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Full text of "Histoire de la Compagnie de Jésus en France : des origines à la suppression, (1528-1762)"

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HISTOIRE 


l)K  LA 


COMPAGNIE  DE  JÉSUS 

EN  FRANGE 

DES  ORIGINES  A  LA  SUPPRESSION 

(1528-1762) 

TOME  I 
LES  ORIGINES  ET  LES  PREMIÈRES  LUTTES 

(1528-1575) 

P  A  It 

Le   P.  Henri  FOUQUERAY,  S.  J. 


PARIS 
LIBRAIRIE  ALPHONSE   PICARD   ET   FILS 

82,    RUE    BONAPARTE    (G') 
1910 


HISTOIRE 


DE    LA 


COMPAGNIE  DE  JÉSUS 

EN    FRANGE 


jfpROV.S. 


NIHIL    OBSTAT 


P.   BLIARD. 


IMPRIMATUR 


Parisiis,  die  8à  octobris  1909. 
P.  Fages, 


vie.   (/en. 


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HISTOIRE 


DE  LA 


COMPAGNIE  DE  JÉSUS 


EN  FRANGE 

DES  ORIGINES  A  LA  SUPPRESSION 

(1528-1762) 

TOME  I 
LES  ORIGINES  ET  LES  PREMIÈRES  LUTTES 

(1528-1575) 


PAR 


Le   P.  Henri  FOUQUERAY,  S.  J.      & 


15*  y 

Tkov.S.JOSEPH| 


PARIS 
LIBRAIRIE  ALPHONSE  PICARD   ET  FILS 

82,    RUE   BONAPARTE   (6e) 
1910 


APR  221969 


PREFACE 


L'ouvrage  dont  nous  publions  aujourd'hui  le  premier  volume 
a  été  entrepris  à  la  fin  de  l'année  1895,  lorsque  le  T.  R.  P.  Louis 
Martin,  vingt-troisième  successeur  de  saint  Ignace,  répondant  à 
un  vœu  de  la  vingt-quatrième  Congrégation  générale,  résolut 
de  faire  écrire  l'histoire  de  la  Compagnie  de  Jésus  et  décida  que 
chaque  Assistance  se  chargerait  de  la  sienne1. 

Désigné  alors  comme  historien  de  la  France,  le  R.  P.  Victor 
Mercier  dirigea  le  travail  pénible  des  recherches  pour  la  période 
antérieure  au  règne  de  Louis  XIV.  Malgré  le  dévouement  de  ses 
auxiliaires,  il  dut  lui  aussi  dépouiller  et  transcrire  un  grand 
nombre  de  documents.  En  même  temps  il  mit  tout  de  suite  un 
peu  d'ordre  dans  les  matériaux  déjà  rassemblés,  et  rédigea  sous 
forme  de  compilation  toute  l'histoire  de  notre  premier  siècle. 
La  mort  le  surprit  quand  il  commençait  à  refondre  son  manus- 
crit assez  défectueux.  Rien  qu'il  ait  laissé  beaucoup  à  faire  après 
lui,  nous  avons  profité  de  ses  notes  et  de  sa  première  rédaction, 
recueilli  le  fruit  de  sa  patiente  érudition  et  de  ses  nombreuses 
lectures.  Aussi  croyons-nous  remplir  un  devoir  de  justice  en 
signalant  ici,  avant  tout,  son  utile  et  importante  collaboration. 

L'Histoire  de  la  Compagnie  de  Jésus  dans  l'Assistance  de  France, 
depuis  les  origines  jusqu'à  la  suppression,  présente  trois  périodes 

I.  Ont  déjà  paru  :  Hisloria  de  la  Compania  de  Jésus  en  la  Asistencia  de  Espana, 
por  el  P.  Antonio  Astrain,  S.  J.  tomo  I,  San  Ignacio  de  Loyola;  tomo  II,  Lainez, 
Borja  (Madrid  1902,  1905).  —  Geschichte  der  Jesuiten  in  den  Landern  dculscher 
Zunge  im  XVI  Jahrhundert,  von  Bembard  Duhr  S.  J.  (Freiburg  1907).  —  The  His- 
torij  of  the  Society  of  Jésus  in  Norlh  America  colonial  and  fédéral,  by  Thomas 
Hughes,  S.  J.,  Text,  volume  I;  Documents,  volume  I  (London  Hi07).  —  Storia 
délia  Compagnia  di  Gesù  in  Italia,  dal  P.  Pietro  ïacrbi  Venturi,  D.  M.  C,  vol.  I- 
La  vita  religiosa  in  Italia  durante  la  prima  età  dell'  ordine.  (Roma-Milano  1909). 


vi  PREFACE. 

caractérisées  par  les  luttes  que  cet  Ordre  eut  à  soutenir  contre  le 
protestantisme,  le  jansénisme  et  le  philosophisme. 

La  première  est  celle  où  la  Compagnie  se  montra,  dans  notre 
pays,  comme  l'avant-garde  de  l'Église  romaine  contre  les  enne- 
mis de  son  autorité  divine.  Elle  commence  un  peu  avant  la  se- 
conde moitié  du  xvi'  siècle  pour  finir  vers  le  milieu  du  xvne, 
et  elle  exigera  plusieurs  volumes.  Sous  les  généralats  de  saint 
Ignace,  du  Père  Lainez,  de  saint  François  de  Borgia,  des  PP.  Mer- 
curian,  Aquaviva  et  Vitelleschi,  nous  verrons  les  assauts  donnés 
par  les  Jésuites  a  l'hérésie  envahissante,  et  leurs  œuvres  pour  le 
réveil  de  la  foi.  Tout  en  constatant  l'attitude  généralement  favo- 
rable des  municipalités,  du  clergé,  de  la  cour  et  surtout  du 
pouvoir  royal  sous  Henri  II,  François  II,  Charles  IX,  Henri  III, 
Henri  IV  et  Louis  XIII,  nous  aurons  à  raconter  les  difficultés  de 
l'admission  légale  dans  le  royaume,  les  procès  avec  l'Université, 
l'hostilité  du  Parlement  et  les  controverses  avec  les  réformés. 
Nous  assisterons  à  la  fondation  de  la  plupart  des  maisons  pro- 
fesses, collèges,  résidences,  noviciats,  missions,  et  à  la  formation 
successive  des  Provinces  de  France,  d'Aquitaine,  de  Lyon,  de 
Toulouse,  de  Champagne,  dont  se  composa  peu  à  peu  Y  Assistance 
de  France,  la  cinquième  créée  dans  la  Compagnie  de  Jésus1. 

L'histoire  d'une  Société  dont  la  vie  a  été  intimement  liée  à 
celle  de  l'Église,  exige  de  la  part  de  l'écrivain,  et,  proportion 
gardée,  de  la  part  môme  du  lecteur,  une  connaissance  préalable 
des  questions  religieuses.  Nous  les  avons  traitées  dans  la  mesure 
qui  nous  semblait  indispensable  pour  éclairer  la  ligne  de  con- 
duite tenue  par  la  Compagnie.  Nous  n'avons  pu,  pour  un  motit 
analogue,  nous  dispenser  de  quelques  incursions  sur  le  terrain 
politique  lorsque  la  matière  le  demandait  :  isoler  les  faits  des 
circonstances  qui  les  accompagnent  serait  les  obscurcir  ou  les 
dénaturer. 

L'étendue  de  notre  sujet  est  considérable.  La  Compagnie  de 
Jésus,  assez  florissante  même  avant  le  règne  de  Henri  IV,  s'est 
ensuite  rapidement  répandue  dans  tout  le  royaume  ;  tandis  qu'elle 

1.  Voici  l'ordre  de  la  création  des  Assistances  de  l'ancienne  Compagnie  :  Italie,  Por- 
tugal, Espagne  et  Germanie  (1558);  France  (1608);  Pologne  (1755). 


PREFACE.  vu 

y  multipliait  ses  ministères,  ses  œuvres,  ses  collèges  et  ses  mis- 
sions, elle  fondait  encore  à  l'étranger,  en  Ecosse,  au  Canada, 
dans  les  pays  du  Levant  et  ailleurs,  ses  colonies  d'apôtres  fran- 
çais. Son  histoire  offre  donc  une  assez  grande  variété  de  faits. 
Elle  embrasse  sa  vie  intime,  ses  relations  avec  les  pouvoirs 
établis,  son  activité  apostolique  et  sociale,  ses  combats  pour 
l'orthodoxie,  ses  travaux  littéraires  et  scientifiques,  ses  efforts 
dans  le  domaine  de  l'ascétisme,  de  l'éducation  et  de  l'ensei- 
gnement. 

Nous  nous  sommes  efforcé  de  présenter  ces  différents  aspects 
d'une  action  multiple  et  simultanée  de  façon  à  éviter  la  confusion, 
l'enchevêtrement  de  récits  coupés  et  inachevés.  Il  ne  fallait  pas 
songer  à  choisir,  à  l'exclusion  des  autres,  l'un  des  trois  ordres, 
chronologique,  géographique  et  logique,  suivant  lesquels  toute 
matière  historique  peut  être  distribuée.  Les  auteurs  de  l'histoire 
latine  de  la  Compagnie  de  Jésus,  sauf  Jouvancy,  ont  suivi  l'ordre 
chronologique,  année  par  année,  et  ont  écrit  des  annales  plutôt 
qu'une  histoire  ;  l'ordre  géographique  leur  a  servi  de  division  et 
l'ordre  logique  de  subdivision.  Au  lieu  de  composer  des  annales 
comme  Orlandini,  Sacchini  et  leurs  continuateurs,  ou  de  grouper 
les  faits  d'après  leurs  espèces,  comme  Jouvancy,  nous  conserve- 
rons l'ancien  usage  des  périodes  délimitées  par  quelque  événe- 
ment important,  et  dans  chaque  période  nous  suivrons  de  préfé- 
rence l'ordre  exigé  par  la  clarté  du  récit.  Ainsi  pour  le  xvie  siècle, 
époque  de  formation  et  ensuite  de  dispersion,  l'ordre  chrono- 
logique dominera,  mais  entremêlé  aux  deux  autres;  pour  le 
xvne  siècle,  où  la  Compagnie,  dès  son  rétablissement,  prend  une 
grande  extension,  c'est  plutôt  l'ordre  logique  qui  s'impose. 

On  s'est  plaint  parfois  de  la  pauvreté  relative  des  documents 
originaux  concernant  la  Compagnie  de  Jésus.  Une  telle  plainte 
n'a  pu  être  formulée  que  par  les  auteurs  qui  n'ont  pas  su  ou 
qui  n'ont  pas  voulu  chercher.  Assurément,  les  fréquentes  tem- 
pêtes qui  ont  assailli  cet  Ordre  religieux,  constamment  persécuté, 
ont  causé  des  pertes  regrettables  ;  mais  les  témoignages  directs, 
contemporains,  faciles  à  contrôler,  existent  encore  nombreux 
dans  les  bibliothèques  et  les  archives  publiques  en  France,  en 
Italie,  en  Espagne,  en  Belgique,  en  Angleterre,  en  Allemagne. 


vin  PREFACE. 

La  bibliothèque  nationale,  les  archives  nationales,  les  archives 
des  départements  et  des  communes  conservent,  dans  ce  genre, 
des  dossiers  parfois  abondants.  A  Rome,  l'Archivio  di  Stato  et 
les  Archives  Vaticanes.  à  Paris  les  Archives  du  ministère  des 
Affaires  Étrangères  et  celles  du  ministère  de  la  Marine  oifrent  à 
l'historien  de  la  Compagnie  des  matériaux  qui  jusqu'à  ce  jour 
ont  été  peu  utilisés. 

Voulant  remonter  aux  sources  et  ne  nous  appuyer,  dans  la 
mesure  du  possible,  que  sur  des  documents  de  première  main, 
nous  avons  exploré  ces  riches  dépôts.  Grâce  à  la  complaisance 
de  ceux  qui  en  ont  la  garde,  —  et  auxquels  nous  adressons  nos 
sincères  remerciements,  —  grâce  aussi  à  d'actifs  collaborateurs1, 
que  la  difficulté  des  recherches  n'a  jamais  rebutés,  nous  pensons 
avoir  satisfait  sur  ce  point  aux  désirs  des  érudits  les  plus  exi- 
geants. 

Toutefois,  c'est  surtout  aux  recueils  de  documents  conservés 
dans  diverses  provinces  et  maisons  de  la  Compagnie,  que  nous 
avons  pris  la  matière  la  plus  importante  de  cet  ouvrage.  Plusieurs 
de  ces  recueils  sont  en  cours  de  publication,  par  les  soins  des 
Pères  de  l'Assistance  d'Espagne,  sous  le  titre  de  Monumenta  His- 
torica  Societatis  Jesu;  les  premiers  volumes  nous  ont  beaucoup 
servi  pour  les  débuts  de  notre  histoire;  mais,  pour  la  suite, 
nous  avons  largement  puisé  clans  des  recueils  ou  des  liasses  de 
documents  originaux,  inédits,  dont  on  trouvera  la  nomenclature 
à  l'introduction  bibliographique. 

Dans  la  transcription  des  textes  authentiques,  nous  avons 
observé  les  règles  tracées  par  le  Congrès  des  historiens  allemands, 
tenu  à  Francfort2,  et  qui  ont  maintenant  force  de  loi.  Que  nos 
documents  soient  intercalés  dans  le  récit,  ou  cités  en  note,  ou 
insérés  en  pièces  justificatives,  nous  avons  veillé  à  les  reproduire 
de  la  manière  la  plus  exate  en  conservant  jusqu'à  l'orthographe 
des  noms  propres  avec  toutes  leurs  variations.  Nous  avons  placé 


1.  Nous  devons  une  reconnaissance  toute  spéciale  aux  PP.  Ernest  Rivière,  Ferdi- 
nand Tournier  et  Félix  Rivier,  qui  ont  apporté  leur  précieux  concours  aux  travaux 
préparatoires  de  la  documentation. 

2.  Bericht  iiber  die  dritte  Versammlung  deutscher  Historiker,  i8.  bis  21.  april, 
T895,ïn  Frank  fart  a.  M.  (Leipzig,  Verlag  von  Duncker  und  Humblot,  1895;Svo,pp.  44). 
Les  règles  se  trouvent  pp.  18-25. 


PRÉFACE.  ix 

entre  crochets  [  ]  les  rares  corrections  que  nous  nous  sommes 
permises  par  suite  d'un  oubli  du  copiste,  d'un  accident  survenu 
au  manuscrit,  ou  d'une  erreur  évidente.  Dans  les  citations  mêlées 
au  contexte  nous  avons,  pour  rendre  la  lecture  plus  facile, 
marqué  les  accents  et  les  apostrophes,  complété  ou  rectifié  la 
ponctuation,  rétabli  entre  l'u  et  le  v  une  distinction  ignorée 
autrefois.  Nos  documents  latins,  italiens  ou  espagnols  ont  été 
traduits  avec  toute  la  fidélité  possible. 

Cette  préférence  pour  les  pièces  originales,  et  les  témoignages 
contemporains  des  événements,  ne  nous  a  point  fait  dédaigner 
les  ouvrages  postérieurs,  relatifs  à  l'époque  objet  de  nos  études, 
ni  les  histoires,  mémoires,  monographies  et  biographies  con- 
cernant la  Compagnie  de  Jésus  en  France.  Nous  avons  consulté, 
non  sans  fruit,  les  travaux  de  nos  devanciers,  l'histoire  latine 
des  PP.  Orlandini,  Sacchini,  Poussines,  Jouvancy  et  Cordara; 
les  publications  du  P.  Carayon;  les  études  si  documentées  du 
P.  Prat  et  du  P.  Cros;  les  ouvrages  très  complets  du  P.  de  Roche- 
monteix;  les  relations  des  missionnaires  et  les  livres  de  polé- 
mique. Les  emprunts  que  nous  leur  avons  faits,  ont  été,  autant 
que  possible,  confrontés  avec  les  pièces  originales. 

