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I
HISTOIRE
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COMPAGNIE DE JÉSUS
EN FRANGE
DES ORIGINES A LA SUPPRESSION
(1528-1762)
TOME I
LES ORIGINES ET LES PREMIÈRES LUTTES
(1528-1575)
P A It
Le P. Henri FOUQUERAY, S. J.
PARIS
LIBRAIRIE ALPHONSE PICARD ET FILS
82, RUE BONAPARTE (G')
1910
HISTOIRE
DE LA
COMPAGNIE DE JÉSUS
EN FRANGE
jfpROV.S.
NIHIL OBSTAT
P. BLIARD.
IMPRIMATUR
Parisiis, die 8à octobris 1909.
P. Fages,
vie. (/en.
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HISTOIRE
DE LA
COMPAGNIE DE JÉSUS
EN FRANGE
DES ORIGINES A LA SUPPRESSION
(1528-1762)
TOME I
LES ORIGINES ET LES PREMIÈRES LUTTES
(1528-1575)
PAR
Le P. Henri FOUQUERAY, S. J. &
15* y
Tkov.S.JOSEPH|
PARIS
LIBRAIRIE ALPHONSE PICARD ET FILS
82, RUE BONAPARTE (6e)
1910
APR 221969
PREFACE
L'ouvrage dont nous publions aujourd'hui le premier volume
a été entrepris à la fin de l'année 1895, lorsque le T. R. P. Louis
Martin, vingt-troisième successeur de saint Ignace, répondant à
un vœu de la vingt-quatrième Congrégation générale, résolut
de faire écrire l'histoire de la Compagnie de Jésus et décida que
chaque Assistance se chargerait de la sienne1.
Désigné alors comme historien de la France, le R. P. Victor
Mercier dirigea le travail pénible des recherches pour la période
antérieure au règne de Louis XIV. Malgré le dévouement de ses
auxiliaires, il dut lui aussi dépouiller et transcrire un grand
nombre de documents. En même temps il mit tout de suite un
peu d'ordre dans les matériaux déjà rassemblés, et rédigea sous
forme de compilation toute l'histoire de notre premier siècle.
La mort le surprit quand il commençait à refondre son manus-
crit assez défectueux. Rien qu'il ait laissé beaucoup à faire après
lui, nous avons profité de ses notes et de sa première rédaction,
recueilli le fruit de sa patiente érudition et de ses nombreuses
lectures. Aussi croyons-nous remplir un devoir de justice en
signalant ici, avant tout, son utile et importante collaboration.
L'Histoire de la Compagnie de Jésus dans l'Assistance de France,
depuis les origines jusqu'à la suppression, présente trois périodes
I. Ont déjà paru : Hisloria de la Compania de Jésus en la Asistencia de Espana,
por el P. Antonio Astrain, S. J. tomo I, San Ignacio de Loyola; tomo II, Lainez,
Borja (Madrid 1902, 1905). — Geschichte der Jesuiten in den Landern dculscher
Zunge im XVI Jahrhundert, von Bembard Duhr S. J. (Freiburg 1907). — The His-
torij of the Society of Jésus in Norlh America colonial and fédéral, by Thomas
Hughes, S. J., Text, volume I; Documents, volume I (London Hi07). — Storia
délia Compagnia di Gesù in Italia, dal P. Pietro ïacrbi Venturi, D. M. C, vol. I-
La vita religiosa in Italia durante la prima età dell' ordine. (Roma-Milano 1909).
vi PREFACE.
caractérisées par les luttes que cet Ordre eut à soutenir contre le
protestantisme, le jansénisme et le philosophisme.
La première est celle où la Compagnie se montra, dans notre
pays, comme l'avant-garde de l'Église romaine contre les enne-
mis de son autorité divine. Elle commence un peu avant la se-
conde moitié du xvi' siècle pour finir vers le milieu du xvne,
et elle exigera plusieurs volumes. Sous les généralats de saint
Ignace, du Père Lainez, de saint François de Borgia, des PP. Mer-
curian, Aquaviva et Vitelleschi, nous verrons les assauts donnés
par les Jésuites a l'hérésie envahissante, et leurs œuvres pour le
réveil de la foi. Tout en constatant l'attitude généralement favo-
rable des municipalités, du clergé, de la cour et surtout du
pouvoir royal sous Henri II, François II, Charles IX, Henri III,
Henri IV et Louis XIII, nous aurons à raconter les difficultés de
l'admission légale dans le royaume, les procès avec l'Université,
l'hostilité du Parlement et les controverses avec les réformés.
Nous assisterons à la fondation de la plupart des maisons pro-
fesses, collèges, résidences, noviciats, missions, et à la formation
successive des Provinces de France, d'Aquitaine, de Lyon, de
Toulouse, de Champagne, dont se composa peu à peu Y Assistance
de France, la cinquième créée dans la Compagnie de Jésus1.
L'histoire d'une Société dont la vie a été intimement liée à
celle de l'Église, exige de la part de l'écrivain, et, proportion
gardée, de la part môme du lecteur, une connaissance préalable
des questions religieuses. Nous les avons traitées dans la mesure
qui nous semblait indispensable pour éclairer la ligne de con-
duite tenue par la Compagnie. Nous n'avons pu, pour un motit
analogue, nous dispenser de quelques incursions sur le terrain
politique lorsque la matière le demandait : isoler les faits des
circonstances qui les accompagnent serait les obscurcir ou les
dénaturer.
L'étendue de notre sujet est considérable. La Compagnie de
Jésus, assez florissante même avant le règne de Henri IV, s'est
ensuite rapidement répandue dans tout le royaume ; tandis qu'elle
1. Voici l'ordre de la création des Assistances de l'ancienne Compagnie : Italie, Por-
tugal, Espagne et Germanie (1558); France (1608); Pologne (1755).
PREFACE. vu
y multipliait ses ministères, ses œuvres, ses collèges et ses mis-
sions, elle fondait encore à l'étranger, en Ecosse, au Canada,
dans les pays du Levant et ailleurs, ses colonies d'apôtres fran-
çais. Son histoire offre donc une assez grande variété de faits.
Elle embrasse sa vie intime, ses relations avec les pouvoirs
établis, son activité apostolique et sociale, ses combats pour
l'orthodoxie, ses travaux littéraires et scientifiques, ses efforts
dans le domaine de l'ascétisme, de l'éducation et de l'ensei-
gnement.
Nous nous sommes efforcé de présenter ces différents aspects
d'une action multiple et simultanée de façon à éviter la confusion,
l'enchevêtrement de récits coupés et inachevés. Il ne fallait pas
songer à choisir, à l'exclusion des autres, l'un des trois ordres,
chronologique, géographique et logique, suivant lesquels toute
matière historique peut être distribuée. Les auteurs de l'histoire
latine de la Compagnie de Jésus, sauf Jouvancy, ont suivi l'ordre
chronologique, année par année, et ont écrit des annales plutôt
qu'une histoire ; l'ordre géographique leur a servi de division et
l'ordre logique de subdivision. Au lieu de composer des annales
comme Orlandini, Sacchini et leurs continuateurs, ou de grouper
les faits d'après leurs espèces, comme Jouvancy, nous conserve-
rons l'ancien usage des périodes délimitées par quelque événe-
ment important, et dans chaque période nous suivrons de préfé-
rence l'ordre exigé par la clarté du récit. Ainsi pour le xvie siècle,
époque de formation et ensuite de dispersion, l'ordre chrono-
logique dominera, mais entremêlé aux deux autres; pour le
xvne siècle, où la Compagnie, dès son rétablissement, prend une
grande extension, c'est plutôt l'ordre logique qui s'impose.
On s'est plaint parfois de la pauvreté relative des documents
originaux concernant la Compagnie de Jésus. Une telle plainte
n'a pu être formulée que par les auteurs qui n'ont pas su ou
qui n'ont pas voulu chercher. Assurément, les fréquentes tem-
pêtes qui ont assailli cet Ordre religieux, constamment persécuté,
ont causé des pertes regrettables ; mais les témoignages directs,
contemporains, faciles à contrôler, existent encore nombreux
dans les bibliothèques et les archives publiques en France, en
Italie, en Espagne, en Belgique, en Angleterre, en Allemagne.
vin PREFACE.
La bibliothèque nationale, les archives nationales, les archives
des départements et des communes conservent, dans ce genre,
des dossiers parfois abondants. A Rome, l'Archivio di Stato et
les Archives Vaticanes. à Paris les Archives du ministère des
Affaires Étrangères et celles du ministère de la Marine oifrent à
l'historien de la Compagnie des matériaux qui jusqu'à ce jour
ont été peu utilisés.
Voulant remonter aux sources et ne nous appuyer, dans la
mesure du possible, que sur des documents de première main,
nous avons exploré ces riches dépôts. Grâce à la complaisance
de ceux qui en ont la garde, — et auxquels nous adressons nos
sincères remerciements, — grâce aussi à d'actifs collaborateurs1,
que la difficulté des recherches n'a jamais rebutés, nous pensons
avoir satisfait sur ce point aux désirs des érudits les plus exi-
geants.
Toutefois, c'est surtout aux recueils de documents conservés
dans diverses provinces et maisons de la Compagnie, que nous
avons pris la matière la plus importante de cet ouvrage. Plusieurs
de ces recueils sont en cours de publication, par les soins des
Pères de l'Assistance d'Espagne, sous le titre de Monumenta His-
torica Societatis Jesu; les premiers volumes nous ont beaucoup
servi pour les débuts de notre histoire; mais, pour la suite,
nous avons largement puisé clans des recueils ou des liasses de
documents originaux, inédits, dont on trouvera la nomenclature
à l'introduction bibliographique.
Dans la transcription des textes authentiques, nous avons
observé les règles tracées par le Congrès des historiens allemands,
tenu à Francfort2, et qui ont maintenant force de loi. Que nos
documents soient intercalés dans le récit, ou cités en note, ou
insérés en pièces justificatives, nous avons veillé à les reproduire
de la manière la plus exate en conservant jusqu'à l'orthographe
des noms propres avec toutes leurs variations. Nous avons placé
1. Nous devons une reconnaissance toute spéciale aux PP. Ernest Rivière, Ferdi-
nand Tournier et Félix Rivier, qui ont apporté leur précieux concours aux travaux
préparatoires de la documentation.
2. Bericht iiber die dritte Versammlung deutscher Historiker, i8. bis 21. april,
T895,ïn Frank fart a. M. (Leipzig, Verlag von Duncker und Humblot, 1895;Svo,pp. 44).
Les règles se trouvent pp. 18-25.
PRÉFACE. ix
entre crochets [ ] les rares corrections que nous nous sommes
permises par suite d'un oubli du copiste, d'un accident survenu
au manuscrit, ou d'une erreur évidente. Dans les citations mêlées
au contexte nous avons, pour rendre la lecture plus facile,
marqué les accents et les apostrophes, complété ou rectifié la
ponctuation, rétabli entre l'u et le v une distinction ignorée
autrefois. Nos documents latins, italiens ou espagnols ont été
traduits avec toute la fidélité possible.
Cette préférence pour les pièces originales, et les témoignages
contemporains des événements, ne nous a point fait dédaigner
les ouvrages postérieurs, relatifs à l'époque objet de nos études,
ni les histoires, mémoires, monographies et biographies con-
cernant la Compagnie de Jésus en France. Nous avons consulté,
non sans fruit, les travaux de nos devanciers, l'histoire latine
des PP. Orlandini, Sacchini, Poussines, Jouvancy et Cordara;
les publications du P. Carayon; les études si documentées du
P. Prat et du P. Cros; les ouvrages très complets du P. de Roche-
monteix; les relations des missionnaires et les livres de polé-
mique. Les emprunts que nous leur avons faits, ont été, autant
que possible, confrontés avec les pièces originales.
L'histoire latine, — nous avons pu nous en assurer par le
dépouillement des manuscrits conservés dans la Compagnie, —
mérite toute notre confiance. Il est seulement à regretter que les
auteurs, se conformant aux habitudes de l'époque, n'aient pas
indiqué de références. Depuis le xvne siècle, les collections de
documents ont subi bien des vicissitudes, et par suite elles sont
moins complètes qu'autrefois; on peut le constater en parcourant
les notes manuscrites du P. Sacchini conservées à la bibliothèque
Vittorio-Emmaiiuele, à Rome, et dans lesquelles il renvoie à des
collections aujourd'hui perdues. Nous devrons donc, à plusieurs
reprises, nous contenter, faute de pièces authentiques, de citer
les auteurs de l'histoire latine. Comme, par ailleurs, chaque fois
que nous avons pu les contrôler, l'épreuve leur a été favorable,
nous n'avons aucune raison de douter de leur exactitude.
On a beaucoup écrit sur la Compagnie de Jésus. Elle a suscité
des pamphlets remplis de récits controuvés ou d'appréciations
x PRÉFACE.
malveillantes, et aussi des panégyriques qui éveillent le soupçon
de partialité. Les invectives comme les éloges ne prouvent rien.
Loin de nous donc l'intention de faire œuvre d'avocat ou de
polémiste. Simplement historien, nous exposerons, nous ferons
revivre les faits, sans voiler ni les fautes, ni les mérites, ni les
défaillances, ni les succès, nous souvenant toutefois que l'im-
partialité n'est pas l'indifférence et qu'il est une ardeur légitime
pour le règne de la vérité.
INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE
Le tableau des sources utilisées et des ouvrages consultés pour
la composition de ce premier volume sera divisé en deux parties :
Sources manuscrites et sources imprimées.
I. Dans les sources manuscrites nous distinguerons les docu-
ments conservés dans la Compagnie de Jésus et ceux qui appar-
tiennent à des dépôts d'archives ou bibliothèques publiques.
La nomenclature de ces dépôts sera dressée suivant les pays.
II. Les sources imprimées seront partagées en deux classes :
dans la première, nous plaçons les ouvrages contemporains et
les recueils de documents contemporains; — dans la seconde,
les ouvrages non contemporains, relatifs à notre sujet, qui ont
été consultés ou que nous avons cités accidentellement.
Nous indiquons entre crochets les abréviations que nous
emploierons pour les références dans le corps du volume.
I. SOURCES MANUSCRITES.
1° Documents conservés dans la Compagnie.
A. Recueils concernant toute la Compagnie.
[Act. Beatif. B. Ign.] Acta Beatificationis Beati Ignatii Loyolae.
[Act. Cong. Prov.] Acta Congregationum Provincialium.
[Brev. et Rescr. pro S. J.] Brevia et Rescripta antiquissima pro
Societate.
[Décret, et instr.] Décréta et instructiones.
[Epist. Card.] Epistolae Cardinalium.
[Epist. Episc] Epistolae Episcoporum.
[Epist. Princip.] Epistolae Principum.
[Inst. PP. Gêner.] Instructiones PP. Generalium.
mi INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE.
[Ribadeneira, Dial]. Ribadeneira, Diologos.
[Ribadeneira, Sol. y conf.] Ribadeneira, Soliloquio y confesiones.
B. Recueils concernant l'Assistance de France.
[Édits Royaux.] Édits royaux concernant la Compagnie.
[Franc. Hist. fundat.] Francia, Historiae fundationum totius Assis-
tentiae.
[Gall. Epist. Gêner.] Gallia, Epistolae Generalium.
Galliar. Mon.] Galliarum monumenta historica.
[Galliar. Visit.] Galliarum visitationes.
[Gall. Epist.] Galliae Epistolae.
[Possevinus, Act. in Gall.] Possevinus, Acta in Gallia.
[Possevinus, Annal, dec. la] Possevinus, Annalium decas la.
C. Recueils concernant les différentes Provinces.
[Aquit. Fundat. colleg.] Aquitania, Fundationes collegiorum.
[Camp. Fundat. colleg.] Campania, Fundationes collegiorum.
[Franc. Epist. Gen.] Francia, Epistolae Generalium.
[Franc. Fundat. colleg.] Francia, Fundationes collegiorum.
[Franc. Hist.] Franciae Historia.
[Lugd. Fundat. colleg.] Lugdunensis, Fundationes collegiorum.
[Lugd. Hist.] Lugdunensis Historia.
[Tolos. Fundat. colleg.] Tolosana, Fundationes collegiorum.
D. Archives de la Province de France '.
[Arcb. Prov. France].
F. Archives de la Province de Lyon.
[Arch. Prov. Lyon].
2° Documents conservés dans les archives et bibliothèques
publiques.
A. France.
a. Paris.
[Arch. nat.] Archives nationales (Séries G, M, MM, X).
[Ribl. nat... fr... lat... coll. Dupuy.] Ribliothèque nationale, ma-
nuscrits français; — latins: — collection Dupuy.
b. Archives départementales.
[Arch. de l'Ardèche... etc.] Archives de l'Ardèche, de l'Ariège, de
l'Aveyron, du Cantal, du Cher, de la Gironde, de la Haute-Garonne,
de la Nièvre, du Rhône (Séries D, H et G).
c. Archives communales.
[Arch. comm. d'Avignon... etc.] Archives communales d'Avignon,
de Bordeaux, de Bourges, de Lyon, de Pamiers, de Toulouse, de Ver-
dun (Séries AA, BB, GG).
1. Nous désignons sous cette rubrique les documents appartenant à différents col-
lèges modernes avant la dispersion de 1880.
INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE. xm
d. Archives hospitalières.
[Arch. hosp. do Glermont.] Archives hospitalières de Clermont-
Ferrand.
e. Bibliothèques.
[Bibl. Glermont, mss.] Manuscrits de la Bibliothèque de Clermont-
Ferrand.
[Bibl. Poitiers, mss.] Manuscrits de la Bibliothèque de Poitiers.
[Acad. Lyon, Adamuli] Fonds Adamoli à l'Académie de Lyon.
[Mus. Calvet] Muséum Calvet à Avignon.
B. Allemagne.
[Kôln, Stadt-arch. Univ.] Koln, Stadt-archiv, Universitàt.
C. Belgique.
[Bruxelles, Arch. du royaume]. Bruxelles, Archives du Royaume.
D. Espagne.
[Madrid, Bibl. d'Acad. d'Hist.] Madrid, Bibliothèque d'Académie
d'histoire.
E. Italie.
[Roma, Arch. di Stato]. Roma, Archivio di Stato.
[Roma, Bibl. Vitt. Em., mss.] Roma, Biblioteca Vittorio-Emma-
nuele, manuscrits.
[Arch. Vat. Nunz. di Franc] Archivio Vaticano, Nunziatura di Fran-
cia.
[Arch. Vat. Bibl. Pia]. Archivio Vaticano, Biblioteca Pia.
[Torino, Arch. di Stato]. Torino, Archivio di Stato.
II. SOURCES IMPRIMÉES.
1° recueils de documents et ouvrages contemporains.
[Acta SS.] Acta Sanctorum, Julii tomus septimus, De Sancto Ignatio Loyola
(Paris-Palmé, 1868).
[Ann. des soi-disans Jésuites.] Annales de la Société des soi- dis ans Jéstiites, ou
recueil historique chronologique de tous les actes... émanés des tribunaux ec-
clésiastiques et séculiers contre la doctrine, l'enseignement, les entreprises et les
forfaits des soi-disans Jésuites, depuis 1552, époque de leur naissance en France
jusqu'en 1763, Paris, 1764-1771. - Ces annales, ainsi que l'indique le titre complet
de 1 ouvrage, sont un recueil, en quatre volumes in-4°, de tous les actes, écrits, dé-
nonciations, avis doctrinaux, requêtes, ordonnances, mandements, instructions' pas-
torales, décrets, censures, édits, arrêts, sentences et jugements émanés des tribunaux
contre les Jésuites.
[Arch. cur. de Vhist. de France.] Archives curieuses de l'histoire de France .
ou collection de pièces rares et intéressantes... par L. Cimber et L. J. Danjou, Pa-
ns, 1834-1840. — Les éditeurs n'ont accepté dans leur collection que des documents
purement historiques, comme « les récits détaillés de tel ou tel événement célèbre,
les fragments d'histoire anecdotique et de correspondances sérieuses; les notices bio-
graphiques, les pamphlets satiriques, etc. » Ces pièces, contemporaines pour la plu-
part des faits qu'elles racontent, ont été classées dans l'ordre chronologique: elles
sont peu étendues, mais intéressantes et utiles.
[Arch. hist. delà Gironde.] Archives historiques de la Gironde. Bordeaux, 1859
XIV INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE.
et suiv. — Cet ouvrage, comme son titre l'indique, est composé de documents
d'un intérêt surtout local, mais dont plusieurs concernent la Compagnie de Jésus.
[D'Argentré, Collect. judicior.] Argentré (Ch. Du Plessis d'), Collectio judicio-
ruin de novis erroribus... Paris, 1728.
[Baluze, Miscellanea.] Baluze (Etienne), Miscellanea novo ordine digesta...
opéra ac studio Joannis Dominici Mansi. Lucae, 1761-1764.
[Barkhausen, Slat. de VVniv. de Bordeaux]. Barckhausen (H.), Statuts et
règlements de l'ancienne université de Bordeaux, 1441-1793. Bordeaux 1881. —
Série de pièces détachées, empruntées aux Archives nationales, aux Archives dépar-
tementales de la Gironde, aux Archives communales et à la Bibliothèque publique
de Bordeaux.
[Bèze, Hist. ecclés.] Bèze (Théodore de), Histoire ecclésiastique des églises ré-
formées au royaume de France. Lille, 1841-18 i2.
[Boucher, Les Princes Lorrains.] Bouchkr (Nicolas), La conspiration des lettres
et armes des deux très illustres princes Lorrains. Reims, 1579 — Nicolas Bou-
cher, né à Cernai en 1528, fut un zélé partisan de la Ligue. Devenu évêque de Verdun
en 1588, il mourut en 1593. Son ouvrage avait paru en latin, dès 1577, sous ce
titre : Caroli Lotharingii cardinalis et Francisco ducis Guisii litterae et arma.
[Du Boulay, Hist. Univ. Paris.] Boulay (César Égasse du), Historia Vniversi-
tatis Parisiensis... cum inslrumentis publicis et aulhenticis, a Carolo magno ad
nostia tempora... Paris, 1665-1673. — C'est moins une histoire à proprement parler
qu'un recueil de pièces authentiques, bulles, chartes, lettres, arrêts des cours de
justice, délibérations et règlements scolaires. L'auteur s'est contenté de relier entre
eux, par quelques lignes explicatives, les nombreux documents qu'il avait recueillis
dans les archives de l'Université.
[Bullar- Roman.] Bullarum, diplomatum et privilegiorum sanctorum romano-
rum pontificum Taurinensis editio. Augustae Taurinorum, 1857 et suiv.
[Calendar, Scotland.] Calendar of stale papers relating io Scotland, by Mar-
kham John Tharpe. London 1858. — En 1800, un comité de la chambre des Com-
munes avait exprimé le vœu qu'on fît connaître au public les pièces historiques
conservées dans les archives de l'Angleterre. C'est en 1854 seulement qu'on entreprit
la rédaction des inventaires, ou index chronologiques, connus sous le nom de Calen-
dar of stale papers. Le travail fut divisé en deux parties : la première embrassant
tout le moyen âge, la seconde .commençant au règne de Henri VIII. Cette seconde
partie partagée en deux séries, domeslic séries et foreign séries, renferme une
multitude de pièces intéressantes pour l'histoire de France. Dans les volumes relatifs
à l'Ecosse, on trouve plusieurs indications de pièces importantes pour l'histoire de
la Compagnie de Jésus.
[Calvini opéra.] Calvini (Joan.), Opéra omnia, editio omnium novissima. Ams-
telodami, 1567-1571. — On trouvera comme un complément de cette édition dans
l'ouvrage de Paul Henry, intitulé : Calvini, Bezae, aliorumque litterae quaedam,
ex autogr., in Bibl. Goth., éd. Bretscheueider. Lipsiae, 1835.
[Carrez, Catal. Campan.] Carrez (L.) S. J., Documenta ad historiam Societalis
Jesu in Gallia concinnandam. Catalogi sociorum et officiorum Provinciae Cam-
paniae. Châlons-sur-Marne, 1897 et suiv. — Les Catalogi, en voie de publication,
renferment année par année les status ou état du personnel des maisons. Chaque
volume est précédé d'une préface où l'éditeur résume, au fur et à mesure, l'histoire
de la Province de Champagne. Il serait à désirer qu'on entreprit un travail ana-
logue pour les autres Provinces de l'Assistance de France.
[Cartas de S. Ignacio.] Cartas de san Ignacio, fundador de la Compania de
Jésus. Madrid, 1874-1890. — Ce sont six volumes contenant huit cent quarante-deux
lettres de saint Ignace. Nous nous en servirons surtout pour citer d'autres pièces
insérées dans les appendices. Pour les lettres mêmes du saint, nous les citerons,
autant que possible, d'après la nouvelle publication, beaucoup plus complète, entre-
prise par les éditeurs des Monumenta Historica S. J. mais encore inachevée. (Cf.
lnfra).
[Cartas del B. Fabro.] Cartas y otros escritos del B. P. Pedro Fabro de la
Compania de Jésus... Bilbao, 1894.
[Chron. et Mém. édit. du Panthéon.] Choix de chroniques et Mémoires sur
l'histoire de France. [Panthéon littéraire.) XVI" siècle. Paris. 1836.
[Chron. Bourdeloise.] Chronique Bourdeloise, composée par Gabriel de
INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE. xv
lurbe... continuée et augmentée par Jean Damai, à Bourdeaus, 1619. — Supplé-
ment des chroniques de la noble ville et cité de Bourdeaus par Jean Damai,
à Bourdeaus, T620. — La chronique bourdeloise, ou « abrégé de l'histoire bourde-
loise », fut d'abord composée en latin et ensuite traduite en français par Gabriel de
Lurbe. Elle s'arrêtait à l'année 1594. Après la mort de l'auteur" en 1013, elle fut
augmentée et continuée, dans le même esprit d'impartialité, par Jean Damai, jus-
qu'en 1619.
[Collect. de Mém. édit. Pelitot.] Collection complète des Mémoires relatifs à
l'histoire de France, depuis le règne de Philippe- Auguste jusqu'à la paix de
ravis, conclue en 1763... par M. Petitot (et M, Monmerqué). Paris, 1819-1829.
[Collect. de Mém. .édit. Michaud.] Collection {nouvelle) des mémoires pour
servir à l'histoire de Franc-e, depuis le XIIIe siècle jusqu'à la fin du XVtll*...
Par MM. Michaud et Ponjoulat. Paris, 1836-1839.
[Proc. verb. des assembl. du clergé.} Collectiou des procès verbaux des as-
semblées générales du clergé de France, depuis l'année 1560 jusqu'à présent...
sous la direction de M*' l'évéque de Mâcon... Paris, 1767-1780.
[Const. Soc. Jes. lat. et hisp.] Conslitutiones Societatis Jesu latinae et hispa-
nique cnm earum declarationibus. Madrid, 1892. —Cette édition des Constitutions
renferme, outre le texte castillan définitif, la première rédaction de saint Ignace. On
y a joint différents documents très précieux, soit du saint fondateur, soit de ses
premiers compagnons, destinés à faire mieux saisir la composition même des Cons-
titutions.
[Acla S. Sedis.} Delplace (Louis) S. J., Synopsis aclorum in causa Societatis
Jesu, iMO-1605. Florentine, 1889, Lovanii, 1895. — Bésumé chronologique des actes
du Saint-Siège en faveur de la Compagnie de Jésus, depuis l'année 1538 jusqu'à
l'année 1773.
[Charlul. Univ. Pur.} Denifle (Henri), Chartularium Universitatis Parisiensis.
Paris, 1889-97.
[Erectio Univ. Mussip.] Ereclio Universitatis Mussipontanae. Mussiponti, 1602.
— Ce petit volume contient plusieurs pièces importantes concernant l'Université de
Pont-à-Mousson. Après le mot « finis » on lit celte annotation manuscrite, signée
du P. Laurent Maggio : « Staluta facultatum theologiae, artium et linguarum hujus
Universitatis Mussipontanae, comprehensa hoc summario, R. P. Laurentius Magius
Soc. Jes., visitator per Provincias Galliae, in visitatione collegii Mussipontani, anno
Domini 1602. mense Augusto, accurate examinavit et recognovit simul cum RR. Pa-
tribus superioribus et consultoribus, eaque deinceps observari voluit. »
[D'Espence, Apologie.] Èspence (Claude d'), Apologie contenant ample discours,
exposition, réponse et défense de deux conférences avec les ministres de la Reli-
gion prétendue réformée. Paris, 1569. — Exposé historique du colloque de Poissy
et de la conférence de Saint-Germain. L'auteur, docteur en théologie de la Faculté
de Paris, avait pris part à ces assemblées.
[Acta P. N. Ignalii.] Gonzalvès (Louis) S. J., Acta quaedam P. N. Ignalii de
Loyola primarii, secundum Deum, instituions Societatis Jesu. {Monumenla hist.
S. J. Mon. Ignaliana, séries 4, t. I.) — Dans les dernières années de la vie de
saint Ignace, ses disciples cherchèrent à obtenir de lui des renseignements authen-
tiques sur ce qu'il avait fait, et Gonzalvès, qui jouissait de sa confiance, se chargea
de cette tâche difficile. 11 eut beaucoup de peine à y réussir, saint Ignace se conten-
tant de lui raconter les choses les moins importantes, et ne touchant que légèrement
les événements les plus notables de sa vie intime et publique. Ces communications,
si incomplètes qu'elles soient, tiennent cependant, comme source, le premier ran»,
puisqu'elles viennent de la propre bouche du saint. C'est même une espèce d'auto-
biographie; car Gonzalvès avait une mémoire très fidèle, et il écrivait aussitôt ce
qu'il venait d'apprendre. La moitié de l'ouvrage du P. Gonzalvès est en espagnol et
la seconde en italien. Cette différence vient de ce qu'à Rome il avait un secrétaire
espagnol auquel il dictait sur-le-champ les notes qu'il venait de prendre; mais à
Gênes, où il acheva son ouvrage, il n'avait à sa disposition qu'un secrétaire italien.
[Lainez, Disp. Trident.] Gmsar (Hartman) S. J., .lacobi Laynez, secundi Prae-
positi Societatis Jesu, disputationes tridentinae. lnnsbruck, 1886. — On avait
souvent cité avec éloges les discours du P. Lainez au concile de Trente. La difficulté
de lire les manuscrits empêcha longtemps de les publier.
[Hansen, Rheinische akten.] Hansen (Joseph), Rheinische akten zuv Geschichte
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. n
svi INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE.
des Jesuitenordens, 1542-1582. Bonn, 1896. — Parmi les pièces recueillies par
M. Hansen on trouve plusieurs lettres se rapportant à l'histoire de la Compagnie en
France. Elles étaient écrites de Paris aux Pères du Collège de Cologne.
[Ibern. Ignat.] Hocan (Edmond S. J., Ibernia Ignatiana seu Ibemorum Socie-
lnlis Jesu Patrum monumenta... Dublin, 1880. — Recueil de documents relatifs à
la Compagnie de Jésus en Irlande.
[Instr. des rois très chrél.) Instructions et lettres des rois très chrétiens et de
leurs ambassadeurs, et autres actes concernant le concile de Trente, tirés des
Mémoires de Dupuy. Paris, 1654.
[Inst. Soc. Jes.] institution Societatis Jesu, Romae, l-'lorentiae, 1889. — Le tome
premier de cette édition de l'Institut contient les lettres apostoliques, les rescrits et
induits du Saint-Siège, et le résumé des privilèges de la Compagnie de Jésus. — Le
tome deuxième : l'Examen général, les Constitutions avec leurs déclarations, les
décrets et les canons des congrégations générales, les censures et préceptes et les
formules des différentes congrégations. — Le tome troisième : les règles communes
et générales et les règles particulières, les ordonnances des Généraux, l'instruction
du R. P. Claude Aquaviva pour conserver et accroître l'esprit de la Socié té, les ins-
truclions aux provinciaux et aux supérieurs, les industries du R. P. Claude Aquaviva,
les Exercices spirituels et le directoire, enfin le Ratio studiorum.
flsambert, Ane. lois françaises.} Isamisert, Recueil général des anciennes lois
françaises, depuis l'an 420 jusqu'à la révolution de 1789. Paris, 1822-1833. —
Vingt-neuf volumes in-8% « avec notes de concordance, table chronologique, et table
générale analytique et alphabétique des matières. »
[Joum, d'un bourgeois.] Journal d'un bourgeois de Paris sous le règne de
François P1, i515-i536. Edilion Bourrilly. Paris, 1910. — « L'auteur est sans doute
un ecclésiastique parisien. Le début du livre n'a pu être écrit ni avant 1522 ni
après 1530. Ce n'est pas un véritable journal. Les erreurs de date, le désordre chro-
nologique rendent cette hypothèse inadmissible. » (Cf. Henri Hauser, Les sources de
l'Histoire de France, XVIe s., t. II, p. 25.)
[La Popelinière, Hisl. de France. J La Popelinière (Lancelot Voisin de}, L'Histoire
de France... depuis l'an 1550 jusques à ces temps, s. 1. 1581. — Le P. Daniel
reconnaît que l'Histoire de France de la Popelinière est « remplie d'un grand nom-
bre d'excellents Mémoires », et il loue l'impartialité de l'auteur : « La modération
et le détail avec lequel il écrit, dit-il, le fait regarder comme lhistorien le plus digne
de foi du parti huguenot. » (V. Niceron. t. XXXXIX.)
[Loisel, Dialogue des avocats.] Loisel (Antoine), Pasquier ou Dialogue des
avocats du parlement de Paris, reproduit par Dupin dans l'élude des Lettres sur
ta profession d'avocat, par Camus. Paris, 18 18. — Cet ouvrage, rempli de recherches
curieuses, contient la liste des avocats du parlement de Paris, de 1524 à 1599, avec
une notice biographique sur chacun.
[Maldonat, Commentant. — Opéra theol.} Ma.ldo.wt (Jean) S. J., Commenta rii
in quatuor Evangelislas. Mussiionli, 1596-1597. — Opéra theologica. Paris, 1677.
— Les ouvrages du P. Maldonat n'ont pas été publiés de son vivant. Les Commen-
taires sur les quatre Évangélisles le furent par cinq Pères de Pont-à-Mousson,
chargés de revoir et corriger les manuscrits. Deux docteurs de Sorbonne, Dubois cl
Faure, se firent les éditeurs des Œuvres théologiques; mais, observe Richard Simon,
ils n'osèrent signer la dédicace, à cause de la haine de la plupart des docteurs pour
Maldonat.
[Manare, De reb. Soc. Jes. — De vita Mercuriani.] Manare (Olivier) S. J., De
rébus Societatis Jesu commentarius. Florentiae, 1886. De vita et moribus Everardi
Mercuriani commentarius. Bruxelles, 1882. — Le P. Olivier Manare fut formé à 1 »
vie religieuse par saint Ignace à Rome. Entré dans la Compagnie en 1550, il y rem-
plit les charges les plus importantes jusqu'à sa mort, en 1614. Quand le P. Orlandini
entreprit d'écrire l'histoire de l'Ordre, le P. Manare recueillit pour ce travail ses
souvenirs personnels de 1542 à 1600, publiés seulement en 1886 sous le titre indiqué
plus haut. On lui doit aussi un Commentaire sur la vie de son compatriote et con-
temporain le P. Éverard Mercurian, quatrième Général de la Compagnie de Jésus.
[Mém. de Castelnau.] Mémoires (Les) de Michel de Caslelnau, avec les addi-
tions de Jean Le Laboureur. Bruxelles, 1731. — Une première édition de ces Mémoi-
res, parue en 1621, avait été accueillie avec une grande faveur du public. On ne
leur reprochait que d'être un peu trop abrégés. Jean Le Laboureur les enrichit de
INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE. tvii
plusieurs commentaires manuscrits, et de lettres, négociations et autres pièces secrètes
et originales.
[Mém. de Condé.] Mémoires de Coudé, ou recueil pour servir à l'histoire de
France... Londres, 1743. — Ce recueil était destiné à servir « d'éclaircissement et
de preuves à l'Histoire de M. de Tliou ». Le premier éditeur, un huguenot, l'avait
composé en grande partie de pièces favorables aux réformés. Les nouveaux éditeurs
les conservèrent, sans y ajouter, comme ils en avaient d'abord eu l'intention, les
réponses faites par les catholiques. Ils l'enrichirent seulement d'un grand nombre de
pièces curieuses.
\ Mentor. B. P. Fabri.] Memoriale Beati Pétri Fabri. Lutetite Parisiorum, 1873.
— Le Mémorial du Bienheureux Pierre Le Fèvre est surtout l'histoire intime de
son âme. On peut aussi y recueillir de précieux renseignements sur les premiers
temps de la Compagnie.
[Le Mercure jésuite.} Mercure jésuite (Le) ou recueil des pièces concernant le
progrès des Jésuites, leurs écrits et différends... 2° édition. Genève, 1G31. — Ce
recueil, composé dans le môme esprit que les Annales de la Société des soi-disans
Jésuites, ne renferme pas seulement des « pièces publiques » et des « actes authen-
tiques », mais aussi plusieurs écrits particuliers contre la Compagnie.
[Mou. hist. Soc. Tes.] Monumenta historica Societatis Jesu. Matriti, 189i
et suiv.
[Polanco, De vit a P. Ignalii.} De vita P. Ignalii et Societatis Jesu initiis.
[Chron. Soc. Jes.] Chronicon Societatis Jesu, aucfore Pâtre Polanco. — Le
P. Jean Alphonse de Polanco a écrit une chronique très étendue des premières
années de la Compagnie, précédée d'une courte biographie de son fonlateur. Secré-
taire de saint Ignace de 1547 à 1556, il eut entre les mains toutes les lettres envoyées
à Rome et les réponses du saint patriarche, et s'en servit pour rédiger sa chronique
destinée à fournir des matériaux aux futurs historiens. Elle a été publiée pour la
première fois en six volumes dans les Monumenta historica. On peut y relever
quelques erreurs chronologiques pour les temps que l'auteur n'avait pas connus,
mais on ne trouvera nulle part plus d'exactitude et de fidélité dans l'exposition
des faits.
[Mon. Ignat. ser. V; ser. 4\] Monumenta Ignatiana. Séries prima, Epistolae et
instructiones. Séries quarta, Scripta de S. Ignalio de Loyola. — Lss éditeurs des
Monumenta historica Societatis Jesu ont entrepris la publication de tous les écrits
de saint Ignace, sauf l'a Examen général et les Constitutions », dont l'édition de 1892
ne laisse rien à désirer. La première série des Monume Ua Ignatiana, en voie de
publication, doit comprendre, outre les instructions envoyées aux nouveaux collèges,
toutes les lettres déjà parues dans les Cartas de san Ignacio, un grand nombre de
lettres du saint fondateur encore inidites, et de plus celles qu'il lit écrire par le
P. Polanco et d'autres secrétaires. De la quatrième série un volume a paru qui
comprend des écrits concernant saint Ignace. On y trouve les Acta et le Memoriale
du P. Louis Gonzalvès de Camara, la lettre du P. Lainez et le commentaire du
P. Ribadeneira sur certaines parties de la vie de saint Ignace, et plusieurs autres docu-
menls qu'il est inutile d'énumérer.
[Mon. Xwer.] Monumenta Xaveriana ex autographis vel ex antiquioribus
exemplis collecta. — On a souvent publié les lettres de saint François Xavier, mais
jamais dans le texte original. Les premiers éditeurs donnèrent une traduction latine
des originaux espagnols et portugais, en prenant la liberté de changer le style, de
paraphraser le texte et de supprimer quelques passages. C'est sur celte traduction
latine qu'ont été faites toutes les autres, même espagnoles, et avec une regrettable
négligence. On peut donc regarder comme inédiles les lettres de saint François Xavier
publiées dans leur vrai texte par les éditeurs des Monumenta historica.
[Episl. PP. Broeli etc.] Epistolae PP. Paschasii Broeti, Claudii Jagi, Joannis
Codurii et Simonis Roder/cii. — Les Lettres du P. Broet, de 1552 à 1502, intéres-
sent parliculièrement l'histoire de la Compagnie de Jésus en France.
[Epist. P. Nadal.] Epistolae P. Hieromjmi Nadal, Societatis Jesu, ab anno
lô'iG ad 1577. — Les lettres du P. Nadal, publiées eu quatre volumes, embrassent
les généralats de sainl Ignace, du P. Lainez, de saint François de Borgia et du
P. Mercurian. C'est un trésor inépuisable de fidèles notices historiques sur ces pre-
miers temps de la Compagnie. Le tome II contient les Ephémérides de Nadal; le
tome IV ses Instructiones.
xvin INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE.
Epist. mixt.\ Epistdiae mixtae ex variis Europae locis ab anno 1539 ad 1556
scriptae. — Ces lettres publiées en cinq volumes, ont été écrites des différentes
contrées de l'Europe au saint fondateur par les Provinciaux, les Recteurs et quel-
ques autres Pères, pour l'informer de ce qui se passait, solliciter ses conseils, ou lui
communiquer les renseignements demandés sur les personnes et des affaires parti-
culières. Elles renferment l'histoire intime de la Compagnie du temps de saint Ignace.
[Litter. quadr.] Litterae quadrimestres ex universis, praetpr Indiam et Bra-
siliam, locis in quibus aliqui de Societate Jesu versabantur, Romam missae. —
Ces lettres, publiées en quatre volumes, vont de 1546 à 1556. C'est la relation des
ministères et des travaux des différentes maisons de la Compagnie. Destinées à passer
de main en main, on y chercherait en vain des détails sur les affaires délicates qui
demandaient le secret.
[Mon. paedag.] Monumenta paedagogica Societatis Jesu quae primam ralio-
iictn studiorum, anno 1586 éditant, praecessere. — Ce volume peut être divisé en
deux parties : La première renfermant les documents communs à tous les collèges
de la Compagnie; la deuxième, les documents particuliers à l'Italie, au Portugal, à
la France, à l'Allemagne, à l'Autriche, à la Belgique. On a ainsi un ensemble de la
pratique de l'enseignement, dans la Compagnie avant l'établissement du Ratio stu-
diorum. Le premier document concernant la France ne remonte pas au delà de 1568,
époque de la seconde visite du P. Nadal.
[Pachtler, Mon. paedag.} Pachtler (G. M. J.) S. J., Monumenta Germaniae
paedagogica. Ratio studiorum et institutiones scholasticae Societatis Jesu per
Germanium olim vigentes, collectae, concinnatae, dilucidatae... Berlin, 1889-1894.
— L'ouvrage du P. Pachtler, en quatre volumes, fait partie d'une vaste collection
qui comprend les principaux monuments pédagogiques de l'Allemagne. On y trouve,
outre les documents spéciaux aux Provinces allemandes, tous les documents géné-
raux concernant les études dans la Compagnie, depuis la bulle de Paul III en 1540
jusqu'à celle de Léon XIII en 1886.
[Paris, négociations.] Paris (Louis), Négociations, lettres et pièces diverses, rela-
tives cm règne de François II. Paris, 1841. — Les pièces contenues dans cet ouvrage
sont tirées du porte-feuille de Sébastien de L'Aubespine, prélat diplomate, qui avait
rempli diverses missions en Suisse, à la diète de Worms et à Strasbourg. Un grand
nombre de ces documents intéressent au plus haut point les relations de la France
avec l'Ecosse pendant les années 1559 et 1560.
[Pasquier, Œuvres.] Pasquier (Etienne), Œuvres. Amsterdam (Trévoux), 1723. —
Les oeuvres de l'avocat Pasquier sont comme un continuel réquisitoire contre la
Compagnie. 11 s'est montré implacable adversaire des Jésuites, non seulement dans
son fameux plaidoyer et dans son Catéchisme, mais encore dans les Recherches de
la France et dans ses Lettres.
[Perpiniani epist.} Pétri Joannis Perpiniani, Societatis Jesu, aliquot epislolae.
Romae, 1749.
[Perpiniani orat.} Pétri Joannis Perpiniani Societatis Jesu presbyteri, ora-
tiones duodeviginti. Veronae, 1732. — Le P. Jean Perpinien, né en Espagne en
1530, entra dans la Compagnie en 1551, et mourut à Paris en 1566. Plusieurs de
ses discours et de ses lettres ont une portée historique.
[Pièces fugitives.} Pièces fugitives pour servir à l'histoire de France. Paris,
1759. — Ces pièces, presque toutes contemporaines des événements qu'elles racon-
tent, se rapportent principalement aux troubles civils de la seconde moitié du
xvie siècle. Elles sont accompagnées de notes historiques et géographiques par Léon
Menard et Charles de Barchi, marquis d'Aubais.
[Recueil de pièces.] Recueil de pièces concernant l'Université et la Société dr
Jésus, s. 1. 1624. — Ce recueil composé de pièces contre la Compagnie parut au mo-
raont du procès intenté au collège de Tournon par les Universités de France « jointes
en cause ». Chaque pièce a sa pagination particulière.
[Ribadeneira, ] ida del B. P. Ignacio.] Ribadeneira (Pedro) S. J., Vida del
Bienacenturado Padrc Iynacio de Loyola, fundador de la Compania de Jésus.
Barcelona, 1885. — La vie du R. P. Ignace de Loyola, traduite par tin P. de la
Compagnie de Jésus, du latin du /'. Ribadeneyra. Arras, 1607.
[Ribadeneyra, La vie du P. Lainez.} La vie du R. P. Jacques Lainez, second
général de la Compagnie de Jésus avec un sommaire de la Vie du R. P. Sainte-
ron. Lvon, 1599.
INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE. xiv
[Ribadeneyra, Vila del P. Borgia.\ Vita del P. Francesco iïorgia. Roma, 1616.
— La première vie de saint Ignace est due à la plume du P. Pierre de Rfbadeneira.
Entré dans la Compagnie à Rome, en 15i0, il vécut à différentes époques avec le
saint fondateur et recueillit de la bouche des PP. Lainez, Polanco, Nadal et Gonzal-
vès, les particularités dont il n'avait pas été témoin. Interrogé, lors du procès de
canonisation, si les choses contenues dans son livre étaient vraies, l'auteur répondit
qu'il tenait pour certain tout ce qu'il avait écrit, parce qu'il avait usé d'une grande
diligence pour ne dire que ce qu'il avait vu et entendu du P. Ignace lui-même, ou
d'autres graves personnages qui l'avaient connu. (Cf. Mon. lgnal., sér. 4", 1. 1, p. 528.)
Le défaut de son ouvrage est d'être trop succinct. Ses biographies du P. Lainez et
du P. de Borgia, et surtout celle du P. Salmeron, encore moins complètes, sont
pourtant précieuses à consulter.
[Rodriguez, De origine Soc. Jes.) Rooiuguez (Simon) S. J., De origine et pro-
gressa Societalis Jesu commentarius. Roma, 1869. — Le P. Simon Rodriguez, un
des premiers compagnons de saint Ignace, écrivit, à la prière du P. Mercurian,
quatrième Général de la Compagnie, une brève relation des faits dont il avait été
témoin de 1534 à 1540. Mais comme il écrivait une quarantaine d'années après leur
accomplissement, sa relation ne précise pas toujours exactement le temps et les
lieux. On doit cependant la consulter pour bien connaître les origines de la Compagnie.
[Flor. de Rœmond, Hist. de l'hérésie.] Roemond (Florimond de), L'histoire de
la naissance, progrez et décadence de l'hérésie de ce siècle.... Paris, 1605. —
L'auteur, conseiller au parlement de Bordeaux, montra d'abord beaucoup de pen-
chant pour le calvinisme, mais il y renonça entièrement et s'attacha dans le présent
ouvrage à combattre les erreurs des protestants.
[Rubys, Hist. de Lyon.} Rubys (Claude de). Histoire véritable de Lyon. Lyon
1604. — L'auteur, né à Lyon en 1533, y mourut en 1613. Élu, le 31 juillet 1565,
procureur général de la communauté de la ville, il exerça cette charge pendant près
de trente ans. Ardent partisan de la Ligue, il se retira quelque temps à Avignon,
quand Lyon eut reconnu Henri IV. C'est durant son exil qu'il écrivit 1' « Histoire de
Lyon», source de précieux renseignements, où les historiens modernes ont puisé lar-
gement.
[Tommaseo, Relat. des Ambassadeurs.] Tomm\seo (M. N.), Relations des ambas-
sadeurs vénitiens sur les affaires de France au XVP siècle. Paris, 1838. — Les
relations, recueillies et traduites par Tommaseo, embrassent une grande partie du
xvie siècle, de 1528 à 1577. Elles forment, pour toute cette période de l'histoire de
France, un ensemble de documents exceptionnels.
[Quarante tableaux.] Tortorel et Perrissin, Quarante tableaux ou histoires
diverses qui sont mémorables, touchant les guerres, massacres \et troubles adve-
nus en France en ces dernières années, s. 1. (1570). Ces quarante tableaux repré-
sentent les événements d'une dizaine d'années, du 10 juin 1559 au 28 mars 1570.
Ces histoires diverses, nous avertissent les éditeurs, ont été recueillies « selon le
témoignage de ceux qui y ont esté en personne et qui les ont veus [les événements],
lesquels sont pourtrais à la vérité ».
2° OUVRAGES NON CONTEMPORAINS.
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LIVRE PREMIER
LES ORIGINES
(1528-1552)
CHAPITRE PREMIER
IGNACE DE LOYOLA. SES ÉTUDES A PARIS.
(1528-1535).
Sommaire : 1. Dispositions et projets d'Ignace après Manrèse. — 2. Coup
d'œil sur ses études à Barcelone et à Alcala. — 3. Séjour et persécutions à Sa-
lamanque. — 4. Ignace à l'Université de Paris. Cours de grammaire au collège
de Montaigu. —5. Voyages en Flandre et en Angleterre. — 6. Cours de philo-
sophie à Sainte-Barbe. — 7. Succès aux examens. Commencement de la théo-
logie chez les Dominicains de la rue Saint-Jacques. — 8. Œuvres de zèle.
Ignace est dénoncé à l'inquisiteur. — 9. Il est condamné à la salle. — 10. Son
courage et son industrie pour le salut des âmes.
Sources manuscrites : I. Documents conservés dans la Compagnie : a) Summarium Pro-
cessuum S. Ignatii. — b) Proceso apostolico de Barcelone y Manresa. — c) Relation de
Juan Pascual.
II. Bibl. nat., mss. latins, 0,952. Acta Recloria Univ. Paris. — 9,960. Actes de la Faculté de
Théologie.
Sources imprimées : Acta béatifient ionis D. Ignatii Loyolae. — Acta Sanctorum, t. VII
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nia de Jésus en la Asis. de Espaha, t. I. — De.nille, Chartularium Univ. Parisiensis. —
Du Boulay, Historia Univ. Paris.
1. Dieu, qui agit avec force mais aussi avec douceur, n'inspira
point d'un seul coup à Ignace de Loyola1 l'idée et la forme de la
Compagnie de Jésus. Il laissa faire les causes secondes. Pas à pas
le blessé de Pampelune fut conduit à l'organisation définitive de
la milice que réclamait la situation de l'Église dans la première
moitié du seizième siècle. Pendant cette marche progressive vers
1. On ne connaît pas exactement l'année de la naissance de saint Ignace. D'après
les conjectures les plus probables ce fut non en 1495, comme l'ont prétendu plusieurs
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 1
2 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
le but à atteindre, une des étapes les plus importantes fut, sans
aucun doute, le séjour d'Ignace à Paris.
Qu'on se rappelle l'état d'esprit du contemplatif de Manrèse
quand, en 1528, il toucha le sol de la France, qu'on se rappelle en
même temps le prestige de cette capitale où la splendeur d'une
époque finissante luttait encore d'éclat avec l'aurore des temps
nouveaux, et l'on comprendra ce qu'une Ame grande et généreuse,
remplie de vastes projets, dut puiser d'énergie et de fécondité au
contact d'un pays célèbre par son génie pratique, son activité et
sa force d'expansion. Avec la science et les idées, Ignace devait
encore trouver là les hommes destinés à le seconder au début de
sa mission providentielle.
Mais, avant de raconter cette heureuse rencontre, il nous faut
remonter un peu plus haut.
Bien que les premières années du saint après sa conversion
n'appartiennent pas à l'histoire de l'Assistance de France1, elles
sont cependant si étroitement liées aux suivantes qu'on ne peut,
sans jeter sur elles un coup d'œil rapide, ni saisir le développe-
ment du plan divin, ni expliquer la conduite du nouvel étudiant
qui va bientôt illustrer à sa manière la grande Université de
Paris.
Ce fut à Manrèse que Dieu façonna l'àme d'Ignace et en fit l'ins-
trument docile de ses desseins. Le futur fondateur de la Compa-
gnie de Jésus y arriva le jour de l'Annonciation de l'an 1522'.
couvert des vêtements grossiers d'un pauvre pèlerin auquel il
avait donné ses habits de chevalier. Il y resta jusqu'au début de
l'année 1523 3. Logé à l'hôpital Sainte -Lucie ou chez quelque
pieux bienfaiteur4, il allait chaque jour entendre la messe dans
auteurs, mais en 1491. Telle est l'opinion du P. Astrain qui discute longuement cette
question (Historia de la Compania, t. I, p. 3, n. 2). On peut voir sur le même sujet :
Kreiten S. J.. Stimmen ans Maria-Laach, t. XLIII, p. 92; — Tacchi-Venturi, Civil/à
cattolica, ser. XVII, vol. XI, Quad. 1202 del 21 luglio 1900.
Loyola est le nom du château héréditaire où naquit saint Ignace et que l'on ap-
pelle aujourd'hui la Santa casa. Le P. Rafaël Pérez S. J. lui a consacré une curieuse
notice intitulée : La santa casa de Loyola (Bilbao, 1891).
1. L'auteur de l'Histoire de la Compagnie dans lAssistance d'Espagne a parfaite-
ment résumé toute la vie de saint Ignace en s'appuyant uniquement sur les témoi-
gnages contemporains. Les quatre premiers chapitres de son premier volume retra-
cent la jeunesse du saint, sa conversion et ses années d'études en Espagne et à Paris
(Aslrain. S. J., Historia de la Compania, t. I, p. 1-63).
2. Relation de Juan Pascual. — 3. Jusqu'à la lin de février 1523. comme nous le
dirons plus loin (Acta P. Ign., n. 29).
4. Relation de Juan Pascual. Celui-ci dit que sa mère, qui avait rencontré Ignace
sur la route de Montserrat à Manrèse, le conduisit d'abord à l'hôpital où il fut reçu,
puis, cinq jours après, lui chercha un appartement chez une famille pieuse où il pour-
rait vivre tranquille.
IGNACE DE LOYOLA. 3
les églises, les fréquentait pour prier, et se retirait de préférence
au sanctuaire de Villadordis, à une lieue de Manrèse, ou dans une
grotte solitaire, théâtre encore vénéré de ses rudes pénitences1.
Sa mortification était portée à l'extrême. Lui qui sortait à peine
d'une grave maladie et d'une douloureuse opération à la jambe,
passait chaque jour jusqu'à sept heures à genoux, se flagellait
par trois fois, vivait des aumônes qu'il avait recueillies et dont il
donnait la meilleure part à d'autres pauvres, ne mangeait jamais
de viande et ne prenait de vin qu'un peu le dimanche et les jours
de fête2.
Ses quatre premiers mois s'écoulèrent tranquillement dans le
repentir de ses péchés, les austérités continuelles et la pratique
assidue de la prière vocale, car il n'avait pas encore, remarque
Polanco, essayé la méditation !. Puis vinrent les scrupules et les
épreuves intérieures — jusqu'à la tentation du suicide — par les-
quelles Dieu affermit sa vertu et lui communiqua le don du discer-
nement des esprits. Après une lutte de plusieurs mois'1, où il per-
sévéra dans ses pratiques de dévotion et dans la résolution de
servir le Seigneur de toute son âme, il reçut en récompense des
grâces singulières, une oraison mentale très élevée, une contem-
plation si douce qu'il passait des nuits sans sommeil; il eut même
des visions et des ravissements5. A l'hôpital Sainte-Lucie, pen-
dant huit jours, il fut tellement privé de sentiment que, sans les
battements de son cœur, on l'aurait pris pour un mort6.
Instruit par ces états d'àme, éclairé par ces lumières célestes,
il écrivit à Manrèse ses Exercices spirituels. Nous parlerons dans
un autre chapitre de la composition de ce livre. Disons pour le
1. Déposition de Bernard Matilla, témoin oculaire, au premier procès de Manrèse
(Procès, de Barc. y Manresa, f. 22G). — Déposition du 39° témoin au procès aposto-
lique de Barcelone, confirmant le précédent {Acta Beatificationis, f. 168). Voir com-
ment le P. Astrain, à l'aide de ces témoignages et d'autres semblables, détruit la lé-
gende de la demeure continuelle d'Ignace dans la grotte de Manrèse (on cil p 32
33, 34). " '
2. Acta P. Ign., n. 19, 26. Cf. Polanco, De vita P. Ign.. p. 19. Ribadeneira, De
actis P. Ign., p. 340. Vida del B. P. Ign., 1. I, c. v.
3. Polanco, De Vita P. Ign., p. 19.
4. Le P. Gonzalvès dit beaucoup de mois, mais cela ne peut être, comme le mon-
tre le P. Astrain qui place ce temps d'épreuve avec une grande vraisemblance aux
mois d'août, septembre et octobre 1522 (Histor. de la Compania, t. I, p. 38, 43).
5. Acta P. Ign.. n. 20, 28-31. — Polanco, p. 23. — Ribadeneira, Vida del P. Ign..
1. I. c. vu.
6. Le saint ne parla jamais de ce ravissement. Il fut raconté au P. Ribadeneira une
première fois à Rome, en 1544, par Isabel Roser bienfaitrice de saint Ignace, qui le
tenait d'un témoin oculaire; une seconde fois à Barcelone, en 1574, par Juan Pascual
témoin lui-même de ce fait quand il avait seize ou dix-sept ans. Cf. Canonizaciones :
Can. P. Ignatii, déposition de Ribadeneira au procès diocésain de Madrid en 1595,
citée par le P. Astrain. op. cit.. p. 39, 40, note.
4 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
moment que l'auteur, sans le vouloir peut-être, y retrace comme
les étapes de sa conversion et de sa rapide formation ascétique,
non sous la forme d'un récit, mais sous la forme brève à' Exerci-
ces pratiques, enchaînés méthodiquement, « pour apprendre à se
vaincre et à ordonner sa vie sans se laisser dominer par aucune
inclination déréglée1 ». Comprendre, à sa seule qualité de créa-
ture, le désordre de toute action qui n'est pas faite sous la dé-
pendance et pour l'amour du créateur, pleurer ce désordre, le
haïr, le corriger, dans ce but s'attacher à connaître et à imiter le
Fils de Dieu venu ici-bas afin de combattre le péché, Ignace n'a
pas fait autre chose pendant dix mois. Les phases par lesquelles
il a passé durant ce travail de conversion et de sanctification,
l'ordre logique des vérités qui ont entraîné sa raison, la majesté
et les attraits du roi éternel Jésus-Christ qui l'appelait à le suivre,
la malice et les ruses du démon qui s'efforçait de l'en détourner,
les industries dont il s'est servi pour examiner sa conscience, pour
prier mentalement, pour découvrir la volonté de Dieu et avoir la
force de l'accomplir, voilà ce que le pénitent de Manrèse a condensé
en quelques pages dans le petit livre des Exercices2. Et aussitôt,
utilisant au profit des autres les principes et les règles de ce livre,
il se mit à travailler au bien spirituel des âmes. L'exemple de sa
sainteté avait attiré auprès de lui plusieurs personnes auxquelles
il se plut à communiquer, dans une certaine mesure, les lumières
dont le Divin Maitre l'avait favorisé3; parmi elles, très assidues à
suivre ses méthodes, on cite quelques femmes de qualité que le
peuple surnomma les Inigas'1.
Se sanctifier soi-même et en même temps sanctifier le prochain
en vue de la plus grande gloire de Dieu, telle sera désormais
l'ambition d'Ignace de Loyola5; telle sera aussi un jour la mis-
sion de la Compagnie de Jésus.
De quelle manière l'auteur des Exercices spirituel* fut
1. Exercitia spirilualia. Titulus. Nous ne voulons pas dire que ce titre se trouvait
déjà écrit sur le petit manuscrit de Manrèse, mais seulement que le fond de celui-ci
répondait au titre qui peut-être ne fut mis que plus tard.
2. H est certain, et telle était l'opinion de nos premiers Pères, que saint Ignace a
fait lui-même les Exercices tout le premier sous l'inspiration de l'Esprit-Saint avant
de les écrire. « En ce temps, dit le P. Gonzalvès, Dieu le traitait comme un maitre
d'école traite un petit enfant quand il l'instruit, soit à cause de la rudesse de son es-
prit sans culture, soit parce qu'il n'avait personne pour l'enseigner, soit à cause de
la ferme volonté que Dieu lui-même lui avait donnée de le servir. Ignace le pensa
toujours ainsi, et en jugeant autrement il aurait cru offenser la divine majesté »
(Acta P Ign., n. 27). — 3. Polanco, De vila P. Ign., p. 25.
4. Suinmarium procès. Manresa, art. 4. Cité par Astrain, op. cit., p. 41, note.
5. Polanco, p. 25.
IGNACE DE LOYOLA. 5
amené peu à peu à la fondation d'un ordre religieux qui rem-
plirait ce rôle dans l'Église, nous allons le rapporter brièvement
dans ces trois premiers chapitres, préliminaires indispensables
de notre histoire.
2. Tout d'abord, une tentative infructueuse ne sert qu'à lui
montrer la voie où Dieu veut le faire entrer. Au début de
l'année 1523, — probablement à la fin de février1, — il quitta
Manrèse. Désireux de visiter les saints lieux, témoins de la vie
du Sauveur, il s'y rendit avec l'intention de s'y établir et de
restaurer le règne de Jésus-Christ parmi les mahométans2. Dieu,
qui agréait cette sainte ambition mais entendait lui ouvrir une
autre carrière, permit que le Custode des Franciscains, sans con-
naître pourtant toute la pensée du généreux pèlerin, fût effrayé
de son audace, et, dans la crainte d'attirer quelque avanie sur
la religion, lui donnât l'ordre de quitter promptement la Terre
Sainte. Ignace ne vit dans cette décision qu'une manifestation
de la volonté du Seigneur3. Il revint en Espagne, gardant au
cœur la résolution de se dévouer à la sanctification des âmes et
persuadé qu'il devait, pour y réusir, ne pas mépriser les moyens
humains, acquérir la science et embrasser l'état ecclésiastique 4.
Il avait trente-trois ans3. Fixé â Barcelone où il était entretenu
par la charité de quelques bienfaiteurs, il n'hésita pas, pour
apprendre les éléments de la langue latine, à se mêler aux jeunes
écoliers sur les bancs d'une classe de grammaire. Le reste de son
temps était consacré aux austérités, à la prière et à des entretiens
spirituels, dans lesquels il s'efforçait d'inspirer à d'autres le
désir « d'embrasser son genre de vie6 ». Il s'attacha ainsi trois
compagnons : Calisto, Artiaga et Diego de Cazerès.
Après deux années consacrées à l'étude du latin, il se décida,
sur le conseil de ses protecteurs, à faire sa philosophie à l'Uni-
1. Cette date peut être fixée grâce au témoignage de Gabriel Perpina, domestique
de Juan Pujol, vicaire de Prats, qui fit alors, avec son maître et Ignace, le voyage
jusqu'à Rome; il rapporte qu'ils y arrivèrent le dimanche des Rameaux (29 mars);
auparavant Ignace était resté trois semaines à Barcelone, et la traversée jusqu'à Gaëte
avait duré cinq jours (Summarium Procès. Manresa en Prats, ait. 3). Cf. Aslrain,
op. cit., p. 43, 45.
2. Acla P. Ign., n. 45. Polanco, p. 26. Le texte des Acla prouve clairement que
le seul motif de ce voyage n'était pas la dévotion : « Firmiter autem slatuerat ut
Hierosolymis remaneret, ut loca illa sancta semper inviseret, et animabus prodes-
set. » Polanco ,est encore plus explicite : « Nec solum suae devotioni satisfacere sed
eliam infidelibus fidem et doctrinam praedicare proposuerat. »
3. Acla P. Ign., n. 47, 50. Polanco, p. 29.
4. Acla P. Ign., n. 50. — 5. Acla Sanctorum, t. VII Julii, § XI. n. 109. p. 441.
6. Polanco, p. 32-33.
6 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSl S.
versité d'Alcala. Ses trois disciples de Barcelone vinrent l'y
rejoindre. Il en conquit un quatrième, Jean ou Jeannic, français
et page du vice-roi de Navarre : blessé dans une querelle, ce
jeune homme fut amené à l'hôpital où notre saint le gagna en
le soignant1. Tous les cinq mendiaient leur vie, formaient en-
semble une petite communauté et portaient le même costume,
un habit long, d'un brun clair, avec un chapeau de la même
couleur. Faible esquisse de la Compagnie qui doit naitre plus
tard et ailleurs, cette petite société dura peu, assez cependant
pour avoir l'honneur de la persécution.
Ignace, tout en suivant les cours de philosophie, continuait
avec l'ardeur d'un converti ses œuvres de prosélytisme; il profitait
de toutes ses relations pour prêcher les vérités de la foi, expliquer
les commandements de Dieu et enseigner les moyens de tendre
à la perfection2. Cette conduite, peu ordinaire de la part d'un
étudiant, ne trouva pas d'abord de contradicteurs. Mais, quand
grossit la foule des personnes qui venaient l'entendre, des bruits
défavorables sur lui et ses Exercices spirituels se répandirent et
l'on se prit à redouter les pièges d'un novateur. L'usage de la
communion fréquente observé par ceux qu'il dirigeait, ses dévo-
tions du samedi en l'honneur de la Sainte Vierge qui le firent
accuser de célébrer le sabbat comme un juif, la pieuse coutume
de visiter les malades et de les servir dans les hôpitaux qu'il avait
développée par ses exemples et ses conseils, enfin les exagérations
de deux femmes, dont le zèle inconsidéré ne voulut pas se rendre
aux conseils de sa prudence, lui valurent d'être dénoncé plusieurs
fois à l'Inquisition3. Il fut même incarcéré, et l'un de ses disciples,
Calisto, partagea quelque temps sa prison. Enquête faite sur ses
actes et sa doctrine, les inquisiteurs ne trouvant rien à lui repro-
cher le remirent en liberté; mais le vicaire général d'Alcala lui
ordonna de reprendre avec ses compagnons le costume habi-
tuel des étudiants, et lui interdit, sous peine d'excommunication,
tout enseignement religieux, soit en particulier, soit en public,
avant la fin de la philosophie. Ignace ; se soumit à ce juge-
ment; puis, se sentant pressé par une loi supérieure à continuer
ses travaux pour le salut des âmes, il résolut de poursuivre ses
études dans un diocèse où il ne serait plus lié par les mêmes dé-
fenses 4.
1. Procès d'Alcala, dans Boletin de la Acad. de la ffistor., t. XXXIII, p. 439. Cf.
Astrain, op. cit., p. 65, note. — 2. Polanco, p. 34, 35.
3. Acta P. Ign.. n. 57, 60, 61. Polanco, p. 35, 36, 37.
4. Acta P. Ign., n. 62, 63.
IGNACE DE LOYOLA: 7
:î. Il va donc à Salamanque. Il n'y est pas depuis quinze jouis
que l'on commence contre lui une nouvelle enquête. Il est mis
en prison avec Galisto. Attachés tous deux par le pied à une
même chaîne, ils passent la première nuit à louer Dieu et à
chanter des cantiques; les jours suivants ils étonnent par leur
joie ceux qui viennent les visiter ou les interroger : « Croyez -
vous, dit Ignace, que ce soit un grand mal d'être en prison
et dans les fers? Je vous assure qu'il n'y a pas à Salamanque
autant de menottes et de chaînes que j'en voudrais porter pour
l'amour de Jésus-Christ'. » Le prisonnier dut livrer ses manus-
crits et ses E.rercices spirituels. Voulant que ses trois autres
compagnons fussent entendus, il les nomma de lui-même; deux
furent arrêtés; Jean, trop jeune, fut laissé libre-. L'enquête et
les interrogatoires tournaient déjà en leur faveur quand un évé-
nement insolite vint manifester la tranquillité de leur conscience.
Une nuit, tous les détenus de cette prison s'évadèrent; il ne
resta que le saint et ses disciples, qui pouvant aussi s'échapper,
avaient préféré recouvrer leur liberté par une déclaration au-
thentique de leur innocence3. Ce témoignage ne se fit pas at-
tendre. Ils furent proclamés irréprochables sous le rapport des
mœurs et de la foi, et permission leur fut laissée de se consacrer
comme auparavant au service du prochain. La sentence ajoutait
toutefois une clause, en vertu de laquelle il leur fut interdit
d'exposer la distinction entre le péché mortel et le péché véniel,
tant qu'ils n'auraient pas achevé leur cours de théologie. Cette
défense entravait l'action apostolique d'Ignace de Loyola4. Ce
n'était point qu'il entrât à ce sujet dans de subtiles distinctions
théoriques, capables de fausser les consciences ; mais, la conver-
sion des âmes devant avoir pour fondement la connaissance de
soi-même et le repentir de ses fautes, il lui fallait bien parler
du péché et montrer le moyen de distinguer pratiquement une
offense légère d'une offense grave. La restriction apportée à son
zèle lui parut si gênante que, malgré l'avis contraire d'hommes
jouissant de la plus haute considération à Salamanque, il décida
de quitter promptement cette ville et l'Espagne 5.
A travers toutes ces tracasseries la main de Dieu conduisait
Ignace vers la France, vers le pays où, une fois de plus, une
1. Acta P. Ign., n. 67. Polanco, p. 39. Ribadencira, liv. I, c. xv.
2. Ibidem. — 3. Acta P. Ign., n. 69. Polanco, p. 39.
4. Acta P. Ign., n. 70. Polanco, p. 39.
5. Acta P. Ign., n. 72. Polanco, p. 40. Bartoli, t. I, p. 183.
8 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
grande idée va passer avant de faire son chemin dans le monde.
L'étudiant apôtre savait qu'il trouverait à Paris l'Université la
plus célèbre d'Europe, qu'il pourrait y terminer enfin ses études
et y rencontrer sans doute des hommes selon son cœur l.
ï. Il partit de Salamanque, seul, à pied, poussant devant lui
un petit âne chargé de livres2. Quand il fut parvenu à Barce-
lone, ses amis essayèrent de le détourner de son entreprise.
On était, disaient-ils, au commencement d'un hiver très rigou-
reux, la guerre venait d'être déclarée entre la France et l'Es-
pagne, les montagnes étaient infestées de brigands audacieux :
comment ferait-il, ne sachant pas même la langue du pays qu'il
devait traverser? Aucune considération ne fut capable d'arrêter
l'intrépide « pèlerin3 » dans son dessein mûrement réfléchi.
Ses charitables bienfaiteurs le prièrent alors d'accepter au moins
quelques secours, pour parer aux nécessités les plus pressantes
d'une si longue route. Il eût préféré s'abandonner, au jour le
jour, aux soins de la providence, et ce ne fut pas sans résistance
qu'il consentit à l'envoi d'une lettre de change de vingt -cinq
écus sur Paris'1. Son voyage fut pénible, mais sans incident no-
table : « favorisé par le temps et sauf de [sa] personne » , il arriva
au terme « le deuxième jour de février » 1528 5.
A cette époque, l'Université, encore florissante, voyait venir à
elle, de toute l'Europe, l'élite de la jeunesse. Toute la partie de
Paris, située sur la rive gauche de la Seine, entre la porte de la
Tournelle et la tour de Nesle, c'est-à-dire un tiers alors de la
capitale, prenait le nom de quartier de V Université . Là s'étaient
groupés une foule de collèges, la plupart fondés par des évêques
ou de riches bénéficiers, pour faciliter aux jeunes gens l'étude
des lettres et des sciences. Cette vaste corporation, composée
des quatre Facultés de théologie, de droit, de médecine et des
arts, comptait en ce temps-là de douze à quinze mille élèves. La
Faculté des arts était divisée elle-même en quatre nations : Nor-
mandie, Picardie, Allemagne et France. Cette dernière compre-
nait, outre les Français, les étrangers des divers États méridio-
1. Polanco dit positivement qu'il espérait en trouver : «Prœterea etiam in illaaca-
demia... aliquos socios ad Dei opus promovendum et proximos juvandos se facile
habiturum sperabat », p. 40.
2. Acta P. Ign., n. 72. Ribadeneira, 1. I, c. \vi.
3. C'est le nom que lui donne toujours le P. Louis Gonzalvès dans ses Acta Patris
Fgnatii. — 4. Polanco, p. 40.
5. Lettre d'Ignace à Inès Pascual, du 3 mars 1528 (Mon. frjn., s. 1, t. I, p. 74, 75).
IGNACE A PARIS. 9
naux1. Ignace de Loyola, en sa qualité d'espagnol, fit donc
partie de la nation de France.
Jusqu'alors, pressé de se donner au salut des âmes, il avait
voulu mener de front l'étude de plusieurs sciences : grammaire,
philosophie et théologie. S'apercevant qu'il n'avait rien gagné
à troubler l'ordre naturel de l'enseignement, il s'astreignit,
malgré son âge, — il avait trente-sept ans, — à reprendre par
la base toute son instruction , en commençant par la langue
latine à laquelle il consacra presque deux années, des premiers
jours de février 1528 au Ie1' octobre 15*29 '. Ce fut au collège de
Montaigu3, dont le célèbre Noël Béda était alors principal, qu'il
suivit, sous d'excellents maîtres, les classes d'humanités. Dénué
de ressources assurées, il ne pouvait songer à y demeurer en
qualité de portioniste ; il dut se contenter de louer, en commun
avec quelques espagnols, une petite chambre dans le voisinage,
et il assistait aux classes comme externe ' ou martinet 5.
Grâce aux modestes dons envoyés d'Espagne et à la lettre de
change de Barcelone, Ignace fut quelque temps libre de se livrer
tout entier à l'étude sans être distrait par les impérieux soucis
de la vie matérielle. Malheureusement un de ses compatriotes,
auquel il avait confié ses faibles ressources, les dépensa follement
et ne put rien lui rendre. Il se vit donc contraint, après le
carême, de quitter la maison qu'il habitait au Quartier Latin, de
chercher un abri à l'hôpital Saint-Jacques, au delà de l'église des
Saints-Innocents, près de la porte Saint-Denis, et de tendre la
main pour avoir de quoi vivre G. Sans doute ce n'était pas chose
nouvelle pour lui de mendier son pain comme un indigent; il
trouvait même des consolations à ressembler davantage à Notre-
1. Voir Du Boulay, Hist. Univ. Paris. ; Vallet de Viriville, Hist. de l'Instr. pu-
blique. — 2. Polanco, p. 41.
3. Acta SS., % XV. n. 141, p. 447. Ce collège d'abord appelé des Aycelins du nom
de son fondateur Gilles Aycelins, archevêque de Rouen, remontait jusqu'en 1314.
Il prit le nom de Montaigu en 1393, à la suite d'un arrangement avec Louis de Mon-
taigu, chevalier de Listenois, de la famille du fondateur. Situé sur la montagne
Sainte-Geneviève, il avait été réformé à la fin du xvc siècle par le docteur Jean Stan-
donck qui y avait annexé une communauté d'enfants pauvres, surnommés les Capettes
de la forme de leur froc. Cf. Revue des Éludes Rabelaisiennes, t. VII, p. 285-305.
4. Acta P. Ign., n° 73.
5. 11 y avait alors dans les collèges comme cinq catégories d'étudiants : les bour-
siers dont la pension (logement et nourriture) était gratuite; — les portionistes ou
convicteurs qui payaient une pension pour avoir au collège la chambre et les repas ;
— les caméristes qui étaient en chambre, mais se nourrissaient à leurs frais; — les
externes ou martinets qui assistaient aux classes moyennant un salaire payé aux
régents; — parfois enfin des serviteurs-écoliers, qui, en échange des services do-
mestiques rendus aux professeurs ou à la maison, obtenaient le droit de suivre les
cours. — 6. Acta P. Ign., n. 76. Polanco, p. 42.
10 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Seigneur, pauvre et humilié, mais son travail souffrait de cette
extrême nécessité. De plus l'hôpital Saint-Jacques, appelé Saint-
Jacques aux Espagnols parce qu'on y admettait surtout les pau-
vres de cette nation, était très éloigné du collège de Montaigu,
où les leçons, suivant les usages d'alors, commençaient en hiver
avant le jour et se poursuivaient le soir jusqu'à la nuit. Comme
les portes de l'hôpital ne s'ouvraient pas avant l'aube et se fer-
maient au coucher du soleil, Ignace perdait ainsi une bonne par-
tie des cours de ses professeurs l.
Pour éviter ces lacunes regrettables, il songea à se mettre au
service de quelque maître qui consentit à lui enseigner en parti-
culier les belles-lettres. Beaucoup d'écoliers pauvres en agissaient
ainsi, sans que cet humble emploi nuisit en rien au progrès de
leurs études. Le projet d'ailleurs souriait à la piété et à l'humilité
d'Ignace de Loyola. « Je me figurerai, disait-il, que mon maître
est Jésus-Christ; je donnerai le nom de Pierre à l'un des élèves,
celui de Jean à un autre et les noms des autres apôtres aux sui-
vants. Si mon maitre m'ordonne quelque chose, je recevrai cet
ordre comme sortant de la bouche même de Jésus-Christ, et si un
élève me commande, je lui obéirai comme à saint Pierre. » Mais
cette place, qu'il souhaitait, en vain chercha-t-il à se la procurer;
plusieurs de ses amis, le bachelier Jean de Castro, un Père Char-
treux et des religieux de Saint-Victor y employèrent aussi tous
leurs soins sans parvenir à un meilleur résultat 2.
5. Alors, Ignace s'arrêta, après avoir prié, à un expédient qui
devait mieux réussir. Deux années de suite, pendant les vacances
scolaires, il partit à pied pour la Flandre où il pouvait recueillir
auprès de riches marchands espagnols des aumônes qui lui per-
mettaient de vivre modestement toute une année. Un pareil genre
de vie lui attira, de la part de ses compatriotes à Paris, quel-
ques contradictions. L'un d'eux, Jean de Madéra, gentilhomme
de la Biscaye, lui reprocha de déshonorer par cette conduite l'il-
lustre maison de Loyola : « Quand on a, lui dit-il, un beau nom
et une famille aisée, on ne peut vivre d'aumônes sans offenser
Dieu. Vous ferez croire que vos parents ou amis ne peuvent
p as ou ne veulent pas vous secourir et qu'ils sont ou bien pauvres
ou bien avares. Vous n'avez pas le droit, ajoutait-il en appelant
1. Acta P. Ign., n. 74. Polanco, p. 42. Ribadeneira, 1. II, c. i.
2. Lettre du P. Lainez dans Mon. Ignatiana, s. 4% t. I, p. 110. — De actis
S. Ignalii a Ribadeneira (Ibid., p. 385). Polanco, p. 42.
[GNÀCE A PARIS. Il
à sa conscience, de disposer de la réputation des autres et de les
livrer au mépris public. » Ignace, lui, n'avait aucun scrupule à
persévérer dans une pratique inspirée de Dieu. Cependant, pour
vaincre l'entêtement de son compatriote, il consulta par écrit
plusieurs docteurs de Sorbonne et leur posa le cas en ces termes :
« Un gentilhomme, qui pour l'amour de Dieu a renoncé au
monde, peut-il, sans nuire à l'honneur de sa famille, aller en di-
vers pays demander l'aumône? » Tous répondirent par écrit
« qu'il n'y avait en cela ni péché, ni ombre de péché ». Cette dé-
cision unanime lui fit éprouver une grande joie, car ce n'était
pas sa propre cause qu'il avait voulu défendre, mais celle de la
pauvreté volontaire ennoblie par Jésus-Christ "1.
Sur les séjours d'Ignace en Flandre, les traditions locales nous
ont conservé de touchants souvenirs. Parmi les familles espa-
gnoles que les intérêts de leur commerce attiraient à Bruges, celle
des Aguilera se distinguait par sa piété comme par ses richesses.
Gonzalès, son chef, accueillit l'humble « pèlerin » avec une ex-
quise bienveillance et lui donna dans sa maison une généreuse
hospitalité; il conçut même pour lui une si tendre estime que,
faisant un voyage d'affaires à Paris, il passa plusieurs mois dans
le logis du pauvre étudiant afin de mieux jouir de ses vertueux
entretiens2. On compte aussi parmi les charitables hôtes d'Ignace
à Bruges le savant Louis Vives, qui avait invité le « pèlerin » à sa
table, sans autre motif peut-être que de secourir un pauvre de
Jésus-Christ. Une fois, — c'était au temps du carême, — la con-
versation tomba sur le choix des aliments permis par l'Église les
jours de jeûne. Vives soutint que ces aliments n'atteignaient
guère le but proposé, la tempérance et la mortification : « Ils ont
aussi leur saveur, dit-il, surtout dans ce pays, et l'on s'en nour-
rit parfois avec délices. » Ignace, croyant entendre dans ces
paroles une critique de la tradition ecclésiastique, répliqua sévè-
rement : « Il se peut que vous, et ceux qui comme vous se nourris-
sent délicatement, ne trouviez pas dans l'abstinence un moyen
d'atteindre la fin que se propose l'Église, mais pour la majeure
partie du peuple, qui se nourrit simplement, elle est une bonne
occasion de mortification et de pénitence. » Puis il se mit à par-
ler de Dieu et à discourir des choses spirituelles, avec une si rare
connaissance et un si profond sentiment que tous les convives
1. Acta SS., % XVI, n. 153, p. 449.
2. Manuscrit du collège de Bruges cité par les Bollandistes [Acla SS.. I XVI, n. 155,
p. 450).
12 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
étaient dans l'admiration. Quand il fut sorti, Vives dit à ceux qui
étaient présents « que cet homme était un saint et qu'il fonderait
quelque jour un ordre religieux ' ».
A Anvers comme à Bruges, le « pèlerin » reçut de ses compa-
triotes le plus favorable accueil. Au nombre de ses bienfaiteurs en
cette ville on cite Pedro Quadrato et Jean de Cuellar. Sur la fa-
çade de la vieille demeure de ce dernier, devant la porte latérale
sud de la collégiale Saint-Jacques, on voyait encore au xvnie siècle
un buste de saint Ignace, objet de la vénération publique, et au-
dessous une inscription rappelant son passage et l'hospitalité
reçue 2.
La troisième année de son séjour à Paris, Ignace de Loyola se
dirigea vers Londres. Nous n'avons aucun renseignement sur ce
voyage en Angleterre, sinon qu'il y trouva des aumônes plus
abondantes qu'en Flandre'. Touché de sa vertu et de sa piété, les
négociants espagnols lui épargnèrent dans la suite les fatigues
de ces longues courses en lui adressant leurs secours à Paris.
Grâce à leurs libéralités et à celle de ses amis de Barcelone, il
eut désormais de quoi pourvoir à sa subsistance et même à l'en-
tretien de quelques-uns de ses condisciples4.
Cependant la pauvreté volontaire ne fut pas la seule épreuve
d'Ignace au début de ses études à l'Université de Paris. Le dé-
mon, prévoyant les merveilleux fruits de salut que ses travaux
produiraient un jour, fit les derniers efforts pour le détourner
de son but, et usant de la même ruse qui lui avait si bien réussi
à Barcelone, il essaya de le distraire de nouveau par de fausses
consolations spirituelles; mais le prudent écolier ne se laissa
pas prendre au piège et sortit triomphant de cette tentation"'.
H. A la reprise des classes de l'an 1529, le 1er octobre,
jour de la Saint-Bémi, Ignace commença son cours de philoso-
phie sous maître Jean de Pena°. Avant d'être admis à suivre les
leçons de ce professeur, il avait dû faire preuve d'une intelli-
gence suffisante des auteurs classiques et montrer qu'il possé-
1. Polanco, p. 41. — 2. S. Ignatio | S. J. F. | la hac dorao | OUm liospitato | Sac.
(Acta SS., § XVI, n. 157, p. 450).
3. Acta P. Ifjn., n0lG. Cf. Delplace. L'Angleterre et la Compagnie de Jésus, p. 6.
4. Censura P. Araozii in vilam P. Ignatii, dans Mon. Ignat., ser. 4, t. I, p. 735.
5. Instruit par l'expérience, il saura plus tard préserver du même danger les jeunes
étudiants de la Compagnie de Jésus; il leur interdira une ferveur intempestive, attri-
buera des revenus à leurs communautés, et recommandera à leurs supérieurs de
veiller sur leur santé avec la plus grande sollicitude. (Polanco, p. 44.
6. Acta P. Ign., p. 82. Polanco. p. 41.
IGNACE A PARIS. 13
daif les aptitudes nécessaires à l'étude des sciences1. Il entra
alors comme pensionnaire à Sainte-Barbe, où il partagea avec
Pierre Le Fèvrc et François Xavier la même chambre dans le
corps de logis qui donnait sur la rue Saint-Symphorien. Ce col-
lège, fondé en HGO pour des étudiants de tous pays, était fré-
quenté de préférence par les Espagnols. Placé depuis 1526 sous
le patronage de Jean III, roi de Portugal, qui y entretenait un
grand nombre de jeunes gens, il était à ce moment dirigé par
le docteur portugais Jacques de Govéa2, homme très capable,
vigilant et intègre, qui savait entretenir une vigoureuse disci-
pline et une louable émulation parmi la turbulente jeunesse des
écoles.
Singulière coïncidence ! Les mêmes collèges abritèrent le fon-
dateur de la Compagnie de Jésus et le fondateur du protestan-
tisme français. Calvin, entré à Sainte-Barbe en 1523, à Tàge de
quatorze ans, y avait fait toutes ses études, sauf la philosophie
qu'il étudia à Montaigu ; après un court séjour aux écoles de droit
d'Orléans et de Bourges, il était revenu à Paris, au collège du
Fortet, qu'il habita toute l'année 1533 et une partie de l'année
suivante. Ignace dut parfois le rencontrer dans l'intérieur de
Sainte-Barbe, car le novateur avait de fréquentes entrevues avec
un professeur de la maison, le docteur Kopp, qu'il parvint à
pervertir3.
Pierre Le Fèvrïe, l'un des compagnons de chambre d'Ignace,
avait subi brillamment l'année précédente l'examen de licence
en philosophie. Volontiers il se mit à la disposition du nouvel
étudiant pour lui expliquer en particulier les leçons les plus dif-
ficiles4. Cet exercice fut très utile à l'un et à l'autre : à Le Fèvrc
en lui ravivant le souvenir de ce qu'il avait appris, à Ignace en
lui facilitant l'intelligence des leçons publiques. Il arriva sur-
tout que, dans ce commerce journalier, le répétiteur et le disci-
ple ne tardèrent pas à se mieux connaître et par suite à s'estimer
et à s'aimer. Le disciple dans la science humaine devint bientôt
le maître dans la philosophie divine : « Comme nous vivions
dans la même chambre, raconte Le Fèvre, crue nous avions même
table et même bourse, Ignace fut mon maître dans les choses
spirituelles. L'union entre lui et moi devint si grande que nous
J. Statul du Cal d'Estouteville (1452) dans Denille, Chartul., t. IV, p. 713-733.
2. Ce docteur élait connu sous le nom de Govéa l'ancien, pour le distinguer d'un
neveu adjoint à sa charge.
3. Voir Quicherat, Hist. de Sainte-Barbe, I, p. 205. — k. Polanco. p. 48.
14 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
n'étions plus qu'un cœur et qu'une àme1. » Afin de mieux réus-
sir dans un travail qu'il jugeait nécessaire, et de n'être point
distrait de ses occupations intellectuelles par son penchant à la
vie intérieure, Ignace s'engagea par une promesse formelle à
suivre assidûment le cours de son professeur. De plus il convint
avec Le Fèvre de ne point parler aux heures d'étude des choses
de Dieu-; car s'il leur arrivait d'engager un colloque spirituel,
ils s'y lançaient à pleines voiles, non sans dommage pour la
philosophie. Il supprima même quelques-uns de ses exercices
de piété, mais il resta toujours fidèle à Y examen particulier de
sa conscience qu'il faisait régulièrement pour dompter de plus
en plus ses inclinations naturelles, au saint sacrifice de la messe
qu'il entendait chaque jour, à la confession hebdomadaire et à la
communion de tous les dimanches1. On peut croire aussi qu'il
n'abandonna point la lecture de l'Imitation dont il goûta toujours
et « sut si bien faire passer dans sa vie la solide doctrine4 ».
En dehors de là, il s'efforçait d'éloigner de son esprit toute oc-
cupation étrangère à l'étude. Ce n'est qu'en 1532 qu'il adressa
sa première lettre à son frère aîné, Martin Garcia de Onaz, sei-
gneur de Loyola. Celui-ci ayant répondu, le 20 juin, en deman-
dant des conseils, Ignace lui écrivit une seconde fois l'engageant
à envoyer son fils terminer ses études à Paris. L'opinion d'Ignace
à ce sujet vaut d'être connue. « Je crois, disait- il, qu'en aucun
lieu de la chrétienté, il ne faut autant de ressources que dans
cette Université pour l'entretien, les honoraires des maîtres et
autres exigences de la vie d'étudiant, mais j'estime qu'il suffit
par an de cinquante ducats bien assurés. Je pense que vous ne
voudriez pas que votre fils, dans un pays étranger, sous un cli-
mat si différent et très froid, souffrit quelque nécessité qui pour-
rait nuire à ses progrès. A mon avis, si vous considérez les frais,
ils seront cependant moindres dans cette Université, parce qu'on
y profite plus en quatre ans que dans telle autre que je sais en
six ans... » Il prévenait ensuite son frère que le jeune homme
devait arriver avant le 1er octobre « pour commencer le cours
des arts, s'il était assez fort en grammaire » ; puis il terminait
par ce passage où parait l'étendue de son renoncement au monde
et l'élévation surnaturelle de son amour pour les siens : « Vous
me dites que vous avez eu grande joie à me voir rompre le si-
1. B. P. Fabri, Memor., p. 7. — 2. De actis S. Ignatii a Ribadeneiva, dansAfon.
Ignal., s. 4, t. I, p. 385. — 3. Polanco, p. 44.
4. C'est le témoignage de Ribadeneira (Acla SS., Yita altéra, n. 82, p. 681).
IGNACE A PARIS. l'a
lence que je gardais envers vous. Que ma conduite ne vous
étonne point... .le vous aurais écrit plus souvent, depuis cinq ou
six ans environ, si deux choses ne m'en avaient empêché : d'abord
l'étude et de nombreuses relations qui n'avaient rien de mon-
dain, puis le peu de probabilité que mes lettres servissent à la
gloire de Dieu Notre-Seigneur et au bien de mes parents selon
la chair, et nous rendissent également alliés selon l'esprit pour
nous aider mutuellement en ce qui est éternel. Vraiment je ne
saurais aimer une personne en cette vie, qu'autant qu'elle l'ait
tout son possible pour servir et louer Dieu de tout son cœur; car
celui-là n'aime point Dieu de tout son cœur, qui aime quelque
chose pour soi et non pour Dieu... Je désire avec ardeur que la
vraie charité devienne parfaite en vous, mes parents et amis, et
que vous consacriez toutes vos forces au service et à la gloire de
Dieu, afin que je puisse vous aimer et vous servir davantage,
puisque servir les serviteurs de mon maître est mon triomphe
et ma gloire ' . »
7. Ignace poursuivit son cours de philosophie ? avec l'énergie
qu'il savait dépenser à toute oeuvre entreprise pour le service
de son divin Maitre. Il l'acheva avec succès. A l'Université de
Paris, l'étudiant de troisième année désireux d'arriver aux grades
devait subir l'examen de baccalauréat, qui portait à l'origine le
nom dedéfermina/tce3. Les candidats, après avoir justifié de leur
temps d'étude par des certificats de leurs professeurs attestant
qu'ils avaient suivi pendant deux ans un cours de logique, subis-
saient ensuite, sur cette science et sur la grammaire4, diverses
épreuves : c'était, entre la Saint-Martin et Noël, une série de dis-
putes pendant un mois, puis un examen qui avait lieu vers la
fin de janvier3, et enfin de nouvelles argumentations pendant le
carême °. Une coutume du temps, si l'on en croit un passage fort
obscur du P. Gonzalvès, obligeait le futur bachelier à « prendre
1. Lettre à Martin Garcia de Oùaz. (Mon. Ignat., ser. 1, t. I, p. 78).
2. En vue des examens à passer et pour jouir des privilèges de l'Université, Ignace
se fit inscrire sur ses registres sous le rectorat de Landeric Maciot, entre le 16 décem-
bre 1531 et le 24 mars 1532 (Acta Recloria Univ. Paris., Bibl. nat.. mss. latins. 9,952,
fol. 141').
3. Determinare quxstionem, c'est-à-dire conclure une argumentation [Cf. Deni-
11e, Cliartul., t. II. p. 673, n. 2). A cette époque, l'argumentation était la principale
épreuve de l'examen.
4. Statut du Card. d'Kstouteville, 1452 (Denille, Cliartul., t. IV, 713-733).
5. Statut de la Faculté des arts, 4 nov. 1476 (Du Boulay, t. V, p. 723, 724).
6. Statut d'Eslouteville déjà cité.
16 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
la pierre1 ». S'agit-il d'une cérémonie, d'un divertissement ou
d'une imposition quelconque? Nous n'avons trouvé nulle expli-
cation à ce sujet2. Nous savons seulement, et par le même auteur,
que pour prendre la pierre il en coûtait un écu d'or. Ignace, à
raison de sa pauvreté, hésita longtemps à faire cette dépense; il
ne s'y décida que sur le conseil de Jean de Pefla son maître. Sa
conduite fut blâmée par quelques-uns de ses compatriotes, qui
épiaient et critiquaient tous ses actes et eussent aussi bien trouvé
à redire s'il avait agi d'une autre manière; mais peu lui importait
la vaine opinion des hommes. Il fut reçu bachelier avant Pàquc
de l'année 1532.
Un an plus tard, il se présentait, pour obtenir la lice/tce, à de
nouvelles épreuves plus difficiles et surtout plus solennelles. Seuls
le chancelier de Notre-Dame et celui de Sainte-Geneviève avaient
le pouvoir de conférer ce grade3. On n'y était pas admis avant
d'avoir suivi pendant une année, depuis le baccalauréat, les cours
et les disputes de l'Université sur la dialectique, la géométrie et
l'astronomie '. Il fallait alors subir deux examens : l'un privé ou
in cameris suivi de l'acte quodlibetarius^ dans l'église Saint-Ju-
lien ; l'autre public, à Notre-Dame ou à Sainte-Geneviève, devant
des examinateurs choisis par les Nations sous la présidence du
chancelier. Le résultat était ensuite proclamé aux Mathurins, puis
à une date déterminée par le Recteur, les candidats reçus se réu-
nissaient vêtus du costume de cérémonie11 et étaient conduits au
1. « Pigliano una pietra, che loro dicono » {Acla P. Ign., n. 84).
2. Ni Du Cange ni La Curne de Sainte-Palaye ne donnent l'expression accipere ou ca-
pere petram employée par Gonzalvès. On ne la trouve pas davantage dans le cartu-
laire de Denifle, ni dans les Statuts des Universités françaises de Fournier. Une
charte de Charles VI fait allusion à un jeu qu'on appelait traire la pierre, mais sans
dire en quoi il consistait (Archiv. nat., JJ. 137, n. 34). Par ailleurs, il nous parait
difficile d'assimiler ce passage de Gonzalvès à celui où Ribadeneira prétend que l'exa-
men pour la maîtrise s'appelait de pierre à cause de sa difficulté. La phrase du
P. Gonzalvès indique un acte distinct de l'examen, et qu'on reprocha à Ignace à cause
de la dépense qu'il entraînait. Au moyen âge les déterminants devaient donner deux
banquets, l'un au commencement et l'autre à la fin de leur déterminance (Statut de
la Faculté des arts, 1275, art. 3, dans Du Boulay, t. III, p. 420). Le cardinal d'Es-
touteville, dans son statut de réforme, prohibe les dépenses exagérées à l'occasion des
déterminances : « Statuimus ne déterminantes, in suis determinationibus, convivia
faciant nisi admodum modesta et temperata. Inhibemus etiam excessivas expensas
fieri in disputationibus praediclis ne scolares graventur quoque modo » (Denifle.
Chartul., t. IV, p. 730).
3. L'examen de N.-D. s'appelait examen inferitts ; l'autre examen superius (Sta-
tut de la Faculté des arts, février 1278, dans Du Boulay, t. 111, p. 447).
4. Reformatio Facultatis artium (Du Boulay, t. TV, p. 390). — Statut de 144 ï
(lbid., t. V, p. 529).
5. Ainsi nommé sans doute parce qu'on devait argumenter sur n'importe quelle
question. — 6. « Cappali et ornati » (Du Boulay, t. V, p. 858, 859. De consecutiotw
graduum in artilnis).
IGNACE A PARIS. 17
chancelier qui leur donnait, avec « la licence », la bénédiction
apostolique. Ignace de Loyola obtint la licence du chancelier de
Sainte-Geneviève, le 13 mars 15331.
Cette promotion avait obligé le pauvre étudiant à des dé-
penses2 qui épuisèrent ses maigres ressources. Il dut recourir à la
générosité d'une de ses bienfaitrices d'Espagne, Inès Pascual, à
laquelle il écrivit le 13 juin 1533 : « J'ai reçu, ce carême, le titre
de maitre et j'ai été forcé de dépenser en cette circonstance plus
que je ne voulais et pouvais, de sorte que je suis tombé par là
dans un grand embarras; il est tout à fait nécessaire que Dieu
Notre-Seigneur vienne à notre secours3. »
Bien que tous les licenciés fussent appelés maîtres es arts, ce-
pendant l'Université ne reconnaissait ce titre et n'en accordait les
privilèges qu'à ceux qui se faisaient agréer par la corporation des
maîtres dans un acte solennel nommé inceptio'1. Au jour fixé, le
récipiendaire, qui avait préalablement prêté serment de respec-
ter les droits, statuts et libertés de la Faculté et de sa Nation, se
rendait en grande pompe aux écoles de la rue du Fouarre ; il sou-
tenait une argumentation semblable à celle de la licence, puis,
après une harangue du maitre sous lequel il avait été licencié, il
recevait le bonnet, insigne de la maîtrise5. Le plus souvent, les
licenciés passaient cet acte dans le courant même de l'année sco-
laire où ils avaient été admis; mais Ignace attendit plus d'un an,
1. Un catalogue contenant les noms des licenciés de cette époque tomba par hasard
entre les mains du P. Petau, un jour qu'il était allé dire la messe à l'abbaye Sainte-
Geneviève. Sur cette liste, reproduite par les Bollandistes, nous trouvons la mention
suivante que nous traduisons du latin : « Nation de France, Sainte-Barbe, Ignace de
Loyola, 13 mars de l'an du Seigneur 1532/3 » (Acta SS., I XVII, n. 170, 171, p. 452).
2. Au moyen âge tel était l'excès de ces dépenses que les plus hautes autorités du-
rent intervenir. Dans une constitution de Clément V (1311) il est dit que le candidat
devra jurer de ne pas dépenser plus de « trium millium turonensium argenteorum »
(Du Boulay, t. III, p. 142). En 1562, dans son plan de réforme de l'Université, Ramus
se plaint encore des frais d'études et d'examens, et dit que de son temps il en coulait
56 livres, 16 sols, pour parvenir à la maîtrise ès-arts (Avertissement de Ramus,
1562, cité par Crevier, Hist. de l'Univ., t. VI, p. 91).
3. Monum. Ignat, ser. 1, t. I, p. 90, 91.
4. Ainsi nommée parce que le jour même, ou peu après, le nouveau maitre devait
faire une première leçon publique. « Incepit est la formule constamment employée
dans les registres de la Nation anglaise pour désigner l'acle de maîtrise » (Thurot.
De l'organisation de l'enseignement dans l'Université de Paris au moyen-âge,
p. 59). Cf. Slatutum de incipientibus. 12 janvier 1339 (Du Boulay, t. IV, p. 258).
Comme le remarque justement Du Boulay (t. II, p. 685), la licence, ou pouvoir d'en-
seigner, était conférée par les chanceliers au nom de l'Eglise qui avait alors la haute
surveillance de l'enseignement; quant à la mai frise, n'étant que la remise des insi-
gnes du maitre et l'agrégation à un corps constitué, d'où dépendait l'administration
des écoles, elle devait être conférée par ce corps, c'est-à-dire par l'Université.
5. Livre du chancelier de Sainte-Geneviève, cité par Thurot, op. cit., p. 60, et ad-
ditions, p. 8. — Cf. Du Boulay, t. III, p. 142; IV, 272.
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 2
18 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
jusqu'après Pâques 153V, avant de l'accomplir1. Sans doute l'im-
puissance où il était de faire de nouvelles dépenses explique ce
retard : dans le Registre des Recteurs qui contient la liste des
incipientes de l'année 1534, nous avons remarqué qu'aucune
bourse'2 n'était inscrite devant son nom.
Ignace avait quarante-deux ans quand il termina sa philo-
sophie Si l'on songe à la répugnance que l'étude inspire à ceux
qui ne sont plus jeunes et aux humiliations qui accompagnent
souvent leurs pénibles efforts, on ne peut s'empêcher d'admirer
le courage de cet homme, au caractère de soldat, peu fait pour
les choses spéculatives et qui se condamne à neuf années de tra-
vaux intellectuels 3 pour conquérir son diplôme de maître es arts.
Lainez et Salmeron, ces deux lumières du Concile de Trente, se
sont plu à rendre hommage à la persévérance et au savoir de
leur bienheureux Père : « Bien qu'il rencontrât, dit Lainez, plus
d'obstacles que personne, cependant il surpassa en application
tous les autres étudiants ; aussi parvint-il à une bonne moyenne
de science 4, comme il le prouva dans les examens publics et dans
les argumentations soutenues contre ses condisciples. »
Le 18 octobre 1533, c'est-à-dire au commencement de l'année
scolaire qui suivit celle de son admission à la licence, Ignace de
Loyola avait commencé à fréquenter les cours de théologie au
couvent des Dominicains de la rue Saint-Jacques \ école si peuplée
qu'elle comptait alors jusqu'à six professeurs. Mais il ne put en
profiter que durant un an et demi °; ensuite, comme nous le di-
1. « Acta rectoria Univ. Paris., J1534-1544 » (Bibl. nat., mss. latins, 9,953. fol. 12).
Le diplôme de maîtrise de saint Ignace conservé dans la Compagnie et reproduit dans
les Acta SS., ï XVII, n. 173, est. daté du 14 mars 1534 '5; il y est dit qu'il passa maî-
tre après Pâques 1534.
2. « Pour subvenir à ses dépenses, chaque Nation levait sur chaque candidat une
certaine somme au moment où il prêtait serment. Cette cotisation était fixée d'après
leur revenu présumé. L'unité de compte était appelée bourse (bursa). Une bourse était
la somme que le candidat dépensait pour son entretien, déduction faite du loyer de
sa chambre et du salaire de son domestique (Registres de la Nat. angl., II. fol. 56" .
Le candidat aflirmait cette somme par serment; le procureur multipliait la bourse
ou, comme on disait, la (axait suivant les besoins de la Nation, de la Faculté, de l'U-
niversité (Reg. de la Nat. franc., 31 janvier 1446). Les bacheliers, les licenciés et les
maîtres payaient en moyenne quatre bourses... Le candidat qui n'était pas assez riche
pour payer les bourses, aflirmait sous serment, en présence de sa Nation, qu'il était
placé dans les conditions de pauvreté exemptant des frais d'examen. (Statut Nat.
angl., 1424 : Jurare slatntum paupertatis). » (Thurot, op. cit., p. 61-63).
3. Depuis le «arêine de 1524 où il a commencé la grammaire à Barcelone, âgé de
trente-trois ans.
4. « Veniendo a médiocres letras. » Epistola P. Lainii ad Pol-incum de s. Igna-
tio {Mon. Ignat., ser. 4, t. I, p. 110). — 5. Polanco, p. 4t.
6. Ignace se fit donner plus tari un témoignage authentique de ce temps d'étude
tliéologique ; il lui fut délivré dans une assemblée générale tenue aux Mathurins, le
14 octobre 1536 {Acta SS., g XVIII, n. 174, 175, p. 453).
IGNACE A PAMS. 19
rons bientôt, il fut contraint par la maladie de quitter la Fiance
et de retourner en Espagne J.
8. Pendant les sept années qu'il passa à l'Université de Paris,
le futur fondateur de la Compagnie de Jésus, toujours poussé par
l'inspiration apostolique reçue à Manrèse, n'avait négligé aucune
des occasions qui s'étaient offertes de déployer son zèle sans nuire
à la marche de ses études. Son esprit était si plein des choses de
Dieu qu'il lui suffisait des relations ordinaires de la vie pour pou-
voir faire œuvre d'apostolat. Mais cette ardeur à poursuivre le
salut et la perfection des âmes lui valut de grandes persécutions.
Dès son arrivée il s'était adressé de préférence à ses compatriotes,
avec lesquels la communauté de langage lui permettait des liai-
sons plus faciles. En 1529, par le moyen des Exercices spirituels,
il inspira le désir de la vie parfaite à trois gentilshommes espa-
gnols d'un beau talent : Juan de Castro, de Tolède, bachelier de
Sorbonne, Peralta, sujet d'un rare mérite, et un jeune biscayen
nommé Amador 2, sur qui Jacques de Govéa fondait les plus
belles espérances. Tous les trois résolurent de renoncer au monde
et de se consacrer à Dieu dans une entière pauvreté. Après avoir
vendu tout ce qu'ils possédaient et distribué le prix aux indigents,
ils se retirèrent à l'hôpital Saint-Jacques et vécurent en deman-
dant l'aumône. Le bruit d'un changement si imprévu se répandit
bientôt dans l'Université et devint le sujet de tous les entretiens.
Il excita surtout le dépit de quelques espagnols, qui regardant
l'héroïque abnégation des trois étudiants comme un acte d'insigne
folie, se montraient scandalisés de les voir mendier de porte en
porte au mépris, disaient-ils, de leur famille et à la honte de
leur pays. Un mot d'ordre est donné. Une bande d'écoliers accou-
rent en vociférant devant l'hôpital pour en faire sortir leurs ca-
marades; ils s'efforcent par prières, menaces et reproches de les
détourner de leur genre de vie. Ce fut en vain; les trois jeunes
gens répondirent qu'eux aussi avaient jadis regardé les choses
du ciel comme une folie, mais qu'à présent, grâce aux leçons
d'Ignace, ils étaient revenus de cet aveuglement : « Allez le
trouver, ajoutèrent-ils, et dans peu de jours vous viendrez vous
joindre à nous. Ou, si vous ne voulez pas nous imiter, cessez au
moins de nous troubler. » On passa alors des paroles aux actes;
on les arracha violemment de l'hôpital et on les ramena dans
1. Polanco, p. 51.
2. Peralta et Amador habitaient alors Sainte-Barbe (Cf. Astrain, op. cit., p. 66).
20 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
leur ancienne habitation. Là, on les contraignit de quitter leur
pauvre habillement et on les poursuivit de tant d'importunités
qu'ils promirent de se conduire, au moins extérieurement,
comme tout le monde jusqu'à la fin de leurs études et leur retour
en Espagne i .
Lorsqu'on apprit qu'Ignace avait été l'instigateur de cette sin-
gulière manière de vivre, ceux qui la désapprouvaient tournè-
rent contre lui leur rancune. Parmi les plus irrités se trouvaient
l'espagnol Pedro Ortiz, régent du collège de Montaigu, et le por-
tugais Jacques de Govéa, principal du collège Sainte-Barbe, tous
deux personnages de grande autorité. Ils cédèrent à un premier
mouvement de jalousie contre celui qu'ils traitaient déjà de no-
vateur. Qu'était-il donc, en effet, pour prendre une telle influence
sur leurs propres disciples? N'était-ce pas un fauteur de désordre
et même d'hérésie? Des lettres malveillantes, venues d'Espagne,
ayant confirmé ces soupçons, les plaintes des adversaires d'Ignace
se firent plus bruyantes : on lui reprocha d'ensorceler ceux qui
le fréquentaient, puis bientôt on en vint à l'accusation formelle
de magie. De là une dénonciation portée au tribunal de l'Inquisi-
tion.
L'Inquisiteur était, en ce temps-là, Mailre Mathieu Ori, frère de
l'Ordre de Saint-Dominique et prieur du couvent de Saint-Jac-
ques, désigné par le Pape Clément VII pour combattre l'hérésie
protestante en France 2. Dès qu'il connut la nature des faits sou-
mis à son examen, il devina sans peine quelle était cette magie
qui jetait dans les esprits un trouble si salutaire, et il ne crut pas
devoir commencer une enquête juridique. Cependant il voulut
voir Ignace, le connaître, s'entretenir avec lui sur sa doctrine et
ses actes. Mais celui-ci était alors absent de Paris, se dévouant à
une œuvre de miséricorde bien capable de confondre les ca-
lomnies des accusateurs.
On se rappelle l'ancien compagnon de chambre auquel Ignace
avait confié son petit pécule et qui, dépositaire infidèle, l'avait
entièrement dissipé. Ce malheureux jeune homme était tombé
dangereusement malade à Rouen, au moment de s'embarquer
pour l'Espagne. Connaissant la mansuétude de celui-là même
1. Acla P. /.'/»., u. 77. — Polanco, p. 45, 46.
2. A proprement parler le tribunal de l'Inquisition n'a jamais été établi en France
tomme il lélail en Espagne et en Italie; mais il y a eu souvent des inquisiteurs délé-
gués par le Pape pour conserver la pureté de la foi. Tel fut le cas du dominicain
Mathieu Ori investi de ce pouvoir sous le pontificat de Clément VU (Cf. Du Boulay,
t. VI, p. 296).
fGNACE A PARIS, 21
dont il avait trahi la confiance, il n'hésita pas dans sa détresse à
recourir a sa charité et à lui faire parvenir la nouvelle de son
misérable état. Ignace, préoccupé de ce qui pouvait arriver pen-
dant son absence, sentait une vive répugnance à entreprendre
ce voyage; mais étant entré dans l'église Saint-Dominique, où il
consulta Dieu dans la prière, ses craintes s'évanouirent; il vou-
lut, coûte que coûte, aller au secours de cet infortuné qu'il espé-
rait ramener à de meilleurs sentiments. Pour obtenir son entière
conversion, il résolut même de parcourir pieds nus, sans boire ni
manger, le long chemin qui sépare Paris de Rouen. Le lendemain,
à son lever, il sentit de nouveau une grande appréhension qui lui
enlevait jusqu'à la force de se vêtir. Ce fut dans cette angoisse
qu'il quitta son logis, puis la ville, avant la pointe du jour.
Quand il arriva à Argenteuil, sa faiblesse corporelle était
extrême; il pouvait à peine se tenir debout; cependant il renou-
vela la résolution de poursuivre sa route à pied sans rien pren-
dre, dût- il se traîner à terre. Tandis qu'il montait avec effort une
pente escarpée il fut tout à coup délivré de cette épreuve. Son
corps était soulag-é et fortifié, une telle abondance de consola-
tion spirituelle remplissait son àme qu'il se mit à converser tout
haut avec Dieu. Après une marche de quatorze lieues, le premier
jour, il s'arrêta dans un hôpital où il partagea le lit d'un men-
diant; il passa la seconde nuit dans une chaumière; enfin, le
troisième jour, il atteignit le terme de son voyage, toujours à
pied et à jeun mais sans éprouver ni faim ni fatigue, tant il était
ravi en Dieu et dans un continuel transport d'amour. Dès qu'il
eut trouvé son ancien compagnon, Ignace, oubliant l'injustice
dont il avait été victime, l'embrassa tendrement comme son ami,
puis lui procura tous les secours corporels et spirituels dont il
avait besoin. Lorsque le pauvre malade fut rétabli, il le fit ad-
mettre sur un bâtiment atin qu'il pût continuer son voyage et lui
donna des lettres de recommandation pour des amis d'Espagne l.
Gomme il était sur le point de quitter la ville de Rouen, Ignace
reçut une lettre lui annonçant que pendant son absence on l'avait
dénoncé à l'Inquisition; on prétendait même qu'il s'était enfui
afin d'échapper au châtiment réservé aux hérétiques. Justement
alarmé de cette nouvelle, il précipita autant que possible son
retour et se fit délivrer en présence de deux témoins un certificat,
attestant qu'après réception de la lettre il était aussitôt reparti
1. Acta P. Ign., n. 79, 8o. — Polanco, p. 42. — De actis S. Ignatii a RUmde-
neira (Mon. UjnaU, s. 4, t. I, p. 346).
22 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
pour Paris. A peine arrivé, avant même de rentrer à son logis,
il se rendit directement chez l'Inquisiteur avec l'intention de lui
raconter toute l'affaire et de se soumettre volontairement à une
enquête. II désirait par là dissiper tous les soupçons conçus contre
lui et prouver à ses adversaires qu'en faisant le voyage de Rouen,
il n'avait point eu en vue d'échapper aux poursuites. Maître Ori
avait déjà écarté l'accusation de magie, comme sans fondement,
et s'était abstenu jusque-là d'aucune procédure. Le prompt re-
tour d'Ignace et sa comparution spontanée le confirmèrent dans
son opinion favorable. Persuadé de l'innocence de l'accusé, il le
congédia sans l'interroger et lui dit qu'il n'avait rien à craindre1.
9. Ce que nous venons de raconter se rapporte aux premières
années du séjour d'Ignace à Paris, lorsqu'il étudiait la gram-
maire et les humanités2. Durant sa philosophie, où nous l'avons
vu s'abstenir de toute œuvre capable de troubler le cours régu-
lier de ses travaux, il saisissait cependant avec avidité toute oc-
casion rencontrée par hasard de faire le bien. Un jour qu'il
causait en pleine rue avec un de ses amis, le docteur Fragus,
survint un moine tout inquiet qui pria celui-ci de l'aider à trouver
un autre logement, parce que dans la maison qu'il habitait plu-
sieurs personnes venaient de mourir, enlevées, pensait-il, par la
peste qui désolait la ville. Les deux amis s'empressèrent de l'ac-
compagner à sa demeure, voulant visiter les malades et recon-
naître la nature du fléau. Aucun doute, c'était bien la peste qui
sévissait dans cette maison. Ignace s'approcha d'un pauvre mori-
bond, le cons>la et essaya de le rassurer en touchant ses plaies.
A peine fut-il sorti qu'il éprouva uue vive douleur à la main;
s'imagïnant alors être atteint par la terrible maladie, il fut saisi
d'une crainte involontaire; puis, indigné de ce qu'il regardait
comme un moment de faiblesse, il porta la main à ses lèvres en
se disant à lui-même : « Si tu as la peste à la main, tu l'auras
aussi à la bouche. » Aussitôt, sa frayeur s'évanouit en même
temps que la douleur disparut. Dès qu'on sut qu'il avait pénétré
dans une maison infectée, tout le monde se mit à le fuir comme
un pestiféré; il fut obligé de vivre quelques jours hors du col-
lège Sainte-Barbe qu'il habitait alors 3.
1. Acta P. Ign., n. 81. Polanco, p. 46. Censura P. Araozii in vîtam .s11 Ignatii
[Mon. Ignat., s. 4, t. I, 735, 736).
2. Ce fut « quinze mois après son arrivée à Paris, dit Polanco, que s'éleva celte
tempête » (De Vita P. Ignatii, p. 45-46). — 3. Acta P. Ign., n. 83.
IGNACE A PARIS. 23
Tandis qu'il paraissait moins s'occuper à la conquête des âmes,
on le laissait fort en paix. Le docteur Fragus, étonné de ce calme
inusité, lui en fit une fois l'observation. « C'est que je n'ai plus
d'entretiens spirituels avec personne, lui dit Ignace, mais atten-
dez que j'aie terminé mes études et tout reprendra comme par
le passé1. » Cette prévision se réalisa; la tempête éclata même
plus soudaine qu'on n'aurait pu le croire. Ignace avait cessé, il
est vrai, de donner les Exercices spirituels et de gagner ainsi des
prosélytes, mais il savait profiter de la moindre circonstance pour
exhorter ses camarades à mener une vie chrétienne, à sanctifier
les dimanches et les fêtes par la confession, la communion et les
bonnes œuvres. Or, c'était la coutume, au collège Sainte-Barbe,
d'assister avant midi, les jours de fête, à certains exercices litté-
raires. Depuis qu'Ignace avait introduit la fréquentation des sa-
crements parmi ses condisciples, il arriva parfois que plusieurs
de ces jeunes gens omirent de s'y trouver, occupés qu'ils étaient
parleurs actes de dévotion. Maître Jean de Pena, froissé de ces
absences, en fît un grief à l'étudiant apôtre et ne lui ménagea pas
les réprimandes : s'il s'occupait de la conduite des autres, il de-
vait s'attendre à l'avoir pour ennemi. Ces injustes reproches
produisirent peu d'effet. Aucun professeur n'avait le droit de
forcer les élèves à négliger leurs devoirs de chrétien pour as-
sister à des disputes scolastiques dont l'heure avait été mal choisie.
Malgré trois avertissements, Ignace ne laissa pas d'exhorter ses
amis à garder leur pieuse coutume.
Maître Pena, voyant l'inutilité de ses remontrances, s'en alla,
tout hors de lui, trouver le Principal du collège et réclama une
punition rigoureuse. Pour calmer son irritation, le docteur Govéa
le pria de prévenir de sa part Ignace de Loyola que, s'il con-
tinuait à distraire les écoliers de leurs travaux, on lui donnerait la
salle. Les menaces comme les avertissements restèrent sans résul-
tat. Le professeur, outré de dépit, renouvela ses plaintes auprès
du Principal l'assurant que, sous couleur de sainteté, cet étu-
diant méprisait les statuts du collège, qu'il était inaccessible à
tout sentiment de crainte ou de persuasion et qu'une pénitence
exemplaire pourrait seule le corriger. Govéa, déjà fort indigné
contre Ignace depuis l'affaire du jeune Amador, son protégé,
résolut de le condamner sans plus d'examen, comme perturba-
teur de la paix publique, à la peine de la salle dont il l'avait me-
nacé '.
1. Acla P. Ign., n. 82. — 2. Ibid., n. 78. Cf. Ribadeneira, 1. II, c. ni.
24 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Voici en quoi consistait ce châtiment : au son de la cloche se
réunissaient dans la salle du collège tous les élèves, quatre
régents armés de verges, le Principal avec quelque autre grave
personnage qu'il devait inviter pour la plus grande humiliation
du délinquant; celui-ci, saisi à l'improviste, était amené devant
cette assemblée, dépouillé jusqu'à la ceinture et frappé, sur le
dos, par les régents, d'un nombre de coups déterminé1. Ce genre
de punition, plus humiliante encore que douloureuse, permettait
d'atteindre le but qu'on s'était proposé : détacher d'Ignace ses
condisciples en l'avilissant à leurs yeux. Personne n'oserait plus
paraître dans la compagnie d'un homme déshonoré par une
flétrissure publique.
Quelques-uns de ses amis, ayant eu connaissance de ce que l'on
tramait contre lui, le prévinrent secrètement de fuir ou de se
cacher. Ignace, loin de suivre cet avis, se représenta le divin
Maître attaché à la colonne du prétoire et il ne voulut pas perdre
une si bonne occasion de souffrir pour l'amour de Dieu. Cepen-
dant, à la pensée d'un traitement humiliant et immérité, il fris-
sonna; puis, dominant bientôt cette répugnance involontaire de
la nature, se menaçant lui-même de se traîner de force comme une
bête de somme s'il ne pouvait pas marcher de bonne grâce, il
entra résolument au collège dont les portes furent aussitôt fer-
mées derrière lui. A cette heure même, pourtant, son âme était
livrée à deux esprits bien opposés : d'un côté, l'amour de Dieu
uni au désir de souffrir pour Jésus-Christ et son saint nom le
poussait à subir joyeusement l'ignominie; d'autre part, le même
amour de Dieu joint au zèle pour le salut des âmes lui conseillait
d'éviter un châtiment dont les suites auraient pu devenir si
funestes au projet qu'il méditait. Dans son doute, il recourut au
principe des Exercices spirituels, la plus grande gloire de Dieu ;
il reconnut qu'il devait préférer le bien des âmes à sa propre
humiliation, et vite sa résolution fut prise2.
Quand le correcteur se présenta pour le conduire dans la salle,
Ignace de Loyola se déclara prêt à le suivre, mais il demanda à
parler d'abord au Principal. L'âme tranquille et sans reproche,
1. Statutum FacuUalis artium pro corrigendis abusibus, 1488 : « Puniatur delin-
quens scholaslicus in aula collegii, cujus se profitetur scholasticum, a quatuor Regenli-
bus et a singulis eorum verberetur virgis in dorso nudus, praesentibus omnibus
scholasticis de suo collegio, ad pulsuin campanae, ac praesente D. Rectore cum DD.
Procuiatoribus si illis placet nie adesse, aut saltem praesente aliqua gravi persona
quam inagister Paedagogus appellare decreverit ad inajorein delinquentis juvenis eru-
bescenliam » (Du Boulay, V, 783, 784). Cf. Maffei, De vita B. lgnatii, p. 65
2. De aclis S.Jgn. a Ribadeneira (Mon. Ign., s. 4, t. I, p. 383, 384).
IGNACE A PARIS. 23
il parut devant lui avec une contenance assurée, comme un
homme libre de tout souci personnel; il exposa simplement les
divers sentiments qui se combattaient en son cœur : condamné
aux verges pour avoir conduit des âmes à Dieu, il ne reculera pas
devant ce léger châtiment, lui qui a enduré pour la même cause
la prison et les fers; jusqu'ici il n'a jamais cherché à se disculper,
tenant à honneur de souffrir et môme de mourir dans un si noble
ministère; mais aujourd'hui, il ne s'agit pas seulement de son
intérêt; c'est le salut d'un grand nombre qui est en jeu; on veut,
en le déshonorant, éloigner de lui ceux qui ne lui étaient attachés
que par le seul désir de la perfection. Convient-il à un chrétien de
condamner, comme perturbateur, un homme qui se proposait
uniquement de gagner des âmes à Jésus-Christ? Car enfin on n'a
pas d'autre crime à lui reprocher, et s'il est coupable en quelque
autre point, qu'on veuille bien le lui dire.
Le docteur de Govéa, dans son jugement précipité, n'avait
point envisagé les choses de ce point de vue surnaturel; les expli-
cations si franches d'Ignace dissipaient le nuage qui l'avait aveu-
glé; chacune de ses paroles lui déchirait le cœur comme un
remords. Il s'aperçut qu'il avait persécuté ce que lui-même aimait
par-dessus tout, la vertu chrétienne, et il résolut de réparer sur-
le-champ le tort qu'il avait fait à la réputation d'un homme de
Dieu. Sans dire un mot, mais les yeux remplis de larmes1, il le
prend par la main et le conduit dans la salle où maîtres et
élèves attendaient. Là, à la grande surprise des assistants, il
déclare qu'il avait à la légère prêté l'oreille à des accusations
sans fondement : « Cet homme est un saint, dit-il, car sans se
soucier de la douleur et de l'affront, il n'a tenu compte que de
l'honneur de Dieu et de l'avantage du prochain. » Et tout ému,
se jetant aux genoux de l'étudiant, il lui demanda pardon2.
On peut s'imaginer l'impression produite sur l'assemblée par
cette satisfaction éclatante, et la considération qui revint à Ignace
d'un changement si inattendu. Une telle démonstration de respect
1. « Profusis eliam lacrymis. »
2. Polanco, n. 47, 48. — De aclis S. Ign. a Ribadeneira (Mon. lgnat., S. 4, t. I. p.
380-384).
M. Quicherat a mis en doute cet acte d'humilité du docteur de Govéa, sous prétexte
que dans ses confidences au P. Gonzalvès le saint n'en a rien dit; mais il a passé
bien d'autres faits, ceux-là surtout qui tournaient à sa gloire. M. Quicherat se croit-il
donc mieux renseigné que Ribadeneira, enfant et contemporain de son bienheureux
Père, mieux renseigné que le P. Polanco, son secrétaire, et plusieurs de ses premiers
biographes? Pour nous, leur témoignage suffit à former notre conviction. Voir Qui-
cherat, op. c, p. 104.
■26 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
de la part d'un homme aussi vénéré que Jacques de Govéa lui
valut l'estime, l'admiration de tous, et servit à lui attirer de nom-
breux disciples. Maître Jean de Pena qui avait soulevé cette tem-
pête se réconcilia avec lui, et, à partir de ce moment, le prit en
singulière affection. Quelques années plus tard, lorsque la Com-
pagnie de Jésus n'était pas encore approuvée comme ordre reli-
gieux, Govéa conseilla à Jean III, roi de Portugal, d'employer les
compagnons d'Ignace à la conversion des Indes. S'il avait exécuté
l'inique sentence, peut-être Ignace n'eût-il jamais fait la conquête
de Xavier, si susceptible sur le point d'honneur, et celui-ci n'eût
point recueilli l'admirable moisson d'àmes converties par son zèle
infatigable.
10. Parmi les principaux personnages de l'Université qui hono-
rèrent Ignace de leur amitié, nous ne pouvons oublier les deux
illustres professeurs Moscoso et Vaglio, et surtout un lecteur de
théologie nommé Martial. Ce dernier puisait chaque jour, dans
ses entretiens intimes avec le saint étudiant, de nouvelles lumières
sur les mystères les plus profonds de la religion. Il se persuada
qu'un homme qui, sans avoir assisté aux leçons ni parcouru les
écrits des théologiens, était si versé dans la science sacrée, devait
l'avoir apprise à une école plus haute et de Dieu lui-même. Il
s'offrit donc à lui faire obtenir le bonnet de docteur en théologie,
pendant qu'il n'était encore que philosophe; mais le serviteur
de Dieu ne voulut jamais y consentir1.
Lorsque Ignace eut commencé de suivre les cours de dogme
chez les Dominicains du grand couvent de Saint-Jacques, il pensa
que son nouveau genre d'études lui permettait de donner plus de
temps aux œuvres de piété et de charité. D'ailleurs, parvenu à
parler couramment le français, il pouvait maintenant exercer son
zèle auprès d'un plus grand nombre de jeunes gens. Ce zèle,
alors, était fort opportun, car l'erreur luthérienne, sous les trom-
peuses apparences d'émancipation de la pensée, causait déjà
d'affreux ravages au sein de l'Université. Ignace s'en aperçut vite;
il employa toute son habileté et son énergie à ramener à l'unité
catholique les esprits que les nouvelles doctrines avaient égarés.
Rempli de cette ardente conviction des vérités de la foi que lui
avaient laissée les sublimes révélations de Manrèse, il convertit
par de sages et adroites discussions plusieurs de ces malheureux
1. Polanco, p. 45.
IGNACE A PARIS. 27
hérétiques, qu'il conduisait ensuite au tribunal des Inquisiteurs
pour se réconcilier par une abjuration secrète avec la sainte Église
Romaine '.
Une autre classe de dévoyés, celle des pécheurs, avait tou-
jours été l'objet de ses attentions les plus industrieuses. Avec le
don naturel de manier les caractères, de convaincre les esprits et
de toucher les cœurs, il avait l'habileté de condescendre, dans
les limites permises, à l'inclination, aux désirs, parfois même
aux capices de ceux qu'il voulait sauver à tout prix. Surtout, il ne
reculait devant aucun sacrifice, quand il s'agissait de ramener
une àme à Dieu. Un jeune homme de sa connaissance s'était folle-
ment épris d'une femme qui demeurait dans un village des
environs de Paris. Ignace, ayant invoqué vainement tous les
motifs de raison et de foi sans le guérir de son aveugle passion,
résolut de tenter un autre moyen. Le chemin que suivait ce
jeune libertin en allant à ses coupables rendez-vous, traversait un
pont. Un jour, Ignace va l'attendre à cet endroit; dès qu'il
l'aperçoit venir, il se dépouille de ses vêtements; malgré le froid
de l'hiver il se plonge dans l'eau jusqu'au cou, et à son passage il
lui crie : « Allez, malheureux, courez à vos honteux plaisirs. Vous
ne voyez donc pas le glaive de la justice divine prêt à vous
frapper? Moi je resterai ici priant et faisant pénitence pour vous;
vous m'y trouverez à votre retour, vous m'y retrouverez jusqu'à
ce que j'aie détourné de votre tête la trop juste colère de Dieu. »
Effrayé de cette véhémente objurgation, le pécheur ouvrit enfin
les yeux sur son état, dont la honte et les dangers lui étaient
manifestés au prix d'un si cruel martyre; il n'alla pas plus loin,
réforma ses mœurs et ne cessa plus de regarder le sauveur de son
àme comme son meilleur ami2.
Pour convertir un religieux qui vivait d'une manière peu con-
forme à sa vocation, Ignace eut recours à une industrie non moins
extraordinaire ni moins efficace. Un dimanche il se présente à lui
au confessionnal et lui fait une accusation générale de toute sa
vie, accompagnant l'aveu de chaque faute des signes d'une très
vive contrition. La grâce de Dieu agissait en même temps dans
l'âme du malheureux prêtre; la confession n'était pas achevée
qu'il était devenu un autre homme. Après l'absolution, il se jette
à son tour aux pieds de son pénitent en qui il avait reconnu
un maitre dans les choses du salut; il lui expose avec larmes la
1. Acta SS., I XVI, n. 161, p. 451.
2. De actis S. Ign. a Ribadeneira (Mon. lgnat., s. 4, t. I. p. 362, 364).
28 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
désolation de son âme et le supplie de l'aider à sortir de son triste
esclavage. Ignace avait atteint son but; il acheva l'œuvre de
conversion par les Exercices spirituels, et sous sa direction le
religieux repentant devint un modèle de vertus1.
I ne autre fois, Ignace étant allé voir un gentilhomme pour une
affaire de charité, le trouva qui jouait au billard2. C'était un
docteur en théologie, illustre par sa naissance et son savoir, assez
réglé dans ses mœurs, mais peu dévot et plus occupé des intérêts
du temps que de ceux de l'éternité. Invité à lui servir de partenaire,
Ignace s'excuse en disant qu'il n'y entendait rien. Le docteur
insiste et l'aimable saint, mû par une inspiration divine, accepte
L'invitation : « Quel sera l'enjeu? dit-il en souriant; un pauvre
tel que moi n'a point d'argent, et il n'y a point de plaisir à ne
rien jouer du tout. Voici ce que je propose : si je perds, je vous
servirai pendant un mois et ferai tout ce que vous me com-
manderez; si je gagne, vous ferez seulement une seule chose que
je vous demanderai pour votre bien. » La condition est acceptée,
et Ignace, qui n'avait jamais joué au billard, gagne sans difficulté
la partie. Le docteur, reconnaissant là quelque chose de mysté-
rieux, s'offrit loyalement à remplir les conditions de l'enjeu : il
suivit pendant un mois les Exercices spiriluels, où il apprit pour
le plus grand bien de son àme les principes de la vraie vie 3.
Etrange existence, celle de cet étudiant de quarante et quelques
années, se livrant tout ensemble à l'étude des sciences, à la pra-
tique des conseils évangéliques et au ministère de l'apostolat! Si
étrange qu'elle fût, elle tenta cependant quelques âmes d'élite que
la Providence, toujours sage et puissante dans la conduite de ses
entreprises, voulut associer à Ignace de Loyola pour la fondation
d'un Ordre nouveau. Le chapitre suivant dira quelles furent ces
âmes et comment elles furent conquises à la cause du Divin Roi.
1. Bien que nous ne tenions ce fait et le suivant que de Bartoli (Saint Ignace, t. I,
p. 197), nous avons cru ne pas devoir les omettre. Bartoli, qui écrivit au milieu du
xvir siècle, travailla sur les archives de la Compagnie. Au dire des Bollandistes, il est
de tous les biographes de saint Ignace celui qui a le mieux entendu son devoir
d'historien (Acta SS., t. VII Julii, l XCIV, n. 992, p. 609).
2. Le jeu de billard, d'origine orientale, a été introduit en Europe vers l'époque
des croisades-, il se répandit en France surtout pendant le règne de Louis XI et
devint tout à fait à la mode sous celui de Louis XIV.
3. Barloli, t. 1, p.. 198.
CHAPITRE II
LES PREMIERS COMPAGNONS d' IGNACE ET LES VOEUX
A MONTMARTRE.
(1529-1536).
Sommaire : 1. État des esprits à Paris pendant le séjour d'Ignace : humanisme
et réforme. — 2. Ignace est témoin des manifestations populaires contre l'hé-
résie. — 3. Il cherche des compagnons. — 4. Pierre Le Fèvre. — 5. François
Xavier. — (3. Lainez et Salmeron. — 7. Nicolas Bobadilla et Simon Rodriguez.
— 8. Ils arrêtent ensemble leurs projets d'avenir. — 9. Vœux à Montmartre.
— 10. Vie d'Ignace et de ses compagnons après cette cérémonie. — 11. Nouvelle
dénonciation à l'Inquisition; Ignace retourne en Espagne. — 12. Séjour de
ses compagnons à Paris sous la direction de Pierre Le Fèvre. — 13. Vocation
de Claude Le Jay. — 14. Paschase Broet et Jean Codurc se réunissent aux
compagnons d'Ignace.
Sources manuscrites .- I. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a) Sum-
mariura Processuum in causa B. P. Ignatii. — b) Processus de sanclitate et virtute
S. Franc. Xaverii. — c) Franciae Historia, t. I.
II. Archives nationales : al Registre du Parlement, Xi-\ n. 1531, 153i, 1537, 4538. — b) Chartes
et papiers de l'Abbaye de Montmartre L. 1031.
III. Bibliothèque nationale : a) Acta rectoria Univ. Paris., ras. lat. 9,900. — b) Actes de la
Faculté de Théologie, ma. lat. 9,953. — c) Monasticon Benedictinum, XXVIII, m s. lat.
12,688.
Sources imprimées : Acta Sanctorum, t. VII Julii. — Memoriale B. Pétri Fnbri. — Ro-
driguez. De Origine S. J. — . Ribadeneira, Vida del B. P. Ignacio.— Vie du P. Lainez.
— Cros S. J., Saint François Xavier. Documents nouveaux. — Monumenta iiist. S. .1. Mon.
Ignatiana, s. 1, t. V; s. 4, t. I. — Mon. Xaveriana, 1. 1. — Polanco, De vita P. Ignatii.
1. Il ne paraîtra pas sans intérêt de considérer un instant le
milieu où vivaient les futurs collaborateurs d'Ignace, quand par
sa voix ils entendirent l'appel de Dieu. Si leur sainte détermi-
nation fut tout à fait indépendante des événements contempo-
rains, ils acquirent du moins de ceux-ci une expérience qui les
guidera plus tard, quand il faudra organiser l'apostolat et l'en-
seignement dans la Compagnie de Jésus : ils sauront alors se
montrer de leur temps et reconnaître la nécessité des études
littéraires et scientifiques pour combattre l'erreur à armes égales.
Nous sommes à l'époque où François Ier favorise de tout son
pouvoir le progrès de la littérature et des sciences, et sévit molle-
ment contre les tentatives des novateurs. Sous le regard bien-
veillant du Père des lettres, latinistes, hellénistes, voire même
30 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESI S.
hébraïsants publient, en éditions peu coûteuses, les chefs-d'œuvre
de l'antiquité profane et chrétienne. François Tr institue des
lecteurs royaux qui enseigneront gratuitement les langues sa-
vantes1. A la suite d'Érasme, toute une pléiade d'érudits, épris
de lectures, proclament que l'étude des lettres antiques rendra
l'homme plus conscient de lui-même, plus civilisé et plus hu-
main. Leur doctrine, l'humanisme, a bientôt conduis tous ceux
qu'avaient lassés la routine et le convenu du moyen àg-e. Alors
un courant se forme qui menace dans ses traditions la vieille
Université de Paris; courant excellent s'il est contenu et dirigé,
redoutable au contraire s'il dépasse de justes limites2. On aurait
pu avoir un humanisme chrétien; on n'eut, de fait, qu'un huma-
nisme libertin qui, développant avec excès la critique philolo-
gique ou philosophique, secoua le joug' de l'autorité, prôna la
pensée indépendante, interpréta audacieusement l'Écriture et
les Pères, ridiculisa les institutions et les dogmes de l'Église 3.
Il faut le dire à la gloire de la Faculté de théologie, elle sut
découvrir l'affinité, l'alliance même, de cet humanisme avec le
protestantisme et, dans les débuts, elle les combattit vigoureu-
sement l'un et l'autre. Elle condamna Érasme 4 qui se défendait
d'être protestant et osait cependant attaquer les pratiques chré-
tiennes, traiter sans respect la doctrine des Pères, critiquer la
traduction de la Vulgate et mettre en suspicion les livres de
l'Ancien Testament. Elle censura le Miroir de l'âme pécheresse
de la reine de Navarre, sœur du roi, parce qu'elle crut y sur-
prendre des tendances hérétiques \ Elle dénonça au Parlement
les lecteurs royaux, parce que « simples grammairiens et rhé-
toriciens, non ayant encore étudié en la Faculté [de théologie],
ils s'efforçoient de lire publiquement de la Sainte Écriture et
1. La première idée du collège des trois langues dale de 1517, mais ne fut réalisée
qu'en 1530. Les premiers professeurs furent Pierre Danès et François Vatable. Cf.
Du Boulay, t. VI, p. 93 et 121.
2. Ph. Torreilles, f.e mouvement théologique en France, p. 51-62. — Hauser, De
l'humanisme et de la Réforme en France, dans Revue Historique, juillet-août 1897.
3. Dans une notice mis. de Bobadilla (Vocalioncs nostrorum), que le P. Astrain
pense avoir été dictée par celui-ci même, on lit à propos du temps où Bobadilla
étudiait à Paris : « Eo tempore incipiebal grassari Parisiis haeresis lulberana et
qui graecisabant lulheranizabant » (Astrain. op. cit., p. 77, note 1).
4. Censure du 16 déc. 1527, publiée seulement en 1531. — Décret du 1er juillet
1528 condamnant les Colloques (IVArgentré, Collectio judiciorum, t. 1. Index sen-
ttntiavum Parisiensis scholae, p. v).
5. Du Boulay, t. VI, p. 238. — François [" s'en plaignit à l'Assemblée générale de
l'Université (24 ocl. 1533) qui rejeta la responsabilité de celle censure sur la Faculté
de théologie et la désavoua. Il faut dire que le nouveau recteur, Nicolas Kopp, était
imbu des idées de Calvin (Ibidem).
LES PREMIERS COMPAGNONS D'IGNACE. 31
icellc interpréter1 ». Et quand Guillaume Briçonnet, évoque de
Meaux, confia l'évangélisation de son diocèse à des savants « ama-
teurs de nouveautés2 », à un Lefèvre d'Étaples qui prêchait la
justification par la foi, à un Guillaume Farel qui sera bientôt, à
Genève, le précurseur de Calvin, la Faculté intervint contre ce
prélat, frappa et dispersa ses prédicateurs, de sorte que lui-
même se vit obligé de combattre ceux qui l'avaient abusé 3.
Cette attitude de la Faculté n'est pas sans courage, car alors
toutes les faveurs de François Ier vont aux humanistes et aux
réformés. Le roi estime et protège Érasme dont il laisse imprimer
les colloques. Il défend Lefèvre d'Étaples contre la sentence
des docteurs, et forme le dessein de le rappeler d'un exil volon-
taire pour lui confier l'éducation de son plus jeune fils. Il sou-
tient de sa bienveillance le poète Clément Marot et l'imprimeur
Robert Estienne, tous deux ouvertement engagés dans la secte.
Et tandis que Noël Béda, l'intransigeant défenseur de l'ortho-
doxie, est exilé par deux fois, la cour, avec l'assentiment de
Jean du Bellay, évêque de Paris, entreprend des négociations en
Allemagne dans le but de faire venir en France le luthérien
Mélanchton 4. Dans son entourage, François F1' entend bien le
cardinal de Tournon ou le chancelier du Prat lui conseiller la
rigueur; mais sa sœur, Marguerite de Valois, une autre femme
très puissante sur lui, la duchesse d'Étampes, son aumônier
Pierre Duchàtel et son prédicateur Guillaume Petit, le poussent
à la plus dangereuse indulgence. Sa politique l'y portait aussi : il
ne voulait point froisser les princes luthériens d'Allemagne dont
il se ménageait l'amitié contre Charles-Quint. Comment, dans
de pareilles circonstances, un roi, naturellement curieux des re-
cherches savantes et se plaisant aux témérités des hommes de
lettres, ne serait-il pas resté faible devant l'erreur défendue par
le talent, l'érudition et le bel-esprit? Cependant, sans être nul-
lement théologien, il était, malgré ses désordres, très religieux
et très respectueux des formes visibles du culte. Il commença
1. On peut lire dans Du Boulay (t. VI, p. 239 et suiv.) les curieux discours de
Marillac, avocat de la Faculté, et <le Montholon, avocat du roi.
2. Crevicr, t. V, p. 202. Cf. Journal d'un bourgeois Paris sous François Ier
(Edil. Bourrilly, 1909), p. 233.
3. Voir un long extrait des registres du Parlement relatif à celle affaire dans Du
Boulay, t. VI, p. 173-184.
4. Ce projet échoua de part et d'autre: les docteurs de Paris ne le goûtaient
point, et Mélanchton, que sa modération rendait suspect aux Luthériens, n'obtint pas
le congé de l'Électeur de Saxe (Du Boulay, t. VI, p. 256, 257). Cf. Bayle, Met., arl.
Mélanchton.
32 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
de sévir quand il put juger la nouvelle doctrine à ses fruits, quand
les nouveaux dogmes eurent inspiré des actes sacrilèges *.
2. l)o 1528 à 1535, Ignace et ses amis furent témoins de ce re-
virement de la politique royale dans les affaires religieuses. S'ils
curent alors à déplorer la propagation de l'hérésie par renseigne-
ment et par les livres, ils purent aussi admirer le vif mouvement
de réprobation avec lequel le roi et le peuple manifestèrent la ré-
volte de leur foi contre les audaces de l'impiété. Quelle joie ce
devait être pour des âmes sensibles aux intérêts divins, de voir la
Sorbonne démasquer l'erreur et la réprimer, dénoncer au Parle-
ment la vente des ouvrages luthériens'2, prohiber les Colloques
d'Érasme3 déjà très répandus4, lus même dans les classes, bien
que les moines, le célibat des prêtres et les plus saintes dévo-
tions des fidèles y fussent tournés en dérision; quelle joie d'ap-
prendre que le roi a enfin reconnu le danger et déclaré « son
parfait et entier vouloir d'extirper les hérésies de son royaume5 » ;
quelle joie surtout d'assister aux premières émo'ions d'un peuple
vengeant ses croyances, à ces cérémonies de réparation dont les
registres du Parlement nous ont gardé le touchant récit!
En 1528, le 31 mai, dans la nuit qui précéda le dimanche de la
Pentecôte, des fanatiques brisèrent la statue de la Sainte Vierge
placée au coin de la rue des Rosiers6. Aussitôt l'Université déli-
bère; elle réclame, par requêtes au roi et au Parlement7, la re-
cherche et Ja punition des coupables; puis, le mardi après la
Trinité, elle va en procession solennelle avec cinq cents de ses
élèves tenant tous un cierge allumé; en chemin on s'arrête à l'en-
droit où le sacrilège a été commis, et au milieu de cantiques de
circonstance chacun dépose son cierge devant les débris de la sta-
tue8. Le roi voulut lui-même « rétablir ladite image »; il en fit
faire une autre d'argent de même grandeur; il vint exprès de
Fontainebleau pour la fête du Saint Sacrement; le lendemain, 12
juin, eut lieu par son ordre une nouvelle procession expiatoire à
1. De Meaux, Les luttes religieuses en France au XVI" siècle, p. 18-24.
2. Reg. du Parlement, juillet 1531 (Archiv. nat.. X'% 1,534).
3. Décret du l"r juillet 1528 (Du Boulay, t. VI, p. 211).
4. Lettre d'Érasme « ad Alpli. Valdesium » (Du Boulay, t. VI, p. 211). Un impri-
meur de Paris, Simon de Colines, comptait en faire un si grand débit qu'il en tira
24.000 exemplaires {Ibitl.).
5. Déclaration faile par le roi au premier Président (Reg. du Parlement X1", n. 1. 534.
('. 39, 20 décembre 1530).
(',. Du Boulay, t. VI, p. 209, 210. Félibien. flist. de Paris, t. II, p. 981.
7. Reg. duPailement .\',n. 1,531, 6 juin 1528.
8. Du Boulay, l. c. Cf. Félibien. Hist. de Paris, 1. c.
LES PREMIERS COMPAGNONS D'IGNACE. 33
laquelle prirent part avec lui tous les corps de l'État; arrive sur
remplacement du crime, François 1er de ses propres mains « osta
l'image qui avoit esté rompue... et après avoir baisé l'image d'ar-
gent... laquelle lui fut baillée par l'évesque de Lisieux, il la mist
au lieu de l'autre... puis la baisa derechef, puis descendit ledit
seigneur ayant les larmes aux yeux et se mist à genoux faisant
derechef ses oraisons1 ».
Mais ces manifestations de la foi eussent été sans effet sur les
sectaires si de justes châtiments ne les avaient terrifiés. Au mois
d'avril 1529 est brûlé en place de Grève un gentilhomme d'Artois,
Louis de Berquin, docteur en théologie et conseiller du roi,
homme d'un esprit fort libre, coupable d'avoir semé l'hérésie,
traduit et répandu les traités des réformateurs allemands2. En
1531, on fait arrêter et juger plusieurs hommes de lettres pour
violation de la loi du carême; parmi eux se trouvait Clément
Marot3. Le 17 décembre de la même année, l'Université condamne
les Psaumes du poète et fait défense aux libraires de les vendre 4.
En 1533, les hypocrites réformateurs subirent une humiliation
d'un autre genre. Le jour de la Toussaint, le recteur de l'Univer-
sité récemment élu, Nicolas Kopp, tout dévoué aux nouvelles opi-
nions, fit le discours d'usage aux Mathurins : ce morceau avait été
composé par Calvin dont il reflétait la doctrine. Deux Franciscains
en déférèrent au Parlement plusieurs propositions erronées.
Kopp essaye de se défendre, réunit de nouveau l'Université, fait
l'apologie de son discours et prétend que s'il est coupable c'est à
l'Université et non au Parlement de le juger. Les Facultés de mé-
decine et des arts sont de cet avis; mais la Faculté de théologie
et celle de droit, persuadées que les privilèges de l'Université ne
lui ont point été donnés pour favoriser les fausses opinions, em-
brassent le sentiment contraire. Kopp, sentant sa cause mauvaise,
s'enfuit à Baie et le jeune Calvin, qui habitait alors le collège de
1. Procès-verbal du Greffier (Archiv. nat., Reg. du Parlement Xla, n. 1,531, 6 et
12 juin 1528). Le P. Cros S. J. dans son savant ouvrage sur saint François Xavier
a déjà cité ces registres du Parlement; on peut regretter qu'il n*ait pas reproduit
l'ancienne orthographe ni donné les références détaillées de ses citations. Nous don-
nons ici le texte revu avec soin.
2. Félibien, Hist. de Paris, t. II, p. 984. Du Boulay, t. Vf, p. 217-221. La Faculté
de théologie avait déjà condamné des livres de Berquin au mois de juin 1523 (Actes
de la Faculté... Bibl. nat., ms. lat. 9,960, f. 21). Cf. Journal d'un bourgeois de Paris.
p. 234.
3. Dulaure, Hist. de Paris, t. H, p. 197. Pendant que deux conseillers instruisaient
leur procès, le secrétaire de la reine de Navarre vint au Parlement et cautionna Clé-
ment Marot qui sortit de prison.
4. Du Boulay, t. VI, p. 234.
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 3
34 HISTOIRE \)E LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Fortet, se retire en Saintonge l. A cette époque, où l'erreur était
sans droits, il élait dangereux de se voir suspecté d'hérésie, et si
l'on avait le malheur de tomber dans les prisons de la Concier-
gerie, c'était souvent pour finir sur le bûcher, place Maubert ou
place de Grève 2.
Ce fut surtout en 1535 que François Ier se montra partisan
d'une sévère répression. Il y fut contraint par l'excès même du
mal. Le 18 octobre 1534- parurent affichés en divers lieux publics,
à Paris et dans plusieurs autres villes, des placards imprimés
avec ce titre : « Articles véritables sur les horribles abus de la
messe papale3 ». Le roi fut indigné de ces déclamations violentes
contre la plus vénérable cérémonie du catholicisme ; il comprit
qu'il ne s'agissait plus de disputes savantes. De retour à Paris, non
content des prières et processions solennelles que le Parlement
avait déjà ordonnées dans toutes les paroisses4, il voulut assister
avec la cour à une nouvelle procession générale d'expiation, le
21 janvier 1535. Parles rues « tendues de tapisseries », à travers la
foule que contenaient « les archers et arbalestriers de la ville »,
furent portés « par gens d'Église » le chef de saint Louis, et par
des évêques les reliques de la Sainte-Chapelle; puis, précédé des
ambassadeurs et des cardinaux, le Saint-Sacrement parut sous
un poêle qui était tenu par les enfants de France '. « Incontinent
après marcha le roi, seul, tenant en sa main une torche de cire
blanche... » Le cortège se rendit de Saint- Germain l'Auxerrois
à Notre-Dame « où l'évesque de Paris célébra la grand'messe
que le roy et la reyne ouyrent avec les princes, princesses, sei-
gneurs et dames... Et le sermon achevé, allèrent disner à la mai-
son dudit évesque de Paris. Après le disner le roy manda venir en
sa présence les Estats de ladite ville... et ayant à l'entour de sa
personne Messeigneurs ses enfans, fit une très saincte et belle
oraison, exhortant ses sujets à ne déroger de la foi et de l'union
de l'Église, menaçant les obstinés de la rigueur de sa justice, ad-
monestant les ministres des justices spirituelle et temporelle de
1. Du Boulay. t. VI, p. 23K, 239.
2. « Eo lempore multi comburebantur in platea Maubert » (Notice ms. de Bobadilla,
citée par Astrain, l, c).
3. Sur l'affaire des placards voir Félibien (t. H, p. 99"). D'après lui ces placards fu-
rent affichés par deux fois : une première au mois d'octobre pendant que le roi était à
Blois, et une seconde, après son retour; on eut alors l'audace d'en mettre jusque dans
le Louvre.
4. Délibération du 19 octobre 1534 (Reg. du Parlement X1', 1,537, f. 503').
5. Procès- verbal de la procession (Archiv. nat., Reg. du Parlement X'\ 1,538, f. 607-
610). — Sur cetle procession du 21 tanvier, on peut voir aussi : Actes de la faculté do
théologie de Paris en matière d'hérésie (Bibl. nat., mss. latins, 9,960, f. 29).
LES PREMIERS COMPAGNONS D'IGNACE. 33
veiller, chascun en son endroict, pour empescher que si perni-
cieuse contagion n'accrust et pullulast en ce royaume très chres-
tien »... « Et cette après-disnéc fut faite exécution de six condam-
nés au feu... pour cause d'hérésie; selon qu'il est écrit au livre des
Proverbes : Dissipât impios rex sapiens et incurvai super eos for-
nicem l » .
Vers les derniers jours de mars, il y eut encore une vive effer-
vescence dans le peuple au sujet d'une petite hostie trouvée, le
29 de ce mois, dans le cimetière Saint-Nicolas-des-Champs. Ce
jour-là même, ou le lendemain, Ignace partait de Paris, empor-
tant une lettre de François Xavier à son frère, terminée par ces
mots : « Ce qui s'est passé au sujet des hérétiques, maître Inigo
vous le dira 2. »
3. Au milieu des événements que nous venons de rappeler,
dans cette jeunesse studieuse si exposée aux embûches de la
réforme, Ignace, sous la conduite de Dieu, découvrit et s'attacha
ses premiers coopérateurs, ceux qui seront avec lui les premiers
soldats dune milice plus tard redoutable au protestantisme. Il
n'y songeait pas alors 3; il cherchait seulement à s'entourer d'au-
tres lui-même, à augmenter le nombre des âmes vivant de l'a-
mour de Jésus-Christ et prêchant, de paroles et d'exemple, ce
même amour au prochain. Nous l'avons vu entreprendre l'exécu-
tion de ce dessein pendant qu'il étudiait en Espagne, et le pour-
suivre encore au collège de Montaigu 4. Par un effet de la sagesse
divine, ses premiers efforts en ce genre n'aboutirent à rien de
durable : ni ses quatre compagnons d'Alcala, ni les trois jeunes
compatriotes qu'il conquit à la vie parfaite, quinze mois après
son arrivée à Paris3, ne lui furent fidèles1'.
Mais lui ne se lassait point d'appeler à la suite de Jésus-Christ
ceux de ses condisciples qui, attirés par son exemple ou une
1. Ibidem.
2. Lettre à Juan Azpilcueta, 25 mars 1595, dans Mon, Xaveriana, t. I, p. 205.
3. Aucun témoignage contemporain ne prouve que, durant son séjour à Paris, Ignace
ait parlé à ses compagnons de la fondation d'un ordre religieux. Voir : Fr. Van Ortroy,
Manrèse et les origines de la Compagnie de Jésus dans Analecta BoHandiana,
1908, t. XXVII, p. 393-418. — 4. Polanco, De Vita P. Ign., p. 45. — 5. Ibidem.
6. Calisto alla faire du' commerce aux Indes. Aitiaga, qui avait convoité un évêche.
mourut empoisonné en Amérique. Diego de Cazerès embrassa le métier des armes.
Jeannic vécut et mourut pieusement dans un cloître. Jean de Castro, après s'être
adonné à la prédication, se retira à la chartreuse de Valence. Peralta avait entrepris
le voyage de Jérusalem, quand il fut obligé par l'un de ses parents de revenir en
Espagne. Quant au jeune Amador, on n'a jamais bien su ce qu'il était devenu [Acta
P. Ignatii, n. 80).
36 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
sympathie providentielle, se montraient dociles à ses conseils.
Entre 1529 et 15:3V, Dieu lui fait rencontrer six de ces prédestinés.
Il les gagne d'abord par l'autorité de sa vertu et les prévenances
de sa charité ; puis, les mettant seul à seul avec le créateur, il
leur enseigne la pratique de ces Exercices Spirituels qui ont fait
de lui-même un autre homme. A cette école de l'Esprit-Saint,
la vérité, présentée à tous ces jeunes gens sous un même jour,
leur donne des convictions et des aspirations communes; la
même ardeur pour le règne de Jésus-Christ les anime, et bientôt,
la grâce de la vocation survenant, un même but les attire et les
entraine : leur perfection propre et la perfection du prochain
pour la gloire de Dieu. Unis de cœur et d'âme à Ignace et entre
eux, les voilà composant tout de suite comme instinctivement
une petite société, à laquelle il suffira de quelques événements,
amenés par la Providence, pour prendre la forme et le dévelop-
pement prévus dans le plan divin, sous le nom de Compagnie
de Jésus.
h. Le premier appelé à collaborer un jour avec Ignace à la
fondation de cette Compagnie fut un élève de Sainte -Barbe,
Pierre Le Fèvre1, que l'Église a placé sur les autels. C'était un
enfant de la Savoie né en 1506, au Yillaret, dans le diocèse de
Genève, d'une famille de cultivateurs peu favorisés des biens de
la fortune. A peine commençait-il à marcher librement qu'on
l'envoya chaque jour garder les brebis aux champs. Son père,
homme juste et craignant Dieu, devint son premier maitre dans
la science du salut. Le petit berger profita si bien de ses leçons
qu'il se trouva bientôt en état de les enseigner à son tour. On
montrait autrefois, dans son village, une grosse pierre sur laquelle
il montait, les jours de fête, pour expliquer aux autres enfants
ce qu'il avait appris des mystères de la foi. L'aimable prédica-
teur n'avait pas encore six ans, mais il s'exprimait avec une si
naïve assurance et une grâce si charmante qu'une foule d'audi-
teurs se pressaient autour de sa chaire improvisée. La vivacité
de son esprit était accompagnée d'une tendre piété. « Mes pa-
rents, raconte-t-il dans son Mémorial, mirent un tel soin à m'é-
1. Le vrai nom de sa famille était Favre. La seule lettre que nous ayons de lui en
français est signée : Pierre Faure {Carias del li. P. Fabro, p. 355). A l'Université
on lappela Faber, nom latin qui fut traduit par celui de Fèvre au xur siècle.
Comme les auteurs italiens de la Compagnie écrivaient il Fabro, les auteurs français
écrivirent Le Fèvre ou Le Febvre. Nous avons choisi la forme que l'histoire a popu-
larisée parmi nous.
LES PREMIERS COMPAGNONS D'IGNACE. 31
lever dans la crainte du Seigneur, que, tout petit enfant, j'avais
conscience de mes actes, et, ce qui est un signe d'une plus grande
grâce prévenante de la part de Dieu, vers l'âge de sept ans, je
sentais quelquefois des touches spéciales de dévotion1. » Lors-
qu'il conduisait les troupeaux au pâturage, il aimait à chanter
les louanges du Seigneur et invitait la nature entière à les chan-
ter avec lui. Au magnifique spectacle des montagnes si pittores-
ques de son pays natal, il élevait comme naturellement son
âme innocente vers Dieu et lui présentait l'hommage d'un cœur
reconnaissant.
Vers l'âge de dix ans, il éprouva dans son intelligence en éveil
une vive passion de l'étude; mais sa famille ne pouvait, sans de
lourds sacrifices, songer à lui donner une éducation libérale :
« Comme j'étais occupé de la garde des troupeaux, dit-il, et
destiné au monde par mes parents, je ne pouvais goûter aucun
repos, et je pleurais, tant mon désir de m'instruire était violent.
Aussi mes parents, contre leur intention, se virent-ils forcés de
m'envoyer aux écoles (au grand Bornand et à Thônes.) Témoins
des progrès notables que je faisais dans les études, de mon intel-
ligence et de la fermeté de ma mémoire, ils ne purent s'empê-
cher de me laisser suivre la carrière des lettres2. » Pierre fut
donc envoyé au collège de la Roche, alors dirigé par le docteur
Veillard, un de ces maîtres chrétiens qui font de l'enseignement
un apostolat. Il avait environ douze ans quand pour la première
fois il se sentit intérieurement porté à se consacrer au service de
Dieu : « Un jour pendant les vacances, raconte-t-il, comme j'étais
aux champs à garder les moutons, ce que je faisais encore de
temps à autre, je sentis une joie surnaturelle envahir mon âme,
et comme j'éprouvais un ardent désir de la sainte vertu je promis
à Dieu de garder perpétuellement la chasteté. » — En 1525,
âgé de dix-neuf ans, il quitta ses montagnes et s'en vint achever
ses études à Paris. Grâce à la bienveillante intervention d'un
parent, Dom Georges Favre, prieur de la Chartreuse du Reposoir,
il obtint une place gratuite au collège de Sainte-Barbe. Il y ha-
bita, avec François Xavier, jeune gentilhomme de Navarre, un
appartement pratique dans une tourelle que les ravages du
temps respectèrent jusqu'au milieu du xix'' siècle3. L'innocence
de ses mœurs, la simplicité de ses manières, la solidité de son
esprit et son assiduité opiniâtre au travail le mirent bientôt au
1. Memoriale, p. 3. — 2. Memoriale, p. 4.
3. Lefeuve, Histoire du Collège Rollin, p. 41.
38 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
rang des meilleurs élèves, et le rendirent extrêmement cher au
docteur Jean de Peîia, son maître. Comme il possédait à fond
la langue grecque1, ce professeur n'hésitait pas à le consulter
sur l'explication des passages les plus difficiles d'Aristote 3. Ba-
chelier es arts le 10 janvier 1529, il reçut après Pâques le grade
de licencié1. Au mois d'octobre de la même année, Ignace de
Loyola entrait à Sainte-Barbe et venait providentiellement par-
tager la chambre des deux amis.
Le futur fondateur de la Compagnie de Jésus n'aurait pu trou-
ver un compagnon mieux préparé pour l'exécution des desseins
de Dieu, ni Le Fèvre, alors en proie « à certains scrupules et
remords de conscience » , un guide plus éclairé pour la direction
de son âme. Cependant, malgré leur travail en commun, ils res-
tèrent quelque temps sans se découvrir l'un à l'autre leurs pen-
sées intimes. Enfin, les nécessités spirituelles de Pierre devin-
rent si pressantes que force lui fut de rompre le silence pour
se jeter dans les bras d'Ignace et s'abandonner à sa conduite :
« Mes scrupules, dit-il, venaient de la crainte de ne m'être pas
bien confessé de mes péchés. Quant aux tentations, c'étaient des
images suscitées par l'ange de ténèbres, que la science du dis-
cernement des esprits ne m'avait pas encore appris à connaître. »
Les scrupules poussés à l'extrême mènent souvent à d'étranges
résolutions. Pierre avait conçu la pensée de sortir du monde, et
de se retirer comme saint Jérôme dans un désert « où il ne vi-
vrait que d'herbes et de racines », espérant ainsi éviter les ten-
tations et retrouver la paix du cœur. Ignace avait eu à supporter
de semblables épreuves, dont avec la grâce de Dieu il était sorti
victorieux ; il se servit de son expérience personnelle pour rendre
le calme à son disciple. Il lui apprit à ne pas attaquer ses ennemis
de front et tous à la fois, mais à les diviser et à les vaincre l'un
après l'autre par la pratique des vertus opposées à chaque ten-
tation particulière. En même temps, il lui enseigna par quelles
armes on triomphe de l'amour-propre, principe de tous nos dé-
sordres. Le Fèvre, docile à cette direction, eut bientôt retrouvé
une si parfaite liberté d'esprit que son sage conseiller, sans
crainte de le troubler de nouveau par le souvenir du passé, l'en-
gagea à faire une confession générale. Il lui recommanda ensuite
1. Le P. Polanco dit « forte propter graecae linguae peritiam » (Vita P. fgn., p. 48).
On ne voit pas pour quel autre motif Pena eût consulté Le Fèvre sur le texte d'Aris-
tote. — 2. Polanco, De vita P. Ignotii, p. 18.
3. Memoriale, p. 7. Le Fèvre prêta serinent à l'Université au début de l'année sco-
laire 1528-1529 (Acta rectoria, 1520-1534. Bibl. nat., ms. lat. 9,952, fol. 42).
[.ES PREMIERS COMPAGNONS D'IGNACE. :{9
de se confesser et de communier chaque semaine, et, pour s'y
bien préparer, de prendre l'habitude de l'examen de conscience
quotidien; mais il ne voulut pas encore l'admettre aux Exerci-
ces spirituels, quoique Notre-Seigneur en inspirât au jeune
homme un très grand désir1.
Deux années environ s'écoulèrent, pendant lesquelles le maî-
tre ne cessa de former peu à peu l'âme de son disciple. Il trou-
vait en lui des qualités bien propres à garantir sa persévérance :
un caractère souple, un esprit ouvert, beaucoup de prudence et
de modestie. Cependant il ne lui communiqua pas immédiatement
le projet qu'il méditait; il se contenta d'encourager ses progrès
en secondant ses pures et généreuses inclinations. Quand il le
jugea capable de plus hauts desseins, il lui découvrit en confi-
dence son intention d'aller en Terre Sainte consacrer sa vie à la
conversion des infidèles. Jusqu'à ce moment, Pierre était resté
indécis sur la carrière qu'il devait embrasser. Les paroles d'Ignace
furent pour lui la voix de Dieu, et dissipèrent ses incertitudes :
« Je dois l'avouer, dit-il, avant que je fusse fermement déterminé
à suivre le genre de vie que le Seigneur m'a fait connaître par
Ignace, la pensée des honneurs ou des biens du monde était
comme un souffle qui me troublait et m'agitait sans cesse. Sans
pouvoir me fixer à rien, je voulais être tantôt médecin, tan-
tôt avocat, tantôt régent, tantôt docteur en théologie, tantôt sim-
ple prêtre sans grade, tantôt religieux dans un cloître. Mais le
Seigneur me délivra de toutes ces aspirations terrestres, et il me
rendit si fort par les consolations de sa grâce que je pris l'irré-
vocable résolution de recevoir le sacerdoce2 ».
Pierre Le Fèvre songea dès lors à écarter les obstacles qui
pourraient l'arrêter dans l'exécution de son dessein. Avant même
de terminer son cours de théologie, il alla en Savoie visiter ses
"parents et régler ses affaires de famille. Il ne trouva plus sa mère
que Dieu avait rappelée à Lui. Il passa quelques mois avec son
père, puis, ayant reçu avec la bénédiction paternelle la permis-
sion de disposer de lui-même, il reprit le chemin de Paris où il
arriva vers la fin de l'année 1533.
Ignace jugea que le moment favorable était venu de lui donner
les Exercices'. Retiré dans une maison écartée de la rue Saint-
Jacques, Le Fèvre se jeta avec une telle ardeur dans les pratiques
de la mortification que son directeur eut besoin de le modérer.
1. Polanco, p. 48. Memoriale, p. 8. — 2. Mcmoriale, p. 11-12.
3. Polanco, p. 48.
40 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
C'était pendant l'hiver, qui fut très vif cette année-là, car de pesants
chariots pouvaient traverser la Seine sur la glace; cependant,
Pierre ne voulut pas faire de feu dans sa chambre, ni avoir d'au-
tre lit que la terre. Afin de jouir de la vue du ciel qui excitait sa
dévotion, il sortait, même la nuit, dans une petite cour pleine de
givre et de neige, où il restait plusieurs heures de suite en oraison.
A cause de son tempérament, le jeûne lui était très difficile; pour
se vaincre en cela comme en tout le reste, il se soumit à une absti-
nence héroïque : « Je passai alors six jours, dit-il, sans prendre
aucune nourriture, ni d'autre boisson que celle qu'on a coutume
de donner après la communion, c'est-à-dire un peu de vin, et je
ne communiai qu'une fois durant ces six jours1. » Ignace venait
de temps en temps voir le retraitant; il devina, à la pâleur de son
visage, quelques austérités excessives. Loin d'approuver, dans un
homme destiné à l'apostolat, cette mortification indiscrète, il lui
ordonna de prendre de la nourriture et d'allumer du feu le jour
même.
Une retraite si fervente était une excellente préparation éloignée
aux ordres sacrés que Le Fèvre devait bientôt recevoir. Quand le
moment de l'ordination approcha, il acheva de s'y disposer par
le recueillement et la prière. Ordonné prêtre au milieu des plus
douces consolations, il célébra sa première messe le 22 juillet 1534.
Sa dignité sacerdotale ne l'empêcha pas de suivre toujours, avec
une humble docilité, la direction si sûre d'Ignace de Loyola. Dans
les fonctions du saint ministère, comme dans sa conduite privée,
il n'entreprenait rien sans le consulter. Avec lui il donnait les
Exercices spirituels à des jeunes gens de l'Université, ramenant
les uns à leurs devoirs religieux, raffermissant les autres dans la
piété, en décidant plusieurs à suivre son propre exemple et à
écouter la voix de Dieu qui les appelait à la vie apostolique 2.
5. Durant le voyage de Le Fèvre en Savoie, Ignace avait entre-
pris de gagner François Xavier, son second compagnon de cham-
bre au collège Sainte-Barbe. Le château de Xavier, d'où François
tira son nom, était situé au pied des Pyrénées, à sept ou huit
lieues de Pampelune, dans la haute Navarre qui avait longtemps
appartenu comme fief à la couronne de France. Ses frères avaient
comme lui pris ce nom qui était celui de leur mère, doîia Maria
1. Memoriale, p. 9.
2. Noticia de la Vida y vhtutes del B. P. Fabro por el P. Ribadeneira, dans Carias
de S. Ignacio, t. I, appendice^i^ST^^- Ribadeneira, liv. II, c. iv.
LES PREMIERS COMPAGNONS D'IGNACE. H
d'Azpilcueta et Xavier1, afin de perpétuel1 le souvenir d'une des
familles les plus anciennes et les plus illustres du pays. Né en
1506, il était venu à l'Université de Paris en 1525 2, avait subi
l'examen de licence es arts le 15 mars 1530, reçu la maîtrise
quelques jours plus tard3, et depuis le mois d'octobre il com-
mentait publiquement Aristote au collège de Beauvais'. En
embrassant par goût la carrière de l'enseignement plutôt que
celle des armes, où étaient entrés ses frères, il avait suivi les
traces de son père, don Juan de Jasso, littérateur distingué, audi-
teur au conseil royal et extrêmement cher au roi Jean d'Albret.
D'un tempérament robuste, d'une physionomie agréable et de
mœurs très pures, il avait une imagination vive et ardente, un
cœur noble et intrépide, un caractère ferme et hautain. Ignace
comprit qu'un homme de cette trempe, s'il était tourné au bien,
pourrait faire de grandes choses pour Dieu; mais il n'était pas
facile de le conquérir.
Fier de sa naissance et du crédit de son père, de son intelli-
gence et de ses succès académiques, Xavier ambitionnait un beau
nom et n'aspirait pas au delà des honneurs du monde. Il fit d'a-
bord « assez peu de cas ;> de son compatriote couvert de vêtements
pauvres et indifférent à l'estime ou aux outrages : « A peine le
rencontrait-il sans se gaudir de ses desseins 5. » Il répondait à ses
1. Dans un acte de procuration dressé à Paris, le 13 février 1531, sur la demande
de François, on lit : « Constitué personnellement le très noble François de Jasso y
Xavier... fils légitime du docteur don Juan de Jasso et de doua Maria de Azpilcuela
qui fut seigneuresse de Xavier... » Voir François Xavier, Documents nouveaux,
p. 67, 171, 309.
2. Les premiers biographes de l'apolre des Indes et les premiers historiens de la
Compagnie indiquèrent l'année 1497 comme celle de la naissance de François Xavier.
Le P. Moret, annaliste de Navarre, chargé par le P. Général Oliva de prendre à ce
sujet des informations au château de Xavier, trouva dans le livre de raison (libro
manual) de don Juan, frère de François, la dale de naissance de ce dernier. C'était
le 7 avril 1506. Voir Cros S. J., op. cit., p. 132 et François Xavier, sa vie, ses let-
tres, t. I, p. 48. — Le même auteur montre d'après les documents que François n'ar-
riva à Paris que vers la Saint-Rémi de l'année 1525.
3. Acta rectoria, 1526-1536. Bibl. nat., ms. lat. 9,952, fol. 77v. Nomina incipien-
tium post licentias : « Dominus Franciscus de Xabier, Pampilon. »
4. « 11 sert de beaucoup aux maîtres ès-arts, pour se perfectionner dans la gram-
maire, les humanités et les arts, de faire quelque temps office de régent. L'expérience
a appris que l'on s'applaudit dans les villes d'avoir pour régents des maîtres ès-arts
-qui ont fait à Paris apprentissage de régence dans les collèges de l'Université » (Statuts
du collège du Mans, fondé en 1526, dans Félibien, t. III, preuves). Ces règlement
du collège du Mans donnent une idée de la vie des écoliers à l'époque qui nous occupe.
5. Dialogue manuscrit du P. EmondAuger, cité par le P. Tournier dans les Etudes,
t. CIX, p. 657, 5 déc. 1906. — Auger, qui avait connu saint Ignace, met en scène
plusieurs des premiers Pères de la Compagnie : Polanco, Palmio, des Freux. C'est
Polanco qui raconte la résistance de Xavier à Ignace.' Elle est confirmée par le premier
historien de l'apôtre des Indes, Torsellini, entré dans la Cio en 1562 (De vita S. Fran-
cisa, 1. I, c. II).
42 HISTOIRE DE I.A COMPAGNIE DE JÉSUS.
exhortations par des railleries. Mais l'homme de Dieu « qui s'en-
tendait à faire toute vive l'anatomie d'une âme1 » ne se rebuta de
rien. Par d'aimables prévenances, quelques louanges délicates,
un zèle discret à lui procurer des auditeurs, Ignace parvint à
détruire ses préjugés, s'insinua peu à peu dans son affection. Le
jeune professeur, touché de ces bons procédés, lui donna enfin sa
confiance et le traita comme un ami. Il savait du reste que l'a-
mour de la gloire et les rêves de l'ambition avaient autrefois fait
palpiter le cœur de l'humble étudiant d'aujourd'hui, et en pré-
sence d'un changement si étonnant il se prit à penser que les
choses de Dieu doivent être la source de sublimes aspirations. Il
fut aussi très reconnaissant d'avoir été prévenu et détourné par
Ignace des pièges que lui tendaient les beaux esprits du temps,
désireux de l'attirer à leurs opinions avancées. Il écrivit plus tard
à son frère : « Sachez-le, senor, c'a été pour moi une grâce insi-
gne de Notre-Seigneur que j'aie connu Maître Iîiigo... Je ne saurais
de ma vie m'acquitter envers lui, tant je lui ai d'obligations. Que
de fois en mes nécessités il m'a aidé de sa bourse et de ses amis!
Mais je lui dois plus encore : c'est grâce à lui que je me suis éloigné
de compagnies perverses. Encore inexpérimenté je n'en discernais
pas le danger; mais à l'heure présente, les sentiments hérétiques
de ces hommes ne sont plus un mystère à Paris, et je voudrais
pour tout au monde ne les avoir jamais fréquentés. Ce service
fùt-il le seul, je ne sais quand j'en pourrai payer la dette au senor
Maître Iîiigo; c'est lui, je le répète, qui m'a empêché de me livrer
à des hommes dont les dehors paraissaient bons et qui avaient
cependant, comme on l'a vu, le cœur rempli du venin de l'hé-
résie3. »
Quand Ignace de Loyola trouva Xavier suffisamment préparé à
entendre un salutaire avertissement, il fit retentir à son oreille
cette parole évangélique capable de dissiper tous les rêves de
l'orgueil : « Que sert à l'homme de gagner tout l'univers, s'il vient
à perdre son âme? » Mais, touiours épris de la renommée litté-
raire et de la gloire mondaine, le futur apôtre des Indes résistait;
il s'attachait avec énergie à ce qu'il avait considéré jusque-là
comme le but le plus noble et le plus élevé sur la terre. Ignace
alors lui opposait la gloire de Dieu et le salut des hommes, et lui
montrait le ciel, légitime objet de son ambition. Ce rappel fré-
quent d'une réalité austère finit par jeter le trouble dans cette
1, Ibid. — 2. Polanco, p. 49. Ribadeneira, 1. II, c. iv.
3. Mon. Xaver., t. I, p. 20i. Carias de S. Ignacio, t. I, append. II, n. 7.
LES PREMIERS COMPAGNONS D'IGNACE. 4M
âme bien faite. Le combat entre la nature et la grâce fut long,
opiniâtre; mais qui peut résister à Dieu? Forcé de s'avouer vaincu,
Xavier se rendit1. Cela fait, aucun homme peut-être ne se montra
plus héroïque dans le sacrifice de lui-même et n'ouvrit plus lar-
gement son cœur aux influences de la grâce. Impatient d'achever
l'œuvre commencée, Ignace aurait voulu lui donner aussitôt les
Exercices; mais Xavier ne pouvait interrompre ses cours du col-
lège de Beauvais. Son saint ami se contenta de lui tracer une li-
gne de conduite pour la vie spirituelle, et le nouveau disciple fit
en peu de temps de rapides progrès.
La conversion d'un homme ainsi en vue produisit une grande
émotion dans son entourage. Un espagnol de basse naissance,
que le jeune professeur avait comblé de bienfaits, craignit de
perdre son propre soutien si celui-ci changeait ses habitudes con-
tre une vie toute de pauvreté. Aveuglé de colère, il conçut l'abo-
minable dessein de tuer Ignace. Dieu protégea miraculeusement
son serviteur. Au moment où le misérable, armé d'un poignard,
montait sans bruit les escaliers avec l'intention de surprendre sa
victime, il entendit une voix menaçante lui crier : « Où vas-tu,
malheureux, et que prétends-tu faire? » A ces mots il s'arrête,
saisi d'épouvante, puis court se jeter tout tremblant aux pieds de
celui qu'il voulait assassiner2.
Vers la même époque, le père de François Xavier songea à le
rappeler en Espagne. Il communiqua sa pensée à sa fille, doua
Madeleine, qui était abbesse du couvent de Sainte-Claire de Gan-
die, après avoir été daine d'honneur d'Isabelle la Catholique.
Éclairée d'une lumière prophétique, la religieuse répondit à don
Juan son père que, si la gloire de Dieu lui était chère, il devait
laisser son fils à l'Université de Paris, quelque dépense qu'il fallût
faire, jusqu'à la fin de son cours de théologie; car, ajoutait-elle,
« j'ai la certitude qu'il doit devenir un grand serviteur de Dieu
et une colonne de l'Église ! ». Don Juan reçut comme un oracle du
ciel la réponse de l'abbesse, qui jouissait dune grande réputation
de sainteté. Xavier put continuer à se préparer près d'Ignace à la
sublime mission que le ciel lui réservait.
1. Nous ne pouvons fixer le temps où se décida la vocation de Xavier. Le P. Astrain
suppose que ce fut vers 1532 ou 1533 [Hislor. de la Comp., t. I, p. 72).
2. De octis S. Ignatii a Hibadeneira dans Mon. Ignat.. s. 4, t. I, p. 344. Cf.
Bartoli, t. I, p. 221. Ribadeneira en rapportant ce fait au séjour d'Ignace à Paris ne
dit pas à quel moment précis il eut lieu. Nous avons suivi le récit de Bartoli qui
donne le nom de ce jeune homme, Michel Navarro.
3. Processus de sanctitate et virtulibusS. F. Xaverii. — Voir Cros, François Xavier,
documents nouveaux, p. 26G, 267.
44 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE HE JÉSUS.
G. Autour du maître, de Pierre Le Fèvre et de François Xavier
vinrent, en 1533, se grouper deux jeunes espagnols doués des
plus rares qualités de l'intelligence et du caractère : Jacques
Lainez, du bourg d'Almazan en Castille, et Alphonse Salmeron,
des environs de Tolède1. Le premier avait vingt et un ans, et le
second dix-huit; tous les deux, déjà remarquables par l'ardeur
au travail, le talent et la science, promettaient encore plus pour
l'avenir. Lainez était maître es arts depuis le 26 octobre 15322;
Salmeron possédait à fond les langues grecque et hébraïque3.
L'Université d'Alcala, où ils avaient étudié la philosophie, était
encore toute pleine du souvenir d'Ignace de Loyola, regardé par
les uns comme un dangereux hérétique, par les autres comme un
véritable saint. Avides de connaître celui dont la célébrité avait
frappé leurs jeunes imaginations, ils résolurent de commencer
leur théologie à l'Université de Paris. A leur arrivée dans cette
ville, ils furent favorisés d'une heureuse rencontre. Lainez ve-
nait de s'arrêter dans une hôtellerie; « il était à peine descendu
de cheval », quand un homme se présenta : c'était Ignace. La
bonne grâce avec laquelle il accueillit ses compatriotes et leur
donna les premiers renseignements, si précieux à des nouveaux
venus, les toucha4. Connaître le serviteur de Dieu, apprécier son
mérite et s'offrir à lui comme compagnons fut l'affaire de quelques
jours; puis, sous sa direction, les deux jeunes gens firent les Exer-
cices spirituels, à peu près en même temps que Pierre le Fèvre,
c'est-à-dire vers la fin de l'année 1533. Lainez s'y appliqua avec
tant de générosité qu'il passa les trois premiers jours dans un
jeûne absolu; les quinze jours suivants, il se contenta d'un peu de
pain et d'eau, sans rien retrancher de ses autres mortifications.
1. Le P. Louis Gonzalvès dans son Mémorial (Mon. Jgn., s. 4, t. I, p. 220) raconte
qu'ayant un jour demandé au P. Ignace quels furent ses premiers compagnons après
Le Fèvre, le saint répondit : « Lainez y Salmeron hicieron los Exercicos en el mismo
tiempo, antes que Javier, porque léia artes; mas Javier era ya muy mas familiar en
la Compania. » D'où il faut conclure que Lainez et Salmeron suivirent immédiate-
ment Xavier dans la Compagnie. (Cf. Polanco, p. 49.)
2. Alcala, Libro de Actos y grados, 1523-1544 (Arch. hist. nac-. de Madrid) cité par
Astrain, op. cit., p. 73. D'après ce document Lainez passa bachelier es arts le 14 juin
1531, licencié le 15 octobre 1532, maître le 26 octobre de la même année, donc à
20 ans si la date de sa naissance (1512) donnée par Ribadeneira est exacte. Né dan* une
famille très chrétienne et aisée, Jacques avait étudié les lettres à Soria et à Sigùenza.
Salmeron était né le 8 septembre 1515; c'est la date indiquée par Ribadeneira et
confirmée par les lettres testimoniales données à nos premiers Pères pour recevoir
la prêtrise, le 27 avril 1537, où il est dit que Salmeron n'a pas encore vingt-deux ans
(Acla SS., t. VII Julii, De S. Ignatio, g XXIV, n. 247, p. 467).
3. Ribadeneira, Vie et mort du P. Salmeron, à la suite de la Vie de Lainez-,
p. 225, 226. Cf. Acta SS., g XVII, n. 167, p. 452.
4. Polanco, De vita /'. Ign., p. 49.
LES PREMIERS COMPAGNONS D'IGNACE. 45
Au sortir de la retraite il voulut continuer à vivre dans l'intimité
de son saint directeur et s'offrit à partager les mêmes travaux. Sal-
meron fit de même, peu de temps après1.
7. Le cinquième compagnon d'Ignace fut Nicolas Alonso, ou
Alphonse, surnommé Bobadilla, du nom de son village natal aux
environs de Palencia, dans le royaume de Léon2. Il avait étudié
à Valladolid et à Alcala, puis enseigné quelque temps la log-ique
à Valladolid, quand le désir d'apprendre les langues savantes
le conduisit à l'Université de Paris. Sans amis et sans argent, il eut
recours à Ignace, dont il entendit vanter la complaisance, et qui
le soutint de ses bons offices et de ses faibles ressources. Auprès
de lui, Bobadilla trouva mieux encore : de sag-es conseils et la
connaissance des Exercices spirituels l'attachèrent pour toujours
à la personne de son bienfaiteur3.
Avant de s'adjoindre les trois derniers compagnons dont nous
venons de parler, Ignace de Loyola était déjà entré en relations
avec un gentilhomme portugais, Simon Rodriguez d'Azévédo,
qui étudiait aux frais du roi Jean III à l'Université de Paris. Né à
Buzella'% dans le diocèse de Viseu, Simon avait été prévenu dès
le berceau des bénédictions célestes. Son père, au lit de mort, l'a-
percevant dans les bras de sa mère : « Madame, dit-il, élevez bien
cet enfant, car Dieu le destine à de grandes choses pour son ser-
vice. » Fidèle à cette suprême recommandation, Catherine d'Azé-
védo éleva son fils comme s'il avait été déjà consacré à Dieu; et
Dieu à son tour, qui le formait en vue de sa gloire, lui donna une
pureté d'ang-e et un zèle d'aj>ôtre. Son ardent désir d'aller en
Terre Sainte, et de s'y dévouer à la conversion des infidèles, le
mit en rapports intimes avec Ignace qui avait une fois déjà entre-
pris ce pieux pèlerinage. Apprenant que celui-ci s'occupait de
réunir des compagnons pour y retourner, il s'offrit à le suivre.
Les Exercices spirituels qu'il dut faire avec certains ménagements,
parce qu'il sortait d'une longue maladie, le confirmèrent de plus
en plus dans sa généreuse résolution '.
1. Polanco, p. 49. Ribadeneira, Vie de Laynez, cli. 1, p. 4.
2. On ignore la date de sa naissance. Ce dut être avant 1510, car on sait par un
document de sa main qu'il vécut plus de 80 ans, or il est mort en 1590. Le P. Cris-
tobal de Castro (Hist. del collegio de Alcala, 1. I, c. vu) le fait naître en 1507. Cf.
Astrain, op. cit., p. 76, note 2. 11 est impossible également de préciser la date de son
arrivée à Paris. — 3. Polanco, p. 49. Cf. Boéro, Vida del P. A'. BobatliijUa.
4. La date de sa naissance n'est pas connue, ni par conséquent son âge quand il unit
son sort à celui d'Ignace.
5. Polanco, p. 49. Voir d'Oultreman, Tableaux, p. 6i, 66. Telle/, Chronica da
46 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Tels furent les six premiers disciples de saint Ignace. Tous
avaient terminé leur cours de philosophie et conquis brillamment
les premiers grades académiques; tous brûlaient d'un saint désir
de ne plus vivre que pour Dieu et d'accomplir sa volonté. Mais
quel genre de vie devaient-ils embrasser? Ils l'ignoraient encore,
quand leur maître crut le moment venu de le fixer.
8. Sans doute plus d'une fois déjà, dans ses entretiens parti-
culiers, il leur avait communiqué sa pensée de visiter les saints
lieux et de travailler à la conversion des infidèles. Ce dessein
avait souri à chacun d'eux. Pendant l'été de 1534, il fut entendu
qu'on en délibérerait en commun. Après avoir imploré la lumière
divine dans la prière et la pénitence1, ils s'arrêtèrent d'abord à
deux résolutions : aller en Terre Sainte et ensuite se livrer au
ministère apostolique. Ce deuxième point nécessitant l'étude de
la théologie, ils décidèrent de demeurer encore trois ans à Paris
sans rien changer à leur conduite extérieure, mais de se lier à
Dieu, dès maintenant, par un vœu spécial, afin de se conserver
plus unis entre eux et de déjouer l'inconstance humaine ou les
attaques du démon.
Restait à définir la matière de ce vœu ; car il ne s'agissait nulle-
ment des vœux propres de religion. Ce fut l'objet d'un sérieux
examen. Ignace et ses compagnons convinrent que ce vœu ren-
fermerait trois promesses : la pauvreté, la chasteté, aller à Jéru-
salem et ensuite se consacrer au salut des âmes. La pauvreté et le
voyage à Jérusalem avaient besoin d'interprétation. Relativement
à la pauvreté, il leur parut nécessaire de garder la faculté de
posséder tout le temps que dureraient leurs études, mais après ils
ne recevraient aucun salaire ni pour les messes ni pour les autres
Comp. di Jesu, 1. I, c. v. Boero, Vida del P. S. Rodriguez. — Le P. Simon Rodrigue/,
dans son livre : De origine et progressif, S. /., écrit quarante ans après les événe-
ments, venant à parler des sept premiers Pères de la Compagnie, se nomme en qua-
trième lieu. Nous avons vu plus haut qu'après Le Fèvre et Xavier, il fallait mettre
Lainez et Salmeron. Mais Ro Iriguez, en indiquant l'ordre des compagnons d'Ignace, a
peut-être voulu parler du moment où il lit sa connaissance ou se mit sous sa direc-
tion spirituelle, et non de celui où il résolut d'embrasser son genre de vie. Le P. As-
train (op. cit., p 73, note 1) distingue très bien ces trois temps. Rodriguez a pu entrer
en relations avec Ignace avant Lainez et Salmeron, et cependant s'engager définitive-
ment après eux. Quant à la priorité entre Bobadilla et Rodriguez, il est difficile de la
déterminer. Nous avon* suivi l'ordre de Polanco (p. 49) qui semble lui-même hésilant :
« post quinque vel s ex prias enumeratos IgnaUo adhoesit ».
1. Nous avons pris les détails qui suivent dans : Le Fèvre, Mémorial, p. 13. Ro-
drigue/., De origine, p. 11-13. Polanco, Vita Ignatii, p. 50 et Chronicon, n. 3. — Bien
qu'il écrive 40 ans plus tard, le témoignage de Rodriguez, témoin et acteur, est ici,
comme partout, très respectable. Cf. Astrain, op. cit., p. 79.
LES PREMIERS COMPAGNONS D'IGNACE. 17
ministères spirituels. A la promesse d'aller à Jérusalem, ils mirent
une limite : ils se rendront d'abord à Venise, et si une fois là,
dans l'espace d'un an, l'occasion de s'embarquer ne se présente
pas, ils iront à Rome s'offrir au Souverain Pontife, s'en remettant
à sa volonté pour le lieu et le mode de leur apostolat; il en sera
de même si, étant allés en Terre Sainte, ils ne peuvent y rester
ni s'y adonner à la conversion des infidèles.
i). Ils choisirent pour prononcer leur triple vœu l'Assomption
de la Très Sainte Vierge, espérant que, présenté par ses mains
maternelles, leur sacrifice serait plus agréable à Notre-Seigneur
Jésus-Christ. Ils se préparèrent à cette fête par la prière et la
pénitence1, puis se donnèrent rendez-vous, le 15 août, dans un
sanctuaire vénérable et solitaire.
A six cents pas environ du sommet de Montmartre, sur le versant
qui regarde Paris, s'élevait une petite église appelée de temps
immémorial Notre-Dame de Montmartre ou Capella de sancto
Martyrio. Bâti sur le lieu où, suivant la tradition, saint Denys et
ses compagnons auraient souffert pour la foi, ce monument com-
prenait au seizième siècle deux parties : une chapelle basse, la
plus ancienne alors connue, dont l'autel était enfoncé dans une
excavation du terrain; — et une chapelle haute, sorte d'étage
construit par-dessus la première, au début du quatorzième siècle,
quand un écuyer de Philippe le Bel, du nom d'Hermer, fonda
dans ce sanctuaire une seconde chapellenie 2. Plus tard seulement,
en 1611, des ouvriers, employés à restaurer la partie inférieure,
percèrent par hasard « une voulte sous laquelle il y avoit des
degrés pour descendre soubs terre en une cave », où l'on trouva
les vestiges d'un autel et des inscriptions à demi rongées1. C'est
ce que dès lors on nomma la crypte.
Au moment qui nous occupe, le sanctum Martyrium, composé
des deux chapelles dont nous venons de parler, était fermé au
public et ne s'ouvrait qu'avec la permission de l'abbesse des
Bénédictines de Montmartre dont il dépendait'1. Mère Perrette
Rouillard ', morte en 1612 « aagée de cent ans », aimait à ra-
1. Polanco, Vita Ign., p. 50. Ribadeneira, 1. II, c. iv.
2. Charte de l'évéque de Paris approuvant cette fondation (E. de Barthélémy
Chartes de l Abbaye de Montmartre, p. 315). Pour les détails complémentaires voir
Appendice A.
3. Procès-verbal de cette découverte souvent citée par les anciens auteurs, entre
autres Du Breul, Théâtre des antiquités de Paris, p. 1160.
4. En 1534, l'abbesse était Madame Anthoinetle Auger (Galtia Christ., t. VII, p. GIS .
5. Et non Roudlard comme l'ont écrit plusieurs auteurs. (Formule de profession,
48 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
conter « qu'elle estoit sous- sacristine lorsque le Bienheureux
Ignace de Loyola.... vint faire ses vœux à la chapelle des saints
martyrs », et qu'elle eut « le bonheur de le voir et de lui donner
les clefs1 ». La chapelle basse, croyons-nous, réputée la plus
vénérable et désignée sous le nom de souterraine par quelques
écrivains de la Compagnie-, fut choisie par nos premiers Pères
comme le lieu le plus favorable à la pieuse cérémonie, loin de
tout bruit et de tout témoin.
Cet événement considérable de notre histoire mérite que nous
citions quelques-uns des témoignages qui nous en ont conservé
le touchant souvenir : « Cette même année 153i, écrit Pierre
Le Fèvre dans son Mémorial, le jour de Notre-Dame d'août, nous
tous qui avions le même dessein, et qui, maître François Xavier
excepté, avions déjà fait les Exercices spirituels, nous nous ren-
dîmes à Notre-Dame de Montmartre et là nous fimes vœu de ser-
vir Dieu et de partir au jour indiqué pour Jérusalem, laissant
pour toujours nos parents et n'emportant que le viatique néces-
saire... A cette première réunion étaient présents Ignace, maître
François Xavier, moi Le Fèvre, maître Bobadilla, maître Lainez,
maître Salmeron, maître Simon Rodriguez :i. »
A cette brève narration le Père Rodriguez, dans son mémoire
au Très Révérend Père Mercurian, ajoute quelques circonstances
précieuses à recueillir : « Aucun étranger, dit-il, n'assistait à la
cérémonie. Ce fut le P. Le Fèvre qui célébra la messe. Avant de
donner la sainte Eucharistie à ses compagnons, il prit l'hostie
entre ses doigts et se tourna vers eux. Alors, le cœur fixé en
autogr. de sœur Perrelte Rouillard, 28 juillet 1532. Archiv. nat. L., 1031, 1031, n. 54).
1. Récit autogr. d'une religieuse de Montmartre envoyé à Dom Mabillon (Recueils
de pièces mss. sur l'histoire de divers monastères bénédictins, intitulés Monasticon
Benedictinum, t. XXV11I, f. 210. Bibl. nat., ms. franc. 12,685).
2. Bartoli, Saint Ignace, 1. II, c. ni : « Sotterra.... luogo oscuro e men pratico. » Flu-
via S. J. : « En una capilla subterranea. » — Bouhours S. J., 1. II, p. 148. — L'auteur
de la G allia Christiana (t. VII, p. 618) dit de même. — Les historiens qui parlent ainsi
affirment évidemment une tradition remontant sans interruplion aux premiers temps
de la Compagnie, quand les scolastiques de Paris n'ayant pas encore de chapelle
domestique venaient renouveler leurs vœux au Sanctum Martyrium (Témoignage
du P. Manare. Acta SS., VII Julii, % XVIII, n. 177;. 11 est impossible que ces jeunes
religieux n'aient pas connu exaclement celle des deux chapelles qui avait été témoin
du vœu d'Ignace et de ses premiers coopérateurs. L'eussent-ils ignoré quelque temps,
ils l'auraient certainement appris du P. broet, leur supérieur en 1552, qui lui-même
fit le vœu de Montmartre en 1536 avec les compagnons d'Ignace. Nous savons que
toujours, dans la suite des temps, les Jésuites de Paris entourèrent d'un culte spécial
le Sanctum Marlyrium, et qu'à certaines époques, la prédication leur était réservée
dans ce lieu. La tradition n'a donc pas dû se perdre et nous pouvons en croire sur ce
point les écrivains du xvir siècle. On trouvera à la fin du volume (Appendice A) une
notice historique sur la Chapelle des vœux.
3. Memoriale, p. 12.
LES PREMIERS COMPAGNONS D'IGNACE. 40
Dieu, agenouillé sur le pavé de la chapelle, chacun, sans quitter
sa place, prononça ses vœux d'une voix claire, de manière à être
entendu de tous; puis ils communièrent. Retourné du côté de
l'autel, le Père prononça, lui aussi, ses vœux d'une voix distincte,
puis il se communia. Ces premiers Pères, je n'hésite pas à l'af-
firmer, en se donnant à Dieu sans réserve, offrirent leur holo-
causte avec tant de joie, ils renoncèrent si complètement à leur
volonté pour mettre tout leur espoir dans la miséricorde divine
que, au seul souvenir qui m'en revient, mon âme est encore tout
émue, ma dévotion ne cesse de grandir et mon admiration de-
vient indicible. Que Dieu soit à jamais béni pour toutes les grâces
dont il nous combla en ce jour [ ! »
Après avoir rendu à Dieu de très ferventes actions de grâce,
Ignace et ses compagnons, à l'exemple des premiers disciples du
Sauveur, voulurent se réjouir dans des agapes fraternelles. Gra-
vissant la colline, ils descendirent le versant opposé pour prendre
un frugal repas auprès de la Fontaine Saint-Denys et y passer le
reste de la journée dans de fervents entretiens 2. Ils se concertèrent
alors sur les moyens de rester unis d'esprit et de cœur. Comme
il leur était difficile, dans les circonstances où ils se trouvaient,
de vivre ensemble, Ignace leur proposa certaines pratiques de dé-
votion qui, sans rien enlever du temps destiné à l'étude, contri-
bueraient à les entretenir dans la piété et dans une sorte de vie
commune. C'était, outre la méditation quotidienne, la réception
des sacrements chaque semaine et aux fêtes solennelles. Ils con-
vinrent aussi de se rassembler tantôt chez l'un, tantôt chez
l'autre, à une table modeste, afin de parler de leurs travaux et
de ranimer leur charité par des communications toutes frater-
nelles. Enfin, ils résolurent de renouveler leurs vœux tous les
ans jusqu'à leur départ pour Venise, le même jour de l'Assomp-
tion et dans la même chapelle. « Le soir,- au coucher du soleil,
raconte le Père Simon Rodriguez, ils rentrèrent chez eux louant
et bénissant le Seigneur :i. »
Ainsi, en ce 15 août 153V, au cœur de la France, naquit une
petite société d'hommes, qui, ce jour-là, unissaient seulement
1. Rodriguez. De origine Soc. Jesu, p. 14, 15.
2. Le peuple croyait, suivant la tradition, que saint Denys, en s'arrèlant à celle
fontaine, située sur le versant ouest de la colline, avait laissé à son eau une vertu
miraculeuse pour la guérison des fièvres. Non loin du lieu où elle coulait, l'église
récente de Clignancourt renferme deux autels consacrés l'un à saint Ignace, l'autre à
saint François Xavier.
3. Polanco, p. 51. Rodriguez, De origine Soc. Jesu, p. 15.
COMl'ACME DE JÉSUS. — T. I. 4
50 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
leurs efforts pour un but commun, mais que Dieu destinait à
former bientôt, avec l'approbation du pape, un nouvel Ordre
dans l'Église. Afin de perpétuer le souvenir de cet événement, on
plaça au XVIIe siècle, dans la chapelle du Sanctum Martyrium,
une inscription où l'on ne craignit pas d'appeler ce lieu le
berceau des enfants d'Ignace et la ville de Paris leur mère{.
Louis XIII regardait cette étroite alliance comme une gloire pour
son royaume et il s'en autorisa quand, dans une lettre écrite tout
entière de sa main, il demanda au pape Grégoire XV la canoni-
sation du Père Ignace : « Mon royaume, disait-il, a eu cette béné-
diction qu'un si grand serviteur de Dieu soit venu dans ma ville
de Paris étudier les sciences, rassembler des disciples et poser
les fondements de sa Société 2 ».
En admettant avec le pieux roi que les fondements de la Com-
pagnie de Jésus aient été jetés à Montmartre, il faut avouer cepen-
dant que les détails de l'édifice restaient encore à déterminer.
Ils ne le seront que peu à peu.
10. Fidèles aux résolutions prises près de la Fontaine Saint-
Denys, les compagnons d'Ignace se sentaient de jour en jour plus
enflammés du désir d'être tout à Dieu. Les entretiens familiers
qu'ils avaient ensemble, la douce paix qui régnait parmi eux,
les encourageaient dans leurs bons propos. Les pratiques de piété
ne nuisaient pas à leurs travaux scolastiques, et d'autre part,
l'étude de la théologie servait à nourrir leur dévotion, en sorte
qu'ils avançaient du même pas dans la science et dans la per-
fection.
Non content d'observer lui-même ce qu'il avait prescrit à ses
disciples, le maître donna l'essor à sa ferveur. A ce moment, mal-
gré les mesures rigoureuses déployées contre les hérétiques,
l'erreur continuait ses ravages dans l'Université de Paris. Ignace
s'employa de toutes ses forces à confirmer les catholiques :! dans
la vérité ; il eut la consolation de voir un certain nombre de
jeunes gens répondre à son zèle en embrassant la vie parfaite
dans différents ordres religieux4. Il aimait, lorsqu'il en trouvait
le loisir, à se retirer dans quelque endroit solitaire pour y re-
tremper son âme loin du bruit de la ville. Il allait alors prier
1. Voir cette inscription à Y Appendice A.
2. Lettre du roi au Pape (Francia. Hist. Prov., t. III. n. 43).
3. D'après Mafl'ei (1. I, c. xxi) et Raynaldi (Ann. Eccl., t. XX, an. 1534) Ignace
aurait alors travaillé directement àla conversion des hérétiques. Cf. Acla SS., ï. XVI.
n. 161. — 4. Polanco, p. 50.
LES PREMIERS COMPAGNONS D'IGNACE. :,i
clans une église du faubourg Saint-Germain, appelée Notre-Dame-
des-Champs, toute pleine de recueillement et de piété1. On y
vénérait une statue de la Sainte Vierge, tenant sur ses genoux le
corps de son divin Fils'2, et le concours du peuple y était par-
fois prodigieux. Ce sanctuaire lui tenait lieu de la chère chapelle
de Notre-Dame de Villadordis3, en Espagne, où il avait reçu des
faveurs extraordinaires, et la statue de la Mère des Douleurs lui
rappelait la dévote image qu'il gardait précieusement cachée
sur sa poitrine. La colline de Montmartre avait aussi pour lui
de puissants attraits. Non loin de la chapelle des Martyrs, était
creusée une carrière de plâtre où il se choisit une caverne pro-
fonde. Dans cette nouvelle grotte de Manrèse, il passait souvent
le jour en pénitence et la nuit en prières4. Une vie si austère ne
pouvait manquer d'attirer l'attention et d'exciter l'admiration de
tous ceux qui en étaient témoins. Le docteur Peralta, appelé à
déposer dans le procès de béatification, n'hésita pas à déclarer
sous la foi du serinent que les vertus héroïques d'Ignace, durant
son séjour à Paris, lui paraissaient suffisantes pour mériter les
honneurs de la canonisation 5.
Dans le courant de l'année 1535, Dieu se plut à visiter son ser-
viteur par une cruelle maladie. De violentes douleurs d'estomac
le réduisirent bientôt à une extrême faiblesse. Ces douleurs
étaient si vives qu'une fois, racontait-il plus tard, elles durèrent
seize ou dix-sept heures de suite, lui causant une fièvre brûlante.
Tous les remèdes étant inutiles, les médecins furent d'avis que
le climat de Paris était nuisible à sa santé et que l'air natal
pourrait seul le guérir ou du moins lui procurer quelque sou-
lagement. Ignace avait toujours été peu soucieux du soin de son
corps et s'abandonnait en cela, comme en tout le reste, à la
volonté de Dieu; mais ses compagnons, pleins d'inquiétude, le
conjurèrent si instamment d'essayer de ce moyen qu'il finit par
se laisser persuader, malgré la peine de se séparer de ceux sur
qui reposaient toutes ses espérances. Toutefois ce motif de santé
n'aurait peut-être pas suffi à lui faire interrompre ses études de
théologie, si une circonstance particulière n'était venue le déci-
1. Hesp. P. Manarei ad P. Lùncicii postula ta dans Mon. [gnat., ser. 4% t. I,
p. 523.
2. Extrait des chroniques des Carmélites de la rue d'Enfer. (On sait qu'en 1604, le
P. de Berulle établit des Carmélites dans l'ancien prieuré deNotre-Dame-des-Champs),
3. Déposition de Bernard Malilla au premier procès de Manrèse (Proc. de Barc.
y Manresa, fol. 226). Voir ce que nous en avons dit au chapitre précédent, n. 1.
4. Responsio P. Manarei (Mon. fgn., s. 4, t. I, p. 523).
5. Acta SS., p. 533. — Acla Beatif. B. P. Ignatii.
52 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
der à retourner en Espagne. Xavier, Lainez et Salmeron, par
suite de leur vœu de pauvreté, avaient à régler quelques affai-
res domestiques : pour leur épargner les ennuis du voyage et
ne pas exposer leur vocation aux obstacles que pourraient susciter
leurs familles, il résolut de s'occuper lui-même de leurs intérêts *.
11. Un incident imprévu suspendit tout à coup son départ.
Ses ennemis venaient d'inventer un nouveau chef d'accusation.
Attentifs à observer les moindres mouvements d'Ignace, ils n'a-
vaient pas tardé à découvrir ses rapports intimes avec sa petite
société ; mais ils en ignoraient la nature et ils se lancèrent dans
le champ des conjectures et des soupçons. Ce n'était pas la pu-
blicité qu'on lui reprochait, comme on avait fait en Espagne au
sujet de ses compagnons d'Alcala; c'était au contraire le secret
qu'instruit par l'expérience il avait cru devoir garder à Paris.
Le bruit se répandit qu'il voulait fonder une secte nouvelle et
qu'il cherchait partout des adeptes; son livre des Exercices spi-
rituels, dont on avait entendu parler, fut représenté comme ren-
fermant des doctrines pernicieuses. Ignace se vit encore dénoncé
au tribunal de l'Inquisition. Il ne se troubla nullement à cette
nouvelle, mais il ne voulut point partir avant que l'affaire fût
jugée. Quand il était seul, il pouvait mépriser les imputations
calomnieuses; maintenant qu'il avait des compagnons, avec les-
quels il se destinait aux fonctions apostoliques, il devait sauve-
garder leur réputation et la sienne. Sa sortie du royaume, en un
pareil moment, aurait pu paraître une fuite précipitée et un aveu;
il voulait au contraire une enquête sérieuse, une sentence bien
en forme. Il alla donc lui-même trouver l'Inquisiteur. C'était alors
Fr. Valentin Liévin, religieux de l'Ordre de Saint-Dominique. Il
connaissait Ignace ; il estimait beaucoup sa vertu et son zèle pour
la foi; il lui dit de se rassurer, car il savait que les accusations
portées contre lui ne reposaient sur aucun fondement. Il exprima
seulement le désir de parcourir le livre des Exercices qui gagnait
tant d'âmes à Dieu. Après l'avoir lu avec attention, il ne put
s'empêcher d'admirer sa merveilleuse méthode pour purifier
l'âme, l'éclairer et la conduire de degré en degré à la plus haute
perfection. Il fut si charmé qu'il voulut en prendre une copie à
son usage personnel.
Cependant Ignace, prévoyant de nouvelles attaques, ne crut
pas devoir se contenter d'une approbation privée de sa conduite ;
1. Polanco, p. 51. Acta P. Ignalii, n. 84, 85. Ribadeneira, 1. II, c. v.
LES PREMIERS COMPAGNONS D'IGNACE. 53
il désirait un témoignage authentique, capable de servir à sa
défense dans l'avenir. Un jour, accompagné d'un notaire et de
plusieurs docteurs de l'Université, il se présenta de nouveau chez
l'Inquisiteur : puisque les accusations portées à son tribunal ne
lui paraissaient pas assez sérieuses pour motiver un débat en
forme et une sentence juridique, il le pria de vouloir bien lui
donner de son innocence une attestation par écrit. L'Inquisiteur
y consentit volontiers, mais au témoignage demandé il joignit de
tels éloges qu'Ignace se retira encore plus confus que satisfait1.
Libre alors de tout embarras, il pouvait enfin se diriger vers
l'Espagne. Avant son départ, il recommanda la constance à ses
compagnons, chargea Pierre Le Fèvre, que tous aimaient et res-
pectaient, de veiller sur eux, puis leur donna rendez-vous à
Venise ainsi qu'il avait été décidé quand ils tracèrent leur plan
d'avenir. On ne connaît pas le jour exact où Ignace quitta Paris;
la date d'une lettre, écrite par François Xavier et confiée au
voyageur, donne à supposer que ce fut à la fin de mars 15352.
Dans la crainte que sa grande faiblesse, résultat de sa maladie,
ne lui permit pas de voyager à pied selon sa coutume, ses com-
pagnons lui avaient procuré un petit cheval. Il consentit à le
monter en leur présence, mais ce ne fut pas pour longtemps; il
fît « toute la route à pied », nous dit Lainez, gardant néanmoins
1. Acta P. Ignatii, n. 86. Polanco, p. 46, 47. Bartoli, t. I, p. 302-305. Ce do-
cument n'est pas parvenu jusqu'à nous, mais on trouve parmi les manuscrits conser-
vés dans la Compagnie une pièce originale qui nous en rappelle le souvenir. Elle fut
adressée en 1537, sans doute sur nouvelle instance, au Père Ignace alors en Italie :
« Nous, Frère Thomas Laurent, de l'ordre des Frères Prêcheurs, lecteur en théologie
et inquisiteur général de la perversité hérétique et de la loi catholique au royaume de
France, faisons savoir et certifions à tous... que notre prédécesseur frère Valentin
Liévin... inquisiteur général pour tout le royaume de France, a dans le temps fait
une enquête touchant la vie et la doctrine d'Ignace de Loyola, et que nous qui étions
son secrétaire n'avons jamais ouï dire qu'il se trouvât en lui chose déplacée en un
homme catholique et chrétien. Nous avons en outre connu ledit Loyola et maître
Pierre Le Fèvre, ainsi que quelques autres de ses familiers, et les avons toujours vus
mener une vie catholique et vertueuse sans jamais noter en eux rien qui ne convienne
à des hommes parfaitement chrétiens. De plus les Exercices que donne ledit Ignace
nous ont semblé catholiques autant que nous avons pu savoir après examen. —
Donné à Paris, dans le couvent des Frères Prêcheurs et signé du sceau dont nous
usons en pareil cas, l'an du Seigneur 1536/7, le 23 du mois de janvier en présence de
discrètes personnes : maître Laurent Daosta, Diego de Cacers, clers et maîtres es arts
et Frère Alfonso de san Emiliano, tous espagnols habitant Paris, lesquels mandés
comme témoins ont signé. » Suivent les noms ; la signature de l'inquisiteur illisible.
(Voir Acta SS., p. 455, n. 185.)
2. Acta P. Ignalii, n. 85. Polanco, p. 51. Acta SS., p. 455, n. 183, 184. Le départ
d'Ignace n'eut certainement pas lieu à la lin de 1535 comme le disent Polanco, Orlan-
dini et Maffei, mais plutôt au commencement de cette année ainsi que l'affirment les
PP. Menchaca, Bartoli et Alcazar. Le P. Aslrain montre qu'avant la fin d'avril Ignace
était à Azpeitia {op. cit., p. 83, note).
b4 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
sa modeste monture chargée sans doute de son léger bagage'.
Arrivé à Azpeitia, il donna ce cheval à l'hôpital de la Made-
leine où il avait pris son logement'2.
12. Ce que fut à Paris, pendant son absence, la vie de prière,
d'étude et de zèle de ses jeunes disciples, nous pouvons l'entre-
voir dans le récit que nous en a laissé l'un d'entre eux : « A la
fête de l'Assomption, écrit Jacques Lainez, nous renouvelions nos
vœux à Montmartre, et ce jour-là, ainsi que plusieurs autres fois
dans l'année, nous mangions tous ensemble, étroitement unis
par la charité. Aux époques fixées nous allions prendre nos re-
pas tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre d'entre nous, mettant en
commun les vivres que chacun avait apportés. Ces fréquentes
réunions, où nos cœurs se ranimaient dans l'intimité, étaient
pour nous une force et un soutien. En ce même temps, le Seigneur
nous aida singulièrement dans nos études que nous rapportions
à sa gloire et au profit spirituel du prochain, tandis qu'un mu-
tuel amour nous inclinait à nous assister les uns les autres dans
les nécessités de cette vie. Tel est le règlement que nous avait
tracé le P. maitre Ignace, en nous laissant sous la conduite de
l'excellent maitre Pierre Le Fèvre, qui était pour nous tous un
frère aîné3. »
Ajoutons que Le Fèvre, tout en remplissant dignement cette
mission, fît mieux encore; non seulement il conserva et perfec-
tionna les disciples déjà recrutés, mais de plus, son apostolat fé-
cond en attira plusieurs autres. Il avait été reçu maitre es arts,
avec Salmeron et Bobadilla , en 1536, après Pâques. Aussitôt
son cours de théologie terminé, et en attendant le départ pour
Venise, il s'appliqua tout entier à l'exercice du ministère sacer-
dotal. Il n'avait guère plus de trente ans, mais ses admirables
qualités d'esprit et de cœur suppléaient à l'expérience et à la
maturité de l'âge. Tous, docteurs et étudiants, reconnaissaient en
lui un guide sûr, recherchaient à l'envi ses conseils et sa direc-
tion. Aux vertus de l'homme apostolique il joignait une si pro-
fonde connaissance des Exercices et une si grande habileté à les
donner aux autres, que personne, au jugement de saint Ignace,
ne l'égala jamais. Témoin des merveilles opérées par son in-
1. Epistola Lainii de S. Ign. {Mon. Ignat., s. 4, t. I, p. 112).
2. Dépositions canoniques. Déposition des témoins d'Azpeitia (Sumraar. Procès. Az-
peitiae, art. 3 et 4).
3. Epistola Lainii de S. Ign. [Mon. Ignat., s. i, t. I, p. 111, 112).
LES PREMIERS COMPAGNONS D'IGNACE. 55
fluence au sein de l'Université, un célèbre théologien lui déclara
un jour qu'il ne pouvait, sans encourir une grave responsabilité
devant Dieu, abandonner une moisson abondante pour tenter à
la suite d'Ignace un projet, généreux à la vérité, mais dont la
réussite paraissait incertaine. Il ajouta même qu'il n'était pas seul
de ce sentiment et qu'il s'engageait à le faire souscrire par tous les
théologiens de Paris. Rien ne fut capable d'ébranler l'irrévocable
décision de Le Fèvre, bien persuadé que Dieu l'avait choisi pour
seconder l'œuvre ébauchée dans la petite chapelle de Montmartre '.
13. Parmi les jeunes gens sur lesquels il exerça plus spéciale-
ment son heureuse action, nous devons nommer Claude Le Jay 2,
âme privilégiée à qui Dieu réservait l'honneur de coopérer à la
fondation de la Compagnie de Jésus. Né, vers 1500, au village de
Mieussy, en Savoie, « de bien honneste maison », il eut le bonheur
de connaître Pierre Le Fèvre au collège de la Roche, sans pour-
tant se trouver dans la même classe; car Claude était un peu
plus âgé que son condisciple. Ces deux âmes si pures se sentirent
attirées l'une vers l'autre et se lièrent d'une étroite amitié. Lors-
que Pierre partit à l'âge de dix-neuf ans pour Paris, Claude con-
tinua ses études à la Roche. Devenu ensuite régent et principal
du petit collège de Faverges, il ne pensait guère à sortir de son
pays où il jouissait d'une grande considération, quand Le Fèvre
revint en Savoie régler ses affaires de famille. Ils eurent plu-
sieurs entretiens, dans lesquels le premier compagnon de saint
Ignace sut persuader à son ancien condisciple de compléter ses
connaissances théologiques à l'Université de Paris. Ce ne fut néan-
moins que l'année d'après, vers la fin de septembre 1534, que
Le Jay put suivre le conseil de son ami et venir au collège
Sainte-Barbe'. Là, tandis que Le Fèvre et Ignace habitaient en-
semble la modeste tourelle que leur avait cédée la bienveillance
de l'administration, Claude occupa une place indépendante, à
ses fiais, dans l'intérieur de l'établissement. Bien qu'il fût déjà
1. Acta SS., I XXIII, n. 235, p. 405.
2. Les uns l'appellent simplement Jay, d'autres conservent la terminaison latine
Jaius; la plupart écivent Le Jay, forme qui a prévalu. — Les contemporains ne nous
donnent aucun détail sur la jeunesse de Claude Le Jay. Nous sommes obligé de les
emprunter aux premiers historiens sans pouvoir contrôler leurs sources. Il en sera
de même pour Paschase Broet et Jean Codure.
3. Memoriale, p. 12. Acta SS.. I XXIII, n. 232, p. 464. Polanco, p. 49. D'Oullre-
man, Tableaux, p. 67. D'après les registres des Recteurs de l'Université de Paris.
Claude Le Jay fut immatriculé sous le rectorat de Florent Jacquart, entre le 15 déc.
1534 et le 24 mars 1535 (Bibl. nat., mss. latins. 9,953, fol. 6V).
56 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
prêtre, il n'avait encore aucun grade. Sa vie studieuse et édifiante
lui permit bientôt de subir les examens; il obtint le 6 mars 1535
le degré de licencié et fut admis à celui de maître es arts en
1536 4.
En aspirant aux grades universitaires, Le Jay ne songeait nul-
lement à s'ouvrir un accès plus facile aux honneurs ecclésiasti-
ques. Bien au contraire, il avait recueilli dans les œuvres de
saint Augustin, de saint Grégoire et de saint Bernard les passages
où ces grands docteurs montrent avec le plus de force les dan-
gers que Ton trouve dans les dignités de l'Église, et de ces ensei-
gnements précieux il avait rédigé un résumé qu'il portait dans
son bréviaire. Toutefois, hésitant encore entre le ministère pasto-
ral et l'état régulier, il fit part de ses incertitudes à Le Fèvre
qui l'engagea à consulter Dieu dans les Exercices spirituels. Au
début de sa retraite il passa trois jours sans prendre aucune
nourriture, et se condamna, jusqu'à la fin, à des jeûnes sévères
et à de cruelles pénitences ~. Il ignorait encore les desseins
d'Ignace et de ses compagnons; mais, dès que Le Fèvre les lui
eut découverts, il sentit un vif attrait pour un genre de vie si
conforme à ses propres sentiments. Il demanda la faveur d'être
admis dans la petite association, et le 15 août 1535, jour où l'on
renouvela dans la chapelle des Martyrs à Montmartre les engage-
ments de l'année précédente, il se lia par les mêmes vœux sous
l'auspice de la Très Sainte Vierge 3.
14. Au mois d'août 1536, dans les mêmes circonstances, s'en-
rôlèrent deux étudiants que Pierre Le Fèvre avait distingués entre
les plus vertueux de l'Université de Paris. C'étaient Paschase
Broet 4 et Jean Codure, les deux seuls représentants de la France
dans la Compagnie naissante.
Né vers 1500, à Bertrancourt en Picardie, d'une famille aisée
d'agriculteurs ', Paschase Broet, au sortir de la première éduca-
1. AclaSS., % XVII, n. 171, p. 453. Les souvenirs rédigés par le P. Simon Rodriguez
disent formellement f[ue Le Jay était déjà prêtre quand il se rendit à Paris. Un do-
cument récemment découvert nous apprend qu'il dit sa première messe à Faverges.
Voir Tavernier, Le P. Cl. Jay, sa patrie et sa famille, p. 12, n. 3.
2. Tanner, Soc. Jes. Apostol. imitatrix, in Cl. Jaium.
3. Aux fêtes de l'Assomption 1535 et 153G les premiers compagnons d'Ignace vinrent
renouveler leur vœu à la chapelle de Montmartre, où, dit Le Fèvre. « ils trouvaient
chaque fois beaucoup de consolation » [Memoriale, p. 13}. Cf. Polanco, p. 50. — Ce
fut là probablement l'origine de la Rénovation des vœux dans la Compagnie.
4. Sur la formule de résolution touchant le vœu d obéissance signée par les com-
pagnons d'Ignace, le 15 avril 1539, nous trouvons Paschasius Brouet ; mais ses lettres
assez nombreuses sont signées Paschasio Broet.
5. D'après une notice ms. du P. Broet par le P. Rabardeau (né en 1572, mort en
LES PREMIERS COMPAGNONS D'IGNACE. 57
tion, fut envoyé par ses parents aux écoles d'Amiens où il fit de
lapides progrès dans les lettres et la piété. Dès qu'il eut atteint
l'âge requis par les saints canons, il reçut la consécration sacer-
dotale à titre de patrimoine 1 ; sa famille lui assura une rente an-
nuelle de vingt-quatre livres tournois, modeste sans doute, mais
suffisante pour un honnête entretien. Après avoir exercé quelque
temps le ministère dans son pays natal, il résolut, avec l'agré-
ment de ses parents, d'aller se fixer à Paris afin de compléter à
l'Université de cette ville ses études de théologie. Il y arriva dans
les derniers mois de l'année 1534 2. Les tendances hérétiques,
qu'il ne tarda pas à remarquer parmi les étudiants et parmi les
maîtres, lui firent rechercher la société de ceux qui demeuraient
fidèles à la doctrine et à l'esprit de l'Église. C'est ainsi qu'il fré-
quenta Claude Le Jay et, par son intermédiaire, apprit à con-
naître les autres compagnons d'Ignace. Le Fèvre eut vite fait de
comprendre les vues de Dieu sur ce jeune prêtre qui n'aspirait
qu'à se dévouer au salut des âmes. Il lui conseilla de se sous-
traire, pendant quelques semaines, à toute occupation pour cher-
cher la volonté divine dans la solitude et la prière. Paschase fit
avec tant de ferveur les Exercices spirituels, que, sans parler de
ses autres mortifications, il ne prit comme nourriture pendant
trois jours que le pain des Anges. Son âme généreuse était bien
faite pour entendre l'appel de Dieu et se plaire aux projets
d'Ignace de Loyola. Il ne tarda pas à partager la vie de ses pre-
miers compagnons3.
Jean Codure, né le 24 juin 1508, à Seyne dans le diocèse d'Em-
brun'1, avait fait toutes ses études littéraires et une partie de ses
études théologiques lorsqu'il se rendit, à l'âge de vingt-sept ans,
à l'Université de Paris. Il y apportait une grande innocence de
mœurs et un attachement inébranlable aux pratiques de la re-
ligion. Il habita le collège de Torcy ou de Lisieux •"'. Le désir de
préserver sa vertu des dangers qui la menaçaient le conduisit à
1648), le père de Paschase était connu à Bertrancourt sous le nom de Ferry de Brouay.
Il avait eu deux autres fils, Mathieu et Gabriel, et deux tilles Marie et Françoise. —
Le P. Rabardeau déclare que ces détails lui furent donnés par un fils de « Marie de
Brouay » (Franciae Historia, t. 1, n. 1).
1. Il fut ordonné prêtre en 1524, dit le P. Rabardeau (Ibid.).
2. Voir Prat Mémoires sur Broel, pièces justificatives, n. 1, II. Bonucci, Notice
sur le P. Broet, p. 54, note.
3. Alegambe. Heroes et victimae, in Paschasium Broetum.
4. Jacques Gaultier S. J.. Table chronographique, éd. 1683, p. 780. col. 6. L'auteur
de cet ouvrage avait connu une nièce du P. Codure.
5. Les bâtiments de ce collège furent détruits en 1764 pour former une place devant
la nouvelle église Sainte-Geneviève.
58 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Pierre Le Fèvre, dont il fît le confident ordinaire de ses pensées.
Déjà il aspirait à la vie parfaite ; après s'être livré pendant
quarante jours aux Exercices spirituels, il fut admis à son tour
dans le cercle intime des premiers disciples d'Ignace. Promu à la
licence en philosophie le H mars 1536, le même jour que Pas-
chase Broet et Simon Rodriguez, il se fit recevoir maître es arts
peu de temps après. Le 15 août de la même année, il prit, avec
Broet, dans le sanctuaire de Notre-Dame de Montmartre, les sacrés
engagements que les autres renouvelèrent alors « non sans un
accroissement de sainte ferveur »*. Ces deux jeunes français,
attachés en même temps à la société d'Ignace de Loyola, restè-
rent presque toujours collaborateurs ou collègues dans les mêmes
œuvres. Jean Codure sera plus tard le premier profès que la
Compagnie, constituée en Ordre religieux, enverra au ciel 2.
1. Memoriale, p. 13. — Acta SS.. g XVII, p. 453, n. 170, 171.
2. II mourut le 29 août 1541.
CHAPITRE III
FONDATION ET APPROBATION DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
(1537-1541).
Sommaire : 1. Départ des compagnons d'Ignace pour Venise. — -'. Voyage et
arrivée. — 3. Ignace reste à Venise pendant que ses compagnons vont à Rome.
— 4. Ordination sacerdotale à Venise; impossibilité du voyage en Palestine;
règles de vie commune. — 5. Départ d'Ignace, de Le Fèvre et de Lainez pour
Rome; vision de la Storta. — 6. Arrivée des autres compagnons; épreuves: la
commission de réforme. — 7. Conférences sur le genre de vie à adopter. —
8. Formule de l'Institut et bulle d'approbation. — 9. Ignace élu premier général.
Sources : Acta Beatiftcationis Ignatii. — Acta Sanctorum, t. VII Julii. — Mémorial'
B. P. Fabri, t. I. — Rodriguez, De origine et progressu societatis Jesu. — Ribadeneira,
Vida del B. P. Ignacio. — Monumenta iiistorica Societ. Jesu. Monumenta Ignatiana,
ser. 1, t. I : Epislotae S. Ignatii; ser. 4. t. I : Scripta de S. Ignalio. Acta P. Ignatii.
— Polanco, De vita. P. Ignatii. Chronicon S. J. — Monumenta Xaveriana.
1. L'année 1536 n'était pas encore écoulée quand éclata la
guerre entre François I" et Charles-Quint, qui se disputaient l'hé-
ritage de François Sforza, duc de Milan. Déjà l'empereur, à la
tête d'une puissante armée, avait envahi la Provence1 et les hos-
tilités menaçaient d'embraser toute l'Europe. Les compagnons
d'Ignace, qui ne devaient quitter Paris que le 25 janvier 1537,
résolurent d'avancer cette date, dans la crainte de se voir fermer
tous les passages entre la France et l'Italie. En prévision de ce
départ, Pierre Le Fèvre, Nicolas Bobadilla et Simon Rodriguez,
qui n'avaient pas encore reçu le bonnet de maître es arts, ju-
gèrent utile d'accomplir cette formalité et de se munir de leur
diplôme à la fin de l'année scolaire 1536 2. Quand vint l'automne,
la route d'Allemagne seule restait libre; encore était-elle semée
de toutes sortes de périls. Il fut décidé qu'on se diviserait en deux
bandes; pendant que les uns demeureraient encore quelques jours
à Paris, afin de régler les affaires communes et de distribuer aux
1. Après avoir pris plusieurs forteresses du Piémont, Charles-Quint passa le Var à
Saint-Laurent le 25 juillet 1536.
2. Registre des recteurs de l'Univ. de Paris (Bibl. nat.. ms. lat. 9953, fol. 48). On
voit par ce registre que Bobadilla avait eu François Xavier pour maître de philosophie.
60 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
pauvres le peu qu'ils possédaient, les autres s'achemineraient
vers la ville de Meaux1, où tous devaient se réunir, puis de là con-
tinuer ensemble leur voyage. Vers les derniers mois de 1536,
Ignace, dans sa maternelle prévoyance pour les siens, avait re-
commandé les futurs voyageurs au confesseur d'Éléonore d'Au-
triche, reine de France '' : « Par suite de la guerre, lui écrivait-il,
et des grands troubles qui affligent la chrétienté, ils se verront
réduits à un extrême besoin. Je vous prie donc... de les aider et
favoriser dans la mesure que Dieu vous inspirera. Tout ce que
vous ferez... je le regarderai comme fait à moi-même-. »
Le premier départ, qui eut lieu le 11 novembre3, fut signalé
par deux incidents. Au moment même où l'on allait quitter Paris,
Xavier reçut les lettres d'expédition d'un canonicatde Pampelune
qui lui était gracieusement proposé. Mais ce noble cœur avait
renoncé à tout ce qui n'était pas Jésus-Christ; il rejeta cette offre
sans lui accorder un instant de réflexion4. Un peu plus tard,
durant ïa première nuit du voyage, Simon Rodriguez fut atteint
à l'épaule d'une douloureuse tumeur accompagnée d'une fièvre
brûlante. Comme cet accident pouvait occasionner un retard fu-
neste, tous se mirent à supplier le ciel avec ferveur. Leurs prières
obtinrent un merveilleux secours : dès le lendemain matin, le
malade complètement guéri avait la force de continuer la route
avec ses compagnons '.
A l'arrivée de la seconde caravane à Meaux, l'hiver commençait
déjà à faire sentir ses rigueurs. Sans plus tarder, ils se dirigèrent
tous ensemble vers la Lorraine qu'ils devaient traverser pour
entrer en Suisse et descendre, par le Tyrol, dans les États de la
Seigneurie de Venise. Deux jours après leur départ, ils furent
rejoints par deux jeunes gens courant en poste sur leurs traces.
C'était le frère de Simon Rodriguez et un espagnol de ses amis qui
voulaient le détourner de son projet. Ils employèrent tous les
moyens que la tendresse pouvait leur suggérer; mais tout fut
inutile : ni larmes, ni raisons ne purent ébranler sa constance. Il
leur répondit de manière à les convaincre qu'il lui serait plus
facile de Jes entraîner à sa suite qu'à eux de le ramener en arrière.
Et ils reprirent, confus et attristés, le chemin de Paris (i.
1. Il s'agit bien de Meaux et non de Melun. Simon Rodriguez dit : « Meldis, qui-
bus vulgo Meaux, ni fatlor. nomen est ». Voir De origine S. J., p. 19.
2. La suscription de cette lettre porte seulement : « A mi in Domino maior y padre
espiritual el confessor de la Reyna de Franzia ». C'était Gabriel Guzman 0. P. CL
Mon. Ignat., s. 1, t. I, P- 109-121. — 3. Acta P. Ignatii, n. 86. Polanco, p. 54.
4. Rodriguez, De orig. et progr., p. 18. — 5. Ibid., p. 19.
6. De origine..., p. 22,23. Memoriale, p. 13.
FONDATION ET APPROBATION. 01
2. Loin de retarder les voyageurs, toutes ces tentations ne fi-
rent qu'exciter leur courage. Ils marchaient vêtus d'un habit long
et couverts d'un chapeau à larges bords, suivant la coutume des
étudiants, un bourdon à la main et le rosaire pendu au cou, sans
autres bagages que leurs manuscrits qu'ils portaient dans un sac
sur leurs épaules1. Les passants surpris de leur pauvre accoutre-
ment, de leur air grave et recueilli, faisaient sur leur compte bien
des conjectures : « Un jour, comme un paysan s'était arrêté à les
regarder fixement, certains bourgeois étonnés de ce qu'il contem-
plait cette petite troupe, lui demandèrent quels gens c'étaient et
où ils allaient. — De vrai je ne les connais point, fit-il; mais à
les voir, ils me portent bien la mine de quelques grands person-
nages, et si je ne me trompe, ils s'en vont travailler à la conver-
sion de quelque province. » Le P. Laiuez, dans sa déposition au
procès de béatification, a noté jusqu'à la prononciation du villa-
geois : « I vont à réformer quaque pays2 ».
Le P. Polanco nous rapporte quelle fut la distribution des
heures de la journée durant tout le voyage. Le matiD, avant de
se mettre en route, Le Fèvre, Le Jay et Broet, qui étaient prêtres,
célébraient le saint sacrifice et les autres faisaient la sainte com-
munion. Afin de tromper la longueur du chemin, ils récitaient et
chantaient des psaumes , ou bien ils échangeaient en des entre-
tiens spirituels les sentiments et les lumières qu'ils avaient puisés
dans la méditation. Deux fois ils s'arrêtaient, au moment de
prendre leur repas, mais repas si simple et si frugal que chaque
jour ressemblait à un jour d'abstinence et de jeûne. Le soir, en
arrivant à une mauvaise auberge, ils se mettaient en oraison pour
remercier Dieu de ses bienfaits et le prier de leur continuer sa
protection.
La protection divine, en effet, accompagna d'une manière sen-
sible les intrépides pèlerins, au milieu des intempéries de la
saison et des périls qui menacèrent plus d'une fois leur vie en
des pays troublés par la guerre et les dissensions religieuses.
C'étaient tantôt des pluies torrentielles et tantôt des neiges accu-
mulées qui rendaient les chemins presque impraticables 3. En évi-
tant la Provence, ils s'étaient soustraits à la rencontre des troupes
impériales; mais ils ne purent échapper aux armées françaises
1. Polanco, p. 54. Rodriguez. De origine S. /., p. 19.
2. Polanco, p. 55. Epist. Lainii, dans Monumenta Ignaliana, s. 4, t. I, p. llo.
Ribadeneira, 1. Il, ch. vu.
3. Le Fèvre, Memoriale, p. 44. Ribadeneira, op. cit., I. II, c. VII. Epislola Lainii
[Mon. Ign., s. 4, l. 1, p. 113).
62 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
qui entraient par ]a Lorraine dans les étals de Flandre. Un jour
qu'ils étaient tombés au milieu d'un détachement de soldats, on
les arrêta ; on les questionna sur leur état et le but de leur voyage :
« Nous sommes, s'empressa de répondre un des deux français, des
étudiants de l'Université de Paris, et nous allons en pèlerinage à
Saint-Nicolas. » (Vêtait une petite ville à trois lieues de Nancy par
laquelle ils devaient nécessairement passer. On ne poussa pas
plus loin les investigations, fort heureusement, car ceux d'entre
eux qui étaient espagnols auraient été retenus prisonniers1.
Parvenus en Allemagne, dans une contrée tout infestée par
l'hérésie, ils ne perdirent pas l'occasion qui s'offrait de défendre
la vraie foi. Leur zèle ranimait les catholiques et mettait en fu-
reur les partisans de Luther. A Baie où ils arrivèrent « brisés de
fatigue ~ » et se reposèrent pendant trois jours, des prédicants
vinrent les provoquer à une conférence contradictoire ; ils accep-
tèrent sans crainte le défi : la promptitude et la solidité de leurs
réponses firent bientôt regretter aux adversaires une dispute qui
fut tout à l'honneur de la religion catholique. De Bâle ils se diri-
gèrent vers Constance. A cinq lieues de cette ville, dans un bourg
où ils s'étaient arrêtés, ils furent remarqués par le pasteur, curé
apostat, très versé dans les nouvelles doctrines, qui réunit aussi-
tôt les fortes têtes du lieu et se présenta, ainsi escorté, à ces pa-
pistes sur lesquels il comptait remporter une victoire facile. La
discussion dura plusieurs heures et, comme le temps du souper
était venu, notre homme leur cita, en les arrangeant, ces vers
de Virgile :
« Jam i\ox hitmhla coelo
Praecipitat, suadéntque cadenlia sidéra coenam.
« Mangeons d'abord, ajouta-t-il, nous disputerons ensuite, et
je vous montrerai mes livres et mes enfants, libros et liberos. »
Puis il les invita à venir s'asseoir à sa table de famille ; eux ac-
ceptèrent la trêve, mais non l'invitation, et se contentèrent d'un
frugal repas. Après quoi la controverse reprit avec une plus belle
ardeur et tourna à la confusion de l'apostat : « Je n'ai rien à ré-
pondre, » s'écria-t-il. — « Alors, lui répliqua l'un des voyageurs,
comment suivez- vous des opinions que vous ne pouvez défendre? »
Outré de ce reproche, le ministre éclata en fureur : « Demain matin,
leur dit-il, je vous ferai mettre en prison, et vous verrez si je sais
défendre mon parti. » Et il s'en alla sur cette menace.
1. Polanco, p. 54, 55. Rodriguez, De origine, p. 22. Ribadeneira, 1. II, ch. vu.
2. Rodriguez, p. 28.
FONDATION ET APPROBATION. 63
Le lendemain les voyageurs quittaient Constance. A un mille de
la bourgade voisine, ils rencontrèrent, au seuil d'un hôpital, une
pauvre vieille qui. à leur vue, accourut précipitamment, des larmes
de joie dans les yeux. Elle s'approcha d'eux avec respect, baisa
leurs chapelets et essaya de leur expliquer en allemand le motif
de son bonheur. Ils devinaient à peu près son langage, quand
elle leur fit signe d'attendre un peu ; elle courut alors à sa mai-
son d'où elle rapporta dans ses bras une quantité de croix, de sta-
tuettes et chapelets brisés par les hérétiques. Les voyageurs
ayant tout compris, s'agenouillèrent sur la neige, en signe de répa-
ration, et vénérèrent ces précieuses reliques avec elle.
Dans la petite ville, où ils entrèrent ensuite, ils eurent encore à
discuter avec les ministres. Quand ils voulurent tirer leurs ar-
guments de la Sainte Écriture, ces luthériens récusèrent leurs ci-
tations et leur ouvrirent des bibles, traduites en allemand, dont
le texte était tantôt faussé, tantôt indignement tronqué. Les
athlètes de la foi savaient le peu de fruit qu'ils devaient attendre
de semblables controverses; ils s'y prêtaient cependant, afin de
venger la vérité de la religion et d'éviter le scandale qu'aurait
causé leur silence1.
3. Le 8 janvier 1537 2, après plus de cinquante jours de
voyage, nos pèlerins arrivèrent à Venise, où Ignace se trouvait
déjà depuis l'année 1535. Dans les tendres embrasse ments de
celui qu'ils aimaient et vénéraient comme un père, ils oublièrent
toutes leurs fatigues et souffrances. Une fois réunis, le maître et
les disciples songèrent d'abord à partir pour Rome, afin d'obtenir
du Souverain Pontife, avec sa bénédiction paternelle, l'autorisa-
tion d'aller à Jérusalem et d'y annoncer l'Évangile, sans que per-
sonne eût le droit de les en empêcher. Mais, l'hiver faisant encore
sentir ses rigueurs, ils remirent ce nouveau voyage à une
meilleure saison. En attendant, ils se partagèrent les deux grands
hôpitaux de la ville, celui de Saint-Jean et Saint-Paul, et celui des
Incurables, où ils se dévouèrent avec amour au service des ma-
lades, préludant ainsi aux expérimenta3 et aux œuvres de misé-
ricorde que la Compagnie devait imposer un jour à tous les
siens. Us vécurent de la sorte jusqu'à la mi-carême, époque à la-
quelle tous prirent le chemin de Rome, à l'exception d'Ignace de
1. Rodriguez, De origine, p. 28-33.
2. Nous donnons la date indiquée dans le lexte espagnol (original) de la lellre du
P. Lainez(A/on. Ignal., s. 4, t. I, p. 114).
3. C'est le nom donné à différentes épreuves du noviciat.
C4 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Lovola. Une sage prudence l'avait retenu; il craignait de com-
promettre par sa présence l'heureuse issue de leurs projets. Il con-
naissait, en effet, les dispositions peu favorables à son égard du
cardinal Caraffa et du docteur Ortiz, personnages très puissants à
la cour pontificale : au premier il avait déplu par quelques con-
seils qu'il s'était permis de lui donner, avant son élévation au car-
dinalat, touchant sa perfection propre et le gouvernement des
Théatins *; du second, il avait reçu à Paris des preuves évidentes
d'hostilité. La suite des événements montra que les craintes d'I-
gnace n'étaient pas tout à fait sans fondement. Le cardinal Pierre
Caraffa, sous l'inspiration d'un zèle sans doute mal éclairé, fit
aux voyageurs une forte opposition; par contre, le docteur Ortiz
les accueillit avec la plus grande bienveillance.
Ce savant casuiste était venu à Rome, chargé par Charles-
Quint de défendre les intérêts de Catherine d'Aragon, tante de
l'empereur, indignement répudiée par Henri VIII. Il avait, depuis
longtemps, déposé ses préjugés contre Ignace dont il avait re-
connu la sainteté. En sa considération il voulut introduire lui-
même ses disciples auprès du Saint-Père, auquel il fit d'abord le
plus bel éloge de leurs talents et de leurs vertus2. Paul III, pontife
pieux et savant, occupait alors le Saint-Siège ; il aimait à écouter,
pendant ses repas, des discussions sur des matières de doctrine. Il
voulut, une fois, entendre les compagnons d'Ignace disputer de-
vant lui avec d'autres théologiens romains. Leur savoir et leur
dialectique le ravirent. Quand il se leva de table, ils s'agenouil-
lèrent pour lui baiser les pieds, et lui, étendant les bras comme
pour les presser tous sur son cœur, leur dit avec une bonté
toute paternelle : « Je suis vraiment heureux de trouver tant
de science unie à tant d'humilité; si vous avez besoin de mon
appui en quoi que ce soit, je vous l'accorderai volontiers. » Ils
lui demandèrent sa bénédiction et l'autorisation de se rendre en
Terre Sainte : « Je vous le permets de tout cœur, dit-il en les
bénissant, mais je ne crois pas que vous parveniez à Jérusalem3. »
Le Pape parlait ainsi parce qu'il venait de conclure avec l'empe-
1. « Nuestro Padre le dio algunos avisos tocanles al Iralo de sua persona y al buen
gobernio de su religion » (Ribadeneira : Persecuciones de la Comp., ms. cité dans les
Mon. Ign., s. 1, t. I, p. 114, note). Cf. Polanco, Chronicon, I. 56 : « Eu m ex charitate
prudenter admonùerat, sed non admodum libenter quae suggessisset audita fuerunt. »
2. Polanco, p. 57, 58. Acta P. Ignatii, n. 73. De origine, p. 48. Les historiens con-
temporains constatent, sans en dire les raisons, cette transformation d'Ortizqui devint
l'un des plus grands bienfaiteurs de la Compagnie.
3. Ces paroles et cette scène sont rapportées par un témoin, le P. Simon Rodriguez
(De origine Soc. Jesu, p. 48, 49).
FONDATION ET APPROBATION. 63
reur un traité contre les Turcs : la guerre était près d'éclater sur
nier. Cependant, par son ordre, une somme de soixante écus fut
remise aux futurs pèlerins. Quelques compatriotes espagnols leur
firent également des largesses, et la somme s'éleva bientôt à deux
cent dix ducats, qu'ils rendirent du reste plus tard quand le
voyage devint impossible l. Ils obtinrent aussi de la Pénitcncerie,
le 27 avril 1537, la faculté de recevoir les ordres sacrés à titre
de pauvreté volontaire, de quelque évêque que ce fût, hors des
temps prescrits par les canons, et aussi une dispense d'âge pour
Alphonse Salmeron, dès qu'il aurait atteint ses vingt-trois ans -'.
i. Heureux du succès complet de leur démarche, ils revinrent
à Venise. Le 2ï juin 1537, Ignace et ceux des siens qui n'étaient
pas encore prêtres furent ordonnés dans cette ville par Mgr Vin-
cenzo Negusanti daFano, évèque d'Arba. Ce prélat déclara, dans
la suite, qu'aucune des nombreuses ordinations faites par lui
n'avait rempli son âme de plus tendres sentiments de dévotion 3.
Les ordinands avaient auparavant renouvelé leurs vœux de pau-
vreté et de chasteté aux pieds du nonce Girolamo Vérallo, qui
rendit, le 13 octobre de la même année, un témoignage très
favorable de la sainte vie et de la pure doctrine d'Ignace de
Loyola4. Les nouveaux prêtres attendirent, pour célébrer leur
première messe, différentes solennités que chacun choisit sui-
vant son attrait particulier. Ignace voulut s'y préparer pendant
une année entière, et prolongea même le délai fort au delà de ce
terme. Ce ne fut qu'au mois de décembre de l'année suivante,
en l'église de Sainte- Marie-Majeure à Rome, dans la chapelle de
la Crèche et le jour même de Noël, cfu'il eut pour la première
fois le bonheur d'offrir à Dieu le corps et le sang de Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ5.
Cependant, les espérances d'aller en Palestine diminuaient de
jour en jour. La guerre ayant éclaté entre le sultan Soliman et
la république de Venise, de nombreuses flottes sillonnaient les
mers; il fallait attendre les événements. L'espace de temps dé-
signé par Ignace et ses compagnons, comme limite à l'accom-
plissement de leur vœu, s'achèverait sans doute avant qu'il leur
1. Acta P. Ignatii, n. 93. Polanco, p. 58.
2. Tilulus ordinum Ignatii et soc. (Mon. Ign., s. 4, t. I, p. 543).
3. Rodriguez, De origine, p. 50. Epistola Lainii [Mon. Ign., s. 4, t. I, p. 117).
4. Testimonium de innocentia Ignatii (Mon. Ign., s. 4, t. 1, p. 624). Cf. Polanco.
Yita Ignatii, p. 59.
5. Lettre du 2 fév. 1539 aux Seigneurs de Loyola (Mon. Ign., s. 1,1. I, p. 147).
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 5
60 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
fût permis de passer en Syrie. Bien qu'ils n'eussent pas encore
perdu tout espoir, ils se réunirent à Vicence, dans la petite
maison en ruine où Ignace s'était retiré ', afin de s'entendre sur
les occupations auxquelles il était à propos de se livrer pour le
moment. Ils convinrent alors de se disperser dans les villes d'I-
talie pourvues d'Universités, d'y exercer encore quelque temps
les fonctions du saint ministère, et d'y recruter, s'il était pos-
sible, de nouveaux associés. Il fut décidé que « maitre Ignace,
maître Lainez et maître Le Fèvre iraient à Rome; maitre Pas-
chase et maître Salmeron à Sienne; maitre François Xavier et
maitre Bobadilla à Bologne; maitre Claude Le Jay et maître
Simon Roclriguez à Ferrare; le bachelier Hozès avec Jean Codure
à Padoue2 ».
Un autre point restait à traiter. On leur avait souvent demandé
quels étaient leur nom et leur profession; il importait que tous
donnassent la même réponse. Ils prièrent et réfléchirent pour
savoir la volonté de Dieu à ce sujet. Mais il n'y eut pas longue
discussion : u Considérant qu'ils n'avaient d'autre chef que Jésus-
Christ que seul ils voulaient servir, il leur sembla qu'ils devaient
prendre le nom de ce chef, et que leur association devait s'ap-
peler Compagnie de Jésus 3 ».
5. Au mois d'octobre4 1537, Ignace partit pour Rome avec
Pierre Le Fèvre et Jacques Lainez. Il eut pendant la route une
extase mémorable, constatée dans les actes du procès de béati-
fication, et qu'on regarde à bon droit comme une confirmation
divine du nom de Jésus qui venait d'être choisi par la petite
société naissante. A six milles environ de la ville de Rome, au
1. C'était dans un couvent abandonné, San Pietro in Vanello, vieille bâtisse sans
portes ni fenêtres.
2. Epist. Lainïi (Mon. Igu., s. 4, t. I, p. 118). — Jacques de Hozès, né à Malaga,
avait connu Ignace à Venise, en 1536, pendant que celui-ci attendait ses compagnons.
La première fois qu'il fit les Exercices, troublé par les faux bruits répandus sur ce
livre et sa doctrine, il s'était muni d'une quantité de livres de théologie pour avoir
sous la main de quoi réfuter l'erreur. Mais ses craintes s'évanouirent bientôt et il
s'attacha à Ignace pour toujours. Il partagea les travaux de ses compagnons en 1537.
Tombé malade, par suite des fatigues éprouvées dans le ministère apostolique avec
Codure, à Padoue, il mourut en 1538, la Compagnie n'étant pas encore constituée.
(Cf. Astrain, op. cit., I, p. 202).
3. Polanco, Vita Fgnatii, p. 72, 73. Polanco dit textuellement que celte décision
fut prise avant le départ d'Ignace, Lainez et Le Fèvre pour Rome (Ibid., p. 72).
4. Cette date est donnée par le P. Le Fèvre dans son Mémorial (p. 15) : « Ivimusque
eo (Romam)... erat autem mensis octobris... » C'est pourquoi Ignace pouvait écrire
à Elisabeth Roser le 19 déc. 1538 : « H y a plus d'un an que trois d'entre nous nous
arrivâmes ici, à Rome » (Mon. Ign., s. 1, t. I, p. 138).
FONDATION ET APPROBATION. 67
village de la Storta1, se trouvait une petite chapelle solitaire.
