée dans Stevenson, Hist. of the Church ofScotland, pag. 47 ; Calder-
wood, Hist. of the Kirk, t. I, pag. 326, 327; Knox, Hist. of the Re formation , 1. 1,
pag. 273, 274.
(2) En 1558, « the lords ofthe congrégation had sent agents throngh the kingdom to solicit
the souscriptions of those who were friendly to a reformation. > Stephen, Hist. of the
Church ofScotland. Lond., 1848, 1. 1, pag. 5a
(3) Keith (Affairs of Church and State in Scotland, t. III, pag. 82) lui donne le titre
de c a trompeter of rébellion, » qu'il mérite à coup sûr (soit dit à sa gloire), quoique
i*é?éque, entiché de l'esprit de la cour, le lui impute à faute. Sans leurs dispositions
rebelles, les Écossais eussent depuis longtemps perdu leur liberté.
(4) t He sailed from Dieppe on the 12d of April 1559, and landed safely at Leith in the
begiiroing of May. ■ M'Crie, Life of Knox, pag. 139. Knox dit lui-même c the secound of
Maij. > Hist. ofthe Reformation, édit. Laing, 1. 1, pag. 318. cHe vas called home by the
noblemen that enterprised the Reformation. > Spottiswoode, Hist. ofthe Church ofScot-
land, édit. Russell, 1. 11, pag. 180.
<5) Penny, Traditions of Perth, pag. 310; Knox, Hist. of the Re formation, l.l,
pag. 321-323; Lyon, Hist. of St.- Andrews, 1. 1, pag. 329; Buchanan, Rerum Scoticarum
Historia, lib. xvi, pag. 471, 472. On trouvera aussi des faits intéressants dans Lesley,
History, pag. 271, 272. Mais, quoique cet auteur vécût à cette époque, il fait dater par erreur
l'émeute de 1558. En outre, il prête a Knox un langage beaucoup plus ardent que celui dont
il se servit réellement,
T. IV. 17
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262 HISTOIRE
sur leurs gardes. Le comte de Glencairn, à la tête de deux
mille cinq cents hommes, vint se joindre à la ligne , et un
traité fut conclu par lequel les deux partis convinrent de
mettre bas les armes, à la condition que nul ne serait puni
pour ce qui s'était passé (1). Mais, dans l'état des esprits, la
paix était impossible. Au bout de quelques jours, la guerre
éclata de nouveau, pour aboutir cette fois à un résultat plus
décisif. La ligue disposait alors de forces nombreuses.
Perth, Stirling et Linglithgow ouvrirent leurs portes aux
seigneurs. La reine-mère battit en retraite, évacua Edim-
bourg, et le 29 juin ils entrèrent en triomphe dans la capi-
tale (2).
Tout cela s'était accompli en sept semaines, à dater de
l'émeute qui avait éclaté à Perth. Dans les deux camps, on
était alors tout disposé à entrer en négociations dans le but
de gagner du temps , la reine-mère, comptant sur l'aide de
la France, lés seigneurs sur celle de l'Angleterre (3). Cepen-
dant Elisabeth ne montrant pas grand empressement, les
protestants résolurent de frapper un coup décisif avant l'ar-
rivée des renforts. En octobre, les principaux pairs, ayant
à leur tête le duc de Chastelherault, le comte d'Àrran, le
(1) Tytler, Hist. ofScotland, t. V, pag. 59, 62, 63. An sujet du comte de Glencairn,
'chalmers (Catedonia, t. III, pag. 485) dit que c'était un < religions* ruffian, who enjoyed
pensions from Henry VIII, for injuring his country of birth, and benefits. • Outre que la
phrase est peu grammaticale, rien n'est plus absurde. Sans nul doute Glencairn, comme
tous les fauteurs aristocratiques de la réforme, fut poussé par des motifs rien moins que
nobles; mais, loin de nuire à son pays, il lui rendit un grand service.
(2) Tytler, Hist. ofScotland, t. V, pag. 64-73.
(3) Nous lisons au sujet de la reine-mère (juillet 1559) : < Shee had sent alreadie lo
France for more men of warr. » Consultez le curieux pamphlet intitulé : cd History ofthe
Estate of Scotland, from July 1558 to April 1560; » Miscellany ofthe Wodrow Society.
Edimb., 1844, pag. 63. Toutes sortes de rumeurs circulaient ; une lettre, en date du 12 octo-
bre 1559, porte : « Somme thinke the régent will départe secretlie. Summe that she will to
Ynchkelth , for that three shippes are a preparing. Summe saye that she is verie sicke.
Somme saye the devill cannot kill her. • Sadler, State Paper s > 1. 1, pag. 499.
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I
DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 265
comte d'Argyle et le comte de Glencairn, s'assemblèrent à
Edimbourg. A la suite d'un meeting général, présidé par lord
Ruthven, on prononça solennellement la déchéance de la
reine-mère, « l'ennemie, » déclara-t-on, « l'ennemie de la
gloire de Dieu, de la liberté du royaume et de la prospérité
des nobles (1). »
L'hiver suivant, la flotte anglaise entra dans le Frith et
alla jeter l'ancre près d'Edimbourg (2). En janvier 1560, le
duc de Norfolk, s'étant rendu à Berwick, conclut, au nom
d'Elisabeth, un traité avec les chefs de la ligue, en vertu du-
quel l'armée anglaise traversa la frontière le 2 avril (3). Ces
événements paralysèrent l'action du gouvernement qui fut
(i) Tytler, tftrt ofScotland, t. V, pag. 104. Ceci se passa le 2 octobre 1559. Consulter
Sadler, State Papers, 1. 1, pag. 512. c This Mondaye, tbe 22 of October, was tbe douagier
deprived from her authoritie by commen consent of ail lords and barons hère présent. »
A cette occasion, c Johne Willocke, » le prêcheur, prononça nn discours en faveur de la
déchéance. Entre autres arguments il dit : « Tbat in deposing of princes, and thèse that
hâve been in authoritie, God did not alwayes use his immédiat power, but sometimes he
used other meanes, which his wisdome thought good, and justice approved. As by À3a, He
removed Maacha, his owne mother, from honour and authoritie, which before she had
used; by Jehu Hedestroyed Joram, and the whole posteritie of Achab. • Therefore « he >
(l'orateur) could see no reasoun why they, the borne counsellers, the nobilitie and barons
of the reaime, might not justlie deprive her from ail régiment. » Calderwood, Hist. of the
Kirk, 1. 1, pag. 540, 541, et Knox, Hist. ofthe Reformation, 1. 1, pag. 442, 443.
(2) Le Diurnal of Occurrents, pag. 55, 272, dit que la flotte arriva le 24 janvier
1559-60 : « Aucht greit schippis of Ingland in the raid of Leith. » Nous lisons dans une
lettre ( Stadler, State Papers, 1. 1, pag. 697) en date du 23 janvier : c The shippes arrived "
yesterdaye in the Frythe to the nomber of IX or X, as yet, and the rémanent followith. >
Par conséquent la date qui est donnée dans une note de Keith, Church and State in Scot-
land, 1. 1, pag. 255 ( 10 janvier), est évidemment erronée. Malgré toute l'importance de cet
événement, ni Tytler (Hist. ofScotland, t. V, pag. 114, 115) ni Chalmers (Caledonia,
t. Il, pag. 631 ) n'en donnent la date exacte.
(3) Chalmers, Caledonia, t. Il, pag. 632; Knox, Hist. ofthe Reformations t. II, pag. 57.
Le traité de Berwick, signé en février, est cité dans Keith, Church and State in Scotland,
1. 1, pag. 258-262. L'influence de la noblesse était si grande, que les troupes anglaises furent
parfaitement accueillies par le peuple, malgré l'ancienne et cruelle animosité qui existait
entre les deux nations. «Especially in Fyfe they were thanfully receaved,andwell entreated,
with such quietnes and gentle enter tainement betvrixt our nation and them , as no man
would hâve thought that ever there had beine any variance. » A Historié ofthe Estate of
Scotland, from 1558 to 1560 (MisceUanyjif the Wodrow Society, pag. 78).
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2«i HISTOIRE
enchanté de signer la paix en juillet, aux conditions sui-
vantes : évacuation de l'Ecosse par les Français ; attribution
virtuelle aux seigneurs protestants de toutes les hautes
charges administratives (1).
Le triomphe suprême de cette grande révolution et la
rapidité avec laquelle elle s'accomplit sont par eux-mêmes le
preuve décisive de la force des causes générales qui gouvernè-
rent ce mouvement tout entier. Depuis plus de cent cinquante
ans, une lutte acharnée avait subsisté entre la noblesse et k
clergé, et elle venait d'aboutir à rétablissement de la réforme
et à la victoire des classes aristocratiques : celles-ci avaient
enfin atteint leur but. Des hommes nouveaux avaient pris I?
place de la théocratie vaincue. Avec elle avaient disparu les
idées antiques de la succession apostolique, de l'imposition
des mains et du droit divin d'ordination : tout cela rentra dans
les limbes du passé. Le service divin fut célébré par des héré-
tiques dont la plupart n'avaient pas même été consacrés (2).
Enfin pour couronner le tout, la même année (1560) le parle-
ment écossais vota deux lois qui détruisirent de fond en comble
l'ancien système': aux termes de l'une d'elle, tout statut qui
(1) • Vpoun the VI day of Juuj, it wes concludil and finallie endit betnix Ihe saids ambas-
satouris, tuitching ail debaittis, contraversies and materis concernyng the asseiging of
Leith, depairting of the Frenchemen thairfra, and randering of the same ; and the said peaz
daitit this said day. * A Diurnal of OccurrenU* pag. 277, 278. Voyez également pag. 60,
ainsi que Keith, Affairs of Church and State in Scolland, 1. 1, pag. 295.
(2) c That Knoi himself vas in priest's orders, is a fact which his biographes the la te
Or. M'Crie, has placed beyond dispute; and some of the others leaders were also priests;
bnt the greater number of the preacbers,and ail those who subsequently became ministers,
vere totally without any orders whatever, not even such as the superintendants could hare
given them . for their own supposed call, the élection of the people, and the civil ceremony
of induction to the living, was ail that was then «judged necessàry. » Stepben, /ftrt. ofthe
Church ofScotland, 1848, 1. 1, pag. 145, 146. • A new-fashioned sort of ministry, unknow
in the Christian Chnrch for ail preceding générations. • Keith, Church and State in
Scotland, t. III, pag. 204. Consulte* Argyll, Presbytery Examined, pag. 34-36.
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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. > 965
atait été rendu en faveur de l'Église était rappelé (1) ; l'autre
portait que quiconque dirait la messe ou y assisterait serait
puni, h première fois de la confiscation de ses biens, la se-%
conde de l'exil, et la troisième de mort (2).
Ainsi fut brisée, ainsi tomba en pièces une institution
qui avait soutenu le choc de plus de mille années. On
augura bien de sa chute. Il en résulterait de grandes choses,
disait-on, le peuple serait éclairé, déjà ses yeux se dessil-
laient, le règne de la superstition approchait, de sa fin.
Mais, ce qu'on oubliait alors, et ce qu'on perd de vue trop
souvent aujourd'hui, c'est qu'en pareille matière il y a un
ordre, un enchaînement naturel qu'on ne peut jamais ren-
verser. C'est à dire que toute institution, telle qu'elle se
comporte, peu Importent son nom ou ses prétentions, est
Feffet beaucoup plus que la cause de l'opinion publique ; et
qu'il ne servira de rien d'attaquer l'institution, si l'on ne
commence par changer l'opinion. Or, en Ecosse, l'Église
était grossièrement superstitieuse; mais il ne s'ensuivait pas
que renverser l'édifice, ce serait amoindrir le mal. Ceux qui
simagrnent qu'il est possible de réduire la superstition par
ce moyen ignorent la vitalité de ce principe sombre et
funeste. li n'y a qu'une seule arme qui puisse l'abattre, le
savoir. Les hommes sont-ils plongés dans l'ignorance, ils
*
(1) «The tbre estaitis of parliament hes annnllit and declarit ail sik acted maid in tymes
bipast not aggreing V goddis word and now contrair io the confessioun of onre fay* accor-
ding to the said word publiât in this parliament, Tobe of nane avale force oor effeet. And
decernis the said actis and every ane of thame lo haue na effeet nor strenth in tyme to
cnm. » Acts of Ihe Parliament of ScoUand, 1814, in-fol., t. II, pag. 535. Cette loi fat
rendue le 24 août 1560.
(2) « That na maner of person nor personis say mess nor zit heir mess ho be put thairat
vnder tbe pane of confiscatioun of ail tbairgnd movable and vnmovableand pvneissing of
thair bodeis at tbe discretionn of tbe magistrat witbin qnhais jnrisdictioun sik personis
happynis to b* apprehendit ffor tbe first fait : Banissing of tbe Reaime for tbe second fait,
and jnstifying to tbe deid for the thrid fait. » lbid. y 24 août 1560, t. II, pag. 525.
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266 HISTOIRE
sont forcément superstitieux ; et partout où existe la super-
stition, soyez sûr qu'il se formera un corps ou l'autre dont
elle sera l'âme. Chassez-la de ce corps, elle en trouvera un
autre. Elle transmigre, sous une nouvelle forme, mais tou-
jours vivante. Dès lors, quelle vaine guerre que celle des
réformateurs qui presque toujours s'en prennent au corps,
pour épargner l'âme! Oui, ils pénètrent l'enveloppe, ils
la détruisent; mais, dans cette enveloppe se trouve la
graine d'un poison mortel, dont ils ne peuvent diminuer la
force vitale : transplantée, cette graine produit des fruits
dans une autre direction et se développe avec une nouvelle
exubérance, souvent plus funeste encore.
La vérité est que toute institution, politique ou religieuse,
représente, telle qu'elle se comporte, la forme et la pression
du siècle. Il se peut qu'elle soit antique, qu'elle soit revêtue
d'un nom vénéré, qu'elle tende vers les plus nobles objets;
tout cela est possible : mais quiconque étudiera attentivement
son histoire verra que, dans la pratique, elle est successive-
ment modifiée par les générations qui se suivent et que , au
lieu de régir la société, elle est régie par cette dernière.
Ainsi, lorsque la réforme se consomma, les Écossais étaient
excessivement ignorants ; donc, malgré la réforme, ils res-
tèrent excessivement superstitieux. Jusqu'à quelle époque
cette ignorance subsista-t-elle? quels en furent les résultats?
c'est ce que nous verrons bientôt ; mais avant d'examiner ce
point, il est bon d'indiquer les conséquences immédiates de
la réforme elle-même, par rapport aux classes qui aidèrent
à son avènement.
Après avoir renversé l'Église et l'avoir dépouillée d'une
bonne partie de ses richesses, les seigneurs pensèrent que
rien n'était plus juste que de recueillir le profit de leurs
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 267
peines. Ayant tué l'ennemi, ils entendaient se partager ses dé-
pouilles (1). Mais c'était aller contre les vues des pasteurs
protestants ; selon ceux-ci, c'était commettre une impiété
que de séculariser les biens de l'Église pour les appliquer à
des fins profanes. Sans doute, disaient-ils, les seigneurs ont
fort bien fait de piller l'Église, mais c'est à nous que doivent
retourner ces richesses. N'étaient-ils pas de l'ordre sacro-
saint? le devoir des classes dominantes était de leur conférer
de bons bénéfices, arrachés à l'ancien clergé idolâtre (2).
Conformément à ces opinions, Knox et ses collègues pré-
sentèrent (août 1560) au parlement une pétition, priant les
nobles de rendre à l'Église les richesses dont ces derniers
s'étaient emparés, pour les consacrerd'une manière convenable
au soutien du nouveau culte (3). Ces hautains seigneurs ne
daignèrent pas même répondre à cette demande (1). Satis-
(1) Ainsi que le dit Robertson, dans un style sobre et quelque peu faible : « Among tbe
Scottish nobility, some bated the persons, and otbers coveted the'wealth, of the dignified
clergy; and by abolishing that order of men, the former indulged their ressenlment, and
the latter hoped to gratify their avarice. » Hist. ofScolland, liv. m, pag. 116; Robertson,
Works, édit. 1831. Le récit écrit à l'époque même dans A Diurnal of Occurrents,
pag. 269, a, ce me semble, quelque chose de plus vigoureux. « In ail this tyme (1559), ail
kirkmennis goodis and geir wer spoulzeit and reft fra thame, in euerie place quhair the
samyne culd be apprehendit ; for euerie man for the maist pairt that culd get any thing
pertenyng to any kifkmen, thocht the same as wele won geir. »
(2) c Knox never dreamed that the revenues of the Ghurch were to be secularized; but
that he and his colleagues were simply to remove tjhe old incumbents, and then take
possession of their bénéfices. » Stephen, Hist. ofthe Church ofScotland, 1. 1, pag. 106.
€ The ecclesiastical revenues, which they never contemplated for a moment were to be
seized by the Protestant nobility. • Lawson, Roman Catholic Church in Scotland,
pag. 233.
(3) Knox, Hist. ofthe Reformation, t. II, pag. 89-92; M'Crie, Life ofKnox, pag. 179.
M'Crie dit en parlant de ce document :,t There can be no donbt that it received the sanc-
tion, if it was not the composition, ofthe Reformer. » < It called upon them (les
seigneurs) to restore the patrimony ofthe Ghurch, of which they had unjustley possessed
themselves. »
(4) « Making no answer to the last point. • Spottiswoode, Hist. of the Church ofScot-
land, 1. 1, pag. 327. t Without taking any notice. » Keilh, A ffairs of Church and State,
1. 1, pag. 321.
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968 HISTOIRE
faits de l'état actuel des choses, ils n'avaient pas la moindre
envie de défaire un si parfait arrangement. C'étaient eux
qui avaient combattu, eux qui avaient remporté la victoire,
à eux donc les dépouilles! Pourrait on supposer qu'il aban-
donneraient de gaité de cœur ce qu'ils avaient acquis avec
tant de peine? Était-il probable qu'après avoir soutenu pen-
dant cent cinquante ans une lutte acharnée contre l'Égtijse
et après avoir enfin vaincu leur ennemi invétéré, ils iraient
se départir des fruits de leur triomphe? et en faveur de qui?
D'une poignée de prêcheurs qu'ils n'avaient appelé à leur
aide que dans les derniers temps, personnages obscurs et de
basse extraction, qui devraient considérer comme un im-
mense honneur d'avoir été admis à faire cause commune
avec leurs supérieurs. Non; qu'ils n'aient pas l'audace de
s'imaginer, à cause de cette circonstance, qu'ils ne supposent
pas, ces gens qui n'ont combattu qu'à la dernière heure,
qu'ils aient droit à partager le butin à mesure égale (1) !
Mais les seigneurs écossais connaissaient bien peu les
hommes à qui ils avaient à faire; ils comprenaient moins
encore le caractère de leur siècle. Ils ne s'aperçurent pas que,
dans l'état social où ils vivaient, la superstition était inévi-
table, et que, par conséquent, si les classes ecclésiastiques
étaient courbées un instant , il était certain qu'elles se
redresseraient promptement. La noblesse avait renversé
l'Église, mais les principes sur lesquels est basée l'autorité
de l'Église restèrent intacts. On ne fit pas autre chose que
de changer le nom et la forme. Il se forma bien vite une
(1) < They viewed the Protestant preachers as low-born individnals, not far raised above
the condition of mechanics or tradesmen , without influence , authority or importance. »
Lawson, Roman Catholic Church in Scotland, pag. 251. < None were more unmercifull
to the poore ministers than they that had the greatest share of the kirk rents. • Calderwood,
Hist. of the Kirk ofScotland, t. II, pag. 42.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE.
nouvelle théocratie sur laquelle le peuple reporta l'affection
qu'il avait éprouvée pour l'ancienne; je me trompe, cette
affection fut encore plus grande, car le clergé protestant,
délaissé par la noblesse, non salarié par l'État, n'avait pour
vivre qu'une misérable pitance : la nécessité l'amena donc
à se jeter dans les bras du peuple, puisque ce n'était que là
qu'il pouvait trouver aide et sympathie (i). De là une union
plus resserrée et plus intime qu'elle n'eût été dans d'autres
circonstances; de là aussi cette haine pour les classes supé-
rieures, et cette animosité particulière contre la monarchie
que le clergé presbytérien, piqué jusqu'au vif par le traite-
ment injuste auquel il était soumis, déploya en toute occa-
sion. Du haut de la chaire, dans leurs consistoires, dans
leurs assemblées générales, ses ministres développèrent un
esprit démocratique et frondeur qui produisit les plus heu-
reux résultats, puisqu'à un moment critique, 11 entretint la
flamme de la liberté, et qui, par cette raison même, déter-
mina la perte de l'aristocratie, le jour où, par sa parcimonie
maladroite et égoïste, elle excita la colère d'une classe aussi
puissante et aussi implacable.
Depuis le départ des troupes françaises (1560), les seigneurs
jouissaient du pouvoir suprême (2). C'était à eux qu'il appar-
tenait de décider jusqu'à quel taux s'élèverait la dotation du
clergé réformé. Ils gardèrent le silence le plus méprisant sur
(1) En 4561, « notwithstanding ihe full Establishment of the Reformation, the Protestant
ministère werein a state of extrême poverty, and dépendent npon the precarions assistance
of their flocks. » Tytler, Hist. ofScotland, t. V, pag. 107. Comparez une lettre de Knox, en
date de 1566, an snjet de < the extreame povertie wherein onr ministère are bronght. ■ Knox,
Hist. of the Re formation, t. II, pag. 542.
(2) < The limited anthority which the Crown had hitherto possessed, was almost entirely
annihilated, and the aristocratieal power, which ahrays predominated in the Scottish
government (Y), became suprême and incontrôlable. » Rnssell, Hist. of the Church in
Scotland, 1834, 1. 1, pag. 223,
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$70 HISTOIRE
la première pétition de Knox et de ses confrères. Mais les
ministres ne se laissèrent pas si facilement rebuter. Ils pré-
sentèrent donc au conseil privé ce qu'on appelle « Le pre-
mier livre de discipline, » dans lequel ils exposaient de
nouveau leur demande (1). Le conseil n'avait pas la moindre
objection à faire aux doctrines contenues dans ce livre, mais
il refusa de le ratifier, parce que c'eût été par là sanctionner
le principe que la nouvelle Église avait droit aux revenus de
l'ancienne (2). Cependant le conseil était prêt à lui en céder
une certaine portion. Quelle serait-elle? Voilà ce qui sou-
leva de graves disputes et la plus grande inimitié entre les
deux partis. Enfin, rompant le silence, les seigneurs décla-
rèrent (décembre 1561) que le clergé réformé ne toucherait
qu'un sixième des revenus de l'Église, les cinq sixièmes res-
tant étant partagés entre le gouvernement et les prêtres ca-
tholiques (3). Rien de plus facile à saisir que la signification
(1) Se reporter au First Book of Discipline, compris dans A Compendium ofthe Lam
ofthe Church of Scotland. Édimb., 1837, part, i, S* édit. Ils résumèrent leurs demandes
dans ce passage (pag. 119) : «The haill rentis of the Kirk abosit in Papistrie sal se referrtt
againe to the Kirk. » Dans an antre endroit (pag. 106) ils disent avec franchise :
< We doubt not but some of onr pétitions shall appeare strange nnto you at the first
sight. »
(2) « The form of polity recommended in the First Book of Discipline never obtained
the proper sanction of the State, chiefly in conséquence of the avarice ofthe nobility and
gentry, who were désirons of securing to themselves the revenues of the Church. a Mifcel-
lany ofthe Wodrow Society, pag. 324. Consulte* également Argyll, Presbytery Exami-
ned, pag. 26. Beaucoup de seigneurs néanmoins y apposèrent leurs signatures. Knox,
Hist. of the Reformation, t. H, pag. 129. < Mais, ajoute Spottiswoode {Hist. ofthe
Church of Scotland, 1. 1, pag. 373), t most of those that subscribed, getting into;their
hands the possessions of the Church, could never be induced to part therewith, and turned
greater enemies in that point of church patrimony than were the papists, or any other
whatsoever. »
(3) M'Crie, Life ofKnox, pag. 204; Knox, Hist. ofthe Re formation, t. II, pag. 298-301,
307-309; Buchanan, Rerum Scoticarum Historia, lib. xvu, pag. 500. L'arrangement
nominal, qui fut tracé arec beaucoup d'art, portait qu'un tiers des re?enus de l'Eglise
serait divisé en deux parties : l'une pour le gouvernement, l'autre pour les ministres. On
assignait gravement les deux tiers en surplus au clergé catholique, dont les membres à ce
moment même, aux termes de l'acte du parlement , étaient passibles de la peine capitale
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 271
de cette mesure, puisque les catholiques dépendaient alors
entièrement du gouvernement, et que de fait ce dernier,
c'étaient les nobles qui le constituaient, les seigneurs qui
avaient accaparé le pouvoir exécutif.
Dans ces circonstances, il arriva naturellement qu'en ap-
prenant ces dispositions les ministres forent profondément
émus. Ils virent combien cet arrangement était contraire à
leurs intérêts, et partant ils soutinrent que c'était contraire
à ceux de la religion. Suivant eux , c'était l'œuvre du
diable, cela était destiné à servir à ses fins (4) : que ceux qui
travaillaient dans la vigne du Seigneur, devaient être humi-
liés, et souffrir que de vains gloutons s'appropriassent
ce qui appartenait de plein droit aux premiers (2). Les
nobles pourraient l'emporter un instant; mais la ven-
geance de Dieu était ailée, et elle fondrait certainement un
jour sur leurs têtes (3). D'un bout à l'autre, tout était spo-
s'ils accomplissaient les cérémonies de leur religion. Il n'était pas probable que des gens,
dont la vie était entre les mains du gouvernement, se querellassent a?ac ce dernier
sur des questions d'argent; il s'ensuivit donc que presque toutes les richesses firent retour
aux seigneurs.
(1) < The ministeris, evin in the begynnying, in public seànonis opponed thame selves to
sache corruptioun, for thie foirsaw the purpose of the Devill. » Knox,//t*t. ofthe Re for-
mation, t. II, pag. 310.
(2) « For it seemeth altogether unreasonable that the idle belleis s h ail devoure and
consume in the patrimoine ofthe Kirk, will the faithfull travellers in the Lord's vineyardf
suffer extrême povertie, and the needie members of Christ's bodie are altogether neglected. »
Calderwood, Hist. ofthe Kirk, t. II, pag. 484, 485. Ceci était écrit en 1569; en 1571 , le
célèbre Ferguson déclarait dans un sermon que les détenteurs des biens de l'Église, dont
la plupart appartenaient à la noblesse, étaient des ruffian». On trouvera un extrait de son
sermon dans Chalmers, Hist. of Dunfermline. Édimb., 1844, pag. 309. « For this day
Christ is spuilzeit aman g us, quhil y* quhilk aucht to mantene the Ministerie of the Kirk
aud the pure, is geuîn to prophane men, flattereris in court, ruffianes, and hyrelingis.»
(3) En septembre 1571 , John Row « preiched , wha in plane pulpet pronounced to the
lordis , for thair covetusnes , and becaus they wold not grant the just petitiones of the
Kirk, Godis heastie vengeance to fali upon them; and said, moreover, < I cair not, roy
lordis, your displeasour: for I speik my conscience befoir God,wha will not suffer sic
-wickitnes and contempt vnpunished. » Bannatyne, Journal, édit. Édimb., 1806; pag. 257.
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272 HISTOIRE
Kation, rien que spoliation. Dans an pays véritablement
chrétien, qui eût osé toucher au patrimoine de l'Église (4)?
Hélas! en Ecosse, Satan avait prévalu (2), et la charité chré-
tienne s'était refroidie (3). En Ecosse, des biens qui auraient
dû être considérés comme sacrés avaient été dissipés, par-
tagés : affreux partage, disait Knox, puisque deux tiers sont
(1) Bu 1576, l'assemblée générale déclara que le droit do clergé an < the patrimoine of
the Kirk • était < ex jure divino. » Acts ofthe General Assemblies of tlie Kirk ofScol-
land. Èdimb., 1839, in-4',t. I, pag. 360. Plus de cent ans après, un ministre écossais nous
montre combien nrofendement les membres de sa profession ressentaient cette spoliation,
puisqu'il se livre à noe digression tont à fait en dehors de son sujet pour traiter de ce
point. Se reporter à Jacob, Vow, by Dr. John Cockburn. Édimb., 1696, pag. 482, 423,435.