L'histoire  latine,  —  nous  avons  pu  nous  en  assurer  par  le 
dépouillement  des  manuscrits  conservés  dans  la  Compagnie,  — 
mérite  toute  notre  confiance.  Il  est  seulement  à  regretter  que  les 
auteurs,  se  conformant  aux  habitudes  de  l'époque,  n'aient  pas 
indiqué  de  références.  Depuis  le  xvne  siècle,  les  collections  de 
documents  ont  subi  bien  des  vicissitudes,  et  par  suite  elles  sont 
moins  complètes  qu'autrefois;  on  peut  le  constater  en  parcourant 
les  notes  manuscrites  du  P.  Sacchini  conservées  à  la  bibliothèque 
Vittorio-Emmaiiuele,  à  Rome,  et  dans  lesquelles  il  renvoie  à  des 
collections  aujourd'hui  perdues.  Nous  devrons  donc,  à  plusieurs 
reprises,  nous  contenter,  faute  de  pièces  authentiques,  de  citer 
les  auteurs  de  l'histoire  latine.  Comme,  par  ailleurs,  chaque  fois 
que  nous  avons  pu  les  contrôler,  l'épreuve  leur  a  été  favorable, 
nous  n'avons  aucune  raison  de  douter  de  leur  exactitude. 

On  a  beaucoup  écrit  sur  la  Compagnie  de  Jésus.  Elle  a  suscité 
des  pamphlets  remplis  de  récits  controuvés  ou  d'appréciations 


x  PRÉFACE. 

malveillantes,  et  aussi  des  panégyriques  qui  éveillent  le  soupçon 
de  partialité.  Les  invectives  comme  les  éloges  ne  prouvent  rien. 
Loin  de  nous  donc  l'intention  de  faire  œuvre  d'avocat  ou  de 
polémiste.  Simplement  historien,  nous  exposerons,  nous  ferons 
revivre  les  faits,  sans  voiler  ni  les  fautes,  ni  les  mérites,  ni  les 
défaillances,  ni  les  succès,  nous  souvenant  toutefois  que  l'im- 
partialité n'est  pas  l'indifférence  et  qu'il  est  une  ardeur  légitime 
pour  le  règne  de  la  vérité. 


INTRODUCTION  BIBLIOGRAPHIQUE 


Le  tableau  des  sources  utilisées  et  des  ouvrages  consultés  pour 
la  composition  de  ce  premier  volume  sera  divisé  en  deux  parties  : 
Sources  manuscrites  et  sources  imprimées. 

I.  Dans  les  sources  manuscrites  nous  distinguerons  les  docu- 
ments conservés  dans  la  Compagnie  de  Jésus  et  ceux  qui  appar- 
tiennent à  des  dépôts  d'archives  ou  bibliothèques  publiques. 
La  nomenclature  de  ces  dépôts  sera  dressée  suivant  les  pays. 

II.  Les  sources  imprimées  seront  partagées  en  deux  classes  : 
dans  la  première,  nous  plaçons  les  ouvrages  contemporains  et 
les  recueils  de  documents  contemporains;  —  dans  la  seconde, 
les  ouvrages  non  contemporains,  relatifs  à  notre  sujet,  qui  ont 
été  consultés  ou  que  nous  avons  cités  accidentellement. 

Nous  indiquons  entre  crochets  les  abréviations  que  nous 
emploierons  pour  les  références  dans  le  corps  du  volume. 

I.  SOURCES  MANUSCRITES. 

1°  Documents  conservés  dans  la  Compagnie. 

A.  Recueils  concernant  toute  la  Compagnie. 
[Act.  Beatif.  B.  Ign.]  Acta  Beatificationis  Beati  Ignatii  Loyolae. 
[Act.  Cong.  Prov.]  Acta  Congregationum  Provincialium. 
[Brev.  et  Rescr.  pro  S.  J.]  Brevia  et  Rescripta  antiquissima  pro 
Societate. 
[Décret,  et  instr.]  Décréta  et  instructiones. 
[Epist.  Card.]  Epistolae  Cardinalium. 
[Epist.  Episc]  Epistolae  Episcoporum. 
[Epist.  Princip.]  Epistolae  Principum. 
[Inst.  PP.  Gêner.]  Instructiones  PP.  Generalium. 


mi  INTRODUCTION  BIBLIOGRAPHIQUE. 

[Ribadeneira,  Dial].  Ribadeneira,  Diologos. 

[Ribadeneira,  Sol.  y  conf.]  Ribadeneira,  Soliloquio  y  confesiones. 

B.  Recueils  concernant  l'Assistance  de  France. 

[Édits  Royaux.]  Édits  royaux  concernant  la  Compagnie. 
[Franc.  Hist.  fundat.]  Francia,  Historiae  fundationum  totius  Assis- 
tentiae. 
[Gall.  Epist.  Gêner.]  Gallia,  Epistolae  Generalium. 
Galliar.  Mon.]  Galliarum  monumenta  historica. 
[Galliar.  Visit.]  Galliarum  visitationes. 
[Gall.  Epist.]  Galliae  Epistolae. 

[Possevinus,  Act.  in  Gall.]  Possevinus,  Acta  in  Gallia. 
[Possevinus,  Annal,  dec.  la]  Possevinus,  Annalium  decas  la. 

C.  Recueils  concernant  les  différentes  Provinces. 

[Aquit.  Fundat.  colleg.]  Aquitania,  Fundationes  collegiorum. 

[Camp.  Fundat.  colleg.]  Campania,  Fundationes  collegiorum. 

[Franc.  Epist.  Gen.]  Francia,  Epistolae  Generalium. 

[Franc.  Fundat.  colleg.]  Francia,  Fundationes  collegiorum. 

[Franc.  Hist.]  Franciae  Historia. 

[Lugd.  Fundat.  colleg.]  Lugdunensis,  Fundationes  collegiorum. 

[Lugd.  Hist.]  Lugdunensis  Historia. 

[Tolos.  Fundat.  colleg.]  Tolosana,  Fundationes  collegiorum. 

D.  Archives  de  la  Province  de  France  '. 
[Arcb.  Prov.  France]. 

F.  Archives  de  la  Province  de  Lyon. 
[Arch.  Prov.  Lyon]. 

2°  Documents  conservés  dans  les  archives  et  bibliothèques 

publiques. 

A.  France. 

a.  Paris. 

[Arch.  nat.]  Archives  nationales  (Séries  G,  M,  MM,  X). 
[Ribl.  nat...  fr...  lat...  coll.  Dupuy.]  Ribliothèque  nationale,  ma- 
nuscrits français;  —  latins:  —  collection  Dupuy. 

b.  Archives  départementales. 

[Arch.  de  l'Ardèche...  etc.]  Archives  de  l'Ardèche,  de  l'Ariège,  de 
l'Aveyron,  du  Cantal,  du  Cher,  de  la  Gironde,  de  la  Haute-Garonne, 
de  la  Nièvre,  du  Rhône  (Séries  D,  H  et  G). 

c.  Archives  communales. 

[Arch.  comm.  d'Avignon...  etc.]  Archives  communales  d'Avignon, 
de  Bordeaux,  de  Bourges,  de  Lyon,  de  Pamiers,  de  Toulouse,  de  Ver- 
dun (Séries  AA,  BB,  GG). 

1.  Nous  désignons  sous  cette  rubrique  les  documents  appartenant  à  différents  col- 
lèges modernes  avant  la  dispersion  de  1880. 


INTRODUCTION  BIBLIOGRAPHIQUE.  xm 

d.  Archives  hospitalières. 

[Arch.  hosp.  do  Glermont.]  Archives  hospitalières  de  Clermont- 
Ferrand. 

e.  Bibliothèques. 

[Bibl.  Glermont,  mss.]  Manuscrits  de  la  Bibliothèque  de  Clermont- 
Ferrand. 

[Bibl.  Poitiers,  mss.]  Manuscrits  de  la  Bibliothèque  de  Poitiers. 
[Acad.  Lyon,  Adamuli]  Fonds  Adamoli  à  l'Académie  de  Lyon. 
[Mus.  Calvet]  Muséum  Calvet  à  Avignon. 

B.  Allemagne. 

[Kôln,  Stadt-arch.  Univ.]  Koln,  Stadt-archiv,  Universitàt. 

C.  Belgique. 

[Bruxelles,  Arch.  du  royaume].  Bruxelles,  Archives  du  Royaume. 

D.  Espagne. 

[Madrid,  Bibl.  d'Acad.  d'Hist.]  Madrid,  Bibliothèque  d'Académie 
d'histoire. 

E.  Italie. 

[Roma,  Arch.  di  Stato].  Roma,  Archivio  di  Stato. 

[Roma,  Bibl.  Vitt.  Em.,  mss.]  Roma,  Biblioteca  Vittorio-Emma- 
nuele,  manuscrits. 

[Arch.  Vat.  Nunz.  di  Franc]  Archivio  Vaticano,  Nunziatura  di  Fran- 
cia. 

[Arch.  Vat.  Bibl.  Pia].  Archivio  Vaticano,  Biblioteca  Pia. 

[Torino,  Arch.  di  Stato].  Torino,  Archivio  di  Stato. 


II.   SOURCES  IMPRIMÉES. 

1°  recueils  de  documents  et  ouvrages  contemporains. 

[Acta  SS.]  Acta  Sanctorum,  Julii  tomus   septimus,  De  Sancto  Ignatio  Loyola 
(Paris-Palmé,  1868). 

[Ann.  des  soi-disans  Jésuites.]  Annales  de  la  Société  des  soi- dis  ans  Jéstiites,  ou 
recueil  historique  chronologique  de  tous  les  actes...  émanés  des  tribunaux  ec- 
clésiastiques et  séculiers  contre  la  doctrine,  l'enseignement,  les  entreprises  et  les 
forfaits  des  soi-disans  Jésuites,  depuis  1552,  époque  de  leur  naissance  en  France 
jusqu'en  1763,  Paris,  1764-1771.  -  Ces  annales,  ainsi  que  l'indique  le  titre  complet 
de  1  ouvrage,  sont  un  recueil,  en  quatre  volumes  in-4°,  de  tous  les  actes,  écrits,  dé- 
nonciations, avis  doctrinaux,  requêtes,  ordonnances,  mandements,  instructions' pas- 
torales, décrets,  censures,  édits,  arrêts,  sentences  et  jugements  émanés  des  tribunaux 
contre  les  Jésuites. 

[Arch.  cur.  de  Vhist.  de  France.]  Archives  curieuses  de  l'histoire  de  France  . 
ou  collection  de  pièces  rares  et  intéressantes...  par  L.  Cimber  et  L.  J.  Danjou,  Pa- 
ns, 1834-1840.  —  Les  éditeurs  n'ont  accepté  dans  leur  collection  que  des  documents 
purement  historiques,  comme  «  les  récits  détaillés  de  tel  ou  tel  événement  célèbre, 
les  fragments  d'histoire  anecdotique  et  de  correspondances  sérieuses;  les  notices  bio- 
graphiques, les  pamphlets  satiriques,  etc.  »  Ces  pièces,  contemporaines  pour  la  plu- 
part des  faits  qu'elles  racontent,  ont  été  classées  dans  l'ordre  chronologique:  elles 
sont  peu  étendues,  mais  intéressantes  et  utiles. 

[Arch.  hist.  delà  Gironde.]  Archives  historiques  de  la  Gironde.  Bordeaux,  1859 


XIV  INTRODUCTION  BIBLIOGRAPHIQUE. 

et  suiv.   —   Cet  ouvrage,  comme   son    titre  l'indique,  est  composé   de  documents 
d'un  intérêt  surtout  local,  mais  dont  plusieurs  concernent  la  Compagnie  de  Jésus. 

[D'Argentré,  Collect.  judicior.]  Argentré  (Ch.  Du  Plessis  d'),  Collectio  judicio- 
ruin  de  novis  erroribus...  Paris,  1728. 

[Baluze,  Miscellanea.]  Baluze  (Etienne),  Miscellanea  novo  ordine  digesta... 
opéra  ac  studio  Joannis  Dominici  Mansi.  Lucae,  1761-1764. 

[Barkhausen,  Slat.  de  VVniv.  de  Bordeaux].  Barckhausen  (H.),  Statuts  et 
règlements  de  l'ancienne  université  de  Bordeaux,  1441-1793.  Bordeaux  1881.  — 
Série  de  pièces  détachées,  empruntées  aux  Archives  nationales,  aux  Archives  dépar- 
tementales de  la  Gironde,  aux  Archives  communales  et  à  la  Bibliothèque  publique 
de  Bordeaux. 

[Bèze,  Hist.  ecclés.]  Bèze  (Théodore  de),  Histoire  ecclésiastique  des  églises  ré- 
formées au  royaume  de  France.  Lille,  1841-18  i2. 

[Boucher,  Les  Princes  Lorrains.]  Bouchkr  (Nicolas),  La  conspiration  des  lettres 
et  armes  des  deux  très  illustres  princes  Lorrains.  Reims,  1579  —  Nicolas  Bou- 
cher, né  à  Cernai  en  1528,  fut  un  zélé  partisan  de  la  Ligue.  Devenu  évêque  de  Verdun 
en  1588,  il  mourut  en  1593.  Son  ouvrage  avait  paru  en  latin,  dès  1577,  sous  ce 
titre  :  Caroli  Lotharingii  cardinalis  et  Francisco  ducis  Guisii  litterae  et  arma. 
[Du  Boulay,  Hist.  Univ.  Paris.]  Boulay  (César  Égasse  du),  Historia  Vniversi- 
tatis  Parisiensis...  cum  inslrumentis  publicis  et  aulhenticis,  a  Carolo  magno  ad 
nostia  tempora...  Paris,  1665-1673.  —  C'est  moins  une  histoire  à  proprement  parler 
qu'un  recueil  de  pièces  authentiques,  bulles,  chartes,  lettres,  arrêts  des  cours  de 
justice,  délibérations  et  règlements  scolaires.  L'auteur  s'est  contenté  de  relier  entre 
eux,  par  quelques  lignes  explicatives,  les  nombreux  documents  qu'il  avait  recueillis 
dans  les  archives  de  l'Université. 

[Bullar- Roman.]  Bullarum,  diplomatum  et  privilegiorum  sanctorum  romano- 
rum  pontificum  Taurinensis  editio.  Augustae  Taurinorum,  1857  et  suiv. 

[Calendar,  Scotland.]  Calendar  of  stale  papers  relating  io  Scotland,  by  Mar- 
kham  John  Tharpe.  London  1858.  —  En  1800,  un  comité  de  la  chambre  des  Com- 
munes avait  exprimé  le  vœu  qu'on  fît  connaître  au  public  les  pièces  historiques 
conservées  dans  les  archives  de  l'Angleterre.  C'est  en  1854  seulement  qu'on  entreprit 
la  rédaction  des  inventaires,  ou  index  chronologiques,  connus  sous  le  nom  de  Calen- 
dar of  stale  papers.  Le  travail  fut  divisé  en  deux  parties  :  la  première  embrassant 
tout  le  moyen  âge,  la  seconde  .commençant  au  règne  de  Henri  VIII.  Cette  seconde 
partie  partagée  en  deux  séries,  domeslic  séries  et  foreign  séries,  renferme  une 
multitude  de  pièces  intéressantes  pour  l'histoire  de  France.  Dans  les  volumes  relatifs 
à  l'Ecosse,  on  trouve  plusieurs  indications  de  pièces  importantes  pour  l'histoire  de 
la  Compagnie  de  Jésus. 

[Calvini  opéra.]  Calvini  (Joan.),  Opéra  omnia,  editio  omnium  novissima.  Ams- 
telodami,  1567-1571.  —  On  trouvera  comme  un  complément  de  cette  édition  dans 
l'ouvrage  de  Paul  Henry,  intitulé  :  Calvini,  Bezae,  aliorumque  litterae  quaedam, 
ex  autogr.,  in  Bibl.  Goth.,  éd.  Bretscheueider.  Lipsiae,  1835. 