Ignace y entra pour prier. « Bientôt, avoua-t-il plus tard lui-
même au P. Gonzalvès, je me sentis ému et transforme'', et je re-
connus, à n'en pouvoir clouter, que Dieu le Père m'associait à
son Fils3. » Gonzalvès lui ayant fait remarquer qu'il ne disait
rien de plusieurs détails racontés par Lainez : — « Tenez pour
certain, répondit-il, tout ce que Lainez vous a dit, car je ne me
rappelle pas très bien aujourd'hui toutes les circonstances. Je suis
sûr seulement qu'en lui rapportant le fait je ne lui ai rien dit
qui ne fût vrai1. »
Il nous faut donc recourir à Lainez pour avoir un récit com-
plet de cette apparition importante. Devenu Général de la Com-
pagnie après saint Ignace, il la raconta ainsi dans une exhorta-
tion donnée aux Pères et Frères de Rome, le 2 juillet 1560 :
« Nous nous dirigions vers Rome par la route de Sienne, Père
maître Ignace, Père maître Le Fèvre et moi. En ce temps-là le Père
Ignace était plus que jamais favorisé de sentiments spirituels et
de dons célestes, particulièrement quand dans la communion il
recevait Notre- Seigneur au Saint-Sacrement. Le Fèvre et moi
disions alors la messe, mais lui pas encore. Parvenus à un certain
endroit de la route, il me dit que Dieu lui avait profondément
imprimé au cœur ces paroles : « Je vous serai propice à Rome11 »,
dont il n'entendait pas encore toute la signification [ne sachant
au juste quelles épreuves il aurait à traverser pour accomplir la
volonté divine]. « J'ignore, nous dit-il, ce qu'il en sera de nous.
Qui sait? peut-être serons-nous mis en croix? » Puis il ajouta
qu'il lui avait semblé voir Notre-Seigneur avec une pesante croix
sur les épaules, et près de lui le Père Éternel qui lui disait :
« Je veux, mon Fils, que tu prennes celui-là pour ton serviteur. »
Et Jésus pressant Ignace contre lui-même et contre sa croix, lui
dit : « Oui, je veux que tu sois mon serviteur \ »
1. Sur la roule qui va de Sienne à Rome par Viterbe.
2. Acta P. lgnatii, n. 96. Le texte porle : « Me plaçant avec son Fils. » La même
expression se retrouve dans le manuscrit où Ignace notait ce qui se passait dans son
àme : « Veniendo en memoria cuando el Padre me puso con el Hajo » (Constit. S. J.
lat. et hisp., p. 355, n. 22).
3. Acta P. lgnatii, n. 96.
4. Le bréviaire ambrosien de l'église de Milan contient une leçon de l'office de
saint Ignace où on lit : « Jesum sibi patrocinium illis verbis spondentem prope Ur-
bem audivit : Ego vobis Jlomae propitius ero. »
5. De actis S. lgnatii a Ribadeneira (Mon, lgnat., s. 4, t. I, p. 378). Dans sa Vie
de saint Ignace Ribadeneira insinue que le nom de Jésus fut donné à la Compagnie
en conséquence de cette vision; mais nous avons vu plus haut que les Pères avaient
08 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
6. Arrivés dans la ville étemelle, Ignace, Le Fèvre et Lainez
allèrent aussitôt s'offrir au Souverain Pontife. Paul III agréa leurs
services avec les témoignages de la plus affectueuse bonté. Il
nomma Le Fèvre et Lainez, qu'il connaissait déjà avantageuse-
ment, professeurs à l'Université de la Sapience, le premier d'É-
criture Sainte, le second de théologie scolaslique. Ignace, appliqué
au bien des âmes, s'occupa uniquement de donner les Exercices
spirituels à Rome et hors de la ville. Pendant ce temps, ses com-
pagnons dispersés en Italie faisaient apprécier leur zèle et leur
science dans des travaux apostoliques que nous n'avons pas à
raconter. La fin de l'année 1537 et les premiers mois de 1538
se passèrent ainsi. La guerre avait bien cessé et la mer était
devenue libre, mais seulement après le terme fixé par le vœu
de Montmartre. Dieu faisait ainsi comprendre à ses serviteurs que
le pèlerinage de Jérusalem n'était point sa volonté. Il ne leur
restait plus qu'à entrer dans la voie tracée par la Providence.
Durant le carême 1538, Ignace rappela près de lui, à Rome,
tous les siens. Une fois rassemblés, leur première détermination
fut de demander, pour ceux qui ne l'avaient pas encore, la per-
mission de prêcher et de confesser. En l'absence du Pape, alors
à Nice, son légat, le cardinal Jean-Vincent Caraffa, leur octroya
les pouvoirs les plus étendus. Ils se partagèrent alors les diffé-
rentes églises '. Ils prêchaient presque tous en italien, ce qui leur
valait quelques humiliations; mais le succès spirituel n'était pas
moindre. Les maîtres d'écoles amenaient les enfants à leurs caté-
chismes; les adultes, touchés de leurs exhortations, se mettaient
à la pratique de la confession et de la communion fréquente.
Ignace, qui prêchait en espagnol à l'église Sainte-Marie de Mont-
Serrat, attirait autour de sa chaire beaucoup d'hommes de valeur
qui le suivaient avec assiduité. Le docteur Ortiz se vantera plus
tard de n'avoir perdu alors aucun de ses sermons, et un autre
théologien, le docteur Arce, disait n'avoir jamais entendu personne
prêcher avec autant de vigueur que lui : « Il parlait, ajoutait-il.
velut potestatem habens-. » Cette petite société d'hommes apos-
toliques commençait à être connue; elle jouissait en paix des
fruits de salut produits dans les âmes et se préparait à récolter
choisi ce nom à Vicence avant de se répandre dans les Universités d'Italie. La vision
de la Storla ne fit que les confirmer dans leur décision.
1. Ils allèrent aussi évangéliser divers monastères et hôpitaux (Epist. Lainii.
Mon. Ign., s. 4, t. I, p. 120).
2. Polanco, p. 63, 64, 67. Mon. Ignat., ser. ï, t. I, p. 119, 120, 548.
FONDATION ET APPROBATION. 69
des moissons nouvelles, lorsque s'éleva contre elle un violent
orage, qui menaça de ruiner de si belles espérances. Ignace de
Loyola a raconté lui-même cette rude épreuve dans une longue
lettre à Elisabeth Roser, datée du 19 décembre 1538 : « Pendant
huit mois entiers, dit-il, nous avons eu à soutenir la plus terrible
persécution que nous ayons jamais soufferte en cette vie. Je ne
veux pas dire qu'on nous ait personnellement inquiétés ou tra-
duits devant les tribunaux; mais, par les bruits semés dans le
public, par des accusations inouïes, on nous avait rendus sus-
pects et odieux aux fidèles, à leur grand scandale. Nous avons
donc été forcés de nous présenter devant le Légat et le gou-
verneur de Rome, le Pape étant parti pour Nice, afin de dissiper
la fâcheuse impression faite sur l'esprit d'un grand nombre.
Nous avons cité plusieurs de ceux qui s'étaient déclarés contre
nous, les sommant de dire, devant qui de droit, ce qu'ils avaient
à reprendre dans notre enseignement et dans notre conduite... »
Après avoir rapporté toutes les péripéties de cette affaire et
comment une sentence solennelle fut rendue, le 18 novembre
1538, au nom du Saint-Père, grâce au concours providentiel de
graves témoins, venus inopinément d'Espagne, de Paris et de
Venise, Ignace ajoute : « Maintenant que nous avons un jugement
en notre faveur, nous espérons étendre encore nos prédications
et nos catéchismes. Quoique le terrain soit sec et stérile et que
nous rencontrions tant de contradictions, nous ne pouvons dire
cependant que le travail nous manque et que Dieu Notre-Seigneur
ne nous ait pas protégés au delà de notre attente. Je ne veux pas
entrer ici dans le détail des choses... Je ne puis, cependant, vous
taire que quatre ou cinq compagnons ont résolu de se joindre à
nous et persévèrent depuis plusieurs mois dans ce dessein; nous
ne pouvons les recevoir, car on nous a reproché, entre autres
choses, de vouloir fonder un Ordre sans l'autorisation du Saint-
Siège. Si nous ne vivons pas encore en communauté, nous
sommes néanmoins unis de cœur dans le même projet d'avenir
que Dieu Notre-Seigneur, nous l'espérons, réalisera bientôt, puis-
qu'il est tout pour son service et sa gloire [. »
Dans la sentence favorable prononcée par le gouverneur de
Rome, Renoit Conversini, il est déclaré « qu'Ignace et ses com-
pagnons non seulement n'ont encouru ni de droit ni de fait, par
suite des dénonciations, aucune note d'infamie, mais qu'ils en
1. Lettre du 19 déc. 1538 (Mon. Ignat.. s. 1, t. I, p. 137-144).
70 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
ont retiré pour la pureté de leur doctrine et de leur vie un bril-
lant éclat1 ». Les calomniateurs restèrent impunis. D'ailleurs,
Ignace de Loyola n'avait point recherché leur condamnation ; il
avait uniquement revendiqué, pour l'honneur même de Dieu,
une attestation de son innocence et de celle de ses compagnons :
« Qu'on nous traite, écrit-il à Pierre Contarini, d'hommes igno-
rants, grossiers, sans éloquence, qu'on dise de nous .que nous
sommes méchants, moqueurs, inconstants : nous n'en ferons
guère cas, Dieu aidant. Mais qu'on prétende que notre doctrine
est erronée et notre vie mauvaise, voilà ce qui nous afflige;
car ces biens ne sont pas à nous, mais à Jésus-Christ et à son
Église2. »
Quant au reproche fait à Ignace et aux siens de vouloir fonder
un Ordre nouveau, pour en comprendre la portée, il faut savoir
qu'à la cour de Rome un mouvement de réforme se dessinait
alors, qui ne tendait à rien moins qu'à la suppression momen-
tanée d'un bon nombre d'instituts religieux.
Paul III avait établi, depuis peu, une commission composée
de quatre cardinaux et de cinq prélats ou abbés3, à l'effet de re-
chercher et de détruire les abus qui s'étaient glissés dans l'É-
glise et spécialement dans le clergé. Celle-ci fit un rapport, où
après avoir dénoncé les défauts du clergé séculier, exposé leur
cause et leurs remèdes, elle se plaignit des couvents d'hommes
« la plupart tellement relâchés qu'ils étaient devenus un scandale
pour les fidèles ». Elle proposait de laisser s'éteindre peu à peu
« tous les ordres conventuels par l'interdiction de recevoir des
novices » et par « le renvoi de tous les jeunes gens qui n'avaient
pas encore fait profession4 »; de la sorte, les monastères seraient
bientôt supprimés « sans porter préjudice à personne », et l'on
1. Sententia vicarii urbis (Mon. Ignat., s. 4, t. I, p. 627).
2. Lettre du 2 déc. 1538 [Mon. Ignat., s. 1, t. I, p. 134, 135).
3. Les cardinaux étaient Contarini, Sadolet, Caraffa et Polus. Les cinq prélats :
Frégosi, arche v. deSalernes; Jérôme Alexandre archer, de Brindes; Giberli, évêque
de Vérone; Cortesi, abbé de Saint-Georges ; Thomas Badia, dominicain et maître du
Sacré Palais.
4. « Conventuales ordines abolendos esse putamns oinnes, non tamen ut alicui fiât
injuria, sed prohibendo ne novos possint admittere. Sic enini, sine ullius injuria, cito
delerentur et boni religiosi eis substitui possint. Nunc vero putamus optimum fore
si omnes pueri, qui non sunt professi, ab eoium monasteriis repellerentur » [Consi-
lium delectornm cardinalium el aliorum praslalorum de emendanda Ecclesia.
S. D. X. Paulo III jubente, conscriptum et exhibilum anno MDXXXY1II, dans
Le Plat, Monumentorum ai hist. conc. Trident... coltectio t. II, p. 601). Ce docu-
ment fut publié d'abord par Sturm en 1538; on le trouve dans divers ouvrages. Les
archives Vaticanes en possèdent une copie (Varia Poiilicorum, XXVII, fol. 117-139).
Le Plat nous avertit que son texte reproduit l'édition de 1538.
FONDATION ET APPROBATION. 71
pourrait ensuite songer aux moyens de les reconstituer avec des
sujets mieux formés. Ce projet parut au Pape à la fois violent et
inutile. Animé du même esprit qui suscita alors des réformateurs
tels que Thérèse de Jésus et Pierre d'Alcantara, il ne crut pas
devoir souscrire à l'avis de la commission. Mais, malgré cette
décision de Paul III, il est aisé de voir combien le moment était
peu favorable pour présenter et faire agréer une fondation nou-
velle.
7. C'était néanmoins en de telles circonstances que Dieu allait
amener Ignace et ses compagnons à demander à l'Église de re-
connaître et d'approuver leur petite Société. En se réunissant à
Rome au printemps de 15:38, ils n'avaient d'abord songé qu'à
remplir la seconde partie de leurs vœux : travailler au bien spi-
rituel des âmes suivant le bon plaisir du Souverain Pontife.
« Mais, raconte le P. Polanco, quand ils virent une vaste carrière
ouverte devant eux, soit dans les villes et provinces d'Italie, soit
même au dehors, parce que la bonne édification qu'ils avaient
donnée à Rome faisait désirer leur concours à beaucoup de gens
auxquels le pape voulait être agréable, la pensée leur vint à
tous1 que la volonté de Dieu était qu'ils formassent une société
perpétuelle qui, leur survivant, continuerait après leur mort à
servir Dieu dans les mêmes ministères, et s'accroîtrait de tous
ceux que Notre-Seigneur appellerait au même genre de vie.
Venus de nations diverses, mais étroitement unis par un même
esprit et une même vocation, ils résolurent, avant de se séparer
pour l'apostolat, de fixer la règle de conduite qu'ils entendaient
suivre désormais. Et, comme sur ce point les avis furent d'abord
partagés, ils décidèrent unanimement de vaquer avant tout à
la prière, d'offrir le saint sacrifice de la messe et de se livrer
chacun en particulier à de sérieuses considérations afin de mieux
1. 11 est évident par le contexte que cette pensée leur vint alors pour la première
fois. Polanco dit, en effet, quelques lignes plus haut : « Cum Romae hoc anno 1~> 45...
noslri convenerunt, nondum in animo proposueranl congregationem aliquam
perpétuant seu religionem instituer e » (p. 69, 70). D'ailleurs nous avons sur ce
point, parfois contesté, le témoignage de saint Ignace lui-même. Le 29 juillet 1553,
au sujet d'une notice historique sur l'origine de la Compagnie, son secrétaire écri-
vant de sa part au P. François Palmio lui recommandait la brièveté et lui disait :
« V. R. potria agiongiere corne li primi, che congrego in Parigi N. P. Ignatio, et
lui non pasorno in ltalia per far religione, ma per passar in Hierusalem et
predicar et morir fra infideli; ma dopoi, non polendo passa re aU'hora tral-
torno di far un corpo » (Mon. Ignat., s. 1, t. V, p. 259, 2G0). Cf. Analecta Bollan-
diana, 1908, t. XXVII. Manrèse et les origines de la Compagnie de Jésus. L'au-
teur de cet article, le P. Van Ortroy, semble avoir dit le dernier mot sur celle
question controversée.
72 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
connaître la volonté de Dieu. Ils avaient le ferme espoir que, s'ils
employaient de leur côté toute diligence, le Seigneur ne man-
querait pas de leur inspirer les desseins les plus utiles à son
honneur et les plus agréables à sa divine majesté1. »
Après la prière, ils en vinrent aux délibérations. Ils y consa-
crèrent plusieurs heures chaque nuit, afin de ne rien retrancher
à leurs journées tout absorbées par le service du prochain. Ces
conférences durèrent trois mois, ainsi que le porte, écrit de la
main du P. Codure, le procès-verbal des séances2. Chaque point
à fixer devait passer par trois degrés : l'étude, la discussion et le
vote. Lorsque l'objet à étudier avait été proposé, chacun se re-
tirait, se mettait seul en présence de Dieu et considérait la ques-
tion comme une chose à laquelle il était entièrement étranger,
afin qu'affranchi de l'intérêt propre il put choisir le parti le
meilleur. Dans la crainte que le respect du sentiment d'autrui
ne prévalût sur le jugement de la raison, personne ne communi-
quait aux autres le fruit de ses réflexions privées. Pendant les
conférences, chacun émettait librement son avis et le livrait à la
discussion commune; cet avis, débattu à fond, n'était mis aux
voix et adopté que lorsqu'il ne rencontrait plus d'opposition. Les
propositions d'Ignace étaient soumises comme les autres à l'exa-
men; elles rallièrent toujours l'unanimité des suffrages, une
seule fois exceptée, comme nous le dirons plus loin.
Dans la première réunion ils examinèrent si, au cas où le Pape
les enverrait en différents pays, même hors de l'Europe, chacun
resterait son maitre et sans rapports avec les autres, ou bien si,
quoique dispersés, ils formeraient une même société. La question
fut résolue à l'unanimité dans ce dernier sens; car, bien que dif-
férant de langage, de mœurs, de conditions, ils avaient toutes les
raisons du monde de ne jamais séparer ce que la main de Dieu
avait miraculeusement uni. Ce parfait accord leur parut l'arme
la plus puissante pour opérer de grandes choses et pour résister
à toutes les adversités. A cette première décision, comme à toutes
les autres, ils ajoutèrent cependant cette clause : autant que cela
s'accorde avec la volonté de Dieu et les intentions du Saint-Siège ::.
On examina, dans les réunions suivantes, une seconde ques-
tion intimement liée avec la première : quelle serait la forme de
1. Polanco, Vila P. Ignatii, p. 70.
2. « t539, en très meses il modo de ordenarse la Gompania » (Const. lat. et hisp.,
append. I", n. 1). Cf. Rodrigue/, De origine, p. 76.
3. Const. S J. lat. et hisp., appendix 1% n. 1, p. 298. — Polanco, Vita P. Ignatii,
p. 70.
FONDATION ET APPROBATION. 73
gouvernement de la société? Aux vœux de pauvreté et de chasteté
qu'ils avaient faits à Venise, en présence du légat apostolique,
devaient-ils ajouter le vœu d'obéissance et par là faire de leur
Compagnie un nouvel Ordre religieux? Ils hésitèrent longtemps.
Après une discussion, qui dura plusieurs séances, ils ne savaient
encore à quoi se résoudre. Ignace s'abstint d'intervenir avec auto-
rité. On eut alors recours au moyen prescrit par les Exercices
sous le nom d'élection : les yeux fixés sur le but à atteindre, la plus
grande gloire de Dieu, on pesa les raisons pou?' et les raisons contre
la subordination à un chef unique. Les inconvénients qui pou-
vaient résulter du vœu d'obéissance furent d'abord examinés.
Trois surtout parurent dignes de considération : le premier, que
l'opinion publique étant peu favorable aux Ordres existants, cette
défaveur s'attacherait nécessairement à tout Ordre nouveau; le
second, que le vœu d'obéissance éloignerait de la Compagnie
beaucoup de personnes qui autrement s'y seraient rattachées ; le
troisième, que le Pape, dont l'approbation était nécessaire, pour-
rait la refuser et renvoyer aux Ordres religieux qui existaient déjà
en si grand nombre. Dans une autre conférence, ce furent au
contraire les avantages de l'obéissance qui se présentèrent à la
discussion : parmi les Ordres existants aucun ne semblait répon-
dre aux besoins de l'époque ; le Pape se montrerait donc proba-
blement plus disposé à approuver une société destinée à combattre
les erreurs actuelles; ensuite, les missions, auxquelles Ignace et
ses compagnons devaient se consacrer, porteraient plus de fruits
s'ils étaient unis par les liens de la vie religieuse; en troisième
lieu, le vœu d'obéissance, dût-il éloigner plusieurs de la Compa-
gnie, lui attirerait, en bien plus grand nombre, tous ceux qui
regarderaient comme un bienfait la dépendance entière du Sou-
verain Pontife; enfin, sans ce vœu, la décision qu'ils avaient
prise de vivre en société serait inexécutable, aucune société ne
pouvant subsister longtemps en dehors du principe d'autorité.
Après avoir poursuivi ces discussions pendant plusieurs nuits
et épuisé toutes les raisons que l'on put alléguer, il fut conclu à
l'unanimité que l'on ajouterait aux autres vœux celui d'obéis-
sance, le plus excellent de tous, afin d'imiter plus parfaitement
Jésus-Christ Notre-Seigneur, lequel « se fît obéissant jusqu'à la
mort, et jusqu'à la mort de la croix1 ». La formule de résolution
touchant le vœu d'obéissance, écrite de la main de Le Fèvre, fut
1. La délibération sur le vœu d'obéissance se voyait autrefois dans la chambre de
saint Ignace au Gesu {Const. lai. et hisp., p. 298).
74 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉS1 S.
acceptée de tous, et chacun la signa après l'avoir lue à la sainte
messe, avant la communion. Elle était ainsi conçue : « Je, soussi-
gné, déclare devant Dieu tout-puissant, la Bienheureuse Vierge
Marie et toute la cour céleste, qu'après avoir prié et mûrement
réfléchi, j'ai jugé de mon plein gré, comme plus expédient à la
gloire de Dieu et au maintien de la Compagnie, qu'on y ferait le
vœu d'obéissance. Je déclare aussi que je nie suis librement offert,
— sans vœu toutefois ni promesse, — à entrer dans ladite Com-
pagnie ; si elle était approuvée par notre seigneur le Pape. En
mémoire de quoi, reconnaissant que cette décision est un don de
Dieu, je me suis approché, quoique très indigne, de la sainte
communion, toujours avec le même dessein. Ce mardi 15 avril
15391. »
Outre les deux points dont nous venons de parler, Ignace et
ses compagnons adoptèrent plusieurs autres résolutions touchant
le but et le développement de la société2. Le k mai, il fut décidé
à l'unanimité que quiconque voudrait entrer désormais dans la
Compagnie de Jésus ferait au Pape, dans la personne du Supé-
rieur, un vœu spécial d'obéissance, prêt à se rendre en n'importe
quel pays, chrétien ou infidèle, désigné par le Vicaire de Jésus-
Christ. Il fut réglé de plus que chaque membre enseignerait
publiquement la doctrine chrétienne aux enfants pendant quarante
jours chaque année. L'assemblée, ayant voulu rendre cet ensei-
gnement obligatoire par un vœu, dut y renoncer devant les récla-
mations de Bobadilla. Par déférence pour sa personne, on accorda
que cet exercice serait imposé seulement comme les autres minis-
tères de la Compagnie. Cependant, afin d'empêcher qu'à l'avenir
l'opposition d'un seul membre pût prévaloir contre lavis de tous
les autres, on convint que, si pareil cas se présentait, le vote de
l'opposant serait tenu pour nul et non avenu.
Il fut également établi que ceux qui demanderaient à être admis
dans l'Ordre feraient un noviciat et seraient soumis à d'autres
épreuves, comme les Exercices spirituels, les pèlerinages -et le
service des hôpitaux. La veille de l'octave de la Fête-Dieu, on
arrêta que la Compagnie élirait pour la gouverner un supérieur
général nommé à vie. Enfin, on décida que dans le cas où ses
membres seraient dispersés en diverses contrées, les résolutions
relatives aux intérêts de tout le corps seraient prises, à la majo-
1. L'original de celle formule est conservé dans la Compagnie; nous en possédons
une reproduction photographique.
2. Const. lût. et hisp., app. I, n. 2. Polanco, Vita 1'. Jgnatii, p. 71.
FONDATION ET APPROBATION. 75
rite des voix, par ceux qui résideraient en Italie; à cet effet ils
seraient appelés à Home ou devraient y envoyer leur suffrage1.
8. Lorsque furent achevées les délibérations, Ignace de Loyola
les résuma en une formule d'Institut, comprenant cinq articles,
qu'il fit présenter à l'approbation du Saint-Siège par les mains du
cardinal Gaspard Contarini, oncle de Pierre Contarini un de ses
amis de Venise. Le Pape en confia aussitôt l'examen au maître du
Sacré Palais, le dominicain Thomas Badia, depuis cardinal du
titre de Saint-Silvestre. Celui-ci la garda deux mois, pour l'étudier
plus à loisir, et la remit ensuite avec son plein consentement au
Souverain Pontife. Paul III, qui était alors à Tivoli, voulut en
prendre lui-même connaissance. On rapporte qu'après l'avoir
entendu lire, il dit en faisant le signe de la croix et donnant sa
bénédiction : Benedicimus, laudamus et approbamas . Cette appro-
bation de vive voix eut lieu le 3 septembre 1539. Le même jour,
le cardinal Contarini transmit la bonne nouvelle à Ignace en lui
exprimant toute la satisfaction du Saint-Père2 : « Je reçus hier,
lui écrivit-il, par notre espagnol Marc-Antoine, votre projet de
règle, avec une lettre du maître du Sacré Palais. Je me suis rendu
aujourd'hui chez le Pape, et après lui avoir exposé verbalement
votre demande, j'ai lu à Sa Sainteté les cinq chapitres dont il s'est
montré très satisfait et qu'il a daigné approuver et confirmer.
Nous reviendrons vendredi à Rome avec Sa Sainteté, et alors le
Révérendissime Ghinuccio recevra l'ordre de rédiger le Bref ou
la Bulle '. »
Paul III était sans doute très disposé à donner cette sanction
suprême, mais auparavant il désira prendre l'avis de trois cardi-
naux parmi lesquels se trouvait Barthélémy Guidiccioni de Luc-
ques. Habile canoniste et d'une vie irréprochable, ce cardinal
sollicitait depuis longtemps une réforme des Ordres religieux
et se montrait opposé à toute institution nouvelle. La considéra-
tion dont il jouissait lui donnant sur ses deux collègues une incon-
testable supériorité, on ne pouvait guère espérer de la commis-
sion un avis favorable. Guidiccioni, en possession de la formule,
ne voulut pas même la lire, protesta énergiquement '' contre la
1. Const. lat. et hisp., appendix 1', n. 3.
2. Polanco, p. 71. Cf. Lettre d'Ignace à Beltran de Loyola (Mon. Ign., s. 1, t. I,
p. 148, 149). Lettre de Salmeron à Juan Lainez, 25 sept. 1539 (Ibid., p. 153).
3. Lettre de Gasp. Contarini (Cartas, p. 433, app. II, n. 5).
4. Polanco, p. 72. Rodiïguez, De origine, p. 82.
76 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
fondation d'un nouvel Ordre et entraîna dans son opposition
obstinée les deux autres cardinaux.
Sans trouble ni découragement, Ignace et ses disciples eurent
recours à Celui qui tient les cœurs des hommes en sa main. Ils
promirent de faire célébrer trois mille messes, si l'on recevait la
faveur ardemment sollicitée1. Leur généreuse constance dans la
prière finit par triompher. Le cardinal Guidiccioni, tout prévenu
qu'il était d'abord contre le projet, se trouva changé subitement.
Il demanda lui-même le plan de l'Institut, le lut avec attention
et l'approuva sans réserve. Tout en affirmant qu'il persistait
dans son avis de ne pas introduire de nouveaux Ordres dans l'É-
glise, il réclamait une exception en faveur de celui d'Ignace :
» J'éprouve pour cet Institut, disait-il, des sentiments si extraor-
dinaires que la raison cède à la manifestation de la volonté
divine et que le cœur triomphe de tous les raisonnements de
l'esprit2. » Non content de motiver ainsi son approbation per-
sonnelle, il détermina ses deux collègues à émettre un avis favo-
rable, et se fit auprès du Souverain Pontife l'avocat enthousiaste
de ce qu'il avait d'abord condamné !.
Ce fut le 27 septembre 15i0 que Paul III, parla bulle Regimi/n
militantis Ecclesiae, confirma l'Institut d'Ignace de Loyola sous
le nom de Compagnie de Jésus. Celle-ci depuis lors a regardé ce
jour comme celui de sa naissance, et chaque année à pareille
date elle en célèbre l'anniversaire.
La Bulle permettait aux dix premiers Pères, dont elle louait le
zèle, de se donner des constitutions conformément au but qu'ils
s'étaient proposé, mais elle limitait le nombre des profès à
soixante. Deux ans plus tard, quand déjà une élite de jeunes gens
de grande espérance et des hommes mûrs, expérimentés dans la
science et la vertu, s'offriront de toutes parts à la Compagnie,
le même Pape abolira cette restriction par la bulle Injunclum
nobis, en date du li mars 15434.
Le nom de Compagnie de Jésus, sous lequel le nouvel Ordre
avait été approuvé, rencontra tout d'abord une forte opposition,
qui devait se renouveler plus d'une fois dans le cours de son
1. Ribadeneira affirme, dans le procès, qu'il fut lui-même chargé de compter les
messes dites à cette intention (Acta bealif., art. 16).
2. Ribadeneira, 1. Il, c. xvii.
3. « Ut summopere ejus Inslitutum laudaret, » dit Ribadeneira. Cf. Acta SS.,
p. 69fJ, n. 172, 173.
4. Inslitutum Societalis Jesu, t. I, p. 1, 5. Polanco, p. 72. Rodriguez, De Origine,
p. 84.
FONDATION ET APPROBATION. 77
existence. Quel orgueil et quelle injustice! s'écriait-on. Est-ce que
tous les fidèles ne sont pas aussi de la compagnie de Jésus? Et
par quel privilège ce titre serait-il réservé à la société d'Ignace?
Un théologien célèbre, mais adversaire acharné, Melchior Cano,
interprétant ces paroles de saint Paul aux Corinthiens : // est
fidèle le Dieu par lequel vous avez été appelés à la compagnie de
son Fils Jésus- Christ{, demandait de quel droit cette compagnie
de Jésus-Christ, qui est véritablement l'Église, avait pu être en-
tendue par Ignace dans un sens restreint et privé? « Que ceux
donc qui s'arrogent ce nom, disait-il, examinent bien s'ils n'imi-
tent pas les hérétiques en prétendant faussement qu'ils ont chez
eux l'Église2. » — « Telle n'est pas notre prétention, répondait
le P. Polanco : nous voulons seulement être dans l'Église comme
une troupe de soldats portant le nom de son capitaine !. » Le
P. Possevin a fait au même sujet une remarque très juste : « Les
dominicains, dit-il, s'appellent frères prêcheurs; cependant ils
n'ont pas la prétention d'être seuls à prêcher'1. »
La persuasion intime du fondateur était que le nom de Jésus,
en dépit de tous les efforts, resterait toujours à sa petite Compa-
gnie. Comme nombre de gens lui conseillaient de le changer, il
ne se laissa point ébranler. Or, pour quiconque connaît son hu-
milité, son empressement à renoncer à sa volonté propre et à
céder au jugement d'autrui, cette fermeté tranquille, plus forte
que toutes les raisons et tous les avis, est une preuve certaine
qu'il ne considérait pas cette question comme une affaire pure-
ment humaine. Il déclara de sa bouche au P. Polanco qu'il
serait allé contre la volonté de Dieu, et se serait rendu gran-
dement coupable, s'il avait hésité un instant à donner ce nom
à sa société '.
1. Ce texte est fort mal choisi, dit le P. Astrain {op. cit., ch. xi, p. 182, note), car
ici societas ne signifie pas réunion d'hommes, mais participation, communion xoivw-
vta. — 2. Locorum theologicorum libri XII, L IV, c. u. — 3. Polanco, p. 74.
4. « Sommaire des raisons et objections des adversaires de la Compagnie » réunies
par Possevin, l'an 1565, au moment où il traitait de la réception de la Compagnie par
l'entremise de la reine (Galliae Epistol., t. III, fol. 1).
5. Polanco, p. 73. — Telle était bien, en effet, la volonté de Dieu. Elle devait
même, un jour, se manifester sur ce point d'une façon remarquable et contre toute
espérance. Un grand pape, Sixte-Quint, prévenu contre les disciples d'Ignace, avait
résolu de changer leur nom et quelques-unes de leurs règles. Ni les représentations,
ni les prières de la plupart des cardinaux ne parvinrent à le détourner de son des-
sein. 11 ordonna donc au P. Claude Aquaviva d'écrire aux Provinciaux de ne plus
employer désormais le nom de Compagnie de Jésus. Celui-ci, ne pouvant se sous-
traire à cette pénible nécessité, porta au Pape le projet du décret qu'il avait rédigé.
Sixte-Quint l'approuva, en louant l'obéissance du Général; mais satisfait de cette
démarche, il garda le projet sans en exiger l'expédition, et sa mort, arrivée peu de
78 HISTOIRE DE IA COMPAGNIE DE JESUS.
9. Au moment où Paul III publia sa bulle de confirmation de
la Compagnie de Jésus, Ignace, Salmeron et Godurese trouvaient
seuls à Rome. Les autres travaillaient en différentes contrées :
Jacques Lainez à Parme; Claude Le Jay à Brescia; Paschase
Broet à Sienne; Nicolas Bobadilla à Bisignano en Calabre; Pierre
Le Fèvre en Allemagne, où il avait accompagné le docteur Ortiz
à la diète de Worms; François Xavier et Simon Rodriguez en
Portugal, où ils devaient s'embarquer pour les Indes. Le fonda-
teur s'empressa de donner à tous avis de l'heureux événement,
et leur marqua la nécessité de choisir sans retard un Supérieur,
parce que le Pape avait l'intention de confier encore à d'autres
membres de la nouvelle Compagnie des missions importantes
dans des pays lointains. Il convoqua donc à Rome tous ceux qui
résidaient en Italie. Ils y arrivèrent au milieu du carême de
l'année 1541, à l'exception de Bobadilla qu'un ordre de Sa Sain-
teté, obtenu par les habitants de Bisignano, retenait dans cette
ville i.
Avant de procéder à l'élection du premier Général, on résolut
de tracer les règles de l'Ordre, au moins dans leurs parties prin-
cipales. Tous s'en remirent sur ce sujet à la décision d'Ignace
de Loyola; mais lui, loin de se prévaloir de cette latitude, ne
voulut rien arrêter définitivement sans avoir pris sur chaque
point l'avis et l'assentiment de ses compagnons. Il dessina alors
les grandes lignes des Constitutions, et présenta un projet qui
fut examiné avec soin et accepté par tous comme provisoire-
ment obligatoire.
L'élection fut fixée au 9 avril, veille du dimanche des Bameaux,
et la manière dont on y procéderait déterminée après une atten-
tive délibération. Tous convinrent de consacrer trois jours à
considérer devant Dieu sur qui tomberait leur choix; ce terme
expiré, ils écriraient le nom de l'élu sur un bulletin cacheté, et
pendant trois autres jours ils prieraient Dieu de bénir l'élection
ainsi faite et de la confirmer.
Ces prescriptions furent rigoureusement observées '. Xavier et
temps après, trancha pour toujours la difficulté. Son successeur, le pape Grégoire XIV,
clans sa bulle Ecclesiae catholicae, approuva expressément avec les Constitutions le
titre de Compagnie de Jésus : « Nous voulons, dit- il, que ce nom, sous lequel cet
ordre a été désigné dès sa naissance par le Siège apostolique, et dont il a été honoré
jusqu'ici, soit maintenu à perpétuité dans les temps à venir » (Insl. S. /., I, p. 116).
1. Polanco, Chronicon, p. 85. llibadeneira, 1. III, c. i.
2. Sur les différentes phases de cette élection, nous suivons de préférence le récit
de Ribadeneira qui, déjà uni aux premiers Pères, parle en témoin oculaire, ainsi que
lui-même nous en avertit.
FONDATION ET APPROBATION. 79
Kodriguez avaient laisse leur vote à Home avant de partir pour
le Portugal; Le Fèvre avait envoyé le sien d'Allemagne, à trois
reprises différentes, pour plus de sûreté. Le septième jour, on
ouvrit l'urne qui contenait les votes des membres présents el
absents, moins celui de Bobadilla !, et il se trouva qu'à l'unanimité
Ignace de Loyola était élu (Général de la Compagnie de Jésus.
Au milieu de la commune allégresse, lui seul était triste. Plus
disposé à obéir qu'à commander, car il se jugeait inférieur à tous,
il protesta de son indignité et rappela la vie mondaine qu'il avait
menée pendant trente ans; il exposa les misères actuelles de son
âme et l'épuisement de ses forces incapables de porter un si lourd
fardeau; il déclara enfin qu'il ne pourrait se rendre à leurs vœux
s'il ne recevait de nouvelles lumières d'en haut. On voulut d'abord
s'opposer à son dessein; puis, pour ne pas le contrister, on con-
sentit à recommencer l'élection après trois jours de pénitences et
de prières. Ignace espérait que Dieu inspirerait d'autres pensées
à ses compagnons, ne s'apercevant pas que son opposition même
ne servait qu'à les confirmer dans leur choix. Le quatrième jour,
un nouveau scrutin donna le même résultat : tous dune même
voix et d'un même cœur l'avaient élu Supérieur. Cette fois encore,
il ne crut pas devoir accepter; son humilité lui suggérait toutes
sortes d'excuses. Ses compagnons réclamèrent en le pressant de
ne pas s'opposer davantage à la volonté de Dieu, mais sans pou-
voir vaincre sa résistance. Lainez lui dit alors, avec une franchise
pleine de modestie et de fermeté : « Cédez, mon Père, à la volonté
divine, sinon la Compagnie va se dissoudre; car je suis décidé à
ne pas reconnaître d'autre chef que celui qui a été désigné par
Dieu. » Ignace, convaincu que les siens ne lui témoignaient tant
d'estime que parce qu'ils le connaissaient mal, leur proposa de
s'en rapporter à la décision d'un tiers : après avoir ouvert toute
son âme à son confesseur, il le laisserait juge de sa détermina-
tion. Ils acceptèrent ce moyen, prévoyant quelle en serait l'issue.
Son confesseur était alors un Père Mineur nommé Théodose, du
couvent de Saint-Pierre in Montorio. Ignace, afin de pouvoir
traiter plus facilement avec lui, alla se renfermer dans ce
monastère pendant; trois jours, le jeudi, le vendredi et le samedi
de la semaine sainte. Après avoir rendu à ce bon Père un compte
exact de toute sa vie passée, il lui demanda s'il devait accepter
la charge de Supérieur. Celui-ci répondit affirmativement; et
1, Bobadilla, on ne sait pour quelle raison, n'avait pas envoyé son vole (Acia
SS., I XXXIV, n. 353, p. 487).
80 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
voyant qu'il n'avait pas encore triomphé de tous ses doutes, il
ajouta que ne pas accepter l'élection serait résister au Saint-Esprit.
Ignace le pria néanmoins d'examiner encore cette affaire avec une
grande attention, de la recommander instamment à Notrc-
Seigneur, puis d'écrire sa décision et de l'envoyer par lettre
cachetée à ses compagnons.
Le dimanche de Pâques, le fondateur retourna auprès d'eux,
dans la vieille maison qu'ils habitaient, située en face l'église
actuelle du Gesu. Dès le mardi suivant, 19 avril, le confesseur
apporta la note convenue et en donna lecture devant tous les
Pères assemblés : elle commandait à Ignace de cesser toute op-
position et d'accepter la charge de Général. « Alors, dit Riba-
deneira, à la grande joie de tous et au milieu d'unanimes applau-
dissements, le bienheureux Père, inclinant la tête, déclara qu'il
obéissait1. »
Cette affaire terminée, il restait aux premiers membres de la
Compagnie à s'engager envers elle pour toujours par les vœux
solennels. Us choisirent pour cette cérémonie le vendredi de la
même semaine et l'église de Saint-Paul-hors-les-murs, où ils
espéraient se trouver plus solitaires. Ignace y célébra la sainte
messe dans la chapelle de Notre-Dame. Au moment de la com-
munion il se tourna vers les assistants, tenant d'une main l'hostie
au-dessus de la patène et de l'autre la formule de sa profession
qu'il lut à haute voix. Quand il eut communié, il mit cinq hosties
consacrées sur la patène, et se tournant de nouveau vers ses
compagnons, agenouillés devant l'autel, il reçut leurs vœux et
leur donna la sainte communion. La formule fut la même pour
tous, avec cette différence que les promesses d'Ignace s'adressaient
directement au Vicaire de Jésus-Christ, et celle des autres à lui-
même comme Général de la Compagnie.
Après une fervente action de grâces, ils visitèrent les autels
privilégiés de la basilique, puis, parvenus devant le maître-autel,
ils s'embrassèrent avec des larmes de joie, et témoignèrent leur
vénération filiale â Ignace, en lui baisant la main. On dressa
aussitôt un acte de la pieuse cérémonie, lequel fut souscrit par
un clerc de Valence en Espagne, Jérôme Domenech, qui servait
de secrétaire. L'inscription porte : « Fait dans l'église Saint-Paul,
hors la ville, l'an du Seigneur 1541, le 22 avril2 ». Ce jour-là,
1. Ribadeneira, 1. III, c. i. Polanco, Chronicon, p. 90.
2. Dans la chapelle du crucifix miraculeux de sainte Brigitte, du côté de l'épitre, se
trouve placée en mémoire de cet événement une inscription latine dont voici la Iraduc-
FONDATION ET APPROBATION. H\
en la personne de ses premiers membres et de son premier Général,
l'Ordre nouveau fondé par Ignace de Loyola prenait sa place dans
l'armée de Jésus-Christ, et déjà, fort de son ardente jeunesse, il
jetait un regard d'envie sur le monde qu'il rêvait de conquérir à
l'amour divin.
tion : « A Dieu très bon, très grand. Dans celte très sainte basilique et devant l'image
de la bienheureuse Vierge, Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus,
émit les vœux solennels des proies de la Compagnie et reçut les mêmes vœux prononcés
par ses compagnons, l'an du Seigneur 1541, le 10 des calendes de mai. L'abbé et les
moines bénédictins de Saint-Paul, de la Congrégation du Mont-Cassin, ont posé ce
monument pour la postérité. »
COMPAGNIE DE JESUS. — T. I.
CHAPITRE IV
LE LIVRE DES EXERCICES SPIRITUELS.
I522-15V8).
Sommaire : 1. Titre du livre; son caractère et son but. — 2. Principe et fonde-
ment, ses conséquences; première semaine. — 3. Jésus-Christ notre roi et
notre modèle ; seconde semaine. — 4. L'élection, centre des Exercices. Elle est
suivie de la troisième et de la quatrième semaine. — 5. Règles de vie spiri-
tuelle pendant les Exercices et en tout temps. — 6. Ignace compose à Manrèse
la partie principale des Exercices. — 7. Originalité de ce livre. — 8. Époque
présumée des perfectionnements et retouches. — 9. Attaques et approbation.
Sources : Exercitia spiritualia cum versions litterali ex autographo hispanïco (Edit. du
P. Roothaan); Paris, 1865. — Acta P. Ignalii. — Polanco, De cita P. Ignatii. — Ribade-
neira, Vida del B. P. Ignacio. — Nadal, Mîscellanea de regulis S. J. — Watrigant, La
Genèse des Exercices.
1. La Compagnie de Jésus est fondée. Nous avons à la montrer
à l'œuvre en France. Auparavant il nous est nécessaire de dire
ce qu'elle est, d'exposer sa fin et de tracer sa physionomie. Deux-
livres célèbres ont beaucoup servi à sa formation et à son déve-
loppement : les Exercices spirituels et les Constitutions. Bien que
leur composition se rapporte à la vie d'Ignace hors de notre
pays, ils méritent, à d'autres titres, que nous nous y arrêtions
quelque temps.
Les Exercices spirituels, destinés à la conversion et à la réforme
chrétienne des âmes, ont spécialement façonné celle d'Ignace; ils
lui ont conquis ses coopérateurs; dans la suite des temps ils ont
toujours été l'instrument et le soutien habituel de la vocation de
tout jésuite. De plus, « donner les Exercices » est un ministère
propre à la Compagnie de Jésus, auquel nous devrons souvent
faire allusion dans le cours de cette histoire. Il importe donc que
tout lecteur ait une idée de cet ouvrage souvent travesti, en
France surtout, par des écrivains qui l'ont mal compris ou ont
été de mauvaise foi. Si ce n'est pas ici le lieu d'en faire une étude
approfondie ', un simple aperçu permettra du moins de le saisir
1. Pour faire comprendre parfaitement les Exercices et montrer tout ce qu'on peut
LU LIVRE DES EXERCICES SPIRITUELS. 83
dans son ensemble, de se convaincre qu'il n'est pas une compila-
tion, mais bien un travail original, dont la rédaction définitive se
ressent par endroits du long séjour de l'auteur à l'Université de
Paris.
Le titre donné par saint Ignace à ce livre, qu'il vécut avant de
l'écrire, en indique parfaitement la nature et le but : « Exercices
spirituels, afin que l'homme apprenne à se vaincre et ordonne
sa vie sans se laisser dominer par aucune inclination déréglée. »
Ce n'est donc pas un livre de pieuses considérations disposées en
bel ordre pour aider l'âme à s'occuper d'elle-même ou à conver-
ser avec Dieu; non, il s'agit d'exercices, c'est-à-dire de toute opé-
ration spirituelle, de toute manière « d'examiner sa conscience,
de méditer, de contempler, de prier vocalement et mentalement,
de disposer l'âme à se défaire de ses affections désordonnées, et,
après s'en être défaite, à chercher et à trouver la volonté de
Dieu l » .
Afin de réaliser graduellement le but des Exercices, Ignace les
a partagés en quatre phases, qu'il appelle semaines, parce que
le temps employé à considérer la matière de chacune équivaut
approximativement à sept ou huit jours. Dans la première, il fait
considérer à l'homme sa fin et ce qui l'en détourne. Pendant la
seconde il lui propose, pour atteindre sa fin, l'imitation de Notre-
Seigneur; puis, il lui apprend comment choisir un état de vie,
ou, à tout le moins, comment se perfectionner dans celui qu'il a
déjà embrassé. Durant la troisième et la quatrième, il l'excite,
par la vue des douleurs et des gloires de Jésus-Christ, à exécuter
avec courage les desseins de sanctification que Dieu lui aura
inspirés. Les Exercices ne doivent pas être donnés de la même
façon à toutes catégories de personnes. Les considérations de la
première semaine, les méthodes de l'oraison et de l'examen de
conscience conviennent à la plupart. Suivant la situation et les
dispositions du retraitant, on pourra le faire profiter plus ou
moins des autres semaines. Mais, dans leur intégrité, les Exercices
sont réservés aux âmes qui semblent appelées par Dieu à le glo-
rifier dans la vie parfaite2.
u2. Au début de la première semaine, sous le titre de principe
et fondement, Ignace a placé la méditation de la fin de l'homme
en tirer pour le progrès spirituel des âmes, il faudrait étudier attentivement chaque
mot du texte. Telle n'est pas évidemment notre intention; nous voulons seulement
donner le sommaire un peu détaillé des parties principales en nolant leur enchaîne-
ment. — 1. 1" annotation. — 2, Const., P. Vil, c. iv, n. 8 (f.).
84 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSI S.
et des errai ures. L'homme a été créé pour louer Dieu, le révérer
et le servir, et par ce moyen sauver son âme; — toutes les créa-
tures qui sont autour de lui ont été faites pour l'aider à parvenir
à cette lin ; d'où il suit qu'il doit user de ces créatures ou s'en
abstenir autant qu'elles le conduisent à sa fin ou l'en détournent,
ni plus ni moins; — pour cela il lui est nécessaire de se rendre
indifférent à l'égard de tous les objets créés, en tout ce qui est
laissé au choix de son libre arbitre ' .
Après avoir laissé le retraitant se pénétrer longuement de cette
vérité fondamentale et de ses conséquences, Ignace l'invite à
méditer sur le péché en général et sur ses péchés personnels,
leur nombre, leur laideur et leur gravité. Cet ordre est logique,
puisque le péché est pratiquement la négation de la fin dernière,
la préférence donnée à soi-même ou à la créature sur le créa-
teur 2.
Aux méditations des péchés succède celle de leur châtiment
adéquat, l'enfer2. La vue de ses peines éternelles persuade vive-
ment à l'âme la malice du péché, et la crainte de les encourir
confirme en elle le ferme propos de ne plus le commettre, fondé
sur la raison, la reconnaissance ou l'amour.
Quiconque suivra avec bonne volonté cette série d'exercices
reconnaîtra le désordre de sa vie, regrettera ses fautes et voudra
ordonner désormais ses actes au service de Dieu et au salut de
son âme. Pour effacer tout le passé, et se disposer à recevoir des
lumières plus abondantes sur l'avenir, le retraitant se prépare
alors à une fervente confession générale.
3. Mais ce n'est pas assez de se purifier de ses fautes ; il lui
reste à réformer sa vie sur le modèle de Jésus-Christ. La seconde
semaine commence. Inspiré par son esprit guerrier et chevale*
resque, Ignace nous introduit aux pieds du Sauveur par une con-
sidération de forme allégorique qu'il intitule : De l'appel d'un roi
temporel, pour aider à contempler la vie du Roi Eternel.
Il suppose un roi, doué de qualités magnifiques et à qui toute
la chrétienté obéit. Ce roi veut conquérir les pays des infidèles,
invite tous ses vassaux à cette entreprise et ne leur demande que
de partager ses fatigues, pour partager un jour les avantages
d'une victoire assurée. Ainsi le roi éternel, Jésus-Christ, veut
conquérir spirituellement le monde des âmes et les introduire
avec lui dans la gloire de son Père. A cette conquête il marche
1.1" Hebd., Fundarnenlura. — 2. 1 ' Hcbd., Exercit. I et IL — 3. Exercit. V.
LE LIVRE DES EXERCICES SPIRITUELS. 88
lui-même en avant, s'expose le premier aux plus rudes travaux,
et nous appelle à le suivre, sans autre condition que de partager
ici-bas son propre sort dans la lutte, pour être associas plus tard
aux jouissances de son triomphe. Qui hésiterait à se rendre à ce1
appel? Assurément « aucun homme de bon sens », car on ne lui
propose, en somme, autre chose que de poursuivre sûrement sa
fin prochaine et sa fin dernière, le règne de Dion ici-bas et la
possession de Dieu dans le ciel. Lutter dans ce but, à l'imitation
du souverain roi, est l'unique nécessaire; s'y engager, la réponse
des raisonnables. Toutefois, au delà, il y a une autre réponse.
Ceux qui voudront être insignes au service de leur roi ne se con-
tenteront pas de s'offrir à partager ses travaux; mais « agissant
contre leur propre sensualité, contre l'amour de la chair et du
monde, même dans les choses permises, ils lui feront des offres
d'un plus grand prix, lui protestant qu'ils désirent l'imiter en
supportant les injures et les opprobres, la pauvreté d'esprit et de
cœur, et même la pauvreté réelle si sa très sainte Majesté veut les
admettre à cet état1. »
A laquelle de ces deux réponses le retraitant, supposé libre de
sa vie, va-t-il s'arrêter? Il suffit pour le moment qu'il s'offre à
choisir la plus parfaite, si dans les jours qui suivent il s'y sent
appelé par la grâce de Dieu. Alors s'ouvre une série de contem-
plations sur les mystères de la vie cachée du Sauveur, où le Divin
Maître se révèle, avec la sublimité de sa personne, et donne à son
disciple l'exemple du sacrifice et de V « agendo contra ». Tandis
que l'intelligence et le cœur se complaisent en Lui, la grâce d'en-
haut meut la volonté à l'imiter plus parfaitement, et communique
des attraits et des lumières qui vout faciliter le travail de l'élection.
ï. L'élection, c'est-à-dire — d'une façon générale — le choix
des moyens qui régleront notre vie ou la réformeront, est le
moment décisif des Exercices. Saint Ignace juge l'acte si grave, si
exposé aux erreurs et aux subterfuges de la nature, qu'il veut
l'entourer de précautions de toutes sortes. D'abord on terminera
les contemplations de la vie cachée par celle de Jésus-Christ au
temple à l'âge de douze ans1. L'exemple de l'enfant Jésus
abandonnant sa parenté terrestre « pour se dévouer purement
au service de son Père céleste » rendra l'âme prompte et coura-
geuse à suivre les desseins de Dieu, en méprisant s'il le faut toutes
1. 2a Hebd., Vocatio régis temporalis.
2. 2a Hebd., 3* dies. Praeambulum ad considerandos status.
86 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
les considérations humaines. Viennent ensuite trois exercices,
dont le premier, la méditation de deux Étendards1, s'adresse plus
particulièrement à l'intelligence. Elle a pour but, non de nous
faire choisir entre deux drapeaux, celui de Jésus et celui du démon ,
mais de nous faire « voir l'intention du Christ Notre-Seigneur2 »,
son esprit, ses maximes et son programme ; programme qui sera
saisi d'autant mieux qu'on le comparera avec celui du chef ennemi,
Lucifer.
Après cette méditation, l'esprit possède une idée exacte de la
vraie vie chrétienne. Il faut alors rendre la volonté capable de
faire une élection conforme à cette idée, examiner sa droiture et
sa fermeté. On les constatera en voyant si, mise devant les moyens
à employer, elle a la force de les prendre coûte que coûte. Ce
sera le rôle de la méditation des trois classes d'hommes^. Puis,
afin de rendre cette volonté encore plus forte, saint Ignace, toute
la journée qui précède V élection, renouvelle la générosité de
notre cœur : par de fréquentes réflexions sur les trois degrés d'hu-
milité ^ il nous met dans la disposition libérale et joyeuse d'ac-
complir tout ce que Dieu voudra, la parfaite humilité n'étant que
l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi-même.
Reste au retraitant à savoir ce que Dieu A'eut de lui. Les règles
de l'élection, données par saint Ignace, l'aideront à connaître le
bon plaisir divin. L'auteur des Exercices examine d'abord les
temps ou circonstances propices à V élection. Le plus ordinaire et
le plus sûr est quand l'âme tranquille se trouve en pleine pos-
session d'elle-même. Indifférente alors à tout ce qui n'est pas sa
fin dernière, elle considère avec le secours de sa seule raison, en
pesant les motifs pour et contre, jusqu'à quel point le choix ou
l'abandon de l'objet proposé peut être utile à son salut et à la
gloire de Dieu; puis elle se décide pour le parti vers lequel sa
raison penche le plus, sans avoir nul égard à la sensualité '.
Sélection terminée, tout ce qui suit dans le livre des Exercices
n'est que pour la corroborer et l'affermir. Dans la troisième se-
maine, le retraitant contemplera la Passion de Notre-Seigneur,
c'est-à-dire les souffrances excessives, la totale abnégation que
le divin roi a choisies et voulues librement pour notre plus grand
bien et la plus grande gloire de son Père.
1. De duobus Vexillis.
2. « Videbimus intentionem Christi Domini noslri » (3a dies, praeambulum).
3. De tribus classibus. — 4. De tribus bumilitalis modis.
5. Modus prioï electionis.
LE LIVRE DES EXERCICES SPIRITUELS. HT
La quatrième semaine montrera ensuite au soldat de Jésus-
Christ, qu'après les peines de la lutte à ses cotés, il y aura le
triomphe et la récompense dans la gloire. La résurrection, les
mystères glorieux qui la suivirent, les apparitions, l'Ascension, le
ciel et entin la Contemplation de V amour divin attachent irrévo-
cablement Lame à son Créateur et la forcent à lui dire : « Prenez,
Seigneur, et recevez toute ma liberté, ma mémoire, mon enten-
dement et toute ma volonté ; tout ce que j'ai est à vous ; disposez-
en à votre bon plaisir2. » Telle est l'expression du sacrifice com-
plet, qui termine logiquement le manuel d'ascétisme écrit par
Ignace de Loyola.
5. Pour mieux rendre compte de la méthode suivie dans ce
livre, nous l'avons parcouru dans ses grandes lignes en montrant
la liaison de ses parties principales. Il contient en outre un grand
nombre d'avis ou de règles pour la conduite de l'âme, soit pen-
dant la durée des Exercices, soit dans le cours ordinaire de la
vie.
Tout à fait au début se trouvent vingt Annotations « propres
à faciliter l'intelligence du livre et à assurer le succès de ceux qui
en font usage » . On reconnaît en toutes le caractère à la fois pru-
dent et ferme de l'auteur.
Dans la première semaine, il donne la méthode de VExamen
de conscience* et une partie des Règles du discernement des es-
prits.
L'Examen de conscience est aux yeux d'Ignace un exercice es-
sentiel de la vie spirituelle. Il s'y appliqua lui-même, jusqu'à sa
mort, avec un soin extrême. Il en distingue deux espèces : Yexa-
men particulier, ainsi appelé parce qu'il porte sur une matière
unique, comme un défaut à vaincre ou une vertu à acquérir; —
et Y examen général, qui porte sur toutes les actions de la demi-
journée ou du temps écoulé depuis le précédent.
Les Règles du discernement des esprits^ ont pour objet d'é-
clairer l'âme, quand elle sent au fond d'elle-même ces luttes pé-
nibles où le bon et le mauvais ange se disputent son empire par
des opérations plus ou moins subtiles et cachées. Ignace y
explique ces opérations dans les individus, suivant leurs disposi-
tions présentes, et décrit particulièrement plusieurs artifices du
démon.
1. 4" Hebd., Conlemplatio ad amorein spiritualem. — 2. Ibid., 1'"" punclum.
3. laHebdM Examen parliculare et générale. — 4. Regulae ad Spiritus dignoscendos.
88 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Il réserve la seconde partie de ces règles pour la deuxième
semaine, alors que l'âme sera dans la voie illuminative. Cette
suite traite de la même matière, mais «plus à fond1 ». Désor-
mais il s'agira moins de tentations que d'illusions, c'est-à-dire de
cas, où les opérations des deux esprits étant plus semblables,
leur motif et leur auteur sont plus difficiles à découvrir. Ignace
nous apprend à distinguer la véritable cause de nos divers mou-
vements. Un peu plus loin, il trace quelques principes pour
combattre les scrupules, qu'il appelle « des suggestions de notre
ennemi- ».
Entre les règles du Discernement des esprits et celles des Scru-
pules, le livre des Exercices expose la ligne de conduite à tenir
dans la Distribution des aumônes ou l'usage de ses biens3.
On trouve encore, dans la troisième semaine les Règles de tem-
pérance, principes de sage mortification relatifs à la nourriture4;
— et clans la quatrième les Règles d'Orthodoxie, qui nous appren-
nent <( à penser véritablement comme nous devons dans l'Eglise
militante5 ». Ignace y enseigne l'esprit catholique, qui est avant
tout un esprit de soumission « à l'épouse du Christ » : obéissance
aveugle à son dogme et à sa discipline ; respect de ses cérémonies ;
usage de ses sacrements; conformité à ses vues; affection pour
ses méthodes d'enseignement et pour ses docteurs.
Enfin mentionnons, dans le petit manuel de saint Ignace, des
plans très sommaires de méditations sur la vie de Jésus-Christ,
l'exposé de diverses « manières de prier » mentalement et voca-
lement, puis des additions, des notes et des remarques disposées
çà et là pour apprendre au retraitant « à trouver plus sûrement
ce qu'il désire ». Toutes ces industries et ces maximes portent
l'empreinte de l'Ame de saint Ignace. Éminemment pratique, il
fait concourir tout l'homme et les circonstances qui l'entourent â
un but actuel et précis; — toujours énergique, il mène droit à ce
but par le chemin le plus rapide et le plus sûr. Il a une expres-
sion qui revient sans cesse : id quod volo, ce que je veux. Son
livre est de ceux qui apprennent à vouloir, c'est-à-dire à prendre,
quoi qu'il en coûte, les moyens proportionnés à la fin.
6. Quand et comment fut-il composé? Et quelle fut l'influence
du séjour d'Ignace à Paris sur la rédaction définitive •'? L'auteur, a
1. « Cum majori discretione ». — 2. « Suasiones inimici » (Regulae de Scrupulis).
3. Regul. pro distribuendis eleemosynis. — 4. Regul. ad victum temperanduni.
5. Regul. ad sentiendum cum Ecclesia.
6. Le P. Watriganta déjà traité cette question tout au long dans une série d'articles
LE LIVRE DES EXERCICES SPIRITUELS. 89
lui-môme avoué que son livre, tel que nous l'avons, fut écrit en
divers temps avec des additions successives. A une question du
P. Conzalvès sur ce sujet, il répondit : « Je n'ai pas composé tout
d'un trait les Exercices. A mesure que, par suite de ma propre ex-
périence, une chose me paraissait devoir être utile aux autres, j'en
prenais note, comme par exemple la méthode de marquer le ré-
sultat de l'examen particulier et autres choses de ce genre. » Et le
P. Gonzalvès ajoute : « Il m'affirma, entre autres, qu'il avait for-
mulé ce qu'il dit des méthodes d'élection d'après l'action diverse
des esprits qu'il avait lui-même éprouvée à Loyola ' . »
Dans la préface de l'édition de 1518, la première de toutes, le
P. Polanco nous avertit que « l'auteur des Exercices spirituels a
été bien moins inspiré par les livres que par l'onction du Saint-
Esprit, l'expérience intime et celle que donne la direction des
âmes ». Un coup d'œil rapide sur les événements connus de sa
vie, entre sa conversion et la publication de son ouvrage, nous
permettra de juger à quelles époques il a dû plus ou moins uti-
liser ces diverses sources.
Quand au printemps de 1522, après avoir suspendu son épée
au sanctuaire de Montserrat, il arrive à Manrèse, il ne connaît
que deux livres de spiritualité, « le premier intitulé la Vie du
Christ2 », — peut-être celle de Ludolphe le Chartreux, — « et
l'autre la Fleur des Saints ». Ces deux ouvrages, « en langue es-
pagnole », furent les instruments de sa conversion ; leur lecture,
pendant les soins donnés à sa blessure au château de Loyola,
avait, la grâce aidant, totalement changé ses aspirations ; il y
avait gagné quelque teinture de la science spirituelle, mais cette
science restait dans son esprit à l'état rudimentaire : « son àme
demeurait aveugle, encore bien qu'enflammée de grands désirs
de servir Dieu dans ce qu'elle savait 4 ». A Montserrat il fait sa
confession générale à un religieux de l'Ordre de Saint-Benoit,
Dom Chanones, homme austère et très adonné à la prière. Il est
impossible que celui-ci, voyant les dispositions du chevalier pé-
nitent, ne lui ait pas donné quelques conseils spirituels. Bartoli
affirme que, pendant son séjour à Manrèse, Ignace l'avait pris
comme directeur, « s'adressait à lui de préférence, allait le voir
La Genèse des Exercices (Éludes, t. LXXI-LXXIH, an. 1897). Nous avons suivi sur
plusieurs points ce travail très consciencieux.
1. Acta P. Ignatii, n. 99.
2. 11 en avait paru une traduction espagnole à Alcala vers 15 03.
3. Acta P. Ignalii, n. 5. — 4. Ibid., n. 14.
00 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS;
à des temps réglés et lui ouvrait tout son cœur ] ». Avec Ribade-
neira nous regardons connue très probable 2 que Dom Chanones
lui fit connaître V Exercitatorio de la vida espiritual de Dom Gar-
cia de Cisneros. premier abbé réformé de Montserrat, mort en
1510, qui avait établi une imprimerie dans son monastère, et y
avait publié entre autres cet ouvrage, sorte de compilation d'em-
prunts faits aux traités ascétiques de Jean Mombaer et de Gérard
Zerbolt de Zutphen 3. Disons toutefois qu'il n'existe aucune
donnée certaine sur la nature et l'étendue des relations d'Ignace
avec Dom Chanones. D'ailleurs, malgré les lectures faites à Loyola
et les instructions reçues à Montserrat, le futur auteur des Exer-
cices, en arrivant à Manrèse, était encore selon ses propres ex-
pressions « sans aucune connaissance des choses intérieures 4 ».
Pendant quatre mois, il se livre avec une rigueur excessive aux
pratiques extérieures de l'humilité et delà pénitence5; puis,
appelé par Dieu à l'oraison mentale, il suit sans ménagement cet
attrait fi, et au milieu de tentations diaboliques, de crises morales
et de luttes intérieures douloureuses, il passe le premier par
toutes les étapes de ces grandes considérations qu'il résumera
dans les Exercices. En même temps, des visions, des illuminations
extraordinaires éclairaient et fécondaient le profond travail de
son Ame. 11 en est une dont l'influence sur lui fut si considérable
que, malgré sa réserve habituelle, il l'a décrite avec quelques
détails au P. Gonzalvès : « Il allait un jour, pour faire ses dévo-
tions, dans une église distante de Manrèse de plus de mille pas,
et dédiée, si je ne me trompe, à saint Paul. Le chemin qui y con-
duit, serpente le long d'un cours d'eau. Lorsqu'il eut marché
quelque temps, abimé dans des pensées pieuses, il s'assit les
yeux fixés sur le torrent qui mugissait dans le ravin. Tandis qu'il
était assis de la sorte, les yeux de l'esprit lui furent ouverts; non
pas qu'il eût quelque vision, mais il recevait l'intelligence des
choses spirituelles concernant les mystères de la foi et des Écri-
tures. Cette lumière lui fut accordée avec une telle clarté, qu'à
1. Bartoli, 1. I, ch. iv.
2. « Es muy probable que N. B. Padre Ignacio aya tenido noticia en Monserrat del
libro o exercitatorio del Padre Fray Garcia de Cisneros. » Lettre au P. Girou recteur
du collège de Salamanque, 18 avril 1607. Voir Revue des questions historiques, jan-
vier 1897, article de Dom liesse.
3. Gérard Zerbolt de Zutphen (1367-1398) et Jean Mombaer ou Mauburnus. mort à
Paris en 1502, appartenaient tous les deux à la Société des Clercs ou frères de ta
vie commune. — 4. Acta P. Ignalii, n. 20.
5. Polanco, Vita P. Ignatii, cap. 2.
6. Voir ce que nous avons dit au chapitre i" sur le séjour d'Ignace à Manrèse, et les
lieux qu'il y fréquenta.
LE LIVRE DES EXERCICES SPIRITUELS. '.H
partir de ce moment tout lui apparaissait dans un jour entière-
ment nouveau . Cependant il ne peut pas rapporter distinctement
chacune des nombreuses vérités qu'il comprit alors, mais il peut
seulement affirmer que son esprit fut rempli d'une lumière extra-
ordinaire, et d'une façon telle, que s'il réunissait toutes les grâces
que Dieu lui accorda jusqu'à la soixante-deuxième année de sa
vie, et toutes ses connaissances acquises, il ne croirait pas néan-
moins avoir appris par tout cela autant qu'il apprit en cette seule
occasion. Depuis ce temps, son intelligence était éclairée comme
s'il était devenu un autre homme. Cette action surnaturelle dura
assez longtemps, puis il se jeta à genoux devant une croix qui
était proche, et rendit grâces à Dieu 1. »
Polanco, dont on sait l'intimité avec Ignace, place cette vision
au début de sa carrière ascétique dans la grotte de Manrèse, c'est-
à-dire avant la composition des Exercices; elle en fut comme le
foyer lumineux. Le texte même de Polanco mérite d'être ici rap-
porté, car il montre, — ce qui ressort aussi du témoignage cons-
tant des auteurs contemporains 2, — que les Exercices, dans leur
fond et leur forme essentiels, furent rédigés à Manrèse : « Depuis
ce moment, dit-il après avoir relaté la vision précédente, Ignace
entra dans une plus profonde connaissance de lui-même; com-
prenant mieux les péchés de sa vie passée, il commença de les
pleurer avec l'amertume d'une plus vive contrition. Dieu, le des-
tinant à être le maitre de nombreux disciples, voulut qu'il s'exer-
çât d'abord sur lui-même. Tout ce qui se trouve au livre des
Exercices [le Père Ignace] l'a d'abord pratiqué le premier, il y est
ensuite revenu par la réflexion, puis se mit à l'écrire pour l'ins-
truction des autres. Déjà, dès le commencement de sa conversion,
avant même rillumination dont nous venons de parler, l'ardeur
qu'il éprouvait pour la vertu et la perfection chrétienne le por-
tait à exhorter et animer au service de Dieu tous ceux qui rappro-
chaient; profitant de l'influence que lui donnaient l'exemple de
sa vie et la haute opinion qu'on avait de sa noblesse, il s'efforçait
déjà d'entraîner le prochain aux sommets de la vie chrétienne.
Mais après la vision que nous avons dite, et après avoir fait lui-
même les Exercices, il s'employa très utilement au bien spirituel
des âmes, en exposant avec méthode :l le moyen de se purifier de
ses péchés par la contrition et la confession, la manière de méditer
1. Acta P. Ignatii, n. 30-31.
2. Kibadeneira, Vida del S. Ignacio, 1. I, c. vu. Nadal, Miscellanea de Regulis
S.J., c. v. — 3. Polanco, Vita P. Ignatii, c. ni.
92 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE T)E JÉSUS.
les mystères du Christ, de faire une bonne élection touchant l'état
de vie ou tout autre objet, d'exciter en soi-même l'amour de
Dieu et de prier de diverses façons. Tout cela cependant fut per-
fectionné avec le temps. »
A la suite de ces affirmations très précises, Polanco raconte les
terribles épreuves par lesquelles passa, àManrèse, celui dont « le
rôle serait un jour de soulager beaucoup d'âmes dans leurs diffé-
rentes tentations »; il nous apprend aussi, un peu plus loin, que
dès ce temps même le saint « donna les Exercices à beaucoup de
personnes», et qu'il éprouva «en communiquant aux autres ce
qu'il avait reçu de Dieu, que par là son trésor, loin de diminuer,
avait été augmenté1 ».
7. De tout cet ensemble il résulte qu'avant de quitter Manrèse
(janvier 1523), Ignace avait écrit les parties principales de son
livre, en s'aidant surtout de sa propre expérience éclairée par la
seule raison naturelle et par la lumière divine. Les directions de
son confesseur, les ouvrages qu'il avait lus ou pouvait avoir entre
les mains, lui fournirent plutôt la matière que la méthode de son
travail pensé et de son travail écrit. Assurément, les vérités, sur
lesquelles il s'e.rerce alors, ne sont pas de lui : il n'a inventé ni la
fin de l'homme, ni l'examen de conscience, ni la méditation, ni
la pénitence, ni une foule d'autres pieuses industries; il a, dans
les parties qui ont trait à la vie du Christ, des points communs
avec saint Bonaventure et Ludolphe le Chartreux2; il a pu
prendre dans YExercitaiorio de Cisneros l'idée du nom même
de son livre et le dessein de présenter une méthode pour con-
duire les âmes à Dieu par le moyen d'exercices réglés5. Un
tableau comparatif des rares passages qui, dans ces deux ouvra-
ges, offrent quelque lointaine ressemblance, ne rentre pas dans
notre sujet. Du reste, ce rapprochement a été fait, il n'y a pas
encore longtemps, et par un bénédictin et par un jésuite, et tous
deux en sont venus à cette conclusion, qui était déjà celle du
1. Ibidem.
2. Le P. Watrigant a très bien mis ces points en lumière. Voir Éludes, t. LXXI,
p. 522.
3. Tandis que l'ascète de Manrèse entend par semaines un ensemble d'exercices à
faire pendant plusieurs jours et tendant à un résultat déterminé, l'ascète bénédictin
dispose la série de ses méditations suivant les jours de la semaine en supposant une
seule méditation chaque jour. Ainsi à ceux qui sont dans la voie purgative il propose :
« Lundi, le souvenir des péchés; — mardi, le souvenir de la mort; — mercredi, a
pensée de l'enfer; — jeudi, la pensée du jugement; -- vendredi, le souvenir de la
Passion; — samedi, le souvenir de Notre-Dame; — dimanche, la pensée de la gloire. »
Et ainsi de suite pour les autres voies de la vie spirituelle.
LE LIVRE DES EXERCICES SPIRITI ELS. 93
P. Ribadencira en 1607 : « Ces ouvrages contiennent à la vérité,
l'un et l'autre, des sujets qui sont matériellement les mêmes;
mais ils sont traités d'une manière très différente. Le livre de
notre Père renferme des points des plus importants, dont il n'est
pas dit un mot dans celui du P. (iarcias (sic). Ainsi il n'esl pas
question dans l'exemplaire de V Exercitatorio que j'ai entre les
mains, de l'examen particulier, du temps et des avis pour 1<-
bien faire, des points de la méthode d'élection, des règles du dis-
cernement des esprits, des autres conseils qui se trouvent à la
fin du livre pour se conformer au sentiment de l'Église, de l'exer-
cice des trois puissances, des trois manières de prier qui sont à la
quatrième semaine, et autres choses semblables. Aussi n'y a-t-il
pas à douter que ce sont là deux livres différents, et que le second
n'est pas un emprunt fait au premier l. »
Aux points « des plus importants » dont on ne rencontre pas
l'ombre dans Y Exercitatorio, Ribadeneira aurait pu joindre en-
core les méditations du Fondement, du Règne, de Deux Éten-
dards, des Trois classes d'hommes et des Trois degrés d'Humilité.
On ne trouve pas non plus dans Cisneros ce que, dans le livre
d'Ignace, on a très bien appelé « la partie du maître », toutes ces
annotations et notanda, sorte de direction abrégée, où celui qui
donne les Exercices apprend à guider son disciple selon ses apti-
tudes, son tempérament, ses besoins spirituels et corporels.
Ignace de Loyola a transformé, en se les assimilant, les maté-
riaux communs à tout auteur de spiritualité; il a puisé, dans
l'étude de son âme éprouvée et dans les clartés de la lumière
surnaturelle, beaucoup de pensées et de conseils qui lui sont
propres; puis, sous l'action de la grâce, son esprit très person-
nel a travaillé et façonné ces éléments divers, pour former une
œuvre absolument originale, une doctrine ascétique bien homo-
gène'2.
1. Lettre du 18 avril 1607, citée par Dom Besse {Revue des questions historiques,
janvier 1897). — Ribadeneira écrivait au P. Recteur de Salamanque qui l'avait con-
sulté de la part de Dom Yepez, auteur de la Chronica gênerai de la Orden de San
Benito. Ce bénédictin, suivant la tradition des moines de Monlserrat, voulait, dans
son ouvrage, soutenir la thèse de l'influence exercée sur la rédaction des Exercices
spirituels par la direction de Dom Chanones et le livre de Garcia de Cisneros.
2. 11 est tout naturel, observe justement le P. Astrain, que saint Ignace ait pris les
notions générales de la spiritualité dans les livres pieux alors répandus en Espagne,
comme Christophe Colomb acquit ses connaissances nautiques dans les livres qui
étaient entre les mains de tous les marins au xv siècle, comme Newton apprit les
mathématiques dans les traités de cette science en usage vers le milieu du xvir siècle.
Personne pourtant n'attribuera la découverte de l'attraction universelle à l'auteur de
l'arithmétique dans laquelle Newton apprit les quatre règles. (Astrain, op. cit., t. I,
1. I, ch. H, % 8, p. 157.)
94 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Littérairement parlant le livre des Exercices est dénué de tout
attrait : « Dans sa simplicité sans art, dit Janssen, il forme même
un contraste frappant avec les pédants ouvrages des humanistes
du xvic siècle... On n'y trouve point de rhétorique savante, point
d'exagération, nulle emphase mystique l. » L'émotion qui jaillit
çà et là, dans quelques colloques de l'âme avec Dieu, est beaucoup
moins dans les mots que dans la situation pathétique où l'au-
teur a mis l'a me en face de son Créateur et de son Roi crucifié.
8. Il nous reste à voir à quelles époques de la vie d'Ignace on
peut rapporter les divers perfectionnements, ajoutés aux parties
substantielles du petit livre rédigé à Manrèse. Le texte espagnol
du manuscrit qu'on est convenu, depuis la Ve Congrégation géné-
rale, d'appeler Y Autographe1, est émaillé de mots latins et de ter-
mes de langage scolastique. Ces expressions, que l'on rencontre
même dans les parties essentielles des Exercices, n'ont pu être
employées par l'auteur que pendant ses études du latin, de la
philosophie et de la théologie, ou même après. Au début de l'an-
née 1523, Ignace part pour la Palestine; l'année suivante, 152V,
au printemps, il commence la grammaire latine à Barcelone ; il y
consacre deux ans, sans pour cela cesser ses œuvres de zèle auprès
du prochain; il était alors, nous dit le P. Polanco, très attaché
au petit livre de l'Imitation de Jésus-Christ; il enseignait la doc-
trine chrétienne, faisait de salutaires exhortations et donnait les
Exercices. Il agit de même à l'université d'Alcala, où pendant un
an et demi (1526-1527) il étudie la philosophie de Soto et la
physique d'Albert le Grand. Arrivé à Salamanque, dans l'été de
1527, il est mis en prison et soumet à l'examen de ses juges « tous
ses papiers parmi lesquels étaient écrits les Exercices* ». Il nou?
parait plus probable qu'à pareille date, c'était encore, à peu de
chose près, la rédaction de Manrèse. Le contraire n'est pas im-
1. L' Allemagne et la Réforme, t. IV, p. 402.
2. Bien qu'il soit une copie, ce manuscrit peut, à bon droit, être considéré comme
remplaçant l autographe disparu, parce que l'auteur des Exercices l'a lui-même ma-
nié et corrigé. Par le soin des rédacteurs des Monumcnfa historica une reproduction
phototypique en a été faite chez Danesi à Rome. Il se compose de 63 folios numé-
rotés et précédés d'une lettre-préface de Ribadeneira, attestant l'authencité de cette
copie conservée aux archives. Le texte, en castillan incorrect, mélangé de termes qui
sentent le dialecte de la Biscaye, est remarquable surtout par l'énergie et le tour in-
cisif de certaines expressions. Les modifications, que saint Ignace a fait subir de sa
propre main à la copie du calligrapbe, ne changent rien au fond et donnent seulement
à la pensée plus de précision par une plus exacte propriété des termes. (Cf. Debuchy,
Édition pholotypique des Exercices dans les Éludes du 20 août 1908. — A. Boone,
Les corrections manuscrites des Exercices, n° 18 de la Bibliothèque des Exercices,
Paris, Lelhielleux, 1909). — 3. Acta P. Ignalii, n. 67-68.
LE LIVRE DES EXERCICES SPIRITUELS. 93
possible, car Ignace savait alors médiocrement le latin et avait
une teinture de scolastique; mais pendant la période que nous
venons de dire (1524-1527) il avait eu à donner les Exercices
surtout dans des milieux populaires, où les expressions scientifi-
ques n'étaient pas de mise. Son séjour à Paris (1528-1535) ex-
plique bien mieux la forme un peu savante de certains passages
ou de certaines remarques. Alors, en effet, ses études furent me-
nées avec plus de méthode et un plein succès; il employait cha-
que jour les termes de l'école; il avait un entourage très intellec-
tuel; il faisait faire les Exercices à des hommes très instruits, ses
compagnons d'études, ou même de graves docteurs, dont il de-
vait s'approprier le langage et ménager les habitudes d'esprit.
Avec eux, il lui était en quelque sorte instinctif et nécessaire d'a-
dopter les formules de la scolastique traditionnelle, d'employer
les mots latins, les termes théologiques et les citations patristi-
ques. Puis, tout ce qu'il avait découvert dans son expérience in-
time, ou dans les suggestions d'en haut, s'éclairait sans doute d'un
jour plus vif aux admirables clartés de la doctrine de saint Thomas ;
comment n'aurait-il pas projeté ces nouvelles lumières sur son
texte primitif? Pour ce qui concerne en particulier les Annota-
tions, les Additions et surtout les Règles et Documents, on peut
conjecturer avec vraisemblance qu'il en acheva ou en retoucha
la rédaction pendant ses études à l'Université de Paris. Ainsi, dans
les Règles pour la distribution des aumônes, on trouve énoncée la
doctrine du troisième concile de Cartilage1, ce qui suppose la
lecture d'ouvrages théologiques. Quant aux Règles d'orthodoxie,
elles donnent lieu à un rapprochement très suggestif2.
Ces règles de docilité à l'Église témoignent, chez l'auteur, une
connaissance exacte de l'esprit tout opposé du protestantisme, qui
commençait alors à se glisser en France. Qu'on se souvienne, à
ce propos, de ce qui arriva en 1535. Mélanchton et plusieurs autres
luthériens allemands avaient envoyé à François Ier un certain nom-
bre d'articles, sur lesquels ils désiraiont avoir, pour leur instruc-
tion, prétendaient-ils, une conférence publique avec la Faculté
de théologie de Paris. Celle-ci, consultée, fît remarquer, dans
sa réponse au roi, sa crainte que les auteurs de ces articles ne
cherchassent à « séduire le peuple » ; elle lui rappela qu'en Al-
lemagne ces sortes d'assemblées n'avaient produit que « division,
discorde et perdition d'infinies âmes ». Elle concluait donc à ne
1. Reg. T. — 2. Cf. Watrigant, Études, t. LXXIII, p. 220 et suiv.
% HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
rien tenter avant de savoir s'il y avait « en eux aucune espérance
de réduction ». Dans ce but, on leur enverrait sous forme de
questionnaire « les principes de notre foi », et sur leur réponse
on jugerait si Ton pouvait « espérer d'eux aucune émendation ».
Or, les questions, au nombre de sept, que rédigea la Faculté, rap-
pellent d'une façon frappante les points principaux des règles
d'orthodoxie. Les voici :
u 1) Leur soit demandé s'ils veulent confesser l'Église militante,
fondée de droit divin, être indéviable en la foi et bonnes mœurs,
de laquelle, sous Notre-Seigneur Jésus-Christ, a été le chef saint
Pierre, et par ordre les successeurs d'iceluy.
2) S'ils veulent obéir à ladite Église et consentir à sa doctrine
et détermination, comme vrais enfants et sujets d'icelle.
:> Pour autant qu'ils désirent en l'Église être consentement de
doctrine, leur soit demandé s'ils veulent recevoir tous les livres
contenus en la Bible, comme saints et catholiques.
4) S'ils veulent recevoir les déterminations et décrets des con-
ciles généraux de l'Église.
5) S'ils veulent ajouter foi es canons et décrets des Papes, reçus
et approuvés par l'Église.
G S'ils veulent admettre les docteurs de l'Église, saint Hierôme,
saint Augustin, saint Grégoire, et autres célèbres et fameux, tant
grecs que latins, à l'exposition de l'Écriture Sainte, en ce qui con-
cerne la foi et les bonnes mœurs.
7) S'ils veulent recevoir les bonnes et louables coutumes de
l'Église, de tout temps observées et gardées1. »
Quiconque comparera ces « sept principes de notre foi •>, for-
mulés par la Faculté de théologie de Paris, avec les avis de saint
Ignace « pour penser véritablement comme nous devons dans
l'Église militante », y verra une analogie manifeste, « non seule-
ment quant à l'ensemble de la doctrine, — ce qui est tout naturel,
— mais aussi pour plusieurs détails de forme et d'expression- ».
Par exemple : l'insistance à présenter l'Église comme mère; l'o-
bligation d'obéir à toutes ses déterminations et de recevoir même
ses coutumes anciennes; la mention spéciale des trois grands doc-
teurs saint Jérôme, saint Augustin et saint Grégoire3.
Ignace avait-il eu connaissance de ce document? La réponse
1. Actes de la Faculté de théologie de Paris (Bibl. nat., mss. latins, 9,960, p. 39).
2. Watrigant, Etudes, t. LXXIII, p. 223.
3. Il suffit de rapprocher le n° 2 du questionnaire des règles I et XIII d'orthodoxie;
les nos 2-5 des R. I et IX; le n° 7 des R. II à X; le n° 6 de la R. XI.
LE LIVRE DES EXERCICES SPIRIT1 ELS. 97
de la Faculté à François Ier est du 30 août 1535. L'auteur des Exer-
, cices avait quitté Paris à la fin de mars de la même année; mais
il était resté en correspondance avec ses premiers compagnons,
qui le rejoignirent à Venise en janvier 1537, et purent lui com-
muniquer le formulaire des docteurs de Paris. Peu importe d'ail-
leurs, car cette pièce ne faisait qu'exprimer les sentiments des
docteurs de la Faculté de théologie sur les erreurs luthériennes,
sentiments que saint Ignace connaissait déjà, et par les leçons de
ses maîtres et par ses relations avec eux. Il est donc très légitime
de rapporter à cette époque la composition ou l'achèvement des
règles d'orthodoxie^.
Nous pouvons conclure que, dans l'ensemble, le perfectionne-
ment d'allure scientifique, introduit dans la rédaction de Manrèse,
fut surtout le résultat et le fruit du séjour et des travaux d'Ignace
de Loyola à l'Université de Paris. Bartoli nous parait confirmer
cette opinion, quand il dit que le saint « après avoir formé dans
sa solitude de Manrèse l'ossature de son petit livre... continua,
durant lçs vingt-cinq années qui s'écoulèrent depuis ce temps
jusqu'en 1548, à y ajouter toujours, d'après son expérience du
gouvernement des âmes, de nouvelles régies et additions (comme
il les appelle) et, en théologien qu'il était devenu, divers textes
des conciles et des Pères 2 ».
9. Le livre d'Ignace fit tellement de bien aux âmes, dès qu'il
fut mis en usage, qu'il déchaîna contre lui la rage jalouse du
démon. Par ses ruses « l'ennemi du genre humain » s'efïorra de
le détruire; mais il ne parvint qu'à le faire connaître davantage,
et ensuite à le rendre intangible par l'approbation authentique
du Souverain Pontife.
Déjà examinés et approuvés en 1527 par les juges de l'Inqui-
sition à Alcala puis à Salamanque, les Exercices spirituels,
nous l'avons dit3, furent de nouveau déférés aux tribunaux de
Paris en 1535. Nous avons raconté comment l'Inquisiteur de la
foi, Valentin Liévin, vit le livre incriminé, le jugea un guide
de sainteté et en demanda une copie à l'auteur dont il se fit le
disciple. Dix ans plus tard, à Coïmbre, les mêmes accusations se
1. Nous ne disons pas que les règles d'orthodoxie auraient été inspirées par la for-
mule même de la Faculté, mais par tout ce que saint Ignace vit et apprit à Paris
à cette époque. Ce n'est pas auparavant, en Espagne, qu'il a pu se rendre compte des
tendances protestantes. (Voir Watrigant, /. c.)
2. k Ecorne Iheologo, varii testi di concilii et di Padri (Délia vita e dell Instiluto
di S. Jgnazio, Rome, 1650, p. 77). — 3. Voir cliap. h.
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 7
«8 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
renouvelèrent. Les mortifications, que les Pères de cette ville
pratiquaient publiquement dans les rues, parurent extravagantes
à des esprits étroits et prévenus : le bruit se répandit que certains
Exercices spirituels, dans la solitude et les ténèbres, avaient trou-
blé les tètes de ces pauvres Pères par des visions étranges et des
fantômes horribles. Ces propos parvinrent aux oreilles du car-
dinal Henri, plus tard roi de Portugal et alors grand Inquisiteur.
Voulant savoir la vérité, il chargea le Père Diego Murcia, recteur
de l'Université de Coïmbre, de faire une enquête sérieuse. Le
P. Murcia fit comparaître et interrogea tous les jésuites les uns
après les autres. Quand ce fut le tour de Rodrigue Meneses, jeune
homme de grande naissance et de grande vertu, il ne fut pas peu
surpris de lui entendre dire que la chose était très véritable : on
avait dans les Exercices des visions étranges et terribles; lui-même
en avait eu une si hideuse que, saisi d'épouvante, il aurait voulu
s'ensevelir sous terre : « Oui, dit-il en s'animant, je me suis vu
moi-même dans les Exercices, ce que je n'avais jamais fait jusque-
là ; point de vision plus monstrueuse ; rien de plus laid et repous-
sant ne pouvait s'offrir à mes yeux. » Le P. Murcia comprit, à cette
réponse, de quelles sortes de visions l'on pouvait être assailli pen-
dant les méditations. Il la rapporta au cardinal en lui rendant
compte de son enquête, dont le résultat fut de changer entièrement
l'opinion. Les Exercices, accusés d'abord de sorcellerie, furent
reconnus comme l'art abrégé de faire des saints. On les accueillit
même à la cour, où ils furent suivis par l'infant Don Luis, par la
Reine et enfin par le cardinal Henri, dans le temps qu'il était déjà
roi de Portugal1.
En 1548, pour mettre un terme aux accusations lancées par
l'ignorance ou la malignité, François de Borgia, alors duc de
Gandie mais déjà profès de la Compagnie de Jésus-, résolut de
soumettre les Exercices à l'approbation du Saint-Siège. L'examen
du livre fut confié par le pape à trois réviseurs : le cardinal
Jean Alvarez de Tolède, évêque de Burgos, religieux de l'ordre
de Saint-Dominique et Inquisiteur; Philippe Archinti, évêque de
Saluées et vicaire de Rome; et le P. Gilles Foscarari, maître du
Sacré Palais3. On leur présenta deux traductions latines approu-
vées par saint Ignace : l'une, versio antiqua, donnant presque
le mot à mot de Y autographe; l'autre, œuvre du P. André Fru-
1. Orlandini, Hist. Soc, P. I, I. V, n. 54. Bartoli, S. Ignace, 1. I, ch. vu.
2. Depuis le 1er février 1548.
3. Polanco, Chronkon, t. I, p. 249.
LE LIVRE DES EXERCICES SPIRITUELS. 90
sius, plus latine et plus élégante, niais aussi plus large, désignée
d'ordinaire sous le nom de vulgate1. On pria avec instance les
examinateurs pontificaux d'exercer librement leur censure, d'a-
jouter, de retrancher, de transposer comme ils voudraient. Ils
acceptèrent les deux versions sans y changer un seul mot. Sur
leur témoignage favorable, Paul III, par le Bref Pastoralis officii,
approuva de la façon la plus élogieusc le livre des Exercices.
Ce document reconnaît pour auteur du livre « Ignace de Loyola,
supérieur général de la Compagnie de Jésus » ; — il en indique
les sources, « les Saintes Ecritures et la pratique de la vie spiri-
tuelle )> ; — il en apprécie la méthode, « l'ordre le plus propre
à toucher les âmes et à produire en elles des fruits de piété et
de sainteté » ; — il en énumère les avantages présents et futurs.
« l'édification, la consolation et l'avancement des âmes dans la
perfection » ; il exhorte enfin tous les fidèles à y avoir recours :
« Ayant justement égard, dit le Souverain Pontife, aux fruits
abondants qu'Ignace et la Compagnie, dont il est le fondateur,
ne cessent de produire dans l'Église de Dieu, jusque chez les
nations les plus éloignées, employant comme un moyen très
puissant les mêmes Exercices, nous nous sommes rendu aux
prières qui nous ont été adressées à cet effet, et de notre autorité
apostolique... nous approuvons, louons et confirmons ces Instruc-
tions ou Exercices spirituels et tout ce qu'ils renferment, exhor-
tant dans le Seigneur, de tout notre pouvoir, les fidèles de l'un
et l'autre sexe, tous et chacun d'eux en particulier, à faire usage
à' Exercices si remplis de piété, et à se former sur des enseigne-
ments si salutaires'2. »
1. Cf. Astrain, op. cit., 1. 1, p. xvi. Debuchy, Introduction à l'étude des Exercices
clans la Bibliothèque des Exercices, n° 6.
2. Exerril. Spir., p. xm-xiv.
CHAPITRE V
LES CONSTITUTIONS.
(1540-1552).
Sommaire : 1. Travaux préparatoires; rédaction de la Bulle de Jules III. —
•-'. Ignace, auteur des Constitutions ; quand et comment elles furent composées.
— 3. V Examen général. — 4. Analyse des Constitutions ; première, seconde et
troisième partie. — 5. Quatrième partie : formation des scolastiques. — 6. Cin-
quième partie : profession et degrés. — 7. Sixième partie : prescriptions rela-
tives aux membres incorporés; observation des vœux. —8. Septième partie :
ministères apostoliques et choix des ouvriers. — 9. Huitième partie : le gou-
vernement; union des membres au chef et entre eux. — 10. Neuvième partie :
de ce qui concerne le Père Général de la Compagnie et du gouvernement qui
émane de lui. — 11. Dixième partie : des moyens de conserver et d'accroître
la Compagnie. — 12. Conclusion : physionomie de la Compagnie de Jésus.
Sources : Acta Patris Ignatii.— Constitutiones S.J. latinae et hispanicae. — Inslitutum
S. J-, t. I. Bullarium. — Monument* historica S. J. Chronicon S. J. Monumenta Igna-
tiana, ser. d, t. I, IV; ser. 4, t. I. — TUbadeneira, Vida del B. P. Ignacio. De ratione In-
stitua. — Sacchini, Historia S. J., pars 2a. — Suarez, Tractalus de Relifjione S. J. —
Astrain, Historia de la Compania, t. I.
1. Les Exercices spirituels reflètent l'âme d'Ignace, une âme
entièrement dévouée au règne de Jésus-Christ ici-bas. OEuvre du
même saint, les Constitutions nous révèlent en lui un fondateur
d'Ordre tout préoccupé d'assurer aux siens les moyens de tra-
vailler efficacement à la plus grande gloire de Dieu.
Pour régulariser sa vie et pour se perpétuer, la Compagnie de
Jésus, reconnue comme Ordre religieux, avait besoin de Cons-
titutions; aussi la Bulle Regimini les avait-elle implicitement
réclamées. Dès le mois de mars 1541, les six Pères réunis à Rome
au moment de l'élection d'Ignace résolurent de charger deux
d'entre eux d'examiner la matière, « de réfléchir soit aux affaires
passées, c'est-à-dire à la manière d'interpréter les points tou-
chés dans la Bulle d'approbation, soit aux affaires présentes et
à venir; le résultat de leurs considérations serait ensuite com-
muniqué aux autres membres de la Société, qui approuveraient
ou feraient leurs remarques. De la sorte on irait plus vite, et tous,
sauf les deux désignés, ne seraient point arrêtés dans leurs mi-
LES CONSTITUTIONS. loi
nistères apostoliques1 ». Ignace fut choisi avec Jean Codure. Ils se
mirent à la besogne aussitôt.
On a conservé la rédaction de leur premier travail, qui ne
ressemble en rien à un plan des Constitutions. Il comprend deux
parties : la première se compose de notes sans suite, où des
principes généraux sont mêlés à de menus détails de vie inté-
rieure; la seconde, mieux agencée et qui semble de la main de
Codure, résume les idées d'Ignace sur l'établissement des mai-
sons d'études pour les jeunes religieux et la discipline qui de-
vrait y être observée 2.
Vers la fin de la première partie se trouve une remarque im-
portante, signée de Salmeron, Lainez, Le Jay, Broet, Codure et
Ignace, où ils expriment leur désir « que la Bulle (de Paul III)
soit réformée, c'est-à-dire qu'il y soit abrogé, ou mis, ou con-
firmé, ou changé » ce qu'ils jugeront le meilleur3. Leur pensée
était d'obtenir une Bulle de confirmation, par laquelle seraient
déclarés d'une façon plus précise et plus explicite les points
substantiels du nouvel institut. Il est possible que des travaux
préparatoires aient été faits à cette fin, entre 1541 et 1547; mais
il n'en reste aucune trace. Tout porte à croire que la préparation
de cette seconde Bulle fut menée de front avec celle des Consti-
tutions.
Le 29 août 1541, Ignace perdit son collaborateur : Jean Codure
fut rappelé à Dieu. La même année entrait dans la Compagnie
Jean Polanco, né à Burgos, qui va bientôt devenir le principal
auxiliaire de l'auteur des Constitutions. En 1546, il avait terminé
ses études à Padoue; après avoir, pendant un an, exercé le mi-
nistère apostolique dans la Toscane, il fut nommé secrétaire
d'Ignace, en 1547, juste au moment où celui-ci allait mettre la
dernière main à son œuvre et fixer sur le papier le fruit de ses
longues réflexions. Il nous reste trois écrits de la main de Po-
lanco, qui attestent une part assez importante prise par lui dans
les travaux préparatoires à la composition de la Bulle de Jules III
et à celle des Constitutions4.
Le premier est une collection de cent soixante et onze obser-
vations ou propositions, présentées sous forme dubitative : « s'il
faut faire ceci ou cela ». Tantôt le secrétaire d'Ignace ajoute une
1. Determinationes variae publiées dans les Const. S. J. lai. et hisp., app. IV,
p. 303. — 2. Ibid., p. 303-309. — 3. Ibicl., p. 306.
4. Les deux premiers de ces écrits se trouvent dans un recueil autographe intitulé
« Polanci, De Instituto, Industiïae, de Humilitate. » Cité par Astrain, op. cit., p. xxn
et 126.
102 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
réponse, tantôt il avoue ne pas voir la solution, tantôt il ne met
rien du tout; enfin, dans certains cas, il indique s'il convient
d'en faire mention dans la Bulle ou dans les Constitutions, et sous
quelle l'orme. A en juger par le manque d'ordre, le mélange de
l'accidentel et de l'essentiel, les minuties où l'auteur descend,
on voit que ce sont des notes jetées au fur et à mesure que les
choses s'offraient à son esprit.
Dans un second écrit, beaucoup plus méthodique, il fait com-
plètement abstraction des Constitutions et s'applique unique-
ment à la préparation d'une seconde Bulle. Il y expose d'abord
les qualités qu'elle doit avoir : ample, claire, précise, édifiante,
aux termes généraux et aux formules larges. Ensuite, divisant
en 27 articles la Bulle de Paul III, il marque pour chacun, sous
forme dubitative, les modifications ou additions auxquelles il
faudra songer. Il y en a plus d'une centaine. La formule indé-
terminée « il semble », par laquelle ces remarques sont énon-
cées, fait supposer qu'elles ont été arrêtées après consultation
et sur l'avis de plusieurs Pères.
Enfin, travaillant sur ces données, il rédige un troisième écrit '
dans lequel, toujours sous forme dubitative, il propose jusqu'à
cent deux modifications à la Bulle de Paul III. Au bas de chaque
question, il note son opinion et celle des Pères consultés. Ensuite
ce travail est présenté à Ignace qui, sur chaque point, donne une
solution définitive. D'ordinaire, il confirme l'avis de Polanco et
des autres Pères; parfois il donne une réponse conditionnelle,
remettant aux gens experts dans les usages de la chancellerie
romaine à juger s'il est opportun de mettre telle ou telle chose
dans la nouvelle Bulle.
Quand toutes ces précautions eurent été prises, on rédigea
une formule qui fut présentée au souverain Pontife. Jules III n'y
trouva rien qui ne fût pieux et saint ; il la signa le 21 juillet 1550,
approuvant et confirmant la Compagnie de Jésus et la prenant
sous sa protection. Ce document pontifical offre sur la Bulle de
Paul III le grand avantage d'être plus précis et plus complet.
Il énumère nettement la fin de la Compagnie, les moyens princi-
paux dont elle entend disposer, les diverses classes de person*
nés qui la composent, la distinction de leurs vœux, les liens qui
les unissent entre eux et le mode de leur gouvernement. Aussi
la V° congrégation générale a-t-elle déclaré points substantiels
1. Cet écrit a été imprimé dans les Const. lat. et fiisp., app. IX, p. 330-336. Cf.
Aslrain, l. c.
LES CONSTITUTIONS. 103
de l'Institut tout ce que contient la Bulle Exposait debitum*.
Nous n'en citerons rien, ce serait nous exposer à des redites
quand nous donnerons l'analyse des Constitutions qui en sont le
développement, et furent composées tandis que se préparait la
formule présentée à Jules III.
2. Ignace les commença en 1547 et les travailla pendant
trois ans, sans se hâter vers une rédaction définitive. Il chercha
son inspiration surtout dans la prière, et fut grandement aidé par
l'esprit pratique et l'intuition des réalités qui lui étaient naturels.
Peut-être connaissait-il un peu les règles des Ordres anciens : on
en a trouvé des extraits, écrits de la main de son secrétaire. Mais
il ne parait point qu'il en ait fait une étude spéciale. Le jeune
Père Annibal du Coudret-, qui eut le bonheur de vivre sept mois
dans l'intimité de saint Ignace à l'époque où celui-ci formait son
code de législation, a raconté qu'alors il ne vit jamais dans sa
chambre d'autre livre que le missel1. Le Saint-Esprit fut donc
son principal maître. La part de l'influence surnaturelle sur la
composition de tout l'ouvrage a été confirmée par le propre
témoignage d'Ignace, dans ses confidences au P. Louis Gonzalvès :
« Après le récit [des origines de la Compagnie], raconte celui-ci,
je le priai de m'expliquer de quelle manière il avait composé
les Exercices spirituels et les Constitutions. Sur les Constitutions
il me dit qu'il me répondrait le soir...
« Avant le souper, il me fit venir. Il avait alors l'aspect d'un
homme plus recueilli encore que de coutume. Il commença par
une sorte de protestation, me montrant dans quelle intention et
avec quelle simplicité il m'avait tout raconté. Il était sûr, m'af-
firma-t-il, de m'avoir dit les choses telles qu'elles étaient... De-
puis qu'il avait commencé à servir Dieu, sa dévotion avait tou-
jours grandi, c'est-à-dire cette facilité de trouver Dieu dont il
1. « Substantialia Instituti ea in primis sunt quae in régula seu formula Societatis
Julio III S. P. pioposita et ab eo aliisque ejus successoribus confirmata continentur. »
Décret. LVIII, congr. V [Institut., vol. II, p. 260).
2. La famille noble du Coudrey, du Codret, du Coudray ou du Coudret, en latin
Codrelus, en italien Codreto ou Coudreto, donna trois frères à la Compagnie. Dans
ses lettres en italien le P. Annibal signe a Codreto ; une de ses lettres en français est
signée Annibal du Codré. Son frère Louis, dans ses lettres en italien, signe de Cou-
dreto. Claude signe a Coudreto. On sait combien était variable l'orthographe des
noms propres au xvi" siècle. La forme du Coudret, que nous adoptons, semble tout
concilier en conservant la particule, la diphtongue et le t final.
3. Fragment d'une lettre du P. A. du Coudret, s. d. [Mon. Ignat., ser. 4, t. 1.
p. 572). On ne sait entre quelles dates précises le P. du Coudret vécut auprès de sain t
Ignace.
104 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
jouissait alors plus qu'en tout le reste de sa vie; autant de fois
qu'il le voulait, à quelque heure que ce fût, il pouvait en effet
trouver Dieu. Les visions étaient fréquentes... Il en avait souvent
quand il célébrait le saint sacrifice de la messe, et aussi pendant
qu'il rédigeait les Constitutions; ce qu'il pouvait d'autant mieux
m'assurer, qu'il prenait note chaque jour de ce qui se passait
dans son àme, et qu'il avait cet écrit dans les mains. En môme
temps, il me montra un cahier assez grand dont il me lut une
bonne partie. C'était surtout les visions qu'il avait eues en con-
firmation de plusieurs régies. Il voyait tantôt Dieu le Père, tantôt
les trois personnes de la Sainte Trinité, tantôt la Bienheureuse
Vierge intercédant pour lui ou l'approuvant. Il me cita en par-
ticulier deux points, pour la détermination desquels il employa
quarante jours, célébrant la messe à cette intention avec une
grande abondance de larmes.
« Voici la méthode qu'il suivait en écrivant ses Constitutions :
tous les matins il disait la messe et proposait ou offrait à Dieu
telle règle dont il devait s'occuper, puis la lui recommandait
dans la prière; messe et oraison étaient toujours accompagnées
de larmes.
« J'aurais bien désiré, ajoute en terminant le P. Gonzalvès,
lire ces feuilles de notes sur les Constitutions, et je le priai de me
les prêter quelque temps, mais il ne voulut jamais y consentir1. »
Trouvé dans une cassette après la mort d'Ignace, ce cahier a
été publié en appendice dans l'édition de Madrid2; il met en
pleine lumière la vertu du saint fondateur, la libéralité divine
à son égard et, par suite, l'autorité de ses règlements. Plusieurs,
d'entre eux ne furent arrêtés qu'après de longs efforts pour con-
naître dans l'oraison le bon plaisir divin : « Sans parler du reste,
dit le P. Ribadeneira, je toucherai seulement ce qu'il fit à l'égard
de la pauvreté. Quarante jours de suite il offrit le saint sacrifice
et se livra à la prière avec une extraordinaire ferveur, unique-
ment afin de savoir s'il convenait de laisser des revenus aux égli-
ses des maisons professes pour leur entretien3. »
Il est donc évident que saint Ignace, tout en s'entourant de
conseils, traita cette grande affaire seul avec Dieu. Il demanda
un jour au P. Lainez s'il pensait que Dieu eut révélé aux fonda-
teurs d'Ordres la form'e et la règle de leurs Instituts. Lainez ré-
1. Acta P. Ignatii, n. 98, 99, 100.
2. Constituliones latinae et hispanicae. MDCCCXCD. Appendiv I', n. xvui.
3. Ribadeneira, Vida del B. P. Ignacio, 1. IV, c. u.
LES CONSTITUTIONS. 105
pondit affirmativement : « Je le crois aussi », reprit Ignace qui
pouvait en parler d'expérience '. Mais, fidèle à sa pratique d'em-
ployer toutes les précautions de la sagesse humaine, même en
ne comptant que sur Dieu, il ne se pressa point de promulguer
l'œuvre inspirée d'en haut. Il en montra d'abord une première
rédaction en espagnol aux profès qui, sur sa convocation, purent
se réunir à Rome en 1550, et parmi lesquels se trouvèrent Lainez
et François de Borgia '-'. Il leur demanda de l'examiner et de no-
ter ce qu'ils trouveraient à changer. Tous ces Pères, ainsi que les
Pères absents auxquels on communiqua ce premier texte des
Constitutions, « l'approuvèrent grandement », dit le P. Polanco3.
Malgré cela, tenant compte des remarques qui lui furent faites,
Ignace, aidé de son secrétaire, le revit tout entier, corrigea, re-
trancha, ajouta, transposa. Il ne voulut pas cependant que cette
seconde rédaction, toujours en espagnol, reçût une sanction
définitive avant d'avoir subi l'épreuve de l'usage dans toute
la Compagnie. Le P. Jérôme Nadal, dans les pays d'Europe, et
le P. Antoine Quadrius, dans les Indes, furent chargés de faire
connaître et appliquer les Constitutions dans leur teneur d'alors.
On commença en 1552. A partir de ce moment, il restait peu à
perfectionner pour le fond. Quant à la forme, Ignace en confia le
soin à trois Pères. Ainsi, jusqu'à sa mort il ne cessa de retoucher
son œuvre. Les deux textes dont nous venons de parler, et qu'on
peut appeler autographes'1, ont été écrits sous ses yeux et maniés
par lui ; toutes les corrections y sont de sa main ou de celle de
son secrétaire. Sur le second, que lui-même revit soigneuse-
ment, s'en forma un troisième, définitif, qui fut traduit en latin
par le P. Polanco, si l'on en croit la tradition constante et les
principaux historiens5.
Après la mort du fondateur, la première congrégation géné-
rale, réunie en 1558 pour élire son successeur, examina les
Constitutions et Déclarations de la Compagnie de Jésus telles
qu'il les avait laissées en dernier lieu, les collationna avec la tra-
duction latine, les déclara authentiques et les approuva'1. Elles
1. Memorabilia de S. Ignatio, a P. Lancicio C Monumenta fgnatiaaa, ser. 4',
vol. 1, p. 528). Cf. Bartoli, Saint Ignace, 1. III, c. i.
2. Polanco, Chronicon S. ./., t. II, p. 10 et 14. — 3. Ibidem, p. 15.
4. D'ordinaire les Congrégations générales ne donnent ce nom qu'au second, celui
qui fut communiqué à toutes les maisons a titre d'essai.
5. Saccuini, Hist. Soc., pars II', lib. II, n. 50.
»î. Const. lat. et hisp., Praefatio, p. vni. — Un auteur, M. Hermann Mùller, a essayé
de prouver que le véritable organisateur de la Compagnie était Lainez, assez habile
pour falsilier l'œuvre d'Ignace avant de la soumettre à la première congrégation
106 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
reçurent dans la suite la sanction suprême des Souverains Pon-
tifes, spécialement celle de Grégoire XIII1. Et. bien que les con-
grégations générales se soient réservé le pouvoir d'y faire des
changements, aucune, jusqu'à présent, n'a jugé opportun d'user
de ce droit.
.1. Une analyse détaillée des Constitutions sortirait du cadre
de cette histoire. Il suffira d'un exposé succinct de l'ensemble
pour montrer au lecteur l'esprit de la Compagnie de Jésus, et lui
indiquer d'avance la réponse aux attaques passionnées que nous
rencontrerons dans la suite des événements.
Les Constitutions sont précédées d'un livre à part et tout à fait
distinct intitulé : Examen général que doivent préalablement
subir tous ceux qui demandent ci entrer dans la Compagnie. Ce
livre, divisé en huit chapitres, est destiné à faire connaître l'une
à l'autre les deux parties qui vont se lier par un contrat.
Dès le début, Ignace déclare la fin de la Compagnie : « Le but
de cette Société n'est point seulement de travailler avec l'aide de
la grâce divine au salut et perfectionnement de ceux qui la
composent, mais de s'employer aussi de toutes ses forces, avec
l'aide de la même grâce, au salut et perfectionnement du pro-
chain. » Pour mieux atteindre ce but, elle a les trois vœux de
pauvreté, chasteté et obéissance, et un quatrième vœu de soumis-
sion au Souverain Pontife, spécial à la Compagnie professe. Dans
la manière extérieure de vivre, elle n'a rien que de commun,
aucune pénitence obligatoire. Ses membres sont partagés en plu-
sieurs classes-. Ignace donne déjà quelques détails précis sur ces
classes et les vœux qu'on y prononce'; puis, au chapitre iv,
il expose, avec la plus grande franchise, et les vertus que sa So-
ciété exige et les pratiques ou épreuves qu'elle met en usage
pour les développer.
Les vertus que demande la Compagnie se résument dans la
parfaite abnégation évangélique. Celui qui entre dans cette
Société, dit le fondateur. « doit se dépouiller de toute l'affection
générale (Cf. Les origines de la Compagnie de Jésus ; Ignace et Lainez, Paris, 1878,
cliap. iv). Malheureusement, à l'appui de celte thèse et de plusieurs autres sembla-
bles, M. Mùller n'apporte pas une seule preuve directe, pas un seul document con-
temporain; il en est réduit à des -suppositions, à des assertions gratuites et souvent
fausses. Déjà bonne justice a été faite des procédés de cet écrivain par le P. Joseph
Brucker, peu après la publication de son ouvrage (Voir Éludes, 5 déc. 1898. Deux
lionceaux livres sur saint Ignace).
1. Quanto fructuosius, 1 fév. 1583 et Ascendente Domino, 25 mai lô8i (Insl.,
vol. I, p. 85, 88). — 2. Exam. yen., c. i, n. 2, 3, 5, 6, 7-11. — 3. Ibid., n. 7-11.
LES C0NSTIT1 TIONS. 107
de la chair envers ses parents, les aimer seulement de cet amour
bien ordonné que demande la charité, p.irce que, mort au monde.
il ne vit plus que pour Notre -Seigneur qui lui lient lieu de
parents, de frères et de toutes choses1 »; — il doit « se per-
suader que la nourriture, la boisson, le vêtement et le lit seront
ceux des pauvres2 »; — il doit « considérer avec soin combien
il importe aux progrès de la vie spirituelle de rompre entière-
ment avec tout ce que le monde aime et poursuit, et d'adopter
au contraire, de désirer de toutes ses forces ce que Notre-Seignem
a aimé et recherché » ; de même que l'homme du monde ambi-
tionne « les honneurs, la réputation et l'éclat d'un grand nom
sur la terre », ainsi, et avec le même empressement, le reli-
gieux de la Compagnie, « par respect et par amour pour Notre-
Seigneur », ambitionnera de lui ressembler dans les humiliations,
les souffrances et le mépris*. « Et afin de parvenir plus sûrement
à ce degré de perfection, il devra mettre sa plus grande appli-
cation à chercher le plus complet renoncement à soi-même et
une mortification continuelle en toutes choses ' ».
Tout en traçant cet idéal de la perfection personnelle, Ignace
indique par quels moyens la Compagnie porte ses enfants à le
réaliser. A ce propos il énumère les épreuves ou expériments que
chacun devra subir au noviciat, comme passer trente jours dans
les Exercices Spirituels, servir les malades dans les hôpitaux,
voyager durant un mois en mendiant son pain et son gite, faire le
catéchisme aux enfants ou aux ignorants '. Le fondateur suggère,
un peu plus loin, que ces épreuves pourront encore être imposées
même après le noviciat6. Puis il attire l'attention du postulant
sur deux points « d'une souveraine importance », et le prévient
qu'un religieux de la Compagnie doit accepter d'être averti de
ses défauts et dévoiler lui-même toute sa conscience à ses su-
périeurs7 : « Plus ceux-ci, dit-il, connaîtront avec certitude l'in-
térieur et l'extérieur de ceux qui leur sont soumis, plus ils seront
capables de les aider avec diligence, amour et sollicitude, et de
préserver leurs âmes des différents maux et périls qui pourraient
leur arriver avec le temps 8. »
Renseigné sur la Compagnie, le candidat, avant d'être reçu
parmi les novices, doit la renseigner à son tour sur lui-même,
ses qualités, ses défauts, tout ce qui le touche. 11 y a d'abord
1. Exam. gen., c. iv, n. 8. — 2. Ibid., n. 26. — 3. Ibid., n. 44. — 4. Ibid., a. 40.
5. Ex. gen., c. iv, n. 10 à 15. — 6. Ibid., n. 27. — 7. Ibid., n. 8 et 3G.
8. Ibid., n. 34.
108 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
à l'admission projetée plusieurs empêchements, tels, que la décla-
ration d'un seul d'entre eux mettrait fin immédiatement à la dé-
libération !. Si, au contraire, aucun de ces empêchements n'existe,
la Compagnie poussera plus à fond son examen. 11 est bien juste
qu'elle interroge celui qui veut s'unir à elle sur ses parents, sa
famille, ses relations d'autrefois, sa santé, sa conduite passée,
ses dispositions surnaturelles, ses goûts, ses aptitudes, ses con-
naissances, ses talents, ses opinions en toutes matières". Elle
voudra aussi connaître l'origine de sa vocation. Elle lui deman-
dera : « A quelle époque ce désir de suivre les conseils de Notre-
Seigneur Jésus-Christ s'est élevé dans son esprit; quelles sont les
causes qui l'ont fait naître... » Et, si le postulant affirme n'y avoir
pas été porté par quelqu'un de la Compagnie, on pourra, dit
saint Ignace, « continuer l'interrogatoire ; mais dans le cas con-
traire (quelque licite que soit une pareille intervention), il sera
bon, pour son plus grand avantage spirituel, de lui prescrire
un certain laps de temps durant lequel il réfléchira sur ce sujet,
en se recommandant à son Créateur et Seigneur, comme si per-
sonne n'avait agi sur son esprit » 3.
Tel est le plan et le résumé de Y Examen général. La sincérité
y éclate à chaque ligne. Si plus tard un religieux vient à se
plaiudre, ce ne sera point d'avoir été trompé.
4. Avec Y Examen général nous avons déjà une idée assez nette
de la Compagnie de Jésus. Les Constitutions vont préciser davan-
tage, et nous découvrir les détails de son organisation intérieure.
Dans une courte préface, le fondateur expose la nécessité d'une
législation écrite qui, sans remplacer «. la loi intérieure d'amour
et de charité », aidera cependant les membres de la Compagnie
« à avancer de plus en plus dans la voie du service de Dieu »:
Puis il donne les grandes divisions de son ouvrage qui aura dix
parties, comprenant chacune un certain nombre de chapitres 4.
Au texte qui doit être bref, comme il convient à un code, seront
ajoutées des notes ou déclarations destinées à l'expliquer, à l'am-
plifier même s'il y a lieu5.
1. Exam. gen., c. h, n. 1-5. « Impedimenta, cum quorum aliquo nemo in Societalem
admitti potest : 1. recessisse a gremio sanctae Ecclesiae, (idem abnegando; — 2. hdini-
cidium aliquo tempore perpétrasse, vel publiée infamem propter enormia peccata
fuisse; — 3. habilum sumpsisse alicujus Religionis; — 4. vinculo matrimonii consum-
mati, vel servitutis legitimae ligatum esse; — 5. infirmitatem pati, unde obscurari,
vel parum sanum judicium ei reddi soleat. »
1. Ibkl., c. m, n. 2-12. — 3. IbicL, n. H. — 4. Proœmium eonstiêutionum.
5. Proœmium in déclarât iones et an notât innés.
LES CONSTITUTIONS. 109
Les trois premières parties des Constitutions concernent les
novices, leur admission, leur renvoi, leur formation. C'est dire
toute l'importance que le fondateur attachait au choix et à l'édu-
cation spirituelle des sujets1 : pour lui, l'avenir de tout le corps
en dépendait.
Dans la première partie, relative à Y admission, Ignace s'étend
principalement sur trois points : les conditions requises en celui
qui admet, ses qualités personnelles, sa désignation par le Père
Général; — puis les conditions requises en celui qui est admis,
et là il ajoute peu à ce que nous avons déjà trouvé dans YExamen
général; — enfin la façon de traiter le futur novice en première
■probation, c'est-à-dire la conduite à tenir à son égard dans la
maison où il est reçu quelque temps à titre d'hôte et de postulant.
La seconde partie des Constitutions concerne le renvoi de ceux
« qui, dans le cours du noviciat, seraient trouvés peu propres à
entrer dans la Compagnie ». Elle débute par un principe général
nettement posé : « S'il faut, pour atteindre au but de la Société,
qui est le service de Dieu et le secours des âmes, conserver et
augmenter le nombre des ouvriers capables d'avancer cet ou-
vrage, il n'est pas moins utile de renvoyer ceux qui ne seraient
pas trouvés tels... Toutefois, comme on ne doit pas être facile sur
l'admission, il faut encore l'être moins sur le renvoi; mais il faut,
avec la grâce de Dieu, peser et examiner mûrement les choses2. »
Suivent les prescriptions qui aideront à peser ainsi les choses,
avant de décider un renvoi. Le fondateur énumère toutes les
causes d'exclusion, puis il parle de la manière d'y procéder.
La troisième partie traite de la formation des novices. Un cha-
pitre regarde leur formation spirituelle, un autre la direction à
suivre pour la conservation de leur santé. Par rapport à l'âme
Ignace prescrit de tenir les novices isolés, sans relations avec
quiconque pourrait les distraire ou les refroidir dans leur bon
dessein3; de les exercer à la garde de leurs sens, par le silence et
la modestie; de les accoutumer à la pauvreté, en leur interdisant
la disposition de quoi que ce soit sans permission; de les ins-
truire à se défendre contre les embûches du démon et les tenta-
1. On entendra pourtant Etienne Pasquier, l'avocat de l'Université de Paris, pré-
tendre que la Compagnie acceptait n'importe qui. L'examen général a déjà rélulé
cette calomnie absurde.
2. P. II, c. i, n. 1. Bien que, dans cette partie, le fondateur parle avant tout du
renvoi des novices, il en profite pour exposer dans une déclaration ce qui regarde le
renvoi après les vœux simples ou la profession, mettant en principe que le renvoi
sera d'autant moins facile que le religieux est plus avancé dans les degrés.
3. P. III, c. i, n. 2.
110 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
tions; de les dresser à une entière obéissance, les habituant « à
se proposer la volonté et le jugement du supérieur comme la
règle des leurs, et à regarder celui-ci comme tenant la place de
Dieu » ; en un mot de les appliquer à tout ce qui « est de nature
à les faire progresser dans l'abnégation d'eux-mêmes1 ».
5. Après ces trois parties consacrées aux novices. Ignace, sui-
vant le jeune religieux dans sa nouvelle vie, s'attache à sa com-
plète formation intellectuelle, on pourrait dire humaine. La
quatrième partie des Constitutions porte pour titre : « De quelle
manière il faut instruire dans les belles-lettres, et les autres choses
utiles au prochain, ceux qu'on garde dans la Société ».
Il s'agit ici de ceux qui ont été admis aux premiers vœux, avec
les dispositions nécessaires pour recevoir un jour le sacerdoce, ou
bien qui l'ont déjà reçu. Ils porteront désormais le nom de sco-
las tiques.
Cette quatrième partie est une des plus développées par l'au-
teur des Constitutions, et non sans motif; « car, remarque-t-il,
étant donné le but apostolique de la Compagnie, il nous faut join-
dre à l'exemple d'une vie pure, la science, et la méthode pour
l'exposer; aussi, après avoir jeté, dans l'âme de ceux qu'on a
reçus au noviciat, le fondement solide du renoncement à soi-
même et du progrès dans la vertu, on s'occupera de les former
aux belles-lettres et de leur apprendre la manière de les em-
ployer. C'est pour cela que la Compagnie possède des collèges,
et quelquefois même des Universités ou des cours généraux d'é-
tudes, dans lesquels, ceux qui pendant leurs épreuves dans nos
maisons ont fait bien augurer d'eux-mêmes, et n'ont pas à un
degré suffisant les connaissances nécessaires à notre Institut,
pourront les acquérir et apprendre tout ce qui peut être utile au
salut des âmes2 ».
En dix-sept chapitres, Ignace donne comme le premier plan
d'études de la Compagnie, une ébauche du futur ratio studiorum.
Il y parle non seulement de la formation scientifique et littéraire
de ses religieux, mais aussi de l'instruction de la jeunesse sécu-
lière dans « des écoles publiques », qu'il projette « d'attacher aux
collèges de la Société », soit pour l'enseignement des lettres hu-
maines, soit même pour l'enseignement supérieur \ Sans entrer
1. P. III, c. i, passim. — 2. P. IV, proœmium.
3. « De scnolis collegiorum Societatis » (P. IV, c. vu, titulum). — « In nostris col^
legiis... scholae publicae aperiantur » (c. vu, n. 1).
LES CONSTITUTIONS. III
dans les menus détails, il expose les principes généraux que
suivra la Compagnie dans ses collèges ou universités, les rela-
tions avec leurs fondateurs, l'administration matérielle, les ma-
tières de renseignement, les méthodes, les livres, et tout ce qui
regarde la discipline scolaire '.
Plusieurs chapitres traitent particulièrement des progrès intel-
lectuels des scolastiques de la Compagnie, que le fondateur a en
vue par-dessus tout. Il détermine les qualités de ceux qu'on ap-
pliquera aux études, le temps qu'ils devront y rester, les moyens
de les aider à y réussir, la façon de les préparer en même temps
à l'apostolat, les industries à employer pour que « l'ardeur de
l'étude n'attiédisse point en eux l'amour des vertus solides et de
la vie religieuse2 ». Sur ce dernier point le fondateur observe,
avec beaucoup de sagesse, que dans un sculastique la science et
la vertu doivent se donner un mutuel appui et progresser paral-
lèlement : la pureté de l'âme et le recours à Dieu rendront l'es-
prit plus pénétrant, et l'application jointe à une intention droite
sera un excellent exercice de mort à soi-même.
6. Dans la cinquième partie des Constitutions, sont expliqués
les degrés d'incorporation à la Compagnie et par conséquent les
diverses classes de personnes dont elle se compose. Qui a charge
d'admettre à ces degrés, quand et de quelle manière doit-on y
admettre, que doit-on exiger de ceux qui y seront admis, tels
sont les points qui seront ici déterminés tour à tour.
Il y a, dans l'ensemble du système conçu par Ignace pour l'é-
mission des vœux, une innovation qui mérite de nous arrêter.
Jusqu'au xvie siècle la coutume des Ordres religieux était d'é-
prouver les novices pendant un an, puis de les admettre aussitôt
après à la profession solennelle ; il ne restait ainsi que la distinc-
tion entre les prêtres, ou aspirants au sacerdoce, occupés soit à
l'exercice, soit à la préparation des ministères spirituels, et les
frères servants ou coadjuteurs, employés aux offices domestiques.
Ignace double d'abord le temps du noviciat3; de plus, les deux
ans écoulés, il n'admet pas encore à la profession solennelle, mais
seulement aux vœux simples. C'est-à-dire que le nouveau religieux,
soit prêtre, soit scolastique destiné aux études, soit coadjuteur
temporel destiné aux travaux domestiques, prononce alors les
trois vœux simples de pauvreté, chasteté et obéissance, avec celui
1. P. IV, C. I, II, V, XII, XIII, XIV, XV, XVI, XVII.
2. Ibid., c. m, v, ix, vin, m. — 3. Exam. gen., c. i, n. 12.
112 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
d'entrer un jour dans la Compagnie à quelque degré qu'elle
voudra lui conférer. Par cette promesse, il entend se lier perpé-
tuellement à la Compagnie, sans que celle-ci s'engage pour sa part
à l'incorporer dans aucun degré; il restera dans cet état de vieux
simples, jusqu'au moment où les Supérieurs, satisfaits de ses
bonnes dispositions et de ses vertus, l'admettront à une incor-
poration définitive. Alors, pour les scolastiques ce sera : ou bien
la profession solennelle des quatre vœux, c'est-à-dire des trois
vœux accoutumés et en plus de celui d'obéir au Souverain Pontife
pour toutes les missions auxquelles il voudra les destiner; — ou
bien la profession solennelle des trois vœux seulement; — ou
bien rémission des trois vœux simples, quoique publics, de pau-
vreté, chasteté et obéissance. Ainsi les prêtres seront répartis en
trois classes : prof es des quatre vœu./ , profès des /rois vœux et
coadjuteurs spirituels. Quant aux coadjuteurs temporels, ils seront
incorporés dans la Compagnie par les trois vœux usités, simples
et publics, et prendront le nom de coadjuteurs temporels formés x.
De sorte, que si l'on ajoute à ces quatre degrés d'incorporation
définitive les deux degrés de ceux qui l'attendent, — novices et
religieux dans l'état de vœux simples, — la Compagnie de Jésus,
dans son ensemble, présente bien six catégories de personnes.
Ignace a jugé ces degrés nécessaires à l'organisation de son
institut; mais, comme il le remarque lui-même, leur différence
n'en produit aucune dans la participation aux biens spirituels
dont jouit toute la Compagnie*3. Si les obligations varient suivant
les degrés, le profit reste le même pour tous.
Une autre innovation du fondateur, touchant les derniers vœux,
est l'institution, pour les religieux prêtres, d'une troisième année
de noviciat3. Les études, surtout les spéculatives, le professorat
avec ses occupations multiples, la science avec son prestige, peu-
vent tarir la source des affections pieuses et des aspirations surna-
turelles. Quand, après toutes les épreuves, et les études achevées,
le temps est venu, pour le prêtre de la Compagnie, de son incor-
1. Dans la première formule de l'Institut présentée à Paul III, Ignace et ses compa-
gnons avaient entendu que la Compagnie ne comprendrait qu'un petit nombre de
membres, une soixantaine tout au plus, tous profès des quatre vœux; mais les œuvres
offertes à la Compagnie furent bientôt nombreuses, les vocations aussi; alors, dès
1546, sur la demande du fondateur, Paul III, par la Bulle Exponi nobis, permit
d'admettre « des prêtres et des laïcs qui pourraient aider les profès dans les choses
ou spirituelles ou temporelles », se liant irrévocablement à la Compagnie, après les
épreuves déterminées dans les Constitutions, par les trois vœux de religion sans élre
cependant reçus à la profession solennelle. (Bulle Exponi nobis. Instit., t. I, p. 10 .
2. P. V. c. i. n. 1, a. — 3. Ibid., c. H, n. 1.
LES CONSTITUTIONS. m
poration définitive, son premier noviciat est déjà loin; les Consti-
tutions lui prescrivent d'y rentrer. Pendant une année entière, « à
l'école de la piété, il s'exercera, avec plus de soin et d'insistance
que jamais, à tout ce qui fait progresser dans une humilité sincère,
dans le dépouillement des penchants inférieurs de la nature, dans
l'abnégation de la volonté et du jugement propre, dans une con-
naissance plus profonde et un amour plus grand de Dieu ; de cette
sorte, après avoir avancé lui-même en perfection, il sera plus
apte à faciliter les progrès des autres pour la gloire de Dieu et de
Notre-Seigneur 1 » .
7. La sixième partie des Constitutions développe les obligations
communes à tous ceux qui sont incorporés à la Société. La princi-
pale est l'observation parfaite des trois vœux.
« Ce qui regarde la chasteté, dit le fondateur, n'a pas besoin
de commentaires » ; et il se contente de suggérer aux siens de
tendre à la pureté des anges par la pureté du corps et de l'âme2.
Pour l'obéissance il veut que tous s'efforcent d'y exceller, « non
seulement dans ce qui est obligatoire, mais encore dans tout le
reste, et cela sur un simple signe de la volonté du supérieur, sans
aucun ordre exprès ». Et afin de rendre cette vertu plus facile et
plus douce il ajoute : « Si nous obéissons à un homme, ce n'est
que par respect et par amour pour Jésus-Christ qu'il représente.
Il faut par conséquent avoir à son égard une docilité entière,
abandonner à sa voix toute occupation, laissant même la lettre
que nous aurions commencé à former... Exécuter ses commande-
ments avec promptitude, joie spirituelle et persévérance. Nous
persuader que tout est juste lorsque le supérieur l'ordonne; par
une sorte d'obéissance aveugle rejeter toute idée, tout sentiment
contraire à ses ordres, en toutes choses où l'on ne verra point de
péché.... Être convaincu, qu'en vivant sous l'obéissance, on doit
se laisser mener et conduire à la volonté de la divine Providence,
par l'entremise des supérieurs, comme un cadavre qui se laisse
porter et manier en tous sens, ou bien encore comme un bâton
que tient à la main un vieillard pour s'en servir à son gré :i. »
On a beaucoup reproché à saint Ignace cette comparaison du
cadavre, perinde ac cadaver, qui exprime si bien la perfection
de l'obéissance. Elle n'est point de lui, mais, si l'on en croit saint
Bonaventure, du séraphique François d'Assise, qui ne regardait
comme réellement obéissant que celui qui se laissait remuer,
1. Ibid. — 2. P. VI, c. i, n. 1. — 3. lbid.
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 8
114 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
placer et déplacer comme un corps sans vie, corpus exanime1.
Le fondateur de la Compagnie n'a pas exigé plus que le patriarche
de la vie monastique en Occident, saint Benoit, qui ordonne
textuellement à ses disciples d'obéir même dans les choses impos-
sibles; il n'a pas exigé plus que saint Basile, le législateur des
moines d'Orient, qui demande au religieux obéissant d'être
comme l'outil dans la main de l'ouvrier, comme la cognée dans
la main du bûcheron.
Par rapport à la pauvreté. Ignace ordonne de « l'aimer et con-
server dans toute sa pureté, comme le ferme rempart de tout Ordre
religieux », de ne « jamais changer les constitutions qui la con-
cernent, excepté toutefois le cas où les circonstances feraient ju-
ger, selon le Seigneur, qu'il faut la resserrer encore davantage ».
Cette prescription générale est suivie d'ordonnances particulières
touchant l'habillement, la nourriture, les maisons, les collèges,
les églises, le désintéressement dans les ministères spirituels2.
Après les obligations relatives aux trois vœux, Ignace consacre
un chapitre aux « occupations défendues ou permises aux membres
de la Société » . Parmi celles qui sont prohibées, deux sont spéciale-
ment à noter. Le fondateur en parle ainsi et donne lui-même les
motifs de sa défense : « Comme les travaux que l'on entreprend
pour le soulagement des âmes sont très importants, très fréquents
et particuliers à notre institut, comme d'ailleurs nous n'avons pas
de demeure fixe dans tel lieu plutôt que dans tel autre, les nôtres
ne formeront point de chœur pour chanter les heures canoniales,
la messe ou les autres offices'... De même, comme les membres
de la Société doivent toujours être prêts à courir dans toutes les
parties du monde, où ils seront envoyés soit par le Souverain
Pontife soit par les supérieurs, ils ne doivent point se charger
de la direction spirituelle des religieuses... à titre de confes-
seurs ou de directeurs ordinaires '. »
8. Dans la septième partie des Constitutions, saint Ignace exa-
mine « comment il faudra distribuer dans la vigne du Seigneur »
les ouvriers apostoliques, chargés de travailler à « l'utilité spiri-
tuelle du prochain ». Aucun lieu n'est excepté quand l'intérêt
des âme est en cause. La mission peut émaner du Souverain
Pontife lui-même : alors, soumission entière du jugement et de
la volonté au Vicaire de Jésus-Christ; ni les supérieurs, ni les
1. Vita S1 Francisci, c. lx. — 2. P. VI, c. il. — 3. P. VI, c. m, n. i.
4. Jbid., n. 5.
LES CONSTITUTIONS. il.;
inférieurs, par eux-mêmes ou par intermédiaires, ne cherche-
ront à. être envoyés dans un pays plutôt que dans un autre. Si
le Pape, en désignant1 la mission, laisse le choix des personnes ;'i
la Compagnie, celle-ci nommera les sujets qui lui sembleront
les plus capables.
Ignace est ainsi amené à poser les principes qui devront gui-
der le supérieur, quand de lui dépendra la distribution des ou-
vriers évangéliques. Il le fait avec sa prudence ordinaire, son
sens de l'opportunité et ses vues de zèle toujours dirigées à la
plus grande gloire de Dieu. Il veut que le supérieur recommande
d'abord, et fasse recommander à Notre-Seigneur, par la prière,
une affaire aussi importante ; puis qu'il considère, d'une part, le
plus grand service de Dieu, l'universalité du bien qui résultera,
la plus ou moins grande nécessité des pays, la plus ou moins
grande urgence des œuvres à entreprendre, la plus ou moins
grande obligation de la Compagnie à l'égard des princes ou des
cités; — et en même temps, d'autre part, les éléments dont il
dispose, les forces spirituelles et corporelles des ouvriers, leur
aptitude à aider le prochain sans porter préjudice à leur propre
perfection2.
Cette partie se termine par un chapitre, où le fondateur expose
« en quoi les collèges et les maisons de la Compagnie aident le
prochain »3; car, dit-il, « ce n'est pas seulement en parcourant
divers pays, mais aussi par un séjour continu en plusieurs endroits,
qu'elle est appelée à secourir les âmes ». Et il décrit ici toutes
les œuvres de miséricorde que les siens auront à exercer dans les
villes où ils demeureront : la prière, l'administration des sacre-
ments, la prédication, l'explication de la doctrine chrétienne,
les Exercices spirituels, la visite des hôpitaux et des prisons \
9. Après avoir traité successivement de l'administration, de la
formation et des occupations des religieux, Ignace en vient à leur
gouvernement. Il y consacre deux parties très développées : la
huitième et la neuvième.
Dans la huitième, il prescrit « tout ce qui peut maintenir l'union
des membres avec le chef et entre eux ». Sans cela, dit-il, la
Compagnie ne peut ni se conserver, ni se gouverner, ni atteindre
son but. Cette union doit être d'autant plus recherchée, qu'elle
sera plus difficile à un Ordre dispersé dans toutes les parties du
1. P. VII, c. i. — 2. Ibid., c. ii, n. 1, d, e, f. — 3. Ibid., c. iv, titre.
4. Ibid., c. iv, passim.
116 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
monde. Saint Ignace indique comme moyen de la maintenir :
l'obéissance; le renvoi de quiconque serait un sujet de discorde;
les qualités remarquables du Général et par suite son ascendant
sur ses subordonnés; la correspondance épistolaire fréquente et
suivie; le parfait accord et la conformité, non seulement dans les
choses intérieures, comme la doctrine, mais aussi dans les choses
extérieures, comme le costume, les cérémonies de la messe et tout
le reste, autant que le permettront les circonstances de personnes
et de lieux; enfin, avoue -t-il, « le lien essentiel, commun à tous,
de cette union, est l'amour de Dieu : unis avec la divine et suprême
bonté, les membres de la Compagnie seront unis entre eux; de leur
amour pour Dieu naîtra leur amour pour le prochain, et tout spé-
cialement pour leurs frères dans le Seigneur » '.
Toute la suite de la huitième partie trace le règlement des as-
semblées ou congrégations, dans lesquelles « s'opérera l'union des
personnes » 2 par rapport au gouvernement, soit de la Société en-
tière, soit d'une de ses divisions territoriales. En effet, dans la
Compagnie de .lésus, comme dans l'Église et dans toutes les fa-
milles religieuses, il y a des assemblées, ou générales, de tout
l'ordre, ou provinciales, de chaque province, pour résoudre les
affaires graves, dont la conclusion réclame les lumières d'un cer-
tain nombre d'hommes expérimentés.
Il n'y a point de terme fixe pour la réunion des congrégations
générales. Il est prescrit cependant de les réunir à la mort du
P. Général, afin de lui nommer un successeur, ou encore si la né-
cessité se présentait de prendre une résolution irrévocable ou de
traiter d'affaires épineuses concernant toute la Société1. Au début,
les congrégations générales se composaient de tous les profès qui
pouvaient être présents h Rome. Ignace, prévoyant l'extension de
son Ordre et tenant à donner « une règle certaine ». prescrit que
trois députés de chaque province seront convoqués : le P. Provin-
cial, à moins d'empêchement, et deux autres choisis par la con-
grégation provinciale, qui devra se réunir à cet effet ', et compren-
dra tous les profès de cette province, les supérieurs locaux, les
recteurs et les procureurs"'.
La congrégation générale et la congrégation provinciale ont des
attributions bien différentes. En la première réside le pouvoir lé-
1. P. VIII, c. i, n. 1, 3, 5, G, 7, 8, 9. — 2. Ibid.. c. II, n. 1.
3. P. VIII, c. n, n. 1, 2. — 4. Ibid., c. m, n. 1, (i.
5. Ainsi l'avait déterminé Ignace dans les Constitutions (ibid., c. ni, n. 1); mais plus
tard on limita le nombre des profès et on leur adjoignit seulement les recteurs des
collèges.
LES CONSTITUTIONS. 117
gislatif delà Compagnie; elle a juridiction sur tout l'Ordre et sur
le P. Général lui-même. La seconde n'a ni pouvoir législatif, ni
juridiction; elle se réunit en vue de nommer les Pères députés à
la congrégation générale, et, tous les trois ans, pour des motifs
qui furent déterminés plus tard.
Ignace s'occupe ici avant tout de l'assemblée générale. Qui doit
la convoquer; — où et quand le sera-t-elle; — quel sera le mode
de délibération quand il s'agira d'élire le Général ou de discuter
les affaires de la Compagnie? — Toutes ces questions sont résolues
dans les moindres détails, et les ordonnances du Bienheureux Père
ont toujours été suivies, depuis l'élection de son successeur jusqu'à
nos jours1.
10. La neuvième partie des Constitutions a pour titre : « De ce
gui concerne le Général de la Société et du gouvernement qui
émane de lui ». Ignace émet d'abord le principe qu'il doit y avoir
un Général : « Comme dans toutes les républiques et associations
bien constituées, en dehors de ceux qui tendent à des fins parti-
culières, il faut une ou plusieurs personnes qui veillent au bien
universel... de même dans cette Société, outre ceux qui président
aux maisons, collèges et provinces, il faut quelqu'un qui ait le
soin de la Société tout entière, et se propose à lui-même pour fin
que tout ce corps soit bien gouverné, conservé, augmenté, et ce-
lui-là est le Général2. »
Après avoir ordonné que le Général sera nommé à vie, il énu-
mère les qualités qui devront briller en sa personne : « qu'il soit
choisi, dit-il, parmi ceux que la Compagnie a le plus remarqués,
et le plus longtemps, pour l'éclat de leurs vertus et de leurs ser-
vices 3 ».
« Afin que la Société soit bien gouvernée, ajoute le fondateur,
il semble important que le Général ait toute autorité sur elle. »
En conséquence de ce principe, une part très large est faite au
pouvoir du Général, et développée dans un long chapitre. C'est
le P. Général qui, par lui-même ou par d'autres, admet les sujets
au noviciat et aux différents degrés; il peut aussi les transférer
d'un lieu à un autre, les envoyer en mission dans n'importe quel
pays ; il nommera lui-même les provinciaux, les recteurs des col-
lèges et des universités, les supérieurs des maisons; « il leur com-
muniquera tout le pouvoir qu'il jugera à propos; il pourra aussi
1. P. VIII, c. iv, v, vi, vu. — 2. P. IX, c. i, n. 1.
3. Ibid, c. H, n. 2, 3, 4, 5, 7, 8, 9, 10.
MB HISTOIRE l>E LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
révoquer, restreindre ou amplifier ce pouvoir, et leur demander
compte de leur administration » ; c'est à lui de convoquer la con-
grégation générale, quand en dehors d'une élection au généralat
cette convocation aura paru nécessaire; en lui réside tout pouvoir
de faire quelque contrat que ce soit, mais il ne peut aliéner ni
dissoudre les collèges, ou les maisons déjà érigées, sans la con-
grégation générale ; « dans toutes les choses qui tendent à la fin
que se propose ]a Société, à la perfection et au secours du pro-
chain, et à la gloire de Dieu, le Général pourra commander à
tous en vertu de l'obéissance ; et quoiqu'il communique son pou-
voir à d'autres supérieurs subalternes, à des visiteurs, à des com-
missaires, il pourra cependant approuver ou casser ce qu'ils fe-
ront, agir en tout comme il lui plaira, et il faudra toujours lui
obéir et le respecter comme le représentant de Jésus-Christ i ».
Ce pouvoir du P. Général, bien qu'il soit plus grand dans la
Compagnie que dans les autres Ordres, n'est pas cependant illi-
mité. Outre qu'il ne s'étend pas au domaine législatif, il est réglé
de manière à profiter des meilleurs avantages de la forme de gou-
vernement qu'on appelle aristocratique. Il a un puissant contre-
poids dans les prescriptions que l'on trouve aux trois derniers
chapitres de cette neuvième partie.
Le chapitre iv est intitulé : « De l'autorité et de la surveillance
que la Société doit exercer sur son Général ». Ignace ramène à six
points l'exercice de cette autorité et de cette surveillance : 1° ce
qui regarde les circonstances extérieures de sa personne (vête-
ment, nourriture, logement) ; — 2° ce qui regarde le soin de son
corps, afin qu'il n'excède pas en travaux ou en mortifications; —
3" ce qui regarde le soin de son àme, relativement à sa propre
perfection ou à l'accomplissement de sa charge ; — 4° s'il lui était
fait instances pour accepter quelque dignité incompatible avec
ses fonctions : clans ce cas, il ne peut rien sans le consentement
de la Compagnie; — 5° s'il se montrait négligent ou relâché dans
les choses importantes de son office, par infirmité ou vieillesse,
sans espoir d'amélioration et au détriment du bien commun : dans
ce cas, il devrait élire un coadjuteur ou vicaire qui ferait fonction
de Général; — 6° entin dans certains cas. comme de fautes graves,
la Compagnie peut et doit le déposer, le chasser même s'il était
besoin 2.
Mais rien ne modère mieux le pouvoir souverain du Généra]
1. P. IX, c. m, n. 1, 2, 5, 14. 15, 20. — 2. C. iv, passim.
LES CONSTITUTIONS. lifl
que l'organisation de la hiérarchie sans laquelle, pratiquement,
il ne peut l'exercer. Immédiatement au-dessous de lui, gouver-
nent les provinciaux, qui sont les supérieurs des religieux ha-
hitant une région déterminée; au-dessous des provinciaux gou-
vernent les supérieurs locaux, qui dans les collèges prennent le
nom de recteurs. Tout supérieur, depuis le Général jusqu'au
moindre supérieur local, a auprès de lui plusieurs Pères conseil-
lers ou cùnsulteurs dont les avis et les lumières le dirigent, et un
Père admojiiteur , chargé de l'avertir sur tout ce qui touche sa
personne ou les devoirs de son office. Les conseillers du Père Gé-
néral se nomment assistants. Ils représentent les principales na-
tions où est établie la Compagnie, et chacun d'eux par conséquent
un certain nombre de provinces. Nommés par la congrégation
qui a élu le Général, et résidant auprès de lui, ils forment son
conseil suprême et perpétuel '. Par leurs mains doivent passer
toutes les affaires spéciales aux pays qu'ils représentent, et aussi
celles qui concernent le gouvernement de l'Ordre tout entier. Le
Père Général est strictement obligé d'entendre le conseil des as-
sistants 2, et d'entretenir de fréquentes communications avec les
provinciaux; « quelquefois il s'adressera directement aux rec-
teurs, aux supérieurs de maisons ou aux simples individus 3 ». De
la sorte, si clans toutes choses d'importance la décision dernière
lui appartient, il ne peut cependant la prendre qu'après s'être
inspiré des avis que lui apporte tout un système déterminé d'in-
formation et de consultation. Les provinciaux et les supérieurs
locaux agissent de même, chacun dans sa sphère. Ainsi, l'unité
du pouvoir, avec la fréquence des réunions consultatives, semble
être la caractéristique du gouvernement donné à la Compagnie
de Jésus. Au temps d'Ignace, ce mode de gouvernement pouvait
s'appeler une nouveauté. Abandonnant le régime capitulaire, le
fondateur supprime le scrutin autant qu'il peut; il le restreint à
certains cas où il était impossible de l'éviter, comme l'élection du
Général et des Assistants, et plusieurs autres circonstances assez
rares; il donne pour loi ordinaire que les voix des assemblées
seront purement consultatives, le supérieur gardant la résolution
définitive de toutes les affaires.
1. En cas de mort d'un Assistant, le Général lui-même, de l'avis des Provinciaux,
choisit son remplaçant. Le nombre des Assistants a varié; aujourd'hui il y a cinq
assistances : Italie, Espagne, Allemagne, France et Angleterre.
2. En plus des Assistants et de l'Admoniteur, Ignace a voulu encore donner au
P. Général un Procureur Général de la Compagnie, surtout pour l'expédition et le
maniement des affaires matérielles (c. vi, n. 12). — 3. C. vi, n. 2.
120 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
11. La dixième partie des Constitutions est un suprême appel,
que saint Ignace adresse à tous les siens, de travailler à la plus
grande gloire de Dieu en proportionnant les moyens à cette noble
fin : « Pour conserver, dit-il, et accroître non seulement le corps
mais aussi l'esprit de cette Société, pour atteindre le but quelle
se propose, qui est d'aider les âmes à parvenir à leur fin der-
nière et surnaturelle', les moyens qui unissent l'instrument à
Dieu, et le disposent à se bien laisser conduire parla main divine,
sont plus efiicaces que ceux qui le disposent à être bien vu des
hommes. Tels sont la probité, la vertu et surtout la charité, la
pure intention de servir Dieu, l'union intime avec Lui dans les
exercices de la dévotion, le désir sincère de sauver les âmes pour
la seule gloire de Celui qui les a créées. Par conséquent, que
tous s'appliquent à l'étude des vertus solides et parfaites, et des
choses spirituelles, et croient devoir y attacher plus d'importance
qu'au savoir et aux autres dons naturels et humains '. »
Mais ces derniers, qui nous « disposent à être bien vus » du
prochain, ne sont pas à dédaigner. Loin de là; car eux aussi,
joints aux dons intérieurs, desquels « ils recevront leur effica-
cité », serviront beaucoup aux progrès de la Compagnie, « si
toutefois on les acquiert, non pour mettre en eux sa confiance,
mais pour aider par eux la grâce divine », selon l'ordre voulu de
Dieu. Et c'est ainsi « qu'une doctrine exacte et solide, le talent
de la transmettre au peuple par la prédication ou l'enseigne-
ment, et l'aptitude à manier les hommes doivent être soigneuse-
ment recherchés2 ».
D'ailleurs l'application de ces principes doit s'étendre à toutes
choses. Ignace en donne, pour finir, quelques exemples particu-
liers. Parmi les moyens naturels il recommande : la sévérité dans
l'admission des novices et l'incorporation finale; le choix des
sujets les plus capables pour le gouvernement de toute la Com-
pagnie, des provinces ou des maisons; le maintien de la dis-
cipline dans les collèges; l'usage modéré et prudent des privi-
lèges accordés par le Saint-Siège; la vigilance à conserver la
sympathie des hommes. — Parmi les moyens surnaturels : la
pauvreté avec son désintéressement; l'humilité, qui ferme la
porte à l'ambition, et le renoncement aux dignités ecclésiastiques
dont les profès feront un vœu spécial'; la charité et l'amour
1. P. X, n. 1, 2. — 2. P. X, n. 5.
3. Vœu simple que les profès prononcent après la cérémonie solennelle.
LES CONSTITUTIONS. 121
réciproque; l'obéissance qui maintiendra la subordination; enfin
la connaissance, l'estime et le respect des Constitutions'.
12. De cette analyse, rapide mais complète, tout lecteur atten-
tif aura déjà dégagé la physionomie de la Compagnie de Jésus.
Fondée pour la perfection propre de ses membres et le secours
spirituel du prochain, elle est nécessairement un ordre mixte, —
moitié contemplatif, moitié actif, — un ordre de clercs et non
de moines, « religionem clericorum Societatis Jcsu », comme l'ap-
pelle le Concile de Trente2.
Fondée en vue de rendre à Dieu, par la tendance à cette double
fin, la plus grande gloire possible, il lui faut : clans ses minis-
tères, une variété presque sans limites; — dans ses sujets, une
grande diversité aussi de caractères et de talents; — dans la for-
mation de ses membres, le temps et le soin requis pour faire de
chacun d'eux un homme de Dieu, suivant le mot de saint Paul,
« prêt à toute bonne œuvre3 » ; — dans sa forme extérieure et sa
discipline, une très grande liberté d'action : ni demeure fixe, ni
habit particulier, ni heures canoniales en commun, ni assistance
aux processions, ni pénitences réglées obligatoires pour tous, ni
fonctions capables d'immobiliser, comme serait la direction or-
dinaire d'une communauté religieuse; — enfin, dans son gou-
vernement, cette simplicité et cette unité qui émanent du pouvoir
absolu sagement tempéré, du pouvoir d'un Général assez au cou-
rant de l'ensemble, par les conseils dont il s'entoure, pour dé-
cider, dans tous les cas, où est la plus grande gloire de Dieu.
Faute d'avoir rapporté à la fin de la Compagnie certaines pres-
criptions d'Ignace relatives à sa forme, plusieurs critiques se sont
élevées, aux débuts surtout, contre lesquelles les Souverains Pon-
tifes ont eu souvent à la défendre.
On lui a reproché la suppression du chœur : « Elle est à peine
digne du nom de société religieuse, disait Dominique Soto, puis-
qu'elle n'a point ce qui donne le plus d'éclat à une religion4. »
Telles furent les réclamations des opposants, que Paul IV et Pie V
jugèrent à propos de demander à la Compagnie la récitation pu-
blique de l'office; cependant ils le firent, non par lettres apos-
toliques, mais par oraonnances particulières qui expirèrent à
leur mort. Après eux, Grégoire XIII ratifia en termes exprès ce
1. P. X, n. 7, 8, 4, 12, 11, 5, 6, 9, 3. — 2. Sess. \xv, c. xvi.
3. II Tim., m, 17 : « Ut perfectus sit homo Dei, ad omne opus honum instruclus. »
i. De justilia et jure, 1. X, q. 5, a. 3.
122 HISTOIRE I>E LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
que Paul III et Jules III avaient concédé implicitement : « Ayant
égard, dit-il, aux fruits très abondants que cette religion procure
à la louange de Dieu et à la propagation de la foi catholique dans
tout l'univers, et voulant la favoriser dans ses pieuses entreprises,
nous permettons que ses membres récitent les heures canoniales
chacun en particulier, suivant le rit romain, et non en chœur ni
en commun, afin qu'ils puissent se livrer avec plus d'ardeur à
leurs études, à leurs leçons et à leurs prédications1. »
On s'étonna également que les religieux de la Compagnie de
Jésus n'assistassent point aux processious ni aux cérémonies so-
lennelles de l'Église. La raison de cette abstention est la même
que pour le chœur. Le P. Ribadeneira fait très bien remarquer
que les jours où ces solennités ont lieu sont précisément ceux
où les fidèles ont coutume de s'approcher des sacrements, ceux
par conséquent où les ouvriers évangéliques sont le plus occupés
par leurs ministères spirituels2. C'est aussi la raison sur laquelle
s'appuie Grégoire XIII, dans la Bulle où il sanctionne cette excep-
tion, et où il insinue que pareil motif est amplement suffisant,
puisque d'autres Ordres religieux, qui ne l'ont pas, jouissent du
même privilège par la seule force de leurs Constitutions.
La décision d'Ignace, de ne pas donner d'habit particulier à sa
Compagnie, fit croire à quelques-uns qu'il méprisait l'habit reli-
gieux. Il dit lui-même qu'il prend cette mesure, « pour de graves
raisons qui regardent le service de Dieu 4 ». Son Ordre est un Ordre
de clercs : ses religieux seront donc vêtus comme les prêtres sécu-
liers des pays où ils résideront, conformément toutefois à la pau-
vreté'. Son Ordre est destiné à pénétrer chez les infidèles et les
dissidents : il ne peut donc donner à ses religieux un costume
dont la seule vue offusquerait ceux qu'ils veulent gagner par
leur apostolat. Au temps d'Ignace, dans le nord de l'Europe, les
anciens costumes monastiques étaient en abomination; il pensa
sans doute que des cas semblables se présenteraient dans d'autres
temps et dans d'autres lieux, et il ne voulut pas que les siens
fussent jamais arrêtés par une question de vêtement.
On a blâmé la Compagnie de n'avoir point de pénitences de
règle : « Chacun, a écrit le fondateur dans Y Examen général,
pourra faire avec l'approbation du supérieur les pénitences qui
1. Bulle Ex Sedis apostolicae, 28 fév. 1573 (Institut., t. I, p 52).
2. Ribadeneira, De ratione Institut}, c. v, p. 104.
3. Quaecumque Sacrarum [Instit., t. 1, p. 59).
4. Exam. gen., e. i, n. 6. — 5. P. VI, c. n, n. 15.
LES CONSTITUTIONS. 123
lui sembleront les plus propres à son avancement spirituel, et
celles que les supérieurs pourront lui imposer pour la même
fin1. » Avec cette disposition, aucune violence n'est faite à la liberté
de ceux qui pourront faire davantage, ni aux forces de ceux qui
ne pourraient aller sans inconvénient jusqu'au point fixé ; la Com-
pagnie peut admettre des sujets de santé médiocre et cependimt
très aptes à tous ses ministères, sans voir sa ferveur affaiblie par
l'usage des dispenses. D'ailleurs, autre chose est de n'avoir point
du tout de pénitences, autre chose de n'en avoir point de com-
munes. Ignace, après l'expérience de tant d'années, savait trop
combien elles sont précieuses et profitables, pour laisser de côté
un des moyens les plus efficaces de la perfection personnelle et de
l'influence apostolique ; il les a donc de fait établies, mais, tandis
que dans les autres Ordres elles sont fixées communément à tous
par la règle, il a voulu que dans la Compagnie elles fussent fixées
à chacun par le supérieur.
Les vœux simples des scolastiques furent l'objet de nombreuses
attaques, surtout en France. Suarez a victorieusement répondu à
toutes les objections. La Compagnie (on ne saurait trop le redire)
est un Ordre de clercs et de prêtres. Or c'est un usage ancien
dans l'Église, et recommandé par plusieurs conciles, d'avoir dans
chaque diocèse des maisons pour former à la vertu, aux lettres et
à la science la jeunesse destinée à la cléricature et au sacerdoce2.
Mais pourquoi, dira-t-on, la Compagnie veut-elle que ses scolas-
tiques lui soient attachés par des vœux? — C'était convenable et
moralement nécessaire, répond Suarez, et pour le bien des mem-
bres et pour la conservation de tout le corps : pour les membres,
car différer leur consécration à Dieu, jusqu'à la fin de leurs études,
était les priver trop longtemps de beaucoup de grâces et avan-
tages spirituels, et par suite les exposer au danger d'inconstance ;
pour la Compagnie , car si les étudiants n'étaient pas liés par
l'obligation de rester dans son sein, elle s'exposerait à perdre,
par leur sortie après leur formation, le fruit de sa sollicitude et
de ses peines8.
D'ailleurs les jeunes gens qui ont la vocation religieuse, n'ac-
cepteraient pas de reculer si loin l'accomplissement de leurs
désirs. Sans la pauvreté, ni la chasteté, ni l'obéissance, leur
direction et leur éducation spirituelle deviendraient fort diffi-
ciles; puis leur participation à la vie commune des autres reli-
l. Ex. gen., c, i, n. 6.
'2. Suarez, De religionc S. /., 1. III, c. i, n. 3. — 3. lbiil., n. i.
124 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
<Aeu\ aurait quelque chose d'anormal et de pénible, s'ils ne leur
étaient pas unis en même temps par les liens substantiels de la
religion l .
Très bien, objecte-t-on, mais pourquoi l'obligation n'est-elle
pas mutuelle? — Tout d'abord, il y a de la part de la Compagnie
aussi une réelle obligation, toute relative et conditionnelle qu'elle
soit. Le scolastique, il est vrai, ne sera admis à l'incorporation
définitive que si le P. Général l'en juge digne2; mais la Compa-
gnie ne peut licitement le renvoyer sans un motif grave et légi-
time. En outre, cette différence dans l'obligation des deux parties
contractantes n'est pas contre la justice : scienti et volenti nui/a
fit injuria; elle n'est pas non plus contre la charité, puisqu'elle
tend au bien de l'individu et de la société tout entière.
On a objecté encore que nos scolastiques n'étaient pas reli-
gieux. C'est une erreur, car le scolastique se donne totalement
et perpétuellement à Dieu, par les trois vœux substantiels, dans
une religion approuvée et suivant la forme autorisée par l'Église :
il a donc tout ce qui constitue essentiellement l'état religieux. Il
appartient si bien à la Compagnie, que celle-ci acquiert sur lui
des droits qu'elle ne peut avoir que sur ses membres. Les Souve-
rains Pontifes n'ont jamais fait à cette constitution la moindre
difficulté, et Grégoire XIII, par deux Bulles'1, a tranché définiti-
vement la question. Il la traite à fond dans la Bulle Ascendente
Domino et conclut ainsi : « Nous déclarons que les scolastiques
et autres qui, après le noviciat, émettent les trois vœux substan-
tiels quoique simples, sont vraiment et proprement religieux,
doivent être regardés comme tels par tous et toujours, absolument
comme les profès"' de cette Société et des autres Ordres, doivent
obéira leurs supérieurs en toutes choses et dépendre immédiate-
ment du Saint-Siège...; enfin qu'ils sont participants à tous les
privilèges de la Compagnie, et passibles de l'excommunication
majeure et autres peines réservées aux apostats, s'ils viennent
d'eux-mêmes à l'abandonner. »
Nous signalerons en dernier lieu, parmi les constitutions de la
Compagnie de Jésus qui furent particulièrement critiquées, celle
qui regarde son mode de gouvernement. La suppression du sys-
1. Ibid., n. 4. 5.
'>. « Quantum praepositus generalis eos in Societate retinendos consuerit » (Bulle
Ascendente Domino).
3. Suarez, l.c, cap. i, n. 6; cap. n, passim.
î. Quanto fniclnosius, 1er fév. 1583; — Ascendente Domino, 25 mai 158».
5. « Non secus atque ipsos professos. »
LES CONSTITUTIOiNS. 12:;
tème capitulairc, la nomination des provinciaux et supérieurs
locaux par le Général, la décision dernière prise par lui seul
dans les affaires importantes, par les provinciaux ou autres supé-
rieurs dans les affaires de leur ressort, tirent crier au despotisme :
on y vit la porte ouverte à des abus insupportables. Nous avons
déjà exposé comment le fondateur avait justement fermé cette
porte, par le système d'assemblées consultatives et la surveillance
exercée sur les supérieurs, dont le Général seul est nommé à vie.
Il n'y a pas d'exemple, dans notre histoire, que la Compagnie ait
jamais eu à se repentir du gouvernement établi par saint Ignace.
On y a trouvé au contraire de nombreux avantages-. Il est d'ail-
leurs assez semblable à celui de la sainte Église où le Pape a l'au-
torité suprême.
Et, comme dans l'Église la soumission au Saint-Siège est la
vertu propre du catholique, celle qui l'unit le plus de cœur et
d'esprit à la chaire de Pierre, de même l'obéissance, — Ignace
lui-même le déclare, — est « la marque qui distingue les vrais
et légitimes enfants de la Compagnie de ceux qui ne le sont pas ».
Et il ajoute : « Souffrons, j'y consens, que d'autres Ordres religieux
nous surpassent en jeûnes, en veilles et autres austérités du corps
que chacun d'eux pratique saintement selon l'esprit de sa règle ;
mais pour ce qui regarde la perfection de l'obéissance, le renon-
cement entier à la volonté et au jugement propre, je désire vive-
ment que tous ceux qui servent le Seigneur notre Dieu, dans cette
Compagnie, ne le cèdent à qui que ce soit1. »
Chef pratique et énergique, Ignace avait reconnu l'importance
de cette vertu en elle-même, et aussi son importance relativement
à la fin et à la forme de sa Compagnie de soldats au service de
Dieu. En elle-même, elle suppose l'abnégation totale, la parfaite
victoire sur soi, dernier mot des Exercices spirituels : « L'obéis-
sance seule, dit Ignace d'après saint Grégoire, produit et entre-
tient les autres vertus dans nos cœurs... Si elle fleurit en nous,
les autres y fleuriront infailliblement et y produiront des fruits
tels que le demande avec justice Celui qui s'est fait obéissant
jusqu'à la mort et à la mort de la croix 4. » Par rapport au rôle
d'une Compagnie consacrée à l'œuvre de la plus grande gloire de
Dieu, elle est la vertu fondamentale, celle qui permet au Vicaire
1. Institut. S. ./., t. I, p. 94.
2. Ces avantages sont exposés dans Suarez, op. cit.. 1 X, c. ni.
3. Lettre aux Pères du Portugal, 26 mars 1553 (Mon. Ign., ser. 1, vol. IV, p. 069
et suiv.). — 4. Ibid.
126 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
de Jésus-Christ de compter sur le dévouement de tout l'Ordre, et
au Général de prendre, n'importe où et n'importe quand, les
soldats les plus capables de remplir la mission que le Souverain
Pontife aura désignée, cette mission demanderait-elle le sacrifice
de leur vie pour le triomphe de la foi.
LIVRE II
L'ÉTABLISSEMENT EN FRANCE
(1540-1564)
CHAPITRE PREMIER
LE COLLÈGE DES TRÉSORIERS ET LE COLLÈGE DES LOMBARDS.
(1540-1549).
Sommaire : 1. Projets d'Ignace. Envoi d'une colonie d'étudiants de la Com-
pagnie au collège des Trésoriers, sous la conduite du P. d'Eguia. — 2. Jérôme
Domenech supérieur. Vocation de Jacques Miron. de Paul d'Achille et de Fran-
çois Strada. — 3. Transfert au collège des Lombards. Directions données aux
étudiants; leurs progrès. — 4. Nouveaux venus : Jean-Baptiste Viola, Emilien
de Loyola, Pierre Ribadeneira. — 5. Visite de Paschase Broet et de'Salmeron.
— 6. Edit de François F1'. Départ d'un groupe d'étudiants pour la Belgique
avec Jérôme Domenech. — 7. Paul d'Achille reste supérieur à Paris. Obéis-
sance des jeunes religieux. Ministères spirituels et leurs fruits. — 8. Le
P. d'Achille obligé de quitter Paris avec sa communauté. Vocation d'Emma-
nuel Miona. Court passage de Guillaume Posteldans la Compagnie. — 9. Retour
des étudiants à Paris. Le P. Viola leur supérieur; rénovation des vœux à
Montmartre.
Sources manuscrites : I. Archives va ti canes, manuscrits latins, t. VIII.
II. Bibliothèque nationale, ms. lat. 8,585.
III. Bibliothèque d'Académie royale à Madrid, mss. Pap. var., t. CIL
IV. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a Brevia et rescripta. — b) Dé-
créta et Instructiones. — c) Ribadeneira : Dialogos; Soliloquto y conl'esiones. — d) Po-
lanco : Sumario de las cosas mas notables que ;i la institucion y progreso de la Com-
pafiia di Jésus tocan.
Sources imprimées : Calendur of state papers, Henry VIII, t. XVII. — Cartas de San
Ignacio de Loyola. — Carias y ostros escrilos del B. P. Fabro. — Institution S. J. —
Memoriale B. P. Fabri. — Manare, De rébus S. J. commentarius. — Du Boulay,
Hist. univers. Paris. — Hansen, Rheinische akten zur Geschichlé des Jesui ténor dens.
— Hogan. Ibernia Ignatiana. — Ribadeneira, Vida del P. Ignacio. La vie et la mort
du P. Salmeron. — Carayon, Documents inédits, t. I. Commencements de la Compagnie
de Jésus. — Prat, Mémoires pour servir à l'histoire du P. Broet. — Monument a bistorh v
Soc. Jesu. Chronicon 8. J. — Epistolae PP. Broeli etc.. — Lit ter ae quadrimestres. —
Monumenta Ignatiana .Epistolae et instructiones; Scripta de S. Ignalio. — Monument''
Xaveriana.
1. Ignace de Loyola concevra un jour le projet de fonder,
uniquement pour les candidats à la Compagnie de Jésus, deux
128 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
grands collèges, l'un à Rome et l'autre à Paris '. Mais, dans les
débuts, il lui fallut envoyer ses jeunes religieux aux écoles alors
existantes. Dès le printemps de 1540, arrivèrent dans la capitale
de la France, sous la conduite du Père Jacques d'Eguia, tout un
groupe de jeunes gens, admis aux premières épreuves de l'Ins-
titut sans avoir encore achevé leurs études. Ignace les confiait
à la florissante Université, où lui-même et ses premiers compa-
gnons avaient conquis leurs grades académiques. Jacques d'Eguia,
leur supérieur, avait été son condisciple à celle d'Alcala; tous
deux s'étaient retrouvés à Venise, et Jacques avait lié son sort à
celui de la petite société naissante. Homme de talent, d'une par-
faite innocence de vie et d'une profonde humilité, il était digne
de présider à la formation religieuse et scientifique des premiers
étudiants de la Compagnie de Jésus2.
Nous ne connaissons pas le nombre exact ni tous les noms de
ceux-ci. Nous savons seulement qu'ils furent admis, comme bour-
siers ou portionisles, au collège des Trésoriers3. Ils étaient les
modèles de leurs camarades. Les jours de congé, on ne les voyait
point au Pré-aux-Clercs ni à d'autres réunions bruyantes. Ils
préféraient employer leurs loisirs à divers exercices de zèle,
surtout auprès des autres écoliers. Par leurs entretiens et leurs
vertueux exemples, ils en amenèrent plusieurs à se confesser et
à communier tous les huit jours. A l'église des Chartreux, où
ils allaient faire leurs dévotions, on voyait, rivalisant de piété
avec eux, les condisciples qu'ils avaient convertis à la ferveur4.
•2. Au mois de novembre 15i0, la petite communauté du col-
lège des Trésoriers s'accrut par l'arrivée d'un jeune prêtre, le
P. Domenech, qui venait de Rome amenant avec lui quelques
postulants. Ancien élève de l'Université de Paris, Jérôme Dome-
nech y avait connu Ignace et ses compagnons. Revenu en Espa-
gne, sa patrie, il y reçut le sacerdoce et fut pourvu d'un canoni-
cat. Peu après, songeant à retourner en France pour y compléter
ses études interrompues, il voulut d'abord visiter Rome et la
haute Italie. La Providence lui fit rencontrer, à Parme, Pierre Le
1. Lettre du P. Ponce Cogordan au P. Mercurian, citée par J.-M. Prat, Maldo-
nat et l'Université de Paris, p. 22, note 2.
2. Chronicon, I, p. 85. Monumenta lgnat., ser. 4\ I, p. 114, 141.
3. Epist. mixt., t. I, p. 58. Comm. de la Compagnie, p. 4. Ce collège, qu'on
appela d'abord du Trésorier, avait été fondé en 1269 par Guillaume de Saône,
trésorier de l'église de Rouen, pour 2i écoliers pauvres.
4. Chronicon, p. 85, 86.
LE COLLÈGE DES TRÉSORIERS. 129
Fèvre occupé avec Jacques Lainez à évangéliser cette ville. Sur
leur conseil il résolut de se retremper dans les Exercices spiri-
tuels, et pendant une fervente retraite, sous la direction de Pierre
Le Fèvre, il se sentit appelé par la grâce de Dieu à marcher
sur les traces de ses deux amis. Renonçant alors à continuer sou
voyage, il prit part avec eux aux travaux de la mission; puis il
se rendit à Rome auprès d'Ignace de Loyola. « Notre Père,
raconte Ribadeneira qui fit alors la connaissance de Jérôme
Domenech, lui témoigna une grande estime et une tendre affec-
tion à cause de la générosité dont il avait fait preuve, en sacri-
fiant ses espérances d'avenir à une société religieuse sans passé,
sans réputation, qui n'était pas encore confirmée solennellement
parle Saint-Siège1. » La considération de sa haute vertu déter-
mina le fondateur de la Compagnie à l'envoyer à Paris, pour
servir d'auxiliaire au P. d'Eguia qu'il remplaça au mois de mars
15412.
Tout animé de l'esprit du nouvel Institut, Domenech se donnait
sans repos à la régénération spirituelle des âmes par le moyen
des Exercices. Non seulement son zèle les rapprochait de Dieu,
il attirait aussi à la petite société d'Ignace des amis, des protec-
teurs et des recrues. C'est ainsi qu'il gagna l'atfection de Fran-
çois Le Picart, docteur en théologie, « très homme de bien », que
ses infirmités seules empêchèrent d'entrer au noviciat, et celle
de Maître Cornet, cordelier, « grand prédicateur de ce temps-
là 3 », qui plus tard, en diverses circonstances, prit ouvertement
la défense des Jésuites. Plusieurs élèves de l'Université, après
une retraite sous la conduite du P. Domenech, sollicitèrent et
obtinrent leur admission dans la Compagnie. Dans le nombre
nous mentionnerons Jacques Miron, qui devait être un jour supé-
rieur en Portugal et visiteur de plusieurs provinces. D'une noble
maison de Valence, unique héritier d'une belle fortune, très
versé dans les lettres latines et grecques, il était un étudiant
des plus distingués et des plus vertueux. Venu à Paris pour y
suivre les cours de philosophie, il avait connu Domenech pen-
dant le premier séjour de celui-ci dans cette ville. A présent,
retrouvant son ami transformé par la grâce de la vocation, il ne
vit plus en lui qu!un modèle et un maitre; il lui livra les secrets
de son âme et se décida bientôt à embrasser la même règle de
1. Lettre au P. Boldo (Mss. de la Bibl. d'Acad. de Madrid, Pap. var., 1-102, n. 56).
2. Le P. d'Eguia, rappelé à Rome, devint plus tard confesseur de saint Ignace
3. Chronicon, I, 94. Episl. mixt., I, 69.
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 9
130 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
vie. Admis à la partager avec les jeunes religieux du collège
des Trésoriers, il se fit remarquer par sa fidélité à Dieu, sa charité
pour les âmes et son adresse à les remettre sur la voie du salut.
Bien qu'il ne fût pas encore revêtu du sacerdoce, il entreprit la
conversion d'un malheureux prêtre dévoyé, d'abord célèbre
par quelques prédications retentissantes, puis tombé dans une
honteuse apostasie; il parvint à ranimer la foi de ce pauvre pé-
cheur, que l'on vit ensuite réparer ses scandales par l'austérité
de sa pénitence l.
Parmi les jeunes gens, prémices de la Compagnie de Jésus,
qui se trouvaient à Paris en 1541, on comptait, avec Jacques
Miron, un autre espagnol, François de Rojas; trois français,
Ponce Cogordan ', Jean Pelletier et Guy Roillet; plusieurs italiens
parmi lesquels se distinguait Paul d'Achille 3. jeune prêtre du
diocèse de Parme. Il avait d'abord partagé bénévolement les
travaux de Le Fèvre et de Lainez auprès du peuple de sa ville
natale; épris de leur genre d'apostolat, il partit pour Rome et se
présenta au Père Ignace qui le garda quelque temps près de lui,
le formant à la vie religieuse, puis l'envoya terminer ses études
en France.
C'était, en effet, le saint fondateur lui-même, qui désignait à
chacun des nouveaux venus le lieu qu'il jugeait le plus propre
à leurs progrès intellectuels. Vers le mois de mars 1541, il con-
fiait encore au P. Domenech deux espagnols, les frères François
et Antoine Strada 4. Le premier était destiné de Dieu à devenir
un éloquent prédicateur que l'Italie, la Flandre, l'Espagne et le
Portugal devaient admirer tour à tour. Entré, après de brillantes
études, au service du cardinal Caraffa, le futur pape Paul IV,
il ne rêvait que fortune et gloire. Une vie relativement tranquille
ne pouvant convenir à son ardente nature, il aspira bientôt à
une carrière plus mouvementée. Il se rendait à Naples pour
embrasser le métier des armes, quand il rencontra Ignace re-
venant du Mont-Cassin avec Ortiz, agent de Charles- Quint à
Rome. En homme désenchanté qui éprouve le besoin de s'épan-
cher dans le cœur d'un confident, Strada lui conta ses mésaven-
tures et ses projets. A la fin de cet entretien le jeune ambitieux
1. Chronicon, I, 94. Epist. mut., I, 56, 57, 60.
2. Ponce Cogordan était natif de la Provence.
3. On le trouve encore appelé Achilli, ou en latin de Achillis. La vraie forme de
son nom est d'Achille ou simplement Achille. C'est ainsi que lui-même signe ses
lettres, et les auteurs italiens, comme Allierli et Boero, ne l'ont jamais appelé au-
trement. — 4. Chronicon, I, 86. Epist. mioct., I, 52, 57, 59.
LE COLLÈGE DES LOMBARDS. ni
consentit, avant de tenter une nouvelle carrière, à examiner dans
la solitude quelle était sur lui la volonté de Dieu. Il découvrit
alors que sa place était dans la Compagnie de Jésus. Il y fut
reçu, et tout de suite montra, en plusieurs occasions, un rare ta-
lent d'orateur. Toutefois, ses dons de nature avaient besoin d'être
soutenus par la profondeur de la doctrine et la vigueur du rai-
sonnement. Ignace ne vit rien de mieux, pour parfaire son élo-
quence, que les cours de celte Université dont il avait lui-même
apprécié les savants professeurs; il l'envoya, avec son frère An-
toine, à Paris.
3. L'habitation au collège des Trésoriers étant alors devenue
insuffisante, le P. Domenech s'occupa de chercher un local plus
commode. Son choix se fixa sur le collège des Lombards. Fondé
par le descendant d'une noble famille florentine, André Ghini,
évêque d'Arras et de Tournai, plus tard cardinal, ce collège
avait été appelé dans l'acte de fondation, en 1330, maison des
pauvres italiens de la Charité de la Vierge Marie ~. Plusieurs
membres de la communauté du P. Domenech pouvaient préten-
dre, en leur qualité d'italiens de naissance ou d'origine, aux
bourses dont jouissait cet établissement. Le P. Supérieur fit va-
loir leurs titres et obtint à chacun d'eux le logement et quelques
secours pour leur entretien 3. Comme Ignace de Loyola et Pierre
Le Fèvre avaient autrefois partagé le logis de François Xavier
dans la tourelle de Sainte-Barbe, ainsi, dit un vieil historien.
« les pauvres escoliers italiens tenoient nos autres frères en leurs
chambres comme pensionnaires, sans donner à connaître aux
autres dudit collège qu'ils fussent religieux'1 ». Malgré de nom-
breux inconvénients, cette maison présentait de réels avantages
à des jeunes gens désireux de faire de rapides progrès dans la
science et la sainteté. Le collège des Lombards, un des plus ré-
guliers de l'Université, était de plein exercice. De plus, des
maîtres célèbres y donnaient souvent des leçons sur les matières
spéciales où ils excellaient. Angelo Canini et Guillaume Postel,
deux des plus savants hébraïsants de ce temps, y attiraient à
leurs cours particuliers bon nombre d'auditeurs d'élite. Les étu-
diants de la Compagnie se trouvaient donc là dans une situation
1. Polanco : Sumario de las cosas... Epist. mixl., I, 59.
2. Domus pauperum scholarium italorum de caritate Beatae Mariae. (Voir : Crevier,
Ilist. de l'Université de Paris.)
3. Leltre du P. Domenech à Ignace. Epist. mixt., I, 74. Cf. Chronicon, t. I, p. 417.
4. Commencements de la Compagnie (Carayon, Doc. inéd., t. I, p. 5, 6).
132 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
favorable pour élargir le cercle de leurs connaissances, et se li-
vrer avec plus de profit à tous les exercices de la vie scolaire
et ascétique l.
De loin, les premiers compagnons d'Ignace, anciens élèves de
l'Université de Paris, suivaient avec plaisir les progrès de leurs
jeunes frères. Le P. Domenech , resté en relations avec Pierre
Le Fèvre auquel il devait le bienfait de sa vocation, l'avait in-
téressé tout particulièrement aux affaires de sa communauté. Le
Fèvre, en retour, lui envoyait des encouragements et des conseils.
Ceux que nous lisons dans une réponse, datée de Ratisbonne le
12 mai 1541, révèlent la haute et sage direction donnée aux
premiers étudiants de la Compagnie. S'adressant à la fois au su-
périeur et à ses subordonnés, le fervent religieux leur disait :
« Que Jésus-Christ notre Rédempteur vous accorde à tous une
grâce abondante, afin que vous puissiez, sans dévier de votre
intention, diriger vos études vers le but que vous vous êtes pro-
posé, et jouir dans le Seigneur du triomphe que vous rempor-
terez, si l'esprit de la science n'éteint pas en vous l'esprit des
saintes pensées. Ce désir, qui est le mien et celui de toute la
Compagnie, s'accomplira facilement avec la grâce du Seigneur,
pourvu que le Maître suprême des connaissances soit toujours
votre Répétiteur : je veux dire l'Esprit-Saint, en qui tout ce que
l'on sait se sait bien, et sans lequel tout ce que l'on sait n'est pas
connu comme on devrait le connailre. Les paroles même tombées
de la bouche du Christ, le Maître par excellence, ont besoin des
explications de ce Répétiteur, selon cette sentence : Spirilus Sanc-
tus suggeret vobis omnia qusecumque dixero vobis2. Il ne dit pas
seulement suggeret, mais encore et premièrement docebit. Si
donc le Christ, notre Maître et notre lumière, veut que nous re-
courions au Saint-Esprit, non seulement pour la direction de la
volonté, mais aussi pour l'instruction de l'intelligence, combien
sera-t-il plus nécessaire d'y recourir, pour comprendre les le-
çons dictées par des maîtres inférieurs3? »
A ces instructions touchant la manière de sanctifier les études,
le P. Le Fèvre ajoute quelques détails sur les difficultés qu'il ren-
contrait en Allemagne, sur l'état des esprits trompés par l'héré-
sie, sur le retour d'un grand nombre d'égarés à la véritable
Eglise, et il en prend occasion d'exciter ses jeunes confrères au
1. Epist. mixt., I, p. 75, 79-84, 86; V. p. 628.
2. Sic dans le texte du B* Le Fèvre. Cf. Évang. de Saint Jean, xiv, 26.
3. Carias del B. Fabro, p. 84.
LE COLLEGE DES LOMBARDS. 133
zèle des âmes et à la pratique de la perfection : « Exhortez donc,
leur dit-il, les savants de Paris à se bien pénétrer de l'esprit qui
vivifie la science, en menant une vie tout â fait dévouée au Christ ;
car c'est le seul moyen de persuader la foi à ceux qui l'ont aban-
donnée. »
L'intérêt que Pierre Le Fèvre portait aux étudiants du collège
des Lombards ne se bornait pas à leur donner des conseils; il
le manifestait encore par les secours pécuniaires qu'il s'efforçait
de leur procurer. La charité du P. Domenech n'était pas moins
attentive à subvenir aux dépenses de sa famille religieuse. Des
bienfaiteurs généreux, avec lesquels il avait conservé quelques
relations, lui adressaient d'Espagne des aumônes, modestes mais
suffisantes. D'ailleurs Ignace lui-même, instruit par l'expérience
de son séjour à Paris, veillait avec une sollicitude paternelle sur
tous leurs besoins; il voulait qu'ils fussent à l'abri des soucis
matériels, afin de pouvoir se livrer à l'étude sans s'inquiéter du
lendemain.
k. Informé par le P. Domenech de leurs progrès et de leurs
vertus, il résolut d'envoyer au collège des Lombards de nouveaux
postulants, dont il avait commencé à Rome la formation spirituelle.
Au mois d'octobre 1541, peu de temps après l'ouverture des cours,
arrivèrent André Oviédo et Jean-Baptiste Viola, « l'un déjà maî-
tre es arts en l'Université d'Alcala, l'autre possédant assez bien la
langue latine1 ». Ils remplacèrent Jacques Miron, François de
Rojas et Ponce Cogordan, destinés à fonder, sous la direction de
Simon Rodriguez, le collège de Coïmbre, que Jean III, roi de Por-
tugal, voulait ouvrir à la Compagnie. Oviédo devait être un jour
le coadjuteur et le successeur de Jean Nuîiez, premier patriarche
d'Ethiopie. Quant à Viola, qui accompagnait Ignace dans les rues
de Rome lorsque celui-ci vit l'âme de Codure monter au ciel, nous
aurons l'occasion d'en parler assez longuement.
Un peu plus tard, deux autres jeunes gens, dont l'un était neveu
du fondateur de la Compagnie de Jésus, vinrent encore se joindre
au groupe dirigé par le P. Domenech. Dès 1532, nous l'avons vu2,
Ignace avait conseillé à son frère aine, Martin, seigneur de Loyola,
d'envoyer son fils Émilien à l'Université de Paris. Cependant le
jeune homme avait commencé ses études à Salamanque, où il
avait obtenu de grands succès. A la mort de Martin, Ignace écri-
1. Lettre d'Ignace à P. Le Fèvre (Mon. Ign., s. 1, t. I, p. 184).
'2. Liv. [, ch. 1, n. 6.
134 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉS1 S.
vit, au mois de septembre 1539, à son neveu Bertrand devenu
chef de la famille : « J'ai appris que votre frère Émilien est doué
d'un excellent esprit et plein d'ardeur pour l'étude. Je désirerais
qu'on se préoccupât sérieusement de ses dispositions. Si vous vou-
liez m'en croire, vous ne l'enverriez pas autre part qu'à Paris...
Il y a généralement parmi les étudiants de cette ville plus d'hon-
nêteté et de religion qu'ailleurs. C'est pourquoi, en ce qui me
concerne, je désire qu'il fasse ce voyage et que vous obteniez le
consentement de sa mère1. » Sur ces entrefaites, la Compagnie de
Jésus fut solennellement confirmée par le Saint-Siège. Le fonda-
teur écrivit alors d'envoyer son neveu à Rome où il désirait exa-
miner lui-même sa vocation2. Émilien aurait volontiers répondu
tout de suite au pressant appel de son oncle, mais il dut attendre
une année encore. Il partit enfin, en 1541, avec son cousin An-
toine Araoz. Tous deux, arrivés à Rome vers le commencement de
septembre, furent vite déterminés à entrer dans la Compagnie. En
annonçant cette grave décision à Bertrand de Loyola, Ignace, qui
persistait dans sa première idée, le pria de prendre toutes les
mesures nécessaires pour le séjour d'Émilien au collège des Lom-
bards : « Votre frère, lui écrit-il, partira de Rome avant l'ouver-
ture des cours. Il sera muni d'un passe-port de l'ambassadeur
français3, qui, très obligeant, nous accorde toujours cette fa-
veur. Il serait bon qu'à Pâques, et même avant son arrivée, sa
provision fût déjà à Paris, telle que vous aviez coutume de la lui
faire à Salamanque ou que vous la jugerez convenable. Si l'on
ne pourvoit rapidement à leur entretien, les étudiants ont bien à
souffrir dans ce pays5. »
Ignace attendait sans doute beaucoup des études faites à l'Uni-
versité de Paris, puisqu'il la choisissait pour ses jeunes parents et
pour les religieux de grande espérance. Il voulut procurer les
mêmes avantages à son enfant de prédilection, Pierre Ribadeneira.
Né en Espagne5, et ancien page du cardinal Alexandre Farnèse
auquel il avait été confié par sa pieuse mère, Pierre, sous les
dehors d'une vivacité pétulante jusqu'à l'espièglerie, cachait les
ressources d'une riche nature qui, bien dirigée, serait capable
1. Lettre à Beltran de Loyola (Mon. Ign., s. 1, t. I, p. 148, 149).
2. Cette lettre n'a pas été conservée; elle ne nous est connue que par celle du 4 oc-
tobre 1540 (Ibirf., p. 165-167).
3. C'était alors François de Rohan de Gié.
4. Lettre à Beltran de Loyola {Mon. Ign., s. 1, t. I, p. 189).
5. D'après le P. Astrain {op* cit., p. 206), Ribadeneira naquit à Tolède le 1er no-
vembre 1526.
LE COLLEGE DES LOMBARDS. 13Î5
de grandes choses. Ignace l'avait vite découvert, et prit un soin
particulier de la reforme de son caractère ardent et même indis-
cipliné. A pareille école, le jeune novice acquit peu à peu l'in-
telligence de la vie religieuse. Si, au moment d'entrer dans la
carrière des études, il manquait encore de maturité, sa vertu du
moins était assez généreuse pour qu'il affrontât sans crainte, à
l'âge de quinze ans et demi, un pénible voyage de plus de trois
cents lieues. Quelques Pères, craignant qu'il ne pût supporter les
fatigues d'un long trajet, avaient d'abord songé à lui procurer
une modeste monture. Lorsqu'ils en firent la demande à Ignace,
celui-ci répondit simplement : « Pierre fera ce voyage comme il
voudra, je le laisse libre ; mais, s'il veut être mon fils, il le fera à
pied comme les autres. » — « A ces paroles, dit Ribadeneira
dans ses Confessions, je compris la volonté de Dieu : elles suffi-
rent pour me déterminer à m'exposer à toutes les fatigues de la
route, et à partir plein de confiance dans les prières de notre
bienheureux Père qui nous envoyait au nom du Seigneur1. »
Dans sa Vie de Saint Ignace, il nous a décrit la manière de voya-
ger des premiers Pères de la Compagnie de Jésus. Ce récit, que
nous reproduisons dans le vieux langage d'un traducteur du dix-
septième siècle, nous apprendra dans quelles conditions il fit lui-
même le trajet de Rome à Paris avec Etienne Diaz, son com-
pagnon, et comment voyageaient aussi tous ceux qui étaient
envoyés au collège des Lombards. « Ils alloient tous à pied,
dit-il, habillés selon qu'il se rencontroit, car la Compagnie n'u-
soit point encore de robe aucune, laquelle fût commune à tous;
bien étoient d'ordinaire leurs accoutrements semblables en ce
qu'ils étoient tous fort pauvres et usés. Ils vivoient d'aumônes,
logeoient aux hôpitaux quand ils en pouvoient trouver. Que s'il
advenoit qu'ils ne trouvassent ni hôpital pour s'abriter, ni aumône
pour vivre, lors il leur étoit permis de se servir de quelque peu
d'argent, qu'ils portoient expressément pour s'en servir en sem-
blables nécessités et non autrement... Ils ne manquoient jamais
de prier Dieu à l'entrée et sortie des hôpitaux et autres logements
où ils alloient s'héberger. Ceux qui n'étoient pas prêtres se com-
munioient tous les dimanches, et quelquefois plus souvent. Ils
s'entretenoient en une grande paix et union par ensemble, tou-
jours joyeux et allègres, voire parmi leurs plus grands travaux,
si affectionnés ils étoient à endurer quelque chose pour l'amour
de Dieu. Ils avoient expresse ordonnance du Père de modérer
1. Soliloquio y confesiones.
130 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
leurs journées en telle façon que le plus faible de tous marchât
toujours le premier et donnât la loi de cheminer aux autres... Le
Père avoit aussi ordonné que, si quelqu'un tomboit malade durant
le voyage, ses compagnons demeurassent tous pour quelques jours
auprès de lui; mais si le mal alloit à la longue, que lors, celui
d'entre eux lequel seroit jugé le plus propre pour le gouverner,
demeurât avec lui, et que cependant les autres passassent outre
et continuassent leur chemin1. »
Partis de Rome le 13 avril 1542, Etienne Diaz et Pierre Riba-
deneira parvinrent au terme de leur voyage au bout de deux
mois, après des haltes multiples, nécessaires pour réparer les
forces du plus jeune. Leur arrivée au collège des Lombards por-
tait à seize le nombre des étudiants de la Compagnie qui suivaient
les cours de l'Université. Parmi eux se trouvaient sept espagnols
et un flamand; les autres étaient italiens ou portugais2. Tous,
fidèles aux instructions du P. Général si bien secondé par le
P. Domenech, rivalisaient de ferveur dans la piété et d'application
au travail. Par leur conduite édifiante et leurs succès scolaires ils
gagnaient l'estime de tous, maîtres et camarades. Cependant,
Etienne Diaz, d'un caractère un peu morose, ne persévéra pas
dans sa vocation; il quitta la vie religieuse, embrassa l'état mili-
taire, et mourut d'une blessure reçue dans un duel avec un de
ses compagnons d'armes !.
5. Dans le courant de l'année 154*2, la petite colonie du collège
des Lombards reçut la visite inattendue des PP. Paschase Rroet
et Alphonse Salmeron, deux des premiers disciples d'Ignace. Ils
revenaient d'Irlande, où ils avaient été envoyés en qualité de
nonces apostoliques, dans les difficiles circonstances créées à ce
pays par la rupture de Henri VIII avec le Saint-Siège. On sait que,
devenus vassaux de l'Angleterre, les catholiques Irlandais s'obs-
tinaient à ne pas renier la religion de leurs pères. Le roi apos-
tat, qui s'était enorgueilli du titre de Défendeur de la foi, sévis-
sait contre la nation la plus fidèle à Dieu avec une implacable
rigueur. L'archevêque d'Armagh, Robert Waucop, vint à Rome
plaider la cause de son peuple et exposer l'excès de ses souffran-
ces. Ému au récit de tant de malheurs, Paul III résolut de soute-
1. La vie du P. Ignace de Loyola (Arras, 1607), 1. III, c. v.
2. Lettre de Ribadeneira au P. Boldo sur la mort de Domenech, 6 février 1593
(Mss. de la Bibl. d'Acad. Madrid, t. Cil, n. 56).
3. Ribadeneira, Dialogos, I, exemplo 5.
LE COLLÈGE MRS LOMBARDS. 137
nir de son autorité les catholiques persévérants, ei de «oui battre
l'hérésie triomphante. Salmcron et Broet, munis des lettres du
Souverain Pontife l et des lettres privées d'Ignace, partiront de
Rome le 13 septembre 1541, accompagnés de François Zapata,
notaire apostolique, qui était sur le point d'entrer dans la Com-
pagnie. Ils traversèrent la France pour se rendre d'abord auprès
de Jacques V en Ecosse, et de là passèrent en Irlande, où, pen-
dant deux mois, ils furent exposés à toutes sortes de périls2. Le
Pape ayant appris que leurs têtes avaient été mises à prix, jugea
que le moment était mal choisi pour continuer une pareille mis-
sion et il les rappela en Italie. Les deux nonces retournant alors
en Ecosse s'y embarquèrent pour Dieppe, d'où ils se dirigèrent
sur Paris afin d'y attendre les nouveaux ordres du Souverain
Pontife3.
Au commencement de juillet 1542, après plusieurs mois de sé-
jour dans la capitale, les PP. Broet et Salmeron, laissant François
Zapata au collège des Lombards pour s'y perfectionner dans la
science de la théologie, s'acheminèrent vers Lyon, pauvrement
vêtus et sans le moindre viatique. Dans cette ville, où ils arrivèrent
le 29 juillet au milieu des préparatifs de guerre, on les prit pour
des espions et on les jeta en prison. L'arrestation des deux en-
voyés pontificaux ne pouvait que plaire à Henri VIII ; son ambas-
sadeur ordinaire, William Paget, s'empressa de la lui annoncer
dès le 31 juillet '*. Mais les cardinaux de Tournon et Gaddi, avertis
de la méprise, réclamèrent énergiquement la délivrance des deux
Pères et fournirent libéralement aux frais de leur voyage jusqu'à
Rome5.
6. Vers la fin de l'année scolaire, la studieuse communauté de
Paris se vit menacée dans son existence. Le 12 juillet, la guerre
fut déclarée entre la France et l'Empire. François 1", pour prix
des services rendus à Charles-Quint lors de la révolte des Gantois,
avait espéré en obtenir l'abandon du Milanais. Loin de céder ce
duché, l'empereur en donna l'investiture à son propre fils. Quel-
ques mois plus tard, deux agents français, revêtus d'un caractère
1. Brevia et rescripta, n. 13.
2. Lettre de saint Ignace aux PP. d'Italie, lor juin 1542 (Mon. Ign., s. 1, t. I, 203.
Cf. Hogan, The Irish Ecclesiastical Record (Dublin, 1870, n. 67 et suiv.).
3. Mon. Ignat., s. 1, t. I, p. 179, 183, 184, 202, 203. Chronicon, I, 96. Lettre de
Broet et Salmeron au cardinal de Sainte-Croix, 9 avril 1542 (Archiv. Vat., mss.
lat., t. VIII, n. 6210).
4. Calendar of slate papers, Henry VIN, t. XVII, p. 318.
5. Chronicon, I, 93. Hogan, Hibem. Ignat., 1, 8.
138 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
diplomatique, César Frégose et Antoine de Rincon, traversant le
Milanais, furent assassinés par la garnison de Pavie. François Ier
réclama, puis résolut de venger par les armes l'honneur de sa
couronne et son échec diplomatique. Trois armées attaquèrent à
la fois les états de Charles-Quint : l'une marcha vers les Pyrénées,
les deux autres entrèrent dans le Comté d'Artois et dans le Luxem-
bourg. Dès le début des hostilités, François Ier publia un édit, qui
enjoignait à tous les sujets de son rival de sortir du royaume
dans l'espace de huit jours, sous peine de la vie et de la confis-
cation des biens. Aucune exception n'étant faite en faveur des
étudiants des Universités, pas même celle de Paris, les espagnols
du collège des Lombards furent compris dans la proscription
générale1. L'Université recourut à de puissants intercesseurs
contre la sévérité d'un édit, dont l'effet inévitable serait la dé-
sorganisation même de l'enseignement. A la prière du Recteur,
Du Chesne, les cardinaux de Bourbon et de Meudon - représentè-
rent au roi que les étudiants de l'Université, protégés par leurs
privilèges, n'étaient jamais soumis à de semblables mesures.
François Ier, le père des lettres, faisant droit à leur demande,
exempta de la proscription non seulement les étudiants, mais
encore tous ceux qui avaient des emplois ou des dignités dans
le corps universitaire3.
Toutefois le P. Domenech n'avait pas attendu la décision royale
pour prendre les mesures de sûreté exigées par cette situation
critique. Après avoir consulté le premier président du Parlement,
qui n'osa se prononcer, il organisa le départ. Il divisa en deux
groupes les membres de la communauté, confia ceux qui pou-
vaient rester au P. Paul d'Achille, et se chargea lui-même de
conduire les autres à la frontière la plus voisine 4. Ribadeneira,
qui faisait partie de cette caravane, raconte qu'elle se mit en route
le 2i juillet pour la Belgique, emportant seulement de quoi sub-
venir aux dépenses du voyage et aux frais du premier établisse-
ment; elle se composait, y compris Ribadeneira, de neuf person-
nes : le P. Jérôme Domenech et un Père flamand nommé Laurent
Deltz, François et Antoine Strada, Émilien de Loyola, André
Oviédo et Jacques Spech; de plus, un jeune étudiant catalan qui
était comme à leur service.
1. Chronicon, I, p. 102:
2. Antoine Sanguin, évêque d'Orléans, fils du seigneur de Meudon (Gallia C h ris-
tiana, Vill, p. 1483).
3. La lettre du roi en réponse à la requête des cardinaux est citée par Du Boulay,
Hist. univers. Paris., VI, 379. — 4. Epist. mixt., I, 101. Chronicon, I, 102.
LE COLLÈGE DES LOMBARDS. 139
Une distance d'environ quarante lieues les séparait de la fron-
tière de Flandre. Les hostilités étant ouvertes, le pays était sillonne
de troupes qui, sous les ordres du duc d'Orléans, se rendaient sur
le théâtre de la guerre aux confins du royaume. Des bandes de pil-
lards parcouraient les campagnes où ils exerçaient impunément
leur coupable industrie. Au milieu de dangers de toutes sortes, nos
pauvres voyageurs qui craignaient de voir expirer, avant leur
sortie de France, le délai fixé par l'édit royal, ne prenaient pas
même le temps de se reposer dans les hôpitaux ou dans quelque
monastère. Ils se contentaient d'acheter quelques morceaux de
pain, qu'ils mangeaient à la hâte sans s'arrêter : « Quoique réduits
à faire ce voyage à pied, dit Ribadeneira, et malgré le jeûne que
nous voulûmes observer à cause de la vigile de notre apôtre saint
Jacques, nous arrivâmes à la frontière le 26, jour de la fête de
sainte Anne, après avoir franchi un espace de plus de trente-huit
lieues; car l'édit du roi, aussi pressant que rigoureux, nous me-
naçait de la peine de mort, si la fin du dernier jour de délai ne
nous trouvait pas hors des limites du royaume. Nous n'en fûmes
même pas quittes pour la peur, car nous essuyâmes toutes sortes
de tracasseries de la part du gouverneur d'Amiens, qui faisait
mine de vouloir nous arrêter et mettre en prison, et d'un autre
officier qui prétendait nous obliger à prendre un autre chemin.
Mais le Seigneur nous donna tant de force et de courage, que nous
pûmes marcher avec une vitesse qui nous permit de surmonter
tous ces désagréments, et bien d'autres, et d'arriver enfin à la
frontière des Pays-Bas *. »
Parvenus le -27 à Arras, les voyageurs trouvèrent la vieille ca-
pitale de l'Artois, ainsi que tout le pays environnant, dans une
grande perturbation causée par le voisinage de l'ennemi. Cette
ville ne pouvait offrir à des étrangers un séjour tranquille et sûr.
Ils prirent alors le chemin de Bruxelles. De là ils devaient se
rendre à Louvain pour y continuer leurs études; mais l'armée
du duc de Clèves, alliée de la France, menaçait la ville, et
des bandes de soldats indisciplinés ravageaient tout le Bra-
bant. Force fut donc d'attendre quelque temps. « Les ennemis
ayant cessé de battre et de piller les environs de Louvain, ra-
conte Pierre Ribadeneira, nous nous y rendîmes le 5 du mois
d'août, et nous trouvâmes les écoliers et les religieux encore
formés en escouades pour la garde de la cité. Enfin l'ordre suc-
1. Soliloquio y confesiones.
140 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
céda aux troubles et aux alarmes, et nous pûmes nous établir
auprès du couvent des religieux de Saint-François, dans une
maison louée par le P. Domenech, notre supérieur... Nous for-
mâmes ainsi en Belgique la première communauté de la Com-
pagnie, qui plus tard en eut dans ce pays de si florissantes1. »
L'Université de Louvain, depuis longtemps célèbre par ses Fa-
cultés de droit et de théologie, possédait à cette époque, dans
son collège des Trois Langues, ouvert en 1518 par Jérôme de
Busleiden, une des meilleures écoles littéraires de l'Europe. Cette
réputation justement méritée, tout autant que la proximité de la
frontière, avait engagé le P. Domenech à conduire là ses jeunes
religieux.
7. Cependant, les huit étudiants restés au Collège des Lom-
bards, sous la direction du Père Paul d'Achille, regrettaient vive-
ment l'absence de leurs frères et se demandaient avec inquiétude
s'ils trouveraient une sécurité suffisante sur la terre d'exil. Par
d'activés démarches auprès de puissants protecteurs, ils obtinrent
pour eux un sauf-conduit, qui faciliterait leur retour en France.
Personne ne put en profiter, mais le P. Domenech appelé à Rome
par le P. Général lui communiqua la bonne nouvelle. Ravi des
sentiments qui avaient inspiré la conduite des étudiants de Paris,
Ignace leur en témoigna sa satisfaction. Il leur apprit en même
temps que plusieurs de leurs frères de Louvain étaient déjà des-
tinés au nouveau collège de Coïmbre. Afin d'éprouver leur obéis-
sance, il leur demanda s'ils étaient prêts à se rendre soit à Rome,
soit en Portugal, soit ailleurs, ou à continuer leurs études dans
l'Université de Paris. Tous répondirent avec joie qu'ils iraient
n'importe où, même aux Indes, à pied et en mendiant pour l'a-
mour du Seigneur'2. Aucun départ n'eut lieu en ce moment, et les
vides produits dans la petite communauté par l'émigration fu-
rent bien vite comblés. Elle s'accrut de cinq nouveaux membres,
parmi lesquels un maître es arts, régent de l'Université".
Il nous reste peu de lettres d'Ignace aux étudiants de Paris;
nous savons cependant quel intérêt il prenait à leurs travaux,
donnant lui-même à chacun la direction appropriée à ses besoins,
comme on le voit par une réponse adressée au P. Viola. Celui-ci,
parait-il, n'avait pas trouvé dans le cours qu'il suivait tout le
profit attendu, et il avait écrit à son Père Général : « J'ai bien
1. Soliloquio y confesiones. Epist. Mixt., I, 100. Manare, De rébus Soc. Jesu, p. 1
2. Chronicon, I, 117-118. — 3. Mon. Ign., s. 1, t. 1, p. 252.
LE COLLEGE DES LOMBARDS. 141
du regret d'avoir perdu mon temps, pendant huit mois, en écou-
lant les leçons de mon maître. Daignez me dire, je vous prie, si
je dois en changer ou me résigner à perdre mon temps. Si vous
croyez que les choses doivent demeurer ce qu'elles sont, je con-
tinuerai comme j'ai commencé, pour vous obéir, car j'aimerais
mieux mourir que de ne pas me soumettre à l'obéissance. » La
réponse d'Ignace est pleine de sagesse et de fermeté : « Je me sou-
viens très bien, lui dit-il, de la ligne de conduite que je vous
avais tracée. Je vous avais conseillé de vous remettre à l'étude
du latin pendant quatre ou cinq mois, et d'en consacrer deux ou
trois autres aux principes de la logique; après quoi, vous vous
seriez trouvé en mesure de suivre un cours régulier l'année sui-
vante. Entrer dans un nouveau cours, deux mois après qu'il est
commencé, ne serait-ce pas faire votre volonté plutôt que la
mienne? Jugez vous-même à qui vous devez attribuer votre perte
de temps ' . »
Tout en faisant du progrès dans la science le but principal de
leurs efforts, les jeunes religieux du collège des Lombards n'ou-
blient point leur devoir d'apôtres, par le bon exemple toujours,
et même par l'action directe, quand ils le peuvent. Grâce à eux,
beaucoup d'écoliers contractent l'habitude de s'approcher souvent
des sacrements de Pénitence et d'Eucharistie. Leur supérieur
surtout, le P. Paul d'Achille, se livre avec ardeur aux fonctions
du saint ministère. Plusieurs conversions, rapportées par le P. Po-
lanco et le P. Orlandini, sont la récompense de son zèle aposto-
lique : c'est un religieux augustin, bachelier de théologie et pré-
dicateur distingué, mais dont la piété n'était point à la hauteur
du talent, qui gagné par ses aimables conseils retrouve dans les
Exercices spirituels la ferveur de son saint état; — c'est un noble
Savoisien, pourvu de riches bénéfices, qui les abandonne et em-
brasse la pauvreté dans la Compagnie de Jésus; — c'est un jeune
prêtre français qui, formant le même dessein et arrêté par sa
famille, brise courageusement ses liens. Ce dernier pour répon-
dre à l'appel de Dieu, eut recours à un ingénieux expédient.
Profitant du passage à Paris du cardinal Marco Marini, patriarche
d'Aquilée, envoyé par Paul III comme nonce en Ecosse, il se fit
admettre dans sa suite ; il espérait retourner avec lui à Rome où
il irait alors s'offrir au Père Ignace. Polanco, qui raconte ce fait,
ne nous dit pas si le jeune prêtre parvint au but de ses désirs,
1. Ibid., p. 229.
142 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
mais il nous le montre travaillant en Ecosse, comme un vrai mis-
sionnaire de la Compagnie, à combattre l'hérésie et à défendre
la religion catholique '.
S. La tranquillité dont jouissait la communauté de Paris, au
milieu des alternatives de succès et de revers que subissait la
lutte entre François Ier et Charles-Quint, ne fut pas de longue du-
rée. Les hostilités redoublèrent d'animosité lorsque le roi d'An-
gleterre, que les affaires d'Ecosse avaient irrité contre le roi de
France, se jeta dans les bras de l'empereur. Henri VIII avait offert
de fiancer Marie Stuart, encore au berceau, au prince Edouard
son fils, héritier du trône; mais la régente Marie de Lorraine,
française de cœur et très attachée à l'Église catholique, avait re-
poussé toute proposition d'alliance avec un prince schismatique.
Froissé de ce refus, le roi d'Angleterre pénétra en Picardie tandis
que Charles-Quint entrait en Champagne. Pour défendre ces deux
provinces contre de si redoutables adversaires, François Ier se
mit lui-même à la tête de son armée. L'absence du roi et les
sinistres nouvelles, répandues de toutes parts, jetèrent l'alarme
dans la capitale et causèrent dans l'Université une telle panique
qu'il fallut interrompre les cours. Le P. Paul d'Achille, par
crainte d'un siège, crut prudent de sortir de Paris avec tous ses
religieux. Ils se réfugièrent à Lyon, en attendant que la paix leur
permit de retourner au collège des Lombards2.
Au nombre des é migrants se trouvait un docteur de l'Univer-
sité, Emmanuel Miona, agrégé depuis peu à la Compagnie. Il y a
laissé un nom si vénéré, comme confesseur d'Ignace en Espagne
et en France, que nous ne pouvons nous dispenser de faire con-
naître l'origine de sa vocation. Né en Portugal dans la province
des Algarves, Miona était déjà prêtre et professeur à Alcala quand
Ignace vint étudier à l'Université de cette ville. Ils conçurent
l'un pour l'autre une vive sympathie et une tendre affection, que
rien ne fut jamais capable d'amoindrir. Ignace lui avait remis
en toute confiance le soin de son âme. Lorsqu'il se rendit à l'Uni-
versité de Paris, Miona l'y suivit avec l'intention de le seconder
dans ses projets, sans toutefois se croire appelé à s'y associer
lui-même. C'est en vain que plus tard, en 1536, Ignace lui écrivit
de Venise une lettre touchante, où le remerciant avec reconnais-
1. Chronicon, I, 139.
2. Ibid. Ce ne fut pas à la suite d'un édit, comme le prétend Polanco, mais vo-
lontairement que cette fois les Pères quittèrent Paris.
LE COLLEGE DES LOMBARDS. L43
sauce de son ancien attachement, il l'exhortait encore à faire du-
rant un mois les Exercices spirituels1; Miona s'en tenait à favo-
riser l'œuvre et les nouveaux disciples de sou saint ami. De
même, dans la suite, il montra le plus grand intérêt aux jeunes
étudiants envoyés au collège des Trésoriers puis à celui des Lom-
bards, et il leur donna en toute occasion des preuves de son dé-
vouement. Un jour, enfin, il se sentit attiré par la grâce à l'Ins-
titut nouvellement approuvé du Saint-Siège. Les circonstances
difficiles que traversaient alors les Jésuites de Paris, ne l'empê-
chèrent point d'obéir sans retard à la voix de sa conscience. Il
était à peine parmi eux qu'il dut émigré r et les suivre à Lyon.
Quand le P. Paul d'Achille fut appelé de cette ville à Rome, le
nouveau novice l'y accompagna, désireux de recevoir les leçons
de son ancien pénitent devenu Général de la Compagnie de
Jésus; il fit à son école de tels progrès dans la perfection qu'il
parut bientôt un modèle de toutes les vertus.
A Rome, le P. Paul d'Achille retrouva, également parmi les
novices, un célèbre professeur de l'Université de Paris, Guil-
laume Postel, un des plus savants hommes de son temps, que
Marguerite de Valois appelait la merveille du monde. Comme il
enseignait l'hébreu au collège des Lombards, ses fonctions lui
fournissaient une continuelle occasion de voir et d'apprécier les
disciples d'Ignace. Il fut si frappé de leur modestie et de leur
ardeur au travail, qu'il se faisait souvent un plaisir de participer
à leurs exercices de piété ou de se mêler à leurs récréations.
Plusieurs fois, il exprima au P. Jérôme Domenech et au P. Paul
d'Achille le bonheur qu'il éprouverait à vivre sous la même
règle; mais ni l'un ni l'autre, à cause de certaines exagérations
dans ses idées, n'osèrent lui promettre de satisfaire son désir.
Au milieu du carême de 1544 3, Postel partit pour Rome afin d'ob-
tenir d'Ignace lui-même la faveur d'être reçu dans la Compa-
gnie. Soumis aux premières épreuves de la vie religieuse, il y
montra tant de docilité qu'on ne s'aperçut pas d'abord des tra-
vers de son esprit. On admirait « cet homme de trente-cinq ans,
lecteur royal à Paris et bénéficier, bon maître es arts, très versé
dans les langues », qui pour Jésus-Cbrist « avait laissé sa chaire
1. Mon. Ign., s. 1, t. I, p. 111-113.
2. Voir sur ce personnage la thèse de G. Weill, De (lulielmi Postelli vita et
indole.
3. Ribadeneira, si bien placé pour être exactement renseigné, donne cette date.
Nous la préférons à celle de 1543 que proposent les éditeurs des Gartas de S. Igna-
cio (p. 168). Voir au même sujet Mon. Ignat., s. ia, t. I, p. 2 48-253, notes.
I fc4 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
et ses bénéfices », et que Ton voyait maintenant avec une joyeuse
humilité « servir à la cuisine, et prêcher sur les places publiques
à la grande édification de tous 1 ».
Guillaume Postel s'intéressait beaucoup aux étudiants du col-
lège des Lombards; il aimait à parler deux aux Pères de France
que leurs affaires amenaient en Italie. Le P. Domenech lui ap-
prit ce qu'étaient devenus ceux qui avaient émigré à Louvain.
Le P. Paul d'Achille lui raconta la seconde dispersion, l'arrivée
et le séjour à Lyon. Tous faisaient des vœux pour une prompte
conclusion de la paix. Elle fut signée entre les plénipotentiaires
de François Ier et de Charles-Quint, à Crespy, le 18 septembre
1544- : les renonciations réciproques, faites dans les traités pré-
cédents, furent renouvelées, et les places conquises pendant la
guerre restituées de part et d'autre. Le calme renaissait au sein
de l'Université comme dans tout le royaume. Quelques-uns des
étudiants réfugiés à Lyon purent donc retourner en sécurité,
sous la conduite des PP. Viola et Pelletier, au collège des Lom-
bards; le P. Paul d'Achille vint, bientôt après, reprendre auprès
d'eux sa charge de supérieur.
Avant leur retour à Paris, Guillaume Postel s'était empressé
de les recommander à l'un de ses anciens condisciples, jouissant
déjà d'une grande considération et qui, lui aussi, avait souvent
admiré le zèle et la piété des jeunes étudiants. C'était Nicolas
Psaume, alors abbé de Saint-Paul de Verdun et plus tard suc-
cesseur du cardinal Jean de Lorraine sur le siège épiscopal de
cette ville. La lettre que lui envoie Postel. à ce sujet, montre
bien l'affectueuse estime de ce dernier pour la Compagnie et ses
œuvres : « Comme vous, lui écrit-il, nous avons profondément
regretté que les rigueurs de la guerre aient interdit à nos frères,
sous prétexte d'une nationalité étrangère, le séjour de Paris
qu'ils habitaient. Il faudra donc restaurer ce qu'ils y avaient
établi avec tant d'intelligence et de succès; car, avec eux, ont
disparu ces nombreuses réunions de fidèles qui, selon l'usage
de la primitive Église, les suivaient à la Table sainte. Daigne
le Tout-Puissant les réunir de nouveau avec ceux qui les avaient
formés! J'espère que nous jouirons bientôt de ce spectacle, s'ils
peuvent remettre les pieds dans leur demeure... Je vous prie et
vous conjure d'aider nos frères proscrits en tout ce que vous
1. Lettre envoyée de Rome aux PP. d'Espagne, sans date, et qui a donné lieu aux
discussions ci-dessus (Mon. Fgn., s. 1, t. I, p. 248-253).
2. Chronicon, I, 139, 156.
LE COLLEGE DES LOMBARDS. 145
pourrez, de leur accorder le secours de votre autorité, de vos
conseils, de vos aumônes, afin qu'ils puissent rentrer et repren-
dre leur sainte entreprise'. »
Guillaume Postel, singulier mélange d'admirables qualités et
de tendances excentriques, ne put, malgré son ardent désir,
rester longtemps dans la Compagnie. « Il fut renvoyé, dit un
ancien annaliste, pour ce qu'enflé de soy-mesme, il faisoit du
prophète et bastissoit nouvelles opinions2. » Les débuts si rudes
de sa carrière, dont il ne triompha qu'à force de constance et
d'énergie, ses privations et ses veilles, les fatigues d'un long
voyage en Grèce, en Syrie et en Asie Mineure à la recherche de
précieux manuscrits, avaient affaibli ses organes et disposé son
esprit à de folles visions qui firent le tourment du reste de sa vie.
Il forma le projet de réunir tous les peuples sous l'autorité spi-
rituelle du Pape, par les conquêtes du roi de France, à qui ap-
partenait la monarchie universelle comme descendant de Japhet,
fils aine de Noé; mais il fallait ouvrir les voies au monarque
français par la conquête des cœurs!... Toutefois, s'il débita mille
extravagances, il n'eut pas l'opiniâtreté qui fait les sectaires.
Après avoir quitté la Compagnie, il continua de l'aimer, et mou-
rut à Paris vers l'an 1580. En censurant ses écrits l'Église con-
firma le jugement porté par Ignace sur l'homme lui-même 3.
9. Après son retour de Lyon, la communauté de Paris reprit
sa régularité de vie ordinaire. Les PP. Pelletier et Viola, revêtus
du sacerdoce, devinrent d'utiles auxiliaires pour leur supérieur
dans les travaux du ministère apostolique. De nouveaux étu-
diants comblèrent les vides laissés par les départs successifs. A
l'exemple de leurs prédécesseurs, ils partageaient leur temps
entre les études philosophiques ou théologiques, les exercices
de piété et les œuvres de l'apostolat auprès de la jeunesse des
écoles. Des réunions organisées dans l'église des Chartreux atti-
rèrent les élèves les plus vertueux, plusieurs puisèrent dans la
fréquentation des sacrements le désir de la perfection évangé-
lique, et entrèrent dans la vie religieuse4.
1. Traduit de l'original latin (Bibl. nat., inss. latins, 8,585, fol. 36). Cette lettre a
été publiée par le P. Prat, Mémoires sur Broet, p. 182, 183.
2. Commencements de la Compagnie (Carayon, Doc. inédits, I, 5).
3. Chronicoit, I, 149. Cartas de S. I<jn., I, 219. Script, de S. Ign., I, 708-712.
Ribadeneira : Dialogos. — Le ms. français 23,969 de la Bibl. nat. contient un r6cit
détaillé de la mort de Postel.
4. Lettre du P. Paul d'Achille au P. Léonard Kessel, 11 avril 1547, dans Hansen,
Rheinische aklen, n. 46.
COMPAGNIE DE JÉSLS. — T. I. 10
146 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
La colonie du collège des Lombards, comme une ruche qui es-
saime, fournissait au P. Général un personnel de choix pour les
établissements formés en différentes contrées de l'Europe. C'est
ainsi ({lie Pierre Chanal et Jean de la Goutte devinrent professeurs
de belles-lettres au collège de Valence en Espagne, fondé par le
P. Domenech dans sa ville natale '. Au commencement de l'année
1548, le P. Paul d'Achille, rappelé à Rome, fut remplacé comme
supérieur par le P. Jean- Baptiste Viola qui suivait encore les cours
de l'Université. L'année suivante (154-9), sur la demande du
P. Ignace réclamant des professeurs pour l'enseignement du grec
et de l'hébreu, quatre étudiants partirent pour l'Italie; c'étaient le
P. Jean Pelletier, Guy Roillet, Jean Forcade et Nicolas Morel, tous
maîtres es arts. Le nombre des membres de la communauté n'en
fut pas diminué, car la Compagnie se répandait et prospérait de
plus en plus : quatre nouveaux remplacèrent aussitôt les partants
et un cinquième arriva de Louvain peu après2.
La fin de cette année 1549 devait laisser un bon souvenir aux
scolasliques du collège des Lombards. Le 21 novembre ils prirent
part à une cérémonie que le P. Polanco nous signale dans le
Chronicon, sans doute à cause de sa solennité imprévue. Ils s'é-
taient rendus ce jour-là à Montmartre, pour y renouveler leurs
vœux dans la chapelle du Martyre. Contre leur attente, ils y trou-
vèrent un bon nombre de pèlerins et, entre autres, les fidèles qui
d'ordinaire s'adressaient à eux pour les sacrements. Les treize
étudiants de la Compagnie prononcèrent la formule de leurs vœux
devant ces témoins, « qui en furent très édifiés ; ».
Le P. Polanco, malheureusement, ne nous dit point la teneur
de cette formule, particularité qui nous intéresserait cependant,
car, jusqu'en 1550 au moins, cette formule a dû varier suivant les
pays et les circonstances.
Le lecteur se rappelle ce que nous avons dit au chapitre des
Constitutions, sur les vœux simples des scolastiques 4. Lorsque, le
30 septembre 1545, Ribadeneira les fit àSaint-Paul-hors-les-murs,
en présence de son Père Ignace, il employa une formule assuré-
ment approuvée, sinon rédigée, par le fondateur. En voici la
partie principale : « Je fais vœu... de pauvreté et de chasteté per-
pétuelles 5 et d'être de la Compagnie de Jésus, notre Créateur et
1. Doc. mss. sur le coll. de Valence aux arch. de l'Acad. roy. à Madrid. — Voir
Epist. mixt., t. I, lettres des PP. Myron et Oviédo.
2. Chronicon, I, 296, 419. — 3. Ibid. — 4. Liv. I, ch. v, n. 6.
5. On remarquera que dans cette formule il n'est pas question du vœu d'obéissance.
Quant à celui de pauvreté il était expliqué un peu plus bas par ces mots : « J'entends,
LE COLLÈGE DES LOMBARDS. 1 47
Seigneur, après avoir terminé mes études, si la Compagnie, mal-
gré mon indignité, veut me recevoir. » On ne saurait affirmer
que cette formule fût officielle et employée partout; nous allons
même en avoir à citer de toutes différentes pour les années qui
suivent.
Au mois de juin 1546, Ignace obtenait du pape Paul III une mo-
dification importante à la Bulle d'approbation de la Compagnie.
Dieu, en effet, avait montré par les événements que cet ordre
nouveau d'ouvriers apostoliques ne devait pas être restreint à une
soixantaine de profès, comme la Bulle Regimini l'avait déclaré.
Dès 1543, sur la demande du fondateur, le pape avait accordé
qu'on en reçût un nombre illimité *. Mais il jugea bientôt, comme
Ignace, que ce n'était pas encore assez. Des postulants se présen-
taient, capables de travailler à la gloire de Dieu dans l'esprit de
l'Institut, sans pouvoir atteindre cependant cet ensemble idéal de
science et de vertu tracé aux profès; par ailleurs, des ministères
étaient offerts à la Compagnie qui n'exigeaient point la réalisation
de cet idéal. La Bulle Exponi nobis (5 juin 15i6) permit d'éta-
blir un degré nouveau, celui des coadjuteurs, spirituels ou tem-
porels, qui seraient incorporés définitivement à la Compagnie
par des vœux publics, quoique non solennels, participeraient à
tous ses mérites et privilèges, et aideraient les profès soit dans
les offices domestiques, soit dans les fonctions sacerdotales 2. Mais
l'établissement de ce degré nécessitait une interprétation nou-
velle du vœu que faisaient les scolastiques d'entrer dans la Com-
pagnie : ils devaient dorénavant y inclure l'indifférence au degré
de profès ou de coadjuteur spirituel. Les supérieurs furent char-
gés d'annoncer cette modification aux étudiants, et de la leur faire
agréer. Nous savons, par le P. Franco, comment les choses se
passèrent à Coïmbre3. Le P. Simon Rodriguez, provincial de Por-
tugal, profita de la fête de Noël 1546 pour exhorter ses subordon-
nés à entrer pleinement dans les sentiments d'une humble sou-
mission. Tous déclarèrent ne vouloir autre chose que les ordres
de l'obéissance. Pour la rénovation des vœux, qui devait suivre,
une nouvelle formule fut composée par le P. Provincial et ap-
par le vœu de pauvreté, renoncer à tous les droits que j'ai ou que je puis avoir sur des
biens ou facultés temporelles, toutes les fois qu'il me sera ordonné par la Compagnie
ou par celui qui en sera le supérieur. » (Cité, d'après les archiv. de la Province de
Madrid, par le P. Prat, Histoire du P. Ribadeneira, p. 57, 58.)
1. Bulle Injunctum nobis, 14 mars 1543 (Instit. S. /., t. III, p. 5).
2. lnst. S. /., t. III, p. 10, il.
3. Franco, Synopsis annalium Soc. Jesu in Lusitania, ad annum 1725, p. 19.
148 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
prouvée par le P. Ignace. Il y était dit à la fin : « Je promets
en outre, jusqu'à ce que je sois admis dans la Compagnie comme
profès ou coadjuteur, de garder la pauvreté et la chasteté, selon
ce qui est établi dans ce collège, et d'obéir aux supérieurs dans
tout ce qu'ils me commanderont l. » Il est fort probable que cette
formule fut employée dans la suite par les scolastiques du Portu-
gal, mais rien ne prouve qu'elle ait été adoptée par la commu-
nauté de Paris, première « filiale » de la maison de Rome dont
elle recevait les ordres directement. Nous trouvons deux autres
formules qui purent être envoyées de là aux scolastiques du col-
lège des Lombards. La première est celle que le P. Polanco
donna, de la part d'Ignace, au P. Adriano pour les scolastiques
de Louvain, le 8 octobre 15i9. Elle est très curieuse en ce que
les trois vœux de pauvreté, chasteté et obéissance ne sont pas
directement exprimés, mais seulement la promesse d'entrer un
jour et de vivre perpétuellement dans la Compagnie de Jésus
en gardant ces trois vœux-. La seconde, que nous donnerions
volontiers comme employée par les scolastiques de Paris à la
rénovation de 15i9, se trouve dans les Rudimenta eonstitutio-
num3, dont la rédaction remonte précisément à cette année et à
la précédente. Cette formule, presque semblable à celle de Lou-
vain, mais plus claire grâce à deux corrections importantes, est
ainsi conçue ' : « Je promets et fais vœu... d'entrer dans l'ordre
de la Compagnie de Jésus, de telle sorte que, autant qu'il est en
moi, j'y vive perpétuellement, et, dans cette Compagnie, je pro-
1. Voir le texte espagnol de cette formule dans Prat, Mémoires pour servir à
l'hist. du P. Broet, pièces justificatives. VII, p. 564. Le P. de la Palma avait trouvé
cette pièce dans les notes du P. Ribadeneira, et en même temps une autre pièce prou-
vant que Ribadeneira avait renouvelé ce vœu le 29 juin 1546 à Padoue, le 30 sept. 1548
à Padoue, le 30 sept. 1551 à Palerme, le 24 juin 1553 à Rome.
2. Voici la partie principale du texte : « Voveo... me religionem Societatis Jesu in-
gressurum, ita ut, quantum in me est, vitam in ea perpetuo degam ; in qua Societate
si receptus fuero, promitlo paupertatem, castitatem, atque obedientiam me perpe-
tuam, juxta ipsius Socielatis constitutiones, servaturum » 'Epist. Ignat., s. 1, t. II,
p. 551-554).
3. Const. lat. et hisp., app., p. 365-418.
4. La différence de cette formule et de la précédente porte sur cette phrase : « In
qua Societate, promilto paupertatem, castitatem atque obedientiam me perpetuam
juxta ipsius Societatis constitutiones ex nunc et deinceps servaturum. » Avec la for-
mule de Louvain où on lisait « si receptus fuero » entre « in qua Societate » et
« promilto paupertatem », le scolastique semblait ne s'engager qu'à faire plus tard
les trois vœux, ce qui n'était nullement la pensée de saint Ignace. Ce fut probablement
parce que, même après cette suppression, le texte ne parut pas encore assez clair au
fondateur, qu'il ajouta de sa main ex nunc et deinceps. On peut voir dans les Const.
lat. et hisp. (p. 379, 381, notes) plusieurs autres remarques auxquelles donnèrent
lieu les termes de cette formule. L'une, entre autres, demande la suppression des mot<
quantum in me est, comme pouvant prêter aux scrupules.
LE COLLEGE DES LOMBARDS. 149
mets que dès maintenant et à l'avenir, je garderai la pauvreté,
la chasteté et l'obéissance suivant les Conslitutions. »
Cette dernière phrase exprimait implicitement la promesse
d'accepter le degré que les supérieurs choisiraient, puisque les
Constitutions l'ont ainsi réglé. Une addition, de la main d'Ignace,
rendait explicites, ex mine et deinceps, les trois vœux de religion.
Il ne manquait plus à cette formule qu'un tour plus concis et une
latinité plus élégante, pour avoir la perfection de la formule dé-
finitivement adoptée et insérée dans le texte des Constitutions1.
1. Déjà dans les Rudimenta (op. cit., p. 381) se trouve, aux declaraciones, une
formule presque identique à la formule actuelle. Elle n'en diffère que i°) par une in-
version : la promesse d'entrer précédant les trois vœux, et 2°) par une correction d'é-
légance : undecumque indignissimus, au lieu de in omnibus rébus indignissimus.
CHAPITRE II
l'hôtel de clermont.
(1550-155'+).
Sommaire : 1. Guillaume du Prat, évêque de Clermont: ses projets. — 2. Sa
rencontre avec les disciples d'Ignace au concile de Trente. — 3. Installation du
P. Viola à l'hôtel de Clermont. — 4. Vocation du P. Éverard Mercurian; minis-
tères spirituels. — 5. La Compagnie commence à être connue à Paris; contra-
dicteurs et défenseurs. — 6. Projet de donation de l'hôtel de Clermont. — 7. Le
cardinal de Lorraine, protecteur de la Compagnie de Jésus en France. Requête
au roi. — 8. Épreuves et nombreux départs d'étudiants. — 9. Paschase Broet
premier provincial en France. — 10. Travaux apostoliques de Broet, Claysson
et le Bas. Hostilité d'Eustache du Bellay.
Sources manuscrites : I. Bibliothèque de la ville de Clermont, ras. n. 589. Extraits des
mss. d'Audigier sur l'Auvergne.
II. Recueils de documents, conservés dans la Compagnie : a) Décréta et instructiones. —
b) Kibiideneira ■ Soliloquio y conl'esiones.
Sources imprimées : Cartas de San Ignacio. — Carias del B. P. Pedro Fabro. — Insti-
tutum Soc. Jesu. — Nuntiaturberichte aus Deutschland. — Manare, De rcbus Soc. Jesu
commentarius ; De vita et moribus Everardi Mercuriani. — Braunsberger, B. P. Cani-
sii Soc. Jesu Epistolae et acla. — Prat, Mémoires pour servir à l'histoire du P. Broet.
Monumenta HisTOKic.v S. J. Chroiiicon Soc. Jesu. — Epistolae mixtae. — Litterae quadri-
mestres. — Monumenla Ignaliana. Epistolae et instructiones. — Epistolae PP. Pascha-
sii Broeti, etc..
1. Gênée dans ses développements par l'insuffisance d'une ha-
bitation d'emprunt, la colonie d'étudiants établie par Ignace à
l'Université de Paris n'avait pu prétendre jusqu'ici à former une
institution séparée. D'elle, cependant, devait surgir un des plus
célèbres collèges de la Compagnie de Jésus. La Providence, en
lui réservant cette glorieuse destinée, lui avait ménagé dans la
protection d'un grand prélat les moyens de la remplir. Mais cette
transformation ne pouvait s'opérer en un jour : la Compagnie,
n'ayant encore en France ni domicile propre, ni le droit d'en
avoir, devait rencontrer dans les passions des hommes et dans
les ruses du démon bien des obstacles à ses projets. Monseigneur
Guillaume du Prat, par sa constance et sa générosité, seconda
les desseins de la Providence et prépara les voies à la fondation
du collège de Clermont à Paris. Cet illustre bienfaiteur aura,
dans cette histoire, la place que réclament pour lui la justice et
la reconnaissance.
L'HOTEL DE CLERMONT. r.l
Guillaume du Prat, né en 1507, était fils de l'illustre Antoine
du Prat, chancelier de France et, après la mort de sa femme,
archevêque de Sens et cardinal. Il avait déjà é té nommé archi-
diacre de Rouen, quand, le 19 novembre 1528, mourut son oncle
Thomas du Prat, évêque de Clermont. Le chapitre de la cathé-
drale réclama, d'après ses privilèges, l'honneur d'élire son suc-
cesseur; mais le concordat conclu entre Léon X et François [
avait aboli l'antique usage, en concédant au roi le droit de no-
mination aux sièges épiscopaux. Celui-ci pourtant y renonça, pour
cette fois, et engagea les chanoines à choisir le neveu de l'ancien
évêque « tant, disait-il, en considération des grands, vertueux et
très recommandables services que nous faict chacun jour ledit
cardinal chancelier ez la conduite de nos principales affaires,
comme pour le louable rapport qui nous a esté faict dudit ar-
chidiacre de Rouen, son fils, et de son savoir, bonnes mœurs,
vertu et grande honnesteté de vie1 ». Élu évêque de Clermont, le
15 février 1529, Guillaume du Prat n'avait pas encore vingt-trois
ans. Il savait quel fardeau pour sa jeunesse serait sa nouvelle
dignité, aussi voulut-il, avant de gouverner par lui-même son
église, continuer encore quelques années ses études de prédilec-
tion : la théologie, l'Écriture Sainte et les langues orientales l'oc-
cupèrent jusqu'au mois de janvier 1535-.
L'Auvergne à cette époque était en proie à l'hérésie. On y trou-
vait, comme en bien d'autres pays, des hommes qu'un esprit
pervers, un cœur corrompu ou le seul désir d'une révolution po-
litique entraînaient dans le mouvement de la réforme. Séduits par
des moines apostats venus d'Allemagne, ils se groupèrent et fi-
rent de la ville d'Issoire le centre du parti. Quand le jeune évê-
que de Clermont eut pris en main l'administration de son diocèse,
il chargea des religieux de combattre l'erreur par la prédication
de la vérité. Les Cordeliers et les Minimes furent d'abord ses
principaux auxiliaires. Son confident, et le directeur de sa cons-
cience, était un minime, le P. Simon Guichard, prédicateur dis-
tingué et des plus érudits de ce temps--'. Mais le prélat s'aperçut
bientôt que, malgré leur zèle, les missionnaires de l'évangile ne
suffiraient point à protéger la religion de son troupeau. Il jeta
ses regards sur les écoles, vit dans l'enseignement de la jeunesse
1. Lettre du 31 janvier 1528,9, dans Prat, Mémoires sur le P. Broet, p. 190.
2. Gallia Chrisliana, t. II, p. 297, 531.
3. Dony d'Attichy, Hist. gén. de l'ordre des Minimes (1624), I, p. 305 et suiv. —
Voir « Extraits des mss. d'Audigier sur l'Auvergne », t. III, p. 101 (Bibl. de Cler-
mont, n. 589).
lo2 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSI S.
une arme pour la défense de la foi, et entreprit de relever les
études dans les Universités de Billom et d'Issoire, qui avaient eu
jadis une certaine réputation. Issoire, berceau de sa famille, dé-
daigna cependant ses offres. Il tourna dès lois vers Billom tout
son espoir.
Il aurait désiré établir dans cette ville, auprès des Facultés des
arts et du droit, une chaire d'hébreu et d'Écriture Sainte1; mais
il se demandait où trouver des maîtres capables de répondre à
son dessein. Le P. Simon Guichard, auquel il confia ses désirs et
ses difficultés, avait connu, à Rome, Ignace et ses compagnons
dans leur première habitation, près du couvent des Minimes au
Monte Pincio, et le souvenir des hôtes de Quirino Garzonio avait
laissé dans son âme une profonde impression2. Il parla avec élo-
ges de leurs vertus, de leurs travaux apostoliques, du but de leur
Société. Le prélat soupçonna tout de suite que de tels hommes
seraient capables de régénérer la jeunesse du pays. Bientôt il eut
l'occasion de les connaître lui-même, et de les juger sur leurs
œuvres.
2. Le 15 mars 1545 devait s'ouvrir, à Trente, le concile œcu-
ménique si impatiemment attendu de la chrétienté tout entière ;
le Pape Paul III, profitant de la paix que le traité de Crespy
venait d'assurer à l'Europe, l'avait fixé à cette date. Aussitôt
François Ier nomma, pour y représenter l'église de France, quatre
prélats distingués par leur science et leur vertu : Antoine Imbert,
archevêque d' Aix, Guillaume du Prat, évêque de Clermont, Claude
Dodieu, évêque de Rennes, et Claude de la Guiche, évêque
d'Agde. Mais le concile, longtemps retardé par les prétentions
politiques de Charles-Quint, ne fut ouvert solennellement que
le 13 décembre. Le P. Claude Le Jay, représentant et théologien
du cardinal Othon Truchsess, évêque d'Augsbourg3, était arrivé
à Trente un mois avant Monseigneur du Prat. Il devait se con-
cilier bientôt, par sa modestie et son savoir, tous les Pères de la
docte assemblée l. Comme procureur d'un cardinal, il faisait partie
1. Jaloustre, Les anciennes écoles d'Auvergne (dans Mémoires de l'Académie des
Sciences de Clermont-Ferrand, t. XXIII, 1881, p. 82-116).
2. Dony d'Attichy, op. cil., p. 310.
3. Cartas de S. Ign., II, append. II, n. 21.
4. Nombreux sont les témoignages d'estime donnés au P. Le Jay par les Pères du
concile de Trente. Le P. Polanco nous dit qu'en arrivant à Trente, en 1546, les PP.
Lainez et Salmeron remarquèrent la faveur dont il jouissait : « P. Claudium magna in
gratta Prxlatorum et optimum Societatis odorem spargentem invenerunt » (Chro-
nicon, t. I, p. 178).
L'HOTEL DE CLERMOiNT. 153
des assemblées générales composées des cardinaux, archevêques
et évèques, et siégeait après ceux-ci avec voix consultative '. Cette
distinction le fit tout de suite remarquer de M"r du Prat. Infor-
mations prises, il sut que ce procureur de Févêque d'Augsbourg
était un religieux, un disciple d'Ignace de Loyola; il s'empressa
d'entrer en rapports avec lui et ne manqua pas de lui demander
sur la Compagnie de Jésus des explications, qui confirmèrent et
complétèrent les renseignements donnés par le P. Simon Gui-
chard. Ce nouvel Ordre, voué au salut des âmes, répondait si
parfaitement à ses désirs qu'il résolut de tout faire pour lui
confier un jour la direction des écoles de son diocèse. Mais ce
qu'il apprit alors sur l'état dune Société encore dans son pre-
mier développement, lui inspira la pensée d'aller d'abord au
plus pressé, et de favoriser la formation et le recrutement des
jeunes religieux par l'établissement d'un collège -séminaire à
Paris même. Fondateur d'une maison d'éludés pour les sujets
de l'Ordre, il aurait dans l'avenir plus de droit qu'un autre à
obtenir leur concours pour la réforme de l'enseignement dans
son pays d'Auvergne. Le Père Le Jay, se faisant son intermé-
diaire auprès d'Ignace de Loyola, écrivait à celui-ci le 10 mai
1546 : « Le révérendissime prélat a été très édifié de tout ce que
je lui ai appris sur la Compagnie. Je lui ai montré la bulle d'insti-
tution, une note sur notre manière de fonder des collèges2, les
lettres écrites des Indes, la dernière circulaire où sont relatées
les bonnes œuvres que Dieu a daigné opérer par le ministère de
ses serviteurs... Il espère que Notre-Seigneur emploiera la Com-
pagnie au soulagement de la sainte Église, spécialement en France
où elle pourra faire le plus grand bien... Il m'a chargé d'envoyer
à Votre Révérence une copie des statuts de son collège, afin qu'elle
y voie ses intentions et qu'elle veuille bien lui dire ce qu'elle en
pense3. » Le P. Le Jay ajoutait encore quelques détails qui mon-
trent toute la sincérité des désirs de Monseigneur du Prat : l'im-
meuble qu'il destinait au futur collège appartenant à l'évèché de
t. Polanco, Chron., I, 175, 176. Cf. Lettre de Le Jay à Ignace, février ou mars 1546
(Epist. Broeli, Jaii..., p. 302, 303). Un seul autre procureur se trouvait avec lui dans
le même cas, celui de l'archevêque de Trêves.
2. 11 s'agit de maisons d'études pour les scolastiques de la Compagnie. A cette date
il ne pouvait être question de maisons d'enseignement pour la jeunesse, telles qu'elles
fuient créées plus tard (Voir Tournier, Monseigneur G. Du Prat au concile de
Trente. Etudes, t. XLV11I, p. 465). Dans ces articles l'auteur a donné de nombreux détails
sur les relations des Jésuites et de Me' du Prat à Trente et sur les intentions de cet
évêque touchant les collèges de Paris et de Billom.
3. Lettre de Le Jay à Ignace (Mon. Hist. S. J., Epist. PP. Broeti, Jaii, etc., p. 307).
154 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Clermont, il ne pouvait en disposer sans le consentement du
Pape et du chapitre; déjà une supplique avait été envoyée à Sa
Sainteté, dont on attendait chaque jour un rescrit portant son
autorisation; celle des chanoines était déjà obtenue, à la seule
condition que, dans ce collège, seraient toujours entretenus
gratuitement deux clercs de chœur de l'église cathédrale l.
Sur ces entrefaites Mgl' du Prat, par raison de santé, entreprit
un voyage de huit ou quinze jours en Italie. Il en profita pour
passer par Venise et Padoue, et visiter le collège établi dans cette
dernière ville sous la direction du P. Elpidio Ugoletti 2 : « Il y
avait là, dit Ribadeneira, quatorze étudiants italiens, français et
espagnols, [suivant les cours de l'Université]. Quoique de nations
différentes, nous étions tous unis dans le Seigneur par lès liens
de la charité fraternelle. Une paix inaltérable régnait parmi
nous; la pauvreté nous éprouvait presque toujours, mais elle ne
troublait jamais le bonheur dont nous jouissions3. » Ce spectacle
de la joie surnaturelle, dans les fatigues de l'étude et la pratique
de la vertu, ne pouvait que confirmer les impressions déjà favo-
rables de l'évêque de Clermont. Revenu à Trente, il témoigna
aux PP. Lainez et Salmeron, envoyés au concile comme théolo-
giens du Saint-Siège4, la considération et la bienveillance dont il
avait déjà honoré Claude Le Jay.
3. Au mois de mars 1547 une épidémie ayant envahi la ville
de Trente, le Souverain Pontife décida de transférer l'assemblée
à Rologne. Plusieurs évêques retournèrent alors dans leurs
diocèses; Guillaume du Prat obtint des Légats la permission de
rentrer en France '. Aussitôt il résolut de mettre à exécution ses
projets concernant la Compagnie de Jésus. Dans un voyage qu'il
fit à Paris, après son retour en Auvergne, il envoya son grand-
vicaire au collège des Lombards saluer les Pères en son nom.
Ceux-ci s'étant aussitôt rendus à son hôtel'1, il les reçut avec une
1. Ibidem, p. 308. Cf. Délibérations du chapitre de Clermont, 19 nov. 1543 et
21 janvier 1544, dans Majour, Réfutation des impostures de l'abbé Feydit, p. 27.
2. Polanco, Chronicon, I, 189.
3. Ribadeneira : Soliloquio y conl'esiones.
4. 11 semble bien que ces deux Pères furent envoyés à Trente, en 1546, déjà comme
théologiens pontificaux. Boéro l'affirme (Vie de Lainez, liv. I, ch. vi), et on lit dans
une lettre d'Ignace à Canisius, au sujet de Lainez et de Salmeron : « quos audieratis
in concilium destinatos a summo Pontifice » (Mon. Ignat., Epist., t. I, p. 394, lettre
de juin 1546).
5. Lettre des légats au cardinal Farnèse, 11 mars 1547, dans Nuniiaturberichte
aus Deulscliland, t. IX, p. 625.
6. « Les évêques étant souvent obligés sous Philippe le Bel de se rendre à Paris
L'HOTEL DE CLERMONT, L5S
grande bonté, parla longuement des travaux de la Compagnie
dont il avait été témoin, spécialement au concile de Trente, et
raconta comment, à l'un des discours du P. Salmeron, beaucoup
d'auditeurs avaient été toucbés jusqu'aux larmes1; enfin il
déclara son intention d'établir à Paris une maison d'études,
ajoutant qu'il montrerait bientôt sa détermination par des actes.
A partir de ce moment, il entretint d'aimables relations avec le
supérieur des jeunes étudiants qu'il regardait déjà comme les
futurs réformateurs de son diocèse. Il remarqua qu'une habitation
indépendante leur manquait, pour goûter la vraie vie de commu-
nauté et recevoir les candidats de toutes nations qui demandaient
à partager leur sort. Tel était bien aussi le sentiment du Père
Viola; malheureusement sa pauvreté ne lui permettait pas de
mieux faire. Quand il connut cette détresse, Guillaume du Piaf
donna une somme de six cents écus. C'était suffisant pour ac-
quérir le domicile que l'on souhaitait, mais on chercha en vain
dans le quartier des écoles : les maisons disponibles laissaient à
désirer sous le rapport de l'installation, ou bien l'on ne pouvait
s'entendre sur les conditions de la vente. Le prélat, cédant à son
ingénieuse charité, recueillit dans l'hôtel des évêques de Clermont,
situé rue de la Harpe, les religieux du collège des Lombards '.
Bienlôt, sous l'habile direction du P. Viola, tout fut organisé
selon les usages de la maison de Rome : aménagement très simple
des chambres, petite salle servant d'oratoire, jardin ou plutôt
« emplacement de jardin » pour les récréations, portier et clo-
chette à l'entrée, tout avait vraiment l'apparence d'une maison
régulière. Après les fêtes de Pâques de 1550, eut lieu l'installation.
Guillaume du Prat, à sa première visite, fut émerveillé du bon
ordre général et en témoigna au P. Viola sa satisfaction'. On ne
savait cependant quel nom donner au supérieur de cette nouvelle
maison d'études. Celui de Recteur semblait lui convenir '', à l'imi-
pour les affaires de leur diocèse ou pour celles de l'état, l'évêque Avmard de Cros
prit de là occasion d'acheter dans cette ville un hôtel, pour lui et ses successeurs,
situé dans la rue de la Harpe près de l'église des Sainls Cosme et Damien, qui répondait
(sic) à la grande cour des Cordeliers. Ce fut en 1291 » (Hist. de l'église d'Auvergne,
ras. 589 de la Bibl. de Clermont, p. 205).
1. « Et ex oratione P. Salmeronis multos ad lacrymas fuisse compunctos » (Polanco,
Chronicon, I, p. 246).
2. Polanco, Chronicon, I, 183, 246, 417, 418, 422.
3. Lettre de Polanco, 11 mai 1549 {Mon. Ign., s. 1, t. II, p. 398). Cf. Chronicon.
II, 88, 91. Litterae quadr., I, 39i.
4. Les lettres de Recteur furent envoyées au P. Viola, le 7 mai 1550 (Décréta el
instructiones, f. 22). Cf. Lettre d'Ignace au P. Viola, 9 mai 1550. Lettre du P. Po-
lanco au même, 9 mai 1550, dans Mon. Irjn., s. 1, t. II, p. 9.
156 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESl S.
tation de ce qui se pratiquait ailleurs dans la Compagnie; mais
Tévôque de Clermont consulté trouva que ce titre, porté en France
par ceux qui gouvernent une Université, serait trop honorifique;
il demanda que celui, plus simple, de Supérieur fût conservé '.
En quittant le collège des Lombards, le P. Viola était resté ti-
tulaire d'une bourse qui, depuis, n'avait été concédée à personne.
Or il arriva qu'un des proviseurs préposés à la direction du col-
lège donna sa démission, et deux conseillers du Parlement vinrent
présider à l'élection de son successeur. Les suffrages des boursiers
se portèrent sur le P. Jean-Baptiste Viola, qui accepta la nomina-
tion. Les proviseurs n'étant pas tenus d'habiter au collège, le
nouvel élu aurait pu remplir le devoir de cette charge, à laquelle
était attaché un revenu de huit cents francs ; mais dans l'intérêt
spirituel de la nouvelle communauté, qui réclamait tous ses
soins, le Père Ignace préféra qu'il renonçât aux honneurs et aux
bénéfices qu'on voulait lui accorder'.
L'établissement des étudiants de la Compagnie, à l'hôtel de Cler-
mont, ne reposait pas encore sur une de ces fondations charitables
dont tant d'autres prélats avaient doté la ville de Paris, en faveur
des écoliers pauvres : c'était seulement l'habitation gratuite,
dans une maison prêtée parmi généreux bienfaiteur. Le P. Viola
continua donc de recourir à des aumônes pour subvenir à l'entre-
tien des jeunes religieux; et comme il craignait qu'elles ne fussent
pas suffisantes pour tous les besoins, il crut prudent de laisser
au collège des Lombards trois ou quatre boursiers d'origine étran-
gère. Le P. Général n'approuva pas cette mesure; il voulut que
tous fussent réunis rue de la Harpe, comptant uniquement sur les
secours de la Providence3. Elle ne leur fit pas défaut. Une noble
et pieuse femme, mademoiselle d'Acheville '', désirant leur pro-
curer quelques revenus, fit une riche aumône, à charge de dire la
messe quatre fois par an à ses intentions. Ignace ne jugea pas
cette condition strictement conforme à l'Institut"', qui n'admet au-
1. Chronicon, II, 93.
2. Polanco, Chronicon, I, 417, II, 91. Lettre du P. Polanco au P. Viola, 8 fév. 155n,
dans Mon. Ign., s. 1, t. II, p. 2. Commencements de la Compagnie dans Caravou,
Doc. inéd., I, 6.
3. Polanco, Chronicon, II. 88, 91.
4. Polanco l'appelle de Acquitta, mais, dans le registre des lettres de S. Ignace, on
trouve de Achevilla.
5. Polanco, Chronicon, t. II, p. 93. « Cum Palri Ignatio hujus modi condilio non
admiltenda juxta nostrum Institutum viderelur... » — Le fondateur s'est montré
moins sévère dans les Constitutions. P. IV, c. u, B. : « Obligationes, quae assignato
reditui commensuratae videantur, assumi nequeunt. Non tamen inconvénient... faci-
lem et exiguam obligationem admittere ».
L'HOTEL DE CLERMONT. i:i:
cune rétribution temporelle pour les fonctions spirituelles. Il fit
savoir à la généreuse donatrice qu'on ne pouvait accepter l'obli-
gation. Elle n'en persévéra pas moins dans son bon dessein, sachant
bien que pour la Compagnie la reconnaissance serait une dette
sacrée1. Déjà on avait obtenu pour les bienfaiteurs l'indulgence
du jubilé, « ce dont ils furent grandement consolés, dit la clin»
nique de Polanco, en voyant qu'ils étaient aimés /'// spiritu par
la Société- ».
