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Full text of "Histoire de la civilisation en Angleterre. Traduction autorisée"

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COLLECTION D'HISTORIENS CONTEMPORAINS 



HISTOIRE 



DE LA 



CIVILISATION 

EN ANGLETERRE 



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Bruxelles.— Typ. A. Lacroix, Ybrboigkbotim et C u , nie Royale, 3, impasse du Parc 



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I 



HENRY THOMAS BUCKLE 



HISTOIRE 



DE LA 



CIVILISATION 



EN ANGLETERRE 



TRADUCTION AUTORISÉE, PAR A. BAILLOT 



TOME QUATRIÈME 



PARIS 



* * « • : 



LIBRAIRIE INTERNATIONALE : jfMA*S 

46, BOULEVARD MONTMARTRE, 4.5 

au coin de la me Vivienne 
A. LACEOIX, VEKBOECKHOVEN ET C'% ÉDITEURS 

MÊME MAISON A BRUXELLES , A LEIPZIG ET A LIVOURNE 

1865 
Droit de reproduction réservé 



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v. 






HISTOIRE 



DELA 



CIVILISATION EN ANGLETERRE 



CHAPITRE XV 



Esquisse de l'histoire de l'intellect espagnol depuis la cinquième siècle 
jusqu'au milieu du neuvième. 



Dans le volume précédent j'ai essayé d'établir quatre pro- 
positions principales, que je considère comme les bases 
fondamentales de l'histoire de la civilisation : 1° les progrès 
du genre humain dépendent du succès des investiga- 
tions dans les lois des phénomènes de la nature et de la 
proportion dans laquelle se répand la connaissance de ces 
lois; 2° avant que cette investigation puisse commencer, il 
faut que l'esprit de doute soit né et que, venant d'abord en 
aide aux investigations, il en soit aidé ensuite; 3° les décou- 
vertes ainsi obtenues accroissent l'influence des vérités in- 
tellectuelles et diminuent, relativement, non absolument, 
les vérités morales ; car les vérités morales, ne pouvant de- 
venir aussi nombreuses, sont plus stationnaires que les véri- 
tés intellectuelles; 4° le grand ennemi de ce mouvement, et 
par conséquent le grand ennemi de la civilisation, c'est l'es- 

T IV. 4 



426803 

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HISTOIRE 



prit protecteur, je veux dire l'idée que la société ne peut 
prospérer si l'État et l'Église ne guident et ne protègent nos 
moindres pas dans les affaires de la vie : l'État enseignant 
aux hommes ce qu'ils doivent faire, l'Église leur enseignant 
ee qu'ils doivent croire : telles sont les propositions que 
j'estime comme étant des plus essentielles pour la saine in- 
telligence de l'histoire et que j'ai défendues comme toute 
proposition doit être défendue par inductions et par déduc- 
tions. La défense par induction comprend une collection de 
faits historiques et scientifiques qui suggèrent et autorisent 
les conclusions tirées de ces faits ; la défense par déduction 
c'est la vérification de ces conclusions, c'est prouver com- 
ment elles expliquent l'histoire de tous les pays et leurs for- 
tunes diverses. Je n'ai rien de nouveau à ajouter, quant à 
présent, au moyen de défense par induction ; quant à la dé- 
fense par déduction, j'espère qu'elle puisera dans ce volume 
des forces considérables qui m'aideront à confirmer non seu- 
lement les quatre propositions sus-énoncées, mais encore d'au- 
tres propositions secondaires qui, quoiqu'elles en découlent,à 
strictement parler, exigent cependant une vérification à part. 
Suivant le plan que nous avons tracé, le reste de cette in- 
troduction doit être consacré à l'examen de l'histoire d'Es- 
pagne, d'Ecosse, d'Allemagne, et des États-Unis d'Amérique, 
dans le but d'élucider des principes qui ne trouvent pas dans 
les seuls faits de l'histoire d'Angleterre une confirmation 
suffisante. Dans ma pensée, l'Espagne est le pays oh les 
conditions fondamentales des progrès d'une nation ont été 
le plus ouvertement violées ; c'est aussi le pays sur (lequel le 
châtiment encouru par cette violation a pesé le plus lourde- 
ment, et c'est celui où nous trouverons le plus grand nombre 
de faits instructifs à l'appui de notre thèse : que la prédomi- 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 7 

aance de certaines opinions chez un peuple doit entraîner 
sa ruine. 

Nons avons vu que les vieilles civilisations tropicales pos- 
sédaient de certains traits caractéristiques que j'ai appelés 
« les aspects de la nature. » En enflammant l'imagination, 
ils encouragèrent la superstition et empêchèrent d'oser ana- 
lyser des phénomènes physiques qui paraissaient mena- 
çants; en d'autres termes, ils retardèrent la création des 
sciences physiques. Un fait intéressant à constater, c'est 
qu'aucun pays d'Europe n'a, sous ce rapport, autant de traits 
de ressemblance avec les contrées tropicales que l'Espagne. 
Aucune autre partie de l'Europe ne parait être aussi claire- 
ment désignée par la nature comme le siège et le refuge de la 
superstition. En nous reportant aux preuves que nous avons 
déjà données (1) on se rappellera que les principales causes 
physiques de la superstition furent les famines, les épidé- 
mies, les tremblements de terre, et les climats malsains qui, 
en abrégeant la durée ordinaire de la vie, poussent à invo- 
quer plus fréquemment et avec plus d'ardeur une aide sur- 
naturelle. Ces particularités prises en masse sont bien plus 
saillantes en Espagne que partout ailleurs en Europe. Ce ne 
sera donc pas sans utilité que nous donnerons un abrégé tel 
qu'il puisse démontrer combien ont été malfaisants les effets 
qu'ils ont produits en formant le caractère national. 

Si nous exceptons l'extrémité septentrionale de l'Espagne, 
nous pouvons affirmer que les deux principaux traits caracté- 
ristiques du climat de cette contrée sont la chaleur et la sé- 
cheresse, augmentées encore par les difficultés d'irrigation 
que la nature a créées sur tous les points. Car les rivières qui 

(1) Voyet le second chapitre dn premier volume de Bnck\e, Histoire de la civilisation. 



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8 HISTOIRE 

coupent cette terre roulent pour la plupart dans des lits bien 
trop profonds pour qu'elles puissent servir à l'arrosement du 
sol qui, par suite, est et a toujours été d'une aridité ex- 
trême (1). C'est à cette cause et à la rareté des pluies que 
cette contrée d'Europe, aussi richement douée sous tous au- 
tres rapports, doit d'avoir été plus souvent et plus sérieuse- 
ment que tout autre pays le siège de la sécheresse et de la 
famine (2). Ces vicissitudes du climat, surtout dans les par- 
ties centrales, faisaient de l'Espagne un pays habituellement 
malsain, ce qui, avec la fréquence de la famine, pendant 
tout le moyen âge, rendit les ravages de la peste on ne peut * 
plus funestes (3). Ajoutons à cela que dans le Péninsule, 

(1) « The low state of agriculture in S pain may be ascribed partly to physical and partly 
to moral causes. At the head of the former must be placed the heat of tbe climate and the 
aridity of tbe soil. Most part of the rivera with which the country is intersected rim in 
deep beds and are but little available ezcept in a few favoured localities for pnrposes of 
irrigation. ■ M'Culloch , Geographical and Statistical Dictionnary. Lond., 1849, t. II, 
pag. 708. Voyez aussi Laborde, Spain. Lond., 1809, t. IV, pag. 284; t. V, pag. 361. L'aridité 
relative des différentes parties de l'Espagne est établie dans Gook, Spain. Lond., 1834, 
t. II, pag. 216-219. 

(2) Snr ces sécheresses et ces famines , voyez Hariana , Historia de Espafla. Madrid , 
1794, t. II, pag. 270; t. III, pag. 225; t. IV, pag. 32; Conde, Historia de la dominaçion de 
los Arabes en Espana. Paris, 1840, pag. 142, 149, 154, 170; Davila, Historia de la vida 
de Felipe Tercero. Madrid, 1771, in-fol., lib. n, pag. 114; Glarke, Letters conceming the 
Spanish Nation. Lond., 1763, in-4*, pag. 282; Udal ap Rhys Tour tkrough Spain. 
Lond., 1760, pag. 292, 293; Spain by an American. Lond., 1831, t. II, pag. 282; Hoskîns, 
Spain. Lond., 1851, 1. 1, pag. 127, 132, 152. t Èspana es castigada frementemente con las 
sequedades y faltas de llnvias. • Muriel, Gobierno de Carlos III. Madrid. 1839, pag. 193. 

(3) « Anadase à todo esto las repetidas pestes, y mortales epidemias que han afligido à 
las provincias de Espana, mayormente à las méridionales que han sido las mas sujetas à 
estas plagas. De estas se hace mencion en los anales é historias muy fréquente mente ; y en 
su confirmacion se puede leer el tratado histôrico, 6 epidemiolôgia que sobre ellas ha 
publicado Don Joachîn de Villalba, donde se vera con dolor y espanto con quanta frequencia 

se repetian estos azotes desde mediados del siglo decimoquarto. > « Dos exemplos 

bien recientes y dolorososihemos visto,y conservaremos en la memoria,en los formidables 
estragos que acaban de Ipadecer gran parte del reyno de Sevilla , Cadix, y sus contornos, 
Malaga, Cartagena, y Alicante; sin contar la mortandad con que han afligido à la mayor 
parte de los pueblos de ambas Castillas las epidemias de calenturas putridas en el ano 

pasado de 4805. » t Por otra parte la fondation de tantas capillas y procesiones à 

San Roque, y SanàSebastian,?como abogados contre la peste, que todavia se conservan en 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 



comprenant le Portugal, les tremblements de terre ont causé 
de grands désastres (1), ont surexcité les sentiments supersti- 



la mayor parte de nuestras cindades de Espana, son otro testimonio de los grandes y repe- 
tidos estragos que habian padecido sus paeblos de este azote. Y el gran numéro de medicos 
espanoles que publicaron tratados preservatfvos y curativos de la peste en los reynados de 
Carlos V, Felipe II, Felipe III, 3 Felipe IV, contirman mas la verdad de los hechos. » Cap- 
many, Questiones criticas. Madrid, 1807, pag. M, 53. Voyez aussi pag. 66, 67, et Janer, 
Condition social de los Moriscos de Espana, Madrid, 1857, pag. 106, 107, et la notice sur 
Malaga dans Bourgoing, Tableau de l'Espagne. Paris, 1808, t. III, pag. 242. 

(1) < Earthquakes are still often felt at Granada and along the coast of the province of 
Alicante, where their effects hâve been very disastrous. Much fnrther in tbe interior, in the 
small Sierra del Tremédal, or district of Albarracia, in the province of Terruel, éruptions 
and shocks hâve been very fréquent since the most remote periods ; the black porphyry is 
there seen traversing the altered strata of the politic formation. The old inhabitants of 
the country speak of sinking of the ground and of the escape of sulphureous gases when 
they were young; thèse same phenomena haveoccnrred duriug four consécutive months of 
the preceding winter, accompanied by earthquakes, which bave caused considérable mischief 
to the buildings of seven villages situated within a radius of two leagues. They hâve not, 
however, been attended with any loss of life, on account of the inhabitants hastening to 
abandon their dwellings at the first indications of danger. ■ Ezguerra on the Geology of 
Spain, dans le Quarterly Journal of the Geological Society of London, t. VI, 
pag. 412, 413. Lond., 1850. « The provinces of Malaga, Murcia, and Granada, and, in Por- 
tugal, the country round Lisbon, are recorded at several periods to hâve been devastated, 
by great earthquakes. ■ Lyell, Principles of Geology. Lond., 1853, pag. 358. « Los terre- 
motos son tan sensibles y fréquentes en lo alto de las montanas, como en lo llano, pues 
Sévi lia esta sujeta à ellos hallandose situada sobre una Uannra tan igual y baxa como 
Holanda. ■ Bowles, Introduction à la Historia natural de EspafUt. Madrid, 1789, in-4% 
pag. 90, 91. « The littoral plains, especially about Cartagena and Alicante, are much subject 
to earthquakes. ■ Ford, Spain, 1847, pag. 168. ■ This corner of Spain is the chief volcanic 
district of the Peninsula, which stretches from Cabo de Gâta to near Cartagena ; the earth- 
quakes are very fréquent. > Ford, pag. 174. » Spain, including Portugal, in îts external confi- 
guration, with ist vast tableland of the two Castiles, rising nearly 2,000 feet above the sea, 
is perhaps the most interesting portion of Europe, not only in this respect, but as a région 
of earthquake disturbance, where the energy and destroying power of this agency hâve been 
more than displayed upon the most tremenduous scale. > lAzllel, Earhtquake Catalogue 
ofthe British Association. Rapport pour 1858, pag. 9. Lond., 1858. — Je cite ces passages 
tout au long en partie à cause de leur intérêt comme vérités physiques et en partie parce 
que les faits qu'ils confirment sont essentiels à la saine intelligence de l'histoire d'Espagne. 
Leur influence sur le caractère espagnol a, je le crois, été indiquée pour la première fois 
dans mon Histoire de la civilisation, 1. 1, pag. 112, 113. Je ne m'inquiétai pas alors 
d'appuyer sur des faits la preuve de la fréquence des tremblements de terre dans la pénin- 
sule, parce que je supposai que toute personne connaissant un peu l'histoire physique de 
la terre ne pouvait l'ignorer ; mais, en avril 1858, une critique de mon ouvrage parut dans 
la Revue d'Édinbourg où Ton ne m'épargna aucune des erreurs que je suis censé avoir 
commises. A la page 468 de celte Revue, le critique, après avoir mis mes lecteurs en garde 



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10 HISTOIRE 



lieux queces phénomènes provoquent naturellement, et nous 
pourrons nous faire une idée de l'incertitude de la vie, dans 



contre mes • jaccuracies, • fait observer que M. Buckle soutient que les tearthquakes and 
Tolcanic erro plions are most fréquent and more destructive in Italy and in the Spanish and 
Portugese peniosula than in any other of the great cou o tries, wbence he infers by a sin- 
gular process of reasoning, that superstition is more rife and the clergy more powerful; but 
that the fine arts floorish poetry is cuitivated and the science* negleeted. Every lihkîn 
this chain is more or less fautty. There is no volcaoo in the Spanish peniosula and the ouiy 
earthqnake known to hâve occurred there iras that of Lisbon. » Il est certain que je ne dois 
pas m'attendre à ce qu'un écrivain de revue, qui fait un article courant daneun but immé- 
diat et qui sait que son article n'aura pas plutôt été lu qu'il sera rejeté et oublié, puisse 
dans des circonstances aussi défavorables se donner la peine d'entrer dans tous les détails 
de son sujet afin de s'en rendre maître. Ce serait de ma part le comble de l'injustice. Cet 
auteur n'a aucun intérêt à être exact ; son nom n'est pas connu, et sa réputation, s'il en a, 
n'est pas en jeu, et ses erreurs, quand il en commet, méritent toute indulgence, car elles ne 
sont pas destinées à vivre plus longtemps que sa publication éphémère qui les transmet, 
et ne peuvent par conséquent faire beaucoup de mal. — Ces considérations m'ont rendu 
très sobre de répliques aux critiques anonymes dont j'ai pn être l'objet; mais le passage 
de la Revue d'Edimbourg sur lequel je viens d'appeler l'attention témoigne d'une igno- 
rance si particulière, que je désire le sauver de l'oubli comme curiosité littéraire. Ai-je 
besoin de dire que je pourrais réfuter tout aussi facilement les autres accusations dont j'ai 
pu être l'objet? Mais il ne pourra venir à l'esprit de qui que ce soit qu'après des années 
d'études constantes et consciencieuses, j'aie pu commettre ces erreurs que m'opposent met 
adversaires, erreurs qui pourraient tout au plus être celles d'un enfant. Disons une fois 
pour toutes que je n'ai affirmé aucune vérité sans en avoir devers moi les preuves nom- 
breuses et irréfragables ; mais il m'«st impossible d'en faire la nomenclature complète. Ce 
que j'ai entrepris offre déjà un champ si large que, pour le mener à bonne fin , il me faut 
compter non sur la générosité de mon lecteur, mais sur sa bonne foi. Je ne crois pas me mon- 
trer trop exigeant en Ini demandant qne si, à l'avenir, il hésitait à se prononcer entre moi et 
mes critiques, il veuille me donner le bénéfice du doute, et se rappeler que des faits réunis 
avec réflexion et dans une œuvre lentement mûrie, signée du nom de l'auteur, doivent l'em- 
porter comme exactitude sur ceux que l'on jette dans les revues ou les journaux, car ces 
derniers sont non seulement écrits à la hâte et sans études préalables, mais ils ne portent 
pas non pins la signature de leur auteur; ce qui les décharge de toute responsabilité , de 
tout risque, ne peut ajouter à leur réputation et ne les expose à aucune censure.— Le mit 
est qu'il y a eu en Espagne, l'Italie exceptée, plus de tremblements de terre que dans toutes 
les autres parties de l'Europe. Le nombre des existences et des propriétés détruites par 
cette cause, si on les réunissait, formerait un total imposant. Quant à ces phénomènes, 
nous ajoutons ceux qui, moins terribles dans leurs résultats destructeurs, ne laissent pas 
cependant d'avoir coûté la vie non pas à des centaines d'individus, mais à des mille et des 
mille et d'avoir propagé la superstition à un degré inouï, il devient évident qu'ils ont en 
une énorme influence sur le caractère national des Espagnols. Quiconque voudra se donner 
la peine de consulter les passages suivants y trouvera la preuve décisive des ravages causés 
par les tremblements de terre dans l'Espagne seule, c'est à dire sans y comprendre le Por- 
tugal. Ils se rapportent tous à une période de temps comprenant moins de deux cents ans» 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 11 

ces contrées; nous comprendrons ainsi avec quelle facilité 
un clerçjé rusé et ambitieux put faire de cette incertitude un 
puissant moyen d'influence (1). 



le premier tremblement de terre ayant eu lieu en 1639 et le dernier en 4829 : Lettres de 
madame de Villars, ambassadrice en Espagne. Amsterdam, 1759, pag. 205; Laborde, 
Spain. Lond., 1809, t. I, pag. 169: Dnnlop, Memoirs of Spain. Édinb., 1834, t. II, 
pag. 996, 227; Boisel, Journal du voyage d'Espagne. Paris, 1669, in-4% pag. 243; Mallet, 
Earthquake Catalogue of the British Association. Lond., 1858. Rapport pour 1853, 
pag. 146 ; pour 4854, pag. 26, 27, 54, 55, 57, 58, 65, 110, 440, 173, 196, 202 ; Swinburne, Travels 
through Spain. Lond., 1787, t. 1, pag. 166; Ford, Spain. Lond., 1847, pag. 178; Bacon, 
Six Yearsin Biscay. Lond., 1838, pag. 32. Comparez avec Iuglis, Spain. Lond., 1831, 
1. 1, pag. 398; t. II, pag. 289 291. Ces écrivains racontent les ravages produits pendant cent 
quatre-vingt-dix ans. De leurs récits il résulte qu'en Espagne une génération ne s'est pas 
écoulée sans que les tremblements de terre n'aient détruit des châteaui, des villages, des 
Tilles entières et causé la mort d'une quantité d'hommes, de femmes et d'enfants. Cependant 
à en croire notre détracteur anonyme, il est douteux qu'il y ait jamais en un seul tremble- 
ment de terre en Espagne, car, dit il, dans toute la péninsule, en y comprenant le Portugal, 
« the only earthquake known to hâve occurred there was that of Lisbon. » 

(1) $ur les craintes superstitieuses provoquées par les tremblements de terre en, Espagne, 
voyez un bon passage de Conde {Historia de la dominacion de los Arabes, pag.- 155) : 
tEnelano267,diajueves,22de la luna de Xawâl,temblô la tierra con tan espantosoruido 
y estremecimiento, que cayeron muchos alcazares y magniflcos edifîcios, y otros quedaron 
rauy quebrantados, se hundieron montes, se abrieron penascos,y la tierra se hundiôy 
tragô pueblos y alturas , el mar se retrajô y aparté de las costas , y desaparecieron islas 
y escollos en el mar. Las gentes abandonaban los pueblos y huiao à los campos, las aves 
salian de sus nidos, y las fieras espantadas dejaban sus grutas y madrîgueras con gênerai 
tarbacion y trastorno; nunca los hombres vieron ni oyeron cosa semejante ; se arruinaron 
machos pueblos de la costa méridional y occidental de Espana. Todas estas cosas influyeron 
tanto en los animos de los hombres, y en especial en la ignorante multitud, que no pudo 
Almondhir persuadirles que eran cosas naturales, aunque poco frecuentes, que no tenian 
iaflujo ni relacion con las obras de los hombres , ni con sus empresas , sino por su igno- 
rancia y vanos temores, que lo mismo temblada la tierra para los muslimes que para los 
crisManos, para las fieras que para las inocentes criaturas. » Comparez Geddes, Tracts con- 
rerning Spain. Lond., 1730, 1. 1, pag. 89, et Marina qui, dans l'année 1395, dit (Historia 
de Espana, t. Y, pag. 27)-: « Temblô la tierra en Valencia mediado el mes de Diciembre, 
con que muchos edifîcios cayeron por tierra, otros quedaron desplomados ; que era ma ravi Ma 
y làatima. El pueblo como agorero que es, pensaba eran senales del cielo y pronosticos 
de los danos que teraian. » L'histoire d'Espagne abonde en exemples de celte espèce. Ils sont 
beaucoup trop nombreux pour être cités tous ou même pour qu'on y renvoie. Mais ce sujet a 
tant d'importance et il a été si mal interprété, qu'on risque d'ennuyer le lecteur. Je vais 
encore prouver par un exemple que les tremblements de terre ont entretenu la superstition 
en Espagne. En 1504, t an earthquake, accompanied by a tremendous hurricane , such as 
the oldest men did not remember, had visited Àndulasia, and especially Carmona, a place 
belonging to the Queen, and occasioned frightful désolation there. The superstitions Spa- 



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12 HISTOIRE 

Un autre trait caractéristique de ce pays, c'est que la vie 
pastorale y domine et y est entretenue surtout par la diffi- 
culté que l'on y éprouve à prendre des habitudes régulières 
d'industrie agricole. Dans presque toute l'Espagne, le climat 
rend le travail impossible au laboureur pendant la plus 
grande partie du jour (1) ; et ce repos forcé encourage chez 
le peuple une irrégularité de conduite, une instabilité, qui le 
pousse à préférer la vie errante du berger au travail plus as- 
sidu de l'agriculture (2). Pendant toute la durée de la guerre 
qu'ils firent à leurs conquérants mahométans, ils furent ex- 
posés à tant de sorties et de pillages de la part de l'ennemi, 
qu'ils comprirent la nécessité de pouvoir emporter leurs 
moyens d'existence, c'est pourquoi ils préférèrent le produit 



niards row read in thèse portants the prophétie signs by wfiich Heaven announces 
some great calamity. Prayers toere put up in every temple, » etc. Prescott, History of 
Ferdinand and Isabella. Paris, 1842, t. III, pag. 174. 

(1) Bnckle, History of Civilization, 1. 1, pag. 40. Voyez aussi Laborde, Spain, t. IV, 
pag. 42. 

(2) Un écrivain de la première partie du dix-huitième siècle fait mention c d'el gran 
nnmero.de pastores que hay. • Uztariz, Theorica y Practica de comerdo, 3* édit. 
Madrid, 1757, in-fol., pag. 20. Sur l'époque des Arabes, voyez Gonde, Historia de la domi- 
nacion, pag. 244: « Muchos pueblos, siguiendo su natural inclination, se entregaron à la 
ganaderia. » De là t the wandering life so congenial to the habits of the Spanish peasantry, > 
cité dans Cook, Spain, 1. 1, pag. 85, où cependant ne se trouve pas indiqué le rapport entre 
ce fait et la constitution physique du pays. M. Ticknor résout ce problème avec la pénétra- 
tion et l'exactitude qui lui sont propres : «The climate and condition of the Peninsula, 
'which from a very remote period had favoured the shepherd's life and his pursuits, facili- 
tated, no doubt, if they did not occasion, the first introduction into Spanish poetry of a 

pastoral tone, whose echoes are heard far back among the old ballads.a • From 

the Middle Ages the occupations of a shepherd's life had prevailed in Spain and Portnga 1 
to a greater extent than elsewhere in Europe; and, probably, in conséquence of this cir- 
cumstance , eclogues and bocolics were early known in the poetry of both coun tries, and 
became connected in both with the origin of the popular drama. ■ Ticknor, History of 
Spanish Literature.Load., 1849, t. III, pag. 9, 36. Pour la littérature pastorale en Espagne, 
▼oyez Bonterwek, History of spanish literature. Lond., 1823, 1. 1, pag. 123-129, et, snr le 
grand nombre des nouvelles pastorales, Southey, Letlers from Spain. Bus toi, 1799, uag. 336. 
Mais ces auteurs n'ont saisi qu'un côté de la question, et ils ont oublié d'établir les rapports 
ntre la littérature et les phénomènes physiques et sociaux. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 15 

de leurs troupeaux aux produits de leurs terres : ils devin- 
rent pasteurs au lieu d'agriculteurs, par la seule raison qu'ils 
auraient moins à souffrir dans le cas où la guerre tournerait 
contre eux. Même après la prise de Tolède, bien avant dans 
le onzième siècle, les habitants de la frontière dans l'Estra- 
madure, la Manche et la Nouvelle Castille étaient presque 
tous bergers, et le bétail paissait dans la campagne, et non 
dans des prairies de propriété privée (1). Tout cela augmenta 
l'incertitude de la vie et fortifia l'amour des aventures et cet 
esprit romanesque qui plus tard donna le ton à la littérature 
populaire. Ainsi tout devint précaire, inquiet, incertain ; 
penser et rechercher, était chose impossible ; le doute n'exis- 
tait pas, et la voie se trouvait prête pour les superstitions, 
pour les croyances enracinées et persévérantes qui, dans les 
temps anciens, formèrent le trait principal de l'histoire de la 
nation espagnole. 

Il est impossible de déterminer le degré d'influence que 
ces circonstances eussent pu avoir sur la destinée ultérieure 
de l'Espagne dans le cas où elles eussent agi seules, mais on 
ne peut douter qu'elles n'aient eu des conséquences impor- 
tantes, quoique l'insuffisance des preuves nous mette dans 



(1) Voyes les mémoires de Jovellanos dans V Espagne de Laborde, t. IV, pag. 127. Celait 
la conséquence nécessaire de ces attaques vindicatives an moyen desquelles mahométans 
et chrétiens semblèrent avoir résolu de faire de l'Espagne un désert, les uns ravageant les 
champs des antres et détruisant tout ce qu'ils rencontraient sur leur passage. Conde, Domi- 
nation de los Arabes, pag. 75, 188, 278, 346, 396, 417, 418, 471, 499, 500, 505, 523, 539, 541, 
551, 578, 645, 651, 658. Voici un de ces cas, pris dans le onzième siècle : • La conslancia de 
Alfonso ben Ferdeland en hacer entradas y talas en tierra de Toledo dos veces cada, ano, 

né tanta que empobreciô y apuré los pueblos; > « el tirano Alfonsa talô y quemô 

los campos y los pueblos. » Conde, pag. 346. Ces ravages, continués à peu près sans interrup- 
tion pendant sept cents ans environ, ont eu beaucoup d'influence sur le caractère national 
des Espagnols; ils valent la peine de recourir à Mariana , Historia de Espana, t. m, 
pag. 438; t. IV, pag. 193, 314; t. V, pag. 92, 317, 337, et à Cricourt, Hist. des Arabes d'Es- 
pagne. Paris, 1846, 1. 1, pag. 99. 



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U HISTOIRE 

l'impossibilité de les apprécier avec exactitude. Mais c'est là 
un point de peu d'importance quant au résultat actuel parce 
qu'une longue suite d'événements ayant une part d'influence 
plus grande encore ont concouru en se confondant avec ceux 
que nous venons de citer à former une combinaison à la- 
quelle rien n'a pu résister et qui nous aide à suivre avec cer- 
titude les faits qui ont amené plus tard la décadence de {a 
nation. L'histoire de l'abaissement de l'Espagne devient trop 
claire pour qu'on s'y trompe quand ou l'étudié en prenant 
pour bases les principes généraux que j'ai énoncés et qui se 
trouvent eux-mêmes confirmés par le jour qu'ils jettent sur ce 
sujet aussi instructif que navrant. 

Après la chute de l'empire romain Je fait principal qui se 
présente le premier dans l'histoire d'Espagne est l'établisse- 
ment des Wisigoths et le règne de leurs opinions dans la 
Péninsule. Comme les Suèves qui les avaient précédés, ils 
étaient ariens, et l'Espagne, pendant cent cinquante ans, 
devint le point de ralliement de cette fameuse hérésie (1) à 
laquelle adhérèrent la plupart des tribus des Goths. Vers la 
fin du cinquième siècle, les Francs, aussitôt leur conver- 
sion, adoptèrent la croyance orthodoxe opposée et furent 
encouragés à déclarer la guerre à leurs voisins hérétiques. 
Clovis, qui était alors roi des Francs, fut considéré par 



(1) La chronologie incertaine de la première partie de l'histoire d'Espagne est aux yeux 
ti*o.o grand nombre d'écrivains, quant à la dorée de l'arianisme, an point d'une importance 
bien plus grande que la mort ou l'avènement ri«s -ois. Antequera (Hisloria de la législa- 
tion espanola. Madrid, 1849, pag. 37) dit : «La secta arriana, pues, segun las epocas 
ujadas, permaneciô en Espana 125 anos. > Fk'iry (Hist. ecclésiastique, t. VU, pag. 586. 
Paris, 1758) dit : « Environ 180 ans, » et M'Crie, qui est en général bien informé, dit dans 
son Rist. de la réforme en Espagne. Édinb., 1829, pag. 7 : * Arianism was the prevailing 
and established creed of the country for nearly two centuries. » U s'en rapporte à Grégoire 
de Tours. C'est donc avec raison que M. Fauriel dit de cette question : « Une question 
qui souffre des difficultés. > Voyez son bel ouvrage Uist. de la Gaule méridionale. Paris, 
1836, 1. 1, pag. 10. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 15 

l'Église comme le champion de la Toi en faveur de laquelle 
il attaqua les Wisigoths incrédules (1). Ses successeurs, 
poussés par les mêmes motifs, poursuivirent la même poli- 
tique (2) et pendant près d'un siècle il y eut guerre d'opi- 
nions entre la France et l'Espagne; l'empire des Wisigoths 
en fut sérieusement compromis, et plus d'une fois il se vit 
.à deux doigts de sa perte. Et c'est ainsi qu'en Espagne une 
guerre pour l'indépendance nationale devint une guerre pour 
la religion nationale (3) et qu'une alliance intime fut con- 
tractée entre les rois anciens et le clergé arien. Le clergé 
dans ces âges d'ignorance savait qu'il n'avait qu'à gagner à 
une semblable alliance (4) ; il recevait en retour des prières 



(1) En 496, le clergé orthodoxe regardait Clovis comme « le champion qu'il peut opposer 
aux hérétiques visigoths et burgoodes. » Fauriel, Hi&t. de la Gaule méridionale, t. H, 
.pag. 41. Il se plaisait à le comparer à Gédéon (pag. 66). Comparez Fleury, Hist. ecclésias- 
tique, t. VII, pag. 89, 90. Ortiz est tellement enthousiaste, qu'il oublie son patriotisme et 
loue chaudement le barbare féroce qui fit, il est vrai, la guerre à son pays, mais dont las 
opinions théoriques étaient jugées saines. « Mientras Alarico desfogaba su encono contra los 
Catolicos, tuvô la Iglesia Galicana el consuelo de ver Catolico à su gran Rey Clodoveo. Era 
el ûnieo Monarca del mando que à la sazon profesaba la Religion verdadera. t Ortiz, Comr 
pendio de la Hisloria de Espana, t. Il, pag. 96. Paris, 1796. 

(2) Ainsi, en 53l,Childebert marcha contre les Visigoths parce qu'ils étaient ariens. Fauriel, 
Hist. de la Gaule méridionale, t. II, pag. 131. Et en 542 Childebert et Clotaire firent une 
nouvelle attaque et mirent le siège devant Saragosse (pag. 142). t No advertian los Godos 
lo que su falsa creencia les perjudicaha, y si lo advertian, su obcecacion les haeia no poner 
remedio. Los reyes francos,queeran catolicos, les movian guerras en las Galias porarrianos, 
y los obispos catolicos de la misma Galîa gotica deseaban la domination de los Franco s. » 
Lafueute, Historia de Eipana, t. II, pag. 380. Madrid, 1850. 

(3) t Los Francos por el araor que tenîan a la Religion catholica, que poco an tes abra- 
zftran, aborrecian a los Visigodos como gente inficionada de la secta Arriaaa. » Mariana , 
Hiêtoria de Espana, t. II, pag. 43. Parlant d'une de leurs grandes batailles, il dit 
page 46 : « Vulgarme&te se llamô el campo Arriano por causa de la religion que los Godos 
seguian. » 

(4) « fin religion el en croyance, comme en toute chose, les Visigoths se montrèrent plus 
série», plus profonds, plus tenaces que les Burgondes. J'ai dit ailleurs commentais étaient 
devenus presque en même temps chrétiens et ariens. Transplantés en Gaule et en Espagne, 
non seulement ils avaient persévéré dans leur hérésie, ils s'y étaient affermis, affectionnés, 
et dans le peu que l'histoire laisse apercevoir de leur clergé on s'assure qu'il était austère, 
zélé, et qu'il exerçait un grand empire sur les chefs comme sur la masse de la nation visi- 



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16 HISTOIRE 

qu'il offrait contre l'ennemi et des miracles qu'il opérait à 
l'occasion, des avantages temporels considérables. C'est ici 
qu'il faut chercher la source de cette immense influence des 
prêtres en Espagne, influence qu'ils n'ont pas cessé de pos- 
séder, depuis et que les événements subséquents sont venus 
fortifier. Bien avant dans le sixième siècle, le clergé latin 
convertit ses maîtres les Wisigoths, et le gouvernement es- 
pagnol, en devenant orthodoxe, conféra naturellement à ses 
chefs spirituels une autorité égale à celle que leur reconnais- 
sait la hiérarchie arienne (1). Disons même que les maîtres 
de l'Espagne reconnaissants envers ceux qui les avaient re- 
tirés du sentier de l'erreur, furent plus disposés à accroître 
le pouvoir de l'Église qu'à le diminuer. Le clergé tira parti 
de cette disposition et il en résulta que, vers le milieu du 
septième siècle, le clergé et les classes qui dépendaient de 
lui eurent plus d'influence en Espagne que dans toute autre 
partie de l'Europe (2). Les synodes ecclésiastiques furent 

goibe. » Les rois visigoths se croyaient obligés à de grandes démonstrations de 

respect pour leur clergé arien. » Fanriel, Histoire de la Gaule méridionale, t. 1, 
pag. 577,578. 

(1) t L'abjuration de Recared ent lien entre les années 586 et 589. Dnnham, Hist . ofSpain 
and Portugal. Lond., 1832, 1. 1, pag. 126-118; Mariana, Hist. de Espana, t. II, pag. 99-101 ; 
Ortiz, Compendio de la historia de Espafla, t. II, pag. 120; Lafoente, HisL de Espaiïa, 
t. II, pag. 360-363. Lafoente (pag. 384) dit : t Recaredo fué el primero que con todo el ardor 
de un néofito,comenzô en el tercer concilio toledano à dar â estas asembleas conocimiento 
y décision en negocios pertenecientes al gobierno temporal de los pneblos. » De même 
Antequera (Hist. de la Législation, pag. 31 ) est heureux de pouvoir faire observer que 
« Recaredo abjuré la beregia arriana, abrazô decididamente la religion de Jesu-Cristo, y 
concediô â los ministros de la Iglesia una influencia en el gobierno del Estado, que 
vino àseren adelante, ilimilada y absoluta. » 

(2) i As for the councils beld nnder tbe Visigotb kings of S pain dnring tbe seventh cen- 
tury, it is not easy to détermine wbether tbey are to be considered as ecclesiastical or tem 
poral assemblies. No kingdom was so thoroughly nnder tbe bondage of the hierarcby as 
Spain. ■ Hallam, Middle Ages, édit. 1846, 1. 1, pag. 511. t Les prêtres étaient les seuls qui 
avaient conservé et même augmenté leur influence dans la monarchie goth-espagnole. > 
Sempere, Hist. des Cortès d'Espagne. Bordeaux, 1815, pag. 19. Compares Lafoente, Hist, 
de Espaûa, t. II , pag. 368, sur • la influencia y preponderancia del clero, ya solo en los 
negocios eeclesiàsticos, sino tambien en los politicos y de estado. • 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 17 

non seulement les conciles de l'Église, ils Turent aussi les 
parlements de la couronne (1). A Tolède, alors la capitale de 
de l'Espagne, le pouvoir du clergé fut immense. Il se mani- 
festait avec tant d'ostentation que dans un concile qui s'y tint 
en 633, nous voyons le roi se prosterner littéralement la 
face contre terre aux pieds des évêques (2) et un demi-siècle 
plus tard, l'historien ecclésiastique dit que cette pratique 
humiliante fut répétée par un autre roi, parce que, dit-il, 
c'était une coutume établie (3). D'autres faits de même na- 
ture prouvent que cette cérémonie n'était point une cérémo- 
nie insignifiante. La même tendance se retrouve dans la 
jurisprudence, puisque, d'après le code des Wisigoths tout 
laïque, soit comme demandeur, soit comme défendeur, 
pouvait exiger que sa cause, au lieu d'être jugée par le 
magistrat civil, le fût par l'évêque du diocèse. Ce n'est pas 
tout : quand les deux partis étaient d'accord pour préférer 
le tribunal civil, l'évêque pouvait encore réformer le ju- 
gement, s'il estimait que la cause avait été mal jugée ; c'est 
à lui qu'il appartenait de veiller à l'administration de 
la justice et d'apprendre aux magistrats comment ils de- 
vaient remplir leurs fonctions (4). Une autre preuve plus 

(1) t Bat it is in Spain, afler the Visigoths had cast off their Arianism, ttiat the bishops 
more manifestly influence the whole character of the législation. The synods of Toledo 
were not merely national councils, but parliaments of the realm. • Milman, Hist. of Latin 
ChHstianity. Lond., 1854, 1. 1, pag. 380. Voyez aussi Antequera, Hist. de la législation 
Espaflola, pag. 41 , 42. 

(2) En 633, à un concile de Tolède, le roi « s'étant prosterné à terre devant les évêques. > 
Fleury, Hist. ecclésiastique, t. VHI, pag. 308. Paris, 4758. 

(3) En 688, à l'un des conciles de Tolède, t le roi Égica y était en personne, et, après s'être 
prosterné devant les évêques, suivant la coutume, il fit lire un mémoire où il leur deman- 
dait conseil, » etc. Fleury, Hist. ecclésiastique, t. IX, pag. 89. Paris, 1758. 

(4) Voyez un sommaire très court, mais admirable de cette partie du code des Visigoths 
dans Durham, Hist. of Spain* t. IV, pag. 77, 78. La meilleure histoire en anglais peut être 
d'un pays étranger. «In Spain the bishops had a spécial charge to keep continuai vratch over 
the administration of justice and were summoned on ail great occasions to instruct the 



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tS HISTOIRE 

pénible encore de la domination du clergé en Espagne, c'est 
que les lois contre les hérétiques y furent plus dures qu'en 
tout autre pays : les juifs en particulier y furent poursuivis 
avec une inexorable rigueur (1). Le désir de maintenir la 
foi fut assez fort pour provoquer la déclaration formelle 
qu'aucun souverain ne serait reconnu, s'il ne promettait de 
la conserver pure de toute fausse interprétation. Il va sans 
dire que les juges de cette pureté étaient ces mêmes évoques 
aux suffrages desquels le roi devait son trône (2). 

Telles furent les circonstances qui, durant le septième 
siècle comme dans les siècles précédents, assurèrent à 
l'Église espagnole une influence qui n'a point eu d'égale en 



jndges to act with piety and justice. > Bfilman , Hist. of Latin Christianity , 1854, t. 1, 
pag. 386. Le concile de Tolède en 633 donne avis aux évêqaes d'admonester les juges. Fleury, 
Hi8t. ecclésiastique, t. VIII, pag. 313. Un savant jurisconsulte espagnol, Sempere, dit des 
évêques : « Le code du Fuero Juzgo fat leur ouvrage ; les juges étaient sujets à leur juri- 
diction ; les plaideurs, grevés par la sentence du juge, pouvaient se plaindre aux évêques, 
et ceux-ci évoquer ainsi leurs arrêts, les réformer et châtier les magistrats. Les procureurs 
du roi, comme les juges, étaient obligés de se présenter aux synodes diocésains annuels 
pour apprendre des ecclésiastiques l'administration de la justice; enfin le gouvernement des 
Goths n'était qu'une monarchie théocratique. • Sempere, Monarchie espagnole. Paris, 
4896, t. l,pag.6; t. II, pag. 212, 214. 

(1) « The terrible laws against heresy and the atrocious juridical persécutions of the 
jewe, already designate Spain as the throne aud centre of merciless bigotry. i Milman, 
HisL of Latin Christianity, 1. 1, pag. 381. « Tan luego como la religion catôlica se hallô 
dominando en el trono y en el pueblo commenzaron los concilianos toledanos à dictar 
disposiciones canônicas y à prescribir castigos contra los idolâtras, contra los judios, 7 
contra los hereges. » Lafuente, HisL de Espafla, t. IX, pap. 199, 200. Voyez aussi pag. 2H, 
et t. II, pag. 406, 417, 451 ; Prescott, HisL of Ferdinand and Isabella, 1. 1, pag. 235, 236; 
Johnstone, Lnstitutes of the Civil Laws of Spain, pag. 262; Circourt, Hist. des Arabes 
d'Espagne, 1. 1, pag. 260, 261, et Southey, Chronicle of the Cod, pag. 18. J'indique tout 
particulièrement ces passages à cause de l'assertion extraordinaire du docteur Crie, que 
« on a review of cri minai proceedings in Spain anterior to the establishment of the court 
of Inquisition, it appears in gênerai that heretics were more mildly treated there than in 
other countries. » M'Crie, Hist. of the Reformation in Spain, pag. 83, le meilleur livre 
qu'il y ait sur les protestants espagnols. 

(2) Un concile de Tolède en 638 ordonne • qu'à l'avenir aucun roi ne montera sur le trônp 
qu'il ne promette de conserver la foi catholique. » Et dans un autre concile en 681 : « Le roi 
y présenta un écrit par lequel il prioit les évêques de lui assurer le royaume qu'il tenoit de 
leurs suffrages. » Fleury, Hist. ecclésiastique, t. VIII, pag. 339; t. IX, pag. 70. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. I!) 

Europe (1). De bonne heure, au huitième siècle, eut lieu un 
événement qui en apparence brisa et dispersa la hiérarchie, 
mais qui au fond lui fut très favorable. En 711, les maho* 
métans firent voile de la côte d'Afrique et vinrent débarquer 
au sud de l'Espagne ; en l'espace de trois ans ils conquirent 
tout le pays excepté les régions presque inaccessibles du 
nord-ouest. Les Espagnols, à l'abri de toute attaque dans 
leurs montagnes (2), reprirent bientôt courage; ils rallièrent 
leurs forces éparses et, à leur tour, ils assaillirent les con- 
quérants. Une lutte désespérée s'ensuivit; elle dura près 
de huit siècles et pour la seconde fois en Espagne on vit une 
guerre d'indépendance être aussi une guerre de religion : la 
guerre entre les Arabes infidèles et les chrétiens espagnols 
entre les trinitaires de France et les ariens d'Espagne con- 
tinuait lentement et en surmontant de grandes difficultés; 
les chrétiens avancèrent en combattant toujours. Vers le mi- 
lieu du neuvième siècle, ils atteignirent la ligne du Doura (3). 
Avant la fin du onzième siècle, ils avaient conquis jusqu'au 
Tage, et Tolède leur ancienne capitale tombait entre leurs 
mains en 1085 (4). De grands efforts restaient néanmoins à 



(1) Ces heureux temps ont été chaudement vantés par an théologien moderne, parce que 
pendant toute leur durée l'Église « ha opuosto un muro de hronce al error,» et parce qu'il 
y avait • la mas estrecha concordia entre el imperio y el sacerdocio, por cuyo inestimable 
beneficio debemos hacer incesantes votos. » Observaciones sobre El Présente y El Par- 
venir de la lglesia en Espana, por Domingo Costa y Borras, Obispo de Barcelona. 
Barcelooa,1857, pag. 73,75. 

(2) Vers lesquelles ils s'enfuirent avec une vitesse qui justifia dans la bouche de leur grand 
ennemi Muza cet éloge quelque peu ambigu : t Dijo, son leones en sus castillos , aguilas en 
sus caballos, y mugeres en sus escuadrones de a pié; pero si ren la ocasion la sabien apro- 
vechar, y cuando, quedan vencidos son cabras en escapar à los montes, que non ven la 
tierza que pisan. » Conde, Hist. de la dominacion de los Arabes, pag. 30. 

(3) Prescott, Hist. of Ferdinand and Isabella, 1. 1, pag. xxxvm,287. Lafuente {Hist. 
. de Espaila, t. III, pag. 363) désigne l'époque assez peu distinctement : «Basta el Dnero.» 

Comparez Florez, Memorias de las Reynas Catholieas. Madrid, in-4*, 1764, 1. 1, pag. 68. 

(4) On trouve un récit très animé de la prise de cette ville dans Mariana, Hist. de 



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20 HISTOIRE 

faire. Au sud, la lutte revêtit les caractères les plus sanglants; 
elle se prolongea avec tant d'obstination, que ce ne fut pas 
avant la prise de Malaga, en 1487, et de Grenade, en 1493, 
qne l'empire chrétien fut rétabli et que la vieille monarchie 
espagnole remonta définitivement sur le trône (1). 

Ces événements eurent sur le caractère espagnol une 
influence remarquable. Pendant huit siècles successifs tout 
le pays fut engagé dans une croisade religieuse, et pendant 
que d'autres pays n'eurent que des guerres saintes qu'acci- 
dentellement, l'Espagne les conserva et les prolongea pendant 
plus de vingt générations (2), car il ne s'agissait pas seule- 
ment pour elle de reprendre un territoire, mais de rétablir 
une croyance et il arriva que les interprètes de cette croyance 
prirent une position élevée importante. Dans le camp et dans 



Espafla, t. II, pag. 506-513. Après lui Ortîz (Compendio de la historia, t. III, pag. 156) 
et Lafaente (Hist. gênerai, t. IV, pag. 236-242) paraissent mous. On trouve le point de vue 
mahométan, le premier coup décisif porté contre leur cause, dans Conde, Hist. de la domi- 
nation de los Arabes, pag. 347 : « Asi se perdiô aquella inclita ciudad , y acabô el reino 
de Toledo con grave perdida del Islam. ■ Le poiot de vue chrétien est que « concedié 
Dios al Rey la conquista de aquella capital. » Florez, Reynas Catholicas, 1. 1, pag. 165. 

(1) Circoort, Hist. des Arabes, t. 1, pag. 313, 349; Conde, Domination de los 
Arabes, pag. 656, 664; Ortiz, Compendio, t. V, pag. 509, 561; Lafuente, Historia, t. IX, 
pag. 341, 399. 

(2) t According to the magnifîcent style of the Spanish historians , eight centuries of 
almost uninterrupted warfare elapsed , and tbree thousand seven hundred battles were 
fought, before the last of the Moorish kingdoms in Spain submitted to tbe Christian arma. > 
Robertson, Charles V, par Prescott. Lond., 1857, pag. 65. « En nuestra mismaEspana, en 
Léon y Castilla, en esta nueva Tierra Santa, doode se sostenia una cruzada perpétua y con- 
stante contra los infieles, donde se mantenia en todo su fervor el espiritu à la vez religioso 
y guerrera. * Lafuente, Hist. de Espana, t. V, pag. 293. « Era Espana theatro de una 
continua guerra contra los enemigos de la Fe. » Florez, Reynas Catholieas, 1. 1, pag. 226. 
t El glorioso empeno de exterminar à los enemigos de la Fe. » Pag. 453. « Esta guerra 
sagrada. > T. II, pag. 800. « Se armaron nuestros Reyes Catholicos, con zelo y animo alen- 
tada del cielo; y como la causa era de Religion para ensanchar los Dominios de la Fe, 
sacrifîcaron todas las fuerzas del Reyno, y sus mismas personas. a Pag. 801. Ce qu'on appe- 
lait les indulgences de la croisade étaient accordées « aux Espagnols qui combattraient 
contre les Mores. > Fleury, Hist. ecclésiastique, t. XVIII, pag. m; t. XIX, pag. 158, 458 ; 
t. XXI, pag. 171. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 21 

la chambre du conseil, la voix des ecclésiastique» était en- 
tendue et obéie, car comme la guerre avait pour but la pro- 
pagation du christianisme, il semblait juste que les ministres 
qu'elle intéressait surtout y jouassent un rôle considéra* 
Me (1). De plus le danger qui menaçait le pays était immi- 
nent, il surexcita les sentiments superstitieux que tout dan- 
ger éveille, et auquel, comme je l'ai démontré ailleurs (2), 
les civilisations tropicales durent quelques-unes de leurs 
particularités principales. A peine les chrétiens espagnols 
eurent-ils été chassés de leurs maisons et se furént-ils réfu- 
giés dans le Nord, que ce grand principe fyt mis à l'œuvre. 
Dans leur retraite au milieu des montagnes, ils conservaient 
un coffre de reliques de saints; ils croyaient devoir être leur 
sauvegarde (3). Ce coffre était pour eux comme un étendard 
national autour duquel ils se ralliaient, et à l'aide duquel 
ils remportaient de miraculeuses victoires sur leurs ennemis 
infidèles. Ils se disaient les soldats de la croix, aussi leur 
esprit prit-il l'habitude des considérations surnaturelles à un 
degré que nous avons de la peine à comprendre, et qui les 
distingua sous ce rapport de toute autre nation euro- 
péenne (4). Leurs jeunes gens avaient des visions, leurs 



(1) t En aqoellos tiempos (y doro hasta todo el siglo XV y toma de Grenada) erao los 
obispos los primeros capitanes de los exercitos. » Ortiz, Compendio, t. III, pag. 189. 
Los prelados habian sido siempre los primeros no solo en promover la guerra contra Mores, 
sino à presentarse en campana con todo sn poder y esfnerzo , animando à los demas con 
las palabras y el exemplo. » T. V, pag. 507, 508. 

(2) Hist. of Civilization, t. 1, pag. 110418. 

(3) c Les chrétiens avaient apporté dans les Asturies une arche on coffre plein de reliques 

qu'ils regardèrent depuis comme la sauvegarde de leur État. » « Elle fut emportée 

et mise enfin à Oviedo, comme le lieu le plus sûr, l'ère 773, l'an 775. » Fleury, Hist. ecclé- 
siastique, t. IX, pag. 190. Cette « arca llena de reliquias > fut emportée dans les Asturies 
en 714. Mariana, Hist. de Esparla, t. II, pag. 227. Et suivant Ortiz {Compendio, t. H, 
pag. 182), ce fut i un tesoro inestimable de sagradas reliquias. t Voyez aussi Gedde, 
Tracts conceming Spain, t. II, pag. 237. Lond., 1730, et Ford, Spain, 1847, pag. 388. 

(4) c But no people ever fait themselves to be so absolutely soldiers of the cross as the 

T. IV. 2 



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2Î HISTOIRE 

vieillards avaient des rêves (1). D'étranges avertissements 
leurs descendaient du ciel ; de mystérieux présages leur appa- 
raissaient à la veille de la bataille et Ton remarquait que 
toutes les fois qu'un mahométan violait la tombe d'un saint 
chrétien, il en sortait le tonnerre et des éclairs pour repousser 
l'incrédule et au besoin pour châtier son audacieux sacri- 
lège (2), 
Dans un tel état de choses le clergé ne pouvait manquer 

Spaniards did, from the time of their Moorish wars; do people ever trusted so constantly 
to the récurrence of miracles in the affairs of their daily life; and therefore no people ever 
talked of Divine thingsas of matters in their nature so familiar and common-place. Traces 
of this state of feeling and character are to be fonnd in Spanish literature on ail sides. » 
Ticknor, Hist. of Spanish Literature, t. II, pag. 333. Comparez Bouterwek,/ft«t. of 
Spanish Literature, 1. 1, pag. 106, 106, et le récit de la bataille de Navas dans Circourt, 
Hist. des Arabes d'Espagne, 1. 1, pag. 153 : « On vonlait trouver partout des miracles. » 
Quelques-uns de ces miracles les plus frappants se trouvent dans Laf uente, Hist. de Espqna, 
t. V, pag. 227; Mariana, Hist. de Espana, 1. 11, pag. 378, 395; t. III, pag. 338, et Ortiz 
Compendio, t. III, pag. 248 ; t. IV, pag. 22. 

(1) L'un des plus curieux de ces rêves prophétiques est conservé dans Conde, Domina- 
don de los Arabes, pag. 378, 379, ainsi que la façon dont ils furent interprétés. Ils se réali- 
sèrent pour la plupart. En 844 : * El Apostol Santiago, segun que lo prometiera al Rey,fué 
visto en un caballo blanco, y con una bandera blanca y en medio délia una cruz roxa, que 
capitaneaba nuestra gente. a Mariana, Hist. de Espaûa, t. II, pag. 310, 311. En 957 : « £1 
Apostol Santiago fué visto entre las hacas dar la Victoria à los fieles. » Pag. 382. En 1236 : 
c Publicôse por cierto que San Jorge ayudô à los Christianos, y que se hallô en la pelea. ■ 
T. III, pag 323. Sur les rêves qui couvraient ces apparences, voyez Mariana, t. II, 
pag. 309, 446 ; t. III, pag. 15, 106. 

(2) « Priests mingle in the council and the camp, and, arrayed in their sacerdotal robes, 
not unfrequently led the armies to battle. They interpreted the will of Heaven as myste- 
riously revealed in dreams and visions. Miracles were a familiar occurrence. The violated 
tombs of the saints sentforth thunders and lightnings to consume the invaders. » Prescott, 
Hist. of Ferdinand and Isabella, 1. 1, pag. xxxix. Au milieu du neuvième siècle eut lieu 
le fait suivant : «En lo mas cruel de lostormentos (auxquels les chrétiens furent exposés) 
subiô Abderramen un dia à las azuteas ô galerias de su Palacio. Descubriô desde alli los 
cuerpos de los Santos martirizados en los patibulos y atravesados con los palos, mandé los 
quemasen todos para que no quedase reliquia. Cumpliôse luego la ôrden : pero aquel impio 
probô bien presto los rigores de la venganza divina que volvia por la sangre derramada de 
sus Santos. lmprovisamente se le pegô la lengua al paladar y fauces; cerrôsele la boca, y 
no pudo pronunciar una palabra , ni dar un gemido. Conduxeronle sus criados â la cama, 
mnriô aquella misma noche, y antes de apagarse las hogneras en que ardian los santos 
cuerpos, entrô la infeliz aima de Abderramen en los eternos fuegos de! inlierno. * Ortiz, 
Corapendio, t. III, pag. 52. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 25 

d'étendre son influence, ou plutôt disons que le cours des 
événements retendit pour lui. Les chrétiens espagnols en- 
fermés pendant un laps de temps considérable dans leurs 
montagnes des Asturies , privés de leurs anciennes res- 
sources , dégénérèrent bien vite et perdirent jusqu'à la 
pauvre civilisation qu'ils avaient acquise. Dépouillés de toutes 
leurs richesses, confinés dans les limites d'une région com- 
parativement aride, ils retombèrent dans la barbarie et pen- 
dant cent ans au moins ils vécurent sans arts, sans com- 
merce et sans littérature (1). Plus leur ignorance allait crois- 
sant, plus la superstition augmentait, et plus celle-ci à son 
tour fortifiait l'autorité des prêtres. Ce qui advint fut donc 
tout naturel : l'invasion mahométane appauvrit les chré- 
tiens; la pauvreté engendra l'ignorance; l'ignorance engen- 
dra la crédulité, et la crédulité, en enlevant aux hommes la 
faculté et le désir de comprendre par eux-mêmes, engendra 
l'esprit de vénération, et confirma ces habitudes de soumis- 
sion et cette obéissance aveugle envers l'Église qui est, mal- 
heureusement, le trait particulier et dominant de l'histoire 
des Espagnols. 

De ce que nous venons de dire, il faut conclure donc que 
l'invasion mahométane fortifia les sentiments religieux du 



(1> Circourt {Hist. des Arabes, t. 1, pag. 5) dît : « Les chrétiens qui ne voulurent pas se 
soumettre forent rejetés dans les incultes ravins des Pyrénées, où ils parent se maintenir 
comme les bêtes fanves se maintiennent dans les forêts. ■ Le récit le plus curieux sur l'état 
des chrétiens espagnols dans la dernière partie du huitième siècle et dans la première 
partie du neuvième se trouve dans Conde, Hist. de la domination, pag. 95, 125. « Referian 
de estos pueblos de Galicia que son cristianos, y de los mas bravos de Afranc; pero que 
viven como fieras, que nunca lavan sus cuerpos ni vestidos , que no se los madan, y los 
Uevan puestos hasta que se los caen despedazados en andrajos, que entran unos en las casas 

de otros sin pedir licencia. » En A. D. 815 : t No habia gnerra sino contra cristianos 

por mantener frontera, y no con deseo de ampliar y extender los limites del reino, ni por 
esperanza de sacar grandes riquezas, por ser los cristianos gente pobre de montana, sin 
saber nada de comercio ni de buenas artes. » 



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24 HISTOIRE 

peuple espagnol de trois manières : d'abord, en provoquant 
une guerre religieuse, longue et obstinée; en maintenant la 
présence constante de dangers imminents, et enfin par la 
pauvreté, et par conséquent par l'ignorance qu'elle amena 
parmi les chrétiens. 

Ces événements qu'avaient devancés la grande guerre de 
Tarianisme, avec leur cortège de phénomènes physiques 
dont j'ai déjà indiqué la tendance dans la même direction: 
pour les rendre plus frappants encore, produisirent un tel 
effet, en se combinant avec les facultés énergiques du peuple; 
qu'en Espagne l'élément théologique ne fut bientôt plus seu- 
lement unedes parties du caractère national, mais qu'il devint 
le caractère même. Les rois d'Espagne les plus capables et les 
plus ambitieux se virent contrainte de suivre le sillon tracé, et 
les despotes succombèrent sous4a pression des opinions reçue» 
tout. en se faisant l'illusion qu'ils le» dirigeaient. La guérie 
contre Grenade, sur la fin du quinzième siècle, fut bien 1 
plutôt une guerre religieuse qu'une guerre politique, et le but 
d'Isabelle, qui fit les plus grands sacrifices pourla mener à 
bonne fin et qui, comme capacité et comme loyauté, était 
bien supérieure à Ferdinand, fut moins l'acquisition d'une 
partie de territoire que la propagation de la foi catholique (1). 
Les événements qui suivirent sont faits pour dissiper tous les 



(1) « Isahella may be regardai as the soûl of Uns war. She engaged in it with the mos 
exalted views, le*s to acquire lerritory than to reestablish the empire of the Cross over the 
ancien t domain of christeodom.» Prescott, iftat. of Ferdinand and IsabeUa, t. I,pag.3W. 
Comparez Fleury (HisL ecclésiastique, t. XXIII, pag. 583) : t Bannir de tonte l'Europe la 
secte de Mahomet, » et Circourt (HisL des Arabes d'Espagne, t. II, pag. 99, 109) : «Pour 
elle une seule chose afait de l'importance : extirper de ses royaumes le nom et la secte de 

Mahomet. • « Sa rie fut presque exclusivement consacrée à faire triompher la croix 

sur le croissant.» Mariana (HisL de Espana, t. V, pag, 51,52) fait un grand éloge de son 
caractère qui, nous nous plaisons à le reconnaître, était parfait au point de vue espagnol. 
Voyez aussi Florez, Reynas Catholicas, t. II, pag. 774, 778, 8». 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 25 

doutes qu'on pourrait conserver sur l'objet de la querelle; 
car à peine la guerre était-elle terminée, que Ferdinand et 
Isabelle rendirent un décret qui expulsait du pays tout juif 
qui se refusait à renier sa foi, afin que le sol de l'Espagne 
ne fût plus souillé par la présence des incrédules (1). Faire 
des juifs des chrétiens, ou si l'on n'y réussissait les exter- 
miner, tel était l'office de l'inquisition qui fut établie sous 
ce même règne, et qui, à la fin du quinzième siècle, était en 
pleine activité (2). Pendant le seizième siècle, le trône fut 



(1) « En Espaça los Reyes Don Fernando y Dona lsabel luego que se viôron desembara- 
zados de la guerra de los Moros, acordâron de echar de todo su reyno à los Judios. > Mariana* 
Hist. de Espana, t. VI, pag. 303. Un historien espagnol, écrivant, il n'y a pas tout à lait 
soixante et dix ans, exprimait son approbation dans les termes suivants : « Arraacado de 
nnestra peninsnla el imperio Mahometano, qnedaba todavia la secta Jndayca, peste acaso 
mas perniciosa, y sin dnda mas peligrosay extendida, por estar los Judios establecidos en 
todos los pneblos de ella. Pero los Catolieos Monarcas, cnyo mayor afan era degarraigar de 
sus reynos toda planta y raiz infecta y contraria â la fé de Jesu-Cristo, dieron decreto en 
Qranada dia 30 de Marzo del ano nrismo de 14îtë, mandando saliasen de sus dominios los 
Judios que no se bantizasen dentro -de 4 meses. » Ortiz, Compendio. Madrid, 4798, t. V, 
pag. 564. L'importance qu'il y a à connaître le jngement que portent les Espagnols sur ces 
événements et d'autres semblables me décide à transcrire tout au long leurs propres expres- 
sions, ce qui dans d'antres circonstances pourrait paraître superflu. En général les histo- 
riens s'attachent trop aux transactions publiques et pas assez aux opinions qu'elles sou- 
lèvent. Cependant, en fait, les opinions forment la partie la plus précieuse de l'histoire, car 
elles sont le résultat des causes .générales, tandis que les actes politiques sont souvent les 
particularités de puissantes individualités. Je ne pais au juste déterminer le nombre des 
juifs chassés. .L'estimation varie de 160,000 à 800,000. PrescoU, Hist. of Fordincmdund 
IsabeUa, t. II, pag. 148; Mariana, Hist. de Espana^t. VI, pag. 304; Ortiz, Compendio* 
t. V, pag. 564; Lafuente, Hist. de Espana, t. IX, pag. U% 413; Llorente, Hist. de l'inqui- 
sition. Paris, 1817, 1. 1, pag. 261 ; Mata, Dos Discursos. Madrid, 1794, pag. 64, 65; Castro, 
Decadencia de Espana. Cadiz, 1852, pag. 19. 

(2) Elle avait été introduite en Aragon en 1241 Mais suivant M. Tapia, • sin embargo la 
persecncion se limité entonces à la secta de los albigenses ; y como de ellos hubo tan pocos 
en Castilla,no se considéré sin duda necèsario en ellael establecimiento de aquel tribunal.» 
Tapia, Hist. de la civilizacion Espailola. Madrid, 1840, t. II, pag. 302. Llorente, il est 
vrai, dit {Hist. de l'inquisition d'Espagne. Paris, 1817, 1. 1, pag. 88) : «Il est incertain 
si au commencement du xv* siècle l'inquisition existait en Castille. >Dans le nouvel ouvrage 
de M. Lafuente, 1232 est indiqué comme la date la çlus récente ; mais « â fines del sigles XI V 
y principios del XV apenas puede saberse si existia » le tribunal de l'inquisition en Cas- 
tille. * Lafuente, Hist. de Espafla, t. IX, pag. 904-206. Madrid, 1852. C'est donc avec toute 
saison que Mariana (HisUrria, t. VI, pag. 171) appelle l'inquisition de Ferdinand et dlsa- 



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28 HISTOIRE 

occupé par deux princes d'un grand esprit et tous les deux 
marchèrent dans la même voie. Charles-Quint, qui succéda 
à Ferdinand en 1516, gouverna l'Espagne pendant quarante 
ans, et le caractère général de son administration fut le 
même que celui de ses prédécesseurs. Quant à sa politique 
étrangère, ses trois principales guerres furent contre la 
France, contre les princes allemands et contre la Turquie. 
La première fut une guerre séculière, mais les deux der- 
nières furent essentiellement religieuses. Dans la guerre 
contre l'Allemagne, il défendit l'Église contre les innova- 
tions; et à la bataille de Muhlberg, il réduisit si complète- 
ment les princes protestants, qu'il retarda pendant quelque 
temps les progrès de la réforme (1). Dans l'autre grande 
guerre, champion du christianisme contre le mahométisme, 
il consomma ce que son grand-père avait commencé. 
Charles défit et chassa les mahométans de l'Est, de la même 
manière que Ferdinand les avait chassés de l'Ouest : la dé- 
faite des Turcs devant Vienne fut, au seizième siècle, ce que 
la défaite des Arabes devant Grenade avait été au quin- 
zième (2). Ce fut donc avec raison qu'à la fin de sa carrière 
Charles se vantait d'avoir toujours préféré sa foi à son pays, 
et que le but principal de son ambition avait été de soutenir 
les intérêts du christianisme (3). Le zèle avec lequel il com- 



belle t un nuevo y santo tribunal. » Voyez aussi Florez, Membrias de las Reynas Cathô- 
licas, t. II, pag. 799. 

(1) Prescott, Hist. of Philip II, t. 1, pag. 23. Lond., 1857; Davies, Hist. ofHoUand, 
t. I, pag. 447. Lond., 1841. Sur le caractère religieux de la politique allemande, com- 
parez Mariana, Hist. de Espana, t. VII, pag. 330; Ortiz, Comp&ndio, t. VI, pag. 195. 

(2) Prescott, Philip II, 1. 1, pag. 3, et la suite de Y Hist. ecclésiastique de Fleury, 
t. XXVII , pag. 280. Robertson est porté à déprécier la grandeur de ce fait, quoiqu'il loue 
Charles-Quint d'avoir terminé la guerre. Hist. of Charles V, pag. 246. 

(3) Dans le discours qu'il fit lors de son abdication, il est dit que « ne had been ever 
mindful of the interests of the dear laud of his birth, but above ail of the great interests of 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 27 

battit pour la foi apparaît dans ses efforts contre l'hérésie 
dans les Pays-Bas. D'après des autorités contemporaines, 
très compétentes, cinquante à cent mille personnes furent 
mises à mort sous son règne dans la Néerlande pour leurs 
opinions religieuses (1). Des recherches plus récentes ont 
fait douter de ces faits (2), que l'on a sans doute exagérés; 
mais nous savons qu'entre 1520 et 1550, il publia une série 
de lois qui avaient pour but de faire décapiter, brûler vifs ou 
enterrer vivants tous ceux qui étaient convaincus d'hérésie. 
Les pénalités étaient variées et s'appliquaient selon les cas ; 
mais on était tenu de prononcer la peine capitale contre tout 
individu qui avait acheté un livre entaché d'hérésie, contre 
celui qui l'avait vendu ou qui l'avait seulement copié pour 
son usage particulier (3). Le dernier conseil qu'il adressa à 
son fils fut en harmonie avec ces mesures. Quelques jours 
seulement avant sa mort, il signa un codicile à son testa- 
ment portant qu'il recommandait de ne point faire grâce aux 
hérétiques, de les mettre tous à mort, et de veiller au main- 
tien de la sainte inquisition, seule capable d'accomplir une 
œuvre aussi louable (4). 

christianity. His first object had been to maintain thèse inviolate against the infidel. » 
Prescott, Philip II, t. 1, pag. 8. Minana fait l'éloge de t el César con piadoso y noble ânimo 
exponia sa vida à los peligros para extender los limites del imperio chrisliano. » Continua- 
cion de Mariana, t. VIII, pag. 952. Comparez avec la suite de YHist. ecclésiastique de 
Fleury, t. XXXI, pag. 19. 

(1) Grotias dit 100,000, Bor, Meteren et Paul disent 50,000. Watson, HisL of Philip II. 
Lond., 1839, pag. 45, 51 ; Davies, HisL ofHolland. Lond., 1841, 1. 1, pag. 498, 499; Motley, 
Dutch Republic. Lond., 1858, 1. 1, pag. 103, 104. 

(2) M. Prescott, si ma mémoire ne me trompe pas, le met en doute. Mais l'opinion de 
l'éminent historien doit perdre de sa valeur, parce qu'il ignore la littérature hollandaise 
où il faut aller chercher ses preuves. Sur ce point comme sur beaucoup d'antres, l'estimable 
ouvrage de M. Motley laisse peu à désirer. 

(3) Prescott, Philip II, 1. 1, pag. 196, 197. Les premières personnes furent brûlées en 1523. 
Motley, Dutch Republic, 1. 1, pag. t>9. On trouve la description de la manière de brûler 
vif dans Davies, HisL ofHolland, 1. 1, pag. 383; t II, pag. 311, 312. 

(4) Il mourut le 21 septembre, et le 9 il avait signé un codicile dans lequel il t enjoigned 



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«S HISTOIRE 

II ne faut pas attribuer cette politique barbare aux vices 
ou au tempérament particulier du maître, mais à l'action 
combinée de causes plus larges qui réagirent sur l'individu 
et l'entrainèrent dans leur course. Charles n'était point un 
homme vindicatif; sa nature le portait plutôt à la clémence 
qu'à la rigueur ; nul ne peut mettre en doute sa sincérité : 
il fit ce qu'il croyait être son devoir; et il fut un ami si 
tendre, que ceux qui le connurent le mieux furent ceux qui 
l'aimèrent le mieux (1); cependant cela ne suffit pas à lui 

hisson tofollowupand to bring to justice everyheretic in his dominions, and his without 
exception and without favour, or mercy to any one. He conjnred Philip to cherish the holy 
inquisition as the best means of accomplishing this good work. » Prescott, Additions to 
Robertson's Charles Y, pag. 576. Voyez anssi ses instructions à Philippe dans Raumer, 
Mit. of the Sixteenth and Seventeenêh Centuries, 1. 1, pag. 91, et, pour son opinion sur 
l'inquisition, voyez sa conversation avec air Thomas Wyatt, imprimée d'après les papiers 
de l'État dans Fronde, His t. ofEngland, t. ITT, pag. 456. Lond., 1858. On pourrait croire 
à de la déclamation, mais dans Tapia (Civiiisacion Espatiota. Madrid, 1646, i. Ul, 
pag. 76, 77), on trouvera une lettre officielle très ferme dans laquelle Charles n'hésite pas 
à dire : « La Santa Inquisicion como officïo santo'y pnesto por los reyes cathôlicos nnestros 
Sefiores y abuelos à honra de Oios nuestro Senor y de nuestra santa fé cathôlica, teogo firme 
é entranablemente asentado y fijado en mi coraxon, para la mandar favorecer y honrar, 
como principe justo y temeroso de Dios es obligado y debe hacer. » — Le codicile de 
Charles existe encore ou du moins il existait il y a peu de temps au milieu des archives de 
Simancas. Ford, Spain, 1847, pag. 334. Dans le grand ouvrage de M. Lafuente, Hist. de 
Espana, t. XII, pag. 494, 495. Madrid, 1853, on y renvoie dans un langage qui en plus d'un 
sens est parfaitement espagnol : » Su testamento y codicilo respiran las ideas cristianas y 

religiosa8 en que habia vivido y la piedad que sefîalô su muerte. » « Es muy de 

notar su primera clàusnla (c'est à dire le codicile) por la cual déjà muy encarecidamente 
recomendado al rny Don Felipe que use de todo rigor en el castigo de los hereges lutepaoos 

que habian sido presos y se hubieren de prender en Espana. » « Sin escepcion do 

persona alguna, ni admîtir ruegos, ni tener respeto à persona alguna ; porqne para al eftcto 
de ello favoresca y mande favorecer al Santo Officio de la Inquisicion, » etc. 

(1) On pent accuser le témoignage d'un compatriote de partialité, mais d'un autre côté, 
Raumer, dans son excellent ouvrage HiU. ofthe Sixteenth and Seventeenth Centuries , 
1. 1 , pag. 22, fait observer avec raison que l'on a mal apprécié son caractère, * by reason 
that historiane hâve availed themselves by préférence of the inimical narratives of Urench 
sud protestant irritées. > Pour me tenir entre ces deux extrêmes, je vais transcrire le résumo 
du règne de Charles V tel qu'il est donné par un savant écrivain exempt de tout préjugé : 
• Tortoouaas iras sometimes the policy of the emperor, he ne ver, like Francis, acted nith 
treacbery ; his mind had too much of native grandeur for such baseness. Sincère in religion 
and friendship, faithful to his vrord, dément beyond example, libéral towards his servants, 
indefatigable in his régal duties, anxious for the welfare of his subjecls,and gênerai ly 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 2f> 

tonner une opinion. Il fut obligé tl'obéir aux tendances du 
siècle et du pays dans lesquels il vécut, et la nature de nés 
tendances devint plus évidente encore après sa mort, quand 
sur le trône d'Espagne, on vit se maintenir pendant plus de 
quarante ans un prince qui y était monté à la fleur de l'âge, 
; par droit d'héritage, et dont le règne est surtout intéressant 
comme symptôme et comme conséquence du caractère du 
,penple qu'il gouverna, 

Philippe II qui succéda à Charles- Quint, enl555, fut, on peut 
le dire, rincarnation de son époque. Le plus éminent de ses 
Jbio^graj)hes se borne à dire de lui qu'il fut Je type le plus 
^parfait du caractère national de son pays {l). Sa maxime 
favorite, la clef de toute sa politique, était que « il vaut 
mieux ne pas régner, que régner sur des hérétiques (2). » 
Armé du pouvoir suprême, il employa toutes ses facultés à 
faire de cette maxime un principe. Aussitôt qu'il apprit que 
les protestants se faisaient des prosélytes en Espagne, il n'eut 
plus de repos qu'il n'eût étouffé l'hérésie (3), et il fut si ad- 
mirablement secondé par le sentiment général du peuple, 
qu'il put, sans courir aucun risque pour lui-même, supprimer 
des opinions qui ébranlèrent toutes les autres parties de 

JMameless in privât» lire, his character will not suffer by a comparison with that ofany 
jnonarch of his Urnes. » Dunham, His t. of Spain, t. V, pag. M. < La clémence était Je fond 
.de son caractère. > Pag. 30. 

(1) ■ The Spaniards, as he grew in years , beheld, with pride and satisfaction , in their 
future sovereign, the most perfect type of the national character. > Prescott, Hist. of 
Philip II, 1. 1, pag. 39. Et aussi dans Motley, Dutch Republic, 1. 1, pag. 128 : « He vas 
entirely a Spaniard, > et dans Lafueate, ffisi. de Espana, 1. 1, pag. 155 : « Pero el reinado 
de Felipe fné todo Espanol. > 

(2) Prescott, Philip II, t. 1, pag. 68, 210; t. II, pag. 26; Watson, Philip II, pag. 55. 
Comparez Flenry , Mist.. ecclésiastique, t. XXXIV, pag. 273. 

(3) t Gomo era tan xeloso en la extirpation de la heregia, nno de sus primeros cnidados 
fné el castigo de los Lnteranos ; y à presencia suya, se execntô en Valladolid,el diaocho de 

.Octobre, el suplicio de mnchos reos de .este de)ito.»Minana, Continuation de Mariana, 
t. IX, pag. 212. 



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50 HISTOIRE 

l'Europe. La réforme, en Espagne, mourut; après quelques 
efforts, il ne fallut pas plus de dix ans pour que le dernier 
vestige en eût disparu (1). Les Hollandais voulurent adop- 
ter et ils adoptèrent en effet, en maintes circonstances, la 
doctrine réformée; aussi Philippe leur fit-il la guerre, une 
guerre cruelle qui dura trente ans et qu'il continua jusqu'à 
sa mort, parce qu'il s'était juré d'extirper la nouvelle 
croyance (2). Il donna l'ordre de brûler vif tout hérétique 
qui refuserait d'abjurer. Si l'hérétique abjurait , il lui 
était accordé quelque indulgence; mais il avait été souillé, 
il devait mourir. Au lieu d'être brûlé vif, il était exécuté 
voilà tout (3). Nous ne savons pas au juste le nombre de 
ceux qui moururent dans les Pays-Bas (4). Mais Albe se 



(1) « The contest with Protestantism in Spain, under such auspices, was short. It began 
in earnest and in blood about 1559, and was substantially ended in 1570. » Ticknor, Hist. 
ofSpanish Literature, t. 1, pag. 425. Voyei aussi M'Oie, Hist. ofthe Re formation in 
Spain, pag. 336, 346. C'est ainsi que « Espana se préservé del contagio. Hizolo con las armas 
Carlos V, y con las hogueras los inquisidores. Espana se aislô del movimiento europeo. • 
Lafuente, Hist. de Espana, 1. 1, pag. 144. Madrid, 1850. M. Lafuente ajoute que dans son 
opinion toute la chrétienté est sur le point d'imiter le bon exemple donné par l'Espagne en 
rejetant le protestantisme : «Si no nos equivocamos,en nuestra misma edad se notan sla- 
lomas de ir manchando este problema hàcia su résolution. El catolicismo gana prosélitos ; 
los protestantes de hoy no son lo que antes fueron, y creemos que la unidad catôlica se 
realizarà.» 

(2) « Avant l'arrivée d'Albe, « Philip's commands to Margaret were imperatire, to use her 
utmost efforts to extirpate the heretics.» Davies,/fis£. ofHolland, t. I, pag. 551. Et en 1563, 
il écrivait : « The example and calamities of France prove how wholesome it is to punish 
heretics with rigour. » Raumer, Hist. of the Sixteenth and Seventeenth Centuries, 1. 1, 
pag. 171. Les Espagnols estimaient que les Hollandais étaient coupables d'un double crime 
comme rebelles envers Dieu et le roi : « Rebeldes à Dios por la heregia y â su Principe à 
quien debian obedecer. » Mariaca, Hist. de Espana, t. VII, pag. 410. « Tratarian de secreto 
de quitar la obediencia à Dios y à su Principe. > Vanderhammen, Don Filipe el Prudente 
Secundo deste Nombre. Madrid, 1632, pag. 44, rev. Ou, comme le dit Minana, Philippe 
« ténia los mismos enemigos que Dios. » Continuacion de Mariana, t. X, pag. 139. 

(3) Motley, Duteh Republic, 1. 1, pag. 229 ; Watson, Philip II, t. II, pag. 31, 52, 177. 

(4) M. Motley, à la date de 1566, dit : « The prince of Orange estimated that up to this 
period fifty thousand persons in the provinces had been put to death in obédience to the 
edicts. He was a moderate man and accustomed to weigh his words. > Motley, DutcK 
/tepuWtc,t.I,pag.424,425. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 31 

vantait avec orgueil d'avoir mis à mort de sang-froid plus 
de dix-huit mille personnes sans compter un bien plus 
grand nombre tuées sur le champ de bataille (1). Ce qui 
porterait le nombre des victimes pendant la courte durée 
de son pouvoir à plus de quarante mille. Ce calcul ne peut 
guère être loin de la vérité, puisque nous savons d'après 
d'autres sources que dans l'espace de moins d'un an, plus 
de dix-huit mille furent exécutées ou brûlées (2). Ces mesures 
étaient dues à Philippe qui les avait ordonnées comme 
parties essentielles de son plan général (3). Le désir domi- 
nant de son esprit, auquel il sacrifiait toute autre consi- 
dération, c'était de réduire à néant la nouvelle croyance et 
de replacer la vieille foi dans son ancienne splendeur. Son 
immense ambition, son amour desordonné du pouvoir 
suprême ne venaient qu'en second. Il ambitionna l'empire 
de l'Europe parce qu'il eut l'immense désir d'y rétablir sans 
conteste l'autorité de l'Église (4), Toute sa politique, toutes 



(i) Watson, Philip ll 3 pag. 248, 249. Tapia {Civilisation Espanola, t. III, pag. 95 ) dit : 
« Quito la vida à mas de diez y ocbo mil protestantes con di versos géneros de saplicios. » 
Comparez Motley, Dutch Republic , t. II, pag. 423, et Davies, Hist. of Rolland, 1. 1, 
pag. 608. 

(2) Davies, Hist. of Holland, 1. 1, pag. 567. Vanderhammen (DonFilipe el Prudente. 
Madrid, 1632, pag. 52, rev.) certifie avec bonheur que « muriessen mil y setecientas persouas 
eu pocos dias con fuego cordel y cuchillo en diversos lugares. > 

(3) c El Duque de Àlba, obrando en conformidad â las instrncciones de su soberano, y 
apoyado en la aprobacion que merecian al rey todas sus medidas. > Lafuente , Hist. de 
Espafla, t. XIII, pag. 221. 

(4) « lt was to restore the Gatholic Church that ne desired to obtain the empire of 
Europe. > Davies, Hist. of Holland, t. II, pag. 329. « El protesté siempre c que sus desinios 
en la guerra, y sus exercitos no se encaminauan à otra cosa, que el ensalçamienlo de la 
Religion Christiana. » Vanderhammen, DonFilipe el Prudente, pag. 125. tElque aspiraba 
à someter todas las naciones de la tierra à su credo religioso. » Lafuente, Hist. de Espaça, 
t. XV, pag. 203. L'évêque de Salamanque, en 1563, se vantait ouvertement de ce ■ que son 
roi ne s'étoit marié avec la reine d'Angleterre que pour ramener cette isle à l'obéissance de 
l'Église. » Continuation de Fleury, Hist. ecclésiastique, t. XXXIII, pag. 331. Comparez 
Ortiz, Compendio, t. VI, pag. 204. < Este casamiento no debiô de tener otras miras que el 
de la religion. > 



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3fi HISTOIBE 

ses guerres tendirent vers oe tbnl antique. Peu après eon 
avènement au trône il conclut avec le pape un traité igno- 
minieux afin qu'on ne put l'accuser de porter les armes 
contre Je chef du monde chrétien (1) et sa dernière grande 
entreprise, la plus importante de toutes sous bien des rap- 
ports, fut d'équiper, au prix de sacrifices incroyables d'argent, 
;eefcte fameuse armada avec laquelle il espérait abaisser l'An- 
gleterre et couper dans sa racine l'hérésie de l'Europe en 
-enlevant aux protestants leur principal soutien et le se»! 
asile où ils fussent certains de trouver un refuge sûr et 
honorable (2). 

Pendant que Philippe marchait sur les traces de ses pré- 
décesseurs en prodiguant Je sang et le trésor de l'Espagne, 
afin de propager les saines opinions religieuses (3), le 



(i) Sut *ce traité, le seul traité humiliant qu'il ait jamais conclu, voyez Prescott, 
Philip II, t. J, pag. 404. Son dernier conseil à son fils en montant fut « Siempre ^stareis 
en la obediencia de la Santa Iglesia Romaoa, y del Sumo pontifice, teniendole por Tuestro 
Padre espiritual. • Davila, Hist. de la Vida de Felipe Tercero. Madrid ,1771, io-fol., 
Jib. i, pag. .29. Suivant un autre écrivain, « la nltima palabra que le salie con el eepiritu, 
lue : « Yo muero eomo Catôlico Ghristiano en la Fe y obediencia de la Iglesia Romana, 
-y respeto al Papa, como à quien trae en sus manos las lianes del Ciel o,como i Principe de 
la Iglesia, y Teniente de Dios sobre el imperio de las aimas. > Vanderhammen, DonFiHpe 
el Prudente , pag. 12*. 

(2) Elisabeth, réunissant les trois terribles qualités de l'hérésie, du pouvoir et du talent, 
était en horreur aux Espagnols àun degré incroyable, et il n'y eut jamais d'entreprise pins 
vraiment nationale que l'équipement de l'armada contre elle. Un ou deux -passages d'un 
«rave historien feront ressortir les sentiments qu'elle inspirait même après sa mort et aide- 
ront le lecteur i former son opinion sur l'esprit espagnol à cette époque : «J sa bel, ô Jexabel, 
Reyna de Inglaterra, heretica C al vin is ta, y la mayor perseguidora que ha tenido la saagre 
de Jesu-Christo y los bijos de la Iglesia. * Davila, Hist. de Felipe Tercero, pag. 74. * Los 
sueesos de fuera causaron admiracion ; y el mayor y muy esperado de toda la Ghristiandad 
foe la muerte de Isabela, Reyna de Inglaterra, heretica €alvinista, que hiao su nombre 
famoso con la infamia de eu vida, y perseguir à la Iglesia, derramando la sandre de los 
Santos, que defendian la verdadera Religion Gatôlica-, dexando registradas sus maldades 
en las historias pùblicas del mundo, pasando su aima âcoger el desdichado fruto de su 
obstinada soberbia en laepenas del Inferno, donde conoco con el castigo perpetoo-el engaao 
de su vida. » Pag. 88, 64. 

(3) Un des écrivains contemporains les plus éminents dit : « It was Philip's enthnsiasm 



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DE LA CIVILISATION BN ANGLETERRE. 55 

peuple, au Heu de se révolter contre un système aussi mons- 
trueux 9 y adhérait au contraire et le sanctionnait avec bon- 
heur. Il ne se contenta même pas de le sanctionner, il fit 
presque un Dieu de l'homme qui l'avait imposé. Jamais 
peuu&re on ne vit de prince adoré de ses sujets comme te 
fut Philippe II pendant un aussi long espace de temps et à 
travers autant de viciésitude» de la fortune. Dans la bonne 
eomme dans la, mauvaise fortune, le» Espagnols s'attachè- 
rent à' lui avec une fidélité, une loyauté inébranlable. Leur 
amour n'en fut diminué ni par ses revers, ni par son aspect 
farouche, ni par ses cruautés ou par ses exactions exorbi- 
tantes. En dépit de tout, ils l'aimèrent jusqu'à la fin. Dans 
son arrogance folle, Philippe ne permettait à aucun, pas 
même aux nobles les plus puissants, de lui adresser la parole 
autrement qu'à genoux, et il ne répondait que par demi* 
mots, laissant à ceux à qui il avait parlé le soin de complé- 
ter sa pensée et d'obéir à ses commandements du mieux 
qu'ils pouvaient (1). Et tous se montraient prêts à obéir à 
ses moindres désirs. Un contemporain de Philippe frappé 
des hommages universels dont il fut l'objet, dit que les 
Espagnols « ne se contentaient pas de l'aimer, de le 

t» embody the wiath of God against hereties. » Motley, Dutch Republic, t. II, pag. 15fc 
« Philip lived bot to enforce what he chose to considnr the wil! of God. » Pag. 285. 

(1) < Personne vivante ne partait à loi qu'à genoux, et disoit pour son eicuse à cela 
cpiflestant petit de corps, chacun eust paru plus eslevé que lui, outre qu'il sçavoit que les 
Espagnols estoient d'humeur si altiôre et hautaine, qu'il estoit besoin qu'il les traittast de 
trotte façon ; et peur ce mesme ne se laissoit voir que peu souvent du peuple, n'y mesme des 
grands, sinon aux jours solennels et action nécessaire en cette façon? Il faisoit ses com- 
mandements i demy mot, et falloit que l'on devinast le reste, et que l'on ne manquast à 
bien accomplir toutes ses intentions; mesmes les gentilshommes de sa chambre et antres, 
qui approchaient plus près de sa personne n'eussent osé parler devant tuy s'il ne leur eust 
commandé se tenant un tout seul i la fois près de la porte du lieu oA il estoit, et demeu* 
ran nud teste incessamment et appuyé contre un tapisserie, pour attendre et recevoir ses- 
commandements. > Mémoires de Cheverny, pag. 352, 353, dans Petitot, Collection des» 
jnémoireê, t. XXXVI. Paris, 1823. 



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34 HISTOIRE 

respecter, mais qu'ils allaient jusqu'à l'adoration. Ils esti- 
maient que ses ordres étaient sacrés; les violer c'était 
offenser Dieu (1). » 

Qu'un homme comme Philippe, qui ne compta jamais un 
ami, dont toute la personne froide et hautaine repoussait la 
confiance, maître dur, parent dénaturé, roi sanguinaire 
et sans pitié, qu'il ait pu être vénéré de toute la nation, au 
milieu de laquelle il vivait et qui suivait des yeux toutes ses 
actions, c'est là un des faits les plus étonnants et les plus 
inexplicables qui à la première vue nous frappe tout 
d'abord, dans l'histoire moderne. Trouver un roi qui se 
distingue par toutes les qualités les plus propres à inspirer 
la terreur et le dégoût et être obligé de reconnaître qu'il fut 
bien plus aimé que craint et qu'il fut l'idole d'un très grand 
peuple pendant toute la durée d'un règne très long, c'est là 
un fait si remarquable, qu'il mérite une étude sérieuse ; aussi 
est-il nécessaire pour éclaircir un point aussi difficile d'en- 
trer plus avant dans les causes de cet esprit de fidélité qui 
pendant plusieurs siècles a distingué les Espagnols de la 
plupart des autres peuples de l'Europe. 



(1) Tels sont les mots que rapporte Contarini comme cités dans Rank, Ottoman and 
Spani8h Empires. Lond., 1843, pag. 33. Sismondi, quoiqu'il ignorât ce passage, fait 
observer dans sa Literature ofthe South of Europe (t. VII, pag. 273. Lond., 1846) que 
Philippe, quoiqu'il fût « little entitled to praise, has yet been always regarded with enthn- 
siasm by the Spaniards. » Environ un demi-siècle après sa mort, sommerdyck visita l'Es- 
pagne, et dans son curieux ouvrage sur ce pays il nous apprend que Philippe était appelé 
« le Saiomon de son siècle. > Aarsens de Sommerdyck, Voyage d'Espagne. Paris, 1665, 
in-4°, pag. 63, 95. Voyez aussi Yanez, Memorias para la Historia de Felipe 111. Madrid, 
1723, pag. 294. < El gran Felipe, aquel Sabio Saiomon. > Un autre écrivain le compare à 
Numa : « Hacia grandes progresos la piedad, à la quai se dedicaba tanto el Rey Don Felipe, 
que parecia su reynado en Espana lo que en Roma el de Numa, despues de Rômnlo. » 
Minana, Continuation de Mariana, t. IX, pag. 241. Quand il mourut, c celebradas sus 
exêquias entre lagrimas y gemidos. » T. X, pag. 259, 260. Nous apprenons en outre (Vander- 
hammen, Filipe Segundo. Madrid, 1632, pag. 120, rev.) que le peuple lui reconnaissait 
c una grandeza adorable, y alguna cosa mas que las ordinarias à los demas nombres. » 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 35 

L'immense influence du clergé fut incontestablement une 
première cause. Car les maximes que ce corps puissant in- 
culque dans l'esprit du peuple, l'excitent à accorder à leurs 
princes un respect plus grand que de lui-même il ne serait 
porté à accorder. L'on ne peut mettre en doute qu'il n'y ait 
une connexion réelle et pratique entre la fidélité et la super- 
stition ; c'est un fait consacré par l'histoire que ces deux 
sentiments ont grandi ensemble et vieilli ensemble, et c'est 
en vérité ce à quoi Ton doit s'attendre quand on part de 
bases spéculatives, car ces deux sentiments sont le produit 
de la vénération qui rendent les hommes humbles dans leur 
conduite et crédules dans leur foi (1). L'expérience et la 
raison se réunissent donc pour indiquer ce fait comme une 
loi générale de l'esprit ; il peut ne pas être respecté dans 
certains cas exceptionnels, mais il doit l'être le plus sou- 
vent. Peut-être le seul cas dans lequel ce principe fait dé- 
faut, se présente-t-il quand le gouvernement, comprenant 
mal ses intérêts, offense le clergé et se sépare de lui. Une 
lutte s'établit alors entre la superstition et la fidélité au 
prince; les politiques s'attachent à ce dernier principe, les 
spiritualistes, au premier. Un pareil état de guerre se pré- 
sente en Ecosse; mais l'histoire n'en offre pas beaucoup 
d'exemples et certes il ne se présenta jamais en Espagne où, 
au contraire, plusieurs circonstances concoururent à cimen- 
ter l'union entre la couronne et l'Église, à accoutumer le 
peuple à les regarder toutes deux avec un même respect, 
une même vénération. 

La plus saillante de ces circonstances fut, sans aucun 
doute, la grande invasion arabe, qui repoussa les chrétiens 

(1) « Habits of révérence, which carried into religion, cause superstition, and of carried 
into politics, cause despotism. » Buckie, Hist. of Civilisation, 1. 1, pag. 616. 



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39 HISTOIRE 

dans un coin de l'Espagne et les réduisit à de telles extré- 
mités, qu'il ne fallut rien de moins que la plus stricte disci- 
pline, l'obéissance la plus absolue à leur roi, et la foi en des 
secours surnaturels, pour leur conserver l'esprit de résistance. 
Du fond de leurs montagnes, ils se firent un rempart contre 
l'envahissement du mahométisme qui inspirait une égale 
horreur à tous les rois chrétiens. Le clergé avait le même 
intérêt à chasser les mahométans d'Espagne. Pendant plus 
de huit cents ans, un traité d'alliance entre l'Église et l'État 
Ait une nécessité imposée aux Espagnols par les particula- 
rités de leur position ; et après que la nécessité eut cessé 
d'être, il arriva tout naturellement que l'association des 
idées survécut au danger primitif et que l'esprit du peuple 
en avait reçu une impression qu'il était devenu presque im- 
possible d'effacer. 

A l'appui de cette impression et de la fidélité sans exemple 
qui en fut le résultat, nous trouvons à chaque pas de nou- 
veaux témoignages. Dans aucun autre pays on ne trouve un 
aussi grand nombre de vieilles balades se rattachant immé- 
diatement à l'histoire nationale. Et l'on a observé que ce qui 
les caractérise, c'est le zèle avec lequel elles inculquent 
l'obéissance et la dévotion envers les princes; c'est à cette 
sevrée plutôt que dans les grandeurs militaires qu'ils puisent 
leurs exemples favoris de vertu (1). En littérature, la première 



(1) « More baltads are connectée with Spanish history than with any other and in gênerai 
they are better. The most striking peculiarity of the whole mass is, perhaps, to be foand in 
the degree in which it expresses the national character. Loyalty is constantly prominent. 
The lord of Butrago sacrifices his own life to save that of bis sovereign, » etc. T&cknor, 
Hi8t. of Spanish Literature, 1. 1, pag. 133. t In the unplicit obédience of the old spanish 
knight, the order of the king was paramoont to every considération, even in the case of 
frienaship and love. This code of obédience has passed into a proverb t mas pesa, el Rey 
que la sangre. » Ford, Spain, pag. 183. Compares l'admirable petit ouvrage de M. Levés, 
the Spanis Drama. Lond., 1846, pag. 12Q. c Ballads fall of war, loyalty, and lo?e. » 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 37 

grande manifestation de l'esprit espagnol fut le poème le 
Cid, écrit à la fin du douzième siècle et dans lequel nous 
trouvons de nouvelles preuves de cette fidélité extraordi- 
naire au prince que les circonstances avaient imposée au 
peuple (1). Les conciles ecclésiastiques nous montrent la 
même tendance ; car, à quelques exceptions près, aucune 
autre Église ne s'est montrée aussi ardente à soutenir les 
prérogatives des roi3 (2). Dans la législation civile, nous 
voyons à l'œuvre le même principe; car il est reconnu, 
d'après de hautes autorités, qu'aucun système de lois ne 
consacre à un aussi haut degré la fidélité au prince que les 
codes espagnols (3). Leurs auteurs dramatiques mêmes ne 



(1) Voyez quelques remarques intéressantes de Fourrage de M. Tapia, Civilisation 
JBspanada, 1. 1. Il dit que, quoique cruellement persécuté par Alfonso, la première choie 
que fit le Cid, après avoir remporté une grande victoire, fut d'envoyer son capitaine avec 
Tordre < para que lleve al rey Alfonso treinta caballos arabes bien ensillados con sendas 
espadas pendientes de los arsones en senal de homenage, à pesar del agravio que habia 
recibido. * Pag. 274. Et i la page 380 : • Comedio y obediente sùbdito & un rey que 
tan mal le habia tratado. > Southey (Chronicle of the Cid, pag. 268) remarque avec 
surprise que les vieilles chroniques représentent le Cid comme « offering to kiss the feet of 
the king. » 

(2) Le seizième concile de Tolède appelait les rois < vicaires de Dieu et du Christ,» et 
rien n'est plus fréquent dans les conciles de cette époque que leurs exhortations aux peuples 
pour l'observation du serment de fidélité à leur roi et leurs anathèmes contre les séditieux. » 
Sempere, Monarchie espagnole, 1. 1, pag. 41. « Aparté de los asnntos de derecho civil y 
canonico y de otros varios que dicen relation al gobierno de la Iglesia, sobre los cuales 
se contienen en todos ellos dispociones mny utiles y acertadas, la mayor parte de las leyes 
dictadas en estas assembleas tnvieron por objeto dar fuerza y estabilidad al poder real, 
proclamando su inviolabilidad y estableciendo graves penas contra los infractores ; con- 
denar las heregias, » etc. Antequera, Hist. de la Législation Espaûola, pag. 47. 

(3) ■ Loyalty to a superior is carried to a more atrocious lenght by the Spanish law 

than I hâve seen it elsewhere. > « The Partidas (P. 2, T. 13, L. 1) speaks of an 

old law whereby any man who openly wished to see the King dead, was condemned to 
death, and the loss of ail that he had. The utmost mercy to be shown him was to spare his 
Jife and pluck ont his eyes, that he might never see with them what he had desired. To 
defame the King is declared as great a crime as to kill him , and in like manner to be 
punished. The utmost mercy that could be allowed was to eut ont the offender's tongue. » 
(P. 2, T. 13, L. 4). Southey, Chronicle ofthe Cid, pag. 442. Comparez John s ton, Civil Lata 
ofSpain. Lond., 1825, pag. 209, sur « blasphemers ofthe King. » 

T IV. 3 



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38 HISTOIRE 

représentaient pas volontiers sur la scène un acte de rébel- 
lion, tant ils craignaient d'avoir l'air de soutenir ce qui, aux 
yeux de tout bon Espagnol, est le plus odieux de tous les 
crimes (1). Le roi sanctifiait tout ce qu'il touchait. Nul ne 
pouvait monter le cheval qu'avait monté le roi (2). Nul ne 
pouvait épouser la maîtresse que le roi avait abandon- 
née (3), Cheval ou maîtresse était également sacré et c'était 
faire acte d'impiété, pour tout sujet, que d'oser loucher à ce 
qui avait eu l'honneur d'approcher de l'oint du seigneur. De 
semblables règles ne s'appliquaient pas aux princes régnants 



(1) C'est ainsi que Montai van , poète et dramaturge eminent, né en 1602, « avoided, we 
are told,representing rébellion on the stage, lest ne should seem to encourage it. » Ticknor, 
Hist. of Spanish Lileralure, t. Il, pag. 283. Pareil esprit se déploie dans les pièces de 
Calderon et de Lope de Vega. Sur la t loyauté castillane, » démontrée dans une des comé- 
dies de Calderon, voyez Hallam, Liter. of Europe* * édit. Lond., 1843, t. III, pag. 63, et, 
quant à Lope, voyez Lewes, On the Spanish Drama, pag. 78. 

(2) « His Majesty's horses could never be used by an y other person. One day, vrhile 
Philip IV -was going in procession to the church of Our Lady of Atocha , the Duke of 
Médina de las Torres offerod to présent him vrith a beautiful steed which belonged to him, 
and which was accounted the finest in Madrid; butjlhe King declined the gift,because he 
should regret to render so noble an animal ever after useless. > Dnnlop, Memoirs, t. II, 
pag. 372. Madame d'Aulnoy, qui voyageait en Espagne en 1679 et qui par sa position puisait 
ses informations aux meilleures sources, fut informée de ce genre d'étiquette, t L'on m'a 
dit que, lorsque le roy s'est servy d'un cheval, personne par respeet ne le monte jamais. » 
D'Aulnoy, Relation du voyage d'Espagne. Lyon , 1693, t. U , pag. 40. Au milieu du dix- 
huitième siècle, je trouve encore signalée cette coutume de fidélité qui sans doute est encore 
de tradition dans les écuries d'Espagne. «If the king has once honoured a pad so much as 
to cross his back, it is never to be used again by an y body else. » A Tour throughSpain, 
by Udul ap Rhys, 2' édit. Lond., 1760, pag. 15. 

(3) Madame d'Aulnoy, qui était très curieuse en ces matières, dit (Relation du voyage 
d'Espagne, t. II, pag. 411 ) : t II y a une autre étiquette, c'est qu'après que le roi a eu une 
maîtresse, s'il vient à la quitter, il faut qu'elle se fasse religieuse, comme je vous l'ai déjà 
écrit, et Ton m'a conté que le feu roi, s'estant amoureux d'une dame du palais, il fut un soir 
fraper doucement à la porte de sa chambre. Comme elle comprit que c'estoit lui, elle ne 
voulut pas lui ouvrir, et elle se contenta de lui dire au travers de la porte : Baya, baya* 
con Dios, no quiero ser monja, c'est à dire : t Allez, allez, Dieu vous conduise, je n*ai 
pas envie d'estre religieuse. > C'est ainsi que Henri IV de Castille, qui monta sur le trône 
en 1454, fit de l'une de ses maîtresses une « abbess of a convent in Toledo. » Dans ce cas 
particulier il avait d'abord, an grand scandale de tous, chassé « her predecessor, a lad; 
of noble rank and irreproachable character. » Prescoil, Ferdinatui and Jsabella , 1. 1» 
pag. 68. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 3!) 

seuls; au contraire, elles leur survivait, et par une sorte de 
vertu posthume, il était défendu à la femme du roi de se 
remarier après sa mort. Elle avait été choisie par le roi ; 
dès lors elle était élevée au dessus du reste des mortels; 
elle ne pouvait moins faire que de se retirer dans un cou- 
vent, où elle avait le reste de sa vie pour pleurer la perte 
irréparable de son seigneur et maitre. La coutume donnait 
force de lois à ces usages (1). Ils avaient leur sanction dans 
la volonté du peuple et n'étaient que l'expression de la haute 
fidélité de la nation espagnole. Leurs écrivains l'exaltent, et 
avec raison, car certes elle n'avait nulle part sa pareille et 
rien ne semblait assez fort pour l'ébranler. Les mauvais rois 
comme les bons rois la retrouvaient également loyale ; elle 
fut dans toute sa force, toute sa grandeur avec la gloire 
de l'Espagne au seizième siècle ; elle fut remarquable dans le 
déclin de la nation au dix-septième siècle et elle a survécu 
aux guerres civiles du dix-huitième (2). Ce sentiment est 

(1) II y a cependant une vieille loi très remarquable sons la forme d'an canon publié par 
le troisième concile de Sarragosse, qui porte que les veuves royales « seront obligées à 
prendre l'habit de religieuses et à s'enfermer dans un monastère pour le reste de leur vie. » 
Flenry, Hist. ecclésiastique, t. IX, pag. i04. En 1065, Ferdinand I* r mourut, et, dit le 
biographe de la reine d'Espagne, « la Reyna sobreviviô : y parece que muerto su marido, 
entrô en algun monasterio : lo que expressamos no tanto por la costumbreantigua qnanto 
por constar en la memoria referida de la Iglesia de Léon el dictado de c consegrada â Dios, » 
frase que dénota estado religioso. > Florez, Memorias de las Reynas Catholicas. 
Madrid, 1761, in-4*, 1. 1, pag. 148. En 1667, il fut établi en principe que « les reines d'Espagne 
s'en sortent point. > Le couvent de las Seiioras descalças reaies est fondé afin que a les 
reines veuves s'y enferment. » Discours du comte de Castrilla à la reine d'Espagne, 
dans Mignet, Négociations relatives à la succession d'Espagne, t. II, pag. 604. Paris, 
4835, in-4*. Cet estimable ouvrage se compose pour la plus partie de documents inédits 
jusque-là, tirés des archives de Simanca. Ils eussent été plus utiles aux historiens critiques 
si on avait donné le texte espagnol original. 

(2) Voyez quelques bonnes observations sur San Felipe dans Ticknor, Hist. of Spanisfi 
lilerature, t. III, pag. 213,214, dont on peut facilement corroborer le témoignage. Exemple : 
Lafuente, en l'année 1710, dit : « Ni el abandono de la Francia, ni la prolongacion y los 
azares de la guerra, ni los sacrificios pecuniarios y personales de tantos anos, nada bastada 
a entibiar el amor de los Castellanps à su rey Felipe V. » Hist. de Espana, t. VIII, pag. 258. 
Et Berwick (Mémoires, t. II, pag. 114, édit. Paris, 1778) ? t La fidélité inouïe des Espa- 



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40 HISTOIRE 

si bien entré dans les traditions du pays, qu'après avoir été 
une passion, il est presque devenu un article de foi natio- 
nale. Clarendon, dans son histoire de la grande insurrec- 
tion anglaise qui, il le sait bien, ne pouvait jamais trouver 
son égale en Espagne, fait à ce sujet une observation aussi 
pertinente qu'elle est juste. Il dit que le manque de respect 
envers le roi est aux yeux des Espagnols « un crime mons- 
trueux » parce que « une humble vénération pour leurs 
princes constitue une partie vitale de leur religion (1). » 

C'était donc là les deux grands éléments dont le caractère 
espagnol était formé. Fidélité et superstition; révérence 
pour le roi et révérence pour le clergé, tels étaient les grands 
principes qui influençaient l'esprit espagnol, et gouvernaient 
la marche de l'histoire espagnole. Les circonstances parti- 
culières et sans exemple qui avaient donné naissance à ces 
principes viennent d'être indiquées, et, connaissant leur 



gnols, » et neuf années plus tôt nne lettre de Lonville à Torcy : « Le mot révolte, pris dans 
une acception rigoureuse, n'a pas de sens en Espagne. » Lonville , Mèm. sur l'établisse- 
ment de la maison de Bourgogne en Espagne, édit. Paris, 1818, 1. 1, pag. 128. Voyez 
aussi Mèm. de Ripperda. Lond., 1740, pag. 58, et Mèm. de Grammont, t. H, pag. 77, édit. 
Petitot. Paris, 1827. Tous ces passages prouvent la loyauté espagnole au dix-huitième siècle, 
excepté en ce qui concerne Grammont, qui se rapporte au dix-septième siècle, et qu'il est 
bon de comparer avec les observations de madame d'Àulnoy, qui écrit de Madrid en 1679 : 
< Quelques richesses qu'ayent les grands seigneurs, quelque grande que soit leur fierté on 
leur présomption, ils obéissent aux moindres ordres du roy avec une exactitude et un respect 
que Ton ne peut assez louer. Sur le premier ordre ils partent, ils reviennent, ils vont en 
prison ou en exil sans se plaindre. Il ne se peut trouver une soumission et une obéissance 
plus parfaite, ni un amour plus sincère, que celui des Espagnols pour leur roi. Ce nom leur 
est sacré, et, pour réduire le peuple à tout ce que Ton souhaite, il suffit de dire t le roi le 
veut. • D'Aulnoy, Voyage, t. II, pag. 256, 257. 

(1) • And Olivarez had been heard to censure very severely the duke's (Buckingham's) 
familiarity and want of respect towards the prince, a crime monstrous to the Spa- 
niard. » t Their submiss révérence to their princes being a vital part of their reli- 
gion. » Clarendon, Hist. ofthe Rébellion, édit. Oxford, 1843, pag. 15. Quant à la religion 
de la fidélité au roi à une période plus reculée , voyez Florez , Reynas Catholicas, 1. 1, 
pag. 421 ? « La persona del Rey fue mirada de susfieles vassallos con respeto tan sagrado ; » 
que la résistance était « una especie de sacrilegio. » 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 41 

origine, il nous reste à tracer leurs conséquences. L'examen 
des résultats sera d'autant plus important, que non seulement 
ces sentiments n'ont été nulle part en Europe aussi forts, 
aussi permanents, aussi purs, mais aussi que l'Espagne étant 
située à la pointe extrême du continent, dont elle est séparée 
parles Pyrénées, s'est trouvée, par suite de causes physiques 
et morales, rarement en contact avec les autres nations (1). 
Le cours des choses n'étant pas, par conséquent, dérangé 
par les coutumes étrangères, il est plus facile de découvrir 
les conséquences simples et naturelles de la superstition et 
de la fidélité, deux des sentiments les plus puissants et les 
plus désintéressés qui puissent trouver place dans le cœur 
humain , et dont l'action réunie nous met sur la trace des 
principaux événements de l'histoire de l'Espagne. 

Les résultats de cette combinaison furent, pendant une 
longue période, ostensiblement avantageux, et certainement 
magnifiques. En effet, l'Église et la couronne faisant cause 
commune, et étant encouragées par l'appui cordial du peuple, 
se dévouèrent entièrement à leurs entreprises, et déployèrent 
une ardeur qui devait en assurer le succès. Les chrétiens, 
avançant peu à peu du nord de l'Espagne, gagnant du ter- 
rain pas à pas, poussèrent en avant jusqu'à ce qu'ils fussent 
parvenus à la frontière méridionale, subjuguèrent compléte- 

(1) On considérait ces obstacles comme presque in?incibles. Fontenay Mareuil,qui visitai 
l'Espagne en 1612 et qui était très fier de ce voyage, dit : « Au reste, parce qu'on ne va pas . 
anssy ordinairement en Espagne qu'en France, en Italie et ailleurs, et qu'estant comme en 
un coin et séparée du reste du monde par la mer ou par les Pyrénées, on n'en a, ce me semble» 
guère de connoissanc9 , j'ay pensé que je devois faire icy une petite digression pour dire* 
ce que j'en ay appris dans ce voyage et despuis. » Mém. de Fontenay Mareuil, dans la 
Collection des mémoires par Petitot, t. L, p. 169, 1" série. Paris, 1826. Soixante et dix 
ans plus tard, un autre écrivain disait des Pyrénées : « Ces montagnes sont à nos voyageurs 
modernes ce qu'étoit aux anciens mariniers le Non plus ultra et les colomnes du grand 
Hercule. > L* Estât de l'Espagne. Genève, 1681, Epistre, pag. h. Cet ouvrage peu connu 
iorme le troisième volume du Prudent voyageur. 



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45 HISTOIRE 

ment les mahométans, et réunirent le pays tout entier sous 
un seul gouvernement et sous une seule croyance. Ce grand 
résultat fut accompli vers la tin du quinzième siècle, et il 
jeta sur le nom espagnol un lustre extraordinaire (1). Long- 
temps occupée de ses propres guerres religieuses, l'Espagne 
avait jusqu'alors fort peu attiré l'attention des puissances 
étrangères, et n'avait en elle-même que peu de loisir pour 
s'occuper des autres pays. Mais à cette époque, formant une 
monarchie compacte et indivise, elle prit tout à coup une 
position importante dans les affaires de l'Europe (2). Pendant 
le siècle suivant, sa puissance fit des progrès si rapides, qu'on 
n'en trouve aucun exemple dans le monde depuis les jours 
de l'empire romain. Jusqu'en 1478, l'Espagne fut divisée en 
États indépendants et souvent hostiles; la Grenade apparte- 
nait aux mahométans; le trône de Castille éiait occupé par 
un prince, et le trône d'Aragon par un autre. Mais avant 
l'an 1590, non seulement ces fragments se trouvèrent fer- 
mement consolidés en un seul royaume, mais de nouvelles 
conquêtes se succédèrent assez rapidement pour mettre en 
danger l'indépendance de l'Europe. L'histoire de l'Espagne, 
pendant cette période, est l'histoire d'une prospérité non 
interrompue. Cette nation, récemment ravagée par les 



(i) < Cod razon se mirô la cooqmsta de Granada, no como nn aconiecimiento pu rame n te 
Espanol , sino como un suceso que interesaba al mundo. Con razon tambien se regocijô 
toda la cristiandad. Hacia medio siglo que otros ma^ometanos se habian apoderado de 
Constantinopla ; la caida de la capital y del imperio bizaniino en poder de los Turcos habia 
llenado de terror à la Europa; pero la Europa se consolé al saber que en Espana habia 
concluido la dominacion de los musulmanes. » Lafuente Hist. de Espafla, t. XI» pag. 15. 

(2) • L'Espagne, longtemps partagée en plusieurs États et comme étrangère au reste de 
l'Europe, devint tout à coup une puissance redoutable, faisant pencher pour elle la balance 
de la politique. • Koch, Tableau des révolutions de l'Europe. Paris, 1823, 1. 1, pag. 362. 
Au sujet du rapport entre ceci et certains changements dans la littérature qui y correspon- 
dent, voyez Boutenrek, Hist. ofSpanish Literature, 1. 1, pag. 148-152, où se trouvent 
quelques spéculations assez ingénieuses, mais difficiles à soutenir. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 43 

guerres civiles, et divisée par des croyances hostiles, parvint 
en trois générations à amener à son territoire le Portugal, 
la Navarre, et le Roussi lion. Soit par diplomatie, soit par la 
force des armes, elle obtint l'Artois, la Franche-Comté , 
les Pays-Bas, ainsi que le Milanais, Naples, la Sicile, la 
Sardaigne, les îles Baléares et les îles Canaries. Un de ces 
rois fut empereur d'Allemagne ; et son fils influença les con- 
seils de l'Angleterre dont il épousa la reine. La puissance 
turque, alors une des plus formidables du monde, fut brisée 
«t refoulée. La monarchie française fut humiliée, les armées 
françaises constamment battues, Paris se trouva une fois en 
danger imminent; et un roi de France, après avoir été 
vaincu dans une campagne décisive, fut fait prisonnier et 
conduit à Madrid. Les hauts faits de l'Espagne furent aussi 
remarquables en dehors de l'Europe. En Amérique, les 
Espagnols devinrent possesseurs de territoires qui couvraient 
soixante degrés de latitude, et comprenaient les deux tropi- 
ques. Outre le Mexique, l'Amérique centrale, Venezuela, la 
nouvelle Grenade, le Pérou, et Chili , ils firent la conquête 
de Cuba, de saint Domingue, de la Jamaïque, et d'autres 
îles. En Afrique, ils s'emparèrent deCeuta, deMélilla, d'oran, 
de Bougie, de Tunis, et portèrent la terreur sur toute la côte 
de Barbarie. En Asie, ils eurent des établissements des deux 
côtés du Dékhan, prirent possession d'une partie de Malacca, 
et s'établirent dans les Moluques. Enfin, par la conquête du 
noble archipel des Philippines, ils réunirent leurs posses- 
sions les plus éloignées et établirent une communication 
entre tous les parties de cet empire énorme qui faisait le 
tour du monde. 

Il s'éleva alors en Espagne un esprit militaire tel qui ne 
s'était jamais montré dans aucune autre nation. Toute 



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U HISTOIRE 

l'intelligence du pays qui n'était pas employée au service de 
l'Église se dévoua à la carrière des armes. En réalité, ces 
deux professions étaient souvent réunies; et on dit que les 
ecclésiastiques continuèrent en Espagne à combattre comme 
soldats longtemps après que cette coutume eut été aban- 
donnée dans le reste de l'Europe (1). En tout cas, la ten- 
dance générale est évidente. La liste des batailles et des 
sièges dans lesquels les Espagnols furent vainqueurs au 
seizième siècle et dans une partie du quinzième serait assez 
pour prouver leur vaste supériorité militaire sur leurs con- 
temporains, et montrerait quel génie ils avaient déployé 
dans le perfectionnement des arts de destruction. On pour- 
rait en trouver une autre preuve dans ce fait singulier que 
depuis l'époque de la Grèce ancienne, aucune contrée n'a 
produit autant de littérateurs éminents qui aient été en 
même temps soldats. Caldéron, Cervantes et Lope de Vega 
risquèrent leur vie en combattant pour leur pays. Un grand 
nombre d'auteurs célèbres adoptèrent également la profes- 
sion militaire, ettm peut citer parmi eux,Argote deMolina, 
Àcuna, Bernai, Diaz del Castillo, Boscan, Carrillo, Cetina, 
Ercilla, Espinel, Hurtado de Mendoza, Marmol Garvajal, 
Perez de Gusman , Pulgar, Rebolledo , Roxas et quel- 
ques autres ; qui tous rendirent ainsi, sans le savoir, 
témoignage à l'esprit qui régnait universellement en 
Espagne. 