[Carrez,  Catal.  Campan.]  Carrez  (L.)  S.  J.,  Documenta  ad  historiam  Societalis 
Jesu  in  Gallia  concinnandam.  Catalogi  sociorum  et  officiorum  Provinciae  Cam- 
paniae.  Châlons-sur-Marne,  1897  et  suiv.  —  Les  Catalogi,  en  voie  de  publication, 
renferment  année  par  année  les  status  ou  état  du  personnel  des  maisons.  Chaque 
volume  est  précédé  d'une  préface  où  l'éditeur  résume,  au  fur  et  à  mesure,  l'histoire 
de  la  Province  de  Champagne.  Il  serait  à  désirer  qu'on  entreprit  un  travail  ana- 
logue pour  les  autres  Provinces  de  l'Assistance  de  France. 

[Cartas  de  S.  Ignacio.]  Cartas  de  san  Ignacio,  fundador  de  la  Compania  de 
Jésus.  Madrid,  1874-1890.  —  Ce  sont  six  volumes  contenant  huit  cent  quarante-deux 
lettres  de  saint  Ignace.  Nous  nous  en  servirons  surtout  pour  citer  d'autres  pièces 
insérées  dans  les  appendices.  Pour  les  lettres  mêmes  du  saint,  nous  les  citerons, 
autant  que  possible,  d'après  la  nouvelle  publication,  beaucoup  plus  complète,  entre- 
prise par  les  éditeurs  des  Monumenta  Historica  S.  J.  mais  encore  inachevée.  (Cf. 
lnfra). 

[Cartas  del  B.  Fabro.]  Cartas  y  otros  escritos  del  B.  P.  Pedro  Fabro  de  la 
Compania  de  Jésus...  Bilbao,  1894. 

[Chron.  et  Mém.  édit.    du   Panthéon.]    Choix  de  chroniques  et  Mémoires  sur 
l'histoire  de  France.  [Panthéon  littéraire.)  XVI"  siècle.  Paris.  1836. 
[Chron.    Bourdeloise.]    Chronique    Bourdeloise,    composée    par    Gabriel    de 


INTRODUCTION  BIBLIOGRAPHIQUE.  xv 

lurbe...  continuée  et  augmentée  par  Jean  Damai,  à  Bourdeaus,  1619.  —  Supplé- 
ment des  chroniques  de  la  noble  ville  et  cité  de  Bourdeaus  par  Jean  Damai, 
à  Bourdeaus,  T620.  —  La  chronique  bourdeloise,  ou  «  abrégé  de  l'histoire  bourde- 
loise  »,  fut  d'abord  composée  en  latin  et  ensuite  traduite  en  français  par  Gabriel  de 
Lurbe.  Elle  s'arrêtait  à  l'année  1594.  Après  la  mort  de  l'auteur"  en  1013,  elle  fut 
augmentée  et  continuée,  dans  le  même  esprit  d'impartialité,  par  Jean  Damai,  jus- 
qu'en 1619. 

[Collect.  de  Mém.  édit.  Pelitot.]  Collection  complète  des  Mémoires  relatifs  à 
l'histoire  de  France,  depuis  le  règne  de  Philippe- Auguste  jusqu'à  la  paix  de 
ravis,  conclue  en  1763...  par  M.  Petitot  (et  M,  Monmerqué).  Paris,  1819-1829. 

[Collect.  de  Mém.  .édit.  Michaud.]  Collection  {nouvelle)  des  mémoires  pour 
servir  à  l'histoire  de  Franc-e,  depuis  le  XIIIe  siècle  jusqu'à  la  fin  du  XVtll*... 
Par  MM.  Michaud  et  Ponjoulat.  Paris,  1836-1839. 

[Proc.  verb.  des  assembl.  du  clergé.}  Collectiou  des  procès  verbaux  des  as- 
semblées générales  du  clergé  de  France,  depuis  l'année  1560  jusqu'à  présent... 
sous  la  direction  de  M*'  l'évéque  de  Mâcon...  Paris,  1767-1780. 

[Const.  Soc.  Jes.  lat.  et  hisp.]  Conslitutiones  Societatis  Jesu  latinae  et  hispa- 
nique cnm  earum  declarationibus.  Madrid,  1892.  —Cette  édition  des  Constitutions 
renferme,  outre  le  texte  castillan  définitif,  la  première  rédaction  de  saint  Ignace.  On 
y  a  joint  différents  documents  très  précieux,  soit  du  saint  fondateur,  soit  de  ses 
premiers  compagnons,  destinés  à  faire  mieux  saisir  la  composition  même  des  Cons- 
titutions. 

[Acla  S.  Sedis.}  Delplace  (Louis)  S.  J.,  Synopsis  aclorum  in  causa  Societatis 
Jesu,  iMO-1605.  Florentine,  1889,  Lovanii,  1895.  —  Bésumé  chronologique  des  actes 
du  Saint-Siège  en  faveur  de  la  Compagnie  de  Jésus,  depuis  l'année  1538  jusqu'à 
l'année  1773. 

[Charlul.  Univ.  Pur.}  Denifle  (Henri),  Chartularium  Universitatis  Parisiensis. 
Paris,  1889-97. 

[Erectio  Univ.  Mussip.]  Ereclio  Universitatis  Mussipontanae.  Mussiponti,  1602. 
—  Ce  petit  volume  contient  plusieurs  pièces  importantes  concernant  l'Université  de 
Pont-à-Mousson.  Après  le  mot  «  finis  »  on  lit  celte  annotation  manuscrite,  signée 
du  P.  Laurent  Maggio  :  «  Staluta  facultatum  theologiae,  artium  et  linguarum  hujus 
Universitatis  Mussipontanae,  comprehensa  hoc  summario,  R.  P.  Laurentius  Magius 
Soc.  Jes.,  visitator  per  Provincias  Galliae,  in  visitatione  collegii  Mussipontani,  anno 
Domini  1602.  mense  Augusto,  accurate  examinavit  et  recognovit  simul  cum  RR.  Pa- 
tribus  superioribus  et  consultoribus,  eaque  deinceps  observari  voluit.  » 

[D'Espence,  Apologie.]  Èspence  (Claude  d'),  Apologie  contenant  ample  discours, 
exposition,  réponse  et  défense  de  deux  conférences  avec  les  ministres  de  la  Reli- 
gion prétendue  réformée.  Paris,  1569.  —  Exposé  historique  du  colloque  de  Poissy 
et  de  la  conférence  de  Saint-Germain.  L'auteur,  docteur  en  théologie  de  la  Faculté 
de  Paris,  avait  pris  part  à  ces  assemblées. 

[Acta  P.  N.  Ignalii.]  Gonzalvès  (Louis)  S.  J.,  Acta  quaedam  P.  N.  Ignalii  de 
Loyola  primarii,  secundum  Deum,  instituions  Societatis  Jesu.  {Monumenla  hist. 
S.  J.  Mon.  Ignaliana,  séries  4,  t.  I.)  —  Dans  les  dernières  années  de  la  vie  de 
saint  Ignace,  ses  disciples  cherchèrent  à  obtenir  de  lui  des  renseignements  authen- 
tiques sur  ce  qu'il  avait  fait,  et  Gonzalvès,  qui  jouissait  de  sa  confiance,  se  chargea 
de  cette  tâche  difficile.  11  eut  beaucoup  de  peine  à  y  réussir,  saint  Ignace  se  conten- 
tant de  lui  raconter  les  choses  les  moins  importantes,  et  ne  touchant  que  légèrement 
les  événements  les  plus  notables  de  sa  vie  intime  et  publique.  Ces  communications, 
si  incomplètes  qu'elles  soient,  tiennent  cependant,  comme  source,  le  premier  ran», 
puisqu'elles  viennent  de  la  propre  bouche  du  saint.  C'est  même  une  espèce  d'auto- 
biographie; car  Gonzalvès  avait  une  mémoire  très  fidèle,  et  il  écrivait  aussitôt  ce 
qu'il  venait  d'apprendre.  La  moitié  de  l'ouvrage  du  P.  Gonzalvès  est  en  espagnol  et 
la  seconde  en  italien.  Cette  différence  vient  de  ce  qu'à  Rome  il  avait  un  secrétaire 
espagnol  auquel  il  dictait  sur-le-champ  les  notes  qu'il  venait  de  prendre;  mais  à 
Gênes,  où  il  acheva  son  ouvrage,  il  n'avait  à  sa  disposition  qu'un  secrétaire  italien. 

[Lainez,  Disp.  Trident.]  Gmsar  (Hartman)  S.  J.,  .lacobi  Laynez,  secundi  Prae- 
positi  Societatis  Jesu,  disputationes  tridentinae.  lnnsbruck,  1886.  —  On  avait 
souvent  cité  avec  éloges  les  discours  du  P.  Lainez  au  concile  de  Trente.  La  difficulté 
de  lire  les  manuscrits  empêcha  longtemps  de  les  publier. 

[Hansen,  Rheinische  akten.]  Hansen  (Joseph),  Rheinische  akten  zuv  Geschichte 

COMPAGNIE    DE   JÉSUS.    —   T.    I.  n 


svi  INTRODUCTION  BIBLIOGRAPHIQUE. 

des  Jesuitenordens,  1542-1582.  Bonn,  1896.  —  Parmi  les  pièces  recueillies  par 
M.  Hansen  on  trouve  plusieurs  lettres  se  rapportant  à  l'histoire  de  la  Compagnie  en 
France.  Elles  étaient  écrites  de  Paris  aux  Pères  du  Collège  de  Cologne. 

[Ibern.  Ignat.]  Hocan  (Edmond  S.  J.,  Ibernia  Ignatiana  seu  Ibemorum  Socie- 
lnlis  Jesu  Patrum  monumenta...  Dublin,  1880.  —  Recueil  de  documents  relatifs  à 
la  Compagnie  de  Jésus  en  Irlande. 

[Instr.  des  rois  très  chrél.)  Instructions  et  lettres  des  rois  très  chrétiens  et  de 
leurs  ambassadeurs,  et  autres  actes  concernant  le  concile  de  Trente,  tirés  des 
Mémoires  de  Dupuy.  Paris,  1654. 

[Inst.  Soc.  Jes.]  institution  Societatis  Jesu,  Romae,  l-'lorentiae,  1889.  —  Le  tome 
premier  de  cette  édition  de  l'Institut  contient  les  lettres  apostoliques,  les  rescrits  et 
induits  du  Saint-Siège,  et  le  résumé  des  privilèges  de  la  Compagnie  de  Jésus.  —  Le 
tome  deuxième  :  l'Examen  général,  les  Constitutions  avec  leurs  déclarations,  les 
décrets  et  les  canons  des  congrégations  générales,  les  censures  et  préceptes  et  les 
formules  des  différentes  congrégations.  —  Le  tome  troisième  :  les  règles  communes 
et  générales  et  les  règles  particulières,  les  ordonnances  des  Généraux,  l'instruction 
du  R.  P.  Claude  Aquaviva  pour  conserver  et  accroître  l'esprit  de  la  Socié  té,  les  ins- 
truclions  aux  provinciaux  et  aux  supérieurs,  les  industries  du  R.  P.  Claude  Aquaviva, 
les  Exercices  spirituels  et  le  directoire,  enfin  le  Ratio  studiorum. 

flsambert,  Ane.  lois  françaises.}  Isamisert,  Recueil  général  des  anciennes  lois 
françaises,  depuis  l'an  420  jusqu'à  la  révolution  de  1789.  Paris,  1822-1833.  — 
Vingt-neuf  volumes  in-8%  «  avec  notes  de  concordance,  table  chronologique,  et  table 
générale  analytique  et  alphabétique  des  matières.  » 

[Joum,  d'un  bourgeois.]  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  le  règne  de 
François  P1,  i515-i536.  Edilion  Bourrilly.  Paris,  1910.  —  «  L'auteur  est  sans  doute 
un  ecclésiastique  parisien.  Le  début  du  livre  n'a  pu  être  écrit  ni  avant  1522  ni 
après  1530.  Ce  n'est  pas  un  véritable  journal.  Les  erreurs  de  date,  le  désordre  chro- 
nologique rendent  cette  hypothèse  inadmissible.  »  (Cf.  Henri  Hauser,  Les  sources  de 
l'Histoire  de  France,  XVIe  s.,  t.  II,  p.  25.) 

[La  Popelinière,  Hisl.  de  France. J  La  Popelinière  (Lancelot  Voisin  de},  L'Histoire 
de  France...  depuis  l'an  1550  jusques  à  ces  temps,  s.  1.  1581.  —  Le  P.  Daniel 
reconnaît  que  l'Histoire  de  France  de  la  Popelinière  est  «  remplie  d'un  grand  nom- 
bre d'excellents  Mémoires  »,  et  il  loue  l'impartialité  de  l'auteur  :  «  La  modération 
et  le  détail  avec  lequel  il  écrit,  dit-il,  le  fait  regarder  comme  lhistorien  le  plus  digne 
de  foi  du  parti  huguenot.  »  (V.  Niceron.  t.  XXXXIX.) 

[Loisel,  Dialogue  des  avocats.]  Loisel  (Antoine),  Pasquier  ou  Dialogue  des 
avocats  du  parlement  de  Paris,  reproduit  par  Dupin  dans  l'élude  des  Lettres  sur 
ta  profession  d'avocat,  par  Camus.  Paris,  18 18.  —  Cet  ouvrage,  rempli  de  recherches 
curieuses,  contient  la  liste  des  avocats  du  parlement  de  Paris,  de  1524  à  1599,  avec 
une  notice  biographique  sur  chacun. 

[Maldonat,  Commentant.  —  Opéra  theol.}  Ma.ldo.wt  (Jean)  S.  J.,  Commenta rii 
in  quatuor  Evangelislas.  Mussiionli,  1596-1597.  —  Opéra  theologica.  Paris,  1677. 
—  Les  ouvrages  du  P.  Maldonat  n'ont  pas  été  publiés  de  son  vivant.  Les  Commen- 
taires sur  les  quatre  Évangélisles  le  furent  par  cinq  Pères  de  Pont-à-Mousson, 
chargés  de  revoir  et  corriger  les  manuscrits.  Deux  docteurs  de  Sorbonne,  Dubois  cl 
Faure,  se  firent  les  éditeurs  des  Œuvres  théologiques;  mais,  observe  Richard  Simon, 
ils  n'osèrent  signer  la  dédicace,  à  cause  de  la  haine  de  la  plupart  des  docteurs  pour 
Maldonat. 

[Manare,  De  reb.  Soc.  Jes.  —  De  vita  Mercuriani.]  Manare  (Olivier)  S.  J.,  De 
rébus  Societatis  Jesu  commentarius.  Florentiae,  1886.  De  vita  et  moribus  Everardi 
Mercuriani  commentarius.  Bruxelles,  1882.  —  Le  P.  Olivier  Manare  fut  formé  à  1  » 
vie  religieuse  par  saint  Ignace  à  Rome.  Entré  dans  la  Compagnie  en  1550,  il  y  rem- 
plit les  charges  les  plus  importantes  jusqu'à  sa  mort,  en  1614.  Quand  le  P.  Orlandini 
entreprit  d'écrire  l'histoire  de  l'Ordre,  le  P.  Manare  recueillit  pour  ce  travail  ses 
souvenirs  personnels  de  1542  à  1600,  publiés  seulement  en  1886  sous  le  titre  indiqué 
plus  haut.  On  lui  doit  aussi  un  Commentaire  sur  la  vie  de  son  compatriote  et  con- 
temporain  le  P.  Éverard  Mercurian,  quatrième  Général  de  la  Compagnie  de  Jésus. 