ï. Parmi les hôtes de Mgl du Prat, on remarquait le P. Éverard
.Mercurian, né en 1514, au village de Marcourt, dans le duché de
Luxembourg. Il avait commencé ses études aux écoles de Liège, et
les avait terminées à l'Université de Louvain où il devint maître
es arts. Il se trouvait dans cette ville, en 1543, lorsque le P. Le
Fèvre y passant pour se rendre en Portugal fut arrêté par la ma-
ladie. Il alla lui dire ses doutes et lui demander conseil sur son
avenir. Ébranlé par la parole ardente de François Strada, il se sen-
tait porté à solliciter son entrée dans la Compagnie, mais, s'ima-
^inant qu'il ferait plus de bien dans le ministère pastoral, il s'ar-
rêta à cette dernière résolution : « Queferai-je dans cette Société,
se disait-il, que je ne puisse faire par les fonctions d'un pasteur
des âmes? Elle administre les sacrements, elle prêche, elle célèbre
pieusement les saints mystères et les fêtes, elle édifie par les
exemples de sa vie chaste et mortifiée. Est-ce que, prêtre séculier,
je ne pourrai pas en faire autant? J'en pourrai même faire davan-
tage, puisque j'administrerai plus de sacrements, en même temps
que je pourrai distribuer des aumônes, visiter les malades et
enseigner la doctrine chrétienne aux enfants ;. » On lui confia
une paroisse du diocèse de Liège, appelée Waillet ou Voët. La
première année, il s'efforça, dit un vieil auteur, « d'essarter par
son bon exemple les âmes de ses paroissiens toutes hérissées
de ronces et de broussailles », et dans ce but il cherchait à les
édifier par une vie sainte et retirée, ne les fréquentant guère que
pour leur administrer les sacrements. Mais « voyant que ceci lui
succédoit à rebours », la seconde année, il changea de tactique,
et se faisant tout à tous se mit à vivre avec eux en toute fami-
liarité. « Cette manière ne réussit non plus que la première, et
comme il resvoit là-dessus fort désolé, la mémoire du P. Le
1. Lettres d'Ignace à M11, d'Aclieville, 11 août, 19 octobre 1550 [Mon, Ignat., s. 1.
t. III, p. 139, 211). — 2. Polanco, Chronicon, II, 93, 9'«.
3. Manare, De vila Ev. Mercuriani, p. 1.
158 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSIS.
Fcvre et de Strada, qu'il avoit cognus à Louvain, luy revint en
pensée, et se délibéra de les suivre et de se donner à la Com-
pagnie1. » Dans un premier voyage à Paris, en 1547, il fit les
Exercices spirituels sous la direction du P. Paul d'Achille, puis
retourna à Liège pour y régler quelques affaires de famille. Il
revint l'année suivante et fut admis dans la Compagnie, le 8 sep-
tembre, par le P. Viola. Il était âgé de trente-quatre ans2.
Doué de rares qualités, Éverard Mercurian fut tout de suite un
précieux auxiliaire pour son supérieur. Bien qu'il eût achevé déjà
ses études, « il s'appliqua de nouveau à la théologie et suivit les
leçons de plusieurs professeurs, surtout celles du docteur Govéa,
devenu l'un des meilleurs amis de la Compagnie ? ». Le reste de
son temps était partagé entre les devoirs de la charité fraternelle
et le ministère sacerdotal. Sa maturité, <v son adresse à manier
les consciences, à sonder et à guérir les cœurs4», lui attiraient
beaucoup déjeunes gens dont il faisait de fervents chrétiens. Plu-
sieurs parmi eux, comme Adrien de Witte, Éleuthère du Pont et
Olivier Manare, entrèrent dans la Compagnie de Jésus5.
D'ailleurs, depuis leur installation à l'hôtel de Clermont, les
jeunes religieux, les prêtres surtout, ne laissaient point languir
leur ardeur apostolique. Ils y étaient fort encouragés par les
beaux résultats obtenus dans leurs ministères à l'église des Char-
treux : le sacristain de ce sanctuaire avouait, « avec une joyeuse
reconnaissance », que parmi les écoliers, qu'ils avaient habitués à
la communion fréquente, une vingtaine avaient déjà embrassé la
vie monastique dans l'Ordre de Saint-Bruno i;. Désormais les réu-
nions pieuses se feront dans les églises, plus voisines, des Saints
Cosme et Damien et de Saint-Germain-des-Prés. Dans cette der-
nière, le Prieur des Bénédictins avait concédé aux protégés de
Monseigneur du Prat l'usage d'une chapelle, pour y célébrer la
1. D'Oultreman, Tableaux des personnages signalez de la Compagnie de Jésus,
p. 79, 80. L'auteur, entré dans la Compagnie en 1607, avait pu connaître le P. 0. Ma-
nare, premier biographe du P. Mercurian, qui ne mourut qu'en 1611. (On trouve des
détails sur sa mort dans le ms. 3,349 de la Bibl. roy. de Bruxelles).
2. Chronicon, I, 296. — 3. Manare, op. cit., p. 5. — 4. Ibid., p. 6.
5. Chronicon, II, 292. Litter. quadr., I, 300, 340, 394... Olivier Manare avait connu
Éverard Mercurian à Louvain ; il lui consacra plus tard une notice biographique à
laquelle nous aurons plusieurs fois recours, de même qu'à son Commentarius de ré-
bus Societatis Jesu, ouvrage d'autant plus suggestif que l'auteur occupa des charges
importantes dans la Compagnie. — Adrien de Witte était aussi un étudiant de Lou-
vain et lut attiré à Paris par l'exemple de Mercurian. — Éleuthère du Pont, né à Lille
en 1527, avait des aptitudes exceptionnelles pour l'élude des belles-lettres; il faisait
sa médecine à Paris quand il y connut Mercurian et par lui la Compagnie de Jésus.
6. Ce qui n'empêchera pas les adversaires de dire que la Compagnie est une société
d'accapareurs. Cf. Polanco, Chronicon, II, 92.
L'HOTEL DE CLERMONT. 159
messe et y administrer les sacrements, ce qu'ils faisaient, dit une
ancienne relation, « avec un grand concours de plusieurs sei-
gneurs et daines l ». Dans les lettres qu'il envoyait à Rome tous
les quatre mois, suivant l'usage d'alors ', le P. Supérieur avait
souvent à enregistrer le succès des œuvres de miséricorde spiri-
tuelle : tantôt ce sont des conversions, tantôt des vocations à di-
vers Ordres religieux, suscitées par les Exercices du P. Ignace.
L'exemple du duc de Gandie, François de Borgia, dont l'entrée
dans la Compagnie venait d'être connue en France, y produisit
sur nombre de personnes des impressions salutaires : « Cet
exemple, écrit le P. Viola, nous concilia beaucoup d'espagnols,
qui, jusqu'à présent, n'avaient pour nous que de l'antipathie. »
Rien ne recommanda plus puissamment la communauté de Paris
à l'estime de ces étrangers, que les services et les honneurs qu'elle
rendit à l'un d'entre eux. C'était un savant, très ami de la Compa-
gnie. Il tomba dangereusement malade et supplia les Pères de ne
point le quitter jusqu'à son dernier soupir. Deux religieux se dé-
vouèrent nuit et jour à son service, et lui prodiguèrent pendant
une semaine tous les secours de la plus compatissante charité.
Après sa mort, on lui fit de magnifiques funérailles, auxquelles
tous les espagnols furent invités. Touchés de cet acte de piété en-
vers un de leurs compatriotes, les moins bien disposés à l'égard
de l'hôtel de Clermont se déclarèrent ses plus chauds partisans.
On remarqua surtout cet heureux changement chez un jeune
homme, peu soucieux de ses devoirs de chrétien, que le mourant
avait recommandé à la sollicitude du P. Viola. A partir de ce mo-
ment il devint un modèle pour ses camarades et l'un des plus
1. Commencements de la Compagnie (Carayon, Documents inédits, I, 7). — Ma •
nare, De rébus S. /., p. 64. — Orlandini ne parle pas de Saint-Germain mais toujours
des Chartreux. Le P. Polanco en parle sous l'année 1552, mais en ajoutant : « Feslis
autem diebus in abbatia Sancli Germani pro antiquo more sacramenta Pascbasius
ministrabat » (Chronicon, II, 599).
2. A l'origine de la Compagnie, dès 1540, les Pères dispersés avaient coutume d'écrire
à Rome tous les huit jours. Plus tard les supérieurs des maisons d'Italie et de Sicile
furent chargés d'écrire chaque semaine, ceux des autres parties de l'Europe chaque
mois et ceux des Indes chaque année seulement. En 1546 il fut décidé, pour décharger
les supérieurs locaux, que cette correspondance traiterait surtout des affaires cou-
rantes, et que les choses édifiantes seraient consignées tous les quatre mois seule-
ment soit par les supérieurs eux-mêmes, soit par d'autres en leur nom, dans des
lettres circulaires, dites quadrimestres et envoyées à Rome aux mois de janvier, mai
et septembre. Le 27 juillet 1547 le P. Polanco, de la part du P. Ignace, adressa à toute
la Compagnie des instructions à ce sujet (Mont Ignat-, s. 1, t. I, p. 536-541). Le saint
fondateur tenait beaucoup à la correspondance épistolaire pour le bien général de la
Compagnie; par lui-même ou son secrétaire il répondait en donnant des avis, des en-
couragements ou des observations paternelles. (Cf. Mon. Hist., LU ter. quadr., t. i,
Préface. — Const., P. VIII, c. i, n. 9, Let M).
160 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
assidus aux réunions de la chapelle de Saint-Germain-des-Prés.
Cette chapelle continuait d'ailleurs à être le rendez-vous de l'é-
lite des étudiants de l'Université : on vit, un jour de Noël, plus
de soixante d'entre eux y faire ensemble la sainte communion1.
5. Peu à peu, la curiosité publique fut éveillée sur les étudiants
de la Compagnie de Jésus par l'affluence des fidèles, de tout âge
et de toute condition, que leur zèle attirait. Au collège des Tréso-
riers et à celui des Lombards, ils ne s'étaient distingués des autres
écoliers ni par leur costume, ni par leur nom. Jusque-là on n'a-
vait vu en eux que des élèves réguliers et vertueux, et leur famille
religieuse était restée inconnue à un grand nombre. Mais, dès
qu'ils eurent formé, à l'hôtel de Clermont, une communauté par-
ticulière, et qu'ils furent tous habillés de môme façon, on s'in-
forma de leur qualité, de leur nom, du genre de vie qu'ils me-
naient. On sut bientôt que c'étaient des scolastiques d'un Ordre de
Clercs Réguliers, tout nouveau, approuvé par deux bulles de
Paul III sous le titre de Société ou Compagnie de Jésus. Comme il
aurait été trop long de les appeler Clercs de la Compagnie de Jé-
sus, on les désigna par les noms de Clercs de Clermont ou de Jé-
suites -. Ils formèrent, dans l'opinion, comme une classe distincte
parmi les autres groupes d'étudiants de l'Université. Sur leur
compte les esprits se partagèrent : les uns leur montrèrent encore
plus d'opposition qu'auparavant, les autres ajoutèrent à l'estime,
qu'ils leur avaient jusque-là témoignée, un nouveau sentiment de
respect, à cause de leur profession.
Les disciples d'Ignace de Loyola se mettaient sans doute peu
en peine des contradictions, soulevées par des partisans de l'héré-
sie ou de mauvais chrétiens : c'est le privilège réservé à ceux qui
ont l'honneur de porter le nom de Jésus. Mais ils furent sen-
sibles aux attaques de certains hommes, qui auraient dû plutôt se
déclarer leurs défenseurs et leur soutien. Un docteur de renom
prédisait, à qui voulait l'entendre, que cette société nouvellement
fondée ne vivrait pas longtemps, et il ajoutait qu'il valait mieux
faire l'aumône aux pauvres qu'aux Jésuites. Un autre détournait
ses amis et connaissances d'entretenir des relations avec des gens
1. Lilter. quadr., I, p. 254. Chronicon, II, 94, 294, 295.
2. « Quidam nomenclatores Jesuitas nos nominant, brevilatis praetextu se dei'en-
dentes » (Litler. quadr., III, 112). Le P. Canisius écrivant au P. Le Fèvre, le 30 dé-
cembre 1544, lui disait déjà : « De nobis dicam potius qui jesuitae dicimur » (Brauns-
berger, Canisii Epistolae, I, 121). Il ajoutait l'année suivante qu'on employait le nom
de Jésuite comme une insulte contre les Pères de la Compagnie {Ibid., p. 134).
L'HOTEL DE CLERMONT. loi
sans aveu, qui menaient une existence mystérieuse, l'n troisième
prétendait que tous les clercs de Glermont, si on les traitait selon
leur mérite, devraient être flagellés en place publique, comme
corrupteurs de la jeunesse et, pour preuve, il racontait que le
P. Ignace avait voulu autrefois le séquestrer durant trente jours
sous prétexte de vaquer à des exercices spirituels '.
L'aventure arrivée à « un certain Taulpin » sembla donner
quelque consistance à ces faux bruits. C'était un homme instruit
dans les lettres grecques et latines, voire philosophe et théolo-
gien, à qui le P. Paul d'Achille avait autrefois donné une retraite.
Dans un moment de ferveur exagérée et à l'insu de son directeur,
non seulement il fît le vœu d'entrer dans la Compagnie si on vou-
lait bien le recevoir, mais encore « fut si mal advisé que d'écrire
et soubsigner son dict vœu avec son sang qui lors lui couloit du
nez 2 ». D'un caractère peu constant, cet homme se repentit bien-
tôt de sa résolution, et consulta plusieurs docteurs pour savoir s'il
était obligé de tenir sa promesse. Ceux-ci, défavorablement pré-
venus par ce qu'ils entendaient chaque jour, s'imaginèrent que
cet exalté n'avait agi qu'à l'instigation du P. Paul d'Achille, qui
ne fut pourtant au courant de rien, et ils allèrent répétant par-
tout que les Jésuites poussaient les fidèles à faire des vœux indis-
crets et même à les signer de leur sang 3.
Vers ce même temps, un religieux de l'Ordre des Carmes prê-
chant dans l'église de Saint-Séverin, à Paris, et expliquant les
paroles de l'apôtre Fratres in Christo Jesu, ne craignit pas de
lancer les plus violentes « invectives » contre une Société, dont
les membres avaient l'audace « de prendre le nom de Jésuites
comme si, seuls, ils étaient frères en Jésus-Christ 'L ». Le P. Po-
lanco dans son Chronicon parle encore, sans le nommer, d'un
autre détracteur. Celui-là, « personnage de grande autorité, sous
une apparence austère cachait le venin de l'hérésie ». Dans ses
conversations, par de faux rapports ou des insinuations malveil-
lantes il jetait dans les âmes simples, que trompaient ses dehors,
des germes de défiance et même d'antipathie à l'égard des étu-
diants de l'hôtel de Clermont. Il était ainsi parvenu « à éloigner
d'eux des personnes disposées à leur faire l'aumône, et des
jeunes gens qui se sentaient appelés à leur Institut ». V\\ jour ce-
pendant « ses vrais sentiments furent découverts, et l'évidence de
1. Polanco, Chronicon, I, 420.
2. Commencements de la Compagnie (Carayon, Documents inédits, I, 8).
3. Polanco, Chronicon, I, 420. — 4. Ibid.. II, 93.
COMPAGNIE DE JÉSLS. — T. I. 11
162 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
ses mensonges gagna des cœurs à ceux dont il aurait voulu ruiner
la réputation ». Peu de temps après, « dénoncé pour plusieurs
propositions hérétiques qui lui étaient échappées dans un sermon,
il fut arrêté et mis en prison. Ses amis obtinrent sa liberté, mais
lui retirèrent leur confiance. Et lui, bientôt, jetant le masque, se
réfugia à Francfort où il se déclara ouvertement luthérien * ».
A une hostilité qui revêtait toutes les formes, le P. Viola et ses
religieux n'opposèrent que la patience. Au milieu des épreuves
leur vocation s'affermissait. D'ailleurs ils avaient autour deux
des hommes de mérite, qui les connaissaient mieux, et ne les
abandonnèrent pas dans l'adversité. Le docteur Le Picart, entre
autres, les soutint de ses conseils et de son influence avec un
admirable dévouement2. Un autre docteur en théologie, direc-
teur d'un collèg-e, se trouvant un jour à la porte de son établis-
sement pendant que l'économe recueillait, suivant l'usage, la
rétribution scolaire, aperçut deux scolastiques qui s'approchaient
pour verser ce qu'ils devaient : « N'êtes- vous pas, leur dit-il, de
la Compagnie de Jésus? » Sur leur réponse affirmative il les
exempta de rien payer, les emmena dans sa chambre, les entre-
tint familièrement et leur promit son ferme appui. Quant à
l'évêque de Clermont, qu'on avait essayé de circonvenir, si l'on
parvint à refroidir3 quelque temps son zèle, on ne put du moins
jamais le détourner de l'œuvre charitable qu'il avait entreprise,
ni détruire en lui cette affection dont nous le verrons plus tard
donner aux Jésuites les preuves les plus convaincantes. Comme
le P. Supérieur, en qualité d'étranger, se trouvait parfois très
embarrassé, craignant de froisser, malgré lui, bien des suscepti-
bilités, le dévoué prélat venait à son secours et lui indiquait la
marche à suivre pour sortir des pas difficiles. Afin de triompher
des animosités qui se manifestaient jusque dans le sein du Par-
1. Polanco, Chronicon, II, 87. — 2. Polanco, Chronicon, I. 419.
3. C'est l'expression même employée par Polanco : « Episcopo etiam Claramon-
tano frigidam adhibuerunt; ille tamen non potuit... a sua deliberalione revocari,
quamvis aliquandiu lepidior fuerit » (Chronicon, I, 420). Le P. Viola lui-même, qui
était en cause, ne parle pas autrement : « lentescit animus ejus » [Litt. quadr., I,
544). Nous n'avons pas à insister sur cette tiédeur passagère qui fut sans conséquence
pour la suite des relations de Mgr du Prat avec la Compagnie. Nous n'avons d'ailleurs
à ce sujet que des données assez vagues. Le P. Viola se plaignit plusieurs fois à saint
Ignace des lenteurs et des tergiversations de l'évêque à propos d'une maison qu'il
avait promise (Voir lettre du 17 fév. 1552 dans Litt. quadr., I, 541-545). Mais comme
le font remarquer les éditeurs des Monumenta, d'après les lettres de saint Ignace,
le P. Viola, nature maladive, avait le caractère un peu trop chagrin. De son côté
M1 du Prat « était jaloux de ses droits, indépendant et tenace même dans ses bonnes
œuvres ». Enfin il avait à tenir compte de son chapitre, l'hôtel de Clermont étant
bien d'Eglise; puis il devait souffrir comme tout le monde de la misère du temps.
L'HOTEL DE CLERMONT. 16:i
lement, il conseilla de s'assurer à la cour de puissants protec-
teurs qui prendraient au besoin, près du roi, la défense de La
Compagnie1.
Déjà, dès 1549, Ignace de Loyola avait écrit au nonce aposto-
lique et à l'évêque de Maçon, pour solliciter leur bienveillance.
Le nonce s'était toujours montré favorable aux Jésuites de Paris.
Il prit en main leur cause, et tout faisait présager une heureuse
issue de ses démarches auprès du roi, lorsque la mort du Souve-
rain Pontife l'obligea de retourner en Italie. L'évêque de Màcon,
Pierre Duchàtel, agit d'une manière toute différente. Il protesta,
devant plusieurs personnes de son entourage, que loin d'aider la
Compagnie, il la desservirait plutôt, attendu, disait-il, que sous
couleur de religion ces nouveaux venus mangeaient le pain des
pauvres : « Il vaudrait mieux, ajoutait-il, que ces religieux et
beaucoup d'autres fussent occupés à bêcher la terre. » D'ailleurs
« il savait quel était le fondateur du nouvel Institut, un certain
Ignace, un espagnol, un ennemi de la France ». Aux côtés de l'é-
vêque se trouvait un homme très distingué, de science et de
vertu, Pierre Danès, qui avait été ambassadeur du roi très chré-
tien au concile de Trente2. Il se fit, devant M"' Pierre Duchàtel,
l'avocat des Jésuites, dont il espérait beaucoup pour le bien de la
France. Il loua les mérites de Claude Le Jay, de Jacques Lainez
et d'Alphonse Salmeron, leur doctrine et leur sainteté ; il rappela
leurs œuvres et leurs discours, les maisons de leur Ordre qu'il
avait visitées en Italie, les travaux de leurs confrères en Portugal
et en Espagne. « Ce bon et très savant homme, rapporte le
P. Polanco, parla avec tant de chaleur et d'à propos qu'on l'au-
rait cru un défenseur aux gages de la Compagnie. » Néanmoins
tout ce qu'il put dire fut inutile ; l'évêque de Màcon, dont l'esprit
avait été prévenu par de faux bruits, persista dans ses senti-
ments d'opposition :;.
6. Au milieu de toutes ces épreuves, Mgr du Prat, dans ses fré-
quentes excursions à Paris, se sentait et, se montrait de plus en
plus affectionné à ses hôtes, avec lesquels il aimait à s'entretenir
de tout ce qui concernait la Compagnie de Jésus. « Il était très
ému de la lecture des lettres adressées à toutes les maisons de
la Société, et dans lesquelles on racontait les choses édifiantes
1. LUI. quadr., I, 300. Clironicon, I, 418, 420.
2. Devenu évêque de Lavaur en 1557, il se démit de son évêcué en 1570 et mou-
rut l'année suivante à Paris. — 3. Polaneo, Chronicon, I, 421.
164 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSLS.
arrivées en divers pays. Quant à celles qu'il recevait personnel-
lement du P. Ignace, il les trouvait remplies d'un souffle divin et
en était profondément touché. » Il songeait dès lors à faire de
la communauté de Paris la base des grands et généreux desseins
qu'il avait conçus. Son intention bien arrêtée était de lui céder
non seulement l'usage, mais la propriété de son hôtel. Il laissait
même entrevoir qu'il comptait un jour affecter des revenus à
l'entretien des étudiants. Plusieurs autres personnes avaient
aussi manifesté le désir d'aider cette fondation de leurs deniers ;
mais toutes ces bonnes volontés se heurtaient à des obstacles
dont le temps seul et la patience devaient avoir raison '. Il fallait
d'abord qu'un des Pères eût une procuration en règle, afin de
pouvoir agir au nom du P. Général; il était ensuite nécessaire
que ce procureur fût profès de la Compagnie ; on exigeait enfin
pour la communauté, sinon la qualité de français de chacun des
membres, au moins un titre commun de naturalisation. Sans
la réunion de ces trois conditions indispensables, rien ne pouvait
être exécuté avec succès. La première avait été remplie dès le
commencement de l'année 1550 : le 17 janvier, le P. Viola avait
reçu une procuration qui lui permettait d'acquérir et de recevoir,
au nom du P. Général et de la Compagnie, une maison à l'usage
des scolastiques, et de passer à cet effet tous les contrats néces-
saires et opportuns2. Quelques mois après, en vue de réaliser
la seconde condition, des lettres patentes furent envoyées de
Rome par lesquelles le même Père Viola, admis comme coadju-
teur spirituel en 1547, était autorisé à prononcer les vœux de
profès entre les mains d'un prélat de son choix. Le P. Ignace
lui en adressait aussi la formule, et lui conseillait de les faire en
présence de l'évêque de Clermonl 3. Cette marque de déférence
envers un si généreux bienfaiteur était bien de nature à l'affec-
tionner davantage à la Compagnie. Le prélat aurait aimé à pré-
sider une cérémonie qui devait être, en France, la première de
1. Polanco, Chronieon, II, 88. Epist. mixt., V, 691. Lettre d'Ignace à l'évêque de
Clermont (Mon. ignat., s. 1, t. II, p. 666).
2. Instrumentum procuratorhtm (Mon. Ignat., s. 1, t. II, p. 657).
3. Lettre d'Ignace au P. Viola pour lui annoncer son admission aux vœux de pro-
fès, 22 fév. 1550 (Décréta et Instructiones, 1540-1573, f. 22). Lettres d'Ignace et de
Polanco au même touchant la cérémonie de sa profession [Mon. Ignat., s. 1, t. II,
p. 655, 656, 672, 673, 683, 684). Le P. J.-B. Viola avait d'abord fait les vœux simples
de coadjuteur spirituel. La lettre d'Ignace l'admettant à ce degré est du 25 août 1547
(Décréta et Instr., fol. 19). A celte page des Décréta, on trouve les patentes d'Ignace
(20 nov. 1547) au P. Paul d'Achille, au même sujet, et à la suite on lit : « Aliae ejus-
dem exempli litterae oct. cal. 7 '"'is MD.LXVII transmissae fuerunt ad magistrum
Iohannem de Violeis. »
L'HOTEL DE CLERMÛNT. I60
ce genre; mais, à son grand regret, le mauvais état de sa santé
le priva de cette joie. Il pria l'abbé de Sainte-Geneviève de vou-
loir bien le remplacer. Le 16 août, qui était un samedi, le P. Viola,
après la messe, lut à haute voix, en présence de toute sa com-
munauté et d'un grand nombre d'amis, la formule de profes-
sion, écrite de sa main, et qu'il remit ensuite au célébrant.
« Cette solennité fit comprendre, à ceux qui semblaient ne pas
le croire, que la Compagnie de Jésus était un véritable Ordre
religieux. Afin qu'il ne restât aucun doute à cet égard, on expé-
dia de Rome, non seulement la première et la seconde bulle de
confirmation de Paul III, mais aussi celle que Jules III venait de
publier, le *2i juillet; le tout en pièces authentiques, avec les
lettres apostoliques confirmant les privilèges de la Société '.
Il ne restait donc plus que la troisième condition : obtenir le
droit de naturalisation, qui permettrait à la Compagnie d'acqué-
rir des biens et de posséder des revenus; mais la chose devait
souffrir beaucoup de difficultés, qu'on ne pouvait vaincre sans se
ménager de loin les plus hautes protections. Le cardinal de
Cuise s'étant rendu à Rome pour l'élection du nouveau Pape,
M"r du Prat demanda avec insistance que le P. Général ne laissât
pas échapper cette occasion de recommander les Jésuites de Paris
à celui qui tenait la première place dans les conseils du roi-.
7. Charles de Guise, futur cardinal de Lorraine et protecteur
de la Compagnie de Jésus en France, mérite une mention spé-
ciale dans cette histoire. Né au château de Joinville, le 17 fé-
vrier 1525, il appartenait à la branche cadette de la maison de
Lorraine qui, au xvi° siècle, pendant trois générations successi-
ves, eut le privilège de donner au pays les plus habiles poli-
tiques et les capitaines les plus vaillants. Élevé, jusqu'à l'âge de
dix ans, sous la garde vigilante de sa pieuse mère, Antoinette
de Rourbon, il avait ensuite étudié au collège de Navarre, où
il révéla les brillantes qualités déployées plus tard dans la vie
publique. Le chancelier Olivier, qui l'avait connu dès sa plus
tendre enfance, l'appelait « un prodige de nature et d'esprit ».
Nommé, à l'âge de quatorze ans, à l'archevêché de Reims, il
fut présenté à la cour par le cardinal Jean de Lorraine, son
oncle, et gagna bientôt, par des mérites incontestés, l'estime et
1. Polanco, Chronicon, II, 89.
2. Polanco, Chronicon, I, 418; II, 88, 89. Lettre du P. Polanco au P. Viola, s fév.
t550 (Mon. Ignat., s. 1, t. II, r>. 6S3J.
166 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
la confiance du Dauphin. Henri, devenu roi à la mort de Fran-
çois I", en 15V7, l'appela avec son frère à siéger dans le con-
seil à côté des princes du sang, et, le 27 juillet de la même
année, il obtint pour lui le chapeau de cardinal. On le désigna
sous le nom de cardinal de Guise jusqu'à la mort de son oncle1 ;
il prit alors le titre de cardinal de Lorraine, qui rappelle un des
plus grands ministres de la France.
Après l'élection du cardinal del Monte au trône pontifical,
le cardinal de Lorraine élait resté quelque temps à Rome, afin
de traiter, avec le nouveau pape Jules III, des affaires du royaume.
Le P. Général se rendit auprès de l'illustre prélat pour lui re-
commander la Compagnie, et particulièrement la petite commu-
nauté de l'hôtel de Clermont. Le jeune cardinal, raconte un
témoin oculaire, « vint à son tour visiter notre maison, accom-
pagné de trois autres cardinaux français, s'entretint familière-
ment avec le Père Ignace et s'offrit de lui-même à être le protec-
teur de la Compagnie de Jésus en France, ajoutant avec bonté
qu'elle ne devait pas en prendre un autre- ». Revenu à Paris,
il accueillit avec bienveillance le P. Viola, lui promit le secours
de son influence et, comme il désirait établir une académie à
Reims, il exprima l'intention de se servir lui-même des Jésuites.
Le Père Supérieur profitant de ces aimables avances, lui parla
de la nécessité où il se trouvait d'avoir des lettres de naturali-
sation et lui remit une requête qu'il avait préparée. Peu de
jours après, le cardinal vit le roi ; il lui recommanda la .suppli-
que du P. Viola, à laquelle Henri II donna aussitôt son consen-
tement. Mais il ne fut pas aussi facile d'obtenir la confirmation
légale. La concession du monarque, d'abord examinée dans le
conseil étroit ou privé, devait être soumise à la signature du
chancelier, puis enregistrée par le Parlement. Malgré les plus
actives démarches, l'expédition des lettres de Henri II ne fut pas
même proposée, cette année, à l'examen du conseil. Par suite,
l'évêque de Clermont ne put, comme il en avait l'idée, faire don
de sa maison à la Compagnie : Dieu réservait pour l'installation
du futur collège de Paris, après bien des épreuves, une habita-
tion plus ample et plus commode1.
8. En attendant l'heure de la Providence, la communauté de
l'hôtel de Clermont poursuivit ses travaux réguliers d'étude et
1. Le cardinal Jean de Lorraine mourut le 18 mai 1550.
2. Polanco, Chronicon, II, 89, 90.
3. Polanco, Chronicon, II, 90. Epist. mixt., II, 191.
L'HOTEL UE CLERMONT. 167
d'apostolat, à l'ombre de la protection royale que lui avait mé-
nagée le cardinal de Lorraine. Malgré les bénédictions dont le
ciel récompensait sa ferveur persévérante, son supérieur n'était
pas sans inquiétude sur l'avenir. Elle se trouvait en effet soumise
à de pénibles privations, que tous supportaient avec joie pour
l'amour de Jésus-Christ. Elle se composait, en 1551, de quatorze
membres, sans compter les serviteurs. Le P. Viola fut obligé par
les difficultés matérielles de diminuer successivement ce nombre.
Quand il s'était ouvert confidentiellement au P. Ignace de son
extrême pauvreté, le fondateur lui avait répondu, dans le sens de
l'Institut, que c'était le cas de demander publiquement l'aumône ;
mais un édit défendait la mendicité sous peine de prison, et l'on
pouvait craindre de froisser la susceptibilité de l'évêque de Cler-
mont, qui était censé veiller à la subsistance de ses hôtes. Pendant
que le Père Viola, d'accord avec le P. Général, envoyait encore
à Rome deux des siens, M"1 du Prat, prévenu de la pénurie de
la communauté, la gratifia d'un secours qui retarda d'autres
départs1.
Au commencement de l'automne de 1551, des complications
extérieures vinrent aggraver cette triste situation pécuniaire. Un
conflit paraissait imminent entre le roi de France et l'empereur.
Henri II, avant de monter sur le trône, avait déjà fait preuve de
bravoure dans plusieurs campagnes. On savait qu'il profiterait
de toutes les occasions pour satisfaire son ardeur belliqueuse.
Une première entreprise en Ecosse, au début du règne, avait eu
l'heureux résultat de faire élever en France la jeune Marie Stuart,
destinée à devenir l'épouse du Dauphin. L'intervention dans les
atfaires d'Italie n'avait pas été moins heureuse, et les Anglais
venaient de rendre la ville de Boulogne. Henri II n'attendait plus
qu'une circonstance favorable pour se mesurer avec Charles-
Quint. Maurice, électeur de Saxe, la lui offrit, en négociant secrè-
tement avec l'envoyé du roi, Jean de Froissac, évêque de Bayonne,
le traité de Friedwald. Au mois d'octobre commencèrent les pré-
paratifs de guerre.
Le P. Viola, redoutant des difficultés pour les étudiants étran-
gers s'ils restaient à Paris, se décida à les faire partir pour Rome.
Ce furent d'abord le P. Éverard Mercurian, chargé de la conduite
du voyage, maître Adrien de Witte, maitre Éleuthère du Pont,
1. Polanco, Chronicoti, II, 291, 297,298. Litt. quaclr., I, 301. Epist. mixt., II, 686.
Manare, De Rébus S. /., p. 65.
168 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
François Gordon1, Léonard Masserus et le frère coadjuteur Arte-
mius. Ils se rendirent à Lyon, et de là se dirigèrent sur Genève
où ils eurent à supporter mille insultes de la part des Calvinistes;
mais ils en furent dédommagés par les sympathies des catholi-
ques, qu'ils rencontrèrent ensuite sur leur route jusqu'à Rome-'.
Malgré le petit nombre d'étudiants restés à Paris, l'état précaire
de la communauté était loin de s'améliorer : « Nous sommes de-
puis un mois sans aumônes, écrivait le P. Supérieur au P. Géné-
ral, le 17 février 1552, n'ayant reçu en tout qu'un écu et un tes-
tons J'ai déjà fait vendre, pour nous procurer de quoi vivre, les
vêtements fourrés de ceux qui sont partis. Tout est très cher et
chacun se trouve dans l'embarras, à cause de la disette, et parce
qu'il faut aider le roi. Les rues sont encombrées de pauvres qui
affluent des villages environnants... Ce qui me désole encore plus,
c'est que, retenu par la maladie, je ne puis sortir et pourvoir à
l'entretien de la maison. Je ne sais ce qu'il en adviendra. Puisse
Notre-Seigneur venir à notre secours4! »
Au printemps de 1552, quatre autres étudiants, parmi les-
quels le P. Olivier Manare, partirent encore pour Rome. Ils sui-
virent la même route que les précédents et, comme eux, ils eurent
à subir les injures des réformés. « Un jour, raconte dans son
style naïf le P. d'Oultreman, comme ces Pères eussent été con-
duits dans une taverne hérétique, en laquelle on rôtissoit de la
viande pour leur souper, quoyque ce fust jour de jeusne, ils
s'offensèrent de cela, et le P. Olivier trouva bon de sortir de là
et de chercher logis ailleurs. Ils sortent donc, et bien qu'il fust
noire nuict, ils s'en vont rôdant par ceste ville huguenote, bien
en peine de trouver un logis catholique, quand tout à coup un
jeune garçon leur vient au-devant et leur dit : Vous cherchez
un logis, n'est-il pas vrai? Suivez-moi, s'il vous plaist. — Et de
ce pas les mène chez un homme de bien, qui ne recevoit pas
d'hostes d'ordinaire, et qui presque seul en toute la ville estoit
catholique en son âme, comme il descouviït puis après aux Pères
qui avec lui tinrent ce cas pour miraculeux"'. »
La pauvreté, qui éprouvait la maison de Paris comme celles
1. Ce religieux est souvent appelé François Bordon ou encore François Scipion. Le
P. Polanco le désigne sous ces deux derniers noms à la l'ois : « opéra magistri Fran-
cisci Scipionis vel Bordonis » [Ckronicon, t. V, p. 120).
2. Chronicon, IF, 292. Manare, De Rebvs S. ./., p. 65. De vit a Mercuriani,
p. 6, 9. Lit.t. quadr., I, 541. Epist. mixl., II, 686. Carayon, Doc. inéd., I, 9.
3. Monnaie d'argent représentant la léte du roi. Le teston valait dix sous tournois,
et le sou douze deniers. — 4. Litlr. quadr., I, 544
5. Tableaux, p. 339. Cf. Chronicon, II, 593. Manare, De Ilebus S. /., p. 63.
L'HOTEL DE CLERMONT. 169
de Louvain et de Cologne, ne fut pas sans profiter au bien géné-
ral de la Compagnie : tous ces jeunes ouvriers apostoliques, ac-
cueillis à Rome parle fondateur, purent pendant plusieuis mois
s'initier près de lui aux choses de l'Institut, et. lui prêter ensuite
un utile concours pour rétablissement de nouveaux collèges'.
Adrien de Witte et François Gordon occupèrent à Modène les
chaires que leur avait réservées le cardinal JVIorone'-. Olivier
Manare, professeur de belles-lettres au collège de Gubio, re-
viendra gouverner la province de France avant d'être Vicaire
général de l'Ordre. Éverard Mercurian, après avoir exercé la
charge de vice-préposé à la maison professe de Rome, sera
nommé Recteur du collège de Pérouse, Visiteur en France, et
deviendra Général de la Compagnie de Jésus.
9. À la fin du mois d'avril, la communauté de Paris ne comp-
tait plus que quatre membres : le P. Viola seul prêtre, deux
scolastiques, Robert Claysson et Jacques Morel, et un frère
coadjuteur. Ils avaient perdu peu auparavant un religieux d'une
tendre piété, André Commelin, qui s'était endormi doucement
dans le Seigneur, après avoir supporté avec patience et courage,
<( comme un véritable athlète de Jésus-Christ », de longues et
cruelles souffrances3. Le P. Supérieur, souvent malade, ne pou-
vait plus suffire à sa tâche. Dans les lettres qu'il adressait à
Rome, il demandait avec insistance d'être déchargé d'un fardeau
trop lourd, et il indiquait le P. Paschase Broet comme très ca-
pable de le remplacer. Il ajoutait que celui qui viendrait à Paris,
quel qu'il fût, devait arriver au plus tôt.
Malgré les difficultés de l'heure présente, Ignace de Loyola ne
perdait pas l'espoir de donner à la petite colonie de l'hôtel de
Clermont un large développement; toutefois, pour gouverner la
Province dont elle devait être le centre, il ne pouvait plus comp-
ter sur le P. Viola. Sans doute celui-ci avait fait la profession
solennelle et se trouvait muni de pleins pouvoirs; mais, sans
parler du mauvais état de sa santé, un titre important lui man-
querait toujours, quand il faudrait réclamer pour son Ordre le
droit de cité dans le royaume : il n'était point citoyen français
ni français naturalisé. Le P. Général pensa donc à le remplacer
par un français d'origine, et choisit celui qui lui avait été pro-
posé. Un de ses premiers compagnons, le P. Paschase Broet.
1. Polanco, Chronicon, II, 597. — 2. Ibidem, p. 454.
3. Litt. quad,, I, 623, 710.
I7i) HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
gouvernant alors, de Ferrare, la province d'Italie, fut nommé
provincial de France. Il arriva à Paris le 25 juin 1552 '.
Il put être témoin des regrets que l'ancien supérieur laissait
dans cette ville : « Je ne puis partir d'ici sans voir couler beau-
coup de larmes, écrivait le P. Viola le 25 juillet. Tous essaient
de me retenir. Plusieurs voulaient retarder mon départ et vous
écrire à ce sujet; mais j'ai répondu que j'arriverais à Rome avant
leurs lettres2. » En réalité ce ne fut pas à Rome que se retira
le P. Viola, mais à Parme, puis à Ferrare, d'où il envoya au
P. Ignace les noms des bienfaiteurs et des amis de l'hôtel de Cler-
mont, afin qu'ils eussent part aux bonnes œuvres et aux prières
de toute la Compagnie.
10. Le P. Paschase Broet, choisi pour gouverner à sa place les
Jésuites de France, était bien l'homme qui convenait le mieux
dans les circonstances présentes. Ame droite et loyale, mais un
peu timide de caractère, il avait fait preuve d'un tact délicat et
d'une>are prudence dans les importantes missions qui lui avaient
été contiées : en Irlande comme nonce apostolique, à Bologne
comme recteur du collège, et à Ferrare comme provincial d'Ita-
lie. Lorsque Jean III, roi de Portugal, demanda au P. Ignace un
patriarche pour le royaume d'Ethiopie 3, les Pères qui résidaient
à Rome furent consultés : tous déclarèrent que le P. Paschase
Broet était très propre à cette dignité, par l'intégrité de sa vie,
l'excellence de sa doctrine et sa parfaite connaissance des af-
faires. C'était aussi l'avis du P. Général, qui lui trouvait beau-
coup de bonté, beaucoup de science, une grande expérience,
acquise dans la visite des diocèses et la réforme des monastères
dont on l'avait souvent chargé 4. De tels éloges de la part d'Ignace,
qui s'en montra toujours si sobre, sont le plus sur témoignage
1. Polanco, Chronicon, II, 597; IV, 327. Lettre du P. Polanco au P. Viola, 5 mars
15b2 (Mon. lynat., s. 1 , t. IV, p. 180). Lettre d'Ignace à l'évêque de Clermonl,
24 mai 1552. Du même au P. Broet, 7, 21 et 24 mai (Ibid., p. 234, 243, 244).
2. LUI. quadr., I, 711.
3. Sur les espérances que faisait concevoir l'empereur d'Ethiopie de se convertir à
la foi, le pape Jules III avait accordé au roi de Portugal, pour être envoyés dans
cette contrée, un patriarche et deux évêques choisis dans la Compagnie. Saint Ignace,
loin de se prêter de bon cœur à cette élection, lit tous ses efforts pour l'empêcher.
Dans les déclarations de la dixième partie des constitutions, il inséra cette re-
marque expresse : « In patriarchatu et episcopatibus .Ethiopiae admiltenJis resisti
non potuit ». Dans ses explications sur l'Institut, le P. Jérôme Nadal revenant sur ce
sujet dit à son tour : « II fut absolument impossible de résister à la volonté et à
Tordre formel du Souverain Pontife. »
4. Lettre de saint Ignace au P. Rodriguez (Mon. Ignat., s. 1, t. I, p. 599, 400),
Cf. Chronicon, 1. 171. Epistolae P. Nadal, II, 53.
L'HOTEL DE CLERMONI. I T !
des mérites cfe cet éinincnt religieux. L'approbation du Pape était
venue confirmer la nomination de Broet au patriarcat d'Ethio-
pie; mais des obstacles inattendus1 s'opposèrent à son départ;
il continua donc ses travaux apostoliques en Italie jusqu'au mo-
ment où il reçut l'ordre de se rendre en France.
A Paris le P. Broet, comme ses prédécesseurs, employa tous
ses soins au bon gouvernement de sa petite communauté, puis,
autant que les circonstances le permettaient, aux fonctions du
saint ministère. Chaque jour, dans l'église des Saints Corne et
Damien, et les jours de fête dans la chapelle de Saint-Germain-
des-Prés, il administrait les sacrements de Pénitence et d'Eucha-
ristie. Souvent aussi il visitait les prisonniers et les malades, leur
portant les consolations de la religion. Pour donner plus d'effi-
cacité à son action spirituelle, il avait surtout recours aux Exer-
cices du P. Ignace, et, comme il était très habile directeur, de
nombreuses conversions à une vie plus régulière, et plusieurs
vocations à l'état religieux couronnèrent les efforts de son apos-
tolat, dans toutes les classes de la société. La moisson eût été
bien plus abondante, s'il avait eu près de lui de plus nombreux-
auxiliaires 2.
La communauté ne se composait, en effet, que de six religieux
au commencement de 1553; le Père Broet seul était prêtre; les
autres suivaient à l'Université des cours de théologie, de philo-
sophie ou d'humanités. Ce nombre, il est vrai, se trouva doublé
à la fin de l'année 155'*, mais on ne pouvait guère espérer une
plus grande augmentation3. Malgré cela, les scolastiques trou-
vèrent moyen de continuer les catéchismes et les instructions ;ï
Saint-Germain-des-Prés, et d'y ajouter encore la visite des pri-
sonniers : « Nous exhortons les détenus à la patience et au re-
pentir, écrit l'un des jeunes apôtres, afin qu'en changeant de vie
ils réparent leurs fautes. Volontiers ils écoutent la parole de
Dieu et s'approchent des sacrements dont plusieurs étaient éloi-
gnés depuis de longues années. » Témoins de ce zèle désinté-
ressé, « beaucoup de gens, qui étaient hostiles à ces étudiants
exemplaires, commencèrent à voir la vérité et reconnurent qu'ils
cherchaient uniquement la gloire de Dieu et le salut des âmes l ».
1. Le P. Barloli (Ilalia, libr. I, c. 7) laisse entendre que le roi de Portugal ne vou-
lut pas d'un étranger.
2. Lettre du P. Claysson (LUI. quadr., 11, 103).
3. Polanco, Chronicon, IV, 327. 11 y avait alors, dit Polanco, trois étudiants en
humanités, quatre en philosophie, un en théologie et quatre prêtres.
\. LUI. quadr., III, 112, 241; IV, 190.
172 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE L»E JESUS.
Parmi les jeunes prédicateurs de l'hôtel de Clermont il y en
avait alors deux surtout, Robert Claysson et Jérôme Le Bas, dont
les premiers essais dans la sainte carrière étaient visiblement
bénis de Dieu. Le premier, originaire de Belgique1, paraissait
presque un enfant, mais il joignait à une précoce maturité une
éloquence naturelle, doublée d'un zèle convaincu. Jérôme, belge
lui aussi et d'un talent non moins distingué, était une de ces
natures ardentes qui ont plutôt besoin du frein que de l'aiguillon.
Il suivait les cours de théologie à l'Université de Paris, lorsqu'il
lit en 1553, étant déjà prêtre, les Exercices spirituels sous la
direction du P. Broet. Il y conçut le désir de partager la vie des
disciples d'Ignace; des amis, à qui il avait confié son projet,
parvinrent à l'en détourner. Cependant à partir de ce moment,
renonçant à l'existence dissipée des autres étudiants, il se mit au
service des pauvres dans les hôpitaux. Pour récompense de son
dévouement, Dieu permit qu'il ne perdit pas sa vocation. Pressé
par la grâce, il rougit bientôt de ses hésitations et se présenta de
nouveau au P. Broet qui le reçut avec joie2.
Les travaux apostoliques de ces deux religieux et de leurs frères
furent parfois gênés, à cette époque, par une opposition inatten-
due de la part du clergé. Ainsi, Robert Claysson ne fut point
autorisé à prêcher dans le diocèse de Paris; c'est celui de Soissons
qu'il allait le plus souvent évangéliser, avec le plein assentiment
de l'évêque, Mgr Mathieu de Longuejoue. Au contraire, l'évêque de
Paris, Eustache du Bellay, montra dans plusieurs circonstances
les sentiments peu bienveillants dont il était animé envers la nou-
velle Société. Le frère scolaslique Jacques Morel devant, avec
l'autorisation de ses supérieurs, recevoir les ordres sacrés, le
P. Broet communiqua au prélat les privilèges contenus dans les
bulles pontificales, et lui demanda de vouloir bien faire l'ordina-
tion. Eustache du Bellay répondit, avec humeur, que la Compa-
gnie n'était pas reconnue en France, et qu'il n'ordonnerait per-
sonne qui ne fût ou profès d'un Ordre approuvé, ou muni d'un
bénéfice ecclésiastique. Le conseiller Dumont, très dévoué aux
Pères, s'offrit comme médiateur et ne réussit pas mieux dans sa
démarche : « Je ne ferai rien, lui dit le prélat, car je paraîtrais
approuver la Compagnie en ordonnant quelqu'un de ses sujets'. »
1. Né à Bruges en 1518, entré dans la Compagnie en 15i9; fut recteur à SaintOmer
(t à Eiuges; n.ouiul tans «etle ville <n 160
2. Polanco, Chronicon, III, 295. LUI. quadr., II, 366.
3. Polanco, Chronicon, III, 286; IV, 319, 323. LUI. quadr., III, 109.
L'HOTEL DE CLERMONT. 17:î
Au mois d'avril 1554, raconte le P. Claysson dont nous abré-
geons le récit, « le 1*. Supérieur, après y avoir bien réfléchi, résolut
de me laisser prêcher à Saint-Barthélémy, dans le quartier du
Palais, et dans d'autres églises qui réclamaient le secours de mon
ministère. Nous nous rendons ensemble à l'évêché, pour obtenir
l'autorisation. Le prélat nous reçoit assez aimablement, et nous
dit qu'il est prêt à satisfaire aux vœux des fabriciens1 qui m'a-
vaient demandé, pourvu que je fusse accepté par le pénitencier,
Jean Alleaume, docteur en théologie, à qui incombait la charge
de m'examiner. De là, nous allons directement à l'église Notre-
Dame où nous rencontrons M. le pénitencier et M. le chantre.
Quand le P. Supérieur eut exposé l'objet de sa visite, on lui objecta
que je paraissais bien jeune, — ce que j'avouai ingénument. —
Nous insistons, en faisant remarquer que ce n'était pas un sérieux
obstacle. Alors M. le chantre élevant la voix : « Si celui-ci monte
« en chaire, vous soulèverez contre vous tout le collège de Sor-
« bonne et les quatre Ordres mendiants!... » Et cela dit, 'il s'éloi-
gna. M. le pénitencier nous parla avec plus de bienveillance et de
familiarité : « Je ne doute pas, dit-il, en s'adressant à moi, de
« votre science et de votre vertu; mais je crains que votre air de
« jeunesse ne soit pour les auditeurs une occasion de mépriser la
« parole de Dieu. Quoi qu'il en soit, je verrai les fabriciens et je
« vous rendrai réponse. » Bref, nous revînmes à la charge plu-
sieurs fois, mais toujours il prétendait qu'il n'avait pas encore
vu les fabriciens. Il finit un jour par ajouter au P. Supérieur .
« Croyez-moi bien, je vous prie, ce serait imprudent de laisser
« ce jeune homme monter en chaire, et cela pour de bonnes
« raisons que je ne puis vous dire ; c'est pourquoi attendons une
« meilleure occasion 2. »
Les sentiments de défiance d'Eustache du Bellay et de quelques-
uns des chanoines de sa cathédrale étaient partagés par plusieurs
curés de Paris. Un ami des Jésuites, frère d'un marguillier de
Saint-Sulpice, s'était un jour promis d'obtenir au P. Claysson la
permission de prêcher dans cette église, soumise à la juridiction
du cardinal de Tournon. Le curé fit un médiocre accueil au solli-
citeur, et refusa sous un futile prétexte d'accepter un prédicateur
de la Compagnie. Indigné de toutes ces entraves et injustices, un
homme de grande influence prit sur lui de faire accorder aux
Pères la chaire de l'église de la Trinité. Très lié avec l'évêque de
1. Le lexle du P. Claysson porte aediles.
2. Litt. quadr., II, 6fi4; III, 108. Chronicon, IV, 320.
.
174 histoire de la compagnie de jési s.
Paris, il va le trouver, se croyant sur de le convaincre; mais il
ne put en tirer qu'un refus ainsi motivé : « Je connais les senti-
ments des théologiens sur cette Société; ils regardent son existence
comme illicite. Quant à moi, je n'accorderai jamais à ses membres
la faculté de confesser ou de prêcher, tant qu'ils ne seront pas,
comme les autres prêtres, soumis à mon pouvoir et à ma juridic-
tion1. »
Trois fois repoussé dans ses démarches, le P. Broet envoya
Robert Claysson à l'abbaye de Port-Royal des Champs2 où la Com-
pagnie n'était pas encore connue. Il y prêcha à deux reprises
devant un nombreux auditoire, puis aux mois de mai, de septem-
bre et d'octobre il parcourut le diocèse de Soissons, parlant suc-
cessivement dans deux ou trois villages, les dimanches et les jours
de fête. Sa réputation d'orateur parvint jusqu'en Belgique, où
l'un de ses oncles voulut l'attirer par l'offre de deux abbayes;
« mais le vaillant apôtre méprisa les brillants avantages et resta
fidèle à sa vocation 3 » .
Le moment approchait où quelques-uns des religieux de l'hôtel
de Clermont allaient pouvoir exercer, en toute liberté, leur zèle
et leur talent sur un autre théâtre. Leur insigne bienfaiteur ne
s'était pas laissé décourager par les obstacles. Son dévouement
croissait, au contraire, avec les persécutions qu'avaient à subir
ses protégés'1. Avant d'introduire les Jésuites dans sa maison de
Paris, M"1 du Prat avait eu l'intention de leur confier la réforme
de l'éducation de la jeunesse dans son diocèse. Lorsqu'il vit que
la Compagnie ne pouvait obtenir le droit de naturalisation dans
la capitale, il voulut, en attendant mieux, réaliser son premier
dessein. Dès le mois de juin 1551, il avait proposé au P. Ignace
la fondation d'un collège d'enseignement en Auvergne 5. Le petit
nombre d'étudiants restés en France, sans parler des autres motifs,
n'avait pas alors permis d'y songer. Maintenant le projet pouvait
être repris; il le fut avec succès, comme nous allons le raconter.
1. LUI. quadr., II, 665. Chronicon, IV, 320.
2. Le refus d'Eustachc du Bellay ne pouvait s'appliquer aux églises soustraites à la
juridiction épiscopale.
3. Polanco, Chronicon, IV, 321, 325, 326. LUI. quadr., II, 665; III, Ut.
4. Saint Ignace et les siens savaient reconnaître tant de bontés. On peut voir dans
une lettre de Fr. de Borgia à Guil. du Prat quelle estime la Compagnie avait pour
l'évéque de Clermont [Mon. S. ./., S. F. Borgia, III, 64-66).
5. Epis t. mixt., V, 725.
CHAPITRE III
FONDATION DU COLLÈGE DE BILLOM.
(1553-1560).
Sommaire : 1. La Compagnie accepte peu à peu des collèges pour rensei-
gnement de la jeunesse. — 2. Missions des Jésuites en Auvergne. — :j. Forma-
lités relatives à la fondation de Billom. — 4. Succès apostoliques du P. Clays-
son. — 5. Derniers arrangements et ouverture des classes. — 6. Règlement
d'un collège de la Compagnie de Jésus. — 7. Contrat de fondation. Bénédiction
de la première pierre. — 8. Mort de M5' du l'rat. — 9. Son testament est at-
taqué.
Sources manuscrites : I. Rorna, Archivio di Stato : Fundat. Gesuit. colles-, l(ï.
II. Documents conservés dans la Compagnie : a) Galliae epislolae; — bï Tolosanae prov.
fundationes collegiorum; — c) Gallia, Epistolae Generalium, t. 1559-1561.
III. Archives hospitalières de Clermont-Ferrand. E, 1. E, 3.
IV. Bibliothèque de Clermont, ms. Gi-2.
V. Archives du Puy-de-Dôme, série D.
Sources imprimées : Constitutiones S. J. — Carias de San Ignacio — Manare, De Re
bus S. J. Commentarius. — Du Boulay, Hist. Unia Parisiensis. — Prat, Mémoires
pour servir à l'histoire du P. Broet. — Monumenta iiistoiuca. S. J. Chronicon S. J. —
Litterae quadrimestres. — Epistolae mixtae. — Monumenta Xaveriana. •— Epislolae
P. Nadal. — Epistolae PP. Paschasii Brejeti, etc.
1 . Le Père Paschase Broet était venu à Paris avec le titre de
Provincial; mais, les Jésuites n'occupant alors qu'une seule rési-
dence, sa charge en réalité ne différait guère de celle d'un Rec-
teur. L'établissement du collège de Billom, que nous entreprenons
de raconter, allait donner une plus large étendue à l'exercice
de ses pouvoirs.
Avant de faire le récit de cette fondation, il n'est pas inutile
de montrer la genèse des idées de saint Ignace sur la question
des collèges1.
De l'apostolat par l'enseignement il n'est pas dit un mot dans
la Bulle de Paul III. La phrase eruditio puerorum et rudium,
contenue dans ces lettres apostoliques2, ne signifie pas autre
chose, d'après le contexte et les faits, que le catéchisme aux en-
1. Le P. F. Tournier a déjà très bien utilisé les documents que nous avons sur
celte matière, dans ses articles relatifs h Monseigneur Guillaume Du Prat au Concile
de Trente (Études, février-mars 1904).
2. Institut., III, p. 2, 3.
176 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
fants et aux ignorants. Nous l'avons dit, la Bulle Regimini n'était
qu'une ébauche, une formule embryonnaire. D'elle sortira, comme
de son principe, l'apostolat de l'enseignement qui n'est au fond
qu'une forme de la charité, caritatis opéra1. Mais pour le régler
et lui donner son complet développement, il faudra le temps, la
réflexion, les circonstances et l'inspiration divine2. Dieu va per-
mettre que, durant les dix années passées à l'organisation de son
Ordre, Ignace connaisse et comprenne mieux cette vocation de sa
Compagnie et qu'il puisse entrevoir déjà les admirables résultats
réservés dans l'avenir à cet apostolat fécond.
En 15 il, chargé avec le P. Codure de prévoir et de formuler
les points principaux des Constitutions, il ne songe d'abord, sur
cet article, qu'à la formation intellectuelle des siens : « On pla-
cera, déclare-t-il, les collèges dans les villes d'Universités; il n'y
aura dans la Compagnie ni facultés, ni leçons3. » Et, en effet, ces
collèges primitifs, simples maisons d'étude pour les jeunes re-
ligieux de la Société, ne comprennent d'abord aucun enseigne-
ment, ni public, ni privé à domicile. Les étudiants y sont réunis
en communautés, et sortent pour aller suivre les cours; à côté
d'eux, souvent, habitent les novices et un groupe de religieux,
déjà formés, employés au ministère des âmes. Telles sont les
maisons de Lisbonne, Padoue, Coïmbre, Louvain, Cologne, Al-
cala, Valladolid et Barcelone. Mais bientôt, par suite de circons-
tances providentielles, deux tendances se manifestent qui vont
modifier cette idée première. D'une part, ce qu'on pourrait ap-
peler les collèges- séminaires de la Compagnie tendent à se
changer en collèges mixtes, où des cours sont faits non seule-
ment aux étudiants jésuites, mais aussi à d'autres venus du de-
hors. Cette nouvelle disposition apparaît peu à peu dans plusieurs
des maisons déjà existantes; elle est surtout imposée aux fonda-
tions nouvelles, par exemple à celle de Gandie4, dont les négo-
ciations sont entamées en 1545 par le duc François de Borgia, à
1. Ibid.
2. Si l'on en croit le P. Gonzalvès, ce serait Lainez qui aurait eu l'initiative des
collèges et qui y aurait le plus poussé : « Je demandai un jour [au P. Ignace], raconte-
t-il dans son Mémorial, qui avait eu l'idée des collèges? — Lainez, répondit-il, fut le
premier à toucher ce point. Nous autres, nous faisions difficulté à cause de la pauvreté;
mais lui proposa des expédients pour les lever, tantôt l'un, tantôt l'autre » (Memo-
riale P Gonsalvi de S. Ignatio. — Mon. Jgnat., s. 4, t. I, p. 220). Malheureuse-
ment nous ne savons à quelle date rapporter cette initiative de Lainez, ni surtout
s'il s'agit des collèges-séminaires pour la Compagnie ou bien des collèges d'enseigne-
ment pour les étrangers, ou bien encore des collèges mixtes.
3. Constit- lat. et hisp., p. 306.
4. Polanco, Chronicon, I, 186, 312.
FONDATION DU COLLÈGE DE BILLOM. 177
celles de Messine1 et de Palerme2, réclamées en 1548 par les
habitants et le vice-roi de Sicile, qui veulent favoriser à la fois et
les progrès de la Compagnie et l'instruction de la jeunesse sécu-
lière. D'autre part, certains fondateurs de collèges, uniquement
destinés à l'enseignement public, proposent à la Compagnie d'en
prendre l'administration et la direction. Ce fut le cas pour Goa.
Lorsque François Xavier y arriva, au mois de mai 1542, il y
trouva un collège, récemment fondé par Diego de Borba, dont
on achevait les constructions et où se réunissaient déjà une soixan-
taine d'enfants3; le gouverneur des Indes et les autorités de la
ville le pressèrent d'obtenir le concours de ses frères à une œuvre
aussi importante. Transmise et appuyée par le missionnaire, cette
proposition fut agréée d'Ignace. A partir de l'année suivante, plu-
sieurs Jésuites résidèrent au collège de Goa à titre d'auxiliaires4.
Après la mort du fondateur, en 1549, la Compagnie le prit à sa
charge entièrement '. Nous avons déjà rencontré, en 15i6, au
début du concile de Trente, un cas analogue : Mer du Prat of-
frant au P. Le Jay, et par lui à la Compagnie, de l'aider à re-
monter son Université de Billom; et lorsqu'on en venait aux
détails pratiques, ses projets n'allaient à rien moins qu'à fonder
un collège d'enseignement sous la direction des Jésuites.
Or tous ces événements se passaient, ces divers appels à l'en-
seignement parvenaient à Ignace, tandis qu'il remaniait la pre-
mière formule de l'Institut, et fixait les lois de son Ordre « d'après
les leçons de l'expérience'1 ». Il s'inspira de toutes ces circons-
tances ménagées par Dieu : dans la formule présentée à Jules III,
il inscrivit ce mode d'apostolat parmi les ministères propres de
l'Institut7, et dans un chapitre spécial des Constitutions il donna
quelques prescriptions sur les collèges d'enseignement, De scho-
lù collegionim Societatis*.
Il n'appartient pas à cette histoire de raconter de quelle ma-
nière l'organisation scolaire de la Compagnie alla se complétant
jusqu'à la rédaction du Ratio Studioriun : une pareille étude
1. Ibid., p. 242, 268. — 2. Ibid., p. 379, 383. '
3. Monum. Xaver., I, 262. Polanco, Chronicon, I, 109.
4. Polanco, Chronicon., 1, 121, 201.
5. Mon. Xaver., I, 504.
6. Exposcit debituni (Inst., I, 21). Cf. Polanco, Chronicon, I, 268.
7. <> Per publicas praedicationes, lectiones et aliud quodeumque verbi Dei minislc-
rium » (Ibid.).
8. Pars IV, cap. vu. Il est à remarquer que ce chapitre, entré dans la rédaction
définitive des Constitutions, était absent de la rédaction antérieure. (Voir Const. lai.
et hisp., p. 365).
C0MPAC4NIE DE JÉSUS. — T. I. 12
j 78 HISTOIRE DE IA COMPAGNIE DE JÉSUS.
nous entraînerait trop loin hors de la France. Nous nous contente-
rons Je signaler, en son temps, ce qui se passa dans notre pays à
ce sujet.
2. Disons d'abord comment s'établit notre premier collège
d'enseignement. La fondation en fut assez lente, à cause des cir-
constances et des difficultés faites aux Pères de Paris. Au com-
mencement de l'été de l'année 1553, la peste ayant fait son appa-
rition dans la capitale, la communauté de l'hôtel de Clermont fut
contrainte de se disperser. Quelques-uns de ses membres se reti-
rèrent à Rochefontaine, chez un ami, Ange Cognet, avocat au
Palais. Mgr du Prat, au premier bruit du danger, avait invité le
P. Broet à se réfugier avec les siens dans le diocèse de Clermont
où ils pourraient, disait-il, prêcher, confesser et s'occuper d'œu-
vres charitables. Le P. Supérieur, retenu à Paris par les intérêts
de la Compagnie, ne pouvait songer à une longue absence, et la
nécessité de continuer leurs études, dès que la peste aurait disparu,
ne permettait pas à ses religieux de trop s'éloigner de la capitale.
Cependant pour accorder quelque satisfaction aux avances de
l'évêque, il envoya le P. Jérôme Le Bas et le F. Jacques Morel en
Auvergne1. Tous deux se mirent à la disposition de Mgr du Prat.
Ils évangélisèrent d'abord Beauregard, où se trouvait le château
de l'évêque, ainsi que le pays environnant. Puis, pendant deux
mois, à l'hôpital de Clermont, ils passèrent une partie de leur
journée à consoler et à instruire les malades : après la messe de
chaque matin, les catéchismes, les instructions sur l'évangile et
les sermons se succédaient jusqu'au soir. Toute populaire qu'elle
fût, leur éloquence avait un charme si solide que les hommes et
les femmes de la haute société, les magistrats et les chanoines
se faisaient un plaisir de venir les écouter2.
Témoin de cette sympathie, à laquelle il s'attendait, M.gr du Prat
résolut de renouveler ses démarches auprès du P. Ignace en fa-
veur de sa ville de Billom : « Depuis longtemps, lui écrit-il à la
date du 29 septembre 1553, je vous ai exprimé mon désir de re-
lever dans cette ville son ancienne Université, tellement déchue
qu'elle conserve à peine quelques traces de sa primitive exis-
tence... Je garde l'espoir... que Dieu daignera vous inspirer de
vouloir bien m'accorder le concours de quelques-uns de vos
1. Jacques Morel, né dans le diocèse d'Evreux, entra dans la Compagnie en 1545 :
« Vir apprime modestus, humilis, mansuetus, ut sibi rigidus ita comis omnibus, nul-
lis parcens laboribus » (Litt. quadr., III, 528).
2. Chroaicon, III, 296. Litt. quadr.. II, 366, 516.
FONDATION DU COLLÈGE DE B1LLOM. 17g
frères... Je les recevrai avec toute "l'affection et la tendresse d'un
père; j'aurai soin que rien ne leur manque pour leur honnête en-
tretien et leurs progrès dans la vie spirituelle. J'ai acheté des
bâtiments, que je mettrai de suite très volontiers à leur disposi-
tion, et, suivant leurs conseils, je suis prêt à exécuter tout ce que
je reconnaîtrai utile à la gloire de Dieu et au bien de votre So-
ciété1. »
Dès qu'il eut connaissance de l'état des choses, le 1\ (Général
s'occupa de réunir quelques hommes de talent et de vertu, qui
pourraient répondre à l'attente de l'évêque de Clermont. Son
choix se porta sur deux Pères, anciens membres de la commu-
nauté de Paris, Pierre Chanal et Jean de la Goutte, qui avaient
acquis l'expérience de l'enseignement en Espagne, et déjà fait
preuve d'habileté et de dévouement2. Il les rappela en Italie, avec
l'intention de les destiner à la fondation de Billom. Le P. Jean de
la Goutte s'embarqua à Barcelone ; mais, arrivé sur les côtes de la
Sicile, il tomba au pouvoir des corsaires turcs qui le transportè-
rent dans l'Ile de Zerbi, près de Tunis. A cette nouvelle, Ignace
fit les plus actives démarches, et les Pères de Palerme et de Mes-
sine s'imposèrent les plus grands sacrifices, pour délivrer le pau-
vre captif; rien ne put satisfaire l'avidité des Barbaresques qu'a-
nimait une haiue implacable contre les chrétiens. Ils prolongèrent
indéfiniment les négociations, refusant toujours d'accepter la
rançon, de plus en plus forte, dont on était convenu. Pendant ces
interminables pourparlers, la vie du prisonnier se consumait dans
les privations et les souffrances. Une mort prématurée le rendit
à la liberté des enfants de Dieu0. Le P. Pierre Chanal, plus heu-
reux que son compagnon, échappa aux mains des corsaires et
parvint à Rome sain et sauf.
Tandis que le P. Ignace préparait des ouvriers à la fondation
de Mgl du Prat, le P. Broet et le P. Robert Claysson étaient allés
rejoindre le P. Le Bas en Auvergne, au mois de novembre 1553.
Ils parcoururent le diocèse de Clermont, annonçant la parole de
Dieu à une population très avide de l'entendre. Mais bientôt, la
peste ayant cessé ses ravages à Paris, les deux jeunes Pères, encore
étudiants, durent songer au retour. Le P. Claysson partit le pre-
1. Carias de S. Ign., IV, app. II, n. 2.
2. lierre Chanal participa à la fondation du collège de Valence et ensuite à l'inau-
guration de l'Université de Gandie avec un succès auquel l'historien de S. François
de Borgia s'est plu à rendre hommage. (Cieni'uegos, Vida del grande S. Francise,
de Borgia, 1. III, c. vi, n. 1).
3. Clironicon, III, 183, 229. Epis t. mixt., n. 153.
ISO HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
mier, emportant les regrets de tous ceux qu'il avait évangélisés.
Le second dimanche de l'Avent, le P. Le Bas lit de touchants
adieux dans le sermon qui suivit la messe : les larmes et les san-
glots de ses auditeurs trahirent l'affection dont il était l'objet.
Puis il visita une dernière fois les malades de l'hôpital, qu'il essayait
de consoler en leur laissant espérer de le revoir bientôt avec la
permission de son supérieur. Au moment du départ, son refus du
viatique et des dons qu'on voulait lui offrir édifia beaucoup
tous les amis qui l'accompagnaient1. Le P. Paschase Broet, resté
seul, entreprit, à la demande de l'évêque de Clermont, la visite
de quarante-quatre paroisses; il put ainsi se rendre compte des
besoins spirituels du diocèse, et il remit par écrit au prélat le
résumé de ses observations.
La bonne impression laissée sur son passage par le P. Broet, et
le souvenir des éloquentes prédications des PP. Claysson et Le
Bas, inspirèrent aux habitants le désir de voir la Compagnie
s'établir en Auvergne. Nous savons que c'était aussi le vœu le plus
ardent de Guillaume du Prat. Il venait de recevoir du Général
des Minimes une lettre où l'on faisait le plus bel éloge du collège
de Borne, et il pressait le P. Supérieur d'obtenir du P. Ignace ce
qu'il avait récemment demandé. Après avoir examiné les res-
sources des diverses localités du pays, le P. Broet reconnut qu'au-
cune ne se prêtait mieux aux ministères de l'Institut que Billom,
placé sous la juridiction temporelle et spirituelle de l'évêque de
Clermont. Un nombre d'écoliers assez restreint, sans doute, fré-
quentait son Université ; mais on pouvait compter qu'après la ré-
forme des cours il deviendrait plus considérable3. Le Père aurait
désiré qu'on bâtît un nouveau collège avant l'arrivée des reli-
gieux. M^r du Prat, au contraire, était d'avis qu'on envoyât d'a-
bord les Jésuites, qui construiraient à leur gré et conformément à
leurs usages. D'ailleurs, disait-il, cette fondation ne ferait aucun
tort au futur établissement de Paris, auquel il avait l'intention
de laisser la propriété de l'hôtel de Clermont avec des revenus4.
1 .Lettre du P. Broet à saint Ignace, 7 décembre 1553 [Epist. PP. Broeli, etc.,
p. 98). Chronicon, III, 299, 300. Litt. quadr., II, 518-523.
2. Chronicon, III, 287; IV, 316. Litt. quadr., II, 661.
3. Billom avait possédé autrefois un collège florissant qui jouissait des privilèges des
Universités; on y prenait le degré de bachelier ès-arts. Eugène IV, par une bulle du
4 juin 1415, avait accordé à cet ancien collège une Faculté de l'un et l'autre droit.
Celte Université n'était pas fondée; elle se soutenait par les soins et la piété du cha-
pitre de Saint-Cerneuf, et par une modique rétribution que donnait chaque écolier.
{Comptes rendus au Parlement de Paris, t. VI, p. 438].
4. Chronicon, III, 301. Epist. PP. Broeti, etc., p. 98-100.
FONDATION DU COLLEGE DE, B1LLOM. IS1
Le P. Supérieur ayant envoyé à. Rome un compte rendu dé-
taillé de ses entretiens avec le généreux évoque, le P. Généra]
répondit qu'il lui paraissait difficile, en ces temps de troubles oc-
casionnés par la guerre entre le roi et l'empereur, d'envoyer des
professeurs, surtout s'ils n'étaient pas français. Il voulut d'abord
savoir si ces Pères pourraient vivre en sécurité dans ce pays. Un
ami de confiance, auquel s'adressa le P. Hroet, l'assura que même
les sujets de l'empereur ne courraient aucun risque à Paris, à plus
forte raison à Billom, pourvu toutefois, ajoutait-il, qu'il ne sur-
vienne pas de nouveaux décrets. Dans une telle incertitude, la
prudence commandait de ne pas entreprendre une œuvre dont la
réussite était encore douteuse. Aucun Père ne fut alors envoyé à
Billom, et le P. Supérieur lui-même, au commencement de février
1554, revint à Paris1.
Pendant le séjour du P. Broet en Auvergne, le directeur d'un
collège de Périgueux, un docteur en théologie, avait fait présen-
ter aux Pères de l'hôtel de Glermont une requête où il demandait,
pour ce pays abandonné, quelques ouvriers apostoliques : « Plût à
Dieu, y disait-il, qu'il vint à la pensée du Père Ignace de diriger
de ce côté quelques-uns de ses frères! Ils feraient plus pour la
gloire de Dieu dans ces contrées que dans certaines régions de
l'Inde, tellement le culte divin et la doctrine chrétienne y sont
obscurcis de ténèbres. Notre population, en ce qui concerne la
foi, est plus ignorante que les Garamantes. Près de Bordeaux, s'é-
tendent des forêts d'une trentaine de lieues, dont les habitants,
sans souci des choses du ciel, vivent comme des bêtes de somme.
On trouve des personnes de cinquante ans, qui n'ont jamais en-
tendu une messe ni appris un mot de religion. » C'était une belle
moisson promise au zèle des apôtres, malheureusement le petit
nombre des religieux ne permit pas de répondre à ce pressant
appel2.
Peu de temps après le retour du P. Supérieur, ce fut le pre-
mier magistrat de la ville de Montargis, à vingt -cinq lieues de
Paris, qui fit une démarche analogue. Il demandait, afin d'éta-
blir une école, qu'on lui envoyât un Père et un Frère, auxquels
il offrait une maison, cent francs de rente et tout l'ameublement.
Le curé qui avait à cœur de voir réussir l'entreprise, mettait, lui
aussi, sa personne et ses livres à la disposition de la Compagnie.
Comme pour Périgueux il fallut renoncer, au moins pour le
1. Ibidem. Chronicon, IV, 317, 324.
2. Chronicon, III, 300. LUI. quadr., II, 308.
182 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
moment, ;'i une œuvre qui promettait d'être féconde en fruits de
salut1.
3. Enfin, en 1555, l'heure sembla venue de s'occuper active-
ment de la fondation de Billom. Aux yeux d'Ignace de Loyola,
les motifs qu'on aurait eus de la retarder encore devaient céder
à la reconnaissance que la Compagnie était tenue de témoigner
à Ms'' du Prat2. Dès qu'il sut cette bonne nouvelle, l'évêque se
hâta de remplir toutes les formalités qui devaient légalement
précéder l'établissement du collège. Un accord passé le 26 jan-
vier, devant le notaire de Beauregard, entre l'évêque, le chapitre
et la ville, formula les conditions convenues avec le P. Broet,
Provincial de la Province de France3. La ville de Billom con-
sentait à une imposition de deux mille livres pour la construc-
tion des classes; les chanoines de Saint-Cerneuf renonçaient à
leurs droits et prérogatives touchant l'enseignement, mais en
stipulant que ces droits leur feraient retour, si la Compagnie de
Jésus, pour une cause ou une autre, abandonnait la régence des
écoles.
Pendant ces négociations, un des religieux de Paris les plus
estimés de l'évêque de Clermont et que tout désignait pour l'or-
ganisation du nouveau collège, Jérôme Le Bas, faillit mettre sa
vocalion en péril et devenir le jouet de son imagination. Nature
ardente et généreuse, il partagea quelque temps, avec un de
ses confrères, Jean Arnauld, les rêves chimériques de Guillaume
Postel sur les futures grandeurs du royaume de France et de
l'Église romaine. Postel, en 1553, huit ans après sa sortie du novi-
ciat, avait publié, sous le titre de Sibyllinorum versuum Ecfra-
sis, un commentaire des vers fatidiques des Sibylles, qu'il dédia
à Mgr du Prat4 : « Vous êtes le premier, lui disait-il, qui avez pro-
tégé, dans notre France, une Compagnie née dans le sein de ce
beau royaume, décorée du nom même de Celui qui doit être
reconnu pour le roi de l'Univers, et déjà célèbre par le bonheur
qu'elle a de remplir toutes les Indes de la lumière de l'Évangile,
et de préparer ainsi les voies de la Légation Universelle''. »
Jérôme Le Bas et Jean Arnauld s'étaient laissé éblouir par cette
1. Chronicon, IV, 318. Litt. quadr., II, 662; III, 111.
2. Lettre du 12 sept. 1555 (Cartas de S. Ign., V, 326).
3. Traité entre l'évêque et les chanoines (Roma. Arch. di Stato : Fundat. Gesuit.,
n. 16, fol. 43-48).
4. Desbillons, Nouveaux éclaircissements sur la vie et les ouvrages de Guil.
Postel (Liège, 1773, in-8°). — 5. Cf. Weill, De Gulielmi Postelli vita et indole.
FONDATION 1)1 COLLÈGE DE BILLOM. 183
prétendue destinée de la Compagnie, d'aider à soumettre Ions
les peuples au Souverain Pontife, sous la garde de la monarchie
très chrétienne, et ils ne dissimulaient pas qu'ils trouvaient dans
cette brillante théorie quelque chose de glorieux pour l'Église,
la France et la Société d'Ignace de Loyola. Mais le saint fonda-
teur, avec son sens droit et pratique, se montra, comme le
P. Broet, inquiet d'une telle disposition dans deux de ses disci-
ples. Il les fit venir à Rome, et fut d'ailleurs pleinement rassuré
quand l'un et l'autre, guidés par l'esprit de foi et d'obéissance,
eurent réduit à leur véritable interprétation des propos qu ils
avaient pu tenir sans en considérer toute la portée. Ils désavouè-
rent toutes les chimères qu'on pouvait reprocher à Guillaume
Postel, et s'abandonnèrent sans réserve au jugement de leur
Supérieur. Le P. Arnauld ne tarda pas à revenir en France1.
Quant au P. Le Bas, il fut envoyé à Billom avec le P. Pierre
Chanal, et, dans une lettre du 12 septembre 1Ô55, le P. Ignace
annonçait à l'évêque de Clermont leur prochaine arrivée : « Jé-
rôme Le Bas, lui disait-il, est sans doute bien connu de Votre
Seigneurie Bévérendissime, cependant j'ai confiance que depuis
sa venue à Rome il n'a pas peu progressé dans la grâce de Dieu.
AL Pierre Chanal est très versé dans la philosophie et la théo-
logie; parles exemples d'une vie modeste et innocente, il nous
a toujours donné beaucoup d'édification. Il est français d'origine
et des environs du diocèse de Clermont;... il ne tardera pas à
travailler avantageusement à la gloire de Dieu et au bien des
âmes2. »
i. Le 26 octobre, les PP. Le Bas et Chanal arrivèrent de Rome
à Billom, où ils trouvèrent le P. Claysson qui avait reçu au
mois de mai, des mains de Mpr du Prat, la consécration sacerdo-
tale3. Trois hommes de ce mérite furent vite appréciés de la
ville et de tout le diocèse, et l'on désira de tous les côtés béné-
ficier de leur enseignement et de leurs prédications; nous le
savons par une lettre de Mgr du Prat au P. Général : « J'ai chargé
[le P. Claysson], écrit-il, d'interpréter l'Écriture Sainte aux élèves
do l'Université de Billom et de faire des sermons dans les églises.
Il m'est difficile d'exprimer avec quel enthousiasme il a été
accueilli par les étudiants et par les habitants. C'est au point que
i. Chronicon, V, 324.
2. Carias de s. Ignacio, V, 326. — Chronicon, V, il.
3. Chronicon, V, 337, 346. — LUI. quadr., III, 470, 635, 700.
181 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
maintenant toutes les villes de mon diocèse se disputent le
bonheur de le posséder, et que chaque jour elles redoublent
d'instances auprès de moi. Mis en demeure ou de subir la honte
de négliger une œuvre commencée, ou de manquer à mon de-
voir, en repoussant des désirs si saints et si légitimes, j'ai pris
un juste milieu... et j'ai prié le P. Claysson d'aller exercer son
éloquence et son zèle dans quelques villes... pendant les vacances.
Il l'a fait avec un tel succès qu'on quittait tout pour l'entendre...
Jérôme Le Bas et Pierre Chanal sont l'un et l'autre, par leur
zèle et par leur modestie admirables, dignes de toute notre con-
sidération. J'ai cru devoir envoyer maître Jérôme à Clermont où
il se dévoue aux malades de l'hôpital et aux pauvres, avec tant
de charité, qu'ir a conquis le respect et l'affection de mes diocé-
sains... Vous prêteriez à nos efforts un concours bien utile, si
vous envoyiez encore quatre ou cinq des vôtres, soit pour secon-
der maître Robert Claysson, soit pour remplir les divers offices
du collège. Car je me propose de donner à vos Pères l'entière
direction des écoles de Billom. J'aurai soin que toute la maison
leur soit livrée en bon état, et si largement pourvue de toutes
choses, que la sollicitude des besoins matériels ne les puisse dé-
tourner des fonctions si importantes de l'enseignement, ni des
saintes pratiques de la vie religieuse1. »
5. Afin de donner au zélé prélat une prompte et favorable dé-
cision, le P. Général s'empressa de prendre auprès du P. Supé-
rieur les dernières informations exigées par la prudence. Dans
la réponse qu'il fît à Rome, le 27 avril 1556, le P. Broet exposa
nettement la situation : jusqu'ici l'Université de Billom n'avait
jamais eu de fonds pour subvenir aux honoraires des maîtres,
mais MpI du Prat dotera le collège d'une fondation suffisante à
l'entretien de douze personnes de la Compagnie; — il se propose
également de prendre des mesures qui assureront aux Jésuites
la dotation de ce collège, bâti pour eux, sans que ses successeurs
puissent les y troubler; il peut d'ailleurs se passer de l'autori-
sation du roi et de celle du Souverain Pontife, puisqu'il veut fon-
der non sur des biens d'Église, mais sur son propre patrimoine;
— il compte sur maître Claysson pour la classe de théologie,
réservant les autres cours aux Pères qui seront envoyés dans la
suite; — l'Université de Billom n'a aucun statut gênant pour les
professeurs de la Compagnie : ils feront les règlements et ensei-
1. Carlos de S. lgn., V, 589.
FONDATION DU COLLEGE DE BILLOM. 18b
gneront les auteurs qu'ils jugeront à propos, les études étant
complètement abandonnées à leur direction1.
Rien, dans ces dispositions et ces projets, ne s'opposant aux
prescriptions de l'Institut, le P. Ignace pouvait agir en toute
sécurité. Sur son ordre le P. Viola, que ï'évêque avait demandé
nommément à cause de leurs anciennes relations, partit pour
Billom, où il arriva au milieu du mois de juin 1556 2. 11 était
accompagné de trois scolastiques destinés, avec deux autres venus
de Paris, à l'enseignement des belles-iettres. Au mois de février
précédent, Mgr du Prat avait acheté, près des remparts, un terrain
qu'il donna à la Compagnie pour les constructions nouvelles, et
la commune de Billom, autorisée par lettres patentes de Henri II,
du 12 avril, en acquit dans le même but un autre tout à côté.
L'inauguration du collège eut lieu le 2ti juillet. Dès l'ouverture
des classes, cinq cents élèves se présentèrent; peu de temps après
on en compta six cents, et deux cents enfants auxquels des péda-
gogues apprenaient à lire 3. Il y eut à l'origine cinq classes de
lettres. Le P. Léonard Masser occupait la chaire de rhétorique,
le P. Nicolas Lorrain ' celle d'humanités; les trois classes de gram-
maire étaient régentées par les PP. Louis Gérardin, Jacques Morel
et Olivier du Hamel. Les PP. Le Bas et Claysson conservèrent
leur emploi de prédicateur, auquel le second ajoutait, comme
par le passé, les fonctions de professeur de théologie. Enfin le
P. Pierre Chanal fut nommé recteur, bien que le P. Viola, con-
fesseur des élèves, gardât sur l'ensemble de l'administration une
certaine autorité due à son expérience, ses mérites et la grande
confiance que Ï'évêque lui témoignait '.
6. Il serait intéressant de connaître l'ordre et le programme des
études suivis au premier collège de la Compagnie en France.
Aucun document ne réponde cette légitime curiosité. Nous savons
seulement que les professeurs de grammaire, d'humanités et de
rhétorique « consacraient trois heures le matin et trois heures le
soir aux leçons et aux exercices scolaires1' ». Toutefois les détails
plus précis que l'on possède sur le collège de Messine, la première
1. Lettre du P. Broet à saint Ignace, 27 avril 1556 (Epist. PP. Broeli, etc., p. 105-
108). — 2. Chronicon, VI, 481, 492. Epist. mixt., V, 359, 404.
3. Le nombre des élèves s'accrut encore dans la suite : 700 en décembre 1558;
800 et 14 Pères en février 1559; 1600 en 1563. Cf. Gall. Epist., 1. I, fol. 31. 74.
Manare, De rébus S. J., p. 70.
4. Alias Nicolaus Paradensis ou Paredensis.
5. Chronicon, VI, 496, 500. Epist. mixt.. V, 408. — 6. Ibid.
186 HISTOIRE ME LA COMPAGNIE ME JÉSUS.
maison d'enseignement acceptée par saint Ignace, peuvent dans
une certaine mesure suppléer à ce qui nous manque. C'est en
15V7 que le P. Domenech, ancien supérieur des étudiants de Paris
au collège des Lombards, devenu Provincial de Sicile, ofïrit à la
Compagnie, de la part du vice-roi, la fondation de cet établis-
sement. Le P. Général l'accepta, et résolut d'en faire comme le
modèle de tous ceux qui s'organiseraient à l'avenir; il en donna
le gouvernement au Père Jérôme Nadal, et confia les cours à des
maîtres tels que Pierre Canisius, Annibal du Coudret, André Fru-
sius et Benoit Palmio. Le P. Nadal, de concert avec ses collabora-
teurs, établit le collège de Messine sur le pied de ceux de
l'Université de Paris, que beaucoup de jeunes Jésuites avaient
fréquentée et où étudiaient encore bon nombre de scolastiques,
mais il se réserva d'introduire, dans les méthodes et la disci-
pline, les améliorations jugées opportunes. Il formula dans ce
sens diverses prescriptions relatives aux études, à l'enseignement,
à la direction spirituelle et au bon ordre général. Ce règlement,
soumis à l'approbation de saint Ignace, fut ensuite appliqué à
tous les collèges que fonda la Compagnie, même au collège ro-
main, en tenant compte toutefois des usages locaux et avec quel-
ques modifications indiquées par l'expérience1. C'est, d'une cer-
taine façon, le plus ancien Ratio Studiorum. En voici les grandes
lignes, d'après une lettre du P. Annibal du Coudret.
Il y avait à Messine trois classes de grammaire, les humanités,
la rhétorique et la philosophie; de plus un professeur de grec et
un autre d'hébreu. La durée des exercices scolaires, chaque
matin et chaque soir, variait de deux heures à trois heures selon
le degré des classes elles-mêmes; dans toutes on parlait latin.
Les vacances se réduisaient à quinze jours pour les élèves d'hu-
manités, à huit jours pour ceux de la troisième classe de gram-
maire, à moins encore pour les classes inférieures.
Dans la première2 classe de grammaire, divisée en plusieurs
sections, les élèves récitaient les huit parties du discours de Dona-
tus ou les rudiments de Despautère. — Dans la seconde classe,
divisée en deux sections, les plus faibles apprenaient la gram-
maire de Pharaon, et les plus avancés celle de Despautère jusqu'à
la syntaxe. Le professeur expliquait les lettres de Cicéron, des
passages de Térence ou les églogues de Virgile. Une demi-heure
chaque matin et toute l'après-midi du samedi étaient consacrées
1. Litt. quadr., I, 349. Chronicon, I, 282; II, 221, 38 i.
2. 11 s'agit de la classe inférieure, la plus élémentaire.
FONDATION DU COLLÈGE DE BILLOM. 1*7
aux concertations1. On répétait, le samedi matin, toutes les leçons
de la semaine. — - Dans la troisième classe, on voyait, depuis
octobre jusqu'à Pâques, la syntaxe de Despautère, et de Pâques
au mois d'octobre, l'art métrique et le livre de /if/ //ris du même
auteur. Le professeur expliquait, parmi les prosateurs, ou Cicéron
(De amicitia ou De senectute) ou Salluste; parmi les poêles, des
passages de Térence ou d'Ovide. Les élèves faisaient chaque jour
une composition latine, soit en prose, soit en vers. L'ordre des
concertations et des répétitions était le même que dans la seconde
classe.
En humanités, il y avait plus de variété dans le choix des
auteurs. Le P. Annibal du Coudret cite, parmi les latins, Cicéron
et Tite-Live, Virgile et Plaute; parmi les grecs, les dialogues de
Lucien et d'Isocrate, l'Iliade d'Homère et Aristophane. Le samedi
soir, on déclamait quelques passages des auteurs déjà expliqués.
En rhétorique, on apprenait les préceptes dans Fabius ou dans
la rhétorique ad Herennium; le professeur expliquait, avec les
discours de Cicéron et de Démosthène, Hésiode ou quelques livres
des historiens. Chaque semaine, les élèves composaient un dis-
cours que le maître corrigeait dans la soirée du samedi; tous les
quinze jours, avaient lieu les débats contradictoires. — En phi-
losophie, le professeur lisait, outre Aristote, la dialectique de
Georges de Trébizonde ou celle de quelque autre auteur; ses ex-
plications étaient suivies de répétitions, d'interrogations et de
disputes scolastiques.
Quant au spirituel, on commençait et on finissait chaque classe
par le signe de la croix, quelquefois par une prière, plus courte
chez les grands, plus longue chez les petits. Les élèves avaient
coutume de se confesser chaque mois, et d'assister à la messe tous
les jours2.
Ce règlement peut donner au moins une idée des usages
observés à Billom, dans les premiers temps. Tout nouveau dans
son genre, pour le bon ordre, la discipline et la piété, le collège
de Mgl du Prat ne tarda pas à faire l'admiration de la ville. Les
habitants, raconte le premier annaliste de la maison, se rendaient
souvent à la grande église Saint-Cerneuf, au moment des offices
des élèves, afin d'être témoins de leur recueillement 'K Les séances
1. La concertation consiste dans un débat entre rivaux (émules) qui s'interrogent
et répondent à leur tour, ou bien qui se corrigent les uns les autres sur l'interroga-
tion du maître.
2. Lettre du P. du Coudret au P. Polanco, 14 juillet 1551 {LUI. quadr.,{. I, p 3ï9,
358). — 3. Primordia collegii Billomensis (Archiv. de la prov. de Lyon).
188 UISTOIltE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
littéraires ou dramatiques attiraient la foule : « Ces sortes de
spectacles, écrivait le P. Clayssonau P. Lainez, émeuvent toujours
l'âme et lui laissent une impression salutaire; ils profitent même
parfois autant qu'un sermon. Ces pièces, tirées de sujets sacrés,
augmentent le crédit de la Compagnie, et cela â la gloire de Notre-
Seigneur. Le collège jouit d'une excellente renommée, grâce à
l'enseignement, à la méthode et à l'émulation. La noblesse retire
ses enfants des autres académies, pour nous les confier; les péda-
gogues accourent à nous avec leurs élèves. Ceux-ci nous viennent
des lieux les plus éloignés. Que ne devons-nous pas espérer de
ce collège, lorsqu'il sera bâti1 ? » Il aurait dû ajouter : et quand
nous aurons de brillants professeurs, car, de l'aveu du P. Po-
lanco, ce succès, vu la médiocrité du personnel, ne laissa pas que
d'étonner les.supérieurs'2.
7. Les leçons se donnaient alors dans les bâtiments de l'an-
cienne Université. Mgr du Prat avait procuré aux Pères, pour leur
habitation, une maison de louage qu'il avait garnie de l'ameuble-
ment nécessaire. Il s'apprêtait à faire plus encore. Quand le
P. Viola se rendit à la première congrégation générale (1557), il
lui remit une lettre, destinée aux profès de cette assemblée, dans
laquelle il leur disait : « Je donne bien volontiers l'assurance
de ma parole, que je réserve à la construction du collège et à
l'entretien des professeurs, qui y viendront enseigner, 10.000 livres
et plus, et que je m'empresserai de les fournir dès que le temps
sera venu :1. »
Ces engagements furent consignés, avec les concessions accor-
dées par la ville et le chapitre, dans un contrat de fondation
passé, le 19 novembre 1558, par-devant le notaire de Beaure-
gard. Aux anciennes libéralités, dont nous avons déjà parlé, et à
l'achat, moyennant 1.180 livres, de terrains aussitôt donnés aux
Jésuites, le prélat ajoutait : de nouveaux terrains; — une maison;
— la dime de Mezet; — 1.200 livres de rente qui lui étaient dues
sur l'hôtel de ville de Paris; — la promesse de 10.000 livres pour
les bâtiments du collège, avec ordre que cette somme fût payée
par ses héritiers, si on ne l'avait pas acquittée de son vivant. Par
ce même acte, Mgr du Prat chargeait spécialement les échevins
de Billom de veiller à l'exécution de ses volontés, et afin d'entourer
1. Lettre de février 1557 (Galliae Epist., t. I, n. 16).
2. Polanco, Chronicon, VI, p. i93. « Debiliores esse nostros lectores, quam ipse
voluisset, [P. Viola] scribit. »
3. Primordia coll. Billom (Arch. prov. de Lyon).
FONDATION DU COLLEGE l»E BILLOM. 189
sa fondation de toutes les garanties possibles, il la fit signer non
seulement par ces échevins et les principaux habitants de la ville,
mais encore par Paul du Prat son cousin, archidiacre de Cler-
mont, et par plusieurs membres du chapitre1.
On se mit, sans tarder, au travail des constructions. Un seigneur
du pays loua, pour quatre ans, une carrière aux Jésuites, et l'évê-
que fondateur leur permit d'abattre quatre-vingts arbres magnifi-
ques dans la forêt de Billom-. En mai 1559, fut bénite la première
pierre du nouvel édifice : « Le 29 de ce mois, raconte un témoin
oculaire, Sa Seigneurie révérendissime vint à Billom, où elle fut
reçue avec de grands honneurs par les habitants et les écoliers;
les uns l'accompagnaient à cheval, les autres portaient en main
des rameaux. Conduite au lieu où Ton devait élever le collège,
elle en visita avec grand plaisir l'emplacement et les matériaux.
Une petite chapelle avait été préparée pour la célébration de la
messe et les autres cérémonies. Sur une des faces de la première
pierre, on avait gravé cinq croix, une au milieu et les autres aux
quatre coins. Sur l'autre face, on voyait les armoiries épiscopales
avec ces paroles : Guillaume du Prat, évèque de Clermont, fonda-
teur de cette église et du collège, le trentième jour de mai 1559 3.
C'est en effet le lendemain de son arrivée que, devant une foule
nombreuse et toute l'Université, cette première pierre fut placée
dans les fondations, à l'endroit où devait être la porte principale
de l'église. A la fin de la cérémonie, Sa Grandeur se trouvant un
peu fatiguée n'osa pas monter à l'autel pour célébrer le saint sacri-
fice, et la messe fut dite par Maître Jérôme Le Bas. On se rendit
ensuite à l'habitation des Pères où la ville avait fait préparer un
banquet. Monseigneur déclara que', si Dieu le laissait vivre jus-
qu'à l'achèvement de l'église, il voulait y être inhumé. On lut
devant lui, après le diner, une églogue latine, dans laquelle on
comparait la première pierre à celle où le patriarche Jacob re-
posa la tête. La pièce fut bien récitée et le prélat en parut très
satisfait '. »
8. Guillaume du Prat, mort le 23 octobre 1560, n'eut pas la
consolation de voir l'église terminée : elle ne le fut qu'en 156V.
1. Archives du Puy-de-Dôme, série D, Contrat de Fondation. — Cf. Lettre du
P. Viola au P. Lainez (Gall. Epist., 1. 1, f. 31).
2. Lettre du P. Gérardin au P. Lainez (Gall. Epist., t. I, f. 76).
3. Cette inscription était en latin : Gulielmus Du Prat, episcopus Claramonlen-
sis, hujus ecclesiae et Collegii fundalor, die 30 maii 1559.
4. Lettre du P. Louisdu Coudretau P. Général, 25 juin 1559 (Gall. Epist, t. I, F. 29).
190 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Mais on y transporta sa dépouille mortelle, et son dernier vœu
se trouva ainsi réalisé. Un historien de l'Église d'Auvergne a pu
dire, avec vérité, que « ce saint évoque fut aussi l'un des plus
grands qui aient occupé le siège de Clermont1 ». Ni son mérite
personnel, ni les éclatants services que son illustre père avait
rendus à l'État et à l'Église n'éveillèrent en lui de prétentions am-
bitieuses. Il ne voulut jamais, comme tant d'autres, cumuler dans
différents diocèses les fonctions épiscopales, et se contenta des
modestes bénéfices qui lui avaient été attribués avant son intro-
nisation. Dans un discours qu'il prononça au concile de Trente,
le 9 janvier 15i7, il s'était hautement déclaré en faveur de la
résidence des évoques. De retour en France, confirmant la sincé-
rité de ses paroles par l'autorité de son exemple, il ne paraissait à
la cour que si son devoir, les intérêts de son Église ou le bien
général de la Religion l'y appelaient. D'une santé délicate, il
vivait habituellement à Beauregard , sa maison de campagne,
réservant toutes ses forces pour la bonne administration de son
diocèse. Il était le modèle de son clergé, et lui procura, par l'éta-
blissement de diverses communautés religieuses, le concours
d'auxiliaires habiles et dévoués. Véritable père de son peuple, il
employait tous ses revenus à fonder des institutions charitables
qui lui ont longtemps survécu. L'Église lui doit de bénir toujours
sa mémoire pour le soin qu'il donnait à l'éducation de la jeunesse,
pour le bien opéré, grâce à ses largesses, par les collèges de Bil-
lom, de Mauriac et de Paris.
Cette vie, tout entière consacrée au service de Dieu et au bien
des âmes, fut couronnée par une mort très douce. Le prélat, dit
un ancien historien, s'y « prépara et disposa de bonne heure,
s'étant retiré en son chasteau de Beauregard pour méditer, avec
plus de repos et de tranquillité, son départ de ce monde2 ». Quand
il se sentit près de sa fin, il fit appeler près de lui le P. Recteur
de Billom, qui vint aussitôt et voulut l'assister jusqu'à son dernier
soupir. Aux obsèques, célébrées avec une pompe extraordinaire,
le P. Jérôme Le Bas, interprète de la douleur de tous, retrara
éloquemment les vertus et les mérites du vénéré pasteur, dont le
corps fut déposé provisoirement dans l'église des Minimes 3.
Mû par un juste sentiment de reconnaissance, le P. Lainez, alors
Général, voulut associer tous ses religieux aux regrets qu'il avait
1. De Résie, Hist. de l'Eglise d'Auvergne, t. III, p. 468.
2. Hilarion de Coste, Histoire catholique, 1. H, p. 308.
3. Lettre du P. Viola au P. Général, 15 nov. 15G0 (Galliae Epist., t. I, fol. 171).
FONDATION Dl COLLÈGE DE BILLOM. l'.u
ressentis de la perte de cet insigne bienfaiteur : « Notre Compa-
gnie, disait-il dans une circulaire adressée à toutes les maisons.
est obligée, plus que toute autre, à hâter par de ferventes prières
l'entrée de l'àme du vénérable prélat dans le séjour des bienheu-
reux. Il l'aima d'un amour paternel, et la combla de bienfaits;
après l'avoir introduite en France, il lui resta fidèle, la regarda
comme sa famille, la soutint dans les plus rudes épreuves, qu'il
voulut partager avec elle. En retour de si grands bienfaits, tous
les prêtres célébreront douze fois le saint sacrifice de la messe ;
ceux qui ne le sont pas, feront pendant douze jours, au choix du
supérieur, des prières expresses pour le repos de son âme1. »
9. Si la mort vint surprendre, au milieu de sa tâche, ce pieux
évèque, âgé seulement de cinquante-trois ans, elle ne l'empêcha
pas néanmoins d'assurer l'avenir de ses saintes entreprises. Quatre
mois avant son décès, le 25 juin 1560, il avait exprimé par écrit
ses dernières volontés. Le préambule de son testament et l'exposé
des motifs, qui précède les principaux articles, respirent la foi la
plus vive et la plus tendre charité. À ses parents, qui sont riches,
il laisse seulement quelques souvenirs. C'est aux pauvres, aux
hôpitaux, aux communautés religieuses, aux institutions, dont il
avait été le fondateur ou le soutien, qu'il partage sa belle fortune.
Cette longue série de donations est comme un résumé des bonnes
œuvres de sa vie.
Cinq clauses de son testament regardaient la Compagnie de Jé-
sus. Touchant le collège de Billom d'abord, Monseigneur confir-
mait la rente annuelle de douze mille livres et la somme de dix
mille livres pour les bâtiments à construire. Il donnait de plus
aux Pères du collège, « en augmentation de la fondation », une
somme de cinq mille livres; — « sa chapelle d'argent et orne-
ments d'icelle; — les livres de sa librairie qui leur conviendront,
à la charge d'entretenir à perpétuité dix-huit pauvres escoliers,
à leur choix, et du diocèse de Clermont ».
Le généreux testateur favorisait aussi les deux autres collèges.
qu'il avait depuis longtemps le désir de fonder, à Paris et à Mau-
riac. Pour l'achat d'une maison dans la capitale, afin de « s'y loger
et tenir ledit collège », il léguait ses trois seigneuries de Cormède,
de Lempde et de Saint-Amand d'Artières. Il y ajoutait la somme
de six mille livres « pour aider à bâtir un logis » ; — une rente
annuelle de mille cinq cent quarante-cinq livres, destinée à la
1. Lettres du 9 déc. 1560 (Gall., Epist. General., t. 1559-1561).
102 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
subsistance des maîtres; — enfin une autre rente de six cents
livres pour l'entretien « à perpétuité de six pauvres escoliers ».
Son second collège d'Auvergne, celui de Mauriac, n'était pas
moins favorisé. Il déclarait vouloir l'établir, « afin que ceux qui
demeurent es montagnes [puissent] plus sûrement et avec moins
de labeur faire instruire leurs enfants, sans danger qu'ils soient
infectés d'hérésie ». Il léguait, dans ce but, une somme de sept
mille livres et une rente de quatre cents livres « due par la com-
tesse de Saint-Paul et autres coobligés i ».
Les dispositions relatives à la Compagnie de Jésus étaient expri-
mées avec une précision qui ne laissait aucun doute sur les inten-
tions de M61' du Prat. Cependant, des personnes intéressées atta-
quèrent la légalité de son testament, et ses dernières volontés ne
furent pas respectées. Profitant des querelles que le Parlement de
Paris suscitait aux Jésuites, pour le droit de naturalisation, elles
poursuivirent une série de procédures qui devaient, croyaient-
elles, les substituer aux légataires légitimes. Dans cette revendi-
cation des legs faits à la Compagnie de Jésus, se trouvaient réunis
les exécuteurs testamentaires et quelques héritiers naturels de
l'évèque. De plus, la ville et les chanoines de Billom prétendirent
au droit d'administrer les biens du collège ; les pauvres de Cler-
mont réclamèrent, outre leurs legs particuliers, ceux que le pré-
lat avait destinés aux religieux chargés de leur direction; les hô-
pitaux, en raison de leurs besoins, voulurent faire augmenter leur
part 2. Enfin un des avocats du roi présenta au Parlement, le
26 mars 1561, une requête en faveur des quatre Ordres men-
diants de Paris, « si nécessiteux, disait-il, qu'ils seront contraints
chasser tous leurs escholiers estrangers des couvents, par faute
de vivres et le peu d'aumônes qu'on leur distribue maintenant3 ».
Les titres allégués par ceux qui se disputaient ainsi quelques
lambeaux de la succession, n'étaient point équitables; cependant
tous avaient confiance dans la réussite de leurs réclamations, forts
de cette raison que la Compagnie, ne jouissant pas du droit de
cité en France 4, ne pouvait accepter aucun héritage. Mais, si le
P. Paschase Broet et son procureur, le P. Ponce Cogordan, n'a-
1. Testament de Msr du Prat (Archives hosp. de Clermont, reg. 93). Bibl. de Cler-
mont, nos. 642, fol. 1, 18. Cf. une lettre du P. Cogordan au P. Général, 2 déc. 15C0
(Gall. Epist., t. I, fol. 142).
2. Requêtes des consuls, des chanoines et des administrateurs de l'hôpital (Tolos. ,
Fundat. colleg., t. I, n. 88).
3. Du Boulay, Hist. Univ. Paris., t. VI, p. 576.
4. Nous exposerons, dans les chapitres suivants, les difficultés contre lesquelles les
Jésuites durent lutter avant d'obtenir les lettres de naturalisation.
FONDATION DU COLLÈGE DF BILLOM. 193
vaient pas le droit d'entrer en possession des legs, ils pouvaient
du moins, jusqu'à la reconnaissance officielle de la Compagnie,
plaider leur cause contre les empiétements des compétiteurs. Le
19 juin 1561, ils adressèrent au Parlement une requête dans la-
quelle, après avoir rappelé les donations à eux faites, ils expo-
saient leur impossibilité de remplir les intentions du testateur,
par suite des prétentions de leurs adversaires. En conséquence, ils
demandaient « qu'ils fussent reçus parties au procès, pour dé-
duire leurs moyens de défense et fins de non-recevoir », et qu'il
fût défendu « ausdits contredisans... de ne faire chose au préju-
dice de ladite requeste 1 ».
Malgré le mauvais vouloir que le Parlement leur avait montré
jusqu'alors, la démarche des Pères, ainsi que le constatent les
actes de la Cour, fut couronnée d'un plein succès. Ils furent « re-
çus à déduire leurs droits », et défense fut faite à leurs parties de
les poursuivre « en ladite cause, jusqu'à ce que le roy ait déclaré
sa volonté- ». Cette concession transitoire du Parlement de Paris
avait du moins, comme résultat, de sauvegarder pour l'avenir les
intérêts des Jésuites, légitimes légataires. Mais rien ne servit mieux
leur cause que le différend survenu entre deux villes de l'Auver-
gne : Clermont, comme siège épiscopal, revendiquait l'honneur
de posséder dans ses murs le collège florissant établi à Billom.
Les consuls, les chanoines et les bourgeois de cette dernière ville
s'émurent de cette prétention, et résolurent de garder leur collège
et les religieux auxquels Mgl du Prat l'avait confié. Ils envoyèrent
dans toute la province des députés, avec mission de recueillir les
vœux des habitants. Les familles, et des villes entières, témoignè-
rent que les Jésuites avaient déjà rendu au pays d'éminents ser-
vices : leur enlever la direction du collège, ce serait, disait-on,
livrer toute l'Auvergne à l'hérésie. Après avoir pris acte de ces
élogieuses attestations, quelques députés de Billom se rendirent
à la cour afin d'y défendre les droits de la ville sur son collège.
Ils furent accueillis avec bienveillance par les cardinaux de Lor-
raine et de Tournon, qui promirent de favoriser l'établissement
de la Compagnie, non seulement en Auvergne, mais dans toute la
France. Cette protection de deux prélats, puissants et très res-
pectés, fit tellement d'impression aux exécuteurs testamentaires,
venus aussi à la cour, qu'au lieu d'y soutenir leurs revendications,
comme c'était leur pensée, ils joignirent leurs sollicitations à
1. Requête des Jésuites au Parlement, 19 juin 1561 (Du Boulay, 1. VI, p. 57'.'
2. Ibidem. — Cf. Episl. P. Broeti.p. 252, 253.
COMPAGNIE DE .TÉSl'S. — T. I. 13
494 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
celles de leurs adversaires, en faveur des Jésuites. De leur côté,les
cardinaux de Guise, de Bourbon et d'Armagnac appuyèrent avec
énergie, devant le conseil, la requête des habitants de Billom ». Si
l'on ne prit point alors une détermination définitive, — ce qui
n'eut lieu qu'au mois de février 1562, — leur témoignage, si au-
torisé, confirma cependant le roi et la régente dans les bonnes
dispositions qu'ils avaient manifestées envers la Compagnie de
Jésus2.
1. Sacchini, Hist. Soc. Jesu, P. II, 1. V, n. 195-197
2. Lettre dû P. X. au P. Lainez, 1- sept. 1561 (Gall. Epist., t. I, fol. 228).
CHAPITRE IV
LUTTE POUR LK DROIT DE NATURALISATION JUSQUE
LA MOUT DE SAINT IGNACE.
(1551-1556).
Sommaire : 1. Lettres patentes de Henri II en laveur de la Compagnie de Jésus,
janvier 1551. — 2. Opposition du Parlement et de l'Université. — 3. Démar-
ches <lu Père Broet. Lettres de jussion, 10 janvier 1553, et arrêt du Parlement,
8 lévrier. — 4. Intervention de l'évêque de Paris et de la Faculté de théologie.
— 5. Nouvel arrêt du Parlement, 3 août 1551, et sentence de l'évêque. — G. Dé-
libérations et décret de la Faculté de théologie, 1er décembre. — 7. Persécution
qui s'ensuit. — 8. Douceur et prudence de saint Ignace; témoignages en faveur
de la Compagnie. — 9. Mémoire du P. Martin Olave. — 10. Apaisement. Mort
d'Ignace de Loyola.
Sources manuscrites : I. Archives nationales, MM. 249. Reg. de la Fac. de tkéol. de Paris,
il. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : « Testimonia in favorem Societa-
tis Jesu ».
III. Archives de la Prov. de France : Histoire de l'établissement des Jésuites en France:
— Pièces sur les Jésuites.
Sources imprimées : Commencements de la Compagnie en France, dans Carayon : Docu-
ments inédits, t. I. -- Le Mercure jésuite. — Annales de la Société '1rs soi-disans jé-
suites. — Institution S. J. — Manare, De Reims S. J. — D'Argentré, Colleclio judicio-
rum. — Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises. — Prat, Mémoires
pour servir à Vliistoire du P. Broet. — Monumenta iiistouica S. J. Chronicon S. J.; —
Epistolae mixtae; — Epislolae PP. Broeti etc.; Litterae quadrimestres. — Monumenta
Ignatiana, ser. I', vol. I, II, III.
1. Tandis que Mgr du Prat établissait en Auvergne le premier
collège de la Compagnie de Jésus, son hôtel de Clermont à Paris
était toujours habité par un petit nombre de religieux. Ce fut la
résidence ordinaire du P. Paschase Broet, provincial, pendant
qu'il s'employait à obtenir la reconnaissance légale de son ordre en
France. Contre le mauvais vouloir de certains officiers de la cou-
ronne, contre les préjugés gallicans de la haute magistrature, et
môme contre les antipathies de quelques dignitaires du clergé, la
lutte fut longue, ardente, pénible. Nous la raconterons d'un seul
trait, l'interrompant seulement par un court récit de l'élection du
P. Lainez, comme Général, après la mort d'Ignace de Loyola.
C'était peu d'établir un collège en Auvergne, sous la protection
tacite du roi ; pour que la Compagnie de Jésus se développât en
106 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
France, il lui fallait un droit de naturalisation légalement re-
connu. La première tentative faite, en 1550, par le P. Viola, n'a-
vait pas réussi, malgré la favorable intervention du cardinal de
Lorraine. Depuis lors on avait essayé, par d'insidieuses démarches,
de l'indisposer contre ses protégés; mais il était trop perspicace
pour se laisser tromper, et rien n'avait pu ébranler ses senti-
ments de bienveillance à leur égard. Une seconde fois, au début
de 1551, il pria le roi Henri II d'accorder au supérieur des Jésui-
tes des lettres patentes, permettant à la Compagnie de s'établir
dans le royaume sous la protection des lois. Aussitôt Sa Majesté,
par lettres datées de Blois, janvier 1551, autorisa les Jésuites à
« construire, des biens qui leur sont aumônes, une maison ou
collège en la ville de Paris pour y vivre selon leurs règles et
statuts [ ». Ce premier succès causa une grande joie à la com-
munauté de l'hôtel de Clermont. La bonne nouvelle fut bientôt
transmise à Rome où tous les Pères, mais principalement Jacques
Miron, François de Rojas et François Strada, anciens étudiants
de l'Université de Paris, s'intéressaient vivement à tout ce qui
concernait la France. Le duc de Gandie, François de Borgia, se
trouvait alors à la maison professe; il s'empressa, dès le 3 février,
d'écrire au cardinal de Lorraine et de lui exprimer, au nom du
P. Ignace, les sentiments de reconnaissance de toute la Com-
pagnie 2.
Au conseil privé, où le cardinal de Lorraine exerçait une in-
fluence bientôt prépondérante, l'examen des lettres royaux ne
rencontra aucune opposition; mais le chancelier, François Olivier,
mettait la faveur d'y apposer les sceaux à un prix qui dépassait
les ressources des intéressés. Heureusement, par suite de démêlés
survenus entre lui et Diane de Poitiers, les sceaux, séparés de la
charge du chancelier, furent confiés à un autre magistrat, Ber-
trand, qui se montra plus accommodant''.
•2. L'enregistrement de ces lettres patentes devait souffrir plus
de difficultés. Moins docile aux ordres du roi que fidèle à ses pré-
ventions contre Rome, le Parlement ne se pressa point d'expédier
la commission du conseil privé. Une circonstance minime donna
prétexte à ses lenteurs, et fournit des armes à sa résistance. Le
1. Le texte de ces lettres patentes se trouve dans Isambert, Becueil général, t. XIII,
|>. 178. — 2. Mon. hist. S. ./., S. Franc. Borgia, t. III, p. 66-68.
3. Chronicon, II, 202-298. Litt. quadr., I, 298. Epist. mixt., II, 497. Manare. De
rébus S. J '., p. 72. Hist. de l'établ. en France (Arch. de la prov. de France).
LUTTE POUR LE DROIT l>K NATURALISATION. 19"
P. Viola, croyant avancer les choses, avait communiqué au con-
seil les lettres apostoliques de Paul III, du 18 octobre 1549, qui
contenaient les privilèges accordés par le Saint-Siège à la Com-
pagnie de Jésus. Cette communication, inutile et inopportune,
fut l'origine de tous les obstacles élevés plus tard contre le droit
de naturalisation. Le garde des sceaux, en envoyant les pièces au
Parlement, joignit aux lettres du roi les lettres apostoliques,
écrites sur parchemin et signées de l'évèque de Feltre. 11 arriva
que le Parlement, chargé seulement d'enregistrer les lettres pa-
tentes, prit aussi connaissance des privilèges de la Compagnie.
La cour ordonna que toutes ces pièces seraient remises aux Gens
du roi ' pour donner leurs conclusions. Dès que le procureur gé-
néral les eut dans les mains, il crut saisir une opposition entre les
divers documents : d'un côté, les lettres du roi affirmaient que
dans l'Institut rien n'était contraire aux saints canons; de l'autre,
les lettres apostoliques déclaraient la Compagnie de Jésus exempte
de la juridiction épiscopale et de la dime. Cette contradiction,
plus apparente que réelle, fut bientôt connue de l'Université. La
jalousie se réveilla contre les étudiants de l'hôtel de Clermont et
leurs œuvres dans la chapelle de Saint-Germain-des-Prés. A quoi
bon, s'écriait-on, tant de religions, et de quelle utilité le nouvel
Ordre, plutôt destiné aux missions étrangères, peut-il être pour
la France? On allait même jusqu'à dire qu'il fallait supprimer
non seulement la Compagnie de Jésus, mais encore tous les Or-
dres religieux. Les ennemis du cardinal de Lorraine, qui étaient
nombreux, se déchaînèrent avec fureur contre les protégés de
celui qu'ils ne pouvaient atteindre. Les partisans de l'hérésie re-
doublèrent d'injures contre ceux qu'ils regardaient comme leurs
adversaires les plus redoutables. Des hommes, à qui leur profes-
sion recommandait au moins la charité, réclamaient, comme un
droit, l'exercice exclusif du saint ministère.
Cependant cette animosité injustifiée avait soulevé, parmi les
gens de bien, une vive indignation, et provoqué en faveur des
disciples d'Ignace de touchantes protestations d'estime et de dé-
vouement. « Plusieurs personnes, écrivait le P. Viola au P. Géné-
ral, ont demandé avec instances d'être admises à participer aux
prières, travaux et bonnes œuvres de toute la Compagnie ; elles
veulent que je leur envoie la lettre où vous donnerez votre as-
sentiment, et promettent, de leur côté, de ne pas vous oublier
1. Les magistrats chargés du ministère public : c'étaient les avocats et procureurs
généraux dans les cours souveraines.
198 HISTOIRE IJK LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
devant Dieu '. » Ln des plus chauds défenseurs des Jésuites fut le
nouvel évèque de Bayonne, Jean de Moustiers de Froissac; il prit
à cœur leurs intérêts, et travailla de tout sou pouvoir avec le
cardinal de Lorraine, l'évêque de Gierniont et le docteur Le Pi-
cart à leur faire obtenir le droit d'établissement.
Ce droit comprenait deux choses distinctes : d'abord la per-
mission de bâtir une maison ou collège à Paris, ensuite l'autori-
sation < d'y vivre selon leurs règles et statuts ». La première
impliquait l'existence d'une nouvelle communauté, au sein de la
capitale; la seconde était, en fait, l'approbation de l'Ordre reli-
gieux lui-même, tel qu'il avait été reçu dans l'Église. Le roi et
son conseil avaient pris connaissance des « règles et statuts »
énoncés dans les bulles de Paul III et de Jules III, sans rien y
trouver qui parût contraire aux lois du royaume; ils avaient
même constaté l'avantage pour la France, comme pour les autres
états de l'Europe, de posséder un Ordre de prêtres capables de
combattre, par leurs ministères apostoliques, l'hérésie parlout
envahissante malgré les mesures de rigueur déployées contre
elle. Tel fut surtout l'avis du cardinal de Lorraine, dont un de ses
panégyristes a dit « qu'il estoit venu au monde quand l'hérésie
naissait, afin qu'il oppugnast les hérétiques- ». Mais, à côté du
roi et de son conseil, qui acceptaient loyalement les conséquences
du Concordat passé entre Léon X et François Ier, s'agitaient deux
partis, le parlement et le clergé, très attachés à la Pragmatique
Sanction de Bourges3 et ne cessant de protester contre le Concor-
dat, comme très opposé aux anciens usages du royaume. A leurs
yeux toute exemption, tout privilège, accordés par le Souverain
Pontife aux Réguliers, étaient comme autant d'empiétements sur
des droits acquis et inviolables. Tout récemment, le Parlement
n'avait consenti à enregistrer les pouvoirs du cardinal Verallo,
légat du Saint-Siège, qu'à la condition de ne rien faire qui fût
1. Litt. quadr., I, 301. Cf. Chronicon, II, 293, 297. Manare, De rébus S. /., p. 73.
2. Nicolas Boucher, La conjuration des lettres..., p. 8.
3. Inspirée des décrets du concile schismatique de Bâle et promulguée par Charles VII
en 1438, la Pragmatique Sanction n'avait cessé pendant près de quatre-vingts ans
d'être l'objet des plus ardentes protestations du Saint-Siège, lorsque François 1er con-
sentit, en 1516, à sa suppression définitive. Un Concordat régla les rapports de l'É-
glise de France avec la cour romaine. Léon X concéda au roi la collation directe des
bénéfices et la nomination aux archevêchés, évêchés et abbayes, sauf le droit reconnu
au Pape de donner ou refuser l'investiture spirituelle aux prélats ainsi désignés.
François Ier, de son côté, consentit au rétablissement des annales, à la condition que
leur levée serait soumise à l'autorité royale. Le Concordat de 1516 devint pour le
parlement, l'université et une partie du clergé, qui regrettait les anciennes libertés
gallicanes, une cause de sourde hostilité contre le pouvoir royal et l'autorité ponti-
ficale.
LUTTE POUR LE DROIT l»K NATURALISATION. 199
« contraire aux saints décrets, ou aux conventions, droits, privi-
lèges et prérogatives du Roi, et aux immunitez et libertez de
l'église Gallicane et du royaume ».
Avant d'obtenir l'enregistrement des lettres patentes du roi,
les Jésuites allaient donc avoir à lutter contre les résistances du
Parlement et les préjugés de la Faculté de théologie, deux corps
fiers de garder les prétendues traditions nationales, et assez
puissants, comme on le verra, pour tenir en échec la volonté
royale elle-même. Les gens du roi, le procureur général Noël
Bruslart et les avocats généraux Gabriel Marillac et Pierre Sé-
guier, chargés par la cour du Parlement d'étudier l'affaire,
virent dans l'exemption de la juridiction épiscopale et de la
dime, dont parlaient les bulles, une atteinte portée aux lois
du royaume. Noël Bruslart, que les Pères de l'hôtel de Clcrmont
reconnaissaient pour « un homme de foi orthodoxe et d'une
insigne piété1 », s'opposa à la vérification des lettres présen-
tées à la cour, « remontrant que l'Institut préjudicioit au roy,
à Testât et à l'ordre hiérarchique2 ». Au lieu de statuer sur
les conclusions du ministère public, le Parlement se contenta de
renvoyer aux Jésuites leurs lettres patentes. Quelques mécon-
tentements, survenus alors entre la cour de Rome et la cour de
France, détournant son attention et celle du public, lui permi-
rent d'en rester là sans se compromettre. De plus, la guerre avait
éclate^ntre Henri II et Charles-Quint; le roi était allège joindre
aux princes allemands ligués contre l'empereur. Les préoccupa-
tions, qui absorbèrent les hommes du gouvernement, rassurè-
rent les magistrats sur les conséquences de leur conduite envers
la Compagnie de Jésus.
3. Au mois de juin 1552, époque de l'arrivée du P. Broet à
Paris, le moment ne paraissait pas opportun pour renouveler
les demandes faites par son prédécesseur : le roi était encore
à la tête de son armée en Lorraine, où il occupait le duché de
Bouillon et s'emparait tour à tour de Toul, de Montmédy, de Ver-
dun et de Metz. Mais, quand la retraite de Charles-Quint permit
à Henri II de rentrer dans sa capitale, le P. Provincial put songer
à poursuivre l'enregistrement des lettres de naturalisation. L'é-
vêque de Clermont lui promit d'obtenir le puissant appui de
Marguerite, sœur du roi; le cardinal de Lorraine l'assura des
1. LUI. quadr., II, 290.
2. Comm. de la Compagnie (Carayon, Doc. inéd., I, 10).
200 HISTOIRE J)E LA COMPAGNIE DE JESUS.
bonnes dispositions du conseil privé, lequel maintiendrait sa
première décision.
En elFet, quand averti de la malveillance du Parlement, Henri II
fit examiner à nouveau les bulles pontificales, les membres de
son conseil déclarèrent que, dans les actes soumis à leur appré-
ciation, il n'y avait rien « qui contrevinst à l'Estat ny à l'ordre de
l'Église ». C'est pourquoi, le 10 janvier 1553, le roi donna de
nouvelles lettres patentes confirmant celles de 1551, « et adjousta
jussion et commandement à la cour exprès de passer outre, non-
obstant toutes remonstrances de sondict procureur général ou
autre1 ». MgI du Prat se rendit alors cbez Noël Bruslart, pour
l'éclairer, sinon pour le gagner à la cause de la Compagnie.
Mais celui-ci se montra inflexible; à toutes les raisons, à toutes les
instances, il se contenta de répondre qu'on ne le persuaderait
jamais de prendre la défense des Jésuites, et que s'il retardait la
conclusion de l'affaire, c'était pour des motifs d'utilité publique.
De son côté le P. Paschase Broet, accompagné du chapelain de
l'évêque de Clermont, alla visiter le premier président et les'
principaux conseillers du Parlement, et leur recommanda de son
mieux la prompte expédition des lettres de jussion. Afin de hâter
le dénouement, il rédigea même un écrit par lequel il s'enga-
geait, d'une façon assez imprudente, à payer la dîme ordinaire,
et consentait que les membres de la Compagnie, s'ils étaient
trouvés en faute, fussent soumis aux mêmes peines que les autres
religieux'2. Le chapelain à son tour affirmait que Mgr du Prat ne
se contenterait pas de donner son hôtel à la Compagnie, mais
qu'il y joindrait des revenus suffisants à l'entretien de la com-
munauté, et que celle-ci ne serait point une nouvelle charge pour
l'Étal. Toutes ces concessions, et ces promesses, ne firent aucune
impression sur des hommes aveuglés par l'esprit de parti, ou la
haine des institutions religieuses.
On ne saurait croire tout ce que le P. Broet eut à souffrir de
soucis, d'inquiétudes et de déboires, s'il n'avait pris soin de nous
en informer lui-même, dans une lettre où il rend compte au
P. Ignace de l'insuccès de ses premières démarches : « Quelques-
uns [des conseillers du Parlement], raconte-t-il, me promirent de
nous aider de tout leur pouvoir ; mais la plupart me montrèrent
des dispositions contraires. Un d'entre eux osa même me dire que
1. Comm. de la Compagnie (Doc. inéd, p. 10). Chronicon, II, 599; III, 288. LUI.
quadr., 11, 104, 290.
2. Lettre du P. Broet à Ignace de Loyola, 7 et 9 février 1553 (Epist. PP. Broeti, etc.,
1». 83-85).
LUTTE POU» LE DROIT DE NATURALISATION. 201
c'était le démon qui avait suscité la Compagnie de Jésus... Un
autre nous reprocha d'être superstitieux, fiers, orgueilleux, ajou-
tant avec emportement beaucoup d'autres injures. Que pouvais-
je répondre à un homme si peu maître de lui, qui ne croyait et
n'admettait rien de ce que je lui disais? Je me résignai à la
patience; la discussion dura plus d'une heure. Nous finîmes par
nous quitter en bons termes... Hier je me rendis chez M. le pre-
mier président. A la première proposition que je lui fis, ce ma-
gistrat se mit à crier qu'il y avait déjà bien trop de religions :
si nous voulions être religieux, nous n'avions qu'à entrer dans
l'Ordre de Saint-François, dans celui des Chartreux ou dans tout
autre. Et comme je lui répondais que notre Institut différait des
autres Ordres par la manière de vivre : « Quoi donc, s'écria-t-il
<( en colère. Est-ce que vous faites des miracles? Pensez-vous être
« meilleurs que les autres? Oui, oui, ajouta-t-il, j'expédierai
« votre affaire, et bientôt. » — A son ton je compris que ce serait
pour la rejeter1. »
Bien qu'il ignorât ce qui s'était passé au Parlement, le P. Broet
ne se trompait pas dans ses soupçons; il devait apprendre Yeœ-
pédition de l'affaire, le lendemain même du jour où il écrivait au
P. Général. Les gens du roi, malgré les lettres de jussion, avaient
persisté dans leurs conclusions antérieures. Dès le 16 janvier
1553, l'avocat général, Pierre Séguier, dans un réquisitoire dont
la modération calculée cachait mal le dépit, avait demandé que
des remontrances fussent faites au roi. Au moment de l'entrevue
du P. Broet avec le premier président, le Parlement avait donc
déjà pris son parti sur l'affaire des Jésuites; mais, comme cela
se pratique dans les cours judiciaires, pour donner à sa déci-
sion une apparence de maturité, il avait ajourné son arrêt; le
8 février seulement, chambres assemblées, il le rendit en ces
termes : « Sur les Bulles de Notre Saint Père le Pape et Lettres
Patentes du Boy pour ceux de la Congrégation de Jésus, il est
arresté, avant que de passer outre, que lesdites Lettres et Bulles
Patentes seront communiquées tant à l'Évesque de Paris qu'à la
Faculté de théologie de cette ville, pour, parties ouïes, estre or-
donné ce que de raison2. »
Par cette manœuvre habile, le Parlement échappait à l'ordre
du roi sans encourir son mécontentement, et mettait la Compa-
gnie aux prises avec l'évêque et les docteurs, connus pour lut
1. Ibidem. — 2. D'Argeutré, Colleclio judicior., II, 191. Cf. Litt. quadr., Il, 29?.
Chronicon, III, 290.
202 HISTOIRE \>E LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
être « peu favorables ». Le P. Broet savait leurs préjugés et leurs
tendances gallicanes; il comprit quelles « grandes difficultés1 »
l'attendaient. Peut-être espéra-t-il, cependant, qu'aux yeux de
juges ecclésiastiques l'autorité des Papes, qui avaient approuvé
l'Institut de saint Ignace, ne serait pas sans valeur.
ï. Eustache du Bellay, auquel était renvoyée la cause des Jé-
suites, avait été nommé depuis deux ans évêque de Paris, à la
place de Jean du Bellay, cardinal de Sainte-Cécile, son parent.
Issu d'une famille illustre dans l'Église, les lettres, les armes et
la politique, il était lui-même un homme de grand mérite sans
doute, mais d'un esprit étroit et imbu des doctrines semi-schis-
matiques, soutenues par les théologiens de Paris aux conciles de
Constance et de Bàle2. De plus, il partageait les ressentiments de
sa famille contre la maison de Lorraine. Le cardinal Jean du
Bellay, ami de François Ier, avait espéré, à la mort de ce prince,
que la faveur et le pouvoir le suivraient près du trône de son
successeur; mais le cardinal de Lorraine, en le remplaçant dans
l'amitié de Henri II, avait fait évanouir tous ses projets ambitieux.
Il s'était alors décidé à fuir la cour, et avait cherché à Borne un
asile à sa grandeur déchue. Eustache du Bellay, son cousin et son
remplaçant sur le siège épiscopal de Paris, continua la lutte des
deux favoris, et la porta sur le terrain religieux. Le cardinal de
Lorraine s'était montré ouvertement le protecteur des Jésuites;
Eustache du Bellay devait donc se déclarer contre eux.
En face d'adversaires tels que cet évêque et les docteurs de la
Faculté de théologie, il importait de ne pas envenimer les débats
par la vivacité de l'argumentation, ni d'aigrir les esprits par des
procédés agressifs, mais de mettre la question dans son vrai jour,
en l'exposant avec lucidité et bonne foi, en réfutant avec pa-
tience et logique les objections dictées par la passion. Telle était
bien la pensée du P. Broet. Cependant, se défiant de ses lumières
et de ses forces, il écrivit avec humilité au P. Ignace, et lui de-
manda si un homme moins simple et plus audacieux ne convien-
drait pas mieux dans cette situation critique, quelqu'un, par
exemple, qui par son influence personnelle pût tenir tête à des
docteurs dont l'autorité était incontestable. « Sa demande ne fut
pas exaucée, dit le P. Polanco, car il n'eût pas été facile de trouver
Ttn homme plus capable que lui3. » Le P. Broet, en effet, esprit
1. Lettre du P. Broet au P. Ignace, 9 fév. 1553 (Epist. PP. Broeti..., p. 85).
2. Cf. Manare, De rébus S. /., p. 73. — 3. Chronicon, IV, 32G.
LUTTE POUR LE DROIT \)K NATURALISATION. 203
sincère et droit, ne reculait devant aucun obstacle; calme et
patient, il savait allier aux égards pour les personnes la fermeté
à défendre ce qu'il croyait juste et vrai. Si, par cette conduite
modérée, il ne put assurer à sa cause un complet triomphe, il
maintint du moins de son côté le respect et la charité, il évita de
diminuer par des vivacités blessantes les torts de ses adversaires.
Rien ne put le déconcerter, ni le mauvais accueil de l'évêque
et des docteurs théologiens de Paris, ni les incroyables raisons
alléguées contre ses avances et ses humbles propositions : « La
première fois que je vis M"' l'évêque de Paris, écrit-il au P. Ignace,
il m'accueillit par un brusque refus, me disant lui aussi qu'il y
avait bien assez de sociétés religieuses sans la nôtre. Je répondis
que le Pape l'avait approuvée dans l'Église, et que le roi l'avait
reçue dans son royaume. — Le Pape, reprit-il, peut faire cela dans
ses états, mais non en France. Le roi, non plus, ne peut pas la
recevoir dans son royaume, attendu qu'il s'agit d'une affaire spi-
rituelle. Pour moi, je ne m'y prêterai jamais. — Je le trouvai un
peu plus radouci, dans un second entretien; il me dit cette fois
qu'il verrait ce qu'il pourrait faire... J'ai communiqué aussi les
lettres patentes du roi aux docteurs de la Faculté. Plusieurs y
voient de très grands obstacles, et disent que c'est une chose tout
à fait neuve qui demande de sérieuses et mures considérations.
Le docteur Le Picart et Me de Govéa, au contraire, n'y trouvent
aucune difficulté, et ils ont la charité de nous favoriser. Malheu-
reusement ils ne sont que deux et les autres sont plus de cin-
quante1. »
Lorsque le doyen de la Faculté de théologie eut reçu, en outre,
communication des lettres apostoliques, il réunit, pour les exa-
miner, une commission dont faisait partie le docteur Pelletier et
l'abbé de Clairvaux, Jérôme de la Souchière-, depuis cardinal.
Tout fut étudié avec prudence et avec soin. Le docteur Jôyer,
espagnol du royaume de Valence, doué d'une vaste érudition, fut
appelé en témoignage. Comme il faisait un bel éloge des Pères
qu'il avait connus à Paris et à Louvain, on le traita de jésuite :
u Je ne suis pas digne, répondit-il, de faire partie de leur So-
ciété! » La commission écouta ensuite attentivement les explica-
tions données par Je P. Paschase Broet; on pouvait donc espérer
que son rapport ne serait pas défavorable'1.
1. Lettre du 4 mars 1553 (Epist. PP. Broeti, etc., p. 86).
2. Nommé abbé de Clairvaux en 1552, et de Citeaux en 1564; cardinal on 1568
(Gall. Christ., IV, 1010).
3. Chronicon, III, 21)1, 292. Litt. quadr., II, p. 295.
204 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Devant l'assemblée générale des théologiens, qui se réunit le
29 avril 1553, le P. Broet exposa de nouveau l'état de la question,
en faisant remarquer qu'il ne s'agissait pas d'approuver les pri-
vilèges de la Compagnie de Jésus, car ces privilèges concédés par
le Saint-Siège ne pouvaient être limités par personne. Il ne de-
mandait qu'une chose : l'établissement d'une maison à Paris. A
peine eût-il fini de parler, que des objections se firent entendre
de toutes parts contre le nom et les privilèges de la Compagnie.
On trouvait étrange, téméraire, qu'une Société particulière s'ar-
rogeât un titre qui convenait à l'Église universelle; on trouvait
dangereuse l'exemption de l'autorité épiscopale : « Qui donc,
s'écria un docteur, peut nous garantir, si cette Compagnie est
exemple de la juridiction ordinaire, qu'elle ne dégénérera pas
comme toutes les autres religions? — On peut aussi espérer, ré-
pliqua le P. Broet, quelle persévérera, avec la grâce de Dieu;
d'ailleurs, vînt-elle un jour à déchoir, il serait encore avantageux
d'avoir utilisé son ministère pendant le temps de sa ferveur. Et
ceux à qui l'on veut nous soumettre, ne peuvent-ils pas déchoir
aussi bien que nous? »
La Faculté en voulait surtout au privilège d'entendre les con-
fessions et d'absoudre des cas réservés. On essaya de persuader
au P. Broet d'y renoncer, pour ne réclamer que l'établissement
d'une maison et le droit d'admission au doctorat. Mais le Père
répondit qu'il était bien plus désireux de prêcher la saine doc-
trine que de prendre des grades. Enfin, le doyen déclara expres-
sément que le Pape ne pouvait accorder des privilèges, au
préjudice des droits des évêques et des curés. Le P. Broet com-
mençait à protester contre une telle assertion, quand le doyen
l'interrompit en disant que c'était contraire à l'ordre ecclésias-
tique, et qu'on devait observer les statuts des Conciles.
Dans les délibérations qui suivirent, la majorité paraissait d'avis
qu'il ne fallait ni approuver la Compagnie ni la garder en France.
Cependant, l'assemblée ne prit aucune décision, sous prétexte
que le Parlement n'avait pas envoyé à la Faculté, suivant l'usage,
un huissier pour lui remettre la commission de statuer sur l'af-
faire '. En somme la Faculté de théologie, à l'exemple de la cour
suprême, ne cherchait qu'à traîner les choses en longueur. La
cause, par là même, n'était pas désespérée; peut-être les esprits
mieux éclairés arriveraient-ils à déposer leurs préventions. Le
P. Broet, dans ses entretiens intimes avec les docteurs les plus
1. Chronicon S. J., III, 292, 293. LiU. quadr., II, 295, 296.
LUTTE POUR LE DROIT DE NATURALISATION.
influents, essaya en vain de les ramener à des sentiments équi-
tables; il se heurta toujours aux antipathies gallicanes dont per-
sonne alors n'aurait pu triompher : « La Faculté, écrivait-il au
P. Ignace trois mois après l'assemblée générale, n'a pris encore
aucune détermination sur notre affaire, bien que j'aille souvent la
lui recommander. Le doyen vient de me dire que nous n'obtien-
drions rien, parce que nos privilèges ne sont pas approuvés
par l'Église, c'est-à-dire par un Concile, et que le Pape ne peut
pas en accorder contre l'ordre hiérarchique, ni au préjudice des
évèques et des curés. Je lui ai répliqué que nos privilèges ne
nuisent ni aux évèques ni aux curés, puisque nous ne demandons
rien pour l'administration des sacrements, et que nous ne leur
causons aucun préjudice spirituel en les aidant à gouverner spiri-
tuellement leurs ouailles. Contre ces raisons, et bien d'autres, ils
répondent que je ne suis pas dans la question et qu'il faut obser-
ver les décrets des saints Conciles... A toutes leurs objections j'ai
répondu que le Parlement leur a soumis cette affaire, afin d'avoir
leur avis, qu'ils devaient par conséquent consulter l'Esprit-Saint
et leur conscience, pour décider le plus tôt possible ce qui leur
paraîtrait meilleur selon Dieu '. »
5. Eustache du Bellay et les docteurs de la Faculté de théolo-
gie se bornaient donc à une fin de non-recevoir, basée sur les
prétendus griefs dont les Souverains Pontifes se seraient rendus
coupables, en approuvant les constitutions de la Compagnie de
Jésus, et en lui accordant des privilèges contraires, disaient-ils,
aux droits des évèques. Ils tardaient toujours à formuler un acte,
sur lequel le Parlement pût asseoir les considérants d'un arrêt
définitif. Pourtant, il fallait bien en venir à une solution que le
P. Broet, fort de son bon droit, ne cessa de réclamer avec instance.
Par un arrêt du 3 août 1554, le Parlement les mit en demeure
de s'expliquer authentiquement sur l'existence canonique de cette
Société dans l'Église.
Ayant les pièces entre les mains depuis dix-huit mois, ils avaient
eu tout le temps nécessaire pour en prendre une connaissance
approfondie, et les soumettre à un examen sérieux. Cependant, et
la sentence du prélat et le décret des docteurs supposent une igno-
rance du sujet, inexplicable sans la passion qui aveuglait leurs
esprits. C'est la remarque du savant d'Argentré, évêque de Tulle :
« Quand ils auront triomphé de l'animosité qui les possède, ils
l. Lettre du 9 août 1553 {Epiât. PP. Broeti, etc., p. 94). Cf. Prat. Mémoires, p. 277.
200 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
pourront alors posséder la vérité qui triomphera d'eux à son
tour1. »
La sentence de l'évêque de Paris, absolument défavorable aux
Jésuites, exposait en onze points autant d'objections contre leur
établissement en France. Il leur reprochait : d'affecter, mal à pro-
pos, de prendre le nom de Société ou Compagnie de Jésus, vu que
ce nom n'appartient à proprement parler qu'à l'Église univer-
selle ; — de faire tort aux Ordres mendiants et aux hôpitaux, par
leur vœu de pauvreté, qui les oblige à vivre d'aumônes excepté
dans les collèges, et, ajoutait-il, on ne conçoit pas bien à quel
titre cette restriction est faite, puisque les Étudiants pour lesquels
on admettra des fondations ne seront pas encore de la Compagnie,
n'en ayant pas fait les vœux et pouvant être congédiés par les
supérieurs. — Il disait encore : que les Jésuites, malgré leur vœu
de pauvreté, prétendaient bien pouvoir être élevés aux dignités
ecclésiastiques, tout en ne les acceptant que sur l'ordre de leur
(Général ; — qu'une fois évoques, ils voulaient être gouvernés et
corrigés par la Société, et apparemment aussi lorsqu'ils vien-
draient à posséder des bénéfices-cures, ce qui est contraire à
toutes les dispositions ecclésiastiques; — que ces nouveaux reli-
gieux entreprenaient sur la juridiction des curés, dans la prédica-
tion et l'administration des sacrements; — qu'ils attentaient aussi
sur celle des évêques, en se mêlant d'excommunier, de dispenser
les enfants illégitimes, de consacrer les églises, de bénir les vases
sacrés et les ornements d'autel; — qu'ils osaient s'arroger les
droits du Pape même, en donnant des dispenses de l'irrégularité,
et que, nonobstant leur vœu d'aller en mission chez les infidèles
et les hérétiques, si le Souverain Pontife les y envoyait, ils ne
laissaient pas de croire qu'il était permis à leur supérieur de les
rappeler quand il le jugerait à propos; — que cette Compagnie,
d'ailleurs, ne se tenait obligée à aucun office public, soit grand-
messe, soit heures canoniales dites en commun, étant exempte par
là des pratiques mêmes dont les laïques ne se dispensent pas
puisqu'ils assistent les jours de fête à la grand'messe et aux vê-
pres; — qu'elle prétendait avoir permission de nommer des pro-
fesseurs en théologie, ce qui contredit les privilèges des Univer-
sités; — qu'enfin, toutes ces nouveautés étant dangereuses, il ne
fallait point recevoir en France cet Ordre si récent, mais l'envoyer
au pays des infidèles, ou dans leur voisinage, afin qu'il pût vaquer
1. Collectio judiciorum, II, 19 i .
LUTTE POUR LE DROIT DE NATURALISATION. 207
à la conversion des peuples pour lesquels il témoignait tant de
zèle1.
Inutile de montrer combien les assertions de L'évêque de Paris
sont opposées à la teneur des bulles pontificales2, « On lit surtout
avec étonnement, remarque le P. Bcrthier, ce qu'il dit des vœux
de la Compagnie, soit par rapport aux profôs, soit par rapport aux
étudiants; de ses prétentions aux dignités ecclésiastiques et aux
bénéfices-cures; de ses entreprises sur les droits des curés, des
évoques et du pape; du pouvoir qu'elle s'attribue d'excommunier,
de dispenser du défaut de la naissance, de consacrer les églises et
de relever de l'irrégularité: des contradictions où elle tomberait
elle-même pour l'exécution du vœu qui la lie au Pape, si elle osait
rappeler des missions les religieux que celui-ci y aurait en-
voyés1. ■» Ce travestissement d'un Institut, autorisé par les Souve-
rains Pontifes, constituait une accusation fausse et calomnieuse;
c'était une injure au vicaire de Jésus-Christ, en même temps qu'à
la justice et à la vérité. En outre, Eustache du Bellay terminait son
mémoire sur un ton de persiflage, à peine digne d'un avocat ou
d'un pamphlétaire : « Parce que le fait, disait-il, que l'on prétend
de l'érection dudit Ordre et Compagnie [est] qu'ils iront prescher
les Turcs et infidèles, faudroit establir lesdites maisons et socié-
tez es lieux prochains desdits infidèles, ainsi qu'anciennement a
été fait des chevaliers de Rhodes, qui ont été mis sur les fron-
tières de la chrétienté et non au milieu d'icelle; aussi, y auroit-il
beaucoup de temps perdu et consommé daller de Paris à Cons-
tantinople et autres [lieux] de Turquie '. »
6. Malgré l'inanité des motifs et le mauvais goût de la forme, la
sentence prononcée par un si haut personnage produisit natu-
rellement une profonde impression sur les esprits. La communauté
de l'hôtel de Clermont essuya, à ce propos, une tempête qui de-
vait redoubler encore de violence après le décret de la Faculté
de théologie.
Ayant reçu communication officielle du mémoire d'Eustache du
Bellay, le Parlement, cette fois par ministère d'huissier, fit de-
mander au doyen de cette Faculté, Nicolas Lecler, de statuer au
plus tôt sur l'affaire des Jésuites. Dès le 1er septembre, les docteurs
se réunirent; mais on ne décida rien dans cette séance, sinon de
1. Voir d'Argentré, Collectio judiciorum, II, 192.
2. Le lecteur n'a qu'à se reporter au chapitre v du 1. I, où nous avons exposé les
Constitutions. — 3. Histoire de l'Église Gallicane, t. XVIII, p. 589.
4. Collectio judicionun, II, 192.
20K HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
remettre la conclusion à une autre assemblée. En attendant, tous
les membres furent avertis de réfléchir sérieusement sur un objet
i< si grave et de si grande importance ' ». Fidèles à cette recom-
mandation, presque tous les jours pendant trois mois, vingt théo-
logiens au moins examinèrent les bulles pontificales et les lettres
patentes du roi2. « Parmi eux, dit le P. Ribadeneira que nous
citons dans le vieux langage de son traducteur français, se trou-
voit un théologien [Jean Benoit], des premiers de la Faculté, lequel
nous estoit mal affectionné à l'occasion d'un certain nepveu qui,
sans lui demander congé et contre son gré, estoit entré en nostre
Compagnie, il n'y avoit pas longtemps. Celui-ci estoit encore au-
cunement suivi, mesme en cette aliénation qu'il avoit de nous, de
plusieurs autres docteurs théologiens, religieux de divers Ordres,
lesquels, ayant plus d'égard à leur profit particulier qu'au bien
public, s'opposoient de tout leur pouvoir à nos intentions. Il y en
avoit bien quelques-uns qui ne faisoient ni pour ni contre nous;
mais le plus grand nombre estoient de ceux lesquels abreuvés de
certains bruits populaires, qui couroient de nous par la ville, sans
nous avoir jamais parlé ni sceu bonnement ce que nous deman-
dions, s'en formalisoient toutefois \ »
Ribadeneira ne distingue que deux catégories parmi les doc-
teurs de la Faculté : ceux qui se montraient manifestement hos-
tiles à la Compagnie de Jésus, et ceux qui n'osaient se prononcer.
Il y en avait cependant une troisième, composée de docteurs
ouvertement favorables. Les Pères Polanco et Claysson nous ont
conservé leurs noms; la reconnaissance nous fait un devoir de les
rappeler. Outre les docteurs de Govéa, alors âgé de quatre-vingt-
six ans, Pelletier du collège de Sorbonne, Le Picart et Jover que
nous connaissons déjà, nous ne pouvons oublier les docteurs
Sébastien Rodriguez, portugais, et Antoine de Mouchi, surnommé
Démocharès, du collège de Navarre \ Le P. Broet mentionne aussi
plusieurs fois dans ses lettres, comme un ami dévoué de l'hôtel
de Clermont, le docteur Dumont, conseiller, maître des requêtes,
si estimé de François Xavier. Tous ces hommes, remarquables
par leur science et leur piété, étaient exempts des préventions
gallicanes de l'école de Paris. Ils ne voyaient, ni dans les consti-
tutions de la Compagnie, ni dans les bulles pontificales, rien qui
1. Registre des conclusions de la Faculté de Théologie (Archiv. nationales, MM. 249,
fol. 25T). — 2. Lilt. quadr., III, 110.
3. Vie du B* Ignace (Arias, 1607), liv. IV, c. x.
4. Cf. Féret, La Faculté de théol. de Paris, Epoque moderne, t. II, p. 51.
LUTTE POUR LE DROIT DE NATI EGALISATION. 209
ne fût digne de l'approbation de la Faculté; aussi, parmi Les
discussions qui s'élevèrent alors, maintinrent-ils par leur attitude
l'honneur de leur corps, en ne craignant pas de défendre la cause
des Jésuites1. Mais que pouvaient leurs plus justes protestations
contre une majorité aveuglée, qui refusait de reconnaître dans
l'établissement d'un nouvel Ordre religieux l'autorité même du
Saint-Siège?
Enfin, le 1er décembre 1554, après une messe du Saint-Esprit
au collège de Sorbonne, la Faculté de théologie, réunie en
assemblée générale, porta contre la Compagnie de Jésus, comme
elle avait jadis fait contre l'Ordre de Saint-Dominique, un décret
rédigé en latin par le dominicain Jean Benoit, et non moins hos-
tile que la sentence de l'évêque de Paris.
Dans un long préambule, où ils s'efforcent de justifier leur
conduite, les docteurs commencent par témoigner leur profonde
vénération pour le Saint-Siège, déclarant qu'ils ne veulent « rien
penser, rien dire, rien décider », qui soit contre la personne du
Pontife romain, suprême vicaire de Jésus-Christ, ou contre l'obéis-
sance qui lui est due. Ils protestent même de leur sincérité à
reconnaître et à proclamer aujourd'hui, comme ils l'ont toujours
fait, sa souveraine puissance. Mais, « comme tous les fidèles, et
principalement les théologieus, doivent être prêts à rendre raison
à tous ceux qui la leur demandent, sur ce qui concerne la foi,
les mœurs et l'édification de l'Église, la Faculté a cru qu'elle
devait satisfaire au désir, à la demande et à l'intention de la Cour.
C'est pourquoi, ayant lu et plusieurs fois relu, et bien compris
tous les articles des deux bulles, et après les avoir discutés et
approfondis pendant plusieurs mois en différents temps et heures,
selon la coutume, eu égard à l'importance du sujet, la Faculté a
d'un consentement unanime porté ce jugement qu'elle a soumis
avec toute sorte de respect à celui du Saint-Siège ».
Après ce préambule, où les docteurs parlent avec tant de com-
plaisance du consciencieux examen qu'ils ont dû faire des deux
bulles des papes Paul III et Jules III, constitutives de la Compa-
gnie de Jésus, ils attaquent et réprouvent, non seulement les
dispositions qui s'y trouvent, mais aussi celles qu'ils y supposent :
« Cette nouvelle société, disent-ils, qui s'attribue particulièrement
le titre inusité du nom de Jésus, qui reçoit avec tant de liberté et
sans aucun choix toutes sortes de personnes, quelque criminelles,
illégitimes et infâmes qu'elles soient, qui ne diffère en aucune
i. Chronicon, III, 291; IV, 323. — LUI. quadr.; Il, 2-Ji; 111, 1%.
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. 1. Il
210 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
manière dos prêtres séculiers dans l'habit extérieur, dans la ton-
sure, dans la manière de dire en particulier les heures canoniales
ou de les chanter en public, dans l'engagement de demeurer
dans le cloître et de garder le silence, dans le choix des aliments
et des jours de jeûne, dans la variété des règles, lois et cérémo-
nies qui servent à distinguer et à conserver les différents Instituts
de Religieux; — cette société à laquelle ont été accordés et donnés
tant de privilèges et de libertés, principalement en ce qui con-
cerne l'administration des sacrements de la pénitence et de l'eu-
chaiistie, et ce, sans aucun égard ni distinction de lieux ou de
personnes, comme aussi dans la fonction de prêcher, lire et en-
seigner au préjudice des Ordinaires et de l'ordre hiérarchique
aussi bien que des autres Ordres religieux, et même au préjudice
des princes et des seigneurs temporels, contre les privilèges des
Universités, enfin à la grande charge du peuple; — cette société
semble blesser l'honneur de l'état monastique ; elle affaiblit entiè-
rement l'exercice pénible, pieux et très nécessaire des vertus, des
abstinences, des cérémonies et de l'austérité; elle donne même
occasion d'abandonner très librement les Ordres religieux ; elle
prive injustement les seigneurs tant ecclésiastiques que temporels
de leurs droits, apporte du trouble dans l'une et l'autre police,
cause plusieurs procès, débats, contentions, jalousies, et diffé-
rents schismes ou divisions. »
Gomme conclusion, digne de ces prémisses, les docteurs décla
rent que « toutes ces choses, et bien d'autres, ayant été mûrement
examinées et considérées, cette Société paraît dangereuse en
matière de Foi, perturbatrice de la paix de l'Église, destructive
de la profession monastique, et plutôt propre à détruire qu'à édi-
fier1 ». C'est ainsi que les signataires du décret professaient leur
vénération profonde envers le Souverain Pontife : ils refusaient
de se soumettre à son jugement et à son autorité, touchant l'éta-
blissement d'un nouvel Ordre religieux dans l'Église.
Le Parlement, qui avait des intelligences dans la place, savait
d'avance le résultat qu'il obtiendrait en renvoyant à la Faculté
de théologie l'examen des bulles pontificales; mais peut-être son
attente fut-elle dépassée par la censure des docteurs. Le P. Broet
se garda bien delà lui présenter, car il s'en serait prévalu pour
porter contre la Compagnie un arrêt définitif. Toute démarche
était devenue désormais inutile; la communauté de la rue de la
1. Conclusion de la Faculté de théologie (Aichiv. nal,, MM, 2i'J. fol. 2'X à 37). Ce
document a été publié par d'Argentré, Coll. Judic, 11, 194.
LUTTE POUR LE DROIT DE NATURALISATION. 2U
Harpe n'avait qu'à attendre, dans la patience et dans la prière, des
temps plus favorables.
7. Cependant, la Faculté de théologie jouissant en France d'une
réputation incontestable, son décret du Ie'' décembre 155V fut le
signal d'une levée de boucliers contre les disciples d'Ignace de
Loyola. Les prédicateurs, du haut de la chaire, foudroyaient l'Ins-
titut; les curés l'attaquaient avec violence dans leurs prônes; les
professeurs le livraient à la risée des écoliers. Des placards inju-
rieux étaient affichés sur les murs de tous les collèges, colportés
dans les églises, jetés sous les portes des maisons, semés dans les
rues et les places publiques. Nullement intimidés par la tempête
déchaînée contre eux, les Pères de l'hôtel de Clermont, avec l'auto-
risation du Prieur de Saint-Germain-des-Prés, continuaient d'exer-
cer leurs ministères dans leur chapelle de l'abbaye, comme par le
passé. En vain essaya-t-on d'intimider le Prieur, de l'obliger à
ne plus les recevoir. Il se montra inébranlable à toutes les obser-
vations, et répondit avec fermeté qu'il « n'interdirait jamais son
église à des religieux comme ceux de la Compagnie, dont il con-
naissait depuis longtemps la piété et les bons exemples1 ».
Éconduits par une amitié plus forte que leur malveillance, les
docteurs se rendirent chez l'évêque de Paris. Eustache du Bellay
céda sans peine à leurs instances et donna l'ordre à son promo-
teur de citer les Pères à comparaître, le 27 du mois de mai,
devant l 'officiai du diocèse. Au jour indiqué, le P. Paschase Broet,
fort du témoignage de sa conscience, se présenta au juge ecclé-
siastique. Ce qui se passa devant ce tribunal, d'où l'on devait
attendre toute justice, est ainsi résumé dans l'acte de condam-
nation, vraiment étrange, que le Père Supérieur en rapporta :
« Le susdit Promoteur a exposé que, quoique des ordonnances
canoniques et royales aient défendu, et défendent encore, de
tenir des conventicules, néanmoins lesdits accusés, en vertu d'une
certaine prétendue bulle, non approuvée et môme réprouvée en
plusieurs points par la sacrée Faculté de théologie, ne cessent
de ce faire; et il a requis que lesdites inhibitions et défenses
soient renouvelées auxdits accusés, sous peine d'excommunication
In lac sententiae.
«. Ce que nous [officiai] ayant entendu, et le sieur Paschase
Broet, soi-disant supérieur de ladite Société, interrogé par nous
1. Chronicon, V, 328-332. Epist. PP. Brocli, etc., |». loi. Cumin, de la C1' (Ca-
rayon, Doc. inêd., I, 13).
212 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉS1 S.
sur la foi du serment, ayant reconnu que lui-même et les frères
de ladite Société, logés dans la maison du seigneur évêque de
Clermont, dans la rue de la Harpe, se réunissent à certains jours
au monastère de Saint-Germain-des-Prés pour y entendre la
messe et recevoir la communion, Nous, officiai de Paris, avons
défendu et défendons au môme soi-disant supérieur, et en sa
personne aux prétendus frères de la même Société, sous peine
d'excommunication latae sententiae, de tenir entre eux et de faire,
sous quelque prétexte que ce soit, directement ou indirectement,
de ces sortes de réunions, tant dans des lieux exempts que dans
d'autres non exempts, et de s'appeler frères, en attendant et
jusqu'à ce que la Bulle présentée par eux, ou même l'Ordre de
la susdite Société, aient été approuvés par Révérend Père en Dieu
le seigneur évêque de Paris, par la sacrée Faculté de théologie
et par la Cour suprême du Parlement de Paris. Autrement, s'ils
contreviennent aux susdites défenses et inhibitions, Nous per-
mettons ores et déjà audit Promoteur, qui le requerra et quand
il le requerra, de pouvoir recourir au secours du bras séculier
à cette fin d'appréhender au corps lesdits soi-disant supérieurs
et frères.
« Là-dessus, ledit Broet en ayant voulu appeler au Souverain
Pontife, Nous lui avons répondu qu'il en appelât par écrit comme
il convient.
« En foi de quoi, Nous avons jugé à propos d'apposer notre
sceau aux présentes Lettres.
« Fait à Paris, l'an 1555, le lundi 27 mai K »
La conduite du P. Broet, dans des circonstances si critiques,
qui semblaient menacer la liberté même de ses frères et l'exis-
tence de la Compagnie en France, fut ce qu'elle devait être
envers l'autorité ecclésiastique : très calme et très digne. En qua-
lité de supérieur, il n'avait pas cru cependant devoir pousser
la discrétion jusqu'à reconnaître par son silence la légitimité
d'actes injustes et purement arbitraires. De retour à l'hôtel de
Clermont, il envoya copie de la sentence au P. Général en l'in-
formant de tout ce qui s'était passé : « J'ai appelé, dit-il, de
cette sentence au Souverain Pontife qui s'est réservé la connais-
sance de nos bulles 2. Dès lors, nous pourrions en bonne cons-
cience continuer -d'aller à Saint-Germain pour y dire ou enten-
1. Traduit du latin, dans Conim. de la Compagnie (Carayon, Doc. inéd., t. I, p. i i
2. On peut voir cet acte d'appel, fait par le P. Nicolas Bellefille au nom du P. Pas-
chase Broet, dans Episl. /'/'. Broeti, etc., p. 219.
LUTTE POUR LE DROIT DE NATURALISATION. 213
dre la messe, communier, faire des instructions, administrer les
sacrements; mais, sur le conseil <lu docteur Le Picart ei de plu-
sieurs autres de nos amis, contre mon propre sentiment, nous
nous en abstiendrons jusqu'à ce que ce premier feu soit éteint...
parce que l'évêquc, pour nous mortifier, sciait capable, dit-on,
de fulminée contre nons l'excommunication, quoique nous ayons
appelé à Home de sa sentence '. »
8. Il semblerait, par certains documents2, que les Pères de
Rome tentèrent d'abord quelques démarches pour soumettre la
cause au Souverain Pontife; mais l'Official de Paris refusa de
tenir compte de cet appel, sous prétexte qu'il était contraire aux
pragmatiques et concordats du royaume. Le P. Ignace sans doute
ne jugea pas à propos d'insister, car on ne trouve, dans les
manuscrits parvenus jusqu'à nous, aucune solution juridique
de cette affaire. De même, lorsque le décret de la Faculté de
théologie fut connu du public à Rome, plusieurs Pères, des plus
graves de la Compagnie, conseillèrent au fondateur d'en faire
une réfutation directe, pour venger l'Institut de tant d'imputa-
tions calomnieuses. Mais Ignace de Loyola, avec sa prudence ac-
coutumée, s'y refusa; il comprit qu'on irriterait davantage les
esprits en tenant tête à l'orage, qu'il valait mieux laisser aux
passions soulevées le temps de se calmer, et qu'alors la vérité se
défendrait elle-même3.
Toutefois, s'il voulait éviter les procédés contentieux, propres à
provoquer de nouvelles attaques, il n'avait pas l'intention de lais-
ser ses disciples désarmés contre les traits du mensonge. Dès le
mois de mars 1555, il avait adressé une lettre au duc de Ferrare,
Hercule d'Esté4, pour solliciter son appui auprès du roi très
chrétien : « Plusieurs, lui disait-il, cherchent à détruire par des
bruits fâcheux les bonnes dispositions de ce monarque à notre
égard, mais j'espère de la bonté divine que l'opposition qu'on
nous fait, en cette ville de Paris, contribuera à manifester davan-
tage la véritable utilité de cette entreprise, et qu'il nous arrivera
ce qui déjà nous est arrivé à Rome, où Votre Excellence a bien
voulu joindre son assistance à la Providence divine en notre
faveur'. » Quelques jours après, Ignace écrivit de même au car-
1. Lettre du 9 juin 1555 (Ibid.t p. 101). Chronicon, V, 332.
2. Voir Epist. PP. BfoeM, etc., p. 219, note.
3. Chronicon, t. V, p. il. Mon. lgnat.. s. 4\ I, 375, 376, 426.
4. Hercule d'Esté avait épousé Renée de France, seconde fille de Louis Xll et
d'Anne de Bretagne. — 5. Cartas de S. Ign., V, 117.
214 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
dinal de Lorraine, le suppliant de se montrer comme par le
passé m le véritable protecteur de la Compagnie, et d'obtenir
que l'exercice du saint ministère ne lui fût pas interdit dans le
royaume très chrétien1 ». Le cardinal, touché de cette suppli-
que, employa toute son influence auprès du roi afin de prévenir
l'impression fâcheuse que le décret de la Faculté aurait pu pro-
duire sur son esprit. La chose fut facile, car Henri II se montra
toujours bien disposé pour la Compagnie de Jésus. Quelques
membres de son conseil, au contraire, subirent l'influence de
l'opinion publique. Comme le cardinal de Lorraine en faisait un
jour la remarque à Sa Majesté, le roi répondit : « Eh bien, quand
tout le conseil se déclarerait contre cet Ordre, vous et moi nous
lui resterons favorables et nous continuerons de le protéger2. »
Rien ne réussit mieux à calmer l'irritation des esprits en France
que le moyen auquel le P. Ignace eut recours au mois d'avril 1555.
Cette réfutation du décret, qu'il n'avait pas voulu faire directe-
ment au nom de la Compagnie, il la sollicita de tous ceux qui
avaient vu ses enfants à l'œuvre, dans les différents pays où ils
étaient établis. Par l'ordre du P. Général, tous les supérieurs de
la Compagnie furent chargés de demander aux princes ecclésias-
tiques et séculiers, aux Facultés et aux Académies, à toutes les
autorités des lieux où ils demeuraient, une attestation authen-
tique sur" leur vie, leur doctrine et leur Institut. Mais il leur
recommanda en même temps qu'en donnant, pour la plus grande
gloire de Dieu, à toutes les personnes qui le désireraient, les
renseignements concernant cette affaire, on eût soin d'agir avec
toute l'humilité et la charité requises, afin de ne pas blesser les
susceptibilités de l'insigne Université de Paris3.
De toutes les contrées d'Europe, affluèrent à Rome les témoi-
gnages les plus honorables pour la Compagnie de Jésus, et même
des protestations énergiques contre le décret de la Faculté de
théologie. Les Bollandistes, dans la Vie de saint Ignace, ont publié
la plupart de ces documents, où sont représentés Ferdinand Ie',
roi des Romains; le roi de Portugal et le. vice-roi de Sicile; les
ducs de Toscane, de Ferrare et de Bavière ; les évêques ou arche-
vêques de Modène, de Bologne, de Gênes, de Messine; les inquisi-
teurs de Ferrare, de Florence, d'Evora, de Saragosse ; les magis-
trats des villes de Messine, de Gandie, de Lisbonne; les Uni-
1. Lettre du 13 mars 1555 (Ibid.).
2. Chronicon, V, 12, 321. Car tas de San Ign., VI, app. II, p. 647.
3. Chronicon, V, 11.
LUTTE POUR LE DROIT DE NATURALISATION. 215
versités de Ferrare, de Valladolid, de Coïmbre, de Louvain, île
Vienne, etc. '. Le résumé de quelques-uns de ces documents nous
fera connaître dans quel sens étaient conçus tous les autres.
Gilles, évoque de Modène, atteste que la Compagnie de Jésus,
dans cette ville et ailleurs en Italie, exerce une influence si heu-
reuse sur les habitants, par la pureté de ses mœurs, par sa piété,
ses exemples et ses leçons, que tous ceux qui suivent sa direction
font chaque jour des progrès dans la vertu. S'il parle ainsi, dit-il,
ee n'est pas par flatterie, à Dieu ne plaise, mais pour témoigner,
à la gloire de Dieu, de ce qu'il a vu et expérimenté; car on juge
jie l'arbre par ses fruits, et chacun de nous à la fin de sa vie
sera jugé au poids de ses œuvres.
Le vicaire général de l'archevêque de Florence, commissaire
de l'Inquisition, certifie, de concert avec ses collègues, que la
Compagnie est très dévouée aux autres familles religieuses ap-
prouvées par la sainte Église, et qu'elle entretient avec toutes
une paix et une union véritables et sincères.
L'Université de Louvain se déclare formellement contre la
censure de la Faculté de théologie, en affirmant que l'Institut de
la Compagnie de Jésus est pieux et saint, et qu'il n'y a ni dans les
bulles, ni dans les privilèges, ni dans la conduite de ces religieux,
rien qui ne soit très avantageux et très utile aux pays où ils font
leur séjour.
Le Recteur et trente-deux professeurs de l'Université de Ferrare,
après avoir fait dans les termes les plus flatteurs, l'éloge de la
Compagnie de Jésus, disent que ses membres doivent être jugés
par leurs œuvres, et que celles-ci sont vraiment admirables :
ils enseignent gratuitement les humanités et forment en même
temps leurs élèves aux bonnes mœurs; ils prêchent, expliquent
la Sainte Écriture et ne négligent rien de ce qui a rapport à la
religion, visitant les hôpitaux et consolant les malades. Pour
cela, loin de mériter qu'on les chasse, ils devraient être plutôt
appelés par tous les moyens à Ferrare s'ils ne s'y trouvaient déjà.
L'inquisiteur de Saragosse alla beaucoup plus loin, dans sa
protestation contre le décret de la Faculté. Il rédigea, quoique
avec ménagement, une véritable sentence contre les assertions
doctrinales des théologiens de Paris : « La Compagnie de Jésus.
disait-il, a été approuvée par les Souverains Pontifes. Cependant,
plusieurs malveillants, les uns dans une mauvaise intention, les
1. Acta SS., t. VII Julii, De S. Tgnatio, g XLVII, p. 513 et suiv. ; § XLVIII, p. 510
et suiv.
216 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
autres par ignorance, ont répandu le bruit, dans cette ville et
dans les limites de notre juridiction, qu'une Université étrangère
a déclaré cette société dangereuse pour la foi, perturbalrice de
la paix et du repos de l'Église, nuisible aux autres religions, et a
porté d'autres accusations qui atteignent à la fois la Compagnie
de Jésus, le Siège Apostolique et l'autorité pontificale. Toutes ces
choses ayant été mûrement considérées... nous avons cru devoir
ordonner à tous et à chacun, dans les limites de notre juridiction,
au nom de la sainte obéissance et sous peine d'excommunication
majeure, qu'on tienne pour suspects et détracteurs du Siège
Apostolique tous ceux qui, possédant des écrits relatifs à cette
matière, ne nous les apporteraient pas au plus tôt au palais du
Saint-Office. Et nous voulons qu'on dénonce à notre tribunal ceux
que l'on connaîtra avoir parlé témérairement, ou dans un sens
défavorable, de l'approbation de cette Société, et qu'on les dé-
couvre dans les trois jours qui suivront cette proclamation1. »
Ainsi, sans craindre d'humilier la Faculté de théologie de
Paris, les hommes, les plus capables, en Europe, de juger sur ses
œuvres la Compagnie de Jésus, parlèrent en sa faveur. Leurs
témoignages d'estime furent un précieux encouragement pour le
fondateur de cet Ordre, à la fois si loué et si attaqué. Il n'eut pas
besoin, du reste, d'en faire usage. Bientôt, comme il l'avait prévu,
la vérité triompha par sa seule force, et même quelques-uns des
principaux signataires du décret durent reconnaître leur faute ou
leur erreur. Voici les circonstances qui amenèrent ce revirement.
9. Au mois d'août de l'année 1555, le cardinal de Lorraine avait
été envoyé à Rome par le roi Henri II pour y négocier une affaire
politique'2 avec le nouveau Pape Paul IV qui, excité par l'ambi-
tion de ses neveux, songeait à renverser avec le secours de la
France, la domination espagnole en Italie. Il s'était fait accom-
pagner de quatre docteurs, des plus renommés de l'Université de
Paris : Claude d'Espence, du collège de Navarre; Jérôme de la
Souchière, de l'Ordre de Cîteaux; Crespin de Brichanteau, reli-
gieux bénédictin; et Jean Benoît, ce dominicain qui avait rédigé
le décret du 1er décembre 1554 3. La présence à Rome de ces im-
1. Ibidem. Manare, De rébus S. J., p. 77. Mon. Ignat., s. 4», I, 376.
2. Pouvoir à MST le carcl. de Lorraine allant à Rome (Mémoires-journaux du
duc de Guise, collect. Michaud, t. VI, p. 257).
3. Le P. Orlandini (Hist. Soc. Jesu, P. I, 1. XV, n. 44) confond tous ces docteurs sous
le nom de Sorbonistes. C'était déjà la coutume des étrangers de confondre la Sorbonne
avec la Faculté de théologie. Vers le xin" et le xiv° siècle, différentes sociétés particu-
lières s'étaient formées au sein de la Faculté de théologie de Paris. Peu à peu elles
LUTTE POUR LE DROIT l>K NATURALISATION. 217
portants personnages offrait au P. Ignace une excellente occasion
de défendre la cause des siens, injustement condamnés. Il décida
que quatre jésuites, des plus distingués, auraient une explication
loyale avec les quatre théologiens de Paris. Il choisit les Pères
Jacques Lainez, Jean Polanco, André des Freux et Martin Olave '.
Ce dernier, docteur de la maison de Sorbonnc, connaissait égale-
ment bien l'esprit de la Compagnie et les usages de la Faculté :
il est vraisemblable qu'on lui laissa le premier rôle dans cette
courtoise discussion. La conférence eut lieu chez le cardinal de
Lorraine, et en sa présence. « Parcourant un à un tous les articles
du décret, les Pères les réfutèrent par des arguments péremptoi-
res, à la complète satisfaction non seulement du cardinal mais
aussi des docteurs2. » Claude d'Espence, rapporte Launoy, l'histo-
rien du collège de Navarre, « avoua franchement les erreurs conte-
nues dans le jugement de la Faculté ». Jean Benoit lui-même n'en
disconvint pas3. Le cardinal de Lorraine « déclara que les théo-
logiens de Paris avaient prononcé sans connaître suffisamment
la cause 4 » ; il promit de « s'employer de son mieux à faire rappor-
ter la sentence ' » ; puis il loua fort le Père Ignace qui, par charité,
ne s'était plaint ni au Sacré Collège ni au Souverain Pontife (i.
Afin d'éclairer de même les autres docteurs de la Faculté, le
P. Martin Olave rédigea pour eux un mémoire latin où il résuma
les arguments donnés dans la conférence. Ce document, à cause
de sa longueur, ne peut être reproduit ici tout entier7, mais son
importance nous oblige à en donner une analyse substantielle
qui permettra d'apprécier sa valeur :
Le nom de Société ou Compagnie de Jésus n'est pas une
nouveauté, car il y a déjà en Italie des congrégations qui le
portent; il y a des religieux Jésuates; il existe un Ordre de soldais
du Christ. D'ailleurs, on ne voit pas comment il y aurait plus
disparurent, el il n'y eut plus d'enseignement théologique que dans les maisons de
Sorbonne et de Navarre. Au collège d*Navarre on enseignait les arts avec la théologie;
au collège de Sorbonne la théologie seulement.
1. Né à Vitoiia, Martin Olave étudiait à Alcala quand Ignace y arriva, en 1526, et
le premier lui donna l'aumône à la porte de la ville. Il lit sa théologie à l'Université
de Paris et y fut reçu docteur. Après ses études, il suivit la cour de Charles-Quint en
Espagne el en Allemagne, et assista au concile de Trente. Renommé pour la pureté
de ses mœurs et sa doctrine, il fut reçu dans la Compagnie, en 1552, par Ignace qui.
peu après, lui confia une chaire d'Ecriture Sainte. Il fut ensuite Recteur du collège
romain et mourut le 17 août 1556. — 2. Polanco, Chronicon, V, 12.
3. Launoy, Regii Navarrae Gymnasii Ilisl., c. lu et lui.
4. Orlandini, Ilist. Soc. Jesu, P. 1, 1. XV, n. 44.
5. Polanco, /. c. — 6. Orlandini, l. c.
7. On le trouve dans les Cartas de S . [gn., t.'V, app. II, n. 24. Nous suivons le
résumé que le P. Berthier en adonné dans son llist. de l'Église Gallicane, t. XVIII.
p. 536 et suiv.
2\H HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
d'inconvénient à désigner un Ordre religieux parle nom de Jésus
que par les noms de la Sainte Trinité et du Saint-Esprit, pratique
déjà reçue depuis longtemps.
Dans le choix des sujets, il n'est pas possible d'apporter plus
de soin et de circonspection que la Compagnie. Elle a des Cons-
titutions expresses qui défendent la réception de toutes personnes
d'une réputation suspecte. Si les Papes ont accordé au Général
le pouvoir d'absoudre ses sujets de toutes sortes de crimes, c'est
une grâce toute semblable à celle qui est contenue dans le Mare
magnum1 des Frères Mineurs, et l'on ne peut rien en conclure
au désavantage du nouvel Institut.
L'uniformité d'habit entre les Jésuites et les prêtres séculiers
est un des points qui ont eu, de préférence, l'approbation des
gens sages, parce que rien ne convient mieux aux ministères
propres de l'Ordre, par exemple aux fonctions de zèle auprès des
ecclésiastiques dont le fondateur souhaite particulièrement la
réformation.
En fait de privilèges, la Compagnie a désiré simplement ceux
qui lui sont nécessaires pour ses fonctions ;plusieurs autres Ordres
religieux en ont de semblables ou même de plus grands encore;
et il est singulier que dans la Faculté de théologie, où les Régu-
liers sont admis, personne n'ait songé à justifier les Jésuites sur
un point qui leur est commun avec tant d'Ordres plus anciens.
On dit que ces privilèges blessent les droits des Ordinaires; mais
assurément les docteurs n'ont entendu cette plainte d'aucun
évêque à qui le plan de la Société soit quelque peu connu, car
elle se fait gloire d'être toujours dépendante, d'être toujours aux
ordres du Souverain Pontife d'abord, et ensuite de tous les évo-
ques. Aussi, le feu pape Marcel II ne se lassait point de lui donner
des éloges2; il la regardait comme la ressource des évoques pour
les fonctions du saint ministère. Et il est aisé déjuger, par la mul-
titude des collèges que les prélats répandus dans les divers États
de la chrétienté lui fondent tous les jours, qu'ils sont bien éloi-
gnés de la croire opposée à leur dignité et à leurs droits. On peut
s'étonner également qu'on la dise incommode et à charge aux
peuples; car il est notoire qu'elle exerce tous ses emplois sans
intérêt, sans rétribution, sans espoir de récompense.
Les docteurs de Paris prétendent que l'Institut des Jésuites
donne occasion aux religieux des autres Ordres d'apostasier. Ce
1. On appelle ainsi deux Bulles de Sixte IV, 1474, commençant l'une et L'autre par
Regimini. — 2. Cf. Carias de S. Ign., V, 152-159.
LUTTE l'OUU LE DROIT DE NATI RALISATION. 2*9
reproche n'est pas fondé, puisque la Compagnie s'esl fait une loi
de ne recevoir personne qui ait porté, même un seul jour, l'habil
d'un autre Ordre1. Qu'on appelle donc en témoignage les Régu-
liers, — Dominicains, Franciscains, Chartreux ou autres, — qui
ont des maisons dans les villes où se trouvent des Jésuites : ils
avoueront qu'ils reçoivent plus de religieux dans ces villes-là que
dans d'autres et, qu'après Dieu, ils se croient redevables de cet
avantage au bon exemple et aux exhortations de la Compagnie.
On a objecté que cet Ordre donnait atteinte aux droits des
seigneurs tant ecclésiastiques que temporels. La preuve du con-
traire est manifeste, car elle se trouve dans les bienfaits que la
Société reçoit partout des princes, des seigneurs, des villes, des
peuples. Jusqu'ici elle n'a éprouvé de contradictions que de la
part des hérétiques, des libertins, et aussi de quelques profes-
seurs, de quelques prêtres ou religieux avides, qui souffraient
impatiemment de voir les Jésuites exercer les mêmes ministères
qu'eux de la manière la plus gratuite et la plus désintéressée.
Le décret a conclu que la Compagnie était « dangereuse en
matière de Foi ». — Mais comment accorder ce jugement avec les
éloges que les papes Paul III, Marcel II et Paul IV lui ont décer-
nés, à cause des services qu'ils ont tirés d'elle, dans des occasions
très intéressantes pour l'Église? Cette contradiction seule aurait
pu engager le P. Général à déférer le décret au Saint-Siège;
cependant il n'a pas voulu user de ce moyen de défense : il s'est
contenté de rassembler une multitude de certificats de tous pays
et de toutes nations, dans l'espérance que ces témoignages fe-
raient connaître la véritable conduite des siens, leur innocence
et l'utilité de leurs travaux pour le bien de la religion.
10. Ce mémoire lumineux, parvenu aux destinataires, mit en
émoi toute la Faculté de théologie. Parmi les docteurs, beaucoup
refusèrent de prendre sur eux la responsabilité de l'acte du
I décembre 1554; quelques-uns prétendirent, bien subtilement,
que les explications du P. Olave, si elles « prouvaient l'intégrité
des Jésuites, n'infirmaient pas les motifs du décret - » ; mais la plu-
part avouèrent qu'ils ne l'eussent jamais porté s'ils avaient été
mieux informés ». Ils s'efforcèrent de le faire oublier, sans avoir
jamais le courage de l'annuler. Le docteur Dumont l'avait prédit
1. Voir ce que nous avons dit au I. I, c. v, n° 3, p. 108, note.
2. Orlandini, /. c, n. 62 : « Neque tain probari decretum ipsorum falsmn quain So-
cietalis homines innocentes. »
220 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
au P. Broet, son ami : sans. l'intervention du Pape, — à laquelle
la Compagnie ne pouvait recourir qu'en froissant Eustache du
Bellay, — on ne devait rien obtenir sur ce point '. Le P. Supérieur
fit toutes les démarches possibles auprès des théologiens les plus
influents et auprès du cardinal de Lorraine, protecteur des Jé-
suites, qui s'était engagé à les aider dans cette affaire : tout fut
inutile2. La Faculté de théologie ne put se résigner à une rétrac-
tation humiliante, qui sans doute aurait déplu au Parlement et à
l'évèque de Paris. Plus tard elle eut l'occasion de manifester son
repentir : lorsque dans des circonstances fort critiques, on déli-
béra si les religieux de la Compagnie seraient chassés du royaume,
« la sacrée Faculté déclara qu'il était à propos de les conser-
ver3 ».
La prudence, la douceur et le tact d'Ignace de Loyola avaient
v singulièrement servi la cause de ses disciples en France. Dieu ne
lui permit pas d'en voir le triomphe. Il mourut à Rome cinq
ans avant la fin de cette longue lutte, le 31 juillet 1556. Il y
avait huit ans, jour pour jour, que le Pape Paul III avait ap-
prouvé par une bulle particulière les Exercices spirituels; il y en
avait seize que la Compagnie de Jésus était fondée. A son lit
de mort Ignace de Loyola pouvait se réjouir, et rendre grâces à
Dieu de la prospérité de son œuvre. La milice qu'il avait donnée
à l'Église, répandait déjà ses soldats dans les diverses parties du
monde ; elle comptait près de mille cinq cents religieux et soixante-
huit maisons réparties en douze provinces. Celles-ci étaient ainsi
distribuées : neuf en Europe, les provinces de Portugal, d'Italie,
de Sicile, de Germanie inférieure, de Germanie supérieure, de
France, de Castille, d'Aragon et d'Andalousie; — trois en dehors
de l'Europe, les provinces des Indes, du Brésil et d'Ethiopie,
cette dernière en voie de formation'1.
1. Lettre du P. Broet à Ignace de Loyola. 27 avril 1556 (Epi si. PP. Broeli, etc.
p. 107).
2. Lettre du même au P. Lainez, 7 décembre 1556 [Ibid., p. 881).
3. D'Argentré, Coll. judiciorium, t. I, in indice, p. xviu.
4. Cfuonicon, IV, 41, 42.
CHAPITRE Y
ÉLECTION DE LAINEZ AU GÉNÉRA LAT.
SUITE 1>E LA LUTTE POUR LE DROIT DE NATURALISATION.
(1558-1560;
Sommaire : 1. Laine/, vicaire général. — 2. Difficultés pour la réunion de
l'assemblée des profès. — 3. Conduite des Pères Bobadilla et Ponce Cogordan.
— 1. Heureux dénouement de toute cette affaire. — 5. Première congrégation
générale; élection de Lainez et approbation des Constitutions. — 0. Ponce Co-
gordan adjoint, comme procureur, au P. Provincial de France, reprend les aé-
gociations pour l'admission légale de la Compagnie. — 7. Mort de Henri II.
Bienveillance de François II et résistance du Parlement. — 8. Audace de l'hé-
résie après la conjuration d'Amboise. Le roi désire lui opposer la Compagnie de
Jésus. — 9. Examen des Bulles par l'évêque de Paris; l'Université prend parti
contre les Jésuites. — 10. Le Père Cogordan obtient de nouvelles lettres de
jussion. — 11. Le Parlement renvoie une seconde fois la cause à l'évêque de
Paris, qui cède de mauvais gré et, sous réserve. Mort de François IL
Sources manuscrites : I. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a) Dé-
créta et Instruetiones. — b) De rébus congregationum I, II, III, IV, V. — c) Epistolae
Episcoporum. — d) Galliae Epistolae. — e) Gallia, Epislolae Generalium. - f) Regestum
lilterarum S. Ignatii.
il. Archives de la province de France.
m. Kôln, Sladt-archiv, Universilât., XI, 172.
Sources imprimées : Acta sanctorum. — Archives curieuses de l'Histoire de France.
— D'Argenlré, Collectio fudiciorum. — Du Boulay, Hislor. Unie. Parisiensis. — Car-
ias de S. Ignacio, t. v. app. — Constiluliones S. J. lat. et hisp. — Inslitulum .S. J. —
Manare, De rébus S. J. — Plaidoyer de Monlholon. — Pasquier, Le catéchisme des Jé-
suites. — Ribadeneira, La oie du P. Jacques Lainez. — Mowjmenta ihstorica S. J.
Polanco, Chronicon. — Epistolae P. Nadal. — Epistolae PP. Broeli, Jaii... — Monu
menta Ignatiana, s. 4", t. I.
1 . Ignace de Loyola aurait pu avant sa mort, comme le lui per-
mettaient les Constitutions, désigner le Vicaire qui devait gou-
verner provisoirement la Compagnie jusqu'à l'élection d'un nou-
veau Général. Il ne le lit point, peut-être pour ne pas en imposer
par son choix t\ la congrégation chargée d'élire son successeur.
Dans ces conjonctures, et suivant la règle qu'il avait établie, l'é-
lection du P. Vicaire revenait aux profès qui se trouvaient à Home.
Ils s'assemblèrent le 3 août. Dans le nombre, il y avait deux fran-
çais : le P. André Frusius, ou des Freux, premier recteur du col-
lège Germanique^ et le P. Ponce Cogordan1, procureur général
1. André des Freux, né à Chartres, entra dans les ordres el lut curé de Thiver-
222 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
de la Compagnie, qui jouera un rôle important dans la lutte pour
la reconnaissance légale des Jésuites en France. Le P. Jacques
Lainez, qui relevait à peine d'une grave maladie, fut nommé à
T unanimité.
C'était à lui maintenant de réunir la congrégation générale.
Vu l'urgence des affaires à traiter, il crut bon d'avancer un peu
le terme prescrit en pareil cas, et de la convoquer pour le mois de
novembre 1556. Mais bientôt les profès d'Espagne et de Portugal
firent savoir qu'ils ne pourraient arriver dans un si court délai :
François de Borgia était retenu pat' la maladie; tous prévoyaient
la longueur du voyage, à travers un pays que rendrait peu sûr le
conflit survenu entre le pape Paul IV et le roi d'Espagne Phi-
lippe II1. Le 29 août2, Lainez donna avis aux profès que la con-
grégation s'ouvrirait, à Rome, seulement après les fêtes de Pâques
de 1557. Entre ces deux dates la question fut agitée, à plusieurs
reprises, de transporter le siège de l'assemblée dans une autre
ville. On songea à Lorette et à Gènes3. François de Borgia avait
proposé Avignon ''. Mais le Pape, informé de ces projets, fit dire
au P. Vicaire par le cardinal de Carpi, protecteur de la Compa-
gnie, que la Congrégation devait se tenir à Rome même. Devant
cet ordre, il n'y avait plus d'hésitation possible.
2. Dès le mois de janvier 1557, le P. Broet se rendit de Paris en
Auvergne pour y rejoindre le P. Viola, recteur du collège de Bil-
lom \ Tous deux, alors seuls profès de la Compagnie de Jésus en
France, firent ensemble le voyage de Rome où ils arrivèrent à la
fin du carême 6. Ils y trouvèrent déjà réunis plusieurs députés des
différentes provinces. Ceux d'Espagne et de Portugal manquaient
au rendez-vous. On attendait encore à Gênes le bateau qui devait
val. 11 vint ensuite à Rome, où il vécut dans la familiarité du Cardinal de Carpi, pro-
tecteur d'Ignace. C'est ainsi qu'il connut la Compagnie où il fut reçu en 1541. Homme
universel il possédait à fond les langues anciennes et plusieurs idiomes modernes;
orateur, poète et musicien, il excellait dans les mathématiques et le droit. C'est à lui
que l'on doit la traduction latine des Exercices spirituels connue sous le nom de Vul-
gate. — Ponce Cogordan était natif de Provence et ancien étudiant du collège des
Lombards. 11 avait suivi en Portugal le P. Jacques Miron, son condisciple, nommé
recleur du collège de Coïmbre. De là, appelé à Rome, il fut associé à la charge du
P. Codace, puis le remplaça comme procureur général de la Compagnie de Jésus en
1549. Le cardinal de Sainte-Croix lui confia la délicate mission d'établir la réforme
monastique dans une communauté de Bénédictines près de Brignoles. — (Cf. Vin oui -
con, t. 1, p. 95, 120, 362; t. III, p. 166; t. V, p. 9, 354. Solwel. Bibl. scrip. S. J.,
p. 50. - 1. Episl. Nadal, II, p. 11. Polanco, C/tronicon, VI, p. 50.
2. Uegest. S. Ignat., t. V, f. 57. — 3. Polanco, Chronicon, VI, 50.
4. Borgiae Epis t., 28 octobre 1556. Citée par Astrain, t. II, p. 8.
5. Hislor. primord. coll. Billomensis. Cf. Epistolae PP. Broeli..., p. 883 el note.
6. Saccbini, Hisl. Soc. Jesu, P. II, 1. I, n. 67.
ÉLECTION DE LAINEZ AU GÉNÉRALAT. 223
les amener. Quand il aborda, il ne portait que le P. Ribera '.
Celui-ci, pris do fièvre, dut s'arrêter dans cette ville d'où il en-
voya au P. Vicaire une partie de la correspondance dont il était
chargé -. Dans ces lettres, les PP. de Rorgia et Araoz apprenaient
qu'au moment où les profès Espagnols allaient se mettre en route,
le roi Philippe II, par un édit, avait défendu à tousses sujets de
quitter le royaume, et ordonné à ceux qui résidaient à Rome d'a-
bandonner cette ville immédiatement, et cela sous les peines dues
au crime de lèse-majesté. Cet édit sévère, sans parler des hosti-
lités qui allaient reprendre plus vives, forçait les Pères à demeu-
rer en Espagne; ils demandaient donc que la congrégation se
tint en ce pays et ils proposaient Rarcelone:!. A ces nouvelles, les
profès déjà groupés à Rome se trouvèrent dans une position très
embarrassante. Il était nécessaire d'élire au plus tôt un Général;
par ailleurs l'absence des profès d'Espagne qui étaient des plus
anciens, et parmi lesquels on comptait des hommes de haute va-
leur, semblait très regrettable ''. On examina de nouveau le pour
et le contre. La majorité penchait pour rester à Rome. Nadal, un
peu appuyé par Polanco, insistait pour l'Espagne 5. Le difficile
était de faire accepter ce transfert à un Pape en guerre avec les
Espagnols, à un Pape qui avait manifesté son désir d'examiner
de près les Constitutions et d'en modifier certains points0. Ne se-
rait-il pas froissé de cet éloignement, qu'il regarderait comme un
moyen de se soustraire à son influence ou à son contrôle? Si fortes,
cependant, parurent les raisons de quitter Rome, qu'il fut décidé
qu'à la première occasion le P. Vicaire pressentirait encore
Paul IV à ce sujet. Lainez osa cette démarche. Le Pape prit très
mal la chose : « Allez, si vous y tenez, en Espagne, dit-il vive-
ment. Mais, que ferez- vous en Espagne? Voulez-vous donc em-
brasser le schisme et l'hérésie du roi Philippe? - — Nous ne le
voulons pas, » reprit Lainez en souriant7. Et il n'insista pas; il
comprenait assez l'état d'âme du pontife, à cette « si dure allu-
sion au prince le plus catholique du monde s ».
L'intervention de deux cardinaux n'avait pas réussi davantage11
à changer les dispositions de Paul IV, quand arriva de Cènes lé
P. Ribera apportant avec lui le reste des lettres qui lui avaient
1. Epist. Nadal. Il, p. 12, .Vi. — :>. Sacchini, op. cit., n. 68.
3. Epist. Nadal, I. c, cf. Epist. Horgiœ, 9 et 16 fV\ . et i mais 1557, citées par
Astiain, op. cil., I. Il, p. 'J note. — 4. Sacchini, Ilisl. Soc, P. Il, 1. I, n. 14.
5. Epist. Nadal, II, p. 12. Sacchini, op. cit.,n. 71, T2.
6. Epist. Nadal, II, p. 15, 50, M. — 7. lbiri., y. 13.
8. Astrain, op. cil., p. 10. — y. Sacchini, op. cit., n. 72.
224 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
été remises par les Pères d'Espagne. Elles étaient encore plus
graves et plus pressantes que les premières. Il y en avait une
aussi du Nonce \ montrant combien le départ des Pères influents
de ce royaume serait préjudiciable aux intérêts catholiques. Con-
vaincus de la nécessité du transfert par tous ces rapports, les
Pères de Rome résolurent de tenter un effort suprême. Lainez
retourna auprès du Pape, lui montra la lettre de son Nonce et
l'appuya de si bonnes raisons que Paul IV en fut touché : l'affaire,
lui dit-il, valait d'être considérée devant Dieu; on était à quel-
ques jours de la Pentecôte ; qu'il priât et fit prier et revint cher-
cher la réponse un peu plus tard 2.
Les choses en étaient là, suffisamment embrouillées, mais avec
l'espoir d'une heureuse issue, quand, au sein même de la Com-
pagnie, deux turbulents s'avisèrent de la compliquer encore. Ni-
colas Bobadilla et Ponce Cogordan étaient des hommes doués
de belles qualités ; ils avaient déjà rendu et ils rendirent encore
dans la suite d'éminents services3, mais ils ne manquaient pas de
défauts qui dans les circonstances, et habilement exploités par le
démon, allaient mettre en péril l'œuvre de saint Ignace.
Si nous parlons ici un peu longuement de cette affaire, c'est
que le P. Ponce Cogordan appartiendra bientôt à la France, où il
viendra réparer sa faute par un zèle et un savoir-faire incontes-
tables.
3. Bobadilla, dont le caractère fantasque et impulsif troublait
parfois le jugement, supportait mal qu'en attendant l'élection
du nouveau Général, toute l'autorité reposât sur un seul homme.
Par des allusions d'abord, ensuite par des déclarations pré-
cises, il prétendit que le gouvernement de la Compagnie de-
vait appartenir à tous les premiers profès, c'est-à-dire ceux qui
restaient alors des compagnons d'Ignace. A l'entendre, les Cons-
titutions, dans la pensée du fondateur, n'étant pas définitives
tant qu'elles n'auraient pas été approuvées par une congréga-
tion, l'élection de Lainez comme Vicaire était nulle, et le pouvoir
légitime manquant, on était nécessairement retombé dans la
même situation qu'avant l'élection d'Ignace au généralat. Or, à
ce moment, toutes les décisions étaient prises de concert avec les
1. Epist. Nadal, II, p. 13. Le P. Nadal ne fait que remarquer l'importance des lettres.
Le P. Sacchini affirme qu'il \ en avait une du nonce qui fut montrée au pape par Lai-
nez. Le P. Astrain a suivi sur ce point Sacchini (t. Il, p. 10). Cf. Sacchini. op. cit.,
n. 72. — 2. Episl. Nadal, II, p. 54. Sacchini, op. cit., n. 72.
3. Epist. Nadal, 53, 54.
ÉLECTION DE LAINEZ Alr GÉNÉRALAT. 225
premiers Pères1. Bobadilla était d'autant plus mal venu à parler
de la sorte qu'il avait accepte le P. Vicaire pendant un an; lui-
mrine l'avait élu par l'entremise du P. Polanco, auquel il avait
abandonne son suffrage2; enfin il savait fort bien que les Cons-
titutions, si elles n'avaient pas encore la sanction définitive d'une
congrégation générale, étaient cependant en vigueur depuis
plusieurs années, et promulguées partout, sauf en France, après
avoir eu l'approbation des profès. N'importe; sous l'impression
de son idée et persuadé d'avoir raison, Bobadilla intriguait. Parmi
ses frères, il en gagnait quatre à sa cause : Broet, qui péchait
parfois par excès de simplicité ; Jean-Baptiste Viola, un esprit
très indépendant; Adrien Adriaënssens, connu pour très original ;
et Simon Rodriguez, dont la conduite comme provincial avait été
blâmée par Ignace en 1552 3. Si encore tout s'était passé en
famille; mais Bobadilla, en bons termes avec le Pape et plusieurs
grands personnages, cherchait, pour arriver à ses fins, des in-
fluences étrangères. Ses raisonnements et ses interprétations so-
phistiques, qu'il débitait en conversation et même par écrit,
soulevaient tout un mouvement d'opinion contre le P. Vicaire et
contre l'Institut4.
Ponce Gogordan, lui, se démenait sur un autre terrain : il
trouva moyen d'induire en erreur et d'irriter le Souverain Pontife
sur la question si délicate du transfert. C'était du reste un bon
religieux, un homme d'affaires remarquable, précieux pour son
activité et son esprit pratique, mais très entêté et peu maniable"1.
11 faisait partie de la congrégation, non comme profès, mais
comme procureur général de toute la Compagnie. Aigri de n'a-
voir pas été admis à la profession des quatre vœux6, il était tout
à fait opposé, on ne sait trop pourquoi, au projet de quitter
Rome7. Il ne se contenta pas d'exposer vivement son avis là-
1. Interrogatorio heclio al P. Bobadilla {De rébus Congr. gen. I-V) publié par
le P. As train, op. cit., t. IF, p. 611-613, appendice I. Cf. Réfutation de Bobadilla
par Nadal, dans Sacchini, l. c., n. 82, 83. Le P. Nadal fait remarquer à Bobadilla qu il
avait trop de prétention en se regardant comme co- fondateur de la Compagnie :
« Unum nos Ignatium fundatorem agnoscimus : per quem Deus in suam Ecclesiam
Socielatcm invexit; a quo et instiluendae Religionis consilium cœpit; qui caeleros
Patres ad ejusdem consilii socictalem adduxit » (Sacchini, n. 82).
2. 'Epist. Xadal, II, p. 11. Polanco, Chronicon, VI. p. 46.
3. Epis t. Xadal, II, 51, 52.
4. Epist. Nadal, II, p. 54. De rébus congr. gen., cité par Astrain, I. Il, p. 15,
16, notes.
5. Epist. Xadal. II, p. .">i. Saccbini, op. cit., n. 75.
6. Epist. Xadal, 1. c. Sur ses instances, Ignace l'avait reçu profès des trois vœux.
7. Le P. Sacchini suggère qu'il espérait obtenir des profès, alors présents à Rome,
de faire sa profession solennelle des quatre vœux.
COMPAGNIE DE JÉSl'S. — T. I. j5
226 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
dessus, dans l'assemblée des profès. A l'insu de tous, sans aucun
mandat, après que Paul IV eut donné bon espoir au P. Lainez
dune réponse favorable, et tandis qu'on attendait cette réponse,
il imagina de faire remettre au Pape un mémoire, dans lequel il
prétendit que le P. Vicaire et les profès tenaient absolument au
transfert en Espagne1, afin d'élire un Général à leur guise et d'ar-
ranger les Constitutions à leur manière, loin de l'influence du
Siège Apostolique2. Paul IV, sur ce faux rapport, se crut joué
par la Compagnie. Quand, au jour marqué pour avoir sa réponse,
Lainez se rendit au Vatican, on lui fit un accueil plus que froid.
Après une longue attente 3, on vint lui dire que Sa Sainteté ne
pouvait le recevoir et réclamait, avant trois jours, les lettres apos-
toliques, les Constitutions et règlements de la Compagnie, avec
la liste de tous les Pères présents à Rome, auxquels défense ab-
solue était faite d'en sortir'1.
Ces ordres inattendus, que les seules intrigues de Bobadilla ne
suffisaient pas à expliquer, émurent les profès. Ils s'informèrent
et apprirent l'imprudente démarche de Cogordan. Grande fut
leur consternation. Ils n'auraient jamais cru que l'existence de la
Compagnie pût être mise en danger par deux de ses enfants5.
Cependant, il fallait agir. On alla d'abord au plus pressé; l'obéis-
sance. Tous les documents que le Pape avait demandés, lui furent
apportés. Cela fait, on se tourna vers Dieu. Des prières et des
pénitences furent prescrites aux Jésuites de la maison professe
et du collège romain; l'ordre de s'y unir fut envoyé à toutes
les maisons de la Compagnie. Restait à rétablir la vérité, que les
deux brouillons avaient si témérairement travestie. Les quatre
tenants de Bobadilla l'abandonnèrent, quand ils virent où ses
menées aboutissaient. Toutes les personnes qu'il avait entre-
tenues de ses plaintes et de ses théories, furent visitées par Lainez
qui, modestement, mais avec sa logique vigoureuse, remit les
choses au point6. Bobadilla réclama l'intervention du cardinal de
Carpi, protecteur de la Compagnie; Lainez accepta cet arbitre;
puis, le moment venu de se présenter devant lui, le coupable se
déroba sous de futiles prétextes. A la fin, le cardinal déclara que
Lainez continuerait à gouverner avec les profès réunis à Rome
comme conseillers. Les profès consultés sur cette décision, le
9 août, l'acceptèrent7 ab bonum pacis, mais en protestant que,
1. Epist. Nadal, 1. c. — 'l. Epis t. Nadal, II, p. 13. Sacchini, op. cit., n. 75.
3. Sacchini, op. cit., n. 76. — 4. Epist. Nadal, II, p. 54. Sacchini, /. c.
5. Epist. Nadal, 11, 55. — 6. Ibid. Sacchini, n. 78. — 7. Epist. Nadal, 11, p. 56.
ÉLECTION DE LAINEZ AI GÉNÉRALAT, 227
d'après les Constitutions, le P. Vicaire pouvait se passer d'eux1.
Quant à Bobadilla, s'insurgeait contre le moyen-terme proposé
par le cardinal, il menaça d'en appeler au Pape. C'était la der-
nière faute à commettre. Les Pères furent alors d'avis que le
I». Vicaire le devançât auprès de Paul IV, pour exposer sans am-
bages à Sa Sainteté toutes les faces et péripéties de cette af-
faire-.
\. Lainez demanda une audience que d'abord on lui refusa :i.
Enfin il fut introduit et reçu avec bienveillance. Il parla en pre-
mier lieu du transfert de la Congrégation générale; il affirma que
ni lui, ni les profès, n'avaient rien conclu à ce sujet en attendant la
décision du Vicaire de Jésus-Christ; mais que, de fait, les graves
raisons déjà exposées leur semblaient toujours aussi fortes. Quant
à vouloir échapper au Saint-Siège pour la sanction à donner aux
Constitutions, dans quel pays le pourraient-ils? Ne dépendaient-
ils pas partout du Siège Apostolique? Ne lui devaient-ils pas
obéissance en vertu même de la formule de l'Institut? Loin de
vouloir se soustraire à sa surveillance, ils avaient la ferme inten-
tion de présenter à l'approbation pontificale tout ce qu'ils auraient
résolu touchant les Constitutions. Lainez vint ensuite aux diffi-
cultés soulevées par Bobadilla, et après avoir exposé les faits, il
demanda au Souverain Pontife de vouloir bien désigner un cardi-
nal, qui, au nom de Sa Sainteté, serait chargé non seulement
d'examiner les règlements laissés par Ignace, mais aussi d'inter-
roger ses enfants4.
Le Pape estimait Lainez. Il lui répondit, sans amertume, qu'il
avait à cœur les intérêts de la Compagnie, et lui laissa le choix du
cardinal enquêteur. — « Celui que Votre Sainteté aura choisi, ré-
pliqua Lainez, sera le mieux accepté par nous tous. » — Paul IV
désigna le cardinal Alexandrin5, plus tard connu sous le nom
vénéré de Pie V. On ne pouvait désirer un juge plus sage et plus
équitable. Il interdit d'abord aux Pères Bobadilla et Çogordan de
parler à personne, sauf à lui, des affaires pendantes; puis il vint
à la maison professe où il interrogea tous les Pères. Au début de
cette information, Bobadilla crut qu'elle allait tourner en sa fa-
veur. Cependant, le cardinal Alexandrin comprit bientôt les torts
des opposants, et comment le démon les avait trompés'1. II ne for-
1. Sacchini, n. si. 2. Epist. Nadal, 1. c. — 3. Sacchini, n. Si.
4. Ibid. Cf. Epist. Xadal, 11, p. 5G, 57.
5. Michel Ghislieri, né d'une famille obscure à Bosco près d'Alexandrie eu 1504
6. Epist. Nadal, il, p. :>:.
:>2S HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
mula aucune sentence : ce n'était pas dans son rôle; mais il rap-
porta au Souverain Pontife le résultat de son enquête. Bobadilla.
sentant sa cause perdue, se souvint très à propos que le cardinal
de Santa Fiora lui avait demandé, peu de temps auparavant,
d'aller à Fulgino pour la réforme d'un monastère. Il obtint de s'y
rendre sans plus tarder.
Ce départ n'ébranla point Ponce Cogordan qui se présenta au
cardinal Alexandrin, pour lui exposer, disait-il, quatre griefs qu'il
avait contre les Pères. Il se plaignit d'abord que le P. Vicaire lui
eût imposé une pénitence pour avoir, à son insu, communiqué un
mémoire au Souverain Pontife. Le cardinal, qui n'ignorait pas que
le P. Ponce n'avait pas été blâmé pour ce fait, mais pour avoir
faussement attribué aux profès l'intention arrêtée de se réunir
en Espagne, fut péniblement surpris de cette plainte et contint
d'abord son indignation : « Quelle pénitence vous a-t-on donnée?
lui demanda-t-il. — De réciter une fois le Pater et Y Ave. » — A
ces mots, Alexandrin, homme pourtant très calme, laissa éclater
son mécontentement, et déclara au Père qu'il ne voulait plus
l'entendre. On raconte que le Pape, apprenant ce dernier trait, se
signa comme pour éloigner de lui un si étrange aveuglement l.
Paul IV se crut alors suffisamment éclairé. Il leva la défense
qu'il avait faite aux profès de sortir de Rome, leur permit de se
rendre où ils voudraient, et fit même un don d'argent pour four-
nir au viatique. Pendant quelque temps encore, les Bulles et les
Constitutions restèrent aux mains de deux cardinaux qui devaient
les examiner, puis on les rendit sans aucun jugement 2.
Ainsi finit cette épreuve où la Compagnie connut, par sa propre
expérience, les faiblesses inséparables de toute institution hu-
maine. Elle eut une maternelle clémence pour ses fils aveugles et
imprudents3. Inclinée à gouverner d'après la loi de charité, elle
laissa les deux coupables réparer, d'eux-mêmes, par un redou-
blement de zèle au service de Dieu, les torts où ils étaient tombés
par défaut de caractère et sous l'empire de l'illusion. La con-
grégation générale fut remise à plus tard. En attendant une nou-
velle convocation, les profès se dispersèrent. On vit alors Boba-
dilla, à Fulgino, et Ponce Cogordan, à Assise, faire merveille,
travailler au bien des âmes d'aussi bonne grâce et avec la même
ardeur que si rien ne s'était passé 4. Nous dirons, tout à l'heure, ce
1. Epist. Nadal, II, 57, 58. Saccbini, op. cit., n. 86-8'j. — 2. lbid.
3. Epist. Nadal, II, p. 58, 59.
4. Saccbini, op. cit., n. 88.
ÉLECTION DE LAINEZ AI GENÉRALAT. 229
que le P. Cogordan dépensa de dévouement el d'énergie pour ob-
tenir l'établissement de ses frères en France.
5. Le \h septembre 1 5.">7, un traité de paix fut conclu entre
Paul IV et Philippe II. Désormais la route de Rome était libre, et
la Compagnie allait pouvoir procéder avec toute facilité à l'élec-
tion de son Général. La congrégation fut convoquée pour le mois
de juin 1558. Elle s'ouvrit, le 19 de ce mois, composée seulement
de vingt membres, y compris le P. Vicaire l. Le Souverain Pontife,
après avoir approuvé les règlements destinés à assurer la validité
du scrutin, chargea le cardinal Paceco d'y assister en son nom.
Le 2 juillet, fête de la Visitation de la sainte Vierge, le P. Lainez,
homme d'un esprit éminent et d'une vertu consommée, fut élu à
la majorité de treize voix. Le P. Jérôme Nadal en avait obtenu
quatre; les PP. Paschase Broet, François de Borgïa et Nicolas
Delannoy chacun une2. S'il n'avait pas été élu, le Père Vicaire
aurait dû proclamer le résultat du vote. Ce fut au P. Broet, doyen
des profès, à remplir cet oftice. Le Pape se montra très satisfait
de l'élection, et témoigna une singulière bienveillance aux Pères
députés, dans l'audience qu'il leur accorda.
Un des premiers soins de la congrégation, après quelques jours
de repos3, fut de nommer les quatre assistants du nouveau Gé-
néral. V assistance d'Allemagne, qui comprenait la Germanie
supérieure, la Germanie inférieure et la France, échut au Père
Jérôme Nadal.
On s'occupa également de sanctionner les Constitutions rédigées
par saint Ignace. Il fut décidé qu'elles auraient force de loi, et
que les points substantiels n'en seraient jamais plus discutés ;
pour les autres, on pourrait dans l'avenir en délibérer, mais on
ne les modifierait que si les leçons de l'expérience ou des motifs
évidents l'exigeaient4.
Quant au texte même des Constitutions, il fut revu avec soin.
Le manuscrit espagnol d'Ignace et la traduction latine de Polanco
furent confrontés ; quelques légers changements, portant princi-
1 . C'étaient les Porcs : Lainez, Salmeron, Broet, Bobadilla, Rodrigucz, Nadal, Polanco,
Canisius, Tories, Domenech, Banna, Miron, Pelletier, Delannoy, (loyson, Mercurian.
Camara, Vaz, Vinck el Plaza. Seuls les PP. Broet et Pelletier étaient Français.
2. Epist. Nadal, II, GO, 61, 62.
3. Durant trois jours, les étudiants du collège romain (jésuites et séculiers) fêlèrent,
par des exercices scientifiques et littéraires, le nouveau Général et l'assemblée des
profès (Epist. Nadal, II, 62).
4. Instil. S. J., t. 1, Congr. I" Décret, post electionem, 15, 16. — Cf. Const. lut. et
kisp., préface, p. vin.
230 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE l>E JKSl'S.
paiement sur les termes, furent introduits dans le texte latin que
la congrégation autorisa. Elle arrêta en outre qu'aucune autre
version ne pourrait être acceptée sans l'autorité de toute la Com-
pagnie, c'est-à-dire d'une autre congrégation générale1.
Le 24 août, par une communication du cardinal de Trani, le
Pape invita les Pères à remettre deux points en délibération :
l'exemption du chœur et la perpétuité du généralat. Après un
sérieux examen, les profès conclurent à l'unanimité que des inno-
vations sur ces deux points seraient contraires à l'Institut de la
Compagnie, aux bulles des Papes précédents et à la forme même
de l'Ordre auquel ils s'étaient liés par leurs vœux2. Mais le Pape
insista de son côté, et dans une audience donnée, le 6 septembre,
aux Pères Lainez et Salmeron3, et dans un ordre formel que le
cardinal de Napolès apporta, deux jours plus tard, à la congré-
gation assemblée. Il imposa l'office du chœur et le généralat
triennal, avec la facilité toutefois de réélire le général sortant.
La Compagnie, en refusant de prendre sur elle ces réformes,
avait protesté de son obéissance aux volontés du Pape'1. Dès
qu'elle les connut, elle se soumit : le chœur fut établi à la mai-
son professe"' et continué jusqu'à la mort de Paul IV, arrivée un
an plus tard, le 18 août 1559.
A ce moment, le cardinal Pozo et plusieurs jurisconsultes émi-
rent cet avis, qu'un ordre communiqué verbalement, sans bulle
ni bref, sans dérogation explicite aux bulles de Paul III et de
.Iules III, en un mot non revêtu des formes ordinaires de la chan-
cellerie romaine, cessait assurément à la mort du Pape qui l'avait
donné'1. En 1561, après trois ans de généralat, Lainez demanda
aux Pères Assistants s'il ne convenait pas de lui élire un suc-
cesseur. Ils nièrent énergiquement. Le P. Général, pour plus
de sûreté, soumit le cas à tous les Pères provinciaux et pro-
fès de la Compagnie. Tous, à l'exception d'un Père italien, ré-
pondirent qu'une nouvelle élection était inutile7. Le P. François
1. Instit., t. I, Congr. lae Décret. 78,79.
2. Nadal, Scltolia in Const., p. 272, 277.
3. Le récit de cette curieuse audience a été consigné dans une lellre de Salmeron
portant le visa de Lainez. Le P. Astrain l'a publiée et donné d'autres détails sur cet
incident de la première congrégation (op. cit., t. II, p. 37 et 613, app. II).
4. Nadal, Scholia, p. 273.
5. Epist. Nadal, t. II, p. 64. « Inslituimus canere in choro bonis omnes canonicas
theatinice, ut jusserat Paulus, id est absque modulatione ecclesiastica conlinenti, et
uno tono vocis, tantum ut ullima syllaba quasi contraberetur. »
6. Regest. Lainez. Hisp., 1559-1564, p. 10, cité par Astrain, op. cit.. p. 36, note.
7. Epist. /'. Lainez. Vota de ejus generalatu (Astrain, op. cit., t. Il, p. 37). — La
réponse de liobadilla qui avait fait tant d'opposition à Lainez, comme vicaire, a été
LUTTE POUR LE DROIT DE NATURALISATION. 231
de Borgïa conseilla, afin d'éloigner tout scrupule, de demander
à Pie IV une révocation expresse du commandement verbal de
son prédécesseur. Ainsi fut fait. Ft Lainez continua, en toute
tranquillité de conscience, à gouverner la Compagnie.
C. La première congrégation générale avait été dissoute le
10 septembre 1558. Les Pères professe dispersèrent et reprirent
alors, pour la plupart, leurs fonctions ordinaires dans leurs pro-
vinces respectives. Le P. Paschase Broet aurait bien voulu dé-
poser le fardeau de la supériorité. Mais le P. Lainez, connaissant
les heureuses qualités du Provincial de France, n'accéda point A
son désir; il jugea toutefois qu'au milieu des tracas sans cesse
suscités à la Compagnie dans ce pays, il convenait de placer
auprès du P. Paschase un homme entreprenant et rompu aux
affaires, qui serait comme son bras droit dans toutes les relations
extérieures. Le P. Ponce Cogordan fut choisi pour ce poste. En
quittant Rome, le P. Broet et le P. Viola allèrent le rejoindre à
Assise, où il venait de travailler à la fondation d'un collège. De
là tous les trois firent route vers la France par Bologne, Modène
et la Lombardie. Comme ils voyageaient à petites journées, ils
ne parvinrent à Paris que le 1er novembre. Le P. Cogordan s'y
arrêta avec le P. Broet1, qu'ildevait aider en qualité de procureur,
tandis que le P. Viola s'en alla reprendre sa place au collège de
Billom.
La reconnaissance légale de la Compagnie de Jésus en France
était une des conquêtes réservées au généralat du P. Lainez; mais,
avant de l'obtenir, il fallut encore au P. Provincial et à son pro-
cureur beaucoup de démarches et beaucoup de patience. Une ac-
calmie profonde, nous lavons vu, s'était produite après le mé-
moire du P. Martin Olave. Les Jésuites de Paris se gardèrent bien
de la troubler par quelque tentative précipitée; ils s'accommo-
dèrent au temps et gardèrent le silence. Le P. Broet, uniquement
occupé du gouvernement de sa communauté et de la province,
publiée par le P. Astraio (11, p. 37). Elle montra que cet homme de cœur, mais à
caractère bizarre, savait revenir à résipiscence. — Le P. Ponce Cogordan, lui aussi,
avait donné des marques de repentir pendant le temps même de la congrégation gé-
nérale (Ei>ist. Nadal, t. II, p. 63).
l. Decr. et Inslr. 1540, 1573, fol. 85. — Manare, De rébus S. /., p. 69. — Le P. Co-
#>rdan nous apprend, dans une lettre au P. Général, la composition de la communauté
de Paris à la fin de 1558. « Nous étions, dit-il, trois prêtres et cinq étudiants, un en
théologie, deux en logique, un en dialectique, un en grammaire, plus deux frères
laïcs. En tout dix religieux, auxquels il faut ajouter trois étrangers que M-r de Cler-
mont fait étudier à l'Université : un séculier et deux moines de l'ordre de Saint-Be-
noît. » (Francia, Hist. l'rov., 1540-1604. Letlre du 20 décembre 15581.
2:52 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
continua, comme par le passé, de se livrer à des ministères con-
formes à ses talents et à ses goûts, tels que la prédication, les
catéchismes, les confessions, la visite des prisons et des hôpitaux,
et surtout les Exercices Spirituels, dont il avait une rare intelli-
gence et qu'il savait mettre à la portée de toutes les âmes.
Cependant, la fondation du collège de Billom avait de nouveau
attiré l'attention sur la Compagnie de Jésus, dont on commen-
çait à admirer les œuvres : « Plût à Dieu, écrivait l'évêque de
Mondovi au P. Lainez, que toute la France se disposât à suivre
cet exemple! On verrait alors s'élever une jeunesse pieuse et sin-
cèrement catholique, qui fournirait au clergé d'excellents prélats
et au roi les magistrats les plus fidèles et les plus capables1. »
Ce souhait n'était pas réalisable tant qu'on n'aurait pas triomphé
de la résistance du Parlement et de l'Université. Aussi la néces-
sité d'en finir parut-elle évidente et pressante au P. Ponce Co-
gordan, dès son arrivée à l'hôtel de Clermont. Lui, que le cardi-
nal de Lorraine, au rapport d'Etienne Pasquier, « disoit être le
plus fin négociateur qu'il eût jamais vu2 », prit la ferme résolu-
tion de ne connaître aucun repos, avant d'avoir emporté, par
son habile persévérance, la vérification des bulles pontificales et
le droit de naturalisation. Intermédiaire entre le P. Broet son su-
périeur et tous ceux qui, amis ou ennemis, prenaient part à cette
affaire, il allait continuellement des uns aux autres, de Paris à
la cour qui séjournait tantôt à Fontainebleau, tantôt à Amboise
ou à Orléans; de la cour au Parlement, à l'évèché de Paris, à
l'Université. Il portait des suppliques au roi, des lettres de jus-
sion aux magistrats, des recommandations à l'évêque, des expli-
cations aux docteurs. Il faisait presque toujours à pied ses courses
et ses voyages, s'arrêtant à peine pour prendre un peu de repos
et quelque nourriture. C'est à sa constance inlassable, à l'ardeur
de son filial dévouement que la Compagnie devra, après de nom-
breuses contradictions, d'obtenir droit de cité dans le royaume
de France. Aussi, en récompense de ses éminents services, le
P. Général l'admit-il, le 15 novembre 15G0, à la profession so-
lennelle des quatre vœux3.
7. Henri II n'avait jamais cessé de regarder la Compagnie de
Jésus comme un Ordre fort utile à l'Église et à l'État. Ces dispo-
sitions favorables annonçaient qu'un jour ou l'autre satisfaction
1. Gomez, Elogia S. J., p. (J7. — 2. Catéchisme des jésuites, p. 23v.
3. « Oatalogus professoruin sub Lainio » (Epis t. /'/'. liroeti, etc., p. 13C, nolft 2).
LUTTE POUB LE DROIT DE NATURALISATION.
serait donnée. aux désirs tics Pères, quand une mort tragique et
prématurée vint ravir l'infortuné prince à l'affection de ses su-
jets'. La perte de ce puissant protecteur ne ralentit point le cou-
rage du P. Cogordan. Profitant de la présence du duc d'Arcos,
envoyé par Philippe II pour présenter ses condoléances à la cour,
il alla le trouver et le pria de plaider auprès du nouveau roi la
cause de ses frères persécutés. François II accueillit favorable-
ment les ouvertures de l'ambassadeur, et répondit que, les affaires
du royaume réglées, il s'occuperait aussitôt de la Compagnie,
prêt à faire pour elle autant que les autres princes de la chré-
tienté. Alors, le duc s'adressant au cardinal de Lorraine, qui assis-
tait à l'entretien : « Que votre illustrissime Seigneurie, lui dit-il,
ait la bonté de rappeler cette promesse à Sa Majesté. — Je le
ferai très volontiers, reprit le cardinal, car, moi aussi, je suis ami
et protecteur des Jésuites2. »
Grâce aux actives démarches que le P. Cogordan ne cessait de
renouveler auprès des personnages les plus influents, François II
se décida, l'année suivante, à faire entériner les lettres patentes
de Henri II, qui, depuis neuf ans, attendaient au greffe du Par-
lement. Ces lettres, datées du mois de janvier 1551, avaient été
suivies de lettres de jussion, le 10 janvier 1553. Injonction fut
donc faite aux magistrats par de nouvelles lettres de jussion, le
12 février 1560, de confirmer la Compagnie de Jésus. Mais le
Parlement, au sein duquel se trouvaient plusieurs partisans se-
crets de l'hérésie, résista de nouveau, s'obstinant à refuser la for-
malité de l'enregistrement 3. Irrité de ces délais non justifiés,
François II lit expédier, le 25 avril, de nouvelles lettres patentes,
avec ordre formel de procéder à la vérification qu'il demandait :
« Le roi, y est-il dit, après avoir fait voir en son privé conseil
les remontrances de la Faculté de théologie, et entendu que ladite
Compagnie avait été reçue es royaumes d'Espagne, Portugal, et
en plusieurs autres pays, et qu'en icelle Société pourront être
nourris personnages qui prêcheront, instruiront et édifieront le
peuple, tant en ladite ville de Paris qu'ailleurs, mande à ladite
cour de procéder à l'homologation et vérification desdites Huiles
et Lettres, nonobstant lesdites remontrances faites par ladite cour
et par l'évèque de Paris'1. »
1. 11 mourut, le 10 juillet 1559, du coup de lance qu'il avait reçu quelques jours
auparavant dans un tournoi.
2. Lettre du P. Cogordan au P. Laincz, 2 août 1559 (Galliae E[>ist., t. 1, loi. 5:5,
55). — 3. Arrêts du Parlement (Galliae Epis!., I, fol. 213).
4. Du Boulay, Hist. Univ. Paris., VI, 573-57G. Epist. PP. Broeti, etc., p. 232-235.
234 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Il est à remarquer que ces quatrièmes lettres diffèrent essen-
tiellement de celles de Henri II. Il n'était plus question de rece-
voir la Compagnie de Jésus dans la seule capitale, mais dans
tout le royaume, et cela malgré les remontrances non seulement
du Parlement, mais encore de l'évèque de Paris. Les magistrats,
comptant sur la faiblesse du pouvoir, ne se tinrent pas encore
pour battus. Sans résister ouvertement à des ordres précis, ils
suscitèrent mille incidents pour en différer l'exécution. Afin de
se soustraire à de nouvelles instances, ils curent une seconde fois
recours au moyen peu sincère qui leur avait déjà si bien réussi.
Le procureur général et les avocats du roi demandèrent, qu'avant
de passer outre, les lettres patentes et les bulles pontificales fus-
sent examinées à nouveau par l'évèque et la Faculté de théolo-
gie. La cour de Parlement, faisant droit à cette requête, ordonna
que M*-" du Bellay et les docteurs seraient d'abord entendus. « Aus-
sitôt, raconte le P. Cogordan, nous leur avons fait intimer par
un huissier l'ordre de se présenter devant la cour, afin de déclarer
si l'on devait ou non recevoir la Compagnie, et donner leurs rai-
sons pour ou contre; mais ils n'ont comparu ni après la pre-
mière, ni après la seconde citation1. »
8. La crise déplorable dans laquelle se débattait la France
depuis la conjuration d'Amboise ', ne permettait guère aux Jé-
suites d'espérer alors une heureuse et prompte solution de la
cause pendante devant le Parlement. Le P. Broet écrivait à ce
propos au P. Général, h la date du 2 juin 15G0 : « Je conjure
votre Révérence de prier et de faire prier pour nous et pour ce
royaume, qui me semble, quoi qu'on en dise, courir les plus
grands dangers. L'hérésie se propage de jour en jour dans les
provinces, avec d'autant plus de facilité qu'on n'y oppose pres-
que aucun remède et que la justice reste muette et inactive; car
ceux qui devraient l'exercer contre les sectaires sont de conni-
vence avec eux. A Rouen, ces nouveautés ont causé de profonds
dissentiments entre les partisans de l'erreur et les catholiques :
souvent ils en viennent aux mains, pendant la nuit, dans les
rues de la ville; et ces luttes font toujours des victimes dans les
rangs des deux partis... A Orléans, à Poitiers et ailleurs, l'hérésie
est si audacieuse que les catholiques n'osent ni lui résister, ni
1. Lettre au P. Lainez, 2 juin i:»60 (Galliae Epist., t. I. fol. 111).
2. Formée en 1560 par les Huguenots sous la conduite du prince de Condê et du
sieur de la Renaudie, la conjuration d'Amboise avait pour but de soustraire Fran-
çois 11 à l'influence des Guise.
LUTTE POUH LE DROIT DE NATURALISATION. 23b
même se plaindre1... » Le mal ne fil qu'empirer. Six mois plus
tard, revenant sur ce même sujet, le P. Broet ajoutait : « Dans
un grand nombre de localités, il n'est plus permis d'annoncer
publiquement la parole de Dieu... Ici à Paris, le bruit court qu'il
sera bientôt défendu d'y célébrer autant de messes qu'à pré-
sent... On crie contre le nombre des religieux, contre leur ins-
titution, et l'on menace de les proscrire... Je ne dis rien des
conventicules qui se tiennent jour et nuit dans les tavernes, des
rendez-vous ténébreux, surtout dans la banlieue, où l'on prêche
l'erreur sans que l'autorité paraisse s'en mettre en peine. Le
mois dernier, les huguenots brisèrent le grillage d'une niche
extérieure, pour en arracher une très belle statue du Sauveur,
qu'ils allèrent jeter dans la Seine. D'après cela, vous pouvez juger
qu'il ne nous reste d'autre espérance que celle du secours de la
divine miséricorde2. »
Et en effet, au milieu de cette tourmente politique et religieuse,
l'affaire du droit de naturalisation sembla humainement déses-
pérée. Pourtant François II n'avait pas abandonné la cause de la
Compagnie, qu'il songeait à opposer comme une digue au tor-
rent dévastateur. « Un jour, raconte le P. Cogordan, que le roi
avait appelé à la cour le procureur général, trois présidents et
plusieurs conseillers du Parlement, pour s'entretenir avec eux
des intérêts du royaume, je devançai leur arrivée et obtins que
Sa Majesté leur parlât de notre admission légale et leur signifiât
que telle était sa volonté. Les magistrats se retirèrent 1res étonnés
du bon accueil que le roi et le cardinal de Lorraine m'avaient
fait en leur présence; mais je doute, malgré tout, qu'ils parvien-
nent à vaincre la résistance de leurs collègues. Trois partis di-
visent le Parlement : les uns, tout à fait gens de bien, veulent
notre réception; d'autres, encore que bons chrétiens, ne la dé-
sirent pas sous prétexte qu'il y a déjà trop d'Ordres religieux
dans l'Église; d'autres enfin, hérétiques ou suspects d'hérésie,
s'y opposent formellement. En somme, les deux tiers du Parle-
ment sont contre nous; un seul nous favorise, mais avec une tié-
deur qui n'annonce rien de bon'1. »
9. Ce que le P. Cogordan avait prévu ne tarda pas ,i se réali-
ser. Le 10 juillet 1500, peu de temps après l'audience dont nous
venons de parler, le Parlement, toujours inflexible, ordonna sim-
t. Epis t. PP. Broeti, etc., p. 139. — 2. Lettre du 1"' février 1561 (Ibidem, p. 158).
:i. Lettre du 3 juillet 1500 (Galliae Epist., t. I, fol. 121).
236 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
plement « que lcsdites Bulles, Lettres du roy et Statuts desdits
écoliers et Société [de Jésus] seront communiqués à l'Évêque de
Paris Diocésain, pour, lui ouï, être ordonné ce que de raison1 ».
Conformément à cet arrêt, le P. Cogordan s'empressa de porter
ù l'évêque de Paris les bulles pontificales et les lettres patentes
du roi; mais, d'après le conseil d'un docteur de ses amis, il se
garda bien d'y joindre les Constitutions de la Compagnie, ne
doutant pas qu'elles seraient montrées à la Faculté de théologie,
ce qui n'aurait pas manqué de susciter de nouveaux obstacles.
Cette communication d'ailleurs était inutile, puisque les bulles
résumaient les statuts de la Société en les approuvant.
Dès qu'il eut en mains les pièces du procès, Eustache du Bellay
convoqua les curés de Paris. « Il leur exposa l'état de la ques-
tion d'après sa manière de voir », c'est-à-dire d'après les prin-
cipes gallicans. « Il leur demanda instamment de considérer, avec
la plus grande attention, les privilèges exorbitants dont jouissait
cette nouvelle Société 2 » ; puis il les pria de lui donner libre-
ment leur avis. Sous l'influence de ces pressantes recommanda-
tions, les curés s'appliquèrent de leur mieux à découvrir dans les
actes pontificaux tout ce qu'ils croyaient être une atteinte à leur
autorité, à leur dignité ou à leurs prérogatives. Ils conclurent
unanimement « que les privilèges de la Compagnie de Jésus
étaient incompatibles avec les libertés de l'église gallicane3 »,
et que par suite elle ne pouvait être admise dans le royaume.
En vain le P. Cogordan s'efforça de leur montrer combien leurs
raisons étaient illusoires : il ne put vaincre leur obstination4.
Jusque-là l'Université, en corps, ne s'était point prononcée
dans cette affaire, car le décret du 1" décembre 1554 était émané
de la seule Faculté de théologie. L'évêque et les curés sollicitè-
rent son concours. Elle se prêta, de bonne grâce, à faire cause
commune avec eux et le Parlement. Réunie en assemblée géné-
rale aux Mathurins, elle déclara solennellement que dans le
temps où l'on vivait, on ne devait pas approuver le nouvel Insti-
tut : « Il n'est propre, disait-elle, qu'à en imposer à grand nom-
bre de personnes et principalement aux simples; il a une liberté
de prêcher vraiment excessive; il n'a aucunes pratiques particu-
lières qui le distinguent des laïques et des hommes du commun,
1. D'Argentré, Colleclio judiciorum, II, 342.
2. Sacchini, Ilistor. Soc. Jesu, P. II, 1. IV, n" 89. — 3. Ibid.
4. Lettre du P. Cogordan au P. Lainez, 16 juillet 15(50 (Galliae Epist., I, fol. 124 .
— Lettre du P. Uroet, 12 août 1560 (Kôln, Stadt.nchiv, Universilal., XI, 172). Cf.
Lettre du P. liroet au P. Laine/. (Epist. Pl\ Broeti, etc., p. 148).
LUTTE l'Ot'U LE DROIT l>F] NATURALISATION. 237
et il n'est approuvé par aucun concile universel ou provincial '. »
L'Université restait ainsi fidèle à la doctrine schismatique de ÈJâle
touchant la supériorité du concile sur le Pape. Mais ce jugement,
en reconnaissant à un concile provincial le droit qu'il refusait
au Souverain Pontife, d'accorder aux Ordres religieux l'institution
canonique, ne pouvait être d'un grand secours pour appuyer les
prétentions d'Eustache du Bellay et des curés de Paris. Aussi
fut-il accueilli avec l'indifférence qu'il méritait, et le P. Cogordan
n'en persista pas moins à réclamer de la bienveillance de la cour
ce qu'il ne pouvait obtenir de la justice du Parlement.
Les cardinaux de Bourbon, de Lorraine2, d'Armagnac, et les
seigneurs catholiques du conseil du roi, étaient loin de partager
les préventions universitaires contre une Société que le Saint-
Siège opposait alors avec tant de succès au protestantisme, dans les
autres états de l'Europe. Ne voyant, dans les constitutions de la
Compagnie, ni les inconvénients ni les irrégularités imaginés
par ses adversaires, ils la considéraient, eux aussi, comme un
secours providentiel ménagé à l'Eglise, et ils encourageaient
François II, avec plus d'instances que jamais, à vaincre le mauvais
vouloir du Parlement par un nouvel acte de son autorité royale.
10. De tous les prétextes tant de fois mis en avant pour repous-
ser la Compagnie, le principal était le nombre des privilèges
qu'elle avait reçus des Souverains Pontifes. Le P. Cogordan, « dans
une requête adressée au Parlement, protesta qu'elle ne demandait
rien de plus que les Ordres mendiants, rien, par conséquent, qui
fût contraire à l'église de France ou aux concordats entre le roi et
le Saint-Siège3 ». Sa protestation a été mal interprétée par plu-
sieurs historiens. A entendre Crétineau-Joly, « cet acte de renon-
ciation à leurs privilèges plaçait les Jésuites dans une position
inexpugnable : on arguait des faveurs que Home leur avait accor-
dées; ils les abandonnaient, aussi explicitement que possible '• ».
Non, tel n'est pas le sens du langage du P. Cogordan. La Compa-
gnie ne pouvait pas renoncer à des privilèges, octroyés par le
Saint-Siège comme nécessaires au libre jeu de son activité ; elle
pouvait seulement consentir à en modérer l'exercice, dans le cas
où quelques-uns se seraient trouvés en opposition avec les lois du
1. Du Boulay, Hisl. Unir, l'a ris., VI, .~>7o.
2. Lettre du cardinal de Lorraine à l'évèque de Chalons, 10 août 1660 (Kpislolae
Episcopoium).
3. Lettre du P. Cogordan au P. Laincz, 16 juillet 15(30 (Galliae Epis t., I, fol. 124).
i. Crétineau-Joly, Hist. de la Compagnie de Jésus, t. I, p. 3'J.">.
238 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESI S.
royaume Fn somme, il s'agit d'une question de fait et non de"
droit. D'un côté, l'évêque et l'Université de Paris déclaraient que
les bulles pontificales étaient contraires aux lois du royaume;
d'un autre côté, le roi et son conseil reconnaissaient qu'elles ne
renfermaient rien qui y fût opposé. La Compagnie alors, par l'or-
gane du représentant du P. Provincial, déclara qu'elle n'entendait
rien demander de contraire à ces mêmes lois. Il y a loin, on doit
l'avouer, de cette simple protestation de déférence à l'abandon
absolu des privilèges. Sans doute les adversaires, pour pallier
leur défaite, n'ont voulu céder le terrain qu'en paraissant croire
à une renonciation véritable; mais, ni la requête du P. Cogordan,
ni les cinquièmes lettres de jussion, que ses habiles démarches
obtinrent du roi à ce moment, ne les autorisaient à faire une sup-
position pareille.
Le P. Procureur de la Province de France, écrivant le 8 octobre
1560 au P. Général, a raconté lui-même pourquoi il réclama ces
nouvelles lettres de jussion : « Le roi, dit-il, a fait demander à
l'évêque le mémoire que celui-ci voulait donner au Parlement
pour empêcher la réception de la Compagnie, et Monseigneur le
lui a envoyé. Une copie de ce mémoire m'ayant été remise par le
cardinal de Lorraine, j'y ai répondu en présence des membres du
conseil privé, et le cardinal m'aidait à réfuter les objections.
Après plus de quatre séances consacrées à la révision des bulles
pontificales, ces messieurs étaient résolus à évoquer notre cause
de la cour du Parlement au conseil secret du roi, et ainsi, par
décret du conseil, la Compagnie aurait été reçue en France. Mais
le chancelier s'opposa à cette évocation, en disant qu'on ferait
mal d'enlever au Parlement de Paris la connaissance de cette
cause, qu'on agirait contre les lois du royaume, que le Parlement
en garderait rancune à la Compagnie et, quand on aurait besoin
de recourir à lui pour les maisons ou collèges, renverrait au
conseil privé, prétendant que la Compagnie n'est pas reçue en
France. Peut-être même, ajouta-t-il, cette manière d'agir serait-
elle l'occasion de quelque trouble. Ces raisons ne nie convain-
quaient nullement, mais elles firent impression sur le cardinal
de Lorraine et ses collègues. Le cardinal pria alors le chancelier
de trouver quelque moyen de recevoir la Compagnie, et le chan-
celier proposa le suivant : Sa Majesté pourrait accorder à la Com-
pagnie des lettres permettant d'établir des collèges, d'avoir des
revenus, de recevoir des legs, de prêcher, enseigner, lire, confes-
ser, en un mot d'exercer tous les ministères de l'Institut avec
LUTTE POUB LE DROIT DE NATURALISATION. 239
l'autorisation des évoques et ordinaires, puis, avec le temps,
comme les Jésuites seraient reconnus pour gens de bien, le roi les
recevrait officiellement sans difficulté. — En entendant une telle
proposition, je répandis que je ne voulais pas me contenter de
lettres semblables, parce que nous avions déjà la permission du
roi; c'était avec sa permission que l'évèque de Clcrmont et celui
de Pamiers1 avaient fondé leurs collèges; c'était avec l'autorisa-
tion des évèques que nous prêchions et enseignions déjà dans
plusieurs diocèses; ainsi agissions-nous avec l'agrément des pré-
lats et du roi. Accepter de telles lettres, ajoutais-je, serait annuler
la faveur que le roi Henri II et le roi actuel, par décret du
conseil, ont déjà accordée à la Compagnie d'être reçue dans toute
la France. En vain essaya-t-on de me persuader d'accepter des
lettres de permission, je n'y voulus point consentir, et ne cessai de
demander une cinquième lettre de jussion au Parlement, portant
dérogation au décret de la Sorbonne et à la sentence de l'évèque
de Paris2... »
Os cinquièmes lettres de jusbion, datées du 9 octobre 1560,
sont très importantes, à cause surtout des diverses interprétations
données aux prétendues concessions de la Compagnie sur ses
privilèges. Afin de bien montrer qu'aucune renonciation ne fut
faite, ni ne se trouve dans ce document, en voici un résumé exact
d'après une copie manuscrite envoyée à Rome à cette époque5.
Le roi rappelle d'abord à ses « araez et féaulx conseillers les
î^ens tenans [sa] cour du Parlement de Paris » que son père et
lui-même, par plusieurs lettres patentes, leur ont déjà enjoint de
procéder à « l'émologation des Bulles octroyées aux Religieux,
prostrés et frères de la Compagnie de Jésus par les Papes Paul et
Julles dernièrement décédés »; que, malgré cela, le Parlement a
« jusques à présent différé d'y procéder, soubs umbre de quelques
advissur ce donnés tant... par l'Évesque de Paris, que parla Faculté
de théologie » ; or, ajoutait le roi, « lesquels advis ayans faict voir
par aulcuns des gens de nostre conseil privé », nous avons reconnu
« qu'ils sont fondés [ces avis] sur ce que l'on prétend lesdites
Bulles contenir quelques choses préjudiciables aux concordats et
aux droits épiscopauv et parrochiaulx » ; mais « aulcuns de ladite
Société nous ont remonstré qu'ils n'entendent aulcunement préju-
diciel' » à ces droits; — et de plus, l'examen « qu'avons faict faire
1. Le collège de Pamiers, accepté par le P. Général en 1559, fut ouvert en 1560.
Nous raconterons sa fondation clans un prochain chapitre.
2. Lettre du P. Oogordan, 8 octobre 1560 (Galliae Epist., 1, fol. 139).
3. On la trouvera dans son entier aux pièces justificatives, Appendice li.
240 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
desdites Bulles » nous a prouvé « qu'il ne se trouve aulcune chose
contraire ». Par ailleurs, « scachant le grand fruict que ladite
Compagnie a ja faict en plusieurs endroicts de la chrestienté, où
elle a esté establie... cela nous faict singulièrement désirer [qu'elle
soit reçue] en nostre ville de Paris et aultres endroicts de nostre
Royaume, pour l'espérance que nous avons que le fruict, qu'elle
y fera, passera de beaucoup les inconvéniens et incommodilés
portés par lesdits ad vis de l'Évesque de Paris et de la Faculté de
théologie » ; et à ces inconvénients, « s'ils adviennent, il sera aysé
de pourvoir par les évesques et prélats... ayant l'œil, comme ils
doibvent avoir, à toutes choses qui touchent l'instruction du
peuple.
« A ces causes... nous vous enjoignons très expressément,
cette fois pour toutes, que, sans vous arrester auxdits advis, vous
passiez oultre à l'émologation desdites Bulles, en faisant du contenu
en icelles jouyr lesdits frères de ladite Compagnie de Jésus, tant
en nostre ville de Paris que en tout nostre royaulme *. »
11. Le Parlement était alors en vacances; les lettres du roi ne
pouvaient lui être présentées qu'après la rentrée de la Saint-
Martin. Le P. Cogordan mit à profit cet intervalle pour les faire
appuyer de puissantes recommandations : « J'allai, dit-il, trouver
Sa Majesté à Orléans, afin d'obtenir plusieurs lettres : une pour
la grand'chambre , une autre pour le premier président, une
troisième pour le procureur général et les avocats. Avant de par-
tir de Paris, j'avais moi-même rédigé ces lettres dans lesquelles
le roi commandait de recevoir la Compagnie, et de ne rendre au-
cune sentence contre elle, sans l'avoir informé lui-même en don-
nant les raisons du refus. Il les approuva, et les secrétaires n'eu-
rent que la peine de les copier. J'ai obtenu de la reine-mère
qu'elle écrivît trois lettres semblables aux mêmes personnages.
A ma prière, le cardinal de Tournon a aussi écrit deuxlettres, l'une
au procureur général et aux avocats, l'autre au premier prési-
dent. Quant au cardinal d'Armagnac, il s'est contenté d'écrire au
premier président parce qu'il ne connaissait pas les Gens du roi2,. »
Le 18 novembre, les Gens du roi, par l'organe de M' Baptiste
du Mesnil, assisté de MLe Edmond Boucherat, tous deux avocats
1. Galliae Epist., t. I, fol. 132. Ces lettres sont données « à Saint-Germain-en-Laye
le neufiesine jour d'octobre de l'an de grâce 1560 ».
2. Lettre du P. Cogordan au P. Lainez, 2 décembre 1560 (Galliae Epist., t. I. fol. 1 42).
Lettres du roi et de la reine (Àrchiv. prov. de France. Pièces sur les Jésuites, fol. 120,
124).
LUTTE POUR LE DROIT DE NATURALISATION. -i'.l
généraux, présentèrent à la cour les lettres missives du roi et de
la reine-mère, qui accompagnaient les lettres de jussion, et « ut-
tendu la déclaration faicte parles Religieux, Prostrés et Escholiers
[de la Compagnie de Jésus] qu'ils n'entendent par leurs privilèges
préjudiciel* aux lois royales », consentirent « l'approbation des-
dits privilèges, sauf où ci-après ils se trouvent dommageables ou
préjudiciables aux droits du Roi et privilèges ecclésiastiques, à
réquérir y estre pourvu1 ».
Tout portait à croire que les magistrats allaient souscrire à ces
conclusions des Gens du roi. Le P. Gogordan attendait leur arrêt
avec une certaine confiance, sachant qu'ils n'en pouvaient plus
porter d'hostile à la Compagnie de Jésus sans avoir au préalable
averti Sa Majesté : « Maintenant ils sont obligés de se rendre, di-
sait-il, ou bien ils montreront leurs mauvaises intentions en cher-
chant un nouveau biais pour se tirer d'affaire2. » Le biais fut
trouvé, et il n'était pas nouveau. Le Parlement répondit, comme
précédemment, en renvoyant une troisième fois l'examen de la
cause à l'évêque de Paris, et se contenta d'inscrire sur ses regis-
tres les lettres missives qu'il avait reçues du roi et de la reine-
mère.
Eustache du Bellay n'avait pas changé d'avis; son opinion était
toujours défavorable aux Jésuites; mais pressé par les instantes
sollicitations de hauts personnages, il finit par se prononcer pour
l'admission de la Compagnie. Toutefois, il ne céda le champ de
bataille qu'en faisant des restrictions qui cachaient mal sa mau-
vaise humeur, et marquaient moins une véritable autorisation
qu'une protestation déguisée. Il ne consentit, en effet, à la vérifi-
cation des lettres patentes qu'aux conditions suivantes :
« 1° À la charge que lesdits Confrères seront tenus de prendre
autre nom que de Confrères de ladite Société de Jésus ou de Jé-
suites.
« 2° Qu'ils ne pourront faire aucunes Constitutions nouvelles,
changer ni altérer celles qu'ils ont déjà faites, et qui leur seront
baillées soussignées des secrétaires de l'Assemblée, afin qu'elles
ne soient variées.
« 3° Qu'ils seront corrigés et visités par leurs évèqucs, sans pou-
voir alléguer aucune exemption.
« \° Qu'ils ne pourront lire et interpréter la Sainte Écriture
publiquement ni de privé, sinon qu'ils soient reçus et approuvés
1. Extraits des reg. du Parlement (Annales des soi-disans Jésuites, I, p. II).
2. Lettre du P. Cogordan au P. Laine/., 2 décembre 1560 (Galliae Epist., I, fol. 142).
COMPAGNIE DE JliSLS. — T. I. 1 6
242 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
par les Facultés de théologie des Universités fameuses, et par le
congé de l'évèque.
« 5° Qu'ils seront tenus par exprès renoncer à tous les privilèges
obtenus ou à obtenir, nommément à ceux qu'ils prétendent leur
avoir été concédés par la bulle du Pape Paul III, datée de Rome
le 18 octobre 1549, en ce qu'ils seroient contraires aux limitations
susdites.
« C>° Et eux conformer, ores et pour l'avenir, à la disposition
du droit commun, sans préjudice du droit des rentes, censives,
prestations annuelles, et de tous autres droits des seigneurs tem-
porels1. »
Ainsi, Eustache du Bellay voulait bien accepter les Jésuites en
France, mais à la condition que chaque diocèse devint pour eux
une espèce de lazaret où ils devraient perdre, avec leur vrai nom,
la liberté d'action que les Souverains Pontifes leur avaient laissée
pour le plus grand bien des âmes. Ces excès de précautions dépas-
saient certainement la mesure des concessions que la Compagnie
aurait voulu consentir. Néanmoins c'était un premier résultat, sur
lequel on pouvait fonder de légitimes espérances. Soudain la si-
tuation politique vint tout remettre en question : le 5 décembre,
huit jours avant l'ouverture des États Généraux à Orléans, Fran-
çois II mourait, et le sceptre passait dans les mains d'un enfant
sous la tutelle de Catherine de Médicis sa mère.
1. D'Argentré, Collectif) judiciorum, II, 523.
CHAPITRE VI
ASSEMBLÉES DE POISSV. ADMISSION LÉGALE
DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
(1560-1562).
Sommaire : 1. Avènement de Charles IX. Ses lettres patentes du 23 décembre
15(10. — 2. Résistance du Parlement; appel à la Faculté de théologie et à l'as-
semblée de Poissy, 22 février 1561. — 3. Nouvelles lettres du roi, 14 mars. Situation
des partis. — 1. Pie IV envoie en France un Légat accompagné du P. Lainez.
Convocation d'une assemblée du Clergé. — 5. Son ouverture à Poissy, 31 juillet.
— Séances clu colloque de Poissy, 9 et 16 septembre. — 6. Admission de la Com-
pagnie de Jésus. Enregistrement de l'acte de réception. — 7. Le Père Lainez
au château de Saint-Germain. Conférences de Poissy. — 8. Rôle du P. Lainez;
son discours; ses démarches. — 9. Conférences de Saint-Germain. Édit de tolé-
rance, 17 janvier 1562. — 10. Travaux et mémoires du P. Lainez. — 11. Trou-
bles occasionnés par l'édit de tolérance.
Sources manuscrites : I. Archives nationales, séries G8 et MM.
II. Kôln, Stadt-archiv, Universitât, XII.
III. Recueil de documents conservés dans la Compagnie : a) Gallia, Epistolae Generalium.
— b) Galliae epistolae. — c) Franciae historia. — d) Lugdunensis historia.
IV. Archiv. de la province de France.
V. Archiv. de la province de Lyon.
Sources imprimées : Archives curieuses de l'histoire de France. — D'Argentré, Collectio
Judiciorum. — Baluze, Miscellanea. — Bèze, Histoire ecclésiastique des églises reformées.
— Un Boulay, Historia Univers. Parisiensis. — Calvin, Opéra omnia. — Collection des
procès- verbaux des assemblées générales du Clergé de France. — D'Espence, Apolo-
gie. — Grisar, Jacobi Lainez dispulaliones Tridentinae. — Instructions et lettres des
rois très chrétiens et de leurs ambassadeurs, et autres actes concernant le concile de
Trente, tirés des mémoires de Dupuy. — La Popelinière, Histoire de France. — Le Plat,
Monumentorum ad hisloriam concilii tridentini... collectio arnplissima. — Manare, De
rébus Soc. Jesu commentarius. — Mémoires de Castelnau, de Condé, de Marguerite de
Valois. — Le Mercure Jésuite. — Et. Pasquiei, Œuvres. — Prat, Mémoires pour servir
à l'histoire du P. Broet. — Hihadeneira, La vie du R. P. Jacques Lainez; La vie et la
mort du P. Alphonse Salmeron. — Tortorle et Perrissin, Quarante tableaux. — Monu-
ments HIStorica SocietatisJesu. Epistolae PP. Paschasii Broeti,e\.c— Epistolae P. Nadal.