Nous avons donc ici une combinaison qui plaira à un 
grand nombre de lecteurs, et qui, à l'époque où elle avait 



(i) « The holy war with the infidels (Mahométans), perpetuated Ihe vobecoming spec- 
tacle of militant ecclesiastics among the Spaniards , to a still later period, and long after 
it had disappeared from the rest of civiliied Europe. » Prescott, Hist. of Ferdinand and 
i*aoeU<vM,pag.l61 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. *5 

lieu, excita l'admiration, si ce n'est même la terreur, de 
l'Europe. Nous avons un grand peuple brûlant d'ardeur 
militaire, patriotique, et religieuse, dont le zèle ardent se 
trouvait augmenté, plutôt qu'adouci, par une obéissance 
respectueuse envers le clergé, et par un dévoûment chevale- 
resque à son roi. L'énergie de l'Espagne, étant ainsi excitée 
et contrôlée en même temps, devint prudente autant que 
vive; et c'est à cette rare union de qualités opposées que 
nous devons attribuer les grands succès que nous venons 
d'énumérer. Mais ce qu'il y a de malsain dans un progrès de 
ce genre, c'est qu'il dépend beaucoup trop des individus, et 
ne peut par conséquent être permanent. Un pareil mouve- 
ment ne peut durer qu'autant qu'il est dirigé par des hommes 
capables. Mais du moment que les chefs compétents ont 
pour successeurs des hommes incapables, le système tombe 
immédiatement, parce que le peuple qui a été accoutumé à 
fournir à chaque entreprise le zèle nécessaire, n'a pas été 
habitué à déployer l'habileté qui doit guider son zèle. Dans 
une condition pareille, un pays gouverné par des princes 
héréditaires doit nécessairement tomber dans la décadence ; 
car il est évident que dans le cours ordinaire des choses, 
des rois incapables doivent se rencontrer quelquefois. La 
décadence commence aussitôt que cette circonstance se 
présente ; car le peuple, habitué à ne pas raisonner sa fidé- 
lité, se laisse conduire partout où l'on veut, et donne à des 
conseils nuisibles la même obéissance qu'il donnait avant 
à des conseils pleins de sagesse. Ceci nous amène à corn* 
prendre la différence essentielle qui existe entre la civilisa* 
tion de l'Espagne et la civilisation de l'Angleterre. Les 
Anglais sont un peuple disposé à la censure, difficile à 
satisfaire, susceptible, se plaignant sans cesse de- ses gou- 



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46 HISTOIRE 

vernants, soupçonnant leurs idées, discutant leurs mesures 
avec un esprit d'hostilité, accordant très peu de pouvoir à 
l'Église ou à la couronne, dirigeant ses propres affaires à sa 
manière, et prêt, à la moindre provocation, à renier cette 
fidélité de convention, qui est sur ses lèvres sans jamais 
pénétrer dans son cœur, et n'est qu'une habitude restant à 
la surface, et non une passion enracinée dans l'esprit. La 
fidélité des Anglais n'est pas une fidélité qui leur ferait 
sacrifier leurs libertés pour plaire à leur roi, et ils ne per- 
dent jamais le vif sentiment de leurs propres intérêts. Il en 
résulte qu'en Angleterre le progrès ne s'arrête pas, que les 
rois soient bons ou mauvais. De toute façon, le grand mou- 
vement suit sa marche progressive. Les rois d'Angleterre 
ont eu leur bonne part d'imbécillité et de crimes. Et pour- 
tant, des hommes même comme Henri III et Charles II ont 
été incapables de nuire à leurs pays. Anne et les deux 
premiers Georges étaient dune ignorance grossière; leur 
éducation était misérable, et la nature leur avait donné la 
faiblesse et l'obstination. 

Leurs règnes réunis durèrent près de soixante ans ; et 
après eux, pendant une autre période de soixante années, 
le pays fut gouverné par un prince que la maladie rendit 
pendant longtemps incapable, et on peut dire en toute 
vérité que les époques où cette incapacité se fit le plus 
sentir, furent les périodes les moins funestes de son règne. 
Ce n'est pas ici le moment de censurer les principes 
monstrueux soutenus par Georges III; les écrivains con- 
temporains hésitent souvent à rendre un jugement; la 
postérité se charge de cette tâche; mais il est évident que 
ni son intelligence étroite, ni sa nature despotique, ni sa 
misérable superstition, ni la bassesse incroyable de l'ignoble 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 47 

épicurien qui lui succéda sur le trône, n'ont pu arrêter la 
marche de la civilisation anglaise ou refouler le mouve- 
ment de la prospérité de l'Angleterre. Le peuple marcha 
en avant, sans s'occuper de ses misères. La folie de ses 
rois ne pouvait le faire dévier de sa route, parce qu'il savait 
bien que sa destinée était dans ses propres mains, et qu'il 
possédait en lui-même ces ressources et cette fertilité de 
combinaison qui seules peuvent rendre l'homme grand, 
heureux et sage. 

Mais en Espagne, du moment que le gouvernement fai- 
blit, la nation tomba en ruines (1). Pendant toute la pé- 
riode de prospérité dont nous venons de parler, le trône 
espagnol avait été occupé sans exception par des princes 
capables et intelligents. Ferdinand et Isabelle, Charles Y et 



(1) Un éminent légiste espagnol a fait quelques remarques qui méritent d'être citées et 
qui contiennent un singulier mélange de vérité et d'erreur : «Comment la monarchie espa- 
gnole fut-elle déchue de tant de grandeur et de gloire? Comment perdit-elle les Pays-Bas 
«t le Portugal dans le dix-septième siècle, et s'y trouva t-elie réduite à n'être qu'un sque- 
lette de ce qu'elle avait été auparavant? Comment vit-elle disparaître plus d'une moitié 
de sa population? Comment, possédant les mines inépuisables du nooveau monde, les 
revenus de l'État n'étaient à peine que de six millions de ducats sous le règne de Phi- 
lippe III? Comment son agriculture et son industrie forent-elles ruinées, et comment 
presque tout son commerce passa-t-il dans les mains de ses plus grands ennemis? Ce n'est 
point ici le lieu d'examiner les véritables causes d'une métamorphose si triste ; il suffira 
d'indiquer que tous les grands empires contiennent en eux-mêmes le germe de leur 
dissolution, » etc. « D'ailleurs les successeurs de ces deux monarques (Charles V et Phi- 
lippe II) n'eurent point les mêmes talens, ni les ducs de Lerme et d'Olivarès, leurs minis- 
tres, ceux du cardinal Cisneros, et il est difficile de calculer l'influence de la bonne ou de 
la mauvaise direction des affaires sur la prospérité ou les malheurs des nations. Sous une 
même forme de gouvernement, quel qu'il puisse être , elles tombent ou se relèvent sui- 
vant la capacité des hommes qui les dirigent et d'après les circonstances où ils agissent. > 
Sempere, Hist. des Cortès. Bordeaux, 1815, pag. 365-267. Sur les deux passages qui sont 
donnés en italiques, le premier est une tentative maladroite pour expliquer des phénomènes 
compliqués par une métaphore qui évite la peine de généraliser leurs lois. L'autre passage, 
quoique parfaitement vrai en ce qui touche l'Espagne, se réfère à cette application géné- 
rale que M. Sempere croit possible, car en Angleterre comme aux États-Unis d'Amérique 
la prospérité nationale a progressé d'un pas ferme, même avec des gouvernants inca- 
pables. 



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4* HISTOIRE 

Philippe II forment une série de souverains sans parallèle, 
pour une période d'une même étendue» dans aucun autre 
pays. C'est par eux que furent accomplies les grandes choses; 
c'est grâce à eux que l'Espagne fleurit, du moins en appa- 
rence. Mais ce qui arriva quand ils eurent disparu de la 
scène du monde, prouva combien toute cette grandeur était 
artificielle et combien est carié ce système de gouvernement 
qui demande à être protégé avant de prospérer, et qui, 
ayant pour base la fidélité et le respect du peuple, fende* 
son succès non sur l'intelligence de la nation tout entière, 
mais sur l'habileté de ceux auxquels sont confiés les intérêts* 
de la nation. 

Philippe II, le dernier des grands rois de l'Espagne, mou- 
rut en 1598, et après sa mort la décadence fut d'une rapi- 
dité de mauvais augure (1). De 1598 à 1700, le trône fut 
occupé par Philippe III, Philippe IV et Charles II. Quel 
contraste frappant entre eux et leurs prédécesseurs! (2). 
Philippe III et Philippe IV étaient paresseux, ignorants, 
faibles de jugement, et passèrent leur vie au milieu des plai- 
sirs les plus bas et les plus sordides. Charles II, le dernier 
de cette dynastie autrichienne qui avait été si remarquable* 
avait, pour ainsi dire, tous les défauts qui peuvent rendre un. 

(1) « With Philip II ends the greatness of Ibe kiDgdom, which from that period declined 
▼ith fearftti rapidity. » Dunham, Hist. ofSpain, t. V, pag. 87. Et Ortiz (Compendia^ 
t. VII, Prologo, pag. 6) réunit dans la même catégorie < la muerte de Felipe II y prind* 
pîos de nuestra decadeocia. » Le même historien judicieux remarque dans on autre passage» 
(t. Vf, pag. 211) qne, si Philippe III avait été égal i son père , l'Espagne eût continué à 
prospérer. Plnsienrs écrivains espagnols modernes , en examinant les frais énormes occa- 
sionnés par la politique de Philippe II et les dettes qu'il contracta, ont pensé que la déca>- 
denee date des dernières années de son règne. Mais, en réalité, la prodigalité d'un gourer^ 
nement ne peut ruiner une nation. 

(2) t Àbstraido Felipe III en devociones, amante Felipe IV de regocijos, mortificade 
Carlos II per padecimieatos, cuidâronse poco ô nada de la gobernacion del Estado, y con- 
fiâronla & validos altaneros, codiciosos, iocapaces, y de muy fuoesta memoria. » Rio, Hist. 
del Reinado de Carlo UL Madrid, 1856, 1. 1, pag. 33. 



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DE LÀ CIVILISATION ENANGLETERRE. 49 

homme ridicule et méprisable. Il était tel de corps et d'es- 
prit, que dans un pays moins fidèle à ses rois, il eût été l'ob- 
jet de la dérision universelle. Quoiqu'il mourût à la force 
de l'âge, il avait l'air d'un homme courbé par l'âge et par la 
débauche. A trente-cinq ans, il était complètement chauve, 
il avait perdu ses sourcils, il était paralysé, épileptique et 
notoirement impuissant (1). Sa physionomie; semblable à 
celle d'un idiot, était positivement révoltante. Sa bouche 
était énorme et la mâchoire inférieure avançait d'une façon 
si hideuse, qu'il ne pouvait ni joindre les dents, ni mâcher 
ses aliments (2). Il serait impossible de croire à son igno- 
rance, si elle n'était attestée par des témoignages dignes de 
foi. Il ne connaissait ni les noms des villes importantes, ni 
même ceux des provinces de son royaume ; et pendant la 
guerre avec la France, il plaignit un jour l'Angleterre d'avoir 
.perdu des villes qui, en réalité, faisaient partie de son 



(1) t San» espérance de postérité. » Mi Ilot, Mém. de Noailles, 1. 1, pag. 419. • Incapaz 
de tener hijos. > Ortiz, Compendio, t. VI, pag. 560. Voyez anssi Mém. de LonviUe, 1. 1, 
pag. 82, et les allusions dans les Lettres de madame de VillarSj édit. Amsterdam, 1759, 
pag. 53, £40, 164. Elle était ambassadrice en Espagne sons Charles H. M. Lafoente qni, si je 
ne me trompe, ne cite jamais ces lettres intéressantes et qni, dn reste, ne s'est guère servi 
que de données espagnoles, se risque néanmoins à dire que t la circnnstancia de no haber 
tenido sncesion, falta qne en gênerai se achabaca mas al rey que à la reina, • etc. Hist. de 
Eipandj t. XVII, pag. 198, 199. Madrid, 1856. Selon le biographe des reines d'Espagne, 
quelques personnes attribuèrent cela à la sorcellerie : < Y ann se dijo si intervenia male- 
flcio. > Florez, Mem. de las Reynas Catholicas, t. II, pag. 973. Madrid, 1761, in-4\ 

(2) En 1696, Stanhope, le ministre anglais à Madrid, écrivait : « He has a menons 
stomach, and swallows ail he eats whole, for tiis nether jaw stands so mnch ont that his two 
rows of teeth cannot meet; to compensate which, he has a prodigious wide throat, so that 
a gizzard or liver of a hen passes down whole, and his weak stomach not being able to digest 
it, he voids it in the same manner. » Manon, Spain under Charles 11. Lond., 1840, 
pag. 79, nne curieuse collection de documents originaux complètement applicables à tous, 
les historiens espagnols qne j'ai lus. On trouvera une description de Charles II enfant dans 
Mignet, Négociations relatives à la succession d'Espagne. Paris, 18354842, in-4% 1. 1, 
pag. 294, 295, 310, 396, 404, 410 ; t. II, pag. 130 ; t. III, pag. 418, 419, 423. Voyez aussi t. IV, 
pag. 636. Au sujet de sa taciturnité, la seule marque de bon sens qu'il ait jamais donnée : 
« Le roi l'écouta et ne lui répondit rien. > 



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50 HISTOIRE 

propre territoire (1). Enfin il était plongé dans la superstition 
la plus avilissante ; il se croyait constamment tenté par le 
diable ; il se faisait exorciser comme étant possédé d'esprits 
mauvais; et il ne voulait se retirer dans sa chambre à cou- 
cher qu'avec son confesseur et deux moines qu'il faisait cou- 
cher près de lui toute la nuit (2). 

Il fut alors facile de voir que la grandeur de l'Espagne 
était bâtie sur le sable. Avec des souverains capables, le 
pays prospérait; avec des souverains imbécilles il tomba 
dans la décadence. Les misérables princes du dix-septième 
siècle détruisirent presque tout ce qui avait été fait par les 
grands rois du seizième. La chute de l'Espagne fut si ra- 
pide, que pendant les trois règnes qui suivirent la mort de 
Philippe II, la plus puissante monarchie du monde tomba 
jusqu'au dernier degré de l'abaissement, fut insultée impu- 
nément par les nations étrangères, fit banqueroute plus 
d'une fois, perdit ses plus belles possessions, devint un 
objet d'opprobre général, et servit de thème aux savants 
et aux moralistes pour disserter sur l'incertitude des 
choses humaines ; elle eut enfin cette cruelle humiliation de 
voir son territoire divisé par un traité auquel on ne lui per- 

(1) « Le roy demeurait dans une profonde ignorance et de ses affaires et même des États 
de sa couronne; à peine connoissoit-il quelles étoient les places qui loi appartenoient hors 

du continent d'Espagne. » « La perte de Barcelone lai fat plus sensible qu'aucune 

autre, parce que cette ville, capitale de la Catalogne et située dans le continent de l'Espagne, 
lui étoit plus connue que les villes de Flandre, dont il ignorait l'importance aa point de 
croire que Mons appartenoit au roi d'Angleterre, et de le plaindre lorsque le roi fit là 
conquête de cette province. » Mém. du marquis de Torcy, 1. 1, pag. 19, 23, édii. Petitot. 
Paris, 1828. 

(2) « Fancying everything that is said or done to be a temptation of the devil, and never 
thinking himself safe but with his confessor, and two friars by his side, whom he makes lie 
in his chamber every night. » Manon, Spain under Charles 11, pag. 102. C'est sans doute 
cette grande affection pour les moines qui fait dire à un historien espagnol que le roi avait 
«coraion pio y religioso. » Bacallar, Comentarios de la Guerra de Espancij 1. 1, pag. 20. 
Le meilleur compte rendu de l'exorcisme se trouve dans Lafuente, Hist. de Espana* 
t. XVII, pag. 294-309. Il y a un chapitre entier intitulé : Los Hechizos del Rey.\ 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. , 51 

mit pas de prendre part, et auquel il lui était impossible de 
s'opposer (1). L'Espagne vida alors jusqu'à la lie la coupe 
amère de sa propre honte. Sa gloire avait disparu, elle était 
humiliée. 

La maîtresse du monde, la reine de l'Océan, la terreur 
des nations, l'Espagne n'était plus ; son pouvoir était anéanti 
pour jamais. C'était à elle qu'on pouvait appliquer cette 
amère lamentation que le plus grand des fils de l'homme a 
placée sur les lèvres mourantes d'un homme d'État. Le pa- 
triote espagnol n'avait-il pas bien raison, dans sa douleur 
profonde, de pleurer le sort de son pays, de son royaume, 
de sa contrée si chère, si longtemps adorée pour sa réputa- 
tion dans le monde entier, et maintenant donnée à bail 
comme une propriété ou comme une métairie (2). Ce 

(1) • La foiblesse de l'Espagne ne permettait pas à son roi de se ressentir du traitement 
dont il croyoit à propos de se plaindre. » Mém. de Torcy, 1. 1, pag. 81. On» comme le dit 
amèrement un éminent écrivain espagnol , t las naciones estrangeras disponiendo de la 
monarqnia espanola como de bienes sin dueno. t Tapia, Civilizacion espailola, t. III, 

. pag. 167. 

(2) ■ This royal throne of kings, this scepter'd isle, 
This earth of Majesty, his seat of Mars, 

This other Eden, demi-paradise ; 

This fortress, bnilt by nature for herself 

Àgainst infection and the hand of war; 

This happy breed of men, this little world, 

This precions stone set in the silver sea, 

Which serves it in the office of a wall, 

Or as a moat défensive to a honse, 

Against the envy of less happier lands; 

This blessed plot, this earth, this realm, this England, 

This nurse, this teeming wornb of royal kings, 

Fear'd by their breed and famous by their birth, 

Renowned for their deeds as far from home, 

For Christian service and trne chivalry, 

As is the sepnlchre in stubborn Jewry 

Of the world's ransom, blessed Mary 's son : 

This land of such dear soûls, this dear, dear land, 

Dear for her réputation through the world, 

1s now leas'd out, I die pronunciog it, 

Like to a tenement or pelting far m. > 



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52 HISTOIRE 

serait une tâche fatigante et sans profit de raconter les pertes 
et les désastres de l'Espagne pendant le dix-septième siècle. 
Sans doute, la cause immédiate de cet état de choses fut un 
mauvais gouvernement et des rois incapables; mais la 
cause véritable et évidente qui détermina complètement le 
progrès de celte décadence, fut l'existence de cet esprit de 
fidélité et de révérence grâce auquel le peuple se soumit à ce 
qui eût été rejeté avec mépris dans tout autre pays, et qui, 
en l'habituant à avoir une confiance extrême dans quelques 
individus, réduisit la nation à cette position précaire dans 
laquelle une série de princes incapables devait nécessaire- 
ment renverser l'édifice élevé par leurs illustres prédé- 
cesseurs (1). 

L'influence croissante de l'Eglise espagnole fut la première 
et la plus remarquable conséquence de l'énergie décroissante 
du gouvernement espagnol. En effet, la fidélité et la super- 
stition étant les principaux éléments du caractère national, 
et ces deux éléments étant le résultat d'une révérence habi- 
tuelle, il était évident que, si la révérence n'était pas affai- 
blie, ce qu'on prenait à un élément serait donné à l'autre. 
Aussi, comme le gouvernement espagnol, pendant le dix- 
septième siècle, perdit, grâce à son extrême imbécillité une 
partie du pouvoir qu'il possédait sur les affections du 
peuple, il arriva naturellement que l'Église intervint, s'em- 



(1) < La théorie espagnole sur le gouvernement est parfaitement établie dans le passage 
suivant de Davila, Life of Philip 111. Ses remarques s'appliquent à Philippe II, «que solo 
ha via goberaado sin validos ni privados, tomando para si solo,como primera causa de sa 
gobierno, el mandar, prohibir, premiar, castigar, hacer mercedes, conocer sugetos, elegir 
Ministros, dar oficios, y tener como espiritu, que andaba sobre las aguas, ciencia y provï- 
dencia de todo, para que na la se hiciese sin su saber y querer; no serviendo los Ministros 
mas que de poner por obra (obedeciendo) lo que su Senor mandaba, velando sobre cada 
uno,como pastor de sus ovejas, para ver la verdad con que executan sus mandamientos j 
acuerdos. • Davila, Hist. de Felipe Tercero, lib. i, pag. 22, 23. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 53 

para de la place vacante, et reçut ce que la couronne avait 
perdu. En outre, la faiblesse du gouvernement exécutif 
encouragea les prétentions du clergé et l'enhardit à com- 
mettre des actes d'usurpation que les souverains espagnols 
du seizième siècle n'eussent jamais permis, en dépit de leur 
superstition (1). De là vient ce fait remarquable que, pen- 
dant que dans tous les autres pays de premier ordre, excepté 
TÉcosse, le pouvoir de l'Église diminua pendant le dix-sep- 
tième siècle, il augmenta réellement en Espagne. Les con- 
séquencesdece fait sont dignes de l'attention, non seulement 
des étudiants philosophiques de l'histoire, mais aussi de 
tous ceux qui ont à cœur la prospérité de leur patrie, 
ou qui prennent intérêt à l'administration pratique des 
affaires publiques. 

Pendant les vingt-trois années qui suivirent la mort de 
Philippe II, le trône fut occupé par Philippe III, prince 
aussi remarquable par sa faiblesse que ses prédécesseurs 
l'avaient été par leurs talents. Pendant plus d'un siècle, les 
Espagnols avaient été habitués à être entièrement gouvernés 
par des rois qui avaient surveillé avec une persévérance 
infatigable toutes les affaires les plus importantes et qui 
étaient toujours restés maîtres de leurs ministres. Mais 
Philippe III, dont la nonchalance arrivait presque à la stu- 
pidité, était incapable d'un travail pareil, et il abandonna le 
gouvernement à Lerma, qui conserva le pouvoir suprême 

(1) Philippe II lui-même conserva toujours on certain ascendant sur la hiérarchie ecclé- 
siastique, quoiqu'il fût complètement imbu des préjugés reHgieox. cWhile Philip vas 
thos willing to exalt the religions order, already far toe poverfal , he iras careful that it 
saould nevergain such a height as would enable itio o ver top the royal authority.» Prescott, 
Hiêt.ofPhiHp II, t. IN ,pa§- 338. t Pero este moaaroa Un afecto à la Inquisition mientras 
le sema para bus fines, saMa bien tener i raya al Santo Oftcio c«ando irtentaba invadir6 
usurpar las preemlnencias 4e la attorMad rèat, 6 atrogarstia pederdesmedido.» Lafuente> 
Hist. de Espaûa, t. XV, pag. il*. 

T. IV. 4 



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54 HISTOIRE 

pendant vingt ans (1). Chez on peuple aussi fidèle à son roi 
que le peuple espagnol , un procédé aussi extraordinaire ne 
pouvait manquer d'affaiblir le pouvoir exécutif; car, dans 
l'opinion du peuple, l'intervention immédiate et irrésistible 
du souverain était essentielle à l'administration des affaires, 
et au bien-être de la nation. Lerma, qui connaissait par- 
faitement ce sentiment, et qui savait que sa position était 
très précaire, désirait naturellement la raffermir de façon à 
ne pas être complètement dépendant de la faveur du roi. 
Dans ce but, il fit alliance avec le clergé, et depuis le com- 
mencement jusqu'à la fin de sa longue administration, il fit 
tout ce qu'il put pour augmenter l'autorité de ses alliés (2). 
L'influence que la couronne perdit revint ainsi au clergé, à 
l'opinion duquel on accorda une déférence plus grande 
encore que celle qui avait été accordée à l'Église par les 
princes superstitieux du seizième siècle. Dans cet arrange- 

(i) • Por coyo absolato poderio se executaba todo. » Yanez, Memoriaiparala Historia 
de Felipe III , Prologo, pag. 150. • An absoluteness in power over king and kingdom. » 
Lettre de sir Charles Cornwallis anx lords do conseil d'Angleterre, datée de Valladolid , 
31 mai 1605, dans Winwood, MemoriaU , t. II, pag. 73. Lond., 1725, in-fol. « Porqne no 
era fàcil imaginar entonces, ni por fortuna se ha repetido el ejemplo despnés, que hobiera 
on monarca tan prôdigo de autoridad, y al propio tiempo tan indolente, que por no tomarse 
siqoiera el trabajo de fîrmar los docnmentos de Estado, qoisiera dar 4 la firma de un vasalla 
suyo la misma autoridad que à la suya propia, y que advirtiera y ordenira, como ordenô 
Felipe 111 à todos sus consejos, tribunales, y sùbditos, que dieran à los despachos tirmados 
por el duque de Lerma el mismo cumplimiento y obediencia, y los ejecutàran y guar- 
diran con el mismo respeto que si fueran firmados por él. » Lafuente , Hist. de EspaAa, 
t. XV, pag. 449, 450. « El duque de Lerma, su valido, era el que gobernaba el reino solo. » 
T. XVII, pag. 332. Il resta au pouvoir de 1598 à 1618. Ortiz, Compendio, t. VI, 
pag. 290, 325. 

(2) Davila {Hist. de Felipe Tercero, lib. n, pag. M), après avoir fait l'éloge des qualités 
personnelles de Lerma , ajoute : « Y sin estas grandes partes tu?o demostraciones chrîs- 
tianas, manifestandolo en los conventos, iglesias, colegiatas, hospitales, ermitas y catedrai , 
que dejô fundadas, en que gastô, como me consta de los libros de su Contaduria, un millon 
ciento cincuenta y dos mil doscientos ochenta y très ducados. » Âpres une aussi monstrueuse 
prodigalité, Watson a parfaitement raison de dire que Lerma montra « the most devoted 
attachaient to the church,» et t conciliated the favour of ecclesiastics. » Watson, Hist. of 
Philip III. Lond., 1839, pag. 4, 8, 46, 224. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 55 

meut, les intérêts du peuple furent nécessairement laissés 
de côté. Son bien-être ne formait pas partie du plan géné- 
ral. Au contraire, le clergé, reconnaissant vis-à-vis d'un gou- 
vernement qui appréciait si hautement son mérite et qui 
avait des dispositions si religieuses, lui donna le bénéfice 
de toute son influence ; et le joug d'un double despotisme 
fut rivé plus solidement que jamais sur le cou de cette mal- 
heureuse nation, qui allait recueillir le fruit amer d'une sou- 
mission constante et ignominieuse (1). 

Nous avons toutes les preuves possibles relativement à 
l'augmentation de la puissance de l'Église espagnole pendant 
le dix-septième siècle. Les couvents et les églises se multi- 
plièrent avec une rapidité si alarmante, et leurs richesses 
devinrent si prodigieuses, que les Cortès elles-mêmes, en 
dépit de leur abaissement, risquèrent une remontrance 
publique. En 1626, cinq ans seulement après la mort de 
Philippe III, elles demandèrent qu'on prit quelque mesure 
pour arrêter les empiétements de l'Église. Dans ce docu- 

(1) Philippe UI ne déploya jamais la moindre énergie, excepté pour seconder las efforts 
de son ministère ponr accroître l'influence de l'Église ; anssi l'historien espagnol dit-il qu'il 
était le « monarque le pins pienx parmi tons cenx qui ont occupé le trône d'Espagne depuis 
saint Ferdinand. » Sempere, Monarchie espagnole, 1. 1, pag. 245. « El principal cnidado 
de nnestro Rey era tener à Dios por amigo, grangear y beneficiar su gracia, para que le 
asistiese propicio en qnanto obrase y dixese. De aqui tuvieron principio tantos dones ofre- 
cidos à Dios, tan ta fundacion de Conventos, y favores hechos à Iglesias y Relîgiones. > 
Davila, Hist . de Felipe Tercero, lib. h, pag. 170. Sa femme, Marguerite, avait une égale 
activité. Voyez Florez, Reynas Catholicas, t. H, pag. 915, 916. « Demas de los frutos que 
diô para el Cielo y para la tierra nuestra Reyna, tuvo otros de ambas lineas en fundaciones 
de templos y obras de piedad para bien del.Reyno y de la Iglesia. En Valladolid fundô el 
Convento de las Franciscas descalzas. En Madrid trasladô à las Agustinas Recoletas de 
Santa lsabel desde la cal le del Principe al sitio en que hoy estan. Protegiô con sus limosnas 
la fundacion de la Iglesia de Carmelitas descalzas de Santa Ana ; y empezô à fnndar el Real 
Convento de las Agustinas Recoletas con titnlo de la Encarnacion en este misma Corte , 
cnya primera piedra se pnso à 10 de Junio del 1611. En la parroqnia de S. Gil jnnto a 
Palacio introdnjô los Religiosos Franciscos, cayo Convento persévéra hoy con la misma 
advocacion. » Nons verrons bientôt dans quelle condition se trouvait le pays pendant qne 
tout cela se passait. 



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56 MSTOUE 

ment fort remarquable, les Cortès, assemblées à Madrid, 
déclarèrent qu'il ne se passait pas un jour sans qse quelques 
laïques fussent dépouillés de leurs biens pour enrichir les 
ecclésiastiques; et que cet abus était arrivé à ma tel point, 
qu'il y avait alors en Espagne -plus de neuf mille monas- 
tères (1). Je crois que ce chiffre prodigieux n'a jamais été 
réfuté, et plusieurs antres circonstances semblent le corro- 
borer. DavUa, qui vivait sans le règne de Philippe (II, 
affirme qu'en 1623, les dominicains et ies franciscains 
étaient au nombre de ttent&denx raille (2). Les au4res*rdres 
ecclésiastiques augmentaient dans la même proportion. 
Avant la mort de Philippe III, il y avait plus 4e cent prêtres 
attachés à la seule cathédrale de Séville ; et dans de éiocèie 
de Séville il y avait quatorze orille chapelains. Le diooèae de 
Calahorra en comptait dix-huit mille (3), Cette épouvan- 



<A) La teneur de la pétition était : « Que te tmtasse «em ma* verts de poner limite * 
108 bienes, que se sacauan cada dia del braço seglar al eclesiastico, enflaqneciendo no tan 
sole el patrimonio real , mas el oomnn, poes siendp aqael libre de pechos, oontribueienec, 
y ganelas, alojamientos, haespedes, y otros graaameoes mayores, presidios, guerras, y 

soidados.* « Que las Religiones «ran mâchas, iat Mendicantas en «ces» ,7 «I 

Clero en grande maltitnd. Que ania en Eqpaoa 9,088 mona*teties, auo no -cootando los 4e 
Monjas.Qae yuan metiendo pocoi, poeo, con dotaoioaes, cefradiaSjCapeAlMMtH, o<on coopta*, 
a todo el Reyno en su poder. Qoe se atajaase tanto mal. Q«e Anniesse Jiamero en losfraylas, 
modération en los Conuenlos, y ann en lot Clerigos aeglares. » Ceapedas, MiH. de Dm, 
Felipe IV. Baroetona, 4634, in fol., lib. vii, cap. a, pag. 371, rev. 

(2) « fin este ano, qoe iba escribiendo esta Hûtoria,.traiian laaQrdenasdeSaataDemiage 
y S. Francisco en £spana, treinta y dos mil Religiosos* y tos Obtspados 4e GaUhorra f 
Pamplona veinte y qnatro mil clerigos : poes que tendran ias éemas JUligioaes, y los dema* 
Obispados? » Darila, Hist. de Felipe Tercero, lib. n ^nag. 315. Voyetoasai cbap. 10m, 
pag. «48, 348, et, an sujet de raagmentation des oeovents, veyei ¥aaes, Memmria* pans 
la Hitort* de Felipe III, j>ag. 240, 268, 3Û4, 9». 

(î) <€ The reign of Philip III , samamed from his piety the Geod, m» ftfae golden âge etf 
Caorchmen. Thoogh religions foundations mère aiready too ■mnwnms, «reat additions 
weramade ,to them ; and in those which alreaAy existed, mwjaltaanff«hanael8«meie eiecftaa. 
Thas, tfee dnke of Lerma fonnded seren masasteties and Iwe ceHefietechorohe*; Un», 
aleo, the diocèse of Calahorra ammbeced tfcOOOchapiaiK, Seidlle^.WO^Bowiiséleatry tin 
miasstem of religion srere mnltipiinA, wiU apptar stilt «orecl«aiiy#am»the mot <h*t the 
cathedral of Séville alooe had a hundred, when half-a-dozen wonld aaumedly bave 1 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 57 

table condition paraissait sans remède. Plus l'Église deve- 
nait riche, plus les laïques se sentaient encouragés à entrer 
dans les ordres; de sorte que les intérêts temporels étaient 
de jour en jour plus sacrifiés (1). En dépit de la manière 
soudaine dont il avait commencé, le mouvement progressait 
très régulièrement, et avec d'autant plus de facilité, qu'il 
avait été précédé par une longue série de circonstances» 
Depuis le cinquième siècle, le cours des événements avait 
manifesté une tendance continuelle de ce côté, et avait 
assuré au clergé ua empire qui n'eût été toléré dans aueua 
autre pays. Ainsi préparé, le peuple lui-même contempla 
en silence ce qu'il ne pouvait empêcher sans impiété; car, 
ainsi que le remarque un historien espagnol, on considérait 



sufficient for the public offices of dévotion. » Dnnham, Hist. ofSpain, t. V, pag. 274. D'après 
le passage de D&viia, cité dans la note précédente, il y avait 24,000 « cJerigœ » dans les 
deux diocèses de Caiahorra et de Pamplona. > 

fcL) « Boire tante, crecia por instantes y se aumentaba- prodigiesament* el podar y la 
autorîdad da la Jgieaia. Sus piogâas riqneaas desmembraban de unamanera considérable 
laarentas.de la corena; y el estado ecclesiâstico, que machos abmzaroa en un prinap» à 
conseenencia de las. desgracias y calamtdades de la época, foé despnes el mas solicitacfaa 
por las inmensas ventajaa qpe ofrecia sa condicion coaparada con la de las clases res- 
tantes. » Antequera*, Hist. de fa. Législation, pag. 223, 22*. Voye* aussi dans Camper 
maneaUpendictià ta Education. Madrid, 1775-1777, W I, pag. 465, et U IV, pag. 219) un 
compte rendu de l'université de Tolède en 1619 ou 1620 : « hay dobladosreligiososi.elefigae 
y estodiantes; porqae ya no> hallan oùra modo de vivir, ni de potier êustentart&. % 
Si M. Laluente avait connu ce passage et. ceux que je vais citer plus loin,, il eût, je croie, 
einrimé son opinion d'une manière plus ferme sur cette période dans sa brillante histoire 
d'Espagne. Relativement aux grandes richesses des convenu en 1679, lorsque le pays était 
dans une pauvreté abjecte, voyez une lettre datée de Madrid 25 juillet 1679 dans d'Aulney* 
Relation du voyage df Espagne. Lyon„1693, t. Il* pag. 251. Biais l'évidence la plus reculée 
que je connaisse se trouve dans une lettre écrite en 1609 au prince Henri d'Angleterre pat 
sir Charles Cornwellie, l'ambassadeur anglais, à Madrid. « The fumitnre oltheir chnrefaes 
kftie> and the riches and lustre of their sepnlchurea made in every monasterie ( the gênerai 
tovertye et fehis kingdomecoasidered), are almostineredible. The (aily of this nation roay 
say vwth Bavyde (though in another sensé) : « Zelus domus tu» comedil me; »► for, 
assuredtys the riches of the Itompesall hatbin a manne* ail fallen> into the mouthes: and 
dfivoroinfc Mirantes ofthe Spiritual. » Winwood, Mémorial* of A flairs, of State, t. Ut, 
pag. 20. Lond., 1725, in fol. 



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58 HISTOIRE 

comme une hérésie toute proposition qui tendait à diminuer 
les richesses énormes que possédait alors l'Église espa- 
gnole (1). 

Un autre fait très intéressant prouve combien cet état de 
choses semblait naturel. En règle générale, le dix-septième 
siècle fut remarquable en Europe par la naissance d'une 
littérature séculière qui laissa complètement de côté les 
théories ecclésiastiques; les écrivains les plus influents, tels 
que Bacon et Descartes, étant laïques, et les enoemis plutôt 
que les amis de l'Église, composèrent leurs ouvrages dans 
des vues purement temporelles. Mais l'Espagne ne profita 
nullement de ce revirement dans les idées (2). Dans ce 
pays, l'Église conserva son influence sur les esprits les plus 
élevés comme sur les intelligences les plus bornées. L'opi- 



(i) « Deux millions de ducats, que le clergé possédait sous le régne de Charles V, étaient 
réputés comme un revenu exorbitant, et an demi-siècle pins tard, lorsque ces revenus s'éle- 
vaient à huit millions, on qualifiait d'hérétique toute proposition tendante à opérer quelque 
modification dans leur accroissement. » Sempere, Monarchie espagnole, t. II, pag. 16. 

(2) Dans un ouvrage sur la littérature espagnole, qui a été publié il y a environ soixante 
et dix ans et qui fit alors beaucoup de bruit, cette singularité est franchement admise, 
mais elle est plutôt considérée comme un honneur pour l'Espagne, cette contrée ayant pro- 
duit, nous dit-on, des philosophes bien plus profonds que Bacon, Descartes et Newton, qui, 
tout capables qu'ils fussent, ne pouvaient se comparer aux grands penseurs de la péninsule. 
De pareilles assertions venant d'un homme vraiment capable et jusqu'à un certain point 
compétent, ont une grande importance pour l'histoire de l'opinion, et, comme ce livre est 
assez rare, j'en donnerai quelques extraits : « Confiesan los Franceses con ingennidad que 
Descartes fné un novelista ; y con todo eso quieren hacerle pasar por ei promotor de la 
filosofia en Europa, como si su filosofia se desemejase mucho de la que dominaba en las 
sectas de la antigfiedad. Su tratado « del Metodo » es nada en comparacion de los libros 
« de la Corruption de las artes > de Juan Luis Vives, que le antecediô buen numéro de an os. » 
Oracion Apologética por la Espafla y su mérito liierario por D. J. P. Forner. Madrid, 
1786, pag. xi. « No hemos tenido en los efectos un Cartesio, no un Neuton : démoslo de 
barato : pero hemos tenido justi simos legisladores y excelentes filôsofos pràcticos, que han 
preferidoel inefable gusto detrabajar en beneficio de la humanîdad à la ociosa ocnpacion 
de edificar mundos imaginarios en la soiedad y silencio de un gabinete. » pag. 11 1 Nada se 
disputaba en Espana. » Pag. 61. A la page 143, il compare Bacon à Vives, et conclut en 
disant (pag. 146) que Vives joignait « una gloriosa superioridad sobre todos lossabios de 
todos los siglos. ■ 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 59 

nion publique avait une telle force, que les auteurs tenaient 
tous à orgueil d'appartenir à la profession ecclésiastique, 
dont ils défendaient les intérêts avec un zèle digne des siècles 
de ténèbres. Cervantes devint un moine franciscain trois ans 
avant sa mort (1), Lope de Yega était prêtre; il était égale- 
ment membre de l'inquisition; et en 1623, il assista à un 
auto-dafé, dans lequel on brûla un hérétique devant une 
foule immense, en dehors de la porte d'Alcala à Madrid (2). 
Moreto, un des plus grands auteurs dramatiques de l'Espagne, 
porta le costume monastique pendant les douze dernières 
années de sa vie (3). Montalvan, dont les pièces sont encore 
connues, était prêtre et membre de l'inquisition (4), Tar- 
rega, Mira de Mescua, et Tirso de Molina, auteurs drama- 
tiques de talent, étaient tous les trois membres du clergé (5). 
Solis, le célèbre historien du Mexique, était également un 
ecclésiastique (6), Sandoval, que Philippe III nomma son 
historiographe, et qui est l'autorité la plus compétente pour 
le règne de Charles Y, était d'abord un moine bénédictin ; il 
devint ensuite évêque de Tuy, et fut plus tard élevé à l'évêché 

(i) Il ne fit profession qu'en 1616, mais il commença à porter le costume en 1613. 
■ Tal era su situation el sâbado santo 2 de april (1616) que por no poder salir de su 
casa hubieron de darle en ella la profesion de la vénérable ôrden tercera de San Francisco, 
cuyo hâbito habia tomado en Alcalà, el dia 2 de judio de 1613. » Navarre te, Vida de Cer- 
vantes, pag. en, préface à Don Quijote. Barcelona, 1839. Même en 1609, dit Navarrete 
(pag. lui), « se ha creido que entonces se incorporé tambien Cervantes, como lo bizo Lope 
de Vega, en la congrégation del oratorio del Caballero de Gracia, mien tr as que su muger y 
su bermana dona Andréa se dedicaban à semejantes ejercicios de piedad en la vénérable 
ôrden tercera de San Francisco, cuyo hâbito reeibieron en 8 de junio del mismo ano. > 

(2) Ticknor, Hist. ofSpanish Literature, t. II, pag. 125, 126, 437, 147, 148. 

(3) Idem, ibid., t. II, pag. 374; Biographie universelle, t. XXX, pag. 149, 190. 

(4) Ticknor, Hist. ofSpanish Literature, t. II, pag. 276,327. 

(5) Idem, ibid., t. Il, pag. 327. 

(6) Bouterwek, Hist. ofSpanish Literature, 1. 1, pag. 525. Hais la meilleure description 
est celle de son biographe qui nous assure de ces deux faits : qu'il reçut t todas las ôrdenes 
sagradas,* et qu'il était « devotfsimo de Maria santisima. » Vida de Solis, pag. 15, dans 
Solis, Hist. de la Conquista de Mejico, édit. Paris, 1844. 



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60 HISTOIRE 

de Pampelune(l). Davilaje biographe de Philippe III, était 
prêtre (2). Mariana appartenait à Tordre des jésuites (3) ; et 
Minana, le continuateur de l'histoire de Mariana, était su- 
périeur d'un couvent à Valence (4). Martin Carrillo était 
jurisconsulte en même temps qu'historien ; ce qui ne l'em- 
pêcha pas d'entrer dansles ordres et de devenir chanoine de 
Saragosse (5). Antonio, le plus savant bibliographe de l'Espa- 
gne, était chanoine de Séville (6). Gracian, dont les ouvrages 
en prose ont eu de nombreux lecteurs et qui était alors 
considéré comme un grand écrivain, était jésuite (7). La 
même tendance se manifestait parmi les poètes. Paravieino 
fut pendant seize ans le prédicateur favori à la cour de Phi- 
lippe III et de Philippe IV (8). Zamora était moine (9). 
Argensola était chanoine de Saragosse (10). Gongora était 
prêtre (il); et Rioja avait un poste élevé dans Tinquisi- 
tion(12). Calderon était chapelain de Philippe IY (15) ; et le 
fanatisme qui ternit son brillant génie était si violent, qu'il 



(i) Biographie universelle, t. XL, pag. 319. 

(9) « Sacerdote soy. > Davila, HisL de la Vida de Felipe Tercero, lib. 11, pa«. 915. 

(3) Biographie universelle, t. XXVII, pag. 48. 

(4) /MA, t. XIX, pag. 80. 

(5) /MA, t. VU, pag. 919. 

(6) /MA, t. H, pag. m 

(7) Ticknor, HisL ofSpanish Literature, t. III, pag. 177. 

(8) Idem, *MA, t. II, pag. 491 ; t. III, pag. 117, 118* 

(9) Sismondi, Literature of tàfi South of Europe, t. II, pag. 34a Lood., 184*. 

(10) « Père en fia murio Doa Andrée Marlinei, y anoediole en la Canongia nuestro Bar- 
tholome. » Pellicer, Ensayo de una Bibliotkeca. Madrid, 1778, n-4°, pag. 94. tfètait le 
jeune Argensola. 

(11) Ticknor, Hist. ofSpanish IAterature, t. II, pag. 48& 

(19) « Occopied a high place in the Inquisition. » Ticknor, 1. 11, pag. 507. « Prit les ordres 
et ofctiDt on canonkat. » Btog> universelle, t. XXXVIII, pag. 190. 

(13) En 1663, Philippe IV • le honré- eon otra Cappellania de hoaor ta sa real Gapill*. > 
Vida de Calderon, pag. iv, dans Las Comedias de Calderon, édit. Keii, Leipaig, 
1897. 



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DE LA CIVILISATION BN ANGLETERRE. 61 

tût appelé le poète de l'inquisition (1). Son amour pour 
l'Église était une passion, et il ne reculait devant rien pour 
avancer ses intérêts. En Espagne, de tels sentiments étaient 
naturels; mais ils paraissent si étranges aux autres nations, 
qu'un célèbre critique a déclaré qu'il était impossible de 
lire sans indignation les œuvres de Galderon (2). S'il en est 
ainsi, tons les auteurs espagnols de son temps méritent le 
même mépris. Il était presque impossible de trouver à cette 
époque un Espagnol qui ne partageât pas ces sentiments, 
YiHaviciosa lui-même, l'auteur d'un des meilleurs poèmes 
burlesques en langue espagnole, était non seulement membre 
de l'inquisition, Mais il enjoignit dans son testament à sa 
familie et k toua ses descendants de se vouer au service de 
cette* noble institution, n'importe dans quel poste ils pour- 
raient la servir, ajoutant que tout ce qui lui appartenait était 
digne de vénération («"). Dans une pareille condition sociale, 
tout ce qui se rattachait au* intérêts temporels ou scientà- 



(1) < Calderon is, in fact, the trne poet of the Inquisition. Animated by a religions 
faejèng, v*teb il too visible in ail hk pièce», hp. inspires me ooly *ith horrorfbr Uie faitii 
^Jtych be professes. » Sismondi, Literaùure of the Soutk of Europe, t. II, pag. 379. 
Comparez Lewes, On the Spanieh Drama, pag. 176-179. 

(2) $a4fi dit : *€aMerqn de la Barea exeike encore pins une sorte d'indifnation, matgvé 
son génie dramatique qui le mit an dessus de Vega, son prédécesseur. En lisant ses drames 
sans prévention , vous diriez qu'il a voulu faire servir son talent uniquement à confirmer 
toi IPtmttei leesuBQMtiUQB! If & plus ikUcnlesde sa nation* » Giogueaé, f/itf . littéraire 
de l'Italie, t. XU, pag. 499. Paris, 1834. 

(3) ». Bntrô enfei ano de 16» â ser Helator dei Consejo de la General Inquisition, 
onpoi «mptaû sjotîq y deeempeno eontodo bonor mncbos anos, » Et M déclara : « En esta 
clans d U de su Testament : « Y por qoanto yo y mis bermanos y toda nnestra familia nos 
nemoe sustentade, auterfeado y pueeto en estado- con las honras y mercede», que nos Ha 
hqcno ai sauta Qficio dû la Inquisition, à^quien, he»os servido como nuestros antepassados ; 
encargo afectuosissimamente â todos mis sucessores le sean para siempre los mas respe- 
tneses sertidoves y criados, viviendo en oonpackm de a» sanfeo servioio, procnrando ade- 
lantarse y senajarse en èi, quanto les fheje possible» en qnalquiera de sus ministerios ; pues 
todos son tan dignos de estimacion y veneracion. > La JHosquea, por ViUaviciosa, 
Irologo» paf t »u>édlU NaArid* 177. 



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62 HISTOIRE 

fiques était nécessairement impossible. Tout le monde 
croyait ; personne ne s'enquérait. Dans les classes élevées, 
chacun s'occupait d'art militaire ou de théologie, et un grand 
nombre s'adonnait aux deux professions. Les littérateurs se 
prêtaient volontiers au préjugé dominant. On traitait avec 
respect, même avec une vénération timide, tout ce qui tou- 
chait à l'Église. Des talents qui eussent été dignes d'une 
meilleure cause étaient consacrés & faire l'éloge de toutes les 
folies que la superstition inventait. Plus une coutume était 
cruelle et absurde, plus il se trouvait d'écrivains pour la 
défendre, sans qu'un seul osât l'attaquer. La quantité d'ou- 
vrages espagnols écrits pour prouver la nécessité des persé- 
cutions religieuses est incalculable; et ces livres étaient 
publiés dans un pays où il eût été impossible de trouver un 
individu sur mille ayant le moindre doute sur le droit 
qu'avait l'Église de brûler les hérétiques. Quant aux miracles, 
qui forment l'autre ressource importante des théologiens, ils 
étaient continuels au dix-septième siècle, et on ne manquait 
jamais de les enregistrer. Tous les hommes de lettres tenaient 
à honneur d'écrire sur ce sujet. Les saints étaient également 
en grande réputation; leurs biographies étaient innom- 
brables, et étaient écrites avec ce mépris de la vérité qui est 
généralement le caractère distinctif de ce genre de composi- 
tion. Tels étaient les topiques qui occupaient les esprits en 
Espagne. Les monastères, les couvents, les ordres religieux, 
et les cathédrales se partageaient l'attention publique, et les 
écrivains leur consacraient d'énormes in-folios, afin d'enre- 
gistrer et de laisser à la postérité tout ce qui se rapportait à 
ces questions intéressantes. Dans le fait, on a vu souvent un 
seul couvent ou une seule cathédrale avoir plusieurs histo- 
riens qui tous luttaient de zèle , et tenaient à honneur de 



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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 63 

jeter le plus grand lustre possible sur l'Église et de défendre 
les intérêts dont l'Église était la protectrice (1), 

Telle fut la prépondérance de la profession ecclésiastique 
et tels furent les hommages rendus aux intérêts ecclésias- 
tiques durant le dix-septième siècle (2). Les Espagnols 
firent tout ce qu'ils purent pour ajouter au pouvoir de 
l'Église dans ce siècle même où les autres nations se met- 
taient pour la première fois sérieusement à l'œuvre avec l'in- 
tention de l'affaiblir. Cette malheureuse particularité fut 
sans aucun doute le produit des événements précédents ; 
mais elle fut aussi la cause immédiate de la décadence de 
l'Espagne, car quoi qu'il ait pu arriver à des époques anté- 
rieures, il est certain que dans les temps modernes la pros- 
périté des nations dépend des principes auxquels le clergé 
tout entier doit invariablement être opposé. Sous Phi- 
lippe II, il acquit une force immense; et sous ce même 

(1) • Hardly a convent or a saint of any note in Spain, dnring the sixteenth and ser en- 
teenth centuries, failed of especial commémoration; and each of the religions orders and 
great eathedrals had at least one historian, and most of them several. The nnmber of books 
on Spanish ecclesiastical history, is therefore , one that may well be called enormons. » 
Ticknor, Hist. of Spanish Literature, t. III, pag. 132. Forner nous assnre asseï inutile- 
ment, ce dont personne n'a jamais douté, que « los estudios sagrados jamas decayeron en 
Espana. > Forner, Oraeion Apologética. Madrid, 1786, pag. 141. 

(î) En 1623, Howell écrit de Madrid : « Such is the révérence they bear to the cburch hère, 
and so holy a concert they hâve of ail ecclesiastics , that the greatest Don in Spain will 
tremble to offer the meanest of them any outrage or auront. » Howell, Letters, édit. Lond., 
1754, pag. 138. « The révérence they show to the holy function of the church is wonderfal ; 
princes and queens will not disdain to kiss a capucin's sleeve or the surplice of a 

priest « There are no such sceptics aod cavillers there, as in other places.! 

Pag. 496. En 1669, un autre écrivain dit : « En Espagne les religieux sont les maîtres , et 
remportent sur tout où ils se trouvent. » Voyes Faits en divers temps en Espagne. 
Amsterdam, 1700, pag. 35. Pour citer une autorité de plus, voyes le tableau que Ton fait de 
la société espagnole sous le règne de Philippe IV : « No habia familia coq quien no estu- 
vieron entroncados los frailes por amistad ô parentesco ; in casa que les cerrara sns puertas ; 
ni conversacion en que no se les cediera la palabra ; ni mesa en que no se les obligara & 
ocupar la primera silla, ni résolution grave entre ricos ô pobres que se adoptera sin su con- 
sejo ; y si no tomaban parte en ellas, las satisfacciones domésticas no eran cabales. ■ Rio, 
Hist. del Heinado Carlos 111, 1. 1, pag. 94. 



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64 HISTOIRE 

règne, il signala celle nouvelle ère de son pouvoir, en obte- 
nant, au moyen de circonstances d'une horrible barbarie, 
l'expulsion de toute la nation maure ; cet acte fut en lui-même 
si atroce (1) et si terrible dans ses conséquences, que quel* 
ques écrivains ont attribué à ce seul fait la ruine de l'Es- 
pagne; ils oublient que d'autres causes bien plus impor- 
tantes étaient en fermentation, et que ce crime coloesri ne 
pouvait jamais être perpétré que (feus un pays qui, étant 
habitué depuis longtemps à voir dans l'hérésie la plus hor- 
rible de toutes les offenses, était préparé pour pvrger la 
terre à tout prix, en même temps qu'il se délivrait lui méflK 
des hommes dont la seule présence était regardée çommt 
une insulte à la foi chrétienne. 

Après la réduction du dernier royaume mahométan en 
Espagne, bien avant dans te quinzième siècle, le grand bat 
que poursuivirent les Espagnols fut de convertir ceux qu'ils 
avaient conquis (2). Ils croyaient que l'existence future 
de tout ua peuple était en jeu» et voyant que les exhorta- 
tions de leur clergé étaient sans effet, ils eurent recours à 
d'autres moyens; ils persécutèrent les hommes qu'ils étaient 
incapables de convaincre. En brûlant les uns, torturant les 
autres, en les menaçant tous, ils réussirent enfia, et nous 
avons la certitude qu'après Tannée 1526 il n'y avait plus en 
Espagne de mahométan qui n'eût été converti au cbrisfia-» 



(1) Le cardinal Richelieu, qui n'était pa* très susceptible de pitié, l'appel* «le pia* 
hardi, le pins barbare conseil dont l'histoire de tons les siècles précédents fasse meatioa • 
SismencM, /Mal; des Français, t. XXII, pag. W3. Paris, *8». 

(î) « Porqne los Reyoe qnerienda, que en todo el Reine foeaen Christianea, emManen à 
Frai Francisco Ximeoez, que fue Arzobispe de Toleéo i Cardeaal, paraqne los persaadiese. 
Mas ello», génie dura, pertiaaa, nnewunente conquistada, eatofieron recies» » Meadosa, 
Guerrar de Granada que ftizo FeUpa II centra foa Af ortagoa. Valenoia, 1776, tarir, 
pag. 10. L'antear de ce lirre naquit dans les premières années du seisième siècle i Grenade 
où il Tècut pendant an long laps de temps. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 65 

ni&me {1). Un nombre infini fut baptisé de force; mais 
une fois baptisés, ils étaient censés appartenir k l'Église et 
ne relevaient plus que de sa discipline (2). Cette disci- 
pline, c'était l'inquisition qui l'administrait, et pendant le 
reste du seizième siècle, elle soumit ces nouveaux chrétiens 
ou Maures, comme on les appelait alors (3), au traite- 
ment le plus barbare. La sincérité de ces conversions for- 
cées était mise en doute; c'était donc l'affaire de l'Église de 
la mettre à l'épreuve (4). Te gouvernement civil lui venait 
en aide; ainsi, entre autres ordonnances, Philippe publia 
un édit en 1566, qui enjoignait aux Maures d'abandonner 
boutes choses pouvant leur rappeler en quoi que ce fût, leur 
première religion. Il leur était enjoint, sous des peines sé- 
vères, d'apprendre l'espagnol et de jeter tous leurs livres 

(t) L'année 1536 vit donc disparaître dans toutes les parties de l'Espagne les signes exté- 
rieurs 4e l'islamisme. » Gircourt, Hist. des Arabes d'Espagne. Paris, 4846, t. II, pag. 390. 
M. Laiuente (Ni*t. de iSspafkb, t. X, pag. 132) dit de 1503 que t desde en t onces, por pri- 
mera «vw al eabo de écho sêglos, no quedô tin solo habitante en Espana qne esteriormente 
diera cnlto à Mataoma. • Mais an t. XI, pag. 447, il dit qu'en Tannée 1534 < volvieron imme- 
dtaÇameute i sub ritos y ceremonias mustfmicas. » Comme M. de Circonrt connaissait par- 
faitement tous les matériaux dont s'est serti Lafuente, et que de plus il est bien mieux 
•fue ce dernier un écrivain critique, il y a toute probabilité que les assertions de M. Gircourt 
son* les plus exactes. 

(S) «Ces malheureux auraient été tous exterminés, s'ils n'avaient consenti à recevoir le 
baptême. A.» milieu des décombres de leurs maisons, sur les cadavres fumans de leurs 
femmes, ils .s'agenouillèrent. Les germaaos, ivres de sang, firent l'office de prêtres; l'un 
d'eux prit un .balai, aspergea la foule des musulmans, en prononçant les paroles sacra- 
mentelles, éteint avoir fait des chnétiens. 1,'armée des germanos se répandit ensuite dans 
le pays environnant, saccageant d'abord, baptisant après.» Gircourt, Hist. des A/robes 
d'Espagne, t. Il, pag. 175. Voyei aussi pag. 903. 

(3) C'était leur nom général, mais en Aragon on les appelait tomadizos, • en lenguaf* 
imuttaott. t Janer, Qmdwkm de ho$ àtarise&s de Espafta. Madrid, 1857, pag. 36. 

(4) iftecifeieron el Sacramento por eomodfdad, no de volnntad, y asi encubrian todo lo 
poesiMe el viuir y morir en lasecta de Ifahoma, siendo infieles apostatas.» Vanderhammea, 
FitipeSâgundo, pag. 13. • Porque la Inquisition las eomenxô a apretar mas de lo ordi- 
«ario. • Ifandwa, Gwerra ée Gmnada, pag. 90. « Poner nuevo cuidado i diligencia en 
deectbrtr le* «ttivos ëeatoe nombres. * Pag. 36. fit cependant ce même écrivain a l'irapa- 
.lEHoeiietiéetemer centre la religion mahométane fn'il appelle une religion cruelle. «Cruel 
i abominable religion aplacar à Dios con vida i sangre inocentei » Pag. 107, 108. 



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66 HISTOIRE 

arabes. H leur était défendu de lire dans leur langue na- 
tive, de l'écrire ou même de la parler dans leurs propres 
maisons. Leurs cérémonies, leurs jeux, tout était sévère- 
ment prohibé. Défense leur était faite de se livrer aux 
récréations qui avaient été celles de leurs pères; défense 
aussi de porter les mêmes vêtements. Leurs femmes devaient 
sortir sans voiles sur le visage; et comme se baigner était 
une coutume païenne, tous les bains publics devaient être 
détruits, comme aussi tous les bains dans les maisons pri- 
vées (1). 

Par ces mesures et d'autres semblables (2), ce malheu- 
reux peuple, réduit aux dernières extrémités, se révolta, et 
en 1568, il prit le parti désespéré de mesurer ses forces 



(i) Vanderhammen {Filipe Segundo, pag. 11 Madrid, 1632) nous dit seulement que 
« por cednla el ano sesenta y seis les mandé dexassen el habito, lengua y costumbres de 
Moros, y fuessen Christianos y lo pareciessen. » Mais ce qu'on avait prévu c'était « que 
dentro de très anos aprendiesen los Moriscos à hahlar la lengua castellana, y de alli ade 
lante ninguno pudiese hablar, leer ni escribir aràbigo en pnblico ni en secreto : que todos 
los contratos que se hiciesen en aràbigo faesen nnlos : que todos los libres asi escritos los 
llevasen en término de treinta dias al présidente de la andiencia de Granada para que 
los mandase examinai-, devolviendoseles aqnellos que no ofrecieran ioconveniente para 
que los pndiesen gnardar solo dorante los très anos : que no se hicieran de nuevo marlotas, 
almalafas, cal sas ni otra snerte de vestidos de los qae se nsaban en tiempos de moros; que 
dorante este tiempo,1as mojeres vestidas à la morisca llerarian la cara descnbierta; qae 
no nsasen de las ceremonias ni de los regocijos moros en las bodas, sino conforme al nso 
de la Santa Madré Iglesia, abriendo las puertas de sas casas en taies dias, y tambien en 
los de fiesta, no haciendo zambras ni leylas con instmmentos ni can tares moriscos, annqne 
no dijesen en ellos cosas contraria à la religion cristiana,» etc. Janer, Condicion de los 
Moriscos y pag. 31, 32, ou Ton trouvera d'antres détails que Pon devrait comparer avec 
Circourt, Hist. des Arabes d'Espagne, t. II, pag. 278,983,459463. 

(2) Quelques-unes des résolutions qui furent prises avant 1566 pour humilier les Maures 
sont énumérées dans Prescott, Hist. of Philip il, t. m, pag. 10, et ailleurs. Sous le règne 
de Charles V il y eut plusieurs actes de tyrannie locale qui échappent i l'historien général. 
Un de ces actes de la part d'un évéque espagnol mérite d'être cité : « On le vit pousser 
l'intolérance jusqu'à faire raser les femmes et les obliger à racler leurs ongles pour en faire 
disparaître les traces du henné, cosmétique inoftensif dont il abhorrait l'usage, en raison 
de ce que les Arabes l'avaient introduit. » Circourt, Hist. des Arabes d'Espagne, t. II, 
pag. 226. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 67 

contre toute la monarchie espagnole. Le résultat ne pou- 
vait guère être douteux ; mais les Maures, exaspérés par les 
souffrances et risquant le tout pour le tout, prolongèrent la 
lutte jusqu'en 1571, époque à laquelle l'insurrection fut en- 
fin maîtrisée (1). Cette lutte infructueuse avait diminué 
et leur nombre et leurs forces; aussi, pendant les vingt-sept 
années qui restaient au règne de Philippe II, on n'entend 
presque plus parler d'eux. Il est probable que, malgré des 
échauffourées partielles, les vieilles animosités se seraient 
calmées et avec le temps auraient entièrement disparu. 11 
n'y avait dans tous les cas aucun prétexte pour que les Espa- 
gnols usassent de violence, car il était absurde de supposer 
que les Maures, affaiblis de toutes parts, humiliés, découra- 
gés et épars dans tout le royaume, eussent pu, l'eussent-ils 
désiré, rien entreprendre, en présence des ressources du 
gouvernement. 

C'est après la mort de Philippe II que commença le mou- 
vement que j'ai décrit tout à l'heure et qui, contrairement 
à ce qui se passa chez les autres nations, assura au clergé 
espagnol, au dix-septième siècle, un pouvoir plus grand que 
celui qu'il avait eu au seizième. Les conséquences ne se 
firent pas attendre. Le clergé trouva bientôt que les mesures 
prises par Philippe contre les Maures n'étaient pas assez dé- 



(i) La scène qui la termina en mars 1571 est habilement décrite dans Prescott, Hist. of 
Philip III, t. III, pag. 148-151. Le snperbe courage des Maures est attesté par Mendoxa 
dans son histoire contemporaine de la guerre; mais lorsqu'il raconte les horribles outrages 
qu'ils commirent, nous n'en doutons pas, il ne fait point la part des provocations intoléra- 
bles et sans cesse répétées qu'ils eurent à supporter pendant un temps indéfini de la part 
des chrétiens. Ce qu'il dit d'une des batailles est fort curieux , et je ne me rappelle pas 
l'avoir vu nulle autre part. « Fue porfiado por ambas partes el combate hasta à las 
espadas, de que los Mores se aprovechan menos que nosotros, por tener las suyas un 
filo i no herir ellos de punta. > Mendoxa, Guerra de Granada, édit. in-4*. Valencia, 
1776, pag. 166. 



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HISTOIRE 



cimes, et même pendant sa vie, il songea au règne suivant 
sous lequel il espérait voir ces chrétiens dé sincérité dou- 
teuse détruits complètement ou du moins chassés de l'Es- 
pagne (1). Tant que Philippe fut sur le trône, la prudence 
<fo gouvernement mit en quelque sorte un frein à l'ardeur 
de l'Église, et le roi, écoutant en cela les conseils 4e ses mi- 
nistres les plus capables, refusa d'adopter des mesures aux- 
quelles on le poussait et auxquelles son propre caractère te 
portait également (2). Mais comme on l'a vu déjà, sous 



(t) 11 donna nue preuve de me espérances le jonr même de la aoifcsauee de Philippe III 
en 1578 : « Predicando en nn iugar de Aragon, todo de Moriscos, Ilamado Ricla, ô Torellas, 
nn religioso, Ilamado Vargas, el mismo dia, que naciô sn Magestad, Viendo ôl poco frnto, 
que hacia con sas sermones, diio, como en Prdfseia, à aqeella gente rebelde : Paeea© 
despedir de vaestros pechos esta infernal secta, sabed, qne na hacido en Gastilla 
un Principe que os ha de echar de Espana. ■ Porreno, Dichos y Hechos de Phelipe III y 
dans Yanez, Memorias. Madrid, 1738, pag. 9At, et à peu près dans les mêmes termes dan* 
Janer, Condition de los Moriscos, pag. 60. M. Prescott, dans soo Hist, de Philippe II, 
t. III , pag. 139, cite une lettre MS. de don Juan d'Autriche à Philippe ÏI , écrite en 159b, 
qai établit que les moines prêchaient ouvertement contre la doneeur avec laquelle te roi 
traitait les Maures : « Predicaudo en los pùlpitos publicamen te contra labenigoidad y cle- 
mencia que V. M. ha mandado usar con esta gente. ■ 

(2) Dans un ouvrage publié récemment et d'une autorité incontestable, on nie que Phi- 
lippe II ait eu le désir de chasser les Maures. « El câracter austero y la sevefridad de 
Felipe II redundabaD en favorde los Moriscos, porque no daba oidesà las instisacioaesdè 
al go nos personajesquesenalaban la expulsion gênerai como unico remedio eficaz para los 
maies que ofrecia al pais aquella desventurada raza. Acababa el monarca de tocar los tristes 
resnltados de una emigraclbn por las funestas eonseouenoî* de la fiespobtaoion dei reinb 
granadino, y preferia eontinnar en la sendA de la concUiacion, procurando de nuero la 
ensenanza de los con versos. ■ Janer, Condition de los Moriscos. Madrid, 1889, pag. 59. 
Mais, sans nous attacher à ce qu'il y a de contraire dans cette assertion à tout ce que nous 
savons sur le caractère de Philippe , nous avons dans le sens opposé sur cette question le 
témoignage de l'archevêque de Ribera, qui a eu de fréquentes communications avec 4e toi 
sur ce sujet et qui dit positivement que le roi désirait l'eiputsion des Maures hors d'Espagne. 
«El hecharlosMoros des te Reyno,ha sido cosa muy desseadà, y procarada, por los Repas 

Predecessores del Rey nuestro Senor, aunque no executada. » « El Rey Don Felipe 

Segundo, nuestro Senor, despues de suceder en estos fteynos, iweo el mismo desseo; y assi 
mandé, que se juntassen los Preiados deste fteyno para basear wmedio el an* de 1568; 
siendo Arçobispo desta Metropoli el Reverendfssimo Don MernandO de Lloases. Hisierons* 
en aquella Junta algunas Gonstituciones de considérai**. Visto qfeetto aprovechaba*, 
mandé el ano 1587 que se hiziesse otra Junta, en Ta quai fnè hrtUéyo ;anadknos tambien 
algunas nue vas Gonstituciones. Y constando à su Magestad que no era batftaotes : tas 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 69 

son successeur, le clergé prit de nouvelles forces et bientôt 
il se sentit assez puissant pour entreprendre une dernière 
croisade contre les misérables restes de la nation maure (1). 
L'archeyêque de Valence fut le premier à entrer en lice. 
En 1602, cetéminent prélat présenta à Philippe un mémoire 
contre les Maures; ses idées furent soutenues franchemeut 
par le clergé, la couronne ne les découragea point; aussi pour 
arriver à frapper le coup, présenta-t-il un autre mémoire sur 
le même objet (2). L'archevêque parlait comme un homme 
que son rang, son autorité, mettent en position d'être le 
représentant naturel de l'Église espagnole. Il affirmait au 
roi que tous les désastres qui avaient accablé la monar- 



diligencias passadas, y que siempre perseveraban en su heregia, se resolvia de Mandarlos 
hechar del reyno, 6 por lo menos meterlos dentro de la tierra.» Ximenez, Vida de Hibera. 
Roma, 1734, in-4% pag. 419, 420. Cet important passage ne laisse aucun doute quant aux 
sentiments réels de Philippe, à moins que nous ne prenions sur nous d'affirmer que Ribera 
a sciemment fait un mensonge. 11 est assez étrange qu'un livre qui contient un passage aussi 
remarquable soit inconnu de M. Janer et de M. Lafuente. 

(1) « El rey Felipe III , nombre de rudo ingenio , se dejaba gobernar con facilidad ppr 
aquellos que sabiendos los temores de su conciencia, se aprovechaban de su imbecilidad 
para conseguir cuanta querian.Muchosecclesiâsticos,recordando las expulsiones dejudios 
y Moros ejecutadas de ôrden de Fernando é Isabel , y conociendo que à Felipe III , séria 
agradable imitar à estos monarcas, le aconsejaron que condenase ai destierro à todos la ley 
mahometana, sino que tenian tratos con los Tnrcos y entre si para buscar sus libertades por 
medio del rigor de las armas. > Castro, Decadencia de Kspana. Cadix, 1853, pag. 101, 102. 

i2) Ces mémoires sont imprimés comme appendices à la vie par Ximenes. Voyez le livre 
très curieux ayant pour titre Vida y Virtudes del Vénérable Siervo de Dios D. Juan 
de RiÇera, por el R. P. Fr. Juan Ximenes. Roma, 1734, in-4% pag. 367-374, 376-393. Cet 
ouvrage est, je crois, très rare ; il est certain que j'ai fait de vains efforts pour m'en procurer 
un exemplaire d'Espagne ou d'Italie, et, après plusieurs années de recherches infruc- 
tueuses, j'ai trouvé celui que je possède à présent dans l'étalage d'un bouquiniste. M. de 
Circourt, dans sa savante histoire des Arabes d'Espagne, ne semble pas en avoir eu con- 
naissance, car il se plaint de n'avoir pu se procurer les ouvrages de Ribera, dont il ne cite 
par conséquent les mémoires que de seconde main. Circourt, Hist. des Arabes d* Espagne. 
Paris, 1846, t. III, pag. 168, 351. yTatson ne parait pas l'avoir connu non plus, quoique, 
comme M. de Circourt, il renvoie à la vie d'Escriva par Ribera. Walson, Philip 111. Lond., 
1839, pag. 214-221. Ged des donne un extrait de ces mémoires; ce savant et exact écrivain 
a la mauvaise habitude de ne point indiquer les sources de ses informations. Geddes, 
Tracts. Lond., 1730, 1. 1, pag. 60-71. 

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70 HISTOIRE 

chie venaient de la présence de ces. incrédules; qu'il fallait 
les détruire comme David avait détruit les Philistins et 
Saul les Amalécites (1). Il déclarait que l'armada que Phi- 
lippe avait équipée contre l'Angleterre eu 1588 avait péri 
parce que Dieu ne permettait pas la réussite d'une entreprise 
au dehors, tant que ceux qui la dirigeaient laissaient en paix 
les hérétiques chez eux. L'expédition d'Alger avait échoué 
pour le même motif. Le ciel manifestait sa volonté que rien 
ne prospérât tant que l'Espagne se verrait habitée par des 
apostats (2). Il exhortait donc le roi à exiler tous les Maures, 
à l'exception de quelques-uns, qu'ils pourraient condamner 
aux galères et d'autres dont on ferait des esclaves et qu'on 



(i) « Por lo quai se puede créer, que nuestro Senor ha querido reservar esta obra tan 
digna de pecho Real para Vuestra Magestad , como réservé la libertad de sa pueblo para 
Moyses, la entrada de la Tierra de Promission para Josue, la vengança de la injuria antigua 
de los Amalequitas para Saul, y la Victoria de los Filisteos para David. » Ximenes, Vida 
de Riberu, pag. 370-377: «Y al primer Rey que tuvo el Mundo, en siendo elegtdo por 
Dios, y confirmado en su Reyno, le ambia à mandar por un Propheta que destrnya a 
los Amalequitas, sin dexar nombres, ni mugeres, ni ninos, aunque seân de lèche, en fin que 
no quede rastro de ellos, ni des sus haziendas. Y porque no cumpliô exactamente su man- 
damiento, cayô en indignacion de Dios, y fue privado del Reyno. Al segundo Rey, que fue 
David, le mandô Dios en siendo jurado, que destruyesse los Philisteos, como lo hizo. > 

(2) « El ano quando se perdiô la poderosa Armada, que iba à Inglaterra, confiado de la 
benignidad del Rey nuestro Senor, que esta en el cielo, me atrevi con el zelo de fiel vassallo 
y Capellan, à dezir à Su Magestad; que aviendo gastado mucho tiempo en discurrir, que 
causa podia aver para que Dios, nuestro Senor, permitiesse aquel mal sucesso, se me ha via 
ofrectdo una cosa de mucha consideracion , y era, querer dezir la Magestad Divina à Su 
Magestad Catôlica; que mientras no ponia remedio en estas heregias de Espana, cuyos 
Reynos le avia encomendado, no se debia ocupar en remediar las de los Reynos agenos. » 
Y ahora confiando en la mi s m a benignidad, y clemencia de Vuestra Magestad, me atrevo 
iambien à dezir, que aviendo considerado la causa, porque Dios nos ho quitado de las 
manos la toma de Argel, aviendose dispuesto todas las prevenciones para ella con la mayor 
prudencia, y sagacidad, que hemos visto en nuestros tiempos, y sirviendonos el mar, y les 
ayres, y las ocasiones , de la manera , que podiamos dessear, tengo por sin duda, que ha 
sido, querer nuestro Senor dar à Vuestra Magestad el ûltimo recuerdo de la obligacion, que 
tiene, de resolver esta plàtica. » Ximenez, Vida de Ribera, pag. 373. Ce serait pitié de 
laisser de pareils spécimens de raisonnement théologique enfouis dans un vieil in-quarto 
romain. Je me félicite et mon lecteur avec moi de l'acquisition de ce volume qui est un 
vaste répertoire d'armes puissantes quoique vieillies. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 71 

enverrait travailler dans les mines d'Amérique (1). La gloire 
du règne de Philippe serait ainsi assurée dans la postérité; 
et sa renommée serait portée bien plus haut que celle de ses 
prédécesseurs qui sur tous ces points avaient négligé leur 
devoir manifeste (2) . 

Ces remontrances, outre qu'elles étaient en harmonie avec 
les idées bien connues de l'Église d'Espagne, furent chaude- 
ment appuyées par l'archevêquede Tolède, primat d'Espagne. 
Celui-ci ne différait que sur un point avec l'archevêque de 
Valence. L'archevêque de Valence jugeait qu'il était inutile 
de faire partager aux enfants au dessous de sept ans le ba- 
nissement général, il croyait qu'on pouvait, sans danger pour 
la foi, les séparer de leurs parents et les garder en Espagne. 
L'archevêque de Tolède s'y opposait fortement. Il ne voulait 
pas, disait-il, courir le risque de voir le sang pur des chré- 



(1) c Todas estas cosas, y otras muchas, qoe dexo de dezir, por no ser proliio, me hazen 
evidencia, de que eonviene para el servicio de Dios nuestro Senor, y qoe Vuestra Magestad 
esta obligado en conciencia, como Rey, y Snpremo Senor, à qui en toca de justicia defender, 
y conservar sns Reynos, mandar desterrar de Espana todos estos Moriscos, sin que qnede 
nombre, ni mnger grande, ni peqneno; reservando tan solamente los ninos, y ninas, que 
no Ilegaren â siete anos, para que se gnarden entre nosotros, repartiendolos por las casas 
particulares de Christianos viejos. "Y ann hay opinion de personas doctas, que estos taies 
ninos y ninas, los poede Vuestra Magestad dar por esclavos, y lo fundan con razones pro- 
bables. > Ximenez, Vida de Ribera, pag. 379, 380. «Destos que se han de desterrar, podra 
Vuestra Magestad tomarlos que fuere servido por esclavos, para proveer sus Galeras, ô para 
embîar â las minas de las Indias, sin escrupulo alguno de conciencia, lo que tambien sera 
de no poca utilidad. ■ Pag. 384. Agir ainsi c'était être miséricordieux, car ils méritaient 
tous la peine capitale, c merecian pena capital. > Pag. 381. 

(8) c Aora, Catolica Magestad, vemos que Dios nuestro Senor hareservado para Vuestra 
Magestad, y para su Real Corona, el nombre, y hechos de Rey Catholico .- permitiendo por 
sus secretos juizios, que los que han sido siempre enemigos de su Iglesia se conserven, y 
que los que antes eran Calholicos, ayan degenerado, y apostatado de su santa leyy assi va 
la bonra de Dios nuestro Senor, y el exemplo, y confusion de los otros Reyes, en que Vuestra 
Magestad tenga sus Reynos limpios de herege s, y principal mente à Espana. Yquando esto 
hunesse de costar grandes trabajos, y todo el oro, y plata, que hay en las Indias, estaria 
muy bien empleado : pues se atraviessa la honra de Dios, la de sn santa Iglesia, el antiguo 
renombre desta Corona, » etc. Ximenez, Vida de Ribera, pag. 382. Et sur la négligence 
apportée à l'accomplissement de ce devoir par Charles V et Philippe II, voyez pag. 370. 



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72 HISTOIRE 

tiens souillé par les infidèles ; il déclarait que plutôt que de 
voir un de ces incroyants corrompre le pays, il les ferait 
passer tous, hommes, femmes et enfants au fil de l'épée (1). 
C'était le désir d'un parti puissant dans l'Église qu'au 
lieu de les bannir, on les mît tous à mort. Il jugeait qu'on 
châtiment pareil ferait du bien, en frappant de terreur les 
.hérétiques de toutes les nations. Bled a, le célèbre domiai- 
cain, un des hommes le plus influents de son temps, penchait 
pour cette exécution, et il désirait qu'on la JU conscien- 
cieusement. Il disait que pour l'exemple on devrait couper 
Je cou à tous les Maures d'Espagne, parce .qu'il était impos- 
sible de savoir lesquels étaient chrétiens au fond du coeur, et 
qu'il valait mieux laisser la chose à Dieu ; il reconnaîtrait 
bien les siens, et saurait récompenser ceux qui étaient de 
bons catholiques (2). 



(1) < The most powerful promoter of their expulsion was Don Bernardo de ftoias y 8an- 
doval , Cardinal Archbishop of Toledo , and InquisHor-General andChanoèllor of Spain. 
This great p relate, who was brother to the Duke of Lerma, by whom the kiogfor some 
years before, and for some years after the expulsion was absointely gOYented, was «o xealous 
to hâve the whole race of tbe Moriscoes extingaisbed , that fae oppoaed tbe detamtng of 
their children who were under seren years of âge, affinai ng tbat of the two be jodged it 
more adrisable to eut tbe throatsofall the Moriscoes, Bien, ■women,andchildfeo, thanto 
hâve any of their children kft in Spain, to défile the true Spanish bJood with a mixte» ef 
the Moorish. » Geddes, Tracts, 1. 1 , pag. 85, 86. Nararrete a fait un brillant éloge delà 
piété et des antres nobles qualités de ce prélat; il dit que * lleaaado deespteûdor conisn 
virtad très sillas episcopales, mereciô que Clémente VIII lehoorasecoo elcapelo, yfué 
elevadoa la primada de Toledo y al empleo de ioqnisidor gênerai. * Vida de Cervantas, 
pag. xcvn, xcvni. Barcelona, 1839. 

(2) i He did assure ail the old Christian laity , tbat wbeoever the king ahonld give the 
word, they might, without any scrople of conscience, eut tbe throats *f ail the Moriscoes, 
and nol spare any of them upon their professing themaehres ChrisUans ;.bot to follow Ifce 
holy and laudable example of the Groisado tbat was raised against the AUb&geofies, who, 
upon their havingmadethemseivesmastersof the cityofBeseir^wherein weretwofaundoad 
thousand Catholics and Hereticks, did ask Father Arnold, a Gistercian «onk,*wbo*»îi 
their chief preaeher : « Whether they shonid put any U> the sword.that pretended Jo ;be 
Catholics; • and were answered bythe holy Abbot : c Tbat they shouM kill ail witha*t 
distinction, and leave it to God, who knew his owa, to peward them £>r beia* tr«e Gaèbo- 
licks in tbe next world;» which was accord ingl y executed. » Geddes, 1. 1, pag. 84. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 73 

II devint évident que le sort des misérables débris d'uue 
nation jadis opulente était décidé. Les scrupules de Phi- 
lippe III lui défendaient de lutter contre l'Église, et son 
ministre le duc de Lerme ne voulut pas compromettre son 
autorité par l'apparence même d'une opposition. En 1609, 
il annonça au roi que l'expulsion des Maures était devenue 
nécessaire. « C'est une grande résolution, » répliqua Phi- 
lippe. « Qu'elle soit mise à exécution (1). Et elle le fut avec 
une inflexible barbarie. Environ un million d'habitants, les 
plus industrieux de l'Espagne furent traqués et chassés 
comme des bétes sauvages, parce que la sincérité de leurs 
opinions religieuses était mise en doute (2). Plusieurs d'entre 
eux furent tués, comme ils approchaient de la côte; d'autres 



(1) * Grand» résolution f Contesté el débil monarca al ministre favorito, hacedto vos, 
doque. • Lafuente, Hist. de Espana, t. XV, pag. 375. Mais celte réplique, bien loin d'être 
une preuve de faiblesse de la part de Philippe III , n'était qae l'application strictement 
logique des principes qa*il nourrissait et qui étaient universellement acceptés en Espagne. 
Nous savons de son biographe contemporain que c determino el Rey en los pnneipios de 
su Reynado, corno Rey tan poderoso y Catolico, de consegrar y dedicar à Dios la potencia 
de sas Consejos y Armas para eitingoir y acabar los enemigos de le Inglesia Santa. 9 
Davila, Hist de la Vida de Felipe Tercero, lib. 1, pag. 44. 

(2) Tel Je est l'estimation moyenne. Quelques auteurs la disent pins forte, d'autres 
moindre. Un écrivain dit : c The numbers expelled hâve been estimated at four handred 
thousandfamilies or two millions of soûls. > Clarke, Internai State ofSpain. Lond., .818, 
pag. 33. Mais on ne peut croire à un nombre pareil. H. Castro ( Decadencia de Espana. 
Cadix, 1853, pag. 105) dit : 1 Espana perdié en los Moriscos un millon de habitantes, » 
et M. Janer {Condition de los Moriscos. Madrid, 1857, pag. 93 : • Sin entrar en caiculos 
sobre los que babia cuando se expidiô el édicté de Yalencia en 1609, ni sobre los que ïene» 
cieron en las rebeliones, de mano armada, de sed, de hambre â ahogados , creeraos poder 
njar de la peninsula, despidiéndose para siempre de las costas y fronleras de Espana,cuya 
cifra deduciinoa deé examen y contexto de unos y otros escri tores, de las listas que nos han 
gaedabo de los expuisos, de los datos de diversas relaeiones, estados y documentos exami- 
nadoscoo este solo inteato.i Et plus loin page 105: «Laexpul8iondeunmillofl,ônovecientos 
mil de sas habitantes. • Liorente (Hist. de L'inquisition, t. III, pag. 490. Paris, 1818) dit : 
•Un million d'habitants utiles et laborieux. > Xi menez (Vida de Ribera. Roma, 1734, in-4% 
pag. 70) : tNoveeieatos mil, 9 et Boisel, qui fut en Espagne cinquante ans après l'expulsion 
et ctllteea les preuves offertes par les traditions, dit : • 11 sortit neuf cent tant de mille 
hommes de compte fait de Valence, d'Andalousie et de Castille. > Boisel , Journal du 
voyage d'Espagne. Paris, 1660, in-4', pag. 275. 



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74 HISTOIRE 

furent battus et pillés ; et le plus grand nombre fit voile 
pour l'Afrique dans le plus piteux état. Pendant la traver- 
sée, l'équipage de plus d'un vaisseau tomba sur les passa- 
gers; les hommes furent pillés, les femmes violées et les 
enfants jetés à la mer. Ceux qui parvinrent à se soustraire à 
ce sort débarquèrent sur la côte de Barbarie où ils furent 
attaqués par les Bédouins et plusieurs furent passés au fil de 
Tépée. D'autres s'enfuirent au désert et moururent de faim. 
Nous n'avons pas de rapport authentique sur le nombre 
d'individus qui furent sacrifiés, mais de très grandes autorités 
affirment que pendant une expédition qui emportait cent 
quarante mille hommes en Afrique, plus de cent mille virent 
arriver la mort sous ses formes les plus terrifiantes, peu de 
mois après leur expulsion d'Espagne (1). 

Pour la première fois, l'Église fut vraiment triomphante (2). 
Pour la première fois, on pouvait aller des Pyrénées au 
détroit de Gibraltar sans rencontrer un seul hérétique. Tous 
étaient orthodoxes, tous étaient purs. Tout habitant de ce 
grand pays obéissait à l'Église et craignait son roi, et par 
suite de cette heureuse combinaison, on put croire que la 



(i) Watson, Philip III, pag. 234, 235; Da?ila, Vida de Felipe III, pag. 146; Yanei 
Memorias para la Historia de Felipe III, pag. 281, 290; Janer, Condition de los 
Jioriscos, pag. 83,84, 90. Quelques particularités touchant leur expulsion se trouvent 
dans les lettres de Cottington sur Madrid qui furent écrites en 1609, mais qui ont peu de 
Taleur. Winwood, Mémorial* of Affaire of State, t. III , pag: 73, 91 , 103, 118. Londres, 
in-fol., 1725. 

(2) Dans un sermon fait de nos jours en commémoration de leur expulsion, le prédica- 
teur s'écrie joyeusement : c Pues, que mayor bonra podemos tener en este Reyno, que ser 
todos ios que viviraos en el, fieles à Dios, y al Rey, sin compania de estos hereges y tray- 
dores ? » Ximenez, Vida de Ribera, pag. 423. Un antre prédicateur s'écrie : c Al fin salieron 
estos, y quedô la tierra libre de la iofamia de este gente. • Davila , Vida de Felipe Ter- 
cero, pag. 149. Voyez aussi pag. 151. « Y es digno de poner en consideracion el zelo que los 
Reyes de Espana tuvieron en todo tiempo de sustentar la Fé catôlica; pues en diferentes 
expulsiones que han hecho, han sacado de sus Reynos très millones de Moros, y dos mil- 
lones de Judios, enemigos de nuestra Iglesia. > 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. * 75 

prospérité et la grandeur de l'Espagne étaient assurées. Le 
nom dePhilippe III, passait à l'immortalité : la postérité ne se 
lasserait point d'admirer cet acte héroïque par suite duquel 
les derniers débris d'une race infidèle étaient repoussés de 
la terre. Ceux qui avaient pris part, même une part très 
éloignée, à cette œuvre glorieuse devaient être récompensés 
par les plus grandes bénédictions. Eux et leurs familles 
étaient placés sous la protection immédiate du ciel. La terre 
rendrait plus de fruits et les arbres plieraient sous les leurs; 
l'arbre à pin pousserait là où venait l'épine, et le myrthe à la 
place des ronces. Une nouvelle ère allait être inaugurée; 
l'Espagne délivrée de son hérésie allait être à l'aise; les 
hommes vivant en sûreté pourraient dormir à l'ombre de, 
leurs vignes, cultiver leurs jardins en paix et manger le fruit 
des arbres qu'ils auraient plantés (1). 

Telles étaient les promesses de l'Église; et le peuple 
croyait. C'est à nous maintenant de rechercher jusqu'à quel 
point ces promesses furent tenues, les espérances réalisées 

(1) Voyez le sermon de l'archevêque de Valence imprimé tout an long dans l'appendice 
de Ximenez, Vida de Hibera, pag. 411*428. Je voudrais pouvoir le citer en entier, mais le 
lecteur doit se contenter d'une partie de la péroraison (pag. 4%, 427) : • Entre las feliii- 
dades, que cuenta el Espiritu Santo que tuvieron los hijos de Israël en el govierno del Rey 
Salomon, es una; que vivian los nombres seguros, durmiendo à la sombra de su parra, y de 
su higuera, sin tener de quien temer. Assi estaremos en este Reyno de aqui adelante, 
por la misericordia de nuestro Senor, y paternal providencia de Su Magestad , todo nos 
sobrarâ, y la misma tierra se fertilizarâ y darà fruto de bendicion. Brocardico es, de que 
todos usubades, diziendo que despues, que estos se banlizaron, no se avia visto un ano 
fertil ; aora todos lo seran, porque las heregias y blasfemias de estos tenian esterilizada, 
abrasada, y inficioaada la tierra, como dixo el Real Propheta David, con tantos pecados 

y abominaciones. > «Y edificaràn en las tierras, que antes eran desiertas, plan- 

tando vinas, y bebiendo el vino de elias, y sembrarân huertas, y comeran del fruto de los 
àrboles, que han plantado, y nunca seran hechados de sus casas, dize Dios. Todo esto pro. 
mete nuestro Senor por dos Prophetas suyos. Todo (digo otra vez) nos sobrarâ. > C'était 
là ce qui attendait le peuple, tandis que le roi dans le même sermon est comparé à David 
(pag. 416) ; une autre haute autorité déclare qu'en expulsant les Maures il a accompli un 
si grand exploit {hazaha), que * duràra su memoria por los veinderos siglos. > Porreno, 
dans Yanez, Memorias para Felipe 111, pag. 281. 



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76 HISTOIRE 

et quelles furent les conséquences d'un acte, provoqué par 
le clergé, accepté par la nation et chaleureusement applaudi 
par quelques-uns des plus grands génies que l'Espagne ait 
produits (1). 

Quelques mots suffiront à en déduire les conséquences 
sur la prospérité matérielle de l'Espagne. Des corps nom- 
breux d'agriculteurs laborieux et d'artisans habiles se reti- 
rèrent subitement de toutes les parties du pays. Les meil- 



(1) ■ Amidst thedevoot exaltation of the whole kingdom,— Cervantes, Lope de Vega, and 
others of the principal men of genins then alive, joining in thé gênerai jobilee. » Ticknor, 
JJist. ofSpanish Literalure, 1. 1, pag. 428, 429. Compare* Dunlop, Memoirs, 1. 1, pag. 16. 
Porreoo dit qu'il peut être placé an nombre des sept merveilles dn monde, « la podemos 
poner entre las siete maravillas del mundo. » Yanez, Memorias, pag. 297, et Davila (Vida 
de Felipe Tercero, lib. it, cap. xu, pag. 139) dit que c'est un Pelaya. Tout cela est assez 
naturel; mais ce qui est vraiment curieux, c'est de suivre les débris modernes de ce senti 
ment. Campomanes (Apendice à la Educacion Popular, t. IV, pag. 130. Madrid, 1777), 
homme très capable et bien plus libéral que la plupart de ses compatriotes, n'a pas honte 
de dire • « La justa expulsion de los Moriscos desde 1610 à 1613. • Ortiz, en 1801, s'exprime 
avec un peu plus d'hésitation , mais il est évident qu'il approuve la mesure qui délivra 
l'Espagne de « la perniciosa semilla de Mahoma que réstaba en ella. ■ Cofopendio de la 
Historia de Espaiia, t. VI, pag. 301, 305. Ce n'est pas tout ; jusqu'en 1856 le grand histo- 
rien moderne de l'Espagne , tout en admettant le mal qu« cet horrible crime fit au pays* 
nous assure en même temps qu'il eut cet c immense advantage > d'avoir pour résultat 
i'nnité religieuse, et il ne comprend pas que cette unité qu'il préconise engendre la soumis- 
sion, la torpeur de l'esprit funeste à tout progrès réel, parce qu'il arrête l'exercice et le choc 
des opinions qui aiguisent l'esprit et le préparentaux grandes choses. * Con la expnlsioii 
se complété el principio de la unidad religiosa en Espana, que fué un bien inmenso , pero 
se consumé la ruina de la agriculture que fué un inmense mal. > Lafuente, Hist. de Espam, 
t. XVII, pag. 340. Madrid, 1856. Et un an après que cette opinion avait été donnée au 
monde, un autre éminent écrivain, dans un ouvrage couronné par l'Académie royale d'his- 
toire, alla plus loin encore en déclarant que non seulement l'expulsion des Maures était 
un grand bienfait, parce qu'elle assurait l'unité de la croyance, mais que cette unité était 
€ necessary on the Spanish soil. » « Y si bajo el aspecto econômico reprobamos semejante 
medida por la influencia perniciosa que tuvo desde el momento de die tarse, la imparcia- 
lidad de historiadores nos obliga à respetarla por los inmensos bienes que produjô en ei 

ôrden religioso y en el ôrden politico. • c La unidad religiosa era necesaria en el 

suelo espanol. > Janer, Condicïon social de los Moriscos de Esparla. Madrid, 1857, 
pag. 110, 114. Que penser d'un pays où de semblables opinions sont exprimées non par 
quelque obscur fanatique dn haut de sa chaire, mais par des hommes de talent, par dés 
savants qui les répandent avec toute l'autorité de leur position, et que l'on juge, si toutefois 
6n se permet de les juger, comme trop avancés et trop libéraux pour le peuple auquel il.* 
s'adressent? 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 11 

leur? systèmes de culture connus étaient pratiqués par les 
Maures, qui labouraient et arrosaient sans jamais se lasser (1) . 
La culture du riz, du coton et du sucre, et la fabrication de 
la soie et du papier leur étaient confiées presque exclusive- 
ment (2). Par leur expulsion, tout fut perdu en une fois, et 
presque tout pour toujours. Car les chrétiens espagnols 
considéraient de semblables travaux comme au dessous 
d'eux. A les e& croire, la guerre et la religion étaient les 
deux seules vocations qui ne fussent point indignes d'un 
homnbe d'honneur. Combattre pour son roi ou entrer dans 
les ordres était honorable; toute autre profession était basse 
et sfordide @î). Aussi, quand les Maures eurent été repous* 
ses d'Espagne, il ne se trouva personne pour se mettre à 
leur place ; les arts et les manufactures dégénérèrent oh 

(1) t Los Moros eran moy diestros en todo lo que mira à obras de agoa. > Campomanes, 
Âpendice à la Education Popular, t. 111, pag. cvn. « The Moors were the most intelli- 
gent àgrfeuinirists Spain ever had. » Latoorde, Spain, t. II, pag. 210. Even Jovellenos admet 
que « except in the parts occopied by the Moors, the Spaniards were totally nnacqaainted 
wîth the art of irrigation. » Clarke, Internai State of Spain, pag. 116. Voyez aussi Circourt, 
Arabes d'Espagne, t. II, pag. 170, 171, et Townsend, Spain, t. III, pag. 174. Des restes de 
leurs magnifiques aqueducs existent encore. Hoskins, Spain, 1. 1, pag. 120, 125, 291, 292. 
Compare» Spain by an American, t. Iï, pag. 112, avec l' Estât de l'Espagne. Genève, 1681, 
pag. 399. 

(2) Comparez Janer, Condition de los Moriscos , pag. 47, «8, avec Campomanes, 
Âpendice à la Education Popular, t. III, pag. xxii, et Dunlop, Memoirs, 1. 1, pag. 13. 

(3) Les plus raisonnables des 1 Espagnols notent avec regret ce mépris de la nation pouf 
tonte espèce d'industrie utile. Voyez Campomanes, Education Popular, pag. 12 , el 
Sempere, Monarchie espagnole, t. II, pag. 277, 278. Un individu voyageant en Espagne 
eh 1669 dit dû peuple : « Ils méprisent tellement le travail, que la plupart des artistes »oilt 
étrangers, i Voyages faite en divers temps, par M. M***. Amsterdam, 1700, pag. 80. Un 
autre voyageur entre 1693 et 1695 dit : < They think it below the dignity of a Spaniard to 
labour and provide for thé future. » fravels by a Gentleman (par Bromley ?). Lond., 1702, 
pag. 35. Un troisième, en 1670, nous assure < qu'ils souffrent plus aisément la faim et les 
autres nécessités de la vie que de travailler, disent-ils, comme des mercenaires, ce qui n'ap- 
partient qu'à des esclaves. » D'Àulhoy, Relation du voyage d'Espagne. Lyon, 1693, t. H, 
pj&é. 369, 370. Pour ptus d'exemples, voyez Labat, Voyages en Espagne. Paris, 1730, 1. 1, 
pag. 2&!>, 286; Capmany, Questiones criticaè, pag. 43, 48, 49; Laborde, Spain, 1. 1, 
pag. i; Rarike, Spanish Empire, pag. 103; Townsend , Joutriey through Spain, t. IT, 
pag. 240, 241. 



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78 HISTOIRE 

furent entièrement perdus, et des régions immenses de 
terres arabes demeurèrent incultes. Quelques-unes des par- 
ties les plus riches des provinces de Valence et de Grenade 
furent si négligées, que les moyens de nourriture manquè- 
rent pour la rare population qui y restait encore (1). Des 
districts entiers devinrent tout d'un coup des déserts, et 
jusqu'à ce jour même ils n'ont pas encore été repeuplés en- 
tièrement. Ces solitudes donnèrent un refuge aux contre- 
bandiers et aux brigands qui succédèrent ainsi aux laborieux 
habitants qui les occupaient autrefois ; et l'on dit qu'il faut 
dater de l'expulsion des Maures l'existence de ces bandes 
organisées de voleurs, qui, après cette époque, devinrent le 
fléau de l'Espagne, et qu aucun gouvernement depuis n'a 
réussi à extirper complètement (2). 

À ces conséquences désastreuses il nous faut en ajouter 
d'autres d'une nature différente et bien plus sérieuses encore 
s'il était possible. La victoire remportée par l'Église accrut 



(1) ■ Pudo, pues, decirse con razon de nuestra patria, que de Arabia Feliz se habia coo- 
vertido en Arabia desierta, y de Valencia en particular, que el bello jardin de Espana se 
habia convertido en pàramo seco y deslucido. Dejôse en brève sentir en todas partes el 
azote delhambre; y al alegre bullicio de las poblaciones sncediô el melancôlico silencio de 
ios despoblados, y ai frecuente cruzar de los labradores y trajineros por los caminos siguiô 
el peligroso encnentro de los salteadores que los infestaban abrigàndose en las rainas de 
los pueblos desiertos. » Janer, Condition de los Moriscos, pag. 100. Voyez aussi Dunlop» 
Memoirs, t: I, pag. 16. Campomanes dit : t El gran numéro de arlesanos, que salieron cou 
la expulsion de los Moriscos, causô un golpe mortai à las manufacturas, y à la labranza. » 
Apendice à la Education Popular, 1. 1, pag. 13. Et à la page 268 : • El punto de deçà- 
dencia de nuestras manufacturas, puede fiiarse desde el ano de 1609, en que tubo principio 
la expulsion de los Moriscos. > 

(2) t Sor la carte d'Espagne, en mille endroits est inscrit ce funeste mot, despoblado; 
en mille endroits la nature a repris la place des cultures. Étudiez la direction des * despo- 
blados a et consultez les registres des commissaires de l'expulsion, fous verrez presque 
toujours que les familles morisques couvraient ces solitudes. Leur patrimoine abandonné 
forma le domaine des voleurs, qui établirent avec une sorte de sécurité leurs correspon- 
dances effrontées à travers toute l'Espagne. Le brigandage s'organisa comme une profession 
ordinaire, et la contrebande, sa compagne, leva le front avec autant d'audace, autant de 
succès. ■ Gircourt, Hist. de» Arabes d'Espagne, t. III, pag. 227,228. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 79 

à la fois et son pouvoir et sa réputation. Pendant tout le 
reste du dix-septième siècle, non seulement les intérêts du 
clergé primèrent les intérêts laïques, mais c'est à peine si 
Ton songea à ces derniers. Les plus grands hommes (à peine 
compte t-on une exception) devinrent ecclésiastiques, et 
toutes les conditions temporelles, toutes les idées de poli- 
tique terrestre furent méprisées et réduites à néant. Nul ne 
cherchait à s'instruire, nul ne doutait, nul n'osait demander 
si ce qui était, était bien. L'esprit de chacun se prosternait, 
s'anéantissait. Et pendant que les autres pays marchaient 
en avant, l'Espagne seule reculait. Les autres pays ajou- 
taient à leur somme de connaissances, en créant des arts, 
en élargissant le domaine de la science. L'Espagne, engour- 
die dans une torpeur mortelle, charmée, ensorcelée par sa 
superstition maudite qui minait ses forces, présenta à l'Eu- 
rope l'exemple solitaire d'une décadence constante. Pour 
elle toute espérance était morte, et avant que le dix-septième 
siècle fût terminé, il n'y avait plus qu'à se demander 
quelles mains porteraient le dernier coup, qui démembrerait 
cet empire jadis si puissant, dont les ténèbres s'étendaient 
sur le monde et dont les vastes ruines se montraient encore 
si imposantes! 

Il serait presque impossible de suivre les différents pas 
qui marquèrent la décadence de l'Espagne, puisque les Es- 
pagnols eux-mêmes, plus tard, trop tard, quand la honte les 
prit, se sont abstenus d'écrire ce qui aurait été l'histoire 
de leur propre humiliation ; si bien que nous n'avons point 
d'histoire détaillée des misérables règnes de Philippe IV et 
de Charles I er , qui comprennent une période de près de 
vingt-huit années (1). Cependant j'ai pu réunir quelques 

(i) c Declinô pues muy sensiblemente la vaste monarquia, y callaron atODitos los histo- 



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8d HISTOIRE 

faits assez insignifiants. Au commencement du dix-septième 
siècle, la population de Madrid était évaluée à quatre cent 
iiille âmes; au commencement du dix-huitième siècle, k 
moins de deux cent mille (1). Seville, l'une des plus riches 
cités de l'Espagne, comptait, au seizième siècle, plus de 
seize mille métiers, qui donnaient du travail à plus de cent 
trente mille individus (2). A l'avènement de Philippe V, ces 



rïadores, como hdyendo la necesidad de traer à la memoria los que veian y apenas creian. 
Bamudeciô pues la historia de Espana en los dos reynados de Felipe IV y Carloi II viendo 
continuaba nuestra decadeocia, hasta quedar Espana al nivel de los menos poderosos 
Estados de Europa. Este silencio nos ha prirado de saber no solo las causas de nuestra 
deeadenria, sino tambien de los acontecimientos civiles y militares del sigloXVII. » Ortie, 
Compendio de la Hist. de Espana, t. VI , Prologo , pag. i. Aucun effort ne fnt fait pour 
remplir cette lacune dont Ortiz se plaignait avant 1856,époque i laquelle H. LfruénteputiKa 
à Madrid les seizième et dix-septième yolnmes de son histoire d'Espagne qoi contiennent 
les règnes de Philippe IV tt de Charles II. Je ne me permettrais pas de parler irrespectueu- 
sement de cet ouvrage; au contraire, il est impossible de le tire sans intérêt* cadse de 
l'admirable clarté avec laquelle les sujets sont disposés, et aussi à cause du style magnilique 
qui rappelle les plus beanx jours de la prose castillane. Mais je me vois forcé de reconnaître 
que, comme histoire et surtout une histoire qui entreprend de remonter aux causes dé la 
décadence de l'Espagne, c'est un échec complet. D'abord M. Lafoente ne s'est pas émancipé 
de ces mêmes préjugés auxquels son pays est redevable de cette décadence. En second lieu 
il n'a pas, surtout pendant les règnes de Philippe IV et de Charles II, assec soigneusement 
recherché les matériaux qui devaient le conduire 4 i'étode des changements économiques 
qu'a subis l'Espagne. Comme le but vers lequel je dirige mes études m'obligent à voir lès 
affaires d'un point de vue plus large et plus générai que lui, il arrive tout naturellement 
que les conclusions auxquelles nous arrivons sont très différentes ; mais je tiens a témoi- 
gner, quelque valeur que l'on puisse attacher à mon témoignage, du grand mérite de dé livré 
comme œuvre d'art. Comme œuvre de science, il me semble qu'il n'a rien effectué. M n'a 
jeté aucun jour nouveau sur l'histoire réelle de cette nation jadis splendide et dont son 
éloquence, son savoir et soft goût font die lui un des principaux ornements. 

(1) Voyez Dunlop, Memoirs, t. II, pag. 330, et d'intéressants calculs dans Ustaritz, 
Theorica y Practica de Comercio. Madrid, 1757, in-fol.,pag. 35,36. Vu l'ignorance <fau*» 
frétais quanta la statistique, de semblables calculs sont nécessairement imparfaits, mais 
après la désolation de l'Espagne au dix-septième siècle, une diminution de la population 
de la capitale était inévitable. Il est vrai qu'un contemporain de Charles II établit qu'en 1(89 
Madrid n'avait que 150,000 habitants. Méritoires de LonvUle. Paris, 4848, 1. 1, pag « 71 
Cette évaluation est prise dans c un mémoire manuscrit en langue espagnole trouvé dans 
les papiers du marquis de Lonville. » Pag. 67. 

(S) Capmftny {QueêHones Criticas, pag. 30)» qui semblé avoir écrit sou ouvrage très 
remarquable, mais non pas très exact, dans le seul but de dissimuler la décadence de son 
pays, a fait erreur en donnent ces chiffre». Mes chiffres sent tirés du rapport officiel présente 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. SI 

seize mille métiers étaient tombés à moins de trois cents (1), 
et dans un rapport des Cortès à Philippe IV, en 1662, il est 
établi que la cité ne renfermait plus que le quart du nombre 
de ses anciens habitants, et que tout, jusqu'aux vignes et aux 
oliviers cultivés dans ses environs, et formant une partie 
considérable de ses richesses, était presque entièrement 
négligé (2). Tolède, au milieu du seizième siècle, avait plus 
de cinquante manufactures de laine; en 1665, elle n'en 
avait plus que treize, presque toute celte industrie ayant 
suivi les Maures et s'étant établie avec eux à Tunis (3). Par 
la même cause, l'art de la fabrication de la soie, pour lequel 
Tolède était renommé, était tout à fait perdu, et près de 
quarante mille personnes qui en vivaient étaient privées dp 
leurs moyens d'existence (4). D'autres branches d'industrie 
eurent le même sort. Au seizième siècle, et au commence- 
ment du dix-septième, l'Espagne jouissait d'une grande ré- 



en 1701 par la corporation du commerce {gremios) de Séville. cFijan la época de lamina 
fie nuestrastabricas desde el reynado de Felipe II y anaden haber llegado à tener solo en 
esta ciudad al arte-mayor, y menor de la sede, el numéro de mas de diez y seis mil telares, 
y se ocnpaban en los exercicios adhérentes à él, mas de cienlo treinta mil personas de ambos 
sexes. » Campomanes, Apendice à la Education Popular. Madrid, 1757, 1. 1, pag. 475. 
* Voyez aussi Ustariz, Theorica y Practica de Comercio, pag. 14. t Diez y seis mil telares,» 
où l'on ne cite, il faut le dire, aucune autorité. 

(1) # El principal et igen y causa de que los 16,000 telares de seda, lana, oro y plata, que 
se contaban en Sevilla, se hallen oy redacidos à menosde 300. > Uztariz, Theoricay Prac- 
tiea de Gomercio, pag. 243. 

(2) Sempere, Monarchie espagnole, t. II, pag. 53, lequel renvoie au rapportons cortès 
publié par Alphonse Nunez de Castro. 

(3) Laborde, Spain, t. IV, pag. 338, dans lequel on dit aussi que Tunis devint, en consé- 
quence de l'expulsion des Maures, célèbre par la manufacture des fez qui « plus tard forent 
unités à Orléans.» Comparez sur les manufactures de fez i Tunis une note dans Campo- 
manes, Apendice à la Education Popular, t. IV, pag. 249. 

(4) « JToJède, où se mettaient en ouvre 435,000 livres de soie, avait déjà perdu ce travail 
qui suffisait autrefois à l'existence de 38*484 personnes. La population de cette ville avait 
épreuve mm tiers de diminution» et. vingt-cinq maisons de ses familles les plus illustres 
étaient passées dans Je domaine de divers couvents. > Sempere y Monarchie espagnole, 
t;H 4 pag*30. 



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82 HISTOIRE 

putation pour la fabrication des gants qu'elle expédiait en 
énormes quantités sur plusieurs points du monde ; la France 
et l'Angleterre en faisaient grand cas; ils étaient exportés 
jusque dans les Indes. Eh bien, Marti nez de Meta, qui 
écrivit en l'année 1665, nous assure qu'à cette époque cette 
source de richesse avait disparu ; la fabrication des gants 
avait complètement cessé, quoiqu'elle eût autrefois, dit-il, 
existé dans toutes les villes de l'Espagne (1). Dans la pro- 
vince de Castille, jadis si florissante, tout tombait en ruine. 
Ségovie même perdit ses manufactures et n'eut bientôt plus 
que le souvenir de son ancienne richesse (2). La ruinede Burgos 
fut tout aussi rapide ; le commerce de cette cité fameuse 
périt et ses rues désertes et ses maisons vides présentèrent 
un tableau si désolant, qu'un contemporain, frappé d'un pa- 
reil ravage, s'écrie que Burgos n'a plus que son nom (3). Dans 



(1) Voyez son intéressant essai réimprimé dans l'appendice de Campomanes, t. IV, 
pag. 251. 11 dit : « La fàbrica de los gnantes , qoe tenian poeos anos à todas las ciodades 
de estos reynos para el consumo de Espana y las Indias, era muy considérable; y se ha 
destroido, despues que se diô entrada al consumo de guantes estrangeros. a Un pareil fait 
affirmé par un contemporain est sans réplique , mais l'explication qu'il donne n'est pas 
applicable. 

(2) Ségovie, telle qu'elle était en 1659, est décrite comme suit dans Boisel , Journal du 
voyage d'Espagne. Paris, 1669, in-4', pag. 186 : « Autresfois cette ville, qui paroist assez 
grande, estoit fort riche, tant à cause que les rois de Castille y demeuroient, qu'à cause du 
grand commerce des laines et des beaux draps qui s'y faisoient; mais à présent le trafic 
n'y est plus, et l'on n'y fait plus que fort peu de draps, de sorte que la ville est presque 
déserte et fort pauvre. Une marque de sa pauvreté, du mauvais ordre d'Espagne et du peu 
de prévoyance des Espagnols (quoy qu'on dise de leur flegme), c'est que le jour que j'y 
arrivay jusques à deux heures après midy il n'y avoit point eu de pain en toute la ville, et 
ils ne s'en étonnoient point. > La diminution des manufactures de soie et de laine de Ségovie 
est mentionnée par Martinez de la Mata qui écrivit en 1650. Voyez son Dos Discursos, 
édité par Cango. Madrid, 1794, pag. 8. Saint-Simon, qui y était en 1722, dit : t A l'égard de 
leurs laines, j'en vis les manufactures à Ségovie qui me parurent peu de chose et fort tom- 
bées de leur ancienne réputation. > Mémoires du duc de Saint-Simon , t. XXXVII , 
pag. 230. Paris, 1841. Ségovie était renommée pour les belles couleurs de ses draps, dont la 
teinture se tirait d'un coquillage trouvé dans les Indes occidentales qu'on suppose être la 
pourpre des anciens. Voyez une note.de Dillen, Spain> 1781, pag. 19,20. 

(3) Tel est le langage que tient un Espagnol au milieu du dix-septième siècle : c Porque à 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 85 

d'autres districts, le résultat fut également funeste. Les 
belles provinces du Midi, si richement dotées par la nature, 
étaient autrefois si florissantes, que leurs contributions suffi- 
saient à elles seules, en cas de besoin, à remplir le trésor 
impérial ; mais, elles diminuèrent avec tant de rapidité, qu'en 
Tannée 1640 on se trouva dans l'impossibilité de les aug- 
menter d'une taxe qui put produire quelque chose (1). Durant 
la dernière moitié du dix-septième siècle, les choses devin- 
rent pires, et la pauvreté et la misère du peuple passèrent 
toute description. Dans les villages près de Madrid, les habi- 
tants mouraient littéralement de faim; et les fermiers qui 
avaient des approvisionnements refusaient de vendre parce 



laciudad de Burgos, cabeza de Castilla, no le ha quedado sino el nombre, ni aun vestigios 
de sas rainas; redneida la grandeza de sns tratos, Prior, y Cônsules, y ordeoanzas para la 
conservation de ellos, â 600 vecinos, que conservan e nombre, y lnstre de aqaella antigna y 
noble ciudad, que encerrô en si mas de seis mil, sin la gente soelta, natnral, y forastera. > 
Campomanes, Apendice à la Educacion, t. I, pag. 453. Madrid, 1775. Un Hollandais de 
beaucoup d'esprit, qui visita Burgos en 1665, dit : « Elle a été autrefois fort marchande, 
mais depuis peu elle a presque perdu tout son commerce. ■ Aarsens de Somme rdyck, Voyage 
d'Espagne. Paris, 1665, in-4*, pag. 16. Quant à moi, j'estime que de pareils faits sont bien 
plus du ressort de l'histoire réelle de l'Espagne que les détails sur les rois, sur les traités et 
sur les batailles que les historiens se sont plu à accumuler. 

(1) « Could contribnte little to the exigencies of the slate.g» Dunlop , Memoirs , 1. 1, 
pag. 285. Compare* Lamentos Apologéticos t dans Dos Discursos, édit. Conga. Madrid, 
1794, pag. 82, sur l'état des choses dans » lo mas fertil de Àndalucia. » Le gouvernement 
commença à sentir qu'il y avait quelque chose à faire quand il vit qu'il n'y avait plus moyen 
d'arracher d'argent au peuple. En mai 1667, un conseil d^at convoqué par la reine lui 
rendit cette réponse : « Quant aux ressources qu'on voudrait tirer de l'Espagne sous forme 
de dons volontaires ou autrement , le conseil estime qu'il est bien difficile d'imposer aux 
peuples des charges nouvelles. > Et en novembre de la même année, à une autre réunion du 
conseil, un mémoire fut rédigé portant que t depuis le règne de don Ferdinand le Catho> 
ligue jusqu'à ce jour, la monarchie d'Espagne ne s'est pas encore vue si près de sa ruine, si 
épuisée, si dénuée des ressources nécessaires pour faire face à un grand péril. » Voyez les 
extraits des.séances des conseils publiés, je crois, pour la première fois par M. Mignet dans 
ses Négociations relatives à la succession d'Espagne, t. II, pag. 124, 801. Paris, 
1835, in-4\ Voyex aussi dans le même ouvrage très estimé (t. II, pag. 127) une lettre à 
Louis XIV de son ambassadeur à Madrid, datée du 2 juin 1667, établissant que « l'extré- 
mité est ici si grande, qu'il se fait une contribution volontaire de tous les particuliers 
qu'on appelle donativo pour fournir quelque argent pour les nécessités publiques.» 



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8<4 HISTOIRE 

que, quoiqu'ils eussent besoin d'argent, ils craignaient en- 
core plus de voir leur famille mourir près d'eux faute de tout. 
[^ conséquence de tout ceci fut que la capitale courut le dan- 
ger d'être prise par la famine, et comme les menaces ordi- 
naires n'avaient aucun résultat, il fut décidé, en 1664, que le 
président de la Castille se rendrait, suivi de la force armée et 
du bourreau, dans les villages adjacents et contraindrait les 
habitants à porter leurs provisions au marché de Madrid (4). 
La pauvreté régnait dans toute l'Espagne. Cette contrée, jadis 
riche et prospère, se voyait couverte d'une foule de moines 
et de prêtres, dont la rapacité insatiable absorbait le peu de 
bien qui lui restait, et il arriva bientôt que le gouvernement, 
quoiqu'il fût sans ressources, ne put lever aucun argent. Les 
collecteurs de taxe, pour feire face au déficit, eurent recours 
aux mesures les plus désespérées. Ils ne se contentaient pas 
de saisir la literie et tout le mobilier, ils enlevaient les toits 
des maisons et en vendaient les matériaux au plus offrant. 
Les habitants prenaient la fuite, abandonnant leurs champs 
sans culture. Une multitude d'individus sans abri, exposés à 
toutes les variations de l'atmosphère, au froid comme à l'ar- 
deur du soleil, mouraient encore de faim. Des villages entiers 
furent désertés, et dans plus d'une ville les deux tiers au 
moins des maisons se trouvèrent, à la fin du dix-septième 
siècle, entièrement détruites (2). 

(1) En 1664, si? Richard Fanshawe écrit de Madrid an secrétaire Bennet : «Since my last 
to you,of yesterday, the Président of Castile,having,by the king's spécial and angry com- 
niand , gone forth to the neighbonring villages, attended vritn the hanghman, and what- 
soever else of terror incident to his place and derogatory to his per&on, the markets in this 
town begin to be fnrnished again plentifnlly enoogh. » Memoirs of Lady Fanshatoe, 
written by herself, édit. Lond., 1830, pag. 391. 