[Mém.  de  Castelnau.]  Mémoires  (Les)  de  Michel  de  Caslelnau,  avec  les  addi- 
tions de  Jean  Le  Laboureur.  Bruxelles,  1731.  —  Une  première  édition  de  ces  Mémoi- 
res, parue  en  1621,  avait  été  accueillie  avec  une  grande  faveur  du  public.  On  ne 
leur  reprochait  que  d'être  un  peu  trop  abrégés.  Jean  Le  Laboureur  les  enrichit  de 


INTRODUCTION  BIBLIOGRAPHIQUE.  tvii 

plusieurs  commentaires  manuscrits,  et  de  lettres,  négociations  et  autres  pièces  secrètes 
et  originales. 

[Mém.  de  Condé.]  Mémoires  de  Coudé,  ou  recueil  pour  servir  à  l'histoire  de 
France...  Londres,  1743.  —  Ce  recueil  était  destiné  à  servir  «  d'éclaircissement  et 
de  preuves  à  l'Histoire  de  M.  de  Tliou  ».  Le  premier  éditeur,  un  huguenot,  l'avait 
composé  en  grande  partie  de  pièces  favorables  aux  réformés.  Les  nouveaux  éditeurs 
les  conservèrent,  sans  y  ajouter,  comme  ils  en  avaient  d'abord  eu  l'intention,  les 
réponses  faites  par  les  catholiques.  Ils  l'enrichirent  seulement  d'un  grand  nombre  de 
pièces  curieuses. 

\ Mentor.  B.  P.  Fabri.]  Memoriale  Beati  Pétri  Fabri.  Lutetite  Parisiorum,  1873. 
—  Le  Mémorial  du  Bienheureux  Pierre  Le  Fèvre  est  surtout  l'histoire  intime  de 
son  âme.  On  peut  aussi  y  recueillir  de  précieux  renseignements  sur  les  premiers 
temps  de  la  Compagnie. 

[Le  Mercure  jésuite.}  Mercure  jésuite  (Le)  ou  recueil  des  pièces  concernant  le 
progrès  des  Jésuites,  leurs  écrits  et  différends...  2°  édition.  Genève,  1G31.  —  Ce 
recueil,  composé  dans  le  môme  esprit  que  les  Annales  de  la  Société  des  soi-disans 
Jésuites,  ne  renferme  pas  seulement  des  «  pièces  publiques  »  et  des  «  actes  authen- 
tiques »,  mais  aussi  plusieurs  écrits  particuliers  contre  la  Compagnie. 

[Mou.  hist.  Soc.  Tes.]  Monumenta  historica  Societatis  Jesu.  Matriti,  189i 
et  suiv. 

[Polanco,  De  vit  a  P.  Ignalii.}  De  vita  P.  Ignalii  et  Societatis  Jesu  initiis. 

[Chron.  Soc.  Jes.]  Chronicon  Societatis  Jesu,  aucfore  Pâtre  Polanco.  —  Le 
P.  Jean  Alphonse  de  Polanco  a  écrit  une  chronique  très  étendue  des  premières 
années  de  la  Compagnie,  précédée  d'une  courte  biographie  de  son  fonlateur.  Secré- 
taire de  saint  Ignace  de  1547  à  1556,  il  eut  entre  les  mains  toutes  les  lettres  envoyées 
à  Rome  et  les  réponses  du  saint  patriarche,  et  s'en  servit  pour  rédiger  sa  chronique 
destinée  à  fournir  des  matériaux  aux  futurs  historiens.  Elle  a  été  publiée  pour  la 
première  fois  en  six  volumes  dans  les  Monumenta  historica.  On  peut  y  relever 
quelques  erreurs  chronologiques  pour  les  temps  que  l'auteur  n'avait  pas  connus, 
mais  on  ne  trouvera  nulle  part  plus  d'exactitude  et  de  fidélité  dans  l'exposition 
des  faits. 

[Mon.  Ignat.  ser.  V;  ser.  4\]  Monumenta  Ignatiana.  Séries  prima,  Epistolae  et 
instructiones.  Séries  quarta,  Scripta  de  S.  Ignalio  de  Loyola.  —  Lss  éditeurs  des 
Monumenta  historica  Societatis  Jesu  ont  entrepris  la  publication  de  tous  les  écrits 
de  saint  Ignace,  sauf  l'a  Examen  général  et  les  Constitutions  »,  dont  l'édition  de  1892 
ne  laisse  rien  à  désirer.  La  première  série  des  Monume  Ua  Ignatiana,  en  voie  de 
publication,  doit  comprendre,  outre  les  instructions  envoyées  aux  nouveaux  collèges, 
toutes  les  lettres  déjà  parues  dans  les  Cartas  de  san  Ignacio,  un  grand  nombre  de 
lettres  du  saint  fondateur  encore  inidites,  et  de  plus  celles  qu'il  lit  écrire  par  le 
P.  Polanco  et  d'autres  secrétaires.  De  la  quatrième  série  un  volume  a  paru  qui 
comprend  des  écrits  concernant  saint  Ignace.  On  y  trouve  les  Acta  et  le  Memoriale 
du  P.  Louis  Gonzalvès  de  Camara,  la  lettre  du  P.  Lainez  et  le  commentaire  du 
P.  Ribadeneira  sur  certaines  parties  de  la  vie  de  saint  Ignace,  et  plusieurs  autres  docu- 
menls  qu'il  est  inutile  d'énumérer. 

[Mon.  Xwer.]  Monumenta  Xaveriana  ex  autographis  vel  ex  antiquioribus 
exemplis  collecta.  —  On  a  souvent  publié  les  lettres  de  saint  François  Xavier,  mais 
jamais  dans  le  texte  original.  Les  premiers  éditeurs  donnèrent  une  traduction  latine 
des  originaux  espagnols  et  portugais,  en  prenant  la  liberté  de  changer  le  style,  de 
paraphraser  le  texte  et  de  supprimer  quelques  passages.  C'est  sur  celte  traduction 
latine  qu'ont  été  faites  toutes  les  autres,  même  espagnoles,  et  avec  une  regrettable 
négligence.  On  peut  donc  regarder  comme  inédiles  les  lettres  de  saint  François  Xavier 
publiées  dans  leur  vrai  texte  par  les  éditeurs  des  Monumenta  historica. 

[Episl.  PP.  Broeli  etc.]  Epistolae  PP.  Paschasii  Broeti,  Claudii  Jagi,  Joannis 
Codurii  et  Simonis  Roder/cii.  —  Les  Lettres  du  P.  Broet,  de  1552  à  1502,  intéres- 
sent parliculièrement  l'histoire  de  la  Compagnie  de  Jésus  en  France. 

[Epist.  P.  Nadal.]  Epistolae  P.  Hieromjmi  Nadal,  Societatis  Jesu,  ab  anno 
lô'iG  ad  1577.  —  Les  lettres  du  P.  Nadal,  publiées  eu  quatre  volumes,  embrassent 
les  généralats  de  sainl  Ignace,  du  P.  Lainez,  de  saint  François  de  Borgia  et  du 
P.  Mercurian.  C'est  un  trésor  inépuisable  de  fidèles  notices  historiques  sur  ces  pre- 
miers temps  de  la  Compagnie.  Le  tome  II  contient  les  Ephémérides  de  Nadal;  le 
tome  IV  ses  Instructiones. 


xvin  INTRODUCTION  BIBLIOGRAPHIQUE. 

Epist.  mixt.\  Epistdiae  mixtae  ex  variis  Europae  locis  ab  anno  1539  ad  1556 
scriptae.  —  Ces  lettres  publiées  en  cinq  volumes,  ont  été  écrites  des  différentes 
contrées  de  l'Europe  au  saint  fondateur  par  les  Provinciaux,  les  Recteurs  et  quel- 
ques autres  Pères,  pour  l'informer  de  ce  qui  se  passait,  solliciter  ses  conseils,  ou  lui 
communiquer  les  renseignements  demandés  sur  les  personnes  et  des  affaires  parti- 
culières. Elles  renferment  l'histoire  intime  de  la  Compagnie  du  temps  de  saint  Ignace. 
[Litter.  quadr.]  Litterae  quadrimestres  ex  universis,  praetpr  Indiam  et  Bra- 
siliam,  locis  in  quibus  aliqui  de  Societate  Jesu  versabantur,  Romam  missae.  — 
Ces  lettres,  publiées  en  quatre  volumes,  vont  de  1546  à  1556.  C'est  la  relation  des 
ministères  et  des  travaux  des  différentes  maisons  de  la  Compagnie.  Destinées  à  passer 
de  main  en  main,  on  y  chercherait  en  vain  des  détails  sur  les  affaires  délicates  qui 
demandaient  le  secret. 

[Mon.  paedag.]  Monumenta  paedagogica  Societatis  Jesu  quae  primam  ralio- 
iictn  studiorum,  anno  1586  éditant,  praecessere.  —  Ce  volume  peut  être  divisé  en 
deux  parties  :  La  première  renfermant  les  documents  communs  à  tous  les  collèges 
de  la  Compagnie;  la  deuxième,  les  documents  particuliers  à  l'Italie,  au  Portugal,  à 
la  France,  à  l'Allemagne,  à  l'Autriche,  à  la  Belgique.  On  a  ainsi  un  ensemble  de  la 
pratique  de  l'enseignement,  dans  la  Compagnie  avant  l'établissement  du  Ratio  stu- 
diorum. Le  premier  document  concernant  la  France  ne  remonte  pas  au  delà  de  1568, 
époque  de  la  seconde  visite  du  P.  Nadal. 

[Pachtler,  Mon.  paedag.}  Pachtler  (G.  M.  J.)  S.  J.,  Monumenta  Germaniae 
paedagogica.  Ratio  studiorum  et  institutiones  scholasticae  Societatis  Jesu  per 
Germanium  olim  vigentes,  collectae,  concinnatae,  dilucidatae...  Berlin,  1889-1894. 
—  L'ouvrage  du  P.  Pachtler,  en  quatre  volumes,  fait  partie  d'une  vaste  collection 
qui  comprend  les  principaux  monuments  pédagogiques  de  l'Allemagne.  On  y  trouve, 
outre  les  documents  spéciaux  aux  Provinces  allemandes,  tous  les  documents  géné- 
raux concernant  les  études  dans  la  Compagnie,  depuis  la  bulle  de  Paul  III  en  1540 
jusqu'à  celle  de  Léon  XIII  en  1886. 

[Paris,  négociations.]  Paris  (Louis),  Négociations,  lettres  et  pièces  diverses,  rela- 
tives cm  règne  de  François  II.  Paris,  1841.  —  Les  pièces  contenues  dans  cet  ouvrage 
sont  tirées  du  porte-feuille  de  Sébastien  de  L'Aubespine,  prélat  diplomate,  qui  avait 
rempli  diverses  missions  en  Suisse,  à  la  diète  de  Worms  et  à  Strasbourg.  Un  grand 
nombre  de  ces  documents  intéressent  au  plus  haut  point  les  relations  de  la  France 
avec  l'Ecosse  pendant  les  années  1559  et  1560. 

[Pasquier,  Œuvres.]  Pasquier  (Etienne),  Œuvres.  Amsterdam  (Trévoux),  1723.  — 
Les  oeuvres  de  l'avocat  Pasquier  sont  comme  un  continuel  réquisitoire  contre  la 
Compagnie.  11  s'est  montré  implacable  adversaire  des  Jésuites,  non  seulement  dans 
son  fameux  plaidoyer  et  dans  son  Catéchisme,  mais  encore  dans  les  Recherches  de 
la  France  et  dans  ses  Lettres. 

[Perpiniani  epist.}  Pétri  Joannis  Perpiniani,  Societatis  Jesu,  aliquot  epislolae. 
Romae,  1749. 

[Perpiniani  orat.}  Pétri  Joannis  Perpiniani  Societatis  Jesu  presbyteri,  ora- 
tiones  duodeviginti.  Veronae,  1732.  —  Le  P.  Jean  Perpinien,  né  en  Espagne  en 
1530,  entra  dans  la  Compagnie  en  1551,  et  mourut  à  Paris  en  1566.  Plusieurs  de 
ses  discours  et  de  ses  lettres  ont  une  portée  historique. 

[Pièces  fugitives.}  Pièces  fugitives  pour  servir  à  l'histoire  de  France.  Paris, 
1759.  —  Ces  pièces,  presque  toutes  contemporaines  des  événements  qu'elles  racon- 
tent, se  rapportent  principalement  aux  troubles  civils  de  la  seconde  moitié  du 
xvie  siècle.  Elles  sont  accompagnées  de  notes  historiques  et  géographiques  par  Léon 
Menard  et  Charles  de  Barchi,  marquis  d'Aubais. 

[Recueil  de  pièces.]  Recueil  de  pièces  concernant  l'Université  et  la  Société  dr 
Jésus,  s.  1.  1624.  —  Ce  recueil  composé  de  pièces  contre  la  Compagnie  parut  au  mo- 
raont  du  procès  intenté  au  collège  de  Tournon  par  les  Universités  de  France  «  jointes 
en  cause  ».  Chaque  pièce  a  sa  pagination  particulière. 

[Ribadeneira,  ]  ida  del  B.  P.  Ignacio.]  Ribadeneira  (Pedro)  S.  J.,  Vida  del 
Bienacenturado  Padrc  Iynacio  de  Loyola,  fundador  de  la  Compania  de  Jésus. 
Barcelona,  1885.  —  La  vie  du  R.  P.  Ignace  de  Loyola,  traduite  par  tin  P.  de  la 
Compagnie  de  Jésus,  du  latin  du  /'.  Ribadeneyra.  Arras,  1607. 

[Ribadeneyra,  La  vie  du  P.  Lainez.}  La  vie  du  R.  P.  Jacques  Lainez,  second 
général  de  la  Compagnie  de  Jésus  avec  un  sommaire  de  la  Vie  du  R.  P.  Sainte- 
ron.  Lvon,  1599. 


INTRODUCTION  BIBLIOGRAPHIQUE.  xiv 

[Ribadeneyra,  Vila  del  P.  Borgia.\  Vita  del  P.  Francesco  iïorgia.  Roma,  1616. 
—  La  première  vie  de  saint  Ignace  est  due  à  la  plume  du  P.  Pierre  de  Rfbadeneira. 
Entré  dans  la  Compagnie  à  Rome,  en  15i0,  il  vécut  à  différentes  époques  avec  le 
saint  fondateur  et  recueillit  de  la  bouche  des  PP.  Lainez,  Polanco,  Nadal  et  Gonzal- 
vès,  les  particularités  dont  il  n'avait  pas  été  témoin.  Interrogé,  lors  du  procès  de 
canonisation,  si  les  choses  contenues  dans  son  livre  étaient  vraies,  l'auteur  répondit 
qu'il  tenait  pour  certain  tout  ce  qu'il  avait  écrit,  parce  qu'il  avait  usé  d'une  grande 
diligence  pour  ne  dire  que  ce  qu'il  avait  vu  et  entendu  du  P.  Ignace  lui-même,  ou 
d'autres  graves  personnages  qui  l'avaient  connu.  (Cf.  Mon.  lgnal.,  sér.  4",  1. 1,  p.  528.) 
Le  défaut  de  son  ouvrage  est  d'être  trop  succinct.  Ses  biographies  du  P.  Lainez  et 
du  P.  de  Borgia,  et  surtout  celle  du  P.  Salmeron,  encore  moins  complètes,  sont 
pourtant  précieuses  à  consulter. 

[Rodriguez,  De  origine  Soc.  Jes.)  Rooiuguez  (Simon)  S.  J.,  De  origine  et  pro- 
gressa Societalis  Jesu  commentarius.  Roma,  1869.  —  Le  P.  Simon  Rodriguez,  un 
des  premiers  compagnons  de  saint  Ignace,  écrivit,  à  la  prière  du  P.  Mercurian, 
quatrième  Général  de  la  Compagnie,  une  brève  relation  des  faits  dont  il  avait  été 
témoin  de  1534  à  1540.  Mais  comme  il  écrivait  une  quarantaine  d'années  après  leur 
accomplissement,  sa  relation  ne  précise  pas  toujours  exactement  le  temps  et  les 
lieux.  On  doit  cependant  la  consulter  pour  bien  connaître  les  origines  de  la  Compagnie. 