Cependant cela n'est rien en comparaison de ce que nous affirme un auteur de nos jours, le
révérend M. Lyon; c'est, nous dit-il de propos délibéré, c'est en raison de ces actes et
d'autres semblables commis sous son règne, que Marie périt de mort violente, juste puni-
tion du sacrilège. « The practicetde dire des messes pour les morts) ceased, of course, at
the Reformation ; and the money was transferred by Queen Mary to the civil authorities of
the town. Tbis was, undoubtedly, an act of sacrilège ; for, though sacrifierai masses for the
dead was anerror, yet theguardians ofthe money so bequeathed, were under an obligation
to apply it to a sacred purpose. Tbis , and other sacrilegious acts on the part of Mary, of
a still more decided and extensive character, hâve been justly considère d as the cause of
the calamities which subsequently befell her. » Hisl. of St.-Andrews , by the Rev.
C. /. Lyon, M. A., Presbyter of the Episcopal Church, St.-Andrews. Édimb., 1843,
t. 1, pag. 54. Ailleurs (t. II, pag. 400) le même ministre nous apprend que Dieu punit
habituellement le sacrilège en privant la famille royale d'enfant mâle. « The following
examples, selectedjrom the diocèse of St. Andrews, according to its boundaries before the
Reformation, will corroborate the gênerai doctrine contended for throughout thiswork,
that sacrilège has ever been pnnished in the présent Iife, and chiefly by the failure of maie
issue. » Les italiques sont dans l'original. Consultez également 1. 1, pag. 118. Par égard pour
l'historien futur de l'opinion publique, il est bon d'observer que l'ouvrage qui contient de
telles idées n'est pas une réimpression d'un vieux livre, mais qu'il a été publié pour la pre-
mière fois en 1843 et que, selon toute apparence, il venait d'être achevé la même année.
(2) < The General assemblie of the Kirk of Scotland , convenit at Edinburgh the 25 of
Beceraber 1566, to the Nobiliti» of this Reaime that professes the Lord Jésus with them,
and has renouncit that Roman Antichryst , desyre constancie in faith,and thespiritof
righteous judgement. Seeing that Sathan, be ail our négligence, Right Honourable, hes so
ferre prevailit within this Reaime within thèse iate dayes, that ire doe stand in exstream
danger, not only to lose our temporall possessions, but also to be depryvit ofthe glorioos
Bvangejl, » etc. Keith, Church and State, t. ni, pag. 154, 155.
(3) En 1566, dans, la circulaire qu'ils adressèrent aux évéques et au clergé anglais ils
disaient : « The days are il!; iniquitie abounds; Christian charity, alas, is waxen coW. »
Acts and Proceedings of the General Assemblies of the Kirk of Scotland. Édimb.,
1839,in-4-,t.I,pag.87.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 275
attribués au diable et que le troisième tiers est divisé entre
Dieu et le diable! C'était comme si Joseph, à l'époque où il
gouvernait l'Egypte, avait refusé des grains à ses frères pour
les renvoyer avec des sacs vides vers leur famille (1). Ou
encore, comme l'insinuait un autre prêcheur, l'Église était
maintenant semblable aux anciens Machabées, opprimés
tantôt par les Assyriens, tantôt par les Égyptiens (2).
Cependant, prières, menaces, tout fut vain : les seigneurs
écossais s'entêtaient à rester sourds (3). Quedis-je? au lieu de
s'attendrir, leurs cœurs s'endurcirent. Les pitoyables salaires
alloués au clergé protestant ne furent même pas régulière-
(1) « I see twa partis freely gevin to the Devill, and ihe thrid mann be devided betwiit
God and the Devill : Weill, bear witoes to me, that tbis dày I say it, or it be long the Devill
shall hâve three partis of the thrid ; and jndge yon then what Goddis poriionn shallbe. ■
« Who wold hâve thought, that when Joseph reulled Egypt, that bis brethren
shonld hâve travail led for vittallis, and hâve retnrned with empty seckis unto thair fami-
lles? Men wold rather hâve thonght that Pharao's pose, treasure, and garnallis shonld
hâve been diminished, or tbat the houshold of Jacob shonld stand in danger to sterve for
hnngar. » Knox,M8t. ofthe Reformation, t. Il, pag. 310, 3ii.
(2) En mai 1571 : < Tbis Sooday, Mr. Craig teinfaed the 130 Psalme; and, in his sermond,
hecompared the steat of the Kirk of God in this tovne vnto the steat of the Maccabeit;
▼ha were oppressed snmtymes by the Assyrianis,and snmtymes by the Egiptianis. » Ban-
natyne, Journal, pag. 150.
(3) C'est en 1567 que je trouve le premier exemple d'une menace ou de rien qui en appro-
chai; à cette époque c the Assembly ofthe Chnrch beiog convened at £dinbnrgh, « fit savoir
à tons i as well noblemen as barons, and those ofthe other Estâtes, to meet and give their
personnal appearance at Edinbnrgh on the aOth of Jnly, for giving their advice, counsel,
and concurrence in matters then to be proponed ; espocially for purging the rwalm of
popery, the establishing of the policy of the Cburch, and restoring thepatrimony thereof
to thcjust possessors. Assuring those that shonld happen to absent themsel?es at the
time, due and lawful adrertisement being made, that they shonld be reputed hinderers of
the good work intended, and as dissimulate professors be esieemed unworthy ofthe
fellowshipof Christ' s fiock. » Spottiswoode, UiU. ofthe Church ofScotland, t. II,
pag. 64. C'est évidemment donner à entendre qu'on excommunierait tous ceux qui ne ren-
draient pas aux pasteurs protestants les biens enlevés à l'Église catholique $ en 1570, nous
trouvons les mêmes dispositions. A cette date , on Ut le passage suivant dans Acts and
Proceedings of General Assembliez ofthe Kirk ofScotland, 1. 1, pag. 181 : ■ Q. If those
that withold the duty of the Kirk, wherethrough Ministère wan{ their stipends, may
be excommunicate? A. AU things èeand done that the cirill ordonr requyres of them that
▼ithhaldis the duetie of the Kirk, quherby Ministère wants their stipends ; the Kirk may
proceed to excommunication, for their contempt. •
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27* HISTOIRE
ment payés : on les consacra généralement à d'antres ob-
jets (1). Les ministres se plaignaient-ils? les nobles se mo-
quaient d'eux, les insultaient : ces derniers ayant atteint
leur but, pensèrent qu'ils pouvaient fort bien se passer de
leurs anciens alliés (2) . Le comte de Mortors, que ses hantes
capacités aussi bien que ses alliances rendaient le plus pais-
sant personnage de l'Ecosse, déploya en particulier une
extrême violence contre le clergé protestant; il fit exécuter
deux prêcheurs qui l'avaient offensé, et leur supplice fut des
plus cruels (5). Les seigneurs, le considérant comme leur
chef, l'élurent régent en 1572 (4) ; alors il tourna tout son
pouvoir contre l'Église. Il saisit tous les bénéfices qui devin-
rent vacants et s'en arrogea exclusivement les revenus (5).
(1) En 15%, < the poore ministers, eihorters; and readers ,compleaned at church assem-
bles, that neither were they able to liye upon tbe stipends allowed, nor gett payment of
that smaU portionn which vas allowed. » Calderwood, Hist. ofthè Kirk, t. II, pag. 171
Voyez Acts of the General Assemblies, 1839, in-4% 1. 1, pag. 53 : c To requyre payment to
ministers of there stipends for the tyme by past, according to the promise made. > Ceci se
passait en décembre 1564. En décembre 1565, rassemblée générale déclara (pag. 71) « that
wher oft and divers tymes promise hes bein made to ns, that our saids brethren, travelers
and preachers in the Kirk of God , sonld not be defrandit of their appointit stipends, neither
set io any waves sonld be molestit in their fnnclioun; zet nottheles universalité they want
ther stipends appointit for diverse tymes by past. » Relativement à l'état des choses en 1566,
voyez < the Supplication of the Ministers to the Qneen. » Knox, Hist. of the Reformation,
t. II, pag. 5». Voyez aussi dans Miscellany of the Spalding Club. Aberdeen, 1849, in-4%
t. IV, pag. 92-101, une lettre écrite par lord Erskine à la date de décembre 1571, particuliè-
rement pag. 97 : « The gretest of the nobilitie haifing gretest rentis in possessione , and
plaicet of God in maist hie hononris, ceasis nocht, maist wiolentlie blindit with awarice, to
spoilye aod draw to thame selfis the possessiones of the Kirk. >
(2) « The ministers were called prond knaves, and receaved manie injurions words from
the lords, speciallie from Morton, who ruled ail. He said, he sould lay their pride, and
putt order to them. » Calderwood, Hist. of the Kirk, t. III, pag. 137, 138. Ceci se passait
en 1571.
(3) Chambers, Annals ofScotland, 1. 1, pag. 79, 80.
(4) « the nobilitie wnderwrittin convenit in Edinburgh, and chesit and electit James erle
of Mortoun régent. » A Diurnal of Occurrents, pag. 320.
(5) En 1573, « when any benefeces of Kirk vaikit, he keapit the proffet of thair, rentg sa
lang in his awin hand, till he was urgit be the Kirk.to mak donatioon tharof, and that was
not gevin but proffeit for ail that. » The Historié and Life ofKing James the Sext, ôdit.
Êdimb., 1825, in-4% pag. 147. Même en 1570, époque à laquelle Lennox était régent, « the
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 275
Sa haine pour les pasteurs ne connut plus de bornes. Il dé-
clara publiquement que tant qu'un certain nombre d'entre
eux n'auraient pas été pendus (1), le pays ne pourrait jouir
d'aucune tranquillité. Il refusa de sanctionner par sa pré-
sence les assemblées générales dont il voulait détruire les
privilèges et jusqu'au nom même : enfin il mit une telle
ardeur à poursuivre ses mesures que, suivant l'historien de
l'Église écossaise, rien, si ce n'est l'intervention spéciale de
la Divinité, ne pouvait sauver cet ordre auguste (2).
Donc, rupture complète entre l'Église et l'État. Quel était
le plus fort? C'est ce qui restait à voir chaque année. Le
clergé devenait de plus en plus démocratique et, après la
mort de Knox (1572) ses membres se résolurent à suivre un
plan que l'illustre réformateur eût hésité à conseiller et qui,
dans les premiers temps de la réforme, eût été imprati-
cable (3). Mais, à cette heure, l'appui du peuple leur était
Earle of Mortoun was the chiefe manager of every thing nnder him, • et était < master of the
chnrch rents, » et fit t gifts of them to the nobility. » Wodrow, Collections upon the Lives
of the Reformer* of the Chureh of Scotland. Glascow, 1834, in-4', t. I, part, i
pag. 27, 126.
(1) « During ali thèse Assemblais and earnest endea?onres of the brethrein, the régent
iras often reqnired to give his présence to the Assemblie, and fnrther the cans of God. He
not onlie refused, but threatned some of the most zealons with hanging, alledging, that
otherwise there conld be no peace nor order in the conntrie. » Calderwood, Hist. ofthe
Kirk, t. III, pag. 393, 394. « Uses grait thretning against the maist zelns breithring, scho-
ring to hang of thame, ntherwayes ther conld be na peace nor ordour in the conntrey. •
The Autobiography and Diary of James Melvill. Édimb., 1842, édit. R. Pitcairn,
pag. 99, 60.
(2) < He mislyked the Generall Assembleis,and wonld hâve had the name changed, that
he might take away the force and priviledge thereof ; and no qnestionn he had stayed the
work of policie that was presentlie in hands, if Cod had not stirred up a factionn against
him. » Calderwood, Hist. of the Kirk of Scotland, t. III, pag. 396. Consultez également
The Autobiography of James Melvill, pag. 61.
(3) « Dnring the two years following the death of Kooi, each day was ripening the more
determined opposition of the Chnrch. The breach between the clergy with the great body
of the people, and the go?ernment or higher nobility, was widening rapidly. » Argyll,
Presbyteral Examine^ pag. 70.
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276 HISTOIRE
assuré : exaspérés par le cruel traitement auquel le gouver-
nement et les nobles les soumettaient, ils formèrent les
résolutions les plus désespérées. Au moment où leurs plans
étaient encore informes, où l'avenir n'apparaissait que sous
les plus sombres couleurs, un nouveau sectaire surgit, pos-
sédant toutes les qualités requises pour devenir leur chef;
Knox avait trouvé son digne successeur. Cet homme était
Andrew Melville que ses hautes capacités, son audace
extraordinaire, son esprit fécond en expédients, rendaient
admirablement propre à diriger l'Église écossaise dans la
lutte ardente qui s'approchait (1).
En 1574, après avoir complété son éducation à l'étranger,
Melville arriva en Ecosse (2). Il rallia promptement autour
de sa personne les membres les plus distingués de l'Église;
et sous leurs auspices, commença avec le pouvoir exécutif
une lutte qui se continua, en passant par des phases
diverses, durant soixante ans, pour aboutir enfin à la ré-
volte ouverte contre Charles I er . Retracer tous les détails du
combat serait contraire au plan de cette introduction :
malgré l'extrême intérêt qui s'attache aux événements qui
s'ensuivirent, nous devons en omettre la plus grande partie;
mais j'essaierai d'indiquer leur marche générale et de mettre
(1) « Next to her Reformer, who, under God, emancipated her from the degradiog shackles
of papal superstition and tyranny, I known no individual from whom Scotland has received
such important services, or to whom she continues to owe so deep a debt of national respect
and gratitude, as Andrew Melville. » M'Crie, Life of Andrew Melville. Édimb., 1819, t. H,
pag. 473. Son neveu, personnage très considérable loi-môme, dit : a Scotland receavit ocrer
a graitter benefit at the hands of God nor this man. » The Autobiography of James
MelviU, pag. 38.
(2) Il quitta l'Ecosse en 1564, à l'âge de dix-neuf ans, et rentra dans son pays c in begin-
ning of July 1574, after an absence of ten years from his native country. » M'Crie, Life of
Andrew Melville, 1. 1, pag. 17, 57. Consultez, en outre, Seot, Apologetical Narration of
the State of the Kirk of Scotland, édit. Woarow Society, pag. 34, et Howie, Biographia
Scoticana. Glascow, 1781, pag. 111.
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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 277
sous les yeux du lecteur les faits les plus caractéristiques de
cette époque.
Quelques mois à peine après son retour, Melville se mit à
l'œuvre; d'abord sourde, se bornant à des intrigues secrètes,
son opposition se révéla bientôt au grand jour, et les hostilités
furent déclarées (1). Du vivant de Knox, Tépiscopat avait
été reconnu comme partie inhérente de l'Église protestante,
et les principaux réformateurs s'étaient rangés à ce prin-
cipe (2). Cependant, cette institution ne s'accordait pas
avec l'esprit démocratique qui se développait partout. L'iné-
galité entre les évêques et le bas clergé n'avait rien que
de désagréable, et les ministres résolurent d'y mettre un
terme (3). En 1575, à l'instigation de Melville, un pasteur,
nommé John Dury appela sur ce sujet l'attention de l'assem-
blée générale, tenue à Edimbourg (4). Le discours de Dury
(1) II paraîtrait qu'il se mit à l'œuvre dès le mois de novembre 1574. Consultez Stephen,
Hist. of the Churcfi of Scotland. Lond., 1848, 1. 1, pag. 261.
(2) t The compilers of the Book of Discipline (c'est à dire le premier livre en 1560) were
distingnished by prelatical principles to the end of their days. » « That Knoxhim-
self was no enemy to prelacy, considered as an ancient and apostolical institution, is
rendered clear by his c Exhortation to England for the speedy embracing of Christ 's Gospel. »
Uussell, Hist. ofthe Church in Scotland, 1834, 1. 1, pag. 240. « The associâtes of Knox,
it is obvions, were not Presbyterians, and had no intention of setting up a System of parity
among the ministers of their new establishment. » Pag. 243. Se reporter également à la
pag. 332. A la date même de 1572, année dans laquelle mourut Knox, nous lisons : « The
whole Diocie of Sanct Andrews is decerned by the Assembly to pertain to the Bishop of the
same. » Acts and Proceedings of the General Assemblies ofthe Kirk of Scotland,
1839, in-4% 1. 1, pag. 264. Les presbytériens écossais ont fort mal traité cette partie de l'his-
toire de leur Église.
(3) Quelque temps après, David Fergusson, qui mourut en 1596 et qui était alors pasteur
à Dnnfermline, dit avec la plus grande franchise à Jacques VI : c Yeq, sir, ye may hâve
Bishops hère, but ye must remember to make us ail equal; make us ail Bishops, els will
je never content us. » Row, Hist . ofthe Kirk of Scotland from 1558 to 1637, édit. Wodroto
Society, pag. 418. Consultes Calderwood, Hist. of the Kirk, t. IV, pag. 214. En 1584 :
« Thèse monstruous titles of superioritie. » En 1586 : t That tyrannicall supremacie of
bishops and archbishops over ministers. » Pag. 604.
(4) t He stirred up John Dury, one of the ministers of Edinburgh, in an Assembly which
was then convened, to propound a question touching the lawfulness of the episcopal
T. IV 18
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278 HISTOIRE
fini, Melville se prononça aussi contre l'épiscopat; mais
comme il n'avait pu encore s'assurer des dispositions de
l'auditoire» il procéda d'abord avec une certaine prudence.
Cette hésitation, toutefois, était à peine nécessaire : car,
par suite des différends entre l'Église et les hautes classes,
les pasteurs commençaient à se retourner avec ardeur contre
lès doctrines de soumission et de subordination qu'ils eussent
soutenues, si la noblesse avait pris leur parti. Dans l'état
des choses, le clergé ne trouvait de faveur que parmi le
peuple : les aspirations des ministres tendaient donc vers
l'égalité; leurs esprits étaient mûrs pour recevoir les mesures
hardies proposées par Melville et ses partisans. La rapidité
avec laquelle s'étendit ce mouvement nous prouve claire-
ment ces dispositions. En 1575, la première attaque se pro-
duisit à l'assemblée générale d'Edimbourg. En avril 4578,
un autre assemblée générale décida qu'à l'avenir les évêques
seraient désignés par leurs noms propres et non par leurs
titres (1). Il fut en outre déclaré que jusqu'à la prochaine
réunion, on ne pourvoirait à aucune nouvelle nomination
fonction, and the authorily of chapters in their élection. He himself,as thongh he had not
been acqnainted with the motion, after he had commended the speaker' s teal, and seconded
the pnrpose with a long disconrse of the flonrishing estate of the chnrch of Gênera, and
the opinions of Calfin and Théodore Beza coocerning chnrch government, came to affirm,
< that none onght to he esteemed office-bearers in the Chnrch whose titles were not fonnd
in the book of God. And, for the title of Bishops, albeit the same was fonnd in Scriptnre, yet
was it not to be taken in the sensé that the common sort did conçoive, there being no sope-
riority allowed by Christ amongst ministers, » etc. Spottiswoode, Hist. of the Church of
Scotland, t. H, pag. 200. Consultez, en outre, Acts ofthe General Assembliez ,%. I,
pag. 331, d'où il appert que six évoques assistaient à cette séance mémorable. Voici la
question qui fut posée : « Whither if the Bischops, as they are now in the Kirk pf Scotland,
hes thair fonction of the word of God or not, or if the Ghapiter appointit for creating of
them aucht to be tollerated in this reformed Kirk. » Pag. 340.
(1) « It was ordained, that Bischops and ail vthers bearand Ecclesiasticall fanctioun, be
callit be thair awin names, or Brethren, in tyme comeing. • Acts ofthe General Assembliez
ofthe Kirk of Scotland, t. n, pag. «04.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 279
d'érêque (4). Deux mois après, on proclama que ce règle-
ment serait définitif et que désormais Ton ne créerait pins
d'évêque (2). Enfin, en 4580, l'assemblée réunie à Dundee
renversa l'édifice de fond en comble; elle décida que
Tépiscopat était une pure invention humaine, qu'il était
illégal, qu'il fallait l'abolir sur-le-champ et que tout évêque
était tenu de se démettre incontinent de ses fonctions; en
cas de refus, il devait être excommunié (3).
Les ministres et le peuple avaient donc accompli leur
œuvre, et, en ce qui les touchait, l'avaifent bien faite (4). Mais
les mêmes circonstances qui les avaient amenés à désirer
l'égalité poussaient les hautes classes à désirer l'inégalité (5).
(1) «Therfor the Kirk hes concluait, that no Bischops salbe electit or made heirafler, befor
the nixt Generall Assemblie. » Acts oflhe General Assemblies of Ihe Kirk, t. II, pag. 408.
(2) « Anent the Act made in the last Assemblie, the 38 of Aprile 1578, conceming the
electionn of Bischops , suspendit quhill this présent Assemblie , and the farther ordoar
reservit thereto : The General Assemblie, ail in ane voyce, hes concluait, that the said act
salbë~extendit for ail tymes to corne, ay and quhill the corruptioun of the Estate of Bischops
be allnterlie tane away. » Ibid., t. II, pag. 413.
(3) « Forsameikle as the office of a Bischop, as it is now vsit, and commounly takin within
this reaime, hes no sure warrand, anctoritie, nor good ground ont of the (Book and ) Scrip-
tures of God; but is brocht in by the folie aod corruptions of (men's) invention, to the
çreat overthrow of the Kirk of God : The haill Assemblie of the Kirk, in ane voyce, after
tibertie givin to ail men to reason in the matter, none opponing themêelves in defen-
ding the said prétendit office, Finds and déclares the samein prétendit office, vseit and
termeit, as is above said, vnlaufoll in the selve, as haveand neither fundament, ground nor
-warrant within the word of God : and ordaines, that ail sick persons as bruiks, or shall bruik
heirafler the said office, salbe chargeit simplkiter to demitt, quyt and leave of the samein,
as ane office quhervnto they are not callit be God ; and siclyke to desist and cease from
ail preaching, ministration of the sacraments, or vsing any way the office of pastors, quhill
they receîve de novo admission from the Général Assemblie, vnder the paine of excom-
muticationn to be dennncit agains them : quherin if they befound dissobedient,or eontra-
Teioe this act in any point, the sentence of excommunioatioun, after dew admonitions, to
be exécute agains them. » Acts ofthe General assemblie*, t. II, pag. 453.
(4) Aussi Calderwood dit triomphalement : t The office of bishops was damned. > Ilist.
ofthe Kirk, t. III, pag. 409. « Their whole estât, both the spiritual) and cifill part, was
damned. » Pag. 996. James Melville (Autobiography , pag. 59) dit que, par suite de ce haut
fait, son oncle Andrew « gatt the nam of eni<rx.9TU>fxau7rtÇ f Episcoporwn exaotor, the
flinger ont of Bischopes. »
(5) Tytler (Bist. ofScotland, t. VI, pag. 309) observe que, tandis que « the great body
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2&) HISTOIRE
Un choc était donc inévitable, et cette mesure hardie de la
part de l'Église le précipita. Forts de l'appui du peuple, les
pasteurs recherchèrent plutôt la lutte qu'ils ne l'évitèrent.
Ils lancèrent les diatribes les plus enflammées contre les
évéques ; et peu de temps avant d'abolir l'épiscopat, ils ter-
minèrent le « second livre de discipline » et le présentèrent
au parlement : dans ce second livre , ils nièrent sans
ambages tout ce qu'ils avaient établi dans le premier (1).
Pour ce fait, on leur reproche souvent de s'être contredits
eux-mêmes (2) : accusation injuste. Ils furent parfaitement
conséquents avec eux-mêmes : ils changèrent simplement
leurs maximes afin de sauver leurs principes. A l'exemple
de toute corporation, présente ou passée, spirituelle ou tem-
porelle, leur principe était de maintenir leur pouvoir. Que
ce soit ou non un bon principe, c'est une autre question,
mais enfin l'histoire nous prouve qu'il est universel. Aussi
bien, quand les chefs de l'Église écossaise s'aperçurent qu'il
y allait de son existence et que la question à résoudre était
of the burghers, and middle and lower classes of the people, > étaient presbytériens, ta large
proportion of the nobility snpported episcopacy. ■ Si, an lieu de c a large proportion, • il
eût dit t ail, > il ne se serait pas trompé de beaucoup. En effet, Melville i himself says the
whole peerage iras against him.» Stepheo, Hist. ofthe Church ofScotland, 1. 1, pag. 269.
Forbes attribue le mouvement aristocratique contre les presbytériens, t godles atheists, »
qui prétendaient t that there could be nothing so contrair to the nature of a monarchie, • etc.
« than that paritie of authoritie in pastours. • Forbes, Certaine Records touching the
Estate of the Kirk, pag. 349, édit. Wodrow Society. Voyei également pag. 355. « That
Démocratie (as they called it) whilk allwayes behoved to be full of sédition and troubble
to ane Aristocratie, and so in end to a Monarchie. ■ Le lecteur remarquera ce changement
de rôle parmi les classes en Ecosse. D'abord le clergé s'allia avec la couronne contre la
noblesse, puis la noblesse fit cause commune avec la royauté contre le clergé, et enfin ce
dernier, pour se défendre, dut chercher ses alliés parmi le peuple.
(1) On trouvera quelques remarques intéressantes sur la différence de ces deux livres dans
Argyll, Presbytery Examinée, 1848, pag. 3843. Cependant, tout en ayant moins de pré-
jugés que la plupart des auteurs presbytériens, cet écrivain n'est pas porté i admettre com-
bien le second livre de Discipline contredit complètement le premier.
(t) Les accusateurs sont les Episcopalians écossais.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 281
celle-ci : qui dominera? ils furent parfaitement conséquents
avec eux-mêmes en abandonnant les opinions qu'ils avaient
soutenues autrefois, du moment qu'ils virent que ces opi-
nions étaient préjudiciables à leur 'existence, en tant que
corps indépendant.
Lorsque parut le « premier livre de discipline (1560) »
le gouvernement était entre les mains des seigneurs qui
venaient de combattre à côté des pasteurs protestants et qui
étaient prêts à combattre encore en leur faveur. Lorsque
parut le « second livre de discipline (1578) » les nobles
étaient encore au pouvoir; mais ces seigneurs ambitieux
avaient fini par jeter le masque, et après avoir accompli
leurs desseins en détruisant la vieille théocratie, avaient
fait volte-face pour attaquer la nouvelle. Les circonstances
ayant changé, l'Église changea avec elles; mais dans ce
changement il n'y avait rien d'inconséquent. Au contraire,
c'eût été le comble de l'inconséquence de la part de ses
ministres , s'ils avaient conservé leurs anciennes idées
d'obéissance et de soumission : rien de plus naturel que,
dans ces conjonctures critiques, ils aient proclamé l'idée
démocratique de l'égalité, de même qu'auparavant ils avaient
défendu l'idée d'inégalité.
C'est pour cela que, dans le « premier livre de disci-
pline, » ils avaient établi une hiérarchie régulièrement
ascendante, suivant laquelle le clergé en général devait
obéissance à ses supérieurs ecclésiastiques, dénommés su-
rintendants (1). Mais, dans le « second livre de discipline, »
(1) Consultez First Book of Discipline, réimprimé dans le premier volume de A Corn-
pendium ofthe Laws ùfChurch in Scotîand. Édimb., 1837, 2* édit. Les surintendants
avaient pour fonctions de • to set, order, and appoint ministers. > Pag. 61. Et il paraîtrait
(pag. 88) qu'aucun ministre ne pouvait être interdit sans le consentement de son surinten-
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2*3 HISTOIRE
nul vestige de celte hiérarchie! On y établit, dans les termes
les plus nets, que tons les pasteurs, étant des compagnons de
travail, ils étaient tout égaux en pouvoir; que nul n'avait
d'autorité sur les autres ; et que prétendre à une telle auto*
rite, ou affirmer la nécessité de la prééminence, c'était là
un expédient humain qu'il ne fallait pas admettre dans une
Église divinement constituée (1).