I. Huit jours après l'avènement de Charles IX, les États Géné-
raux s'ouvrirent à Orléans, le 13 décembre 1560. Il semblait
que le premier objet de leurs délibérations dût être la formation
de la régence. Mais Catherine de Médicis se garda bien de laisser
mettre en question un droit qui lui était garanti parles anciens
usages de la monarchie ; elle s'empara des rênes du gouverne-
ment. En vain, quelques députés huguenots de la noblesse et de
la bourgeoisie élevèrent de violentes réclamations contre le pou-
voir de l'étrangère. L'amiral de Coligny et le cardinal de ChAtil-
244 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Ion, se flattant qu'elle embrasserait les intérêts de leur parti,
parvinrent à calmer les esprits. On laissa l'autorité à la reine-
mère sous la condition illusoire de prendre, sur toutes les affaires
importantes, l'avis du premier prince du sang. Antoine de Bour-
bon, roi de Navarre, devenu lieutenant général du royaume1.
Le prince de Condé, condamné pour crime de rébellion, fut dé-
claré innocent par un arrêt du conseil privé. Le connétable de
Montmorency, naguère disgracié, reçut un message qui lui an-
nonçait son rappel. Les Guise conservèrent à la cour leurs digni-
tés; le duc fut confirmé dans sa charge de grand-maitre de la
maison du roi. Le cardinal de Lorraine continua à faire partie
du conseil avec les cardinaux de Bourbon et de Tournon2. Dans
ces mesures, résultats de concessions réciproques, on reconnais-
sait la politique de L'Hôpital, successeur du chancelier Olivier ;,
et l'on pouvait compter sur la modération des conseillers de la
couronne.
Le nouveau règne ne modifia en rien la situation des Jésuites
ni la bienveillance de la cour à leur égard : Catherine de Médicis
saisit la première occasion pour exercer en faveur de la Com-
pagnie les prérogatives du pouvoir souverain. Le 23 décembre
1560, elle octroya, au nom de Charles IX, des lettres patentes qui
confirmaient celles de Henri II et de François II4. « Le P. Ponce,
écrivait le P. Broet au P. Général, s'est rendu de nouveau à la
cour;... il a obtenu d'autres lettres patentes pour le Parlement.
Le roi a même chargé un gentilhomme de les porter aux magis-
trats, et de leur exprimer son ardent désir et son expresse volonté
que la Compagnie fût reconnue \ » Le sieur de Saint-Jean, choisi
pour remplir cette mission, avait en effet reçu du roi et de la
reine-mère des instructions précises à ce sujet. Dans une lettre
privée, du 20 février 1561, Charles IX déclara en outre aux con-
seillers de son Parlement « qu'il vouloit et entendoit qu'ils eus-
sent, incontinent et sans délai, à faire droit sur les lettres patentes
contenant la réception de la Compagnie de Jésus, ayant Sa Majesté
connu la grande fascherie desdils religieux et trouvé que ladite
Société ne peut que porter un grand profit à la religion et utilité
1. Lettre de Vincent Laureo au P. Général, 12 janvier 1561 (Lugd. llist., n. 18j.
Cf. Mémoires de Casleinau, liv. Il, c. \n.
2. Lettre du P. Ltotard au P. Général (Gall. Epist., t. I, fol. 214).
3. Du Chesne, Histoire des chanceliers et gardes des sceaux de France, p. t>3ô.
4. Histoire de l'établissement des Jésuites, fol. 18 (Arcliiv. Prov. de France). —
Epist. P. Xiitlal, t. I, p. 441.
5. Lettre (lu P. Broet au P. Général {Epist. PP. Broeti, etc., p. 158, 16!). Lettre
du P. Cogordan au P. Général, 2 mars 1561 (Gall. Epist., t. 1, fol. 220).
ASSEMBLÉES DE POISSY.
à la chrestienté et au bien do son royaume ». Il ajoutait même
en finissant : « Au cas que vous continuiez eu vos difficultés en
cest endi'oict, nous vous mandons que, sans procéder là-dessus
à aucun arrest ou jugement, vous nous mandiez l'occasion d'icel-
les difficultés, pour estre sur ce par nous pourveu l. »
•2. Les membres du Parlement ne rendirent aucun arrêt contre
la Compagnie, et continuèrent de s'opposer sournoisement aux
déclarations de la volonté royale. « Trois ou quatre fois déjà,
écrit le P Broet, ils ont en sur ce sujet des délibérations orageu-
ses : les uns veulent qu'on renvoie notre affaire aux Etats Géné-
raux, qui doivent se réunir encore après Pâques2; mais ce n'est
qu'une ruse, un prétexte pour ménager des ajournements sans
fin. Les autres soutiennent qu'il faut absolument rejeter nos
demandes, pour cette raison, admise par eux comme un prin-
cipe, qu'il y a bien assez d'Ordres religieux sans en admettre
de nouveaux. Quant à nous personnellement, nous sommes des
gens de bien aux yeux des uns, des hommes suspects et dan-
gereux au dire des autres3. »
Ainsi, même après la sixième lettre de jussion, les résistances
du Parlement étaient loin d'être vaincues : il cherchait de nou-
veaux subterfuges pour éluder le commandement formel du sou-
verain. Mais à qui désormais pourrait-il recourir? Où trouverait-
il des complices .complaisants? Les Gens du roi ne s'opposaient
plus à l'enregistrement des lettres patentes, et l'évèque de Paris
lui-même, tout en l'accompagnant de nombreuses restrictions,
avait fini par donner son consentement. Pour appuyer leur dé-
termination sur des considérants sérieux, les magistrats « revin-
rent de nouveau à la censure de la Faculté de théologie, dans
l'espoir d'y trouver des causes de refus plausibles, et mandèrent
auprès d'eux quelques docteurs qui, sans doute, défendirent
l'œuvre de leur école4 ». Le P. Cogordan, de son côté, demanda
à être entendu. Admis à comparaître devant la cour, on l'inter-
rogea d'abord sur divers points qui ne touchaient guère au dé-
bat : « Voyons, lui dit-on, apprenez-nous, hommes nouveaux
que vous êtes, sur quelles ressources vous pouvez compter pour
vivre dans ces temps calamiteux, où la charité d'un grand nom-
bre s'est refroidie? — Oui, d'un grand nombre, reprit le Père,
1. Gall. Epist., t. I. f. l'J8\
2. Le 30 janvier 1561, les Etats Généraux avaient été ajournés au mois de mai.
3. Lettre du 2 mars 1 5G 1 (Epist. P. Broeli, p. l G î ) . — 4. Ibid.
240 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
mais non de tous. Le Seigneur ne refuse jamais le nécessaire aux
pauvres, qu'ils soient tels par choix ou par nécessité, — pourvu
qu'ils le servent avec piété et droiture1. » Le premier président,
Gilles Le Maître, ordonna alors au greffier de donner lecture du
décret de la Faculté, en s'arrétant après chaque article, afin de
permettre au P. Cogordan d'y répondre. Celui-ci le fit avec tant
de précision et de chaleur, il appuya sa réfutation d'arguments
si forts qu'il ébranla la conviction des magistrats. Quelques-uns
eurent la loyauté d'avouer que les allégations de la censure
étaient fausses et calomnieuses. Mais beaucoup d'autres, qui
pensaient de même, n'eurent pas autant de franchise et ne vou-
lurent point se déjuger. Sous prétexte de ne pas céder à un mou-
vement irréfléchi, ils proposèrent un moyen dilatoire et déci-
dèrent, à la majorité, que la Faculté serait appelée de nouveau à
s'expliquer sur les motifs de son décret2. Quelle fut l'attilude des
docteurs dans cette seconde séance? Aucun document ne nous l'a
fait connaître. Il semble du moins qu'ils ne parvinrent pas à
convaincre les magistrats, puisqu'un arrêt du Parlement, le
22 février 1561, renvoya la cause des Jésuites ou aux États de
Pontoise, ou à l'assemblée convoquée à Poissy, ou au prochain
concile général 3.
3. Cet arrêt n'étant pas une décision, l'infatigable P. Cogor-
dan commença par n'en tenir aucun compte; il reprit le cours de
ses sollicitations, suppliant la reine-mère, les cardinaux de Lor-
raine, de Bourbon et de Tournon de ne pas abandonner la Compa-
gnie de Jésus. Il en obtint encore de pressantes recommandations
auprès des magistrats influents. Bien plus, le li mars, Charles IX
intimait de nouveau au Parlement de Paris l'ordre de recevoir
les Jésuites ou d'exposer, dans l'espace de quinze jours, les motifs
de son refus. Cette nouvelle lettre ne devait pas avoir plus de suc-
cès que toutes les précédentes 4. « Voilà déjà huit jours, écrivait
peu après le P. Provincial au P. Lainez, il y en aura bientôt
quinze que nous avons porté celte lettre de jussion au Parle-
ment. On croirait que ces magistrats n'en tiennent aucun compte,
et qu'ils se soucient fort peu de déclarer au roi les raisons de
leur conduite. Toutefois, après les fêtes de Pâques, nous leur pré-
senterons une autre requête, à l'effet de leur demander à être
1. Lettre du P. Cogordan au P. Lainez, 2 mars 1561 (Gall. Epist., t. I, f. 220).
2. Ibid. — 3. Manare, De rebvs S. J., p. 78.
4. Lettres du P. Cogordan au P. Lainez, 2 mars el 2 avril 1561 (Gall. Epist. t. 1.
p. 220, 222).
ASSEMBLÉES DE POÎSSY. 217
reçus selon le bon plaisir du roi, ou bien à être renvoyés par '-ux
devant Sa Majesté, pour qu'elle fasse de cetle affaire comme bon
lui semblera. Le Révérendissime Cardinal de Tournon nous prête
un puissant appui daus cette négociation : il a parlé en notre la-
veur à la reine-mère; il nous a soutenus au conseil privé, et il
nous assure qu'il ne cessera jamais de nous aider... Nous avons
aussi pour nous, grâce à Dieu, le roi, la reine-mère, tous les car-
dinaux et quelques princes. Mais les temps sont si mauvais qu'ils
ne peuvent l'être davantage1. »
Et de fait, â ce moment la situation des partis en France per-
mettait au Parlement de se faire prier et même de désobéir. Par
suite de dissentiments aux États Généraux d'Orléans, le chance-
lier avait suspendu l'assemblée, le 31 janvier 1561, en l'ajournant
au mois de mai; puis on la prorogea jusqu'au mois d'août, où
elle se réunit à Pontoise '-. Dans cet intervalle, la conformité
des intérêts et le zèle de la religion rapprochèrent le maréchal de
Saint- André, le connétable de Montmorency et le duc de Guise,
qui formèrent entre eux la fameuse ligue connue sous le nom de
Triumvirat. 11 y eut alors trois partis bien distincts : celui des ca-
tholiques avec les Iriumvirs; celui des réformés, avec la maison
de Châtillon, dont l'amiral de Coligny était le chef; celui des po-
litiques, avec le chancelier de L'Hôpital, et dont le programme a
été parfaitement défini par Tavannes : « Le nom de politique, di-
sait-il, a été inventé par ceux qui préfèrent le repos du royaume
ou de leur particulier au salut de leur âme et à la religion, qui
aiment mieux que le royaume demeure en paix, sans Dieu, qu'en
guerre pour luy 3. »
Ces divisions, inséparables d'une régence à laquelle manquait
l'unité de direction, aurait suffi pour encourager la résistance du
Parlement; les huguenots, avoués ou secrets, qui siégeaient sur
ses bancs, contribuaient encore de leur côté à entretenir son es-
prit d'opposition aux ordres du roi. Il ne restait donc plus d'es-
poir à la Compagnie de Jésus que dans l'une des futures assem-
blées, auxquelles l'arrêt du 22 février avait renvoyé sa cause. Et
en effet, nous allons bientôt voir, à Poissy, la Société d'Ignace de
Loyola acceptée officiellement dans le royaume de France. Mais
cet événement capital fut précédé et accompagné de circonstances
qu'il est nécessaire de rappeler brièvement, pour comprendre
1. Epist. P.Broeti, p. 1G8-169.
2. Picot, Hist. des Etats Gén., Il, 57. Mémoires de Castelnau, I. III, ch. u, iv.
3. Mémoires de Tavannes (t. VIII, p. 248. Coll.' Michaud).
248 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
l'état religieux du pays à cette époque, et apprécier le rôle de la
Compagnie contre la réforme, partout où elle fut appelée à exer-
cer son action apostolique.
k. Les calvinistes de France, d'accord avec les luthériens d'Al-
lemagne, n'avaient cessé de protester contre tout ce qui s'était
fait dans la première partie du concile de Trente, et de réclamer
un concile général où ils auraient les mêmes droits que les catho-
liques. Lorsque le pape Pie IV, successeur de Paul IV, « levant la
suspension du concile » de Trente, en eut fixé la réouverture
dans la même ville pour la fête de Pâques, 6 avril 15G1 ', les
principaux chefs hérétiques, Calvin, Bèze, Viret, Chandieu, con-
çurent le dessein d'opposer, au concile universel de l'Eglise, un
synode général du protestantisme européen2. Ce projet n'ayant
pu réussir, ils demandèrent avec instances, au gouvernement fran-
çais, la convocation d'un concile national où ils seraient mis en
présence (les catholiques. L'expérience avait assez démontré, en
Allemagne, non seulement l'inutilité, mais aussi les grands
dangers de ces sortes de réunions. Cependant, cette proposition
soumise au conseil du roi, et vivement défendue par l'amiral de
Coligny et le prince de Condé, fut acceptée en principe par la
reine-mère, malgré les protestations énergiques du cardinal de
Tournon.
Quelle était dans cette circonstance la pensée de Catherine de
Médicis? Penchait-elle, comme on l'a dit, vers les doctrines des
réformés? Ce n'est pas probable, car elle resta toujours fidèle
aux pratiques orthodoxes; mais, obligée d'exercer le pouvoir au
milieu de rivalités puissantes, et croyant avoir besoin des unes et
des autres pour maintenir son autorité, elle s'inspira presque tou-
jours d'une politique de bascule, qui l'entraîna souvent à faire des
concessions imprudentes et parfois même à sacrifier les intérêts
de la religion. C'est ainsi que, voulant ménager les huguenots,
elle envoya à Rome deux ambassadeurs extraordinaires, les sei-
gneurs de l'Isle et de Rambouillet, avec ordre d'engager le sou-
verain Pontife à modifier les expressions de sa Bulle, qui indi-
quaient la nouvelle réunion du concile général à Trente comme
la continuation du premier. Pie IV s'y refusa, sachant bien que la
Bulle, en quelques termes qu'elle fut conçue, n'eût jamais pu
satisfaire les protestants; puis il fit recommander à la reine, par
1. Cf. Pallavicini, Bist. du Concile de Trente, 1. XIV. c. xvn.
2. Calvini opéra. Ad principem quemdam Germanum, epistola, t. IX, p. 148.
ASSEMBLÉES DE POISSY. 249
l'intermédiaire du nonce, de no pas se prêter à un concile natio
nal qui ne manquerait pas de dégénérer en synode protestant '.
Comme Catherine de Médicis ne montrait nulle intention de re-
noncer à son projet, le Pape, dans sa sollicitude pour la France,
résolut d'y envoyer un Légat a latere que sa parenté avec la mai-
son royale ferait bien accueillir à la cour, cl dont l'influence
pourrait empêcher les funestes conséquences de L'assemblée ré-
clamée par les hérétiques. Le cardinal de Ferrare, Hippolyte
d'Esté, accepta cette mission 2 et demanda d'emmener avec lui,
comme consulteur et théologien, le Général de la Compagnie de
Jésus0'. Pie IV aurait désiré conserver à Rome un homme aux lu-
mières duquel il avait souvent recours; mais, sur les instances du
cardinal, il tinit par donner son consentement, en ternies très
flatteurs pour la vertu et la science du P. Lainez, qu'il appelail
« un défenseur franc et loyal de la foi catholique, prêt s'il le
fallait à répandre son sang- pour elle '' ». Le Père, informé des
négociations dont il était l'objet, et craignant que Pie IV n'eût
consenti qu'à contre-cœur à son voyage, voulut avoir un com-
mandement exprès, afin de rester dans les bornes d'une stricte
obéissance, et d'obtenir ainsi de Dieu un secours plus abondant :
« Ce n'est que sur l'ordre formel du Pape, et en vertu de la sainte
obéissance, écrivait le secrétaire de la Compagnie au P. Pelletier,
que le P. Général va en France; Sa Sainteté n'a point voulu ac-
cepter l'excuse de sa charge, et a déclaré qu'elle espérait un
grand fruit de ce voyage 5. » Le P. Lainez, avant son départ,
nomma vicaire le P. Salmeron, pour gouverner en son absence
les Provinces d'Italie. De son côté, le Souverain Pontife recom-
manda tout particulièrement au Légat de s'occuper de l'admission
de la Compagnie en France. Au commencement de juillet, le P.
Général avec le P. Assistant d'Espagne, le P. Annibal du Coudret
et un frère coadjuteur, quittait Rome en compagnie du cardinal
de Ferrare (i.
Dès qu'on apprit à Paris l'arrivée prochaine du Légat, les cal-
vinistes et les politiques de l'entourage du roi pressèrent l'ouver-
1. Instructions et lettres des rois très chrétiens... p. 62.
2. On peut voir dans Raynaldi, Annales aclcsiastici, an. 1561, p. 84, 86, le bref
Je Pie IV annonçant a Charles IX la mission du cardinal de Ferrare.
3. Sacehini, Uist. Soc, P. II, t. V, n. 133.
4. Uibadeneira, Vie du P. Laine:-, p. 131, 132. Cf. Bartoli, Dell' llrtliri, 1. IV.
C xi, p. 166.
5. Lettre du 21 juin 1561 (Gall., Epist. Gen., t. 1561-1566). Cf. Epist. Nadal, I. I.
p. 482.
6. Lellre au P. Viola, 21 juin 1561 (I0id.). —Lettre du P. A. du Coudret au P. Do-
menech, 27 sept. 1561 (Gall. Epist., t. I, fol. 322).
l>:;0 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
tui'e du concile national. Le 12 juin, une lettre de cachet con-
voqua tous les évoques à Paris sous différents prétextes : ils étaient
priés de s'y rendre «toutes excuses cessans... le vingtiesme du
mois de juillet prochain » ; chacun d'eux devait amener « un per-
sonnage, soit régulier, soit séculier de [son] diocèse, des plus
versez es Ecritures saintes, et de meilleure vie et de saine doc-
trine, pour adviser de l'élection » des prélats que Sa Majesté en-
verrait au concile de Trente, « consulter et résoudre, en bonne
et grande compagnie, les choses qui se devront proposer de la
part de l'église gallicane... et conférer avec [le roi] de plusieurs
choses de grande importance1 ».
Pour calmer les inquiétudes de la Sorbonne, qui demandait
des explications-, on répondit qu'il n'était question que d'une
simple assemblée du Clergé. Toutefois dans la pensée de Cathe-
rine de Médicis et de L'Hôpital, son chancelier, la réunion pro-
jetée devait être une sorte de concile national, où l'on poserait les
bases d'une tolérance générale et d'un accord entre les partis
religieux. A peine arrivés à Paris, les évêques furent mandés h
Poissy, petite ville située dans le voisinage de Saint-Germain -
en-Laye, où résidait alors la cour. Les deux tiers des prélats
du royaume, soupçonnant le secret dessein de la reine-mère,
s'abstinrent de répondre à l'appel; d'autres y virent une raison
de venir défendre les intérêts et les droits de la religion catho-
lique : quarante-huit seulement représentèrent tout l'épiscopat
français. Parmi eux se trouvaient Odet de Châtillon, évêque de
Beauvais, Jean de Montluc, évêque de Valence, Jean de Sainl-
Gelais, évêque d'Uzès, et Caraccioli, évêque de Troyes, partisans
plus au moins secrets du calvinisme et prêts à seconder les in-
tentions perfides du gouvernement. Mais leur faible minorité s'ef-
façait devant l'imposante majorité des évêques que distinguait
leur zèle pour la foi, et à la tête desquels marchaient les car-
dinaux de Tournon, de Lorraine, d'Armagnac et de Guise. Douze
docteurs de l'Université de Paris et douze canonistes, choisis dans
les chapitres des différentes églises, furent admis à prendre part
aux délibérations de l'assemblée1.
La reine évita de faire aux pasteurs protestants une invitation
1. Instructions et lettres des rois très chrétiens, p. 79.
2. D'Argentré, Collectio judiciorum, VI, 104.
3. « Bref recueil et sommaire de ce qui s'est passé en la ville de Poissy, durant l'as-
semblée de l'église gallicane, depuis le 26 juillet jusqu'au 14 octobre 1501 ». Préli-
minaires. Copie manuscrite provenant de la bibl. du cardinal de la Luzerne. Arcliiv.
Prov. de L\on\ Cité par le P. Prat, op. cit., p. 420.
ASSEMBLÉES DE POISSY. 251
directe; elle se contenta de publier, le 25 juillet, un édil permet-
tant « à tous les sujets du roi très chrétien, qui voudraient être
ouïs en l'assemblée du clergé », de se rendre à Poissy sans crainte
d'être inquiétés pendant l'aller et le retour1. D'autre part, le
lieutenant général, Antoine de Bourbon, écrivit aux ministres les
plus importants qui se gardèrent bien de repousser ses avances;
mais il leur fallut quelque temps pour choisir les députés et
s'entendre sur les moyens d'attaque et de défense2.
5. Le 31 juillet, le jeune roi accompagné de la régente sa
mère, du duc d'Orléans son frère, du "roi de Navarre, du duc
de Guise, du connétable de Montmorency, du prince de Condé,
de l'amiral de Coligny et d'autres seigneurs de sa cour, quitta
Saint-Germain et vint à Poissy présider la séance d'ouverture
de l'assemblée du Clergé. Le grand réfectoire du couvent des
religieuses dominicaines avait été choisi comme salle de réu-
nion. Dans son discours, le chancelier de L'Hôpital, parlant aii
nom de la Couronne, qualifia l'assemblée de concile national
et se permit de lui tracer le programme de ses délibérations;
il la pria d'examiner : la subvention que le clergé accorderait
au roi, la réformation des abus introduits dans la discipline ec-
clésiastique, et la tolérance des opinions, seuls moyens, disait-il,
de remédier aux maux qui désolaient le royaume. Les évêques
comprirent aussitôt où l'on prétendait les mener. Dès le lende-
main, ils firent entendre leur protestation : réunis sous la prési-
dence du cardinal de Tournon, ils déclarèrent qu'ils ne feraient
absolument rien contre le consentement et le bon vouloir de notre
Saint-Père le pape, chef de l'Église catholique2'. Se renfermant
dans les limites indiquées par les lettres de convocation, ils choi-
sirent quatre points comme objet de leurs délibérations : l°de
la réformation des abus; 2° de la subvention à offrir au roi ; 3° du
choix des évêques à députer au concile de Trente ; k° des moyens
d'apaiser les troubles du royaume, et subsidiai rement de l'ad-
mission de la Compagnie de Jésus. Puis ils décidèrent qu'ils ne
toucheraient ni à la doctrine ni aux matières de foi '.
Tandis que les évêques délibéraient à Poissy, chaque jour ar-
rivaient à Saint-Germain quelques ministres, délégués par les
1. Instructions et lettres des rois, p. 79.
2. Klipftel, Le colloque de Poissy, p. 3i.
3. Proc.-verb. des assembl. gén. du clergé, t. I, p. 8, 2" col.
1. Lellre de l'ambassadeur d'Espagne, 7 aoùl 1561, dans les Mémoires dé Condé.
t. II, p. 16.
252 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
calvinistes des différentes provinces. Les principaux étaient Au-
gustin Marlorat, apostat de Tordre de Saint-Augustin, qui, peu
de temps après, fut pendu à Rouen; Jean de l'Épine, un jacobin
défroqué; Jean Malo, jadis prêtre habitué dans la paroisse de
Saint-André-des-Arcs à Paris; Pierre Martyr, fugitif de l'ordre
des Chanoines réguliers, qui s'était marié avec une religieuse;
enfin le plus célèbre, Théodore de Bèze, à qui Calvin léguera
plus tard la direction de l'église de Genève. « Il avait l'air fin,
des manières insinuantes, l'abord gracieux, l'esprit enjoué; mais
il était sans mœurs, impie, libertin... et venait d'épouser la
femme d'un maître tailleur de Paris, après avoir vendu son
prieuré de Longjumeau1. »
Lorsqu'ils se virent en nombre suffisant pour affronter la
lutte, les ministres adressèrent au jeune roi, le 17 août, la re-
quête d'une conférence publique avec les évêques. Ils y expo-
saient aussi leurs conditions : « Que les évoques, abbés et autres
ecclésiastiques ne soient point nos juges, attendu qu'ils sont nos
parties adverses; — que tous différends y soient jugés et décidés
par la seule parole de Dieu contenue au Vieil et Nouveau Tes-
tament, pour ce que nostre foy ne peut estre fondée que sur
icelle'?. » Dès le lendemain, le cardinal de Châtillon, envoyé à
Poissy par Catherine de Médicis, ordonna de sa part aux prélats
de ne point s'absenter de cette ville sans l'autorisation du roi. Il
ne déclara point le motif de ce commandement, mais le bienveil-
lant accueil fait à la requête des calvinistes montrait assez les
intentions de la reine-mère. Le 26 août, en effet, elle chargea
le cardinal d'Armagnac de signifier à l'assemblée l'ordre de Sa
Majesté que les ministres fussent admis à conférer de leur confes-
sion de foi, et que les prélats eussent à aviser au mode de la con-
férence. Les évêques se concertèrent aussitôt. Après avoir mûre-
ment examiné la question, ils virent certains avantages, dans
l'intérêt de la paix, à ne pas refuser d'entendre les représentants
de la réforme ; mais ils exigèrent que les débats fussent réduits
à un simple colloque entre l'orateur des ministres et celui de l'As-
semblée, en présence seulement du roi et de la cour3.
Nous n'avons pas à raconter les incidents du colloque de Poissy.
Il n'y eut que deux séances : l'une le 9 septembre, où Théodore
de Bèze prit la parole au nom des protestants; l'autre, le 16 sep-
1. Cf. Fleury, Histoire du cardinal de Toumon, p. 366.
2. Bè?e, Hisl. Eccl., t. I, 3o8.
3. Bref recueil..., p. 14, 16.
ADMISSION LÉGALE EN FRANCE. 233
tembre, où le cardinal de Lorraine établît l'infaillible autorité de
l'Église et la réelle présence de Jésus-Christ dans Ja sainte Eu-
charistie. La vérité catholique triompha, sans doute; mais le cal-
vinisme, grâce à la coupable condescendance du gouvernement,
put afficher ostensiblement sa doctrine devant toute la France.
« Il y a grand nombre de prédicants à la cour, écrivait l'ambas-
sadeur d'Espagne; ils y sont sur le même pied que les catho-
liques1. » Depuis longtemps, comme l'atteste Marguerite de Va
lois, il s'y était même formé un parti, qui se faisait un jeu et une
mode de son opposition aux doctrines de l'Église ~. Dans ce désar-
roi général, il devenait nécessaire d'opposer les hommes qui se
présentaient comme les champions de l'autorité du Saint-Siège
aux calvinistes « qui font profession expresse de la terrasser3 ».
Les menées dont l'assemblée du clergé venait d'être témoin,
l'éclaïraient enfin sur les dangers d'une situation dont elle n'a-
vait peut-être pas mesuré jusque-là toute l'a gravité. Ce fut au
milieu de ces circonstances et sous l'impression de ces événe-
ments que, dans l'intervalle des deux séances du colloque de
Poissy, elle eut à statuer sur l'admission de la Compagnie de
Jésus.
6. À ne considérer que la composition de l'assemblée et les
sentiments dont elle était animée, la réception des Jésuites dans
le royaume ne parut pas douteuse quand le président la pro-
posa à la discussion de ses collègues. Elle aurait même été ré-
solue dans le sens le plus favorable, si elle n'avait dépendu que
de la volonté des cardinaux de Tournon, de Bourbon, de Lor-
raine, de Guise et d'Armagnac, tous protecteurs dévoués de la
Compagnie'1. Mais on se trouvait dans une conjoncture particu-
lière qui exigeait beaucoup de tact et de circonspection. Bien
que le roi et la reine-mère eussent plusieurs fois ordonné au
Parlement de recevoir les disciples d'Ignace de Loyola, certains
membres du conseil tenaient à ne pas froisser les protestants,
et l'admission pure et simple d'un Ordre nouveau, destiné à les
combattre, aurait presque l'apparence d'un défi. Sans doute, la
majorité de l'assemblée avait accueilli avec faveur la proposi-
tion mise à l'ordre du jour, mais Odct de Chàtillon, les trois
évêques qui partageaient ses opinions calvinistes et les docteurs
1. Mémoires de Coude', 11, p. 16.
2. Mémoires de Marguerite de Valois (Edit. Michaud), X, p. 402.
3. Pasqiiier, Œuvres, t. II, liv. IV, p. 114.
4. Litterae quadr., 1" sept. 1561 (Kiïln, Stadt-archiv, Universital., XII, 3266).
254 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
de l'Université, admis aux délibérations, n'avaient point caché
leur peu d'empressement. Afin d'éviter de leur part une oppo-
sition trop déclarée, on usa d'une grande condescendance dans
le choix du rapporteur, question fort délicate à trancher.
En effet, l'évoque de Paris avait déjà été saisi de la cause des
Jésuites; or, il s'agissait à présent d'accorder une autorisation
dont le premier résultat serait l'établissement d'une maison de
la Compagnie dans son diocèse. S'il était nalurel de donner,
dans l'examen de cette affaire , un rôle important à l'un des
principaux intéressés, il n'en était pas moins dangereux de char-
ger du rapport un juge lié par ses actes antérieurs. Toutefois,
le prélat ne serait-il pas sensible à la déférence qu'on lui té-
moignerait en le lui confiant? Puis, ses idées s'étaient bien modi-
fiées, depuis qu'il avait vu les prétentions hautaines des réformés
et reconnu la nécessité d'opposer à leurs envahissements une
prompte résistance. Enfin, on pouvait espérer que la bienveil-
lance, dont la plupart de ses collègues honoraient les Jésuites,
suffirait à le faire revenir sur son injuste sévérité d'autrefois. On
le désigna donc comme rapporteur.
Avec une commission, nommée à cet effet, il examina de nou-
veau les pièces et les titres présentés par les demandeurs, c'est-
à-dire : les bulles pontificales qui approuvaient et confirmaient
l'Institut; les requêtes présentées au roi par les Pères; les lettres
patentes de Henri II, de François II, de Charles IX; les divers
arrêts du Parlement; le jugement de la Faculté de théologie; et
les témoignages d'estime rendus aux collèges déjà fondés '. Après
une étude attentive de ces documents, tout rapporteur impartial
et libre de préjugés eût pris des conclusions largement favo-
rables à la Compagnie de Jésus. Mais Eustache du Bellay lui
avait fait une guerre trop ouverte pour l'accepter maintenant
sans réserve. Sa position un peu fausse, ses idées gallicanes et
son désir de ménager les opposants, tout en satisfaisant la ma-
jorité le forcèrent à un arrangement équivoque. II conclut à
l'admission de la Compagnie en France, avec des restrictions tra-
cassières, qui rappelaient trop son précédent avis au Parlement2.
« L'assemblée, dit-il, suivant le renvoy de la cour de Parle-
ment de Paris, a reçu et reçoit, a approuvé et approuve ladite
1. Avis et résolution de Messieurs de l'assemblée du Clergé de France, tenue à
Poissy touchant la réception des Jésuites (Archiv. nat., Gs, 580D).
2. Bref recueil..., p. 145 et suiv. — Manare, De rébus S. J., p. 78. Cf. Klipffel, Le
colloque de Poissy, p. 119.
ADMISSION r,Éf,ALE EN FRANCE. 255
Société et Compagnie, par forme de Société et de collège, et non
de religion nouvellement instituée, à la charge qu'ils seront
tenus prendre autre titre que de Société de Jésus ou de Jésuites,
et que, sur icelle Société et Collège, l'évoque diocésain aura toute
superintendanec et jurisdiction, et correction de (sic) chasser et
ôter de ladite Compagnie les forfaiteurs et malvivans; n'entre-
prendront les Frères d'icelle Compagnie, et ne feront en spirituel
ne en temporel aucunes choses au préjudice des évoques, cha-
pitres, curez, paroisses et universitez, ni autres religions; ains
seront tenus de se conformer entièrement à la disposition du
droit commun, sans qu'ils ayent droit ne jurisdiction aucune, et
renonçant au préalable, et par exprès, à tous privilèges portez
par leurs bulles aux choses susdites contraires; autrement, à
faute de ce faire, ou que par l'avenir ils en obtiennent d'autres,
les présentes demeureront nulles et de nul effet et vertu, sauf le
droit de ladite assemblée et d'autrui en toutes choses '. »
Quel était le sens de cette conclusion proposée aux évêques
assemblés à Poissy? Est-il vrai, comme on l'a prétendu, qu'en
approuvant les membres de l'Ordre fondé par saint Ignace, elle
en condamnait les constitutions2? Cette interprétation, remarque
très bien le P. Prat3, n'est pas rigoureusement exacte. Le rappor-
teur se garde, cette fois, d'apprécier les règlements consacrés par
les bulles pontificales; « il ne se prononce ni sur leur valeur, ni
sur leur nature », comme il l'avait fait dans son premier juge-
ment. Admettant au contraire l'utilité des suppliants, il conseille
au Parlement de les recevoir, non à titre de religieux de la Com-
pagnie de Jésus, mais « comme individus formant, sous le nom
de Société ou de Collège, des communautés dont on leur donnera
le nom4 », à condition qu'ils ne se prévaudront ni de leurs cons-
titutions ni de leurs privilèges pour s'exempter de la juridiction
de l'Ordinaire. Ainsi entendue, la conclusion ne s'éloigne guère,
assurément, des préventions jalouses du Parlement et des exi-
gences gallicanes de la Faculté de théologie, mais elle ne con-
damne explicitement ni les constitutions de l'Ordre ni les bulles
du Souverain Pontife. Comme elle réservait les droits de l'assem-
blée du Clergé, et que ses restrictions n'attaquaient pas directe-
ment la substance de l'Institut, les cardinaux de Tournon, de
1. Avis et résolution de Messieurs de l'Assemblée du Clergé... (Archiv. nat., G;,
&89D).
2. Ainsi pense, par exemple, M. Émond : Hist. du coll. Louis-le-Grand, p. 9.
3. Prat, Mi'in. sur le P. Broet, p. 432. — 4. Ibid.
256 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Lorraine, d'Armagnac et de Guise, ainsi que la majorité des au-
tres prélats, se résignèrent à y souscrire, dans l'intérêt même de
l'Ordre qu'ils protégeaient. Telles étaient les circonstances qui
menaçaient la religion catholique en France, qu'ils craignaient
de ne pas rencontrer de longtemps une si bonne occasion d'im-
planter le nouvel Institut dans le royaume. L'acte d'admission
de la Compagnie fut donc signé, le 15 septembre 1561, par maî-
tres Nicolas Breton et Guillaume Blancliy, greffiers et secrétaires
de l'Assemblée, « sous les seings et scel » du cardinal de Tournon,
primat des Gaules, et d'Eustache du Bellay, évêque de Paris1.
La Compagnie, de son côté, « voyant la France, dit un vieil au-
teur, avoir un extresme besoin d'estre aydée par prédications,
catéchismes et bonnes instructions de la jeunesse », se soumit
« patiemment aux conditions onéreuses qui lui étaient impo-
sées2 ». Elle espérait, avec raison, que le temps redresserait peu
à peu les fausses idées qui les avaient suggérées. Et, de fait, dès
le 1er juillet 1565, Charles IX déclara par lettres patentes que les
disciples d'Ignace pourraient porter dans son royaume, comme
partout ailleurs, le nom de religieux de la Compagnie de Jésus,
et commanda à la Cour de « vérifier sans restriction » les Bulles
de l'Institut. Neuf ans après, au mois de février 1574, de nouvelles
lettres patentes mirent sous la protection des lois non seulement
le collège de Clermont à Paris, mais encore tous ceux que la Com-
pagnie avait fondés ou fonderait dans le royaume. En 1580, la
même faveur fut confirmée par Henri III, avec l'entière approba-
tion des privilèges et l'autorisation spéciale d'établir des maisons
professes3.
L'Assemblée du Clergé n'avait, en somme, exprimé qu'un avis
favorable à la réception de la Compagnie de Jésus. Il apparte-
nait au Parlement de donner un arrêt définitif. Puisqu'il avait
subordonné son assentiment à celui des évêques, on pouvait
espérer qu'il ne ferait plus aucune difficulté. Le P. Cogordan
s'empressa donc de poursuivre l'achèvement de cette affaire,
qu'il avait conduite jusque-là avec une si vigoureuse persévé-
rance. Le 14 janvier 1562, il saisit la Cour de la décision de
l'Assemblée. Le 13 février, à la suite des conclusions du procu-
reur général, la Cour déclara que. « tout considéré, ledit acte de
réception et d'approbation fait audit concile et Assemblée tenue
1. Archiv. nal.. i ; , 589".
2. Commencements de le Compagnie (Carayon, Doc.inéd., I, p. 20, 21).
3. Ibid. — llist. de l'établissement des Jésuites en France (Archiv. prov. France,
p. 26-33).
ADMISSION LÉGALE EiN FRANCE.
à Poissy, serait registre au greffe d'icelle Cour, par forme de so-
ciété et collège qui sera nommé le collège de Clermont, et au\
charges et conditions contenues en leur dite déclaration et leurs
lettres d'approbation susdites1 ». Les magistrats voulurent aussi
assurer, sans retard, aux religieux de la Compagnie de Jésus le
bénéfice de cet enregistrement. Une ordonnance mit immédia-
tement les Pères en possession des legs que leur avait laissés Guil-
laume du Prat par son testament. Ces legs, conformément aux
intentions du testateur, furent employés au maintien du collège
de Dillom, à la fondation de celui de Mauriac, et à la construction
du collège de Paris sous le titre de Collège de Clermont, d'où les
Pères prirent légalement le nom de Société du Collège de Cler-
mont. Le P. Général, depuis plusieurs mois en France quand il
reçut communication officielle de la faveur obtenue, accepta fa-
cilement la dénomination sous laquelle le Parlement concédait à
son Ordre le droit de cité. L'usage, d'ailleurs, avait depuis long-
temps prévalu d'appeler les Jésuites de Paris prêtres de Clermont,
et ce nom rappelait, très heureusement, la gratitude bien due au
vénérable prélat dont le souvenir était inséparablement lié aux
origines de la Compagnie de Jésus en France. De plus, si l'admis-
sion légale n'était pas aussi complète qu'on l'aurait désiré, elle
allait du moins permettre d'exercer les fonctions scolaires au sein
même de l'Université de Paris. Connaissant l'influence de celle-ci
sur le reste de l'Europe, le P. Général se proposait « de faire du
collège de Clermont le plus célèbre collège de son Ordre ; il voulait
y réunir les plus savants professeurs, persuadé que ce serait le plus
sûr moyen de réformer l'Université- ». Les cardinaux de Bourbon
et de Ferrare, et plusieurs autres prélats confidents de ses inten-
tions, l'encourageaient vivement à poursuivre cette œuvre à la-
quelle ils promirent leur appui.
7. Le 18 septembre 1561, le P. Lainez était arrivé à Paris. Sa
visite procura la plus vive allégresse à toute sa petite famille re-
ligieuse de la rue de la Harpe. Deux jours après, il se rendit à
Saint-Germain où l'avait précédé le cardinal Légat. Il y habitait
au château avec ses compagnons, les PP. Polanco et Annibal du
Coudret et le Frère Louis. D'après une lettre de l'un d'eux,
1. Arrêt Je la cour du parlement, dans un recueil de pièces relatives au coll. de
Clermont (Archiv. nat., MM, Instruction publique, n. 380. F, 105). Cf. D'Argentré, Col-
lect. judiciorum, II, 342, 343.
'.».. Lettre du P. Cogordan au P. de Rorgia, citée par Prat : Muldonat et l'Universitt
de Paris, p. 42.
COMFACNIli UË JÉSUS. T. I. 17
258 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS
ce séjour à la cour n'avait rien de confortable ni de séduisant :
« Nous sommes quatre, disait le P. du Coudret, dans une cham-
brette, garnie d'une seule petite table, sur laquelle trois de nous
écrivent en ce moment, et nos lits reposent sur le plancher. Nous
n'avons pas à nous plaindre, car d'importants personnages sont
encore plus mal partagés. Combien il en a coûté à notre P. Gé-
néral de laisser tous les siens pour venir ici! Nous jouissons tous,
grâce à Dieu, d'une bonne santé ; nous serions même très contents,"
si nous n'avions pas sans cesse devant les yeux la ruine de ce pau-
vre royaume. Hélas! on voit, on sent le mal et on ne peut y re-
médier. Dieu daigne venir à notre secours1. »
Les instructions données par le Pape au cardinal de Ferrare,
envoyé à la cour de France en qualité de Légat, étaient d'arrêter la
reine et son conseil dans la voie des concessions, et de leur montrer
que le seul remède à la crise religieuse du royaume serait de
renvoyer les hérétiques au concile général, de nouveau convoqué
à Trente. Le Légat, — on peut s'en rendre compte par ses lettres
à Pie IV et au cardinal Borromée 2, — mit tout en œuvre pour
faire réussir sa mission. Mais la tâche était difficile, dans une cour
où les affaires religieuses subissaient les fluctuations de la politique,
et où dominaient alors les chefs du parti calviniste. Quand Marie
de Médicis exigea l'enregistrement des lettres de créance pré-
sentées par l'envoyé du Saint-Siège, L'Hôpital, fort de son influence
sur elle, refusa d'abord de les munir du sceau de la chancellerie;
pressé par la reine qui craignait d'irriter l'Empereur et le Roi
catholique, il obéit de mauvaise grâce et se permit d'ajouter la
clause : Me non consentiente. Le Parlement, d'autre part, ne
consentit à les homologuer qu'après une longue opposition et dans
des termes qui laissaient voir sa répugnance.
Pendant ce temps, les ministres huguenots prenaient des
mesures avec Coligny pour continuer les discussions commencées
au colloque de Poissy. Fidèle aux recommandations du Pape, le
cardinal de Tournon, président de l'assemblée ecclésiastique, op-
posa à leurs demandes une invincible fermeté. Mais Catherine de
Médicis redoutait plus les violences des huguenots que les raisons
du cardinal; elle céda aux instances des ministres et leur accorda
la reprise des conférences, à condition qu'elles seraient privées
et que le jeune roi n'y assisterait plus". La première se tint, le
1. Lettre au P. Domenech, 27 septembre 1561 (Galliae Epist, t. 1 f. 322).
2. Baluzp, Miscellanea , l. IV, p. 378 et suiv.
3. Voir Bèze, Hist. ecclebiasliq., t. I, p. 348.
ROLE M: I.AINKZ A POÏSSY ET A SAINT-GEELMAIN. 259
24 septembre, dans la chambre prie-raie du couvent de Poissy. Les
cardinaux de Ferrare et de Tournon, par dignité, s'abstinrent de
l'honorer de leur présence; niais le Légat y envoya trois théolo-
giens de sa suite avec le P. Général de la Compagnie de Jésus
Laincz lit remarquer au Présidenl l'inconvenance des sectaires,
qui restaient assis comme des jnges, tandis que les théologiens
catholiques se tenaient debout commes des accusés; et on y mit
aussitôt bon ordre ' . À la fin de la séance, le cardinal de Lorraine
présenta aux ministres, après l'avoir montrée au P. Lainez, une
formule de la foi catholique sur la présence réelle, en déclarant
qu'il était bien résolu de ne plus les entendre s'ils refusaient d'y
souscrire.
Les prédicants ne voulurent point signer la formule, et obtinrent
pourtant de Catherine de Médicis la réunion d'une seconde con-
férence, qui eut lieu le 26 septembre. Pierre Vermigli, dit Martyr,
y prit la parole après Théodore de Bèze et prononça en italien,
langue assez commune dans l'entourage de la reine-mère, un
discours que le docteur d'Espence réfuta victorieusement. Les
autres ministres vinrent au secours de leur collègue et répondirent
aux arguments par des injures-. Le débat doctrinal menaçait de
tourner en dispute vulgaire, quand le P. Lainez, brillant théo-
logien du concile de Trente, intervint et releva la discussion;
personne peut-être, parmi les docteurs présents, n'était capable
de le faire avec autant d'autorité et de succès.
8. Le rôle modeste, bien qu'important, du P. Général de la
Compagnie dans ces circonstances, n'a pas été compris de quelques
historiens. « Lainez, dit Crétineau-Joly, avait écouté les discus-
sions sans y prendre part; mais enfin, l'audace des dévoyés de
l'Eglise alla si loin qu'il ne put se contenir davantage... 11 des-
cendit dans l'arène avec les hérétiques3. » Ne semblerait-il pas
que, d'après ce passage, Lainez intervint dans les discussions
comme le principal athlète de la foi? Or, arrivé à Paris le
18 septembre, le Père ne put assister aux séances publiques du
colloque tenues les 9 et 16 septembre; même à Poissy, il se serait
abstenu de paraître à des réunions qui n'avaient pas l'approbation
du Souverain Pontife. Envoyé par le cardinal de Ferrare aux deux
conférences privées, qui eurent lieu le l'% et le 26 septembre, il
1. Bref recueil et sommaire..., p. 116 et suivantes.
:>.. D'Espence, Apologie, p. 483.
■i. Ciélineau-Joly, Hist. de la Compagnie, t. I, c. vm.
260 HISTOIRE DE LA. COMPAGNIE DE JESUS.
ne prit la parole que dans la dernière, non en qualité de théolo-
gien du Saint-Siège ou de défenseur de la foi, comme le cardinal
de Lorraine ou le docteur d'Espence, mais en qualité de repré-
sentant du Légat dont les instructions étaient de mettre fin aux
concessions dangereuses de la reine-mère l.
Catherine de Médicis assistait à ces conférences, avec l'espoir
chimérique d'y voir un jour concilier dans une même formule de
foi toutes les opinions. C'est à elle que le P. Lainez s'adressa, au
commencement de son discours, prononcé tout entier en italien :
« Madame, dit-il, étranger dans ce pays, il ne m'appartient pas,
je le sais, de me mêler de ce qui s'y passe ; mais les enfants de
l'Église ont le monde pour patrie, et les intérêts de la foi doivent
les préoccuper en tous lieux. Votre Majesté ne trouvera donc
pas étrange que je vienne lui présenter des considérations
générales sur l'objet de cette réunion, et quelques remarques
particulières en réponse aux objections de Frère Pierre Martyr et
de son collègue. » A ces derniers mots, Pierre Martyr rougit et ne
put cacher son dépit. Cette expression : Frère Pierre, Fra
Pielro, lui rappelait la robe dont il s'était dépouillé et les vœux
sacrés auxquels il avait renoncé.
Dans la première partie de son discours, le P. Lainez s'efforce
de montrer que tout projet de conciliation entre la vérité et l'er-
reur était un attentat contre la foi et la pureté de la doctrine ca-
tholique. Il fait remarquer que « les assemblées particulières ne
sont ni légitimes, ni convenables, quand déjà un concile général
est ouvert ». Puis il exhorte la reine-mère à se servir de son auto-
rité pour « envoyer les prélats, les théologiens et les religion-
naires » au concile de Trente, qui « composé des plus savants
hommes de l'Église, a encore pour lui l'assistance infaillible de
l'Esprit-Saint », ce que, dit-il, « nous ne pouvons nous promettre
ici ». Dans la seconde partie de son discours, son argumentation
serrée, appuyée sur des principes irréfragables, fait bonne justice
des sophismes de Bèze contre la présence réelle, et des déclama-
tions de Pierre Martyr sur la prétendue mission des protestants :
« Je m'étonne, s'écrie-t-il, qu'ils osent se comparer aux prophètes
et aux apôtres. Les prophètes et les apôtres menèrent une vie
sainte; ils reçurent leur mission immédiatement de Dieu;... ils ne
prêchèrent rien qui fut en opposition avec les vérités déjà révé-
lées; ils confirmèrent leur mission par un grand nombre de pro-
1. Lettre du Nonce, 5 février 156>, dans Archives curieuses del'Uist. de France,
1" série, t. VI, p. 34.
ROLE DE LAINEZ A POISSY ET A SAINT-GERMAIN. -'fil
diges et d'œuvres surnaturelles... Mais ceux-ci ne nous édifient
certes point par la sainteté de leur vie ; ils prêchent une doctrine
contraire aux vérités définies. Où sont leurs miracles? où est le
titre de leur mission extraordinaire? Ils ne sont donc pas les en-
voyés de Dieu. »
Cette sainte hardiesse, dit le P. Polanco qui assistait à la confé-
rence, remplit de joie tous les catholiques, et ranima le courage
des docteurs dont il exprimait si bien les sentiments. Dans une
éloquente péroraison, le P. Lainez, s'adressant de nouveau à la
reine-mère, la supplia de craindre Dieu plutôt que les hommes,
de ne pas conniver à l'hérésie, mais de soutenir la foi catholique
de toute son autorité, et d'attirer ainsi la protection divine sur
elle-même et sur le roi très chrétien : « Touché de votre piété,
Madame, Dieu vous conservera vos États sur la terre et vous ré-
servera le royaume des cieux. Si, au contraire, la crainte des
hommes ou le désir de leur complaire vous fait oublier la crainte
de Dieu, sa loi et sa bonté, je tremble qu'avec le royaume des cieux
vous ne perdiez encore celui de la terre. Mais non, le Seigneur
vous donnera à vous et à votre fils la grâce de persévérer. Il ne
permettra pas que cette illustre noblesse, que ce royaume très
chrétien, autrefois la règle et le modèle des autres, abandonne la
religion catholique, qui fut toujours la sienne, et subisse honteu-
sement le joug de l'erreur que veulent lui imposer des sectes mo-
dernes1. » L'orateur avait prononcé ces dernières paroles sous le
coup d'une vive émotion qui gagna tout l'auditoire. La reine,
depuis lors, s'abstint d'assister à aucune conférence 2.
L'improvisation du Père Lainez eut un tel retentissement, à la
cour et à la ville, que le cardinal de Ferrare lui demanda de l'écrire
et la fit traduire en français. L'éloquence et la gravité de son lan-
gage, la modération et la sagesse de ses conseils ont été justement
1. Discours de Lainez à Poissy (Francia. Historia provinciae, t. I, n. 23. Texte ita-
lien). Voir {Appendice C) l'original de ce discours souvent dénaturé par les écrivains
protestants, notamment dans l'édition des Œuvres complètes de Calvin.
2. Lettre du P. A. du Coudret, 27 septembre 1561, dans Galliae Epist., t. I, fol. 322.
Lettre du P. Polanco au P. Salmeron, 27 septembre 1561, dans les Précis historiques,
janvier 1889. — « Marie de Médicis, raconte Crétineau-Joly, en entendant l'énergique
langage du P. Lainez, ne put retenir ses larmes. Le prince de Condé.qui, malgré son
calvinisme, témoignait au jésuite une affectueuse confiance, dit à ce dernier : « Savez-
vous, mon Père, que la reine est très indisposée contre vous et qu'elle a pleuré? »
Lainez répliqua en souriant : « Je connais de longue date Catherine de Médicis : c'est
une grande comédienne; mais, prince, ne craignez rien; elle ne me trompera pas »
{Hist. de la Compagnie de Jésus, t. f, p. 341). Nous laissons à l'auteur la responsabi-
lité de cette anecdote dont il n'indique pas la source. Elle est évidemment dramati-
sée. Le langage prêté au P. Lainez est opposé à sa prudence si connue, et, jusqu'à
preuve du contraire, nous tenons tout ce récit pour controuvé.
262 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
louées par tous les historiens sérieux qui ont parlé des conférences
de Poissy. Bèze lui-même n'a pu cacher l'effet produit; seulement,
il l'a avoué à sa manière, en l'atténuant ou en paraissant le dédai-
gner. De Thou n'a pas fait preuve de la même bonne foi : « Lainez,
dit-il, se répandit en injures contre les protestants1. » La vérité
est que l'orateur avait cité la sainte Écriture flétrissant par avance
les hérétiques du nom de serpents, de renards, de loups cachés
sous la peau de brebis, pour nous prémunir contre leurs men-
songes.
Ce succès augmenta encore l'influence acquise par le P. Géné-
ral de la Compagnie de Jésus durant son séjour à Saint-Germain.
Il eut alors de fréquents entretiens avec la reine-mère, avec les
princes du sang et les grands seigneurs de la cour2. Des rapports
intimes s'établirent entre lui et le prince de Condé, partisan dé-
claré de l'hérésie. Tous deux cherchaient un remède aux maux
qu'ils entrevoyaient dans un avenir prochain. En réponse aux
difficultés soulevées par le prince contre l'accord entre les calvi-
nistes et les catholiques, Lainez rédigea une note substantielle,
dans laquelle il insistait sur la présence des ministres au concile
de Trente pour mettre fin aux dissidences religieuses : « Afin de
procurer cette union tant désirée, disait-il, je sacrifierais cent
vies, si j'en avais autant à offrir. » Au bas de la note, en guise
de signature, on lit cette phrase qui ne laisse aucun doute sur son
véritable auteur : « Celui qui parla à Votre Excellence dans la
chambre du roi de Navarre, et à qui elle commanda de vous
adresser par écrit ce qu'il avait dit de vive voix3. »
9. Dans son discours à la conférence de Poissy, le P. Lainez,
après avoir indiqué le concile de Trente comme le meilleur moyen
d'arriver à la conciliation des esprits, avait ajouté : « Puisque
Votre Majesté, par indulgence pour les modernes sectaires et pour
essayer de les gagner, a bien voulu permettre des conférences,
je demanderai qu'elles se tiennent seulement en présence de
gens instruits, parce qu'à l'égard de ces personnes il n'y au-
rait point de danger de perversion et qu'elles seraient même
capables d'éclairer et de convaincre les esprits, plutôt entrâmes
par l'erreur que par l'entêtement de l'orgueil. » Quand un peu
1. Hisl. universelle, t. IV, p. 98.
2. Lettre du P. du Coudret déjà citée.
3. « De malis Ecclesiae et de modo eis reniedium afferendi » (Fiancia, Hist. prov.,
t. I, p. 9).
ROLE DE IAINEZ A POISSY ET A SAINT-GERMAIN. 263
plus tard Catherine de Médicis, sur les instances des prédicants,
leur accorda de nouvelles conférences à Saint- Germain, docile
à l'avis du P. Lainez, elle les réduisit à des entretiens particuliers
entre théologiens catholiques et calvinistes. Ces pourparlers ne
servirent qu'à faire ressortir l'opiniâtreté des hérétiques et l'im-
possibilité d'arriver jamais à une entente. La discussion, ouverte
le -28 janvier 1562, dura plusieurs jours. Bèze, Pierre Martyr, Pé-
roscl et Marlorat attaquèrent avec violence le culte des saintes
images; leurs erreurs furent vigoureusement réfutées par le doc-
teur Pelletier, le Général de la Compagnie de Jésus et le P. Po-
lanco son secrétaire '. Les ministres ne savaient que répondre et
cherchaient à entamer d'autres questions; mais les docteurs ortho-
doxes, voyant la complète inutilité de toute discussion avec des
adversaires qui niaient la vérité de parti pris, refusèrent de les
écouter davantage. On leur enjoignit de mettre par écrit leurs
objections, qui seraient soumises au jugement du Pape et du con-
cile. Le 11 février, les conférences furent interrompues et prirent
fin2.
Avant de partir de Rome, le P. Général avait ordonné dans
toute la Compagnie des prières pour le succès de sa difficile mis-
sion et pour le salut de la France, « ce royaume qui depuis tant
de siècles s'était montré si dévoué au service de Dieu et aux inté-
rêts de l'Église 3 » . De Paris, il écrivit une seconde lettre circulaire,
où il demandait à tous les siens d'offrir à Dieu des oraisons, des
messes, des pénitences afin que le royaume très chrétien fût pré-
servé de la corruption de l'hérésie. Plus que jamais, en effet, le
besoin d'un secours surnaturel était nécessaire. Après le colloque
et les conférences de Poissy, le chancelier de L'Hôpital, reconnais-
sant que la transaction entre catholiques et protestants était im-
possible sur le terrain théologique, avait résolu de la poursuivre
sur le terrain politique. Déjà, à l'assemblée des Notables de Saint-
Germain-en-Laye, il avait proposé de constituer l'État en dehors
de toute religion : « Il n'est pas ici question, disait-il, de cônsti-
tuenda religione, sed de constituenda republica, et plusieurs peu-
vent être citoyens sans être chrétiens 4. » Le 17 janvier 1562,
1. « Touchant Poissy, disait plus tard Henri IV à Achille de Harlay. je veux que vous
sachiez que si tous y eussent aussi bien fait comme un ou deux Jésuites, qui s'y trou-
vèrent fort à propos, les choses y fussent mieux allées pour les catholiques. » Discours
de ce qui s'est passé en cour sur le rétablissement de la Compagnie (Galliarum monu-
menta historica, n. 67. Societatis Restitutio).
2. Collect. des Procès-verbaux des Ass. Gén. du Clergé, t. I, p. 36 et suivi
3. Lettre du 27 mai 1561 (Gallia. Epist. General., t. II).
4. Cf. La Popelinière, Ilist. de France, 1. Vil.
264 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
parut, sous le titre dérisoire Redit de tolérance, une ordonnance
de Charles IX qui autorisait les ministres réformés à exercer leur
culte dans toute l'étendue du royaume, excepté dans l'enceinte des
villes. C'était un sanglant outrage à cette religion catholique qui
faisait, depuis dix siècles, le bonheur et la gloire de la France.
Ainsi le comprit le Parlemen! de Paris, dont les autres Parlements
imitèrent l'exemple '. Saisi de cet édit, le 23 janvier, il repré-
senta qu'il ne pouvait, en conscience, procéder à l'enregistrement
ni mettre sur le même pied les huguenots et les papistes. Pour
vaincre son opposition, les meneurs du calvinisme organisèrent
des émeutes qui, durant plusieurs jours, remplirent la ville de
Paris de meurtre et de pillage. Dans les provinces, comme dans
la capitale, des bandes sectaires armées commirent contre les
catholiques, contre leurs églises et leur culte des acles de van-
dalisme et de barbarie, pillant les maisons et les couvents, mas-
sacrant des religieux et des prêtres 2. On mettait ainsi en pratique
les recommandations de Calvin au marquis du Poët : « Surtout
ne faites faute de défaire le pays de ces zélés faquins, qui exhor-
tent le peuple par leurs discours à se bander contre nous, noir-
cissent notre conduite et veulent faire passer pour rêveries notre
croyance. Pareils monstres doivent estre étouffés, comme je fis en
l'exécution de Michel Servet 3. »
10. Pendant qu'on essayait d'effrayer le Parlement par les pé-
rils que sa résistance à l'Édit pouvait causer dans le royaume, le
P. Lainez profondément affligé multipliait ses démarches, de
nuit comme de jour, chez le roi, la reine-mère, les princes, les
magistrats, démontrant à tous que faire la moindre concession
c'était perdre la religion. On le supplia, à plusieurs reprises, de
ménager sa santé, de moins s'exposer aux embûches des sectaires :
« Les missionnaires, répondit-il, ont à supporter bien d'autres
fatigues dans les pays infidèles; quant à ma vie, je la sacrifierais
volontiers pour une si noble cause, mille fois heureux si Dieu
m'accordait une grâce si précieuse 4. » Il engageait avec le même
zèle les prédicateurs, les docteurs de Sorbonne, les curés, les
1. Cf. Dareste, Hist. de Fronce, IV, 181.
2. Lettre de Perrenot de Chatonnay dans les Mémoires de Coudé, t. II, p. 28. —
Journal de Bruslart dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 72. Cf. de Meaux, Les
luttes religieuses en France, p. 83.
3. L'original de cette lettre, longtemps dans les mains de M. d'Arlissac de Valréas,
a été reproduit dans Sotice historique sur Valréas.
4. Lettre du P. X, l9r janvier 1562 (Galliae Epist., t. I, fo!. 12;,
LEDIT DE TOLERANCE.
supérieurs des maisons religieuses, a ne rien épargner pour ins-
truire le peuple des vérités de la foi et le prémunir contre les
artifices des hérétiques. Lui-même entreprit, dans l'église des
Ermites de Saint-Augustin, une série de prédications latines qu'il
continua plus d'un mois avec un nombreux concours d'auditeurs.
Dès qu'il put suffisamment se faire comprendre en français, dont
il avait perdu l'habitude, il se mit à prêcher au peuple dans di-
verses églises, et il eut la consolation de voir bien des pécheurs
revenir à Dieu et plusieurs hérétiques abjurer leurs erreurs. Il
travaillait aussi, dans des entretiens particuliers, à convertir le
roi de Navarre et le prince de Condé, à ranimer la foi éteinle du
cardinal de Chàtillon et de Montluc, évèque de Valence '.
Dans le dessein de préserver la religion de l'outrage que lui
préparait une aveugle tolérance, il composa en italien, et remit
à Catherine de Médicis, un remarquable Mémoire où il prouvait
qu'accorder aux réformés des temples publics et la liberté de leur
culte était une mesure, non seulement impie, mais encore dange-
reuse pour l'État et contraire à la pacification elle-même. L'unité
dans la Foi conserve aux nations leur unité politique; elle seule
rend les peuples forts, et, empêchant de discuter la source du
pouvoir, elle maintient le respect dû à la loi dont ce pouvoir est
l'organe. D'ailleurs, la tolérance pour les esprits novateurs doit
être limitée par l'intérêt fondamental de la société tout entière.
Or, « la division des cœurs une fois introduite avec la diversité des
religions, disait le P. Lainez, il n'y aurait ni obéissance, ni dé-
vouement dans le service du roi, parce que le parti dissident
n'aimerait plus le monarque, et en désirerait un autre qui fût de
la même religion que lui. Ainsi disparaîtrait la fidélité ; et si les
ennemis étrangers menaçaient la France, celle-ci se trouverait
plus exposée à leurs attaques. Et il ne faut pas croire qu'on pour-
rait si facilement contenter les deux partis; car, comme le dit
Notre-Seigneur Jésus-Christ : on ne peut servir deux maîtres. N'ar-
rivera-t-il pas au contraire ce que le Sauveur dit, autre part, qu'un
royaume divisé en lui-même sera désolé? De plus, si, tant que
l'antique religion a fleuri dans ce pays, Dieu l'a conservé et cou-
vert d'une protection spéciale, ne doit-on pas craindre que dans
le cas où elle viendrait à s'éteindre, il n'abandonnât la France,
comme il a abandonné l'empire d'Orient, en le laissant s'affaiblir
1. lbid., fol. 98. Lettre du 4 juin 1562. — Lettre du P. Polanco au P. Salmeron,
29 déc. 1561, dans Précis historiques, 1889, janvier, p. 11. — Cf. Sacchini, Histor.
Soc. Jesu, P. II, 1. V, n. 207-212.
266 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
par les hérésies que cet empire avait reçues dans son sein l ». En
parlant ainsi, le (Général de la Compagnie de Jésus faisait preuve
de sagesse politique; malheureusement, sa prévoyance fut con-
damnée à la stérilité par la faiblesse de la reine-mère et des
conseillers de la couronne.
11. Pourtant, les faits parlaient eux-mêmes et confirmaient
les avertissements du Mémoire. Les graves questions, qui agi-
taient alors les esprits, avaient troublé et soulevé jusqu'aux
écoliers de l'Université. Dans leur effervescence ils ne respec-
taient plus ni religion, ni discipline. Au lieu des paisibles dé-
bats scolastiques, on ne s'occupait que de tolérance et de liberté;
on prenait parti pour les catholiques ou pour les calvinistes;
on se traitait de papistes ou de huguenots. Les imaginations
s'échauffant de plus en plus, des mutineries, qui menaçaient de
devenir sanglantes, éclatèrent dans les collèges, et l'autorité des
maîtres et des Principaux se trouva impuissante à les réprimer.
Le P. Lainez visita, l'un après l'autre, les nombreux collèges de
Paris. L'un des premiers où il porta ses pas fut, on peut le
croire, celui de Sainte-Barbe, auquel l'attachait le souvenir de
ses premiers entretiens avec Ignace de Loyola2. Il exhortait les
jeunes gens à ne point fréquenter les assemblées des hérétiques,
à s'appliquer à l'étude des lettres sans négliger les exercices de
la piété chrétienne ; il recommandait aux Principaux de pres-
crire quelques prières à réciter chaque jour pour le salut du
royaume, de veiller sur la conduite des maîtres et des élèves,
de les prémunir contre la corruption du cœur, cause si fré-
quente de la perversion de l'esprit ;.
Le Parlement, de son côté, avait mandé dix-huit Principaux
des collèges les plus importants, et s'était plaint des attroupe-
ments d'écoliers « portant armes, s'assemblant par dizaines et
capouraux, à l'issue des leçons publiques, allant auxpresches, au
grand scandale de l'Université ». Les Principaux répondirent que
le trouble « ne venait d'eux, mais de ceux qui ne demeuraient
pas dans les collèges », c'est-à-dire des Martinets. Néanmoins le
Parlement confia à trois de ses membres l'instruction de cette
affaire, et les chargea « d'interroger les Principaux sur les au-
1. Mémoire du P. Lainez, texte original dans Grisai', Jacobi Lainez. disput. Triil.,
t. II, p. 94, 110.
2. Quicheral, Hist. de Sainte-Barbe, 11, 25.
3. Ribadeneira, La vie du P, J. Lainez, p. 142, 143.
L'ÉDIT DE TOLÉRANCE 267
teurs de ces émotions et d'aviser au moyen de les faire cesser1 ».
Cette enquête n'eut d'autre résultat que d'inspirer la craiute aux
écoliers des provinces, qui prirent le prudent parti de se retirer
de la mêlée et de s'enfuir dans leurs familles. De vingt mille
étudiants que comptait l'Université, il n'en resta plus qu'un
millier dont quatre cents étaient calvinistes'.
Pendant ce temps-là, le Parlement continuait à refuser l'en-
registrement de YÉdit de tolérance. En vain, le 3 mars, le prince
de la Roche-sur-Yon vient dire aux magistrats, de la part de la
reine, que cette formalité presse, que les têtes s'échauffent, que
les séditions éclatent partout et qu'il n'y a pas d'autre moyen
de les apaiser; en vain les gens du roi unissent leurs prières à
celle du prince , alléguant les mêmes motifs : la cour déclare
par arrêt « qu'elle ne peult et ne doibt », et la séance est levée !.
Le lendemain, disent les registres du Parlement, « pendant
qu'on délibéroit sur l'édit du 17 janvier, présents M. le prince
et le mareschal de Montmorency, les gens du roy sont venus
interrompre pour représenter que, dans la court du palais, y avoit
plus de quatre cents escolliers et autres, armez, les aulcuns à
blanc, disans qu'ils vouloient parler au premier président et
au procureur général, murmuransde ce que l'édit n'est publié,
et que si on ne veult leur bailler des temples, ils en prendront ;
qu'ils se sont retirez, mais qu'ils reviendront' ». Malgré les
violences dont on le menaçait, le Parlement refusa encore les for-
malités de la promulgation. Il fallut, pour obtenir l'enregistre-
ment, rendre l'édit provisoire, en y insérant cette clause condi-
tionnelle : « Jusqu'à ce que le concile général ait décidé les
points contestés, ou que le roi en ait autrement ordonné. » Et,
même ainsi modifié, l'édit de janvier ne fut admis qu'après com-
mandement exprès et réitéré de Charles IX5.
Sa publication indigna les catholiques et remplit de joie les
réformés. Tous y reconnurent l'influence prépondérante du chan-
celier de L'Hôpital. Porté aux nues par les uns, accablé de re-
proches par les autres, celui-ci fut troublé des blâmes de Pie IV
et tâcha de le convaincre de sa « droiture et bonne intention11 »
en invoquant les raisons d'État. Le Saint Père lui fit savoir qu'il
1. Journal de Bruslart dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 82.
2. Quicherat, op. cil., p. 26.
3. Mémoires de Condé, t. III, p. 22.
4. Félibien, Hist. de Paris, IV, 800.
5. Mémoires de Castelnau, 1. III, ch. v.
6. Dupuy, Instructions et lettres des rois 1res chrétiens, p. 274.
268 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSIS.
attendait de lui un autre genre de justification : « Nous vous
exhortons dans le Seigneur, lui écrivit-il, à faire en sorte désor-
mais que nous puissions juger à vos œuvres que vous n'avez pas
voulu le mal dont on vous accuse '. »
On ne saurait méconnaître le mérite du chancelier comme ju-
risconsulte et magistrat; mais l'opinion générale de son temps
était que, sans professer ouvertement l'hérésie, il y était secrète-
ment attaché. Ainsi, observe Brantôme, « encore qu'il allât à la
messe, on disait à la cour : Dieu nous garde de la messe de M. de
V Hôpital ï » Comme Pie IV et les contemporains, c'est à lui, à
ses conseils et à son influence, que la postérité a toujours attribué
les suites funestes de ledit de janvier. A partir de cet acte impo-
litique, les p:édictions du P. Lainez devaient se réaliser : la
tolérance sera un germe de discorde; le pays divisé et affaibli
portera au cœur un mal dont il ne guérira jamais.
1. Raynaldi, Annales ecclcsiastici. ad ann. 1562, n. 130.
CHAPITRE Vil
ESSAI DE FONDATION D'UN COLLÈGE A PAMIERS.
(1559-1561).
Sommaire : 1. État religieux du Béarn au xvie siècle. — 2. Démarches de M-r de
Pellevé pour la fondation d'un collège de la Compagnie. — 3. Acceptation du
P. Général, 1559. Envoi des PP. Jean Pelletier, Émond Auger et Jean Pioger.
— 4. Leur arrivée à Pamiers; opposition qu'ils rencontrent; leurs premiers
ministères. — 5. Ouverture de quatre classes clans une maison particulière, en
novembre 1559. Procès de l'évêque avec la ville. — 6. Prédications des PP.
Pelletier et Auger. — 7. Accusation contre le P. Pelletier; son emprisonnement.
— 8. Résistance de la ville aux volontés de l'évêque; les Jésuites sont chassés
de Pamiers.
Sources manuscrites : I. Archives de l'Ariège, séries G et H.
II. Archives communales de Pamiers, sér. D.
III. Recueils de documents conservés dans la Compagnie. — a) Décréta et Instructiooes.
— b) Epistolae Episcoporuni. — c) Franciae hisloria. — d) Galliarum monumenta historica.
— e) Gallia, Epistolae Generalium. — f) Galliae Epistolae. — g^ Tolos. fundationes col-
lcgiorum.
IV. Archiv. Prov. de France : Varia de Socielate Jesu ; — Vray pourtraict de la vie du
P. Émond Auger, par le P. Nicolas Bailly.
Sources imprimées : De Lahondès, 'Annales de Pamiers. — Du Roulay, Ilist. Univer-
sit. Paris. — Carias de San Ignacio de Loyola.— Manare, De rébus Soc. Jesu commen-
tarins. — Ribadeneira. La vie du R. P. J. Lainez. — Synopsis Actorum SSae Sedis. —
Ve de Meaux, Les luttes religieuses en France, — Mu.nl. me nia iiistokhu S. .1. Chroni-
con S. J. — Epist. mixl.; — Epist. P. Nadal; — Epistolae PP. Pqschasii Broeti,
Claudii Jaii...
1 . Au moment où la Compagnie de Jésus recevait légalement le
droit de cité en France, elle y avait trois collèges établis par trois
évêques avec l'autorisai ion du roi. L'enchaînement des faits nous
a permis de raconter la fondation du premier d'entre eux, celui
de Mgl du Prat dans la ville de Billom. Ce chapitre et le suivant
seront consacrés aux fondations de Pamiers et de Tournon.
Le P. Broet se trouvait encore à Rome, pour la CongTégation
générale de 1558, quand il reçut du P. Bellefille, son remplaçant
provisoire, une lettre dans laquelle on lui annonçait que Mgr Robert
de Pellevé, évêque de Pamiers, désirait fonder dans celte ville un
collège de la Compagnie. Cette proposition méritait d'être prise
eu considération. La vieille capitale du comté de Foix était alors
assez importante, et Ion pouvait espérer que l'influence salutaire
270 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
d'un collège catholique s'étendrait de là dans tout le midi de la
France. Cependant les troubles qui, depuis quelques années,
agitaient le Béarn, n'étaient pas pour rendre l'entreprise aisée.
Sous le règne de François Ier, la religion équivoque de Marguerite
de Valois, sa sœur, avait ouvert ce pays à la propagande des
novateurs. Princesse bel esprit, curieuse et savante, alliant à un
singulier mysticisme une extrême liberté de pensée et de langage,
la reine de Navarre avait d'abord soutenu de son influence l'évèque
de Meaux et ses théologiens1. Quand le petit cénacle hérétique de
Guillaume Briçonnet fut dissous, en 1523, elle accueillit dans ses
états l'un des fugitifs, Gérard Roussel, dont elle fit son prédicateur
et qu'elle pourvut plus tard de l'évêché d'Oloron2. Tandis qu'elle
laissait représenter à sa cour des scènes bibliques où la vie monas-
tique était tournée en dérision, Gérard Roussel, sans jamais
rompre avec l'Église, célébrait dans les caves du château de Pau
une messe de son invention, adoptait le calvinisme dans ses livres 3,
le répandait par son enseignement et ses œuvres. Comme il était
éloquent, charitable et de mœurs austères4, il parvint à séduire
sans alarmer les consciences : « Il a fait du fruit », avoue Théodore
de Rèze ' qui lui reproche pourtant sa froideur. Roussel mourut
en 1 549. Marguerite de Valois était morte, l'année précédente, dans
le repentir et les sentiments de la piété la plus orthodoxe. Mais
elle avait semé des germes d'hérésie que cette mort édifiante ne
pouvait plus détruire et dont sa tille, formée à son image, allait
favoriser l'éclosion.
Au début, Jeanne d'Albret, calviniste d'éducation et au fond
de l'âme, sembla retenir le zèle que son mari, Antoine de Bourbon,
devenu roi de Navarre à la mort de Henri d'Albret, affichait pour
la réforme avec l'ardeur passagère de son caractère léger. Elle,
1. Elle entretenait avec Briçonnet une correspondance suivie. Ses lettres et celles
•le l'évèque conservées à la Bibl. nat. (mss. fr. 11, 495) sont, dit l'abbé Puyol. « du
mysticisme le plus insensé » {Louis XIII et le Béarn, p. 14, note).
2. On peut voira la Bibl. nat. (Tonds Dupuy, t. LCUI) le curieux mémoire par lequel
Henri de Navarre demande l'expédition en cour de Rome de l'évêché d'Oloron en
faveur de Gérard Roussel.
:{. Schmidt, Gérard Roussel, prédicateur de la reine de Navarre (Strasbourg,
1845, in-8). L'auteur, pasteur protestant et historien consciencieux, dit à propos d'un
ouvrage de Roussel : « Comment se fait-il qu'un év< que ait pu écrire [ce! livre? ou
plutôt comment se fait-il que celui qui l'a écrit ait pu conserver sa dignité de prélat
de Rome? » (p. 153.-154). Cité par Puyol (op. cit., p. 1G. note).
i. Voir Lettres inédites de Marguerite du Navarre publiées par Génin, lettres 89
et 210 au connétable de Monlmorency (t. I, p. 267, 299).
5. Bèze, Ilist. des Egl. Réf., t. 1, p. G. — Sur les débuts du calvinisme en Béarn,
voir : Florimond de Rémond, De la naissance des Hérésies, 1. VIII, o. m. Sponde.
tout. ann. Baron., an. 1534-15i9, — Henri de Sponde, évêque de Tamiers de 1G26 a
1643, était né à Mauléon en 1568; élevé dans la religion protestante, il abjura en 1595
ESSAI DE FONDATION D'UN COLLÈGE A l'A Ml EUS. _>7l
l>lus politique, usait d'atermoiements, voulait éviter toute rupture
avec Rome et le roi de France, et maintenir la paix en lie ses sujets.
Somme toute, l'un et l'autre n'en protégeaient pas moins efficace-
ment les novateurs, et faisaient de leurs états une terre d'asile
où les ministres bannis d'ailleurs prêchaient publiquement et
élevaient des temples nombreux '. Le peuple, mal défendu par un
clergé faible et ignorant2 contre les idées nouvelles, les acceptait
les yeux fermés, pendant que les hautes classes, jalouses de la
faveur des souverains, subissaient lâchement l'influence de la
reine et de son entourage. Ainsi le Béarn mûrissait pour l'hérésie.
Bientôt, la reine Jeanne donnera les dernières secousses qui l'y
feront tomber. Révoltée par les intrigues de l'Espagne3, l'ani-
mosité de la cour de France et les infidélités scandaleuses de son
mari après un retour plus ou moins sincère à l'Eglise4, cette
femme, fière et vindicative, propagera de toutes ses forces le
calvinisme, et mettra son énergie sans scrupules à en imposer,
sous les peines les plus sévères, la profession publique à tous
ses sujets.
-2. Telle était la situation religieuse du pays, lorsque Robert
de l'ellevé fut nommé, en 1550, à l'évêché de Pamiers. Il ap-
partenait à une ancienne et noble famille de Normandie, et avait
montré dès sa jeunesse un esprit sérieux, l'amour du travail et
le goût de l'étude. Son élévation était due beaucoup plus à son
mérite personnel qu'à la faveur de son frère Nicolas ', évèque
d'Amiens, ou à la bienveillance du cardinal de Lorraine. Très
soucieux des intérêts catholiques, il vit avec peine son diocèse
1. Bossuet, Hist. des variations (liv. V), a (ail un tableau du Béarn à celte époque:
« On méprisait les lois ecclésiastiques... »
2. Un digne émule de Roussel, dans un autre genre, Louis d'Albret, évoque de
Lescar, ;< après avoir fait paraître aux yeux de son clergé une affreuse licence... con-
courut à la destruction du culte catholique et finit par se marier, exemple qui fut
imité par des prêtres et des moines de son diocèse » (De Meaux, Les Luttes religieuses
en France, p. 119, note). — « Beaucoup de prêtres en Béarn savaient à peine lire »,
dit l'abbé Poyedavant {Histoire des troubles survenus en Béarn, cité par le Ve tic
Meaux, ibid.).
3. Le roi d'Espagne, Ferdinand le Catholique, s'autorisant d'une bulle de Jules II,
avait dépouillé Jeanne d'Albnt de la Navarre. Cf. Mémoires de Caste: nau, I. III,
e. vin (Ed. Michand, p. 450-451). Poyedavant, op. ci/., t. I, p. 8».
4. On avait fait croire à Antoine de Bourbon que s'il revenait au catholicisme, il
pourrait recouvrer la Navarre ou avoir le royaume de Sardaigne (Métn. de Castelnau.
ibid.). Cf. Ue Meaux, op. cit., p. 120.
5. Nicolas de Pellevé fut élevé aux plus hautes dignités de l'Église et de l'État.
Il devint successivement nonce en Ecosse, garde des sceaux, président du conseil
royal pendant l'absence de Charles IX, collègue du cardinal de Lorraine au concile
de Trente, archevêque de Sens, cardinal piètre, ambassadeur a Rome et archevêque
de Reims.
■21-2 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
dévasté par les hypocrites manœuvres des réformés. Pamiers,
capitale du comté de Foix, en avait particulièrement souffert;
car Jean de Barban^on, l'évêque précédent, qui à ce titre par-
tageait la suzeraineté de la ville avec Jeanne d'Albret, loin de
s'opposer à la marche du fléau, l'avait à ce point favorisé qu'il
fut dénoncé à Rome comme suspect d'hérésie. Remédier à un
mal déjà profond était une lourde tâche pour le nouveau pas-
teur. Il pensa qu'un des moyens les plus efficaces était l'instruc-
tion de la jeunesse, et encouragé par quelques magistrats restés
catholiques, il résolut de fonder un collège de la Compagnie de
Jésus.
Le 8 février 1557. il fit demander à la ville de vouloir bien
contribuer aux dépenses du futur établissement; mais le conseil,
composé en partie de protestants, refusa d'abord de se prêter à
l'admission des Jésuites dans la cité « parce que, dit-il, elle a
prou de moines et de nonnains, et qu'elle est remplie de telle
sorle de gens oiseux qui seroient un jour pour se rendre maîtres
des habitans, si on permettoit cette fourmilière importune et fas-
cheuse ' ». Le chapitre, pins favorable, consentit à donner cent
livres de rente aux régents proposés par l'évêque2. Celui-ci,
d'ailleurs, persévérant à lutter pour le salut de son troupeau,
poursuivit ses démarches et, le 31 janvier 1558, il obtint des
lettres patentes du cardinal Trivulce, légat du Pape3. Au mois
de juin suivant, le roi Henri II lui en accorda d'autres, lui per-
mettant « de faire construire et réédifier un collège dans la dicte
ville »; et l'on voit, par les termes de ces lettres royaux, que l'é-
vêque avait du moins obtenu des consuls une rente de 300 livres
pour l'entretien de régents quelconques, ce qui avec sa propre
contribution , celle du chapitre et « encores autres cent livres
que le dict évèque auroit promis faire fournir » par le roi et la
reine de Navarre, portait à six cents livres le revenu total an-
nuel '.
Le P. Broet, pendant son séjour à Rome, avait adopté en prin-
cipe, d'accord avec le P. Lainez, la proposition faite par Mgr de
Pellevé, sauf à s'entendre après son retour sur les conditions qu'il
ne connaissait pas encore. A son arrivée à Paris, maître iNicolas
Bellefille lui en apprit quelque chose : « L'évêque, les chanoines
1. Délibérations niss. citées par Laliondés, Annales de Pamiers, t. I. p. c.
•>.. Délibérations capitu1. du 11 juin 1557 (Archives de l'Ariège, G, 83, fol. 220
:ï. Copie collationnée [Archiv. corn, de Pamiers, 3, n" 1).
4. Archiv. de l'Ariège, H, Jésuites.
ESSAI DE FONDATION D'UN COLLEGE A PAMIERS. 273
et la ville donnaient, du consentement du roi, six cents francs
de rente perpétuelle; remplacement du collège était très bien
situé et l'église fort belle1. » Quand le P. Provincial, quelque
temps après, eut les pièces officielles contenant les conditions
stipulées entre l'évoque, le chapitre et les magistrats de Pamiers.
il fut tout surpris de voir que ni le contrat ni les lettres du roi
ne parlaient d'un collège de la Compagnie de Jésus, mais seule-
ment d'un personnel indéterminé de dix au douze membres au
maximum, et parmi eux « quatre régents de sçavoir, expérience
et bonne doctrine... » dont quelques-uns enseigneraient le droit
canon et le droit civil2. Le P. Cogordan se rendit en toute h;ïtc
auprès de Mgpde Pellevé, qui demeurait alors à quatorze lieues de
Paris. Rien ne fut plus aisé que de s'entendre : « Monseigneur
dit qu'il avait bien l'intention d'établir à Pamiers un collège de
la Compagnie, conformément à son Institut; qu'on y enseigne-
rait les lettres humaines, le grec et l'hébreu, la philosophie et la
théologie, et qu'on y mettrait autant de Pères qu'il en faudrait;
que s'il n'avait pas fait mention de la Compagnie de Jésus, c'était
pour ménager certaines susceptibilités, mais qu'après l'arrivée
des Pères tout s'arrangerait3. »
Malgré ces bonnes paroles, il restait bien quelques doutes sur
l'exécution du contrat. Toutefois l'établissement d'un collège à
Pamiers paraissait si utile et si avantageux, que le P. Provincial
n'hésita pas à demander au P. Général l'envoi de quelques pro-
fesseurs, pour ouvrir immédiatement les classes''. De son côté,
Robert de Pellevé avait soin de préparer les voies à ses proté-
gés. Au mois d'avril 1559, M. Cardellac, son vicaire général, se
présenta aux consuls, et de sa part leur proposa les Jésuites
« pour régenter le collège ». Cette proposition fut discutée dans
un « conseil tenu le septiesme » du même mois, et acceptée
assez favorablement, si l'on en juge par la conclusion suivante :
« Quant aux régents Jézoïstes... qu'ils seront reçeus à tel pacte
que soyent de qualité requise, soufizans et capables... et que
soyent Françoys pour le regard de la langue du pays;... pour le
regard des lieux, la ville ne peut présentement autrement cons-
truire ledit collège5. » Il est probable que le P. Broet fut mis
1. Leltre du P. Broet au P. Lainez, 5 nov. 1558 (Epist. P. Broeti, p. 125, 126).
2. Lettres patentes de Henri II (Archiv. de l'Ariège, II. Jésuites).
3. Lettre du P. Cogordan au P. Lainez, 20 déc. 1558 (Francia, Hislor. Prov., t. I
n" '21).
4. Lettre du 22 janvier 1559 (Epist. /'. Broeti, p. 128).
■ >. Arch. corn, de Pamiers, D, 105. Les délibérations de 1558 manquent, ce qui nous
a empêché de suivie les démarches de l'évêque de 1557 a 1559.
compagnie de jésls. — t. i. 18
274 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
au courant de ces bonnes dispositions, car, dans une lettre du
1" mai, il insista auprès du P. Lainez sur la nécessité de ré-
pondre le plus tôt possible à l'attente de l'évoque et aux désirs
des catholiques de la ville. Profitant d'une occasion, il envoya
même à Rome une somme « de cinquante écus d'or » pour le
voyage des régents, et indiqua ceux qui lui semblaient le mieux
convenir dans les circonstances présentes : « Il importe beau-
coup, disait-il, de jeter de solides fondements; c'est pourquoi il
nous semble, sauf meilleur avis de Votre Révérence, qu'elle ferait
très bien de désigner avec le P. Guy Roillet, maitre Émond Auger,
et trois ou quatre autres Pères de même mérite, qui lui paraî-
tront mieux s'adapter aux mœurs du pays et aux difficultés de la
situation1. »
3. Le 11 mai 1559, le P. Général fit savoir au Provincial de
France qu'il acceptait le collège de Pamiers dans les conditions
proposées, puis il décida d'envoyer d'Italie, pour travailler à ses
débuts, les PP. Jean Pelletier, Émond Auger, Jean Roger et Pierre
Ba^ault. Les deux premiers, par le rôle qu'ils ont joué, méritent
plus qu'une simple mention.
Le P. Jean Pelletier, ancien étudiant du collège des Lombards,
avait été chargé, à la maison professe, de la formation des jeunes
religieux destinés à devenir les solides assises du collège romain.
Il les accompagna, comme supérieur, lorsque cet établissement
ouvrit ses premières classes au pied du Capitol e. Telle fut la
perfection de son gouvernement que le P. Ignace l'avait nommé
le saint recteur. Il alla ensuite fonder le collège de Ferrare ,
qui devint pour la foi un boulevard inexpugnable contre les
assauts du calvinisme, favorisé par la duchesse Renée de France.
Il contribua puissamment à ramener celle-ci au catholicisme2, et
si la conversion ne fut pas durable, la duchesse du moins ne
donna plus de scandale et garda désormais pour elle ses opinions
hérétiques3. Avant de revenir en France sa patrie, Jean Pelletier
avait subi à Rome les épreuves du doctorat et acquis ainsi un
titre de plus à l'honneur de fonder le collège de Pamiers.
Le P. Émond x\uger, à cette époque, ne jouissait pas encore
de la réputation d'orateur sacré qui l'a fait surnommer plus tard
1. Lettre du 29 avril 1559 (Ëpist. P. Broeli, p. 135). Lettre du P. Cogordan au
P. Lainez, 1" mai 1559 (Gall. Epist., t. I, fol. 68).
2. Lettres du P. Pelletier à saint Ignace, (artas de S. Ignacio, t. IV, app. , p. 523.
3. Epist. mixt.t t. IV (p. 119, 169, 337, 350 et passim).
ESSAI DE FONDATION DUN COLLÈGE A PAMIERS. -27:;
par l'historien Mathieu « le Chrysostome Français » ; mais, on
pouvait déjà prévoir qu'il deviendrait un jour l'un des plus
fermes défenseurs de l'Église. Le rôle important qu'il jouera
bientôt, et son influence sur les progrès de la Compagnie de
Jésus en France nous obligent à esquisser ici rapidement les pre-
mières années de sa vie.
Émond Auger naquit, en 1530 ^ au petit bourg d'Alleman
« assez près de Sézanne, ville de l'évesché de Troyes, en Cham-
pagne2 ». D'après le P. Nicolas Bailly, son premier historien, né
lui-même à Sézanne à la fin du xvic siècle, sa jeunesse n'aurait
pas manqué d'aventures. Ses parents « plus recommandables pour-
leurs vertus charitables... que pour leurs biens de fortune, encore
qu'ils en eussent raisonnablement3 », le confièrent, à l'âge de
sept ou huit ans, à « un sien oncle, curé d'une paroisse voisine ».
Ce devait être un prêtre assez instruit puisque, à son école, l'en-
fant apprit « les lettres humaines où il s'avança si notablement
en peu de temps qu'on le jugea digne de continuer ses études à
l'Université de Paris. Il y alla pour trouver un frère qu'il avoit,
M. Estienne Auger, homme de bon esprit et sçavant en méde-
cine4 ». Mais, première déception, une fois dans la capitale, Émond
apprit qu'Etienne n'était plus là et qu'il s'était établi à Lyon5.
Le jeune voyageur eut le courage de poursuivre sa route à pied,
et « enfin rencontra son frère qui le reçut amiablement6 », lui
donna les moyens de terminer ses études littéraires et, augurant
bien de son avenir, crut avantageux de l'envoyer à Rome auprès
du P. Pierre Le Fèvre avec lequel il s'était lié à l'Université de
Paris. Nouveau voyage à pied, long et fatigant, et à l'arrivée,
1. Calalogus triennalis Aquitaniœ, p. 9.
2. « Vray pourtraicl de la vie du Révérend P. Auger », par le P. Bailly. Manuscrit
inédit de l'auteur, format in-12, sans paginalion (Archiv. prov. de France). Le P. Bailly,
né à Sézanne en 1587 et mort en 1657, semble bien placé pour nous fournir des ren-
seignements précis. 11 fit paraître, en 1642, une Vie du P. Auger en la tin. 11 écrivit
aussi celte vie française dont nous avons le manuscrit original entre les mains. —
Nous devrons également avoir recours à la Vie du P. Auger par le P. Dorigny (1716).
Ce dernier nous avertit dans sa préface qu'il a puisé dans l'ouvrage du P. Bailly,
dans quelques papiers et lettres du P. Auger et dans les notes personnelles d'un con-
temporain de celui-ci, le chanoine Rousset (ou Roussel). Il a eu de même recours aux
premiers historiens de la Compagnie. Pas toujours exact, il demande à être contrôle.
3. Ceci est conforme à ce que le P. Auger rapporte lui-même dans les répjnses qu'il
lit au P. Nadal en 1562 : « Fortuné eranl illi [parentes] satis ampla. » Examen P. Au-
ger ii dans Ep. Nadal, t. I, p. 740, 741, note.
4. Bailly, 1. I, en. i. — Le P. Auger eut deux frères : « Fratres habeo duos; alterum
satis divitem... alterum ego de Socielate esse pulo, » (Examen déjà cité).
5. Comme médecin, dit le P. Bailly; comme professeur de grec et latin, dil le P. Jou-
vancy [Hist. Soc. Jesu, P. V, I. XXIV, p. 769). Jouvancy et Dorigny ont donné sur la
jeunesse d'Auger les mêmes détails que BaiDv, mais avec des variantes.
6. Bailly, /. c.
■270 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
nouvelle déception : le P. Le Fèvre était mort depuis trois ou
quatre ans1. « Ce qui fut cause qu'après avoir souffert quelques
incommodités, esloigné de ses parents en un pays estranger, sans
recours que celuy de son industrie, il se reconnut obligé de
chercher condition2. » 11 eut l'idée de s'installer, comme copiste
ou écrivain public, au Campo di Fiori. Il y fit la rencontre d'un
Jésuite, français d'origine, le P. Ponce Cogordan, alors procu-
reur à la maison professe de Rome, lui raconta son aventure et
le supplia d'avoir pitié d'un compatriote dans la misère. Le P. Co-
gordan fut touché de son état et aussi de sa physiondmie ave-
nante, l'emmena avec lui et l'employa comme domestique à la
cuisine de la communauté. Émond en prit son parti avec sa bonne
humeur habituelle. Il fut bientôt remarqué des novices, qui, selon
l'usage, venaient à tour de rôle aider le frère cuisinier. Charmés
de son naturel aimable, de l'agrément de ses manières et de ses
entretiens, ils parlèrent de lui. Le P. Ignace voulut le connaître,
apprécia tout de suite les talents de son esprit et les dons de son
âme, et le retira de son emploi subalterne pour lui faire suivre
les cours de rhétorique, puis de philosophie3. Le jeune homme
s'y distingua par de brillants succès; en même temps, les exem-
ples qu'il avait journellement sous les yeux l'attirèrent à la Com-
pagnie de Jésus; en 15504, il demanda et obtint son admission
au noviciat où il se forma à la vie religieuse sous les yeux et par
les soins du saint fondateur. En 1551 il prononça ses premiers
vœux', puis il occupa une chaire de poésie latine au collège ro-
main0. L'année suivante (1552), il prit part à la fondation du col-
lège de Pérouse7 où il resta quatre ans8. C'est là qu'il se révéla
prédicateur. Malgré « une faible santé et les nombreuses occupa-
tions » que lui donnait l'enseignement de la première classe, il
aimait « comme délassement » à prêcher sur une place publique
où il « charmait et édifiait la foule des auditeurs9 ». Après sa
théologie, dans laquelle il montra une extrême facilité, il fut en-
voyé comme professeur de rhétorique au collège de Patloue. Cette
dernière ville le céda à la France, qui va bientôt lui offrir un
vaste champ d'action dans la lutte contre les hérétiques.
1. Il mourut à Rome en 1546 ; l'arrivée d'Augerdut avoir lieu vers 1549 ou 1550.
2. Bailly, op. c<t., 1. I, en. il.
3. Nous résumons ici les PP. Bailly, Jouvancy et Dorigny qui semblent avoir un peu
dramatisé tous ces incidents.
4. Calai, trienn. ]>rov. Arjuitaniœ, p. 9. — h. Ibidem.
6. Bailly, 1. 1, ch. ni. — n. Polanco, Chron. S. J., t. II, p. 432.
8. Voir Epist. mixt., t- II et III, années 1552-1554.
9. Polanco, Chronicon, t. Il, p. 434. Cf. Epist. mixt., t. II, p. 756-757.
ESSAI DE FONDATION D'UN COLLÈGE A PAMIERS. ZTj
4. Les Pères destinés au nouvel établissement de Pamiers ne
purent faire le voyage ensemble. Le I». Pelletier s'y trouvait déjà
au mois de juillet 1559. Le P. Auger y arriva dans les derniers
jours de septembre, et le P. Jean Roger au commencement d'oc-
tobre1. Quant au P. Barrault, il faillit rester en route. De Mar-
seille où il avait abordé, il s'était dirigé vers Carcassonne sans
incident. Là, il avait à peine demandé le chemin de Pamiers qu'on
l'arrêta et qu'on le mit en prison. Surpris, il protesta de ses paci-
fiques desseins. « On lui répliqua qu'il n'y avait à se rendre à
Pamiers, cet asile des faux prophètes, que les luthériens, ou les
calvinistes2 », ou les malfaiteurs. Des gens de cette espèce, « quel-
que temps auparavant, avaient jeté le trouble dans la contrée ».
Huit jours donc, on le tint dans les fers. Heureusement « le bon
Père avait avec lui un sur garant de son innocence : toute une
collection d'images, de chapelets et autres objets de piété dont
les hérétiques n'ont pas accoutumé de se charger en voyage" ».
Ce bagage orthodoxe tranquillisa la gent soupçonneuse de Car-
cassonne, qui enfin lui rendit la liberté.
A l'automne de 1559, la petite communauté se composait de
six personnes. Aux quatre Pères envoyés d'Italie les supérieurs
avaient adjoint un autre professeur, « maitre Jean Arnauld, de
Paris4 », et un frère du nom de Vincent5. C'était, hélas! beaucoup
trop pour les circonstances. Ils étaient venus avec la pensée qu'on
allait leur remettre bientôt les bâtiments du collège et la direc-
tion de ses quatre classes. Il n'en fut rien. Mgr de Pellevé et le
P. Provincial avaient compté sans les menées des partisans de
Jeanne d'Albret. Les belles promesses du mois d'avril étaient loin
déjà, et quand le P. Pelletier vint offrir ses services il se heurta à
un mauvais vouloir évident. Le conseil de ville épuisa toutes les
voies d'opposition et tous les prétextes de retard. Dès la Pente-
1. Jean Roger, né à Paris, élait maître es arts, docteur en théologie et bénéficier de la
Sainte-Chapelle lorsqu'il entra dans la Compagnie de Jésus. Il fit partie de cette élite
de professeurs que saint Ignace envoya, en 1549, sous la conduite du P. Paul d'Achilli\
inaugurer les études du collège de Palerme. Il y enseigna les humanités jusqu'en 1553.
Il se trouvait depuis quatre ans chargé d'un cours de philosophie au collège romain
quand il fut désigné pour Pamiers.
2. Lettre du P. Auger au P. Général, 1" décembre 1560 (Galliae Epist., t. I, f. 149).
Cette lettre du P. Auger dont nous allons largement nous servir est, comme il le dit
lui-même, moins une lettre qu'une histoire des débuts de Pamiers : « historiam potins
quam epistolam scribimus ». Cependant elle a besoin d'être complétée par une aulre
lettre du même, du 28 octobre 1559 (Galliae Epist., t. I, f. G3-G6Ï.
3. lbid. — 4. Lettre du P. Auger, 28 oct.
5. Nous le supposons coadjuleur, parce qu'en le nommant avec Jean Arnauld qu'il
décore du titre de maitre, le P. Auger l'appelle seulement Vineenso; un peu plus
loin il le nomme fratello Yincenzo.
278 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
cùte, il s'était empressé de s'entendre avec d'autres régents et
déclara ensuite que les Pères n'étaient pas venus assez tôt. Il
demanda que les patentes de Henri II fussent confirmées par son
successeur, que les Pères fussent approuvés par le roi et la reine
de Navarre pour l'année à venir, qu'en attendant le vicaire géné-
ral les logeât dans les quatre couvents de la ville. Quelque temps
après, il objecta que les Jésuites ne s'étaient pas présentés « pour
montrer leur sçavoyr », et que la bulle du Pape ne mentionnait
pas les lectures en droit civil et canon autorisées par le placet du
roi. Enfin il décida que l'on ne pouvait exclure les maîtres déjà
engagés, que l'évèque serait prié d'obtenir l'enseignement du
droit et de la médecine et que la ville se réserverait « l'auctorité
de la justice et police, et de pouvoyr changer les régens 1 » .
Ici et là, quelques opinans du conseil exprimèrent naïvement
le vrai motif de leur attitude hostile : « Lesdictz Jézoistes, déclare
un certain Muguet, volent dressar une religion, comme si en
Pamiés y en habia deffalhance. » Et « monsieur Dynes » d'ajou-
ter : « N'y a lieu de recepvoyr lesdicts Jézoistes, à cause sont
prestres religieux;... de tant la ville ne les pouroict muer, ny
pouroict avoyr conoyssance en faict de police et justice2. »
Cette opposition systématique, si elle gêna les Pères, ne les fit
point reculer. Ils étaient venus sur la demande d'un évêque
chargé des intérêts religieux de son peuple et qui partageait avec
Jeanne d'Albret la souveraineté de la ville. On ne devait pas
profiter de son absence pour agir à l'encontre de ses droits et de
ses intentions. Ils restèrent donc. Cependant, personne n'osa leur
olirir un logement. Ils se retirèrent, en attendant le retour de
l'évèque, dans un pauvre réduit « sans porte ni fenêtres3 », et qui
leur rappelait « à leur grande joie » l'étable de Bethléem. Ils
vécurent d'abord du peu « de deniers restants de leur viatique ».
Les chanoines leur firent quelques dons en nature. Ils avaient
aussi, pour les soutenir, « de bons amis parmi les curés dont le
zèle avait gardé un peu de religion à cette [malheureuse) ville4 ».
Toutefois, dit le P. Auger, le principal « remède était la pa-
tience ». Il fallait gagner du temps et surtout se faire apprécier.
Avec la permission des chanoines et des curés, les Jésuites se
mirent à prêcher. Le P. Pelletier, peu après son arrivée, s'était
1. Délibérations du 12 août et 20 oct. 1559 (Archiv. com. de Pamiers, D, 105).
2. Délib. du 12 août (Ibid.).
3. Lettre du P. Auger, 28 oct., déjà citée.
4. Essi sono buoni aniici et quorum opéra religio in bac civilate est conservala »
[Ibid.).
ESSAI DE FONDATION D'UN COLLÈGE A PAMIERS. 279
réservé deux églises de la ville où il parlait chaque dimanche1.
Les autres Pères se partagèrent "les localités avoisinantes. Le
P. Auger alla évangéliser la ville de Foix. Malgré la défection des
classes élevées, le peuple « hésitant » était encore peu éloigné
de l'Église romaine. A Pamiers, raconte le P. Émond, « les prédi-
cations du P. Pelletier furent accueillies avec empressement- ».
Bientôt l'on put constater « des retours à la vérité ou à la pra-
tique de la vie chrétienne ». Encouragés par ces résultats, « les
religieux des autres Ordres se firent plus actifs à combattre l'er-
reur... et déjà l'espérance renaissait de chasser l'hérésie de cette
partie de l'Aquitaine ». Les Jésuites semblaient envoyés de Dieu
à cette fin; les gens de bien en remerciaient la Providence et aussi
leur nouvel évêque3. « L'official écrivit à celui-ci qu'on n'avait
jamais si bien prêché à Pamiers... Nous sommes très aimés du
peuple, dit encore le P. Auger, très demandés par les petites
villes voisines, car nos prédications nous ont fait connaître à
cinquante lieues à la ronde4. »
5. Gomme cette sympathie leur donnait bon espoir, les Pères,
« sur le conseil de leur Provincial », résolurent d'inaugurer leur
enseignement dans un local particulier. A la fin d'octobre 1559,
ils se procurèrent une maison fort modeste d'un loyer de 27 francs,
« un palais5 » relativement à celle qu'ils abandonnaient. Là ils
ouvrirent leurs classes, au début du mois de novembre0. Le
P. Auger, régent de rhétorique, a raconté comment les choses se
passèrent : « Dans une séance publique, dit-il, nous avons expli-
qué nos méthodes et notre programme, puis proposé des thèses
sur des sujets de philosophie, d'éloquence et même de gram-
maire. Chose étonnante, parmi un grand nombre de lettrés qui
étaient présents, personne n'osa argumenter contre nous. Afin
que l'auditoire ne se fût pas réuni pour si peu, un de nos Pères7
a prononcé un discours latin qui ne manquait ni d'érudition ni
d'élégance. Le lendemain, maitre Roger ouvrit son cours de
1. Lettre du P. Auger, 28 oct. 1559.
2. Lettre du P. Auger au P. Lainez, 1 déc. 1560. — 3. Ibid.
't. Lettre du 28 oct, 1559.
5. Jbid. « Habiamo trovalo una casa vel quasi Palazzo per 27 franchi l'anno. »
G. C'est bien novembre 1559, car le P. Auger dans sa lettre du 1 "' décembre 1660,
après avoir parlé de l'inauguration des classes en novembre, parle de ce qui s'est
passé dans la suite de celte année scolaire et fait allusion au carnaval; sa lettre
embrasse donc la période comprise entre novembre 1559 et décembre 1560.
7. D'après les biographes d'Auger ce serait lui-même; cet honneur lui revenait
comme professeur de rhétorique.
280 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
dialectique par une harangue du meilleur goût... Nos classes
sont relativement assez fréquentées, si l'on songe à la concur-
rence du collège municipal, laquelle divise comme en deux camps
les écoliers. Mais un bon nombre viennent là où ils trouvent,
avec la gratuité, un plus grand avantage pour leurs études, sans
se laisser détourner par quoi que ce soit, pas même par l'incom-
modité du local... Au bout de quelques semaines, nos élèves repré-
sentèrent une églogue, composée avec tant d'art que les assistants
affirmèrent n'avoir jamais rien vu de pareil1. » Ce petit événe-
ment, ajoute l'annaliste, « a donné du cœur à nos amis et du
prestige à notre enseignement... Aux fêtes du carnaval on joua un
dialogue. La composition passable de la pièce, la mise en scène,
les décors charmèrent les spectateurs ; succès qui confirma l'espoir
des gens de bien et découragea les adversaires2 ».
Vers la fin de cette première année scolaire, et probablement
quand Mgr de Pellevé fut de retour3, les Pères transportèrent
leurs classes à l'évôché, et à cette occasion firent donner par leurs
élèves une déclamation en grec et en latin. Mais, remarque notre
annaliste, l'instruction littéraire n'était pas tout pour ces enfants :
« Nous avons d'autant plus travaillé à leur instruction religieuse
qu'ils en avaient un besoin pressant; au début, la plupart nous
arrivaient en classe avec les psaumes de Marot ou un catéchisme
de Calvin; ils ne savaient rien que quelques vers français capa-
bles de les corrompre; nous leur avons versé l'antidote de la doc-
trine chrétienne qu'ils ont reçu avidement et de bon cœur '. »
Ces premiers résultats récompensaient un peu la patience des
nouveaux maîtres. Le P. Jean Roger enseignait la philosophie,
le P. Émond Auger la rhétorique; il y avait en outre deux
classes de grammaire. Mais l'avenir restait inquiétant : on était
sans maison, sans rentes, et la municipalité n'avait pas encore
cédé son collège aux Jésuites.
1. Lettre du P. Auger, 1er déc. 15(50.
2. Ibid. Ces spectacles improvisés étaient peut-être médiocres, mais, dit le
P. Auger, pour le pays c'était une nouveauté merveilleuse : « Hœc nara spectacula
miraculi instar sunt in bac Pyrene extrema. » •
3. Aucun document ne signale le retour de l'évéque. mais, dans sa lettre du 28 oct.
155'J, le P. Auger y fait allusion comme à une chos? possible à la Pentecôte suivante.
4. Lettre du 1er déc. 1560. N'est-ce pas à celte occasion que le P. Auger composa
son petit catéebisme, clair et substantiel, qui eut plusieurs éditions en français et en
latin? D'après Sommervogel la première édition en français serait de Lyon, 15G3,
sous ce titre : Catéchisme et sommaire de la religion c/trestienne avec vn formu-
laire de diverses prières catholiques et plusieurs adverliasemens pour ton 1rs
manières de gens (Sommervogel, I, G33). Dans la seule ville de Lyon, on en écoula
38.000 exemplaires en liuii ans (Solwcl, Biblioth. script. S. /.)•
ESSAI DE FONDATION D'UN COLLÈGE \ PAMIERS. 281
Cependant Robert de Pellevé ne négligeait rien pour soutenir
ses droits. Les conseillers de ville avaient réclamé de nouvelles
patentes du roi de France. L'évoque leur donna satisfaction.
François II, par lettres du 21 lévrier 1560, permit « de faire cons-
truire et édifier dans ladicte ville de Pamyers ung collège de la
Société du nom de Jésus, tant pour le bien et augmentation de
ladicte ville que pour oster occasion aux jeunes hommes desuyvre
oysiveté et choses mondaines, ains employer leur temps en
bonnes œuvres et exercices de lettres, affin que le succès de leur
labeur rapportast, à eulx et aux républiques, utilité et prouf-
fict ». De plus, le roi autorisait les maîtres et élèves du nouveau
collège à faire usage « de toutes et telles facultés, privilèges,
franchises, libertés et exemptions que les docteurs, régens et
escolliers estudians es aultres collèges de ladicte Société... ont
accoustumé joyr et user1 ». Muni de cet acte en bonne forme,
l'évêque de Pamiers comptait triompher bientôt des opposants.
Son espoir fut déçu. Il recourut alors aux voies de la justice et
un procès fut engagé 2.
Ni les Jésuites ni leur Général n'étaient pour ces procédés con-
tentieux, légitimes sans doute, mais étrangers à l'esprit d'hom-
mes apostoliques qui viennent, avant tout, annoncer l'évangile
de paix. Le P. Lainez songea sérieusement à retirer les siens
plutôt que de seulement paraître les imposer. Il écrivait le 29 avril
(1560) au P. Pelletier : « Nous compatissons du fond de notre
cœur à tout ce que vous supportez si généreusement pour le
service de Dieu. Toutefois, les choses restant dans cet état, je me
demande si vos efforts ne seraient pas mieux employés ailleurs3, »
En effet, l'entreprise avait été mal amorcée; tous les Pères le
constataient '% et le P. Général ne le cacha pas à l'évêque dans
une lettre qu'il lui écrivit quelques semaines plus tard, le
20 mai : « Dans votre zèle à poursuivre l'affaire de Pamiers, lui
dit-il, nous reconnaissons bien les bonnes dispositions de Votre
Grandeur à l'égard de la Compagnie; mais l'expérience nous a
1. Exlraict des édits et ordonnances royaux registres en la cour de parlement de
Tolose, publié par le P. Prat, Mémoires sur le P. Broet, app., n. xiu.
2. Les registres des délibérations pour l'année 15(10 manquent aux archives de Pa-
miers. et sur cette époque les documents conservés dans la Compagnie sont très in-
complets; nous ignorons donc la procédure suivie par l'évêque. Mais qu'il y ait eu
procès, la chose ne fait aucun doute. Hubert de Pellevé en parle dans une lettre au
P. Pelletier, du G ucl. 1500, et il y est fait allusion dans les délibérations de ville de
1561.
:i. Oall., Epist. General., t. 1559-15(11.
î. Par exemple, le P. Auger. dans sa lettre du 28 ocl. 1559 : « La cosa e slata mal
menala. »
282 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
appris qu'avant d'envoyer des professeurs il aurait fallu leur
assurer un logement et tout ce que réclament les usages et les
fonctions de notre institut. C'est la marche que nous suivons
d'ordinaire. Nous avons fait exception pour Pamiers, par com-
plaisance pour Votre Grandeur, qui pressait l'envoi des régents.
Et maintenant les lettres des nôtres nous apprennent dans quelles
difficultés ils se trouvent, privés de maison, de revenus et de
l'autorisation officielle d'avoir des classes. Il nous a donc semblé
opportun, si dans deux mois tous les obstacles ne sont pas levés,
de faire passer les Pères dans un autre pays... Pendant ce temps-
là Votre Grandeur pourra mener à bien tous les débats du pro-
cès, trouver une maison, aménager, des classes; après quoi, très
volontiers nous vous rendrons ces mêmes Pères, ou d'autres, qui
travailleront selon votre désir à cultiver cette vigne du Sei-
gneur1. »
Deux mois se passèrent sans résultat. Les Pères restèrent cepen-
dant, peut-être parce qu'on pouvait toujours espérer une
prompte solution, sans doute aussi par déférence pour l'évêque
qui tenait beaucoup à les garder : « Je crois, écrivait-il au P. Pel-
letier, sous la date du 6 octobre 1560, que la révocation ou
absence de vous autres donneroit plus tost couleur au procez
qu'il ne l'advanceroit, et qu'avant que vous puissiez retourner
au lieu où vous écrivez 2, ce procez seroit fini. J'en ai commu-
nicqué avec monsieur d'Amiens, mon frère, qui est bien de cest
advis que demeuriez... Et quand il y auroit département, ce qui
ne se fera de ma volonté ni consentement, je vous réserveray
toujours et vostre Compagnie en lieu dont votre Supérieur et
vous autres aurez occasion de vous contenter :!. »
6. D'ailleurs les Pères avaient encore une autre bonne raison
de rester : leurs ministères spirituels étaient fructueux et leur
attiraient de plus en plus la sympathie des habitants.
Pendant le carême de 1560, le P. Auger retourna à Foix, et le
P. Pelletier poursuivit à la cathédrale de Pamiers, comme il l'a-
vait fait pendant Pavent de l'année précédente, l'exposition des
principaux dogmes de l'Église. A la suite d'un de ses sermons sur
la dévotion à l'auguste Mère de Dieu et aux Saints, les hérétiques
1. Lellre de Lainez à l'évêque de Pamiers, 20 mai 1560 (Gall., Èpist. Gen., 1. 1559-
15GI).
2. Le P. Pelletier était à Toulouse et devait y retournée pour prêcher le carême de
1561.
3. Epistolae Episcoporum, apographe.
ESSAI DE FONDATION D'UN COLLÈGE A PAMIERS. 2*:<
furieux s'emparèrent d'une statue de la sainte Vierge, objet de
la vénération publique, et la suspendirent, la corde au cou, sur
la place du marché. En réparation de cette profanation sacrilège,
une procession fut organisée et la statue de Marie rétablie solen-
nellement. Alors les huguenots, surexcités par cette manifestation
populaire, envahirent une église et emportèrent les vases sacrés
avec les saintes hosties qu'ils brûlèrent ou jetèrent à la voirie.
Ce fut l'occasion d'une nouvelle cérémonie expiatoire, encore
plus touchante que la première. Ce zèle et ces démonstrations
amenèrent au tribunal de la pénitence « un plus grand nombre
de pécheurs qu'on n'aurait pu l'espérer ». Et le jour du vendredi
saiut « quand, suivant l'usage d'alors, le prédicateur dans un
mouvement pathétique montrait le crucifix pour remuer les âmes,
tout l'auditoire répondit par une immense acclamation, deman-
dant avec larmes le pardon de ses péchés » .
A Foix, les sermons du P. Auger « attirèrent une affluence
qu'on n'avait encore point vue en ce lieu ». Le prédicateur enten-
dit « de nombreuses confessions, supprima et brûla beaucoup de
livres hérétiques, réforma les mœurs, ranima la ferveur »; lui
aussi, au sermon du vendredi saint, arracha à ses auditeurs vive-
ment émus un acte public de renoncement au calvinisme et à
toutes les erreurs. A son départ, les habitants ne savaient com-
ment le remercier; on lui apportait « des vêtements, du linge,
de l'argent », on lui proposait « un local pour l'établissement
d'un collège 1 ».
En 1561,1e P. Émond fut chargé de prêcher le carême dans
une des églises de Pamiers. Quand ils surent la chose, les par-
tisans de l'hérésie, redoutant les effets de sa parole éloquente et
populaire, répandirent le bruit qu'il était atteint de folie et que
ses frères s'efforçaient de cacher son état. Le Père n'eut qu'à pa-
raître en chaire pour arrêter cette calomnie2. Il montra tant de
force et de conviction dans ses discours, il fît tant de conquêtes
dans les rangs des réformés3, que la fureur des ennemis de la
religion ne connut plus de bornes. Des placards impies furent af-
fichés dans la ville, remplis d'insultes pour le pape, la messe et
le culte des saintes images. On répandit d'injurieux libelles
contre celui qu'on regardait comme le plus ardent défenseur de
1. Lettre du P. Auger, 1" déc. 15f>0.
'2. Bailly, Vray pourtraict. I, ch. v. Cf. Sacchini, Ilist. Suc, P. Il, 1. V, n. JW.
3. Le P. Polanco dans une lettre au P. Nadal (3 juin 1561) compte jusqu'à mille
le nombre des conversions (Epist. P. Aadal, t. I, p. 482).
284 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
l'Église romaine. On passa bientôt des injures aux menaces, et des
menaces aux actes de violence1. Ce n'était toutefois que le pré-
lude des excès sacrilèges qui devaient, peu après, provoquer dans
la ville la suppression du culte catholique. Mais le P. Auger ne fut
pas témoin de cette désolation. Sur l'ordre du P. Général, il
quitta Pamiers, huit jours après Pâques, pour se rendre à l'Uni-
versité de Tournon2.
7. Cette même année (1561), le P. Pelletier avait été appelé à
Toulouse au moment du carême. L'état de la religion dans cette
ville inspirait les plus vives inquiétudes, à cause de l'audace tou-
jours croissante des calvinistes. Afin d'opposer une digue au flot
montant de l'erreur, le clergé avait résolu d'ouvrir une mission
dans les quatre principales églises : Saint-Etienne, Saint-Sernin,
la Dalbade et la Daurade. Ce ministère fut confié à des religieux
de divers Ordres parmi lesquels se trouva le recteur du collège
de Pamiers'. Le bien opéré par ces hommes de Dieu irrita les
huguenots, qui essayèrent d'en détruire l'effet par des procédés
scandaleux. Le dimanche au soir, un grand nombre d'étudiants
assistèrent à un prêche tenu dans une rue, près de l'école de
droit; le lendemain ils parcoururent en armes toute la ville,
chantant à plein gosier les psaumes de Marot. De telles manifes-
tations n'ayant fait qu'exciter le zèle des prédicateurs, on eut
alors recours à une odieuse machination. On les dénonça comme
ayant parlé contre la reine-mère et le roi de Navarre. Le P. Pel-
letier se vit contraint de quitter subitement Toulouse. De retour
à Pamiers, il y reprit ses prédications habituelles qu'il continua
jusqu'à l'Ascension. Alors, épuisé par ce surcroit de travail, il
tomba malade. Le lendemain de la fête, 10 mai, on vint de
Toulouse s'emparer de sa personne. Sur l'ordre du licencié Bon-
niol, envoyé tout exprès, on le tira violemment de son lit malgré
une fièvre ardente, et comme on craignait les réclamations de
l'évêque, dont on annonçait la prochaine venue, on le conduisit
de suite à Siverdun, puis à Auterive, enfin à Verdun-sur-Garonne
où il fut jeté en prison '. Delà on le transporta à la conciergerie du
Parlement à Toulouse, où se trouvaient déjà les autres prédica-
1. De Lahondès, Annales de Pamiers, t. II, p. 9, 10. — Sacchini, /. c.
2. Lettre du P. Pelletier au P. Général, 4 août 1561 (Gall. Bpist., t. I, f. 202,
203).
3. Lettres du P. Auger et du P. Roger au P. Général, 7 mai et 8 juin 1561 (Galliae
Episl., t. 1, p. 283, 294).
4. Lettre du P. Roger au P. Général, 8 juin 1561. Lettre du P. du Pont au même,
18 juin (Galliae Epist., t. I, fol. 285, 294). Cf. Episl. 1'. Nadal, t. I, p. 520.
ESSAI DE FONDATION D'UN COLLÈGE A PAMIERS. 2s:i
leurs accuses comme lui du crime de lèsc-ma;esté. Naturellement
on ne se pressa point d'instruire une si mauvaise cause : « Nous
n'avons pas encore été interrogés, écrivait le 18 juin le prison-
nier au P. Général; d'ailleurs, je me réjouis de ce qui est arrivé
parce que Notre-Seigncur, je l'espère, en sera plus honoré, la
Compagnie mieux connue, et les hérétiques plus humiliés... Je
me porte bien, grAce à Dieu; je surabonde d'allégresse dans les
tribulations que je supporte pour l'amour de Jésus-Christ. Depuis
que je suis ici, nos amis ne cessent de venir, du matin au
soir, nous visiter et nous consoler. Louange et gloire à Dieu
qui ne permet pas que nous soyons éprouvés au-dessus de nos
forces l ! »
Peu après que le P. Pelletier eut été si odieusement arraché
de Pamiers, Vévêque, Robert de Pellevé, y revint et s'empressa
de faire d'activés démarches pour sa délivrance auprès du Par-
lement de Toulouse2. Dans cette ville, la perfide calomnie in-
ventée par la haine des sectaires avait soulevé d'indignation les
catholiques. Luc Urdez, avocat au Parlement, et Jacques de Sus,
ex-capitoul, furent députés à la cour et chargés d'y soutenir la
cause des accusés. Le conseil du roi renvoya le jugement sur le
fond de l' allai re aux commissaires nommés pour en connaître.
C'étaient les présidents Daffîs et Dufour. Ils ne purent relever
dans les prédications des religieux aucune parole contre la reine -
mère ou le roi de Navarre, et, après avoir triomphé, non sans
peine, des oppositions suscitées par les capitouls Marnac et Du-
nos, ils déclarèrent les prisonniers innocents et leur rendirent la
liberté3.
8. Le Père Pelletier vint reprendre son poste de combat à Pa-
miers. Longtemps, avec ses collaborateurs, il opposa un zèle
patient aux injustices et aux violences des partisans de Jeanne
d'Albret. Parla faute de ceux-ci, les affaires du collège en étaient
toujours au même point. Au mois de juillet 1561, l'évèque avait
prié les consuls de lui « exhiber » les comptes rendus des « con-
seils tenus pour le faict des Jézoites1 ». Les magistrats refusèrent
1. Galliae Epist., t. 1, fol. 258.
2. Lettre du P. Roger au P. Général, 8 juin 1561 (Gall. Epist., t. 1, f. 294-295).
3. Doni Vaistlte, ïlist. générale fin Languedoc, t. V, p. 201. — Du Mè«e. Hist.
deslnstit. de Toulouse, t. II, p. 2S>. — Le P. Jacques Ximenez, sans donner aucun
détail sur la délivrance du P. Pellelier, dit seulement qu'elle fut obtenue par « bene-
ficio y endustria de la buena et devota gente de Tolloza » (Epist. P. Nadal, t. I
p. 73G).
i. Délib. du 3 juillet 1561 (Archiv. coin, de Pamiers, D, 106).
286 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
« à cause du procez qui est pour ce faict, car nul n'est tenu
porter armes contre soy1 ». Un peu plus tard, M(fr de Pellevé
présenta une requête signée de cent vingt habitants qui récla-
maient l'installation des Pères au collège . L'assemblée de ville,
composée ce jour-là de cent dix membres, rejeta cette pétition à
l'unanimité moins une voix, celle d'un certain Bonnelle dont le
vote n'est pas très clair. On prétendit que le sieur Lagreulet, par-
tisan de l'évêque, avait obtenu les signatures par surprise, en
disant aux intéressés que la requête « ne tendoit autre fin sinon
que le Jhuiste avoit bien prêché2... »
Ce mauvais vouloir s'explique d'autant mieux que la réforme
gagnait chaque jour du terrain. A partir du mois de septembre
(15*il) il est fait allusion plusieurs fois, dans les délibérations du
conseil, des troubles occasionnés à Pamiers « pour le faict de la
religion ». Dans cette ville comme ailleurs, Védit de juillet,
donnant l'amnistie aux réformés mais leur interdisant toute as-
semblée religieuse publique, n'avait contenté personne et n'était
pas plus facile à faire exécuter que les précédents. Un conseiller,
Frayssi, osa se plaindre que les prêtres et les religieux défen-
dissent leurs églises et leurs monastères à main armée, et de ce
chef leur imputa la cause des séditions. Ordre fut donné aux ca-
tholiques de laisser leurs églises ouvertes aux deux cultes. Au
mois d'octobre, « le peuple se souleva contre les Jacobins qui
avaient voulu interdire au viguier l'entrée de leur couvent3 ».
En décembre, on brisa les portes de plusieurs sanctuaires et on
enleva les battants des cloches4. Une délibération, du 15 du même
mois, nous apprend « que les Jésoystes ont présenté requeste
contenant que Paul Faure, ce jourd'huy, leur a commandé de
par l'évangile et la congrégation des fidèles de vuyder le lougis
où demeurent... par tout demain, et demandent secors"1 ». Le
secours, voté par le conseil de ville, fut ce qu'on pouvait at-
tendre : « Des Jhuistes, [il fut conclu] que seront ouys et feront
enquérir, ou se retireront au Parlement où le procès est pen-
dant". »
Les Pères se retirèrent prudemment à Toulouse et y reçu-
rent des Bénédictins de la Daurade une fraternelle hospitalité.
1. Délib. du 3 juillet 1561 (Arch. com. de Pamiers, D. 106).
2. Délib. du 22 juillet (Ibid.).
3. De Lahondès, op. cit., p. 12.
4. Ibid.
5. Délib. du 15 déc. 1561 (Archiv. coin, de Pamiers, D, 106).
6. Ibid.
ESSAI DE FONDATION T)'UN COLLEGE A PAMIERS. 2x7
Bientôt ils apprirent que les calvinistes de Pamiers, assurés de la
connivence des magistrats, avaient profané les églises et expulsé
tous les religieux1. En vain les habitants de cette ville restés
fidèles au catholicisme redemandèrent, en 1564 et en lô(i7, un
collège de la Compagnie. Ce ne sera que bien plus lard, en 1630,
que les Jésuites appelés par l'évoque, Henri de Sponde, revien-
dront à Pamiers.
1. Hislor. collog. ïolosani (Tolos., Fundationes collegiorurn, t. III, n. 2).
CHAPITRE VIII
ÉTABLISSEMENT DES JÉSUITES AU COLLÈGE DE TOURNON.
(1560-1562).
Sommaire : 1. Origines de l'ancien collège. — 2. Le cardinal de Tournon le pro-
pose à la Compagnie. — 3. Acceptation du P. Général. Contrat de cession, 6 jan-
vier 1561. — 4. Ouverture des classes, 25 juin 1561. — 5. Le P. Auger recteur
dé Tournon; son apostolat à Valence. — 6. Mort du cardinal fondateur. —
7. Troubles religieux. Le P. Auger et le baron des Adrets. — 8. Tournon me-
nacé. Exil des Pères.
Sources manuscrites : I. Archives de l'Ardèche, sér. D, Collège de Tournon.
II. Recueils de documents conservés dans la Compagnie de Jésus : a) Décréta et Instruc-
tiones. — b) Epistolae Episcoporum. — c) Gallia, Epistolae Generalium. — d) Galliae
Epistolae. — e) Galliarum monumenta historica. — I) Assistentia Franciae, Historiae
lundationum. — g) Franciae historia. — h) Prov. Tolos., Fundationes collegiorum.
III. Archives Prov. de France : Varia de Societate Jesu.
Sources imprimées : Manare, De rébus de S. J. commentarius. — Ribadeneira, La vie du
R. P. Jacques Lainez. — Synopsis aclorum Sanctae Sedis. — Massip, Le collège de Tour-
non. — Monumenta historica S. J. Chronicon Soc. Jesu. — Epistolae PP. Broeli etc. —
Epistolae mixtae. — Epistolae P. Nadal.
I. Peu de temps après la tentative d'établissement à Pamiers, la
Compagnie de Jésus prit possession du collège de Tournon, dans
le Haut-Vivarais.
Ce collège avait été fondé, en 1536, par le cardinal François de
Tournon, ministre d'État1 du roi François 1er, « homme d'une pru-
dence, dit l'historien de Thou, d'une habileté pour les affaires et
d'un amour pour sa patrie, presque au-dessus de tout ce qu'on
peut penser. » Comme il avait le cœur élevé et qu'il voulait sou-
tenir son rang, il aima toute sa vie les sciences et ceux qui en
faisaient profession. Une tradition respectable rapporte que, dé-
sireux de doter son pays d'une fondation utile et durable, il avait
proposé aux habitants ou de bâtir un pont de pierre, qui reliât
Tain et Tournon, ou bien d'élever un collège. Les maisons d'ins-
truction étaient rares dans les provinces, et on les recherchait
1. « Remarques sur la maison de Tournon » dans le recueil de Rybeyrèle : « Varia de
Societate » (Archiv. Prov. Franc). Les pièces de ce recueil sont presque toutes ori-
ginales. Cf. Sommcrvogel, Bibl. de la Compagnie, t. VII, col. 340, 341.
ÉTABLISSEMENT DES JÉSUITES Al COLLÈGE DE TOI RNON. 289
avec ardeur; le «mseil de ville s'arrêta donc au second projet.
Assise au bord du Rhône, « en air salubre, terroir fertile et tel
qu'on y pouvait trouver abondance de vivres », la place forte de
Tournon, centre de grandes voies de communication, était admi-
rablement située pour procurer facile et sûre existence à une
nombreuse population d'écoliers. A cette époque, malheureuse-
ment, les troupes impériales envahissaient la France. Le cardinal
ayant été nommé lieutenant général du royaume, les construc-
tions furent ajournées. Cependant le collège entra immédiate-
ment en exercice, sous la direction de Me Jean Pélisson, principal,
et deux autres régents. L'instruction y était gratuite; aussi vit-on
accourir une foule d'élèves, qui logeaient chez des habitants re-
commandables de la ville. En 1542, la modeste école avait assez
grandi pour mériter les honneurs et les privilèges d'Université;
mais l'incertitude des temps ne permit pas alors d'exécuter les
dispositions contenues dans les lettres patentes du roi1.
A la mort de François Ier, en 1547, une ordonnance de Henri II
renouvela le conseil royal, et le cardinal fut disgracié. Il n'en
resta pas moins estimé de tous, considéré et respecté même de
ses envieux. Retiré à Tournon en 1548, il y fit commencer les
travaux du collège, puis il se rendit à Rome où il espérait em-
ployer le reste de sa vie au service du Saint-Siège. Malgré ses oc-
cupations importantes, il ne cessa de s'intéresser de loin aux
constructions. Vers la fête de Pâques 1554, la grande cloche des
écoliers annonça à toute la ville l'inauguration du collège cardi-
nal de Tournon. « C'est une belle maison, écrivait plus tard le
P. Viola au P. Lainez, bâtie en pierres de taille, formée de quatre
corps de logis avec cour au milieu. Caves, classes, cuisine, réfec-
toire, chapelle, chambres nombreuses, rien ne manque si ce n'est
un jardin. Entre le fleuve et les bâtiments il n'y a que les murail-
les de la ville ; devant la façade opposée s'étend une grande
place, sur laquelle s'ouvre la porte principale2. » Le cardinal
avait bien fait les choses; il avait élevé, au dire des contempo-
rains, « une ample demeure... une maison de magnifique et
somptueuse structure3 ».
1. Lettre du cardinal de Tournon au Principal, 1" fév. 1545, citée par W'yart : Note
sur le lycée de Tournon, app. I, p. 43. Cet ouvrage n'a par lui-même aucune valeur,
mais nous n'avons nulle raison de douter de l'authenticité du document cité.
2. Lettre du 10 décembre 1560 (Gall. Epist., t. i, f. 1~5).
3. Archiv. de l'Ardèche, sér. I), Collège de Tournon, cité par Massip : Le collège de
tournon, p. 9. L'auteur, archiviste départemental quand il a composé son ouvrage
très documente, a eu à sa disposition toutes les pièces des archives de l'Ardèche et
celles des archives du Lycée de Tournon. Dans ses références il a distingué les deux
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 19
290 HISTOIRE DE LÀ COMPAGNIE DE JÉSUS.
Le 0 novembre 155*2, Henri II, par lettres patentes, avait
déclaré « bonne et valable » pour ses États, la bulle du 13 mai
de la même année par laquelle Jules III avait approuvé l'érection
du collège en Université. Toutefois ce n'était pas une Université
composée de toutes les Facultés, mais une Université de philoso-
phie et des sept arts libéraux. L'enseignement du droit et de la
médecine n'y fut jamais autorisé, et celui de la théologie n'y fut
introduit que plus tard l. « Lettres latines, grecques, hébraïques,
caldes, et l'art de la grammaire, et morale et naturelle philoso-
phie », tel était, d'après les lettres patentes de Henri II, le cadre
des études au collège de Tournon2. Mais « ce simple programme
n'excluait pas le titre d'Université », souvent attribué à une
seule Faculté, particulièrement à celle des arts, la première dans
l'ordre des cours. Ses gradués jouissaient des mêmes privilèges,
libertés, immunités, honneurs et prééminences que les gradués
de l'Université de Paris. Les collateurs de bénéfices n'accordaient
pas plus de déférence aux demandes faites par les grandes Uni-
versités qu'aux lettres signées et scellées « en la noble Université
de Tournon8 ».
2. Très opposé aux protestants, le cardinal était persuadé qu'on
ne pouvait rien changer ou innover en matière de religion sans
troubler la paix de l'État. Il avait donc choisi avec le plus grand
soin les premiers régents et lecteurs de son Université. Mais peu à
peu, par suite des démissions et des décès, d'autres professeurs
furent admis, « méchants, hypocrites, dit Pélisson, que je ne con-
noissois ni n'avois expérimentés4 ». Quant aux pédagogues, répé-
titeurs et maîtres de pension, il en venait de tous côtés chercher
fortune à Tournon, attirés par la réputation du collège. La ville
avait trop d'intérêt à les conserver pour ne pas fermer les yeux
sur leurs menées suspectes. « Moi, raconte Pélisson, voyant que
apertement ils corrompoient et gastoient tout, ne les pouvois en-
durer comme gens pestilencieux ; et tout le monde déjà ensorcelé
tonds. Mais depuis (en 1890) les archives du Lycée ont été réintégrées aux archives dé-
partementales sous celte rubrique générale : série D, collège de Tournon. L'ensemble
n'était pas encore inventorié en 1903, et il est impossible d'en citer les pièces avec plus
de détails. Les seuls titres qu'il y ait sur le dos de quelques liasses sont des litres ins-
crits par les anciens Jésuites : tiroir 1, tiroir '1... etc.
t. Massip, op. cit., p. 17.
2. Archives nat., X, 8,626, fol. 250, 255v et suivants. Ordonnances. — Acla Sanclae
Sedis, p. ôos. — Tolos., Fundat coll., t. IV, n" 67.
S. Massip, op. cit., p. 17, 18.
i. Pélisson, De l'antiquité de lu famille de Tournon, cité par Massip, p. 24.
ÉTABLISSEMENT MES JÉSUITES Al COLLÈGE DE TOURNON. 201
et plusieurs des regens estoient contre moi'. » Le. cardinal, in-
formé à Rome de la désunion entre le principal et les régents,
en conçut à bon droit de sérieuses inquiétudes : il était « tou-
jours en continuelle crainte que l'ennemy de la foy ne semast
quelque zizanie et mauvaise semence de doctrine en son dict col-
lège 2 ». Ses appréhensions n'étaient que trop fondées. L'hérésie,
sous le manteau des régents, avait pénétré à Tournon, et l'or-
thodoxie ne s'y trouvait plus en sécurité. Le collège, d'abord
très prospère, penchait maintenant vers sa ruine.
Les choses en étaient là, lorsqu'on apprit à Rome la foudroyante
nouvelle de la mort du roi Henri IL La cour de France réclamait
de nouveau les conseils et les services du cardinal de Tournon ; le
pape Pie IV l'envoya à Paris avec le titre de Légat a latere. Quelle
ne fut pas sa tristesse, quand il parut sur les bords du Rhône,
de trouver la maison, en laquelle il avait mis ses plus chères es-
pérances, devenue comme un foyer de propagande calviniste !
Quelques historiens ont raconté3 que, voyant son chagrin,
deux de ses familiers, Vincent Laureo, futur évêque de Mondovi,
et Pierre de Villars, plus tard archevêque de Vienne, lui avaient
suggéré le remède et inspiré la pensée de confier son collège
aux Jésuites. Point n'était besoin de ces conseils, auxquels d'ail-
leurs nul document contemporain ne fait allusion. Depuis long-
temps, le cardinal de Tournon connaissait et aimait la Compagnie
de Jésus. Il avait apprécié à Rome la sagesse et la vertu de son
fondateur, et à Trente la piété et la science de son général actuel,
le P. Lainez ; il avait logé dans son palais, à Lyon, dont il était
archevêque, les PP. Rroet et Salmeron au retour de leur légation
en Irlande; et ses sentiments à l'égard de tout l'Ordre étaient si
manifestes que le P. Louis du Coudret pouvait écrire à son supé-
rieur, en 1558 : « J'entends dire que le cardinal de Tournon est
tout à fait l'ami de notre Compagnie'1. » Aussi le P. Jean-Rap-
1. Pélisson, De l'antiquité de la famille de Tournon, cité par Massip, p. 24.
2. Archiv. de l'Ardèche, D, Coll. de Tournon, cité par Massip, p. 23. Cf. Manare,
De rébus S. /., p. 81.
3. Par exemple Sacchini, Hist. Soc, pars II, lib. IV, n. 84. Fleury, Hisl. du card.
de Tournon, liv. VU. Prat, qui les a suivis dans ses Mémoires sur le P. Broet, p. 389
elsuiv. — C'est Sacchini probablement qui affirma le premier ce fait, s'appuyant sur une
histoire manuscrite, très courte, du collège de Tournon, postérieure a 1587, signée /.'/-
clieomus, que nous avons entre les mains. On y lit : « lllm,,s cardinalis... consilio
Vincentii Laurei. S. R. E. jam cardinalis a Monte Regali, et Pétri Villarii, Viennae
Archiepiscopi , eam [academiam] Patribus Socielatis Jesu fqaibas, imprimisque
R. P. Laines, Romae et in concilio Tridentino iamiliariler usas fuerat) tradere decre-
vit » (Francia, Fundationes Assist., n. 36). Ce passage n'infirme nullement ce que nous
avons dit dans notre texte.
4. Lettre du 3 nov. 1558 au P. Lainez (Gall. Epist., t. 1, p. 43).
292 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
tiste Viola, bien au courant des choses de France, recomman-
dait-il au P. Lainez, en 1559. de solliciter son appui pour la fon-
dation du collège de Lyon1. Le P. Général ne manqua pas de le
taire, à l'issue du conclave qui élut le pape Pie IV. Or, non seu-
lement le cardinal lui promit un bienveillant concours, mais il
ajouta « que, s'il n'avait pas déjà disposé de son Université de
Tournon, il la confierait à la Compagnie de Jésus2 ». On a tout
lieu de supposer qu'un prélat qui était dans ces dispositions au
début de Tannée 1560, songea tout le premier à recourir aux
Jésuites quand, de retour en France, au mois de septembre, il
put constater de ses yeux les rapides ravages de l'hérésie infec-
tant toute la contrée sans même épargner son collège. Les cir-
constances lui rendaient les mains libres : il pouvait dissoudre
un corps enseignant qui n'avait répondu ni à ses vues ni à ses
espérances, et le remplacer par les membres d'une Société dont
il écrira bientôt au premier président du Parlement : « Il semble
que Notre-Seigneur l'ait fait naitre en ces temps icy et la nous
ayt envoyée pour servir de remède et antidote aux erreurs et aux
déprouvées doctrines qui ont cours aujourd'huy... n'ayant aul-
tre sujet, fin et intention que de prêcher, ou lire, ou enseigner la
jeunesse... J'aime et j'estime grandement ceste Compagnie pour
le seul respect du service de Dieu et de notre saincte religion". »
Comme il continuait son chemin vers Paris, le cardinal fit un
court séjour à Vienne et y rencontra le P. Louis du Coudret, au-
quel il déclara ses intentions bien arrêtées4. Quelques jours plus
lard, en son nom, Vincent Laureo adressa au P. Lainez une let-
tre qui peut être regardée comme l'offre officielle de l'Université
de Tournon à la Compagnie de Jésus. Les motifs qui guident le
fondateur dans son choix, les avantages et les conditions du fu-
tur contrat y sont largement exposés : « Le cardinal de Tournon,
dit son mandataire, est ému de la plus vive douleur de voir ce
grand royaume en proie aux factions... Il n'a pas trouvé une
seule ville qui ne fût corrompue par les nouvelles erreurs. Sa
sollicitude, qui s'étend sur tous les pays, ne peut oublier Tour-
non. le lieu de sa naissance. Plein d'estime pour la sainteté de
vie et la pureté de doctrine qu'il a toujours reconnues dans les
1. Lettre du P. Lainez au P. Viola, 28 nov. 1359 (Gall., Epist. Generaliurn, t. I).
2. Lainez a Viola, 2i fev. 1560 (Ibid.).
3. Lettre du 4 nov. 1560 (Gall. Epis t., t. 1, p. 135).
4. Lettre de L. du Coudret a Lainez, 12 o<l. 1560 {Ibid., p. 206, 207). Il y est fait
allusion à une autre li ttre du 20 sept, dans laquelle le P. du Coudret rapportait au
P. Général son entretien avec le cardinal de Tournon.
ÉTABLISSEMENT DES JÉSUITES AU COLLÈGE DE TOI RNON.
religieux de là très sainte Compagnie de Jésus1, il se persuade
que malgré les assauts et les ruses de l'enfer il rendra son pays
natal inexpugnable, s'il peut mettre son collège sous la sauve-
garde et la tutelle de votre Société... Il espère même ainsi éten-
dre ses bienfaits sur toute sa patrie; car personne ne doute que
l'heureuse situation de la ville de Tournon n'y attire des écoliers
<le toutes les parties de la France, et que les revenus et l'éten-
due du collège... ne lui permettent d'entretenir une légion de
Jésuites qui, répandus à propos dans le royaume, pourchas-
seront et vaincront les persécuteurs de la foi catholique par
l'exemple de leur vie et l'éloquence de leurs discours. Ce n'est
pas rendre un petit service au public que de réformer l'esprit et
le cœur d'un grand nombre de jeunes gens, destinés à l'épiscopat,
au cloître et à la magistrature... Et plût à Dieu qu'on eût pris
la précaution d'établir de vos collèges dans toutes les villes de
France : nous ne verrions pas aujourd'hui le Saint-Siège contraint
à de si pénibles efforts pour ramener au sein de l'Église ces peu-
ples, autrefois célèbres par leur piété et leur obéissance'2. »
3. Ces pressantes sollicitations furent entendues. Par deux fois
le P. Jérôme Le Bas, recteur de Billom, vint conférer avec le car-
dinal3. Puis, au mois de novembre, le P. Viola, surintendant du
même collège, fit à Tournon une nouvelle visite dont il envoya
au P. Général un rapport très favorable'1. Sur ces renseigne-
ments, le P. Lainez décida de remettre à un temps plus éloigné
la fondation du collège de Metz que lui offrait le cardinal de
Lorraine ', et accepta celui de Tournon; mais il laissa au P. Pro-
vincial de France, au P. Viola et au P. Roillet le soin de traiter
en son nom cette affaire, qui se réduisait maintenant à de simples
formalités de cession et d'acceptation11.
Elles furent réglées le jour de l'Epiphanie 1561, à Orléans7,
par-devant Gilles Mesnager et Mathurin Porcher, dans la maison
1. « Délia santila de vita et délia integrita di dottrina délia sacratissiina compa-
gnia del Gesu. »
2. Lettre de Vincent Laureo au P. Lainez, '21 sept. 1560. Traduit sur l'autographe
italien (Gall. Epist., t. I, fol. 107).
3. Lettre du P. L. du Coudret au P. Lainez, 12 oct. 1500 (Gall. Epist., t. I, p. 142).
4. Lettre du P. Viola au P. Lainez, 15déc. 1560 (Gall. Epist., t. 1, f. 173).
5. Leltre du P. Cogordan au P. Gén., 2 déc. 1560 (Gall. Epist., 1. 1. p. 206). Lellre
du P. Lainez au card. de Lorraine, 12 juillet 1560 (Gall., Epist. Generaliuin, t. I).
6. Leur procuration est datée de Rome, 26 oct. 1560 (Décréta et lnstrudiones, 1540-
1573, f. 198'). '
7. Lettre de Vincent Laureo à Lainez, datée d'Orléans 12 janvier (Lugd. Ilisl.,
t. 1560-1638, f. 18).
294 HISTOIRE l>F. LA COMPAGNIE l»K JÉSUS.
du sieur de Farouillc où était logé le cardinal, présentes « véné-
rables et égrèges personnes M'' Pierre de Villars... grand archi-
diacre de l'église métropolitaine d'Auch; Benoit Biratier... vicaire
officiai dudict révérandissime cardinal; Bon Broé, prieur de
Rochepaule... et le Père Robert Claissonne, maître es arts, reli-
gieux de la Compagnie de Jésus... Et d'autre part, acceptant pour
ladicte Compagnie, en vertu d'une procuration du R. Père Géné-
ral... maîtres Pascase Broet, Jean-Baptiste Viola ancien supérieur
des premiers jésuites en France et Guy Boillet de la même So-
ciété1 ».
Le temporel du collège se composait alors du petit prieuré
d'Andance, au diocèse de Vienne, détaché de l'abbaye des Béné-
dictins de la Chaise-Dieu, et dont le revenu annuel n'excédait
pas deux cent vingt-quatre écus. Il possédait en outre une rente
annuelle de douze cents livres sur l'hôtel de ville de Lyon. Ces
biens furent cédés à la Compagnie, sous les clauses stipulées dans
les bulles d'union du prieuré et dans le contrat d'acquisition de
la rente, sans autre charge qu'une pension annuelle et viagère de
deux cents livres au profit de M1' Jehan Pélisson, « en considéra-
tion du long et agréable service qu'il a faict audict Seigneur
Révérendissime en la charge de principal2... À quoy lesdicts
Pères de la Compagnie de Jésus s'accordèrent bien volontiers, et
louèrent grandement la bonté de mondit Seigneur et la charitable
souvenance qu'il avoit de son vieux et utile serviteur 3 » .
Les Jésuites, de leur côté, devront donner sept régents : deux
pour la philosophie et cinq « pour les langues, bonnes lettres et
grammaire..., et oultre lesdicts lecteurs, lung desdicts Pères de
la Société, soit le Recteur ou aultre qu'il députera, lyra et ensei-
gnera publiquement la sainte escripture et preschera selon les
Constitutions de leur Ordre ' ». De plus, conformément à ce qui
se passait auparavant, « seront perpétuellement nourris et ensei-
gnés audict collège quatre religieux novices profès (sic) de l'Ab-
1. D'après les archiv. de l'Ardéche, collège de Tournon, cilé par Massip, p. 28. (L'au-
teur a mal lu : Boulhec au lieu de Roillel.) La lettre de Vincent Laureo citée plus
haut mentionne aussi la présence à cet acte des PP. Claysson, Broet et Viola. — Il
existe à l'Archivio di stato, à Rome, un projet de ce contrat de cession, sans date ni si-
gnatures, mais donnant les noms des mêmes notaires, et, comme contractants, le car-
dinal et le P. Viola. C'est sans doute le projet soumis au I». Laine* (Arch. di Slato,
Carte Gesuit. Pacco 246).
2. Acte de cession (Arcbiv. di Stato, /. c).
3. Pélisson, De V antiquité..., cité par Massip. p. 28.
4. Le P. Général tenait à cette mention a(in de bien établir que la prédication n'était
pas rémunérée (Décréta et Instructiones, fol. 198v : Ricordi del modo che si lia da
tenere in traltare col. 111""- Cardinale Turnonej.
ÉTABLISSEMENT DES JÉSUITES AU COLLÈGE DE TOURNON. 295
baye do la Chaise-Dieu », dont dépendait le prieuré d'Andance,
« et y demeureront cinq ans entiers, et ledict temps passé, feront
place à aultres religieux qui seront successivement envoyés par
le couvent de ladicte Abbaye ». Enfin les Pères acceptèrent de
visiter, « une foys le moys pour le moings, tant la chambre des-
dicts quatre religieux que celles des pédagogues et escoliers qui
seront enseignez audict collège, afiin de les exhorter et admones-
ter de leurs devoirs », et prendre garde « qu'ils ne tiennent cl
lisent dans leurs chambres aucuns livres réprouvés ou susperls
d'hérésie l ».
Le lendemain de ces arrangements, le 7 janvier 15G1, le car-
dinal écrivit à son neveu Just, comte de Tournon : « Hier, je tray-
tay avec les Pères de la Compagnie de Jésus sur le faict de mon
collège, que je leur ay baillé avec tout son revenu... Je voullay
dès cette heure casser tous les régens et faire cesser l'exercisse,
affin qu'ils trouvassent maison necte; mais ils n'ont pas esté de
ceste oppinion. Et mesmement qu'il y aura quelques mois devant
qu'ils puissent estre tous assemblés, dont la plupart viendront de
Home et autres lieux d'Italye, qui seront choisys et envoyés par le
général, [ce] qui ne se fera pas sans grands frais; mais je ne
veux rien épargner pour estaller ung si bon ordre ~\ »
h. Les Pères, en effet, avaient besoin de temps pour arrêter les
mesures exigées par la nouvelle organisation du collège. Le Père
Jean-Baptiste Viola en fut particulièrement chargé avec le Père
Émond Auger qui le rejoignit à Billom. Tous deux arrivèrent à
Tournon le 3 mai, fête de l'Invention de la Sainte Croix, « jour
bien choisi, remarque le P. Jean-Baptiste, pour nous rappeler
que nous aurions, nous aussi, la croix à porter 3 ». Le comte de
1. Contrat de cession (Archiv. di Stato, L c). Avant la conclusion de cet accord
le P. Viola avait été obligé de refuser, comme contraires à l'Institut, certaines condi-
tions demandées par le cardinal, qui d'ailleurs ne fit aucune dilliculté. On les trouve
énumérées dans une lettre du P. Viola au P. Lainez (17 janvier 1561). Voici les prin-
cipales : Que les Jésuites fussent seulement administrateurs du collège et rendissent
compte chaque année des recettes et dépenses; — qu'ils admissent les quatre religieux
delà Chaise-Dieu à leur vie de communauté: — qu'ils eussent des pensionnaires; —
qu'ils payassent un médecin habitant au collège. Après avoir rappelé ces demandes
du cardinal de Tournon, le Père Viola ajoutait : « C'est à contre-cœur que je lui ai
accordé la visite des pédagogies; toutefois étant dans un pays rempli d'hérétiques,
il m'a semblé utile de céder sur ce point, afin que les pédagogies cl les élevés soient
préservés dans leurs imeurs et dans leurs lectures. D'ailleurs ces pédagogies ne sont
pas éloignées du collège et il sera facile de les surveiller dans l'après-diner » (Roma,
Archiv. di Stato, Carte Gesuit. Pac. 246).
2. Cité par Massip, op. cit., p. 29.
3. Lettre de Viola à Lainez, lt mai 1561 (Gall. Episl., t. 1, fol. 281, 282). Nous em-
pruntons à celte lettre les- détails qui suivent.
296 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Tournon était absent; ils furent reçus par la comtesse qui les
admit quelques jours à sa table. Ils avaient pris d'abord leur lo-
gement dans une hôtellerie voisine du château; mais deux reli-
gieux ne pouvaient vivre longtemps de cette sorte, et il fut con-
venu que malgré la présence des autres professeurs ils seraient
tout de suite hospitalisés au collège, ainsi que leurs confrères qui
arriveraient prochainement, au nombre de quatorze ou quinze.
Le personnel sortant devait rester jusqu'à la Saint-Jean, 24 juin,
afin de laisser aux nouveaux venus le temps de se reposer après
un long voyage et de se préparer à leurs cours. Cependant, sans
plus attendre, le P. Auger, toujours prêt à prendre la parole,
commença ses prédications dans une église de la ville, et s'en tira
« à la grande satisfaction du Principal ' » Jean Pélisson.
Au commencement du mois de juin le Père Éleuthère du Pont,
désigné comme Recteur, était à son poste2; ses collaborateurs
arrivèrent peu de temps après. Mais le Père Viola, de nature assez
inquiète et plaignante, voyait avec crainte la jeunesse et l'inexpé-
rience des uns, la faible santé des autres. Seront-ils à la hauteur
de leur tâche? Et si les anciens professeurs s'aperçoivent de leur
médiocrité, comme ils auront beau jeu à critiquer le choix du
cardinal3! Le P. Recteur, d'accord avec le P. Viola, réclamait au
P. Général « des hommes de talent », particulièrement pour les
classes de philosophie et de mathématiques4.
Ces craintes étaient exagérées. Au jour fixé5, en présence de
sept cents élèves, les Jésuites inaugurèrent leur enseignement de
façon à ne point faire regretter leurs prédécesseurs. Le P. Éleu-
thère du Pont, tout recteur qu'il fût, s'était réservé une classe de
grammaire; le P. Auger joignit au ministère de la prédication
des leçons de théologie et de controverse; le P. Claude Mathieu,
plus tard si célèbre au temps de la Ligue, enseigna la logique; le
P. Antoine Francosi la physique et la méthaphysique ; le P. Jacques
Sylvestre les mathématiques0. Le P. Viola avait ouvert le cours
de belles-lettres; mais, après l'arrivée du P. Etienne de Mirabel,
il alla reprendre ses anciennes fonctions au collège de Billom. Et
le cardinal, en voyant « le rampart de la foy » si bien gardé, en
1. Le P. Viola ne nous dit pas dans quel lieu le P. Auger se fit entendre.
2. Lettre du P. du Pont au P. Lainez, 13 juin 1561 (Gall. Epist., t. 1, fol. 286).
3. Lettre du P. Viola au P. Lainez, 15 juin 1561 (Gall. Epist., t. 1, fol. 311, 312).
4. Lettres déjà citées.
5. Ce fut après la Saint-Jean, dit le P. Sacciiini (P. II, lib. V, n. 189). Nous savons
seulement par 1.- P. Viola que l'ancien personnel devait quitter à cette date.
6. Ricordi per il P. Eleutherio (Décréta et Instruct., f. 199% 200). Cf. Sacciiini, /. c.
n. 190.
ÉTABLISSEMENT DES JÉSUITES AU COLLÈGE DE TOURNON. 29*
prit <« grande occasion de louci' le Seigneur », persuadé « qu'il
n'eût su faire meilleure élection... ni un plus grand Lien tant au-
dict lieu de Tournon que en tout ce pais, soit pour... l'enseigne-
ment des escolliers, soit pour la confirmation de la foy catho-
lique1 ».
Toujours soucieux des intérêts de son collège et désireux de voir
les Pères « bien establis pour leur commencement », il écrivit ;\
son neveu qu'il voulait leur donner un jardin, « chose dont ils ne
se poulvoient passer2 ». L'année suivante, 1502, il augmenta la
fondation d'une nouvelle rente de mille quatre-vingt-trois livres
qu'il avait acquise sur l'hôtel de ville de Paris. Au mois d'avril, il
acheta au prix de cinq cents livres une maison, située sur la
place du Marché-Vieux, pour « servir de logement aux écoliers stu-
dieux qui ne craindraient pas de vivre sous l'œil du maître' ». Le
collège, à cette époque, pouvait s'estimer convenablement pourvu
de tout ce qui lui était nécessaire. Quand sa prospérité croissante
donnera lieu de le transformer en une célèbre académie, il faudra
augmenter ses revenus; mais, dans les conditions où il se trouvait
en 1562, il atteignait déjà le but de l'Institut. Exempt de toute
difficulté et de toute tracasserie, il offrait aux Jésuites l'avantage
de pouvoir y remplir sans entraves les fonctions de l'enseigne-
ment, et de tout diriger d'après l'esprit de leur vocation vers la
formation intellectuelle et morale de leurs élèves.
5. Le P. Éleuthère du Pont, croyant avoir dans la direction d'un
collège de cette importance un fardeau au-dessus de ses forces,
avait prié ses supérieurs de l'en décharger. Le P. Lainez n'exauça
qu'à demi l'humble religieux, et le mit à la tête du collège de
Mondovi 4. Le P. Auger fut nommé Recteur de Tournon à sa place ;
mais comme il dépensait une partie de son temps au ministère de
la prédication, on lui adjoignit, pour le seconder dans l'adminis-
tration de son collège, le P. Annibal du Coudret récemment venu
d'Italie '.
La réputation d'orateur que s'acquit alors le P. Auger, s'éten-
dit bientôt au delà de Tournon. Les bourgades et les villes des
environs recoururent à son zèle. Valence, en Dauphiné, le réclama
pour lavent de 1561 et le carême de 1562. L'évêque, Jean de
1. Archiv. do 1 Ardèche, D, Testament du Card. de Tournon, 21 juin 1561, cité par
UasBip, op. cit., p. 29, 30.
2. Archiv. de l'Ardèche, s. D, Collège de Tournon, cité par Massip, p. 13.
3. Massip, op. ci/.. |>. 14. — 4. Saccliini, /. c, n. 190.
5. Manare, De rébus. S. J., p. 81. Epist. 1'. Nudal, t. I, p. 741, n. 1.
■19* HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESI S.
Montluc, ne se mettait guère en peine de réprimer l'insolente
propagande des réformés qu'il aurait plutôt favorisée. Voyant le
besoin que ce pauvre peuple avait d'entendre la parole de Dieu,
le P. Émond accepta avec joie la mission qu'on lui proposait.
Le succès de ses discours surpassa toutes les espérances. On ne
se souvenait point d'avoir jamais vu une si grande affluence au
sermon : attirés par son entraînante éloquence, catholiques et
calvinistes se mêlaient dans son auditoire. Les hérétiques avouaient
k que si le surplis et le bonnet, dont maître Emond se servait à
la façon des prêtres de l'Église romaine, ne l'engageaient point à
débiter une doctrine contraire à la leur, il n'y aurait pas un de
leurs ministres auxquels ils ne le préférassent de tout leur cœur ».
Non content de parler chaque jour à l'église principale de la
ville, le P. Auger déploya sur d'autres terrains toutes les éner-
gies de son zèle industrieux. Par ses manières, toujours franches
et aimables, il gagnait les sympathies dans les entretiens par-
ticuliers où il achevait le bien commencé par ses prédications.
A la prière des catholiques, il composa un pelit traité, en forme
de méditations, où il exposait les signes auxquels on peut distin-
guer l'ivraie du bon grain; cet écrit, distribué dans toute la ville,
contribua beaucoup à prémunir les fidèles contre l'erreur. De
nombreuses conversions, celle entre autres d'un des premiers
magistrats de la cité, furent la meilleure récompense de cet infa-
tigable missionnaire1.
6. Le cardinal de Tournon continuait à bénir Dieu du bien
opéré par les Pères de son collège. C'était sa principale consola-
tion dans la demi-retraite où il vivait, depuis que la reine Cathe-
rine de Médicis, après la mort de François II, avait échappé à
son influence pour se rapprocher des huguenots. Le spectacle des
calamités publiques, en ébranlant ses forces déjà défaillantes, lui
faisait redouter pour son pays un avenir qu'il ne verrait pas.
Avant de mourir, il voulut du moins que là où il était le maître
toutes les précautions humaines lussent prises contre les manœu-
vres des novateurs. La confiance que lui inspire la Compagnie de
Jésus, les prescriptions relatives à la discipline et aux mœurs
qu'il a fait insérer dans l'acte de donation du collège, ne lui suf-
fisent pas, et à deux semaines de sa mort, le 5 avril 15G2 , à
1. Sacchini, Ilist. Soc. Jcsu, P. II, 1. VI, n. 42. — Il nous a été impossible de re-
trouver dans les lettres du P. Auger des détails sur ce carême de Valence. Dans une
lettre du 10 avril 1562, datée de Tournon, il écrit au P. Général qu'il n'avait pas eu
pendant ce carême un seul moment à lui (Gall. Euist., Il, f. 5).
ÉTABLISSEMENT DES JÉSUITES AU COLLÈGE DE TOI li\n\. 299
Saiiit-Germain-en-Laye, en présence de ses fidèles amis Pierre de
Villars, Vincent Laureo, l»<>n de Broé, et du chanoine Fpurnier,
docteur de Sorbonne, il formule, sons le titre de Lois de V Aca-
démie de Tournon^, les règlements les plus capables de Fortifier
aux cœurs des jeunes gens les habitudes de la piété et de la foi.
On y trouve expressément recommandés : la messe tous les jours;
de nombreuses prédications; le culte de la Très Sainte Vierge; la
confession et la communion fréquentes; une étroite surveillance
des pédagogies; une prompte répression de tous les délits de
paroles ou de conduite; enfin une profession de foi catholique,
que tous les élèves devaient prononcer sous serment.
Tel fut le dernier acte de ce vrai pasteur des âmes-. Quand il
l'accomplit, l'état de sa santé ne laissait plus guère d'espoir à
son entourage. Peu après, une recrudescence delà maladie amena
le fatal dénouement. Le cardinal, se voyant près de sa fin, voulut
être assisté par un Jésuite, et donner ainsi à la Compagnie un
suprême témoignage de l'affection dont il l'avait toujours hono-
rée. Le P. Polanco, secrétaire du P. Général, accourut auprès du
vénéré malade et ne le quitta plus qu'à son dernier soupir'.
Le prélat reçut les sacrements de la sainte Église, avec des sen-
timents de foi et d'humilité qui édifièrent tous les assistants. Il
demanda pardon à Dieu d'une manière si touchante que ses do-
mestiques, rangés autour de son lit, fondaient en larmes. Loin de
regretter cette vie, il exprimait le désir de quitter au plus tôt la
terre pour jouir de la félicité du ciel. « Depuis longtemps, s'é-
criait-il, je suis inutile à l'Église et à charge à l'État : il est temps,
Seigneur, de délivrer votre peuple. » Il conjurait le P. Polanco
d'écrire à ses frères en religion afin de lui obtenir une prompte
mort par leurs prières : « C'est là, disait-il, toute la reconnaissance
que j'exige de la Compagnie pour les services que j'ai pu lui
rendre. » Enfin, le 21 avril 156*2, Dieu exauça ses vœux; il s'en-
1. Le texte de cet acte est en latin et le titre porte : Leges acadoniae Turnoniae
Societatis Jesu, ab oplimo sapientissimoque ipsius fundatore latae. La (in du titre
a ihï être mise par les Jésuit-s ou les amis du cardinal (Tolosana, Fundat. colleg...
t. IV, n» 16).
2. La Revue Mabillon (novembre 1907) a publié sur le cardinal de Tournon un
article bien sévère. Il faudrait, pour juger la cause, autre chose que les affirmations
de Dom Bouillart et Dom du Breul. En tout cas, il n'est pas vrai de dire que le car-
nal était « un homme aux yeux duquel les intérêts matériels seuls avaient quelque
valeur » {Le cardinal de Tournon, abbé commandataire de S.-Germain-des-Prés,
par Dom Yves Laurent, Revue Mabillon, 3" année, n. il, p. 277).
3. Lettre ms. du P. Polanco, 25 avril 1562 : « De morte Card. de Tournon. » — D'après
le P. Sacchini, ce serait le P. Polanco qui, arrivé auprès du cardinal quelques semaines
avant sa mort, lui aurait inspiré la rédaction des lois de l'Académie de Tournai! et
la profession de foi qui s'y trouve jointe (llist. Soc., P. II, lib. VI, nu 38).
300 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
dormit doucement dans le Seigneur1 en baisant dévotement le
crucifix. « Sa mort, écrivait trois jours plus tard le cardinal de
Ferrare, excite d'immenses regrets parmi tous les gens de bien,
car jamais, plus qu'au temps où nous vivons, son intervention
n'avait été nécessaire aux affaires du royaume et de la religion. »
La mort du cardinal de Tournon fut en effet une calamité publi-
que : l'Église le regretta comme un de ses plus zélés défenseurs
et la France perdit en lui un des prélats les plus dévoués à ses
intérêts2. La Compagnie de Jésus le pleura comme un père, un
protecteur fidèle et affectueux. Le P. Lainez ordonna qu'on fît
des prières publiques et qu'on célébrât un service solennel pour
le repos de l'âme de cet insigne bienfaiteur, dans toutes les mai-
sons de la Société. Le cardinal avait demandé, par son testament,
que son corps fût transporté à Tournon pour y être enterré dans
l'église du collège 3. La crainte des huguenots, qui infestaient les
bords du Rhône, empêcha d'exécuter immédiatement sa dernière
volonté. Plus tard seulement, les Jésuites de Tournon reçurent la
dépouille mortelle de leur fondateur. On la déposa, en attendant,
à l'Abbaye de Saint-Germain-des-Prés dans la chapelle de la Très
Sainte Vierge.
7. A ce moment une partie du royaume était en proie aux con-
vulsions de la guerre civile. L'édit du 17 janvier 1562, au lieu de
-pacifier'* les esprits, ne faisait que déchaîner la fureur des calvi-
nistes. Peu satisfaits des concessions obtenues, ils réclamaient la
complète liberté de leur culte, et ils résolurent de prendre de
vive force ce qu'on refusait de leur accorder. Le 2 mars, une
collision sanglante, survenue à Vassy en Champagne entre les
gens du duc de Guise et quelques huguenots, fut regardée par les
factieux comme une déclaration de guerre ; ils en profitèrent pour
prendre les armes. Le soulèvement général du mois d'avril dé-
voila un parti puissant et agressif; on connut ainsi qu'il s'était
organisé secrètement, et se tenait prêt à profiter de la première
occasion. Animés de l'esprit de Calvin qui, de son aveu, n'était
pas venu apporter la paix mais le glaive pour établir le pur évan-
gile, les huguenots s'emparèrent d'Orléans, du Mans, de Tours,
1. A Saint-Germain-en-Laye.
2. Lettre du nonce, 29 avril 1562 (Archiv. cur. de l'hist. de Fronce, sér. 1, t. VI.
p. 95). Narratio Vincentii Laurei de morte C"a de Tournon (Lugd. Hist., I. 1560-1638,
n° 17). Lettre du P. Polanco, 25 avril 1562.
3. Sacchini, Hist. Soc, P. II, liv. VI, n. 38, 39.
4. On lui avait donné le litre à'ëdil de pacification.
ÉTABLISSEMENT DES JÉSUITES AU COLLEGE DE TOURNON. 301
de Poitiers, de Lyon, de plusieurs places importantes du Langue-
doc et de la plupart des villes de Normandie. Partout où ils triom-
phèrent, on les vit ne reculant devant aucun excès, renverser les
temples et les autels, brûler les images et les reliques, massacrer
les prêtres et les religieux et, après avoir tout désolé par le fer et
le feu, violer jusqu'aux tombeaux l.
Le Dauphiné fut une des provinces qui eut le plus à souffrir
de la part des hérétiques. François de Beaumont, si connu sous
le nom de baron des Adrets, parcourait le pays à la tête de
bandes indisciplinées, bridant, saccageant tout et laissant par-
tout des traces sanglantes de son passage. Les catholiques ef-
frayés se réfugiaient de la campagne dans les villes, mais celles-ci
ne leur offraient pas toujours contre sa fureur un asile assuré,
comme il arriva à Grenoble et à Valence. Le P. Auger, qui avait
prêché l'avent et le carême dans cette dernière ville, y était re-
tourné peu de temps après, à la prière des catholiques, pour re-
lever leur courage et fortifier leur foi. Il s'y trouvait encore
quand le terrible baron en vint faire le siège. Grâce aux intel-
ligences qu'il avait dans la place, le chef calviniste s'empara de
la porte Saint-Félix, et ses troupes avides de pillage pénétrèrent
dans la cité. Le vaillant gouverneur, Lamotte-Gondrin, poursuivi
jusque chez lui par une horde d'assassins, qui lui promirent la
vie sauve, fut poignardé malgré la foi donnée, et son corps pendu
aux fenêtres de sa maison2. Le P. Auger, dénoncé par les hu-
guenots de la ville, fut arrêté sur l'ordre du baron des Adrets et
jeté en prison. Il resta quelques jours en continuel danger de
perdre la vie. Les sentiments étaient partagés sur son sort. Les
plus violents parmi les hérétiques demandaient qu'il fut pendu;
les autres, sous apparence de religieuse compassion, disaient que
par égard pour sa qualité de prédicateur il ne fallait lui faire
aucun mal. Un des ministres protestants entreprit de disputer
avec lui pour le gagner à la secte. En vain lui promit-on toutes
sortes d'honneurs, s'il consentait à changer de religion : il ré-
pondit que ni la crainte de la mort, ni les plus belles promesses
ne lui feraient jamais abandonner la sainte foi catholique. Des
amis influents insistèrent, sans résultat, pour obtenir sa liberté.
1. Voir à ce sujet : Archives cur. de Vlilst.de France, s. 1, t. IV, 356. Discours
sur lesaccagement des églises... en l'an J56'2. El aussi Mémoires de Caste! non, liv. III,
(11. IX.
2. Discours de ce qui a esté faid es villes de Valence et de Lyon dans Mémoires
de Coudé, t. III, p. 34 k. — Cf. Epis t. /'. Nadal, l. I, p. 73lJ. Journal de Bruslart
dans Mémoires de Condé. I. I, p. 84 el suiv.
302 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
Gomme ses jours étaient menacés, ils tentèrent alors de le dé-
livrer, et ils y réussirent à la faveur de la confusion qui régnait
dans la ville. Ce ne fut pas sans quelque tristesse que le P. Auger
se vit enlever la couronne du martyre; mais il adora la Provi-
dence qui avait fait concourir la pitié des hérétiques et la charité
des catholiques à lui sauver la vie; et il se consola dans la
pensée que Dieu, en le conservant d'une façon si visible, le ré-
servait à de plus grands combats pour l'honneur de l'Église.
Grâce à une protection sensible du ciel, il put franchir à cheval,
sans être inquiété, la longue distance qui le séparait de Billom,
où il retrouva contre toute attente ses frères du collège de Tour-
non
8. Que s'était-il donc passé? Le baron des Adrets, à peine
maître de Valence, s'était dirigé vers Tournon avec le dessein de
s'en emparer. Il manda au comte Just, neveu du cardinal, qu'il
épargnerait au pays une invasion à main armée, à trois condi-
tions : la suppression de la messe, l'expulsion des Jésuites et la
reddition du château. Le comte n'avait pas assez de troupes pour
résister et l'on exigeait une prompte réponse. Il fit appeler le
P. Annibal du Coudret, vice-recteur, et lui communiqua le mes-
sage. Le Père répondit qu'après avoir consulté sa communauté
il rapporterait sa décision. Tous les religieux s'écrièrent qu'ils
aimaient mieux mourir pour le Christ et l'Église que d'aban-
donner leur poste. Cette résolution jeta le comte dans une
grande anxiété; il exposa les maux incalculables qui allaient s'en-
suivre. Quand les Pères du collège apprirent qu'il s'agissait, en
quittant la ville, d'épargner à tout le pays d'immenses désastres,
ils se montrèrent plus accommodants; mais, afin de ne pas pa-
raître fuir le danger, ils demandèrent une déclaration écrite,
attestant qu'ils avaient obéi aux ordres formels du comte de
Tournon. Celui-ci consentit à leur désir et, comme le temps pres-
sait, les engagea à partir sans retard s'ils voulaient échapper à
la mort.
Plus ou moins déguisés, ils sortirent par petits groupes à la
tombée de la nuit. Le P. du Coudret leur avait assigné un rendez-
vous, à une lieue de la ville, en leur recommandant d'être prêts
à mourir, s'il le fallait, pour le nom de Jésus-Christ. On avait
tout à craindre, en effet, des soldats hérétiques qui battaient les
environs; mais, grâce au secours d'en haut, les Pères « au nom-
1. Epiât. 1\ Pfadal, l. 1, p. 7 4 i .
ÉTABLISSEMENT DES JÉSUITES AU COLLÈGE DE TOURNON. 303
bre de vingt-doux ou vingt-quatre » parvinrent presque tous sans
encombre au lieu du ralliement. Après quatre jours de marche,
ils arrivèrent au collège de Billom. Un des groupes ne les re-
joignit que le lendemain. Il avait rencontré, en quittant la ville,
des cavaliers huguenots qui le poursuivirent. Voulant se dérober
à leur atteinte, les voyageurs s'élancèrent dans un sentier dé-
tourné où des chevaux pouvaient difficilement s'engager. L'un
des huguenots, plus audacieux que les autres, s'acharna cepen-
dant à les rejoindre : il tenait déjà son épée levée sur la tête
d'un des fugitifs, quand son cheval s'abattit. Pendant ce temps,
la petite bande, qui avait pris de l'avance, put échapper à ses
ennemis
Peu après, le 28 avril, le baron des Adrets entra dans la ville,
abolit le culte catholique, et ses soldats pillèrent et profanèrent
les églises.
* 1. Lettre du P. Jacques Ximenez au P. Antoine Araoz, 3 juillet 1562 [Epist.
/'. Nadal, t. I, p. 739, 743). Nous avons suivi celte relation, écrite en quelque sorte
sons la dictée dos PP. de Tournon réfugiés à Billom. Elle peut servir à rectifier le récit
plus connu du P. Manare mais rédigé quarante ans après l'événement. Cf. Manare,
De rébus S. /., p. 82.
CHAPITRE IX
VISITES DU P. NADAL, COMMISSAIRE GÉNÉRAL
DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS. FONDATION DU COLLÈGE DE RODEZ.
(1561-1562).
Sommaire : 1. Rencontre du P. Jérôme Nadal et du P. Broet au collège de Bil-
lom. — 2. Le P. Lalnez appelé par le Pape au concile de Trente. — 3. Les
PP. Nadal et Broet à Paris; départ du P. Lainez. — 4. Apostolat du P. Pelletier
à Rodez : les habitants demandent un collège. — 5. Formalités pour la fonda-
tion et ouverture des classes. — 6. Mort du P. Broet.
Sources manuscrites : I. Biblioth. nationale, fonds lalin, 10,989.
II. Archives de l'Aveyron, sér. D.
III. Archives communales de Rodez, GO.
IV. Biblioth. de la Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron.
V. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a) Epistolae Cardinalium. —
b) Galliae Epistolae. — c) Francia, Historiae fundationum totius assistentiae. — d)Tolos.,
Ffundationes collegiorum.
VI. Arcliiv. Prov. de France.
VII. Archiv. Prov. de Lyon.
Sources imprimées : Archives curieuses de l'histoire de France. — Baluxe, Miscellanea.
— Davila, Histoire des guerres civiles de France. — Lagomarsini, Pogiani Julii epistolae
et oraliones. — Manare, De rébus S. J. eommentarius. — Mémoires de Coudé. — Mé-
moires de Caslelnau. — Prat, Mémoires pour servir à l'histoire du P. broet. — Revue
rétrospective. — Ribadeneira, La vie du P. Jacques Lainez. — Tortorel et Perrissin, Qua-
rante tableaux. — Monumenta historica S. .1. Epistolae P. Nadal. — Epistolae PP. Pasch.
Broeli, etc.. — Monumenta pnedagogica.
1. Le collège de Billom fut préservé des calamités qui désolè-
rent une partie de la France dans l'année 1562. Les Pères de
Tournon purent y vivre tranquillement, jusqu'à ce qu'il leur fût
permis de reprendre leurs fonctions scolaires dans leur propre
collège. Ils eurent la consolation d'y rencontrer le P. Broet venu,
vers la lin de 1561, faire sa visite provinciale. Il avait eu quelque
mérite à entreprendre ce voyage qui n'était pas sans danger, à
cause des bandes armées répandues sur toutes les routes ; mais
Dieu veillait sur son serviteur, dont la modeste contenance n'ins-
pirait du reste aucun soupçon. Un jour que l'humble religieux
passait à pied près d'un champ, où travaillaient quelques labou-
reurs, ceux-ci, à la vue de ses pauvres vêtements, commencè-
rent à l'accabler de railleries. Le Père s'arrêta, appuyé sur son
bâton, pour écouter leurs injures; puis quand, étonnés de sa pa-
VISITES DU P. NADAL. 30S
tience, les insulteurs eurent cessé leurs cris, il leur dit avec un re-
gard tranquille et en faisant sur eux le signe de la croix : « Que
Dieu ait pitié de vous, mes enfants, et qu'il vous bénisse ! » Émus
de tant de bonté, les villageois tombèrent;! ses pieds et lui de-
mandèrent pardon1.
En arrivant à Billoni, le P. Provincial trouva l'établissement de
Mgr du Prat dans un état de prospérité relative. Il y avait vingt-
cinq Pères ou Frères, six classes et mille deux cents écoliers'2. Les
cours se faisaient encore dans les bâtiments avoisinant l'ancien
collège; mais les constructions du nouvel édifice se trouvaient
déjà très avancées. Quant aux élèves, si l'on en croit l'ancien an-
naliste de la maison, « ils montraient une louable docilité aux
leçons de leurs maîtres, une constante application à l'étude et ils
savaient sanctifier leurs travaux par les exercices d'une vie pieuse
et édifiante 3. »
Le P. Broet, ayant terminé sa visite officielle, prolongea son
séjour à Billoni afin d'y attendre le P. Jérôme Nadal, Commis-
saire général de la Compagnie. Spécialement chargé de promul-
guer et d'interpréter les Constitutions, le P. Nadal, après avoir
rempli sa mission en Portugal et en Espagne, devait encore, sur
l'ordre du P. Lainez, la continuer en France et en Allemagne.
Depuis son départ de Saragosse, on n'avait plus reçu de nouvel-
les de lui, et l'on n'était pas sans inquiétude sur son sort. S'il
venait à être reconnu, sa double qualité de jésuite et d'espa-
gnol l'exposait à la rage des bandes calvinistes. Il était entré, au
commencement du mois d'avril, dans le comté de Foix, avec l'in-
tention de faire la visite du collège de Pamiers ; mais, apprenant
que les Pères en avaient été expulsés, il était allé à Toulouse
partager avec eux la généreuse hospitalité des Bénédictins de la
Daurade 4. De cette ville, il tenta de gagner l'Auvergne. En route,
près de Rabastens, il tomba avec ses deux compagnons dans un
parti de soldats huguenots. Arrêté comme suspect, questionné
sur le but de son voyage et sur sa religion, le P. Nadal répondit :
« Je suis prêtre de l'Église romaine. » Un officier et un ministre
tirent de vains efforts pour l'amener à une discussion sur des
1. D'après le récit de Bertrand Rosier, compagnon du P. Broet : « lier habebat pedes
F'. Broelus] Bertrando Roserio comité qui id scriptum reliquit » Sacchini Bist
s. ,/., P. Il, 1. VI, n. 95).
2. Lettre de Jarques Ximenez ex commissione I" Nadal, 3 juillet 1562 Epist.
/'. Nadal, t. I, p. 739).
3. Historia primordiorum colleg. Rillom ^rch. prov. de Lyon .
4. Epist. P. Nadal, t. II, p. 92, t. I. p. 728.
COMPAGNIE DE JÉSIS. — T. 1. 20
306 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
matières de foi; malgré leurs menaces, ils n'en purent rien tirer,
sinon qu'il était prêtre et s'en allait de Toulouse à Paris. Ses
deux compagnons, dont les soldats l'avaient séparé, furent aussi
interrogés, chacun en particulier, « le poignard sous la gorge ».
L'un avoua que ce prêtre était Commissaire général de la Com-
pagnie de Jésus; l'autre ne cacha pas non plus la qualité de jé-
suite commune aux trois voyageurs. Conduits au capitaine de la
troupe puis au juge de Rabastens, ils s'entendirent accusés d'être
« espions du roi d'Espagne et jésuites », par conséquent « les
pires ennemis de la religion nouvelle ». C'en était assez, di-
sait-on , « pour mériter la fourche ». Mais le capitaine, dans la
crainte d'exaspérer la population catholique, et le juge, peut-
être catholique lui-même, se montrèrent plus indulgents : ne
trouvant rien à reprendre aux réponses des prisonniers, ils les
laissèrent enfin continuer leur route. Nos voyageurs se rendirent
alors à Rodez, puis à Billom, où ils parvinrent le 29 avril 1562 '.
Il n'existe, à notre connaissance, aucun compte rendu détaillé
de la visite de ce collège. Le P. Nadal, qui a tant écrit, n'en dit
presque rien : « Visitavi, j'ai fait la visite », note-t-il seulement
dans ses Éphémérides2. Mais il a raconté plusieurs fois comment
il s'y prit ailleurs en pareille circonstance, et il n'y a nulle raison
pour que, dans les choses essentielles, il n'ait point exercé sa
charge à B'rllom comme partout. Voici, d'après une de ses lettres
à saint Ignace en 1555 3, la méthode qu'il suivit à Venise et à
Padoue : « Je fais quelques exhortations pratiques, six ou sept,
où j'expose la substance de l'Institut en commentant tous les
points de l'Examen général et des Constitutions. J'instruis mes
auditeurs, autant que je le puis, sur la vertu d'obéissance. Je
leur explique ce qui est relatif à l'oraison, traitant de chacun des
exercices de piété, et signalant en particulier l'importance de
l'examen de conscience quotidien. — J'ai disposé l'heure d'orai-
son de sorte qu'il y en ait une demi-heure le matin, un quart
d'heure d'examen avant le diner, un autre avec un peu d'orai-
son'1 avant le coucher; en tout, une heure de prière en dehors de
la messe. — Je montre de mon mieux le fruit que l'on doit retirer
1. Récit du P. Ximenez, compagnon du P. Nadal, dans son Commcntarium de Yila
et viitulibus P. Nadal lEpistolae' P. Nadal, t. I, p. 40, 46). Cf. IbicL, p. 93, 730-
732.
2. Epiât. P. Nadal, t. Il, p. 93.
3. Lettre du 19 juillet 1555 {Epist. Nadal, t. I, p. 316, 317).
4. remarquons que le P. Nadal n'emploie que le mot oracion; il ne parle pas de
méditation. Voir ce que nous disons à ce sujel au livre III, c. vi, n. 3.
VISITES DU P. NADAL. 301
de la fréquentation des sacrements. — Je parle à chacun en par-
ticulier. — J'interroge tous les nôtres sur toutes choses, et je m'ef-
force de les aider. — J'ordonne les choses d'études et autres que
je juge à propos. — Je fais renouveler les vœux selon la formule
des Constitutions... J'examine les règles que les nôtres suivent
et je les modifie conformément à ce qui me parait être l'esprit de
Votre Paternité1... Je vois tous les livres; je supprime ceux qu'il
convient; s'ils ne sont pas hérétiques, je ne les fais pas brûler
mais seulement mettre à part, jusqu'à ce que Votre Paternité en
ait décidé, comme Érasme, Vives, et caeteri Telle est en géné-
ral ma méthode. Si quelque chose de particulier se présente pour
le progrès du collège, j'y avise. »
Six ans plus tard, et un an avant sa venue à Billom, le P. Nadal
se conduit de même au collège de Coïmbre qui, parait-il, avait
alors « besoin d'une bonne réforme ' ». Là, les exhortations do-
mestiques furent nombreuses, convaincantes, efficaces3; puis il y
eut, comme toujours, les comptes de conscience et les entretiens
particuliers où chacun, sur toutes matières, exposait ses difficul-
tés, recevait lumière et encouragement. L'esprit propre du fon-
dateur, ainsi transmis par le P. Nadal, achevait dans les âmes le
travail commencé par la grâce de la vocation.
Ces renseignements suffisent pour nous rendre compte de ce
que dut être le passage du Père Commissaire général dans notre
premier collège d'Auvergne. On devine, au peu qu'il en dit dans
son journal, que sa mission y fut facile et consolante. Il remarque
uniquement, comme points particuliers, qu'il eut à s'occuper des
constructions et à satisfaire à quelques demandes des habitants4.
Pendant son séjour peut-être, ou du moins peu de temps après,
le collège perdit un homme de grande vertu, le P. Chanal, qui
1. Le livre des Règles, tiré des Constitutions, n'existait pas encore. Nadal chargé
de promulguer les Constitutions s'enquérait des règlements locaux pour les unifier
et les rendre conformes au code de saint Ignace. Lui-même en établissait, comme il
le dit dans le passage que nous avons supprimé : « Les règles que j'ai données sont :
les règles générales extraites de l'Examen et de la 3e partie des Constitutions, que
notre Père a vues; nous les avons fait traduire en latin... avec les autres règles pour
les scoListiques tirées delà quatrième partie des Constitutions... les règles du maître
des novices et celles des novices; ce qui se lit dans la 3e et la 1" partie des Cons-
titutions sur l'obéissance et la modestie; les règles du recteur, du préfet de table,
du syndic, de l'acheteur, du réfectorier, du dépensier, du cuisinier que m'a données
M' Polanco; celles du portier etc.. » [Ibïd., p. 317). Nous parlerons de la publication
du livre des Règles au livre 111, c. vi. n. i.
2. « Egebat renovatione » (Epist. P. Nadal, II, p. 73).
3. « Quibus [exhortationibus] adeo fuerunt accensi ut magna sequerelur inutatio »
[Ibid.).
4. Nadal Ephem., 1562 [Epist. P. Nadal, t. II, p. 94 .
308 HISTOIRE DE LÀ COMPAGNIE DE JÉSUS.
en avait été le premier Recteur, et dont la vie s'était consumée
clans les fonctions de renseignement et du ministère sacerdo-
tal. Telle était la vénération dont il était l'objet qu'on l'appelait'
communément le saint. Plein d'une filiale confiance dans la
bonté divine, il ne s'occupait au moment de paraître devant
Dieu que* des besoins de l'Église, et il conjurait ses frères de
prier surtout le Seigneur d'avoir pitié de la France. On put
juger, par la foule extraordinaire qui vint à ses funérailles, de
quelle réputation de sainteté il jouissait dans toute la ville.
C'était un tel empressement à s'approcher du cercueil, pour le
baiser ou y faire toucher des chapelets, que « six Pères chargés
de la garde de son corps eurent du mal à le préserver » de la
pieuse indiscrétion des fidèles1. Cette vénération se transmit de
génération en génération. Cent quarante ans après, le cardinal
Cienfuegos pouvait dire que « de son tombeau s'exhalait encore
comme un parfum de sainteté2 ». Il avait eu pour successeur
dans le rectorat les P. Jérôme Le Bas et Jean-Baptiste Viola. Le
P. Guy Roillet, ancien étudiant de l'Université de Paris, fut placé
à la tête du collège quand le P. Viola retourna en Italie, em-
portant, avec les regrets de la communauté, la satisfaction d'avoir
bien mérité de la Compagnie qu'il avait tant contribué à im-
planter en France '.
2. Tandis que le P. Commissaire et le P. Provincial se trouvaient
en Auvergne, le P. Général continuait à Paris ses prédications
et multipliait ses démarches pour persuader aux principaux chefs
du calvinisme d'aller s'expliquer au concile de Trente : '< Il
prenoit bien la hardiesse, dit Bèze, de venir chercher les mi-
nistres jusques à leurs licts pour les induire à y entendre4. »
A ce concile, dans lequel il mettait tout son espoir, le P. Lainez
fut lui-même appelé par le Souverain Pontife. Sur une première
invitation transmise parle cardinal Borromée, secrétaire d'État,
le cardinal de Ferrare répondit, le 20 avril 1562 : « Quoique la
présence du Père soit très avantageuse à Paris, ainsi qu'elle le
sera partout à cause des grandes qualités qui le distinguent,
néanmoins, comme nous sommes ici dans des circonstances où les
armes sont plus nécessaires que la parole, j'ai cru devoir lui com-
1. Sacchini, Bist. Soc. P. II, lib. VI, n. 102.
2. La heroyca vida del grande S. Francisco de fiorja, 1. III, c. vi, n. 1.
3. Epist. P. Nadal, t. 1, p. 750-761. Mémoires hist. et apol. du P. de la Vie (Ar-
chiv. prov. France).
4. Bèze, Hist. ecclés. des Églises ré for m., I. I, p. 716.
VISITES DU P. NADAL. 309
muniquer la lettre de Votre Seigneurie illustrissime; je lai. en
même temps, engagé à se disposer, selon de désir de Sa Sainteté,
à partir pour la ville de Trente. J'aurai soin de le pourvoir de
tout ce qui lui sera nécessaire dans ce voyage, et je ne doute
pas qu'il ne soit au concile un très utile instrument pour l'É-
glise '. »
En remettant au P. Lainez la lettre du cardinal secrétaire
d'État, le légat lui avait recommandé d'examiner devant Dieu
ce qu'il jugerait le plus opportun dans l'intérêt de la religion :
rester à Paris où son action était si utile, ou bien partir pour le
concile de Trente, comme le désirait le Souverain Pontife. Dès
le lendemain, nous apprend le cardinal de Ferrare, le P. Général
lit connaître sa décision motivée : « Après avoir réfléchi toute
une nuit, écrivait le légat au cardinal Borromée, il m'a déclaré
que Notre-Seigneur daignait à la vérité accorder quelques succès
à ses efforts, mais que les troubles et les tumultes, au milieu des-
quels nous vivons ici, entravent son ministère, et qu'il rendrait
peut-être plus de services à l'Église au sein du concile. Il se
propose de se mettre en route pour Trente dans le courant du
mois de mai. Il m'en coûtera beaucoup d'être privé de sa sainte
et savante conversation, dont je jouissais très souvent, mais il
convient de sacrifier au bien public ma satisfaction person-
nelle2. »
De fait le P. Lainez avait mieux compris que le cardinal de Fer-
rare la pensée du Souverain Pontife : ce n'était pas seulement
un désir que Pie IV avait exprimé, mais une volonté bien arrêtée.
Le cardinal Borromée le fit savoir au Légat en lui adressant, pour
le Général de la Compagnie de Jésus, une lettre cachetée, que
celui-ci devait, à son arrivée à Trente, déposer entre les mains
des prélats présidents du concile3.
3. Le P. Nadal et le P. Broet, prévenus du départ du P. Général
et désireux de conférer avec lui auparavant, se mirent en route
pour Paris. Ce voyage présentait tant de dangers qu'au lieu de
se diriger vers la capitale « par la voie directe et ordinaire, ils
firent un détour à droite à travers la Bourgogne '» » occupée par
les troupes catholiques du comte de Tavannes. Malgré cela ils
marchèrent « au milieu des périls, trouvant les villes en armes et
1. Baluze, Misccllunea, t. IV, p. 405. — 2. Ibidem.
3. Cette lettre est datée du 11 mai 1562. Cf. Lagomarsini, In Julii Pogiani epist.,
t. III, 80.
4. Nadal Ephem., 1562 {Epist, P. Nadal, 1. II, p. 94).
310 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
les ponts-levis de leurs portes levés comme en temps de siège;
et nos voyageurs, sans défense et étrangers, faisaient pitié' ».
Cependant il ne leur advint aucun mal, tandis qu'un des profes-
seurs du collège de Tournon, le P. Etienne de Mirabcl, parti par
un chemin plus court afin de prévenir le P. Lainez de leur ar-
rivée, fut victime dune pénible aventure. Arrêté par les hugue-
nots et reconnu comme jésuite, « il fut jeté en prison avec des
boulets de fer aux pieds. On lui épargna toutefois un plus dur
traitement, et pendant qu'on le tenait ainsi enfermé on le nour-
rissait et on le traitait avec assez d'égards. Au bout de quinze
jours, on le délivra de ses fers, mais sans lui rendre sa liberté2 ».
Ses geôliers le gardaient auprès d'eux et l'admettaient à leur
table. Les jours d'abstinence, comme le Père ne voulait pas tou-
cher aux viandes qu'on leur apportait, ils ne lui faisaient rien
servir déplus, et l'abreuvaient de leurs railleries. Enfin, après
six semaines de détention, « vaincus par sa patience, sa constance
et son urbanité, ils le relâchèrent » ; et même ils lui donnèrent
une escorte pour le protéger contre de plus grands malheurs
jusqu'au camp des catholiques8.
Arrivés à Paris le 28 mai, le P. Provincial et le P. Commissaire
s'entendirent aussitôt avec le P. Lainez sur les mesures de pru-
dence nécessitées par l'état d'agitation où se trouvait alors la
France, et sur la conduite à tenir dans les affaires de la Compa-
gnie. Depuis la reconnaissance légale, plusieurs demandes avaient
été faites pour rétablissement de nouveaux collèges en diverses
parties du royaume 4. Il semble que les évèques avaient hâte de
les opposer aux écoles fondées ou dirigées par les protestants et
qui servaient à répandre les fausses doctrines. Le P. Général était
lui-même parfaitement convaincu de l'utilité de ces collèges, où
la jeunesse aurait un abri contre l'hérésie et s'exercerait à com-
battre l'erreur; mais le petit nombre des sujets disponibles im-
posait nécessairement une limite à sa bonne volonté. Il fut décidé
que l'on attendrait la fin de la guerre civile pour répondre aux
avances des villes de Toulouse, d'Avignon, de Chambéry et de
plusieurs autres; seule la demande de Rodez fut agréée.
Au commencement du mois de juin, le P. Lainez ayant fini de
régler les affaires de son Ordre en France ne songea plus qu'à
hâter son départ pour le concile. Il laissait à Paris beaucoup de
1. Nadal Ephenu, 1562 (Epist. P. Nadal, t. H, p. 94).
2. Lettre du P. A. du Coudret au P. Lainez, 5 oct. 1563 (Epist. Nadal, t. II,
p. 611, 612). — 3. Ibidem.
4. ViMtatio PIs Nadal (Bibl. nat., mss. latins, 10,989, f. 5).
FONDATION Dl COLLÈGE MF, RODEZ. 3U
regrets, non seulement dans la pslite communauté de l'hôtel de
Clermont, mais aussi dans les divers milieux où il avait porté les
efforts, souvent heureux, de son zèle. Par son rôle à Poissy et à
Saint-Germain, par la sûreté de sa doctrine, la modération de
son caractère, le tact et la prudence dont il lit preuve dans tou'es
ses démarches, il s'était montré égal au mérite que lui avaient
reconnu ses frères en le prenant comme Général, e1 le Cardinal
de Ferrare en l'associant à sa légation1. Partout où il se pré-
senta pour prendre congé, il reçut des marques de la grande
estime où tous le tenaient. Il quitta la capitale, le 9 juin, accom-
pagné du P. Nadal, s'arrêta en Belgique et en Allemagne dans
les maisons de la Compagnie, et parvint à Trente vers le milieu
du mois d'août-.
V. Avant son départ de Paris, le P. Général avait accepté,
avons-nous dit, la fondation d'un nouveau collège en France,
celui de Rodez3 que lui oiïraient les habitants d'accord avec le
cardinal d'Armagnac et Jacques de Gorneillan, évêque de Vabres,
son neveu et son coadjuteur.
Dans une tour, située entre les deux portes de cette ville, il y
avait déjà un local appelé les rcoles où enseignaient quatre
maîtres dont le directeur portait le nom de Maître mage. Les
régents qui étaient en exercice, quand l'hérésie de Calvin se ré-
pandit dans le Rouergue, l'adoptèrent en secret et la répandi-
rent hypocritement. Les parents s'en aperçurent et grand fut
leur embarras. L'un d'entre eux, Hugues Caulet, riche notable
de la ville et père d'une nombreuse famille, cherchait avec anxiété
« où il pourroit trouver des maistres catholiques, parce qu'en
ceste saison-là ils estoient si rares qu'on ne pouvoit s'en assurer,
tant les hérétiques en avoient semé partout [des leurs] pour cor-
rompre la jeunesse ; et finalement ayant esté adverty du collège
de Billom, s'estoit résolu d'y envoyer ses enfans'1 ». Mais voici
1. « De iis quae fecit Parisiis P. Jacobus Lainez » (Gall. Epist., t. II, fol. 12). —
Autre relation sur le même sujet envoyé de Paris, 4 juin 1562.
2. Epist. P. Nadal, t. I, p. 745, 746. — Le concile de Trente et la part que les
Jésuites y prirent n'appartiennent pas à l'Histoire de la Compagnie de Jésus en France.
3. Nous avons trouvé plusieurs récits contemporains de cette fondation. Trois sur-
tout sont assez complets. L'un, sans titre et auquel il manque le début et la fin, se
trouve aux archives de l'Aveyron (D, 552). Nous le citerons sous la rubrique : Notice
manuscrite. Les deux autres sont conservés dans la Compagnie. L'un a pour titre :
Hisloria fundationis collegii Ruthenensis. L'autre : Sommaire do l'érection et
progrez du collège de la Compagnie de Jésus 2 Roudez, est signé du P. Anne
d'Authier, témoin et acteur (Francia, Hisl. fundationum, n. 55).
4. Notice ms. (Archives de l'Aveyron, D, 552).
312 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
que, dans les premiers mois de l'an 1562, le cardinal d'Armagnac
préoccupé des dangers de son troupeau, et témoin du bien opéré
par le P. Pelletier auprès des catholiques de Toulouse, l'envoya
prêcher à Rodez. « Par sa vigueur à combattre l'hérésie1 » le
jésuite plut à ses auditeurs : « Dieu soit béni, disaient-ils, nous
avons enfin un vrai prédicateur de l'évangile '. » Quand ils surent
que la Compagnie de Jésus, à laquelle appartenait ce saint
prêtre, avait parmi ses ministères « l'instruction de la jeunesse
dans les lettres et dans la foi, ils pensèrent que Dieu leur offrait
un remède tout préparé3 » contre le venin de l'erreur. Alors le
sieur Caulet « en ayant premièrement conféré audict Pelletier et
à plusieurs autres des principaux de ladicte ville, et plus affec-
tionnés, et qui sçavoient la peine où il estoit pour trouver des
maistres catholiques et en combien de sortes il s'y estoit souvent
trompé, tous ensemble en parlèrent audict sieur cardinal [d'Ar-
magnac] qu'ils trouvèrent non seulement bien disposé, mais
aussy en volonté d'y mettre aussy tost la main '' ».
Ce fut à Toulouse que la députation conduite par Hugues Caulet
rencontra le cardinal. Le P. Jérôme Nadal y était alors de pas-
sage; il fut mis au courant du projet, puis vint lui-même à Rodez
traiter avec les autorités ecclésiastiques et civiles. Après avoir
l'ait quelques arrangements, il déclara, sous la réserve des droits
du P. Général, que les Jésuites acceptaient d'ouvrir des classes
dans la ville5.
5. Le P. Pelletier fut ensuite chargé de procéder régulièrement
à la conclusion de cette affaire; de nouveaux pourparlers eurent
lieu entre les intéressés, et, le 22 avril 1562, le contrat de fonda-
tion fut signé « en la ville de Rodez et maison épiscopale d'icelle »
entre Mb'r Georges, cardinal d'Armagnac, les consuls de la cité
pour la présente année et « M' Jehan Pelletier, religieux de la
Compagnie de Jésus, présent, stipulant et acceptant ». Il fut
entendu que « mondit seigneur révérendissime, comme estant
la première pierre du fondement, bailleroit de rente et revenu
1. Historia fundationis (Fiancia, Hist. fund., n. 55).
2. Sommaire de l'éreclion... (Francia, Hist. fund., n. 55).
3. Historia fundat.
i. Notice ms. (Archiv. de l'Aveyron , D, 552). Le cardinal d'Armagnac avait déjà
songé lui-même à établir les Jésuites à Rodez; en y envoyant le P. Pelletier il n'avait
eu d'autre but que d'ouvrir les voies à cet établissement. — Lettré du cardinal d'Ar-
magnac au TV Lainez, 7 février 1561 (Epist. Cardinalium).
5. Epist. P. Nadal, t. 1, p. 736, 737; t. II, .p. <J3. —Lettre du P. Roger au P. Lainez,
29 mai 1562 (Gall. Ejnst., t, 11, fol. 1-3).
FONDATION DU COLLEGE DE RODEZ. 313
annuel la some de troys cens livres sur les fruits, profits et cmo-
lumens de l'évesché de Rodés, lesquels [il aflecteroit et oblige-
rait tant pour soy que [ pour] les futurs évesques ses successeurs » .
jusqu'à la constitution d'une rente ou revenu perpétuel équiva-
lent. Le cardinal promit de faire ratifier le présent contrat « à
Révérend Père en Dieu, Jacques de Corneillan », et au chapitre
de la cathédrale. Les consuls, réservant « la communication et
consentement par eux à faire à la commune », abdiquèrent au
nom de la cité, outre « le bastiment et sol que de présent y est »,
cent livres de rente données par le sieur de Salone et feu M' An-
toine Orgueilly « pour estre appliquées aux escolles ». Le P. Pelle-
tier, « réservant le vouloir du Général de l'Ordre », promit de
« bien et fidellement faire apprendre et enseigner les auditeurs
et escolliers,... de commencer ledit exercice dans un an au plus
tost » avec six religieux, et « d'augmenter les classes de person-
nes doctes selon l'exigence et accroissement de la fondation1 ».
Des dons particuliers ajoutés à la dotation du collège devaient
en faciliter les débuts. La ville de Rodez comprenait alors deux
parties qui avaient chacune leurs consuls : la cité proprement
dite, intra-muros, et le bourg, hors des murs. Les consuls du
bourg- donnèrent mille livres avec les terrains joints au collège,
et promirent de donner davantage plus tard. Le cardinal et
M^1 Jacques de Corneillan abandonnèrent la prébende théolo-
gale2. Sur ces entrefaites le cardinal d'Armagnac, appelé à Paris
vers la fin du mois de mai par le roi de Navarre, lieutenant géné-
ral du royaume, présenta le contrat au P. Lainez pour recevoir
son approbation. Ayant manifesté le désir d'avoir huit Pères au
lieu de six, il fut convenu, le 3 juin, qu'on ajouterait cent cin-
quante ou deux cents livres aux quatre cents déjà promises. Par
acte du 27 août, le bourg et la cité accordèrent encore au collège
la jouissance à perpétuité de la Tour Ronde voisine de la porte
des Cordeliers^.
Le 22 juillet 1502, jour de la fête de Sainte Madeleine, la Com-
1. Contrat de fondation (Archives del'Aveyron, D, 248).
2. Le concile de Lalran, en 1 1 7 D, ordonna de pourvoir à L'instruction des élevés
pauvres et d'établir à cet efl'et dans chaque église cathédrale un maître auquel sérail
assigné un bénéfice suffisant. Ce règlement fut renouvelé par un autre concile de
Latran, tenu en 1215. et enfin par le concile de Trente. L'arlicle 9 de l'ordonnance
d'Orléans (1561) contenait une prescription semblable. Il stipule qu'outre la prébende
théologale, une autre prébende sera affectée à l'entretien d'un précepteur qui devra
instruire gratuitement les jeunes enfants de la ville. On donna à cette dernière le
nom de prébende préceploriale.
3. Accord entre le cardinal d'Armagnac et les consuls (Archives communales de
Hoilez, GG, 22).
314 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
pagnie de Jésus avait pris possession, par une solennité littéraire
et religieuse, des bâtiments qui lui étaient destinés: mais les cours
ne s'ouvrirent que le 19 octobre de la même année. Des témoins
de cette fondation nous ont laissé un récit navrant des épreuves
qui en accompagnèrent les commencements. A leur arrivée, le
P. Pelletier et le 1*. Anne d'Authier, un des futurs professeurs,
trouvèrent le bâtiment des anciennes écoles dans le plus grand
désordre. « rempli de toute pauvreté et misère, voire presque
inhabitable ». Ils passaient leurs journées à aménager les salles,
pauvrement vêtus, pauvrement nourris, « avec un pain ou deux,
durs comme du biscuit, sans autre pitance que quelques deniers
de prunes et de l'eau ». Us devaient parfois interrompre leurs
travaux manuels pour enseigner ceux qui commençaient à venir
au collège, « auxquels, raconte le P. d'Authier, me falloit faire
les leçons sans avoir livres ni papier, mais toutes par cœur et à
tàton ». Afin d'avancer les réparations, ils prenaient sur leurs
nuits; quand ils voulaient enfin se livrer au sommeil, ils en étaient
empêchés par les insectes désagréables qui remplissaient l'école.
Leur dortoir était ouvert « de tous costés, sans qu'il y eust por-
tes ni fenestres » ; et ils n'avaient à brûler que du bois pourri
qui donnait « plus de fumée que de flamme ». Un jour, quelqu'un
avait offert deux pigeons au P. Pelletier. C'était une aubaine. On
les fit bouillir dans l'eau avec « un col de mouton » ; puis à ce
festin, outre les six ou sept personnes de la communauté, le
Père invita deux amis, 31. de Combret « trésorier du roy » et son
cousin M. de la Roquette; « lesquels, après avoir tenu la meil-
leure contenance qu'il leur fut possible, et après avoir rongé une
cuisse de pigeon mal cuit, et mangé un morceau de mouton, si
tost que grâces furent dittes, s'en allèrent réparer le défaut à
leur maison, ainsi que depuis souvent ils nous ont raconté, mais
non pas sans rire à gorge desployée [ ».
Ces pénibles débuts ne furent pas cependant sans consolation
surnaturelle, et les sacrifices qu'on eut à supporter devinrent
une semence de fruits abondants pour l'avenir. Dès l'année sui-
vante, 1563-156i, le collège compta huit cents élèves dont plu-
sieurs appartenaient aux plus nobles familles du pays2. Le
P. Roger, ancien professeur au collège de Pamiers, exerça pen-
dant plus de seize ans à Rodez une heureuse influence par son
enseignement et ses prédications. Quant au P. Pelletier, après
1. Sommaire de l'érection... (Francia, Fundat. colleg., n° 55).
2. Manare, De rébus S. /., p. 83.
MOMT DU P. BROET. 31»
avoir inauguré les classes du nouveau collège, il remit ses pou-
voirs au I*. Balmes1, et retourna à Toulouse où il continua de se
livrer tout entier au ministère apostolique3.
G. Ainsi, malgré les difficultés de L'heure présente, la petite
Province de Paris avait, dans l'espace de six ans, ouvert quatre
maisons d'instruction. Son supérieur le P. Pascliase Broet, dont
la sage administration avait tant contribué à ce développement,
ne devait pas en voir ici-bas les heureux résultats. Dieu le rap-
pela à lui, dans le courant de Tannée 156*2.
C'était au moment où se terminaient les négociations relatives
à la fondation de Rodez. La peste, dont on avait signalé les symp-
tômes dès l'année précédente, éclata foudroyante à Paris et plu-
sieurs autres villes du royaume. En plein été, « le temps était
si fascheux, dit un chroniqueur contemporain, les pluies si pro-
longées, que les pauvres gens ne pou voient recueillir leurs blés
qui estoient jà mûrs, ains germoient dans les épis, qui estoit
grand pitié; et ne connoissoit-on s'il estoit hyver ou eslé, sinon
à la longueur des jours; car le ciel estoit tout couvert de brume
et les chemins de boue, non autrement qu'au milieu de l'hyver,
ce qui renchérit fort les vivres. La peste qui avoit esté à Paris jà
longtemps, s'augmenta fort à cause de telle disposition du temps.
De sorte que la France estoit affligée, et bien fort, de trois fléaux
de Dieu : de peste, famine et guerre civile3 ». Afin de soustraire
aux dangers de la contagion les jeunes religieux qui suivaient les
cours de l'Université, le P. Broet leur procura une maison à Saint-
Cloud, où il les envoya dès le milieu du mois de juin, sous la
direction du P. Cogordan. Pour lui, il ne voulut point quitter
le collège de Clermont et resta au foyer de l'épidémie, prêt à
sacrifier sa vie au service du prochain. Il ne retint à la rue de la
Harpe que deux Frères coadjuteurs; encore renvoya-t-il l'un
d'entre eux, quelques semaines plus tard, à la communauté de
Saint-Cloud; mais déjà, la peste avait envahi la banlieue, et le
Frère, atteint de la maladie pendant le trajet, ne parvint auprès
du P. Cogordan que pour expirer sous ses yeux. Le P. Provincial
crut alors prudent de renvoyer en Belgique, leur patrie, pour y
attendre des jours moins sombres, deux jeunes religieux arrivés
1. Souvent appelé Balmesius, sans doute de son nom français latinisé.
2. Lettre du P. Pelletier au P. Vicaire Général, 5 février 1562 (Gall. Epist., t. I,
f. 319).
3. Journal de l'année 1562 {Revue rétrospective, t. V, p. 17).
316 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
depuis peu : le P. Guillaume, surnommé Flamand1, et le P. Othon
Briamont, dune noble famille de Liège. Sur le chemin de Saint-
Cloud à Paris, Briamont fut subitement frappé du fléau. Le
P. Broet, craignant la contagion pour les autres, se chargea lui-
même de le soigner; mais son dévouement ne put sauver le
pauvre malade2 : « En ces jours, dit un témoin oculaire, l'on
mouroit de la peste à Paris fort étrangement, et me dit un vieux
médecin qu'il n'y avoit mémoire que l'on eût vu une si grande
pestilence ;i. » Le jeune Frère Briamont succomba, le 29 du mois
d'août, dans d'atroces souffrances supportées avec une patiente
résignation .
Le P. Cogordan, lui aussi, ne tarda pas à s'inquiéter du danger
que courait sa petite communauté si elle restait dans le voisinage
de la capitale; il demanda au P, Broet une entrevue, qui eut lieu
le 8 septembre dans le bois de Boulogne. Il fut décidé que le
P. Cogordan conduirait les scolastiques à Noyon, et qu'ils y res-
teraient jusqu'au jour où la peste aurait fini ses ravages à Paris
et dans les environs ''.
Quant au P. Broet, il rentra dans la capitale malgré les pru-
dentes remontrances de ses amis. Il gardait la maison de la rue
de la Harpe, seul avec un Frère du nom de Jean, et reprit son
courageux ministère auprès des malades'. Ce ne fut pas pour
longtemps. Sa mission ici-bas était terminée, et le Seigneur allait
couronner sa vie par le martyre de la charité. A son tour, il
succomba aux atteintes de la contagion et il rendit le dernier
soupir, le 14 septembre, fête de l'Exaltation de la Sainte Croix (i,
dans la soixante-deuxième année de son âge et la vingt-septième
depuis son entrée en religion.
Peu de temps après, un messager courut à Noyon annoncer sa
mort au P. Cogordan et l'avertir que le Frère « Jehan estoit tout
seul, et qu'il lui pourroit venir mal et voleurs rober la maison ».
Le P. Procureur, sans souci du danger, partit en hâte pour Paris;
mais il trouva « que le bon Jehan estoit mort7 », et il dut pren-
dre toutes les précautions sanitaires pour se préserver lui-même
du fléau. Dans la chambre du P. Provincial, il trouva sur la table
1. Peut-être Guillaume Elderen (Epist. Nadal., t. II, p. 554).
2. Lettre du P. Cogordan au P. Lainez, 29 sept. 1562 (Gall. Epist., t. 1, f. 241,.
3. Journal de l'année 1562, déjà cité.
4. Lettre du P. Cogordan au P. Lainez, 29 sept. 1562 (Gall. Epist., t. 1, f. 2il).
5. Lettre du P. Cogordan déjà citée.
6. Manare, De rébus S. /., p. 79. Lettre du P. Cogordan au P. Nadal, 29 janvier
1563 (Epist. P. Nadal, t. II, p. 167).
7. Lettre de Cogordan à Lainez, 29 sept., déjà citée.
MORT DU P. BROET. 317
un billet, où le mourant avait énuméré les objets et les meubles
contaminés1, et qui se terminait par ces mois : « Je récommande
mon âme au Seigneur notre Dieu, à toute la cour céleste, à notre
Révérend P. Général, à toute la Compagnie et à vous tous qui
avez été dispersés par la peste, priant chacun d'invoquer pour
moi le Seigneur, atin qu'il me pardonne mes péchés. Je demande
aussi pardon à tous ceux que j'ai pu offenser. J'espère que par
les prières de la Compagnie Dieu me fera miséricorde '. »
Saint Ignace avait confié au P. Broet, en 1552, le soin d'établir
la Compagnie de Jésus en France; dix ans après, cette mission
était accomplie, et le bon serviteur avait pu dire dans toute la
joie de son âme son nunc dimittis. On sait contre quels obstacles
il eut à lutter de la part des hommes et des événements : préjugés
invétérés et passions aveugles, dissensions civiles et guerre reli-
gieuse. Combien ne lui fallut-il pas de patience et d'abnégation
pour supporter tous ces ennuis et tous les dégoûts dont il fut
abreuvé! A force de modération et d'énergie, il parvint à fonder
en France plusieurs maisons et à y mettre en honneur les diffé-
rents ministères de la Compagnie. Orné des qualités d'un parfait
religieux, il n'avait point ces dons brillants qui attirent l'ad-
miration, mais il se distinguait par une simplicité calme et loyale
que les premiers compagnons de saint Ignace qualifiaient d'an-
gélique3. Il y joignait la prudence recommandée par l'Évangile,
cette prudence qui, à la lumière surnaturelle, nous fait voir les
choses dans leur réalité et nous conduit sûrement à travers
le dédale des passions humaines. Grâce à ces deux vertus, le
premier Provincial de France put remplir sa tâche avec succès et
sans jamais faillir.
1. Manare, De rébus S. /., p. 79, 80.
2. Ce billet envoyé par le P. Cogordan au P. Lainez et conservé dans les papiers
de la Compagnie comme une relique, a été publié par les biographes du P. Broet.
On le trouve dans Prat, op. cit., p. 542-543; dans Boéro, Vie du serviteur de Dieu.
Pascase Broet, p. 111,
3. Le P. Frusius, le meilleur latiniste de la Compagnie à cette époque, a célébré
cette simplicité par une élégante poésie que l'on trouve dans ses œuvres sous ce
titre : Ad Reverendum Patrem in Christo D. Paschasium, Presbyterum Socie-
tutis Jesu, simplicitatis christianae vere studiosum, de eadem chrisliana simpli-
citate Carmen methodicum. C'est une pièce de 124 vers latins. L'auteur, philosophe
et théologien autant que poète, y fait un traité complet de la simplicité. On voit qu'il
était inspiré par la vertu de son confrère auquel il l'adressait. Cf. Andreae Frusit.
Socieiatis Jesu, Poemata (Tumoni. apud Claudium Michaelem MDXCIX . On peut
voir l'éloge du P. Broet dans Sacchini. Hist. Soc. Jesu. P. il, 1. VI. n. 94-vr.
CHAPITRE X
VISITES DU P. OLIVIER MANARE.
FONDATION DES COLLÈGES DE MAURIAC ET DE TOULOUSE,
1563-1564 .
Sommaire : 1. Le P. Olivier Manare, Commissaire de la Compagnie de Jésus
en France. — 2. Sa visite en Auvergne; fondation du collège de Mauriac. —
3. Séjour du P. Manare à Lyon et à Tournon; rentrée des Jésuites au collège
de cette ville. — 4. Fondation de Toulouse. — 5. Mort du P. Pelletier. Visite du
P. Manare à Toulouse. — 6. Transfert des restes de Guillaume du Prat à Bil-
lom.
Sources manuscrites. : l. Archives du Cantal; fonds du collège de Mauriac.
II. Archives de la Haute-Garonne: fonds de Saint-Etienne.
III. Archives communales de Toulouse, série AA.
IV. Archives hospitalières de Clermont-Ferrand, série E. 1.
v. Biblioth. de Clermont-Ferrand. ms. ti'i-2.
VI. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a) Epistolae Episcoporum ;
— b) Gallia, Epistolae f.eneralium; — c Galliae Epistolae; — d Francia. Historiae fuu-
dationum totius Assistentiae ; — e; Tolosanae, Fundationes collegiorum.
Sources imprimées. : Archives curieuses de l'histoire de France, — Bosquet. Hugoneo-
rum haerelicorum Tolosae conjuratorum profligatio. — Commentaires de Monlluc.
Constitutiones S. J- — Manare, De rébus S. J- commentarius, — Ribadeneira, La
rie du P. Jacques Lainez. — Momimma qistoiuca S. J. Epistolae P. Nadal. — Lilterae
quadrimestres,
1. Le P. Général de la Compagnie de Jésus apprit à Trente la
mort du P. Broet. Il ne pouvait laisser longtemps la Province de
France privée de chef, dans les difficiles circonstances où elle
se trouvait1 ; il songea, sans retard, à mettre à sa tête un homme
de caractère et d'autorité, qui imprimerait un puissant élan à
toutes les œuvres commencées ou projetées. Son choix s'arrêta
sur le P. Olivier Manare.
Belge de naissance, le P. Manare avait suivi quelque temps les
cours de l'Université de Paris, comme étudiant de l'Hôtel de Cler-
mont. Depuis, après avoir enseigné les belles-lettres au collège
de Gubio, il avait été nommé Becleur du collège de Lorette qui
devint très prospère sous son habile direction. Ses vertus et ses
talents naturels, joints à une parfaite connaissance de la langue
t. En attendant la nomination d'un nouveau Provincial, le P. Pelletier avait été
choisi comme surintendant de toutes les maisons [Epist. Nadal, t. IL p. lr>~ .
VISITES DU P. MANARE; FONDATION DE MAURIAC. 319
française, déterminèrent le P. Général à le désigner comme suc-
cesseur du I*. Broet. Il le fit appeler à Trente, afin de s'entrete-
nir avec lui des besoins de la Province qu'il voulait lui contier,
puis il l'envoya en France avec le titre de Commissaire et muni
des instructions nécessaires à sa mission. Il y avait alors, dans la
Compagnie, deux autres Pères revêtus de ce titre et dont l'autorité
s'étendait à plusieurs Provinces : le P. François de Borgia pour
l'Espagne et le Portugal, et le P. Nadal pour la Germanie supé-
rieure et la Germanie inférieure1.
Le P. Manare en sortant du Tyrol traversa la Bavière, suivil
les bords du Bliin depuis Mayence jusqu'à Cologne, visita Lou-
vain et Tournai en Belgique, et passa par Cambrai pour se rendre
à Paris, où il arriva le 30 octobre 1563, accompagné de trois
autres Pères destinés au futur collège de la capitale. Le P. Michel
Venegas et deux autres, partis de Trente peu de temps après le
P. Commissaire, avaient pris un autre chemin et ne le rejoi-
gnirent que le jour de l'octave de Tous les Saints. A ce moment,
on annonçait aussi la prochaine arrivée du P. Jean Maldonat, qui
devait être le plus célèbre de ces hommes d'élite, capables par
leurs talents de faire honneur à l'enseignement de la Compagnie
au sein de la première Université du monde. Toutefois, rien alors
n'était encore prêt pour l'ouverture d'un collège à Paris, bien
que les exécuteurs testamentaires de Mgr du Prat et le Parlement
lui-même le demandassent avec insistance2. C'est pourquoi le
P. Manare résolut de faire tout de suite la visite de la Province
en commençant par le collège de Billom3.
2. Il profita de son séjour en Auvergne pour satisfaire aux
dernières volontés de l'évêque de Clermont relativement à la
ville de Mauriac. Nous avons dit déjà que, longtemps avant sa
mort, Mgl du Prat avait manifesté l'intention de fonder, dans la
partie haute de son diocèse, un collège qui devînt pour cette
contrée ce qu'était celui de Billom pour la partie basse. En 1560,
il ne restait plus qu'à trouver un emplacement convenable.
1. On lit dans les Constitua, P. IX. c. 3, § 7 : « Et praepositi Provinciales aut
locales, et Redores, et alii ejus commissarii eam partem hujus facultatis habebunl
quam ipsis Generalis communicaverit ». Les commissaires ordinaires furent sup-
primés par le décret 11e de la 2P Congrégation générale qui conserva les commissaires
extraordinaires ou visiteurs.
2. Voir ce que nous avons raconlé à ce sujet, I. 11, c. m, n. 11. ad calcem.
3. Manare, De rébus s. /., p. 80. Lettre du P. Manare au P. F. de Borgia. 9 nov.
1563 (Gall. Epist., t. II, p. 31J. Lellre du même au P. Nadal, même date [Epist.
Nadal, t. II, p. 45fA Lellre du P. Pradène au P. Lainez, même date (Gall. Epist..
t. II, fol. 37).
320 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
A cette époque, sur l'invitation de l'évèque, le P. Viola et le P. Le
Bas se rendirent à Mauriac, distante de Billom d'environ vingt-
deux lieues. L'agréable situation de cette petite ville, ceinte de
murailles, plut tout d'abord aux deux voyageurs; le bienveillant
accueil que leur firent le clergé , les religieux et les habitants,
leur donna l'espérance d'y récolter une moisson abondante :
« Notre venue, raconte le P. Viola, avait été annoncée. Nous
fûmes reçus par les magistrals et les noiables, qui vinrent à
cheval à notre rencontre. Ils nous conduisirent à une maison
toute décorée de tapisseries, comme si nous avions été de grands
personnages. Une foule nombreuse nous attendait à la porte de
la ville. Nous nous rendîmes à l'église où le P. Le Bas célébra
la messe, et, delà, à la maison des consuls où l'on avait préparé
un repas. J'exposai le motif de notre voyage, en disant que Mon-
seigneur nous avait envoyés pour choisir l'emplacement du col-
lège et des classes1. Les consuls, auxquels s'étaient joints dix-huit
ou vingt des plus notables habitants, nous conduisirent par
toute la ville, nous montrant tantôt un endroit, tantôt un autre.
Nous choisîmes, près d'une porte de la ville, celui qui nous
sembla le plus convenable. Il était occupé par un bâtiment de
cinq corps de logis, à côté des murailles, avec une belle place
au-devant. Là tout se prêtera bien à la construction d'un collège
et d'une église. On promit de nous donner ce terrain et une
partie de la place. Comme la cité est très resserrée et qu'il n'y
a pas de jardins à l'intérieur, les notables s'engagèrent à acheter
un jardin, près de la porte de ville, de l'autre côté des murailles.
Non loin de l'endroit où doit se bâtir le collège, se trouvent
trois ou quatre maisons en ruine : les consuls les acquerront et
feront construire les classes à leurs fra;s. On estime que pour
■toutes ces acquisitions et constructions les dépenses de la ville
s'élèveront à trois mille cinq cents francs-. »
Ceci se passait un samedi. Le lendemain, dimanche, « après
une procession à laquelle assistèrent le lieutenant du roi, les
juges civils et ecclésiastiques, les consuls en robes rouge et noir
qui avaient placé les Pères au milieu d'eux », on tint une as-
semblée générale où furent convoqués les dignitaires du clergé
et le Prieur du monastère des Bénédictins. Tous furent d'avis d'ac-
cepter le collège aux conditions déterminées. Le lundi matin, les
1. Cf. Délibération de la commuant.- de ville, 8 avril 1560 Archives du Cantal,
fonds du collège).
2. Lettre du P. Viola au P. Lainez, 28 avril 1560 (Gail. Epist., t. I, fol. 17?;.
VISITES Dlr P. MANAIiK; FONDATION DE MAURIAC. 32d
Jésuites partirent « très consolés, accompagnés une partie du che-
min par le premier consul ». Informé de tout ce qui s'était passe,
Monseigneur du Prat s'en montra très satisfait et résolut de con-
tribuer à la fondation du collège. 11 promit de le doter d'une
somme de six cents livres, et de faire la dépense de la cons-
truction, estimée à cinq ou six mille francs. Il s'empressa de
demander quelques religieux au P. Général : pour la prédication
deux prêtres, dont l'un pourrait en qualité de procureur sur-
veiller les travaux, — et pour l'enseignement deux autres Pères,
assez versés dans les lettres, car on se piquait de littérature à
Mauriac '. Malgré son désir de répondre aux avances d'un si grand
bienfaiteur de la Compagnie, le P. Lainez se trouvait dans l'im-
possibilité d'accepter cette nouvelle fondation : il préparait alors
un établissement en Savoie, et il manquait de sujets parlant fran-
çais. Dans une lettre du 20 mai 1560, adressée au zélé prélat, il
exprima ses vifs regrets de se voir dans l'obligation de remettre à
une époque plus éloignée la réalisation de ce dessein : « Dès que
nous aurons des sujets formés, écrivait-il, nous serons heureux
d'obéir à Votre Seigneurie Révérendissime et de la servir. Plaise
à Dieu, dans son infinie bonté, de récompenser éternellement
votre libéralité pour ces œuvres pieuses et perpétuelles2. »
L'évêque de Clermont n'abandonna pas, cependant, un projet
qu il avait tant à cœur. Comptant sur l'aide de la Compagnie de
Jésus, il inscrivit dans son testament, le 25 juin 1500, les legs
qu'il destinait à la fondation de Mauriac, savoir « sept mille livres
pour la construction du collège; quatre cents livres tournois à
prendre sur les prévôts des marchands [de Paris], et deux cents
sols de rente constitués par différents particuliers, à la charge
par les consuls et habitants de dépenser 1 .500 livres pour acheter
le terrain et les bâtiments3 ». Les habitants n'avaient pas re-
noncé non plus à l'établissement d'un collège dans leur ville;
aussi quand, en 1563, ils apprirent la résolution du P. Manare,
montrèrent-ils, comme trois ans auparavant, la plus grande
bonne volonté à seconder l'entreprise. Par un accord, du 12 dé-
cembre, avec les exécuteurs testamentaires de Guillaume du Prat.
ils donnèrent deux mille six cents livres qui furent employées en
diverses acquisitions, et ils s'engagèrent à faire bâtir six classes.
" 1. Lettre de M r du Prat au P. Lainez, 29 avril 1560 (E|dst. Episcop., t. I).
2. Lettre de Lainez à Guill. du Prat (Gall., Epist. General., t. 1).
3. Testament de Msr du Prat (Riblioth. de Clermont, ms. 612, f. 1-18, transcrip-
tion de l'année 1566).
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 21
322 HISTOIRE T)E LA COMPAGNIE DE JESUS.
La Compagnie de Jésus, de son côté, envoya à Mauriac avec le
1*. Pradène, Recteur, trois professeurs de lettres, un prédicateur,
un catéchiste et un frère pour les offices domestiques'.
3. En quittant l'Auvergne le P. Manare se dirigea vers Lyon,
où il s'arrêta quelque temps. Bien que la Compagnie n'eût pas
encore de domicile dans cette ville, le P. Possevin et le P. Auger
y exerçaient difl'érents ministères, l'un auprès des marchands
italiens, l'autre auprès de la population française. Le succès
étonnant de leurs prédications avait déchaîné la colère des mi-
nistres calvinistes, qui formèrent contre eux de criminels projets.
Us ne purent pas les mettre à exécution; pourtant le bruit se
répandit, dans les contrées voisines, que le P. Auger avait été
victime de leur vengeance. Cette triste nouvelle était même par-
venue jusqu'au collège de Billom. « Lorsque j'arrivai ici de Paris,
écrivait le P. Manare, j'appris de divers côtés que le P. Émond
avait été tué à Lyon. Tous les bons catholiques en ressentaient
une extrême douleur, sachant les fruits de salut que son zèle
produisait dans cette grande ville. Des personnes distinguées, qui
ne pouvaient soupçonner la part que nous y prenions, puis-
qu'elles ne nous connaissaient nullement, protestaient, en témoi-
gnant leurs regrets, que depuis quatre cents ans on n'avait point
vu de prédicateur jouissant d'une telle réputation. » Grande fut
la surprise, plus grande encore la consolation du P. Commis-
saire, en arrivant à Lyon, de trouver non seulement le P. Pos-
sevin, mais aussi le P. Auger en parfaite santé, et tous deux se
livrant avec ardeur aux fonctions de leur pénible et fructueux
ministère2.
Une autre joie lui fut donnée, quelques jours après, quand
arrivant à Tournon, pour y faire sa visite, il fut reçu par les
Pères revenus depuis quelques mois dans leur collège. 11 put
constater qu'ils avaient trouvé, en rentrant, tout l'ameublement
intact; la chapelle elle-même n'avait subi aucun dégât, aucune
profanation. Cette préservation, due à un secours spécial de la
providence divine, fut d'autant plus remarquée que les hugue-
nots avaient tout brisé dans les églises de la ville. Cependant, la
1. Contrat de fondation (Archives du Cantal, D. — Francia, Histor. Iinul.it ion mu,
n. 56). Les premiers jésuites du collège de Mauriac furent avec le P. Pradène le-;
PP. Guy Koillet, Jacques Argillier, Etienne de Mirabel, Michel Trac et Jacques Pra-
déan.
2. Relation du P. Manare dans « Acla a Possevino ». Lettre du P. Auger au P. Gé-
néral, le 11 février 15G4 ;Gal). Epist., t. 11, fol. 203). Manare, De Rébus S. J., p. 81.
VISITES DU IV MAXARK. 323
rentrée des bannis ne s'était pas effectuée saûs difficultés. L'un
des professeurs, le P. Cilles Faber, en a raconté tous les détails
dans une longue lettre du 30 janvier 1564 : « Immédiatement
après l'édit de pacification^ , écrit-il, nous commençâmes à nous
préoccuper de notre retour. Ce projet semblait à plusieurs plein
de témérité et de péril. Nos ennemis, en ayant eu connaissance,
signifièrent au vieux comte de Tournon que nous permettre de
revenir au collège serait nous exposer tous à la mort. Us avaient
bien la volonté d'exécuter leurs menaces, et ils n'auraient pas
manqué de le faire, si nous n'avions pas été protégés par Celui
qui se joue des vains efforts des hommes.
« Bannis le même jour de Tournon, nous n'y revînmes pas
tous en même temps. Les premiers qui rentrèrent au collège fu-
rent le P. Sébastien, économe, Me Antoine Francosi, professeur
de philosophie, et M0 Antoine Dupont. Arrivés à la fin du mois de
juillet, ils se rendirent auprès du comte de Roussillon, fils aîné
du vieux comte de Tournon, qui venait à peine de recouvrer l'au-
torité dans la ville. Il félicita les exilés de leur retour et leur
promit son appui, mais en se demandant avec inquiétude com-
ment ils pourraient vivre en si petit nombre au milieu d'une
multitude conjurée à leur perte : « Dans ces temps malheureux,
« disait-il, qui oserait faire profession publique de la foi? » Depuis
seize mois, en effet, pas un prêtre, pas un chanoine n'avait célébré
le Saint Sacrifice, ni porté l'habit ecclésiastique, propter metum
Judaeorum. Cependant, quand il vit que les Pères demeuraient
fermes et inébranlables dans leur résolution de lutter contre la
mauvaise fortune, il accepta de grand cœur leurs services, et pria
le P. Sébastien de chanter la messe dès le lendemain dans l'église
principale. Il y assista lui-même, avec ses serviteurs, bon nombre
de paysans accourus des bourgades voisines, et quelques hommes
pieux de la ville, que l'exemple du comte avait encouragés à
déposer toute crainte. Les jours suivants, le Père dit chaque
matin une messe basse, et remplit pendant quelque temps les
fonctions de curé.
« Le 5 août, le P. Annibal du Coudret revint d'Auvergne, et se
mit à prêcher trois et quatre fois la semaine. Entraînés par cette
audacieuse confiance, beaucoup d'habitants, qui s'étaient cachés,
reparurent, et les prêtres ayant repris leurs vêtements ecclésias-
tiques, recommencèrent à célébrer publiquement les offices.
Dans notre église on disait plusieurs messes chaque jour, on en-
1. Du 19 mars 1563.
324 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
tendait les confessions et on distribuait la sainte communion; ce
qui nous attira pendant trois mois toutes sortes d'insultes de la
part des novateurs. Ils épiaient les personnes qui entraient ou
sortaient, menaçant de leur faire un mauvais parti. Ils ne se
contentaient pas de crier et de vociférer à la porte, ils lançaient
jusque sur l'autel des pierres, des plâtras et autres projectiles.
Nous étions d'autant plus exposés à toutes ces avanies, que deux
petites maisons seulement nous séparaient de leur prêche, établi
dans une bergerie. De notre église nous entendions leurs chants,
de sorte que le célébrant en était parfois fort troublé1. »
A la fin de janvier 1504, tout danger n'avait pas encore disparu,
et d'après l'avis d'amis charitables, les Pères se tenaient prudem-
ment sur leurs gardes. Ils ne sortaient que « pour prêcher, con-
fesser ou visiter les malades » ; et quand ils allaient dans quelque
village des environs, ils se faisaient « toujours accompagner de
ceux qui étaient venus réclamer leur ministère ».
Au moment de la visite du P. Olivier Manare, le collège de
Tournon comptait quinze religieux, parmi lesquels quatre prêtres
dont Dieu se plaisait à bénir les travaux apostoliques : par leurs
industrieux efforts, ils avaient déjà retiré de l'erreur « plus de
quatre cents calvinistes ». On pouvait espérer, grâce à la bienveil-
lance du jeune comte de Tournon, que ce collège continuerait de
prospérer. Un jour qu'il s'entretenait avec quelques Pères de la
Compagnie, des huguenots lui présentèrent une supplique pour
l'engager, dans l'intérêt de sa maison, à rentrer en possession du
collège et à en chasser les criminels Jésuites. Le comte, s'étant
aperçu de ce que contenait leur requête, la lut tout haut, malgré
leurs dénégations : « Eh quoi, dit-il ensuite, vous nous proposez
de nous enrichir avec les dépouilles d'autrui?Le cardinal, mon
oncle, a donné ce collège aux Jésuites, mon père n'a pas songé à
le leur enlever; eh bien, ni moi non plus. » Et les solliciteurs se
retirèrent fort humiliés-.
ï. Pendant qu'il visitait Tournon, le P. Commissaire reçut une
lettre très pressante du P. Pelletier, lui demandant de venir au
plus tôt à Toulouse où il était urgent de remédier à la situation
précaire du tout nouveau collège de cette ville. La fondation de
cet établissement, dont le P. Pelletier fut le premier supérieur,
n'avait pas demandé moins de trois années de préparation. 11 était
1. Lettre du P. Faber au P. Lainez, 30 janvier 1 r. t ; 4 t.alliae Epist., t. II, fol. 329).
Cf. Epist. P. Nadal, t. II, p. 378. — 2. Ibid.
VISITES DU P. MANARE; FONDATION HE TOULOUSE. 32b
pourtant fort utile, même à ne considérer que l'avantage de l'Uni-
versité. En eifet, dès 1551, les capitouls de Toulouse avaient dû se
plaindre au roi « que dans ladite Université, qui estoit la plus
florissante du royaume, particulièrement pour l'étude de la juris-
prudence, il ne se trouvoit aucun collège fondé pour enseigner
les langues hébraïque, grecque et latine, sans la connaissance
desquelles on ne pouvoit parvenir à la perfection des sciences ' ».
Sa Majesté fit droit à ces justes représentations par lettres patentes
de juillet 1561 : sur le grand nombre des collèges établis à Tou-
louse pour les étudiants en droit civil et en droit canon, il en
supprima huit2, « pour des deniers qui proviendraient de la vente
des maisons et biens desdits collèges en estre fondés deux autres,
en la manière que les capitouls aviseront avec larchcvesque et
le procureur général du roi, dans lesquels lesdites langues hébraï-
que, grecque et latine seront enseignées8 ». La volonté du sou-
verain fut exécutée, sauf que Ton conserva les bâtiments et les
biens de l'un de ces huit collèges, celui de l'Esquille, en le desti-
nant aux étudiants de la faculté des arts'1. Les capitouls eurent
ainsi un des deux collèges de lettres désirés; il leur restait à
fonder l'autre.
En 1560, il fut question d'appeler les Jésuites; mais l'état déplo-
rable dans lequel se trouvait tout le Languedoc, ne permit point
d'entamer les négociations '. La capitale de cette province était
devenue l'objectif des huguenots, qui voulaient en faire le centre
de leur propagande. Leur audace croissant avec le nombre, ils
commirent toutes sortes d'atrocités dans les campagnes environ-
nantes, et la ville allait tomber entre leurs mains, quand le car-
dinal d'Armagnac, nommé lieutenant général du Haut-Langue-
doc, parvint avec le maréchal de Montluc à rétablir l'ordre et la
tranquillité0.
Une fois la paix assurée, la présence des Jésuites de Pamiers,
1. Rapport sur l'état de l'université de Toulouse, réJigé en 1668 par MM. Charles
d'Anglure de Bourlemont, archevêque de Toulouse, et Claude Bazin, seigneur de
Bezons, conseiller d'Etat (Jourdain, L'Université de Toulouse, p. 22, 24).
2. Ceux de Bolbone, de Saint-Girons, de Verdalle, de Montlezun, de Saint-Exu-
père, des Saints-Innocents, du Temple et de l'Esquille.
3. Patentes de juillet 1561 (Archives de la Haute-Garonne, C, 2,290; B, 244, fol.
339).
4. Rapport sur l'état de l'Université de Toulouse déjà cité.
5. Lettre du P. Pelletier au P. Broet, 9 sept. 1560. Lettre du même au P. Général,
20 février et 4 août 1561 (Gall. Epist., t. I, fol. 210, 251, 260).
6. Lettre du P. Roger au P. Général, 29 mai 1562 (Gall. Epist., t. II, fol. 1-3). Cf.
Commentaires de Montluc, t. V. Relation de l'émeute arrivée à Toulouse en 1562
(Archiv. cur, deVhist. de France, sér. l, t. IV, p. 343). Bosquet, Hugon. haeretic.
lolosae profligatio (cet ouvrage fut publié par Bosquet en 1563).
326 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JES1 5.
réfugiés à la Daurade, parut au syndic de Toulouse une occasion
très favorable pour la fondation d'un collège de la Compagnie,
et il en prit l'initiative. Sur sa demande, le Parlement approuva,
le 5 mars 1562, la donation de la « mestairie dite Pujol » et
autres biens immeubles que feu Maître Jehan Bartholomei, prési-
dant des enquêtes en la cour, avait faite en faveur des Jésuites.
« à la charge que les collégies d'icelluy collège seront tenus célé-
brer, ou faire célébrer, les messes ordonnées par ledit testa-
ment1 ». La même année, les Jésuites « obtinrent des lettres
patentes du roy Charles neuf pour demeurer [à Toulouse] sous le
liltre de collèg-e, [et ils] s'établirent en 1563 dans le monastère
des filles Augustines, qui leur fut donné par le cardinal d'Armai-
gnac, archevesque de Toulouse2 ».
L'acte de cette donation, du 27 novembre 1562, est fort instruc-
tif. Il y est dit que « à filtre de collège et société du nom de Jésus,
et non d'aultre nouvelle religion, [les Pères] sont institués... dans
cette ville... pour prescher, visiter les malades, consoler les
povres personnes visitées de la main de Dieu, et pour donner
instruction à la jeunesse de ceste ville, diocèse et province ». De
plus, « pour ce que ledit couvent des Augustines a esté si longue-
ment profané, ne servant que de scandaile », le cardinal d'Arma-
gnac, afin de « remettre ledit lieu en régulière réformation »,
ordonne que les Jésuites « seront mys audit couvent, pour icelluy
tenir, régir et administrer comme leur propre maison, le mellio-
rer et réparer... et leur sera baillé ledit couvent et église, clois-
tres et jardin, avec tout ce qui en est despendant :1 ».
Aux libéralités du cardinal s'ajoutèrent quelques dons parti-
culiers, destinés à l'entretien d'un nombre convenable de prê-
tres et de professeurs. L'un des premiers bienfaiteurs de la Com-
pagnie fut le capitoul Durand, ou Durauti, qui devint plus tard
président au Parlement.
Afin de répondre le mieux possible aux désirs et aux avances
de la population, le P. Pelletier avait demandé à ses supérieurs
de choisir les professeurs du nouveau collège parmi leurs meil-
leurs sujets. Au mois de février 1563, il réclamait un Recteur qui
fût « à la fois théologien et prédicateur ». Toulouse, disait-il,
« est la seconde ville de France et remplie de gens doctes et
1. Tolos., FunJal. collegior., t. III, n.17. De origine colleg. Tolosani (Ibid., n. 2). Cf.
Epist. P. Nadal, t. I, p. 729. Manare, De rébus S. J., p. 71.
•' 2. Rapport sur l'état de l'Université, cité plus haut.
3. Acte de la fondation (Tolos., Fundat. collegior., t. III. n° 16).
VISITES DU P. MANARE; FONDATION DE TOI LOUSE. 327
bons. La Compagnie y trouvera plus de profit et d'accroissement
qu'en aucun autre lieu du royaume1 ». Quelques mois après, se
fit l'ouverture des classes. Il n'existe pas de document qui permette
de déterminer d'une façon précise à quelle époque elle eut lieu ;
nous savons seulement que, dès le mois de juillet, on enseignai I
déjà les humanités et la philosophie2. Les cours, au début, pour
plusieurs raisons, ne furent pas aussi fréquentés qu'on aurait pu
l'espérer dans une si grande ville. L'ancien monastère des Augus-
tines, situé dans un quartier retiré et insalubre, était une habita-
tion incommode et insuffisante3.
5. Les Pères, qui avaient hâte de changer des conditions si
désavantageuses, attendaient avec une certaine impatience la
visite du P. Commissaire général. Celui-ci n'avait pas encore pu se
mettre en route quand le P. Supérieur de Toulouse tomba malade
et mourut. Plusieurs auteurs ont prétendu que le P. Pelletier
succomba aux effets d'un poison lent, que lui auraient donné les
huguenots quand il était en prison avec plusieurs autres prédi-
cateurs catholiques K II mourut épuisé surtout par les rudes tra-
vaux qu'il avait entrepris pour la gloire de Dieu"'. Depuis son
arrivée en France, c'est-à-dire depuis quatorze ans, il n'avait
cessé de se dépenser au salut des âmes dans les diocèses de Tou-
louse, de Paniiers, de Rodez et de Cahors. Le clergé et les habi-
tants de cette dernière ville, ayant perdu leur évèque, avaient
mis tout en œuvre pour que le P. Pelletier le remplaçât (i : mais
l'humble religieux, fidèle à sa vocation, refusa ce poste d'hon-
neur. Après les prédications au peuple et l'instruction de la jeu-
nesse, il donna le meilleur de son temps et de son zèle à la ré-
forme des prêtres oublieux de la sainteté de leur état. Il regarda
toujours la dévotion à la sainte Vierge comme son principal moyen
d'action sur les âmes. Persuadé que la meilleure tactique était de
remettre en honneur le culte, à peu près disparu, de la très sainte
Mère de Dieu, il s'efforça de relever partout ses autels détruits,
ses statues renversées, ses confréries, ses fêtes, ses pèlerinages. Il
en vint à bout avec tant de succès que, dans tout le Languedoc,
on ne le désignait plus que sous le beau nom de docteur et d'a-
pôtre de Notre-Dame. Après sa mort, rien ne fit mieux l'éloge de
1. Lettre du 5 février 1563 (Gall. Epist., t. I, fol. 319, 321).
2. Epist. P. Nadal, t. II, p. 345. — 3. Manare, De rébus S. /., p. 72.
, 4. Voir liv. II, c. vu, n. 7. — 5. Manare, De rébus S. Jesu, p. 82.
6. Ce fait ne nous est fourni que par le P. Sacchini, Hist. Soc. Jesu, P. IF, lib. VII,
n. 70.
328 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉS1 S.
son influence et de sa vertu que les regrets unanimes des catho-
liques de Toulouse : ils célébrèrent, avec une pompe inaccoutu-
mée, les funérailles de celai qu'ils pleuraient comme un père :
« Jamais, s'écriaient-ils, nous ne trouverons personne qui puisse
remplacer notre bon P. Pelletier1. »
Cette sympathie de la population pour le vaillant défenseur de
la foi s'étendait, d'ailleurs, à tous ses frères de la Compagnie ;
aussi, dès son arrivée à Toulouse, le P. Commissaire trouva-t-il le
cardinal et les capitouls tout disposés à faire droit aux demandes
qu'il allait bientôt formuler dans l'intérêt de leur collège. Il
montra d'abord la nécessité de le transférer clans un lieu plus
favorable. Ce projet n'ayant rencontré aucune opposition, il se
préparait à l'exécuter lui-même, quand des motifs graves le rap-
pelèrent à Paris. Il comprit alors que, seul, un homme d'action et
d'autorité terminerait heureusement cette affaire : il songea au
P. Auger alors à Lyon, et avant son départ il promit de l'envoyer
comme prédicateur. Mais il avait compté sans la résistance des
catholiques de Lyon, qui ne voulurent point céder leur apôtre 2.
A la place du P. Émond, le P. Annibal du Coudret prit, en qua-
lité de Recteur, la direction du collège de Toulouse.
Vers cette époque, plusieurs donations soulagèrent la maison
en détresse. Le 1°' mai 1564, les chanoines de l'Église métropo-
litaine proposèrent l'union de la prébende préceptoriale, d'un
revenu de 300 livres, union effectuée le 14 juillet 1565 3. Au
mois de novembre de la même année, le cardinal d'Armagnac,
sur le point de partir pour Avignon, assigna une rente annuelle
de 120 livres4. Malgré cela, tout restait à faire pour l'installa-
tion, et beaucoup encore pour la dotation. Un peu plus tard seule-
ment, les circonstances permirent de transporter les classes dans
un autre local et de donner au collège tout son développement '.
6. En se rendant à Paris, le Père Commissaire général passa
par Billom, où l'on signale sa présence au transfert, dans l'église
1. Voir l'éloge du P. Pelletier dans Nadasi : Annus (lier, memor. Soc. Jesu, i" ja-
nuar., p. 1. Sacchini, Histor. Soc. J., P. II. 1. VII, n. 70. Patrignani, Menologio. 1 gen-
naio, p. 6.
2. Lettre des catholiques de Lvon au P. Lainez, 22 avril 156i (Gall., Epist. ad gen., II,
f. 212).
3. Registres capitulaires de Saint-Etienne (Archives de la Hl--Garonne, f. Saint-
Etienne, n. 144).
4. Ordonnance du cardinal d'Armagnac (Archives commun, de Toulouse, AA, 20 :
121, fol. 335-337).
5. L'achèvement de cette fondation sera raconté au livre III, ch. vu.
VISITES DU P. MANARE. 329
du collège, des restes de Guillaume du Prat1 déposés jusqu'alors
dans la chapelle des Minimes de Beauregard. La cérémonie eut
lieu les 22 et 23 mai 1564. Elle avait été réclamée par deux des
exécuteurs testamentaires de l'évêque fondateur, les sieurs de
Tcrssat et Mauguin, qui rappelèrent au conseil de ville sa der-
nière volonté d'être enterré dans l'église du collège, construite à
ses frais, quand elle serait terminée et consacrée. Puisque les
deux conditions étaient maintenant remplies, disaient ces mes-
sieurs, « il ne restoit aultre chose si n'est que à exécuter ledict
testament et deslibérer de la forme et manière dudict enterre-
ment2 ».
Les consuls s'y prêtèrent aussitôt : « A esté deslibéré et c<m-
clud que les funérailles se feront les lundy et mardy de Panthe-
coste:?; assavoir que le lundy, envyron l'heure de midy, on pren-
dra le corps du lieu de Beauregard et l'apportcra-on sur ungs
brancardz ou létyère, et sera accompaigné par certain nombre
de relligieulx, comme Cordelliers, Jacobins et Carmes, ensemble
lesdicts Mynimes et Jésuistes, et aultres prestres sécullicrs le plus
qu'on porra, et sera mis ledict corps dans une chapelle hors de la
ville dudict Bilhom, où il reposera toute la nuyt du lundy... el le
lendemain mardy, sera apporté dans la chappelle du colliègc
de Bilhom, et sera accompaigné de messieurs les eschevins,
administrateurs, aultres habitans de la dicte ville, et y aura
certain nombre de torches et lumynaire... et fera-on ung service
audict collège de Bilhom à l'enterrement, qui servira de bout de
l'an, et le mercredy sera dict plusieurs messes... Sera fait le
service par Monsieur l'évesque de Sarlat, s'il luy plaît de prendre
la peyne, lequel de ce fère sera prié '. »
Le P. Sacchini nous rapporte que les Pères du collège tinrent
à honneur de recevoir, avec la plus grande solennité et les plus
beaux témoignages de gratitude, la dépouille mortelle de leur
premier bienfaiteur en France. Au service fait à Billom, le
P. Olivier Manare prononça son oraison funèbre. Ensuite, dans
une séance littéraire, les élèves du collège célébrèrent de nouveau
ses louanges « par trois discours et en trois langues : latin,
hébreu et grec; puis, à la faveur d'une fiction poétique, l'on vit
1. « In illucl [lemplum] corpus Gulielmi fundaloris honorifice delalum est. Inter-
fuit Oliverius ab Tolosa reversus » (Sacchini, Hist. Soc, P. II, 1. VIII, n. 88).
2. Délibération, sans date, placée entre celles du 23 avril et du 30 mai 1564 (Arcliiv.
hospit. de Clermont-Ferrand., I. E., 1, fol. 192).