[Flor.  de  Rœmond,  Hist.  de  l'hérésie.]  Roemond  (Florimond  de),  L'histoire  de 
la  naissance,  progrez  et  décadence  de  l'hérésie  de  ce  siècle....  Paris,  1605.  — 
L'auteur,  conseiller  au  parlement  de  Bordeaux,  montra  d'abord  beaucoup  de  pen- 
chant pour  le  calvinisme,  mais  il  y  renonça  entièrement  et  s'attacha  dans  le  présent 
ouvrage  à  combattre  les  erreurs  des  protestants. 

[Rubys,  Hist.  de  Lyon.}  Rubys  (Claude  de).  Histoire  véritable  de  Lyon.  Lyon 
1604.  — L'auteur,  né  à  Lyon  en  1533,  y  mourut  en  1613.  Élu,  le  31  juillet  1565, 
procureur  général  de  la  communauté  de  la  ville,  il  exerça  cette  charge  pendant  près 
de  trente  ans.  Ardent  partisan  de  la  Ligue,  il  se  retira  quelque  temps  à  Avignon, 
quand  Lyon  eut  reconnu  Henri  IV.  C'est  durant  son  exil  qu'il  écrivit  1'  «  Histoire  de 
Lyon»,  source  de  précieux  renseignements,  où  les  historiens  modernes  ont  puisé  lar- 
gement. 

[Tommaseo,  Relat.  des  Ambassadeurs.]  Tomm\seo  (M.  N.),  Relations  des  ambas- 
sadeurs vénitiens  sur  les  affaires  de  France  au  XVP  siècle.  Paris,  1838.  —  Les 
relations,  recueillies  et  traduites  par  Tommaseo,  embrassent  une  grande  partie  du 
xvie  siècle,  de  1528  à  1577.  Elles  forment,  pour  toute  cette  période  de  l'histoire  de 
France,  un  ensemble  de  documents  exceptionnels. 

[Quarante  tableaux.]  Tortorel  et  Perrissin,  Quarante  tableaux  ou  histoires 
diverses  qui  sont  mémorables,  touchant  les  guerres,  massacres  \et  troubles  adve- 
nus en  France  en  ces  dernières  années,  s.  1.  (1570).  Ces  quarante  tableaux  repré- 
sentent les  événements  d'une  dizaine  d'années,  du  10  juin  1559  au  28  mars  1570. 
Ces  histoires  diverses,  nous  avertissent  les  éditeurs,  ont  été  recueillies  «  selon  le 
témoignage  de  ceux  qui  y  ont  esté  en  personne  et  qui  les  ont  veus  [les  événements], 
lesquels  sont  pourtrais  à  la  vérité  ». 

2°   OUVRAGES    NON    CONTEMPORAINS. 

Aguilera  (Emmanuel)  S.  J.,  Provinciae  Siculae  Societalis  Jesu  ortus  et  res 
gestae  ab  anno  15'tG  ad  annum  1611.  Panormi,  1736-1740. 

Alcazar  (Bartholome)  S.  J.,  Chrono-historia  de  la  Compania  de  Jésus  en  la  pro- 
Vincia  de  To'edo.  Madrid,  1710. 
Ai.ervmbe  (Philippe)  S.  J.,  Bibliotheca  scriptorum  Societatis  Jesu.  Antverpi,  1643. 

—        Heroes  et  victimae  charilatis  Societatis  Jesu...  Romae,  1658. 
Aldéguier  (d'),  Histoire  de  la  ville  de  Toulouse,  depuis   la  conquête  des   Ro- 
mains jusqu'à  nos  jours.  Toulouse,  1824. 
\nalecta  Bollandiana,  t.  XXIII  et  XX VII.  Bruxelles. 

Anqi'ez  (Léonce),  Histoire  des   assemblées  politiques  des   Réformés  de  France, 
t573-i622.  Paris,  1859. 
Antonio  (Nicolas),  Bibliotheca  hispana  nova.  Madrid,  1789. 
Apostolicarum  PU  V.  Pont.  Max.  epislolarum  libri  quinque.  Anvers,  1640. 
Astraix  (Antonio)  S.  J  ,  Historia  de  la  Compania  de  Jésus  en  la  Asistencia  de 


xx  INTRODUCTION  BIBLIOGRAPHIQUE. 

Espana,  t.  1,  San  Ignacio  de  Loyola;  —  t.  II.  Lainez,  Borja.  Madrid,  1902,  1905. 

Aumale  (Le  duc  d),  Histoire  des  princes  de  Coude  pendant  les  XVI"  et  XVIIe  siè- 
cles. Paris,  1886-1889. 

Bartou  (Daniel),  Saint  Ignace  de  Loyola,  fondateur  de  la  Compagnie  de  Jé- 
sus. (Traduction  du  P.  Jacques  Terrien).  Paris,  1893. 

Baschet  (Aimand),  La  diplomatie  vénitienne.  Les  princes  de  l'Europe  au 
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Bebbiat  Saint-Pris,  Histoire  de  Cujas  (à  la  suite  de  son  Histoire  du  droit  ro- 
main). Paris,  1821. 

Boero  (Josepb)  S.  J.,   Vie  du  P.  Jacques  Laynez,  second  général  de  la  Compa- 

—  gnie  de  Jésus,  suivie  de  la  biographie  du  P.  Alphonse  Salmeron.  (Tra- 
duction du  P.  Victor  de  Coppier.)  Lille,  1894. 

—  Vie  du  serviteur  de  Dieu,  le  P.  Pascase  Broet...  un  des  premiers  com- 
pagnons de  saint  Ignace  (Traduction  du  P.  Clément  de  Laage).  Lille, 1878. 

—  Vita  del  servo  di  Lio.  P.  Xicola  Bobadiglia.  Firerze,  1879. 

—  Vita  del  servo  di  Dio  P.  Simone  Rodriguez.  Fircnze,  1880. 

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Buck  (Victor  de)  S.  J.,  Le  Gesu  de  Rome,  notice  descriptive  et  historique. 
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Bzovn  (Abrahami),  Conlinuatio  annalium  Baronii,  ab  anno  1198  usque  ad  an- 
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Cbevieb,  Histoire  de  V  Université  de  Paris,  depuis  son  origine  jusqu'à  l'an 
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—       Saint  François  de  Xavier,  sa  vie  et  ses  lettres.  Toulouse,  Paris,  1900. 

Damiam  (Jacob)  S.  J.  [Jacques  d'Amiens],  Synopsis  primi  saeculi.  Tornaci  Ner- 
viorum,  1641, 


INTRODUCTION  BIBLIOGRAPHIQUE,  xxi 

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Charles  IX,  Henri  111  et  Henri  IV,  traduite  de  l'italien...  avec  des  notes  critiques 
et  historiques,  par  M.  l'abbé  ***  [Mallels].  Amsterdam,  1 75 i. 

Décrue  (François),  Anne  de  Montmorency,  grand  maître  et  connétable  de 
France.  Paris,  1855. 

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cis historiques,  1800). 

—  Histoire  des  Congrégations  de  la  Sainte  Vierge.  Lille,  1884. 

—  L'établissement  de  la  Compagnie  de  Jésus  dans  les  Pays-lias  et  la 
mission  du  P.  Ribadeneyra  à  Bruxelles  en  1556,  d'après  des  docu- 
ments inédits.  Bruxelles,  1887.  (Extrait  des  Précis  historiques,  1886-1887. 

—  Le  Protestantisme  et  la  Compagnie  de  Jésus  à  Tournai  au  XVP  siè- 
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Denais  (J.  R.),  Le  pape  des  Halles,  René  Benoist...  curé  de  Saint- Euslache  de 
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Desbilloivs  (Fr.  Jos.)  S.  J.,  Nouveaux  éclaircissements  sur  la  vie  et  les  ouvrages 
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LIVRE  PREMIER 

LES  ORIGINES 

(1528-1552) 


CHAPITRE  PREMIER 

IGNACE    DE    LOYOLA.    SES    ÉTUDES    A    PARIS. 

(1528-1535). 


Sommaire  :  1.  Dispositions  et  projets  d'Ignace  après  Manrèse.  —  2.  Coup 
d'œil  sur  ses  études  à  Barcelone  et  à  Alcala.  —  3.  Séjour  et  persécutions  à  Sa- 
lamanque.  —  4.  Ignace  à  l'Université  de  Paris.  Cours  de  grammaire  au  collège 
de  Montaigu.  —5.  Voyages  en  Flandre  et  en  Angleterre.  —  6.  Cours  de  philo- 
sophie à  Sainte-Barbe.  —  7.  Succès  aux  examens.  Commencement  de  la  théo- 
logie chez  les  Dominicains  de  la  rue  Saint-Jacques.  —  8.  Œuvres  de  zèle. 
Ignace  est  dénoncé  à  l'inquisiteur.  —  9.  Il  est  condamné  à  la  salle.  —  10.  Son 
courage  et  son  industrie  pour  le  salut  des  âmes. 

Sources  manuscrites  :  I.  Documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Summarium  Pro- 
cessuum  S.  Ignatii.  —  b)  Proceso  apostolico  de  Barcelone  y  Manresa.  —  c)  Relation  de 
Juan  Pascual. 

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Julii.  —  Memoriale  D.  Pétri  Fabri.  —  Monumenta  historica  S.  .T.  Polanco,  De  vita  P.  Igna- 
tii Loyolae.  —  Monumenta  Ignatiana ,  ser.  1,  t.  I;  ser.  4,  t.  I.  Acta  P.  Ignatii.  Epistola 
P.  Lainii  de  S.  Ignatio.  De  aclis  S.  Ignatii  a  Ribadeneira.  Censura  P.  Araozii  in  vitam 
S.  Ignatii.  —  Rihadeneira,  Vida  del  B.  P.  Ignacio.  —  Aslrain,  Hisloria  de  la  Compa- 
nia  de  Jésus  en  la  Asis.  de  Espaha,  t.  I.  —  De.nille,  Chartularium  Univ.  Parisiensis.  — 
Du  Boulay,  Historia  Univ.  Paris. 

1.  Dieu,  qui  agit  avec  force  mais  aussi  avec  douceur,  n'inspira 
point  d'un  seul  coup  à  Ignace  de  Loyola1  l'idée  et  la  forme  de  la 
Compagnie  de  Jésus.  Il  laissa  faire  les  causes  secondes.  Pas  à  pas 
le  blessé  de  Pampelune  fut  conduit  à  l'organisation  définitive  de 
la  milice  que  réclamait  la  situation  de  l'Église  dans  la  première 
moitié  du  seizième  siècle.  Pendant  cette  marche  progressive  vers 

1.  On  ne  connaît  pas  exactement  l'année  de  la  naissance  de  saint  Ignace.  D'après 
les  conjectures  les  plus  probables  ce  fut  non  en  1495,  comme  l'ont  prétendu  plusieurs 

COMPAGNIE    DE   JÉSUS.    —    T.    I.  1 


2  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

le  but  à  atteindre,  une  des  étapes  les  plus  importantes  fut,  sans 
aucun  doute,  le  séjour  d'Ignace  à  Paris. 

Qu'on  se  rappelle  l'état  d'esprit  du  contemplatif  de  Manrèse 
quand,  en  1528,  il  toucha  le  sol  de  la  France,  qu'on  se  rappelle  en 
même  temps  le  prestige  de  cette  capitale  où  la  splendeur  d'une 
époque  finissante  luttait  encore  d'éclat  avec  l'aurore  des  temps 
nouveaux,  et  l'on  comprendra  ce  qu'une  Ame  grande  et  généreuse, 
remplie  de  vastes  projets,  dut  puiser  d'énergie  et  de  fécondité  au 
contact  d'un  pays  célèbre  par  son  génie  pratique,  son  activité  et 
sa  force  d'expansion.  Avec  la  science  et  les  idées,  Ignace  devait 
encore  trouver  là  les  hommes  destinés  à  le  seconder  au  début  de 
sa  mission  providentielle. 

Mais,  avant  de  raconter  cette  heureuse  rencontre,  il  nous  faut 
remonter  un  peu  plus  haut. 

Bien  que  les  premières  années  du  saint  après  sa  conversion 
n'appartiennent  pas  à  l'histoire  de  l'Assistance  de  France1,  elles 
sont  cependant  si  étroitement  liées  aux  suivantes  qu'on  ne  peut, 
sans  jeter  sur  elles  un  coup  d'œil  rapide,  ni  saisir  le  développe- 
ment du  plan  divin,  ni  expliquer  la  conduite  du  nouvel  étudiant 
qui  va  bientôt  illustrer  à  sa  manière  la  grande  Université  de 
Paris. 

Ce  fut  à  Manrèse  que  Dieu  façonna  l'àme  d'Ignace  et  en  fit  l'ins- 
trument docile  de  ses  desseins.  Le  futur  fondateur  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus  y  arriva  le  jour  de  l'Annonciation  de  l'an  1522'. 
couvert  des  vêtements  grossiers  d'un  pauvre  pèlerin  auquel  il 
avait  donné  ses  habits  de  chevalier.  Il  y  resta  jusqu'au  début  de 
l'année  1523 3.  Logé  à  l'hôpital  Sainte -Lucie  ou  chez  quelque 
pieux  bienfaiteur4,  il  allait  chaque  jour  entendre  la  messe  dans 

auteurs,  mais  en  1491.  Telle  est  l'opinion  du  P.  Astrain  qui  discute  longuement  cette 
question  (Historia  de  la  Compania,  t.  I,  p.  3,  n.  2).  On  peut  voir  sur  le  même  sujet  : 
Kreiten  S.  J..  Stimmen  ans  Maria-Laach,  t.  XLIII,  p.  92;  —  Tacchi-Venturi,  Civil/à 
cattolica,  ser.  XVII,  vol.  XI,  Quad.  1202  del  21  luglio  1900. 

Loyola  est  le  nom  du  château  héréditaire  où  naquit  saint  Ignace  et  que  l'on  ap- 
pelle aujourd'hui  la  Santa  casa.  Le  P.  Rafaël  Pérez  S.  J.  lui  a  consacré  une  curieuse 
notice  intitulée  :  La  santa  casa  de  Loyola  (Bilbao,  1891). 

1.  L'auteur  de  l'Histoire  de  la  Compagnie  dans  lAssistance  d'Espagne  a  parfaite- 
ment résumé  toute  la  vie  de  saint  Ignace  en  s'appuyant  uniquement  sur  les  témoi- 
gnages contemporains.  Les  quatre  premiers  chapitres  de  son  premier  volume  retra- 
cent la  jeunesse  du  saint,  sa  conversion  et  ses  années  d'études  en  Espagne  et  à  Paris 
(Aslrain.  S.  J.,  Historia  de  la  Compania,  t.  I,  p.  1-63). 

2.  Relation  de  Juan  Pascual.  —  3.  Jusqu'à  la  lin  de  février  1523.  comme  nous  le 
dirons  plus  loin  (Acta  P.  Ign.,  n.  29). 

4.  Relation  de  Juan  Pascual.  Celui-ci  dit  que  sa  mère,  qui  avait  rencontré  Ignace 
sur  la  route  de  Montserrat  à  Manrèse,  le  conduisit  d'abord  à  l'hôpital  où  il  fut  reçu, 
puis,  cinq  jours  après,  lui  chercha  un  appartement  chez  une  famille  pieuse  où  il  pour- 
rait vivre  tranquille. 