Le gouvernement, on le supposera facilement, considéra
les choses sous un poiat de vue bien différent. Les hautes
classes regardèrent ces doctrines comme antisociales, révo*
dant ; néanmoins Ton ne pourrait guère supposer que par là on ait entendu empiéter sur
l'autorité des assemblées générales. Voyei, en outre, le sommaire pag, 114, ou il est dit au
sujet des surinteodaots,qne tin thair visitatioun tbey sal not onlie preiche, but aisexamine
tbe doctrine, life, diligence, and bebavior of tue ministeris, reideris, elderis, and deacoais.»
Suivant Spottiswoode (Hist. ofthe Church ofScotland, t. II, pag. 167), « the superinten-
deots held thair office duriog life , and their power was episcopal ; for tbey did elect and
ordain ministers, tbey presided in synods. and direeted ail church censures, neither was
any excommunication pronouoced without their warrant. » Voyez, en outre, au sujet de
leur autorité, Knox, Hist. of the Reformation, t. II, pag. 161. • That punyschment suld
bé sppoioted for suche as dissobeyid or contemned the supsrintendentes in thair fane*
tioun. » Ce passage était écrit en 1561. En 1562, « it was ordained, that if ministers be diso-
bedient to su péri n te o dents in aoy tbing beloogiog to édification, tbey must be subject to
correction. ■ Acts ofthe General Assemblies ofthe Kirk, 1. 1, pag. 14. Se reporter à la
pag. 131 : «Sick thiogs as superintendents may and aught decyde in their synodal! convejt-
tiouns. •
(1) c For albeit tbe Kirk of God be rewlit and go vernit be Jésus Christ, who is the ontie
Kiog, bie Priest, and Ueid thereof, yit he useis the ministry of men, as the most necessar
middis for this purpose. » c And to take away ail occasion of tyrannie, he wiilis
that they sould rewl with mutuall consent of brether aod equality ofpower, every on#
accord ing to thair fuoctiones. • Second Book of Discipline (A Compendium ofthe Laws
of the Church ofScotland, 1. 1, pag. 196, 127. i As to Bisehops, if the nome eitiaxoiroç
be properly taken, they ar ail ane with the ministers, as befoir was declairit. For it4s
not a same of superioritie and lordschip, both of office and watchiog. • Pag. 142. Afin
de bien saisir la signification complète de ce point, il est bon d'observer que les surinten-
dants établis par la Kirk (Église) en 1560 prenaient très souvent le titre de « lordschips, »
à titre d'ornement, comme pour indiquer l'énorme puissance dont ils étaient revêtus.
Voyes, par exemple, les notes dans Wodrow, Collections upon the Lives ofthe Ref or-
mers of the Church ofScotland, 1. 1 , part, u, pag. 461. Mais, dans le second livre 4e
Discipline (1578), il n'est pas fait, si je ne me trompe, une seule fois mention des surin-
tendants.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 283
lutionnaires, anarchiques (1). Donc, loin de les sanctionner,
ces classes résolurent de les détruire, s'il était possible; et
on an après l'abolition de l'épiscopat, on se décida à
mesurer, sur ce point même, la force des deux partis.
En 1581, Robert Montgomery fut nommé archevêque de
Glascow. Le chapitre de cette ville refusa de procéder à son
élection, sur quoi le conseil privé déclara qu'en vertu de ses
prérogatives le roi avaitJe droit de nommer tous les évêques (2).
Dès lors, tumulte, confusion! L'assemblée générale inter-
dit à l'archevêque rentrée de Glascow (3). Celui-ci ne tint
pas compte de cette injonction et appeja à son aide le duc
de Lennox à qui il devait sa nomination et à qui aussi il
avait abandonné, en retour, presque tous les revenus du
siège, en ne se réservant que fort peu de chose pour lui-
même (4). C'était là une coutume établie depuis quelr
(1) C'est ce qui a exactement lien eu Angleterre, où les hantes classes sont généralement
en faveur de l'épiscopat; cette inégalité du rang, qui est conventionnelle et ne dépend
nullement des mérites, est un spectacle qoi leur platt et influe sur elles, souvent à leur insu.
D'un autre côté, ce sont les moyennes et les basses classes qui font la force du non-confor-
misme, c'est à dire les classes où Ton a le pins de respect pour l'énergie et l'intelligence, et
où l'on éprouve naturellement du mépris pour un système qui, selon le bon plaisir du sou-
verain ou du ministre du jour, confère des titres et des richesses à des personnes que la
nature n'a jamais destinées à la grandeur, mais qui, à la grande surprise de leurs contem-
porains, sont revêtues des plus hautes dignités. A l'égard de cette différence d'idées en
Ecosse, qui correspondent d'ailleurs à la différence de la situation sociale, voyez les obser-
vations présentées sur le dix-septième siècle dans Hume, Commentaries on the Lato of
Seolland. JÉdimb., 1797, in-4% t. II, pag. 544.
(2) Décision du conseil privé. M'Crie, Life of Melville, 1. 1, pag. 967. «The brethrein
of Glasgow were charged, under paine of horning, to admitt Mr. Robert Montgomrie, •
Galderwood, Hist. ofthe Kirk, t. III, pag. 596.
(3) « Charges the said Mr. Robert continue in the ministrie ofthe Kirk of Striveling, » etc.
Acts ofthe Geneî*al Assembliez, t. U, pag. 547. Cette interdiction fut pronooeée en 1581 ;
la décision du conseil privé porte la date d'avril 1592. Moysie, qoi vivait à cette époque f
dit qu'au mois de mars 1584-8* non seulement le doyen et le chapitre, mais encore tout le
clergé (« haill ministrie ») déclarèrent en chaire que la nomination de Montgomery « had
the warrand of the deuill and not of the word of God, bot wes damnit thairby. » Moysie,
Mémoire. Édimb., 1830, in-4°, pag. 36.
(4) t The title whereof the said duke had procured to him, that ne, having the name of
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284 HISTOIRE
ques années et qui permettait, entre autres moyens nom-
breux, aux seigneurs de dépouiller l'Église de ses biens (i).
Toutefois, ce n'était pas là la question à résoudre (2); le
point portait, non sur les revenus, mais sur le pouvoir. Car
le clergé savait fort bien que, le pouvoir établi, le revenu
en serait le corollaire naturel. Les pasteurs prirent donc les
mesures les plus énergiques. Au mois d'avril 1582, l'assem-
blée générale se réunit à Saint-Andrews, et délégua à Mel-
ville les fonctions d'arbitre (3). Le gouvernement, dans la
crainte d'un conflit, ordonna aux membres, sous peine d'être
accusés de rébellion, de ne rien décider au sujet de l'arche-
vêché (4). Mais rien ne put dompter les représentants de
l'Église. Ils citèrent Montgomery à comparaître devant eux ;
et, après avoir ratifié la sentence d'interdiction lancée par
le chapitre, ils déclarèrent qu'il avait encouru les peines de
la déposition et de l'excommunication (5).
bishop, and eight hundred merks money for his living and sustentatioun, the whole rents,
and other duteis of the said bénéfice, might corne to the doke's ntilitie and behove. • Calder-
wood, Hist. ofthe Kirk, t. IV, pag. 111. Voyez aussi pag. 401.
(1) Scot, Apologetical Narration ofthe State ofthe Kir Je, pag. 24, 25; Calderwood,
Hist. ofthe Kir le, t. III, pag. 302; Wodrow, Collections upon the Lives of Reformers,
1. 1, part, i, pag. 206 ; Lyon, Hist. of St. -Andrews, 1. 1, pag. 379 ; Gibson, Hist. of Glasgow,
pag. 59 ; Hume, Hist . ofthe House of Douglas, t. II, pag. 216, 217 ; Chalmers, Caledonia,
t. III, pag. 624.
(2) «But the Chnrchpassing this point (c'est à dire la simonie) made quarrel to him for
accepti'ng the bishopric. i Spottiswoode, Hist. ofthe Church ofScotland, t. II, pag. 282.
. (3) Acts ofthe General Assemblies ofthe Kirk, t. II, pag. 548.
(4) t A messenger-at-arms entered the honse, and charged the moderator and members
of the assembly, on the pain of rébellion, to desist from the process. > M'Crie, Life of
JfeJtnta?,t.I,pag.268.
(5) i The assemblie and brether présent, after yoteing in the said matter, depryrit the
said Mr. Robert from ail fnnetioun ofthe Ministrie in the Kirk of God, dnring the will ofthe
Kirkof God; and farther, descernit the fearefall sentence of excommunication to be pro-
mincit against him in the face of the haill Assemblie, to be voyce and month of the Mode-
ratonr présent ; to the effect, that, his proud flesh being cast into the handspf Satan,
he may be win againe', if it be possible, to God ; and the said sentence (to) be intimât be
every particnlar minister, at his awin partlcnlar kirk, solemnelie in the first sermonn to
be made be them, àfter thairreturning. • Acts ofthe General Assemblies of the Kirk,
t. II, pag. 562.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 28B
Dans ces temps-là une sentence d'excommunication en-
traînait des conséquences si fatales, que Montgomery fut
frappé de terreur à cette idée. Afin de parer à ce désastre,
il se présenta devant l'assemblée et promit solennellement
de s'abstenir de toute tentative à l'avenir, renonçant ainsi à
l'archevêché (1). Cette démarche lui sauva probablement la
vie; car le peuple, se rangeant du côté de ses pasteurs,
était résolu à tout faire, ou, tout au moins, à maintenir les
prétendus droits de l'Église et à défendre celle-ci contre les
empiétements de l'État (2).
De son côté, le gouvernement était également résolu. Le
conseil privé fit comparaître plusieurs pasteurs devant lui;
et Dury, l'un des fauteurs les plus actifs, fut chassé
d'Edimbourg (3). On allait procéder à des mesures encore
plus violentes, lorsqu'elles furent arrêtées par un de ces
événements singuliers, assez fréquents en Ecosse, et qui
démontrent d'une manière frappante la faiblesse endémique
de la couronne, malgré les prétentions exagérées qu'elle
affichait. Je veux parler de la conspiration de Ruthven, qui
eut lieu en 1582, et qui eut pour conséquence de faire em-
prisonner Jacques VI pendant dix mois (4). Fidèles à leur
(4) Acts ofthe General Assemblies ofthe Kirk, t. II, pag. 665. Calderwood (Hist. of
the Kirk, t. III, pag. 604) dit : < After long reluctatioun, at lenth he condescended. »
(2) M'Crie (Life of Melville, 1. 1, pag. 274) dit: • In ail thèse contendings, the minis-
tère had no conntenance or support from any of the oobility. > Il eût été étrange qu'ils
eussent trouvé cet appui, attendu que le mouvement tout entier était essentiellement démo-
cratique.
(3) MelTille, Autobiographie, pag. 129; Calderwood, Hist. of the Kirk, t. III, pag. 620
M'Crie, Life of Melville, 1. 1, pag. 270.
(4) Il fut arrêté en 4582 (août) et remis en liberté en juin 4583. Tytler, Hist. ofScotland,
I. VI, pag. 324, 360. Il est étrange que cet ouvrage estimable et plein d'un véritable talent
contienne des vues si superficielles sur les affaires religieuses de l'Ecosse. 11 semblerait que
M. Tytler n'a pas approfondi les menées des consistoires ni même des assemblées géné-
rales; on ne trouve dans son livre aucune connaissance de la littérature théologique de
son pays. Et cependant (de 4560 à 4700 environ) c'est dans ces sources que l'on puisera
plus de vrais renseignements sur l'histoire des Écossais que partout ailleurs.
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m HKT0UE
politique, les pasteurs approuvèrent hautement la captivité
du roi et déclarèrent que c'était une œuvre pie (1). Dury qui
avait été expulsé delà chaire fut ramené en triomphe dans, la
capitale (2); et l'assemblée générale, se réunissant à Edim-
bourg , donna l'ordre à tous ses ministres d'exposer a leurs
oqailles la justice de l'emprisonnement du roi (3).
En 4583, le roi recouvra la liberté, et la lutte reprit plus
acharnée que jamais ; les deux partis étant exaspérés par les
souffrances qu'ils s'étaient infligées réciproquement. Ls|
conspiration ayant été déclarée l'œuvre de la trahison, et
elle l'était sans conteste, Dury la défendit ouvertement en
chaire : or, quoique plus tard, sous l'empire d'une crainte
passagère, il ait retracté ses paroles (4), d'autres circonstances
nous prouvent d'une manière évidente que ses sentiments
étaient partagés par ses confrères (5). Un certain nombrç
(i) « The pnlpit resoanded with applauses of theGodly deed. » Àrnot t Hi*t. ofEdin-
burgh, pag. 37.
(2) • As he is comming from Leith to Edinburgh , upon Taisday the 4th of September,
there mett him at the Gallow Greene two hundreth men of the inhabitants of Edinburgh*
Their number still increased, till h e came within the Neather Bow. There they beganne to
sing the 124 Psalme, Now may Israël say, • etc., and sang in foure parts, knowne to the most
part of the people. They came np the Street tiil they came to the Great Kirk, singing thus
ail the way , to the nomber of two thowsand. They were mâche moved themselves, and so
were ail the beholders. The dnke was asionished, and more affrayed at that sight than at
anie thiog that ever he had seene before in Scotland, and rave hîs beard for anger. »
Calderwood, Hist. ofthe Kirk, t. III, pag. 646, 647.
(3) Acts ofthe General Assemblies, t. II, pag. 596, 596. Cet ordre, donné par rassemblée
générale réunie à Edimbourg, porte la date du 9 octobre 1582 (pag. 565). Consultez égale-
ment Watson, Historicall Collections of Ecclesiastick Affairt in Scotland, pag. 192 :
tReqniring the ministers in ail their churches to commend in into the people. •
(4) Spottiswoode, Hist. ofthe Church of Scotland, t. II, pag. 308.
(5) Jacques, après son évasion, «convocat ail his peaceahill Prelatis and Nobles, aod thair
he notefeit unto thayme the greif that he consavit of his unlaughfnll detentioun the yeir
bygayne, and tharefore desyrit thame to acknawlege the same; and they be thair generall
voittis decernit the rayd of Ruthven to be manifest treasoun. The Ministers on the uthcc
part, perswadit the people that it was a godly fact, and that whasoever wald not altow
thareof in his hart, was not woTthie to be estemit a c bris tien. » The Historié of King
James the Sext, pag. 202, publié par le Bannatyne Club. Édimb., 1825, in-4*.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 287
d'entre eux ayant été appelés devant le roi pour rendre
compte de leurs propos séditieux, lui dirent de prendre
garde à ee qu'il ferait, tout en lui rappelant qu'aucun prince
n'avait prostré du jour où il avait encouru les menaces des
ministres de Dieu (1). Melville, qui exerçait une immense
action sur le clergé et sur le peuple, brava le roi en face,
et, après avoir refusé de s'expliquer sur le langage qu'if
avait tenu en chaire : « Vous attentez, lui dit-il, à toutes
les lois divines et humaines (2). » Simpson compara Jacques
à Caïn et l'avertit de redouter la colère de Dieu (3). Bref,
l'Église était animée d'une haine si implacable, qu'elle sem-
blait prendre plaisir à la révéler sous toutes les formes les
plus repoussantes. En 1585, un pasteur, nommé Gibson, au
milieu d'un sermon qu'il prononça à Edimbourg, appliqua
au roi la malédiction qui tomba sur la tête de Jéroboam : il
(1) « Disregajri qot our threatening ; for there was Aérer ooe yet io this realm , in tbe
place where your grâce is, who prospered afler the ministers began threaten him. > Tytler,
Hist. ofScottandy t. VI, pag. 364. Voyex aussi dans Caiderwood (Hist. of the Kirk, t. V,
pag. 540, 541) une lettre adressée au roi par le clergé de Ftfe en 1597 : « And now, Sir,
lett me be free with you inwritting other men's reports, and thatof the wisest politicians.
They say, our bygane historeis report, and expérience teacheth, that raro et fere
nunquam bas a king and a prince continned long togetber in tbis reaime; for Filius ante
diem patrios inquirit in annos. And they say, Sir, farther, that whatsoever they were
of your Majestie's predecessors of governement that oppouned themselves directïie or indi-
rectlie to God's ordinance in bis Kirk, it has beene tbeir wracke and subrersioun in the end.
I might herein be more particular; bat l leave it to your Majestie's owne grave and mode#t
consideralionn, for it concerneth you most neere. »
(2) • Sayîng, tHe perverted the laws both of God and man. » Spottiswoode, Hist, ofthe
Ctoirch ofScotland, t. Il, pag. 309. Tytler, Hist. ofScotland, t. VI, pag. 371.
(3) t Mr. Patrick Simson, preacjûng before the king upon Gen., IV, 9 : t Tbe Lord said to
Cain, Where is Abel, thy brother? • Said to the king, before tbe congrégation : t Sir,
I assure you, in God's name, the Lord will ask at you where is the EarJ of Moray , your
brother? » The king replyed, before ail the congrégation : «Mr. Patrick, mychalmer doore
ires ne ver steeked upon you : ye might hâve told me anything ye thought in secret. > Qe
replyed : « Sir, the scandall is publict. • Row, HUt. ofthe Kirk, pag. Itt. «Having occa-
sion, aimo 1593, to preach before tbe king, he publicly exhorted him to beware that he drew
not the wrath of God upon himseh* injmtronizing a manifest breach of divine laws. > Howie,
Biographia Scoticana, pag. 190.
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Î88 HISTOIRE
mourra sans postérité, dit-il, et ce sera le dernier de sa
race (1). L'année suivante, Jacques étant convaincu qu'Eli-
sabeth était bien résolue à faire périr sa mère, s'imagina
d'avoir recours à ce que l'on considérait dans ce siècle-là
comme une ressource infaillible : il demanda au clergé
d'adresser des prières au ciel en faveur de Marie Stuart.
Presque unanimement, les pasteurs refusèrent d'accéder à
ses désirs. Non contents de cette abstention personnelle, ils
décidèrent que nul parmi eux ne prêterait son ministère dans
cette circonstance. L'archevêque de Saint- Andrews allait offi-
cier en présence du roi : gagné p$r les pasteurs, un certain
John Cowper alla se poster auparavant dans la chaire, afin
d'en exclure leprélat(2).Etcenefutqu'aprèsquelecapitaine
des gardes du corps eut menacé Cowper de l'arracher de la
place qu'il avait usurpée, que le service put continuer, et le
roi entendre les prières adressées au ciel pour sa mère, dont
le sort, à cetteheure sombre, était si incertain, qu'on igno-
rait encore si elle serait décapitée en public ou, selon la
croyance la plus répandue, si elle serait secrètement empoi-
sonnée (3).
(1) < Saying, « that Captain James, with his lady Jesabel, and William Stewart (meaniog
the colonel), were taken to be the persecntors of the Church ; but that now it iras seen to
be the king himself, agaïnst whom he deoouoced the curse that fell on Jéroboam— that ne
woold die childless, and to be last of his race, t Spottiswoode, Hist. of the Church of
Sfcottond,t.Iï,pag.335.
(2) « The kiog, perceiving by ail thèse letters, that the death of his mother was deter»
mined, called back his ambassadors, and at home gave orderto the ministers to remember
her in their public prayers, which they denied to do. » < Upon their déniai, charges
were directed to command ail bishops, ministers, and other office-bearers in the Charch to
make mention of her distress in their public prayers, and commendher to-Godin theform
appointed. But of ail the namber only Mr. David Lindsay at Leith and the king's own
ministers gave obédience. » Spottiswoode, Hist. of the Church, t. II, pag. 355, 356. t They,
with only one exception, refnsed to comply. 1 Russell, Hist. ofthe Church in Scotland,
t. H, pag. 23. Rapproches Watson, HistoricaU Collections of Ecclesiastick Affaire in
Scotland, pag. 208, de Historié of James the Sext, pag. 225.
(3) « They stirred np Mr. John Cowper, a yonng man not entered as yet in the fonction,
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 289
En 1594, John Ross déclara en chaire que les conseillers
du roi étaient tous des traîtres et que le roi lui-même ne
valait pas mieux qu'eux. C'était un rebelle, un réprouvé,
Qu'y avait-il d'étonnant dans ce fait, quand on considérait
l'extraction de Jacques? Sa mère était une Guise, elle avait
persécuté les saints. Quant à lui, il n'osait pas persécuter
au grand jour, il les flattait avec de belles paroles : mais ses
actes ne répondaient pas à son langage, et si grande était sa
dissimulation , que c'était bien l'hy pocri te le plus consommé qui
fût en Ecosse (2). En 1596, David Black, l'un des plus influents
î to take the pulpit before the Mme, and exclude the bishop. The king coming at the hour
appointai, and seeing him in the place, called to him from his seat, and said : « Mr. John,
that place is destined for another ; yet since you are there, if you will obey the charge that
' « is given, and remember my mother in yonr p rayer s, yon shall go on. » He replyiog ; «That
he -wonld do as the Spirit of God shonld direct him, » was commanded to lea?e the place :
and makingas thoagh he wonld stay, the captain of the gnard went to pnll him ont;
: whereupon he burst forth in thèse speeches : « This day shall be a witnes* against the king
in the great day of the Lord,» and then denouncing a wo to the inhabitants of Edinbnrgh,
'--. he went dbwn, and the bishop of St. Andrews entering the pulpit did perform the dnty
,| reqnired. » Spottiswoode, Hist. ofthe Church of Scotland, t. II, pag. 356. « The Kingis
Majestie, to testifie his earnest and natnrall affection to his mother, cansit pray for hir
£ oppinly efter him selff; quhairypone arrose a great dissensionn betoli snm ofthe ministrie
and his Majestie, namely the ministrie of Edinbnrgh. Qnhairvpone the king appoynted
Patrik , archbischop of St. And rois to teache, bot he wes prenented be Mr. John Covpar
minister, quho corne befoir and filled the pnlpit. And as the said Mr. John wes beginnand
1 y the prayer, the Kingis Majestie commandit him to stay : so as Mr. John raschit michtely
tt * vpone the pulpit, saying : « This day sali bear witnes aganis yow in the day of the lord :
woe be to ye Edinbnrgh, for the last of XI plaiges salbe the worst. > Moysie, Memoirs,
pag. 59.
(1) Consultez The Historié of King James the Sext, pag. 316-318, d'après «a just copie
t ! ' of his sermon • donnée par Ross lui-même, t His text was upon the 6 chapter of the Ptophet
Jeremias, verse 28. < Brethren, we hâve manie, and almaist innumerable enormiteis in this
^ cuntrie to be lamentât, as the misgoyernement of onr king be sinistrous co un sali of sum
^ particular men. They ar ail rebellions traitors, evin the king the maist singnlar person, and
'■*' particularlie everie estait of the land. • • Our king in sindrie poyntis hes bene
ft 1 ' rebellions aganis the Majestie of God. ■ t To this howre, we gat never gude of
* ' the Guysien blude, for Queyne Marie his mother was an oppin persécuter of the sanctis of
^ God, and althoght the king be not an oppin persecutor, we hâve had many of his fayre
¥ wordis, wharein he is myghtie aneugh, bot for his gude deiddis, I commend me to thayme. •
....*. t Admit, that onr king be a Çhristien king,yit but amen dément, he is a reprobat
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1*0 HISTOIRB
parmi les ministres protestants, prononça un sermon qui fit
grand brait. Tons les rois, dit-il, étaient les enfants du
diable ; mais en Ecosse c'était Satan lui-même qui régnait.
Les membres du conseil étaient des cormorans et les
lords du parlement des mécréants. Les nobles avaient
dégénéré : impies, fourbes, ils étaient les ennemis de
l'Église. Quant & la reine d'Angleterre, ce n'était qu'une
athée. De la reine d'Ecosse, tout ce qu'il avait à dire c'était
qu'ils pouvaient prier pour elle si cela leur plaisait et parce
que c'était la mode, mais qu'il n'y avait aucune raison pour
cela, d'autant plus qu'il ne leur en reviendrait jamais aucun
bien (1).
Par suite de ce sermon, Black fut appelé à comparaître
devant le conseil privé : il refusa de s'y rendre, sous le pré-
texte que c'était à un tribunal ecclésiastique, et non à un
king. Of ail the men in this nation, the kinghimself is the maist fynest, and maist dissembting
hypocreit. > Galderwood (Hist. ofthe Kirk, t. V, pag. 299), qui probablement n'avait pas
vu les notes originales, ne parle que très brièvement de ce sermon.
(1) < L'accusation, qui établissait de tons points sa culpabilité, portait que < he had
pnblictlie sayd in pulpit, tbat the papist erles wes corne home be the kingis knavledge and
consent, quhairin his Hienes treacherîe wes detnctit; tbat ail kingis war deniiis and corne
of deoilis; that the denill wes the head of the court and in the court; that he prayit for
the Queine of Scotland for the faschione, because he saw na appearance of gnid in hir
tyme. » Moysie, Memoirs, pag. 128. < Having been heard to affirm, that the popish lords
had retnrned into the country by the king's permission, and that thereby the king bad
discovered the i treacherous hypocrisy of his heart; • that < ail kings were the devil's
bairns, and that the devil was in the court, and the guiders of it. » He was proved to hâve
nsed in his prayer thèse indécent words, when speaking of the qneen : c We must pray for
her for fashion's sake; but we might as well not, for she will never do us any good. » He
called the Queen of England an atheist, and the Lords of Session bribers ; and said that
the nobility at large « were degenerate, godless, dissembler s, and enemies to the churh. •
Grierson, Hist. of Saint-Andrew*. Gupar, 1838, pag. 30 Au nombre des délits dont il
était accusé se trouvaient ceux-ci : < Foorthly, that he had called the queen of England an
atheist. Fiflhly , that he had discnssed a suspension granted by the lords of session in
pulpit, and called them miscreants and bribers. Sixtbly, that, speaking of the nobility, he
said they were « degenerated, godless, dissemblers, and enemies to the church. • Likewise,
speaking of the conncil, that he had called them c boliglasses, cormorants, and men of no
religion. i Spottiswoode, Hist. oftte Church, t. III, pag. 21.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 201
tribunal séculier, qu'il appartenait de connaître de paroles
prononcées en chaire. Assurément, il obéirait à l'Église :
ayant reçu sa mission de Dieu, il était tenu de l'accomplir,
et il manquerait à don devoir s'il permettait aux cours civiles
Se juger de pareilles matières (1). Le roi, tout en fureur,
fit jeter Black en prison, et nous ne voyons guère qu'il lui
restât d'autre alternative : quoiqu'il pût faire, cependant, il
était certain qu'il ne parviendrait jamais à plier l'esprit in-
domptable de l'Église écossaise (2).
La même année, au mois de décembre, l'Église ordonna
un jeune général, et Welstprononçaà Edimbourg un sermon,
dans le but de soulever le peuple contre ses maîtres. Le roi,
dit-il, avait été autrefois possédé d'un démon : ce démon
ayant été exorcisé, sept autres de la pire espèce étaient
venus reprendre sa place. Évidemment, Jacques était fou,
et il était légal de lui enlever des mains l'épée de justice, de
même qu'il serait légal pour des serviteurs ou des enfants
de s'emparer du chef de famille, s'il avait plu au ciel de le
plonger dans la démence. En un tel cas, ajoutait l'orateur,
(1) Consultez les pièces originales intitulées : The Declinalour of the King and
Coumel J 8 Judicatour in Maters Spiritual^ namelie in Preaching of the Word.
Calderwood, Hist. of the Kirk, t. V, pag. 457-459, 475-480. Tytler {Hist. ofScotland,
t. VII, pag. 326-332) en donne quelques extraits tout en les accompagnant de remarques
sur leur tendance évidente. Consultez , relativement au déni de juridiction dont excipait
l'Église écossaise, Hallam, Constitutional History, 4* édit., 1842, t. II, pag. 461, et
Mackenzie Laws and Customs of Scotland in Matters Criminal: Edimbourg, 1699,
pag. 181, 182.