3. La Pentecôte tombait cette année-là le 21 mai.
4. Délibération déjà citée.
330 HISTOIRE DE EA COMPAGNIE DE JÉSUS.
paraître les muses de l'Auvergne pleurant la mort de leur pro-
tecteur ». Et si toutes ces pompes, remarque notre premier his-
torien, « firent valoir la science des professeurs et là reconnais-
sance de la Compagnie, elles n'égalèrent point cependant les
mérites du fondateur de trois collèges, de celui qui en des temps
difficiles se montra le soutien aimant et fidèle d'une petite société
encore obscure1 ».
Aussitôt après ces fêtes, le P. Manare partit pour Paris où il
arriva le l01' juin.
l. Sacchini, I. c.
CHAPITRE \l
TRAVAUX APOSTOLIQUES IlKS PP. LOUIS 1)0 COUDRET,
ANTOINE POSSEVIN ET ÉMOND AUGER.
(1558-1564).
Sommaire : Le /'. Louis du Coudret (1558-1560), — I. Missions clans le diocèse
de Genève. — 2. Missions dans Le midi de la France. — Le P. Antoine Possevin
1560-1562). — 3. Sa jeunesse et sa vocation. — 1. Ses missions dans les vallées
dos Alpes et ses prédications en Piémont. — 5. Raison de son séjour à Lyon;
état de cette ville à son arrivée. — 6. Son apostolat auprès dos marchands
italiens. — 7. Lyon tombe au pouvoir des huguenots; départ de Possevin. —
Le /'. Émond Auger (1562-1563). — 8. Ses missions eu Auvergne. — !». Ses pré-
dications à Lyon. — Les PP. Auger et Possevin (1563-1564). — 10. Retour et
nouveaux travaux du P. Possevin à Lyon. — 11. Démarches du clergé et des
fidèles pour conserver le P. Auger. — 12. Controverses des deux Jésuites avec
le ministre Viret. — 13. La peste à Lyon (1564); départ du P. Possevin; dévoue-
ment du P. Auger.
Sources manuscrites : I. Archives du Rhône, série D.
M. Archives communales de Lyon, série BB.
111. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a) Epistolae Episcoporum ; —
l>) Gallia, Epistolae Generalium; — c) Galliac Epistolae; — d) Possevinus : Annalium de-
cas 1'; Acla in Gallia.
Sources imprimées : Arc/tire* curieuses de l'histoire de France. — Paris (Louis), Négo-
ciations, lettres etc. relatives au règne de Fratiçois IL — l'éricaud. Notes et documents
pour servir à l'histoire de Lyon sous Charles IX. — Pièces fugitives pour servir à l'his-
toire de France : Prise de Lyon et de Montbrison par les protestants. — De Ruhys. His-
toire véritable de la ville de Lyon. — Monumentà historica s. j. Epistolae mixtae. Episto
lae P. Nadal.
1. Les Jésuites, dès les premières années de leur séjour en
France, s'étaient livrés avec ardeur au ministère de la prédica-
tion si recommandé par saint Ignace comme un des principaux
moyens d'atteindre la fin de l'Institut. Le P. Robert Glaysson et
le P. Le Bas dans le Soissonnais et en Auvergne, le P. Pelletier à
Pamiers et à Toulouse, le P. Auger dans le comté de Foix ef le
Dauphiné, avaient remporté, pour le bien des âmes, de réels
succès apostoliques. Après eux, et à mesure que croissait le nom-
bre de ses sujets, la Compag-uie multiplia ses missionnaires, qui
parcoururent, non sans fruits de salut, presque toutes les pro-
vinces du royaume. Nous ne signalerons pour le moment que
les PP. Louis du Coudret et Antoine Possevin, dont les prédica-
332 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
tiens précédèrent ou accompagnèrent les glorieux travaux du
P. Auger à Lyon et dans le sud de la France.
Le P. Louis du Coudret, originaire de Sallanches en Savoie, y
avait été chanoine de l'église collégiale de Saint-Jacques, avant
de se présenter à la Compagnie de Jésus. Quoique moins illustre
que son frère cadet, Annibal, reçu avant lui parmi les disciples
d'Ignace, il remplit néanmoins dans son Ordre des fonctions im-
portantes, avec un éclat qui lui a valu un rang distingué dans
l'histoire religieuse du seizième siècle. Il avait déjà présidé à
rétablissement des collèges de Florence et de Monte Pulciano,
quand l'évèque de Genève, retiré à Rome pendant la domina-
tion de Calvin et qui connaissait tout son mérite, obtint par l'in-
termédiaire du pape Paul IV que le P. Lainez l'envoyât en Savoie,
sa patrie, pour aider le clergé à défendre ce pays contre l'inva-
sion de la réforme.
Le P. Louis du Coudret se rendit d'abord à Annecy, dont il fit
le centre de son apostolat1. De là, il rayonnait dans tout le dio-
cèse, exerçant le ministère de la prédication jusqu'aux portes de
Genève. Il lui était impossible de songer à soustraire cette mal-
heureuse ville au joug despotique de Calvin; mais il apprenait
avec joie les échecs du réformateur, qui ne parvenait pas toujours
à raffermir son autorité chancelante. Il a raconté, à ce propos,
un fait que les historiens de la secte ont eu bien soin de laisser
dans l'oubli. Un jour, voulant se faire passer pour thaumaturge,
Calvin persuade à l'un de ses amis, réduit à la misère, de feindre
le malade puis le mort, comptant s'attribuer la gloire facile de
le ressusciter. A la femme du futur miraculé, complice de la
comédie, il promet une forte somme pour prix de son silence.
Tout se passe comme il était convenu; l'ami complaisant est ense-
veli et conduit au lieu de la sépulture. Calvin s'y rend, accom-
pagné d'une foule considérable qui devait servir de témoin à
cette parodie de résurrection : « Au nom du Dieu vivant, dit-il,
mort, lève-toi. » Mais le mort ne fait aucun mouvement. Deux
fois, trois fois, Calvin renouvelle son commandement : « Au nom
du Dieu vivant, mort, lève-toi! » Et le mort persiste à ne pas
bouger. Calvin s'approche alors du cercueil, entrouvre le lin-
ceul, palpe lé corps : ce n'était plus qu'un cadavre. Le Dieu
vivant n'avait pas voulu qu'une ruse sacrilège servit à tromper
une foule trop crédule. L'âme du malheureux était déjà dans son
1. Lettre du P. du Coudret au P. Lainez, 23 nov. 1558 (Galliae Epistolae, t. I, fol.
41-43).
TRAVAUX APOSTOLIQUES DU P. L. DU COUDRET. 333
éternité. Sa pauvre femme, à cette vue, éclate on sanglots, s'é-
criant que Calvin est la, seule cause de celle mort; maison par-
vient à étoulfer ses cris, et la foule se disperse silencieuse par
crainte du terrible réformateur. « Ce l'ait, écrivait le ll. du Cou-
dret au P. Général, m'a été affirmé par plusieurs habitants de
Genève, au nombre desquels se trouvaient des hérétiques qui en
ont été témoins1. »
Dans ses courses apostoliques, le jésuite missionnaire prêchait
deux et trois fois par jour, quelquefois sur les places publiques
à cause de la foule des auditeurs qui se pressaient avides de l'en-
tendre. On accourait de toutes parts, même des lieux occupés
par les calvinistes, mais en secret, par crainte des magistrats.
« Ces pauvres g"ens, dit-il, quoique catholiques de cœur, sont
obligés de vivre comme ceux qui les entourent. Ils ne peuvent
jamais entendre la messe le dimanche, par contre ils s'abstien-
nent de faire gras le vendredi. » Le Père ne bornait pas son apos-
tolat à enseigner au peuple la doctrine chrétienne ; il s'occupait
aussi du clergé auquel il expliquait les épitres de saint Paul.
Il acquit bientôt, par sa science et son zèle, une telle influence
dans le diocèse que le vicaire général et les chanoines songèrent
à faire de lui un suffragant de l'évêque de Genève. Quand on lui
parla de ce projet il n'y voulut jamais consentir, préférant, selon
l'esprit de saint Ignace, sa pleine liberté pour les travaux de
son ministère; il écrivit même au P. Général de s'opposer, autant
qu'il le pourrait, aux démarches qui seraient tentées à ce sujet
auprès du Pape3. Une autre proposition lui fut faite qu'il dut
encore refuser : la ville d'Annecy possédait un beau collège3;
on lui en offrit la direction. Comme cette charge était incom-
patible avec les fonctions du missionnaire, on songea dès lors à
confier tout l'établissement à la Compagnie de Jésus, qui y enver-
rait quatre ou cinq professeurs. Le duc de Savoie lui-même
appuya ce projet; mais on ne put s'entendre sur les conditions.
et l'affaire fut pour quelque temps abandonnée '*.
2. Les besoins spirituels des populations ne permettaient pas
au P. du Coudret de séjourner longtemps dans un même endroit.
Bientôt, laissant à Annecy le P. Fuzelier qu'on lui avait adjoint
1. Ibid. — Sacchini (P. II, 1. III, n. 74) dil que ce fait riait de notoriété publique.
2. Lettres au P. Lainez, 23 nov. 1558 et '2i janv. 1559 [Gall. Bpist., t. I, fol. 43, 86).
3. Lettre du P. L. du Coudret au P. Général, 1" déc. 1559 (Gall. E|>ist., t. I, f. 107).
4. Lettre du P. Général au P. L. du Coudret, 21 déc. 1559. — Du même aux con-
seillers d'Annecy, 21 déc. 1559 (Epist. Gen., 1559-1561).
334 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
comme auxiliaire, il se rendit auprès de Mgr Bernard d'Elbène,
évêque de Lodève, qui avait obtenu du P. Général le secours de
son ministère. Ayant franchi les Alpes, il parcourut les principales
villes de la province de Xarbonne, où le calvinisme commençait
à recruter de nombreux prosélytes, visita plusieurs fois Marseille,
Aixj Cavaillon, Carpentras et Lyon; et partout, sa parole pleine
de feu créait d'admirables mouvements de retour à l'Église.
Comme il se préparait à regagner la Savoie, le vice-légat d'Avi-
gnon le retint près de lui pour y prêcher le carême de 1560 l.
Malgré le déplorable état des mœurs, la foi était vive encore
dans cette ville aux institutions si catholiques; pourtant les nou-
velles doctrines, favorisées par un primicier de l'Université, se
glissaient parmi la jeunesse, et bien des esprits sentaient leurs
croyances ébranlées. L'autorité temporelle du Pape sur Je Comtat
commençait aussi à être discutée. Dans une réunion de protes-
tants, dont quelques-uns doutaient qu'on pût s'armer contre le
souverain du pays, il avait été reconnu « que le Pape ne saurait
être regardé comme leur souverain légitime'2 ». En de telles cir-
constances, le P. du Goudret sentit redoubler l'ardeur de son
zèle. Sans négliger les questions de morale, il aborda de front
les problèmes soulevés par Calvin, et dévoilant les ruses des no-
vateurs il parvint à ramener dans la voie de la vérité un grand
nombre de ceux que la curiosité ou l'ignorance en avait écartés.
Outre ses prédications quotidiennes à l'église Saint-Pierre, il par-
lait jusqu'à trois fois les dimanches et les jours de fête : le matin,
à la célèbre confrérie des Flagellants; pendant la grand'messe,
à Saint-Pierre, et l'après-midi, dans la chapelle de l'archevêché.
Son éloquence et sa doctrine furent si goûtées qu'il dut recom-
mencer, après les fêtes de Pâques, une nouvelle série d'instruc-
tions dans l'église des Cordeliers, dont la nef, plus grande que
celle des autres églises, se prêtait mieux aux exigences d'un nom-
breux auditoire. Apôtre infatigable, le P. du Coudret, au milieu
de tant de travaux, trouvait encore le loisir de donner à quel-
ques Ames d'élite les Exercices spirituels de saint Ignace3.
D'Avignon, il retourna à Annecy où le rappelait l'évêque de
Genève, parce qu'il était de nouveau question de confier à la
Compagnie de Jésus le collège de la ville. L'évêque et le duc de
1. Lettre du P. L. du Coudret au P. Lainez, G janvier 1560 Gall. Epist., t. I, fol.
189, 190).
2. Perrin. États pontificaux de France au XVI" siècle, p. 68.
3. Lettres du P. du Coudret au P. Lainez, il mai et 14 juin 156u Gall. Epist.,
fol. 202, 204).
TRAVAUX APOSTOLIQUES MU P. L. DU COUDRET. 335
Savoie se trouvaient en parfait accord de sentiments; mais les
habitants se montraient inquiets des conséquences que leur sem-
blait entraîner une donation complète. S'imaginant, sans raison,
([non leur faisait une telle proposition pour transformer le collège
en monastère de religieux, ils hésitaient à abandonner leurs
droits. Quoiqu'il dût en résulter une grande utilité pour le pu-
blic, avec beaucoup moins de soucis pour les administrateurs,
ils ne pouvaient se résoudre à se dessaisir de leur immeuble et
à le confier pour toujours à des mains étrangères. Ils consenti-
rent seulement à demander pour six ans trois professeurs, dont
le traitement, comme celui des fonctionnaires de la cité, dépen-
drait de la volonté du peuple. Le P. Général répondit aux ma-
gistrats de la ville et au duc de Savoie qu'il ne pouvait accepter
de pareilles conditions, contraires à l'Institut. La Compagnie, en
eifet, pour s'employer utilement au bien commun, doit procu-
rer l'avancement de ses sujets dans la science et la vertu, ce qu'il
lui est impossible de réaliser avec des collèges aussi réduits et
mutilés1.
Rien ne fut donc conclu, et le P. du Coudret reprit ses courses
apostoliques, ne se fixant nulle part, mais se portant partout où
l'hérésie semblait plus menaçante. Il se rendit à Vienne en Dau-
phiné, puis à Lyon où il prêcha à la cathédrale et à l'église de la
Plattière, située au centre de la ville. Vers la fin de l'année, il
repassa les monts, à l'appel de l'évèque de Genève, et s'arrêta à
Verceil. Là, il s'occupa tout entier à instruire les calvinistes des
vallées des Alpes, envoyés par le P. Possevin qui débutait alors
dans la vie de missionnaire2.
3. Emule des Canisius et des Bellarmin par la science, le
dévouement aux âmes et les services rendus à l'Église3, Antoine
Possevin naquit à Mantoue le 10 juillet 1533 4. Dès sa jeunesse, il
développa les dons remarquables de son intelligence par une
1. Lettre des Conseillers d'Annecy au P. Lainez, 13 juin I5G0 (Gall. Epist., I. I, fol.
187). Lettre du P. du Coudret au même, 14 juin 1560; du duc de Savoie au- même,
15 juin 1560 (Ibid., fol. 183, 186).
2. Lettre des Conseillers d'Annecy au P. Lainez, 15 juin 156o (Gall. Epist.. I. I, f.
187). Lettre du P. L. du Coudret, 14 juin 1560, déjà citée. Lettre de l'évoque de Ge-
nève au P. Lainez, 19 nov. 1560 (Epist. Episcop., t. I).
3. De Guilliermy, Ménologe de. la Compagnie de Jésus. Italie, I, 257.
4. Les détails qui suivent sont tirés des mémoires manuscrits de Possevin connus
sous le nom d' « Annalium decas 1", 2" », et du recueil de ses lettres intitulé b Acta
a Possevino in Gallia ». Ce fut sur le conseil du cardinal Haronius et la demande ex-
presse de Paul V, que Possevin entreprit la rédaction de ses mémoires. (Préface de
l'Annalium decas.) Le P. Sacchini a beaucoup emprunté à ces documents.
330 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
étonnante application à l'étude. Très versé clans les langues et les
lettres humaines, il commença sa philosophie à Konic et fut té-
moin « des débuts du premier collège que les Jésuites y ouvri-
rent dans une petite maison de louage1 ». Ses talents et ses suc-
cès avaient attiré l'attention du cardinal Hercule de Gonzague
qui lui confia l'éducation de ses neveux, François etScipion, plus
tard revêtus de la pourpre romaine. Il les suivit en qualité de
précepteur et d'ami à Padoue, où il acheva son cours de philoso-
phie. Leur père, Ferdinand de Gonzague, gouverneur du Mila-
nais, étant mort, les deux jeunes gens furent appelés à Naples
par leur mère qui y demeurait. C'est là que la Providence at-
tendait Antoine Possevin pour lui faire entendre la voix du ciel2.
Il entra en relations avec les Pères du collège et choisit comme
directeur le P. Jean Nicolas Pelrella. Après une confession géné-
rale il s'était mis à la communion fréquente, et bientôt, dans ces
dispositions de ferveur, il se sentit appelé à la Compagnie de
Jésus. Mais la voix de la nature s'éleva à son tour, lui rappelant
ses parents âgés, ses neveux sans fortune et cette histoire univer-
selle qu'il avait entreprise, où il pourrait glorifier Dieu en im-
mortalisant des traits de vertu.
Tandis qu'il hésitait, la commanderie de Saint-Antoine de Fos-
sano, en Piémont, vint à vaquer, et le cardinal Hercule de Gon-
zague désireux d'attacher Possevin à sa maison le fit nommer à
ce bénéfice. Le jeune homme crut voir dans cet événement, qu'il
n'avait point provoqué, une invitation de Dieu à rester dans le
monde. Il alla prendre possession de sa commanderie, et après
un voyage pendant lequel il put constater de ses yeux les pro-
grès de l'hérésie dans ces régions, il revint à Padoue terminer
des études qui le prépareraient à l'état ecclésiastique3. Cepen-
dant, son attrait pour la piété et la Compagnie de Jésus le ra-
menait sans cesse parmi cette jeunesse exemplaire, adonnée aux
pratiques de la vie chrétienne sous la direction des Jésuites. Un
de leurs meilleurs prédicateurs à cette époque, le P. Benoît
Palmio, fut l'instrument dont Dieu se servit pour éclairer son
âme droite et généreuse. Possevin reconnut l'inanité des pré-
textes qui l'avaient arrêté jusque-là, et demanda son admission
dans la Compagnie'1. Il y fut reçu le 29 septembre 1559. Après
1. Annal, decas 1", 1. I, c. i.
2. Possevin lui-môme déclare providentiel ce séjour à Naples (Ibid., cap. u).
3. Annal, decas 1 ', 1. I, c. n, p. 20, 21.
4. Quelque temps auparavant, Otto ïruclisess, cardinal évèque d'Augsbourg, avait
eu la pensée de l'attirer à la cour de Vienne comme secrétaire de l'Empereur, mais le
TRAVAUX APOSTOLIQUES DU P. POSSEVIN. 331
un court noviciat, il passa au collège romain et y suivit pen-
dant trois mois les cours de théologie1.
i. Survinrent alors des événements qui montrèrent combien
avait été providentielle sa nomination à la commanderie de Eos-
sano. Il en était toujours titulaire, mais il n'y avait point paru
depuis longtemps; à la faveur des troubles religieux, dos gens
malintentionnés s'en emparèrent « comme s'il était mort2 ». Dans
le même temps le duc de Savoie, Emmanuel-Philibert, recouvrait
par la paix de Gateau-Cambrésis les places fortes que le sort de
la guerre lui avait enlevées, et avec elles assez de puissance pour
s'opposer enfin aux insolentes menées des hérétiques. Le P. Lainez
vit tout le parti que l'on pouvait tirer de cette coïncidence. Il con-
naissait la valeur et le savoir-faire de Possevin. Après en avoir
délibéré avec les Pères Assistants, il résolut de confier à ce jeune
religieux de vingt-sept ans une mission importante et délicate s'il
en fût. Il lui fit faire ses premiers vœux, prit avec lui quelques
dispositions relatives à ses affaires de famille, puis l'envoya en
Savoie3 avec un double rôle à remplir : Possevin devait se ren-
contrer à Nice avec le duc Emmanuel-Philibert pour lui suggérer
les moyens de raffermir la religion catholique, puis aller à Fos-
sano revendiquer ses droits sur sa commanderie jusqu'au jour
où il serait à propos qu'il en disposât définitivement4. Afin de
garder toute liberté d'action, il se présenterait partout, non
comme jésuite, mais avec son titre de commandeur5.
Il partit au. commencement de l'année 1560, muni des lettres
de recommandation de l'évêque d'Augsbourg et du P. Général;
P. Palmio, mis au courant de ce projet et sachant les desseins de Dieu sur Antoine
Possevin, avait détourné le prélat de lui faire pareille proposition (Ibidem).
1. Ses professeurs furent les PP. Jacques de Avellaneda, Jacques Ledesma, et Em-
manuel Sa (Annal, decas la, c. ni, p. 26). Remarquons le peu de temps que Possevin
passa au noviciat et aux études. Les catalogues nous apprennent qu'il entra le 29 sept.
1559. Lui-même nous signale la brièveté de son noviciat et son passage à la théologie
dont il nous dit : « Id quod trium dunlaxat inensium factum est usque ad annum
exeuntem... nonum supra quinquagesimum » (Ann. decas 1% c. m, p. 26). C'est que
Lainez le savait déjà formé par ses études antérieures : « Anteaclae aetatis studia
ingeniumque » (Ibid., c. iv, p. 27-29).
2. Ibidem.
3. Annal, decas 1», 1. I, c. iv, p. 28.
4. En droit, les novices devaient faire l'abdication de leurs biens après un au tic
noviciat; en pratique, il fut admis que cet acte pourrait être retardé jusqu'aux der-
niers vœux de profès ou de coadjuteur formé.
5. Possevin, a son grand regret, fut môme ohligé un peu plus tard par le P. Laine/,
à faire profession dans l'ordre militaire de Saint-Antoine (Lettre de Polanco, ex corn.'
missione, 12 avril 1560. Epist. Gêner., 1559-1560). Il fut considéré comme sorti de la
Compagnie avec promesse d'y rentrer quand sa mission serait terminée
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 22
338 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
en chemin, il occupa ses loisirs à lire attentivement le catéchisme
de Canisius, qu'il regardait comme le résumé de la doctrine ca-
tholique le mieux fait pour le préparer à combattre la doctrine
de Calvin. Le duc de Savoie le reçut avec une parfaite bienveil-
lance, et sur la question religieuse tomba facilement d'accord
que la répression des abus de toutes sortes s'imposait; puis,
gagné par le jeune commandeur, qui possédait à un rare degré
les qualités du diplomate1, il sollicita son avis, lui demanda les
moyens pratiques de réussir dans cette salutaire entreprise. Pos-
sevin attira l'attention du duc sur trois points : la réforme des
monastères, les scandales causés par les quêteurs de l'Ordre mi-
litaire de Saint- Antoine et le recrutement du clergé séculier2.
Les monastères, lui dit-il, reviendront à leur ancienne ferveur,
si les Généraux d'Ordres les font visiter régulièrement par des
religieux exemplaires. Les quêteurs d'aumônes ne scandaliseront
plus le peuple par leur avarice, leurs chicanes et leurs super-
stitions, quand cette charge ne sera plus confiée à des hérétiques
ou à des brouillons, mais à des hommes capables d'édifier par
leurs vertus1. Les bénéfices, dont les titulaires ont charge d'âmes,
ne devront être donnés qu'à des prêtres fidèles et remplissant
avec soin leurs fonctions de pasteurs spirituels. Si un clergé dé-
voué aux intérêts de Dieu manque dans ce pays comme dans
bien d'autres, que le duc imite ces princes qui envoient dans
les collèges des Jésuites, à Rome ou à Coïmbre, des jeunes gens
d'avenir, ou qui appellent ces mêmes Jésuites dans leurs états
pour instruire et former la jeunesse destinée à la carrière sacer-
dotale ' .
Emmanuel-Philibert goûta ces conseils et s'empressa de les sui-
vre. Sans plus tarder il fit écrire aux cardinaux protecteurs et
aux supérieurs généraux de plusieurs Ordres religieux; il écrivit
à sa ville d'Annecy de confier ses écoles aux fils de saint Ignace;
il écrivit au P. Lainez de lui envoyer des hommes pour deux col-
lèges à fonder5. Puis il chargea le jeune commandeur de parcou-
1. Possevin était né diplomate. On sait que les Papes lui confièrent plus tard des
missions difficiles en Suède, en Moscovie et en Pologne. Voir : Pierling S. J., Un
nonce du Pape en Moscovie, Paris, 1884, 8°. Balhory et Possevino. Documents
inédits sur les rapports du Saint-Siège arec les Slaves, Paris, 1887, 8".
2. Lettres de Possevin à Lainez, 9, 12 et li fév. 1560 (Acta a Possevino).
3. Deux ans plus lard le Concile de Trente supprima complètement ces quêteurs
d'indulgence (Sess. XXI, c. îx).
i. Annal, decas 1', 1. I, c. v, p. 30-33.
... Tbid., p. 33. Nous avons vu plus haut (n. 2) que le projet de fondation à Annecj
ne réussit point; il n'en fut pas de même à Mondovi où le duc aura la joie d'établir
un collège florissant.
TRAVAUX APOSTOLIQUES DU P. POSSEVIN. 3M
rir les vallées des Alpes, et d'y observer l'étal de la religion.
Possevin s'achemina d'abord par le col de Tende vers Fossano,
y reprit possession de sa commanderie et régla plusieurs affaires
particulières. De là, il fit un tour dans les vallées dont sont cou-
pées les montagnes qui séparent la France de l'Italie. Quelques-
unes étaient devenues les véritables repaires de l'impiété. De-
puis plus de trois cents ans, les malheureux restes des Vaudois
s'y étaient réfugiés et y vivaient sans être inquiétés dans leurs
opinions religieuses. Ce fut ensuite l'hérésie luthérienne, qui
parvint à se glisser dans ces lieux d'un accès difficile. Un peu
plus tard, bon nombre de calvinistes s'y retirèrent aussi, devant
les rigueurs déployées par François 1er et Henri II dans la Pro-
vence et le Dauphiné. Toutes ces sectes, unies par une même
haine de l'Église romaine, présentaient un obstacle presque in-
vincible à l'action de l'apostolat1.
Possevin rendit au duc un compte exact de ses observations et
lui signala, entre autres choses, que dans la vallée de la Pérouse
les ministres avaient élevé des prêches, où ils dogmatisaient li-
brement et excitaient ses peuples à secouer le joug de leur sou-
verain légitime. Sur l'ordre d'Emmanuel-Philibert, le gouver-
neur de Pignerol, Maurice Ferrier, alla renverser ces foyers de
l'erreur et chasser les ministres qui y entretenaient le désordre.
Ces mesures sévères ouvrirent assez facilement les yeux à un
peuple abusé; mais elles furent sans effet sur les populations voi-
sines des vallées de Lucerne et d'Angrogne, dont l'endurcisse-
ment dans le mal remontait jusqu'aux Vaudois. Là, les sectaires
avertis coururent aux armes, et massacrèrent avec un raffine-
ment de cruauté les soldats que Ferrier avait envoyés pour s'em-
parer des principaux chefs des mutins. Devant cette résistance
barbare, le duc Emmanuel eut recours à la douceur; il pria
Possevin de passer une seconde fois dans les vallées, de s'abou-
cher de sa part avec les maires et les principaux ministres des
quatre premières villes de l'Angrogne, et de les amener à se
soumettre et à recevoir des prédicateurs catholiques. L'église
Saint-Laurent, située sur le plus haut plateau de la vallée, fut
l'endroit désigné pour cette conférence. Possevin s'y rendit avec
trois compagnons « dont l'un était un gentilhomme du pays, des
anciens comtes de Lucerne ». Quatorze ministres, ayant à leur
tête un français apostat nommé Etienne, se présentèrent pour
parlementer et discuter avec lui devant une foule considérable
1. Annal, decas l ', I. I, c. vi, p. 34.
340 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
attirée par la curiosité du spectacle. Le commandeur de Fossano
leur lut d'abord les lettres du duc de Savoie; il leur conseilla
de ne plus recourir aux meurtres ni aux moyens violents; quant
h leurs opinions religieuses, ils pouvaient les exposer et les dé-
fendre tranquillement, et c'était maintenant le lieu ou jamais.
Les ministres se déclarèrent prêts à la discussion. Possevin ne
s'était jamais trouvé à pareille rencontre, mais il ne fut pas pris
au dépourvu. Il exposa la vérité du mystère de l'Eucharistie et la
réalité du saint sacrifice de la messe, en remontant par les Pères,
par saint I renée et par saint Ignace, jusqu'aux apôtres, saint Paul
et l'Évangile. Il faut croire que son argumentation fut serrée, car
les ministres n'eurent qu'une objection à lui faire : « Qui nous
prouve que les ouvrages, dont vous arguez, sont bien des au-
teurs que vous avez nommés? » Et l'un d'entre eux ajouta : « Si
vous nous montrez seulement dans saint Irénée le texte que vous
avez cité, nous jurons de nous rendre. » Possevin les prit au
mot, et le colloque se termina sur la promesse qu'il leur fit de
leur procurer le livre en question. Quelques jours plus tard, il le
leur envoya de Turin, avec l'indication des passages cités; mais,
au lieu de tenir leur parole, ces hommes de mauvaise foi, gar-
dant le silence sur leur défaite , semèrent la révolte dans le
peuple qui prit de nouveau les armes contre son souverain. Em-
manuel-Philibert fit marcher contre eux deux mille hommes
d'infanterie, sous les ordres de monsieur de la Trinité, auquel il
adjoignit Possevin chargé d'animer les troupes et de soutenir au
besoin les intérêts de la religion1. Le commandeur de Fossano
retourna donc une troisième fois dans les vallées, muni, quoi-
qu'il ne fût pas encore prêtre, d'amples pouvoirs que lui dé-
légua François Bacode. nonce de Sa Sainteté à la cour de Sa-
voie. Tandis que les troupes ducales soumettaient sans peine les
hérétiques, lui s'efforçait de les ramener à la vérité par les seules
forces de la persuasion. Bientôt trente-quatre des principaux
habitants allèrent à Yerceil porter au duc la soumission de leurs
compatriotes, et faire abjuration solennelle entre les mains du
nonce'. Plusieurs mois durant, aidé de deux prêtres jésuites, les
PP. David Volpius et Gaspar Loartc, Possevin parcourut ces con-
trées ignorantes et perverties, les instruisant, y répandant par-
1. Annal, decas l", c. vi, p. 34-36.
2. D'aussi lions sentiments ne durèren pas, comme Possevin en avait prévenu le
duc de Savoie. Ces endurcis, qui avaient agi par intérêt, ne tardèrent pas à retomber
dans l'hérésie.
TRAVAUX APOSTOLIQUES M P. POSSEVIN. 341
tout les bons livres, surtout le catéchisme de Canisius. Avanl
de les quitter, il prit soin d'y appeler des missionnaires que
fournirent les monastères de laLigurie cl du Milanais. Son zèle,
ses dons extérieurs et ses succès lui gagnèrent l'estime des ca-
tholiques. On le présenta au Pape comme digne de l'épiscopat1.
Alarmé de ce projet, Possevin n'omit rien pour le rendre inutile,
et protesta auprès du P. Général de son ferme désir de persé-
vérer dans la Compagnie de Jésus en renonçant à toutes les
dignités ecclésiastiques. Ses parents, qu'il rencontra vers ce
temps à Fossano, voulurent en vain l'empêcher de résigner sa
commanderie. En leur présence il reçut le sacerdoce, et le di-
manche de Quasimodo, 13 avril 1561, il célébrait devant eux sa
première messe'-. Peu après, il commençait à Turin et à Chiéri
ces éloquentes prédications ! qu'il devait bientôt continuer en
France avec un grand retentissement.
5. La Providence, en effet, le destinait à ce nouveau théâtre;
elle l'y amena par une circonstance toute simple. L'évèque de
Genève, d'accord avec Emmanuel-Philibert, l'avait envoyé à
Chambéry, porteur de lettres de recommandation pour le Sénat
de Savoie, afin qu'il put évangéliser cette contrée, et concerter
avec les magistrats les mesures à prendre contre l'hérésie. Il
fut résolu, entre autres choses, qu'on répandrait à profusion le
catéchisme de Canisius. Mais comme le français était la langue
du pays, Possevin dut se rendre à Lyon, dont les presses alimen-
taient alors une partie de l'Europe, pour s'y procurer une édi-
tion française du catéchisme4.
A cette époque, la ville de Lyon était en proie aux agitations
qui troublaient les principaux centres du royaume. Dès 1560, les
huguenots avaient essayé de s'en emparer; ils en voulaient faire
le quartier général de la révolte. Des conjurés, accourus du Dau-
phiné, de la Guyenne, du Languedoc et de la Suisse, s'étaient peu
à peu rassemblés dans les villages voisins, n'attendant pour agir
qu'un signal de leurs chefs. La vigilance d'Antoine d'Albon, abbé
de Savigny et gouverneur de la ville en l'absence du maréchal de
Saint-André, déjoua leur criminel complot"'. Les plus coupables,
1. Annal, decas 1\ c. vu, p. 37-42; c. via, p. 45.
'. Ibid., p. 45 et lettre de Possevin à Lainez, 17 avril 15G1 (Acta a Possevino).
3. Annal, decas 1', 1. 1, c. ix, p. 49, 50.
i. Ibid., p. 51.
5. Délibération consulaire du 4 sept. 1560 sur l'émotion faite par certains étrangers
appelés huguenaulx (Archives Coimn. de Lyon, Registres consulaires, année 1560).
342 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
écrivait Charles IX à son ambassadeur en Espagne, furent « exé-
cutés, les autres gardés qui ont tout découvert et faict veoir clai-
rement la racyne du mal et l'intention de ceuls qui les mettaient
en besogne1 ». Tant qu'ils sentirent peser sur eux une main éner-
gique, les calvinistes de Lyon ne tentèrent plus aucun mouve-
ment; mais lorsque Antoine d'Albon, devenu archevêque d'Arles,
eut été remplacé, le 6 octobre 1561, par François d'Agoult,
récemment créé comte de Sault, ils commencèrent à lever la tête
et à préparer une action décisive. Le nouveau gouverneur cachait
un cœur protestant sous des dehors catholiques2. Plus tard il
embrassera ouvertement la cause des huguenots. Pour le moment,
dans sa correspondance avec le roi3, il se montre un homme
dévoué à son maître, mais ses actes, pendant les premiers mois
de son administration, ressemblent tout à fait à une trahison ha-
bilement combinée.
Sous prétexte de ne point irriter les réformateurs, il leur per-
mettait de dogmatiser en public et en particulier, tandis que le
moindre mouvement de la part des catholiques était regardé
comme un zèle outré qui nuisait à la cause commune. Assurés de
la complicité tacite du gouverneur, les calvinistes faisaient venir
de Genève toutes sortes de livres hérétiques, qu'ils distribuaient
dans la ville et les campagnes, et dont la doctrine corruptrice
s'insinuait d'autant plus facilement dans les esprits, qu'elle était
déguisée sous les apparences de la piété, sous le titre spécieux de
réforme. En face de ces dangers, trop rares étaient les défenseurs
de l'orthodoxie; on vit cependant d'éloquents prédicateurs, tels
que Gabriel de Saconay, chanoine-comte de Saint-Jean, le P. Ropi-
tel, de l'Ordre des Minimes, et le P. Périer, Dominicain, se distin-
guer par leurs savantes polémiques et déconcerter plus d'une fois
l'insolence des prédicants. Mais les huguenots avaient à leur dis-
position d'autres arguments, contre lesquels la science et l'élo-
quence ne pouvaient prévaloir : ils se munissaient d'armes, appe-
laient des sectaires étrangers à leur secours, et formaient une
nouvelle conjuration.
A la vue du péril que courait à Lyon la religion catholique, le
P. Possevin redoublait ses efforts; il s'ingéniait à découvrir et
à détruire les mauvais livres, à propager les ouvrages ortho-
1. Négociations et lettres relatives au règne de François II, p. 525, 526.
2. Annal, decas la, 1. I, c. x, p. 51, 52.
3. Cette correspondance, du 19 oct. 1561 au 30 juin 1562, a été publiée par Péricau
Notes el documents..., p. 731.
TRAVAUX APOSTOLIQUES DIT P. POSSEVIN. 343
doxes. Il pressait surtout l'impression du catéchisme, qui avail
motivé son voyage dans cette ville. (In jour qu'il surveillait les
épreuves, le jeune fils du libraire, remarquant un passage sur
l'honneur dû aux saints, lui reprocha naïvement d'être un idolâ-
tre1. Possevin, touché de l'aveuglement de cet enfant et de tous
ceux qui, comme lui, étaient prévenus contre la doctrine catholi-
que, conçut la pensée d'expliquer en français, dans des entre-
tiens familiers, les sentiments de l'Église sur les points attaqués
par les protestants. Les Pères Dominicains se prêtèrent volontiers
à son désir, et le laissèrent disposer librement de leur chapelle,
nommée Notre-Dame de Confort ou de Consolation*- . Il parvint
à y rassembler non seulement des enfants, mais un grand nombre
d'autres auditeurs, et quoiqu'il s'exprimât encore assez mal en
français, il suppléait si bien à l'expression par la grâce de son
esprit, qu'après avoir suivi ses raisonnements avec plaisir on
sortait convaincu et tout armé contre les traits des novateurs.
G. Le commerce considérable de Lyon, à cette époque, y attirait
des étrangers de toutes nations et surtout des marchands ita-
liens. Ceux-ci, informés de la réputation que le commandeur de
Fossano s'était acquise par ses prédications en Piémont, obtinrent
du duc de Savoie de le garder pour le carême de 156-2. L'homme
de Dieu, ravi de pouvoir se dépenser au salut de ses compatriotes,
dans une ville où ils étaient exposés aux assauts du calvinisme,
résolut de prêcher en leur langue et s'acquitta de cet emploi
avec tout le succès qu'on devait attendre de ses rares talents.
Voici la méthode qu'il suivait dans ses instructions. Il lisait
d'abord le texte de l'Évangile du jour, puis : « Voyons, disait-il,
ce que nos adversaires pensent de la parole de Dieu. » Ouvrant
alors Y Institution de Calvin, il donnait l'interprétation de cet
hérésiarque et les preuves qu'il prétendait tirer des Saints Pères à
l'appui de son sentiment. Prenant ensuite les volumes des Pères
et des Conciles, il lisait pareillement les mêmes passages et faisait
ressortir la mauvaise foi de celui qui les avait altérés. C'était une
vraie joie pour les catholiques. Mais Possevin, loin de profiter de
cet avantage à la confusion des calvinistes présents dans son
auditoire, les conjurait, de la manière la plus touchante, de ne
point s'opiniàtrer dans une doctrine si pernicieuse à leur salut. Il
1 Annal, decas 1", 1. T, c. x, p. 52.
2. Possevin n'habitait pas chez les Dominicains, mais tout à côté, au monastère des
Célestins {Ibid., c. xm, p. G2).
344 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
les engageait à parcourir eux-mêmes les différents textes, à les
confronter les uns avec les autres. Ceux qui ne pourraient sans
difficultés se procurer des livres, étaient invités à passer chez lui,
où il leur ferait voir de leurs propres yeux combien on abusait
de leur crédulité1.
Dans la même église des Dominicains, le P. Possevin consa-
crait le soir des jours de fête à l'enseignement du catéchisme.
Ces sortes de leçons étaient une nouveauté : il s'y rendait beau-
coup de monde. On fit imprimer, et on distribua le catéchisme
français du diocèse de Reims2 aux enfants italiens les mieux ins-
truits, qui parlaient également bien les deux langues. Du haut
de la chaire Possevin les interrogeait, à la grande joie de leurs
parents qui en étaient tout fiers; puis il développait en italien les
articles principaux sur lesquels avaient porté ses interrogations.
Quand il avait fini, un Père Dominicain prenait sa place et faisait les
mêmes explications en français; de sorte que personne parmi les
auditeurs ne perdait rien de la saine doctrine. Cette méthode réussit
à merveille. Avec les prédications du matin et les catéchismes du
soir, l'église de Confort ne désemplissait plus de la journée; il y
avait même des gens qui aimaient mieux apporter quelques vivres
que de s'exposer, en sortant, à perdre leur place. Les hérétiques
furieux imaginèrent de publier un catéchisme de leur façon,
auquel ils mirent un titre semblable à celui du livre employé par
Possevin, et leurs vendeurs criaient par les rues : « Voilà le caté-
chisme de Confort. » Mais le Père découvrit la ruse, et en avertit
la population qui témoigna vivement son dégoût pour les pro-
cédés de la réforme3.
7. Cependant un moment vint où les huguenots se crurent prêts
pour l'exécution du coup de main médité et préparé depuis si
longtemps. Ils se montrèrent de plus en plus insolents. On ne
pouvait « se trouver devant eux, raconte un contemporain, ou
seulement les regarder, sans recevoir quelque outrage, ou bien
ouyr quelque grand blasphème contre nostre Dieu et ses saincts
sacrements4 ». Maugiron, envoyé par le roi afin de surveiller leurs
menées, comprit que leur audace exigerait tôt ou tard l'emploi
de la force, et alla chercher en Dauphiné les troupes dont il
1. Annal, decas la, 1. I, c. xi, p. 54.
2. Publié par le cardinal de Lorraine (Ibid., c. xn, p. 55).
3. Ibid., c. xn, p. 60-62.
4. De Saconay, Discours des premiers troubles... dans les Archives cur. de l'his-
toire de France, s. 1, t. IV, p. 251.
TRAVAUX APOSTOLIQUES DU 1». POSSEVIN. 34S
avait besoin. Mais les huguenots n'attendirent pas son retour pour
exécuter leur dessein. Le 29 avril au soir, « ils avoycut faict enten-
dre aux maisons bourgeoises qu'aucun, sur peyne de la vie,
n'cust à mettre la teste à la fenestre quelque brait qu'il ouyst,
car ils n'en vouloyent, disoyent-ils, qu'aux gens d'église > . . Vers
onze heures, « pendant que les catholiques rcposoient en leurs
licts soubs l'ombre des ailes de monsieur de Sault », des bandes
armées, conduites par diflérents chefs, descendirent de la (iuil-
lotière et occupèrent les places, les ponts, l'entrée des principales
rues de la ville, sans rencontrer aucune résistance. Après minuit,
l'alarme fut donnée par la sentinelle qui veillait à Saint-Nizier;
mais les huguenots s'emparèrent du clocher, puis ils attaquèrent
rhôlel de ville où se trouvaient les armes que les catholiques,
quelques jours auparavant, avaient reçu l'ordre d'y déposer. Le
30 avril, à la pointe du jour, les Lyonnais virent le canon braqué
dans chaque rue et apprirent que l'hôtel de ville, malgré l'héroï-
que défense du capitaine du Peyrat, était tombé au pouvoir des
huguenots. Presque tous les monastères, avec les sacristies des
églises, furent pillés, les archives enlevées, les reliques jetées au
feu, les vases sacrés livrés à la profanation1.
Inquiet du péril que couraient ses compatriotes très attachés
à la religion romaine, Possevin s'iuforma s'il ne pourrait pas se
rendre jusqu'à leur quartier, au delà de la Saône. On lui répon-
dit que le pont était gardé par des soldats et qu'on avait saisi
toutes les barques. Sans souci du danger, il sortit seul et se diri-
gea, par des rues détournées, jusqu'au bord du fleuve. Il y trouva,
contre toute attente, un batelier tranquillement assis sur sa
barque. Cet homme se lève à son approche, le prend avec lui,
le passe sur l'autre rive et le quitte sans mot dire, après l'avoir
remis à terre. Le Père aimait à voir dans cette rencontre ines-
pérée une attention délicate de la Providence, un secours parti-
culier de son ange gardien2. Il se rendit à l'archevêché, près
duquel il avait abordé, et le trouva occupé par le comte de
Sault avec une compagnie d'arquebusiers. Le gouverneur vint
au-devant de lui, s'étonna de le voir seul en pareilles conjonc-
tures, et l'introduisit dans une salle avec toutes sortes de témoi-
gnages d'affection. Il l'invita même à déjeuner avec lui en le
priant de lui dire librement ce qu'on pourrait faire pour répri-
mer l'émeute. Tout à coup, deux cents soldats envahissent le
1. De Saconay, Cf. Prise de Lyon par les protestants.
2. Annal, decas la, I. 1, c. xm, p. 61, 02.
346 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
palais, dont la porte était défendue par quelques pièces de cam-
pagne : « Vous voyez, dit le comte, que nous sommes emprison-
nés et gardés à vue ; je vous conseille de vous retirer dans les
greniers en attendant l'issue de cette affaire. — Je me soumets
avec confiance à la divine Providence, » répondit Possevin ; et
déférant au conseil du comte, il monta au plus haut étage du logis.
Il y fut bientôt rejoint par un ministre protestant, nommé Ruffin,
armé de toutes pièces et escorté de soldats à la mine farouche.
Ce prédicant lui déclara, avec mille injures, qu'il venait le con-
traindre à rétracter ses mensonges sur la messe, s'il ne voulait
pas les effacer de son sang. Possevin, sans s'effrayer, repartit
hardiment qu'il n'avait écrit que la vérité, et qu'il était prêt ù
donner sa vie pour la défendre. Surpris de cette fermeté, le mi-
nistre s'adoucit et proposa quelques objections sur le Saint Sacri-
fice de l'autel. Le Père y répondit sans embarras. Son inter-
locuteur, qui avait peine à s'expliquer en latin, se rabattit sur
les gros mots et les menaces, puis sortit brusquement en jurant
au prisonnier de lui faire sentir bientôt les effets de sa ven-
geance1.
Les marchands italiens n'avaient pas tardé à apprendre que
leur apôtre était retenu à l'archevêché. Ils firent tous leurs efforts
pour le délivrer des mains du gouverneur. De leur part, le
commandant du fort de Montluel, dans la Bresse, place qui dé-
pendait du duc de Savoie, vint trouver le comte de Sault et lui
remontra que Son Altesse, ayant la plus haute considération pour
Possevin, ne manquerait pas de se tenir offensée du moindre mal
qu'on lui ferait. Cédant à ces justes représentations, le gouver-
neur consentit à rendre la liberté au prisonnier; afin de le pré-
server de toute insulte, il lui procura un habit séculier et le fit
conduire chez des marchands florentins du voisinage. Ceux-ci
ravis de retrouver leur bon Père, après avoir tant craint de le
perdre, s'occupèrent aussitôt de faciliter son évasion et le con-
duisirent, à l'entrée de la nuit, dans un lieu de refuge sur la
montagne de Fourvières. Le lendemain, de grand matin, Posse-
vin traversa toute la ville sans être reconnu, se rendit de l'autre
côté de la Saône dans la demeure d'un Florentin, nommé Orlan-
dini, et de là parvint à passer le Rhône . Dès que les protestants
connurent sa mise en liberté, ils envoyèrent à toutes les issues
de la ville des gens pour l'arrêter. En même temps, un capitaine
huguenot accourait avec cinquante hommes vers la maison d'Or-
1. Annal, decas 1% 1. I, c. xiv, p. 65, 66.
TUA VAUX APOSTOLIQUES 1>U 1». AUGER. 3^
landini. C'était trop tard; quand ils arrivèrent, Possevin se trou-
vait déjà hors d'atteinte. A son entrée sur les terres de Savoie,
ou lui procura dos chevaux qui le portèrent rapidement au lieu
de sa retraite ' .
Les réformés, maîtres de Lyon, y entassèrent les ruines, et se
livrèrent à des ravages et des atrocités dont le temps n'a pas effacé
les traces. Les douze conseillers protestants déclarèrent qu'il un
se célébrerait plus de messes, c'est-à-dire que désormais le culte
catholique serait aboli; car, sous le nom de messe, ils compre-
naient tous les offices. Ils ajoutèrent, par une dérision familière
à leur secte, que chacun restait libre de suivre sa religion. Alors
un morne silence régna dans ces magnifiques églises, où si
longtemps un peuple pieux avait vu se dérouler avec éclat tant
d'augustes cérémonies.
8. Le Père Auger ne devait venir que deux ans plus tard occu-
per à Lyon le poste de dévouement dont Possevin avait été
chassé par les dissensions religieuses. Au moment où se pas-
saient les événements que nous venons de raconter, il exerçait
son zèle dans les principales villes de l'Auvergne. Réfugié à Bil-
lom, après la prise de Tournon par le baron des Adrets, il avait
obtenu du grand vicaire, Etienne Mauguin2, la faculté de prê-
cher et de confesser dans tout le diocèse, sérieusement menacé
par l'invasion du calvinisme. Muni des pouvoirs les plus étendus,
il commença son apostolat par une mission dans la ville épisco-
pale. L'empressement du peuple à suivre les instructions pro-
mettait les plus beaux résultats ; mais bientôt on annonça l'ap-
proche de troupes considérables qui avaient traversé le Forez.
Les préoccupations que suscita l'imminence du danger, inter-
rompirent forcément les exercices de la mission. Ils furent repris
peu après, à la grande satisfaction des habitants, lorsque le
baron des Adrets, rappelé dans le Lyonnais par les intérêts de
son parti, délivra l'Auvergne de la crainte de ses incursions. Le
prédicateur eut alors la consolation de ramener à la foi un grand
nombre d'égarés, que les artifices des novateurs avaient séduits3.
1. Annal, decas 1\ 1. I, c. xv-xvi. Lettre du P. Possevin à l'abbé du Salut à Rome,
24 mai 1562, dans Ghezzi : Vila del P. Possevino, t. II, p. 26. — Possevin se rendit
à Turin, de là à Fossano, puis à Chieri où il resta dix mois « religioni propagandae
dans operam » (Annal, dec. 1 ', 1. II, c. i).
2. Etienne Mauguin administrait le diocèse en l'absence du cardinal Salviati, suc-
cesseur de Guillaume du Prat (Gallia Christiana, t. II, p. 297).
:î. Lettre du P. Annibal du Coudrel au P. Lainez, 5 oct. 1562 (Gall. Epist., t. Il,
fol. 29). Cf. Epiât. P. Nadat, t. I, p. 750, t. II, p. 293.
348 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
De retour à Billom, le P. Auger invita la population à s'unir
à lui et au clergé, afin Je fléchir le ciel par des supplications
publiques : tous les soirs, au son de la cloche, on accourait en
foule et on priait pour le salut de l'Église et la paix du royaume.
Touché de la piété de ce peuple si recueilli, il eut la pensée d'é-
tablir les prières des Quarante-Heures, telles qu'il les avait vues
pratiquées en Italie. Cette belle dévotion fut accueillie avec fer-
veur par tous les fidèles : c'était à qui ferait paraître plus de foi,
de respect et d'amour pour réparer les outrages des nouveaux
hérétiques contre Notre-Seigneur clans l'adorable Sacrement de
l'autel : « Je fus alors témoin, dit le P. Annibal du Goudret, d'un
spectacle que je n'aurais pu m'imaginer, si je ne l'avais pas con-
templé de mes yeux. C'était la première fois que la popula-
tion assistait à de semblables cérémonies; elle les suivit avec
des sentiments de foi admirables. Le dernier jour, quand on
reporta le Très Saint Sacrement du reposoir à l'autel, la foule,
au souvenir des sacrilèges commis par les calvinistes dans une
partie de la province et dans les environs, exprimait sa douleur
par les soupirs et les sanglots qu'elle mêlait aux hymnes de
l'Église1. »
En apprenant les merveilles opérées à Clermont et à Billom,
plusieurs villes sollicitèrent la faveur de missions semblables.
Le P. Auger, accédant à leurs vœux, se rendit successivement à
Riom, à Aigueperse, à Courpière, à Montferrand et dans d'autres
localités. Partout, les fidèles répondirent à son zèle par leur em-
pressement; partout, il eut la joie de remporter de belles victoires
sur les réformés. A Maringue, un pasteur protestant ne fut pas
plutôt informé de son arrivée qu'il sortit de la ville, tant le
nom du P. Émond était déjà formidable aux chefs du parti.
C'est qu'en plus de sa vertu et de son savoir, Émond Auger
était un orateur dans toute l'acception du terme. Il avait une
conception aisée, une imagination vive et brillante; il savait
donner à sa pensée un tour propre à la faire pénétrer dans l'es-
prit et dans le cœur; sa voix, sympathique et puissante, arrivait
sans peine jusqu'aux derniers rangs des plus vastes auditoires;
et tout cela était soutenu d'une capacité profonde, d'une expres-
sion nette et facile, mais surtout d'une action que l'œil, le geste,
un certain air d'autorité rendaient admirable.
Nulle part l'infatigable missionnaire n'eut plus de succès et
1. Lettre au P. Lainez, 5 oct. 15G2 (Gall. Epist., t. II, n. 29).
TRAVAUX APOSTOLIQUES DU P. AUGER. 349
n'éprouva plus de consolations qu'à Issoire. Depuis que le mar-
quis de Chavagnac s'était emparé du gouvernement de la cité,
elle était devenue comme une autre Genève, servant impunément
de retraite à tous les sectaires du pays. Heureusement, par son
énergie, le comte de Saint-IIérem, gouverneur de la province, fit
bientôt rentrer cette ville sous l'obéissance du roi; puis, ne sépa-
rant point les intérêts de la religion de ceux de l'État, il pria les
Jésuites de Billom de venir le seconder. Le P. Émond Auger ac-
courut à Issoire. Pendant les cinq semaines qu'il y demeura,
Notre- Seigneur donna tant de force et d'efficacité à sa parole, que
plus de quinze cents personnes reconnurent et abjurèrent leurs
erreurs. « Dans ce lieu, le plus infecté par l'hérésie, raconte le
P. du Coudret, la grâce de Jésus-Christ a triomphé avec plus d'é-
clat que nulle part ailleurs. Tout le monde s'étonnait du prodi-
gieux changement qui s'y était fait en si peu de temps. Pour moi,
je ne puis comprendre comment un homme seul pouvait suffire
à un pareil travail. Le P. Émond en était si accablé, qu'à peine
avait-il le temps de respirer, de prendre un peu de nourriture et
de repos l. » La mission se termina par d'imposantes cérémonies.
Il y eut, à la messe, une communion générale à laquelle les fidèles
s'étaient disposés par les exercices de la pénitence. Afin de célé-
brer publiquement le triomphe de la vérité sur l'erreur, le Saint
Sacrement fut porté en procession dans les principales rues de la
ville, accompagné d'une foule nombreuse, qui témoignait ainsi
les sentiments de foi et de dévotion dont elle était pénétrée.
Enfin les nouveaux convertis, comme gage de leur persévérance,
amoncelèrent sur la place publique tous les livres calvinistes et
en firent un immense feu de joie.
La mission d'Issoire fit grand bruit en Auvergne ; les échos en
parvinrent jusqu'à la cour où le maréchal de Saint- André faisait
connaître les détails que lui en rapportaient les dépêches du
comte de Saint-Hérem. Elle acquit au P. Auger une renommée de
bon aloi qui rejaillit sur tout l'Ordre, et particulièrement sur le
collège de Billom, sa résidence ordinaire. Le prédicateur jouissait
dans le pays d'une haute considération auprès de toutes les au-
torités; mais rien ne touchait plus son cœur que l'affection res-
pectueuse dont il était l'objet de la part du peuple : les habitants
d'Issoire ne se consolèrent de son départ que dans l'espérance
qu'il y reviendrait prêcher Pavent et le carême2.
1. Lettre au P. Laiuez, 5 oct. 1562 (Gall. Epist., I. Il, n. 29),
2. Ibidem. Cf. Sacchini, Hist. S.J., V. II, I. VI, n. 'JO.
330 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
9. Les affaires de la Compagnie et les nécessités pressantes de
la religion obligeaient le P. Auger à ne point borner les efforts
de son zèle à une seule province. Quand il apprit que, par suite
de l'édit (/('pacification, l'ordre était rétabli à Valence et à Vienne,
il se rendit en Dauphiné, dans le dessein de préparer la rentrée
des Pères au collège de Tournon. Peu de temps après, ce fut à
Lyon qu'on l'appela. Cette ville n'avait pas mis beaucoup d'em-
pressement à accepter l'édit; elle n'y adhéra que dans une assem-
blée du 9 juin 1563. Le 15 du même mois, jour où le maréchal
de Vieillcville fit son entrée à la tête des troupes royales, fut le
terme de la domination protestante. Aussitôt un grand nombre
de catholiques, qui s'étaient enfuis, revinrent à la faveur de la
paix; ils trouvèrent leurs églises dévastées, sans statues, sans
bancs, sans autels. Les chanoines comtes de Saint-Jean, impa-
tients de renouveler l'exercice public du catholicisme, voulurent
avoir auprès d'eux le P. Auger, comme l'homme le plus capable
de lui rendre son ancienne splendeur.
Le dimanche ï juillet, jour fixé pour le rétablissement solennel
du culte, au son des cloches qu'on n'avait point entendu depuis un
an, tout parut s'ébranler dans la ville : les pieux fidèles accouru-
rent en foule à la cathédrale. « Il y eut, écrit le P. Auger, quelque
difficulté au sujet du sermon. On craignait que le prédicateur ne
se laissât entraîner à prononcer des paroles imprudentes. Je dis
au maréchal et au gouverneur qu'ils n'avaient rien à craindre de
ma part. J'ajoutai que, pour une si imposante cérémonie et pour
la consolation du peuple, il ne convenait pas de célébrer une
messe basse sans prédication, d'autant plus que le concile de
Trente voulait qu'on exhortât les fidèles à la messe après l'Évan-
gile, et telle était aussi la coutume dans la chapelle du roi i. »
Le Père, suivant son désir, fut autorisé à prendre la parole. Il
sut soutenir l'honneur de la religion sans manquer aux ménage-
ments imposés par les circonstances. Empruntant son texte à
l'évangile du jour, « estote miséricordes, soyez miséricordieux »,
il développa, devant un auditoire de douze à quinze mille per-
sonnes, les mystères de la bonté de Dieu qui semblait, dans les
événements actuels, vouloir faire goûter à tous les fruits de sa
miséricorde : « Un tel exemple, ajouta-t-il, les devait tous porler
à se pardonner mutuellement, et du fond de l'âme, les sujets de
chagrin que le malheur des temps avait causés, et à les ensevelir
1. Lettres du P. Auger au P. Lainez, 15 juillet, 12 et 17 oct. 1563 (Gall. Episl.,
t. Il, p. 42, 64, 75). Lettre du P. Faber au même, 30 janvier 1564 (lOiri., fol. 2VJ).
TRAVAUX APOSTOLIQUES DU V. AUGER. 351
dans un éternel oubli. » Puis il expliqua « que l'on ne faisait point
entrer par force la foi dans les cœurs : il fallait donc laisser
l'emploi désarmes aux puissances établies pour les porter. Quant
à la religion, il était permis de parler des articles qui n'étaient
pas controversés; sur les autres on devait garder le silence, en
attendant les décisions du concile ». Ce discours, d'une si grande
modération et d'une si tendre charité, remplit de joie et de re-
connaissance tous les auditeurs. Les principales autorités de la
ville, après avoir redouté que, dans l'ardeur de son zèle, le pré-
dicateur ne rouvrit des plaies encore mal fermées, furent en-
chantées d'un succès au-dessus de leur attente, et louèrent à
l'envi sa délicate prudence. Le maréchal ayant demandé à quel-
ques calvinistes, attirés à la cathédrale par la curiosité, ce qu'ils
pensaient du sermon : « S'il continue à parler de la sorte, ré-
pondirent-ils, nous pourrons facilement le supporter. — Eh
bien ! messieurs, repartit Vieilleville, voilà un bel exemple à
imiter et à proposer à ceux de votre communion1. »
La semaine suivante, il y eut, chaque jour, à la cathédrale, la
sainte Messe et une prédication du P. Auger. Plus il prêchait et
plus son auditoire grossissait. On compta parfois près de vingt
mille personnes, qui venaient dans le dessein de l'entendre; il
n'y avait point d'église assez vaste, pas même ce grand vaisseau
de l'église Saint-Jean, qui pût contenir une si prodigieuse multi-
tude 2. Les autres paroisses de Lyon voulurent aussi inaugurer
solennellement, comme à l'église métropolitaine, le rétablisse-
ment du culte. On vit alors se manifester au dehors, d'une ma-
nière extraordinaire, les sentiments de dévotion que les fidèles
avaient été forcés de contenir longtemps dans leurs cœurs. Ils se
prosternaient au pied des autels, les baisaient, s'approchaient des
prêtres pour toucher leurs vêtements sacerdotaux 3. Invité partout
à prêter le concours de sa parole, le P. Auger ne laissa jamais
échapper contre les calvinistes un mot de haine ou de mépris.
Cette réserve porta son fruit, et la restauration du catholicisme
s'opéra sans le moindre trouble, dans une ville encore pleine
de protestants énergiques et exaltés.
1 . Lettre du P. Faber déjà citée.
2. Celte remarque est de l'ancien historien de Lyon, de Kubys, d'ailleurs d'accord
en cela avec les autres contemporains. Le P. Faber écrivait au P. Général à la date du
30 janvier 1564 : « Tanta aulem catliolicorum et haerelicoruin eoconfluxerat frequenlia,
lantumque paucis diebus incrementi cepit, ut ad quindecim et viginti milita eam ex-
iri risse non obscuris indiciis comperlum est. » Cf. De Rubys, Histoire véritable dr
la ville dr Lyon (Lyon, 1604, p. 400).
3. Lettre du P. Auger au P. Général, 15 juillet 1563 (Gall. Epist., I. I, p. 42, 48;.
352 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Toutes ces pieuses cérémonies terminées, le Père songeait à se
rendre au collège de Tournon dont il était toujours le Recteur en
titre. Le maréchal de Vieille ville ne consentit à son départ qu'à
la condition qu'il reviendrait incessamment, et, pour s'assurer
de l'exécution de sa promesse, il le fit accompagner par l'official
du diocèse1. Le P. Auger retourna en effet promptement à Lyon
où les chanoines de Saint-Jean avait obtenu du P. Général qu'il
prolongeât son séjour2. Les ministres calvinistes, irrités de voir
l'ardent missionnaire poursuivre dans cette ville l'œuvre féconde
de son apostolat, conçurent contre lui une rage sourde qui pou-
vait se changer d'un moment à l'autre en quelque attentat cri-
minel. Aussi les magistrats avaient-ils pris la précaution de le
faire accompagner d'une escorte, chaque fois qu'il se rendait à
une église. Il y eut, au contraire, d'autres protestants, engagés
dans l'erreur par simplicité plus que par mauvaise foi, qui vin-
rent le consulter dans leurs doutes. Sa condescendance gagnait
le cœur de ceux qui étaient le plus prévenus contre lui. « A la
Cène que les hérétiques célébrèrent à Lyon au mois d'août, écrit
un confrère du P. Émond, vingt-cinq mille personnes s'étaient
fait inscrire; à celle qui suivit, quinze mille seulement avaient
donné leurs noms; à la dernière, qui eut lieu le dimanche après
Noël, on n'en comptait plus que quatre mille : c'étaient presque
tous des étrangers3. »
1*0. Les labeurs du P. Auger augmentant à proportion de ses
succès apostoliques, il sentait la nécessité d'avoir auprès de lui
un auxiliaire vaillant, mais il ne put en obtenir. Toutefois les cir-
constances lui ménagèrent bientôt un secours dans la personne
du P. Possevin. Celui-ci, en effet, fut réclamé par les marchands
italiens qui, retirés dans le Comtat pendant l'occupation de
Lyon par les huguenots, étaient revenus dans cette ville après
le rétablissement du culte catholique. Le P. Lainez répondit à
leurs vœux d'autant plus facilement que les intérêts de la reli-
gion couraient alors plus de dangers en France qu'en Italie5.
Possevin était à Fossano, quand une lettre datée de Trente lui
apprit cette décision : il quitta pour toujours sa commande-
rie de Saint-Antoine, qui venait d'être donnée à un homme de
1. Lettre du P. l'aber.
2. Lettres des chanoines au P. General. ïl juillet 156:! iCall. Episl.. II, f. 133).
3. Lettre du P. Faber.
4. Lettre du P. Possevin au P. Lainez, 15 sept. 1563 (Acta a Possevino
TRAVAUX APOSTOLIQUES DES PP. POSSEVIN ET AUGER. 353
bien par les soins du l*. Polanco et de l'abbé de Saint-Sauveur'.
A son retour à Lyon, rien n'égala la joie de ses compatriotes
si ce n'est la fureur des hérétiques, qui semèrent les embûches
sous ses pas. On le logea d'abord au couvent des Dominicains et
il reprit ses prédications à Notre-Dame de Confort; mais les
huguenots se mirent à lancer des pierres dans l'église. D'ail-
leurs, les italiens trouvèrent leur missionnaire mal gardé dans
une maison où peu de religieux étaient rentrés; ils lui choisirent
une autre demeure et le firent prêcher à l'église Sainte-Croix, il
s'y rendait chaque jour escorté, à son insu, de catholiques
armés, tout prêts à le sauver des insultes ou des coups2.
Le P. Possevin connaissait l'attachement des marchands italiens
à l'Église romaine; mais il voyait le salut de leurs âmes très ex-
posé par l'appât du gain qui les avait attirés dans une cité com-
merçante. Il résolut donc de les instruire des questions d'intérêt,
où l'on peut se faire si facilement illusion. Il étudia soigneusement
cette matière, les différents contrats et les principes sur lesquels
ils étaient fondés. Il ne se contenta pas de lire les meilleurs ou-
vrages relatifs à ce sujet; il consulta encore les plus honnêtes né-
gociants, le consul de la nation florentine et un de ses amis, très
versé dans la science du droit. Il composa, sur les contrats usités
dans le commerce, un petit traité où il s'attachait à éclaircir ce
qu'ils ont de plus obscur'. En même temps, par de simples et
solides instructions, il exposait la doctrine des théologiens et s'ef-
forçait d'inspirer de l'horreur pour tous ces subterfuges sous
lesquels se cachent l'usure et la cupidité'1.
Ces occupations ne ralentirent point sa lutte contre les nova-
teurs. Il ne cessa de les combattre, avec leurs propres armes :
eux, pervertissaient les esprits par les mauvaises lectures; lui,
publia et répandit de toutes façons les bons livres, exhorta les
ecclésiastiques à en distribuer au peuple, aux malades, aux pri-
sonniers. Il écrivit, sur des matières de piété, plusieurs opuscules
qu'il jetait comme une semence féconde dans la foule ignorante
ou trompée. « Il ne sera pas dit, répétait-il souvent, que les hé-
rétiques seront plus zélés pour étendre leurs superstitions que
les catholiques pour conserver la religion de leurs pères. » lu
1. Annal, decas 1\ 1. II, c. i, p. 72.
2. Celaient des chevaliers de Malle qui s'étaient chargés de cet office (Annal,
decas 1", 1. II, c. u, p. 74, 75).
3. Possevin s'étend longuement sur celte question dans son Annal, decas 1\ 1. II,
• . ni, iv, v, p. 76-84.
4. Lettre de Possevin au P. Général. 21 mars 1564 (Acta a Possevino).
COMPVGME DE JÉSUS. — T. I. 23
354 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
incident, assez extraordinaire, montra que Dieu bénissait ce
genre d'apostolat : le feu, ayant pris dans un magasin, y con-
suma toutes sortes de marchandises, sans endommager le moins
du monde un ballot de bons livres qu'on trouva intact au milieu
des cendres de l'incendie1.
Jusque-là, le soin du ministère auprès des habitants de Lyon
incombait presque tout entier au P. Auger. Possevin, quoique
doué d'une grande facilité pour les langues, sentait tant de
répugnance à apprendre le français qu'il désespérait d'y réus-
sir; pourtant, à la suite d'un songe mystérieux, il s'y appliqua
avec tant d'ardeur et de courage que bientôt il le parla aussi
facilement que l'italien ;. C'était bien là le compagnon qu'il fal-
lait au P. Auger. Brûlant comme lui de l'amour des âmes,
il avait encore, comme lui, un très beau talent oratoire. Tous
deux travaillèrent à l'envi, nuit et jour, à affermir les catholi-
ques dans la vérité, à instruire les ignorants, à réconcilier avec
l'Église ceux que l'esprit de mensonge avait séduits. Aussi, disait-
on couramment que Lyon devait à ces deux hommes la con-
servation de la foi3. Le P. Olivier Manare, qui les vit à l'œuvre,
ne pouvait assez admirer les sentiments de sincère piété qu'ils
avaient su inspirer aux fidèles : « C'était, écrivait-il, une avidité
incroyable à entendre la parole de Dieu et à s'approcher de la
Sainte Table; ferveur d'autant plus admirable qu'elle n'était
point causée par la pompe extérieure, si propre à exciter la dé-
votion selon l'esprit de l'Église. Les autels avaient été dépouillés
de leurs ornements par les huguenots, et on n'avait pas encore
eu le loisir ni le moyen de s'en fournir de nouveaux; plusieurs
prêtres même se servaient de calices d'étain pour la célébration
des divins mystères. Mais une touchante simplicité, animée d'une
foi vive, avait concentré toute l'affection du cœur au principal
objet que la religion nous découvre dans le Très Saint Sacre-
ment, et Lyon rappelait à ce moment l'édifiant spectacle des
premiers siècles de l'Église4. »
11. Le P. Auger prêchait d'ordinaire tous les jours, et deux
fois le dimanche ; le reste de ses journées était pris par la visite
1. Annal, decas 1\ 1. II, c. iv, p. 85.
2. Ibidem, c. vm, p. 90.
3. Lettre de Possevin à Lainez, 1G janvier 1564 (Acta a Possevino). On trouve quel-
ques détails sur les prédications de Possevin et d'Auger dans les Actes capitulaires
de Saint-Jean (Archives du Rhône, registre 52, fol. 415, 419, 423, 473, 498, 532; reg.
53, fol. 16).
4. Relation du P. Manare (Acta a Possevino).
TRAVAUX APOSTOLIQUES DES PP. POSSEVLN ET AU. Eli. 355
des prisonniers et des malades, par la correspondance et des
entretiens de direction1. Aux dons naturels, qui lui attiraient
la sympathie de tous, il joignait les plus belles vertus d'un par-
fait religieux. Quand le P. Manare lui annonça que le P. Général
l'avait admis à la profession des quatre vœux, il se montra très
surpris qu'on eût songé à lui confier ce degré, et il en écrivit
au P. Laincz se déclarant indigne d'un tel honneur 2. Mais cette
nouvelle preuve d'une solide et sincère humilité ne fit que con-
firmer le P. Général dans sa première résolution. La réponse fut
qu'il devait se laisser conduire par l'obéissance, et accepter le
sacrifice qui lui était imposé 3. 11 fit donc sa profession solen-
nelle, le 24 janvier 156V, entre les mains du P. Olivier Manare,
alors Commissaire général de Ja Compagnie de Jésus 4.
Une occasion se présenta bientôt, qui permit au clergé et à la
population catholique de Lyon de manifester leur reconnais-
sance, et aussi leur attachement, à la personne du P. Auger.
Les capitouls de Toulouse, désireux de le posséder à leur tour,
avaient demandé au P. Manare et au P. Général de vouloir bien
le leur envoyer. Cette légitime requête fut agréée; mais aus-
sitôt qu'on en fut informé à Lyon, des plaintes retentirent dans
toute la ville. Le chapitre de Saint -Jean, dans une lettre du
12 mars 1564 au P. Lainez, venait de faire l'éloge du P. Pos-
sevin et du P. Auger, auxquels il se reconnaissait redevable,
après Dieu, de tout le bien produit journellement dans les âmes,
lorsqu'il apprit la fâcheuse nouvelle. Tout de suite, il ajouta un
post-scriptum pour réclamer : « Nous vous supplions, disaient
les chanoines, pour la faulte que nous feroit ledit Père et à tout
ce pays, où desia il a si bien acheminé et advancé les affaires
de la religion, de le nous laisser icy; aultrement tout le fruict
qu'il a faictjusquicy se perdroit par son absence"' »
Un mois après, de nouvelles instances ayant été faites par les
capitouls de Toulouse au P. Lainez, les catholiques de Lyon,
prêtres et simples fidèles, lui adressent de leur côté une pétition
où ils montrent que le départ du P. Auger serait pour leur ville
une perte irréparable : « Au contraire, ajoutent-ils, ce seroit
ung grand plaisir et contentement aux hérétiques, que ce grand
1. Relation du P. Manare (Actaa Possevino.)
2. Lettre du 1er janvier 1564 (Gall. Epist., t. IF. fol. 185).
3. Gallia, Epist, Generalium, t. 1551-1565.
4. Lettre du P. Faber déjà citée. Cf. Epist. P. Nadal, t. II, p. 592.
5. Lettre des chanoines au Père Lainez (Gall. Epist.. t. II, fol. 224). Lettre du
P. Auger au même, 16 mars 1564 Ibidem, fol. 204).
336 HISTOIRE DE L'A COMPAGNIE DE JÉSUS.
expugnateur de leurs faulses doctrines fust esloigné d'eulx. »
Puis, ils invoquent le motif de la plus grande gloire de Dieu qui
doit, à leur avis, faire pencher la balance en leur faveur, car « la
ville de Tlioloze. par la grâce de Dieu, et par la prudence et
bonne diligence de la court du Parlement, est contenue en rai-
son; mais ceste pauvre et calamiteuse ville [de Lyon] est tant
infectée et tant infecte de ces faulses opinions, pour la licence
qui y est de prescher comme Ton veult, que sans la bonne ayde,
très grande diligence, insigne doctrine et érudition, et lardent
zèle dudit sieur Auger, les hérétiques y tiendroient le premier
lieu ». Enfin, comme dernier argument, ils déclarent leur projet
de fonder bientôt une maison de la Compagnie et leur dessein de
recourir au Pape, si le maintien du P. Émond ne leur était pas
accordé { .
Ce recours à Sa Sainteté ne fut pas nécessaire. Le P. Manare
estimant que la présence du missionnaire serait moins utile à
Toulouse, revint sur sa première détermination, et révoqua l'or-
dre de départ qu'il avait donné. Le P. Auger resta encore quelque
temps à Lyon, où, avec le P. Possevin, il combattit le bon com-
bat contre les ministres de la réforme.
12. Ils eurent principalement affaire avec l'un des plus célè-
bres d'alors, Pierre Yiret. Cet apostat, né à Orbe en Suisse, en
151 1, ne possédait pas les qualités d'un réformateur, mais il avait
toutes celles qui pouvaient servir à la propagande de la nou-
velle doctrine. Moins érudit que Calvin, mais plus éloquent, il
s'était acquis dans le parti une grande renommée par de nom-
breux ouvrages contre l'Église romaine. Après avoir posé en
principe, dans son livre de Y Instruction chrétienne, 'que les
ministres calvinistes sont seuls véritables ministres de la reli-
gion, il y traite les vrais pasteurs de l'Église de larrons, de sa-
crilèges, de ministres de l'Antéchrist, à qui l'on ne doit rien
donner, et qu'il juge dignes de mourir de faim. L'Église catho-
lique et la tradition n'entendent rien à l'Écriture Sainte; lui
seul la comprend. L'orgueil en révolte contre l'autorité, tel est
le fond du plus sérieux de ses ouvrages. Par ses discours sédi-
tieux, il avait puissamment aidé à l'insurrection des huguenots
à Lyon; depuis la paix, il continuait à dogmatiser, sans avoir
rien à craindre. Possevin ayant publié un livre sur l'antiquité
1. Lettre des catholiques de Lyon au P. Lainez (Galliae Epis'., t. II, fol. 226). Voir
le texte entier de celle lettre, Appendice D.
TRAVAUX APOSTOLIQUES l>ES PP. POSSEVIN ET AUGER. V>1
du sacrifice de la messe1, Viret en écrivit une réfutation. La
réplique de Fauteur orthodoxe ne se fit pas attendre : eïïc fut
vigoureuse et resta sans réponse. L'apostat eut alors recours aux
libelles et à la calomnie; niais il n'eut pas le dernier mot : le
P. Auger montra tout l'odieux de pareils procédés, dans une
lettre en forme d'apologie, intitulée : Jiesponse à une épistre li-
minaire de Pierre Viret... en faveur de ceux de la Compagnie
de Jésus2.
Le crédit dont jouissaient les deux missionnaires s'accrut en-
core par le bienveillant accueil que le roi fit au P. Auger, pen-
dant son séjour d'un mois à Lyon, du 13 juin au 9 juillet 156V.
Afin de calmer les esprits et d'assurer par sa présence l'exécution
de l'édit d'Amboisc, Charles IX, sur les conseils de Catherine de
Médicis, avait entrepris de visiter les principales provinces du
royaume. « Le jour de son entrée solennelle à Lyon, écrit le
P. Auger, le roi se rendit à la cathédrale où il revêtit le surplis,
en qualité de chanoine de Saint-Jean, et assista dévotement aux
cérémonies. Depuis, il n'a jamais manqué avec la reine mère,
les fils de France et les autres princes d'entendre chaque jour
la messe qui se disait au grand autel. Vous pouvez juger de la
joie des catholiques et de la confusion des réformés, auxquels
le prêche fut interdit en ville et dans la banlieue, pendant tout
le séjour de Sa i\Iajesté:!. » Le P. Émond ne manqua point d'aller
« faire la. révérence » à la reine et au roi. Celui-ci ne l'eut pas
plutôt aperçu, que l'embrassant devant les seigneurs de sa suite,
il l'assura de sa bonne volonté en toutes choses. Dans une autre
entrevue, la reine le remercia de tout le bien qu'il avait fait
dans le pays, l'exhorta à continuer et lui montra des sentiments
très favorables à la Compagnie de Jésus4.
Le P. Émond, très respectueux de l'autorité royale, dédia à
Charles IX la seconde édition de son catéchisme : « L'instruction
de la jeunesse que ce livre a pour but, disait-il dans la préface,
est la voie la plus sûre pour faire passer à tous les âges les vé-
ritables sentiments de la religion; car on retient toute la vie le
pli qu'on a pris dès l'enfance. Cet ouvrage servira aussi à unir
toute la jeunesse du royaume avec Sa Majesté, dans la même foi
1. Tratato del Santissimo Sacrificio dell' Altare detlo messa. — Lettre du P. Au-
ger au P. Général, 25 avril 1564 (Gai!. Epist., I. II, fol. 213'.
2. Lettre du P. Possevin au P. Général, 19 avril 1564 (Acta a Possevino). Lettre
du P. Auger au même, 22 mai 1564 (Gall. Epist., t. II, p. 215).
3. Lettre du P. Auger au P. Lainez, 18 juin 1564 (Gall. Epist., t. II, fol. 188).
4. Lettre du même, 10 juillet {lbid., fol. 190).
358 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESI S.
qu'elle a reçue de. ses ancêtres, et à lui attacher le cœur de ses
sujets, la religion étant le lien le plus fort pour maintenir les
peuples dans la soumission qu'ils doivent à leur souverain. » Ce
catéchisme, où la doctrine catholique est exposée d'une manière
nette et précise, eut un débit prodigieux. Sébastien Nivelle, à
Paris, en écoula trente-huit mille exemplaires dans l'espace de
huit années *.
Durant le séjour de Charles IX à Lyon, le ministre Viret crut
avoir une belle occasion de rétablir sa renommée. Soutenu par
quelques personnages de la cour, dévoués aux protestants, il
obtint l'autorisation de provoquer les Pères à une dispute publi-
que. La conférence devait se tenir chez le nonce, Prosper de
Sainte-Croix. Le P. Auger y envoya le P. Possevin, afin d'ôter aux
hérétiques le prétexte de faire courir le bruit que les catholiques
n'avaient osé accepter le défi ; mais il n'attendait aucun fruit de
ces assemblées, qu'il répudiait comme souvent dangereuses et
presque toujours inutiles 2. Il fut convenu que dans la dispute on
pourrait recourir non seulement à la Bible, mais aussi aux quatre
premiers conciles généraux et aux anciens Pères. C'était, de la
part du prédicant, une périlleuse concession dont Possevin sut
habilement profiter. Bien qu'il n'eût guère plus de trente ans, il
était déjà un des plus savants hommes de son temps. Dans une
synthèse admirable, il montra la vérité catholique remontant,
par une chaîne non interrompue, depuis le seizième siècle jus-
qu'aux apôtres. Viret, pressé par les indéniables témoignages que
son adversaire ne cessait de produire, ne sut que balbutier, et
finit par déclarer qu'on ne pouvait se fonder sur de pareilles au-
torités, quoiqu'il les eût d'abord admises !. Un seigneur de la
cour, Jean de Saint-Romain, archevêque apostat, « qui avait
quitté la mitre et la crosse à Aix en Provence » 4, voulut entrer
en lice pour secourir le ministre. Comme Possevin lui reprochait
d'avoir abandonné la route qu'avaient suivie tant de saints et sa-
vants personnages, et citait entre autres saint Bernard : « Eh!
que me nommez-vous là, repartit ce seigneur; il n'y a pas six
cents ans que Bernard est mort. — Sans doute, reprit aussitôt
1. Le catéchisme du P. Auger lut imprimé à la fois à Paris, à Toulouse et à Avi-
gnon. Lettre du P. Auger au P. Général. 26 avril 1564, déjà citée.
2. Lettre du P. Auger au P. Lainez, 10 juillet 1564 (Gall. Epist., t. II, fol. 190).
3. Annal, dec. 1% 1. II, c. vil, p. 87, 88.
4. L'histoire civile de Lyon, p. 237. Cf. Gall. Christ., t. I, p. 331, 332, note a. —
On dit qu'un jour de Noël, du haut de la chaire, il jeta ses ornements pontificaux
après avoir invectivé contre le pape. 11 embrassa ensuite le métier des armes.
TRAVAUX APOSTOLIQUES DES PP. POSSEVIN ET Al GER. 359
Possevin, mais depuis quand est né Calvin, fondateur «le votre
prétendue réformation? » A cette brusque sortie il n'y avait rien
à répondre; la conférence prit lin sans aucun résultat, comme on
l'avait bien prévu 1.
13. Charles IX, pendant son séjour à Lyon, avait entrepris de
faire bâtir une citadelle sur la colline de Saint-Sébastien ; des
exemples récents lui avaient montré que ces forteresses restaient
au pouvoir des troupes royales, même quand les villes tombaient
aux mains des huguenots. Mais il ne put en presser la construction,
car un second fléau venait de succéder à celui de la g-uerre civile.
La cour, obligée de fuir devant la peste, se retira au château de
Roussillon en Dauphiné ~. Un nouveau théâtre d'apostolat s'ou-
vrait ainsi au zèle et au dévouement des deux missionnaires. Déjà
ils étaient prêts à se consacrer l'un et l'autre au soin des ma-
lades, sans distinction de catholiques et de protestants, lorsque,
sur le conseil du P. Aug-er, Possevin se rendit à Avignon où sa
présence semblait très utile à l'établissement d'un collège de la
Compagnie !. Quant au P. Émond, il résolut de demeurer avec ce
malheureux peuple. Ému de ses épreuves, il s'efforça de le mettre
à même de profiter de la visite du Seigneur, et publia, à cet effet,
la touchante Epitre consolatoire aux catholiques de Lyon, que
l'on trouve imprimée à la fin de son catéchisme. Sa charité ne se
contenta pas de paroles ; elle lui fît embrasser avec joie toutes
les occasions de procurer, aux dépens de sa propre vie, le soula
gement spirituel et temporel des pestiférés. Du milieu de l'été à
la fin de l'automne, soixante mille personnes, s'il faut en croire
de Rubys '', quarante mille, selon d'autres auteurs, périrent vic-
times de la contagion.
Au plus fort du fléau, le 28 septembre 156V, dans une lettre
d'un style assez décousu qu'il écrivit au P. Général, le P. Auger
a tracé de cette époque un tableau lugubre où paraissent l'éten-
due de son zèle et son étonnante activité "' : « Une partie des hu-
guenots, dit-il, meurent au milieu d'horribles imprécations, se
damnant ainsi deux fois par leur faute; on en trouve qui se
donnent la mort à eux-mêmes ; beaucoup aussi se convertissent,
m'appellent, renoncent à leur Viret et à toute la secte calviniste.
1. Annal, decas 1', l. c. Cf. Sacchini, P. II, lil>. MU, n. 84.
2. Lettre du P. Auger au P. Laine/, 14 juill. 1564 (Gall. Epist., t. II. f. 190 .
3. Annal, decas 1,1. VIII, p. 91.
4. Op. cit., p. 403, 404.
5. L'original est en italien.
360 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSIS.
C'est pitié de voir la rigueur du fléau de Dieu. Les catholiques,
au contraire, meurent paisiblement et volontiers, maintenant
qu'ils savent le culte divin rétabli dans cette ville. Je vais les
consoler de temps en temps dans leurs demeures, ou bien, pour
remplacer mes visites, je leur écris quelque chose (sic) l. Le nom-
bre des pauvres que l'épidémie a atteints est considérable...
L'hôpital en contenait bien deux mille au début... Il a fallu s'in-
génier à leur procurer du blé, du vin, de la viande et autres
choses nécessaires à leur subsistance, ce qui n'a pas été une
petite besogne, car, les personnes aisées ayant fui, nous avons
dû improviser des meuniers, des boulangers et le reste J'ai
cru. un moment, que cette cité allait crier famine et manquer de
pain. Je suis allé moi-même, quod nul/us erat alius qui fran-
geret, trouver les boulangers et leur recommander de vendre le
pain au détail, autrement la moitié de la population n'en aurait
pas eu. Voilà une idée de mes occupations. Toutes les fois que
je prêche, je fais la quête pour les pauvres. De l'autre côté du
Rhône, il y a encore cinq cents indigents pestiférés. Ils sont
nourris par les catholiques, qui chaque matin leur distribuent
des vivres avec une grande charité. Je suis allé plusieurs fois
à cette distribution. Je leur donne alors une petite exhortation,
me tenant à quelques pas de mon auditoire, et je leur fais
faire une prière en rapport avec leur triste état. C'est un spec-
tacle bien impressionnant de voir ces cinq cents moribonds tout
défigurés par la peste, et quiconque n'est point prêt à mourir,
sans beaucoup de cérémonies, devrait venir ici Le diman-
che, après les vêpres, le Saint Sacrement est porté en pro-
cession à travers le cloître [de l'église Saint-Jean] ; puis le peu-
ple entend, avec une profonde attention, un sermon sur la
souffrance, tiré du psaume trente-septième. Lyon est devenu
une parfaite école de ferveur et de modestie : plus de jeux, plus
d'usure, plus de crimes. Les prêtres, ou sont morts, ou sont
partis. Il me faut aller le matin, au delà de la Saône, prêcher
à 7 heures et dire la messe, puis revenir à Saint-Jean et prê-
cher; après le diner me rendre à Saint-Paul, puis le soir rentrer
à Saint-Jean Beaucoup de religieux ont succombé, et fere
soli reticti sumus. Promesse solennelle a été faite, au nom de
la ville, que, s'il plaît à Dieu de la délivrer de ce mal, une
procession générale aurait lieu en expiation des mépris passés ;
1. Allusion à YÉpitre consolaloire dont il est parlé plus haut.
TRAVAUX APOSTOLIQUES DES PP. POSSEVIN ET AUGER. 361
on a promis également de porter à Saint-Pierre de Home un
témoignage de la soumission des catholiques à L'Église romaine,
et à Saint-Denys un témoignage de leur obéissance au pouvoir
royal, pour réparer les injures et les blasphèmes de nos enne-
mis, dont nous portons la peine si durement. Je me suis appli-
qué à convaincre le peuple que s'il n'y avait point de peste
spirituelle, il n'y en aurait point non plus de corporelle. Il pa-
rait que la Reine a été contente de mes services. Le premier
président m'a écrit, de sa part, qu'elle m'engageait à continuer.
Je ferai ce que je pourrai, et s'il plait à Dieu que je meure
dans ce ministère, que sa volonté soit faite 1 ! »
Le P. Auger avait été lui-même l'instigateur de tous les secours
organisés pour le soulagement des pestiférés. Ses contemporains
ont loué avec gratitude son habile initiative, et dans la suite, le
souvenir de son dévouement fut transmis à la postérité par les
historiens de la ville. Un écrivain qui l'a connu à cette époque,
de Rubys, nous le montre allant « tous les jours visiter les ma-
lades dans les hôpitaux et dans les cabanes, les consolant, les
exhortant et leur distribuant les aumônes qu'il recevait des gens
de bien 2 ». Il aurait employé à leur usage, si Ton en croit le P. de
Colonia, jusqu'à « la somme de quatre-vingt mille écus d'or dont
la charité et la confiance [des habitants] l'avaient fait déposi-
taire 3 ». Le soin qu'il prenait des malades ne l'empêchait pas
de s'occuper de ceux qui étaient en bonne santé ; il ne cessa ja-
mais de prêcher dans l'église Sainte-Croix 4. On regardait comme
un prodige que cet homme ne succombât pas à tant de fatigue.
Quand le P. Auger vit les moyens humains impuissants à re-
pousser les attaques du fléau, il tourna son espoir vers la miséri-
corde divine. Sa lettre nous a déjà signalé quelques-unes de ses
pieuses industries. Il persuada encore les magistrats de faire un
vœu à Notre-Dame du Puy en Velay. Sa confiance ne fut pas
trompée. La peste ayant cessé peu de temps après ', on le chargea
d'aller lui-même porter le vœu de la cité à ce célèbre sanctuaire
de la Mère de Dieu, et il partit avec André Amyot, eus /ode de
l'église Sainte-Croix, son hôte et le fidèle compagnon de ses tra-
vaux. A son retour, les catholiques, qui avaient été témoins de ses
1. Lettre du P. Auger au P. Lainez, 28 sept. 15(54 (Gall. Epist., t. II, f. 198, 199ï.
2. De Rubys, op. cit., p. 404.
3. De Colonia, Hist. lift, de Lyon, t. II, p. 682.
i. Lettre de Possevin au P. Lainez, d'Avignon, 20 oct. 15G i (Acla a Possevino).
5. Lettre du P. Auger au P. Lainez, 14 oct. 1564 (Gall. Epist., 1. II, f. 292).
352 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
peines, cherchèrent de mille manières à lui prouver leur recon
naissance. Bientôt les consuls, en considération de ce jésuite qu'ils
regardaient comme le restaurateur du salut public, voudront
gratifier tout son Ordre et offriront à la Compagnie de Jésus leur
collège de la Trinité1.
1. Délibération du conseil (Archiv. connu., BB, 8ï, f. 45').
LIVRE III
PREMIERS DÉVELOPPEMENTS
1564-1575)
CHAPITRE PREMIER
l'ouverture du collège de clermont a paris et le
droit de scolarité.
(1564-1565 .
Sommaire : 1. Achat de la Cour de Langres. Lettres de scolarité et ouverture
du collège (février 1564). — 2. Le P. Jean Maklonat : sa vie, ses cours. —
3. Opposition des hérétiques, du collège royal et de l'Université; les Jésuites
obligés de fermer leur collège. — 4. Consultation de Du Moulin. — 5. Assem-
blée générale de l'Université contre les Jésuites; arrêt favorable du Parlement.
— 0. Requête du P. Odon Pigenat. — 7. Lettre du P. Edmond Hay. — 8. Les
Pères devant l'assemblée générale de l'Université. — '.). Décret contre le collège
de Clermont. Requête des Jésuites au Parlement et arrêt du 27 février 1565. —
10. Soulèvement contre la Compagnie. — 11 Démarche du P. Olivier Mahare,
Provincial, auprès du roi.
Sources manuscrites : I. Archives nationales, sér. MM.
II. Bibliothèque nationale ms. lat. C,i54.
III. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a (.allia, Epistolae Gcueia-
lium. — b) Galliae Epistolae. — c) Galliarum visitationes.
Sources imprimées : Du Boulay. Histor. Univers/ 1. Parisiensis. — Carayon, Documents
inédits, t. I. — Grégoire de Toulouse, Réponse à Charles du Malin pour le Concile de
Trente. — Maldonat. Opuscula theohejica. — Manare. De rébus S. J. commentarius-
Etienne Pasquier. Lettres. — Pièces fugitives pour servir « l'histoire de France. — l'rat,
Maldonat et l'Université de Paris. — bouis Kkheome S. .1., De l'immortalité de l'âme. —
Mosumenta historica S. 3. Ejàstolae P. Nadal.
1. L'admission de la Compagnie, sous le titre légal de Société
(ht collège de Clermont, suffisait pour qu'on put transformer la
maison d'études de Paris en maison d'enseignement. Mais l'hôtel
de Clermont ne se prêtait guère aux desseins du P. Général, in-
cliné à faire de cet établissement l'un des plus grands de toute
l'Europe. Le P. Cogordan, chargé de chercher un local plus spa-
cieux, avait découvert, dans le quartier de l'Université, un im-
meuble qui semblait réunir toutes les conditions désirables.
C'était un hôtel très vaste et connu sous le nom de la Coin- de
364 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
Langres, parce qu'il avait appartenu à Bernard de la Tour d'Au-
vergne, évêque de cette ville. Avant son départ de France, le
P. Lainez l'avait visité avec le P. Polanco et le P. Nadal, et tous
trois approuvèrent le choix de leur Procureur1. Celui-ci entra
aussitôt en négociation avec les propriétaires, les sieurs Henne-
quin et Prévost; mais les pourparlers traînèrent en longueur; le
contrat de vente ne fut signé que le 2 juillet 15632.
A son arrivée à Paris, à la fin d'octobre de la même année, le
P. Olivier iManare, nouveau Provincial, trouva le P. Cogordan en
train de mener, avec son activité accoutumée, les réparations
nécessaires pour adapter la Cour de Langres aux besoins de l'en-
seignement. Lui aussi fut enchanté du local : « Je m'étonne,
écrivait-il au P. François de Borgia, qu'on ait pu trouver dans
des temps si difficiles une si belle maison et si bien située. Il y a,
comme au collège romain, deux corps de logis distincts dans
lesquels on peut placer l'habitation des Pères, les classes, les
pensionnaires et les écoliers pauvres, séparés les uns des autres ;
de plus un beau jardin, un peu moins grand que celui de Rome.
Bien qu'il y ait peu d'eau potable à Paris, un puits large et pro-
fond, tout en pierres de taille, nous la fournit avec abondance,
et de la meilleure qualité, comme celle des Cholets, nos voisins,
et des Cordeliers, renommée dans toute la ville 3. »
Au commencement de 1561, les réparations de la Cour de
Langres étaient terminées, et les professeurs du collège réunis :
on pouvait donc, sans plus attendre, procéder à l'ouverture des
classes. Les Pères se rendirent d'abord auprès du Roi, « luy re-
monstrant que, suivant l'arrest de la Cour, vouloient commencer
à lire à Paris, en leur dit collège; ce qui luy a esté agréable, et
les a exhortés à persévérer, et leur a admorty ladite maison, et
donné pour l'amour de Dieu l'admortissement, lequel est vérifié
à la cour des Comptes4 ». Attentif à prévenir les difficultés qu'on
pourrait rencontrer, le P. Cogordan, en l'absence du P. Manare,
ne négligea aucune des mesures conseillées par la prudence. Il
consulta Christophe de Thou, premier président du Parlement,
s'enquit des sentiments dont le Recteur de l'Université était animé
à l'égard de la Compagnie, et obtint des lettres de protection de
J. Epistolae Nadal, t. Il, p. 95.
2. Recueil de pièces relatives au collège de Clermont (Archives nationales, MM, 386,
fol. 161-167).
3. Lettre du 9 nov. 1563 (Gall. Epistol., t. II, fol. 31).
4. Requête présentée au Parlement, 20 février 1564, dans Du Boulay, Hislor. Uni-
vers. Parisiens., t. VI, p. 590.
L'OUVERTURE DU COLLEGE DE CLERMONT A PARIS. 36S
la reine mère et du cardinal de Lorraine; enfin, se tournant du
côté du ciel, il alla avec les autres Pères implorer à l'église Saint-
Denys la bénédiction de Dieu sur cette difficile entreprise1.
Lue formalité restait à remplir. D'après le droit commun de
l'Université de Paris, nul ne pouvait enseigner publiquement
sans avoir obtenu des lettres de scolarité. Le Recteur alors en
charge, Julien de Saint-Germain2, bachelier de la maison de
Sorbonne, était un bon catholique, un esprit large et libéral.
Persuadé qu'il ne pouvait, sans injustice, rejeter des maîtres qui
apportaient au service de la religion le secours de l'enseignement
et un dévouement généreux, il ne fit aucune difficulté d'accor-
der les lettres de scolarité qu'ils sollicitaient : « Par les présen-
tes, disait-il, nous prenons nos chers et vénérables religieux
prêtres et écoliers de la Compagnie de Jésus, ainsi que tous leurs
biens... sous la protection et sauvegarde de notre dite Université,
et nous voulons qu'eux-mêmes, leurs amis, procurateurs et fami-
liers, à cause de cette scolarité, usent et jouissent des privilèges,
franchises et libertés de ladite Université, et soient, par ces mêmes
privilèges, garantis n'importe où ils se transporteront. Donné à
Paris, l'an du Seigneur 1563/4, le cinquième jour du mois de
février3. »
Avec cette permission du Recteur de l'Université, qui ne faisait
que reconnaître les droits déjà acquis par les nombreuses lettres
patentes du roi, le décret de l'Assemblée de Poissy et l'arrêt du
Parlement de Paris, les Jésuites ouvrirent leurs classes, le 2-2 fé-
vrier 1564 'l. Dès les premiers jours, deux régents se firent re-
marquer '. L'un, le P. Venegas, professeur d'humanités, prit pour
1. Sacchini, Hist. Soc, P. II, 1. VIII, n. 78.
2. Manare, De rébus S. J., p. 83. Le P. Manare se trompe en mentionnant Jean
Prévost comme Recteur d'alors; il ne fut élu que plus tard.
3. Ces lettres, tirées d'une hist. ms. du coll. de Clermont. ont été publiées par
Prat : Maldonat, pièces just., n. 4, p. 537.
4. Manare, De rébus S. J., p. 83.
5. Voici, d'après un document portant la date du 16 mais 1563 4, quel était alors
le personnel du collège de Paris :
M. Nicolas Bellefille
M. Maldonado
M. Venegas Micli.
M. Franc. Scipione
M. Jaconio Doige
M. Joanne Rivato
M. Renalo
M. Ponlio
Joan. Former 1 Joan. Cornilleau
Pielro Chalon 2 Joan. Letellier
Joan. Granion 3 Jaconio Manare
Bonnitio Elzarlo
Dalvernia Guilelm. Lescaffete
Ludovic. Roan Joan. Rolles 5
Favio Fiamengo i
Jacomo Radeau
1. 2. 3. 4. Si faranno dotti et sono avanzati in lettere humane.
5. Si l'ara dolto se studia; un carretiere chi vuole vivere et moii eon noi.
(Calliae Epistolae, t. II. fol. 37.)
366 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
texte de ses leçons les Emblèmes d'Alciat, ouvrage classique à
cette époque; l'intérêt de son exposition et le brillant de son
langage lui attirèrent bientôt de nombreux auditeurs. L'autre,
le P. Maldonat, occupa la chaire de Philosophie, et se montra
dès lors tel que Pasquier le dépeindra plus tard, « versé et
nourry en toutes sortes de langues et disciplines, grand théolo-
gien et philosophe » '.
2. Jean Maldonat ~ était originaire de l'Estramadure espagnole,
et non portugaise comme l'ont prétendu certains auteurs. Il nous
apprend lui-même dans un écrit de sa main, recueilli par Sotwel,
« qu'il est né dans cette partie de l'Espagne qu'on appelle la
Maîtrise de Saint-Jacques, dans une ville nommée la Maison de
la Reine, las Casas de la Reina » '. Il avait l'esprit vif, élevér
subtil, pénétrant, capable de démêler les difficultés les plus
épineuses, un jugement ferme et solide, mais surtout une mémoire
si aisée et si fidèle qu'il avoua un jour, en public, n'avoir jamais
rien oublié de ce que lui avaient enseigné ses premiers maîtres.
Doué de si belles qualités, il apprit en peu de temps le latin et le
grec à l'Université de Salamanque, et fit de rapides progrès dans
la philosophie sous François Tolet, lauréat de 23 ans4, honoré
plus tard de la pourpre romaine. Une grave maladie l'ayant obligé
d'interrompre l'assistance au cours, il essaya de se dédommager,
par l'étude privée, des leçons qu'il avait perdues; mais, de son
aveu, il ne put parvenir à remplacer l'enseignement du pro-
fesseur : « Lorsque, jeune encore, raconte-t-il, j'étudiais la
philosophie, je tombai malade au moment où le professeur traitait
de la qualité dans les Catégories d'Aristote, et je ne pus entendre
de sa bouche l'explication de ce chapitre. Depuis je l'ai lu, je lai
répété souvent; je l'ai môme enseigné dans les écoles ; j'en ai fait
plusieurs fois l'objet de mes disputes publiques et de mes entre-
tiens privés. Eh bien! jamais je n'ai pu le posséder aussi bien que
ceux dont j'ai entendu, dont j'ai vu, pour ainsi dire, l'explication
sortir de la bouche du professeur, et que j'ai conservés profondé-
ment gravés dans mon esprit. >
1. Lettres, t. VI, lettre 24.
2. Il signait Maldonado ; en France le nom Maldonat à prévalu.
3. Biblioth. Scriptor. Soc. Jesu, in Maldonatum. Las Casas de la Reina dépendait
alors du grand maître des chevaliers de Saint-Jacques.
4. Né en 1532, Tolet entra dans la Compagnie en 1558, âgé de 26 ans. Maldonat, né en
1533, n'avait qu'un an de moins que son maître quand il faisait sa troisième année de
philosophie, de 1554 à 1555.
5. Oratio habita die 9 octobr. 1571 [Opéra tlieol. Maldoa., pars III).
L'OUVERTURE IHI COLLÈGE DE CLERMONT A PARIS. 367
A la lin de son cours de philosophie, Maldonat, ignorant encore
les desseins de Dieu sur lui, songeait à commencer l'étude de la
jurisprudence, et à se frayer un chemin vers les plus hautes
charges de la magistrature. Il en fut détourné, rapporte-t-il lui-
même, par un de ses amis, jeune homme d'une vertu remarquable,
neveu du savant Michel de Palacios : « Un jour, il me demanda
pourquoi je ne me livrais pas plutôt à l'étude de la théologie qu'à
celle du droit civil, .le lui répondis que c'était la voie la plus sûre
pour arriver aux honneurs publics. Il m'opposa ces paroles de
Jésus-Christ : Cherchez d'abord le royaume de Dieu et le reste
vous sera donné par surcroît. — Quoi donc! repris-je, est-ce que,
devenu jurisconsulte, je ne pourrai pas défendre la justice et
l'équité? Est-ce que je ne pourrai pas mettre à la disposition des
pauvres et mes facultés et mon patrimoine? — Oui, me dit-il,
vous le pourriez si vous le vouliez. Mais ces avocats que nous
voyons maintenant plaider avec tant de fracas, dépouiller les
riches, opprimer les pauvres, poursuivre la fortune avec tant
d'avidité, tenaient le même langage que vous, avant qu'ils eussent
étudié les lois ; dès qu'ils ont commencé à manier de l'argent, ils
sont devenus tels que vous les voyez. — Ces paroles produisirent
sur moi une si forte impression que, sans autre motif, je renonçai
à tous mes projets, et, malgré ceux dont je dépendais, je me
tournai vers la théologie, à laquelle je me féliciterai toujours
d'avoir consacré une part de ma vie l. »
Dans l'étude de la science sacrée, Maldonat fut le disciple du
savant Dominique Soto et d'autres théologiens de la même école.
Ses cours terminés, il fut choisi, à cause de ses brillants succès,
pour enseigner le grec, et ensuite la philosophie et la théologie
dans l'Université de Salamanque. Mais, touché de la grâce, il
abandonna bientôt sa chaire, et suivit l'exemple de François Tolet,
entré depuis peu dans la Compagnie de Jésus. Afin de se soustraire
aux sollicitations de ses parents et de ses amis, il se réfugia à
Rome où il fut admis au noviciat de Saint-André, le 10 août 1562.
Un an après, il était élevé au sacerdoce, puis nommé professeur
au collège romain où il avait pour collègues les maitres célèbres
d'alors : Mariana, Tolet, Ledesma, Perpinien, Emmanuel Sa-.
Il n'y resta que peu de temps. Quelques mois plus tard, le
1. Praefatio altéra cum secundum theologiam aggrederetur, ann. 1570 (Ibid., P. III,
p. 24).
'1. Mariana, Praefat. in Scholias in Vet. et Xov. Test. (Madrid, 1619).
368 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
P. Laioez lui confia le soin d'établir à Paris la réputation du
nouveau collège de Clermont.
Le P. Maldonat résolut de faire de son enseignement un apos-
tolat, en combattant les fausses doctrines. Dès son arrivée en
France, il étudia l'état des esprits, les questions les plus agitées,
les besoins intellectuels et moraux de la jeunesse, et il ne tarda
pas à remarquer les erreurs alors répandues dans les collèges
comme dans la société. Une des plus déplorables était celle de la
mortalité de Famé, « bérésie sourde, observe un étudiant de ce
temps-là, mais non moins pernicieuse engeance, vieille semence
jetée par Satan à petit bruit au champ de ce monde, dès le com-
mencement. En ces derniers siècles elle a levé la teste;... la plus-
part des escoles se trouvèrent en peu de temps infectées de son
poison1 ». Ce fut contre elle que Maldonat s'éleva tout d'abord
« avec un grand concours et approbation, dit un de ses audi-
teurs, non seulement des escoliers, mais aussi des docteurs et
régens qui le venoient ouyr2 ».
11 avait choisi, comme thème de ses leçons, le Traité de l'âme
d'Aristote. Le plan et la méthode qu'il suivit en commentant cet
ouvrage, nous sont connus par le cahier de l'un de ses élèves con-
servé parmi les manuscrits de la Bibliothèque nationale3. Après
avoir énuméré les différentes théories des philosophes sur la
nature de l'âme et son origine, il établit l'opinion qu'il faut tenir
d'après les données de la raison et de la foi. Il traite ensuite de
l'union de l'âme avec le corps et de leurs relations; des diverses
facultés de l'âme et de leurs fonctions; de l'origine des idées, du
libre arbitre et enfin de l'immortalité de l'âme, question la plus
importante de son cours. Loin de mépriser Aristote, comme
Ramus et son parti, il le développe et l'explique, le défend même
contre ses faux interprètes ; mais il ne s'assujétit point à son texte
ni à sa seule autorité; il le corrige, quand il est nécessaire, par
les témoignages que lui fournit une étude approfondie des scien-
ces humaines et de la révélation. Débarrassée d'une servitude
étroite, dédaigneuse aussi des vaines subtilités, son argumen-
tation s'avance droit au but sans contrainte et sans écarts.
Cette large et solide méthode qui convenait si bien au Traité
de l'âme, le jeune professeur l'employa avec un égal succès dans
1. Richeome, De V Immortalité de l'âme, avant- propo?.
2. Ibidem.
3. Mss. latins, 6.454. Le P. Prat s*est déjà servi de ce manuscrit dans son ouvrage
sur Maldonat et l'Université de Paris, p. 80 et suiv.
L'OUVERTURE DU COLLÈGE DE CLERMONT A PARIS. 369
les leçons qu'il fit, l'année suivante, sur la métaphysique et la
théodicée, et qu'il termina par uq rapide aperçu de la constitu-
tion et de la classification des sciences1.
Ainsi, avec Maldonat, la philosophie se relevait du discrédit où
l'avaient fait tomher les maîtres de la vieille école. Appliqué trop
longtemps à des matières puériles ou vaines, l'enseignement de
cette science n'avait pas retrouvé, dans le beau langage du
collège de France, le véritable élément de son éclat et de sa
dignité. Le professeur du collège de Glermont le lui rendit en
abordant de front les plus graves problèmes, en les exposant avec
ampleur et clarté, en les résolvant par le jeu d'une dialectique
alerte et puissante. Aussi, le nombre de ses auditeurs alla-t-il
toujours augmentant. Le 10 avril 156V, le P. Cogordan écrivait au
P. Général : « D'une fenêtre, j'ai compté les élèves du P. Maldonat;
ils étaient plus de cent2. » Ce chiffre est déjà respectable après
deux mois seulement de leçons. Mais on verra bien mieux dans
la suite, et le P. Manare pourra écrire à son tour : « La foule des
auditeurs était si considérable qu'ils ne pouvaient tous entrer
dans la grande salle où se faisaient les cours. Deux ou trois
heures avant l'ouverture, on se pressait à la porte du collège,
même sous la pluie, afin de choisir une place commode 3. »
Les régents de belles-lettres et de grammaire ne se montrèrent
pas moins à la hauteur de leur tâche. A l'instar du collège royal
et du collège de Bourgogne, celui de Clermont ouvrit un cours
d'éloquence et un cours de grec qui furent aussitôt très suivis. Du
Boulay, l'historien de l'Université de Paris, le constate avec une
pointe d'amertume : « Les classes des Jésuites, dit-il, surabondent
d'élèves, et celles de l'Université sont désertes'1. »
3. De si brillants débuts, — il fallait s'y attendre, — eurent le
privilège de provoquer des animosités de toutes sortes. Pierre
Ramus, alors Principal du collège de Presles, et partisan déclaré
du protestantisme, commença la guerre contre les défenseurs
avoués de l'Église et du Saint-Siège. « Il prévoyoit desjà, dit un
ancien annaliste, que ce collège de Paris seroit comme un cava-
lier bien flanqué pour battre en ruine la Babel de l'hérésie, qui
jettoit là ses fondements par toute ladite Université. » Guillaume
Galland, Principal du collège de Boncour, Adrien Turnèbc et
1. Manare, De rébus S. j., p. 83.
2. Lettre du P. Cogordan au P. Général (Gall. Epist., t. II, f. 147).
3. Manare, De rébus S. ,/., p. 84.
4. Du Boulay, Iiisl. Unir. Paris., i. VI, p. 916.
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. >i
370 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Denis Lambin, professeurs au collège royal, et plusieurs autres,
troublés dans leur gloire ou menacés dans leurs intérêts par un
établissement nouveau, s'associèrent aux colères de Ramus. Jaloux
de voir « les docteurs et régens [Jésuites] suivis avec étonnement
de tout le monde », ils formèrent pour s'en débarrasser un « fu-
rieux party d'opposants1 ». Ainsi le collège de Clermont, après
quelques mois d'existence, mettait déjà en émoi les hérétiques,
le collège royal et l'Université. Ces deux dernières institutions,
autrefois rivales, oublièrent leurs anciennes querelles et cher-
chèrent dans un même sentiment d'hostilité à écraser leur en-
nemi commun. Rappelant plus tard cette levée de boucliers con-
tre la Compagnie, le P. Claude Mathieu écrivait, en 1575. au
Pape Grégoire XIII : « Il y a onze ans que nous ouvrîmes à
Paris des écoles publiques. A cette époque, Mercier occupait la
chaire d'hébreu, Turnèbe et Lambin celle de giec; Ramus celle
des lettres latines au collège royal; Salignac, docteur de Sor-
bonne, professait la théologie au collège de Marmoutier. Tous
étaient calvinistes, et enseignaient publiquement leurs erreurs
sans être troublés par la Sorbonne. Mais à peine, avec le consen-
tement du Recteur, eûmes-nous ouvert des écoles, que les doc-
teurs entreprirent de soulever contre nous toutes les classes de
la société-. »
Les adversaires des Jésuites eurent d'abord recours au cardinal
de Chàtillon, conservateur des privilèges de l'Université. Ce pré-
lat « qui se sentait et de la faction et de l'hérésie de ses frères,
l'admirai et Dandelot, leur promit toute assistance et en donna
promesse particulière à Ramus ». La chose n'est donc pas dou-
teuse : c'était bien en faveur du protestantisme que s'ouvrait
cette campagne contre le collège de Clermont. Etienne Pasquier
ne craignit pas de l'avouer « en certaines lettres qu'il escrivoit en
ce temps-là'' ». On pourra se demander comment l'Université de
Paris, qui ne ménageait pas ses remontrances au gouvernement
pour le maintien de la religion catholique, osa néanmoins s'asso-
cier à cette injuste opposition. Elle s'illusionnait sans doute, ou
bien elle obéissait à des motifs intéressés, comme elle l'avait fait
autrefois en combattant les Ordres de Saint-Dominique et de Saint-
François. Quoi qu'il en soit, le Supérieur des Jésuites de France
1. Commencements de la Compagnie, dans Carayon : Documents inédits, t. I,
p. 27.
2. Mémoire dit 1\ Cl. Mathieu, dans Prat : Maldonat; pièces justificatives, n. xm,
p. 594.
3. Carayon, Doc. inéd., 1. c.
L'UNIVERSITÉ DE PARIS CONTRE LES JÉSUITES. 371
fut mandé, par le prieur de Sorbonne, auprès du nouveau Rec-
teur, nommé Marchand, qui avait convoqué quelques députes de
l'Université. Il exposa les raisons pour lesquelles la Compagnie
de Jésus avait fondé un collège à Paris, et de quel droit elle l'a-
vait ouvert. Le Recteur contesta ce droit que les Jésuites tenaient
du roi, de l'Assemblée de Poissy et du Parlement; il rejeta aussi,
comme entachées d'irrégularité, les lettres de scolarité accordées
par Julien de Saint-Germain, son prédécesseur1. Il donna l'ordre
au Père Manare de fermer le collège de Clermont. Par déférence,
le P. Provincial suspendit les classes, mais contre les prétentions
abusives de l'Université il en appela au Parlement.
Les élèves des Jésuites, eux, ne se crurent pas tenus à tant de
patience : ils manifestèrent avec éclat leur indignation, et mena-
cèrent de se faire rendre par la force les cours interdits. Ils se
seraient portés à des actes de violence sans l'intervention du
P. Manare, qui alla lui-même exposer au Parlement les motifs et
les circonstances de cette agitation. Les magistrats, ne considé-
rant que le bien public, lui ordonnèrent de rouvrir le collège.
Les élèves accoururent, avec plus d'empressement que jamais,
aux leçons dont ils avaient été privés, mais sans renoncer encore
au projet de venger l'injure faite à leurs maîtres. Maldonat, par
l'ascendant qu'il exerçait sur la jeunesse, et les autres profes-
seurs, par leurs remontrances et leurs prières, parvinrent enfin
à calmer tous les esprits2.
4. L'arrêt du Parlement, qui ordonnait la réouverture des
classes au collège de Clermont, mit le comble à l'irritation des
adversaires. Les Principaux et les professeurs des anciens collè-
ges craignirent de voir diminuer encore le nombre de leurs éco-
liers, et par conséquent leur rétribution scolaire; sans considérer
le bien que le nouvel établissement commençait à produire, ils
prirent leurs mesures pour le ruiner3. L'Université, se croyant
atteinte dans ses prérogatives les plus chères, décida à l'unani-
mité de briser sans retard une concurrence redoutable. En at-
tendant l'occasion de satisfaire ses rancunes, elle résolut de
1. M. Ponlal, dans son ouvrage V Université et les Jésuites, s'élève avec raison
contre les adversaires de la Compagnie : « On argua, dit-il, d'un défaut de forme.
Ce n'était qu'un prétexte... Les lettres de scolarité n'étaient-elles pas une pure for-
malité et pouvait-onde bonne foi s'autoriser d'une insignifiante irrégularité, nullement
incontestable du reste? » (p. 26).
2. Lettre du P. Vaaz au P. Général, 20 août 1564 (Gall. Episl., t. II, fol. 183). Let-
tre du P. Edmond Hay, dans Du Boulay : Hisl. Univers. Paris., t. VI, p. 589.
3. Manare, Dr rébus S. J.. p. 85.
372 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
demander l'avis de quelque personnage éminent; mais comme
elle désirait avant tout un avis favorable à ses prétentions, elle
n'hésita pas à s'adresser au protestant Charles Du Moulin, lequel
s'intitulait «jurisconsulte de France et de Germanie », à qui, di-
sait-il, « personne ne pouvait rien apprendre1 ». Il venait de
rentrer en France, d'où ses opinions religieuses l'avaient obligé
de s'éloigner; il sortait même de la prison que lui avait value
un écrit contre le concile de Trente. Ses sentiments d'hostilité
à l'égard de la Compagnie de Jésus étaient notoires : parmi les
motifs qu'il avait allégués pour repousser le concile, se trouvait
cet étonnant grief, que celui ci, dans son canon XVI1', avait reçu
la Société d'Ignace de Loyola2. L'Université n'eut donc pas de
peine à obtenir une consultation dans le sens qu'elle souhaitait.
Interrogé sur les avantages ou les inconvénients de l'admission
de la Compagnie de Jésus, et sur son agrégation à l'Université,
Du Moulin répondit « qu'il importait à l'État, et surtout à l'Uni-
versité de Paris », de ne pas recevoir les Jésuites3. Et il en donna
les raisons suivantes, qui font peu d'honneur à sa science et à
sa bonne foi :
« l°Ils ont été établis contre les anciens canons qui défendent
de foncier de nouvelles religions;
2" Contre la délibération faite à Nice, en 1538; contre le sen-
timent de Guillaume de Saint- Amour, de Pierre d'Ailly, loué
par Gerson;
3° Contre quelques arrêts du Parlement.
h° Il y a déjà trop de maisons religieuses en France; si l'on
permet aux Jésuites d'en fonder une, ils en fonderont bientôt
d'autres dans tout le royaume, à la charge du peuple, au détri-
ment des églises; témoin la secte des Minimes qui, en soixante-
dix ans, a élevé un si grand nombre de couvents.
5n Comme ces religieux sont la plupart ou Italiens ou Espa-
gnols, ils découvriront aux étrangers les secrets de l'État.
6° Le droit public s'oppose à l'établissement de nouveaux col-
lèges.
7" Au sein même de l'Université, et sans sa permission, ils bâ-
tissent une nouvelle église, un nouveau collège, élèvent de nou-
1. Brodeau, Vie de Charles Du Moulin.
2. Grégoire de Toulouse, Réponse, à Charles du Molin pour le Concile de Trente,
art. 76.
3. « Conlra rempublicavn el iilililalem hujus regni et praesertini univei sitalis pari-
siensis, quai' omnium academiarum primaria esl » (Caroli Molinxi opéra. Paris,
1681, l. V, p. 445).
L'UNIVERSITÉ DE PARIS CONTRE LES JÉSUITES. 373
velles chaires, font de nouvelles leçons; ils veulent établir un
enseignement indépendant de l'Académie, ce qui est monstrueux,
séditieux, contre le droit public
8° Il y a dans l'Université beaucoup de collèges d'ancienne fon-
dation ; il y en a mémo plus qu'il n'en faut; raison de plus pour
ne pas permettre celui des Jésuites.
9° Ils prêchent sans l'autorisation de l'évêque, et sans l'appro-
bation des docteurs1; ils enseignent leur nouveau catéchisme,
plein de superstitions2, au peuple, aux femmes, indifféremment
à tous, et cherchent ainsi l'occasion d'enfreindre les édits de pa-
cification. »
Charles Du Moulin terminait sa consultation par cette formule :
« Ces choses considérées, le procureur général de ladite Univer-
sité de Paris est justement fondé, et engagé par le devoir de sa
charge, à dénoncer aux dits Jésuites un nouvel œuvre*, et à les
forcer par des voies légitimes à se désister de leurs nouveautés
indues. Et ainsi je pense, moi Charles Du Moulin, jurisconsulte
de France et de Germanie, ancien avocat au Parlement de Paris'1. »
5. Munie de la consultation d'un luthérien qu'elle affectait de
regarder comme l'oracle du Palais, l'Université résolut, dès la
rentrée de l'année scolaire 1564-1565, de commencer les pour-
suites contre le collège de Clermont. Dans une assemblée générale,
convoquée, le 8 octobre, pour la procession d'usage à la lin de
chaque trimestre, le Recteur, après avoir demandé la confirma-
tion des actes accomplis par lui durant sa magistrature, proposa
de délibérer sur cette « grave et importante » question5 : de-
vait-on donner entrée dans l'Université, et confier l'enseignement
public des lettres, à ceux qu'on appelait communément Jésuites,
société qui faisait profession de la vie religieuse? — Toutes les
Facultés, d'un commun accord, répondirent qu'il fallait écarter les
Jésuites, jusqu'à ce qu'ils eussent exhibé au Recteur et aux dépu-
tés ordinaires le diplôme apostolique qui les autorisait à professer
1. Cette allégation est fausse dans sa première partie; quant à l'approbation des
docteurs, elle n'était pas nécessaire.
2. Le catéchisme -de Canisius.
3. Terme de droit. Une dénonciation de nouvel œuvre est une assignation t'ai le à
celui qui construit sur un terrain qui ne lui appartient pas, ou au mépris dune ser-
vitude.
4. Celle consultation fut publiée, en 15G4, sous le titre de : Consultatio super
commodis et incommodis novae sectae seu jictiliae religionis jesuitarum. {Œuvres
complètes de Du Moulin, t. V, p. 445. Paris, 1681).
5. « Gravis, momenlosa » (Acta Nal. Germ., cilé par Du Boulay, op. cit., t. VJ,
p. 583, 584).
374 HISTOIRE DE \A COMPAGNIE DE JÉSUS.
et à enseigner tons les arts; attendu, disait la conclusion, « que
ceux dont il s'agit paraissent nuire avec beaucoup d'injustice à
la Faculté de théologie, à tous les curés, à toutes les lois et cou-
tumes de l'Université, et aux plus anciens collèges. D'ailleurs, ils
ne veulent reconnaître aucun supérieur, caractère marqué d'une
secte très orgueilleuse ».
Le docteur Jean Benoît, qui faisait fonction de doyen dans celte
assemblée, rédigea l'avis de sa compagnie dans la forme la plus
dure : « Il y a longtemps, dit-il, que cette secte des Jésuites a été
condamnée, rejetée et chassée par la Faculté de théologie. S'ils
n'apportent quelque nouvelle bulle, qu'ils se renferment dans les
exercices de la vie religieuse; ou, s'ils veulent enseigner, qu'ils
aillent rendre ce service aux lieux où l'on manque de maîtres, et
qu'ils n'entreprennent point de pervertir le bel ordre d'études
qui règne à Paris et d'y substituer le désordre et la confusion1. »
Rien n'était plus injuste que ces derniers reproches ; car, comme
l'observe un auteur très favorable à l'Université, « loin de se po-
ser en réformateurs inquiets, en censeurs incommodes, de faire
la guerre à tout ce qui avait existé jusqu'à eux, de renverser tous
les usages reçus, les Jésuites acceptèrent les choses telles que
l'expérience des siècles les avait établies, comme l'organisation
des classes, l'ordre des études, la distribution des matières de
l'enseignement. Ils s'attachèrent uniquement à donner à leurs
leçons une inspiration chrétienne, un tour catholique2 ». Et Du
Boulay lui-même, le vieil historien de l'Université de Paris, en
constatant que les anciens collèges avaient beaucoup souffert de
la concurrence, ajoute: « Mais la religion catholique y a beaucoup
gagné, de l'aveu même de ceux qui se sont élevés avec le plus
de violence contre les Jésuites3. »
Les classes du collège de Clermont ne troublaient donc point
« le bel ordre d'études » qui régnait à Paris. Quant à la nouvelle
lettre pontificale, réclamée par le docteur Jean Benoît, elle exis-
tait depuis le 19 août 1561. Déjà, en effet, d'autres Universités
avaient refusé de conférer les grades de maître es arts et de doc-
teur soit aux Jésuites soit à leurs écoliers, sous prétexte qu'ils
n'avaient point étudié chez elles; quelquefois aussi les candidats
avaient dû renoncer à prendre leurs grades parce que dans cer-
taines Académies on exigeait un serment en désaccord avec leurs
1. Du Boulay, op. cil.
2. Douarche, L'Université et les Jésuites, p. 67, 68.
3. Du Boulay, op. cit., p. 916.
L'UNIVERSITÉ DL PARIS CONTRE LES JÉSUITES. 37S
croyances ou leurs principes. Le I». Lainez, alarmé tic ces diffi-
cultés, supplia le Pape de délivrer les membres de la Compagnie
et leurs élèves de pareilles entraves, Pie IV, par le Bref Exponi
noèù, confirma et étendit les privilèges déjà concédés par
Jules III1, en accordant au Général le droit de conférer par lui-
même et par ses délégués les grades de bachelier, licencié,
maître es arts et docteur-. Mais en France on n'avait point fait
usage des privilèges conférés par ce Bref; les Jésuites de Paris
consentaient même à prendre les degrés avant d'enseigner, et
à présenter à l'examen de l'Université ceux d'entre eux qui au-
raient fait ailleurs leurs études.
Bien qu'ils fussent parfaitement en règle, le Recteur, Jean
Prévost, n'était pas homme à négliger les avis et conclusions de
l'Assemblée du 8 octobre. Le 20 du même mois, il intima l'ordre
aux professeurs du collège de Clermont de cesser leurs cours
« jusques à tant qu'ils auroient monstre leurs bulles et arrest du
Parlement3 ». Ces deux pièces furent exhibées aussitôt; néan-
moins le Recteur, qui aurait bien voulu ne pas les trouver en
si bonne forme, se garda de retirer sa défense. Les Jésuites
adressèrent alors une requête au Parlement, « afin de pou-
voir persévérer en leurs lectures, nonobstant la prohibition de
M. le Recteur, jusqu'à tant qu'autrement en fût ordonné4 ». Sur
le refus de Jean Prévost de comparaître au parquet des gens du
roi, comme l'ordre lui en avait été signifié par le procureur gé-
néral, la Cour autorisa les suppliants à continuer leurs classes.
G. Les Pères profitèrent de ce premier avantage pour solliciter
de nouveau la faveur d'être immatriculés au corps de l'Université.
A cet effet ils lui présentèrent, signée du P. Odon Pigenat, préfet
des études, « une requête très bien faite, d'une bonne latinité,
d'un style modeste et respectueux, demandant qu'elle consentit,
comme une mère bienveillante, à les reconnaître pour ses en-
1. Instit. Soc. Jesu, t. I, p. 26. Cf. Epis/. P. Xadal, t. II, p. 347.
2. Jules III avait accordé, sous certaines conditions, la faculté de conférer les grades
en philosophie et en théologie aux scolasliques étudiant dans un collège de la Com-
pagnie situé dans un centre universitaire. Pie IV étendit cette faculté aux élèves de
ces mêmes collèges, étrangers à la Compagnie, pour le cas où les Recteurs de l'Uni-
versité refuseraient de les promouvoir, mais à condition de payer à l'Université lis
droits d'examens. Si les collèges ne se trouvaient pas dans un centre universitaire,
la Compagnie pouvait conférer les grades à tous ceux qui avaient étudié sous sa
discipline.
3. Requête présentée au Parlement par les Jésuites, dans Prat : Maldonal, pièces
justilicatives, n° v.
4. Ibidem.
37fl HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
fants1 ». Sur les conditions auxquelles ils désiraient être reçus,
ils s'expliquaient de la manière la plus propre à lever tous les
obstacles : « Nous déclarons, disaient-ils, que notre Institut ne
nous permet point d'aspirer aux dignités ni aux autres béné-
fices ecclésiastiques, ni de tirer de nos travaux aucun salaire,
aucun profit purement temporel. Ainsi nous renonçons au droit
de nominations et de grades, et à tous les privilèges qui regar-
dent cet objet. Nous renonçons même, quoique notre Institut ne
nous y oblige pas, à toutes les magistratures académiques, au
rectorat, aux dignités de chancelier et de procureur de la Nation
à laquelle chacun de nous se trouvera appartenir. Mais, si nous
nous désistons de toute prétention à ces charges, notre dessein
n'est pas de nous soustraire à l'autorité de ceux qui en sont re-
vêtus. Nous promettons à M. le Recteur, et aux autres dignitaires,
toute l'obéissance qui leur est due. Nous nous engageons aussi
à observer, en choses licites et honnêtes, les statuts de l'Uni-
versité et des Facultés dans lesquelles nous serons admis. En un
mot, nous nous acquitterons, envers M. le Recteur et envers l'U-
niversité, de tous les devoirs et témoignages de soumission qui
peuvent compatir avec notre Institut. »
Non contents de ces protestations générales, les Jésuites en-
traient dans le détail de certaines lois académiques qu'ils pro-
mettaient d'observer fidèlement. Ainsi, outre ce qui regarde les
grades, ils s'engageaient encore à ne point admettre à leurs
leçons les écoliers des autres collèges, après le commencement
des semestres de la Saint-Rémi et de Pâques, à moins d'une
permission des anciens professeurs ; à aller aux processions de
l'Université et à y envoyer quelques-uns de leurs élèves, selon
l'usage des autres collèges. Enfin ils terminaient leur requête
par ces paroles pressantes : « Nous conjurons votre sagesse de ne
pas permettre que ceux qui se sont écartés de la foi catholique se
réjouissent plus longtemps de nos disputes, et en tirent avantage ;
mais au contraire de consentir, suivant le vœu de tous les gens
de bien, qu'il nous soit permis de combattre, sous vos ordres,
contre les attentats impies des ennemis de la religion que vous
avez toujours défendue, et de nous enrôler pour cette guerre
sainte, comme des soldats du dernier rang, qui désirent vous
avoir pour capitaines et pour chefs2. »
1. Du Boulay, H\stor. Univ. Paris., t. VI, p. 172.
2. Traduction de la Requête latine des Jésuites aux Recteur et officiers de la célè-
bre Académie de Paris. Voir Du Boulay, Op. cit., p. 584, 585.
Il NIVERSITÉ DE PARIS CONTRE LES JÉSUITES. :i7T
7. Cette supplique, si « modeste et respectueuse » qu'elle fût,
n'aplanit pas toutes les dillicultés. « Nous nous acquitterons,
avaient dit les Jésuites, de tous les devoirs et témoignages de
soumission compatibles avec notre Institut. » Une réserve si
Légitime froissa l'Université, qui résolut de maintenir fermement
ses premières décisions. Ce n'était là d'ailleurs qu'un prétexte;
le vrai motif de sa résistance était dans le succès toujours plus
grand du collège de Clermont.
« Nos classes sont florissantes, écrivait, au mois de mai 1565,
le P. Edmond Hay, alors Recteur; le nombre des élèves qui les
fréquentent s'accroit de jour en jour. Nous donnons les leçons
qu'on donne ordinairement dans les aulres collèges : une de logi-
que, une autre de rhétorique. Nous avons en outre deux classes
de grammaire, qui abondent aussi d'écoliers. Nous n'avons pu
cette année-ci en ouvrir de nouvelles, soit parce que nous n'a-
vions pas assez de professeurs, soit parce que le local nous man-
quait Le matin, à six heures1, nous donnons une leçon de
grec à un grand nombre d'auditeurs; à une heure après midi, on
explique les Emblèmes à plus de soixante étudiants. Quant aux
leçons de métaphysique, qui ont lieu à deux heures, elles attirent
un concours immense.
« Pour rester fidèles au devoir principal de notre vocation,
nous expliquons deux fois, tous les dimanches et jours de fête,
le catéchisme du R. P. Canisius : le matin aux enfants, dans
l'après-midi aux personnes plus avancées en âge. Vous ne pour-
riez vous figurer combien ces instructions sont fréquentées.
« Ces divers exercices sont aussi agréables aux gens de bien
qu'ils sont odieux et formidables à ceux qui obéissent plus à la
soif de l'or qu'au désir de la gloire de Dieu, et le nombre,
hélas! en est très grand à Paris. Cette classe d'hommes s'oppose
de tout son pouvoir à nos efforts, mais avec plus d'animosité que
de succès. Nous espérons que l'Université nous admettra bientôt,
bon gré mal gré, dans son sein; car elle commence à voir qu'elle
a contre nous moins de pouvoir qu'elle ne l'avait d'abord sup-
posé. Elle a recouru à tous les moyens, pour nous imposer si-
1. Celle heure matinale nous surprend, mais celait I usage alors dans l'Université
de Paris, usage très incommode pour des professeurs qui étaient en même temps des
religieux. C'est pourquoi le P. Laurent Maggio, visiteur du collège de Paris en 1387.
défendit de commencer les cours avant neuf heures : « Magislri non doceant hora
sexta cum tanto incommodo; sed hora noua docere aggrodientes linem suis lcctioni-
bus imponant hora undecima et dimidiala, sicut vesperi hora quinta cum dimidia »
(Registre du coll. de Cleimonl, Bibl. nat., mss. lat., 10,989, f. 56-76).
378 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
lence de son autorité propre, mais en vain. Le Parlement ayant
évoqué cette cause a son tribunal nous a non seulement per-
mis, mais même ordonné, d'enseigner. Celui qui était en ce
moment Recteur et qui, comme théologien, avait mieux connu
l'équité de notre cause, se repentit alors de son opposition et
tenta de nous recevoir; mais il s'y prit trop tard; son trimestre
allait expirer. Cependant, avant de sortir de charge, il présenta
de notre part notre supplique aux Facultés réunies, et recom-
manda notre cause aux principaux membres de ce corps; enfin,
il obtint par ses démarches que l'Université confierait l'examen
de toute cette affaire à une commission spéciale, qui serait char-
gée d'aviser aux moyens d'établir nos rapports avec elle, et sou-
mettrait ensuite son avis au conseil de l'Université. Dans l'inter-
valle, le temps de la charge du Recteur théologien vint à expirer;
il fut remplacé par un certain médecin, que son art et son anti-
pathie éloignaient autant de nous que l'autre s'en rapprochait
par sa profession et par ses sentiments. La commission fit à ce
nouveau Recteur, sur l'objet de sa délibération, un rapport qui
concluait à nous incorporer, à recevoir nos frères aux différents
degrés, gratis, à titre de pauvreté, ou à moins de frais. Mais le
Recteur, à l'instigation des membres de sa Faculté, qui nous sont
généralement peu favorables, rejeta notre supplique. Du reste,
cette injustice lui mérita autant de blâme qu'elle nous attira de
considération.
« Pour nous, luttant avec courage contre tant de mauvais vou-
loir, nous commençâmes alors à organiser les classes ordinaires;
et beaucoup d'élèves, malgré tout ce que firent les Principaux pour
les éloigner de nous, accoururent des autres collèges à nos leçons.
L'Université réunit aussitôt ses comices contre nous, et là, animée
à notre égard des sentiments qu'avaient autrefois les Pharisiens
pour Jésus-Christ, elle s'écria comme eux : « Vous le voyez, nous
« avons beau faire, tout le monde les suit. » Il fut donc convenu,
dans cette assemblée, qu'on nous intenterait un procès et qu'on
nous traduirait devant le Parlement. Cependant comme ils ne
savent quel grief invoquer, ils ont différé jusqu'à présent de for-
muler une accusation. En attendant, ils mettent tout en œuvre
pour attirer sur nous le mépris public. Leurs écoliers s'exercent
à la salire, en français et en latin, à nos dépens; nous servons
de thème aux déclamations qu'on leur donne à composer. Dans
deux collèges, on préparait contre nous des comédies et des tra-
gédies; on allait même les jouer, lorsque le procureur du roi
L'UNIVERSITÉ DE PARIS CONTRE LES JÉSUITES. 379
manda les Principaux de ces deux collèges; il leur reprocha sé-
vèrement d'oublier la charité chrétienne et de poursuivre avec
tanl d'inconvenance et d'animosité, au risque d'exciter des trou-
bles, des hommes cpii non seulement sont innocents mais qui en-
core méritent bien du pays. Il ajouta que par une telle conduite,
ils montraient bien qu'ils se souciaient peu de conserver la dis-
cipline dans l'Université, comme ils s'en vantaient, mais qu'ils
avaient pour persécuter les Jésuites des motifs beaucoup moins
honnêtes : « Allez donc, dit-il en finissant, détruisez vos prépa-
« ratifs et vos théâtres, autrement, moi qui suis chargé de veiller
« à ce que dans l'État les méchants n'entreprennent rien contre
« les braves gens, je saurai bien vous y forcer. » Ils obéirent à
contre-cœur.
« Au reste, quoique nous ayons eu souvent occasion de parler
au procureur du roi, nous ne lui avons jamais dit un mot de
cette affaire; d'autant moins que l'acharnement de nos adver-
saires, outre qu'il exerce notre patience, nous attire encore de
la part des bons beaucoup de considération et de faveur. Et
ainsi, grâce à Dieu, qui tourne tout à notre avantage, nos en-
nemis font estimer notre Institut en s'efforçant de couvrir notre
nom d'ignominie... Ecrit à la hâte, de Paris le 13 février
1564/5 ». »
Cette lettre du P. Hay, annonçant une victoire presque cer-
taine, était bien faite pour blesser la susceptibilité des adversai-
res du collège de Clermont : elle contenait des révélations et des
vérités qui ne pouvaient leur plaire. Le P. Prat, dans son ouvrage
sur Maldonat, prétend qu'elle fut interceptée, et que sa lecture
redoubla l'acharnement de l'offensive2. Nous n'avons vu aucune
preuve directe de cette violation du secret naturel. L'opinion du
P. Prat est fondée sans doute sur ce fait, d'ailleurs étrange, que
Du Boulay trouva la lettre dans les Archives de l'Université. Elle
n'était donc point parvenue à son destinataire, qui, d'après
l'en-tète, était un jésuite. Un autre historien, Crevier, nie timide-
ment l'acte d'indélicatesse et n'admet pas que ce document ait
exercé quelque influence sur les décisions prises contre les Pères.
« L'Université, dit-il, n'eut sans doute pas connaissance de cette
lettre, qui attribuait la résistance qu'éprouvait la Société à
l'amour du gain et à l'envie; [mais elle] présumait que telle était
1. Celte lettre a été publiée par Du Boulay : Histor. Université Parisiens., t. VI,
p. 589, 590.
2. Prat, Maldonat, p. 99, 100.
380 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
la façon de penser des Jésuites, et elle soutint avec fermeté la ré-
solution qu'elle avait prise contre eux 1. »
8. Ce qui est certain, — et suffit à expliquer les soupçons du
P. Prat, — c'est que le 14 février, le lendemain du jour où la
lettre avait été écrite, le Recteur de l'Université cita les Pères à
comparaître, le 18 à huit heures du matin, devant l'assemblée
qui devait se réunir aux Mathurins, afin de déclarer s'ils étaient
religieux de la Compagnie de Jésus ou séculiers, et de recevoir,
en conséquence, la réponse à leur requête'2.
La question de l'incorporation des réguliers à l'Université n'é-
tait pas nouvelle, et toujours elle avait été tranchée au désavan-
tage de ceux-ci; car l'Université de Paris se déclarait essentielle-
ment séculière. Une de ses lois fondamentales était de ne recevoir
les religieux, que dans la proportion insignifiante qui résultait de
leur admission aux grades de théologie. Elle devait donc se
montrer peu favorable aux Jésuites, qui prétendaient s'acquitter
de toutes les fonctions actives de l'enseignement. La distinction
entre réguliers et séculiers, telle qu'elle était proposée en termes
absolus : Utrum sint monachi religiosi Societatis Jesu aut saecu-
lares, devenait dans la circonstance insidieuse et embarrassante.
Les Jésuites étaient clercs-réguliers; mais l'Université ne compre-
nant rien à cette institution de date récente, ne regardait comme
religieux que les moines et les mendiants. Si les Jésuites répon-
daient qu'ils étaient prêtres séculiers, ils mentaient à leur Ins-
titut et aux bulles de leur fondation ; s'ils s'avouaient réguliers
au sens de moines et mendiants, ils s'excluaient eux-mêmes de
l'enseignement des lettres.
Le 18 lévrier, le P. Cogordan, procureur de la Province de
France, comparut devant l'assemblée de l'Université, accompa-
gné de deux notaires, Chapelain et Crucé3. Le Recteur ouvrit la
séance par un court interrogatoire, dont les historiens de l'Uni-
versité nous ont conservé le procès-verbal :
« Êtes-vous séculiers, ou réguliers, ou moines? — Nous sommes
en France tels que le Parlement nous a nommés, c'est-à-dire la
Société du collège que l'on appelle de Clermont.
« Êtes-vous réellement moines ou séculiers? — Il n'appartient
t. Histoire de l'Université de Paris, t. VI, p. 175-177.
2. Manare, De rébus S. J., p. 86. Cf. Du lioulay, Histor. Univers. Paris., I. VI,
p. 585. Les dates données par le P. Manare ne concordent pas avec celles de Du Boulay,
mais il écrivait d'après de lointains souvenirs.
3. Commencements de. (a Compagnie de Jésus (Carayon, Documents inédits, 1,
p. 29). Manare, De rébus S. J., p. 8?.
L'UNIVERSITÉ DE PARIS CONTRE LES JÉSUITES. 381
pas au tribunal devant lequel nous comparaissons ici, de nous
faire cette question.
« Ètes-vous, en effet, moines, réguliers ou séculiers? — Nous
avons déjà répondu plusieurs fois : nous sommes tels que le
Parlement nous a nommés, et nous ne sommes point tenus de ré-
pondre.
« Vous ne donnez point de réponse sur le nom ; sur la chose
vous dites que vous ne voulez point répondre. Le Parlement vous
adéfendude prendre le nom de Jésuites ou de Société du nom de
Jésus. — La question de nom nous importe peu. Vous pouvez
nous citer en justice, si nous prenons un nom qui nous soit inter-
dit par arrêt l. »
Après cet interrogatoire, où l'on avait essayé en vain de l'en-
fermer dans un dilemme, le P. Gogordan fit lire par l'un des no-
taires une réponse préparée à l'avance. Il y expliquait la seule
chose que l'Université eût à connaître, c'est-à-dire la position
des Jésuites vis-à-vis d'elle :
« Messieurs, y disait-il, les uns parlent de nous en une sorte et
les autres d'une autre ; nous, brièvement, vous dirons qui nous
sommes : nous sommes enfants de nostre mère sainte Église catho-
lique, apostolique et romaine, en laquelle protestons tous vou-
loir vivre et mourir... Quant à répondre qui nous sommes en
France, nous sommes tels, outre ce que dessus, que l'arrest du
Parlement et l'acte de nostre réception faict à Poissy nous dé-
clarent, reçus en France comme une compagnie et société du col-
lège qui s'appelle de Clermont. Vous pouvez lire lesdits arrest et
acte de Poissy, qui vous déclareront qui nous sommes. Quant à
dire qui nous sommes davantage, ne touche à la présente assem-
blée demander, ne à nous respondre à telle question; et à qui
touchera nous faire telle demande, comme seroit au Saint-Siège
Apostolique et au roy nostre souverain seigneur, nous luy res-
pondrons conformément à nos institutions et bulles. A vous, Mes-
sieurs, ne pouvons, ne devons respondre autrement que ce que
dessus, qui est que nous sommes tels que nous nomment ledict
acte de Poissy et l'arrest du Parlement, taies quales nos nomi-
navii caria; vous suppliant très-humblement, pour l'amour de
Dieu, nous vouloir incorporer au corps de l'Université, confor-
mément au dict arrest de la Cour et acte de l'assemblée de Poissy
et requeste par nous présentée à M. le Recteur. Nous offrons vous
estre très obéissants en ce que nous serons obligés, et à mondict
1. Du Boulay, Jlistor. Univcrsi Paris., I. VI, j>. 586.
:<K2 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
sieur le Recteur et Université, et faire tous les humbles services
que nous pourrons '. »
Cette explication, donnée par le P. Cogordan, était suffisante et
loyale. « Cependant, raconte un ancien auteur, sur ce que le bon
Père, interrogé souvent de dire qui nous estions, s'estoit toujours
tenu ferme sur la response Nos sumus laies quales esse volait
senatus... on print subject de nous brocarder et appeler taies
quales2. »
Afin de ne fournir prétexte à aucun reproche, les Pères du
collège de Clermont jugèrent à propos, quelques jours plus tard,
d'adresser à l'Université une note, rédigée en latin, où ils dévelop-
paient le sens de la réponse précédente, et ajoutaient quelques
renseignements sur la forme de l'Institut. Ils s'efforçaient en
particulier de faire comprendre qu'on peut être religieux sans
être moine : « Nous vivons, disait l'auteur de la note, eu congré-
gation et en société, sous de certaines lois et constitutions reçues
et confirmées non seulement par les Souverains Pontifes, mais
encore par les rois très chrétiens, par l'assemblée de l'Église
gallicane et par un concile général. Notre Société est divisée en
deux parties : l'une de maisons où résident ceux qui ont fait pro-
fession, et l'autre de collèges où demeurent ceux qui aspirent à la
faire. Il n'y a aucune maison de profès en France. Toute la con-
testation se réduit à ceux qui habitent les collèges : nous vous
demandons qu'il soit permis aux uns d'y enseigner et aux au-
tres d'y étudier. — Mais, direz-vous, ceux qui étudient ou qui en-
seignent sont-ils religieux? Nous répondons qu'en les comparant
aux profès ils ne sont pas proprement religieux de la Société, et
qu'en les comparant aux séculiers ils sont religieux1; toutefois,
comme ils ne sont pas profès, rien n'empêche qu'ils n'enseignent
la philosophie et les belles-lettres selon les lois de votre Uni-
versité. » Les Pères terminaient en protestant que, si la légiti-
mité de leurs revendications n'était pas admise, ils se décide-
raient à recourir aux tribunaux 'l.
9. Les différentes Facultés s'étant réunies, et ayant délibéré
séparément suivant l'usage, se constituèrent ensuite en assemblée
1. Articles proposés par le procureur du collège de. la Compagnie de Jésus, à
l'a ris, dans Ca rayon, Documents inédits, I, p. 30, 31. Cf. Manare, De rébus S. J.,
p. 86.
2. Ibidem.
3. Voir ce que nous avons dit à ce sujet au livre l", chap. v, n. 6.
4. Copie de. cette note dans « Galliae Visitationes », n° 5. — Cf. Du Boulay, Hislor.
Univers. Paris., t. VI, p. 586,
L'UNIVERSITÉ DE PARIS CONTRE LES JÉSUITES. 383
générale pour promulguer et discuter leurs avis respectifs. Le
Recteur, au nom des philosophes, parla le premier. Il déclara
que non seulement les prêtres et écoliers du collège de Clermout
ne devaient pas être reçus dans l'Université, mais que de plus il
fallait agir avec eux selon toute la rigueur du droit, s'employer
<lc toute manière à éloigner d'eux la jeunesse, et exiger des
étudiants, avant leur admission aux grades, l'affirmation sous
serment qu'ils n'avaient jamais fréquenté leurs cours. Il demanda
que ce serment fût ajouté aux six autres déjà requis des candidats.
La Faculté de médecine fut d'avis d'exterminer totalement cette
secte jusqu'alors inconnue. « Les professeurs de droit canon
émirent, rapporte le P. Manare, une opinion qui leur parut aussi
efficace que modérée. Ils n'ignoraient pas, disaient-ils, que nous
étions religieux, mais ils ne savaient à quoi attribuer notre refus
de répondre : n'était-ce pas plutôt par honte de notre Institut que
par mépris de leurs interrogations? Et ils concluaient que nous ne
pouvions être reçus, parce que nous n'avions pas répondu caté-
goriquement. Quant aux théologiens, ils s'exprimèrent avec plus
de circonspection : ils dirent simplement qu'on ne devait pas nous
recevoir parce que nous n'étions ni séculiers ni religieux '. »
Dans l'exposé des motifs allégués contre la Compagnie, ses
enuemis laissent percer malgré eux leurs véritables sentiments :
« L'Université, disent-ils, a connu par les requêtes que les Jésuites
ont présentées, tant à la cour du Parlement qu'au Recteur, qu'ils
sont moines et réguliers, faisant les trois vœux et de plus un
quatrième par lequel ils se font vassaux du Pape; par quoi, en
cette qualité elle ne les peut recevoir. — L'Université admet le
Concile au-dessus du Pape, comme l'Église gallicane; par quoi ne
peut recevoir société ni collège, quel qu'il soit, qui met le Pape
au-dessus du Concile. — Et partant, s'en aillent, si bon leur sem-
ble, ies Jésuites, se nommer ainsi entre les infidèles mécréants,
pour prêcher auxquels ils ont été premièrement institués. » '
Ainsi une des causes, et peut-être la plus sérieuse, de la pro -
fonde antipathie de l'Université contre le collège de Clermont.
c'était l'entier dévouement de la Compagnie au Saint-Siège.
Le décret d'exclusion fut donc renouvelé, et défense fut faite
à tout écolier de fréquenter les leçons des Jésuites, sous peine
1. Manare, De Rébus S. .)., p. 87, 88.
2. Motifs de l' Université contre l'admission des Jésuites. Ce document est cite
dans les Annales des soi-disant Jésuites, t. I, p. 22, et clans Du Houlay, op. cit.,
t. VI, p. 587.
384 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS. '
d'encourir la privation « de tous les droits et privilèges de la
scolarité ». Les Pères, ayant épuisé tous les moyens de conci-
liation, résolurent d'en appeler à la justice des tribunaux. Eux-
mêmes, il est vrai, intentèrent le procès, mais n'arrive-t-il pas
souvent que ceux qui déclarent la guerre ne sont pas les vrais
agresseurs? Le 20 février 1565, ils adressèrent une requête au
Parlement, lui demandant, après l'exposé des faits, d'empêcher
l'Université de les « molester, ni perturber », ni interdire leurs
classes, « jusques à tant que la cour, due ment informée, en ait
dit et déterminé1 ». Le Parlement, sur les conclusions du pro-
cureur général, Bourdin, fit droit à leur réclamation par un
arrêt du 27 février, aussitôt signifié à Michel Marescot, alors
Recteur de l'Université. Celui-ci accepta le défi et promit de
comparaître devant les magistrats.
10. L'affaire avait fait trop de bruit déjà, pour que le procès
pendant ne remuât pas l'opinion. Paris se partagea entre l'Uni-
versité et les Jésuites, comme naguère entre les Guise, les pro-
lestants et les politiques. « A entendre nos ennemis, écrit le
P. Manare, nous étions des hérétiques, des hommes plus nui-
sibles au royaume que les huguenots. Ils allaient de maison en
maison, s'efforçant de nous rendre odieux; mais les faits par-
laient en faveur de notre innocence, et, malgré tout, on ne put
rien contre nous. Beaucoup de gens, après les avoir entendus
débiter leurs calomnies, venaient nous en informer et manifes-
taient leur indignation de voir que notre genre de vie, si méri-
toire aux yeux de Dieu et des hommes, était vilipendé par
ceux-là même qui auraient dû le défendre. » Le déchaînement
des passions fut des plus violents; tout le monde crut que les
Jésuites étaient perdus et que leurs élèves les abandonneraient.
Pourtant, à l'exception de quelques-uns, retenus malgré eux par
leurs précepteurs, la plupart, peu effrayés, continuèrent à venir
en foule aux leçons du collège de Clermont.
Le parti de l'Université manœuvra si bien, auprès des curés
de Paris et des quatre Ordres mendiants, que le même jour, à
la même heure, dans diverses paroisses, douze prédicateurs cé-
lèbres déclamèrent, en guise de sermons, de longues diatribes
à l'adresse de la Compagnie; mais leur audace fut aussitôt et
énergiquement réprimée par le Parlement. Quelques-uns, en
1. Requête des Jésuites au Parlement, dans Du Boulay, t. VI, p. Ô90 et suiv.
L'UNIVERSITÉ DE PARIS CONTRE LES JÉSUITES. 385
descendant de chaire, furent durement accueillis par des mem-
bres de la Cour qui leur reprochèrent, dans l'église môme et
devant l'auditoire, d'avoir traité avec si peu d'égards des hommes
vertueux, des religieux innocents1. La protection de ces hauts
personnages ne suffit point cependant à calmer l'irritation de
turbulents adversaires. Tous les carrefours « estoient chargés de
placards » méprisants; il ne se jouait tragédie, « où sur la fin
il n'y eust quelque satyre » contre les Jésuites. Tous les colleurs
semblaient conjurés, et il ne faisait pas bon pour les Pères de
traverser le quartier de l'Université, où ils étaient « d'ordinaire
attaquez de quelque ordure ou de parole injurieuse ». Le P. Oli-
vier Manare, une fois entre autres, fut accompagné jusqu'au petit
Châtelet par deux écoliers, qui ne cessèrent de l'accabler d'in-
sultes : Tu es jesuita, ergo hypocrita, ita. Deux autres Pères,
près de l'église des Chartreux, furent assaillis à coups de pierres
par un régent de collège, nommé Marchand, qui peu de jours
après était trouvé mort à la porte d'une maison mal famée2.
Les martinets et les galoches se distinguaient par leur inso-
lence et leurs outrages. Non moins méchants, les humanistes du
collège royal, Lambin et Turnèbe, aiguisaient leurs épigrammes.
Dans les cercles lettrés, on récitait leurs poésies satiriques contre
la Compagnie de Jésus. Une pièce latine, intitulée : AdSoiericum
gratis docenlem, eut un succès de vogue, et fut traduite en fran-
çais sous ce titre : Elégie au Jésuite gui lit gratis en l'Univer-
sité de Paris'''.
11. Les Jésuites, en d'autres temps, auraient pu compter sur
le patronage de la Cour; mais le roi et la reino-mère, vovageant
alors dans le midi, avaient entraîné à leur suite les cardinaux
de Bourbon et de Lorraine, et les grands seigneurs, presque
tous protecteurs déclarés du collège de Clermont. Néanmoins le
P. Provincial jugea prudent de ne pas laisser plus longtemps
les siens exposés sans défense à la malice et aux coups de leurs
ennemis.
« Sur le conseil de nos Pères, raconte le P. Manare, je me rendis
à Toulouse, auprès du roi Charles, qui s'y trouvait alors avec
Catherine de Médicis, sa mère. Depuis qu'il avait pris possession
du pouvoir, je ne m'étais pas encore présenté pour lui offrir les
1. Manare, De rébus s. ./., p. 88, 89.
'1. Comm. de la Compagnie (Carayon, Doc. inéd., 1. i>. 31, 82).
: Cf. Rrunet, Manuel du libraire, t. II. col. 197.
COMPAGNIE DE JlisLS- — T. I. 25
386 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
hommages do la Compagnie, et voilà qu'il me fallait recourir à
son autorité pour détourner de notre tèle un coup, je ne dirai
pas seulement dont nous étions menacés, mais dont l'Université,
la main déjà levée, s'apprêtait à nous frapper1. » Afin d'avoir un
accès plus facile auprès du roi, le Père s'adressa d'abord à la
reine-mère qui jouissait toujours d'une grande influence. Elle le
reçut avec beaucoup de bonté, et finit par lui demander s'il avait
parlé au roi. Sur sa réponse qu'il « avait cru devoir n'agir, en
cette affaire, que sous la direction et d'après le bon plaisir de Sa
Majesté », la reine lui conseilla de voir son fils. Le P. Manare la
pria de vouloir bien lui ménager cette entrevue par l'intermé-
diaire de quelque gentilhomme, en faisant remarquer combien il
serait pénible pour lui, religieux et inconnu, d'attendre plusieurs
jours, comme il arrive souvent, au milieu du tumulte de la cour,
une audience du roi occupé d'affaires ou d'entretiens avec les
princes. Catherine de Médicis accueillit favorablement ces repré-
sentations, et faisant signe à l'un de ses officiers, elle lui re-
commanda d'obtenir promptement, en son nom, une audien.ee
du roi.
« Charles IX, poursuit le P. Manare, se trouvait alors dans son
appartement avec ses frères et quelques princes. Pendant que
j'atteudais dans l'antichambre, il sortit accompagné de ses deux
frères et du roi de Navarre. Comme je ne l'avais jamais vil,
je crus d'abord que c'étaient quelques-uns de ses pages, et que
lui-même ne tarderait pas à paraître. Mais aussitôt ce cri reten-
tit : Le roi, voici le roi! A la vue de ces quatre jeunes gens sans
manteau, vêtus de la même manière, et qui se tenaient à égale
distance de moi, je ne savais lequel saluer, car aucun signe ne
me permettait de reconnaître le monarque. Celui-ci, jeune ado-
lescent paraissant âgé de treize ans-, devina la cause de mon
hésitation, et — grande marque de bienveillance de sa part —
il s'avança vers moi. Atin de me bien montrer qu'il était le roi,
il m'embrassa et me dit à l'oreille : « Dites, mon Père, dites-moi
« ce que vous désirez. »
Le P. Manare exposa l'objet de sa requête. Quand il eut fini de
parler, Charles IX l'assura que sa démarche lui était très agréa-
ble, qu'il serait toujours favorable à la Compagnie de Jésus et la
protégerait contre tous ses ennemis. Puis, s'adressant aux princes,
il leur répéta ce que son père, Henri II, avait dit autrefois des
1. Manare, De rébus S. /., p. 89.
% Charles IX, né le 27 juin 1550, avait alors environ quinze ans.
L'UNIVERSITÉ DE PARIS CONTRE LES JÉSUITES. 387
Jésuites au cardinal Charles de Lorraine et à d'autres seigneurs :
« Mon cousin et vous princes, ces bons religieux ont beaucoup
de contradicteurs et d'adversaires, et nous soin nies presque seuls
à les protéger; faisons donc pour eux ce que nous devons, et
montrons-nous leurs défenseurs. » 11 ordonna ensuite au secré-
taire d'État, l'Aubespine, d'écrire en son nom des lettres de
recommandation à toutes les personnes que le l'ère jugerait à
propos, et lui recommanda d'arranger immédiatement cette
affaire. Ce qui fut fait « grâce à Dieu et au roi ».
Étant retourné vers Catherine de Médicis, le P. Manare la pria
de lui pardonner son importunité et de vouloir bien attribuer à
l'inexpérience d'un étranger et à la simplicité religieuse, peu
faite aux usages du monde, les fautes qu'il avait pu commettre
contre l'étiquette de la cour : « Ne craignez pas, répliqua la
reine, de nous être à charge en nous parlant de vos affaires;
quant au cérémonial, gardez toujours votre simplicité, qui vous
sied mieux et nous est plus agréable. Beaucoup de religieux vien-
nent à nous; nous estimons plus ceux qui se conduisent comme
tels, que ceux qui veulent passer pour courtisans et mondains1. »
De retour à Paris, le P. Provincial apprit que l'affaire devait
être plaidée, le 29 mars, devant le Parlement.
1. Manare, De rébus S. J., p. 89, 90.
CHAPITRE II
PREMIER PROCKS AVEC L'UNIVERSITÉ.
(1565).
Sommaire : 1. Choix des défenseurs. — 2. Portrait de Pierre Versoris et d'É-
tienne Pasquier. — 3. Ouverture des débats, 29 mars; plaidoyer de Pasquier.
— 1. Interruption des débats: démarches du P. Manare. —5. Séance du 5 avril;
plaidoyer de Versoris. — 6. Conclusion de l'avocat général et arrêt du Parle-
ment. — 7. Tentatives de l'Université pour la reprise du procès: ses mesures
contre le collège de Clermont. — 8. Projets violents des écoliers. — 9. Inter-
vention de Pie IV. Le P. Possevin à la cour: lettres patentes de Charles IX
(1er juillet) autorisant la fondation de collèges et maisons dans tout le
royaume.
Sources manuscrites : I. Bibliothèque nationale, Fonds Dupuy, vol. XVI.
il. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a) Galliae Epistolae. — b) Pos-
sevinus .- Acla in Gallià et pro Galliâ; Annalium decas la.
lll. Archives de la Province de Lyon.
Sources imprimées : D'Argentré, Collectio judiciorum. — Du Boulay, Histor. Univer.
Parisiens. — Lnisel, Opuscules. — Godefroy, Le cérémonial français. — Mannre, De
rébus Soc. Jesu Commentarius. — Du Moulin. Œuvres complètes. — Pasquier. Lettres;
Recherches. — Pièces fugitives jjonr servir à l'Histoire de France. — Pral. Maldonal
ri l'Université île Paris.
1. Lorsqu'il lui fallut choisir son défenseur, l'Université se
trouva dans une situation assez embarrassante. Elle ne pouvait
songer à Du Moulin qui, « le plus docte de son temps en droit
civil et coustumier, était malhabile en la fonction d'avocat, prin-
cipalement au barreau1 ». Elle avait bien quatre avocats or-
dinaires, Montholon, Choart, Ghauvelin et Chippart, tous person-
nages de poids. Mais le premier s'était déjà prononcé en faveur
des Jésuites qui l'avaient consulté; le second était suspect parce
que son beau- père leur était dévoué, et les deux derniers avaient
signé pour eux dans plusieurs rencontres". Le Recteur et les
députés décidèrent, le 7 mars, que l'on ne pouvait recourir à des
hommes dont les antécédents inspiraient des soupçons, et qu'il
fallait confier la cause à un homme parfaitement sur.
t. Ainsi en parle un contemporain, Antoine Loisel, dans Pasquier, ou dialogue des
avocats du Parlement de Paris (Edition Dupin, p. 82).
2. CL Crevier, Hist. de finir., I. VI, p. 181.
PREMIER PROCÈS AVEC L'UNIVERSITÉ. 389
Une circonstance fortuite offrit ;'i l'Université un avocat auquel
personne ne pensait, et qui lui-même ne songeait point à cette
bonne fortune. C'était Etienne Pasquier, alors âgé de trente-six
;ms et médiocrement employé au barreau : « Lorsque j'arrivay
au Palais, nous apprend-il dans une de ses lettres, ne trouvant
personne qui me mist en bcsongne et n'estant né pour être oi-
seux, je me mis à faire des livres, mais livres conformes à mon
ange et à l'honneste liberté que je portois sur le front1. » Dans
ses loisirs forcés, à la campagne, Pasquier avait eu l'occasion de
lier connaissance, durant plusieurs mois, avec deux membres
influents de l'Université : Béguin, grand-maître du collège Car-
dinal Le Moine, et Le Vasseur, principal du collège de Reims.
Ces deux docteurs, très attachés aux opinions gallicanes et aux
privilèges universitaires, avaient pu se convaincre que Pasquier
partageait leurs prétentions et qu'il saurait au besoin les défen-
dre. En voyant l'Université embarrassée pour le choix d'un avo-
cat dans son procès avec les Jésuites, ils se souvinrent de leur
ancien ami, le proposèrent et le firent agréer du Recteur et des
députés.
Réunie en assemblée plénière, le 17 mars, l'Université, après
avoir accepté ce défenseur, nomma une commission chargée de
lui fournir des renseignements et des explications précises sur
toute l'affaire. Deux membres de chaque Faculté furent désignés
pour en faire partie. C'étaient Le Vasseur et du Gast, de la Fa-
culté de théologie; Rivière et Gilbert, de la Faculté de droit;
Gorrée et Magnms, de la Faculté de médecine ; Ramus et Guillaume
Galland, de la Faculté des arts, auxquels ou adjoignit Fabre et
Pelletier.
Dans la séance du lendemain, il fut décidé : 1° que le Recteur,
au nom de tout le corps, engagerait chacun des principaux, des
professeurs et des philosophes à aider la commission dans l'ac-
complissement de sa charge; — 2" qu'on prierait les prédicateurs
de visiter en particulier les membres du Parlement, qui habi-
taient leurs paroisses, afin de leur recommander la cause de l'U-
niversité-. Comme si ce n'était pas encore assez, on fit appel à
tous ceux qui, pour un motif ou un autre, se trouvaient intéressés
à la ruine du collège de la Compagnie. Le Cardinal (Met de Cha-
tillon, les chanceliers de Notre-Dame et de Sainte-Geneviève, l'é-
vèque et les curés de Paris, le prévôt des marchands et les éche-
1. Lettres, 1. VIII, n" 1.
2. Du Boulay, Histor. Univers. Paris,, t. VI, p. 592, 693,
39Ô HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JES1 S.
\ins de la ville, les exécuteurs testamentaires de Guillaume du
Praï et les administrateurs des pauvres de Clermont, s'empres-
sèrent d'entrer dans la conjuration contre les Jésuites. Ils prirent
pour avocats du Mesnil, Guérard, Béchet, Ayrault, de ïhou et
Fontenay. Ce grand appareil de parties adverses fit bientôt re-
connaître à tous les honnêtes gens que, « soubs ces faulx mas-
ques d'intérest et bien publics, l'hérésie voulait jouer son jeu
et taschoit d'abbatre les deffènses que la providence divine dres-
sait en cette Université pour y conserver la religion catholique,
et obvier à l'extrême corruption des mœurs ' ».
La lutte prenait ainsi des développements inattendus, et l'a-
vantage du nombre n'était point du côté de la Compagnie qui
avait à soutenir huit procès à la fois. Elle ne choisit qu'un avo-
cat, Versoris, et lui donna pour auxiliaire le P. Cogordan, « l'un
des plus braves solliciteurs que le Palais ait eus ' ». Pierre Ver-
soris, ou Le Tourneur, était bien capable, par ses talents et son
expérience, de faire face à huit adversaires; en somme, il n'eut
affaire qu'à Etienne Pasquier, avocat de l'Université. Avant de
les voir aux prises, il importe de connaître leur valeur respec-
tive.
2. L'avocat des Jésuites était d'une famille de robe, qui avait
donné des Recteurs à l'Université et des avocats au Parlement.
Très versé dans l'étude des lois, il était en même temps connu
pour son attachement à l'Église, et Pasquier lui a rendu hom-
mage en le proclamant « grandement zélateur du bien public,
singulièrement ès-choses qui concernent la religion catholique ».
11 parlait avec une éloquence vive, prompte et naturelle, et une
grande facilité de persuasion, « ce qui le faisait charger des plus
grandes et des plus belles causes ». Mais, « ayant donné tout son
esprit aux procès », il n'était pas à beaucoup près parvenu à la
perfection d'éloquence où « sa nature cultivée par l'art l'eust pu
aisément porter :i ». Il consacrait une partie de son temps aux af-
faires de la maison de Lorraine, dont il était le conseil ordinaire.
La considération qu'il s'était acquise au Palais lui valut plus tard
1. Comm. de la Compagnie (dans Carayon, Doc. inéd., I, p. 33). M. Tliéry fait la
même remarque el montre s'alliant à l'Université : « les parlisans de la religion re-
formée, puisque les Jésuites annonçaient leur mission expresse de la détruire; le
collège de France où dominait le calvinisme, et qui avait de plus la gloire de son en-
seignement à défendre » [Histoire de l'Education en France, t. 11, p. 42).
2. Lettre de Pasquier, citée par Du Boulay, Histor. Unir. Paris., t. VI, p. 648.
3. Loisel, Opuscules, p. 526 el note,
PREMIER PROCES A.VEC L'UNIVERSITE. 391
l'honneur de porter la parole, au nom du Tieri-État, aux États
Généraux de Blois. Il mourut de douleur, en 1589, en apprenant
l'assassinat du duc Henri de (iuise '.
^tienne Pasquier, dans ses Lettres publiées pour « contenter,
dit-il, non seulement les sages mais aussi les fols », se tait sur sa
naissance et son enfance; ce qu'il nous apprend de sa jeunesse le
montre d'une morale facile. Son franc-parler, sa verve gauloise
et certaines gaillardises de style reflètent bien ce dévergondage
d'esprit que prisaient si fort les contemporains de Rabelais. Il
avait composé, encore jeune, des dialogues erotiques qu'un hon-
nête homme n'aurait jamais voulu signer et que dans sa vieil-
lesse il s'applaudissait encore d'avoir écrits : « Je ne sçay, disait-il
alors, si j'ay en ceci failly; mais s'il y a de ma faulte, elle est
double : l'une d'avoir failly, l'autre de ne m'en pouvoir repen-
tir'. » Pasquier se déclare souvent catholique; il était même
marguillier de sa paroisse, mais il savait s'arranger une religion
à la hauteur de sa morale; dans ses ouvrages il ne craignait point
de faire des applications sacrilèges de la Sainte Ecriture, ni de
tourner en ridicule les actions sublimes des Saints. Partisan des
libertés gallicanes, on le voit, dans le troisième livre de ses Re-
cherches, parler du pouvoir du Saint-Siège comme l'aurait pu
faire un protestant. Infatué de son mérite, se croyant tout per-
mis et ne passant rien aux autres, il poursuivait de ses injures ou
de ses calomnies quiconque n'entrait pas dans ses sentiments. La
Compagnie de Jésus, qui n'entendait pas à sa manière la religion
et la morale, devait avoir en lui un adversaire acharne.
Il eut l'audace d'attribuer à une inspiration divine le choix de
sa personne comme avocat de l'Université : « Par vostre foy,
écrit-il à l'un de ses correspondants, y cust-il jamais miracle
plus exprès de Dieu que cestuy? » A l'entendre, dans tout le
barreau de Paris, « il y en avoit un tout seul qui eust pu ap-
profondir cette cause comme [il| lit ;: ». Et cela parce que, quel-
ques années auparavant, il avait rencontré à la campagne, près
de Melun, le P. Paschase Broet qu'il appelle Pasquier Brouès :
« Comme la curiosité, raconte-t-il, me fait souvent bonne com-
pagnie, soudain que je Feus halené, je m'abouchay avecques
lui, désireux de sçavoir le commencement et progrès de [son
Ordre] ; non seulement je l'accostay, ains pris la plume sous luy
pour m'informer plus certainement de ce que je désirois appren-
■ 1. Loisel, Opuscules, p. 751.
2, Lettres, liv. VI, n° 3. — 3. Lettres, liv. XXI, nu 1.
.102 HISTOIRE DE LÀ COMPAGNIE DE JESUS.
dre, et y employay environ quatre grandes feuilles de papier1. »
Qu'y a-t-il de vrai dans ce récit? Probablement une simple con-
versation de rencontre en voyage, conversation qui profita bien
peu au futur défenseur de l'Université, puisque son plaidoyer
dénote une ignorance totale de l'Institut. Peu importe, d'ail-
leurs, cette circonstance plus ou moins travestie2. L'avocat sans
cause se voyait offrir une affaire retentissante; il avait devant
lui un chemin court et sur vers la gloire; pour rien au monde
il n'eût laissé échapper une si belle occasion, et il le déclara ru-
dement à son collègue Hamat, qui jaloux d'être éliminé le me-
naçait de lui faire « lascher la prise ».
Rien ne fut négligé dans la préparation de ce procès qui al-
lait faire sa fortune et qu'il appelait « la première planche de
son avancement au Palais :i ». Chaque jour il eut des confé-
rences avec les régents et les principaux des collèges, avec la
commission chargée de lui fournir des renseignements, avec
tous ceux qui avaient à dire du mal des Jésuites. 11 eut aussi
recours aux extraits d'un livre « qu'un nommé Kemnitzius, hé-
résiarque et protestant d'Allemagne, avoit escrit contre la So-
ciété, laquelle il éprouvoit lui estre contraire4 ». Telles sont ses
principales sources : nous sommes loin des prétendues confi-
dences du P. Broet.
Le 2i mars, dans une consultation avec six des avocats les plus
hostiles à la partie adverse, Dechappes, Canaye, Robert, du Mesnil,
du Vair, de Thou, il arrêta les grandes lignes de sa plaidoirie, et
avec eux il conclut que, « quelques protestations que tissent les
Jésuites », il fallait non seulement leur refuser l'incorporation
à l'Université, mais bien « les chasser et exterminer totalement
de celte France'1 ». Pour plus de sûreté, trois ou quatre jours
avant les débats, il prit encore l'avis des avocats de la Porte,
Canaye, Mangot et Saint-Méloir, qu'il nomme « les ares-boutans
des consultations ». Tous approuvèrent ses moyens de défense,
et se déclarèrent pré! s à chanter son triomphe ou à démentir
son échec.
1. Lettres, liv. XXI, tr 1.
2. Il n'est pas croyable, dit M. Nisard, « que le P. Broet ait rien dit à Fasquier qui
put lui inspirer de l'horreur contre les Jésuites » [Les gladiateurs de la république
des lettres, t. II, p. 291).
3. Pasquier, Lettres, liv. XXI, n. 1.
i. Du Boulay, op. cit., p. 594.
5. Consultation des avocats Dechappes, Canaye etc.. dans les mss. de la Bibl. nat.
11 Dupuy, t. LXXIV, f. 60,
PREMIER PROCÈS WEC L'UNIVERSITÉ. 393
:{. Los débats s'ouvrirent le 29 mars, sons la présidence de
Christophe de Thou, devant une assistance nombreuse attirée par
la célébrité de la cause et le talent des deux défenseurs. Au dire
de l'avocat général du Mcsnil, « leur dextérité et l'excellence de
leur esprit » se montrèrent avec tant d'éclat, « que l'on pouvait
manifestement connoître que ce siècle et ce palais n'étoient alors
comme oneques ils le furent, destitués de personnes dignes et
suffisantes pour représenter la gloire de leurs prédécesseurs ' ».
Un incident se produisit dès l'ouverture de l'audience. L'avocat
des Jésuites s'était placé au barreau des pairs, du coté des con-
seillers laïques ; Pasquier revendiqua pour l'Université cette plan'
qui était considérée comme privilégiée. Versoris ne voulut point
céder. La contestation fut jugée séance tenante. Un arrêt rendu
par la cour ordonna que l'avocat des Jésuites quitterait le bar-
reau des pairs et le laisserait à l'avocat de l'Université ~.
La parole fut d'abord donnée à Versoris en qualité de deman-
deur. La raison était de son côté. Que réclamait-il pour ses clients
sinon le droit d'améliorer l'enseignement et la discipline de l'édu-
cation française? Il lui eût donc suffi de prouver aux juges que
l'Université, en repoussant la concurrence, répudiait aussi le
progrès. Mais, au lieu d'exposer tout de suite ses moyens d'at-
taque et de défense, il se tint sur une prudente réserve et se con-
tenta de lire la requête des Jésuites, après avoir fait l'éloge de
leur sainte profession. Par cette habile tactique il déjouait tous
les plans de Pasquier, lui laissait les difficultés de la discussion,
lui dérobait les arguments à combattre et se ménageait en même
temps les avantages de la réplique.
L'affaire, telle que Versoris l'avait préseutée, se réduisait à une
simple querelle entre deux corps rivaux, à un combat entre le
monopole et la liberté. Pasquier ne se renferma pas dans ces li-
mites, mais se jeta dans des discussions hors de propos.
Il est bon, croyons-nous, de faire connaître sommairement un
discours qui devint la source de toutes les calomnies dirigées
contre l'organisation intérieure de la Compagnie de Jésus. 11 im-
porte surtout de montrer jusqu'où, dans l'affaire présente, la
partie adverse porta l'ignorance et la mauvaise foi :.
1. Discours de l'avocat général, dans Du Boulay, op. cit., p. 641. — » Relalio de
lite cum Universitate » (Gall. Epist., t. II, fol. 2).
2. Cet incident a été rapporté par d'évier, op. c. , t. VI, p. 192.
3. Les discours de Versoris et Pasquier ont été publiés par Du Boulay, t. VI. p. ;>93-
630. — Pasquier a également donné le sien dans ses Recherches de la France,
p. 173 et suiv.
304 HISTOIRE DE IA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Dans l'existence des collèges des Jésuites, Pasquier voyait le
Saint-Siège exerçant une autorité que n'admettait pas le Parle-
ment. Pour lui, il s'agissait d'une lutte entre les droits de l'État
et les prétendus empiétements de l'Église : c'était en un mot la
question de l'enseignement laïque et de l'enseignement ecclésias-
tique : le premier était appelé à former le commun de la jeunesse
dans les écoles publiques; le second devait être restreint à l'in-
térieur des couvents pour ceux qui se destinent au sanctuaire ou
à l'état religieux : « Et a esté, dit-il, ceste maxime fort bien re-
cognue par ceux qui les premiers mirent la main à la police et
aux règlements de ceste Université; car ils établirent deux
sortes de gens pour enseigner la jeunesse : les uns qui estoient sé-
culiers et les autres nùement réguliers et religieux. Ceux-là, afin
que les enfants, qui seroient par eux façonnez, peussent quelque
jour estre appelez au maniement de la justice, et ceux-ci aux
presches et exhortations chrestiennes. Telles ont été nos pre-
mières institutions... Quand les supérieurs de l'Eglise ont voulu
abuser de leur autorité au préjudice de la majesté du roi, l'Uni-
versité de Paris, autorisée de ceste cour du Parlement, leur a
toujours fait contreteste sous le nom d'Église Callicane, comme
si c'eust esté un concile général qui eust esté perpétuellement
establi dedans ceste ville pour soulagement des subjects : et
avons toujours vescu en tranquillité, grâces à Dieu, jusques à
huy. » Ces aveux de l'avocat de l'Université sont précieux à re-
tenir : ce qu'il attaque, c'est moins l'enseignement de la Com-
pagnie de Jésus que l'autorité du Saint-Siège, et les droits de la
religion sur l'instruction de la jeunesse et des peuples. Incidem-
ment il traite avec dédain les Ordres religieux, « toutes ces
sectes bigarrées », dont la place est, selon lui, « hors des villes,
dans les déserts » où la vie monastique a pris naissance; en tout
cas. ajoute-t-il. elles sont incompatibles avec l'Université, et l'on
doit bien se garder de leur confier la mission de l'enseignement.
Puis, au lieu d'en venir au collège de Clermont qui était seul en
cause, il s'en prend à saint Ignace en exposant sur un ton bur-
lesque l'origine et les progrès de la Compagnie de Jésus. Tout
ce passage est une parodie de l'histoire vraie du saint fondateur
et de ses premiers compagnons. Il nous les montre « hypocrisant
pour un temps quelque austérité perverse de vie »; et l'on sent
qu'en les poursuivant de ses injures, il en veut surtout au Sou-
verain Pontife qui accepta leurs services et les constitua en so-
ciété religieuse. Paul III, d'après lui, ne les a reçus que par pa-
PmEIWËR PROCES AVEC [/UNIVERSITÉ. 393
litiquc, parce qu'ils « faisoient vœu de rrconnoistre le Pape par-
dessus toutes autres choses en ce bas territoire », et professaient
« qu'il n'y avoit prince vivant et terrien, qu'il n'y avoit Concile,
quoique général et œcuménique, qui ne deust passer et flécli li-
sons ses loix, statuts et décrets ». Il raconte ensuite l'établisse-
ment des Jésuites à Paris : c'est « pour faire sa cour au Pape »
que l'évêque de Clermont les inlroduisit en France Quant aux
premiers Pères qui enseignèrent au collège, il les accuse d'igno-
rance et en même temps se plaint de leurs succès, succès si
grands que, de son naïf aveu, ils ont été l'occasion de la guerre
déclarée par l'Université.
Après cet aperçu historique, Pasquier reproche aux disciples
d'Ignace d'avoir des secrets; et il veut se charger lui-même de
découvrir ces mystères d'iniquité. Faisant allusion au prénom du
P. Broet, premier Provincial : « Tout ainsi, s'écrie-t-il fièrement,
qu'un Pasquier1 a été premier qui a voulu planter cette secte
superstitieuse en ceste florissante Université; aussi, que la posté-
rité entende qu'un advocat, portant le surnom dont celuy-là por-
toit le nom, ait esté le premier qui publiquement se soit estudié
de nous extirper ceste malheureuse engeance. » Alors, sous pré-
texte de révéler les fameux secrets de la Compagnie de Jésus, il
expose de la façon la plus fantaisiste cette division en scolastiques,
coadjuteurs spirituels et profès que nous avons clairement expli-
quée au chapitre des Constitutions. Qu'on juge du travestissement
par ces quelques lignes : « Je trouve, dit-il, que ceste prétendue
Compagnie est composée de deux manières de gens, dont les
premiers se disent être comme de la grande observance, et les
aultres de la petite. Ceux de la grande observance sont obligés à
quatre vœux, parce que, outre les trois ordinaires, d'obéyssance,
pauvreté et chasteté, ils en font un particulier en faveur du
Pape, qui est de luy obéir et de le reconnoistre sur toutes autres
choses qui sont icy en bas estre... Ceux qui sont de la petite
observance sont, sans plus, astraints à deux vœux, l'un regardant
la fidélité qu'ils promettent au Pape, et l'aultre l'obéyssance en-
vers leurs supérieurs et ministres... Ft ceste mesme ordonnance
fait que toutes sortes de personnes peuvent estre de ceste religion.
Car, comme ainsi soit qu'en ceste petite observance l'on ne fasse
Vœu ny de virginité ny de pauvreté, aussi ils sont indifféremment
reçus prestres et gens laiz, soit mariez ou non mariez, voire ne
1. Le P. Broel s'appelait Paschase (Paschasius), mais l'avocat de l'Université, qui
ne se pique pas d'exactitude, le nomme Pasquier Brouès ou Broguès.
396 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE .TES! s.
sont tonus résider avec les grands observantins, mais leur es!
permis d'habiter parmi le reste du peuple, moyennant qu'à jours
certains et préfix ils se rendent à la maison commune de tous,
pour participer à leurs chiniagrées, tellement que, suivant cette
loy et règle, il n'est pas impertinent de voir toute une ville jé-
suite. »
Ce tableau à peine vraisemblable, où il commet autant d'er-
reurs qu'il énonce d'assertions, Pasquier prétend l'avoir tracé
d'après les livres de la Compagnie. Il y ajoute un dernier trait,
ou plutôt un nouveau mensonge, c'est que « il est permis au
Général de changer ces loix et statuts de sa seule autorité, ainsi
qu'il estime servir à l'utilité de son Ordre ».
La conclusion de cette première partie du plaidoyer est digne
• les prémisses : « Introduisez donc cet Ordre entre nous, s'écrie-
l-il, vous y introduisez par mesme moyen un désordre, chaos et
confusion. Notre Université est composée de séculiers et religieux',
il faut estre tout un ou tout autre; nous n'y admettons pas de
métiz... Si vous les vouliez incorporer avec nous, ce ne sera pas
les unir, mais bien aggréger l'Université avecques un arrogant
Espagnol, avecques un chatemite Italien, celuy-là ennemi an-
cien capital, cettuy-ci mesdisant perpétuel de la France; bref
aveccjues une troupe de sophistes qui sont entrés comme timides
renards au milieu de nous, pour y régner doresnavant comme
furieux lions. » Puis, invoquant le décret que le vieux Caton
lit rendre contre les sophistes grecs : « Nonobstant ce décret,
dit-il. ces rhétoriciens, maistres et enseigneurs d'un babil affecté,
gagnèrent petit à petit crédit dedans Rome; aussi petit à petit
perdirent-ils l'État, selon le jugement de tous les politics. Et
vous, Messieurs, n'en devez pas moins attendre de ces Jésuites, si
n'en extirpez, dès le commencement, et la race et la racine. »
Après avoir revendiqué pour l'Université l'enseignement de la
jeunesse, Pasquier annonce qu'il doit aussi défendre les intérêts
de la religion contre la Compagnie de Jésus : « Je suis fils de
l'Eglise romaine, dit-il; je veux vivre et mourir en sa foy. Jà, à
Dieu ne plaise que j'en forligne d'un seul point. » Mais pour lui
la règle de la religion est tout entière dans les décrets de la Fa-
culté de théologie de Paris, « cette aime Faculté, par l'advis de
laquelle, non seulement nos rois ains les Papes, non seulement
les Papes ains les Conciles généraux se sont ordinairement gui-
dez es choses qui regardoient Testât de nostre foy chrestienne ».
Or, comme un décret de la Faculté de théologie avait condamné
PREMIER PROCÈS AVEC L'UNIVERSITÉ. 397
l'Institut de saint Ignace, il appelle cette Compagnie, approuvée
par le Souverain Pontife et reconnue pieuse par le concile de
Trente, « une secte schismatique et conséquemment hérétique •>.
11 ose même ajouter « qu'Ignace de Loyola introduisit une erreur,
au milieu de nostre Église, aussi dangereuse que celle de Martin
Luther ».
Cette affirmation pouvant sembler « hagarde à quelques âmes
chatouilleuses », il leur demande de suspendre leur jugement jus-
qu'à ce qu'il ait « tout au long estendu ses raisons ». Il entasse
alors mensonges, calomnies et blasphèmes pour démontrer le
crime de ce qu'il appelle les « Propositions d'Ignace ». Ces Cons-
titutions, que les esprits sérieux regardent comme une œuvre de
génie, Pasquier les attaque avec la dernière violence, les dénonce
comme une organisation dangereuse qui place dans les mains
du Pape une arme redoutable. Rien n'excite plus sa colère que
le quatrième vœu des profès, ce vœu « supernuméraire qui est
de reconnoistre le Pape par-dessus toutes les autres dignités ».
Que leur était-il besoin, demande-t-il, de faire ce nouveau vœu?
« Il faut donc qu'il y ait quelque anguille sous roche, que le
commun peuple n'entendoit; et vous diray, Messieurs, ne pensez
pas que ce vœu soit une chose oiseuse et sans effet, ce qui seroit
s'ils enfendoient en user tout ainsi que vous. Que reconnoissent-
ils donc par ce vœu? Ce sont de nouveaux vassaux qui advouent
le Pape avoir telle authorité et puissance sur nous, que tout ce
qu'il veut, et se peut; [qu'il] luy faut en toutes choses obé.yr; qu'il
peut, sans aucun controolle, ravaller l'authorité non seulement
de tous les autres prélats, mais des empereurs, roys et monar-
ques; qu'il lui est loisible, de son authorité absolue, transférer les
royaumes d'une famille à une autre. Bref, que si le Pape leur
commande de faire quelque chose, ils sont tenus d'y obéyr sans
aucune connoissance de cause1. »
Sur cette définition toute nouvelle de l'autorité pontificale,
Pasquier proteste qu'il n'admettra jamais un pareil pouvoir.
« Nous reconnoissons, dit-il, le Pape pour chef et primat de nos-
tre Église universelle, avec tout honneur et dévotion; mais tel
toutefois qu'il est sujet au décret des Conciles généraux et œcu-
1. Henri IV était plus équitable et moins ignorant quand, au uiémp propos, il disait
au président de Harlay : « Ce vœu n'est pas pour toutes choses. Ils ne le font que
d'obéir au Pape quand il voudrait les envoyer à la conversion des infidèles. Et de
fait c'est par eux que Dieu a converti les Indes » (Discours de ce qui s'est passé en
cour sur le rétablissement de la Compagnie. Réponse du roi au président de Harlay,
dans « Galliarum Monumenta historica », n. (17 .
398 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
méniques, qu'il ne peut rien entreprendre sur nostre royaume,
n\ contre la majesté de nos roys, ny contre l'authorité des arrêts
de cette cour, ny pareillement au préjudice de tous nos diocé-
sains dedans leurs tins et limites. En sommes-nous pour cela
moins catholiques? Au contraire, nos roys ont esté de toute an-
cienneté intitulez très chrestiens, et réputez dedans Rome Fils
aisnés de nostre Saint-Père. »
Les Jésuiles, assurément, n'entendaient pas le catholicisme de
cette façon; ils ne mettaient pas le Pape au-dessous des conciles
et des évoques, au-dessous des rois et du Parlement. Et voilà le
-secret de la haine d'Etienne Pasquier.
Selon lui, le vœu de pauvreté, tel qu'on le pratique dans la
Compagnie, n'est pas moins dangereux que le vœu d'obéis-
sance. Il fait un crime aux Pères de ne pas mendier de porte en
porte, et de pourvoir à leur subsistance en recevant d'autres
sortes d'aumônes; il leur reproche d'avoir appliqué à la fonda-
tion d'un collège les legs que Guillaume du Prat leur avait faits
à cette intention, et d'avoir établi la gratuité de l'enseignement
contre l'usage de l'Université.
Il blâme ensuite leur doctrine, comme perfide et destinée à
pervertir la jeunesse. Il en donne une preuve bien mal choisie,
dans l'exemple de Guillaume Postel, enfant de l'Université de
Paris et professeur au collège de France. Après avoir rappelé les
extravagances de ce génie utopiste, il s'écrie indigné : « De quel
Ordre était-il? — De la vénérable Société de Jésus. » La vérité
est, nous l'avons vu, que saint Ignace l'avait renvoyé après quel-
ques mois de noviciat. Qu'importe, pourvu que le mensonge
fasse son effet.
Après une boutade contre Paul IV, qu'il accuse d'avoir « pris
non seulement le nom de Jésuite mais encore celui de Théatin »,
il s'attaque au P. Maldonat, un vrai jésuite cette fois : « Depuis
deux mois en çà, dit-il, vostre métaphysicien iMaldonat a voulu
dans une de ses leçons prouver un Dieu par raisons naturelles,
et en l'autre, par mesmes raisons, qu'il n'y en avoit point. Faire
le faire et le défait sur un si digne sujet : je demanderois vo-
lontiers auquel il y a plus d'impiété et transcendance, ou en la
première ou en la seconde leçon? » Absurde accusation dont
Bayle, dans son Dictionnaire critique, a fait bonne justice en
montrant la mauvaise foi de l'avocat1. Un professeur qui, après
1. Art. Maldonat, remarque L.
PREMIER PROCES AVEC L'UNIVERSITÉ. 399
avoir développé un jour les preuves de l'existence de Dieu,
expose une autre fois les raisonnements ou les objections des
athées, ne prétend pas renverser ce qu'il avait d'abord établi.
Maldonat ne s'était pas proposé de prouver également qu'il y a
un Dieu et qu'il n'y a point de Dieu; il voulait, dans l'une et
l'autre de ses leçons, donner les preuves de l'existence de Dieu :
dans la première par l'exposition des arguments très solides do
ceux qui la tiennent, dans la seconde par l'exposition et la réfu-
tation des arguments faibles de ceux qui la nient.
Nous arrêterons là cette analyse déjà trop longue; elle suffit
amplement à montrer les procédés peu honnêtes de l'orateur,
qui pourtant ce jour-là conquit la célébrité. Quant à la valeur
littéraire du discours, nous n'hésiterons pas à la reconnaître. On
trouve dans la forme, au milieu des défauts inhérents à toutes
les œuvres de l'époque, de sérieuses qualités d'écrivain. Mais le
fond a été censuré par les juges les moins suspects de partialité.
L'avocat général du Mesnil reproche à Pasquier de « s'être trop
estendu », de n'avoir pas su « polir ce qui était rude et adoucir
ce qui était aigre [ ». La passion l'aveugle, dit M. Douarche, « et
le rend souvent injuste envers ses adversaires2 ». De l'aveu de
M. Lenient, son discours est à la fois « un panégyrique à la gloire
de l'Université, et un pamphlet violent, haineux, plein d'àpreté
gallicane et de fiel parlementaire contre le fondateur et les
membres de la Société de Jésus :! ».
4. La plaidoirie d'Etienne Pasquier, vraie déclamation de
sophiste, était plus propre à faire impression sur le public que
1. Du Boulay, Histnr. Univers. Paris., t. VI, p. 361.
2. L Université de Paris et les Jésuites, p. 84.
3. La Satire en France, p. 487. Pasquier. le joui- île l'audience, avait parlé en
avocat pour qui tous les moyens sont bons contre la partie adverse. Son opinion véri-
table sur les Jésuites se trouve ailleurs, dans sa correspondance. Il écrit, vers la
même époque, à M. de Fonsomme, son ami : « Il seroit malaisé de vous dire com-
bien (les Jésuites) s'accroissent de jour à autre et combien les troubles ont servy à
leur accroissement; car ayant, par leurs cérémonies, apporté ré formation à l'ordre
ecclésiastique et s'estant directement vouez à maintenir l'autorité du Saint-Siège en-
contre les calvinistes qui font profession expresse de la terrasser, ceux qui sont
francs-cal holiques, voyant que de leur boutique sortoit et la religion et l'érudition
tout ensemble, leur ont ausmôné de grands biens; mesme on leur a donné plusieurs
maisons pour instituer la jeunesse... Quant à moi je n'estime pas que les huguenots
ayent de petits adversaires en ceux-c\ : comme ainsi soit ([n'entre toutes les reli-
gions la chrestienne se doive avancer par prières, exemples, bonnes mœurs et saintes
exhortations, et non par le tranchant de l'espée » (Lettres, liv. IV, n" 24). Pasquier
en rendant cet hommage au zèle des Jésuites savait donc que les combattre était
avancer les affaires des huguenots. Quel nom donner, dès lors, aux protestations
qu'il fit de défendre la religion, sinon celui d'odieuse hypocrisie?
400 HISTOIRE DE I.A COMPAGNIE DE JÉSUS.
sur la Cour. Versoris, s'il n'avait eu qu'à répliquer devant les
membres du Parlement, aurait pu se contenter d'un seul mot
pour réfuter son adversaire : nier simplement tout ce que celui-ci
avait avancé, puisque son discours n'était qu'un tissu de faus-
setés et de calomnies. Mais, plusieurs des auditeurs ne connais-
sant la question que d'après ce qu'ils venaient d'entendre, il
convenait de ne pas laisser la Compagnie de Jésus sous le coup
de pareilles attaques. L'avocat des Jésuites demanda un délai
pour pouvoir redresser toutes les assertions de l'avocat de l'U-
niversité.
Dans l'intervalle, le P. Olivier Manare tenta une démarche
dont le succès, si elle avait réussi, aurait produit un effet consi-
dérable; il alla trouver le docteur Fabre, syndic de la Faculté
de théologie et l'un des personnages les plus influents de Sor-
bonne : « Vous voyez, lui dit-il, comme on nous maltraite à cause
de votre décret (de 1554), pourtant si contraire à la vérité.
Ne serait-ce pas soulager votre conscience que d'en obtenir la
révocation? Les membres de la Faculté n'ont pas moins de pou-
voir pour corriger les erreurs de leurs prédécesseurs, que ceux-ci
n'en ont eu pour les commettre. — Sans doute, répondit le syn-
dic, la Sorbonne n'eût pas porté un tel décret si elle avait été
alors aussi bien informée qu'elle l'a été depuis par le docteur
Olave ! ; mais nous ne pouvons revenir sur ce qui a été fait avant
nous. — Eh! quoi, repartit le P. Manare, vous-même avez pris
part à la rédaction de ce décret et contribué ainsi à nuire à la
réputation, non d'une ou deux personnes, mais de tout un Ordre
approuvé par le Siège apostolique. Vous croyez-vous moins obligé
à réparer ce tort que celui que vous auriez fait à la moindre
femme du peuple? » Le docteur Fabre haussa les épaules, pro-
testa de sa bonne volonté, mais en ajoutant : « Vous le savez,
Maître Olivier, en cette affaire, je ne puis rien autre chose. »
Le P. Manare, sans se décourager, se rendit de là chez le doc-
leur Pelletier, grand-maître du collège de Navarre, et l'entre-
tint du même sujet. Celui-ci répondit avec vivacité qu'il aimait
quelques jésuites et même l'Ordre, mais qu'il ne désirait pas le
voir s'établir en France : « Votre Ordre, dit-il, a été institué
pour la conversion des intidèles et des hérétiques; allez donc
aux Indes et en Allemagne; nous n'avons pas besoin de vous en
France. — Mais nous, reprit son interlocuteur, nous avons besoin
1. Voir livre II, cuap. iv, fin.
PREMIER PROCES AVEC L'UNIVERSITÉ. 4ui
de vos leçons pour former les ouvriers évangéliqites qui seront
envoyés à ces nations. Où pourraient-ils être mieux insfruils
qu'ici à votre école? — Eh bien, répondit le grand- maître, con-
tentez-vous d'étudier et abstenez-vous de toute autre chose. —
Mais, ajouta le P. JManare, des jeunes gens ne peuvent vivre
seuls; il leur faut un directeur d'études, les bons exemples de
compagnons du même Ordre et un guide pour leurs exercices
spirituels; et puis à la fin de leurs cours, ils ne doivent pas res-
ter oisifs, mais s'occuper d'aider utilement le prochain. » Cela
dit, il quitta le docteur Pelletier qui ne se montra pas trop froissé
de cette liberté de langage1.
5. Le délai réclamé par Versoris étant expiré, la nouvelle
séance eut lieu le 5 avril. Le défenseur du collège de Clermont
commença par rappeler les principes d'équité qu'un avocat ne
doit jamais enfreindre : « L'ignorance de la vérité, dit-il, pro-
duit ordinairement des jugements erronez; la connoissance de
cette mesme vérité tire au contraire des jugeniens vrays et cer-
tains. Si M'1 Etienne Pasquier fust entré en cette considération, il
se fust retenu et ne nous eust remply les aureilles que de faits
véritables, bien avérez, et se fust gardé de toute véhémence... »
Versoris, lui, se garde bien de renvoyer les injures à la partie
adverse; il ne descend point à ces misérables moyens pour dé-
fendre la cause si juste de ses clients. Après avoir rappelé l'ap-
probation de la Compagnie par les Souverains Pontifes, les élo-
ges du concile de Trente, les lettres patentes du roi, le décret de
Poissy, l'arrêt du Parlement et les lettres de scolarité accordées
par le Recteur Julien de Saint-Germain, personnage « de vertu
et d'honneur », il se demande pourquoi, maintenant, un tel dé-
chaînement contre des religieux dont le bon droit a été reconnu
par tant et de si hautes autorités? Et il en donne aussitôt la rai-
son : « Les Jésuites, dit-il, font venir des régens, commencent à
enseigner. On les vient ouyr de toutes parts; leur doctrine est
estimée, leur méthode approuvée, leur industrie recommandée,
et leur libéralité et charité en réputation. Bine irae. » Afin de
mieux faire ressortir les divagations que Pasquier s'est permises,
Versoris a soin de bien indiquer les limites naturelles du débat :
« Cette cause, déclare-t-il, [comme J les conclusions de nostre
requeste, ne tend à la réception de cet Ordre,... mais seulement
elle tend à la réception d'un collège, où il y aura un principal,
1. Manare, De rébus S. J., p. 93, 94.
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. >C
402 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
procureur, régens ot escholiers, non distingués d'habits ni de
vivre, non autrement distingués des autres collèges [si ce n'est
qu'on y enseignera gratis. Et par ce moyen les pauvres auront
autant de commodité d'estudier que les riches, lesquels seuls sont
communément avancés aux autres collèges. De là vous voyez,
Messieurs, que l'on n'a pas plaidé ce qui s'oll're, [et que l'avocat
de l'UniversitéJ comme dans un exercice de classe, s'est forgé un
thème où il put s'étendre en de puériles déclamations. »
Toutefois, le collège de Clermont se trouvant enveloppé par
lui dans les accusations qu'il a formulées contre toute la Com-
pagnie, le défenseur des Jésuites va les reprendre et les réfuter
une à une. Versoris montre alors la Société d'Ignace, légitime
dans son établissement, puisqu'elle a pour auteurs les Souverains
Pontifes, qui ont seuls le pouvoir et le droit de fonder dans l'É-
glise de nouveaux Ordres religieux, selon les besoins du temps.
Le nom quelle porte, elle l'a moins pris que reçu du Saint-
Siège, comme on le voit au commencement des Constitutions1.
Ses religieux ne peuvent user du nom de Société du collège de
Clermont, que dans les maisons fondées pour eux par l'Évêque
leur bienfaiteur. Il faut qu'ils aient un nom commun : et quel
autre peuvent-ils prendre, que celui que portent leurs confrères
dans tous les autres pays?
Pour ce qui est de l'obéissance, tout le monde « est d'accord
que le Pape est constitué en la première dignité de l'Église »;
quelle faute est-ce donc que promettre de lui obéir? D'ailleurs
quand « ceux de cet Ordre promettent obéissance au Pape, cela
s'entend in licitis; s'il leur estoit commandé par les Papes chose
illicite, ils ne sont tenus obéir. »
« Quant aux richesses... ce sont inventions du faiseur de
Rythme », c'est-à-dire de Turnèbe ; « les profès ne peuvent
rien avoir et sont mendiants; aux collèges, ils n'ont rien en
particulier ».
Versoris prouve ensuite, contre Pasquicr, que l'intérêt de
l'Église, de l'État, de l'Université n'est pas incompatible avec
l'existence de la Compagnie de Jésus. Les Jésuites, en effet, dé-
pendent du Saint-Siège comme tout le clergé; la hiérarchie
ne saurait être troublée par des privilèges, que les Papes leur
ont octroyés pour maintenir la stabilité de leur Institut. — Ils
ne font courir non plus aucun danger à l'État, puisqu'ils obéis-
1. Quae a Sede apostolica in sua inslitutione Societas Jesu nominata est (Exani.
Gen., c. i).
PREMIER PROCES AVEC L'UNIVERSITÉ. 403
sent aux lois et prêchent à lous cette nécessaire et Légitime
sujétion. — L'Université, elle aussi, doit se rassurer, car les Jé-
suites n'ignorent pas que leurs privilèges, suivanl l'interpréta-
tion commune, « ne peuvent et ne doivent s'estendre au pré-
judice d'autres ». Ils respecteront ses usages et ses statuts :
« Ils sont prêts a subir le règlement et ils l'ont requis. Ils
demandent participer et communiquer à la science. Cela ne se
peut dénier de droit de nature... L'Université ne perd rien pour
cela; c'est plus d'honneur, plus on se communique et plus on
se fait connoistre; le témoignage en est plus grand et plus uni-
versel. » L'avocat des Jésuites ne demande donc pour ses clients
que la liberté absolue, et sans réserve, de l'enseignement public.
Il aborde enfin le reproche d'hypocrisie et le repousse avec
dignité, en demandant des preuves que Pasquier s'était bien
gardé de donner : « L'hypocrisie, dit-il, est une simulation des
œuvres de l'affection; qu'on dise en quoi les demandeurs ont
déguisé leur forme de vivre, et on y répondra. Le cœur est cognu
et ouvert à Dieu seul; c'est à luy à en juger et non à autre, de
peur qu'il ne se trompe en chose qui lui est fermée et cachée... »
Tous les inconvénients, que l'on prétendait résulter de l'agré-
gation du collège de Clermont à l'Université, étaient donc réduits
à néant. Versoris, dans sa conclusion, en fit ressortir les grands
avantages pour l'instruction de la jeunesse : « La cour, dit-il,
sçaitla différence de science et de sagesse : la science qui fait le
superbe; la sagesse qui au contraire n'est jamais superbe et que
Cicéron appelle l'art de bien vivre, la mère de tous les autres
arts... Autrefois, en l'Université, on a voulu montrer et la science
et la sagesse ensemble »; aujourd'hui, au collège de Clermont,
« on mesle avec la science la correction et l'instruction des
mœurs. »
C'est par cette leçon indirecte, à l'adresse de leurs adversaires,
que le défenseur des Jésuites termine sa réplique : les Pères du
collège de Clermont ne veulent crue ramener les beaux temps
de l'Université ; en formant les intelligences de leurs élèves à la
connaissance des arts libéraux, ils formeront aussi leurs cœurs
aux principes religieux par l'enseignement du catéchisme, « ce
qui vaut mieux, ajoutait Versoris, qu'un de Arte amandi d'Ovide
et autres livres qui corrompent la jeunesse j>.
Tout ce discours, si plein de raison et de modération, contras-
tait singulièrement avec la fougue et l'ironie de Pasquier. On y
chercherait en vain les qualités littéraires de celui-ci. Versoris,
404 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
tout entier à ses procès, n'avait guère le temps de joindre le
culte des lettres à la science des lois ; aussi n'a-t-il pas évité les
défauts de son temps, les citations multiples et de mauvais goût.
Malgré cela, son plaidoyer tel qu'il est, justifie encore l'estime de
ses contemporains pour son grand sens et son bon jugement.
G. Restait à entendre les conclusions des Gens du roi. L'a-
vocat général du Mesnil, fort écouté au Parlement, prit la parole,
(l'était un magistrat intègre et savant, dont un de ses collègues1
a pu dire que, « homme de bien au palais, en particulier et en
public, il ne sacrifia jamais à la faveur ». Cette fois, cependant,
placé entre deux partis qu'il voulait également ménager, il se
laissa moins inspirer par la justice que par son attachement aux
libertés gallicanes et à l'Université. Tout en approuvant l'ins-
truction gratuite donnée par les Jésuites à la jeunesse, il conclut
contre l'enseignement de leur collège, « leur religion, prétend-il,
n'étant approuvée en France, ains interdite par l'acte même de
la congrégation de Poissy, conséquemment ils ne pourroient
tenir collège, parce qu'un collège de réguliers ne peut être tenu
pour licite ou recevable, dont l'ordre et profession est illicite et
rejettée ».
Il est étrange de voir du Mesnil arguer de l'Assemblée de
Poissy, puisque celle-ci, sans déclarer qu'elle acceptait la Com-
pagnie de Jésus, comme Ordre religieux, dans le royaume, avait
pourtant permis son établissement dans la capitale, sous le nom
de Société du collège de Clermont. C'était là un acte favora-
ble aux Jésuites, et bien de nature à incliner les juges à l'union
de ce collège à l'Université. L'avocat général interprète donc
faussement un texte qui était, en somme, contre lui. Après cela,
dans le dessein de paraître équitable, il suggéra au Parlement
un « moyen neutre » de concilier « à peu près » deux objets qui
paraissaient se combattre dans la cause, l'exécution du testa-
ment de Mgr du Prat et les prétendues lois de l'Université : « Qu'en
ceste ville de Paris, dit-il, soit estably un collège, des biens dé-
laissez par ledit évesque,... duquel sera recteur et modérateur
un bon personnage, non régulier d'aucun ordre, encore moins
de cette Société;... qu'en ce collège soyent nourris et instituez
gratis aux premières lettres douze pauvres enfants, quatre de
Paris, quatre de Clermont et deux de chascune des villes de Bil-
1. Le premier président Christophe de Thou. Cf. Du Boulay, Hist. Unie. Paris.,
t. VI, p. 981 et de Thou, Hist. Univ., t. V, p. 29.
PREMIER PROCÈS A.VEC L'1 \l\ ERSITÉ. 103
lom et de Mauriac; auquel collège seront establis six antres
boursiers, pour six de cette Société qui y pourront estre reçus,
nourris et logez l'espace de dix ans, sous l'obéyssance du princi-
pal, lesquels pourront prendre leurs degrez en l'Université,
jouyr des privilèges d'icelle et faire leçons publiques et privées
audit collège, avec les autres régens qui y seront establis par la
volonté, puissance et congé dudit principal '. »
La cause était entendue. Il appartenait au Parlement d<- se
prononcer entre les Jésuites, défenseurs du catholicisme contre
l'hérésie, et l'Université que favorisaient les partisans des hugue-
nots. De là l'indécision des magistrats; ils ne voulaient ni donner
les apparences d'un triomphe au parti protestant, ni sacrifier les
libertés gallicanes au parti ultramontain. Le premier président,
Christophe de Thou, et le procureur général Gilles Bourdin,
voyant dans les Jésuites de précieux auxiliaires contre les sectes
nouvelles, crurent servir la religion en faisant pencher la balance
de leur côté. Sous l'influence de ses deux premiers dignitaires,
le Parlement repoussa les conclusions de l'avocat général; il
choisit un moyen terme qui, sans condamner l'Université, ne don-
nait pas complète satisfaction à la Compagnie de Jésus. Par arrêt
du 5 avril 1565, la cause fut appointée, comme on disait alors,
toutes choses demeurant en état-. « C'était, dit Pasquier, un
coup fourré; car [les Jésuites] ne furent pas incorporez à l'Uni-
versité, comme ils le requéroient; mais aussi, estans en pos-
session de faire lectures publiques, ils y furent continuez3. »
Peut-être, comme le prétend un auteur moderne'1, les succès
du collège de Clermont n'ont-ils pas été étrangers à la décision
du Parlement. Les Jésuites s'étaient occupés déjà sérieusement
de l'organisation de leurs classes, et ils avaient d'excellents pro-
fesseurs. L'Université au contraire n'avait pas encore ses Rollin,
ses Coffin, ses Mesengui. Quelques-uns de ses collèges étaient
dans un désordre complet, à la veille de fermer, faute de fonds
nécessaires. La comparaison était donc à l'avantage de ses rivaux
qui joignaient au prestige de la nouveauté, toujours bien venue
en France, le talent et le zèle d'une institution naissante. Cette
considération a pu sans doute influer sur l'esprit des magistrats,
et l'historien de Thou reconnaît que les juges eurent égard au
1. D'Argentré, Collectio judiciorum, t. II, p. 379-390.
2. Manare, De rebûs S. J., p. 97, 98.
3. Lettres, liv. IV, 24; liv. XXI, 2.
4. M. Émond dans son Histoire du collège Louis- le-Gwnd, p. 24.
406 HISTOIRE DE LA COMPAGxNIE DE JÉSUS.
mérite du P. Maldonat. Nous pensons cependant, avec le même
historien, que le principal motif de leur détermination fut leur
désir d'opposer une éducation solidement chrétienne aux envahis-
sements du protestantisme1. A ce moment même ils étaient appe-
lés à se prononcer sur une dénonciation de Charles Du Moulin
qui, lui aussi, accusait les ministres « de dresser collèges publics
et particuliers, et façonner la jeunesse à leur cordelle pour haïr
et abhorrer tout ce qui n'est de leur secte et consistoire2 ».
iMais, alors, pourquoi n'avoir pas porté un arrêt définitif en
faveur des Jésuites? Dans cette conduite réservée du Parlement, le
P. Richeome voit « un trait de rare prudence » imposé par la
situation présente. Une sentence définitive et absolue aurait pu
déchaîner les haines, qui frémissaient autour du collège de Cler-
mont. Il parut plus sage de calmer « les menées et fureur des
ennemis » par l'espoir d'une reprise de la cause; de plus, en
mettant « doucement les Jésuites en possession » on donnait
« loisir à ceux qui s'estoient faicts parties, sans mauvaise intention,
de |les] cognoistre par leurs actions pour les aymer et prendre
fruict de leur industrie 3 ».
7. L'appointcment ordonné par le Parlement ne désarma pas
les adversaires de mauvaise foi; clans leur hostilité mécontente
et envenimée, ils épièrent l'occasion propice de recommencer la
lutte. L'Université sollicita en vain le premier président de repren-
dre la cause en audience publique, pour obtenir jugement. Sur
le refus de Christophe de Thou, elle tourna ses regards vers la
cour royale qui continuait son voyage dans le midi de la France.
Elle savait assez les dispositions du roi, de la reine-mère, des
cardinaux et de plusieurs seigneurs à l'égard des Jésuites; elle ne
doutait pas que les démarches de ceux-ci ne fussent favorable-
ment accueillies, s'ils avaient recours à leurs puissants protec-
teurs. Comprenant le danger, les humanistes du collège royal,
qui faisaient cause commune avec l'Université, prirent les devants
et essayèrent, par leurs amis, de balancer dans le conseil du roi
les influences dont la Compagnie de Jésus pouvait disposer. Tur-
nèbe, au nom de son parti, s'empressa de réclamer le concours
1. Histoire universelle, 1. LXXVIH. — Le P. Manare juge de même quand il dit
qu'une partie des magistrats furent inspirés par la considération des intérêts de toute
l'Eglise {pp. cit., p. 97, ;', 48).
2. Du Moulin, Œuvres complètes, t. V, p. 6:>5-62G. Dans cette dénonciation, Du
Moulin réunit sous 34 chefs les principaux délits qui appelaient sur les ministres
l'animadversion de la justice.
3. Response au playdoijé de Simon Mario», c. iv, p. 26 (Villcfranche, 1599).
PREMIER PROCÈS AVEC L'UNIVERSITÉ. 407
de Henri de Mcsme, maître des requêtes et confident du chance-
lier de L'Hôpital : «■ Nous craignons, lui écrivait-il, que l'arrivée
de la reine d'Espagne1 et son entrevue avec la reine-mère ne
nous nuisent beaucoup, car nous pensons que les Jésuites] ne
manqueront pas d'employer la médiation de cette princesse au-
près de sa mère. Nous vous prions donc, dès que vous aurez
vent de leurs démarches, de défendre contre eux les intérêts de
notre école dont vous êtes un des plus brillants élèves, et les
intérêts de la patrie qui vous est chère; de ne pas permettre
enfin que cette secte, par ses ruses et ses artifices, parvienne à
réussir au détriment et à la ruine de l'État2 » Trois semaines
après avoir écrit cette lettre, Adrien Turnèbe paraissait devant
le Souverain Juge : il avait refusé, à sa dernière heure, les se-
cours de la religion.
Quand ils virent qu'ils ne pouvaient rien contre la Compagnie
de Jésus par les voies légales, quelques-uns de ses ennemis s'exas-
pérèrent au point de vouloir détruire le collège et d'en massa-
crer les habitants. Les amis des Pères, effrayés de ces menaces,
leur conseillèrent de céder à cette fureur et d'interrompre leurs
cours. Mais les Jésuites pensèrent qu'une telle conduite nuirait
beaucoup à leur cause; ils s'efforcèrent d'amener leurs partisans
à changer d'avis : « Après d'activés et discrètes informations,
raconte le P. Provincial, nous découvrîmes que nos adversaires
n'avaient pas renoncé à leurs mauvais desseins, mais attendaient
que les huguenots, comme ils en avaient l'espoir, fussent maîtres
de la ville. Mis au courant de ces circonstances, nos amis jugèrent
alors que nous devions continuer les cours, ce que nous fîmes
avec empressement, et les élèves y vinrent peut-être encore plus
nombreux qu'auparavant. Il serait trop long d'énumérer tout ce
que nous eûmes alors à souffrir : les libelles français ou latins
publiés contre nous, les assauts livrés au collège qu'on voulait
envahir, les fenêtres brisées à coups de pierres, les ordures
qu'on nous jetait dans la rue, les comédies où nous étions tournés
en dérision. Béni soit Dieu qui a tout permis! Si petite qu'ait été
notre patience à supporter ces épreuves pour sa gloire , nous
savons qu'elle a été pour beaucoup un sujet d'édification !. »
Ni la patience des religieux, ni la protection du Parlement ne
suffirent à calmer les colères déchaînées contre le collège de Cler-
J. Elisabeth, fille de Henri II et de Catherine de Médicis, mariée à Philippe II.
2. Lettre de Turnèbe à Henri de Mesme (Bibliolh. nat., f. Dupuy, vol. XVI, f. 9)
3. Manare, De rébus S, J., p. 98.
408 HISTOIRE DE T.A COMPAGNIE DE JESI S.
mont. Les universitaires, de plus en plus vexés de sa prospérité,
tentèrent une nouvelle attaque : ils envoyèrent par leurs appa-
riteurs l'ordre de cesser les cours. La Sorbonne, par ses députés,
fit défense absolue d'enseigner la théologie, ce qui fut enjoint
dans les mêmes termes au P. Provincial par les docteurs qu'il alla
voir ensuite. Il leur démontra que le collège n'avait ouvert ses
cours ni par ruse, ni par force, mais par la volonté du roi, l'ordre
du Parlement et le consentement du Recteur; il les supplia de le
laisser unir ses efforts aux leurs pour opposer une digue au débor-
dement du mal et de l'hérésie. Ces messieurs de l'Université et de
la Sorbonne ne voulurent rien entendre.
8. Comme on se préparait à user de procédés plus rigoureux,
les Pères avisèrent aux moyens d'en prévenir l'exécution. Dire
ouvertement aux élèves que les cours étaient interdits, eût été les
exaspérer. Sur une décision prise par les Supérieurs, les régents
se contentèrent d'annoncer, en classe, que le Recteur de l'Uni-
versité avait demandé la fermeture du collège jusqu'à l'exhibition
des pièces attestant le droit d'enseigner; ils ajoutèrent qu'il
fallait prendre en patience, et comme un témoignage de soumis-
sion, cette interruption momentanée. A peine cette mesure fut-elle
proclamée, à la classe du matin, qu'aussitôt éclata un grand
tumulte. Frémissants de colère, les écoliers s'excitent à recourir
aux armes pour demander raison de cette interdiction au Recteur
de l'Université; ils se répandent dans les rues et les places publi-
ques, affichent des protestations et réclament justice.
« Quant à moi. raconte le P. Manare, désirant apaiser la tem-
pête, je me rendis de suite au Parlement où j'exposai ce que nous
avions fait pour obéir au Recteur et éviter la révolte des écoliers.
Mais tout avait été inutile; un grand danger était imminent et il
n'était pas en notre pouvoir de le conjurer; voilà pourquoi nous
recourions à l'autorité que le Parlement tenait du roi. » On
proposa aussitôt de mettre à sa disposition les cinq cents soldats
chargés de la garde ordinaire de la cité. Le Père fit remarquer
qu'un soulèvement d'étudiants ne se réprimait pas par les armes,
et qu'il ne lui convenait pas de commander une troupe de sol-
dats. D'ailleurs, l'emploi de la force ne servirait qu'à augmenter
le désordre et peut-être à faire couler le sang. Il indiqua un
moyen plus modéré et plus efficace. Qu'il soit seulement permis
de rouvrir les cours par ordre du roi et du Parlement : à l'heure
ordinaire des classes, on sonnera la cloche, et certainement les
PREMIER PROCES AVEC L'UNIVERSITÉ. m
élèves, à ce signal connu, rentreront dans le devoir. Les adver-
saires eux-mêmes cesseront leurs poursuites, quand ils sauront
que le roi et le Parlement protègent le collège des Jésuites et que
1rs cours ont été rouverts par leur volonté.
Ce projet ayant été approuvé, le P. Manare, de retour au col-
lège, fait imme.diatem.ent sonner la cloche. Les écoliers, déjà
réunis en armes, prêtent l'oreille, se demandant ce que cela si-
gnifie; puis « comme des abeilles accourant à la ruche », entrent
et sortent, ils se parlent en chuchotant et comprennent que l'af-
faire est arrangée : « Mais, s'écrient-ils, nous n'avons pas reçu
satisfaction; il nous reste à venger une injure. » Les Pères durent
s'interposer; ils demandèrent aux plus influents, qui étaient déjà
des hommes, d'apaiser leurs condisciples et de les amener par
de bonnes paroles à rentrer tranquillement en classe. Tout réus-
sit comme on l'avait désiré '.
D'abord surpris, les ennemis du collège de Clermont ne se tin-
rent pas pour battus. « Tels et autres semblables que je ne veux
nommer, écrit un contemporain, remuoyent le ciel et la terre,
courans par Paris... sollicitans, bourdonnans, prians, menaeans,
protestans et faisant jouer toutes les pièces de leur malice et cré-
dit, jusques à taire aller en corps d'Université au prince, qui es-
toit alors chef des huguenots en France, afin d'implorer sa faveur
et aide contre les Jésuites '. » Le 12 mai, en effet, la « Fille aînée
des rois très chrétiens » envoya une députation au prince de
Condé, pour le supplier de faire en sorte « que par sa prudence
et ses conseils fussent chassés ces religieux, obstacles très nui-
sibles aux études publiques^1 ». Pareille entreprise passait le
pouvoir de Louis de Bourbon, et l'Université, avoue l'un de ses
historiens, « gâtait son affaire en recourant à une protection si
justement suspecte 'l ». Son attitude dans cette circonstance
montra, une fois de plus, que son opposition à la Compagnie de
Jésus était inspirée par tout autre chose que les intérêts de la
religion catholique.
9. Si unies cependant étaient la cause de l'Fglise et celle des
Jésuites que le pape Pie IV, informé de leurs épreuves, adressa en
leur faveur des brefs pressants au roi, au Parlement, au cardinal
de Bourbon et à d'autres princes dont l'influence était connue :
« Très cher fils en Jésus-Christ, écrit-il à Charles IX, Nous
1. Manare, De rébus, S. J., p. 100. — 2. Richeomc, Response à Marion, c. iv, p. 28.
3. Cité par Du Boulay, t. VI, p. 649. — i. Crevier, op. cit., c. vi, p. 19 1.
410 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
avons appris que le collège de la Compagnie de Jésus, à Paris, est
eu butte à de grandes tracasseries et à des vexations de tout
genre... Mais Nous savons que Votre Majesté ne supportera pas ces
excès, dès qu'elle sera instruite des mérites de cette Société...
confirmée par le Siège apostolique et récemment approuvée par
le concile général de Trente, à cause de ses pieuses et louables
entreprises. Les grands services que la Compagnie de Jésus a
rendus à l'Église de Dieu, dans ces temps de troubles, non seule-
ment en Italie, en Espagne, en Portugal, mais encore dans plu-
sieurs contrées de l'Allemagne et dans la capitale de la Bohème,
ont engagé les catholiques à lui fonder des collèges, qui ont
puissamment contribué, avec l'aide de Dieu, à réprimer les héré-
sies et à ramener les hérétiques eux-mêmes à l'unité de l'Église.
Pour Nous, Nous recourons surtout au collège qui est dans cette
ville, et à ses services que Nous trouvons toujours aussi prompts
qu'avantageux... Nous faisons connaître ces détails à Votre Ma-
jesté afin qu'elle comprenne que, par l'affection qu'elle porte à la
religion catholique... elle doit prendre hautement sous sa pro-
tection et favoriser les collèges de cette Compagnie dans son
royaume. Nous les recommandons tous alfectueusement à votre
piété, surtout celui de Paris, vous exhortant de toutes Nos forces à
le défendre contre les injures et les vexations de ses détrac-
teurs l. »
Le Souverain Pontife, en dehors de ces sollicitations pres-
santes, chargea son représentant officiel d'adresser des réclama-
tions au Parlement. Comme elles restaient sans effet, le nonce
résolut de les faire parvenir à la cour, qui séjournait de-
puis le 3 juin à Bayonne, où devait avoir lieu l'entre vue de
Charles IX et de sa mère avec Elisabeth de France, reine d'Es-
pagne. Pour remplir cette difficile mission, aucun, parmi les
Jésuites français, n'était mieux désigné que le P. Émond Auger
par sa prudence et la considération dont il jouissait. Mais, à ce
moment, il se rendait à Rome afin d'assister à la Congrégation
générale convoquée pour le 28 juin. A son défaut, le nonce en-
gagea le P. François de Borgia, vicaire général de la Compagnie,
à confier l'affaire au P. Possevin qui se trouvait à Avignon2. Le
choix était excellent. Possevin avait déjà donné, dans plusieurs
circonstances, des preuves de cette rare habileté qui devait en-
gager plus tard Grégoire XIII à le charger de négociations dé-
1. Cité par Sacchini, Hist. Soc. Jesu, P. III, l. I, n° 19. Ce Bref est daté de Rome,
29 mai 1565. — 2. Annalimn decas 1% 1. II, c. x, p. 95.
PKEMIER PROCÈS AVEC L'UNIVERSITÉ. ill
licatcs auprès des tètes couronnées. La cour de France le tenait
en grande estime, depuis le succès de sa conférence avec le minis-
tre Viret à Lyon. De plus, il était Italien, et l'on pensait qu'en
celte qualité il recevrait de Catherine de Médias un accueil plus
favorable.
A peine arrivé ;ï Rayonne, le I*. Possevin gagna, par son zèle
contre l'hérésie, l'admiration de tous les bons catholiques1.
Les sectaires voulant profiter de l'entrevue des souverains, qui
attirait dans cette ville un grand nombre d'étrangers, avaient
envoyé de Cenève une prodigieuse quantité de livres calvinistes,
qu'ils espéraient introduire en Espagne jusque-là inaccessible à
l'erreur. Possevin, enflammé d'une sainte indignation, découvrit,
à tous ceux qu'il jugeait capables d'arrêter ce désordre, l'artifice
à l'aide duquel les œuvres des calvinistes pénétraient dans la Pé-
ninsule; il écrivit au cardinal d'Armagnac, le priant d'interposer
son autorité, et travailla lui-même directement par tous les
moyens à la diffusion des livres orthodoxes. S'il ne put empêcher
tout le mal, il en prévint du moins les suites en rendant suspecte
la conduite des hérétiques2.
Reçu à la cour avec la plus sincère bienveillance, le P. Pos-
sevin fut admis sans retard à l'audience du roi. Charles IX l'intro-
duisit devant le conseil, contre l'avis du chancelier de L'Hôpital3.
Le Père se contenta d'y exposer en peu de mots l'objet de sa mis-
sion, sans se permettre la moindre invective contre ses adver-
saires; puis, il se retira pendant la délibération. Le roi était
d'avis d'expédier aussitôt des lettres au Parlement de Paris pour
lui recommander l'affaire des Jésuites; mais les objections pré-
sentées parle chancelier de L'Hôpital firent différer la décision.
Dans le récit de son voyage à Rayonne, le P. Possevin ne ménage
guère le chancelier, qu'il accuse de favoriser l'hérésie en se per-
mettant les plus grossières injures contre Rome'1. Rappelé le len-
demain devant le conseil, il n'eut pas de peine à dissiper toutes
les difficultés et à rétablir les faits sous leur vrai jour. Au sortir
de cet entretien, il rédigea et remit à la reine-mère un mémoire
où il exposait ses vues sur la liberté d'enseignement : « Il est licite
à chacun, disait-il, d'ouvrir des écoles dans sa propre maison et
1. Pendant son séjour à Bayonne, Possevin reçut l'hospitalité des Franciscains
(Annal, decas 1% 1. II, c. xi, p. 101).
2. Annal, decas 1% 1. III, c. x, p. 89.
3. « Qui cum alieniore animo esset a Societatis Instituto, obsistebal quo minus ad-
rnitteretur Possevinus in regiurn consilium » (Annal, dec. 1% 1. II, c. xi, p. 99).
4. « Qui sedem aposlolicam soleret illo elogio cohonestare : porcam cl scrofam ap-
pelons » (Zaccaria, lier lUterarium, p. 30G).
r.l2 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
d'y recevoir quiconque s'y présente. Quant aux privilèges an-
ciennement obtenus par l'Université, le royaume n'est plus (Unis
Ja situation qui créa ces privilèges : à de nouveaux maux il faut
de nouveaux remèdes. On doit, avant tout, pourvoir aux besoins
si graves de la France1. »
L'ensemble de toutes ces explications ne laissant plus rien sub-
sister des objections proposées, le roi, de l'avis de son conseil,
donna aux Jésuites, pour le Parlement de Paris, de nouvelles
lettres patentes qui leur permettaient de fonder des maisons et
des collèges, dans tout le royaume, et d'y prendre partout lé nom
de Compagnie et Société de Jésus. Le P. Possevin se chargea de
les porter à Paris, avec des lettres de recommandation que la
reine-mère, les cardinaux de Bourbon et de Lorraine et plusieurs
seigneurs de la cour adressaient au Parlement, à l'évèque et au
gouverneur-1. Quelque précieuses que fussent les marques d'une
si haute protection, elles ne purent assurer aux Jésuites la recon-
naissance de leur droit; elles leur procurèrent, du moins, la
tranquillité nécessaire pour reprendre leur mission d'éducateurs.
Soutenus de la sympathie de tous les gens de bien, ils résolurent
d'alièrmir et d'étendre les bienfaits que procurait déjà le collège
de Clermont. Les classes de lettres reeurent une notable extension
et les cours supérieurs furent complétés, In petit pensionnat
avait été ouvert dès le début; il fallut l'augmenter, pour répon-
dre au désir des familles qui voulaient procurer à leurs enfants
les avantages de l'éducation avec ceux de l'enseignement. Les
pensionnaires se présentèrent en si grand nombre, qu'il fut im-
possible d'accueillir toutes les demandes :.
1. « Memoriale pro Societate Jesu a P. Possevino » i.Gall. Epist., III, f. 1). Lettre
de Possevin au P. Manare à Paris, 4 juillet 1565. Acta a Possevino).
2. Lettre de Possevin à François de Borgia, 7 juillet 1565 (Acta a Possevino^.
3. Puisque nous parlons pour la première fois des pensionnats, disons tout de suite
que les PP. Généraux se montrèrent toujours difficiles pour les autoriser. Il n'était
lias contraire à l'Institut d'admettre dans les collèges de la Compagnie, avec la permis
sion du P. Général, des écoliers sans fortune pour lesquels les fondateurs établissaient
des bourses, mais ils devaient habiter un logement séparé (Polanco, Chronicon,
VI, ifj). On pouvait même y admettre, dans des conditions analogues et pour de bons
motifs, les fils de familles riches ou nobles, à la condition de s'entretenir à leurs frais.
Ce fut en considération des services rendus à la Compagnie par le roi de Portugal que
la première Congrégation Générale accepta, en 1558, le conviclus de Coïmbre (Décr.
CXXVI. Institut. S. /., I, 170). La quatrième Congrégation, appelée en 1581 à se pro-
noncer sur l'acceptation des pensionnats, aurait désiré que la Compagnie s'en trouvât
déchargée autant que possible; cependant elle laissa à la prudence du P. Général le
soin d'examiner ce qu'il y aurait de mieux à faire dans les cas particuliers (Décret
Mil . Si, à partir de ce moment, les pensionnats acquirent en quelque sorte droit de
cité, ils ne furent pourtant qu'une exception. Nous parlerons plus lard de leur règle»
ment.
CHAPITRE III
l'enseignement supérieur au collège
de clebmont.
(1565-1572).
Sommaire : 1. Établissement d'un cours de théologie. Détails sur le personnel
du collège, les classes, les œuvres extérieures. — 2. État des études scolastiques
dans l'Université de Paris. — 3. Réforme introduite par Maldonat dans rensei-
gnement de la théologie. Succès de ses leçons. — l. Opposition de l'Université
et ses démarches contre les Jésuites (1566). — 5. Le Père Perpinien; ses leçons
d'Écriture Sainte. — il. Sa mort et son .éloge. — 7. Le P. Mariana supplée Mal-
donat pour l'enseignement de la théologie (1570). — 8. Nouveau cours du P. .Mal-
donat. — P. Progrès du collège de Clermont. Son règlement.
Sources manuscrites : I. Bibliothèque nationale, fonds, latin ms. 313.
II. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a) Franciae Histôria; — l>) Gal-
lia. Epistolae Generalium; — c) Oalliae Epistolae; — d) Galliarum visitationes.
III. Archives de la Province de l.yon.
Sources imprimées : Arc/tires curieuses de l'Histoire de France. — Du Boulay, Hist*
Univ. Parisiens. — Carvajal, De restituta theologia. — D'Espence. Praefat. in Com-
menta)-, in Ep. I ad Timoth. — Jean Major, Disputa, in lib. Sententiar. praefat. —
Manare, De rébus S. J. commentarius. — De Mouchi. Praefat. in Petr. Lombardi IV
Libr. Sententiar. — Pétri Joan. Perpiniani orationes. — Pièces fugitives pour servir
à l'histoire de France. — Prat, Maldonat et l'Université de Paris. — Monument,*
HISTORICA Soc. .If.su. Epistolae P. Nadal.
1. En 1505, le collège de Clermont, malgré sa rapide prospé-
rité, offrait encore une lacune que ses adversaires ne manquaient
pas d'exploiter perfidement. Ils s'étonnaient que des religieux,
qui avaient des professeurs pour les sciences profanes, n'en eus-
sent point pour les sciences sacrées. Critiques imprudentes, car
les Jésuites avaient des théologiens qui allaient donner à l'ensei-
gnement supérieur un intérêt et un éclat inaccoutumés. Après
les lettres patentes de Charles IX, datées du 1er juillet 1565, le
P. Olivier Manare s'empressa, dès le début de l'année scolaire,
d'établir les cours de théologie impatiemment attendus par les
élèves et les amis des Jésuites.
A ce moment, le P. Edmond llay était toujours à la tète du col-
lège; ses lettres nous en apprennent la situation. La communauté
comptait trente-cinq religieux dont douze prêtres, onze scolas-
414 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
tiques et douze frères coadjuteurs. Seize novices se préparaient
à faire leurs vœux, et dix d'entre eux se livraient à l'étude des
lettres. Ce nombre, assez restreint, de candidats à la Compagnie
s'expliquait par la récente campagne de calomnies : « Autrefois,
écrit le P. Recteur au P. Général, on se demandait si nous étions
un ( Irdre approuvé ; mais ceux qui ne nous regardaient pas comme
religieux, nous estimaient au moins comme chrétiens et gens de
bien; aujourd'hui on nous fait l'injure de mettre en doute notre
foi même et notre honnèleté. Ces préjugés détournent de nous
beaucoup de jeunes gens, ou les rendent très hésitants1. »
Le pensionnat comprenait cinquante élèves parmi lesquels six
religieux Bénédictins, l'un de Metz en Lorraine, les autres appar-
tenant à divers monastères de Flandre. Il y avait aussi des Écos-
sais et des Anglais de grande famille, que la Providence destinait
à soutenir le catholicisme dans leur pays. Le reste se composait
de Flamands ou de Français, possédant presque tous un canoni-
cat ou quelque autre bénéfice ecclésiastique. « On leur fit revêtir
un costume conforme à leur condition, et ce simple changement
suffit pour modifier leurs dispositions intérieures. » Eux, qui ne
songeaient d'abord qu'à dépenser leurs revenus, commencèrent à
vivre en gens d'Église. Les pensionnaires avaient une chapelle
séparée, où chaque matin ils entendaient la messe, et le soir réci-
taient les litanies ou chantaient une hymne en l'honneur de la
Très Sainte Vierge. Les dimanches et les jours de fête, beaucoup
d'écoliers externes se joignaient à eux pour l'office des vêpres; un
grand nombre se confessait et communiait tous les huit jours.
Le collège jouissait déjà d'une grande réputation, non seule-
ment en France et en Flandre, mais jusqu'en Angleterre et en
Ecosse où, estimé des catholiques, il était fort redouté des protes-
tants. Ces derniers avouaient qu'ils ne craignaient rien tant que
l'érudition des Jésuites. « J'ai lu, dit le 1*. Hay, une lettre d'un
Anglais, homme très considéré dans son pays : il félicitait le pré-
cepteur chargé de ses petits-fils des soins qu'il leur donnait, mais
surtout de les conduire aux leçons de nos maîtres, car, écrivait-il,
je n'entends parler que très avantageusement de leur science et
de leur piété2. »
Les études, en effet, devenaient de plus en plus florissantes.
Outre les quatre classes d'humanités, que suivaient un très grand
nombre d'écoliers, les deux cours de philosophie étaient les plus
1. Lettre du P. Ed. Hay, 29 avril 1566 (Galliae Epist., t. III, fol. 22, 24).
2. Ibidem.
L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AU COLLEGE DE CLERMONT. US
fréquentés tic tous les collèges de la capitale. Le I*. Provincial
avait ajouté deux cours d'instruction religieuse, l'un en français
pour les jeunes élèves, l'autre en latin pour les plus avancés.
Les dimanches cl les jours de fêtes, le P. Maldonat interprétai
publiquement l'Ecriture Sainte d'une manière à la fois si aisée,
si solide et si digne de la parole de Dieu, que ses auditeurs, loin
<lc se lasser, avaient toujours plus envie de l'entendre.
Aux fêtes de Noël 1565, les élèves du pensionnat récitèrent une
églbgue composée par le P. Préfet des Etudes. Elle n'était pas
destinée à l'honneur d'une séance publique ; mais, sur les instances
des amis du collège, on dut transformer le réfectoire en grande
salle où se pressèrent plusieurs membres du Parlement et d'autres
personnages de distinction, avides de belle littérature. Le succès
dépassa toute attente : on admira et la composition de la pièce et
la diction des acteurs. Les Pères furent même obligés de distribuer
des copies de l'élégante églogue, qui avait conquis les suffrages
d'un auditoire d'élite.
Pour les œuvres extérieures d'apostolat, les prêtres du collège
rencontraient alors beaucoup de difficultés. Ils ne purent continuer
à entendre les confessions dans la chapelle de Saint-Germain, et
la prédication dans les églises de la ville leur fut quelque temps
interdite. Un grand dignitaire ecclésiastique voulut même per-
suader à l'un des Pères, spécialement chargé des instructions dans
les communautés et de la visite des pauvres et des* malades dans
les hôpitaux, de s'abstenir de ces ministères de miséricorde :
« Vous me ferez d'autant plus de plaisir, disait-il, que vous vous
occuperez moins des œuvres de charité au dedans et au dehors de
votre collège. » Les Pères trouvèrent pourtant plus d'une occasion
d'employer utilement leur zèle au service du prochain. Les
habitués de la chapelle de Saint-Germain se transportèrent à la
chapelle du collège. Le prince de Mantoue, duc de Nevers, appela
auprès de lui, comme missionnaire, un des Pères de Paris. A l'ap-
proche de Pâques, un principal de collège, en même temps curé
d'une paroisse, eut recours au dévouement des Jésuites, envers
lesquels il s'était jusque-là montré très hostile. Pendant qu'un
Père prêchait à l'église Saint-Marcel, le P. Manare avait entrepris
d'expliquer le catéchisme de Canisius à des orphelins dans l'église
de la Trinité; il eut d'abord peu d'auditeurs, mais bientôt le
peuple accourut en telle foule que le local devint insuffisant '.
1. Ibidem.
416 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
La lettre du P. Hay, à laquelle nous empruntons tous ces dé-
tails, renferme peu de renseignements sur le cours de théologie
inauguré au mois d'octobre 1505. Il se contente de dire que les
auditeurs y étaient plus nombreux que nulle part ailleurs dans
l'Université. Cependant, comme ce cours eut un immense reten-
tissement et commença la rénovation des études théologïques
en France, il mérite d'arrêter spécialement notre attention.
1. Depuis nombre d'années, l'enseignement de la théologie
laissait beaucoup à désirer dans l'Université de Paris. Ce n'était
plus cette forte et lumineuse méthode des saint Thomas et des
Dims Scot, qui avait jeté tant d'éclat au treizième siècle. Les
querelles des rois de France avec les Papes, les discussions du
grand schisme d'Occident, en introduisant certaines opinions qui
brisaient l'unité de la doctrine, avaient faussé la direction de l'en-
seignement. La claire simplicité de la langue scolastique avait
elle-même fait place au langage barbare des questionnaires,
hérissés des formules les plus étranges. Quand les hérésies de
Luther et de Calvin ébranlèrent l'autorité de l'Église et boule-
versèrent la société, on affecta de confondre les intérêts du catho-
licisme avec ceux de ces méthodes surannées. La cause même de
la religion réclamait donc impérieusement une réforme.
Beaucoup de bons esprits firent entendre de justes plaintes et
d'énergiques protestations. Personne, parmi eux, ne dénonça les
abus en termes plus acerbes qu'Antoine de Mouchi, célèbre alors
sous le nom de Démocharès : il s'était livré, déclarait-il, avec
ardeur à la philosophie, espérant qu'elle lui ouvrirait les voies à
la théologie, et, au bout de trois ans, il n'avait acquis que la
connaissance de quelques sophismes et de vaines subtilités1; il
n'était pas plus satisfait de la façon de procéder dans l'étude de la
science sacrée, mais, comme le docteur Jean Major, il s'avouait
incapable de maîtriser les préjugés du temps2. En 15V5 Louis de
Carvajal, publiant sous le titre de Restiîuta theologia un premier
essai de la méthode qu'il voulait substituer à l'ancienne, le pré-
sentait ainsi au lecteur : « Vous voyez dans quels labyrinthes sont
tombés quelques théologiens, soit qu'ils s'amusent à des questions
subtiles, curieuses ou inutiles, soit que, soumettant la théologie
à des règles barbares, ils souillent cette divine science par d'im-
pertinents et insipides sophismes. D'un autre côté des hommes
1. Praefatio in Pétri Lombardi IV Libr. Sententiur.
2. Dis put in I libr. Sententiar., Praefatio.
L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AU COLLÈGE DE GLERMONT. 417
(jui ont à peine effleuré la dialectique, la physique et la méta-
physique, sont néanmoins d'un goût si délicat qu'ils ne daignent
lire que ce qui sentie style de Gicéron, en sorte qu'ils méprisent
même des leçons utiles à leur salut. Nous donc, pour ramener
les uns et les autres à Jésus-Christ, nous nous attacherons à traiter
des questions graves et salutaires, à purger la théologie du
sophisme et de la barbarie1. » Le pieux et savant auteur devait
rédiger, d'après ce plan, un cours complet de théologie; mais
après avoir donné le traité de Deo, il laissa à d'autres le soin
d'achever l'œuvre commencée.
Devant la nécessité toujours plus pressante de défendre la
religion contre les erreurs nouvelles, les théologiens de l'école
de Paris négligèrent les définitions des Sentences et la dia-
lectique d'Aristote et se livrèrent à l'étude des divines Écri-
tures et des Saints Pères. Plusieurs y acquirent une instruction
assez solide pour lutter avec succès contre l'hérésie; mais leur
style, obscur et peu correct, n'était pas de nature à flatter le
goût délicat des humanistes. C'était le défaut commun aux plus
habiles controversistes de cette époque : « Peu m'importe, di-
sait Claude d'Espence, le plus renommé d'entre eux, que je sois
obscur et que j'écrive sans élégance, pourvu que je ne sois pas
inexpérimenté et inhabile dans les questions que je traite2. »
Irrités des contradictions qu'ils essuyaient de la part de l'an-
cienne École, les humanistes du collège royal dédaignèrent non
seulement les maîtres de la science sacrée mais encore l'ensei-
gnement de la philosophie et de la théologie, désignées sous
le nom général de scolastique. Maîtres et enseignement, ils trai-
tèrent tout de barbare, et, pour ne pas être eux-mêmes bar-
bares, ils se montrèrent à peine chrétiens. En gagnant la faveur
publique par leurs innovations dans le système des études, ils
outragèrent les choses saintes et affichèrent des hardiesses que
répudiaient quelquefois les apôtres mêmes de la religion nou-
velle 3. Personne ne combattit la scolastique du temps avec
plus de véhémence que Pierre Ramus. Homme d'esprit, mais
d'un esprit libre à l'excès, portant l'estime de son siècle jus-
qu'au mépris outré de tout ce qui se faisait avant lui, Ramus
aurait voulu qu'on réduisit l'enseignement théologique à l'in-
terprétation arbitraire de la Sainte Écriture. Ayant osé soutenir
1. Garvajal, De restituta tlteoloç/ia (Cologne, 1545), préface.
'. Praefat. in Commentai-, in Epist. lad Timotti.
3. Théry, Histoire de l'éducation en France, t. II, p. i'2, 43.
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 27
418 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
dans une première thèse que « tout est faux dans la philosophie
d'Aristote », il fut poursuivi, jugé et condamné à un silence qu'il
no garda pas1. Plus tard, dans ses Advertissements sur la ré-
formation de r Université de Paris, adressés au roi Charles IX,
il attaqua toutes les Facultés, principalement celle de théolo-
gie, qui n'avait point alors de professeurs ordinaires. Tous los
docteurs étaient bien astreints, par état, à enseigner; mais depuis
longtemps ils s'en dispensaient, et les leçons n'étaient faites
que par les bacheliers pour obtenir la licence2.
3. Tel était l'état des études scolastiques, à l'Université de
Paris, lorsque le P. Maldonat inaugura ses cours de théologie
au collège de Clermont. Formé à l'école de Salamanque, lecteur
assidu de la Bible, des Pères et des Conciles, il joignait à une
vaste érudition l'usage familier des langues orientales; esprit
souple et sagace, il entrait profondément dans les questions les
plus ardues, en distinguait nettement toutes les faces, s'avan-
çait avec une sûreté magistrale vers la plus lumineuse solution;
sa pensée, claire et vive, s'exprimait dans une langue dont les
humanistes pouvaient envier la pureté. Il possédait donc toutes
les qualités requises pour relever la science sacrée, la faire res-
pecter de ses détracteurs et la ramener à son but : la connais-
sance de la vérité. Néanmoins l'entreprise n'était pas facile; car
d'un côté l'hérésie menaçait de disputer pied à pied les posi-
tions conquises; de l'autre, la Faculté de théologie devait s'op-
poser à toute innovation dans l'enseignement. Mais le P. Mal-
donat avec son talent et sa vertu, sa prudence et sa modération,
sut combattre l'erreur et exprimer la vérité sous une forme nou-
velle, sans blesser les susceptibilités.
Dès la première leçon, il indique ses vues, précise sa méthode.
Après avoir prié ses auditeurs de lui continuer la bienveillante
attention qu'ils lui avaient prêtée sur des matières moins im-
portances, il entre dans son sujet en expliquant les motifs pour
lesquels le collège de Clermont ouvrait des cours de théologie.
Il développe alors diverses considérations sur l'excellence et les
avantages de cette science, sur les difficultés qu'elle présente
et la manière de l'enseigner. Il rappelle, en peu de mots, les
phases de combat que cet enseignement avait glorieusement
traversées depuis le temps des apôtres jusqu'au xii" siècle, pour
1. NVaddinglon, Ha mus, sa vie, ses écrits, ses opinions, p. 53, 54.
'I. Archives cur. de l'Hist. de France, lr° série, t. V, p. 115.
L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AU COLLÈGE DE CLERMONT. 419
arriver aux fâcheux abus qui se glissèrent dans les siècles sui-
vants. « La plupart des théologiens de ces temps paisibles
étaient, dit-il, des hommes de savoir et de talent; mais, comme
ils n'avaient point de guerre à soutenir contre les hérétiques,
ils déposèrent leurs armes, c'est-à-dire qu'ils négligèrent les
livres sacrés, les écrits des Saints Pères et les procédés do l'an-
cienne école... Ils concentrèrent leurs pensées sur la philosophie
d'Aristote; ils employèrent leur vie et leurs facultés intellec-
tuelles à inventer, à proposer ou à résoudre une infinité de ques-
tions compliquées où brillait la subtilité de leur esprit. La vraie
et pure théologie fut alors tellement mêlée à cette manie de
pointiller que les écoles retentissaient de suppositions, d'ap-
pellations exponibles ', contradictoires, insolubles, de syllo-
gismes, de disputes sans fin, de cris puérils, de bruyantes ar-
gumentations, qui au jour d'une guerre sérieuse contre l'ennemi
étaient plus capables de nuire que d'aider au triomphe de la
vérité.
« Ne trouverions-nous pas ridicule, continue-t-il, un homme
qui, défié à un combat à l'épée pour un jour indiqué, s'exerce-
rait en attendant à manier l'arc ou la lance? Or voilà ce que font
tous ceux qui confinent leur enseignement dans des questions
oiseuses, étrangères à l'Écriture Sainte et surtout aux besoins
de l'époque. Lorsque je les vois perdre ainsi un temps précieux
je me sens pressé de les interpeller et de leur dire : que faites-
vous donc, lâches soldats? Que votre théologie sorte de l'obs-
curité, dans laquelle elle s'est jus ju'à présent renfermée; qu'elle
se dégage enfin de la rouille qu'elle a contractée dans l'inac-
tion, qu'elle abandonne, oui, qu'elle abandonne les agréables
ombrages de la philosophie, qu'elle se produise au grand jour
et descende dans l'arène. »
Maldonat, quand il signale ainsi les abus de l'enseignement
supérieur et en indique le remède, se garde bien d'attaquer la
scolastique ; même, pour écarter tout soupçon à cet égard, ré-
pondant à une objection qu'il s'adresse à lui-même, il affirme
que loin de la repousser il la regarde comme nécessaire à toute
argumentation solide :
« Mais, me dira-t-on, voulez-vous donc que nous renoncions
tout à fait aux disputes scolastiques et aux subtilités théologi-
ques, et que, livrés uniquement aux Saintes Écritures, nous leur
l. Appellationes exponibiles, terme du langage scolastique.