IGNACE  DE  LOYOLA.  3 

les  églises,  les  fréquentait  pour  prier,  et  se  retirait  de  préférence 
au  sanctuaire  de  Villadordis,  à  une  lieue  de  Manrèse,  ou  dans  une 
grotte  solitaire,  théâtre  encore  vénéré  de  ses  rudes  pénitences1. 
Sa  mortification  était  portée  à  l'extrême.  Lui  qui  sortait  à  peine 
d'une  grave  maladie  et  d'une  douloureuse  opération  à  la  jambe, 
passait  chaque  jour  jusqu'à  sept  heures  à  genoux,  se  flagellait 
par  trois  fois,  vivait  des  aumônes  qu'il  avait  recueillies  et  dont  il 
donnait  la  meilleure  part  à  d'autres  pauvres,  ne  mangeait  jamais 
de  viande  et  ne  prenait  de  vin  qu'un  peu  le  dimanche  et  les  jours 
de  fête2. 

Ses  quatre  premiers  mois  s'écoulèrent  tranquillement  dans  le 
repentir  de  ses  péchés,  les  austérités  continuelles  et  la  pratique 
assidue  de  la  prière  vocale,  car  il  n'avait  pas  encore,  remarque 
Polanco,  essayé  la  méditation  !.  Puis  vinrent  les  scrupules  et  les 
épreuves  intérieures  —  jusqu'à  la  tentation  du  suicide  —  par  les- 
quelles Dieu  affermit  sa  vertu  et  lui  communiqua  le  don  du  discer- 
nement des  esprits.  Après  une  lutte  de  plusieurs  mois'1,  où  il  per- 
sévéra dans  ses  pratiques  de  dévotion  et  dans  la  résolution  de 
servir  le  Seigneur  de  toute  son  âme,  il  reçut  en  récompense  des 
grâces  singulières,  une  oraison  mentale  très  élevée,  une  contem- 
plation si  douce  qu'il  passait  des  nuits  sans  sommeil;  il  eut  même 
des  visions  et  des  ravissements5.  A  l'hôpital  Sainte-Lucie,  pen- 
dant huit  jours,  il  fut  tellement  privé  de  sentiment  que,  sans  les 
battements  de  son  cœur,  on  l'aurait  pris  pour  un  mort6. 

Instruit  par  ces  états  d'àme,  éclairé  par  ces  lumières  célestes, 
il  écrivit  à  Manrèse  ses  Exercices  spirituels.  Nous  parlerons  dans 
un  autre  chapitre  de  la  composition  de  ce  livre.  Disons  pour  le 

1.  Déposition  de  Bernard  Matilla,  témoin  oculaire,  au  premier  procès  de  Manrèse 
(Procès,  de  Barc.  y  Manresa,  f.  22G).  —  Déposition  du  39°  témoin  au  procès  aposto- 
lique de  Barcelone,  confirmant  le  précédent  {Acta  Beatificationis,  f.  168).  Voir  com- 
ment le  P.  Astrain,  à  l'aide  de  ces  témoignages  et  d'autres  semblables,  détruit  la  lé- 
gende de  la  demeure  continuelle  d'Ignace  dans  la  grotte  de  Manrèse  (on  cil  p  32 
33,  34).  "  ' 

2.  Acta  P.  Ign.,  n.  19,  26.  Cf.  Polanco,  De  vita  P.  Ign..  p.  19.  Ribadeneira,  De 
actis  P.  Ign.,  p.  340.  Vida  del B.  P.  Ign.,  1.  I,  c.  v. 

3.  Polanco,  De  Vita  P.  Ign.,  p.  19. 

4.  Le  P.  Gonzalvès  dit  beaucoup  de  mois,  mais  cela  ne  peut  être,  comme  le  mon- 
tre le  P.  Astrain  qui  place  ce  temps  d'épreuve  avec  une  grande  vraisemblance  aux 
mois  d'août,  septembre  et  octobre  1522  (Histor.  de  la  Compania,  t.  I,  p.  38,  43). 

5.  Acta  P.  Ign..  n.  20,  28-31.  —  Polanco,  p.  23.  —  Ribadeneira,  Vida  del  P.  Ign.. 
1.  I.  c.  vu. 

6.  Le  saint  ne  parla  jamais  de  ce  ravissement.  Il  fut  raconté  au  P.  Ribadeneira  une 
première  fois  à  Rome,  en  1544,  par  Isabel  Roser  bienfaitrice  de  saint  Ignace,  qui  le 
tenait  d'un  témoin  oculaire;  une  seconde  fois  à  Barcelone,  en  1574,  par  Juan  Pascual 
témoin  lui-même  de  ce  fait  quand  il  avait  seize  ou  dix-sept  ans.  Cf.  Canonizaciones  : 
Can.  P.  Ignatii,  déposition  de  Ribadeneira  au  procès  diocésain  de  Madrid  en  1595, 
citée  par  le  P.  Astrain.  op.  cit..  p.  39,  40,  note. 


4  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

moment  que  l'auteur,  sans  le  vouloir  peut-être,  y  retrace  comme 
les  étapes  de  sa  conversion  et  de  sa  rapide  formation  ascétique, 
non  sous  la  forme  d'un  récit,  mais  sous  la  forme  brève  à' Exerci- 
ces pratiques,  enchaînés  méthodiquement,  «  pour  apprendre  à  se 
vaincre  et  à  ordonner  sa  vie  sans  se  laisser  dominer  par  aucune 
inclination  déréglée1  ».  Comprendre,  à  sa  seule  qualité  de  créa- 
ture, le  désordre  de  toute  action  qui  n'est  pas  faite  sous  la  dé- 
pendance et  pour  l'amour  du  créateur,  pleurer  ce  désordre,  le 
haïr,  le  corriger,  dans  ce  but  s'attacher  à  connaître  et  à  imiter  le 
Fils  de  Dieu  venu  ici-bas  afin  de  combattre  le  péché,  Ignace  n'a 
pas  fait  autre  chose  pendant  dix  mois.  Les  phases  par  lesquelles 
il  a  passé  durant  ce  travail  de  conversion  et  de  sanctification, 
l'ordre  logique  des  vérités  qui  ont  entraîné  sa  raison,  la  majesté 
et  les  attraits  du  roi  éternel  Jésus-Christ  qui  l'appelait  à  le  suivre, 
la  malice  et  les  ruses  du  démon  qui  s'efforçait  de  l'en  détourner, 
les  industries  dont  il  s'est  servi  pour  examiner  sa  conscience,  pour 
prier  mentalement,  pour  découvrir  la  volonté  de  Dieu  et  avoir  la 
force  de  l'accomplir,  voilà  ce  que  le  pénitent  de  Manrèse  a  condensé 
en  quelques  pages  dans  le  petit  livre  des  Exercices2.  Et  aussitôt, 
utilisant  au  profit  des  autres  les  principes  et  les  règles  de  ce  livre, 
il  se  mit  à  travailler  au  bien  spirituel  des  âmes.  L'exemple  de  sa 
sainteté  avait  attiré  auprès  de  lui  plusieurs  personnes  auxquelles 
il  se  plut  à  communiquer,  dans  une  certaine  mesure,  les  lumières 
dont  le  Divin  Maitre  l'avait  favorisé3;  parmi  elles,  très  assidues  à 
suivre  ses  méthodes,  on  cite  quelques  femmes  de  qualité  que  le 
peuple  surnomma  les  Inigas'1. 

Se  sanctifier  soi-même  et  en  même  temps  sanctifier  le  prochain 
en  vue  de  la  plus  grande  gloire  de  Dieu,  telle  sera  désormais 
l'ambition  d'Ignace  de  Loyola5;  telle  sera  aussi  un  jour  la  mis- 
sion de  la  Compagnie  de  Jésus. 

De    quelle    manière     l'auteur    des    Exercices    spirituel*    fut 

1.  Exercitia  spirilualia.  Titulus.  Nous  ne  voulons  pas  dire  que  ce  titre  se  trouvait 
déjà  écrit  sur  le  petit  manuscrit  de  Manrèse,  mais  seulement  que  le  fond  de  celui-ci 
répondait  au  titre  qui  peut-être  ne  fut  mis  que  plus  tard. 

2.  H  est  certain,  et  telle  était  l'opinion  de  nos  premiers  Pères,  que  saint  Ignace  a 
fait  lui-même  les  Exercices  tout  le  premier  sous  l'inspiration  de  l'Esprit-Saint  avant 
de  les  écrire.  «  En  ce  temps,  dit  le  P.  Gonzalvès,  Dieu  le  traitait  comme  un  maitre 
d'école  traite  un  petit  enfant  quand  il  l'instruit,  soit  à  cause  de  la  rudesse  de  son  es- 
prit sans  culture,  soit  parce  qu'il  n'avait  personne  pour  l'enseigner,  soit  à  cause  de 
la  ferme  volonté  que  Dieu  lui-même  lui  avait  donnée  de  le  servir.  Ignace  le  pensa 
toujours  ainsi,  et  en  jugeant  autrement  il  aurait  cru  offenser  la  divine  majesté  » 
(Acta  P  Ign.,  n.  27).  —  3.  Polanco,  De  vila  P.  Ign.,  p.  25. 

4.  Suinmarium  procès.  Manresa,  art.  4.  Cité  par  Astrain,  op.  cit.,  p.  41,  note. 

5.  Polanco,  p.  25. 


IGNACE  DE  LOYOLA.  5 

amené  peu  à  peu  à  la  fondation  d'un  ordre  religieux  qui  rem- 
plirait ce  rôle  dans  l'Église,  nous  allons  le  rapporter  brièvement 
dans  ces  trois  premiers  chapitres,  préliminaires  indispensables 
de  notre  histoire. 

2.  Tout  d'abord,  une  tentative  infructueuse  ne  sert  qu'à  lui 
montrer  la  voie  où  Dieu  veut  le  faire  entrer.  Au  début  de 
l'année  1523,  — probablement  à  la  fin  de  février1,  —  il  quitta 
Manrèse.  Désireux  de  visiter  les  saints  lieux,  témoins  de  la  vie 
du  Sauveur,  il  s'y  rendit  avec  l'intention  de  s'y  établir  et  de 
restaurer  le  règne  de  Jésus-Christ  parmi  les  mahométans2.  Dieu, 
qui  agréait  cette  sainte  ambition  mais  entendait  lui  ouvrir  une 
autre  carrière,  permit  que  le  Custode  des  Franciscains,  sans  con- 
naître pourtant  toute  la  pensée  du  généreux  pèlerin,  fût  effrayé 
de  son  audace,  et,  dans  la  crainte  d'attirer  quelque  avanie  sur 
la  religion,  lui  donnât  l'ordre  de  quitter  promptement  la  Terre 
Sainte.  Ignace  ne  vit  dans  cette  décision  qu'une  manifestation 
de  la  volonté  du  Seigneur3.  Il  revint  en  Espagne,  gardant  au 
cœur  la  résolution  de  se  dévouer  à  la  sanctification  des  âmes  et 
persuadé  qu'il  devait,  pour  y  réusir,  ne  pas  mépriser  les  moyens 
humains,  acquérir  la  science  et  embrasser  l'état  ecclésiastique  4. 

Il  avait  trente-trois  ans3.  Fixé  â  Barcelone  où  il  était  entretenu 
par  la  charité  de  quelques  bienfaiteurs,  il  n'hésita  pas,  pour 
apprendre  les  éléments  de  la  langue  latine,  à  se  mêler  aux  jeunes 
écoliers  sur  les  bancs  d'une  classe  de  grammaire.  Le  reste  de  son 
temps  était  consacré  aux  austérités,  à  la  prière  et  à  des  entretiens 
spirituels,  dans  lesquels  il  s'efforçait  d'inspirer  à  d'autres  le 
désir  «  d'embrasser  son  genre  de  vie6  ».  Il  s'attacha  ainsi  trois 
compagnons  :  Calisto,  Artiaga  et  Diego  de  Cazerès. 

Après  deux  années  consacrées  à  l'étude  du  latin,  il  se  décida, 
sur  le  conseil  de  ses  protecteurs,  à  faire  sa  philosophie  à  l'Uni- 

1.  Cette  date  peut  être  fixée  grâce  au  témoignage  de  Gabriel  Perpina,  domestique 
de  Juan  Pujol,  vicaire  de  Prats,  qui  fit  alors,  avec  son  maître  et  Ignace,  le  voyage 
jusqu'à  Rome;  il  rapporte  qu'ils  y  arrivèrent  le  dimanche  des  Rameaux  (29  mars); 
auparavant  Ignace  était  resté  trois  semaines  à  Barcelone,  et  la  traversée  jusqu'à  Gaëte 
avait  duré  cinq  jours  (Summarium  Procès.  Manresa  en  Prats,  ait.  3).  Cf.  Aslrain, 
op.  cit.,  p.  43,  45. 

2.  Acla  P.  Ign.,  n.  45.  Polanco,  p.  26.  Le  texte  des  Acla  prouve  clairement  que 
le  seul  motif  de  ce  voyage  n'était  pas  la  dévotion  :  «  Firmiter  autem  slatuerat  ut 
Hierosolymis  remaneret,  ut  loca  illa  sancta  semper  inviseret,  et  animabus  prodes- 
set.  »  Polanco  ,est  encore  plus  explicite  :  «  Nec  solum  suae  devotioni  satisfacere  sed 
eliam  infidelibus  fidem  et  doctrinam  praedicare  proposuerat.  » 

3.  Acla  P.  Ign.,  n.  47,  50.  Polanco,  p.  29. 

4.  Acla  P.  Ign.,  n.  50.  —  5.  Acla  Sanctorum,  t.  VII  Julii,  §  XI.  n.  109.  p.  441. 
6.  Polanco,  p.  32-33. 


6  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSl  S. 

versité  d'Alcala.  Ses  trois  disciples  de  Barcelone  vinrent  l'y 
rejoindre.  Il  en  conquit  un  quatrième,  Jean  ou  Jeannic,  français 
et  page  du  vice-roi  de  Navarre  :  blessé  dans  une  querelle,  ce 
jeune  homme  fut  amené  à  l'hôpital  où  notre  saint  le  gagna  en 
le  soignant1.  Tous  les  cinq  mendiaient  leur  vie,  formaient  en- 
semble une  petite  communauté  et  portaient  le  même  costume, 
un  habit  long,  d'un  brun  clair,  avec  un  chapeau  de  la  même 
couleur.  Faible  esquisse  de  la  Compagnie  qui  doit  naitre  plus 
tard  et  ailleurs,  cette  petite  société  dura  peu,  assez  cependant 
pour  avoir  l'honneur  de  la  persécution. 

Ignace,  tout  en  suivant  les  cours  de  philosophie,  continuait 
avec  l'ardeur  d'un  converti  ses  œuvres  de  prosélytisme;  il  profitait 
de  toutes  ses  relations  pour  prêcher  les  vérités  de  la  foi,  expliquer 
les  commandements  de  Dieu  et  enseigner  les  moyens  de  tendre 
à  la  perfection2.  Cette  conduite,  peu  ordinaire  de  la  part  d'un 
étudiant,  ne  trouva  pas  d'abord  de  contradicteurs.  Mais,  quand 
grossit  la  foule  des  personnes  qui  venaient  l'entendre,  des  bruits 
défavorables  sur  lui  et  ses  Exercices  spirituels  se  répandirent  et 
l'on  se  prit  à  redouter  les  pièges  d'un  novateur.  L'usage  de  la 
communion  fréquente  observé  par  ceux  qu'il  dirigeait,  ses  dévo- 
tions du  samedi  en  l'honneur  de  la  Sainte  Vierge  qui  le  firent 
accuser  de  célébrer  le  sabbat  comme  un  juif,  la  pieuse  coutume 
de  visiter  les  malades  et  de  les  servir  dans  les  hôpitaux  qu'il  avait 
développée  par  ses  exemples  et  ses  conseils,  enfin  les  exagérations 
de  deux  femmes,  dont  le  zèle  inconsidéré  ne  voulut  pas  se  rendre 
aux  conseils  de  sa  prudence,  lui  valurent  d'être  dénoncé  plusieurs 
fois  à  l'Inquisition3.  Il  fut  même  incarcéré,  et  l'un  de  ses  disciples, 
Calisto,  partagea  quelque  temps  sa  prison.  Enquête  faite  sur  ses 
actes  et  sa  doctrine,  les  inquisiteurs  ne  trouvant  rien  à  lui  repro- 
cher le  remirent  en  liberté;  mais  le  vicaire  général  d'Alcala  lui 
ordonna  de  reprendre  avec  ses  compagnons  le  costume  habi- 
tuel des  étudiants,  et  lui  interdit,  sous  peine  d'excommunication, 
tout  enseignement  religieux,  soit  en  particulier,  soit  en  public, 
avant  la  fin  de  la  philosophie.  Ignace  ;  se  soumit  à  ce  juge- 
ment; puis, se  sentant  pressé  par  une  loi  supérieure  à  continuer 
ses  travaux  pour  le  salut  des  âmes,  il  résolut  de  poursuivre  ses 
études  dans  un  diocèse  où  il  ne  serait  plus  lié  par  les  mêmes  dé- 
fenses 4. 