(2) M'Crie (Life of Melville, t. II, pag. 70, seq.) nous donne le récit des poursuites inten-
tées contre Black; mais, selon son habitude, il ne nous dit pas ce qui y donna lieu ou du
moins il adoucit tellement le délit, que ce n'en est plus un. D'après lni,« David Black had
been served with a sommons to answer before the privy council for certain expressions used
by him in his sermons. » Certaines expressions, vraiment! Mais pourquoi parler de la peine
et supprimer l'offense Ï Ce profond écrivain savait parfaitement bien ce qu'avait dit Black,
et pourtant tous les renseignements qu'il donne au lecteur se bornent à une note (pag. 72)
qui contient un extrait mutilé de Spottiswoode.
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292 HISTOIRE
il serait juste de se saisir du fou, et de le tenir pieds et
poings liés, afin de prévenir tout autre mal (1).
A celte époque, la haine du clergé était si implacable, la
sève de l'esprit démocratique était si forte dans son sein (2),
que ses membres semblaient incapables de se gouverner
eux-mêmes : ainsi Andrew Melville, dans une audience avec
le roi, en 1596, alla jusqu'à l'insulter personnellement, et,
le saisissant par le bras, il le traita de « sot vassal de
Dieu (3) ! » La grande somme de vérité contenue dans ce
reproche cruel en augmentait l'acre té. Mais les pasteurs ne
se bornèrent pas toujours aux paroles (4). Il n'y a pas de
doute qu'ils participèrent à la conspiration de Ruthven ; et
(1) « Saying : • He was possessed irith a devil; that one devil being pat ont, seven -worse
were entered in place ; and that the subjécts might lavrfully rise, and take the sword ont of
his haod ; > which he confirmed by the example of a father that falling into a frenzy, might
be taken by the children and servants of the famity, and tied hand and foot from doing
violence. > Spottiswoode , Hist. of the Church of Scotland, t. III, pag. 3*. Consultes
également Arnot, Hist. of Edinburgh, pag. 46, 47.
(2) Ce qni D*échappa pas à l'attention du gouvernement, et Elisabeth, qui était parfaite-
ment an courant de tont ce qoi se passait en Ecosse, écrivit à Jacques en 1590 pour l'avertir
de se tenir sur ses gardes, conseil qui était peu nécessaire, mais qui dut ajouter à toutes
ses craintes. « And lest fayre semblance, that easely may begile, do not brede your igno-
rance of suche persons as ether prétend religion or dissemble deuotion, let me warne
you that ther is risen, bothe in your reaime and myne , a secte of perilous conséquence,
suche as wold hâve no kings but a presbitrye, and take our place while the inioy our privi-
lège, with a shade of Godes word, triche none is juged to folow right -without by ther
censure the be so demed. Yea, looke ire wel unto them. ■ Letlers 6f Elizabetii and
James VI, publiées par John Bruce (Camden Society, 1849, in-4", pag. 63).
(3) Le révérend James Melville, qui assistait à cette scène, la décrit avec une joie qui
déborde : < To the qnhilk, I begtnning to reply, in my maner, Mr. Andro douent nocht abyd
it, bot brak af npon the king in sa zealus, powerfull, and unresistable a maner, that whov-
beit the king used his authoritie in maist crabbit and colerik maner, yit Mr. Andro bure
him down , and outtered the Commission as from the mightie God, calling the king bot
t God's sillie vassall ; • and taking him be the sleive, ■ etc. Autobiography and Diary of
James Melvill, pag. 370. Voyez en outre Shield, Hind let Loose, 1687» pag. 52, et M'Crie,
Life of Melville, t. Il, pag. 66.
(4) En 1593, un certain nombre d'entre eux formèrent un complot pour se saisir de sa
personne. On en trouvera la preuve, tirée des documents d'État, dans Tytler. HisL of
Scotland, édit. Édimb., 1845, t. VII, pag. 349.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 293
il est probable qu'ils furent aussi complices de la der-
nière trame ourdie contre Jacques, avant qu'il s'évadât du
pays remuant qu'il gouvernait nominalement. Ce qu'il y a
de certain c'est que le comte de Gowrie qui, en 1600, attira
le roi dans son château, comme dans un piège, pour le tuer,
était l'espoir suprême du parti presbytérien et prenait
une part intime aux desseins ambitieux de ses mem-
bres (1). Tel était l'aveugle attachement de ces derniers
pour l'assassin que, lorsque son complot fut déjoué, lors-
qu'il succomba lui-même, plusieurs pasteurs firent répandre
le bruit que Gowrie était tombé victime de la perfidie du
roi et que, si jamais complot avait existé, c'était bien celui
tramé par le monarque, avec de funestes artifices contre son
hôte magnanime et innocent (2).
Dans un siècle (5) aussi ignorant, et partant erédule,
une telle absurdité faisait vite son chemin. Que le clergé
ait propagé cette fausseté, et qu'en cela comme en tous
autres cas, ses membres aient cherché, à grands renforts
d'art et de méchanceté, à noircir le caractère de leur
prince (4), voilà qui ne surprendra aucun de ceux qui savent
combien l'Église est facilement irascible et jusqu'à quel
(1) t He was the darling hope of the Presbyterian party. » Ibid., t. VII, pag. 410.
<S) c Gewry's conspiraey was by them chargea on the king, as a contrivance of bis lo gel
rid of tbat earl. > Burnet, Hist. of his oum Time, édit. Oxford, 1823, 1. 1, pag. 31. Con-
sulter aussi Ty lier, Hist. of Scoiland, t. VII, pag. 439, 440, et à l'égard de la propagation
de t this absird hailtcination, » consultes Spottiswoode, MisceUany. Édimb., 1645, t. II,
pag. 3».
13) Il y a une bonne note à ce snjet dans Pitcairn, Criminal Trials in Scolland.
Édimb., 18B3, in-4% t. II, pag. 179. Se reporter anssi à Lawson, Book ofPerth. Édimb.,
1847, pag. xxxix.
(4) Létr langage et leur manière d'agir en général excitèrent tellement la foreur de
Jacques que, dans on accès de colère, il s'écria en 1592 qne t tnat it would not be weill till
noblèmen and gentlemen gott licence to breake minister's heads. > Calderwood , Hist. of
the Kir k, t. V, pag. 448.
T. IV. 19
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294 HISTOIRE
point la théocratie est toujours prête à déverser les plus
infâmes calomnies sur ceux qui sont en travers de son che-
min. L'évidence qui a été recueillie nous prouve que les
pasteurs presbytériens poussèrent la violence contre les au-
torités constituées jusqu'à l'indécence, sinon jusqu'au crime:
impatients, peu scrupuleux, avides de pouvoir, exerçant
une cruelle intolérance contre tout ce qui faisait obstacle à
leurs desseins, ils commirent toutes ces fautes et ne nous
saurions les absoudre. Cependant, la véritable cause de leur
conduite fut l'esprit du siècle, comme aussi les particularités
de leur position. Qui'de nous peut dire que, placés dans les
mêmes circonstances, nous aurions agi différemment? Sans
doute, quand nous lisons aujourd'hui , dans les annales de
leurs assemblées ou dans les historiens de leur Église, leurs
diverses manières de procéder, nous ne pouvons réprimer un
certain sentiment de déplaisir, je dirais presque de dégoût,
en présence de tant de superstition, d'ergoterie, d'artifices
bas et indignes, unis pourtant à tant de superbe et d'inso-
lence ! La vérité, c'est qu'en Ecosse le siècle était mauvais
et que le mal monta à la surface. Tout était ébranlé, chan-
celant; impossible de rien mettre en ordre. Anarchie, igno-
rance, pauvreté, force, fourberie, troubles civils, invasions de
l'étranger, tout avait réduit l'Ecosse à un état qu'il est à
peine possible de concevoir. Plus tard , je ferai ressortir
l'effet que toutes ces circonstances réunies produisirent sur
le caractère national et les maux funestes qu'elles engen-
drèrent. En attendant, pour rendre toute justice au clergé
écossais, déclarons que la condition de son pays est la meil-
leure explication de la conduite de l'Église. Autour de ces
ministres de Dieu, tout était bas et grossier; les hommes
apportaient dans toutes leurs habitudes quotidiennes une
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 295
violence, une brutalité el un oubli de la décence la plus ordi-
naire poussés à leur dernière limite : comme corollaire naturel,
le beau idéal des actions humaines était tellement terre à terre,
si défiguré, si rampant, que nombre de personnes intègres et
animées des meilleures intentions ne reculaient pas devant des
choses qui aujourd'hui nous semblent incroyables. Ne soyons
donc pas trop sévères sur ce point. N'épuisons pas toutes
nos critiques sur les principaux acteurs qui jouèrent un
rôle dans cette grande phase critique que l'Ecosse traversa
à la fin du seizième siècle. Leurs méfaits, et ils sont nom-
breux, excitent notre plus profonde horreur. Mais, du
moins, ils ont accompli une grande œuvre qui nous fait
honorer leur mémoire, qui leur mérite le titre de bienfai-
teurs de leur espèce. Quand tout était en danger de périr, ils
entretinrent la flamme de la liberté nationale (1). Ce que la
couronne et la noblesse exposaient au plus grand risque, le
clergé le sauva. Grâce à eux, l'étincelle mourante rejaillit,
la flamme s'élança. Lorsque la lumière ne jetait plus que
des teintes blafardes sur l'autel , le clergé la raviva , il
entretint le feu sacré ! Voilà sa véritable gloire, et certes, il
peut s'en contenter. Gardiens de la liberté écossaise, les
pasteurs restèrent à leur poste. Ils couraient en avant par-
tout où était le danger. Par leurs sermons, par leur conduite
(1) ■ At the period of which we speak (vers 1584) the pnlpit was, in fact, the only organ
by which public opinion was, or could be, eipressed; and the ecclesiastical courts were
the only assemblies in the nation which possessed any thing that was entitled to the name
of liberty or independence. Parliament had its business prepared to its hand , and laid
before it in the shape of acts which required only its assent. Discussion and freedom of
speech were nnknown in its meetings. The conrts of justice were dépendent on the will of
the sovereign, and freqnently had their proceedings regnlated, and their décisions dictated,
by letters or messages from the throne. It was the preachers who first tanght the people to
express an opinion on the condnct of their rnlers ; and the assemblies of the Church set the
earliest example of a regnlar and firm opposition to the arbitrary and unconstitutional
measnres of the Court. • M'Crie, Life ofMelville, 1. 1, pag. 303.
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296 HISTOIRE
publique et privée, par les décisions de leurs assemblées,
par leurs attaques hardies et renouvelées contre certains
hommes, sans s'inquiéter du rang de celui qu'ils assaillaient,
mieux encore, par l'insolence avec laquelle ils traitèrent
leurs supérieurs, ils remuèrent les esprits, les firent sortir de
leur léthargie et développèrent cet esprit frondeur et démo-
cratique, seule garantie efficace que possède le peuple contre
la tyrannie de ses maîtres. Voilà l'œuvre du clergé écossais.
Salut à ces champions! Ils apprirent à leurs compatriotes à
scruter d'un œil sévère la politique de leurs chefc; ils déver-
sèrent le mépris sur la royauté et la noblesse, et exposèrent
dans toute sa nudité la folie de leurs prétentions; il& rail-
lèrent leurs visées et poussèrent un éclat de rire strident
devant leurs mystères. Le rideau déchiré, ils firent voir les
ruses et les détoars de l'arrière-seène. Les grands de la
terre, ils les dédaignèrent souverainement et rabaissèrent
tous ceux qui étaient au dessus d'eux. Service immense qui
contre-balance tous leurs crimes, fussent-ils dix fois plus
grand. En diminuant ce respect fatal et dégradant que les
hommes ne sont que trop portés à témoigner envers ceux
que le hasard, et non le mérite, a placés au dessus d'eux, ils
aidèrent au développement d'une indépendance orgueilleuse
et robuste, qui devait être inestimable à l'heure du besoin.
Et cette heure arriva plutôt qu'on ne s'y attendait. Dans
l'espace de quelques années, Jacques, devenu maître des
ressources de l'Angleterre, tenta de les tourner contre les
libertés de l'Ecosse. La honteuse entreprise dont il fut le
promoteur, fut continuée par son fils cruel et superstitieux.
Tous ceux qui ont lu notre histoire savent comment ces
tentatives échouèrent; comment Charles I er y engloutit
sa fortune et provoqua une révolte qui fit monter sur l'écha-
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 297
faud ce grand criminel, qui osa conspirer contre le peuple
et qui, en qualité d'ennemi commun et d'oppresseur de
de toutes les classes, reçut enfin le juste châtiment de ses
fautes. L'on sait aussi que, dans le cours de la lutte, les
Anglais furent grandement redevables aux Écossais qui
eurent, en outre, le mérite d'avoir été les premiers à lever
la main contre le tyran. Ce qui est moins connu, toutefois,
mais ce qui n'en est pas moins vrai, incontestable, c'est
que les deux nations doivent une dette si grande, qu'elles ne
pourront jamais la payer à ces hommes hardis qui, pen-
dant la dernière partie du seizième siècle, firent tomber du
haut de la chaire et de leurs assemblées, pour les dissé-
miner, des sentiments que le peuple couva dans son cœur et
qui, au moment favorable, en jaillirent vigoureusement au
grand effroi des tyrans que ce même peuple finit par
anéantir.
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CHAPITRE XVIII
Situation de l'Ecosse pendant le dix-septième et le dix-huitième siècle.
Jacques était à peine monté sur le trône d'Angleterre
qu'il essaya sérieusement de soumettre l'Église écossaise,
qui était pour lui, il le voyait clairement, le principal obs-
tacle pour arriver à un pouvoir despotique. Lorsqu'il n'était
encore que roi d'Ecosse, il avait fait la même tentative,
mais ses efforts avaient toujours été déjoués. Maintenant
cependant qu'il avait à sa disposition les vastes ressources
de l'Angleterre, la victoire semblait facile (1). Dès l'année
1584, il avait remporté un triomphe momentané, en for-
çant une grande partie du clergé à reconnaître l'épiscopat (2).
(1) Lord Dartmooth dit (note dans Burnet, Hist. of his own Time, t. 1, pag. 15) :
« The Earl of Seafield told me that Ring James frequuntly declared that ne never looked
npon himself to ne more than Ring of Scotland in name, till ne came to ne Ring of England;
bnt now, ne said, one kingdom would help him to govern the other, or ne had studied king-
craft to very little purpose from his cradle to that time. ■ Comparez Bnrnet, Memoirs of
the Dukes of Hamilton. Oxford, 1852, pag. 36. « No sooner was he happily settled on the
throne of England, bnt he went more ronndly to work. •
(2) Compares Tytler, Hist. ofScoUand, t. VI, pag. 430, avec les Acls ofthe Parlia-
mente of Scotland, t. III, pag. 303, § 20, et aussi l'acte (pag. 293, § 4) de 1584 limitant le
pouvoir des assemblées générales. Jacques, qui se flattait d'avoir tont arrangé, signala son
triomphe en insultant lui-même le clergé, « calling them lownes, smaicks, séditions knaves,
and so furth. » Voyez une lettre, datée du 2 janvier 1585-86, dans MisceUany of the
Wodrow Society. Édimb., 1844, pag. 438.
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HISTOIRE DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 299
Mais cette institution était si antipathique aux principes
d'égalité et de démocratie du clergé écossais , que rien ne
put vaincre l'horreur qu'elle lui inspirait (1); il intimida
complètement le roi , qui fut forcé de céder et de revenir
sur ses pas. Il en résulta qu'en 1592 le parlement promul-
gua un texte qui renversa l'autorité des évêques et fonda le
presbytérianisme; c'était un plan basé sur l'égalité, et qui
convenait par conséquent aux besoins de l'Église écos-
saise (2).
Jacques avait ratifié cette loi avec la plus grande répu-
gnance (3). Dans le fait, cette répugnance était si profonde
(i) « Bishops were alwayes looked at with a frown. » Kirkton, Hist. ofthe Church of
Scotland, pag. 129.
(2) Voyez cette loi remarquable dans Acf,s of the Parliaments of Scotland , t. III ,
pag. 541, 542. Comme plusieurs historiens de l'Église d'Ecosse ont représenté cette loi sons
un jour complètement faux, j'en cite ici la partie qui abroge expressément l'acte de 1584 en
faveur des évêques : « Item oure said souerane lord and estaittis of Parliament foirsaid ,
abrogatis cass and anullis the XX actes of the same pliamet haldin at Edinburgh the said
zeir 1584 zeiris granting comissioun to bishoppis and vtheris iuges constitute in ecclesias-
tical causs To ressaue his hienes presentatioun to bénéfices, To gif collatioun thairupon
and to put orde r in ail causs ecclesiasticall qlk his Maiestie and estaittis foirsaid declairis
to be expyrit in the self and to be null in tyme cuming and of nane availl force nor effect. »
(3) « The King repented after that he had agreed nnto it. > Calderwood, Hist. ofthe
Kirk, t. V, pag. 162. Mais ceci donne une idée incomplète de ses sentiments véritables.
Il est sans doute inutile de donner des preuves relativement aux opinions qu'avait à ce sujet
un prince dont un des dictons favoris était : c No Bishop, uo King. > Le lecteur trouvera
pourtant dans Clarendon (State Papers. Oxford, 1773, in-fol., t. II, pag. 260) une lettre de
Charles I" qui mérite examen, parce qu'elle avoue que Jacques, dans son amour pour l'épis-
copat et dans sa haine pour le presbytérianisme, était mû plutôt par des motifs politiques
que religieux. Charles écrivait : c The prudentiall part of any considération will never be
found opposit to the conscientious , nay heere, they go hand in hand; for (according to
lawyera lodgique ) show me any président where ever Presbiteriall government and Regall
vas together, without perpétuai! rebellions. Which was the cause that necessilated the
King, my Falher, to change that governement in Scotland. • Comparez ce que dit un
presbytérien écossais du dix-septième siècle dans Biographies, edited for the Wodroto
Society by the Rev. W. K. Tweedie. Édimb., 1845, 1. 1, pag. 13. « The reason why King
James was so violent for Bishops was neither their divine institution (which he denied they
had), nor yet the profit the Church should reap by them (for he knew well both the men and
their communications ), but merely because he believed they were useful instruments to
turn a limited monarchy into absolute dominion, and subjects into slaves, the design in
the world he minded most. ■
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300 HISTOIRE
qu'il projeta de faire abroger la loi à la première occa-
sion , dût-il même employer la force pour parvenir à son
but. Le moyen qu'il adopta caractérisait parfaitement et
l'homme, et le siècle dans lequel il vivait. En décembre
4568, il y eut à Edimbourg un de ces soulèvements popu-
laires qui sont naturels aux temps barbares, et qui, dans
des circonstances ordinaires, eût été facilement apaisé, sans
laisser aucune trace sérieuse (1). Mais Jacques profita de la
circonstance pour frapper un coup décisif. Son plan était
de jeter dans la capitale de son propre royaume de nom-
breuses trcupes de bandits armés et autorisés, qui, en mena-
çant de piller la ville, forceraient le clergé et ses ouailles à
se soumettre aux conditions qu'il lui plairait de leur dicter.
Ce plan magnanime était bien digne du caractère de Jacques,
et fut strictement exécuté. Il fit venir du Nord les nobles des
Highlands, et du Sud les barons des frontières, qui devaient
être accompagnés de leurs farouches partisans, hommes qui
vivaient de pillage, et dont le bonheur était de verser le
sang. Sur l'ordre de Jacques, ces brigands féroces parurent
dans les rues d'Edimbourg le 1 er janvier 1597, jouissant
d'avance de la perspective qu'ils avaient devant eux, et n'at-
tendant qu'un mot de leur souverain pour mettre la capitale
au pillage et la détruire de fond en comble (2). La résis-
tance était impossible. Tout ce que le roi demanda fut
accordé, et Jacques supposa que le temps était venu de con-
(1) t Had it not been laid hold of by designiog politicians as a handle for accomplishing
their measnres, it would not now hâve been known that snch an event bad ever occnrred. •
M'Crie, Life of Melville, t. H, pag. 85. « Harmless as tbis nproar was, it afforded tbe
court a pretext for carrying into exécution its designs against tbe liberties and governme nt
oftheCbnrch.iPag.89.
(2) Tytler, Bi$L ofScotland, t. VII, pag. 348-345; Calderwood, Hiit, ofthe Kirk, t. V,
pag. 514, 515, 530,1531.
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DE LÀ CIVILISATION BN ANGLETERRE. 391
solider l'autorité des évêques , et de se servir d'eux pour
contrôler le clergé et briser son esprit rebelle (1).
Cette entreprise demanda trois années. Pour assurer son
succès* le roi, avec l'aide de la noblesse, comptait non seu-
lement sur la forée, mais aussi sur un artifice, qui semble
avoir été alors employé pour la première fois. C'était d'inon-
der les assemblées générales d'ecclésiastiques tirés du nord
de l'Ecosse, où l'ancien esprit aristocratique de clans régnait
en souverain, et où l'esprit démocratique du Sud était in-
connu: jusqu'alors, les ecclésiastiques du Nord avait rarement
assisté aux grandes assemblées de l'Église ; mais Jacques
envoya, en 1597, Sir Patrick Murray dans le Nord, avec la
mission de les engager à venir aux assemblées pour voter
en faveur du gouvernement (2). Ces ecclésiastiques, qui
étaient d'une ignorance profonde, peu au courant des ques-
tions en litige, et qui étaient d'ailleurs habitués à une condi-
tion sociale dans laquelle les hommes, nonobstant leur esprit
d'indépendance, accordaient une obéissance servileà leurs
supérieurs immédiats, ces ecclésiastiques furent facilement
persuadés de faire ce qu'on leur demandait. Grâce à leur
concours, la couronne et la noblesse affermirent si bien leur
parti dans l'assemblée générale, qu'ils obtinrent la majorité
(1*, « Intimidated by thèse menaces, and distressed at the loss of the courts of justice,
they came to the résolution of making surrender of their political and religions liber lies
te the King. • M'Crie, Life ofMelville, t. II, pag. 91 Ceci se rapporte anx magistrats
d'Edimbourg. Entre antres menaces il y eut celle de ■ razing and plonghing of Edinbnrgh,
and sowing it with sait. » Wodrow, Life of Bruce, pag. 48; Bruce, Sermons, édités par le
révérend William Cnnningham. Édimb., 1843. A ce propos, Elisabeth éeririt nne lettre
à Jacques (rai «st imprimée dans Letters of Queen Elizabeth and James VI, 1849, in-4%
pag. «0,131.
(3) M'Crie, Life of MetoiUe, %. II, pag. 100. Scot (Apologetical Narration ofthe State
of the Kirk, pag. 88) dit : « Sir Patrick Murray, the diligent apostle of the North, made
their acquain tance with the King. • Voyez aussi The Autobiography and Diary of James
Melville, pag. 403.
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302 HISTOIRE
dans beaucoup de circonstances, et introduisirent peu à peu
des innovations dont le but était de détruire l'esprit démo-
cratique de l'Église d'Ecosse (1).
Le mouvement commença en 1597. Depuis ce moment
jusqu'en 1600, les assemblées qui se succédèrent sanction-
nèrent divers changements, qui tous étaient marqués par
cette tendance aristocratique qui semblait devoir tout ren-
verser. En 1600, l'assemblée générale se réunit à Montrose;
et le gouvernement se décida à faire un dernier effort pour
forcer l'Église à établir un régime épiscopal. Andrew Mel-
ville, certainement l'homme le plus influent de l'Église , et
le chef du parti démocratique, avait été comme toujours élu
membre de l'assemblée; mais le roi, intervenant de la façon
la plus arbitraire, lui défendit de s'y présenter (2). Néan-
moins la cour ne put l'emporter ni par la menace, ni par la
force, ni par les promesses. Tout ce qu'elle put obtenir fut
que certains ecclésiastiques auraient un siège au parlement;
mais il fut ordonné que ces ecclésiastiques déposeraient
chaque année leurs mandats aux pieds de l'assemblée géné-
rale, et rendraient compte de leur conduite. L'assemblée
devait avoir le droit de leur retirer leur mandat; et afin de
les soumettre à une plus grande suggestion, il leur fut
(1) Tytler, Hist. ofScotland, t. VU, pag. 350, 359. Mais on trouvera la meilleure des-
cription de l'influence du clergé du Nord dans M'Crie, Life ofMelvilte ( t. II, pag. 1004U5,
109, 131, 153). Comparez Calderwood, Hist. oftheKirk, t. V, pag. 625.
. (2) Ceci est raconté par son neveu , James Melville. « Mr. Andro Melvill corne to the
Assembly , by Commissionne of his Presbytrie, but wes commandit to keip his ludgeing*
quho, beiog callit to the Kiog in prirate,and demandit, Quhy he wes so trublesume as to
corne to the Assembly being dischairgit Y He answerit, He had a calling in the Kirk of God,
and of Jésus Chryst, the King of kings, quhilk he behovit to dischairge at ail occasionnes,
being orderlie callit thairto, as he wes al this tyme ; and that for feir of a grytter pnnisch"
ment then could any earlhly King inflict. » The Aulobiography and Diary of James
Melvill, pag. 542.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 303
défendu de porter le titre d'évêque ; ils devaient se contenter
du titre de commissaires de l'Église (1).
Cet échec sembla décourager Jacques ; car il abandonna
la partie, tout en travaillant encore clandestinement à la
restauration de l'épiscopat (2). S'il avait persévéré ouverte-
(i) Comme les passions de classes rivales donnent lien à nne controverse animée snr cette
partie de l'histoire d'Ecosse, et comme M. Tytler (Hist. ofScotland, t. Vil, pag. 360)
affirme lni-méme qne « the final establishment of Episcopacy » eut lien à l'assemblée de
Montrose en 1600, je joins ici quelques extraits des actes de cette assemblée, afin qne le
lecteur puisse juger lui-même et s'assurer de la véracité de mes assertions : c Concerning
the maner of choosing of him that sali hâve vote in Parliament in name of the Kirk : It is
condiscendit vpon, that he sali first be recommendit be the Kirk to his Majestie; and
that the Kirk sali nominat sixe for every place that sali hâve neid to be filled, of quhom
bis Majestie sali choose ane, of quhom he best lykes ; and his Majestie promises, obleises,
and binds himselfe to choose no vther but ane of that number : And in cace his Majestie
refuses the haill vpon ane just reason of ane insufficiency, and of greater sufficiencie of
vthers that are not recommendit, the Kirk sali make aoe new recommendatioun of men
according to the first number, of the quhilk, ane salbe chosin be his Majestie without any
farther refuisall or new nominàtioun; and he that salbe chosin be his Majestie, salbe
admittit be the Synods. » Acts ofthe General Assemblies oftlie Kirk ofScotland, t. III
pag. 954. c As to the cautions to keip him, that sali hâve vote in Parliament, from corrup-
tiouns : They be thèse following : 1. That he présume not, at any tyme, to propone at
Parliament, Counsell or Conventioun, in name of the Kirk, any thing without
expresse warrand and directioun from the Kirk, and sick things as he sali answer
(for) to be for the weill of the Kirk, vnder the paine of depositioun from his office. >
2* « He sali be bound at every Generall Assemblie, to give ane accompt anent the discharge
of his commissionn sen the Assemblie gangand befor ; and sali submitt himselfe to thair
censure, and stand at thair delerminatioun quhatsumever, without appellalioun ;
and sali seik and obtain ratificatioun of his doings at the said Assemblie, vnder
the paine of infamie and excommunicatioun. • 6. « In the administration of
discipline, collatioun of bénéfices, visitalioun, and ail vther points of ecclesiasticall
government,he sali neilher vsurpe nor acclaime to himselfe any power or jurisdiclioun
fartiier than any vther ofthe rest ofhis breither, unlesse he be imployit be his brei-
ther, vnder the paine of deprivatioun. • Pag. 955. « Anent his name that for the Kirk sali
( hâve) vote io Parliament : It is advyseit, be vniforme consent ofthe haill brether, that
he salbe callit Commissioner of snch a place. > Pag. 956. « Therfor the Generall Assemblie
having reasonit at lenght the said questioun, luiching the continuance of him that sali hâve
vote in Parliament, after votting of the same, finds and décernes, that he sali annuatim
give count of his commission obtainil from the Assemblie, and lay downe the
samein at thair feitt, to be continuit or alterit therfra be his Maiestie and the Assem-
blie, as the Assemblie, with consent of his Maiestie, sali think most expédient for the weill
oftheKirk.iPag. 959.