(2) Il fallait la preuve positive et incontestable donnée par on témoin contemporain ponr 
qu'on pût ajouter foi à de pareils faits. En 1666, Alvarei Osorioy Redin écrivit stuDiêCursos. 
Ils forent publiés en 1667 et 1688; ils forent réimprimés à Madrid en 1775 etde ce dernier 
onvrage (pag. 345-348) j'extrais les détails suivants : « Es preciso decir con la mayor bre- 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 85 

' Tant de calamités détruisirent en Espagne toute énergie, 
toute vitalité. Partout la vie, la puissance disparurent. Les 
troupes espagnoles furent défaites à Rocroy en 1643 et plu- 
sieurs écrivains attribuent à cette défaite la perte de la répu- 
tation militaire de l'Espagne (1). Ce n'était là qu'un fait 
entre plusieurs autres (2). En 1656, on proposa d'équiper 



vedad, que pide el asunto, en la forma que los comisionantes cootinuamente estàn saqueando 
todos los Ingares, con capa de servir a V. M. Entran en ellos, intiman sus comisiooes à las 
justieias, y ellas les suplican, lengan misericordia de los moradores, que estàn con mâcha 
necesidad. Y luego qne toman el nso , dicen : que à ellos no les toca dispensar en hacer 
gracias : qne traen orden de eobrar con todo rigor las cantidades , que deben los lugares ; 
y tambien dicen han de eobrar sus salarios. Y se Tan entrando por las casas de los pobres 
labradores, y demâs vecinos ; y con mucha cuenta y razon , les quitan el poeo dinero, que 
tienen : y à los que no tienen , les sacan prendas : y donde no las hallan * les quitan las 
pobres camas, en que duermen : y se detienen en vender las prendas, todo el tiempo que 

pueden. » • Los saquéos referidos van oontinuando, obligando à los mas vecinos 

de los lugares, à que se vayan huyendo de sus casas, dexando baldias sus haciendas de 
campo ; y los cobradores no tienen lâstima de todas estas miserias, y asolaciones, como si 
ntraran en lugares de enemigos. Las casas, que hallan varias, si hay quien si las compre, 
las venden : y quando no pueden venderlas, las quitan los texados; y venden la texa, y 
madera por qualquier dinero. Con esta destruicion gênerai, no han quedado en pie en los 
lugares la tercera parte de casas, y de han muerto de necesidad gran multitud de personas. 
Con lo quai los Ingares no tienen la mitad de familias, qoe antiguamente habia en Espana. 
Y si no se pone remedio â todo referido, sera preciso, que la vengan à poblar de otros 
Reynos. » 

(1) « Alli acabô aquella antigua milicia espanola que desde el tiempo de los reyes catô- 
licos habia ganado tan gloriosos triunfos, siendo el terror de sus enemigos. » Tapia, 
CivUizacion Espanola, t. III, pag. 150. Madrid, 1840. < La batalla de Rocroy, en qne el 
jôven Gondé recogiô los laureles con que engalanô la dorado cuna del nino Luis XIV, acabo 
con la repntacion que aun habian podido ir conservando los viejos tercios espanoles de 
Flandres. > Lafnente, Hist. de Espana, t. XVII, pag. 368. Madrid, 1856. 

(2) Dans Glarendon {State Papers, 1. 1, pag. 275. Oxford, 1767, in-fol.) je trouve une lettre 
écrite par Hopton au secrétaire Windebank, datée de Madrid le 31 mai 1636. L'auteur 
de cette communication officielle donne la description des troupes espagnoles qoi viennent 
d'Ôtre levées et dit : » I hâve observed thèse levies and I find the horses are so weak, as the 
most of them will nerer be able to go to the rendez-vous, and those very hardly gotten 
the infantry so unwilling to serve, as they are carried like gallow slaves, in chains, which 
serves not the tnrn, and so far short of the number that was proposed as they corne not to 
one of three. » Ceci se passait huit ans avant la bataille de Rocroy. Après, les choses s'empi - 
rôrent rapidement. Une lettre de sir Edward Hyde au secrétaire Nicholas, datée de Madrid 
le 18 mars 1649-50, établit que » Spanish affaires are really in huge disorder and capable 
of being rendered almost desperate. » Une autre lettre du 14 avril 1650 porte : « If s orne 
miracle do not préserve them, the crown must be speedily destroyed.» Glarendon , State 

T. IV. 6 



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86 HISTOIRE 

une petite flotte ; mais l'industrie de la pêche sur les côtés 
avait été tellement négligée, qu'il fut impossible de trouver 
assez de matelots pour équiper les quelques vaisseaux qu'on 
demandait (1). Les cartes qu'on avait dressées étaient perdues 

Pa/per s, t. III, pag. 13, 17. Oxford, 1786. Un rapport officiel sur les Pays-Bas, présenté à 
Louis XIV en 1655, déclare que les Hollandais « considered Spain so weakened, as to be 
out of condition to renew the war within the next one hundred years. » Raumer, Hist. of 
thesixteenth andSeventeenth Centuries, illustrated by Original Documents. Lond., 
1835, 1. 1, pag. 337. Voyez aussi Mignet, Négociations relatives à la succession d'Es- 
pagne. Paris, 1635 1642, in-4°, 1. 1, pag. 37, 38, 314, 315; t. III, pag. 684; t. IV, pag. 218, et 
l'État de l'Espagne. Genève, 1681, pag. 83, 271. < L'Espagne faisant en nos jours plus de 
pitié que de peur à ceux qu'elle a tenus longtems dans une crainte perpétuelle et dans une 

respectueuse vénération. • « Aussi peut-on dire que les Espagnols qui étoient 

autrefois des lions, ou des véritables hommes et incomparables en valeur, sont maintenant 
des cerfs ou des femmes et enfin des personnes peu propres à la guerre. » Et enfin l'explica- 
tion de tout ceci dans Yanez, Memorias, Prologo, pag. 148, 149. Madrid, 1723. t La Monar- 
quia de Espana, cuya decadencia la aria yà Dios decretado desde el ano de 1621, > etc., qui 
pousse le blasphème jusqu'à accuser le Tout-Puissant de ce qu'ils ne devaient qu'à leur 
propre folie, parce qu'ils s'obstinaient à fermer les y eux sur les véritables causes de leur ruine. 
(1) c A centuryago, Spain had been as suprême at sea as on land ; her ordinary naval 
force was 140 gallies which mère the terror both of the Mediterranean and Atlantic. But 
now ( 1656) in conséquence of the déclin of commerce and fisheries on the coast, instead of 
numerous squadrons of the Darias and Mendozas -which were -wont to attend the move- 
ment s of the first great John of Austria and the Emperor Charles the présent high admirai 
of Spain, and favourite son of its monarch, put to sea with three writched gallies, which, 
withdifficulty, escaped from some Alegerine corsairs and were afterwards nearly ship- 
wrecked on the coast of Africa. » Dunlop, Memoirs, 1. 1, pag. 549. En 1663, «il n'y avait à 
Cadix ni vaisseaux ni galères en état d'aller en mer. Les Maures insultaient audacieuse- 
ment les côtes de l'Andalousie, et prenaient impunément les barques qui se hasardaient à 
une lieue de la rade. Le duc d'Albuquerque, qui commandait les forces navales, se plai- 
gnait hautement de la position humiliante dans laquelle on le laissait. Il avait demandé 
avec instance qu'on lui donnât des matelots et des soldats pour mettre sur les vaisseaux ; 
mais le comte de Castrillo, président du conseil de finances ( de la hacienda) avait déclaré 
qu'il n'avait ni argent ni la possibilité d'en trouver, et conseillait de renoncer à l'armée 
navale. » Mignet, Négociations relatives à la succession d'Espagne, 1. 1, pag. 315, 316. 
Paris, 1835, in-4*. D'après les manuscrits contemporains, même en 1648 l'Espagne était 
« become so feebte in point of naval affairs as to be obligea to hire Outch vessels for carrying 
on her American commerce. » Macpherson, Annals of Commerce, t. II, pag. 435. Lond., 
1805, in-4*. Enfin, pour compléter notre série de preuves, il existe une lettre dans Claren- 
don, State Papers, t. II, pag. 86. Oxford, 1773, io-fol., écrite de Madrid en juin 1640, por- 
tant que « for ships they hâve few, marinera fewer, landsmen not so many as they need, 
and, by ail signs, money not at ail that can be spared. » L'histoire d'Espagne durant cette 
période n'a jamais été écrite, et je me vois forcé pour ma propre justification de donner ces 
passages et quelques autres de même nature dans toute leur étendue au risque, je le crains 
bien, d'ennuyer quelques lecteurs. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 87 

ou oubliées; et l'ignorance des pilotes espagnols était notoire 
à ce point que personne ne voulait se confier à eux(l). Quant 
au service militaire, il est établi, dans un rapport sur l'Es- 
pagne, que bien avant dans le dix-septième siècle la plupart 
des troupes avaient déserté leur drapeau, et que le peu qui y 
étaient restées fidèles étaient déguenillées, ne recevaient 
point leur paie et mouraient de faim (2). Un autre récit nous 
montre ce beau royaume, si puissant autrefois, complètement 
déchu et sans défense; les villes frontières sans garnisons, 
les fortifications démantelées et tombant en ruine; les 
magasins sans munitions; les arsenaux vides; les ateliers 
sans ouvriers et jusqu'à fart de construire les navires entiè- 
rement perdu (3). 

(1) Et quand on se fiait à eux on était dnpe. C'est ce que Stanhope eut lieu de reconnaître 
au commencement de sa carrière comme ministre de la Grande Bretagne à la courde Madrid 
en 1690. Voyez sa lettre à lord Shrewsbury dans Manon, Spainunder Charles II. Lond., 
1840, pag. 3. c We were forced into a small port called Ferrol, three leagues short of the 
Groyne and bythe ignorance of a spanish pilot our ships fell foui one with another and the 
admiral's ship was on ground for some hours, but got off clear without any damage. > Le 
fait est que les marins espagnols, jadis les navigateurs les plus hardis et les plus habiles du 
monde, étaient dégénérés à ce point qu'au commencement du dix-huitième siècle, nous 
trouvons qu'il est reconnu qne « to form a Spaniard to marine affairs is transporting 
them into unknown countries. » The History of Cardinal Alberoni. Lond., 1719, pag. 257. 

(2) < Le peu de soldats qui résistaient à la désertion étaient vêtus de haillons, sans solde, 
sans pain. » Mémoires de Louville, édit. Paris, 1818, 1. 1, pag. 72. » Dans l'état le plus 
misérable. » Pag. 43. Comparez Lafnenle sons le règne de Philippe IV (Historia, t. XVI, 
pag. 519) : « Los soldados peleuban andrajosos y medio desnudos. » Et d'Aulnoy en 1679 
(Relation du voyage d'Espagne, 1. 1, pag. 168) : « Il est rare que dans tout un régiment il 
se trouve denx soldats ayant plus d'une chemise. 

(3) t Ruinosos los muros de sus fortalezas, aûn ténia Barceiona abiertas las brecha, que 
hiso el duque de Vendoma; y desde Rosas ha 8 ta Cadiz, no habia Alcazar, ni Castillo, no 
solo presidiado , pero ni montada su artilleria. La misma negligencia se admiraba en los 
puertos de Vizcaya, y Galicia; no tenian los almazenes sus provisiones, faltaban fundi- 
dores de armas , y las que habia, eran de ningun uso. Vacios los arsenales y artilleres, se 
habia olvidado el arte de construir naves, y no ténia el Rey mas que las destinadas al 
comercio de Indias, y algunos galeones; seis galeras, consumidasdel tiempo, y del ocio, se 
ancoraban en Caragena. > Bacallar, Comentarios de la Guerra de Espafta, 1. 1, pag. 43. 
Un témoin oculaire dit que c the best fortresses consisting of ruined walls, mounted with 
hère and there a rusty cannon, and the man thought an able engineerwho knewhowto lire 
them. «Ripperda, A/emotr*, 2' édit. Lond., 1740, pag. 227. 



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88 HISTOIRE 

Pendant que le pays tout entier était languissant et 
comme Trappe au cœur par quelque maladie mortelle, les 
plus horribles scènes se passaient dans la capitale sous les 
yeux mêmes du souverain. Les habitants de Madrid étaient 
affamés, et les mesures arbitraires auxquelles on avait eu 
recours pour leur procurer des vivres ne pouvaient leur pro- 
curer qu'un soulagement temporaire. Plusieurs tombèrent, 
épuisés, dans les rues; plusieurs moururent en tombant; 
on en trouva d'autres morts sur les grands chemins, mais 
personne n'avait de quoi venir à leur secours. Le désespoir 
s'empara du peuple; il perdit bientôt tout empire sur lui- 
même. En 1680, les ouvriers de Madrid ainsi qu'un grand 
nombre de commerçants s'organisèrent en bandes, forcèrent 
les maisons fermées, puis ils les pillèrent et en tuèrent les 
habitants à la face du soleil (1). Durant les dernières vingt 
années du dix-septième siècle, la capitale ne fut pas seule* 
ment dans un état d'insurrection mais d'anarchie. La société 
se relâchait, elle semblait se dissoudre et ses éléments 
se disperser. Pour employer le langage emphatique d'un 
contemporain, il n'y avait ni liberté ni réserve (2). Les 
fonctions ordinaires du gouvernement exécutif étaient sus- 
pendues. La police de Madrid, ne pouvant obtenir les 

(1) Dunlop, Memoirs, t. II, pag. 224, 225. En 1680, madame de Villa», femme de l'am- 
bassadeur de France, écrit de Madrid que tel était l'état des affaires dans cette ville que son 
mari trouva bon qu'elle retournât dans son pays. Lettres de madame de Villars. Amster- 
dam, 1759, pag. 169. Une lettre écrite par l'ambassadeur de Danemark en 1677 parle de 
toutes les maisons de Madrid comme étant toutes aussi bien montées de haut en bas « from top 
to bottom. > Mignet, Négociations relatives à la succession df Espagne, t. IV» pag. 63& 
Paris, 1842, in-4*. C'est surtout en Andalousie que les morts par la lamine ont été nom- 
breuses. Voyez Tapia, Civilization Espafiola, t. III, pag. 167. * En Andalucia ecpecial- 
mente moria mueha gente de hambre, y el consulado de Sevilla enviô una diputacion para 
representar que aquella ciudad habia quedado reducida à la cuarta parte de la poblacion 
que habia tenido cincuenta anos antes. > Sur l'état du peuple en général, comparée les 
Lettres de Villars, pag. 145,152,161. 

(2) c Point de libertés et poinl de frein. * Mém. de LouviUe, t. i, pag. 68. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 89 

arrérages de la paie qui lui était due se débanda et s'adonna 
au vol et h la rapine. Personne ne voyait de remède 
à tant de maux. Le trésor était vide et il était impos- 
sible de le remplir. La cour était si pauvre que l'argent 
manquait pour payer les gages des domestiques privés du 
roi et pour faire face aux dépenses journalières de sa 
maison (1). En 1695, on suspendit le paiement des pen- 
sions, et le traitement des officiers et des ministres de la 
couronne fut diminué d'un tiers (2). Mais rien ne pouvait 
arrêter le mal. La famine et la pauvreté ne faisaient 
qu'augmenter (3), et en 1699, Stanhope, ministre anglais ré- 



(I) En 4684, l'ambassadrice de Madrid écrit : « Je ne vous parle pas de la misère de ce 
royaume La faim est jusque dans le palais. J'élais hier avec hnit on dix camaristes et la 
Moline qui disaient qu'il y avait fort longtemps qu'on ne leur donnait plus ni pain ni viande. 
Atx écuries du roi et de la reine, de même. » Lettres de madame la marquise de Villars 
Amsterdam, 4759, pag. 246, 247. L'année qui suivit la mort de Charles II « il n'y avait pas 
defonds pour les choses les plus nécessaires, pour la cuisine, l'écurie, les valets de pied,» etc. 
Millot, Mém. du duc de Noailles, t. II, pag. 26, (dit. Petitot. Paris, 4828. Entre autres 
misérables expédients, l'argent courant était si déprécié que, dans une lettre de Martin au 
docteur Feaser datée de Madrid le 6 mars 4680, nous lisons : c The fall of money to one 
fourth part of its former value. » Miscellany ofthe Spalding Club, t. V, pag. 487. Aber- 
deen, in-4% 4852. 

(i) c The king has taken away, by a late decree a third part of ail wages and salaries of ail 
officers and ministers without exception and suspended for the ensuing year, 4694, ail pen- 
sions for life granled either by himself or his father. » Lettre de l'ambassadeur d'Angleterre, 
datée de Madrid 48 novembre 4693, dans Manon, Spain under Charles II. Lond., 4840, 
pag. 40. Ce fait est eneore constaté par Millot, Mém. de Noailles, 1. 1, pag. 360. Paris, 4828 : 
«Retranchant le tiers des dépenses de sa maison et des appointements de ses officiers tant 
militaires que civils. » Dans le règne précédent, la pension avait été. supprimée pour quelque 
temps au moins. En 4650, sir Edward Hyde écrit de Madrid : « There is an uni versai stop of 
ail pensions which hâve been granted formerly. » Glarendon, State Paper s, t. II, pag. 538. 
Oxford, 4773. La mesure qui fut prise ensuite fut en 4667 une proposition pour taxer les 
salaires des membres du conseil de Gastille, d'Aragon, etc.; mais cette idée fut abandonnée 
et tous enfin furent englobés avec les autres fonctionnaires publics dans l'édii de 4693. 
Voyez la lettre de l'ambassadeur tie France à Louis XIV, datée de Madrid le 2 juin 4667, 
dans Mignet, Négociations, t. H, pag. 428. Paris, 4835, in-4*. Le seul moyen de retrouver 
l'histoire de l'Espagne au dix-septième siècle, c'est de comparer ces documents et quelques 
antres de même nature avec les pauvres notes qui se trouvent éparses dans les écrivains 
espagnols. 

(3) En 4695, « the misérable poverty in this country. » Travels through Spain, per- 



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90 HISTOIRE 

sidant à Madrid, écrit qu'il ne se passe pas un jour que l'on 
ne tue dans les rues des gens qui se battent pour avoir da 
pain; que son secrétaire a vu cinq femmes mourir étouffées 
par la populace ameutée devant une boulangerie, et que, 
comme si la misère n avait pas atteint ses dernières limites, 
plus de vingt mille mendiants de la campagne sont venus 
grossir le nombre de ceux de la capitale (1). 

Si cet état de choses avait encore duré pendant une gêné* 
ration, l'anarchie la plus sauvage aurait régné partout et 
l'édifice de la société eût croulé (2). La seule chance de 
salut pour l'Espagne, la seule qui pût l'empêcher de retomber 
dans la barbarie, c'était qu'elle tombât, et au plus vite, sous 
une domination étrangère. Il le fallait de tout nécessité, et l'on 
put craindre un moment que ce changement ne revêtît une 
forme qui eût été particulièrement odieuse à la nation, car 
bien avant dans le dix-septième siècle, Ceuta fut tout à coup 



formed by a Gentleman, Lond., 4702, pag. 61 Et la même année : • L'Espagne manquant 
de tout, d'hommes et d'argent. » Mém. de Nouilles, 1. 1, pag. 402. « L'Espagne presque 
anéantie. » Pag. 424. 

(1) Voyez les lettres dans Mahon (Spain under Charles H, pag. 138-440) da 24 mai : 
< We hâve an addition of above 20,000 beggars, flocked from the country round, to share 
in that little hère is, who were starving at home, and look like ghosts. > Du 27 mai : < The 
scarcity of bread is growing on apace towards a famine, which increases, by vast m alti- 
tudes of poor that swarm in upon us from the coantries roand abont. I shifled the best 
1 conld till this day, bot the difficalty of getting any without authority, bas made me recur 
to the corregidor, as most of the foreign ministers had done before ; he very coarteously, 
after inquiriog what m y family was, gave me an order for twenty loaves every day : but 
I must send two leaguas, to vellajas, to fetch it, as I hâve done this night,and my serrants 
with long guns to secore it when they hâve it otherwise it would be taken from them, for 
several people are killed every day in the streets in scuffles for bread, ail being lawfnl prise 

that any body can catch. » « My secretary, Don Francisco, sawyesterday five poor 

women stiffled to death by the crowd before a bake houle. » 

(2) Même M. Lafaente qui, n'ayant eu recours à aucune des autorités que j'ai citées dans 
ces dernières pages, ne peut avoir aucune idée exacte de l'extrême misère de l'Espagne, et 
reconnaît que • jamâs monarcas ni pueblo alguno se vieron en tan lastimosa situation y en 
tan misera trance como se hallaron en este tiempo ( 4699) Carlos II y la Espana. » Lafaente, 
liist. de Espana, t. XVII, pag. 426. Madrid, 4856. 



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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 91 

assiégée par les mahométans, et comme le gouvernement 
espagnol n'avait ni troupes, ni vaisseaux, on conçut les plus 
grandes appréhensions sur le sort de cette importante forte- 
resse; car on ne pouvait guère douter que si elle tombait 
au pouvoir de l'ennemi, l'Espagne ne fût de nouveau envahie 
par les infidèles qui, cette fois du moins, eussent rencontré 
peu de difficultés pour réduire un peuple affaibli par les 
souffrances, un peuple affamé, à demi mort (\). 

Heureusement, en l'année 1700, quand les affaires allaient 
au plus mal, Charles H, le roi idiot, mourut et l'Espagne 
tomba entre les mains de Philippe Y, petit-fils de Louis XIV. 
La dynastie des Bourbons (2) en succédant à la dynastie au- 
trichienne, amena plusieurs grands changements. Philippe, 
qui régna de 1700 à 1746 (5) était Français, non seulement 
par la naissance et l'éducation, mais par. les sentiments et 
toutes ses habitudes (4). À la veille de son entrée en 

(I) c Les Maures d'Afrique assiégeoient Ceata. Le roi d'Espagne manqnoit non seulement 
de troupes, mais de vaisseaux pour transporter le peu de secours qu'il pouroit y envoyer : 
Louis XIV lui fit offrir les troupes et les vaisseaux dont il auroit besoin. 11 s'agissoit non 
seulement de conserver Ceuta, mais de plus Oran ; par conséquent d'empêcher la prise de 
deux places dont la conquête facilitait aux Maures un retour en Espagne. » Mém. du mar' 
quis de Torcy, 1. 1, pag. 46, édit. Paris, 1828. A propos des attaques contre Ceuta de 1696 
à 1696, voyez Ortix, Compendio de la Historia de Espalia, t. VI, pag. 556, 557, 561. 

(3) Un célèbre écrivain moderne a fait là-dessus quelques remarques qui sont trop con- 
tradictoires pour être omises •» Con el siglo XVII acabo tambienladinastia anstriaca en 
Espana, dejando à esta nacion pobre, despoblada, sin fuerzas maritimas ni terrestres, y 
por consiguiente à merced de las demas potencias que intentaron repartir entre si sus 
colonias y provincias. Asi habia desparecido en poco mas de un siglo aquella grandeza y 
poderio, aquella fuerza y heroismo, aquella cultura é ilustracion con que abia descoliado 
entre todas las naciones. > Biografia de Ensenada, dans Navarrete, Opt&culos. Madrid, 
1848, t. II, pag, 5. 

(3) Excepté pendant le court interrégne de Louis, en 1724, qui ne dura que quelques mou, 
et pendant lesquels le jeune prince, quoiqu'on l'appelât t le roi > n'eut aucun pouvoir 
réel el Philippe fut en réalité le maître. « Aun el nuevo rey no resolvia negocio de consi- 
dération sin asenso de su padre. » Ortiz, Compendio, t. VU, pag. 374. 

(4) Saint-Simon, qui connaissait bien Philippe et qui fut en Espagne en 1721 et en 1722» 
dit de lui : ■ L'amour de la France lui sortait de partout. » Mém. du duc de Saint-Simon 
Paris, 1841, t. XXXVII, pag. 3. Et en 1746, peu de temps après sa mort, Noailles écrit 



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92 HISTOIRE 

Espagne, Louis lui avait recommandé de ne jamais oublier 
qu'il était Français, et qu'il pourrait un jour monter sur le 
trône de France (1). Devenu roi, il négligea les Espagnols, 
méprisa leurs conseils et mit tout le pouvoir dont il pouvait 
disposer entre les mains de ses compatriotes (2). Les affaires 
de l'Espagne furent donc administrées désormais par des 
sujets de Louis XIV, et son ambassadeur à Madrid y rem- 
plissait le plus souvent les fonctions de premier mi- 
nistre (3). La plus puissante des monarchies n'était guère 
plus qu'une province de France, car toute affaire de quel- 
que importance se décidait à Paris d'où Philippe lui-même 
recevait ses instructions (4). 



d'Aranjuez : < Ce prince a le cœur tout français. » Millot, Mém. de Noailles. Paris, 4829, 
t. IV, pag. 494. 

(1) « N'oublie* jamais que von s êtes Français et ce qni peut tous arriver. » Millot, Mém. 
de Noailles, t. II, pag. 6. Comparez Coxe, Mem. ofthe Bourbon Kings ofSpain. LoncL, 
1815,t.I,pag.403. 

(2) En 4702, Philippe* parlait moins que jamais, et seulement anx Français, comme s'ils 
eussent été les seuls êtres de son espèce. » Mém. de Louville, 1. 1, pag. 976. « Le dégoût 
que Philippe laissait voir pour sa cour espagnole. » Pag. 333. Un homme d'État célèbre ou 
plutôt ayant une grande notoriété, vers la fin du siècle, s'écrie avec indignation : t It vras on 
the accession of the Bourbon dynasty, that foreigners came to govern us on our native soûl. » 
Godoy, Memoirs, édit. Lond., 4836, t. II, pag. 274. 

(3) En 4704, c'était du devoir de l'ambassadeur de France < qu'il pût au besoin être pre- 
mier ministre d'Espagne. » Millot, Mém. de Noailles, t. II, pag. 34. « Que l'ambassadeur 
de Sa Majesté soit ministre du roi catholique; que sans en avoir le titre, il en exerce les 
fonctions; qu'il aide au roi d'Espagne à connaître l'état de ses affaires et à gouverner par 
lui-même. » Pag. 55. En 4702, Mazarin écrit à Louis XIV : « Comme il est absolument néces- 
saire que l'ambassadeur de Votre Majesté en Espagne ait un crédit sa os bornes auprès du 
roy son petit fils. » Pag. 483. En 4705, Amelot, l'ambassadeur français, « décidait de tout en 
Espagne. » Mém. de Louville, t. II, pag. 465. Et en 1706 : • Étant à la tête des affaires et 

* joignant presque les fonctions de premier ministre à celles de l'ambassadeur. > Noailles, 
t II, pag. 39& 

(4) En 4703 : < Il est clair que l'embarras de Philippe venait surtout de la crainte que 
ses décisions ne fussent point approuvées en France où toutes les affaires importantes se 
décidaient. » Millot, Mém. de Noailles, t. II, pag. 244. t The kiog of France had atways 
certain perso os at Madrid, which composed a ceuncil, of which that of Versailles was the 
soûl; and whose members were ail créatures of the French court and sent to Madrid from 
Urne to time to direct ail affairs there, accord ing to the vievs of the Most Christian King, 
and te give him an account of every thing that passed in the Councils of the Escurial. Aibe- 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 95 

La vérité est que l'Espagne» brisée, vaincue, se sentait 
incapable de quoi que ce fût, et puisqu'il fallait que le pays 
fût gouverné, il fallut que des étrangers fussent appelés au 
gouvernement (1). Même en 1682, c'est à dire dix-huit ans 
avant l'avènement de Philippe V, il ne s'était pas trouvé un 
Espagnol versé dans l'art de la guerre; si bien que Charles II 
s'était vu forcé de confier la défense militaire des Pays-Bas 
espagnols à de Grana, ambassadeur d'Autriche à Madrid (2). 
Quand donc la guerre de succession éclata en 1702, les Espa- 
gnols furent les premiers à demander que le commandement 
de leurs troupes fût confié à un étranger (3). 



roni got to be initiated in the mysteries of Uns cabal. > HisL of Cardinal Alberoni. Lood . , 
17|9, pag. 70. Les historiens espagnols n'aiment pas à reconnaître ce fait incontestable 
cependant; mais Bacallar, après avoir parlé de l'influence de l'ambassadeur de France, 
ajoute franchement : < Desde entonces tomaron tanta mano sobre los deEspana los mi Bis- 
tros Franceses,quedieroo mas zelos â los Principes viendo estrechar la union à un grado, 
que todo se ponia al arbitrio de Luis XIV. » Bacallar, Comentarios de la Guerra de 
j£*/WftM.I,pag.33. 

(i) Ce vétéran diplomate fut lui-même si frappé de ce que l'Espagne échappait à la ruine 
complète, qu'il attribue ce changement de maîtres à l'intervention directe de la divinité. 
« Sa seule puissance avait placé Philippe V sur le trône d'Espagne ; elle seule pouvoit l'y 
staintenir ; les hommes n'a voient pas conduit ce grand événement. > Mém. de Torcy, 1. 1, 
pag. 333. c Le trône où Dieu l'avoit placé. > Pag. 401. Voyez aussi t. II , pag. 3, 227. < The 
Spanish people reeeived him with unhesitating obédience to the deceased king's will, and 
rejoiced at the prospect of a ru le that would at least hâve the merit of being différent from 
tjiat under which they had so long withered. » Mem. of Peterborough. Lond., 4853, 1. 1, 
pag. 402. ilfuchos espanoles recibieron porsu soberano à Felipe V, cansadosde la domina- 
cion de la casa de Austria. Esperaban de la mudanza de la dinastia la feiicidad y el buen 
gobierao. > Castro, Decadencia de Espaila. Cadiz, 1852, pag. 131. Et encore Millot, Mém. 
de NoaiUes, 1. 1, pag. 420, 426 ; t. II, pag. 9. 

(2) 11 i committed the military defence of thèse provinces to the Marquis of Grana, the 
Anstrian ambassador at Madrid, from the want of any Spanish commander -whose courage 
or military endowments qualified him to repel such an enemy as the king of France. » 
Dunlop, Memoirs, t. II, pag. 232. Comparez sur l'absence de généraux espagnols, Mém. du 
maréchal de Grammont, édit. Paris, 1827, t. II, pag. 82. On peut voir l'opinion que Grana 
loi-même se formait du gouvernement espagnol par une conversation qn'il eut à Madrid 
en 1680 avec l'ambassadrice de France et qui se trouve conservée dans sa correspondance. 
lettres de madame la marquise de Villars. Amsterdam, 1759, pag. 118, 119. 

(3) Voyez la lettre de Philippe V à Louis XIV, datée du 22 juin 1702, dans les Mém. de 
Nouilles. Paris. 1828, édit. Petitot, t. II, pag. 256, 257. 



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94 HISTOIRE 

En 1 704, on vit, fait inouï, le duc de Berwick, un Anglais ! 
mener les Espagnols à l'ennemi, avec le titre de capitaine 
général de l'armée espagnole (1). Le roi d'Espagne, mécon- 
tent de lui, voulut le remplacer ; mais au lieu de nommer un 
Espagnol à sa place, il s'adressa à Louis XIV pour avoir un 
autre général, et ce poste important fut confié au maréchal 
Tessé, un Français (2). Un peu plus tard, Berwick fut rappelé 
à Madrid et reçut Tordre de se mettre à la tête des troupes 
espagnoles et de défendre Estramadure en Castille (5). Il le 
fit avec succès, et à la bataille d'Àlmansa qu'il livra en 1707, 
il battit l'ennemi, détruisit le parti du prétendant Charles (4) 



(4) Voyez Bacallar, Comentarios de la Guerra de EspaHa, t. 1, pag. 437, 466, où il est 
appelé « el Daque de Bervich. » Voici ce qu'il dit lai-méme ; « J'arrivai à Madrid le 45 février 
(4701), où d'abord S. M. catholique me fit capitaine général de ses armées. ■ Mém. de 
Berwich. Paris, 4778, t. I, pag. 227, et voyei pag. xxv. Personne ne pourrait supposer 
ce fait d'après les observations de M. Lafnente dans son Hist. de Espafla. Madrid, 4857, 
t. XVIII, pag. 80. 

(2) t Philippe n'était pas content de Berwick ou plutôt il témoigna ne le pas être, et il 
demanda un autre général à Louis XIV. On lui envoya le maréchal Tessé pour qui il avait 
montré du penchant. » Millot, Mém. de Noailles, t. II, pag. 334. Berwick attribue sa démis- 
sion à l'influence de Grammont et de la reine d'Espagne. Mém. de Berwick, t. I, 
pag. 269-273. Ce qui est vrai, c'est que le nouveau général fut tout-puissant. En décem- 
bre 4705, la princesse des Ursins écrit de Madrid à madame de Maintenon : t M. le maréchal 
de Tessé, quand il est à Madrid, est consulté et décide sur tontes les affaires, autantpour 
le moins que M. l'ambassadeur, et lorsqu'il est à l'armée il est le maître absolu non 
seulement des troupes de France, mais encore de celles d'Espagne, commandant aux capi- 
taines généraux, ses anciens , contre l'usage du pays. » Lettres inédites de madame de 
Maintenon et de madame la princesse des Ursins. Paris, 4826, t. III, pag. 259. 

(3) En 4796, < le duc de Berwick, redemandé par Philippe V, arrive à Madrid le 44 mars, 
avec le titre de maréchal de France, pour défend re l'Est ramad are et la Castille, ayant ras- 
semblé ce qu'il peut de troupes espagnoles, empêcha les ennemis d'entreprendre le siège de 
Badajoz. » Millot, M ém. de Noailles, t. Il, pag. 387. Philippe » pria le roi, son grand-père, d'en* 
voyer un général pour commander sur les frontières de Portugal. Ce fut donc sur moi que 
le choix tomba. » Mém. de Berwick, 1. 1, pag. 305. 

(4) Dans un ouvrage publié récemment (Mem. de Peterborough. Lond., 4853, t. I, 
pag. 448,455,464,206,240; t. II, pag. 34, 93), on ne se contente pas d'appeler Charles le roi 
d'Espagne (ce qu'il n'a jamais été, car l'Espagne a toujours refusé de le reconnaître), mais 
en dépit de l'histoire on dit de lui Charles III, tandis que Philippe V n'est que c Philip of 
Anjou, t Si l'on admettait cela, il en résulterait que celui que les Espagnols appellent 
Charles III, aurait à changer son nom et deviendrait Charles IV, et Charles IV serait 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 95 

et affermit le trône de Philippe (1). La guerre continua 
néanmoins; aussi Philippe écrivait-il en 1710 à Paris pour 
demander un autre général en désignant le duc de Vendôme 
comme celui qui lui serait tout particulièrement agréable (2). 
Cet habile commandant, aussitôt arrivé, ranima les conseils 
espagnols et défit complètement les alliés (3). Si bien que la 
guerre, qui assura l'indépendance de l'Espagne, dut son succès 
à l'habileté d'étrangers et à ce fait que les campagnes furent 
conçues et conduites non par les Espagnols eux-mêmes, 
mais par des généraux anglais et français. 

Il en fut de même pour les finances. À la fin du dix-sep- 
tième siècle, elles étaient dans un tel désordre, que Porto- 



Charles V. II est vraiment ridicule que de simples biographes se permettent de créer ainsi 
des obstacles dans le vaste champ de l'histoire pour y faire place à leurs préférences et 
cherchent à en déranger les nomenclatures, parce qu'ils se sont pris de passion pour le héros 
dont ils écrivent la vie. 

(1) « This victory established the throne of Philip. » Dunham,/ft*l. ofSpain, t. Y, 
pag. 436. t A victory which maybejustly saidtohavesavedSpaio.» Coxe, Bourbon Kings 
ofSpain, 1. 1, pag. 408. Ortiz lui-même reconnaît que si Berwiek avait été battu, le roi Phi- 
lippe aurait été perdu : t Esta batalla de Aimansa, que las circunstancias hicieron ruidosa, 
comenzô à poner mejor la corona de Espana en la cabeza de Felipe V ; y se tuvo por indubi- 
table que si la hubiera*perdido, tambien hubiera perdido la corona.» Ortiz, Compendio, 
t. VII, pag. 416. Voyez aussi Lafuente, Hist. de Espana, t. XVI II , pag. 485. « Berwiek, à 
quien, sin duda, debiô su salvacion la Espana. > 

(2) c Sa réputation étoit grande et bien établie; le roi d'Espagne avoit été témoin de sa 
conduite en Lombardie; il demanda au roi un général si capable de commander ses 
armées. » Mém. de Torcy, 1. 1, pag. 386. Voyez aussi Hist. of Alberoni. Lond., 4719, 
pag. 45. « Le duc de Vendôme alloit enfin commander les troupes d'Espagne. » Mém. de 
Nouilles y t. III, pag. 12. A en croire Berwiek, l'offre lui fut faite d'abord. Mém. de Berwiek, 
t. II, pag. 106, 109. M. Lafuente, sans citer son autorité, dit (Hist. de Espana, t. XVIII, 
pag. 279) : c Luego que se perdio la batalla de Zaragoza escribiô Felipe al rey Cristianisimo, 
su abuelo, rogândole que, ya que no pudiera socorrerle con tropas, le enviira al menos al 
duque de Berwiek 6 al de Vendôme. » Mais, comme Berwiek doit avoir eu les moyens de 
connaître le fait mieux que personne, il doit avoir raison quand il dit qu'on s'adressa 
d'abord à lui » 

(3) « Vendôme arrived at this moment to call into action the spirit of the monarch and 
the zeal of his subjects. » Coxe, Bourbon Kings ofSpain, t. U, pag. 41. t The arrivai 
of the Duke de Vendôme again changea the fate of Spain. > Memoirs of Peterborough , 
t. Il, pag. 130. 



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96 HISTOIRE 

Carrero qui à l'avènement de Philippe Y était ministre de 
nom en Espagne, exprima le désir de les voir administrées 
par quelqu'un envoyé de Paris pour les rétablir (1). 11 sen- 
tait qu'il n'y avait en Espagne personne qui fût à la hauteur 
de cette tâche, et il était loin d'être le seul de cette opinion. 
En 1701, Louville écrivit à Torcy, que si un financier ne 
venait pas bientôt de France, il n'y aurait bientôt plus de 
finances à administrer (2). Le choix tomba sur Orry qui 
arriva à Madrid dans Tété de 1701 (3). Il trouva toutes 
choses dans le plus misérable état, et l'incapacité des Espa- 
gnols lui parut si évidente, qu'il se vit contraint de prendre 
non seulement la gestion des finances, mais aussi celle du 
département de la guerre. Pour sauver les apparences, Cana- 
lez fut ostensiblement ministre de la guerre en titre ; mais 
comme il était de la plus complète ignorance en tout ce qui 
concernait les affaires, il ne faisait que la besogne courante 
du département que dirigeait en réalité Orry lui-même (4). 



(1) c Portocarrero, abrumado con las dificultades de la gobernacion , que excedian en 
mucho à sus escasas laces, no contente con haber indacido al rey à qne aumentàra sn con- 
sejo de gabinete con dos ministros màs, qne fneron el marqués de Mancera, présidente del 
de Aragon, y el duqoe de Mont alto, del de Italia, pidiô à Luis XIV le enviàra nna persona 
qne pudiera establecer nn plan de hacienda en Espana, y cor régir y reformar los abuses 
de la administracion. » Lafnente, Hist. de Espafia, t. XVIII, pag. 15. Le 22 jnin 1701, 
Louis XIV écrit an dnc dUarcourt : i Qu'enfin le cardinal Porto-Carrero m'a fait demander 
quelqu'un intelligent en matière de finances pour voir et connoître l'état de celles du roi 
d'Espagne, ponr examiner les moyens les plus propres de soulager ses sujets et de pourfoir 
aux plus pressans besoins du public; qu'il m'assure que toute l'Espagne le désire en 
général: toutes ces raisons m'ont déterminé à choisir le sieur Orry pour l'envoyer à Madrid.» 
Millot, JUém. de NoaiUes, t. II, pag. 44. 

(2) t II faudra que l'homme que tous enverrez pour les finances (car vous aurex la 
bonté d'en envoyer un ou bien nous n'aurons plus de finances).* JUém. de Louville, 1. 1, 
pag. 149. 

(3) Jbid., 1. 1, pag. 181. 

(4) « Canalez, qu'on a substitué à Rivas pour le département de la guerre, n'a aucun talent 
pour cet emploi, selon l'instruction, et toute l'Espagne voit clairement qu'Orry ne le lui a 
procuré qu'afiu d'en exercer les fonctions sous le nom d'un Espagnol. » Millot, JUém. de 
NoaiUes, t. III, pag. 305. En l'anriee 1704. Voyez aussi sur le pouvoir d'Orry au département 



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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 97 

Cette domination française continua sans interruption 
jusqu'au second mariage de Philippe Y, en 1714, et jusqu'à 
mort de Louis XIV, en 1715, deux événements qui affai- 
blirent considérablement son influence et la détruisirent 
même pendant quelque temps. Cependant l'autorité perdue 
par les Français ne fut pas transmise à des Espagnols, mais 
à d'autres étrangers. Entre 1714 et 1726 les deux hommes 
les plus puissants, les plus éminents en Espagne furent Âlbe- 
roni, un Italien, et Ripperda, un Hollandais. Ripperda fut 
congédié en 1726 (1) et après sa chute, les affaires d'Espagne 
furent confiées à Konigseg un Allemand, qui était ambassa- 
deur d'Autriche à Madrid (2). Grimaldo même qui fut aux 
affaires avant et après le renvoi de Ripperda, était un disciple 
de l'école française, il était venu avec Orry (3). Tous ces 

de la guerre, Mem. de Berwick, t. 1, pag. 226, 227,306, 316; t. II, pag. 166. Berwick détes- 
tait Orry ; il dit de toi (t.&lpag. 232) : t II se mêlait de tout etfaisait tout. » Mais il n'est pas 
douteux qu'il oe fût un homme des plus habiles, ot M. Lafuente (Utit. de Espanu. Madrid. 
1857, t. XIX, pag. 253) avoue naïvement c es lo cierto que hizo abrir mucho les ojos de los 
espanoles en materia de administracion. » Comparez t. XVIII, pag. 369; Ment, du duc de 
Saint-Simon. Paris, 1842, t. VII, pag. 102, 195, et Bacallar, Comentarios de la Guerra 
de EspaHa, 1. 1, pag. 82, 83, 99, 168; t. II, pag. 95, 107. Bacallar le traite durement. 

(1) Ripperda, Memoirs. Lond., 1740, 2* édit., pag. 117, 118, Saint-Simon (Mémoires, 
t. XXXVI» pag. 246) dit que Ripperda était c premier ministre aussi absolu que le fut jamais 
son prédécesseur Alberooi. Les pamphlétaires et les écrivains politiques du dernier siècle 
ont été injustes envers Alberooi. Ce ministre, malgré la témérité dangereuse de sa nature, 
fut l'un des meilleurs ministres qui gouverna l'Espagne. M. Lafuente, tout en reconnaissant 
ses torts, dit (Hist. de Espana, t. XIX, pag. 437, 43t) : «Negarle gran capacidad séria una 
gran injasticia. Tampoco puede disconocerse que réanimé y régénéré laEspana, leventàn- 
dota a un grado de esplendor y de grandeza eu que nunca se habia vuelto à vez desde los 
mejores tiempos de Felipe II. » Voyez aussi un bon résumé de ce qu'il fit pour l'Espagne 
dans Tapia, Hist. de la Civilizacion Espafiola. Madrid, 1840, t. IV, pag. 50, 51. 

(2) « The all-powerfui Konigseg. » Goxe, Bourbon Rings of Spain, t. III, pag. 154. 
t The prince mover of the Spanish counsels. » Pag. 159. En 1727-28 : « Konigseg usurped the 
control over every opération of government. > Pag. 190, et voyez pag. 235. Le grand pou- 
voir dont il jouissait est aussi signalé dans Lafuente {Hist. de Espalla, t. XIX, pag. 71) : 
c El nombre de mas influjo y valimiento en la corte. » 

(3) c Originally a clerk under Orri, he gained the favour of his employer, » etc. Coxe, 
Bourbon Kings ofSpain, t. III, pag. 39. Coxe eut communication d'une grande quantité 
de lettres écrites au dix-huitiéme siècle par des personnages qui se rattachaient à l'Espagne 



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98 HISTOIRE 

faits oe furent pas te résultat d'accidents fortuits, ils ne te 
furent même pas des caprices de la cour : l'esprit national 
était mort en Espagne, et des étrangers, imbus des idées 
étrangères, pouvaient seuls se montrer à la hauteur des de- 
voirs qui incombaient au gouvernement. Aux autorités que 
j'ai déjà cités sur ces faits, j'ajouterai encore deux autres 
témoignages. Noailles, très bon juge en ces matières, qui 
n'était nullement prévenu contre les Espagnols, affirme posi- 
tivement que leur dévoùment au roi n'empêchait pas 
qu'ils ne fussent incapables de gouverner tant ils étaient 
ignorants dans Fart de la guerre ou de la politique (1). 
En 1711, Bonnac dit qu'on avait pris la résolution de ne pins 
mettre d'Espagnol à la tête des affaires parce que ceux qu'on 
avait employés jusque-là s'étaient montrés incapables ou infi- 
dèles^). 

Le gouvernement d'Espagne, enlevé aux espagnols, com- 
mença à se relever. Les changements furent petits, mais la 
direction fut bonne, et si, comme nous le verrons plus tard, 
ils furent impuissants à opérer la régénération de l'Espagne, 
c'est que les causes générales dominantes ne purent être 
détruites. Cependant l'intention était bonne; et les premiers 
efforts tendirent à revendiquer les droits des laïques, et 



et dont un grand nombre sont encore inédites. Ce livre est très estimable, et comme récit 
des événements politiques il est supérieur à tontce que les Espagnols ont produit, quoique 
l'auteur, ai-je besoin de le dire? soit bien inférieur à M. Lafaente comme écrivain et même 
comme artiste par la manière dont il groupe les faits. 

(1) « Que les Espagnols depuis longtemps ignoroient la guerre et la politique ; qu'on devoit 
être sensible à leurs démonstrations d'attachement et de zèle, sans les croire suffisantes 

pour soutenir un État • » l'incapacité des sujets pour le gouvernement. « Millot, 

Mém. de Noailles, t. III, pag. 24, 25. 

(2) c C'était un parti pris, comme l'observe Bonnac, de ne plus mettre le gouvernement 
entre leurs mains. On avoit trouvé parmi eux peu d'hommes capables des grands emplois : 
ceux à qui on les avoit confiés , malheureux ou infidèles, avoient inspiré de l'éloignement 
pour les autres. > Millot, Mém. de Noailles, t. III, pag. 81. 



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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 99 

à diminuer l'autorité des ecclésiastiques. A peine les Fran- 
çais eurent-ils établi leur domination, qu'ils suggérèrent 
l'idée de pourvoir aux premiers besoins de l'État, en obligeant 
le clergé à abandonner une partie des richesses qu'il avait 
accumulées dans les églises (1). Louis XIY lui-même insista 
pour que le poste important de président de la Gastille ne 
fût pas confié à un ecclésiastique, parce que, dit-il, en Espagne 
les prêtres et les moines n'avaient déjà que trop de pou- 
voir (2). Orry, dont l'influence pendant plusieurs années fut 
immense, l'exerça dans le même sens. Il s'efforça de dimi- 
nuer les immunités du clergé quant aux taxes et aussi quant 
à son exemption de toute juridiction laïque. Il s'opposa au 
privilège du sanctuaire ; il chercha à dépouiller l'Église du 
droit d'asile. Il alla jusqu'à attaquer l'inquisition et agit si 
puissamment sur l'esprit du roi, que Philippe fut sur le point 
de suspendre ce terrible tribunal et d'abolir l'office de grand 
inquisiteur (3). Il abandonna bientôt cette idée et il eut 
grand'raison ; car il n'est pas douteux que, si elle eût été 
mise à exécution, elle eût donné lieu à une révolution dans 
laquelle Philippe eût probablement perdu la couronne (4). 



(4) En 4701 : t Les églises d'Espagne ont des richesses immenses en or et en argenterie 
qui augmentent tons les jonrs par le crédit des religieux, et cela rend l'espèce très rare dans 
le commerce. On propose d'obliger le clergé à Tendre une partie de cette argenterie. Ayant 
que de prendre ce parti, il en faùdroit bien examiner non seulement l'utilité, que l'on con- 
noit , mais anssi les inconvéniens qu'un pareil ordre ponrroit produire. » Millot, Mém. de 
NoaiUeSj t. II, pag. 60. 

(2) c II insistoit sur la nécessité de ne pas donner à un ecclésiastique ni à une créature 
du cardinal la présidence de Gastille, quand on rempliroit cette importante place; les 
prêtres et les moines n'avoient déjà que trop de pouvoir. » Millot, Mém. deNoailleSj t. II, 
pag. 77. Comparez pag. 74,72, une lettre de Lonville à Torçy datée du 5 août 4704. 

(3) Coxe, Bourbon Kings of Spain, t. II, pag. 463-465; Mém. de Noailles, t. III, 
pag. 443. 

(4) En 4744, Philippe V n'ayant pas eu le bénéfice d'une éducation espagnole, on jugea 
nécessaire de l'éclairer sur l'inquisition. On lui apprit donc que i la pureza de la religion 
Catôlica en estos reynos se debia à la vigilancia de la Inquisicion y sus ministros , todos 



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400 HISTOIRE 

En pareil cas, la réaction se serait faite et l'Église en serait 
sortie plus forte que jamais. Cependant plusieurs choses 
se firent pour l'Espagne malgré les Espagnols eux-mêmes (i). 
En 4707, le clergé se vit forcé de céder comme contribua 
tion à l'État une petite part de ses énormes richesses, 
quoiqu'on voulût bien déguiser la taxe sous le titre d'em- 
prunt (2). Dix ans plus tard, sous l'administration d'Albe»- 
roni, on mit fin à cette hypocrisie, et le gouvernement ne se 
contenta pas de percevoir ce qu'on appelait alors « la taxe 
ecclésiastique, il fit mettre en prison ou exiler tous les prê- 
tres qui refusaient de payer en se fondant sur les privilèges 
de leur ordre (3). C'était là une décision hardie à prendre en 



justos, clémentes y circunspectos, no rigidos, violentos ni crueles, como por error ô malicia 
lus pintan oomnnmente los Franeeses. Y que la eonservacion de la monarquia depeadia 
eo gran parte de mantener ilibata la religion catôlica. » Ortiz, Compendio, t. VII, pag. 286. 
Bacallar (Gomentarios, t. II, pag. 423425) lait nn récit intéressant des attaques aux droits 
de l'Église, lesquels, dit-il (pag. 122), étaient « poco ajastados à la doctrina de los Santos 
Padres, à la Inmanidad de la Iglesia, y qne sonaban à heregia. ■ Il ajoute avec intention 
( pag. 125) : « Los pneblos de Espana, qne son tan religlosos, y professan la mayor venera» 
cion à la Iglesia, creian qne esta se atrapellaba y huvo alguna interna inquietud no 
sin fomento de los adveivos al Rey, cuyo puro, y sincero corazon podia ser enga- 
Hado; pero no indncido à un eridente error contra los sagrados caoones,i etc. De pareils 
passages, tirés du dix-huitième siècle et venant du marquis de San Phelipe, ne sont pas de 
peu d'importance pour l'histoire espagnole. 

(1) Dès le mois de mai 1702, Philippe V, dans une lettre à Louis XIV, se plaint de ce que 
les Espagnols lui font de l'opposition en toutes choses, c Je crois être obligé de tous dire 
que je m'aperçois de plus en plus du peu de xèle que les Espagnols ont pour mon service, 
dans les petites choses comme dans les grandes, et qu'ils s'opposent à tout ce que je désire. • 
Mil lot, Mém. de Noailles, t. II, pag. 136. Le dégoût qu'inspiraient aux Espagnols les 
réformes libérales préconisées par les Français alla en augmentant jusqu'en l'année 1709. 
« Se renovaron los antiguos odios entre las dos nationes,con tanto ardor, que deseaban las 
tropas Espanolas el haber de combatir con los Franeeses. ■ Bacallar, Comentarios, 1. 1, 
pag. 360. 

(2) « L'opulence de l'Église devait évidemment fournir des secours à la patrie. Un 
emprunt de quatre millions, fait sur le clergé l'année précédente de 1707, avait cependant 
fort déplo au pape ou à ses ministres. » Millot, Mém. de Noailles, t. II» pag. 412. 

(3) Il (Àlberoni) c continuée also the exaction of the ecclesiastical tax, in spite of the 
papal prohibitions, imprisoning or banishing the refractory priests who defended the pri- 
vilèges of their order. • Coxe, Bourbon Kings ofSpain, t. U, pag. 288. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 101 

Espagne, et pas un Espagnol ne s'y fût hasardé. Mais Albe- 
roni était étranger ; les traditions du pays ne lui étaient pas 
familières, et dans une autre circonstance mémorable il osa 
les braver. Le gouvernement de Madrid, agissant toujours 
dans un accord parfait avec l'opinion publique, s'était con- 
stamment refusé à traiter avec les infidèles : les infidèles, 
c'étaient tous les peuples dont les idées religieuses diffé- 
raient des leurs. Il était arrivé que de semblables négocia- 
tions n'avaient pu être évitées, mais on les avait entamées 
avec crainte et en tremblant que la foi immaculée des Espa- 
gnols ne se vît entachée par un trop grand contact avec les in- 
croyants. Même en 1698, quand il fut évident pour tous que 
la monarchie était agonisante et que rien ne pouvait la 
sauver des étreintes de l'ennemi, le préjugé était si fort que 
les Espagnols refusèrent le secours que leur offraient les 
Hollandais parce que les Hollandais étaient des hérétiques. 
A cette époque la Hollande avait les relations les plus in- 
times avec l'Angleterre, qui avait intérêt à assurer l'indé- 
pendance de l'Espagne contre les machinations de la France. 
Le fait ne pouvait être mis en doute ; cependant les théolo- 
giens espagnols ayant été consultés sur cette proposition, 
déclarèrent qu'elle n'était pas admissible, parce qu'elle offri- 
rait aux Hollandais des moyens pour propager leurs opi- 
nions religieuses, et qu'au point de vue religieux il valait 
mieux être vaincu par un ennemi catholique qu'être secouru 
par un ami protestant (1). 

(1) Le 2 janvier 1698, Stanhope, ministre d'Angleterre à Madrid, écrit de cette capitale : 
i This coort is not at ail inclined to admit the offer of the Dutch troops to garrison their 
places in Flanders. They hâve consulted their theologians , who déclare against it as a 
matter of conscience, since it wonld give great opportunités to the spreadiog of heresy. 
They hâve not yet sent their answer ; but it is believed it will be in the négative, and that 
they will rather choose to lie at the mercy of the French, as being Catholics. > Manon, 
Spain under Charles II, pag. 98, 99. 

T IV. 7 



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102 HISTOIRE 

Cependant si les Espagnols haïssaient les protestants, ils 
haïssaient plus encore les mahometans (1). Ils ne pouvaient 
oublier que les adeptes de cette croyance avaient autrefois 
conquis presque toute l'Espagne, et que pendant plusieurs 
siècles ils étaient restés .les maîtres des plus belles parties 
du pays. Ce souvenir fortifiait leur animosité religieuse et 
faisait d'eux les principaux soutiens de presque toutes les 
guerres contre les mahometans de la Turquie ou de 
l'Arabie (2). Mais Alberoni, comme étranger, était peu sen- 
sible à toutes ces considérations, et, à la grande stupéfaction 
de toute l'Espagne, se faisant une loi de la nécessité poli- 
tique, il ne fit pas plus de cas des principes de l'Église que 
s'ils n'avaient jamais existé et il conclut une alliance avec les 
mahometans et leur fournit des armes et de l'argent (3). Il 



(1) • Entre el catolicismo y las différentes seetas qne brotaron en las tmaginaciones 4e 
Cal vino y de Lutero podia mediar tolerancia, y aun transaction, si bien, corao dice un escri- 
tor politico , cnando se comienza à transigir sobre un prineipio, ese principio comienza à 
perdef sn imperio sobre las sociedades bnmanas. Pero entre el cristianismo de los Espa- 
noles y el mahometismo de los Moriscos era imposible todo avenimiento. » Janer, Condi- 
tion Social de los Moriscos. Madrid, 1857, pag . 113. 

(2) Le marquis de San Phelipe, qui écrivit en 1725, dit : ■ Es ley fondamental de los 
Reyes Catholicos, nunca hacer la paz con los Mabometanos ; y esta guerra permanece desde 
01 Rey Don Pelayo, por mas de siete siglos, sin bacer jamàs paces, ni tregaas coq ellos, 
como cada dia las hacen el Emperador, y otros Principes Calbolicos. » Bacallar, Comen- 
tarios de la Guerra de Espaiia, t. II, pag. 169. Dans Pour rage qui eat le plus d'influence 
et que produisit le règne de Philippe V, je trouve le passage instructif qui suit : « Aunque 
en los Puertos de las dilatadas Costas, que de Europa, Àsia y Àfrica bana el Mediterraneo, 
se bace comercio muy considérable, y util por diversas naciones, no podrà Espana tener 
gran parte en él, mientras se observare la maxima de hacer continua guerra â todos los 
Moros y Turcos, en cuyo dominio se hallan la mayor parte de aquellas Provincias; sin 
embargo de ser constante, que en esta guerra, aunque procedida de zelo chrisliano, 
es mayor el dafto que recibimos, que el que ocasionamos à los inficles (la manière 
dont l'esprit mercantile se montre ici est des plus curieuses) à lo menos de machos anos à 
esta parte, como lo he explicado en diversos capitulos. ■ Uztariz, Theorica y Practica 
de Comercio. Madrid, 1757, pag. 399. Cette édition est la troisième de ce livre qui, si l'on 
considère les circonstances dans lesquelles il fut écrit, est une œuvre remarquable. 

(3) Comparez Coxe, Bourbon Kings ofSpain, 1719, pag. 119, 353, et Bacallar, Comen- 
tarios de la Guerra de Espaiia, t. II, pag. 168, 169. L'indignation que causa cette con- 
duite peut facilement se comprendre, et Alberoni, se voyant en péril, profita du secret des 



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DE LA CIVILISATION J3N ANGLETERRE. 103 

n'est que trop vrai qu'en agissant ainsi Alberoni se mit sou- 
vient en opposition avec le sentiment national et qu'il vécut 
pour se repentir de sa hardiesse. Mais il est vrai aussi que 
sa politique fut l'expression d'un grand mouvement séculier 
antithéologique qui se fit sentir dans toute l'Europe pen- 
dant le dix-huitième siècle. Ce mouvement eut son contre- 
coup sur le gouvernement espagnol, mais le peuple ne le 
sentit pas. C'est qu'à la tête du gouvernement, pendant un 
grand nombre d'années, s'étaient trouvés des étrangers ou 
bien des habitants du pays imbus de l'esprit étranger. Et 
c'est pourquoi aussi pendant la plus grande partie du dix- 
huitième siècle on voit les hommes politiques de l'Espagne 
former une classe à part, vivant, si je puis m'exprtmer ainsi, de 
ses seules ressources intellectuelles bien plus que les hommes 
politiques d'aucune autre nation à la même époque. Que ce 
fait indiquât un état maladif et prouvât que le progrès en 
-politique ne produit de bien réel qu'autant que le peuple le 
désire avant qu'il lui soit imposé, c'est ce qui sera admis 
par quiconque a compris les leçons que renferme l'histoire. 
Nous en verrons bientôt les résultats en Espagne. Mais il 
convient que je prouve encore par quelques exemples à quel 
point l'influence de l'Église avait abaissé l'esprit national et 
comment, en décourageant toute curiosité, en enchaînant 
toute liberté de la pensée, elle avait fini par réduire le pays 
à un tel état, que les facultés du peuple, rouillées par le dé- 

Uêgdciations pour en nierune partie ou tout au moins pour nier les accusations formulées 
contre lui. Voyez sa lettre pleine d'indignation et cependant très prudente adressé** an 
pape dans Hxst. of Alberoni, 1719, pag. 124. Ortiz, qui éridemment n'avait pas cherché à 
se convaincre, est si mal informé, qu'il suppose que c'est là une malheureuse accusation 
contre Alberoni après sa chute. « Caïdo ya porentonces Alberoni de sa grandeza, expeiido 
ignominiosamente de Ëspana , y aun perseguido por el Rey en Italia, preso en Roma per 
ôrden del Papa, etc., no era dificil atribnirle culpas agenas ô no cometidas. > Note dans 
Ortix, Compendio, t. VU, pag. 321. 



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104 HISTOIRE 

faut d'usage, étaient au dessous des services qu'on attendait 
d'elles, si bien que dans toutes les branches de la vie poli- 
tique, de la philosophie spéculative et des arts industriels, on 
dut appeler des étrangers pour faire le travail que les Espa- 
gnols étaient devenus incapables de faire eux-mêmes. 

L'ignorance dans laquelle la force de l'adversité avait fait 
tomber les Espagnols, et leur inactivité physique ou morale 
seraient incroyables si elles n'étaient attestées de toutes les 
façons et par un grand nombre de faits. Grammont, écrivant 
d'après sa connaissance personnelle de l'état de l'Espagne 
pendant la dernière moitié du dix-septième siècle, dit que 
non seulement les classes supérieures ne connaissent rien 
en fait de science ou de littérature, mais qu'elles ne savent 
presque rien des événements les plus ordinaires qui se sont 
passés dans leur propre pays. Les classes inférieures, ajoute- 
t-il, sont également ignorantes et paresseuses; elles s'en 
rapportent aux étrangers pour faire la récolte de leur fro- 
ment, de leurs foins et pour la construction de leurs mai- 
sons (\). Un autre observateur, qui a vécu dans la société 

(1) • Leur paresse et l'ignorance non seulement df s arts et des sciences, mais quasi géné- 
ralement de tout ce qui se passe hors de l'Espagne, et on peut dire même hors du lieu oà 
ils habitent, vont presque de pair et sont inconcevables. La pauvreté est grande parmi eux, 
ce qui provient de leur extrême paresse; car si nombre de nos Français n'aîloient faucher 
leurs foins, couper leurs blés et faire leurs briques, je crois qu'ils courroient fortune de se 
laisser mourir de faim et de se tenir sous des tentes pour ne se pas donner la peine de bâtir 

des maisons. » « L'éducation de leurs enfans est semblable à celle qu'ils ont eue de 

leurs pères, c'est à dire sans qu'ils apprennent ni sciences ni exercices, et je ne crois pas que 
parmi tous les grands que j'ay pratiqués il s'en trouvât un seul qui sût décliner son nom. » 
t Ils n'ont nulle curiosité de voir les pays étrangers, et encore moins de s'enquérir 
de ce qui s'y passe. • Mém. du maréchal te Grammont, t. II, pag. 77, 78, 82, 83, dans 
Collection des mémoires, par Petitot et Monmerqué,t. LVII. Voyez aussi Aarsensde 
Sommerdyck, Voyage d'Espagne. Paris, 1665, in-4% pag. 124. «La terre mesme n'y est pas 
toute cultivée par des gens du pays ; au temps du labourage, des semailles et de la récolte, 
i t leur v ient quantité de paysans du Béarn et d'autres endroits de France qui gagnent beau- 
coup d'argent pour mettre leurs bleds en terre et pour les recueillir. Les architectes et 
charpentiers y sont aussi pour la plupart eslrangers,qui se font payer au triple de ce qu'ils 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 105 

de Madrid et qui la juge telle qu'elle existait eu l'année 1679, 
nous assure que des hommes occupant les positions les plus 
élevées, ne trouvaient pas nécessaire que leurs fils étu- 
diassent, et queceux qui se destinaient à la carrière des armes 
ne pouvaient pas apprendre les mathématiques , car il n'y 
avait ni école où Ton pût les apprendre, ni maîtres pour les 
enseigner (1). Les livres étaient regardés comme tout à 
fait inutiles, à moins que ce ne fussent des livres de dévo- 
tion; personne n'en faisait collection, et jusqu'au dix-hui- 
tième siècle, Madrid ne posséda pas une seule bibliothèque 
publique (2). Cette même ignorance régnait dans les villes 
connues pour se dévouera renseignement. Salamanque était 
le siège de la plus ancienne et de la plus fameuse université 
d'Espagne, et c'est là, ou nulle part, qu'il faut chercher l'en- 
couragement donné à la science (3). Eh bien, de Torres 



gagneraient en leur pays. Dans Madrid on ne voit pas nn portenr d'eau qui ne soit estran^er, 
et la plupart des cordonniers et tailleurs le sont anssi. » 

(1) «Mais anssi de quelle manière les élève-t-on? Ils n 'étudient point; on néglige de leur 
donner d'habiles précepteurs; dés qu'on les destine à l'épée, on ne se soucie pas qu'ils 
apprennent le latin ni l'histoire. On devroit au moins leur enseigner ce qui est de leur % 
mestier, les mathématiques, à faire des armes et à monter à cheval. Ils n'y pensent seule- 
ment pas. Il n'y a point ici d'académie ni de maîtres qui montrent ces sortes de choses. 
Les jeunes hommes passent le teins qu'ils derroient emploïer à s'instrnire dans une oisiveté 
pitoïable. • Lettre de Madrid, datée du 27 juin 1769, dans d'Aulnoy, Relation du voyage 
d'Espagne. Lyon, 1693, t. If, pag. 232, 233. 

(2) « Madrid étant la capitale d'une monarchie aussi vaste, il n'y eut dans cette ville 
jusqu'à l'époque du régne de Philippe V aucune bibliothèque publique. » Sempere, de la 
Monarchie espagnole. Paris, 1826, t. II, pag. 79. 

(3) L'université fut transférée de Palencia à Salamanque dans les premières années du 
treizième siècle. Forner, Oracion Apologética por la Espaila. Madrid, 1786, pag. 170. 
Elle était déià très prospère au commencement du quinzième siècle (Sempere, de la Momtr- 
chie espagnole, 1. 1, pag. 65), et en 1535 on dit que c'était * a great university conteyning 
seven or eight thonsand students. » Voyez une lettre de John Mason, datée de Valladolid le 
3 juillet 1535, dans Ellis, Original Letters. Lond., 1827, 2* série, t. II, pag. 56. Mais, comme 
tout ce qui valait quelque chose en Espagne, elle tomba au dix-septième siècle, et Monconys, 
qui l'examina en détail en 1688 et qui fait l'éloge de quelques-unes des dispositions encore 
en usage alors, ajoute : « Mais je suis aussi contraint de dire après tant de louanges, que les 



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106 HISTOIRE 

qui cependant était Espagnol et qui fit son éducation à 
Salamanque, dans les premières années du dix-huitième 
siècle, déclare qu'il a suivi l'université pendant cinq ans, 
sans même se douter de l'existence des sciences mathé- 
matiques (1). Jusqu'en Tannée 1771 , cette même uni- 
versité se refusa publiquement à laisser enseigner les 
découvertes de Newton, donnant pour raisons que le sys- 
tème de Newton ne concordait pas avec la religion rêvé* 
lée, aussi bien que le système d'Aristote (2). Dans toute 



écoliers qui étudient daoi cette université sont des vrais ignoras». » Les Voyage» de 
M. de Moncony8. Paris, 1695, 4* partie, t. V, pag. 22. Cette ignorance dont Blonconys non» 
donne plusieurs exemples très curieux n'empêche pas les écrivains espagnols de cette 
époque, et de bien longtemps encore après, de dire de l'université de Salamanca que c'est la 
plus grande institution de ce genre dans le monde entier. « La mayor del orbe, madré glorio- 
sisima de todas las ciencias y de los mas véhémentes ingenios, que han ilustrado las edades.» 
Vida deCalderon de la Barca, pag. m,iv, réimprimée dans l'édition de Keil de Calderoo. 
Leipzig, 1827. Comparez Davila (Felipe Tercero, pag. 81) : iSalamanca madré de ciencias 
y letras. > Yanez (Mcmorias, pag. 228) : « Universidad insigne, y Officina de las bnenas 
Letras de Espana. • Baeallar (Comentarios, 1. 1, pag. 238) : t El emporîo de las ciencias. » 
Et Ximenez (Vida de Ribera, pag. 6) : Salamanea, cathedra uni versai de las Arles, y 
emporio de todas ciencias. ■ 

(1) « Says that after ne had been fi ve years in one of the schools of the University there, 
it vas by accident he learned the existence of mathematical sciences, t Ticknor, Hist. of 

* Spanisn Literature, 1. 111, pag. 223. Un célèbre auteur espagnol se vante au dix-huitième 
siècle de l'ignorance de ses compatriotes dans les mathématiques, et trouve dans la négli- 
gence qu'ils mettent à s'instruire dans cette science la preuve de leur supériorité sur les 
autres peuples. • No so deie deslumbrar con los àsperos calcules é intrincadas demostra- 
ciones geometricas, con que, astuto ni entendimiento disimula el engano con los disfraces 
de la verdad. El uso de las matemàticas es la alquimia en la fcsica que da apariencias de 
oro à lo que no lo es. > Forner, Oracion Afohgética por la Espafta y su Mérito Lite- 
rario. Madrid, 1786, pag. 38. Comparez sa notice méprisante (pag. 66) sur ees geos insi- 
gnifiants qui « con titulo de filosofos han dado algun aumento à las matemàticas, > et sa 
comparaison (pag. 222) de Mercada avec Newton. 

(2) « L'université de Salamanque, excitée par le conseil à réformer ses études en l'an- 
née 1771, lui répondit • qu'elle ne pouvait se séparer du péripatétisme, parce que tes sys- 
tèmes de Newton, Gassendi et Descartes ne concordent pas autant avec les vérités révélées 
que ceux d'Aristote. îSempere, Monarchie espagnole, 1. 11, pag. 152. Cette réplique, dit 
M. Sempere (pag. 153) se trouve • dans la collection des ordonnances royales. > Dans les 
Letters from Spain by an Bnglish Oflicer. Lond», 1788, il est dit que dans toutes les 
universités espagnoles « Newton and modem phitosophy is still prohibited. Nothing can 
supplant Aristotle and the superstitions fatbers and doctors of the Chureh. » 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 107 

l'Espagne on suivait le même programme d'études. Partout 
la science était méprisée, les recherches découragées. Feijoo 
qui, en dépit de sa superstition et d'une dose de servilité 
dont aucun Espagnol de cette époque ne pouvait se dé- 
fendre, et<qui ebercha à éclairer ses compatriotes en matière 
de science, a laissé le souvenir de son opinion dans l'his- 
toire, et il prétend que quiconque aura appris tout ce que Top 
enseignait de son temps sous le nom de philosophie, se trou* 
vera, pour récompense de tout son travail, plus ignorant 
quand il l'aura fini qu'en commençant (1). Et Ton ne peut 
douter qu'il ne fût dans le vrai. L'on ne peut douter qu'en 
Espagne plus un homme recevait l'enseignement donné, 
moins il savait. Car on lui apprenait que l'esprit de re- 
cherche était coupable, que l'intelligence doit être bridée, 
que la crédulité et l'obéissance sont les premiers attributs 
de l'homme. Le duc de Saint-Simon, ambassadeur de 
France à Madrid, en 1724 et 1722, résume ses observations 
en disant qu'en Espagne la science est un crime et l'igno- 
rance une vertu (2), Cinquante ans plus tard, un homme 
d'une grande finesse d'esprit, frappé d'étonnement à la vue 
de l'état de l'esprit national, exprime son opinion daps une 
phrase aussi sentencieuse et presque aussi sévère. Cherchant 
une comparaison qui donne une idée de l'obscurantisme gé- 



(1) On, comme il le dit loi-môme, ne savait que « very Utile more thao nothing. » « El 
que estndiô Logica, y Metaphysica, cou lo demàs que, debaxo del nombre de Philosofia, se 
ensena en las Escaelas, por bien que sepa todo, sabe muy poco mas que nada; pero suena 
mncho. Dicese, que es un gran Pbilosofo; y no es Philosofo grande, ni chico. » Feijoo, 
Theatro Critico Univwsal. Madrid, 1741, t. II, pag. 187, 5* édit. 

(2) t La science est un crime, l'ignorance et la stupidité la première vertu. > Mém. dv> 
dm de Saint-Simon. Paris, 1840, t. XXXV, pag. 209. Ailleurs ( t. XXXVI, pag. 252) il dit : 
< Les jésuites savants partout et en tout genre de science, ce qui ne leur est pas même dis- 
puté par leurs ennemis, les jésuites, dis-je, sont ignorants en Espagne, mais d'une ignorance, 
à surprendre.» 



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108 HISTOIRE 

néral, il dit avec emphase que l'éducation ordinaire d'un 
homme quelque peu comme il faut en Angleterre, constitue 
en Espagne ce qu'on appelle un savant (1). 

Ceux qui savent ce qu'était l'éducation ordinaire d'un 
homme comme il faut en Angleterre il y a quatre-vingts ans, 
apprécieront la valeur de cette comparaison et compren- 
dront à quel degré un pays devait être plongé dans l'igno- 
rance, pour mériter qu'on lui jette pareille insulte au visage. 
On ne pouvait, en vérité, dans un tel état de choses, s'attendre 
à ce que les Espagnols fissent aucune de ces découvertes 
qui accélèrent la marche des nations ; ils ne voulaient même 
pas des découvertes des autres peuples et jetées par eux 
dans le droit commun. Un peuple qui se piquait par dessus 
tout d'être orthodoxe et royaliste, n'avait que faire de nou- 
veautés pleines de dangers à leurs yeux, car c'étaient des in- 
novations dans leurs opinions. 

Les Espagnols désiraient marcher dans la voie de leurs 
ancêtres et ne pas voir la foi dans le passé brusquement 
troublée. Dans le monde inorganique, ils rejetaient dédai- 
gneusement les magnifiques découvertes de Newton ; dans 
le monde organique, cent cinquante années après que Har- 
vey l'avait démontrée, ils niaient encore la circulation du 
sang (2). Ces choses étaient nouvelles, il valait mieux 

(1) tThe common éducation of an English gentleman would constitate a man oflearning 
hère; and, should he ùnderstand Greek, he would be quite a phenomenon. » Swinburne, 
TraveU through Spain in 1775 and 1776. Lond., 1787, t. II, pag. 212,213,2* édit. 

(2) En 1787, Townsend , homme accompli qui voyageait en Espagne dans le bat unique 
d'étudier 1'é'at de la science et la condition économique du pays et qui, par des études 
préalables , se mit au niveau d'une pareille entreprise, dit : il hâve observed in gênerai, 
thaï the pbysicians with whom I bave had occasion to converse, are disciples of their favou- 
rite doctor Piquer, wbo denied or at Ieast doubted of the circulation of the blood. » Town- 
send, Journey through Spain. Lond., 1792* 2* édit., t. III, pag. 281. Cependant à cette 
époque les médecins espagnols commençaient à lire Hoffmann, Cullen et d'autres théoriciens 
hérétiques, dans les ouvrages desquels ils forent tout étonnés de voir que la circulation du 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 109 

attendre, réfléchir, ne pas les accueillir avec trop de hâte! 
Par suite du même principe, quand dans l'année 1760, 
quelques hommes du gouvernement aux idées hardies pro- 
posèrent de faire nettoyer les rues de Madrid ; cette audace 
excita la colère générale. Ce ne fut pas seulement les gens 
du peuple qui exprimèrent hautement leur blâme, les gens 
qu'on qualifiait de bien élevés firent chorus avec eux. Le 
gouvernement en appela au corps médical, comme ayant la 
haute direction de la santé publique : le corps médical n'hé- 
sita pas à donner son opinion : il n'y avait pas lieu à enlever 
les immondices ; les déplacer, c'était faireune expérience dont 
il était impossible de calculer les conséquences. Leurs pères 
avaient bien vécu dans l'ordure, pourquoi n'y vivraient-ils pas, 
eux? Leurs pères étaient des hommes sages, qui savaient ce 
qu'ils faisaient. Les odeurs mêmes dont quelques personnes se 
plaignaient, étaient probablement très saines, car l'air étant 
vif et piquant, il était extrêmement probable que les mau- 
vaises exhalaisons, en rendant l'atmosphère plus lourde, 
combattaient quelques-unes de ses propriétés malsaines. 
Donc les médecins de Madrid émirent l'opinion qu'il valait 
mieux laisser toutes choses comme leurs ancêtres les avaient 
laissées, et qu'on n'essayât, en aucune façon, de remuer les 
ordures qui étaient éparpillées de tous les côtés (1). 



sang était un fait reconnu qui ne soulevait même plus nne question de doute. Mais le* 
étudiants devaient accepter de semblables faits de confiance: car, ajoute Townsend 
(pag. 283), • in their médical classes, they hâve no dissections. • Comparez Laborde, Spain. 
Lond., 1809, 1. 1, pag. 76; t. III, pag. 315, et Godoy, Memoirs. Lond., 4836, t. II, pag. 157. 
Godoy, en parlant des trois collèges de chirurgie de Madrid, de Barcelone et de Cadix, dit 
que jusque sous son administration, en 1793, ■ in the capital, even that of San Carlos had 
not a lecture room for practical instruction. » 
(1) Ce petit épisode est cité par Cabarrus dans son Elogio de Carlos III. Madrid, 1789, 

in4% pag. xiv. • La salubridad del ayre , la limpieza y seguridad de las cal les. » 

« Pero ? quien créera que este noble empeno produxo las mas vivas quejas : que se con- 



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HO HISTOIRE 

Comment supposer, quand de semblables idées avaient 
cours sur la conservation de la santé (4), que Ton réussit 
dans le traitement appliqué aux maladies? La saignée et lea 
purgatifs étaient les seuls remèdes ordonnés par les méde- 
cins espagnols (2). Leur ignorance dans tout ce qui touchait 

mortô el vulgo de todas clases; y que tuvo varias autondade* à sa fa?or la extrena doctrina 
de que los vapores mefiticos eran an correctivo saladable de la rigidez del climat • On 
trouvera d'amples détails dans l'histoire très détaillée d* Charles 111, récemment pubjièe pat 
M. Rio, dont je vais donner an oa deaz extraits : « Para la limpieza de las cal les poseia 
mayores 6 menores fondos el ayantamiento, y caando el Rey qniso potier la mano en este 
ramo de policf a, le preseataron dictamenes de médicos en que se defendia el absurde de se? 
elemento de salobridad la basura. > Rio, HUt. del Reinado de Carlos III. Madrid, 1856, 
t. IV, pag. 54. Voyez aussi 1. 1, pag. 267, 268, où l'on dit qne, quand le ministre Bsqailaehe 
persévéra dans ses efforts pour faire nettoyer les rues de Madrid , cent qui s'opposaient à 
cette mesure recherchèrent quelle était l'opinion de leurs pères à ce sujet. Ils trouvèrent 
« que le presentaron cierta originalisima consulta heeha por los medicos bajo el reiaado 
de uno de los Felipes de Austria, y reducida à demostrar que, siendo sumamente sutil el aire 
de la poblacion à causa de estar prôxima la sierra de Guadarrama, ocasionaria los mayores 
estragos si no se impregnara en los vapores de las inmundicias desparramadas por las 
ealles. » Nous savons par un autre témoignage que cette opinion était depuis longtemps 
celle des médecins de Madrid. Ce témoin, les Espagnols ne le connaissent point. Sir Richard 
Wynne,*qui visita cette capitale en 1623, décrit une coutume dégoûtante des habitants; il 
ajoute : « Being desirous to know why so beastly a custom is suffered, they say il's a thing 
prescribed by their physicians ; for they hold the air to be so piercing and subtle, that this 
kindof corrupting it with thèse ill vapoora keeps it in good temper. » The Aulobiograpkg 
and Correspondence ofSir Simonds D'Elues, éditée par J. 0. Halliwell. Lond., 1845, 
t. II, pag. 446. 

(1) Trente ans plus tard on disait avec raison que < es menester deshacer lodo to oue h 
ha hecho, » et < confiar exclusivamente el precioso depôsito de la sanidad publica à las 
manos capaces de conservarlo y mejorarlo. t Carlos por el Conde de Cabarrus. Madrid, 
1813, pag. 280. Ces lettres, quoique peu connues, renferment plusieurs faits intéressants 
écrits en 1792 et 1793. Voyez pag. 34 et le prologue, pag. i. 

(2) On préférait la saignée. Voyez-en la preuve curieuse dansTownsend,/ourna^Arow0A 
Spain, en 1786 et 1787, t. Il, pag. 37-39. Townsend, qui s'entendait un peu en médecine, fut 
stupéfait de l'ignorance et de l'indifférence des médecins espagnols. cThe science and prac- 
tice of médecine are at the lovrest ebb in Spain, but more especially in the Àsturias. i Com- 
parez Sprengel, Hist. de la médecine. Paris, 1815, t. III, pag. 21, avee Winwood, Même- 
riais. Lond., 4725, in-fol., t. Il, pag. 219. La dernière citation renvoie à la « terrible purgtnj 
and ietting blood • auxquelles étaient exposés les Espagnols sous le règne de Philippe U|* 
Un autre auteur dit beaucoup plus tard que « la saignée leur est assez familière. Ils se la 
font faire hors du lit lorsque leurs forces le permettent, et ils en usent par précaution ; 
ils se font tirer du sang deux jours de suite du bras droit et du gauche, disant 
qu'il faut égaliser le sang. On peut juger par là si la circulation leur est connue. 
Voyages faits en Espagne, par M. M***. Amsterdam, 1700, pag. 112. Voyez encore Claire, 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. lit 

aux fonctions les plus ordinaires du corps humain était des 
plus inconcevables et ne peut s'expliquer que par la supposition 
qu'en médecine, comme dans toutes les autres branches de 
la science, les Espagnols du dix-huitième siècle n'en savaient 
pas plus que leurs devanciers du seizième. Sous beaucoup 
de rapports ils en savaient moins peut-être, car leur mode de 
traitement était si violent que s'y soumettre pour quelque 
temps seulement c'était se condamner à une mort cer- 
taine (1). Leur propre roi, Philippe Y, n'osa jamais se 
mettre dans leurs mains, il préféra un médecin irlandais (2). 
Les Irlandais n'avaient pas grande réputation médicale/ 
mais tout était préférable à un docteur espagnol (3). Les 
arts ressortant de la science médicale et de la chirurgie 
étaient également arriérés. Les instruments étaient grossiers 
et les drogues mal préparées. La pharmacie était inconnue. 



Letters coneeming the Spanish Nation. Lond., 1763, iu-4% pag. G5, et Spain by an 
American. Lond., 1831, t. II, pag. 321. 

(1) En 1780, le pauvre Cumberiand fut aussi près qoe possible d'être tué en quelques 
jours par trois de leurs chirurgiens. Le plus dangereux de ces trois assaillants n'était 
cependant rien de moins que le« chief surgeon of the Guardes de corps, «qui, dit le malheu- 
reux patient, fut • sent to me by anthority. » Voyez Mem. of Richard Cumberland, 
written by himself. Lond., 1807, t. II, pag. 67, 68. 

(2) Duclos dit de Philippe V : ■ Il étà*it fort attentif sur sa santé; son médecin , s'il eût 
été intrigant, aurait pu jouer un grand rôle. Hyghens, Irlandais qui occupait cette première 
place, fort éloigné de l'intrigue et de la cupidité, instruit dans son art, s'en occupait unique* 
ment. Après sa mort, la reine fît donner la place à Servi, son médecin particulier. » Duclos, 
Mémoires. Paris, 1791, 2* édit., t. II, pag. 200, 201. « Hyghens, premier médecin, était 
Irlandais. » Mém. du duc de Saint-Simon, édit. Paris, 1841, t. XXXVI, pag. 215. 

(3) On ne pouvait fermer ses yeux à ce fait que les amis et les parents succombaient sous 
le traitement avec une telle rapidité, que la maladie était devenue synonyme de mort. 
Aussi, malgré l'antipathie que leur inspirait la nation française, ils avaient recours aux 
services de médecins français toutes les fois qu'ils le pouvaient. En 1707, la princesse des 
Urains écrit de Madrid à madame de Maintenon : i Les chirurgiens espagnols sont més- 
estimés même de ceux de leur nation. » Et dans une autre lettre : « Les Espagnols con- 
viennent que les médecins français sont beaucoup plus savants que les leurs; ils s'en 
servent même très volontiers, mais ils sont persuadés que ceux de la faculté de Montpellier 
remportent sur les autres. ■ Lettres inédites de madame de Maintenon et de la prin- 
cesse des Ursins, t. III, pag. 112; t. IV, pag. 90. 



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112 HISTOIRE 

Les boutiques d'apothicaires des plus grandes villes tiraient 
leurs approvisionnements du dehors, et ce qu'on pouvait 
espérer de mieux dans les petites villes et dans les provinces 
éloignées de la capitale, c'est que les remèdes, tous de la 
plus mauvaise qualité, ne fussent au moins pas nuisibles. 
Au milieu du dix-huitième siècle, l'Espagne ne comptait pas 
un seul chimiste pratique. Gampomanes lui-même certifie 
que jusqu'en 1776 on ne put pas trouver dans tout le pays 
un seul homme capable de fabriquer les drogues les plus 
communes, telles que la magnésie, les sels de Glauber et les 
préparations de mercure et d'antimoine. Cet éminent homme 
d'État ajoute cependant qu'on est sur le point d'établir à 
Madrid un laboratoire de chimie, et quoique cette entreprise 
sans précédent dans le passé doive être regardée comme 
une nouveauté monstrueuse, il exprime la confiance qu'avec 
le temps elle aidera à combattre l'ignorance de ses compa- 
triotes (1). 

Tout ce qui pouvait être d'un usage pratique, tout ce qui 
secondait les efforts de la science venait de pays étrangers. 
Ensenada, le ministre bien connu de Ferdinand VI, fut 



(1) Gampomanes (Apendice à la Education Popular. Madrid, 1776, t. III, pag. 74, 75), 
pariant d'an ouvrage sur la distillation, dit : ■ La tercera (parte) describe la preparacion 
de 108 producios quimicos sôlidos : esto es la preparacion de varias snstancias terreas , 
como argamasa, magnesia blanca, ojos de cangrejo, etc., la de varios sales, como sal de 
glanbero, amonîaco, cristal minerai, borax rftfenado, etc., y la del antimonio, mercurio, 
plomo, litargirio, etc., comunicando sobre todo io expresado varias noticias, que demuestran 
lo mucho que conducen a los progresos del arte, las observaciones del fisico reflexivo; 
unidas à la pràctica de un professor experimentado, este arte en todo su extension falta 
en Espana. Solo le tenemos para aguardientes, rosolis, y mistelas. La saludpublica es 
demasiado importante para depender de los estranos en casas esenciales; quando 

no estimalase nuestra industria la manutencion de mucba familias. > « Gran parte 

de estas cosas se introducen fnera, por no conocerse bien las operaciones quimicos. No son 
dificultosas en la execucion ; pero es necesario enseitarlas y conocer los instrumentas 
quesonaproposito. Un laboratorio quimico, que se va à establecer en Madrid, produ- 
cira maestros para, las capitales del reyno. > 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 113 

épouvanté de l'abrutissement de la nation dont il essaya, 
mais inutilement, de la relever. A la tête des affaires, au 
milieu du dix-huitième siècle, il reconnaît publiquement 
qu'il n'y a en Espagne aucun enseignement du droit public 
de la physique, de l'anatomie ou de la botanique. Ii dit en- 
core qu'il n'existe point de bonnes canes d'Espagne et que 
personne ne sait comment en dresser une. Toutes leurs 
cartes viennent de France et de Hollande; elles sont, dit-il, 
très inexactes, mais comme les Espagnols sont incapables 
d'en faire, ils n'ont rien de mieux pour se guider. Il 
déclare qu'un pareil état est honteux car, continue-il, avec 
amertume, sans les Français ou les Hollandais aucun Espa- 
gnol ne pourrait avoir une idée de la position de sa ville 
natale, ni de la distance d'un endroit à un autre (4). 

Le seul remède à tant de maux semblait être le secours 
fie l'étranger; et l'Espagne étant tombée sous la domination 
d'une dynastie étrangère, le secours était venu. Cervi établit 



(1) «Sa ministro el célèbre Ensenada, que ténia grandes miras en todos los ramos de la 
administration pûblica, deseaba ardientemente mejorar la ensenanza, lamentândose del 
atraso en que esta se hallaba. « Es menester, decia hablando de las nniversidades, reglar 
►ns câtedras, reformar las superfluas-y establecer las que f al tan con nue vas ordenanzas 
para asegurar el mejor método de estudios. No se que haya catedra alguna de derecho 
publico, de fisica esperimenlal, de analomia y botànica. No hay puntuales carias geogra- 
ficas del reino y de sus provincias, ni quien las sepa grabar, ni tenemos otras que las 
imperfecta8 que vienen de Francia y Holanda. De esto proviene que igaoramos la ver- 
dadera situacion de los pueblos y sus distancias, que es una vergûenza. » Tapia, Civiliza- 
cion Espanola. Madrid, 1840, t. IV, pag. 268, 269. Voyez aussi Biografia de Ensenada, 
dans Navarrete, Coleccion de Opusculos. Madrid, 1848, t. II, pag. 21,22. « Le parecia 
vergonzoso que para conocer la situaciOD y distancias respeclivas de nueslros mismos pue- 
blos y lugares, dependiésemos de los Franceses y Holandeses, quienes por sus mapas imper- 
feclas de la peninsula extraian de ella sumas considérables. » Quatre-vingt ans après que 
Ensenada s'est plaint en ces termes, un voyageur parcourant l'Espagne constate que 
« a décent map of any part, even of the country round the gâtes of tbe capital, cannot be 
fouDd. » Cook, Spain from 1829 to 1832. Lond., 1834, 1. 1, pag. 322. Comparez Notices of 
Geological Memoirs, pag. 1, à la fin de Quarterly Journal of the Geological Society. 
Lond., 1850, t. VI : « Even a good geographical map of the Peninsula does nol exist. > 



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114 HISTOIRE 

les sociétés médicales de Madrid et de Séville ; Virgili fonda 
le collège de chirurgie à Cadix et Boroles mit tous ses 
efforts à propager chez les Espagnols l'étude de la minéra- 
logie (1). On fit venir des professeurs de tous les pays; on 
s'adressa à Linné pour qu'il envoyât de la Suède quelqu'un 
qui pût donner une idée de la botanique aux étudiants en 
médecine (2). Plusieurs autres mesures de cette nature 
furent prises par le gouvernement dont les efforts infatiga- 
bles mériteraient nos plus grands éloges si nous ne savions 
combien un gouvernement est impuissant à éclairer une 
nation et combien il est absolument essentiel que le désir de 
progresser vienne d'abord du peuple. Le progrès ne peut 
être réel s'il n'est spontané. Le mouvement pour être effectif 
doit venir du dedans non du dehors; il faut qu'il procède des 
casses générales agissant sur tout le pays et non de la seule 
volonté de quelques individus puissants. Pendant le dix- 
huitième siècle, tous les éléments de progrès furent prodi- 
gués aux Espagnols, mais les Espagnols ne voulaient point 
progresser (3). Ils étaient satisfaits d'eux-mêmes; ils ne dou- 
taient point de la véracité de leurs opinions; ils étaient fiers 
du savoir dont ils avaient hérité, ils désiraient ne point le 
diminuer et ne point l'augmenter. Incapables de douter, 



(1) H. Rio {Hist. del Reinado de Carlos 111, t. I,pag. 185) mentionne ce fait d'une 
façon très caractéristique : « Varios extranjeros disUaguidos hnllaron fralernidad entre 
{os Espailoles y correspondieron , hidalgamenle , al hospedaje : Cervi diô vida i las 
socledades médicas de Madrid 7 Serilla; Virgili al colegio de Girngia de Cadix ; qner trabajo 
*in descanso para que el jardin Botanico no fnera nn simple Ingar de recréa, sino principal- 
mente de estadio ; Bowles comonicô grande impulse â la mineralogia, 1 etc. 

(t) J'ai égaré les preuves à l'appui de ce fait, mais le lecteur peut compter sur son exac- 
titude. 

(3) Towosend (Journey through Spain in 1786 and 1787, t. II, pag. 275) dit : « Don 
Antonio Selano, professor of expérimental philosophy, merits attention for the clearoess 
and précision of his démonstrations ; bot nafortunately, although his lectures are deltrered 
gratis, such is the want of taste for science in Madrid, tbat nobody attends them. > 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 115 

ils ne pouvaient avoir la volonté de chercher la vérité. Les 
vérités les plus nouvelles, les plus belles, transmises dans le 
flos magnifique langage, le plus compréhensible, ne produi- 
saient aucun effet sur ces hommes dont l'esprit était endurci 
dans l'esclavage. Depuis le cinquième siècle, une succession 
tton interrompue d'événements, ramenant les mêmes coïn- 
cidences, avaient poussé le caractère national dans une di- 
rection particulière, et ni les hommes d'État, ni les rois, ni 
tes législateurs n'avaient pu quelque chose contre ce courant. 
Le dix-septième siècle avait cependant été pour tous le 
point culminant de l'échelle de progression. Dans ce siècle, 
fa nation espagnole tomba dans une léthargie dont elle n'est 
point revenue comme nation. Cette léthargie fut un som- 
meil de mort, non de repos. Ce fut un sommeil dans lequel, 
les facultés an lieu de reprendre des forces demeurèrent pa- 
ralysées, et dans lequel aussi une torpeur froide universelle 
succéda à cette activité glorieuse, quoiqu'elle ne fût pas 
générale, qui avait acquis à l'Espagne un nom redoutable 
et lui assurait alors le respect de ses plus cruels ennemis. 

Les beaux-arts mêmes dans lesquels l'Espagne excellait 
autrefois dégénéraient comme te reste, et, de l'aveu de leurs 
propres écrivains, au commencement du dix-huitième siècle 
ils étaient dans un état complet de décadence (1). Les 
arts qui assurent la sûreté d'un peuple étaient aussi tombés 



(i) «La ignorancia reioante en los uilimos aflos del siglo XVII depravô en tal manera el 
ttuen gusto. que à principios del XVIII las artes se hallaban en la mas lastimosa deca- 
dentia. • Tapia, Civilizacion Espafiola. Madrid, 18*0, t. IV, pag. 346. Voyez aussi snr la 
décadence on plutôt sur la perte du goût, Velasquez, Origenes de la Pœsia Castellana. 
Mftlaga, 1754, in-4*. c Un siglo, corrompido , en 4ue las letras estaban abandonadas, y el 
buen gusto casi desterrado de toda la nation.* Pag. 70. « Al passo que la nation perdia el 
buen gusto , y las letras iban caminando a su total decadencia. » Pag. 107. » Los caminos 
por donde nvestros poetas en el siglo passado se apartaron del buen gusto en esta parte. 
Pag. 170. 



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116 HISTOIRE 



que ceux qui contribuent aux plaisirs d'une nation. Il n'y 
avait pas un Espagnol qui sût construire un vaisseau, pas un 
qui sût le gréer quand il était construit, La conséquence na- 
turelle de tous ces faits fut qu'à la fin du dix-septième, les 
quelques navires que possédait l'Espagne étaient si pourris 
que, dit un historien, c'est à peine s'ils pouvaient supporter 
le feu de leurs propres canons (1). En 1752, le gouverne- 
ment-ayant pris la détermination de rétablir la marine se 
trouva dans l'obligation d'envoyer en Angleterre pour avoir 
des charpentiers, et aussi des ouvriers pour faire les cordes 
et les voiles, car l'habileté des habitants du pays n'allait 
pas jusqu'à des industries si compliquées (2). C'est ainsi que 
les ministres de la couronne, dont le talent et l'énergie, rela- 
tivement aux circonstances où les plaçait l'incapacité du 
peuple, étaient des plus remarquables, parvinrent à équiper 
une flotte supérieure à aucune de celles qu'avait vues l'Espa- 
gne depuis plus d'un siècle (3). Ils prirent aussi plusieurs 
autres mesures tendant à mettre la défense de la nation 
dans des conditions satisfaisantes, quoiqu'ils fussent obligés 
d'avoir recours à des étrangers. L'armée de terre et la ma- 
rine étaient dans le plus complet désarroi; il fallut réorgani- 
ser ces deux services. La discipline de l'infanterie fut rétablie 



(I) i Solo cnatro navios de linea y sois de poco porte dejaron los reyes de origen austriaco, 
y lodos tan podridos que apenas podian aguantar el fuego de sas propias baterias. * Rio, 
Uist. del Reinado de Carlos 111. Madrid, 1856, 1. 1, pag. 184. 

• (2) c Se mandaron construir 12 navios à la vez , y se contrataron otros. Por medio de 
D. Jorge Juan se trajeron de Iuglaterra los mas habiles constructores y maestros para las 
f ibricas de jarcia, lona y otras. » Biografia de Ensenada, dans Na?arrete, CoUecciondé 
Opùsculos. Madrid, 1848, t. II, pag. 18. M. Rio, acceptant ces faits comme choses reçues, 
dit tranquillement : « 0. Jorge Juan fue à Londres para estudiar la construccion de navios. > 
JlisL del Reinado de Carlos 111. Madrid, 1856, t. IV, pag. 485. 

(3) M. Lafuente dit que Eusenada était le sauveur el presque le créateur de la marine 
espagnole, c de la cual fué el rastaurador, y casi pudiera decirse el creador. > Lafuente, 
llist. de Espaila. Madrid, 1857, t. XIX, pag. 344. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 117 

par O'Reilly, Irlandais, à la surin tendance duquel furent con- 
fiées les écoles militaires d'Espagne (1). A Cadix, on fonda une 
grande école navale, mais à la tête de cette école fut placé 
le colonel Godia, officier français (2). L'artillerie était aussi 
devenue presque inutile; elle fut remontée par Maritz le 
Français, et Gonzala l'Italien rendit le même service aux ar- 
senaux (3). 

Les mines, qui sont une des plus grandes sources natu- 
relles de la richesse de l'Espagne, avaient aussi souffert de 
l'ignorance et de l'apathie dans lesquelles la force des cir- 
constances avait plongé le pays. Elles étaient ou complète- 
ment négligées, ou si elles étaient exploitées, c'était par 
des étrangers. Les célèbres mines de Cobalt, situées dans la 
vallée de Gistan, en Aragon, étaient entièrement aux mains 
des Allemands qui, durant la première moitié du dix-hui- 
tième siècle, en tirèrent d'immenses profits (4). De même 
les mines d'argent de Guadalcanal, les plus riches de l'Es- 
pagne furent entreprises par des étrangers et non par des 



(1) c C'est par un Irlandais aussi, O'Reilly, que la discipline de l'infanterie esl réformée. » 
Bourgoing, Tableau de l'Espagne moderne, Paris, 1808, t. II, pag. 143. « Las Escuales 
militares del puerto de Santa Maria para la infanteria, que dirigio con tanto acierto el 
gênerai Ofarril bajo las ôrdones del con de O'Reilly. > Tapia, CivilizacionEspanolat. IV, 
pag. 128. 

(2) c Vino à dirigir la academia de guardias marinas de Cadix. > Tapia, Civilizacion 
Espailola, t. IV, pag. 79. c Godin figuro como director del colegio de guardias marinas. » 
Rio, Hist. de Carlos III, 1. 1, pag. 186. Compares Biographie universelle. Paris, 1816, 
t. XVII, pag. 564. 

(3) Voyez les remarques intéressantes dans Bourgoing, Tableau de l'Espagne moderne. 
Paris, 1808, t. II, pag. 96, 142. C'est donc avec toute raison que, quelques années plus tard, 
on reconnaît que a c'est à des étrangers que l'Espagne doit presque tous les plans, les réformes 
et les connaissance* dont elle a eu besoin. » Voyage en Espagne, par le marquis de Langh, 
1785, t. II, pag. 159. 

(4) «Como los del pais entendian poco de trabajar minas, tinieron de Alemania algunos 

pràcticos para ensenarlos. c « Los Alemanes sacharon de dicba mina por largo 

tiempo cosa de 500 à 600 quintales de cobalto al ano. » Bowles, Hist. Naturalde Espafia. 
Madrid, 1789, in-4% pag. 418, 419. Voyez aussi DU Ion, Spain. Dublin, 1781, pag. 227-229. 

T IV. t 



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118 HISTOIRE 

habitants du pays. Elles avaient été découvertes au seizième 
siècle, mais, comme tant d'autres choses importantes, elles 
avaient été oubliées pendant tout le dix-septième, et elles 
furent rouvertes par des aventuriers anglais; l'entreprise, les 
instruments, le capital et les mineurs mêmes, tout venait 
d'Angleterre (1). Une autre mine plus fameuse encore est 
celle d'Almaden dans la Manche qui donne du mercure de la 
plus fine qualité et à profusion. Ce métal, outre qu'il est in- 
dispensable dans plusieurs des arts les plus communs de la 
vie, avait une valeur particulière pour l'Espagne parce que, 
sans le mercure, For et l'argent du nouveau monde ne pou- 
vaient être extraits de leur minerai. La nature a eu soin de 
préparer toutes les voies pour qu'il fût facile de le recueillir; 
le cinnabre y est d'une richesse extraordinaire. Il fut un 
temps où l'on tirait d'Almaden des quantités énormes de 
mercure; eh bien, malgré la demande qui allait toujours 
croissant des pays étrangers, la mine rendit moins pendant 
quelque temps. Le gouvernement espagnol s'inquiéta; 
il ne voulait pas qu'une source de richesses si impor- 
tante fût tarie; il résolut de faire une enquête sur la 
manière dont la mine était exploitée ; et après avoir constaté 
qa'aucun Espagnol ne possédait les connaissances nécessai- 
res pour une pareille enquête, les conseils de la couronne 
se virent obligés d'appeler des étrangers à leur aide. En 
4752, un naturaliste irlandais, nommé Bowles, fut chargé 
de visiter Almaden et de rendre compte des causes de la di- 



(1) t In 1728, a ne* adventurer undertook the work of opening the mines of Guadaleanâl. 

This was Lady Mary Herbert , daaghter of tbe Marquis of P<rois. » c Lady Mary 

departed from Madrid for Guadaleanâl, to which miners and eogines bad been sent front 
England at her expense, and at that of ber relation, M. Gage, who accompanied her, and of 
her father, the marquis. » Jacob , Historical Inquiry inlo the Production and Con- 
êumption ofthe Precious Metals. Lond., 4831, t. ï, pag.278,279. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 119 

minution du rendement. II reconnut bientôt que les mineurs 
avaient contracté l'habitude de creuser les puits de la mine 
perpendiculairement, au lieu de suivre la direction de la 
veine (1). Un système aussi absurde expliquait suffisamment 
pourquoi elle ne rapportait plus rien, et Bowles expliqua que 
si l'on voulait les creuser obliquement, la mine redeviendrait 
sans doute productive. Le gouvernement tint compte de 
l'observation et donna des ordres en conséquence. Mais les 
mineurs tenaient trop à leurs vieilles habitudes pour s'y 
soumettre. Ils continuèrent de creuser les puits comme 
l'avaient fait leurs pères, parce que ce que leurs pères avaient 
fait devait être bien fait. Il fallut retirer la mine de leurs 
mains; mais l'Espagne ne pouvait fournir d'autres travail- 
leurs et ou dut envoyer chercher des mineurs en Alle- 
magne (2). A leur arrivée les choses changèrent de face; la 
mine, sous la haute direction d'un Irlandais, et creusée par 
des Allemands, fit de rapides progrès, et, malgré les 
désavantages contre lesquels des nouveaux venus ont tou- 
jours à lutter, la conséquence immédiate de ce changement 
Ait que le rendement du mercure fut doublé et que le prix 
4e revient diminua en proportion (3). 

(1) « Los mineros de Almaden nunca hicieron los socavones siguieodo la inclination de 
las betas, sino perpendiculares, y baxaban â ellos puestos en una especie de cubos atados 
desde arriba con cnerdas. De este mal metodo se origine todo al dèsôrden de la mina por- 
que al paso que los operarios penetraban dentro de tierra , era forzosa que 8e apartasen 
de las betas y las perdiesen. «Bowles, Hist. Nat. de Espafla. Madrid, 1789, in-4% pag. 14 

(2) « Fue mi proyecto bien recibido del ministerio, y habiendo hecfio venir minerçs 
Alemanes, le han exécuta do en gran parte con mncha habilidad. Los mineros Espanoles 
de Almaden son atrevidos y tienen robnstez, mana y penetrarion qnanta es menester, de 
soerte que con el Uempo serân excelentes mineros, puet no les falta otra cosa que la 
verdadera ciencia de la minas. » Bowles, Hist. natural de Espafia, pag. 46. La der- 
nière partie de cette phrase indique le désir de faire accorder les intérêts de la vérité avec les 
exigences d*nn livre imprimé à l'imprimerie royale de Madrid et approuvé par les autorités 
espagnoles. 

(3) • Encargado por el gobierno el laborioso extrangero Bowles de proponer los medios 



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120 HISTOIRE 

Tant d'ignorance pesant sur tonte la nation et Rappliquant 
à toutes les choses de la vie est à peine concevable quand on 
considère les immenses avantages que les Espagnols 
avaient possédés jadis. Ce fait est plus frappant encore quand 
on le met en regard de l'habileté du gouvernement qui, pen- 
dant plus de quatre-vingts ans, ne cessa de travailler à amé- 
liorer la condition du pays. Dans les premières années du 
dix-huitième siècle, Ripperda établit une grande manufac- 
ture de laine à Ségovie, ville autrefois prospère et indus- 
trieuse. Mais les procédés de fabrication les plus ordinaires 
étaient oubliés, et il fut obligé d'appeler de Hollande des 
ouvriers fabricants pour enseigner aux Espagnols à tisser 
la laine, art dans lequel, en de meilleurs jours, nul ne les 
avait égalés (1). En 1757, Wall, qui était alors minis- 
tre, construisit sur une plus grande échelle une manufac- 
ture analogue à Guadalajara dans la nouvelle Castille. Mais 
quelque chose se dérangea dans la machine, et comme les 
Espagnols ne savaient rien, et tenaient fort peu à savoir 
quelque chose en quoi que ce fût, on fut obligé de faire ve- 
nir d'Angleterre un ouvrier pour l'arranger (2). Enfin, les con- 
seillers de Charles III, désespérant d'exciter le peuple au 
travail par les moyens ordinaires, s'avisèrent d'un expédient 



r onvenieates para booeflciar coq mas acierto las famosas minas de axogue del Al m ad en 
descnbriô algonos nuevos procedimientos por medio de los cnales casi se dnplicaron loi 
productos de aqnellas, y bajô nna mitad el precio de los axogues. > Tapia, Civilizacion 
Esparwla, t. IV, pag. 117. 

(1) Hem. of Ripperda. Lond., 1740, 2-édit., pag. 23, 62,91, 104. « A ship arrived ai Cadii 
with fifty manufacturera on board , whom tbe Baron de Ripperda bad drawn togeiber in 

Holland. > « The new manufactures atSego?ia, which, thoogh at Ibis time wholly 

managed by foreigners, be wished, in tbe next âge, mighl be carried on by the Spaniards 
t hemselves, and by tbem only. » 
*(1) « Tbe minister, Wall, an irishman, conlrived to decoy over one Thomas Bevan, from 
Melksham, in Wiltshire, to set tbe macbinery and matters to rigbts. * Ford, Spain. Lond., 
1847, pag. 5». 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 121 

plus simple : ils invitèrent des milliers d'artisans à venir 
s'établir en Espagne, comptant que leur exemple et leur in- 
vasion inattendue réveillerait la nation de son engourdisse- 
ment (1). Tout fut inutile; l'esprit du pays était mort ; rien 
ne pouvait le rappeler à la vie. Au nombre des essais qui 
furent tentés, il faut citer la création d'une banque natio- 
nale; c'était une idée que caressaient les politiques; ils 
attendaient un grand bien de cette institution qui étendrait 
le crédit et ferait des avances aux personnes engagées dans 
les affaires. Ce projet fut mis à exécution, mais il n'atteignit 
pas le but qu'on se proposait. Quand un peuple n'est pas en- 
treprenant, rien ne peut faire qu'il le devienne. Une grande 
banque dans un pays comme l'Espagne, c'était une création 
exotique qui pouvait y vivre par artifice, mais que la nature du 
sol ne pouvait faire prospérer. Aussi fut-elle étrangère dans 
son origine et dans son achèvement, car ce fut le Hollandais 
Ripperda (2) qui la proposa et c'est au Français Cabarrus 
qu'elle dut son organisation définitive (3). 

La même loi dominait toute chose. Dans la diplomatie, les 
hommes les plus capables n'étaient pas les Espagnols, c'étaient 



(1) t Ademas de la invitacion que se hizo à millares de operarios extrangeros para venir 
à establecerse en Espana, » etc. Tapia, Civilizacion Espailola, t. IV, pag. 112, 113 
En 1768, Harris, qui fit la route de Pampelone à Madrid, écrit : 1 1 did not observe a dozen 
men either at piough or any other kind of labour on the road. » Diaries and Correspon- 
dance of James Harris, earl of Malmesbury. Lond., 1844, 1. 1, pag. 38. 

(2) « A national bank, a design onginally snggested by Ripperda. » Coxe, Bourbon Kings 
ofSpain, t. V, pag. 202. 

(3) Boargoing, ignorant que la priorité avait été pour Ripperda, dit (Tableau de l'Es- 
pagne moderne, t. II, pag. 49) :t L'idée de la banque nationale fut donnée au gouverne- 
ment par un banquier français, M. Cabarrus. » Comparez Rio, Hist. del Reinado de 
Carlos III, t. IV, pag. 122, 123 : • Banco nacional de San Carlos; propusolo Cabarrus, 
apoyôlo Floridablanca, y sancionôlo el soberano por Real cedula de 2 de Junio de 1782. » 
Voilà qui sonne bien , mais la catastrophe inévitable suivit bientôt. « Charles IV, > dit le 
prince de la Paix, « had just ascended the throne; the bank of San Carlos was rapidly 
falling, and on the verge of bank ruptey. » Godoy, Memoirs. Lond , 1836, 1. 1, pag. 124. 



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12* HISTOIRE 

des étrangers; et, pendant tout le dix-huitième siècle, nous 
voyons souvent se renouveler ce fait étrange, que l'Espagne 
est représentée par des ambassadeurs français, italiens et 
même irlandais (1). Rien n'était indigène; l'Espagne ne fai- 
sait rien par elle-même. Philippe Y, qui régna de 1700 à 
1746 et fut investi d'un pouvoir immense, ne cessa de s'at- 
tacher aux idées de son pays natal : il fut Français jusqu'à 
son dernier jour. Durant les trente années qui suivirent sa 
mort, les trois noms les plus marquants dans la politique es* 
pagnole furent Wall, né en France de parents irlandais (2) ; 
Grimaldi, natif de Genève (5) et Esquilache, natif de Si- 



(1) < A Londres, à Stockholm, à Paris, à Vienne et à Venise, le souverain est représenté 
par des étrangers. Le prince de Massarano, Italien, ambassadeur en Angleterre; le comte 
de Lacy, Irlandais, ministre à Stockholm ; le marquis de Grimaldi, ambassadeur en Franc* 
avant de parvenir au ministère; le marquis de Sqailaci, ambassadeur à Venise après sa 
retraite du ministère. Bourgoing, Tableau de l'Espagne, t. II, pag. 142, 143. Rajouterai 
que sous le règne de Philippe V, un Italien, le marquis de Beretti Landi, représentait l'Es- 
pagne en Suisse et qu'ensuite il la représenta à La Haye (Ripperda, Memoirs, 1740, 
pag. 37, 38), et qu'un peu avant ou même en 1779, Lancy remplit le même poste à Saint- 
Pétersbourg. Malmesbury, Diaries and Correspondance, 1844, 1. 1, pag. 261. De même 
aussi Rio (HisC. de Carlos III, 1. 1, pag. 288,289) dit des négociations importantes qui 
eurent lieu en 1761 entre l'Espagne, l'Angleterre et la France : c Yasf de las negociaciones 
en que Luis XV trataba de enredar à Carlos III quedaron absolutamente excinidos los 
Espanoles, como que por una parte las iban à seguir el dnque deChoiseul y el marques de 
Ossun , Franceses , y por otra el Irlandés D. Ricardo Wall , y el Genovés marques de Gri- 
maldi. • Vers le même temps Clarke écrit dans ses Letters concerning the Spanish 
Nation. Lond., 1763, in-4% pag. 331 : • S pain bas, for many years past, been under the direc- 
tion of foreign ministers. Whelher this hathbeen owiog topant of capacity in the natives, 
or disinclination in the sovereign,I will not take upon me to say; snch as it is, the native 
nobility lament it as a great calamity. ■ 

(2) Lord Stanhope, qui est en général bien informé sur les affaires d'Espagne, dit que 
Wall était • a native of Ireland. » Manon, Hist. of England. Lond., 1853, 3* édil., t. IV, 
pag. 182. Hais dans les Mém. de NoaiUes ( édit. Paris, 1829, t. IV, pag. 47 ) on le dit * Irlan- 
dais d'origine, né en France. » Voyez aussi Biografia deEnsenada, dans Navarrete, 
Opûsculos. Madrid, 1848, t. II, pag. 26 : t D. Ricardo Wall, Irlandés de origen, nacido en 
Francia. > Swinburn , qui le connaissait personnellement et qui a donné de lui quelques 
particularités, ne dit pas où il naquit. Swinburn, Travels through Spain. Lond., 1787, 
2- édit., 1. 1, pag. 314-318. 

(3) • A Genoese, and a créature of France, i Dunham, Hist . of Spain, t. V, pag. 170. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 123 

cile (1). Esquilache administra les finances pendant plusieurs 
années ; et après avoir possédé la confiance de Charles III à 
un degré bien rare pour un ministre, il ne fut remercié qu'en 
1766, et pour céder aux mécontentements qu'avaient soule- 
vés dans le peuple les innovations hardies de cet étran- 
ger (2). Wall,- horçme bien plus remarquable encore, fut, à 
défaut de bon diplomate espagnol, envoyé extraordinaire à 
Londres en 1747. Il y exerça une grande influence dans les 
affaires d'État, puis il fut placé à la tête des affaires en 1754 
et fut tout- puissant jusqu'en 1763 (3). Quand cet éminent 
Irlandais abandonna sa position, Grimaldi, le Génois, lui 
succéda; il gouverna l'Espagne de 1763 à 1777, et pendant 
ce temps fut tout dévoué à la politique française (4). Son 
protecteur principal, Choiseul, l'avait pénétré de ses propres 
idées; c'est par ses conseils que Grimaldi se laissait surtout 
guider (5). Aussi Choiseul, qui était alors premier ministre 
en France, avait-il l'habitude de se vanter, non sans exagé- 



(1) « Era Siciliano. • Rio, Hist. del Reinado de Carlos 111, t. 1, pag. 244. 

(2) Le récit le plus complet de sa démission est donné par M. Rio dans le premier chapitre 
da second volume de son Hist. del Reinado de Carlos 111 j qu'il faut cependant comparer 
avec Coxe, Bourbon Kings ofSpain, t. IV, pag. 340-346. Coxe écrit Squilaci, mais j'adopte 
l'orthographe des écrivains espagnols qui écrivent Esquilache. Son influence sur le roi était 
si grande que, selon Coxe (t. IV, pag. 347), Charles III « publicly said that, « if he was 
reduced to a morsel of bread he would divide it with Squilaci. » 

(3) Coxe, Kings of Spain, t. IV, pag. 15, 135; Rio, Hist. de Carlos III, 1. 1, pag. 141, 
247, 400, 401 ; Navarrete, Biografia de Ensenada, pag. 26, 28. 

(4) Il se démit de ses fonctions en 1776, mais il garda son poste jusqu'à l'arrivée de son 
successeur Florida Blanca en 1777, Rio, hist. de Carlos III, t. III, pag. 171, 174. Se repar- 
tant à sa nomination en 1763, M. Rio fait observer (t. I, pag. 402) : a De que Grimaldi 
creciera en fortuna se pudo congratular no Roma, sino Francia. • En 1770, Harris, le diplo- 
mate, alors en Espagne, écrit : « His doctrine is absolntely french ; guided in every thing 
by the French closet, » etc. Malmeshury, Diaries and Correspondance. Lond., 1844, 1. 1, 
pag. 56. 

(5) i Guided in his opérations by the counsels of Choiseul. • Coxe , Bourbon Kings ùf 
Spain, t. IV, pag. 339. t The prosecution of the schemes which he had concerted with 
Choiseul. > Pag. 373. t His friend and patron. » Pag. 391, et t. V, pag. 6. 



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134 HISTOIRE 

ration sans doute, mais aussi avec assez de vérité de ce que 
son influence était encore plus grande à Madrid qu'à Ver- 
sailles (1). 

Peut-être pourra-t-on contester ce fait, mais ce qui est 
certain, c'est qu'il n'y avait pas plus de quatre ans que Gri- 
maldi était à la têle des affaires lorsque l'ascendant de la 
France se manifesta d'une façon bien remarquable. Choiseul 
qui haïssait les jésuites et venait de les faire expulser de 
France, voulut aussi les faire expulser d'Espagne (2). L'exé- 
cution de ce projet fut confié à Aranda, Espagnol de nais- 
sance, mais dont l'esprit avait été cultivé en France et qui 
avait puisé dans la société de Paris une haine des plus fortes 
contre toutes les formes du pouvoir ecclésiastique (3). Ce 
projet préparé secrètement futhabilementmené (4). En 1767, 



(1) a Personne n'ignorait le crédit prodigieux que M. Choisenl avait sur le roi d'Espagne 
dont il se vantait lui-même, an point que je lai ai on! dire qu'il était plus sûr de sa prépon- 
dérance dans le cabinet de Madrid que dans celui de Versailles. » Mém. du baron de 
Besenval, écrits par lui-même. Paris, 1805, t. II, pag. 14, 15. 