420 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
donnions , comme nos adversaires, cette interprétation capri-
cieuse qu'on donnerait aux fables des poètes? Non, messieurs, je
n'entends pas que vous priviez la théologie de l'argumentation
scolastique; elle est utile, elle est nécessaire, et vous verrez dans
nos leçons si je la néglige. Je veux seulement que dans rensei-
gnement de la théologie, comme dans toute autre chose, nous
observions cette règle de prudence : Ne quid nimis; car il y
aurait de l'orgueil et de la témérité à vouloir expliquer les
Saintes Écritures sans les lumières de la théologie ; mais il n'y a
pas moins de vanité et de légèreté à consacrer son temps et sa
peine à des questions oiseuses et inutiles. La vraie manière, c'est,
à mon avis, d'unir aux livres inspirés la méthode scolastique; en
sorte que, en face d'une question à débattre, nous recourions
non à Platon ou Aristote... mais aux prophètes, aux apôtres, aux
évangélistes, à Jésus-Christ, à son Église, à l'antiquité sacrée, et
que nous consultions les exigences de notre temps. Telle est la
ligne que je me suis tracée, et je m'efforcerai de ne jamais en
sortir l . »
Les leçons de théologie du P. Maldonat eurent un immense suc-
cès. Le nombre des auditeurs devint si considérable que, la salle
ordinaire des cours ne pouvant les contenir, on dut se transporter
dans le grand réfectoire ; et comme ce local était encore insuf li-
sant, le professeur établit sa chaire, quand la saison le permit,
dans la cour du collège. L'auditoire ne se composait pas seulement
de jeu:ies gens destinés à l'Église, mais encore de l'élite de la
société2. On y voyait des magistrats et des grands seigneurs, des
docteurs de Sorbonne et des professeurs d'autres collèges, des
prélats et des religieux de tous les Ordres. « Souvent même des
ministres huguenots » se mêlaient aux catholiques ; « en cachette
ils faisaient passer » au savant théologien « des propositions con-
traires à sa thèse, que lui lisait en public et réfutait point par
point3 ». Les personnes qui désiraient s'assurer une bonne place
envoyaient leurs domestiques la retenir à l'avance, car il arrivait
1. Maldonati oralio cumsuam (heologiam aggrederetur, publié par l'rat d'après
les inss. de la Bibl. nat. (Maldonat, app. XI, p. 555 el sqq.).
2. De Saligny, Vie du /'. Maldonat (dans Prat, Mémoires sur le P. Broet., App.,
p. 608, 609). Le P. de Saligny, mort en 1723, fut professeur de philosophie et de théo-
logie à Bourges où Maldonat avait écrit ses Commentaires. Il crut faire honneur
à cette ville en lui donnant une biographie de l'éininenl théologien. Une copie de cet
ouvrage se trouve à la bibliolh. de Grenoble. C'est le manuscrit que le P. Prat a
reproduit, mais non intégralement. Les détails donnes ici sur l'al'lluence aux cours
de Maldonat sont conformes aux témoignages des contemporains.
3. Lettre du P Nadal, 7 oct. 1568 [Epis t. Nadàl, t. IV, p. 793).
L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AU COLLÈGE DE CLERMONT. 421
bien des fois que la salle était comble trois heures avant le com-
mencement du cours1.
Pierre Picherel, ancien docteur de Sorbonne passé au calvi-
nisme, décrit dans un de ses ouvrages le spectacle dont il l'ut
témoin, un jour qu'il était venu entendre le P. Maldonat : « Ne
croyant pas, dit-il, que l'auditoire dust estre, coininc il estoit,
composé d'un monde infini, je me trouvai trop éloigné de la
chaire du professeur; d'où il arriva que beaucoup de mots ne
vinrent pas jusqu'à moy. Ajoutez à cela que sa prononciation
n'estoit pas toujours égale, car, quand il avoit élevé la voix, il
la rabaissoit un peu après. Comparant néanmoins ce qu'il avoit
dit d'un ton élevé avec ce qu'il avoit dit d'un ton plus bas, et
devinant même avec le secours des yeux, que je tenois toujours
attachés sur son visage, je fis si bien qu'il m'échappa peu de
choses2. » Tous les auditeurs, en effet, prêtaient la plus sérieuse
attention; plusieurs prenaient des noies. De hauts dignitaires de
l'Église et de l'État, trop éloignés de Paris pour assister aux cours,
y envoyaient des copistes. « Dieu sait, écrit le P. Edmond Hay,
combien d'esprits sincères trouvèrent dans les leçons de l'illustre
professeur, la lumière de leur intelligence, la solution de leurs
doutes, la confirmation de leurs croyances3 ».
k. On devine aisément que les succès du P. Maldonat contri-
buèrent encore à augmenter le prestige du collège de Clermont.
L'ardeur dévouée des professeurs, faisant de l'instruction une
arme d'apostolat; l'habileté de leurs méthodes et l'entrain de
leurs classes; le concours des écoliers contents d'échapper à des
procédés vieillis, et heureux de l'affection que leur témoignaient
des maîtres surnaturels, tout mettait la Compagnie de Jésus dans
une situation excellente vis-à-vis de l'Université. Celle-ci, ne
pouvant se consoler des arrêts du Parlement, ni se résigner de
bonne grâce à la prospérité d'une rivale, se mit à épier l'oc-
casion de trouver les Pères en défaut. Les régents étaient obligés
de s'observer de près, car « souvent des hommes doctes s'estant
déguisés se mesloient dans la foule des escoliers » entrant au
collège, et ils notaient de leurs mains « ce qu'ils voyoient et en-
tendoient ». Ou bien encore quand les élèves sortaient, on les
prenait à part, on leur faisait répéter la leçon du professeur,
1. Bayle, Dictionnaire, art. Maldonat, remarque C.
2. Dissertalio de sacrificio missae (1629), cité par le P. de Salignv. /. c.
3. Lettre au P. Général, 29 avril 1566 (Gall. Epist., t. III, fol. 22). '
422 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
dans l'espoir de découvrir quelque parole malsonnante et propre
à constituer un procès1.
Cette odieuse inquisition n'ayant donné aucun résultat, l'Uni-
versité ne renonça pas cependant à ses projets de vengeance.
Elle, qui avait naguère sollicité l'appui du prince de Condé, chef
des huguenots, n'hésita pas à recourir au connétable de Mont-
morency, chef des catholiques. Au commencement du mois d'a-
vril 1566, pendant la semaine de la Passion, le connétable était
venu à Paris avec le maréchal de Damville, son second fils. Guil-
laume Galland, alors Recteur de l'Université, alla le saluer ac-
compagné de Ramus, pour lui recommander les intérêts dont il
était chargé. Ces intérêts, disait-il, se trouvaient gravement com-
promis par la concurrence du collège de Clermont. En même
temps, il dépeignit les Jésuites sous les couleurs les plus noires et
demanda qu'on imposât silence à leurs professeurs, ou plutôt
qu'on en délivrât l'Université. Présent à l'entretien, le lieutenant
criminel ne put retenir son indignation devant de si injustes re-
proches : « Vous feriez bien mieux, monsieur le Recteur, dit ce
zélé magistrat, d'empêcher vos écoliers de sortir la nuit et de
causer du désordre, comme ils font tous les jours, dans Paris. »
Galland et Ramus répondirent que les Jésuites étaient la cause
de tout le mal : les élèves, quand on voulait les réprimander, me-
naçaient de quitter l'Université pour passer au collège de Cler-
mont. Le maréchal de Damville releva, comme elle le méritait,
cette singulière excuse en représentant que les élèves des Jésuites
ne donnaient ni les mêmes scandales ni les mêmes sujets de
plaintes. Il défendit si bien la cause des religieux de la Compa-
gnie que le connétable, après une sévère réprimande, congédia
les calomniateurs en leur disant d'imiter les Pères au lieu de les
incriminer2.
Le lendemain le maréchal de Damville, très dévoué aux Jé-
suites, les fit prévenir de ce qui s'était passé chez son père, et
leur conseilla d'aller trouver le connétable pour l'éclairer sur
toute cette affaire. Ils n'eurent pas de peine à se disculper des
accusations dont ils étaient l'objet. Montmorency, après les avoir
entendus, les assura de sa bienveillance et de sa protection :
« Je sais, leur dit-il, tout ce que votre Société a souffert en France
depuis les divisions survenues dans notre malheureux pays;
mais supportez ces épreuves d'autant plus courageusement
1. Vie du P. Maldonat, par le P. de Saligny (Pral, op. cit., p. 609).
2. Leltrc du P. Hay déjà citée. Cf. Sacchini, P. III, I. II, n. 58.
L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AU COLLEGE DE CLERMONT. 423
qu'elles vous sont communes avec tous les gens de bien. Souve-
nez-vous que tous ceux qui ont entrepris de grandes choses
dans l'Église de Dieu ont rencontré, comme vous, une multitude
d'obstacles. Si vous continuez à servir l'Église et l'Etat avec le
dévouement désintéressé que vous avez montré jusqu'ici, vous
n'aurez rien à craindre de personne. Pour ma part, comptez que
mon secours ne vous manquera jamais. » Les Pères du collège
de Clermont, encouragés par ces paroles du connétable, attendi-
rent avec un surcroît de confiance les persécutions de leurs en-
nemis
5. Le 1er mai 1566, Charles IX était enfin revenu de son long
voyage, qui avait duré plus de deux années 2. Galland et Ra-
mus, nullement abattus par leurs tentatives infructueuses, s'em-
pressèrent de demander audience au cardinal de Lorraine, pro-
viseur de Sorbonne, et, sans nommer la Compagnie «le Jésus
dont il s'était déclaré protecteur, se plaignirent de certains étran-
gers, de barbares qui excitaient des troubles dans l'Université et
corrompaient la jeunesse. Le proviseur de Sorbonne répondit
qu'il n'avait jamais entendu parler de pareils étrangers, mais il
engagea les plaignants à lui remettre leurs griefs par écrit; on
verrait ensuite quelle mesure il conviendrait de prendre.
Le même jour, le P. Perpinien était arrivé de Lyon à Paris
pour associer ses travaux à ceux du P. Maldonat 3. On lui conlia
le soin de réfuter les nouvelles accusations portées contre la
Compagnie, et il rédigea en latin un mémoire dont le cardinal
de Lorraine se montra très satisfait 4.
Au reproche d'être de nationalités étrangères, adressé aux
maîtres du collège de Clermont, Perpinien répondait que, fondée
par Charlemagne avec le concours de savants étrangers, l'Uni-
versité de Paris avait toujours adopté les hommes de tout pays
qui lui apportaient leurs lumières et leur réputation. Quand
François I" entreprit de restaurer la culture des lettres dans sa
capitale, il invita tous les savants de l'Europe avenir y distribuer
les trésors de leur science. Guillaume Galland lui-même, obser-
vait le fin jésuite, ne se trouverait pas maintenant à la tête de
1. Lettre du P. E. Hay.
2. 11 était parti de Paris le 24 janvier 1564.
3. Lettre de Perpinien à son frère, 17 juin 1566 (Gaudeau, De Perpiniani vita
p. 49).
4. Lettre du P. Général au cardinal de Lorraine, 10 juin 1566 Epist. General.,
t. III).
424 HISTOIRE Dl£ LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
l'Université, si son oncle n'était venu d'Artois en France 1. De
quel droit cet étranger voulait-il qu'on expulsât du royaume des
religieux dont la plupart étaient Français? Que signifie, ajoutait-
il, cette qualification de barbares? On ne pouvait prétendre que
la France eût le monopole des sciences et des lettres. Voulait-on
dire que les professeurs du collège de Clermont étaient gens in-
cultes et ignorants? Alors comment expliquer le succès de leur
enseignement? — Mais ils excitent des troubles! — N'était-il pas
notoire, au contraire, que les régents de l'Université avaient plus
d'une fois essayé d'ameuter les mauvaises passions contre les
Pères, tandis que ceux-ci, dans une circonstance récente, étaient
parvenus à calmer l'effervescence de leurs écoliers? — Enfin, au
reproche de corrompre la jeunesse, le P. Perpinien se contentait
d'opposer les résultats incontestables du collège de Clermont :
de nombreux auditeurs ramenés au sein de l'Eglise ou raffermis
dans Ja foi ; une jeunesse studieuse, assidue aux leçons de ses pro-
fesseurs, disciplinée dans sa conduite et réglée dans ses mœurs.
Il ne restait plus rien des ridicules accusations, lancées contre
les Pères de la Compagnie de Jésus, pour dissimuler le vrai motif
de la persécution. Les arguments de Perpinien étaient sans répli-
que. Mais son nom et son arrivée à Paris ne firent qu'irriter les
jalousies inquiètes de l'Université. On savait la réputation qu'il
s'était acquise partout où il avait enseigné, à Coïmbre, à Rome, à
Lyon. N'allait-il pas, par le prestige de son éloquence, augmenter
encore l'éclat d'un collège déjà trop célèbre? Ne pouvant l'em-
pêcher de parler, on résolut de troubler du moins ses triomphes.
Perpinien préluda à ses leçons par six discours sur la nécessité
de conserver l'ancienne religion : de veteri religione retinenda.
Dans le premier, qu'il prononça le 3 juin, il fit d'abord allusion
à la position difficile du collège de Clermont vis-à-vis de l'Uni-
versité de Paris; — vu la préoccupation générale des esprits, il
ne pouvait s'en dispenser; — mais il exprima ses regrets avec un
tact si délicat, que les plus malintentionnés n'y trouvèrent rien à
reprendre : il voulait encore espérer qu'un accord loyal succéde-
rait à des inimitiés gratuites ; et, quand bien même d'injustes
préventions viendraient à prévaloir, personne, affirmait-il en son
nom et au nom de ses frères, « n'épargnerait ni ses forces, ni sa
santé, ni sa vie pour le service de la religion et du pays ».
Après ce préambule, abordant le fond de son sujet, il montra
1. L'Artois appartenait alors à l'Autriche.
L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AU COLLEGE DE CLERMONT.
l'obligation de fuir ces nouveautés que les sectaires, dit-il,
appellent religion, et qu'il appelle, lui, « une école d'impiété ».
A ce mot d'impiété, quelques coups de sifflet se font entendre H
provoquent dans l'assemblée une indignation générale. « A la
porte! criait-on, à la porte les interrupteurs ! ! » (Tn gentilhomme
italien, Jacques Rodrigue Falconio, ancien élève du Père à Rome,
dégaine même son épée pour réprimer toute tentative de dé-
sordre. Le silence fut bientôt rétabli, et le P. Perpinien, resté
calme au milieu du bruit, continua, sans plus être interrompu, la
suite de son discours -. C'était Ramus, — on le sut peu après, —
qui avait poussé ses familiers à exciter ce tumulte. Les auteurs
du tapage n'osèrent pas récidiver, et le jeune professeur put en
toute tranquillité déployer son éloquence et son zèle 3.
Le discours de divina humanaque philosophia qu'il prononça
le 1er octobre, à l'ouverture solennelle des classes, contient un
magnifique éloge de l'Université de Paris. Se plaçant au-dessus
de mesquines jalousies, cet étranger, par instinct de franchise et
le seul amour du vrai, exalte les gloires de l'Université plus que
ne l'a peut-être jamais fait aucun Français : « Il y a peu de sa-
vants, dit-il, peu de bonnes académies, qui ne doivent rapporter
à celle de Paris leurs commencements et leurs progrès. Faut-il
donc s'étonner de voir tous les hommes élevés dans l'étude des
sciences remplis du désir de visiter cette Université, leur mère
commune? Ils ne goûtent pas de repos avant de l'avoir admirée,
et, si ce bonheur leur est refusé, ils se croient maltraités par la
fortune. Plus grande est cette gloire, plus vous devez vous effor-
cer de la mériter. Sa perte vous serait d'autant plus sensible
qu'elle a été jusqu'ici votre plus beau titre. Il est certain d'ailleurs
que vous ne laisserez pas échapper ce patrimoine, légué par vos
ancêtres : l'Université de Paris renferme en son sein une foule
d'hommes éminents L'amour de l'étude, l'ardeur au travail,
les rares talents qui distinguent tous ses membres, font conce-
voir l'espérance que les générations suivantes ajouteront encore
à la célébrité de leurs devancières ''. »
6. Quelques semaines après ce discours, la voix éloquente qui
l'avait prononcé était éteinte. Le 28 octobre, Perpinien rendait
1. Perpiniani orationes, XII. XVII; cf. Extraits des Mémoires hist. et apol. du
P. de la Vie (Archiv. Prov. France).
'2. Cf. Epist. ad Sebastianum Romseum (Gaudeau, De Perpiniani vita).
3. Lettres du P. Général au roi et à la reine, 5 août 1566 Mail., Epist. Gen., t. III).
4. Perpiniani orationes, XV11I.
426 HISTOIRE DE IA COMPAGNIE DE JÉSUS.
le dernier soupir entre les bras de ses frères, qui le pleurè-
rent amèrement : il n'avait que trente-six ans! Sa mort causa
une profonde affliction à tous les catholiques de la capitale, qui
voyaient disparaître en lui un des plus brillants orateurs de son
temps : « Il n'y a eu personne, écrivait un humaniste son con-
temporain1, à qui l'on pût appliquer plus justement ce qu'Ho-
mère dit de Nestor, que son éloquence était plus douce que le
miel. » Des poètes célébrèrent sa mémoire en vers grecs et latins,
publiés à sa louange. Paul Manuce2, dans une de ses lettres, ex-
primait d'une manière touchante sa douleur et ses regrets :
(( Nostre ami Perpinien nous a esté enlevé tout à fait à contre-
temps, lorsque tout le monde couroit en foule l'entendre expli-
quer les vérités de nostre sainte foy, lorsqu'il repoussoit les ef-
forts et les traits de la faction hérétique et qu'il en découvroit
lous les pièges. Il nous a, dis-je, esté enlevé à la fleur de l'âge et
d'une mort trop prématurée, cet homme qui avoit tant d'esprit,
tant d'habileté, qui estoit déjà si considéré, si estimé de tous les
catholiques3. » Les huguenots, au contraire, ne purent cacher
leur joie de la mort d'un adversaire si redoutable; puis, honteux
des honneurs décernés à un homme qui s'était acquis tant de
renom aux dépens de leur pernicieuse doctrine, ils firent courir
plusieurs libelles où ils essayèrent vainement d'étouffer les éloges
des admirateurs : en insultant aux larmes des amis de Perpinien
ils ne parvinrent pas à ternir sa gloire.
7. C'était déjà la coutume, chez les adversaires de la Com-
pagnie de Jésus, de ne jamais désarmer. Pendant que les uns
s'efforçaient de diminuer la mémoire du brillant professeur
qu'elle avait perdu, d'autres cherchaient toujours le moyen de
ruiner son enseignement. Au mois de décembre 1566, l'Univer-
sité crut trouver, dans la nomination de son nouveau Recteur, une
excellente occasion de rouvrir la lutte. Dès le 18 du même mois,
Marguerin de la Bigne fut saisi de la cause des Jésuites avec des
instructions spéciales, et il promit de la poursuivre avec vigueur.
Après quelques réunions, dans lesquelles on examina les expé-
dients les plus sûrs pour atteindre le but, une assemblée du
11 janvier 1567 arrêta que défense serait encore faite aux éco-
liers de fréquenter les classes du collège de Clermont. Malgré cette
1. Muret, né près de Limoges en 1526, mort à Rome en 1596.
2. Célèbre imprimeur né à Venise en 1512, mort en 1574.
3. Cité par le P. de Saligny dans sa vie de Maldonat (Cf. Prat, Maldonat, app.,
p. 611).
L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR AI COLLEGE DE CLERMONT. 121
prohibition formelle les élèves ne furent pas moins nombreux
qu'auparavant, cl personne ne protesta contre leur persévérante
assiduité.
Et, en effet, le bon renom du collège, grâce en partie à ses
maîtres, grandissait et s'imposait de plus en plus. Le P. Maldonat
jouissait d'une telle considération que des docteurs célèbres de
l'Université de Paris s'honoraient de son amitié. Simon Yigor,
plus tard archevêque de Narbonne, Gilbert Génébrard, Claude
de Sainctes, Claude d'Espence, René Beûoît étaient en relation
avec lui et le consultaient sur les questions épineuses de la théo-
logie. Ce qui nous a été conservé de sa correspondance * nous
montre en quelle estime le tenaient les savants français et étran-
gers, tels que Jacques Amyot, Gentien Hervet, chanoine de Reims,
le cardinal Hosius, Sirlet et le P. François de Torrès, professeur
au collège romain. Lorsque, en 1568, Sa Majesté catholique ma-
nifesta l'intention de défendre aux jeunes Flamands d'aller étu-
dier hors de leur pays, on ne trouva pas de moyen plus propre à
assurer l'exécution de ses ordres que de faire venir à Louvain
le P. Maldonat, qui eût été agréé de tous sans conteste. Mais,
comme l'écrivait le P. Nadal au P. Général, « une telle mesure
aurait causé la ruine du collège de Paris dont Maldonat était le
principal soutien; les autres collèges de la Compagnie en France
en auraient eux-mêmes souffert, car ils participaient tous à la
renommée dont jouissait le collège de Clermont2 ». Le P. Fran-
çois de Borgia approuva ces raisons et le Pape lui-même intervint
pour empêcher le départ de l'illustre professeur3. Loin donc de
l'envoyer en Belgique, ses supérieurs songèrent à lui adjoindre
un collègue à Paris, afin d'y répandre avec une profusion nou-
velle les lumières si utiles alors de la science sacrée*. Ce projet
toutefois ne fut réalisé que l'année suivante, quand Maldonat se
vil obligé, par motif de santé, d'interrompre ses cours.
Le I*. Jean Mariana, son suppléant au collège de Clermont, ne
vint à Paris que vers la fin de 1569 '. Il était âgé seulement de
trente-quatre ans, et avait enseigné déjà l'Écriture Sainte à Rome
et la théologie à Païenne, se faisant admirer par l'étendue de
1. Elle se trouve à la fin des Opéra l/ieofot/ica, publiées par Faure et Benoit, Paris,
1677.
2. Epist. P. Nadal, t. III, p. 612, G13.
3. Lettre du P. Général au P. Manare, 30 août 1568 (Gall., Epist. Gen., t. IV).
4. Dès 1568 les supérieurs, conformément au plan de saint Ignace, pensaient à éta-
blir au collège de Clermont un scolaslicat ou séminaire de la Compagnie (Epist. P.
Nadal, t. HJ, p. 620).
5. Lettre du P. Manare, 30 déc. 1569 (Gall. Epist., t. IV, fol. 22).
428 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
son savoir, la clarté de son exposition et la rigueur de ses rai-
sonnements. Avec les hautes sciences il avait cultivé les belles-
lettres, l'histoire, les langues savantes et surtout la langue latine
dont son style reflétait toutes les beautés. Il commença ses leçons
au mois de janvier et interpréta les livres de la Genèse. Pen-
dant ce temps-là, Maldonat, pour se reposer des fatigues de ren-
seignement, prenait part à une mission donnée dans le Poitou
par quelques Pères du collège de Clermont ' ; puis de retour à
Paris, vers l'été, il se livrait à la composition d'ouvrages impor-
tants au sujet desquels il reçut les plus vifs encouragements du
P. Général2, et donnait, sur la demande du roi, aux seigneurs
de la cour, des conférences dogmatiques destinées à raffermir la
foi chancelante des uns et à ramener au sein de l'Église ceux que
la séduction ou l'intérêt en avaient arrachés3.
A la rentrée d'octobre 1570, le P. JeanMariana entreprit l'expli-
cation de la Somme de saint Thomas et la continua durant les
quatre années qu'il put rester en France. Au même moment, le
P. Maldonat reparut dans sa chaire de théologie où il allait inau-
gurer une méthode jusqu'alors inconnue à la Sorbonne, et dont
la Faculté elle-même devait subir l'heureuse influence. Maldonat
et Mariana avaient de brillantes qualités qui leur étaient com-
munes, mais les nuances très accusées de leur caractère et de
leur talent donnaient à leurs leçons un cachet propre et un inté-
rêt particulier : sans se nuire par leurs succès personnels, ces
grands maîtres se complétaient mutuellement.
8. L'enthousiasme avec lequel le P. Maldonat fut accueilli, dès
la reprise de ses leçons, par un auditoire plus nombreux que
jamais4, dut lui prouver combien l'on savait apprécier l'élévation
et la solidité de sa doctrine. Toutefois, cet empressement prévu
n'aurait pas suffi cà le ramener devant ses auditeurs, si l'obéis-
sance ne lui en avait imposé l'obligation : « Messieurs, leur déclara-
t-il lui-même, le jour où je terminai, il y a bientôt un au, mon
cours de théologie, je ne me proposais ni de le recommencer ni
1. Litterae annuae 1570 (Franciae Historia, t. I, n° 1).
2. Lettre du P. Général à Maldonat, 24 août lo70 (Gall. Epist. Gen., t. V, fol. 112).
■i. Dubois, Opéra theologica P. Maldonati, praefatio. — Mémoires apologétiques
du P. de la Vie cités par Joly : Remarques sur le dictionnaire de Bayle, p. 511.
4. Trois cents auditeurs, d'après le P. Manare; cinq cents, d'après le P. Mercurian
(Gall. Epist., t. V, fol. 41 et fol. 52. Lettres des 14 oct. et 27 nov. 1570). Il est très
vraisemblable que l'auditoire ait augmenté dans l'espace d'un mois qui sépare les
deux lettres.
l/UiNSEir.NEMENT SUPÉRIEUR AU COLLÈGE DE CLERMONT. 129
de remonter dans cette chaire; car je voyais que mes leçons. où
je cherchais uniquement le bien de l'Église et du royaume, ne
plaisaient point à ceux dont j'ambitionnais surtout les suffra-
ges1 Quoique je voie dans cette enceinte beaucoup de nou-
veaux auditeurs, quoique vous témoigniez tous le plus vif désir
de m'entendre, cependant cette chaire, du haut de laquelle je
vous ai parlé si souvent et de choses si diverses, ces bancs, ces
murailles, enfin tout ce qui rappelle le passé, effraie ma timidité
et m'inspire une répugnance invincible. Mais de graves circons-
tances, auxquelles je ne m'attendais pas, ont concouru à contrarier
mes vœux et à forcer ma volonté. C'est d'abord l'ordre de mes
supérieurs, que je ne pouvais décliner sans pécher contre ma
règle; ensuite, je savais que, haï de quelques-uns, je jouissais de
l'estime d'un plus grand nombre d'autres, non moins distingués
par leur probité, leur science, leur prudence, leur dévouement à
la chose publique; de plus votre attente, votre affluence, telle
que jamais je n'en ai vu de semblable dans les écoles, me faisaient
croire que vous retiriez quelque profit de mes leçons, puisque
vous les suiviez avec tant de persévérance et d'avidité. J'ai donc
fait fléchir ma première résolution, avec d'autant moins de peine
que ces considérations étaient plus propres à la vaincre que les
autres à me l'inspirer2. »
Par déférence pour la mémoire justement vénérée de Pierre
Lombard, Maldonat, de 15C5 à 1569, avait pris les Sentences
comme texte de son premier cours, sans s'astreindre néanmoins à
en suivre rigoureusement l'ordre et la méthode. Son but étant de
débarrasser la théologie des questions inutiles ou étrangères, de
la ramener à ses véritables sources et de la remettre en harmonie
avec les tendances de l'esprit nouveau, il ne crut pas devoir
subordonner plus longtemps le plan de ses leçons aux procédés
d'un maître qui avait été, dans des circonstances toutes diffé-
rentes, l'oracle d'une époque déjà lointaine. Il déclara donc,
cette fois, son dessein de s'affranchir d'une autorité qui représen-
tait le passé de l'école, et d'ouvrir à l'enseignement dogmatique
une vaste carrière jusque-là fermée.
1. Sans doute, certains docteurs de Sorbonnc. Le P. Claude Mathieu écrivait plus
tard à Grégoire XIII : « Cœpit Maldonatus, anno 1564, docere... coeperunt doclores
vociferari... non sequi eamdem rationem quam ipsi in Sorbona tenerent. » Il s'agissait
alors de la philosophie, mais nous avons vu que, même pour la théologie. Maldonat
inaugura une méthode nouvelle à l'ouverture de ses cours en 1565.
2. Cité par Prat d'après un ms. de la Biblioth. nation, (fonds lat., 313). Cf. Maldonat.
p. 255, 256.
430 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
« Je suis désormais décidé, dit-il à ses auditeurs, à faire ici un
cours de théologie plus complet, plus mûri que celui que vous
avez entendu. Tout m'effrayait avant que je descendisse dans
cette arène; maintenant que j'y suis, rien ne sera capable de me
détourner de ma course, ni les injures, ni les haines, ni les intri-
gues... Six ans me seront nécessaires pour remplir le plan que je
me propose. Si quelqu'un trouve cet espace trop considérable,
qu'il se souvienne de ce que j'ai dit si souvent : nulle part la
patience n'est plus utile que dans la culture des lettres; comme
les plantes, elles ont moins besoin des artifices de l'industrie que
de l'action du temps pour se développer, se fortifier, fleurir et
porter des fruits... »
Déjà, même lorsque les Sentences servaient de texte à ses
leçons, Maldonat s'était vu accusé de s'écarter des anciennes mé-
thodes de la Sorbonne; de quelles malédictions ne devait pas être
poursuivie son audacieuse innovation? Et pourtant, le maître
reste fidèle à l'enseignement traditionnel de l'Église. Malgré les
dédains d'Érasme et de Ramus, il se déclare toujours partisan
de la vraie scolastique, d'une scolastique bien entendue, admira-
ble instrument d'exposition et de défense; mais il ne l'exalte pas
au préjudice de la théologie positive. À son avis, l'une et l'autre
ne diffèrent que par le nom et le mode : celle-ci présente les
vérités révélées par l'Esprit-Saint et expliquées par les interprètes
autorisés; celle-là prouve les mêmes vérités par des arguments
puisés aux mêmes sources ou tirés de principes que nous fournit
la seule révélation; en sorte que la scolastique et la positive ne
sont autre chose que la théologie employée de deux manières
diverses et se prêtant un mutuel appui.
Après ces explications préliminaires sur sa méthode, Maldonat
exposa les grandes lignes de son nouveau cours. Distribuant
toute la théologie en cinq parties principales, il devait traiter
successivement de Dieu considéré en lui-môme; — des œuvres de
Dieu ; — de Dieu dans ses rapports avec ses œuvres; — des choses
par lesquelles Dieu conduit généralement l'homme à sa fin der-
nière, c'est-à-dire des vertus, de leurs devoirs et de leurs effets;
— enfin des choses par lesquelles Dieu a spécialement décrété de
conduire les chrétiens à leur fin dernière, c'est-à-dire de Jésus-
Christ et des sacrements1.
Il enseigna la première partie pendant l'année scolaire 1570 à
1. Cf. Prat, Maldonat, p. 261.
L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AU COLLEGE DE CLERMONT. V:tl
1571 ; la secondé, de 1571 à 1572; la troisième, de 1572 à 1573. Il
avait commencé l'exposition de la quatrième partie, de 157:{ à
157k, lorsque ses ennemis, fatigués de ses triomphes, lui susci-
tèrent une scandaleuse querelle.1 qui le força de suspendre son
cours.
9. Les leçons de Maldonat avaient imprimé à renseigne-
ment théologique une vigoureuse impulsion, que les suprêmes
efforts de la routine ne parvinrent pas à enrayer. Le protestant
Hubert Languet, agent du duc de Saxe, écrivait de Paris à Ca-
merarius, le 26 août 1571 : « Les Jésuites font peu à peu tomber
les Sorbonistes dans le mépris. » Puis, constatant que le collège
de Clermont était le plus florissant de la ville, il ajoutait : « Ses
professeurs surpassent tous les autres en réputation2. » En effet,
si Maldonat eut la plus large part dans la prospérité du collège
de Clermont, tous les autres régents, à des degrés divers, con-
tribuaient à ce beau résultat. Parmi les trois mille auditeurs qui
suivaient assidûment les classes, six cents environ se pressaient
autour de la chaire de Mariana; plus de cent assistaient au cours
de langue grecque, qui avait lieu dès six heures du matin; qua-
tre cents au moins fréquentaient le cours de philosophie du
P. Nicolas Le Clerc; le cours de belles-lettres, confié aux PP. Va-
lentini et Majoris, en réunissait environ cinq cents; et les régents
des classes inférieures, parmi lesquels se distinguait le P. Alexan-
dre Georges, n'étaient pas au-dessous de la réputation des au-
tres professeurs3.
Les pensionnaires se présentaient en grand nombre : « Nous
n'avons pas de place pour tous, écrivait alors le P. Olivier Ma-
nare, et nous avons bien de la peine à faire agréer nos refus
par d'illustres personnages et les plus grands amis de la Com-
pagnie4. » Le P. Edmond Hay se plaignait, à son tour, d'être
accablé par la multitude des pensionnaires et des externes"'. Le
nombre des écoliers augmentant toujours, on dut acquérir plu-
sieurs bâtiments dans le voisinage du collège; mais en attendant
qu'on les eût appropriés à leur destination nouvelle, les élèves
1. Nous la raconterons au chapitre xi.
2. H. Languet, Epist. ad Joach. camerarium palrem, epist. L. VIII, Cet ouvrage
a eu deux éditions, Groningue 1646 et Leipzig 1685.
3. Ces détails sont tirés des lettres du P. Manare, Provincial : lettre au P. Général,
7 juillet 1571, — au P. Nadal, 15 et 23 sept., 31 octobr. 1571 (Gall. Epist., t. V.
fol. 245, 252).
4. Lettre au P. Vicaire Général, 15 sept. 1571 (Gall. Epist., t. V, fol. 245).
5. Lettre au même, 10 nov. 157! (Ifrkl., fol. 254).
132 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
qui se présentaient comme internes étaient logés dans des mai-
sons particulières et n'entraient au pensionnat que lorsqu'il se
rencontrait des places vacantes. Une grande salle servait de
chapelle; on y célébrait les divins offices, pour les hommes
seulement, les dimanches et les jours de fête. Catherine de Médi-
cis, très bien disposée envers la Compagnie, y venait souvent
avec sa cour assister à la messe, et la jeune reine contribuait
par ses dons pieux à l'ornement des autels1.
Le règlement du collège de Paris, à ses débuts, serait curieux
à connaître. Nous n'en avons point trouvé les détails, mais un
document nous permettra de signaler les heures et la durée des
cours1-. C'est, sous le titre Ordo collegii riostri, le règlement des
Pères et Frères jésuites qui formaient le personnel du collège
en 1568, au moment des plus beaux succès de Maldonat.
« Le signal du lever se donne à i heures pour les plus robus-
tes 3. » On a un quart d'heure pour s'habiller, puis trois quarts
d'heure sont consacrés à la prière. A ô heures, les frères coad-
juteurs vont à la messe, tandis que professeurs et scolastiques
s'adonnent à l'étude. Pour eux, la messe est à 7 heures. Ensuite
« déjeune qui veut ».
A 8 heures, on donne le signal des classes. Celles de philo-
sophie durent jusqu'à 10 heures. Les autres (lettres et gram-
maire) jusqu'à 10 heures et demie.
Après les classes du matin, il y a encore une messe pour ceux
des professeurs qui, à cause de leurs travaux, auraient la per-
mission d'attendre jusque-là. A la fin de cette messe, un quart
d'heure d'examen'1. Puis dîner « suivi d'une heure de récréa-
tion', après laquelle tous retournent à leurs études ».
« A une heure et demie, maître Maldonat commence son cours.
A 3 heures, après le cours de théologie, commencent les leçons
ordinaires. Celles de philosophie durent jusqu'à 5 heures, les
autres jusqu'à 5 heures et demie. Toutes les classes étant ter-
1. Lettre du P. Manare au P. Général, 28 juillet 1572 (Gall. Epist., t. VI, loi. 541).
Cf. Manare, De rébus S. J., p. 111.
2. Les règlements détaillés et lixes furent faits par le P. Maggio lors de sa visile en
1587.
3. Pour les autres à 5 heures.
4. D'après le texte, ceux qui assistaient à celle messe y faisaient leur examen à
partir de la préface.
ô. L'heure du diner n'est pas indiquée, mais tout porte à croire. que c'était à
11 heures comme dans le règlement du P. Nadal (15(52). Il semble en effet par le
contexte que la dernière messe était à 10 heures et demie-, l'examen à 10 heures 3 i ;
puis, après l'heure de récréation qui suivait le diner, chacun étudiait en particulier
jusqu'au cours de Maldonat qui commençait à 1 heure et demie.
L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AI' COLLÈGE DE CLERMONT. •',.{
minées, les élèves de théologie répètent ensemble, dans la cha-
pelle, la leçon de leur maitre; durant le môme temps, les autres
répètent aussi leurs leçons chacun en particulier. »
Ces répétitions sont suivies d'un quart d'heure d'exercice cor-
porel; puis vient le souper1. Après le souper, récréation jusqu'A
8 heures et quart; alors récitation des litanies et ensuite une
demi-heure de prières dans laquelle est compris le second exa-
men de conscience. « Ces exercices finis, vers 9 heures, tous vont
se coucher 2. »
1. Il est impossible de tirer du contexte l'heure précise des répétitions et du souper.
2. « Ordo collegii nostri » parisiensis (Gall. Visitaliones, n" 8). Le même document
donne quelques détails sur la nourriture de la communauté. Quatre fois par semaine,
les dimanche, mardi, jeudi et vendredi, au dîner, on servait des entrées. La portion
ordinaire de viande était de six onces. Les jours d'abstinence on servait à chacun
trois œufs, ou, s'ils étaient frits, 5 pour 2 personnes. On pouvait aussi servir du pois-
son quand l'acheteur en « trouvait de bon et à bon compte». Le dessert consistait
« en fromage ou en fruits suivant la saison ». La boisson se composait de « vin mé-
langé d'un tiers d'eau »; l'eau devait en outre être servie à discrétion. Les jours de
fête la table pouvait être « un peu plus abondante et délicate ». — Il est visible aux
nombreuses omissions de ce règlement, qu'il n'était qu'un correctif ou un complément
de règlements antérieurs.
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 28
CHAPITRE IV
FONDATION DU COLLÈGE D'AVIGNON.
(1565-1570).
Sommaire : 1. Mort du P. Lainez, 19 janvier 1565; création de la province
d'Aquitaine. — 2. Premier projet d'établissement de la Compagnie à Avignon,
1555. — o. Reprise du projet et démarche du légat, cardinal Farnèse, 1563-
1564. — 4. Ouverture du collège, 1565; le P. Possevin Recteur. — 5. Donation
de la maison de la Motte, 1569. — 6. Séjour du P. Possevin à Rome; fausses
accusations contre lui.. — 7. Soulèvement populaire contre les Pères du col-
lège. — 8. Excuses envoyées au Saint-Père. — 9. Intervention du P. Auger,
Provincial. — 10. Justification du P. Possevin; la bonne entente rétablie.
Sources manuscrites : I. Roma, Bibliot. Vitt. Emman., mss. Gesuitici, n° 1584 (3713).
II. Archives communales d'Avignon, Délibérations, t. XI, XIII, XIV.
III. Muséum Calvet, mss. -2381, 239-i, 2773, 2794. etc..
IV. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a) Francia, Historiae funda-
tionum totius Assistentiae. — b) Epistol. Cardinal. — c) Epistol. Episcop. — d Epistol.
Princip. — e) Galba, Epistolae Generalium. — f) Galliae Epistol. — g) Lugdun. Prov.
Eundationes collegior. - h) OEuvres et Epreuves. — i) Possevinus : Acta in Galba et
pro Gallia; Annalium decas prima.
V. Archives de la province de Lyon.
Sources imprimées : Acta S. Sedis. — Canron, Les Jésuites à Avignon. — Chossat, Les
Jésuites et leurs œweres à Avignon. — Kibadeneira, La vie du fi. P. Jacques Lainez.
— Richeome, La vérité défendue pour la religion catholique. — Monument.v histokica
S. J. Epistolae mixtae. — Polanco, Chronicon Soc. Jesu.
1 . Au milieu des tempêtes soulevées contre les Jésuites de
Paris, le P. Jacques Lainez, qui exerçait depuis sept ans la charge
de Général, s'était endormi dans le Seigneur à Rome, le 19 jan-
vier 1565, en priant Dieu de garder la Compagnie, de la sanc-
tifier, et de l'accroître non seulement par le nombre des sujets
mais aussi par leurs mérites et leurs vertus1. L'Ordre fondé,
en 15i0, par le P. Ignace, son prédécesseur, possédait main-
tenant cent trente maisons réparties en dix-huit Provinces, et le
nombre des religieux s'élevait au chiffre de plus de trois mille
cinq cents. Quelques mois avant sa mort, le P. Lainez avait cons-
titué en France deux Provinces : la France proprement dite, à
la tète de laquelle était resté le P. Olivier Manare avec pouvoir
de Commissaire dans tout le royaume, et l'Aquitaine dont le
1. Ribadeneira, Vie du 1'. Lainez, p. 202.
FONDATION DU COLLÈGE D'AVIGNON.
P. A lige r avait été nommé Provincial. Les collèges déjà fondés,
ou en voie de formation, d'Avignon, de Chambéry, de Lyon, de
Tournon, de Rodez, de Toulouse firent partie de la Province
d'Aquitaine; ceux de Verdun, de Paris, de Billom, de Mauriac
furent attribués à la Province de France1. Parmi les fondations
nouvelles qui donnèrent lieu à cette division des Provinces, la
première qui s'offre à nous est celle d'Avignon.
2. Un essai d'établissement de la Compagnie de Jésus dans
cette ville avait été tenté dès l'année 1555. Le cardinal Alexandre
Farnèse, venu en France pour défendre à la cour de Henri II les
intérêts de sa maison, avait amené de Rome, avec l'intention de
fonder un collège dans sa légation d'Avignon, deux Jésuites, les
PP. Ponce Cogordan et Jules Onfroy2. Ce que voulait le Légat
ce n'était pas une de ces maisons d'instruction, comme il y en
avait tant, accessibles seulement aux plus jeunes écoliers; mais
un établissement de plein exercice, ouvert à tous, où l'on en-
seignerait les lettres et la philosophie \ Avignon, en effet, pos-
sédait déjà depuis trois ans un petit collège de grammaire. Le
1er août 1552 « aucuns hommes doctes de la ville avaient traite
avec les députés du conseil et dressé, aux appointements de
deux cents écus, le collège de Saint-Paul 4 ». L'année suivante,
le Principal, M' Nicolas Peytel, demanda, contrairement aux sta-
tuts de 1243 qui laissaient à tous la liberté de régenter des classes
de grammaire, le monopole de l'enseignement pour celles qu'il
avait ouvertes; mais un des conseillers combattit cette mesure
en disant « qu'il ne paraissait pas raisonnable d'ôter aux parents
la liberté d'envoyer leurs enfants où bon leur semblait ». Rien
ne s'opposant donc aux projets du légat, il chargea les Pères de
choisir un local convenable. Mais la mort du Pape Jules III vint
inopinément arrêter l'entreprise. Le cardinal Farnèse partit pour
Rome où l'appelait l'élection d'un nouveau Pontife. Le vice-lé-
gat, Mgl de Sala, évèque de Viviers, se montra si peu sympa-
thique à la fondation du collège que les deux Pères prirent le
parti de se retirer. Ils se rendirent à Brignoles, dans le diocèse
1. Lettre du P. Général au P. Manare, 15 nov. 15(34 (Gall., Epist. Gen.).
2. Ces deux Pères avaient également été mis à la disposition du cardinal de Sainte-
Croix pour la réforme du monastère de la Celle clans le diocèse d'Aix (Polanco,
Chronicon S. J., t. V, p. '.», 3i9 et suiv.).
3. Initia et fundatio Collegii Avenion. (Lugdun., Fund. coll., t. 1, n'3'J).
4. Délibérations du conseil (Archiv. com. d'Avignon, Délibérations, t. XI, fol. t').'.
et 81). Cf. Chossat, Les Jésuites à Avignon, ouvrage très documenté et qui mérite
il être consulté sur le collège d'Avignon.
436 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
d'Aix où, sur la demande du cardinal de Sainte-Croix, ils tra-
vaillèrent à la réforme des religieuses de la Celle1. Plusieurs
années devaient s'écouler avant qu'il fût de nouveau question
de l'établissement des Jésuites.
3. Au moment où l'hérésie redoublait ses efforts et tâchait
de s'introduire dans la ville , le cardinal Farnèse, témoin du
grand bien produit par le collège de la Compagnie qu'il avait
fondé à Montréal en Sicile, résolut d'exécuter enfin son ancien
projet si conforme aux intérêts religieux d'Avignon dont il était
l'archevêque2. Le 10 juillet 1563, il écrit à ce sujet au vice-
légat, Laurent de Lenzi, lui annonçant que, « mû par les obli-
gations de sa charge et le besoin des temps », il a la ferme inten-
tion d'établir un collège de Jésuites clans cette cité. Il veut que
« pour leur entretien ces Pères reçoivent chaque année deux cents
écus jusqu'à ce qu'il les ait pourvus d'un revenu égal en béné-
fices simples, à sa collation, qui seront attachés au lieu que l'on
choisira pour le collège ». Afin de faire ce choix, il envoie « le
Père maître Louis Codret3, savoyard, homme de beaucoup de
doctrine et de vertu, qui a prêché autrefois à Avignon ». On le
recevra, lui et son compagnon, avec bienveillance; « on le four-
nira de tout ce dont il aura besoin... et il prêchera de nouveau
soit à la cathédrale soit dans une autre église où il sera plus à
propos... Il faudra l'aider à trouver un endroit convenable pour
la demeure et habitation des Pères dudit collège. Avisés et dis-
crets, (ajoute en terminant le cardinal), ces Pères ne feront pas
de choix qui ne soit avantageux à tout le peuple et au salut des
âmes; car on voit clairement, partout où ils demeurent, que le
seul service de Dieu et non leur propre intérêt est le principal
objet de leur sainte Compagnie4 ».
Parti de Rome avec trois compagnons, le P. L. du Coudret
passa par Ancùne où il reçut les instructions du P. Lainez qui re-
venait du concile de Trente. « Le 16 février 1564, jour des Cendres,
les quatre voyageurs arrivèrent en Avignon et prirent d'abord
leur logis au Petit-Palais, maison archiépiscopale, comme on leur
1. Polanco, Cfhronicon, t. V, p. 353-357. — Lettre du P. Cogordan à saint Ignace,
15 avril 1555 (Epist. mixtae, t. IV, p. 582).
2. Historia collegii Avenionensis (Francia, Historiae Fundationum, n* 29). Ce ma-
nuscrit, œuvre d'un contemporain, porte la signature du P. Richeome et s'arrête à
l'année 1584.
3. Il s'agit du P. L. du Coudret, frère d'Annihal.
4. Lettre du cardinal Farnèse (Histor. coll. Aven.).
FONDATION DU COLLÈGE D'AVIGNON. 437
avait marqué '. » Peu après ils quittèrent ce premier domicile el
allèrent habiter la maison du doyen de Saint-Pierre, située rue
des Fromageons, à proximité de l'église collégiale qui leur avait
été assignée pour les confessions et les prédications.
Par suite des discussions religieuses, Avignon, ville catholique
et lettrée, avait vu ses écoles fermées ou supprimées. On ne sa-
vait alors où trouver des maîtres dont l'orthodoxie fût sincère,
car les hérétiques cherchaient partout à se glisser dans les col-
lèges et les Universités. Le cardinal Farnèse offrait, en ces circons-
tances, les Pères de la Compagnie de Jésus déjà renommés pour
leurs succès, et s'engageait à pourvoir à une partie de leur en-
tretien. Il était de l'intérêt de la ville d'accepter ces religieux,
qui présentaient toutes les garanties désirables; aussi le conseil,
assemblé le 14 avril 1564, prit-il, après délibération, des conclu-
sions en leur faveur : d'abord, « incontinent que ledit seigneur
Légat leur aura assigné rentes sûres de deux cens escus pour
leur entretien », messieurs les consuls les pourvoiront « de mai-
son suffisante pour leur habitation » ; ensuite, « lorsque par Nostre
dict Saint-Père, ou ledit seigneur illustrissime Légat, sera donné
aux dietz Jésuites estât perpétuel suffisant pour les entretenir,
mes dietz sieurs les consuls ou leurs successeurs auront pouvoir
d'achepter la mayson de la Motte, ou aultre lieu propice, pour
dresser le dict colliège à la meilleur commodité que fère se pourra,
au proffît et utilité de la dicte ville 2 ».
Conformément au désir exprimé par le vote du conseil, le car-
dinal Farnèse s'entremit auprès du Souverain Pontife et obtint
de Pie IV une somme de deux cents écus italiens au profit du nou-
veau collège 3, qui devint ainsi de fondation pontificale. A ce mo-
ment, comme on parlait déjà de céder la légation au cardinal de
Bourbon, Alexandre Farnèse cessa de s'occuper aussi activement
de sa généreuse entreprise. Les Pères eurent, par suite, beaucoup
à souffrir du manque de toutes choses, si bien que le conseil de
ville dut leur porter secours en leur donnant en aumône, le
2:J juillet, douze écus et un peu plus tard douze salmêes de blé l.
1. « Hisloire du collège depuis son establissement » (Muséum Calvet, ms. 2490,
f° 59). « Ce manuscrit, dit le P. Chossat, contient le plus ancien essai d'histoire de
notre collège que nous connaissions en langue française. 11 fut écrit avant la mort du
P. Creitlon », quatrième recteur du collège (-f 1615?).
2. Ibicl., ms. 2771, fol. 1 i»4. Le P. Lainez approuvait déjà ce projet d'établissement
comme on peut le voir dans sa lettre au P. L. du Coudret du 23 aoiït 1564 (Gall.,
Epiât. Gen., t. 11).
3. Cette donation fut confirmée par Pie V (Acta S. Sedis, p. 518).
4. Archiv. corn., Délib., t. XIII, f. 124, 140.
4M8 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Au mois de septembre, le P. Possevin arrivait en môme temps
que Charles IX à Avignon ; il y rencontra le duc de Savoie, Emma-
nuel-Philibert. Ce prince avait résolu quelques années aupara-
vant d'établir deux collèges de la Compagnie dans ses États : l'un
d'eux, ouvert à Mondovi, avait eu le P. L. du Coudret comme
premier Recteur. Dans ses entretiens avec celui-ci et le P. Posse-
vin, la fondation du second collège fut décidée, et le P. du Cou-
dret partit pour Chambéry, laissant à son illustre confrère le
soin de terminer la fondation d'Avignon l.
k. Il fallut d'abord trouver mieux que la maison des Froma-
geons, tout à fait insuffisante pour l'installation d'un collège. Les
consuls, comme ils s'y étaient engagés, louèrent une partie de
la maison de la Motte, appartenant à la famille de Brancas. Cette
maison, ainsi appelée du cardinal Gaillard de la Motte, était alors
désignée soiis les noms de palais et de tour. D'après une tradition
respectable, sainte Catherine de Sienne y avait logé en 1376. Les
Pères vinrent y habiter au mois de novembre 1564 ; mais à raison
de la peste qui désolait la ville, ils- ne purent s'adonner immédia-
tement à l'instruction de la jeunesse : les classes ne furent ouver-
tes que dans les premiers mois de l'année suivante par les PP. An-
toine Morel, Jean Balmeso, Louis Gérardin et Gérard son frère.
A partir de cette époque, de nobles bienfaiteurs, comme Pierre
de Ricci et Madeleine Lartissusse, remédièrent à la pénurie dans
laquelle les nouveaux maîtres avaient vécu jusqu'alors 2. Le con-
seil de ville, satisfait des heureux débuts de l'établissement, lui
continua aussi ses premières libéralités. Reconnaissant que les
religieux de la Compagnie ne recevaient rien pour les services
qu'ils rendaient « par la prédication, l'administration des sacre-
ments et aultres bonnes œuvres de charité », et considérant que
les familles ne seraient « plus davantage obligées d'envoïer au
dehors les enfants », il fit don, le 16 avril 1565, d'une rente an-
1. Lettre du P. Possevin au P. Général, 4 octobre 1564 (Acta a Possevino).
2. Ces donations causèrent bien des tracas aux Jésuites. Le teslament de Pierre de
Ricci, contenant une clause de substitution, devint en 1577 l'objet d'un procès, et les
Pères aimèrent mieux renoncer à leurs droits que poursuivie. Le testament de Ma-
deleine Lartissusse donna lieu aussi à de nombreuses difficultés entre ses héritiers et
les exécuteurs testamentaires représentés par Joachim de Rolland, Seigneur de Bord,
au sujet d'une somme de six mille livres « mise en pension sur des communautés du
Comté ». A l'instance et requête de la ville il fut convenu d'un commun accord, de-
vant le grand vicaire de l'Archevêque délégué par le Pape, « que lesdites pensions se-
raient assignées et demeureraient toujours audit collège en toute propriété sous le
bon plaisir de Sa Sainteté » (Lugdun. Fundat. collegior., t. I, n° 41, 42. — Cf. Acta
S. Sedis, p. 38, n° 70; p. 39, n° 74).
FONDATION DU COLLÈGE D'AVIGNON.
nuelle de huit cents florins, indépendamment des autres secours
déjà promis. Et ce, dit le procès-verbal de la délibération,
« pour l'entretien dudit collège, espérant que les Jésuites feront
de mieux en mieux, comme la ville a l'intention de faire aussi,
priant le bon P. Possevin de nous tenir compagnie et de ne
nous abandonner pas ' ».
Le P. Possevin dut être très touché du vœu exprimé par le
conseil de ville; néanmoins il se vit contraint de s'éloigner d'Avi-
gnon, pendant plusieurs mois, pour aller à Rayonne plaider la
cause de la Compagnie auprès du roi 2. A son retour, il trouva
la ville sous une autre administration. Pie IV, dans l'impossibilité
de défendre le Comtat contre les entreprises des huguenots, en
avait confié le soin au roi Charles IX. Le cardinal de Bourbon
remplaça le cardinal Farnèse comme légat; mais trop engagé dans
les affaires du royaume pour administrer par lui-même les États
Pontificaux, il fit nommer co-légat le cardinal Georges d'Arma-
gnac, archevêque de Toulouse. Avec l'appui de ces prélats, aux-
quels il était très sympathique, le P. Possevin, devenu Recteur,
mit tout son savoir-faire à terminer l'œuvre du collège à peine
ébauchée 3.
Les Jésuites n'habitaient encore qu'une maison de louage, ce
qui, dans ces temps de troubles, offrait de graves inconvénients
d'instabilité. Le 9 mars 1506, le P. Recteur se rendit en per-
sonne au conseil de ville et demanda la concession d'une de-
meure à perpétuité, « attendu, disait-il, que cela est nécessaire
soit pour assurer la fondation du collège soit pour procéder à la
construction de l'église ». Le conseil accueillit cette demande
avec faveur et nomma, séance tenante, une commission d'exa-
men; mais le règlement de l'affaire ne demanda pas moins de
deux années4. Dans l'intervalle, le 23 juin 1567, les consuls don-
nèrent une nouvelle preuve de leur bienveillance en décidant
« par toutes fèves noires, deux blanches exceptées, que l'argent
déboursé par messieurs les jésuites de ce qu'ils avoient entré pour
leurs vivres, leur seroit remboursé ». Il leur vota ensuite un
supplément de quatre cents écus de rente '.
Le soin que le P. Possevin apportait à cette affaire ne l'em-
pêchait point de se livrer aux travaux du ministère apostolique.
1. Archiv. corn., Délib., t. XIII, fol. 139.
2. Nous avons parlé de cette démarche au chapitre n.
3. « Informatio de collegio, anno 1566 » (Documents conservés dans la Compa-
gnie).
4. Archiv. com., Délib., t. XIII, fol. 175. — 5. Ibid., passim.
4M) IIISTOIHE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Après l'élection de Pie V, il fut chargé de célébrer dans l'église
des Cordeliers, selon l'usage, les mérites du nouveau pontife; il
s'en acquitta si bien que, pendant près de deux siècles, les Pères
du collège conservèrent le privilège de prononcer l'oraison funè-
bre du Pape défunt ou de faire l'éloge de son successeur1. Un
peu plus tard, le cardinal d'Armagnac, qui présidait les États du
Languedoc réunis à Beaucaire, le pria de prêcher le 17 novem-
bre 15G6, devant tous les députés, le jour de leur procession
solennelle. Après un de ses sermons, à Marseille, pour la fête de
Noël de cette même année, le gouverneur, Honoré di Tenda, fai-
sait au P. François de Borgia une première ouverture afin d'ob-
tenir l'établissement d'un collège de la Compagnie dans cette
ville, en même temps qu'il réclamait le P. Possevin pour le pro-
chain carême. Le P. Général ne put accéder à cette double de-
mande : la présence du P. Recteur était nécessaire à Avignon,
et le petit nombre de sujets disponibles ne permettait pas de
songer à tant de fondations à la fois 2.
5. En 1567, quand éclata la seconde guerre de religion, après
le coup de main de Condé et de Coligny pour enlever Charles IX
aux portes de Paris, les catholiques du midi cherchèrent un
refuge sur les terres du Pape. Avignon compta bientôt jusqu'à
cent vingt prêtres que la persécution y avait réunis. Les Jésuites
établirent, en vue de leur instruction, un cours de morale et
de théologie, et partagèrent avec eux les faibles ressources dont
ils pouvaient disposer3; charité d'autant plus méritoire que la
situation du collège, sans domicile propre, était toujours très
précaire. Une seconde fois le P. Possevin dut présenter à la mu-
nicipalité, en son nom et au nom de ses religieux, une requête
où il demandait l'achat de la maison de la Motte et sa donation à
la Compagnie. Le conseil, « par toutes fèves noires, nulle ex-
ceptée », donna son consentement4. Ce vote unanime remplit de
joie le cœur de Pie V, et le cardinal Alexandrin, son neveu,
écrivit de Rome, le 30 août 1568, à M. des Issarts une lettre tou-
chante de félicitation et d'encouragement : « Je ne suis pas seul
à me réjouir, lui disait-il, Notre-Seigneur le fait avec moi. C'est
1. Recueil îles pièces sur les églises et couvents d'Avignon (Muséum Calvet, 2381,
fol. 77).
2. Lettre d'Honoré di Tenda à F. de Borgia, 30 déc. 1566 (Gall. Epistol., t. III, n- 170).
3. Ce fait est rapporté par Sacchini, Histor. Soc. Jesu, P. III, 1. III, n° 1G4.
4. Archiv. commun., Délibér., t. XIV, f. 24. Lettre du P. Général aux consuls,
17 mai 15G8 (Gall., Epist. Gêner., t. IV).
FONDATION DU COLLÈGE D'AVIGNON. '.il
en son nom que je vous exhorte à persévérer dans votre bon
dessein et à employer de toutes façons votre autorité pour mener
à bien l'affaire de la maison et l'établissement de ce collège1. »
On avait compté sans la résistance des propriétaires, qui refu-
sèrent de vendre. Des jurisconsultes, interrogés par le conseil,
décidèrent que la raison d'utilité publique permettait de les
exproprier 2. Le 18 janvier 15G9, la ville acheta la maison esti-
mée par les experts à quinze mille huit cent soixante-deux écus,
trente-deux sols, six deniers; mais elle n'eut à payer qu'un tiers,
les deux autres tiers appartenant par confiscation à la chambre
apostolique3. Le même jour, la Motte fut remise en toute pro-
priété, et franche de toutes charges, au P. Possevin qui l'accepta
au nom de la Compagnie. La ville promit, de plus, de payer
annuellement huit cents florins, jusqu'à ce que les rentes tem-
porelles ou ecclésiastiques que recevrait le collège, déduites de
toutes charges, fissent l'équivalent de cette somme4.
Le P. Général s'empressa de témoigner sa reconnaissance aux
consuls d'Avignon. Par une lettre du 14 février, il chargea le
P. Recteur de les remercier et de leur faire savoir qu'il « avait
écrit de tous les côtés aux membres de la Compagnie » leur en-
joignant des prières pour la ville bienfaitrice. Il ordonnait, à la
même intention, trois messes à tous les prêtres du nouveau col-
lège. Toutefois, cette lettre du P. Général contenait une critique
et une désapprobation. Il blâmait la manière dont s'était faite
l'acquisition de la maison de la Motte : « Appliquer au collège
d'Avignon, disait-il, les biens confisqués aux hérétiques, serait
chose tout à fait odieuse pour notre Compagnie, surtout si leurs
anciens possesseurs vivaient encore5. »
6. Ce fut le P. Louis du Coudret, successeur d'Antoine Possevin
dans le gouvernement du collège, qui porta au conseil de ville
les remerciements du P. Général. Le P. Possevin, lui, était déjà
parti pour Rome où, sur son désir, le P. Franeois de Rorgia,
1. Archiv. Prov. de Lyon, Anciens collèges, t. I, fol. 145.
2. Lettre du P. L. du Coudret au P. Général (Gall. Epist.. t. IV, fol. 171 .
3. Au début des guerres de religion la maison de la Motte appartenait à Charles et
à Julie de Brancas. Charles ayant embrassé le calvinisme avait vu ses biens confis-
qués.
4. Archiv. commun., Déliber., t. XIV, f. 48, 138. Roma, Bibliot. Vitt. Emman., mss.
Gesuitici, n° 1584 (3713).
5. Lettre au P. L. du Coudret, 14 février 1569 (Gall. Episl., t. IV). Tout le monde
à celle époque admettait la justice de ces confiscations; mais le P. Général voyait
clans le cas présent une question de délicatesse.
442 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
heureux de connaître un homme si utile à l'Eglise, avait accepté
de présider sa profession solennelle des quatre vœux. Il avait
quitté Avignon le 12 février 15G9 ', muni d'une somme de vingt
écus que le conseil de ville lui avait remise pour ses frais de
voyage. Son absence fut l'occasion d'une violente tempête, qui
faillit détruire les belles espérances que donnaient les heureux
débuts du collège.
Les Avignonnais avaient en Possevin toute confiance; il ne
put donc refuser d'emporter, de leur part, quelques lettres à l'a-
dresse du Souverain Pontife et du P. Général. Dans ces missives,
les cardinaux de Bourbon et d'Armagnac exposaient à Sa Sainteté
combien la religion avait à souffrir en ces temps malheureux,
recommandaient à sa bienveillance la ville d'Avignon et le Com-
tat-Venaissin, et la priaient de pourvoir à la défense du pays
contre les menées des hérétiques; les consuls demandaient au
P. François de Borgia qu'il voulût bien augmenter le personnel
du collège et permettre l'ouverture d'un pensionnat.
Le séjour du P. Possevin à Rome se prolongea beaucoup plus
qu'on ne l'avait supposé, en sorte que le P. Auger craignit un
instant de perdre son principal collaborateur dans l'administra-
tion de la nouvelle Province d'Aquitaine. Le P. Général le rassura
en lui écrivant, le 11 avril, « que l'obéissant religieux n'avait fait
aucune démarche pour rester en Italie et que toutes ses affections
appartenaient à la France2 ». Le P. Possevin, du reste, n'oubliait
pas les intérêts du collège d'Avignon, ni les affaires qu'il était
chargé de négocier. A sa sollicitation, Pie V déclara que la pen-
sion annuelle de cent écus sur la Légation serait perpétuelle, et
lit expédier des bulles pour les cent écus assignés sur l'archevê-
ché. Le R. P. Général, de son côté, par une lettre du 17 mai,
annonça aux consuls une légère augmentation dans le personnel,
et leur indiqua dans quelle mesure la Compagnie pouvait contri-
buer au gouvernement d'un pensionnat : elle ne s'en chargerait
pas personnellement, pour de justes motifs que devait expliquer
le P. Possevin à son retour, mais elle accepterait d'en surveiller
l'administration dans toutes les choses relatives à la piété ou à
l'enseignement3.
En même temps que la lettre de François de Borgia, les con-
1. Annal, decas 1% 1. II, c. xv. Epistol. Naclal, t. III, p. G30. Le P. Possi\in
n'alla pas à Rome en qualité de procureur de la Province d'Aquitaine, comme le dit
le P. Chossal (p. 124). La congrégation des procureurs avait eu lieu en octobre l r.G.s.
2. Lettre au P. Auger, 11. avril 15(39 (Gall. Epislol.. t. IV).
3. Lettre aux Consuls, 17 mai 1569 (Gall., Epistol. Gen., t. IV).
ÉMEUTE CONTRE LE COLLÈGE D'AVIGNON. 443
suis d'Avignon reçurent du Souverain Pontife un bref par lequel
il exprimait sa satisfaetion de ce que le P. Possevin lui avait rap-
porté de leur bonne volonté. Il les exhortait aussi à combattre
avec courage et constance contre les hérétiques, et manifestai!
l'intention de travailler à la réforme de la discipline et des
mœurs dans le Gomtat. Ce bref pontifical ne contenait rien qui
pût être pris en mauvaise part. Des esprits « jaloux et inquiets »
supposèrent cependant que Sa Sainteté avait formé le dessein de
faire rechercher et punir « ceux qui attenteraient quelque chose
contre la religion ». Comme ils connaissaient l'empressement des
Jésuites à seconder toujours les projets du Saint-Père, ce fut sur
ces religieux qu'ils firent retomber tout l'odieux de leurs inter-
prétations malveillantes. Des insinuations perfides furent habile-
ment semées parmi le peuple, par les protestants, qui n'avaient
pu voir sans déplaisir s'établir à Avignon ces Jésuites qu'ils
regardaient comme leurs plus terribles ennemis1. Ils s'achar-
nèrent principalement contre le P. Possevin dont ils redoutaient
la doctrine et l'activité. N'osant attaquer la réputation dont il
jouissait dans l'opinion publique, ils essayèrent d'exploiter contre
lui son récent voyage à Rome. Il ne l'avait entrepris, disait-on,
que pour porter le Pape à introduire dans Avignon une inquisi-
tion pareille à celle d'Espagne ; à supprimer les quatre con-
fréries de pénitents établies dans la ville avec tant d'édification
et de succès; enfin à perdre absolument ceux qui avaient paru
avoir quelque penchant pour la nouvelle doctrine; et l'on ajou-
tait qu'il avait donné à Sa Sainteté une connaissance parfaite de-
leurs noms et qualités2.
Ces accusations absurdes ne reposaient sur aucun fondement
sérieux; elles ne manquaient pas cependant de quelque vrai-
semblance. Il était un jour échappé au P. Possevin, parait-il, de
dire en prêchant, que ce ne serait pas un désavantage à la ville
d'Avignon, si elle avait d'exacts inquisiteurs de la foi3. Une bulle
de Pie IV avait supprimé, quelques années auparavant, les con-
fréries d'artisans, et l'on pouvait croire que les confréries de
pénitents étaient aussi menacées; or, cette perspective touchait
au vif une population profondément attachée aux traditions de
1. Lettre du P. Possevin au P. Général, 15 juillet 1569 (Acta Possevini in Gallia).
Cf. Sacchini, Histor. Soc. Jesu, P. III, I. V, n" 139. Laderchi, Annal. Ecoles.,
t. Il, p. 261.
2. Hist. coll. Aven. (Francia, Histor. fundat. Assistentiae, n° 29).
3. Lettres du P. L. du Coutlret, 22 juin 1569, 26 juin 1569 (Gall. Epistol., t. IV.
fol. 89, 91).
444 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
ses ancêtres. Enfin « audit temps, écrit un contemporain, fut
mandé au sieur Archevêque d'Avignon un bref exprès, lui com-
mettant de s'informer sur quelques articles concernant la façon
de vivre des personnes laïques et sur tous états1 ».
Il n'en fallait pas davantage pour exalter les Avignonnais, ja-
loux de leurs libertés municipales. L'émotion populaire s'accrut
encore quand on vit l'archevêque assisté d'un Père de la Compa-
gnie, selon les ordres du cardinal Alexandrin, intimer le bref
au clergé; car on disait « que cela avoit été mandé aux pour-
chats et requestes de M. Antoine Possevin, jésuite, qui pour lors
étoit à Rome2 ». Ce bruit se répandit partout, et bientôt l'on
n'entendit plus que murmures, invectives et menaces à l'adresse
des Pères. Ceux-ci, par mesure de prudence, suspendirent leurs
classes et restèrent renfermés dans leur maison. Seul le P. Pé-
quet, religieux d'une grande vertu et qui avait le don de guérir
les malades, osait sortir et se livrer à ses œuvres ordinaires. Mais
cet homme de Dieu, malgré le respect et la vénération dont il
était entouré, ne réussit point à calmer des têtes surexcitées.
7. Des groupes nombreux se rendaient chaque jour à l'hôtel de
ville, vociférant contre les Jésuites. Mal reçus la première fois, ils
finirent par intimider les consuls qui, dans la crainte d'une ré-
volte, promirent de convoquer une assemblée générale où tout le
monde serait admis avec le droit de suffrage. Le 18 juin, jour
fixé pour l'élection des nouveaux consuls, une foule immense
accourut à l'hôtel de ville. La salle de réunion, où chacun s'em-
pressait de prendre place, fut bientôt remplie. Ceux qui ne pu-
rent entrer s'arrêtèrent dans la cour, et se mirent à crier de
toutes leurs forces qu'on eût à leur faire justice du perfide et
ingrat Possevin. Beaucoup demandaient qu'on supprimât le col-
lège et que l'on chassât tous les Pères. La salle se trouvant en-
combrée, les consuls tinrent séance au milieu de la place pu-
blique. Après quatre heures d'un tumulte indescriptible , on
vota l'expulsion des Jésuites et la révocation de toutes les dona-
tions qui leur avaient été faites. Le conseil crut devoir accorder
quelque chose au ressentiment du peuple : il déclara qu'il annu-
lait, autant qu'il pouvait, tout ce qui avait été fait en faveur de
la Compagnie de Jésus3. Mais, en parlant ainsi, les magistrats
1. « Discours des guerres de la comté Venayssin et de la Prouvence, par le seigneur
Loys de Perussiis » (Muséum Calvet, ms. 2773, fol. 233). — 2. Ibidem.
3. Ibidem. Lettres du P. L. du Coudret déjà citées et une autre du 8 juillel
1569 (Gall. Epistol., t. IV, fol. 94).
ÉMEUTE CONTRE LE COLLÈGE D'AVIGNON. 4*5
municipaux devaient bien se clouter que le légat, sans lequel
on ne pouvait agir, ne se prêterait pas à la suppression du col-
lège et ne céderait point aux colères soulevées par des mesures
qu'il avait lui-même ordonnées : « Demander au Saint-Père,
disait Louis de Pérussis, c'est bien fait; mais de tumultuer, non :
il faut obéir au supérieur et non faire émotion. » Tout le monde
n'était pas de cet avis, et une parole de bon sens ne suffit pas
à calmer les passions populaires. On s'en aperçuf, quelques
heures après l'élection des nouveaux consuls.
En vain le cardinal d'Armagnac avait fait défendre les cla-
meurs contre les .Jésuites. On n'entendait dans les rues que des
injures et des menaces : il fallait, criait-on, exécuter les conclu-
sions de l'assemblée et chasser au plus tôt ces traîtres, ces ingrats,
ces maudits. La ville entière était sur pied. Les huguenots profi-
tèrent des rassemblements pour soulever une émeute, signal d'une
révolte générale et peut-être du triomphe de leur parti1. Des
bandes furieuses, armées d'arquebuses, se dirigèrent vers le col-
lège avec un bruit et des cris qui firent justement appréhender
des excès qu'on ne pourrait réprimer. Quelques amis de la Com-
pagnie accoururent en toute hâte prévenir les Pères du danger.
Ceux-ci s'enfermèrent dans l'église et se mirent en prières, atten-
dant que l'orage fût apaisé. De ce saint asile ils entendaient les
outrages de la populace, qui assaillait la maison à coups de
pierres. Les fenêtres volaient en pièces. On parlait de mettre le
feu aux quatre coins de la Tour, ou d'amener l'artillerie de la
place pour l'abattre et accabler les prétendus coupables sous les
ruines 2.
Averti de la gravité de la situation, Claude de Crillon, frère du
« brave Crillon » et premier consul de la ville, réunit ses deux
collègues, Pierre Beau et Jacques Gardiole, et le nouvel assesseur,
Jacques de Novarin. Suivis de quelques-uns des principaux
citoyens, parmi lesquels François de Fogasse, seigneur de la Ber-
thelasse, et François de Pérussis, capitaine de cent chevau-légers,
ils accourent sur le théâtre du tumulte, dans le dessein de dé-
sabuser ce peuple mutiné. À leur vue les assaillants s'écartent
pour livrer passage aux magistrats qui, à peine entrés dans l'é-
glise, s'empressent de rassurer les Pères. Puis s'adressant aux
émeutiers, les consuls dévoilent les machinations des huguenots,
1. Lettre de Possevin au P. Général, 29 sept. 1569 (Acta a Possevino).
'1. Hist. coll. Aven. (Francia, Histoi. fondât., n" 29). Lettre du P, L. du Coudret,
22 juin. Cf. Sacehini, ffislor. s. ./., P. III, 1. V, n° 141.
446 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
protestent de l'innocence de Possevin, et se portent garants pour
tous les autres Jésuites. Les conjurés, se sentant découverts,
mettent bas les armes, et la foule se retire confuse d'avoir servi
dans cette circonstance d'instrument aux hérétiques.
Dès que le cardinal d'Armagnac connut ces incidents, il envoya
les Suisses pour garder le collège, et son maître d'hôtel, qui était
un prélat, pour consoler les Pères et leur dire de sa part qu'ils
n'eussent point de crainte, qu'il les prenait sous sa garde et
protection. Il fit aussi écrire, par son secrétaire, un mandement,
en son nom et au nom du Pape, où il ordonnait à tous, de quelque
qualité qu'ils fussent, de respecter les Jésuites et de ne leur faire
aucun mal « à peine d'être pendu ». Ce mandement fut publié,
à son de trompe, dans tous les carrefours.
Le lendemain, avec plusieurs personnages marquants, qu'il
savait bien intentionnés, le cardinal se rendit lui-même au collège,
y entendit la messe, témoigna aux Pères combien il était sensible
à leur affliction, et les assura qu'aussitôt la vérité reconnue le
calme reviendrait insensiblement dans la ville, où tous les gens
de bien étaient prévenus en leur faveur. Ce même jour, les consuls
vinrent engager les Jésuites à rouvrir leurs classes, et leur mani-
festèrent les meilleurs sentiments : s'ils avaient paru céder à la
fureur du peuple, c'était par prudence, et pour éviter un plus
grand mal; ils savaient bien du reste que la décision du conseil
n'avait aucune valeur, sans l'approbation du Saint-Siège, aussi
s'étaient-ils servis expressément de ces paroles : in quantum de
jure*.
8. Le vice-légat craignit, avec raison, que l'attentat commis
contre les Pères n'affligeât le Souverain Pontife, tout dévoué à la
Compagnie de Jésus ; il suggéra au conseil de lui envoyer une
députa tion pour lui présenter les excuses de la ville et lui deman-
der pardon. Jean Michel, docteur de l'Université, fut chargé de
porter à Rome la lettre des magistrats. Dans cette humble sup-
plique, après avoir déclaré qu'ils ont agi contrairement à leur
pensée intime et sous le coup de la nécessité2, les consuls ajoutent
« qu'il y avoit bien plus de venin qu'il n'y en avoit paru d'abord,
et que le démon et ses ministres n'avoient répandu ces calomnies
que pour rendre la Compagnie odieuse aux catholiques, aiin que
1. Lettres du P. du Coudrct déjà citées.
2. « Haec qui Jeta ultra opinionem décréta fuere, idque fecisse necesse fuit; roga-
hat enim in limine lumultus. »
ÉMEUTE CONTRE LE COLLÈGE D'AVIGNON. 147
ceux-ci privez de son secours, dans un temps où il leur étoit non
seulement utile mais encore nécessaire, on pût plus aisément les
perdre et exterminer tout le troupeau1 ». Pie V, raconte le m;u-
quis de Cambis-Villeron dans ses Annales, reçut avec bonté le
député d'Avignon. Sa Sainteté, qui savait depuis longtemps les
intrigues des hérétiques, prit la chose fort à cœur; elle réfuta
elle-même tous les mensonges répandus contre le P. Posscvin et
les Jésuites, et elle dit à M. Michel dans son audience de congé :
« Malheur pour Avignon quand les Jésuites en sortiront2. »
Dans sa réponse aux consuls, le 16 juillet, le Pape ne put s'em-
pêcher d'exprimer sa vive douleur de l'injuste persécution susci-
tée par son peuple contre la pieuse Compagnie de Jésus. Il repro-
che doucement à ceux qui gouvernaient en son nom de n'avoir
pas mieux rempli leur devoir, et il les exhorte, pour prévenir de
plus grands dangers, à ne pas laisser les rebelles impunis. C'est
un souverain qui parle avec autorité à des sujets égarés; c'est
le Vicaire du Christ qui veille à la défense de la religion; c'est
aussi un Père dont le cœur déborde de tendresse, soit en répri-
mandant ses fils coupables, soit en bénissant ses fils innocents et
malheureux8. Il ne manque pas surtout de venger le P. Possevin
des accusations calomnieuses lancées contre lui : « Antoine Pos-
sevin, écrit-il, pendant son séjour ici, a beaucoup parlé avec Nous,
comme cela se fait ordinairement, de choses utiles à la religion
catholique. Mais bien loin qu'il ait essayé d'obtenir de Nous l'abo-
lition des confréries de cette ville et le transfert de leurs biens
aux Jésuites ses frères, il n'a pas dit un mot à ce sujet, et, Nous
en sommes certains, il n'y a pas même pensé. Quant à ces con-
fréries, les abolir ou leur enlever quelque partie de leurs biens
est si peu dans Notre pensée, qu'au contraire les croyant pro-
pres au maintien de la foi catholique et utiles à la piété chré-
tienne, Nous souhaitons beaucoup qu'elles soient fréquentées et
nombreuses.
« Ce que la même populace a fort légèrement soupçonné d'un
mode d'inquisition nouveau et chez vous inconnu, que Nous
voulions introduire dans cette cité, est non moins faux. Nous
n'avons jamais parlé de cela, ni avec Antoine Possevin, ni avec
1. Cité par Dorigny, Vie de Possevin, p. 13'!.
2. Annales de la ville d'Avignon par Dominique de Cambis (1550-1569), t. V, p. 82
(ins. 2780 de la biblioth. d'Avignon). Annal, deeas i\ I. III, c. h. Richeome, La
Vérité défendue, p. 261. Gretseri opéra, t. XI. 264.
3. Cf. Laderchi, Annal, eecl., t. Il, p. 261, n. xr.iv.
448 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
quelque autre que ce soit; Nous n'avons jamais rien pensé et
Nous ne pensons rien de semblable.
« Mais vous, bien chers fils, à qui le soin de gouverner ce
peuple en Notre Nom a été confié, il aurait été de votre devoir
de résister à la volonté téméraire d'une multitude furieuse, et de
ne point armer un peuple léger de l'autorité d'un décret public.
« Toutes les conclusions prises à ce moment, ce n'est pas la jus-
tice, ce sont des soupçons témérairement acceptés qui les ont
inspirées; elles ont été extorquées par la violence du peuple,
aussi Nous vous enjoignons de les révoquer et Nous ordonnons
qu'elles soient de nul effet1. »
9. Le P. Auger, informé exactement de ce qui s'était passé, ne
pouvait, en qualité de Provincial, rester insensible aux souf-
frances de ses inférieurs. Il se rendit aussitôt de Lyon2 à Avignon
afin de défendre le P. Possevin et de soutenir les Pères du col-
lège. Accueilli avec joie par le cardinal d'Armagnac, il le pria,
dès le lendemain de son arrivée, de réunir une assemblée géné-
rale, parce qu'il lui semblait nécessaire de faire quelques remon-
trances. Mais cette démarche ne fut pas jugée opportune, l'affaire
dépendant des magistrats et non du peuple. Le vice-légat pro-
posa de convoquer seulement les anciens et les nouveaux consuls
avec quelques-uns des plus notables habitants. Dans cette réu-
nion, à laquelle assistaient le cardinal et le recteur du collège, le
P. Auger parla avec la modération, mais aussi la fermeté, qu'on
pouvait attendre d'un homme de son caractère3. Après avoir
protesté que la Compagnie n'oubliait point ce qu'elle devait à
la ville, il insinua que, si elle avait cependant le malheur de lui
déplaire, elle préférerait prévenir l'exil que d'y être un jour
obligée; et, là-dessus, il demanda au cardinal et aux consuls la
permission de disposer du personnel, momentanément ou pour
toujours, selon que la nécessité l'exigerait, en faveur de Lyon et
de Tournon. A cette proposition du P. Provincial, Mgr d'Armagnac
répondit avec autorité que cela ne pouvait pas, ne devait pas se
faire, le collège étant une œuvre de Dieu approuvée par Sa Sain-
teté ; pour lui, il n'y consentirait jamais. Les consuls appuyèrent
cette énergique protestation, et supplièrent le Père de ne pas les
1. Aiehiv. Prov. de Lyon, Anciens collèges, t. I. Annal, decas 1% 1. 111, c. m.
2. Le P. Auger n'était pas alors à Tournon comme le disent plusieurs historiens;
nous avons de lui une lettre au P. Général datée de Lyon le 2'2 juin.
:. Lettres du P. L. du Coudrel au P. Mercurian, 28 juin ; au P. Général, 8 juillet
1569, citées plus haut.
ÉMEUTE CONTRE LE COLLEGE D'AVIGNON. iî'j
abandonner, lui promettant toutes sortes de faveurs : ils n'avaient
révoque les donations, disaient-ils, que dans l'intérêt même de
la Compagnie, afin d'empêcher le peuple de se livrer à des actes
de violence contre le collège; du reste la révocation n'avait pas
été inscrite dans les registres de la ville'; ils l'auraient même
cassée et abolie dans une autre séance du conseil, sans la crainte
d'exciter un nouveau tumulte, plus dangereux que le premier,
car le peuple n'était pas encore apaisé ni suffisamment éclairé au
sujet de l'Inquisition; d'ailleurs, ajoutaient-ils, le conseil ne
peut rien exécuter sans l'approbation du légat; quand viendra
le terme du premier versement, M"1 le cardinal agira comme par
le passé, sans qu'il soit besoin de déclarer formellement que la
révocation n'a aucune valeur.
Malgré ces explications et ces promesses, le P. Auger persistait
dans son dessein de retirer les Pères du collège et de les emme-
ner avec lui; ce qui mettait le cardinal très en peine. Il crai-
gnait, comme il l'avoua au P. du Coudret, qu'il ne se trouvât
dans l'assemblée quelqu'un des meneurs de l'émeute, et qu'il ne
s'écriât brusquement : Eh bien, nous acceptons ce que propose le
P. Provincial; qu'il retire ses inférieurs et les mène où il jugera
à propos! — Mais malgré toutes les instances que fit le Père pour
remplir ce qu'il croyait un devoir-, les consuls ne cessèrent de
lui opposer leur ferme volonté de ne pas se priver d'un secours
qu'ils avaient souhaité avec tant d'ardeur. Cédant enfin à leurs
supplications, et surtout à la sincère affection de M*-'1 d'Armagnac
pour la Compagnie, le P. Auger s'avoua vaincu; il promit d'ou-
blier les défaillances d'un moment et de ne plus se souvenir que
des bienfaits, qui méritaient toute sa reconnaissance \
10. Le P. Général, François de Borgia, dans ses lettres aux
consuls et au P. Recteur, prit aussi la défense du P. Possevin,
qu'il venait de voir à l'œuvre et dont il pouvait certifier la par-
faite innocence. Son témoignage produisit la meilleure impres-
sion et dissipa tous les doutes. Le 7 août, en lui faisant part de
cet heureux résultat, le P. Louis du Coudret lui annonçait qu'une
enquête avait été ouverte, mais que personne ne s'était présenté
1. Au fol. Go du tome XIV des Délibérations, on trouve à la marge ces mots :
« Conclusion pour les Jésuites » ; niais celle page et les trois suivantes sont restées en
blanc.
'2. On voit par une lettre du P. du Coudret au P. Mercurian (26 juin) que le Rec-
teur du collège d'Avignon ne partageait pas sur ce point l'avis de son Provincial.
3. Lettres du P. L. du Coudret déjà citées.
COMPAGNIE DE JÉSUS. — 1. I. 2'J
450 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
pour déposer contre le P. Possevin ' : « Du reste, lui disait-il,
aucun homme sensé n'a jamais cru qu'il ait demandé l'abolition
des confréries, et quant à l'Inquisition, on est persuadé que
c'était une pure calomnie"-. »
Si l'apaisement se faisait sur les lieux mêmes où la tempête
avait passé, à la cour et dans le royaume on continuait de mener
grand bruit autour de cette affaire, sans trop connaître ni la vraie
cause des troubles d'Avignon ni la conduite du P. Possevin et de
ses confrères. Afin de détruire l'effet des imputations calom-
nieuses, le cardinal de Bourbon fit imprimer et répandre par
toute la France des attestations en faveur des Jésuites3. Pie V
lui-même crut devoir intervenir de nouveau, et par un bref
adressé au Nonce il disculpa formellement l'accusé : « Non
seulement, déclara-t-il, ledit Antoine Possevin n'a jamais tâché
de Nous persuader rien de ces choses que des hérétiques, ou
du moins des gens animés d'un esprit d'envie ou de malice,
lui supposent, mais Nous sommes certain au contraire qu'il
ne lui en est pas même venu la pensée et à bien plus forte
raison qu'il n'en a jamais parlé... Nous avons voulu vous en
informer, afin qu'ayant appris de Nous la vérité, vous puissiez
sûrement convaincre de calomnie les détracteurs, et justifier
pleinement, par le témoignage de Nos lettres, l'innocence d'un
homme qui travaille avec tant de zèle à la vigne du Seigneur4. »
En outre le Saint-Père chargea, par un bref spécial, le car-
dinal d'Armagnac de faire bonne et prompte justice des coupa-
bles. Le vice-légat dirigea si bien ses recherches que les auteurs
des excès commis furent découverts, et, pressés de questions,
avouèrent leur faute. Comme on faisait leur procès, les Pères
intervinrent pour les soustraire à la peine de mort.
Revenue alors de son égarement, l'opinion publique se pro-
nonça plus que jamais en faveur de la Compagnie. Le peuple
détrompé criait tout haut dans les rues : « Vivent les bons Pères
Jésuites qui font la guerre aux hérétiques5! » Au dévouement
1. Gall. Epist., t. IV, fol. 27.
2. Le 18 juillet on avait écrit de Home au P. L. du Coudret : « L'Inquisiteur a
avoué ingénument à l'ambassadeur du duc de Savoie que c'était lui qui avait suggéré
au Souverain Pontife l'idée de cette forme d'inquisition, qu'on avait voulu introduire
à Avignon » (Gall., Epist. Gen., t. IV).
3. Histoire manuscrite (Mu-. Calvet, 2i90, fol. 6i). Acta a Possevino, sept. 156'J.
Lettre du cardinal de Bourbon, 6 nov. 156'J (Vita del P. A. Possevino, t. Il, p. 81).
4. Publié par Sacchini, Histor. Soc. Jesu., P. III, 1. V, n. liî, 145.
5. Tamisey de Larroque, Lettres inédites du cardinal d'Armagnac, Introduction,
ÉMEUTE CONTRE LE COLLÈGE D'AVIGNON. Loi
des religieux le conseil de ville répondit par de nouveaux actes
de libéralité; il affecta une somme de cinquante écus à la recons-
truction des classes, devenues trop étroites pour les quatre cents
élèves qui les fréquentaient. Peu de temps après, il décida la
fondation de la chaire de rhétorique, et vota dans ce but la somme
de quarante florins.
Le cardinal de Bourbon, légat d'Avignon, s'occupait aussi des
besoins matériels du collège. Le 17 septembre 1509, il fit préle-
ver, pour l'entretien de la maison, un revenu de douze cents
livres tournois sur les biens des hérétiques appliqués à la chambre
apostolique1; mais le cardinal co-lég'at ayant déjà disposé d'une
partie des biens confisqués, il n'en restait plus assez pour satis-
faire à de nouvelles destinations. Informé de la chose, le cardinal
de Bourbon fit écrire à Mgr d'Armagnac de pourvoir avant tout
aux nécessités du collège, « car, ajoutait-il de sa propre main
en post-scriptum, telle est la volonté de notre Saint-Père que je
désire suivre toute ma vie2 ». De nouvelles difficultés étant sur-
venues, ce fut seulement en 1573 que l'acte de donation sortit
son plein effet. Le 17 juin, Grégoire XIII cassa toutes les opposi-
tions et ordonna au co-légat de mettre les Jésuites en possession
des 1*2.000 livres de rente promises3. On choisit des biens des
huguenots morts à la guerre, sans héritiers, et non provençaux
ou languedociens'1.
1. Copie de l'acte de donation (Lugdun, Fundat. colleg., t. I, n° 52). Lettre du
P. Général au cardinal de Bourbon, 21 nov. 1569 (Gall., Epistol. lien., t. V).
2. Mus. Calvet, ms. 2816 fol. 327.
3. Acla S. Sedis, n. 65, n° 20.
4. La donation de ces biens signée, le 17 oclobrc 1574, par le cardinal de Bourbon,
fut confirmée par un bref du 7 mai 1575 (Roma, Arcbiv. di Slalo, In forma tiones,
n° 72, fol. 220, 230). Arcbiv. de la prov. de Lyon, Anciens collèges t. \, fol. 265,
266, 290.
CHAPITRE V
FONDATION DES COLLÈGES DE CHAMBÉRY ET DE LYON,
(1565-1576).
Sommaire : Chambéry : 1. Lettres patentes du duc de Savoie, 3 oct. 1564;
ouverture du collège dans le couvent des Cordeliers, 1565. — 2. Location de la
maison Pobel, 1571. — 3. Difficultés avec la population; achat de la maison de
M. de Brèssiac. — Lyon : 4. Premiers projets, 1556 à 1564. — 5. L'ancien col-
lège de la Trinité. — 6. Décision du chapitre et du consulat. — 7. Ouverture des
classes, octobre 1565; description du collège. — 8. Acte de fondation du 14 sept.
1567. — 9. Difficultés avec les Pédagogues de la ville. — 10. Nouveau contrat,
li août 1571. Difficultés au sujet des pensionnaires. — 11. Le P. Creytton se
défend devant l'assemblée des notables; accord et progrès.
Sources manuscrites : I. Archives départementales du Rhône, série D.
II. Archives communales de Lyon, s. BB et GG.
III. Biblioth. de l'Académie de Lyon, fonds Adamoli.
IV. Torino, Archiv. di Stato, Mazzo Chambéry, Jésuites.
V. Roma, Bihl. Vitt. Emman., mss. GesuUici.
VI. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a) Acta congregat. provincial. —
b) Epistol. principum. — c) Francia, Histoiïa Fundationuin tôt. Assist. — d) Gallia, Epistol.
General. — e) Galliae Epistolae. — f) Lugd., Fundat. collegior.
VII. Archives de la Province de Lyon.
Sources imprimées : Acta S. Sedis. — Perpiaiani aliqunt epistolae. — Perpiniani ora-
tiones. — Ribadeneira, Vie du P. Jacques Lainez. — De Rubys, Histoire de Lyon. —
Monimenta uistoiuca S. J. Epistolae mixlae; — Epistolae P. Nadal.
1. La fondation du collège de la Compagnie de Jésus à
Chambéry fut l'œuvre d'Emmanuel-Philibert, duc de Savoie.
Heureux des services que les Jésuites lui rendaient déjà de l'au-
tre côté des Alpes, à Mondovi, pour l'instruction de la jeunesse, il
voulut procurer la même faveur au reste de ses États [. En 1564,
faisant part de ses vues au R. P. Général, il lui écrivait : « Nous
désirons que vous envoyiez là un nombre de religieux égal à
celui de Mondovi. Nous savons qu'il ne vous est pas toujours
facile d'accepter les nombreuses demandes de collèges qui vous
sont faites; mais, vu l'importance de cette ville et son voisinage
de Genève, nous vous prions et vous supplions de répondre à nos
1. Origo et progressus coll. Cambeiïensis, a 1». Andréa Avantiano (Archiv. Prov. de
Lyon). L'auteur de celte notice, contemporain des événements, fut le second recteur
du collège de Chambéry.
FONDATION DU COLLÈGE DE CHAMBÉRY. '.:.:'.
vœux, le plus tôt possible, en nous donnant d'excellents ou-
vriers1. »
Par lettres patentes du 3 octobre L564, Emmanuel-Philibert as-
signa deux mille florins pour l'entretien des professeurs et autres
personnes nécessaires au collège, et ordonna au syndic et aux
habitants de la ville de chercher et d'accommoder des maisons
pour les classes et le logement des Pères2. De plus, par lettres
privées da 5 octobre, il recommanda la nouvelle fondation au
sénat de Savoie, lui déclarant sa volonté d'établir « dans Cliam-
béri » un collège de Jésuites « à celle fin que la Savoie et les au-
tres de [ses] Estats puissent, avec grande leur commodité et plus
à profit de leurs âmes, les ouyr et fréquenter tous les jours, pour
en estre rendus meilleurs' ».
Grâce à cette recommandation, quand le P. Louis de Coudret,
porteur des lettres patentes, arriva dans le courant d'octobre à
Chambéry, il y fut reçu avec la plus grande bienveillance. Bien-
tôt les projets d'Emmanuel-Philibert furent approuvés, à l'unani-
mité, par une assemblée publique. Cependant le collège ne
s'ouvrit qu'à la fin de l'année 1565, et dans d'assez mauvaises
conditions. La ville, avant qu'elle pût trouver un local conve-
nable, avait assigaé aux Jésuites, comme habitation et emplace-
ment de trois classes de grammaire, une parlie du couvent des
Cordeliers 4. Cette installation provisoire dura beaucoup plus
longtemps qu'on ne l'avait supposé, au grand détriment des Jé-
suites et de leurs hôtes"'. Pendant six années, de 1565 à 1571, on
vécut au milieu de difficultés de toutes sortes, que seule la
charité réciproque des religieux des deux Ordres pouvait rendre
tolérables.
Des circonstances plutôt désagréables avaient nécessité un si
long séjour dans le couvent de Saint-Frani;ois. Au moment dos
premières négociations relatives au collège, la ville s'était en-
gagée à procurer un local et le duc avait promis de prélever des
revenus sur son trésor0. Mais, pour fournir ces rentes, on imposa
la cité, et ce nouvel impôt fut accepté à contre-cœur. Il fallait en
1. Lettre s. d. 1564 (Epist. principum, t. I).
2. Patentes d'Em. Philibert (Torino, archiv. di Stato, Chambéry, Jésuites, n" I,
loi. 1, 2).
3. Original (Gall. Epist., t. II, p. 250).
4. Arrest pour le logement des jésuites à Chambéry (Torino, archiv. di Stato, Cham-
béry, Jésuites, n° 2, fol. 1-3V).
5. Lettre du duc au P. Général, 18 fév. 1566 (Epistol. princip., t. I). Lettres du P.
Augerau P. Général, 8 mars et 25 octobre 1566 (Gall. Epistol., fol, 58, 86).
6. Lettre du duc, 22 mats 1565 (Franciae fundal., n" 37).
K>4 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
opérer le recouvrement de porte en porte. On recueillait plus
d'insultes que d'argent. Les habitants se déclaraient incapables
de pourvoira l'entretien des Jésuites et de leurs classes. Les uns
pensaient que la Compagnie, rebutée de tant de tracas, finirait
par renoncer à ses desseins et quitterait la ville; les autres di-
saient ouvertement qu'il y avait économie à maintenir le collège
dans le couvent, et qu'il y devait rester malgré la décision du
sénat et les instances du duc réclamant un autre domicile. En
somme, beaucoup de donneurs d'avis, mais qui s'en tenaient aux
paroles. Les Pères Cordeliers, de leur côté, faisaient entendre des
plaintes légitimes. Et, comme résultat des mille embarras causés
par l'envie et la pénurie, les classes languissaient, les ministères
spirituels eux-mêmes produisaient peu de fruit3.
Dans sa charité pour ses frères et son affection pour les fils de
saint François, le P. Général s'était employé en vain de tout son
pouvoir à faire cesser une situation de plus en plus pénible1. Le
P. Louis du Coudret et le P. André Avantian, qui lui avait succédé
comme Recteur, n'avaient épargné, depuis l'arrivée delà Compa-
gnie à Chamhéry, ni fatigues ni démarches, mais sans parvenir à
la solution désirée 2. En 1571, les Cordeliers commencèrent à re-
garder l'occupation d'une partie du couvent comme une violation
de leurs droits, et les Jésuites se trouvant sans domicile allaient
être obligés de quitter la ville.
2. Devant cette situation critique, le duc Emmanuel- Philibert
prit en main plus énergiquement les intérêts du collège; plu-
sieurs de ses officiers imitèrent son exemple, et le P. Général,
voulant tenter un suprême effort, envoya à Chambéry le P. Pro-
vincial d'Aquitaine, sur la prudence et l'habileté duquel il pou-
vait compter à bon droit. Son attente ne fut pas déçue. Le
P. Auger, arrivé à Chambéry le 3 juin 1571, parut en chaire
avec son succès accoutumé; dans ses relations particulières, il
charma tout le monde; il pressa la conclusion des affaires, et
parla si efficacement aux magistrats qu'avant de quitter la ville
tout se trouva terminé à la satisfaction des parties. Afin que la
communauté ne fût plus à charge à personne, il avait loué pour
trois ans la maison Pobel, appartenant à M,ue de Saint-Pierre.
1. Origo et progressif collegii. Cf. Epist. P. Nadal, t. III, p. 628.
2. Instructions données au P. L. du Coudret (Acta congregat. provinciae). Lettres du
duc de Savoie au P. Général, 24 février et 3 juillet 1567 (Epistol. princip., t. II).
3. Lettre du P. Général au P. Auger, 21 juin 1568 (Gall., Epist. Gen., t. IV). Lettre du
P. Merrurian, 18 juillet 1569 (Gall. Epist., t. IV, fol. 49).
FONDATION DU COLLÈGE DE CHAMBÉRY.
Le 23 juin, les Pères abandonnèrent enfin le couvenl des Cor-
deliers et s'installèrent clans cette demeure, où ils établirent
aussi les classes1. La chapelle était petite, sans doute, mais suf-
fisante pour la célébration des saints mystères, et le Père Nicolas
Hulger obtint l'autorisation de prêcher dans l'église dominicaine
de Saint-Léonard 2. Dès le début de la nouvelle installation, un
assez grand nombre d'élèves se présentèrent; bientôt même
on fut obligé d'ajouter une quatrième classe aux trois qui exis-
taient déjà, et quelques drames joués par les écoliers finirent
par mettre tout à fait en vogue l'établissement des Jésuites3.
Malgré ce revirement, l'avenir du collège n'était pas assuré.
La Compagnie n'était que locataire de la maison Pobel; les au-
mônes arrivaient peu abondantes, et la communauté, composée
de quatorze ou quinze religieux, ne jouissait que de huit cents
florins par an. Dieu inspira à un protonotaire apostolique, de
l'illustre maison des Trivulce de Milan, la pensée de résigner
en faveur des Pères son prieuré de Saint-Jean-Baptiste de Mégève.
Il en obtint la permission du Pape, et ce bénéfice, d'un revenu
de quatre cents ducats, fut uni au collège par une bulle de Pie Y,
du 5 juin 1571 4. Le même bienfaiteur ayant ajouté à son pre-
mier don une somme de trois mille écus pour l'achat d'une
maison, la ville de Chambéry put espérer de posséder bientôt
un collège parfaitement constitué 5.
Depuis que les classes étaient installées dans la maison de
M"ie de Saint-Pierre, les études longtemps languissantes avaient
repris une nouvelle vie. A la rentrée d'octobre 1571, le prési-
dent et plusieurs conseillers du sénat de Savoie assistèrent à la
séance littéraire et parurent très satisfaits des poésies latines et
françaises récitées en leur honneur ''. Les élèves n'étaient pas
encore très nombreux, mais ils se distinguaient par leur piété
et leur application. Aussi le P. Avantian , Recteur, pouvait-il
1. Origo et progr. collegii, déjà cité.
2. Papiers de Saccliini, Roma, Bibl. Vitt. Emraan., mss. Gesuitici, n' 1584 (3713).
Sous les cotes 1584-1588 se trouvent cinq volumes manuscrits dont les trois premiers
comprennent les généralats de Lainez, Borgia et Mercurian. 11 n'y a pas de nom
d'auteur, mais ils représentent évidemment un dépouillement des anciennes archives,
à l'usage de Saccliini, fait par lui ou par un autre. Ces manuscrits son! précieux pour
certains détails, que Sacchini aura négligés et auxquels nous donnons aujourd'hui plus
d'importance.
3. Origo et progressus collegii.
4. Torino, Archiv. di Slato, Mazzo Chambéry, Jésuites, n° 27. Mazzo Prieure de
Mégève, n°l, fol. 7, 10, 13, 14.
5. Acla S. Sedis, p. 57, n. 59.
<i. Collegii Camb. origo ac fundatio (Franc, Histor. fundal., n. 37). Celte notice la-
tine s'arrête à l'an 1587 et porte le visa du P. Richeome.
i .tï HISTOIRE 1>E LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
écrire au P. Général, le 21 novembre : « J'ay pensé donner
consolation à votre Palernité, si je l'avisois de la procédure de
ce petit collège; petit, dis-je, en nombre de personnes, mais
grand en désir que la gloire de Dieu soit amplifiée signalement
en ces quartiers; à quoy taschons de notre petit pouvoir, gardans
nos règles moyennement, car les garder parfaitement c'est l'œuvre
d'un collège accompli en nombre, là où tous les offices sont tel-
lement distribués que chascun peut faire le sien sans troublcment
de l'ordre. Ce qui ne se peut bonnement faire là où il y a peu de
personnes qui doivent exécuter les offices de plusieurs... Toutes
fois, nous taschons que l'ordre des études Romain se garde, et
par la grâce de Dieu les escolles vont bien1. »
3. A partir de cette époque, il reste peu d'événements à si-
gnaler dans l'histoire de ce collège. D'après les Lettres annuelles,
le nombre des élèves était d'environ cent quarante, en 1572.
Les deux années suivantes, il fut plusieurs fois question de trans-
porter le collège à Annecy, à cause de la difficulté qu'on éprou-
vait toujours à se procurer les ressources nécessaires : « La" po-
pulation, écrivait le P. Athanase, le 25 août 1574, reste peu
disposée en notre faveur, parce qu'elle voudrait s'exempter du
tribut levé par Son Altesse; chaque fois qu'il lui faut payer, elle
en rejette sur nous tout l'odieux. Dans ces conditions, il nous
est impossible de lui faire quelque bien. Je ne crois pas que de
telles fondations soient selon l'esprit de l'Institut, qui veut que
nous enseignions gratuitement2. »
Cette indisposition des habitants de Chambéry à l'égard du
collège disparut un moment, lorsque, au milieu de la disette
de 1574, on vit les Pères s'en aller quêter de porte en porte et
distribuer les aumônes aux plus nécessiteux. La reconnaissance,
hélas! ne fut pas de longue durée. Des ennemis irréconciliables
de la Compagnie, dans le dessein d'arrêter ce retour de l'opi-
nion publique, recoururent pour dénigrer les Jésuites à d'ab-
surdes imputations. Sans doute les sénateurs et autres personnes
d'autorité méprisaient ces calomnies comme indignes et ridi-
cules; mais le bas peuple, ainsi qu'il arrive toujours, les ac-
cueillait sans examen, et avec d'autant plus de crédulité qu'elles
étaient plus invraisemblables. Les tribunaux refusant d'enquêter
1. Lettre du P. Avantian au P. Général (Galliae Epist., t. XII, fol. 165). C'est par
erreur que cette lettre a été insérée au t. XII; elle est de 1571 et non de 1578.
'2. Lettre au P. Général (Galliae Epist., t. VIII, f. 281).
FONDATION IHT COLLÈGE DE CHAMBÉRY. 487
sur les Causses dénonciations, force fut de recourir au nonce
apostolique à la cour de Savoie. Il ne s'agissait pas de poursuivre
les calomniateurs, mais simplement de justifier les Jésuites au
sujet de l'impôt exigé pour l'entretien de leur collège1. On \
arriva enfin, et l'affaire fut terminée, en 1570, par un accord
entre le duc de Savoie et la ville de Chambéry. Son Altesse se
chargea de pourvoir désormais à tous les besoins de l'établisse-
ment, et les habitants furent exemptés de payer cinq cents écus
pour la subsistance et l'habitation des Pères2.
Une autre difficulté se présenta bientôt. Madame de Saint-Pierre
voulut rentrer en possession de son immeuble au mois d'août;
on fut pris au dépourvu, sans aucun espoir de trouver à louer ou
à acheter une autre maison assez grande. Grâce à l'intervention
du nonce et du président du sénat, on obtint l'autorisation de
garder la maison Pobel encore une année 3. En 1577, faute de
domicile, ou ne songeait plus qu'à quitter Chambéry et à dis-
perser les Pères dans d'autres collèges, lorsque l'hôtel de Bres-
siac fut tout à coup mis en vente. Chose d'autant plus surpre-
nante que le propriétaire, pressenti quelque temps auparavant
sur l'achat de sa demeure, s'était montré peu disposé à s'en
défaire; * ce qui prouve bien que Dieu, qui change les cœurs,
voulait conserver dans cette ville une maison de la Compa-
gnie. Ainsi, ce fut seulement douze années après l'ouverture des
classes dans une maison d'emprunt, que les Jésuites purent
enfin organiser ce collège selon toutes les prescriptions de leur
Institut.
k. Au moment où la Compagnie de Jésus s'établissait à Avignon
et à Chambéry, la ville de Lyon, elle aussi, lui demandait de
prendre la direction de son collège de la Trinité. Toutefois ce n'est
pas à cette époque qu'on en eut la première idée ; elle remonte
beaucoup plus haut. Dès 1556, les amis des Jésuites désiraient
les voir s'installer à Fourvières et desservir le sanctuaire de
Notre-Dame '. Trois ans plus tard, le 28 novembre 1559. le
P. Louis du Coudret écrivait de Lyon au P. Lainez : « Monsieur de
1. Lettres du P. Athanase, 10 el 25 août 1574 (Galliae EpisL, t. VIII, |>. 280, 281).
Lettre du P. Creytton, 28 déc. 1574 (Ibid., f. 299).
2. Lettres patentes, 5 déc. 1576 (Torino, Archiv. di SLito. Chambéry. Jésuites,
n°3, fol. 10, 11).
3. Lettres du P. Athanase, 12 fév., 30 sept. 157r, (Galliae Epist., t- -V fol. 193.
216).
4. Papiers de Sacchini (Roma, Uibliot. Vitt. Einman., mss. Gesuilici, n« 158î 371::
5. Lettre du P. Chanal à saint Ignace {Epistol. mi.rlne, I. V. p. 321).
158 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
•
Montrottier ' m'a «lit qu'il s'était entretenu du collège de cette
ville avec le gouverneur et le vicaire général de l'archevêque,
qu'il leur avait proposé de nous confier le soin des classes, que
tous deux avaient bien accueilli ce projet, mais qu'ils voulaient
attendre la fin du conclave pour écrire au cardinal de Tournon.
Si la chose pouvait réussir, ce serait une occasion de grands
fruits de salut, car je ne connais pas de cité plus populeuse et
qui ait plus besoin de secours spirituel 2. » L'année suivante, le
P. Louis du Coudret eut à Vienne une entrevue avec le cardinal
de Tournon, archevêque de Lyon, et sur son conseil se rendit dans
cette dernière ville pour y attendre sa venue et prévoir les
moyens d'un établissement. Quand ils furent réunis, le cardinal
proposa aux consuls de mettre au collège de la Trinité « cer-
tains prestres religieux nommés Jésuites, lesquels, disait-il, sont
propres pour instruyre la jeunesse en bonnes mœurs et religion
chrestienne, sans prendre aucuns gages ni salaires ». Mais un
bail de trois ans liait la ville avec le principal et les régents d'a-
lors, et le consulat déclara qu'il n'avait moyen « d'entretenir
lesdits Pères Jésuites audit collège 3 ». Les troubles survenus en
1561, et qui continuèrent plusieurs années, ne permirent pas de
poursuivre la réalisation de ce projet. Il ne fut cependant pas
abandonné. Le P. Auger pendant son séjour à Lyon, en 1563 et
1564-, traita plusieurs fois de cette affaire avec le cardinal de
Ferrare, Hippolyte d'Esté, pour la seconde fois archevêque de
Lyon, puis avec Antoine d'Albon, archevêque d'Arles, appelé
bientôt à le remplacer4. Dès le commencement de 1565, le nou-
veau primat des Gaules, préoccupé des besoins de son diocèse,
résolut de ne rien négliger pour faire réussir une entreprise chère
à tous les catholiques 5.
5. Comme il ne s'agit pas d'un collège de fondation nouvelle,
il convient de retracer brièvement son histoire depuis son origine
jusqu'à la prise de possession par les Pères de la Compagnie de
Jésus.
Le collège de Ja Trinité, fondé en 1519 (i, devait son nom à
1. Jean de Vaurelles, prieur de Montrottier. Le P. Polanco écrit à tort Montpellier
(Chronicon, i. VI, p. 492).
2. Lettre du 28 novembre 1559 (Galliae Epist., t. I, fol. 47).
3. Registre des délibérations (Archiv. comin., BB, 82, fol. 34).
4. Lettre du P. Auger au P. de Borgia, 30 septembre 1503. Du même au P. Général,
11 fév., 4 juin, 22 mai, 25 sept. 1564 (Galliae Epist., t. II, fol. 196, 202, 215, 218
5. Begistre des délibérations (Archiv. comm., BB, 84, fol. 45).
6. Registre des délibérations (Archiv. comm., BB, 87, fol. 14).
FONDATION DU COLLEGE DE LYON.
l'une des plus anciennes confréries du royaume. La fête de la
Très Sainte Trinité, qu'on célébrai! dès le xue ou même dés le
V siècle dans quelques églises de France, fut adoptée à Lyon
au commencement du xive. En 1300, plusieurs habitants, d'une
grande piété, s'étant associés afin d'honorer les Trois Personnes
divines d'une dévotion particulière, élevèrent près du cimetière
de Saint-Nizier une chapelle où ils s'assemblaient régulière-
ment1. Cette confrérie, enrichie par le Saint-Siège de nom-
breuses indulgences et devenue, avec le temps, considérable,
possédait en 1493, grâce à de généreuses donations, « un grand
tènement de maisons, granges et jardins » sur les bords du
Rhône, à l'extrémité de la rue Neuve. Ses membres y établirent,
en 1519, une sorte de petit collège pour les enfants des ouvriers
pauvres. L'enseignement y était gratuit et élémentaire; il se
composait de la lecture, des éléments de la grammaire et de
l'arithmétique2.
Jusqu'au commencement du xvie siècle, la ville de Lyon n'a-
vait eu que des maîtres d'école. Les jeunes gens qui voulaient
étudier les lettres, la philosophie ou les langues, étaient obligés
d'aller à Paris, à Montpellier, à Toulouse, à Bourges, même à
Pavie ou à Padoue. En 1527, François de Rohan, archevêque de
Lyon, Symphorien Champier, médecin, Claude de Bellièvre, avocat
du roi et plus tard premier président du Parlement du Dauphiné,
furent les principaux promoteurs d'une organisation nouvelle qui
devait assurer à la cité les bienfaits de l'instruction. Les douze
conseillers échevins s'entendirent avec les courriers de la confrérie
de la Trinité, et ceux-ci cédèrent à la ville, en vue de l'érection
d'un collège, les granges où se tenaient déjà les petites écoles.
L'acte, signé « en l'Hostel-Dieu du pont du Rhône », nous apprend
que la cession fut entièrement gratuite : les pieux fondateurs
n'imposèrent pour conditions que la prière et l'exercice de la
charité chrétienne 3. Le collège confié à des maîtres séculiers ne
fut d'abord qu'un externat, où les écoliers étaient admis moyen-
nant la somme de deux sols six deniers par mois. Le 13 décembre
1529, le consulat décida que les enfants pauvres seraient reçus
gratuitement. L'installation, défectueuse au début, s'améliora
peu à peu. En 1537, on éleva de nouveaux bâtiments « pour la
1. Cette chapelle ayant été démolie en 1562 par les calvinistes, les associés se réu-
nirent ensuite dans l'église Saint-Nizier.
2. Etablissement de la confrérie de la Trinité (Bibl. du Lycée de Lyon, ms. 3051
Cf. Monfalcon, Histoire monumentale de la ville de Lyon.
3. Acte de fondation publié par Charvet dans Etienne Maiiellange, p, lli.
460 IIISTOIKE DE LA COMPAGNIE DE JÉS1 s.
demourance des maistres, régens et bacheliers, et aussi pour
loger les commensaux » ou pensionnaires '.
On n'avait pas toujours été très heureux dans le choix des
Principaux du collège. En 1558, il se trouvait dans un état pi-
toyable et presque sans écoliers. On résolut alors de mettre à
sa tète un homme intelligent, de mœurs irréprochables, et, le
29 septembre, on fit appel au dévouement de Barthélémy
Aneau, qui accepta la charge pour quatre années. Il ne devait
pas atteindre le terme de son mandat. Il passait pour enclin aux
doctrines nouvelles, et cette suspicion lui devint funeste. Le
5 juin 1561, jour de la Fête-Dieu, pendant la procession de la
paroisse de Saint-Nizier, un ouvrier de la religion réformée se
jeta comme un furieux sur le prêtre qui portait le Saint-Sacre-
ment, le lui arracha des mains et le foula aux pieds. Le même
jour, au moment où la procession de Saint-Pierre sortait de
la rue Neuve, une pierre, dit-on, fut lancée d'une fenêtre du
collège et frappa un prêtre qui marchait à côté du dais. La
populace, indignée de ces outrages, se précipita sur le collège
signalé comme foyer de l'hérésie; quand Aneau se présenta
pour calmer la foule exaspérée, il fut saisi et impitoyablement
massacré2.
6. Au milieu des douloureux événements dont la ville de Lyon
fut le théâtre durant deux années, le collège de la Trinité passa
entre les mains des calvinistes. Après la défaite et l'expulsion des
huguenots, il ne fît que végéter dans une situation précaire,
jusqu'à sa fermeture pendant la peste. Le chapitre, qui avait
dans ses attributions la surveillance de l'instruction publique,
1. Comptes du voyer Humbert Gimlire cités par Clerc : Le collège de la Trinité...
dans l'Instruction publique à Lyon avant 1789, p. 73. Cf. Charvet, op. cit., p. llfi,
117.
2. « Aneau, dit de Rubys, sentoil mal de la foy. C'estoit luy qui avoit semé l'héré-
sie à Lyon » {Histoire de Lyon, p. 389). A ce témoignage on pourrait opposer la ré-
ponse que (it le consulat au cardinal de Tournon, le 8 octobre 15(30 : « 11 a esté re-
monstré au dit Sr Rmc que le principal, qui est présentement au dit collège. es(
homme de bien, de bonnes mœurs, savant et expérimenté, religieux et catholique,
qui instruit si bien la dite jeunesse que tous les habitans de la dite ville, qui ont en-
fans au dit collège, en ont grand contentement et que ce seroit un dommage grand
et irréparable pour la jeunesse qui est à présent au collège de le changer ou y en
mettre un autre» (Archiv. commun., BB, 82, fol. 54). D'un autre côté, on trouve aux
archives départementales une attestation authentique, de 1574, touchant le collège de
la Trinité, dans laquelle il est dit : « Notre jeunesse, qui par longues années, avoil
été pervertie et de mœurs et de religion en icelui collège » (Allut, Recherches sur
le P. Menestrier, p. (î). Pour nous il n'est pas douteux que les consuls de 15G0 ne
fussent, comme Aneau, des partisans secrets de l'hérésie. Leur certificat de bon calho*
ligue délivré au Principal de la Trinité n'était qu'un moyen d'écarter les Jésuites.
FONDATION DU COLLÈGE DE LYON. ici
ne pouvait manquer de se préoccuper de la ruine de cet établis-
sement. Mais à qui en confier désormais la direction? Le consulat
venait d'être témoin des éminents services rendus à la ville par
le P. Auger pendant la dernière peste, et l'archevêque, Antoine
d'Albon, se rappela les instances du cardinal de Tournon, son
prédécesseur, en faveur des Jésuites. Ils se décidèrent à ouvrir
les portes du collège à la Compagnie de Jésus, et à en faire « un
arsenal sacré pour la défense de la foy et la confusion des héré-
tiques ' ». Le 24 janvier 1505, Jean Cyberand, custode de Sainte-
Croix et officiai de la Primatiale, exposa au chapitre, de la part
de l'archevêque dont il était aussi le grand vicaire, « qu'il seroit
besoing d'establir ung bon colleige dans cette ville et qu'il a
esté prié par MM. les eschevins de choisir les Jésuites à cet effet,
mais qu'il n'a voulu l'entreprendre à l'insu et sans le vouloir du
chapitre'2 ». Cette demande fut agréée, et le 27 janvier, d'après
une note remise par le P. Auger sur « les charges que font les
Jésuites dans les villes et lieux où ils ont des maisons », les
chanoines décidèrent qu'un revenu annuel de deux cents livres
leur serait accordé. Cette allocation était bien modique pour un
collège qui manquait de tout, par suite de l'état de délabre-
ment où il se trouvait3. Le 30 avril, le P. Auger demanda une
augmentation, mais le chapitre répondit « qu'il jugeoit convena-
ble, avant de passer outre, d'en référer au Révérendissime Ar-
chevêque'1 ».
Informés des démarches qui avaient été failes auprès du
P. Auger, les calvinistes de Lyon tentèrent de s'opposer de toutes
leurs forces au succès de l'entreprise. Le collège, prétendaient-
ils, a été fondé des deniers de la ville et pour le bien public; il
doit être commun à tout le monde. Comment donc a-t-on pu
concevoir la pensée de le donner aux Jésuites? N'est-ce pas vou-
loir en exclure nos enfants, que de le confier à des gens qu'on
sait être les adversaires les plus déclarés de la nouvelle réfor-
mation? — Malgré les protestations des novateurs, les magistrats
de la ville persistèrent dans leur projet, mais avec l'intention de
conserver la propriété du collège.
Le 1er mai 1505, à la suite d'une délibération, remplie de
1. Archives commun., RB, 83, fol. 40; 84, Col. 45\
2. Délibérations du chapitre de la cathédrale. 156'» 5, 24 janvier (Archives du
Rhône).
3. Ibid., Délibération du 27 janvier.
i. Ibid., Délibération du 30 avril. Cf. Archives commun, de Lyon, Blî, 8i, fol. 45*.
Arcliiv. du Rhône, D, 2, fol. 1.
462 HISTOIRE DE \A COMPAGNIE DE JÉSUS.
considérants sur la nécessite'1 d'un enseignement catholique, le
consulat décida que « le collège serait remis et dressé pour servir
de séminaire à la jeunesse, sous la charge, direction et conduite
de docteurs et régens de l'Ordre du nom de Jésus ». Mais au lieu
de huit cents livres tournois, donnés annuellement aux ancieus
maîtres, on n'en assigna plus que quatre cents, « et ce tant et si
longuement que la commodité de la ville le pourra porter1 ».
Le même jour, les clefs du collège furent remises « par manière
de provision » au P. Àuger, pour deux années seulement; car il
avait déclaré qu'il ne pouvait prendre un engagement définitif
sans l'autorisation du Pape et du P. Général2.
Une occasion favorable se présentait d'obtenir promptement
cette double approbation. Le P. Auger, en sa qualité de Provin-
cial d'Aquitaine, allait se rendre à Rome et assister à la congré-
gation générale convoquée pour le 28 juin, afin d'élire un suc-
cesseur au P. Jacques Lainez. Les consuls lui confièrent, à l'a-
dresse du Souverain Pontife, une lettre dans laquelle ils priaient
Sa Sainteté d'appuyer leur projet de fondation et d'étendre ses
libéralités sur le nouveau collège. Le 15 août 1565, le Pape Pie IV
répondit à ses « très chers fils les consuls et les conseillers de la
ville de Lyon » par un bref de félicitations, où il les encourageait
dans leur fidélité au Saint-Siège et leur résolution de conserver
pure et intacte la religion de leurs aïeux : « Nous louons beau-
coup, leur écrivait-il, votre intention d'abandonner le soin de
votre collège aux professeurs de la Compagnie de Jésus; car
Nous apprenons tous les jours que les prêtres de cette Compa-
gnie, en tous les lieux où ils résident, s'appliquent avec diligence
au salut des âmes, et le font avec fruit autant par l'exemple de
leur vie que par leurs discours. Et c^est ce que nous éprouvons
Nous-même dans notre bonne ville de Rome; ce qui Nous a porté
à leur laisser plus volontiers la conduite du séminaire que Nous
avons tout récemment établi, suivant le décret du saint concile
de Trente. Quant à ce que vous Nous écrivez, que les revenus du
collège ne sont pas suffisants, s'il se présente quelque occasion
de les augmenter, Nous ferons en sorte de contenter sur ce point
votre inclination suivant le rapport que Nous en fera le P. Émond
Auger3. »
1. Délibérations du 3<> avril el du l" mai 1565 (Archiv. comin. de Lyon, Registres
consulaires). Arcliiv. du Rhône, D, 2, fol. 2j E, 2286, n° 3.
2. Extrait des actes de la Sénéchaussée, I" mai 1565 (Archiv. du Rhône).
3. Lettre du pape aux consuls (Archiv. commun, de Lyon, GG, XX, 101, n. i).
FONDATION DU COLLÈGE DE LYON. 463
7. De retour à Lyon, le I*. Provincial installa comme premier
Kecteur le P. Guillaume Creytton, écossais d'origine1, qu'il avaii
amené de Rome avec le P. Pierre Perpinien2, auquel était ré-
servée la chaire d'Écriture Sainte. Le 3 octobre3, les Jésuites ou-
vrirent solennellement les classes en présence de l'archevêque,
du gouverneur, François de Mandelot, des conseillers catholiques
et de tout ce que la ville comptait de gens de lettres et de sa-
vants distingués. Le P. Perpinien prononça, à cette occasion, une
harangue latine sur l'obligation de conserver l'ancienne religion,
De retinenda veleri religione ad Luydunenses, sujet plein d'a-
propos qui lui avait été conseillé par le P. Auger. Ce discours,
d'une éloquence cicéronienne, produisit une si grande impres-
sion, que l'archevêque voulut le faire traduire et imprimer4. Les
cours commencèrent aussitôt après. Comme on l'avait promis,
quatre régents furent chargés d'enseigner la grammaire, un cin-
quième, le P. Gilles, la rhétorique. Le P. Perpinien faisait publi-
quement, trois fois par semaine, sur l'Ecriture Sainte, des leçons
latines auxquelles l'archevêque venait parfois assister avec quel-
ques membres du clergé; mais, malgré le talent du professeur,
ce dernier cours ne réunit jamais plus d'une vingtaine d'audi-
teurs '. Les classes de grammaire et de rhétorique étaient au con-
traire très fréquentées, et le consulat ne pouvait que s'applaudir
de la mesure qu'il avait prise.
Les Jésuites étaient loin d'être aussi satisfaits, car l'état maté-
riel du collège laissait beaucoup à désirer; ils furent obligés
d'emprunter huit cents francs pour le meubler. « Dieu, lisons-
nous dans un ancien manuscrit, inspira [à] quelques gens de
bien [de] les aider, voyant qu'ils n'avaient ni moyens ni amis pour
vivre, et spécialement un certain Pierre Frère G, lequel apporta
au P. Creytton trente doubles ducats, disant qu'il le rendroit s'il
se pouvoit faire, autrement qu'il priât Dieu pour lui; et étant
marchand de toile nous pria de prendre de sa boutique toutes
1. « D'une noble famille d'Ecosse », dit le Mênologe S. /., Germanie, B. I, 567.
2. Voir livre II, c. m, n. 5.
3. Et non le 3 août, comme le disent presque tous les historiens. Une lettre de
Rome du 14 aoiït annonce le départ du P. Perpinien pour le 16. Le P. Perpinien lui-
même écrit qu'il avait commencé la composition de son discours d'entrée le 22 sep-
tembre et qu'il le prononça le 3 octobre : « V non. octobr. »
4. Mémoires histor. et apolog. du P. de la Vie, mss. Extraits (Archiv. Prov. de
France).
5. Lettre du P. Auger au P. Général, 20 janvier 15(5(5 (Galliae Epist., t. III, toi. 113).
Cf. Bibl. de l'Ecole de Médecine de Montpellier, mss. H, n" 25(5. Indes decimus du
« Lugdunum sacroprophauum » du P. Bullioud, fol. 122, 123.
6. Pierre Frère était consul en 15(57.
464 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
sortes de toiles à nous nécessaires pour linceuls, chemises et
autres choses, comme nous finies longtemps,... et par la grâce
de Dieu il fut payé de ses trente doublons et de sa toile quelques
années après1. »
On ne lira pas sans intérêt la description du collège de la Tri-
nité (pie le P. Perpinien adressait, au mois de décembre 1565, au
P. Barthélémy à Rome : « L'office, la cuisine et la salle à manger
sont contiguës et disposées dans l'ordre que je viens d'indiquer...
Ces trois pièces sont très vastes, fort belles et bien lambrissées,
telles en un mot que je vous en souhaiterais à Rome. Le vin se
garde dans une cave placée sous la salle à manger qu'elle égale
en grandeur.
« Les chambres à coucher sont assez grandes et trop nombreuses
pour nous, car nous ne sommes que douze, avec un nombre à peu
près égal de pensionnaires, dont plusieurs appartiennent aux
premières familles de la ville. Dans chaque chambre à coucher
est placée, selon l'usage de France, une bibliothèque fermée et
couverte de boiserie, longue de neuf à dix palmes, large de sept
à huit, et un peu plus haute que large. On dirait une petite cham-
bre enfermée dans la grande. Dans l'intérieur se trouve une
table, et les parois sont garnies d'étagères bien disposées. En
sorte que, dans un espace étroit, vous pouvez avoir un assez bon
nombre de livres; vous pouvez lire, écrire, méditer, à votre
aise. C'est là que nous allons nous blottir, pour conserver plus de
chaleur pendant l'étude, non seulement à nos esprits, mais
aussi à nos corps; car ici, mon cher Barthélémy, il n'y a rien de
plus essentiel que de se tenir non pas tant l'esprit que le corps
bien chaud; vous pouvez m'en croire sur parole. Aussi, dans la
chambre la plus vaste et la mieux décorée, celle probablement
du Principal et qu'occupe aujourd'hui le P. Auger, on avait
tracé sur le mur cette inscription : Intus vinum, foris ignis. Mais
l'auteur de cette devise était un homme plongé dans la chair;
nous, dont les pensées doivent se diriger vers l'éternité, nous
aurions ordonné de mettre ces mots : Intus preces, foris labor}
deux excellents préservatifs contre la rigueur du froid.
« Les classes sont au nombre de cinq. Celle des rhétoriciens
et des théologiens me parait mieux ornée que les vôtres. Il y a
deux cours; dans l'une d'elles se trouve un puits d'excellente eau,
alimenté sans doute par les infiltrations du fleuve voisin. Car
1. Cité dans De Perpiniani cita et operiOus, p. 42.
FONDATION DU COLLÈGE DE LYON. 40;;
une partie de la ville s'allongeant entre le Rhône et la Saône, le
collège de la Trinité se trouve placé au milieu de la ligne qui en
mesure la longueur, et à l'extrémité de celle qui en détermine la
largeur sur la rive du Rhône. Aussi, de la cour, et à plus forte
raison des chambres, jouit-on de la vue admirable du fleuve,
qui coule avec tant de rapidité que, malgré l'aplatissement de
son lit, on entend d'ici le bruit de ses flots. On aperçoit des bar-
ques qui descendent, et au delà, une immense étendue de plaine
terminée par la chaîne des Alpes. Du sommet de notre tour, qui
s'élève à une grande hauteur, on découvre encore toutes les
maisons et les rues de la ville; de sorte que, si vous venez un jour
nous rendre visite, vous manquerez plutôt de manger que de
voir1 »
Le trait final montre assez que la sainte pauvreté présidait
en souveraine à ces pénibles débuts. Les professeurs n'en consa-
craient pas moins tous leurs soins à l'éducation et à l'instruction
de la jeunesse, tandis que le P. Auger continuait ses œuvres de
zèle auprès de toutes les classes de la société. « On ne sçauroit
voir un plus grand concours de monde que celuy qu'il y a aux
sermons du P. Émond, écrivait le P. Perpinien à Pompée Mar-
salle son ami; non seulement les catholiques, mais encore les
hérétiques y viennent avec empressement. On ne peut dire aussi
combien est grand le crédit qu'il a dans toute la ville, où il porte
toutes sortes de personnes à la pratique de la vertu, avec une
espèce d'empire et d'autorité. Hien ne se fait icy sans sa parti-
cipation; les affaires ecclésiastiques surtout se concluent presque
par son seul avis, de sorte que le nom de Jésuite, qui nous est
commun maintenant en France et en Allemagne, luy est attribué
singulièrement, et quand on parle de luy on croit l'avoir suffi-
samment désigné en le nommant le Jésuite^. » Il ne manquait
pas d'ouvrage, car les ministres Viret et Ruffin poursuivaient leur
propagande calviniste avec une insolence qui devint bientôt in-
supportable. Ainsi, quand on apprit que Malte était assiégée par
les Turcs, ils ordonnèrent des jeûnes et des prières publiques
pour obtenir que le ciel bénit les armes des infidèles : « Mieux
valait, disaient-ils, que Malte fût soumise aux Mahométaus qu'à
des idolâtres comme les catholiques romains. » On conçoit l'in-
dignation que de telles paroles soulevèrent dans la ville. Le
1. Perpiniani Epistolae, t. III, Epist. XXI n 121
">■ Ibid., Epist. XXIII.
COMP\GNIE DE JÉSUS. — T. I.
3d
406 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
P. Auger entreprit d'en faire sortir les ministres, et il y réussit :
un édit du roi envoya en exil ces hommes pernicieux1.
8. Le collège de la Trinité n'avait été confié aux Jésuites qu'à
titre d'essai, pour deux années seulement. Ce temps écoulé, le
P. Provincial déclara qu'il ne pouvait plus s'en charger, si la ville
ne consentait à le remettre en don perpétuel à la Compagnie.
Cette déclaration souleva, au sein du conseil, de graves débats de
la part de quelques échevins calvinistes. Malgré leurs protesta-
tions, le consulat, où les Jésuites comptaient de nombreux amis,
consentit à la cession sollicitée. Le dimanche li septembre 1507,
fut signé, dans le bureau de l'hôpital du Pont du Rhône, l'acte
qui confiait d'une manière définitive le collège de la Trinité aux
Pères de la Compagnie de Jésus. Cet acte, dressé par Benoit Du-
troucy, notaire royal et commis au secrétariat de la ville, est assez
diffus. Après un long préambule, résumé historique de la fonda-
tion du collège, viennent les clauses essentielles : Les bâtiments
« avec leurs appartenances » sont abandonnés à perpétuité aux
Jésuites; — ceux-ci devront « établir et entretenir en iceluy
collège un recteur et principal accompagné de personnes doctes
et idoynes de leur profession, en nombre suffisant pour régenter
la jeunesse en tous arts libéraux... endoctriner en toute piété et
en la foi catholique tous les dits écoliers, soit de la ville ou étran-
gers, portionistes et antres qui viendront audit collège, le tout
gratuitement et selon leurs sainctes doctrines et ordonnances » ;
— le traitement accordé par les échevins sera « une pension et
provision annuelle de huit cents livres tournois;... en outre,
demeureront au profit dudit collège tous fruits et revenus tem-
porels et legs qui auront été donnés par le corps des habitants
de ladite ville » .
L'accord se terminait par cette clause, source dans l'avenir
de longues discussions entre les échevins et les Jésuites : « Les-
dits sieurs contractants ont convenu et arresté que chacun an à
perpétuité, au jour et feste de la saincte Trinité... ledit recteur
présentera le cierge de cire blanche avec les armoiries de
la ville, durant le service divin auquel assisteront, si bon leur
semble, les seigneurs conseillers et échevins qui seront pour
lhors... et le même jour sera leu, en leur présence, le présent
contract de fondation, pour mémoire des clauses et condi-
1. Perpiniani Epistolac, t. 111, Epist, XXIII.
FONDATION DU COLLÈGE DE LYON. 467
tions y apposées et confirmation des promesses réciproques1. »
Au moment de la ratification de l'acte du 14 septembre, le
P. Auger demanda le retrait de ce dernier article; le consulat
ne voulut consentira aucune modification'2. Le contrat fut donc
ratifié purement et simplement, en l'Hôtel de Ville, puis con-
firmé par Charles IX au mois de septembre 15683.
9. En 1569, une certaine ordonnance du « chef de la justice'1 »
souleva contre le collège de la Trinité une tempête qui fut heu-
reusement de courte durée. Comme la foi d'un grand nombre
était chancelante, et que les hérétiques dissimulaient leurs senti-
ments, ce sage magistrat, afin de sauvegarder la jeunesse, avait
enjoint à tous les maîtres de pension de conduire leurs écoliers,
sauf les abécédaires, au collège de la Compagnie, pour l'ensei-
gnement des lettres et du catéchisme. Cette décision blessa au
vif les pédagogues'. A l'instigation vraisemblablement des
huguenots, ils se répandirent en reproches et en calomnies, pré-
tendant que les Jésuites voulaient être les seuls maîtres de la
jeunesse dans la ville. A les entendre, non seulement on offensait
leur honneur, mais on nuisait à leurs intérêts; cependant, ajou-
taient-ils, chez les Jésuites il y a bien des professeurs qui pour-
raient s'asseoir sur les bancs des écoliers; de plus, leur collège
est une maison peu commode pour y rassembler des enfants de
toute la ville; enfin leur division des classes est mal ordonnée
et peu favorable aux études. — Ils formulèrent tous leurs griefs
dans un mémoire qui fut remis aux magistrats".
Le Père Creytton, avec un ou deux autres Pères et les auteurs
de la requête, furent assignés à comparaître devant le conseil
de ville. Trente à trente-deux pédagogues répondirent à la con-
vocation : « Puisque entre nous et les pédagogues, dit le P. Creyt-
ton, il s'agit d'une question qui touche à l'enseignement, il me
semble bon qu'elle soit traitée en latin. Que Messieurs les péda-
gogues commencent donc par exposer leurs accusations; nous
leur répondrons ensuite. » Cette proposition parut raisonnable
1. Premier contrat (Arcliiv. comm.,BB, 87, fol. 1 i-20 ; Archiv. du Rhône, n. 2, n. 6).
2. Acte de ratification du contrat (Archiv. du Rhône, D, 2, n. 6). L'acte de ratifica-
tion est du 8 janvier 1568.
3. Patentes de Charles IX (Archiv. du Rhône, D, 2, n. 7). Epislol. P. Xculal, t. III.
I". 620.
4. « Il présidente délia ^iusticia », écrit le P. Creytton.
b. Lettre du P. Creytton au P. Général, 28 mars 1569 (Gall. Eriist., t. IV, f. 35, 36.
6. Sacchini. Hist. Soc, P. III, 1. V, n. 135, 137.
7. Lettre du P. Creytton déjà citée.
468 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
au président, et il donna la parole auK pédagogues. Soit scru-
pule de conscience, soit que le plus grand nombre ignorât le
contenu de la requête, soit tout autre motif, ils n'osèrent même
pas ouvrir la bouche pour répéter leurs accusations; quelques-
uns, au contraire, firent l'éloge de la discipline et de l'enseigne-
ment du collège. On eut beau les interroger les uns après les
autres, et leur demander s'ils n'avaient pas à faire quelques récla-
mations, il ne s'en trouva pas un seul qui n'avouât qu'il n'avait
aucun motif de plainte l.
Alors le Père Recteur demanda au président la permission de
répondre à quelques-uns des griefs formulés dans la requête.
« Et d'abord, dit-il, on se plaint de notre esprit dominateur. Ce
n'est pas à moi qu'il appartient de répondre sur ce point, mais à
vous, messieurs les magistrats, qui pouvez donner les raisons de
votre ordonnance; nous nous sommes soumis pour le bien de la
religion au surcroit de travail qui nous était imposé, certains
d'ailleurs que si votre décision nuit à l'honneur ou aux intérêts
de quelques personnes, vous y avez pourvu vous-mêmes. J'at-
teste pour ma part que nous n'avons jamais désiré cet état de
choses, et vous pouvez témoigner que jamais on ne vous l'a de-
mandé en notre, nom. — On se plaint aussi de l'exiguïté du local
et de la situation du collège. Ce n'est pas encore à nous qu'il faut
s'en prendre sur ce point, mais aux consuls et aux magistrats de
la cité : nous habitons où vous nous avez logés, nous usons du
collège que vous nous avez donné, nous enseignons là où vous
l'avez voulu2. »
Le P. Pioneau, préfet des études, défendit à son tour la division
des classes et les méthodes d'enseignement. 11 parla d'impro-
visation, mais avec tant de facilité et d'à-propos, qu'il ravit
le président et toute l'assemblée3. Quand il eut fini, le pré-
sident fil l'éloge de la Compagnie, recommanda son Institut,
rappela l'utilité de ses œuvres et montra combien elle était né-
cessaire à pareille époque. Puis, se tournant vers les Pères, il
leur demanda de travailler toujours, comme ils faisaient, au
bien public, sans avoir rien à craindre des détracteurs. Enfin il
adressa de graves reproches aux auteurs de la requête et les
1. Lettre du P. Creyllon.
2. Le P. Creytlon dans sa lettre déjà citée ne fait que résumer ses réponses. Le
P. Sacchini (/. c.) auquel nous empruntons ce passage aura eu entre les mains un
document plus développé, tel que celui que nous citons plus loin pour un cas à peu
près semblable.
3. Lettre du P. Creytton.
FONDATION DU COLLÈGE DE LYON. 469
menaça de châtiments, s'ils s'avisaient de renouveler leurs tra-
casseries1.
10. En 1571 le P. Possevin, qui avait succédé au P. Creytton
comme Recteur du collège, essaya de faire modifier, dans la
forme, la clause imposée par la ville au contrat de 1567, tou-
chant la lecture de l'acte de fondation, chaque année, le dimanche
de la Trinité. Quand, ce jour-là, le corps consulaire se rendit à la
chapelle du collège, il trouva la messe déjcà commencée. Les
échevins prof estèrent2; les Pères invoquèrent la dignité du ser-
vice divin, en faisant remarquer qu'il ne convenait pas de l'in-
terrompre par la lecture d'actes profanes et purement civils.
Grâce à l'intervention du gouverneur, M. de Mandelot, une tran-
saction eut lien, le 6 août, entre les citoyens de Lyon et les Pères
de la Compagnie de Jésus. Sans rien enlever aux droits du con-
sulat, elle en rendit l'exercice moins rigoureux. Désormais, la
lecture de l'acte de fondation se ferait avant la messe, dans la
chambre du P. Recteur, devant les échevins dûment convoqués;
et pour perpétuer la mémoire de la fondation, l'acte rédigé et
signé par le secrétaire de la ville serait placé en un tableau ap-
parent. Quant au cierge de cire blanche, on continuerait à l'offrir
à l'église en la forme usitée^.
Le contrat du 6 août 1571, ratifié le 30 du même mois par le
P. Possevin muni d'une procuration du P. Général, complétait
avec quelques modifications celui du 14 septembre 1567. Afin de
prévenir de nouvelles difficultés, on y expliqua très nettement
les circonstances dans lesquelles le collège avait été confié à la
Compagnie, ainsi que les droits et les devoirs des parties contrac-
tantes. On y fixa aussi, avec plus de précision, le plan des études.
Les Pères devaient avoir une classe élémentaire, deux de gram-
maire, une d'humanités, « outre lesquelles leçons, il y aura lec-
ture et instruction de l'art oratoire ou rhétorique, avec une vraie
méthode de dialectique, quelque partie de l'année ». De plus ils
feront « lire et apprendre le catéchisme et principaux points de
la sainte religion aux écoliers, et seront tenus de faire que la
jeunesse ait à jamais, avec les lettres, l'instruction en la vraye et
solide religion catholique4 ».
1. Sacchini, l. c.
2. L'acte de leurs protestations se trouve dans les Registres consulaires, 10 juin
1571 (Archiv. coram. de Lyon, BB, 80, f. 112").
3. Transaction du 6 août 1571 (Archiv. comm., BB, 89, fol. 160).
4. Ibidem.
470 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Un peu plus tard, pour compenser la modicité des revenus an-
nuels, la ville alloua au collège, outre les huit cents livres du
contrat, des franchises d'octroi d'une valeur de quinze cents
livres. A cette somme il faut encore ajouter, parmi les fonds as-
signés aux Jésuites dans les débuts, une rente de deux cents
livres faite par l'archevêque1 et une autre semblable promise par
le chapitre « à titre d'aumônes2 ». Avec ces subsides et le dévoue-
ment de ses nouveaux maîtres, le collège de la Trinité devint en
peu de temps très prospère, quoique le nombre des élèves fût
plus considérable dans les basses classes que dans les cours su-
périeurs.
Rien n'avait été déterminé, dans les différents accords avec l'é-
chevinage, sur la question des pensionnaires. Les Jésuites les
avaient admis au début, quand, sous la domination protestante,
la jeunesse se trouvait exposée à tomber entre les mains de péda-
gogues pervertis3. Vers 1574, ce danger ayant disparu, ils réso-
lurent de s'en décharger, conformément à l'esprit de l'Institut et
aux recommandations formelles de la congrégation générale réu-
nie à Rome au mois de mai 15734. Mécontents de cette mesure,
bon nombre de pères de famille adressèrent au corps municipal
des pétitions, où ils se plaignaient de la décadence des études et
de la mauvaise éducation donnée à leurs enfants. Les Jésuites
n'eurent pas de peine à prouver, devant le consulat, que ces re-
proches n'étaient pas fondés. Les régents, dirent-ils, sont sou-
mis à la surveillance d'un docteur en théologie « bien versé en
lettres humaines et en philosophie qui, tous les jours, va visi-
tant les classes pendant qu'on lit ». Quant à la suppression du
pensionnat, ils répondirent qu'un établissement de cette nature
avait « quelque chose de peu convenable à des personnes reli-
gieuses, la charge des pensionnaires empêchant grandement les
régents et les détraquant de leurs dévotions, oraisons et autres
exercices spirituels5 ». Les habitants avisèrent alors aux moyens
de fonder une maison, distincte du collège, où seraient reçus
les enfants dont les parents ne pouvaient surveiller l'éducation.
Les organisateurs de cet établissement annexe furent les mein-
1. Plusieurs actes font allusion à cette rente (Archiv. du Rhône, D, 21).
2. De collegii Lugdunensis ortu et progressu (Francia, Hist. fundat., n. 30). Cette
notice manuscrite, qui s'étend jusqu'à 1587, porte le visa du P. Richeome.
3. Lugdun. Fundat., collegior., t. V, n° 7. — 11 faut aussi remarquer qu'un pension-
nat existait déjà au collège avant l'installation des Jésuites.
4. Lettre du P. Creytton au P. Général, 9 février 157 i (Galliae Lpist., t. VIII,
fol. 114).
5. Archiv. comin., GG., XX, 193, n° 6, fol. 1, 2.
FONDATION DU COLLÈGE DE LYON. 471
bres d'une congrégation d'hommes, déjà formée sous la direc-
tion des Jésuites. « Félix Régnier, surintendant, Jean-Baptiste
Brune et Jean-Baptiste Savignon, assesseurs, Philippe Jacomini,
Pierre Le Moyne, Antoine Biaise et autres, de la Congrégation
Notre-Dame, fréquent.! us les sacrements de confession et commu-
nion en l'église du collège de la Trinité », s'entendirent entre
eux pour « dresser ung collège de commensanlx soubs le bon
plaisir du Boy, M"1' l'Archevesque et Messieurs de la ville ». aux
conditions suivantes : le Principal cpui les gouvernera sera choisi
par le P. Recteur, lequel aura la surintendance de tout ce qui
concerne « les bonnes lettres, meurs et discipline scolastique » ;
— le soin des choses temporelles sera confié à un économe dési-
gné par les commissaires de la congrégation, « avec consente-
ment toutes foys dudit Recteur » ; — au Principal appartiendra
le choix de son personnel qui devra être approuvé par le Père
Recteur; — s'il advient que la congrégation de Notre-Dame
renonce à l'administration du pensionnat, le Principal seul en
aura la charge, sans cesser d'être soumis au P. Recteur1.
Ce projet fut envoyé à Rome par le P. Creytton, et le P. An-
nibal du Coudret, mis récemment à la tête de la province d'A-
quitaine, écrivit lui-même au P. Général en lui remontrant les
inconvénients qu'aurait à subir le collège de Lyon, si la demande
du pensionnat n'était pas acceptée. En effet, la ville se montrait
fort mécontente. Des deux contrats de fondation, le dernier et dé-
finitif, celui du 6 août 1571, n'avait pas encore été enregistré au
Parlement. Le Père Provincial avait beau presser les échevins
d'en obtenir l'homologation, ceux-ci répondaient par « de bon-
nes parolles », mais ils ne voulaient que gagner du temps « jus-
ques à l'yssue de leur magistrature pour laisser la chose » en
l'état2. Bref, écrivait le P. du Coudret au P. Général, « ces sei-
gneurs sont fort froids et aliénés en grande partie de nous, disant
que nous avons chassé leurs enfans du collège. Ils prennent
bien plaisir aux exercices du collège, et disent qu'ils le veulent
bien avoir, mais ils ne peuvent avaller ce point-là de leurs en-
fans. Pour auquel remédier, l'on avoit icy pensé que quelques
bourgeois et marchans dressassent un collège de pensionnaires
près du nostre, à la forme que le P. Creitton esciït à Votre Ré-
vérendissime Paternité ». Tout en demandant des ordres au
1. Projet de pensionnat envoyé à Rome par le P. Creytton avec une lettre au
P. Général, du 31 octobre 1575 (Galliae Epist., t. IX, fol. 165).
2. Lettre au P. Général, 31 octobre 1575 (Galliae Epist.. t. IX, f. 166).
472 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
premier supérieur de la Compagnie, le P. Provincial ne lui
cacha point son avis personnel : « l'importance de cette ville »
semblait mériter un accommodement et il n'y avait pas d'autre
moyen « de se réconcilier les Lion ois1 ».
11. Les ennemis des Jésuites profitèrent des difficultés provo-
quées par la suppression du pensionnat, pour essayer de sou-
lever contre eux toute la ville. Les choses en arrivèrent bientôt
à ce point que le gouverneur crut nécessaire de s'occuper lui-
même de l'affaire, et de convoquer une assemblée à la seule
fin de l'examiner. Le compte rendu des délibérations nous en a
été conservé2; quelques extraits nous montreront que, malgré
les exagérations et les calomnies, les meilleurs esprits restaient
toujours attachés à la Compagnie de Jésus :
« Se trouvèrent présens en ceste assemblée M. l'Àrchevesque,
M. de Mandelot, gouverneur, M. le président de la justice avec
plusieurs conseillers, MM. les généraulx des Finances, MM. les
eschevins de la ville nos fondateurs, M. l'advocat du roy, M. de
Rubis conseiller, advocat et procureur de MM. de la ville, et
plusieurs autres notables...
« M. de Rubis commença, sans être requis de dire, et sans
commandement, licence ou permission de MM. de la ville. » Il
déclara que les Pères, après avoir fait de belles promesses,
n'avaient pas été fidèles à l'observation du contrat ': « Ils se sont
advisés, dit-il, à faire des congrégations de femmes jésuites et
des hommes en nostre collège, lequel a esté fondé par nos prédé-
cesseurs pour y nourrir nostre jeunesse »; et ils ont chassé nos
enfants pensionnaires en occupant la maison qui leur était des-
tinée; ils avaient promis quelque « bon prescheur » pour la
ville et les villages d'alentour, et ils n'ont donné personne.
— Non seulement nous avons tenu nos promesses, répondit le
P. Creytton, mais nous les avons dépassées. Outre les quatre ré-
gents de grammaire et le maître des abécédaires obligatoires
d'après le contrat :!, le collège possède depuis l'année dernière
1. Lettre au P. Général, 31 octobre 1575 (Galliae Epist., t. IX. f. 166).
2. « Récit du f'aict et succès de l'Assemblée tenue en la maison de M. de Mandelot,
gouverneur du Lyonnois, pour les affaires de la Compagnie de Jésus au dict Lion, le
23 mars 1576 » (Lugdun., Fundat. collegior., t. V, n° 46). C'est sans doute le récit
composé et envoyé par le P. Creytton au P. Général et dont il lui écrivait le 2 avril :
« Contexui discursum eorum quae gesta sunt in coetu coacto 23 mart., quem judicavi
ad P. V. inittendum » (Galliae Epist., t. X, fol. 65).
3. Le P. Creytton doit comprendre ici les humanités et la rhétorique dans les classes
de grammaire, car le contrat de 1571 exigeait outre les abécédaires deux classes de
gramimvre, une d'humanités et une de rhétorique, comme nous l'avons dit plus haut.
FONDATION DU COLLÈGE DE LYON. m
un professeur de philosophie, un autre de théologie et un pré-
fet des études. De plus, il y a toujours des Pères prêts à rem-
placer les professeurs malades, en sorte que les cours ne sont
jamais interrompus. Telle est d'ailleurs la confiance des familles,
que cette année nous comptons cinq cents écoliers. — Le P. Creyt-
ton énuméra ensuite toutes les églises de la ville et des environs
où il y avait eu des prédicateurs jésuites. Pour ce qui est des
congrégations de femmes, elles sont inconnues au collège. Des
femmes de toute qualité viennent en très grand nombre, il est
vrai, recevoir les sacrements dans notre église; si on leur donne
le nom de « congrégations de jésuites » c'est pour « se moucquer
et se broucarder d'elles ». Quant aux pensionnaires, nous avons
eu de bonnes raisons de ne les point garder, raisons approuvées
de nos Supérieurs à qui nous devons obéissance. Si nous n'obéis-
sions à notre Père Général, « il ne nous osteroit seulement d'icy,
mais il nous envoyeroit à Callicut pour prescher aux perroquetz
des Indes1 ».
Donc, conclut le P. Creytton, « qu'il plaise à MM. de la ville de
nous passer procuration pour consentir à l'émologation de nos
contracts au Parlement de Paris, spécialement du second contract
qui contient troys limitations du premier... Qu'il plaise [aussi]
à MM. de la ville de nous donner assignations certaines pour
retirer la rente de huit cens francs qu'ils nous ont accordée,
car le recepveur, après leur mandement, nous respont n'avoir
pas d'argent et nous faict courir longtemps après, perdant le
temps et presque la patience devant que le recepvoir ».
M. de Casot, premier échevin, prit ensuite la parole « disant
beaucoup de louange de la Compagnie... tout le contraire de ce
qu'avoit dit M. de Rubis ». Cependant, il ne fut pas d'avis de
1. Le manuscrit porte en cet end/oit l'annotation suivante : « Hic scribantur ra-
tiones quare demissi sunt pensionistae. » Ces raisons se trouvent énumérées dans un
autre document sous ce titre : « De causis cur dimittantur aliqui convictores » (Lug-
dun. Fundat. collegiorum, t. V, n° 7). Voici les principales : 1° Les parents ne payent
pas toujours les pensions, ce qui a déjà occasionné jusqu'à six procès. — 2° La né-
cessité de tenir les enfants « si court et estroit en discipline » en rend quelques-uns
« lins et dissimulateurs ». — 3° La surveillance gêne la régularité religieuse et on
est obligé de changer souvent les Pères qui s'occupent d'eux. Il y a autour du collège
assez de maisons honnêtes et de bons pédagogues pour les loger; à Tournon, Tou-
louse et Billom, les Pères pour ces mêmes raisons, ont cessé d'avoir des pensionnaires.
— 4° Les Pères de Lyon ont pris des pensionnaires du temps des huguenots à cause
de la difficulté à trouver des pédagogues catholiques, mai* maintenant la situation
n'est plus la même. — 5° Les Pères ont à peine où se loger eux-mêmes, le nombre de
trente personnes étant nécessaires pour remplir les clauses du contrat. Ils ont dû
mettre quelques-uns des leurs « dans des cabinets de vieils ais pourris, là où la ver-
mine en été et le froid en hyver ne les laissoit guières se reposer, dont quelques-uns
des régents en ont laissé la peau ».
474 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
consentir au second contrat. M. le président de la justice parla
en faveur des Jésuites et montra qu'il n'était « pas raisonnable,
quand la ville a obtenu ce qu'elle veult de la Compagnie, de
lui couper les moyens de s'entretenir et augmenter ». M. le gou-
verneur approuva la conduite des Jésuites dans l'affaire des pen-
sionnaires. Il serait plus expédient, dit-il, de les mettre à part
dans un collège régi par un Principal séculier, que de les tenir
dans celui de la Trinité, où la vie est trop austère pour des en-
fants. De plus, ajouta-t-il, rien ne s'oppose à ce que la Com-
pagnie puisse avoir des rentes et des revenus indépendants du
collège et de la ville. — Je suis en effet parfaitement libre, ré-
pliqua l'archevêque, de confier la direction d'un séminaire aux
Jésuites et de lui unir des bénéfices à ma collation. — L'avocat
du roi prit le parti de la ville en distinguant entre le collège
et la Société : les sociétés peuvent défaillir, voilà pourquoi il faut
avant tout soutenir les « qualitez et privilèges » du collège.
« Après tous ces discours, M. le Gouverneur fist la conclusion
que MM. les Eschevins se transportassent jusques au collège, et
qu'ils regardassent quel moyen il y auroit à l'entour pour dres-
ser un collège de pensionnaires, et que, quant à l'aultre point,
qu'ils regardassent entre eux et leur consulat d'accommoder les
affaires. Et ainsi fust achevée l'assemblée. Lendemain, de bon
matin, s'assemblèrent tous les Eschevins en nostre collège, et
après avoir visité nos classes, chambres et tout, et maisons à
l'entour, feust arresté de prendre le demeurant de l'isle qu'est
contenue avec le demeurant de nostre collège, et là dresser le
collège des pensionnaires. Et après que M. le premier Consul,
en la présence des aultres, eust faict une arrangue à tous les
pédagogues de nous estre obéissans et fréquenter nostre collège,
ils se partirent bien contens de nous 1 . »
Après l'édit de Beaulieu, accordant aux protestants l'autori-
sation d'ouvrir des écoles publiques, la nécessité d'un pension-
nat à Lyon s'imposait plus urgente que jamais. Le consulat pour-
suivit donc son dessein de l'établir dans un bâtiment distinct
du collège ; mais il demanda aux Pères de faciliter les commu-
nications d'une maison à l'autre. Le Père Recteur appuya cette
requête auprès du P. Mercurian par l'intermédiaire du P. Pos-
sevin, alors à Rome et secrétaire de la Compagnie. Il s'agissait
1. L'auteur du compte rendu termine ainsi son récit : « M. de Rubis ne répliquait
jamais, sinon deux mots, disant, en faisant allusion au P. Creytton : « Quoy qu'il
« die, il nous a joué ung traict de lin Ecossois. »
FONDATION I UT COLLÈGE DE LYON. 178
d'obtenir du P. Général que les élèves du nouveau pensionnat
eussent « entrée au collège, pour les leçons seulement, par les
degrés par où les [anciens pensionnaires estoient accoustumés
de descendre; autrement, ajoutait le P. Creytton, nous n'au-
rons pas de paix ni de repos avec ceux de la ville, et par ceste
petite incommodité nous apaiserons tous troubles contre nous ' ».
A mesure qu'on regagnait la bienveillance des habitants, en
Taisant droit à leurs justes réclamations, des libéralités de toutes
sortes venaient accroître les revenus du collège et assurer sa
prospérité matérielle-'. Déjà, depuis 1574, une maison de cam-
pagne, achetée du côté de Fourvières3 et désignée sous le nom
de Bellevue, offrait aux malades les moyens de réparer leurs
forces et aux professeurs, fatigués de leur travail, le grand air
et le repos. Plus tard, Vincent Laureo, évêque de Mondovi, céda
les deux prieurés de Dumières et de Sainte -Marie de Tensc,
qu'il possédait dans le Forez, et que le Pape Grégoire XIII unit
au collège de la Trinité par une bulle du 1er mai 1577 4.
1. Lettre du 28 mai 1576 (Galliae Epist., t. X, fol. 76).
2. On en trouve les traces dans les délib. consulaires (Archiv. coinm., BB, U6).
3. Achat du domaine de Fourvières (Archiv. du Rhône, D, 35).
4. Archives du Rhô:ie, D, 144, 182. — Archiv. comm. de Lyon, AA, 107, fol. 55.
CHAPITRE VI
AFFAIRES INTÉRIEURES DE LA COMPAGNIE.
(1565-1573).
Sommaire : 1. Deuxième congrégation générale; élection du P. Fr. de Borgia,
2 juillet 1565. — 2. Travaux et principaux décrets de la congrégation. — 3. Dé-
cret relatif à l'heure d'oraison. — 4. Publication du livre des règles. — 5. Visite
du P. Nadal en Allemagne et en France (1566-1568). — 6. Premières congré-
gations provinciales et première congrégation des procureurs (1568). — 7. Visite
du P. Mercurian en France (1569-1571). — 8. Établissement des maisons de no-
viciat et de scolasticat. — 9. Congrégations provinciales et congrégations des
procureurs (1571). — 10. Voyage du P. Général en Espagne, en Portugal et en
France (1571-1572). — 11. Son retour en Italie; sa mort à Rome (1er octobre).
— 12. Congrégations provinciales et troisième congrégation générale (1573). —
13. Election du P. Évérard Mercurian (23 avril).
Sources manuscrites : I. Roma, Archiv. di Stato, Gesuit. colleg., pacco 208.
II. Archives de l'Ardéche, sér. D.
III. Archives communales de Bordeaux, BB.
•IV. Bibliothèque nationale, fonds Dupuy, 937; mss. lat., 10,089.
V. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a) Acla congregationum provin-
cialium. — b) Francia, Histor. fundat. totius Assistentiae. — c) Gallia, Epist. Generalium.
— d) Galliae Epistolae. — e) Ordinationes el Inslrucliones PP. Generalium. — f) Epis-
tolae Principum. — g) Lugd., Fundat. collégien*. — h) Possevin : Annalium decas la.
Sources imprimées : Constilutiones S. J. — Institulum S. J. — Manare, De rébus S. J-
commentarius. De vita et moribus Everardi Mercuriani. — Ribadeneira, Vita del
P. Francesco Borgia (ftme, 1616). — Monumeista historica S. J. Epistolae P. Nadal. — Po-
lanco, Chronicon Soc. Jesu.
1. Le P. Jacques Lainez, décédé le 19 janvier 1565, n'avait dé-
signé personne pour gouverner temporairement la Compagnie
après sa mort. Les profès présents à Rome se réunirent dès le len-
demain, et choisirent comme Vicaire général le P. François de
Borgia. Celui-ci convoqua aussitôt, à la date du 20 juin, la Con-
grégation qui devait élire le deuxième successeur de saint Ignace.
Le P. Émond Auger, Provincial d'Aquitaine, se rendit à Rome à
cette occasion, mais il ne fut pas accompagné par le Provincial de
France. Le P. Olivier Manare avait écrit de Billom, le 17 mai,
qu'il ne pouvait quitter le royaume à cause des difficultés sus-
citées par le procès avec l'Université de Paris '. Il se fit rem-
1. Gall. Epistol., t. III, fol. 1.
AFFAIRES INTERIEURES DE LA COMPAGNIE. 477
placer par le P. Guy Boillet, Recteur du collège de Billom. Les
PP. Ponce Cogordan et Louis du Coudret assistèrent aussi, comme
électeurs, à la deuxième congrégation générale, l'un pour la pro-
vince de France, l'autre pour la province d'Aquitaine '. Le 1 juillet,
le P. François de Borgia fut élu troisième Général de la Compa-
gnie de Jésus, par trente et une voix sur trente-neuf votants. On
choisit ensuite comme Assistants : le P. Benoît Palmio pour l'Ita-
lie, le P. Antoine Araoz pour l'Espagne, le P. Éverard Mercurian
pour l'Allemagne et la France, le P. Jacques Miron pour le Portu-
gal et le Brésil. Bappelé en France, au mois d'août, par les
atl'aires de sa province, le P. Auger ne put assister à la fin de la
congrégation qui ne se sépara que le 3 septembre 2.
2. Parmi les travaux de cette assemblée nous ne signalerons
que les décrets d'un intérêt plus général, qui apportèrent dans la
discipline, le gouvernement ou l'administration, quelque modifi-
cation ou perfectionnement. Le huitième recommanda la modé-
ration et la réserve dans l'acceptation des collèges, et décida en
principe qu'on s'occuperait plutôt d'affermir les maisons déjà
existantes que d'en créer de nouvelles 3. — Le neuvième enjoignit
d'établir en lieu convenable dans chaque province, au moins un
séminaire ou scolasticat de la Compagnie, pour y former à la
science les futurs professeurs et ouvriers évangéliques; à cet effet,
dans quelqu'un des grands collèges comportant l'enseignement
complet de la littérature, de la philosophie et de la théologie, on
réunirait les jeunes religieux d'une même province destinés à
s'appliquer à ces études. — Le onzième décret supprima les
Commissaires perpétuels des provinces; mais il fut décidé qu'à
leur place le P. Général pourrait, à son gré, nommer des Commis-
saires temporaires ou Visiteurs, même pour les contrées hors de
l'Europe. — Le quatorzième ordonna la fondation des maisons
de noviciat dans chaque province, limita à deux années le temps
de la probation, défendit toute occupation littéraire pendant la
première et les permit dans certains cas pendant la seconde. —
Par le trente-troisième décret, les profès renoncèrent au privilège
accordé par le concile de Trente, en vertu duquel tous les Ordres
religieux, à l'exception des Capucins et des FF. Mineurs de l'Ob-
1. Epist. P. Xadal, t. II, p. 590 : Calalogus professorum Soc. Jesu sub Pâtre
Lainez propositi generalis.
2. Lettre du 14 août au P. Manare, du 18 août à la ville de Lyon (Gall., Epist.
General., t. II).
3. 1ns Ut. S. J., t. I, p. 181 et suiv.
478 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
servaoce, pouvaient posséder des biens-fonds en commun. — Par
le quatre-vingt-sixième on supprima, du moins en principe, la
charge des Surintendants. Ils avaient été établis pour veiller, dans
certains cas, à la bonne administration et à la discipline reli-
gieuse, et pour maintenir la charité mutuelle entre les supérieurs
et les inférieurs; mais ils s'occupaient peu du gouvernement des
maisons. Indépendants du Recteur, ils ne relevaient que du
P. Provincial *. Cet office pouvait donner lieu à des difficultés
regrettables2; jugé utile au commencement de la Compagnie,
il Tétait beaucoup moins depuis la promulgation des Constitutions
dans les diverses provinces. Il fut toutefois conservé encore
quelque temps dans les collèges de Rome.
3. Le décret vingt-neuvième a trait à l'oraison. Aucune mesure
commune d'exercices spirituels n'avait été fixée par saint Ignace
pour les religieux formés; il avait seulement établi pour les sco-
lastiques, dans la quatrième partie des constitutions3, qu'ils
auraient chaque jour, outre la messe, une heure de prières dans
laquelle il comprenait les deux examens de conscience, la récita-
tion du petit office de la sainte Vierge ou autres prières suivant
la dévotion personnelle. Au même endroit1, il permit aux supé-
rieurs d'autoriser les scolastiques, qui s'en trouveraient mieux, à
faire l'oraison mentale au lieu de réciter le petit office '. Mais très
large pour le genre de prières qui convient à chacun, il se montra
toujours inébranlable quand il s'agit de maintenir la mesure de
temps fixé, et blâma ceux qui lui proposaient de l'augmenter11.
Non pas qu'il n'attachât beaucoup de prix à ce que ses enfants
fussent doués d'un grand esprit d'oraison; mais son idée sur ce
point nous est clairement exprimée dans ces lignes qu'il faisait
écrire par le P. Polanco au P. Fernandez, recteur de Coïmbre, le
1er juin 1551 : « Quant à l'oraison et à la méditation, à part le
cas d'une nécessité spéciale provenant de quelques tentations
pénibles,... notre Père préfère que l'on s'efforce de trouver Dieu
en toutes choses, plutôt que de consacrer beaucoup de temps
de suite à cet exercice. Il désire voir tous les membres de la
Compagnie animés d'un tel esprit, qu'ils ne trouvent pas moins
1. Constitut. Soc. Jesu, P. VIII, c. i, n. 3.
2. Ainsi les démêlés du P. Bobadilla et du P. Ovieilo à Naples, en 1551-52. Cf. Bocro,
Vi/a dcl P. Robadiglia, p. 72-75.
3. Chap. iv. — 4. Déclaration B.
5. Cf. Lettre au P. Darzèe, 24 déc. 1553 (Ep. S. Ignatii, t. VI, p. 90, 91).
6. Le P. Nadal s'exposa un jour à ces reproches (Epist. Xadal, t. II. p. 32).
AFFAIRES INTERIEURES DE LA COMPAGNIE. 479
de dévotion dans les œuvres de charité et d'obéissance que dans
l'oraison et la méditation, puisqu'ils ne doivent rien faire que
pour l'amour et le service de Dieu Nôtre-Seigneur l. »
Après la mort de saint Ignace, lors de la première congréga-
tion générale, un postulatum fut présenté par quelques Pères,
tendant à augmenter le temps fixé pour la prière. La congréga-
tion le repoussa-. Aussi, le règlement donné au collège de Paris
par le P. Nadal, quand il le visita avec le P. Lainez en 1562,
porte-t-il : « Au point de quatre heures se sonne le lever... à
quatre heures et demye se sonnera l'oraison et à cinq heures se
sonnera la fin de l'oraison;... le quart d'heure jusques à onze
heures tous se occuperont en l'examen de conscience3... »
Tel fut l'usage encore durant quelques année. Mais les Supé-
rieurs s'aperçurent sans doute que l'idéal cher à saint Ignace, —
cette habituelle présence de Dieu et cette entière pureté d'inten-
tion dans tous les actes qu'il demandait à ses tils, — serait diffici-
lement atteint par l'ensemble des religieux, si chaque jour l'esprit
intérieur n'était renouvelé par une longue méditation. Ne conve-
nait-il pas, du reste, que les Jésuites, propagateurs de ce salu-
taire exercice, fussent les premiers à en donner l'exemple et à
regarder comme une pratique obligatoire l'heure d'oraison quoti-
dienne? Ainsi pensèrent les députés de la Compagnie à la seconde
congrégation générale. Après avoir examiné la question pendant
plusieurs jours, ces Pères, qui venaient d'élire François de
Borgia Général, l'autorisèrent, « si dans sa prudence il le jugeait
utile, à augmenter le temps de l'oraison en tenant compte des
circonstances de personnes, de lieux, et autres ' ».
François de Borgia ne tarda pas à user du droit que lui confé-
rait ce décret : il ajouta une demi-heure à celle qu'avait établie
saint Ignace. Donc désormais une heure de prière, en dehors de la
messe et des examens. Mais le P. de Borgia ne prescrit pas de faire
cette heure tout entière de suite : un quart d'heure sera ajouté à
la demi-heure du matin, et un autre à l'examen du soir"'. Puis
1. Kp. S. Ignatii, t. III, p. 502. — Même note dans une lettre au P. Barzée : « Au
cours de leurs actions et de leurs études, les nôtres peuvent élever leur esprit à Dieu,
et s'ils dirigent tout au divin service, tout devient oraison » (Ibid.. IV, 91).
2. Instit., t. I, Congr. I, décret. XCV1I.
■i. Ancien registre du collège de Glermont contenant un certain nombre d'ordon-
nances laissées par les PP. Visiteurs (Bihl. nat., mss. latins, 10,989, f. 5, 6).
4. Congr. II, décret. XXIX.
5. Ordonn. de F. de Borgia (Epist. com., 15G5-1567,- f. 7). C'est ainsi que nous
avons vu prescrits dans le règlement du collège de Paris pour l5t»8. trois quarts
d'heure de prière le matin après le lever, et un autre quart d'heure le soir avec l'exa-
men ehap. m, n. 9).
480 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
bientôt, sur les réclamations venues de Rome et d'ailleurs, ce
quart d'heure du soir fut transporté au matin ; et c'est ainsi que
l'heure d'oraison du matin fut réglée pour tous et pour toujours
dans la Compagnie de Jésus1.
4. Mentionnons en dernier lieu, parmi les questions traitées
dans la seconde congrégation générale, la publication d'un livre
des Règles. Pour comprendre les décisions prises à ce sujet il est
nécessaire de remonter un peu plus haut.
Les Constitutions, rédigées sous la forme d'un code explicatif
et raisonné, sont un vrai livre et non un manuel approprié à la
vie quotidienne. Il était bon d'en extraire un résumé substantiel,
par formules concises et faciles à retenir. De là divers recueils,
faits à différents époques, et qui finalement se condensèrent en un
petit volume intitulé Règles de la Compagnie de Jésus. Ces recueils
étaient l'œuvre soit des supérieurs locaux réglementant leur
collège, soit de saint Ignace envoyant à ces supérieurs les pres-
criptions qu'il jugeait à propos, soit du P. Nadal laissant avis et
ordonnances aux maisons qu'il visitait pour y promulguer les
Constitutions. C'est ainsi qu'il y eut, en 1545, un recueil de Règles
composé par le P. Simon Rodriguez pour le collège de Coïmbre2.
1. Dans une notice inédite sur l'origine de l'heure de méditation, qui a mérité les
éloges du T. R. P. Louis Martin, le K. P. Pierre Bouvier se pose ici cette question :
« En prescrivant une heure d'oraison, le P. de Borgia a-t-il imposé l'oraison mentale?
— Non, répond l'auteur que nous résumons, ni dans son ordonnance de 1565, ni
dans les explications qu'il donna jusqu'en 1567, Borgia n'a pas prescrit de con-
sacrer à l'oraison mentale le temps prescrit pour la prière. » El, en effet, il blâma
l'usage qui s'était introduit en Allemagne de consacrer une demi-heure à l'orai-
son mentale et une autre demi-heure à la vocale, et de donner un signal avec la
cloche pour passer de l'une à l'autre (Epist. P. Nadal, t. III, p. 487. Cf. Responsa Gene-
ralium : lettre à la Prov. du Rhin, du 28 jnin 1567;. La quatrième congrégation, qui
suivit la mort de Mercurian, conlirma par son décret V et son canon VI l'ordon-
nance de saint François de Borgia, employant les mots oratio et orare dans le même
sens que lui, c'est-à-dire dans le sens de méditer ou de prier vocalement (Suarez,
De relig. S. /., VIII, c. n, n. 2). Comment, alors, l'heure entière de méditation s'est-
elle introduite? Par l'usage, se maintenant au point d'acquérir force de loi, disent
Négronius et Suarez (Suarez, l. c. — Négronius, Regul. commun., reg. t, n. 13). Au
début de son généralat (1583-1584) le P. Aquaviva ne croit pas encore devoir inter-
dire la prière vocale pendant l'heure réglementaire, mais il recommande l'oraison
mentale dans les termes les plus pressants, et après une trentaine d'années l'usage
d'employer une heure entière à l'oraison mentale est consacrée : « En 1610, Aqua-
viva ne dit plus : Hora orationis, comme ses prédécesseurs; il dit : Hora meditatio-
nis, et il en parle comme d'un exercice de règle dont ondoil difficilement dispenser
même les prédicateurs, les jours où ils prêchent. » Il va jusqu'à ne pas approuver
que ce jour-là leur méditation soit faite en vue de leur sermon : « Concionatores
non sunt eximendi ab hora meditationis... nec probatur ut medilationem ad concio-
nem diriganl » (Ex. Resp. P. Aquaviva, 1610).
2. Epist. mixt., t. I, p. 171. — Epist. PP Broeti..., p. 445 et sqq. ^- Ce travail
qui avait pour titre : Regimento da ordem et oficios de casa, a été publié dans les
Monumenta {Ibid., p. 822-874).
AFFAIRES INTÉRIEURES DE LA COMPAGNIE. iS\
En 1549, nous avons un antre recueil <lù au fondateur lui-même
et connu dans la Compagnie sous le nom d' Ordinationes anti-
quae1. A la même époque, Ignace donnait aux scolastiques du
collège de Bologne un règlement de vingt articles très courts-.
En 1552, il envoyait au P. André de Oviedo, recteur du collège
de Naples, un manuscrit comprenant : — 1" des avis spéciaux à
ce collège; — -2" des réponses aux doutes qui lui avaient été pro-
posés; — 3° les règles du collège romain; — 4" les règles de la
maison de Rome3. De son côté le P. Nadal, comme l'exigeait sa
charge de visiteur ou commissaire général de la Compagnie,
examinait les règlements particuliers des maisons et des collèges.
Nous avons vu, au livre second1, que lui-même les modifiait
« suivant l'esprit » du fondateur, qu'il en établissait d'autres s'il
le jugeait bon, puis qu'il laissait aux supérieurs les règles géné-
rales tirées de l'Examen et des Constitutions, les règles particu-
lières des scolastiques et des différents offices et les règles de
modestie5. Ces dernières étaient sans doute celles que saint
Ignace remit en février 1555 au P. Luis Gonzalvès de Camara,
ministre de la maison professe de Rome, et qui, de son aveu, lui
avait coûté beaucoup de prières et de larmes1'.
Après la mort du fondateur, nous trouvons, en 1560, les Régit-
lae communes collegii romani, sans doute une refonte de celles
données par saint Ignace un an plus tôt et malheureusement
perdues. En 1561 s'imprime le premier recueil de Règles, à
Vienne, sous le titre : Quaedam ex Constitutionibus excerpta
quae ab omnibus observari debent. D'après le P. Astrain, et tout
porte à le croire, ce serait l'œuvre du P. Nadal : il l'aurait
composé pendant les quatre années qu'il vécut à Rome auprès
de Lainez '.
Comme on le voit, il était temps, en 1565, d'avoir enfin pour
toute la Compagnie un recueil unique de règles, annulant tous
les autres. Déjà des supérieurs s'étaient plaints, non sans motif,
que la multitude des prescriptions venant de différentes sources
engendrât une certaine confusion, et parût une surcharge aux
meilleurs religieux 8. La seconde congrégation étudia la question.
Convenait-il de réduire le nombre des règles? Et quelle valeur
l. Const. S. J., p. 340. — 2. Ibidem, p. 344.
3. Astrain, Hlstor. de la Compania, t. II, p. 425. - 4. Chap. ix, n. 1.
5. Epiât. P. Nadal, t. I, p. 317, Lettre du 19 juillet 1555.
6. Mon. Ignat.. s. 4, p. 163 et 366. — 7. Astrain, op. cit., p. 431.
8. Lettre du P. A. de Cordoba, 20 oct. 1563 (Hisp. Epist., t. V, f. 221), cilée par As-
train, p. 432.
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 31
482 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
auraient les avis laissés par le P. Nadal aux Provinciaux, en Espa-
gne et clans les autres pays? — Après a\oir mûreir.ent ptsé tou-
tes choses, 1rs dêfiniteurs ' chargés de celte affaire rédigèrent un
décret ainsi conçu : « Les Règles générales, commençant par
Svmma Sapienlia, seront conservées dans leur entier. Les auties
seront revues et, s'il (st possible, abrégées. Que l'on ait soin
toutefois de conserver celles qui sont certainement de notre Père
Ignace, si elles semblenl opportunes et utiles au bien général...
Quant aux avis [admonkiones) du P. Nadal, une fois expurgés
et mis en ordre par lui, ils seront donnés aux PP. Provinciaux
et au P. Général pour leur seule direction sans être nullement
obligatoires'-'. »
Conformément à ce décret, saint François de Borgia s'occupa
de simplifier et coordonner les Règles. Deux ans suffirent à cette
tâche. Nous ne savons qui l'aida dans ce travail ; les PP. Polaneo
et Miron étaient tout désignés, comme les plus anciens religieux
de son entourage. Au mois de mars 1567, le P. Général pouvait
écrire au P. Nadal que l'œuvre avançait3; deux mois plus tard,
qu'elle touchait à sa fin; et, le 27 septembre, il lui envoyait
imprimé le nouveau livre des Règles, tel que la seconde congre
gation l'avait réclamé. Le titre était : Regulae commîmes \ Rornae \
In Collegio Socielatis Jesu K II contenait d'abord les règles com-
munes à tous, au nombre de quarante; en second lieu, les règles
des différents offices; enfin, un sommaire des Constitutions. Le
1 juillet 1567, le P. François de Borgia promulgua lui-même ces
Règles à la maison professe, dans une exhortation domestique
dont le P. Sacchini nous a conservé l'analyse '.
Le travail de remaniement demandé au P. Nadal fut beaucoup
plus long. Ses nombreuses occupations ne lui permirent pas de
terminer avant l'année 157611, le volume de ses Avis et Instruc-
1. Congr. II, decr. XXVIII.
■>.. Ibid., decr. LV1I.
3. Epist. P. Nadal, l. III, |>. 413.
4. Ibid., p. 528. Celle édition esl excessivement rare. On en trouve un exemplaire
à la Bibl. San Isidro de Madrid.
5. Bist. Soc, P. III, 1. 111, n" 96. — Un décret de la troisième congrégation générale
chargea le P. Mercurian et ses Assistants de revoir le livre des Règles publié sous le
généralat de Borgia. Ils confièrent ce travail au P. Miron, auquel nous devons l'édi-
tion de 1580. Le Sommaire des Constitutions y est plus conforme au texte de saint
Ignace et les Règles Communes à peu près telles que nous les avons maintenant. Deux
ans plus tard, en 1582, le P. Aquaviva donna l'édition qu'on peut regarder comme la
principale et définitive; il ne mit du sien que dans les règles de quelques offices par-
ticuliers, non des plus importants.
6. Epist.P. Nadal, t. III, P- 734.
AFFAIRES INTÉRIEURES DE LA COMPAGNIE.
lions conservé à la Bibliothèque Vaticane et publié par les édi-
teurs des Monumenta '.
Nous devons encore au P. Nadal un autre ouvrage sur la même
matière, les Scholia in Conslitutiones . Il le commença proba-
blement du vivant de saint Ignace, tandis qu'il promulguait les
Constitutions, le continua durant les premières années du géné-
ralat de Lai nez, et l'acheva à Gènes en 1560. Cet écrit fut telle-
ment estimé que, dans la seconde congrégation générale, un
Père proposa de lui donner force de loi. Après avoir fait exami-
ner les Scholia, la congrégation décida, par son décret quarante-
deuxième, de les accepter comme ouvrage de direction seule-
ment-,
5. Un des premiers soins du nouveau Général fut de se ren-
dre compte de l'état des maisons de la Compagnie, dans les dif-
férentes contrées de l'Europe. Il commença par l'Assistance de
Germanie, Le P. Nadal, envoyé en 1506 à la diète d'Augsbourg
avec les PP. Ledesma et Canisius, comme théologie*) du cardinal
Commendon, fut ensuite chargé d'inspecter les maisons de l'Al-
lemagne, de la Belgique et de la France. Après avoir terminé,
en 1508, la visite des provinces de la Germanie supérieure, de
l'Autriche et du Rhin, le P. Nadal arriva de Louvain à Paris, le
15 juin, et entreprit une tournée dans les provinces de France et
d'Aquitaine 3. Mais la difficulté des voyages, à cette époque de
troubles civils, ne lui permit pas d'accomplir sa tâche jusqu'au
bout. Après la visite du collège de Clermont, il se rendit à Ver-
dun où il ne resta que quelques jours. Le 20 juillet, il partit pour
Chambéry en traversant la Lorraine et la Franche-Comté. Le
17 août, il était à Lyon où il assista à la congrégation provin-
ciale'1. Ce fut sans doute durant son séjour dans cette ville que
le P. Auger obtint la réalisation d'une mesure ardemment dési-
rée; depuis longtemps, il avait demandé à être déchargé du gou-
vernement de la province d'Aquitaine. Sans y consentir complè-
tement, le P. Général, en considération de ses importants travaux
apostoliques, lui avait proposé de choisir, à l'exemple du P. Cani-
sius, quelqu'un sur lequel il pût se reposer des soucis matériels
1. Epist. P. Nadal, I. IV, p. 361-614.
').. Ils furent imprimés en 1883 avec le litre : Scholia in Conslitutiones et Déclara
tiones S. P. N. Ignalii, et admonitiones superioribus, t/iiat* approbatae su»/ a
congregatione II gênerait pro direclione super iorum.
3. Epist. I'. Nadal, I. III, p. 1,608. Lettre du P. A.uger au P. Général, 23 juin 1563
(Galliae Epist., t. III, f. 212).
4. Epist. I'. Nadal, I. III, 614, 621, 627, 631.
484 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
de l'administ ration l. Il fut décidé que le P. Annibal du Goudret,
lecteur de Toulouse, remplirait ce rôle avec le titre de vice-pro-
vincial 2.
Au commencement du mois de septembre, le P. Nadal quitta la
France pour retourner à Rome, où il arriva le 22, quelques jours
avant l'ouverture de la Congrégation des Procureurs*.
6. Saint Ignace avait ordonné d'envoyer tous les trois ans, à
Home, un Père de chaque province de l'Europe, chargé de ren-
seigner le Général sur la situation de la Société dans son pays.
Jusqu'ici, ces députés ne s'étaient pas encore réunis pour déli-
bérer en commun. François de Borgïa ayant demandé aux Pères
de la deuxième congrégation à quel moment il conviendrait
d'assembler les congrégations générales, — ce que saint Ignace
n'avait pas déterminé dans les Constitutions, — on décréta que
des Procureurs seraient appelés ensemble à Rome, tous les trois
ans, et qu'avant de traiter aucune affaire particulière, ils décide-
raient s'il y avait lieu, ou non, de convoquer la congrégation
générale. Le choix des procureurs était réservé aux congréga-
tions provinciales4.
C'est pourquoi celles-ci se réunirent pendant l'été de 1508. On
ne sait pas à quelle date précise eut lieu la congrégation de la
province de France5. Les actes qui nous en ont été conservés
indiquent seulement les réponses du P. Général aux doutes pro-
posés. La congrégation avait, entre autres choses, exprimé le
désir qu'on ne se chargeât des pensionnaires dans aucun collège.
Tel fut aussi l'avis du P. Général : il valait mieux en abandon-
ner le soin à des personnes étrangères ; cependant, pour ce qui
concernait le collège de Paris, la question ne devait pas être
tranchée sans un sérieux examen15.
La congrégation provinciale d'Aquitaine se réunit à Lyon, le
18 août. Parmi les réponses du Père Général aux cloutes qui lui
lurent soumis, deux méritent d'être signalées. L'une a trait à
l'habitation des novices, qui ne parurent pas bien placés au col-
1. Lettres du P. Général au P. Auger, 1" avril et 10 juin 1566 (Gall., Epist. Gen.,
t. III). Lettres du P. Auger au P. Général des 6 et 8 mai 1566 (Gall. Epist., t. III, f.
141).
2. Epist. P. Nadal, l. III, p. 581, 623, 636 et 639.
3. Lettre du P. Nadal, 5 octobre 1568 (Roma, Archiv. di stato, Gesuit. Collegii, pacco
208).
4. Institut. S. ./., t. H, p. 184. Congr. Il, decr. XIX, post elect.
5. Probablement au mois de juillet comme on peut l'inférer d'une letlrcdu P. Nadal
{Epist. P. Nadal, III, p. 620). - 6. Acta congr. prov., 1568.
VISITES DU P. MERCURIAN.
lège de Tournon, à cause de la disposition des bâtiments; il fui.
jugé préférable d'y mettre les scolastiques et d'envoyer les no\i
ces à Avignon. — L'autre réponse était relative au pensionnat de
Lyon que déjà les Pères désiraient séparer du collège : h; P. Gé-
néral demanda qu'on attendit des temps plus favorables avant
de rien innover; quant à la direction spirituelle, on pourrait se
contenter d'adresser aux enfants une exhortation tous les quinze
jours ou même tous les mois '.
Le P. Edmond Hay, Recteur du collège de Clermont, avait été
élu procureur de la province de France. Un accident de voyage
l'ayant contraint de s'arrêter à Lyon, il substitua à sa place le"
P. Louis du Coudret, procureur de la province d'Aquitaine.
La première congrégation des procureurs était convoquée pour
le 10 octobre. Le P. François de Borgia, alors gravement malade,
ne put la présider ; il fut remplacé par le P. Éverard Mercurian,
assistant des provinces septentrionales et vice-préposé de la mai-
son professe 2.
7. Nous avons vu que le P. Nadal, pendant sa dernière vi-
site en France, n'avait pu, à cause des circonstances extérieures,
se renseigner complètement sur les divers établissements de la
Compagnie dans le royaume. Un nouveau visiteur, le P. Éverard
Mercurian, y fut envoyé en 1569 avec pleins pouvoirs. Il nous est
impossible, faute de documents, de reconstituer son itinéraire;
nous savons qu'il partit de Borne vers la fin du mois de mai
1569. qu'après un séjour à Turin il arriva le mois suivant à Cbam-
béry, et qu'il était de retour en Italie au mois de juillet 1571. Ses
lettres au P. Général, datées de Lyon, de Billom, de Tournon, de
Paris, nous apprennent qu'il visita tous les collèges des provinces
de France et d'Aquitaine, sauf celui de Toulouse que les troupes
calvinistes, répandues dans les environs, ne lui permirent pas
d'aborder 3. Un des principaux buts de sa visite était d'établir
l'uniformité de la discipline dans les collèges nouvellement fon-
dés, et de prescrire les moyens nécessaires pour la bien garder.
Partout il remplit son office avec tant de prudence, qu'au dire du
P. Manare, il rappelait la manière d'agir du saint fondateur'1.
1. Acta congr. prov., 1568.
2. Epist. P. Nadal, t. III, p. 635. Manare, De vita E. Mercuriani, p. 39.
3. Lettre du P. Général au P. Edmond Hay, 20 mai 1569 (Epist. Gen., t. IV). Lettre
du P. Auger au P. Mercurian, 31 juillet 1571 (Gall. Epist., t. IV, fol. 91). Lettres du
P. Mercurian (Ibid., t. IV, fol. 49, 54, 60; t. V, fol. 20, 30, 36)...
i. De vita Mercuriani, p, 39.
186 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
11 eut la consolation de trouver la plupart des collèges dans
une situation florissante. Sans parler de Paris et de Lyon en
pleine prospérité, il y avait près de sept cents élèves à Rodez '. et
plus de mille à Billom'-. Tournon, qui comptait trois cent cin-
quante élèves, fut menacé au mois de juin 1570 par l'approche
de Coligny; heureusement l'orage se dissipa, sans que les Pères
fussent contraints de se disperser3. Le 1er octobre de la même
année, eut lieu la consécration dune nouvelle chapelle, placée
sous le vocable de saint Just, patron du comte de Tournon4;
mais, dès le mois de décembre suivant, elle était entraînée par
une désastreuse inondation du Rhône, qui respecta les murs du
collège. Mauriac avait été très éprouvé par le voisinage des
huguenots qui s'étaient emparés d'Aurillac en 1509; les Pères,
obligés de quitter la ville, se réfugièrent à Billom, où ils étaient
encore au mois de mai 1570 5. Le collège de Billom lui-même fut
fermé au mois de juin, et il eut la douleur de perdre son Rec-
teur, le P. Guy Roillet, religieux d'une vertu insigne (i. A la tète
de cet établissement depuis 1502, il avait su lui donner, malgré
les troubles qui désolaient l'Auvergne, un développement consi-
dérable par l'organisation des pédagogies, ou pensions tenues
par des personnes étrangères à la Compagnie. Les écoliers, qui
n'habitaient pas chez des parents, étaient distribués en dix ou
douze groupes placés sous la haute direction des Pères profes-
seurs. Plus tard, la prospérité de ces pédagogies excita l'avidité
des spéculateurs qui essayèrent d'en fonder de nouvelles; mais
les supérieurs du collège étaient là pour s'opposer énergiquement"
à toute dangereuse innovation7.
Parmi les œuvres apostoliques des collèges, le P. Visiteur se
plut à encourager l'enseignement du catéchisme si recommandé
par l'Institut. Il était du reste déjà en honneur : à Paris, à Lyon,
à Tournon, le dimanche et les jours de fête, les régents, profi-
tant de leurs loisirs, se répandaient dans les hôpitaux, dans les
faubourgs et dans les villages voisins, pour expliquer la doctrine
chrétienne au peuple et aux enfants. On accourait en telle foule,
pour écouter ce genre d'instructions encore peu connu, qu'à
1. Lettre du P. Mercurian, 27 nov. 1570 (Gall. Epist., t. V, fol. 52).
2. Lettre du P. Roillet, 5 déc. 1569 {IbUL, fol. 184).
3. Lettre du P. Mathieu au P. Général, 13 juin 1570 (Ibid., fol. 17)..
4. Archiv. de l'Ardèche, D, Collège de Tournon.
5. Lettre du P. Roillet, 30 avril 1570 (Gall. Epist., t. V, fol. 81).
6. Lettre du P. Denys, 23 mai 157.0 (I/nd., fol. 182).
7. Touchant les pédagogies de Billom, Voir Prat, Mémoires sur le /'. Broet (Pièces
justificat., n" xix).
VISITES DU I». MERCURIA.N. 487
Paris, raconte le P. Manare, les docteurs de la Faculté s'émurent
et crièrent à la nouveauté, presque à l'hérésie; ils voulurent
même s'opposer à ce mode d'apostolat. Les Jésuites méprisant
tout ce bruit, qui finit par s'apaiser, se livrèrent sans relâche à
cet humble ministère, le plus efficace de tous contre le grand
mal de l'ignorance '.
Cependant, il faut l'avouer, « l'homme ennemi » avait semé
l'ivraie dans le champ de la Compagnie en France. Des abus, qui
réclamaient une réforme, avaient déjà attiré l'attention du P. M;i-
nare. A l'occasion des règles nouvellement rédigées et que l'on
commençait à mettre en pratique, quelques religieux brouillons,
comme il s'en trouve partout, réclamèrent en disant que les Su-
périeurs voulaient introduire dans l'Institut « des prescriptions
monacales », tandis que l'Ordre d'Ignace de Loyola avait été
fondé pour un genre de vie plus libre et moins sévère. Au grand
détriment de la discipline et de la régularité, par leurs discours et
leurs murmures, « ils séduisirent des âmes simples », et parvin-
rent à former comme « une secte d'une soixantaine d'adhérents >
qui prirent le nom de « confrères de la voie candide ». Mais les
religieux prudents les appelèrent « les libertins ».
On entendait aussi d'autres plaintes. La France n'avait pas jus-
que-là fourni beaucoup de sujets ; le nombre des Pères Français
qui avaient reçu une formation complète était encore très res-
treint. On avait donc été obligé de recourir souvent à des Pères
d'une autre nationalité, de leur assigner les diverses charges de
l'administration et les principales chaires des collèges. De là des
récriminations contre les étrangers qui, disait-on, envahissaient
les maisons. Mais, grâce à Dieu et par la fermeté des Pères Visi-
teurs, après le renvoi de quelques turbulents, la discipline et la
concorde reprirent bientôt partout leur premier éclat'-.
Voici, d'après un curieux document3, un aperçu de la mé-
thode employée par le P. Mercurian dans sa visite des collèges
de France.
Les premiers jours qui suivaient son arrivée dans une maison,
« il vivait familièrement avec tous, sans prononcer même le mot
de visite ou de réforme; il se disait venu pour la consolation de
chacun et s'abstenait de toute exhortation domestique ». Entre
1. Manare, De rébus s. J., p. 109-111.
2. Ibidem, p. 111-113.
3. « Ratio qua R. P. N. Everardus utebatur cmn collegia Galliae visitator obiret »
(Ordinationes et Instr. PP. Generalium, 1565-1647, nJ V).
188 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
temps il gagnait la confiance des Pères et des Frères qui s'ou-
vraient facilement à lui dans les entretiens particuliers. De cette
façon il se rendait compte par lui-même, en peu de jours, de
l'état du collège. Il pouvait ensuite entreprendre ouvertement
l'accomplissement de sa mission. A son sens, elle consistait en
deux choses : premièrement, apprendre à chacun la manière de
se perfectionner dans sa vocation et dans sa charge; en second
lieu, organiser toute la maison d'après le plan tracé dans les
Constitutions et selon l'esprit de saint Ignace. Le premier but
était rempli par les comptes de conscience et les confessions géné-
rales. Le second par un procédé, peut-être un peu minutieux,
mais fort sage et fort pratique dans les circonstances.
C'était avec le P. Recteur et ses Consultcurs que les choses se
passaient. Tout se faisait par écrit, ou à peu près. Les pages d'un
cahier étaient divisées en quatre colonnes. Sur la première se
trouvait précisé chaque point à examiner. Sur la seconde le
P. Recteur, d'abord seul, devait écrire son avis. Sur la troisième
on mettait l'avis du même P. Recteur et de ses Consulteurs, après
nouvel examen de la question en consulte. La quatrième était
réservée à la décision finale du P. Mercurian. Les interrogatoires
notés dans la première colonne portaient sur « l'observation des
Règles communes et du Sommaire des Constitutions, sur les
ministères spirituels, sur les obligations du collège relativement
à sa fondation, sur ses revenus et ses biens ».
Ce procédé, dit l'auteur du document que nous résumons, avait
plusieurs avantages : il obligeait les Recteurs et Consulteurs <\
étudier de plus près les règles de la Compagnie et à en com-
prendre l'esprit; il leur apprenait à se diriger eux-mêmes dans
la suite, sans avoir constamment recours aux Provinciaux et au
Général « par des lettres fréquentes et prolixes », comme ils
l'avaient fait jusqu'alors; il prouvait à tous que le P. Visiteur ne
venait rien réclamer d'insolite ou d'onéreux, mais seulement la
stricte application des Constitutions '.
Les exhortations domestiques à toute la communauté venaient
en dernier lieu. Le P. Mercurian exposait la fin propre de la Com-
pagnie et les moyens qu'elle s'est choisis pour y parvenir; « il
recommandait, comme chose très importante, les Exercices spi-
rituels de saint Ignace et les règles du discernement des esprits »,
1. « Ea ratione intclligebant nil novi aut insolens novarum legum aut praeceptionum
mulliludine invehi.... sed idipsum cujus observatioue jamdudum voto animas obs-
trinximus » {Ibidem),
VISITES DU P. MERCURIAN.
et donnait aux ouvriers apostoliques dos avis particuliers pour
la pratique de leurs ministères1.
S. Parmi les affaires à régler pendant son séjour en fiance, le
1». François de Borgia avait spécialement signalé au I*. Mercn-
rian l'institution de maisons séparées pour les novices. Les candi-
dats à la Compagnie étaient, en etl'et, restés longtemps confondus
avec les scolastiques, quoique soumis à des exercices particu-
liers. Leur formation spirituelle marchait de front avec les études
classiques, les occupations littéraires, et les fonctions sacerdotales
quand ils étaient prêtres. A mesure que le nombre des postulants
s'accrut, les supérieurs reconnurent la nécessité de les grouper
en communautés distinctes, afin de leur donner une direction
uniforme, en rapport avec l'esprit de leur vocation. Dès l'année
1551, à Messine, le P. Jé#ome Nadal, fidèle interprète de la
pensée de saint Ignace, avait ainsi réuni, sous l'autorité du
P. Wishaven, les étudiants admis aux exercices de la probation '•'.
Ce fut là, au dire de Ribadeneira, le premier noviciat régulier.
Mais les établissements de ce genre furent rares, pendant les
vingt-cinq premières années. Le P. Richeome, admis dans la
Compagnie en 1565 par le P. Olivier Manare, provincial de France,
nous apprend que, faute d'une maison de noviciat à Paris, le
I*. Maldonat fut à la fois son premier régent de philosophie et
son premier maître de spiritualité3. A Rome même, les novices,
logés dans la maison professe, n'y formèrent qu'en 1565 une
communauté particulière, avec un règlement propre, sous la
direction du P. Alphonse Ruiz. A la même époque, les étudiants
du collège Romain, qui n'avaient pas encore deux ans de pro-
bation, constituèrent un groupe à part sous la direction du
P. Jean Xavier. L'année suivante, 1566, le noviciat de Saint-An-
dré fut inauguré sur le mont Quirinai par le P. Jules Mancinelli,
grâce à la munificence d'illustres bienfaiteurs1.
En France, jusqu'à la visite du P. Mercurian, rien n'avait en-
core été bien déterminé à ce sujet. Dans la province de France
plusieurs novices demeuraient à Paris où ils avaient étudié; le
plus grand nombre étaient envoyés au collège de Riilom '.
1. Ibidem. Cf. Manare, De. vita E. MercUriani, p. 39-45.
2. Epiât. P. Nadal, t. I, p. 83. Polanco, Chronicon, t. II, p. 29.
3. Traité de l'immortalité de l'âme, Avis au lecteur.
4. Voir, sur cette question du noviciat de Rome, Sacchini : Bist. Soc. Jesu, P. 111,
1. I, n° 54, 55; 1. IV, n. 62, 63.
5. Lettre du P. Hay au P. Général, 21 juin 1569 (Gall. Epist., t. IV).
m HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Avant le départ du P. Visiteur, le P. Manare avait proposé d'éta-
blir le noviciat à Verdun1. Ce projet ne put être immédiatement
exécuté; il ne le fut partiellement qu'en 1572 ?. Au mois de
septembre de cette année, le P. Hay reçut l'ordre d'envoyer
une partie des novices de seconde année à Verdun, une autre à
Paris et dans d'autres collèges; les novices de première année
devaient tous rester à BillomA
Dans la province d'Aquitaine, dès l'année 1567, les novices
furent rassemblés à Tournon1; en 1568, quand ce collège fut
dispersé, ils se transportèrent à Avignon. Au mois de février 1569,
il fut question de les transférer à Toulouse"1; mais en 1571 on
décida que le noviciat, distinct du collège, resterait à Avignon. Le
P. Ignace Balsamo en eut la direction jusqu'à l'arrivée du
P. Benoit Nigri, que l'on peut considérer comme le premier
Maître des novices en France1'.
Outre la fondation des maisons de noviciat dans chaque pro-
vince, la deuxième congrégation générale avait décrété l'établis-
sement des scolasticats ou séminaires, pour les jeunes philosophes
et théologiens de la Compagnie, qui devraient former des co/i-
victus annexés à quelque grand collège. Le P. Mercurian,
durant sa visite, s'occupa avec les PP. Provinciaux de choisir le
lieu le plus convenable à ces maisons d'étude. On décida que le
seolasticat de la province de France serait établi au collège de
Clermont, et celui de la province d'Aquitaine à Lyon, au collège
de la Trinité. En fait, cette dernière mesure ne fut pas réalisée,
et les scolastiques d'Aquitaine demeurèrent au collège de Tour-
non.
9. En 1571, trois années s'étant écoulées depuis la première
congrégation des Procureurs, les congrégations provinciales
furent convoquées pour la seconde fois. Celle de la province de
France, réunie à Paris, le k février, sous la présidence du P. Ma-
nare, comprenait des hommes de la plus grande valeur : Maldo-
1. Lettre du P. Mercurian, 27 nov. 1570 (Il/ici., t. V, fol. 72).
2. Francia, Histor. fundat., n° 60.
3. Lettre du P. Général, 22 sept. 1572 (Gall., Epist. Gen., t. IV).
4. Lettre au P. Nadal, 26 juillet 1567 {Ibid., t. IV).
5. Lettre au P. L. du Coudret, 14 févr. 1569 {Ibid.).
6. Historia Domus prob. Avenionensis (Lugd., Fund. colleg-, t. I, n. 168). Le
P. Creyttoa, alors recteur d'Avignon, accepta le noviciat, malgré la pauvreté du col-
lège; mais la Providence, raconte-t-il, le récompensa si bien de sa générosité « qu'il
répara la maison, la meubla, la nourrit sans faire aucune dette, Dieu lui envoyant des
secours admirables » (Autobiographie de Creytton, Arch. comm. de Lyon, GG). .
VOYAGE DE FRANÇOIS DE BORGIA EN FRANCE. m
nat, Mariana, Ponce Cogordan, Edmond Hay. Elle députa celui-ci
à Rome comme procureur. Elle décida qu'au collège de Cler-
niont, au moins dans l'intérieur de la communauté, le P. Slip'
rieur reprendrait, suivant l'usage de la Compagnie, le nom de
Kecteur, qu'on s'était interdit jusqu'alors pour ne pas offusquer
l'Université.
La congrégation provinciale d'Aquitaine, elle aussi, comptait
parmi ses membres des religieux déjà célèbres ou qui ne tar-
deraient pas à le devenir : Àuger, Possevin, les deux du Cou-
dret, Guillaume Creytton, Claude Mathieu. Réunie A Avignon
le 25 avril, elle élut procureur le P. Annibal du Coudret. On y
traita la question des représentations théâtrales dans les collè-
ges, avec le désir d'en modérer l'usage : sans interdire complè-
tement les comédies, on ne les permit qu'une seule fois tous les
deux ou trois ans; quant aux dialogues plus simples, on les
autorisa une fois chaque année '.
La seconde congrégation des Procureurs eut lieu à Rome au
mois de juin. Il y avait alors six ans que le P. François de Borgia
gouvernait la Compagnie de Jésus. Renouvelant cet admirable
trait d'humilité dont saint Ignace et le P. Lainez avaient donné
l'exemple, l'ancien duc de Candie désirait renoncer au généralat.
Il consulta ses Assistants, leur exposa son incapacité et ses infir-
mités, et les pria de trouver bon qu'il assemblât la congrégation
générale pour lui élire un successeur : l'intérêt de la gloire de
Dieu et le bien de la Compagnie devaient, croyait-il, leur faire
souhaiter ce changement aussi ardemment qu'à lui-même. Les
Pères Assistants crurent, avec raison, que la ferveur du zèle et
l'éminence des vertus pouvaient suppléer à la langueur du corps
et à la faiblesse de l'âge; ils jugèrent à l'unanimité que la Com-
pagnie avait tout avantage à rester gouvernée par celui qu'ils
regardaient comme un saint. A ce moment même, loin de pou-
voir jouir paisiblement de la solitude après laquelle il soupirail
de toute son âme, le P. Général se trouva engagé par le Souve-
rain Pontife, auquel il avait voué obéissance, dans une suite de
négociations où il devait achever de consumer ses forces et sa
vie.
10. Pie Y. douloureusement ému des maux qui affligeaient la
chrétienté, avait conclu avec le roi d'Espagne et la république
1. Acta congr. prov,, 1571.
HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
do Venise une ligue, dont la victoire de Lépante devait être le
ternie glorieux. Non content de réprimer l'audace des mortels
ennemis du nom chrétien, il voulait les réduire à une complète
impuissance. Toujours occupé à de nouveaux préparatifs de
guerre, il forma encore le dessein de gagner à sa sainte entre-
prise tous les États de l'Europe demeurés tidèles à la Papauté. Il
députa dans ce but le cardinal Commendon vers l'empereur et
le roi de Pologne, le cardinal Alexandrin, son neveu, aux cours
d'Espagne et de Portugal. Des personnages de mérite et des pré-
lats habiles devaient accompagner ces deux légats. Les Pères
François Tolet et François de Borgia furent choisis comme conseils,
l'un du cardinal Commendon et l'autre du cardinal Alexandrin.
Pie V avait tant de confiance dans le crédit du P. Général de la
Compagnie de Jésus, qu'il regardait son concours comme néces-
saire au succès des négociations.
Malgré le pénible état de sa sanlé, François de Borgia n'hésita
pas un seul instant à répondre au désir du Saint-Père, s'estimant
très heureux d'exposer le reste de ses jours pour le service de
Dieu et de son Église. Il termina donc promptement toutes les
aifaires qui restaient à traiter avec les Procureurs, et désigna le
P. Nadal comme Vicaire général pendant son absence. Le Père
Claude Mathieu fut nommé Provincial d'Aquitaine ' à la place du
P. Auger-, et le P. Edmond Hay succéda comme Provincial de
France au P. Olivier Manare qui devint Recteur du collège de
Paris.
A la fin du mois de juin, le P. Général, après avoir reçu la
bénédiction de Sa Sainteté, partit avec le légat3. Il était accom-
pagné du P. Polanco et de quelques Pères Espagnols et Portugais,
députés à la dernière assemblée des Procureurs, qui retournaient
dans leurs provinces. Ils traversèrent tout le nord de l'Italie et
furent reçus, à leur entrée en France, par une nombreuse escorte
que le roi très chrétien avait envoyée au-devant du cardinal
Alexandrin j pour le conduire jusqu'à la frontière d'Espagne. En
1. Le P. Claude Mathieu, qui fera tant parler de lui au temps de la Ligue, était né
à Gugoey, diocèse de Toul. En 1561, il professait la philosophie à Tournon et était
Recteur de ce collège en 1567, quand les Jésuites durent l'abandonner par la crainte
des huguenots.
2. En annonçant au P. Auger qu'il avait un successeur, le P. Nadal lui laissa le choix
de son domicile. Le P. Émond se retira quelque temps au petit collège de Mauriac,
paisible séjour où il put se préparer dans le recueillement à de nouveaux travaux
(Lettre du P. Au.^er au P. Mercurhn, 31 juillet 1571. Gall. Epist., t. V, fol. \).
3. Lettre du P. Nadal au P. Coch, 5 juillet 1571 {Epist. P. Nadal, III, p. 648). —
Archiv. Vatican, Bibl. Pia, n. 61, fol. 38, 39 : Ilinerarium legationis card. Alexan-
drini.
VOYAGE DE FRANÇOIS DE BORGIA EN FRANCE. 493
passant par Avignon, le I*. de Borgia demeura quelques jours au
collège. Suivant une tradition locale, il habita la chambre même
({n'avait occupée, en 137(5, sainte Catherine de Sienne, Lorsqu'elle
vint engager le Pape Grégoire XI à retourner à Home1.
Nous n'avons pas à le suivre dans le reste de son voyage avec
le cardinal Alexandrin, ni dans les démarches <ju'il dut faire
de concert avec lui. Au mois de décembre, le légat venait, de
terminer la négociation des affaires qui concernaient la Pénin-
sule, lorsqu'il reçut un ordre, fort pressant, de repasser promp-
tement en France. 11 s'agissait de demander pour don Sébas-
tien, roi de Portugal, la main de Marguerite de Valois, sœur de
Charles IX. Le Pape désirait vivement cette alliance, sur laquelle
il fondait l'espoir d'engager le roi de France dans la ligue contre
les Turcs. Or, on venait d'apprendre que Charles IX et Catherine
de Médicis étaient sur le point de conclure le mariage de la
jeune princesse avec Henri, roi de Navarre : c'eût été la ruine
de tous les plans du Souverain Pontife. Le légat retourna donc
aussitôt de Lisbonne à Madrid, et de là reprit le chemin de la
France. Le P. François de Borgia, jugeant sa présence inutile
au succès de cette affaire matrimoniale, ne pensait plus qu'a
revenir à Rome, afin d'y consacrer ce qui lui restait de vie aux
devoirs de sa charge. Au moment où il se préparait à parlir
sur le vaisseau que le roi d'Espagne avait mis à sa disposition
pour le transporter en Italie, il fut arrêté par un avis du Pape
qui le priait d'accompagner le cardinal dans sa nouvelle léga-
tion. Pie V ne désespérait point encore de faire accepter le ma-
riage de Marguerite de Valois avec le roi de Portugal, et il
jugeait le P. de Borgia très capable de prémunir Charles IX et
la reine-mère contre les artifices des hérétiques, dont l'influence
augmentait tous les jours. Malgré les douleurs aiguës que lui
causaient de continuelles infirmités, le P. Général obéit avec
joie, prêt à aider de son mieux la délicate mission du légat.
Une lettre du P. Jean Fernandez nous a conservé le récit de
son voyage et de sa réception à la cour. Le cardinal Alexandrin
et sa suite, arrivés à Bayonne dans les premiers jours de jan-
vier 1572, y restèrent quelque temps à attendre la venue de
M. de Saint-Sulpice, intendant de la maison du duc d'Alençon,
et l'escorte d'honneur qui devait accompagner l'envoyé du Saint-
1. Celte pièce était au premier étage de la tour de la Molle; on la transforma plus
lard en chapelle sous le vocable de saint François de Borgia et sous celui de la bien-
heureuse dominicaine.
i'.ii HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Siège. On se dirigea d'abord à travers les landes, vers Bordeaux;
où le cardinal descendit à l'archevêché1, tandis que le P. de
Borgia était reçu chez le conseiller de Lange, très fervent catho-
lique et grand ami de la Compagnie-, On passa ensuite par
Poitiers et CluHellerault, où le P. Général célébra la messe dans
une des églises de la ville; on parvint le 9 février à Tours, et
deux jours plus tard à Blois, où résidait alors le roi. Charles IX
y était venu d'Amboise, afin de recevoir plus honorablement le
légat et sa suite. Le lendemain, un évêque se présenta à l'hô-
tellerie habitée par le P. Général et l'emmena au château pour
baiser la main du roi et de la reine-mère. Catherine de Médicis
l'accueillit avec toutes les marques de la plus respectueuse dé-
férence, et, comme il lui remit une lettre de la part de Sa Ma-
jesté Catholique, elle la lut debout, ne voulant pas s'asseoir
avant qu'on eût apporté un siège à son illustre visiteur. Le se-
cond jour, le P. François de Borgia se rendit chez la reine,
Elisabeth d'Autriche. Celle-ci parlant espagnol, le Père lui dit
dit qu'il se croyait à la cour d'Espagne, ce qui lui plut beau-
coup. Le troisième jour il visita Monsieur, duc d'Anjou, qu'il
trouva animé des meilleurs sentiments à l'égard de la cause ca-
tholique. Durant tout son séjour à Blois, malgré le vent, la neige
et un froid si rigoureux que la Loire était gelée, le P. Général
n'eut pas trop à souffrir de son état de santé, en sorte qu'il ne
perdit aucune occasion de négocier avec les princes les intérêts
de la religion 3.
Le P. de Borgia apprit avec bonheur, de la bouche du P. Mal-
donat, qui lui avait apporté les filiales félicitations des Pères de
Paris, les travaux et les succès du collège de Clermont ', et il
remercia le ciel qui se plaisait à répandre enfin ses faveurs sur
une maison si longtemps éprouvée par toutes sortes de tribu-
lations. Mais il n'eut pas la consolation, qu'il avait goûtée en Es-
pagne et en Portugal, de contribuer, comme il l'aurait souhaité,
à l'accomplissement des desseins du Souverain Pontife. Les ré-
voltes des huguenots, qui avaient allumé la guerre dans tout le
royaume, ne permettaient pas à Charles IX d'employer contre
les ennemis de la chrétienté des forces nécessaires au maintien
du pouvoir royal. Par ailleurs, les raisons d'État, qui avaient
1. Arch. comm. de Bordeaux, BB, Registres de la jurade, fragment de 1572.
2. « Personnage sçavanl, éloquent et catholique fort zélé >• (Damai, Chronique
Bourdeloise, MDCXIX, f. 49v).
3. Gall. Epist., t. VI. fol. 343-315.
*. Lettre du P. Manare au P. Nadal [Jbid., fol. 7 .
VOYAGE DE FRANÇOIS DE BORGIA EX FRANl ! W5
déterminé le projet de mariage entre Henri de Navarre et Mar-
guerite de Valois, ne laissaient espérer l'accueil favorable d'au-
cune autre proposition. Le cardinal Alexandrin lit de vains efforts
pour empêcher une alliance irrévocablement résolue.
S'il ne restait nul moyen d'atteindre le double but des né-
gociations avec la cour de France, le P. François de Borgïa se
servit du moins de la sainte liberté que lui inspirait son zélé
pour exhorter Leurs Majestés très chrétiennes à ne pas suivre
toujours les maximes de l'intérêt politique, à envisager surtout
celui de Dieu et de l'Eglise. La reine-mère reçut en bonne part
ses humbles remontrances; elle parut même n'en éprouver que
plus de vénération pour sa personne; persuadée de sa sainteté
et de son crédit auprès du ciel, elle voulut avoir un chapelet
qu'elle vit à sa ceinture [. Le serviteur de Dieu n'ayant pu le
refuser aux instantes prières d'une si grande princesse, elle le
garda toujours comme une précieuse relique.
11 . Le Père Général partit de Blois, à la fin du mois de février,
péniblement impressionné des sentiments d'indifférence reli-
gieuse qui régnaient à la cour, et très affligé des grands mal-
heurs qu'il redoutait pour un royaume que l'Église avait tou-
jours considéré comme son plus ferme appui-. Cependant, si les
dehors de la réconciliation avec les hérétiques cachaient, comme
le prétendent quelques historiens, des projets de vengeance,
le P. de Borg'ia n'avait rien saisi de la trame qui s'ourdissait
et devait bientôt aboutir à un attentat : « Nous ne devons pas
oublier, dit un écrivain protestant, que, malgré ses rapports
assez intimes avec Charles IX et Catherine de Médicis, et bien
qu'il fût en haute faveur auprès d'eux, on n'a aucun motif de
supposer qu'il eût reçu la confidence de leur odieux projet3. »
Il se mit en route avec le cardinal Alexandrin qu'il accompa-
gna jusqu'à Lyon. Pendant le carême, les habitants apprirent
l'arrivée prochaine du légat4. Sans tarder, ils élevèrent des arcs
de triomphe et disposèrent tout pour une réception magnifique.
Le ï mars, le cardinal avec sa suite se présenta aux portes de
la ville, mais, — nous ne savons pour quel motif, — il refusa
formellement les honneurs d'une entrée solennelle. On juge de
1. Cienfugos, La fteroïca rida del grande S. F. Borgia p: 448.
2. Lettre de François de Borgia au P. Ribadeneira Dans Ribadeneira \ ttu dcl
P. F. Borgia, p. 227).
3. The First Jesuits dan-; Edimburg Review, 1842.
i. Possevin : Annaliinn decas 1\ I. IV, c. m, p. 153.
in, HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
la déconvenue dos magistrats qui l'avaient organisée. Ils eurent
recours au Père Recteur du collège dont l'intervention, requise
en cette ail'aire, montre assez l'influence et la popularité. Posse-
vin allait monter en chaire quand on vint l'avertir. 11 laisse
là son auditoire qui reste patiemment à l'attendre, et en toute
hâte, à cheval, il se rend auprès du légat pour parlementer. Il
s'efforce, par les meilleurs arguments, de le faire revenir sur sa
décision : « Voyez, lui dit-il, cette cité qui naguère encore gé-
missait sous le joug du calvinisme; maintenant elle accourt au-
devant de vous, le représentant du Saint-Père, elle se prosterne
humblement à vos pieds pour implorer votre bénédiction, et elle
atteste ainsi publiquement son attachement à la vraie foi. Quelle
honte ne serait-ce pas pour elle, aux yeux des calvinistes de
(ienève, si le neveu du Pape semblait indifférent à ses avances
et à ses témoignages de respect? » Alexandrin n'avait rien à
objecter à pareil raisonnement; il céda aux désirs des Lyonnais,
qui lui prouvèrent par de chaleureuses ovations1 que les héréti-
ques n'avaient point arraché de leurs cœurs l'amour de l'Église
et du Saint-Siège.
Quelques heures après, Possevin recevait au collège François
de Borgia. Pendant trois jours, les Pères furent « grandement
consolés2 » par la présence de leur Général qu'ils avaient en vé-
nération. Mais, sans cloute, l'état de sa santé leur donna de
vives inquiétudes. Eneifet, la fin de ce voyage devait être fatale à
l'illustre serviteur de Dieu. Déjà, de Bayonne à Blois, il avait eu
à souffrir du froid dans les églises, souvent dévastées, où le re-
tenait la ferveur de sa piété. Un accident de ce genre, raconte
Kibadeneira !, lui arriva de nouveau après son départ de Lyon.
Il rencontra une fois, sur sa route, une église profanée par les
hérétiques. La tristesse dont son âme était accablée, grandit
encore à cette vue; il voulut offrir le saint sacrifice au lieu même
où le corps du Sauveur avait reçu tant d'outrages'1. Le temps était
glacial, l'église en ruines et exposée à tous les vents. Après sa
messe, le Père fut saisi de frissons et d'un tel accès de fièvre
1. Possevin : Anualimn decas la, 1. IV., c. m, p. I5i-I56. — 2. Ibidem.
3. Ribadeneira, Y.ita ciel P. F. Borgia, p. 226.
4. Ribadeneira place ce fait au 2 février, par erreur, puisque le départ de Lyon eut
lieu le 7 mars. On peut même se demander si cet auteur n'a point confondu avec un
accident semblable, qui serait arrivé réellement le 2 février, et dont les conséquences
se seraient fait plus gravement sentir après le séjour à Lyon. Nous savons en effet, par
la relation du voyage du cardinal Alexandrin, que ce jour-là le Légat « celeb ravit
missam in quadam ecclesia satis delurpata opéra hùgonotorum ». Il est fort pro-
bable que François de Rorg'a avait dit sa messe dans la même église.
MORT DK FRANÇOIS DE BORGIA. 497
qu'il ne pouvait plus se tenir debout. On dut le transporter en
litière le reste du chemin, jusqu'à Saint-Jean de Maurienne, où
des médecins, envoyés au-devant de lui par le duc de Savoie,
le soignèrent pendant quelques jours. Malgré son ardent désir de
rentrer promptement à Rome, la maladie l'obligea de s'arrêter
plusieurs mois à Ferrare1. Ce ne fut que le 28 septembre, après
un pèlerinage à Notre-Dame de Lorette, qu'il revit, agonisant,
la capitale du monde chrétien. Un nouveau Pape, Grégoire XIII,
occupait le siège de Saint-Pierre. Dans le conclave qui avait
suivi la mort de Pie V, le nom de François de Borgia fut pro-
noncé, car on le jugeait cligne de succéder au pontife qui l'ho-
norait de sa confiance et de son amitié2.
Trois jours après son retour à Rome, le 1er octobre, le P. Gé-
néral rendit saintement le dernier soupir au milieu de ses frères,
comme il Pavait désiré. Grégoire XIII, en lui envoyant une der-
nière bénédiction, avait exprimé en termes touchants sa douleur
et ses regrets : « Il avait, disait-il, compassion de l'Église qui
perdait un si grand défenseur dans la personne du P. François1. »
Le second successeur d'Ignace de Loyola mourut, en effet, vic-
time de son obéissance au Pape et de son dévouement à l'Église
12. Comme il n'avait pas désigné de Vicaire avant sa mort, le
P. Polanco fut élu, et, en cette qualité, indiqua pour le 12 avril
1573 la réunion des profès à Rome. Les congrégations provincia-
les, qui devaient choisir les députés chargés d'élire le nouveau
Général, s'assemblèrent au mois de janvier. La congrégation
de la province de France, convoquée au collège de Clermont,
députa les PP. Olivier Manare et Émond Auger. Elle exprima
le désir de transporter les novices de Billom à Paris : ils habi-
teraient le collège, mais dans un lieu distinct pour leurs exer-
cices; ceux que l'on ne pourrait entretenir seraient envoyés dans
une autre maison. La congrégation de la province d'Aquitaine,
réunie au collège de Tournon, nomma les PP. Antoine Possevin
1. Leltre du P. Fernande/, au P. Naclal (Gall. Epist., t. VI, 7 avril 1572J.
2. Nous avons pour garant de ce fait le témoignage de Thomas Borgia, archevêque
de Saragosse, dans le procès de béatification : « Cardinalis Paleoltus mihi mandavit
ut pro viribus procurarem ducere Palreni Franciscum Dominum meum ad Romanam
curiam in eleclionis occasione; quia ipse scieltat quod mulli ex cardinalibus adhae-
rebanl Suae Paternitati reverendissimae ad illum in servitio Ecclesiae occupan lum. »
— Mais comment, observa Thomas Borgia, pourrait-on élire Pape le P. François qui
n'est pas cardinal? — 11 lui fut répondu : « Quod cardinalium collegium facere poterat
id quod judicabat convenire. Existât Homae. Deus caetera providebit. » (Bartoli Vita
di S. Fr. Borgia, p. 243, 244.)
3. Ribadeneira, Vita del P. Borgia, p. 231.
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 32
498 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
et Guillaume Creytton; elle s'occupa aussi des novices, qui se
trouvaient à Avignon; si on les transférait ailleurs, ils seraient
remplacés par les théologiens, alors à Tournon1.
Les députés quittèrent la France vers la tin de février2, sauf
le P. Àuger retenu par le duc d'Anjou3. Comme lui, trois
Pères Espagnols furent empêchés, par un fâcheux accident, de
se rendre à Rome; c'étaient Gil Gonzalez, Provincial de Castille,
Jean Suarez et Dominique Guttiérez, ce saint religieux à qui,
selon la tradition, la Très Sainte Vierge était un jour apparue
couvrant de son manteau toute la Compagnie. Ces trois Jésuites,
en traversant la France, étaient tombés, près du château de
Cardillac, en Rouergue, dans un parti de huguenots. Ceux-ci,
heureux de tenir en leur pouvoir des prêtres catholiques, mirent
en délibération la peine qu'on leur infligerait. Les uns deman-
daient la mort, les autres exigeaient une forte rançon, et ce
dernier avis prévalut. Mais les Pères, n'estimant pas leur vie à
un si haut prix, refusèrent de se racheter et furent emmenés
prisonniers dans une forteresse voisine, où ils eurent à subir
toutes sortes de mauvais traitements. Guttiérez ne vécut que
quelques jours au milieu des hérétiques; Gonzalez fut griève-
ment blessé, et enfin mis en liberté avec Suarez, grâce à la cha-
rité des Pères de la province d'Aquitaine. « Le Père Provincial
de Castille, écrivait de Rodez le P. Annibal du Coudret, le
15 mai, est resté ici gardant le lit jusqu'aujourd'hui, à cause
de la blessure qu'il a reçue pendant sa captivité. Demain, nous
l'espérons, il commencera à se lever. Quel dommage si les
huguenots avaient tué un homme de cette valeur, excellent théo-
logien, parfait religieux, d'un si bon caractère, d'une si aima-
ble conversation, qui, par sa patience et sa douceur, a été cons-
tamment un objet d'édification pour toute la communauté4. »
13. La troisième congrégation générale s'ouvrit à Rome, le
12 avril, par un discours du P. Possevin qui s'acquitta de cet of-
fice à la satisfaction de toute l'assemblée5. Le 23 avril, le P. Éve-
rard Mercurian, belge de nation, ancien étudiant de l'hôtel de
Clermont et Visiteur en France, fut élu quatrième Général de la
1. Acta congr. prov. 1573.
2. Annal, decas 1% liv. IV, c. m.
3. Lettre du duc d'Anjou au P. Général pour excuser l'absence du P. Auger (Bibl.
nat., fonds Dupuy, 937, fol. 21).
4. Lettre au Père Général (Gall. Epist., I, Vil).
5. Annal, decas 1% 1. IV, c. i\.
TROISIÈME CONGRÉGATION GÉNÉRALE. 499
Compagnie de Jésus à la majorité de vingt-sept voix sur qua-
rante-sept votants1. Le I*. Olivier Manare, Recteur du collège <!<•
Clermont, devint Admoniteur du P. Général et Assistant pour la
France et l'Allemagne. On avait proposé de créer une cinquième
Assistance pour les provinces de France, mais la congrégation
décida de ne rien changer à ce qui existait déjà. Elle se prépara
le 10 juin, après avoir sanctionné quarante-huit décrets et réglé
certains points concernant l'élection au généralat, la manière de
procéder dans les congrégations provinciales et les devoirs atta-
chés aux fonctions temporaires du Vicaire général2.
Le Père Possevin ne revint pas en France. Il avait été choisi
comme secrétaire du P. Mercurian3, marque évidente de l'estime
qu'on avait de son talent et de sa vertu, car le secrétaire est
l'homme de confiance sur lequel le Général se repose, en partie,
des principales affaires de la Compagnie.
1. Letlres des 6 et 8 juillet [>ar lesquelles le P. Général informe Charles IX, la reine
et Catherine de Médicis de son élection (Gai!., Epist. General., t. V).
2. Inst. Soc. Jesu, t. I, p. 200 et suiv.
3. Annal, decas 1\ I. IV, c. v.
CHAPITRE VII
ANCIENS ET NOUVEAUX COLLÈGES : TOULOUSE, RODEZ,
VERDUN, NE VER S.
(1566-1572).
Sommaire : Toulouse : 1. Achat du palais de Bernuy; opposition des protes-
tants, 1566. — 2. Insuffisance des ressources. — 3. Bienveillance de l'Univer-
sité — Rodez : 4. Difficultés avec le chapitre. — 5. Progrès et agrandisse-
ments du collège. — Verdun : 6. Envoi des Pères Allemands, 1564; recours
aux Pères Français, 1570. — 7. Ouverture des classes, Ier octobre 1571 ; — mort
du fondateur, Ms' Nicolas Psaume, 1575. — Nevers : 8. Démarches du duc de
Nevers. — 9. Ouverture des classes, octobre 1572; contrat de fondation, 26 sep-
tembre 1573.
Sources manuscrites : I. Archives de l'Aveyron, série D.
II. Archives de la Nièvre, série I).
III. Archives communales de Toulouse, s. AA et BB.
IV. Archives communales de Verdun, s. GG.
V. Archives Vaticanes : Nunz. di Francia, t. VIII.
VI. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a> Campan., Fundat. collegior.
— b) Collegium Nivernense. — c) Epistolae Episcoporum. — d) Francia, Hist. l'undat.
Assistentiae. — e) Gallia, Epist. Generalium. — f) Galliae Epist. — g) Tolos., Fundat. col-
legior.
Sources imprimées : Acla S. Sedis. — Manare, De rébus S. J. — Hansen, Rheinische
"Lien zur Geschichte des Jesuitenordens. — Monumenta hisitorica S. J. Epist. P. Nadal.
1. Le collège de la Compagnie de Jésus, à Toulouse, était
assez mal installé dans l'ancien couvent des Augustines. Depuis
longtemps déjà les supérieurs avaient reconnu, avec le cardinal
d'Armagnac et les capitouls, la nécessité de le transférer dans un
lieu plus convenable1. En 1566, pendant un séjour du P. Auger,
une occasion favorable se présenta de mettre ce projet à exécu-
tion-.
Jehan de Bernuy, vicomte de Lautrec, avait vendu, le 25 dé-
cembre 1556, à M8 Antoine Clary, conseiller du roi, pour la
somme de vingt mille livres tournois, le palais qui portait le
nom de sa famille. Il avait reçu quatre mille livres; le restant
devait être payé par portions égales, en trois termes, jusqu'au
1. V. plus haut, 1. II, c. x, n. 5.
2. Lettres du P. Auger au P. Général, 8 mars et 24 juin 1566 (Gall. Epist., t. III,
f, 85,86). Tolos., Fund. colleg., t. III, n. 2,
SITUATION DU COLLÈGE DE TOlîLOtiSË. 5<H
premier janvier 1559. Antoine Glary n'ayant encore rien versé
en 1565, un différend s'éleva entre lui et Jehan de Bernuy. Le
10 juillet 1500, il vendit le palais à noble Jehan de Gamoy, an-
cien capitoul, qui paya, le \± juillet, la somme de huit mille
livres au vicomte de Lautrec ' . En possession du palais de Bernu\ .
Jehan de Gamoy résolut, de concert avec deux notables bourgeois
de Toulouse, MM. Pierre de Madron et Pierre Dclpcch, anciens
capitouls comme lui, de donner ce bel édifice aux Jésuites-. Le
18 août 1500, ils se rendirent à l'hôtel de ville et exposèrent leur
projet au conseil qui saisit avec empressement cette occasion d'é-
tablir convenablement le collège de la Compagnie". Dans une de
leurs délibérations, les capitouls assignèrent aux Jésuites douze
cents livres qui restaient des collèges de Verdalle et de Montle-
zun, lesquels avec le monastère des Augustines furent échangés
contre le palais de Bernuy4.
Quand la mesure prise par la municipalité fut connue, les pro-
testants, encore nombreux à Toulouse, ne virent pas sans dépit
que les Jésuites allaient être établis solidement dans la ville. Ils
murmurèrent d'abord sourdement, puis laissèrent éclater leurs
plaintes : les magistrats, disaient-ils, ne devaient pas disposer en
faveur de quelques particuliers d'une maison achetée des deniers
publics. Ils en écrivirent même à la cour où ils formèrent opposi-
tion, et l'affaire fut évoquée au conseil du roi. Jaloux de main-
tenir leurs droits, les capitouls décidèrent d'envoyer des députés
à Paris pour informer le conseil et obtenir confirmation des actes
déjà passés. Ils prièrent le P. Auger d'accompagner la députa-
tion, espérant que, par son crédit, on arriverait plus heureuse-
ment au règlement de cette affaire.
Leur attente ne fut point trompée. Bien qu'on eût à vaincre de
fortes résistances de la part de grands personnages très affection-
nés au parti calviniste, le P. Émond sut gagner l'appui du roi
et la recommandation de la reine-mère. Lorsque la cause fut
appelée au conseil, le cardinal de Bourbon prit avec chaleur la
défense des Jésuites : « Une des meilleures preuves de la justice
de leur cause, dit-il vertement à une personne de distinction
1. Archiv. comm. de Toulouse. AA, 15, n° 307.
2. Lettres du P. Auger, 20 juillet et 31 août 4566 (Gall. Epist., t. III, f. 149, 151).
3. Contrat de fondation (Archiv. comm., AA, 14, n° 98, fol. 156-159; BB, 12, fol.
20, 22, 24).
4. Lettres des capitouls au P. Général et au Pape (Archiv. comm., AA, 14, fol. 97,
113; BB, 176, fol. 51). Lettre du P. Général aux capitouls, 28 déc. 1566 (Gall.. Epist.
Gen., t. III).
502 HISTOIRE DE EA COMPAGNIE DE JÉSUS.
qui s'était déclarée contre eux, c'est qu'on la voit attaquée par
les hérétiques. » Le conseil rendit un arrêt favorable, et la trans-
lation du collège de la Compagnie au palais de Bernuy fut con-
tinuée par lettres patentes du roi, vérifiées au Parlement le
9 janvier 1567, et par une bulle du Pape Pie V. Le P. Anni-
bal du Coudret fut mis en possession du nouveau domicile par
M. Pierre Sabaticr, conseiller en la cour du Parlement de Tou-
louse, le 21 janvier 1567 '.
2. Dès la première année de la nouvelle installation, le collège
plus fréquenté dut accroître le nombre de ses régents. Cepen-
dant, comme il n'était pis assez doté, le conseil de ville déli-
béra sur les moyens de pourvoir à l'entretien du personnel et en
confia le soin aux capitoals2. Ceux-ci recoururent à la bienveil-
lance du cardinal d'Armagnac, alors à Avignon, et lui exposèrent
la détresse d'un établissement qu'il avait contribué à fonder.
Non seulement il ne jouit d'aucun revenu, lui écrivirent-ils, mais
il est endetté de plus de deux mille livres, et la ville, par suite de
« la calamité du temps » et « fraiz insupportables des guerres »,
ne peut efficacement venir à son secours. Ils le supplièrent donc
de vouloir bien, comme il l'avait promis, s'occuper de « l'entre-
tènement » du collège de Toulouse, s'engageant de leur côté à
faire tout leur possible pour lui venir en aide3. Peu de temps
après, grâce sans doute à la puissante intervention du cardinal,
les collèges de Verdalle, de Montlezun et de la Tour-Saint-Vincent
furent « unis et incorporés » à celui des Jésuites par autorisation
du Saint-Siège et permission du roi4.
Cette union ne fut guère profitable au collège, car la ville,
pour faire face à ses besoins, s'était emparée des revenus. Le
P. Annibal du Coudret, réduit à la dernière extrémité, se vit
contraint de déclarer que les régents quitteraient le collège et
la ville, si l'on n'avisait à leur trouver des ressources suffisantes.
En conséquence le conseil des Seize prit, le 3 décembre 1570,
la résolution suivante : « Quant au faict des Jhésuictes, veu que
la ville n'a aucungs deniers, et pour leur donner moyen de
vivre, a esté ordonné que à chascun capitoullat seront depputés
deux personnaiges qui auront charge de faire quester au nom
desdicts Jhésuictes, et encore seront priés les recteurs et vic-
1. Procès-verbal d'installation des Jésuites (Archiv. comm., AA, 16, n. 118, 119).
2. Délib. du 23 août 1568 (Archiv. comm., BB, 12, fol. 140, 141).
3. Leltre du 6 février 1569 (Ibid., BB, 176, fol. 95).
4. lùid., BB, 12, fol. 243, 245.
SITUATION DU COLLÈGE DÉ TOULOUSE.
caires des paroisses de ladite ville, estant au prosne desdites
églises, de voulloir exhorter le peuple à dévotion et à leur aul-
mosne. » Conforméinent à cette résolution, on nomma dans cha-
cun des huit capitoulats de la ville deux députés, chargés de
« quester pour messieurs les J h ésuites 1 ».
L'année suivante, les Pères furent menacés de perdre la maison
de Bernuy que les capitouls leur avaient acquise, Un article de
la paix de Saint-Germain (8 août 1570) accordait aux protestants
le droit de rentrer dans les biens aliénés qui se trouveraient en-
core en nature; en conséquence, ceux de Toulouse redemandaient
à grands cris le palais de Bernuy bâti par un des leurs. Les ma-
gistrats, résolus de conserver à la Compagnie de Jésus une
maison dont elle faisait si bon usage, rachetèrent le prétendu
droit des protestants, et, afin de leur ôter tout espoir d'une nou-
velle revendication, ils firent construire une église2 devenue né-
cessaire aux Pères et à leurs écoliers.
Malgré tout, le collège ne sortait point de sa situation difficile.
Les aumônes, recueillies dans les capitoulats, ne suffisaient pas à
couvrir ses dépenses. De nouveau, en 157*2, il tomba dans une
extrême détresse et le P. du Coudret, une seconde fois, dut songer
à quitter cette ville où il ne pouvait plus pourvoir à la subsis-
tance de sa communauté 3. Les habitants, craignant avec raison
que le collège ne fût supprimé par la Congrégation générale déjà
convoquée à Borne, se réunirent en assemblée plénière, le 2 jan-
vier 1573, et lui allouèrent un revenu de douze cents livres sur
les deniers publics 4.
3. L'Université de Toulouse s'était toujours montrée favo-
rable aux Jésuites. Elle s'empressa, elle aussi, d'une manière très
délicate, de venir au secours du collège. Une lettre du P. Bec-
teur nous a conservé le souvenir des charitables démarches
qu'elle entreprit en cette circonstance :
« Deux docteurs et lecteurs de l'Université, écrivait le P. du
Coudret au P. Général le l('r septembre 1574, sont venus nous
proposer trois choses de la part de leurs collègues : 1° l'incor-
poration du collège à l'Université; 2° la rétribution accordée
1. Délibérations diverses (Archiv. comm., BB, 12, fol. 30G, 398, 477, 479, 482, 493,
494; BB, 13, f. 9).
2. Cette église fut bénite le 3 sept. 1575, par l'cvéque d'Albi.
3. Reg. des Délibérations (Archiv. Comm., BB, 13, fol. 127-128).
4. IhuL, fol. 213, 214, 215; et AA, 18,329, fol. 160". — Tqlos., Fund. colleg., t. III,
n. 2.
504 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
jusqu'ici aux lecteurs en théologie de l'Université, puisque nous
avons au collège un cours de théologie; 3° celle de leurs deux
professeurs es arts pour nos professeurs de philosophie et de
belles-lettres. A les entendre, ils agissent ainsi en considération
du fruit que produit le collège et par égard pour sa pauvreté.
A ces deux raisons, ils en ajoutent une troisième : c'est que
ceux qui sont chargés de ces cours, à l'Université, remplissent
mal leur office, lequel d'ailleurs ne leur a pas été confié abso-
lument, mais ad tempus. Après les avoir remerciés, je leur ai
dit que je ne pouvais leur donner réponse sans avoir prévenu
Voire Paternité. Ils m'ont alors prié de vous écrire à ce sujet,
car ils en avaient déjà parlé au premier président et à M. Du-
ranti, avocat du roi; tous deux trouvaient la combinaison excel-
lente, si toutefois la Compagnie voulait bien y souscrire. Ils ont
traité toute cette affaire en dehors de nous et à notre insu.
« J'en ai délibéré aujourd'hui avec les PP. Consulteurs, et voici
ce qui a été résolu : puisque l'Université de Toulouse désire faire
au collège la faveur de le regarder comme un de ses membres, et
que cela ne répugne point à notre Institut, nous ne pouvons
guère refuser; — quant à la rétribution promise, s'il s'agit des
classes de lettres et de philosophie, elle ne nous semble pas faire
de difficulté; nous acceptons bien les prébendes préceptoriales
destinées à l'enseignement de la jeunesse, nous pouvons donc
accepter aussi une rétribution, non comme salaire mais comme
secours ; — pour ce qui regarde la théologie, qui se rapproche de
la prédication, la question est plus délicate; mais les docteurs,
auxquels je fis l'objection, me répondirent que la rétribution
nous serait donnée comme aumône ou secours accordé à un
membre de l'Université; sur quoi, les consulteurs ont été d'avis
qu'on pouvait accepter dans ces conditions1. »
Une dernière difficulté restait à résoudre. Les trois lecteurs de
théologie avaient toujours été jusqu'alors des religieux apparte-
nant à divers Ordres, et les Jésuites n'auraient pas voulu leur
causer le moindre déplaisir. A cela l'Université répondit qu'on ne
ferait tort ni à ces religieux ni à leurs Ordres, attendu qu'ils n'oc-
cupaient leurs chaires que temporairement, jusqu'à la nomination
d'autres titulaires, et que leur remplacement était très désiré
des écoliers.
« D'ailleurs, ajoutait le P. du Goudret, les honoraires de ces
1. Gall. Epist., t. VIII, fol. 319-320.
PROGRÈS DU COLLÈGE DE RODEZ. 505
professeurs étaient peu élevés, cent vingt livres pour chacun
d'eux, en tout six cents livres pour les cinq; mais c'est beaucoup
pour nous à qui l'on n'impose aucune obligation nouvelle
Dans Ja congrégation provinciale réunie à Avignon, Votre Pater-
nité doit s'en souvenir, on proposa de placer à Toulouse le sémi-
naire théologique de la province, ce qui fut accordé à condition
qu'on trouverait des revenus suffisants. Puisque Dieu n'a pas
permis que ce collège fût fondé d'un seul coup, il faut bien nous
contenter de ce que sa bonté nous concède peu à peu. »
Nous n'avons pas retrouvé la réponse du P. Général à ces pro-
positions bienveillantes; nous savons seulement qu'un second
projet d'incorporation lui fut présenté deux ans plus tard ' et que,
de fait, nulle exécution ne suivit. Dans l'intervalle, le P. Émond
Auger remplaça comme Recteur le P. du Coudret devenu Provin-
cial d'Aquitaine. On put dès lors espérer une prompte solution
de toutes les difficultés pendantes, car il jouissait à Toulouse
d'une réputation exceptionnelle. Il obtint, en effet, par provi-
sion, en 157i, une somme de six mille livres pour certains revenus
qui étaient en litige, et les capitouls accordèrent, en 1575, une
augmentation de la rente qu'ils payaient annuellement au col-
lège2. Maintenant celui-ci pouvait vivre; la prospérité lui viendra
plus tard; il sera le plus important de la province à laquelle il
donnera son nom.
4. Le collège de Rodez, fondé en 1562 3, avait eu, comme celui
de Toulouse, des commencements très pénibles; mais peu à peu,
grâce au zèle infatigable de ses premiers Recteurs, les PP. Jean
Ralmes et Jacques Morel, il avait pu surmonter tous les obstacles.
Il ne prit toutefois un véritable accroissement que sous l'habile
direction du P. Houlton, lorrain d'origine, plus connu sous le
nom de Jean de Lorraine. Rien que les revenus fussent insuffi-
sants pour l'enlretien de six Pères qui formaient le personnelle
nouveau Recteur, comptant sur les sentiments religieux de la ville
et de la contrée, ajouta aux quatre classes de grammaire déjà
existantes une chaire d'humanités, une de philosophie et une de
théologie4. Les habitants répondirent à ses avances en exigeant
l'observation de V Ordonnance d'Orléans dans le diocèse; par le
1. Gall. Epist., t. X. f. 150.
2. Keg. de comptabilité municipale (Archiv. commun., AA, 18, f. 338, 359).
3. Voir plus haut, 1. II, c. ix, n. 4 et suiv.
4. Notice Ms. (Archiv. de l'Aveyron, D, 552, et Franc, Fund. coll., n" 55).
506 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
crédit du sieur de Combret, ils obtinrent de Charles IX que la
prébende préceptoriale serait exclusivement appliquée au collège
des Jésuites. Les chanoines refusèrent de satisfaire à leur obliga-
tion, sous prétexte que les bénéfices du chapitre avaient chacun
un titulaire qu'on ne pouvait convenablement dépouiller. De
là, entre le chapitre et la ville, des contestations très vives qui
furent soumises à l'arbitrage de M. Daffis, premier président du
Parlement de Toulouse, de passage à Rodez. Ce magistrat « con-
damna le chapitre à payer au collège une rente annuelle de
trois cents livres, jusqu'à ce qu'enfio une prébende vint à vac-
quer1 ». Mais « l'accord ne tint guère, raconte un ancien anna-
liste, parce que la ville voyant la pauvreté dudit collège, désiroit
fort l'union d'une prébende entière et en nature ». Elle « em-
brassa l'affaire d'une grande affection », aidée « de plusieurs
particuliers qui en prenoient la peine et faisoient les frais né-
cessaires ». On obtint « après un long procès et despenses... plu-
sieurs arrests de la court de parlement de Toulouse par lesquels
messieurs du chapitre furent toujours condamnés2 ». Le cha-
pitre en appela au conseil privé du roi; et mal lui en prit, car
un arrêt du 16 février 1571 « obtenu pour bien et concorde » par
le P. Auger, l'obligea à donner par an au collège la somme
de quatre cents livres quittes de toute charge « pour les fruits
et revenus de la prébende destinée3 ». A partir de ce moment,
les Pères complétèrent le cours de belles-lettres par l'addition
d'une classe de rhétorique1.
5. En 1572, « Hélis Martine, veufve de François Dardenne,
bourgeois de Rodez », mourut en léguant au collège une maison
de campagne et des vignes dont le revenu pouvait monter à
soixante livres. Cette propriété, appelée domaine de Serres, était
située dans un vallon fertile à deux lieues de Rodez. Le legs
n'avait pas été inscrit dans le testament, mais dans un codicille
qui ne portait aucune signature. De nos jours, un tel codicille
serait réputé nul et sans valeur; il fut cependant déclaré bon et
valable par le Parlement de Toulouse, à cause des témoignages
qui établissaient l'intention formelle de la testatrice 5.
Les années suivantes, plusieurs prieurés furent unis au collège,
mais sous la réserve de pensions viagères : celui de Faux en
1. Ibidem. — 2. Ibidem. — 3. Tolos., Fund. colleg., n. 136.
4. Origo et progressus collegii (Tolos., Fund. colleg., n. 121).
5. Notice ms. (Archiv. de l'Aveyron, D, 545, 552).
PROGRÉS DU COLLÈGE DE RODEZ. 507
157k, celui du liés en 1576; leur revenu net s'élevait à soixante-
cinq écus1. Le 5 août 1570, Grégoire XIII lui annexa encore « les
fruits et revenus » du prieuré de Saint-Sauveur de Chirac, dans
le diocèse de Mende, à la charge de payer cent soixante livres de
pension pour l'entretien de deux moines « aux escholes ». Le
prieur commendataire, Laurent Blanquet, se réserva aussi une
pension assez élevée, en sorte que ce bénéfice ne rapportait plus
que trois cents écus2.
Ces diverses acquisitions permirent au collège de prendre un
grand développement. On comptait sept cents élèves en 1572, et
près de quatorze cents en 1577; aussi le P. Recteur demanda-t-il
au P. Général l'autorisation d'ouvrir une cinquième classe de
grammaire3. A la procession du jubilé, célébré cette année-là
même à Rodez, la piété de ces nombreux écoliers émerveilla les
habitants : « Quelques-uns de nos amis, écrivait à ce propos le
P. Jean de Lorraine, ont dit qu'ils n'auraient jamais cru que nous
eussions tant d'élèves, s'ils ne les avaient vus défiler en si long
cortège. Pendant quinze jours, nos écoliers ont visité les quatre
églises désignées pour gagner l'indulgence, marchant deux à
deux, un cierge à la main, classe par classe, et chaque classe
chantant les litanies, ou des hymnes, ou les sept psaumes de la
pénitence... Les trois derniers jours, trente jeunes gens, pieds
nus, portaient les instruments de la Passion... Le peuple, ému
jusqu'aux larmes, s'agenouillait, baisait les insignes des mys-
tères et les pieds môme des porteurs. Cette touchante cérémonie
nous a gagné l'affection de toute la population qui vient en
foule à notre église, une des quatre désignées pour l'indulgence
du jubilé. Un gentilhomme huguenot, témoin de ce spectacle,
en fut tellement impressionné qu'il alla sur-le-champ se con-
fesser, déclarant qu'il ne se laisserait plus jamais tromper par
les hérétiques '. »
Il fallut bientôt songer à agrandir les anciens bâtiments,
devenus trop étroits. Or le collège était borné au couchant par la
muraille de la ville, et des deux autres côtés par des rues abou-
1. Ibid., D. 515, 530; D, 1, fol. 257, 261.
?.. Henri III avait, approuvé celle union par lettres patentes du 4 janvier 1578. mais
les Bénédictins de Saint-Victor contestèrent la légalité de l'union. Le procès qui s'en-
suivit aboutit à une transaction, dans laquelle les Jésuites consentirent à pourvoir a
l'entretien de deux moines de la célèbre abbaye (Archiv. de l'Aveyron, D, 1, loi. 8;
D, 253).
3. Lettre du P. Mathieu au P. Général, 8 juill 1572; — du P. Jean de Lorraine au
même, 13 avril 1577 (Gall. Epist., t. VI, f. 229; t. XI, f. 108.)
4. Lettre du 24 mars 1577 (Gall. Lpist., t. XI, fol. 307).
ou8 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
tissant aux portes « des Gordeliers et de Paneraire ». Restait, au
levant, la maison particulière d'un personnage opulent, César
Pamphile, qui vivait à la cour du Pape. C'est de ce côté seule-
ment que l'agrandissement était possible. Les Jésuites deman-
dèrent au cardinal d'Armagnac de vouloir bien unir à leur
collège cette maison, dépendant de la domerie de Sainte-Marthe
dont il avait la juridiction, et qui servait d'hôpital aux voya-
geurs. Afin de faciliter cette uuion, le P. Recteur avait acheté
d'un sieur d'Albespeyre une maison qu'il proposait en échange
de la première. César Pamphile, déférant au désir du cardinal,
consentit d'abord à l'échange proposé, puis à l'abandon de la
maison du sieur-d'Albespeyre et même à la cession de la domerie
de SainteMarthe, moyennant une pension assez élevée, qui lui
fut servie durant de longues années1. Les bâtiments du collège
occupèrent dès lors l'emplacement actuel.