(2) « While James remained in Scotland, the scheme of introducing episcopacy, though
never lost sight of, was cautions ly prosecuted. » M'Crie, Life ofMelville, t. H, pag. 478.
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304 HISTOIRE
ment dans sa politique, la perte de sa couronne aurait pu
en être le résultat. En effet, il avait peu de ressources; il
était extrêmement pauvre (1) ; et les événements qui venaient
de se passer avaient prouvé que le clergé était plus fort qu'il
ne le supposait. Au moment même où il se croyait le plus
certain du succès, le clergé lui avait fait éprouver une défaite
mortifiante; et c'était d'autant plus remarquable que le
clergé, étant alors complètement isolé de la noblesse, ne
pouvait compter sur un seul membre de cette classe puis-
sante. C'était donc le clergé, et le clergé tout seul, qui avait
battu le roi.
Les affaires étaient dans cette position, et les libertés de
l'Ecosse, dont l'Église était la protectrice, tremblaient dans
la balance, lorsqu'Élisabeth mourut et lorsque le roi d'Ecosse
devint également roi d'Angleterre. Jacques se décida de suite
à employer les ressources de son nouveau royaume pour sou-
mettre l'ancien. En 1604, c'est à dire une année seulement
après son avènement au trône d'Angleterre, il porta un coup
mortel à l'Église d'Ecosse, en attaquant l'indépendance de ses
assemblées et, de sa propre autorité, il prorogea l'assemblée
(i) Pendant tonte la durée de son règne, Jacqnes eut pour principale ressource l'argent
que Ini donnait Elisabeth, qui n'était pas trop généreuse envers lui. Sa pauvreté était telle
qu'il fut obligé d'engager son argenterie, et qu'il lui fut souvent impossible de défrayer les
dépenses ordinaires de sa maison. Voyez Tytler, Hist. ofScotland, t. VI, pag. 965, 966,372;
t. VII, pag. 158, 378-380; Miscellany ofthe Spalding Club, t. II, pag. xrv, 114; Gregory,
Hist. of the Western Highlands, pag. 241, 277. Voyez aussi une lettre de Jacques à Elisa-
beth , écrite en 1591 , dans les Letters of Queen Elizabetb and James VI, 1849, in-4%
pag. 68, 69. En 1593, elle s'excuse de ne lui envoyer qu'une somme minime : « The small
token you shall receave from me I désire yt may serve to make you remember the tyme and
, my many weighty affaires, wich makes it les than else I urould , and I dowt nothing but
when you heare ail, yow will beare wilh this. » pag. 84. Une lettre de James Hudson, écrite
▼ers 1591, constate que « both the king's table and queen's had like to hâve beea nnserved by
want; and that the king had nothing he accounted certain to corne into his purse, but
what he had from the Queen of England. » Ridpath, Border History. Berwick, 1848, in-4%
pag. 465.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 505
générale d'Àberdeen (1). Il la prorogea de nouveau en 1605;
et afin de mieux faire comprendre ses intentions, il refusa,
celle fois , de fixer le jour de sa prochaine réunion (2). Sur
ce, quelques ecclésiastiques, députés par les presbytères, pri-
rent sur eux de convoquer rassemblée, ce qu'ils avaient cer-
tainement le droit de faire, puisque la mesure prise par le
r*i était évidemment illégale. Au jour fixé, ils se réunirent
dans la cour des sessions d'Aberdeen. On leur intima Tor-
dre de se disperser. Considérant qu'ils avaient suffisamment
revendiqué leurs privilèges par le fait seul deleur réunion, ils
obéirent. Mais Jacques, qui avait maintenant entre ses
mains le pouvoir d'un roi d'Angleterre, résolut de leur faire
sentir le changement qui avait eu lieu dans sa position et
dans la leur. Par suite des ordres qu'il expédia de Londres,
quatorze membres du clergé furent jetés en prison (3). Six
d'entre eux qui refusèrent de reconnaître l'autorité du con-
seil privé, furent poursuivis pour crime de haute trahison.
Leur procès commença immédiatement ; ils furent déclarés
coupables. L'arrêt de mort ne fut différé que pour savoir si
le bon plaisir du roi ne serait pas de se contenter d'un châ-
timent qui empêcherait de sacrifier la vie de ces infortu-
nés (4). Us échappèrent en effet à la peine de mort; mais
(1) LatDg,/ft0l. ofScotkmd, édit. 1819, t. III, pag. 28: Calderwood, Hist. of the Kirk,
t. VI, pag. 264, 323; Bower, Hist. ofthe Université of Edinburgh. Edimb. , 1817, 1. 1,
pair, 175 : Stevenson, Hist. ofthe Church ofScotland, pag. 88.
(2) « Adde thereunto, that tbe lelter of the commissioner and last moderator, conteaned
no certane tyme nor day whereto the said Assemblie sould be prorogued ; so that it imported
a casting loose and deserting, yea, and tyning of the possession of our Assemblie ; than the
whicb what eould be more dangeroas to the libertie and freedom of the Kirk of Jésus Christ,
at sache a tyme, namelie of the treatie of the Unioun, when ail the estâtes of the reaime,
and ererie partiealar are seakras and carefull of their rights and possessions? • Galder*
wood, Hist. ofthe Kirk, t. VI, pag. 309, 310.
(8) Voyez-en une liste dans Calderwood, Hist ofthe Kirk, t. VI, pag. 347, où les qnatorie
noms sont pieusement enregistrés.
(4) Pitcairn, Criminal Trials in Scotland, U II, pag. 494-502 ; Forbe, Certaine Records
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306 HISTOIRE
après avoir été soumis à un dur emprisonnement, ils furent
condamnés à un exil perpétuel (1). Le gouvernement adopta
les mêmes mesures dans d'autres parties du pays. Partout
on arrêta un grand nombre d'ecclésiastiques qui furent jetés
en prison ou forcés de s'exiler (2). La terreur et la proscrip-
tion régnaient souverainement. La panique était telle que dans
l'opinion générale rien ne pouvait empêcher l'établissement
touching the Estate of the Rirk, édit. Wodrow Society. Édimb., 1846, pag. 463496.
« Delayed the giving forth of the sentence of condemnation till the King's mind w»re fnrther
knowne. » Voyez aussi Calderwood, Hist. ofthe Kirh, t. VI, pag. 434,449. Lorsqu'ils furent
déclarés coupables, « the peiple seid : « Certainely this wes a worke of darknes, to mak
Chrystis faithfull Ministères tratooris to the King ! God grant he be niver in greater dan-
geris nor ofif sic traitonris. • Melvill, AtUobiography and Diary, pag. 626.
(1) BTCrie, Life of MelviUe, t. II, pag. 207, 208; Pitcairn , Criminal Trials, t. U,
pag. 504. An sujet de ces transactions il y a dans "Winwood, Papers, une lettre trop
curieuse pour la passer sous silence. Elle est adressée par le comte de Salisbury à sir
Charles Cornwallis, et est datée du 12 septembre 1605. Salisbury, qui était alors à la tête des
affaires, écrivait : « True it is that his Majestie seeking to adorne that kingdomc of Seoir
land with Prêtâtes as they are in England, some of the Ministers hâve spurned against
it; and althouge his Majestie had «ver warranted their calling of General Àssemblies upon
no other condition, then that they should make him acquainted, reçoive his warrant, and
a commissioner for his Majestie résident in their councells, yet hâve they ( followed with
some poor plebecall numbers) presumed to hold their General Àssemblies in some parte
of the Reaime contrarie to his commandement. Whereupon his Majestie hath shewed
himself displeased, and cyted divers of them before his councell, » etc. Memorials of
Affairs of State, from Vie Papers ofSir Ralph Winwood. Lond., 1725, in-fol. , t. II,
pag. 132. Et pourtant l'homme qui pouvait écrire de pareilles absurdités, et qui ne voyait
dans le grand mouvement démocratique de l'esprit écossais qu'un manque d'inclination
pour Vadomment de l'épiscopat, était considéré comme un homme d'État éminent. Si les
grands hommes d'État voient si mal ce qui se passe autour d'eux, on est tenté de se deman-
der quelle confiance on peut avoir dans les hommes d'État ordinaires qui gouvernent un
État. Quant à moi, tout ce que je puis dire, c'est que j'ai lu des milliers de lettres écrites
par des diplomates et par des hommes politiques, et j'en connais â peine un qui comprenne
l'esprit et la tendance de son siècle.
(2) t Ministers in ail parts ofthe country were thrown into prison , or declared rebels,
and forced to abscond. » M'Crie, Life ofMelville, t. II, pag. 250. La liberté de parole était
si complètement supprimée qu'en 1605, lorsque les membres les plus zélés et les plus intel-
ligents du clergé furent bannis, t a strait command (était) gevin to magistrats, and uther
officiers of burrowis, that in cace any preacher sould speik opinlie aganis that baneisment,
or for defence or mentenence of that assemblie, or pray publiklie for ther saiftie, that they
sould be noted and manifested to the secret counsell, and corrected for their fault. > The
Historié of King James the Sexh pag. 380.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 307
permanent du despotisme, si la Providence n'intervenait en
faveur de l'Église et du peuple (1).
On ne peut nier qu'il y avait des raisons plausibles pour
ces craintes. Les seuls amis du peuple se trouvaient parmi
le clergé; et les membres les plus éminents du clergé étaient
soit en prison, soit en exil (2). Afin de priver entièrement
l'Église desses chefs (3), Jacques fit venir à Londres, en 1606,
Melville et sept de ses collègues, sous le prétexte que leurs
conseils lui étaient nécessaires (4). On leur défendit de
retourner en Ecosse; et Melville, qu'on craignait plus que
les autres, fut arrêté. 11 fut alors emprisonné à la Tour de
Londres, où il resta quatre ans, et qu'il ne quitta qu'à la
condition de vivre à l'étranger, et de renoncer pour toujours
à son pays natal (5). Les sept ecclésiastiques qui l'avaient
accompagné à Londres, furent également arrêtés; mais
comme le gouvernement les trouvait moins dangereux que
leur chef, on leur permit, après quelque temps, de rentrer
dans leurs foyers. Le neveu de Melville reçut pourtant l'ordre
de ne jamais s'éloigner de plus de deux milles de Newcastle ;
et ses six compagnons reçurent également l'ordre de ne pas
sortir de certaines parties de l'Ecosse (6).
(!) Voyez un passage éloquent et fort touchant daos Calderwood, Hist. ofthe Kirk ,
t. VI, pag. 696, 697.
(2) t The godliest, wisest, learnedest, and most zealons men of the ministrie in Scotland,
were either banished, warded, or detained in England, of pnrpose that they might not ne a
lett to the grand désigne in hand. » Row, Hist. ofthe Kirk, pag. 238.
(3) Scot, Apologetical Narration of the State ofthe Kirk, pag. 164, 165. Comparez
The Autobiography and Diary of James Melvill, pag. 642-645.
(4) « Quben we wer gone ont of the Palice a lytle vay towards Kingstoune, Mr. Alexander
Hay sendis back for us, and withall, in the Uttir Court, reidis to us a chairge from the King
not to returoe to Scotland, nor to corn neire the King, Quein, nor Prince their Courtis
without a spécial! calling for and licence. > Melvill, Autobiography, pag. 661.
(5) M'Crie, Life of Melville, t. Il, pag. 246, 252, 260, 337-339, 403, 407-411, 414. Cet homme
vraiment sans peur et sans reproche mourut dans l'exil en 1622. Pag. 458.
(6) Melvill, Autobiography and Diary, pag. 709; Scot, Apologetical Narration,
pag. 194 ; M'Crie, Life of Melville, t. II, pag. 252, 253, 267, 268.
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308 HISTOIRE
Le moment semblait donc opportun pour anéantir ces
idées d'égalité dont l'Église était le seul représentant en
Ecosse. En 1610, une assemblée générale fut convoquée à
Glascow ; et comme les membres de cette assemblée avaient
été nommés par la couronne (1), le gouvernement obtint
tout ce qu'il désirait. L'établissement de l'épiscopat y fat
voté, et l'autorité des évêques sur les ministres de la religion
complètement reconnue (2). Peu de temps auparavant, mais
dans la même année, le gouvernement avait établi deux cours
de « High commission, » une à Saînt-Ândrews, et une à
Glascow. Toutes les cours ecclésiastiques leur étaient subor-
données. Elles avaient un pouvoir si immense, qu'elles pou*
vaient citer à leur barre tel individu qu'il leur plaisait, l'in-
terroger sur ses opinions religieuses, l'excommunier, et le
eondamner soit à une amende, soit à l'emprisonnement,
selon leur bon plaisir (5). Enfin, et pour mettre le sceau à
(1) * Royal missives were sent to the presbytertes , nominating ibe individuals whom
they should chose as Iheir représentatives toit.» }£Crie>Lifeof MelviUe, t. II, pag. 387, 388.
Quant an caractère de ses membres, comparez Wodrow, Hist. of the Sufferings of the
Church êfScotland, édit. Glasgow, 1838, 1. 1, pag. 256; Steveneon, Hist. ofthe Church
ofScotland, pag. 320, 321; Crookshank, Church ofScotland. Édimb., 1812, 1. 1, pag. 28,
Calderwood, Hist. ofthe Kirk, t. VII, pag. 97, 98.
(2) Acls ofthe General Assemblies ofthe Kirk, t. III, pag. 1096, 1097. L'assemblée
défendit même la notion démocratique de l'égalité. Voyez pag. 1101. ■ Beoause it is vncivill
that laws and constitutions, eilher Civill or Ëcclesiasticall, being ânes establischit and in
force , by publick and opin consent , sonld be controllit and callit in questioun by any
person : therfor, it is statnte by vniforme consent of Uns haill Assemblie, that none of the
Ministrie eitber in pnlpitt in bis preacbing, or in the publick exercise, speake and reason
against the acts of this présent Assemblie, nor dissobey the same, vnder the paine of depri-
yatioun, being tryit and convict thereof ; and speci allie, that the questioun ofequatitie
and inequalitie in the Kirk, be not treattit in pulpitt vnder the said paine. •
(3) M. Russell (Hist. ofthe Church in Scotland, t. II, pag. 88), trompé probablement
par un passage dans Spottiswoode {Hist. of the Church, t. III, pag. 210), dit : « A Court
of Higb Commission was instituted. > Mais il est certain qu'il y eut deux cours; use pour
le diocèse de Saint-Andrews et une pour celui de Glascow. Voyez la « commissioun givin
noder tbe great seale to the two archbishops,» datée du 15 février 1610, dans Calderwood,
Hist. ofthe Kirk, t. VII, pag. 57-62. Voyez également pag. 210. Elles ne furent réunies qu'en
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 309
l'humiliation de l'Ecosse, rétablissement de l'épiscopat ne
fut considéré comme complet qu'après l'accomplissement
d'un acte qui, sans l'ignominie qui y était attachée, eût cer-
tainement été tourné en ridicule comme une force inutile et
puérile. L'archevêque de Glascow, l'évêque de Brechin, et
l'évêque de Galloway, furent obligés de faire le voyage de
Londres afin d'être confirmés par des évêques anglais. Tout
incroyable que cela puisse paraître, on prétendait qu'il n'y
avait pas en Ecosse de pouvoir assez spirituel pour faire un
prélat d'un Écossais. Aussi l'archevêque de Glascow et ses
compagnons furent-ils obligés de faire ce qui était à cette
époque un voyage long et difficile pour se rendre dans une
capitale étrangère et éloignée, dans le seul but de recevoir
quelque vertu cachée qu'ils pourraient, en revenant dans
leur patrie, communiquer à leurs frères. A la surprise et à
décembre 1615. Voyez Scot, Apologetical Narration ofthe State oftlie Kirk . pag. 218, 239 ,
Crookshank, Hist. ofthe Sufferings ofthe Church ofScotland, 1. 1, pag. 28. La commis-
sion royale autorisait ces tribunaux despotiques ( Calderwood , t. VII, pag. 59) t to call
before them at suche tymes and places as they salle thinke meete, anie pereon or persons
dwelling and remaining within their provinces respective above writtin of St. Andrews or
Glasgow, or within anie dioceis of the same, being offenders ather in life or religioon, whom
they bold anie way to be scandalous, and that they take tryell of the same ; and if they find
them guiltie and impénitent, refusing to acknowledge their offence, they sali give command
to the preacher of that parish where they dwell, to proceed with sentence of excommunica-
tions against them ; which, if it be protracted, and their command by that minister be not
presentlie obeyed, they shall conveene anie suche minister before them, and proceed in
censuring of him for his disobedience, ather by suspensioun, deprivatioun , or wairding,
according as in their discretioun they sali hold his obstinacie and refuse of their directioun
to hâve deserved. And further, to fyne at their discretiouns , imprisoun, or warde anie
suche persoun, who being eonvicted before them, they sali find upon tryell to hâve deserved
anie suche punishmënt. > Sur ce Calderwood remarque avec justice (pag. 62) : «This com-
missioun and executioun thereof, as it exalted the aspyring bishops farre above any prélat
that ever was in Scotland, so it putt the king in possessioun of that which he had long tyme
hunted for ; to witt, of the royall prérogative, and absolute power to use the bodeis and
goods of the subjects at pleasure, without forme or processe of the commoun law, even then
when the Lower Hous in England was compleaning in their parliament upon the injurie
tàerof. So our bishops were fitt instruments to overthrow the liberteis both ofthe Kirk and
countrie. »
T. IV. 20
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310 HISTOIRE
la grande douleur de leur pays, ces prêtres indignes, réniant
les traditions de leur propre contrée, et faisant bon marché
delà fierté qui avait animé leurs pères, consentirent à abjurer
leur indépendance, à s'humilier devant l'Église d'Angleterre,
et à se soumettre à des momeries qu'ils méprisaient certai-
nement au fond de leur cœur, et qui leur était maintenant
infligées par leurs ennemis les plus anciens et les plus
invétérés (1).
On peut facilement s'imaginer la conduite future d'hommes
qui pouvaient ainsi renoncer à l'indépendance si précieuse
de l'Église d'Ecosse, dans le seul but de servir leur propre
ambition en flattant leur roi. Les hommes qui se proster-
nent aux pieds de leurs supérieurs ne manquent jamais
d'écraser ceux qui sont au dessous d'eux. Aussitôt qu'ils
furent de retour en Ecosse , ils communiquèrent la con-
sécration qu'ils avaient reçue en Angleterre aux autres
évêques (2), qui étaient, du reste, coulés dans le même
moule qu'eux, car ils aidèrent Jacques à anéantir les libertés
de leur patrie. Étant maintenant convenablement ordonnés,
leur vie spirituelle était complète; il ne leur restait plus
qu'à assurer le bonheur de leur existence temporelle. C'est
ce qu'ils firent en monopolisant peu à peu toute l'autorité,
(1) Voyei Stevenson, Hist. ofthe Church ofScotland, pag. 93, et Kirkton, HUtory,
pag. 15. Kirkton dit avec indignation qne Jacques « percwaded a few unworthy men to per-
jnre themselves, and after their episcopall consécration by the English bishops in England,
to exercise that odious office in Scotland against their own oath and the consciences of their
brethren. » Comparez la remarque pleine de mépris de Row {Hist. of the Kirh, pag. 283)
snr c anoynting of oyle and other cérémonies, > et sur « the foolish guyses in it. > Dans le
fait, tons les écrivains écossais qui aimaient les libertés de lenr pays s'exprimaient sur ce
snjet avec indignation on avec mépris.
(2) Caldenrood dît avec une amertume mal déguisée : c cEfter the same manerthatthqr
*ere consecrated themselfs, als neere as they could imitate. » Hist. ofthe Kirk, t. VD,
pag. 151 Comparez Wodrow, Collections, 1. 1, part, i, pag. 293. « The Bishops ordeaned in
England keeped as near the manner taken with themselves there as they could. »
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 311
et en traitant avec une rigueur sans merci tous ceux qui
leur faisaient opposition. Le triomphe complet des évêques
était réservé au règne de Charles I er , époque à laquelle un
grand nombre de ces prélats devinrent membres du conseil
privé; ils s'y conduisirent avec une insolence telle, que
Glarendon lui-même, malgré sa partialité bien connue
pour eux, censura leur conduite (1). Néanmoins, sous
Jacques I er , leur puissance était pour ainsi dire sans
rivale (2). Us dépouillèrent les villes de leurs privilèges et
les forcèrent à recevoir des magistrats qu'ils choisissaient
eux-mêmes (3). Ils accumulèrent d'énormes richesses, et
déployèrent un faste d'autant plus honteux, que le pays était
dans la misère, et que le peuple mourait de faim autour
(1) ■ Some of them, by want of temper, or want of breeding, did not behave themselves
with thaï decency in their debates, towards the greatest men of the kingdom, as in discré-
tion they onght to ha?e done, and as the others reasonably expected from them. » Glaren-
don, Hi8t. ofthe Rébellion, édit. Oxford, 1843, pag. 35. En 1633, < nine of them were privy
conncillors, » et « their pride vas cried ont npon as nnsnpportable. > Bnrnet, Memoirs of
the Dukes ofHamiUon, pag. 38. Sir John Scot Ienr reproche « insolence, pride and ava-
rice. > Scot, Staggering State ofthe Scots Statesmen. Édimb., 1754, pag. 41. Voyez aussi
Spalding, Hist. ofthe Troubles. Édimb., 1818, in-4% 1. 1, pag. 46, 47.
(2) Dès 1613, nne lettre de James Inglish (conservée dans Wodrow, Collections. Glascow,
1845, in-4°, 1. 11, part, i, pag. 110) déplore le fait que ■ the libertys of the Lord's Kirk are
greatly abridged by the pride of Bishops, and their power daily increases over her. » Les
évêques mettaient également i néant les droits civils, et, entre antres lois qu'ils obtinrent,
il y en ent nne qui stipulait « that no man should be permitted to practice or profess any
physic, nnless he had first satisfied the bishop of the diocèse touching his religion. > Spottis-
woode, Hist. ofthe Church ofScotland, t. III, pag. 236. Cette loi leur assurait le contrôle
le plus complet sur la profession.
(3) « Not satisfied with ruling the church-courts, they claimed an extensive civil autho-
rity whitin their diocèses. The bnrghs were dèprived of their privilèges, and forced to
receive such magistrales as their episcopal snperiors, in concert with the conrt, were
pleased to nominate. > « Archbishop Gladstanes, in a letter to the King, Jnne the
9th , 1611 , says : « It was your pleasure and direction , that I sould be possessed with the
lits privilèges in the electione of the magistrats there (in St. Andrews), as my lord of
Glasgow is endued with in thath is city. Sir, whereas they are troublesome, I will be answe-
rable to your Majesty and Gounsell for them, after that I be possessed of my right. > Ms. in
Bibl. Jurid. Edin. M. 6, 9, n* 72. > M'Crie, Life ofMelville, t. II, pag. 422.
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312 HISTOIRE
d'eux (1). Les « lords of the articles, » dont la sanction
était indispensable pour qu'une mesure pût être présentée
au parlement, avaient jusqu'alors été élus par les laïques;
mais les évêques firent un changement en vertu duquel le
droit d'élection leur appartint (2). S'étant ainsi emparés
de la législature, ils obtinrent de nouvelles lois pénales
contre leurs compatriotes; ils interdirent un grand nombre
d'ecclésiastiques , en dépouillèrent d'autres de leurs béné-
fices, et en jetèrent plus encore en prison. La ville d'Edim-
bourg, qui s'opposait aux cérémonies et au rite récemment
introduits, et qui, comme le reste du pays, était hostile à
l'épi sco pat, eut sa part de la colère des évêques, qui dépla-
cèrent plusieurs de ses magistrats, firent arrêter ses citoyens
les plus éminents, et menacèrent de lui enlever les cours de
justice, et l'honneur d'être le siège du gouvernement (3).
Cependant, au moment même où la position semblait
(1) Et leur prodigalité était égale à leur rapacité. Lorsque l'archevêque Gladstanes
mourut en 1615, il fat constaté que, « notwithstanding of the great rent of his bishoprick,
he died in the debt of twentie thowsand pounds. > Calderwood, Hist. ofthe Kir H, t. VU,
pag. 197. Voyez aussi pag. 303. Ainsi que le cas de l'évoque de Galloway qni mourut en 1619
et sur lequel Calderwood disait {Hist. of the Kirk, t. VII, pag. 350) : « lt is thought, that
if just calcalation were made of the commoditie extorted by him throogh his diocie, by
advice of his two covetoas counsellours, Andro Couper, his brother, and Johne Gilmour,
wrytter in Edinburgh, for his use and theirs, by racting of rents , getting of grassoumes,
setting of tacks, of teithes, and other like meanes, wold surmount the soume of an hundrelh
thousand merks, or, in the opinion of others, almost the double ; so that manie within that
diocie, and the annexed preiacies, sali hardlie recover their estâtes in their Urne. » Com-
parez Stevenson, Hist. ofthe Church, pag. 212, 392.
(2) Au sujet de ce changement, qui fut complété en 1621, Voyez Laing, Hist. ofScotland,
t. III , pag. 88 ; Calderwood , Hist. of the Kirk , t. VII , pag. 490, et Baillie , Letters and
JourwUs, édit. Laing. Édimb., 1841, 1. 1, pag. 486.
(3) Calderwood, Hist. of the Kirk, t. Vil, pag. 472-474, 507, 509,511, 517-520,530343,
549-653, 566, 567, 614, 621 ; Laing, Hist. ofScotland, 1. 111, pag. 90, 91. Laing accuse injus-
tement les évêques de s'être montrés assez miséricordieux pour refuser leur approbation à
quelques-unes de ces mesures. Mais quiconque a étudié i fond la littérature écossaise du
dix-septième siècle sera tout disposé à exonérer les évêques d'une accusation qu'ils eussent
eux-mêmes repoussée et qui est certainement injuste.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 315
désespérée, une grande réaction se préparait. L'explication
de cette réaction se trouve dans ce vaste et fertile principe
sur lequel j'ai si souvent insisté, mais que les historiens ne
peuvent comprendre, c'est à dire qu'un mauvais gouverne-
ment, que des lois mauvaises ou mal administrées, sont,
sans aucun doute, extrêmement nuisibles, mais qu'elles ne
peuvent néanmoins produire un mal permanent; en d'autres
termes, ces conditions mauvaises peuvent porter préjudice
à une nation, mais ne peuvent jamais la ruiner entièrement.
Tant que le peuple reste sain, il y a vie, et tant qu'il y a vie,
il y aura nécessairement réaction. Dans ce cas, la tyrannie
provoque la rébellion, et le despotisme amène la liberté.
Mais si le peuple n'est pas sain, il n'y a plus d'espoir de gué-
rison, la nation doit périr. Dans ces deux cas, le gouverne-
ment finit par ne plus opérer, et n'est nullement responsable
du résultat définitif.
Les classes gouvernantes ont, pendant un certain temps,
une puissance immense, dont elles abusent invariablement,
à moins qu'elles n'en soient empêchées par la crainte ou par
la honte. Le peuple peut leur inspirer de la crainte; l'opi-
nion publique peut leur inspirer quelque honte. Mais cela
dépend complètement de l'esprit qui anime le peuple, ou de
l'état de l'opinion publique. Ces deux circonstances sont
elles-mêmes gouvernées par une longue série d'antécédents
remontant à une période assez éloignée quelquefois pour
dérouter les observations. Lorsque l'évidence est assez com-
plète, ces antécédents peuvent être généralisés, et leur géné-
ralisation nous amène à certaines causes vastes et puissantes,
sur lesquelles roule tout le mouvement. Dans les courtes
périodes, l'opération de ces causes est imperceptible; mais
dans les longues périodes, elle est évidente et suprême; elle
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31 i HISTOIRE
donne une certaine couleur au caractère national ; elle con-
trôle le cours moyen des choses. En Ecosse, ainsi que je
l'ai déjà démontré, les causes générales amenèrent le peuple
à aimer son clergé, et le clergé à aimer la liberté. Tant que
ces deux faits existèrent ensemble, les destinées de la nation
étaient en sûreté. Elle pouvait être insultée, lésée, écrasée.