(2) M. Muriel (Gobierno del Rey Don Carlos III. Madrid, 1839, pag. 44, 45) dit de leur 
expulsion de l'Espagne : a Este acto de violencia hecho meramente por complacer al duque 
de Choisenl, ministro de Franciay protector del partido filosôfico.» Voyez aussi Crétineau- 
Joly ,Hist. de la compagnie de Jésus. Paris, 1845, t. V, pag. 291 ; Georgel, Mém. pour 
servir à l*hi8loire des événements depuis 1760. Paris, 1817, 1. 1, pag. 95. 

(3) L'archidiacre Coxe, avec le ton que l'on prend volontiers dans sa profession, dit 
d' Aranda : a In France he had acqnired the grâces of polisbed society, and imbibed thaï 
freedom of sentiment which then began to be fashionable, and hassince been carried 
to such a dangerous excess. > Cox«, Bourbon Kings of Spain, t. IV, pag. 401 Son 
grand ennemi, le prince de la Paix, avec le désir de se montrer sévère, fait son éloge sans 
le vouloir et dit qu'il était a connected with tbe most distinguished literary Frenchmen of 
tbe middle of the last century , » et qu'il était a divested of religions préjudices , though 
swayed by philosophical enthusiasm. * Godoy, Memoirs. Lond., 1836, 1. 1, pag. 319. La 
prévention de quelques hommes a parfois un grand prix. Le prince ajoute qu'Aranda 
< conld only lay claim to the inferior merit of a sectarian attachaient. > II oublie qu'en 
Espagne toute personne éclairée doit nécessairement faire partie d'nne secte peu nom- 
breuse. 

(4) Cabarrus {Elogio de Carlos 111. Madrid, 1789, in-4% pag. rnv) dit avec malice : 
a El acierto de la execncion que correspondiô al pulso y prudencia con que se habia delibe- 
rado esta providencia importante, pasarà & la ultima posteridad. > 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 125 

le gouvernement espagnol, sans vouloir entendre ce que les 
jésuites pouvaient dire pour leur défense et, à vrai dire, sans 
le moindre avertissement, leur signifia tout d'un coup leur 
expulsion. Ils furent chassés du pays où ils étaient nés, 
qu'ils chérissaient depuis si longtemps, avec une animosité 
telle que non seulement leurs richesses furent confisquées, et 
qu'ils furent réduits à là portion congrue, mais on les avertit 
que s'ils publiaient la moindre justification en leur faveur, 
le peu qu'on leur laissait leur serait retiré. En même temps 
on déclarait que quiconque prendrait la liberté d'écrire sur 
les jésuites, s'il était sujet espagnol, serait condamné à mort 
comme coupable de haute trahison (1). 

Tant d'audace de la part du gouvernement (2) fit trembler 
l'inquisition elle-même. Ce tribunal, jadis tout-puissant, 
maintenant menacé et soupçonné par les autorités civiles, 
devint plus circonspect dans ses actes, et plus indulgent vis- 
à-vis des hérétiques. Au lieu d'extirper les infidèles par cen- 
taines et par milliers, il en fut réduit à de tels embarras que, 
de 1746 à 1759, il ne put brûler que dix personnes; et seu- 



(1) Coxe, Bourbon Kings of Spain, t. IV, pag. 362. M. Rio, dans le second volome de 
ion Histoire de Char les 11 7 (Madrid, 1856) a fait nn récit très peu philosophique et guère 
pins exact de l'expulsion des jésuites qu'il ne considère qu'au point de rue espagnol, oubliant 
que ce fait était le résultat d'un mouvement européen à la tête duquel la France s'était 
placée. Il nie l'influence de Choiseui ( pag. 125), trouve à redire aux assertions parfaitement 
exactes de Coxe, et finit par attribuer ce grand événement à des causes n'existant que dans 
la péninsule. « De ser los jesuitas adversarios del regalismo emanô su ruina en Espana , 
cuando triunfaban las opiniones sostenidas con herôico teson desde mucho ànles por doc- 
tisimos jurisconsultes. » Pag. 519. 

(2) Un des plus récents historiens des jésuites remarque avec indignation - « Depuis deux 
cent vingt ans les jésuites vivent et prêchent en Espagne. Ils sont comblés de bienfaits 
par des monarques dont ils étendent la souveraineté. Le clergé et les masses acceptent 
avec bonheur leur intervention. Tout à coup l'Ordre se voit déclaré coupable d'un crime de 
lèse-majesté, d'un attentat public que personne ne peut spécifier. La sentence prononce la 
peine sans énoncer le délit. » Crétineau-Joly, Hist. de la compagnie de Jésus. Paris, 1845, 
t. V, pag. «95. 



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116 HISTOIRE 

leroeot quatre de 1759 à 1788 (1). Cette diminution extraor- 
dinaire pendant la dernière période fut due en partie à la 
grande influence d'Àranda, l'ami des encyclopédistes et d'au- 
tres sceptiques français. Cet homme remarquable fut prési- 
dent de la Castille jusqu'en 1773 (2), et ce fut lui qui dé- 
fendit à l'inquisition de s'immiscer dans les tribunaux 
civils (5). Il forma aussi le projet d'abolir entièrement cette 
institution; mais son plan échoua parce que ses amis de 
Paris, auxquels il l'avait confié, le rendirent public préma- 
turément (4). Néanmoins son influence fut si grande» qu'après 
l'année 1781 aucun hérétique ne fut condamné au bûcher; 
l'inquisition craignant trop le gouvernement pour rien faire 
qui pût compromettre l'existence de la sainte institution^). 



(1) Dunham, Hist. ofSpain, t. V, pag. 285, dans laquelle les faits sont bien groupés. Ua 
«xcellent ouvrage (Hist. of the Inquisition) par Llorente n'est pas assez exact; mais c'est 
un livre honnête, ce qui est surprenant. 

(2) Rio, Hist. de Carlos III, t. III, pag. 103-107, qui peut être comparée à la description 
de Coxe, qui tira ses renseignements d'un ami, d'Aranda. Coxe, Bourbon Kings ofSpain, 
t. IV, pag. 401-415. Une bonne biographie d'Aranda serait très intéressante. Celle qie 
donne Ta Biographie universelle est trop courte et mal écrite. 

(3) Coxe, Bourbon Kings ofSpain, t. IV, pag. 407. 

(4) « When at Paris, in 1786, 1 received the following anecdote from a person connectai 
with the encyclopedists. During his résidence in that capital , d'Aranda had frequently 
testified to the 1 itéra ti with whom he associated, his resolution to obtain the abolition of the 
Inquisition, should he ever be called to power. His appointment was, therefore, exultingly 
hailod by the party, particularly by d'Alembert; and he had scarcely begun his reforma 
before an article vas inserted in the Eocyclopaedia, then printing,in which this eventwas 
oonfldently anticipated , from the libéral principles of the minister. D'Aranda vas struclt 
on reading this article, and said : t This imprudent disclosure will taise such a ferment 
agaiost me, that my plans will be foiled. > He was not mistaken in his conjecture. > Coxe* 
Bourbon Kings ofSpain, t. IV, pag. 408. 

(5) Même le cas en 1781 paraît avoir été pour sorcellerie plutôt que pour hérésie. « La 
dernière victime qui périt dans les flammes fut une béate; on la brûla à Séville, le 7 novem- 
bre 1781 , comme ayant fait un pacte et entretenu un commerce charnel avec le démon , et 
pour avoir été impénitente négative. Elle eût pu éviter la mort en s'avouant coupable du 
crime dont on l'accusait. » Llorente. Hist. de l'inquisition d'Espagne. Paris, 1818, t. IV, 
pag. 970. Vers cette époque la torture commence à être abandonnée en Espagne. Voyes une 
note intéressante dans Johnston , Institutes of the Civil Law of Spain. Lond., 18», 
pag. 363. 



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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 1*7 

En 1777, Grimaldi, l'un des principaux partisans de la 
politique antithéologique introduite en Espagne par la 
France, cessa d'être ministre ; mais son successeur fut FIo- 
rida Blanca, qui était sa créature et auquel il légua sa poli- 
tique en même temps que son autorité (1). Les affaires poli- 
tiques continuèrent donc à progresser dans la même direction. 
Sous le nouveau ministre aussi bien que sous ses prédéces- 
seurs, le gouvernement se montra aussi résolu à affaiblir 
l'autorité de l'Église et à revendiquer les droits des laïques. 
Il subordonna en toute chose les intérêts ecclésiastiques aux 
intérêts séculiers. Nous pourrions en donner de nombreux 
exemples; mais il y eh a un qui est trop important pour le 
passer sous silence. Nous avons vu qu'au commencement du 
dix-huitième siècle, Àlberoni, lorsqu'il était à la tête des 
affaires, fut accusé de ce qu'on considérait en Espagne 
comme un crime énorme : d'avoir fait alliance avec les maho- 
métans; et il est évident que ce fut là une des causes 
de sa chute, car on pensait alors que nul avantage tem- 
porel ne pouvait justifier un traité d'union , ni même un 
traité de paix entre une nation chrétienne et une nation 
d'infidèles (2). Mais le gouvernement espagnol qui, grâce 
aux causes que j'ai exposées, était bien plus avancé que 
l'Espagne elle-même, devenait peu à peu plus audacieux 
et plus disposé à imposer au pays ses idées de progrès. 



(i) ■ Menesteres decir que el marqués de Grimaldi cayô venciendo à sus enemigos, pues, 
Yéjos de legarles el poder, à que aspiraban con anhelo, trasmitiôlo à nna de sas màs légi- 
timas hechuras ; que lai era y por tal se reconoçia el conde de Floridablanca. > Rio, Hist. 
lUd Reinado de Carlos ///, t. III, pag. t5i, 151 

(S) En 1690, on disait que « since the expulsion of the Moors, > un roi d'Espagne n'avait 
jamais envoyé un ambassadeur à un prince mahométan. Voyez Manon , Spain under 
Charles II, pag 5. Cette année-là un ambassadeur fut envoyé au Maroc; mais ce fut seule- 
ment pour traiter du rachat des prisonniers, et certainement sans la moindre intention de 
conclure un traité de paix. 



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1Î8 HISTOIRE 

Mais l'esprit du peuple n'était pas encore capable de les 
comprendre. Il en résulta qu'en 1782 Florida Blanca con- 
clut avec la Turquie un traité qui mit fin à la guerre reli- 
gieuse. Cette mesure frappa d'étonnement les autres puis- 
sances européennes qui pouvaient à peine croire que les 
Espagnols fussent disposés à cesser les efforts qu'ils avaient 
faits si longtemps pour extirper les infidèles (2). xMais l'Eu- 
rope était à peine remise de sa surprise, lorsque se passèrent 
d'autres événements du même genre et tout aussi fou- 
droyants. En 1784, l'Espagne signa un traité de paix avec 
Tripoli, et en 1785 avec Alger (2). Ces traités étaient à 
peine ratifiés, qu'un autre fut conclu avec Tunis en 
1786 (2). De sorte que le peuple espagnol, à sa grande sur- 
prise, se trouva en paix avec des nations qu'il avait abhor- 
rées pendant plus de dix siècles, et que tout gouvernement 
chrétien devait, dans l'opinion de l'Église espagnole, com- 
battre sans relâche et extirper, s'il le pouvait. 

Laissant de côté pour un moment les conséquences éloi- 
gnées et intellectuelles de ces transactions, on ne peut dou- 
ter que leurs conséquences immédiates et matérielles n'aient 
été très salutaires, bien qu'elles ne produisissent aucun avan- 

(i) • The other European courts, with surprise and regret, witnessed the conclusion of a 
treaty which terminated the political and religions rivalry so long sobsisting between Spain 
and the Porte.» Coxe, Bourbon Kings of Spain, t. V, pag. 152, 153. « Un« des maximes 
de la politique espagnole avait été celle de maintenir nne guerre perpétuelle contre les 
mahométans, même après la conquête de Grenade. Ni les pertes incalculables éprouvées par 
suite de ce système, ni l'exemple de la France et d'autres puissances catholiques qui ne se 
faisaient point scrupule d'être en paix avec les Turcs, n'avaient suffi pour détromper l'Es- 
pagne sur l'inconvenance d'une telle politique. Le génie éclairé de Charles III corrigea un 
préjugé aussi dangereux ; dicta la paix avec les empereurs de Turquie et d'autres potentats 
mahométans ; délivra ses sujets de la terrible piraterie des corsaires, et ouvrit à leur com- 
merce de nouvelles voies pour spéculer avec de plus grands avantages.» Sempere, la 
Monarchie espagnole, t. II, pag. 160. 

(î) Rio, Hist. del Reinado de Carlos 111, t. IV, pag. 1143. 

(3) Idem, ibid., t. IV, pag. 16, 17. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 129 

tage durable, ainsi que nous le verrons présentement, parce 
qu'elles étaient arrêtées par l'opération défavorable de cau- 
ses plus puissantes et plus générales. On doit pourtant re- 
connaître que les résultats directs furent extrêmement avan- 
tageux ; et ceux qui ne prennent qu'une vue étroite des choses 
humaines, auraient bien pu supposer que ces avantages se- 
raient permanents. La ligne immense de côtes qui s'étend 
depuis les royaumes de Fez et du Maroc, jusqu'à l'extrémité 
de l'empire turc, ne pouvait plus vomir ces innombrables 
pirates qui jusqu'alors avaient balayé les mers, capturé les 
vaisseaux espagnols, et fait esclaves les sujets de l'Espagne. 
Autrefois, on payait annuellement des sommes immenses 
pour rançonner ces malheureux prisonniers (1); tous ces 
maux n'existaient plus maintenant. En outre, le commerce 
de l'Espagne prenait un grand essor ; de nouveaux marchés 
se trouvaient ouverts, et ses navires pouvaient se montrer 
sans danger dans les riches contrées du Levant. Ceci accrût 
ses richesses, qui furent également augmentées par une au- 
tre circonstance, qui fut le résultat de ces événements. En 
effet, les parties les plus fertiles de l'Espagne sont celles qui 
sont baignées par la Méditerranée, et pendant des siècles 
elles avaient été la proie des corsaires mahométans qui, dé- 



(1) « Ha sido notable el numéro de eau ti vos, que los piratas de Berberia hao hecho sobre 
nuestras costas por très centurias. En el siglo pasado se solian calcnlar existentes à la vez 
en Argel, treinta mil personas espanolas. Su rescale à razon de mil pesos por cada persona 
â lo menosj ascendia & 30 millones de pesos. > Campomanes, Apendice à la Education 
Popular. Madrid, 1775, 1. 1, pag. 373. Relativement aux précautions qu'il fallait prendre 
pour défendre les côtes de l'Espagne contre les corsaires, voyez Uztariz, Theoricay Prac- 
tica de Comercio. Madrid, 1757, in-fol., pag. 172, 173, 8226-226, et Lafuen te t HisL de 
Espafla. Madrid, 1855, t. XV, pag. 476. Vers le milieu du dix huitième siècle, il fallait avoir 
des troupes pour surveiller constamment les côtes de l'Espagne sur la Méditerranée, t in 
order to give the alarm upon the appearance of the enemy. Voyez il Tour UtroughSpain 
by Udal ap Rhys. Lond., 1760, 2* édit., pag. 170. Quant à la situation au dix-septième 
siècle, voyez Janer, Condition de los Moriscos. Madrid, 1857, pag. 63. 



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130 HISTOIRE 

barquaot souvent au moment où l'on s'y attendait le moins, 
avaient fini par causer une telle terreur, que les habitants 
s'étaient peu à peu retirés dans l'intérieur, et avaient re- 
noncé à cultiver le sol le plus fertile de leur pays. Mais, 
grâce aux traités qu'on venait de conclure, ces dangers 
n'existaient plus; le peuple revint occuper ses anciennes 
habitations; la terre Tut de nouveau cultivée; des villages 
s'élevèrent ; des fabriques Turent établies ; et la prospérité 
publique parut être posée sur des bases plus solides qu'à 
aucune autre époque, depuis que les mahométans avaient 
été chassés de la Grenade (1). 

J'ai maintenant placé devant le lecteur les mesures les 
plus importantes prises par les hommes d'État capables et 
énergiques qui gouvernèrent l'Espagne pendant la plus 
grande partie du dix-huitième siècle. En considérant de 
quelle manière ces réformes furent accomplies, il ne faut pas 
oublier le caractère personnel de Charles III qui occupa le 
trône de 1759 à 1788 (2). C'était un homme d'une grande 



(1) « De esta snerte quedaron los mares limpios de piratas desde los reinos de Fes y 
Marruecos hasta los ultimos dominios del emperador Turco , por el Meditwrâneo todo ; 
viôse à meoodo la bandera espaoola en Levante, y las mismas naciones mercantiles que la 
persignieron indirectement*, preferiaBla ahora, resnltando el aomento del comercio y de la 
Real marina, y la pericia de sus tripulaciones, y el mayor brillo de Espana y de sa augusto 
Soberano : termino hnbo la esclavitnd de tantos mil la rus de infelices con abandono de ans 
familias é indelebles perjnicios de la religion y el Estado, cesando tambiea la continua 
eitraccioo de énormes snmas para los rescates que, al pasoqae nos empobrecian, pasaban 
à enriquecer à nnestros contrarios, y à faciliter sns armamentos para ofendernos; y se 
etnpeiaban à cnltivar ràpidamente en las costas del Mediterràneo legnas de terrenos los 
mis fertiles del mnndo, desamparados y eriales hasta entônces por miedo à los piratas, 
y donde se formaban ya pneblos eoteros para dar salida à los fratos y las manufacturas. » 
Rio, Hist. del Reinado de Carlos III, t. IV, pag. 17, 18. 

(3) M. Rio, dont la volumineuse histoire do règne de Charles III est, malgré de nombreuses 
omissions, une œuvre importante, a apprécié l'influence personnelle du roi plus justement 
que tout autre écrivain ; il a en accès à des documents inédits qui prouvent la grande énergie 
et l'activité de Charles. • Entre sus mas notables figuras ninguna aventaja i la de 
Carlos III ; y no por el lugar jer arquieo que ocupa, si no por el brillante papel que repre- 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 131 

énergie, et quoique né eu Espagne, il ne partageait pas les 
sentiments de son peuple. Lorsqu'il devint roi, il avait été 
longtemps absent de son pays, et il avait contracté le goût 
de coutumes et surtout d'opinions complètement opposées à 
celtes qui étaient naturelles aux Espagnols (1). Comparé à 
ses sujets, it était certainement très éclairé. Ils adoraient la 
forme la plus complète, et par conséquent la plus nuisible, 
4e la puissance spirituelle qui ait jamais existé en Europe. 
Charles entreprit de restreindre cette puissance. Sous ce 
rapport comme sous beaucoup d'autres, il alla bien plus loin 
<jue Ferdinand NI et que Philippe Y, quoique ces monar- 
ques eussent accompli, sous l'influence des idées françaises, 
ce qui n'étaitpas sans danger à leur époque (S). Le clergé, in- 
digné de pareilles mesures, murmura et alla même jusqu'à la 
menace (3). Il déclara que Charles, en dépouillant l'Église, 
en lui enlevant ses privilèges, etf insultant ses ministres, 
ruinait l'Espagne à jamais (4). Mais le roi, dont le caractère 



sonta, ora lome la iniciatira, ora el consejo» para efectaar las innumerables reformas qne 
le valieron inextinguible fama. Ya se que algunos tacban à este Mooarca de cortedad de 
feeés y de estrechez de miras ; y que algunos otros suponen que sus ministres le engaoaron 
6 sorprendieron para dletar ciertas providencias. Cuarenia y ocho tomos de cartas sema- 
nales y escritas de su puno desde octubre de 1759 hasta marzo dé 1783 al marques de 
fanocci, existehtes en el arcWTO de Simancas, por mi leidas hoja tras hoja, sacando de 
ellas largos apuntes, sirven à maravilla para pintarle tal como era, y penetrar hasta sus 
màs recônditos pensamientos, y contradecir à los que le juzgan à bulto. ■ Rio , HUt. del 
neinado de Carlos III. Madrid, 1806, 1. 1, pag. mi, xxiii. 

(1) « Although born and educated in Spain, Charles had quitted the country at too. 
earljr an âge to retain a partiaHty to ils customs, laws, manners, and language; while, 
trom his résidence abroad, and his intercourse with France, he had formed a natural pré- 
dilection for the French character and institutions. > Coxe, Bourbon Kings of Spain , 
t. IV, pag. 337. 

■(8) Il « far surpassed his t*o predeeessors In his exertions to reform the morals, and 
tesftrara the poirer of the clergy. i Ibid., t. V, pag. 215. 

(S) Ses mesures « atarmarou al clero en gênerai, que empesé à murmiirar con impaciencia, 
y aun algunos de sus indïviduos se propasaron à violentos actos. > Tapîa , Civilizacion 
£*pû«oJa,t.IV,pag.98. 

(4) Une accusation populaire contre le gouvernement était «que se despojara à la Iglesia 



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13* HISTOIRE 

était ferme et quelque peu obstiné, persévéra dans sa politi- 
que; et comme ses ministres étaient, ainsi que lui, des 
hommes d'une habileté reconnue, ils réussirent à mettre à 
exécution la plupart de leurs projets, en dépit de l'opposition 
qu'ils rencontrèrent. Malgré leurs erreurs et leur peu de 
clairvoyance, il est impossible de ne pas admirer l'honnê- 
teté, le courage et le désintéressement qu'ils montrèrent en 
essayant de changer les destinées de la nation superstitieuse 
et à demi barbare sur laquelle ils régnaient. Mais il est évi- 
dent que dans ce cas, comme dans tous les cas semblables, 
en attaquant les abus que le peuple s'acharnait à aimer, ils 
augmentèrent l'affection que ces abus inspiraient. C'est une 
tâche ingrate de vouloir changer les opinions par des lois. 
Non seulement on échoue, mais on cause une réaction qui 
laisse les opinions plus fortes que jamais. Il faut d'abord 
changer l'opinion, et alors on peut changer la loi. Du mo- 
ment qu'on a convaincu le peuple que la superstition est 
nuisible, on peut prendre des mesures actives contre les 
classes qui excitent la superstition et qui vivent par elles. 
Mais quelque pernicieux que puisse être un intérêt, quelque 
dangereuse que puisse être une classe, qu'on prenne garde 
de les attaquer par la force, à moins que le progrès des lu- 
mières n'ait d'abord sapé leur base, et ébranlé leur influence 
sur l'esprit national. C'est là l'erreur qu'ont toujours com- 
mise les plus ardents réformateurs, qui, dans leur désir d'ar- 
river à leur but, ont permis au mouvement politique de 



de gos iomunidades. » Rio, Hist. del Reinado de Carlos III, t. II, pag. 54. Voyez aussi les 
pag. 201, 202, pour a ne lettre écrite en 1766 par i'évéque de Coenca an confesseur du roi, 
dans laquelle le prélat dit « que Espana corria â su ruina que ya no corria, sino que volaba, 
y que yaestaba perdida sin remedio humano,» et que la cause de ceci était la persécution 
de la pauvre Église, qui était » saqueada en sus bienes, ultrajada en sus ministros, y atro- 
peilada en su inmunidad. » 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 135 

devancer le mouvement intellectuel, et qui, en renversant 
ainsi l'ordre naturel, ne font qu'augmenter leurs souffrances 
ou celles de leurs descendants. Ils portent la main sur l'au- 
tel, et le feu en jaillit pour les consumer. Alors vient une 
nouvelle période de superstition et de despotisme, une nou- 
velle époque sombre à ajouter aux annales de l'humanité. 
Si cela arrive, c'est parce que les hommes ne veulent pas at- 
tendre le moment favorable et s'entêtent à vouloir précipi- 
ter la marche des choses. C'est ainsi qu'en France et en 
Allemagne les amis de la liberté ont donné ptus de force à la 
tyrannie; ce sont les ennemis de la superstition qui lui ont 
donné une nouvelle existence* On croit encore dans ces con* 
trées que le gouvernement peut régénérer la société; et par 
conséquent, aussitôt que les hommes qui oot des opinions 
libérales arrivent au pouvoir, ils en usent avec trop de pro- 
digalité, croyant que c'est le meilleur moyen d'assurer la 
réussite de leurs projets. Cette illusion, quoique moins gé- 
nérale en Angleterre, y règne beaucoup trop ; mais comme 
dans ce pays l'opinion publique contrôle les hommes d'État, 
le peuple anglais échappe aux maux qui ont frappé les au- 
tres nations, parce qu'en Angleterre, le gouvernement ne 
peut faire des lois que la nation repousse. Cependant les 
habitudes du peuple espagnol étaient si serviles, et il avait 
si longtemps gémi sous le joug, que lorsque le gouvernement 
attaqua, au dix-huitième siècle, ses préjugés les plus chers, 
il osa rarement résister ; il n'avait d'ailleurs aucun moyen 
légal de faire entendre sa voix. Mais la violence de ses sen- 
timents n'en était pas moins grande. La réaction se prépa- 
rait en silence, et elle était manifeste avant la fin du siècle. 
Tant que Charles III vécut, elle fut tenue en échec, en partie 
par la crainte qu'inspirait son gouvernement actif et vigou- 

T.IV 9 



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434 HISTOIRE 

reux, et en partie parce que plusieurs des réformes qu'il in- 
troduisit étaient si évidemment utiles, qu elles jetaient sur 
son règne un éclat que toutes les classes pouvaient appré- 
cier. Outre l'immunité que sa politique assura contre les 
ravages incessants des pirates, il avait obtenu pour l'Espagne 
le traité de paix le plus honorable qui eût été signé pen- 
dant les deux derniers siècles par un gouvernement espa- 
gnol ; circonstances qui rappelaient au peuple les jours les 
plus glorieux du règne de Philippe II (1). Lorsque Charles 
monta sur le trône, l'Espagne était à peine une puissance 
de troisième ordre ; à sa mort, elle eut le droit de se consi- 
dérer comme une puissance de premier ordre, puisqu'elle 
avait depuis quelques années traité sur un pied d'égatité avec 
la France, l'Angleterre et l'Autriche, et pris une part im- 
portante dans les conseils de l'Europe. Le caractère person- 
nel de Charles avait grandement contribué à ce résultat; son 
honnêteté inspirait le respect, autant que son énergie inspi- 
rait la crainte (2). Comme homme, sa renommée était 



(i) Goxe (Bourbon Kingt ofSpain, t. V, pag. 144) appelle la paix de 1783 « the most 
honourable and advantageous ever eoncluded by the crown of Spam sioce the peace of 
St. Qui d tin. »De même, M. Rio (Hist. del Reinado de Carlos ///, t. III, pag. 397) : iSiglos 
habian pasado para Espana de continuas y porfiadas contiendas, sio llegar nnnca, desde la 
famosa jornada de San Qniotin y al arborear el reinado de Felipe II, tan gloriosamente al 
reposo. ■ 

(2) Vers la fin de son règne, un observateur contemporain, qui était bien loin d'être pré- 
venu en sa faveur, rend témoignage à ■ tbe honest and obstinate adhérence of his présent 
Catholic Majesty to ail his treaties, principles, and engagements. • Letters by an English 
Officer. Lond., 1788, t. II, pag. 329. Comparez Muriel (Gobierno del Rey Don Carlos ///» 
Madrid, 1839, pag. 34) : « Tan conocido Uegô à ser Carlos III en los reinos estranos por la 
rectitud de su caràcter, que en las desavenencias que ocurrian entre los gobieroos, todos 
conseil tian en tomarie por àrbitro, y se sometian a sus decisiooes, • et Cabarrus (Elogio de 
Carlos III. Madrid, 1789, io-4% pag. il) : « Esta probidad llega à ser el resorte politico de 
la Europa; todas las cortes penetradas de respeto à sus virtudes le buscan por àrbitro y 
mediador. » On trouvera aussi dans Rio (Hist. del Reinado de Carlos III, t. IV, 
pag. 41-43,253) la preuve du grand respect que les puissances- étrangères avaient pour 
Charles III. 



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jOO' 



DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 135 

grande; comme souverain, aucun de ses contemporains né 
l'égalait, à l'exception dé Frédéric de Prusse, dont l'immense 
talent fut d'ailleurs terni par une ignoble rapacité et par un 
désir incessant de circonvenir ses voisins. Charles III n'avait 
pas ces défauts; mais il s'occupa sérieusement des défenses 
de l'Espagne ; il la plaça sur le pied de guerre, et la rendit 
plus formidable qu'elle ne l'avait été depuis le seizième 
siècle. Au lieu d'être exposée aux insultes de chaque petit 
potentat qui cherchait à triompher de sa faiblesse, la nation 
fut en mesure de résister, et même d'attaquer si cela deve- 
nait nécessaire. L'armée eut de meilleures troupes, une dis- 
cipline plus régulière, et on s'occupa sérieusement de ses 
besoins et de son bien-être. La marine fut presque doublée 
quant au nombre des vaisseaux, et plus que doublée quant k 
son efficacité (1). Tout cela fut accompli sans imposer de 
nouvelles charges au peuple. En réalité, les ressources na- 
tionales se développèrent à un tel point, que de lourds impôts 
eussent été payés plus facilement sous le règne de Charles If I 
que des impôts plus légers sous le règne de ses prédéces- 
seurs. On introduisit une régularité jusque-là inconnue dans 
la méthode de fixer et de percevoir les contributions publi- 
ques (2). On rendit plus faciles les lois de mainmorte, et on 
prit des mesures pour diminuer la rigidité des substitu- 
tions (3). On délivra l'industrie du pays d'un grand nombre 
d'entraves qui lui avaient été longtemps imposées, et les 
principes du libre commerce furent si bien admis, qu'en 
4765 on abrogea les anciennes lois sur le blé; on en permit 

(i) Ait sujet de l'augmentation de la marine, comparez Tapia, Civilizadon EspaftolQj 
t. IV, pag. 127, avec Muriel, Gobierno del Rey Carlos III, pag. 73, 82. 

(2) Ces améliorations financières furent principalement dues à un Français nommé 
, Cabarrus. Voyez Rio, Hist. del Reinado de Carlos III, t. IV, pag. 122, 123. 

(3) Rio, Ibid., t. IV, pag. 164-166, et Tapia, Civilizadon Espaflola, t. IV, pag. 96, 97. 



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136 HISTOIRE 

l'exportation ainsi que le transit entre les différentes par- 
ties de l'Espagne sans aucune des précautions absurdes 
que les gouvernements antérieurs avaient jugé à propos 
d'inventer (1). 

Ce fut aussi sous le règne de Charles III que les colonies 
américaines furent pour la première fois traitées d'après les 
maximes d'une politique sage et libérale. La conduite du 
gouvernement espagnol sous ce rapport offre un contraste 
tout en faveur de l'Espagne avec la politique que suivit à ta 
même époque envers nos grandes colonies l'homme in- 
capable et borné qui occupait alors le trône d'Angleterre. 
Pendant que les mesures violentes de Georges III poussaient 
les colonies anglaises à la rébellion, Charles III s'occupait 
activement à concilier les colonies espagnoles. Pour y par- 
venir, et pour donner toute facilité au développement de 
leur prospérité, il fit tout ce qu'il était possible de faire avec 
les ressources qu'il avait à sa disposition. En 4764, il éta- 
blit, et c'était vraiment une grande chose à cette époque, 
des communications directes et mensuelles avec l'Amérique, 
afin d'introduire plus facilement les réformes qu'il méditait, 
et de s'occuper plus sérieusement des réclamations des 
colonies (2). L'année suivante, le libre commerce fut ac- 



cu ■ La proridencia mas acertada para el fomeoto de noestra agricaltora fne sin dada 
la real pragmàtica de 11 de jalio de 1766, por la caal se aboliô la Usa de los gtanos, y se 
jpermitiô el libre comercio de ellos. • Tapia, CiiHlizacion E&pafiota, t. IV, pag. 10$. Voyez 
aussi DUIod, Spain, pag. 69, et Townsend, Spain, t. II, pag. 230. La premier pas en faveur 
de cette grande réforme fat fait en 1751. Voyez redit de cette même année : « Ltbertase 4e 
derecûQS el trigo, cebada,centeno y mais que por mar se transportée de nnas provinelas 
à otras de estos dominios. > Ce document, qui est important ponr l'histoire de l'économie 
politique,est imprimé dans l'appendice à Y Education Popular, de Campomanes. Madrid, 
1775, t. II, pag. 16, 17. 

(2) < Pronto se establecieron los correos maritimos y comnniearon con regnlaridad y 
frecuencia no vistas hasta entônces la metrôpoli y las colonias. Por efecto del importante 
decreto de 34 de agosto de 1764, salia el primera de cada mes on paquebot de la Corana 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 137 

cordé aux Antilles, dont les abondantes denrées pouvaient 
maintenant circuler librement, à l'avantage mutuel de la 
colonie, et de ses voisins (1). De nombreuses améliora** 
tîons furent introduites dans toutes les colonies, la tyran-* 
nie des gens en place fut arrêtée, et les charges imposées 
au peuple furent diminuées (2). Enfin, en 1778, les prin- 
cipes du commerce libre ayant réussi dans les Antilles, 
furent également appliqués au continent américain; les ports 
du Pérou et de la Nouvelle Espagne furent ouverts ; et ces 
mesures donnèrent une impulsion immense à la prospérité 
de ces magnifiques colonies que la nature avait faites riches 
et fertiles, mais que la folie de l'homme avait rendues pau- 
vres (3). 

11 en résulta une réaction si rapide sur la mère patrie, 
qu'à peine l'ancien système du monopole était-il renversé, 
que le commerce de l'Espagne progressa, et continua à pro~ 



cou toda la correspondencia de las Indias ; desembarcàbala en la Habana, y desde alli se 
distribua en balandras y otros bajetes a propôsito para puotear les vienios escases, à 
Veraeruz, Portobelo , Cartagena, islas de Barlovento y provincias de la Plata; y aquellos 
ligeros buques volvian à la Habana , de donde zarpaba mensualmente y en dia fijo otro 
paquebot para la Coruna. • Rio, Hisl. ciel Reénado de Carlos III, t. 1, pag. 438. Mais 
cette partie do projet, qui avait pour bot de rendre Coruoa la rivale de Cadiz, parait n'avoir 
pas réussi. Voyez une lettre écrite de Coruna en 1774, dans Dâlrymple, Travels through 
Spain. Lond.,1777, in-4% pag. 99, 

(1) Voyez les édits dans Campomanes, Apendice. Madrid, 1775, t. II, pag. 37-47. Ils sont 
tous les deux datés du 16 octobre 1765. 

(2) Alaman disait avec raison « que el gobierno de America llegô al colmo de su perfec- 
Cion en tiempo de Carlos III. » Rio, Hist. del Keinado de Carlos III y t. IV, pag. 141. Et 
Humboldt fait observer {Essai politique sur le royaume de la Nouvelle Espagne. Paris, 
1811, in-4% 1. 1, pag. 102) que : t (Test le roi Charles III surtout qui, par des mesures aussi sages 
qu'énergiques, est devenu le bienfaiteur des indigènes; il a annulé les Encomiendas ; il 
a défendu les Repartimientos , par lesquels les corregidcrs se constituoient arbitraire- 
ment les créanciers et par conséquent les maîtres du travail des natifs, en les pourvoyant, 
à des prix exagérés, de chevaux, de mulets et de vêtemeng {ropa). » 

(3) Cabarrus, Elogio de Carlos III. Madrid, 1789, pag. xlii, et la note de Canga dans 
fiartinez de la Mata, Dos Discursos. Madrid, 1794, pag. 31. Mais ces écrivains n'étaient 
pas assez versés en économie politique pour apprécier complètement cette mesure. 



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138 HISTOIRE 

gresser jusqu'à ce que l'exportation et l'importation eussent 
atteint un chiffre t qui dépassait l'attente des auteurs de la 
réforme eux-mêmes. En effet, l'exportation des denrées 
étrangères fut triplée, celle des produits de la mère patrie 
fut quintuplée, et le chiffre des importations de l'Amérique 
se multiplia par neuf (1). 

On révoqua un grand nombre d'impôts qui pesaient lour- 
dement sur les basses classes; et comme leurs charges se 
trouvèrent ainsi considérablement allégées, on espéra que 
leur condition s'améliorerait rapidement (2). Pour leur 
donner encore de plus grands avantages, on fit certains 
changements dans la procédure, qui leur permirent de ré- 
clamer la justice des tribunaux publics, lorsqu'ils auraient à 
se plaindre de leurs supérieurs. Jusque-là, un homme pau- 
yre n'avait pas la moindre chance de réussir contre un 
riche ; mais pendant le règne de Charles III, le gouverne- 
ment introduisit des ordonnances qui donnaient aux labou- 
reurs et aux ouvriers la possibilité d'obtenir justice, lorsque 
leurs maîtres les frustraient de leurs gages, ou violaient les 
contrats qu'ils avaient faits avec eux (3). 

Les classes ouvrières ne furent pas les seules à jouir de 
ces mesures libérales. Les ctasses littéraires et scientifiques 
furent également encouragées et protégées. En affaiblissant 

(1) c Early in the reign of Charles, steps had been taken towards the adoption of more 
libéral principles in tbe commerce with America; but, in the year 1778, a complète and 
radical change was introdnced. The establishment of a free trade rapidly prodnced the most 
bénéficiai conséquences. The export of foreign goods vas tripled» of home-produce quia- 
tupled ; and the retnrns from America angmented in the astonishing proportion of nine to 
one. The produce of the customs increased with equal rapidity. » Clarke, Examination of 
the Internai State ofSpain. Lond., 1818, pag. 72. 

(2) Coxe, Bourbon Kings ofSpain, t. V, pag. 197, 317,318. 

(3) Voyez ce que dit Florida Blanca dans Coxe, Bourbon Kings ofSpain, t. V, pag. 331 : 
« To facilitate to artisans and journeymen the scanty payment of their labours, in spite of 
ihe privilèges and interest of the powerful. » 



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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 159 

le pouvoir de l'inquisition, Charles diminua considérable- 
ment une source de dangers à laquelle ces classes avaient 
été longtemps exposées. Le roi était d'ailleurs toujours prêt 
à les récompenser; il avait lui-même un esprit cultivé et il 
aimait à être regardé comme le patron des hommes éclai- 
rés (1). Peu après son accession au trône, il promulgua une 
loi qui exemptait du service militaire les imprimeurs, ainsi 
que toutes les personnes dont la profession avait trait à l'im- 
primerie, tels que les fondeurs de caractère, etc. (2). Il 
essaya de donner une nouvelle vie aux vieilles universités, 
et s'efforça de rétablir leur discipline et leur réputation (3). 
Il fonda des écoles, dota des collèges, récompensa les 
professeurs, et accorda des pensions. Sa munificence sem- 
blait inépuisable, et est suffisante à elle seule pour expli- 
quer la vénération que les littérateurs espagnols ont pour sa 
mémoire. Ils ont toute raison de regretter de ne pas avoir 
vécu sous son règne, au lieu de vivre maintenant. Charles 
considérait que leurs intérêts étaient identiques avec les in- 
térêts du savoir; et il estimait ces derniers à un si haut de- 
gré, qu'en 1771 il établit comme un principe gouvernemen- 
tal que l'éducation était la plus importante de toutes les 
branches du service public (4). 

(i) Rio, Hist. del Reinado de Carlos III, t. IV, pag. 317*318, et d'autres. 

(2) i Desde mi felii advenimiento al trono > ( dijo el Rey en la ordenanza de reemplazos) 
• ha merecido mi Real proteccion el arte de la imprenta, y, para que pueda arraigarse sôli- 
damente m estos reinos, veogo en deelarar la extencion del sorteo y servicio militar, no 
solo à los impresores, sino tambieo à los fandidores que se empleen de continue» en este 
ejercicio, y à los abridores de punzooes y matrices. » Rio, Hist. del Reinado de Caries III» 
t. UI, pag. 213. 

(3) Relatirement aux mesures prises pour réformer les universités entre 1768 et 1774 v 
voyez Rio, HisL del Reinado de Carlos III , t. III, pag. 185-210. Comparez t. IV, 
pag. «6-299. 

(4) f La éducation de la juventnd por los maestros de primeras letras es uno y'aun el 
mas principal ramo de la policia y buen gobierno del Estado. • Real Provision de II de 
julio de 1171, publiée dans Rio, t. IU, pag. 181 



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140 HISTOIRE 

Ce ne fut pas tout. Il n'y a aucune exagération à dire que 
sous le règne de Charles III la physionomie générale de 
l'Espagne changea plus que pendant les cent cinquante 
années qui s'étaient écoulées depuis l'expulsion définitive 
des mahométans. Lors de son avènement en 1759, la poli- 
tique sage et pacifique de son prédécesseur, Ferdinand VI, 
avait mis ce prince à même non seulement de payer une 
grande partie des dettes de la couronne, mais aussi d'accu- 
muler et de laisser derrière lui des sommes considérables (4). 
Charles en profita pour commencer les magnifiques travaux 
publics qui devaient, plus que tous les autres actes de son 
administration , frapper les sens, et rendre son règne popu- 
laire. Puis, lorsque les ressources placées à sa disposition de- 
vinrent plus grandes, par l'augmentation de la richesse publi- 
que plutôt que par l'imposition de nouvelles charges, il en 
consacra une grande partie à l'achèvement de ses projets. Il 
embellit tellement la ville de Madrid, que l'on disait quarante 
ans après sa mort que c'était à lui qu'elle devait toute sa 
magnificence. Les monuments et les jardins publics, les 
belles promenades autour de la ville, ses superbes portes, 
ses institutions, jusqu'aux routes qui conduisent aux envi- 
rons, sont l'œuvre de Charles III, et les trophées remar- 
quables qui attestent son génie et la somptuosité de ses 
goûts (2). 

(1) M. Lafaente, qui a loué avec justice l'amour de Ferdinand VI pourja paix (Hist. de 
Espafla, t. 1, pag. 203; t. XIX, pag. 286, 378), ajoute (t. XIX, pag. 384) : « De modo que 
eon mon se admira, y es ei testimonio mas bonroso de la buena administracion eeonémica 
de este reinado, que ai morir este buen monarca dejâra, no diremos nosotros replelas y 
apuntaladas las arcas pttblicas, como hiperboiicamente suete decirse, pero si con el consi- 
dérable sobrante de trescientos millones de reaies, despues de cubiertas todaa las aten- 
eiooes del Estado : fenômeno que puede decirse se veia por primera toi en fispana, y 
resultado satisfactorio, que aun supuesta una buena administracion, solo pudo obtenerse à 
fat or de su prudente politica de neutralidad y de pas. » 

(2) i But is to Cbarles UI tbat Madrid owes ail iU présent magnificence. Ubdef bis>ea?e, 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 141 

Dans d'autres parties du pays, des routes furent ouvertes 
et des canaux creusés, afin d'augmenter le commerce en 
établissant des voies de communication à travers des régions 
jusqu'alors impraticables. A l'avènement de Charles III, la 
Sierra Morena tout entière n'était habitée que par les 
animaux féroces et les bandits qui s'y réfugiaient (1). Aucun 
voyageur ne pouvait s'y aventurer; et le commercé se trou- 
vait ainsi exclu d'une région que la nature avait marquée 
comme l'une des plus grandes artères de l'Espagne, placée 
comme elle l'est entre les bassins du Guadiana et du Goa- 
dalquivir, et sur la route directe entre les ports de la Médi- 
terranée et ceux de l'Atlantique. Le gouvernement actif de 
Charles III résolut de remédier au mal ; mais le peuple espa- 
gnol n'ayant pas l'énergie nécessaire pour accomplir ces 
projets, on persuada à six mille Hollandais et Flamands de 
venir s'établir, en 1767, dans la Sierra Morena. A teur arri- 
vée, on leur distribua des terres; des routes furent ouvertes 
à travers tout le district, des villages furent construits, et ce 



- Ibe royal palace vas finished, the noble gâtes of Alcalà and San Vincente were raised ; the 
.4Ustom»house, the post-office, the muséum, and royal prin'ing-office, were constructed; 
the academy of the three noble arts improved ; the cabinet of natnral history, the botaaic 
garde», the national bank of San Carlos, and many gratuitoos schools established ; while 
convenient roads leading from the city, and delightfal walks planled within and vrithoot 
tt,and adorned by statues and fonntains, combine to annoeoce the solicitnde of tbis patentai 
king. » Spain by an American. Lond., 1831, 1. 1, pag. 406. Voyei aussi pag. 297. 

(4) Le passage suivant décrit sa situation en 1766 : « Por temor 6 por connivencia de los 
Tenteras, dentro de sns casas concertaban frecuentemente los ladrones sus robos,y los 
ejecutabaii à mansalva, ocultàndose en gaaridas de qne ahuyentaban à las fieras. Acaso à 
tiay largas dittaucias se descubrian entre contados caserios algunos pastores como los 
que alli hizo encontrar el ilustre manco de Lepanto al ingenioso hidalgo de la Mancha. 
Farte de la Sierra estuvo poblada en tiempo de Moros ; actualmente ya no babia mâs que 
tspesos matorrales hasta en torno de la ermita de Santa Elena, donde resonaron cànticos 
de gracias al Cielo por el magnifico triunfo de las Navas. > Rio* Hist. del Reinado de 
Carlos II], t. III, pag. 9. Relativement à la condition de la Sierra Morena un siècle plus 
«et, Toyei Boise!, Journal du voyage d'Espagne. Paris, 1669, in-4*, pag. 62, 296, qui rap- 
pelle « le lieu le plus dés? rt, et ou il n'y a que quelques venta* sans villages. > 



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142 HISTOIRE 

qui était un désert impénétrable, devint tout à coup un ter- 
ritoire riant et fertile (1). 

Presque toutes les routes de l'Espagne furent réparées ; 
certains fonds ayant été dès Tannée 4760 mis de côté dans 
ce but (2). On commença une grande quantité de nouveaux 
travaux; et on introduisit de si grandes améliorations, tout 
en employant la plus grande vigilance pour empêcher le 
péculat des employés du gouvernement, qu'au bout de quel- 
ques années la dépense pour l'entretien des voies publiques 
fut réduite de plus de moitié (3). Parmi les entreprises qui 
furent heureusement terminées, les plus importantes furent 
la route de Malaga à Antequera (4), et celle d'Aquilas à 
Lorca (5). Ces routes établirent la communication entre la 
Méditerranée et l'intérieur de l'Andalousie et de la Murcie. 
Pendant que ces voies étaient établies dans le sud et dans 
le sud-est de l'Espagne, d'autres s'ouvraient au nord et au 
nord-ouest. En 1769, on commença une route entre Bilbao 
et Osma (6); et bientôt après la route entre Galicia et Astorga 

(i) Rio, Hi8t. del Reinado de Carlos III, t. III, pag. 9-li, 35. En 1771, « sin auxilio de 
la Real hacienda pudieron mantenerse al fin los colonos. > Pag. 42. Voyez aussi t. IV» 
pag. 114, 115. Ponr l'histoire de cette colonie, voyez lnglis, Spain. Lond., 1831, t. II, 
pag. 29-31. 

(2) < En 1760 se destiné por primera vei an fondo especial para la constraccion de cami- 
nos. • Tapia, Civilizacion Espailola, t. IV, pag. 123. 

(3) Dans le fait, M. Rio dit que la dépense fnt réduite des deux tiers et dans quelques 
endroits des trois quarts, t Antes se regulaba en un millon de reaies la constraccion de cada 
légua ; ahora solo ascendia à la tercera ô cuarta parte de esta suma. » Rio, Hist. del Reinado 
de Carlos III, t. IV, pag. 117. 

(4) Une note dans Bowles {Hist. Natural de Espana. Madrid, 1789, in-4% pag. 158) 
appelle cette route « un camino alineado y sôlido. * Dans Cook (Spain. Lond., 1834, 1. 1, 
pag. 209 ) on l'appelle « a magnificent road. • 

(5) « Para dar salida à los frutos, que regaban los pantanos de Lorca, ejecutose una 
bien trazada via al puerto de las Aguilas. » Rio, Hist. del Reinado de Carlos III, t. IV, 
pag. 115, 116. , 

(6) En 1769, Baretti écrivait : c The Biscayans are actually making a noble road, vhicn 
is to go from Bilbao to Osma. » Baretti, Journey through England, Portugal, Spain 
and France. Lond., 1770, t. IV, pag. 311. , 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 143 

fut terminée (1). Tous ces travaux furent exécutés avec tant 
d'habileté que les chemins de l'Espagne, autrefois les plus 
mauvais en Europe, se trouvèrent classés parmi les meil- 
leurs. Dans le fait, un juge compétent et qui est loin d'être 
favorablement disposé pour l'Espagne, admet qu'à la mort 
de Charles (II il était impossible de trouver de meilleures 
routes dans aucun pays (2). 

Dans l'intérieur, les rivières furent rendues navigables, et 
des canaux établis pour les réunir ensemble. L'Èbre coule 
au cœur même de l'Aragon et dans une partie de la Vieille 
Castille; il est navigable pour le commerce jusqu'à Logrono, 
et en redescendant jusqu'à Tudela. Mais entre Tudela et Sa- 
ragosse, la navigation est interrompue par la grande rapi- 
dité de son courant et par les nombreux rochers qui se 
trouvent dans son lit. Il en résulte que la Navarre est privée 
de sa voie naturelle de communication avec la Méditerra- 
née. Sous le règne de Charles Y, on essaya de remédier à 
cet inconvénient; mais le projet ne put réussir; il fut mis 
de côté et complètement oublié jusqu'à ce qu'il fût repris 
deux siècles plus tard par Charles III. Sous ses auspices, on 
projeta le grand canal d'Aragon et la magnifique idée de 
réunir la Méditerranée et l'Atlantique. Mais ce fut là un des 
cas nombreux dans lesquels le gouvernement espagnol était 

(1) < Otras diferentes «arrêteras, constraidas de nuevo ô rehabilitadas, mnltiplicaron 
las comunicaeiones dorante los nueve primeras anos de estar à cargo de Floridablanca la 
snperintendencia gênerai de caminos, haciéndose de fàcil y cômodo transite* pontos esca- 
brosos como el del Puerto de la Cadena y los que médian entre Astorga y Galicia, y Mâlaga 
y Anteqoera. » Rio, BUL del Reinado de Carlos III, t. IV, pag. 415. 

(£) «The reigns of Ferdinand the Sixth and Charles the Third prodneed the most bénéficiai 
changes in this important branch of political economy. New roads were opened, whien were 
carefully levelled, and constrocted with solidity. There are at the présent time in Spain 
several soperb roads, snch as may vie with the fioest in Europe; indeed, they hâve been 
made with snperior jodgment, and npon a grander scale. > Laborde, Spain, édit. Lond., 
1809, t. IV, pag. 427. 



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144 HISTOIRE 

beaucoup trop en avance sur l'Espagne elle-même ; et on dut 
abandonner un projet pour lequel les ressources du pays 
étaient insuffisantes. Néanmoins ce qui fut réellement ac- 
compli avait une immense valeur. On construisit un canal 
jusqu'à Saragosse, et on put se servir de l'Ébre non seule- 
ment comme moyen de transport, mais aussi pour Frrriga- 
tiondusol. On procurait ainsi même aux extrémités occiden- 
tales de f Aragon un commerce faeile et avantageux. De plus 
on rendit plus productives les anciennes terres dont ht valeur 
augmenta, et on en livra de nouvelles à l'agriculture. Ceci 
profita également à d'autres parties de l'Espagne. La Cas- 
tille par exemple avait toujours été dépendante de PÂragon 
pour ses approvisionnements en temps de disette, bien que 
FAragon ne pût, avec l'ancien système, produire plus qu'il 
ne fallait pour sa propre consommation. Mais grâce à ce 
grand canal, auquel vint se joindre à la même époque celui 
de Tausté (1), le sol de l'Aragon devint plus productif qu'il 
ne l'avait jamais été, et les plaines fertiles de l'Èbre produi- 
sirent d'une manière si abondante qu'elles purent fournir du 
blé et d'autres denrées alimentaires aux Castillans aussi bien 
qu'aux Aragonnais (2). 

Le gouvernement de Charles 111 construisit encore an 
canal entre Amposta et Alfaques (3), qui arrosait l'extrémité 

(i) Coie, Bourbon Kings ofSpain, t. V, pag . 887. 

(2) Idem, f fttrf., t. V, pag. 198, 199, 286, 287? Toirasend, Spain, t. 1, pag. H%U5 ; Laborde, 
Sfain, t. II, pag. 271. Ce canal, qui devait ouvrir me fibre communication entre fe golfe de 
Gascogne et la Méditerranée, est à peine remarqué dans Bffacpherson, ifnnaJrof Commerce, 
t. IV, pag. 95, 96, un ouvrage fort savant, mais très imparfait en ce qui regarde l'Espagne. 
La valeur économique de celte grande entreprise et le succès qu'elle obtint sont beaucoup 
trop rabaissés dans Ford, Spain, pag. 587, un ouvrage qui, malgré les éloges qu'il a reçus, 
est fait avec négligence et qui induit en erreur les lecteurs qui ne peuvent le comparer à 
d'antres autorités compétentes. L'histoire de Chartes III de M. Rio contient à ce sujet des 
renseignements intéressants. 

(3) Idem, ibid., t. V, pag. 288, 289, sur l'autorité de Florida Blanca lui-même. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 145 

méridionale de la Catalogne, et livra à l'agriculture un im- 
naeose district qui n'avait jamais été cultivé par suite du 
manque eomplet d'eau. Une autre entreprise plus grande 
encore, qui appartient à ce règne» fut une tentative, qui ne 
réusait qu'«n partie, d'établir par eau une voie de communi- 
cation £ûtre la capitale et l'Atlantique, en creusant un canal 
entre Madrid et Tolède, d'où les marchandises eussent été 
transportées sur le Tage jusqu'à Lisbonne, ce qui eût ouvert 
entièrement le commerce de l'Ouest (1). Mais ce noble pro- 
jet, comme beaucoup d'autres, fut arrêté par la mort de 
Charles III, qui mit fin à tous ces progrès. Une fois qu'il eut 
disparu, la nation retomba dans son inactivité; et il devint 
évident que ces grands travaux avaient pour base la politi- 
que, et non le vœu de la nation; en d'autres termes qu'ils 
étaient dus seulement à l'influence d'individus dont les plus 
grands efforts n'aboutissent jamais à rien, lorsqu'ils rencon- 
trent l'opposition de ees causes générales qui ne sont quel- 
quefois pas visibles, mais auxquelles tout obéît. 

Raisonnant d'après les maximes ordinaires aux hommes 
d'État, Charles III avait bien le droit d'espérer que, grâce à 
ce qu'il avait accompli, les destinées de l'Espagne seraient à 
jamais changées. En effet tous cefe travaux, et beaucoup 
d'autres qu'il fit exécuter (2), ne furent pas payés, comme 



(1) Goxe, £o%rban Kings çf Spain, t. V, pag. 499 ; Towneeurt, Spain, 4.1, pag. 80*. 

(2) Voyez ce que dit Florida Blanca dans Goxe, Bourbon Kings of Spain, t. Y, pag. 289 : 
• In many other parts similar works hâve been promoted, for canals of irrigation, and for 
encouragipg agriculture and traîne. The canals of Manzanares and Guadarraroa are conti- 
nued by means of the national bank, which has appropriated one-hatf of the profits denved 

from the export of silver to this end. » « The town of Almuradiel, foraed in the 

middle of the campo nuevo of Andalnsia, for the rugged pass of Despena Perros, is another 
example of agriculture for the neighbouring places; since, instead of voods and frightful 
déserts, we hâve seen in a few years public buildings, houses, plantations, and cultivated 
lands, produeing every species of grain and fruits, which border the road, and banish the 



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146 HISTOIRE 

cela arrive trop souvent, par des impôts qui pesaient sur le 
peuple et entravaient son industrie. Il avait près de lui, l'aidant 
sans cesse de leurs conseils, des hommes qui avaient réelle- 
ment à cœur le bien public, et qui n'eussent jamais été cou- 
pables d'une erreur aussi fatale. Sous son gouvernement, la 
richesse de la nation s'accrut d'une manière considérable, et 
le bien-être des basses classes, loin d'être diminué, augmenta 
d'une façon notable. Les impôts étaient distribués avec plus 
de justice. Certaines contributions que l'autorité executive 
du dix-septième siècle ne pouvait parvenir à arracher au 
peuple, étaient, sous Charles III, payées régulièrement, et, 
grâce au développement des ressources nationales, elles de- 
vinrent à la fois plus productives et moins onéreuses. Les 
finances publiques furent administrées avec une économie 
dont le règne précédent avait donné l'exemple, règne pen- 
dant lequel la politique prudente et pacifique de Ferdinand VI 
posa la base d'un grand nombre des améliorations que nous 
venons d'énumérer. Ferdinand légua à Charles III un trésor 
qu'il n'avait pas extorqué, mais économisé. Parmi les réfor- 
mes qu'il introduisit, et que je n'ai pas voulu relater dans 
la crainte d'accumuler ces détails, il y en a une très impor- 
tante et qui caractérise parfaitement sa politique. Avant son 
règne, l'Espagne avait été saignée, tous les ans, d'une somme 
considérable, par suite du droit que s'arrogeait le pape de 
présenter certains riches bénéfices et de recevoir une frac- 



danger of robbers and banditti. Voyez aussi Muriel, Gobiemo del Rey Don Carlos IH, 
pag. 5 : « Habiendo sido el reinado de Carlos III una série continua de mejoras en todos 
ramos. » et cette remarquable description (pag. 15) : Agriculture, artes mecànicas, corner- 
cio, ensenansa, milicia, navegacion, ciencias, letras,legisIacion, en una palabra, todo cuanto 
puede inflair en la prosperidad del Estado, todo llamô la atencion de los ministros, y en 
todo hicieron las mejoras que permitian las circunstancias. » Quant aux améliorations 
dans l'intérieur du pays, voyez le même excellent ouvrage, pag. 187-192. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 147 

tion de leurs revenus, probablement comme récompense de 
là peine qu'il se donnait. Le pape fut relevé de cette charge 
par Ferdinand VI, qui assura à la couronne d'Espagne le 
droit de conférer ces bénéfices, et conserva ainsi au pays les 
sommes énormes qui avaient jusqu'alors servi au luxe de la 
cour de Rome (1). C'était là une des mesures qui plaisaient 
à Charles III, parce qu'elle était en harmonie avec ses pro- 
pres idées; aussi trouvons-nous que, sous son règne, 
elle fut non seulement mise à exécution, mais même éten- 
due. En effet, s'apercevant qu'en dépit de ses efforts, les 
sentiments des Espagnols sur ces matières les poussaient à 
faire des offrandes à celui qu'ils vénéraient comme le chef 
de l'Église, le roi résolut d'exercer son contrôle même sur 
ces dons volontaires. Pour arriver à ce but, divers projets lui 
furent suggérés; et il se décida enfin pour une mesure qui 
paraissait devoir être efficace. On promulgua un ordre royal 
stipulant que personne ne pouvait envoyer de l'argent à 
Rome; mais que si quelque individu avait des paiements à 
faire dans cette ville, l'argent devait passer par les mains 
des ambassadeurs ou autres agents de la couronne d'Es- 
pagne (2). 

Si nous passons maintenant en revue les transactions 
que j'ai énumérées et si nous les considérons dans leur en- 

(1) An sujet de cette mesure, qui fut mise à exécution en 1754, voyez Tapia, Civilizacion 
Espaflola. Madrid, 1840, t. IV, pag. 81, 82. « Fne este tratado ntilisimo para la Espana, 
pnes por él se liberté del pago de énormes snmas que hasta entonces habian pasado à los 
estados pontificos. En el informe canônico-legal escrito à virtnd de real ôrden en 1746 por 
el fiscal de la câmara de Castilla Don Blas de Jover, se decia; qne segnn el testimonio del 
historiador Cabrera, en el espacîo de 30 anos el solo renglon de las coadjntorias y dispensas 
habia hecho pasar à Roma de la corona de Castilla millon y medio de dncados romanos. 
Y anade el mismo Jover qne à principios del siglo XVIII subia ann esta contribncion cada 
ano en todos los estados de la monarquia espanola à 500,000 escudos romanos, que era un 
tertio poco mas ô menos de lo que Roma percibia de toda la cristiandad. • 

(2) Voyei l'appendice I à Coxe, Bourbon Kings ofSpain, t. V, pag. 334. 



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148 HISTOIRE 

semble depuis l'avènement de Philippe V jusqu'à la mort de 
Charles III, c'est à dire une période de près de quatre-vingt 
dix ans, nous serons frappés d'étonnement par leur unité, 
par la régularité de leur marche, et par leur succès appa- 
rent. En les examinant seulement à un point de vue poli- 
tique, il est douteux qu'un progrès aussi vaste et aussi con- 
stant se soit jamais vu dans aucun pays» n'importe à quelle 
époque. Pendant trois générations successives il n'y eut de 
la part du gouvernement ni pause, ni réaction, ni hésita- 
tion. Les améliorations et les réformes ne cessèrent de se 
succéder rapidement Le pouvoir de l'Église, qui a toujours 
été la plaie de l'Espagne , et auquel jusqu'alors aucun des 
hommes d'État les plus hardis n'avaient osé toucher, fut res- 
treint en toutes choses par une série d'hommes politiques, 
depuis Orry jusqu'à Florida Blanea, dont les efforts lurent 
pendant près de trente ans assistés par le zèle de Charles III, 
le plus habile monarque qui ait occupé le trône depuis la 
mort de Philippe IL L'inquisition elle-même apprit à trem- 
bler, et fut forcée de relâcher ses victimes. Le bûcher des 
hérétiques fut éteint. La torture fut abandonnée. Les per- 
sécutions pour cause d'hérésie cessèrent. Au lieu de punir 
les hommes pour des crimes imaginaires, le gouvernement 
se montra disposé à «'occuper de leurs véritables intérêts, à 
alléger leurs fardeaux, à augmenter leur bien-être, et à 
mettre un frein à la tyrannie de ceux auxquels l'autorité 
était confiée. On essaya de réprimer la cupidité du -clergé et 
de l'empêcher d'accaparer à son gré la richesse nationale. 
Dans ce but, les lois de mainmorte furent modifiées, et di- 
verses mesures adoptées pour mettre obstacle à la volonté 
des personnes disposées à gaspiller leur fortune en la lé- 
guant à des établissements ecclésiastiques. Les véritables 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 149 

intérêts de la société furent en ceci, comme en toute autre 
chose, préférés aux intérêts fictifs. Pour la première fois 
depuis que l'Espagne avait possédé un gouvernement, le 
pouvoir se donna pour but de placer les classes sécu- 
lières au dessus des classes spirituelles, de décourager 
l'attention exclusive qu'on avait jusqu'alors donnée à des 
questions complètement inconnues et qu'il est impossible 
de résoudre; et de substituer à ces spéculations stériles le 
goût des sciences et de la littérature. Gomme partie essen- 
tielle de ce plan, les jésuites furent chassés, le droit de sanc- 
tuaire fut enfreint, et toute la hiérarchie , depuis l'évêque 
le plus puissant jusqu'au moine le plus insignifiant, apprit 
à craindre la loi, à réprimer ses passions et à mettre un 
frein à l'insolence avec laquelle elle avait jusqu'alors traité 
toutes les classes de la société. De pareilles mesures eussent 
été des actes remarquables dans tous les pays; dans une 
contrée comme l'Espagne elles étaient merveilleuses. J'en 
ai donné une description abrégée et par conséquent impar- 
faite, mais elle est suffisante pour montrer avec quelle dé- 
termination le gouvernement travailla à diminuer la super- 
stition, à arrêter le fanatisme, à stimuler l'intelligence, à 
encourager l'industrie, et à réveiller le peuple de son som- 
meil de mort. J'ai laissé de côté un grand nombre de me- 
sures très importantes et qui toutes tendaient vers le même 
but, parce que je cherche à me renfermer dans les points 
saillants qui marquent le plus distinctement le mouvement 
général. Quiconque voudra étudier à fond l'histoire de l'Es- 
pagne pendant cette période, trouvera de nouvelles preuves 
de l'habileté et de la vigueur des hommes qui étaient à la 
tête des affaires, et qui consacrèrent toute leur énergie à ré- 
générer le pays qu'ils gouvernaient. Mais ces études spé- 
t iv. 10 



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150 HISTOIRE 

ciales demandent des hommes spéciaux; et je serai satisfait 
si je suis parvenu à embrasser la marche générale et les con- 
tours de l'ensemble.. Mon but sera rempli si j'ai établi la pro- 
position générale, et si j'ai convaincu le lecteur de la netteté 
avec laquelle les hommes d'État de l'Espagne ont compris 
les maux sous lesquels leur patrie gémissait, et du zèle avec 
lequel ils se sont consacrés à guérir ces maux et à relever ta 
fortune d'une monarchie qui avait non seulement été Tune 
des principales de l'Europe, mais encore qui avait tenu le 
sceptre sur le territoire le plus magnifique et le plus étendu 
qui ait jamais été réuni sous une même autorité depuis la 
chute de l'empire romain. 

Ceux qui croient qu'un gouvernement peut civiliser une 
nation, et que les législateurs sont la cause du progrès 
social, s'attendront naturellement à ce que l'Espagne 
recueillit les avantages permanents des maximes libérales 
qui furent alors, pour la première fois, mises à exécution. 
Mais le fait est que malgré sa sagesse, cette politique ne 
servit à rien, simplement parce qu'elle allait à rencontre de 
l'enchaînement tout entier des circonstances qui Pavaient 
précédé. Elle était en opposition avec les habitudes de 
l'esprit national, et elle fut introduite au milieu d'une société 
qui n'était pas encore assez mûre pour la comprendre. 
Aucune réforme ne peut avoir un résultat véritablement utile 
si elle n'est pas l'œuvre de l'opinion publique, si le peuple 
lui-même ne prend pas l'initiative. En Espagne, pendant le 
dix-huitième siècle, l'influence étrangère et les complica- 
tions de la politique extérieure donnèrent des gouvernants 
éclairés à une nation qui ne l'était pas (1). Il en résulta que 

(f) Il est important d'observer <jae les Cortés, le seul endroit où la ?oix du peuple avait 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 151 

pendant on certain temps de grandes choses furent accom- 
plies. On remédia aux abus, on redressa les griefs, on intro- 
duisit de nombreuses et importantes améliorations, et un 
esprit de telérance se manifesta, qui ne s'était jamais encore 
vu dans cette contrée superstitieuse et entièrement sous l'in- 
fluence des prêtres. Mais l'esprit de l'Espagne n'était pas 
touché. La surface, on pourrait dire les symptômes des 
choses, étaient améliorées, mais les choses elles-mêmes 
n'étaient nullement changées. Sous cette surface, et bien 
loin de la portée de tout remède politique, agissaient les 
grandes causes générales, dont l'action existait depuis 
bien des siècles, et qui devaient certainement tôt ou tard 
forcer les hommes d'État à revenir sur feurs pas, à inaugurer 
une politique mieux adaptée aux traditions du pays et en 
harmonie avec les circonstances qui avaient donné naissance 
à ces traditions. 

La réaction vint enfin. Charles III mourut en 1788 et eut 
pour successeur Charles IV, un roi de race vraiment espa- 
gnole, dévot, orthodoxe et ignorant (1). On vit alors combien 
les choses étaient incertaines, et le peu de confiance qu'on 
pouvait accorder à des réformes qui, au lieu d'être suggérées 
par le peuple, lui étaient imposées par les classes politiques. 
Charles IV, prince faible et méprisable (2), fut néanmoins 

quelque chance de se faire entendre, ne s'assemblèrent que trois fois pendant tonte la durée 
du dix-hnitième siècle et seulement pour la forme. « Les cortès ne se réunirent que trois fois 
pendant le dix-huitième siècle, et plutôt encore comme des solennités formulaires pour la 
prestation du serment aux princes héritiers de la couronne que comme étant nécessaires 
pour de nouvelles lois et des contributions. » Sempere, Hist. des Cortès d'Espagne. 
Bordeaux, 1815, pag. 270. 

(1) En combinant ces trois qualités, il a mérité et reçu la cordiale approbation de l'éréque 
actuel de Barcelone qui, dans son récent ouvrage sur l'Église espagnole, l'appelle • un 
monarca tan piadoso. t Observaciones sobre El Présente y El Parvenir de la Iglesia 
en EspaHa, par Domingo Costa y Borras. Barcelona, 1857, pag. 57. 

(2)Alison lui-même qui, dan» son Hist. of Europe, donne généralement de grands 



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152 HISTOIRE 

si bien soutenu daos ses idées générales, par les sentiments 
de la nation espagnole, qu'en moins de cinq ans il parvint 
à renverser complètement la politique libérale dont l'établis- 
sement avait demandé trois générations d'hommes d'État. 
En moins de cinq ans tout fut changé. L'Église reconquit 
son empire; on abolit toute liberté de discussion ; on ressus- 
cita les anciens principes arbitraires dont on n'avait plus 
entendu parler depuis le dix-septième siècle; les prêtres 
reprirent toute leur importance; on intimida les hommes 
de lettres, on découragea la littérature; l'inquisition, se 
réveillant tout à coup, déploya une énergie qui fit trembler 
ses ennemis, et elle prouva que tous les efforts qu'on avait 
faits pour l'affaiblir n'avait pu réussir à altérer sa vigueur ou 
à intimider son ancienne intrépidité. 

Les ministres de Charles III et les auteurs des grandes 
réformes qui avaient signalé son règne furent renvoyés pour 
être remplacés par d'autres conseillers qui convenaient 
mieux au nouvel état de choses. Charles IY aimait trop 
l'Église pour tolérer la présence d'hommes d'État éclairés. 
Aranda et Florida Blanca furent tous les deux destitués, et 
tous les deux mis en prison (1). Jovellanos fut banni de la 
cour, et Cabarrus fut emprisonné (2). Car ces hommes émi- 
nents eussent refusé de prêter les mains aux mesures que 
le gouvernement méditait. La politique qui avait été sui- 

éloges aux hommes de sa trempe, le traite avec an certain mépris. «Charles IV was 
not destitute of good qualities, bat he was a veak, incapable prince. » Édinb., 1849, t. VIII, 
pag. 382. 

(1) Sempere, Monarchie espagnole, i. II, pag. 167. Je n'ai pas besoin d'ajouter que la 
description donnée dans les mémoires de Godoy ne mérite pas la moindre confiance. Ceux 
qui connaissent l'histoire de l'Espagne verront bien qne ce livre a été écrit par Godoy dans 
le bat de relever sa propre réputation en diffamant le caractère des plus éminents de ses 
contemporains. 

(2) Ticknor, Hist. ofSpanish Literature, t. III, pag. 277, 278. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 153 

vie avec tant de persévérance pendant près de quatre-vingt- 
dix ans était snr le point d'être abandonnée, afin de ressus- 
citer dans toute sa vigueur primitive l'ancien empire du dix- 
septième siècle, c'est à dire l'empire de l'ignorance, de la 
tyrannie et de la superstition. 

Une fois encore les ténèbres régnèrent sur l'Espagne; une 
fois encore les ombres de la nuit couvrirent cette misérable 
contrée. Les formes les plus hideuses de l'oppression, dit 
un écrivain distingué, semblèrent s'abattre sur le pays avec 
une force nouvelle et sinistre (1). En même temps, et 
comme partie essentielle du nouveau système, on défendit 
toute investigation capable de stimuler l'esprit, et on envoya 
à toutes les universités un ordre qui interdisait l'étude de la 
philosophie morale ; le ministre qui expédia cet ordre faisait 
observer à bon droit, que le roi n'avait pas besoin de philo- 
sophes (2). Mais on n'avait rien à craindre; il était peu pro- 
bable que l'Espagne produisît une chose aussi dangereuse. 
La nation n'osait pas, et ce qui est plus sérieux, ne voulait 
pas résister; elle céda, et laissa le roi libre de faire comme 
il l'entendait. En quelques années il réussit à neutraliser les 
réformes les plus précieuses que ses prédécesseurs avaient 
introduites. Ayant éloigné les conseillers capables qui avaient 
entouré son père, il confia les postes les plus élevés à des 
hommes dont l'esprit était aussi étroit que le sien ; il mit le 
pays à deux doigts de la banqueroute, et, ainsi que le remar- 



(1) a In ail its worst forma, therefore, oppression, mil, poli lical, and religions, appeared 
to be settling down, wilh a new and portentons weight, on the whole conniry. » Ticknor, 
HUt. ofSpanish Literature, t. III, pag. 318. 

(2) « Caballero, fearing the progress of ail learning, which might distnrb the peace of the 
Court, sent, not long since, a circnlar order to the nniversilies, forbidding the stndy of 
moral philosophy. i His Majesty, » it was said in the order, « was not in want of philoso- 
phe™, bot of good and obedient snbjects. » Doblado, Letters from Spain, pag. 358. 



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154 HISTOIRE 

que un historien espagnol, il épuisa toutes les ressources de 
l'ÉUt (1). 

Telle était la condition de l'Espagne vers la fin du dis- 
huitième siècle. Elle fut bientôt envahie par la France* et 
cette malheureuse contrée eut à souffrir toutes les calamités 
et à passer par toutes les formes de l'avilissement. Il y a 
pourtant en ceci une différence. Les calamités peuvent être 
infligées par les autres ; mais un peuple ne peut être avili 
que par ses propres actes. Le spoliateur étranger fait du mal; 
il ne peut causer la honte. Il en est des nations comme des 
individus; nul ne peut être déshonoré s'il reste sincère. Dans 
le siècle où nous vivons, l'Espagne a été opprimée et pillée, 
et l'opprobre s'est attaché aux voleurs et non ï ceux qui 
étaient volés. Elle a été envahie par une soldatesque brutale 
et licencieuse; ses campagnes ont été désolées, ses villes 
mises à sac, ses villages brûlés. C'est à ceux qui ont commis 
ces crimes et non aux victimes que la honte appartient. 
Même au point de vue matériel ces pertes peuvent être ré- 
parées, si le peuple qui les subit est rompu à ces habi- 
tudes d'empire sur soi-même et de confiance en soi qui 
sont les sources de toute grandeur réelle. A l'aide de ces 
sentiments, toute perte peut être réparée, on peut remédier 
à tous les maux. Sans eux, le coup le plus léger peut être 
fatal. Ces sentiments sont inconnus en Espagne, et il semble 
impossible de les y établir. Dans cette contrée, le peuplé a 
été si longtemps accoutumé à obéir implicitement à la cou- 
ronne et à l'Église, que la fidélité au roi et la superstition 
religieuse ont usurpé la place de ces émotions plus nobles 



(i) « Le gouvernement de Charles IV avait épuisé tontes les ressources de l'État. > Sem- 
pere, fiist. des Cortès d'Espagne» pag. 323. 



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DE LA CIVILISATION EK ANGLETERRE. 155 

auxquelles une nation doit toute liberté, et en l'absence des- 
quelles elle ne peut jamais arriver au sentiment vrai de l'in- 
dépendance. 

Plus d'une fois, pendant le dix-neuvième siècle, s'est ma- 
nifesté un esprit dont on aurait pu attendre de meilleures 
choses, g» 1812, en 1820 et en 1836, quelques réforma- 
teurs ardents et enthousiastes essayèrent de rendre au peuple 
espagnol la liberté en dotant l'Espagne d'une constitution. 
Ils réussirent un moment, et ce fut tout. Us pouvaient don- 
ner les formes du gouvernement constitutionnel ; mais ils 
ne pouvaient trouver les traditions et les habitudes qui don- 
nent une action à ces formes. Us imitèrent la voix de la 
liberté; ils copièrent ses institutions; ils singèrent même 
ses gestes. Et puis quoi ? Au premier coup de la mauvaise 
fortune, leurs assemblées furent dissoutes, leurs lois abro- 
gées. La réaction inévitable ne tarda pas à se présenter, 
Après chaque révolution, le pouvoir de gouvernement prit 
une nouvelle force, les principes du despotisme furent con- 
firmés, et les libéraux espagnols apprirent à regretter le 
jour où ils s'étaient vainement efforcés de donner la liberté 
à leur malheureuse patrie (1). 



(1) Ea Espagne la voix du peuple a toujours parlé contre le parti libéral, comme Font 
observé nn grand nombre d'écrivains qui n'en connaissent pas la raison. M. Walton (Révo- 
lutions ofSpain. Lond., 1837, 1. 1, pag. 322, 323) dit des cortès : « Public indignation 
hnrled them from their seats in 1814; and in 1823 they vere orerpowered, not by the arms 
of France, but by tue displeasure of their ovn countrymen, » etc. Voyez aussi pag. 290, et 
Quin, Memoir$ of Ferdinand the Seventh.Loné., 1824, pag. 121, où il dit que « in ail the 
towns through which the King passed, the multitude , excited by the friars and clergy, 
overturned the constitutional stone, and uttered the most atrocious insults against the 
Constitution, the Cortes, and the Libérais.» Comparez Sempere, HUt. des Cortès, pag. 335, 
et Bacon, Six Years in Biscay, pag. 40. Dans le fait, un très intelligent écrivain sur les 
affaires espagnoles en 1855 affirme avec beaucoup de vérité que l'Espagne est « un pays où 
les populations sont i coup sûr moins libérales que les gouvernemens. ». Annuaire d*s 
Deux Mondes, 1854, 1855. Paris, 1855, pag. 26$. 



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156 HISTOIRE 

Ce qui rend cet insuccès plus digne de remarque , c'est 
que les Espagnols ont possédé à cette époque très reculée 
des privilèges municipaux et des franchises semblables à 
celles que nous avons en Angleterre et auxquels on a sou- 
vent attribué notre grandeur. Mais ces institutions, quoi 
qu'elles puissent conserver la liberté, ne peuvent jamais la 
créer. L'Espagne avait la forme de la liberté sans en avoir 
l'esprit; aussi cette forme disparut-elle bientôt, malgré tout 
ce qu'elle semblait promettre. En Angleterre, l'esprit avait 
précédé la forme, et par conséquent la forme est restée. 
C'est ainsi que les Espagnols ont pu se vanter de posséder 
des institutions libres un siècle avant les Anglais, mais sans 
pouvoir les conserver, par la simple raison qu'ils avaient les 
institutions et rien de plus. L'Angleterre n'eut une repré- 
sentation populaire qu'en 1254 (1) ; mais en Castille elle 
exista en 1169 (2), et en Aragon dès 1133 (3). La première 
charte accordée à une cité anglaise ne date que du douzième 
siècle (4), tandis qu'en Espagne une charte fut conférée à 
la ville de Léon en l'an 1020 ; et dans le cours du onzième 
siècle l'affranchissement des villes y était aussi assuré qu'il 
était légalement possible de le faire (5). Le fait est néan- 
moins qu'en Espagne ces institutions, au lieu de résulter des 
besoins du peuple, durent leur origine à la politique de ceux 
qui le gouvernaient. Les citoyens ne les désiraient pas; on 
les leur accorda. En effet, pendant la guerre contre les ma- 
hométans, les rois chrétiens de l'Espagne, à mesure qu'ils 



(i) Voy. t. II. 

(2) Preseott, Hist. of Ferdinand andlsabella, t. 1, pag. xltht. 

(3) Ibid., t.I,pag.xcYi. 

(4) Hallam, Middle Ages. Lond., 1846, 5* édit., t. II, pag. 153-157, qu'il faut comparer avec 
Hallam, Supplemental Notes. Lond., 1848, pag. 323-327. 

(5) Ibid. , t. 1, pag. 373 ; Preseott, Ferdinand and Isabella, 1. 1, pag. xlt, xlti. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 1.17 

avançaient vers le Sud, désirant naturellement engager 
leurs sujets à s'établir dans les villes frontières, où ils pou- 
vaient affronter et repousser l'ennemi, accordèrent dans 
ce but des chartes aux cités et des privilèges aux habi- 
tants (i). 

Lorsque les mahométàns se trouvèrent peu à peu refoulés 
depuis les Asturies jusqu'à Grenade, les frontières changè- 
rent et les franchises s'étendirent aux nouvelles conquêtes, 
afin de récompenser ceux qui occupaient le poste le plus 
dangereux. Cependant les causes générales que j'ai indi- 
quées préparaient la nation aux habitudes de fidélité et de 
superstition qui grandirent dans une proportion fatale à l'es- 
prit de la liberté. Dans ces circonstances, les institutions ne 
servirent à rien. Elles ne purent prendre racine; elles 
avaient été établies par une combinaison politique, et une 
autre combinaison politique les détruisit. A la fin du qua- 
torzième siècle, les Espagnols s'étaient si bien fixés sur le 
territoire dont ils venaient de faire la conquête qu'ils 
n'avaient plus à craindre d'en être chassés (2) ; et il était 
peu probable qu'ils pussent de longtemps conquérir de 
nouvelles provinces et expulser les mahométàns des for- 
teresses de la Grenade. Par conséquent les circonstances 
qui avaient donné naissance aux privilèges municipaux 

(1) « Ce fat alors que les successeurs de Pelage descendirent de leurs montagnes dans les 
plaines, de leurs forteresses perchées sur des rocs inaccessibles dans les Tilles populeuses, 
le long des flaires, dans de fertiles vallées et sur les côtes de la mer; ce fut alors que la 
Tille d'Astorgue revint du pouvoir des Arabes à celui des Asturiens et chassa toute la partie 
musulmane de ses habitants ; ce fat alors, enfin, que commencèrent en Espagne ces conces- 
sions de franchises municipales par lesquelles les rois et les seigneurs chrétiens cherchèrent 
à attirer des populations chrétiennes dans les lieux d'où ils avaient chassé les musulmans. » 
Fauriel, Hist. de la Gaule méridionale. Paris, 1836, t. III, pag. 215. Voyei aussi Sempere, 
Monarchie espagnole, t. II, pag. 256, 257. 

(2) Au sujet de la confiance croissante des Espagnols vers le milieu du quatorzième siècle, 
voyei un intéressant passage dans Mariana, Hist. de Espaila, t. IV, pag. 172, 173. 



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158 mSTOlBE 

avaient changé ; et du moment que ee changement fut ap* 
parent, les privilèges commencèrent à disparaître. N'étant 
pas adaptés aux mœurs du peuple, ils devaient tomber à la 
première occasion (1). Leur déclin fut visible dès la fiq du 
quatorzième siècle; ils avaient presque entièrement dis* 
paru à la fin du quinzième siècle et ils avaient complète- 
ment cessé d'exister au commencement du seizième (2). 

C'est ainsi que les causes générales finissent toujours par 
triompher de tous les obstacles. Dans la moyenne des choses 
elles sont irrésistibles. Leur action est souvent attaquée e»t 
est quelquefois arrêtée pour une courte période par les 
hommes politiques qui sont toujours prêts avec leurs re- 
mèdes empiriques. Mais lorsque l'esprit du siècle est anti- 
pathique à ces remèdes,, ils ne peuvent réussir que pour un 



(4) Les députés des villes finirent en effet par renverser leurs propres libertés, comme le 
remarque fort bien un historien espagnol « 11 n'est pas étonnant que les monarques espa- 
gnols tâchassent d'affermir leur autorité autant que possible, et encore moins que leurs 
conseillers et leurs ministres coopérassent à leurs desseins. L'histoire de toutes les nations 
nous offre de nomhreux exemples de cette politique; mais ce qu'il y a de plus remar- 
quable dans celle d'Espagne, c'est que les députés des villes, qui auraient dû être 
les plus zélés défenseurs de leurs droits, conspirèrent ouvertement contre le tiers? 
état, et tentèrent d'anéantir les restes de l'ancienne représentation nationale. ■ Se m père, 
Hist des Cortès oY Espagne, pag. 913. Il est fort étonnant que M. Sempere ne se soit jamais 
demandé pourquoi cela arrivait en Espagne et non ailleurs. Un écrivain plus récent, réflé- 
chissant à la destruction de l'élément municipal par l'autorité royale, donne une solution 
qui comme bien d'autres solutions n'est que l'énoncé du même fait dans des termes diffé- 
rents : c Al fin la autoridad real logrô alcanzar un gran predominio en el gobierno municipal 
de los pnebio&tPorque los corregidores y alcaldes mayores Uegaron à eclipsar la influencia 
de los adelantados y alcaldes elegidos por los pueblos* » Antequera, Hist. de la LegisUf.- 
don Espaftola. Madrid, 1849, pag. 287. Ceci ne fait que raconter de nouveau l'événement 
au lieu de l'expliquer. 

(2) La destruction finale de la liberté populaire est attribuée par beaucoup d'écrivains à 
la bataille de Villalar en 1521, bien qu'il soit certain que si les royalistes l'avaient perdue, 
au lieu de la gagner, le résultat eût été le même. J'avais eu l'intention i une époque d'écrire 
l'histoire des éléments municipaux et représentatifs pendant le quinzième siècle, et les 
matériaux que je réunis alors m'ont donné la conviction que le sentiment de la liberté n'a 
jamais existé en Espagne, et que par conséquent les formes extérieures de la liberté devaient 
nécessairement disparaître tôt ou tard. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 1*9- 

certain temps, au bout duquel la réaction surgit et fait payer 
cher les violences passées. Quiconque voudra se donner la 
peine de comparer l'histoire de la législation avec l'histoire 
de l'opinion, trouvera la preuve évidente de mes assertions 
dans les annales de touies les contrées civilisées. Le sort des 
cités espagnoles nous a déjà donné cette preuve; le sort de 
l'Église d'Espagne la confirmera de nouveau. Pendant plus 
de quatre-vingts ans après la mort de Charles II, les maîtres 
de l'Espagne s'efforcèrent d'affaiblir la puissance ecclésias- 
tique; et le résultat de tous leurs efforts fut qu'un roi insi- 
gnifiant et incapable comme Charles IV parvint avec la plus 
grande facilité à renverser rapidement tout ce qu'ils avaient 
fait. C'est parce que si, pendant le dix-huitième siècle, le 
clergé fut assailli par la loi, il était soutenu par l'opinion. 
Les opinions d'un peuple dépendent invariablement des 
grandes causes générales qui influencent la nation tout en- 
tière ; mais ses lois sont trop souvent l'œuvre de quelques 
individus puissants qui les font malgré la volonté nationale. 
Lorsque les législateurs meurent ou perdent leur charge, il 
est toujours possible que leurs successeurs aient des vues 
complètement différentes et renversent leur plan. Mais au 
milieu de ces fluctuations de la vie politique, les causes 
générales restent les mêmes, bien qu'elles soient souvent 
cachées et ne deviennent visibles que lorsque les hommes 
d'État les ramènent à la surface et les investissent en plein 
jour de l'autorité publique. 

C'est ce que Charles IV fit en Espagne, et lorsqu'il prit 
des mesures en faveur de l'Église et contre la liberté d'inves- 
tigation, il sanctionna purement et simplement les habitudes 
nationales que ses prédécesseurs avaient méconnues. L'em- 
pire que la hiérarchie de cette contrée possède sur l'opinion 



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160 HISTOIRE 

publique a toujours été proverbiale; mais il est encore plus 
grand qu'on ne le suppose généralement. Nous avons déjà 
vu ce qu'était cet empire au dix-septième siècle; et au dix- 
huitième il n'y avait aucun signe de sa décadence, excepté 
parmi quelques hommes à l'esprit audacieux qui ne pou- 
vaient rien accomplir tant que la voix du peuple était contre 
eux. Labat, qui voyageait en Espagne dans les premières 
années du règne de Philippe Y, nous apprend que lorsqu'un 
prêtre disait la messe, les seigneurs de la plus haute no- 
blesse considéraient comme un honneur de l'aider à revêtir 
ses vêtements, qu'ils s'agenouillaient devant lui et lui bai- 
saient les mains (1). On peut s'imaginer ce qu'était le sen- 
timent général lorsque la plus orgueilleuse aristocratie de 
l'Europe s'abaissait à de pareilles pratiques. Labat affirme 
qu'un Espagnol n'était pas considéré comme véritablement 
orthodoxe s'il ne laissait au moins une portion de ses biens 
à l'Église, tant le respect pour la hiérarchie était devenu 
une partie essentielle du caractère national (2). 

Un exemple plus curieux encore se manifesta à propos 
de l'expulsion des jésuites. Ce corps jadis utile, mais main- 
tenant embarrassant, était au dix-huitième siècle ce qu'il 
est au dix-neuvième, c'est à dire l'ennemi acharné du pro- 



(1) « Ceux qui servent la messe en Espagne, soit religieux on séculiers, ne manquent 
jamais d'aider le prêtre à s'habiller, et le font avec beaucoup de respect. Les plus grands 
seigneurs s'en font honneur, et, à mesure qu'ils présentent au prêtre quelque partie des 
ornemens, ils lui baisent la main. On se met à genoux pour donner à laver au prêtre pen- 
dant la messe, et, après qu'il a essuyé ses doigts, celui qui lui a donné l'eau, demeurant 
à genoux, lui présente le bassin retourné, sur lequel le prêtre met sa main pour la lui laisser 
baiser. Au retour à la sacristie, il ne manque pas d'aider le prêtre à se déshabiller, après 
quoi il se met à genoux pour recevoir sa bénédiction et baiser sa main. » Labat, Voyages 
en Espagne et en Italie. Paris, 1730, 1. 1, pag. 36. 

(2) « Telle est la coutume du païs, on s'exposeroit à laisser douter de sa foi, et passer an 
moins pour maran ou chrétien nouveau, si on ne laissoit pas le tiers de ses biens mobiliers 
à l'Église. » Labat, Voyages en Espagne, 1. 1, pag. 968. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 161 

grès et de la tolérance. Le gouvernement de l'Espagne, 
voyant que les jésuites s'opposaient à tous ses projets de 
réforme, résolut de se débarrasser d'un obstacle qu'il ren- 
contrait sans cesse sur son chemin. Les jésuites venaient 
d'être traités en France comme une plaie publique, et avaient 
été supprimés d'un seul coup sans aucune difficulté. Les 
conseillers de Charles III ne virent aucune raison pour ne 
pas imiter en Espagne une mesure aussi salutaire, et en 1767, 
suivant l'exemple qui leur avait été donné par les Français 
en 1764, ils abolirent ce grand appui de l'Église (1). Le 
gouvernement supposa que c'était là une mesure décisive 
qui affaiblirait la puissance ecclésiastique, d'autant plus que 
le roi lui avait donné sa cordiale approbation. L'année sui- 
vante, Charles III, ainsi que c'était sa coutume, parut sur le 
balcon du palais à l'occasion de la Saint-Charles, prêt à 
accorder toute demande que le peuple lui adresserait. Cette 
demande consistait généralement à prier le roi de destituer 
quelque ministre ou d'abolir quelque impôt. Mais cette fois 
les citoyens de Madrid, au lieu de penser aux choses de ce 
monde, pensèrent que des intérêts plus graves se trouvaient 
en danger, et à la surprise, à la terreur de la cour, ils de- 
mandèrent d'une voix unanime qu'on permit aux jésuites 
de revenir et de porter leur costume ordinaire, afin que 
l'Espagne pût se réjouir de la vue de ces saints hommes (2). 



(1) L'opinion du pape était que Charles III avait par cette mesure mis son âme en 
danger. » Dans an bref adressé à Charles III il déclara « que les actes du roi contre les 
jésuites mettaient évidemment son salut en danger. > Crétineau-Joly, Hist. de Ut compa- 
gnie de Jésus. Paris, 18*5, t. V, pag. 302. 

(2) Comme cette circonstance, qui est remarquée par Crétineau-Joly (Hist. de Ui com- 
pagnie de Jésus, t. V, pag. 311) et par d'autres écrivains (Dunham, Hist. ofSpain, t. V, 
pag. 180), n'a pas été représentée sous sa véritable couleur et a même été mise en doute par 
un auteur; je transcris ici le compte rendu de Coxe, qui avait des renseignements sur le 
règne de Charles III de témoins oculaires. « A remarkable and alarming proof of their 



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162 HISTOIRE 

Que peut-on faire avec une pareille nation ? A quoi serrent 
les lois lorsque l'opinion publique se déclare aussi fortement 
contre elles? En présence de pareils obstacles, et en dépit 
de ses bonnes intentions, le gouvernement de Charles III se 
trouva impuissant. Dans le fait, il fut plus qu'impuissant. 
Il fit réellement du mal, car en excitant la sympathie popu- 
laire en faveur de l'Église, il donna une nouvelle force à ce 
qu'il voulait affaiblir. La nation espagnole continua à chérir 
de plus en plus cette Église cruelle et persécutrice, toute 
souillée qu'elle était des crimes les plus abominables. De 
toutes parts cette Église recevait des legs et des dons consi- 
dérables, les Espagnols ne demandant pas mieux de se dé- 
pouiller et de dépouiller leur famille pour augmenter ses 
immenses richesses. Florida Blanca, ministre de la cou- 
ronne en 1788, affirma que pendant les cinquante dernières 
années, les revenus de l'Église avaient augmenté avec une 
telle rapidité que leur valeur était plus que doublée (1). 



influence vas given at Madrid, the year afler their expulsion. At the festival of St. Charles, 
when the monarch sho-wed himself to the people from the balcony of the palace, and iras 
accostomed to grant their gênerai reqnest; to the surprise and confusion of the tf noie Court, 
the Toice of the immense multitude, with one accord, demanded the return of the Jésuite, 
and the permission for them to vrear the habit of the secular clergy. This unexpected inci- 
dent alarmed and mortified the King; and, after a vigilant inqairy,he thought proper to 
banish the Cardinal Arehbishop of Toledo, and bis Grand Vicar, as the secret instigators 
of this tumultuary pétition. > Coxe, Bourbon Kings ofSpain. Lond., 1815, 2* édit., t, IV, 
pag. 368, 369. Les remarques faites sur cette circonstance par M. Rio (Hïst. del Reinado 
de Carlos III. Madrid, 1856, t. II, pag. 197-199) ne font guère l'éloge de sa critique ou de sa 
candeur. Un critique ne met pas en doute la description d'un contemporain, lorsque cette 
description raconte ce qui est probable et ce qui n'a jamais été nié par ceux qui vivaient à 
cette époque. Loin de le nier, M. Muriel, le savant traducteur de l'ouvrage de Coxe en espa- 
gnol, lui a donné la sanction de son nom. Et il est certainement peu candide de la part de 
M. Rio d'imputer à Coxe l'erreur qui plaçait cette circonstance en 1767, et de prouver 
ensuite que, d'après ce qui était arrivé à l'archevêque de Tolède, elle ne pouvait avoir en 
lieu cette année-là, car Coxe affirme que c'était en 1768, « the year after their expulsion, » 
(1) Voyez ce que dit Florida B lança dans l'appendice I à Coxe, Bourbon Kings ofSpain, 
t. V, pag. 281 Un autre Espagnol, le prince de la Paix, dit qu'à l'accession de Charles IV» 
en 1788, « the cloisters -were encnmbered with an ever-increasing number of monks of ail 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. t6S 

L'inquisition elle-même, l'institution la plus barbare que 
l'homme ait jamais inventée, fut soutenue par l'opinion pu- 
blique contre les attaques de la couronne. Le gouvernement 
espagnol voulait la renverser, et fit tous ses efforts pour dimi- 
nuer son pouvoir; mais le peuple espagnol la chérissait 
comme un bouclier contre les empiétements de l'hérésie (1). 
On vit un exemple de ce sentiment en 1778 : l'inquisition 
ayant condamné un hérétique, plusieurs des membres les 
^lus influents de la noblesse se rendirent à l'exécution en 
qualité d'aides, heureux d'avoir l'occasion de montrer pu- 
bliquement leur obéissance et leur docilité vis-à-vis de 
fÉglise (2). 

oïders and of ail âges.,» Godoy, Memoirs, édit. Lond., 1836, 1. 1, pag. 126. Voyez aussi 
an sujet des établissements ecclésiastiques quelques remarques intéressantes dans les 
lettres de Cabarrus : a Con que horrible desproporcion superabundan los individuos esté- 
ril9s â los operarios utiles y preciosos, » Carias escritas por el Coude de Cabarrus. 
Madrid, 1813, pag. 133. 

(1) Un écrivain célèbre du régne de Philippe V dit de l'inquisition : < Su exacta vigi- 
lancia comprehende ignalmente à Naturales y Estrangeros. » Uztariz, Theorica y Prao 
tica de Comercio. Madrid, 1757,3' édit., in- fol., pag. 27. Lorsqu'un homme comme Uztariz 
•pouvait écrire une pareille phrase, nous pouvons nous imaginer ce que pouvait le peuple 
qui était bien plus ignorant que lui et bien plus orthodoxe. M. Tapia, dans un passage 
remarquable et plus hardi qu'à l'ordinaire , admet franchement que ce fut la force de 
l'opinion publique qui empêcha Charles III d'abolir l'inquisition. « Estrano pareceria que 
babiéndose hecho tanto en aquel reinado para limitar el poder escesivo del clero, y acabar 
con àbsurdas preocupaoiones, no se suprimiese el monstruoso tribunal de la inquisition; 
pero es necesario tener présente quel el rey despues del motin de Madrid procedia con 
timidez en toda providencia que pudiese contrariar la opinion pùblica; y él creia que los 
~Espanoles querian la inquisition , eomo se lo manifesté al ministro Roda y al coude de 
Aranda, anadiendo que en nada coartaba su autoridad. » Tapia, Civilizaeion EspaHola. 
Madrid, 1840, t. IV, pag. 98. L'inquisition nous semble un singulier objet pour mériter 
l'affection publique, mais cette affection existait positivement. « L'inquisition si révérée en 
Espagne. > Mèm. de Louville, 1. 1, pag. 36. Et Geddes {Tracts. Lond., 1730, 1. 1, pag. 400) 
nous dit que « the Inquisition is not orily established by ïaw, but by a wonderful fascina- 
tion is se fixed in the hearts and affections of the people, that one tbat should offer the 
least affront to another, for having been an informer or witness in the Inquisition, would 
be torn in a thousand pièces. » 

(9) « The&milrars of the Inquisition, Abrantes, Mora, and others, grandees of Spain , 
attended as servants, without bats or svords. » Coxe, Bourbon Rings of Spain, t. IV, 
pag. 418, 419. 



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164 HISTOIRE 

Toutes ces choses étaient naturelles, elles étaient dans 
Tordre. Elles résultaient d'une longue série de causes dont 
j'ai essayé de suivre l'opération pendant le treizième siècle, 
depuis le commencement de la guerre arienne. Ces causes 
forcèrent les Espagnols à être superstitieux, et il était com- 
plètement inutile de chercher à changer leur nature par la 
législation. Le seul remède contre la superstition est la 
science. Elle seule peut détruire cette peste de l'esprit hu- 
main. Sans elle le lépreux ne peut être purifié, l'esclave ne 
peut être rendu à la liberté. C'est à la connaissance des lois 
et des rapports intimes des choses que l'Europe est rede- 
vable de sa civilisation, et c'est précisément cette connais- 
sance qui a toujours manqué à l'Espagne. Jusqu'à ce qu'on 
ait suppléé à ce manque, jusqu'à ce que la science, avec son 
esprit hardi et investigateur, ait fermement posé son droit à 
examiner librement tous les sujets d'après sa propre mé- 
thode, il est certain que ni la littérature, ni les universités, 
ni les législateurs, ni les réformateurs d'aucun genre, ne 
pourront tirer le peuple de la misérable condition, des ténè- 
bres épaisses dans lesquelles le cours des choses l'a nécessai- 
rement plongé. 

Aucune grande amélioration politique, quelque plausible 
ou attrayante qu'elle puisse paraître, ne peut produire un 
bien durable , si elle n'est pas précédée par un change- 
ment dans l'opinion publique; et tout changement dans 
l'opinion publique doit être précédé par le progrès des 
connaissances. Ce sont là deux propositions dont la preuve 
se trouve dans l'histoire de tous les pays, mais qui sont 
particulièrement évidentes dans l'histoire de l'Espagne. 
Les Espagnols ne manquaient de rien excepté de la science. 
Ils ont eu d'immenses richesses, des territoires fertiles et 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 165 

bien peuplés dans toutes les parties du globe. Leur contrée, 
baignée par l'Atlantique et la Méditerranée, et possédant 
des ports excellents, est admirablement située pour le com- 
merce entre l'Europe et l'Amérique, commerce dont elle 
pourrait être la maîtresse dans les deux hémisphères (1). 
Ils eurent, à une époque très reculée, de vastes privilèges 
municipaux; ils eurent des parlements indépendants, le 
droit de choisir leurs magistrats et de gouverner leurs pro- 
pres cités. Us ont eu des villes riches et florissantes, de 
nombreuses manufactures et d'habiles artisans dont les pro- 
ductions remarquables se vendaient facilement sur tous les 
marchés du monde. Ils avaient cultivé les beaux-arts avec 
un grand succès ; leurs nobles et exquises peintures, leurs 
magnifiques églises étaient justement rangées parmi les plus 
grandes merveilles de la main-d'œuvre de l'homme. Us par- 
lent une langue sonore, belle et flexible, et leur littérature 
n'est pas indigne de leur langue. Leur sol produit des tré- 
sors de tout genre. Il déborde de vin et d'huile; il produit 
les fruits les plus délicieux avec une exubérance presque 
tropicale (2). Il contient les minéraux les plus précieux dans 
une profusion qui n'a de pareille dans aucune autre partie 
de l'Europe. Nulle part on ne trouve des marbres aussi rares, 
aussi magnifiques, et si rapprochés de la mer qu'ils peuvent 

(i) Un éminent géographe moderne dit : < From the eitent of its coast-line, its numerons 
ports, its geographical position, and natural prodacts, Spain possesses greater commercial 
advantages than any other country of Europe. • Johnston, Dictionary of Physical, Sta- 
tistical and Historical Geography. Lond., 1850, pag. 1213. 

t(2) • No qaiero hablar de los frutos de Espana, no obstante que los produzca tan exqui- 
sitos de todas especies. Solo dire que sus naranjas du l ce s las traxeron de la China los 
Portugueses, y que de Portngal se ha difandido sa planta por lo restante de Europa. En fin, 
Espana es celebrada entre otras cosas por sas limones, por la fragancia de sus cidras, por 
sas limas dulces, por sus granadas, por sas azeytanas, que merecieron ser alabadas hasta 
del gran Ciceron, y sas almendras, sas higos, sas avas, etc. • Bowles, Hist. Natural de 
Espana. Madrid, 1789, in-4°, pag. 236. 

T. IV 11 



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166 HISTOIRE 

facilement être chargés sur des navires et transportés dans 
les contrées qui en ont besoin (1). Quant aux métaux, c'est 
à peine s'il y en a un seul que l'Espagne ne possède pas en 
grandes quantités. Ses mines d'argent et de mercure sont 
bien connues. Elle abonde en cuivre (2) et en plomb (3). Le 
fer et la bouille, les deux articles les plus utiles de toutes les 
productions du règne inorganique (4), sont également abon- 
dants dans cette contrée favorisée. On dit que le fer existe 
dans toutes les parties de l'Espagne, et d'une qualité supé- 
rieure (5); on prétend que les mines de houilles des Astu- 
ries sont inépuisables (6). En un mot, la nature s'est mon- 



(1) t The marbles of Spain are in greater variety and beauly than those of any country 
in Europe, and most valnable kinds of them are in situations of easy access and communi- 
cation with the sea; bnt they hâve long been entirely neglected, the greater part being 
unknow, even to the more intelligent of the natives. » Cook, Spain. Lond., 1834, t. H, 
pag. 51. Dans le cabinet d'histoire naturelle à Madrid, « the spécimens of marbles are 
splendid,and show what treasnres yet remain buried in the Peninsnla. • Ford, Spam. 
Lond., 1847, pag. 413. 

(2) « Hay infinitas mioas de cobre en Espana las qnales nnnca se han tocado. • Bowles, 
Hi&t. Natural de Espaila, Discnrso Preliminar, pag. 34. 

(3) En 1832, Cook écrivait : « The lead-mines of the Sierra de Gador are in a state of 
repletion at présent from the enormous quaotity of the minerai, and thn facility of raising 

it. » « Lead abonnds in other parts of the same chain, nearer to Almeria. » Cook, 

Spain, t. II, pag. 75. t The most valnable of the ezisting Spanish mines are those of lead 
in Granada; and the supplies obtained from them dnring the last twenty years hâve been 
so large, that they hâve occasioned the abandonnant of several less productive mines in 
other conntries, and a considérable fall in the price of lead. * M'Culloch, Geographicaland 
Statistical Dictionary. Lond., 1849, t. Il, pag. 705. 

(4) J'emploie le langage populaire en plaçant la houille dans le règne inorganique, malgré 
son tissu cellulaire et son origine végétale. 

(5) < The most valnable of the whole minerai riches of Spain will be in ail probability, in 
a few years, the iron, -which is found every where, and of the best qnalities. » Cook, Spain, 
t. II, pag. 78. Voyez aussi Bowles, Hist. Natural de Espaila, pag. 56,67, 106, 273, 346, 415, 
et Ford, Spain, pag. 565, 618. 

(6) < The quantity is inexhaustible, the quality excellent, the working of eitraordinary 
facility, and they possess an easy communication with the sea; yet they are praciically 
useless, and afford only a misérable existence to a i&m labourers and mules used in con- 
veying the minerai to Gijon. • Cook, Spain, t. II, pag. 79,80. « In the immédiate neighbour- 
hood of Oviedo are some of the largest coal-fields in Europe. » Ford, Spain, pag. 381. 

Comparez pag. 392,606. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 167 

trée si prodigue, qu'on peut dire sans crainte d'exagération 
que l'Espagne possède dans son sein presque tous les pro- 
duits naturels qui peuvent satisfaire les besoins ou la curio- 
sité de l'homme (1). 

Ce sont là des dons splendides ; c'est à l'historien de dire 
de quelle manière ils ont été employés. Le peuple qui les 
possède ne manque certainement pas de qualités naturelles. 
Il a eu sa bonne part d'hommes d'État éminents, de grands 
rois, de magistrats capables et de législateurs remarquables. 
Il a eu des gouvernements vigoureux et habiles, et son his- 
toire est illustrée par un grand nombre de patriotes coura- 
geux et désintéressés qui ont tout sacrifié pour leur pays. 
La bravoure du peuple n'a jamais été mise en doute, et l'hon- 
neur pointilleux d'un gentilhomme espagnol est passé en 
proverbe dans le monde entier. Quant à la nation en géné- 
ral, les meilleurs observateurs déclarent que les Espagnols 
sont nobles, généreux, francs, intègres, amis sincères et 
-zélés, affectueux dans toutes les relations privées de la vie, 
charitables, et humains (2). Leur sincérité en matières reli- 



(1) < La nacion espanola posée casi quantas producciones naturales puede apetecer la 
necesidad, ô curiosidad de los hombres. » Campomanes, Apendice à la Education Popu- 
lar. Madrid, 1777, t. IV, pag. vi. 

(2) « Ils sont fort charitables, tant à cause du mérite que Ton s'acquiert par les aumônes 
que par l'inclination naturelle qu'ils ont à donner, et la peine [effective qu'ils souffrent 
lorsqu'ils sont obligés, soit par leur pauvreté, soit par quelqu'autre raison, de refuser ce 
qu'on leur demande. Ils ont encore la bonne qualité de ne point abandonner leurs amis 

pendant qu'ils sont malades. » « De manière que des personnes qui ne se voyent 

point quatre fois en un an se voyent tous les jours deux ou trois fois dés qu'ils souffrent. • 
D'Aulnoy, Relation du voyage d'Espagne. Lyon, 4693, t. II, pag. 374. t They are grave, 
temperate, and sober ; firm and warm in their friendships, thongh cautions and slow in coo- 
tracting \hem. » A Tour through Spain by Udal ap Hhys. Lond., 1760, 2' édit., pag. 3. 

« When they bave once professed it, none are more faithful friends. > « They hâve 

great probity and integrity of principle. » Clarke, Letters conceming the Spanish Nation. 
Lond., 1763, in-4% pag. 334. * To express that ail I feel, on the recollection of their goodness, 
would appear like adulation; but I may venture at least to say, that simplicity, sincerity, 
generosity, a high sensé of dignity, and strong principle» of honour, are the most prominent 



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168 HISTOIRE 

gieuses est incontestable (1). Us sont en outre éminemment 
sobres, et leur frugalité est bien connue (2). Et pourtant 
toutes ces grandes qualités ne leur ont servi à rien, et leur 
seront complètement inutiles tant qu'ils resteront ignorants. 
Il est impossible de dire ce qu'il adviendra de ce malheureux 
pays, et s'il entrera jamais dans la bonne voie (3). A moins 



and 8trikiog fea tores of the Spanish character. > Townsend, Journey through Spain. 
Lond., 1792,2* édit., t. III, pag. 353. » The Spaniards, though naturally deep and artfdl 
politicians, bave still something so nobly frank and hoffest in their disposition. > Letters 
from Spain by an English Officer. Lond., 4788, t. II, pag. 471. « The Spaniards hâve fewer 
bad qualities than any other people that I hâve had the opportunity to know. » Croker, 
Travels through Spain. Lond., 4799, pag. 237, 238. « Spanish probity is proverbial, and 
it conspicuously shines in commercial relations. • Laborde, Spain. Lond., 4809, t. IV, 
pag. 423. « Certainly, if it be taken in the mass,no people are more hnmane than the Spa- 
niards, or more compassionate and kind in their feelings to others. Tbey probably excel 
other nations, rather than fall belovr them, in this respect. > Cook, Spain. Lond., 1834, 1. 1, 
pag. 189. « The Spaniards are kind-hearted in ail the relations of life. » Hoskins , Spain. 
Lond., 1851, 1. 11, pag. 58. Je citerai enfin le témoignage de deux hommes, politiques de 
profession, bien connus des Espagnols, c They are brave, honest, and gênerons.» 
Diaries and the Correspondance of the Eart of Malrnesbury. Lond., 1844, t. I, 
pag. 48. Et lord Holland, suivant Moore, admet a that the Spaniards altogether are 
amoDgst the best people of Europe. > Moore, Memoirs, edited by Lord John Russell. 
Lond., 1853, t. III, pag. 253. 

(1) C'est ce que prouve leur histoire de la manière la plus décisive, et, quant à leur con- 
dition actuelle, fauteur des Rmelations of Spain in 1845 (t. I, pag. 340) dit : «But reli- 
gion is so deeply rooted in the national character, that the most fnrious political storms, 
which prostrate everything else, blow over this and leave it unscathed. It is only amongst 
the educated maie population that any lack of fervour is witnessed. > 

(2) «The habituai tempérance of thèse people is really astonishing : I never saw a Spa- 
niard drink a second glass of vrine. With the lower order of people, a pièce of bread with 
an apple, an onion, or pomegranate, is their usual repast. > Croker, TraveU in Spain. 
Lond., 1799, pag. 116. t They are tempera te, or rather abstemious, in their living to a great 
degree : borracho is the higbest term of reproach ; and it is rare to see a drunken man , 
except it be among the carriers or muleteers. » Dalrymple, Travels through Spain. Lond., 
1777, in-4% pag. 174. c Drunkenness is a vice almost unkoown in Spain among people of a 
respectable class, and very uncommon even among the lowerorders. » Esménard, note 
dans Godoy, Memoirs. Lond., 1836, t. II, pag. 321. 

(3) « This is the most wonderful country nnder the sun ; for hère , intellect melds no 
power. » Inglis, £pain. Lond., 1831, 1. 1, pag. 101. «Tandis que l'activité publique, en 
Espagne, se porte depuis quelques années dans la sphère des intérêts pratiques et matériels, 
il semble, au contraire, qu'il y ait une sorte de ralentissement dans la vie intellectuelle. • 
Annuaire des Deux Mondes pour 1850, pag. 410. t La vie intellectuelle n'est point, mal- 
heureusement , la sphère où se manifeste le plus d'activité en Espagne, t Ibid. pour 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 169 

que l'Espagne n'entre dans cette voie, toutes les améliora- 
tions qu'on essaiera d'y faire pénétrer n'iront pas plus loin 
que la surface. La seule marche à suivre, c'est de diminuer 
la superstition du peuple ; et cela ne peut être effectué que 
par le progrès de la science physique, qui, en familiarisant 
le peuple avec les idées d'ordre et de régularité, empiètent 
graduellement sur les anciennes notions de perturbation, de 
prodige, et de miracle, et habituent l'esprit à trouver l'expli- 
cation des vicissitudes humaines dans des considérations 
naturelles, au lieu de chercher cette explication dans des 
considérations purement surnaturelles. 

C'est vers ce but que tout a tendu depuis près de trois 
siècles dans les contrées les plus avancées de l'Europe. Mais 
en Espagne, malheureusement, l'éducation a toujours été, 
et est encore aujourd'hui, entre les mains du clergé, qui 
s'oppose à tout progrès, parce qu'il sait bien que le progrès 
serait fatal à sa puissance (1). Aussi, le peuple restant dans 



18564857, pag. 356. « It is singular, upon landing in the Peninsula, and making a short 
excursion for a new miles in any direction, to see reprodnced the manners of England five 
centuries bock, — to find yourself thrown into the midst of a society vhich is a close 
counterpart of that extinct semi-civilization of which no trace is to be fonnd in our 
history later than the close of the fonrteenth centnry and the reign of Richard the Second. » 
Révélation* ofSpain in 4845 by an English Résident, t. II, pag. l. 

(1) « That the Spaniards, as a people, are ignorant, snpremely ignorant, it is impossible 
to dissemble; but this cornes from the control of éducation being altogether in the hands 
of the clergy, who exert themselves to maintain that ignorance to which they are indebted 
for their power. » Spain by an American, t. II, pag. 360. t The schools in Madrid are ail 
condncted by Jesnits; and the éducation received in thera, is snch as might be expected 
from their heads. » lnglis, Spain, 1. 1, pag. 156 « Private éducation hère, is almost entirely 
in the hands of the clergy. » Révélations of Spain in 1845, t. II, pag. 27. En Espagne, 
comme dans tont pays catholique ou protestant, le clergé, considéré comme corps, enseigne 
la foi à l'exclusion de la science, et, par une sorte d'instinct conservateur, décourage la 
hardiesse d'investigation , sans laquelle on peut acquérir beaucoup d'érudition , mais pas 
de vraies connaissances. Le clergé en Espagne est plus puissant que dans aucun autre pays ; 
c'est pourquoi il manifeste ses tendances hardiment et sans crainte. On peut en voir un 
exemple dans un récit récemment publié par l'évêque de Barcelone, dans lequel, après une 



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170 HISTOIRE 

l'ignorance, et les causes de cette ignorance étant toujours 
les mêmes, le pays ne retire aucun avantage des gouverne- 
ments éclairés qu'il a pu avoir à de longs intervalles, ou des 
mesures libérales qui ont été parfois adoptées. Les réforma* 
teurs espagnols ont tous, avec de très rares exceptions, 
vivement attaqué l'Église, dont ils voyaient clairement que 
l'autorité devait diminuer. Mais ce qu'ils n'ont pas vu, c'est 
que pour être vraiment utile, cette diminution doit être le 
résultat de la pression exercée par l'opinion publique sur les 
hommes d'État. En Espagne, ce sont les hommes politiques 
qui prirent l'initiative, pendant que le peuple restait en 
arrière. Aussi, ce qui était fait à une époque a toujours été, 
en Espagne, défait à une autre. Lorsque les libéraux arrivè- 
rent au pouvoir, ils supprimèrent l'inquisition ; mais Ferdi- 
nand VU la rétablit facilement, parce que, quoiqu'elle eut 
été détruite par les législateurs espagnols, son existence con- 
venait aux mœurs et aux traditions de la nation espa- 
gnole (1). De nouveaux changement ayant lieu, cet odieux 



Tiolente attaque contre les connaissances physiques et philosophiques, il termine ainsi : 
« No intento recriminar à ningan catôlico de los que se asocian al nnevo sistema de filosofar 
y de extender indefinidamente el imperio de esta ciencia, pero deseo que fijen toda su atea- 
nion en los pnntos que no haré sino indicar. Primero,que las escaelas de Holanda, A le mania, 
Inglaterra y Francia desafectas al Calolicismo , han iniciado y promovido con el mayor 
empeno ciertas discnsiones filosôficas, presentândolas como an trianfo de la raxon sobre la 
Religion, de la filosoffa sobre la teologia, del matcrialismo sobre el espiritualismo. Segando, 
que sas màximas no son, en gran parte, mas qne reprodocciones ô naevas evoluciones de 
errores mil veces refntados y condenados por la sana filosofia y por la Iglesia; bajo cuyo 
eoncepio no tienen por que felicitarse en raxon de sa progreso, sino mas bien avergoniarse 
por sn retrocesc. ■ Costa y Borras, Iglesia en Espana. Barcelona, 1857, pag. 159. 