6. Pendant que se développaient plus ou moins rapidement les
anciens collèges de Toulouse et de Rodez, trois nouvelles fonda-
tions, Verdun, Ne vers et Bordeaux, furent approuvées par le
R. P. Général : la première en 1570, les deux autres en 1572.
Longtemps ville impériale, Verdun avait été réunie à la France
en 1552. Son évêque, Nicolas Psaume, très zélé pour le maintien
de la religion catholique, forma le dessein d'y établir une Uni-
versité. Les professeurs, qu'il fit venir de Paris, ouvrirent leurs
cours en 1558 dans la maison hospitalière de Saint-Jacques. Il
fonda aussi, sous le nom à'Orphanotrophe, un séminaire où
devaient être nourris et instruits vingt-quatre orphelins. En 1564,
des Pères Jésuites de la Province du Rhin, ou Germanie supé-
rieure, y furent envoyés pour l'enseignement des humanités par
le Père Léonard Kessel, Recteur du collège de Cologne, et, la
même année, le P. François Coster vint au mois de septembre
traiter avec l'évêque la fondation d'un collège de la Compagnie.
Mgr Psaume promettait mille francs de revenu, et laissait aux
Pères le s>in de construire la maison selon leur commodité2.
Le P. Coster ne doutait pas que cet établissement, ouvert à la
jeunesse de la Lorraine et du Luxembourg', ne devint en peu de
temps très tlôrissant; aussi souhaitait-il que le P. Général ac-
1. Recueil d'actes et pièces relatives au collège (Archiv. de l'Aveyron, D, 1, f, 169;
D, 6, fol. 12; D, 387). — Francia, Histor. fundat., n. 55.
2. Lettre de l'évêque au P. Général, 21 avril 1564. (Epist. Episcop.). — Rome Bibl.
Vitt. Ern., Mss. Gesuit., 1584 ([3713]).
FONDATION DU COLLÈGE DE VERDUN. 509
ceptât au plus tôt les conditions proposées1. En attendant dos
décisions fermes, les régents de In Compagnie continuèrent d'en-
seigner dans la maison des Orphelins, où ils eurent comme
Recteur le P. André Avantian. En 1509, ils lurent contraints de
se disperser à l'occasion de la peste qui désolait la ville et la
contrée2.
L'année suivante, le P. Olivier Manare fut chargé de prêcher
le carême à Verdun. Les entretiens qu'il eut avec l'évèque déter-
minèrent celui-ci à rouvrir, dans l'hôpital Saint-Nicolas de Gra-
vière, le collège fermé par crainte de l'épidémie. Bientôt toute la
ville applaudit à cette utile restauration3. « Les gens du conseil,
rapporte un ancien chroniqueur4, et le magistrat de la ville, qui
avoient jà gousté le proffittahle entretien d'aulcuns religieux de
ceste Compagnie.... envoyèrent un exprès au R. P. Olivier Ma-
nare, Provincial de France, le 22e jour de septembre de l'année
1570, et employèrent près de lui le Nonce du Pape, qui estoit
lors à Paris, pour le porter à faire ceste establissement en leur
ville. » Le P. Manare répondit à ces messieurs, le 13 octobre, en
leur donnant les meilleures assurances : il avait déjà écrit à ce
sujet et promettait d'écrire de nouveau au P. Général; il rap-
pelait la nécessité de recourir au Saint-Siège pour en obtenir
les bulles d'union de l'hôpital Saint-Nicolas, « à quoy, disait-il,
M?r le Nonce promet de travailler à bon escient ». Enfin il veil-
lerait, de son côté, à ce que les fondations projetées de Rouen
et de Poitiers ne retardassent pas l'établissement de Verdun,
et il enverrait des régents dès que le local serait en état de les
recevoir \
7. L'évèque de Verdun, ne doutant pas de la réalisation pro-
chaine de ses vœux, transforma en chapelle la grande salle des
pauvres, et acheta plusieurs maisons voisines qu'il installa con-
venablement pour les classes des élèves et le logement des Pères.
L'acte de fondation, du mois de septembre 1570, donnait aux
Jésuites, outre les revenus de l'hôpital, qui valaient quatre cent
1. Lettre du P. Coster au P. Kessel, 24 sept. 1564 (Hansen, Rheinische aklen,.., 1542-
1582, n. 359).
2. Lettre du P. Manare au P. Général, 31 août 1569 (Gall. Epist., t. IV, fol. 70).
3. Lettre du nonce Fabius Mirto, évèque de Caiazzo, au cardinal Ruslieucci, 14 déc.
1570 (Archiv. Vat., Nunz. di Francia, n. 4, f. 100).
4. Le sieur Mathieu Husson, conseiller du roi au siège présidial de Verdun. Cf.
Petite Bibl. Verdunoise de l'abbé Frizon, t. IV, p. 134.
5. Lettre du P. Manare aux magistrats de Verdun, citée dans les Précis historiques,
1888-89, p. 31, 32.
510 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
cinquante écus, une rente annuelle de mille francs barrois1. On
fit, à. Home, quelques difficultés avant d'approuver le contrat
qu'on ne trouvait point assez conforme aux prescriptions de
l'Institut2. Dès que les clauses qui laissaient le plus à désirer
eurent été amendées dans le sens indiqué par le P. Général, au-
cun obstacle ne s'opposa plus à l'ouverture solennelle des classes.
Elle eut lieu, le 1er octobre 1571, après l'arrivée du nouveau
Hecteur. le P. Louis du Coudret, et des cinq professeurs de rhé-
torique, d'humanités et de grammaire qu'il amenait avec lui.
Nicolas Psaume, à cette occasion, se signala par un acte qui
montrait, avec sa profonde humilité, son sincère amour de la
Compagnie. 11 envoya aux Pères un dîner tout préparé et voulut
les servir lui-même à table, tout le temps du repas. Aucune ins-
tance ne put l'empêcher de remplir cet acte d'affectueuse charité;
pour expliquer sa conduite, il citait ces paroles de Notre-Seigneur :
« Amen dira vobis quod praecinget se, et faciet illos discwnbere,
et transiens ministrabit Mis » 3.
Sa généreuse libéralité ne fit jamais défaut. Il s'aperçut que
les ressources assignées ne suffisaient pas à entretenir les dix-
huit personnes dont se composait la communauté. Le 13 septem-
bre 1572, Grégoire XIII, sur sa demande, et avec le consente-
ment du cardinal de Lorraine, commendataire, unit au collège
le prieuré de Saint-Pierre d'Amélie, de l'Ordre de Saint-Benoit,
dans le diocèse de Verdun, dont le revenu était de cinq cents
écus; mais trois cents devaient être versés, chaque année, au sé-
minaire qu'on avait l'intention d'établir conformément aux pres-
criptions du Concile de Trente4.
Le saint évêque, jusqu'à sa mort, ne cessa de parfaire l'œuvre
commencée. Après avoir appelé la Compagnie dans son diocèse,
lui avoir procuré des revenus et l'avoir installée dans la maison
hospitalière de Saint-Nicolas, il voulut encore entreprendre de
nouvelles constructions à ses frais5. Mais Dieu ne lui permit pas
1. Francia, Hist, Fund., n. 60 A; n. 60 B. Campan., Fund. colleg., t. III, n. 10, 87.
Arctiiv. comm. de Verdun, GG, 231.
2. Lettres du P. Général des 30 juillet, Ie' août et 10 sept. 1571 (Gall., Epist. Gen.,
t. V). Ces lettres ne contiennent que des allusions aux points contestés. L'acte de
fondation a été publié in-exlenso dans la Petite Bibl. Verdunoise, t. IV, p. 177 et
suiv.
3. L'Université de Pont-à-Mousson dans Carayon, Documents inédits, t. V, p. 83.
Lettre du P. Coudret, 16 déc. 1571 (Gall. Epist., t. V, ad finem).
4. Acla S. Sedis, p. 6. — En 1581, ce prieuré passa au collège de Pont-à-Mousson
{Ibid., p. 112).
5. Lettre du P. Cl. Mathieu au P. Général, 28 août 1575 (Gall. Epis!., t. IX, fol.
72,73).
FONDATION DU COLLÈGE DE NEVERS. :;il
de faire davantage : en 1575, le collège de Verdun eut la don
lourde perdre son insigne fondateur. Le I*. Provincial, enannon-
çant ce deuil au P. Général et en lui demandant pour le défunt
les suffrages de la Compagnie, ajoutait ces mots qui sont tout un
éloge : « Ce collège demeurera bien affligé, car, à la vérité, il a
perdu un vraiment bon père '. >> Nicolas Psaume faisait de la mort
sa pensée habituelle; il avait composé lui-môme l'épitaphe de
son tombeau. Son cœur fut porté dans l'église du collège et placé
au pied du maître- autel, avec une plaque de marbre, sur laquelle
on lisait cette inscription gravée de son vivant : « Nicolaus Psal-
mus, amicus rester, dormit. Orate pro eo2 ».
8. L'année qui suivit l'ouverture du collège de Verdun, les
Pères de la Compagnie de Jésus furent appelés à Nevers.
Depuis longtemps un collège existait dans cette ville, mais son
organisation laissait beaucoup à désirer. En 1520, les échevins
établirent des écoles dans une maison qu'ils avaient achetée près
de la Chambre des Comptes; cinq ans après, elles furent trans-
portées rue des Axdilliers dans la maison de Léonard Dupontot,
bailli du Nivernais. On y mit un principal et des régents « dont
partie enseignoit les humanités, l'autre montroit à lire et à écrire
et tenoit un petit pensionnat ». On bâtit aussi une petite chapelle
que Philibert de Beaujeu, évèque de Bethléem, bénit et plaça
sous l'invocation de Saint-Jean-Baptiste3.
Ce ne fut qu'en 1567 que Louis de Gonzague, duc de Nevers,
proposa aux échevins de fonder solidement le collège en y ap-
pelant les Jésuites. La pensée de ce prince, très catholique, était
de l'opposer comme un boulevard aux envahissements de l'héré-
sie, « pour contenir, dit-il lui-même, les jeunes et les aagez et
gens de tous estatz en la religion antienne catholique et ro-
maine, et y retirer ceux qui s'en seroient dévoyez4 ». Malgré ses
instances auprès du P. Général, il ne put obtenir alors ce qu'il
demandait. Des villes plus importantes que Nevers réclamaient
1. Cité par Hyver : Maldonat, pièces justilicalives, p. wi. — Cf. Lettre du Nonce
au cardinal de Coino, 27 août 1575 (Nunz. di Francia, n. 8, fol. 495).
2. Cf. Carayon, Doc. inédit., t. V, p. 84. — Les officiers du roi, prétextant la né-
cessité de subvenir aux frais des troupes qu'on rassemblait alors, s'étaient emparés
des legs que l'évéque avait faits à la Compagnie et à d'autres œuvres pieuses. 11 fallut
l'intervention du Nonce pour que chacun reçût ce qui lui était dû (Lettre de
W Salviati au cardinal de Como, Archiv. Vat., Nunz. di Francia, n. 8, fol, 495 .
3. Comptes rendus an Parlement, t. VI, p. 183. Cf. Louis de Sainte-Marie, Re-
cherches sur Nevers, p. 4'JI.
4. Acte de fondation, (Archiv, de la Nièvre, D, 1).
512 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
la même faveur, et le petit nombre de sujets disponibles ne
permettait pas à la Compagnie de disperser ses forces. Le duc
renouvela sa demande, en 1571, sans plus de succès1 d'abord,
puis ayant enfin reçu une réponse favorable, il se détermina, le
3 juillet 157-2. à acheter des échevins les bâtiments des écoles,
excepté une légère portion que la ville conserva pour loger les
maîtres des abécédaires2. Le Père Claude Mathieu vint à Nevers
examiner le collège qu'on lui destinait. « Situé au centre de la
ville dans un endroit très commode, et facile à agrandir sans
beaucoup de dépenses :î », il lui fit très bonne impression. « Il se
composait de deux corps de logis, l'un réservé aux classes,
l'autre à l'habitation des maîtres; il avait aussi un beau jardin
et une petite chapelle avec sacristie4. »
9. Les Jésuites commencèrent à enseigner, le 3 novembre
1572, ayant à leur tète le P. Julien Buger vice-recteur. Il n'y avait
encore que quatre classes; mais déjà plusieurs Pères exerçaient
auprès des habitants les différents ministères de l'Institut5. La
piété des élèves attira bientôt l'admiration de tous. Les magis-
trats, constatant un grand changement dans les mœurs de la
ville, disaient que leur administration en était devenue plus
aisée. Telles étaient la foi et la confiance de cette bonne popu-
lation que les médecins, à bout de remèdes, engageaient les ma-
lades à se recommander aux prières de la communauté pour ob-
tenir leur guérison0.
Par un acte du 26 septembre 1573, le duc et la duchesse de
Nevers cédèrent à la Compagnie le collège qu'ils avaient acquis,
y joignirent trois maisons dans la rue de l'Eguillerie, et le do-
tèrent de deux mille livres de rente sur l'hôtel de ville de Paris7.
Ils demandaient en retour l'envoi de vingt personnes, dont
quatre professeurs de lettres et un de philosophie, et la célébra-
1. Lettres du P. Général, 8 octob. 1571 et 14 janv. 1572 (Gall., Epist. Gen., t. V).
2. Recueil d'actes et pièces relatives au collège (Archiv. de la Nièvre, D, I). En 1578,
le duc et la duchesse acquirent cette portion réservée et la donnèrent aux Jésuites
qui acceptèrent alors la direction de la classe élémentaire « per nos aut per quos-
vis alios regendam » (Francia, Colleg. Niver.).
3. Lettre du P. Mathieu au P. Prov. (Francia, Fundat. colleg., n. 13).
4. Ibidem.
5. Lettre du P. Buger au P. Nadal, 12 oct. 1572 (Gall. Epist., t. VI, f. 347).
6. Ce fait est rapporté par Sacchini, Histor. Soc. Jesu, P. III, 1. VIII, n. 246;
P. IV, 1. I, n. 111.
7. Archiv. de la Nièvre, D, 3. — En 1579, le P. Michel Notel, Recteur, obtint de
s'adresser au receveur de domaines de Nevers pour toucher cette pension (Francia
Histor. fundat.. n. 12).
FONDATION DU COLLEGE DE NEVERS. 513
tion d'une messe chaque année avec l'offrande d'un cierge. De
plus les élèves devaient réciter, chaque jour avant la messe, cer-
taines prières aux intentions des fondateurs'. Toutes ces condi-
tions furent acceptées par le P. Edmond Hay en attendant la
ratification du P. Général; celui-ci exigea quelques légères modi-
fications2, et le contrat définitif ne fut passé que le 27 mars 1578.
1. Francia, Colleg. Nivernense.
2. Nous ne connaissons ce détail que par les histoires mss. du collège qui ne pré-
cisent pas ces modifications (Ibid.).
COMPAGNIE DU JESUS. — T. I. 33
CHAPITRE VIII
FONDATION DU COLLÈGE DE BORDEAUX.
(1572).
Sommaire : 1. Premiers projets en 1569. — 2. Initiative de M. François de
Baulon en 1571. — 3. Prédications du P. Auger à Bordeaux; le prieuré Saint-
James destiné aux Jésuites. — 4 Opposition des protestants; mission du con-
seiller Drochon et lettres patentes de Charles IX, 1er mai 1572. — 5. Donation
dé François de Baulon el ouverture des classes, octobre. — 6 Union du prieuré
Saint-James ; progrès et incorporation à l'Université. — 7. Tracasseries de la
part d'Élie de Baulon et des Jurats. — 8. Attaques d'Élie Vinet, principal du
collège de Guyenne. — 9. Affaire Pujet de Saint-Mare.
Sources manuscrites : I. Archives de la Gironde, sér. H.
II. Archives communales de Bordeaux, sér. BB et GG.
III. Archives de l'Archevêché de Bordeaux.
IV. Bibliothèque de l'Institut, collection Godefroy, t. XV.
V. Recuei s de documents conservés dans la Compagnie : a) Aquitania, Fundat. Colley.
— b) Epislolae Episcoporum. — c) Francia, Epistol. Generalium. — d) Historiae fundat.
Assistentiae. — e) Franciae historia. — f) Galliae Epistolae.
VI. Archives de la Province de France.
Sources imprimées : Archiv. historiques de la Gironde. — Barckhausen, Statuts el rè-
glements de l'ancienne Université de Bordeaux. — Ribadeneira, Vita del P. Fr. Bor-
gia.
1. L'année même où s'ouvrit le collège de Nevers, la Province
de France1 en acquit un autre à Bordeaux, mais dans des condi-
tions tontes différentes de celles auxquelles on avait d'abord
songé. En 1569, en effet, il avait été question de céder à la Com-
pagnie l'ancien collège de Guyenne. Cet établissement fondé au
quinzième siècle par les jurats2, avait été restauré par André de
Govéa, ancien Principal de Sainte-Barbe à Paris, avec la collabo-
ration de professeurs hérétiques tels que Buchanan et Grouchy.
Dans la suite, la religion n'y fleurit pas autant que les belles-
lettres, et, même au regard de celles-ci, il ne tarda pas à déchoir
de sa passagère splendeur. Afin de lui rendre la vie et la prospé-
rité les habitants résolurent de le confier aux Jésuites, et le Par-
lement offrit des revenus annuels pour leur entretien3. Le Père
1. Le collège de Bordeaux ne passa à la Province d'Aquitaine qu'en 1582.
2. Nom que portaient les échevins de Bordeaux.
3. Lettre du P. Auger au P. Général, 22 oct. 1569 (Gall. Epist., t. IV, fol. 150).
FONDATION DU COLLEGE DE BORDEAUX. 515
Edmond Hay, chargé par le P. François de Borgia de traiter cette
importante affaire, se rendit à Bordeaux, et à son retour à Paris
écrivit au P. Général une longue lettre sur l'état où il avait trouvé
le collège de Guyenne, un des plus célèbres du xvi" siècle : « Ce
collège, disait-il, occupe un vaste terrain non loin de la cathé-
drale... La ville l'a doté d'un revenu annuel de douze cents livres
tournois, versé en une seule fois ou par quartiers au gré du Prin-
cipal. Celui-ci a coutume de prélever sur cette somme le traite-
ment des professeurs; du reste, il ne lui est pas interdit d'exiger
des écoliers une certaine contribution, chaque mois, et de tirer
des pensionnnaires tous les bénéfices qu'il peut; il exerce, à son
tour, la charge de Recteur de l'Université qui lui rapporte en-
core quelque profit. Sachant que nous n'acceptons pas d'hono-
raires et que nous ne réclamons rien des élèves, les habitants
de Bordeaux, conformément à l'ordonnance d'Orléans, ont
l'intention de nous assigner deux prébendes de deux églises
collégiales de la ville. Leurs revenus, joints aux précédents,
monteraient facilement à deux mille livres tournois. Il y a ordi-
nairement, dans ce collège, huit professeurs pour les humanités
et même davantage; maison laissera le nombre des classes et
des régents à notre discrétion. Il y a aussi un cours de philoso-
phie, quelques leçons de grec et d'hébreu, à des heures spéciales.
Aucun cours de théologie n'a encore été fondé : nous aurons la
facilité d'en gratifier la population. »
Dans la suite de sa lettre, le P. Hay examine les difficultés qui
semblent s'opposer à ce nouvel établissement de la Compagnie :
la modicité des revenus pour un personnel considérable, et par-
dessus tout le petit nombre des sujets disponibles dans la Pro-
vince : « D'ailleurs, ajoute-t-il, je ne connais pas de lieu dans
toute la France qui soit plus propre que la ville de Bordeaux
aux travaux apostoliques. C'est une cité célèbre; en temps pai-
sible, son Université compte jusqu'à quatre mille et même cinq
mille étudiants. De plus, le pays a grand besoin d'hommes hon-
nêtes, soit pour instruire le peuple du haut de la chaire, soit
pour élever la jeunesse dans la piété, les bonnes mœurs et les
lettres. Les troubles qui Font bouleversé et les malheurs qui
en ont été la suite sont attribués, en grande partie, aux régents
des écoles; sous prétexte de bellesl-ettres, ils répandaient parmi
les enfants et les hommes de tout âge l'hérésie et l'impiété l. »
1. Lettre du 21 sept. 1569 (Gall. Epist., t. IV, fol. 13).
516 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
2. Les catholiques de Bordeaux auraient vu avec plaisir s'ou-
vrir, à la rentrée d'octobre, le collège de la Compagnie; mais les
troubles civils et les menées des hérétiques retardèrent la réa-
lisation de leurs vœux. Deux années s'écoulèrent, pendant les-
quelles il ne fut plus question des projets formés en 1569. Ce-
pendant l'erreur continuait à faire de rapides progrès. « Il y
avait alors à Bordeaux, si l'on en croit l'ancien annaliste du
collège, douze cents familles protestantes, sans parler des do-
mestiques et des étrangers, et les calvinistes propageaient leurs
doctrines avec une ardeur digne d'une meilleure cause. Les ca-
tholiques étaient en majorité; mais faute de prédicateurs, ou
bien par esprit de curiosité, ils fréquentaient les prêches et dé-
sertaient les églises1. » Tel était le triste état de la religion à
Bordeaux lorsque Dieu inspira à un riche conseiller du Parle-
ment, M. François de Baulon, qui n'avait point d'enfants, le gé-
néreux dessein de consacrer sa fortune à quelque sainte entre-
prise. Un de ses intimes, gentilhomme portugais, nommé Leythan,
homme d'affaires du cardinal Henri de Portugal, lui fit entendre
qu'il ne pouvait rien faire de mieux que de procurer à sa patrie
un collège foncièrement catholique; et lui montrant la béné-
diction du ciel répandue partout sur les œuvres de la nouvelle
Compagnie, il l'engagea fort à confier cet établissement aux Jé-
suites.
M. de Baulon accueillit avec joie cette proposition2. Leythan
se rendit à Toulouse, exposa l'affaire au P. Émond Auger et le
persuada d'entreprendre le voyage de Bordeaux afin d'examiner
la situation3. La démarche du célèbre prédicateur ne fit que for-
tifier les désirs des deux amis, car François de Baulon écrivit, le
16 octobre 1571, au P. Général, être « grandement esmeu de
dresser... en la ville capitale de la Guyenne,, un collège de vingt
et cinq hommes » de la Compagnie, « soubs les conditions con-
tenues es establissements de [ses] aultres collèges... désirant
néanmoins, pour la nécessité du pais, un grand personnage qui
lira ordinairement es sainctes lettres ». Pour ce faire il baillera
« assignation asseurée » de deux mille livres de rente. « J'en ay
communiqué privément, dit-il, à M. Émond, l'un des principaulx
de ladite Société, et faict voir à l'œil deux ou trois lieulx que
1. Brevis historia de initiis Collegii... Roman missa anno 1588 (Francia, Histor.
fundat., n. 26).
2. Mémoire pour le procès du collège (Arch. de la Gironde, H, 59;.
3. Lettre du P. A. du Coudret au P. Nadal, 10 nov. 1571 (Gall. Epist., t. V, fol.
263).
FONDATION DU COLLÈGE DE RORPEAIJX. 517
cuide estre plus propres pour iceluy establir. Ce qu'on ache-
minera plus commodément et diligemment, s'il vous plaist nous
favoriser tant que de commander à M. Émond de prescher es
advens et caresme en cette ville de Bourdeaulx, laquelle est à
présent aultant esbranlée qu'elle a esté aultrefois chrestienne.
Si Dieu ne permettoit que M. Émond peult prescher, je vous sup-
plie nous faire cette grâce de commander à M. Annibal [du Cou-
dret] d'y venir, vous asseurant que la plupart des grands sont
si détraqués et la jeunesse perdue, qu'il est besoing d'envoyer
en ceste ville gens d'éminent savoir, qui aient sang et ongles
pour l'augmentation de l'honneur de Dieu et de son Église 1. »
L'archevêque, MRl Prévost de Sansac, très attentif aux besoins
de son diocèse, appuya cette chaleureuse demande, et dans une
lettre au P. Général réclama lui aussi 2 le ministère apostolique
du P. Auger. Il était convaincu, non sans raison, que ce serait
le plus court moyen de conduire à bonne fin les négociations
concernant le futur collège.
3. Le P. Auger se trouvait encore à Toulouse, où il prêchait,
quand il reçut du P. Général l'ordre d'aller pour l'avent à Bor-
deaux. C'était, écrivait-il au P. Nadal, un exprès envoyé à Madrid
par l'archevêque qui lui avait rapporté cet avis 3. En même
temps le prélat l'invitait, dans les termes les plus pressants, à ve-
nir sans retard, et lui représentait vivement les malheurs dont
son troupeau était menacé par la contagion de l'hérésie, par cette
« démangeaison naturelle qu'on se sent pour les nouveautés ».
A peine arrivé à Bordeaux, le P. Auger commença une série de
prédications qui soulevèrent et entraînèrent la foule des fidèles.
Il parlait, dit Damai, « trois fois par jour en diverses églises
avec un torrent d'éloquence4 ». La multitude des auditeurs, à
laquelle se mêlaient beaucoup de protestants, devint si considé-
rable que la vaste nef de la cathédrale ne pouvait les contenir 5.
Les fruits de salut, opérés pendant l'avent et le carême, furent
prodigieux. Plus de quatre cents pères de famille rentrèrent
dans le sein de l'Église avec leurs enfants et leurs domestiques.
1. Gall. Ëpistol., t. V, fol. 259.
2. Ibid., fol. 260, lettre sans date.
3. Lettre du 16 janv. 1572 (Gall. Epist., t. VI, f. 361).
4. Supplément des chroniques de Bourdeaus, fol. 49.
5. « Il y a encore une tradition qu'alin de ménager plus de place à ses auditeurs
on mettait la chaire sous les orgues au fond de la nef, et que de là le P. Émond fai-
sait entendre sa belle voix sans peine jusqu'à la porte du chœur » (Dorigny, p. 242).
Damai rapporte la même chose, l. c.
518 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Pour prévenir de pins nombreuses défections, les ministres pro-
testants intimèrent à leurs coreligionnaires la défense expresse
d'assister désormais aux sermons du P. Auger. Aux fêtes de Pâques
dix-sept mille personnes, au lieu de six mille comme les années
précédentes, s'approchèrent de la sainte table. A partir de ce
moment la religion catholique reprit à Bordeaux un rapide essor
et continua de s'étendre chaque jour davantage ' .
L'heure paraissait bien choisie pour jeter enfin les fondements
d'un collège de la Compagnie de Jésus. Déjà le P. François de
Borgia, à son passage à Bordeaux, au mois de janvier 1572, avait
approuvé le projet qu'on lui avait soumis; il ne restait plus qu'à
se mettre activement à l'œuvre. Plusieurs membres du Parle-
ment s'offrirent à seconder, de tout leur pouvoir, l'entreprise de
François de Baulon leur collègue. C'étaient les conseillers de
Malviri, de Cazeaux et de Lange, Charles du Sault, second avocat
général, et le terrible président de Bouffignac, effroi des hugue-
nots. Le clergé marcha d'accord avec eux; les chapitres de
Saint-André et de Saint-Seurin proposèrent le revenu de deux
prébendes. L'archevêque approuvait, au besoin appuyait, toutes
les démarches. Il fut de nouveau question, comme en 1569, de
donner le collège de Guyenne aux Pères de la Compagnie de
Jésus; mais le Principal, Lorteau, prétextant l'ancienne renommée
de son établissement, s'opposa de toutes ses forces à la mesure
qu'on méditait. Il parvint à gagner à sa cause les jurats fonda-
teurs, dont le consentement était nécessaire, et devant une résis-
tance aussi formelle on dut se tourner d'un autre côté.
François de Baulon se trouvait alors administrateur du prieuré
de Saint-James. Construit le long de la rue du Mirail, qui s'ouvrait
en face de l'hôtel de ville, ce prieuré était composé de bâtiments
considérables, d'une église fort ancienne et d'un hôpital pour
les pèlerins et les enfants trouvés. La fondation de cette maison
hospitalière remontait au xne siècle, et même selon quelques au-
teurs jusqu'à Charlemagne. La municipalité y enlretenait dix prê-
tres réguliers ou séculiers, qui célébraient les saints offices et
administraient les sacrements aux malades. Pendant longtemps
un prieur, ou hospitalier, avait eu la direction générale de la
maison, et cinq paroisses dépendant du prieuré y apportaient de
leurs revenus. Mais en 1569, à la suite d'un procès, un arrêt du
Parlement de Bordeaux, du 31 mars, ordonna « que les fruictz,
1. Voir à ce sujet Sacchini, Histor. Soc. Jesu, P. 111, 1. VIII, n. 241.
FONDATION DU COLLÈGE DE BORDEAUX. £19
revenus et émolumens dudit hospital seroient désormais régis et
gouvernez, et le revenu d'iceulx administré par deux gens de
bien, resteans en la présente ville et solvables, lesquels seroient
esleuz de trois en trois ans par les maire et jurats de ceste ville ' ».
En outre le superflu devait être distribué aux pauvres de Bor-
deaux. En vertu du même arrêt, les conseillers François de Bau-
lon et Joseph d'Aymar furent chargés de faire l'inventaire des
titres du prieuré.
M. de Baulon s'occupa seul de ce travail2. Lorsqu'il l'eut ter-
miné, il s'entendit avec son collègue de Lange et l'avocat Charles
du Sault, et tous trois obtinrent, par une requête adressée au
conseil du roi, que le prieuré Saint-James, avec ses annexes et
revenus, serait employé à l'établissement d'un collège de Jésuites.
Il était devenu si peu utile comme maison hospitalière, et sa nou-
velle destination semblait si avantageuse que le clergé lui-même
l'avait sollicitée par une supplique à l'archevêque3, et que « le
sieur Fort Deschart, prieur », donna aussitôt son consentement4.
4. Tout s'arrangeait donc aussi bien qu'on pouvait le souhaiter,
trop bien même au gré de ceux que ne touchaient point les
intérêls de la religion. Malgré l'autorisation accordée par le roi,
les régents du collège de Guyenne, redoutant la concurrence de
maîtres éprouvés, tirent cause commune avec les protestants et
réclamèrent contre l'établissement de la Compagnie de Jésus. Les
huguenots alarmés députèrent les principaux du parti pour for-
mer opposition à l'arrêt du conseil; ils firent représenter à l'a-
miral de Coligny que les Jésuites, gens inquiets, entièrement
dévoués au roi d'Espagne, ennemis déclarés de la sainte réforme,
avaient trouvé le moyen de se glisser dans Bordeaux, et que c'en
était fait de la ville et de la nouvelle doctrine si jamais l'on
souffrait qu'ils y eussent une maison '. L'amiral prit en main la
cause de ses coreligionnaires, mais dans son entretien avec le roi,
il feignit de n'avoir en vue que les intérêts de l'État.
Charles IX subissait depuis quelque temps la fâcheuse influence
du chef calviniste et déférait aveuglément à tous ses avis : il
1. Archives comm. de Bordeaux, GG, 294.
2. Procès-verbal de la visite de l'hôpital Saint-Jacques, 8 janv. 1572 (Archiv. de
la Gironde, H, Jésuites, 59).
3. Archiv. de la Gironde, H, 59.
4. Acte de consentement du Prieur de Saint-James (Archiv. de la Gironde, H, 5i,
fol. lt).
5. Brev. hist«r. de iniliis (Francia, Hist. t'undat., n. 26).
520 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
révoqua la permission qu'il avait d'abord donnée en faveur des
Jésuites. Grand fut l'étonnement des catholiques à cette nouvelle.
Convaincus qu'on avait surpris la bonne foi du monarque, ils
crurent de leur devoir de lui représenter l'injustice commise en
son nom. D'accord avec l'archevêque et le Parlementas envoyèrent
à Blois un conseiller, nommé Drochon, homme de grand mérite,
chargé d'informer Sa Majesté de tout ce qui s'était passé. Non
content de cela, Mgr Prévost de Sansac écrivit au duc d'Anjou,
frère de Charles IX, et se plaignit amèrement des sourdes menées
« de ceux qui cuident que soutenir le peuple en la dévotion et
crainte de Dieu, et par ce moyen en l'obéissance du roy, soit
chose contraire à leur entreprise ». Et il ajoutait : « Vous,
Monseigneur, qui avez toujours maintenu les choses bonnes et
sainctes, ne permettez pas, s'il vous plaist, que telles gens gai-
gnent le hault bout et renversent ce qu'il vous a plu favoriser,
nous donnant par là moyen de fournir nostre pauvre église de
personnages doctes pour la consolation de ce peuple et érudition
de la jeunesse1. »
En arrivant à la cour, le député Drochon rencontra « des
difficultés plus graves qu'il ne s'y attendait... car le diable s'était
jeté à la traverse2 ». Pendant deux mois, il lui fallut poursuivre
ses démarches et solliciter de mille façons; toutefois il trouva,
dans l'entourage du roi, des protecteurs parfaitement disposés à
soutenir ses demandes. Le nonce de Sa Sainteté s'y porta avec
un zèle qui convainquit tout le monde de la part que la religion
avait en cette affaire3.
Charles IX souhaitait, plus que personne, l'établissement de la
Compagnie de Jésus à Bordeaux. S'il n'eût consulté que son incli-
nation, il aurait tout accordé sans aucune restriction; mais il
craignit de mécontenter l'amiral et avec lui les huguenots. Pour
tout concilier, il eut recours à un moyen terme : en permettant
aux Jésuites de s'établir dans le prieuré Saint-James, il décida
qu'aucun Père étranger n'y serait admis4. Cette restriction ne
pouvait s'appliquer qu'aux Espagnols, car les Écossais et les Ita-
liens ne passaient pas pour étrangers en France. Elle n'était du
1. Lettre de Msr de Sansac au duc d'Anjou, s. d. (Bibl. de l'Institut, coll. Godefroy,
vol. XV, f. 173. Original). Voir Appendice G.
2. Lettre du conseiller Drochon au P. Général, 3 mai 1572 (Gall. Epistol., t. VI,
fol. 316).
3. Lettre du nonce Fabius Mirto au P. Général, 10 avril 1572 (Epist. Episcop.).
4. Brev. List, de iniliis (Francia, Hist. fund. colleg., n. 26). Cf. Patentes de Charles IX,
lep mai 1572 (Archiv. de la Gironde, H: Jésuites, 54).
FONDATION DU COLLEGE DE BORDEATX. B21
reste que temporaire et, dès l'année suivante, la Compagnie fut
reçue à Bordeaux aux mêmes conditions que dans tout le
royaume1.
Le 3 mai 1572, le conseiller Drochon put annoncer de Blois
au P. Général l'heureux succès de sa négociation; puis il retourna
à Bordeaux « porteur de l'autorisation que le P. Auger ainsi que
tous ces Messieurs [attendaient] avec grande impatience'' ». Vers
le même temps, l'avocat général du Sault reçut deux lettres,
l'une de Charles IX et l'autre de la reine-mère, insistant sur
la prompte exécution de leurs ordres : « La singulière recom-
mandation, lui disait Catherine de Médicis, en laquelle j'ay et
veulx avoir ceulx dudict collège des Jésuites, faict que j'ay bien
voulu accompagner de la présente celle du roy mondict sieur et
filz, et par icelle vous prier leur porter toute l'aide et l'assistance
que vous pourrez... et j'estimeray à très agréable plaisir le bien
et faveur qu'ils recepveront de vous en cest endroict3. »
5. Toutes ces hautes protections ne furent pas inutiles. Dès le
retour de leur député, les catholiques de Bordeaux s'empressè-
rent de travailler à l'aménagement du collège dans l'hôpital
Saint- James. Le gouverneur y employa un grand nombre de
rameurs, et les jurats, ne voulant pas moins se signaler, son-
geaient à y joindre des prisonniers. Empressement excessif, que
le P. Auger, avec sa prudence habituelle, s'efforça de modérer,
craignant de le voir interprété en mauvaise part. Généreux en-
tre tous, François de Baulon fit bâtir à ses frais sept classes
dans la partie supérieure de la vigne du prieuré. Une moitié
des anciens bâtiments fut réservée à l'habitation des Pères; l'au-
tre laissée à un moine, le seul survivant de sa communauté, et à
quelques prêtres séculiers. Enfin on assigna aux Jésuites un petit
jardin à côté de leurs classes. Le nouveau collège fut appelé de
la Madeleine, nom d'une église qui lui servit de chapelle4.
Le 21 juillet, arrivèrent avec le P. Edmond Hay, alors Provin-
cial de France, cinq autres religieux. Les Pères Charles Sager,
Bertrand Roserius et Louis Richeome étaient de ce nombre. Ils
furent admirablement accueillis par François de Baulon, l'arche-
vêque et les principaux habitants. Bien que les classes ne fussent
1. Brev. hist. de initiis.
2. Lettre de M. Drochon au P. Général (Gall. Bpist., t. VI, fol. 346).
3. Lettre du 4 mai 1572 (Archiv. de la Gironde, H, 59).
4. Brev. hist. de initiis.
522 HISTOIRE DE TA COMPAGNIE DE JÉSUS.
pas encore aménagées, on leur réclama tout de suite quelques
leçons1. Le P. Sager, à la fois littérateur, théologien et exégète,
commenta la première épitre de saint Paul à Timothée. Le P. Ri-
cheome, que ses écrits rendront un jour redoutable aux ennemis
de l'Église et que ses rares qualités élèveront aux plus hauts
emplois de la Compagnie, expliqua les hymnes grecques de
Synesius2. En même temps les PP. Edmond Hay, Sager et Rose-
rius évangélisèrent les différentes paroisses de la ville, et tel fut
le succès de leurs prédications que, dans l'espace d'un mois,
elles amenèrent la conversion de plus de douze cents héré-
tiques1.
Tandis que ces heureuses entreprises assuraient aux Jésuites
l'estime de la population, M. de Baulon n'oubliait pas leurs in-
térêts matériels. Par un acte du 18 août, selon la promesse qu'il
leur avait faite longtemps auparavant, il leur donna une rente
perpétuelle de deux mille livres tournois pour laquelle il aliéna
un capital de vingt-quatre mille livres. Il stipula, dans sa dona-
tion, que si « par la malice du temps » les Pères ne pouvaient
rester à Bordeaux, cette rente serait appliquée à l'un de leurs
collèges de France jusqu'au moment où ils seraient libres de
revenir4.
Ces précautions prises et l'installation terminée, le P. Charles
Sager, nommé vice-recteur, ouvrit au mois d'octobre5 huit classes,
auxquelles se présentèrent quatre cents écoliers0. Et bientôt, ra-
conte une ancienne notice inédite, « ce fut pour beaucoup un
sujet d'admiration de voir comme [dans le nouvel établissement]
la piété chrétienne était encore plus en honneur que les sciences
et les lettres7 ». Dès le 26 octobre, François de Baulon, très satis-
fait de son œuvre, pouvait écrire au P. Général : « Quant au
collège, grâces à Dieu, il continue de mieulx en mieulx, quelques
assaults nouveaux que nos ennemis aient donné et inventé... Le
P. Charles [Sager] et aultres voient déjà le fruict de cette pre-
mière éducation... dont les libertins et sectaires sont aultant dé-
plaisans que les catholiques s'esjouissent et nous congratulent8. »
6. Quelque favorables que fussent ces commencements, la
prospérité du collège ne pouvait être assurée que par l'union du
1. Ibidem. — 2. Sacchini. Hist. S. /., P. III, 1. VIII, n° 244,245. — 3. Ibidem.
4. Acte de donation (Arch. com. de Bordeaux, GG, 294, 298).
5. Invitation du P. Sager aux jurais (Arch. comm., BB, 1572).
C. Brev. hist. de initiis. — 7. Ibidem.
8. Gall. Epist., t. VI, fol. 625.
FONDATION 1)1! COLLÈGE DE BORDEAUX. 523
prieuré Saint-James qui n'était pas encore effectuée. Après beau-
coup de démarches et de formalités, auxquelles François de
Baulon s'employa activement, elle fut enfin accordée par une
bulle de Grégoire XIII, du l01' juin 1573, puis confirmée par des
lettres patentes de Charles IX qui chargeait l'archevêque de
Bordeaux et autres commissaires de constituer, sur le revenu du
prieuré, une rente au collège de la Compagnie1.
Le nombre des élèves s'étant rapidement accru, le collège de
la Madeleine compta, dès la deuxième année, quatre professeurs
de théologie : un pour les cas de conscience, deux pour la théo-
logie scolastique, le quatrième pour l'Écriture Sainte et l'hébreu.
Outre les élèves externes, quinze jeunes religieux de la Compa-
gnie suivaient ces cours2 dont la durée était de quatre ans. Le
cours de philosophie se faisait en deux années, avec deux pro-
fesseurs, l'un de logique, l'autre de métaphysique. Il y avait
aussi deux régents de rhétorique qui se partageaient la besogne
et faisaient chaque jour deux lectures, une le matin et l'autre
dans l'après-midi. La classe des humanités, ou seconde, et les
quatre classes de grammaire ne comptaient chacune qu'un seul
professeur. Deux Pères, avec le titre de préfets des études, étaient
chargés de la surveillance des écoliers, l'un pour les cours des
grands, l'autre pour les classes inférieures; ils devaient aussi
contrôler l'enseignement des maîtres '.
Dès le début, les amis de la Compagnie avaient obtenu que le
collège de la Madeleine fût incorporé à l'Université. Cette union,
approuvée par lettres patentes de Charles IX, du 11 février 1573,
fut confirmée par d'autres patentes de Henri III, le 8 novembre
1574'.
La même année, à la sollicitation des parents, on admit une
classe à-1 abécédaires jugée indispensable par les Pères eux-
mêmes; ils trouvaient mal préparés aux classes de grammaire
1. Acta S. Sedis, p. 65. Patentes du !3 nov. 1573 (Archiv. de la Gironde. B. 39.
fol. 119; H, 59).
2. « Voilà, dit M. Gaullieur, ce qui manquait au collège de Guyenne. Les jésuites
avec leur admirable esprit d'organisation se créaient ainsi pour l'avenir une pépinière
de jeunes régents. » (Hist. du collège de Guyenne, p. 325). C'est vrai; mais, de plus,
les scolastiques s'appliquaient à la tbéologie en vue du sacerdoce et de la prédica-
tion.
3. Estât de l'establissement, fondation et revenu du collège des PP. Jésuites elc...
(Archiv. comm., GG, 298). Ce qui est dit ici de 13 professeurs en 1573, n'est pas en
contradiction avec les Lettres patentes de Henri 111, mentionnant, en 1 5 7 i , 9 classes et
1.500 élèves. Il n'y avait aussi que 9 classes en 1573, savoir : 1 cours de théologie
(scolastique et morale), 1 cours de d'Écriture Sainte, 1 cours de philosophie, 1 classe
de rhétorique, 1 d'humanités et quatre de grammaire. — 4, Ibidem. .
:,-2, HISTOIRE DE LÀ COMPAGNIE DE JÉSUS.
les écoliers qui avaient appris les éléments au collège de
Guyenne; puis, inconvénient plus grave, dans ce collège comme
dans les écoles particulières de la ville, les enfants étaient très
exposés à subir une fâcheuse influence : « Au lieu de leur ap-
prendre à lire dans ce livre élémentaire qu'on appelle ici la
Croix de par Dieu, écrit le P. Provincial, on leur remet, ouverte-
ment ou en secret, un petit catéchisme de Calvin. Il n'y a pas
d'autre remède à ce mal que d'ouvrir nous-mêmes une classe de
commençants1. » Le P. Général se laissa convaincre, mais il mit
à son acquiescement certaines conditions qui montrent le véri-
table esprit de la Compagnie sur ce point. « Pour ce qui est des
abécédaires, répondait-il à M. du Sault, le 21 novembre 1573,
j'ay donné ordre que, à cause de la nécessité qui se présente du
côté des hérésies, et jusques à tant que nostre Société jugera
estre expédient, et non aultrement, les nostres en prennent la
charge, sans néantmoings accepter aulcune fondation pour icelle
classe, et avec acte et protestation de la quitter touttes et quantes
foys que nous l'adviserons;... le fruict en est si petit et les
labeurs si grands que, non sans cause, nostre Société se déporte
d'une semblable charge pour mieux s'acquitter du plus impor-
tant2. »
7. Depuis leur établissement à Bordeaux les Pères avaient joui
d'un grand calme. Étonné d'une tranquillité à laquelle la Com-
pagnie n'était pas habituée, le P. Provincial ne manquait point
de prévenir ses religieux contré une prospérité qui n'est pas tou-
jours le sort des ouvriers évangéliques. Les événements ne tardè-
rent pas à lui donner raison : survint bientôt la mort de M. Fran-
çois de Baulon, et elle attira de graves épreuves sur le collège
de la Madeleine.
11 ne fut pas permis aux Jésuites de donner à cet insigne bien-
faiteur, comme ils l'auraient désiré, la sépulture dans leur cha-
pelle; mais, par reconnaissance, ils établirent un service commé-
moratif pour le repos de son âme : il se célébrait tous les ans, le
19 juillet, en présence des maîtres et des élèves3.
Le frère du défunt, Élie de Baulon, homme faible et de peu de
piété, fut bientôt circonvenu par les ennemis de la Compagnie,
1. Lettre du P. E. Hay, sept. 1573 (Gall. Epist., t. VII, fol. 38).
2. Lettre du P. É. Mercurian (Francia. Epist. General., t. 1575-1604). C'est par er-
reur que cette lettre a été placée dans ce volume.
3. Brevis hisl. de initiis.
FONDATION DU COLLÈGE DE BOKDEALX.
qui le poussèrent à faire annuler les actes de la fondation. Les
Pères s'efforcèrent en vain de le détourner de son injuste entre-
prise; les défenseurs du collège ne réussirent pas mieux dans
leurs tentatives de conciliation : il fallut plaider. Le Parlement
de Bordeaux renvoya la cause au Parlement de Toulouse1, et
celui-ci commença par arrêter que les quatre mille écus desti-
nés à la fondation du collège seraient payés avant môme le juge-
ment de l'affaire3. Élie de Baulon, craignant que les magistrats
de Toulouse ne lui fussent pas favorables, évoqua la cause au
Parlement de Paris où elle resta longtemps pendante, au grand
détriment des Jésuites, « tellement, dit un ancien manuscrit, que
ledit collège fut privé de cette fondation de deux mille livres,
n'ayant autre revenu, durant trente-six ans qu'il fut en procès
avec lesdits héritiers, que ce qui provenait des fruicts des susdits
bénéfices unis2 ». Privé des ressources que lui avait garanties
son principal fondateur, le collège de la Madeleine se trouva vite
réduit à la misère. Le P. Mathieu, Provincial, se demanda s'il
ne devait pas retirer les Pères d'une ville où leur subsistance
n'était pas suffisamment assurée. D'un autre côté, comment aban-
donner une population où l'hérésie faisait tant de ravages que les
bons catholiques songeaient à se réfugier ailleurs; projet qu'ils
auraient exécuté, s'ils n'avaient été soutenus par les encourage-
ments des Jésuites. Grâce au dévouement de quelques amis, on
parvint à recueillir des aumônes, avec lesquelles on espérait
atteindre la fin du procès, qu'on regardait toujours comme pro-
chaine3.
Pendant qu'Élie de Baulon s'opposait à l'exécution des volontés
de son frère, d'autres adversaires du collège, voulant de toutes
façons lui couper les vivres, engageaient la municipalité de Bor-
deaux à réclamer contre l'union du prieuré de Saint-James, déjà
autorisée par Charles JX, le 13 novembre 1573. Le maire et les
jurats interjetèrent appel de l'exécution des patentes du Roi. Mais
en vain lui fîrent-ils représenter « un cahier », dans lequel ils
exposaient leurs raisons et demandaient que les revenus de ce
bénéfice fussent appliqués moitié aux pauvres, moitié au collège
de Guyenne; Charles IX, par de nouvelles lettres du 12 février
1574, enjoignit de passer outre, sans avoir égard aux récusations
1. Requête de l'avocat général (Archiv. de la Gironde, H, 59).
2. Sententia Parlamenli (Aquitan., Fundat. colleg., t. I, n. 45).
3. Estât de l'establissement
4. Lettre du P. Mathieu au P. Général, 17 août 1576 (Gall. Epist., t. X, fol. 11).
526 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
des maire et jurats qui « ne veulent, disait-il, sinon tirer cette
affaire en longueur et consommer en frais ceux de ladite Compa-
gnie1 ». Les Jésuites furent mis légalement en possession du
prieuré le 29 mars 1574- 2.
8. La mort du roi fournit aux ennemis du collège de la Made-
leine l'occasion dune nouvelle attaque. On avait composé au
collège de Guyenne une apothéose du monarque en vers de plu-
sieurs langues. L'intention était très louable; l'exécution, paraît-il,
laissait beaucoup à désirer. Un malin anonyme fit une amère
critique de ces poésies, pleines de fautes. Aussitôt les Jésuites
sont accusés d'avoir voulu dénigrer leurs rivaux. On eut beau
afficher des placards dans la ville, on ne parvint pas à émouvoir
la population, et l'accusation tomba d'elle-même faute de preu-
ves 3'.
Cependant le Principal du collège de Guyenne avait gardé de
cet incident une profonde rancune contre le collège de la Made-
leine. « Il résolut de faire échec à des concurrents de jour en jour
plus redoutables, en leur contestant le droit de promouvoir leurs
écoliers aux grades académiques'1. » Il apportait comme raison
que la Compagnie de Jésus, rejetée par l'Université de Paris, ne
devait être admise nulle part en France. Pour toute réponse, le
Recteur des Jésuites fit annoncer une séance solennelle de pro-
motion aux grades de baccalauréat et de licence, en y invitant
les autorités de la ville et le Principal même du collège de
Guyenne. Le Parlement décida que plusieurs présidents et con-
seillers y assisteraient, espérant que leur présence suffirait à
réprimer tout désordre : « Je n'ay mémoire, raconte à ce sujet
M. du Sault, que depuis l'establissement des Universités et cours
de Parlements en France, une telle et si grande compagnie que
ceste-cy aye esté assemblée et assisté à un acte scolastique...
Oultre MRr l'Archevêque, assistèrent deux Présidents, XXV con-
seillers, les advocats et procureurs généraulx du roy en ladicte
cour, le lieutenant général et juges présidiaulx en la séneschaus-
sée de Guyenne, et infinité d'advocatz, médecins et aultres nota-
bilités, personnages de toutes qualitéz '. »
On avait à peine commencé l'argumentation que le Principal,
1. Archiv. de la Gironde, H, Jésuites, 59 et 120.
2. Fulmination de la Bulle et prise de possession (Archiv. de l'Archevêché, Q, 6).
3. Lettre de M. du Sault au P. Général, 27 juillet 1574 (Gall. Epist., t. VIII, fol.
350).
4. Ibidem. — 5. Ibidem.
FONDATION DU COLLÈGE DE BORDEAUX. 527
Élie Vinet, se levant tout à coup, débita contre les Pères de viru-
lentes invectives. Mis en demeure de répondre, Le P. Charles
Sager le lit avec une habileté et une modération qui obtinrent
un plein succès. L'argumentation terminée, continue M. du Sault
dans sa lettre au P. Général, « le vice-chancelier de ladite Uni-
versité, quin'estoit au commencement de l'acte, par une grave re-
nionstrancc latine, haut loua vostre Compagnie, réprima la pé-
tulance des adversaires et supplia Messieurs du Parlement les
chastier; et comme s'il eust sceu ce que le [Principal] avoit dict
de sa teste en son absence, respondit à ce qu'il avoit proposé
au commencement et empescha que ledict [Principal] ne leust un
acte d'appel injurieux, que les jurats lui avoient baillé contre les
vostres * ». Ensuite, aux applaudissements de toute l'assemblée,
le vice-chancelier conféra le degré de baccalauréat et de licence
en la Faculté des arts aux écoliers qui venaient d'être examinés.
Après avoir raconté cette curieuse séance, tout à l'honneur du
collège de la Madeleine, M. du Sault, se faisant l'interprète de
l'archevêque et de tous les gens de bien, insistait auprès du
P. Général pour qu'il consentit à laisser les PP. Sager et Richard,
professeurs de théologie, recevoir le bonnet de docteur qui leur
était offert par l'Université. Il énumérait, afin de le convaincre,
tous les avantages que devait en retirer la Compagnie. A Bor-
deaux d'abord, l'on serait moins sujet aux persécutions et ca-
lomnies des adversaires, et l'on aurait l'autorité suffisante pour
les réprimer et les châtier; puis, les gradués de cette Université
étant reçus par toutes les autres du royaume, ils ne pourraient
être rebutés ni à Paris ni ailleurs; enfin les professeurs de la
Compagnie seraient « plus respectés, mieulx ouys et plus agréa-
bles au peuple et aultres estats. ;' » On ne fit pas droit tout de
suite à cette demande; quelques années après seulement, le
30 mars 1577, le P. Recteur fut admis parmi les docteurs de
l'Université de Bordeaux3.
9. Les Jésuites, on le voit, avaient rallié autour d'eux tous les
catholiques et se sentaient appuyés par une partie du Parlement.
Néanmoins le Principal de Guyenne ne recula pas devant la tâche
ardue de continuer la lutte contre leurs progrès. Il fit venir de
nouveaux maîtres, qu'il croyait capables de soutenir honorable-
ment la concurrence avec le collège de ia Madeleine. Au bout
1. Ibidem. — 2. Ibidem.
3. Barckhausen, Statuts de l'anc. Univ. de Bordeaux, p. 68, 69.
528 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
de quelques jours, deux de ces professeurs durent cesser leurs
cours, faute d'élèves1.
On essaya dès lors d'une autre tactique. Il y avait parmi les
Jésuites un jeune régent de philosophie, Jehan Puget de Saint-
Marc2, dont la réputation, un peu surfaite, attirait autour de sa
chaire un grand nombre d'auditeurs. Le séduire et le faire passer
au collège de Guyenne, parut aux partisans d'Élie Vinet la meil-
leure façon de recruter des écoliers. C'est ce que M. Gaullieur
qualifie de « tour licite et de bonne guerre3. » L'acte est autre-
ment apprécié dans les lettres patentes par lesquelles Henri III
défendit, en cette circonstance, les droits de la Compagnie de
Jésus.
Nous emprunterons le récit de cette grave affaire à ce docu-
ment véridique4. Au début, le roi constate que le collège de la
Madeleine contient neuf classes formées de « mille cinq cens
enfans », qui y sont instruits « au grand contentement de ses
bons sujets catholiques, regret et desplaisir de ceux de la nou-
velle oppinion ». Aussi ces derniers, sous le nom des maire et
jurats de la ville, s'acharnent-ils « par une infinité de traverses
et de procès » à contraindre les Jésuites d'abandonner « ung si
sainct œuvre ». Et tout récemment ils ont « par artifices et moyens
réprouvez, desbauché Me Jehan de Saint-Marc, religieux philo-
sophe dudict colliège, pour icelluy rendre apostat et le faire
sortir de ladicte Société en laquelle il a demeuré puis treize ans,
et en chascun d'iceulx faict les trois vœux de chasteté, obédience
et pauvreté perpétuelle, pour le faire aller régenter en ung au-
tre colliège, appelé le colliège de Guyenne5 ». Les jurats avaient
promis à Puget de beaux honoraires ; ébloui par ces offres, le
jeune professeur, très entiché de son talent et déjà chancelant
dans sa vocation6, accepta. A l'insu de ses frères, il fit transpor-
ter dans l'établissement d'Élie Vinet « les livres, papiers, es-
1. Lettres annuelles mss. (Franciae Historia, t. I, n. 37).
2. Entré dans la Compagnie à Rome en 1564, fit ses études de philosophie dans la
même ville et y enseigna la grammaire. 11 vint ensuite en France et fut professeur à
Tournon et à Bordeaux (Catalog. S. J.).
3. Histoire du collège de Guyenne, p. 321-336.
4. M. Gaullieur le donne dans ses pièces justificatives. Il a raison, mais comment
ne s'est-il pas aperçu que ces lettres patentes contredisent les pages qu'il a consacrées
à l'affaire Puget Saint-Marc?
5. Patentes du 5 nov. 1574 (Archiv. de la Gironde, H, 59).
6. Nous avons retrouvé des lettres de ses supérieurs au P. Général. Depuis quelque
temps, ils avaient à lui reprocher de graves défauts dont il ne se corrigeait pas. Dans
une lettre du 2 janvier 1574, le P. Ed. Hay l'accusait d'être « offensioni non tantum
domesticis, sed et externis » (Gall. Epist., t. V1I1, n. 6).
FONDATION DU COLLEGE DE BORDEAI V 529
cripts et autres choses dont ses supérieurs l'a voient accomodé
Cependant les Pères ayant découvert ses projets essayèrent,
comme c'était leur devoir, de lui éviter un acte d'apostasie, el
firent garder la porte du collège pour empêcher toute tentative
d'évasion. Mais, le 21 août 157V, « survindrent lesdits Maire,
jurats et plusieurs autres, jusqucs au nombre de trente sergents
et autres gens de guerre ; et avec grand scandalle, par force et
violence, ravyrent le dict de Saint-Marc dudict collège et des
mains de ses dicts supérieurs ». Toute cette troupe était accom-
pagnée d'écoliers, qui réclamaient à grands cris le jeune régent,
pour le mener au collège de Guyenne selon sa promesse, « com-
bien, ajoutent les lettres patentes, qu'il leur feust permis l'ouyr
librement et gratuitement dans le collège de ladicte Société,
pourvu qu'ils y heussent voullu assister à la messe et faire tout
debvoir de bons chrestiens et catholiques, ainsi que l'ont les au-
tres escolliers estudians en icelluy ».
Le gouverneur de Bordeaux, Charles de Montferrant, eut la
prudence d'ordonner que Puget de Saint-Marc fût d'abord con-
duit à l'archevêque, afin de « luy faire bonne et briefve justice ».
Le prélat lui assigna son propre palais pour demeure, avec dé-
fense d'en sortir, sous peine d'excommunication, et chargea son
secrétaire et. le théologal de la primatiale d'instruire l'affaire L
Mais les maire et jurats ne s'en tinrent pas là. Voulant empê-
cher le cours de la justice ecclésiastique, dont relevait l'acte d'a-
postasie, ils présentèrent en cour de Parlement, plusieurs requêtes
pour prendre et retenir la connaissance de la cause. Le 4 octobre,
Jehan Puget ayant comparu devant les conseillers rapporteurs,
on lui montra un registre dans lequel se trouvait écrite de sa
main la formule des vœux. Il reconnut sa signature et objecta
que c'étaient des vœux simples, différents des vœux solennels,
ainsi que l'expliquaient les Constitutions de l'Ordre2. Le même
jour, le P. Recteur de la Madeleine fut sommé de présenter en
justice les Constitutions de la Compagnie de Jésus. Il s'y refusa;
mais déjà un exemplaire se trouvait entre les mains des conseil-
lers rapporteurs. Cet exemplaire, confié autrefois à M. de Baulon,
était devenu la propriété de son frère qui, pour se venger des
Jésuites qu'il regardait comme les spoliateurs de sa famille,
l'avait remis au clerc-secrétaire de la ville. Dans le chapitre iv de
1. Pièces officielles sur l'affaire Puget Saint-Marc (Archives de la Gironde, H, Jé-
suites, 59). Mémoire du P. Sager (Ibid.).
2. Interrogatoire de Puget {Ibid., H, Jésuites, n. G).
COMPAGNIE DE JliSLS. — T. I. 3'è
530 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
la Ve partie, le défenseur de Puget, Charles Amussat, crut trouver
un argument triomphant en faveur de son client; par malheur,
le roi refusa de reconnaître la compétence du Parlement : « La
cognoissance, correction et punition dudict de Saint-Marc, décla-
rait-il, appartient au Général, Provincial ou Supérieur d'icelle
societté, ainsi qu'il appert par les Bulles de Notre Sainct-Père le
Pape. » En conséquence, Henri III ordonnait qu'aucune poursuite
ne serait faite ailleurs « que par devant ledit Général, Provincial
et Supérieur, sur peyne de nullité, dommaiges et intérests ». De
plus il défendit au maire et aux jurats de s'occuper des affaires
de la Compagnie de Jésus, la proclamant « exempte de toute
leur auctorité et jurisdiclion, comme estans personnes religieu-
ses et ecclésiastiques 1 ».
Il n'est pas probable qu'un jugement ait été rendu par les
supérieurs de la Compagnie; tout nous porte à croire que Jehan
Puget refusa de se soumettre à une procédure canonique. Le
28 août 1575, il obtint du Parlement de Bordeaux la permission
de « lire et enseigner publiquement, tant aux bonnes lettres que
en philosophie, ès-collèges de la présente ville ou l'un d'iceux
[que bon lui semblera] ». En même temps il était « faict inhibition
et défence [par la cour], à toutes personnes, de l'empescher ou
molester en ladicte lecture, le tout sans préjudice du procès
contre ledict Saint-Marc, intenté à la requeste du syndic de la Ma-
deleine ». Il dut commencer immédiatement ses cours, car le
P. Sager écrit, à la date du 2 septembre : « Nostre apostat faict
encore rage contre nous Il est si bien favorisé de la pluspart
de ceste cour et peuple que, nonobstant les lettres patentes du
roy, nonobstant les comminations et défences de Mgr l'Archevêque,
il lit au collège de Guyenne, au grand scandale et mescontente-
ment des catholiques et gens de bien, et au grand plaisir et joie
des huguenaults qui le supportent-. »
Au dire de M. Gaullieur, l'érudition de Puget était immense et
sa mémoire prodigieuse. Certains auteurs, ajoute-t-il, « assurent
qu'on le croyait capable de rétablir les écrits d'Aristote et de Pla-
ton, si par malheur le texte de leurs ouvrages fût venu à se
perdre 3 ». Cette mémoire, si fidèle, lui joua un mauvais tour à
la rentrée des classes, au mois d'octobre. Chargé de prononcer la
harangue solennelle d'ouverture, il jugea à propos de sappro-
1. Archives de la Gironde, H, 59.
2. Ibid., H, 60'.
■i. Histoire du coll. de Guyenne, p. 345.
FONDATION DU COLLÈGE DE BORDEAI V 53t
prier le discours du P. Perpinien sur V étude de la philosophie
divine et humaine. On ne sait par quelle indiscrétion la gent
écolière fut informée de la supercherie. Toujours est-il qu'elle
parvint à se procurer des copies du célèbre discours. Puget
monte en chaire et commence à parler devant un nombreux
auditoire, où l'on remarquait plusieurs membres du Parlement.
Il avait à peine terminé sa première période que des étudiants
se mettent à crier : « Mais, c'est un discours de Perpinien! » Et
ils en montrent le texte à leurs voisins. De là grand tumulte,
qui finit par s'apaiser peu à peu. Sur l'invitation de messieurs
du Parlement, l'orateur essaie de continuer sa harangue; mais
bientôt, cédant à une trop forte émotion, il ne fait plus que bal-
butier et descend de chaire rouge de confusion '.
Que devint plus tard le malheureux apostat? Professa-t-il pen-
dant de longues années au collège de Guyenne? Le quitta-t-il
pour quelque Université plus célèbre? Mourut-il à Bordeaux?
Nous avons seulement retrouvé une lettre, datée de cette ville
le 25 novembre 1575, et écrite au P. Général, dans laquelle, en
termes humbles et repentants, il demandait à être délié de ses
vœux 2. Il semble bien que cette dispense lui fut accordée en 1570
par l'intermédiaire du P. Auger3. Ensuite, croyons-nous, Puget
de Saint-Marc vécut sans scandale mais sans gloire. Une lettre du
P. Maldonat nous apprend qu'il enseignait encore à Bordeaux en
1579 et que le P. Recteur, comme docteur de l'Université, em-
pêcha sa promotion à certains honneurs académiques qu'il ambi-
tionnait >k. A partir de ce moment son nom retomba dans un pro-
fond oubli.
1. Brev. hist de iniliis (Francia, Histor. f'umlat., n. 26).
2. Gall. Epist., t. IX, f. 382.
3. « Scripsi P. Emundo ut a votis et obligatione Societatis Joannem Su Marci, hoc
ipsum petentem, liberum declaret » (Lettre du P. Général au P. Cl. Mathieu, 23 jan-
vier 1576. — Francia, Epist. Gen., t. 1575-1G04).
4. Lettre au P. Général du 7 juin 1579 (Gall. Epist., t. MIT, f. 186-191).
CHAPITRE IX
TRAVAUX APOSTOLIQUES DES PP. AUGER, POSSEVIN ET MANARE.
(1565-1575).
Sommaire : 1. Le P. Auger prêche le carême à Toulouse (1566). — 1. Services
qu'il rend à la ville; l'Université lui offre le doctorat. —3. Second carême à
Toulouse (1567); établissement de confréries de pénitents. — 4. Association de
dames de charité à Lyon (1567); traités sur les sacrements (1565-67); carême à
la cour (1568). — 5. Troisième carême à Toulouse (1570); avent à Reims (1570)
et carême à Metz (1571). — 6. Prédications à Aurillac, Rodez, Toulouse, Bourges
et Paris (1572-1575); la confrérie des pénitents bleus. — 7. Prédications du
P. Possevin à Rouen (1565); à Marseille (1568); mission sur les galères. —
8. Avent à Rouen (1569) ; prédications à Dieppe. — 9. Le P. Manare lui succède
a Dieppe et évangélise Verdun. — 10. Carême du P. Possevin à Rouen (1570);
projet de collège. — 11. Le P. Possevin à Lyon et à Besançon (1571); ses prédi-
cations et ses écrits.
Sources manuscrites : I. Roma, Bihî. Vittorio-Emmanuele, mss. Gesuitici.
H. Recueils de documents conservés dans la Compagnie, a) Possevinus : Acta in Gallia;
Annalium decas 1". — b,' Epistolae Episcoporum. — c) Gallia, Epistolae Generalium. —
d) Galliae Epistolae.
Sources imprimées : .Manare. De Rébus S. J. Commentarius. —Mémoires de Castelnau.
— Possevinus, Bibl. seleela. — De Rubys. Histoire rentable de la ville de Lyon. —
Mondmekta iiisTORiCA S. J. : Epistolae P. Nadal.
1. A mesure que se multipliaient les fondations, on voyait
s'accroître le nombre des ouvriers apostoliques qui, formant
dans chaque collège une seule et même communauté avec les
professeurs1, se dépensaient au bien des âmes soit à l'intérieur
de la ville, soit au dehors. Il n'est guère facile, pour l'époque où
nous sommes arrivés, de se rendre compte de leurs travaux. Sur
la période de 1565 à 1575, il ne reste, en effet, que quelques-
unes des lettres annuelles envoyées à Rome par chaque maison,
et parmi les lettres annuelles des Provinces nous ne possédons
que celles d'Aquitaine en J566, et celles de France en 1575.
Nous essaierons cependant, à l'aide des lettres particulières adres-
sées au P. Général et des témoignages conservés par les pre-
miers historiens de la Compagnie, de donner un aperçu des mi-
1. Ce que nous appelons maintenant résidence était encore inconnu dans ces pre-
miers temps de la Compagnie.
TRAVAUX APOSTpLIQUES DU P. AUGER. 533
nistèrcs spirituels des Pères les plus connus, coninio Auger,
Possevin, Manare et Maldonat.
Le P. Auger, retenu à Lyon par les instances du clergé et des
habitants, n'avait pu, en 1564, répondre à l'appel des capiton Is
de Toulouse qui l'invitaient à venir évangéliser leur ville. Il en
fut encore empêché, l'année suivante, par la fondation du col-
lège de la Trinité; mais, en 1566, il se rendit ;ï leurs vœux et
prêcha tous les jours pendant le carême1. Sa grande réputation
d'orateur attira aussitôt au pied de la chaire sacrée un auditoire
considérable, où l'on remarquait tout ce que la ville comptait
alors d'hommes les plus distingués, et à côté d'eux un millier
d'étudiants de l'Université. Déjà bon nombre de ces jeunes gens
s'étaient laissé séduire par la religion nouvelle, qui passait pour
être celle des beaux esprits : l'éloquence d'Émond Auger, sa doc-
trine nette et précise, exposée avec conviction et un tour agréa-
ble, en toucha plusieurs, les rendit dociles à la grâce et les con-
quit à la vérité. Dans l'ensemble, le ciel bénit si visiblement son
zèle qu'à la fin du carême le Parlement lui demanda de conti-
nuer ses prédications. Il le fit régulièrement trois fois la semaine
jusqu'au milieu de l'été, consacrant alternativement deux autres
jours à une instruction familière pour le peuple.
Nul ne savait mieux se proportionner à la composition des
divers auditoires. Dans l'enseignement du catéchisme, il s'avisa
d'une industrie, assez répandue en Italie, qui charma toute la
ville par sa nouveauté. Après avoir exposé à fond une matière,
de façon à la rendre intelligible aux plus illettrés, il la faisait
répéter devant tout le monde par des enfants; ceux-ci, qu'il pre-
nait soin de former lui-même, résumaient alors, sous forme de
demandes et de réponses, toute la substance de son explication.
Cet exercice piquait l'émulation des enfants; les louanges qu'ils
recevaient du P. Auger, flattaient leurs parents; les personnes de
toutes conditions qui venaient les entendre avec plaisir, en
tiraient beaucoup de profit pour leur propre instruction. Tel fut
le succès de cette méthode que les curés de la ville l'introduisi-
rent ensuite dans leurs paroisses2.
2. Quand, après la prise de Pamiers, les huguenots cherchè-
rent de nouveau à jeter le trouble dans la ville de Toulouse, le
1. Lettres du P. Auger au P. Général (Gall. Epist., t. Il, f. 204, 22 4, 22(5; t. III,
f. 160).
2. Cf. Sacchini, Hist. Soc. Jesu., P. III, 1. II, n. 5j.
534 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
I». Auger, profitant de l'autorité qu'il venait d'acquérir sur les
différentes classes de la population, exhorta le peuple, les magis-
trats, la noblesse, le clergé à s'opposer avec vigueur aux des-
seins de ceux qui en voulaient à la religion de leurs ancêtres.
Animés par ses remontrances, les catholiques prirent si bien
leurs mesures qu'ils rendirent vaines les tentatives de leurs en-
nemis. Très sensibles aux services signalés du P. Émond dans
ces circonstances, toutes les corporations de la ville s'empressè-
rent de lui en témoigner leur gratitude. Le chapitre lui offrit
de prêcher le prochain carême dans l'église métropolitaine1.
Le Parlement résolut de travailler, de concert avec les capitouls,
à procurer de nouveaux avantages au collège. L'Université vou-
lut marquer son estime au prédicateur d'une manière toute spé-
ciale. Dans une assemblée, convoquée extraordinairement, elle
décida à l'unanimité de l'agréger au corps académique et de lui
envoyer deux des principaux professeurs pour lui présenter les
insignes du doctorat.
Les deux députés, accompagnés de plusieurs de leurs col-
lègues, se rendirent auprès du P. Auger, lui exposèrent l'objet
de leur mission et l'assurèrent qu'ils seraient très honorés de le
compter dans leurs rangs : « Prenez donc, sans autre cérémonie,
lui dirent-ils, le bonnet de docteur; c'est une faveur que l'on
n'accorde pas à toutes sortes de personnes, et vous savez quelle
est la réputation de cette Université, tant pour le droit que
pour la théologie2. » Surpris de cet hommage inattendu, le
P. Auger remercia les députés de leurs délicates intentions, disant
qu'il n'avait besoin d'aucun titre pour continuer de les servir de
tout son pouvoir et que le collège regarderait toujours l'académie
comme son Aima mater : « D'ailleurs, ajouta-t-il, il n'est pas dans
nos usages d'accepter des dignités sans l'agrément du P. Général,
afin de ne pas donner lieu à l'ambition de s'introduire parmi
nous. Ne faites donc rien pour moi en particulier, et réservez vos
faveurs pour la Compagnie où tant d'autres les méritent davan-
tage. Je vous suis très reconnaissant devant Dieu de votre bonne
volonté, mais je me considère comme indigne de cet honneur
auquel je n'ai jamais songé3. » Les bons docteurs se retirèrent
1. Lettre du Chapitre au P. Général, 1er sept. 1566 (Ep. Episcop., t. I, fol. 232).
Voir Appendice E.
2. Sacchini, selon sa coutume, reproduit ce discours dans un style plus acadé-
mique (llist. Soc. Jesu, P. III, 1. II, n. 56).
3. Lettre du P. Auger au P. Général, 8 mai 1566 (Gall. Epist., t. III, loi. 143).
TRAVAI \ APOSTOLIQUES DU P. AUGER. 53b
très édifiés de cet humble refus et de la modestie des enf;inls
de saint Ignace.
3, Ce fut vers ce temps que les Toulousains envoyèrent le
P. Auger à Paris pour y défendre les intérêts de leur collège me-
nacé. A peine arrivé, le Père, dont la réputation était connue
de tout le royaume, fut invité par l'évêque, Guillaume Viole, à
paraître dans les principales chaires de la capitale1. Le peuple,
heureux de recueillir les enseignements d'une parole si élo-
quente, accourait avec empressement dans les églises qui ne pou-
vaient contenir la foule des auditeurs. Le P. Olivier Manare ra-
conte que, pour contenter l'avidité des fidèles, le P. Auger se
mit à prêcher dans la grande salle du Palais où leurs affaires réu-
nissaient des personnes de tous les quartiers de Paris. Sa belle
voix parvenait jusqu'aux derniers rangs de l'auditoire au milieu
du plus grand silence. Le roi voulut l'entendre à la cour. Les
détenus dans les prisons, les malades dans les hôpitaux ne furent
pas privés non plus de ses instructions; car loin de rechercher
les faveurs des grands, le P. Émond, à l'exemple du divin Maître,
exerçait de préférence son apostolat auprès des humbles et des
malheureux2.
De retour à Toulouse, il prêcha à la cathédrale le carême de
1567 avec plus de succès encore, s'il est possible, que l'année
précédente. Comme le saint Précurseur, il invita tout le peuple à
la pratique de la pénitence, dont il montra la nécessité dans un
temps où la justice divine semblait si fort irritée par des crimes
de toutes sortes. Et aussitôt, riches et pauvres se portèrent aux
plus rudes exercices de la mortification chrétienne, avec une fer-
veur que l'apôtre lui-même ne pouvait assez admirer. Il conçut
alors la pensée d'établir, dans les différentes classes de la société,
trois confréries de pénitents, auxquelles il donna de sages règle-
ments et qui furent approuvées par le Saint-Siège :î.
i. A Lyon, où il passa les derniers mois de l'année, retenu par
les instances des habitants, Dieu récompensa ostensiblement les
travaux de son apostolat par la conversion de près de deux mille
i. Lettre du même au même, 0 déc. 1566: « Ho predkato in questa cita per varie
chiese con molto carezze di Msr di Parigi » (Gall. Epist., t. III, fol. 73).
2. Lettre du P. Manare au P. Général, 1D déc. 1566 (Gall. Epist., t. III, fol. 76).
Cf. Sacchini, Hist. Soc. Jesu, P. 111, 1. II, n. 69.
3. « Vray pourtraict de la vie du R. P. Émond Auger », par le P. Bailly, 1. 11,
chap. in (Archiv. Prov. France, mis. .
536 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
hérétiques. Parmi les œuvres que lui inspira, à cette époque,
son dévouement au salut du prochain, il en est une qui mérite
d'être signalée, car elle devint comme le modèle d'une foule
d'autres associations pieuses. Grâce à ses conseils et à ses exhor-
tations, un certain nombre de dames, distinguées par leur nais-
sance ou leur fortune, résolurent de travailler ensemble au sou-
lagement des infirmes. Deux fois la semaine, elles se rendaient
à l'hôpital où elles servaient et consolaient les malades, tandis
que le Père encourageait ceux-ci à souffrir avec patience pour
l'amour de Notre-Seigneur. Ce bon exemple devint bientôt sain-
tement contagieux, et plus de deux cents personnes s'associèrent
à cette œuvre charitable1.
Afin d'étendre au loin par ses écrits les bienfaits de son zèle,
le P. Auger avait commencé à Lyon, en 1565, la composition de
plusieurs traités sur les sacrements2. Les deux années suivantes,
autant que le lui permirent ses nombreuses occupations, il les
acheva et les publia peu à peu, et nous voyons, par les dédicaces,
qu'il avait soin de les présenter au public sous les plus hauts
patronages, comme ceux du maréchal de Damville, de la reine,
du roi et du duc d'Anjou \
En 1508, il fut retenu à Paris par le cardinal de Lorraine, pour
le carême de la cour'1; ministère délicat où la souplesse et la
solidité de son talent réussirent à merveille. S'il plaisait dans
la chaire, il ne charmait pas moins dans les conversations; de
sorte que les plus grands personnages du clerg-é ou de la noblesse
l'honoraient de leur amitié et de leur confiance"'. Après ses ins-
tructions, les courtisans aimaient à l'entretenir des sujets de reli-
gion dont tout le monde parlait alors.
La bonne opinion qu'on avait de lui à la cour ne pouvait que
profiter aux intérêts de la Compagnie, si combattue par les uns
et si estimée par les autres. Tout porte à croire que ce fut à sa
sollicitation que, le 0 août de cette année 1568, Charles IX ac-
corda aux Jésuites des lettres de jussion les déclarant capables
de recevoir des donations et des legs, et enjoignant que déli-
1. Papiers et mss. de Sacchini. Rorna, Bibl. Vitl. Einman., mss. Gesuilici, n. 1584
(3718).
2. Lettre du P. Possevin au P. Saillio. (Dorigny-Gnezzi, Vita del P. Possevino,
t. II, p. 62). Cf. l'avertissement du P. Auger en tête du second livre.
3. Voici Tordre des diverses éditions. Lyon, 1565; Paris, liv. I, j565; Paris et
Lyon, liv. 11, 1566; Paris, liv. 111, 1565, 1567.
4. C'était pour Metz que primitivement le cardinal l'avait engagé cette année-là;
mais la difficulté des chemins l'ayant retardé, on le garda à Paris.
5. Epist. P. Nadal, t. III, p. 609.
TRAVAUX APOSTOLIQUES DU P. AUGER. 537
vrance leur serait faite dos biens et «les rentes qui déjà leur
avaient été légués1.
5. Le I*. Éniond Auger songeail à quitter Paris pour s'occuper
des alla ires de sa Province ' quand le duc d'Anjou, frère du roi,
demanda et obtint qu'il l'accompagnât dans sa campagne contre
les protestants rebelles''. Après la victoire de Moncontour qui
termina la guerre (3 octobre 1569), il reprit ses ministères ac-
coutumés4.
Durant le carême qu'il prêcha à Toulouse en 1570, il établit,
pour le soulagement des prisonniers, une nouvelle confrérie ap-
prouvée par le Saint-Siège sous le nom de confrérie de la Misé-
ricorde5. Un grand nombre de personnes, de tout sexe et de
toute condition, s'empressèrent d'entrer dans cette pieuse as-
sociation à laquelle il donna des règlements inspirés par sa com-
patissante charité 6.
Rappelé à Paris, au mois d'octobre, par le cardinal de Lor-
raine, il eut l'occasion de rendre service aux chanoines comtes
de Saint- Jean de Lyon, dans une affaire qu'ils avaient fort à
cœur. Les réformés avaient placé un de leurs prêches à Saint-
Genis-Laval, village de la dépendance du chapitre, à deux lieues
de Lyon; les chanoines désiraient que ce prêche fût transféré
dans un village voisin qui appartenait à un protestant. Quelque
1. Patentes du 6 août 1568 {Annales des soi-disans Jésuites, t. I, p. 80). En
1562, après l'assemblée de Poissy, le Parlement avait mis les Jésuites en possession
des legs à eux laissés par Msr du Prat; mais en 1565, à l'époque du procès avec
l'Université, les administrateurs des pauvres de Glermont avaient demandé d'être
substitués aux Jésuites sous prétexte que la Compagnie, comme telle, n'était pas
encore reconnue. De là l'importance de ces lettres de jussion de 1568. — C'est à tort
que Saccbini (P. III, 1. V, n. 138) place en 1569 cette faveur du roi.
2. Lettres de François de Borgia au P. Nadal, des 17 et 30 août 1567 (Epist.
P. Nadal, t. III, p. 629, 637).
3. Lettre du P. Auger aux Pères de Lyon, 2 oct. 1568 (Gall. Epist., t. IV). Il sera
parlé du ministère du P. Auger auprès des soldats au chapitre xiu de ce livre.
4. Lettre du P. Auger au P. Général, 12 janv. 1570 (Gall. Epist., t. V, fol. 159).
5. Lettre du P. Auger au P. Général, 22 fév. 1570 (Gall. Epist., t. V, fol. 161;.
6. Les uns regardaient le bien spirituel des âmes : les associés devaient visiter
souvent les prisonniers, leur procurer la visite du prêtre pour les instruire, les con-
soler, leur administr ?r les sacrements ; on devait surtout leur faire entendre un sermon
tous les vendredis. D'autres règlements, relatifs aux besoins temporels des pri-
sonniers, obligeaient les confrères à pourvoir à leur nourriture, à les soulager dans
leurs maladies, à organiser une caisse de secours alin de payer les créanciers de ceux
que la misère et des dettes avaient réduits en ce triste état, ou île leur ménager
l'appui d'un avocat bien intentionné qui se chargeait de leurs affaires et de leur
défense. Quant aux criminels condamnés à mort, on devait les préparer à souffrir
et à mourir en esprit de pénitence, les assister jusqu'au dernier soupir, obtenir de
leurs juges la sépulture ecclésiastique, et s'employer, par des messes et des prières,
au soulagement de leurs âmes,
538 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
peu considérable que parût ce changement, ce n'était point une
petite affaire de l'obtenir, car en ce temps-là toutes les grâces
semblaient être pour les huguenots. Deux députés, le sieur de
Rubys et le chanoine Pierre d'Espinac, plus tard archevêque de
Lyon, furent choisis pour aller solliciter cette faveur; ils l'ob-
tinrent, au dire de l'un d'eux, grâce au crédit dont jouissait
le P. Auger : « Nous fûmes fort assistés dans cette poursuite,
raconte de Rubys, par le bon Père Émond qui, par fortune, se
trouva à la cour et fit sur ce sujet plusieurs belles et pertinentes
remontrances au roy et à la reyne-mère, suivant le zèle dont
il était rempli ' . »
Lorsque la cour partit, au mois de novembre, pour la Cham-
pagne, afin d'assister au mariage du roi avec Elisabeth d'Autriche,
fille de l'empereur Maximilien II, le P. Auger la suivit en ac-
compagnant le cardinal de Lorraine2. Après la cérémonie qui se
fit à Mézières, tous deux se rendirent à Reims. Le Père y prêcha
l'avent à l'église de Notre-Dame , devant un des plus illustres
et des plus nombreux auditoires qu'on eût jamais vus dans cette
auguste cathédrale.
De Reims il vint à Metz où il devait donner le carême de 1571.
Cette ville comptait parmi ses habitants de nombreux partisans
de la réforme; presque tous appartenaient à la haute bourgeoi-
sie, tandis que le peuple était resté attaché à la foi de ses an-
cêtres. En 15i3, à la demande du maître-échevin de la cité et
du cardinal Jean de Lorraine, qui en était évêque, Charles-Quint
avait interdit la religion nouvelle par une ordonnance qui resta
en vigueur jusqu'en 1552, époque de la reddition de Metz à la
France. Après l'édit de tolérance, du 17 janvier 1562, les ré-
formés firent dans la ville un progrès prodigieux « tant par le
nombre des personnes qui embrassaient leur créance que par le
concours des protestants étrangers et des prêtres apostats qui,
chassés de France, d'Allemagne et de Lorraine, y étaient reçus à
bras ouverts3 ». Charles IX, venu à Metz en 1569 pour y con-
solider son pouvoir, écouta favorablement les plaintes et les sup-
plications des catholiques. Il fit raser le temple que les protes-
tants avaient bâti dans le « retranchement », défendit, le 7 avril,
tout « aultre exercice de religion que de la catholique » et re-
1. Hist. de Lyon, 1. III, p. 419.
2. Lettre du P. Auger au P. Général, 8 déc. 1570 (Gall. Epist., t. V, fol. 193). Le
P. Auger nous apprend dans celte lettre que la jeune reine avait pour confesseur un
jésuite, le P. Avellaneda, qui fut remplacé par le P. Lorentio.
3. Doni Calmet, Hist. de Lorraine, t. II, anno 1367,
TRAVAUX A.POSTOLIQI ES l»l P. AUGER. 539
commanda au gouverneur, le maréchal de Vieilleville, de pro-
céder rigoureusement contre les infracteurs de l'édit. Mais, mal-
gré les ordres précis de Sa Majesté, le zèle du clergé et des ma-
gistrats à en presser l'exécution, les hérétiques les éludaient
autant qu'ils le pouvaient et, excités par leurs ministres, ils se
montraient aussi insolents qu'autrefois.
Arrivant à Metz dans ces conjonctures, le P. Auger pensa qu'il
lui fallait recourir à toutes les industries de la piété et du dé-
vouement pour remédier à un mai aussi profond. Deux de ses
biographes, le P. Bailly et le P. Dorigny, assurent qu'ils doivent
le détail de ses travaux dans cette ville au récit d'un témoin, le
chanoine Toussaint Rousset, chez qui le Père avait logé et qui
plus tard entra dans la Compagnie. Nous avons cru pouvoir, à
notre tour, leur emprunter ces particularités qu'on ne trouve pas
ailleurs. Elles donneront une idée du règlement quotidien d'un
jésuite missionnaire de ce temps-là.
Chaque matin, après d'assez longues prières, et sa messe dite,
le P. Emond faisait une prédication à la cathédrale ; il n'y man-
qua pas une seule fois pendant le carême. De là il passait, tan-
tôt à la citadelle où il instruisait les soldats, tantôt en différents
monastères d'hommes et de femmes pour les animer au service
de Notre-Seigneur; à certains jours il visitait aussi les malades
dans les hôpitaux, les criminels dans les prisons, les pauvres à
leurs domiciles. Après midi il entrait au confessionnal, où d'ordi-
naire il était accablé d'une foule de pénitents. Quand l'affluence
était moindre et qu'il pouvait se retirer plus tôt, il allait faire
quelques visites aux catholiques afin d'éclairer ou d'affermir
leur foi, et aux hérétiques afin de les détromper dans des discus-
sions où il apportait toujours le calme et la patience de la vérité.
A quatre heures du soir, il retournait à l'église et montait en
chaire. Il commençait par un catéchisme aux enfanls, puis, sui-
vant sa méthode, les obligeait à le répéter entre eux par de-
mandes et par réponses devant toute l'assemblée. Ce catéchisme
était ordinairement suivi d'une controverse, à laquelle catholi-
ques et hérétiques assistaient. C'était sa coutume de se munir de
plusieurs volumes de l'Écriture et des Pères, afin d'avoir toujours
en mains de quoi confondre ceux qui oseraient le taxer d'infidé-
lité dans les citations. Très versé dans la connaissance des lan-
gues, surtout le grec et l'hébreu, il défiait à son tour, devant
tout le monde, les ministres protestants de justifier eux-mêmes
certains textes que la mauvaise foi des novateurs n'avait pas
540 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
craint de falsifier. 11 terminait cette espèce de conférence, où bril-
lait sa verve de controversiste, par une exhortation pathétique,
conviant ses auditeurs à rester unis à l'Église de Rome et à sou-
tenir leur croyance par la pratique des œuvres chrétiennes.
Les bénédictions du ciel ne manquèrent pas à ces fatigants
travaux, auxquels il joignait encore la prière et la pénitence. Il
eut la consolation de ramener à Jésus-Christ de nombreux dé-
voyés. En vue d'entretenir la ferveur des convertis et des fidèles,
il érigea une confrérie du Saint-Sacrement dont la fin principale
était la réparation des impiétés commises par les sectaires contre
l'adorable Eucharistie. « La piété cultivée dans Metz parles soins
et les sueurs de cet homme apostolique, racontait son hôte, le
chanoine Rousset, jeta de si profondes racines qu'elle a porté des
fruits dont on goûte encore la douceur et l'avantage1. »
6. Au mois de juillet 1571, délivré de la charge de Provincial
d'Aquitaine, le P. Auger se retira d'abord au petit collège de
Mauriac, comptant y refaire un peu ses forces affaiblies par les
fatigues de l'administration et de l'apostolat. Mais le zèle de la
maison de Dieu dévorait son âme. Malgré les périls dont il était
menacé de la part des hérétiques, le vaillant athlète ne resta pas
longtemps sans courir à de nouveaux combats. Le 10 septembre,
le P. Nadal avertit le P. Claude Mathieu, nouveau Provincial, de
tenir secrets les voyages que devait entreprendre le P. Auger :
« Les huguenots, écrivait-il, lui en veulent, et il y aurait pour lui
péril de la vie 2. » Le même jour, le P. Vicaire Général rassurait le
principal intéressé sur le secret de ses missions : « Personne n'en
sera prévenu que le Supérieur. » Il lui recommandait en même
temps une grande réserve dans la manière de réfuter l'erreur,
afin de ne fournir aucun prétexte à l'irritation des calvinistes2.
Nous ne pouvons, sans nous condamner à des redites, suivre
le P. Auger dans ses nouvelles courses apostoliques à Aurillac, à
Rodez, à Toulouse et à Bordeaux. Nous n'en retiendrons qu'un
trait, qui montrera comment le célèbre prédicateur ajoutait en-
core par l'immolation de lui-même a la puissance de sa parole.
Un témoin oculaire, le P. Gabriel de la Porte, qui fut quarante
ans professeur de théologie à Bordeaux, a laissé par écrit un
beau témoignage de cet esprit de pénitence : « Le P. Auger,
dit-il, étoit si sobre qu'il ne mangeoit qu'une fois le jour et que
1. Cité par Dorigny, Vie du P. Auger, p. 231.
2. Gall., Epist. Generalium. — 3. Ibidem.
TRAVAUX APOSTOLIQUES DU I'. AUGER. M i
souvent dans ce repas il ne prenoit que du pain. Il se cousu moi I
de veilles et d'austéritez ; je l'ay vu plus d'une fois monter en
chaire ayant les pieds nuds, les souliers qu'il portoit servant seu-
lement à couvrir sa mortification. Au sortir de la chaire il passoit
au confessionnal, où il restoit plusieurs heures, quoiqu'il dût
prêcher une seconde fois le même jour. 11 portoit surtout les
peuples à la pénitence. Lorsque sur la fin de son discours il se
laissoit emporter à ces mouvements pathétiques qui le rendoiënt
le maître des cœurs, j'ay vu des personnes d'esprit et d'autorité
changer de couleur, pâlir, rougir, enfin agitez de différentes
passions... J'en ay vu d'autres sortir de son sermon les yeux
mouillés de larmes, le visage baissé, dans un morne et profond
silence... J'ay vu encore, quand sur la fin de sa prédication il
avoit exhorté ses auditeurs à entreprendre quelque œuvre de
charité en faveur des pauvres, j'ay vu, dis-je, la sacristie de l'é-
glise où il avoit prêché se remplir de toutes sortes de personnes
qui, de leur plein gré, venoient avec joye offrir leurs soins, leur
crédit et leurs biens pour le succès de ces bonnes œuvres1. » ,
Rien de surprenant qu'un tel prédicateur fût demandé de tous
les côtés par les évoques, le clergé, les populations elles-mêmes.
En 1573, il donna l'avent à Bourges où l'on s'occupait de fonder
un collège. La satisfaction que les habitants de cette ville éprou-
vèrent à l'entendre les affectionna de plus en plus à la Compagnie
de Jésus. D'ailleurs le P. Émond les payait de retour et parlait
d'eux avec éloge : « Quant aux affaires de la religion en ces
quartiers, écrivait-il le 31 décembre, tout y va assez bien; et pour
le faict de cetle ville, depuis trente ans en çà, l'on n'avoit veu ny
tant de gens aux sermons, ny à Noël à la communion, tellement
que j'en ai bien eu ma part, et des appareils, cognoissant à la
vérité que ce peuple est maniable avec raison, doctrine et bon
exemple, aultant qu'aultre de France-. »
Le P. Auger se trouvait à Paris durant le carême de 157V. Il
prêcha encore dans la grande salle du Palais que l'évèque de
Meaux, Louis de Brézé, trésorier de la Sainte-Chapelle, avait obtenu
de mettre à sa disposition. Quoique habitué aux nombreux audi-
toires, il s'étonnait de celui-ci : il y avait là, dit-il, « autant de
gens que j'en ai jamais veu ensemble H. » Le résultat fut aussi
consolant que le pouvait désirer son cœur d'apôtre. Lui, inlassable
1. Cité par Dorigny, Vie du P. Auger, p. 256, 257.
2. Lettre au P. Général (Gall. Epist., t. VIII, p. 349).
3. Lettre du 28 mars 1574 (Gall. Epist., t. VIII, fol. 33).
542 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
jusque-là, n'hésitait pas à avouer une fatigue extraordinaire,
causée par les nombreuses confessions qu'il avait entendues1.
L'année suivante, 1575, à Toulouse, pendant la célébration du
jubilé, il contribua puissamment à ériger des confréries placées
sous le patronage de saint Jérôme. Les membres de ces associa-
tions faisaient profession publique de piété, s'adonnaient aux
œuvres de miséricorde, entreprenaient des pèlerinages, visitaient
les malades, célébraient avec éclat les fêtes de l'Eglise, assistaient
aux processions en signe de pénitence2. Il y avait des pénitents
de toute couleur, blancs, bleus, noirs, gris. Le P. Annibal du
Coudret raconte qu'à son arrivée à Toulouse, après le départ du
P. Auger, il trouva « une compagnie de Pénitents vestus de
bleue presque tous escoliers de loix de divers pais, assemblez
soubs le nom de S. Hiérosme. Ils ont commencé, dit-il, l'an du
jubilé dernier, ont continué jusques à maintenant avec bonne
édification, leur faisant les nostres quelques exhortations selon la
commodité qui se présente. Le P. Émond leur avoit promis de
faire autorizer par nostie Sainct Père les règles ou statuts qu'ils
ont accordés entre eulx. [Je supplie donc] Vostre Paternité de
seconder leurs bons désirs par vostre faveur envers Sa Saincteté,
soit poiir les faire recepvoir au nombre de ceux de Saint Hiérosme
de Rome, — gardant toutes fois la couleur bleue, — soit pour
confirmer les statuts qui vont avec la présente et obtenir les indul-
gences qu'ils demandent ». Et, pour appuyer sa requête, le Père
ajoutait : « Ce sont gens la plupart de bonne maison; l'on espère
que grand fruict en réussira, et mesmesla Compagnie en pourroit
tirer plus que les décimes de bons subjectz3. » L'unique but que
se proposait le P. Auger, en fondant ces confréries de toutes sortes,
était de conserver et de faire lever la semence qu'il avait jetée
par son apostolat; il voulait qu'après lui, la foi, ranimée à sa
parole, survécût et grandît par l'action et le bon exemple.
7. Le P. Antoine Possevin ne se livrait pas avec moins
d'ardeur que le P. Auger aux travaux du ministère sacerdotal.
Dans le séjour qu'il fit, en 1565, à Bayonne, où il était venu plaider
auprès du roi la cause du collège de Clermont, le cardinal de
Bourbon, qui accompagnait la cour, le pria de profiter de son
1. Letlre du 10 avril ([bicl., fol. 34).
2. Sur ces confréries de Saint-Jérôme, voir Salvan, Hisl. ge'n. de l'Église de Tou-
louse, t. IV, p. 161.
3. Lettre du 10 oct. 1577 (Gall. Epist., t. XI, fol. 204 1.
TRAVAUX APOSTOLIQUES DU P. POSSEVIN. 543
prochain voyage à Paris pour évangéliser Ja ville de Rouen,
dont il était archevêque, et y préparer les voies ;ï l'introduction
des Jésuites. Possevin accepta et répondit tout à fait à l'attente du
cardinal. Il prêcha régulièrement le mercredi et le vendredi de
chaque semaine, et deux fois le dimanche, réservant les autres
jours pour l'explication du catéchisme au peuple. Il distribua dans
les écoles un grand nombre des petits traités des PP. Auger et
Canisius, et apprit aux maîlres et aux curés la manière dont ils
devaient enseigner la doctrine chrétienne '.
De retour au collège d'Avignon dont il avait été nommé Recteur,
Antoine Possevin trouva bientôt l'occasion d'exercer ses talents
et son zèle contre les hérétiques. Quatre ministres de Calvin,
parmi lesquels le fameux Viret et probablement aussi Spifame,
ci-devant évêque de Nevers2, s'étaient concertés pour écrire
contre lui, croyant en venir plus facilement à bout par leurs
efforts communs. Mais le jésuite, sans s'émouvoir du nombre des
adversaires, publia aussitôt une vive réplique : Risposta a Pietro
Vireto.... et altri heretici3, qui répandue dans tout Genève ferma
bien vite la bouche aux prédicants. 11 en fit distribuer un grand
nombre d'exemplaires en Piémont, et il eut la joie d'apprendre
qu'ils y avaient opéré plusieurs conversions4.
Au commencement de 1568, le P. Possevin fut appelé à. Marseille
pour les exercices d'une mission; il y fut si goûté des habitants
qu'ils le gardèrent comme prédicateur du carême. Il ne se borna
pas à instruire son nombreux auditoire de la cathédrale. A cer-
tains jours, il faisait une exhortation familière aux jeunes écoliers;
le vendredi il se rendait à la maison des orphelins et enseignait
aux petits enfants les éléments du catéchisme. Il étendit les efforts
de son ministère jusqu'aux pauvres prisonniers auxquels il pro-
curait des livres de doctrine et de piété. La pensée lui vint alors
d'assurer les fruits de la parole de Dieu, en obtenant des prêtres
qu'ils tinssent tous une conduite uniforme à l'égard de leurs
pénitents. Comme l'évêque était absent, il s'ouvrit de ses projets
au grand vicaire, aux principaux prédicateurs et confesseurs de la
ville, qui les approuvèrent et promirent de coopérer à leur exé-
cution. Grâce à cette entente, l'action de chacun fut beaucoup
plus efficace; des changements notables se firent dans les mœurs;
1. Annal, decas la, 1. II, c. x, p. loi, 102.
2. Le P. Possevin se contente de dire : « Intendo esser stato Spifame ».
3. Annal, decas la, 1. II, c. xn, p. 104, 105.
4. Lettre du P. Possevin au P. Saillio, 20 avril 1608, dans Vita del /'. A. Posse-
vino, t. Il, p. 61, 02.
544 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
les profits injustement acquis par des contrats usuraires furent
restitués; les dimanches, jusque-là consacrés à toutes sortes de
plaisirs, furent sanctifiés, et de pieuses processions remplacèrent
les danses, les banquets et autres divertissements qui tournaient
souvent en scandales l.
Dieu se plut à répandre d'abondantes bénédictions sur toutes
les œuvres entreprises par son serviteur; mais nulle part celui-ci
ne recueillit autant de consolations que dans l'apostolat des con-
damnés aux galères, si nombreux dans le port de Marseille. Il y
en avait trois mille, tellement abandonnés qu'on ne leur admi-
nistrait aucun sacrement et qu'ils ne pouvaient assister, même
les jours de précepte, à la célébration des saints mystères. Le
cœur compatissant du missionnaire, précurseur de saint Vincent
de Paul, s'émut de pitié à la vue de ce délaissement; il comprit
les désordres qui eu étaient la suite et le péril que courait la foi
des catholiques confondus avec les calvinistes. N'écoutant que
son amour des âmes, il alla trouver le cardinal Strozzi, arche-
vêque d'Aix, qui était alors à Marseille, le gouverneur de la pro-
vince, le baron de la Garde2, général des Galères, et les officiers
préposés à la marine3. Si pressante fut la manière dont il leur
représenta les besoins spirituels de ces infortunés que tous en
furent attendris, et résolurent d'aviser avec lui au moyen de les
soulager. Dans une assemblée tenue tout exprès, on décida sur sa
proposition que les capitaines défendraient aux forçats héré-
tiques, sous les peines les plus sévères, de parler religion avec
leurs compagnons; — qu'ils seraient désormais « tenus d'avoir
de deux en deux galaires un prestre de bonne vie » pour célébrer
la messe chaque dimanche et les jours de fête, instruire, con-
fesser et administrer les sacrements aux mourants; — qu'ils lais-
seraient aux Jésuites toute liberté pour visiter et évangéliser les
galériens comme bonheur semblerait '*.
Le P. Possevin, se livrant aussitôt à ce bienfaisant ministère,
déploya tous les elï'orts de son industrie à gagner les dévoyés et à
raffermir les croyants. Il invita quelques prêtres de la ville à se
joindre à Jui et à son compagnon pour les confessions; lui seul
1. Annal, decas 1", 1. II, c. xiv, p. 109, 110.
2. Antoine Escalin des Aymars, baron de la Garde, surnommé le Capitaine Polin,
fut général des Galères de 154* à 1578. Cf. De Ruffi, Histoire de Marseille, 1696,
t. II, p. 352.
3. Annal, decas 1', 1. III, c. xv. p. 111, 112.
4. « Compte rendu de l'assemblée des capitaines des Galères réunis par M. de la
Garde, général des Galères, au logis du cardinal Strozzi, le P. Possevin présent »
(Gall. Epist., t. II, f. 269).
TRAVAUX APOSTOLIQUES DU P. POSSEV1N. 54S
en entendit près de deux cent cinquante sur la Capitane. Le jour
de la communion venu, on éleva, au bord de La mer, un autel
où l'on célébra le Saint Sacrifice. Ce fut un nouveau el touchant
spectacle1 <le voir toute cette troupe de galériens s'avancer
deux à deux, au bruit de leurs chaînes, <|ui les tenaient attachés
l'un à l'autre, s'approcher avec recueillement de la table sainte
et y recevoir le corps adorable de Jésus-Christ. L'apôtre des ga-
lériens ne négligeait point non plus leurs intérêts temporels. Il
avait appris de leurs confidences qu'un certain nombre d'entre
eux, par suite de la vente de plusieurs galères royales ;i des par-
ticuliers, avaient été maintenus dans les l'ers au delà du terme
de leur peine. Il fit valoir leurs droits, et grâce à ses démar-
ches cent soixante furent délivrés2. Le dévouement de l'hum-
ble religieux accrut encore l'estime et la vénération qu'on avait
pour lui. Les habitants de Marseille songèrent de nouveau à
établir dans leur ville une maison de la Compagnie, mais, mal-
gré les instances du cardinal Strozzi qui s'unit à leur demande,
le Père Cénéral ne put exaucer leurs vœux1.
8. L'année suivante, 1569, le P. Possevin se rendit à Rouen
où la station de Pavent lui était réservée. Selon la coutume d'a-
lors, il prêcha tous les jours, et dans certaines circonstances
deux ou trois fois, à la grande satisfaction du Parlement, du
clergé et des tidèles. Le cardinal de Bourbon, désirant que d'au-
tres localités du diocèse profitassent du séjour du Père en Nor-
mandie, Tenvoya à Dieppe avec son grand vicaire. Cette ville,
assez considérable en ce temps-là par son commerce qui y
attirait bon nombre d'étrangers, avait beaucoup souffert des ra-
vages de l'hérésie à cause du voisinage de l'Angleterre '. Le
P. Manare a raconté dans son Commentaire en quel triste état
les protestants l'avaient mise : toutes les églises étaient détruites
sauf une seule, dans laquelle on avait brisé les autels, les cru-
cifix et les statues des Saints'. Dès le lendemain de son arrivée,
le 1er janvier 1570, fête de la Circoncision, le P. Possevin monta
en chaire et continua pendant quelque temps ses instructions
au peuple : « En cinq jours qu'il a exprimé et presché la pure
et sainte parolle de Dieu, écrivait eusuite le gouverneur, d'envi-
1. Ibidem. — 2. Ibidem.
.'î. Lettre du P. Général aux consuls do Marseille, 16 juillet 1568 (Gall., Epist. Gène
ralium, t. IV).
4. Annal, deeas 1\ 1. III, c. vn, p. 134, 13").
5. Manare, De rébus S. J. Commenhnius. p. lus,
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 3.">
HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
roii six mille personnes huguenols qu'avons encores en ce lieu,
il s'en est inopinément et comme miraculeusement converti, et
jà revenus en la religion catholique, environ de deux mil-cinq
cens '. »
Le Père se préparait à partir pour aller en Provence prêcher
le carême à Aix, où l'attendait le cardinal Strozzi, quand le
gouverneur de Dieppe, accompagné des principaux habitants,
vint le supplier de ne pas les abandonner, et d'achever, à la
gloire de Dieu, le bien que sa parole avait commencé de pro-
duire dans les Ames. En vain le missionnaire objecte les ordres
de ses supérieurs et la longueur du voyage, qui ne lui permettra
pas de tenir à temps ses promesses. Le gouverneur réplique
qu'on a écrit au P. Provincial, au cardinal de Bourbon, même
au roi, et qu'on ne le laissera point partir avant d'avoir recula
réponse de Sa Majesté -. Bientôt, en effet, un ordre de Charles IX
prescrivit au Père de rester à Dieppe, jusqu'à ce qu'on lui eût
envoyé un successeur'. Il continua donc à prêcher tous les
jours, joignant aux instructions religieuses pour les fidèles des
discours de controverse pour les protestants. Il ne s'arrêta qu'à
l'arrivée du P. Olivier Manare, qui vint le remplacer'1 et parfaite
son œuvre. Manare, un des Jésuites les plus remarquables de
France à cette époque par ses dons naturels et ses vertus, par-
vint à ramener au sein de l'Église, avant de quitter Dieppe,
quatre mille hérétiques. Il y laissa une confrérie du Saint-Sacre-
ment, dont un grand nombre d'habitants voulurent faire partie
à l'exemple du gouverneur. En quelques mois, les deux prédica-
teurs avaient transformé la ville '.
Le P. Manare ne recueillit pas moins de fruits durant le carême
qu'il prêcha l'année suivante à Verdun. Là, il se fit aider par de
pieux enfants qui remplirent, avec l'empressement de leur âge,
leur rôle de petits missionnaires : on leur partagea les quartiers
de la ville qu'ils parcouraient cherchant à empêcher, par leurs
prières ou leurs remontrances, les disputes et les blasphèmes.
Leur ingénieuse simplicité leur suggéra de touchantes industries
1. Lettre deM. de Sigongne au P. Manare, 6 janvier 1570 (Gall. Epist., t. V, fol. 217 .
Voir A]> peu (lice, r. — 2. Ibidem.
3. Lettre du duc d'Alençon au P. Possevin, lui annonçant celle décision du roi
son frère 'Gall. Epist., I. V. f. 73, original, 19 janvier 1570).
i. Annal, decas 1", 1. III, c. vu, p. 136.
5. Manare, op. cit., p. 108. Le P. Manare dit dans une lettre au P. Général que
celte confrérie comptait 700 membres et parmi eux le gouverneur, sa femme et ses
filles « con tulti li prirni délia terra ». On s'engageait à ronimunier une fois par
mois (Gall. Epist., t. V, f. 98).
TRAVAUX APOSTOLIQUES DU P. POSSEVIN. 54'
pour ramener au bercail les brebis égarées. On les vit parfois
escortés de cinquante ou soixante individus de tout âge, ouvriers
ou soldats, qu'ils conduisaient comme en triomphe aux pieds du
prêtre '.
!>. Revenu à Rouen, le I*. Possevin se livra aux exercices du
carême, sans plus ménager ses forces et son zèle qu'il l'avait fait
pendant l'a vent. On comptait toujours « plusieurs milliers d'au-
diteurs à ses sermons;... des prêtres y assistaient et prenaient des
notes- ». Deux jours par semaine, le soir, il réunissait les enfants,
dans une paroisse ou dans une autre, pour l'enseignement de la
doctrine chrétienne; sa soirée du vendredi était consacrée à l'ins-
truction des prisonniers11. Il répandit alors avec tant de succès le
catéchisme de Canisius qu'il lui fallut, « pendant ce seul carême,
en faire venir de Paris six nouvelles éditions1 ». Des vendeurs les
colportaient à travers la ville en criant : « Voici le catéchisme
enseigné par le P. Prédicateur. » On s'empressait d'acheter ce
petit livre, on l'apportait à l'église, on l'apprenait avec bonheur,
et Possevin cite un aveugle qui le récitait couramment5.
Le carême terminé, il continua jusqu'à la Pentecôte ses prédi-
cations et ses bonnes œuvres. Il organisa, pour le soulagement
des pauvres, une association de dames charitables sur le modèle
de celle que le P. Auger avait établie à Lyon. Il s'attacha aussi à
développer la dévotion à la Sainte Eucharistie : sur son initiative
le Saint Sacrement fut exposé tour à tour clans les différentes
églises, avec une solennité inaccoutumée, que relevait encore
l'éloquence toujours très goûtée de sa parole apostolique".
Ce long- séjour du P. Possevin à Rouen lui permit de s'occu-
per d'un projet, cher ait cardinal archevêque, et dont il avait
déjà été question en 1565 : l'établissement d'un collège qui se-
rait dirigé par la Compagnie de Jésus'.
A la suite de contestations entre les maîtres, les bourgeois et les
autorités de la ville, les anciennes écoles de la cathédrale, de
Saint-Claude, de Saint-Ouen et des Bons-Enfants étaient tombées
en décadence vers le milieu du xvie siècle; l'instruction faisait
partout défaut, et l'on avait absolument besoin d'un collée e.
I Papiers et mss. de Saechini. Roma, Bibl. Viltor. Einman., mss. Gesuitici, 1581
(3713).
2. Annal, dec. 1% 1. III, c. vm, p. 137.
3. Lui-même nous dit qu'il y en avait alors GOO dans les prisons de la ville.
4. Ibidem. — 5. Ibidem.
6. Annal, decas r, liv. III, c. ix, p. 143. — 7. Ibidem.
548 BISTOIRE DE I.A COMPAGNIE DE JÉSUS.
Les magistrats jetèrent alors les yeux sur une maison appelée
l'hôpital du roi1, et Charles IX par lettres patentes, du mois do
février 1566, la leur donna, à condition d'y installer un collège
dont le principal et les régents seraient institués par l'archevê-
que, Lorsque la ville entreprit d'entrer en possession de la mai-
son, l'hospitalité y était encore exercée par huit chapelains, quatre
clercs et deux servantes. Les chapelains firent opposition, et ils
avaient sans doute de puissants amis, car ils restèrent longtemps
tranquilles possesseurs de ïhôtpial du roi.
Les choses en étaient lA, quand le I*. Possevin par ses talents
d'homme apostolique sut gagner à la Compagnie de Jésus l'estime
et la sympathie des habitants. Le cardinal de Bourbon, à ce
moment près du roi sous les murs de Saint-Jean-d'Angély, se hâta
de profiter de ces bonnes dispositions. Il fit rédiger un acte par
lequel il donnait aux Pères de la Compagnie de Jésus deux mille
livres tournois à prendre sur la terre et seigneurie de Graville
près du Havre'2. En même temps, il pria messieurs du Parlement.
ses grands vicaires, les échevins et les Ordres mendiants de consen-
tir à cet établissement. Le roi lui-même, à sa prière, écrivit aussi
en faveur de l'entreprise aux conseillers et échevins de Rouen; il
leur ordonnait de s'assembler en l'hôtel de ville, de prendre des
conclusions favorables et de choisir un emplacement commode.
Malgré ce puissant appui, le projet rencontra de sérieux obstacles
du côté d'où l'on devait les attendre le moins. Les chanoines pré-
tendirent que l'archevêque empiétait sur leurs droits, parce que
depuis un temps immémorial ils avaient, de fondation, le privi-
lège d'entretenir les grandes écoles. Trop faibles pour s'opposer
par eux-mêmes à la volonté du cardinal de Bourbon, ils eurent
L'adresse d'intéresser à leur cause les quatre Ordres mendiants
en possession du monopole de l'instruction publique. Le Parle-
ment, à son tour, se laissa gagner. Les chanoines écrivirent alors
au cardinal en le remerciant de ce qu'il avait l'intention de faire
dans l'intérêt de la jeunesse du diocèse; mais, quant à la conces-
sion dont le P. Possevin demandait l'homologation à la cour, ils
prièrent le prélat de surseoir en lui annonçant des remontrances
de la part du Parlement, qui regardait cette alfaire comme très
grave et avait résolu de s'abstenir, tant qu'il n'aurait pas l'avis
du clergé. Le cardinal feignit de ne pas voir d'où le coup étail
1. Fondé en 1278 par Guillaume de Saône, trésorier de l'église cathédrale, pour y
recueillir des pèlerins pauvres; il fui d'abord nommé Yhôpiliil du trésorier.
2. Lettres du P. Possevin au P. Général, o et 7 novembre 1569 (Acta a Possevino).
TRAVAUX APOSTOLIQUES DU P. POSSEVIN. 549
parti; il adressa à son chapitre une lettre où il le pressait « '!<•
favoriser cette œuvre de Dieu », comme La chose « qu'il désirai!
le plus au inonde », et se disait « résolu » d'employer à la luire
réussir (oui son « crédit auprès du roi1 »,; enfin, il envoya son
homme d'affaires à l! sn poursuivre l'entreprise avec toute la
diligence possible : « .le veux, lui écrivait-il, que Sa Sainteté sache
que j'ai autan! de soin du service de Dieu (pie les huguenots en
ont de corrompre mes brebis2. » Différentes causes vinrent à celle
époque paralyser ses efforts; mais il ne renonça pas à sou projet3.
Quant au P. Possevin, ne pouvant attendre la fin des négociations,
il partit pour Lyon où il venait d'être nommé Recteur du collège
de la Trinité.
10. Il s'y retrouvait au milieu d'une population qui avait déjà
su apprécier son zèle et ses talents. On ne se lassait pas de l'en-
tendre. Souvent il prêchait deux fois le jour, en français pour les
citoyens de la ville et en italien pour les marchands de sa nation.
Ces derniers, reconnaissants du bien qu'il faisait à leurs Ames, se
montraient justement jaloux de sa présence parmi eux; ils le
regardaient comme leur apôtre spécial et étaient peu disposés à
se priver de ses instructions. Quand ils apprirent que le maréchal
de Dam ville l'appelait à évangéliser le Languedoc, ils en écrivi-
rent leurs plaintes au Souverain Pontife, l'eu après, le Vicaire
Général de la Compagnie fît savoir au P. Possevin que les Italiens
avaient obtenu un ordre du Pape pour qu'il prêchai à Lyon et
non à Toulouse '.
Toutefois, l'exigence de ses compatriotes ne prenait point
ombrage de quelques courtes absences, ce qui lui permit de
répondre au désir de l'archevêque de Besancon. Claude de la
Baume, élevé plus tard par Grégoire XIII à la dignité de cardinal,
était persuadé que rien ne serait plus favorable à la réforme de
son diocèse que la publication du concile de Trente. Il résolu I de
l'entreprendre, et fit appel au P. l'ossevin, dont il connaissait
le mérite et les vertus, comme à l'homme le plus capable de
l'aider dans son dessein. Puis, atin d'accomplir ce grand acte
I. Lellre du cardinal de Bourbon datée de Caillou, 15 juillet l">70, dans Far in,
llisl. de la ville de Rouen, t. VI, p. 29i, 295. — •>. Ihid.
3. Le cardinal de Bourbon ne cessa jusqu'à sa mort de prendre des mesures effec-
tives pour l'établissement d'un collège de Jésuites à Rouen, mais il ne vit point la
réalisation de ses désirs : le collège n'ouvrit qu'en 1G04 après le banuissemenl el le
rétablissement de la Compagnie par Henri IV.
4. Lettre du P. Vicaire général, 8 octobre 1571 (Gall., Epist. General., (. V).
550 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
avec toute l'autorité possible, il assembla un concile particulier
qui s'ouvrit le 2i octobre 1571. Les évêques et les abbés de la
province, presque tous les docteurs de l'Université de Dole et
treize cents ecclésiastiques y assistèrent; on y compta même plus
d'une centaine de gentilshommes que l'archevêque avait invités
pour honorer de leur présence cette solennelle cérémonie1.
Ce fut devant une si auguste assemblée que le P. Possevin dut
prendre la parole conformément aux instructions de l'illustre
prélat. Pendant les sept jours que durèrent les sessions de ce
synode, il parla régulièrement matin et soir. Le matin, dans une
conférence où le peuple était admis et venait en grand nombre,
il expliquait les décrets du concile de Trente concernant la doc-
trine; le soir, il exposait au clergé ce qui regarde la réformation
des mœurs2. Beaucoup de personnes, dans toutes les classes de
la population, profitèrent de son séjour pour l'entretenir et le
consulter; plusieurs ecclésiastiques, plusieurs gentilshommes
voulurent lui faire leur confession générale. Après avoir édifié
toute la ville par l'étendue de son savoir et l'humilité de sa vertu,
il retourna à Lyon auprès de ses fidèles Italiens''1.
Dans une vie si bien remplie par l'administration d'un collègp
et l'évangélisation des âmes, le P. Antoine Possevin trouvait
encore le moyen de composer des ouvrages de doctrine et de
piété dont plusieurs ont été insérés dans sa Bibliothèque choisie1*.
Il fit aussi paraître, vers cette époque, sous le pseudonyme de
Philippus Tosa, une Épitre à MM. de Genève sur les Actes des
Apôtres"'. Enfin, il entretenait un commerce de lettres assidu
avec les plus importants personnages du royaume.
1. Papiers et mss. de Sacchini. Roma; Bibl. Vitt. Emman., inss. Gesuitici, n. 1.S84
(3713).
2. Annalium decas 1', 1. IV, c. i, p. 147, 148.
3. Lettre du P. Possevin au P. Nadal, 26 février 15 72 (Acla a Possevino).
\. Bililiotheca sclecta qua agitur de ralione studiorum in hisloria, in discipli-
nas, in sttlule omnium procuranda. Cf. Sommervogel, Biblioth. de la Compagnie
de Jésus, t. VI, p. 1076, n. 24.
5. Epislola ad Genevoises de Actis apostoloram. Le P. Maldonal la traduisit eu
espagnol. — La liste des écrits du P. Possevin est considérable. Cf. SommeiTOgel,
/. c.
CHAPITRE X
TRAVAUX APOSTOLIQUES ET GOUVERNEMENT DU P. MALDONAT.
(1569-1573).
Sommaire : 1. Principaux missionnaires de la Compagnie de Jésus en 1569 et
1570. — *2. Mission du Poitou (1570). Etat déplorable de cette province dévasté?
par l'hérésie. — 3. Travaux des PP. Maldonat, Sager et Lohier à Poitiers. —
1. Travaux des PP. Pigenat, Bellefille et Le Clerc à Niort, Chàtellerault, Saint-
Maixent, etc.. — 5. Projet de fondation d'un collège à Poitiers. — 6. Maldonal
travaille à la conversion de, la duchesse de Bouillon. — 7. Ses controverses avec
les ministres à Sedan (1572). — 8. Retour à Paris; conversion de François Bau-
douin; difficultés suscitées à .Maldonat au sujet du testament de M. de Saint
André. — 9. Vocation de François Jannel. — 10. Projet de réforme de l'Uni-
versité (1573).
Sources manuscrites : T. Archives nationales, M, lis.
II. Roma, Archiv. di Stato, Gesuit. eolleg.
III. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a) Gallia, Epist. Generalium. —
b) Galliac Epistolae.
IV. Archiv. de la Province de Lyon.
Sources imprimées : [Les) Actes de la conférence tenue à Paris es moys de juillet et
aoust 1566. — De la Haye, Mémoires et recherches de France et de la Gaule Aquitani-
que. — Heineccius, Opéra ad universam jurisprudentiam... perlinentia. — Manare,
De retins Socielatis Jesu Commentarius. — l'rat, Maldonat et l'Université de Paris.
1. Après la campagne heureuse du duc d'Anjou contre les
protestants rebelles, en 1569, Pie V conseilla au roi de ne pas
déposer les armes1. Mais la cour ne songeait plus qu'à la paix, et
Ton affectait de dire hautement que la voie de la douceur était
plus propre que la guerre à ramener les esprits égarés. On se
mit aussitôt à cette œuvre pacifique et libérale. Les Jésuites y ai-
dèrent beaucoup.
A la sollicitation des cardinaux de Bourbon, de Lorraine, de
Pellevé et de plusieurs autres prélats, des missionnaires de diffé-
rents Ordres se répandirent de tous côtés afin d'instruire les
peuples et de préparer le retour des dévoyés à la communion de
l'Église. La bienveillance et l'estime dont Charles IX honorait la
Compagnie le porta à demander aux supérieurs des sujets capables
de seconder ses desseins; et ceux-ci envoyèrent dans plusieurs
1. Lettre du Pape à Charles IX, 29 janvier 1570 (Annales ceci., a. 15"0. p. 101).
HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉS1 s.
villes et bourgades leurs ouvriers évangéliques les plus aptes,
par leurs qualités, à ce genre de prédication. Le l\ Auger, Pro-
vincial d'Aquitaine, prêcha le carême à Toulouse; le P. Louis du
Coudret, Recteur d'Avignon, se rendit à Aix en Provence; sou
frère le I'. Annibal, Recteur de Toulouse, fut envoyé à Auch; le
I». Guérand évangélisa Issoirc, et le P. Pierre Christin Nice et le
bourg du Saint-Esprit près d'Avignon. Le P. Manare, Provincial
de France, envoya le P. Olivier du Hamel en Aquitaine, les
PP. Henri Samer et Jean Jordan à la Rochelle, à Saint-Jean-
d'Angély et au Brouagc, et le P. Jean Letellier à Bouen, pour
servir de compagnon au P. Possevin; il se réserva le carême de
Dieppe, pendant que le P. Maldonat avec plusieurs autres Jé-
suites du collège de Clermont gagnait le Poitou particulièrement
infesté d'hérésie1. Cette dernière mission, restée célèbre, mérite
que nous signalions les principaux travaux des Pères et les heu-
reux fruits de leur apostolat.
2. S'il faut <m croire une respectable tradition, Calvin, obligé
de quitter Paris, se serait arrêté à Poitiers en se réfugiant à An-
goulème, et aurait le premier semé dans le pays les germes de
l'erreur. 11 « enjôla et coiffa », selon l'expression naïve d'un histo-
rien •', plusieurs personnages influents, et tint ses conciliabules
dans des grottes situées sur le bord du Clain et dont l'une porte
encore son nom'. Quoi qu'il en soit, le protestantisme favorisé
par de puissants seigneurs s'établit de bonne heure dans la con-
trée. En 1559, les Jacobins de Poitiers virent leur couvent dévasté
parce qu'ils avaient prêché contre les nouvelles doctrines. Après
la conjuration d'Amboise, la ville tombée au pouvoir des hugue-
nots fut livrée au pillage; reprise par les armées royales, elle
retomba en 1 502 entre les mains des rebelles qui y commirent les
plus horribles cruautés. Elle rentra sous l'autorité du roi après
la paix de 1503, mais les huguenots continuèrent de se répandre
dans tout le pays, et le Poitou avec la Saintonge devint un des
principaux foyers de la rébellion. Le culte catholique y fut inter-
rompu, l'instruction religieuse négligée, la pratique des sacre-
ments abandonnée, et par suite on vit bientôt dominer l'ignorance
des vérités essentielles, l'indifférence religieuse et le dérèglement
des mœurs. Charles IX jugea prudemment qu'en vain essaic-
1. Manare, De rébus ,soc. Jesu, p. 107.
2. Guérinière, Hisl. générale du Poitou, I. II. [t. '.>ô7.
3. cf. Dom Chamard, Saint-Martin el son monastère de Lig'ugé, p. 262,
MISSIOIS DU POITOI .
rait-il de réduire ce peuple parla force des armes, s'il ne s'efforçait
auparavant de le tirer de l'erreur, La seule cause de la révolte.
Sur ses ordres le cardinal de Pellevé, archevêque de Sens, alors
chef du conseil, s'adressa au P. Manare pour obtenir des hommes
tels que les demandait cette difficile entreprise. Tous les Pères
du collège de Clermont auraient volontiers répondu à l'appel <lu
roi; mais les fonctions de l'enseignement réclamaient la présence
du plus grand nombre. Cinq Pères français furent désignés par
le choix du l\ Provincial : Nicolas Le Clerc, Nicolas Bellefille,
Odon Pigenat, Pierre Lohier, Charles Sager, auxquels s'adjoignit
le Père Maldonat que le P. Mariana suppléait dans la chaire de
théologie.
3. Arrivés ensemble à Poitiers, le 23 février, iN ne tardèrent
pas à se séparer : le P. Pigenat se rendit à Niort, le P. Bellefille
à ClnUellerault, le P. Le Clerc à Saint-Maixent ; le P. Maldon.it
resta au chef lieu de la province avec les PP. Lohier et Sager '.
Ces deux derniers entreprirent aussitôt de donner, le matin, au
milieu d'un immense concours, des sermons au peuple, et le soir,
des instructions familières en forme de catéchisme 2. Après un ou
deux jours, le P. Maldonat ouvrit à son tour, dans les Grandes
Écoles, un cours de conférences en latin sur la vraie religion et
ses principes fondamentaux; puis, clans le collège de Puygareau,
des leçons de catéchisme pour les écoliers dont plusieurs étaient
protestants. « Les hérétiques, raconte-t-il lui-même, ne pouvant
empêcher une œuvre approuvée et en quelque sorte commandée
par le lieutenant général, s'efforcèrent du moins «le la contrarier.
D'abord, ils subornèrent je ne sais quels intercesseurs pour m'en-
gager à ne faire des instructions que les jours de fêtes. Je m'étais
proposé de ne les faire que tous les trois jours; mais, quand je
vis que ces hommes voulaient profiter des intervalles pour dé-
tourner les élèves des réunions, je répondis que j'étais décidé à
les faire tous les jours et précisément à l'heure où tous les élèves
sont obligés de se trouver au collège !. » Il fut fait ainsi, et le
Père eut pour auditeurs non seulement les écoliers, mais encore
les hommes les plus graves et les plus savants de la ville. « Il en
est, dit-il, qui au commencement fuyaient même mes conférences.
et qui maintenant se rendent exactement à mes catéchismes,
1. Lettre de Maldonat au P. Général, 29 mars 1570 (Gall. Epist., t. V, fol. 97).
2. Ibidem.
3. Lettres de Maldonat aux Pères du collège de Clermont, l" avril 1570, dans l'ial,
Maldonat (pièces justificatives, n. xi).
554 HISTOIRE DE LÀ COMPAGNIE DE JÉSUS.
siègent parmi les enfants et tiennent, comme eux, leur petit livre
à la main '. »
Malrlonat avait choisi les Grandes Écoles pour lieu de ses con-
férences, afin de ne pas en fermer l'accès à quelques hérétiques
opiniâtres, qui avaient juré de ne jamais mettre le pied dans un
sanctuaire catholique. Peu de temps avant la solennité de Pâques,
il annonça à ses auditeurs qu'il voulait, pendant quelques jours,
réunir les seuls catholiques dans une église, pour leur faire de
simples exhortations dégagées de toute controverse. Or il arriva
que ceux qui s'étaient engagés par serment à ne jamais entrer à
l'église furent des plus empressés à s'y transporter, tant ils trou-
vaient de plaisir à entendre ce nouveau prédicateur.
D'ailleurs, dans son ensemble, la mission de Poitiers donna
des résultats que personne n'aurait osé attendre. Tout le monde
convenait que, depuis dix ans, on n'avait pas vu une si grande
affluence autour des chaires ou des autels. « Beaucoup de calvi-
nistes, écrit le P. Maldonat, viennent à nous et nous avouent qu'ils
avaient été trompés. Je n'en sais pas encore le nombre, mais
j'apprends que [le lieutenant général] M. de la Haye a ordonné
de faire le recensement de ceux qui sont rentrés dans le sein de
l'Église, et quand il sera terminé, je vous en ferai connaître le ré-
sultat. Nous pouvons assurer, en attendant, que de ces convertis
il y en a plusieurs qui jouissaient parmi leur coreligionnaires
d'une grande autorité et d'une égale réputation de doctrine, et
dont l'exemple retenait la plupart des autres dans la secte Les
plus endurcis, quoiqu'ils n'aient pas encore renoncé à leurs
erreurs, ont cependant bien rabattu de leur obstination et de leur
arrogance; ils promènent partout un air triste et suivent nos ins-
tructions avec beaucoup d'anxiété Quant aux catholiques, ils
paraissent si contents de voir l'état de la religion s'améliorer,
qu'il m'est impossible d'exprimer leur bonheur. Ils ont conçu
pour nous, et ils nous témoignent, une estime au-dessus de nos
mérites Honneur et gloire à Dieu seul qui opère tout en tous! »
Le lieutenant général, M. Jean de la Haye, qui gouvernait en
l'absence du comte de Lude, favorisait de tout son pouvoir les tra-
vaux apostoliques des missionnaires. Il voulut même leur mar-
quer sa confiance en soumettant à leur approbation ses projets
de réforme; mais les Pères comprirent qu'ils ne pouvaient s'asso-
cier à des mesures administratives, sans compromettre la dignité
1. Lettres de Maldonat aux Pères du collège de Clermont, rr avril 1570, dans Prat,
Maldonat ^pièces justificatives, n. xi).
MISSION DU POITOU
et la liberté de leur ministère, tout spirituel. La prudence et l'o-
béissance leur faisaient une loi de décliner un honneur, qui m
s'accordait ni avec leur caractère ni avec la règle de leur Ordre :
Nous lui répondîmes, dit le I*. Maldonat, que selon la coutume
de la Compagnie, nous ne pouvions donner d'avis sur les affaires
relatives au gouvernement 1. » Les réformes de M. de la Haye
n'en furent pas moins sages et prudentes. Il enleva des colb_
plusieurs régents imbus des erreurs nouvelles, et les remplaça
par des catholiques sincères. Il interdit l'enseignement aux maî-
tres d'école calvinistes répandus dans la ville. Deux professeurs
de la Faculté de droit, des conseillers et d'autres fonctionnaires,
partisans de la secte, furent aussi destitués. On visita les maga-
sins des libraires et on livra aux flammes les livres hérétiques
qui s'y trouvaient 2. Toutes ces mesures, dictées par l'amour de
la religion et du bien public, reçurent l'approbation non seule-
ment des catholiques, mais aussi d'un bon nombre de protes-
tants, qui, retenus jusque-là par la crainte du respect humain,
s'autorisèrent de la volonté du roi pour revenir à la foi de leurs
pères.
k. A Châtellerault, à Saint-Maixent, et dans les autres villes
évangélisées par les missionnaires de la Compagnie, les résultats
ne furent pas moins éclatants qu'à Poitiers. A Niort, qui avait
été pendant dix ans le quartier général des ministres protestants,
et où leur esprit régnait encore, on eut à vaincre de sérieux
obstacles, car ils entretenaient par leur correspondance le fa-
natisme de leurs adhérents. Grâce au zèle énergique et persé-
vérant du P. Pigenat, la religion reprit son empire dans cette
ville récemment soumise aux armes du roi : « Dans tous les
lieux où mes compagnons ont travaillé au salut des âmes, écri-
vait le P. Maldonat au. cardinal de Lorraine, le peuple a tant
souffert de la guerre et des huguenots, qu'il parait tout heu-
reux qu'on le force à se convertir3. » Et il exprimait le désir
qu'on distribuât dans toute la contrée de dignes prédicateurs,
avec mission de dispenser la parole de Dieu et de transmettre
la volonté du roi. — « Le bien que vous faites à Poitiers, lui
répondit le cardinal, les espérances plus grandes encore que
votre présence donne à cette ville et à toute la province, l'heu-
1. Lettre du 10 mai 1570 (Pral, op. cit., pièces justificatives, p. 590).
2. Ibidem.
3. Lettre du 18 avril 1570 (Prat, op. cit., pièces justificatives, p. 58fi).
156 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE .JÉSUS.
reuse distribution de vos compagnons dans les endroits où vous
avez jugé que leur ministère serait le plus utile, le zèle avec
lequel ils remplissent toutes leurs fonctions et surtout L'assu-
rance que tout n'est pas désespéré dans un pays où vous trou-
ve/, encore tant d'hommes sages et si bons catholiques, m'ont
causé une joie que j'essaierais vainement de vous exprimer. Je
suis tout à fait de votre avis, et j'approuve le moyen que vous
proposez; s'il était employé, la religion catholique ne tarderait
pas à unir tous les habitants et à recouvrer son pouvoir1. »
Pendant plusieurs mois, les Pères missionnaires parcoururent
la province du Poitou, prêchant tantôt dans un endroit et tantôt
dans un autre, et l'on vit en peu de temps les mœurs réformées,
les autels relevés, les temples réparés, les saints mystères hono-
rés et fréquentés comme ils l'étaient autrefois.
5. Témoins de oe consolant spectacle et voulant perpétuer le
bien qui s'était fait, dans la province comme à Poitiers, les ha-
bitants de cette ville songèrent à y établir un collège de la Com-
pagnie. Ils firent au P. Maldonat les offres les plus avantageuses
en le priant de les communiquer au P. Général. Tout d'abord,
Maldonat ne prêta pas beaucoup d'attention à leur demande:
il savait que, vu le petit nombre des sujets en France, elle ne
serait pas accueillie par ses supérieurs. Puis les Poitevins redou-
blant leurs instances, il leur fit connaître par écrit à quelles
conditions la Compagnie recevait des collèges, et combien il lui
était difficile d'en ouvrir de nouveaux, au moment où elle en
avait tant d'autres à soutenir. Ils persévérèrent néanmoins et le
Père dut écrire à 15 orne : « Les habitants, dit-il, désirent un col-
lège où seraient toutes les classes, même celle de théologie, et
ils ont offert de nous donner la Faculté des arts et celle de théo-
logie, que nous enseignerions, et dans lesquelles nous pourrions
conférer les grades, comme nous le faisons à Home et dans
quelques collèges d'Allemagne ; or, ces deux Facultés jouissent à
Poitiers des mêmes privilèges que celles de Paris. Quoique je
n'eusse ni accepté ni refusé, le clergé et les magistrats se réuni-
rent en conseil pour délibérer sur la fondation. Les ecclésiasti-
ques proposèrent un revenu de deux mille francs à prélever sur
les biens des cinq églises collégiales de la ville. Pour m'assurer
de la légitimité de cette rente, je leur dis que la Compagnie
n'accepterait pas les biens de l'Église; mais ils me répondirent
1. Lettre du cardinal de Lorraine à Maldonat, 3 mai 1570 (llnd., p. 587).
MISSION Di P0IT01 . ■::;:
que cette rente recevail sa destination naturelle [puisqu'elle
tiendrait lieu de la prébende préceptoriale prescripte] par les
ordonnances d'Orléans. De leur côté les magistrats offrirent le
pins beau des cinq collèges que possède la ville, mille francs de
rente et les premiers Irais d'installation1... » Le I'. Maldonat
exposait ensuite brièvement les raisons qui, à son sens, militaient
en leur faveur, et il montrait le bel avenir de ce collège devenant
le rempart du catholicisme dans un pays où le protestantisme
avait laissé des germes vivaces de sa domination2. En même
temps il écrivit au cardinal de Lorraine, protecteur delà Compa-
gnie, afin de lui signaler les démarches commencées3; mais, fai-
sant abstraction de son propre jugement, il ne se prononça ni
pour ni contre : « Je vous prie, lui disait-il, de n'avoir égard
ni au patronage que vous daignez nous accorder, ni à la demande
que nous nous permettons de vous faire, mais de ne considérer
que l'intérêt de Dieu et du royaume, vers lequel doivent tendre
tous les elforts des gens de bien... Quelque détermination que
vous preniez, nous la regarderons comme un insigne bienfait de
votre part'1. »
Le cardinal de Lorraine, heureux de l'initiative prise par les
habitants de Poitiers, s'empressa de seconder leur dessein auprès
de Charles IX, car il considérait l'établissement d'un collège de
Jésuites comme le moyen le plus efficace de régénérer toute la
contrée. Aussi, dès le 3 mai, annonçait-il avec joie au P. Maldo-
nat que le roi s'était montré très satisfait de la proposition, y
avait souscrit sans réserve et se disait résolu « de ne rien épar-
gner pour faire de ce collège le plus considérable et le mieux
pourvu de tous ceux que [la Compagnie avait] en France ».
Déjà même, Sa Majesté avait envoyé à M. de la Haye « l'ordre de
rassembler tous les habitants dont le concours serait nécessaire,
de leur recommander de s'occuper promptement de ce projet,
et de prendre tous les moyens d'en assurer l'exécution » ; fallût-
il pour cela « appliquer au nouvel établissement les bâtiments
et les revenus des autres collèges de la ville ' ».
Toute cette bonne volonté et toutes ces avances allaient cepen-
1. Lettre au P. Général, 29 mars 1570 (Prat, op. cil., p. 577).
2. Lettre du P. Général au P. Maldonat,, s mai 1570; au 1'. Manare, 24 juillet 1570
Gall., Epist. General., t. V).
'{. Déjà les magistrats de Poitiers avaient porté l'affaire devant la Cour,
i. Lettre au cardinal de Lorraine, 18 avril 1570 u?rat, op. ci!., pièces justificative
n xi, p. 586).
5. Lettre du cardinal de Lorraine, 3 mai 1570 (/6ù/., p. 587).
558 HISTOIRE L>E LA COMPAGNIE DE JESUS.
dant échouer devant un obstacle insurmontable : l'impossibilité
où se trouvait la Compagnie de Jésus, encore peu nombreuse
en France, de suffire à toutes les demandes qui lui étaient adres-
sées. Elle avait déjà refusé celles des ducs de Montpensier, de
Guise, de Nevers, et des cardinaux de Bourbon et de Lorraine.
L'offre des habitants de Poitiers ne fut donc pas acceptée, cl.
par le fait des circonstances, la fondation de leur collège fui
retardée jusqu'au commencement du siècle suivant1.
6. Après ces quelques mois d'apostolat dans le Poitou, Maldonat
avait repris son cours de théologie au collège de Clermont; il
l'interrompit de nouveau, en 1372, afin d'accomplir une mission
de confiance dont l'avait chargé le duc de Montpensier2. Ce
prince, très catholique, avait eu la douleur de voir sa fille,
mariée au duc de Bouillon, embrasser le protestantisme comme
son mari, et depuis lors il n'avait rien négligé pour la reconqué-
rir à l'Eglise. En 1566, il avait engagé les docteurs Simon Vigor
et Claude de Sainctes à conférer sur la religion avec deux minis-
tres réformés, en présence du duc et de la duchesse, espérant
les amener par la force de la vérité à se convertir. Contrairement
à son attente, cette fameuse conférence ne servit qu'à rendre sa
fille et son gendre plus obstinés dans leurs erreurs3. Il arriva
néanmoins qu'un des prédicants qui y avait pris part, Hugues
Sureau, surnommé du Bosier % renia le protestantisme, en 1572,
mais plutôt par crainte que par conviction, comme le démontra
dans la suite son apostasie. Quand elle connut sa conversion, la
duchesse de Bouillon, qui était à Sedan, exprima le désir de le
voir et d'apprendre de lui pourquoi il avait renoncé au calvi-
nisme. Le duc de Montpensier, toujours préoccupé du salut de
sa fille, espéra qu'elle serait ébranlée par l'exemple d'un homme
qui avait contribué à l'affermir dans l'hérésie; il invita donc du
Bosier à se rendre auprès d'elle ; mais, comme il se méfiait de la
constance de l'ex-ministre, il voulut que celui-ci fût accompagné
1. Lettre du P. Mercurian au P. Général, 19 août 1570; du P. Manare au mémo,
20 septembre 1570 (Gall. Episl., t. V. loi. 20, 35).
2. I;ils de Louis de Bourbon, prince de la Roche-sur-Yon, et de Louise de Bourbon,
sœur du connétable, il était né le 20 juin 1513.
3. Voir Les actes de la conférence tenue à Paris es moys de juillet cl nuits/
Î566. Cf. de thou., Hist. Univ, t. V, p. 185.
4. Né à Rosoy, en Picardie. Hugues . Sureau prenait de là le surnom de Rosarivs
qu'on traduisit par Rosier ou du Rosier. Accusé d'avoir publié un livre, où l'on prê-
chait la révolte a main armée contre les princes qui s'opposeraient au protestantisme,
il fut enfermé dans les prisons d'Orléans, puis mis en liberté à la sollicitation de
Coligny.
MALDONAT ET LA DUCHESSE DE BOUILLON. 559
du P. Maldonat, à qui il confia le soin et la direction de cette
délicate affaire. Tous deux partirent vers la lin de l'année l.">7-2 '.
« Autant du Rosier entreprenait volontiers un voyage qui Le
rapprochait de l'Allemagne, autant il était mécontent de le faire
avec » le célèbre jésuite; aussi lui représenta-t-il. mais en vain,
toutes sortes de raisons pour lui persuader d'y renoncer. Le
jésuite de son côté conçut tout de suite à l'égard de son compa-
gnon de graves soupçons, que les faits devaient malheureuse-
ment justifier : « Tout, dit-il, m'était suspect dans cet homme;
il s'exprimait avec ambiguïté sur la religion, avec vanité sur
tout le reste; il avait une contenance embarrassée, l'air rêveur,
triste et taciturne, les traits un peu altérés, la démarche d'un
furieux ou de quelqu'un qui est environné de terreurs; en un
mot, je ne voyais rien en lui de rassurant, rien qui n'accusât un
esprit chagrin ou une conscience criminelle. Néanmoins je pen-
sais qu'il fallait attribuer ces signes sinistres à ces combats qui
s'élèvent dans l'âme d'un nouveau converti, à la lutte de ses
nouvelles croyances contre ses anciennes habitudes de ministre
calviniste-, et aux efforts qu'il faisait pour ne pas les laisser
paraître. »
Le duc de Montpensier avait recommandé aux deux voyageurs
de s'arrêter à Mézières, où la duchesse de Bouillon viendrait les
rejoindre3. « Dans cette ville constamment attachée à la vraie
religion, loin de la présence des ministres qui depuis leurs der-
niers désastres s'étaient retirés en grand nombre à Sedan, la
princesse ne devait entendre que les docteurs de la vérité au
lieu de ces docteurs du mensonge dont elle était entourée depuis
si longtemps. » Mais le duc de Bouillon prétexta l'absence du
gouverneur de Mézières et voulut que la rencontre se fit à Che-
mery, où se trouvait « le magnifique château du seigneur de
Coucy, chevalier de l'Ordre de Saint-Michel, aussi distingué par
son attachement à la religion que par sa noblesse ». Du Rosier
1. Tous les détails qui vont suivre sont tirés de la longue lettre par laquelle Mal-
donat rendit compte au duc de Montpensier de l'insuccès île sa mission. Elle a été
traduite du latin et publiée par Prat, Maldonat..., p. 295-;!25.
2. Du Rosier était diacre quand il embrassa la réforme, et depuis lors il avait eu
femme et enfants. La crainte de se séparer de sa femme fut, au dire de Maldonat.
une des raisons qui l'empêchèrent de rester attaché au catbolicisme.
3. Sur la demande du cardinal de Bourbon, le P. Maldonat passa par Coude o pour
y voir la princesse, veuve du feu prince de Condé. el l'instruire dans la religion ca-
tholique ». Celle-ci, « d'un jugement solide et pénétrant », écouta le Père » avide
ment » et elle « reconnut en les déplorant les erreurs où elle avait été nourrie dès son
enfance » (Lettre de Maldonat au duc de Montpensier). Quelque temps après, la prin-
cesse de Condé se convertit au catholicisme où elle persévéra jusqu'à sa mort.
:;go histoire DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
et son compagnon s'y rendirent aussitôt; la duchesse arriva à
son tour. « Elle nous fit l'accueil le plus bienveillant, raconte
Maldonat, et nous remercia d'avoir entrepris pour elle un voyage
si long et si pénible. Ensuite se tournant vers du Rosier, elle
lui reprocha avec douceur d'avoir abandonné sa religion et lui
dit qu'il devait d'abord réfuter ce qu'il avait enseigné, soit de
vive voix, soit par écrit. Loin de répondre avec cette résolution
et cette générosité que j'aurais souhaitées, du Rosier s'exprima
d'une manière timide, embarrassée, ambiguë, plutôt pour ex-
cuser sa conversion que pour condamner ses anciennes erreurs.
Il ne donna pas le moindre signe de repenlir, pas la moindre
marque d'un cœur bien disposé; il n'eut qu'un ton affecté, une
parole trompeuse. » Quand il eut fini de parler, la duchesse de
Bouillon « déploya une feuille de papier où étaient écrits les
points de religion qu'on a coutume, dans le diocèse de Reims,
de présenter à la croyance de ceux qui veulent embrasser la foi
catholique » ; puis elle invita le P. Maldonat à démontrer la
vérité de ces articles et à parler d'abord sur les images. Le Père
«discuta donc sur ce point, mais en tâchant d'être fort court et
de proportionner son langage à la portée d'une femme ». Et.
comme elle avoua qu'elle n'avait rien à répondre à ses argu-
ments, il la pria de confier sa cause à l'un des assistants, parmi
lesquels il supposait la présence de quelques mimstres : « Non,
dit la duchesse, il n'y a ici personne d'assez instruit. — Alors,
reprit Maldonat. que M. du Rosier réponde pour vous. » Mais du
Rosier lui-même « en était réduit au point de ne savoir que dire
pour la défense de cette cause ». Alors on invita le jésuite à par-
ler sur l'Eucharistie. Il s'y prêta volontiers et parla d'abord de
la présence réelle, avec la concision qu'il s'était imposée, tout
en s'etl'orçant, « par des questions ménagées à propos, d'amener
insensiblement la duchesse à disputer avec lui ». Mais elle n'osa
pas s'engager, s'excusant sur sa qualité de femme et sur son
ignorance : « Eh! quoi, madame, lui dit Maldonat. quand vous
avez quitté notre religion n'étiez-vous pas femme? Étiez-vous plus
savante? Pourquoi donc, après vous être laissé entraîner hors de
l'ancienne religion par les arguments des ministres, n'y rentrez-
vous pas aujourd'hui que vous vous voyez vaincue par des rai-
sonnements contraires?... Il serait juste cependant que, de même
qu'alors vous vîtes des ministres sans l'assistance d'un docteur
catholique et vous crûtes à leur parole parce que vous ne pou-
viez pas leur répondre, de même aujourd'hui que vous enten-
MALDONAT ET LA DUCHESSE DE BOUILLON. 561
dez des docteurs catholiques, sans L'assistance d'un ministre,
vous vous rendissiez à leurs raisons, puisque vous ne pouvez pas
non plus leur répondre. Mais je n'exige pas autant; afin (pie vous
n'ayez aucun reproche à vous faire, veuillez charger un minis-
tre de répondre à votre place. — Il n'y a point de ministre ici,
me dit-elle. — Eh bien! répliquai-je, faites-en venir quelques-
uns, ou permettez-moi de me transporter là où ils son). » Elle
agréa cette proposition et aussitôt elle chargea un des assistants
d'aller promptement chercher deux ministres à Sedan. Cette
résolution donna autant de joie à Maldonat qu'elle causa de
déplaisir à du Rosier qui lui exprima ses appréhensions :
« N'ayez pas peur, dit le Père, je crains si peu la présence (1rs
ministres que j'espère les amener à notre sentiment avec la
duchesse de Bouillon. — A la vérité, reprit du Rosier, s'ils avaient
assisté aujourd'hui à la dispute sur les images, je ne doute
pas qu'ils n'eussent été réduits au silence. »
7. Le lendemain, le messager envoyé à Sedan revint sans les
ministres. Tout le monde s'en étonna. Du Rosier seul s'en ré-
jouit. Il alla en cachette s'entretenir avec la duchesse pendant
que le P. Maldonat disait sa messe, et celui-ci, en déjeunant, fut
fort surpris de remarquer des préparatifs de départ. C'était pour
la duchesse qui retournait à Sedan : « M. de Bouillon, dit-elle
à Maldonat, me mande qu'il ne veut pas que les ministres vien-
nent ici conlre ledit du roi, ce qui m'oblige à partir; mais je
vous avoue que j'emporte de vos entretiens un grand plaisir et
une grande utilité. Puisque nous ne pouvons pas terminer en ce
lieu, vous m obligeriez si vous répondiez à cet écrit. » En même
temps, elle lui présenta une lettre des ministres à Hugues du
Rosier. Maldonat s'excusa de ne pouvoir entreprendre mainte-
nant une réfutation écrite aussi longue, et il exprima à Mmo de
Bouillon le désir de l'accompagner à Sedan ; autrement, il ne
croirait pas avoir accompli toutes les intentions du duc de Mont-
pensier. La duchesse s'y refusa : son mari, disait-elle, ne voulait
pas que le Père eût la moindre discussion avec les ministres. Mal-
donat n'insista point; mais, au lieu de quitter Chemery, il écrivit
au duc de Bouillon, lui exposa son regret de cette brusque inter-
ruption des entretiens à peine entamés avec la duchesse, et lui
demanda la permission d'aller les poursuivre à Sedan. Le duc
l'y autorisa sans difficulté et à son arrivée lui fit très bon accueil.
Maldonat avait laissé du Rosier à Chemery; outre qu'il le re-
OOMPACNIK DE JÉSUS. — T. I. 36
562 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
gardait comme inutile, il ne voulait pas l'exposer aux insultes
et aux embûches des ministres de Sedan, autrefois ses collègues
et ses amis. Ce fut donc seul qu'il dut soutenir les assauts des
plus doctes prédicants, convoqués pour la circonstance. Il avait
été entendu que les conférences auraient lieu, chaque soir, chez
la duchesse.
« Dès le lendemain de mon arrivée, raconte Maldonat, elle me
fit venir, après midi. Elle me fit asseoir auprès d'elle \ vis-à-vis
de nous prirent place cinq messieurs, plus graves que les autres,
qu'à leur air on pouvait prendre pour des savants de profession ;
le reste de l'assistance siégea sans ordre dans la salle. Je soup-
çonnais bien qu'il y avait quelques ministres dans l'assemblée...
et je pensais qu'ils recueilleraient tout ce que je dirais, pour le
réfuter ensuite, en particulier, en présence de la duchesse. Sur
son ordre, je commençai la question de l'Eucharistie et montrai
les raisons que les catholiques ont de croire que le corps de
Jésus-Christ est dans le Saint Sacrement, raisons auxquelles il
fallait qu'elle répondit ou qu'elle se rendit. Alors elle lit signe
à ceux qui étaient vis-à-vis de nous1 de répondre à mes argu-
ments. Celui qui siégeait le premier à droite2 prit alors la pa-
role. Son discours, long et soigné, se réduisait à dire qu'il ne
fallait pas discuter en premier lieu si le corps de Jésus-Christ est
réellement dans l'Eucharistie, comme j'avais dit, mais si la
messe est un sacrifice. Je crus voir dans cette proposition que
l'intention de ces messieurs était de combattre la messe par leurs
armes ordinaires, c'est-à.-dire par des injures et des outrages,...
et avertis mon interlocuteur de ne pas détourner la dispute de
son cours naturel, de ne pas perdre le temps en chicanes, d'avoir
moins égard à lui-même qu'à la duchesse pour qui cette confé-
rence avait lieu. J'ajoutai que la raison, la coutume générale et
mon droit voulaient que nous commençassions par discuter si le
corps de Jésus-Christ est dans l'Eucharistie; que l'on ne saurait
comprendre que l'Eucharistie est un sacrifice, si l'on ne sait d'a-
bord si Jésus-Christ est dans l'Eucharistie, et qu'aucun auteur,
soit catholique, soit calviniste, n'a traité du sacrifice de la messe
avant d'avoir traité du corps de Jésus-Christ...
« Mon adversaire -tergiversait, sans apporter aucune raison en
faveur de son avis, et consumait tout le temps en paroles inutiles.
Pendant plus d'une heure je l'exhortai, je le priai, je l'agaçai
1. Les uns étaient minisires, d'autres jurisconsultes, tous calvinistes.
2. C'était Cappel, de Paris, « d'une naissance distinguée », dit Maldonat.
MÀLDONAT ET \A DUCHESSE DE BOUILLON.
nièinc pour ic forcera la dispute, mais ce l'ut toujours sans ré-
sultat. Voyant que le temps se passait et <|ue nous ne faisions
rien, j'aimai mieux me désister de mou droit que de priver plus
longtemps la duchesse de Bouillon, à cause de la perversité et de
l'entêtement d'un autre, du fruit si désiré de cette conférence.
C'est pourquoi, m'adressant à elle-même : « Vous voyez, Madame,
lui dis-je, que les ministres cherchent des taux-fuyants pour é\ i-
ter la discussion; mais, afin de vous montrer que les difficultés
ne viennent pas de moi, et que je n'ai rien de plus cher que
votre avantage, veuillez bien faire en sorte que ces messieurs
commencent eux-mêmes la dispute comme il leur plaira. Deux
ministres1 répondirent alors qu'ils entendaient que la dispute
commençât par la question du sacrifice de la messe, et me de-
mandèrent si je croyais que la messe fût un vrai sacrifice par le-
quel les péchés des vivants et des morts sont expiés. — Oui, leur
dis-je. — Eh bien! reprirent-ils, formulez votre opinion en syl-
logisme. — Je fus assez surpris que des hommes qui font si peu
de cas de la dialectique et de la scolastique, voulussent se poser
en Chrysippes devant une réunion de daines : Ce n'est pas ici le
lieu de faire une pareille demande, leur dis-je; mais, puisque
vous le voulez, voici mon syllogisme : Tout ce qui ayant le pou-
voir de remettre les péchés est offert à Dieu par un vrai prêtre,
est un véritable sacrifice propitiatoire; or le corps du Christ, qui
a le pouvoir de remettre les péchés, est offert à Dieu dans la
messe par un vrai prêtre; donc la messe est un véritable sacrifice
propitiatoire2.
« Les ministres répètent le syllogisme; ils le mesurent, le tour-
nent et le retournent pour l'attaquer du côté qui leur paraîtra le
plus faible. Mais ils sentent de prime abord qu'il faut commencer
la dispute par la question du corps de Jésus-Christ, ce qu'ils
avaient nié auparavant; et ils y sont forcément amenés par le
syllogisme même qu'ils avaient demandé. J'eus beau leur faire
des instances et leur reprocher leurs hésitations, ils ne voulurent
jamais entrer dans cette dispute. Leurs batteries n'étaient pas
encore prêtes. Enfin, après avoir longtemps pesé chaque mot de
mon syllogisme, ils dirent que dans ma définition du sacrifice il
i. Parmi les ministres qui argumentèrent avec lui, Maldonat ne nomme avec. Cap-
pel que de Loques, ministre particulier de la duchesse.
2. Quidquid per verum sacerdotem Deo oflferlur quod vim habeat remittendi pec-
cata, verum sacrilicium propitiatorium est; corpus Chris ti, quod vim habet remittendi
peccata, in missa per verum sacerdotem Deo offert ur; verum igitur est sacrilicium
propitiatorium.
564 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
manquait une chose essentielle, à savoir que la victime y est tuée.
— Cela, leur -répondis-je, n'est point nécessaire; car c'est dans
Faction d'offrir et non dans l'action de tuer, que consistent la
vertu et la nature du sacrifice. J'ai donné la définition propre du
sacrifice propitiatoire dont il s'agit ici; c'est à vous maintenant à
la réfuter si vous la trouvez défectueuse. — Ils eurent l'air de se
repentir d'avoir affiché tant d'estime pour la dialectique; car ja-
mais ils ne purent prouver qu'il fallait définir le sacrifice par la
mort de la victime; ils crurent néanmoins avoir trouvé un argu-
ment très fort en disant que chez les Hébreux, le mot zabahh,
d'où vient celui de zèbahli (sacrifice), signifie la même chose que
8 6e tv en grec, occidere en latin, et tuer en français. Ils ajoutaient
que nous, catholiques, quand nous "parlons de la messe, abusant
du mot de sacrifice et d'immolation, nous induisons le vulgaire
ignorant à croire que Jésus-Christ est tué dans la messe.
— « Avez-vous vu, leur dis-je, dans l'Église catholique, un en-
fant, avez-vous vu une vieille femme qui eût cette opinion? Que si
quelques-uns l'avaient, il faudrait les détromper et non les pous-
ser dans l'hérésie.
« Cependant la fin du jour approchait; car ce que je raconte
ici en peu de mots et sommairement, fut longuement et vivement
débattu. J'adressai donc la parole à la duchesse de Bouillon et
lui dis : — Vous voyez, au point où en est la dispute, que si je
prouve que zabahh en hébreu, 0ùeiM en grec, et sacrificare en
latin, ne signifient pas toujours dans les divines Écritures la mort
de la victime, il ne vous restera plus aucun motif pour ne pas
croire avec nous que la messe, si le corps de Jésus-Christ s'y
trouve réellement, est un vrai sacrifice. Je promets de vous le dé-
montrer demain. »
Les conférences continuèrent, très longues, plusieurs jours de
suite. Maldonat apporta un exemplaire de l'Ancien Testament en
hébreu, et un exemplaire du Nouveau en grec; il montra aux mi-
nistres un grand nombre de passages où les mots zabahh et
ôtisiv signifient non tuer, mais offrir; il leur fit remarquer que
sacrifeare n'était autre chose que rem sacram facere. Par consé-
quent, concluait-il, quand nous appelons l'Eucharistie un vrai
sacrifice, nous n'induisons pas le peuple en erreur, « nous lui
parlons en hébreu comme David, en grec comme saint Paul et
saint Jean Chrysostome, en latin comme saint Augustin et tant
d'autres ».
Mais que pouvait l'évidence sur des contradicteurs de mauvaise
MALDONAT LT LA DUCHESSE DE BOUILLON. 563
foi? Ils se dérobaient, faisaient mille détours, se perdaient en
phrases, refusaient la dispute sur ie point précis de la question,
et, au lieu de défendre leur opinion sur la présence réelle, se fa-
tiguaient à attaquer et à blâmer les cérémonies de la sainte
messe. Maldonat, toujours calme et patient, devait parfois les
aider à mettre sur pied les syllogismes dont ces pauvres dialec-
ticiens pensaient l'embarrasser; il les laissait s'enferrer, les sui-
vait dans le dédale de leur phraséologie, les écoutait sans les
interrompre; il n'en avait que plus de force pour les accabler
ensuite d'une réplique qui mettait à jour leurs contradictions et
leur présomptueuse ignorance. Tel était leur désarroi, que l'on
songea une fois à brusquer la fin de ces vaines discussions sans
laisser à Maldonat le temps de dire le dernier mot; mais on s'a-
perçut que ce serait faire « subir aux ministres la honte de la dé-
faite », et l'on préféra renoncer à cet expédient. Les conférences
traînèrent encore quelques jours; puis Maldonat, jugeant que la
duchesse elle-même n'était pas de bonne foi, regarda sa mission
comme terminée : « Madame, lui dit-il, je n'ai rien voulu épar-
gner pour remplir mon devoir, accomplir dans toute leur étendue
les ordres de Mgr le duc de Montpensier, votre père, et satisfaire à
ma conscience. Je n'ai pas réussi comme je l'aurais désiré; mais
j'ose me rendre ce témoignage que j'ai misa votre service tout ce
que je puis avoir de forces, de science et d'habileté. Je retournerai
vers Monsieur votre père, quand vous le voudrez, et je me pré-
senterai devant lui sans honte comme sans remords. Je prie Dieu,
qui seul peut donner la foi et la sagesse, de répandre dans votre
esprit la véritable religion... Pour vous, Madame, vous devez lui
demander la même grâce avec persévérance. La foi est un don
de Dieu qui échappe aux investigations de la raison humaine, et
ne s'accorde qu'aune prière ardente et continuelle l. »
Le Père Maldonat, désolé de l'obstination vaniteuse de la du-
chesse, eut du moins la joie de « rappeler dans Sedan l'évangile
de Jésus-Christ qui en était depuis si longtemps exilé2 ». Ayant
obtenu la permission de prêcher dans l'église de la ville, il vit
réunie au pied de sa chaire une foule de calvinistes dont un
grand nombre, et entre autres deux de leurs ministres, se rendi-
rent à la conviction de sa parole et aux sollicitations de la grâce
divine3. De Sedan il se rendit à Metz, où l'avait appelé le nou-
veau gouverneur, Albert de Gondi, comte de Retz, maréchal de
1. Lettre de Maldonat au duc de Montpensier. — 1. Ibidem.
3. Cf. Sothwel, Bibl. script. S. J., j>. 474.
566 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
France !. Pendant trois semaines, il y tit, tous les jours, devant le
palais, des conférences sur la religion, auxquelles les dissidents
étaient tenus d'assister. Il exposa spécialement la doctrine de l'É-
glise sur le purgatoire et le sacrifice de la messe. Là encore ses
instructions, lucides et savantes, produisirent de nombreuses
conversions.
8. De retour à Paris, il fit connaissance avec le savant juris-
consulte François Baudouin, esprit indécis en matière de reli-
gion, mais qui cherchait sincèrement la vérité. Dans les fréquents
entretiens qu'ils eurent ensemble, le docte théologien dissipa
tous les doutes de cet érudit simple et loyal; il lui fit adopter
tous les dogmes de la religion catholique et embrasser avec
amour la pratique de ses moindres observances. Baudouin ex-
pira, le 11 novembre 1573, en déclarant qu'il mourait dans le
sein de l'Église catholique'2.
L'estime universelle dont jouissait le nom de Maldonat ne
pouvait qu'envenimer la jalousie de ses adversaires. Us essayè-
rent, par la calomnie, de lui faire expier une réputation qui lui
donnait tant d'influence sur tous les gens de bien. Avant son
départ pour Sedan, le Père avait été mandé auprès du président
de Saint- André, ami et protecteur des Jésuites. Ce magistrat,
se sentant près de mourir, lui avait dit qu'en témoignage d'af-
fection, il voulait léguer au collège de Clermont une somme de
douze mille livres, à la condition qu'elle serait employée à bâtir
l'église. Maldonat, qui connaissait les besoins pressants de la
maison, pria cet homme généreux de vouloir bien, comme vé-
ritable marque d'intérêt pour la Compagnie, lui laisser à elle-
même le libre usage de ce don. Ainsi fut-il convenu, et, peu
après, le testament de M. de Saint-André confirmait, en les ex-
primant d'une façon très précise, ses dernières volontés3. Mais
quelques-uns des intéressés se montrèrent peu disposés à les
respecter. Ils invectivèrent contre le P. Maldonat, et le mena-
cèrent d'un procès pour l'innocent conseil qu'il avait donné au
président. L'affaire fut, en effet, portée devant les tribunaux, ot
1. Lettre de Maldonat au duc de Montpensier.
2. C'est donc à tort que MM. Haag ont donné une place à Baudoin dans leur
France protestante. Cf. Heineccius, Opéra ad universam jurispnidentiam
t. III, p. 260 et suiv.
3- Testament de M. de Saint -André (Roina, Archiv, di Stato. Gesuit. colleg..
mazzo 114). M. de Saint-André, le 29 déc. 1573, avait déjà donné au collège de
Clermont 500 livres de rente (Archiv. nat., M, 148 .
GOI VERSEMENT DE MALDONAT. : ; • . t
pendant trois jours, trois dos plus célèbres avocats de Paris
se déchaînèrent avec fureur contre les Jésuites, ces abominables
usurpateurs du bien d'autrui. N'étaient-ils pas presque lou-
étrangers et par conséquent inhabiles à accepter les legs pieux
des fidèles? On leur reprochait d'abuser de la faiblesse des ma-
lades pour se faire donner place dans leurs testaments, et, quoi-
qu'ils fussent si pauvres qu'ils avaient bien de la peine à sub-
sister, on prétendait néanmoins qu'ils envoyaient de l'argent
hors du royaume, et que, dans cette vue, ils demandaient qu'on
leur laissât la liberté de disposer à leur fantaisie des legs qu'on
leur faisait en mourant. Tant d'injustes accusations ne pouvaient
que discréditer la cause des demandeurs. Les juges reconnurent
l'innocence du P. Maldonat, et maintinrent le collège de Cler-
mont en possession du legs de M. de Saint-André '.
9. A la même époque, d'autres difficultés surgirent, qui ne
donnèrent pas moins de soucis à Maldonat. Le gouvernement
de la Province de France lui avait été confié, quand le Père
Edmond Hay se rendit à Rome pour la troisième congrégation
générale (1573). Cette charge, qu'il exerça avec sagesse et fer-
meté, l'ut pour lui l'occasion de grandes tribulations, dans deux
circonstances surtout où il eut à soutenir les intérêts du collège
de Clermont et la vocation d'un jeune candidat à la Compagnie
de Jésus. La seconde de ces circonstances est la plus connue :
c'est l'histoire de François Jannel, qui, travestie à plaisir, de-
vint le thème des plus injurieuses déclamations.
Né à Auxonne, en Bourgogne, d'un père protestant et d'une
mère catholique -, ce jeune homme était parvenu à l'âge de
vingt-deux ans avec une pureté de mœurs qui faisait l'admiration
de tous. Les dangers du monde effrayaient sa vertu ; la perfec-
tion religieuse l'attirait. Il se présenta au P. Maldonat et le pria
de le recevoir dans la Compagnie de Jésus. Le prudent supérieur
voulut d'abord s'assurer, par de sérieuses informations, que la
vocation de François était solide et sincère : il connut ainsi les
obstacles qu'elle pourrait rencontrer de la part de la famille.
Cependant les parents, avertis de la détermination de leur lils.
lui permirent de passer un mois au collège de Clermont ; ils
espéraient que cette première épreuve suffirait à ébranler sa
1. Sacchini, Hist. Snc, P. III, 1. VIII, n. 236, 237.
2. Lettre de Maldonat au P. Général, 16 juin 1573 (Gall. Epist., t. VII. f. 14, 15
Cette longue lettre de quatre pages contient tout le récit de cette affaire.
5G8 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
résolution. François, au contraire, goûta dans cette vie régulière
tant de bonheur qu'il ne pouvait plus se résoudre à la quitter.
Le P. Maldonat ne jugea pas d'abord à propos de le recevoir
définitivement au noviciat sans le consentement de son père et
de sa mère1, mais le postulant fit de telles instances pour ne
pas rentrer chez eux qu'il finit par le garder. Deux jours après,
son précepteur vint le réclamer de la part des parents. Les
Pères lui envoyèrent le jeune homme qui refusa de partir, et
« se plaignit en ternies énergiques qu'on osât s'opposer ainsi
à sa vocation ». A la nouvelle de ce refus, sa mère accourut à son
lour. Elle fit valoir toutes les raisons que lui dictait la ruse ou
sa tendresse, lui dit que loin de s'opposer à la volonté divine
elle voulait lui donner l'occasion de la connaître plus sûrement,
Je supplia de venir au moins voir son père que le chagrin et la
maladie avaient empêché de voyager; ensuite « on le laisserait
agir à son gré, même contre la volonté paternelle ». Rien ne
pouvait le persuader. Il fallut les conseils du P. Maldonat pour
qu'il consentit à passer la soirée avec sa mère et à l'accompa-
gner à son hôtel; mais bientôt, flairant un piège et devinant les
préparatifs qu'on faisait pour l'enlever, il s'échappa au milieu
de la nuit et courut se réfugier au collège. Le lendemain matin,
le P. Maldonat voulant épuiser toutes les concessions possibles
le renvoya à sa mère, après l'avoir fortifié par la sainte com-
munion. François, qui craignait de nouvelles embûches, se cacha
dans la ville, changeant fréquemment de retraite, et, au lieu
d'aller retrouver sa mère, il lui écrivit une lettre dune respec-
tueuse fermeté où il déclarait sa résolution de ne plus retourner
à Auxonne.
A la lecture de sa lettre, cette femme, qui s'était bornée jus-
qu'alors à supplier, « entra dans une véritable fureur » contre
les Jésuites. Elle porta ses plaintes à plusieurs membres du Par-
lement, leur dénonçant la Compagnie comme coupable de
séduction. Mandés à la barre de la cour, les Pères trouvèrent les
juges prévenus et irrités contre eux. Le premier président leur
ordonna, sans informations préalables, de rendre sur-le-champ
le jeune homme à sa famille. Les Pères y étaient tout disposés
puisqu'ils l'avaient déjà fait « par trois fois » ; mais en ce mo-
ment ils ignoraient le lieu de sa retraite. On les accusa de
séquestration, et « ce fut pendant 8 jours, dit Maldonat, la plus
1. « Jussimus ut in patriam suam iret, parentes suos viseret, facuHatein ab ois
impetraret instituti nostii suscipiendi » (Ibidem).
GOUVERNEMENT DE MALDONAT. 369
grande tempête que la Compagnie ait encore essuyée en France
Heureusement .lannel apprit, par ceuv qui lui avaient donné
asile, le danger que sa disparition pouvait faire courir au
collège de Clermont. II sort de sa cachette et va trouver le pre-
mier président. Avec une noble hardiesse il avoue qu'il est le
seul coupable. Les Pères, dit-il, « loin de lui faire violence, ne
l'ont reçu qu'à regret et Font même renvoyé ;ï sa mère ».
C'est de son plein gré qu'il a pris la fuite, sans découvrir à per-
sonne le lieu de sa retraite. Il demande entin « à paraître à la
barre du Parlement et à s'y défendre lui-même ».
Admis le lendemain à plaider sa cause, le jeune homme parla
avec tant de chaleur et de conviction qu'il « jeta dans l'étonne-
ment toute l'assemblée » l. Les juges tentèrent plusieurs moyens
pour vaincre sa constance; « ni raisons, ni prières, ni menaces »
ne furent capables d'ébranler sa résolution. Ils décidèrent néan-
moins que François Jannel irait passer quelque temps dans sa
famille; « ensuite il lui serait libre de suivre le parti qu'il
voudrait »2.
Son père, qui était protestant, essaya par des procédés peu
délicats, « non seulement de le détourner de sa vocation, mais
encore de lui arracher la foi » !. L'intrépide jeune homme résista
à toutes les tentations; craignant d'y succomber, il s'enfuit de la
maison paternelle, déjoua cette fois toutes les recherches, se
réfugia dans le monastère des Chartreux à Dijon, et de là
revint, par des chemins détournés, au collège de Clermont à
Paris. Toutefois, comme les tribunaux s'étaient déjà occupés de
cette affaire, le P. Maldonat ne crut pas prudent d'admettre le
postulant au noviciat sans avoir obtenu le consentement formel
du Parlement. Il envoya Jannel au cardinal de Lorraine, en le
recommandant à sa bienveillante protection. Le prélat le retint
quelques jours dans son hôtel, et, après avoir examiné sérieu-
sement sa vocation, le fit présenter au premier président et
au procureur du roi. Ces magistrats, convaincus comme le
cardinal qu'une vocation si éprouvée et si solide venait véri-
tablement de Dieu, décidèrent qu'on rendit le jeune homme au
collège de Clermont'1. François fut dès lors reçu dans la Compa-
gnie où il pratiqua pendant onze ou douze ans, jusqu'à sa mort,
toutes les vertus que présageait sa courageuse persévérance.
1. « Obstupefacti judices », dit Maldonat. — 2. Ibidem.
3. Lettre de Maldonat au P. Général, 8 août 1573 (Gall. Epist., t. VII, f. 29, 30).
4. Ibidem.
570 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
10. Tandis que Maldonat exerçait encore la charge de vice-
provincial, il vit se renouveler contrôle collège delà capitale une
de ces attaques périodiques que les ennemis des nouveaux éduca-
teurs ne manquaient pas de lui livrer à la moindre occasion. Déjà,
au mois de février 1573, le P. Edmond lïay et le P. Manare avaient
déjoué une intrigue ourdie par quelques courtisans qui, malgré
la bienveillance du roi envers la Compagnie, osèrent demander,
en prétextant l'honneur national et la sûreté de l'Etat, qu'on
interdit aux Pères étrangers le droit d'enseigner en France, ou
d'y gouverner, comme supérieurs, les maisons de l'Ordre. Les
deux Pères, prévenus à temps que ce projet avait été soumis au
conseil privé, firent part de leurs craintes au cardinal de Lorraine
et, grâce à cet habile et puissant protecteur, la tempête qui
menaçait d'éclater fut aussitôt dissipée1.
Battus sur ce point, les adversaires, après s'être tenus quelque
temps en silence, songèrent aux moyens de diminuer du moins le
nombre des élèves, trop considérable à leur gré, qui fréquentaient
le collège des Jésuites. Ils profitèrent pour cela d'une commission,
nommée récemment par le roi à l'effet de remédier aux abus des
corps enseignants, et composée des cardinaux de Lorraine et de
Bourbon, des évêques d'Auxerre. de Lavaur, d'Angers, de Paris,
et de quatre conseillers au Parlement. Invitée à se faire représenter
dans cette commission, l'Université choisit Simon Vigor, arche-
vêque élu de Narbonne, pour la Faculté de théologie ; Charpentier,
pour la Faculté de médecine; Pillaguet pour la Faculté de droit:
Gilmer, ancien recteur, pour la Faculté des arts. Ces deux der-
niers, ainsi que les conseillers au Parlement, étaient connus pour
leur animosité contre les Jésuites. Dès les premières délibérations,
se révélèrent leurs sentiments hostiles et la fâcheuse influence
qu'ils exerçaient au sein de la commission -'. Au lieu de la réforme
sérieuse que le gouvernement voulait opérer, leurs propositions
ne visaient, sans les nommer, que le P. Maldonat et le collège de
Clermont. Elles se résumaient, en effet, à ceci : premièrement,
ceux-là seuls pourraient suivre les classes de grammaire et de
belles-lettres dans un collège, qui l'habiteraient ordinairement;
en second lieu, pour pouvoir enseigner dans quelque collège
que ce fût, il faudrait avoir reçu les degrés dans l'Université de
Paris. Or, les externes formaient la grande majorité au collège
i. Lellres du P. Hay au P. Polanco, 7 et 16 février 1573 (Gall. EpisL, t. VII.
n. 3-5). Manare, De rébus S. J., p. 112. 113.
2. Prat, Maldonat, p. 343, 344.
GOI VERNEMENT DE MALDONA.T. 571
de Cleraiont, et le I». Maldonal était docteur de Salamanque. Ces
propositions, dans la pensée de leurs auteurs, devaient renfermer
toute la réforme de l'Université; elles furent rejetées par le9
autres membres de la commission qui, désirant s'attaquer aux
vrais abus, présentèrent des mesures dans ce sens. Un désac-
cord s'ensuivit; les commissaires, sans avoir rien conclu, inter-
rompirent leurs réunions, et la réforme projetée fut remise ;'i
une époque indéterminée. Le collège des Jésuites retrouvait, ainsi
la sécurité pour le choix des maîtres et le nombre des élèves1.
Les assauts contre lui allaient cependant continuer, et tous les
efl'orts des ennemis se concentrer sur le point d'où semblait pro-
venir la plus large part de son succès : renseignement de Mal-
donat.
1. Lettre de Maldonal au P. Général, 19 juillet 1573, Gall. Epist., t. VII, fol. 27 .
CHAPITRE XI
MALDONAT ET [/UNIVERSITÉ DE PARIS.
(1573-1576).
Sommaire : 1. Nouvelles tentatives de l'Université contre le collège de Clermont
(1573). — 2. Maldonat et la question de l'Immaculée Conception (1574). —
o.' Sentence favorable de l'évêque de Paris (17 janvier 1575), et mécontentement
de l'Université. — 1. Maldonat et la question du purgatoire ; sa doctrine déférée
au Parlement. — 5. Essai d'incorporation du collège à l'Université. —
6. Excommunication des principaux docteurs de la Faculté de théologie; leur
lettre apologétique à Grégoire XI IL — 7. Silence et réserve de Maldonat. —
8. Il reprend ses leçons d'Écriture Sainte (1576); ses ministères spirituels. —
9. Sa retraite à Bourges.
Sources manuscrites : I. Roma, Archivio di Stato, Gesuit. colleg., ni. 111.
II. Archives Vaticanes, Nunziat. di Francia, t. VIII, IX, XI.
III. Bibliotli. nationale, mss. latins 6433,3140.
IV. Archives nationales, MM, 149.
V. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a) Francia, Epistolae Genera-
lium. — b) Galliae Epistolae. — c) Seminarium romanum.
Sources imprimées : D'Argentré Collectio judiciorum. — Du Boulay, Hisl. Universit.
Parisiens. — Maldonatus, In Matthaeum j/raefatio. Opéra varia Theologica. — l'rat,
Maldonat et l'Université de Paris.
1. Au mois de février 1573, dans une assemblée générale tenue
auxMathurins, l'Université avait décidé que les écoliers du collège
de Clermont ne seraient admis ni au doctorat ni à la licence1.
Cette détermination, peu libérale, fut sans aucun effet : lorsque
le P. Maldonat, délivré de la charge de vice-provincial, reprit son
cours de théologie z, à la rentrée de Tannée scolaire 1573-1574,
les auditeurs se pressèrent, aussi nombreux et sympathiques
qu'auparavant, à ses leçons et à celles du P. Tyrius, qui occupait
la chaire de Mariana retourné en Espagne. Cette silencieuse mais
éloquente protestation ne fit qu'augmenter l'irritation de l'Uni-
versité, honteuse de voir ses menées inutiles et méprisées.
Le 11 octobre 157V, elle avait choisi pour chef Jean Deniset, du
collège d'Harcourt. Les sentiments religieux du nouveau Recteur
1. Du Boulay, Hisl. Univ. Paris., t. VII, p. 732.
2. Il devait expliquer la quatrième partie de la théologie d'après le plan que nous
avons exposé au chap. ni du liv. III, n. 8.
MALDONAT ET L'UNIVERSITÉ DE PARIS.
étaient fort équivoques; il avait même été condamné pour ;i\<>ir
pris part, à Bordeaux, à la cène des hérétiques1; mais un titre
important l'avait fait élire : il détestait la Compagnie de Jésus.
Son premier acte fut de l'attaquer. Il cita à son tribunal le P. Mal-
donat qui se garda bien de comparaître, trouvant for! étrange
que l'Université prétendît imposer sa juridiction à des personnes
qu'elle ne voulait point admettre dans son sein.
Deniset ne tarda pas à se venger d'un refus qu'il considérait
comme injurieux, en réunissant, le 5 novembre, à Saint-Julien,
la Faculté des arts, sous prétexte de délibérer sur la réforme de
l'Université. L'abus auquel il fallait avant tout remédier, c'était
évidemment l'affluence des élèves au collège de Clermont. La
Faculté aggrava donc les peines déjà édictées contre eux. Elle
déclara, sur la proposition du vindicatif Recteur, « qu'elle les
excluoit de tous les privilèges académiques; que les Principaux,
dans les collèges desquels il n'y avoit pas plein exercice, dévoient
être avertis de ne point envoyer leurs boursiers aux leçons des
jésuites et qu'elle chargeoit les censeurs des nations de tenir la
main à l'exécution de ce règlement ~ ».
Les Facultés supérieures, invitées à s'associer à la Faculté des
arts, refusèrent d'adhérer à sa conclusion, la regardant comme
peu mesurée et contraire à l'arrêt du Parlement, qui avait main-
tenu le collège des Jésuites dans la possession d'enseigner.
2. Afin de gagner à sa cause les vieux docteurs de Sorbonne et
de Navarre, déjà mécontents de la méthode introduite par Mal-
donat dans renseignement de la théologie, Deniset s'ingénia à
trouver quelque opposition entre leur doctrine et celle du collège
de Clermont; il fit chercher dans les cahiers des professeurs un
prétexte d'accusation. Maldonat amené par l'ordre de ses leçons à
traiter du péché originel, avait naturellement parlé de la Con-
ception de la Très Sainte Vierge :!. Après avoir cité les différents
passages des Épitres de saint Paul, où le grand apôtre affirme
que tous les hommes, comme enfants d'Adam, sont pécheurs, il
ajoutait : « Cela n'empêche pas que, par un privilège spécial,
quelqu'un ne puisse être exempt, de la tache originelle; ce que
nous croyons de la Bienheureuse Vierge '. » Ainsi Maldonat, comme
t. Mémoire du P. Mathieu à Grégoire XIII (Prat, Maldouat, pièces justificatives,
n. xn, p. 595).
2. Actes de la Faculté des arts cités par Du Boulay, t. VI. p. 738.
3. Bibl. nat., mss. latins, 6433, f. 31-184.
4. « Quod credimus de B. Virgine » [Opéra varia theol. Edil. Dubois, 1677).
374 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE l>E JESUS.
toute la Compagnie de Jésus, croyait fermement à l'Immaculée
Conception de Marie ; mais l'Eglise ne s' étant pas encore prononcée,
comme elle l'a fait de nos jours par l'organe infaillible du Pape
Pie IX, il ne pensait pas que ce fût un article de foi. Rappelant le
serment que plusieurs Universités, entre autres celle de Paris,
exigeaient de leurs sujets, il se contentait de dire qu'il ne lui
paraissait pas « expédient » 1 de jurer, comme article de foi né-
cessaire, une opinion encore laissée libre par l'Église. Le concile,
ou plutôt le conciliabule de Haie, avait bien prétendu donner sur
ce point une définition dogmatique. Mais, ainsi que le faisait re-
marquer Maldonat, ce concile n'était pas légitime ; sa décision sur
l'Immaculée Conception n'avait pas été approuvée parles Souve-
rains Pontifes, et le concile de Trente avait positivement déclaré
que cette croyance, si pieuse qu'elle fût, n'était point un article
de foi. Cependant, les représentants de la Faculté de théologie
de Paris ayant dominé au concile de Bâle, l'Université tout entière
s'était approprié les décisions, même les plus hétérodoxes, de
celte assemblée schismatique, et les avait introduites dans son
enseignement.
En somme, Maldonat soutenait, non sur la croyance à l'Imma-
culée Conception de la Sainte Vierge, mais sur la définition de la
doctrine, une opinion différente de celle que professaient les
théologiens de l'Université de Paris. Le recteur Denisct, qui avait
besoin du concours des Facultés supérieures pour arriver à ses
fins, n'hésita pas à l'obtenir au prix d'une évidente calomnie.
Dans une assemblée tenue aux Mathurins, le 12 décembre 1574,
il se plaignit de la conduite du professeur jésuite, qui, contre
tout sentiment de prudence et de piété, cherchait à introduire
des nouveautés, foulait aux pieds les décrets de la Faculté de
théologie et ouvrait la porte au schisme. Les vieux docteurs émus
de cette perfide accusation, qui d'ailleurs flattait leur rancune,
l'acceptèrent sans prendre soin de la contrôler. Le lendemain, le
professeur du collège de Clermont fut sommé de comparaître
devant les principaux membres des quatre Facultés, pour leur
rendre compte de sa doctrine. Maldonat ne relevait, en fait de
doctrine, que de l'Ordinaire et du Souverain Pontife; sur l'avis
des Pères les plus graves du collège, il refusa de nouveau de se
1. « Deinde quoi! multae, idque juratae, quamvis non expédiât, Academiae eam
opinionem défendant, Parisiensis et aliae (Ibid.). — « Nos maîtres (les docteurs
de Paris), écrivait Maldonat au P. François de Tories, soutiennent qu'on doit croire
non pas d'une toi libre, mais d'une foi nécessaire, que la S'° Vierge a été conçue sans
péché. »
MALDONAT ET L'UNIVERSITÉ DE PARIS. 575
présenter devant des juges qui n'avaient sur lui aucune juridic-
tion : " Respondit ledit Père qu'il estoit bien marry qu'il uepou-
voit obéyr au commandement du Recteur, d'aultant qu'il estoii
membre de ce collège, lequel par ci-devant avoit souventes fois
supplié les précédants recteurs d'estre reçeu en leur obéyssance,
à quoy ne l'avoicnt voulu recevoir, ains au contraire luy avoient
intenté procès;... que s'ils avoient quelque chose contre luy,
qu'ils s'addressassent par derrière le Rme Évesque ou la court du
Parlement1. »
Cet incident eut pour résultat de réunir dans un même dessein
toutes les Facultés à celle des arts. L'assemblée générale de
l'Université décida, le 14 décembre, que la conclusion prise contre
les Jésuites dans la réunion de Saint-Julien n'était pas contraire
à l'arrêt du Parlement, et qu'on la poursuivrait aux frais com-
muns des quatre Facultés. Maldonat fut déclaré à l'unanimité
téméraire et rebelle, et l'examen de la question théologique ren-
voyé à l'évèque de Paris. Deniset, parvenu à la fin de son Recto-
rat, resta chargé de poursuivre l'attaque contre le collège de
Glermont. Jacques de Cueilly, son successeur, saisit Mgr de Gondi
de l'accusation intentée contre le P. Maldonat2.
3. L'Université comptait que l'évèque de Paris, à l'exemple de
ses prédécesseurs, consulterait la Faculté de théologie, et ne
déciderait rien saus une entente avec elle. Cette espérance fut
déeue. Pierre de Gondi, que son rare mérite fit élever plus tard
au cardinalat, se rendit seul juge de l'affaire et conduisit l'en-
quête avec prudence. Après avoir lu attentivement les cahiers du
théologien incrimine, il l'invita à venir devant lui expliquer sa
doctrine sur la Conception de la Sainte Vierge. Maldonat répéta,
en présence de l'évèque, ce qu'il avait publiquement enseigné;
puis, pour montrer que l'Immaculée Conception n'était pas encore
un article de foi, il rappela le décret du concile de Trente, et la
Constitution de Sixte IV, renouvelée par Pie V, d'après laquelle
il était défendu aux champions de l'une et de l'autre opinion de
se traiter mutuellement d'hérétiques.
Ces raisons paraissaient sans réplique. Toutefois, craignant
qu'on ne l'accusât de partialité, Mgr de Gondi eut recours aux
lumières de douze des membres les plus distingués de la Faculté
1. Lettre du P. Pigenat au P. Général, Ie' janvier 1575 (Gall. E[iist., I. IX, fol. 1-3 .
'2. Regislre des conclusions de la Faculté de théol. i Archiv. nal.,MM, îi'J, loi. 151,
152). Cf. Du Boulay, op. cit., p. 739, 740.
576 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
de théologie'. Les trois plus anciens, Adam Seguart, doyen. Jean
Pelletier, grand maître du collège de Navarre, et Jacques Fabre,
syndic de la Faculté, étaient regardés comme les oracles de leur
école; les neuf autres avaient subi, malgré l'opposition routinière
des vieux docteurs, l'influence de renseignement de Maldonat.
Une longue et vive discussion servit à montrer, une fois de plus,
que la pieuse croyance à l'Immaculée Conception de Marie n'é-
tait nullement en cause. M*"' de Gondi déclara donc, le 17 janvier
L575, la parfaite innocence du jésuite, et prononça en sa faveur
une sentence ainsi conçue : « ... Le nom de Jésus-Christ invoqué,
vu les informations que... le promoteur de notre cour épiscopale
a prises sur ce qui a été dit publiquement contre le vénérable
maître Jean Maldonat, docteur de la Compagnie du nom de Jésus,
à savoir qu'il avait enseigné l'hérésie ; entendu sur tout cela la
défense de Maldonat lui-même et l'avis d'hommes sages et habi-
les; Nous disons et prononçons que ledit Maldonat n'a rien ensei-
gné d'hérétique ni de contraire à la foi et à la religion catho-
lique2... »
Les Pères du collège de Clermont crurent, à bon droit, que le
retentissement de l'accusation exigeait, comme réparation, une
certaine publicité de la sentence épiscopale. Ils ne la répandirent
pas, comme le prétend le P. Prat3, dans plusieurs quartiers de la
capitale et dans le royaume. Ils se contentèrent, nous apprend le
P. Pigenat, alors recteur du collège, d'un triomphe plus modeste :
« Nous avons eu sentence, écrivait-il au P. Général, pour la jus-
tification du R. P. Maldonat, laquelle nous avons fait imprimer,
mais non pas publier, ains seulement en avons distribué aulcuns
exemplaires aux gents de la plus grande autorité4. »
Contre ce qu'elle regardait comme un scandale, il ne restait
d'autre ressource à l'Université que de se pourvoir au Parlement.
Crevier rapporte qu'elle en prit la résolution dans une réunion
du 11 février. « Le 15 du même mois, ajoute-t-il. la Faculté de
théologie s'assembla et trouva tous ses suppôts, hors huit ou
neuf, disposés à déclarer qu'ils croyaient comme de foi que la
Sainto Vierge avait été conçue sans la tache du péché originel. »
L'historien de l'Université ne dit pas autre chose sur ces deux
dernières assemblées; mais dans une lettre de Maldonat nous
1. Cf. Du Boulay, op. cit., p. 739, 740.
2. D'Ar^entré, Collectif) judiciorum, t. II. p. 4i:i.
3. Maldonat, p. 361.
4. Lellrc du 29 janvier (Gall. Episl., t. IX. fol. 4).
MALDONAT ET L'I NIVERSITÉ DE L>Aiils. :;::
trouvons des détails fort curieux sur l'exaltation des esprits à ce
moment.
« Les docteurs, écrivait-il au P. Général, le 12 mars 157.">, ont
tenu deux assemblées pour décider de nouveau que L'Immaculée
Conception de Notre-Dame doit être regardée comme un article
de foi. Afin d'obtenir plus facilement ce résultat, ils ont suborné
des agents, et répandu en public et en particulier des menaces
terribles, disant que quiconque prétendrait le contraire serait
traité comme un hérétique et chassé de la Faculté. Quelques-uns
ajoutaient qu'il faudrait barthélemiser, et d'autres qu'il faudrait
brûler les partisans de l'autre opinion. Cependant quand on en
est venu aux délibérations, dix-huit des plus savants et des plus
estimables ont été d'un avis différent, et ont fait observer à
l'assemblée que cette manière de procéder outrageait le concile
de Trente et le Saint-Siège. Ils ont été traités d'hérétiques et
accablés de beaucoup d'autres injures; mais ils n'ont jamais
voulu adhérer à la décision de leurs collègues. Ils ont même
affirmé, dans une profession de foi particulière, qu'ils croyaient
que Notre-Dame a été conçue sans péché, mais qu'ils ne pensaient
pas que ce fût un article de foi, parce que le concile de Trente
et le Siège apostolique ont déclaré le contraire. Les autres n'en
ont pas moins chanté victoire et dit sur tous les tons que leur
décret était celui de toute la Faculté, qu'il était légitime, que la
Faculté n'avait jamais erré, que le Pape n'était qu'un homme,
que le concile de Trente n'avait été qu'une réunion de moines,
et autres choses semblables. Ils ont conclu que tous les docteurs
et bacheliers seraient convoqués et contraints de jurer que l'Im-
maculée Conception est un article de foi, ce qui devait avoir lieu
le k du présent mois.
« Les partisans de l'opinion contraire se sont rendus chez
l'évèque à qui ils ont remis leur profession de foi, et aussitôt
Monseigneur défendit à la Faculté, sous peine d'excommunica-
tion, de faire aucun décret. Mais avant que cette sentence fût
portée, les récalcitrants, voyant que les dix-huit docteurs fidèles
persévéraient dans leur opinion et la soutenaient sérieusement,
ont dit que le serment serait différé jusqu'à Pâques attendu
que plusieurs docteurs et bacheliers étaient allés prêcher hors
de la capitale. Ceux qui défendent le concile [de Trente vou-
draient bien écrire sur cette question, mais ils craignent, s'ils
le font, d'être chassés de la Faculté. Ils se proposent toutefois
de prier Mgr le Nonce et Wr i'Évèque de le faire cr-officio. Ce
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I.
578 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
sont eux-mêmes qui m'ont raconté tout ce que je viens de
dire l . »
Parmi les docteurs favorables à Maldonat, se trouvait le fa-
meux Claude de Sainctes, qui venait d'être nommé à l'évêché
d'Évreux. C'était non seulement son ami, mais un de ses plus
ardents admirateurs. On voulut cependant le gagner à la cause
commune, et dans ce but on lui représenta que l'honneur de la
Faculté était compromis et que son amitié devait céder à un si
puissant intérêt. On lui persuada même que les Pères du collège
de Clerniont avaient dénoncé à Rome ses tendances gallicanes
pour arrêter l'expédition de ses Bulles. Claude de Sainctes, trompé
par ces faux rapports, rompit subitement avec Maldonat et se
mit à la tête de ses accusateurs2.
Comme le montrent bien ces insinuations perfides, ce n'était
pas seulement le collège de Clermont qu'on voulait atteindre en
poursuivant son professeur de théologie, mais la Compagnie
tout entière. On ne lui pardonnait pas son attachement au Saint-
Siège, et la question de l'Immaculée Conception menaçait de se
compliquer devant le Parlement d'une question encore plus
délicate que les théologiens français avaient fait prévaloir dans
le concile de Bâle : « Ces jours passez, écrivait le P. Pigenat au
P. Manare, assistant de France, on a traitté au Parlement contre
nous et les Capucins, ce que nous croyons avoir esté fait à la
solicitation de Messieurs noz maistres, lesquels, comme nous
avons sceu de bonne part, s'en sont allez de maison en maison
des plus apparents dudit Parlement, pour les aigrir contre nous,
leur donnant à entendre qu'il n'estoit pas question seulement
de la Conception de la Vierge, mais de renverser le concile de
Basle, et qu'à cest effect mesmes nous faissions profession et
vœu en la Compaignie de maintenir l'autorité du Pape sur le
Concile. Bref, lesdits sieurs nos maistres sont si exacerbiés que
je m'asseure qu'ils chercheront tous moyens de nous nuyre '. »
La question de l'Immaculée Conception fut portée devant le
Pape par le Nonce et l'évêque de Paris. Sa Sainteté était d'avis
de publier contre les Sorbonistes la bulle de Pie V. Mais le
P. Maldonat craignait que cette mesure ne parût excessive aux
docteurs, et il insistait seulement pour obtenir une déclaration
1. Lettre du 12 mars 1575 (Gall. Ëpist., t. IX, fol. 6, 7).
2. Mémoire du P. Mathieu à Grégoire XIII, déjà cité. — Cf. Strozzi, Controversia
délia concezione délia B. Vergine istoricamente descritla, t. II, 1. VIII, c. il.
3. Lettre du 7 mai 1575 (Gall. Epist., t. IX, fol. 21).
MALDONAT ET ^UNIVERSITÉ DE PARIS. 579
formelle sur sa doctrine1. Ses Supérieurs trouvèrent même qu'il
y mettait trop d'empressement et rengagèrent au silence. Il
obéit. Cette modération ne lit qu'encourager l'audace des oppo-
sants. « Les Sorbonistes, écrivait alors Mgr Salviati au cardinal de
Como, vont tenir une de leurs assemblées. Deux des principaux,
Pelletier et Fabre, m'ont dit qu'ils étaient résolus d'écrire à Sa
Sainteté, non seulement sur la Conception mais sur beaucoup
d'autres choses, et tout cela contre le P. Maldonat avec lequel
ils veulent en finir2. »
4. La Faculté de théologie, en etl'et, ne songeait qu'à se venger
sur le professeur du collège de Clermont de l'auront qu'elle
pensait avoir reçu de la sentence de l'évèque de Paris. Les vieux
docteurs se mirent à scruter tous ses écrits avec l'intention d'y
trouver une proposition digne de censure. Ce n'était pas chose
facile, car le P. Maldonat, si prudent dans l'exposition du dogme,
n'avait jamais donné à ses ennemis l'occasion de le prendre en
défaut. Cependant Michel Tissart, recteur de l'Université, si-
gnala, dans les leçons dictées aux élèves six années auparavant,
une proposition qui « blessait les oreilles pieuses et sentait l'hé-
résie ». A l'entendre, Maldonat avait enseigné publiquement
« que les âmes des défunts ne sont et ne restent en purgatoire
que l'espace de dix ans:i ».
Cette proposition répréhensible ne se trouvait nulle part dans
les ouvrages du professeur; n'avait-elle pas du moins quelque
fondement dans ce qu'il avait enseigné de vive voix? Dans la
leçon incriminée, Maldonat commence par déclarer positivement
qu'on ne sait pas combien de temps les âmes demeurent en pur-
gatoire, et qu'il serait téméraire de vouloir déterminer la durée
de ces peines; cependant, ajoute-t-il, volontiers il inclinerait vers
l'opinion du pieux et savant Dominique Soto et de l'Université
de Salamanque, qui pensent que peut-être ces peines ne se pro-
longent pas au delà de dix ans'1. « Si sur la terre, disait-il au
P. Général, nous expions par de si courtes et de si légères pé-
nitences la peine temporelle due au péché, comment supposer
1. Lettre de Maldonat au P. Général, 7 mai 1575 (Gall. Epist., 1. IX. fol. 22
2. Lettre du 27 mai 1575 (Archiv. Vatic, Nunz. di Francia, t. VIII, f. 363, 364).
3. Du Boulay, Hist. Univ. Paris., t. VI. p. 74».
4. « In hac re nihil possumus cerli nisi temere definire. » El plus loin : « Itaque
libenter assentior iis qui putant in Purgalorio esse i'ortasse decem annos. » Cette
leçon imprimée dans les Opéra llicol. se trouve aussi dans les mss. de Maldonat à la
Bibl. nat., ms. lat. 3140, p. 134, 135.
580 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
de très longue durée les terribles peines du purgatoire1? » Ainsi
Maldonat ne formule aucune opinion, il incline seulement vers
celle qui lui parait plausible.
L'Université, cette fois, ne jugea pas à propos de s'adresser à
Tévèque de Paris qui avait trompé ses espérances. Les quatre Fa-
cultés, réunies aux Mathurins, le 3 juin 1575, délibérèrent sur
le parti qu'il convenait de prendre en cette circonstance. La
Faculté des arts et celle de droit déclarèrent qu'elles s'en rap-
portaient à la Faculté de théologie. La Faculté de médecine de-
manda que les théologiens, après examen de la cause, fissent un
rapport aux quatre Facultés. La Faculté de théologie décida
d'examiner la doctrine de Maldonat, avec sa maturité ordinaire,
et de faire connaître son avis à toute l'Université. Quant au
Recteur, après avoir approuvé les déclarations des préopinants,
il réclama une liste des erreurs de Maldonat pour les présenter
au Parlement2.
C'était fort étrange de répudier la seule autorité compétente
du diocèse, en fait de doctrine, et de porter devant un tribunal
séculier la question du Purgatoire. Aussi Mgr de Gondi, juste-
ment blessé d'une conduite si peu respectueuse pour sa dignité
épiscopale, menaça-t-il d'excommunication l'Université si elle
continuait à procéder contre un prêtre qu'il avait approuvé. Le
P. Pigenat, craignant que les docteurs n'en vinssent à demander
le renvoi de toute la Compagnie, aurait désiré « que Sa Sainteté
évocast ceste cause à soy avec défense à messieurs nos maistres
d'y attenter plus avant' ». La situation, en effet, devenait de
jour en jour plus tendue. L'attitude énergique de l'évêque avait
exaspéré les esprits. Pour répondre à la menace d'excommuni-
cation toutes les Facultés s'assemblèrent, le 20 juin, et conclu-
rent d'un commun accord « que l'Université par de très anciens
privilèges étoit exempte de la juridiction de l'évêque; qu'il
falloit donc appeler comme d'abus au Parlement du décret qu'il
venoit de rendre, et en même temps députer au cardinal de
Bourbon conservateur apostolique, pour le prier de défendre
l'Université » contre de pareilles entreprises'*. Le lendemain,
en conséquence de cette conclusion, le Recteur accompagné de
quelques députés se rendit à l'abbaye de Saint-Germain, séjour
1. Note accompagnant une lettre du G juin 1575 (Gall. Epist., t. IX, f. 27).
2. Du Boulay, op. cit., t. VI, p. 745.
3. Lettre au P. Général, 18 juin 1575 (Gall. Epist., t. IX, fol. 29).
t. Registres de l'Université, cités par Du Boulay, t. VI, p. 7i5.
MALDONAT ET L'UNIVERSITÉ DE PARIS. 381
habituel du cardinal, et « réclama son secours contre les arro-
gantes insultes et les menaces iniques de l'évêque de Paris ' ».
5. Le cardinal <lc Rourbon ne pouvait reconnaître parmi les
privilèges de l'Université l'exemption de la juridiction épiscopaie,
et moins encore le droit d'appel comme d'abus au Parlement. Il
résolut donc de tenter un rapprochement entre les plaignants et
le collège de Clermont, et il engagea les Pères à présenter une
supplique en ce sens''. Les Jésuites, par esprit de conciliation, ré-
digèrent une requête par laquelle ils demandaient de nouveau à
être incorporés à l'Université. Le cardinal la transmit au Recteur,
après l'avoir apostillée de sa main. Mais, comment l'Université
aurait-elle été disposée à admettre dans son sein des maîtres
qu'elle n'aimait point et dont les succès lui causaient tant de
soucis? Le 26 juillet, Jean de Rouen, successeur de Tissart, sou-
mit à l'assemblée générale, convoquée aux Mathurins, la de-
mande du collège de Clermont. La Faculté des arts fut d'avis
qu'on interrogeât les suppliants; les autres Facultés voulurent
qu'on envoyât de nouveau une députation au cardinal de Bour-
bon afin de connaître son sentiment"'.
Le cardinal exprima sans doute le désir qu'on délibérât sur
la requête des Jésuites, car, le 19 août, les PP. Claude Mathieu,
provincial, Odon Pigenat, supérieur, Maldonat et Tyrius, profes-
seurs de théologie, comparurent devant une assemblée des dé-
putés de l'Université, réunis à la Sorbonne. On avait résolu de
leur demander « quels ils étoient, quelle vie ils entendoient
mener, s'ils étoient réguliers ou séculiers »? Les historiens de
l'Université prétendent que les Pères, interrogés sur leur pro-
fession, répondirent qu'ils étaient clercs séculiers en France,
réguliers et moines en Italie. Cette réponse absurde, qui ne
serait qu'un odieux mensonge, ne peut être attribuée qu'au ré-
dacteur du procès-verbal; à ses yeux, sans doute, comme aux
yeux de ses collègues, on ne pouvait être religieux sans être
profès et moine4. C'est ce qui ressort évidemment de la suite
du récit. Vigner, procureur général de l'Université, insista en
1. « Adversus protervos insultus et iniquas Episcopi Parisiensis eommlnationes »
(Du Boulay, op. cit., p. 745).
2. Lettre du P. Pigenat au P. Général, 18 juin 1575 (Gai!. Epist., t. IX, f. 29).
3. Lettre de M-' Sahiali au cardinal de Como, 30 juillet 1575 Archiv. Vat.,
Nunz. di Francia, t. VIII, fol. 454).
4. Voir l'explication de cette distinction plus haut, au ch. v du 1. I. Les Jésuites
sont clercs réguliers et non pas moines; de plus à celle époque il n'y avait pas de mai-
son professe en France.
582 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
disant qu'il fallait astreindre les Jésuites à déclarer, sur la foi
du serment, s'ils étaient religieux ou non; et les Pères répon-
dirent qu'ils étaient religieux sans être moines. Puis ils pré-
sentèrent quelques titres et actes concernant leur Institut, et
l'on résolut d'examiner ces pièces avant de rien prononcer1.
Le samedi 27 août, les députés de l'Université se réunirent de
nouveau avec plusieurs autres personnages considérables de ce
corps. On lut les documents que les Jésuites avaient présentés et
l'on interrogea pour la forme le P. Odon Pigenat. recteur du col-
lège de Clermont. L'assemblée s'obstina à rejeter la distinction
entre les moines et les clercs réguliers, si nettement établie par
les Bulles des Souverains Pontifes et par le concile de Trente.
Après délibération, elle conclut au rejet de la requête, attendu
qu'on ne savait pas sous quel nom admettre les suppliants : ils
se disaient religieux et laïques, réguliers et séculiers; par consé-
quent, si on les recevait, on ne saurait dans quel rang les
placer. On écrirait donc au Souverain Pontife pour lui dire que
les Jésuites ne pouvaient être incorporés à l'Université, s'ils ne
déclaraient positivement qu'ils étaient réguliers ou séculiers ~.
La réponse de Grégoire XIII ne se fit pas attendre, comme
nous le voyons par une lettre du Nonce apostolique au cardinal
secrétaire d'État : « J'ai reçu, écrivait-il le 10 septembre, le Bref
qui doit servir à l'union des Jésuites avec l'Université de Paris.
Ces Pères ne peuvent assez rendre grâce à Sa Sainteté de tant
de promptitude et d'un si grand bienfait ; ils sont aussi très re-
connaissants du zèle que Votre Seigneurie illustrissime leur a
témoigné dans cette occasion 3. » Mais les adversaires de la Com-
pagnie étaient résolus de ne tenir aucun compte des désirs du
Souverain Pontife, dès lors que ceux-ci n'étaient pas d'accord
avec leurs propres rancunes.
6. Pendant même que se traitait cette affaire, l'Université, peu
docile aux avis du cardinal de Bourbon, avait persisté dans son
projet de porter devant le Parlement l'examen de la doctrine du
P. Maldonat. Mgr de (iondi ayant appris ce qui s'était passé
dans l'assemblée du 20 juin, où l'on avait décidé d'appeler
comme d'abus contre ses menaces de peines ecclésiastiques, en
1. Lettre du P. Cl. Mathieu au P. Général (Gall. Epist., t. IX, fol. 72-73). — Cf.
Du Boulay, op. cit., ]>. 746. — Crevier, op. cit., p. 301.
2. Du Boulay, op. cit., t. VI, 802.
■\. Lettre de M?' Salviali au cardinal de Como (Archiv. Vatic, Nunz. de Francia,
t. VIII, f. 503).
MALDONAT KT L'UNIVERSITÉ DE PARIS. 583
conçut une juste indignation, et résolut de ne plus user de mé-
nagements envers des personnes qui en gardaient si peu envers
l'Église. Il lanra l'excommunication contre les docteurs Segu.nl
et Fabre, l'un doyen et l'autre syndic de la Faculté de théo-
logie, comme étant les chefs du parti et les principaux auteurs
de tout le mal '.
Cet acte de fermeté, si nécessaire qu'il parût, irrita toute l'U-
niversité. Les députés ayant été convoqués le 0 juillet, le Kec-
teur, Jean de Rouen, prit avec eux la résolution de poursuivre
l'évèque devant le Parlement. L'affaire fut plaidée à huis-clos, le
2 août. Sur le fond de la question, c'est-à-dire les opinions théo-
logiques de Maldonat, la cause fut appointée au conseil. Quant à
l'appel comme d'abus, le Parlement, tribunal séculier, décida
que l'évcque avait méconnu les privilèges de l'Université et que
sa sentence était de nul effet; cependant les docteurs frappés
d'excommunication se feraient absoudre ad cautelam. Ce dernier
point n'était pas facile à exécuter, car le Pape, instruit de la con-
duite des docteurs, avait défendu à Mgr de Gondi de lever l'excom-
munication sans son ordre. La Faculté de théologie fut con-
trainte d'écrire à Sa Sainteté.
La lettre qu'elle rédigea, véritable apologie pro domo, contient
une attaque en règle contre la Compagnie, sous forme d'insinua-
tions méchantes que les auteurs glissaient maladroitement parmi
l'éloge de leurs propres mérites. Qu'on en juge par ce morceau :
« A la vérité, disent-ils, nous sommes des serviteurs inutiles;
cependant Dieu a fait par nous ce qu'il a voulu... Que de grands
théologiens ne sont pas sortis de notre école comme du cheval de
Troie! Combien n'en sort-il pas encore tous les deux ans! Quelle
gravité ! Quelle pureté dans nos statuts ou nos décrets ! quelle
sévérité, quelle solidité dans notre doctrine!
« Nous ne sommes à charge à aucune église, non plus qu'aux
particuliers; nous ne détournons pas les héritages, nous ne solli-
citons pas à notre avantage des testaments injustes; nous ne
cherchons point à faire tomber dans nos pièges les bénéfices
pour en jouir sans en avoir les charges; nous ne dirigeons point,
au nom de Jésus, les consciences des princes, d'après l'opinion
qui réduit à dix ans les peines du purgatoire, comme pour dire
qu'il n'y a aucun danger, aucun dommage pour les fondateurs,
morts depuis longtemps, à enlever les biens ecclésiastiques aux
1. Registres des conclusions de la Faculté de théol. (Àrchiv. nat., MM, 149, toi. K 2 .
584 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
monastères ou à d'autres, afin de les transformer en commendes
et de les appliquer à d'autres usages profanes, ou à d'autres œu-
vres de piété, ou à des collèges. Nous faisons notre cours d'étu-
des sur nos médiocres patrimoines, ou sur un petit pécule acquis
par d'honnêtes travaux; nous nous partageons ensuite les fonc-
tions et les charges du ministère apostolique, si l'on nous y ap-
pelle, et nous y courons comme au combat1. »
Personne ne pouvait se méprendre à des allusions aussi trans-
parentes. Et que dut penser le Souverain Pontife de l'affront
qu'une pareille lettre faisait à sa sagesse et même à son auto-
rité? Car enfin, ces Jésuites, dépeints sous de si noires couleurs,
il les estimait et il les avait déjà honorés de quatre Bulles pour
encourager leurs œuvres et appuyer leurs entreprises.
Les docteurs, en terminant, demandaient pardon au Saint-
Père; mais à ce témoignage de repentir ils ajoutaient une res-
triction, qui fait assez paraître leur peu de sincérité : « Prosternés
aux pieds de Votre Béatitude, disent-ils, nous implorons très
humblement le pardon et l'absolution de Votre Clémence , si
?ious avons péché en quelque chose, soumettant tout au jugement
de Votre Sainteté2. »
La honte d'un tel factum, où la vanité froissée se rabaisse
jusqu'à la calomnie, ne doit pas retomber sur la Faculté de
théologie tout entière ; elle revient à ceux qui l'écrivirent, et se
firent les interprètes d'une minorité hostile dans laquelle on re-
grette de voir Claude de Sainctes, Fabre et Pelletier. Leur lettre
méritait à peine une contre-partie, car elle était plus nuisible
aux accusateurs qu'aux accusés. Cependant, puisque la cause
était portée à Borne, les Pères du collège de Clermont durent
présenter au même tribunal leurs plaintes et leur défense. Ils le
firent par l'intermédiaire du P. Claude Mathieu. Dans un mé-
moire calme et loyal, où parfois s'élève le cri de l'innocence
injustement blessée et surtout le soupir de l'apôtre réduit à l'im-
puissance, le P. Provincial, après un résumé rapide des per-
sécutions suscitées à la Compagnie de Jésus, réfuta, par les faits
eux-mêmes ou par le simple exposé de l'Institut, les princi-
pales accusations lancées contre elle depuis son introduction en
France : « A cause de ces calomnies et de ces intrigues, dit-il,
la Compagnie n'a pris nulle part moins de développement qu'à
Paris, qui fut pourtant son berceau. La première semence que
1. D'Argentré, Collect. judiciorum, t. II, p. 445 et suiv.
2. Ibidem.
MALDONAT ET L'UNIVERSITÉ DE PARIS. 58S
nos Hères avaient jetée dans une population disposée à la vertu,
a été étouffée dans son germe par ces docteurs et n'a pu pro-
duire l'abondante moisson qu'elle nous promettait. Plût à Dieu
que nos adversaires eussent mis à repousser l'hérésie l'ardeur
qu'ils ont mise à nous tourmenter! La Compagnie, il est vrai,
se serait accrue; mais le calvinisme serait devenu moins puis-
sant. Tandis qu'ils nous persécutent et nous affaiblissent, ils
réjouissent et fortifient l'hérésie1. »
7. Durant la tempête déchaînée à l'occasion de sa doctrine
Maldonat avait fait preuve d'un grand courage et d'une abnéga-
tion entière. Sans redouter le tumulte que des gens malinten-
tionnés pouvaient provoquera ses cours, il avait d'abord, jus-
qu'aux fêtes de Noël, ajouté à ses leçons habituelles une leçon
supplémentaire. Mais, après la sentence de l'évèque de Paris en
sa faveur, il avait jugé utile de changer de conduite : il crai-
gnait, en remontant dans sa chaire, d'humilier les adversaires
auxquels l'autorité compétente avait donné tort. « Les docteurs,
écrivait-il au P. Général, le 25 mars 1575, étaient dans un tel
état d'exaspération qu'ils n'auraient pas manqué de dire que
j'insultais à leur défaite, et je n'aurais pu prononcer une parole
qui ne fût mal interprétée. C'est dans une pensée de modération
et de modestie que j'ai agi ainsi. Dès le premier jour, j'avais
demandé à Notre-Seigneur qu'aucun sentiment d'impatience et
de vengeance ne pénétrât dans mon cœur, et je crois avoir
obtenu cette grâce 2. » Le savant religieux aimait les situations
franches; il voulait, avant de reprendre ses leçons, qu'il fût
bien constaté que son enseignement était conforme à celui de
l'Eglise. Il continua donc de s'imposer la même réserve jusqu'à
ce que Rome eût décidé entre lui et ses adversaires.
Cependant Grégoire XIII hésitait à se prononcer, de peur d'en-
venimer la querelle du côté des orgueilleux docteurs; comptant,
1. Ce document a été publié par le P. Prat, Maldonat (Pièces justificatives, p. 592
et suiv.). — Le P. Général exigea quelques corrections au mémoire du P. Mathieu
avant qu'il fût présenté au Souverain Pontife. Dans les mss. Gesuilici conservés à
la Bibl. Vitt. Emmanuele (1586, 3715) on lit : « Reprehenditur (a P. N.) epistola apo-
logetica in favorem Socielatis et Maldonat! a Palribus Gallis pro PP. (PontificeJ
missa : quod nimis aspere perstringat nonnullos qui Romae et boni el docti viri
vulgo babentur; tum et quod modestiam religiosam in scribendo minus redoleat. » El
plus loin : « Consentit P. N. litteras Claudii ad PP. initli, sed per alium, correctis
nonnullis. Videtur improbatum fuisse quod in iis nominarentur aliqui parliculares.
haberentque speciem apologiac. » Il nous semble bien que le texle donné par le
P. Prat est celui du Mémoire non corrigé.
2. Lettre de Maldonat au P. Général (Gall. Epist., t. IX, fol. 11).
58G HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
au contraire, sur l'humilité religieuse du P. Maldonat, il inclinait
à lui demander pour le bien de la paix, le sacrifice même de sa
réputation. Le Pape communiqua sans doute au P. Général sa
pensée sur un départ possible de Paris, car nous avons entre les
mains une note présentée, le 16 février 1576, à Sa Sainteté sur
ce projet. On y montrait, en protestant d'une parfaite soumis-
sion à la volonté du Souverain Pontife, les inconvénients d'une
mesure qui serait nuisible au P. Maldonat, à la Compagnie,
au Saint-Sièïj e et à tous les bons catholiques :
« La Compagnie, en cette circonstance comme en toute autre,
disait la note, ne veut faire du P. Maldonat que ce qu'il plaira
à Sa Sainteté. Jusqu'ici, avec la grâce divine, on a toujours or-
donné l'emploi des moyens les plus efficaces pour tout apaiser...
Mais, si le P. Maldonat quittait maintenant Paris, ne donnerait-on
pas à croire qu'il en a été chassé comme hérétique? Ne serait-ce
pas aussi au préjudice du Siège Apostolique? Les Sorbonistes,
confirmés dans cette croyance gallicane, comme ils l'appellent,
qui regarde comme article de foi ce qui est encore controversé,
accorderaient moins de crédit pour tout le reste au concile de
Trente.
« La Compagnie elle-même souffrirait beaucoup dans la bonne
opinion qu'il lui est nécessaire de conserver en France ; en l'état
où sont les choses, on serait capable de saisir cette occasion
pour la chasser de Paris, comme on a essayé de le faire plu-
sieurs fois déjà. Puis les catholiques, sincèrement dévoués au
Saint-Siège, ne seraient-ils pas grandement scandalisés? De nom-
breux disciples de Maldonat, déjà docteurs de Sorbonne et imbus
par lui des idées romaines, ne perdraient-ils pas tout courage
à soutenir la vérité, en voyant le sort réservé à leur maître?
« Si on laisse s'éteindre tout ce bruit, il sera plus facile alors
d'envoyer le P. Maldonat dans un autre collège, et de le rempla-
cer par quelque excellent professeur pour le bien de l'Université
de Paris 1 . »
En fait, « laisser s'éteindre tout ce bruit » fut la ligne de con-
duite que l'on suivit d'abord. Pendant ce temps-là les ennemis
de l'Église se félicitaient d'un silence dont ils rendaient grâce
aux docteurs de l'Université; les gens de bien, au contraire, s'u-
nissant aux disciples de Maldonat, réclamaient contre l'interrup-
tion des cours qu'ils regardaient comme une calamité pour la
1. Seminarium Romanum, n. fi (Recueil de Documents portant ce litre, et où ce
mémoire semble égaré).
MALDONAT ET L'I DIVERSITÉ DE PARIS. 587
religion, et l'archevêque de Vienne, M3' de Villars, suppliait le
I». Général de « ne point laisser aller en plus grande Longueur la
définition dudict différend, affin que le dict P. Maldonaf pût
poursuyvre ses sainctes occupations, avecq son accoustumé crédil
et prouffîct en l'Esglise de Dieu ' ».
Quant au professeur persécuté, malgré les félicitntions qu'il
recevait de toutes parts, il éprouvait la plus vive répugnance à
remonter dans sa chaire ; il aurait mieux aimé se retirer dans
quelque noviciat et y vivre loin des intrigues des hommes, oc-
cupé à l'étude des Saintes Écritures. Ses supérieurs persistèrent
à ne pas l'éloigner du collège de Clermont, dont il était l'hon-
neur et le rempart contre des rivalités puissantes. D'ailleurs, des
évêques le consultaient dans leurs doutes et prenaient toujours
ses avis; des seigneurs de la cour, dont il avait gagné l'estime,
lui confiaient la direction de leur conscience ; le roi lui-même
avait déclaré qu'il ne souffrirait pas que Maldonat sortit du
royaume-. Le savant théologien ne cessa pas, non plus, de
garder le beau rôle par sa magnanime conduite à l'égard de ses
adversaires. Grégoire XIII, en conseillant à l'évèque de Paris de
publier la bulle du Pape Pie V touchant l'Immaculée Concep-
tion de la Sainte Vierge, avait indirectement condamné la Sor-
bonne qui traitait d'hérétique le sentiment conforme au concile
de Trente. Maldonat, satisfait d'avoir été jugé innocent, ne vou-
lut pas que son triomphe devint une humiliation pour ceux qui
avaient mis tout en œuvre contre lui. Il obtint de l'évèque de
Paris qu'on ne publiât ni cette bulle de Pie V, ni celle du même
Pontife défendant de troubler dans leur enseignement les profes-
seurs de la Compagnie de Jésus3.
8. Toutefois son silence volontaire, que ses ennemis regardaient
comme une victoire, ne tarda pas à être interprété calomnieuse-
ment par eux. Ils répandirent le bruit qu'on lui avait interdit
l'enseignement. Pour confondre l'imposture, Maldonat reparut
dans sa chaire, le dimanche 6 mai 1576, après vêpres, et com-
mença l'explication du Psaume cix, qu'il continua les dimanches
suivants. Les manifestations sympathiques dont il fut l'objet,
le vengèrent dignement des injures qu'il avait subies : « La rue
Saint-Jacques, dit un témoin oculaire, était pleine de coches
1. Lettre du 20 févr. 1576 (Gall. Epist., t. X, fol. 48). Le texte complet de cette
lettre a été publié par le P. Prat, Maldonat, p. 401.
2. Lettre du P. Cl. Mathieu au P. Général, 26 juin 1576 (Gall. Episl.. t. \. f. 4, 5).
3. Lettre de Maldonat, 7 mai 157"\ déjà citée.
588 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
depuis le collège du Plessis jusqu'au collège de Clermont1. »
On aurait pu croire d'abord qu'une telle affluence n'était qu'une
protestation passagère contre les tracasseries de la Faculté; la
persévérance d'un auditoire nombreux et choisi prouva qu'on
accourait aux leçons du P. Maldonat, non par esprit de coterie,
mais pour jouir et pour s'instruire auprès d'un maître incontesté :
« Beaucoup d'évêques et d'autres prélats, écrit le P. Mathieu au
I'. Général, les ambassadeurs des princes, les présidents des
chambres du Parlement, à peu près tous les conseillers et plu-
sieurs membres du conseil privé, viennent l'entendre assidûment,
Les docteurs de Sorbonne eux-mêmes ne peuvent résister à l'en-
traînement, entre autres Pelletier qui, jusqu'à présent, n'avait
jamais mis les pieds dans notre collège. La vive satisfaction éprou-
vée par tous attire sans cesse de nouveaux auditeurs. Les princes
et les ambassadeurs, que j'ai eu l'occasion devoir, m'ont tous
félicité sur la reprise de ces cours2. »
L'Université supporta mal une si glorieuse revanche. Deux doc-
teurs de Sorbonne livrèrent à l'impression un libelle diffamatoire
contre le professeur du collège de Clermont et sa doctrine. Mais,
avant que l'ouvrage parût, M"1 de Gondi le dénonça au Parlement :
sur la réquisition du procureur du roi la destruction en fut ordon-
née °'. À la fin du mois de juin, le prélat étant parti pour Rome,
il s'éleva contre la Compagnie une recrudescence d'injures et de
menaces. Maldonat n'en poursuivit pas moins, chaque dimanche,
l'explication du Psaume cix. Et telles étaient toujours l'affluence
et la satisfaction de l'auditoire que le cardinal de Bourbon,
archevêque de Rouen, ayant songé à employer les talents du
professeur au service de son diocèse, dut y renoncer devaut l'op-
position qu'il rencontra : d'illustres personnages le supplièrent
de ne point priver l'Église de France de leçons si utiles pour
réconcilier avec la religion ceux mêmes qui en paraissaient le
plus éloignés'1.
Durant la semaine, le P. Maldonat se retirait dans la maison de
campagne de Picpus ', où l'air était plus favorable que celui <!<•
Paris à sa santé déjà très ébranlée par ses immenses travaux. H
1. Du Verdiér, Prosopographie, t. III, col. 253i. Cf. Carayon, Documents iné'
dits, t. I, p. 284
2. Lettre du 26 juin 1576, déjà citée.
3. Lettre du Nonce au cardinal de Como, 27 juin 1570 Archiv. Valic, Nunz. di
Franc, t. IX, fol. 521, 527).
4. Lettre du P. Mathieu déjà citée.
5. Cette maison fut donnée à la Compagnie, le li sept. 1574 (Roma, Archiv. di
stato. Gesuit. colle»., mazzo 114).
MALDONAT ET L'UNIVERSITÉ DE PARIS. 589
consacrait ses loisirs â composer de solides commentaires sur le
livre de .lob, sur les Psaumes, les Cantiques, Isaïe, Jérémie,
Ézéchiel et sur quelques chapitres de la Genèse.
Vers la fin de l'année scolaire 1570, le 12 août, ayant ter-
miné l'explication du Psaume cix, il descendit de sa chaire
pour n'y plus remonter. Il avait suffisamment prouvé a tout
le monde que, s'il avait interrompu ses cours, ce n'était ni
par manque d'auditeurs, ni par ordre de l'autorité ecclésiasti-
que. Quant aux raisons de cette nouvelle mesure, le P. Claude
Mathieu s'empressa de les exposer au P. Général : « Le concours
des auditeurs, dit-il, était si considérable, et il y avait parmi
eux tant de savants et de personnages distingués, que des
hommes très haut placés et amis de la Compagnie nous ont
conseillé de cesser ces leçons, pour ne pas soulever trop de
colères contre nous. Tout s'est bien passé, grâce à Dieu. En atten-
dant, le P. Maldonat ne reste pas sans rien faire. Chaque jour
il s'occupe de ses commentaires, et le dimanche, après vêpres,
il prêche en français dans notre église1. »
De tout temps, l'éloquent professeur d'Écriture Sainte avait su
dérober quelques moments à ses travaux théologiques pour les
consacrer au bien des âmes. Outre les instructions aux fidèles, il
s'occupait encore de la direction spirituelle des élèves. Il s'appli-
quait à leur inculquer, avec de profondes convictions religieuses,
la parfaite connaissance de leurs devoirs. Sous son habile et forte
impulsion, la pratique d'une piété bien entendue et la fréquen-
tation des sacrements avaient donné à ce collège une nouvelle
vie. C'est alors que prospéra la première congrégation de la
Sainte Vierge établie par le Père Léonis en 1569 ~. Alors aussi
les étrangers venaient en foule à la chapelle des élèves, attirés
par la beauté des cérémonies, surtout pendant la Semaine Sainte.
Une année, — c'était en 1575, — le P. Léonis « avait faict le
paradis si bien, raconte le P. Pigenat, que les grands Seigneurs
ne se contentèrent [pas] d'y avoir esté une fois, et ainsi le Roy
de Navarre et M. de Guise y retournèrent ensemble, le samedi,
ouyr les complits; M. de Montpensier et sa femme pour ouyr 1<-
1. Lettres des 17 et 27 août 1570 (Gall. Epist., t. X, fol. Il; 33 .
2. Quelques auteurs disent que la première de toutes les Congrégations de ta
Sainte Vierge fut fondée à Rome, en 1563, par ce Père Léonis; d'après le Père Agui-
lera il n'aurait fait que transporter à Rome une dévotion déjà établie à Syracuse par
le P. Sébaslien Cabarassi (Histor. Prov. Siculae, t. I, p. 176). La congrégation du
collège de Clcrmont comptait, en 1575, 150 jeunes gens; à la lin de l'année 23 filtrè-
rent dans dillerents ordres religieux (Lettre du P. Léonis au P. Général. Gall. Epist.,
t. IX, fol. 23).
390 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS;
sermon du vendredy; la Reyne Blanche le niercredy et jeudy.
Les ambassadeurs susnommés [de Venise, Florence, Ferrare] n'y
ont bougé, comme aussi ceulx de Pologne ; et se retrouvèrent
là, le vendredy à l'office, l'ambassadeur d'Espaigne, de Prusse,
de Florence, de Pologne; on surprit aussi le Nonce de Sa Sain-
teté, lequel y avoit ja esté le jour devant, mais voyant la presse,
il s'en retourna. Le Roy aussi avoit mandé qu'il viendroit, mais
le mauvais temps l'en retira. Bref la chose a esté tellement semée
par la ville, et désirée, que nous avons esté contraints de laisser
les portes du collège d'en bas ouvertes, ou aultrement elles
eussent esté en danger d'estre forcées. Dieu face que tout soit à
son honneur, et nous donne la commodité de mieux servir à la
dévotion de ce peuple en cet endroit ' ! »
Le P. Maldonat ne bornait pas l'exercice de son zèle à l'inté-
rieur du collège. Comme les autres Pères, qui s'en allaient prê-
cher dans les villages ou visiter les malades et les prisonniers,
il portait le secours de son ministère à tous ceux qui le récla-
maient. « Il s'accommodait merveilleusement au peuple », dit
son Père Provincial 2 ; il aimait aussi donner les Exercices spiri-
tuels de saint Ignace et savait exploiter habilement les ressources
de ce livre pour la réforme de la vie chrétienne ; aussi voyons-
nous le cardinal de Bourbon l'emmener avec lui à son château
de Gaillon, pendant les vacances de 1576, afin de faire une re-
traite sous sa direction3.
9. La seule présence du P. Maldonat, dont l'ascendant sur
l'opinion publique était considérable, entretenait à Paris une
constante irritation parmi les adversaires des Jésuites. C'est
pourquoi son éloignement fut jugé nécessaire quand le Pape
Grégoire XIII, après une longue attente, résolut de condamner
formellement la doctrine des théologiens de la Sorbonne : les
esprits mal disposés eussent été trop envenimés par la décision
pontificale, si, en même temps, quelque satisfaction ne leur eût
été donnée. Le Pape demanda au P. Général d'accorder au pro-
fesseur du collège de Clermont la grâce que celui-ci avait
souvent sollicitée. On décida de l'envoyer à Toulouse, où l'Uni-
versité, très favorable à la Compagnie, l'accueillerait avec em-
pressement. Dès que la nouvelle de son départ fut connue, plu-
1. Lettre du 8 avril 1575 (Gall. Epist., t. IX, fol. 13, 14).
2. Lettre du 27 août 157G {Ibicl., t. X, fol. 33).
3. Ibidem.
MALDONAT ET L'UNIVERSITÉ DE PARIS. 591
sieurs villes se disputèrent L'honneur de Le recevoir dans Leurs
murs. Bordeaux surtout prétendait avoir des droits particuliers,
et l'avocat général, Charles du Sault, s'empressa de les faire
valoir auprès des supérieurs.' Il écrivit au P. Général que Tou-
louse était déjà « fournie abondamment pour ce regard » ; qu'elle
avait, « entre autres plusieurs grands personnages et singuliers
prédicateurs, le bon Père Émond », et que « mettre deux soleils
ensemble » serait mal employer l'un « puisque l'autre [étaii
trop plus que suffisant1 ». Malgré son éloquente et humoristique
plaidoirie, M. du Sault ne gagna pas sa cause. D'ailleurs quand
il écrivait, le P. Maldonat, dès le commencement de janvier
1577, avait déjà pris le chemin de Toulouse-. Bientôt, devant
les bandes calvinistes qui infestaient les routes, la prudence
l'obligea de se retirer au collège de Bourges en attendant de
Rome une nouvelle détermination. Il envoya alors au P. Générai
cette lettre, vraiment admirable de résignation et d'obéissance
religieuse :
« Le 3 janvier, je reçus deux exemplaires de la lettre de Votre
Paternité, m'annoneant de la part du Souverain Pontife, que je
devais immédiatement partir pour Toulouse. Rien ne m'était
plus agréable que la solitude de Picpus, où je me trouvais si
bien caché que ni faveur ni injure n'étaient capables de m'y at-
teindre. Si l'amour de mes travaux ne m'aveugle, je n'ai jamais
travaillé plus utilement que dans cette retraite, et rien ne pou-
vait m'arriver de plus pénible que d'être arraché à des études
entreprises, me semblait-il, sous l'inspiration même de Dieu. A
ce moment on affirmait, comme certain, que tout le pays d'Aqui-
taine avait pris les armes et que les routes conduisant à Toulouse
étaient sillonnées de partis ennemis. Cependant, à la lecture de
votre lettre, j'ai cru que je devais obéir sans retard à vos ordres
et à ceux du Souverain Pontife, comme aux ordres de Dieu lui-
même. Bien que je fusse occupé depuis trois heures à commenter
le prophète Osée, j'interrompis immédiatement mon travail et
n'écrivis plus une seule lettre. Si notre règle nous ordonne
d'obéir au premier signal, cette promptitude me parut surfout
nécessaire, quand le Pape, auquel nous sommes scumis par un
vœu spécial, fait lui-même quelque commandement. Je résolus
de partir, malgré les remontrances de tous ^ans exception : ils
traitaient de téméraire mon dessein d'entreprendre un voyage
1. Lettre du 10 janv. 1577 (Gall. Epist., t. XI, p. 360).
2. Lettre du P. Pigenat au P. Général, 4 janvier 1577 (Gall, Epist., t. XI, t. r
592 HISTOIRE DE LÀ COMPAGNIE DE JÉSUS.
que je savais positivement ne pouvoir accomplir sain et sauf.
« Je partis cependant avec Dominique Leiton1, chevalier por-
tugais, qui se rendait à Toulouse pour les affaires du roi de
Portugal. Nous pensions qu'à moitié chemin, à Blois, où se trou-
vaient alors le uoi et l'assemblée des États -Généraux, il nous
serait facile de rencontrer quelques compagnons de route, mais
nous fûmes trompés dans notre attente. A mesure que nous appro-
chions de l'Aquitaine, les bruits de guerre grossissaient; chaque
jour,, on annonçait que de nouvelles places avaient été occupées
par l'ennemi. C'est pourquoi je ne pus trouver à Blois de nou-
veaux compagnons, et je perdis celui que j'avais eu jusque-là.
Dominique Leiton, effrayé des dangers au-devant desquels nous
allions courir, refusa d'avancer plus loin. Lui, et tous ceux à qui
j'avais communiqué mon projet, m'exhortaient à l'abandonner,
.l'en avais d'ailleurs parlé à peu de personnes, de crainte de me
créer un nouveau péril en ébruitant mon départ, et de m'exposer
à être retenu par quelqu'un des princes présents à Blois. Ne
voulant ni entrer dans la ville ni me montrer en public, je restai
dans un petit village où, par l'intermédiaire d'un ami sûr, je pris
toutes mes informations au sujet des compagnons de voyage et
de la difficulté des chemins. Huit jours se passèrent dans ces
démarches, après lesquelles je reconnus qu'il était impossible de
parvenir à Toulouse. Tous ceux qui étaient au courant de la situa-
tion me conseillaient de retourner à Paris. Là, disaient-ils, j'écri-
rais à Votre Paternité, et en attendant de nouveaux ordres du
Souverain Pontife, j'achèverais mon travail. Pourquoi, en effet,
perdre un temps si précieux que pour moi chaque jour valait cent
écus d'or? Cependant je crus que je ne devais pas revenir en
arrière, mais aller de l'avant, ou bien rester où je me trouvais....
« J'ai donc pensé que l'obéissance valait mieux que les victi-
mes. M'imaginant que j'étais envoyé à Toulouse moins pour y
demeurer que pour n'être plus à Paris, je me dirigeai vers Bour-
ges, afin de pouvoir de là gagner Lyon. Peu importe le lieu de
mon exil; il suffit que je sois exilé. Je n'ignorais pas que la route
de Lyon à Toulouse était couverte d'ennemis, et plus longue de
deux cent mille pas; mais, puisque je devais m'arrêter dans quel-
que endroit pour attendre vos lettres, je préférais que ce fût à
Lyon. Cette ville appartient à une autre Province; tout éloignée
qu'elle soit de Toulouse, elle est plus rapprochée de Rome et par
t. 11 s'agit sans doute de ce Leylhan dont il est parlé au chap. vui, n. '2.
MALDONAT ET L'UNIVERSITÉ DE PAHIS. 593
là même plus commode pour en recevoir ou \ envoyer «Il-
lettrés.
« Arrivé avant-hier à Bourges, j'ai été forcé d'y rester quelques
jours, car je n'ai aucun compagnon, ni des nôtres ni du dehors;
de plus l'ennemi vient de s'emparer d'une place forte située sur
ma route; enfin mon cheval, blessé, n'est pas encore guéri. Que
Votre Paternité veuille bien s'informer de la volonté «lu Souve-
rain Pontife, et me signifier le plus tôt possible ce (pic je dois
faire. Je ne négligerai rien pour accomplir jusqu'au bout vos
ordres et ceux de Sa Sainteté. J'aurais essayé seul de me frayer
un passage au milieu des ennemis, si je n'avais craint d'offenser
le Pape par une obéissance trop imprudente, et de m'attirer vo*
justes reproches en cas de malheur. Pourtant, ce voyage que je
n'ai pas osé entreprendre de moi-même, je le ferai. Dieu aidant,
dès que je connaîtrai vos désirs et ceux du Saint-Père, avec
autant de promptitude que j'ai laissé mes livres, pour moi bien
préférables à ma sécurité personnelle. Je partirai pour Lvon
aussitôt que je le pourrai, et, si je ne le puis, j'attendrai ici
votre réponse1... »
Au moment même où l'éminent religieux traçait ces lignes,
Dieu, fidèle à sa parole, exaltait son serviteur humilié. Le P. Pro-
vincial reçut avis de Rome qu'un Bref de Grégoire XIII venait
d'être envoyé à Paris3. Le Saint-Père imposait silence à tous les
théologiens, leur défendant de rien dire, de rien écrire qui fût
contraire en aucune façon aux décrets du concile de Trente, ou
aux Bulles de Sixte IV et de Pie V, sur la Conception de la Bien-
heureuse Vierge. Cette sentence était pour l'ancien professeur du
collège de Clermont, et toute la Compagnie, un nouveau témoi-
gnage de la bienveillance du Souverain Pontife, car, en parais-
sant ne favoriser aucune opinion, il ordonnait d'embrasser le
sentiment soutenu par le P. Maldonat3. Quelques jours après, le
P. Général annonçait à celui-ci, en le félicitant de sa parfaite
soumission, qu'il pouvait désormais séjourner à Bourges'1.
1. Gall. Epist., t. IX, fol. 369, 370.
2. Le cardinal secrétaire d'Elat à M-1 le Nonce à Paris, 20 janvier, i mars 1577
(Archiv. Vatic, Nunz. di Franc, t. XI, fol. 230, 232, 238, 239).
3. Lettre du P. Général au P. Mathieu, 4 févr. 1577 (Francia. Epist. Gêner., t. 1575-
1604).
4. Lettre du P. Général à Maldonat, 1<S février 1577 (Iàid.).
COMPAGNIE DB JÉSUS. — T. I. 38
CHAPITRE XII
FONDATION DU COLLÈGE DE BOURGES ET DE L'UNIVERSITÉ
DE PONT-A -MOUSSON.
(1575).
Sommaire : Bourges. — 1. Origines du collège Sainte-Marie. — i. Projet de le
confier aux Jésuites; remarque générale sur la division des collèges dans la
Compagnie. — 3. Derniers arrangements; incorporation à l'Université. —
4. Rapports de Maldonat avec Cujas; son Commentaire sur les Évangiles. —
Pont-à-Mousson. — 5. État de la Lorraine et projet de collège à Metz. — 6. Le
cardinal de Lorraine se décide à l'établissement d'une Université à Pont-à-
Mousson; Bulle d'érection de Grégoire XIII, 5 déc. 1572. — 7. Négociations du
cardinal avec la Compagnie. — 8. Quelques classes sont ouvertes en novembre
1574. — 9. Protection du cardinal de Guise et de l'évèque de Verdun; ouver-
ture solennelle des classes, mars 1575. — 10. Progrès de l'Université jusqu'à la
mort du cardinal de Guise.
Sources manuscrites : I. Archives du Cher, série D.
II. Archives communales de Bourges, série GG.
III. Archives de Meurthe-et-Moselle, série H.
IV. Recueils de documents conservés dans la Compagnie : a) Epistolae Cardinalium. —
b) Francia, Epist. Generalium. — c) Hisloriae fundationum. — d) Franciae Historia. —
e) Gallia, Epist. Generalium. — f) Galliae Epi>t. — g) Galliarum monumenta historica.
V. Archives de la Province de France.
Sources imprimées : Acta S. Sedis — Bullarium romanum. — Carayon, Document*
inédits; Histoire de l'Université de Pont-à-Mousson par le P. Abram. — Erectio Unioer-
sitalis Mussipontanae. —Institut. Soc. Jesu. — Maldonatus, In Matthœum; Praef'atio
in IV Evang. — Prat, Maldonat et l'Université de Paris.
1. Le collège Sainte-Marie de Bourges, où Maldonat s'était re-
tiré à son départ de Paris, venait d'être remis entre les mains de
la Compagnie de Jésus; mais son origine remonte beaucoup
plus haut, jusqu'à la Bienheureuse Jeanne de France, fille de
Louis XI, duchesse de Berry, et fondatrice de l'Ordre de l'Annon-
ciade1. En effet, vers la fin du quinzième siècle, un docteur en
théologie, François Rogier, avait entrepris l'établissement d'une
école à Bourges, entre l'église Notre-Dame de la Comtal et la
maison commune de la ville; puis, se trouvant hors d'état d'a-
chever l'œuvre commencée, il la confia à Ja duchesse de Berry,
1. Née en 1464, elle avait épousé son cousin, Louis, duc d'Orléans, qui, monté sur
le trône, fit casser son mariage en 1498. Nommée duchesse de Berry, elle se retira à
Bourges où elle mourut en 1505. Elle fut béatifiée par Benoît XIV en 1743.
FONDATION Di COLLÈGE DE BOURGES. :;«>:•
qui acheta, pour l'agrandir, une petite maison clans Je voisinage.
Plus tard, par son testament du 5 mai 150V, la Bienheureuse
Jeanne fonda dix bourses pour de pauvres écoliers auxquels on
devait enseigner la grammaire, la poésie et l'art oratoire1. La
rente de cent livres, qu'elle légua à cet effet, fut reconnue le
7 janvier 1522 par son neveu le connétable de Bourbon, et con-
firmée par François rr le 5 avril 152 \.
Telle était la modeste situation de l'école Sainte-Marie, lors-
qu'en 1560 les États d'Orléans prescrivirent aux chapitres des
églises cathédrales et collégiales d'appliquer des prébendes aux
établissements d'instruction publique. Les chanoines de Bourges
ne se soumirent qu'après de longues résistances et consentirent,
le 10 février 1567, à payer annuellement une somme de sept
cents livres. Aussitôt M. Gassot, au nom de la ville, MM. Jacques
Girard et Claude Descombes, au nom des chapitres, furent en-
voyés à Paris pour choisir des précepteurs. Ils traitèrent avec
Jean Prévost, maître es arts de l'Université, professeur de langue
grecque et latine, qui s'engagea à venir à Bourges avec deux
régents '.
Gomme les bâtiments de l'ancienne école étaient insuffisants,
on y joignit le prieuré de la Comtal, qui dépendait de la prévôté
d'Évaux, en Combraille. Le titulaire, Jean Bidault, doyen de l'é-
glise de Bourges, renonça à ses droits, et le prévôt, à qui la col-
lation appartenait, exigea seulement qu'on reçût à perpétuité,
comme boursiers, deux religieux d'Évaux, désignés par lui.
2. La nouvelle organisation du collège fonctionnait depuis
quatre ans à peine, lorsque M. Niquet, abbé de Saint-Gildas et de
Méobec, considérant le peu d'avantage que Bourges retirait d'un
établissement doté d'un revenu trop modique, résolut de lui
donner l'extension que méritait l'importance de la ville, et dy
appeler les Jésuites déjà célèbres par leurs œuvres d'éducation.
Jean Niquet avait consumé sa vie au service de son pays et de
l'Église; il avait été, depuis le règne de Henri II, le principal in-
termédiaire entre la cour de France et le Saint-Siège. Forcé par
1. Testament de la Bienheureuse Jeanne (Archives Prov. de Fiance : Papiers du
président Rolland). Ces papiers furent gracieusement offerts, il y a quelques années,
au R. P. Provincial par la famille d'Erceville. Ils sont une partie des documents qui
ont servi à la rédaction des Comptes rendus relatifs aux Établissements des Jésuites
dont, en 1762, furent chargés par la Cour du Parlement de Paris MM. Rolland d'Er-
ceville, de l'Averdy et Roussel de la Tour. (Cf. Recueil par ordre de dates... des
Comptes rendus au Parlement. .. t. VI, p. 3).
2. Contrat pour la charge de principal, 29 mars 1567/ (bid.).
596 HISTOIRE DE LÀ COMPAGNIE ]>E JÉSUS.
l'âge de rentier dans la vie privée, il consacrait ses dernières
années à la pratique de la prière et au bien de sa ville natale.
Il partit pour Rome, en 1571, dans le dessein de s'entendre
directement avec le Père Général, et revint au mois d'octobre
porteur d'une lettre du P. Nadal pour le P. Edmond Hay, Pro-
vincial de France. L'intention de M. Niquet, disait le P. Vicaire,
était d'appliquer le revenu de ses deux abbayes à la fondation
d'un collège, et il devait, à son passage à Paris, traiter de cette
affaire avec le roi. Un mémorial, qui lui avait été remis à son dé-
part de Home, indiquait les précautions à prendre pour que tout
fût bien réglé selon l'esprit de l'Institut. Le P. Provincial était
prié de l'aider de ses conseils dans la marche de cette affaire '.
Les collèges ouverts par la Compagnie de Jésus ne pouvaient
avoir partout une égale importance : elle dépendait des circons-
tances de lieu et de temps dans lesquelles ils se trouvaient placés.
En 1564, le P. Lainez partagea les collèges en trois classes : les
petits, les moyens et les grands-. Les premiers, dans lesquels on
n'enseignait que les lettres humaines, devaient comprendre au
moins vingt religieux, — prêtres, scolastiques (professeurs ou étu-
diants), coadjuteurs, — chargés du gouvernement, des fonctions
du ministère, de l'enseignement ou des intérêts matériels de la
maison. Les collèges moyens, où l'on enseignait aussi les cas de
conscience, comprenaient au moins trente religieux, et cinquante
s'il y avait un cours de philosophie'. Dans les grands collèges,
composés d'au moins soixante-dix religieux, on ajoutait à l'en-
seignement des lettres et de la philosophie celui de la théologie
et de l'Écriture Sainte4.
D'après une lettre du P. Gogordan. c'était un grand collège
que M. Niquet avait l'intention d'établir à Bourges. Aussitôt après
son retour de Rome, il en parla au roi qui donna tout de suite
plein consentement. Mais le conseil privé, écrit le P. Gogordan au
P. Général, « se conduisit à son égard d une manière indigne; on
le renvoya aux cinq présidents du Parlement de Paris, et comme
1. Lettre du 4 octobre 1571 (Gall., Epist. General., t. V).
2. Institut., t. H, p. 214.
3. Comme nous l'avons dit au sujet des scolasticats, c'était surtout dans les moyens
et grands collèges que se trouvaient les scolastiques élèves pour y suivre les cours
de philosophie et de théologie.
4. Plus tard, après la cinquième congrégation générale, le P. Aquaviva exigea poul-
ies contrées cisalpines de 30 à 40 religieux dans les petits collèges, de 60 à 80 dans
les moyens, et 100 dans les grands. Le revenu annuel, proportionné au nombre des
religieux, fut fixé ainsi : 10.000 livres de revenu pour les petits; — 15.000 pour les
moyens; — 20.000 pour les grands.
FONDATION Dl COLLEGE DE BOl RGES. 597
ceux-ci se trouvaient alors à la cour, on les pria de donner une
réponse négative. Depuis le départ de votre Paternité, on ;i ré-
pandu le bruit que les Jésuites voulaient accaparer tous les bé-
néfices de France; aussi le Parlement et le conseil privé sont-ils
décidés à refuser toute union de bénéfice à n'importe quel col-
lège ' ».
Les offres généreuses de M. Niquet furent heureusement mieux
acceptées par les maire et échevins de Bourges. Dans un traite <lu
15 octobre 15 72, l'abbé de Saint-Gildas proposa de donner une
somme de douze cent cinquante livres de rente pour l'entretien
du collège; de céder pour l'augmentation des bâtiments un corps
de logis avec cour et jardin, à lui appartenant, proche le prieuré
de la Comtal; de le réparer et meubler, et même de faire tous les
frais pour obtenir du Saint-Siège les Bulles nécessaires. Les
maire et échevins offrirent de leur côté de contribuer à l'établis-
sement des Jésuites par une rente de cinq cent cinquante livres,
dont ils pourraient néanmoins se décharger un jour, si le collé-. j
parvenait à posséder de plus grands revenus, soit par des bien-
faits particuliers, soit de toute autre manière2.
Le P, Edmond Hay, averti de ce projet, se rendit à Bourges à
la demande des parties intéressées. Il y eut une première réunion
au palais archiépiscopal, le 26 février 1573. Un acte fut dressé
par lequel l'abbé Niquet laissait aux Jésuites, le Provincial pré-
sent et acceptant, sept cents livres de rente, et de plus neuf mille
livrés comptant pour la construction et l'ameublement du collège,
auquel il annexait le corps de logis dont nous avons parlé plus
haut. Les maire et échevins s'engagèrent au paiement annuel des
cinq cent cinquante livres qu'ils avaient offertes. Le P. Provin-
cial s'obligea à envoyer huit régents, trois pour la philosophie et
cinq pour les lettres grecques et latines, et promit de faire rati-
fier le tout par le P. Général". Dans une seconde assemblée, le
2 mai suivant, on confirma le traité du 26 février; de plus, on
stipula que les prébendes préceptoriales seraient appliquées, du
consentement des chapitres, aux prêtres et étudiants delà Compa-
gnie de Jésus. Pour ce qui concernait les revenus du prieuré de
la Comtal et du collège Sainte-Marie, on prierait M"' l'archevêque
<lc solliciter auprès du roi et du Saint-Siège leur union au nou-
veau collège ''.