1.  Procès  d'Alcala,  dans  Boletin  de  la  Acad.  de  la  ffistor.,  t.  XXXIII,  p.  439.  Cf. 
Astrain,  op.  cit.,  p.  65,  note.  —  2.  Polanco,  p.  34,  35. 

3.  Acta  P.  Ign..  n.  57,  60,  61.  Polanco,  p.  35,  36,  37. 

4.  Acta  P.  Ign.,  n.  62,  63. 


IGNACE  DE  LOYOLA:  7 

:î.  Il  va  donc  à  Salamanque.  Il  n'y  est  pas  depuis  quinze  jouis 
que  l'on  commence  contre  lui  une  nouvelle  enquête.  Il  est  mis 
en  prison  avec  Galisto.  Attachés  tous  deux  par  le  pied  à  une 
même  chaîne,  ils  passent  la  première  nuit  à  louer  Dieu  et  à 
chanter  des  cantiques;  les  jours  suivants  ils  étonnent  par  leur 
joie  ceux  qui  viennent  les  visiter  ou  les  interroger  :  «  Croyez  - 
vous,  dit  Ignace,  que  ce  soit  un  grand  mal  d'être  en  prison 
et  dans  les  fers?  Je  vous  assure  qu'il  n'y  a  pas  à  Salamanque 
autant  de  menottes  et  de  chaînes  que  j'en  voudrais  porter  pour 
l'amour  de  Jésus-Christ'.  »  Le  prisonnier  dut  livrer  ses  manus- 
crits et  ses  E.rercices  spirituels.  Voulant  que  ses  trois  autres 
compagnons  fussent  entendus,  il  les  nomma  de  lui-même;  deux 
furent  arrêtés;  Jean,  trop  jeune,  fut  laissé  libre-.  L'enquête  et 
les  interrogatoires  tournaient  déjà  en  leur  faveur  quand  un  évé- 
nement insolite  vint  manifester  la  tranquillité  de  leur  conscience. 
Une  nuit,  tous  les  détenus  de  cette  prison  s'évadèrent;  il  ne 
resta  que  le  saint  et  ses  disciples,  qui  pouvant  aussi  s'échapper, 
avaient  préféré  recouvrer  leur  liberté  par  une  déclaration  au- 
thentique de  leur  innocence3.  Ce  témoignage  ne  se  fit  pas  at- 
tendre. Ils  furent  proclamés  irréprochables  sous  le  rapport  des 
mœurs  et  de  la  foi,  et  permission  leur  fut  laissée  de  se  consacrer 
comme  auparavant  au  service  du  prochain.  La  sentence  ajoutait 
toutefois  une  clause,  en  vertu  de  laquelle  il  leur  fut  interdit 
d'exposer  la  distinction  entre  le  péché  mortel  et  le  péché  véniel, 
tant  qu'ils  n'auraient  pas  achevé  leur  cours  de  théologie.  Cette 
défense  entravait  l'action  apostolique  d'Ignace  de  Loyola4.  Ce 
n'était  point  qu'il  entrât  à  ce  sujet  dans  de  subtiles  distinctions 
théoriques,  capables  de  fausser  les  consciences  ;  mais,  la  conver- 
sion des  âmes  devant  avoir  pour  fondement  la  connaissance  de 
soi-même  et  le  repentir  de  ses  fautes,  il  lui  fallait  bien  parler 
du  péché  et  montrer  le  moyen  de  distinguer  pratiquement  une 
offense  légère  d'une  offense  grave.  La  restriction  apportée  à  son 
zèle  lui  parut  si  gênante  que,  malgré  l'avis  contraire  d'hommes 
jouissant  de  la  plus  haute  considération  à  Salamanque,  il  décida 
de  quitter  promptement  cette  ville  et  l'Espagne  5. 

A  travers  toutes  ces  tracasseries  la  main  de  Dieu  conduisait 
Ignace  vers  la  France,  vers  le  pays  où,  une  fois  de  plus,  une 


1.  Acta  P.  Ign.,  n.  67.  Polanco,  p.  39.  Ribadencira,  liv.  I,  c.  xv. 

2.  Ibidem.  —  3.  Acta  P.  Ign.,  n.  69.  Polanco,  p.  39. 

4.  Acta  P.  Ign.,  n.  70.  Polanco,  p.  39. 

5.  Acta  P.  Ign.,  n.  72.  Polanco,  p.  40.  Bartoli,  t.  I,  p.  183. 


8  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

grande  idée  va  passer  avant  de  faire  son  chemin  dans  le  monde. 
L'étudiant  apôtre  savait  qu'il  trouverait  à  Paris  l'Université  la 
plus  célèbre  d'Europe,  qu'il  pourrait  y  terminer  enfin  ses  études 
et  y  rencontrer  sans  doute  des  hommes  selon  son  cœur  l. 

ï.  Il  partit  de  Salamanque,  seul,  à  pied,  poussant  devant  lui 
un  petit  âne  chargé  de  livres2.  Quand  il  fut  parvenu  à  Barce- 
lone, ses  amis  essayèrent  de  le  détourner  de  son  entreprise. 
On  était,  disaient-ils,  au  commencement  d'un  hiver  très  rigou- 
reux, la  guerre  venait  d'être  déclarée  entre  la  France  et  l'Es- 
pagne, les  montagnes  étaient  infestées  de  brigands  audacieux  : 
comment  ferait-il,  ne  sachant  pas  même  la  langue  du  pays  qu'il 
devait  traverser?  Aucune  considération  ne  fut  capable  d'arrêter 
l'intrépide  «  pèlerin3  »  dans  son  dessein  mûrement  réfléchi. 
Ses  charitables  bienfaiteurs  le  prièrent  alors  d'accepter  au  moins 
quelques  secours,  pour  parer  aux  nécessités  les  plus  pressantes 
d'une  si  longue  route.  Il  eût  préféré  s'abandonner,  au  jour  le 
jour,  aux  soins  de  la  providence,  et  ce  ne  fut  pas  sans  résistance 
qu'il  consentit  à  l'envoi  d'une  lettre  de  change  de  vingt -cinq 
écus  sur  Paris'1.  Son  voyage  fut  pénible,  mais  sans  incident  no- 
table :  «  favorisé  par  le  temps  et  sauf  de  [sa]  personne  » ,  il  arriva 
au  terme  «  le  deuxième  jour  de  février  »  1528  5. 

A  cette  époque,  l'Université,  encore  florissante,  voyait  venir  à 
elle,  de  toute  l'Europe,  l'élite  de  la  jeunesse.  Toute  la  partie  de 
Paris,  située  sur  la  rive  gauche  de  la  Seine,  entre  la  porte  de  la 
Tournelle  et  la  tour  de  Nesle,  c'est-à-dire  un  tiers  alors  de  la 
capitale,  prenait  le  nom  de  quartier  de  V Université .  Là  s'étaient 
groupés  une  foule  de  collèges,  la  plupart  fondés  par  des  évêques 
ou  de  riches  bénéficiers,  pour  faciliter  aux  jeunes  gens  l'étude 
des  lettres  et  des  sciences.  Cette  vaste  corporation,  composée 
des  quatre  Facultés  de  théologie,  de  droit,  de  médecine  et  des 
arts,  comptait  en  ce  temps-là  de  douze  à  quinze  mille  élèves.  La 
Faculté  des  arts  était  divisée  elle-même  en  quatre  nations  :  Nor- 
mandie, Picardie,  Allemagne  et  France.  Cette  dernière  compre- 
nait, outre  les  Français,  les  étrangers  des  divers  États  méridio- 


1.  Polanco  dit  positivement  qu'il  espérait  en  trouver  :  «Prœterea  etiam  in  illaaca- 
demia...  aliquos  socios  ad  Dei  opus  promovendum  et  proximos  juvandos  se  facile 
habiturum  sperabat  »,  p.  40. 

2.  Acta  P.  Ign.,  n.  72.  Ribadeneira,  1.  I,  c.  \vi. 

3.  C'est  le  nom  que  lui  donne  toujours  le  P.  Louis  Gonzalvès  dans  ses  Acta  Patris 
Fgnatii.  —  4.  Polanco,  p.  40. 

5.  Lettre  d'Ignace  à  Inès  Pascual,  du  3  mars  1528  (Mon.  frjn.,  s.  1,  t.  I,  p.  74,  75). 


IGNACE  A  PARIS.  9 

naux1.  Ignace  de  Loyola,  en  sa  qualité  d'espagnol,  fit  donc 
partie  de  la  nation  de  France. 

Jusqu'alors,  pressé  de  se  donner  au  salut  des  âmes,  il  avait 
voulu  mener  de  front  l'étude  de  plusieurs  sciences  :  grammaire, 
philosophie  et  théologie.  S'apercevant  qu'il  n'avait  rien  gagné 
à  troubler  l'ordre  naturel  de  l'enseignement,  il  s'astreignit, 
malgré  son  âge,  —  il  avait  trente-sept  ans,  —  à  reprendre  par 
la  base  toute  son  instruction ,  en  commençant  par  la  langue 
latine  à  laquelle  il  consacra  presque  deux  années,  des  premiers 
jours  de  février  1528  au  Ie1'  octobre  15*29  '.  Ce  fut  au  collège  de 
Montaigu3,  dont  le  célèbre  Noël  Béda  était  alors  principal,  qu'il 
suivit,  sous  d'excellents  maîtres,  les  classes  d'humanités.  Dénué 
de  ressources  assurées,  il  ne  pouvait  songer  à  y  demeurer  en 
qualité  de  portioniste  ;  il  dut  se  contenter  de  louer,  en  commun 
avec  quelques  espagnols,  une  petite  chambre  dans  le  voisinage, 
et  il  assistait  aux  classes  comme  externe  '  ou  martinet 5. 

Grâce  aux  modestes  dons  envoyés  d'Espagne  et  à  la  lettre  de 
change  de  Barcelone,  Ignace  fut  quelque  temps  libre  de  se  livrer 
tout  entier  à  l'étude  sans  être  distrait  par  les  impérieux  soucis 
de  la  vie  matérielle.  Malheureusement  un  de  ses  compatriotes, 
auquel  il  avait  confié  ses  faibles  ressources,  les  dépensa  follement 
et  ne  put  rien  lui  rendre.  Il  se  vit  donc  contraint,  après  le 
carême,  de  quitter  la  maison  qu'il  habitait  au  Quartier  Latin,  de 
chercher  un  abri  à  l'hôpital  Saint-Jacques,  au  delà  de  l'église  des 
Saints-Innocents,  près  de  la  porte  Saint-Denis,  et  de  tendre  la 
main  pour  avoir  de  quoi  vivre  G.  Sans  doute  ce  n'était  pas  chose 
nouvelle  pour  lui  de  mendier  son  pain  comme  un  indigent;  il 
trouvait  même  des  consolations  à  ressembler  davantage  à  Notre- 

1.  Voir  Du  Boulay,  Hist.  Univ.  Paris. ;  Vallet  de  Viriville,  Hist.  de  l'Instr.  pu- 
blique. —  2.  Polanco,  p.   41. 

3.  Acta  SS.,  %  XV.  n.  141,  p.  447.  Ce  collège  d'abord  appelé  des  Aycelins  du  nom 
de  son  fondateur  Gilles  Aycelins,  archevêque  de  Rouen,  remontait  jusqu'en  1314. 
Il  prit  le  nom  de  Montaigu  en  1393,  à  la  suite  d'un  arrangement  avec  Louis  de  Mon- 
taigu, chevalier  de  Listenois,  de  la  famille  du  fondateur.  Situé  sur  la  montagne 
Sainte-Geneviève,  il  avait  été  réformé  à  la  fin  du  xvc  siècle  par  le  docteur  Jean  Stan- 
donck  qui  y  avait  annexé  une  communauté  d'enfants  pauvres,  surnommés  les  Capettes 
de  la  forme  de  leur  froc.  Cf.  Revue  des  Éludes  Rabelaisiennes,  t.  VII,  p.  285-305. 

4.  Acta  P.  Ign.,  n°  73. 

5.  11  y  avait  alors  dans  les  collèges  comme  cinq  catégories  d'étudiants  :  les  bour- 
siers dont  la  pension  (logement  et  nourriture)  était  gratuite;  —  les  portionistes  ou 
convicteurs  qui  payaient  une  pension  pour  avoir  au  collège  la  chambre  et  les  repas  ; 
—  les  caméristes  qui  étaient  en  chambre,  mais  se  nourrissaient  à  leurs  frais;  —  les 
externes  ou  martinets  qui  assistaient  aux  classes  moyennant  un  salaire  payé  aux 
régents;  —  parfois  enfin  des  serviteurs-écoliers,  qui,  en  échange  des  services  do- 
mestiques rendus  aux  professeurs  ou  à  la  maison,  obtenaient  le  droit  de  suivre  les 
cours.  —  6.  Acta  P.  Ign.,  n.  76.  Polanco,  p.  42. 


10  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Seigneur,  pauvre  et  humilié,  mais  son  travail  souffrait  de  cette 
extrême  nécessité.  De  plus  l'hôpital  Saint-Jacques,  appelé  Saint- 
Jacques  aux  Espagnols  parce  qu'on  y  admettait  surtout  les  pau- 
vres de  cette  nation,  était  très  éloigné  du  collège  de  Montaigu, 
où  les  leçons,  suivant  les  usages  d'alors,  commençaient  en  hiver 
avant  le  jour  et  se  poursuivaient  le  soir  jusqu'à  la  nuit.  Comme 
les  portes  de  l'hôpital  ne  s'ouvraient  pas  avant  l'aube  et  se  fer- 
maient au  coucher  du  soleil,  Ignace  perdait  ainsi  une  bonne  par- 
tie des  cours  de  ses  professeurs  l. 

Pour  éviter  ces  lacunes  regrettables,  il  songea  à  se  mettre  au 
service  de  quelque  maître  qui  consentit  à  lui  enseigner  en  parti- 
culier les  belles-lettres.  Beaucoup  d'écoliers  pauvres  en  agissaient 
ainsi,  sans  que  cet  humble  emploi  nuisit  en  rien  au  progrès  de 
leurs  études.  Le  projet  d'ailleurs  souriait  à  la  piété  et  à  l'humilité 
d'Ignace  de  Loyola.  «  Je  me  figurerai,  disait-il,  que  mon  maître 
est  Jésus-Christ;  je  donnerai  le  nom  de  Pierre  à  l'un  des  élèves, 
celui  de  Jean  à  un  autre  et  les  noms  des  autres  apôtres  aux  sui- 
vants. Si  mon  maitre  m'ordonne  quelque  chose,  je  recevrai  cet 
ordre  comme  sortant  de  la  bouche  même  de  Jésus-Christ,  et  si  un 
élève  me  commande,  je  lui  obéirai  comme  à  saint  Pierre.  »  Mais 
cette  place,  qu'il  souhaitait,  en  vain  chercha-t-il  à  se  la  procurer; 
plusieurs  de  ses  amis,  le  bachelier  Jean  de  Castro,  un  Père  Char- 
treux et  des  religieux  de  Saint-Victor  y  employèrent  aussi  tous 
leurs  soins  sans  parvenir  à  un  meilleur  résultat  2. 