Elle pouvait être attaquée de différentes manières ; mais plus
on lui portait préjudice, plus le remède était certain, parce
que plus haut devait se soulever tôt ou tard l'esprit de la
nation. Tout ce qui était nécessaire, c'était un peu plus de
temps, ou une provocation un peu plus grande. Nous qui
pouvons contempler ces choses de loin et d'un point de vue
plus élevé, qui pouvons voir de quelle manière les événe-
ments se succédèrent, nous ne pouvons méconnaître la régu-
larité de leur ordre de succession. En dépit d'une confusion
apparente, tout se passait d'une manière régulière et métho-
dique. Pour nous le plan est complètement dévoilé. L'édifice
est devant nous, nous voyons sa construction. Et, Dieu merci,
il fut fait d'un granit dont la solidité toute puissante fut de
force à résister aux artifices, aussi bien qu'à la violence.
Aussi ce fut en vain que la tyrannie fit tout ce qu'elle put.
Ce fut en vain que le trône fut occupé par un roi despote et
peu scrupuleux, qui eut pour successeur un autre roi plus
despotique encore et moins scrupuleux que lui. Ce fut en
vain qu'une poignée d'évêques importuns et intrigants, tirant
leur consécration de Londres, et soutenus par l'autorité de
l'Église d'Angleterre, se réunirent pour conspirer contre les
libertés de leur patrie. Ils jouèrent le rôle d'espions et de
traîtres, mais ils le jouèrent en vain. Pourtant le gouverne-
ment leur donna tout ce qu'il était en son pouvoir de don-
ner. Us avaient pour eux la loi et le droit de l'administrer.
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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETRREE. 31&
Ils étaient législateurs, conseillers et juges. Ils avaient la
richesse, ils avaient des titres retentissants, ils avaient la
pompe et les attributs pour lesquels ils avaient vendu leur
indépendance, et avec lesquels ils espéraient éblouir les yeux
du vulgaire. Avec tout cela ils ne purent refouler le torrent,
ils ne purent même pas l'arrêter ; ils ne purent l'empêcher
de s'avancer et de les engloutir dans sa course. Avant la fin
de cette génération, ces hommes si petits, quoiqu'ils se crus-
sent bien grands dans leur orgueil, succombèrent. La main
du siècle était sur eux, et la résistance leur était impossible. '
Ils furent renversés et humiliés, ils furent dépouillés de leurs
charges, de leurs honneurs, de leurs splendeurs, ils perdirent
tout ce qui est cher à de pareils esprits. Leur sort est une
leçon utile. C'est une leçon et pour les chefs de nations, et
pour ceux qui écrivent l'histoire des peuples. C'est une leçon
pour les gouvernants, en ce sens qu'elle prouve, comme bien
d'autres choses, combien peu ils peuvent faire, et combien
est insignifiant le rôle qu'ils jouent dans le grand drame du
monde. C'est une leçon pour les historiens, car elle doit les
convaincre que les événements sur lesquels ils concentrent
leur attention, et auxquels ils attachent une importance su-
prême, sont en réalité sans valeur, et, bien loin d'être au
premier rang, devraient être subordonnés à ces études vastes
et générales, qui peuvent seules nous aider à reconnaître lgs
conditions qui déterminent la marche et les destinées des
nations.
Les événements qui se passèrent alors en Ecosse peuvent
être rapidement racontés. La patience du pays était bien
près d'être épuisée, et le jour de la rétribution approchait (1).
(1) En octobre 1637, Baillie, qui suivait attentivement la marche des choses , écrivait :
cNo man may speak any thing in publick for tue king's part, except he would hâve himself
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316 HISTOIRE
Le peuple commença à se soulever en 1637. Ce fut pendant
Tété de cette année que la première émeute éclata à Edim-
bourg (1). L'incendie se développa rapidement, et rien ne
put l'arrêter. Au mois d'octobre, la nation tout entière était
sur pied, et une accusation fut portée contre les évéques,
signée par presque toutes les corporations , et par des
bommes appartenant à tous les rangs (2). En novembre, les
Écossais organisèrent, en dépit de la couronne, un système
particulier de représentation, auquel chaque classe de la so-
ciété avait part (3). Au commencement de 1638, le CovenarU
National fut préparé, et l'ardeur avec laquelle le peuple prêta
serment prouva qu'il était bien décidé à revendiquer ses
droits (4). Évidemment tout était fini. Pendant l'été de 1638,
la tempête se prépara, et elle éclata à l'automne. Au mois
marked for a sacrifice to be killed one day. I think our people possessed with a bloody
devill, farr above any thing that ever I could hâve imagioed, though the masse in Latine
bad been presented. > Et dans un postcriptum daté dn 3 octobre il ajoute : « My fears in
my former went no farther then to ane ecclesiastik séparation, bat now I am more affrayit
for a bloudie civil 1 warr. > Bail lie, Letters and Joumals, édit. Laing. Édimb., 1841, 1. 1,
pag. 23,25.
(i) Laing, Hist. ofScotland, t. III, pag. 13i; Chambers, Annals, t. II, pag. 101-104;
Spalding, Hist. ofthe Troubles in Scotland, 1. 1, pag. 47, 48.
(2) Laing, Hist. of Scotland, t. III, pag. 137 : < The accusation, among thems elves a
bound of union, and to their enemies a signal of hostility, was subscribed by the nobility,
the gentry, the clergy, and afterwards by ail ranks, and almost by every corporation in
the kingdom. >
^3) Idem, ibid., t. III, pag. 138.
(4) i It vas signed by a large majority ofthe people, in a paroxysm of enthnsiasm beyond
ail example in our history. > Chambers, Annals, t. II, pag. 105. Kirkton, qui était con-
temporain, dit : « And though only eleven private men (and some of them very inoonsi-
derable) had the boldness first to begin this work, withont ever asking leave of king or
council, yet was it rery quickly taken by ail the people of Scotland» with hands lifted up
in most solemn manner. »<Kirkton, Hist. ofthe Church of Scotland, pag. 33. Lord Somer*
Tille, partant d'un point de vue différent, remarque que < the generalitie of the natione
entered into a hellish covenant, wherein they mutually obleidged themselves to extirpa te
episcopacy, and to défend each other against ail persones whatsoever, noe dot excepting the
persone of his sacred majestie; but upon conditiones of ther oune frameing. » Somerville
Memorie of the Somervilles, t. II, pag. 187.
3dtfyCj(
DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 317
de novembre, une assemblée générale se réunit à Glascow :
c'était la première depuis vingt ans (1). Le marquis de Ha-
milton, le commissaire royal, somma les membres de l'as-
semblée de se séparer (2). Ils refusèrent (3). Ils ne voulurent
même pas se disperser avant d'avoir rempli le mandat qui
leur était confié (4). Grâce à leur vote, l'institution démo-
cratique des presbytères fut remise en vigueur, les formes
de consécration furent détruites, les évêques furent déposés
de leurs fonctions et l'épiscopat fut aboli (5).
C'est ainsi que les évêques tombèrent plus rapidement
encore qu'ils ne s'étaient élevés (6). Mais comme leur chute
n'était qu'une partie du programme démocratique, elle ne
pouvait arrêter le mouvement (7). A peine les Écossais
(*) II n'y avait en aucune assemblée générale depuis 1618. Argyll , Presbytery Exami,
ned , pag. 102; Spottiswoode , Mi&cellany , t. I, pag. 88. Mais «the provincial synods»
presbyteries, and sessions still remained, and in thèse, good men mutually comformed one
anofter. » Stevenson, Hist. ofthe Church ofSeotland, pag. 162.
(2) « The assembly went on at such a rate, that the marquis judged it no longer fit to
bear -with their courses. » Burnet, Memoirs ofthe Dukes ofHamilton, pag. 128. • In end,
steind nothing sajd in reason did prevail, ne, in his majesty's name, dissolved the assembly,
and discharged their fnrther proceeding under pain of treason. » Pag. 135.
(3) Stevenson, Hist. ofthe Church ofSeotland, pag. 310.
(4) t Notwithstanding the Proclamation, the Assembly presently thereafter met, and sat
daily for divers weeks,until they had done their affaire, and were themselves pieas'd to
dissolve. > Guthry, Memoirs, édit. Lond., 1702, pag. 41.
(5) Acts ofthe General Assembly ofthe Church ofScotland from 1638 to 1842. Édimb.,
1843, pag 9*18; Stevenson, Hist. ofthe Church of Scotland, pag. 332, 338.
(6) Au sujet de leur chute, voyez Bail lie, Letters and Journals, 1. 1, pag. 168. En 1639,
Howell écrit d'Edimbourg : « The Bishops are ail gone to wrack, and they hâve had but a
sorry fanerai ; the very name is grown so contemptible, that a black dog, if he hath any
white marks about him, is ealled Bishop. Our Lord of Canterbury is grown hère so odious,
that they call him commonly in the pulpit, the Priest of Baal, and the Son of Belial. >
Howell, Letters, édit. Lond., 1754, pag. 276.
(7) « That people, after they had once begun, pursued the business vigorously, and with
ail imaginable contempt of the government. » Clarendon, Hist. ofthe Rébellion, pag. 45.
Pour la première fois le gouvernement anglais trembla. Le 13 décembre 1639, le secrétaire
Windebank écrit : « His Majesty near thèse six weeks last past hath been in continua
consultations with a sélect Committee of some of his Council (of which I hâve had the
honour to be one), how to redress his affairs in Scotland, the fire continuing there, and
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SIS HISTOIRE
avaient-ils chassé leurs évêques, qu'ils attaquèrent leur roi.
En 1639, ils prirent les armes contre Charles. En 1640, ils
envahirent l'Angleterre. En 1641 , le roi visita l'Ecosse dans
l'espoir de calmer les esprits, et fit presque toutes les conces-
sions qu'on lui demanda. Mais il était trop tard. Le peuple
était excité, il demandait du sang. La guerre éclata de nou-
veau. Les Écossais s'unirent aux Anglais, et Charles fut
battu sur tous les points. Comme dernière ressource, il se
mit à la merci de ses sujets du Nord (1). Mais ses offenses
étaient trop nombreuses et trop sérieuses pour qu'il fût pos-
sible de les lui pardonner. Les Écossais, au lieu de l'ab-
soudre, se servirent de lui. II avait non seulement foulé aux
pieds leurs libertés, il leur avait également Imposé des frais
considérables. Pour le préjudice qu'il avait causé à leurs
libertés, il lui était impossible d'offrir une expiation équiva-
lente ; mais il pouvait défrayer les dépenses qu'il leur avait
occasionnées. Et comme c'est une ancienne maxime que
celui qui ne peut payer de sa bourse doit payer de son corps,
les Écossais se dirent qu'ils avaient parfaitement le droit de
retirer quelque avantage de la personne de leur souverain,
d'autant plus que jusqu'alors il ne leur avait causé que des
pertes et des ennuis. Ils le livrèrent donc aux Anglais, et,
comme compensation, ils reçurent une grosse somme d'ar-
growiog to that danger, that it threatens not only the Monarchical Government there,
but even that of ttiis kingdom. » Glarendon , State Papers. Oxford , 1773, in-fol., t. II ,
pag. 81. Mais si le roi était capable de crainte, il était incapable de remords, et il n'en
éprouva aucun pour le mal immense qu'il avait fait i l'Angleterre et surtout i l'Ecosse.
(1) « The kinge was now so waik, hauening nether tonne, fort, nor amie, and Oxford
being a waik and onfortified toune, from whence ne looked daylie to be taken perforée, ne
therefor résolues to cast himself into tbe arms of the Scots; who, being his natiue people,
and of laie so ongratfullie dealt with by the Inglish, he hoped their particular crédit, and
the crédit of the wholl natione depending thereupon, they would not baslie rander him to
the English. > Gordon, Britane*8 DUtemper, pag. 193 (publié par le Spalding Club.
Aberdeen,1844,in-4«).
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 319
gent qu'ils réclamaient comme arrérages qui leur étaient dus
pour les dépenses que leur roi leur avait occasionnées, en
les forçant à lui faire la guerre (1). Danscet arrangement, il y
eut avantage pour les deux parties contractantes. Les Écossais,
qui étaient très pauvres, obtinrent ce dont ils avaient un
pressant besoin. Les Anglais, peuple riche, avaient eu en
réalité à débourser l'argent, mais ils devenaient maîtres de
leur oppresseur contre lequel ils brûlaient de se venger, et ils
lui firent payer chèrement ses crimes énormes (2). Après l'exé-
cution de Charles I er , les Écossais reconnurent son fils
(1) i Afin qu'on ne puisse supposer qu'en ma qualité d'Anglais je juge cette transaction à
un point de vue anglais, je cite ici plusieurs écrivains écossais. « Givein up the king to the
will and pleasure of the English parliament, thaï soe they might corne by ther money. >
Somerville, Memorie ofthe Somervilles, t. II, pag. 366. t The Scots sold their unfortunate
king, who had fled to them for protection, to the commissioners ofthe English Parliament,
for 900,000 liv. sterl. » Lyon, hist. of St.- Andrews, t. Il, pag. 38. «The incident itself was
eyidence of a bargain with a quidpro quo. > Burton, Hist. ofScollandj 1. 1, pag. 493.
« The sale of the king to the parliament. > Napier, Life ofMontrose. Édimb., 1840, pag. 448.
« The king was delivered up , or raher sold , to the parliament's commissioners. > Brown ,
Hist. of Glasgow j 1. 1, pag. 91. ■ Their arrears were undoubledly due; the amount was
ascertained before the dispute conceming the disposai of his person, and the payment was
undertaken by the English parliament, five months previous to the d«livery,or surrender
of the king. But the coïncidence, however unavoidable, between that event and the actual
digcharge and departure of their army, still affords a presumptive proof of the disgraceful
imputation of having sold their king ; • as the English, unless previously assured of recei-
ving his person, would never hâve relinquished a sum so considérable as to weaken them-
selTes,while it slrengthened a people with whom such a material question remained to be
discussed. > Laing, Hist. ofScotland, t. III, pag. 369, 370.
(2) Une lettre de sir Edw. Hyde à lord Hatton, datée du 12 avril 1649 (dans Clarendon,
State Paper 8. Oxford, 1773, in-fol., t. H, pag. 479), dit de Charles II que les Ecossais «sold
his father to those who murdered him. > Biais cela est faux. Charles I" fut certainement
acheté par les Anglais, mais ne fut pas assassiné par eux. II fut jugé en plein jour, déclaré
coupable et exécuté. Il ne se passe pas une année sans qoe le même châtiment soit infligé i
des hommes bien moins criminels. On a peut-être raison de soutenir que la peine de mort
est inutile. Cela n'est pas prouvé ; mais , si ce châtiment terrible peut jamais être infligé ,
je ne vois aucune circonstance dans laquelle il soit mieux mérité que dans le cas d'un des-
pote qui cherche à anéantir les libertés de son peuple, qui punit cruellement et illégalement
ses adversaires, qui, plutôt que de renoncer à ses desseins, livre ses sujets aux horreurs de
fa guerre civile, arme les pères contre les enfants, trouble la société et inonde de sang son
pays. Ces hommes sont hors la loi ; ils sont les ennemis de l'humanité. Lorsqu'ils tombent,
qui pourrait les plaindre ?
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320 HISTOIRE
comme son successeur. Mais avant de couronner le nouveau
roi, ils le soumirent à un traitement auquel ne sont guère
accoutumés les souverains héréditaires. Ils lui firent signer
une déclaration publique, dans laquelle il exprimait ses re-
grets de ce qui était arrivé, reconnaissait que son père,
obéissant à des conseils pernicieux, avait injustement ré-
pandu le sang de ses sujets, et déclarait qu'il se sentait lui-
même profondément humilié par ces tristes circonstances.
De plus il dut s'excuser de ses propres erreurs, qu'il attribua
en partie à son inexpérience, et en partie à la mauvaise édu-
cation qu'il avait reçue (4). Pour prouver la sincérité de cette
confession, et afin de la faire connaître au public, on lui or-
donna de consacrer une journée au jeûne et à l'humiliation,
pendant laquelle la nation tout entière pleurerait et prierait
pour lui , dans l'espoir que Dieu lui permettrait d'échapper
aux conséquences des crimes commis par sa famille (2).
(1) La déclaration fut signée par Charles, le 16 août 1650. Il y en a nn abrégé dans Batfour,
Annales of Scotland, t. IV, pag. 92-%, et le document tout entier se trouve dans le
Journal of A flairs in Scotland, dans Walker, Historical Discourses. Lond.,1706,
in-fol., pag. 170-176. Dans ce journal, sir Edward Walker fait dire à Charles que « thoogh his
Majesty as a dnlifnl son be obliged to honour the memory of his Royal Father, and hâve
in estimation the person of his Mother; yet doth ne désire to be deeply humbled and
afflicted in spirit before God, becanse of his Father's hearkening unto and following eril
conncils,and his opposition to the work of Reformation, and to the solemn leagne and
eovenant by which so mnch of the blood of the Lord's people hath been shed in thèse king-
doms. > Il continuait en disant que, bien que sa conduite pût être excusée par ■ his éduca-
tion and âge,» il pensait qu'il valait mieux « ingeniously acknowledge ail his own sins and
the sins of his father's house. > Burnet (Hist. ofhis own Time, 1. 1, pag. 97) dit au sujet
de cette déclaration : « In it there were many hard things. The king owned the sin of his
father in marrying into an idolâtrons family : he acknowledged the bloodshed in the laie
wars lay at his father's door : he expressed a deep sensé ofhis own ill éducation,» etc.
(2) Relativement à cet événement on trouve dans le journal de Lamont: « 1650, Dec. 28.
— The fast appointed by the commission of the kirke to be keiped througe the kingdome
before the coronatione, was keiped att Largo the forsaide day by Mr. Ja. Magill ; his lecture*
Reo. 3 from v. 14 to the end of the chapt.; his text Reu. 2, 4, 5. Vpon the Thursday following,
the 26 of this instant, the fast wàs keiped in likemaner ; his lecture 2, Chro. 29 to v. 12; ni*
text 2, Chroo. 12, 12. The causes of the first day (not read ) was, the great contempt of the
gospell, holden forth in its branches; of the second day (which were read ), the sinns of the
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 321
Les Écossais continuèrent à être animés pendant le dix-
septième siècle de cet esprit, dont les actes qui précèdent
ne sont que les symptômes. Et cet esprit leur rendit de
grands services. En effet, les règnes de Charles II et de
Jacques II furent la répétition des règnes de Jacques I er et
de Charles I er . De 1660 à 1688, l'Ecosse fut de nouveau
soumise à une tyrannie si cruelle, si destructive, qu'elle eût
brisé l'énergie de toute autre nation (1). La noblesse, dont
le pouvoir s'était affaibli lentement mais continuellement (2),
king, and of his father's house, where sandry offences of K. James the 6 were acknowledged,
and of K. Charles the I, and of K. Ch. the II, nowe king. > The Diary ofMr. John Lamont
of Newton. Édimb., 1830, in-4*, pag. 25. Voyez aussi Saillie, Lelters and Journals, t. III,
pag. 107; Nicoll, Diary. Édimb., 1836, in-4% pag. 38; Row, Continuation of Blairas
Autobiograptyy , édit. Wodrow Society, pag. 355; Bower, Hist. of the Universityof
Edimburgh, X. I, pag. 253; Presbytery Book of Strathbogie , édit. Spalding Club*
pag. 169, et sortent les Registers ofthe Presbytery ofLanark, pobliés par le Abbotsford
Club. Édimb., 1839, in-4% pag. 88,89.
(1) Wodrow, qui possédait les annales du conseil privé, dit que la période qui s'écoula de
1660 à 1688 fut « a very horrid scène of oppression, hardships, and cruelty, which, were it
not incontestably true, and well Touched and supported, could not be credited in after
âges. » Wodrow, Hist. of the Church ofScotland from the Restoration to the Révolu-
tion, t. 1, pag. 57. Et le révérend Alexander Sbields observe ■ that the said Government
was the most untender, unpeaceable , tyrannical , arbitrary and wicked, that ever was in
Scotland in any âge or period. > Shields, Scots Inquisition. Édimb., 1745, pag. 24.
(2) Lorsque Jacques I* r monta sur le trône d'Angleterre, t the principal native nobility »
raccompagnait, et < the very peace which ensued upon the union of the crowns, may be
considered as the commencement of an era in which many of our national strongholds were
either transformed into simple résidences or utterly deserted. • Irving, Hist. ofDumbar-
tonshire, in-4°, 1860, pag. 137, 166. Les nobles < had no further occasion to make a figure
in war, their power in vassalage was of little use, aud their influence of course decayed.
They knew little ofthe arts of peace, and had no disposition to cultivate them. » The inte
rest ofScotland considered. Édimb. ,1733, pag. 85. Sons Charles I" le mouvement con-
tinua; < which fell out, partly through the giddiness ofthe times, but more by the way
his Majesty had taken at the beginning of his reign; at which time he did recover from
divers of them their hereditary offices, and also pressed them to quit their tithes (which
formerly had kept the gentry in a dépendance upon them ;, whereby they were so weaken'd
that now when he stood most in need of them (except the chief ofthe clans) they could
command none but their vassals. » Guthry, Mémoire, édit. 1702, pag. 127, 128. Puis vinrent
les gaerres civiles et le gouvernement de Cromwell, pendant lequel ils souffrirent et dans
leurs personnes et dans leurs biens. Comparez Chambers, Annals, t. II, pag. 225, avec
Laing, Hist. of Scotland, t. III, pag. 515, 516. En 1654, Baillie écrit (Letters and Jour-
nals, 1. 111, pag. 249) : « Our nobilitie, weell near, ail are wracked. » En 1656 : t Our nobles
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322 HISTOIRE
était incapable de résister aux Anglais» avec lesquels elle
semblait au contraire assez disposée à faire alliance, afin
d'avoir sa part dans les dépouilles de son propre pays (1).
Dans cette période, la plus malheureuse à travers laquelle
l'Ecosse soit passée depuis le quatorzième siècle, le gouver-
nement était extrêmement puissant; les classes supérieures,
tremblant devant lui, ne pensaient qu'à assurer leur propre
sécurité; les juges étaient si corrompus, que la justice, au
lieu detre mal administrée, n'était pas administrée du
tout (2); et le parlement, complètement intimidé, consentît
lying up in prisons, and under forfaultries, or debts, private or poblict, are for the most
part either broken or breaking. » lbid., pag. 317. Et en 1656 (t. III, pag. 387) : « Onr noble
families are almost gone : Lennox hes little in Scotland nnsold ; Hamilton's estate, except
Arran and the Baronne of Hamilton, is sold ; Argyle can pay little annnelrent for sevenor
eight hnndred thousand merks; aod ne is no more drowned in debt than publict hatred,
almost of ail, both Scottish and English ; the Gordons are gone ; the Douglasses little better ;
Eglintoun and Glencairn on the brink of breaking; many of onr chief families estâtes are
cracking; nor is there any appearance of any hnman relief for the tyme. » Le résultat en
est ainsi décrit par Wodrow en 1661 : < Onr nobility and gentry were remarkably changed
to the wont : il vas but few of snch, who had been active in the former years, were now
alive, and those few were marked ont for rnin. A yonng génération had sprnng np under
the English government, educated nnder pennry and oppression, their estâtes were under
bnrden, and many of them had little other prospect of mending their fortunes, but by the
king's favour, and so were ready to act that part ne was best pleased with. > Wodrow, HisU
ofthe Church of Scotland, 1. 1, pag. 89.
(1) *M the Restoration , Charles II regained fnll possession ofthe royal prérogative in
Scotland ; and the nobles, whose estâtes were wasted, or their spirit broken, by the caJami-
ties to which they hâve been exposed, were less able and less willing than ever to resist the
power of the crown. Dnring his reign, and that of James VII, the dictâtes ofthe monarch
were received in Scotland with most abject submission. The' poverty to which many of the
nobles were reduced,rendered them meaner slaves and more intolérable tyrants than ever.
The people, always neglected, were now odious, and loaded with every injury, on account of
their attachment to religions and political principles, extremely répugnant to those adopted
by their princes*» Robertson, Hist. of Scotland, liv. viu, pag. 257,258.
(2) Un écrivain qui fait autorité dit en parlant du temps de Guillaume III : « It is scar-
cely possible to conçoive how utterly polluted the fountain of justice had become dnring
the two preceding reigns. The Scottish bench had heçn profligate and subservient to the
utmost conceivable extent of profligacy and subserviency. > Burton, Hist. of Scotland from
1689 to 1748. Lond., 1853, 1. 1, pag. 72. Voyez aussi t. II, pag. 37, et Brown, Hist, of Glasgow*
Glascow,1795,t.I,pag.l94.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 323
à ce qui fut appelé le « recissory act , » par lequel toutes
les lois qui avaient été promulguées depuis 1633 furent
abrogées d'un seul coup , le gouvernement considérant que
ces vingt-huit années formaient une époque dont le souvenir
devait être, s'il était possible, complètement effacé (1).
Mais, quoique les classes supérieures désertassent leur
poste d'une manière honteuse, et détruisissent les fois qui
défendaient les libertés de l'Ecosse, le résultat prouva que
les libertés elles-mêmes étaient indestructibles. C'est que
le peuple conservait encore l'esprit qui lui avait servi à
gagner ces libertés. La nation était saine de cœur; et tant
qu'il en était ainsi, les législateurs pouvaient bien abolir les
manifestations extérieures en faveur de la liberté, mais ils
ne pouvaient en aucune façon toucher aux causes dont cette
liberté dépendait. La liberté était renversée, mais elle vivait
encore. Et le temps devait certainement venir où le peuple,
qui avait pour elle un amour si profond, revendiquerait ses
droits. L'heure devait sonner, dans laquelle, pour nous
servir des paroles du grand poète de la liberté anglaise, la
nation s'éveillerait comme un homme robuste sortant du
(1) Laing, MU. of Scotland, U IV, pag. 10; Baillie, Letters and Journal*, t. m,
pag. 458. Comme peu de personnes prennent la peine de lire les actes dn parlement, je cite
le principal passage de celui-ci : c And forasmnch as no-w it hath pleased Almigbty God, by
the power of his onne right hand , so miracoulously to restore the Kings Maiestie to the
Government of his Kingdomes, and to the exercise of his royall power and Soyeranity over
the same : The estâtes of Parlia' doe conceave themselffs obleidged in dischairge of ther
doetie and conscience to God and the Kings Maiestie, to imploy ail their power and
interest for vindicateing his Maiesties Anthority from ail thèse violent invasions that hâve
been made npon it; and so far as is possible to remove ont of the way every thing that
may retaine any remembrance of thèse things which hâve been so enjnrions to his
Mâtie and his Anthority, so prejndiciall and dishononrable to the kingdome , and dis-
trnctive to ail jnst and trae interests within the same. » Not to retaine any
remembrance thairof, bnt that the same shall be held in everlasting oblivion. > Acte of
the Parliamenls of Scotland, édit. 1820, in-fol., t. VII, pag. 87. La date de cet acte est dn
38 mars 1661.
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SÎ4 HISTOIRE
sommeil, et, secouant sa chevelure invincible, serait sem-
blable à un aigle dans la mue de sa puissante jeunesse,
ouvrant ses yeux non éblouis aux rayons du midi, et puri-
fiant sa vue à la fontaine du ciel ; pendant que les crain-
tifs oiseaux de mauvais augure, amoureux de l'obscurité,
s'agitent autour de lui ne comprenant rien à ce qu'il fait.