(1) « Immediately after his arrivai in Madrid, Ferdinand re-established the Inquisition; 
and his decree for that purpose was hailed throughout ail Spain with illuminations, 
thanksgivings, and other rejoicings. » Quin , M emoirs of Ferdinand VII. Lond.,1834, 
pag. 189, 190. Un théologien éminent remarque : c La divina ProTidencia abreviô los dias 
de praeba, y la catolica Espana respiré cenida con los laureles del trianfo, recobrando luego 
à sa tan deseado monarca, el senor rey don Fernando VII. » Costa y Borras, Observaciones 
sobre la Iglesia en Espaila. Barcelona, 1857, pag. 91. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 17i 

tribunal fut de nouveau aboli en 1820. Mais si la forme 
n'existe plus, l'esprit vit encore (1). Quoique le nom, le 
corps, l'apparence visible de l'inquisition aienl disparu, 
l'esprit qui l'avait engendrée est enchâssé dans le cœur du 
peuple, et, à la moindre provocation, il reprendrait une nou- 
velle vigueur, et réclamerait le rétablissement de cette 
institution qui est l'effet, bien plus que la cause, de la 
bigoterie intolérante de la nation espagnole. 

C'est de cette manière que d'autres attaques qui furent 
faites contre l'Église, d'une manière plus systématique, de- 
puis le commencement de ce siècle, réussirent d'abord, mais 
devaient être nécessairement déjouées peu après (2). Sous 
Joseph, en 1809, les ordres monastiques furent supprimés, 
et leurs biens confisqués (3). Mais l'Espagne gagna peu à 
cette mesure. La nation était du côté des moines (4) ; et leurs 
ordres furent rétablis aussitôt que la tempête fut passée. En 

(1) < The spirît of the Inquisition is still alive; for no king, cortes, or constitution, ever 
permits in Spain any approach to any religions toleration. » Ford, Spain. Lond., 1847, 
pag. 60. < Les cortès anraient beau permettre l'exercice du culte protestant on juif, il n'est 
point certain que cela ne suscitât de périlleux conflits. » Annuaire des Deux Mondes ou 
histoire générale des divers Etats (1854-1855). Paris, 1855 t. V, pag. 272, un ouvrage 
remarquable écrit sur le plan de VAnnual Register, mais de beaucoup supérieur. Quant à 
la possibilité de rétablir l'inquisition, comparez deux passages intéressants dans Spainby 
an American, 1831, t. II, pag. 330, et Inglis, Spain, 1831, 1. 1, pag. 85. Depuis lors l'Église 
a reçn une force nouvelle par le succès de la guerre essentiellement religieuse que l'Espagne 
vient de faire aux Maures. Et, si quelque nouvelle catastrophe politique avait lieu en 
Espagne, le rétablissement de l'inquisition ne m'étonnerait nullement. 

(2) Comparez Bacon, Six Years in Biscay. Lond., 1838, pag. 40, 41, 50, avec Quin, 
Memoirs of Ferdinand the Seventh, pag. 192, 193. 

(3) Walton, Révolutions of Spain. Lond.,1837, t. H, pag. 343. 

(4) Peu de temps avant la suppression des ordres monastiques, « le respect pour le froc 
en général est poussé si loin, qu'on lui attribue une vertu préservative même au delà de la 
vie, quelque peu régulière qu'elle ait été. Aussi n'y a-t-il rien de si commun que de voiries 
morts ensevelis en robe de moines et conduits ainsi à leur dernière demeure à visage décou- 
vert. » «De même que le froc accompagne les Espagnols au tombeau, de même il eu 

saisit quelques-uns au sortir du berceau. Il n'est pas rare de rencontrer de petits moines de 
quatre à cinq ans polissonnant dans la rue. » Bourgoing, Tableau de l'Espagne. Paris, 
1808, t. II, pag. 330, 331. 



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172 HISTOIRE 

1836, il y eut un nouveau mouvement politique, et les libé- 
raux étant à la tête des affaires, Mendizabal sécularisa tous 
les biens de l'Église, et dépouilla presque entièrement le 
clergé de ses richesses énormes et mal acquises (1). Il ne sa- 
vait pas combien il est inutile d'attaquer une institution, si 
Ton ne peut commencer par diminuer son influence. Trop 
confiant dans le pouvoir de la législation, il ne pensa pas 
assez à la puissance de l'opinion. Le résultat le prouva clai- 
rement. La réaction commença au bout de quelques années. 
En 1845, on promulgua ce qu'on appela « la loi de dévolu- 
tion, » qui fut le premier pas vers le rétablissement des biens 
du clergé (2). En 1851, sa position fut encore améliorée 
par le célèbre concordat, par lequel le droit d'acquérir lui 
Ait solennellement confirmé aussi bien que celui de possé- 
der (3). La nation accepta de tout cœur ces mesures (4). 
Telle était pourtant la folie du parti libéral que, seulement 

(1) La confiscation eut lien à différentes époques entre 1835 et 4841. Comparez Ford, 
Spain, pag. 48; Révélations of Spain by an English Résident, 1. 1, pag. 366; Costa y 
Borras, Iglesia en Espana, pag. 95; Annuaire des Deux Mondes pour 1850. Paris, 1851, 
pag. 369. J'ai cherché vainement une histoire détaillée de ces transactions. 

(2) « Dès 1845 ane loi dite de dévolution, en attendant un règlement définitif, applique à 
la dotation dn clergé une portion des biens ecclésiastiques non vendus. » Annuaire des 
Deux Mondes, 1851-52. Paris, 1852, pag. 318. 

(3) « Il y a ici un règlement solennel, sous la forme d'un traité, de toutes les affaires rela- 
tives à l'Église; c'est le concordat de 1851. Le concordat reconnaît à l'Église le droit d'ac- 
quérir et de posséder. » Ibid., 1854-55. Paris, 1855, pag. 273. 

(4) L'année même où le concordat fut publié, M. Hoskins, le célèbre voyageur africain» 
homme d'une intelligence évidemment remarquable, publia, à son retour d'Espagne, ane 
description de ce pays. Son ouvrage est précieux, car il dépeint l'état de l'opinion publique 
avant le concordat , lorsque le clergé espagnol était encore sous le coup de mesures bien 
intentionnées, mais peu judicieuses du parti libéral. « We visited thèse churches on a Snnday, 
and were surprised lo find them ail crowded to ezcess. The incomes of the clergy are greatly 
reduced, but their fortunes are gradually reviving. » Hoskins, Spain. Lond., 1851, 1. 1, 
pag. 25. « The priests are slowly re-establishing their power in 'Spain. » T. II, pag.201. 
c The crovded churches , and , notvrithstanding the appropriation of their revenues, the 
absence of ail appearance of anything like poverty in the chapels and services, prove tnat 
the Spaniards are now as devout wrshippers, and as zealous friends of the Church,as 
they were in her palmy days. » T. II, pag. 281. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 173 

quatre années plus tard, lorsqu'il obtint pour un moment le 
pouvoir, il annula tous ces arrangements, et révoqua les 
concessions qui avaient été faites à l'Église, et que, malheu- 
reusement pour l'Espagne, l'opinion publique avait rati- 
fiées (1). On pouvait facilement deviner quels seraient les 
résultats de cette politique. Le peuple courut aux armes en 
Aragon et dans d'autres parties de l'Espagne ; une insurrec- 
tion carliste éclata, et le cri de : « La religion est en dan- 
ger, » retentit à travers tout le pays (2). Il est impossible de 
servir une pareille nation. Les réformateurs furent naturel- 
lement renversés, et leur parti dispersé pendant l'automne 
de 1856. La réaction fit alors des progrès si rapides, qu'au 
printemps de 1857, la politique des deux années précédentes 
fut complètement changée. Ceux qui avaient rêvé la pos- 
sibilité de régénérer leur pays, virent toutes leurs espérances 
anéanties. Le nouveau ministère prit des mesures plus en 
harmonie avec l'esprit national. Au mois de mai 1857, les 
cortès s'assemblèrent. Les représentants du peuple donnè- 
rent leur sanction aux actes du gouvernement exécutif, et, 
grâce à leur autorité, les mesures les plus nuisibles du con- 
cordat de 1851 furent amplement confirmées, la vente des 
biens de l'Église fut défendue, et toutes les limites qui 
avaient été placées à la puissance ecclésiastique furent révo- 
quées d'un seul coup (3). 



(1) « La loi de désamortissement, promulguée le 1" mai 1855, ordonne, comme on sait, 
la mise en Tente de tons les biens de mainmorte et en particulier des biens qui restent 
encore i l'Eglise. • Annuaire des Deux Mondes, 1855-56, pag. 310. Voyez aussi Ibid., 
1854-55, pag. 274, et, pour les mesures prises contre l'Église en 1855, Costa y Borras, Obser- 
vaciones sobre la Jglesia en EspaHa. Barcelona, 1857, pag. 119, 286, 292, et relativement 
à la loi du 1" mai, voyez pag. 247. 

(2) « Aussi le premier mot d'ordre de l'insurrection a été la défense de la religion. » 
Annuaire des Deux Mondes, 1854-55, pag. 275. 

(3) Annuaire des Deux Mondes, 1856-57, pag. 315-317, 324-331, 336. 



« 



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174 HISTOIRE 

Le lecteur pourra maintenant comprendre la véritable na- 
ture de la civilisation espagnole. Il verra comment, sous les 
noms retentissants de fidélité et de religion, se cachent les 
poisons mortels auxquels ces noms ont toujours servi de 
manteau, mais qu'il est du devoir de l'historien d'exposer 
au grand jour. Un esprit aveugle de respect, prenant la 
forme d'une soumission honteuse vis-à-vis de la couronne et 
de l'Église, est le vice capital et essentiel du peuple espa- 
gnol. C'est son seul vice national, et il a suffi pour le ruiner 
complètement. C'est un vice dont toutes les nations ont 
cruellement souffert, et dont beaucoup souffrent encore. 
Mais nulle part en Europe ce principe n'a dominé aussi 
longtemps qu'en Espagne. Aussi, nulle part en Europe 
les conséquences n'ont été si évidentes et si fatales. L'idée 
de la liberté y est morte, si même on peut dire que la liberté 
y a jamais existé, dans la véritable signification du mot. 
Sans doute il y a eu, et il y aura encore, des explosions; 
mais ce sont des explosions de licence plutôt que de liberté. 
Dans les contrées les plus civilisées, la tendance générale 
est d'obéir même aux lois injustes, mais, tout en y obéis- 
sant, d'insister pour les faire abroger. C'est parce que nous 
sentons qu'il vaut mieux faire disparaître les griefs que leur 
résister. Tout en nous soumettant à l'injustice, nous atta- 
quons le système qui produit cette injustice. Mais pour 
qu'une nation adopte ce système, il lui faut une certaine 
portée d'esprit qu'il était impossible d'atteindre dans les 
période signorantes de l'histoire européenne. Aussi trouvons- 
nous que si les troubles étaient fréquents au moyen âge, les 
rébellions étaient rares. Mais, depuis le seizième siècle, les 
insurrections locales, provoquées par les injustices fla- 
grantes, diminuent et sont remplacées par des révolutions 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 175 

qui s'attaquent directement à la source même de l'injustice. 
Il est évident que ce changement est avantageux ; d'abord 
parce qu'il est toujours utile de remonter de l'effet à la cause, 
et ensuite parce que, les révolutions étant moins fréquentes 
que les insurrections, la paix de la société serait moins sou- 
vent troublée, si le peuple se bornait entièrement au remède 
le plus violent. D'un autre côté, les insurrections ont géné- 
ralement tort; les révolutions ont toujours raison. Une in- 
surrection est trop souvent un effort insensé et passionné 
d'individus ignorants qui, furieux de quelque injustice du 
moment, ne s'arrêtent pas à en rechercher les causes éloi- 
gnées et générales. Mais une révolution, lorsqu'elle est 
l'œuvre de la nation elle-même, est un spectacle magni- 
fique et imposant, parce qu'au sentiment d'indignation 
produit par la présence de l'injustice, elle joint les qualités 
intellectuelles de prévoyance et de combinaison, et parce 
que, réunissant dans un seul acte quelques-unes des plus 
hautes qualités de notre nature, elle arrive à un double but: 
au châtiment de l'oppresseur, au soulagement de l'opprimé. 
Mais en Espagne, il n'y a jamais eu une véritable révolution; 
il n y a jamais eu une grande rébellion nationale. Le peuple 
y est souvent sans frein; mais il n'y est jamais libre. Nous 
retrouvons encore chez lui cette couleur caractéristique de 
la barbarie, qui fait que les hommes préfèrent la désobéis- 
sance occasionnelle à la liberté systématique. Il y a certains 
sentiments de notre nature que sa fidélité servile elle-même 
ne peut déraciner, et qui, de temps en temps, la poussent à 
résister à l'injustice. Ces instincts sont heureusement la pro- 
priété inaliénable de l'humanité, que nous ne pouvons 
perdre, et qui sont souvent notre dernière ressource contre 
les extravagances de la tyrannie. Et c'est là tout ce que 



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176 HISTOIRE 

l'Espagne possède aujourd'hui. Les Espagnols résistent, non 
parce qu'ils sont Espagnols, mais parce qu'ils sont hommes. 
Mais, tout en résistant, ils révèrent. Ils se soulèvent contre un 
impôt vexatoire; mais ils se prosternent devant un système 
dont l'impôt est le moindre mal. Ils frappent le percepteur 
des contributions; mais ils tombent à genoux devant le 
prince méprisable qui emploie les services du percepteur. 
Ils insultent même le moine importun et ennuyeux, ou bien 
ils tournent quelquefois en ridicule le prêtre doucereux et 
arrogant; mais telle est leur infatuation, qu'ils risqueraient 
leur vie pour défendre cette Église cruelle qui leur a infligé 
des malheurs affreux, et à laquelle ils se cramponnent comme 
à ce qu'ils ont de plus cher au monde. 

Nous trouvons liés à ces habitudes de l'esprit, et en réa- 
lité faisant partie de ces habitudes, un respect pour l'anti- 
quité, et un attachement démesuré pour les anciennes opi- 
nions, pour les anciennes croyances, et pour les anciennes 
coutumes, qui nous rappellent les civilisations méridionales 
qui florissaient autrefois. Ces préjugés ont été à une cer- 
taine époque universels en Europe ; mais ils commencèrent 
à disparaître au seizième siècle, et sont aujourd'hui complè- 
tement dissipés, excepté en Espagne, où ils ont toujours été 
entretenus. Dans cette contrée, ils conservent leur force 
primitive, et produisent leurs résultats naturels. En encou- 
rageant l'idée que toutes les vérités les plus importantes à 
connaître sont déjà connues, ils répriment ces aspirations, 
et émoussent cette confiance généreuse dans l'avenir sans 
lesquelles rien de grand ne peut être accompli. Un peuple 
dont le regard est sans cesse fixé sur le passé, ne se remuera 
jamais pour pousser à la roue du progrès; c'est à peine s'il 
croira à la possibilité du progrès. Pour lui l'antiquité est 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 177 

synonyme de sagesse» et toute amélioration est une innova- 
tion dangereuse. L'Europe a langui pendant des siècles dans 
cet état ; l'Espagne se traîne encore dans cette même condi- 
tion sociale. Aussi les Espagnols sont- ils remarquables 
par une inertie , un manque d'élasticité , une absence 
complète d'espérance, qui les isolent, dans notre siècle 
remuant et entreprenant, du monde civilisé. Convaincus qu'il 
y a peu à faire, ils ne sont pas pressés de l'accomplir. Per- 
suadés que les connaissances dont ils ont hérité sont bien 
plus grandes que celles qu'ils pourraient acquérir, ils ne 
désirent rien changer à leurs possessions intellectuelles, parce 
qu'ils croient que le moindre changement pourrait en dimi- 
nuer la valeur. Satisfaits de ce qui a déjà été légué, ils sont 
en dehors de ce grand mouvement européen, qui, clairement 
visible pour la première fois au seizième siècle, a depuis 
cette époque constamment marché en avant, ébranlant les 
anciennes opinions, détruisant les vieilles folies, réformant 
et améliorant de tous côtés, influençant même des contrées 
aussi barbares que la Russie et la Turquie ; mais laissant 
l'Espagne intacte. Pendant que l'intelligence humaine a fait 
les progrès les plus prodigieux et les plus incroyables, pen- 
dant que les découvertes s'accumulent de toutes parts autour 
de nous avec une telle rapidité que les esprits les plus forts, 
éblouis par l'éclat de leur splendeur, ne peuvent les contem- 
pler dans leur ensemble, pendant que d'autres découvertes 
plus importantes encore, et plus éloignées de l'expérience 
ordinaire, sont évidemment sur le point d'être faites, et 
peuvent déjà être aperçues dans un lointain obscur par les 
penseurs les plus avancés ; pendant que le voile est rudement 
arraché, et que la nature, violée de tous côtés, est forcée de 
révéler ses secrets, son économie, sa structure, et ses lois, 



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178 HISTOIRE 

à réaergie indomptable de l'homme; pendant que l'Europe 
résonne du bruit des grands exploits intellectuels, avec les- 
quels les gouvernements despotiques eux-mêmes semblent 
sympathiser afin de pouvoir les détourner de leur cours na- 
turel, et s'en servir comme de nouveaux instruments pour 
opprimer plus encore les libertés du peuple; pendant que, 
au milieu de ce bruit étourdissant et de cette grande excita* 
tion, l'esprit public est agité et violemment ballotté, l'Es- 
pagne continue à dormir, paisible, insouciante, impassive, 
ne recevant aucune impression du reste du monde, et ne 
faisant aucune impression sur lui. Elle est là, à la pointe 
extrême du continent, masse énorme et inerte, dernier 
représentant des sentiments et des idées du moyen âge. Et 
ce qui est le plus triste symptôme, c'est qu'elle est satisfaite 
de sa condition. Elle est la nation la plus arriérée de l'Eu- 
rope, et pourtant elle se croit la plus avancée. Elle est fière 
de tout ce qui devrait la faire rougir. Elle est fière de l'anti- 
quité de ses opinions; fière de son orthodoxie; fière de la 
force de sa foi ; fière de sa crédulité puérile et incommen- 
surable ; fière de sa répugnance à améliorer sa croyance ou 
ses coutumes ; fière de sa haine pour les hérétiques, fière de 
la vigilance constante avec laquelle elle a déjoué tous leurs 
efforts pour s'établir légalement sur son sol. 

Toutes ces choses réunies produisent ce triste résultat 
auquel on donne le nom d'Espagne. L'histoire de ce seul 
mot est l'histoire de presque toutes les vicissitudes dont la 
race humaine est susceptible. Elle comprend les extrêmes 
de la force et de la faiblesse, de la richesse illimitée et de 
la pauvreté abjecte. C'est l'histoire du mélange de races, de 
langages et de sang différents. Elle renferme presque toutes 
les combinaisons politiques que peut inventer l'esprit de 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 479 

l'homme; une infinité de lois, des constitutions de tous 
genres, depuis la plus stricte jusqu'à la plus libérale. Démo- 
cratie, monarchie, gouvernement par les prêtres, gouverne- 
ment par les municipalités, gouvernement par la noblesse, 
gouvernement par les chambres représentatives, gouverne- 
ment par les indigènes, gouvernement par les étrangers, 
tout a été essayé, et essayé en vain. Les moyens matériels 
ont été employés avec prodigalité, les arts, les inventions, 
les machines ont été introduits de l'étranger, des manufac- 
tures ont été établies, les communications ouvertes, des 
routes construites, des canaux creusés, des mines exploitées, 
des ports formés en un mot; il y a eu toute espèce de chan- 
gement, excepté celui de l'opinion ; il y a eu en tout des 
améliorations, excepté dans les connaissances intellec- 
tuelles. Et il en résulte qu'en dépit des efforts des différents 
gouvernements, en dépit de l'influence des coutumes étran- 
gères, et en dépit de ces améliorations physiques, qui tou- 
chent seulement la surface de la société sans y pénétrer, il 
n'y a aucun signe de progrès national ; les prêtres gagnent 
du terrain plutôt qu'ils n'en perdent; la plus légère attaque 
contre l'Église soulève le peuple; les moeurs déréglées du 
clergé, et les vices odieux qui ont, pendant notre siècle, 
souillé lé trône, ne peuvent rien pour affaiblir l'esprit de 
superstition et de fidélité que la force accumulée de tant de 
siècles a gravé dans l'esprit, et buriné dans le cœur de la 
nation espagnole. 



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CHAPITRE XVI 



État de l'Ecosse jusqu'à la fin du quatorzième siècle. 



Dans le tableau que nous venons de tracer de la grandeur 
et de la décadence de l'Espagne , nous avons cherché à 
peindre les gradations successives par lesquelles une nation, 
qui fut autrefois Tune des plus grandes de la terre, s'affaissa et 
fut renversée de son haut piédestal. Si nos regards se re- 
portent sur cette histoire, quelle scène frappante se déroule 
devant nous ! Ainsi voilà un pays, où la nature a prodigué 
toutes ses richesses, pays dont les habitants sont braves, 
fidèles et religieux ; de plus, à l'abri, par sa position géogra- 
phique, des risques des révolutions européennes qui, grâce 
à l'opération des causes générales que j'ai indiquées, s'élève 
tout à coup à une grandeur inouïe; et puis, sans que la 
moindre combinaison nouvelle se produise, par la simple 
continuation des mêmes causes, tombe avec la même rapi- 
dité. Cependant ces vicissitudes, tout étranges et surpre- 
nantes qu'elles paraissent, sont parfaitement régulières. Elles 
sont la conséquence naturelle d'un état social où, l'esprit de 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 181 

protection étant arrivé à son comble, tout se fait pour le 
peuple et rien par le peuple. Partout où cet état de choses 
est en vigueur, la politique peut progresser, mais la nation 
reste stationnaire. Agrandissement de territoire, gloire et 
puissance portées au plus haut point, amélioration dans les 
rouages de l'administration, dans le maniement des finances, 
dans l'organisation de l'armée, dans la pratique et la théorie 
de la guerre, dans les jongleries de la diplomatie, enfin dans 
tous ces divers expédients qui permettent à une nation de 
duper et d'insulter un autre pays, tout cela, dis-je, peut s'ac- 
complir, mais loin de profiter au peuple, tous ces avantages 
se retourneront contre lui de deux façons différentes. En 
premier lieu, plus l'influence des classes dominantes aug- 
mente, plus s'accroît et tend à passer à l'état chronique, ce 
respect aveugle et servile que les hommes ne sont que trop 
portés à ressentir pour ceux qui sont au dessus d'eux, et 
partout où domine cet esprit, il a été funeste aux plus 
nobles qualités du citoyen, et, par suite, à la grandeur 
durable de la nation. En second lieu, par cela même 
que les ressources du pouvoir exécutif se multiplient, le 
pays est aussi incapable que peu désireux de corriger les 
erreurs de ceux qui sont à la tête des affaires. C'est pour cela 
qu'en Espagne, comme en tout pays placé dans les mêmes 
circonstances, au moment même où tout présente l'aspect le 
plus florissant, au fond, la gangrène exerce ses plus grands 
ravages. En présence de magnifiques triomphes politiques, 
la nation se précipite vers sa ruine, et la crise s'approche à 
grands pas : alors, l'édifice tout entier étant bouleversé, 
rien ne subsiste plus, rien, si ce n'est le mémorable exemple, 
fécond en enseignement, des conséquences qui s'ensui- 
vront infailliblement chez un peuple qui, s'abandonnant à la 

T. IV. 12 



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182 HISTOIRE 

superstition et au respect aveugle de l'autorité, abdique ses 
propres fonctions, récuse toute responsabilité, renonce à 
remplir ses plus hauts devoirs et se ravale jusqu'à servir 
d'instrument passif aux volontés du trône et de l'autel. 

Telle est la grande leçon que nous retirons de l'histoire de 
l'Espagne. L'histoire de l'Ecosse nous donnera une autre 
leçon d'un genre différent et pourtant identique. Dans ce 
dernier pays, les progrès de la nation ont été fort lents, 
mais, après tout, fort sûrs. Le sol en est des plus ingrats; le 
pouvoir exécutif, sauf de rares exceptions, a toujours été 
faible ; et le peuple ne s'est jamais courbé sous le faix des 
sentiments de fidélité que la force des choses imposa aux 
Espagnols. Assurément, ce n'est pas d'un attachement su- 
perstitieux pour leurs princes qu'on pourrait accuser les 
Écossais (1). Nous autres Anglais, nous n'avons pas toujours 
usé de la plus grande tendresse vis-à-vis de nos souverains, 
et parfois nous les avons châtiés avec une sévérité que cer- 
taines gens trouvent excessive. Voilà ce que nous ont repro- 
ché maintes fois les nations plus soumises du continent; et, 
en Espagne particulièrement, notre conduite a excité une 
suprême horreur. Mais rapprochons notre histoire de celle 
de nos voisins du Nord, et nous serons bien forcés de nous 
décorer du titre de peuple doux et bénévole (2). Les rébel- 

(1) Un de leurs historiens dit arec une certaine satisfaction : c But the Scots were seldom 
distinguished for loyalty. > Laing, Hist. of Sootland, édit. 1819, t. III, pag. 199. Voye* 
aussi pag. 366. Brodie {HUt. of the BriH&h Empire, 1. 1, pag. 383) : « The little respect 
paid to royalty is conspicuous in every page of Scottish history. » On encore, selon les termes 
de Wilkes, parlant a la chambre des eommants : « Scotland seems, indeed, the natnral 
foyer of rébellion, as Egypt is of the plagne. » ParL Hist., t. XIX, pag. 810. Et Nimmo 
(HUt. ofStirlingshire, 1777, pag. 219) : «Never was any race of monarchs more nnfortu- 
nate than the Scottish. Their reigns were gwjerally turbulent and disai trous, and their own 
end often tragical. > 

(2) Un Écossais bien connu au dix-septième siècle va jusqu'à dire dédaigneusement en 
parlant des Anglais : tSuch is the obsequiousness,and almosUuperstHîous dévotion of that 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 183 

lions ont plus abondé en Ecosse que partout ailleurs : les 
Écossais ont fait la guerre à presque tous leurs rois et en ont 
décapité un certain nombre. Pour ne parler que d'une dy- 
nastie, voici comment ils se comportèrent : Jacques I er et 
Jacques III sont massacrés ; révolte contre Jacques II et Jac- 
ques VII; Jacques V est saisi et jeté en prison ; Marie Stuart 
condamnée à la réclusion dans une forteresse et plus tard 
dépossédée de la couronne : son successeur, Jacques VI, est 
emprisonné : on le promène, couvert de chaînes, par tout le 
pays, une fois même on attente à ses jours. Us déployèrent 
la plus grande animosité contre Charles I er et ils furent les 
premiers à couper court à sa folle carrière. Trois ans avant 
que les Anglais osassent se soulever contre le tyran, les 
Écossais prirent hardiment les armes et marchèrent contre 
lui. Le service qu'ils rendirent à la cause de la liberté est 
immense, et on ne saurait trop l'estimer ; mais ce qu'il y a 
de singulier dans cette affaire, c'est qu'après s'être emparés 
de la personne de Charles, ils le vendirent aux Anglais en 
retour d'une grosse somme d'argent dont ils avaient un 
pressant besoin, en raison de leur pauvreté. On ne trouve 
pas d'exemple d'une pareille vente dans l'histoire; et, quoi- 
que les Écossais eussent pu alléguer, non sans raison, que 
c'était le seul profit qu'ils eussent retiré, ou pussent jamais 
retirer, de l'existence de leur prince héréditaire, néanmoins, 



nation towards their prince, a Saillies, Lettera, t. 1, pag. 204. Ceci toutefois était écrit en 
1639; depuis lors nous en avons assez fait ponr effacer ce reproche. En revanche, an auteur 
anglais dn dix-septième siècle, poussé par l'indignation, accuse les Écossais (et c'est là une 
évidente exagération ) d'avoir mis à mort quarante de leurs rois : « Forty of their kings hâve 
been barbarously murdered by them; and half as many more hâve either made away vrith 
tbemselves, for fear of their torturing of them, or bave died miserably in strait impri- 
sonment. » Account ofScotomdj tnl670, Harleiun MisceUany, édit. Park, 1810, t. VI, 
pag. 140. Se reporter à deux curieux passages dans Shield, Hinci let Loose, 1687, 
pag. 8,9,15. 



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184 - HISTOIRE 

ce fait est unique dans son genre ; il est sans précédents, on 
ne l'a jamais imité, et c'est un symptôme frappant de l'état 
de l'opinion publique et des sentiments du pays où il a pu se 
produire. 

Cependant, si, en ce qui touche au respect envers l'auto- 
rité, le contraste entre l'Ecosse et l'Espagne est complet, il y 
a, chose étrange à dire, la plus étroite ressemblance entre 
ces deux pays, sous le rapport de la superstition : toutes 
deux, ces nations ont permis à leur clergé d'exercer une im- 
mense domination, et elles ont soumis leurs actes et leur con- 
science à l'autorité de l'Église. Gomme corollaire naturel, 
dans ces deux pays, l'intolérance a été et est encore un mal 
criant; et, en matière de religion, ils partagent habituelle- 
ment en commun une bigoterie, certes, honteuse pour l'Es- 
pagne, mais cent fois plus honteuse pour l'Ecosse, qui a pro- 
duit beaucoup de philosophes très illustres, qui étaient tout 
disposés à élever les aspirations du peuple, mais qui ont vai- 
nement tenté d'effacer la tâche grave qui dépare la beauté de 
l'esprit national et tend à neutraliser ses autres qualités (et 
elles sont nombreuses et admirables). 

C'est là le paradoxe apparent, la difficulté réelle de l'his- 
toire d'Ecosse. Que le savoir n'ait pas produit dans ce pays les 
effets qui partout ailleurs en découlent; que, dans une nation 
adonnée à une grossière superstition, se rencontre une litté- 
rature hardie et amie du libre-penser, mais impuissante à 
diminuer cette superstition ; que le peuple tienne tête sans 
cesse à ses rois et se prosterne toujours devant ses prêtres ; 
que, libéral en politique, il soit intolérant en religion ; en- 
fin que, comme corollaire naturel de tout cela, des hommes 
qui dans l'étude des faits visibles et extérieurs, ainsi que 
dans la voie pratique, déploient une finesse et une audace 



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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 185 

presque sans égales dans tout ce qui a trait à la vie spécu- 
lative et à des questions de théorie, tremblent comme des 
brebis devant leurs pasteurs, et acquiescent à toutes les ab- 
surdités qu'ils peuvent ouïr, si elles ont reçu la sanction de 
l'Église, que tous ces contrastes puissent coexister; voilà, 
dis-je, qui semble à première vue une étrange contradic- 
tion, et est, à coup sûr, un phénomène digne d'être soi- 
gneusement étudié. Indiquer les causes de cette anomalie, 
dépeindre les résultats qu'a entraînés cette anomalie, tel sera 
l'objet de la dernière partie de ce volume : sans doute, cette 
étude sera quelque peu étendue ; mais, je l'espère, elle ne 
sera pas prolixe aux yeux de ceux qui reconnaissent l'im- 
portance de cet examen et qui n'ignorent pas combien les 
historiens même les plus complets de la nation écossaise ont 
négligé ces recherches. 

En Ecosse, comme partout ailleurs, le cours des choses a 
été influencé par la position géographique du pays : par là, 
j'entends, non seulement ses particularités intrinsèques, mais 
aussi sa situation vis-à-vis des pays environnants. L'Ecosse est 
proche de l'Irlande, contiguë à l'Angleterre, et, grâce à la 
proximité des îles Orcades et Shetland, elle fut éminem- 
ment exposée aux attaques de la grande race des pirates 
qui, pendant plusieurs siècles, habita la péninsule Scandi- 
nave. Considérée simplement en elle-même, elle est monta- 
gneuse et stérile ; la nature y a semé de tels obstacles que, 
pendant longtemps, il fut impossible d'ouvrir des voies de 
communications régulières entre ses différentes parties : 
ce ne fut même que dans la seconde partie du dix-huitième 
siècle que les Highlands jouirent de ces améliorations (1). 

(1) En Angleterre les moyens de communication étaient pitoyables; en Ecosse c'était 



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486 HISTOIRE 



Enfin, et ce point, comme nous le verrons bientôt, était très 
important, le sol le plus fertile de l'Ecosse est au sud , et, 
par conséquent, il était sans cesse ravagé par les Anglais 
limitrophes. De là, l'accumulation des richesses entravée ; 
l'agrandissement des villes arrêté, par suite des risques con- 



bien pis. Morer, rendant compte de ce qu'il vit en 1689, dit : « 6tage-coaches they bave none ; 
yet there are a few Hackney's at Edinburgh, which they may hire înto the conntry apon 
urgent occasions. The truth is, the roads will hardly allow 'em those cooveniences, which is 
the reason that their gentry, men and women, chose rather to use their horses. > Morer, 
Account ofScotland. Lond., 1701, pag. 34. A l'égard du nord de l'Ecosse, nous lisons ce 
qui suit daté d'Inverness entre 1726 et 1730 : « The Highlands are but little known even to 
the inhabitants of the low country ofScotland, for they hâve «ver dreaded the difficultés 
and dangers of travelling among the mountains; and, when some extraordirfary occasion 
has obliged any ooe of them to snch a progress, he has, generally speaking, made his 
testament before he set ont, as though he were entering upon a long and dangerous sea- 
voyage, wherein it was very doubtful if he should ever return. > Letters from a Gentleman 
in the North ofScotland, édit. Lond., 1815, 1. 1, pag. 4. Entre 1720 et 1730, on creusa des 
rentes militaires dans certaines parties des Highlands. cBut they were laid down by a prac- 
tical soldier, and destined for warlike purposes, with scarcely any view towards the ends 
for which free and peaceful citizens open up a System of internai transit, a Burton, Hist. of 
Scotland, t. Il, pag. 285. Consultez en outre Chalmers, Caledonia, t. II, pag. 96. Ce qui 
confirme ce fait, c'est qu'entre Inverness et Edimbourg, « until 1755, the mail was conveyed 
by men on foot. » Account of Invernesshire, M'Culloch, British Empire, 1. 1, pag. 299. 
Ajoutons que, dans Anderson (Essay on the Highlands, 1817, pag. 119, 120), on établit 
qne « a postchaise was first seen in InTerness itself in 1760, and was, for a considérable 
time, the only four — wheeled carriage in the district. > Quant aux voies de communication 
dans la province de Perth, consultez Penny, Traditions of Perth; quant aux grandes routes 
d'Aberdeen à Inverness et d*Aberdeen à Edimbourg , se reporter à Kennedy, Annals of 
Aberdeen, pag. 269, 270. On n'a jamais écrit l'histoire de l'amélioration des routes pendant 
la seconde partie du dix-huitième siècle; cependant ce sujet est de la plus grande impor- 
tance , en ce qui touche aux résultats intellectuels de cette époque , par cela même qu'elle 
amena la fusion des deux peuples, et, en ce qui touche aux résultats économiques, par cela 
même qu'elle aida au commerce. On pourra se faire une idée de l'énergie extraordinaire que 
l'Ecosse montra sur ce point en rapprochant ces divers ouvrages ■ Chalmer, Caledonia, 
t II, pag. 494, 865, 939; t. m, pag. 599, 799; Crawfurd, HisU ofthe Shire ofRenfrew, 
part, u, pag. 128, 160; Irving, Hist. of Dumbartonshire, pag. 245, 246; Sinclair, Statist. 
Account ofScotland, 1. 1, pag. 109, 210, 367, 430, 496; t. H, pag. 498; t. m, pag. 331, 
352, 363 ; t. IV, pag. 313; t. V, pag. 128, 234, 235, 315, 364, 365; t. VI, pag. 107, 154, 180, 458; 
t. VII, pag. 135, 251, 275, 299, 417; t. VH1, pag. 81, 243, 344, 345, 541 ; t. IX, pag. 414, 530 ; 
t. X, pag. 221, 237, 238, 466, 618; t. XI, pag. 127, 380, 418, 432, 522, 541; t. XII, pag. 99; 
t. XIII, pag. 42, 141, 488, 542, 663; t. XIV, pag. 217, 227, 413, 443, 446, 506; t. XV, 
pag. 54, 88, 276 ; t. XVI, pag. 120; t. XVU, pag. 5, 267, 297, 377, 533; t. XVIII, pag. 3U9i 
t. XX, pag. 156. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. !8Î 

sidérables auxquels elles étaient sujettes; de là enfin pour 
l'esprit municipal, l'impossibilité de se développer, esprit 
qui eût pu exister si, au lieu d'être situées au sud, les pro» 
vinces les plus favorisées de la nature se fussent trouvées au 
nord. Si la position avait été intervertie, de telle sorte 
que les Highlands eussent été au sud et les Lowlands au 
uord (2) , dès le treizième siècle, les terribles invasions 
des pirates Scandinaves ne se renouvelant plus, les régions 
fertiles de l'Ecosse , jouissant désormais d'une sécurité 
relative, auraient vu s'établir des cités, qui, grâce à l'ao 
tivité du peuple, auraient acquis une prospérité qui eût 
introduit un nouvel élément dans les affaires de l'Ecosse et 
changé le cours de son histoire. Néanmoins, il ne devait 
pas en être ainsi; et, comme nous avons à nous occuper des 
événements tels qu'ils sont, je vais essayer de dépeindre les 
conséquences résultant des particularités physiques que nous 
venons d'indiquer; et, en coordonnant leurs effets, je ferai 
ressortir, autant qu'il sera en mon pouvoir, leur signification 
générale et comment ils ont façonné le caraetère national. 
Le premier fait que nous connaissions sur l'histoire 
d'Ecosse, c'est l'invasion des Romains, sous Agricola, à la 
Un du premier siècle. Cependant, ni les conquêtes de ce 
prince, ni celles de ses successeurs, ne firent d'impression 
durable. Le pays ne fut jamais, à vrai dire, subjugué, et 
tout se borna à une occupation militaire qui, malgré l'éta- 
blissement de nombreuses forteresses, de murs et de rem- 



et) remploie le terme Highlands dans le sens ordinaire, mais pen exact, suivant lequel 
on comprend tonte l'Ecosse do détroit de Pentland jnsqn'an pied des montagnes, à quelques 
milles an nord de Glascow, Stiriing,Perth et Dundee. Tontes distinctions de ce genre sont 
nécessairement assez Tagoes, les limites naturelles n'étant jamais nettement marquées. 
Rapprochez Macky , Scotland , pag. 184(1732), d'Anderson, Guide to the Highlands 
(1847), pag. 17,18. 



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188 HISTOIRE 

parts, ne plia en rien l'esprit national. Sévère lui-même, qui, 
en 209, entreprit la dernière et la plus importante expédi- 
tion contre l'Ecosse, ne pénétra pas, à ce qu'il parait, plus 
loin qne le détroit de Moray (1) ; et, dès qu'il se retira, les 
aborigènes, reprirent les armes et regagnèrent leur indépen- 
dance. Les expéditions suivantes ne furent pas conduites 
snr une échelle assez large pour qu'elles eussent la moindre 
chance de succès. D'ailleurs, les Romains, loin d'être k la 
hauteur de cette tâche, commençaient eux-mêmes à dégé- 
nérer. Dans leurs plus beaux jours, leurs vertus ne furent 
que les vertus d'un peuple barbare, et, à l'époque dont nous 
parlons, ils étaient sur le point de les perdre. Dès l'origine, 
leur système fut si étroit et si imparfait, que l'accroissement 
des richesses, source d'amélioration chez toutes les nations 
vraiment civilisées, causa aux Romains un tort irrépa- 
rable : le luxe les corrompit au lieu de les policer. De nos 
jours, si nous rapprochons les différents pays de l'Europe, 
nous trouvons que les plus riches sont également les plus 
puissants, les plus humains et les plus heureux. Nous vivons 
dans une société éclairée, ou la richesse est à la fois la cause 
et l'effet du progrès, tandis que la pauvreté est la mère, 
trop féconde bêlas! de la faiblesse, de l'infortune et da 



(1) Browne (Hist. of the Highlands, 1. 1, pag. 33) dit que < he traversod the wbole of 
north Britain, from the wall of Antoninns to the very extremity of the Island. > La même 
assertion se trouve dans Pennant, Scolland, 1. 1, pag. 90. Ni l'an ni l'autre de ces auteurs 
ne disent a quelle source ils ont été puiser ce fait; mais il est probable qu'ils se sont rap- 
portés à un passage contenu dans Buchanan, Rerum Scoticarum Historiée, lib. rr, 
pag. 94 : t Neque tamen desideratis quinquaginta millibus (ut scribit Dion) prias ab 
innepto destiterunt, qnam finem insulae pénétrassent. > Je crois toutefois que les anti- 
quaires écossais s'accordent aujourd'hui à reconnaître que cette assertion est erronée, 
ainsi que Chalmers fut le premier à le tout. Consultez son outrage , Culedonia, t. I, 
pag. 187, livre précieux et plein de science, mais malheureusement défectueux sous le 
rapport du plan et du style qui est vraiment pitoyable. Consultes aussi Irriog, Hist. of 
Dumbartonshire, in-4% 1860, pag. 14. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 189 

crime. Quant aux Romains, il ne sortirent du sein de la 
pauvreté que pour se jeter dans les bras du vice. Le fonde- 
ment de leur grandeur était si peu stable, que les résultats 
même, découlant de leur puissance, furent désastreux pour 
cette puissance. L'empire leur donna la richesse, et la richesse 
renversa l'empire. Leur caractère national, malgré sa vi- 
gueur apparente, était réellement d'un si frêle tissu que sou 
propre développement fut sa ruine. A mesure qu'il grandit, 
il se rapetisse. C'est pour cela que, aux troisième et qua- 
trième siècles, leur domination sur le monde diminua à vue 
d'œil. Leur autorité étant sapée, d'autres nations survinrent 
naturellement; de telle sorte que les incursions de ces 
hordes étranges qui descendirent du Nord comme un tor- 
rent et auxquelles on attribue souvent la catastrophe finale, 
furent tout au plus l'occasion, mais nullement la cause de la 
chute de l'empire romain. Depuis longtemps tout avait 
tendu à amener ce grand et salutaire événement. Les fléaux 
et les oppresseurs du genre humain qu'une fausse et aveugle 
sympathie a revêtus de nobles qualités qu'ils n'eurent jamais 
en partage, durent reporter leurs regards sur eux-mêmes; et, 
lorsque, après avoir battu partout en retraite, au milieu du 
cinquième siècle, ils retirèrent leurs troupes de tous les 
points de la Grande Bretagne, en cela ils exécutèrent 
simplement un mouvement qu'un enchaînement de circons- 
tances qui se déroulaient depuis plusieurs générations, avait 
rendu inévitable. 

C'est à partir de ce point que nous commençons à distin- 
guer les effets de ces particularités physiques et géogra- 
phiques qui, je l'ai dit, influèrent sur les destinées de 
l'Ecosse. A mesure que les Romains perdirent du terrain, 
l'Irlande, en raison de sa proximité, dirigea bientôt ses 



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190 HISTOIRE 

attaques contre l'Ecosse : l'Irlande, île fertile , dont te sol 
riche et tons les dons de la nature avaient amené la sura- 
bondance dans la population, et partant un esprit turbulent. 
Le surcroit qui, aux époques civilisées, se traduit par l'émi* 
gration, se traduit, dans les temps barbares, par l'invasion* 
Aussi les Irlandais, on Seotts, comme on les appelait, s'éta- 
blirent-ils par la force des armes dans la partie occidentale 
de lËcosse : il finirent par se rencontrer avec les Pietés, 
qui occupaient l'Est. Il s'ensuivit une lutte acharnée qui 
dura quatre siècles après la retraite des Romains et jeta le 
pays dans la plus grande confusion. Enfin, au milieu du 
neuvième siècle, Keuneth M' Alpine, roi des Seotts, l'em- 
porta et soumit entièrement les Pietés (i). Le pays fut alors 
gouverné par un seul chef; et les vainqueurs, s'assimilant peu 
à peu les vaincus, donnèrent leur nom à toute la nation qui, 
au dixième siècle, reçut la dénomination d'Ecosse (2). 

Cependant le royaume n'était pas destiné à jouir du 
repos; car sur ces entrefaites, la Norwége, par suite de circons* 



(1) L'histoire de l'Ecosse, à cette période, est plongée dans la pins grande obscurité et 
peut-être n'en sortira-t-elle jamais. Pour les faits qne je cite dans mon texte, je les ai puisés 
principalement aux sources suivantes : < Fordan, Scotichronicon, 1. 1 ; Bochanan, Herum 
Sboticarum Historiée, lib. y, pag. 191-132, ainsi que le commencement do sixième livre. 
En outre diverses parties de Bede; Pinkerton, Enqwryinto the Early History ofScot- 
land; Chalmers, Caledonia; le premier volume de Browne, Hist. ofthe Highlands, et 
surtout le livre profond et plein de fines données de M. Skene, Highlanders ofScotlaruL 
Dans ce dernier ouvrage (pag. 26-33) la frontière occidentale des Pietés est tracée avec 
beaucoup d'habileté, bien qu'on y puisse voir peut-être une certaine incertitude. 

(2) Sur ce point nous sommes encore dans l'obscurité; on ne sait pas d'une manière cet- 
laine quand le nom de Scotia fat donné à l'Ecosse. Par conséquent la date que j'ai fixée n'est 
qu'approximative. Pour arriver à la déterminer, f ai rapproché les passages suivants qui se 
contredisent souvent l'un l'autre : Chalmers, Caledonia, 1. 1, pag. 339; Browat, Hist. of 
the UiçMands, 1. 1, pag. 34; Pinkerton, Enquiry into the Early History ofSeoUand, 
1. 1, pag. 953, 254; t. II, pag. 151, 928, 237, 240; Spottiswoode, Hist. of the Church of 
ScoUand, édit. Russell, 1851, 1. 1, pag. 16» note, où cependant i'on prête à Pinkerton une 
assertion qu'il n'a jamais faite. Skene, Highlanders, 1. 1, pag. 45,61, 244; Anderson, Prize 
Bssay oit the HigMands, pag. 34. 



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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 191 

tances qu'il serait superflu de raconter, s'était élevée an rang 
de la pins grande puissance maritime de l'Europe. L'usage 
que cette race de pirates fit de sa force constitue l'un des 
traits les plus caractéristiques de l'histoire d'Ecosse : de 
plus, cela nous prouve combien de poids il faut attacher aux 
questions géographiques, quand on considère une époque 
primitive. Les îles les plus rapprochées de la côte étendue 
de la Norwége sont les Iles Shetland : de là, jusqu'aux 
Orcades, la navigation est facile. Les pirates du Nord s'em- 
parèrent de ces îles, petites sans doute mais pour eux fort 
utiles; car ils en firent des postes intermédiaires, d'où ils 
s'élançaient pour piller impunément les côtes d'Ecosse. 
Sans cesse renforcés par la Norwége, ils descendirent des 
Orcades aux neuvième et dixième siècles, et s'établirent 
d'une manière permanente en Ecosse même, occupant non 
seulement Gaithness,mais aussi une grande partie du Suther- 
land. Un autre détachement s'empara des iles occidentales 
(Western ïsland), et Skye n'étant séparée de la terre ferme 
que par un détroit très resserré, les pirates traversèrent 
facilement ce bras et vinrent 3e fixer à Western Ross (2). 
Ces nouveaux colons firent une guerre incessante et funeste 
à toutes les provinces environnantes : une grande partie de 
l'Éeosse étant ainsi sans cesse inquiétée, aucune améliora- 
tion sociale ne put se produire. Disons mieux, ce malheureux 
pays ne fut à l'abri des dangers des incursions des Norvégiens 
qu'après les désastres qui accompagnèrent la dernière expé- 
dition conduite par Haco : en 1363, celui-ci quitta la Suède 
à la tête d'une nombreuse flotte : à ces prodigieux arme- 

(1) Pinkerton, Enquiry into the Early History of Scotland, 1. 1, pag. 13Ô, 317 ; t. II, 
pag. 179, 298; Skene, Highlanders, 1. 1, pag. 90, 91, 94, 106, 114, 258, 259; Chalmers, 
Caledonia, 1. 1, pag. 340-347. ' 



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192 HISTOIRE 

ments vinrent encore s'ajouter des renforts fournis par les 
Orcades et les Hébrides. L'Ecosse ne pouvait opposer qu'une 
faible résistance. Haco,en compagnie de ses alliés, longea la 
côte occidentale jusqu'au Mull de Kentire, mit le pays à feu 
et à sang, saisit Arran et Bute, pénétra jusque dans le détroit 
de Clyde, se rabattit tout à coup sur Loch Lomonel, dé- 
truisit tout ce qui se trouvait sur les bords et dans les îles 
de ce lac, ravagea le comté tout entier de Stirling et enfin 
menaça l'Ayrshire où il se proposait de descendre avec toutes 
ses forces. Heureusement, les intempéries de la saison 
mirent fin à cette vaste expédition : les tempêtes disper- 
sèrent ou détruisèrent la flotte tout entière (i). Dès lors, le 
cours des choses en Suède prévint toute nouvelle tentative; 
tout danger de ce coté ayant disparu, l'on put espérer que 
l'Ecosse jouirait désormais de la paix et en consacrerait les 
loisirs au développement des ressources naturelles qui lui 
étaient échues en partage, particulièrement dans les districts 
plus favorisés du Sud. 

Mais il ne devait pas en être ainsi. A peine la Norwége 
a-t-elle mis un terme à ses incursions, que l'Angleterre com- 
mence les siennes. Au commencement du treizième siècle, 
la ligne de démarcation tirée entre les Normands et les 
Saxons allait tellement s'effaçant en Angleterre, qu'en beau- 
coup de cas il était impossible de distinguer une race de 
l'autre (2) ; vienne le milieu du même siècle et, fondues, elles 
formeront une puissante nation : or cette nation ayant pour 
voisin un peuple relativement faible, il était certain que le 

(i) Tytler, Hist. ofScotland, t. 1, pag. 38-54; Hollinshead, ScottUh Chronicle, t. 1, 
pag. 399-403. Dans cette chronique, on s'occupe trop de la prouesse des Écossais et trop 
peu des éléments qui dispersèrent la flotte. Consultes Irving, Hist. of Dumbartonshire, 
pag. 48, 49. 

(î) Buckle, Hist. of Civilization, 1. 1, pag. 565, 56fi. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 193 

plus fort chercherait à opprimer le plus débile (1). Dans un 
siècle barbare et ignorant, la gloire militaire l'emporte sur 
toutes les autres : aussi les Anglais, avides de conquêtes, 
jettent-ils les yeux sur TÉ cosse; qu'une occasion favorable 
se présente, et, à coup sûr, ils envahiront ce pays : il est 
proche, quelle tentation ! il est sans défense, suppose-t-on ; 
dès lors, la tentation est irrésistible. En 1290, Edouard I er 
se détermine à profiter des troubles qui agitent l'Ecosse au 
sujet de la succession au trône. Inutile de décrire les in- 
trigues qui s'ensuivent : il suffira de dire qu'en 1296, Pépée 
est tirée et Edouard envahit un pays que depuis longtemps 
il désire conquérir. Que lui importent les millions de livres 
sterling, les centaines de mille hommes qu'il faudra sacrifier 
avant que la guerre ait une fin (1)? Lutte d'une longueur et 
d'une cruauté sans exemple ! Au milieu de ces horreurs, les 
Écossais, malgré leur résistance héroïque, malgré leurs 
victoires partielles, ont à subir tous les maux que peut leur 
infliger un orgueilleux et insolent voisin. Les Anglais n'ont 
qu'un désir, subjuguer l'Ecosse ! mais malgré leurs efforts 
plusieurs fois renouvelés, ils ont ignominieusement échoué 



. (1) Dans Tytler {Hist. of Scotland, t. 1, pag. 18) on indique • the early part of the 
jeign > d'Alexandre III comme la période où « the first approaches were made towardsthe 
great plan for the rédaction of Scotland. > Alexandre III monta sur le trône en 1249. Aupa- 
ravant les deux nations éprouvaient des sentiments bien différents; ainsi, à la fin du 
douzième siècle, • the two nations, according to Fordun, seemed one people; Englishmen 
travelling at pleasnre throngh ail the corners of Scotland (?) and Scotchman in like manner 
through England. » Kidpath, Boder Hislory, pag. 76. Consultez Dalrymple, Annals of 
Scotland, 1. 1, pag. 158. A cette époque, l'Angleterre, étant faible, était animée de disposi- 
tions pacifiques. 

(2) Un vieil auteur écossais dit avec une certaine exagération : «The year 1296, at which 
tyme, the bloodyest and longest warr that ever was betwixt two nationes fell out, and 
«ontinued two hundreth and sextie years , to the undoeing and ruineing of many noble 
fomilies, with the slaughter of a million of men, > Somerville, Mem. ofthe Somervilles, 
1. 1, pag. 61. 



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1M HISTOIRE 

dans leur entreprise (1). Néanmoins, la souffrance est in- 
calculable et ce qui l'aggrave, c'est ce fait important que 
la région la plus fertile de l'Ecosse est précisément celle 
qui est la plus exposée aux ravages des Anglais. De là, ainsi 
que nous le verrons bientôt, pour le caractère national de 
très curieux résultats : aussi, sans entrer dans de grands 
détails, nous allons tracer un court précis des conséquences 
immédiates des luttes longues et sanguinaires. 

En 1296, les Anglais font leur entrée dans Berwick, la 
ville la plus riche de l'Ecosse, non contents de détruire la 
cité, ils passent presque tous les habitants au fil de l'épée (2); 
puis ils marchent sur Aberdeen et Elgin, et ils dévastent si 
complètement le pays, que les Écossais, se réfugiant dans les 
montagnes, dépouillés de tous leurs biens, n'ont plus d'autres 
ressources que de se défendre derrière les forteresses érigées 
par la nature et d'imiter la tactique de leurs ancêtres bar* 
bares guerroyant, douze siècles auparavant, contre les Ro- 
mains (3). En 1298, nouvelle incursion des Anglais qui, 



(1) Se reporter a quelques remarques fort justes et piquantes dans Home, HisU ofthe 
House of Douglas. 

(2) i Anno grati» MCCXCVI tertio kalendas Aprilis, villa et castre de Berevvico, per 
magnincum regem Àngli» Eadvvardum captis, omnes ibidem inuentos Angli gladio occi- 
derant, paucis exceptis, qui ipsam villam postmodum abiorarunt. » Flores Historiarum 
ptr Matthceum Westmonasteriensem collecti. Lond., 1570, tu-fol., lib. h, pag. 408. 
« Atque modo prodicto villa capta, civibus prostratis, rex Anglise prœdictus nulli aetati 
parcens aut serai, duobus diebus rivulis de cruore occisorum fluentibus,septem millia et 
quingentas animas promiscui seiûs jusserat, in sua tyrannide des&viens, trueidari. » 
Fordun, Scotichronicon* dira Goodall. Édinb., 1775, in-fol., t. II, pag. 199, 160. • Seeutus 
Bex cum peditum copiig miserabilem omnis generis caedem edit. » Buchanan, Rerum 
Scoticarum Historia. Abredonise, 1762, lib. vin, pag. 200. «They left not one créature alive 
of the Scotish blood within ail that tonne. > Hollinshead, Scottisti Chronicle. Arbroath, 
1805, in-4°, 1. 1, pag. 418. En 1286, c'est à dire rien que dix ans auparavant : « No other port 
of Scotland, in point of commercial importance, came near to a comparison îrith Benrick. • 
Hacpherson, Annals of Commerce. Lond., in-4% 1805, 1. 1, pag. 446. Tels furent les crimes 
horribles que commirent nos tristes et ignorants ancêtres. 

(3) < The Scots assembled in troops and companies, and betaking themselves to the 



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DE LA CIVILISATION ES ANGLETERRE. 195 

après avoir brûlé Penh et Saint-Andrews , portent leurs 
ravages dans toute la région du sud et de l'ouest (1). En 1510, 
ils pénètrent en Ecosse par les comtés de l'Est, et faisant 
main basse sur tous les approvisionnements qui subsistent 
encore, il en résulte une famine si terrible que les habitants 
en sont réduits à se repaître de la chair des chevaux et 
autres animaux (2). Dans toute l'étendue de l'Ecosse méri- 
dionale, depuis Test jusqu'à l'ouest, la population végète 
dans la plus affreuse condition : presque tous les citoyens sont 
sans abri, mourant de fain. En 1314, poussés par le déses- 
poir, ils se rallient un instant et, à la bataille de Bannock* 
bu m, ils font essuyer une sévère défaite à leurs oppresseurs* 
Cependant leur ennemi acharné rôde toujours sur la fron- 
tière, il les enserre de si près que, en 1322, Bruce, pour 
déjouer une invasion, est obligé de transformer en désert 
toutes les provinces situées au Sud du détroit de Forth, 
tandis que le peuple se réfugie, comme auparavant, dans 
les montagnes (3). Cette fois donc, lorsque Edouard II 

-woods, mountains and morasses, in which their fathers had defended themselYes against 
the Romans, prepared for a gênerai insurrection against the English power.» Scott, Hist, 
of Scotland, t.*I, pag. 70. An nord, ce semble, cette expédition ne dépassa pas Elgin. 
Consultez Tytler, Hist. of Scotland, 1. 1, pag. 119, et Chalmers, Caiedonia, 1. 1, pag. 667. 
Bnchanaa en résume ainsi les résultats généraux : • Hanc Stragem ex agrorum inculte 
oonsecuta est famés, et famen pestis, unde major, qnam a bello clades timebatur. > Rerum 
Sooticarum Historia, lib. Tin, pag. 903. 

(1) «The arrny then advanced into Scotland by moderato marches, wasting and destroying 

eferything on their way. • « À party of Edward's arrny, sent northwards, wasted 

tbe conntry,and bnrnt Perth and Saint-Andrews. » Ridpath, Border History, pag. 146, 147. 

(S) « The king entered Scotland by the eastern march with a great arrny. » 

« There was this year to terrible a dearth and scarcity of provisions in Scotland , arising 
trom the haroc of war, that many were obliged to feed on the flesh of horses and other car- 
rion. » Ibid., pag. 164, 165. Se reporter aussi à Fordun, Scoiichronicon, t. II, pag. 249}243. 
« Quo anno, propter guerrarum discrimina, tanta erat panis inopia et victualium caristia 
in Seotia, quod in plerisqne locis, compellente famis necessitate, multi carnibus equorum 
et aliorum pecorum immnndorum vescebantur. » 

(3) Bruce « carefully laid the whola bordera vaste as far as the Firth of Forth, removing 
the inhabitants to the mountains, with ail their effects of any vaine. When the English 



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196 HISTOIRE 

atteint Edimbourg, il ne pille rien par la raison que, tout le 
pays n'étant qu'une morne solitude, il n'y a rien à piller ; 
mais, à son retour, il fait ce qu'il peut : sur son chemin, 
quelques couvents donnent seuls signe de vie ; il se rabat 
sur eux, dépouille les monastères de Melrose.et d'Holyrood, 
brûle l'abbaye de Dryburgh et pourfend les moines que l'âge 
ou la maladie clouent forcément dans leurs cloîtres (1). 
En 1336, son successeur, Edouard III rassemble une nom- 
breuse armée, après avoir dévasté les Lowlands et une 
grande partie des Highlands, détruit tout ce qu'il peut ren- 
contrer jusqu'à Inverness (2). En 1346, irruption des Anglais 
dans les provinces de Tweeddale, de la Merse, Eltrick, 
Armandale et Galloway (3); en 1355, Edouard se repré- 
sente et déploie encore plus de cruauté; église, village, 
ville, bref tout ce qui est sur son passage est réduit en cen- 
dres (4). A peine ces terribles dégâts sont-ils quelque peu ré- 



army entered , they found a land of désolation , which famine seemed to gnard. » Scott, 
HUt. ofScotland, 1. 1, pag. 145. Consulte! également Bachanan, Rerum Scoticarum 
HUtoria, lib. vin, pag. 318. 

(1) « Eadwardus, rex Angliae, intravit Scotiam corn magno exercitu equitum et peditum, 
ac navium multitudine copiosa , dnodecimo die menais Augusti, et nsqne villam de Edin- 

burgh pervenit. » • Spoliatis tamen tnnc in redita Angloram et pradatis monat- 

terii8 Sanctœ Gracis de Edinbnrgh et de Melros, atqne ad magnam desolationem perductis. 
In ipso namqne monasterio de Melros dominos Willelmns de Peblis, ejnsdem monasterii 
Prior,nnns etiam monachns tnnc infirmas, et duo converti caeci effecti, in dormi torio 
eorumdemabeisdem Anglis sunt interfecti, et plures monachi lethaliter vulnerati. Corpus 
Dominicum super magnum altare fuit projectum, ablatâ pixide argenteâ in quâ erat repo- 
situm. Hona8terium de Driburgh igné penitus consumptum est et in pnlverem redactam. 
Ac alia pia loca quamplurima per praBdicti régis violentiam ignis fiamma consumpsit : 
quod, Deo retribuente eisdem in prosperum non cessit. » Fordun, Scotichronicon , t. II, 
pag. 278. ■ In redeundo sacra juxta ac prophana spoliata. Monasteria Driburgum et Mul- 
jrossla etiam cœsis monachis infirmioribus, qui vel defectu viritm, Tel senectutis fidncla 
«oli remanserant, incensa. > Buchanan, Rerum Scoticarum HUtoria, lib. vni, pag 919. 

(2) Fordun, Scotichronicon, t. II, pag. 322, 323 ; Dalrymple, Aurais, t. II, pag. 232, 447; 
Scott, HUt. of Scotland, 1. 1, pag. 187, 188. 

(3) Tytler, HUt. of Scotland, 1. 1, pag. 461. 

(4) Dalrymple, AnnaU, t. II, pag. 288; Fordun, Scotichronicon, t. II, pag. 352-354. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 197 

parés qu'une autre tempête se précipite sur la terre dévouée 
aux dieux infernaux. Eu 1385, Richard II s'élance à travers 
les comités du Sud jusqu'à Aberdeen, portant la ruine de 
tous côtés; les cités d'Edimbourg, Dunfermline Perth et 
Dundee sont la proie des flammes (1). 

Par suite de ces désastres, l'agriculture est partout inter- 
rompue; en maints endroits les terres. restent en jachère 
pendant plusieurs générations (2). Les laboureurs prennent 
la fuite ou sont massacrés; et, faute de bras, les plus belles 
parties de l'Ecosse sont transformées en solitudes, couvertes 
de ronces et de halliers. Dans l'intervalle qui s'écoule entre 
les invasions, quelques habitants, s'armant de courage, 
quittent les montagnes pour venir élever de misérables 
huttes à la place de leurs anciennes demeures. Infortunés! 



(1) « Rex Angliae, Richardus secundus aegrè ferens Scotos et Fraocos tam atrociter terram 
suam depraedare, et municipia sua assilire et ad terram prosternere, exercitum collegit 
grandem, et intravit Scotiam, aetate tune novemdecim annorum, in multitudine superba 
progrediens, omnia circumquaque perdens, et nihil salvans; templa Dei et sanctuaria reli- 
giosorum monasteria viz. Driburgh, Melros et Newbottel, ac nobilem villam de Edinburgh, 
en m ecclesia Sancti JSgidii ejusdem,voraci flammà incineravit; et, destructione permaximâ 
factâ per eum in Laudonia, ad propria sine damno repatriavit. » Fordun, Scolichronicon, 
t. II, pag. 401. » En ce séjour que le roi Richard fit en Haindebourch, les Ànglois coururent 
tout le pays d'environ et y firent monlt de desrois; mais nullui n'y trouvèrent; car tout 

avoient retrait eus es forts, et ess es grands bois, et là chassé tout leur bétail. > 

t Et ardirent les Anglois la ville de Saint-Jean-Ston en Ecosse, où la rivière du Tay cuert, 
et y a un bon port pour aller partout le monde ; et puis la ville de Bondi» ; et n'épargnoient 
abbayes ni œoûtiers ; tout mettoient les Ànglois en feu et en flambe; et coururent jusques à 
Abredane les coureurs et l'avant-garde. » Les Chroniques de Froissart, édit. Buchon. 
Paris, 1835, t. II, pag. 334, 335. Consultez également, à l'égard de cette infâme expédition, 
Chalmers, CoJLedonia, t. Il, pag. 592, 593, et Buchanan, Rerum Scoticarum Historia, 
jib. ix, pag. 253 : < Nulli loco, neque sacro, neqne profano, nulli homini, qui modo militari 
esset aetate, parcebat. » 

(2) « Agriculture was ruined ; and the very necessaries of life -were losl vhen the principal 
lords had scarcely a bed to lye on. > Chalmers, Caledonia, t. II, pag. 142. Voyez également, 
à la page 867 du même volume quelques curieux extraits des chartes écossaises et autres 
sources qui peignent bien l'horrible condition du pays. Quant à la difficulté de trou ver des 
vivres, consultez Fordun, Scotichronicon, t. II, pag. 242, 324; Dalrymple, Armais, 1. 1, 
pag. 307 ; t. H, pag. 238, 330, et Tytler, Hist. ofScotland, t. II, pag. 94. 

T. IV 13 



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ItS HISTOIRE 

ils sont pourchassés jusqu'à leurs portes mêmes par des 
loups en quête de nourriture et que la faim rend furieux. 
Echappent-ils à ces bêtes féroces et affamées, eux-mêmes, leur 
famille sont exposés à un danger encore plus horrible. Car, 
dans ces jours de désolation, où la famine se népand partout, 
le désespoir, pervertissant lame, fait commettre aux hommes 
de nouveaux crimes. Oui, il y a des cannibales dans le pays; et 
les auteurs contemporains nous apprennent qu'un homne 
et sa femme, qui passent enfin en jugement, n'ont subsisté 
pendant longtemps qu'en dépeçant des corps d'enfants qu'Us 
attrapaient vivants dans des pièges pour se repaître de leur 
chair et s'abreuver de leur sang (1). 

Ainsi s'écoule le quatorzième siècle. Au quinzième, les 
funestes incursions des Anglais deviennent relativement 
rares; et, bien que les frontières soient le théâtre d'hostilités 
constantes (2), nous ne voyons pas que, depuis 1400, aucun 
de nos rois envahisse l'Ecosse (3). Enfin un terme étant mis 

(1) On trouvera des détails sur les cannibales de l'Ecosse dans Lindsay of PiUeoUie, 
Chronicles of Scottandj t. I, pag. 163, et dans Hollinsbead, Scottish Chronicle, t. D, 
pag. 16, 99. Dans Fordun (Scotichronicon, t. II, pag. 331) on lit l'affrense description sii- 
vante qui se rapporte i la province de Perth en 1339 : « Teta illa patrie circnmvieina eo 
tempore in tantam fait vastata, qaod non remansit qnasi domns inhabitata, sedfer» et 
cerf i de montions descend entes circà villam ssapids venabanlnr. Tantatnnc temporisfaeta 
est caristia, et vfttnalinm inopia, nt passim plebicnia deficeret, et tanqnam oves herbas 
depascentes, in foveis mortaa reperirentnr. Prope illine in abditis latitabat qnidam robustns 
rnsticns, Crysticleik nonine, cnm viragine snâ, qui mnlierenlis et pueris ac javenflms 
insidiabantnr» et tanqnam lnpi eos strangnlantes, de ipsornm carnibos victitabant. » 

(2) Les drei nations mêmes fassent-elles en paix, les populations limitrophes étaient en 
gnerre. Consultez ftidpath, Border History, pag. 140, 306, 394. On trouvera d'antres 
témoignages sur cette anarchie passée à l'état chronique dans Holliashead, &ott&A Chro- 
nicle, t. II, pag. 30; Lesley, Hist. of Scoiland, pag. 40, 52, 67 ; Sadler, State Paper s, 1. 1, 
pag. 300, 301, 444, 44»; State Paper* ofthe Reign of Henry VIII, t. IV, pag. 366, 370, 
309, 570; t. Y, pag. 17, 18, 161 ; Hiêt. ofJame»theSemt, pag. 31,91, 146. 

(3) En 1400, Henri IV « made the last invasion whieh an Engtish monareh ever eendncted 
tote Scetland. • TyWer, Hiet. ofScotiand, t. II, pag. 406. Ce n'est toutefois, dit-on, qne 
tons le régne d'Elisabeth qn'nn menarqne anglais c had the policy lo disavoir any cleim 
•f sovereignty over Scotland. > Chalmers, Calêdonia, 1. 1, pag. 650. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 190 

à ces cruelles incursions qui ont fait de l'Ecosse un désert, 
le pays respire et commence à recouvrer sa force (1). 
Cependant, quoique les pertes matérielles soient peu à peu 
réparées, quoique les champs soient de nouveau cultivés et 
les villes rebâties, il y a d'autres conséquences auxquelles 
il est moins facile de remédier et dont les effets cuisants 
feront longtemps souffrir le peuple, je veux dire, la puis- 
sance excessive de la noblesse et l'absence de tout esprit 
municipal. La force des nobles et la faiblesse des citoyens, 
voilà ce qui caractérise surtout l'Ecosse durant les quin- 
zième et seizième siècles : deux tendances que les ravages 
des Anglais développent directement , ainsi que je vais le 
montrer. Nous verrons de plus que ce concours de circon- 
stances accroît l'autorité du clergé, amoindrit l'influence des 
•classes intellectuelles et rend la superstition plus dominante 
qu'elle ne l'eût été autrement. C'est ainsi qu'en Ecosse, 
comme en tous autres pays, tout s'enchaîne, rien n'est casuel 
au accidentel ; le cours tout entier des choses est régi par 
des causes générales qui, par suite de leur étendue et de 
leur éloignement, échappent souvent à l'attention, mais 
qui, une fois reconnues, se distinguent à nos yeux par une 
simplicité et une uniformité qui sont les traits invariables 
des plus hautes vérités auxquelles soit parvenu l'esprit 
humain. 
Ce qui favorisa en premier lieu l'autorité des nobles, ce 



(i) Hais très lentement. Pinkerton {Hist. of Scotland > 1. 1, pag. «6, 167) dit : * The fré- 
quent "wars ftetween Scotland and Engtand, since the death of Alexander III, had occasioned 
to the former cotmtry the loss of more tban a centnrr in the progress of civilisation. While 
in England, onty the northern provinces were exposed to the Scotish incorsions, Scotland 
snfered in its most eirilized departments. It is apparent thatin thereignof Aleiander III, 
the kingdom vas more abnndant in the osefal arts and manufactures, than it was in the 
time of Robert III. > 



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200 HISTOIRE 

fut la configuration même du pays. Des montagnes, des 
marais, des lacs et des étangs, que les ressources de Fart 
moderne même ont rendu seulement depuis peu accessibles, 
offraient aux grands chefs écossais des repaires d'où ils pou- 
vaient impunément défier la couronne (1). En outre, à 
cause de la pauvreté du sol, les armées avaient peine à 
trouver des moyens de subsistance, et pour cette seule 
raison, les troupes du roi étaient souvent incapables de 
poursuivre les barons audacieux et mutins (2). Pendant le 
quatorzième siècle, l'Ecosse fut sans cesse ravagée parles 
Anglais : or, durant les intervalles de leur absence, c'eût 
été de la part du roi une entreprise désespérée que de cher- 
cher à réprimer des sujets aussi puissants: il lui eût fallu 
traverser des régions si dénudées par la main de l'ennemi, 
qu'on n'y trouvait plus les moindres choses nécessaires à 
l'existence. D'ailleurs, la guerre avec les Anglais amoindrit 
l'autorité de la couronne, d'une manière aussi absolue que 
relative. Ses terres, situées dans le Sud, étaient sans cesse 
ravagées par les populations limitrophes, si bien qu'avant le 



(1) Grâce à ces circonstances, leurs châteaux étaient les forteresses les plus redoutables 
de l'Europe , exception faite de l'Allemagne. Quant à leur emplacement, qui était si bien 
choisi qu'en beaucoup de cas la position était presque inattaquable, consultez Chalmers, 
Caledonia, t. H, pag. 122, 406, 407, 918, 919,- 1. III, pag. 268, 269, 356-359, 864; Pennant, 
Scotland,, t. 1, pag. 175, 177; Sinclair, Scotland, t. III, pag. 169; t. Vil, pag. 510; t. XI, 
pag. 102, 212, 407, 408; t. XII, pag. 25, 58; t. XIII, pag. 598 ; t. XV, pag. 187 ; t. XVI, pag. 554; 
t. XVIII, pag. 579; t. XIX, pag. 474; t. XX, pag. 56, 312; Macky, Scotland, pag. 183, 297, 
ainsi que quelques excellentes observations dans Nimma, Hist. of Stirlingshire, pag. 56. 
Ni l'Angleterre, ni la France, ni l'Italie, ni l'Espagne, n'offrirent des avantages naturels aussi 
immenses à son aristocratie. 

(2) t By retiring to his own castle, a mutinons baron could defy the power of his sovereign, 
it being almost impracticable to lead an army through a barren country, to places of diffi- 
cult access to a single man. » Hist. of Scotland, liv. i, pag. 59; Robertson, Works, édit. 
Lond. , 1831. Malgré les immenses matériaux qui ont été mis au jour depuis l'époque de 
Robertson, son History of Scotland est encore estimable, résultat qu'elle est d'un esprit 
vaste qui permit à son auteur d'embrasser les vues générales qui échappent aux compila' 
teurs ordinaires, tout habiles qu'ils soient. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 201 

milieu du quatorzième siècle, elles avaient grandement 
perdu de leur valeur (i). En 1546, David II tomba entre les 
mains des Anglais; et, durant les onze années de sa capti- 
vité, \eè nobles, levant haut la tête, s'arrogèrent, nous dit un 
historien, le train et le titre de princes (2). Plus longtemps 
dura la guerre avec l'Angleterre, plus ces conséquences se 
firent sentir : aussi, avant la fin du quatorzième siècle, un 
certain nombre de familles s'étaient élevées en Ecosse à une 
telle prééminence, qu'il était évident qu'il arriverait de deux 
choses l'une, ou il y aurait lutte acharnée entre elles et la cou- 
ronne, ou le pouvoir exécutif serait réduit à se départir de 
ses fonctions les plus essentielles pour laisser le pays en 
proie à la farouche domination de ces chefs audacieux (3). 
Dans une crise semblable, le trône eût dû trouver ses 
alliés naturels parmi les citoyens, les bourgeois libres qui, 
dans presque tous les pays de l'Europe, se montrèrent les 
adversaires ardents et déterminés de la noblesse, dont les 
habitudes licencieuses portaient ombrage non seulement à 
leur commerce, mais aussi à leur liberté individuelle. Eh 
bien, sur ce point encore, la longue guerre avec l'Angleterre 
servit les intérêts de l'aristocratie écossaise. Car, les enva- 
hisseurs se débordant dans les provinces méridionales, qui 
étaient en même temps les seules fertiles, il était impossible 



(1) c The patrimooy of the crown had been serionsly dilapidated during the period of 
confusion which succeeded the battle of Durham. » Tytler, Hist. of Scotland, t. II, 
pag. 86. 

(2) « During the long captivity of David, the nobles had been Completel y insubordinate 
and affected the style and litle of princes. » Tytler, Hist. of Scotland, t. II, pag. 85- 
Consultez également, à l'égard de la condition des barons sous David H, Skene, Highlan- 
derêj t. Il, pag. 63-67. 

(3) En 1299, « a soperior baron was in every respect a king in miniature. » Tytler, Hist. of 
Scotland, t. II, pag. 150. En 1377, « the power of the barons had been decidedly increasing 
since the days of Robert the first. » Pag. 332. Enfin, vers 1398, ce pouvoir s'était élevé encore 
plus haut. Pag. 392. 



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202 HISTOIRE 

que des villes fleurissent dans les lieux mêmes destinés à 
cet effet par la nature. Or, pas de grandes cités, donc pas 
d'abri pour les citoyens, par conséquent, pas d'esprit muni- 
cipal. Par suite de ce défaut, la couronne fut privée de la 
grande ressource qui permit aux rois d'Angleterre de rogner 
le pouvoir de la noblesse et de châtier la licence qui avait si 
longtemps entravé les progrès de ta société. 

Pendant le moyen âge, les villes d'Ecosse furent tellement 
insignifiantes, qu'il n'en est arrivé jusqu'à nous que pen de 
descriptions, les auteurs contemporains reportant toute leur 
attention sur les faits et gestes des nobles et du clergé. 
Quant au peuple qui allait chercher un abri dans les murs 
de ces misérables cités, tout ce que nous en savons est très 
incomplet : toutefois, il est certain que, pendant tonte la 
durée des guerres avec l'Angleterre, les habitants s'enfuyaient 
généralement à l'approche de l'ennemi, et que leurs tristes 
chaumières étaient réduites en cendres (1). Ces émigra- 
tions continuelles, cette vie errante , engendrèrent chez ce 
peuple un caractère qui étouffa toutes habitudes réglées d'in- 
dustrie ; n est-ce pas là une des causes qui empêchent les 
hommes de s'unir pour former une communauté? Ce que nous 
disons s'applique plus spécialement aux Lowlands; quant au 
Nord, il ne manquait pas d'autres malheurs aussi terribles. 
Les féroces Highlahders, qui n'avaient d'autres moyens 
d'existence que le pillage, étaient sans cesse menaçants : à 
leurs hordes venaient souvent s'ajouter les pirates des îles 
occidentales (Western Islands). Tout ce qui ressemblait à la 

(1) Relativement à cette coutume d'incendier les villes d'Ecosse, qui paraît avoir été 
inféodée dans le sang de nos ancêtres si humains, consultes Cfealmers, Caledonia, t. II, 
pag. 503, 593; Kennedy, Annals ofAberdeen, t. I, pag. 18, 27, 375; t. II, pag. 301; Mener, 
Hist. of Dumfermline, pag. 55* 56; Sinclair, Scolland, t. V, pag. 486; t. X, pag. 581; 
t.. XIX, pag. 161 ; Ridpath, Border kislory* pag. 147, 221,265. 



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DE LA CIVILISATION BN ANGLETERRE. fOS 

richesse enflammait leur cupidité. Savaient-ils qu'un homme 
possédait quelque bien, vite ils brûlaient de s'en emparer; 
et détruire était leur plus grand plaisir après le vol (1). Âber- 
deen et Invernets furent particulièrement exposées à leurs 
attaques; et, fe deux reprises différentes durant le quinzième 
siècle, Invernets fut totalement détruite par le feu, sans 
compter les énormes rançons qu'elle dut payer maintes fois 
pour éviter pareil sort (2). 

(4) Un statut parlementaire écossais, daté de 1597, en donne une curieuse description : 
■ They hawe tykwayis t h roche thair barbarus inhumuoitie maid and presentlie makis the 
saidis hielaadis and Iles qïk are maist commodious in tharoe selwes alsueiti be the ferteih 
litie of the ground as be riche fischeingis altogidder vnproffîtabill bai the to thame selffis 
and to ail vthuris his hienes liegis within this reaime ; thay nathair intertening onie ciuil or 
honeet societie amangis thame seffis neyther zit admittit vtheris bis hienesse lièges te 
tralficque within thair boundis vithe saiftie of thair Hues and godes; for remeid quhairof 
and that the saidis inhabitantis of the saidis hilandeis and Iles may the better be rednced 
to ane godlie, honest, and ciuill maner of living, it is statute and ordanit, » etc. Acts ofthe 
Parliament8 of Scotland, édit. in-fol., 1816, t. IV, pag. 138. Ces légères particularités du 
caractère des Highlanders subsistèrent dans toute leur force jusque vers to milieu du dix- 
huitième siècle, ainsi qu'on le verra dans le cours de cette histoire. Sans anticiper sur ee 
qui sera développé dans un des chapitres suivants, je renverrai simplement le lecteur à deux 
passages intéressants : Pennant, Scotl&nd, t. 1, pag. 154, et Héron, Scotkmd, 1. 1, 
pag. 218, 219, qui tous deux font très bien ressortir l'état des choses un peu avant 1745. 

(2) Inverness fut détruite par l'incendie en 1429 (Gregory, His t. ofthe Wettem Highr 
lande, pag. 36), et une seconde fois en 1455 (Buchanan, Rerum Seoticarum Historia, 
lib. xi, pag. 322). La plus grande partie en fut aussi brûlée en 1411. Consultez Andersen, 
On the Highlands (1827),'pag. 82. Aberdeen, en raison de ses plus grandes riebesses, offrait 
plus de tentation, mais aussi elle était pins à même de se défendre. Néanmoins les registres 
de son conseil municipal nous fournissent de curieux témoignages au sujet de la crainte 
constante de ses citoyens et des précautions prises pour repousser les attaques parfois dei 
Anglais et parfois des clans. Voyes le CouncU Register of 4berdmi (publié par le Spah 
ding Club. Aberdeen, 1844-1848, in-4*), 1. 1, pag. 8, 19, 60, 83, 197, 219, 232, 268 ; t. II, pag. 82. 
Le dernier article, a la date du 31 juillet 1593, porte : • The disordourit and lajrles heland- 
men in Birss, Glentanner, and their about, nocht onlie in the onmercif ul murthering of men 
and bairnis, bot in the maisterfuM and violent robbing and spulzeing of ail the bôstiall, 
guidis, and geir of a gryt pair! of the inhabitantis of theas boundis, rasiog of gry t hairschip 
f urth of the samen, being committit to ewous and nar this burgh, within xx mylis theirunto, 
denysit and ordanit for preservatioun of this burgh and inhabitantis theirof, ftra the tyran- 
nous invasion of the saidis bieland men, quha bas na respect to God nor man ; that the haill 
inhabitantis of this burgh, fensiball persones ais weitl onfrie as frie, salbe in reddiuess 
weill armit for the defence of this burgh, thair awin lyvis , gudia» and geir, and resistinf 
• and rt pseasing of the sald heland men, as ocea&ioun salbe offered, at ail tymes and houris 



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904 HISTOIRE 

En proie à ces inquiétudes continuelles (1), tiraillée au 
nord, au sud, comment l'Ecosse eût-elle pu se livrer à une 
paisible industrie? On ne pouvait bâtir une ville qu'elle ne 
fut sur-le-champ exposée à être détruite. Aussi, durant plu- 
sieurs siècles, pas de manufacture, nul commerce à peine, 
toutes les transactions s'opérant par trocs (2) ; quelques-uns 
des arts les plus vulgaires étaient inconnus. Leurs armes 
mêmes, les Écossais ne pouvaient les forger; et cependant chez 
un peuple aussi belliqueux, c'eût été là un métier profitable; 
mais ils étaient si peu experts en pareille matière que, dans 
les premières années du quinzième siècle, presque toutes 
leurs cottes d'armes, leurs lames et même les arcs et les 
flèches étaient de fabrique étrangère; la Flandre leur four- 
nissait entièrement les fers et les pointes de ces armes (3). 



as thay salbe requirt and chargit. • En 1688 même, nous voyons qu'on se plaint des incur- 
sions des Highlanders qoi ont enlevé par force des femmes à Aberdeen on dans le voisinage. 
Record* ofthe Synod of Aberdeen, pag. 290. On trouvera d'autres récits détaillés de leurs 
méfaits aux seizième et dix-septième siècles dans Kennedy, Armais of Aberdeen, 1. 1, 
pag. 133; Spalding, Hist. ofthe Troubles, 1. 1, pag. 25, 217 ; Extract from the Presbytery 
book ofStrathbogie, pag. 62-73. 

(1) La raison même pour laquelle Perth cessa d'être la capitale de l'Ecosse fut que < its 
vicinity to the Highlands » en faisait pour la royauté une résidence assez dangereuse. » 
Lawson, Book of Perth, pag. xxxi. 

(2) A l'égard de l'emploi habituel du troc et du manque de métaux précieux en Ecosse, 
consultez Spalding Club MisceUany, t. IV, pag. lvii-lx« En 1492, la trésorerie d'Aberbeen 
fut obligée d'emprnnter 4 liv. 16 schell. Kennedy, Annale of Aberdeen, 1. 1, pag. 61. 
Voyez aussi Sinclair, Statistical Account of Scotland, t. V, pag. 542. Tynes Moryson, 
qui se trouvait en Ecosse à la fin du seizième siècle, dit : « The gentlemen reckon their reve- 
nues not by rents of money but by chauldrons of victuals. » Moryson, ltinerary. Lond., 
1617, in-fol., part, m, pag. 155, livre rare et excessivement curieux , qu'on ferait bien de 
réimprimer. Cent ans après Moryson on remarque que, < in Eo gland, the rents are paid in 
money,- in Scotland, ihey are, generally speaking, paid in kind, or victual as theycaU it. » 
De Foe, Hist. ofthe Union, pag. 130. 

(3) Sous Jacques I" (14244436), ■ it appears that armours, nay spears, and bows and 
arrows were chieflly imported... In particular, the heads of arrows and of spears seem to 
hâve been entirely imported from Flanders. » Pinkerton, Hist. of Scotland, 1. 1, pag. 163. 
Nous voyons dans Rymer, Fœdera, qu'en 1368, deux Ecossais, ayant à vider un duel, 
firent venir leurs armures de Londres. Macpherson, Annals of Commerce, 1. 1, pag. 575. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 205 

Les Écossais s'adressaient aux artisans flamands pour tout ce 
qui avait rapport au train ordinaire d'une ferme, tels que 
chariots, voitures à bras etc., qu'en 1475, on importait régu- 
lièrement des Pays-Bas (1). Quant aux arts qui témoignent 
d'un certain degré de raffinement, ils leur étaient inconnus 
à cette époque, et le furent pendant longtemps encore (2). 
Jusqu'au dix-septième siècle, l'Ecosse n'eut ni verrerie (3), 
ni savonnerie (4). Aux yeux des hautes classes mêmes, c'eût 
été une absurdité que d'avoir des fenêtres vitrées dans leurs 
misérables demeures (5) ; et comme ce n'étaient pas seule- 



(i) Bibel of Englisti Policy, livre qu'on suppose avoir été écrit sous le régne 
d'Edouard IV» nous apprend que « the Scotish imports from Flanders were mercery, but 
mère haberdas hery, cart-wheels and wheelbarrows. » Pinkerton, Hist. ofScotland, 1. 1, 
pag. 406. Nous lisons dans Mercer {Hist. of DumferrrUine) que, au quinzième siècle, 
«even in the best parts of Scotiand the inhabitants could not manufacture the most neces- 
sary articles. Flanders vas the great mart in those times, and from Bruges chiefly, the Scots 
imported even horse-shoes,harness, saddles, bridles, cart-wheels and wheel-barrows, besides 
ail their mercery and haberdas hery. » 

(2) Pendant longtemps Aberdeen fut l'une des villes les plus riches, et, sous certains 
rapports , les plus avancées de l'Ecosse. Cependant il appert des registres communaux 
d'Aberdeen que i in the beginning of the sixteenth century there was not a mechanic in the 
town capable to exécute the ordinary repairs of a clock. * Kennedy, Annals of Aberdeen, 
1. 1, pag. 99. A l'égard des horloges fabriquées en Ecosse au milieu du seizième siècle, 
consultez l'ouvrage intéressant de Bf. Merley, Life of Cardan , t. II, pag. 128. Cardan se 
trouvait en Ecosse en 1552. 

(3) Vers 1619, sir George Hay « set up at the village of Wernyss, in Fife, a small glass- 
work, being the first known to hâve existed amongst us. * Chamber, Annals j 1. 1, pag. 506. 
Voyez aussi pag. 428. 

(4) i Before this Urne, soap was imported into Scotiand from foreign countries , chiefly 
from Flanders. * Ibid., 1. 1, pag. 507. L'époque indiquée est 1619 ; c'est alors, dit-on, qu'une 
fabrique fut établie à Leith. On parle, à la date de 1650, dansBalfour {Annales, t. IV, 
pag. 68) des i sope-workes of Leith. » 

(5) Ray, qui voyagea en Ecosse vers 1661, dit : i In the best Scottish ho uses, even the 
klog's palaces, the Windows are not glazed throughout, but the upper part only ; the lower 

hâve two wooden shuts or folds to open at pleasure and admit tre fresh air. • 

«The ordinary country-houses are pitiful cots, built of stone, and covered with turves, 
having in them but one room, many of them no chimneys, the Windows very small noies and 
not glazed. » Ray, Itineraries. Lond., 1846, pag. 153, publiés par D. Lankester. < About 
1782* the giass window was beginning to make its appearance in the small farm-houses. > 
Brown, Hist* of Glasgow, t. II, pag. 265. 



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m msTOiiE 

ment leurs maisons qui se distinguaient par la saleté, mais 
aussi leurs personnes, le savon était un article trop pei 
demandé pour que personne fut tenté d'établir une savon- 
nerie (1). Dans toutes ses autres parties, l'industrie n'était 
pas moins arriérée. Ce n'est qu'en 1630 que l'art de tanner 
les cuirs fut introduit en Ecosse (2^; et l'on pose en fait, 
(assertion qui parait entièrement justifiée) que la première 
papeterie n'y fut créée que dans la seconde partie <U dix- 
huitième siècle (3). 



(i) En 1650, on dit au sujet des Écossais que < many of their coomen are so sluttish that 
th«y do Dot waah their lioen above once a mouth, nor their hands and faces above once s 
year. > Whitelock, Mémorial*. Lond., 1732, in fol., pag. 468. Un antre voyageur dit sept 
ou huit ans après : c The linen they supplied us with, were it not to boast of, was Httle or 
nothiog différent from fthose female complexions that never washed their faces to relaie 
their christendom. » Franck, Northern Memoirs, édit. Édinb., 18$1, pag. 9*. Un célèbre 
Écossais parle, en 1698, des habitudes de malpropreté de ses compatriotes; mais il nous ea 
donne une raison assez grotesque, car, selon roi, ces habitudes Tenaient en grande partie 
de la position de la capitale : < As the happy situation of London has been the principal 
cause of the glory and riches of England, so the bad situation of Edinburgh has been oae 
great occasion of the poverty and uncleanKness in wbieh the greaterpart of the peopleof 
Scotland live. > Second Discourse on the Affaire of Scotland, dans Fleteher of Saltata, 
Political Works. Glasgow, 1749, pag. 119. Un autre Écossais, au nombre de ses réaiaii- 
cences des premières années dn dix-huitième siècle, compte celle-ci : «Table and body- 
linen were seldom shifted. > Memoirs by Sir Archibatd Grant of Monymusk, SpaicUng 
Club Miscetlany, t. II, pag. 100. Enfin nous avons la preuve certaine que dans quelques 
parties de l'Ecosse, à la fin même du dix-huitième siècle, le peuple remplaçait le saven par 
un article trop dégoûtant pour qu'on le nomme. Consultes la lettre écrite par le révé- 
rend William Lesfie à sir John Sinclair. Sinclair, Statistical Account of Scotland, i IX, 
pag. 177. 

(2) Ghamber, Annalg, 1. 1, pag. 512. 

(3) Une papeterie fut établie près d'Edimbourg en 1675; maisc there is reason tocoaclude 
this paper-mill was not continued, and that paper-making was not success fully introdoceè* 
into Scotland till the middle of the succeeding century. > Ghamber, Annals, t. n, pag. 3* 
J'ai eu teNement de preuves de l'extrême exactitude de ce précieux ouvrage, q«e j'hésiterais 
à douter de ce que peut affirmer M. Ghamber, surtout lorsque (et c'est ici le cas) je ne ptH 
m'en rapporter qu'à ma mémoire. Mais il me semble avoir trouvé quelque part la preuve qu'ea 
réussit à fabriquer du papier en Ecosse à la fin du dix-septième siècle, bien que je ne puisse 
me rappeler les passages. Cependant Arnot, dans son Hist. of Edinburgh, pag. 599, dit : 
« About forty years ago, printing er writing paper began to be mannfaetured in Seotland 
Before that, papers were imported from Borland, or brought from England. » L'onvrafe 
d'Aroot ayant paru en 4788, cette assertion coïoeide avec celle de 11. Chamber. Ajoutai! 



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HISTOIRE D.E LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 207 

Au milieu de cette stagnation générale, les Tilles les plus 
florissantes, on le supposera facilement, ne contenaient 
qu'une population clafr-semée. En effet, les hommes avaient 
si peu d'occupations, qu'ils eussent été réduits à la famine, 
s'ils s'étaient agglomérés en grand nombre. Glascow, l'une 
des plus anciennes cités de l'Ecosse fut fondée, dit-on, vers 
le sixième siècle (4). Quoi qu'il en soit, an douxième siècle, 
c'était un centre riche et prospère, jouissant du privilège de 
tenir foire et marché (2). Elle possédait une administration 
municipale, dirigée par des prévôts et baillis revêtus de pleins 
pouvoirs, indépendants de l'évêque et possédant un sceau 
particulier (3). Eh bien, malgré tout, cette fameuse ville elle- 
même n'eut aucun espèce de commerce avant le quinzième 
siècle : ce n'est qu'à partir de cette époque que ses habitants 
apprêtent le saumon pour l'exporter (4) : hors cette industrie, 
Glascow était inhabile à rien entreprendre» Aussi nesUil pas 
surprenant de trouver que, au milieu même du quinzième 
siècle, sa population tout entière ne dépassait pas quinze cents 



qu'à ht fin du dix-huitième siècle, il y avait i two paper-milis near Perth » (Héron, Journey 
through Scotland* Perth, 1799, 1. 1, pag. 447), et que, en 1751 et 1763, les deux premières 
papeteries forent établies au nord du Forth. Sinclair, Statistical Account ofScotland, 
t. IX, pag. 899; t. XVI, pag. 373. Consultes également Lettke, Letters from Scotland 
in 4792, pag. 4». 

(4) < This city iras fonnded about the sixth century. > fefUre, Hist. of Glasgow, pag. 190. 
Consultez aussi Denholm, Hist. of Glasgow, pag. 2. 

(2) Eu 1472, Glascow reçut la permission d'établir un marché, et en 4190 de tenir une 
foire. Voyez les chartes, appendice, Gibson, Hist. of Glasgow, pag. 299, 30». 

(3) i By the sale of land made by Robert de llytbyngby to Mr. Reginald de lrewyne, 
a. d. 1268, il is évident that the town iras then governed by provosts, aldermen, or 
iraniens, and baillies , who seem to bave been iodependent of the bishop, and were pos- 
sessed of a eommon seal, distinct from the ooe made nse of by the bishop and chapter. • 
Gibson, Hist. of Glasgow, pag. 72. 

(4) « A Mr. William Elphinston is made mention of as the nrst promoter of trade in 
Glasgow, so early as the year 4420 ; the trade which he promoted iras, in ail probability, the 
cnring and exporting of salmou. » Gibson, Hist. of Glasgow, pag. 203. Consultez également 
nTUre, Hist. of Glasgow, pag. 99. 



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208 HISTOIRE 

âmes, dont la richesse consistait en menu bétail et en 
quelques arpents de terre mal cultivées (1). 

A une époque encore plus récente, nous trouvons d'autres 
villes qui, malgré la célébrité attachée à leurs noms, sont 
tout aussi arriérées : Dunfermline, par exemple, féconde en 
souvenirs historiques, résidence favorite des rois d'Ecosse et 
où siégèrent mains parlements écossais (S). Voilà, à première 
vue, des événements propres donner de la célébrité à une ville: 
mais cette illusion s'évanouit, dès que nous pénétrons plus 
attentivement jusqu'au fond des choses. Cette ville où se 
produisirent tous ces événements que fut-elle? Malgré l'éclat 
de la royauté et du sénat, Dunfermline qui, à la fin du trei- 
zième siècle, n'était encore qu'un pauvre village, un amas 
de huttes en bois (3), avait fait si peu de progrès, qu'au com- 
mencement du dix -septième siècle, sa population tout 
entière, y compris celle de ses misérables faubourgs, ne 
dépassait pas mille âmes (4), chiffre considérable, néan- 
moins, pour une ville d'Ecosse. A la même époque, nous 
dit-on, Greenock était un village consistant en une seule 
rangée de cabanes, occupées par de pauvres pêcheurs (5). 

(1) Gibson (Hist. of Glasgow, pag. 74), tout en désirant donner un aperça favorable de 
la condition primitive de sa ville natale , dit que, en 1450, les habitants « might perhaps 
amonnt to fifleen hundred, » et que < their wealth consisted in a few burrow-roods very 111- 
enltivated, and in some s mail caltlej which fed on their commons. » 

(2) « Dunfermline continned to be a favourite royal résidence as long as the Seotlish 
dynasty existed. Charles I was born hère ; as also his sister Elizabeth afterwards Qaeen of 
Bohemia, from whom her présent Hajesty is descended ; and Charles II paid a visit tothis 
ancîent seat of royalty in 1650. The Scottish parliament iras oflen held in it. > At'Culloch, 
Geographical Dictionary. Lond., 1849, 1. 1, pag. 723. Consulte! Blercer, Hist. of Dun- 
fermline, 1828, pag. 56, 58, et Chalmers, Hist. of Dunfermline, 1844, pag. 264. 

(3) En 1385, c'était • only a sorry wooden village, belonging to the mooastery. » Mercer, 
Hist. of Dunfermline, pag. 62. 

(4) t Ms. Annals. » Chalmers, Hist. of Dunfermline, pag. 327. Nous lisons, i la date 
de 1624, dans Balfour (Annals, édit. 1825, t. II, pag. 99) : « The quholl bodey of the towne, 
which did consist of 120 tenements, and 287 families, was brunt and consumed. » 

(5) « Greenock, which is now one of the largest shipping towns in Scotland, was, in the 



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DE LÀ. CIVILISATION EN ANGLETERRE. 209 

Kilmarnock, aujourd'hui grand centre d'industrie et de 
richesses, contenait, en 1668, de cinq à six cents habi- 
tants (1). A prendre même une date plus rapprochée, Paisley, 
en 1700, possédait une population, qui, d'après les plus 
hautes estimations, ne montait pas à trois mille per- 
sonnes (2). 

Aberdeen, la métropole du Nord, était considérée comme 
l'une des villes les plus influentes, et pendant le moyen âge, 
son pouvoir et son importance n'excitèrent pas peu d'envie. 
Mais pouvoir et importance sont deux mots qui, comme 
tous autres, sont relatifs et signifient des choses différentes 
à des périodes différentes. Certes, la grandeur de cette cité 
ne nous éblouira pas, quand nous saurons que, d'après des 
calculs basés sur ses registres de décès, elle ne pos- 
sédait, en 1572, que deux mille neuf cents habitants 
environ (3). Voilà un fait qui aidera à dissiper plus d'une de 
ces idées vagues qu'on se fait des anciennes villes de 

end of the sixteenth century, a mean fishing village, consisting of a single row of thatched 
cottages, which was inhabited by poor fishermen. » Chalmers, Caledonia, 1824, in-4°, t. III, 
pag. 806. 

(1) En mai 1668, Kilmarnock fut brûlé, et t the event is cbiefly worthy of notice as mar- 
king the smallness of Kilmarnock in those days, when, as yet, there was no such thfng as 
mannfactnring industry in the conntry. A hundred and twenty families speaks to a popula- 
tion of between five and six hundred. » Ghamber, Annals, t. Il, pag. 320. En 4658, un témoin 
oculaire donne la description suivante de leurs maisons : t Little better tban huts.» Franck, 
Northern Mémoire, pag. 101. 

(2) • Belwiit two and three thousand soûls. » Denholm, Hist. of Glasgow, pag. 542. 

(3) A la date de 1572, les registres d'Aberdeen accusent 72 morts dans Tannée. Une mor- 
talité de 1 sur 40 serait une supputation excessive, à considérer les habitudes du peuple à 
cette époque. Cependant, en supposant que la moyenne fût de 1 sur 40, cela nous donnerait 
pour la population un chiffre de 2,880, et si, comme je n'en doute pas, les décès étaient plus 
élevés, naturellement la population devait être moindre. Kennedy, dans son ouvrage plein 
de valeur, mais où la pénétration fait défaut, suppose que t one fiftieth part of the inhabi- 
tants died annnaily, » quoiqu'il soit certain qu'il n'existait pas de ville en Europe où un 
résultat aussi favorable se produisit. D'après cette hypothèse, que contredisent tous les 
témoignages de la statistique parvenue jusqu'à nous, le chiffre serait de 72 X 50 =3,600. 
Consultez Kennedy, Annals of Aberdeen, 1. 1, pag. 103. 



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SW HISTOIRE 

l'Ecosse, surtout si nous ne perdons pas de vie qu'il se rap- 
porte à une date où, l'anarchie du moyen âge ayant disparu, 
Àberdeen se relevait depuis quelque temps. Cette cité, si, 
toutefois, un aussi mince assemblage de citoyens mérite le 
nom de cité, n'en était pas moins l'une des plus peuplées de 
l'Ecosse. Depuis le treizième siècle jusqu'à la fin da quator- 
zième, on ne trouve ailleurs une telle agglomération d'Écos- 
sais, si ce n'est à Perth , Edimbourg, et peut-être bien à 
saint Andrews (4). A l'égard de cette dernière ville, je n'ai 
pu recueillir de détails précis (2) ; qvantà Perth et Edim- 
bourg, nous avons des données plus certaines. Longtemps 
capitale de l'Ecosse, Perth, même après avoir perdu cette 
prééminence, fut regardée comme la seconde cité du 
royaume (5). Ses richesses, prétendait-on, étaient surpre- 
nantes; et tout bon Écossais s'enorgueillissait de Perth, 
comme l'une des principales merveilles du pays (4). Cepen- 



(1) « St. Andrews , Perth aod Aberdeen appear to hâve been the three mort populaces 
cities before the Reformation. » Lawson, Roman Catholic Ctturch in Scotland, 1835, 
pag. 36. On retrouve la même assertion dans Lyon, Hist. ofSt. Andrews, 1. 1, pag. % 
Hais ni l'un ni l'antre de ces deux aotenrs ne paraissent avoir fait grandes recherches sur 
ce sujet; autrement ils n'auraient pas été supposer qn 'Aberdeen était plus grande qu'Edim- 
bourg. 

(2) J'ai parcouru attentivement les deux histoires de Saint -Andrews par le docteur 
Orierson et par M. Lyon , mais je n'y ai rien trouvé qui pût me renseigner d'une manière 
certaine sur l'histoire primitive de cette cité. L'ouvrage de 11. Lyon, qui est en deux 
gros volumes, est des plus superficiels, même eu égard à une histoire locale, ce qui n'est 
pas peu dire. 

(3) i Of the thirteen Parliaments held in the relgn of ring James I, eleven were held at 
Perth, ooe atStirling, and one at Edtnburgh. The national councils of the Scottish clergy 
wer e held there uniformly till 1459. Though iosing its prééminence by the sélection of 
Edinburgh as a capital, Perth has uniformly and constantly maintained the second place 
in the order of burghs, and its right to do so has been repeatedly and solemnly acknow- 
ledged. » Penny, Traditions of Perth, pag. 231. Voyei aussi pag. 906. Il paraîtrait aussi, 
d'après ce que nous dit Froissart, qu'Edimbourg était considérée comme la capitale dans 
la dernière partie du quatorzième siècle. 

(4) Je trouve un exemple des éloges décernés à Perth ailleurs même que chez les Écos- 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 211 

dant, d'après le calcul fait récemment par un juge très com- 
pétent en pareille matière, sa population, en 4585, restait 
au dessous de neuf mille âmes (1). Voilà qui surprendra plus 
d'un lecteur; quoique, à considérer l'état de la société à 
cette époque, ce n'est pas de ce que ce chiffre fiftt si bas qu'il 
faut s'étonner, mais bien de ce qu'il fût si haut. Car Edim- 
bourg même malgré les fonctionnaires et les nombreux 
intrigants qui voltigent sans cesse autour des cours, ne con- 
tenait pas, à la fin de quatorzième siècle, plus de seize mille 
habitants (2). Un chroniqueur contemporain nous donne une 
description de la condition générale de ses citoyens. Frois- 
sart, qui visita l'Ecosse, et rapporte ce qu'il a vu aussi bien 
que ce qu'il a entendu dire, nous fait un tableau lamentable 
de l'état des choses. Les habitations, à Edimbourg, étaient 
de simples huttes, mélange de chaume et de ramée, masures 
si légèrement construites, que l'une d'elles venait-elle à être 
détruite, on ne mettait que trois jours à la refaire. Quant au 
peuple qui s'abritait dans ces misérables repaires, Froissart, 
qui n'est pas coutumier du fait d'exagération, nous assure 



sais. Alexandre Nechaus : « Takes notice of Perth in the following distich, quoted in 
Camden's Britannia : 

c Transis ample Tai, fer rura, per oppida, p^r Perth : 
Regnnm s&stentant Hlins nrbis opes. » 

Tiras Englished in Bishop Gibson's Translation of Camden's Boofc : 

« Great Tay, throogh Perth, throogh toims, thronghconntry Aies : 
Perth the whole kingdom with her wealth snpplies. * 

(Sinclair, Scotlctndj t. XVIII, pag. 5M. ) 

(4) tiyHT X 6 as 8,562, the computed population in 1584 and 1985, exclusive of the extraor- 
dinary mortality caused by the plague. * Chamber, Annals of Scottand, 1858, 1. 1, 
pag. 158. 

Ht) « The inhabitants of the capital, in the reign of Robert II, hardty exceeded sixteen 
tfeonsand. » Pinkerton, Bisl . ofScotland, 1. 1, pag. 152. 



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212 HISTOIRE 

que les Français, s'ils ne l'avaient pas vu, n'auraient voulu 
croire que semblable dénûment pût exister : ce fut la pre- 
mière fois, ajoute-t-il, que ses compatriotes comprirent ce 
qu'était la véritable pauvreté (1). 

Depuis cette époque, nul doute qu'il ne se soit produit des 
améliorationsconsidérables : mais combien ellesétaient lentes! 
ainsi, à la fin même du seizième siècle, on ne trouvait aucun 
habile artisan ; tout honnête métier était universellement dé* 
daigné (2). Est il donc surprenant que ces citoyens pauvres, 



(1) Lorsque les Français arrivèrent à Edimbourg, les Écossais s'écrièrent : « Quel diable 
les a mandés? Ne savons-nous pas bien faire notre guerre sans eux aux Anglois? Nous ne 
ferons jà bonne besogne tant comme ils soient avec nous. On leur dise que ils s'en reboisent, 
et que nous sommes gens assez en Escosse pour parmaintenir notre guerre, et que point 
nous ne voulons leur compagnie. Us ne nous entendent point, ni nous eux; nous ne savons 
parler ensemble; ils auront tantôt riflé et mangé tout ce qui est en ce pays : ils nous feront 
plus de contraires, de dépits et de dommages, si nous les laissons convenir, que les Anglois 
ne feroient si ils s'étoient embattus entre nous sans ardoir. Et si les Anglois ardent nos 
maisons, que peut-il chaloir? Nous les aurons tantôt refaites à bon marché, nous n'y met- 
tons au refaire que trois jours, mais que nous ayons quatre ou six estaches et de la ramée 
pour lier par dessus. » — t Ainsi disoient les escots en Escosse à la venue des seigneurs de 

France. » « Et quand les Anglois y chevauchent ou que ils y vont, ainsi que ils y 

ont été plusieurs fois, il convient que lenrs pourvéances, si ils veulent vivre, les suivent 
toujours au dos ; car on ne trouve rien sur le pays : à grand'peine y recuevre l'en du fer 
poor ferrer les chevaux , ni du cuir pour faire harnois , selles ni brides. Les choses toutes 
faites leur viennent par mer de Flandre, et quand cela leur fait défaut, ils n'ont nulle chose. 
Quand ces barons et ces chevaliers de France qui a voient appris ces beaux hôtels à trouver 
ces salles parées, ces chasteaui et ces bons mois lits pour reposer, se virent et trouvèrent 
en celle povreté, si commencèrent à rire et à dire : c En quel pays nous a ci amenés l'amiral? 
Nous ne sçumes oncques que ce fût de povreté ni de dureté fors maintenant. > Froissart, 
Croniques. Paris, 1835, édit. Buchon, t. II, pag. 314, 315. « The hovels of the common 
people were slight érections of turf, or twigs, which, as they were often laid vaste by war, 
were bnilt merely for temporary accommodation. Their towns consisted chiefly of wooden 

cottages. » t Even as laie as 1600, the houses of Edinburgh "were chiefly built of 

wood. * Chalmers, Caledonia, 1. 1, pag. 802. Nous lisons dans un autre récit écrit en 1670 : 
» The houses of the commonalty are very mean , mud-wall and thatch , the best ; but the 

poorer sort live in such misérable huts as never ye beheld. » t In some parts , 

where turf is plentiful, they build up little cabbins thereof, with arched roofs of turf, 
without a stick of timber in it ; when the house is dry enough to burn, it serves them for 
fuel, and they remove to another. » Harleian Miscellany, 1810, in-4% t. VI, pag. 139. 

(2) • Our manufactures were carried on by the meanestof the peopie, who had small 
stocks, and were of no réputation. Thèse were, for the most part, workmen for home- 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 213 

malheureux et ignorants, allassent souvent acheter la pro- 
tection de quelque puissant seigneur, en retour de l'abandon 
de l'étroite indépendance qu'ils eussent pu conserver (1)? Peu 
de villes osaient choisir leur premier magistrat parmi le 
peuple : l'habitude était de conférer à un seigneur du voisi- 
nage l'autorité de prévôt ou de bailli (2). Il arriva même sou- 
vent que ces fonctions devenaient héréditaires, et qu'on les 



consumpt, such as masons, house-carpenters, armourers, blacksmiths, taylors, shoemakers, 
and the like. Oor weavers were few in nnmber, and in the greatest contempt, as their 
employments were more sedentary, and themselves reckoned less fit forwar, in which ail 
were obliged to set ?e , when the exigencies of the country demanded their attendance. > 
The Intérêt of Scotland considewd. Édinb., 1733, pag. 82. Pinkerton (Hist. of Scot- 
land, t. II, pag. 392), s'appuyant sur Je manuscrit de Sloane, dit : « The author of an inte- 
resting memoir concerning the state of Scotland about 1590, observes, that the husbandmen 
were a kind of slaves, only holding their lands from year to year ; that the nobility being 
too numerous for the extent of the country, there arose to great an inequality of rank and 
revenue; and there was no middle station between a proud landholderandthosewho, 
having no property to lose, were ready for any tumult. A rich yeomanry, numerous mer- 
chants and tradesmen of property, and ail the dénominations of the middle class, so impor- 
tant in a flourishing society, were long to he confined to England. * Treize ans plus tard, 
les manufactures de l'Ecosse • were confined to a few of the coarsest nature, without 
which the poorest nations are unable to subsist. > Laing, Hist. of Scotland, t. III, 
pag. 7. 

(1) Ainsi, par exemple, « the town of Dunbar naturally grew up under the shelter of the 

castle of the same name. « • Dunbar became the town, in demesn, of the successive 

Earls of Dunbar and March, partaking of their influences, whether unfortunate or happy. > 
Chalmers, Caledonia, t. II, pag. 416. « But when the régal government became at any 
time feeble, thèse towns,unequal to their own protection, placed themselves under the 
shelter of the most powerful lord in their neighbourhood.Thus, the town of Elgyn found it 
necessary, at varions periods between the years 1389 and 1452, to accept of many charters 
of protection, and discharges of taxes, from the Earls of Moray, who held it in some species 
of vassalage. > Sinclair, Scotland, t. V, pag. 3. Consultez Pinkerton, Hist. ofScotlandj 
t. II, pag. 396, et deux lettres écrites en 1543 et 1544 par les magistrats d'Aberdeen au comte 
de Huntly et reproduites dans Council Register of Aberdeen, 1. 1, pag. 190, 201. Ils lui 
disent : < Te haf our band as protectour to Ross. > 

(2) Tytler, History of Scotland* t. IV, pag. 131, 225, ainsi que Pinkerton, History 
of Scotland, t. II, pag. 179. Parfois les nobles ne laissèrent pas même aux citoyens 
l'apparence de liberté des élections ; ils les décidaient par le sort des armes. Nous en trou- 
vons un exemple dans ce qui arriva à Perth en 1544 : • Where a claim for the office of 
provost was decided by arms, between lord Kuthwen on the one side, supportedd>y a 
numerous train of his vassals, and lord Gray, with norman Leslie master of Rothes, and 
charteri8 of kinfauns, on the other. > Tytler, t. IV, pag. 323. 

T. IV 14 



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tU HISTOIRE 

regardait comme le droit consacré de quelque famille aris- 
tocratique (1). Devant le chef de cette famille, tout cédait : 
son autorité était si incontestable, qu'une insulte faite à l'un 
de ses partisans était punie, comme si elle eût été faite au 
seigneur même (2). Les bourgeois, députés au parlement, 
étaient sous l'entière dépendance du noble gouverneur de la 
ville. Jusqu'à une époque très récente, il n'y eut pas en 
Ecosse de représentation véritablement populaire. Les pré- 
tendus représentants devaient voter suivant le mot d'ordre; 
par le fait, ils n'étaient que les délégués de l'aristocratie; et, 
comme ils ne formaient pas une chambre à part, ils sié- 
geaient et délibéraient sous les yeux de leurs maîtres puis- 
sants, qui ne se gênaient point pour les violenter (3). 



(1) On trouvera des exemples de cette coutume dans Hollinshead, Scottish ChronicUj 
t. II, pag. 290; Brown, Hist. of Glasgow, t. II, pag. 154 ; Denholm , Hist. of Glasgow, 
pag. 249; Mercer, Hist. ofDunfermline, pag. 83. 

(2) c Ad in jury inflicted on the i man • of a nobleman was resented as nrach as if he 
himsetf had been the injured party. » Préface to the Council Register ofAberdeen, t. X, 
pag. xii. 

(3) Voyez dans Macanlay, hist. of Engl&nd, 1. 1, pag. 93, une description très pitto- 
resque de l'Ecosse en 1639: « The Parliament of the northern kingdomwasa very différent 

body from that which bore the same name in En gland, c « The three estâtes sat 

in one honse. The commissioners of the burghs were considered merely as retainers of the 
great nobles. > etc. Considérons une époque plus rapprochée : lord Cockburn nous dépeint 
sous de sombres couleurs la situation de l'Ecosse en 1794, année ou Jeffrey débuta au bar- 
reau : t There iras then, in this country, no popuiar représentation, no emancipated burghs, 
no effective rival of the estabtished chnrch, no indépendant press, no free public meetings, 
and no botter trial by jury , even in potitieal cases (except high treason), than what was 
consistent with the cireumstanees, that the juron were not sent into court under aay 
impartial raie, and that, when in court, those who were to try the case were named by the 
presiding judge. The Scotch représentatives were only forty-five, of whom thirty were 
elected for counties, and fifteen for towns. Both from its priée and its nature (being enve- 
loped in féodal and technical absurdities) the élective franchise in counties, where alone 
it existed, was far above the reach of the whoie lower, and of a great majority of the middle, 
and of many eren of the higher, ranks. There were probably not above 1,500 or 2,000 county 
electors in ail Scotland ; a body not too large to be feeld, hope included, in gouvernements 
hands. The return, therefore of a single opposition member was never to be expected. » 

« Of the fifteen town members, Edinburgh returned one. The otkerfourteen were 

produced by clusters of four or five nnconnected burghs electing each one detogate, and 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 215 

Dans ces circonstances, comment la couronne eut-elle pu 
raisonnablement compter sur l'appui d'une classe qui n'avait 
par elle-même aucune influenceet dont les privilèges res- 
treints ne subsistaient que parce qu'on voulait bien les to- 
lérer? Cependant, il y avait une autre classe excessivement 
puissante, vers laquelle les rois d'Ecosse se retournèrent na- 
turellement ; je veux dire, le clergé : intéressées toutes deux 
à rabaisser la noblesse, l'Église et la royauté firent cause 
commune contre l'aristocratie. Pendant un espace de temps 
considérable, disons mieux, jusque dans la seconde partie 
du seizième siècle, les rois, presque sans exception, favori- 
sèrent le clergé en augmentant ses privilèges par tous les 
moyens possibles. La réforme vint dissoudre cette alliance 
peur faire surgir de nouvelles combinaisons que j'indiquerai 
tout à l'heure. Mais, tant qu'elle dura, cette alliance fut très 
utile au clergé, par cela même qu'elle revêtissait ses préten- 
tions d'une sanction légitime et le faisait ressortir comme le 
pilier de l'ordre, le support du gouvernement régulier. Après 
tout, le résultat prouva clairement que les seigneurs pou- 
vaient faire mieux encore que de contre-ba lancer la ligue 
formée contre eux. En effet, à considérer leur énorme pou- 



thèse four or five delegales eleeting the représentative. Wbatever this system may hâve 
been origioally, it had grown, in référence to the people, iolo as complète a mockery as if 
H had been invented for their dégradation. The people had nothing to do with it. It vas al) 
managed by town-councils, of never more than thirty-three members; and e?ery town- 
conncil was self-elected, and conseqaently perpetnated its own interests. The élection of 
either the town or the coanty member was a matter of snch utter indifférence to the people, 
tfcat they often only koew of it by the ringing of a bell, or by seeing it mentioned next day 
in a newspaper; for the farce was gênerai ly performed in an apartment from which, if 
convenient, the pnbtic conld be eieladed, and nev§r in the open air. » Cockburn, Life of 
Jeffrey. Édimb., 1852, 1. 1, pag. 74-76. Relativement aux phases de la représentation par- 
lementaire en Ecosse depuis l'époque décrite par lord Gockbnrn jusqu'au Reform-Bill, 
consultez Irving, UisL of Dumbartonshire , pag. 275, 276, ainsi qne Moore, Memmrs. 
Lond., 18534854, publiés sons la direction de lord John Russell, t. IV, pag. 268; t. VI, 
pag. 153, 154. 