1. Gall. Epislolae, t. Vï, fol. 18, 19, 20.
2. Second contrat (Archiv. du Cher, D, 34, fol. 28, 29, 34).
3. Troisième contrat Archiv. du Cher, D, 3i, fol. 35, 39).
4. Quatrième contrat (Archiv. du Cher, D, 3i, fol. 10, 50).
598 HISTOIRE DE EA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Le 10 mai, l'archevêque de Bourges, Mgr Antoine Vialart,
donna son consentement, et le 28 du même mois, Charles IX ac-
corda des lettres patentes. Le Parlement ayant fait quelques dif-
ficultés pour les enregistrer, il en fut expédié de nouvelles le
8 octobre, mais adressées seulement au bailli du Berry, lequel
mit, le 9 décembre 1573, les Jésuites en possession du collège et
des revenus qui y étaient attachés, à l'exception de la première
dotation de l'école Sainte-Marie, car Marguerite de France, du-
chesse de Savoie et de Berry, avait formé une opposition dont
l'instance était encore pendante en la cour1.
Toutefois l'archevêque n'avait donné son consentement qu'à
certaines conditions qui, mal interprétées, auraient pu paraître
inacceptables. Le collège devait être soumis à sa Visitation et
obéissance, et placé sous la direction du recteur de l'Univer-
sité, à laquelle il serait incorporé et dont il devrait observer
les statuts. Les Pères ne pourraient, sans l'autorisation du pré-
lat, prêcher, administrer les sacrements « et faire autres fonc-
tions ecclésiastiques » ; enfin ils recevraient des enfants en
pension2.
Le P. Auger, qui prêchait à Bourges l'avent de 1573, ne sem-
blait pas considérer ces conditions comme incompatibles avec
l'Institut; néanmoins, dans les lettres qu'il écrivit alors au P. Gé-
néral, il s'efforça de lui en atténuer la portée, afin de les rendre
plus acceptables : « Puisque les poincts d'importance sont vuidés
libéralement, dit-il,... je croi que vous ne ferés difficulté de per-
mettre qu'il y ait ici des pensionnaires à la mode de Turin ou
environ; quant à la jurisdiction de l'archevesque, ce n'est que
suivant le concile [de Trente], chose qui se passera mieux dans
peu d'années; et l'Université [nous] faict instance d'estre comme
les premiers d'icelle, suivant l'incorporation, sans aucune charge
répugnante à nostre estât'... Et quant à mettre, comme on l'avoit
mis au contrat, que nous ferons gratis nos exercices, je confesse
bien qu'il y eust falu joindre suivant leurs constitutions; mais
puisque le bon P. Hayus Publia, ne vous arrestés à cela, mon
Père, car nous aurons, dans deux ans, toutes les déclarations
que vous souhaiterés de ces petits accessoires qui ne doivent al-
térer le principal ''. »
1. Archiv. du Cher, D, 34, fol. 70, 73, 76, 80.
2. Collegium Bituricense (Francia, Hisl. fundat., n. lui.
3. Lettre du 31 décembre 1573 (Gall. Epist., t. VIII, fol. 349).
4. Lettre du 31 janvier 1574 [Ibid., fol. 12).
FONDATION DU COLLÈGE DE BOI RGES .!,90
3. Différentes circonstances empêchèrent la Compagnie d'i-
naugurer immédiatement le collège de Bourges. Deux années
s'écoulèrent avant l'arrivée des Pères et l'ouverture des classes.
On profita de cet intervalle pour régler définitivement les affaires
encore pendantes. La duchesse de Savoie et Berry, qui s était
d'abord opposée à la réunion du collège de Sainte-Marie à celui
des Jésuites, donna son consentement par un acte du 1(> avril
J5741. Grégoire XIII, par la Bulle Sahatoris et Domini, du
15 juillet de la même année, sanctionna tous les arrangements
précédents et en confia l'exécution aux officialités de Bourges,
de Lyon et d'Orléans. Le 4 mars 1575, Henri III accorda de nou-
velles lettres patentes confirmatives de celles de Charles IX. Mais
ces lettres et la Bulle du Souverain Pontife, présentées à la cour,
rencontrèrent une vive opposition. Pressé par les instances de
l'archevêque et des échevins de Bourges, le roi adressa au Par-
lement, le 28 juin de la même année, de nouvelles lettres pa-
tentes en forme de jussion, par lesquelles il ordonnait l'enregis-
trement des précédentes; il décorait, en outre, le collège de
Sainte -Marie du titre de collège royaL comme ayant été fondé
par une Fille de France. Tous ces actes furent enfin vérifiés le
3 août 1575 '.
Rien ne s'opposant plus désormais à l'ouverture des classes, le
P. Provincial s'empressa d'envoyer un personnel choisi et capable
de donner une heureuse impulsion à cette œuvre importante. Le
P. Bernardin Castori, destiné à devenir le premier Recteur, prit ,
les devants afin de préparer le logis ; il fut bientôt suivi du P. Jean
Arnoult, comme procureur, et des P. Vêla et Olivier qui devaient
joindre au professorat le ministère de la confession. A tous les
degrés de l'enseignement le P. Claude Mathieu voulait placer des
hommes de valeur : « Le P. Michel Coyssard, écrivait-il au
P. Général, y pourra aller pour préfet des études, le P. Robert
qui vient de Bordeaux ou maître Noël pour théologien, le P. Pierre
de la Rue pour philosophe, le P. Didier pour rhétoricien, Mc An-
toine Mesnage pour second. Quant aux autres classes nous y pour-
voyons le myeux qu'il sera possible 3. »
Le 30 août, l'abbé Niquet, afin « de demeurer quitte » des
sommes et rentes promises par lui au contrat, donna « par une
donation irrévocable et entre vifs au collège de Bourges... le
1. Papiers Rolland (Arch. prov. France).
1. Archiv. du Cher, D, 3i, fol. 51, 60, 83, 84, 8:..
3. Lettre du P. Mathieu au P. Général, 28 août 1575 (Gall. Epist., I. IX, fol. 72, 73
GOO HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÈSI S.
lieu seigneurial de Lazenai..., le lieu et Seigneurie de Pisseloup
et Yaubut..., le domaine de Prouziers..., quatre arpens de pré,
deux mille livres en argent comptant, et généralement tous ses
biens meubles et immeubles à la réserve de ceux dont il avait
disposé au profit d'Hippolyte Niquet, son neveu ». L'abbé y met-
tait comme conditions que les Jésuites paieraient une pension
viagère de cinq cents livres à Philippe Niquet, son autre neveu,
et une autre de trente livres à Marie Niquet, sa sœur, religieuse
aux Annonciades; que le collège serait toujours gouverné par
les Pères de la Compagnie, sinon tout ce qui avait été donné par
lui devait retourner au collège de Glermont ou être remis à l'en-
tière disposition du P. Général pour l'utilité des autres collèges
du royaume1.
A peine installés à Bourges, les Pères de la Compagnie s'étaient
mis à l'œuvre avec ardeur, et leurs débuts prospères acquirent
bientôt au collège une renommée qu'il n'avait pas connue jus-
que-là. Moins de deux ans après l'ouverture des classes, le P. Cas-
tori pouvait annoncer au P. Général, le 12 avril 1577, qu'elles
comptaient déjà quatre cents élèves faisant de rapides progrès
dans les lettres et la piété : « Nous avons l'espoir, ajoutait-il, de
voir toute la ville transformée par leurs bons exemples-. » La
présence du P. Maldonat ajoutait encore à la réputation des nou-
veaux maîtres. Sur la demande de l'abbé Niquet, il consentit à
prêcher dans l'église de la Compagnie quelques sermons sur la
tfoi, auxquels assistèrent, en grand nombre, les professeurs et les
étudiants de l'Université et les principaux habitants de la ville.
Afin de consolider l'établissement du collège de Bourges, il
parut opportun de l'incorporer à l'Université. La Faculté des arts
n'y fit aucune opposition, et l'agrégation eut lieu le 24 octobre
1575 :>. Les Jésuites devaient se conformer à l'arrêt du Parlement
de Paris du 13 août précédent : en conséquence ils promirent de
n'exiger aucun droit de ceux qui se présenteraient pour obtenir
le degré de Maître es arts, de subir tous les examens, et de faire
tous les exercices auxquels étaient soumis, suivant les statuts de
l'Université, tous les candidats au titre de Docteur '*.
4. L'Université de Bourges, restaurée au mois de décembre
1463 par lettres patentes de Louis XI, que le Pape Pie II confirma
1. Acte de donation Papiers Rolland).
2. Gall. Epist., I. XI, fol. 376.
3. L'agrégation à la Faculté de théologie n'eut lieu qu'en 1630.
4. Papiers Rolland.
MALDONAT AU COLLEGE DE BOI RGES. 601
le 12 décembre de la même année, était surtout célèbre par l'en-
seignement du droit. Elle forma uoe école de jurisconsultes, pleins
de mépris pour le droit canonique, qui donnèrent à la législation
moderne cet esprit d'indépendance que les protestants avaient
introduit dans la religion. Le fameux Cujas y occupait, pour la
seconde fois, une chaire de droit civil, au moment où le I*. Mal-
donat se retira au collège Sainte-Marie. Bourges pouvait ainsi se
glorifier de posséder deux des plus savants hommes qui fussent
alors en Europe. Voué par sa vocation au maintien et à la propa-
gation de la foi catholique, Maldonat n'avait cessé de lutter contre
le protestantisme. Cujas, lui, n'eut jamais de convictions reli-
gieuses : catholique de naissance, protestant par dépit, converti
par intérêt, il garda jusqu'à la fin de sa vie une espèce de neu-
tralité entre la vérité et l'erreur. Quand on lui demandait son
opinion sur les affaires religieuses du temps, il avait coutume
de répondre d'une manière évasive : Nihil hoc ad edictum prae-
toris, affectant de ne s'occuper que de jurisprudence.
L'illustre jurisconsulte rechercha l'amitié du grand théologien.
Pour rendre hommage au talent du professeur du collège de
Clermont, qui avait su réunir autour de sa chaire une foule im-
mense d'auditeurs, le professeur de la Faculté de Bourges lui fit
visite à la tête de ses huit cents élèves. Maldonat répondit à ces
prévenances, un peu vaniteuses, par d'ordinaires témoignages
d'estime et de politesse. On conçoit qu'une intime union ne pou-
vait exister entre ces deux hommes animés de vues si différentes.
Il était même facile de prévoir que, le jour où ils se rencontre-
raient sur le terrain de la foi, ils se feraient une vigoureuse op-
position. Le démêlé éclata plus tard, et sera exposé en son lieu \.
Contrairement à l'affirmation de plusieurs historiens, Maldonat
n'a jamais enseigné à Bourges -; mais il y a élevé le monument le
plus solide de sa gloire. Livré depuis vingt ans à une étude con-
tinuelle de l'Écriture Sainte, il avait déjà rédigé de nombreuses
notes sur tous les livres de la Bible; le temps seul lui avait man-
qué jusqu'alors pour coordonner en corps d'ouvrages les résultats
de ses travaux. Grâce au repos forcé que lui procurèrent ses en-
nemis, il put, durant son séjour à Bourges, composer la plus
grande partie de ses Commentaires sur les Évangiles, ouvrage
1. Abram, Histoire de V Université de Pont-à-Mousson (Carayon, Doc. inédits,
V, p. 121). — Cf. Berriat Saint-Prix, Histoire de Cujas, a la suite de son Histoire
(In droit Romain.
2. Il écrit au P. Général à la date du 14 octobre 1577 : « In schola publica hujus
urbis, etsi saepe rogatus sum, nunquam docui » (Gall. Enist., t. XI, fol. .T"
602 HISTOIRE l>E LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
remarquable où il a laissé les traces les plus profondes de son zèle
et de sa science.
Le principe du libre examen, qui soumettait aux lumières de la
raison individuelle les mystères de la foi, devait nécessairement
amener les protestants à traiter avec la même indépendance les
Saintes Ecritures, c'est-à-dire à admettre certains livres, à rejeter
les autres et à les interpréter tous arbitrairement : « Les héréti-
ques, dit le P. Maldonat dans sa préface, ont l'habitude non d'ad-
mettre mais de faire, non de recevoir mais de donner l'Évangile;
et aujourd'hui, si Calvin l'avait jugé à propos, nous n'aurions plus
les quatre Évangiles, puisqu'il pouvait aussi bien les rejeter que
d'autres livres adoptés par l'Église1. » Il pose donc en principe
que l'Église seule peut donner aux Saintes Lettres leur autorité,
« à peu près, dit-il, comme un chancelier donne l'autorité aux
ordonnances du roi en déclarant, par l'apposition de son sceau,
qu'elles descendent du trône... C'est l'Église et non Calvin qui
garde les sceaux du Seigneur; c'est à elle et non à Calvin, que le
Saint-Esprit a été promis et envoyé pour rester avec elle jusqu'à
la fin des siècles... C'est cet Esprit divin qui, après avoir dicté les
quatre Évangiles, nous déclare par l'Église qu'il les a dictés- ».
Et Maldonat en conclut que les hérétiques, parce qu'ils sont hors
de l'Église, ne peuvent comprendre le vrai sens des Écritures.
Défendre la doctrine catholique contre l'hérésie, tel est le but
qu'il se propose dans ses Commentaires tout d'actualité. Mais il
aime trop l'Église de Jésus-Christ pour la défendre avec mollesse;
il se montre pressant, chaleureux, sans pitié, quand il poursuit
ceux qui se donnent la mission de la combattre ; et s'il vient à
craindre qu'on accuse sa vigueur de dureté, il s'excuse en indi-
quant l'esprit qui l'anime : « Ce n'est point dans une pensée de
mépris, dit-il, que nous avons émis ces réflexions; elles nous ont
été dictées par le désir d'avertir les hérétiques, afin que s'il en est
encore que l'incrédulité n'ait pas tout à fait endurcis, ils revien-
nent à résipiscence !. »
Afin de ne pas donner prise aux réclamations des protestants
contre le sens allégorique, et de flétrir plus à l'aise leur intempé-
rante exég'èse, Maldonat s'attache uniquement au sens littéral des
livres sacrés7'. Il s'arrête surtout aux passages que les hérétiques
1. Praef. inlV Evcnig., c. n. — 2. Ibidem.
3. In Matth., c. xxvi, v. 2C.
4. « Nous cherchons, dit-il, non les allégories, mais le sens propre et littéral de l'E-
criture » {Ibid.. v. 51).
MALDONAT Al1 COLLÈGE DE BOURGES. 603
ont coutume de citer à l'appui de leurs erreurs, et, sans sortir du
texte, il renverse les prétentions des adversaires et établit la
vérité des dogmes catholiques. Toutes les questions importantes
de la théologie sont traitées dans son ouvrage; il suffirait <l<
ranger ses lumineuses explications clans un ordre méthodique,
pour en former un cours complet de controverse d'après l'Évan-
gile.
Publiés seulement après la mort de l'auteur, les Commentaires
sur les quatre Évangiles 1 reçurent, dès leur apparition, le témoi-
gnage de l'admiration universelle, et les éloges que leur rendit
le xvic siècle furent confirmés par les siècles suivants. « Les
quatre évangiles, dit le P. de la Vie, sont tous quatre si excel-
lemment commentés et expliqués que MM. le cardinal du Perron
et Coeffeteau, évêque de Marseille, les deux fléaux de la doc-
trine hérétique et des ministres de Calvin, m'ont dit souvent
qu'ils ne croyaient pas que depuis les apôtres il y eût docteur
aucun en l'Église catholique qui eût si bien entendu le sens lit-
téral du texte évangéliqne que Maldonat en ses Commentai-
res'-. » Pour le Nouveau Testament, disait Bossuet, « Maldonat sur
les Évangiles et Estius sur Saint Paul sont instar omnium'' ».
Bayle lui-même ne peut s'empêcher de souscrire aux louanges
données à Maldonat4. Il s'est aussi rencontré des écrivains pro-
testants assez impartiaux pour rendre justice au savant inter-
prète. Reimmann, entre autres, reconnaît dans les Commen-
taires, avec un jugement exact et solide, une remarquable
intelligence des langues et des choses5. De nos jours, où l'exé-
gèse biblique a fait tant de progrès, des hommes compétents
n'hésitent pas à avouer que Maldonat avait déjà fixé les règles
et atteint les dernières limites de cette science. Aussi, Conrad
Martin, évêque de Munster, en réduisant les Commentaires aux
proportions d'un manuel à l'usage des jeunes ecclésiastiques,
disait-il dans sa préface : « Les Commentaires de Maldonat sur
les quatre Évangiles sont vénérés, dans presque toute l'Église.
1. La meilleure édition est celle de 1607 publiée à Lyon par le P. Pierre Madur. Il
ajouta aux Commentaires des notes philologiques, critiques et historiques. — Cf.
Sommervogel, Bibl. de la Compagnie de Jésus, t. V, col. 280, n. 4.
2. Mémoires apologétiques. Cf. Joly, Observations sur le diction. de Bayle. au
mot Maldonat.
3. Cité par Floquet, Études sur la Vie de Bossuet, t. II, p. 520.
4. Diction, fnst. et crit.. art. Maldonat.
5. Catalog. Biblioth. Ilwolog. systemat. critic, t. I, p. 285. —Déjà avant Reim-
mann, Richard Simon avait dit : « Il y en a peu qui aient expliqué avec tant de soin et
même avec tant de succès le sens littéral des Évangiles que Jean Maldonat » I Hist.
critiq. des princip. comment, du /V. T.. ch. 42).
(504 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE l>E JÉSUS.
comme le plus cligne monument des plus beaux temps, et ils
jouiront toujours, je n'en doute pas, de la même considération l. »
Tel est l'ouvrage dont l'importance et la valeur manifestes nous
empêchent de regretter et l'exil de l'ancien professeur de Paris,
et son silence au collège de Bourges. Plus tard, bien des person-
nages célèbres séjourneront dans cet établissement, qui sera
l'un des plus considérables de la Province de France : aucun
d'eux ne surpassera en renommée le premier et le plus savant
de ses hôtes.
5. N'est-ce point aux heureux résultats, déjà palpables, de l'en-
seignement théologique donné dans la Compagnie de Jésus par
des hommes comme Maldonat, qu'il faut attribuer la tendance,
très marquée à cette époque, à offrir de tous côtés aux disciples
de saint Ignace des collèges de plein exercice ou même des Uni-
versités? Tandis que l'abbé de Saint-Gildas négociait à Bourges
pour assurer à son pays natal le bienfait des hautes études, un
autre soutien de l'orthodoxie, le cardinal de Lorraine, s'occupait
au nord-est du royaume, à fonder l'Université de Pont-à-Mousson.
La Lorraine, depuis l'époque où elle avait reçu la foi catholique
jusqu'au milieu du xvie siècle, s'était toujours conservée pure
de toute hérésie. Le Martyrologe huguenot constate que « de
toutes les contrées de l'Europe, [elle] est celle que Dieu a le moins
comblée de ses grâces spirituelles, soit à cause de l'impiété du
peuple, voué en proie à l'idolâtrie [papiste], soit à cause de l'in-
justice des magistrats, soit par d'autres raisons que Dieu connaît
et qui l'ont porté à exercer envers cette nation la rigueur de ses
jugements 2 ». Cependant, en 155*2, le venin des nouvelles doctri-
nes s'étant insinué dans la ville de Pont-à-Mousson, les déserteurs
de la vraie foi essayèrent d'obtenir du duc de Lorraine l'autori-
sation de vivre librement dans leur apostasie. Ils firent même
appuyer leur requête par l'électeur palatin, le landgrave de Hesse
et le duc de Wurtemberg. Charles III refusa de les entendre :
« Je n'empêche point vos compatriotes, leur fit-il savoir, d'em-
brasser la religion de leurs seigneurs; je prie donc ces mêmes
seigneurs de ne point trouver mauvais que je conserve à mes su-
jets leur religion, qui est la mienne 3. » Cette courageuse fermeté
1. Aberlé, Tlteologische Quartalschrift, 35e année, n" 1. L'auteur donne un compte
rendu très détaillé de l'édition des Commentaires par Conrad Martin.
2. Martyrologe huguenot, p. 603.
3. Abram, Hist. de l'Université de Pont-à-Mousson (Carayon, Doc. inéd., V, 6 .
L'auteur de cette notice est le P. Nicolas Abrani, le commentateur de Virgile et de
FONDATION DE L'UNIVERSITE DE PONT-A-MOUSSON. 603
désespéra les tentatives plusieurs fois renouvelles des novateur-*.
Ils se retirèrent dans le Palatinat, chez le prince de Deux-Ponts,
à Strasbourg, et à Metz qui était passée sous la domination fran-
çaise.
Dans cette dernière ville, les huguenots avaient obtenu, en 1 561 ,
la faculté do se réunir, d'écrire et de prêcher; ils jouirent de cette
liberté jusqu'en 1569, époque à laquelle le cardinal de Lorrain»
soutenu par Henri de Guise, M. de Vieilleville et le roi de France,
mit un terme à leurs entreprises. Mais Charles IX manqua de cons-
tance dans la répression : « Un mois s'était à peine écoulé qu'il
permettait aux réformés du village de Portieux de célébrer selon
leur rit les mariages et les baptêmes, et l'année suivante il éten-
dit encore cette concession au village le plus voisin '. » Le cardi-
nal de Lorraine, déplorant amèrement cette impolitique faiblesse
et voulant y remédier, forma le projet d'ouvrir à Metz un collège
catholique sous la direction des Pères de la Compagnie - : « Ce
collège, écrivait-il en 1571 au P. François de Borgia. procurera
de grands avantages à toute l'Église, fortifiera dans la foi le dio-
cèse de Metz, et conservera dans le service de Dieu la maison de
Lorraine dont tous les descendants se regarderont comme vos
enfants adoptifsen Notre-Seigneur. Les Guise, du reste, s'honorent
déjà de vous être unis par les liens du sang :! » La proposition
ayant été bien reçue à Rome, le P. Manare, Provincial de France,
se rendit à Reims où l'avait appelé le cardinal-archevêque, et tous
deux partirent pour Me«tz afin de choisir un emplacement \ On
n'avait tenu aucun compte des alarmes des réformés ; ils portèrent
leurs plaintes à la cour et parvinrent à influencer le faible
Charles IX. Au moment où tout semblait sur le point de réussir,
une lettre du P. Nadal avertit le P. Auger que le roi s'était opposé
à la fondation d'un collège de la Compagnie à Metz '.
Cicéron. Né à Xaronval en Lorraine, en 1580, entré au noviciat en 1606, mort en
1655, il professa la rhétorique puis la théologie à Pont-à-Mousson où il occupa cett<-
dernière chaire pendant 17 ans. 11 eut pour écrire son histoire, qu'il commença vers
1651, les archives de la maison et reçut des archives générales de Rome copie des
pièces officielles les plus importantes. Son travail inachevé, incomplet, rempli de lon-
gueurs, est cependant un utile recueil de matériaux. Le meilleur ouvrage sur l'Univer-
sité de Pont-à-Mousson est celui de l'abbé Eug. Martin qui a mis en œuvre avec une
rare érudition les documents que lui offraient, nombreux, les archives et bibliothèques
de Nancy. (Cf. l'abbé Eugène Martin, L'Université de Pont-à-Mousson, Paris, Nancy,
1891.)
1. Ibid., p. 9.
2. Lettre du P. Auger au P. Gén., 19 oct. 1570 (Gall. Epist., t. V. p. 85 .
3. Galliarum monumenla, t. 1565-1604, n. 147.
4. Lettre du P. Manare au P. Gén., 7 juillet 1571 (Gall. Epist., t. V. f. 227-230 .
5. Lettre du 9 oct. 1571 (Gall. Epist., t. V, f. 203).
606 HISTOIRE l»E LA COMPAGNIE DE JÉSI S.
(i. C'est alors que le cardinal de Lorraine fit agréer au duc
Charles III le projet d'érection d'une Université à Pont-à-Mousson.
Il en parla au P. François de Borgia durant son séjour à Blois, en
l.">72; mais le P. Général, tout en accueillant favorablement cette
communication, ne voulut prendre aucun engagement1. Le
pape Pie V étant mort sur ces entrefaites, le cardinal vint à Rome
pour l'élection de son successeur. Dans une de ses visites au col-
lège Romain, il fut reçu par le P. Nadal, Vicaire général, avec
tout l'honneur dû à son rang, et complimenté par les maîtres et
les élèves en dix-sept langues différentes; brillante réception
qui l'encouragea encore à persévérer dans son dessein.
Son premier soin, après l'élection de Grégoire XIII, fut de lui
demander, dans une requête motivée, la création à Pont-à-Mous-
son d'une Université, — où l'on professerait la théologie, l'un et
l'autre droit, la médecine et la philosophie, — et l'érection d'un
collège dirigé par les religieux de la Compagnie de Jésus. Ce col-
lège serait établi dans la commanderie de Saint-Antoine, dont
l'église, le couvent, les jardins et dépendances seraient transférés
aux Jésuites; on pourvoirait à l'entretien des religieux qui ensei-
gneraient la théologie, la philosophie, les lettres et la grammaire,
par une rente de quinze cents écus d'or sur la mense conventuelle,
les offices claustraux de l'abbaye de Gorze ou des prieurés qui en
dépendaient2, et par une autre rente, également de quinze cents
écus d'or, prélevée pour un tiers sur la mense épiscopale de Metz
dont le cardinal était administrateur, et les deux autres tiers sur
les abbayes et prieurés des trois Évêchés ; l'évêque de Metz, les
abbés et prieurs pourraient se libérer de cette charge en aban-
donnant aux Jésuites des bénéfices simples à leur collation, jus-
qu'à concurrence de la rente exigée. En retour, la Compagnie de-
vait établir un collège aussi vaste que ceux qu'elle avait fondés
auprès des Universités les plus célèbres, et fournir soixante -dix
religieux, dont quatre professeurs de théologie, trois de philoso-
phie, un de rhétorique, un d'humanités, trois de grammaire; il
devait y avoir aussi, chaque jour, deux cours de grec, un d'hébreu
et un de mathématiques 3.
Le Pape, prévenu par les ennemis des Jésuites, fit d'abord quel-
ques difficultés; mais, après un sérieux examen du projet qu'on
1. Historia collegii Mnssipontani (Francia, Histor. fundat., n. 59).
2. L'abbaye Sainl-Gorgon de Gorze, babilée par les religieux de Saint-Benoit, ne
comptait plus en 1572 qu'un petit nombre de moines.
3. Lettre du cardinal de Lorraine à Grégoire XIII (Archives de Meurthe-et-Moselle,
H, 2105.. V
FOiNDATlON DE L'UNIVERSITÉ DE PONT-A-MOUSSON. 60"
lui avait présenté, il en reconnut les avantages <-t le consacra, le
5 décembre 1572, par la Bulle In supercz/nnenti, qui érigeait
canoniquement le collège et l'Université de Pont-à-i\Iousson. en
reproduisant presque dans leur teneur les termes de la requête1.
Cette Bulle recommandait à tous les professeurs de se conformer
aux usages adoptés dans les collèges de la Compagnie, et de
suivre, dans leur enseignement, l'esprit de l'Institut. Elle établis-
sait ensuite cinq Facultés ; celles de théologie et de philosophie
étaient confiées aux Jésuites, les trois autres à des séculiers-. De
plus elle conférait aux professeurs, officiers et étudiants, des
privilèges semblables à ceux des Universités de Bologne et de
Paris. Elle accordait enfin au cardinal de Lorraine le pouvoir de
faire, en personne ou par délégués, les règlements relatifs à
l'ordre des études et à la direction religieuse des élèves, et la
juridiction sur tous les membres de l'Université, excepté sur les
Pères du collège'.
7. Toutes ces mesures avaient été prises sans arrangement défi-
nitif avec la Compagnie, qui n'avait point alors de supérieur
général. Quand le P. Éverard Mercurian fut élu successeur du
P. François de Borgia, il subit plutôt qu'il n'accepta cette faveur,
car elle renfermait des conditions gênantes sur lesquelles on
aurait pu faire de justes observations, par exemple l'obligation
de fournir dès maintenant soixante-dix religieux à un seul col-
lège, et surtout le voisinage d'une école de droit et de médecine.
Cependant, par égard pour le cardinal de Lorraine, et par res-
pect pour l'autorité pontificale, il ne pouvait plus songer à
discuter des dispositions consacrées par la Bulle In superemi-
nenti. Dans la lettre qu'il écrivit, après son élection, au prélat
fondateur, il se contenta de le remercier des bienfaits accordés
à la Compagnie, en le priant de lui continuer sa protection.
Durant les deux années qui suivirent, diverses causes s'oppo-
sèrent aux progrès de l'entreprise. Le cardinal de Lorraine était
resté à Borne jusqu'au mois de février 1573. A son retour en
France, il fut absorbé par les affaires publiques, et ne vint en
Lorraine que pour accompagner le duc d'Anjou appelé au trône
de Pologne. A Beims, il dut s'employer tout entier au soulage-
1. Jbid. et Acta S. Sedis, p. 62, n° 9, 10.
2. « Medicinae et legum studium, ut a nostro Instituto magis remotum, in unixer-
sitatibus Societatis vel non tractabitur, vel saltem Societas per se id oneris non
suscipiet » (Conslitut. P. IV, c. xn, n" &).
3. Bullarium Romanum (Collig. Angelo Clierubino), t. II, p. 520.
608 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
ment de la misère occasionnée par un hiver désastreux; en sorte
qu'il lui fut impossible de s'occuper alors de l'établissement de
Pont-à-Mousson1. Néanmoins il le perdait si peu de vue, qu'en
passant à Nancy, il fit prendre le costume d'étudiant au fils du
Sérénissime Duc, afin de pouvoir l'inscrire en tète de la matricule
de l'Université2. Puis, au mois de janvier 1574, il écrivit de
Paris au P. Général pour lui exprimer le désir de voir le collège
s'ouvrir le plus tôt possible : « J'ay desjà envoyé, disait-il,
l'évesque de Verdun pour fulminer les Bulles et avancer les
unions, désigner les lieux, faire les marchés des bastiments et
tous préparatifs nécessaires, à quoy je m'asseure qu'il mettra
fin pour ce febvrier ; et de tout serès adverti [afin dej nous en-
voyer une première mission du Recteur, Procureur, et quelques
principaux officiers pour les Pasques, et entière compagnie pour
commencer au prochain Saint-Rémy, chef d'octobre, à quoy je
vous prie de penser et m'en donner vostre advis1... »
Le P. Provincial, averti par l'évèque de Verdun et le P. Auger
de cette volonté formelle, avait déjà prié le P. Général de lui
envoyer de Rome un renfort de quelques Pères, la Province « ne
pouvant fournir par elle-même tous ceux qui étaient nécessai-
res ». Le 'cardinal s'aperçut alors de l'embarras des Jésuites,
partagés entre le désir de plaire à leur protecteur et la crainte
de compromettre les anciennes fondations; il manda près de lui,
à l'abbaye de Saint-Denys où il s'était retiré, les PP. Auger, Mal-
donat et Edmond Hay, pour conférer avec eux de son collège
lorrain. Il se plaignit des causes qui en avaient retardé jus-
qu'ici l'établissement, leur demanda leur avis sur l'organisation
des classes et l'administration temporelle, entra dans des détails
qui montraient son désir de se conformer en tout aux prescrip-
tions de l'Institut; il aurait même voulu qu'un frère laïque sur-
veillât les constructions nouvelles, afin de les mettre en harmo-
nie avec les usages de la discipline religieuse. Il comprenait
d'ailleurs qu'une maison de ce genre ne pouvait s'ouvrir avec
une réputation toute faite, et que la Compagnie, obligée de
faire face à d'autres fondations, ne pourrait fournir soixante-
dix sujets d'un seul coup. Il consentait donc à commencer, la
première année, avec les seules classes de grammaire et de
belles-lettres; on introduirait par degrés la philosophie et les
1. Lettre du cardinal de Lorraine au P. Salmeron, 22 janvier 1574 (Episl. cardinal.,
t.l).
2. Abram. Hist. de l'Univ. de Pont-à-M. (Carayon, Doc. inéd., doc. V, p. 17).
3. Lettre du 25 janvier 1574 (Epist. cardin., t. I).
FONDATION DE L'UNIVERSITÉ DE PONT-A-MOUSSON.
lin'.i
autres sciences. Jl admettait aussi que les Pères fussent exempts
du soin des pensionnaires, à condition d'en conserver la haute
surveillance. Mais il comptait toujours que les classes seraient
ouvertes au mois d'octobre; néanmoins, ajoute le I». Hay, auquel
nous empruntons le récit de cet entretien, « il m'a semblé dire
cela comme s'il en désespérait lui-même1 ».
Les nouveaux troubles, provoqués en France et en Lorraine
par les mécontents politiques, semblèrent un instant compro-
mettre la fondation de Pont-à-Mousson. A la mort de Charles IX
(30 mai 157'*), l'agitation ne fit que croître partout, en sorte que
le P. Provincial doutait de plus en plus qu'il fût possible de
réaliser à l'automne les souhaits du cardinal. Celui-ci, loin d'être
ébranlé par les bouleversements du pays, manifestait toujours
son intention de poursuivre sans aucun retard l'entreprise qu'il
avait tant à cœur, et, dans son impatience de lui donner un
commencement d'exécution, il envoyait à Pont-à-Mousson, vers
la fin du mois de juillet, ses deux neveux, Charles, fils du duc
régnant, et Charles, fils du comte de Vaudemont, qui furent, dans
la suite, revêtus l'un et l'autre de la pourpre romaine. Le 31 juil-
let, il fit entendre au P. Auger qu'il voulait que les classes s'ou-
vrissent le 1er octobre, devrait-on, ajouta-t-il, « avec une parole
ferme et résolue », prendre des régents au collège de Clermont'.
Plus on approche du terme, plus ses exigences augmentent;
on est loin maintenant de la modération manifestée à Saint -
Denys; il veut, pour attirer les élèves, donner tout de suite à
son collège un grand éclat : c'est vingt régents qu'il lui faut
pour l'ouverture, vingt de plus après les vacances de Pâques, et
vingt autres à la rentrée suivante :l.
8. Le P. Mercurian aurait préféré ne rien commencer avant
Pâques de 1575, mais il céda devant les justes observations du
P. Auger, qui le priait « bien fort d'avoir égard à contenter Mgrle
cardinal de Lorrène », et lui montrait qu'on ne pouvait aller
contre sa volonté « sans danger de l'offenser grandement1 ».
Toutes les dispositions furent donc prises pour donner, autant que
1. Lettre du P. Hay au P. Mercurian, 28 févr. 1574. (Celte lettre et plusieurs au-
tres ont ete publiées par l'abbé Hyver Maldonat et les commencements de l'Uni-
versité de Pont-à-Mousson, pièces justificatives, p. u, m,.
2. Abram, Hisl. de l'Univ. de Ponl-à-M. (Caravon, Doc. inèd., t. V, p. 29).
3. Lettre du P. Mathieu au P. Général, 25 septembre 157* (livrer, on ci] nièces
justifie, p. m, XII).
4. Lettre du l« août {Ibid.).
COMPACNIIÎ DE JliSl'S. — T. I. 3^
G10 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
possible, satisfaction à Son Émincnce. Le 21 octobre, le P. Edmond
Hay, désigné comme Recteur du nouveau collège, partit de Paris
avec treize compagnons, et arriva le 27 à Pont-à-Mousson. Il fut
bientôt suivi par le P. Provincial qui amenait un renfort de huit
professeurs. Peu de temps après, sous la date du 9 novembre, le
P. Claude Mathieu rendait ainsi compte de ses premières impres-
sions au P. Général : « Il y a déjà deux princes de Lorraine avec
d'autres gentilshommes. Ils furent hier examinés publiquement,
après que le P. Recteur eut fait une exhortation latine en nostre
église, laquelle à mon advis est la plus belle qui soit encore dans
la Compagnie. Il y a trois fort beaux collèges [ou corps de logis^ ;
un pour MM. lès princes, l'autre pour la Compagnie, et le
troisième pour les convicteurs1, là où aussi seront les classes; et
chaque collège aura ses cours et jardins avec toutes sortes de
commodités nécessaires2... » L'enseignement fut inauguré le
22 novembre devant environ soixante écoliers répartis en trois
classes de grammaire; le fils du duc régnant de Lorraine, âgé
de dix ans, était dans la dernière, et le fils de M. de Yaudemont
dans la première3.
Ainsi, après deux années de pourparlers et malgré les difficul-
tés de l'heure présente, le collège de Pont-à-Mousson était ou-
vert, « bien trop tôt quant à l'installation, fait remarquer une an-
cienne notice, car les livres et les meubles manquaient'1 ».
Les Jésuites n'avaient rien trouvé de prêt à leur arrivée : la rente
promise ne courait pas encore; l'hôpital était toujours occupé
par les Antonistes. De plus, le pont qui joignait les deux parties
de la ville, rompu sept ans auparavant par le duc d'Aumale ',
n'avait jamais été réparé : « Cette difficulté de passer d'une
rive à l'autre, raconte le premier annaliste de la maison, jointe
à ce fait que nous n'avions encore ni la libre jouissance du
futur collège, ni mobilier, ni provisions..., nous décida, ne pou-
vant mieux pour le présent, à nous caser provisoirement sur la
rive gauche de la Moselle » , dans une demeure d'occasion
appelée le Château d'Amour'1.
Les Pères avaient reçu pour leurs frais de voyage, tant à Lyon
1. Convictores, pensionnaires.
2. Lettre au P. Général (Ibid.).
3. Lettre du même au même, 5 décembre (Ibid.).
4. Historia collegii Mussiponlani (Franc, Histor. fundat., n. 59).
5. La ville est bâtie au pied du mont Mousson, sur les bords de la Moselle qui la
sépare en deux parties réunies par un pont. Le duc d'Aumale l'avait coupé pour em-
pêcher la jonction des troupes du prince de Condé avec celles de l'électeur Casimir.
6. Abram, Hist. de l'Univ. de Pont-à-M. (Carayon, Doc. inéd., p 52).
FONDATION DE L'UNIVERSITÉ DE PONT-A-MOUSSON. 6H
qu'à Paris, quatre cents écus d'or. Ce qui restait de cette somme
fut employa à subvenir aux nécessités les plus urgentes. Puis
l'évêque de Verdun, si dévoué à la Compagnie, vint au secours de
la communauté en lui faisant délivrer une somme de deux mille
francs. Le cardinal de Lorraine, ayant appris toutes les tribula-
tions que les Pères avaient à endurer, s'empressa d'en témoigner
ses regrets au P. Provincial, et « pour y donner meilleur ordre »
le pria de venir le rejoindre au sacre du roi à Reims : ils s'enten-
draient tous les deux afin que désormais les professeurs pussent
« vivre doucement, en repos et tranquillité1 ».
Au milieu de privations fort dures, la patience et le courage
des Jésuites étaient restés à la hauteur de leurs épreuves. Les
lettres, adressées alors de Pont-à-Mousson à Rome, ne contien-
nent pas la moindre allusion à ces embarras d'installation. Sans
songer à se plaindre de l'imprévoyance, cause de cette pénurie,
le P. Recteur, en écrivant au P. Général, se plait à montrer la
fondation sous son beau côté et à exposer les charmes du pays :
« Notre collège, dit-il, ne le cède à aucun autre de ceux que j'ai
pu voir en France, en Italie, en Flandre et en Allemagne, pas
même à celui de Louvain. Cette dernière ville l'emporte par son
étendue, ses monuments et ses autres avantages; toutefois il faut
convenir que Louvain le cède à Pont-à-Mousson pour les délices
de la campagne, la fertilité du sol, la richesse d'une rivière navi-
gable et poissonneuse. Ce n'est pas à tort que le poète Àusone
célèbre, dans une de ses pièces, les charmes de la Moselle et de
la plaine qu'elle arrose-. »
9. La mort prématurée du cardinal (26 décembre 1574 3) aug-
menta subitement les .difficultés de l'œuvre naissante. Quand
la triste nouvelle parvint à Pont-à-Mousson, le bruit se répandit
que les Jésuites allaient abandonner la Lorraine. Les gens char-
gés de pourvoir à leurs besoins s'excusaient de ne pouvoir leur
venir en aide, disant qu'ils n'avaient pas de fonds et ne savaient
comment s'en procurer. Ils espéraient par ce moyen fatiguer
la patience des Pères et les contraindre à quitter le pays. Afin
de mieux atteindre ce but, ils semaient habilement la calomnie
et répandaient le bruit que la Compagnie venait pour violenter
1. Lettre du cardinal au P. Provincial, 13 nov. 1574 (dans Ilyver, /. c).
2. Abram, Hist. de l'Vniv. de Ponl-à-M. (Carayon, p. 54).
3. Nous parlerons au chapitre suivant de la mort et des mérites de ce protecteur
insigne de la Compagnie de Jésus.
612 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
le peuple sur le fait de la religion. Ces propos malveillants
excitèrent la population, toujours à la merci des protestants du
voisinage, et les religieux se virent chargés d'insultes et de ma-
lédictions.
On pouvait craindre aussi que le duc Charles III, vivement im-
pressionné par la mort du cardinal de Lorraine, et tout occupé
du mariage de sa cousine Louise de Vaudemont avec le roi de
France, ne négligeât les intérêts du collège de Pont-à-Mousson.
Il n'en fut rien, heureusement. Le duc envoya même un gentil-
homme de sa maison recommander au P. Hay d'avoir bon cou-
rage et lui promettre sa protection. Il donna, en effet, des ordres
pour l'exécution des pieuses intentions du défunt cardinal, et
confia le tout à l'évêque de Verdun et au cardinal Louis de Guise.
Ce dernier, héritier des sentiments de son frère, se chargea vo-
lonliers d'un patronage que le roi Henri III lui avait imposé, et,
dès le 9 janvier 1575, il assura le P. Éverard Mercurian de son
entier dévouement à la Compagnie de Jésus1. L'évèque de Ver-
dun, Nicolas Psaume, ne se montra pas moins affectionné envers
les Jésuites au milieu de tous les tracas occasionnés par la mort
du cardinal de Lorraine. Il était l'un de ses principaux exécuteurs
testamentaires et déclara « qu'il fairait plutôt le collège du
Pont à ses propres dépens que laisser en arrière ce que M"1' le
cardinal avait commencé2 ».
Les deux mandataires du duc Charles III s'acquittèrent avec
soin de leur mission. Le cardinal de Guise procura au collège
une somme de mille écus, suivie bientôt d'une autre de cinq
cents, et il s'occupa de lui assurer des revenus fixes. Nicolas
Psaume, « après avoir obtenu placel de M"' le duc », se rendit
avec le P. Mathieu de Nancy à Pont-à-Mousson, « pour prendre
possession solennelle de la maison Saint-Antoine :; ». Le 3 mars,
la bulle d'érection du collège fut lue à haute voix dans le cloître
en présence des deux jeunes princes, deJeanUlric, cessionnaire
de la maison, et de Claude Lallemand, prieur démissionnaire.
Alors eut lieu l'ouverture solennelle des classes. Il y en avait
six : deux de théologie et quatre de lettres. Le P. Le Clerc
occupa la chaire de théologie scolastique, le P. Edmond Hay,
Recteur, celle de théologie morale; la rhétorique fut confiée au
1. Epist. cardinalium, t. 1.
2. Lettre du P. Mathieu au P. Génère], 2 février 1575 ^Hyver, pièces justificatives,
p. xiv).
S. Lettre du môme au même, 25 mars (Ibid., p. xv).
FONDATION DE L'UNIVERSITÉ DE PONT-A-MOUSSON. &13
P. Clément Dupuy qui prononça dans L'église Le discours tradi-
tionnel. L'année scolaire étant trop avancée, le cours de philoso-
phie avait été remis à la -rentrée suivante. Un pensionnai étail
déjà établi au-dessus des salles de classes, mais la direction des
élèves et la gestion des finances se trouvaient entre les mains
d'un prêtre séculier, qui avait sous ses ordres des surveillants
pris en partie parmi les Jésuites.
Pour fonder l'Université, il ne restait plus qu'à lui fixer des
revenus. Le prieuré de Notre-Dame d'Aspremont, dépendant de
l'abbaye de Gorze, étant venu à vaquer, le 6 février, le P. Ma-
thieu le demanda en vertu de la Bulle d'érection octroyée par
Grégoire XIII. Le cardinal de Guise en signa l'ordre d'union le
17 mars. Au mois de mai, Son Éminence se rendit à Pont-à-
Mousson avec l'évêque de Verdun « pour assigner les rentes ».
Il visita « tout le collège, écrit le P. Mathieu, et fut grandement
consolé de veoir ung si bon nombre d'escolliers en si peu de
temps, qui le recourent avec une petite coloque latine et force
vers grecs et latins1 ». La cession du prieuré d'Aspremont-, l'er-
mitage de Saint-Firmin que l'évêque de Verdun avait donné
quand les Pères n'avaient pas encore de logement dans la ville,
un champ dû à la libéralité du prieur Lallemand, cinq cents
écus d'or provenant de la mense épiscopale de Metz, et quelques
autres petites sommes portèrent le revenu annuel à deux mille
écus3.
10. Sans avoir la dotation complète indiquée dans la Bulle de
fondation, l'Université pouvait dès lors résister aux épreuves et
.attendre du temps ses progrès et son complet développement.
Le 10 août 1575, elle perdit son généreux bienfaiteur, Nicolas
Psaume, dont elle était, dit le P. Abram, la pensée de tous les
instants'1. Elle comptait alors quatre cents élèves et en espérait
plus encore à la reprise des cours, au mois d'octobre. Durant la
seconde année scolaire (1575-1576), sa réputation s'établit solide-
ment en Lorraine et se répandit jusque dans les pays voisins.
Mais la prospérité ne venait que méritée par la patience et
l'abnégation. Les Pères ne purent jouir en paix d'une partie des
biens sur lesquels ils avaient compté. Les moines de l'abbaye
1. Lettre du 7 mai (Gall. Epist., t. IX, f. ii9).
2. Union du prieuré d'Aspremont (Archives de Meurthe-et-Moselle, H, 2104 .
3. Abram, Hist. de l'Univ. de Pont-à-M. (Carayon, Doc. inéd., V, p. 85-90).
4. Voir, sur cet évêque qui fut aussi fondateur du collège de Verdun, le chap. m
du livre III.
614 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
de Gorze, excités par des esprits malveillants, revendiquèrent la
portion des revenus de leurs prieurés qui avaient été appliqués,
avec indemnités, à l'entretien du collège. Ce transfert de pro-
priété, par le Souverain Pontife, d'un Ordre à un autre, et pour
de justes raisons, n'avait rien que de conforme au droit de l'E-
glise, et les Antonistes, eux-mêmes, le 2i mai 1571-, avaient libre-
ment signé un acte authentique de cession. Leurs réclamations
tardives étaient donc injustifiées. Débouté de ses prétentions de-
vant les tribunaux civils, le Prieur partit pour Rome afin de
plaider sa cause auprès du Saint-Siège1. Grégoire XIII, après
avoir pris connaissance de l'affaire, maintint toutes les disposi-
tions de la Bulle In supereminenti'1.
Après les tracasseries pécuniaires, la peste parut et troubla
quelque temps l'ordre des études. Dès le milieu de 1577 elle avait
envahi un des quartiers de la ville, et tous les élèves qui y habi-
taient avaient été licenciés. Cependant, on n'avait pas cru néces-
saire de prendre la même mesure pour tout le collège. Les
magistrats s'étaient bornés à garantir les pensionnaires du con-
tact des écoliers demeurant dans le quartier contaminé, en dres-
sant une grille de fer au milieu du pont qui joignait les deux
parties de la ville. Plusieurs professeurs, malgré le danger d'être
atteints par le fléau, s'offrirent pour aller, de l'autre côté de la
Moselle, continuer les cours aux jeunes gens qui ne pouvaient
plus venir au collège. Deux prêtres, trois régents et un frère
coadjuteur se transportèrent, avec les livres et le mobilier in-
dispensables, chez un ecclésiastique qui leur donna l'hospita-
lité:i.
Quand l'épidémie parut moins menaçante, les magistrats de-
mandèrent au duc de Lorraine la cessation de la quarantaine,
sans pouvoir l'obtenir. Alors une députation d'étudiants, com-
posée de Français, de Lorrains, d'Allemands, d'Écossais et de
Flamands, prit le chemin de Nancy pour présenter une sup-
plique à Son Altesse. Comme ils venaient d'une région infectée,
ils s'arrêtèrent par prudence dans un bourg- voisin de la ville, et
mandèrent au duc qu'ils avaient d'importantes communications
à lui faire. Le prince leur envoya Bardin, maître des requêtes,
auquel ils remirent un beau volume renfermant toutes sortes de
pièces en grec et en latin, des odes, des épig ranimes, des emblè-
1. Abram, Hist. de Univ. de Pont-à-M. (Carayon, Doc. inéd., V, 92).
2. Letlre du P. Hay au P. Général, 6 juin 1576 (Gall. Epislol., I. X, fol. 260, 261.
3. Litt. ann. 1577 (Franciae Hist., t. I, n. 38).
FONDATION DE L'UNIVERSITÉ DE PONT-A-MOUSSON. 613
mes, des anagrammes... avec une adresse à Sun Altesse, La sup-
pliant d'autoriser la libre communication outre les deux quar-
tiers de Pont-à-Mousson. Charles III, touché de cette démarche,
acquiesça enfin à une demande si gracieusement formulée, et b-s
étudiants, tout joyeux, reprirent aussitôt le chemin du retour.
Arrivés avant la nuit à Pont-à-Mousson, ils font appel aux écoliers
qu'ils rencontrent, et ensemble, réunissant leurs efforts, ils bri-
sent les barrières du pont, et en jettent les débris dans la Moselle.
Le lendemain, ils assistèrent tous à une messe d'actions de grâce
où le P. Paschase Réginald prononça un discours de circons-
tance1.
Le 1er janvier 1578, eut lieu la réouverture solennelle des
classes avec un éclat inaccoutumé, en présence de Charles III et de
plusieurs autres princes. Les élèves du P. Dupuy, professeur de
rhétorique, représentèrent un drame, Saint Jean l'Êvangéliste,
qui fut vivement applaudi. Le P. Nicolas Le Clerc, professeur de
théologie et vice-chancelier de l'Université, conféra le grade de
bachelier es arts à une dizaine d'étudiants, dont sept étaient de
la Compagnie de Jésus. Parmi ces jeunes lauréats se trouvait le
P. Jacques Salez qui plus tard souffrit, à Aubenas, un glorieux
martyre. Il y eut aussi à ce moment deux innovations : on ajouta
un troisième professeur de philosophie, et Guillaume Barclay,
écossais et neveu du P. Edmond Hay, nommé par le duc Char-
les III « professeur ès-facultés des droits civils et canoniques »,
ouvrit son cours dans l'enceinte même du collège de la Compa-
gnie. C'était comme la première pierre de la Faculté de droit2.
Mais Dieu réservait encore, en cette année 1578, une doulou-
reuse épreuve aux Jésuites de Pont-à-Mousson. Le cardinal de
Guise, qui poursuivait avec tant de zèle l'œuvre commencée par
son frère, mourut à Paris le 27 mars. Sa mission était en grande
partie terminée, car il avait eu la consolation de voir le pape
Grégoire XIII approuver, le Ie'- décembre 1577, par la Bulle In
suprema apostolicae Sedis, les divers arrangements relatifs à la
dotation de l'Université3.
1. Abram, Hist. de l'Univ. de Pont-à-M. (Carayon, Doc. inéd., V, p. i"3. I04J.
2. Cf. Eug. Martin, L'Université de Pont-à-M., p. 35.
3. Acta S. Sedis, p. 98.
CHAPITRE XIII
LA COMPAGNIE PENDANT LES TROUBLES CIVILS.
(1567-1575).
Sommaire : 1. Coup d'œil sur les troubles civils de 1560 à 1567. — 2. Services
rendus par le P. Manare à Paris et par le P. Auger à Lyon. — 3. Dispersion
des Pères de Tournon. — 4. Le P. Auger à l'armée du duc d'Anjou (1568-69).
— 5. Les Pères italiens à l'armée pontificale. Bataille de Moncontour. — 6. La
Saint-Barthélémy (1572;. — 7. Abjuration du roi de Navarre et du prince
de Condé. — 8. Le P. Auger au siège de La Rochelle. — 9. Les collèges de
Mauriac et de Toulouse pendant les révoltes. Mort de Charles IX (30 mai 157 li.
— 10. Le P. Auger el le* Quarante-Heures à Paris. — 11. Voyages de Henri 111
dans le midi; son passage à Lyon et à Avignon. — 12. Mort et éloge du car-
dinal de Lorraine. — 13. Mariage et sacre du roi. État de la Compagnie en
France à l'avènement de Henri III.
Sources manuscrites : I. Arcliiv. vaticanes, Nunziat. di Framia, t. VI, VII.
II. Roma, Bibl. Vilt. Emman.. n. 1584.
III. Riblioth. nat.,'mss. latins, 10,080.
IV. Bibl. municipale de Poitiers, ms. I5!t.
V. Recueils de documents conservés clans la Compagnie : a Acta congregat. provincial. —
b) Décréta et Instructiones. — c) Edits royaux. — d) Francia, Histor. fundat. — e) Gallia.
Epistol. Generalium. — f] Galliae Epistolae. — g) Possevinus : Acta in Gallia: Annalium
decas P.
Sources imprimées : Archives curieuses de l'Histoire <lc France, t. VII. — Davila, His-
toire des guerres riviles de France. — Hansen. Reinische akten zur Geschichte des
Jesuitenordens. 1542-45S2. — Manare, De rébus S. J. Commentarius. — Mémoires de
Castelnau. — La Papelinièrè, Histoire de France. — Ribadcneira, Vita del P. Fr. de
Borgia. — Theiner, Annales ecclesiastici. — Tortorel et Perrissin, Quarante tableaux. —
MOM'MENTA HISTORICA S. .1. Epislol. P. Xadfll.
1. Les troubles civils, commencés avec la conjuration d'Am-
boise sous François II, en 1560, et quelque temps assoupis par
le triumvirat formé entre le roi de Navarre, le duc de Guise
et le connétable de Montmorency, sous la régence de Catherine
de Mcdicis, ne furent point complètement apaisés par l'édit de
tolérance du 17 janvier 1562. Deux mois après, la sanglante
collision de Yassy, entre les gens du duc de Guise et quelques
huguenots, alluma l'incendie des guêtres de religion, dont plu-
sieurs maisons de la Compagnie eurent tant à souffrir. Védit
de pacification d'Amboise, en 1563, no parvint pas à calmer les
réformés, qui constituaient déjà un parti puissant et prêta pio-
PENDANT LES TROUBLES CIVILS. 61"
fîtcr de toutes les occasions. La révolte des Pays-Bas cou Ire le
roi d'Espagne, on 1566, et le passage de ses troupes par la
France servirent de prétexte à une nouvelle prise d'armes, se-
crètement organisée par Coligny et le prince de Coudé.
Dès les premiers mois de 1567, une sourde fermentation, an-
nonce d'un prochain orage, régnait à Paris et dans d'autres
villes; de tous côtés circulaient des bruits alarmants, avant-
coureurs de nouveaux troubles. Le mécontentement des chefs
huguenots, l'antagonisme des Châtillon et des Guise, les soup-
çons qu'avait éveillés l'entrevue de Bayonne, soulevaient des
murmures et des menaces. Les calvinistes se plaignirent de fré-
quentes violations de l'édit d'Amboise, soit de la part du clergé,
soit de la part des gouverneurs de province; mais eux-mêmes,
au lieu de tenir leurs prêches seulement dans les localités dé-
signées, les établissaient à leur gré et à leur convenance. Des
bandes indisciplinées rôdèrent autour de la capitale, massacrant
les catholiques inoffensifs, portant partout la désolation et l'effroi.
Les protestants, de plus en plus audacieux, ne cachant point
leur espoir d'une revanche prochaine, l'inquiétude s'empara des
esprits et l'on se préoccupa vivement des calamités qui allaient
fondre sur le royaume.
•2. Au mois de septembre, un singulier concours de circons-
tances providentielles permit aux deux Provinciaux de France
et d'Aquitaine de donner au roi, à la ville de Paris et à celle de
Lyon, une preuve signalée du dévouement des Jésuites aux in-
térêts du pays. Ce fut d'abord un complot déjoué par le P. Ma-
nare ; il ne s'agissait de rien moins que de s'emparer de la per-
sonne de Charles IX et de sa capitale :
« Les troubles qui venaient d'éclater, raconte le P. Provincial
de France, annonçaient l'imminence d'un grand péril; mais
tout se réduisait encore à de simples soupçons, quand la divine
Providence permit que le complot lut découvert. Un Polonais,
du nom de Pierre Coscha (Kostka), me fit connaître l'avertisse-
ment qu'il venait de recevoir d'un gentilhomme hérétique de
ses amis ' : le roi Charles IX devait être arrêté la nuit suivante
à Meaux par le prince de Coudé, et Paris deviendrait la proie
des huguenots et des sicaires; cette communication lui avait été
faite pour qu'il pût se mettre à l'abri du danger; en effet, dans
1. Au moment où le P. Manare écrivait son Commentaire, Pierre Koslka était
évêque de Culm, eu Prusse.
618 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
quatorze endroits de la capitale, des matériaux inflammables
étaient préparés pour être allumés au même instant; l'incendie,
se déclarant à la fois dans plusieurs quartiers, engendrerait le
tumulte et la confusion, et Conclé avec ses partisans s'emparerait
sûrement de la ville.
« Je demandai à ce Pierre Coscha s'il était prêt, comme cela
semblait utile et nécessaire pour éviter de si grands malheurs, à
révéler aux autorités ce qu'il m'avait confié en secret. Il me ré-
pondit affirmativement, ne voulant pas, au prix de son salut per-
sonnel, laisser périr une si florissante cité. Je me rendis avec lui
chez le prévôt de Paris1 auquel il exposa tout ce qu'il savait. Le
prévôt, en nous remerciant, avoua qu'il avait déjà entendu
parler de quelque chose, mais rien de si clair ni de si précis. Il
ajouta qu'il allait veiller tout de suite à la sécurité du roi, et lui
expédier sans retard des courriers pour le prévenir du danger.
Trois gentilshommes, montés sur des coursiers rapides, partirent
à divers intervalles afin de donner plus de poids à leurs déclara-
tions successives. Nous fûmes congédiés, comblés d'éloges à cause
du, service rendu à la ville et au roi.
« Aussitôt, une ordonnance de police enjoignit à tous les habi-
tants de placer à la porte de chaque maison des échelles, des
vases pleins d'eau, et de suspendre aux fenêtres du premier étage
des lanternes allumées pour éclairer les rues pendant la nuit. La
garde ordinaire de la ville, composée de cinq cents cavaliers
ou fantassins, reçut l'ordre de prendre les armes, d'aller en
patrouille et de réprimer toute tentative de sédition. On com-
manda aussi aux capitaines de quartiers de consigner leurs trou-
pes et de se tenir prêts à marcher au premier signal. Personne
ne songea à se reposer ni à dormir. Après avoir pourvu à la sécu-
rité de la ville, on opéra des fouilles et on découvrit que plu-
sieurs maisons étaient remplies de paille, de poudre et de torches
incendiaires.
« Peu s'en fallut que le roi ne fût enlevé à Meaux. Malgré des
avertissements réitérés, quelques seigneurs de la cour lui con-
seillaient de ne pas bouger. Il n'y avait, disaient-ils, aucun péril;
ce n'étaient que de fausses alertes; les Parisiens étaient gens
craintifs et le départ du roi ne ferait qu'augmenter leurs frayeurs.
Ainsi Charles IX resta tout un jour à Meaux. Cependant le conné-
table de Montmorency, soupçonnant une trahison, ordonna aux
1. « Magistratus ». Sans doute le prévôt de Paris ou l'un de ses lieutenants.
PENDANT LES TROUBLES CIVILS. 619
Suisses, récemment arrivés et postés à quelques lieues de là, de
rejoindre rapidement le roi, en conservanl L'ordre de combat. Ce
commandement fut aussitôt >exécuté. Dès qu'ils furent présents,
on décida le roi à se soustraire au péril dont il était menacé. A
peine avait-il quitté la ville, au lever de l'aurore, accompagné
des Suisses au milieu desquels il s'était placé sans aimes avec
sa suite, que Condé apparut à la tête d'une forte troupe de ca-
valiers. Il essaya quelques escarmouches avec l'escorte royale ;
mais les Suisses ne se laissèrent pas entamer, et le roi put être
ramené à Paris sain et sauf. Charles IX était resté dix-sept heures
à cheval.
« Je ne puis dire combien le prévôt nous fut reconnaissant de
notre intervention. Pendant la nuit dont j'ai parlé, tandis que
lui-même faisait sa ronde à cheval, il vint nous saluer à la porte
du collège, nous souhaiter bon courage et nous assurer que, si
quelque péril menaçait notre maison, aussitôt des troupes nous
seraient envoyées1. »
Presque au même temps, le P. Auger, Provincial d'Aquitaine,
rendait un service analogue à la ville de Lyon, dont les protes-
tants avaient résolu de s'emparer par surprise2. Au commence-
ment du mois de septembre, il était allé de Toulouse à Tournon
pour y faire la visite du collège. A peine arrivé, il reçut de
divers côtés des avis alarmants sur les projets des huguenots.
Comme il jouissait d'un grand crédit auprès du gouverneur et
des autres autorités de Lyon, on eut recours à lui avec confiance
et on lui communiqua des indices qui donnaient toute créance
à la dénonciation. On ajouta qu'il n'y avait pas de temps à per-
dre, car le complot devait éclater à la fin du mois.
Sans hésiter un instant, le P. Auger, sachant les huguenots ca-
pables de toute perfidie, partit pour Lyon afin d'informer le gou-
verneur de leurs mauvais desseins1. Le président de Birague lui
sut bon gré de son zèle, mais ne parut pas d'abord tenir compte
de ses avis. Il craignait d'alarmer les catholiques par la déliance
qu'il témoignerait aux calvinistes, et d'irriter ceux-ci que ses
instructions lui recommandaient de ménager. D'ailleurs les lettres
qu'il recevait de la cour lui représentaient comme de faux bruits
1. Manare, De rébus Soc. Jesu Comment., p. 102-104.
2. Sacchini, Ilisl. Soc. Jesu, P. III. 1. III. n. 155. Cf. Bailly, Vray poui traict, 1. I,
c. xui. Dorigny, Vie du P. Auger, 1. III, p. 16i. — Sur cel incident Sacchini est 1res
bref; Bailly et Dorigny ne semblent pas exacts. Nous suivrons deux témoins oculaires,
l'historien de Rubys et le Père Commolet qui était alors au collège de la Trinité.
620 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
tous les rapports alarmants1. Il fallut l'imminence du danger
pour lui ouvrir les yeux.
Le dimanche 28 septembre, veille de la Saint-Michel, au col-
lège de la Trinité, les élèves devaient donner une comédie
latine. Le théâtre était déjà dressé2, quand « sur les trois heures
après midy arrive un boucher... qui venoit de Mascon... à toute
bride, apportant la nouvelle que la nuit précédente les protes-
tants s'étoient emparés de ladite ville3 ». Aussitôt le P. Auger
court chez l'archevêque et chez le gouverneur; il les supplie
d'aviser sans retard à la défense de Lyon et à son salut. Birague,
enfin persuadé, convoque à l'archevêché les magistrats et les
notables, et devant cette assemblée, où se trouve le P. Auger4,
le boucher de Màcon répète son récit. Tandis qu'on examine les
mesures que réclame la situation, entre soudain tout ému le
prieur des Jacobins : il annonce que les protestants de son quar-
tier s'agitent et cherchent à s'emparer de la place située devant
l'église de son couvent. Il n'y avait plus de temps à perdre.
L'assemblée se sépare; on fait prendre les armes aux soldais
catholiques; on tend des chaînes dans les rues; on place aux
portes de la ville d'importants corps de garde \ Les huguenots
sont étroitement surveillés et retenus dans leurs maisons. Pen-
dant que les Pères du collège se mettent en prières et se suc-
cèdent toute la nuit, sans interruption, au pied du saint Taber-
nacle, le P. Auger parcourt les différents quartiers de la cité et
anime ses défenseurs à combattre courageusement (i.
Quelques hérétiques interrogés et mis à la torture avouèrent
que le signal convenu pour l'attaque de la ville était le coup de
deux heures du matin7, à l'église Saint-Nizier; un soulèvement
à l'intérieur devait faciliter l'assaut de l'armée protestante, sur-
venue à la faveur de la nuit. Les magistrats, informés de ces
circonstances, firent arrêter toutes les horloges s. A l'interruption
des sonneries, les ennemis reconnurent que le complot était dé-
couvert. Mouvans, leur chef, raconte Rubys, « qui s'étoit ache-
miné avec ses troupes pour se jeter dans Lyon, se voyant
1. De Rubys, Hist. véritable de la ville de Lyon, p. 411.
2. Lettre du P. Commolet au P. Gén., lcl juin 1568 (Gall. Epist., t. III, f. 253).
Celte lettre était un compte rendu de l'année 1567 pour les lettres annuelles.
3. De Rubys, l. c.
i. Lettre du P. Commolet. — 5. De Rubys, l. c.
6. Lettre du P. Commolet. — 7. Ibidem.
8. Ibidem. Le P. Bailly et le P. Dorigny attribuent au P. Auger l'idée de celle ruse
de guerre. Mais ni le P. Commolet, ni de Rubys ne font ici allusion à son initiative.
PENDANT LES TROI BLES CIVILS. 621
avoir failli la prise, se jeta dans Vienne où il ne trouva point de
résistance ' ».
Durant cinq jours Lyon îvsta eu état de siège. Des perquisitions,
opérées dans les endroits suspects, prouvèrent que les huguenots
étaient fortement armés et aussi qu'ils avaient formé les desseins
les plus criminels. Ici et là on trouva non seulement des machines
de guerre, des projectiles et des échelles, mais encore un grand
nombre de cordes pour pendre les papistes les plus zélés; on sut
que l'une d'elles était destinée au Provincial des Jésuites : le
P. Auger avait bien mérité cet honneur. Les catholiques n'hési-
tèrent pas à se venger des embûches préparées contre eux et
contre leurs prêtres; ils mirent au pillage les temples protestants,
dont ils arrachèrent jusqu'aux pavés '3.
3. Mouvans, de son côté, cherchait à se consoler de sa décep-
tion en exerçant toutes sortes de cruautés 3 contre les populations
fidèles à l'Église, qu'il rencontrait dans sa marche sur Vienne et
sur Valence. Le collège de To union fut alors exposé à de grands
périls, car les huguenots résolus, disaient-ils, à épargner le reste
de la ville, regardaient les Jésuites comme des victimes réservées
à leur vengeance. Une tempête accompagnée de pluies torren-
tielles les empêcha de mettre immédiatement leur dessein à exé-
cution : le Rhône déborda, les communications furent intercep-
tées et des villages entiers se trouvèrent presque sous les eaux.
Le P. Mathieu, Recteur du collège, prévenu à temps de l'approche
et de la fureur des hérétiques, rendit les pensionnaires à leurs
parents. Il venait de réunir la communauté pour lui donner ses
dernières instructions, quand arriva un exprès, envoyé par le
P. Provincial et qui n'avait pu que difficilement se frayer un pas-
sage à travers les bandes ennemies. Le P. Auger mandait au
P. Recteur de pourvoir à la sûreté des siens en les faisant partir
pour Rillom. Avant de se séparer, le P. Mathieu les exhorta à sup-
porter courageusement l'épreuve et à mourir, s'il le fallait, pour
la défense de la foi. Tous, après de touchants adieux, se disper-
sèrent par petites bandes, et parvinrent heureusement, quelques
jours plus tard, à l'abri fraternel qui leur avait été assigné '.
1. De Rubys, l. c.
2. Lettre du P. Commolet.
3. Lettre du P. Cl. Mathieu au P. Général, 9 mai 1568 1 0 ail. Epist.j t. ill, f. 249 .
4. Lettre du P. Mathieu déjà citée. Cf. Sacchini, Hislor. Soc. Jesu. P. 111,1. Ill,
n. 157. Le collège de Tournon rouvrit ses classes l'année suivante [Epi&t. /'. Xadal.
t. III, p. 611, 645). Cf. Bibl. Vilt. Kinin., inss. Gesuil., 1584 [3713 .
622 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
Pendant que ces événements se passaient an midi, la capitale
dn royaume était de nouveau menacée par le prince de Condé,
déjà maître de Saint-Denys. Sous les murs de cette ville, le 10 no-
vembre 1567, il livra bataille aux troupes royales. La victoire
remportée par les catholiques, et où périt le connétable de Mont-
morency, ne fît qu'exaspérer les calvinistes. La petite pair de
Long-jumeau, signée le 23 mars 1568, fut pour eux une simple trêve
pendant laquelle ils s'organisèrent plus fortement. Aussi le P. Gé-
néral, ému de compassion à la vue des malheurs de la France,
ordonna-t-il dans toute la Compagnie des prières pour les besoins
du royaume très chrétien l.
4. A l'automne de 1568, la guerre éclata partout, au sein des
grandes villes comme dans les bourgades. Le duc d'Anjou, frère
du roi, nommé lieutenant général, pria le P. Auger de l'accom-
pagner dans sa campagne de l'Ouest contre les rebelles. Le Père,
sur le point d'aller à Toulouse, où le réclamaient les affaires de
la Province, fut pris au dépourvu et dut se décider sans attendre
l'avis du P. Général : « Leurs Majestés, lui écrivit-il ensuite, m'ont
ordonné sans vouloir écouter mes remontrances, de suivre à
l'armée le lieutenant général, frère du roi, parce que mes travaux
y seraient plus utiles que nulle part ailleurs; la reine ajouta
qu'elle en écrirait à Sa Sainteté et à Votre Paternité Je fiais
par offrir à Leurs Majestés mes humbles services en les assurant
du dévouement de toute la Compagnie, ce dont elles se montrè-
rent très reconnaissantes J'ai demandé un Père à Lyon, un
autre à Toulouse; je pense qu'ils ne tarderont pas à me rejoin-
dre... Hier, au Parlement, les officiers du roi, au nombre de
cent soixante, ont fait une profession de foi; trois seulement se
sont abstenus 2. »
Après avoir chargé le P. Annibal du Coudre*, de gouverner la
Province en son absence, le P. Émond se rendit à l'armée. Sa
brusque décision fut complètement approuvée par le P. Général,
qui, le 8 novembre, l'exhortait à supporter courageusement les
fatigues de la campagne pour la gloire de Dieu :!. Ce nouvel apos-
tolat convenait très bien à sa nature active et dévouée. Le Pète
comprit que dans une guerre entreprise contre les ennemis de
1. Lettre aux Provinciaux de France et d'Aquitaine, 29 mars 1568 (Gall., Epist.
General., t. IV).
2. Lettre du 8 oct. 1568 fGall. Epist., t. 111, fol. 234).
3. Gall., Epist. General., t. IV.
PENDANT LES TROUBLES CIVILS. 623
l'Église, le meilleur moyen de disposer les troupes h combattre
était de déraciner les vices qui auraient pu détourner les béné-
dictions du Seigneur. En se frisant tout à tous, il gagna prompte-
ment la confiance des officiers et des soldats. On le voyait partager
avec eux les fatigues et les dangers, marcher à leurs eûtes, vivre
de leur vie, les visiter dans leurs tentes et leurs corps de garde,
les consoler dans leurs peines, les soigner dans leurs maladies,
leur rendre les plus humbles services, leur administrer les sacre-
ments et les préparer à la mort. Il ne se contentait pas de les ins-
truire en particulier; il les réunissait dans les églises ou sur les
places publiques, quelquefois même au milieu des champs, et les
exhortait à remplir chrétiennement leurs devoirs d'état '.
Au commencement de 1569, nous retrouvons le P. Auger à
Lyon, où il avait été envoyé par le duc d'Anjou, alors que les in-
tempéries de la saison retardaient les opérations militaires : « Sa
Sainteté se plaint, écrivait-il le 1er février au P. Général, que la
guerre traîne en longueur; mais on ne peut guerroyer en hiver
comme en été, surtout cette année où pendant les mois de dé-
cembre et de janvier le froid a été très intense et la neige plus
épaisse qu'on ne l'avait jamais vue en Aquitaine. Que tous soient
bien persuadés de la très bonne volonté de Monsieur, frère du
roi'2. » Il ajoutait, le 9 février, d'après les nouvelles qui lui
avaient été communiquées par le gouverneur de Lyon : « On
peut espérer, avec la grâce de Dieu, que l'expédition ira toujours
de mieux en mieux, à la grande confusion des huguenots. Déjà le
prince de Condé s'est retiré avec ses troupes du côté de la Ro-
chelle '. »
En mars, le P. Auger rejoignit l'armée du duc d'Anjou; le \ de
ce mois, il la rencontrait à Verteuil : « Je suis arrivé ici, dit-il,
en même temps que deux mille cinq cents reitres, et demain l'ar-
mée doit marcher sur Saint-Jean-d'Angely. Tous désirent en
venir aux mains avec l'ennemi; mais on craint que les chefs ne
se retirent en Angleterre ou ne se dirigent vers le Languedoc. »
Il se félicite ensuite du bon accueil qu'il a reçu des officiers à
son retour, et il ajoute : « Ce matin je suis allé à l'avant-garde,
où se trouvent les seigneurs de Montpensier, de Guise, de Marti-
1. Le P. Auger composa, peut-être pendant cette campagne, un petit traité îles de-
voirs du soldat chrétien intitulé : « Le Pédagogue d'armés, pour instruire un prince
chreslien à bien entreprendre el heureusement achever une lionne guerre pour
estre victorieux de tous les ennemis de son estât et de l'Église catholique. Cf.
Sommervogel, BiDl. de la Compagnie de Jésus, t. I, col. 037.
2. Gall. Epist., t. IV, f. 33. — 3. lbid., loi. 189.
i 124" HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
gués, de Joyeuse, de Brissac, et j'ai prêché à Rufiec dans un grand
hangar où se fait le marché public; car toutes les églises ont été
dévastées par La Rochefoucauld, un des chefs rebelles. Bon nom-
bre de seigneurs assistaient à la messe ; les soldats avaient reçu
Tordre exprès d'y amener leurs hôtes. La messe finie, je suis
revenu à Verteuil. On espère que tout sera terminé ce mois-ci,
dans quinze jours peut-être. Nos troupes ont déjà pris contact
avec l'ennemi, et se sont emparées du château de Jarnac, non
loin de Saint-Jean-d'Angely... Je recommande à vos prières
Monsieur, frère du roi, et toute l'armée; demandez que mon mi-
nistère ne soit pas inutile... et si je meurs dans cette guerre, que
l'on prie pour moi '. »
Le 13 mars, le jour même du combat décisif livré à Jarnac,
le P. Auger s'empressa d'annoncer à Rome la victoire de l'armée
royale2. Le matin, en présence des principaux chefs, il avait cé-
lébré la sainte messe et communié M. le duc de Montpensier et
plusieurs autres seigneurs; une demi-heure avant la bataille, il
avait aidé le duc d'Anjou à mettre son armure; pendant l'action,
il s'était tenu à ses côtés et avait admiré sa brillante valeur. Le
jour suivant, on chanta le Te Deum à la messe votive du Saint
Sacrement, qu'il célébra en réparation des blasphèmes des hé-
rétiques^.
Épuisé par les fatigues de la vie des camps, le P. Emond obtint
de Monsieur l'autorisation de retourner dans sa Province. En pas-
sant à Limoges, où il s'arrêta plusieurs jours, il prêcha avec tant
de succès qu'il ramena au sein de l'Église plus de trois cents hé-
rétiques ' .
5. Vers la même époque, un corps pontifical de huit cents che-
vaux, sous les ordres du comte de Santa-Fiore, s'organisait près
de Turin. Douze cents autres soldats italiens, levés par Cosme,
duc de Florence, devaient s'unir aux troupes du Pape Pie V5.
Par ordre de Sa Sainteté, le P. Possevin composa un petit livre
de piété intitulé 77 soldato chrisliano, le soldat chrétien, qui fut
1. Gall. Episl., l.IV, fol. 182'. — 2. Ibid., fol. 183.
3. Lettre du 14 mars {Ibid., fol. 188). On trouvera celte lettre à la fin du vol.,
Appendice H.
4. Peu de temps après, se trouvant à Lyon et apprenant, par les lettres qu'il rece-
vait de Toulouse, la consternation des habitants de cette ville, il écrivit aux magistrats
une lettre de consolation, très apostolique, que ceux-ci firent imprimer sous ce titre
dans le goùl de l'époque : Sucre spirituel pour adoucir l'amertume des aigres mal-
heurs de ce temps.
5. Lettres du P. Curtio Amodei au P. Général, 5, 10, 16 mai 1369 (Gall. Epis!.,
t. IV, fol. 191, 192, 195).
PENDANT LES TROUBLES Civils. 623
distribué à cctlc armée destinée à aider Charles IX dans sa guerre
contre les protestants '.
Cinq religieux de la Compagnie de Jésus, trois prêtres et deux
frères coadjuteurs, furent attachés, eu qualité d'aumôniers et
d'infirmiers, aux ambulances des troupes pontificales '-'. Leur cor-
respondance contient de nombreuses allusions a ce qu'ils eurent
à souffrir d'un défaut presque complet d'organisation. Le 18 mai,
veille de l'Ascension, la petite armée se mit en marche. Jusqu'à
Lyon, où l'on arriva le lundi de la Pentecôte, rien ne semblait
laisser à désirer; les soldats se montraient pleins d'entrain; ils
étaient soumis à leurs chefs qui n'avaient à se plaindre ni du
jeu ni des blasphèmes. Les Pères furent reçus à bras ouverts au
collège de la Trinité, et munis d'abondantes provisions par le
P. Auger déjà expérimenté dans la vie de campagne. Le ï juin,
eut lieu le départ pour rejoindre l'armée française, et aussitôt
commencèrent les difficultés. La paye ne se faisait pas régulière-
ment; souvent les vivres manquaient, et les soldats se déban-
daient à la recherche de la nourriture et du fourrage, et ran-
çonnaient les habitants. L'absence de discipline entraîna toutes
sortes d'abus, que les chefs étaient impuissants à réprimer, et
dont les Pères ne pouvaient que gémir. Les routes étaient encom-
brées de nombreux malades que l'ambulance suffisait à peine à
recueillir et à soulager. Le ï juillet, un mois après leur départ
de Lyon, les Italiens n'étaient encore qu'à Aubiat 3 en Auveiyue,
et le 13 à Saint-Paul en Limousin, où ils laissèrent une partie
des malades, pendant qu'ils envoyaient les autres à Limoges et à
Saint-Léonard. Arrivés à Persac4 le 21 juillet, exténués de fatigue
et mourants de faim, ils ne parlaient plus que de retourner dans
leur pays s'ils ne rencontraient pas l'ennemi ou si l'on ne faisait
pas la paix5. Au mois d'août, ils se reposèrent une quinzaine
de jours à Montbazon, et les malades furent évacués sur Saint-
Pierre-des-Corps aux portes de Tours, où se trouvait le quartier
général de l'armée catholique (i.
Les Pères aumôniers restèrent avec l'ambulance, jusqu'au mois
1. Lettre du P. Possevin au P. Saillio, 20 avril 1G0S Dans Vita (Ici P. A. Posse-
vino, t. Il, p. 63, 64).
2. C'étaient « Curtius Amoloeus, Rodulphus Florius, et Francisais a Sancto Ger-
mano, sacerdotes ; Laelius Sanguineus, et Marius Genlili. laïci ».
3. Dans le Puy-de-Dôme, arrondissement de Riom.
4. Dans la Vienne, arrondissement de Monlmorilion.
5. Tous ces détails sont tirés des lettres du P. Curtio Amodei au P. Général, juin
et juillet 15G9 (Gall. Epist., t. IV, fol. 40, il, 197, 201, 203. 205
6. Lettre du P. Possevin au P. Général, 29 août 1569 Acta a Possevino).
COMPAGNIE DR JÉSUS. — T. I. 40
626 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESl S.
d'octobre, dans ce faubourg de la ville. Privés des choses les
plus nécessaires à la vie, et surchargés de travaux, leurs forces
les abandonnaient. L'un d'eux mourut, et presque tous auraient
succombé, si le P. Manare, informé de leur détresse, n'eût en-
voyé un Frère porteur d'une lettre pour le cardinal de Lorraine.
On les fit alors entrer à Tours, et là on leur prodigua des soins
qui bientôt leur permirent de reprendre leur poste de dévoue-
ment '.Le P. Possevin ne tarda pas à arriver dans cette ville et il
remplaça celui qui n'était plus. Mais, tout en se dévouant à cet
humble ministère, il ne put refuser de prêcher plusieurs fois de-
vant la cour, à l'occasion des « supplications solennelles » qu'on
faisait à ce moment pour attirer la bénédiction du ciel sur les
armes du roi'2.
Au commencement de l'été, le P. Auger avait été rappelé par
le duc d'Anjou qui réclamait encore le secours de son zèle auprès
des soldats. Les hostilités, en effet, venaient de recommencer. Le
23 juin, les huguenots avaient surpris l'avant-garde catholique à
la Roche-Abeille, près de Saint- Yrieix, et tué tous les prisonniers
qui étaient tombés entre leurs mains; mais, dès le lendemain, les
deux armées s'éloignèrent d'un pays montueux où elles avaient
de la peine à vivre. Coligny, maître de presque tout le Poitou,
avait résolu de s'emparer des places que les catholiques y possé-
daient encore. Il enleva aisément Lusignan et Chàtellerault, et
vint mettre le siège devant Poitiers. Grâce à l'énergique résis-
tance opposée par du Lude et les jeunes ducs de Guise et de
Mayenne, la ville résista sept semaines, en infligeant à l'ennemi
une perte de trois mille hommes. Levant alors le siège de Poi-
tiers, Coligny, incertain du parti qu'il allait prendre, se retira
vers Moncontour et campa dans la vaste plaine qui s'étend entre
la Dive et le Thouet. Le duc d'Anjou avait obtenu du Conseil
l'autorisation de combattre si l'occasion s'en présentait. Son
avant-garde attaqua les huguenots à Saint-Cler, près de Mon-
contour, le 30 septembre. Le 3 octobre, à trois heures de l'a-
près-midi, commença la bataille qui devait décider du sort de la
campagne. Le lendemain, Albert de Gondi, comte de Retz, fut
dépêché vers le roi, et les habitants de Tours apprirent la
grande victoire remportée par l'armée catholique :.
1. Lettres du F. Laelio Sanguineo, des 6 et 15 août; — du P. Curtio Amodei, des
14 et 24 sept., 1569 (Gall. Epist.. t. IV, fol. 103, 105, 207, 208).
2. Lettre du P. Possevin au P. Général. 29 août (Acta in Galliai. Annal, decas 1\
1. III, c. îv. — Lettre du P. Amodei, 24 sept. Gall. Epist., t. IV, fol. 105).
3. Bibl. mun. de Poitiers, ms. 159, Mémoire historique sur les guerres de reli-
PENDANT LES TROl BLES CIVILS.
Los troupes pontificales y avaienl contribué dans La mesure de
leurs forces : « Nos Italiens, écrit le P. Amodei, se sont très bien
comportés; ils n'ont perdu" aucun de leurs principaux officiers
les vingt-cinq drapeaux qu'ils ont pris à l'ennemi ont été envoyés
au Souverain Pontife1. » Le P. Auger, lui non plus, ne s'était pas
épargné sur le champ de bataille où il avait accompagné le duc
d'Anjou. Sans s'effrayer du danger, il resta au milieu des com-
battants et rendit ses services aux mourants et aux blessés. La
campagne terminée, il revint à Toulouse où il reprit le gouver-
nement de sa Province. Sa présence y était d'autant plus néces-
saire que l'amiral de Coligny avait rejoint, à Montauban, le comte
de Montgommery qui occupait Navarreins et le Béarn, et tous
deux menaçaient d'envahir le Languedoc : « Il faut espérer, é< -ri-
vait le P. Émond, que Monsieur ne tardera pas à venir au secours
de ces pauvres provinces, ou bien il trouvera tout en ruines, car
les grosses places seules peuvent se défendre. 11 serait téméraire
d'entreprendre la visite des maisons tant que les huguenots oc-
cuperont le pays. En attendant je fais ici ce que je puis, prêchant
chaque jour pour aider et consoler la population-. » Jamais le
Père ne déploya plus d'activité que dans cette occasion : il rani-
mait le courage de tous et les excitait à fléchir la miséricorde du
Seigneur par des prières et des œuvres de pénitence.
Après la victoire de Moncontour, qui termina la guerre, la
plupart des soldats de l'armée pontificale avaient pu regagner
l'Italie; mais un grand nombre, exténués par les fatigues d'une
rude campagne et les souffrances d'une longue maladie, s'étaient
arrêtés à Lyon dont la population s'empressa de les secourir. Les
Pères du collège de la Trinité firent preuve, en ces tristes circons-
tances, d'un admirable dévouement au service des malades. Ils
virent alors arriver successivement, à bout de forces mais en-
core pleins de courage, le Frère Mario, puis les Pères Curtio
Amodei, Ridolfo et de San-Germano, aumôniers des troupes
italiennes. Le P. Léonis, accompagné d'un Frère, fut chargé par
•MF de Fermo d'aller à la rencontre des traînards privés de toutes
ressources, afin de pourvoir à leurs plus pressants besoins et de
les diriger sur la ville.
Le P. Creytton, recteur du collège, dut, par l'ordre du Sou-
gion. — Lettre du P. Possevin au P. Général, 8 octobre (Acla a Possevino). Cf. M, -
moires de Castelnau, 1. VII, c. vu. Davila, Hist. des guerr. civiles, t. I, p. 3i6.
Tortorel et Perrissin, -iu tableaux : n. wxiv, xxw et xxxvi.
1. Lettres au P. Général, 4 et 8 octobre (Hall. Epist., t. IV. fol. 107, 109).
2. Lettres des 7 et li novembre 1570 (Gall. Epist., t. V, fol. 159).
G28 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
verain Pontife, s'occuper de la paye de ces pauvres soldats et
leur trouver des aumônes, car ils manquaient de vêtements et de
toutes choses '. Quel ne fut pas son désappointement « lorsque le
trésorier, Raphaël Martelli, lui déclara qu'il ne restait plus rien
en caisse pour satisfaire les justes réclamations de troupes qui
n'avaient rien reçu depuis trois mois - » ! Pie V, informé de l'état
misérable où se trouvaient réduits les hommes de son armée3, en
fut profondément ému, et dans sa bonté paternelle donna aussitôt
les ordres nécessaires à leur soulagement immédiat et à leur
prompt rapatriement.
6. La paix de Saint-Germain (août 1370; suspendit pour un
temps les hostilités, mais elle ne mit point fin aux troubles par-
tiels qui continuèrent d'agiter plusieurs provinces : de là son
nom de paix boiteuse et mal assise. Au commencement de 1572.
le P. François de Borgia, durant le voyage qu'il fit alors4, put
constater par lui-même les dissensions intestines qui désolaient le
royaume très chrétien. Les malheurs qu'il redoutait depuis long-
temps pour la France, ne tardèrent pas à tomber sur elle, plus
terribles qu'on n'aurait jamais pu le soupçonner : nous voulons
parler du massacre commencé à Paris le 2i août, et connu dans
l'histoire sous le nom de la Saint-Barthélémy .
Les épisodes de cette sanglante journée ne se lient qu'incidem-
ment à l'histoire de la Compagnie de Jésus, mais il est bon de
constater, avec une saine critique 5, que les fameux massacres
n'ont pas été le fait d'un fanatisme intolérant, encore moins le
résultat d'un complot tramé par l'Église. Ils eurent pour cause
principale la néfaste politique de Catherine de Médicis. Elle oublia
les sages remontrances que le P. Lainez lui avait faites dans son
mémoire de 1562 |;. Au lieu de soutenir franchement, comme
c'était son devoir, les droits du catholicisme, elle voulut pactiser
avec la réforme. Toute préoccupée des risques de son pouvoir,
elle prenait ombrage aussi bien des Montmorency et des Guise que
1. Lettre du P. Éverard Mercurian au P. Général, 19 décembre 1569 Gall. Epist.,
t. IV, fol. 78). Cf. Roma, Bibl. Vilt. Enim.. Mss. Gesuitici, n. 1584 371.! .
2. Lettre du P. Creytton au P. Général, 10 janvier 1570 (Gall. Epist., t. V, fol. 10j .
:•.. Lettre du même, 21 fevr. [Ibid., f. 109).
4. Voir chap. vi du livre 111.
5. Voir : La Saint-Barthélémy d'après les archives du Vatican, article de
M. Roularic, dans Bihl. de l'École des Chartes, série V, t. 111, p. 1. Archives cu-
rieuses de Vliist. de France, s. I, t. Vil, tout entier. Hanotaux, Etudes liisl. sur les
XVI' et XVIIe siècles. 'Y1* de Meaux, Les luttes reVujieuses en France, p. 133-169.
Charles Mot ki. L'amiral de Coligny Paris, 1909_. p. 464-472.
6. Voir plus haut, 1. II, c. vi. n. 1".
PENDANT LES TROUBLES CIVILS. 629
du prince du Gondé et de l'amiral de Coligny. Elle pesait con-
tinuellement les avantages que son égoïste jalousie retirerai) '1rs
catholiques ou des protestants, prête à se tourner, selon la crise
du moment, contre les uns ou contre les autres. En voyant
l'amiral qui cherchait à entraîner le faihle Charles IX dans la
querelle des Pays-Bas contre l'Espagne, elle sentit que son crédit
était menacé, qu'il serait bientôt perdu peut-être, et elle ne songea
plus qu'aux moyens de le conserver à tout prix. L'impudence
hautaine des huguenots, au mariage de Henri de Navarre avec
Marguerite de Valois, et le murmure presque universel des catho-
liques contre la prépondérance croissante des seigneurs calvinistes
déterminèrent brusquement sa décision1. La tentative d'assassinat
contre Coligny et la crainte d'une vengeance éclatante de ses
coreligionnaires précipitèrent la catastrophe : cet attentat est le
véritable point oie départ du sinistre projet dont l'ordre d'exécu-
tion fut, au dernier moment, arraché au jeune roi2.
« Il ne fait pas bon, dit Brantôme, d'acharner le peuple, car il
est assez prêt, plus qu'on ne veut. » Comment, dans la circons-
tance, aurait-il manqué au signal donné? Sans parler des haines
privées et des autres passions humaines qui trouvèrent là l'oc-
casion de se satisfaire, le peuple, — il est juste de le recon-
naître, — était exaspéré par l'insolente audace des protestants,
qui depuis dix années lui offraient le spectacle du pillage et du
meurtre, saccageaient ou brûlaient ses sanctuaires, profanaient
les objets de son culte, massacraient ses religieux et ses prêtres3;
il était irrité à l'excès par « la tolérance et même la patience » *
que la royauté leur avait montrées dans le pardon trop facile de
leurs crimes atroces, par l'influence scandaleuse qu'elle avait
laissé prendre aux chefs du parti en leur prodiguant caresses,
argent et dignités. Quand enfin, sur un geste de Charles IX, il
crut que l'heure de la réaction était arrivée, il s'y précipita avec
tout l'emportement d'une colère trop longtemps contenue; sa
fureur « contre ceux qui avaient outragé Dieu et les hommes ' »
frappa à l'aveugle et sans pitié.
Durant ces heures pénibles, les Pères de la Compagnie de Jésus
1. « La Saint-Bai thélemy, dit M. Merki, reste un crime politique sous couvert de
religion, non un crime religieux » pp. c, p. 47).
2. Ve de Meaux, op. c, p. 150, 151.
3. On peut lire à ce propos le récit, par un protestant, des horreurs commises à
Nîmes le jour de la Saint-Michel 15C7 (Extrait de la Revue Britannique, février
1836, cité par Henri Hello, La Saint-Barthélémy, Paris, 1901, p. 21,
4. Meiki, op. c, p. 404. — 5. Ibid., p. 405.
630 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
eurent un rôle tout charitable et apostolique : « Je ne puis passer
sous silence, rapporte le P. Recteur du collège de Clermont, ce
qui arriva le jour de la Saint-Barthélémy... A Paris quel-
ques-uns de nos Pères et Frères furent envoyés en divers en-
droits pour arracher au massacre un bon nombre de nos amis,
et parmi eux plusieurs gentils-hommes récemment arrivés dans
Ja capitale. C'étaient de bous catholiques, mais en leur qualité
d'Anglais ou d'Écossais, on les prenait pour des hérétiques et on
les recherchait dans les maisons et les hôtelleries afin de ies
livrer au supplice. Par leurs réclamations, leurs instances et
leurs recours à d'inlluents personnages, nos Pères sauvèrent
beaucoup de ces malheureux. A Lyon aussi, pendant le massacre
des hérétiques, quelques Pères rendirent le même service, et
dans l'une et l'autre ville ce ne fut pas sans danger pour leur
propre vie1. »
Le P. Possevin, qui se trouvait alors à Lyon, a raconté lui-
même2 la démarche qu'il fit pour sauver, au moins de la mort
élernelle, deux cents calvinistes enfermés dans la prison de
Roanne. Ayant appris qu'ils devaient être tués, il pria le gou-
verneur, « si cette sentence était définitive, de lui permettre
daller les prévenir et d'essayer de les ramener au catholicisme ».
Sa demande fut agréée ; mais son zèle et son « affectueuse »
éloquence restèrent inutiles. Ces malheureux, « soit endurcisse-
ment, soit espoir d'échapper par la complicité des habitants »,
se montrèrent sourds à sa voix. Peu de temps après ils étaient
tous massacrés.
Dans le premier moment, les massacres de la Saint- Barthélémy
1. Maiiare, De rébus Soc. Jesn, p. 106, n. 56.
2. Annal, decas 1 ', 1. IV, c. n. — Au mois de sept. 1572. le P. Mathieu écrit de
Lyon au P. Nadal : « Dicono clie la settimana passata furanno stati amazzati in questa
eitta da 1.000 à 1.200 heretici, benche penso che non saranno stato piu di 800, o cir-
eà » (Gall. epist., t. VI, f. 106). De Toulouse le P. A. du Coudret écrit au P. Nadal
le 2 nov. : «Tuttavia una parte degli heretici insino a cento cinquanta, o circà, sono
stati amazzati in questa lerra; gli allri essendo fugiti e retiratisi nelle terre vicine,
donde adesso fanno del maie a questo contorno » {Ihid.. f. 293). Nous n'avons trouvé
dans les papiers de la Compagnie aucun document sur le massacre à Bordeaux. Ni le
Lurbe, ni Damai, ni Gaufïreteau dans leurs Chroniques ne donnent de renseignements
sur le rôle des Jésuites. Cependant M. Gaullieur. dans son Histoire du collège de
Guyenne (p. 306), nous montre, sans indiquer aucune source, la population catholi-
que de Bordeaux « fanatisée par les prédications des Jésuites ». et surtout par « les
discours incendiaires » du P. Auger. N'est-ce pas le cas d'appliquer au récit de
M. Gaullieur celte observation de la Chronique de Gaufïreteau : « En la narration de
ce massacre, et notamment sur ce particulier sujet (des Jésuites), il ne s'en fault pas
lier au livre composé par les hérétiques qu'ils ont intitule le martyrologe, parce qu'ils
couchent en iceluy plusieurs choses qui ne turent jamais pensées et moins mises à exé-
cution pour lors » (t. I, p. 170).
PENDANT LES TROUBLES CIVILS. 631
ne furent présentés nulle part sous leur véritable couleur1. D'a-
près les dépêches adressées aux puissances étrangères, c'était Le
résultat d'une conflagration soudaine à la suite de l'attentat con-
tre l'amiral de Coligny, ou bien la répression d'une tentative des
huguenots contre la personne du roi2. Charles IX Lui-même, dans
un lit de justice qu'il tint au Parlement, déclara que tout avail
été fait par son très exprès commandement, comme juste puni-
tion de ceux qui avaient conspiré contre sa personne, celles de
la reine sa mère et de ses frères, dans le dessein d'anéantir la
religion et de renverser la monarchie. Faut-il donc s'étonner de
ne pas trouver, dans la correspondance des Jésuites de ce temps,
la réprobation d'un événement que l'on regardait, non comme
un perfide guet-apens, mais comme un cas de légitime défense,
comme un triomphe inattendu des catholiques sur les protestants?
Le Parlement n'avait-il pas reçu l'ordre d'informer sur le complot
des huguenots, dont on prétendait avoir la preuve dans les pa-
piers de Téligny, gendre de l'amiral? Sur des bruits plus ou moins
véiïdiques, l'opinion s'était formée que les huguenots avaient
résolu d'en finir avec leurs adversaires, et qu'ils furent seulement
devancés par la catastrophe qui les écrasa eux-mêmes à l'impro-
viste : « 0 juste Providence, s'écriait un calviniste mourant, nous
subissons aujourd'hui le sort que nous réservions pour bientôt à
nos ennemis3. » En citant celte parole dans la relation qu'il adresse
de Paris, le 6 septembre, à ses frères de Belgique et d'Allemagne,
le jésuite Bernardin Castori partage et exprime la joie commune
des catholiques, il parle avec enthousiasme de leurs cérémonies
d'actions de grâces, de leurs prières pour «. l'extirpation complète
de l'hérésie et le relèvement de la foi4,». Tel était à ce moment
le langage de beaucoup d'honnêtes gens, qui voyaient dans le
châtiment tragique des sectaires « un miracle de la main toute-
puissante de Dieu"' ».
7. Henri de Navarre et le prince de Condé avaient échappé à
la fureur du peuple, retenus au château du Louvre par Charles IX
qui voulait les détacher du parti protestant en les foirant à ab-
1. Vicomte de Meaux, op. cil.. p. 166-159.
2. « Ce qui est vrai, dit le vicomte de Meau\, c'est que le peuple de Paris crut sin-
cèrement à une conspiration des huguenots contre le roi » (op. cit., p. 155).
3. Récit du P. Bernardin Castori, f> sept. 157J, dans Hansen, Reinische Ah/en....
n. 472.
i. Ibidem.
5. Lettre de Possevin au P. Nadal, 5 octobre 1572 (Acta a P. Possevino .
032 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
jurer. Comme ils résistaient à ses obsessions, on eut recours à des
conférences avec des docteurs catholiques, et la conversion des
jeunes princes s'ensuivit. Malheureusement, la contrainte morale,
qu'ils subirent sous le coup des événements, ne leur laissa pas
assez de liberté pour mûrir une si grave résolution; de plus, leur
légèreté naturelle ne leur permit pas de prendre au sérieux une
abjuration à laquelle ils furent insuffisamment préparés. C'est du
moins ce qui ressort du récit du P. Manare, témoin et acteur dans
cet intéressant épisode de l'histoire de la cour :
« La paix étant revenue au royaume de France, dit-il, le roi
Charles IX s'occupa de relever la religion catholique... Il s'em-
pressa, avant tout, de ranimer la foi parmi ses serviteurs, d'ar-
racher sa cour aux influences pernicieuses, et de convertir le
roi de Navarre... La reine-mère, s'appliquant de même à réfor-
mer son entourage en grande partie hérétique, demanda un Père
de notre collège qui instruirait les dames d'honneur et les jeunes
filles nobles de sa maison. Je fus choisi pour remplir ce minis-
tère; pendant plusieurs semaines je m'efforçai de leur inculquer
la connaissance des vérités catholiques et de les former à la pra-
tique des vertus chrétiennes...
« Quand j'eus fini de les préparer à se réconcilier avec
l'Église, la reine-mère entreprit aussi de ramener au catholi-
cisme le prince de Condé et le roi de Navarre. Elle me chargea
encore de ce soin, sous la direction du cardinal Charles de
Bourbon, oncle des deux princes. L'affaire traîna en longueur,
car l'un et l'autre restaient inflexibles et ne voulaient pas enten-
dre parler de changement de religion. Déjà l'on était à la veille
du jour où le Nonce apostolique devait présider la cérémonie
d'abjuration dans le monastère des Augustins, et j'achevais d'y
disposer les dames de la suite de la reine, quand je fus appelé
par le cardinal qui me dit de catéchiser immédiatement ses
neveux.
« Je ne refusai point mes services; mais, considérant ce qui
allait probablement avoir lieu, je fis en sorte de ne point me
trouver seul avec les princes. Je prévoyais, en effet, que le roi
de Navarre et le prince de Condé amèneraient avec eux plusieurs
ministres pour discuter, et je n'avais point la prétention de lutter
seul contre plusieurs adversaires, contre ceux-là surtout qui font
consister la victoire à beaucoup crier, et passent à la légère et
sans ordre d'un sujet à un autre. Je demandai donc l'autorisation
d'aller au collège et de ramener avec moi le P. Jean Maldonat
PENDANT LES TROI BLES CIVILS. 633
et quelques-uns des premiers docteurs de Sorbonne; car il im-
portait de traiter convenablement et sérieusement les questions
religieuses devant les princes et les assistants, «m vue même de
leur instruction. Le cardinal s'y opposa longtemps me disant,
pour m'engager à rester, qu'on n'avait pas besoin de tant d'ap-
pareil; mais enfin il céda. Je revins accompagné du P. Maldonat,
du docteur Simon Vigor, plus tard archevêque de Narbonne, du
docteur de Saint-Germain et de deux autres dont j'ai oublié les
noms; en tout six prêtres catholiques, prêts à la dispute, si
c'était nécessaire, comme de fait il le fut. Le roi de Navarre avait
avec lui trois ou quatre ministres, et le prince de Condé presque
autant, dans les différentes parties du palais qu'ils habitaient.
« Chez le roi de Navarre, à peine eut-on commencé la leçon
de catéchisme qu'aussitôt l'un des ministres souleva des objec-
tions, en citant des textes grecs et hébreux. Le P. Maldonat, très
versé dans ces matières, se chargea presque seul de la réponse;
mais la discussion absorba le temps destiné à l'instruction du
prince. Pendant que les adversaires argumentaient, le roi de
Navarre, retiré dans un coin de l'appartement, s'entretenait
d'autres choses avec ses familiers. Parfois l'un d'eux l'invitait
à s'approcher, lui disant qu'on traitait des questions fort in-
téressantes; et le prince s'approcha six ou huit fois, montrant,
- me sembla-t-il, de la bonne volonté, car il parut touché des
raisons alléguées en faveur du catholicisme. Il venait près de
nous, écoutait quelques instants : « Bien, très bien, disait-il,
« ceci me satisfait. Allons, bon courage! » Puis il retournait
vers ses amis. Ainsi finit, après deux ou trois heures, cette
leçon de catéchisme. Le roi de Navarre y assista contre son
gré; son esprit était ailleurs.
« Et telle fut la seule instruction que reçurent les deux princes,
car les choses se passèrent de la même façon chez le prince de
Condé. Il se conduisit comme son cousin vis-à-vis de nos docteurs
et de ses ministres, à une différence près : le roi de Navarre se
tenait debout dans un coin de sa chambre et écoutait, tout en
conversant avec d'autres seigneurs; le prince de Condé se pro-
menait en causant, et de temps en temps s'approchait pour en-
tendre l'argumentation. Mais le résultat fut le même, à mon avis;
après comme avant la discussion, ils restèrent obstinés dans Leur
sentiment. Cependant, le lendemain, l'un et l'autre firent leur
abjuration solennelle, en présence du Nonce apostolique. Leurs
lèvres avaient prononcé des paroles que leur cœur désavouait.
634 HISTOIRE DE LA. COMPAGNIE DE JESUS.
On s'en aperçut bientôt, lorsque, ayant recouvré plus de liberté,
tous deux retournèrent au protestantisme1. »
8. Après le massacre de la Saint-Barthélémy, les huguenots
avaient repris les hostilités plus vivement que jamais. La ville
de La Rochelle se remplit de ministres réformés, de soldats cal-
vinistes, de gentilshommes qui s'y réfugièrent comme dans un
asile. Le siège de cette cité rebelle fut résolu, et le commande-
ment de forces imposantes confié au duc d'Anjou. Il avait sous
ses ordres le duc d'Alençon son frère, le roi de Navarre, le prince
de Gondé, les ducs de Montpensier, d'Aumale, de Guise, de
Mayenne, do Xevers, suivis de presque toute la noblesse catholi-
que. Le P. Auger reçut alors de « Sa Majesté et de la reine-mère
l'ordre » de se diriger vers Poitiers et La Rochelle pour le ca-
rême ; c'était « Monsieur lui-même qui, par une lettre de sa pro-
pre main, réclamait sa présence2 ». Il rejoignit le prince sous
les murs de la ville assiégée, et fut accueilli par lui avec toutes
les démonstrations de l'affection la plus tendre. Son zèle, sa
vigilance, sa charité se dépensèrent sans mesure durant cette
nouvelle expédition. Voici comment il rendait compte au P. Gé-
néral de l'emploi de ses journées : « Dire mes heures, la messe
tous les jours, faire prédication souvent, confesser et visiter les
malades, enterrer les morts, avoir soin des pauvres, assister à la
messe de Monseigneur, lui remonstrer ce qui est de piété, pré-
senter les requestes des misérables affligés, tascher d'abolir les
blasphèmes, jeux illicites, paillardises, hérésies couvertes... Aller
tout seul aux tranchées dire la messe ou faire quelque œuvre
de piété, nonobstant les coups de canon ou d'arquebusade ;
coucher quelquefois sur la paille et tout vestu... etc.. prout ratio
temporis exigebat*. » Le duc d'Anjou appréciant depuis long-
temps son mérite et le bien qu'il opérait parmi les soldats, de-
manda au P. Général de le conserver près de lui jusqu'à la fin
du siège de La Rochelle, car, disait-il, c'est un « personnage très
propre à y redresser sincèrement le service divin qui y a esté
tant prostitué et abattu4 ».
Avant d'avoir pu forcer la ville à se rendre, le chef de l'armée
1. De rébus Suc. Jesu, p. 104-106.
2. Lettre du P. Auger au P. Polauco. 30 janvier 1573 [Gall. Epist., t. Vil. toi. l
3. Lettre du 15 juin 1573 Gall. Epist., t. VII, f. 76).
4. Lettre du duc d'Anjou, 22 avril 1573 l£pist. Princip., t. I). Quand cette lettre
l'ut écrite le P. Mercurian n'était pas encore élu général; il ne le fut que le lende-
main 2-3 avril: mais la congrégation était réunie depuis le 12.
PENDANT UiS TROUBLES CIVILS.
catholique recul la nouvelle de son élection au trône de Po-
logne; elle avait eu lieu le :{ mai, à la presque unanimité des
votants. Une députation partit aussitôt pour la France, afin de
porter la couronne au nouveau roi, et arriva au camp vers le
15 juin, au moment où le prince venait d'être légèremcnl blessé
sous les murs de la ville1. La vigoureuse résistance des assie
gés rendait la paix incertaine. Catherine de Médicis, qui était
lasse de la guerre et voulait que le due d'Anjou allai prendre
possession de son royaume, résolut de traiter à tout prix. Les
articles, arrêtés dans les derniers jours de juin, furent signés le
6 juillet.
Le roi de Pologne voulut, à cette occasion, donner au P. Auger
une marque spéciale de sa confiance; il le chargea d'aller, en
son nom, rendre compte au Pape Grégoire Mil de tout ce qui s'é-
tait passé dans la dernière campagne contre les hérétiques, puis
de visiter le sanctuaire de Lorette afin d'accomplir le vœu qu'il
avait fait au commencement des hostilités en vue d'obtenir un
heureux succès'2. Pendant qu'il prenait le chemin de Paris, où
il devait jurer à Notre-Dame de respecter toutes les libertés de
son nouvel État, le P. Emond se dirigea vers le Lyonnais pour
de là gagner l'Italie. A Rome, comme à Lorette, il s'acquitta avec
tout le soin possible de sa mission. Après un séjour de deux
mois, il revint en France, chargé des présents que le Souverain
Pontife lui avait donnés à remettre à la famille royale : « Par-
dons, chapelets et Agmis Dei ne furent [jamais] si bien reçeus de
toute la cour, à Paris et à Vitri, — écrit-il, — tellement que je
ne me pouvois sauver des demandeurs et des plus grands, jus-
ques aux Polonois \ »
1. Lettre du P. Auger au P. Général, 15 juin 1573 (Gall. Epis!., t. VII, fol. :•'. .
2. Lettre du roi de Pologne au P. Général, 10 juillet (Epist. Principum, Il L'in-
fluence du P. Au^er était alors considérable. A'oici comment le P. A. du Coudrel
s'en exprime au P. Général, dans une lettre datée île Toulouse le 1er septembre 1573 :
« Ayant entendu monsieur le premier président et autres seigneurs de ceste ville que
l'on faisoit bruit que le P. Émond iroit à Pologne sic) avec monsieur frère du roy....
ils nous ont adverty que cela ne leur sembloit pas lion, tant pour l'intérest du pu-
blic que aussy pour les affaires de nostre Compagnie, car jaçoit que ledit Père ne
soit [pas] par tous les collèges, toultefois son nom y va. el les uns le révèrent, les
aultres le craignent pour le crédit qu'il a envers les grands a [Gall. Epist., t. Vil,
f. 198).
3. Lettre du P. Auger au P. Général, le 24 novembre 1573 (Gall. Epist., I. VII.
fol. 54). Lettres du P. Auger au cardinal de L'omo. r " et 24 novembre (Archiv. Vat..
Nunz. di Frauda, t. VI, fol. 765, 807). Le roi qui était malade recul alors le P. Auger
avec une extraordinaire bienveillance : « Le roy estoil dans le lit quand je luy parlay
par trois diverses fois, seul à seul, une heure el tout mon saoul... Il me demanda de
tous les points de nostre compagnie, des habits, prières, collèges... de la doctrine de
la profession et mille particularités » [Lettre du 20 novembre 1573 .
636 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
9. Au mois de janvier 1571, le P. Auger reçut du P. Général
l'ordre de visiter les collèges de Rodez, de Bordeaux et de Tou-
louse. Il devait aussi prêcher le carême dans cette dernière ville,
et le P. Annibal du Coudret se déclarait prêt à lui céder l'église
de la Dalbade où lui-même venait de prêcher Pavent; mais la
prise d'armes des huguenots, dans les provinces méridionales, et
le complot dirigé par quelques seigneurs contre la personne du
roi ne lui permirent pas d'entreprendre un voyage plein de
périls1. Après Pâques, il fut encore arrêté par les nouvelles peu
rassurantes du centre et du midi.
A Mauriac, le collège avait dû fermer ses classes. Les calvinis-
tes, après avoir pris les places avoisinantes, n'étaient plus qu'à
deux lieues de cette ville. « Le péril si proche, la crainte et la
frayeur de tous, et le danger d'une surprise et trahyson fort
grand » obligèrent le P. Michel Notel, Recteur, à disperser sa
communauté, après avoir « vendu quasy toutes les provisions
de la maison, non sans grand perte et dommage2 ».
De Toulouse le P. Annibal du Coudret écrivait que, « malgré
la .venue du seigneur de Joyeuse, envoyé par le roi pour assu-
rer la paix du pays, on avait tout à craindre des audacieuses in-
cursions des huguenots ». Et il racontait que l'avocat général
Duranti, député à la cour par le Parlement, avait été fait prison-
nier en Auvergne et conduit à Seillac, en Périgord, d'où il n'a-
vait pu sortir « qu'avec une rançon de six mille francs et la
confiscation de ses chevaux et de son bagage :; ».
Pour combattre la révolte, Catherine de Médicis qui régnait
seule, — car depuis quelque temps Charles IX ne faisait plus
que languir, — avait mis sur pied trois années, dont elle confia
le commandement à des catholiques éprouvés. Les rebelles fu-
rent contenus sur tous les points de la France.
Au milieu des troubles de son peuple, Charles IX, toujours af-
fectionné à la Compagnie, n'avait cessé de lui donner des mar-
ques signalées de sa royale munificence. Il avait même promis
de faire bâtir une église pour les Pères de Paris, et de leur ac-
corder des faveurs qui les mettraient à l'abri de toutes les atta-
ques ''. Déjà il avait autorisé l'exercice des ministères de l'Institut
et l'érection de maisons professes dans tout le royaume. Le
1. Lettres au P. Général. 17 janvier et 8 mars 1574 (Gall. Epist., t. VIII, fol. 301).
2. Lettre du P. ISotel au P. Général, 14 avril 1574 (Gall. Epist., t. VIII, fol. 373).
3. Lettre du P. A. du Coudret, 7 juin 1574 (Gall. Epist., t. VIII, fol. 307).
i. Lettres du P. Auger, 31 octobre et 24 novembre 1573 (Gall. Epist., t. VII, fol.
48, 54).
AVENEMENT DE HENRI III. 63"
25 mai 157V, il adressa au Parlemenl des lettres de jussion pour
le contraindre à enregistrer les actes de sa volonté; mais La morf
qui le surprit, cinq jours après, ne lui laissa pas le temps de
réaliser ses projets et de vaincre la résistance du Parlement. Il
expira à la fleur de l'âge, — il n'avait que vingt-trois ans. —
«le jour de la Pentecôte, à deux heures de l'après-midi, au
château du bois de Yiocennes1 ». Se sentant près de mou-
rir, « il obligea ses principaux officiers à jurer obéissance à s i
mère jusqu'à l'arrivée du roi de Pologne, qu'on s'empressa d'a-
vertir'2 ».
10. En attendant l'arrivée de ce prince, la France allait se
trouver, durant neuf mois, livrée à tous les inconvénients d'une
régence provisoire. Le P. Auger pensa que c'était le moment,
plus que jamais, d'attirer les bénédictions du ciel sur ce malheu-
reux pays. Il proposa à M"1' de Condi d'établir à Paris l'adoration
perpétuelle : pendant quarante heures, dans chaque église tour
à tour, le Saint-Sacrement serait exposé, et les fidèles pourraient
continuellement offrir leurs supplications au Dieu des miséricor-
des. Le prélat accueillit avec joie cette proposition, et l'on accou-
rut en foule aux pieds des autels. Ce touchant spectacle aurait
dû remplir de consolation le cœur de tous les prêtres du dio-
cèse; il se trouva néanmoins des censeurs chagrins pour blâmer
ce concours et cette dévotion 3. Parmi eux se distinguait, par ses
invectives, le curé de Saint-Eustache, René Benoit, qui venait
d'avoir une querelle avec la Faculté de théologie, au sujet d'une
traduction de la Bible, où l'on avait cru reconnaître des propo-
sitions erronées '. Du haut de la chaire de sa paroisse, il traita
de superstitieuses les prières des Quarante-Heures, blâma l'expo-
sition du Saint-Sacrement et même l'empressement des fidèles
à venir adorer Notre Seigneur Jésus-Christ présent sous les voiles
eucharistiques '. Le P. Auger se hâta de rassurer la piété des li-
dèles, et pour détruire dans les esprits les effets d'une parole si
scandaleuse, il ne craignit point de s'élever énergiquement con-
tre les déplorables excès du curé de Saint-Eustache. Benoit se
1. Lellre du P. Auger, 31 mai 1574 (Ibid., t. VIII, toi . 54).
2. Ibidem.
3. Lettre de W ' Salviali au cardinal de Como., 26 juillet 1574 Archiv. Vat., Nunz.
di Francia, t. VII, fol. 517-519
4. Sur ce personnage voir Denais, Le pape des Halles., p, 5. el Féret, La In-
culte de théologie de Paris, ép. inod., t. I, |>. 387 et suiv.
5. Lettre du P. Hay. 5 juillet 157* (Gall. Epist., t. VIII, f. 74).
G38 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
plaignit des attaques du jésuite, et la cause fut portée devant l'é-
vêque de Paris '.
M-1' de Gondi ayant convoqué une réunion de théologiens au
palais épiscopal, les deux prédicateurs furent invités à venir
s'expliquer en leur présence. René Benoit parla le premier. Il
invectiva longuement contre la Compagnie de Jésus, et s'efforça
de soutenir les étranges assertions qu'on lui reprochait. Le P. Au-
ger ne chercha pas à justifier sa conduite; il se contenta de
montrer et la légitimité de l'adoration, dite des Quarante-Heures,
et les avantages de cette belle dévotion. Puis les théologiens dis-
cutèrent sur la question de fait et la question de personne. Le
docteur Pelletier saisit l'occasion de décrier le P. Auger et ses
confrères, sans traiter théologiquement le sujet. Le P. Maldonat,
présent à la réunion, exposa d'abord les propositions du curé de
Saint-Eustache qui lui paraissaient répréhensibles, et les combat-
tit avec une vigueur capable de convaincre tous les assistants. Il
défendit ensuite la personne du P. Auger contre les violentes at-
taques dont elle avait été l'objet. Quand tous eurent cessé de
parler, l'évèque rendit sa sentence. Il décida que l'adoration des
Quarante-Heures, sainte et salutaire dévotion, continuerait à se
pratiquer, selon l'ordre prescrit, dans les églises de Paris. René
Benoit reçut la défense formelle de prêcher hors de sa paroisse.
Quant au P. Auger, il conserva la faculté de prêcher dans tout le
diocèse; mais, afin d'éviter quelque nouveau scandale, il ne de-
vait point en user dans les églises où le Saint-Sacrement serait
exposé 2. Il profita de ces permissions avec son ardeur coutu-
mière, et pouvait écrire au P. Général, le 18 juillet : « Nous avons
continué par deçà la diligence en prières et autres tels exercices
en faveur de la venue de notre Roi. que Dieu veuille amener sain
et sauf par sa grâce :; ! »
II. Dès qu'il avait appris la mort de Charles IX, son frère, le
nouveau roi de France, Henri III, était parti en fugitif du château
de Cracovie, le 18 juin, se dirigeant vers les frontières de l'Au-
triche 4. De Vienne il se rendit à Venise, où la Seigneurie lui pro-
digua les fêtes les plus brillantes, puis à Turin où il trouva le
maréchal de Damville et les secrétaires ou agents de sa mère.
Arrivé au pont de Beauvoisin, il rencontra le roi de Navarre,
1. Lettre du P. Auger, 18 juillet 1574 (Gall. E|>ist., t. VIII, f. 78).
2. Sacchini, Hisl. Soc. Jesit, P. IV, 1. II, n. 65-66. Cf. Prat, Mahlonat, p. 346.
3. Gall. Epist., I. VIII. fol. 78.
4. Lettre du P. Auger, 5 juillet [Ibid., fol. 71).
ÉVÉNEMENT DE HENRI III. 639
les ducs d'Alençon et de (luise que Catherine de Médicis avaii
envoyés au-devant de lui, pendant qu'elle-même allai! avec la
cour le rejoindre à Lyon. •
Les lettres adressées à cette époque au I*. Général par le
P. Auger et les Pères des collèges de Lyon et d'Avignon, signalent
à plusieurs reprises les marques de particulière bienveillance que
le roi et sa mère témoignèrent aux maisons de la Compagnie de
.lésus, durant leur voyage dans le midi. Dès le lendemain cte
son arrivée à Lyon, Henri III donna audience au Père Auger et
lui fit l'accueil le plus gracieux : « Ce matin le roi m'a veu, écrit
celui-ci le jour même au 1*. Général, il m'a embrassé, m'a mons-
tre le chapelet que je lui ai baillé venant de Laurette. .le lui ai
recommandé la Compagnie; il a faict toutes les plus honestes
offres du monde... Je l'ay remercié1... » A la fin du mois d'oc-
tobre2, le collège de la Trinité fut honoré de la visite royale. Kn
voici le récit d'après une lettre du P. Recteur.
« Le 25 octobre, la reine vint au collège dans l'après-midi et
visita toutes les classes. Dans l'avant-dernière, où elle resta un
demi quart d'heure, elle fut très édifiée et consolée d'entendre
la dispute des petits enfants sur le catéchisme. Elle demeura dans
la dernière classe jusqu'à ce que les bambins eussent récité toute
la civilité3. Elle alla ensuite prier dans notre église qui lui plut
beaucoup. Le jour suivant, le roi, après avoir entendu la messe
au collège, visita toutes nos chambres et s'arrêta quelques ins-
tants dans celle du P. Visiteur [le P. Auger]4. Il voulut aussi voir
la bibliothèque, le chœur, en un mot toute la maison. Il était ac-
compagné des cardinaux de Lorraine, de Guise et d'Esté, du duc
d'Alençon son frère, et du duc de Guise, de l'archevêque d'Em-
brun, et de plusieurs autres seigneurs et prélats. Il visita toutes
les classes, s'arrêtant quelques moments à écouter le professeur.
Il prit plaisir à entendre les petits enfants disputer en français
sur le catéchisme ou réciter la civilité. Lorsque Sa Majesté sor-
tait d'une classe, tous les écoliers criaient : Vive le Roi! ce qui lui
î. Gall. Epist., t. VIII, fol. 161.
2. El non le jour de la rentrée îles classes comme le disent faussement plusieurs
historiens; ce jour-là les élèves représentèrent la tragédie de Judith. Une parité de
la cour s'y trouvait sans doute, mais Henri III n'y assista pas.
3. S'agit-il d'un compliment ou d'une leçon tirée du livre, La civilité puérile, im-
primé à Lyon en 1556? L'une et l'autre de ces suppositions sont vraisemblables.
4. « Il faut que je me resjouisse avecque vous, écrivait le cardinal de Lorraine au
P. Mercurian, que le Roi cliaque jour croist d'affection envers votre sainte Compa-
gnie. Il a voulu visiter vostre collège ici et aller voir le P. Émond jusque dans sa
chambre, ce qui m'a été grande consolation. » (Cité par Hyver, Maldonat, pièces
justificatives, p. ix).
640 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
causa un grand contentement et à toute sa suite... Il me répéta
souvent : Priez Dieu pour moi, priez Dieu pour moi1. >>
Après un séjour de plus de deux mois à Lyon, où ils avaient
organisé le conseil privé et arrêté une ligne de conduite pour les
affaires politiques, Henri III et sa mère prirent le chemin d'Avi-
gnon afin de réprimer quelques partis de rebelles qui, depuis
rassemblée des protestants à Milhaud, s'étaient formés dans le
Languedoc et le Dauphiné. « Aujourd'hui [16 novembre], écrit
le P. Creytton, le roi, la reine et ce qui reste de la cour sont par-
tis pour Avignon. Les ambassadeurs ont reçu avis de ne point
quitter Lyon parce que le roi espère être de retour vers Noël, se
trouver à Reims en janvier pour le sacre, et faire son entrée à
Paris au mois de février. Ce collège a été comblé de faveurs par
Leurs Majestés. Deux jours avant son départ, la reine est venue
nous voir et a entendu la messe dans notre église. Le roi est
aussi venu hier et a fait chanter la messe de saint Martin'2. »
Le P. Auger comptait bien, après le départ de Henri III, entre-
prendre enfin la visite des collèges dont le P. Général l'avait
chargé depuis longtemps; mais il ne put résister aux instances
du cardinal de Lorraine, qui désirait l'emmener, en compagnie
du cardinal de Guise et de l'archevêque d'Embrun, jusqu'à Avi-
gnon, pour y attendre le roi. Ils s'embarquèrent sur le Rhône,
qu'ils descendirent jusqu'à Vienne. En passant à Tournon, les
illustres voyageurs s'arrêtèrent au collège où le P. Auger les
traita avec une noble simplicité que ces princes de l'Église pré-
féraient à toutes les splendeurs de la cour3.
Au collège d'Avignon comme à celui de la Trinité de Lyon, les
élèves préparèrent une tragédie à laquelle tous les princes de-
vaient assister. Cherchant à plaire aux catholiques zélés du midi,
Catherine de Médicis eut soin que les seigneurs de l'entourage du
roi parussent dans les cérémonies du culte. Henri III lui-même
prit part à une procession de pénitents, qui était une des plus an-
ciennes fêtes religieuses de la cité. Le P. Mathieu, en racontant
la chose au P. Polanco,ne tarissait pas d'éloges sur la piété du
roi. Ces éloges surprendront peut-êlre ceux qui connaissent, par
l'histoire, les désordres auxquels ce malheureux prince se livra
plus tard; mais le Père raconte ce qu'il a vu, ce que pense alors
1. Letlre du 2 novembre 1574 (Gall. Epist.. t. VJII, fol. I8i). Kôln, Stadt-Archiv.,
I niversitat, XII (326 b), fol. 31-34.
2. Gall. Epist., t. VIII, fol. 190.
3. Carayon, Duc. inédits, I. V, p. (M.
MORT ET ÉLOGE DU CARDINAL l>K LORRAINE. 641
le public, et rien ne prouve que le monarque ne fut pas sincère
dans ces manifestations religieuses du commencement de son
règne : « On ne saurait croire, écrit-il, de quels sentiments de
piété le roi se montre animé, quel zrle il déploie pour la religion
catholique, avec quelle assiduité il se livre à la prière et aux
bonnes œuvres. Tous les matins, avant le jour, il assiste à la
messe dans sa chapelle, et visite ensuite quelques-uns des sanc-
tuaires de la ville. Il est venu avec la reine-mère au collège et
nous a montré beaucoup de bonté. Trois fois par semaine, outre
le dimanche, il fait chanter la grand'messe : le jeudi, celle du
Saint-Sacrement; le vendredi, celle de la Passion; le samedi,
celle de la Sainte Vierge. Il secourt, en secret, un grand nombre
d'indigents. S'étant affdié à une confrérie de Flagellants, il a
assisté, le k décembre, en habit de pénitent, avec toute sa cour,
à une procession qui ne s'est terminée qu'au milieu de la nuit...
Il y avait plus de quinze cents personnes portant des cierges. Cet
événement a produit dans toute la ville une profonde impression,
et augmenté la bonne opinion qu'on avait toujours eue du roi1. »
12. Pendant le séjour de la cour à Avignon, les Jésuites eurent
à pleurer la perte du cardinal de Lorraine, qui s'était offert à
saint Ignace pour être le protecteur de la Compagnie en France.
Sa mort, comme sa vie, a été pour les historiens protestants le
sujet de bien des commentaires; ils n'ont épargné ni les sar-
casmes ni les injures à celui qu'ils regardaient comme leur plus
dangereux adversaire. Dans l'intérêt de la vérité, et par recon-
naissance pour la mémoire d'un si grand bienfaiteur, nous em-
prunterons le récit édifiant de ses derniers moments au P. Au-
ger, qui le prépara lui-même à paraître devant Dieu :
« Le cardinal ayant dit la messe le jour de la Conception fut
atteint, au milieu du sermon, vers les 10 heures du matin, d'une
si grande douleur de tête, accompagnée d'un éldouissement,
qu'il fut obligé de se retirer et de se mettre au lit... Il m'avoit
dit quelque temps auparavant que dans le chagrin de ne pou-
voir apporter remède aux maux dont l'Église étoit affligée, il
souhaitoit, si c'étoit la volonté de Dieu, qu'il le tirât du monde...
Son mal continua toujours avec une extrême douleur de tète,
quelque soin qu'apportassent pour le soulager Messieurs de Cuise,
de Mayenne, de Fécamp, d'Aumale et d'Elbeuf ses neveux... Ces
1. Lellre du 9 décembre 1574 ^C.ali. Epist., t. VIII, fol. 215, 216
COMPAGNIE DE JÉSl s. — T. I.
042 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
princes, le voyant en danger, voulurent que je le fisse souve-
nir de se mettre en bon état et de se disposer à recevoir Notre-
Seigneur. Je leur obéis et je n'eus pas de peine à le luy faire
agréer.
« Le jour de sainte Luce [13 décembre], sur les neuf heures
du matin, je m'habillay pour dire la messe à l'autel que l'on
avoit dressé dans sa chambre. Le roi, averti qu'on devoit lui
donner le Saint Viatique, y voulut assister et il arriva lorsque
j'étais à l'évangile. Un peu avant l'élévation, le malade voulut
se lever et ensuite se mettre à genoux au milieu de la_ chambre
sur un carreau près du roi. Il y demeura soutenu par deux de
ses gentils-hommes jusques à la post-communion, que je lui
présentay le précieux corps de Notre-Seigneur, après lui avoir
dit quelques paroles de dévotion. Il le reçut avec une ardente
affection et s'écria, à haute voix, avec saint Thomas : Dominus
meus et Deus meus, et y ajouta des mots embrasez de l'amour de
Dieu, exhortant messieurs ses neveux à l'aimer et le servir, et à
obéir fidellement au Roy. Tout le monde fondoit en larmes; Sa
Majesté même ne put retenir les siennes, lorsque le cardinal prit
congé d'Elle, luy disant adieu pour jamais et l'exhortant à bien
servir Dieu et son Église... La Reyne survint quelque temps
après; il lui dit à peu près les mêmes choses qu'il avoit dites
au Roy, lui recommanda MM. ses neveux, l'assura de la fidélité
qu'il avoit toujours eue dans son service et de la sincérité de
son zèle pour les intérêts de l'État; enfin il lui promit, si Dieu
lui faisoit miséricorde, de prier pour elle...
« Le même jour, me trouvant près de luy avec M. le car-
dinal de Guise, son frère, je le disposay encore selon l'ordre
que m'en avoit donné ce prélat à recevoir le sacrement d'Ex-
trème-Onction. Il le reçut, des mains de l'archevêque d'Embrun,
avec une joye qui marquoit la paix de son àme, répondant de
luy-mème aux prières de l'Église avec telle dévotion et piété
qu'il n'y avoit personne qui ne fût attendri jusqu'aux larmes...
Depuis ce temps-là, dans les bons intervalles que son mal de
tête lui laissoit, il ne s'entretenoit que de saints discours, té-
moignant par de courtes aspirations le désir qu'il avoit de quit-
ter ce monde pour aller à Dieu.
« Le jour de Noël, sur les trois heures du soir, ses douleurs et
ses convulsions redoublèrent, et nous firent connoltre que nous
ne le garderions pas longtemps. Je me mis alors au chevet de
son lit et y passay toute la nuit, tâchant de l'exciter à ce dernier
MORT ET ÉLOGE hl CARDINAL DE LORRAINE.
passage par tout ce que je pouvois de plus propre et de plus
convenable, jusques à ce que, sur les quatre heures du malin,
jour de saint Etienne, après avoir fait la recommandai ion de
l'âme et luy avoir donné une dernière absolution, il rendit dou-
cement son esprit à Dieu. Après luy avoir fermé les yeux et lu\
avoir laissé la croix entre les mains, je me retiray 1... »
Ainsi mourut dans la force de l'âge, à cinquante ans, l'un des
personnages les plus mal appréciés de l'histoire de France au
xvi'' siècle. Pour les plus indulgents de ses adversaires Charles de
Lorraine n'est qu'un ambitieux, un brouillon, un courtisan qui
ne vit que d'intrigues; c'est un mauvais génie qui souffle partout
la discorde, c'est le flambeau des guerres civiles2. Ses panégy-
ristes au contraire lui attribuent toutes les vertus d'un défenseur
de la foi; il est pour eux le miroir des évêques, l'oracle du Sacré-
Collège, la colonne de l'Église, le gardien de l'honneur de la
France, la perle des prélats de la chrétienté. De ces deux juge-
ments, c'est le premier qui a prévalu. Tout ce qui s'est publié con-
tre le cardinal de Lorraine a été mieux reçu que ses louanges.
Aujourd'hui encore, quelques historiens ne voient en lui qu'un
esprit fort, un sceptique qui, par ambition, se fit le persécuteur
acharné des hérétiques, le représentant autorisé de la politique
italienne et espagnole. Les plus modérés veulent qu'il n'ait mon-
tré tant de zèle pour la foi, qu'afin de mieux servir les intérêts de
sa maison.
La vérité se trouve dans les sources mêmes de l'histoire, étu-
diées sérieusement et sans parti pris : des mémoires d'État, des
correspondances diplomatiques, des documents officiels, de tous
ces témoignages, en un mot, qui trompent rarement parce que
leurs auteurs ne sont pas intéressés à tromper, il ressort que si
ce champion du catholicisme ne fut pas toujours un homme par-
fait, il fut du moins, dans l'Église et dans l'État, une des plus
grandes figures de son siècle3. Il croyait remplir un devoir impé-
rieux en apportant à la royauté le secours de ses lumières, et il
se montra digne du pouvoir par l'étendue de sa prévoyance, la
pureté de ses sentiments et l'énergie de son caractère. S'il s'est
1. Lettre au P. Martin Rouille à Verdun, publiée par Dorigny, Vie du P. Auger,
p. 291-295.
2. Bayle, qu'on ne peut accuser de partialité pour la maison de Lorraine, a pu dire
avec raison du cardinal et du duc son frère : « Quelque méchants que vous fassiez
Messieurs de Guise, il sera toujours vrai qu'on leur imputait dans les lihelles des
choses qu'ils n'avaient pas faites. »
3. M. J. J. Guillemin l'a très bien montré dans son ouvrage : Le cardinal de Lor-
raine, son influence politique et religieuse au XVI* siècle.
644 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESI S.
laissé parfois influencer par le désir d'avancer sa famille, jamais
il ne subordonna ses principes aux intérêts de sa propre gran-
deur. Quand, dans ces temps orageux où les réactions étaient
si fréquentes, le gouvernement penchait vers les calvinistes, le
cardinal se retirait dans son archevêché de Reims, uniquement
occupé du bien de son diocèse; il n'en sortait que sur l'invitation
de la régente ou du roi, qui ne pouvaient impunément se passer
de ses conseils. L'obéissance à l'Église lui paraissait insépara-
ble de la lidélité au roi ; il comprit, en véritable homme d'Etat,
que la France, par intérêt politique autant que par obligation
religieuse, avait tout à gagner en restant attachée à la tradition
catholique. Le maintien de l'unité dans la foi et la résistance à
l'anarchie, tel fut le but qu'il poursuivit toujours, et c'est par
là qu'il a bien mérité de son pays.
Enfin ce prélat, que ses ennemis représentent si âpre à s'enri-
chir, dépensait en largesses et en aumônes1 les revenus qui
provenaient de ses biens personnels et de ses bénéfices. Il laissa
en mourant pour plus de deux cent mille écus de dettes à son
neveu Henri. On fut obligé de vendre sa vaisselle et d'emprunter
de l'argent à Reims pour fournir aux frais de ses funérailles.
13. La mort du cardinal de Lorraine fut d'autant plus désas-
treuse au royaume, qu'elle survint au début d'un nouveau règne
s'ouvrant dans la confusion des partis. La présence de Henri III à
Avignon, entre le Dauphiné et le Languedoc, n'avait nullement
intimidé les rebelles de ces deux provinces. Fatigué de sa malen-
contreuse campagne, le roi quitta le Midi pour remonter vers
le Nord. Il était d'ailleurs pressé de célébrer son mariage avec
Louise de Vaudemont, nièce du cardinal de Guise. Parvenu à
Reims le 12 février 1575, il fut sacré, trois jours après, avec la
jeune reine, et fit son entrée solennelle à Paris, le 4 du mois
suivant.
L'Université, comme tous les autres corps de l'État, s'em-
pressa de lui présenter les compliments d'usage; mais surtout
elle le pria « de la maintenir en ses privilèges et louables pré-
1. « Il chantait au clxi-ur, dit Claude Robert, le premier auteur de la Gallia Chris-
tiana, serrait les pauvres de ses propres mains, se fai ait lire durant les repas, jeû-
nait tous les vendredis et samedis, portait souvent le cilice, s'abstenait de vains dis-
cours, officiait pontificalement aux jours de fêle, favorisait le développement des
lettres, faisait exactement les ordinations et la visite du diocèse, présidait lui-même
tes synodes et jamais dans son archevêché ne souffrit rien qui ressemblât au luxe des
princes» L'Université de l'ont-à-Mousson dans Carayon, hoc. inéd., t. V, p. G7).
SITUATION A L'AVÈNEMENT DE HENRI III.
rogativcs, pour exciter par ce moyen les bons esprits à décrire
à la postérité les actes glorieux du roy ' ... Il importait au col-
lège de Clermont, toujours en lutte avec l'Université, de se
ménager une puissante protection contre ses ennemis. Le P.
Odon Pigenat, alors Recteur, obtint de présenter ses hommages
à Henri IIL Reçu en audience avec les PP. l'once Cogordân,
Maldonat et Telur, il lui exprima la joie que tous les Jésuites
avaient de son retour, et l'espérance que son règne « amène-
ront à maturité les fruicts de la Compagnie en France, qui n'es-
toient encore qu'en herbes ». Sa Majesté leur « fict grand ac-
cueil, et promesse royalle de toute faveur et protection ' ».
La belle moisson que convoitaient les fils de saint Ignace
dans le royaume de Henri III, pouvait leur paraître alors très
éloignée, « en herbe » suivant la naïve expression du P. Pige-
nat, parce que ces ouvriers évangéliques, dans leur zèle in-
satiable de la gloire de Dieu, comparaient les modestes résultats
obtenus avec le grand bien qui aurait pu déjà être réalisé, si
mille obstacles ne s'étaient élevés de toutes parts. Mais l'histo-
rien, qui voit les choses à distance et dans leur ensemble,
doit constater qu'à l'époque où nous sommes arrivés la se-
mence, jetée en France par la Compagnie de Jésus, avait pris
de fortes racines, sortait de terre, montrait une tige vivace et
déjà vigoureuse3. Dans l'espace de trente-cinq ans, entre le
1. Du Boulay, Hist. Univ. Paris., t. VI, p. 743.
2. Lettre du P. Pigenat au P. Général, 8 avril 1575 (Gall. Epist., t. IX, fol. 13,14).
3. En 1575 la Province de France comptait 189 personnes; celle d'Aquitaine 127
(catal. ms.). Voici, à titre de renseignement, quelle était l'administration de la Com-
pagnie en France quand Henri III fut appelé au trône (septembre 1574). Le P. Claude
Mathieu avait été transféré, comme Provincial, de la Province d'Aquitaine à
celle de Fiance (Bibl. nat., ms. lat. 10.989, fol. 48 et suiv). Le P. Annibal du Coudret,
remplacé par le P. Auger à la tète du collège de Toulouse, avait été nommé Provin-
cial d'Aquitaine; mais la visite des maisons étant devenue très difficile dans tout le
midi à cause des troupes hérétiques, le P. Guillaume Creytton, Kecteur de Lyon, eut
la charge de visiter à sa place les collèges des bords du Rhône. Dans la congrégation
provinciale réunie à Lyon le 17 janvier 1576, parmi les objets soumis aux délibéra-
tions, on s'occupa de l'enseignement du catéchisme, des congrégations de la Sainte
Vierge, et des abécédaires du collège de la Trinité. Des difficultés furent présentées au
P. Général sur ces trois points. Il répondit : 1° Qu'il fallait conserver le catéchisme
latin de Canisius dans les classes supérieures et l'abrégé français dans les classes in-
férieures. 2° Les congrégations d'hommes devaient continuer à se réunir dans lintérieur
du collège. 3° Quant aux abécédaires, on pouvait les confier à des maîtres étrangers
pourvu que ce fût sans offense du consulat et de la ville (Acta Congr. Prov., 1575
— Dans la congrégation provinciale réunie à Paris, le \1 novembre 1575, le P. Nicolas
Le Clerc, déjà appelé à Rome comme secrétaire, fut élu Procureur. Puis on délibéra
sur plusieurs points d'une grande importance : la constitution d'une troisième Pro-
vince fut regardée comme très opportune; — tout en conservant des scolastiques
de la Compagnie dans chaque collège, on jugea utile de réunir de préférence les hu-
manistes à Bourges, les philosophes à Pont-à-Mousson, et les théologiens à Paris;— les
novices devaient rester à Verdun, et chaque collège contribuerait dans une ju>te
646 II MOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
printemps de 1540, où ses premiers scolastiques débarquèrent
inconnus au colle.ee des Trésoriers, et l'hiver de 1575 où
Henri III, nouvellement sacré, lui promettait « faveur et pro-
tection », elle avait obtenu droit de cité, répandu de nom-
breux missionnaires dans les diocèses, établi quatorze collèges
et fourni un personnel assez considérable pour former deux
Provinces.
Quand on songe qu'au milieu de l'agitation générale du
pays, elle a vécu et s'est développée, malgré le mauvais vou-
loir du Parlement, malgré les attaques directes des calvinistes
et de l'Université, on est bien obligé de reconnaître qu'elle n'a
dû sa victoire sur les puissances de ce monde qu'à la toute-
puissance de son divin Chef qui la soutenait.
Sauf la fondation de Pamiers qui croula, pour un temps,
sous les coups répétés des huguenots, ses autres établissements
paraissent si solides et si utiles aux yeux de tous, que beaucoup
d'autres villes en demandent et en attendent de semblables.
Assurément ses enfants ont souffert. Mais, comme Celui dont
ils portent le nom, ils triomphent quand même, et justement
par la souffrance.
mesure à leur entretien: —quant aux pensionnaires, on reconnut qu'on ne pouvait
reculer devant les obligations aVjà acceptées, mais on supplia le P. Général de ne plus
admettre de collèges dans ces conditions; — pour Paris, en particulier, on était résolu
à établir les pensionnaires, dès que ce serait possible, dans un bâtiment séparé, et à
les confier à des étrangers; — enfin on désigna une commission cbargée de formuler
des observations sur les matières pédagogiques. Le P. Général approuva ces diverses
propositions, et promit de faire examiner le rapport de la commission des études
(Acta Congr. Prov., 1575).
APPENDICES
A
La chapelle des voeux a Montmartre.
En cherchant à mieux connaître un sanctuaire spécialement cher
aux Jésuites de France, nous avons pu reconstituer tout un historique
du Sanction Martyrium dont nous donnerons ici les grandes lignes.
On ignore à quelle époque les chrétiens construisirent une cha-
pelle sur cette partie de la colline qui passait pour avoir été arrosée
du sang de saint Denys et de ses compagnons martyrs. Un fait cer-
tain c'est qu'elle existait en 1096 et que cette année-là même, des
laïcs, qui jusque-là l'avaient fait desservir, la cédèrent aux moines
de Saint-Martin-des-Champs. Ceux-ci, à leur tour, l'abandonnèrent
au roi de France avec tout ce qu'ils possédaient à Montmartre, quand,
en 1133, Louis le Gros voulut établir sur cette colline un monastère
de femmes. La chapelle du Saint Martyre sera désormais, jusqu'à la
Révolution, une dépendance de l'Abbaye des Bénédictines. En 1181
la Comtesse de Saint-Gilles, sœur de Louis VII, y fonda une chapel-
lenie. Le modeste oratoire se composait alors d'un seul édifice de
faible élévation avec un autel un peu enfoncé en terre, et il resta
ainsi jusqu'au commencement du xivc siècle. Vers 1305 un écuyer de
Philippe le Bel, nommé Hermer, fonda une seconde chapellenie et à
cette occasion, aûn d'avoir un autre autel au-dessus du premier, on
construisit comme un second étage sur l'édifice primitif. Jacques de
Villiers, seigneur de l'Isle-Adam, dans un Vidimus de la charte d'Her-
mer, reconnaît bien distinctement l'existence de ces deux chapelle-
nies : l'une dans la chapelle basse, l'autre dans la chapelle haute.
Les Bénédictins nous apprennent que la chapelle basse, regardée
toujours comme la plus honorable, demeura jusqu'au xvne siècle au
chapelain de la fondation la plus ancienne. Personne n'avait le droit
de faire dire la messe, ni de célébrer aucun service, sans l'autorisa-
tion des religieuses.
Ces détails sur le passé de ce monument peuvent servir, nous sem-
ble-t-il, à expliquer pourquoi les contemporains de saint Ignace n'ont
fait aucune mention des deux chapelles. C'est que vraisemblable-
ment (et la lecture des vieux documents autorise cette supposition)
l'ensemble de l'édifice ne formait pas deux oratoires réellement dis-
tincts, mais plutôt une seule église divisée à l'intérieur en deux étages,
pour permettre de superposer deux autels, et dans laquelle une seule
porte peut-être donnait accès. En entrant on avait sans doute devant
648 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
soi et de plain-pied la plus ancienne chapelle, taillée en partie dans le
terrain gypseux, avec l'autel le plus vénéré; il fallait monter pour
parvenir à l'étage du dessus dont l'autel n'offrait à la dévotion aucun
souvenir particulier. Il est tout naturel que nos premiers Pères, s'é-
tant réunis dans ce lieu à cause de sa vénération, soient restés en bas,
dans la chapelle qui était pour les pèlerins le vrai Sanction Martyrium;
tout naturel aussi qu'ils n'aient point vu dans les deux étages susdits
deux sanctuaires séparés et n'aient pas même songé à y faire allusion.
A l'époque où Henri IV assiégea Paris, le Sanctum Martyrium fut
livré à la dévastation. Lorsque Marie de Beauvilliers prit le gouverne-
ment de l'Abbaye, en 1598, l'autel était démoli, les murailles rompues
et entr'ouvertes, la voûte tombée, l'église, dont la longueur n'était
alors que de neuf toises (environ 1<S mètres i et qui avait la forme d'un
simple parallélogramme, comblée de démolitions et d'ordures. Aidée
par les libéralités des Parisiens et surtout celles de M. de Fresne son
beau-frère, l'abbesse résolut de la réparer et de l'agrandir. L'an-
née 1611, en fouillant vers le chevet pour les fondations nouvelles, les
ouvriers découvrirent un large escalier de trente-sept marches condui-
sant à une grotte creusée dans le plâtre, haute de huit pieds, longue
de quatorze toises et de largeur variable. Dans cette grotte on trouva
un autel grossièrement taillé, des croix dessinées sur les murs, des
inscriptions à demi effacées : Mar. Clemin. Dio...; un écusson sur
lequel étaient empreintes deux clefs en forme de croix. A quoi avait
servi cette grotte et depuis quand était-elle ignorée? Personne n'aurait
pu le dire. La piété du peuple y vit une cachette où les premiers
chrétiens célébraient les saints mystères; sa disparition s'expliquait par
les nombreux bouleversements que cette colline de plâtre avait subis
pendant les guerres à cause de sa position stratégique. Plus de
60.000 personnes, Marie de Médicis et sa cour, vinrent la visiter. Sa
découverte attira de nombreux pèlerins à un sanctuaire déjà fréquenté,
de nouveaux dons aux religieuses, et l'abbesse put bâtir tout auprès
un prieuré dépendant de l'abbaye, relié à celle-ci par une longue
galerie couverte. En 1630, la générosité de Louis XIII permit de
construire une nouvelle église. Sans parler du souterrain célèbre, elle
se composait comme jadis d'une partie haute et d'une partie basse,
mais avec des proportions bien différentes de ce qu'on avait vu au
xvie siècle. La partie basse, destinée à rappeler le Sanctum Martyrium,
ne s'étendait guère plus que le sanctuaire du maître-autel de la partie
haute. On y plaça, nous ne savons quand, un tableau représentant
Le Fèvre qui tenait dans ses mains la sainte hostie tandis qu'Ignace,
près de recevoir la communion, lisait la formule de ses vœux age-
nouillé au milieu de ses compagnons. On y trouvait aussi l'entrée de
la grotte merveilleuse, où il ne se faisait aucun office à cause de l'hu-
midité qui y pénétrait de toutes parts. L'église d'en haut, destinée aux
religieuses du prieuré, avait une nef assez large décorée de pilastres;
un dôme s'élevait au-dessus de l'autel; au delà se voyait, vers l'orient,
un vaste chœur pour les Bénédictines, orné de neuf grands tableaux.
L'édifice était assez grand pour devenir église conventuelle en I6<SS
quand les religieuses, abandonnant les hauteurs et l'église Saint-Pierre,
APPENDICES.
vinrent prendre possession des nouveaux corps de logis construits par
ordre de Louis XIV, et que le litre abbatial fut transféré au prieuré des
martyrs. Ce fut dans la partie haute de réalise que l'on plaça, au moins
à une certaine époque, les inscriptions rappelant le souvenir de saint
Ignace et de ses compagnons. Le P. Léon, provincial des (larmes,
écrit à ce sujet vers le milieu du xvue siècle : « La chapelle que l'on
trouve entrant à main droite au haut de la nef de l'église... est un
monument public et perpétuel [du vœu des premiers Jésuites en ce
lieu]. Un ouvrage de marbre noir enferme une grande placque de
cuivre, sur un pilier joignant le grand ballustre de fer, qui récite
toute l'histoire en abbrégé : Siste, spectalor, ah/m' in hoc Martyrum
sepulchro probati ordinis cunas lege.
SOCIETAS Jesi
Ouae Sanctum Ignatium Loyolam
Patrem agnoscit, Lutetiam matrem,
Anno Salutis MDXXXIV
Aug. XV
HtC NATA EST
Cum Ignatius ipse et Socii
Votis sub sacram synaxim
Religiose conceptis
Se Deo in perpetuuin
Consecrarunt.
Ad majorem Dei Gloriam.
« Le ballustre de menuiserie qui ferme la chapelle porte encore celte
autre inscription en lettres d'or : Sacra et pia Societatis Jesu incuna-
bula parentibus optimis filii posuere. » (Extrait de la France converti'',
Paris, 1661). Le P. Bartoli nous apprend que les inscriptions avaient été
placées là, parce que le sanctuaire d'en bas était trop obscur. Il arrive
d'ailleurs souvent que l'on fait ainsi pour attirer l'attention des visi-
teurs. Enfin un autre historien nous dit que la chapelle où se trou-
vaient ces inscriptions était dédiée à saint Ignace et possédait un
tableau de l'Assomption.
Le Sanctum Martyrium ainsi transformé disparut à la Révolution
avec toute l'abbaye. Un plâtrier, nommé Richard, lit alors l'acquisition
des bâtiments claustraux, espérant que les caves lui donneraient un
accès direct dans le sous-sol de la butte pour l'extraction du gypse. Tout
fut démoli peu à peu, et au commencement du dix-neuvième siècle
il ne restait plus que des ruines. Après le rétablissement de la Compa-
gnie, les Jésuites de Paris tournèrent de nouveau leurs regards vers la
colline de Montmartre. Nos annales racontent qu'en 182 \ les novices y
cherchèrent en vain les traces d'une chapelle, et qu'en 1834, le jour
de l'Assomption, plusieurs Pères et Frères allèrent célébrer la messe
et prêchera l'église paroissiale Saint-Pierre. En 1836, un bienfaiteur
de Marseille offrit un don généreux au P. Guidée pour l'établissement
d'u»e résidence de la Compagnie à Montmartre. Ce pieux projet n'était
pas réalisable, mais les Pères continuèrent à s'intéresser au lieu qui
avait été le berceau de leur Ordre. Vers 1835 le Père Tournesac, l'ar-
chitecte bien connu, le P. Cadrés, parisien d'origine, et le P. Leroux
650 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESl S.
travaillèrent à retrouver remplacement exact du Sanctum Martyrium.
En comparant ensemble le plan Turgot (1734-39), le plan Verniquet
1784), le plan dressé pour la vente des biens nationaux (1790) et le
plan cadastral de 1843, le P. Tournesac parvint à déterminer l'em-
placement de la seconde église abbatiale des Bénédictines et il en
dressa le plan. On songeait aussi à acquérir le terrain. En 1855 des
prêtres de Paris en achetèrent une partie, la seule qui fût alors à
vendre. Environ quinze ans plus tard, M. Le Rebours, curé de la Ma-
deleine, en acheta une autre, et au commencement de Vannée terrible
(janvier 1871) il fit élever une chapelle provisoire en bois. Celle-ci,
pendant la Commune, fut convertie en prison par les Fédérés qui y
enfermèrent le vénérable abbé Millant, curé de Saint-Roch. Plus tard,
quand le calme fut revenu, les Dames Auxiliatrices firent construire au
même endroit la chapelle gothique, avec crypte, que l'on voit encore
de nos jours, rue Antoinette, tout près de la rue des Martyrs. (Voici
les principales sources où nous avons puisé ces détails : Archives
nat./L, 1031; KK, 1345; H, 4032. — Lettres- annuelles de la Prov. de
France 1814-1834. — Mémoire de M. F. de Guilhermy sur le vieux
Montmartre, imprimé dans le Bulletin de la Société d'Histoire du
XVIIIe arrondissement, 3e sér., t. I. — E. de Barthélémy, Recueil des
chartes de l'abbaye de Montmartre. — Du Breul, Théâtre des antiqui-
tés de Paris (1612). — Binet S. J., La vie apostolique de saint Dem/s
(1624). — Dom Marrier, Monasterii reyalis sancti Martini de campis
historia (1637) — Jacqueline de Blémur, Eloges de plusieurs personnes
illustres de l'ordre de saint Benoît (1679). — Estampes de la Biblio-
thèque nationale et du Musée Carnavalet.)
Lettres de jussion du 9 octobre 1560.
« Françoys par la grâce de Dieu Roy de France, à nos amez et
féaulx conseillers les gens tenans nostre cour du parlement de Paris,
salut et dilection.
Encores que feu nostre très honoré seigneur et père, le roy dernier
décédé, que Dieu absoulle, et nous, vous ayons par plusieurs nos lettres
patentes mandé procéder à l'émologation des bulles octroyées et ac-
cordées aux religieux prestres et frères de la compagnie de Jésus par
les papes Paul et Julles dernièrement décédés, néantmoings vous avez
jusques à présent différé d'y procéder sous umbre de quelques advis
sur ce donnés, tant par nostre ami et féal conseiller, l'évesque de
Paris que par la faculté de théologie, cy attachés soubs le contresel
de nostre chancellerie, lesquels advis ayant faict voir par aulcuns des
gens de nostre conseil privé et congneu qu'ils sont fondés sur ce que
l'on prétend lesdites bulles contenir quelques choses préjudiciables
aux concordats et aux droits épiscopaulx et parrochiaulx, à quoy ainsi
que nous ont remonstré aulcuns de ladite société, ils n'entendent
APPENDICES. m
auculneinent préjudicier, comme aussi par la Visitation qu'avons faici
faire desdites bulles, il ne s'y treuve aulcune chose contraire, et sa-
chans le grand fruict que la dicte compagnie a ja faict en plusieurs
endroicts de la chrestienté, où elle a esté reçue el establie, où nous
sommes advertis qu'il se nourrist ung si bon nombre de gens doctes,
savans, et qui pour estre comme des prestres séculiers peuvent plus
aysément aller en pays estrangers et mesmes es lieux qui n'ont en-
cores reçu la foy et religion chreslienne, ou qui se, sont séparés de
l'union de l'église, que cela nous faict singulièrement désirer, ayant
ce siècle plus de besoing que n'eurent oncques les précédens d'avoir
nombre de gens de bien, zélateurs de la foy catholique et qui in-
cessamment preschent, admonestent et instruisent, que ladite com-
pagnie soit reçue en nostre ville de Paris et aultres endroicts de
nostre Royaume pour l'espérance que nous avons que le fruict qu'elle
y fera, passera de beaucoup les inconvénients et incommodités portés
par lesdits advis de l'évesque de Paris et de la faculté de théologie,
auxquels d'aultre part, s'ils adviennent, il sera aysé de pourvoir par
les évesques et prélats, lorsqu'ils résideront dans leurs diocèses, ayant
l'œil, comme ils doibvent avoir, à toutes choses qui touchent l'ins-
truction et édification du peuple.
A ces causes et aultres bonnes raisonnables considérations à ce nous
mouvans, nous mandons, ordonnons, enjoingnons très expressément
ceste fois pour toutes, que sans vous arrester auxdits advis, vous
ayés à passer outre l'émologation, vérification et interinement desdites
bulles en faisant du contenu en icelles jouyr lesdits frères de ladite
compagnie de Jésus, tant en nostre ville de Paris que en tout nostre
royaume, sans y faire aulcun refus ni difficulté, ni qu'il soit besoing
vous faire sur ce entendre plus amplement nostre intention, car tel
est nostre plaisir, nonobstant que par les lettres de feu nostre très
honoré seigneur et père il soit seulement parlé d'ung collège de ladite
société en nostre dite ville de Paris et quelconques oppositions, let-
tres, ordonnances, mandements ou deffense à ce contraires. »
Donné à Saint-Germain-en-Laye, le neufviesme jour d'octobre, Tan
de grâce 1560 et de nostre règne le deuxiesme
Pour le roy
Monseigneur le cardinal de Lorraine présent
de L'Aubespine.
(Gallia, Epistolae ad Generalem, t. I, f. 132).
C
Discours du Père Lainez a Poissï.
(1562
JUS
Madama, ancorche il Pelegrino non habbi a essere curioso nella
republica d'altrui, tumen perche la fede non è di partieulari nationi.
652 HISTOIRE DE Là COMPAGNIE DE JESUS.
ma universale, e catholica, non mi pare inconveniente proporre a
Va M,a quelche incorre, tanto parlando in générale di quelche qui si
traita, corne in particolare, respondendo ad alcune obiectioni fatte da
fra Pietro Martire, e dal suo collega. Et quanto al primo per quel
ch'io hô letto e si è visto sempre per esperienza, mi pare cosa molto
pericolosa trattar' con persone, che escano fuor délia chiesia, ne sen-
tirle; perche corne l'ecclesiastico dice : Quis miserebit incantatori a
serpente percusso, et omnibus qui appropiant bestiis?... Quelli
adunque che escano délia chiesia si chiamano nella Scripturaserpenti,
e lupi in vestimentis ovium, e volpi accio intendiamo, che bisognia
molto guardarsi da loro, specialmente per la loro fintione, laquale
sempre hanno usato, corne per essempio li Pelagiani, liquali negavano
il bisogno délia gratia de Iddio e tribuivano alla natura le forze che non
haveva, costretti da superiori confessavano essere necessaria la gratia,
e poi nelli cantoni dicevano alli soi che per la gratia intendevano la
natura, quale gratiosamente ci era concessa da Iddio. Altri ancora ne-
gavano la resurrectione del corpo, e dicevano che sola l'anima risus-
cita, quando si giustiflca; dapoi dimandati se credevano di resusci-
tare, dicevano di si ; et interrogati apresso di resuscitare in questa
carne, rispondevano di si; e poi dichiaravano il suo senso, il quale era
che l'anima essendo in questa carne risuscitata quando si giustiflca;
e cpsi si potria dire d'altre particolari sette; et in universale tutti
vengono in questo, che confessano tutti la chiesia catholia, e li
ministri di essa e l'authorità délie scripture, almeno d'alcune; e tutti
fanno loro istessi chiesia catholica et li soi ministri legitimi ministri ;
et il senso loro délie scripture senso catholico; et tamen la verità è
che la chiesia loro, ministri, e senso ch' inpongono aile scritture, ne
sonno catholici, ma simie delli catholici, e perô bisogna a chi gl'as-
colta aprire molto gl' occhi per evitar'li pericoli. Perilche, Madama,
mi occarreva representare a Va Msla doi remedii, l'uno mi par buono,
l'altro manco malo. Il 1° è che intendi Va Msta che non spetta a lei, ne
a prencipi temporali trattare le cose délia fede, perche non hanno
l'autorità oltre che non sogliono comunmente occuparsi nelle sottilità
e minutià di quella, et é ben consentaneo che tractent fabrilia fabri;
tocca adunque alli sacerdoti trattarla; e perche le cose délia fede
sunt causae majores, tocca al sommo sacerdote, et al concilio générale
definirle, il quale essendo al présente aperto, non par conveniente,
ne legitimo far simili congregationi : e pero li Padri congregati nel
concilio basiliense, determinarno che durante il concilio générale, e
sei mesi prima, non si facessino i concilii particolari. Adonque il
migliore remedio è, che Va Msla indrizzi castoro al concilio, perche là
convengano huomini dotti di tutti le nationi, e quelche è piu, c'è
l'assistenza infallibile del Spirito Santo, laquale qui non ci possiamo
permettere {sic), e S. Santita non mancherà di darli salvo condolto
et ogni sicurtà necessaria. Se adunque vogliono essere ammaestrati,
corne dicono, la si potrà fare molto meglio; ma per dire il vero,
io non credo che pretendono essere ammaestrati, anzi ammaestrare,
e spargêre il suo veneno ; perche in luoco di udir gl' altri, fanno
prediche. che durano un' hora, e mezza etc. Il secondo rimedio,
APPENDICES.
non buono, ma manco mal<> é, che gia chc per usarli misericordia,
e charità, e per guadagnarli , vuole V" M"1'' che si dispufi, si facci
questo solamente in presentia di persone dotte et essercitate, del-
lequali non sia pericolo che s'infettino, ne convinchino, anzi siano
atti a convincer' loro, et ammaestrarli, cl in questo modo a cscusaria
ya jyjsia e questi nij Signori di fastidio, et la cosa saria piu sicura.
Quant1 al secondo, chc è rispondere ad alcune obiettioni ; vedo bene
che non è necessario, perche, per gratia del Sigr 111° Cardinale di
Lorena specialmente, et ancora gT allri dottori gï hanim risposto
suflitientissimamente, e non solo risposto, ma in moite cose convinto;
perche in vero, Madama, in quella cosa délia missione loro gl' hanno
fatto sudare : e similmente quanto a quello che dicano che non si hà
da credere cosa, che non si pruovi per la parola espressa dlddio : e
perù io dico brevemente : E prima quanto a quello che dicano delli
nostri vescovi, che si fanno per simonia, e perù non sonno legitimi,
oltra quello, che è risposto e ben risposto, dico, che se pure fosse
alcuno, il quale re vera fosse simoniaco, quantunque in presentia
d'Iddio sia malo, e reo, e non sia entrato per la porta, tamen quanto
a noi, e quanto alla chiesia, quae non judicat de occultis, è legitimo,
insin' a tanto che in foro exteriori è convinto e declarato taie ; et il
Sor Dio, quanto ail' amminislratione delli sacramenti, e quanto alla
dottrina, fà per mezzo di esso quelche per li altri legitimi; perche la
prelatione è gratia che si dà in utilità degl' altri, aiquali non imputa
il Sor il peccato occulto del ministre Quanto à quel che diceva fra
Pietro Martire, che saria meglio che li populi eleggessino, corne si
faceva anticamente, oltra che in questo dimostra che non viene per
essere ammaestrato, ma per dar legge, direi che come si vede per es-
perienza, sonno state chiare [varie] forme di eleggere, et in tutte sonno
entrati abusi; perche per dare uno essempio del Papa, è chiaro che
qualchevolta Felettione si faceva dal clero, e populo romano, poi dal
clero solo, come si fà anche hoggi, et in Alemagna nella elettione de
vescovi e poi delli imperadori come si fà hoggi delli vescovi in
Francia e Espagna delli Rè, e tamen in tutti questi modi con il tempo
sono entrati abusi come si è detto, perche non meno si possono cor-
rompere molti délia moltitudine delli elettori, che un pre[n]cipe. E
rosi potria entrar la simonia di modo che l'argumenlo di quella tanto
stringe contra loro, che vogliono che la moltitudine elegghi, come
contra coloro, che vogliono che elegghi il rè, il quale, come è stato
detto, hà il consenso dei populi.
Quanto agi' altri argomenti che faceva fra Pietro Martire délia loro
missione, cioè che gï apostoli, e li propheti senza imposilione de mano
havevano predicato, e per là nécessita la moglie di Moyse circoncise
suo figluolo (sic), e per quella medesima puô un Turco battezzare uno
che si vuole far christiane ; e cosi loro fanno per là nécessita legitima-
mente, etiam che non sieno mandati d'altri superiori, hè habbino
l'impositione délie mani. Primieramente mi maraviglio che si com-
parino alli propheti, et agli apostoli, perche quelli, ollra la vita, Fu-
rono mandati immédiate da Iddio, il quale non è astrelto ad impo-
nere le mani a suoi ministri e puù dare l'etl'elto del sacramento senza
r..v
HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
la materia e forma die essa et non predicano niente contra quello
ch'era definito esser di fede, e confirmorno la sua divina missione con
segni et effetti sopranaturali, corne consta degl' Apostoli, e molti pro-
pheti; e se alcuni non fecero allri miracoli, la medesima prophetia
pruova sua missione, perche è eiïetto sopranaturale. Questi altri non
hanno la buona vita; le cose che predicano sonno contrarie aile cose
definite, non hanno segno, ne scrittura délia sua missione straordina-
ria. Non sonno adunque mandati da Iddio; imo se li mandasse, con-
tradiria a se stesso, perche li mandaria à predicare le cose contrarie
a quelle che lui hà definite; et è cosa frivola dire che li mandano i
suoi. maestrati : prima perche quando loro cominciorno a predicare
non c' era republica alcunatuttaguasta; ma alcuni particolari heretici,
che non facevano populo, e cosi allora è chiaro che mancava questa
missione, e tamen predicavano, e ministravano li sagramenti; che
confessavano; dipoi ancora che fosse una republica inliera di questa
dottrina, chiaro è che non hà authorità di privare il vescovo di sua
giurisdittione; et il rè che l'hà nominato délia sua; et il Papa che l'hà
contirmato et islituito délia sua metlendo ministri sopra le sue pécore
contra lor voglia : et se ben à niuno di costoro si facessi pregiuditio,
la republica potria fare cose civili et altre, allequali s'estende l'humana
potestà, e potria dare facoltà a costoro, che le facessino, ma non puù
mai dare facoltà di far cose sopranaturali; quale è fare ch'uno rinaschi
péril battesmo, consecrare la Sma Eucaristia, e conferendola ad altri
dar gratia alli communicanti ; e predicare le cose sopranaturali délia
fede, allequali nessuno intelletlo di republica arriva; e se la moglie di
Moyse circumcise il figluolo, primo non habbiamo scrittura espressa,
che deputi certo ministro délia circumcisione escludendo gl altri, e
quando ben ci fosse, consta che hebbe spéciale instinto et inspiratione
d'Iddio a far quelche fece; perche l'angelo che voleva amazzare Moyse
cessù circonciso il figluolo; et il battesmo anchora che fà il Turco è
vallido, perche essendo il Battesmo sacramento a tutti necessario, hà
voluto il Signor che qualsivogli huomo o donna possi esser ministro
di quello, e contutto questo peccaria il Turco e qualsivogli altr' huomo
che contra la volontà degl' ordinarii ministri aparecchiali a baltezzare
volesse battezzare; e cosi peccano costoro, che amministrano la parola
d'Iddio, e li sacramenti contra la volontà degl1 ordinarii, liquali per se,
o per li suoi ministri danno ai populi il verbo d'Iddio, e li sacramenti
secondo il senso, e rito vero e catholico; e questi predicano le scritture
secondo il proprio senso e ministrano li sacramenti quanti e corne
vogliono; e pero si pecarebbono predicando etiam, et ministrando
catholicamente ; se lo facessero contra l'ordine de Superiori, molto
piu peccano contra la medesima obedienza predicando errori, super-
stitioni; e se bastassè non predicare il vescovo, o predicar maie a
parère di qualunque huomo, polrieno saltare tutte le sette d'Heretici
a predicare contra l'ordine del vescovo con pretesto di questa néces-
sita; e per questa medesima via potrieno li ambiliosi e seditiosi
levarsi contra i principi secolari dicendo che mancano al suo oflîtio, e
favoriscano la idolatria, etc. togliendo la messa, la vénération dei
Sanli, et imagini, et reliquie.
APPENDICES.
GV altri argomenti che hanno fatto cosloro contra la real presenza
del N° S1'1' nclla Eucaristia facilmente si risolvond"; perche quello che
diceva il Besa che era contra la verità dolla natura de! corpo di Y N
Sre starc in tanto piccolo luogo, massime stando in cielo, e non des
cendendo di là, siresponde che corne diceDamasceno | i° lib. cap. 14 .
per esscre il N"'° S1V realmente nclla Eucharistia non bisogna che
descenda dal cielo; il che la ragione anche lo dimostra r perche se
bisognasse che descendesse dal cielo per Irovarsi nell' ostia, bisognaria
ancora che si partissi da un' ostia per trovarsi in un' allra; per virtù
adunque d'Iddio stando in cielo, et in tutle l'ostie consecrate, nel cielo
naluralmente occupando tanto luoco quanto richiede la sua quantità,
nell' ostie sopranaturalmente, e non occupando ; perche in Christo c'è
la divinità, l'anima, e corpo; e la divinità non occupa, e slà non sola-
mente in tutte l'ostie consecrate, et parti loro minime, ma in tutto il
mondo, secondo quello : << Coelum et terram ego impleo » ; l'anima
perche è spirito non occupa, et perù puô stare in tutta l'ostia H
qualunque minima parte, corne vediamo che stà nel corpo nostro, e
qualunque parte di esso; ma per virtù sopranaturale et infinita d'Iddio
stà in tutte l'ostie consecrate, secondo che naluralmente sta tulta nel
mio corpo, e tutta nel mio piede; il corpo (delquale è la difficulté, non
stà nella ostia alla distesa, e nel modo che sta nel cielo, perche biso-
gneria che l'ostia fasse tanto grande, quanto il corpo di Christo N"
Src, e che tutto il corpo fosse in tutta l'ostia, e le parti sue nelle parti
dell' ostia : corne per essempio è l'ucello, e pesce nel pasticcio; stà
adunque non à modo di corpo alla distesa et occupando; ma à modo
di sostanza, e spirito, il quale stà realmente présente senza occupare ;
hà adunque il corpo doi cose, l'esser présente al luoco, e l'occuparlo,
et impirlo, e primo è l'esser présente, e poi sequita l'occupare :
perche se non fosse présente, non occuparebbe. 11 miracolo adunque
è ch'Iddio benedetlo per sua infinita potentia lascia stare il primo, e
leva il secondo, cioè fà che il suo corpo nell eucharistia sia realmente
e sostantialmente présente, e pure non occupi : e cosi puô slar tutto,
e stà tutto in tutta l'ostia, e tutto in qualunque parte di essa; corne
un' angelo, e la nostra anima; perche di tal modo sonno presenti che
nonoccupano essendo spiriti, stanno tutti in tutto il luoco, dove ope-
rano; e tutti in ciascheduna parte; perche adunque la natura di
qualunque creatura è obedire al creatore, e quella obedienza li è
soave, non perde il corpo di X'1 N" Sre la verità di sua natura per stare
per miracolo corne vuole Iddio nella ostia, secondo che non perse il
fuoeo nella fornace di Babilonia la verità délia specie sua non bru-
sando li compagni di Daniele, ma li minislri di Nabucodenasor; e
secondo che il grave non perde la verilà di sua natura quando ascende
per evitar il vacuo, e se questi corpi niateriali per obedire à Iddio
nonperdono la sua natura, molto manco il corpo deL N" S'", il quale
non è corpo solamente dotato di qualità natnraîi, ma corpo glorioso.
e non solo glorioso, ma corpo dell1 eterno Verbô, perde la verità di
sua natura, per trovarsi in lui cose sopranaturali ; conie ancora non la
perse uscendo dal ventre immaculato délia gloriosa Vergine c dal
sepolcro serrato, et enlrando nel cenacolo le porte chiuse. Ben disse
656 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
dunque Âmbrosio : « Hoc quod conûcimus corpus ex Virgine est;
quid hic quaeris naturae ordinem in Ghristi corpore, cum praeter
naturam sit ipse Dominus Jésus partus ex Virgine. » L'haver detto
S10 Augustino contra Adimanto, e Tertulliano, et altri che l'eucharistia
è segno, o figura del corpo di X° N° Sre, non leva la real presenza sua
in essa, corne voleva fra Pietro Martire, quantunque dicesse che non
pretendeva allora dir contra l'Eucharistia, gittando la pietra, e nas-
condendola mano. Questo dico non preiudica ail' Eucharistia, perche
oltre che, corne dice la Sa Sinodo, si chiama Y Eucharistia segno, perche
le specie sonno segno, e non perche sotto quelle non sia la verità, et
il vero corpo e sangue del Salvatore sonno segni e figure e rappre-
sentatione del medesiino corpo in croce, e del sangue che usci di esso,
perche secondo che nella croce mori il Src separandosi il sangue del
corpo, cosi il corpo separatamente è signiûcato per l'oslia, et il sangue
per il calice. Ne répugna che il medesiino sia verità e significatione,
come l'urna di inanna era segno délia manna che era caduta nel de-
serto-, et era verità, perche ancora lei cadette. Et il vero corpo di X°
N° S" morto è segno délia morte del peccato, et il vero corpo risusci-
tato è ty.po délia giustiûcatione nostra, come saria in questo sensibile
essempio : Mettiamo ch'un prencipe libérasse in guerra una città
assediala, e presa dagl' inimici suoi, e che a fin che al populo fasse
grato, e per mezzo délia gratitudine havessi da farli piu bene, volessi
ch' ogni anno si rappresentasse sua vittoria, è chiaro che si potria
rappresentare in tre modi; il 1°, narrando semplicemente Tistoria del
fatto; il 2°, facendo che in modo di spettacolo; un terzo rappresenti la
persona del prencipe, et altri, la battaglia, e questo sarebbe piu
efficace, quia « segnius irritant animos demissaper aures, quam quae
sunt oculis subjecta ûdelibus »; il 3° et efficacissimo, se il prencipe si
degnasse lui per se medesimo rapresentar la sua antica vittoria, e cosi
è fede catholica che il N,r0 Sor stà présente nell' Eucharistia realmente,
e che stà realmente présente in memoria, e rappresentatione di sua
morte, perche nella Eucharistia non muore, ne si sparge veramente il
sangue, ma si rappresenta la sua morte. Ne questo è indegno délia
Maestà del N° S'e e del corpo suo : perche essendo al modo già detto
reale, e spirituale, ne si puù brusar, ne rompere, ne imbrattare, ne
patire alcuna alteratione, et è insieme con la divinità adorato et ho-
norato per tutto il mondo ; e mostrasi per questo la summa charità del
Signor e sommo amore verso la sposa sua, la Chiesa Santa, con laquale
vuol' essere etiam in questo modo usque ad consummationem seculi.
E perù la Scrittura et la Chiesa santa confessando che è Christo pré-
sente, et che in memoriam passionis nella S,a Eucharistia non lo fà un
bevelluo (?) come uno di questi biestemo; ma predica Tinfinita poten-
tia sua in questo misterio, et infinilà maiestà e charità e bontà. E
perche fra Pietro Martir hà essortato li presenti à confessar la sua fede,
io ancora, Madama, confesso che questo che vi hô detto délia presenza
reale di Christo nell' Eucharistia in memoria di sua passione è verità
catholica, per laquale con la gratia del S10 io sono apparechiato à
morire, e supplico la maestà vostra sempre defenda e confessi la
verità catholica come ella fà, e tema piu Iddio che li huomini, perche
APPENDICES.
in questo modo Iddio piglierà la protettio vostra, e di vostro figluolo,
il Rè christianissimo, e li conservera vostro regno temporale, e vi
dara l'eterno, dove se postponeste il timor d'iddio, e la sua fede et
amore al timoré o arrior del mondo, saria pericolo che, perso il spiri-
tuale, non perdeste ancorail temporale, il che spero in Dio N° Sro che
non sarà, anzi farà vostra Maesta e vostro figluolo perseverare; e non
permettera mai che una nobiltà corne questa et un regno christianis-
simo, che è stato essempio e regoladegl' altri, lasci la religione catho-
lica et antica de suoi maggiori, e si lasci imbrattar di nuove sette, e
mori, etc..
Dope Laines com Madama de Frâça.
(Franciae Historia, tom. I, 1540-1604, n. 23).
Requête des catholiques de Lyon au Père Général pour conserver
le père auger (1564).
Monseigneur,
Nous, ayanspar cy devant esté avertis comme ceulx deTholoze vous
faisoient instance décommander à nostre bon père, monsieur maistre
Emond Auger, d'aller audit Tholoze pour y prescher, nous vous
avons escript et remonstré par nos lettres, combien ledit Sieur Auger
est icy nécessaire, quel prouffict il a faict, et continue de faire tous
les jours, et quelle désolation et regret ce nous seroit, si nous estions
privés de sa présence et doctrine, comme au contraire ce seroit ung
grand plaisir et contentement aux hérétiques, que ce grand expugna-
teur de leurs faulses doctrines fust esloigné d'eulx. Toutesfois nous
avons entendu qu'on continue encore la poursuitte pour faire aller
ledit sieur Auger audit Tholoze. Qui est la cause, Monseigneur, que de
rechef nous vous supplions très humblement, et de la plus grande
affection qu'il nous est possible, de nous laisser icy ledit Sieur Auger,
sans permettre qu'il nous habandonne, et considérer qu'il n'y a lieu
en ce royaume, qui ait plus besoing de tels personnaiges. La ville de
Tholoze, par la grâce de Dieu, et par la prudence et bonne diligence,
de la Court de Parlement, est contenue en raison, tellement que les
adversaires de nostre religion n'y peulvent pas grand chose, et ny ont
lieu pour prescher et enseigner leurs hérésies. Mais ceste pauvre et
calamiteuse ville est tant infectée et tant infecte de ces fausses opi-
nions, pour la licence qui y est de prescher comme l'on veult, que
sans la bonne ayde, très grande diligence, insigne doctrine et érudi-
tion et l'ardent zèle dudit Sieur Auger, les hérétiques y tiendroient le
premier lieu, dont toutesfois ils sont bien reculés, et de jour à aultres
se veoyent habandonnés des leurs mesmes. Qui est la cause qu'ils ne
désirent rien plus que l'absentement dudict Sieur Auger. qui nous
COMPAGNIE DE JÉSUS. — T. I. 42
658 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
reviendroit à regret et déplaisir tel, que avec luy la plus part de nous
habandonnerions ceste ville. Ce que vous, Monseigneur, ne vouldriez
permettre avec si grand désavantage de nostre religion catholicque. De
rechef doncques, Monseigneur, nous vous supplions très humblement,
nous laisser ledit sieur Auger et espérons que exaulcerez nostre tant
raisonnable prière; nous prierons nostre Seigneur,
Monseigneur, vous donner en santé bonne, heureuse et longue vie.
De Lyon ce 22 avril 1564.
Monseigneur, nous espérons que vous laisserez ledit sieur Auger en
considération de ce que bien tost, avec l'ayde de Dieu, nous aurons
icy une maison pour ceulx de vostre ordre, et si nous ne pensions
avoir tant de bien que estre exaulcés par vous, nous en escriprions et
ferions escrire à Sa Sainteté.
Vos très humbles et très obéissants serviteurs, Preslres, Catholiques
de Lyon.
(Galliae Epistolae, t. II, f. 212. Original).
Requête des chanoines de l'église de Toulouse réclamant
le Père Auger (1566).
Monsieur,
Le sainct zèle et bonne affection que nous scavons bien vous avez à
l'augmentation de nostre saincte foy, au restablissement de nostre
Eglise Catholique et Romaine en son splendeur et forme ancienne, à
1'extirpalion des hérésies et faulses doctrines qui se sont esparses par
deçà, (a nostre grand regret), et aussy au soing que vous avez de l'é-
ducation et bonne instruction de la jeunesse, sont cause que nous vous
avons escript la présente pour vous remercier bien humblement du
bien inestimable que vous et vostre Compagnie avez faict non seule-
ment à ceste ville de Tholose, mais aussy à tout le ressort du Parle-
ment d'Icelle en nous envoiant Monsieur Me Emon Auger, lequel par
ses doctes presches et sainctes admonitions qu'il continue nous faire
depuis le mois de febvrier a tellement émeu ce peuple à dévotion, que
nous pouvons dire (et à la bonne heure) que aulcune des villes de ce
roiaulme ne surmonte Tholose en vraie piété et Religion. Et pour ce.
Monsieur, que y voions ung si bon succès et que nous espérons (avecq
la grâce de Dieu) et l'aide dudit S1' Emon, le tout ira toujours de
mieux en mieux, tellement que les villes voisines se conformeront à
celle cy qui est la seconde de cedit roiaume. Nous supplions nous
faire ce bien que de le nous laisser es Advent et Caresme prochains,
vous asseurant qu'il ne scauroit aller en ville de la Cbrestienté où luy
APPENDICES. 659
et sa Compagnie soient mieux reçeus, plus honorez ne plus néces-
saires qu'en ceste dite ville. De nostre bienveullance vous pouvez
avoir certitude par l'achapt que Ion a faict ces jours passez d'une
honorable et spacieuse maison assize au cœur de ladite ville, choisif
pour commode habitation. Quant à leur fondation nous y avons desia
contribué selon nostre petite puissance, et demeurons encores en
volunté d'y faire mieux, ainsy que nos facultez le pourront porter.
Nos dites facultés sont bien fort affoiblies à raison des grands affaires
que nous avons soustenues ces années derrenieres pour résister aux
adversaires de nostre Saincte Église Catholicque et Romaine. La néces-
sité que nous avons de sa personne (oultre le très grand proiïict que le
peuple reçoit de ses prédications, estant de plus en plus continué en
nostre ancienne et saincte religion) est pour l'instruction des infinis
escolliers qui arrivent journellement de toutes parts de la Chrestienté
en ceste Université, pour estudier en droicts Civil et Canon, lesquels
sont fort sougneux de assister à ses prédications, desquels ils rappor-
tent ung fruict qui prolictera à eulx et aux pais et provinces qu'ils
auront en charge. Monsieur, nous ne vous sçaurions dire combien ce
bon et sçavant personnage nous est nécessaire, mesmement en ceste
saison tant calamiteuse en laquelle a pieu à Dieu nous oster feu
Monsieur de Serres nostre Théologien et Confrère qui morut le
20e aoust dernier. Lequel, durantes nos grandes affaires desdiles
années derrenieres, a tousiours consolé ce peuple et retenu en l'obéis-
sance de nostre Religion Catholicque et Romaine. Cedict peuple s'est
maintenant si fort devôé et affectionné à Monsieur Me Emond, que
s'il advenoit qu'il abandonnast ceste ville, a peinne le pourroit-on
contenir en debvoir. Si, nous vous supplions de rechef, Monsieur, nous
faire ce bien de le nous laisser pour lesdits Advent et Caresme. Oultre
le grand bien et profict que tout ce pais en recepvra, vous obligerez
ceste Compagnie à vous faire humble service, lequel nous vous pré-
sentons d'aussy bon cœ-ur que humblement nous nous recommandons
à vostre bonne grâce, priant Dieu vous donner,
Monsieur, en parfaicte santé longue et heureuse vie.
En nostre Chapitre de l'Eglise de Tholose le F* jour de septembre
1566.
Vos humbles Serviteurs comme frères et entièrement amys.
Les Prévost et Chapitre de l'Église de Tholose.
De mandement de Messieurs les Prévost et Chapitre.
Dubrueil etc..
(Epistolae Episcoporum, t. I, 1560-157O; f. 232. Original).
660 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS
Extraits d'une lettre du gouverneur de Dieppe au Père Provincial
sur les prédications du père possevin (1570).
Monsieur,
Nous ayant Monsieur Possevinfaict tant de bien de nous venire voire
en ce lieu, où certainement Dieu par sa sainte grâce (comme il est très
aparent) Ta voullu conduire et amener, d'autant qu'en cinq jours qu'il
a exprimé et presché la pure et sainte parolle de Dieu, es environ six
mil personnes huguenots qu'avons encores en ce lieu, il s'en est inopi-
nément et comme miraculeusement converty et ja revenus en la Reli-
gion Catholique environ de deux mil cinq cens. Or, Monsieur, vous pou-
vez, et clairement, juger combien la présence de Monsieur Possevin
est doncques en cedit lieu très utile, prouffitable et nécessaire ; lequel
néantmoins est si fort pressé de nous habandonner pour les raisons
qu'il vous faict entendre, qu'il a ja par trois divers jours esté batte et
prest de partire pour nous laisser ; mais par mesme moyen tant pryé,
pressé et requis par tous nos habittans (comme aussi par moy, homme
pour le service de Dieu et du Roy) de demeurer, qu'il nous a encores
ce matin voullu concéder et accorder quatre jours entiers, durant
lesquels j'ay despéché, et en toute dilligente poste, le sieur Tomas le
Rrun, que connaissez, pour aller vers vous entendre qu'elle pourra
estre laresponse de Mgr le Cardinal de Strosse, et pour vous supplier
qu'il demeure pour ce caresme à Rouen, et cependant icy, comme
certainement nosdits habitants et moy le désirons plus que par escript
je ne le vous pourrois dire...
Je vous supplie en ma personne de nous envoyer l'ung des vostres
sieurs compaignons pour prescher, et ung aultre pour cathéchiser, et
l'un et l'aultre garnis de la suffizance requise, vous asseurant, Mon-
sieur, qu'en aultre partie de la crestienté il n'y en a aucun aultre plus
urgent et grand besoing qu'en ceste ville. Ce, pour plus prompte-
ment laisser aller cedit porteur, me remettant aussi aux lettres de
Monsieur Possevin, celles de nosdits habitants et à ce qu'il vous en
pourra dire à bouche. Je n'allonge la présente que pour offrir ici mes
bien humbles recommandations à vostre bonne grâce, en priant Dieu,
Monsieur, vous avoir en sa très sainte et digne garde.
De Dieppe, le 6e jour de janvier 1570.
Vostre bien obéissant et très affectionné à vous faire service.
Sigongnes.
(Galliae Epislolae, t. V, f. 2}5\ Autographe).
APPENDICES. 001
Lettre de l'archevêque de Bordeaux au duc d'Anjou,
pour l'établissement d'un collège (1572).
Monseigneur,
Ayant receu la commission qu'il vous avoit pieu faire expédier pour
l'exécution du collège des Jésuistes tant nécessaire en ceste ville,
comme nous y voulions procéder il nous fut mandé de supercéder et
attendre une plus ample déclaration du Roy, pour laquelle obtenir
avons envoyé homme exprès par delà. Ne pouvant penser d'où vient
cette difficulté sinon de ceux qui cuident que soutenir le peuple en la
dévotion et crainte de Dieu, et par ce moyen en l'obéissance du Roy,
soit chose contraire à leur entreprise. Mais vous, Monseigneur, qui
avez toujours maintenu les choses bonnes et sainctes, ne permettez,
s'il vous plaist, que telles gens gaignent le hault bout et renversent
ce qu'il vous a pieu favorizer, nous donnant par là moyen de fournir
nostre pauvre église de personnages doctes pour la consolation de ce
pauvre peuple et érudition de la jeunesse, estant ce pals si dénué de
prestres que nous n'en pouvons trouver pour servir aux églises, et
nous espérons que ce collège sera ung séminaire pour en tirer de
suffisans personnages pour cet effect. Vous suppliant très humblement,
Monseigneur, nous vouloir prandre en vostre protection et ne permet-
tre qu'un si bon œuvre soit empesché, et nous prierons suffisamment
Dieu pour votre bonne prospérité, santé et longue vie.
De Bordeaux, ce [omis].
Vostre très humble et obéissant serviteur.
De Sansac, Ar. de Bordeaux.
(Bibl.de l'Institut. Coll. Godefroy, vol. XV, fol. 173. Original).
H
Lettre du Père Auger, datée de Jarnac, 14 mars 1569.
JHS
Molto Rd0 Padre,
PaxX1 etc..
Questa sara per avisare Va Ps dopoi quella ch'io scrisse hieri sera,
corne Idio N° Sre ha dato tanta gratia a questa armata, che il LJ di
queslo, presso à Angolesme, dua leghe tanto di Cognac nella Guienna,
fu data labattaglia alli hugenoti, seadosi confessato el conmnicato il
fratello del Re danoi, et il duca di Monpensiero la mattina, et sendosi
data la batteria, fatto gli ritirare. Una lega si gionse l'esercilo con tal
002 HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
furore, che il Principe di Gondé fu ammazzato di tre colpi mortali,
trovato fra morti, menato da vili soldati soprauno asino, quasi nudo,
piu di una legaà Monsieur per vederlo, scaperto, etschernito misera-
mente; corne io ho visto il tutto, sendo alla battaglia appresso à
Monsieur. Dell' amiraglio non si sa che sia divenuto; altri grandi capi
tutti morti; de nostri, un solo di momento, Mr. di Monçaller. Il Duca
di Monpensiero, di Guisa, Brissac, la Valletta, Martigues, hanno fatto
il dovere loro, di modo che non combatte che nostra avant-guardia,
furono rotti contre carghe et dopoi pigliassimo Jarnac, hoggi si piglia
Cognac, et spero che presto se vedera il fine. Sta mane habbiamo
cantato la Messa de Smo Sacram10, corne a Christo biastemato in quello
da costoro et vittorioso, detto Te Deum laudamus, et altre cose parti-
colari, nella presentia di Principi tutti et Signori con molta Iode di
Christo, massime de Monsieur, il quale certo mérita bene che Sua
S,a gli scriva bone lettere, et mérita la spada benedetta délia quale ha
sentito parlare, et fu cosa incredibile di vedere con che animo si
armava, agiutandolo noi à mettere l'arme, mezza hora avanti il com-
battu. VaPa di gratia faccia rendere moite gratie a Christo.
Io poi, ancora che stia qui solo prefetto délie cose spirituale, tutta-
via vedero, gia che non saranno che assedii di qualche villazze, riti-
rarmi à Tolosa, ô Limoges, et flnire in riposo dell' animo mio la qua-
resima, laquale mi è stato ben turbulenta, non trovando speso cosa da
vivere che cose di che non sogliamo vivere, e dormire suti (?) veli (?),
ôin campagna, facendo la sentinella con li Sri; modo Christus honori-
ficetur, nihil est.
Mi racomando divotissime aile orationi et sacrificii di VaPa et di
tutta la Compagnia di Giesu, fra i pericoli passati et avenire.
A Jarnac, tre leghe di Angolesme, 14 di Marzo 4569.
D. V\ P\
Servitore nel Sre N°.
Emondo.
(Galliac Epistolae, t. IV, f. 188". Autographe).
INDEX ALPHABÉTIQUE
DES NOMS DE PERSONNES
ABRAM (Nicolas) S. J., 604, 613.
ACHEVlLLE (MUe d'), 156. 137.
Achille (Paul d'). 130, 138, 140, 141, 143, 144,
146, 161.
Adrets (le baron des), 301, 302, 303, 347.
Aguilera (Gonzalez), 11.
Albo.n (Autoine d'), archevêque d'Arles et de
Lyon, 341, 342, 458, 461.
Albret (Jeanne d'), 270, 271, 272, 277, 285.
Alexandrin (Michel Bonelli, cardinal), 440,
444, 492, 493-496.
Alexandrin (Michel Ghislieri, cardinal), cf.
Pie V.
Alleaume (l)r Jeau), 173.
Amador, 19, 23, 35.
Amodei (Curtio) S. J., 625, 626, 627.
Amussat (Charles), 530.
Amyot (André), 361.
AMYOT (Jacques), 427.
Aneau (Barthélémy), 460.
Anjou (le duc d'), frère de Charles IX, 494,
498. 520. 536, 622, 623. 624, 626. 627. 634, 635.
Cf. Henri III.
Aqi aviva (Claude) S. J., 480.
Araoz (Antoine) S. J., 477.
Arce (le D'), 68.
Archinti (Philippe), évêque de Saluées, 98.
Armagnac (cardinal Georges d'), 194, 237, 240,
250,252, 253, 256, 311, 312, 411, 439. 440, Wl2,
445-451, 502, 508.
Arxauld (Jean) S. J., 182, 183.
ARTIAGA, 5, 35.
Athanase (le P.) S. J., 456.
Auger (Anioinetie), abbessc de Montmartre,
47.
AUGER (Éniond) S. J., 274-280, 282, 283, 284.
295, 296, 297, 298, 301, 302, 303, 322, 328,
347-362, 410, 442, 448, 449, 454, 458, 461, 465,
477, 483, 491, 492, 497, 498, 501, 505, 506, 517,
518, 533-542, 598, 608, 619-624, 626, 627, 634-
643.
Aumale (le duc d), 610, 634, 641.
Authier (Anne d') S. J., 314.
Ayantian (André) S. J., 454, 455.
Aymar (Joseph d'), 519.
Bacode (François), 340.
Badïa (Thomas), 75.
Balmes (Jean) S. J., 315, 506.
Balsamo (Ignace) S. J., 490.
Barbançon (Jean de), évêque de Pamiers, 272.
Barclay (Guillaume . 615.
Barrault (Pierre) S. .!.. 274. 277.
Baudouin François), 566.
BAULON (Élie de), 524. 525.
BAULON (François de), 516-524.
Baume (Claude de la), archevêque de Besan-
çon, 549, 550.
Beau (Pierre), 445.
Beauvilliers (Marie de), abbesse de Mont-
martre, 648.
BÉDA Noël), 9. 31.
BÉGUIN, 3»9.
Bellay (F.uslache du), évêque de Paris. 172,
173, 202-207, 211, 236. 237. 241, 242. 254.
Bellay (Jeau du), 31.
Bellefille (Nicolas) S. J., 269. 365. 553.
Bellièvre (Claude de), 459.
BENOÎT (Jean) O. P., 208. 209, 216, 217. .',74.
Benoît (René), 637, 638.
Bernuy (Jean de), 500, 501.
Bèze (Théodore de), 248, 252, 259. 263. 270.
Birague (René de). 619, 620.
Bobadilla (Nicolas) S. J.. 45. 4s. 34. 59. 66.
74, 78, 79, 224-228.
Borgia (saint François de) S. .1.. 98, 176, [96,
222, 229, 231, 427, 442. 449. 476, 477. 479,
482, 484, 485, 491 497.
Borromée (cardinal . 258, 308, 309.
Boucherat (Edmond), 240.
Bouillon (le duc de), 558, 559, 561.
Bouillon (la duchesse de), 338-565.
Bourbon (Antoine de), roi île Navarre, 231,
262, 265, 616.
Bourbon .cardinal Charles de . 138. 194, 237.
244, 246, 253, 257. 270, 271. 386, 412. 4:;T. 439.
442. 451, 546. 547. 548, 331. 370, 580, 581.
Bourbon (Henri de , roi de Navarre. 493, 589,
629. 631-634.
BOURDIN (Gilles), 384, 405.
Buk/.l ^Louis de), évêque de Meaux, 341.
Briamont (OthOD.) S. .1.. 316.
Brichw.i u [Crespio de] O. s. i;.. 216.
Briçonnet (Guillaume . évêque de Meaux, 31,
270.
BROÉ (Bon de), 299.
Broet (Paschase) s. .1.. 36. 37. 61, 66. 78, loi.
136, 137, 169 172. 174. 175-184. 192. 199, 200-
213. 222. 225, 229. 231. 245. 269. 272. 29!.
294, 304, 3U5, 309, 315, 316, 317. 391. 395.
664
HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Bruslart (Noël , 199, 200.
Buger (Julien) S. J., 512.
Bclger (Nicolas) S. J., 455.
Calisto, 5, 6, 7, 35.
Calvin, 13, 248, 264, 332, 333.
Cambis (le marquis de), 447.
Canaïe, 392.
Canini (Angelo), 131.
Canisius (Beu* Pierre) S. J., 160, 186, 340, 341.
483.
Ca.no (Melchior) O. P., 77.
Cappel (Louis), 562, 563.
Caraccioli (Antoine), évèque de Troyes, 250.
Caraffa (cardinal Jean.Pierre), 64, 130.
Caraffa (cardinal Jean- Vincent), 68.
Carpi (le cardinal de), 222, 226.
CaRvajal (Louis de), 416.
Casot (de), 473.
CAstori (Bernardin) S. J., 599. 631.
Castro (Jean de), 19, 35.
Catherine de médicis, 243, 244, 248, 249. 250,
252, 258, 260, 263, 298, 357, 385, 387, 432,
493-495, 628, 629, 635, 636, 639. 640.
Caulet (Hugues), 311, 312.
Cazeaux (de), 518.
Cazerès( Diego de), 5, 35.
Champier (Symphorien), 459.
Cihnal (Pierre) S. J., 146, 179, 183, 184, 185.
307, 308.
Chandieu (Antoine La Roche de), 248.
Chanonës (Dom) O. S. B., 89, 90.
Charles IX, roi de France, 243, 244, 246, 256,
264, 267, 357, 358, 359, 409, 411, 423, 493-495.
506, 519-525, 536, 538, 598, 605, 617, 618, 629.
631, 636, 637.
Charles-Quint, 31, 59, 64, 137, 142, 199.
Charles III (le duc) de Lorraine, 604, 605,
606, 612, 615.
Chatillon (Odet de), évèque de Valence, 250.
252, 253, 265, 389.
Chavagnac (le marquis de), 349, 370.
Christix (Pierre) S. J., 552.
Cisneros (Dom Garcia de) O. S. B., 90, 93.
Clarv (Antoine), 500.
Claysson (Robert) S. J., 172, 179. 180, 183,184.
185, 188, 294.
CODURE (Jean) S. J., 57, 58, 66, 72, 78, 101.
133.
Cognet (Auge), 178.
Cogordan (Ponce) S. J.. 130. 133, 192, 221,
224-228, 233-246, 256, 273, 315. 316. 363, 380.
381, 382, 435, 477, 491, 645.
Coligny (l'amiral de). 243. 248, 251, 440, 486,
519, 617, 626, 627, 631.
Commelin (André) S, J.. 169.
Commendon (le cardinal), 492.
Commolet (Jacques) S. J., 619.
Condé (Henri Ier de Bourbon, prince de), 631.
634.
Condé Louis Ier de Rourbon. prince de), 244,
248, 251. 262, 265. 409, 440, 617.
CuNTvftiNi (cardinal Gaspard). 75.
Co.NTARiNi (Pierre). 70. 75.
Conversini (Benoît), 69.
Corneillan (Jacques de), évèque de Vabres.
311, 313.
Cornet (m«), 129.
Coster (François), S. J., 508.
Coidret (Annibai du) S. J., 103, 186, 249. 257.
258, 297. 302, 323, 328, 348, 449, 458, 484,
491, 498, 502-505, 517, 552, 622, 636, 645.
GOUDRET (Loi.is du) S. J., 291, 292, 331-335,
436, 438, 441, 453, 477, 491, 510, 552.
Ooyssart (Michel) S. J., 599.
Creytton (Guillaume) S. J., 463, 467-469, 471-
475, 491, 627, 640, 645.
Crillon (Claude de), 445.
Cuellar (Jean de), 12.
Cujas (Jacques), 601.
Cyberand (Jean), 461.
Daffis (le président), 285, 506.
Dammlle (Henri 1er de Montmorency, comte
de), 422. 549.
Dechappe, 392
Delannoy (Nicolas) S. J., 229.
Delpech (Pierre), 501.
Deniset (Jean), 573, 574, 575.
Diaz (Etienne), 135, 136.
Didier (le P.) S. J., 599.
Dodieu (Claude), évèque de Bennes, 152.
Domenech (Jérôme) S. J., 80. 128. 129, 130,
131, 132, 133, 138, 186.
Drochon (le conseiller), 521, 522.
Duchatel (Pierre), évèque de Màcon, 31, 163.
Dufour (le président), 285.
Dumont (le conseiller), 172, 208, 220.
Di MOULIN (Charles), 372, 373.
Dupont (Antoine) S. J., 423.
Dupontot (Léonard), 511.
Dupuy (Clément) S. J., 613, 615.
Duranti (le président). 326, 636.
Eguia (Jacques d') S. J., 128, 129.
Elbène (Bernard d'), évèque de Lodève, 334.
Elisabeth d'Autriche, reine de France, 494.
Elisabeth de France, reine d'Espagne, 410.
Emmanuel-Philibert (duc) de Savoie, 337,
338, 339, 340. 341, 452-45(>.
Érasme, 30, 31, 32.
Espence (Claude d'), 261, 259. 417. 427.
Espinac (Pierre d), chanoine de Lyon, 538.
Estienne (Robert), 31.
Étampes (la duchesse d'). 31.
Faber (Gilles) S. J., 323.
Fabre (Dr Jacques), 576, 583, 584.
Fano (Vinceuzo Negusanti da), évèque d'Arba,
65.
Farel (Guillaume), 31.
Farnèse (cardinal Alexandre), 134, 435, 437,
439.
Favre (Dom Georges), 37.
Fernandez (Jean) S. J., 493.
Ferrare (Hercule d'EsTE, duc de), 213.
Ferrare (Hippolyte d'EsTE, cardinal de), 249.
257, 258, 259, 308, 309.
Ferrier (Maurice), 339.
Fogasse (François de), 445.
Forcade (Jean) S. J. 146.
FOSCARARI (Gilles). 99.
Fragus (le Dr), 22. 23.
François I". 29-35, 95. 97. 137. 142. 198. 339.
François II, 233, 238, 242. 281.
FRANCOSI (Antoine) S. J., 296, 323.
Frère (Pierre), 463.
Froissac (Jeau de Moustiers de),évêque de
Bayonne 198.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS DE PERSONNES.
ses
Frusius (André) ou des Freux S. J., 99, 186,
213, 221.
Fuzelier (René) S. J., 333.
Galland (Guillaume), 369, 389, 423.
Gamoy (Jean de), 501.
Garde (le baron de la), 544.
Gardiole (Jacques), 445.
Gast (du), 389.
Génébrard (Gilbert), 427.
GÊrardin (Louis) S. J., 438.
Ghini (Auiré), évêque d'Arras, 131.
Gilbert, 389.
Gondi (Albert de), comte de Retz, 565.
Gondi (cardinal Pierre de), évêque de Paris.
575-585, 637, 638.
Gonzague (cardinal Hercule de), 336.
Gonzalez (Gil) S. J., 498.
Gonzalvès de CaMARA (Louis) S. J., 67, 89,
103, 481.
GORDON (François) S. J., 168, 169.
Gorrée, 389.
Goutte (Jean de la) S. J., 146, 179.
Govéa (Dr André de), 13, 514.
Govéa (Dr Jacques de), 13, 19. 20, 23. 25. 26.
203, 208.
Grégoire XIII, 122, 124, 451, 475, 497, 507,
582, 5«5, 587, 590, 593, 599, 606, 613, 614,
615, 635.
GUÉRAND (le P.) S. J., 552.
Guichard (Simon), Minime, 152.
Guiche (Claude de la), évêque d'Agde, 152.
Guidiccioni (cardinal Barthélémy), 75, 76.
Guise (François de Lorraine, duc de), 247,
300, 616.
Guise (Henri I6r de Lorraine, duc de), 589,
600, 623, 626, 634, 639, 641.
Guise (cardinal Louis Ier de), 194, 250, 251,
253, 256, 612, 615, 629. 640.
Guttiérez (Martin) S. J., 49.H.
Hamel (Olivier du) S. J., 185, 552.
Hay (Edmond) S. J., 377, 379, 413, 431, 485,
490, 491, 492, 513, 521, 522, 567, 570, 596,
597, 608, 612, 615.
HENRI II, 166, 167, 196, 199, 214, 216, 232, 233,
272, 289, 290, 291, 339.
HENRI III, 156, 530, 599, 638-645.
Henri de Navarre. Cf. Bourbon.
Henri VIII d'Angleterre, 64. 136, 137.
Hervet (Genlien), 427.
Hosius (le cardinal), 427.
HozÈs (Jacques de), 66.
Ignace (saint). Cf. Loyola.
Imbert (Antoine), archevêque d'Aix, 152.
Jacques V d'Ecosse, 137.
Jannel (François) S. J., 567-570.
JEAN III, de Portugal, 26, 45, 170.
Jeanne de France (Bienheureuse), 594.
Jeannic, 6, 35.
Jordan (Jean) S. J., 552.
Jover (le Dr), 203, 208.
Joyeuse (le duc de). 624.
Jules III, 101, 102, 103, 290.
Kessel (Léonard) S. J., 508.
Kopp [Dr Nicolas), 30, 33.
Kostka ou Coscha (Pierre), 617, 618.
La Haye (Jean de), 554, 555, 557.
Lainez (Jacques) S. J., 18, 44, 48, 66, 67, 68,
78, 79, 101, 104, 154, 190, 217, 222-234, 249,
257-268, 272, 281, 292, 293, 300, 308-311, 321,
352, 364, 375, 434.
Lambin (Denis), 370, 385.
Lamothe-Gondrin, 301.
Lange (le président de), 494, 518.
Languet (Huberi), 431.
Lartissusse (Madeleine), 438.
L'Aubespine (Claude de), 387.
Laureo (Yincent), évêque de Monuovl, 291.
299, 475.
Le Bas (Jérôme) S. J., 172, 178, 179, 180. 182-
185, 188-190, 193, 308, 320.
Lecler (Dr Nicolas), 207.
Le Clerc (Nicolas) S. J., 431, 553, 612, 615,
645.
Ledesma (Jacques) S. J., 367, 483.
L'Épine (Jean de), 252.
Le Fèvre (Beux Pierre) S. J., 13, 14, 36-40, 48,
54, 59, 61, 66, 67, 68, 73, 78, 79, 129, 132.
Le Fèvre d'Étaples, 31.
Le Jay (Claude) S. J., 55, 56, 68, 78, 101, 152,
153, 164, 177.
Le Maistre (Gilles), 246.
Lenzï (Laurent de), vice-légat d'Avignon, 436.
Léonis (le P.) S. J., 589, 627.
Le Picart (Dr François), 129, 203. 208, 213.
Letellier (Jean) S. J., 552.
Le Vasseur, 389.
Leythan (Dominique), 516, 592.
L'Hôpital (Michel de), 250, 267. 268, 407, 411.
Liévin (Valentin) O. P., 51, 97.
Loarte (Gaspar) S, J., 340.
Loiiier (Pierre) S. J., 553.
Loque (Bertrand de), 563.
Lorrain (Nicolas) S. J., 185.
Lorraine (Charles de Guise, cardinal de),
165, 166, 193, 196, 198, 199, 214, 216, 233,
237, 238, 244, 246, 250, 253, 256, 293, 412, 536,
538, 551, 555, 569, 570, 605-611, 639, 640-644.
Lorraine (Jean de) ou Houlton. S. J., 505,
507.
Loyola (Bertrand de), 134.
Loyola (Émilien de), 133. 138.
Loyola (saint Ignace de) S. J., 1-28, 35-58, 65,
66, 67, 68, 74, 75, 78, 79, 80, 82-99, 100-105,
128, 133, 134, 141, 163, 175, 176, 213, 214. 220,
276.
lude (le comte du), 626.
Madéra (Jean de), 10.
Madron (Pierre de), 501.
Magnus, 389.
Majorius ou Majoris (Pierre) S. J., 431.
MALDONAT (Jean) S. J.. 319, 365-369, 371. il).
418-423, 427-433, 490, 494, 551-571, 572-593.
601-604, 608, 633, 645.
Malo (Jean), 252.
Malyin (de), 518.
MANARE (Olivier) S. J.. Itis. .ils. 319, 322. .124.
328, 330, 354, 355, 364, 371. 383-387, 400, 'ml.
408, 409, 415, 476, 490, 492, 497-499, mis. 546,
547, 552, 570, 605, 617. 618. 632-634,
Mancinelli (Jules) s. .1.. 489.
Mandelot ^François de . 463, 469, 'i72. '»7:i.
474.
MANGOT, 392.
Manuce (Paul . 426.
606
HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
Marchand, 371.
Marescot (Michel), 384.
Marguerin de la Bigne. 426.
Marguerite de Valois ou d'Angoulême, sœur
de François I", 30, 31, 253, 270.
Marguerite de France, duchesse de Berry,
sœur de Henri H, 198, 199.
Marguerite de France ou in; Valois, sœur
de Charles IX, 493, 495. 629.
Mariana (Jean; S. .1., 367, 427. 428. 4SI, 491.
353, 572.
Marillac (Gabriel), 199.
Marixi (cardinal Marco), l'il.
Marlorat (Augustin), 252. 263.
Marot (Clément), 31.
Martial (le Dr). 26.
Martigues (Sébastien ni: Luxembourg, vi-
comte de), 623.
Martine (Élise), 506.
Martyr (Pierre), 252, 259, 263.
Masser ou Massérus (Léonard) S. J., 168.
185.
Matthieu (Claude) S. J., 296, 291, 492, 512,
524, 540, 584, 589, 599. 610, 613, 621, 640,
645.
Maugiron. 344.
Mayenne [le duc de), 626, 641.
MÉLANCHTON. 31. 95.
Menesès (Rodrigue) S. J., 98.
Mercurian (Éverard) S. J.. 157. 158. 167, 169,
485-490, 499, 607, 609.
Mesme (Henri de), 407.
Mesnage (Antoine) S. J., 599.
Mesnil (Jean-Baptiste du), 240. 399. 404.
Michel (Jean), 446, 447.
Miona (Emmanuel) S. J., 142, 143.
Mirabel (Etienne de) S. J., 296, 310,
MlRON (Jacques) S. J., 129. 133, 196, 477.
Mirto (Fabius!, évèque de Caiazzo, nonce, 509.
Mombaer (Jean). 90.
Montferrand Charles de), 529.
MONTLUC (Biaise de). 325.
Montluc Jean de . évèque de Valence. 250.
265, 298.
Montmorency (Aune 1er, duc de), connétable.
244, 247, 251, 267, 422, 616, 618.
Montmorency (Henri Ier, duc de). Cf. Dam-
ville,
MONTPENSIER (le duc de). 558, 559, 589. 623,
624, 634.
Morel (Jacques) S. J., 169, 172, 178, 185, 505.
Morel (Nicolas) S. J., 146.
Moro.ne (le cardinal), 169.
Mouchi (Antoine de), 208, 416.
Mouyaxs (Paul Richieu. sieur de). 620, 621.
Murcia (Diego). 98.
Nadal (Jérôme) S. J., 105, 186, 223, 229, 303-
308, 312, 364, 478, 480-485, 489, 492.
Napolès (le cardinal de), 230.
Nevers (Louis de GONZAGUE, duc de), 511-513.
634.
Nevers Henriette de CLÈves, duchesse de),
511-513.
Nigri (Benoît) S. J., 490.
NiQUET (Jean), abbé de Saiut-Gildas. 595-600.
Notel (Michel) S. J., 636.
Novarin (Jacques de), 445.
OLave (Martiuj S. J., 217. 219, 231.
Olivier (François), chancelier, 165.
Onaz (Martin Garcia de), 14.
Onfroy (Jules) S. J., 435.
Ori (Matthieu) O. P., 20.
Ortiz (Pedro), 20, 64, 68, 78.
OviÉDO (André) S. J., 491.
Paget (William), 137.
Palm io (Benoît) S. J., 186, 336, 477.
Pamphii.e (César), 508.
Pascual (Inès), 17.
Pasquier (Etienne), 366, 370, 389-406.
PAUL III, 64, 71, 75, 76, 78, 136.
Paul IV, 216. 219. 222, 231.
Pélisson (M8 Jean), 290, 294.
Pelletier (le Dr), 203. 208, 389. 400, 576, 584.
588.
Pelletier (Jean) S. J., 130, 145, 146, 274, 277,
279, 282, 283, 284, 285, 312, 313, 314, 324,
326, 327, 328..
Pellevé (Nicolas de), cardinal, 551, 553,
Pelleyé (Robert de), évèque de Pamiers, 269,
273, 280, 281, 282, 285, 286.
Pena (Dr Jean de), 12. 23, 26.
Péquet (le P.) S. J., 444.
Péralta, 19, 35.
Périer (le P.) O. P., 342.
Perpinien (Pierre) S. J., 367, 423-426.
464.
Pérussis (François de), 445.
Pérussis (Louis de), 444, 445.
Petit (Guillaume). 31.
Peyrat (du), 345.
Philippe H d'Espagne, 222, 223, 233.
Picherel (Pierre), 421.
PIE IV, 248, 249, 258, 267, 268, 291, 292. 409,
410, 437, 439, 462.
PIE V, 227, 228, 440, 442, 401-497, 624, 628.
Pigenat (Odon) S. J., 553, 553, 576. 580, 582,
645.
Pion eau (Jean) S. J„ 468.
POLANCO (Jean) S. J., 71, 77, 89, 91, 101, 105,
217. 223. 257. 261. 263. 299. 364, 492.
Pont Éleulhère du) S. J., 158, 167, 296, 297.
Porte (Gabriel de la) S. J., 540.
PossEMN (Antoine) S. J., 77, 322, 335-347, 352,
359, 410-412. 438, 439. 441-451, 469, 49t. 496.
497, 542-550, 624, 630.
Postel (Guillaume), 131, 143, 144, 143. 182,
398.
Pozo (le cardinal), 230.
Pradène (Pierre) S. J., 322.
Prat (Guillaume du), évèque de Clermont,
150-155, 163, 174, 178-194, 319, 321, 329, 330,
398.
Prévost (Jean), 375, 595.
Psaume (Nicolas), évèque de Verdun, 508-511,
612, 613.
Puget de Saint Marc (JeaiY. 528-531.
Quadrato (Pedro), 12.
Quadrius (Antoine) S. J., 105.
RAMUS (Pierre), 369, 370, 389, 417, 423, 425.
Rkginald (Paschase) S. J., 615.
Ribadeneira (Pierre) S. J., 122, 134, 135, 136,
138, 139.
RlCHEOME (LOUIS) S. J., 406, 489, 521, 522.
Ricci (Pierre de), 438.
Rodriguez Dr Sébastien), 208.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS DE PERSONNES.
607
Rodriguez d'Azévédo (Simon) S. J., 45, 48,
59, 60, 66, 78, 147, 225, 480.
Roger (Jean) S. J., 27'i. 277, 280, 314,
Roillet (Guy) S. J., 1.(0, 146, 274, 293, 294,
308, 477, 486.
RojaS (François de) S. J., 180, 153, 196.
Ropitel (le P.) Minime, 342.
Roser (Elisabeth), 69.
ROSERIUS (Bertrand) S. J., 521, 522.
Rosier (Hugues Sureau di i, 558-562.
Rouen i>' Jean de), 583.
Roi ffignac (le président de), 518.
Rouillard (Perrette), 47.
Roussel (Gérard), 270.
Rousset (Toussaint) ou ROUSSEL S. J.. 539.
Roi sslllon (le eomte de), 323.
RÙBYS (Claude de), 359, 472, 538.
Rue (Pierre de la) S. .1., 599.
RUFFIN, 346, 465.
Ruiz (Alphonse) S. J., 489.
Saconay (Gabriel de), 342.
Sager (Charles) S. J., 521, 522, 527, 553.
Sainctes (Claude de), 427, 558, 578, 584.
Saint-André (Maréchal de), 247, 341, 349.
Saint-André (le président de), 566, 567.
Sainte-Croix (Marcel Cervini, cardinal de),
435, 436.
Sainte-Croix (Prosper de), nonce, 358.
Saint-Gelais (Jean de), évoque d'Uzès, 250.
Saint-Germain (Julien de), 365, 371.
Saint-Hérem (le comte de), 349.
Saint-Méloir, 392.
Saint-Romain (Jean de), 358.
Sala (Jacques-Marie de), évêque de Viviers,
435.
Salez (Jacques) S. J., 615.
SALMERON (Alphonse), 18. 44. 48, 54, 66. 78,
101, 136, 137, 154, 249, 291.
Salviati (Antonio), nonce 578.
Samer (Henri) S. J., 552.
Sanguin (AnUine), cardinal de Meudon, 138.
Sanguineo (F. Laelio) s. J., 625, 626.
Sw sac (Antoine Prévost de), archevêque de
Bordeaux, 517-520.
Swta-Fiore (le comte de), 624.
Sault (François d'Agoult, comte do. 342,
345, 346.
Sault (Charles du), 518, 524, 526, 527, 591.
Seguart (Dr Adam), 576, 583.
Séguier (Pierre), 201.
SlRLET (Guillaume), 427.
Souchière (Jérôme de la), abbé de Cîteaux,
203, 216.
Spifame (Jacques), 543.
Sponde (Henri de), évêque de Pamiers, 287.
Strada (Antoine) S. J., 130, 138.
Strada (François) S. J., 130, 138. 196.
Strozzi (le cardinal', 544, 545, 546.
si mm /. (Jean] s. J;, 498.
m s Jacques de), 285.
Sylvestre (Jacques] s. j., 296.
Téligni Charles de , 631.
Telur (le i'.j s. j., 645.
Tiioi (Augustin de . 590, 592.
Thoi [Christophe de . 564, 593, 405, 406.
Tiiou (Jacques-Auguste de , 262, 405.
Tissart Michel . '>'x.
Tolet (François) S. J.. 566, 492.
ToiuiÉs (François de] s. .1.. 427.
TOURNON (cardinal François de . 173. 193, 240,
244, 246. 247, 250, 251. 253. 255, 259. 289-
295, 298, 299, 300, 458.
Tournon (le comte de), 296, 299, 323.
Trani (le cardinal de), 230.
Trivulce (le cardinal), 272.
Truchsess (cardinal Ollion), 152, 336.
Turnèbe (Adrien), 369, 370, 385, 407.
Tyrius (Jacques) S. J., 572.
Ugoi.etti (Elpidio) S. .1.. 154.
Urdez (Luc), 285.
Vair (du), 392.
Valentini (le P.) S. J., 431.
Vaudemont (Charles de). 609, 610.
VaUDEMONT (Louise de), 644.
Vêla (Pierre) S. J., 599.
Venegas (Michel) S. J., 365.
Verallo (Girolamo), 65, 198.
VERSORIS (Pierre), 390, 391, 393. 400-404.
Viai.art (Antoine), archevêque de Bourges,
598.
Vieilleville (François de Scépeaux. maré-
chal de). 350. 351, 352, 539, 605.
VlGOR ;D' Simon), 427, 558, 570. 633.
Villars (Pierre de), archevêque de Vienne.
291, 299. 587.
Vinet (Élie), 528, 529.
Viola (Jean-Baptiste: S. J.. 133. 140. 145. 146.
154, 155, 159, 164-170, 185, 197, 222. 225. 231.
292- 296, 305, 320.
Viole (Guillaume), évêque de Paris, 535.
Viret (Pierre i. 248, 356, 357, 358, 359, 465,
543.
Vives (Louis), 11.
Volpius (David) S. J.. 540.
Waucop (Robert), archevêque d'Armagh. 136.
wisiiwr.N (Corneille] s. J.. 489.
Witte (Adrien de) S. J., 158, 167. 169.
Xavier (saint François) S. J.. 13. 40-43, 48. 60,
66, 78. 177.
Zapata (François). 137.
zerbolt (Gérard) de Zutphe.n, 90.
TABLE DES MATIÈRES
Préface
Introduction bibliographique.
LIVRE PREMIER
Les Origines (1528-1552).
Chapitre I. — Ignace de Loyola. — Ses éludes à Paris (1528-1535). — 1. Disposition et
projets d'Ignace après Manrése. — 2. Coup d'œil sur ses études à Barcelone et à
Alcala. — 3. Séjour et persécutions à Salamanque. — 4. Ignace à l'Université de
Paris; cours de grammaire au collège de Monlaigu. — 5. Voyages en Flandre et en
Angleterre. — 6. Cours de philosophie à Sainte-Barbe. — 7. Succès aux examens;
commencement de la théologie chez les Dominicains de la rue Saint-Jacques. -
8. OEuvres de zèle; Ignace est dénoncé à l'Inquisiteur. — 9. Il est condamné à la
salle. — 10. Son courage et son industrie pour le salut des âmes 1
Chapitre II. — Les premiers Compagnons d'Ignace et les vœux à Montmartre. —
1. État des esprits à Paris pendant le séjour d'Ignace : humanisme et réforme.
2. Ignace est témoin des manifestations populaires contre l'hérésie. — 3. Il cherche
des compagnons. — 4. Pierre Le Fèvre. — 5. François Xavier. — 6. Lainez et Salme-
ron. _ 7, Nicolas Bobadilla et Simon Rodriguez. — 8. Us arrêtent ensemble leurs
projets d'avenir. — 9. Vœux à Montmartre. — 10. Vie d'Ignace et de ses compagnons
après cette cérémonie. — 11. Nouvelle dénonciation à l'Inquisition ; Ignare retourne
en Espagne. — 12. Séjour de ses compagnons à Paris sous la direction de Pierre
Le F'èvre. — 13. Vocation de Claude Le Jay. — 14. Paschase Broet et Jean Codure
se réunissent aux compagnons d'Ignace 29
Chapitre III. — Fondation et approbation de la Compagnie de Jésus (1537-1541). —
1. Départ des compagnons d'Ignace pour Venise. — 2. Voyage et arrivée. — 3. Ignace
reste à Venise pendant que ses compagnons vont à Rome. — i. Ordination sacer-
dotale à Venise; impossibilité du voyage en Palestine; règles de vie commune. —
5. Départ d'Ignace, de Le Fèvre et de Lainez pour Rome; vision de la Storta. —
6. Arrivée des autres compagnons; épreuves; la commission de réforme. —7. Con-
férences sur le genre de vie à adopter. — 8. Formule de l'Institut et buile d'appro-
bation. — 9. Ignace élu premier Général 58
Chapitre IV. — Le Livre des Exercices Spirituels (1S22-1B48). — 1. Titre du livre: son
caractère et son but. — 2. Principe et fondement; ses conséquences; première
semaine. — 3. Jésus-Christ notre roi et notre modèle; seconde semaine. — i. L'élec-
tion centre des Exercices. Elle est suivie de la troisième et de la quatrième
semaine. — 5. Règles de vie spirituelle pendant les Exercices et en tout temps. —
6. Ignace compose à Manrèse la partie principale des Exercices. — 7. Originalité
de ce livre. — 8. Époque présumée des perfectionnements et relouches. — 9. Atta-
ques et approbation H-
Chapitre V. — Les Constitutions (1SWM333). — l. Travaux préparatoires; rédaction
de la Bulle de Jules III. — 2. Ignace auteur des Constitutions; quand et comment
elles furent composées. — 3. L'Examen général. — 4. Analyse des Constitutions:
première, seconde et troisième partie. — 5. Quatrième partie : formation des sco-
lastiques. — 6. Cinquième partie : profession et degrés. - 7. sixième partie : pres-
criptions relatives aux membres incorporés; observation des vœux. — 8. Septième
partie : ministères aposloliques et choix des ouvriers. — 9. Huitième partie : le
gouvernement; union des membres au chef et entre eux. — 10. Neuvième partie :
de ce qui concerne le Père Général de la Compagnie et du gouvernement qui
émane de lui. — 11. Dixième parlie : des moyens de conserver et d'accroître la
Compagnie. — 12. Conclusion : physionomie de la Compagnie de Jésus 100
G70 TABLE DES MATIÈRES.
LIVRE DEUXIÈME
L'établissement en France (1540-1564).
Pages.
Chapitre I. — Le collège des Trésoriers et le collège des Lombards (1540-1549). —
1. Projets d'Ignace. Envoi d'une colonie d'étudiants de la Compagnie au collège des
Trésoriers sous la conduite du P. d'Eguia. — 2. Jérôme Domenech, supérieur. Voca-
tion de Jacques Miron, de Paul d'Achille et de François strada. — 3. Transfert au
collège des Lombards. Directions données aux étudiants; leurs progrès. — 4. Nou-
veaux venus : Jean-Baptiste Viola, Émilien de Loyola, Pierre Ribadeneira. — 5. Vi-
site de Paschase Broet et de Salmeron. — 6. Édit de François Ier; départ d'un
groupe d'étudiants pour la Belgique avec Jérôme Domenech. — 7. Paul d'Achille
reste supérieur à Paris. Obéissance des jeunes religieux. Ministères spirituels et
leurs Iruits. — 8. Le P. d'Achille obligé de quitter Paris avec sa communauté.
Vocation d'Emmanuel Mionn. Court passage de Guillaume Poste! dans la Compagnie.
— 9. Retour des étudiants à Paris; le P. Viola, supérieur; rénovation des voeux à
Montmartre 1-27
Chapitre II — L'Hôtel de Clermont (1550-1554). — 1. Guillaume du Prat, évêque de
Clermont; ses projets. — 2. Sa rencontre avec les disciples d'Ignace au concile de
Trente.-— 3. Installation du P. Viola à l'hôtel de Clermont. — 4. Vocation du P. Éve-
rard Mercurian; ministères spirituels. — 5. La Compagnie commence à être connue
à Paris; contradicteurs et défenseurs. — 6. Projets de donation de l'hôtel de Cler-
mont. — 7. Le cardinal de Lorraine, protecteur de la Compagnie de Jésus en Fiance.
Requête au roi. — 8. Épreuves et nombreux départs d'étudiants. — 9. Paschase
Broet premier Provincial en France. — 10. Travaux apostoliques des PP. Broet,
Claysson et Le Bas. Hostilité d'Euslache du Bellay 150
Chapitre III. — Fondation du collège de Billom (1553-1500). — 1. La Compagnie accepte
peu à peu des collèges pour l'enseignement de la jeunesse. — 2. Missions des
Jésuites en Auvergne. — 3. Formalités relatives à la fondation de Billom. — 4. Suc-
cès apostoliques du P. Claysson. — 5. Derniers arrangements et ouverture des
classes. — 6. Règlement d'un collège de la Compagnie de Jésus. — 7. Contrat de
fondation. Bénédiction de la première pierre. — 8. Mort de Mer du Prat. — 9. Son
testament est attaqué 175
Chapitre IV. — Lutte pour le droit de naturalisation, jusqu'à la mort de saint
Ignace (1551-1556). — 1. Lettres patentes de Henri II en laveur de la Compagnie,
janvier 1551. — 2. Opposition du Parlement et de l'Université. — 3. Démarches du
P. Broet. Lettres de jussion, 10 janvier 1553, et arrêt du Parlement, 8 février. —
4. Intervention de l'évêque de Paris et de la Faculté de théologie. — 5. Nouvel
arrêt du Parlement, 3 août 1554, et sentence de l'évêque. — 6. Délibérations et
décret de la Faculté de théologie, 1er décembre. — 7. Persécution qui s'ensuit. —
8. Douceur et prudence de saint Ignace; témoignages en faveur de la Compagnie.
— 9. Mémoire du P. Martin Olave. -- 10. Apaisement. Mort d'Ignace de Loyola 198
Chapitre V. — Election de Lainez au gènéralat. Suite de la lutte pour le droit de
naturalisation (1558-1 ■•60). — 1. Lainez vicaire général. — 2. Difficultés pour la
réunion de l'assemblée des profès. — 3. Conduite des PP. Bobadillaet Ponce Cogor-
dan. — 4. Heureux dénouement de toute cette affaire. — 5. Première congrégation
générale. Élection de Lainez et approbation des Conslitutions. — 6. Ponce Cogor-
dan, adjoint comme procureur au P. Provincial de France, reprend Ips négocia-
tions pour l'admission légale de la Compagnie. — 7. Mort de Henri II. Bienveillance
de François II et résistance du Parlement. — 8. Audace de l'hérésie après la
Conjuration d'Amboise. Le roi désire lui opposer la Compagnie de Jésus. —
9. Examen des Bulles par l'évêque de Paris; l'Université prend parti contre les
Jésuites. — 10. Le P. Cogordan obtient de nouvelles lettres de jussion. — 11. Le
Parlement reuvoie une seconde fois la cause à l'évêque de Paris qui cède de
mauvais gré et sous réserve. Mort de François II .. . 221
Chapitre VI. — Assemblées de Poissy. Admission légale de la Compagnie de Jésus
(1560-1563). — l. Avènement de Charles IX. Ses lettres patentes du 23 décembre 1560.
— 2. Résistance du Parlement ; appel à la Faculté de théologie et à l'assemblée de
Poissy, 23 février 1561. —3. Nouvelles lettres du roi, 14 mars. Situation des partis.
— 4. Pie IV envoie en France un légat accompagné du P. Lainez. Convocation
d'une assemblée du clergé. — 5. Son ouverture à Poissy, 31 juillet. Séances du
colloque de Poissy, 9 et 16 septembre. — 6. Admission de la Compagnie de Jésus.
TABLE DES MATIÈRES. 671
Vngm.
Enregistrement de l'acte de réception. - 7. Le P. Lai nez au château de Saint-
Germain. Conférences de Poissy. — 8. Ride du P. Laine/; son discours, ses démai
ches. — (J. Conférences de Saint-Germain. Édit de tolérance, 17 janvier IBM. —
10. Travaux et mémoires du P. I.ainez. — 11. Troubles occasionnes par l'édit de to-
lérance 213
Chapitre VII. — Essai de fondation d'un collège à Pamtcrs I559-I50I . — 1. État
religieux du Béarn au XVI0 siècle. — 2. Démarches de M-1 de Pelleté pour la fonda-
tion d'un collège de la Compagnie. — 3. Acceptation du P. Général, 1659. Envoi des
PP. Jean Pelletier, Émond Auger et Jean Hoger. — 4. Leur arrivée à Pamiers; oppo
sition qu'ils renconirent; leurs premiers ministères. — .*». Ouvertuie de quatre
classes dans une maison particulière, en novembre 1550. procès de l'évéque avec
la ville. — 6. Prédications des PP. Pelletier et Auger. — 7. Accusations contre le
P. Pelletier; son emprisonnement. — 8. Résistance de la ville aux volontés de
l'évéque; les Jésuites sont chassés de Pamiers — Î60
Chapitre VIII. — Établissement des Jésuites au collège de Tournon (1560-1562). —
i. Origine de l'ancien collège. — 2. Le cardinal de Tournon le propose à la com-
pagnie. — 3. Acceptation du P. Général; contrat de cession, <i janvier 1561.—
4. Ouverture des classes, 25 juin 1561. — 5. Le P. Auger recteur de Tournon; son
apostolat à Valence. — 6. Mort du cardinal fondateur. — 7. Troubles religieux; le
P. Auger et le baron des Adrets. — 8. Tournon menacé. Exil des Pères -288
Chapitre IX. — Visites du P. Nadal, Commissaire général de la Compagnie de Jésus.
Fondation du collège de Rodez (1561-1502). — 1. Rencontre du P. Jérôme Nadal et
du P. Broet au collège de Billom. — 8. Le P. Lainez appelé par le Pape au concile
de Trente. - 3. Les PP. Nadal et, Broet à Paris; départ du P. Lainez. — 4. Apostolat
du P. Pelletier à Rodez; les habitants demandent un collège. ~T8." Formalités pour
la fondation et ouverture des classes. — 6. Mort du P. Broet : 30i
Chapitre X. — Visites du P. Olivier Manare. Fondation des collèges de Mauriac
et de Toulouse (1563-1564). — 1. Le P. Olivier Manare, Commissaire de la Compagnie
de Jésus en France. — 2. Sa visite en Auvergne: fondation du collège de Mauriac.
— 3. Séjour du P. Manare à Lyon et à Tournon; rentrée des Jésuites au collège de
cette ville. — 4. Fondation de Toulouse. — 5. Mort du P. Pelletier, visite du P. Ma-
nare à Toulouse. — 6. Transfert des restes de Guillaume du Prat à Billom 318
Chapitre XI. — Travaux apostoliques des PP. Louis du Coudret, Antoine Possevin
et Émond Auger (1558-1564). — Le P. Louis du Coudret (1558-1500). 1. Missions
dans le diocèse de Genève. — 2. Missions dans le midi de la France. — Le P. An-
toine Possevin (1560-1562). — 3. Sa jeunesse et sa vocation. — 4. Ses missions dans
les vallées des Alpes et ses prédications en Piémont. — 5. Raison de son séjour à
Lyon; état de cette ville à son arrivée. — 6. Son apostolat auprès des marchands
italiens. — 7. Lyon tombe au pouvoir des huguenots; départ de Possevin. — Le
P. Émond Auger (1562-1503).— 8. Ses missions en Auvergne. — 9. Ses prédications
à Lyon. — Les PP. Auger et Possevin (1563-1564). — 10. Retour et nouveaux travaux
du P. Possevin à Lyon. — 11. Démarches du clergé et des lidèles pour conserver le
P. Auger. — 12. Controverses des deux Jésuites avec le ministre Viret. — 13. La
peste à Lyon (1504). Départ du P. Possevin ; dévouement du P. Auger 331
LIVRE TROISIÈME
Premiers développements (1564 1575\
Chapitre I. — L'ouverture du collège de Clermont à Paris, et le droit de scolarité
(1504-1505). — 1. Achat de la Cour de Langres. Lettres de scolarité et ouverture du
collège, février 1504. — 2. Le P. Jean Maldonat; sa vie, ses cours. — 3. Opposition
des hérétiques, du collège royal et de l'Université: les Jésuites obligés de fermer
leur collège. — 4. Consultation de Du Moulin. — 5. Assemblée générale de l'Cnher-
sité contre les Jésuites; arrêt favorable du Parlement. — o. Requête du P. Odon
Pigenat. —7. LeUre du P. Edmond Hay. — 8. Les Pères devant l'assemblée géné-
rale de l'Université. — o. Décret contre le collège de Clermont. Requête des
Jésuites au Parlement, et arrêt du 27 février 1565. — 10. Soulèvement contre la
Compagnie. — 11. Démarche du P, Olivier Manare. Provincial, auprès du roi 363
672 TABLE DES MATIERES.
Paires.
Chapitre II. — Premier procès avec l'Université (1565). — 1. Choix des défenseurs.
— 2. Portrait de Pierre Versoris et d'Etienne Pasquier. — 3. Ouverture des débats,
29 mars; plaidoyer de Pasquier. — 4. Interruption des débats; démarches du
P. Manare. — 5. Séance du 5 avril ; plaidoyer de Versoris. — 6. Conclusions de l'avo-
cat général et arrêt du Parlement. — 7. Tentatives de l'Université pour la reprise
du procès; ses mesures contre le collège de Clermont. — 8. Projets violents des
écoliers. — 9. Intervention de Pie IV. Le P. Possevin à la cour; lettres patentes de
Charles IX (1er juillet) autorisant la fondation de collèges et maisons dans tout le
le royaume 388
Chapitre III. — L'enseignement supérieur au collège de Clermont (1565-1572). —
I. Établissement d'un cours de théologie. Détails sur le personnel du collège, les
classes, les œuvres extérieures. —2. État des études scolasliques dans l'Université
de Paris. — 3. Réforme introduite par Maldonat dans l'enseignement de la théolo-
gie. Succès de ses leçons. — 4. Opposition de l'Université et ses démarches contre
les Jésuites (1566). — 5. Le P. Perpinien; ses leçons d'Écriture Sainte. — 6. Sa mort
et son éloge. — 7. Le P. Mariana supplée Maldonat pour l'enseignement de la théo-
logie (1570). — 8. Nouveau cours du P. Maldonat. — 9. Progrès du collège de Cler-
mont. Son règlement 413
Chapitre IV. — Fondation du collège d'Avignon (1565-1570). — 1. Mort du P. Lainez,
19 janvier 1565; création de la province d'Aquitaine. — 2. Premier projet d'établis-
sement de la Compagnie à Avignon 1555. — 3. Reprise du projet et démarche du
Légat, cardinal Farnèse, 1563-1564. — 4. Ouverture du collège, 1565; le P. Possevin,
Recteur. — 5. Donation de la maison de la Motte, 1569. — 6. Séjour du P. Possevin
à Rome; fausses accusations contre lui. — 7. Soulèvement populaire contre les
Pères du collège. —8. Excuses envoyées au Saint-Père. — 9. Intervention du P. Au-
ger, Provincial. — 10. Justification du P. Possevin; la bonne entente rétablie 434
Chapitre V. — Fondation des collèges de Chambéry et de Lyon (1565-1576). — Cham-
béry. 1. Lettres patentes du duc de Savoie, 3 octobre 1564; ouverture du collège dans
le couvent des Cordeliers, 1565. — Location de la maison Pobel, 1571. — 3. Difficul-
tés avec la population; achat de la maison de M. de Bressiac. — Lyon. 4. Premiers
projets, 1556 à 156i. — 5. L'ancien collège de la Trinité. — 6. Décision du chapitre
et du consulat. — 7. Ouverture des classes, octobre 1565; description du collège. —
8. Acte de fondation du 14 septembre 1567. —7. Difficultés avec les Pédagogues de la
ville. — 10. Nouveau contrat, 6 août 1571. Difficultés au sujet des pensionnaires.—
II. Le P. Creytton se défend devant l'assemblée des notables; accord et progrès.. JS2
Chapitre VI. — Affaires intérieures de la Compagnie (1565-1573). — 1. Deuxième Con-
grégation générale; élection du P. Fr. de Borgia, 2 juillet 1565. — 2. Travaux et
principaux décrets de la Congrégation. — 3. Décret relatif à l'heure d'oraison. —
4. Publication du livre des Règles. — 5. visites du P. Nadal en Allemagne et en
France, 1566-1568. — 6. Premières congrégations provinciales, et première congré-
gation des procureurs, 1568. — 7. Visite du P. Mercurian en France, 1569-1571. —
8. Établissement des maisons de noviciat et de scolasticat. — 9. Congrégations
provinciales et congrégations des procureurs, 1571. — 10. Voyage du P. Général en
Espagne, en Portugal et en France, 1571-1572. — 11. Son retour en Italie, sa mort à
Rome, 1er octobre. — 12. Congrégations provinciales et troisième congrégation
générale, 1573. — 13. Élection du P. Éverard Mercurian, 23 avril 476
Chapitre Vil. — Anciens et nouveaux collèges : Toulouse, Rodez, Verdun, Nevers
(1566-1572). — Toulouse, t. Achat du palais de Bernuy; opposition des protestants,
1566. — 2. Insuffisance des ressources. — 3. Bienveillance de l'Université. — Rodez.
4. Difficultés avec le chapitre. — 5. Progrès et agrandissements du collège. --
Verdun. 6. Envoi des Pères allemands, 1564; recours aux Pères français, 1570. —
7. Ouverture des classes, octobre 1572; mort du fondateur, M^r Nicolas Psaume, 1575.
— Nevers. 8. Démarches du duc de Nevers. — 9. Ouverture des classes, octobre
1572 ; contrat de fondation, 26 septembre 1573 500
Chapitre VIII. — Fondation du collège de Bordeaux (1572). — 1. Premiers projets en
1569. — 2. Initiative de M. François de Baulon en 1571. — 3. Prédications du P. Auger
à Bordeaux; le prieuré Saint-Jtmes destiné aux Jésuites. — 4. Opposition des pro-
testants; mission du conseiller Drochon et lettres patentes de Charles IX, 1er mai
1572. — 5. Donation de François de Baulon et ouverture des classes, octobre. —
Union du prieuré Saint-James; progrès et incorporation à l'Université. —7. Tra-
casseries de la part d'Élie de Baulon et des Jurats. — 8. Attaques d'Élie Vinet, prin-
cipal du collège de Guyenne. — 9. Affaire Puget de Saint-Marc 544
TABLE DES MATIÈRES. '-" '
Chapitre i\. Travaux apostoliques des /•/'. luger, Posseoin et Manarè l«*-»»™ ;
_ i LeP. luger prêche le carême à T ou8e, 1866. ï Services qu*H rend à la
ville- l'Université lui offre le doctorat. 3. Second carême à Toulouse ■'••"• ««
Sèment de confréries de pénitents. - I. Association de d. ;s de charlt à .Lyon,
l«07; traités sur les sacrements, 1568-1867; carême S la cour,»»».- •>■ " o«
, ..n me à Toulouse, 1570; aventà Reims, lf.70, et carême à Metz, IOT1. - 6. Prédlca
fSÎÎàAuriC Roder Toulouse, Bourges e( Paris [«Mm la < Mne
nénitents bleus.- 7. Prédication* du P. Poss n à Rouen, UK&; à Marseille, 1568,
Son sur les galères. -8. Asentà Rouen, 1569; prédicalUps à inoppc. -9. Le
PmMaieluf succède à Dieppe e. évangélise Verdun. 10. Carême ^du P Po
vin a Rouen, 1570; projet de collège. - H. Le P. Possevin à Lyon et à Besançon, ^
4.V71 ; ses prédications et ses écrits
Chapitre X.- Travaux apostoliques et gouverner! I du P. •1'",'/7"'/; ''" "),'';; '
-i Principaux missionnaires de la Compagnie de Jésus en 1569 el 1570. 2. mis.
sion du -Poitou 1870. - 3. Travaux des PP. Maldonat, Sager ei Lohier a Poitiers. -
4 ïravaux des pp. Pigenat, Bellefllle et Le clerc à Niort, Chàtellerault, Sa ni
M ■ xen t etc - 5. Projet de fondation d'un collège à Poitiers. - 6. Maldonat bra-
vai le à ia conversion de la duchesse de Bouillon. - 7. Ses controverses avec les
ministres à Sedan, 1572.- s. Retour à Paris: conversion de François Baudouin;
difficultés suscitées à Maldonat au sujet du testament de M. de Saint-André.
9. vocation de Francis .lannel. - 10. Projet de rélorme de l'in.vcrsite, 1813 tfl
Chapitre \l - Maldonat et l'Université de Paris (1573-1576). - l. Nouvelles tentati-
ves de l'Université contre le collège de Clermont, 1573. *2. Maldonat et la question
de l'Immaculée Conception, UiU. - ». Sentence favorable de l'évéque de Pans,
1? anvTcr 1575, et mécontentement de l'Université. - 4. Maldonat et la question
du purgatoire; sa doctrine déférée au Parlement. - 5. Essai d'incorporation du col-
lège\ l'université. - 6. Excommunication des principaux docteurs de la Faculté
de théologie; leur lettre apologétique à Grégoire XIII. - 7. Silence et réserve de
Maldonal - 8- H reprend ses leçons d'Écriture Sainte, 1576. rcs ministères spijri- ^
lueis. _ 9. Sa retraite à Bourges '
r„vP,TRF \II -Fondation du collège de Bourges et de l'Université de Pont-à-Mous-
C'™„'_ Bouraes 1. Origines du collège Sainte-Marie. - 2. Projet de le confier
aux lésuie7 rïmarq'ie générale sur la division des collèges dans la Compagnie.
3 Denfers ar angements; incorporation à l'Université. - i. Rapport de Ma do-
^at avec Cuias son commentaire sur les Évangiles. - Pont-a-Moussan. 5 État de
florrîine e projet de collège à Metz. - 6. Le cardinal de Lorraine se décide a
Rétablissement iïne Université à Pont-à-Mousson; bulle d'érection de Grégoire mu.
B dîïïmtoîÏÏn u - 7. Négociations du cardinal avec la Compagnie. - 8 Quelque
■ lasse sont ouverles en novembre 1574.-9. Protection du cardinal daGuaei
de révoque de Verdun: ouverture solennelle des classes, mars 1575. - 10. Progri
de l'Université jusqu'à la mort du cardinal de Guise
r..in,T„r \ih - La Comnagnie pendant les troubles civils 1567-1575). I. Coup
d'oSl sur es trouble civite de 1560 à 1567. - 2. Services rendus par le P. Manare
î ÏZwï! Auger à Lvon. - 3. Dispersion des Pères de Tournon. - .. Le
p/Yuger frarmee du" duc d'Anjou, 1568-1569. - 5 Les Pères italiens a »-
pontificale. Bataille de Moncontour. - «i. La Saint-Bar thelemy, 15W. - '■ * ; '
du roi de Navarre et du prince de Condé. - 8. Le P. Auger au siège de la 1 oc 1 . 1.
1 9 les collèges de Mauriac et de Toulouse pendant les révoltes. Mort de Char
l7, ix 30 niai 1574 - 10. Le P. Auger et les Quarante-lleures à Pans. - Voya-
ges de Senri 111 dans le midi: son passage a Lyon et à Avignon -- -M; ;
et éloge du cardinal de Lorraine. - 13. Mariage et sacre du roi. État de la ^
pagnie en France à l'avènement de Henri m
Appendices
Olk*
Index alpii.vdétique des noms de personnes
COMPAGNIE DE JESUS. — T. I.
Librairie ALPHONSE PICARD et fils, 82, rue Bonaparte, Paris.
Bibliothèque delà Compagnie de Jésus. Première partie : Bibliographie.
par les PP. de Backer; seconde partie : Histoire, par le P. Carayon,
nouvelle édition, par Carlos Somiheryogel, S. J. Strasbourgeois, publiée
par la province de Belgique, 1890-1900, t. MX et supplément A. Z.
Anonymes, pseudonymes, index géographiques des auteurs et des domi-
ciles. T. X, tables de la première partie, par Pierre Bliard, 10 vol.
in-4°, cart. non rogné 400 fr. »
Rochemonteix (P. de). —Les Jésuites de la nouvelle France au XVIIIe siècle,
d'après les documents inédits, 1006, 2 vol. in-8°, broché. . . 12 fr. »
— Le Père Lavalette à la Martinique, d'après beaucoup de documents
inédits, P. 1901, in-8° br. carte 6 fr. »
Archives de l'histoire religieuse de la France: I. Mémoires des évêques
de France sur la conduite à tenir à l'égard des réformés (1698). Publiés
avec une introduction, des appendices et des notes, par Jean Lemoine,
1902, 1 vol. in-8° 7 fr. 50
II. Ambassades en Angleterre, de J.du Bellay. La première ambassade
(septembre 1527-févrïer 1529). Correspondance diplomatique, publ. par
de Vaissière et Bourrilly, 1905, in-8" broché . . 7 fr. 50
III. Nonciatures de France, Ne nciature de Clément VII, publiées par l'abbé
Fraikin. T. I depuis la bataille de Pavie jusqu'au rappel d'Acciaiuoli, 1906,
in-H^ broché 7 fr. 50
IV. Histoire de la Pragmatique-sanction de Bourges sous Charles VIL par
Noël Valois de l'Institut, 190/, in-8° broché 7 fr. 50
Valois (Noël). — La France et le grand schisme d'Occident, 4 volumes
in-8° 40 fr. »
— La crise religieuse du XVe siècle, le Pape et le Concile (1418-1450), 2 vol.
in-8?, lOpl. etfig 20 fr. »
Bibliothèque d'histoire religieuse.
Tomes 1 et II. L'Eglise de Paris et la Révolution, par P. Pisani, docteur
es lettres, professeur à l'Institut catholique de Paris, I (1789-1792); II
(1792-17'JO), 2 vol. in-12 7 fr. »
III. Etudes sur la Réforme française, par H. Hauser, professeur à 1*1 Di-
versité de Dijon, 1 vol. in-12 3 fr. 50
Feret (Abbé P.). — La Faculté de Théologie de Paris et ses docteurs les plus
célèbres. Moyen âge. 4 vol. — Epoque moderne, phases historiques et revues
littéraires, 7 vol. Chaque volume in -8° broché . 7 fr. 50
Courteault (Paul). — Biaise de Monluc. historien, étude critique sur le texte
et la valeur historique des « Commentaires », 1908. 1 vol. gr. in-8°. portraits
et 4 cartes 12 fr.
— Un cadet de Gascogne au XVIe siècle, Biaise de Monluc, 1909, 1 volume
in-12 3 fr. 50
Les sources de l'histoire de France, XVIe siècle (1494-1610), par
Henri Hauser. — I. Les premières guerres d'Italie. Charles VI et Louis XII
'94 1515).— .II. François Ier etHenri II (1515-1559). 1 vol. Ch. le volume
in-81' broché 5 fr.; relié toile 7 fr. »
Le journal d'un bourgeois de Paris sous le règne de François Ier
( 1515 J 536). nouvelle édition publiée avec une introduction et des
notes par V. L. Bourrilly. 1 vol. in-8° 10 fr. »
Mention (Léon).— Documents relatifs aux rapports du clergé avec la royauté
aux XVIP et XVIII* siècles, 2 vol. in-8" 10 fr. »
rypographie Firmin-Didot et Cle. — Paris.
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