Néanmoins, la crise fut grave et dangereuse. Le peuple,
abandonné de tous excepté du clergé, fut pillé, massacré
sans pitié, et poursuivi de place en place comme des bêtes
fauves. Il avait naguère tant souffert de la tyrannie des
évéques, qu'il abhorrait l'épiscopat plus que jamais; et
pourtant cette institution lui fut non seulement imposée,
mais le gouvernement mit à sa tête Sharp, un homme cruel
et rapace, qui, en 1661, fut élevé à l'archevêché, de Saint-
Andrews (1). Il s'établit une cour ecclésiastique qui remplit
les prisons; et lorsqu'il n'y eut plus de place, les victimes
furent déportées à Barbadoses, et autres colonies mal-
(1) Il fat nommé « primate » en 1661, mais il n'arriva pas en Ecosse avant le mois
d'avril 1662. Wodrow, Hist. of the Church of Scotland, t. I, pag. 236, 2*7, et NicoU,
Diary, pag. 363, 364. « That ne was décent, if not regnlar, in his deportment, endued with
the most indnstrions diligence, and not illiterate, was never disputed; that he was vain,
vindictive, perfidions, at once anghty and servi le, rapacious and cruel, his friends hâve
never attemptedto disown. > Laing, Hist. of Scotland, t IV, pag. 98, 99. L'établissement
formel de l'épiscopat fnt dans l'automne de 1661 , ainsi que nons l'apprend le journal 4e
Lamont. 1 1661. Sept. 5 being Thursday (the chancelour, Glencairne, and the E. of Rothes,
haneing corne downe from court some dayes before), the cownsell of state satt att Edb.,
and the nixt day, being Fryday, they caused emitte and be proclaimed ouer the Grosse, a
proclamation in his Maj. name, for establishing Episcopacie againe in the chnrch of Scot-
lande; which was done with great solemnitie, and was afterwarde printed. AU persans,
wither men or weomen, were discharged to speake agaimt that office, under the
paine oftreason. » The Diary of Mr. John Lamont, pag. 140. Comme nous l'apprend
un autre contemporain, ceci était pour « the Kinges Majestie having stedfastlie resolvit to
promove the estait, power, and dignitie of Bischops,and to remove ail impedimenta
contrary thairto.* NicoU, Diary, in-4% pag. 353; on 21st November 1661. Ce curieux
journal, écrit par John Nicholl et s'étendant de 1650 à 1667, fut imprimé i Édimboarg
nn 1836 par le Bannatyne Club et n'est pas rare aujourd'hui.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 325
saines (1). Le peuple, décidé à ne plus se soumettre aux
ordres du gouvernement en ce qui concernait son culte reli-
gieux, se rassembla dans les maisons particulières; et,
lorsque ces réunions furent déclarées illégales, il quitta ses
foyers pour se réunir dans la campagne. Mais là aussi il
(i) Wodrow, Hist. of the Church ofScotland, t. 1, pag. 383, 390-395. Laing, Hist. of
Scotland, t. IV,' pag. 38: i A court of ecclesiastical commission was prpcured by Sharp. >
Et pag. M : t Under the influence of Sharp and the prelates, which Landerdale's friends
were nnable to resist, the government seemed to be actnated by a blind resentment against
iU own subjects. » Comparez Burnet, Hist. ofhis own Time, 1. 1, pag. 365. t The truth is,
the whole face of the government looked liker the proceedings of an inquisition, than of
légal courts; and yet Sharp was never satisfied. > Un antre contemporain, Kirkton, dit de
ces commissaires : t For ought I could hear, never one appeared before them that escapt
without pnnishment. Their cnstom was, withont prémonition or lybell, to ask a man a
question, and jndge him presently, either npon his silence or his answer. >..... t They
many times donbled the légal pnnishment ; and not being satisfied with the fyne appointed
by law, they nsed to add religation to some remote places, or déportation to Barbadoes, or
selling into slavery. > Kirkton, Hist. ofthe Church ofScotland, pag. 906. Voyez aussi
NaphtalijOrthe Wresllings ofthe Church ofScotland, 1667, pag. 126-130. Mais, comme
les cas particuliers expliquent mieux les v choses, je donne ici, d'après Crookshank (Hist. of
the Church ofScotland, 1. 1, pag. 154), les jugements prononcés dans une seule séance par
ce tribunal episcopal : « The treatment of some of the parishioners of Ancrum is not to be
omitted. When their excellent minister, Mr. Livingstone, was taken from them, one
Mr. James Scot, who was under the sentence of excommunication, was presented to that
charge. On the day fixed for his seulement, several people did meet together to oppose it;
and particularly a country woman, desiring to speak with him in order to dissuade him
from intruding himself npon a reclaiming people, pulled him by the cloak, intreating him
to hear her a little ; wherenpon he turned and beat her with his staff. This provoked two or
three boys to throw a few stones, which neither touched him nor any of his company.
However, it was presently looked npon as a treasonable tumult, and therefore the sheriff
and justices of the peace in that bounds fined and imprisoned some of thèse people, which,
one would think, might atone for a crime of this nature. But the high-commission , not
thinking that sufficient, ordered those criminals to be brought before them. Accordingly,
the four boys and this woman, with two brothers of hers of the name of Turnbull, were
brought prisoners to Edinburgh. The four boys confessed, that, npon Scot's beating the
woman, they had thrown each his stone. The commissioner told them that hanging was too
good for them. However, the sentence of this merciless court only was, that they should be
scourged through the city of Edinburgh, burnt in the face with a hot iron, aod then sold as
slaves to Barbadoes. Th« boys endured their pnnishment like men and Christians, to the
admiration pf multitudes. The two brothers were banished to Virginia; and the woman
was ordered to be whipped through the town of Jedbnrgh. Burnet, bishop of Glasgow, when
applied to that she might be spared lest she should be with child, mildly answered, that he
would make them claw the itch ont of her shoulders. *
T. IV U
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336 HISTOIRE
fut suivi par les évêques (1). Lauderdale, qui avait été pen-
dant plusieurs années à la tête des affaires, était sous l'in-
fluence immédiate des nouveaux prélats, et leur donnait
l'assistance du pouvoir exécutif (2). Sous les auspices de
ces hommes, on imagina un nouveau plan ; et une troupe
de soldats, commandée par Turner, un spadassin ivrogne et
féroce, fut lancée contre le peuple (3). Les victimes, poussées
à bout, coururent aux armes. On en fit un prétexte,
en 1667, pour de nouvelles exécutions militaires; ou dé-
vasta les plus belles parties de l'Ecosse occidentale, on
brûla les maisons, on tortura les hommes, on viola les
(1) Ils avaient va pouvoir si étendu que « the old set of bishops made by the Parlia-
ment,1612, were bat pigmies to the présent high and mighty lords. > Wodrow, HUL ofthe
Church ofScotland, 1. 1, pag. 263. Voyez anssi à la page 286 les remarques de Douglas :
c It is no wonder then the complaint against their bishops be , that their little finger is
thicker than the loins of the former. >
(2) En 1663, Middleton fat renvoyé et eut pour successeur Lauderdale, qui < iras dépen-
dent upon the prelates, and was compelled to yield to their most forions demanda. »
Laing, Hist. ofScotland, t. IV, pag. 33. • The influence» or rather the tyranny, which was
thus at the discrétion of the prêtâtes, was unlimited; and they exercised it with anunspa-
ring hand. » Bower, Hist. ofthe University of Edinburgh, t. I,pag. 284.
(3) t Sir James Turner, that commanded them, was naturally fierce, but was mad when he
was drnnk; and that was very often. » Burnet, Hist. of his otvn Time, 1. 1, pag. 364.
Kirkton {His t. ofthe Clmrch, pag, 221) dit : «Sir James Turner hade made ane expédi-
tion to the west countrey to subduc it to the Bishops, in the year 1664; another in the
year!665; and a third in the year 1666; and this was theworst. » On trouvera une descrip-
tion complète dans Wodrow, Hist. ofthe Church ofScotland , 1. 1, pag. 373-375, 4U;
t. II, pag. 8, 17; t. III, pag. 264, 265. «This method of dragooning peopie to the church, as
it is contrary to the spirit of Christianity, so it was a Etranger in Scotland, till Bishop
Sharpe and the prelates brought it in. > T. I, pag. 401. Sir James Turner, dont les mémoires
écrits par loi-même ne furent publiés qu'il y a trente ans, raconte une anecdote au sujet
de sa propre ivrognerie qui cadre bien avec sa conduite générale. Turner, M emoirs ofhis
own Life. Édimb., 1829, in-4% pag. 42, 43, A la pag. 206, il dit avec son impudence ordi-
naire : t And yet I confesse, my humour never was, nor is not yet, one ofthe calmest ; when
it will be, God onlie knoues; yet by many sad passages of my life, I known that it halh
beene good for me to be afflicted. » Et il ajoute (pag. 144) : c That I was so farreirom
exceeding or transgressing my commission and instructions , that I never came the foll
lenght of them. » On peut juger, par les cruautés dont il fut coupable, de quelle nature
étaient les instructions que ses supérieurs lui avaient données.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 327
femmes (1). En 1670, le parlement promulgua une loi qui
déclarait que quiconque prêcherait dans la campagne sans
permission serait mis à mort (2). Il se trouva quelques
avocats assez hardis pour défendre les innocents accusés de
crime capital. On décida donc qu'on les réduirait également
au silence, et, en 1674, on chassa d'Edimbourg une grande
partie du barreau (3). En 1678, par ordre du gouvernement,
on fit descendre les Highlanders de leurs montagnes, et on
les excita pendant trois mois à massacrer, à piller et à
(I) < Sir James Turner lately had forced Galloway to lise in arms, by his crnelty the las*
and former years; bat ne was an easy master, compared with General Dalziel, his ruffians»
and Sir William Bannatyne, this year.» Wodrow, Church of Scotland, t. II,pag. 62. Dalziel
i cruelly tortured whom he would. > Pag. 63. Une femme c is bronght prisoner to Kilmar-
nock, where she was sentenced to be let down to a deep pit, nnder tbe bonse of the dean,
fnll of toads and other vile créatures. Her shrieks thence were heard at a great distance. »
Pag. 64. Deux paysans forent c bonnd togather with cords, and hanged np by their thumbs
to atree, there to hang ail night. » Ibid. Les soldats de sir William Bannatyne saisirent
une femme, * and bonnd her, and pot lighted matches betwixt her Angers for several honrs ;
the torture and pain made heralmost distracted ; she lost one of her hands, and in a few
days she died. » Ibid. • Oppressions, murders, robberies, râpes. » Pag. 65. « He made great
lires, and laid down men lo roast before them, when they wonld not, or coula not, give him
the money he required, or the information he was seeking. > Pag. 104. Voyez aussi Grooks-
hank, Hist. ofthe Church of Scotland, 1. 1, pag. 204*307. Cette histoire est basée sur le
grand ouvrage de Wodrow, mais contient un grand nombre de faits que cet auteur ignorait.
Voyez Crookshank , 1. 1, pag. 11. Au sujet des outrages de 1667, il y a quelques horribles
détails dans un livre publié la même année sous le titre de : Naphtali, or the Wrestlings
ofthe Church of Scotland. Voyez surtout le sommaire à la pag. 174 : « Wounding, beating,
stripping and imprisoning mens persons, violent breaking of their houses both by day and
night, and beating and wounding of wives and children, ravishing and deflowring of women,
foreing wives and other persons by tired matches and other tortures to dîscover their
husbands and nearest relations, althongh it be not within the compass of their knowledge,
anddriving and spoiling ail their goods that can be carriecLaway, without respect to guilt
or innocency. >
(2) « That whosoever without licence or authoritie forsaid shall preach, expound Scrip-
ture, or pray at any of thèse meetings in the ffeild, or in any house wher ther be moe per-
sons nor the house contains, so as some of them be without doors (which is hereby declared
to be a feild conventicle), or who shall convocat any nnmber of people to thèse meetings,
shall be punished with death and confiscation of ther goods. * Acte ofthe Parliaments of
Scotland, édit. 1820, in-fbl., t. III, pag. 9. C'était le 13 août 1670.
(3) Sous le prétexte d'empêcher tout appel. Voyez Laing, Hist. of Scotland, t. IV,
pag. 72-74.
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328 HISTOIRE
brûler les habitants des parties les plus populeuses et les
plus industrieuses de l'Ecosse. Une animosité profonde
existait depuis des siècles entre les habitants des hautes
terres et ceux des basses terres; et maintenant ces sauvages
montagnards pouvaient exercer leur vengeance à cœur joie.
Leur rage fut assouvie. Pendant trois mois, on leur donna
licence complète. On permit à huit mille (1) Hïghlanders
armés, appelés par le gouvernement anglais, et recevant
d'avance une indemnité pour tous leurs excès (2), de faire
cç que bon leur semblerait dans les villes et dans les vil-
lages de l'Ecosse occidentale. Ils n'épargnèrent ni l'âge ni
le sexe. Ils dépouillèrent le peuple de tout ce qu'il possédait,
même de ses vêtements, et le laissèrent mourir de faim
dans les champs. Ils infligèrent à un grand nombre de per-
sonnes les plus horribles tortures. Des enfants, arrachés à
leurs mères, furent traités d'une manière infâme ; les mères
et les filles furent condamnées à un sort auprès duquel la
mort eût été une joyeuse alternative (3).
(1) c Savage hosts of Hïghlanders were sent down to depopnlate the western sbires, to the
number of ten or eleven thousand, who acted most outrageons barbarities,even almost to
the laying some counties desolate. » A Cloud of Witnesses for the Royal Prérogatives
of Jésus Christ, édit. Glascow, 1779, pag. 18. Hais voyes, pour ce chiffre de 8,000, Kir k ton,
History, pag. 386; Arnot, Hist. of Edinburgh, pag. 154 ; Burnet, Hist. ofhis own Time,
t. II, pag. 134; Denholm, Hist. of Glasgow, pag. 67, et Life and Su/ferpngs ofjohn
Nisbet, dans Select Biographies, publication de la Wodrow Society, t. II, pag. 381.
Chalmers, dans Caledonia, t. III, pag. 592, dit 10,000.
(2) < They were indemnified against ail pnrsnits, civil and criminal, on acconnt of killing,
wonnding, apprehending, or imprisoning, snch as shonld oppose them. » Crookshank, Hist.
ofthe Church ofScotland, t 1, pag. 337, 338.
(3) On trouvera quelques descriptions courtes et imparfaites de ce « Highland Host > dans
Kirkton, Ristory, pag. 385-390, et dans Crookshank, Ristory, 1. 1, pag. 354, 355. Mais le
meilleur compte rendu des atrocités commises par ces barbares est dans le grand ouvrage
de Wodrow, Hist. of the Church of Scotland, U II, pag. 375413, 481-432; t. UI,
pag. 76, 79, 486. t They had good store of iron shackles , as if they were to lead back vast
numbers of slaves, and thumb-locks, as they call them (c'est à dire thumb-screws ), to make
theirexaminations and trials with. » T. II, pag. 389. t In some places they tortured people,
by scorching their bodies at vast fires, and other wise. • T. II, pag. 422. Compares Laing,
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 329
C'est de cette manière que le gouvernement anglais essaya
de dompter l'énergie, et de changer les opinions du peuple
écossais. Les nobles regardaient en silence, et, bien loin de
résister, n'avaient même pas le courage de faire des remon-
trances. Le parlement était tout aussi servile, et sanction-
nait tout ce que le gouvernement demandait; pourtant le
peuple restait ferme. Son clergé, tiré des classes moyennes,
lui resta dévoué ; il s'attacha donc lui-même à son clergé,
qui, comme lui, ne changea pas. Les évêques étaient détestés
comme les alliés du gouvernement, et étaient avec raison
regardés comme des ennemis publics. On savait qu'ils avaient
favorisé, et souvent suggéré, les atrocités qui avaient été
commises (1), et ils étaient si enchantés des châtiments in-
fligés à leurs adversaires, que personne ne fut étonné lors-
qu'ils déclarèrent, quelques années plus tard, dans uneépStre
qu'ils adressèrent à Jacques II, le plus cruel de tous les
Stuarts, qu'il était le bien-aimé du ciel, et qu'ils espéraient
que Dieu lui donnerait les cœurs de ses sujets, et les têtes
de ses ennemis (2). Le caractère du prince, que les évêques
Hist. of Scotland, t. IV, pag. 88. « Neither âge nor sex was exempt from outrage, aad tor-
ture was freely employed to extort a confession of hidden wealth. » Et à la pag. 91 : « The
Highlanders, after exacting free qnarters, and wasting the conntry for tbree months, were
dismissed to their hills with impnnity and wealth. >
(1) t Indeed, the whoie of the severity, hardships, and bloodshed from this year (1661),
nntil the révolution , was either actually bronght on by the Bishops , procnred by them ,
or done for their support. • Wodrow, Hist. of the Church of Scotland , 1. 1, pag. 223.
« It was onr prelates who pnshed the conncil to most of their severities. » Pag. 247. t The
bishops, indeed, violently pnshed prosecntions. > Crookshank, Hist. ofthe Church, 1. 1,
pag. 298. En 1666, « as to the Prelates, they resolved to nse ail severities, and to take ail
imaginable crnel and rigorons ways and courses, flrst against the rest ofthe prisoners, and
then against the whole west of Scotland. > Row, Continuation of Blairas Autobiography,
édit. Édimb., 1848, pag. 505, 506. Cet ouvrage intéressant est édité par le docteur M'Crie et
publié par la Wodrow Society.
(2) En 1688, t the bishops concurred in a pions and convivial address to James, as the
darling of heaven, that God might give him the hearts of his subjects and the necks of his
enemies. » Laing, Hist. of Scotland , t. IV, pag. 193.
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350 HISTOIRE
honoraient avec tant de bonheur, est aujourd'hui bien com-
pris. Les crimes que ses successeurs avaient commis étaient
bien horribles; mais ils ne sont rien en comparaison de ce
qui arriva, lorsqu'en 1680 il prit la direction des affaires (1).
Il en était arrivé à un tel point d'iniquité, que c'était pour
lui un véritable bonheur d'être tésaoîn des souffrances de
ses semblables. C'est là un abîme de méchanceté dans lequel
les natures les plus corrompues tombent rapidement. Il y a
eu, et il y aura toujours, des hommes que les souffrances
humaines ne peuvent émouvoir, et qui sont capables d'in-
fliger les peines les plus cruelles pour arriver au but qu ils
se proposent. Mais se réjouir du spectacle de ces douleurs,
c'est une abomination hideuse. Jacques était si bien mort à
tout sentiment de honte, qu'il nese donnait même pas la peine
de cacher ses goûts ignobles. Toutes les fois qu'on appliquait
la torture, on était certain de l'y voir repaître sa vue de ce
hideux spectacle, et se livrer à une orgie de joie infernale (S).
Il y a quelque chose d'horrible dans l'idée qu'un tel homme ai
(1) c Afrer the Duke of York came down m October (1680), the persécution tnrned yet
more severe. » Wodrow, Hist. of the Church of Scotland, t. III, pag. 225. c Persécution
and tyranny, mainly promoted by the Duke of York's instigation. » Shields, Hind let Loose,
pag. 147. t Immediately npon his mounting the throne, the exécutions and acts prosecoting
the persécution of the poor wanderers, were more cruel than ever. » Pag. 200.
(2) Ceci était bien connu en Ecosse; un écrivain contemporain y fait évidemment allu-
sion ; il appelle Jacques un monstre. Voyez Shields, Hind let Loose, 1687, pag. 365. «This
man, or monster rainer, that is now mounted the throne. > Comparez Crookshank, Hist.of
the Church of Scotland, t. II, pag. 66, où il est dit que, lorsque Spreul fut torturé, « the
Duke of York was pleased to gratify his eyes with this delightful scène. » Wodrow, History,
t. III, pag. 253, et Laing, Hist. of Scotland, t. IV, pag. 116. Lisez la description donnée
par Burnet : « When any are to be struck in the boots , it is done in the présence of the
eouncil ; and japon that occasion, almost ail offer to run away. The sight is so dreadful,
that without an order restraining such a number to stay, the board would be forsaken. Bat
the duke, while he had been in ScoUand, vas so far from withdrawing, that he looked on
ail the while with an unmoved indifférence, and with an attention, as if he had been to
look on some curions experiment. This gave a terrible idea of him to ail that observed
it, as of a man that had no bowels nor humanity in him. » Burnet, Hist. ofhisown Time,
t. II, pag. 416, 417.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 351
étélemaitredemillionsd'êtreshumains. Mais que doit-on pen-
ser des évêques écossais qui l'applaudissaient, et qui étaient
chaque jour témoins de ses forfaits? Comment trouver un
langage assez expressif pour flétrir ces prêtres couards qui,
après avoir passé des années à essayer d'anéantir les libertés
de leur patrie, se réunirent vers la fin de leur carrière,
peu avant leur chute définitive, et se servirent de leur auto-
rité comme ministres d'une religion de paix pour approuver
publiquement un prince qui faisait l'horreur de ses contem-
porains, et dont les goûts révoltants, à moins qu'on ne les
attribue à un cerveau malade, ne sont pas seulement une
tache pour le siècle qui les tolérait, mais encore une honte
pour les instincts naturels de l'homme.
Mais les classes gouvernantes de l'Ecosse étaient si profon-
dément corrompues) que ces crimes semblent avoir à peine
excité l'indignation. Les victimes étaient des sujets rebelles,
et contre eux tout était légal. La torture ordinaire, qu'on
appelait la torture des bottes, consistait à placer la jambe
dans un cadre dans lequel on enfonçait des coins jusqu'à ce
que les os fussent brisés (1). Mais lorsque Jacques visita
l'Ecosse, on s'imagina que c'était là un châtiment trop doux,
et qu'il était temps d'inventer quelque chose de nouveau.
En 1684, on employa un nouvel instrument appelé thumbi-
kins. Il se composait de petites vis en acier, arrangées avec
un art si infernal, qu'elles comprimaient non seulement le
pouce mais encore toute la main, infligeant une souffrance
plus cruelle que toutes les tortures connues jusqu'à ce jour,
(1) Shields (A Hind tel Loose, pag. 186) décrit les bottes comme «a cruel Angine ofiron,
whereby, with wedges, the leg is tortured unlil the marrow corne ont of tbe boue. > Com-
parez NapMali, or the WresUings ofthe Church ofScotland, 1667, pag. 268 : t The
eitraordinary compression both of fleih, sinewa,and boues, by tbe force of timber wedges
andhammer.»
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332 HISTOIRE
et ayant en outre l'avantage de ne pas mettre en danger la
vie du supplicié, ce qui permettait d'infliger la torture plu-
sieurs fois à la même personne (1). Nous en avons, je crois,
dit assez (2). On ressent un profond dégoût au récit de pa-
reilles horreurs* En lisant l'histoire de cette époque, le cœur
se soulève à la vue des moyens employés par ces êtres
infâmes pour étouffer l'opinion publique, et pour ruiner un
peuple courageux et énergique. Mais cette fois encore leurs
efforts furent vains. Pourtant de nouvelles souffrances atten-
daient ces infortunés. Jacques II inaugura son règne 'par un
acte de barbarie étrange. Quelques semaines après l'avéne-
ment au trône de ce misérable, tous les enfants de six à dix
ans furent saisis par des soldats dans les comtés d'Annan-
dale et de Nithsdale, séparés de leurs parents et menacés de
mort (3). Comme seconde mesure, on exila un nombre immense
(1) En 1684, Carstairs fat soumis à cette torture. Voyez la description qu'il en donne lui-
môme dans nne lettre imprimée dans Wodrow, Hist. ofthe Church ofScotland, t. IV»
pag. 96-100. Il écrit (pag. 99) : c After this communrog, the king's smith was called in, to
bring in a new instrument to torture by tbe tbumbkins, that bad never been used before.
For whereas the former was only to screw on two pièces of iron above and below with finger
and thumb, tbese were made to turn about the screw with the whole hand. And under this
torture, I continued near an hour and a half. > Voyez aussi le cas de Spence, dans Burnet,
Hist. of his oum Time, t. II, pag. 4i8 : « Little screws of steel were made use of, that
screwed the tbumbs with so ezquisite a tonnent, that he sunk under this; for Lord Perth
told him, they would screw every joint of his whole body, one after another, till he took the
oath.» Laing (Hist. of Scotland, t. IV, pag. 143) dit : t The thumbikins; small screws of
steel that compressed the thumb and the whole hand with an eiquisite torture; an inven-
tion bronght by Drummond and Dalziel from Russia. > Voyez aussi Fountainhall, Mfé* of
Scottish Affairs from 1680 till 1701. Èdimb., 18», in-4% pag. 41, 97, 101 ; Bower, Hist. of
the University of Edinburgh, t. II, pag. 30; Crookshank, Hist. ofthe Church ofScot-
landj t. H, pag. 192 ; A Cloud of Witnesses for theRoyal Prérogatives of Jésus Christ,
édit. Glascow, 1779, pag. 371 , et Life of Walter Smith, pag. 85, dans le second volume
de Walker, Biographia Presbyteriana. Édimb., 1827.
(2) t In 1684, the Scottish nation was in the most distressing and pitiable situation that
can be imagined. > ... . . «Thestateofsocietyhadnowbecomesuch,that,inEdinburgh,
attention to ordinary business was neglected,and every one was jealous of hisneighbour.»
Bower, Hist. ofthe University ofEdinburgh, 1. 1, pag. 307.
(3) « Upon the lOth of March, ail freeholders, heritors, and gentlemen in Nithsdale-and
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 333
des habitants, qu'on jeta à bord de navires pour les envoyer
dans des colonies malsaines ; on commença par couper les
oreilles aux hommes et par marquer les femmes, soit sur la
main, soit sur la joue (1). Cependant ceux qui restaient dans
le pays n'étaient pas découragés, et ils étaient prêts à faire
ce qui était nécessaire. En 1688, comme en 1642, les Écos-
sais et les Anglais se réunirent contre leur oppresseur com-
mun, qui échappa à leur colère par une fuite honteuse.
C'était un lâche aussi bien qu'un despote, et l'on n'avait plus
rien à craindre de sa part. Les évéques avaient certainement
une grande affection pour lui ; mais ils n'étaient pas assez
Annandale, and, I suppose, in most other shires of the kingdom, bat I Dame those as beiog
the scène of the severities now used, were sammoned to attend the king's standard; and
the militia in the several shires were raised. Wherever Claverhouse came, he resolved upon
narra* and universal work. He nsed to set his horse npon the hills and eminences, and that
in différent parties, that none might escape; and there his foot went throngh the lower,
marshy, and mossy places, where tlje horse conld not do so well. The shire he parcelled ont
in so many divisions, and six or eight miles square would be taken in at once. In every
diTision,the whole inhabitants, men and women,yonng and old,without distinction, were
ait driven into one convenient place. > « AU the children in the division were
gathered together by themselves, nnder ten years, and a bore six years of âge, and a party of
soldiers were drawn ont before them. Then they were bid pray, for they were going to be
shot, Some of them would answer, Sir, we cannot pray. ».....• At other times, they
treated them most inhnmanly, threatening them with death,and at some little distance
wonld fire pistols withont bail in their face. Some of the poor children were frighted almost
ont of their wits, and others of them stood ail ont with a courage perfectly above their âge.
Thèse acconnts are so far ont of the ordinary way of mankind, that I wonld not hâve insert
them, had I not before me several informations agreeing in ail thèse circnmstances, written
at this time by people who knew the trnth of them. > Wodrow, Hist. of the Church of
Scotiand, t. IV,pag. 955,256.
(1) c Nnmbers were transported to Jamaica, Barbadoes, and the North American settle-
ments ; but the women were not unfrequently bnrnt in the cheek, and the ears of the men
were lopt off, to prevent, or to detect, their retnrn. » Laing, Hist. ofScotland, t. IV,
pag. 162. c Great multitudes banished. > Wodrow, Hist. of the Church, t. IV, pag. 211.
En juillet 1685, c the men are ordered to hâve their ears cropt, and the women to be marked
in their hand. > Pag. 217. t To hâve the following sligma and mark, that they may be known
as banished persons if they shall return to this kingdom, viz. that the men hâve one of
their ears cnt off by the hand of the hangman, and that the women be burnt by the same
hand on the cheek with a bnrned iron. » Pag. 218. Ce sont là des extraits des procès-verbaux
du conseil privé.