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216 HISTOIRE 

voir, on ne peut que s'étonner que le clergé ait prolongé 
aussi longtemps la lutte (car il ne finit par avoir le dessous 
qu'en 1560). Que les hostilités aientété si acharnées, qu'elles 
se soient maintenues durant une période aussi considérable, 
voilà ce à quoi, en se plaçant à un point de vue restreint, 
l'on n'eût pu s'attendre. Je vais essayer d'en donner la rai- 
son; et je réussirai, je l'espère, à démontrer qu'en Ecosse 
cette immense influence des classes tbéocratiques est due à 
un long enchaînement de causes générales qui leur permirent 
non seulement de tenir tête à l'aristocratie la plus puissante 
de l'Europe, mais encore, après avoir paru à jamais terras- 
sées, de se relever aussi fortes et vigoureuses qu'auparavant 
pour exercer, en qualité de pasteurs protestants, une action 
qui ne le cède en rien à celle qu'ils exercèrent comme prê- 
tres catholiques. 

De tous les pays protestants, l'Ecosse est sans conteste 
celui où le cours des choses a le plus longuement et le plus 
grandement aidé aux intérêts de la superstition. Nous redi- 
rons plus tard comment ces intérêts furent appuyés durant 
les dix-septièmeet dix-huitième siècles. Quant à présent, nous 
nous proposons d'examinerlescausesdeleurpremier dévelop- 
pement et de faire voir comment ils se rattachèrent non seule- 
ment à la réforme, mais aussi revêtirent ce grand événement 
de certaines particularités extrêmement remarquables et qui 
sont diamétralement opposées à ce qui se passa en Angle- 
terre. 

Si le lecteur n'a pas perdu de vue ce que j'ai établi ail- 
leurs , il se rappellera que les deux sources principales 
de la superstition sont l'ignorance et le danger, l'ignorance 
qui empêche l'homme de se rendre compte des causes natu- 
relles, et le danger qui le conduit à reporter ces causes à 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 217 

des causes surnaturelles. Or, pour exprimer cette proposi- 
tion en d'autres termes, le sentiment de vénération qui, sous 
Pun de ses aspects, prend la forme de la superstition, est le 
produit de la surprise et de la crainte; or il est évident 
que la surprise se relie à l'ignorance et la crainte au dan- 
ger (1). C'est pour cela que tout ce qui, en n'importe quel 
pays, augmente la somme totale de Tétonnement, ou la 
somme totale du péril, a une tendance directe à accroître la 
somme totale delà superstition et, par conséquent, à affermir 
l'autorité du sacerdoce. 

Appliquons ces principes à l'Ecosse , et nous pourrons 
éclaircir plusieurs points de son histoire. En premier lieu, 
sa configuration présente un contraste marqué avec celle de 
l'Angleterre : là, les divers aspects de la nature sont plus 
susceptibles d'engendrer chez un peuple ignorant des su- 
perstitions puissantes et durables. Des orages, d'épais ri- 
deaux de vapeurs, un ciel noir que vient souvent sillonner 
l'éclair, le tonnerre roulant son grondement de montagne 
en montagne et frappant tous les échos , les tempêtes 
dangereuses, les vents déchaînés qui soulèvent les lacs in- 
nombrables dont le pays est parsemé, le torrent impétueux 
qui précipite ses eaux sur le chemin du voyageur et l'em- 
pêche d'avancer, combien tout cela diffère étrangement de ces 
phénomènes plus simples, plus tranquilles, au milieu des- 
quels le peuple anglais a développé sa prospérité et bâti ses 



(1) Il faut distinguer entre surprise et admiration; la première est le produit de l'igno- 
rance, la seconde des lumières. L'ignorance s'émerveille devant les prétendues irrégularités 
de la nature; la science admire sa régularité. Les premiers écrivains se sont rarement 
attachés à cette distinction, parce qu'ils se laissaient surprendre par l'étvmologie du mot 
admiration. Sauf en jurisprudence, les Romains jie pénétrèrent jamais jusqu'au fond des 
choses, et l'emploi erroné que ces penseurs superficiels firent deadmirari engendra cette 
erreur si commune parmi nos vieux écrivains, à savoir «j'admire» au lieu de « I monder. > 



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*I8 HISTOIRE 

superbes cités. Ces particularités ont affecté jusqu'à la 
croyance eu la sorcellerie, Tune des plus sombres supersti- 
tions qui aient jamais défiguré l'esprit humain : et l'on a fort 
bien observé que tandis que, d'après la version anglaise, la 
sorcière était un être affreux, décrépit, rabougri, esclave 
plutôt que mai tresse des démons qui l'obsédaient, en Ecosse, 
elle s'élevait à la dignité de puissante enchanteresse qui, do- 
minant l'esprit malin et le forçant d'exécuter ses ordres, ré- 
pandait parmi le peuple une terreur beaucoup plus profonde 
et plus continue (1). 

(1) t Our Scotti8h witch is a far more frightful beiog than her supernatural coadjutoron 
the south side of the Tweed. She sometimes seems to rise from the proper sphère of the 

witch, who is only the slave, into that of the sorcerer, who is master of the démon 

« Io a people, so far behind their neighboars in domestic organisation, poor aod hardj, 
inhabitingacountry of mountains, torrents, and rocks, where cultivât ion was scanty, 
aocnstomed to gloomy mists and wiid storms, every impression must necessarily assume 
a corresponding character. Superstitions, like fnngnses and vermin, are existences peco- 

liar to the spot where they appear, aod are goterned by its physical accidents. » 

• And thns it ig that the indications of witchcraft in Scotland are as différent from those 
of the superstition which in Eogland reçoives the same Dame, as the Grampian Mon n tains 
from Shooter's Hill or Kennington Common. » Bu r ton, Criminal Trials in SeoUand, 
1. 1, pag. 240,243. Voilà qui est admirablement dit, on ne saurait rien y ajouter. Dans 
Brown, Hist. oftheHighlands, 1. 1, pag. 106, et dans Sinclair, Scotland, t. IV, pag. 560, 
it est également traité, mais avec moins de talent, des rapports entre les superstitions des 
Écossais et les aspects de la nature daos leur. pays. Dans Hume, Commentaries on the 
laws of Scotland, nous trouvons un passage intéressant sur les hautes prétentions de la 
sorcellerie écossaise, qui ne se ravala jamais comme dans les autres pays à l'état de simple 
duperie, mais se produisit toujours comme une foi opiniâtre et profondément enracinée. 
« For among the many trials for witchcraft which fill the record, I hâve not observed 
that there is even one which proceeds upon the notion of a vain or cheating art, falsety 
used by an impostor to deceive the weak and credulous. > On recueillera d'autres détails 
sur la sorcellerie en Ecosse dans les ouvrages suivants : Mackenrie, Criminal Laws of 
Scotland (4699), pag. 42,56; Correspond, of Mrs. Grant of Laggan, t. in, pag. 186,187; 
Southey, Life of Bell, t. I, pag. 52; Vernon, Correspondence, t. II, pag. 301; Weld, 
Hist. ofthe Royal Society, 1. 1, pag. 89; Lelters from a gentleman in the North of 
Scotland, 1. 1, pag. 220,221; The SpoUiswoode MisceUany, t. Il, pag. U; Lyon, Hist. 
ofSt-Andrews, t. Il, pag. 56, 57. 11 est à peine nécessaire défaire allusion à l'ouvrage de 
Jacques I" et à celui de sir Walter Scott, puisqu'ils sont connus de tous ceux que l'histoire 
de la sorcellerie intéresse ; cependant P^eairn, Criminal Trials, quoiqu'on le Use moins, 
est un livre plus précieux, en ce qu'il contient tous les matériaux nécessaires pour étudier 
cette forme de la superstition des Écossais. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 21* 

Les guerres perpétuelles et sanglantes qui désolèrent 
l'Ecosse, et surtout les ravages cruels des Anglais au quator- 
zième siècle, entraînèrent de semblables résultats. Partout 
où la religion prédomine? l'influence de ses ministres est 
invariablement raffermie par une guerre longue et dange- 
reuse, dont les incertitudes troublent les esprits et les pous- 
sent, lorsque les ressources naturelles viennent à manquer, 
à en appeler an surnaturel : que Dieu les aide, disent-ils! 
Alors l'importance du clergé s'agrandit ; jamais les églises 
n'ont vu tant de fidèles se presser dans leurs asiles; enfin le 
prêtre, se représentant comme l'interprète des volontés 
divines, élève la voix : qu'on écoute le prophète! il console 
le peuple des pertes qu'il a subies dans une juste cause, ou 
bien il lui annonce que ces pertes sont la punition de ses 
péchés; Dieu l'avertit qu'il n'a pas été suffisamment attentif 
à ses devoirs religieux, en d'autres termes, qu'il a négligé 
les rites et les cérémonies, où le prêtre lui-même a un 
intérêt personnel. 

Est-il donc étonnant que le quatorzième siècle qui vit les 
souffrances de l'Ecosse portées à leur comble, fut aussi l'âge 
d'or du clergé? Si bien que, au fur et à mesure que le pays 
s'appauvrissait, les classes tbéocratiques devinrent en pro- 
portion plus riches que le reste de la nation. Même au 
quinzième siècle, et dans la première partie du seizième, 
au moment où l'industrie commençait à prendre un certain 
essor, malgré la condition améliorée des classes séculières, 
nous dit-on, leurs richesses réunies, y compris les biens de 
tous les ordres, égalaient à peine les richesses de l'Église (1). 



(i) Pinkerlon (HisL ofScotland, U I,pagf 414) dit que sous Jacquet II et Jacques III : 
« The wealth of the Church was at least équivalent to tuai of ail the lay interest. » Se 



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220 HISTOIRE 

Si donc le clergé fut aussi rapace et aussi prospère dans une 
époque jouissant dune sécurité relative, que dùt-ce être 
dans ces temps antérieurs où les dangers étant beaucoup plus 
imminents? Il n'était presque personne qui, avant la mort, ne 
fit quelque donation à l'Église, chacun voulant témoigner 
son respect envers des personnages qui en savaient plus que 
leur prochain et qui, par leurs prières, pouvaient détourner 
le mal présent ou assurer la félicité future? Certes, le clergé 
dut moissonner à pleines mains (i). 

Autre conséquence de ces guerres prolongées : le nombre 
de gens qui embrassaient la carrière ecclésiastique était 
disproportionné à celui de la population; pourquoi? Parce 
que l'Église seule offrait quelque chance de sécurité; les 
monastères en particulier regorgeaient de profès qui espé- 
raient par là, quoique souvent en vain, être à l'abri des pil- 



reporter aussi à Life of Spotliswoode, pag. 53, 1. 1, History ofthe Church ofScotland. 
« The Damerons déviées employed by ecclesiastics, both secular and regnlar, for enricbing 
the several Fonndations to which they were aitached, had iransferred into their hands 
more than half of the territorial property of Scotland, or of Us annnal produce. » En ce 
qui tonche à la première partie du seizième siècle, un auteur très compétent établit que 
quelque temps avant la Réforme, t the full half ofthe wealth ofthe nation belonged to 
the clergy. » M'Crie, Life ofKnox, pag. 10. Nous lisons dans nn autre outrage : « If we 
take into account the annual value of ail thèse abbeys and monasteries, in conjnnctioo 
with the bishoprics, itwill appear at once that the Scottish Catholic hierarchy iras more 
munificently endowed, considering the extent and resources of the kingdom, than it was 
in any other conntry in Europe. > Lawson, Roman Catholic Church in Scotland, 
pag. 22. Consultes aussi, pour les retenus de l'épiscopat écossais qui, eu égard à la 
pautreté du pays, étaient traiment énormes, Lyon, Hist. of St Andrews, t. I, 
pag. 97, 125. 

(1) « They coula employ ail the motives of fear and of hope, of terror and of consola- 
tion, which operate most powerfully on the human mind. They haunthed the weak and 
the credulous; they besieged the beds of the sick and ofthe dying; they sufiéred few to 
go out of the world without leating marks of their liberality to the Church, and taught 
them to componnd with the almighty for their sins, by bestowing riches upon chote who 
called themselves his servants.! Hist. ofScotland, t. Il, pag. 89; Robertson, Works. Il 
est intéressant d'observer l'ardeur que met chaque clergé à exposer les artifices des autres 
clergés. En rapprochant ces diverses assertions, nous antres, gens séculiers, nous pouvons 
nous faire une idée du système théocratique dans son ensemble. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 221 

lages et des massacres qui désolaient l'Ecosse. Lorsque, au 
quinzième siècle, le pays commença à panser ses plaies, 
tout commerce, toute industrie faisant défaut, l'Église fut le 
meilleur chemin de la richesse (1) ; aussi les gens paisibles 
allèrent-ils dans son sein chercher la sécurité, et les ambi- 
tieux les moyens les plus sûrs d'arriver aux honneurs. 

Ainsi ce fut à l'absence de grandes cités, au manque 
d'industrie qui le distingue, que le clergé dut les nom- 
breuses recrues qui vinrent grossir ses rangs, plus serrés 
qu'ils n'eussent été dans d'autres circonstances : et ce qu'il 
y a de très remarquable , c'est que ce n'est pas seulement 
son nombre qui s'en accrut, mais aussi les dispositions du 
peuple à se soumettre à ses pasteurs. De sa nature, et par 
suite des incidents de sa vie de chaque jour, le laboureur 
est plus superstitieux que l'artisan industriel, par la raison 
qu'il a à faire à des forces plus mystérieuses, c'est à dire 
plus difficiles à généraliser et à prévoir (2). C'est pourquoi, 
en général, les habitants des régions agricoles montrent 
plus de respect envers les doctrines de leur clergé que les 
habitants des districts manufacturiers. L'agrandissement 
des cités a donc été l'une des causes principales de l'abaisse- 
ment du pouvoir ecclésiastique; : or, entre autres circon- 
stances, ce fait même, que jusqu'au dix-huitième siècle 
l'Ecosse ne posséda aucune ville qui méritât le nom de cité, 
nous explique la force des superstitions en Ecosse et l'in- 
fluence extraordinaire du clergé écossais. 

A ces causes il fait en ajouter une très importante. La 
configuration du pays, la faiblesse de la royauté, la néces- 



(i) Pinkerton fait observer, à la date de 1514, que t ecclesiastical dignities préseoted 
almostthe only path to eminence. » HisU of Scotland, t. II, pag. 123. 
(2) Voy. 1. 1". 



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HISTOIRE 



site d'être sans cesse sous les armes pour repousser les inva- 
sions de l'étranger, tout cela réuni contribua à développer 
ces habitudes de rapine inhérentes à toute société primitive: 
c'est dire que l'ignorance régna en souveraine. Pas d'étude, 
nulles connaissances, jusqu'au quinzième siècle, pas d'uni- 
versité! la première remonte à 1412, elle fut fondée à Saint- 
Andrews (1). Quand ils ne guerroyaient pas contre l'ennemi, 
les nobles consacraient leurs loisirs à se pourfendre les uns 
les autres et à se voler réciproquement leur bétail (2). Leur 
ignorance était si profonde, qu'à la fin du quatorzième siècle, 
nous dit-on, l'on ne pouvait trouver un seul baron écossais 
qui sût signer (5). Comme il n'y avait rien qui approchât 



(1) Arnot {Hi8t. ofEdinburgh, pag. 386) dit que l'université de St-Andrews fat fondée 
en 1412 ; on tronve la même assertion dans Kennedy, Annals of Aberdeen, t. II, pag. 83. 
Qrierson, dans son Hist. of St-Andrews, pag. 14, dit : t In 1410, the city of SHUdrftvs 
first saw the establishment of ils famons nniversity, the most ancient institution of the 
kind that eiists io Scotland ; • mais à la page 144 du même ouvrage, nous lisons : < The 
clarter constituting and declaring it to be a nniversity » dated at St- Andrews, the 27 Ch. 
of february, 1411. • Se reporter aussi à Lyon, Hist. of St-Andrews, 1. 1, pag. 203, 206, 
t. Il, pag. 223. Quoi qu'il en soit, • at the commencement of the fifteenth century, no nni- 
versity eiisted in Scotland; and the youth who were désirons of a libéral éducation were 
under the nècessity of seekiog it abroad. » M'Cric, Life ofMelville, 1. 1, pag. 211. Ces! 
en 1413 qne la charte accordée par le pape, et approuvant les statuts de l'université, fat 
reçue en Ecosse. Lawson, Roman catholic Churoh in Scotland, pag. 12. 

(2) C'étaient les beaux jours où, comme le dit avec beaucoup de délicatesse, un juris- 
consulte écossais : a Thieving iras not the peculiar habit of the low and indigent, bot often 
common to them with persons of rank and landed estate. » Hume, Commentaries on the 
Law of Scotland, 1. 1, p. 126. Comme c'était habitueNement au bétail qu'on s'en prenait* 
on trouva un nouveau nom pour «et acte : ainsi nous lisons à la page 148 que < it iras dis- 
tinguis hed by the nome of Hership or Herdship, being the driving away of numbers of 
cattle, or other bestial, by the masterful force of armed peuple. » 

(3) Tytler, qni aima fort son pays et qui est assez enclin à porter aux nues tout ce qnâ 
est écossais, avoue cependant que c from the accession of Alexander III to the death of 
David II (1370) it would be impossible, et believe to prodttce as single Instaure of a Scot- 
tish Baron who could sign his own name. » Tytler, Hist. of Scotland, t. Il, pag. 239, 240. 
Au sujet du seizième siècle, je trouve cette mention accidentelle : « David Straiton, a Ca- 
det of the house of Laureston. . . court not read. » "Wodrow, Collections, t. II, pag. 5, 6. 
Le fameux chef, Walter Scott de Harden, se maria en 1567 : • His marriage contract is 
signed by a notary, because none of the parties could write their names. » Chambec, 
Annals, t. l,pag. 46. On lit dans Crawfurd, Hist. ofRenfrew, part, m, pag» 313 1 c The 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 283 

d'une classe moyenne, nous pouvons nous faire une idée 
des ténèbres dans lesquelles était plongée la masse du 
peuple (1), ténèbres, néanmoins, presque insondables pour 
nous. Gomment eût pu s'exercer l'intellectdu vulgaire, puisque 
tout faisait défaut, commerce, arts, industrie, qui exigent 
du talent et de l'habileté? Les Écossais restèrent engourdis 
dans une telle grossièreté, qu'un fin observateur, qui visita 
leur pays en 1560, fut si frappé de leur barbarie, de leur 
manque d'entregent qu'il les assimile à des sauvages (2). 
Un autre écrivain, au commencement du quinzième siècle, 
'es décore du même titre ; à ses yeux, Écossais et animaux ne 
ne faisant qu'une seule et même classe, il déclare que 
l'Ecosse est « plus pleine de sauvagine que de bestaii (5). * 
Grâce à ce concours de circonstances, grâce aussi à cette 
ignorance se prosternant devant les accidents de la nature, 
le clergé avait, au quinzième siècle, obtenu plus d'influence 
en Ecosse qu'en tout autre pays de l'Europe, à l'unique excep* 
tion de l'Espagne. La puissance de ta noblesse s'étant accrue 
tout aussi rapidement, il était naturel que la couronne, reje- 
tée dans l'ombre par les grands barons, recherchât l'appui 
de l'Église. Pendant le quinzième siècle, et partie du sei- 
zième, cette alliance fut étroitement maintenue (4); et l'his» 



modem practia of subscribinf naines to writes of moment was not used in Scotland UU 
about the year 1540 ; » mais l'auteur oublie de nous dire pourquoi cette coutume n'existait 
pas auparavant. En 1564, > Robert Scott of Thirsltane, ancestor of lord Napier, eould not 
*ign his name. » Piteairn, Criminal Trials in Scotland, t. III, pag. 394. 

(1) Un Écossais, un véritable savant, nous dit : c Scotland was no less ignorant and 
superstitions at the beginning of tbe fifteenth century, than it was towards the close of 
tne twelfth.» Datrymple, Annals of Scotland, 1. 1, p. 428. 

(2) « Et sont ainsi comme gens sauvages qui ne se savent avoir ni de nulli accointer. > 
Les Chroniques de Froissait, édit. Buchon. Paris, 1835, t. II, pag. 315. 

(3) ■ Plus pleine de sauvagine que de bestaii. » Histoire de Charles VI, par le La- 
boureur. 

(4) Nous en trouvons des exemples à une époque plus reculée, mais cette alliance n'était 



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224 HISTOIRE 

toire politique de l'Ecosse n'est que le compte rendu de la 
lutte soutenue par le trône et l'autel contre l'immense auto- 
rité de la noblesse; lutte qui, après avoir duré environ cent 
soixante ans, aboutit au triomphe de l'aristocratie et à la 
chute du clergé. Mais les faits que nous venons de retracer, 
avaient tellement greffé la superstition sur le caractère 
national, que les classes théocra tiques relevèrent bientôt la 
tête : sous le titre nouveau de protestants, les prêtres devin- 
rent aussi formidables que sous leur ancien titre de catholi- 
ques. Quarante trois ans après l'établissement de la réforme 
en Ecosse, Jacques VI monta sur le trône d'Angleterre et put 
concentrer toutes les forces de son nouveau royaume du Sud 
contre les barons insoumis du Nord. Dès lors , l'aristocratie 
écossaise commença abaisser; l'Église, n'étant plus contre- 
balancée, acquit une telle puissance que, pendant les dix- 
septième et dix-huitième siècles, elle fut l'obstacle le plus 
insurmontable aux progrès de l'Ecosse ; aujourd'hui même, 
elle exerce une domination incompréhensible aux yeux de 
ceux qui n'ont pas soigneusement étudié l'enchaînement de 
ses antécédents. Décrire en détail la longue suite d'événe- 
ments qui amenèrent ce déplorable résultat serait contraire 
au but de cette introduction qui est d'établir des principes 
larges et généreux. Cependant, afin de mettre clairement la 
question sous les yeux du lecteur, il sera nécessaire que je 
trace une légère esquisse de la position que la noblesse 
maintint vis-à-vis du clergé aux quinzième et seizième 
siècles et que j'indique comment cette situation des 
deux ordres et leur haine implacable l'un pour l'autre ame- 

pas alors passée à l'état chronique. Tytler, Hist, of Scoland, 1. 1, pag. 66; Dalrymple, 
Armais, t. 1, pag. 72, 110, 111, 194, t. III, pag. 296,Nimma, Hist. of Stirlingshire, pag.88- 
Chalmers, Hist. of Dunfermline, pag. 133, 134. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 225 

nèrent la réforme. Nous verrons alors que le grand mouve- 
ment protestant, partout ailleurs démocratique, fut aristo- 
cratique en Ecosse. Nous verrons aussi que la réforme en 
Ecosse, n'étant pas l'œuvre du peuple, n'a jamais produit les 
les effets auxquels on eût pu s'attendre, ceux, par exemple, 
qu'elle produisit en Angleterre. Il n'est que trop évident 
que, tandis que dans ce dernier pays, le protestantisme a di- 
minué la superstition, affaibli le clergé, encouragé la tolérance, 
en un mot, assuré le triomphe des intérêts séculiers sur les 
intérêts théocratiques, ses effets ont été bien différents en 
Ecosse, et que l'Église écossaise, changeant sa forme, sans 
modifier son esprit, entretint non seulement ses prétentions 
avec amour, mais, malheureusement, conserva son ancien 
pouvoir ; enfin que, tout en perdant de jour en jour de leur 
pouvoir, les pasteurs écossais déploient encore, chaque fois 
qu'ils le peuvent, un esprit altier et dominateur qui témoigne 
de l'immense faiblesse qui subsiste réellement au sein de 
la nation, où le ridicule, avec ses cent voix d'airain, ne vient 
pas tuer des prétentions aussi extravagantes. 



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CHAPITRE XVII 



Situation de l'Ecosse aux quinzième et seizième siècles 



Dans les premières années du quinzième siècle, l'alliance 
de la couronne et de l'Église se révéla au grand jour , ainsi 
que son but, le renversement de la noblesse. On en 
trouve déjà des indices dans la politique d'Albany qui, pen- 
dant toute la durée de la régence (1406-1419) s'appliqua 
surtout à favoriser et à raffermir le clergé (1). Avant lui, 
aucun gouvernement n'avait osé affronter l'aristocratie : il 
lui porta le premier coup. Donald, l'un des plus puis- 
sants barons écossais, prince indépendant même, grâce à 
la possession des îles occidentales (Western Mes), s'était 
emparé du comté de Ross : l'eût-il conservé, il eût été à 
même de jeter le défi à la royauté. Soutenu par l'Église, 
Albany s'avança sur son territoire en 1411, l'obligea à 
renoncer au comté et, après avoir fait sa soumission en per- 
sonne, à livrer des otages comme garants de sa fidélité 



(1) « The Chnrch <was eminently favoured toy Albany. • Pinkertoo, History of Scot- 
land, t. 1, pag. 86. Mais Pinkertoo se méprend sur sa politique à L'égard des nobles. 



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HISTOIRE DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 227 

dans l'avenir (1). Une telle vigueur de la part du pouvoir 
exécutif était chose rare en Ecosse (2); ce fut le prélude 
d'une série d'attaques qui aboutirent à l'annexion en faveur 
de la couronne, non seulement du comté de Ross, mais aussi 
des îles occidentales (3). Jacques I er poursuivit avec plus 
d'énergie encore la politique imaginée par Albany. En t424, 
Jacques, prince hardi et actif, réussit à faire rendre une 
loi, fendant obligatoire pour une grande partie des barons, 
la production de leurs chartes, afin que Ton pût constater, 
parmi les terres qu'ils posâf daient, celles qui relevaient 
autrefois de la couronne (4). En outre, pour s'attirer l'affec- 
tion du clergé, il publia, en 1425, un édit autorisant 
l'évêque de Saint-Andrews à faire retourner à l'Église tous 
les biens qui en avaient été distraits par aliénation : tous 
les officiers de justice devaient prêter main forte à l'exécu- 



(i) Skene, Hig Mander s, t. II, pag. 72, 74; Browne, Hist. of tlte Highlands, t. 1, 
pag. 161; t. IV, pag. 435, 436. 

(3) Chalmers (Caledonia, 1. 1, pag. 826-827) parlant de l'état des choses avant Albany, 
dit : < There is not a trace of any attempt by Robert H, to limit the power of the nobles, 
whatever ne may hâve added, by his improvident grants, to their indépendance. He ap- 
poars not to hâve attempted to raise the royal prérogative firom the debasement in which 
the imprudence and misfortunes of David II, had left it » Et, an tnjet de son successeur 
Robert 111 : • So mild a prince, and so weak a man, iras not very likely to make any 
attempt upon the power of others, when he conld scarcely support his own. > En 1476 
■ the Earldom of Ross was inalienably annexed to the Crown ; and a great blow was thns 
strnck at the power and grandeur of afamily which had so repeatedly disturbed the tran- 
quillity of Scotland. • Gregory, History of the Western Highlands, Edinburg, 1836, 
pitg. 50, En 1493, « John* fourth and last Lord of the Isles, was forfeited, and deprived of 
. bis title and estâtes. > loid, pag. 58. 

(3) En 1476, « the Earldom of Koss was inalienably annexed lo the Crown ; and a great 
btow was thns struck at the power and grandeur of a family which had so repeatedly 
disturbed the trauQUillity of Scotland.» Gregory, HUtory ofthe Western Highlands, 
Edinburgh, 1836, pag. 50. En 1493, « John, fourth and last Lord of the Isles, was forfei- 
Uid, and deprived of his title and estâtes. • Jbid., pag. 58. 

(4) Comme les détenteurs des terres de la couronne étaient légalement, sinon réellement, 
les tenanciers du roi, l'acte déclara que < gif it tike the king, he may ger sumonde ail and 
sindry his tenand at lanchfull day and place to scltawe thar chartis. » The Acts ofthe 
Parliament of Scotland, t. II, pag. 4, S 9, edit. in-folio, 1814. 



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228 HISTOIRE 

tion de ce décret (1). Ceci se passait en juin : or ce qui 
nous démontre que cela n'était qu'une partie du plan général, 
c'est que quelques mois auparavant, le roi, après avoir 
fait tout à coup arrêter, en plein parlement, à Perth, plus 
d'une vingtaine des principaux barons, en fit décapiter 
quatre et confisqua plusieurs de leurs fiefs (2). Deux ans 
après, usant de la même perfidie, il convoqua les chefs des 
Highlands à Inverness, se saisit de leurs personnes, en fit 
exécuter trois et en emprisonna plus de quarante dans dif- 
férentes parties du royaume (3). 

Grâce à ces mesures, en soutenant aussi l'Église avec 
le même zèle qu'il déployait contre les nobles, le roi s'ima- 
ginait pouvoir intervertir l'ordre des choses établies et con- 
solider la suprématie du trône sur l'aristocratie (4). Mais en 



(1) «On the 8th Jane, 1425, James issued a commission to Henry, bishop of S t- Andrews, 
authorising him to résume ail aliénations from the Church, with power of anathema, and 
ordersto ail justiciaries toassist. This carions paper is preserved in Harl. Ms. 4637, t. m, 
f. 189. * Pinkerton, Hist. of Scotland, 1. 1, pag. 116. L'archevêque Spottiswoode, que cette 
politique enchante, la dénomme c a gond king, » et dit : « He bnilt forthe Carthosiaosi 
beautiful monastery at Perth, bestowing large revenues npon the same. • Spottiswoode, 
Hist. ofthe Church of Scotland, 1. 1, p. 113. Et Keith nous assure que Jacques 1" alla 
même un jour jusqu'à donner à un évoque a a silver cross, in which was contained a bit 
of the wooden cross on which the apo tle St Andrews had been crucified. > Keith, Cata- 
logue ofScoth Bishops, 1755, pag. 67. 

(2) Rapprochez Balfour, Annales, t. I, pag. 153, 156, de Pinkerton, Hist., t. I, 
pag. 113, 115. Entre ces deux auteurs il y a une légère différence, mais elle est sans impor- 
tance. 

(3) Tytler, Hist. of Scotland, t. III, pag. 95, 96; Skene, Highlanders, t. II, 
pag. 75, et une description assez écourtée dans Gregory, Hist. ofthe Western Islands, 
pag. 35. 

(4) Tytler {Hist. of Scotland, t. III, pag. 126) i la date de 1433, dit : i In the midst of 
bis labours for the pacification of his northern dominions, and his anxiety for the suppres- 
sion of heresy, the king never forgot his great plan for the diminution of the exorbitant 
power of the nobles. > P. 84. c It was a principle of this enterprising monarch, in hi* 
scheme8 for the recovery and consolidation of his own power, to cultivate the friendship 
of the clergy, whom he regarded as a counterpoise to the nobles. » Lord Somerville {Me- 
morie of the SomerviUeSj t. 1, pag. 173) dit que la haute noblesse fut < never or seldome 
called to counsell dureing thisking's reign. > 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 229 

cela il s'exagérait son pouvoir. A l'exemple de presque tous 
les politiques, il prisait trop la valeur des remèdes politiques. 
Le législateur et le magistrat pourront un instant pallier le 
mal; effectuer une guérison, jamais. Les maux généraux 
dépendent de causes générales qui sont au dessus de leur 
art. Qu'ils touchent les symptômes de la maladie, soit : 
quant à la maladie elle-même, elle déjoue leurs efforts et 
trop souvent leur traitement ne fait que l'empirer. En 
Ecosse, le pouvoir de la noblesse était une affreuse maladie 
qui minait les forces vives de la nation : mais enfin elle avait 
longtemps couvé, elle était passée à l'état chronique : invétérée 
qu'elle était, le temps seul pouvait la guérir; la violence 
était impuissante à la diminuer. Au contraire, dans ce cas, 
comme en tous autres, que les politiques cherchent à faire 
beaucoup de bien, et le résultat infaillible sera un mal 
immense. Action outrée d'un côté entraîne réaction de 
l'autre, et voilà l'équilibre de l'état social dérangé. Les inté- 
rêts opposés se heurtant, toute sécurité disparaît! De nou- 
velles inimitiés s'allument, les anciennes s'enveniment, 
les dissensions, la discorde naturelle redoublent, et pour- 
quoi? Tout simplement parce que les hommes d'État ne 
veulent pas comprendre qu'en opérant sur un grand pays, 
ils ont à faire à une organisation si subtile, d'une telle com- 
plexité, et de plus si obscure, que viennent-ils, ces pas* 
teurs d'hommes, à y introduire un changement, on peut 
affirmer que cent fois contre une le changement sera nui- 
sible , et qu'ils auront , presque toujours , beaucoup à 
faire pour protéger ou raffermir ses points particuliers : car 
cette organisation possède par elle-même le pouvoir de 
réparer ses propres maux, et pour y parvenir, il ne lui 
faut que deux choses : le temps et la liberté ! c'est à dire, 

T. IV 15 



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230 HISTOIRE 

deux choses dont la prive trop souvent l'intervention des 
hommes au pouvoir. 

C'est ce qui eut lieu en Ecosse au quinzième siècle. 
Pourquoi les tentatives de Jacques I er échouèrent-elles? 
Parce que c'étaient des mesures particulières dirigées contre 
des affections générales. Des idées , des opinions, engen- 
drées par un long enchaînement de circonstances, et pro- 
fondément enracinées dans l'esprit public, avaient donné à 
l'aristocratie un immense pouvoir : que tous les nobles en 
Ecosse aient été décapités, que tous leurs châteaux aient 
été rasés, tous leurs fiefs confisqués, supposons tout cela; 
eh bien , sans contredit , il serait venu un jour où leurs 
successeurs auraient acquis une influence plus étendue 
que jamais , parce que l'injustice commise aurait accru le 
dévoâment de leurs partisans et de leurs suivants. Toute pas- 
sion n'en fait-elle pas naitre une contraire? La cruauté d'au- 
jourd'hui ne produit-elle pas demain la sympathie? La haine 
de l'injustice, plus que tout autre principe, contribue à ni- 
veler les inégalités et à maintenir la balance des affaires. 
Oui, tyrannie, c'est cette aversion pour toi, qui, faisant vibrer 
les cordes les plus intimes du cœur, rend ton triomphe défi- 
nitif à jamais impossible. Voilà ce qui constitue la noblesse 
de notre nature : partie primordiale qui, empreinte de la 
beauté divine, révèle sa haute origine, et, divinatrice, pa- 
rant aux éventualités les plus éloignées, est pour nous la plus 
sûre garantie que la victoire de la violence ne sera jamais 
suprême, que, tôt ou tard, le despotisme finira par être ren- 
versé, enfin que les affreux desseins des méchants ne pré- 
vaudront jamais contre les intérêts éternels de la race 
humaine. 
En ce qui regarde Jacques I er , la réaction se produisit 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 231 

plutôt qu'on ne pouvait s'y attendre ; et comme elle eut lieu 
de son vivant, elle fut à la fois réaction et peine du talion. 
Pendant plusieurs années, il continua à opprimer impuné- 
ment les nobles (1) ; mais en 1346, ils se retournent contre 
lui, et lui font subir le dernier supplice pour venger leurs 
frères décapités (2). Alors leur pouvoir se releva avec la 
même rapidité qu'il avait été courbé. Dans le sud de l'Ecosse, 
les Douglas exerçaient une autorité suprême (3), et le chef 
de cette famille, un comte, jouissait de revenus qui égalaient 
à peu près ceux de la couronne (4). Et, pour montrer que 
son autorité égalait sa richesse il se présenta, à la cérémonie 
du mariage de Jacques II (1449), avec une suite de cinq 
mille vassaux (5), tous partisans déterminés et armés, tenus 
d'obéir à tous ses ordres. Non, qu'un noble Écossais eût 
besoin d'employer la contrainte pour se faire obéir par ses 
gens. La servitude était volontaire, inféodée dans les mœurs 
de la nation. A cette époque, comme longtemps après, il 



(1) Consultez Chalmers, Caledonia, t. Il, p. 963, et Bûcha nan, Rerum Scoticarum 
Historia, iib. x,p.286. 

(2) Tytler, History of Scotland, t. III, p. 157, 158. 

(3) Lindsay of Pitscottie (Chronicle*, 1. 1, pag. 2) dit qu'aussitôt après la mort de Jac- 
ques I", < Alexander, Earle of Douglas, being uerie potent in kine and friendis, contemned 
ail the kingis office ris, in respect of his great puissance. » C'est dans l'ouvrage profond 
mais mal coordonné de Chalmers que j'ai trouvé le meilleur aperçu du développement des 
Douglas. Caledonia, 1. 1, pag. 579, 583. 

(4) En 1440, < the chief of that family had revenues perhaps équivalent to thoseof the 
Scottish monarch. • Pinkerton, Hislory of Scotland, t. I,pag. 192. 

(5) It may giveus some idea of the immense power possessed at this period by the Earl 
of Douglas, vrhen we mention that on this chi vairons occasion, themilitary suite by which 
he was surrounded, and at the head of which he conducted the Scottish champions to the 
lists, consisted of a force amounting to five thousand men. • Tytler, History of Scotland, 
t. III, pag. 215. Le vieil historien de cette famille dit : « He is not easy to be dealt with; 
they must hâve mufles that would catch such a cat. Indeed, he behaved himself as one that 
thought he woult not be in danger of them; he entertained a great family; he rode ever 
well accompanied when he came in pnblick; 1,000 or 2,000 horse %ere his ordinary 
train. » Hume, History ofthe House of Douglas, 1. 1, pag. 273, 274, réimprimé à Edim- 
bourg, 1743. 



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232 HISTOIRE 

était aussi déshonorable que peu sûr de ne pas appartenir 
à un grand clan ; et qui n'était pas assez favorisé du sort 
pour se rattacher à une haute famille, prenait habituellement 
le nom de quelque grand chef et achetait sa protection en 
se consacrant à son service (1). 

Les comtés de Crawford et de Ross occupaient dans le Nord 
la même position que le comte de Douglas dans le Sud (2) ; 
Séparément formidables, unis, rien ne semblait devoir leur 
résister. Ainsi, lorsqu'à la fin du quinzième siècle, ils 
arrivèrent à former une ligue étroite contre tous les ennemis 
communs, il eût été difficile de déterminer la limite où 
s'arrêterait leur pouvoir ou le mode d'action que le gouver- 
nement pourrait employer contre eux, si ce n'est de semer la 
discorde dans leurs rangs (3). 

Cependant, sur ces entrefaites, la violence de la part de 
couronne avait accru la disposition où était la noblesse de 
diriger ses forces contre le trône. Ce dernier, au lieu de puiser 
une leçon dans le sort qui était échu à Jacques I er , imita ses 



(i) Au dix-septième siècle, < To be withoal a chief, involved a kind of disrepute; and 
tbose who had do distinct Personal position of their owo, would find it necessary to 
become a Gordon or a Crichton, as prudence or inclination might point ont. • Burton, 
Criminal Trials in Scotland, 1. 1, pag. 207. Voir dans Pitcairn, Criminal Trials 
in Scotland, t. III, pag. 230, « the protective surname of Douglas; » et dans Skene, 
Highlanders, t. H, pag. 252, l'extrême importance qu'on attachait au nom de Mac- 
gregor. 

(2) « Men of the greatest puissance and force next the Douglases that were in Scotland 
in their times. » Hume, History oftheHouse of Douglas, 1. 1, pag. 344. Le grand pou- 
voir des comtes de Ross dans le Nord date du treizième siècle. Consultez Skene, Highlan- 
ders, 1. 1, pag. 133, i34, t. Il, pag. 52. 

(3) En 1445, le comte de Douglas conclut, « ane offensiue and defensiue league andcom- 
binatione aganist ail, none excepted (not the king himselue), with the Earle of Crawfurd, 
and Donald, Lord of the Isles ; wich was mutually sealled and subscriued by them three, 
the 7 day of Marche. * Balfour, Annales, 1. 1, pag. 173. A cette ligue se joignirent d'autres 
familles nobles : • He maid bandis with the Erle of Graufurd, and with Donald lorde of 
the Ylis, and Erle ofKoss,to take part every ane with other,and withdyvers uther noble 
men also. » Lesley, History of Scotland (1436-1561), pag. 18. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 233 

actes tortueux, et poursuivit la même politique qui avait 
entraîné sa ruine. Parce que les Douglas formaient la famille 
la plus puissante de toutes, on résolut de les faire mourir; 
ne pouvant les tuer par la force, appel fut fait à la trahison. 
En 1440, le comte de Douglas, enfant de quinze ans, et 
son frère, plus jeune encore, sont amicalement invités à 
venir rendre visite au roi à Edimbourg. A peine arrivés, 
ils sont saisis d'après Tordre du chancelier; ils sont soumis 
à un jugement dérisoire, déclarés coupables, traînés jusque 
dans la cour du château, et décapités sur l'heure (1). 

A considérer le profond attachement des Écossais pour 
leurs chefs, est ce exagérer que de dire que ce meurtre bar- 
bare eut pour résultat d'affermir la classe que l'on voulait 
intimider? Non. Cependant, ce crime horrible fut le fait 
du gouvernement seul, le roi étant alors mineur : mais le roi 
lui-même fut l'auteur du second assassinat. En 1542, 
Jacques H, avec force démonstration de politesse, manda 
le comte de Douglas (2) à la cour, alors réunie à Stirling. 
Le comte hésita ; mais Jacques triompha de sa répugnance, 
en lui envoyant un sauf-conduit revêtu de la signature royale 
et du grand sceau. Devant cet engagement formel de la 
royauté, les craintes de Douglas se dissipèrent. Il se rendit 



(i) On trouvera un récit intéressant de ce crime infâme dans Hume, Hist. ofthe House 
of Douglas, 1. 1, pag. 274, 288; l'auteur est fort indigné, et rien n'est plus natnrel. D'un 
autre côté, Lesley, évêque de Ross, raconte ce fait avec un parfait sang-froid, qui caracté- 
rise fort bien l'animosité qui existait entre les nobles et le clergé, et qui l'empêcha de 
regarder le meurtre de ces deux enfants comme un crime. < And eflir he was set doua to 
the burd with the governour, chancellour, and otheris noble men présent, tbe meit was 
sudantlie removed , and ane bullis heid presented , quhilk in thay daies was ane 
signe ofexecutione; and incontinent tbe said erle, David bis broder, and Malcome Fle- 
ming of Cummernal, wer beidit before the castell yett of Edenburgh. » Lesley, History, 
pag. i6. 

(2) Cousin des deux enfants massacrés en 1440. Hume, Hist. ofthe House of Douglas y 
1. 1, pag. 297, 316. 



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254 HISTOIRE 

en toute hâte à Stirling où il fut reçu avec les plus grands 
honneurs (1). Le soir même de son arrivée, à la fin du 
souper, tout à coup le roi se répand en reproches contre lui 
et, dégainant, lui donne un coup de poignard, Gray l'achève 
avec une hache, et Douglas tombe mort sur le plancher, en 
présence du souverain qui Ta attiré à sa cour pour le mas- 
sacrer avec impunité (2). 

La férocité du caractère écossais, résultat naturel de 
l'ignorance et de la pauvreté de la nation, fut, sans nul 
doute, Tune des causes*, et non la moindre, de pareils 
crimes,crimes que les chefs de l'État commettaient, non 
pas en secret, mais en plein jour. Qui nierait, cependant, 
qu'une autre cause ce fut l'influence du clergé dont l'intérêt 
était d'humilier la noblesse et qui n'apportait aucun scru- 
pule dans le choix des moyens (3)? A mesure que la cou- 
ronne se détachait de plus en plus de l'aristocratie, elle se 
rapprochait davantage de l'Église. En 1443, un édit fut 
rendu dans le but de protéger les biens du clergé contre les 
attaques des barons (4). Assurément dans une société sem- 
blable, il était plus facile de rendre des lois que de les faire 



(1) f With assurance under the brand seal. • Hume, Hist. ofthe House of Douglas, 
1. 1, p. 351 ; Nimma, Hist. of Stirlingshire, pag. 246, 322, 323. 

(2) Home, House of Douglas, t. I, pag. 351, 353. Le roi « stabbed him in the breast 
with a dagger. At the same instant Patrick Gray struck him on the head with a pole-ai. 
The rest that were attending at the door, hearing the noise, entred, and fell also npon 
him; and, to show their affection to the king, gave him every man his blow after ne vas 
dead. » Lindsay of Pitscottie, Chronicles ofScotland, 1. 1, p. 103. • He strak him throw 
the bodie thairwith; and thairefter the guard, hearing the tumult within the chamber, 
rnsched in and slew the earle ont of hand. > 

(3) Dans Nimma, Hist. of Stirlingshire, pag. 99, 100, on fait remonter les discussioos 
de la noblesse et de l'Église an milieu du quinzième siècle : cette assertion est peut être 
exacte, en tant qu'elle se rapporte à l'extension de cette haine, mais on distingue nette- 
ment ce mouvement cinquante ans plus tôt. v 

(4) Acts oftfie Parliament of Scotland, t. II, pag. 33, « the statute of halykirk quhilk 
is oppressit and hurt. > 



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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 255 

exécuter : mais enfin cette mesure est l'indice de la tendance 
générale du gouvernement et de son alliance avec l'Église. 
D'ailleurs, nul ne pouvait s'y tromper (1). Pendant près de 
vingt ans, le conseiller intime et avoué de la couronne fut 
Kennedy, évêque de Saint-Andrews, qui resta au pouvoir 
jusqu'à sa mort (1466) durant la minorité de Jacques III (2). 
Ennemi acharné des barons, il déploya contre eux une ani- 
mosité incessante que vinrent redoubler des insultes per- 
sonnelles : car le comte de Crawford avait pillé ses terres, 
et le comte de Douglas avait tenté de se saisir de sa personne 
pour le jeter, disait-il, dans les fers (3). Cela eût suffi pour 



(1) En 1449, Jacques II c writh that affectionate respect for ibe clergy, which could not 
fail to be experienced by a prince who had successfully employed tbeir support and aduice 
to escape from the tyranny of bis nobles, granted to them some important privilèges. » 
Tytler, Hist. ofScotlandt, t. III, pag.226. Voir aussi pag. 309. Entre autres mesures de ce 
genre, il accorda aux moines de Paisley une partie de la juridiction qui, en certains 
cas, appartenait à la couronne. Charte, 13 janvier 1451-2. Cbalmer, Caledonia, t. III, 
pag. 823. 

(2) Pinkerton, Hist. of Scotland, t. I, pag. 188,209,247,254. Keitb, Catalogue of 
Scotch Bishop8,pdLg.i9; Ridpath, Border History, pag. 298; Hollinsbead, Scottish 
Chronicle, t. II, p. 101. Dans Somerville, Memorie of the Somervilles, 1. 1, pag. 213, il 
est dit, à la date de 1452, que, poussé par la crainte, le roi avait songé à se sauver : la 
crainte d'affronter la noblesse, dit-il, « had once possest his majestie with some thoungbts 
of going ont of the countrey ; but that he was perswaded to the contrary by Bishop Ken- 
nedie, then Arch-bishop of Saint-Andrewes, whose counsell at that tyme and eftirward, 
in most th.ings be followed, which at lenglh proved to his majesties great advantage. » 
Lesley, History, pag. 23. > The king wes put to sic a sharp point, that he wes deter- 
minit tb haif left the reaime, and to haif passit in Fraunce by sey, were not tbat bischop 
James Kennedy of St-Androis causit him to tarrye. > 

(3) « His lands were plnndered by the Earl of Crawford and Alexander Ogilvie of Inve- 
raritie, at the instigation of the Earl of Douglas, who had farther instructed them to seize, 
if possible, the person of the bishop, and to put him in irons. > Memoir of Kennedy, 
Chamber, Lives of Schotmen, t. III, pag. 307, Glasgow, 1834. « Sed Kennedus et setate, 
etconsilio, ac proinde auctoritate caeteros anteibat. In eum potissimum ira est versa. Cra- 
fordiae cornes et Alexander Ogilvius contlato satis magno exercitu, agros ejus in Fifa latè 
populati, dum prœdam magis, quam causam sequuntur, omni génère cladis in vicina eliam 
praedia grassati , nemine congredi auso pleni praedarum in Angustiam revertuntur. 
Kennedus ad sua arma conversus comitem Crafordiœ disceptationem juris fugientem 
diris ecclesiasticis est prosecutus. » Buchanan, Rerum Scoticarum Historia, lib. xi, 
pag. 306. 



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236 HISTOIRE 

exciter le plus doux des hommes; et, comme à l'époque où 
Jacques II assassina Douglas, Kennedy jouissait d'une in- r 
fluence presque absolue, il est probable que l'évêque fut com- 
plice de cette infâme complot. Quoiqu'il en soit, il n'exprima 
aucun blâme : et lorsque, par suite de ce meurtre, les Dou- 
glas et leurs partisans se révoltèrent ouvertement, Kennedy 
donna au roi un conseil plein de ruse et d'insinuation, et 
qui caractérise hautement l'esprit insidieux de sa profession. 
Prenant en main un faisceau de dards, il lui fit voir que, 
liés ensemble, on ne pouvait les rompre, mais que, séparés, 
on les brisait sans effort; voulant dire par là que pour ren- 
verser les barons, il fallait les désunir et les ruiner un par 
un (1). 

Certes, il avait raison, en tant qu'il y allait des intérêts 
de son ordre; mais, à considérer l'intérêt de la nation, il est 
évident que le pouvoir de la noblesse, malgré ses abus 
criants, était, après tout, avantageux, puisque c'était la seule 
barrière au despotisme. Oui, les maux qu'entraînèrent les 
barons furent immenses; mais ils détournèrent d'autres mal- 
heurs qui eussent été cent fois pires. L'anarchie du présent 
assura la liberté future. La moyenne classe n'existant pas, 



(1) ■ This holie bischop schew ane similitud to the king, qnhilk might bring bim to 
expérience bow be might invaid againes the Donglass, and the rest of the conspiratooris. 
This bischop tuik furth ane great scheife of arrowes knit togidder werrie fast, and desired 
him to pat thame to his knie, and break tbame. The king said it was not possible, becans 
theywar somany, and so weill fastened togidder. The bischop answeired, it waswerriP 
true, bot yitt he -wold latt the king sea how to break tbame : and pnlled ont on be on, and 
tua be tua, qnhill he had brokin thame ail ; then said to the king, » Yea most doe with the 
conspiratonris in this manner, and thair complices that are risen againes yow, qnbo arc 
so many in nnmber, and so hard knit togidder in conspiracie againes yow, that yea cannot 
gett thame brokin toggider. Bntt be sick pratick as I hâve schowin yow be the similitnd of 
thir arrows, that is to say, yea must conqaeis and break lord by lord be thamselffis, for 
yea may not deall with thame ail at once. • Lindsay of Pitscottie, Ctironicles ofScol- 
land, t. I, pag. 173, 173. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 257 

il n'y avait que trois ordres dans l'État, à savoir, le gouver- 
nement, le clergéet la noblesse. Les deux premiers faisaient 
cause commune contre le troisième : il est donc certain que, 
s'ils avaient remporté la victoire, l'Ecosse eût passé sous le 
joug le plus horrible qu'on puisse imposer à une nation. 
Roi absolu, Église absolue, voilà les deux chefs qui, unis- 
sant leur jeu, eussent tyrannisé tout un peuple qui, en dépit 
de sa barbarie et de son ignorance, chérissait une certaine 
liberté rude et grossière, qu'il était bon qu'il possédât, mais 
qui, en présence d'une telle dualité, eût été à coup sûr 
étouffée. 

Heureusement, la puissance de la noblesse avait jeté 
de trop profondes racines dans l'esprit du peuple pour que 
cette catastrophe fût possible. En vain Jacques III fit-il tous 
ses efforts pour rabaisser les barons (1) et élever leurs 
rivaux, les prêtres (2), rien ne put ébranler l'autorité de 
l'aristocratie, et, en 1482, convaincus des tendances du roi, 
les nobles se rassemblèrent, et l'influence qu'ils exerçaient 
sur leurs partisans était telle qu'ils se saisirent facilement de 
la personne de Jacques et l'emprisonnèrent au château 
d'Edimbourg (3). A peine délivré, de nouvelles querelles sur- 
girent (4) : aussi, en 1488, les principaux barons réunissent 

(1) t He wald nocht suffer the noblemen to corne to his présence, and to governe the 
reaime be thair counsell. » Leslej, H istory of ScoWand, pag. 48. «Wald nocht ose the 
counsall of his nobilis; ■ pag. 55. « Exclnding the nobility. > Home, history ofthe House 
of Douglas, t. II, pag. 33. ■ The nobility seeing his résolution to roin tbem ; > pag. 46: 
c Hes contemiog his oobility. • Balfour, Annales, 1. 1, pag. 906. 

(2) AJso to aggrandize tbem. See, for instance, what « has obtained the name of the 
golden charter, from the ample privilégies it contaios, confirmed to Archbishop Shevez 
by James III, on 9th. July 1480. > Grierson, History of Saint Andrews, pag. 58. 
Cupar. 1838. 

(3) c Snch vas the influence of the aristocracy over their warlike follovers, that the kiog 
-vas confeyed to the castle of Edinbnrgh, vithont commotion of mur mur. > Pinkerton, His t. 
ofScotland, 1. 1, pag. 308. 

(4) « The king and his ministers mnltiplied the insnlts which they offered to the nobi- 



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238 HISTOIRE 

leurs troupes, lui livrent bataille et, après l'avoir défait, le 
font mourir (1). Jacques IY lui succéda : sous ce prince, il 
n'y eut rien de changé, c'est à dire, d'un côté les nobles, de 
l'autre la royauté et le clergé. Tout ce que le roi put faire 
pour soutenir l'Église, il l'exécuta avec empressement. En 
1493; il réussit à faire rendre une loi, assurant l'immunité 
des sièges de saint Andrews et de Glascow, les deux plus 
importants de l'Ecosse (2). En 1503, il obtint la révocation 
générale de toutes les donations préjudiciables à l'Église, 
soit qu'elles eussent été accordées par le parlement ou par 
le conseil privé (3). Enfin, en 1508, d'après l'avis d'EI- 
phinston, évêque d'Aberdeen, il osa prendre une mesure 
encore plus audacieuse. Ce fin et ambitieux prélat persuada 
à Jacques de remettre en vigueur, pour les diriger contre la 
noblesse, plusieurs droits tombés en désuétude, en vertu 
desquels le roi pouvait, dans certaines circonstances, s'em- 
parer dès fiefs, et pouvait même, toutes les fois que le détenteur 
relevait de la couronne, toucher presque tous les revenus 
durant la minorité du propriétaire (4). 



lity. > c A proclamation was issoed , forbidding any person lo appear in arms 

-within tbe precincts of tbe conrl ; -wbicb, at as time when no man of rank left his owd hoase 
-witboat a numerous retinne or armed followers, was, in effect, debarring the nobles from 

ail access to tbe king. • « His neglect of tbe nobles irritated, bnt did not weaken 

them. > Hist. ofScolland, liv. i, pag. «8; Robertson, Works, édit. Lond.,1831. 

(1) Balfour, Annales, 1. 1, pag. 213, 214; Bncbanan, Rerum Scoticarum HUtoria, 
lib. ni, pag. 358. Lindsay de Pitscottie (Chronicles, 1. 1, pag. 222) dit : « Tbis may be ans 
example to àll kingis tbat cnmes heirefter, not to fall from God. »..'...• For, if ne 
bad used tbe coansali of bis wysc lordis and barrones, be bad not cam to sick dispa- 
ratioon. > 

(2) Acts of the Parliaments ofScotland, in-fol., 1814, t. II, pag. 232. t Tbat the said 
abbaceis confirmit be tbame sali neid na pronisionn of tbe court of Rome. > 

(3) Acts of tlie Parliaments ofScotland, t. II, pag. 240, et le sommaire do statut 
(pag. 21) : « Révocation of donations, statotis, and ail nthir thingis burtand tbe croone 
or bali kirk. » L'année suivante (1504), le roi ■ greatly augmented > les revenus de l'éréché 
de Galloway. Ghalmers, Caledonia, t. III, pag. 417. 

(4) Pinkerton, Hist. ofScotland, t. Il, pag. 63; Calderwood, Hist. of the Kirk of 



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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 259 

Avancer ces prétentions était chose facile, les mettre à 
exécution, impossible. A cette époque, les nobles gagnaient 
plutôt du terrain qu'ils n'en perdaient ; et, après la mort de 
Jacques IV (1513), ils devinrent si puissants, durant la mino- 
rité de Jacques V, que le régent Albany, de désespoir, déposa 
deux fois les rênes dugouvernement, pour les abandonner com- 
plètement (1). 11 quitta l'Ecosse en 1524, et avec lui sembla 
s'évanouir l'autorité du pouvoir exécutif. Bientôt les Douglas 
se saisirent du roi et contraignirent Beaton, archevêque de 
saint Andrews, le personnage le plus influent parmi le 
clergé, à se démettre des fonctions de chancelier (2). Dès 
lors, ils exercent le commandement suprême, eux ou leurs 
adhérents remplissent toutes les places, les intérêts sécu- 
liers l'emportent, et le clergé est tout à fait rejeté dans 
l'ombre (3). Néanmoins, en 1528, il se produisit un événe- 



Scotland. Édinb., 1849, Wodrow Society, t. Vin, pag. 135. Ce dernier auteur dit : tThe 
bishop devysed wayes to King James the Fourth, how he might attaine to great gaine and 
profit. He advised him to eall his harona and ail those that held any lands within the 
reaime , to show their évidents by way of récognition ; and, if they had not sufficient wri- 
tings for their warrant, to dispone upon their lands at his pleasure ; for the which advice 
he was greatlie hated. Bnt the king, perceaving the conntrie to grodge, agreed easilie with 
the possessors. > 

(1) L'époque de la.régenced' Albany a été mal comprise parles premiers historiens ; cette 
question a été soigneusement traitée par M. Tytler, et c'est dans son ouvrage estimable 
quoique trop diffus qu'on trouvera le meilleur aperçu. Tytler, Hist. of Scotland, t. IV, 
pag. 96460. Quant aux hostilités qui eurent lieu entre Albany et les nobles, consultez lrving, 
Hist. of Dumbartonshire, pag. 99. A l'égard de l'accroissement de leur pouvoir dans le 
Nord après la mort de Jacques IV, se reporter à Gregory, Hist, of the Western Highr 
lands, pag. 114, 115. 

(2) Tytler, Hist, of Scotland, t. IV, pag. 180482 : « Within a few mouths, there was not 
an office of trust or émolument in the kingdom which was not filled by a Douglas or by a 
créature of that bouse. » Voyez aussi pag. 187, 194, et Keitb, Catalogue of Scotch Bishops, 
pag. 22, 23. Beaton, qui fut si rudement dépossédé de la chancellerie que, selon Keilh, il 
fut en 1525 obligé « to lurk among bis friends for fear of his life, ■ est dépeint comme l'nn des 
principaux partisans du gouvernement d' Albany en 1524, • that most hath favoured the 
Duke of Albany. » State Papers of the Reign of Henry VIII, t. IV, pag. 97. 

(3) Le pouvoir absolu des Douglas dura depuis la fin de la régence d'Albany jusqu'à 
l'évasion du roi (1528). Keith, Hist. oftheAffairs ofthe Church and State in Scotland, 



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240 HISTOIRE 

ment qui permit aux classes ecclésiastiques non seulement 
de recouvrer leur ancienne position, mais aussi d'acquérir 
une certaine prééminence qui, en fin de compte, leur fut 
fatale. Impatient d'un état de choses aussi peu favorables à 
l'Église, l'archevêque Beaton organisa une conspiration, 
grâce à laquelle Jacques s'échappa des mains des Douglasret 
se réfugia dans le château de Stirling (1). Cette réaction 
subite ne fut pas la cause réelle et dominante de l'établisse* 
ment du protestantisme en Ecosse; mais, sans conteste, elle 
en fut la cause première. En effet, l'Église dirigeait alors le 
gouvernement : par conséquent, les nobles le plus influents 
furent persécutés, quelques-uns même chassés du pays ; tou- 
tefois, si le pouvoir politique des seigneurs avait disparu, leur 
pouvoir social subsistait, quoiqu'ils fussent dépouillés de leurs 
honneursetde leurs richesses, réduits à l'exil, à la pauvreté, 
pourchassés comme traitres; le véritable fondement de 
leur autorité ne fut pas ébranlé, parce que résultant d'un 
long enchaînement de circonstances, cette autorité était 
basée sur les affections du peupla C'est pourquoi les 
barons, même les proscrits, même les déchus, purent pour- 
suivre contre leurs ennemis une lutte ardue, mais qui finit 



1. 1, pag. 33-35. Consulte* Balfour, AnnaUê, t. 1, pag. 257 : ■ The Earle of Angus violeotley 
takes one him the gouerniment, and retanes the kiog in effecte a prison nr with bim ; daring 
which tyme ne, tbe Earle of Lennox, and George Douglas, bis anen brother, frely disposses 
ypone ail affaires both of chnrcbe and staite. > 

(1) Tytler, Hist. ofScotland, t. IV, pag. 195, 196. Nous lisons dans le curieux ouvrage 
intitulé : A Diurnal of Occurrents, pag. 10 : « In the leir of God 1500, tnantie ancht zeiris, 
the kingis grâce by slicht wan away fra the Donglassis. » De Stirling il se rendit à Edim- 
bourg, le 6 jnillet 1518, et alla « to the bosshop of Sainct Andros loegeing.» Voyes une 
lettre écritele 18 juillet 1528 par lord Dacre à Wolsey (State Papers of Henry VIIJ, U IV, 
pag. 501 ). Se reporter également i une proclamation publiée le 10 septembre 1538 et citée 
dans Pitcairn, Criminal Trials in Scotland, 1. 1, part, i, pag. 138, 139. J'indique particu- 
lièrement ces documents, parce que Lindsay de Pitscottie (Chronicles of Scotland, t. II, 
pag. 335 ) fait remonter la fuite de Jacques à 1527, et que généralement il est l*un des auteurs 
anciens les plus exacts, si toutefois il est l'auteur du livre qui porte son nom. 



\ 



Ji* 



DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 241 

par réussir. Le désir de se venger les aiguillonnait, leurs 
efforts se décuplant, il y eut une guerre à mort entre Taris* 
tocratie et l'Eglise écossaise. Jusqu'à un certain point cette 
lutte remarquable ne fut que la continuation de celle qui avait 
pris naissance dans les premiers jours du quinzième siècle,; 
combien plus acharnée! après avoir duré sans interrup- 
tion pendant trente-deux ans, elle finit par le triomphe de 
la noblesse qui, en 1560, renversa entièrement l'Église et 
détruisit presque toute la théocratie écossaise. 

Les histoires ordinaires nous retracent, quoique d'une 
manière assez confuse, les incidents de cette lutte et les 
vicissitudes qu'éprouvèrent les deux partis : il suffira donc 
que j'indique les points saillants, et qu'en laissant de côté 
jt tout détail inutile, j'essaie d'éclaircir le mouvement général. 
De cette façon, l'unité du plan tout entier se déroulant 
.,- devant nous, nous verrons que la destruction de l'Église 
i: ; catholique fut l'achèvement naturel de ce grand courant, 
., et que le dernier acte de ce drame splendide, loin d'être 
D une conclusion violente et irrégulière, découle admirable- 
L ment de toute l'intrigue qui précède. 
i Lorsque Jacques parvint à s'échapper en 1528, il n'était 

âgé que de seize ans : et sa politique, si tant est qu'on puisse 
; * lui supposer la moindre volonté déterminée, fut dirigée par 
: .; le clergé auquel il devait sa liberté et qui était son protec- 
teur naturel. Son principal conseiller fut l'archevêque de 
** Saint-Andrews, et le poste important de chancelier qui, 
: sous les Douglas, avait été rempli par un fonctionnaire 
J$ séculier, fut alors conféré à l'archevêque de Glascow (1). 
i Taudis que ces deux prélats régnaient souverainement, 

0* 

*** (1) State Paper s of Henry VI U, t. IV, pag. 801. 



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242 HISTOIRE 

l'abbé d'Olyrood fut créé trésorier et l'évêque de Dunkeld 
garde des sceaux (1). A tout membre noble, même à tout 
partisan de la maison de Douglas, défense fut faite de s'ap- 
procher à plus de douze milles de la cour, sous peine d'être 
poursuivi comme traître (2). On dirigea une expédition 
contre le comte de Gaithness qui fut défait et tué (3). Peu 
de temps auparavant, le comte d'Augus avait été banni et 
ses biens confisqués (4). Les Douglas furent proclamés hors 
la loi et proscrits (5). De plus, le gouvernement fit empri- 
sonner le comte de Bothwell, Home, Maxwell, les deux 
Kerrs, et les barons de Buuleuch, de Johnston et de Pol- 
warth (6). 

Tout cela ne laissait pas d'être assez rigoureux : con- 
séquence de la restauration de l'Église. On se prépara à 
frapper d'autres coups également décisifs. En 1531, le roi 
enlève au comte de Crawford la plus grande partie de ses 
fiefs, et jette le comte d'Argyle dans les fers (7). Il rebute 
même les nobles qui se sont montrés disposés à le suivre. 



(1) < Archibald vas depryvit of the thesaorarie, an<J placit thairin Robert Cairncorse, 
abbot of Halyradhons. And aïs was tane fra the said Archibald the privie seill, and was 
givin to the bischope of Donketl. » A Diumal of Occurrents, pag. il. 

(2) Tytler (Hist. of Scotland, t. IV, pag 196) dit : « His flrst act was to summon a 
couDcil, and issne a proclamation that no lord or follower of the honse of Douglas shonld 
dare to approach within six miles of the court, under pain of treason. > L'on ne cite pas 
d'autorité à l'appui, et l'historien de la famille des Douglas dit très distinctement : t Within 
twelve miles of the king nnder pain of death. » Home, House of Douglas, t. H, pag. 99. 
Voyez également Diumal of Occurrents, pag. 10 : « That nane of thame nor tbair fami- 
Iiaris cnm neir the king be tnelf myllis, > par la raison qne t the said kingis grâce haid greit 
snspicionn of the temporall tordis, becans thaj favonrit snm pairt the Donglassis. » Diumal 
of Occurrents^ pag. 12. 

(S) ■ The Erle of Caithnes and tyve hnndreth of his men wes slayne and df o-wnit in the 
see. • Lesley, 1K«C. of Scotland, pag. 141. 

(4) Tytler, Hist. of Scotland, t. IV, pag. 203, 204. 

(5) Acts ofthe Parliaments of Scotland, édit. in-fol., 1814, t. H, pag. 324. 

(6) Tytler, Hist. of Scotland, t. IV, pag. 207. 

(7) Idem, ibid., t. IV, pag. 212. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 243 

En toute occasion, il leur témoigne la plus grande froideur, 
tandis qu'il revêt leurs rivaux, les prêtres, des plus hautes 
dignités (1). Enfin, en 1532, il cherche à terrasser l'aristo- 
cratie, en lui enlevant une grande partie de la juridiction 
qu'elle exerçait depuis un temps immémorial et qui consti- 
tuait l'une de ses forces. A l'instigation de l'archevêque de 
Glascow, il établit ce qu'on appela le Collège of justice : 
désormais tout procès devra être porté devant cette cour, 
au lieu d'être soumis comme jusqu'alors à la cour baronnale. 

Le nouveau tribunal devra être composé de quinze juges, 
dont huit seront ecclésiastiques; et pour ne pas laisser sub- 
sister de doute sur la portée de cet édit, il est décidé que le 
président sera toujours un membre de l'Église (2). 

C'en était trop : la coupe déjà pleine déborda, et l'exaspé- 
ration des seigneurs alla presque jusqu'à la folie. Leur haine 
pour le clergé ne connut plus de frein; brûlant d'assouvir 



(4) « His preferenèe of the clergy to the temporal lords digusted thèse proud chiefs. • 
Tytler, HisU ofScotland, t. IV, pag. 230. Voyez aussi pag. 236. Dans une lettre qu'il écrivit 
à Henri VIII, en 1541, il établit ses raisons : c We persaif be zonre saidis writingis yat Ze 
ar informyt yat yair suld be sum thingis laitlie attemptat be oore kirkmen to oure hnrte 
and skaith, and contrar oure mynde and plesure. We can nocbt understand, quhat sold 
move Zon to beleif the samyn, assonring Zou We hâve nevir fund bot faithfuU and 
trew obédience ofyame at ail tymes, nor yai seik nor attemptis nonthir jorisdictioun 
nor previlegijs, forthir nor yai hâve nsit sen the first institntionn of the Kirk ofScotland, 
qnhilk We may nocbt aponn oore conscience alter nor change in the respect We bave to 
the hononr and faith of God and Halikirk, and donttis na inconvénient be yame to corne 
to Ws and onre reaime yertbrou; for sen the Kirk wes first institnte in onr reaime, the 
stait yairof hes nevir failzeit, bot hes remanyt evir obedient to oure progenitouris , 
and in our tyme mair thankefull to Ws, nor evir yai wer of before. i Cette lettre, 
qui sons plusieurs points de vue mérite d'être lue , se trouve dans les State Papers of 
Henry VIII, in-4% 1836, t. V, pag. 188490. 

(2) Tytler, Hist. ofScotland, t. IV, pag. 212, 213. Arnot, Hist. of Edinburgh* 
pag. 468: tFifteen ordinaryjudges,seven churchmen, seven laymen and a président whom 
it behoved to be a churchman. » Le statut {Acts ofthe Parliaments ofScotland* t. n, 
pag. 335) porte : « XIIIJ psouns half spoale half temporall wt ane président. > M. Lawson 
(Roman Catholic Church in Scotland, pag. 81 ) suppose que ce fut l'archevêque de Saint- 
Andrews qui conseilla rétablissement de ce tribunal. 



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3*4 HISTOIRE 

leur vengeance, ils se jetèrent non seulement dans les bras 
de l'Angleterre et entretinrent des intelligences secrètes avec 
Henri VIII, mais nombre d'entre eux allèrent encore plus 
loin et manifestèrent une tendance marquée vers les prin- 
cipes de la réforme. A mesure que l'inimitié entre l'aristo- 
cratie et l'Église s'envenima, le désir de réformer cette der- 
nière prit corps de plus en plus : des motifs d'intérêt venant 
développer ce goût d'innovation, en quelques années, l'im- 
mense majorité de la noblesse adopta des opinions protes- 
tantes très avancées : n'importe, l'hérésie, aux yeux des 
seigneurs, est bonne du moment qu'elle leur permet de 
nuire à une Église qui vient de leur causer de si grands 
maux et avec laquelle eux et leurs ancêtres sont en guerre 
depuis près de cent cinquante ans (1). 

Sur ces entrefaites, Jacques I er resserra l'alliance de la 
royauté et de l'Église. En 1534, ô triomphe de l'Église! il 
assiste en personne au jugement de quelques hérétiques qui 
furent condamnés par les évéques au bûcher (2). L'année 
suivante, on lui offrit, ce qu'il accepta de grand cœur, le 



(1) Keitb , qui évidemment o admire pas cette partie de l'histoire de son pays, dit à la 
date de 1546 : « Several of our nobility found it their temporal interest, as much as their 
spiritual, to sway with tbe new opinions as to religions matters. » Keith, Affaire of 
Church and State, 1. 1, pag. 112, 113. Pins loin il ajoute avec pins de franchise naturelle 
encore : « The noblemen wanled to finger the patrimony of the kirkmen. > T. III, pag. IL 

t2) « In the month of Angust (1534), the bishops having gotten fltten opportunitie, 
renewed their battell aganest Jesns Christ. David Stratilon, a gentelman of the Honse of 
Lawrestoune, and Mr. Norman Gowrlay, was brought to jodgement in tbe Àbby of Haly 
rndhoQse. The king himself, ail cloathed with reid, being présent, grait pains war taken 
upon David Stratonn to move bim to recant and burn bis bill ; bot he, ever standing to bis 
défonce, vas in end adjndged to the fire. He asked grâce at tbe king. The bishops answred 
proudlie, tbat « the king's hands war bound, and that he had no grâce to give to soch as 
were by law condemned. > So was he, with Mr. Norman, afler dinner, upon the 37th day of 
Agust,led to a place beside tbe Rude of Greenside, between Leth and Edinburg, to the 
iutent that the inhabitants of Fife, seeing the fire, might be striken with terroor and feare. » 
Pitcairn, Criminal Trials in ScoUand, 1. 1, part, i, pag. 210* ; Calderwood, HUt. of the 
Kirk of Scotland, 1. 1, pag. 106, 107. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. £45 

titre de défenseur de la foi, qu'on enleva à fleuri VIII pour 
le lui donner, l'impiété du prince anglais, disait-on, l'en 
rendant indigne(l). A tous égards, Jacques hérita de ce titre. 
Ferme soutien du clergé, il n'admit à son conseil privé que 
des ecclésiastiques, à peu d'exceptions près : il n'était pas 
sage, déclarait-il, de donner aux laïques une trop grande 
part dans le gouvernement (2). Enfin, en 1538, il dévoila 
encore davantage sa politique, en épousant en secondes 
noces Marie de Guise : par là, il établit des relations intimes 
avec la plus puissante famille catholique de l'Europe, les 
Guise, aussi ambitieux qu'influents, dont le but hautement 
proclamé était de soutenir la foi catholique et de la protéger 
contre les grossières et barbares attaques qui partaient en 
roéme temps de tous les points de l'Europe (3). 

L'Église acclama cette nouvelle alliance : elle y voyait Je 
garant des intentions du roi. La suite prouva qu'elle ne s'était 
pas trompée. David Beaton, qui avait négocié le mariage, 
devint le conseiller, le confident de Jacques pendant le 
reste de son règne. Créé archevêque de Saint-Andrews, 
en 1539 (4), Beaton employa toute son influence à persécuter 

(1) i It appears, by a letter in tha State -pape r Office , tbat Henry remonstrated agains 
this litle being given to James. ■ Tytler, Hitt. of Scotland, t. IV, pag. 223. Se reporter 
aussi à la pag. 258. 
08) En 4535, c bis privy conncil were mostly ecclesiastics. > Ibid., t. IV, pag. 222. Sir 

; Ralph Sadler écrit durant son ambassade en Ecosse ( 1539-40) : « So tbat tbe king, as far as 
I can perçoive, is of force driven to use tbe biahops and bis clergy as bis only ministersfer 
tbe direction of bis realm. Tbey be tbe men of vit and policy that I see hère; tbey be never 
ont of tbe king's ear. And if tbey smell any thing tbat in the least point may touch them, 
or that the king seem to be content with any such thing, straigbt tbey inculk to qim, hoy 
cathoiic a prince his father was, and foed him both wilh faîr words and many, in snch vise 

. as by tbose policies tbey lead him (having also the whole governance of his affairs) as 
they will. • State Paper» and Letter s ofSir Aalpk Sadler, t. J, pag. =47. 

(3) State Paper* of Henry VU!, t V, pag. 128; A Diurnal ofOccurrenU, pgg. 23. 
Le révérend M. Kirkton déclare que la nouvelle reine était t ane egge of tbe bloody nest of 
Guise. » Kirkton, ffiH. ofthe Church ofScottond, pag. 7. 

(4) c At bis return home, he vas made coadjator, and declared future successor to his 

T. IV 16 



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246 HISTOIRE 

les protestants : jamais le fanatisme n'avait été poussé si 
loin. Un grand nombre se réfugièrent en Angleterre (1), où 
ils grossirent les rangs des proscrits qui attendaient que 
l'heure de la vengeance sonnât. Alors ces derniers et leurs 
partisans restés en Ecosse formèrent une coalition avec les 
seigneurs mécontents, et particulièrement avec les Douglas (2) , 
que leur immense pouvoir mettait à la tête de l'aristocratie 
écossaise et qui se rattachaient à presque toutes les grandes 
familles soit par d'anciennes alliances , soit aussi par 
le lien plus serré de l'intérêt commun, l'abaissement du 
clergé (3). 

Dans ces conjonctures, tous les yeux se tournèrent vers 
les Douglas qui étaient alors les hôtes de Henri VIII, et 
mûrissaient leurs plans (4). Quoiqu'ils n'osassent pas encore 
retourner en Ecosse, ils étaient tenus au courant de tout 



nncle in tbe primacy of St-Andrews, in which see be came to be fully invested apon the 
death of bis nncle tbe next year, 1539. ■ Keith, Catalogue of Scotch Bishops, pag. 23, 2i. 

(1) M'Crie, LifeofKnox, pag. 20; Spottiswoode, Hist. of the Church of Scotland, 
t. 1, pag. 139 ; Lawton, Roman Catholic Church in Scotland, pag. 178; Wodrow, CoUec- 
tions upon the Lives ofthe Reformera, t. 1, pag. 10U. 

(2) Tytler (Hist. of Scotland, t. IV, pag. 241 ) dit qne les cruautés exercées en 1539 obli- 
gèrent « many of tbe persecnted families to embrace the interests of tbe Donglases. ■ 

(3) On affirme, an sujet de la famille des Donglas, qu'au commencement du seizième 
siècle i tbeir alliances and their power were equal to one-halfof tbe nobilityof Scot- 
land. > Brown, Hist. of Glasgow, 1. 1, pag. 8. Relativement à leur parenté, consultes Home, 
Hist. of the House of Douglas, 1. 1, pag. xix, 252, 298 ; t. II, pag. 293. 

(4) Henri VIII, « in the year 1532, sought it directly,among the conditions of peace, that 
the Douglas, according to his promise, should be restored. For King Henry's own part, ne 
entertained tbem with ali kind of beneficence and honour, and made botb the Earl and 
Sir George of his Privy Conncil. » Hume, Hist. ofthe House of Douglas, t. II, pag. 105, 106. 
Jacques voyait d'un mauvais œil toutes les communications qui existaient entre les Don- 
glas et ses autres sujets. Qu'y faire? il n'y pouvait mais. Voyez la lettre qu'il écrivit à sir 
Thomas Erskine (Miscettany ofthe Spalding Club, t. Il, pag. 193) et commençant par 
ces mots : c I commend me rycht hartly to yow, and -weit ye that it is murmuryt hyr that ye 
sould a spolkyn with Gorge and Archebald Dougles in England, quhylk wase again my 
command and your promys quhan we departed. > Se reporter également au compte rendu 
des poursuites intentées contre lady Trakware , John Mathesone, John Hume et consorts 
dans Pitcairn, Criminal Trials in Scotland, 1. 1, part, i, pag. 161, 177, 202, 243,247. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 247 

ce qui se passait par leurs espions et leurs agents, et leurs 
communications avec leurs partisans en Ecosse se poursui- 
vaient sans interruption. D'ailleurs, les covenants féodaux, 
les obligations de redevances d'hommes, et autres arrange- 
ments, qui, même s'ils étaient contre la légalité, étaient 
encore en vigueur : tout cela permettait aux Douglas de 
compter sûrement sur une grande partie des seigneurs les 
plus puissants, que la domination du clergé exaspérait et qui 
accueillaient avec empressement l'espoir d'un changement 
qui pût amoindrir l'autorité de l'Église (1). 



(1) « Tbe Douglases were still main tain ed with high favour and gênerons allowances in 
England; their power, although nominally extinct, was still far from being destroyed; 
their spies penetrated into every quarter, followed the king to France, and gave information 
of his most private motions ; their fendal covenants and bands of manrent stili existed , 
and ibonnd many of the most potent nobility to their interest; whiist the vtgour of the king's 
government, and his préférence of the clergy to the temporal lords, disgusted thèse prond 
chiefs, and disposed them to hope for a recovery of their influence from any change which 
might take place. » Tytler, Hist. ofScotland, t. IV, pag. 229, 230. Ces redevances d'hommes 
dont parle Tytler constituaient l'un des moyens les plus efficaces par lesquels la noblesse 
écossaise assurait son pouvoir. Sans cela il eût été fort difficile à l'aristocratie de résister 
aux forces réunies de la royauté et de l'Église. A ce compte elles méritent toute notre atten- 
tion. Chalmers (Caledonia, t. 1, pag. 824) déclare qu'il ne trouve pas d'exemple de ces 
redevances avant 1354; mais lord Somerville (Memorie ofthe Somervilles, 1. 1, pag. 74) 
en cite un à la date de 1281. C'est le premier cas qu'il m'ait été donné de rencontrer; ce n'est 
qu'aux quinzième et seizième siècles qu'ils devinrent assez communs. Consultez Hume, Hist. 
of the House of Douglas* t. II, pag. 19; Somerville, Memorie, 1. 1, pag. 234; Pitcairn, 
Criminal Trials of Scotland, t. III, pag. 83; Irving, Hist. of Dumbartonshire , 
pag. 442, 143; Skene, Highlanders, t. II, pag. 186; Gregory, Hist. ofthe Western High- 
landersj pag. 126; Kennedy, Annals of Aberdeen, t. I, pag. 55; Miscellany ofthe 
Spalding Club, t. II, pag. cvi, 93, 251 ; t. IV, pag. xlvhi, 179. Gomme ces covenants aidaient 
puissamment à maintenir la balance du pouvoir et à empêcher la monarchie écossaise de 
tourner an despotisme, il va sans dire qu'on fit rendre au parlement des lois contre eux. 
Voyez un de ces actes à la date de 1457 et un second à la date de- 1555 relatifs anx « lige > 
et t bandis of manrent and mantenance. > Acts ofthe Parliaments of Scotland, t. II, 
p. 50, 495. Des lois de cette nature, étant contraires aux tendances du siècle et aux nécessités 
sociales, n'altérèrent en rien la coutume générale, quoique plusieurs individus fussent 
punis. Jusque vers 1620 ou 1630, époque à laquelle la guerre fut consommée, la grande révo- 
lution qui subordonna le pouvoir de l'aristocratie à celui du clergé, les redevances 
d'hommes se renouvelèrent fréquemment. Mais, à partir de cette époque, le changement 
introduit dans les affaires de la nation effectua sans difficulté, disons même spontanément, 
ce que le pouvoir législatif avait vainement tenté d'accomplir. Les nobles, réduits peu à 



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248 HISTOIRE 

En présence de deux partis aussi distincts, dans un pays 
où, la moyenne classe n'existant pas, le peuple comptait 
pour rien et suivait l'impulsion qu'on lui donnait, il est 
évident que le triomphe ou la défaîte de la réforme en 
Ecosse dépendait simplement du triomphe ou de la défaite 
des nobles. Ceux-ci brûlaient de se venger. La seule 
question douteuse pour eux était de savoir s'ils étaient assez 
forts? Contre eux, la royauté et l'Église; avec eux, les tra- 
ditions féodales, l'esprit de corps, l'esprit de clan, le dévoù- 
ment et l'obéissance de leurs innombrables partisans et, ce 
qui importait également, cet attachement aux grands noms 
et aux vieilles familles qui distingue encore aujourd'hui 
l'Ecosse, mais dont nous ne saurions trop faire valoir l'in- 
fluence au seizième siècle. 

L'heure d'agir s'approchait. En 1540, le gouvernement, 
sous l'entière dépendance du clergé fit rendre de nouvelles 
lois contre les protestants dont les intérêts étaient alors 
identiques à ceux de la noblesse. Aux termes de ces ordon- 
nances, nul hérétique, toute personne même soupçonnée 
d'hérésie, ne pouvait à l'avenir remplir aucune fonction; 
défense à tous catholiques de donner asile ou protection à 
quiconque faisait profession des nouvelles opinions (1). 

p«u à l'impuissance, perdirent courage et cessèrent d'avoir recours aux expédients qui 
avaient si longtemps sontenn leor ordre. D'année en année les redevances d'hommes 
devinrent pins rares, et il est dontenx qu'on en trouve nn seul exemple après 1661. Chai mers, 
-Caledonidj t. III, pag. 33, 33. Toutefois il est si imprudent d'affirmer une négation que 
je n'entends pas me reposer entièrement sur cette date; quelques autres cas ont pu se pro- 
duire plus tard; mais, s'il en est ainsi, ils sont peu nombreux, et il«st certain que, à parler 
en termes généraux, le milieu du dix-septième siècle est l'époque de leur disparition. 
(I) Acts ofthe Parltamenu ofScotkmd, t. II, pag. 370, 371. « That na man quhatsueuir 

stait or conditioun he be luge ressaure cherish nor fator ony heretike. • » And 

alswa that'na persoun tbat hes bene suspect it of hérésie bowbeit thai beressauit to penance 
and grâce sali in this reaime exers haif nor bronk ony honest «stait degré office nor judi- 
cato' spuall nor temporale in burgh nor Vont nor na saine ad mit lit to be of our coun- 
sale. « 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 249 

Àfors, animé par la victoire, dévoré du désir d'anéantir ses 
anciens rivaux, le clergé atta encore plus loin. Tel fut l'achar- 
nement diabolique des prêtres que, la même année, ils 
remirent à Jacques une liste contenant les noms de plus de 
trois cents membres de l'aristocratie qu'ils accusaient for- 
mellement d'hérésie, en ajoutant qu'il fallait les faire 
mourir et que le roi agirait sagement en confisquant leurs 
kiens (1). 

Ils se doutaient peu, ces hommes ardents et vindicatifs, 
ils se doutaient peu de l'orage qu'ils provoquaient et qui 
allait fondre sur leurs têtes, pour les couvrir de confusion 
eux et leur Église ! Non que nous ayons lieu de croire qu'une 
conduite plus avisée eût sauvé la théocratie écossaise, au 
contraire, selon toute probabilité, le sort du clergé était 
irrévocablement fixé, car les causes générales qui régirent le 
mouvement tout entier avaient opéré depuis si longtemps, 
qu'il ei( été à peine possible à cette heure-là de les prévenir. 
Mais, en admettant même comme certain que les jours du 
clergé écossais fussent comptés, il est également certain 
que sa violence rendit sa chute plus terrible, par cela même 



(1) Lindsay de Pitscottie (Chronicles , t. II, pag. 383) dit qu'ils « devysed to pat ane 
discord and variance'betaixt the tordis and gentlmen with thair prince,* for they delaited, 
and gave Vp to the king in writt, to the number of thrittie seoir of earles, tordis, and 
barrones, gentlmen and craftismen, thaï îs, as thei alledgit, wer aH heretickis, and leived 
not after the Pope's taris, and ordinance of the holiie kirk; quhilk his grâce souldesteme 

as ane capital! etyme, to an y man that did the same. ■ t ail thair tandis, rentes, 

gnidis, and geir apperteania proppertie to your grâce, for thair eontempt of onr holiie 
father the Pope, and hU lavis, aod high contempt of yonr graee's authoritie. » On trouva 
ce document parmi les papiers du roi après sa mort ; il en résultait que des sii cents noms 
portés wr cette liste pins de trois cents étaient ceux des principaux seigneurs, t Eam 
tàmorem anxerunt codieiili post régis interitnm reperti, e quibus supra trecentorum è 
prima nobilitate nomina continebantur. i Buebanan, Rerum Scoticarum Historié, 
lib. iv, pag. 424; Sadler, State Papers, 1809, 1. 1, pag. 94; Watson , Hietoricall Collée- 
tiens e/' Ecctesiastick Âffairs in Scotland, 46Ô7, pag. 22. Selon Watson, cela « was 
called the bloudy scroH. t 



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250 HISTOIRE 

qu'elle accrut l'effervescence des passious de ses adversaires. 
Sans doute, la traînée de poudre était là, sans doute les 
ennemis du clergé avaient tout mis en œuvre pour amener 
une explosion prochaine ; mais ce fut l'Église elle même 
qui approcha la mèche et fit sauter la mine. 

En 1542, voyant que l'Église et la royauté voulaient abso- 
lument leur ruine, les nobles se décidèrent à tenter au delà 
de ce qu'ils avaient jamais fait : ils refusèrent péremptoirement 
de faire la guerre à l'Angleterre. Ils n'ignoraient pas que la 
guerre où Jacques voulait les entraîner, avait été fomentée 
par le clergé, dans le double but de couper court à toute 
communication avec les proscrits et d'arrêter à la frontière 
les idées hérétiques (1). Résolus de déjouer ces desseins, 
ils déclarèrent unanimement, devant l'armée réunie, qu'ils 
ne marcheraient pas contre l'Angleterre. Menaces, pro- 
messes, tout fut vain. Jacques, piqué jusqu'au vif, se relira, 
en donnant Tordre de disperser l'armée. A peine était-il 
parti, que le clergé chercha à rallier les troupes et à leur 
persuader d'agir contre l'ennemi. Un petit nombre de 
barons, honteux de ce qui, à leurs yeux, était une lâche 
désertion, paraissaient disposés à avancer. Mais tous les 



(1) Durant l'automne de 1542, Jacques c was encouragea by the clergy to engage in a war 
against Ring Henry, who both assured him of victory, since he fought against an heretical 
prince, and advanced an annuity of 50,000 crowns for prosecuting the war. > Crawfurd, 
Hiët. of the Shire of RenfretUj 1782, in-4 # , part, i, pag. 82. Voyez State Papersof 
Henry VIII, t. V, pag. 154. Une lettre écrite en 1539 par Norfolk à Cronrwell : t By diverse 
oiher vaies I am advertised that the clergie of Scotlande be in such fear that their kiog 
shold do theire, as the kinges highnes hath done in this reaime, that they do their best to 
bring their master to the warr; and by many vaies 1 am advertised that a great parte of 
the temporaltie there "wold their king shold followe our insample, wich I pray God yeve 
hym grâce to corne uoto. > Même après la bataille de Solway , il est notoire que le clergé 
poursuivit la même politique. » And undoubtedlie, the kyrkemen labor, by ail the meanes 
theycan,to empêche the unitie and establishment of thiese two reaimes; uppon what 
groundes ye can easelie conjecture. » Lettre de Sadler à Parr, en date à Édinbonrg do 
27 mars 1543 (State Papers of Henry VIII, in-4% 4836, t. V, pag. 271. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 25t 

autres refusèrent, et, pendant qu'ils restaient dans cet état 
de doute et de trouble, les Anglais, les prenant à l'impro- 
viste, tombèrent tout à coup au milieu de leurs rangs en 
désordre, et après leur avoir fait essuyer une déroute com- 
plète, en firent un grand nombre prisonniers. honte! Dix 
mille Écossais s'enfuirent devant trois cents cavaliers an- 
glais (1) ! On vint apporter cette nouvelle à Jacques au mo- 
ment même où il se lamentait sur la désobéissance de ses 
barons : c'en était trop pour son orgueil et sa sensibilité. 
Ces coups redoublés le firent chanceler, une fièvre lente 
ruina ses forces, il tomba dans un long marasme et, après 
avoir refusé tous les secours de Part, il mourut au mois de 
décembre 1542, laissant une fille en bas âge, Marie; sous 
le règne de cette princesse devait se décider pour toujours 
la lutte entre l'aristocratie et l'Église (2). 

La mort de Jacques V accrut l'influence des nobles : mais 
ce qui contribua encore plus à la raffermir, ce fut le dis- 
crédit qui s'attacha au clergé pour avoir poussé à une guerre 
qui avait abouti à de si honteux résultats (3). Les exilés 
vinrent bientôt renforcer les seigneurs : dès qu'ils apprirent 
la bonne nouvelle, ils se préparèrent à quitter TAngle- 



(1) c Ten thousand Scottish troops fled at the sight of three hundred English cavalry, 
with scarce a moment ary résistance. > Tytler, Hist. of Scotland, t. IV, pag. 264. 

(2) On trouvera le meilleur récit de tous ces événements dans Tytler, Hist. ofScotland, 
t. IV, pag. 260-267. J'ai consulté également Ridpath, Border History , pag. 372, 373; 
Hollinshead, Scottish Chronicle, t. II, pag. 207-209; Lesley, History, pag. 163-166; 
Lindsay de Pitscottie, Chronicles, t. II, pag. 399 406; Calderwood, Hist. of the Kirk of 
Scotland, t. I, pag. 145452; Buchanan, Rerum Scoticarum Historia, lib. xiv, 
pag. 420, 421. 

(3) t This defeat being so very dishonourable, especially to the clergy, who stirred up 
the king to that atlempt, and promised him great success from it ; and there being such a 
visible évidence of the anger of Cod, fighting by his providence against them, ail men were 
struck with fear and astonishment ; the bishops were ashamed to «how their faces for a 
time. » Stevenson, Hist. ofthe Church ofScotland. Édinb., 1840, pag. 30. 



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Ut HISTOIRE 

terre (1). Dans les premiers jours de 1543, Angus et Douglas 
reprirent le chemin de l'Ecosse (2), suivis bientôt d'autres 
Bobles dont la plupart professaient le protestantisme, quoique 
à vrai dire, comme la suite le prouva, ce protestantisme 
trouvât sa raison d'être dans le désir ardent de piller et de 
se venger. Aux termes du testament de Jacques, le cardinal 
Beaton était désigné comme devant servir de tuteur à la 
reine et administrer le royaume (3). Homme sans principes, 
mais doué de hautes capacités, Beaton était respecté, en 
qualité de chef de l'Église nationale, car il était archevêque 
de Saint-Andrews et primat d'Ecosse. Cependant, les nobles 
l'arrêtant sur-le-champ (4), Le dépouillèrent de la régence 

(1) Nous pou? on s en croire facilement nn ancien chroniqueur lorsqu'il nous dit : * The 
nobilitie did not greatiie take his death grievouslie, becaus* he had fined manie, impri» 
soned more, and caused no small few (for avoiding his displeasure) lo Aie into England, 
and ratber to commit themselves to the enemie than to his anger. • Hollinshead, Scotttià 
Chronicle, t. II, pag. 210. 

(2) Hume, hist. ofthe house of Douglas, t. II, pag. iii. 

(3) On a souvent dit que ce testament était fictif, mais je ne puis trouver aucune preuve 
qui justifie cette assertion, si ce n'est la déclaration d'Arran (Sadler, State Papers, 1. 1, 
pag. 138) et le témoignage, — si Ton peut appeler cela un témoignage, — des historiens 
écossais qui ne se vantent pas d'avoir examiné l'écriture et qui, en leur qualité de protestants, 
s'imaginent que par cela même qu'un homme est cardinal il est capable de tous les crimes. 
Il n'y a pas de doute que Beaton était un personnage dénué de tous principes, et que par 
conséquent il était capable de commettre ce faux. Mais enfin nous n'avons aucune preute» 
et le testament répond bien au caractère du roi ; il est tel qu'on pouvait s'y attendre. Quant 
à Arran, son assertion ne mérite pas qu'on s'y arrête; très peu scrupuleux lui-même, il 
reprit les fonctions dont on avait dépouillé Beaton, sous le prétexte que le testament était 
l'œuvre d'un faussaire. Si des circonstances de cette nature ne rendent pas un témoin 
inhabile à déposer, alors quelques-uns des principes les mieux établis sont faux. Le lecteur 
qui désirerait pénétrer plus avant dans ce sujet peut consulter parmi les auteurs qui sou- 
tiennent que le testament est fictif: Buchanan , Rerum Scoticarum Historia, liv. xv, 
pag. 422; Knox, Hist. ofthe Reformation, t. I, pâg. 91, 92; Irving, Hist. of Dumbar- 
tonshire, pag. 102, et parmi ceux qui soutiennent que le testament est véritable : Lyon, 
Hist. ofSt.-'Andrews, 1. 1, pag. 304, 305. D'autres écrivains laissent cette question dans le 
doute : Tytler, Hist. ofScotland, t. IV, pag. 274; Lawson, Roman Church in Scotland, 
pag. 99 ; Keith, Càurch, and State in Scotlandj 1. 1, pag. 63. 

(4) Le 26 janvier 1542-43, « the said cardinal! was put in pressoune in Dalkeith. • A Diur- 
nal of Occurrentêj pag. 26. Voyez également, au sujet de son emprisonnement, une lettre 
écrite le 16 mars par Angus et Douglas, State Papcrs of Henry VIII, t. V, pag. 263. îl était 
alors en « firmance. » 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 253 

pour en revêtir Je comte d'Arran qui affichait alors un 
grand zèle pour le protestantisme; mais il renia plus tard 
ses opinions quand l'occasion favorable se présenta. Parmi 
les partisans de la nouvelle secte, les plus puissants étaient 
le comte d'Àngus et les Douglas (1). Une prescription 
de quinze années purgeait leur condamnation ; on rappela 
l'acte de proscription porté contre eux, et leurs biens et leurs 
honneurs leur furent restitués (2). Il était évident que l'aris- 
tocratie avait repris à l'Église non seulement le pouvoir exé- 
cutif, mais aussi le pouvoir législatif, et elle les mettait tous 
deux largement en œuvre. Lord Maxwell, l'un des seigneurs 
les plus actifs, avait, à l'exemple de la plupart d'entre eux, 
embrassé les principes de la réforme en haine de la théo- 
cratie (3). Au printemps de 1543, il obtint du comte d'Arran, 
gouverneur de l'Ecosse, la permission de présenter une pro- 



(i) Le 12 mars, le parlement confirma sa nomination. Acls ofthe Parliaments of Scoù- 
land* t. Il, pag. 411 : « Tuto r lau'full to the queuis grâce and gouoour of ibis reaime. > Il 
e*clnt le clergé du pouvoir. Le 90 mars de la même année» sir Ralph Sadler écrit à Henri VIII .- 
• Sir George Douglas brooght me into tbe Council Chamber, were I found a great nnmber 
of noblemen and others at a long board, and divers standing, bat not one bis hop nor 
priest among them. At the apper end of the board sat tbe governour. • Sadler, State 
Papersy 1. 1, pag. 78. 

(2) Acte of the Parlidments of Scotlandj t. II, pag. 415, 419, 434, et Tytter, Hist. of 
ScoUand, t. IV, pag. 285. 

(3) c Had become a convert to its doctrines. • Tytler, Hist. ofScotland, t. IV, pag. 28t>. 
Mais, comme tons les antres nobles, il ne connaissait presque rien au sujet de ces doctrines 
et s'eM souciait encore moins, et de plus il était très vénal. Sir Ralph Sadler écrit à 
Henri VIII à la date de 1543 (avril) : c And the lord Maxwell told me apart, j lhat, indeed, ne 
lacked sil ver, and had no vray of relief but to your majesty ; • whicb he prayed me to signify 
into the same. I asked him wnat woold relieve him? and he said, 300 liv.; « for tbe whicb, » 
lie sàid, t aa your majesty seemed, when he vras with your grâce, to bave him in more trust 
and crédit than the rest of your majesly's prisoner's, so he trusted to do you as good service 
as any of them; and amongst them they will do you such service, as, if the war succeed, ye sball 
make an easy conqnest of this realm ; as for his part he shall deliver into your handê, 
#t the entry ofyemr army, the keye of the same on the west marches, being ail the 
êtrongholds there in his custody. ■ 1 offered him présent ly to write to my lord of Soffolk 
fer 100 liv. for him, if hewonld; but be said, tbe wonld stay till he heard again from your 
majesty in that behalf. > Sadler, State Papers, 1. 1, pag. 165. 



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25 é HISTOIRE 

position aux Lors ofthe articles, chargés d'examiner les pro- 
jets de loi qui devaient être soumis au parlement. Le but de 
cette proposition était de permettre au peuple de lire la Bible 
traduite en écossais ou en anglais. Le clergé dirigea toutes 
ses forces contre une mesure qu'il considérait, non sans 
raison, comme très funeste à sa religion, puisque ce n'était 
rien de moins que concéder un principe fondamental du pro- 
testantisme. Vains efforts! Le flot montait, montait tou- 
jours, impossible de le refouler. Les Lords of the articles 
adoptèrent la proposition qui, avec leur autorisation, fut 
présentée au parlement et volée. Le gouvernement y donna 
son assentiment, et, au milieu des lamentations de l'Église, 
on proclama la nouvelle loi, avec toutes formalités néces- 
saires, sur la grande place d'Edimbourg (1). 

A peine les nobles avaient-ils regagné le pouvoir que la 
discorde se glissa dans leur camp. Résolus à piller l'Église, 
ils ne pouvaient s'entendre sur le partage futur des dépouilles. 
Us n'étaient pas non plus d'accord sur le mode de procéder: 
les uns voulaient un schisme hautement déclaré et immé- 
diat, les autres désiraient qu'on avançât avec prudence, qu'on 
temporisât avec leurs adversaires, afin d'arriver peu à 
peu à affaiblir la classe ecclésiastique. Le parti le plus actif 
et le plus zélé était connu sous le nom de parli anglais (2), 
à cause des relations intimes de ses membres avec Henri VIII, 
dont plusieurs recevaient de l'argent. Mais, en 1544, la 

(1) Acts ofthe Parliaments of Scotland, t. II, pag. 4i5, 425; Sadler, State Papers, 
t. I, pag. 83. Knox, dans son Hist. of the Reformation, t. 1, pag. 100, dit avec assez de 
iioesse : c The clergy hearts long répugned ; tmtt in the end, cooricted by reassonis, and 
by mukitud of votes in thare contrare, thei also condiscended ; aod also, by act of Par- 
liament it vas maid free to ail man and woman to reid the scriptures in thair awin tonng, 
or io the Engliss toung; and so war ail actes maid in the contrair abolished. ■ 

(2) On, ainsi que Keith les dénomma, «English Lords. ■ Hist. ofthe Affaira ofChurch 
and state in ScoUand., 1. 1, pag. 60 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 255 

guerre éclata entre l'Angleterre et l'Ecosse; et le clergé, 
ayant à sa tête l'archevêque Beaton, réussit tellement à sou- 
lever le vieux levain de la haine nationale contre les Anglais, 
que les nobles furent un instant forcés de plier sous l'orage 
et de réclamer l'alliance de la France. Pendant quelques 
mois, on eût dit que l'Église et l'aristocratie, oubliant leur 
ancienne inimitié invétérée, étaient sur le point de faire 
cause commune (1) . 

Cependant, ce ne fut là qu'une illusion passagère. La 
haine entre les deux ordres était implacable (2). Durant le 
printemps de 1545, les principaux seigneurs protestants for- 
mèrent le projet d'assassiner l'archevêque Beaton (3), qu'ils 

(4) En mai 4544, les Anglais attaquèrent l'Ecosse (Tytler, History, t. IV, pag. 316), et le 
même mois te « Anglo-Scottish party > ne comprenait que les comtes de Lennox et de Glen- 
cairn, puisque même c Angus, George Donglas, and their nu mérous and powerful adhérents, 
joined the cardinal. » Pag. 319. Quant au rôle que joua le clergé, voyez dans Sadler {State 
Papers, 1. 1, pag. 173) une lettre adressée à Henri VIII, en date du 1" mai 1543 : t And as 
to the kirk-men, I assure your majesty they seek the war by ail the means they can, and 
do daily entertain the noblemen with money and rewards to sustain the wars, rather than 
there should be any agreement with your majesty; thinking, verily, that if peace and 
unity succeed, that they shall be reformed, and lose their glory, which they had rather die, 
and put ail this realm in hazard, lhan they would forego. » Voyez aussi pag. 484, note. 

(2) Buchanan rapporte une très curieuse conversation entre le régent et Douglas, et, 
comme je ne sache pas qu'elle se trouve dans un autre ouvrage, je vais la citer. Bien que la 
date ne soit pas indiquée, il appert évidemment du texte qu'elle eut lieu en 4544 ou 4545. 
t Ibi cum Prorex suam deploraret solitudinem , et se a nobilitate derelictum quereretur , 
Duglassius ostendit c id ipsius cnlpa fieri, non nobilium, qui et fortunas omnes et vitam 
ad pnblicam salutem tuendam conferrent, quorum consilio contempto ad sacrificulorum 
nutum circumageretur, qui foris imbelles, domi seditiosi, omniumque periculorum expertes 
alieni laboris fructu ad suas voluptates abuterentur. Ex hoc fonte inter te et proceres facta 
est suspicio, quae (quôd neutri alteris fidatis) rébus gerendis maxime est impedimento. » 
Herum Scoticarum Bistoria, lib. xv, pag. 435. Buchanan était alors âgé de trente-huit 
ans ; il est très probable qu'une conversation du genre de celle qu'il rapporte eut jieu, 
quoique l'historien ait pu y ajouter quelques coups de pinceau. Quoi qu'il en soit, c'était 
un trop grand rhéteur pour aller inventer des faits auxquels ses contemporains n'auraient 
pas ajouté foi ou qui leur eussent paru improbables ; de telle sorte que, à ces deux points 
de vue, le passage est un précieux témoignage de l'inimitié invétérée que la noblesse portait 
à l'Église. 

(3) Tytler, Hist. ofScotland, t. IV, pag. 337 : « The plot is entirely unknown either to 
our Scottish or English historians : and now, after the lapse of nearly three centuries, has 



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256 HISTOIRE 

haïssaient plus que tout autre, d'abord parce qu'il était le 
chef de l'Église, et ensuite parce que c'était le plus capable 
et le moins scrupuleux de tous leurs adversaires. Néan- 
moins, un an se passa avant qu'ils pussent mettre fenr 
dessein à exécution ; et ce ne fut qu'au mois de mai 4546 
qu'un jeune baron, Lesley, accompagné du laird de Grange 
et de quelques autres, fit irruption dans Saint-Andrews et 
massacra le primat dans son château (1). 

On peut aisément s'imaginer l'horreur de l'Église, à la 
nouvelle de cet acte lâche et barbare (2). Mais, sans s'arrê- 
ter aux récriminations du clergé, et fort de l'appui d'un puis- 
sant parti, les conspirateurs justifièrent cet assassinat, s em- 
parèrent du château de Saint-Andrews et se préparèrent à le 
défendre jusqu'à la dernière extrémité. A ce moment, ils 



been discovered in the secret correspondence of ihe State-paper Office. » Ce fut an mois 
d'avril 1544 que ce complot se forma. Voyei State Paper* of Henry VJI1, t. V, pag. 377, et 
la fin de la préface du t. IV. Mais Tytler et l'éditeur des State Paper» semblent avoir 
négligé Passertion contenue dans Sadler (Papers) au sujet de ce crime, et qui indiquerait 
qu'avant cette époque même il en avait été question. Voyez dan* cette collection (t. I, 
pag. 77) une conversation, à la date de mars 1543, entre sir Ralph Sadler et le conte 
d'Arrao, Sadler étant présenté par le comte de Glencairn. Dans cette circonstance le comte 
d'Arran se servit, en parlant de Beaton, d'une expression dont sir Ralph comprit évidem- 
ment la signification : c By God, » quoth ne, « ne shalt never corne ont of prison whitst I may 
hâve mine owû will, except it be to his farther mischtef I aïlowed the same vrell and saM. • 
It were pity, but he should receive such reward as his merits did require. » 

(1) State Papers of Henry VIII, t. V, pag. 566; A Diurnal of Oceurrents, pag. 42; 
Caldtrwood, Hist. of the Kirk of Scotland, t. I, pag. 321-313. Lindsay de Pitscottie 
(Chronicles, t. Il, pag. 484) rapporte au sujet de ce meurtre un incident qui est trop hor- 
rible pour que je le cite; il suffira de dire qu'on commit un outrage obscène sur le cadavre 
de la victime. Bien qu'on ne puisse aujourd'hui raconter en détail des faits de cette 
nature, ils caractérisent tellement cette époque, qu'on ne dort pas les passer entièrement 
sous silence. 

(2) A ce sujet, voici ce que disent deux historiens protestants : * God admonishedraen, by 
this judgment, that he vrill in end be avenged upon tyran d s for their craettie, howsoevev 
they strenthen themselves. » Calderweod, Hist. of the Kirk of Scotland, 1. 1* pag. 23k 
t And whoever considers the circumstances, must acknowledge it vas a s ta pendons aet of 
the judgment of the Lord, and that the *hole was overruled and guided by Divine Prori- 
dence. » Stevenson, Hist. ofthe Church and State ofScotland, pag. 3». 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 257 

trouvèrent un défenseur de la révolution dans la personne 
d'un homme très remarquable qui parut alors pour la pre- 
mière fois en public et qui, étant admirablement approprié 
à son siècle, était destiné à jouer le plus grand rôle dans ces 
temps de trouble. 

Cet homme était John Knox. Dire qu'il était sans peur et 
incorruptible, qu'il défendit avec un zèle infatigable, ce qui, 
à ses yeux, était la vérité et qu'il se consacra avec une 
énergie qui ne se ralentit jamais à ce qu'il regardait comme 
le plus noble objet; certes, ce n'est qoe rendre stricte jus- 
tice aux nombreuses et hautes qualités dont il était doué. 
Mais, d'un autre côté, il était dur, inflexible, parfois 
brutal : non content de rester insensible devant la souffrance 
humaine, il lui arrivait de la tourner en raillerie, et de la 
poursuivre de ses sarcasmes grossiers, produits d'une hu- 
mour excessive (1) ; enfin il aima la domination à un tel 
point, qu'impatient devant la moindre opposition, il broyait 
tous ceux qui entravaient son chemin ou contrariaient, ne 
fût-ce que pour un instant, les desseins qu'il formait pour 
l'avenir. 

Des historiens, qui ne sont que trop portés à attribuer de 
vastes résultats aux efforts individuels, tout en perdant de 
vue ces grandes causes générales sans lesquelles toute tenta- 
tive individuelle serait futile, ces historiens, dis-je, ont exa- 
géré à plaisir la part d'influence que Knox prit au dévelop- 
pement du protestantisme. Cependant, il fit à lui seul plus 
que tout autre homme (2), quoique, en ce qui touche à 

(1) Nous lisons même dans M'Crîe, Life of Knox, pag. xxxv : c The ill-timed merrimeat 
ne displays in retating the foui deed of Beaton's mnrder. » 

(2) Quelque temps avant sa mort il s'écria avec un honnête et justifiable orgneil : « What 
I hâve bene to nry couotrie, albeit, this vnthankfall aige will not kno'we, yet the aiges to 
corne wilbe compelled to bear witnes to the trenth. > Baonatyoe, Journal, pag. 419. Ban- 



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258 HISTOIRE 

l'Ecosse, il ne jouât un rôle véritablement important qu'à 
partir de 1559, c'est à dire lorsque le triomphe du protes- 
tantisme était déjà assuré : il n'eut donc qu'à recueillir le 
bénéfice du mouvement qui s'était opéré durant sa longue 
absence. Sa première tentative fut une complète échauffourée; 
et de tous ses actes, c'est celui qui a fait le plus de tort à sa 
.réputation; je veux dire son alliance avec les assassins de 
l'archevêque Beaton, en 1546; il se rendit au château de 
Saint-Andrews, s'y renferma avec les meurtriers, prêt à par- 
tager leur sort, et, dans un ouvrage qu'il publia par la suite, 
il justifia hautement ce lâche méfait (1). Rien ne saurait ex- 
cuser cette conduite, et c'est avec un certain sentiment de 
juste satisfaction que nous apprenons que les Français 
s'élant emparés du château, en 1547, Knox fut traité avec 
une grande sévérité et condamné aux galères, d'où il ne 
sortit qu'en 1549(2). 

Pendant les cinq années suivantes, Knox séjourna en An- 
gleterre : en 1554, il quitta ce dernier pays pour se rendre 
à Dieppe (3) ; puis il voyagea à l'étranger. II ne revint en 



natyne était le secrétaire de Knox. 11 est à regretter qu'on n'ait pas encore publié une 
biographie bien faite de Knox. Celle de M' G rie est un panégyrique avengle et peu judicieux 
qui , en provoquant une réaction dans l'opinion , a fait du tort à la réputation du grand 
réformateur. D'un autre côté, la secte des Ejriscopalians en Ecosse ne veut absolument 
rien voir de la véritable grandeur de Knox; elle est incapable de discerner son intense 
amour pour la vérité et la noble hardiesse de son caractère. 

(1) Tytler, Hist. of Scotland., t. IV, pag. 374, 375; ITCrie, Life ofKnox, pag. 27,28; 
Lawson, Roman Catfiolic Church in Scotland, pag. 154; Presbytery displayed, 
pag. 28; Shield, Hind let Loose (1687), pag. 14, 39, 638. Dans son Hist. of Reformation, 
1. 1, pag. 177, 180, il décore cet assassinat du titre de • godly fact, > et ajoute : • Thèse ar 
the workis of our God, ■ ce qui, en bon anglais, équivaut à dire que Dieu est un assassin. 
Toutefois, bien que tous ces faits réunis soient assez tristes, je conviens avec M'Oie qu'il 
n'j a pas de preuve digne de foi qui puisse nous faire supposer qu'il fût complice de ces 
meurtriers; il n'en sera pas moins convenable de consulter il Diurnal of Occurrents, 
pag. 42, et Lyon, Hist. of St.-Andretos , t. II, pag. 364. 

(2) M'Crie, Life ofKnox, pag. 38, 43, 350; Argyll, Presbytery Examined, pag. 19. 

(3) M'Crie, Life ofKnox, pag. 44-71. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 259 

Ecosse que dans l'automne de 1555; tous les principaux no- 
bles et leurs partisans l'accueillirent avec enthousiasme (1). 
Cependant, pour des motifs qu'on n'a pas suffisamment 
éclairés, j'imagine, par suite de sa répugnance, à jouer un 
rôle secondaire au milieu de ces hautains seigneurs, il quitta 
de nouveau l'Ecosse en 1556, et alla se fixer à Genève, où 
on l'avait invité à diriger une congrégation en qualité de 
pasteur (2). II resta à l'étranger jusqu'en 1559, époque à la- 
quelle la lutte était presque terminée, tellement les nobles 
avaient réussi à saper les fondements de l'Église. 

Les événements qui avaient longtemps couvé se précipi- 
taient alors rapidement. En 1554, la reine-mère avait repris 
la régence des mains d'Arran (5) : c'était Marie de Guise 
dont nous avons indiqué le mariage avec Jacques V, comme 
étant l'un des signes caractéristiques de la politique alors 
dominante. Laissée à elle-même, la régente eût probable- 
ment fait peu de mal (4) ; mais sa famille était là qui, puis- 



ci) M'Crie, Life ofKnox, pag. 99. Quant aux nobles qui lai firent accueil et suivirent ses 
prêches, voyez pag. 102. 

(2) t Influenced by motives which hâve never been fully comprehended , he departed 
to Geneva, where, for a time, he became Pastor of a Protestant congrégation. » Russell, 
Hist. ofthe Church ofScotland, 1. 1, pag. 193. M'Crie, qui ne voit aucune difficulté, dit 
simplement : « In the month of July 1566, he left Scotland and, having arrived at Dieppe 
he proceeded with his family to Geneva. > Life ofKnox, pag. 107. 

(3) Kqoi, dans son langage épicé, dit en parlant delà régente, que lui confier ce poste 
c'est mettre une lettre sur le dos d'une vache : c She maid Régent in the year of God 1354. 
and a croune putt upone hir head, als seimlyea sight (yf men had eis) as to putt a sadill 
upone the back of ane unrewly kow. » J'extrais ce passage de l'excellente édition de 
M. Laing (Knox,ift*«. ofthe Heformation, 1. 1, pag. 242). Cependant dans "Watson, His- 
toricall Collections of the Ecclesiastick Affairs, pag. 73, nous trouvons une légère 
différence : • As seemly a sight, • saith John Knox in the new Gospel language, • as to put 
the saddle upon the back of an unruly Sow. • 

(4) Le duc d'Argyll, dans son Presbytery Examined, pag. 9, l'appelle • ambitions and 
intriguing. > Cependant non seulement Lesley lui donne des éloges, ce à quoi l'on pouvait 
s'attendre (History, pag. 289, 290), mais Buchanan lui-même lui rend justice; nous trou- 
vons ce passage plein d'une gracieuseté qui n'est pas habituelle chez un auteur aussi pro- 
testant et démocratique : t Mors ejus varie mentes hominum affecit. Nam et apud quosdam 



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260 i HISTOIRE 

sa ote ot fanatique, la pressait d'extirper l'hérésie, et du 
même eoup d'abaisser la noblesse. D'après le conseil de ses 
frères, Je duc de Guise et le cardinal de Lorraine, elle pro- 
posa, en 1555, de remplacer les troupes, composées des ba- 
rons et de leurs suivants, par une armée permanente. Or 
•une telle force, salariée par l'État, n'eût été qu'un aveugle 
instrument entre les mains de la royauté : mais les nobles, 
pénétrant ces desseins, forcèrent Marie d'y renoncer : nous 
et nos vassaux, dirent-ils, nous suffisons à défendre 
l'Ecosse : qu'est il besoin d'une armée (1)? Sa seconde tenta- 
tive fut de raffermir les intérêts du parti catholique, ce 
qu'elle effectua en 1556 par le mariage de sa fille avec te 
Dauphin. Cette alliance mit le comble au pouvoir des 
Guises (2), dont la nièce, déjà reine d'Ecosse, deviendrait, 
dans l'ordre naturel des choses, reine de France. Il n'y eut 
pas de mesure extrême qu'ils ne conseillassent à leur sœur, 
en lui promettant le concours des troupes françaises. De leur 
côté, les seigneurs ne fléchirent point, et se préparèrent à 
la lutte. En décembre 1557, un certain nombre d'entre eux 
s'étaient engagés par une convention écrite à se soutenir 
mutuellement pour résister à la tyrannie qui les mena- 



eoram, qnibuscum armis contenait, non médiocre soi destderiom reliquit. Erat enim sin- 
.galari ingenio praedita, et animo ad seqnitalem admodum pro pensa. » Bachanan, iteriM» 
Scoticawwi Uistoria, lib.xvj, pag. 487. 

(i) H\8U ofScotlandj Ht. n, pag. 91 (Robertsop, Works, 483i; Tytler, History, t. V, 
pag. 22,53). Il semblerait, d'après ce qne nons dit Lesley (£f «tory, .pag. 254,â36), 
que certains seigneurs favorisèrent ce projet .dans l'espoir de s'attirer las bannes grâces 
de la reine. < Albeit som of the tordis of the nobilitie for pleasonr of the gnose seamad 
to aggre thairto for the tyme, yit the barronis and gentill men vas natiag content 

thairwith. * « Affirming tbat thair foirfatberis and predioessonris had défendit 

the samyn (c'est à dire le royaume ) mony hundreth yerïs, railyeantlie with thair arwia 
haedis. > 

(2) • It completed the almost deepotic power of the honse of fioise. • Tytler, Hist. of 
Scotlandj t. V, pag. 27. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 261 

çait (1). Après avoir pris le titre de Lords ofthe congréga- 
tion, ils dépêchèrent de tous cotés leurs agents pour re- 
cueillir les signatures ou l'assentiment verbal de tous les 
citoyens qui désiraient la réforme religieuse (2). Ils écrivi- 
rent en outre à Knox : ses prêches étant goûtés du peuple, 
seraient, pensaient-ils, un brandon de rébellion (3). Knox se 
trouvait alors à Genève; il ne se rendit à leur appel qu'au 
mois de mai 1559 (4) : mais, à cette heure, le résultat de la 
lutte pendante était à peine douteux ; les nobles avaient en- 
tièrement réussi à renforcer le parti et avaient toute raison 
de compter sur l'appui d'Elisabeth. 

Neuf jours après le retour de Knox, le premier coup fut 
frappé. Le 11 mai 1559, il prêcha à Pesth. Après le sermon, 
des troubles surgirent, le peuple pilla les églises et renversa 
les monastères (5). La reine-mère, rassemblant ses troupes 
en toute bâte, marcha sur la ville. Mais les seigneurs étaient 

(1) Cette convention» qui fait époque dans l'histoire d'Ecosse, porte la date dn 3 décem- 
bre 1557. Elle est citée dans Stevenson, Hist. of the Church ofScotland, pag. 47 ; Calder- 
wood, Hist. of the Kirk, t. I, pag. 326, 327; Knox, Hist. of the Re formation , 1. 1, 
pag. 273, 274. 

(2) En 1558, « the lords ofthe congrégation had sent agents throngh the kingdom to solicit 
the souscriptions of those who were friendly to a reformation. > Stephen, Hist. of the 
Church ofScotland. Lond., 1848, 1. 1, pag. 5a 

(3) Keith (Affairs of Church and State in Scotland, t. III, pag. 82) lui donne le titre 
de c a trompeter of rébellion, » qu'il mérite à coup sûr (soit dit à sa gloire), quoique 
i*é?éque, entiché de l'esprit de la cour, le lui impute à faute. Sans leurs dispositions 
rebelles, les Écossais eussent depuis longtemps perdu leur liberté. 

(4) t He sailed from Dieppe on the 12d of April 1559, and landed safely at Leith in the 
begiiroing of May. ■ M'Crie, Life of Knox, pag. 139. Knox dit lui-même c the secound of 
Maij. > Hist. ofthe Reformation, édit. Laing, 1. 1, pag. 318. cHe vas called home by the 
noblemen that enterprised the Reformation. > Spottiswoode, Hist. ofthe Church ofScot- 
land, édit. Russell, 1. 11, pag. 180. 

<5) Penny, Traditions of Perth, pag. 310; Knox, Hist. of the Re formation, l.l, 
pag. 321-323; Lyon, Hist. of St.- Andrews, 1. 1, pag. 329; Buchanan, Rerum Scoticarum 
Historia, lib. xvi, pag. 471, 472. On trouvera aussi des faits intéressants dans Lesley, 
History, pag. 271, 272. Mais, quoique cet auteur vécût à cette époque, il fait dater par erreur 
l'émeute de 1558. En outre, il prête a Knox un langage beaucoup plus ardent que celui dont 
il se servit réellement, 

T. IV. 17 



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262 HISTOIRE 

sur leurs gardes. Le comte de Glencairn, à la tête de deux 
mille cinq cents hommes, vint se joindre à la ligne , et un 
traité fut conclu par lequel les deux partis convinrent de 
mettre bas les armes, à la condition que nul ne serait puni 
pour ce qui s'était passé (1). Mais, dans l'état des esprits, la 
paix était impossible. Au bout de quelques jours, la guerre 
éclata de nouveau, pour aboutir cette fois à un résultat plus 
décisif. La ligue disposait alors de forces nombreuses. 
Perth, Stirling et Linglithgow ouvrirent leurs portes aux 
seigneurs. La reine-mère battit en retraite, évacua Edim- 
bourg, et le 29 juin ils entrèrent en triomphe dans la capi- 
tale (2). 

Tout cela s'était accompli en sept semaines, à dater de 
l'émeute qui avait éclaté à Perth. Dans les deux camps, on 
était alors tout disposé à entrer en négociations dans le but 
de gagner du temps , la reine-mère, comptant sur l'aide de 
la France, lés seigneurs sur celle de l'Angleterre (3). Cepen- 
dant Elisabeth ne montrant pas grand empressement, les 
protestants résolurent de frapper un coup décisif avant l'ar- 
rivée des renforts. En octobre, les principaux pairs, ayant 
à leur tête le duc de Chastelherault, le comte d'Àrran, le 



(1) Tytler, Hist. ofScotland, t. V, pag. 59, 62, 63. An sujet du comte de Glencairn, 
'chalmers (Catedonia, t. III, pag. 485) dit que c'était un < religions* ruffian, who enjoyed 

pensions from Henry VIII, for injuring his country of birth, and benefits. • Outre que la 
phrase est peu grammaticale, rien n'est plus absurde. Sans nul doute Glencairn, comme 
tous les fauteurs aristocratiques de la réforme, fut poussé par des motifs rien moins que 
nobles; mais, loin de nuire à son pays, il lui rendit un grand service. 

(2) Tytler, Hist. ofScotland, t. V, pag. 64-73. 

(3) Nous lisons au sujet de la reine-mère (juillet 1559) : < Shee had sent alreadie lo 
France for more men of warr. » Consultez le curieux pamphlet intitulé : cd History ofthe 
Estate of Scotland, from July 1558 to April 1560; » Miscellany ofthe Wodrow Society. 
Edimb., 1844, pag. 63. Toutes sortes de rumeurs circulaient ; une lettre, en date du 12 octo- 
bre 1559, porte : « Somme thinke the régent will départe secretlie. Summe that she will to 
Ynchkelth , for that three shippes are a preparing. Summe saye that she is verie sicke. 
Somme saye the devill cannot kill her. • Sadler, State Paper s > 1. 1, pag. 499. 



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I 
DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 265 

comte d'Argyle et le comte de Glencairn, s'assemblèrent à 
Edimbourg. A la suite d'un meeting général, présidé par lord 
Ruthven, on prononça solennellement la déchéance de la 
reine-mère, « l'ennemie, » déclara-t-on, « l'ennemie de la 
gloire de Dieu, de la liberté du royaume et de la prospérité 
des nobles (1). » 

L'hiver suivant, la flotte anglaise entra dans le Frith et 
alla jeter l'ancre près d'Edimbourg (2). En janvier 1560, le 
duc de Norfolk, s'étant rendu à Berwick, conclut, au nom 
d'Elisabeth, un traité avec les chefs de la ligue, en vertu du- 
quel l'armée anglaise traversa la frontière le 2 avril (3). Ces 
événements paralysèrent l'action du gouvernement qui fut 

(i) Tytler, tftrt ofScotland, t. V, pag. 104. Ceci se passa le 2 octobre 1559. Consulter 
Sadler, State Papers, 1. 1, pag. 512. c This Mondaye, tbe 22 of October, was tbe douagier 
deprived from her authoritie by commen consent of ail lords and barons hère présent. » 
A cette occasion, c Johne Willocke, » le prêcheur, prononça nn discours en faveur de la 
déchéance. Entre autres arguments il dit : « Tbat in deposing of princes, and thèse that 
hâve been in authoritie, God did not alwayes use his immédiat power, but sometimes he 
used other meanes, which his wisdome thought good, and justice approved. As by À3a, He 
removed Maacha, his owne mother, from honour and authoritie, which before she had 
used; by Jehu Hedestroyed Joram, and the whole posteritie of Achab. • Therefore « he > 
(l'orateur) could see no reasoun why they, the borne counsellers, the nobilitie and barons 
of the reaime, might not justlie deprive her from ail régiment. » Calderwood, Hist. of the 
Kirk, 1. 1, pag. 540, 541, et Knox, Hist. ofthe Reformation, 1. 1, pag. 442, 443. 

(2) Le Diurnal of Occurrents, pag. 55, 272, dit que la flotte arriva le 24 janvier 
1559-60 : « Aucht greit schippis of Ingland in the raid of Leith. » Nous lisons dans une 
lettre ( Stadler, State Papers, 1. 1, pag. 697) en date du 23 janvier : c The shippes arrived " 
yesterdaye in the Frythe to the nomber of IX or X, as yet, and the rémanent followith. > 
Par conséquent la date qui est donnée dans une note de Keith, Church and State in Scot- 
land, 1. 1, pag. 255 ( 10 janvier), est évidemment erronée. Malgré toute l'importance de cet 
événement, ni Tytler (Hist. ofScotland, t. V, pag. 114, 115) ni Chalmers (Caledonia, 
t. Il, pag. 631 ) n'en donnent la date exacte. 

(3) Chalmers, Caledonia, t. Il, pag. 632; Knox, Hist. ofthe Reformations t. II, pag. 57. 
Le traité de Berwick, signé en février, est cité dans Keith, Church and State in Scotland, 
1. 1, pag. 258-262. L'influence de la noblesse était si grande, que les troupes anglaises furent 
parfaitement accueillies par le peuple, malgré l'ancienne et cruelle animosité qui existait 
entre les deux nations. «Especially in Fyfe they were thanfully receaved,andwell entreated, 
with such quietnes and gentle enter tainement betvrixt our nation and them , as no man 
would hâve thought that ever there had beine any variance. » A Historié ofthe Estate of 
Scotland, from 1558 to 1560 (MisceUanyjif the Wodrow Society, pag. 78). 



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2«i HISTOIRE 

enchanté de signer la paix en juillet, aux conditions sui- 
vantes : évacuation de l'Ecosse par les Français ; attribution 
virtuelle aux seigneurs protestants de toutes les hautes 
charges administratives (1). 

Le triomphe suprême de cette grande révolution et la 
rapidité avec laquelle elle s'accomplit sont par eux-mêmes le 
preuve décisive de la force des causes générales qui gouvernè- 
rent ce mouvement tout entier. Depuis plus de cent cinquante 
ans, une lutte acharnée avait subsisté entre la noblesse et k 
clergé, et elle venait d'aboutir à rétablissement de la réforme 
et à la victoire des classes aristocratiques : celles-ci avaient 
enfin atteint leur but. Des hommes nouveaux avaient pris I? 
place de la théocratie vaincue. Avec elle avaient disparu les 
idées antiques de la succession apostolique, de l'imposition 
des mains et du droit divin d'ordination : tout cela rentra dans 
les limbes du passé. Le service divin fut célébré par des héré- 
tiques dont la plupart n'avaient pas même été consacrés (2). 
Enfin pour couronner le tout, la même année (1560) le parle- 
ment écossais vota deux lois qui détruisirent de fond en comble 
l'ancien système': aux termes de l'une d'elle, tout statut qui 



(1) • Vpoun the VI day of Juuj, it wes concludil and finallie endit betnix Ihe saids ambas- 
satouris, tuitching ail debaittis, contraversies and materis concernyng the asseiging of 
Leith, depairting of the Frenchemen thairfra, and randering of the same ; and the said peaz 
daitit this said day. * A Diurnal of OccurrenU* pag. 277, 278. Voyez également pag. 60, 
ainsi que Keith, Affairs of Church and State in Scolland, 1. 1, pag. 295. 

(2) c That Knoi himself vas in priest's orders, is a fact which his biographes the la te 
Or. M'Crie, has placed beyond dispute; and some of the others leaders were also priests; 
bnt the greater number of the preacbers,and ail those who subsequently became ministers, 
vere totally without any orders whatever, not even such as the superintendants could hare 
given them . for their own supposed call, the élection of the people, and the civil ceremony 
of induction to the living, was ail that was then «judged necessàry. » Stepben, /ftrt. ofthe 
Church ofScotland, 1848, 1. 1, pag. 145, 146. • A new-fashioned sort of ministry, unknow 
in the Christian Chnrch for ail preceding générations. • Keith, Church and State in 
Scotland, t. III, pag. 204. Consulte* Argyll, Presbytery Examined, pag. 34-36. 



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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. > 965 

atait été rendu en faveur de l'Église était rappelé (1) ; l'autre 
portait que quiconque dirait la messe ou y assisterait serait 
puni, h première fois de la confiscation de ses biens, la se-% 
conde de l'exil, et la troisième de mort (2). 

Ainsi fut brisée, ainsi tomba en pièces une institution 
qui avait soutenu le choc de plus de mille années. On 
augura bien de sa chute. Il en résulterait de grandes choses, 
disait-on, le peuple serait éclairé, déjà ses yeux se dessil- 
laient, le règne de la superstition approchait, de sa fin. 
Mais, ce qu'on oubliait alors, et ce qu'on perd de vue trop 
souvent aujourd'hui, c'est qu'en pareille matière il y a un 
ordre, un enchaînement naturel qu'on ne peut jamais ren- 
verser. C'est à dire que toute institution, telle qu'elle se 
comporte, peu Importent son nom ou ses prétentions, est 
Feffet beaucoup plus que la cause de l'opinion publique ; et 
qu'il ne servira de rien d'attaquer l'institution, si l'on ne 
commence par changer l'opinion. Or, en Ecosse, l'Église 
était grossièrement superstitieuse; mais il ne s'ensuivait pas 
que renverser l'édifice, ce serait amoindrir le mal. Ceux qui 
simagrnent qu'il est possible de réduire la superstition par 
ce moyen ignorent la vitalité de ce principe sombre et 
funeste. li n'y a qu'une seule arme qui puisse l'abattre, le 
savoir. Les hommes sont-ils plongés dans l'ignorance, ils 
* 

(1) «The tbre estaitis of parliament hes annnllit and declarit ail sik acted maid in tymes 
bipast not aggreing V goddis word and now contrair io the confessioun of onre fay* accor- 
ding to the said word publiât in this parliament, Tobe of nane avale force oor effeet. And 
decernis the said actis and every ane of thame lo haue na effeet nor strenth in tyme to 
cnm. » Acts of Ihe Parliament of ScoUand, 1814, in-fol., t. II, pag. 535. Cette loi fat 
rendue le 24 août 1560. 

(2) « That na maner of person nor personis say mess nor zit heir mess ho be put thairat 
vnder tbe pane of confiscatioun of ail tbairgnd movable and vnmovableand pvneissing of 
thair bodeis at tbe discretionn of tbe magistrat witbin qnhais jnrisdictioun sik personis 
happynis to b* apprehendit ffor tbe first fait : Banissing of tbe Reaime for tbe second fait, 
and jnstifying to tbe deid for the thrid fait. » lbid. y 24 août 1560, t. II, pag. 525. 



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266 HISTOIRE 

sont forcément superstitieux ; et partout où existe la super- 
stition, soyez sûr qu'il se formera un corps ou l'autre dont 
elle sera l'âme. Chassez-la de ce corps, elle en trouvera un 
autre. Elle transmigre, sous une nouvelle forme, mais tou- 
jours vivante. Dès lors, quelle vaine guerre que celle des 
réformateurs qui presque toujours s'en prennent au corps, 
pour épargner l'âme! Oui, ils pénètrent l'enveloppe, ils 
la détruisent; mais, dans cette enveloppe se trouve la 
graine d'un poison mortel, dont ils ne peuvent diminuer la 
force vitale : transplantée, cette graine produit des fruits 
dans une autre direction et se développe avec une nouvelle 
exubérance, souvent plus funeste encore. 

La vérité est que toute institution, politique ou religieuse, 
représente, telle qu'elle se comporte, la forme et la pression 
du siècle. Il se peut qu'elle soit antique, qu'elle soit revêtue 
d'un nom vénéré, qu'elle tende vers les plus nobles objets; 
tout cela est possible : mais quiconque étudiera attentivement 
son histoire verra que, dans la pratique, elle est successive- 
ment modifiée par les générations qui se suivent et que , au 
lieu de régir la société, elle est régie par cette dernière. 
Ainsi, lorsque la réforme se consomma, les Écossais étaient 
excessivement ignorants ; donc, malgré la réforme, ils res- 
tèrent excessivement superstitieux. Jusqu'à quelle époque 
cette ignorance subsista-t-elle? quels en furent les résultats? 
c'est ce que nous verrons bientôt ; mais avant d'examiner ce 
point, il est bon d'indiquer les conséquences immédiates de 
la réforme elle-même, par rapport aux classes qui aidèrent 
à son avènement. 

Après avoir renversé l'Église et l'avoir dépouillée d'une 
bonne partie de ses richesses, les seigneurs pensèrent que 
rien n'était plus juste que de recueillir le profit de leurs 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 267 

peines. Ayant tué l'ennemi, ils entendaient se partager ses dé- 
pouilles (1). Mais c'était aller contre les vues des pasteurs 
protestants ; selon ceux-ci, c'était commettre une impiété 
que de séculariser les biens de l'Église pour les appliquer à 
des fins profanes. Sans doute, disaient-ils, les seigneurs ont 
fort bien fait de piller l'Église, mais c'est à nous que doivent 
retourner ces richesses. N'étaient-ils pas de l'ordre sacro- 
saint? le devoir des classes dominantes était de leur conférer 
de bons bénéfices, arrachés à l'ancien clergé idolâtre (2). 

Conformément à ces opinions, Knox et ses collègues pré- 
sentèrent (août 1560) au parlement une pétition, priant les 
nobles de rendre à l'Église les richesses dont ces derniers 
s'étaient emparés, pour les consacrerd'une manière convenable 
au soutien du nouveau culte (3). Ces hautains seigneurs ne 
daignèrent pas même répondre à cette demande (1). Satis- 

(1) Ainsi que le dit Robertson, dans un style sobre et quelque peu faible : « Among tbe 
Scottish nobility, some bated the persons, and otbers coveted the'wealth, of the dignified 
clergy; and by abolishing that order of men, the former indulged their ressenlment, and 
the latter hoped to gratify their avarice. » Hist. ofScolland, liv. m, pag. 116; Robertson, 
Works, édit. 1831. Le récit écrit à l'époque même dans A Diurnal of Occurrents, 
pag. 269, a, ce me semble, quelque chose de plus vigoureux. « In ail this tyme (1559), ail 
kirkmennis goodis and geir wer spoulzeit and reft fra thame, in euerie place quhair the 
samyne culd be apprehendit ; for euerie man for the maist pairt that culd get any thing 
pertenyng to any kifkmen, thocht the same as wele won geir. » 

(2) c Knox never dreamed that the revenues of the Ghurch were to be secularized; but 
that he and his colleagues were simply to remove tjhe old incumbents, and then take 
possession of their bénéfices. » Stephen, Hist. ofthe Church ofScotland, 1. 1, pag. 106. 
€ The ecclesiastical revenues, which they never contemplated for a moment were to be 
seized by the Protestant nobility. • Lawson, Roman Catholic Church in Scotland, 
pag. 233. 

(3) Knox, Hist. ofthe Reformation, t. II, pag. 89-92; M'Crie, Life ofKnox, pag. 179. 
M'Crie dit en parlant de ce document :,t There can be no donbt that it received the sanc- 
tion, if it was not the composition, ofthe Reformer. » < It called upon them (les 

seigneurs) to restore the patrimony ofthe Ghurch, of which they had unjustley possessed 
themselves. » 

(4) « Making no answer to the last point. • Spottiswoode, Hist. of the Church ofScot- 
land, 1. 1, pag. 327. t Without taking any notice. » Keilh, A ffairs of Church and State, 
1. 1, pag. 321. 



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968 HISTOIRE 

faits de l'état actuel des choses, ils n'avaient pas la moindre 
envie de défaire un si parfait arrangement. C'étaient eux 
qui avaient combattu, eux qui avaient remporté la victoire, 
à eux donc les dépouilles! Pourrait on supposer qu'il aban- 
donneraient de gaité de cœur ce qu'ils avaient acquis avec 
tant de peine? Était-il probable qu'après avoir soutenu pen- 
dant cent cinquante ans une lutte acharnée contre l'Égtijse 
et après avoir enfin vaincu leur ennemi invétéré, ils iraient 
se départir des fruits de leur triomphe? et en faveur de qui? 
D'une poignée de prêcheurs qu'ils n'avaient appelé à leur 
aide que dans les derniers temps, personnages obscurs et de 
basse extraction, qui devraient considérer comme un im- 
mense honneur d'avoir été admis à faire cause commune 
avec leurs supérieurs. Non; qu'ils n'aient pas l'audace de 
s'imaginer, à cause de cette circonstance, qu'ils ne supposent 
pas, ces gens qui n'ont combattu qu'à la dernière heure, 
qu'ils aient droit à partager le butin à mesure égale (1) ! 

Mais les seigneurs écossais connaissaient bien peu les 
hommes à qui ils avaient à faire; ils comprenaient moins 
encore le caractère de leur siècle. Ils ne s'aperçurent pas que, 
dans l'état social où ils vivaient, la superstition était inévi- 
table, et que, par conséquent, si les classes ecclésiastiques 
étaient courbées un instant , il était certain qu'elles se 
redresseraient promptement. La noblesse avait renversé 
l'Église, mais les principes sur lesquels est basée l'autorité 
de l'Église restèrent intacts. On ne fit pas autre chose que 
de changer le nom et la forme. Il se forma bien vite une 

(1) < They viewed the Protestant preachers as low-born individnals, not far raised above 
the condition of mechanics or tradesmen , without influence , authority or importance. » 
Lawson, Roman Catholic Church in Scotland, pag. 251. < None were more unmercifull 
to the poore ministers than they that had the greatest share of the kirk rents. • Calderwood, 
Hist. of the Kirk ofScotland, t. II, pag. 42. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 



nouvelle théocratie sur laquelle le peuple reporta l'affection 
qu'il avait éprouvée pour l'ancienne; je me trompe, cette 
affection fut encore plus grande, car le clergé protestant, 
délaissé par la noblesse, non salarié par l'État, n'avait pour 
vivre qu'une misérable pitance : la nécessité l'amena donc 
à se jeter dans les bras du peuple, puisque ce n'était que là 
qu'il pouvait trouver aide et sympathie (i). De là une union 
plus resserrée et plus intime qu'elle n'eût été dans d'autres 
circonstances; de là aussi cette haine pour les classes supé- 
rieures, et cette animosité particulière contre la monarchie 
que le clergé presbytérien, piqué jusqu'au vif par le traite- 
ment injuste auquel il était soumis, déploya en toute occa- 
sion. Du haut de la chaire, dans leurs consistoires, dans 
leurs assemblées générales, ses ministres développèrent un 
esprit démocratique et frondeur qui produisit les plus heu- 
reux résultats, puisqu'à un moment critique, 11 entretint la 
flamme de la liberté, et qui, par cette raison même, déter- 
mina la perte de l'aristocratie, le jour où, par sa parcimonie 
maladroite et égoïste, elle excita la colère d'une classe aussi 
puissante et aussi implacable. 

Depuis le départ des troupes françaises (1560), les seigneurs 
jouissaient du pouvoir suprême (2). C'était à eux qu'il appar- 
tenait de décider jusqu'à quel taux s'élèverait la dotation du 
clergé réformé. Ils gardèrent le silence le plus méprisant sur 



(1) En 4561, « notwithstanding ihe full Establishment of the Reformation, the Protestant 
ministère werein a state of extrême poverty, and dépendent npon the precarions assistance 
of their flocks. » Tytler, Hist. ofScotland, t. V, pag. 107. Comparez une lettre de Knox, en 
date de 1566, an snjet de < the extreame povertie wherein onr ministère are bronght. ■ Knox, 
Hist. of the Re formation, t. II, pag. 542. 

(2) < The limited anthority which the Crown had hitherto possessed, was almost entirely 
annihilated, and the aristocratieal power, which ahrays predominated in the Scottish 
government (Y), became suprême and incontrôlable. » Rnssell, Hist. of the Church in 
Scotland, 1834, 1. 1, pag. 223, 



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$70 HISTOIRE 

la première pétition de Knox et de ses confrères. Mais les 
ministres ne se laissèrent pas si facilement rebuter. Ils pré- 
sentèrent donc au conseil privé ce qu'on appelle « Le pre- 
mier livre de discipline, » dans lequel ils exposaient de 
nouveau leur demande (1). Le conseil n'avait pas la moindre 
objection à faire aux doctrines contenues dans ce livre, mais 
il refusa de le ratifier, parce que c'eût été par là sanctionner 
le principe que la nouvelle Église avait droit aux revenus de 
l'ancienne (2). Cependant le conseil était prêt à lui en céder 
une certaine portion. Quelle serait-elle? Voilà ce qui sou- 
leva de graves disputes et la plus grande inimitié entre les 
deux partis. Enfin, rompant le silence, les seigneurs décla- 
rèrent (décembre 1561) que le clergé réformé ne toucherait 
qu'un sixième des revenus de l'Église, les cinq sixièmes res- 
tant étant partagés entre le gouvernement et les prêtres ca- 
tholiques (3). Rien de plus facile à saisir que la signification 

(1) Se reporter au First Book of Discipline, compris dans A Compendium ofthe Lam 
ofthe Church of Scotland. Édimb., 1837, part, i, S* édit. Ils résumèrent leurs demandes 
dans ce passage (pag. 119) : «The haill rentis of the Kirk abosit in Papistrie sal se referrtt 
againe to the Kirk. » Dans an antre endroit (pag. 106) ils disent avec franchise : 
< We doubt not but some of onr pétitions shall appeare strange nnto you at the first 
sight. » 

(2) « The form of polity recommended in the First Book of Discipline never obtained 
the proper sanction of the State, chiefly in conséquence of the avarice ofthe nobility and 
gentry, who were désirons of securing to themselves the revenues of the Church. a Mifcel- 
lany ofthe Wodrow Society, pag. 324. Consulte* également Argyll, Presbytery Exami- 
ned, pag. 26. Beaucoup de seigneurs néanmoins y apposèrent leurs signatures. Knox, 
Hist. of the Reformation, t. H, pag. 129. < Mais, ajoute Spottiswoode {Hist. ofthe 
Church of Scotland, 1. 1, pag. 373), t most of those that subscribed, getting into;their 
hands the possessions of the Church, could never be induced to part therewith, and turned 
greater enemies in that point of church patrimony than were the papists, or any other 
whatsoever. » 

(3) M'Crie, Life ofKnox, pag. 204; Knox, Hist. ofthe Re formation, t. II, pag. 298-301, 
307-309; Buchanan, Rerum Scoticarum Historia, lib. xvu, pag. 500. L'arrangement 
nominal, qui fut tracé arec beaucoup d'art, portait qu'un tiers des re?enus de l'Eglise 
serait divisé en deux parties : l'une pour le gouvernement, l'autre pour les ministres. On 
assignait gravement les deux tiers en surplus au clergé catholique, dont les membres à ce 
moment même, aux termes de l'acte du parlement , étaient passibles de la peine capitale 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 271 

de cette mesure, puisque les catholiques dépendaient alors 
entièrement du gouvernement, et que de fait ce dernier, 
c'étaient les nobles qui le constituaient, les seigneurs qui 
avaient accaparé le pouvoir exécutif. 

Dans ces circonstances, il arriva naturellement qu'en ap- 
prenant ces dispositions les ministres forent profondément 
émus. Ils virent combien cet arrangement était contraire à 
leurs intérêts, et partant ils soutinrent que c'était contraire 
à ceux de la religion. Suivant eux , c'était l'œuvre du 
diable, cela était destiné à servir à ses fins (4) : que ceux qui 
travaillaient dans la vigne du Seigneur, devaient être humi- 
liés, et souffrir que de vains gloutons s'appropriassent 
ce qui appartenait de plein droit aux premiers (2). Les 
nobles pourraient l'emporter un instant; mais la ven- 
geance de Dieu était ailée, et elle fondrait certainement un 
jour sur leurs têtes (3). D'un bout à l'autre, tout était spo- 



s'ils accomplissaient les cérémonies de leur religion. Il n'était pas probable que des gens, 
dont la vie était entre les mains du gouvernement, se querellassent a?ac ce dernier 
sur des questions d'argent; il s'ensuivit donc que presque toutes les richesses firent retour 
aux seigneurs. 

(1) < The ministeris, evin in the begynnying, in public seànonis opponed thame selves to 
sache corruptioun, for thie foirsaw the purpose of the Devill. » Knox,//t*t. ofthe Re for- 
mation, t. II, pag. 310. 

(2) « For it seemeth altogether unreasonable that the idle belleis s h ail devoure and 
consume in the patrimoine ofthe Kirk, will the faithfull travellers in the Lord's vineyardf 
suffer extrême povertie, and the needie members of Christ's bodie are altogether neglected. » 
Calderwood, Hist. ofthe Kirk, t. II, pag. 484, 485. Ceci était écrit en 1569; en 1571 , le 
célèbre Ferguson déclarait dans un sermon que les détenteurs des biens de l'Église, dont 
la plupart appartenaient à la noblesse, étaient des ruffian». On trouvera un extrait de son 
sermon dans Chalmers, Hist. of Dunfermline. Édimb., 1844, pag. 309. « For this day 
Christ is spuilzeit aman g us, quhil y* quhilk aucht to mantene the Ministerie of the Kirk 
aud the pure, is geuîn to prophane men, flattereris in court, ruffianes, and hyrelingis.» 

(3) En septembre 1571 , John Row « preiched , wha in plane pulpet pronounced to the 
lordis , for thair covetusnes , and becaus they wold not grant the just petitiones of the 
Kirk, Godis heastie vengeance to fali upon them; and said, moreover, < I cair not, roy 
lordis, your displeasour: for I speik my conscience befoir God,wha will not suffer sic 
-wickitnes and contempt vnpunished. » Bannatyne, Journal, édit. Édimb., 1806; pag. 257. 



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272 HISTOIRE 

Kation, rien que spoliation. Dans an pays véritablement 
chrétien, qui eût osé toucher au patrimoine de l'Église (4)? 
Hélas! en Ecosse, Satan avait prévalu (2), et la charité chré- 
tienne s'était refroidie (3). En Ecosse, des biens qui auraient 
dû être considérés comme sacrés avaient été dissipés, par- 
tagés : affreux partage, disait Knox, puisque deux tiers sont 



(1) Bu 1576, l'assemblée générale déclara que le droit do clergé an < the patrimoine of 
the Kirk • était < ex jure divino. » Acts ofthe General Assemblies of tlie Kirk ofScol- 
land. Èdimb., 1839, in-4',t. I, pag. 360. Plus de cent ans après, un ministre écossais nous 
montre combien nrofendement les membres de sa profession ressentaient cette spoliation, 
puisqu'il se livre à noe digression tont à fait en dehors de son sujet pour traiter de ce 
point. Se reporter à Jacob, Vow, by Dr. John Cockburn. Édimb., 1696, pag. 482, 423,435. 
Cependant cela n'est rien en comparaison de ce que nous affirme un auteur de nos jours, le 
révérend M. Lyon; c'est, nous dit-il de propos délibéré, c'est en raison de ces actes et 
d'autres semblables commis sous son règne, que Marie périt de mort violente, juste puni- 
tion du sacrilège. « The practicetde dire des messes pour les morts) ceased, of course, at 
the Reformation ; and the money was transferred by Queen Mary to the civil authorities of 
the town. Tbis was, undoubtedly, an act of sacrilège ; for, though sacrifierai masses for the 
dead was anerror, yet theguardians ofthe money so bequeathed, were under an obligation 
to apply it to a sacred purpose. Tbis , and other sacrilegious acts on the part of Mary, of 
a still more decided and extensive character, hâve been justly considère d as the cause of 
the calamities which subsequently befell her. » Hisl. of St.-Andrews , by the Rev. 
C. /. Lyon, M. A., Presbyter of the Episcopal Church, St.-Andrews. Édimb., 1843, 
t. 1, pag. 54. Ailleurs (t. II, pag. 400) le même ministre nous apprend que Dieu punit 
habituellement le sacrilège en privant la famille royale d'enfant mâle. « The following 
examples, selectedjrom the diocèse of St. Andrews, according to its boundaries before the 
Reformation, will corroborate the gênerai doctrine contended for throughout thiswork, 
that sacrilège has ever been pnnished in the présent Iife, and chiefly by the failure of maie 
issue. » Les italiques sont dans l'original. Consultez également 1. 1, pag. 118. Par égard pour 
l'historien futur de l'opinion publique, il est bon d'observer que l'ouvrage qui contient de 
telles idées n'est pas une réimpression d'un vieux livre, mais qu'il a été publié pour la pre- 
mière fois en 1843 et que, selon toute apparence, il venait d'être achevé la même année. 

(2) < The General assemblie of the Kirk of Scotland , convenit at Edinburgh the 25 of 
Beceraber 1566, to the Nobiliti» of this Reaime that professes the Lord Jésus with them, 
and has renouncit that Roman Antichryst , desyre constancie in faith,and thespiritof 
righteous judgement. Seeing that Sathan, be ail our négligence, Right Honourable, hes so 
ferre prevailit within this Reaime within thèse iate dayes, that ire doe stand in exstream 
danger, not only to lose our temporall possessions, but also to be depryvit ofthe glorioos 
Bvangejl, » etc. Keith, Church and State, t. ni, pag. 154, 155. 

(3) En 1566, dans, la circulaire qu'ils adressèrent aux évéques et au clergé anglais ils 
disaient : « The days are il!; iniquitie abounds; Christian charity, alas, is waxen coW. » 
Acts and Proceedings of the General Assemblies of the Kirk of Scotland. Édimb., 
1839,in-4-,t.I,pag.87. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 275 

attribués au diable et que le troisième tiers est divisé entre 
Dieu et le diable! C'était comme si Joseph, à l'époque où il 
gouvernait l'Egypte, avait refusé des grains à ses frères pour 
les renvoyer avec des sacs vides vers leur famille (1). Ou 
encore, comme l'insinuait un autre prêcheur, l'Église était 
maintenant semblable aux anciens Machabées, opprimés 
tantôt par les Assyriens, tantôt par les Égyptiens (2). 

Cependant, prières, menaces, tout fut vain : les seigneurs 
écossais s'entêtaient à rester sourds (3). Quedis-je? au lieu de 
s'attendrir, leurs cœurs s'endurcirent. Les pitoyables salaires 
alloués au clergé protestant ne furent même pas régulière- 

(1) « I see twa partis freely gevin to the Devill, and ihe thrid mann be devided betwiit 
God and the Devill : Weill, bear witoes to me, that tbis dày I say it, or it be long the Devill 
shall hâve three partis of the thrid ; and jndge yon then what Goddis poriionn shallbe. ■ 

« Who wold hâve thought, that when Joseph reulled Egypt, that bis brethren 

shonld hâve travail led for vittallis, and hâve retnrned with empty seckis unto thair fami- 
lles? Men wold rather hâve thonght that Pharao's pose, treasure, and garnallis shonld 
hâve been diminished, or tbat the houshold of Jacob shonld stand in danger to sterve for 
hnngar. » Knox,M8t. ofthe Reformation, t. Il, pag. 310, 3ii. 

(2) En mai 1571 : < Tbis Sooday, Mr. Craig teinfaed the 130 Psalme; and, in his sermond, 
hecompared the steat of the Kirk of God in this tovne vnto the steat of the Maccabeit; 
▼ha were oppressed snmtymes by the Assyrianis,and snmtymes by the Egiptianis. » Ban- 
natyne, Journal, pag. 150. 

(3) C'est en 1567 que je trouve le premier exemple d'une menace ou de rien qui en appro- 
chai; à cette époque c the Assembly ofthe Chnrch beiog convened at £dinbnrgh, « fit savoir 
à tons i as well noblemen as barons, and those ofthe other Estâtes, to meet and give their 
personnal appearance at Edinbnrgh on the aOth of Jnly, for giving their advice, counsel, 
and concurrence in matters then to be proponed ; espocially for purging the rwalm of 
popery, the establishing of the policy of the Cburch, and restoring thepatrimony thereof 
to thcjust possessors. Assuring those that shonld happen to absent themsel?es at the 
time, due and lawful adrertisement being made, that they shonld be reputed hinderers of 
the good work intended, and as dissimulate professors be esieemed unworthy ofthe 
fellowshipof Christ' s fiock. » Spottiswoode, UiU. ofthe Church ofScotland, t. II, 
pag. 64. C'est évidemment donner à entendre qu'on excommunierait tous ceux qui ne ren- 
draient pas aux pasteurs protestants les biens enlevés à l'Église catholique $ en 1570, nous 
trouvons les mêmes dispositions. A cette date , on Ut le passage suivant dans Acts and 
Proceedings of General Assembliez ofthe Kirk ofScotland, 1. 1, pag. 181 : ■ Q. If those 
that withold the duty of the Kirk, wherethrough Ministère wan{ their stipends, may 
be excommunicate? A. AU things èeand done that the cirill ordonr requyres of them that 
▼ithhaldis the duetie of the Kirk, quherby Ministère wants their stipends ; the Kirk may 
proceed to excommunication, for their contempt. • 



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27* HISTOIRE 

ment payés : on les consacra généralement à d'antres ob- 
jets (1). Les ministres se plaignaient-ils? les nobles se mo- 
quaient d'eux, les insultaient : ces derniers ayant atteint 
leur but, pensèrent qu'ils pouvaient fort bien se passer de 
leurs anciens alliés (2) . Le comte de Mortors, que ses hantes 
capacités aussi bien que ses alliances rendaient le plus pais- 
sant personnage de l'Ecosse, déploya en particulier une 
extrême violence contre le clergé protestant; il fit exécuter 
deux prêcheurs qui l'avaient offensé, et leur supplice fut des 
plus cruels (5). Les seigneurs, le considérant comme leur 
chef, l'élurent régent en 1572 (4) ; alors il tourna tout son 
pouvoir contre l'Église. Il saisit tous les bénéfices qui devin- 
rent vacants et s'en arrogea exclusivement les revenus (5). 

(1) En 15%, < the poore ministers, eihorters; and readers ,compleaned at church assem- 
bles, that neither were they able to liye upon tbe stipends allowed, nor gett payment of 
that smaU portionn which vas allowed. » Calderwood, Hist. ofthè Kirk, t. II, pag. 171 
Voyez Acts of the General Assemblies, 1839, in-4% 1. 1, pag. 53 : c To requyre payment to 
ministers of there stipends for the tyme by past, according to the promise made. > Ceci se 
passait en décembre 1564. En décembre 1565, rassemblée générale déclara (pag. 71) « that 
wher oft and divers tymes promise hes bein made to ns, that our saids brethren, travelers 
and preachers in the Kirk of God , sonld not be defrandit of their appointit stipends, neither 
set io any waves sonld be molestit in their fnnclioun; zet nottheles universalité they want 
ther stipends appointit for diverse tymes by past. » Relativement à l'état des choses en 1566, 
voyez < the Supplication of the Ministers to the Qneen. » Knox, Hist. of the Reformation, 
t. II, pag. 5». Voyez aussi dans Miscellany of the Spalding Club. Aberdeen, 1849, in-4% 
t. IV, pag. 92-101, une lettre écrite par lord Erskine à la date de décembre 1571, particuliè- 
rement pag. 97 : « The gretest of the nobilitie haifing gretest rentis in possessione , and 
plaicet of God in maist hie hononris, ceasis nocht, maist wiolentlie blindit with awarice, to 
spoilye aod draw to thame selfis the possessiones of the Kirk. > 

(2) « The ministers were called prond knaves, and receaved manie injurions words from 
the lords, speciallie from Morton, who ruled ail. He said, he sould lay their pride, and 
putt order to them. » Calderwood, Hist. of the Kirk, t. III, pag. 137, 138. Ceci se passait 
en 1571. 

(3) Chambers, Annals ofScotland, 1. 1, pag. 79, 80. 

(4) « the nobilitie wnderwrittin convenit in Edinburgh, and chesit and electit James erle 
of Mortoun régent. » A Diurnal of Occurrents, pag. 320. 

(5) En 1573, « when any benefeces of Kirk vaikit, he keapit the proffet of thair, rentg sa 
lang in his awin hand, till he was urgit be the Kirk.to mak donatioon tharof, and that was 
not gevin but proffeit for ail that. » The Historié and Life ofKing James the Sext, ôdit. 
Êdimb., 1825, in-4% pag. 147. Même en 1570, époque à laquelle Lennox était régent, « the 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 275 

Sa haine pour les pasteurs ne connut plus de bornes. Il dé- 
clara publiquement que tant qu'un certain nombre d'entre 
eux n'auraient pas été pendus (1), le pays ne pourrait jouir 
d'aucune tranquillité. Il refusa de sanctionner par sa pré- 
sence les assemblées générales dont il voulait détruire les 
privilèges et jusqu'au nom même : enfin il mit une telle 
ardeur à poursuivre ses mesures que, suivant l'historien de 
l'Église écossaise, rien, si ce n'est l'intervention spéciale de 
la Divinité, ne pouvait sauver cet ordre auguste (2). 

Donc, rupture complète entre l'Église et l'État. Quel était 
le plus fort? C'est ce qui restait à voir chaque année. Le 
clergé devenait de plus en plus démocratique et, après la 
mort de Knox (1572) ses membres se résolurent à suivre un 
plan que l'illustre réformateur eût hésité à conseiller et qui, 
dans les premiers temps de la réforme, eût été imprati- 
cable (3). Mais, à cette heure, l'appui du peuple leur était 



Earle of Mortoun was the chiefe manager of every thing nnder him, • et était < master of the 
chnrch rents, » et fit t gifts of them to the nobility. » Wodrow, Collections upon the Lives 
of the Reformer* of the Chureh of Scotland. Glascow, 1834, in-4', t. I, part, i 
pag. 27, 126. 

(1) « During ali thèse Assemblais and earnest endea?onres of the brethrein, the régent 
iras often reqnired to give his présence to the Assemblie, and fnrther the cans of God. He 
not onlie refused, but threatned some of the most zealons with hanging, alledging, that 
otherwise there conld be no peace nor order in the conntrie. » Calderwood, Hist. ofthe 
Kirk, t. III, pag. 393, 394. « Uses grait thretning against the maist zelns breithring, scho- 
ring to hang of thame, ntherwayes ther conld be na peace nor ordour in the conntrey. • 
The Autobiography and Diary of James Melvill. Édimb., 1842, édit. R. Pitcairn, 
pag. 99, 60. 

(2) < He mislyked the Generall Assembleis,and wonld hâve had the name changed, that 
he might take away the force and priviledge thereof ; and no qnestionn he had stayed the 
work of policie that was presentlie in hands, if Cod had not stirred up a factionn against 
him. » Calderwood, Hist. of the Kirk of Scotland, t. III, pag. 396. Consultez également 
The Autobiography of James Melvill, pag. 61. 

(3) « Dnring the two years following the death of Kooi, each day was ripening the more 
determined opposition of the Chnrch. The breach between the clergy with the great body 
of the people, and the go?ernment or higher nobility, was widening rapidly. » Argyll, 
Presbyteral Examine^ pag. 70. 



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276 HISTOIRE 

assuré : exaspérés par le cruel traitement auquel le gouver- 
nement et les nobles les soumettaient, ils formèrent les 
résolutions les plus désespérées. Au moment où leurs plans 
étaient encore informes, où l'avenir n'apparaissait que sous 
les plus sombres couleurs, un nouveau sectaire surgit, pos- 
sédant toutes les qualités requises pour devenir leur chef; 
Knox avait trouvé son digne successeur. Cet homme était 
Andrew Melville que ses hautes capacités, son audace 
extraordinaire, son esprit fécond en expédients, rendaient 
admirablement propre à diriger l'Église écossaise dans la 
lutte ardente qui s'approchait (1). 

En 1574, après avoir complété son éducation à l'étranger, 
Melville arriva en Ecosse (2). Il rallia promptement autour 
de sa personne les membres les plus distingués de l'Église; 
et sous leurs auspices, commença avec le pouvoir exécutif 
une lutte qui se continua, en passant par des phases 
diverses, durant soixante ans, pour aboutir enfin à la ré- 
volte ouverte contre Charles I er . Retracer tous les détails du 
combat serait contraire au plan de cette introduction : 
malgré l'extrême intérêt qui s'attache aux événements qui 
s'ensuivirent, nous devons en omettre la plus grande partie; 
mais j'essaierai d'indiquer leur marche générale et de mettre 



(1) « Next to her Reformer, who, under God, emancipated her from the degradiog shackles 
of papal superstition and tyranny, I known no individual from whom Scotland has received 
such important services, or to whom she continues to owe so deep a debt of national respect 
and gratitude, as Andrew Melville. » M'Crie, Life of Andrew Melville. Édimb., 1819, t. H, 
pag. 473. Son neveu, personnage très considérable loi-môme, dit : a Scotland receavit ocrer 
a graitter benefit at the hands of God nor this man. » The Autobiography of James 
MelviU, pag. 38. 

(2) Il quitta l'Ecosse en 1564, à l'âge de dix-neuf ans, et rentra dans son pays c in begin- 
ning of July 1574, after an absence of ten years from his native country. » M'Crie, Life of 
Andrew Melville, 1. 1, pag. 17, 57. Consultez, en outre, Seot, Apologetical Narration of 
the State of the Kirk of Scotland, édit. Woarow Society, pag. 34, et Howie, Biographia 
Scoticana. Glascow, 1781, pag. 111. 



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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 277 

sous les yeux du lecteur les faits les plus caractéristiques de 
cette époque. 

Quelques mois à peine après son retour, Melville se mit à 
l'œuvre; d'abord sourde, se bornant à des intrigues secrètes, 
son opposition se révéla bientôt au grand jour, et les hostilités 
furent déclarées (1). Du vivant de Knox, Tépiscopat avait 
été reconnu comme partie inhérente de l'Église protestante, 
et les principaux réformateurs s'étaient rangés à ce prin- 
cipe (2). Cependant, cette institution ne s'accordait pas 
avec l'esprit démocratique qui se développait partout. L'iné- 
galité entre les évêques et le bas clergé n'avait rien que 
de désagréable, et les ministres résolurent d'y mettre un 
terme (3). En 1575, à l'instigation de Melville, un pasteur, 
nommé John Dury appela sur ce sujet l'attention de l'assem- 
blée générale, tenue à Edimbourg (4). Le discours de Dury 



(1) II paraîtrait qu'il se mit à l'œuvre dès le mois de novembre 1574. Consultez Stephen, 
Hist. of the Churcfi of Scotland. Lond., 1848, 1. 1, pag. 261. 

(2) t The compilers of the Book of Discipline (c'est à dire le premier livre en 1560) were 

distingnished by prelatical principles to the end of their days. » « That Knoxhim- 

self was no enemy to prelacy, considered as an ancient and apostolical institution, is 
rendered clear by his c Exhortation to England for the speedy embracing of Christ 's Gospel. » 
Uussell, Hist. ofthe Church in Scotland, 1834, 1. 1, pag. 240. « The associâtes of Knox, 
it is obvions, were not Presbyterians, and had no intention of setting up a System of parity 
among the ministers of their new establishment. » Pag. 243. Se reporter également à la 
pag. 332. A la date même de 1572, année dans laquelle mourut Knox, nous lisons : « The 
whole Diocie of Sanct Andrews is decerned by the Assembly to pertain to the Bishop of the 
same. » Acts and Proceedings of the General Assemblies ofthe Kirk of Scotland, 
1839, in-4% 1. 1, pag. 264. Les presbytériens écossais ont fort mal traité cette partie de l'his- 
toire de leur Église. 

(3) Quelque temps après, David Fergusson, qui mourut en 1596 et qui était alors pasteur 
à Dnnfermline, dit avec la plus grande franchise à Jacques VI : c Yeq, sir, ye may hâve 
Bishops hère, but ye must remember to make us ail equal; make us ail Bishops, els will 
je never content us. » Row, Hist . ofthe Kirk of Scotland from 1558 to 1637, édit. Wodroto 
Society, pag. 418. Consultes Calderwood, Hist. of the Kirk, t. IV, pag. 214. En 1584 : 
« Thèse monstruous titles of superioritie. » En 1586 : t That tyrannicall supremacie of 
bishops and archbishops over ministers. » Pag. 604. 

(4) t He stirred up John Dury, one of the ministers of Edinburgh, in an Assembly which 
was then convened, to propound a question touching the lawfulness of the episcopal 

T. IV 18 



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278 HISTOIRE 

fini, Melville se prononça aussi contre l'épiscopat; mais 
comme il n'avait pu encore s'assurer des dispositions de 
l'auditoire» il procéda d'abord avec une certaine prudence. 
Cette hésitation, toutefois, était à peine nécessaire : car, 
par suite des différends entre l'Église et les hautes classes, 
les pasteurs commençaient à se retourner avec ardeur contre 
lès doctrines de soumission et de subordination qu'ils eussent 
soutenues, si la noblesse avait pris leur parti. Dans l'état 
des choses, le clergé ne trouvait de faveur que parmi le 
peuple : les aspirations des ministres tendaient donc vers 
l'égalité; leurs esprits étaient mûrs pour recevoir les mesures 
hardies proposées par Melville et ses partisans. La rapidité 
avec laquelle s'étendit ce mouvement nous prouve claire- 
ment ces dispositions. En 1575, la première attaque se pro- 
duisit à l'assemblée générale d'Edimbourg. En avril 4578, 
un autre assemblée générale décida qu'à l'avenir les évêques 
seraient désignés par leurs noms propres et non par leurs 
titres (1). Il fut en outre déclaré que jusqu'à la prochaine 
réunion, on ne pourvoirait à aucune nouvelle nomination 



fonction, and the authorily of chapters in their élection. He himself,as thongh he had not 
been acqnainted with the motion, after he had commended the speaker' s teal, and seconded 
the pnrpose with a long disconrse of the flonrishing estate of the chnrch of Gênera, and 
the opinions of Calfin and Théodore Beza coocerning chnrch government, came to affirm, 
< that none onght to he esteemed office-bearers in the Chnrch whose titles were not fonnd 
in the book of God. And, for the title of Bishops, albeit the same was fonnd in Scriptnre, yet 
was it not to be taken in the sensé that the common sort did conçoive, there being no sope- 
riority allowed by Christ amongst ministers, » etc. Spottiswoode, Hist. of the Church of 
Scotland, t. H, pag. 200. Consultez, en outre, Acts ofthe General Assembliez ,%. I, 
pag. 331, d'où il appert que six évoques assistaient à cette séance mémorable. Voici la 
question qui fut posée : « Whither if the Bischops, as they are now in the Kirk pf Scotland, 
hes thair fonction of the word of God or not, or if the Ghapiter appointit for creating of 
them aucht to be tollerated in this reformed Kirk. » Pag. 340. 

(1) « It was ordained, that Bischops and ail vthers bearand Ecclesiasticall fanctioun, be 
callit be thair awin names, or Brethren, in tyme comeing. • Acts ofthe General Assembliez 
ofthe Kirk of Scotland, t. n, pag. «04. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 279 

d'érêque (4). Deux mois après, on proclama que ce règle- 
ment serait définitif et que désormais Ton ne créerait pins 
d'évêque (2). Enfin, en 4580, l'assemblée réunie à Dundee 
renversa l'édifice de fond en comble; elle décida que 
Tépiscopat était une pure invention humaine, qu'il était 
illégal, qu'il fallait l'abolir sur-le-champ et que tout évêque 
était tenu de se démettre incontinent de ses fonctions; en 
cas de refus, il devait être excommunié (3). 

Les ministres et le peuple avaient donc accompli leur 
œuvre, et, en ce qui les touchait, l'avaifent bien faite (4). Mais 
les mêmes circonstances qui les avaient amenés à désirer 
l'égalité poussaient les hautes classes à désirer l'inégalité (5). 

(1) «Therfor the Kirk hes concluait, that no Bischops salbe electit or made heirafler, befor 
the nixt Generall Assemblie. » Acts oflhe General Assemblies of Ihe Kirk, t. II, pag. 408. 

(2) « Anent the Act made in the last Assemblie, the 38 of Aprile 1578, conceming the 
electionn of Bischops , suspendit quhill this présent Assemblie , and the farther ordoar 
reservit thereto : The General Assemblie, ail in ane voyce, hes concluait, that the said act 
salbë~extendit for ail tymes to corne, ay and quhill the corruptioun of the Estate of Bischops 
be allnterlie tane away. » Ibid., t. II, pag. 413. 

(3) « Forsameikle as the office of a Bischop, as it is now vsit, and commounly takin within 
this reaime, hes no sure warrand, anctoritie, nor good ground ont of the (Book and ) Scrip- 
tures of God; but is brocht in by the folie aod corruptions of (men's) invention, to the 
çreat overthrow of the Kirk of God : The haill Assemblie of the Kirk, in ane voyce, after 
tibertie givin to ail men to reason in the matter, none opponing themêelves in defen- 
ding the said prétendit office, Finds and déclares the samein prétendit office, vseit and 
termeit, as is above said, vnlaufoll in the selve, as haveand neither fundament, ground nor 
-warrant within the word of God : and ordaines, that ail sick persons as bruiks, or shall bruik 
heirafler the said office, salbe chargeit simplkiter to demitt, quyt and leave of the samein, 
as ane office quhervnto they are not callit be God ; and siclyke to desist and cease from 
ail preaching, ministration of the sacraments, or vsing any way the office of pastors, quhill 
they receîve de novo admission from the Général Assemblie, vnder the paine of excom- 
muticationn to be dennncit agains them : quherin if they befound dissobedient,or eontra- 
Teioe this act in any point, the sentence of excommunioatioun, after dew admonitions, to 
be exécute agains them. » Acts ofthe General assemblie*, t. II, pag. 453. 

(4) Aussi Calderwood dit triomphalement : t The office of bishops was damned. > Ilist. 
ofthe Kirk, t. III, pag. 409. « Their whole estât, both the spiritual) and cifill part, was 
damned. » Pag. 996. James Melville (Autobiography , pag. 59) dit que, par suite de ce haut 
fait, son oncle Andrew « gatt the nam of eni<rx.9TU>fxau7rtÇ f Episcoporwn exaotor, the 
flinger ont of Bischopes. » 

(5) Tytler (Bist. ofScotland, t. VI, pag. 309) observe que, tandis que « the great body 



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2&) HISTOIRE 

Un choc était donc inévitable, et cette mesure hardie de la 
part de l'Église le précipita. Forts de l'appui du peuple, les 
pasteurs recherchèrent plutôt la lutte qu'ils ne l'évitèrent. 
Ils lancèrent les diatribes les plus enflammées contre les 
évéques ; et peu de temps avant d'abolir l'épiscopat, ils ter- 
minèrent le « second livre de discipline » et le présentèrent 
au parlement : dans ce second livre , ils nièrent sans 
ambages tout ce qu'ils avaient établi dans le premier (1). 
Pour ce fait, on leur reproche souvent de s'être contredits 
eux-mêmes (2) : accusation injuste. Ils furent parfaitement 
conséquents avec eux-mêmes : ils changèrent simplement 
leurs maximes afin de sauver leurs principes. A l'exemple 
de toute corporation, présente ou passée, spirituelle ou tem- 
porelle, leur principe était de maintenir leur pouvoir. Que 
ce soit ou non un bon principe, c'est une autre question, 
mais enfin l'histoire nous prouve qu'il est universel. Aussi 
bien, quand les chefs de l'Église écossaise s'aperçurent qu'il 
y allait de son existence et que la question à résoudre était 



of the burghers, and middle and lower classes of the people, > étaient presbytériens, ta large 
proportion of the nobility snpported episcopacy. ■ Si, an lieu de c a large proportion, • il 
eût dit t ail, > il ne se serait pas trompé de beaucoup. En effet, Melville i himself says the 
whole peerage iras against him.» Stepheo, Hist. ofthe Church ofScotland, 1. 1, pag. 269. 
Forbes attribue le mouvement aristocratique contre les presbytériens, t godles atheists, » 
qui prétendaient t that there could be nothing so contrair to the nature of a monarchie, • etc. 
« than that paritie of authoritie in pastours. • Forbes, Certaine Records touching the 
Estate of the Kirk, pag. 349, édit. Wodrow Society. Voyei également pag. 355. « That 
Démocratie (as they called it) whilk allwayes behoved to be full of sédition and troubble 
to ane Aristocratie, and so in end to a Monarchie. ■ Le lecteur remarquera ce changement 
de rôle parmi les classes en Ecosse. D'abord le clergé s'allia avec la couronne contre la 
noblesse, puis la noblesse fit cause commune avec la royauté contre le clergé, et enfin ce 
dernier, pour se défendre, dut chercher ses alliés parmi le peuple. 

(1) On trouvera quelques remarques intéressantes sur la différence de ces deux livres dans 
Argyll, Presbytery Examinée, 1848, pag. 3843. Cependant, tout en ayant moins de pré- 
jugés que la plupart des auteurs presbytériens, cet écrivain n'est pas porté i admettre com- 
bien le second livre de Discipline contredit complètement le premier. 

(t) Les accusateurs sont les Episcopalians écossais. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 281 

celle-ci : qui dominera? ils furent parfaitement conséquents 
avec eux-mêmes en abandonnant les opinions qu'ils avaient 
soutenues autrefois, du moment qu'ils virent que ces opi- 
nions étaient préjudiciables à leur 'existence, en tant que 
corps indépendant. 

Lorsque parut le « premier livre de discipline (1560) » 
le gouvernement était entre les mains des seigneurs qui 
venaient de combattre à côté des pasteurs protestants et qui 
étaient prêts à combattre encore en leur faveur. Lorsque 
parut le « second livre de discipline (1578) » les nobles 
étaient encore au pouvoir; mais ces seigneurs ambitieux 
avaient fini par jeter le masque, et après avoir accompli 
leurs desseins en détruisant la vieille théocratie, avaient 
fait volte-face pour attaquer la nouvelle. Les circonstances 
ayant changé, l'Église changea avec elles; mais dans ce 
changement il n'y avait rien d'inconséquent. Au contraire, 
c'eût été le comble de l'inconséquence de la part de ses 
ministres , s'ils avaient conservé leurs anciennes idées 
d'obéissance et de soumission : rien de plus naturel que, 
dans ces conjonctures critiques, ils aient proclamé l'idée 
démocratique de l'égalité, de même qu'auparavant ils avaient 
défendu l'idée d'inégalité. 

C'est pour cela que, dans le « premier livre de disci- 
pline, » ils avaient établi une hiérarchie régulièrement 
ascendante, suivant laquelle le clergé en général devait 
obéissance à ses supérieurs ecclésiastiques, dénommés su- 
rintendants (1). Mais, dans le « second livre de discipline, » 



(1) Consultez First Book of Discipline, réimprimé dans le premier volume de A Corn- 
pendium ofthe Laws ùfChurch in Scotîand. Édimb., 1837, 2* édit. Les surintendants 
avaient pour fonctions de • to set, order, and appoint ministers. > Pag. 61. Et il paraîtrait 
(pag. 88) qu'aucun ministre ne pouvait être interdit sans le consentement de son surinten- 



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2*3 HISTOIRE 

nul vestige de celte hiérarchie! On y établit, dans les termes 
les plus nets, que tons les pasteurs, étant des compagnons de 
travail, ils étaient tout égaux en pouvoir; que nul n'avait 
d'autorité sur les autres ; et que prétendre à une telle auto* 
rite, ou affirmer la nécessité de la prééminence, c'était là 
un expédient humain qu'il ne fallait pas admettre dans une 
Église divinement constituée (1). 

Le gouvernement, on le supposera facilement, considéra 
les choses sous un poiat de vue bien différent. Les hautes 
classes regardèrent ces doctrines comme antisociales, révo* 



dant ; néanmoins Ton ne pourrait guère supposer que par là on ait entendu empiéter sur 
l'autorité des assemblées générales. Voyei, en outre, le sommaire pag, 114, ou il est dit au 
sujet des surinteodaots,qne tin thair visitatioun tbey sal not onlie preiche, but aisexamine 
tbe doctrine, life, diligence, and bebavior of tue ministeris, reideris, elderis, and deacoais.» 
Suivant Spottiswoode (Hist. ofthe Church ofScotland, t. II, pag. 167), « the superinten- 
deots held thair office duriog life , and their power was episcopal ; for tbey did elect and 
ordain ministers, tbey presided in synods. and direeted ail church censures, neither was 
any excommunication pronouoced without their warrant. » Voyez, en outre, au sujet de 
leur autorité, Knox, Hist. of the Reformation, t. II, pag. 161. • That punyschment suld 
bé sppoioted for suche as dissobeyid or contemned the supsrintendentes in thair fane* 
tioun. » Ce passage était écrit en 1561. En 1562, « it was ordained, that if ministers be diso- 
bedient to su péri n te o dents in aoy tbing beloogiog to édification, tbey must be subject to 
correction. ■ Acts ofthe General Assemblies ofthe Kirk, 1. 1, pag. 14. Se reporter à la 
pag. 131 : «Sick thiogs as superintendents may and aught decyde in their synodal! convejt- 
tiouns. • 

(1) c For albeit tbe Kirk of God be rewlit and go vernit be Jésus Christ, who is the ontie 
Kiog, bie Priest, and Ueid thereof, yit he useis the ministry of men, as the most necessar 

middis for this purpose. » c And to take away ail occasion of tyrannie, he wiilis 

that they sould rewl with mutuall consent of brether aod equality ofpower, every on# 
accord ing to thair fuoctiones. • Second Book of Discipline (A Compendium ofthe Laws 
of the Church ofScotland, 1. 1, pag. 196, 127. i As to Bisehops, if the nome eitiaxoiroç 
be properly taken, they ar ail ane with the ministers, as befoir was declairit. For it4s 
not a same of superioritie and lordschip, both of office and watchiog. • Pag. 142. Afin 
de bien saisir la signification complète de ce point, il est bon d'observer que les surinten- 
dants établis par la Kirk (Église) en 1560 prenaient très souvent le titre de « lordschips, » 
à titre d'ornement, comme pour indiquer l'énorme puissance dont ils étaient revêtus. 
Voyes, par exemple, les notes dans Wodrow, Collections upon the Lives ofthe Ref or- 
mers of the Church ofScotland, 1. 1 , part, u, pag. 461. Mais, dans le second livre 4e 
Discipline (1578), il n'est pas fait, si je ne me trompe, une seule fois mention des surin- 
tendants. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 283 

lutionnaires, anarchiques (1). Donc, loin de les sanctionner, 
ces classes résolurent de les détruire, s'il était possible; et 
on an après l'abolition de l'épiscopat, on se décida à 
mesurer, sur ce point même, la force des deux partis. 

En 1581, Robert Montgomery fut nommé archevêque de 
Glascow. Le chapitre de cette ville refusa de procéder à son 
élection, sur quoi le conseil privé déclara qu'en vertu de ses 
prérogatives le roi avaitJe droit de nommer tous les évêques (2). 
Dès lors, tumulte, confusion! L'assemblée générale inter- 
dit à l'archevêque rentrée de Glascow (3). Celui-ci ne tint 
pas compte de cette injonction et appeja à son aide le duc 
de Lennox à qui il devait sa nomination et à qui aussi il 
avait abandonné, en retour, presque tous les revenus du 
siège, en ne se réservant que fort peu de chose pour lui- 
même (4). C'était là une coutume établie depuis quelr 



(1) C'est ce qui a exactement lien eu Angleterre, où les hantes classes sont généralement 
en faveur de l'épiscopat; cette inégalité du rang, qui est conventionnelle et ne dépend 
nullement des mérites, est un spectacle qoi leur platt et influe sur elles, souvent à leur insu. 
D'un autre côté, ce sont les moyennes et les basses classes qui font la force du non-confor- 
misme, c'est à dire les classes où Ton a le pins de respect pour l'énergie et l'intelligence, et 
où l'on éprouve naturellement du mépris pour un système qui, selon le bon plaisir du sou- 
verain ou du ministre du jour, confère des titres et des richesses à des personnes que la 
nature n'a jamais destinées à la grandeur, mais qui, à la grande surprise de leurs contem- 
porains, sont revêtues des plus hautes dignités. A l'égard de cette différence d'idées en 
Ecosse, qui correspondent d'ailleurs à la différence de la situation sociale, voyez les obser- 
vations présentées sur le dix-septième siècle dans Hume, Commentaries on the Lato of 
Seolland. JÉdimb., 1797, in-4% t. II, pag. 544. 

(2) Décision du conseil privé. M'Crie, Life of Melville, 1. 1, pag. 967. «The brethrein 
of Glasgow were charged, under paine of horning, to admitt Mr. Robert Montgomrie, • 
Galderwood, Hist. ofthe Kirk, t. III, pag. 596. 

(3) « Charges the said Mr. Robert continue in the ministrie ofthe Kirk of Striveling, » etc. 
Acts ofthe Geneî*al Assembliez, t. U, pag. 547. Cette interdiction fut pronooeée en 1581 ; 
la décision du conseil privé porte la date d'avril 1592. Moysie, qoi vivait à cette époque f 
dit qu'au mois de mars 1584-8* non seulement le doyen et le chapitre, mais encore tout le 
clergé (« haill ministrie ») déclarèrent en chaire que la nomination de Montgomery « had 
the warrand of the deuill and not of the word of God, bot wes damnit thairby. » Moysie, 
Mémoire. Édimb., 1830, in-4°, pag. 36. 

(4) t The title whereof the said duke had procured to him, that ne, having the name of 



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284 HISTOIRE 

ques années et qui permettait, entre autres moyens nom- 
breux, aux seigneurs de dépouiller l'Église de ses biens (i). 
Toutefois, ce n'était pas là la question à résoudre (2); le 
point portait, non sur les revenus, mais sur le pouvoir. Car 
le clergé savait fort bien que, le pouvoir établi, le revenu 
en serait le corollaire naturel. Les pasteurs prirent donc les 
mesures les plus énergiques. Au mois d'avril 1582, l'assem- 
blée générale se réunit à Saint-Andrews, et délégua à Mel- 
ville les fonctions d'arbitre (3). Le gouvernement, dans la 
crainte d'un conflit, ordonna aux membres, sous peine d'être 
accusés de rébellion, de ne rien décider au sujet de l'arche- 
vêché (4). Mais rien ne put dompter les représentants de 
l'Église. Ils citèrent Montgomery à comparaître devant eux ; 
et, après avoir ratifié la sentence d'interdiction lancée par 
le chapitre, ils déclarèrent qu'il avait encouru les peines de 
la déposition et de l'excommunication (5). 

bishop, and eight hundred merks money for his living and sustentatioun, the whole rents, 
and other duteis of the said bénéfice, might corne to the doke's ntilitie and behove. • Calder- 
wood, Hist. ofthe Kirk, t. IV, pag. 111. Voyez aussi pag. 401. 

(1) Scot, Apologetical Narration ofthe State ofthe Kir Je, pag. 24, 25; Calderwood, 
Hist. ofthe Kir le, t. III, pag. 302; Wodrow, Collections upon the Lives of Reformers, 
1. 1, part, i, pag. 206 ; Lyon, Hist. of St. -Andrews, 1. 1, pag. 379 ; Gibson, Hist. of Glasgow, 
pag. 59 ; Hume, Hist . ofthe House of Douglas, t. II, pag. 216, 217 ; Chalmers, Caledonia, 
t. III, pag. 624. 

(2) «But the Chnrchpassing this point (c'est à dire la simonie) made quarrel to him for 
accepti'ng the bishopric. i Spottiswoode, Hist. ofthe Church ofScotland, t. II, pag. 282. 
. (3) Acts ofthe General Assemblies ofthe Kirk, t. II, pag. 548. 

(4) t A messenger-at-arms entered the honse, and charged the moderator and members 
of the assembly, on the pain of rébellion, to desist from the process. > M'Crie, Life of 

JfeJtnta?,t.I,pag.268. 

(5) i The assemblie and brether présent, after yoteing in the said matter, depryrit the 
said Mr. Robert from ail fnnetioun ofthe Ministrie in the Kirk of God, dnring the will ofthe 
Kirkof God; and farther, descernit the fearefall sentence of excommunication to be pro- 
mincit against him in the face of the haill Assemblie, to be voyce and month of the Mode- 
ratonr présent ; to the effect, that, his proud flesh being cast into the handspf Satan, 
he may be win againe', if it be possible, to God ; and the said sentence (to) be intimât be 
every particnlar minister, at his awin partlcnlar kirk, solemnelie in the first sermonn to 
be made be them, àfter thairreturning. • Acts ofthe General Assemblies of the Kirk, 
t. II, pag. 562. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 28B 

Dans ces temps-là une sentence d'excommunication en- 
traînait des conséquences si fatales, que Montgomery fut 
frappé de terreur à cette idée. Afin de parer à ce désastre, 
il se présenta devant l'assemblée et promit solennellement 
de s'abstenir de toute tentative à l'avenir, renonçant ainsi à 
l'archevêché (1). Cette démarche lui sauva probablement la 
vie; car le peuple, se rangeant du côté de ses pasteurs, 
était résolu à tout faire, ou, tout au moins, à maintenir les 
prétendus droits de l'Église et à défendre celle-ci contre les 
empiétements de l'État (2). 

De son côté, le gouvernement était également résolu. Le 
conseil privé fit comparaître plusieurs pasteurs devant lui; 
et Dury, l'un des fauteurs les plus actifs, fut chassé 
d'Edimbourg (3). On allait procéder à des mesures encore 
plus violentes, lorsqu'elles furent arrêtées par un de ces 
événements singuliers, assez fréquents en Ecosse, et qui 
démontrent d'une manière frappante la faiblesse endémique 
de la couronne, malgré les prétentions exagérées qu'elle 
affichait. Je veux parler de la conspiration de Ruthven, qui 
eut lieu en 1582, et qui eut pour conséquence de faire em- 
prisonner Jacques VI pendant dix mois (4). Fidèles à leur 

(4) Acts ofthe General Assemblies ofthe Kirk, t. II, pag. 665. Calderwood (Hist. of 
the Kirk, t. III, pag. 604) dit : < After long reluctatioun, at lenth he condescended. » 

(2) M'Crie (Life of Melville, 1. 1, pag. 274) dit: • In ail thèse contendings, the minis- 
tère had no conntenance or support from any of the oobility. > Il eût été étrange qu'ils 
eussent trouvé cet appui, attendu que le mouvement tout entier était essentiellement démo- 
cratique. 

(3) MelTille, Autobiographie, pag. 129; Calderwood, Hist. of the Kirk, t. III, pag. 620 
M'Crie, Life of Melville, 1. 1, pag. 270. 

(4) Il fut arrêté en 4582 (août) et remis en liberté en juin 4583. Tytler, Hist. ofScotland, 
I. VI, pag. 324, 360. Il est étrange que cet ouvrage estimable et plein d'un véritable talent 
contienne des vues si superficielles sur les affaires religieuses de l'Ecosse. 11 semblerait que 
M. Tytler n'a pas approfondi les menées des consistoires ni même des assemblées géné- 
rales; on ne trouve dans son livre aucune connaissance de la littérature théologique de 
son pays. Et cependant (de 4560 à 4700 environ) c'est dans ces sources que l'on puisera 
plus de vrais renseignements sur l'histoire des Écossais que partout ailleurs. 



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m HKT0UE 

politique, les pasteurs approuvèrent hautement la captivité 
du roi et déclarèrent que c'était une œuvre pie (1). Dury qui 
avait été expulsé delà chaire fut ramené en triomphe dans, la 
capitale (2); et l'assemblée générale, se réunissant à Edim- 
bourg , donna l'ordre à tous ses ministres d'exposer a leurs 
oqailles la justice de l'emprisonnement du roi (3). 

En 4583, le roi recouvra la liberté, et la lutte reprit plus 
acharnée que jamais ; les deux partis étant exaspérés par les 
souffrances qu'ils s'étaient infligées réciproquement. Ls| 
conspiration ayant été déclarée l'œuvre de la trahison, et 
elle l'était sans conteste, Dury la défendit ouvertement en 
chaire : or, quoique plus tard, sous l'empire d'une crainte 
passagère, il ait retracté ses paroles (4), d'autres circonstances 
nous prouvent d'une manière évidente que ses sentiments 
étaient partagés par ses confrères (5). Un certain nombrç 



(i) « The pnlpit resoanded with applauses of theGodly deed. » Àrnot t Hi*t. ofEdin- 
burgh, pag. 37. 

(2) • As he is comming from Leith to Edinburgh , upon Taisday the 4th of September, 
there mett him at the Gallow Greene two hundreth men of the inhabitants of Edinburgh* 
Their number still increased, till h e came within the Neather Bow. There they beganne to 
sing the 124 Psalme, Now may Israël say, • etc., and sang in foure parts, knowne to the most 
part of the people. They came np the Street tiil they came to the Great Kirk, singing thus 
ail the way , to the nomber of two thowsand. They were mâche moved themselves, and so 
were ail the beholders. The dnke was asionished, and more affrayed at that sight than at 
anie thiog that ever he had seene before in Scotland, and rave hîs beard for anger. » 
Calderwood, Hist. ofthe Kirk, t. III, pag. 646, 647. 

(3) Acts ofthe General Assemblies, t. II, pag. 596, 596. Cet ordre, donné par rassemblée 
générale réunie à Edimbourg, porte la date du 9 octobre 1582 (pag. 565). Consultez égale- 
ment Watson, Historicall Collections of Ecclesiastick Affairt in Scotland, pag. 192 : 
tReqniring the ministers in ail their churches to commend in into the people. • 

(4) Spottiswoode, Hist. ofthe Church of Scotland, t. II, pag. 308. 

(5) Jacques, après son évasion, «convocat ail his peaceahill Prelatis and Nobles, aod thair 
he notefeit unto thayme the greif that he consavit of his unlaughfnll detentioun the yeir 
bygayne, and tharefore desyrit thame to acknawlege the same; and they be thair generall 
voittis decernit the rayd of Ruthven to be manifest treasoun. The Ministers on the uthcc 
part, perswadit the people that it was a godly fact, and that whasoever wald not altow 
thareof in his hart, was not woTthie to be estemit a c bris tien. » The Historié of King 
James the Sext, pag. 202, publié par le Bannatyne Club. Édimb., 1825, in-4*. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 287 

d'entre eux ayant été appelés devant le roi pour rendre 
compte de leurs propos séditieux, lui dirent de prendre 
garde à ee qu'il ferait, tout en lui rappelant qu'aucun prince 
n'avait prostré du jour où il avait encouru les menaces des 
ministres de Dieu (1). Melville, qui exerçait une immense 
action sur le clergé et sur le peuple, brava le roi en face, 
et, après avoir refusé de s'expliquer sur le langage qu'if 
avait tenu en chaire : « Vous attentez, lui dit-il, à toutes 
les lois divines et humaines (2). » Simpson compara Jacques 
à Caïn et l'avertit de redouter la colère de Dieu (3). Bref, 
l'Église était animée d'une haine si implacable, qu'elle sem- 
blait prendre plaisir à la révéler sous toutes les formes les 
plus repoussantes. En 1585, un pasteur, nommé Gibson, au 
milieu d'un sermon qu'il prononça à Edimbourg, appliqua 
au roi la malédiction qui tomba sur la tête de Jéroboam : il 



(1) « Disregajri qot our threatening ; for there was Aérer ooe yet io this realm , in tbe 
place where your grâce is, who prospered afler the ministers began threaten him. > Tytler, 
Hist. ofScottandy t. VI, pag. 364. Voyex aussi dans Caiderwood (Hist. of the Kirk, t. V, 
pag. 540, 541) une lettre adressée au roi par le clergé de Ftfe en 1597 : « And now, Sir, 
lett me be free with you inwritting other men's reports, and thatof the wisest politicians. 
They say, our bygane historeis report, and expérience teacheth, that raro et fere 
nunquam bas a king and a prince continned long togetber in tbis reaime; for Filius ante 
diem patrios inquirit in annos. And they say, Sir, farther, that whatsoever they were 
of your Majestie's predecessors of governement that oppouned themselves directïie or indi- 
rectlie to God's ordinance in bis Kirk, it has beene tbeir wracke and subrersioun in the end. 
I might herein be more particular; bat l leave it to your Majestie's owne grave and mode#t 
consideralionn, for it concerneth you most neere. » 

(2) • Sayîng, tHe perverted the laws both of God and man. » Spottiswoode, Hist, ofthe 
Ctoirch ofScotland, t. Il, pag. 309. Tytler, Hist. ofScotland, t. VI, pag. 371. 

(3) t Mr. Patrick Simson, preacjûng before the king upon Gen., IV, 9 : t Tbe Lord said to 
Cain, Where is Abel, thy brother? • Said to the king, before tbe congrégation : t Sir, 
I assure you, in God's name, the Lord will ask at you where is the EarJ of Moray , your 
brother? » The king replyed, before ail the congrégation : «Mr. Patrick, mychalmer doore 
ires ne ver steeked upon you : ye might hâve told me anything ye thought in secret. > Qe 
replyed : « Sir, the scandall is publict. • Row, HUt. ofthe Kirk, pag. Itt. «Having occa- 
sion, aimo 1593, to preach before tbe king, he publicly exhorted him to beware that he drew 
not the wrath of God upon himseh* injmtronizing a manifest breach of divine laws. > Howie, 
Biographia Scoticana, pag. 190. 



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Î88 HISTOIRE 

mourra sans postérité, dit-il, et ce sera le dernier de sa 
race (1). L'année suivante, Jacques étant convaincu qu'Eli- 
sabeth était bien résolue à faire périr sa mère, s'imagina 
d'avoir recours à ce que l'on considérait dans ce siècle-là 
comme une ressource infaillible : il demanda au clergé 
d'adresser des prières au ciel en faveur de Marie Stuart. 
Presque unanimement, les pasteurs refusèrent d'accéder à 
ses désirs. Non contents de cette abstention personnelle, ils 
décidèrent que nul parmi eux ne prêterait son ministère dans 
cette circonstance. L'archevêque de Saint- Andrews allait offi- 
cier en présence du roi : gagné p$r les pasteurs, un certain 
John Cowper alla se poster auparavant dans la chaire, afin 
d'en exclure leprélat(2).Etcenefutqu'aprèsquelecapitaine 
des gardes du corps eut menacé Cowper de l'arracher de la 
place qu'il avait usurpée, que le service put continuer, et le 
roi entendre les prières adressées au ciel pour sa mère, dont 
le sort, à cetteheure sombre, était si incertain, qu'on igno- 
rait encore si elle serait décapitée en public ou, selon la 
croyance la plus répandue, si elle serait secrètement empoi- 
sonnée (3). 

(1) < Saying, « that Captain James, with his lady Jesabel, and William Stewart (meaniog 
the colonel), were taken to be the persecntors of the Church ; but that now it iras seen to 
be the king himself, agaïnst whom he deoouoced the curse that fell on Jéroboam— that ne 
woold die childless, and to be last of his race, t Spottiswoode, Hist. of the Church of 
Sfcottond,t.Iï,pag.335. 

(2) « The kiog, perceiving by ail thèse letters, that the death of his mother was deter» 
mined, called back his ambassadors, and at home gave orderto the ministers to remember 

her in their public prayers, which they denied to do. » < Upon their déniai, charges 

were directed to command ail bishops, ministers, and other office-bearers in the Charch to 
make mention of her distress in their public prayers, and commendher to-Godin theform 
appointed. But of ail the namber only Mr. David Lindsay at Leith and the king's own 
ministers gave obédience. » Spottiswoode, Hist. of the Church, t. II, pag. 355, 356. t They, 
with only one exception, refnsed to comply. 1 Russell, Hist. ofthe Church in Scotland, 
t. H, pag. 23. Rapproches Watson, HistoricaU Collections of Ecclesiastick Affaire in 
Scotland, pag. 208, de Historié of James the Sext, pag. 225. 

(3) « They stirred np Mr. John Cowper, a yonng man not entered as yet in the fonction, 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 289 

En 1594, John Ross déclara en chaire que les conseillers 
du roi étaient tous des traîtres et que le roi lui-même ne 
valait pas mieux qu'eux. C'était un rebelle, un réprouvé, 
Qu'y avait-il d'étonnant dans ce fait, quand on considérait 
l'extraction de Jacques? Sa mère était une Guise, elle avait 
persécuté les saints. Quant à lui, il n'osait pas persécuter 
au grand jour, il les flattait avec de belles paroles : mais ses 
actes ne répondaient pas à son langage, et si grande était sa 
dissimulation , que c'était bien l'hy pocri te le plus consommé qui 
fût en Ecosse (2). En 1596, David Black, l'un des plus influents 



î to take the pulpit before the Mme, and exclude the bishop. The king coming at the hour 

appointai, and seeing him in the place, called to him from his seat, and said : « Mr. John, 

that place is destined for another ; yet since you are there, if you will obey the charge that 

' « is given, and remember my mother in yonr p rayer s, yon shall go on. » He replyiog ; «That 

he -wonld do as the Spirit of God shonld direct him, » was commanded to lea?e the place : 

and makingas thoagh he wonld stay, the captain of the gnard went to pnll him ont; 

: whereupon he burst forth in thèse speeches : « This day shall be a witnes* against the king 

in the great day of the Lord,» and then denouncing a wo to the inhabitants of Edinbnrgh, 

'--. he went dbwn, and the bishop of St. Andrews entering the pulpit did perform the dnty 

,| reqnired. » Spottiswoode, Hist. ofthe Church of Scotland, t. II, pag. 356. « The Kingis 

Majestie, to testifie his earnest and natnrall affection to his mother, cansit pray for hir 

£ oppinly efter him selff; quhairypone arrose a great dissensionn betoli snm ofthe ministrie 

and his Majestie, namely the ministrie of Edinbnrgh. Qnhairvpone the king appoynted 

Patrik , archbischop of St. And rois to teache, bot he wes prenented be Mr. John Covpar 

minister, quho corne befoir and filled the pnlpit. And as the said Mr. John wes beginnand 

1 y the prayer, the Kingis Majestie commandit him to stay : so as Mr. John raschit michtely 

tt * vpone the pulpit, saying : « This day sali bear witnes aganis yow in the day of the lord : 

woe be to ye Edinbnrgh, for the last of XI plaiges salbe the worst. > Moysie, Memoirs, 

pag. 59. 

(1) Consultez The Historié of King James the Sext, pag. 316-318, d'après «a just copie 

t ! ' of his sermon • donnée par Ross lui-même, t His text was upon the 6 chapter of the Ptophet 

Jeremias, verse 28. < Brethren, we hâve manie, and almaist innumerable enormiteis in this 

^ cuntrie to be lamentât, as the misgoyernement of onr king be sinistrous co un sali of sum 

^ particular men. They ar ail rebellions traitors, evin the king the maist singnlar person, and 

'■*' particularlie everie estait of the land. • • Our king in sindrie poyntis hes bene 

ft 1 ' rebellions aganis the Majestie of God. ■ t To this howre, we gat never gude of 

* ' the Guysien blude, for Queyne Marie his mother was an oppin persécuter of the sanctis of 

^ God, and althoght the king be not an oppin persecutor, we hâve had many of his fayre 

¥ wordis, wharein he is myghtie aneugh, bot for his gude deiddis, I commend me to thayme. • 

....*. t Admit, that onr king be a Çhristien king,yit but amen dément, he is a reprobat 



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1*0 HISTOIRB 

parmi les ministres protestants, prononça un sermon qui fit 
grand brait. Tons les rois, dit-il, étaient les enfants du 
diable ; mais en Ecosse c'était Satan lui-même qui régnait. 
Les membres du conseil étaient des cormorans et les 
lords du parlement des mécréants. Les nobles avaient 
dégénéré : impies, fourbes, ils étaient les ennemis de 
l'Église. Quant & la reine d'Angleterre, ce n'était qu'une 
athée. De la reine d'Ecosse, tout ce qu'il avait à dire c'était 
qu'ils pouvaient prier pour elle si cela leur plaisait et parce 
que c'était la mode, mais qu'il n'y avait aucune raison pour 
cela, d'autant plus qu'il ne leur en reviendrait jamais aucun 
bien (1). 

Par suite de ce sermon, Black fut appelé à comparaître 
devant le conseil privé : il refusa de s'y rendre, sous le pré- 
texte que c'était à un tribunal ecclésiastique, et non à un 



king. Of ail the men in this nation, the kinghimself is the maist fynest, and maist dissembting 
hypocreit. > Galderwood (Hist. ofthe Kirk, t. V, pag. 299), qui probablement n'avait pas 
vu les notes originales, ne parle que très brièvement de ce sermon. 

(1) < L'accusation, qui établissait de tons points sa culpabilité, portait que < he had 
pnblictlie sayd in pulpit, tbat the papist erles wes corne home be the kingis knavledge and 
consent, quhairin his Hienes treacherîe wes detnctit; tbat ail kingis war deniiis and corne 
of deoilis; that the denill wes the head of the court and in the court; that he prayit for 
the Queine of Scotland for the faschione, because he saw na appearance of gnid in hir 
tyme. » Moysie, Memoirs, pag. 128. < Having been heard to affirm, that the popish lords 
had retnrned into the country by the king's permission, and that thereby the king bad 
discovered the i treacherous hypocrisy of his heart; • that < ail kings were the devil's 
bairns, and that the devil was in the court, and the guiders of it. » He was proved to hâve 
nsed in his prayer thèse indécent words, when speaking of the qneen : c We must pray for 
her for fashion's sake; but we might as well not, for she will never do us any good. » He 
called the Queen of England an atheist, and the Lords of Session bribers ; and said that 
the nobility at large « were degenerate, godless, dissembler s, and enemies to the churh. • 
Grierson, Hist. of Saint-Andrew*. Gupar, 1838, pag. 30 Au nombre des délits dont il 
était accusé se trouvaient ceux-ci : < Foorthly, that he had called the queen of England an 
atheist. Fiflhly , that he had discnssed a suspension granted by the lords of session in 
pulpit, and called them miscreants and bribers. Sixtbly, that, speaking of the nobility, he 
said they were « degenerated, godless, dissemblers, and enemies to the church. • Likewise, 
speaking of the conncil, that he had called them c boliglasses, cormorants, and men of no 
religion. i Spottiswoode, Hist. oftte Church, t. III, pag. 21. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 201 

tribunal séculier, qu'il appartenait de connaître de paroles 
prononcées en chaire. Assurément, il obéirait à l'Église : 
ayant reçu sa mission de Dieu, il était tenu de l'accomplir, 
et il manquerait à don devoir s'il permettait aux cours civiles 
Se juger de pareilles matières (1). Le roi, tout en fureur, 
fit jeter Black en prison, et nous ne voyons guère qu'il lui 
restât d'autre alternative : quoiqu'il pût faire, cependant, il 
était certain qu'il ne parviendrait jamais à plier l'esprit in- 
domptable de l'Église écossaise (2). 

La même année, au mois de décembre, l'Église ordonna 
un jeune général, et Welstprononçaà Edimbourg un sermon, 
dans le but de soulever le peuple contre ses maîtres. Le roi, 
dit-il, avait été autrefois possédé d'un démon : ce démon 
ayant été exorcisé, sept autres de la pire espèce étaient 
venus reprendre sa place. Évidemment, Jacques était fou, 
et il était légal de lui enlever des mains l'épée de justice, de 
même qu'il serait légal pour des serviteurs ou des enfants 
de s'emparer du chef de famille, s'il avait plu au ciel de le 
plonger dans la démence. En un tel cas, ajoutait l'orateur, 



(1) Consultez les pièces originales intitulées : The Declinalour of the King and 
Coumel J 8 Judicatour in Maters Spiritual^ namelie in Preaching of the Word. 
Calderwood, Hist. of the Kirk, t. V, pag. 457-459, 475-480. Tytler {Hist. ofScotland, 
t. VII, pag. 326-332) en donne quelques extraits tout en les accompagnant de remarques 
sur leur tendance évidente. Consultez , relativement au déni de juridiction dont excipait 
l'Église écossaise, Hallam, Constitutional History, 4* édit., 1842, t. II, pag. 461, et 
Mackenzie Laws and Customs of Scotland in Matters Criminal: Edimbourg, 1699, 
pag. 181, 182. 

(2) M'Crie (Life of Melville, t. II, pag. 70, seq.) nous donne le récit des poursuites inten- 
tées contre Black; mais, selon son habitude, il ne nous dit pas ce qui y donna lieu ou du 
moins il adoucit tellement le délit, que ce n'en est plus un. D'après lni,« David Black had 
been served with a sommons to answer before the privy council for certain expressions used 
by him in his sermons. » Certaines expressions, vraiment! Mais pourquoi parler de la peine 
et supprimer l'offense Ï Ce profond écrivain savait parfaitement bien ce qu'avait dit Black, 
et pourtant tous les renseignements qu'il donne au lecteur se bornent à une note (pag. 72) 
qui contient un extrait mutilé de Spottiswoode. 



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292 HISTOIRE 

il serait juste de se saisir du fou, et de le tenir pieds et 
poings liés, afin de prévenir tout autre mal (1). 

A celte époque, la haine du clergé était si implacable, la 
sève de l'esprit démocratique était si forte dans son sein (2), 
que ses membres semblaient incapables de se gouverner 
eux-mêmes : ainsi Andrew Melville, dans une audience avec 
le roi, en 1596, alla jusqu'à l'insulter personnellement, et, 
le saisissant par le bras, il le traita de « sot vassal de 
Dieu (3) ! » La grande somme de vérité contenue dans ce 
reproche cruel en augmentait l'acre té. Mais les pasteurs ne 
se bornèrent pas toujours aux paroles (4). Il n'y a pas de 
doute qu'ils participèrent à la conspiration de Ruthven ; et 



(1) « Saying : • He was possessed irith a devil; that one devil being pat ont, seven -worse 
were entered in place ; and that the subjécts might lavrfully rise, and take the sword ont of 
his haod ; > which he confirmed by the example of a father that falling into a frenzy, might 
be taken by the children and servants of the famity, and tied hand and foot from doing 
violence. > Spottiswoode , Hist. of the Church of Scotland, t. III, pag. 3*. Consultes 
également Arnot, Hist. of Edinburgh, pag. 46, 47. 

(2) Ce qni D*échappa pas à l'attention du gouvernement, et Elisabeth, qui était parfaite- 
ment an courant de tont ce qoi se passait en Ecosse, écrivit à Jacques en 1590 pour l'avertir 
de se tenir sur ses gardes, conseil qui était peu nécessaire, mais qui dut ajouter à toutes 
ses craintes. « And lest fayre semblance, that easely may begile, do not brede your igno- 
rance of suche persons as ether prétend religion or dissemble deuotion, let me warne 
you that ther is risen, bothe in your reaime and myne , a secte of perilous conséquence, 
suche as wold hâve no kings but a presbitrye, and take our place while the inioy our privi- 
lège, with a shade of Godes word, triche none is juged to folow right -without by ther 
censure the be so demed. Yea, looke ire wel unto them. ■ Letlers 6f Elizabetii and 
James VI, publiées par John Bruce (Camden Society, 1849, in-4", pag. 63). 

(3) Le révérend James Melville, qui assistait à cette scène, la décrit avec une joie qui 
déborde : < To the qnhilk, I begtnning to reply, in my maner, Mr. Andro douent nocht abyd 
it, bot brak af npon the king in sa zealus, powerfull, and unresistable a maner, that whov- 
beit the king used his authoritie in maist crabbit and colerik maner, yit Mr. Andro bure 
him down , and outtered the Commission as from the mightie God, calling the king bot 
t God's sillie vassall ; • and taking him be the sleive, ■ etc. Autobiography and Diary of 
James Melvill, pag. 370. Voyez en outre Shield, Hind let Loose, 1687» pag. 52, et M'Crie, 
Life of Melville, t. Il, pag. 66. 

(4) En 1593, un certain nombre d'entre eux formèrent un complot pour se saisir de sa 
personne. On en trouvera la preuve, tirée des documents d'État, dans Tytler. HisL of 
Scotland, édit. Édimb., 1845, t. VII, pag. 349. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 293 

il est probable qu'ils furent aussi complices de la der- 
nière trame ourdie contre Jacques, avant qu'il s'évadât du 
pays remuant qu'il gouvernait nominalement. Ce qu'il y a 
de certain c'est que le comte de Gowrie qui, en 1600, attira 
le roi dans son château, comme dans un piège, pour le tuer, 
était l'espoir suprême du parti presbytérien et prenait 
une part intime aux desseins ambitieux de ses mem- 
bres (1). Tel était l'aveugle attachement de ces derniers 
pour l'assassin que, lorsque son complot fut déjoué, lors- 
qu'il succomba lui-même, plusieurs pasteurs firent répandre 
le bruit que Gowrie était tombé victime de la perfidie du 
roi et que, si jamais complot avait existé, c'était bien celui 
tramé par le monarque, avec de funestes artifices contre son 
hôte magnanime et innocent (2). 

Dans un siècle (5) aussi ignorant, et partant erédule, 
une telle absurdité faisait vite son chemin. Que le clergé 
ait propagé cette fausseté, et qu'en cela comme en tous 
autres cas, ses membres aient cherché, à grands renforts 
d'art et de méchanceté, à noircir le caractère de leur 
prince (4), voilà qui ne surprendra aucun de ceux qui savent 
combien l'Église est facilement irascible et jusqu'à quel 



(1) t He was the darling hope of the Presbyterian party. » Ibid., t. VII, pag. 410. 

<S) c Gewry's conspiraey was by them chargea on the king, as a contrivance of bis lo gel 
rid of tbat earl. > Burnet, Hist. of his oum Time, édit. Oxford, 1823, 1. 1, pag. 31. Con- 
sulter aussi Ty lier, Hist. of Scoiland, t. VII, pag. 439, 440, et à l'égard de la propagation 
de t this absird hailtcination, » consultes Spottiswoode, MisceUany. Édimb., 1645, t. II, 
pag. 3». 

13) Il y a une bonne note à ce snjet dans Pitcairn, Criminal Trials in Scolland. 
Édimb., 18B3, in-4% t. II, pag. 179. Se reporter anssi à Lawson, Book ofPerth. Édimb., 
1847, pag. xxxix. 

(4) Létr langage et leur manière d'agir en général excitèrent tellement la foreur de 
Jacques que, dans on accès de colère, il s'écria en 1592 qne t tnat it would not be weill till 
noblèmen and gentlemen gott licence to breake minister's heads. > Calderwood , Hist. of 
the Kir k, t. V, pag. 448. 

T. IV. 19 



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294 HISTOIRE 

point la théocratie est toujours prête à déverser les plus 
infâmes calomnies sur ceux qui sont en travers de son che- 
min. L'évidence qui a été recueillie nous prouve que les 
pasteurs presbytériens poussèrent la violence contre les au- 
torités constituées jusqu'à l'indécence, sinon jusqu'au crime: 
impatients, peu scrupuleux, avides de pouvoir, exerçant 
une cruelle intolérance contre tout ce qui faisait obstacle à 
leurs desseins, ils commirent toutes ces fautes et ne nous 
saurions les absoudre. Cependant, la véritable cause de leur 
conduite fut l'esprit du siècle, comme aussi les particularités 
de leur position. Qui'de nous peut dire que, placés dans les 
mêmes circonstances, nous aurions agi différemment? Sans 
doute, quand nous lisons aujourd'hui , dans les annales de 
leurs assemblées ou dans les historiens de leur Église, leurs 
diverses manières de procéder, nous ne pouvons réprimer un 
certain sentiment de déplaisir, je dirais presque de dégoût, 
en présence de tant de superstition, d'ergoterie, d'artifices 
bas et indignes, unis pourtant à tant de superbe et d'inso- 
lence ! La vérité, c'est qu'en Ecosse le siècle était mauvais 
et que le mal monta à la surface. Tout était ébranlé, chan- 
celant; impossible de rien mettre en ordre. Anarchie, igno- 
rance, pauvreté, force, fourberie, troubles civils, invasions de 
l'étranger, tout avait réduit l'Ecosse à un état qu'il est à 
peine possible de concevoir. Plus tard , je ferai ressortir 
l'effet que toutes ces circonstances réunies produisirent sur 
le caractère national et les maux funestes qu'elles engen- 
drèrent. En attendant, pour rendre toute justice au clergé 
écossais, déclarons que la condition de son pays est la meil- 
leure explication de la conduite de l'Église. Autour de ces 
ministres de Dieu, tout était bas et grossier; les hommes 
apportaient dans toutes leurs habitudes quotidiennes une 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 295 

violence, une brutalité el un oubli de la décence la plus ordi- 
naire poussés à leur dernière limite : comme corollaire naturel, 
le beau idéal des actions humaines était tellement terre à terre, 
si défiguré, si rampant, que nombre de personnes intègres et 
animées des meilleures intentions ne reculaient pas devant des 
choses qui aujourd'hui nous semblent incroyables. Ne soyons 
donc pas trop sévères sur ce point. N'épuisons pas toutes 
nos critiques sur les principaux acteurs qui jouèrent un 
rôle dans cette grande phase critique que l'Ecosse traversa 
à la fin du seizième siècle. Leurs méfaits, et ils sont nom- 
breux, excitent notre plus profonde horreur. Mais, du 
moins, ils ont accompli une grande œuvre qui nous fait 
honorer leur mémoire, qui leur mérite le titre de bienfai- 
teurs de leur espèce. Quand tout était en danger de périr, ils 
entretinrent la flamme de la liberté nationale (1). Ce que la 
couronne et la noblesse exposaient au plus grand risque, le 
clergé le sauva. Grâce à eux, l'étincelle mourante rejaillit, 
la flamme s'élança. Lorsque la lumière ne jetait plus que 
des teintes blafardes sur l'autel , le clergé la raviva , il 
entretint le feu sacré ! Voilà sa véritable gloire, et certes, il 
peut s'en contenter. Gardiens de la liberté écossaise, les 
pasteurs restèrent à leur poste. Ils couraient en avant par- 
tout où était le danger. Par leurs sermons, par leur conduite 

(1) ■ At the period of which we speak (vers 1584) the pnlpit was, in fact, the only organ 
by which public opinion was, or could be, eipressed; and the ecclesiastical courts were 
the only assemblies in the nation which possessed any thing that was entitled to the name 
of liberty or independence. Parliament had its business prepared to its hand , and laid 
before it in the shape of acts which required only its assent. Discussion and freedom of 
speech were nnknown in its meetings. The conrts of justice were dépendent on the will of 
the sovereign, and freqnently had their proceedings regnlated, and their décisions dictated, 
by letters or messages from the throne. It was the preachers who first tanght the people to 
express an opinion on the condnct of their rnlers ; and the assemblies of the Church set the 
earliest example of a regnlar and firm opposition to the arbitrary and unconstitutional 
measnres of the Court. • M'Crie, Life ofMelville, 1. 1, pag. 303. 



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296 HISTOIRE 

publique et privée, par les décisions de leurs assemblées, 
par leurs attaques hardies et renouvelées contre certains 
hommes, sans s'inquiéter du rang de celui qu'ils assaillaient, 
mieux encore, par l'insolence avec laquelle ils traitèrent 
leurs supérieurs, ils remuèrent les esprits, les firent sortir de 
leur léthargie et développèrent cet esprit frondeur et démo- 
cratique, seule garantie efficace que possède le peuple contre 
la tyrannie de ses maîtres. Voilà l'œuvre du clergé écossais. 
Salut à ces champions! Ils apprirent à leurs compatriotes à 
scruter d'un œil sévère la politique de leurs chefc; ils déver- 
sèrent le mépris sur la royauté et la noblesse, et exposèrent 
dans toute sa nudité la folie de leurs prétentions; il& rail- 
lèrent leurs visées et poussèrent un éclat de rire strident 
devant leurs mystères. Le rideau déchiré, ils firent voir les 
ruses et les détoars de l'arrière-seène. Les grands de la 
terre, ils les dédaignèrent souverainement et rabaissèrent 
tous ceux qui étaient au dessus d'eux. Service immense qui 
contre-balance tous leurs crimes, fussent-ils dix fois plus 
grand. En diminuant ce respect fatal et dégradant que les 
hommes ne sont que trop portés à témoigner envers ceux 
que le hasard, et non le mérite, a placés au dessus d'eux, ils 
aidèrent au développement d'une indépendance orgueilleuse 
et robuste, qui devait être inestimable à l'heure du besoin. 
Et cette heure arriva plutôt qu'on ne s'y attendait. Dans 
l'espace de quelques années, Jacques, devenu maître des 
ressources de l'Angleterre, tenta de les tourner contre les 
libertés de l'Ecosse. La honteuse entreprise dont il fut le 
promoteur, fut continuée par son fils cruel et superstitieux. 
Tous ceux qui ont lu notre histoire savent comment ces 
tentatives échouèrent; comment Charles I er y engloutit 
sa fortune et provoqua une révolte qui fit monter sur l'écha- 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 297 

faud ce grand criminel, qui osa conspirer contre le peuple 
et qui, en qualité d'ennemi commun et d'oppresseur de 
de toutes les classes, reçut enfin le juste châtiment de ses 
fautes. L'on sait aussi que, dans le cours de la lutte, les 
Anglais furent grandement redevables aux Écossais qui 
eurent, en outre, le mérite d'avoir été les premiers à lever 
la main contre le tyran. Ce qui est moins connu, toutefois, 
mais ce qui n'en est pas moins vrai, incontestable, c'est 
que les deux nations doivent une dette si grande, qu'elles ne 
pourront jamais la payer à ces hommes hardis qui, pen- 
dant la dernière partie du seizième siècle, firent tomber du 
haut de la chaire et de leurs assemblées, pour les dissé- 
miner, des sentiments que le peuple couva dans son cœur et 
qui, au moment favorable, en jaillirent vigoureusement au 
grand effroi des tyrans que ce même peuple finit par 
anéantir. 



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CHAPITRE XVIII 



Situation de l'Ecosse pendant le dix-septième et le dix-huitième siècle. 



Jacques était à peine monté sur le trône d'Angleterre 
qu'il essaya sérieusement de soumettre l'Église écossaise, 
qui était pour lui, il le voyait clairement, le principal obs- 
tacle pour arriver à un pouvoir despotique. Lorsqu'il n'était 
encore que roi d'Ecosse, il avait fait la même tentative, 
mais ses efforts avaient toujours été déjoués. Maintenant 
cependant qu'il avait à sa disposition les vastes ressources 
de l'Angleterre, la victoire semblait facile (1). Dès l'année 
1584, il avait remporté un triomphe momentané, en for- 
çant une grande partie du clergé à reconnaître l'épiscopat (2). 

(1) Lord Dartmooth dit (note dans Burnet, Hist. of his own Time, t. 1, pag. 15) : 
« The Earl of Seafield told me that Ring James frequuntly declared that ne never looked 
npon himself to ne more than Ring of Scotland in name, till ne came to ne Ring of England; 
bnt now, ne said, one kingdom would help him to govern the other, or ne had studied king- 
craft to very little purpose from his cradle to that time. ■ Comparez Bnrnet, Memoirs of 
the Dukes of Hamilton. Oxford, 1852, pag. 36. « No sooner was he happily settled on the 
throne of England, bnt he went more ronndly to work. • 

(2) Compares Tytler, Hist. ofScoUand, t. VI, pag. 430, avec les Acls ofthe Parlia- 
mente of Scotland, t. III, pag. 303, § 20, et aussi l'acte (pag. 293, § 4) de 1584 limitant le 
pouvoir des assemblées générales. Jacques, qui se flattait d'avoir tont arrangé, signala son 
triomphe en insultant lui-même le clergé, « calling them lownes, smaicks, séditions knaves, 
and so furth. » Voyez une lettre, datée du 2 janvier 1585-86, dans MisceUany of the 
Wodrow Society. Édimb., 1844, pag. 438. 



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HISTOIRE DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETERRE. 299 

Mais cette institution était si antipathique aux principes 
d'égalité et de démocratie du clergé écossais , que rien ne 
put vaincre l'horreur qu'elle lui inspirait (1); il intimida 
complètement le roi , qui fut forcé de céder et de revenir 
sur ses pas. Il en résulta qu'en 1592 le parlement promul- 
gua un texte qui renversa l'autorité des évêques et fonda le 
presbytérianisme; c'était un plan basé sur l'égalité, et qui 
convenait par conséquent aux besoins de l'Église écos- 
saise (2). 

Jacques avait ratifié cette loi avec la plus grande répu- 
gnance (3). Dans le fait, cette répugnance était si profonde 

(i) « Bishops were alwayes looked at with a frown. » Kirkton, Hist. ofthe Church of 
Scotland, pag. 129. 

(2) Voyez cette loi remarquable dans Acf,s of the Parliaments of Scotland , t. III , 
pag. 541, 542. Comme plusieurs historiens de l'Église d'Ecosse ont représenté cette loi sons 
un jour complètement faux, j'en cite ici la partie qui abroge expressément l'acte de 1584 en 
faveur des évêques : « Item oure said souerane lord and estaittis of Parliament foirsaid , 
abrogatis cass and anullis the XX actes of the same pliamet haldin at Edinburgh the said 
zeir 1584 zeiris granting comissioun to bishoppis and vtheris iuges constitute in ecclesias- 
tical causs To ressaue his hienes presentatioun to bénéfices, To gif collatioun thairupon 
and to put orde r in ail causs ecclesiasticall qlk his Maiestie and estaittis foirsaid declairis 
to be expyrit in the self and to be null in tyme cuming and of nane availl force nor effect. » 

(3) « The King repented after that he had agreed nnto it. > Calderwood, Hist. ofthe 
Kirk, t. V, pag. 162. Mais ceci donne une idée incomplète de ses sentiments véritables. 
Il est sans doute inutile de donner des preuves relativement aux opinions qu'avait à ce sujet 
un prince dont un des dictons favoris était : c No Bishop, uo King. > Le lecteur trouvera 
pourtant dans Clarendon (State Papers. Oxford, 1773, in-fol., t. II, pag. 260) une lettre de 
Charles I" qui mérite examen, parce qu'elle avoue que Jacques, dans son amour pour l'épis- 
copat et dans sa haine pour le presbytérianisme, était mû plutôt par des motifs politiques 
que religieux. Charles écrivait : c The prudentiall part of any considération will never be 
found opposit to the conscientious , nay heere, they go hand in hand; for (according to 
lawyera lodgique ) show me any président where ever Presbiteriall government and Regall 
vas together, without perpétuai! rebellions. Which was the cause that necessilated the 
King, my Falher, to change that governement in Scotland. • Comparez ce que dit un 
presbytérien écossais du dix-septième siècle dans Biographies, edited for the Wodroto 
Society by the Rev. W. K. Tweedie. Édimb., 1845, 1. 1, pag. 13. « The reason why King 
James was so violent for Bishops was neither their divine institution (which he denied they 
had), nor yet the profit the Church should reap by them (for he knew well both the men and 
their communications ), but merely because he believed they were useful instruments to 
turn a limited monarchy into absolute dominion, and subjects into slaves, the design in 
the world he minded most. ■ 



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300 HISTOIRE 

qu'il projeta de faire abroger la loi à la première occa- 
sion , dût-il même employer la force pour parvenir à son 
but. Le moyen qu'il adopta caractérisait parfaitement et 
l'homme, et le siècle dans lequel il vivait. En décembre 
4568, il y eut à Edimbourg un de ces soulèvements popu- 
laires qui sont naturels aux temps barbares, et qui, dans 
des circonstances ordinaires, eût été facilement apaisé, sans 
laisser aucune trace sérieuse (1). Mais Jacques profita de la 
circonstance pour frapper un coup décisif. Son plan était 
de jeter dans la capitale de son propre royaume de nom- 
breuses trcupes de bandits armés et autorisés, qui, en mena- 
çant de piller la ville, forceraient le clergé et ses ouailles à 
se soumettre aux conditions qu'il lui plairait de leur dicter. 
Ce plan magnanime était bien digne du caractère de Jacques, 
et fut strictement exécuté. Il fit venir du Nord les nobles des 
Highlands, et du Sud les barons des frontières, qui devaient 
être accompagnés de leurs farouches partisans, hommes qui 
vivaient de pillage, et dont le bonheur était de verser le 
sang. Sur l'ordre de Jacques, ces brigands féroces parurent 
dans les rues d'Edimbourg le 1 er janvier 1597, jouissant 
d'avance de la perspective qu'ils avaient devant eux, et n'at- 
tendant qu'un mot de leur souverain pour mettre la capitale 
au pillage et la détruire de fond en comble (2). La résis- 
tance était impossible. Tout ce que le roi demanda fut 
accordé, et Jacques supposa que le temps était venu de con- 



(1) t Had it not been laid hold of by designiog politicians as a handle for accomplishing 
their measnres, it would not now hâve been known that snch an event bad ever occnrred. • 
M'Crie, Life of Melville, t. H, pag. 85. « Harmless as tbis nproar was, it afforded tbe 
court a pretext for carrying into exécution its designs against tbe liberties and governme nt 
oftheCbnrch.iPag.89. 

(2) Tytler, Bi$L ofScotland, t. VII, pag. 348-345; Calderwood, Hiit, ofthe Kirk, t. V, 
pag. 514, 515, 530,1531. 



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DE LÀ CIVILISATION BN ANGLETERRE. 391 

solider l'autorité des évêques , et de se servir d'eux pour 
contrôler le clergé et briser son esprit rebelle (1). 

Cette entreprise demanda trois années. Pour assurer son 
succès* le roi, avec l'aide de la noblesse, comptait non seu- 
lement sur la forée, mais aussi sur un artifice, qui semble 
avoir été alors employé pour la première fois. C'était d'inon- 
der les assemblées générales d'ecclésiastiques tirés du nord 
de l'Ecosse, où l'ancien esprit aristocratique de clans régnait 
en souverain, et où l'esprit démocratique du Sud était in- 
connu: jusqu'alors, les ecclésiastiques du Nord avait rarement 
assisté aux grandes assemblées de l'Église ; mais Jacques 
envoya, en 1597, Sir Patrick Murray dans le Nord, avec la 
mission de les engager à venir aux assemblées pour voter 
en faveur du gouvernement (2). Ces ecclésiastiques, qui 
étaient d'une ignorance profonde, peu au courant des ques- 
tions en litige, et qui étaient d'ailleurs habitués à une condi- 
tion sociale dans laquelle les hommes, nonobstant leur esprit 
d'indépendance, accordaient une obéissance servileà leurs 
supérieurs immédiats, ces ecclésiastiques furent facilement 
persuadés de faire ce qu'on leur demandait. Grâce à leur 
concours, la couronne et la noblesse affermirent si bien leur 
parti dans l'assemblée générale, qu'ils obtinrent la majorité 



(1*, « Intimidated by thèse menaces, and distressed at the loss of the courts of justice, 
they came to the résolution of making surrender of their political and religions liber lies 
te the King. • M'Crie, Life ofMelville, t. II, pag. 91 Ceci se rapporte anx magistrats 
d'Edimbourg. Entre antres menaces il y eut celle de ■ razing and plonghing of Edinbnrgh, 
and sowing it with sait. » Wodrow, Life of Bruce, pag. 48; Bruce, Sermons, édités par le 
révérend William Cnnningham. Édimb., 1843. A ce propos, Elisabeth éeririt nne lettre 
à Jacques (rai «st imprimée dans Letters of Queen Elizabeth and James VI, 1849, in-4% 
pag. «0,131. 

(3) M'Crie, Life of MetoiUe, %. II, pag. 100. Scot (Apologetical Narration ofthe State 
of the Kirk, pag. 88) dit : « Sir Patrick Murray, the diligent apostle of the North, made 
their acquain tance with the King. • Voyez aussi The Autobiography and Diary of James 
Melville, pag. 403. 



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302 HISTOIRE 

dans beaucoup de circonstances, et introduisirent peu à peu 
des innovations dont le but était de détruire l'esprit démo- 
cratique de l'Église d'Ecosse (1). 

Le mouvement commença en 1597. Depuis ce moment 
jusqu'en 1600, les assemblées qui se succédèrent sanction- 
nèrent divers changements, qui tous étaient marqués par 
cette tendance aristocratique qui semblait devoir tout ren- 
verser. En 1600, l'assemblée générale se réunit à Montrose; 
et le gouvernement se décida à faire un dernier effort pour 
forcer l'Église à établir un régime épiscopal. Andrew Mel- 
ville, certainement l'homme le plus influent de l'Église , et 
le chef du parti démocratique, avait été comme toujours élu 
membre de l'assemblée; mais le roi, intervenant de la façon 
la plus arbitraire, lui défendit de s'y présenter (2). Néan- 
moins la cour ne put l'emporter ni par la menace, ni par la 
force, ni par les promesses. Tout ce qu'elle put obtenir fut 
que certains ecclésiastiques auraient un siège au parlement; 
mais il fut ordonné que ces ecclésiastiques déposeraient 
chaque année leurs mandats aux pieds de l'assemblée géné- 
rale, et rendraient compte de leur conduite. L'assemblée 
devait avoir le droit de leur retirer leur mandat; et afin de 
les soumettre à une plus grande suggestion, il leur fut 



(1) Tytler, Hist. ofScotland, t. VU, pag. 350, 359. Mais on trouvera la meilleure des- 
cription de l'influence du clergé du Nord dans M'Crie, Life ofMelvilte ( t. II, pag. 1004U5, 
109, 131, 153). Comparez Calderwood, Hist. oftheKirk, t. V, pag. 625. 
. (2) Ceci est raconté par son neveu , James Melville. « Mr. Andro Melvill corne to the 
Assembly , by Commissionne of his Presbytrie, but wes commandit to keip his ludgeing* 
quho, beiog callit to the Kiog in prirate,and demandit, Quhy he wes so trublesume as to 
corne to the Assembly being dischairgit Y He answerit, He had a calling in the Kirk of God, 
and of Jésus Chryst, the King of kings, quhilk he behovit to dischairge at ail occasionnes, 
being orderlie callit thairto, as he wes al this tyme ; and that for feir of a grytter pnnisch" 
ment then could any earlhly King inflict. » The Aulobiography and Diary of James 
Melvill, pag. 542. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 303 

défendu de porter le titre d'évêque ; ils devaient se contenter 
du titre de commissaires de l'Église (1). 