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534 HISTOIRE
forts pour le protéger, et pouvaient à peine se protéger eex-
mémes. Les Highlanders étaient les seuls amis puissants
qu'il possédât. Ces montagnards barbares se rappelaient avec
regret le temps où le gouvernement leur avait non seulement
permis, mais même ordonné, de piller et d'opprimer leurs
voisins du Sud. Charles II s'était servi d'eux dans ee bot,
et il était de toute probabilité que si la dynastie des Stuarts
était rétablie, leurs services seraient de nouveau requis, et
qu'ils pourraient de nouveau s'enrichir en pillant les Low-
hnders (1). La guerre était leur principal amusement, c'était
aussi leur seul moyen d'existence et la seule chose qu'ils
comprissent (2). En outre, le fait seul de la chute de Jac-
ques, le fait qu'il ne possédait plus aucune autorité, augmen-
tait considérablement leur sentiment de fidélité pour lui. Les
Highlanders vivaient de rapine et florissaient dans l'anar-
chie (3). Aussi détestaient-ils tout gouvernement assez fort
pour punir le crime, et maintenant que les Stuarts avaient
été chassés, cette nation de brigands les aimait avec une ar-
deur que l'absence seule pouvait causer. De la part de Guil-
laume III, ils pouvaient craindre quelques mesures restric-
tives, tandis que le prince exilé ne pouvait leur faire aucun
(1) t James II favonred the Highland clans. > Note dans Fountainhall, Scotlish Affaire
front 1680 till 1701, pag. 100. Il ne pouvait guère faire autrement. Cette alliance était nata-
relle et était faite pour lai.
(2) Eicepté le vol qui fait pourtant toujours, sous une forme ou sous une autre, partie de
la guerre et dans lequel ils étaient passés maîtres. Burnet (Hist. ofhis ovm Time, 1. 1,
pag. 67) les décrit comme c goot at robbing, » et Burton (Lives of Lovai and Forbe» ,
pag. 47) dit : « To steal even vestments was considerably more créditante than to make
them. * Du reste ils étaient absorbés dans leur passion pour la guerre. Voyez Thomson,
Mémoire of the Jacobites. Lond., 1845, t. II, pag. 175,176.
(3) i Rerenge was accouoted a duty, the destruction of a neighbour a meritorioas exploit,
and rapine an honourable employaient. • Browne, Hist. ofthe Highlands, t. IV, pag. 385.
« The spirit of rivalry between the clans kept up a taste for hostility, and eonverted rapine
into a service of hononr. > Thomson, Memoirs of the Jacobites, t. H, pag. 939.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 355
tort, et considérerait leurs excès comme la conséquence na-
turelle de leur zèle. Peu leur importait le principe de sue-
cession monarchique, peu leur importait la doctrine du droit
divin (1). La seule succession qui les intéressait était celle
de leurs propres chefs; la seule notion de droit qu'ils con-
nussent était d'obéir aux ordres de ces chefs. Comme ils
étaient extrêmement pauvres (2), ils ne couraient aucun
risque en soulevant une rébellion, excepté celui de leur vie,
chose de peu d'importance dans un pareil état social. En cas
de non-succès, il y avait pour eux ce qu'ils considéraient
comme une mort honorable. S'ils réussissaient, ils gagnaient
réputation et richesses. Us étaient en tous cas certains de
nombreuses jouissances. Ils étaient certains de pouvoir, au
moins pendant quelque temps, se livrer au pillage et au
(1) Gomme ils n'étaient frappés que par les qualités physiques des individus, ils furent
dégoûtés en 1715 par l'apparence du prétendant, en dépit de son arbre généalogique. Voyei
Bttrton, HUt. ofSeotland from 1689 to 1748. Lond., 1853, t. II, pag. 196, 199. A la pag. 383,
M. Burton observe : « Those who really kneir the Highlanders were aware that the follo-
wers were no more innate supporters of King James's claim to the throne of Britain, thon
of Maria Teresa's to the throne of Hungary. They went with the policy of the head of the
clan, whatever that might be ; and thongh upwards of half a ceotury's advocacy of the exiled
honse (ceci a trait à la dernière rébellion de 1745) had made Jacobitism appear a politîe&l
creed in some clans, it was among the followers, high and low, Utile better than a nomen-
clature, winch might be changed with circnmstances. > Depuis Robert son, M. Burton et
H. Chambcrs sont, selon moi, les deux écrivains qui ont les vues les plus larges sur l'his-
toire d'Ecosse. L'histoire de Robertson s'arrête i la période la plus importante, et il avait
peu de matériaux à sa disposition ; mais il s'en est servi avec un talent remarquable. Son
histoire d'Ecosse est son meilleur ouvrage.
(2) On peut comparer nne curieuse description de leur apparence, donnée par le Derby
Mercure en 1746 (Thomson, Memoirs of the Jacobites, t. III, pag. 115), avec la descrip-
tion dans Anderson, Prize Eêsay on the Highlands. Édimb., 1827, pag. 128. « Gattle
were the main resonrces of the tribe — the acquisition of thèse the great object of their
hostile forrays. The precarious crops gave tnem wherewithal to bake their oaten cakes, or
distil their aie or whisky. When thèse failed, the crowded population suffcred every extrême
of misery and want. At one time in particular, in Sutherland, they were compellod to
subsist on broth made of nettles, thickened with a little oatmeal. At another, those who
had caUle, to hâve recourse to the expédient of bleeding them, and mixing the blood with
oatmeal, wbich they afterwards eut into slices and fried. >
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336 HISTOIRE
meurtre, et à tous les excès qui étaient pour eux la véritable
récompense d'un soldat.
Aussi, loin d'être surpris des rébellions, de 1715 et
de 1745 (1), la seule cbose étrange c'est que ces révoltes
n'aient pas éclaté plus tôt, et qu'elles n'aient pas été mieux
supportées. En 1745, lorsque l'invasion soudaine des re-
belles frappa l'Angleterre de terreur, lorsqu'ils pénétrèrent
jusqu'au cœur du royaume, leur armée, y compris les ruines
des basses terres et des provinees anglaises, ne dépassa
jamais six mille hommes (2) ; et ils éprouvaient si peu de
sympathie pour la cause qui leur avait mis les armes à la
main, qu'en 1715, à l'époque où ils étaient beaucoup plus
nombreux qu'en 1745, ils refusèrent d'envahir l'Angleterre
et d'attaquer le gouvernement, jusqu'à ce qu'on leur eut
promis une paie plus élevée (3); et également en 1745,
après avoir gagné la bataille de Preston-paos, les Highlan-
(1) Plusieurs écrivains les appellent par erreur t unnatural. > Voyez, par exemple, Rae,
Hist. oflhe Rébellion. Lond., 1746, pag. 158, 109, et Home, Hist. ofthe Rébellion. Lond.,
1802, in-4-,pag. 347.
(2) iWhftn the rebels began their march to the southward,they were not 6,000 men
complète. > Home, Hist. of the Rébellion in the year 1745, in-4% pag. 137. A Stirling,
l'armée « afler the jonction was made, amonnted to somewhat more than 9,000 men , the
greatest nnmber that Charles ever had nnder his command. > Pag. 164. Mais le nombre de
ceui qni envahirent l'Angleterre était bien moins considérable. iThe nnmber ofthe rebels
when they began their march into England was a few above 5,000 foot, with abont 500 on
horeeback. > Home, pag. 331. Browne {Hist. ofthe HighlandSj t. III, pag. 140 ) dit : « When
mnstered at Garlisle, the prince's army amonnted only to abont 4,500 men; and Lord
George Mnrray states that, at Derby, t we were not above five thonsand fighting men, if so
many. » Jacobite Memoirs ofthe Rébellion o/*1745, édités par Robert Ghambers. Édimb.,
1834, pag. 54. Un autre écrivain, s'appnyant sur la tradition, dit : t Charles, at the head of
4,000 Highianders, marched as far as Derby. > Brown, Hist. of Glasgow. Édimb., 1797,
t. II, pag. 41. Comparez Johnstone, Memoirs of the Rébellion. Lond., 1822, 3* édit.,
pag. ixxtii, xxiyiit, 30 32, 52. Johnstone dit (pag. 60) : «M. Patnllo, onr mnster-master,
reviewed onr army at Carlisle, -when it did not eiceed four thonsand five hnndred men. »
Plus tard, retournant en Ecosse, « onr army was snddenly increased to eight thonsand men
the double of what it was when we were in England. * Pag. 111.
(3) t Orders were given to proceed in the direction of Carlisle, and recall the deUchment
sent forward to Dnmfries. The Highianders, still trne to their stagnant principles,refased
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tiE LA CIVILISATION EN ANGLETRREE. 337
ders, au lieu de profiter de cette grande victoire et de
frapper un nouveau coup, désertèrent en masse, afin de
mettre en sûreté le butin qu'ils avaient fait, et qui était en
réalité tout pour eux. Peu leur importait que la victoire fût
aux Stuarts ou au prince hanovrien; il leur était impossible/
même dans ce moment critique, dit l'historien, de résister
au désir de retourner dans leurs vallées, et de décorer leurs
cabanes avec leur butin (1) .
11 n'y a rien au monde de plus absurde que cette propen-
obedience. » • Pecnniary negotiations were now commenced, and they were
offered sixpence a day of regalar pay — reasonable remuneratioo at that period to ordinary
troops, but to the wild children of the moaniain a glittering bribe, whiçh the most steady
obstinacy would alone resist. It was partly effective. • Burton, Hi$t. of ScoUand, t. II,
pag. 168. i And from this day, the Highlanderg head siipence a had per day payed them to
keep them in good order and under command. > Patten, Hist. ofthe Late Rébellion, Lond.,
1717, pag. 73. Voyez aussi, an sujet de la répugnance des Highlanders i envahir l'Angleterre,
Rae, Hist. ofthe Rébellion. Lond., 1746, 2* édit., pag. 270, 271. Browne dit {Hist. ofthe
Highlands, t. II, pag. 300, 30*; : « The aversion of the Highlanders, from différent consi-
dérations, to a campaign in England, iras almost insuperable; » mais « by the aid of great
promises and money,the greater part ofthe Highlanders were prevailed npon to follow the
fortunes of their commander. »
(1) « Few Tictories hâve been more entire. It is said that scarcely two hundred of the
infantry escaped. > < The Highlanders obtalned a glorious booty in arms and clo-
thes, besides self-moving watches, and other products of civilisation, which surprised'and
puzsled them. Excited by such acquisitions, a considérable number could not resist the old
practice of their people to return to their glens, and decorate their hnts with their spoil. •
Burton, Hist. ofScotland, t. II, pag. 465. Comparez Home, Hist. ofthe Rébellion , pag. 123.
C'était chez eux une vieille coutume, comme Montrose s'en était aperçu un siècle aupara-
vant : c When many of the Highlanders, being loaded with spoil, deserted privately, and
soon after returned to their own country. > Wishart, Mémoire ofthe Marquis of Mont'
rose. Édimb., 1819, pag. 189. Et Burnet {Mémoire ofthe Dukes ofHamiUon, pag. 272) :
t Besides, any companies could be brought down from the Highlands might do well enough
for a while, but no order could be ezpected from them, for as soon as they were loaded
with plunder and spoil, they would run awayhome to their lurking holes,and désert those
•who had trusted them. » Voyez aussi pag. 354. Un écrivain plus récent, jetant un voile sur
cette petite infirmité, remarque avec beaucoup de délicatesse que c the Highlanders, brave
as they were, had a custom of returning home after a battle. > Thomson, Mémoire of the
Jacobites. Lond., 1845, 1. 1, pag. 122. Souvent ils commençaient par voler leurs compagnons
d'armes. En 1746, Bisset écrit : « The Highlanders, who went off after the battel, carried off
horses and baggage from their own men, the Lowlanders. » Diary ofthe Révérend John
Bisset, dans Miscellany ofthe Spaîding Club. Aberdeen, 1841, in-4% 1. 1, pag. 377.
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338 HISTOIRE
sion poétique et menteuse à représenter le soulèvement
des Highlanders comme l'explosion du dévoùment et de
la fidélité. Rien n'était plus loin de leur pensée. Les
Highlanders ont à rendre compte d'assez de crimes, pour
qu'il soit inutile de leur adresser des reproches immérités.
Us étaient des voleurs et des meurtriers; mais c'était là leur
mode d'existence, et ils n'en éprouvaient aucune honte.
Ils étaient ignorants et féroces; mais ils n'étaient pas assez
fous pour être personnellement attachés à cette famille
dégradée, qui occupait le trône d'Ecosse avant l'avènement
de Guillaume III. On ne pourrait excuser une affection pour
des hommes tels que Charles II et Jacques II, que comme le
résultat d'un de ces goûts étranges dont on entend quelquefois
parler. Mais aimer tous leurs descendants; éprouver une affec-
tion assez compréhensive pour englober la dynastie tout
entière, et, afin de satisfaire cette passion elcentrique, non
seulement se condamner à de grandes privations, mais encore
faire un tort immense à deux royaumes, c'eût été folie aussi
bien que méchanceté; et de pareils sentiments prouveraient
chez les Highlanders une démence qui était complètement
étrangère à leur nature. Ils se soulevèrent parce que l'insur-
rection convenait à leurs mœurs, et parbe qu'ils détestaient
tout gouvernement (1). Loin d'aimer le monarque, l'insti-
tution même de la monarchie leur était antipathique. Elle
(1) t Wheerer desired, with the sword, to distnrb or overturn a fixed government, was
sure of the aid of the chiefs, becanse a settled ge*ernment wasrainoos to their power, and
almost inimical to their existence. The more it cnltivated the arts of peace, and throve on
indostrially created well-being, the more did it drive into an antagonist position a people
who did not change their nature, who madeno indnstrial progress, and who lived by the
swords which acqnired for them the fraits of other men's industry. With their interests, a
peacefal, strong gOTernment was as inconsistent as a well-gnarded sheepfold with the inté-
rêt of wolves. » Burton, HUt. ofScotland, 1. 1 , pag. 105, i0& i The Highlanders, in aU
reigns, hâve been remarkable for distnrbing the established gorernment of Scotland by
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DE LA CIVILISATION BN ANGLETERRE. 339
était contraire à l'esprit de clan auquel ils étaient dévoués
corps et âme; dès leur plus tendre enfance, ils étaient
accoutumés à n'avoir de respect que pour leurs chefs,
auxquels ils accordaient volontiers l'obéissance la plus com-
plète, et qu'ils considéraient comme supérieurs à tous les
potentats du monde (1). Quiconque connaît à fond leur
histoire sait fort bien qu'ils étaient incapables de verser
teur sang en faveur de n'importe quel souverain; et il est
encore moins croyable qu'ils aient pu quitter leurs foyers,
et entreprendre des marches longues et dangereuses, dans
le seul but d'ame»er la restauration de cette dynastie cor-
takrag np aras on every invasion for the invadere. * Marchant, Hist. ofthe présent Rébel-
lion. Lond., 1746, pag. 18. Voyez aussi Macky, Journey through Scotland. Lond., 1733,
pag. 129, et une description courte, mais curieuse des Highlanders, en 1744, dans The
Miscellany ofthe SpalcUng Club, t. Il, pag. 87-89.
(1) Un observateur, qui était en excellente position pour étudier leur caractère pendant
la période qui s'écoula entre les rébellions de 1715 et de 1745, dit : c The ordinary Highlan-
ders esteem it tèe mptt sublime degree of virtue to love their chief, and pay him a blind
obédience, altbough it be in opposition to the government, the laws ofthe kingdom, or even
to thelaw of God. He is their idol; and as they prof ess to know no king but him (I wag
going farther ), so will they say, they ought to do whatever he commands, without inquiry. >
Letters from a Gentleman in the North of Scotland, édit. Lond., 1815, t. II, pag. 83,84.
t The Highlanders in Scotland are, of ail men in the world, the soonest wronght upon to
ollow their leaders or chiefs into the h'eld, having a wonderful vénération for their Lords
and Chieftains, as they are called there : Nor do thèse people ever consider the validity
of the engaging cause, but bttndly folle-* their chiefs into what mischief they please,and
thath with the greatest précipitation imaginable. > Patten, Hist. ofthe Rébellion. Lond.,
1717, pag. 151. « The power of the chiefs over their clans was the true source of the two
rebellions. The clansmen cared no more about the legitimate race of the Stuarts, than they
did about the war of the Spanish succession. > « The Jacobite Highland chiefs
ranged their followere on the Jacobite side — the Hanoverians ranged theirs on the side of
government. Lovat's conduct was a sort of experimentum crucis; he made bis clan
Hanoverian in one rébellion, and Jacobite in another. > Burton, Lives of Lovât and
Fortes, pag. 150. Comparez Browne, Hist. ofthe Highlands, t. II, pag. 285. Même à
l'époque de la guerre d'Amérique» le chef de clan était considéré comme supérieur au sou-
verain. « One Captain Frazer from the northern district, brought down a hundred of nia
clan, ail of (be name of Frazer. Few of them could understand a word of English; and the
only distinct idea they had of ail the mustering of forces which they saw around them, was
that they were going to fight for King Frazer and George ta Three. » Penny, Traditions of
Perth. Perth, 1836, pag. 49, 50.
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540 HISTOIRE
rompue et tyrannique, dont les crimes avaient appelé le
courroux du ciel, et dont les cruautés avaient fini par faire
bouillir le sang dans les veines des individus les plus
humbles et les plus doux.
La vérité est que les révoltés de 1714 et de 1745 furent,
dans notre pays, la dernière lutte entre la barbarie et la
civilisation. D'un côté, la guerre et la confusion : de l'autre
coté, la paix et la prospérité, c'étaient là les intérêts pour
lesquels on se battait réellement; personne ne se souciait
des Stuarts ou des Hanovriens. On ne pouvait éprouver
aucun doute quant au résultat de ce conflit dans le dix-hui-
tième siècle. A l'époque où elles éclatèrent, ces rébellions
causèrent une grande alarme, non seulement à cause de la
soudaineté avec laquelle elles se manifestèrent, mais encore
à cause de l'apparence étrange et féroce des Highlanders (1).
Mais nous avons aujourd'hui la preuve que le succès était
dès le premier moment impossible. Bien que le gouverne-
ment fut très négligent, et se laissât surprendre dans les
(i) Ce qui fit croire qu'ils étaient cannibales. « The late Mr. Halkston of Rathillet, who
had been in this expédition (la rébellion de 1745), told Mr. Young that the belief was
gênerai among the people of England, that the Highlanders ate children. » Johnstone,
Mémoire ofthe HebeUion. Lond., 1832, 3* édit., pag. MM. Cette rumeur, malgré son absur-
dité, emprunta quelque vraisemblance à la conduite révoltante des Highlanders dans la
première rébellion de 1715, pendant laquelle ils commirent dans les basses terres des
outrages horribles sur les cadavres qu'ils déterrèrent. Voyez les témoignages contemporains
dans la Correspondance ofthe Rev. Robert Wodrow, publiée par la Wodrow Society,
t. II, pag. 86, 87, 93. c They hâve even raised up some of my Lord Rothes's children and
mangled their dead bodies. i c till the stenth put them away. • Eu 1745, ils signa-
lèrent leur entrée en Angleterre de la manière suivante : c The rebels, during their stay in
Gsrlisle, committed the most shocking détestable viUanies ; for, not contented with robbing
families of their most valuable effects, they scrupled not to act their brutal insolence on
the persons of some young ladies, even in the présence of their parents. A gentleman, in a
letter to his friend in London, writes thus : c That, after being in a manner stripped of
e?ery thing, he had the misery to see three of his daughters treited in such a manner
that he could not relate it. • Marchant, RUt. ofthe présent Rébellion. Lond., 1746,
pag. 181, 182.
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. U\
deux occasions, il n'y avait aucun danger véritable (1). Les
Anglais, qui n'aimaient pas beaucoup les Stuarts ou les
Highlanders, refusèrent de se soulever (2), et on ne peut
supposer sérieusement que quelques milliers de bandits à
demi nus pussent parvenir à imposer à l'Angleterre le roi
auquel elle devait obéir, et le gouvernement sous lequel elle
devait etister.
Après 1745, les troubles cessèrent. Les intérêts de la
civilisation, c'est à dire les intérêts de la liberté, de la pro-
priété, des lumières, prirent peu à peu la haute main, et
(1) Même lorsqu'ils eurent pénétré jusqu'à Derby, ils désespéraient du succès. Voyez The
Lockart Paper s. Lond., 1817, in-4", t. II, pag. 458 : « The nezt thiog to be considered of,
vas what vas now to be doue; they were now at Derby, with an army not half the numbér
of what they were reported to be, surrounded in a manner with régalât troops on ail sides,
and more than double their number. To go forward, there was no encouragement, for their
friends ( if they had any ) had kept fittle or no correspondance with them from the time they
entered England. » Le chevalier de Johnstone, qui prit une part active dans la rébellion, dit
franchement : i If we had continuée to advance to London, and had encountered ail the
troops of England, with the Hessians and Swiss in its pay, there was every appearance of
•ur being immediately exterminated» without the chance of a single man escaping. i John-
atone, Memoir$ ofthe Rébellion in 1745 and 1746, pag. 79.
(2) Lord George Murray, commandant en chef en 1745, n'était pas disposé à s'avancer au
sud de Carliste, < without more encouragement from the country than we had hitherto
got. • Voyei son compte rendu dans The Jacobite Mémoire of the Rébellion of 1745,
édités par R. Chambers. Êdimb., 1834, pag. 48. Mais on repoussa ses prudents avis. Les
Highlanders marchèrent en avant, et il arriva ce que toute personne connaissant l'Angle-
terre aurait pu facilement prédire. Johnstone (Memoirs of the Rébellion, pag. 70) dit :
c In case of a defeat in England, no one in our army conld by any possibility escape de-
struction, as the English peasants were hostile towards us in tlie highest degree; and,
besides, the army of Marshal Wade was in our rear, to eut us off from ail communication
with Scotland. » Et i la pag. 81 : « In every place we passed lhrough,we fonnd the English
very ill disposed towards us, eicept at Manchester, where the appeared some remain» of
attachment to the house of Stuart. > Le champion du pouvoir arbitraire trouverait aujour-
d'hui un spectacle bien différent dans ce magnifique spécimen de la prospérité anglaise. Mais
il y a un siècle, les hommes de Manchester étaient pauvres et ignorants, et ce que dit
Johnstone i leur sujet est confirmé par Home, qui dit : < At Manchester, several gentlemen,
and about 900 or 300 of the common people, joined the rebel army; thèse were the onty
EnglUhmen (a few individuals excepted) who joined Charles in his march through
the. country of England. » Home, Hist. of me Rébellion in 1745. Lond., 1801, in*4%
pag. 145. En 1715, les Anglais refusèrent de marcher, excepté à Manchester. Voyez Patten,
Hist. ofthe laie Rébellion. Lond., 1717, pag. 89, 106.
T. IV S
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342 HISTOIRE
jetèrent complètement dans l'ombre des hommes tels que les
Highlanders. On fit des routes à travers leurs pays, et, pour
la première fois, des voyageur^ venant du Sud se mêlèrent
avec eux dans leurs vallées sauvages, et jusqu'alors inacces-
sibles (1). Dans ces parties de l'Ecosse, le mouvement fut
en réalité très lent ; mais dans les terres basses, il fut beau-
coup plus rapide. En effet, les marchands et les habitants
des villes commençaient à prendre de l'ascendant, et leur in-
fluence aida à neutraliser les anciennes habitudes guerrières
et anarchiques. Vers la fin du dix-septième siècle, le goût
des spéculations commerciales commença à se développer,
et l'énergie de l'Ecosse se jeta dans cette nouvelle voie qui
s'ouvrait devant elle (2). Au commencement du dix-huitième
(1) L'établissement de ces routes causa un grand mécontentement. Pennant , qni visita
l'Ecosse en 1769, dit: i Thèse pnblick works were at first very disagreeable to the old
chieftains, and iessened their influence greatiy; for by admitting straogers among them,
their claos were taught that the Lairds were not the first of men. > Pennant, Tour in
Scotland. Dublin, 1775, 4* édit., 1. 1, pag. 204. Vers la Jîn du dix-huitième siècle ces senti-
ments commencèrent à disparaître, t Tilt of late , the people of Kiotail , as well as other
Highlands, had a strong aversion to roads. The more inaccessible , the more secure, was
their maxim. » Sinclair, Statistical Account of Scotland. Édimb., 1793, t. VI, pag. 244.
(2) « Soon after the establishment of the révolution seulement, the ardent feelings of the
Scottish people were turned out of their old channels of religions controversy and war in
the direction of commercial enterprise. » Burton , Criminal Trials in Scotland, 1. 1,
pag. 104. Comparez Burnet, Hist. ofhis own Time, t. IV, pag. 286, 287, et la note (pag. 419) :
c The lords and commons of Scotland were then desirous of getting into trade. > C'était
en 1699 qu'il écrivait. En 1698, Fletcher of Saltoun disait : t By no contrivance of any man
but by an nnforeseen and unexpected change of the genius of this nation, ail their thonghts
and inclinations, as if united and directed by a higher power, seem to be turned opon
trade, and to conspire together for its advancement. » First Discourse on the Affairs of
Scotland , dans Fletcher of Saltoun, Political Works. Glascow, 1749, pag. 57. Ceci inquiéta
le clergé. En 1709, le révérend Robert Wodrow exprime l'opinion dans une de ses lettres
que « the sin of our too great fondness for trade , to the neglecting of our more valuable
interests, I humbly thinkwill bewritten upon our judgment. » Wodrow, Correspondence*
Édimb., 1842, in-8% 1. 1, pag. 67. Dans la même année, quelques navires ayant été capturés
par les Français , une partie de la perte tomba sur Glascow. Sur ce Wodrow écrivit :
< It's said that in ail there is about eighty thousand pound sterling lost there , whereof
Glasgow has lost ten thousand pound. I wish trading persons may see the language of soch
a Providence. I am sure the Lord is remarkably frouning upon our trade, in more respects
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DE LA CIVILISATION EN ANGLETRREE. 543
siècle, la même tendance se montra dans la littérature ; les
ouvrages sur les sujets commerciaux et économiques devin-
rent assez nombreux (1). Le changement dans les mœurs
fut perceptible vers cette époque : les Écossais commencèrent
à perdre en partie cette férocité rude qui les distinguait
autrefois. Cette amélioration se montra de différentes ma-
nières; une des plus remarquables fut un changement qui
se manifesta pour la première fois en 1710, époque à laquelle
on remarqua que les hommes cessaient de porter les ar-
mures qui avaient été jusqu'alors portées par tous ceux qui en
avaient le moyen, comme une précaution utile dans une
société barbare, et par conséquent guerrière (2).
than one, since it was pat in the room of religion, in theiate altération of onr constitution. •
Wodrow, Analeeta, in-4% 1. 1, pag. 218, publication do Mailland Club.
(1) Laiog {Hist.of Scotland, t. IV, pag. 296), en 1703, disait : < E ver since the projected
seulement at Darien, the genius of the nation had acquired a new direction; and ai the
press is the trne criterion of the spirit of the times, the numerous productions on political
and commercial snbjects, with which it daity teemed, had snpplanted the religions disputes
of the former âge. > Malheureusement pour l'Ecosse ces disputes religieuses ne furent pas
supplantées. Néanmoins le mouvement était immense et évident.
(2) t It was only in 1710, thaï they began to throw off their armour, and allow the soldier
to merge into the qniet and industrious craftsman. » Penny, Traditions ofPerth. Pertb,
1836, pag. 335. Cette particularité s'applique aux citoyens de Perth.
FIN DU TOME QUATRIÈME.
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TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE XV
Esquisse de l'histoire de l'intellect espagnol depuis le cinquième
siècle jusqu'au milieu du neuvième 5
CHAPITRE XVI
État de l'Ecosse jusqu'à la fin du quatorzième siècle 180
CHAPITRE XVII
Situation de l'Ecosse aux quinzième et seizième siècles .... 226
CHAPITKE XVm
Situation de l'Ecosse pendant le dix-septième et le dix-huitième
siècle 298
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i
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UNIVERSITY OF MICHIGAN
3 9015 07671 8785
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