Cet échec sembla décourager Jacques ; car il abandonna 
la partie, tout en travaillant encore clandestinement à la 
restauration de l'épiscopat (2). S'il avait persévéré ouverte- 

(i) Comme les passions de classes rivales donnent lien à nne controverse animée snr cette 
partie de l'histoire d'Ecosse, et comme M. Tytler (Hist. ofScotland, t. Vil, pag. 360) 
affirme lni-méme qne « the final establishment of Episcopacy » eut lien à l'assemblée de 
Montrose en 1600, je joins ici quelques extraits des actes de cette assemblée, afin qne le 
lecteur puisse juger lui-même et s'assurer de la véracité de mes assertions : c Concerning 
the maner of choosing of him that sali hâve vote in Parliament in name of the Kirk : It is 
condiscendit vpon, that he sali first be recommendit be the Kirk to his Majestie; and 
that the Kirk sali nominat sixe for every place that sali hâve neid to be filled, of quhom 
bis Majestie sali choose ane, of quhom he best lykes ; and his Majestie promises, obleises, 
and binds himselfe to choose no vther but ane of that number : And in cace his Majestie 
refuses the haill vpon ane just reason of ane insufficiency, and of greater sufficiencie of 
vthers that are not recommendit, the Kirk sali make aoe new recommendatioun of men 
according to the first number, of the quhilk, ane salbe chosin be his Majestie without any 
farther refuisall or new nominàtioun; and he that salbe chosin be his Majestie, salbe 
admittit be the Synods. » Acts ofthe General Assemblies oftlie Kirk ofScotland, t. III 
pag. 954. c As to the cautions to keip him, that sali hâve vote in Parliament, from corrup- 
tiouns : They be thèse following : 1. That he présume not, at any tyme, to propone at 
Parliament, Counsell or Conventioun, in name of the Kirk, any thing without 
expresse warrand and directioun from the Kirk, and sick things as he sali answer 

(for) to be for the weill of the Kirk, vnder the paine of depositioun from his office. > 

2* « He sali be bound at every Generall Assemblie, to give ane accompt anent the discharge 
of his commissionn sen the Assemblie gangand befor ; and sali submitt himselfe to thair 
censure, and stand at thair delerminatioun quhatsumever, without appellalioun ; 
and sali seik and obtain ratificatioun of his doings at the said Assemblie, vnder 

the paine of infamie and excommunicatioun. • 6. « In the administration of 

discipline, collatioun of bénéfices, visitalioun, and ail vther points of ecclesiasticall 
government,he sali neilher vsurpe nor acclaime to himselfe any power or jurisdiclioun 
fartiier than any vther ofthe rest ofhis breither, unlesse he be imployit be his brei- 
ther, vnder the paine of deprivatioun. • Pag. 955. « Anent his name that for the Kirk sali 
( hâve) vote io Parliament : It is advyseit, be vniforme consent ofthe haill brether, that 
he salbe callit Commissioner of snch a place. > Pag. 956. « Therfor the Generall Assemblie 
having reasonit at lenght the said questioun, luiching the continuance of him that sali hâve 
vote in Parliament, after votting of the same, finds and décernes, that he sali annuatim 
give count of his commission obtainil from the Assemblie, and lay downe the 
samein at thair feitt, to be continuit or alterit therfra be his Maiestie and the Assem- 
blie, as the Assemblie, with consent of his Maiestie, sali think most expédient for the weill 
oftheKirk.iPag. 959. 

(2) « While James remained in Scotland, the scheme of introducing episcopacy, though 
never lost sight of, was cautions ly prosecuted. » M'Crie, Life ofMelville, t. H, pag. 478. 



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304 HISTOIRE 

ment dans sa politique, la perte de sa couronne aurait pu 
en être le résultat. En effet, il avait peu de ressources; il 
était extrêmement pauvre (1) ; et les événements qui venaient 
de se passer avaient prouvé que le clergé était plus fort qu'il 
ne le supposait. Au moment même où il se croyait le plus 
certain du succès, le clergé lui avait fait éprouver une défaite 
mortifiante; et c'était d'autant plus remarquable que le 
clergé, étant alors complètement isolé de la noblesse, ne 
pouvait compter sur un seul membre de cette classe puis- 
sante. C'était donc le clergé, et le clergé tout seul, qui avait 
battu le roi. 

Les affaires étaient dans cette position, et les libertés de 
l'Ecosse, dont l'Église était la protectrice, tremblaient dans 
la balance, lorsqu'Élisabeth mourut et lorsque le roi d'Ecosse 
devint également roi d'Angleterre. Jacques se décida de suite 
à employer les ressources de son nouveau royaume pour sou- 
mettre l'ancien. En 1604, c'est à dire une année seulement 
après son avènement au trône d'Angleterre, il porta un coup 
mortel à l'Église d'Ecosse, en attaquant l'indépendance de ses 
assemblées et, de sa propre autorité, il prorogea l'assemblée 



(i) Pendant tonte la durée de son règne, Jacqnes eut pour principale ressource l'argent 
que Ini donnait Elisabeth, qui n'était pas trop généreuse envers lui. Sa pauvreté était telle 
qu'il fut obligé d'engager son argenterie, et qu'il lui fut souvent impossible de défrayer les 
dépenses ordinaires de sa maison. Voyez Tytler, Hist. ofScotland, t. VI, pag. 965, 966,372; 
t. VII, pag. 158, 378-380; Miscellany ofthe Spalding Club, t. II, pag. xrv, 114; Gregory, 
Hist. of the Western Highlands, pag. 241, 277. Voyez aussi une lettre de Jacques à Elisa- 
beth , écrite en 1591 , dans les Letters of Queen Elizabetb and James VI, 1849, in-4% 
pag. 68, 69. En 1593, elle s'excuse de ne lui envoyer qu'une somme minime : « The small 
token you shall receave from me I désire yt may serve to make you remember the tyme and 
, my many weighty affaires, wich makes it les than else I urould , and I dowt nothing but 
when you heare ail, yow will beare wilh this. » pag. 84. Une lettre de James Hudson, écrite 
▼ers 1591, constate que « both the king's table and queen's had like to hâve beea nnserved by 
want; and that the king had nothing he accounted certain to corne into his purse, but 
what he had from the Queen of England. » Ridpath, Border History. Berwick, 1848, in-4% 
pag. 465. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 505 

générale d'Àberdeen (1). Il la prorogea de nouveau en 1605; 
et afin de mieux faire comprendre ses intentions, il refusa, 
celle fois , de fixer le jour de sa prochaine réunion (2). Sur 
ce, quelques ecclésiastiques, députés par les presbytères, pri- 
rent sur eux de convoquer rassemblée, ce qu'ils avaient cer- 
tainement le droit de faire, puisque la mesure prise par le 
r*i était évidemment illégale. Au jour fixé, ils se réunirent 
dans la cour des sessions d'Aberdeen. On leur intima Tor- 
dre de se disperser. Considérant qu'ils avaient suffisamment 
revendiqué leurs privilèges par le fait seul deleur réunion, ils 
obéirent. Mais Jacques, qui avait maintenant entre ses 
mains le pouvoir d'un roi d'Angleterre, résolut de leur faire 
sentir le changement qui avait eu lieu dans sa position et 
dans la leur. Par suite des ordres qu'il expédia de Londres, 
quatorze membres du clergé furent jetés en prison (3). Six 
d'entre eux qui refusèrent de reconnaître l'autorité du con- 
seil privé, furent poursuivis pour crime de haute trahison. 
Leur procès commença immédiatement ; ils furent déclarés 
coupables. L'arrêt de mort ne fut différé que pour savoir si 
le bon plaisir du roi ne serait pas de se contenter d'un châ- 
timent qui empêcherait de sacrifier la vie de ces infortu- 
nés (4). Us échappèrent en effet à la peine de mort; mais 

(1) LatDg,/ft0l. ofScotkmd, édit. 1819, t. III, pag. 28: Calderwood, Hist. of the Kirk, 
t. VI, pag. 264, 323; Bower, Hist. ofthe Université of Edinburgh. Edimb. , 1817, 1. 1, 
pair, 175 : Stevenson, Hist. ofthe Church ofScotland, pag. 88. 

(2) « Adde thereunto, that tbe lelter of the commissioner and last moderator, conteaned 
no certane tyme nor day whereto the said Assemblie sould be prorogued ; so that it imported 
a casting loose and deserting, yea, and tyning of the possession of our Assemblie ; than the 
whicb what eould be more dangeroas to the libertie and freedom of the Kirk of Jésus Christ, 
at sache a tyme, namelie of the treatie of the Unioun, when ail the estâtes of the reaime, 
and ererie partiealar are seakras and carefull of their rights and possessions? • Galder* 
wood, Hist. ofthe Kirk, t. VI, pag. 309, 310. 

(8) Voyez-en une liste dans Calderwood, Hist ofthe Kirk, t. VI, pag. 347, où les qnatorie 
noms sont pieusement enregistrés. 
(4) Pitcairn, Criminal Trials in Scotland, U II, pag. 494-502 ; Forbe, Certaine Records 



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306 HISTOIRE 

après avoir été soumis à un dur emprisonnement, ils furent 
condamnés à un exil perpétuel (1). Le gouvernement adopta 
les mêmes mesures dans d'autres parties du pays. Partout 
on arrêta un grand nombre d'ecclésiastiques qui furent jetés 
en prison ou forcés de s'exiler (2). La terreur et la proscrip- 
tion régnaient souverainement. La panique était telle que dans 
l'opinion générale rien ne pouvait empêcher l'établissement 



touching the Estate of the Rirk, édit. Wodrow Society. Édimb., 1846, pag. 463496. 
« Delayed the giving forth of the sentence of condemnation till the King's mind w»re fnrther 
knowne. » Voyez aussi Calderwood, Hist. ofthe Kirh, t. VI, pag. 434,449. Lorsqu'ils furent 
déclarés coupables, « the peiple seid : « Certainely this wes a worke of darknes, to mak 
Chrystis faithfull Ministères tratooris to the King ! God grant he be niver in greater dan- 
geris nor ofif sic traitonris. • Melvill, AtUobiography and Diary, pag. 626. 

(1) BTCrie, Life of MelviUe, t. II, pag. 207, 208; Pitcairn , Criminal Trials, t. U, 
pag. 504. An sujet de ces transactions il y a dans "Winwood, Papers, une lettre trop 
curieuse pour la passer sous silence. Elle est adressée par le comte de Salisbury à sir 
Charles Cornwallis, et est datée du 12 septembre 1605. Salisbury, qui était alors à la tête des 
affaires, écrivait : « True it is that his Majestie seeking to adorne that kingdomc of Seoir 
land with Prêtâtes as they are in England, some of the Ministers hâve spurned against 
it; and althouge his Majestie had «ver warranted their calling of General Àssemblies upon 
no other condition, then that they should make him acquainted, reçoive his warrant, and 
a commissioner for his Majestie résident in their councells, yet hâve they ( followed with 
some poor plebecall numbers) presumed to hold their General Àssemblies in some parte 
of the Reaime contrarie to his commandement. Whereupon his Majestie hath shewed 
himself displeased, and cyted divers of them before his councell, » etc. Memorials of 
Affairs of State, from Vie Papers ofSir Ralph Winwood. Lond., 1725, in-fol. , t. II, 
pag. 132. Et pourtant l'homme qui pouvait écrire de pareilles absurdités, et qui ne voyait 
dans le grand mouvement démocratique de l'esprit écossais qu'un manque d'inclination 
pour Vadomment de l'épiscopat, était considéré comme un homme d'État éminent. Si les 
grands hommes d'État voient si mal ce qui se passe autour d'eux, on est tenté de se deman- 
der quelle confiance on peut avoir dans les hommes d'État ordinaires qui gouvernent un 
État. Quant à moi, tout ce que je puis dire, c'est que j'ai lu des milliers de lettres écrites 
par des diplomates et par des hommes politiques, et j'en connais â peine un qui comprenne 
l'esprit et la tendance de son siècle. 

(2) t Ministers in ail parts ofthe country were thrown into prison , or declared rebels, 
and forced to abscond. » M'Crie, Life ofMelville, t. II, pag. 250. La liberté de parole était 
si complètement supprimée qu'en 1605, lorsque les membres les plus zélés et les plus intel- 
ligents du clergé furent bannis, t a strait command (était) gevin to magistrats, and uther 
officiers of burrowis, that in cace any preacher sould speik opinlie aganis that baneisment, 
or for defence or mentenence of that assemblie, or pray publiklie for ther saiftie, that they 
sould be noted and manifested to the secret counsell, and corrected for their fault. > The 
Historié of King James the Sexh pag. 380. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 307 

permanent du despotisme, si la Providence n'intervenait en 
faveur de l'Église et du peuple (1). 

On ne peut nier qu'il y avait des raisons plausibles pour 
ces craintes. Les seuls amis du peuple se trouvaient parmi 
le clergé; et les membres les plus éminents du clergé étaient 
soit en prison, soit en exil (2). Afin de priver entièrement 
l'Église desses chefs (3), Jacques fit venir à Londres, en 1606, 
Melville et sept de ses collègues, sous le prétexte que leurs 
conseils lui étaient nécessaires (4). On leur défendit de 
retourner en Ecosse; et Melville, qu'on craignait plus que 
les autres, fut arrêté. 11 fut alors emprisonné à la Tour de 
Londres, où il resta quatre ans, et qu'il ne quitta qu'à la 
condition de vivre à l'étranger, et de renoncer pour toujours 
à son pays natal (5). Les sept ecclésiastiques qui l'avaient 
accompagné à Londres, furent également arrêtés; mais 
comme le gouvernement les trouvait moins dangereux que 
leur chef, on leur permit, après quelque temps, de rentrer 
dans leurs foyers. Le neveu de Melville reçut pourtant l'ordre 
de ne jamais s'éloigner de plus de deux milles de Newcastle ; 
et ses six compagnons reçurent également l'ordre de ne pas 
sortir de certaines parties de l'Ecosse (6). 

(!) Voyez un passage éloquent et fort touchant daos Calderwood, Hist. ofthe Kirk , 
t. VI, pag. 696, 697. 

(2) t The godliest, wisest, learnedest, and most zealons men of the ministrie in Scotland, 
were either banished, warded, or detained in England, of pnrpose that they might not ne a 
lett to the grand désigne in hand. » Row, Hist. ofthe Kirk, pag. 238. 

(3) Scot, Apologetical Narration of the State ofthe Kirk, pag. 164, 165. Comparez 
The Autobiography and Diary of James Melvill, pag. 642-645. 

(4) « Quben we wer gone ont of the Palice a lytle vay towards Kingstoune, Mr. Alexander 
Hay sendis back for us, and withall, in the Uttir Court, reidis to us a chairge from the King 
not to returoe to Scotland, nor to corn neire the King, Quein, nor Prince their Courtis 
without a spécial! calling for and licence. > Melvill, Autobiography, pag. 661. 

(5) M'Crie, Life of Melville, t. Il, pag. 246, 252, 260, 337-339, 403, 407-411, 414. Cet homme 
vraiment sans peur et sans reproche mourut dans l'exil en 1622. Pag. 458. 

(6) Melvill, Autobiography and Diary, pag. 709; Scot, Apologetical Narration, 
pag. 194 ; M'Crie, Life of Melville, t. II, pag. 252, 253, 267, 268. 



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308 HISTOIRE 

Le moment semblait donc opportun pour anéantir ces 
idées d'égalité dont l'Église était le seul représentant en 
Ecosse. En 1610, une assemblée générale fut convoquée à 
Glascow ; et comme les membres de cette assemblée avaient 
été nommés par la couronne (1), le gouvernement obtint 
tout ce qu'il désirait. L'établissement de l'épiscopat y fat 
voté, et l'autorité des évêques sur les ministres de la religion 
complètement reconnue (2). Peu de temps auparavant, mais 
dans la même année, le gouvernement avait établi deux cours 
de « High commission, » une à Saînt-Ândrews, et une à 
Glascow. Toutes les cours ecclésiastiques leur étaient subor- 
données. Elles avaient un pouvoir si immense, qu'elles pou* 
vaient citer à leur barre tel individu qu'il leur plaisait, l'in- 
terroger sur ses opinions religieuses, l'excommunier, et le 
eondamner soit à une amende, soit à l'emprisonnement, 
selon leur bon plaisir (5). Enfin, et pour mettre le sceau à 



(1) * Royal missives were sent to the presbytertes , nominating ibe individuals whom 
they should chose as Iheir représentatives toit.» }£Crie>Lifeof MelviUe, t. II, pag. 387, 388. 
Quant an caractère de ses membres, comparez Wodrow, Hist. of the Sufferings of the 
Church êfScotland, édit. Glasgow, 1838, 1. 1, pag. 256; Steveneon, Hist. ofthe Church 
ofScotland, pag. 320, 321; Crookshank, Church ofScotland. Édimb., 1812, 1. 1, pag. 28, 
Calderwood, Hist. ofthe Kirk, t. VII, pag. 97, 98. 

(2) Acls ofthe General Assemblies ofthe Kirk, t. III, pag. 1096, 1097. L'assemblée 
défendit même la notion démocratique de l'égalité. Voyez pag. 1101. ■ Beoause it is vncivill 
that laws and constitutions, eilher Civill or Ëcclesiasticall, being ânes establischit and in 
force , by publick and opin consent , sonld be controllit and callit in questioun by any 
person : therfor, it is statnte by vniforme consent of Uns haill Assemblie, that none of the 
Ministrie eitber in pnlpitt in bis preacbing, or in the publick exercise, speake and reason 
against the acts of this présent Assemblie, nor dissobey the same, vnder the paine of depri- 
yatioun, being tryit and convict thereof ; and speci allie, that the questioun ofequatitie 
and inequalitie in the Kirk, be not treattit in pulpitt vnder the said paine. • 

(3) M. Russell (Hist. ofthe Church in Scotland, t. II, pag. 88), trompé probablement 
par un passage dans Spottiswoode {Hist. of the Church, t. III, pag. 210), dit : « A Court 
of Higb Commission was instituted. > Mais il est certain qu'il y eut deux cours; use pour 
le diocèse de Saint-Andrews et une pour celui de Glascow. Voyez la « commissioun givin 
noder tbe great seale to the two archbishops,» datée du 15 février 1610, dans Calderwood, 
Hist. ofthe Kirk, t. VII, pag. 57-62. Voyez également pag. 210. Elles ne furent réunies qu'en 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 309 

l'humiliation de l'Ecosse, rétablissement de l'épiscopat ne 
fut considéré comme complet qu'après l'accomplissement 
d'un acte qui, sans l'ignominie qui y était attachée, eût cer- 
tainement été tourné en ridicule comme une force inutile et 
puérile. L'archevêque de Glascow, l'évêque de Brechin, et 
l'évêque de Galloway, furent obligés de faire le voyage de 
Londres afin d'être confirmés par des évêques anglais. Tout 
incroyable que cela puisse paraître, on prétendait qu'il n'y 
avait pas en Ecosse de pouvoir assez spirituel pour faire un 
prélat d'un Écossais. Aussi l'archevêque de Glascow et ses 
compagnons furent-ils obligés de faire ce qui était à cette 
époque un voyage long et difficile pour se rendre dans une 
capitale étrangère et éloignée, dans le seul but de recevoir 
quelque vertu cachée qu'ils pourraient, en revenant dans 
leur patrie, communiquer à leurs frères. A la surprise et à 

décembre 1615. Voyez Scot, Apologetical Narration ofthe State oftlie Kirk . pag. 218, 239 , 
Crookshank, Hist. ofthe Sufferings ofthe Church ofScotland, 1. 1, pag. 28. La commis- 
sion royale autorisait ces tribunaux despotiques ( Calderwood , t. VII, pag. 59) t to call 
before them at suche tymes and places as they salle thinke meete, anie pereon or persons 
dwelling and remaining within their provinces respective above writtin of St. Andrews or 
Glasgow, or within anie dioceis of the same, being offenders ather in life or religioon, whom 
they bold anie way to be scandalous, and that they take tryell of the same ; and if they find 
them guiltie and impénitent, refusing to acknowledge their offence, they sali give command 
to the preacher of that parish where they dwell, to proceed with sentence of excommunica- 
tions against them ; which, if it be protracted, and their command by that minister be not 
presentlie obeyed, they shall conveene anie suche minister before them, and proceed in 
censuring of him for his disobedience, ather by suspensioun, deprivatioun , or wairding, 
according as in their discretioun they sali hold his obstinacie and refuse of their directioun 
to hâve deserved. And further, to fyne at their discretiouns , imprisoun, or warde anie 
suche persoun, who being eonvicted before them, they sali find upon tryell to hâve deserved 
anie suche punishmënt. > Sur ce Calderwood remarque avec justice (pag. 62) : «This com- 
missioun and executioun thereof, as it exalted the aspyring bishops farre above any prélat 
that ever was in Scotland, so it putt the king in possessioun of that which he had long tyme 
hunted for ; to witt, of the royall prérogative, and absolute power to use the bodeis and 
goods of the subjects at pleasure, without forme or processe of the commoun law, even then 
when the Lower Hous in England was compleaning in their parliament upon the injurie 
tàerof. So our bishops were fitt instruments to overthrow the liberteis both ofthe Kirk and 
countrie. » 

T. IV. 20 



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310 HISTOIRE 

la grande douleur de leur pays, ces prêtres indignes, réniant 
les traditions de leur propre contrée, et faisant bon marché 
delà fierté qui avait animé leurs pères, consentirent à abjurer 
leur indépendance, à s'humilier devant l'Église d'Angleterre, 
et à se soumettre à des momeries qu'ils méprisaient certai- 
nement au fond de leur cœur, et qui leur était maintenant 
infligées par leurs ennemis les plus anciens et les plus 
invétérés (1). 

On peut facilement s'imaginer la conduite future d'hommes 
qui pouvaient ainsi renoncer à l'indépendance si précieuse 
de l'Église d'Ecosse, dans le seul but de servir leur propre 
ambition en flattant leur roi. Les hommes qui se proster- 
nent aux pieds de leurs supérieurs ne manquent jamais 
d'écraser ceux qui sont au dessous d'eux. Aussitôt qu'ils 
furent de retour en Ecosse , ils communiquèrent la con- 
sécration qu'ils avaient reçue en Angleterre aux autres 
évêques (2), qui étaient, du reste, coulés dans le même 
moule qu'eux, car ils aidèrent Jacques à anéantir les libertés 
de leur patrie. Étant maintenant convenablement ordonnés, 
leur vie spirituelle était complète; il ne leur restait plus 
qu'à assurer le bonheur de leur existence temporelle. C'est 
ce qu'ils firent en monopolisant peu à peu toute l'autorité, 



(1) Voyei Stevenson, Hist. ofthe Church ofScotland, pag. 93, et Kirkton, HUtory, 
pag. 15. Kirkton dit avec indignation qne Jacques « percwaded a few unworthy men to per- 
jnre themselves, and after their episcopall consécration by the English bishops in England, 
to exercise that odious office in Scotland against their own oath and the consciences of their 
brethren. » Comparez la remarque pleine de mépris de Row {Hist. of the Kirh, pag. 283) 
snr c anoynting of oyle and other cérémonies, > et sur « the foolish guyses in it. > Dans le 
fait, tons les écrivains écossais qui aimaient les libertés de lenr pays s'exprimaient sur ce 
snjet avec indignation on avec mépris. 

(2) Caldenrood dît avec une amertume mal déguisée : c cEfter the same manerthatthqr 
*ere consecrated themselfs, als neere as they could imitate. » Hist. ofthe Kirk, t. VD, 
pag. 151 Comparez Wodrow, Collections, 1. 1, part, i, pag. 293. « The Bishops ordeaned in 
England keeped as near the manner taken with themselves there as they could. » 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 311 

et en traitant avec une rigueur sans merci tous ceux qui 
leur faisaient opposition. Le triomphe complet des évêques 
était réservé au règne de Charles I er , époque à laquelle un 
grand nombre de ces prélats devinrent membres du conseil 
privé; ils s'y conduisirent avec une insolence telle, que 
Glarendon lui-même, malgré sa partialité bien connue 
pour eux, censura leur conduite (1). Néanmoins, sous 
Jacques I er , leur puissance était pour ainsi dire sans 
rivale (2). Us dépouillèrent les villes de leurs privilèges et 
les forcèrent à recevoir des magistrats qu'ils choisissaient 
eux-mêmes (3). Ils accumulèrent d'énormes richesses, et 
déployèrent un faste d'autant plus honteux, que le pays était 
dans la misère, et que le peuple mourait de faim autour 



(1) ■ Some of them, by want of temper, or want of breeding, did not behave themselves 
with thaï decency in their debates, towards the greatest men of the kingdom, as in discré- 
tion they onght to ha?e done, and as the others reasonably expected from them. » Glaren- 
don, Hi8t. ofthe Rébellion, édit. Oxford, 1843, pag. 35. En 1633, < nine of them were privy 
conncillors, » et « their pride vas cried ont npon as nnsnpportable. > Bnrnet, Memoirs of 
the Dukes ofHamiUon, pag. 38. Sir John Scot Ienr reproche « insolence, pride and ava- 
rice. > Scot, Staggering State ofthe Scots Statesmen. Édimb., 1754, pag. 41. Voyez aussi 
Spalding, Hist. ofthe Troubles. Édimb., 1818, in-4% 1. 1, pag. 46, 47. 

(2) Dès 1613, nne lettre de James Inglish (conservée dans Wodrow, Collections. Glascow, 
1845, in-4°, 1. 11, part, i, pag. 110) déplore le fait que ■ the libertys of the Lord's Kirk are 
greatly abridged by the pride of Bishops, and their power daily increases over her. » Les 
évêques mettaient également i néant les droits civils, et, entre antres lois qu'ils obtinrent, 
il y en ent nne qui stipulait « that no man should be permitted to practice or profess any 
physic, nnless he had first satisfied the bishop of the diocèse touching his religion. > Spottis- 
woode, Hist. ofthe Church ofScotland, t. III, pag. 236. Cette loi leur assurait le contrôle 
le plus complet sur la profession. 

(3) « Not satisfied with ruling the church-courts, they claimed an extensive civil autho- 
rity whitin their diocèses. The bnrghs were dèprived of their privilèges, and forced to 
receive such magistrales as their episcopal snperiors, in concert with the conrt, were 

pleased to nominate. > « Archbishop Gladstanes, in a letter to the King, Jnne the 

9th , 1611 , says : « It was your pleasure and direction , that I sould be possessed with the 
lits privilèges in the electione of the magistrats there (in St. Andrews), as my lord of 
Glasgow is endued with in thath is city. Sir, whereas they are troublesome, I will be answe- 
rable to your Majesty and Gounsell for them, after that I be possessed of my right. > Ms. in 
Bibl. Jurid. Edin. M. 6, 9, n* 72. > M'Crie, Life ofMelville, t. II, pag. 422. 



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312 HISTOIRE 

d'eux (1). Les « lords of the articles, » dont la sanction 
était indispensable pour qu'une mesure pût être présentée 
au parlement, avaient jusqu'alors été élus par les laïques; 
mais les évêques firent un changement en vertu duquel le 
droit d'élection leur appartint (2). S'étant ainsi emparés 
de la législature, ils obtinrent de nouvelles lois pénales 
contre leurs compatriotes; ils interdirent un grand nombre 
d'ecclésiastiques , en dépouillèrent d'autres de leurs béné- 
fices, et en jetèrent plus encore en prison. La ville d'Edim- 
bourg, qui s'opposait aux cérémonies et au rite récemment 
introduits, et qui, comme le reste du pays, était hostile à 
l'épi sco pat, eut sa part de la colère des évêques, qui dépla- 
cèrent plusieurs de ses magistrats, firent arrêter ses citoyens 
les plus éminents, et menacèrent de lui enlever les cours de 
justice, et l'honneur d'être le siège du gouvernement (3). 
Cependant, au moment même où la position semblait 



(1) Et leur prodigalité était égale à leur rapacité. Lorsque l'archevêque Gladstanes 
mourut en 1615, il fat constaté que, « notwithstanding of the great rent of his bishoprick, 
he died in the debt of twentie thowsand pounds. > Calderwood, Hist. ofthe Kir H, t. VU, 
pag. 197. Voyez aussi pag. 303. Ainsi que le cas de l'évoque de Galloway qni mourut en 1619 
et sur lequel Calderwood disait {Hist. of the Kirk, t. VII, pag. 350) : « lt is thought, that 
if just calcalation were made of the commoditie extorted by him throogh his diocie, by 
advice of his two covetoas counsellours, Andro Couper, his brother, and Johne Gilmour, 
wrytter in Edinburgh, for his use and theirs, by racting of rents , getting of grassoumes, 
setting of tacks, of teithes, and other like meanes, wold surmount the soume of an hundrelh 
thousand merks, or, in the opinion of others, almost the double ; so that manie within that 
diocie, and the annexed preiacies, sali hardlie recover their estâtes in their Urne. » Com- 
parez Stevenson, Hist. ofthe Church, pag. 212, 392. 

(2) Au sujet de ce changement, qui fut complété en 1621, Voyez Laing, Hist. ofScotland, 
t. III , pag. 88 ; Calderwood , Hist. of the Kirk , t. VII , pag. 490, et Baillie , Letters and 
JourwUs, édit. Laing. Édimb., 1841, 1. 1, pag. 486. 

(3) Calderwood, Hist. of the Kirk, t. Vil, pag. 472-474, 507, 509,511, 517-520,530343, 
549-653, 566, 567, 614, 621 ; Laing, Hist. ofScotland, 1. 111, pag. 90, 91. Laing accuse injus- 
tement les évêques de s'être montrés assez miséricordieux pour refuser leur approbation à 
quelques-unes de ces mesures. Mais quiconque a étudié i fond la littérature écossaise du 
dix-septième siècle sera tout disposé à exonérer les évêques d'une accusation qu'ils eussent 
eux-mêmes repoussée et qui est certainement injuste. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 315 

désespérée, une grande réaction se préparait. L'explication 
de cette réaction se trouve dans ce vaste et fertile principe 
sur lequel j'ai si souvent insisté, mais que les historiens ne 
peuvent comprendre, c'est à dire qu'un mauvais gouverne- 
ment, que des lois mauvaises ou mal administrées, sont, 
sans aucun doute, extrêmement nuisibles, mais qu'elles ne 
peuvent néanmoins produire un mal permanent; en d'autres 
termes, ces conditions mauvaises peuvent porter préjudice 
à une nation, mais ne peuvent jamais la ruiner entièrement. 
Tant que le peuple reste sain, il y a vie, et tant qu'il y a vie, 
il y aura nécessairement réaction. Dans ce cas, la tyrannie 
provoque la rébellion, et le despotisme amène la liberté. 
Mais si le peuple n'est pas sain, il n'y a plus d'espoir de gué- 
rison, la nation doit périr. Dans ces deux cas, le gouverne- 
ment finit par ne plus opérer, et n'est nullement responsable 
du résultat définitif. 

Les classes gouvernantes ont, pendant un certain temps, 
une puissance immense, dont elles abusent invariablement, 
à moins qu'elles n'en soient empêchées par la crainte ou par 
la honte. Le peuple peut leur inspirer de la crainte; l'opi- 
nion publique peut leur inspirer quelque honte. Mais cela 
dépend complètement de l'esprit qui anime le peuple, ou de 
l'état de l'opinion publique. Ces deux circonstances sont 
elles-mêmes gouvernées par une longue série d'antécédents 
remontant à une période assez éloignée quelquefois pour 
dérouter les observations. Lorsque l'évidence est assez com- 
plète, ces antécédents peuvent être généralisés, et leur géné- 
ralisation nous amène à certaines causes vastes et puissantes, 
sur lesquelles roule tout le mouvement. Dans les courtes 
périodes, l'opération de ces causes est imperceptible; mais 
dans les longues périodes, elle est évidente et suprême; elle 



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31 i HISTOIRE 

donne une certaine couleur au caractère national ; elle con- 
trôle le cours moyen des choses. En Ecosse, ainsi que je 
l'ai déjà démontré, les causes générales amenèrent le peuple 
à aimer son clergé, et le clergé à aimer la liberté. Tant que 
ces deux faits existèrent ensemble, les destinées de la nation 
étaient en sûreté. Elle pouvait être insultée, lésée, écrasée. 
Elle pouvait être attaquée de différentes manières ; mais plus 
on lui portait préjudice, plus le remède était certain, parce 
que plus haut devait se soulever tôt ou tard l'esprit de la 
nation. Tout ce qui était nécessaire, c'était un peu plus de 
temps, ou une provocation un peu plus grande. Nous qui 
pouvons contempler ces choses de loin et d'un point de vue 
plus élevé, qui pouvons voir de quelle manière les événe- 
ments se succédèrent, nous ne pouvons méconnaître la régu- 
larité de leur ordre de succession. En dépit d'une confusion 
apparente, tout se passait d'une manière régulière et métho- 
dique. Pour nous le plan est complètement dévoilé. L'édifice 
est devant nous, nous voyons sa construction. Et, Dieu merci, 
il fut fait d'un granit dont la solidité toute puissante fut de 
force à résister aux artifices, aussi bien qu'à la violence. 

Aussi ce fut en vain que la tyrannie fit tout ce qu'elle put. 
Ce fut en vain que le trône fut occupé par un roi despote et 
peu scrupuleux, qui eut pour successeur un autre roi plus 
despotique encore et moins scrupuleux que lui. Ce fut en 
vain qu'une poignée d'évêques importuns et intrigants, tirant 
leur consécration de Londres, et soutenus par l'autorité de 
l'Église d'Angleterre, se réunirent pour conspirer contre les 
libertés de leur patrie. Ils jouèrent le rôle d'espions et de 
traîtres, mais ils le jouèrent en vain. Pourtant le gouverne- 
ment leur donna tout ce qu'il était en son pouvoir de don- 
ner. Us avaient pour eux la loi et le droit de l'administrer. 



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DE LÀ CIVILISATION EN ANGLETRREE. 31& 

Ils étaient législateurs, conseillers et juges. Ils avaient la 
richesse, ils avaient des titres retentissants, ils avaient la 
pompe et les attributs pour lesquels ils avaient vendu leur 
indépendance, et avec lesquels ils espéraient éblouir les yeux 
du vulgaire. Avec tout cela ils ne purent refouler le torrent, 
ils ne purent même pas l'arrêter ; ils ne purent l'empêcher 
de s'avancer et de les engloutir dans sa course. Avant la fin 
de cette génération, ces hommes si petits, quoiqu'ils se crus- 
sent bien grands dans leur orgueil, succombèrent. La main 
du siècle était sur eux, et la résistance leur était impossible. ' 
Ils furent renversés et humiliés, ils furent dépouillés de leurs 
charges, de leurs honneurs, de leurs splendeurs, ils perdirent 
tout ce qui est cher à de pareils esprits. Leur sort est une 
leçon utile. C'est une leçon et pour les chefs de nations, et 
pour ceux qui écrivent l'histoire des peuples. C'est une leçon 
pour les gouvernants, en ce sens qu'elle prouve, comme bien 
d'autres choses, combien peu ils peuvent faire, et combien 
est insignifiant le rôle qu'ils jouent dans le grand drame du 
monde. C'est une leçon pour les historiens, car elle doit les 
convaincre que les événements sur lesquels ils concentrent 
leur attention, et auxquels ils attachent une importance su- 
prême, sont en réalité sans valeur, et, bien loin d'être au 
premier rang, devraient être subordonnés à ces études vastes 
et générales, qui peuvent seules nous aider à reconnaître lgs 
conditions qui déterminent la marche et les destinées des 
nations. 

Les événements qui se passèrent alors en Ecosse peuvent 
être rapidement racontés. La patience du pays était bien 
près d'être épuisée, et le jour de la rétribution approchait (1). 

(1) En octobre 1637, Baillie, qui suivait attentivement la marche des choses , écrivait : 
cNo man may speak any thing in publick for tue king's part, except he would hâve himself 



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316 HISTOIRE 

Le peuple commença à se soulever en 1637. Ce fut pendant 
Tété de cette année que la première émeute éclata à Edim- 
bourg (1). L'incendie se développa rapidement, et rien ne 
put l'arrêter. Au mois d'octobre, la nation tout entière était 
sur pied, et une accusation fut portée contre les évéques, 
signée par presque toutes les corporations , et par des 
bommes appartenant à tous les rangs (2). En novembre, les 
Écossais organisèrent, en dépit de la couronne, un système 
particulier de représentation, auquel chaque classe de la so- 
ciété avait part (3). Au commencement de 1638, le CovenarU 
National fut préparé, et l'ardeur avec laquelle le peuple prêta 
serment prouva qu'il était bien décidé à revendiquer ses 
droits (4). Évidemment tout était fini. Pendant l'été de 1638, 
la tempête se prépara, et elle éclata à l'automne. Au mois 



marked for a sacrifice to be killed one day. I think our people possessed with a bloody 
devill, farr above any thing that ever I could hâve imagioed, though the masse in Latine 
bad been presented. > Et dans un postcriptum daté dn 3 octobre il ajoute : « My fears in 
my former went no farther then to ane ecclesiastik séparation, bat now I am more affrayit 
for a bloudie civil 1 warr. > Bail lie, Letters and Joumals, édit. Laing. Édimb., 1841, 1. 1, 
pag. 23,25. 

(i) Laing, Hist. ofScotland, t. III, pag. 13i; Chambers, Annals, t. II, pag. 101-104; 
Spalding, Hist. ofthe Troubles in Scotland, 1. 1, pag. 47, 48. 

(2) Laing, Hist. of Scotland, t. III, pag. 137 : < The accusation, among thems elves a 
bound of union, and to their enemies a signal of hostility, was subscribed by the nobility, 
the gentry, the clergy, and afterwards by ail ranks, and almost by every corporation in 
the kingdom. > 
^3) Idem, ibid., t. III, pag. 138. 

(4) i It vas signed by a large majority ofthe people, in a paroxysm of enthnsiasm beyond 
ail example in our history. > Chambers, Annals, t. II, pag. 105. Kirkton, qui était con- 
temporain, dit : « And though only eleven private men (and some of them very inoonsi- 
derable) had the boldness first to begin this work, withont ever asking leave of king or 
council, yet was it rery quickly taken by ail the people of Scotland» with hands lifted up 
in most solemn manner. »<Kirkton, Hist. ofthe Church of Scotland, pag. 33. Lord Somer* 
Tille, partant d'un point de vue différent, remarque que < the generalitie of the natione 
entered into a hellish covenant, wherein they mutually obleidged themselves to extirpa te 
episcopacy, and to défend each other against ail persones whatsoever, noe dot excepting the 
persone of his sacred majestie; but upon conditiones of ther oune frameing. » Somerville 
Memorie of the Somervilles, t. II, pag. 187. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 317 

de novembre, une assemblée générale se réunit à Glascow : 
c'était la première depuis vingt ans (1). Le marquis de Ha- 
milton, le commissaire royal, somma les membres de l'as- 
semblée de se séparer (2). Ils refusèrent (3). Ils ne voulurent 
même pas se disperser avant d'avoir rempli le mandat qui 
leur était confié (4). Grâce à leur vote, l'institution démo- 
cratique des presbytères fut remise en vigueur, les formes 
de consécration furent détruites, les évêques furent déposés 
de leurs fonctions et l'épiscopat fut aboli (5). 

C'est ainsi que les évêques tombèrent plus rapidement 
encore qu'ils ne s'étaient élevés (6). Mais comme leur chute 
n'était qu'une partie du programme démocratique, elle ne 
pouvait arrêter le mouvement (7). A peine les Écossais 



(*) II n'y avait en aucune assemblée générale depuis 1618. Argyll , Presbytery Exami, 
ned , pag. 102; Spottiswoode , Mi&cellany , t. I, pag. 88. Mais «the provincial synods» 
presbyteries, and sessions still remained, and in thèse, good men mutually comformed one 
anofter. » Stevenson, Hist. ofthe Church ofSeotland, pag. 162. 

(2) « The assembly went on at such a rate, that the marquis judged it no longer fit to 
bear -with their courses. » Burnet, Memoirs ofthe Dukes ofHamilton, pag. 128. • In end, 
steind nothing sajd in reason did prevail, ne, in his majesty's name, dissolved the assembly, 
and discharged their fnrther proceeding under pain of treason. » Pag. 135. 

(3) Stevenson, Hist. ofthe Church ofSeotland, pag. 310. 

(4) t Notwithstanding the Proclamation, the Assembly presently thereafter met, and sat 
daily for divers weeks,until they had done their affaire, and were themselves pieas'd to 
dissolve. > Guthry, Memoirs, édit. Lond., 1702, pag. 41. 

(5) Acts ofthe General Assembly ofthe Church ofScotland from 1638 to 1842. Édimb., 
1843, pag 9*18; Stevenson, Hist. ofthe Church of Scotland, pag. 332, 338. 

(6) Au sujet de leur chute, voyez Bail lie, Letters and Journals, 1. 1, pag. 168. En 1639, 
Howell écrit d'Edimbourg : « The Bishops are ail gone to wrack, and they hâve had but a 
sorry fanerai ; the very name is grown so contemptible, that a black dog, if he hath any 
white marks about him, is ealled Bishop. Our Lord of Canterbury is grown hère so odious, 
that they call him commonly in the pulpit, the Priest of Baal, and the Son of Belial. > 
Howell, Letters, édit. Lond., 1754, pag. 276. 

(7) « That people, after they had once begun, pursued the business vigorously, and with 
ail imaginable contempt of the government. » Clarendon, Hist. ofthe Rébellion, pag. 45. 
Pour la première fois le gouvernement anglais trembla. Le 13 décembre 1639, le secrétaire 
Windebank écrit : « His Majesty near thèse six weeks last past hath been in continua 
consultations with a sélect Committee of some of his Council (of which I hâve had the 
honour to be one), how to redress his affairs in Scotland, the fire continuing there, and 



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SIS HISTOIRE 

avaient-ils chassé leurs évêques, qu'ils attaquèrent leur roi. 
En 1639, ils prirent les armes contre Charles. En 1640, ils 
envahirent l'Angleterre. En 1641 , le roi visita l'Ecosse dans 
l'espoir de calmer les esprits, et fit presque toutes les conces- 
sions qu'on lui demanda. Mais il était trop tard. Le peuple 
était excité, il demandait du sang. La guerre éclata de nou- 
veau. Les Écossais s'unirent aux Anglais, et Charles fut 
battu sur tous les points. Comme dernière ressource, il se 
mit à la merci de ses sujets du Nord (1). Mais ses offenses 
étaient trop nombreuses et trop sérieuses pour qu'il fût pos- 
sible de les lui pardonner. Les Écossais, au lieu de l'ab- 
soudre, se servirent de lui. II avait non seulement foulé aux 
pieds leurs libertés, il leur avait également Imposé des frais 
considérables. Pour le préjudice qu'il avait causé à leurs 
libertés, il lui était impossible d'offrir une expiation équiva- 
lente ; mais il pouvait défrayer les dépenses qu'il leur avait 
occasionnées. Et comme c'est une ancienne maxime que 
celui qui ne peut payer de sa bourse doit payer de son corps, 
les Écossais se dirent qu'ils avaient parfaitement le droit de 
retirer quelque avantage de la personne de leur souverain, 
d'autant plus que jusqu'alors il ne leur avait causé que des 
pertes et des ennuis. Ils le livrèrent donc aux Anglais, et, 
comme compensation, ils reçurent une grosse somme d'ar- 

growiog to that danger, that it threatens not only the Monarchical Government there, 
but even that of ttiis kingdom. » Glarendon , State Papers. Oxford , 1773, in-fol., t. II , 
pag. 81. Mais si le roi était capable de crainte, il était incapable de remords, et il n'en 
éprouva aucun pour le mal immense qu'il avait fait i l'Angleterre et surtout i l'Ecosse. 

(1) « The kinge was now so waik, hauening nether tonne, fort, nor amie, and Oxford 
being a waik and onfortified toune, from whence ne looked daylie to be taken perforée, ne 
therefor résolues to cast himself into tbe arms of the Scots; who, being his natiue people, 
and of laie so ongratfullie dealt with by the Inglish, he hoped their particular crédit, and 
the crédit of the wholl natione depending thereupon, they would not baslie rander him to 
the English. > Gordon, Britane*8 DUtemper, pag. 193 (publié par le Spalding Club. 
Aberdeen,1844,in-4«). 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 319 

gent qu'ils réclamaient comme arrérages qui leur étaient dus 
pour les dépenses que leur roi leur avait occasionnées, en 
les forçant à lui faire la guerre (1). Danscet arrangement, il y 
eut avantage pour les deux parties contractantes. Les Écossais, 
qui étaient très pauvres, obtinrent ce dont ils avaient un 
pressant besoin. Les Anglais, peuple riche, avaient eu en 
réalité à débourser l'argent, mais ils devenaient maîtres de 
leur oppresseur contre lequel ils brûlaient de se venger, et ils 
lui firent payer chèrement ses crimes énormes (2). Après l'exé- 
cution de Charles I er , les Écossais reconnurent son fils 



(1) i Afin qu'on ne puisse supposer qu'en ma qualité d'Anglais je juge cette transaction à 
un point de vue anglais, je cite ici plusieurs écrivains écossais. « Givein up the king to the 
will and pleasure of the English parliament, thaï soe they might corne by ther money. > 
Somerville, Memorie ofthe Somervilles, t. II, pag. 366. t The Scots sold their unfortunate 
king, who had fled to them for protection, to the commissioners ofthe English Parliament, 
for 900,000 liv. sterl. » Lyon, hist. of St.- Andrews, t. Il, pag. 38. «The incident itself was 
eyidence of a bargain with a quidpro quo. > Burton, Hist. ofScollandj 1. 1, pag. 493. 
« The sale of the king to the parliament. > Napier, Life ofMontrose. Édimb., 1840, pag. 448. 
« The king was delivered up , or raher sold , to the parliament's commissioners. > Brown , 
Hist. of Glasgow j 1. 1, pag. 91. ■ Their arrears were undoubledly due; the amount was 
ascertained before the dispute conceming the disposai of his person, and the payment was 
undertaken by the English parliament, five months previous to the d«livery,or surrender 
of the king. But the coïncidence, however unavoidable, between that event and the actual 
digcharge and departure of their army, still affords a presumptive proof of the disgraceful 
imputation of having sold their king ; • as the English, unless previously assured of recei- 
ving his person, would never hâve relinquished a sum so considérable as to weaken them- 
selTes,while it slrengthened a people with whom such a material question remained to be 
discussed. > Laing, Hist. ofScotland, t. III, pag. 369, 370. 

(2) Une lettre de sir Edw. Hyde à lord Hatton, datée du 12 avril 1649 (dans Clarendon, 
State Paper 8. Oxford, 1773, in-fol., t. H, pag. 479), dit de Charles II que les Ecossais «sold 
his father to those who murdered him. > Biais cela est faux. Charles I" fut certainement 
acheté par les Anglais, mais ne fut pas assassiné par eux. II fut jugé en plein jour, déclaré 
coupable et exécuté. Il ne se passe pas une année sans qoe le même châtiment soit infligé i 
des hommes bien moins criminels. On a peut-être raison de soutenir que la peine de mort 
est inutile. Cela n'est pas prouvé ; mais , si ce châtiment terrible peut jamais être infligé , 
je ne vois aucune circonstance dans laquelle il soit mieux mérité que dans le cas d'un des- 
pote qui cherche à anéantir les libertés de son peuple, qui punit cruellement et illégalement 
ses adversaires, qui, plutôt que de renoncer à ses desseins, livre ses sujets aux horreurs de 
fa guerre civile, arme les pères contre les enfants, trouble la société et inonde de sang son 
pays. Ces hommes sont hors la loi ; ils sont les ennemis de l'humanité. Lorsqu'ils tombent, 
qui pourrait les plaindre ? 



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320 HISTOIRE 

comme son successeur. Mais avant de couronner le nouveau 
roi, ils le soumirent à un traitement auquel ne sont guère 
accoutumés les souverains héréditaires. Ils lui firent signer 
une déclaration publique, dans laquelle il exprimait ses re- 
grets de ce qui était arrivé, reconnaissait que son père, 
obéissant à des conseils pernicieux, avait injustement ré- 
pandu le sang de ses sujets, et déclarait qu'il se sentait lui- 
même profondément humilié par ces tristes circonstances. 
De plus il dut s'excuser de ses propres erreurs, qu'il attribua 
en partie à son inexpérience, et en partie à la mauvaise édu- 
cation qu'il avait reçue (4). Pour prouver la sincérité de cette 
confession, et afin de la faire connaître au public, on lui or- 
donna de consacrer une journée au jeûne et à l'humiliation, 
pendant laquelle la nation tout entière pleurerait et prierait 
pour lui , dans l'espoir que Dieu lui permettrait d'échapper 
aux conséquences des crimes commis par sa famille (2). 

(1) La déclaration fut signée par Charles, le 16 août 1650. Il y en a nn abrégé dans Batfour, 
Annales of Scotland, t. IV, pag. 92-%, et le document tout entier se trouve dans le 
Journal of A flairs in Scotland, dans Walker, Historical Discourses. Lond.,1706, 
in-fol., pag. 170-176. Dans ce journal, sir Edward Walker fait dire à Charles que « thoogh his 
Majesty as a dnlifnl son be obliged to honour the memory of his Royal Father, and hâve 
in estimation the person of his Mother; yet doth ne désire to be deeply humbled and 
afflicted in spirit before God, becanse of his Father's hearkening unto and following eril 
conncils,and his opposition to the work of Reformation, and to the solemn leagne and 
eovenant by which so mnch of the blood of the Lord's people hath been shed in thèse king- 
doms. > Il continuait en disant que, bien que sa conduite pût être excusée par ■ his éduca- 
tion and âge,» il pensait qu'il valait mieux « ingeniously acknowledge ail his own sins and 
the sins of his father's house. > Burnet (Hist. ofhis own Time, 1. 1, pag. 97) dit au sujet 
de cette déclaration : « In it there were many hard things. The king owned the sin of his 
father in marrying into an idolâtrons family : he acknowledged the bloodshed in the laie 
wars lay at his father's door : he expressed a deep sensé ofhis own ill éducation,» etc. 

(2) Relativement à cet événement on trouve dans le journal de Lamont: « 1650, Dec. 28. 
— The fast appointed by the commission of the kirke to be keiped througe the kingdome 
before the coronatione, was keiped att Largo the forsaide day by Mr. Ja. Magill ; his lecture* 
Reo. 3 from v. 14 to the end of the chapt.; his text Reu. 2, 4, 5. Vpon the Thursday following, 
the 26 of this instant, the fast wàs keiped in likemaner ; his lecture 2, Chro. 29 to v. 12; ni* 
text 2, Chroo. 12, 12. The causes of the first day (not read ) was, the great contempt of the 
gospell, holden forth in its branches; of the second day (which were read ), the sinns of the 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 321 

Les Écossais continuèrent à être animés pendant le dix- 
septième siècle de cet esprit, dont les actes qui précèdent 
ne sont que les symptômes. Et cet esprit leur rendit de 
grands services. En effet, les règnes de Charles II et de 
Jacques II furent la répétition des règnes de Jacques I er et 
de Charles I er . De 1660 à 1688, l'Ecosse fut de nouveau 
soumise à une tyrannie si cruelle, si destructive, qu'elle eût 
brisé l'énergie de toute autre nation (1). La noblesse, dont 
le pouvoir s'était affaibli lentement mais continuellement (2), 

king, and of his father's house, where sandry offences of K. James the 6 were acknowledged, 
and of K. Charles the I, and of K. Ch. the II, nowe king. > The Diary ofMr. John Lamont 
of Newton. Édimb., 1830, in-4*, pag. 25. Voyez aussi Saillie, Lelters and Journals, t. III, 
pag. 107; Nicoll, Diary. Édimb., 1836, in-4% pag. 38; Row, Continuation of Blairas 
Autobiograptyy , édit. Wodrow Society, pag. 355; Bower, Hist. of the Universityof 
Edimburgh, X. I, pag. 253; Presbytery Book of Strathbogie , édit. Spalding Club* 
pag. 169, et sortent les Registers ofthe Presbytery ofLanark, pobliés par le Abbotsford 
Club. Édimb., 1839, in-4% pag. 88,89. 

(1) Wodrow, qui possédait les annales du conseil privé, dit que la période qui s'écoula de 
1660 à 1688 fut « a very horrid scène of oppression, hardships, and cruelty, which, were it 
not incontestably true, and well Touched and supported, could not be credited in after 
âges. » Wodrow, Hist. of the Church ofScotland from the Restoration to the Révolu- 
tion, t. 1, pag. 57. Et le révérend Alexander Sbields observe ■ that the said Government 
was the most untender, unpeaceable , tyrannical , arbitrary and wicked, that ever was in 
Scotland in any âge or period. > Shields, Scots Inquisition. Édimb., 1745, pag. 24. 

(2) Lorsque Jacques I* r monta sur le trône d'Angleterre, t the principal native nobility » 
raccompagnait, et < the very peace which ensued upon the union of the crowns, may be 
considered as the commencement of an era in which many of our national strongholds were 
either transformed into simple résidences or utterly deserted. • Irving, Hist. ofDumbar- 
tonshire, in-4°, 1860, pag. 137, 166. Les nobles < had no further occasion to make a figure 
in war, their power in vassalage was of little use, aud their influence of course decayed. 
They knew little ofthe arts of peace, and had no disposition to cultivate them. » The inte 
rest ofScotland considered. Édimb. ,1733, pag. 85. Sons Charles I" le mouvement con- 
tinua; < which fell out, partly through the giddiness ofthe times, but more by the way 
his Majesty had taken at the beginning of his reign; at which time he did recover from 
divers of them their hereditary offices, and also pressed them to quit their tithes (which 
formerly had kept the gentry in a dépendance upon them ;, whereby they were so weaken'd 
that now when he stood most in need of them (except the chief ofthe clans) they could 
command none but their vassals. » Guthry, Mémoire, édit. 1702, pag. 127, 128. Puis vinrent 
les gaerres civiles et le gouvernement de Cromwell, pendant lequel ils souffrirent et dans 
leurs personnes et dans leurs biens. Comparez Chambers, Annals, t. II, pag. 225, avec 
Laing, Hist. of Scotland, t. III, pag. 515, 516. En 1654, Baillie écrit (Letters and Jour- 
nals, 1. 111, pag. 249) : « Our nobilitie, weell near, ail are wracked. » En 1656 : t Our nobles 



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322 HISTOIRE 

était incapable de résister aux Anglais» avec lesquels elle 
semblait au contraire assez disposée à faire alliance, afin 
d'avoir sa part dans les dépouilles de son propre pays (1). 
Dans cette période, la plus malheureuse à travers laquelle 
l'Ecosse soit passée depuis le quatorzième siècle, le gouver- 
nement était extrêmement puissant; les classes supérieures, 
tremblant devant lui, ne pensaient qu'à assurer leur propre 
sécurité; les juges étaient si corrompus, que la justice, au 
lieu detre mal administrée, n'était pas administrée du 
tout (2); et le parlement, complètement intimidé, consentît 



lying up in prisons, and under forfaultries, or debts, private or poblict, are for the most 
part either broken or breaking. » lbid., pag. 317. Et en 1656 (t. III, pag. 387) : « Onr noble 
families are almost gone : Lennox hes little in Scotland nnsold ; Hamilton's estate, except 
Arran and the Baronne of Hamilton, is sold ; Argyle can pay little annnelrent for sevenor 
eight hnndred thousand merks; aod ne is no more drowned in debt than publict hatred, 
almost of ail, both Scottish and English ; the Gordons are gone ; the Douglasses little better ; 
Eglintoun and Glencairn on the brink of breaking; many of onr chief families estâtes are 
cracking; nor is there any appearance of any hnman relief for the tyme. » Le résultat en 
est ainsi décrit par Wodrow en 1661 : < Onr nobility and gentry were remarkably changed 
to the wont : il vas but few of snch, who had been active in the former years, were now 
alive, and those few were marked ont for rnin. A yonng génération had sprnng np under 
the English government, educated nnder pennry and oppression, their estâtes were under 
bnrden, and many of them had little other prospect of mending their fortunes, but by the 
king's favour, and so were ready to act that part ne was best pleased with. > Wodrow, HisU 
ofthe Church of Scotland, 1. 1, pag. 89. 

(1) *M the Restoration , Charles II regained fnll possession ofthe royal prérogative in 
Scotland ; and the nobles, whose estâtes were wasted, or their spirit broken, by the caJami- 
ties to which they hâve been exposed, were less able and less willing than ever to resist the 
power of the crown. Dnring his reign, and that of James VII, the dictâtes ofthe monarch 
were received in Scotland with most abject submission. The' poverty to which many of the 
nobles were reduced,rendered them meaner slaves and more intolérable tyrants than ever. 
The people, always neglected, were now odious, and loaded with every injury, on account of 
their attachment to religions and political principles, extremely répugnant to those adopted 
by their princes*» Robertson, Hist. of Scotland, liv. viu, pag. 257,258. 

(2) Un écrivain qui fait autorité dit en parlant du temps de Guillaume III : « It is scar- 
cely possible to conçoive how utterly polluted the fountain of justice had become dnring 
the two preceding reigns. The Scottish bench had heçn profligate and subservient to the 
utmost conceivable extent of profligacy and subserviency. > Burton, Hist. of Scotland from 
1689 to 1748. Lond., 1853, 1. 1, pag. 72. Voyez aussi t. II, pag. 37, et Brown, Hist, of Glasgow* 
Glascow,1795,t.I,pag.l94. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 323 

à ce qui fut appelé le « recissory act , » par lequel toutes 
les lois qui avaient été promulguées depuis 1633 furent 
abrogées d'un seul coup , le gouvernement considérant que 
ces vingt-huit années formaient une époque dont le souvenir 
devait être, s'il était possible, complètement effacé (1). 

Mais, quoique les classes supérieures désertassent leur 
poste d'une manière honteuse, et détruisissent les fois qui 
défendaient les libertés de l'Ecosse, le résultat prouva que 
les libertés elles-mêmes étaient indestructibles. C'est que 
le peuple conservait encore l'esprit qui lui avait servi à 
gagner ces libertés. La nation était saine de cœur; et tant 
qu'il en était ainsi, les législateurs pouvaient bien abolir les 
manifestations extérieures en faveur de la liberté, mais ils 
ne pouvaient en aucune façon toucher aux causes dont cette 
liberté dépendait. La liberté était renversée, mais elle vivait 
encore. Et le temps devait certainement venir où le peuple, 
qui avait pour elle un amour si profond, revendiquerait ses 
droits. L'heure devait sonner, dans laquelle, pour nous 
servir des paroles du grand poète de la liberté anglaise, la 
nation s'éveillerait comme un homme robuste sortant du 



(1) Laing, MU. of Scotland, U IV, pag. 10; Baillie, Letters and Journal*, t. m, 
pag. 458. Comme peu de personnes prennent la peine de lire les actes dn parlement, je cite 
le principal passage de celui-ci : c And forasmnch as no-w it hath pleased Almigbty God, by 
the power of his onne right hand , so miracoulously to restore the Kings Maiestie to the 
Government of his Kingdomes, and to the exercise of his royall power and Soyeranity over 
the same : The estâtes of Parlia' doe conceave themselffs obleidged in dischairge of ther 
doetie and conscience to God and the Kings Maiestie, to imploy ail their power and 
interest for vindicateing his Maiesties Anthority from ail thèse violent invasions that hâve 
been made npon it; and so far as is possible to remove ont of the way every thing that 
may retaine any remembrance of thèse things which hâve been so enjnrions to his 
Mâtie and his Anthority, so prejndiciall and dishononrable to the kingdome , and dis- 

trnctive to ail jnst and trae interests within the same. » Not to retaine any 

remembrance thairof, bnt that the same shall be held in everlasting oblivion. > Acte of 
the Parliamenls of Scotland, édit. 1820, in-fol., t. VII, pag. 87. La date de cet acte est dn 
38 mars 1661. 



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SÎ4 HISTOIRE 

sommeil, et, secouant sa chevelure invincible, serait sem- 
blable à un aigle dans la mue de sa puissante jeunesse, 
ouvrant ses yeux non éblouis aux rayons du midi, et puri- 
fiant sa vue à la fontaine du ciel ; pendant que les crain- 
tifs oiseaux de mauvais augure, amoureux de l'obscurité, 
s'agitent autour de lui ne comprenant rien à ce qu'il fait. 

Néanmoins, la crise fut grave et dangereuse. Le peuple, 
abandonné de tous excepté du clergé, fut pillé, massacré 
sans pitié, et poursuivi de place en place comme des bêtes 
fauves. Il avait naguère tant souffert de la tyrannie des 
évéques, qu'il abhorrait l'épiscopat plus que jamais; et 
pourtant cette institution lui fut non seulement imposée, 
mais le gouvernement mit à sa tête Sharp, un homme cruel 
et rapace, qui, en 1661, fut élevé à l'archevêché, de Saint- 
Andrews (1). Il s'établit une cour ecclésiastique qui remplit 
les prisons; et lorsqu'il n'y eut plus de place, les victimes 
furent déportées à Barbadoses, et autres colonies mal- 



(1) Il fat nommé « primate » en 1661, mais il n'arriva pas en Ecosse avant le mois 
d'avril 1662. Wodrow, Hist. of the Church of Scotland, t. I, pag. 236, 2*7, et NicoU, 
Diary, pag. 363, 364. « That ne was décent, if not regnlar, in his deportment, endued with 
the most indnstrions diligence, and not illiterate, was never disputed; that he was vain, 
vindictive, perfidions, at once anghty and servi le, rapacious and cruel, his friends hâve 
never attemptedto disown. > Laing, Hist. of Scotland, t IV, pag. 98, 99. L'établissement 
formel de l'épiscopat fnt dans l'automne de 1661 , ainsi que nons l'apprend le journal 4e 
Lamont. 1 1661. Sept. 5 being Thursday (the chancelour, Glencairne, and the E. of Rothes, 
haneing corne downe from court some dayes before), the cownsell of state satt att Edb., 
and the nixt day, being Fryday, they caused emitte and be proclaimed ouer the Grosse, a 
proclamation in his Maj. name, for establishing Episcopacie againe in the chnrch of Scot- 
lande; which was done with great solemnitie, and was afterwarde printed. AU persans, 
wither men or weomen, were discharged to speake agaimt that office, under the 
paine oftreason. » The Diary of Mr. John Lamont, pag. 140. Comme nous l'apprend 
un autre contemporain, ceci était pour « the Kinges Majestie having stedfastlie resolvit to 
promove the estait, power, and dignitie of Bischops,and to remove ail impedimenta 
contrary thairto.* NicoU, Diary, in-4% pag. 353; on 21st November 1661. Ce curieux 
journal, écrit par John Nicholl et s'étendant de 1650 à 1667, fut imprimé i Édimboarg 
nn 1836 par le Bannatyne Club et n'est pas rare aujourd'hui. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 325 

saines (1). Le peuple, décidé à ne plus se soumettre aux 
ordres du gouvernement en ce qui concernait son culte reli- 
gieux, se rassembla dans les maisons particulières; et, 
lorsque ces réunions furent déclarées illégales, il quitta ses 
foyers pour se réunir dans la campagne. Mais là aussi il 



(i) Wodrow, Hist. of the Church ofScotland, t. 1, pag. 383, 390-395. Laing, Hist. of 
Scotland, t. IV,' pag. 38: i A court of ecclesiastical commission was prpcured by Sharp. > 
Et pag. M : t Under the influence of Sharp and the prelates, which Landerdale's friends 
were nnable to resist, the government seemed to be actnated by a blind resentment against 
iU own subjects. » Comparez Burnet, Hist. ofhis own Time, 1. 1, pag. 365. t The truth is, 
the whole face of the government looked liker the proceedings of an inquisition, than of 
légal courts; and yet Sharp was never satisfied. > Un antre contemporain, Kirkton, dit de 
ces commissaires : t For ought I could hear, never one appeared before them that escapt 
without pnnishment. Their cnstom was, withont prémonition or lybell, to ask a man a 
question, and jndge him presently, either npon his silence or his answer. >..... t They 
many times donbled the légal pnnishment ; and not being satisfied with the fyne appointed 
by law, they nsed to add religation to some remote places, or déportation to Barbadoes, or 
selling into slavery. > Kirkton, Hist. ofthe Church ofScotland, pag. 906. Voyez aussi 
NaphtalijOrthe Wresllings ofthe Church ofScotland, 1667, pag. 126-130. Mais, comme 
les cas particuliers expliquent mieux les v choses, je donne ici, d'après Crookshank (Hist. of 
the Church ofScotland, 1. 1, pag. 154), les jugements prononcés dans une seule séance par 
ce tribunal episcopal : « The treatment of some of the parishioners of Ancrum is not to be 
omitted. When their excellent minister, Mr. Livingstone, was taken from them, one 
Mr. James Scot, who was under the sentence of excommunication, was presented to that 
charge. On the day fixed for his seulement, several people did meet together to oppose it; 
and particularly a country woman, desiring to speak with him in order to dissuade him 
from intruding himself npon a reclaiming people, pulled him by the cloak, intreating him 
to hear her a little ; wherenpon he turned and beat her with his staff. This provoked two or 
three boys to throw a few stones, which neither touched him nor any of his company. 
However, it was presently looked npon as a treasonable tumult, and therefore the sheriff 
and justices of the peace in that bounds fined and imprisoned some of thèse people, which, 
one would think, might atone for a crime of this nature. But the high-commission , not 
thinking that sufficient, ordered those criminals to be brought before them. Accordingly, 
the four boys and this woman, with two brothers of hers of the name of Turnbull, were 
brought prisoners to Edinburgh. The four boys confessed, that, npon Scot's beating the 
woman, they had thrown each his stone. The commissioner told them that hanging was too 
good for them. However, the sentence of this merciless court only was, that they should be 
scourged through the city of Edinburgh, burnt in the face with a hot iron, aod then sold as 
slaves to Barbadoes. Th« boys endured their pnnishment like men and Christians, to the 
admiration pf multitudes. The two brothers were banished to Virginia; and the woman 
was ordered to be whipped through the town of Jedbnrgh. Burnet, bishop of Glasgow, when 
applied to that she might be spared lest she should be with child, mildly answered, that he 
would make them claw the itch ont of her shoulders. * 

T. IV U 



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336 HISTOIRE 

fut suivi par les évêques (1). Lauderdale, qui avait été pen- 
dant plusieurs années à la tête des affaires, était sous l'in- 
fluence immédiate des nouveaux prélats, et leur donnait 
l'assistance du pouvoir exécutif (2). Sous les auspices de 
ces hommes, on imagina un nouveau plan ; et une troupe 
de soldats, commandée par Turner, un spadassin ivrogne et 
féroce, fut lancée contre le peuple (3). Les victimes, poussées 
à bout, coururent aux armes. On en fit un prétexte, 
en 1667, pour de nouvelles exécutions militaires; ou dé- 
vasta les plus belles parties de l'Ecosse occidentale, on 
brûla les maisons, on tortura les hommes, on viola les 



(1) Ils avaient va pouvoir si étendu que « the old set of bishops made by the Parlia- 
ment,1612, were bat pigmies to the présent high and mighty lords. > Wodrow, HUL ofthe 
Church ofScotland, 1. 1, pag. 263. Voyez anssi à la page 286 les remarques de Douglas : 
c It is no wonder then the complaint against their bishops be , that their little finger is 
thicker than the loins of the former. > 

(2) En 1663, Middleton fat renvoyé et eut pour successeur Lauderdale, qui < iras dépen- 
dent upon the prelates, and was compelled to yield to their most forions demanda. » 
Laing, Hist. ofScotland, t. IV, pag. 33. • The influence» or rather the tyranny, which was 
thus at the discrétion of the prêtâtes, was unlimited; and they exercised it with anunspa- 
ring hand. » Bower, Hist. ofthe University of Edinburgh, t. I,pag. 284. 

(3) t Sir James Turner, that commanded them, was naturally fierce, but was mad when he 
was drnnk; and that was very often. » Burnet, Hist. of his otvn Time, 1. 1, pag. 364. 
Kirkton {His t. ofthe Clmrch, pag, 221) dit : «Sir James Turner hade made ane expédi- 
tion to the west countrey to subduc it to the Bishops, in the year 1664; another in the 
year!665; and a third in the year 1666; and this was theworst. » On trouvera une descrip- 
tion complète dans Wodrow, Hist. ofthe Church ofScotland , 1. 1, pag. 373-375, 4U; 
t. II, pag. 8, 17; t. III, pag. 264, 265. «This method of dragooning peopie to the church, as 
it is contrary to the spirit of Christianity, so it was a Etranger in Scotland, till Bishop 
Sharpe and the prelates brought it in. > T. I, pag. 401. Sir James Turner, dont les mémoires 
écrits par loi-même ne furent publiés qu'il y a trente ans, raconte une anecdote au sujet 
de sa propre ivrognerie qui cadre bien avec sa conduite générale. Turner, M emoirs ofhis 
own Life. Édimb., 1829, in-4% pag. 42, 43, A la pag. 206, il dit avec son impudence ordi- 
naire : t And yet I confesse, my humour never was, nor is not yet, one ofthe calmest ; when 
it will be, God onlie knoues; yet by many sad passages of my life, I known that it halh 
beene good for me to be afflicted. » Et il ajoute (pag. 144) : c That I was so farreirom 
exceeding or transgressing my commission and instructions , that I never came the foll 
lenght of them. » On peut juger, par les cruautés dont il fut coupable, de quelle nature 
étaient les instructions que ses supérieurs lui avaient données. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 327 

femmes (1). En 1670, le parlement promulgua une loi qui 
déclarait que quiconque prêcherait dans la campagne sans 
permission serait mis à mort (2). Il se trouva quelques 
avocats assez hardis pour défendre les innocents accusés de 
crime capital. On décida donc qu'on les réduirait également 
au silence, et, en 1674, on chassa d'Edimbourg une grande 
partie du barreau (3). En 1678, par ordre du gouvernement, 
on fit descendre les Highlanders de leurs montagnes, et on 
les excita pendant trois mois à massacrer, à piller et à 



(I) < Sir James Turner lately had forced Galloway to lise in arms, by his crnelty the las* 
and former years; bat ne was an easy master, compared with General Dalziel, his ruffians» 
and Sir William Bannatyne, this year.» Wodrow, Church of Scotland, t. II,pag. 62. Dalziel 
i cruelly tortured whom he would. > Pag. 63. Une femme c is bronght prisoner to Kilmar- 
nock, where she was sentenced to be let down to a deep pit, nnder tbe bonse of the dean, 
fnll of toads and other vile créatures. Her shrieks thence were heard at a great distance. » 
Pag. 64. Deux paysans forent c bonnd togather with cords, and hanged np by their thumbs 
to atree, there to hang ail night. » Ibid. Les soldats de sir William Bannatyne saisirent 
une femme, * and bonnd her, and pot lighted matches betwixt her Angers for several honrs ; 
the torture and pain made heralmost distracted ; she lost one of her hands, and in a few 
days she died. » Ibid. • Oppressions, murders, robberies, râpes. » Pag. 65. « He made great 
lires, and laid down men lo roast before them, when they wonld not, or coula not, give him 
the money he required, or the information he was seeking. > Pag. 104. Voyez aussi Grooks- 
hank, Hist. ofthe Church of Scotland, 1. 1, pag. 204*307. Cette histoire est basée sur le 
grand ouvrage de Wodrow, mais contient un grand nombre de faits que cet auteur ignorait. 
Voyez Crookshank , 1. 1, pag. 11. Au sujet des outrages de 1667, il y a quelques horribles 
détails dans un livre publié la même année sous le titre de : Naphtali, or the Wrestlings 
ofthe Church of Scotland. Voyez surtout le sommaire à la pag. 174 : « Wounding, beating, 
stripping and imprisoning mens persons, violent breaking of their houses both by day and 
night, and beating and wounding of wives and children, ravishing and deflowring of women, 
foreing wives and other persons by tired matches and other tortures to dîscover their 
husbands and nearest relations, althongh it be not within the compass of their knowledge, 
anddriving and spoiling ail their goods that can be carriecLaway, without respect to guilt 
or innocency. > 

(2) « That whosoever without licence or authoritie forsaid shall preach, expound Scrip- 
ture, or pray at any of thèse meetings in the ffeild, or in any house wher ther be moe per- 
sons nor the house contains, so as some of them be without doors (which is hereby declared 
to be a feild conventicle), or who shall convocat any nnmber of people to thèse meetings, 
shall be punished with death and confiscation of ther goods. * Acte ofthe Parliaments of 
Scotland, édit. 1820, in-fbl., t. III, pag. 9. C'était le 13 août 1670. 

(3) Sous le prétexte d'empêcher tout appel. Voyez Laing, Hist. of Scotland, t. IV, 
pag. 72-74. 



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328 HISTOIRE 

brûler les habitants des parties les plus populeuses et les 
plus industrieuses de l'Ecosse. Une animosité profonde 
existait depuis des siècles entre les habitants des hautes 
terres et ceux des basses terres; et maintenant ces sauvages 
montagnards pouvaient exercer leur vengeance à cœur joie. 
Leur rage fut assouvie. Pendant trois mois, on leur donna 
licence complète. On permit à huit mille (1) Hïghlanders 
armés, appelés par le gouvernement anglais, et recevant 
d'avance une indemnité pour tous leurs excès (2), de faire 
cç que bon leur semblerait dans les villes et dans les vil- 
lages de l'Ecosse occidentale. Ils n'épargnèrent ni l'âge ni 
le sexe. Ils dépouillèrent le peuple de tout ce qu'il possédait, 
même de ses vêtements, et le laissèrent mourir de faim 
dans les champs. Ils infligèrent à un grand nombre de per- 
sonnes les plus horribles tortures. Des enfants, arrachés à 
leurs mères, furent traités d'une manière infâme ; les mères 
et les filles furent condamnées à un sort auprès duquel la 
mort eût été une joyeuse alternative (3). 

(1) c Savage hosts of Hïghlanders were sent down to depopnlate the western sbires, to the 
number of ten or eleven thousand, who acted most outrageons barbarities,even almost to 
the laying some counties desolate. » A Cloud of Witnesses for the Royal Prérogatives 
of Jésus Christ, édit. Glascow, 1779, pag. 18. Hais voyes, pour ce chiffre de 8,000, Kir k ton, 
History, pag. 386; Arnot, Hist. of Edinburgh, pag. 154 ; Burnet, Hist. ofhis own Time, 
t. II, pag. 134; Denholm, Hist. of Glasgow, pag. 67, et Life and Su/ferpngs ofjohn 
Nisbet, dans Select Biographies, publication de la Wodrow Society, t. II, pag. 381. 
Chalmers, dans Caledonia, t. III, pag. 592, dit 10,000. 

(2) < They were indemnified against ail pnrsnits, civil and criminal, on acconnt of killing, 
wonnding, apprehending, or imprisoning, snch as shonld oppose them. » Crookshank, Hist. 
ofthe Church ofScotland, t 1, pag. 337, 338. 

(3) On trouvera quelques descriptions courtes et imparfaites de ce « Highland Host > dans 
Kirkton, Ristory, pag. 385-390, et dans Crookshank, Ristory, 1. 1, pag. 354, 355. Mais le 
meilleur compte rendu des atrocités commises par ces barbares est dans le grand ouvrage 
de Wodrow, Hist. of the Church of Scotland, U II, pag. 375413, 481-432; t. UI, 
pag. 76, 79, 486. t They had good store of iron shackles , as if they were to lead back vast 
numbers of slaves, and thumb-locks, as they call them (c'est à dire thumb-screws ), to make 
theirexaminations and trials with. » T. II, pag. 389. t In some places they tortured people, 
by scorching their bodies at vast fires, and other wise. • T. II, pag. 422. Compares Laing, 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 329 

C'est de cette manière que le gouvernement anglais essaya 
de dompter l'énergie, et de changer les opinions du peuple 
écossais. Les nobles regardaient en silence, et, bien loin de 
résister, n'avaient même pas le courage de faire des remon- 
trances. Le parlement était tout aussi servile, et sanction- 
nait tout ce que le gouvernement demandait; pourtant le 
peuple restait ferme. Son clergé, tiré des classes moyennes, 
lui resta dévoué ; il s'attacha donc lui-même à son clergé, 
qui, comme lui, ne changea pas. Les évêques étaient détestés 
comme les alliés du gouvernement, et étaient avec raison 
regardés comme des ennemis publics. On savait qu'ils avaient 
favorisé, et souvent suggéré, les atrocités qui avaient été 
commises (1), et ils étaient si enchantés des châtiments in- 
fligés à leurs adversaires, que personne ne fut étonné lors- 
qu'ils déclarèrent, quelques années plus tard, dans uneépStre 
qu'ils adressèrent à Jacques II, le plus cruel de tous les 
Stuarts, qu'il était le bien-aimé du ciel, et qu'ils espéraient 
que Dieu lui donnerait les cœurs de ses sujets, et les têtes 
de ses ennemis (2). Le caractère du prince, que les évêques 

Hist. of Scotland, t. IV, pag. 88. « Neither âge nor sex was exempt from outrage, aad tor- 
ture was freely employed to extort a confession of hidden wealth. » Et à la pag. 91 : « The 
Highlanders, after exacting free qnarters, and wasting the conntry for tbree months, were 
dismissed to their hills with impnnity and wealth. > 

(1) t Indeed, the whoie of the severity, hardships, and bloodshed from this year (1661), 
nntil the révolution , was either actually bronght on by the Bishops , procnred by them , 
or done for their support. • Wodrow, Hist. of the Church of Scotland , 1. 1, pag. 223. 
« It was onr prelates who pnshed the conncil to most of their severities. » Pag. 247. t The 
bishops, indeed, violently pnshed prosecntions. > Crookshank, Hist. ofthe Church, 1. 1, 
pag. 298. En 1666, « as to the Prelates, they resolved to nse ail severities, and to take ail 
imaginable crnel and rigorons ways and courses, flrst against the rest ofthe prisoners, and 
then against the whole west of Scotland. > Row, Continuation of Blairas Autobiography, 
édit. Édimb., 1848, pag. 505, 506. Cet ouvrage intéressant est édité par le docteur M'Crie et 
publié par la Wodrow Society. 

(2) En 1688, t the bishops concurred in a pions and convivial address to James, as the 
darling of heaven, that God might give him the hearts of his subjects and the necks of his 
enemies. » Laing, Hist. of Scotland , t. IV, pag. 193. 



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350 HISTOIRE 

honoraient avec tant de bonheur, est aujourd'hui bien com- 
pris. Les crimes que ses successeurs avaient commis étaient 
bien horribles; mais ils ne sont rien en comparaison de ce 
qui arriva, lorsqu'en 1680 il prit la direction des affaires (1). 
Il en était arrivé à un tel point d'iniquité, que c'était pour 
lui un véritable bonheur d'être tésaoîn des souffrances de 
ses semblables. C'est là un abîme de méchanceté dans lequel 
les natures les plus corrompues tombent rapidement. Il y a 
eu, et il y aura toujours, des hommes que les souffrances 
humaines ne peuvent émouvoir, et qui sont capables d'in- 
fliger les peines les plus cruelles pour arriver au but qu ils 
se proposent. Mais se réjouir du spectacle de ces douleurs, 
c'est une abomination hideuse. Jacques était si bien mort à 
tout sentiment de honte, qu'il nese donnait même pas la peine 
de cacher ses goûts ignobles. Toutes les fois qu'on appliquait 
la torture, on était certain de l'y voir repaître sa vue de ce 
hideux spectacle, et se livrer à une orgie de joie infernale (S). 
Il y a quelque chose d'horrible dans l'idée qu'un tel homme ai 

(1) c Afrer the Duke of York came down m October (1680), the persécution tnrned yet 
more severe. » Wodrow, Hist. of the Church of Scotland, t. III, pag. 225. c Persécution 
and tyranny, mainly promoted by the Duke of York's instigation. » Shields, Hind let Loose, 
pag. 147. t Immediately npon his mounting the throne, the exécutions and acts prosecoting 
the persécution of the poor wanderers, were more cruel than ever. » Pag. 200. 

(2) Ceci était bien connu en Ecosse; un écrivain contemporain y fait évidemment allu- 
sion ; il appelle Jacques un monstre. Voyez Shields, Hind let Loose, 1687, pag. 365. «This 
man, or monster rainer, that is now mounted the throne. > Comparez Crookshank, Hist.of 
the Church of Scotland, t. II, pag. 66, où il est dit que, lorsque Spreul fut torturé, « the 
Duke of York was pleased to gratify his eyes with this delightful scène. » Wodrow, History, 
t. III, pag. 253, et Laing, Hist. of Scotland, t. IV, pag. 116. Lisez la description donnée 
par Burnet : « When any are to be struck in the boots , it is done in the présence of the 
eouncil ; and japon that occasion, almost ail offer to run away. The sight is so dreadful, 
that without an order restraining such a number to stay, the board would be forsaken. Bat 
the duke, while he had been in ScoUand, vas so far from withdrawing, that he looked on 
ail the while with an unmoved indifférence, and with an attention, as if he had been to 
look on some curions experiment. This gave a terrible idea of him to ail that observed 
it, as of a man that had no bowels nor humanity in him. » Burnet, Hist. ofhisown Time, 
t. II, pag. 416, 417. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 351 

étélemaitredemillionsd'êtreshumains. Mais que doit-on pen- 
ser des évêques écossais qui l'applaudissaient, et qui étaient 
chaque jour témoins de ses forfaits? Comment trouver un 
langage assez expressif pour flétrir ces prêtres couards qui, 
après avoir passé des années à essayer d'anéantir les libertés 
de leur patrie, se réunirent vers la fin de leur carrière, 
peu avant leur chute définitive, et se servirent de leur auto- 
rité comme ministres d'une religion de paix pour approuver 
publiquement un prince qui faisait l'horreur de ses contem- 
porains, et dont les goûts révoltants, à moins qu'on ne les 
attribue à un cerveau malade, ne sont pas seulement une 
tache pour le siècle qui les tolérait, mais encore une honte 
pour les instincts naturels de l'homme. 

Mais les classes gouvernantes de l'Ecosse étaient si profon- 
dément corrompues) que ces crimes semblent avoir à peine 
excité l'indignation. Les victimes étaient des sujets rebelles, 
et contre eux tout était légal. La torture ordinaire, qu'on 
appelait la torture des bottes, consistait à placer la jambe 
dans un cadre dans lequel on enfonçait des coins jusqu'à ce 
que les os fussent brisés (1). Mais lorsque Jacques visita 
l'Ecosse, on s'imagina que c'était là un châtiment trop doux, 
et qu'il était temps d'inventer quelque chose de nouveau. 
En 1684, on employa un nouvel instrument appelé thumbi- 
kins. Il se composait de petites vis en acier, arrangées avec 
un art si infernal, qu'elles comprimaient non seulement le 
pouce mais encore toute la main, infligeant une souffrance 
plus cruelle que toutes les tortures connues jusqu'à ce jour, 

(1) Shields (A Hind tel Loose, pag. 186) décrit les bottes comme «a cruel Angine ofiron, 
whereby, with wedges, the leg is tortured unlil the marrow corne ont of tbe boue. > Com- 
parez NapMali, or the WresUings ofthe Church ofScotland, 1667, pag. 268 : t The 
eitraordinary compression both of fleih, sinewa,and boues, by tbe force of timber wedges 
andhammer.» 



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332 HISTOIRE 

et ayant en outre l'avantage de ne pas mettre en danger la 
vie du supplicié, ce qui permettait d'infliger la torture plu- 
sieurs fois à la même personne (1). Nous en avons, je crois, 
dit assez (2). On ressent un profond dégoût au récit de pa- 
reilles horreurs* En lisant l'histoire de cette époque, le cœur 
se soulève à la vue des moyens employés par ces êtres 
infâmes pour étouffer l'opinion publique, et pour ruiner un 
peuple courageux et énergique. Mais cette fois encore leurs 
efforts furent vains. Pourtant de nouvelles souffrances atten- 
daient ces infortunés. Jacques II inaugura son règne 'par un 
acte de barbarie étrange. Quelques semaines après l'avéne- 
ment au trône de ce misérable, tous les enfants de six à dix 
ans furent saisis par des soldats dans les comtés d'Annan- 
dale et de Nithsdale, séparés de leurs parents et menacés de 
mort (3). Comme seconde mesure, on exila un nombre immense 

(1) En 1684, Carstairs fat soumis à cette torture. Voyez la description qu'il en donne lui- 
môme dans nne lettre imprimée dans Wodrow, Hist. ofthe Church ofScotland, t. IV» 
pag. 96-100. Il écrit (pag. 99) : c After this communrog, the king's smith was called in, to 
bring in a new instrument to torture by tbe tbumbkins, that bad never been used before. 
For whereas the former was only to screw on two pièces of iron above and below with finger 
and thumb, tbese were made to turn about the screw with the whole hand. And under this 
torture, I continued near an hour and a half. > Voyez aussi le cas de Spence, dans Burnet, 
Hist. of his oum Time, t. II, pag. 4i8 : « Little screws of steel were made use of, that 
screwed the tbumbs with so ezquisite a tonnent, that he sunk under this; for Lord Perth 
told him, they would screw every joint of his whole body, one after another, till he took the 
oath.» Laing (Hist. of Scotland, t. IV, pag. 143) dit : t The thumbikins; small screws of 
steel that compressed the thumb and the whole hand with an eiquisite torture; an inven- 
tion bronght by Drummond and Dalziel from Russia. > Voyez aussi Fountainhall, Mfé* of 
Scottish Affairs from 1680 till 1701. Èdimb., 18», in-4% pag. 41, 97, 101 ; Bower, Hist. of 
the University of Edinburgh, t. II, pag. 30; Crookshank, Hist. ofthe Church ofScot- 
landj t. H, pag. 192 ; A Cloud of Witnesses for theRoyal Prérogatives of Jésus Christ, 
édit. Glascow, 1779, pag. 371 , et Life of Walter Smith, pag. 85, dans le second volume 
de Walker, Biographia Presbyteriana. Édimb., 1827. 

(2) t In 1684, the Scottish nation was in the most distressing and pitiable situation that 
can be imagined. > ... . . «Thestateofsocietyhadnowbecomesuch,that,inEdinburgh, 
attention to ordinary business was neglected,and every one was jealous of hisneighbour.» 
Bower, Hist. ofthe University ofEdinburgh, 1. 1, pag. 307. 

(3) « Upon the lOth of March, ail freeholders, heritors, and gentlemen in Nithsdale-and 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 333 

des habitants, qu'on jeta à bord de navires pour les envoyer 
dans des colonies malsaines ; on commença par couper les 
oreilles aux hommes et par marquer les femmes, soit sur la 
main, soit sur la joue (1). Cependant ceux qui restaient dans 
le pays n'étaient pas découragés, et ils étaient prêts à faire 
ce qui était nécessaire. En 1688, comme en 1642, les Écos- 
sais et les Anglais se réunirent contre leur oppresseur com- 
mun, qui échappa à leur colère par une fuite honteuse. 
C'était un lâche aussi bien qu'un despote, et l'on n'avait plus 
rien à craindre de sa part. Les évéques avaient certainement 
une grande affection pour lui ; mais ils n'étaient pas assez 



Annandale, and, I suppose, in most other shires of the kingdom, bat I Dame those as beiog 
the scène of the severities now used, were sammoned to attend the king's standard; and 
the militia in the several shires were raised. Wherever Claverhouse came, he resolved upon 
narra* and universal work. He nsed to set his horse npon the hills and eminences, and that 
in différent parties, that none might escape; and there his foot went throngh the lower, 
marshy, and mossy places, where tlje horse conld not do so well. The shire he parcelled ont 
in so many divisions, and six or eight miles square would be taken in at once. In every 
diTision,the whole inhabitants, men and women,yonng and old,without distinction, were 

ait driven into one convenient place. > « AU the children in the division were 

gathered together by themselves, nnder ten years, and a bore six years of âge, and a party of 
soldiers were drawn ont before them. Then they were bid pray, for they were going to be 
shot, Some of them would answer, Sir, we cannot pray. ».....• At other times, they 
treated them most inhnmanly, threatening them with death,and at some little distance 
wonld fire pistols withont bail in their face. Some of the poor children were frighted almost 
ont of their wits, and others of them stood ail ont with a courage perfectly above their âge. 
Thèse acconnts are so far ont of the ordinary way of mankind, that I wonld not hâve insert 
them, had I not before me several informations agreeing in ail thèse circnmstances, written 
at this time by people who knew the trnth of them. > Wodrow, Hist. of the Church of 
Scotiand, t. IV,pag. 955,256. 

(1) c Nnmbers were transported to Jamaica, Barbadoes, and the North American settle- 
ments ; but the women were not unfrequently bnrnt in the cheek, and the ears of the men 
were lopt off, to prevent, or to detect, their retnrn. » Laing, Hist. ofScotland, t. IV, 
pag. 162. c Great multitudes banished. > Wodrow, Hist. of the Church, t. IV, pag. 211. 
En juillet 1685, c the men are ordered to hâve their ears cropt, and the women to be marked 
in their hand. > Pag. 217. t To hâve the following sligma and mark, that they may be known 
as banished persons if they shall return to this kingdom, viz. that the men hâve one of 
their ears cnt off by the hand of the hangman, and that the women be burnt by the same 
hand on the cheek with a bnrned iron. » Pag. 218. Ce sont là des extraits des procès-verbaux 
du conseil privé. 



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534 HISTOIRE 

forts pour le protéger, et pouvaient à peine se protéger eex- 
mémes. Les Highlanders étaient les seuls amis puissants 
qu'il possédât. Ces montagnards barbares se rappelaient avec 
regret le temps où le gouvernement leur avait non seulement 
permis, mais même ordonné, de piller et d'opprimer leurs 
voisins du Sud. Charles II s'était servi d'eux dans ee bot, 
et il était de toute probabilité que si la dynastie des Stuarts 
était rétablie, leurs services seraient de nouveau requis, et 
qu'ils pourraient de nouveau s'enrichir en pillant les Low- 
hnders (1). La guerre était leur principal amusement, c'était 
aussi leur seul moyen d'existence et la seule chose qu'ils 
comprissent (2). En outre, le fait seul de la chute de Jac- 
ques, le fait qu'il ne possédait plus aucune autorité, augmen- 
tait considérablement leur sentiment de fidélité pour lui. Les 
Highlanders vivaient de rapine et florissaient dans l'anar- 
chie (3). Aussi détestaient-ils tout gouvernement assez fort 
pour punir le crime, et maintenant que les Stuarts avaient 
été chassés, cette nation de brigands les aimait avec une ar- 
deur que l'absence seule pouvait causer. De la part de Guil- 
laume III, ils pouvaient craindre quelques mesures restric- 
tives, tandis que le prince exilé ne pouvait leur faire aucun 



(1) t James II favonred the Highland clans. > Note dans Fountainhall, Scotlish Affaire 
front 1680 till 1701, pag. 100. Il ne pouvait guère faire autrement. Cette alliance était nata- 
relle et était faite pour lai. 

(2) Eicepté le vol qui fait pourtant toujours, sous une forme ou sous une autre, partie de 
la guerre et dans lequel ils étaient passés maîtres. Burnet (Hist. ofhis ovm Time, 1. 1, 
pag. 67) les décrit comme c goot at robbing, » et Burton (Lives of Lovai and Forbe» , 
pag. 47) dit : « To steal even vestments was considerably more créditante than to make 
them. * Du reste ils étaient absorbés dans leur passion pour la guerre. Voyez Thomson, 
Mémoire of the Jacobites. Lond., 1845, t. II, pag. 175,176. 

(3) i Rerenge was accouoted a duty, the destruction of a neighbour a meritorioas exploit, 
and rapine an honourable employaient. • Browne, Hist. ofthe Highlands, t. IV, pag. 385. 
« The spirit of rivalry between the clans kept up a taste for hostility, and eonverted rapine 
into a service of hononr. > Thomson, Memoirs of the Jacobites, t. H, pag. 939. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. 355 

tort, et considérerait leurs excès comme la conséquence na- 
turelle de leur zèle. Peu leur importait le principe de sue- 
cession monarchique, peu leur importait la doctrine du droit 
divin (1). La seule succession qui les intéressait était celle 
de leurs propres chefs; la seule notion de droit qu'ils con- 
nussent était d'obéir aux ordres de ces chefs. Comme ils 
étaient extrêmement pauvres (2), ils ne couraient aucun 
risque en soulevant une rébellion, excepté celui de leur vie, 
chose de peu d'importance dans un pareil état social. En cas 
de non-succès, il y avait pour eux ce qu'ils considéraient 
comme une mort honorable. S'ils réussissaient, ils gagnaient 
réputation et richesses. Us étaient en tous cas certains de 
nombreuses jouissances. Ils étaient certains de pouvoir, au 
moins pendant quelque temps, se livrer au pillage et au 



(1) Gomme ils n'étaient frappés que par les qualités physiques des individus, ils furent 
dégoûtés en 1715 par l'apparence du prétendant, en dépit de son arbre généalogique. Voyei 
Bttrton, HUt. ofSeotland from 1689 to 1748. Lond., 1853, t. II, pag. 196, 199. A la pag. 383, 
M. Burton observe : « Those who really kneir the Highlanders were aware that the follo- 
wers were no more innate supporters of King James's claim to the throne of Britain, thon 
of Maria Teresa's to the throne of Hungary. They went with the policy of the head of the 
clan, whatever that might be ; and thongh upwards of half a ceotury's advocacy of the exiled 
honse (ceci a trait à la dernière rébellion de 1745) had made Jacobitism appear a politîe&l 
creed in some clans, it was among the followers, high and low, Utile better than a nomen- 
clature, winch might be changed with circnmstances. > Depuis Robert son, M. Burton et 
H. Chambcrs sont, selon moi, les deux écrivains qui ont les vues les plus larges sur l'his- 
toire d'Ecosse. L'histoire de Robertson s'arrête i la période la plus importante, et il avait 
peu de matériaux à sa disposition ; mais il s'en est servi avec un talent remarquable. Son 
histoire d'Ecosse est son meilleur ouvrage. 

(2) On peut comparer nne curieuse description de leur apparence, donnée par le Derby 
Mercure en 1746 (Thomson, Memoirs of the Jacobites, t. III, pag. 115), avec la descrip- 
tion dans Anderson, Prize Eêsay on the Highlands. Édimb., 1827, pag. 128. « Gattle 
were the main resonrces of the tribe — the acquisition of thèse the great object of their 
hostile forrays. The precarious crops gave tnem wherewithal to bake their oaten cakes, or 
distil their aie or whisky. When thèse failed, the crowded population suffcred every extrême 
of misery and want. At one time in particular, in Sutherland, they were compellod to 
subsist on broth made of nettles, thickened with a little oatmeal. At another, those who 
had caUle, to hâve recourse to the expédient of bleeding them, and mixing the blood with 
oatmeal, wbich they afterwards eut into slices and fried. > 



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336 HISTOIRE 

meurtre, et à tous les excès qui étaient pour eux la véritable 
récompense d'un soldat. 

Aussi, loin d'être surpris des rébellions, de 1715 et 
de 1745 (1), la seule cbose étrange c'est que ces révoltes 
n'aient pas éclaté plus tôt, et qu'elles n'aient pas été mieux 
supportées. En 1745, lorsque l'invasion soudaine des re- 
belles frappa l'Angleterre de terreur, lorsqu'ils pénétrèrent 
jusqu'au cœur du royaume, leur armée, y compris les ruines 
des basses terres et des provinees anglaises, ne dépassa 
jamais six mille hommes (2) ; et ils éprouvaient si peu de 
sympathie pour la cause qui leur avait mis les armes à la 
main, qu'en 1715, à l'époque où ils étaient beaucoup plus 
nombreux qu'en 1745, ils refusèrent d'envahir l'Angleterre 
et d'attaquer le gouvernement, jusqu'à ce qu'on leur eut 
promis une paie plus élevée (3); et également en 1745, 
après avoir gagné la bataille de Preston-paos, les Highlan- 

(1) Plusieurs écrivains les appellent par erreur t unnatural. > Voyez, par exemple, Rae, 
Hist. oflhe Rébellion. Lond., 1746, pag. 158, 109, et Home, Hist. ofthe Rébellion. Lond., 
1802, in-4-,pag. 347. 

(2) iWhftn the rebels began their march to the southward,they were not 6,000 men 
complète. > Home, Hist. of the Rébellion in the year 1745, in-4% pag. 137. A Stirling, 
l'armée « afler the jonction was made, amonnted to somewhat more than 9,000 men , the 
greatest nnmber that Charles ever had nnder his command. > Pag. 164. Mais le nombre de 
ceui qni envahirent l'Angleterre était bien moins considérable. iThe nnmber ofthe rebels 
when they began their march into England was a few above 5,000 foot, with abont 500 on 
horeeback. > Home, pag. 331. Browne {Hist. ofthe HighlandSj t. III, pag. 140 ) dit : « When 
mnstered at Garlisle, the prince's army amonnted only to abont 4,500 men; and Lord 
George Mnrray states that, at Derby, t we were not above five thonsand fighting men, if so 
many. » Jacobite Memoirs ofthe Rébellion o/*1745, édités par Robert Ghambers. Édimb., 
1834, pag. 54. Un autre écrivain, s'appnyant sur la tradition, dit : t Charles, at the head of 
4,000 Highianders, marched as far as Derby. > Brown, Hist. of Glasgow. Édimb., 1797, 
t. II, pag. 41. Comparez Johnstone, Memoirs of the Rébellion. Lond., 1822, 3* édit., 
pag. ixxtii, xxiyiit, 30 32, 52. Johnstone dit (pag. 60) : «M. Patnllo, onr mnster-master, 
reviewed onr army at Carlisle, -when it did not eiceed four thonsand five hnndred men. » 
Plus tard, retournant en Ecosse, « onr army was snddenly increased to eight thonsand men 
the double of what it was when we were in England. * Pag. 111. 

(3) t Orders were given to proceed in the direction of Carlisle, and recall the deUchment 
sent forward to Dnmfries. The Highianders, still trne to their stagnant principles,refased 



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tiE LA CIVILISATION EN ANGLETRREE. 337 

ders, au lieu de profiter de cette grande victoire et de 
frapper un nouveau coup, désertèrent en masse, afin de 
mettre en sûreté le butin qu'ils avaient fait, et qui était en 
réalité tout pour eux. Peu leur importait que la victoire fût 
aux Stuarts ou au prince hanovrien; il leur était impossible/ 
même dans ce moment critique, dit l'historien, de résister 
au désir de retourner dans leurs vallées, et de décorer leurs 
cabanes avec leur butin (1) . 

11 n'y a rien au monde de plus absurde que cette propen- 



obedience. » • Pecnniary negotiations were now commenced, and they were 

offered sixpence a day of regalar pay — reasonable remuneratioo at that period to ordinary 
troops, but to the wild children of the moaniain a glittering bribe, whiçh the most steady 
obstinacy would alone resist. It was partly effective. • Burton, Hi$t. of ScoUand, t. II, 
pag. 168. i And from this day, the Highlanderg head siipence a had per day payed them to 
keep them in good order and under command. > Patten, Hist. ofthe Late Rébellion, Lond., 
1717, pag. 73. Voyez aussi, an sujet de la répugnance des Highlanders i envahir l'Angleterre, 
Rae, Hist. ofthe Rébellion. Lond., 1746, 2* édit., pag. 270, 271. Browne dit {Hist. ofthe 
Highlands, t. II, pag. 300, 30*; : « The aversion of the Highlanders, from différent consi- 
dérations, to a campaign in England, iras almost insuperable; » mais « by the aid of great 
promises and money,the greater part ofthe Highlanders were prevailed npon to follow the 
fortunes of their commander. » 
(1) « Few Tictories hâve been more entire. It is said that scarcely two hundred of the 

infantry escaped. > < The Highlanders obtalned a glorious booty in arms and clo- 

thes, besides self-moving watches, and other products of civilisation, which surprised'and 
puzsled them. Excited by such acquisitions, a considérable number could not resist the old 
practice of their people to return to their glens, and decorate their hnts with their spoil. • 
Burton, Hist. ofScotland, t. II, pag. 465. Comparez Home, Hist. ofthe Rébellion , pag. 123. 
C'était chez eux une vieille coutume, comme Montrose s'en était aperçu un siècle aupara- 
vant : c When many of the Highlanders, being loaded with spoil, deserted privately, and 
soon after returned to their own country. > Wishart, Mémoire ofthe Marquis of Mont' 
rose. Édimb., 1819, pag. 189. Et Burnet {Mémoire ofthe Dukes ofHamiUon, pag. 272) : 
t Besides, any companies could be brought down from the Highlands might do well enough 
for a while, but no order could be ezpected from them, for as soon as they were loaded 
with plunder and spoil, they would run awayhome to their lurking holes,and désert those 
•who had trusted them. » Voyez aussi pag. 354. Un écrivain plus récent, jetant un voile sur 
cette petite infirmité, remarque avec beaucoup de délicatesse que c the Highlanders, brave 
as they were, had a custom of returning home after a battle. > Thomson, Mémoire of the 
Jacobites. Lond., 1845, 1. 1, pag. 122. Souvent ils commençaient par voler leurs compagnons 
d'armes. En 1746, Bisset écrit : « The Highlanders, who went off after the battel, carried off 
horses and baggage from their own men, the Lowlanders. » Diary ofthe Révérend John 
Bisset, dans Miscellany ofthe Spaîding Club. Aberdeen, 1841, in-4% 1. 1, pag. 377. 



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338 HISTOIRE 

sion poétique et menteuse à représenter le soulèvement 
des Highlanders comme l'explosion du dévoùment et de 
la fidélité. Rien n'était plus loin de leur pensée. Les 
Highlanders ont à rendre compte d'assez de crimes, pour 
qu'il soit inutile de leur adresser des reproches immérités. 
Us étaient des voleurs et des meurtriers; mais c'était là leur 
mode d'existence, et ils n'en éprouvaient aucune honte. 
Ils étaient ignorants et féroces; mais ils n'étaient pas assez 
fous pour être personnellement attachés à cette famille 
dégradée, qui occupait le trône d'Ecosse avant l'avènement 
de Guillaume III. On ne pourrait excuser une affection pour 
des hommes tels que Charles II et Jacques II, que comme le 
résultat d'un de ces goûts étranges dont on entend quelquefois 
parler. Mais aimer tous leurs descendants; éprouver une affec- 
tion assez compréhensive pour englober la dynastie tout 
entière, et, afin de satisfaire cette passion elcentrique, non 
seulement se condamner à de grandes privations, mais encore 
faire un tort immense à deux royaumes, c'eût été folie aussi 
bien que méchanceté; et de pareils sentiments prouveraient 
chez les Highlanders une démence qui était complètement 
étrangère à leur nature. Ils se soulevèrent parce que l'insur- 
rection convenait à leurs mœurs, et parbe qu'ils détestaient 
tout gouvernement (1). Loin d'aimer le monarque, l'insti- 
tution même de la monarchie leur était antipathique. Elle 



(1) t Wheerer desired, with the sword, to distnrb or overturn a fixed government, was 
sure of the aid of the chiefs, becanse a settled ge*ernment wasrainoos to their power, and 
almost inimical to their existence. The more it cnltivated the arts of peace, and throve on 
indostrially created well-being, the more did it drive into an antagonist position a people 
who did not change their nature, who madeno indnstrial progress, and who lived by the 
swords which acqnired for them the fraits of other men's industry. With their interests, a 
peacefal, strong gOTernment was as inconsistent as a well-gnarded sheepfold with the inté- 
rêt of wolves. » Burton, HUt. ofScotland, 1. 1 , pag. 105, i0& i The Highlanders, in aU 
reigns, hâve been remarkable for distnrbing the established gorernment of Scotland by 



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DE LA CIVILISATION BN ANGLETERRE. 339 

était contraire à l'esprit de clan auquel ils étaient dévoués 
corps et âme; dès leur plus tendre enfance, ils étaient 
accoutumés à n'avoir de respect que pour leurs chefs, 
auxquels ils accordaient volontiers l'obéissance la plus com- 
plète, et qu'ils considéraient comme supérieurs à tous les 
potentats du monde (1). Quiconque connaît à fond leur 
histoire sait fort bien qu'ils étaient incapables de verser 
teur sang en faveur de n'importe quel souverain; et il est 
encore moins croyable qu'ils aient pu quitter leurs foyers, 
et entreprendre des marches longues et dangereuses, dans 
le seul but d'ame»er la restauration de cette dynastie cor- 



takrag np aras on every invasion for the invadere. * Marchant, Hist. ofthe présent Rébel- 
lion. Lond., 1746, pag. 18. Voyez aussi Macky, Journey through Scotland. Lond., 1733, 
pag. 129, et une description courte, mais curieuse des Highlanders, en 1744, dans The 
Miscellany ofthe SpalcUng Club, t. Il, pag. 87-89. 

(1) Un observateur, qui était en excellente position pour étudier leur caractère pendant 
la période qui s'écoula entre les rébellions de 1715 et de 1745, dit : c The ordinary Highlan- 
ders esteem it tèe mptt sublime degree of virtue to love their chief, and pay him a blind 
obédience, altbough it be in opposition to the government, the laws ofthe kingdom, or even 
to thelaw of God. He is their idol; and as they prof ess to know no king but him (I wag 
going farther ), so will they say, they ought to do whatever he commands, without inquiry. > 
Letters from a Gentleman in the North of Scotland, édit. Lond., 1815, t. II, pag. 83,84. 
t The Highlanders in Scotland are, of ail men in the world, the soonest wronght upon to 
ollow their leaders or chiefs into the h'eld, having a wonderful vénération for their Lords 
and Chieftains, as they are called there : Nor do thèse people ever consider the validity 
of the engaging cause, but bttndly folle-* their chiefs into what mischief they please,and 
thath with the greatest précipitation imaginable. > Patten, Hist. ofthe Rébellion. Lond., 
1717, pag. 151. « The power of the chiefs over their clans was the true source of the two 
rebellions. The clansmen cared no more about the legitimate race of the Stuarts, than they 

did about the war of the Spanish succession. > « The Jacobite Highland chiefs 

ranged their followere on the Jacobite side — the Hanoverians ranged theirs on the side of 
government. Lovat's conduct was a sort of experimentum crucis; he made bis clan 
Hanoverian in one rébellion, and Jacobite in another. > Burton, Lives of Lovât and 
Fortes, pag. 150. Comparez Browne, Hist. ofthe Highlands, t. II, pag. 285. Même à 
l'époque de la guerre d'Amérique» le chef de clan était considéré comme supérieur au sou- 
verain. « One Captain Frazer from the northern district, brought down a hundred of nia 
clan, ail of (be name of Frazer. Few of them could understand a word of English; and the 
only distinct idea they had of ail the mustering of forces which they saw around them, was 
that they were going to fight for King Frazer and George ta Three. » Penny, Traditions of 
Perth. Perth, 1836, pag. 49, 50. 



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540 HISTOIRE 

rompue et tyrannique, dont les crimes avaient appelé le 
courroux du ciel, et dont les cruautés avaient fini par faire 
bouillir le sang dans les veines des individus les plus 
humbles et les plus doux. 

La vérité est que les révoltés de 1714 et de 1745 furent, 
dans notre pays, la dernière lutte entre la barbarie et la 
civilisation. D'un côté, la guerre et la confusion : de l'autre 
coté, la paix et la prospérité, c'étaient là les intérêts pour 
lesquels on se battait réellement; personne ne se souciait 
des Stuarts ou des Hanovriens. On ne pouvait éprouver 
aucun doute quant au résultat de ce conflit dans le dix-hui- 
tième siècle. A l'époque où elles éclatèrent, ces rébellions 
causèrent une grande alarme, non seulement à cause de la 
soudaineté avec laquelle elles se manifestèrent, mais encore 
à cause de l'apparence étrange et féroce des Highlanders (1). 
Mais nous avons aujourd'hui la preuve que le succès était 
dès le premier moment impossible. Bien que le gouverne- 
ment fut très négligent, et se laissât surprendre dans les 



(i) Ce qui fit croire qu'ils étaient cannibales. « The late Mr. Halkston of Rathillet, who 
had been in this expédition (la rébellion de 1745), told Mr. Young that the belief was 
gênerai among the people of England, that the Highlanders ate children. » Johnstone, 
Mémoire ofthe HebeUion. Lond., 1832, 3* édit., pag. MM. Cette rumeur, malgré son absur- 
dité, emprunta quelque vraisemblance à la conduite révoltante des Highlanders dans la 
première rébellion de 1715, pendant laquelle ils commirent dans les basses terres des 
outrages horribles sur les cadavres qu'ils déterrèrent. Voyez les témoignages contemporains 
dans la Correspondance ofthe Rev. Robert Wodrow, publiée par la Wodrow Society, 
t. II, pag. 86, 87, 93. c They hâve even raised up some of my Lord Rothes's children and 
mangled their dead bodies. i c till the stenth put them away. • Eu 1745, ils signa- 
lèrent leur entrée en Angleterre de la manière suivante : c The rebels, during their stay in 
Gsrlisle, committed the most shocking détestable viUanies ; for, not contented with robbing 
families of their most valuable effects, they scrupled not to act their brutal insolence on 
the persons of some young ladies, even in the présence of their parents. A gentleman, in a 
letter to his friend in London, writes thus : c That, after being in a manner stripped of 
e?ery thing, he had the misery to see three of his daughters treited in such a manner 
that he could not relate it. • Marchant, RUt. ofthe présent Rébellion. Lond., 1746, 
pag. 181, 182. 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETERRE. U\ 

deux occasions, il n'y avait aucun danger véritable (1). Les 
Anglais, qui n'aimaient pas beaucoup les Stuarts ou les 
Highlanders, refusèrent de se soulever (2), et on ne peut 
supposer sérieusement que quelques milliers de bandits à 
demi nus pussent parvenir à imposer à l'Angleterre le roi 
auquel elle devait obéir, et le gouvernement sous lequel elle 
devait etister. 

Après 1745, les troubles cessèrent. Les intérêts de la 
civilisation, c'est à dire les intérêts de la liberté, de la pro- 
priété, des lumières, prirent peu à peu la haute main, et 

(1) Même lorsqu'ils eurent pénétré jusqu'à Derby, ils désespéraient du succès. Voyez The 
Lockart Paper s. Lond., 1817, in-4", t. II, pag. 458 : « The nezt thiog to be considered of, 
vas what vas now to be doue; they were now at Derby, with an army not half the numbér 
of what they were reported to be, surrounded in a manner with régalât troops on ail sides, 
and more than double their number. To go forward, there was no encouragement, for their 
friends ( if they had any ) had kept fittle or no correspondance with them from the time they 
entered England. » Le chevalier de Johnstone, qui prit une part active dans la rébellion, dit 
franchement : i If we had continuée to advance to London, and had encountered ail the 
troops of England, with the Hessians and Swiss in its pay, there was every appearance of 
•ur being immediately exterminated» without the chance of a single man escaping. i John- 
atone, Memoir$ ofthe Rébellion in 1745 and 1746, pag. 79. 

(2) Lord George Murray, commandant en chef en 1745, n'était pas disposé à s'avancer au 
sud de Carliste, < without more encouragement from the country than we had hitherto 
got. • Voyei son compte rendu dans The Jacobite Mémoire of the Rébellion of 1745, 
édités par R. Chambers. Êdimb., 1834, pag. 48. Mais on repoussa ses prudents avis. Les 
Highlanders marchèrent en avant, et il arriva ce que toute personne connaissant l'Angle- 
terre aurait pu facilement prédire. Johnstone (Memoirs of the Rébellion, pag. 70) dit : 
c In case of a defeat in England, no one in our army conld by any possibility escape de- 
struction, as the English peasants were hostile towards us in tlie highest degree; and, 
besides, the army of Marshal Wade was in our rear, to eut us off from ail communication 
with Scotland. » Et i la pag. 81 : « In every place we passed lhrough,we fonnd the English 
very ill disposed towards us, eicept at Manchester, where the appeared some remain» of 
attachment to the house of Stuart. > Le champion du pouvoir arbitraire trouverait aujour- 
d'hui un spectacle bien différent dans ce magnifique spécimen de la prospérité anglaise. Mais 
il y a un siècle, les hommes de Manchester étaient pauvres et ignorants, et ce que dit 
Johnstone i leur sujet est confirmé par Home, qui dit : < At Manchester, several gentlemen, 
and about 900 or 300 of the common people, joined the rebel army; thèse were the onty 
EnglUhmen (a few individuals excepted) who joined Charles in his march through 
the. country of England. » Home, Hist. of me Rébellion in 1745. Lond., 1801, in*4% 
pag. 145. En 1715, les Anglais refusèrent de marcher, excepté à Manchester. Voyez Patten, 
Hist. ofthe laie Rébellion. Lond., 1717, pag. 89, 106. 

T. IV S 



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342 HISTOIRE 

jetèrent complètement dans l'ombre des hommes tels que les 
Highlanders. On fit des routes à travers leurs pays, et, pour 
la première fois, des voyageur^ venant du Sud se mêlèrent 
avec eux dans leurs vallées sauvages, et jusqu'alors inacces- 
sibles (1). Dans ces parties de l'Ecosse, le mouvement fut 
en réalité très lent ; mais dans les terres basses, il fut beau- 
coup plus rapide. En effet, les marchands et les habitants 
des villes commençaient à prendre de l'ascendant, et leur in- 
fluence aida à neutraliser les anciennes habitudes guerrières 
et anarchiques. Vers la fin du dix-septième siècle, le goût 
des spéculations commerciales commença à se développer, 
et l'énergie de l'Ecosse se jeta dans cette nouvelle voie qui 
s'ouvrait devant elle (2). Au commencement du dix-huitième 



(1) L'établissement de ces routes causa un grand mécontentement. Pennant , qni visita 
l'Ecosse en 1769, dit: i Thèse pnblick works were at first very disagreeable to the old 
chieftains, and iessened their influence greatiy; for by admitting straogers among them, 
their claos were taught that the Lairds were not the first of men. > Pennant, Tour in 
Scotland. Dublin, 1775, 4* édit., 1. 1, pag. 204. Vers la Jîn du dix-huitième siècle ces senti- 
ments commencèrent à disparaître, t Tilt of late , the people of Kiotail , as well as other 
Highlands, had a strong aversion to roads. The more inaccessible , the more secure, was 
their maxim. » Sinclair, Statistical Account of Scotland. Édimb., 1793, t. VI, pag. 244. 

(2) « Soon after the establishment of the révolution seulement, the ardent feelings of the 
Scottish people were turned out of their old channels of religions controversy and war in 
the direction of commercial enterprise. » Burton , Criminal Trials in Scotland, 1. 1, 
pag. 104. Comparez Burnet, Hist. ofhis own Time, t. IV, pag. 286, 287, et la note (pag. 419) : 
c The lords and commons of Scotland were then desirous of getting into trade. > C'était 
en 1699 qu'il écrivait. En 1698, Fletcher of Saltoun disait : t By no contrivance of any man 
but by an nnforeseen and unexpected change of the genius of this nation, ail their thonghts 
and inclinations, as if united and directed by a higher power, seem to be turned opon 
trade, and to conspire together for its advancement. » First Discourse on the Affairs of 
Scotland , dans Fletcher of Saltoun, Political Works. Glascow, 1749, pag. 57. Ceci inquiéta 
le clergé. En 1709, le révérend Robert Wodrow exprime l'opinion dans une de ses lettres 
que « the sin of our too great fondness for trade , to the neglecting of our more valuable 
interests, I humbly thinkwill bewritten upon our judgment. » Wodrow, Correspondence* 
Édimb., 1842, in-8% 1. 1, pag. 67. Dans la même année, quelques navires ayant été capturés 
par les Français , une partie de la perte tomba sur Glascow. Sur ce Wodrow écrivit : 
< It's said that in ail there is about eighty thousand pound sterling lost there , whereof 
Glasgow has lost ten thousand pound. I wish trading persons may see the language of soch 
a Providence. I am sure the Lord is remarkably frouning upon our trade, in more respects 



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DE LA CIVILISATION EN ANGLETRREE. 543 

siècle, la même tendance se montra dans la littérature ; les 
ouvrages sur les sujets commerciaux et économiques devin- 
rent assez nombreux (1). Le changement dans les mœurs 
fut perceptible vers cette époque : les Écossais commencèrent 
à perdre en partie cette férocité rude qui les distinguait 
autrefois. Cette amélioration se montra de différentes ma- 
nières; une des plus remarquables fut un changement qui 
se manifesta pour la première fois en 1710, époque à laquelle 
on remarqua que les hommes cessaient de porter les ar- 
mures qui avaient été jusqu'alors portées par tous ceux qui en 
avaient le moyen, comme une précaution utile dans une 
société barbare, et par conséquent guerrière (2). 

than one, since it was pat in the room of religion, in theiate altération of onr constitution. • 
Wodrow, Analeeta, in-4% 1. 1, pag. 218, publication do Mailland Club. 

(1) Laiog {Hist.of Scotland, t. IV, pag. 296), en 1703, disait : < E ver since the projected 
seulement at Darien, the genius of the nation had acquired a new direction; and ai the 
press is the trne criterion of the spirit of the times, the numerous productions on political 
and commercial snbjects, with which it daity teemed, had snpplanted the religions disputes 
of the former âge. > Malheureusement pour l'Ecosse ces disputes religieuses ne furent pas 
supplantées. Néanmoins le mouvement était immense et évident. 

(2) t It was only in 1710, thaï they began to throw off their armour, and allow the soldier 
to merge into the qniet and industrious craftsman. » Penny, Traditions ofPerth. Pertb, 
1836, pag. 335. Cette particularité s'applique aux citoyens de Perth. 



FIN DU TOME QUATRIÈME. 



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TABLE DES MATIÈRES 



CHAPITRE XV 

Esquisse de l'histoire de l'intellect espagnol depuis le cinquième 
siècle jusqu'au milieu du neuvième 5 

CHAPITRE XVI 

État de l'Ecosse jusqu'à la fin du quatorzième siècle 180 

CHAPITRE XVII 
Situation de l'Ecosse aux quinzième et seizième siècles .... 226 

CHAPITKE XVm 

Situation de l'Ecosse pendant le dix-septième et le dix-huitième 
siècle 298 



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UNIVERSITY OF MICHIGAN 




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FNIVERSITY or mcm&AN 
HEÎOLY VIGNAUD 

MBRAHir 



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