5.  Alors,  Ignace  s'arrêta,  après  avoir  prié,  à  un  expédient  qui 
devait  mieux  réussir.  Deux  années  de  suite,  pendant  les  vacances 
scolaires,  il  partit  à  pied  pour  la  Flandre  où  il  pouvait  recueillir 
auprès  de  riches  marchands  espagnols  des  aumônes  qui  lui  per- 
mettaient de  vivre  modestement  toute  une  année.  Un  pareil  genre 
de  vie  lui  attira,  de  la  part  de  ses  compatriotes  à  Paris,  quel- 
ques contradictions.  L'un  d'eux,  Jean  de  Madéra,  gentilhomme 
de  la  Biscaye,  lui  reprocha  de  déshonorer  par  cette  conduite  l'il- 
lustre maison  de  Loyola  :  «  Quand  on  a,  lui  dit-il,  un  beau  nom 
et  une  famille  aisée,  on  ne  peut  vivre  d'aumônes  sans  offenser 
Dieu.  Vous  ferez  croire  que  vos  parents  ou  amis  ne  peuvent 
p  as  ou  ne  veulent  pas  vous  secourir  et  qu'ils  sont  ou  bien  pauvres 
ou  bien  avares.  Vous  n'avez  pas  le  droit,  ajoutait-il  en  appelant 

1.  Acta  P.  Ign.,  n.  74.  Polanco,  p.  42.  Ribadeneira,  1.  II,  c.  i. 

2.  Lettre  du  P.    Lainez  dans   Mon.  Ignatiana,  s.   4%  t.  I,  p.  110.    —  De  actis 
S.  Ignalii  a  Ribadeneira  (Ibid.,  p.  385).  Polanco,  p.  42. 


[GNÀCE  A  PARIS.  Il 

à  sa  conscience,  de  disposer  de  la  réputation  des  autres  et  de  les 
livrer  au  mépris  public.  »  Ignace,  lui,  n'avait  aucun  scrupule  à 
persévérer  dans  une  pratique  inspirée  de  Dieu.  Cependant,  pour 
vaincre  l'entêtement  de  son  compatriote,  il  consulta  par  écrit 
plusieurs  docteurs  de  Sorbonne  et  leur  posa  le  cas  en  ces  termes  : 
«  Un  gentilhomme,  qui  pour  l'amour  de  Dieu  a  renoncé  au 
monde,  peut-il,  sans  nuire  à  l'honneur  de  sa  famille,  aller  en  di- 
vers pays  demander  l'aumône?  »  Tous  répondirent  par  écrit 
«  qu'il  n'y  avait  en  cela  ni  péché,  ni  ombre  de  péché  ».  Cette  dé- 
cision unanime  lui  fit  éprouver  une  grande  joie,  car  ce  n'était 
pas  sa  propre  cause  qu'il  avait  voulu  défendre,  mais  celle  de  la 
pauvreté  volontaire  ennoblie  par  Jésus-Christ "1. 

Sur  les  séjours  d'Ignace  en  Flandre,  les  traditions  locales  nous 
ont  conservé  de  touchants  souvenirs.  Parmi  les  familles  espa- 
gnoles que  les  intérêts  de  leur  commerce  attiraient  à  Bruges,  celle 
des  Aguilera  se  distinguait  par  sa  piété  comme  par  ses  richesses. 
Gonzalès,  son  chef,  accueillit  l'humble  «  pèlerin  »  avec  une  ex- 
quise bienveillance  et  lui  donna  dans  sa  maison  une  généreuse 
hospitalité;  il  conçut  même  pour  lui  une  si  tendre  estime  que, 
faisant  un  voyage  d'affaires  à  Paris,  il  passa  plusieurs  mois  dans 
le  logis  du  pauvre  étudiant  afin  de  mieux  jouir  de  ses  vertueux 
entretiens2.  On  compte  aussi  parmi  les  charitables  hôtes  d'Ignace 
à  Bruges  le  savant  Louis  Vives,  qui  avait  invité  le  «  pèlerin  »  à  sa 
table,  sans  autre  motif  peut-être  que  de  secourir  un  pauvre  de 
Jésus-Christ.  Une  fois,  —  c'était  au  temps  du  carême,  —  la  con- 
versation tomba  sur  le  choix  des  aliments  permis  par  l'Église  les 
jours  de  jeûne.  Vives  soutint  que  ces  aliments  n'atteignaient 
guère  le  but  proposé,  la  tempérance  et  la  mortification  :  «  Ils  ont 
aussi  leur  saveur,  dit-il,  surtout  dans  ce  pays,  et  l'on  s'en  nour- 
rit parfois  avec  délices.  »  Ignace,  croyant  entendre  dans  ces 
paroles  une  critique  de  la  tradition  ecclésiastique,  répliqua  sévè- 
rement :  «  Il  se  peut  que  vous,  et  ceux  qui  comme  vous  se  nourris- 
sent délicatement,  ne  trouviez  pas  dans  l'abstinence  un  moyen 
d'atteindre  la  fin  que  se  propose  l'Église,  mais  pour  la  majeure 
partie  du  peuple,  qui  se  nourrit  simplement,  elle  est  une  bonne 
occasion  de  mortification  et  de  pénitence.  »  Puis  il  se  mit  à  par- 
ler de  Dieu  et  à  discourir  des  choses  spirituelles,  avec  une  si  rare 
connaissance  et  un  si   profond  sentiment  que  tous  les  convives 

1.  Acta  SS.,  %  XVI,  n.  153,  p.  449. 

2.  Manuscrit  du  collège  de  Bruges  cité  par  les  Bollandistes  [Acla  SS..  I  XVI,  n.  155, 
p.  450). 


12  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

étaient  dans  l'admiration.  Quand  il  fut  sorti,  Vives  dit  à  ceux  qui 
étaient  présents  «  que  cet  homme  était  un  saint  et  qu'il  fonderait 
quelque  jour  un  ordre  religieux  '  ». 

A  Anvers  comme  à  Bruges,  le  «  pèlerin  »  reçut  de  ses  compa- 
triotes le  plus  favorable  accueil.  Au  nombre  de  ses  bienfaiteurs  en 
cette  ville  on  cite  Pedro  Quadrato  et  Jean  de  Cuellar.  Sur  la  fa- 
çade de  la  vieille  demeure  de  ce  dernier,  devant  la  porte  latérale 
sud  de  la  collégiale  Saint-Jacques,  on  voyait  encore  au  xvnie  siècle 
un  buste  de  saint  Ignace,  objet  de  la  vénération  publique,  et  au- 
dessous  une  inscription  rappelant  son  passage  et  l'hospitalité 
reçue  2. 

La  troisième  année  de  son  séjour  à  Paris,  Ignace  de  Loyola  se 
dirigea  vers  Londres.  Nous  n'avons  aucun  renseignement  sur  ce 
voyage  en  Angleterre,  sinon  qu'il  y  trouva  des  aumônes  plus 
abondantes  qu'en  Flandre'.  Touché  de  sa  vertu  et  de  sa  piété,  les 
négociants  espagnols  lui  épargnèrent  dans  la  suite  les  fatigues 
de  ces  longues  courses  en  lui  adressant  leurs  secours  à  Paris. 
Grâce  à  leurs  libéralités  et  à  celle  de  ses  amis  de  Barcelone,  il 
eut  désormais  de  quoi  pourvoir  à  sa  subsistance  et  même  à  l'en- 
tretien de  quelques-uns  de  ses  condisciples4. 

Cependant  la  pauvreté  volontaire  ne  fut  pas  la  seule  épreuve 
d'Ignace  au  début  de  ses  études  à  l'Université  de  Paris.  Le  dé- 
mon, prévoyant  les  merveilleux  fruits  de  salut  que  ses  travaux 
produiraient  un  jour,  fit  les  derniers  efforts  pour  le  détourner 
de  son  but,  et  usant  de  la  même  ruse  qui  lui  avait  si  bien  réussi 
à  Barcelone,  il  essaya  de  le  distraire  de  nouveau  par  de  fausses 
consolations  spirituelles;  mais  le  prudent  écolier  ne  se  laissa 
pas  prendre  au  piège  et  sortit  triomphant  de  cette  tentation"'. 

H.  A  la  reprise  des  classes  de  l'an  1529,  le  1er  octobre, 
jour  de  la  Saint-Bémi,  Ignace  commença  son  cours  de  philoso- 
phie sous  maître  Jean  de  Pena°.  Avant  d'être  admis  à  suivre  les 
leçons  de  ce  professeur,  il  avait  dû  faire  preuve  d'une  intelli- 
gence suffisante  des  auteurs  classiques  et  montrer  qu'il  possé- 

1.  Polanco,  p.  41.  —  2.  S.  Ignatio  |  S.  J.  F.  |  la  hac  dorao  |  OUm  liospitato  |  Sac. 
(Acta  SS.,  §  XVI,  n.  157,  p.  450). 

3.  Acta  P.  Ifjn.,  n0lG.  Cf.  Delplace.  L'Angleterre  et  la  Compagnie  de  Jésus,  p.  6. 

4.  Censura  P.  Araozii  in  vilam  P.  Ignatii,  dans  Mon.  Ignat.,  ser.  4,  t.  I,  p.  735. 

5.  Instruit  par  l'expérience,  il  saura  plus  tard  préserver  du  même  danger  les  jeunes 
étudiants  de  la  Compagnie  de  Jésus;  il  leur  interdira  une  ferveur  intempestive,  attri- 
buera des  revenus  à  leurs  communautés,  et  recommandera  à  leurs  supérieurs  de 
veiller  sur  leur  santé  avec  la  plus  grande  sollicitude.  (Polanco,  p.  44. 

6.  Acta  P.  Ign.,  p.  82.  Polanco.  p.  41. 


IGNACE  A  PARIS.  13 

daif  les  aptitudes  nécessaires  à  l'étude  des  sciences1.  Il  entra 
alors  comme  pensionnaire  à  Sainte-Barbe,  où  il  partagea  avec 
Pierre  Le  Fèvrc  et  François  Xavier  la  même  chambre  dans  le 
corps  de  logis  qui  donnait  sur  la  rue  Saint-Symphorien.  Ce  col- 
lège, fondé  en  HGO  pour  des  étudiants  de  tous  pays,  était  fré- 
quenté de  préférence  par  les  Espagnols.  Placé  depuis  1526  sous 
le  patronage  de  Jean  III,  roi  de  Portugal,  qui  y  entretenait  un 
grand  nombre  de  jeunes  gens,  il  était  à  ce  moment  dirigé  par 
le  docteur  portugais  Jacques  de  Govéa2,  homme  très  capable, 
vigilant  et  intègre,  qui  savait  entretenir  une  vigoureuse  disci- 
pline et  une  louable  émulation  parmi  la  turbulente  jeunesse  des 
écoles. 

Singulière  coïncidence  !  Les  mêmes  collèges  abritèrent  le  fon- 
dateur de  la  Compagnie  de  Jésus  et  le  fondateur  du  protestan- 
tisme français.  Calvin,  entré  à  Sainte-Barbe  en  1523,  à  Tàge  de 
quatorze  ans,  y  avait  fait  toutes  ses  études,  sauf  la  philosophie 
qu'il  étudia  à  Montaigu  ;  après  un  court  séjour  aux  écoles  de  droit 
d'Orléans  et  de  Bourges,  il  était  revenu  à  Paris,  au  collège  du 
Fortet,  qu'il  habita  toute  l'année  1533  et  une  partie  de  l'année 
suivante.  Ignace  dut  parfois  le  rencontrer  dans  l'intérieur  de 
Sainte-Barbe,  car  le  novateur  avait  de  fréquentes  entrevues  avec 
un  professeur  de  la  maison,  le  docteur  Kopp,  qu'il  parvint  à 
pervertir3. 

Pierre  Le  Fèvrïe,  l'un  des  compagnons  de  chambre  d'Ignace, 
avait  subi  brillamment  l'année  précédente  l'examen  de  licence 
en  philosophie.  Volontiers  il  se  mit  à  la  disposition  du  nouvel 
étudiant  pour  lui  expliquer  en  particulier  les  leçons  les  plus  dif- 
ficiles4. Cet  exercice  fut  très  utile  à  l'un  et  à  l'autre  :  à  Le  Fèvrc 
en  lui  ravivant  le  souvenir  de  ce  qu'il  avait  appris,  à  Ignace  en 
lui  facilitant  l'intelligence  des  leçons  publiques.  Il  arriva  sur- 
tout que,  dans  ce  commerce  journalier,  le  répétiteur  et  le  disci- 
ple ne  tardèrent  pas  à  se  mieux  connaître  et  par  suite  à  s'estimer 
et  à  s'aimer.  Le  disciple  dans  la  science  humaine  devint  bientôt 
le  maître  dans  la  philosophie  divine  :  «  Comme  nous  vivions 
dans  la  même  chambre,  raconte  Le  Fèvre,  crue  nous  avions  même 
table  et  même  bourse,  Ignace  fut  mon  maître  dans  les  choses 
spirituelles.  L'union  entre  lui  et  moi  devint  si  grande  que  nous 

J.  Statul  du  Cal  d'Estouteville  (1452)  dans  Denille,  Chartul.,  t.  IV,  p.  713-733. 

2.  Ce  docteur  élait  connu  sous  le  nom  de  Govéa  l'ancien,  pour  le  distinguer  d'un 
neveu  adjoint  à  sa  charge. 

3.  Voir  Quicherat,  Hist.  de  Sainte-Barbe,  I,  p.  205.  —  k.  Polanco.  p.  48. 


14  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

n'étions  plus  qu'un  cœur  et  qu'une  àme1.  »  Afin  de  mieux  réus- 
sir dans  un  travail  qu'il  jugeait  nécessaire,  et  de  n'être  point 
distrait  de  ses  occupations  intellectuelles  par  son  penchant  à  la 
vie  intérieure,  Ignace  s'engagea  par  une  promesse  formelle  à 
suivre  assidûment  le  cours  de  son  professeur.  De  plus  il  convint 
avec  Le  Fèvre  de  ne  point  parler  aux  heures  d'étude  des  choses 
de  Dieu-;  car  s'il  leur  arrivait  d'engager  un  colloque  spirituel, 
ils  s'y  lançaient  à  pleines  voiles,  non  sans  dommage  pour  la 
philosophie.  Il  supprima  même  quelques-uns  de  ses  exercices 
de  piété,  mais  il  resta  toujours  fidèle  à  Y  examen  particulier  de 
sa  conscience  qu'il  faisait  régulièrement  pour  dompter  de  plus 
en  plus  ses  inclinations  naturelles,  au  saint  sacrifice  de  la  messe 
qu'il  entendait  chaque  jour,  à  la  confession  hebdomadaire  et  à  la 
communion  de  tous  les  dimanches1.  On  peut  croire  aussi  qu'il 
n'abandonna  point  la  lecture  de  l'Imitation  dont  il  goûta  toujours 
et  «  sut  si  bien  faire  passer  dans  sa  vie  la  solide  doctrine4  ». 

En  dehors  de  là,  il  s'efforçait  d'éloigner  de  son  esprit  toute  oc- 
cupation étrangère  à  l'étude.  Ce  n'est  qu'en  1532  qu'il  adressa 
sa  première  lettre  à  son  frère  aîné,  Martin  Garcia  de  Onaz,  sei- 
gneur de  Loyola.  Celui-ci  ayant  répondu,  le  20  juin,  en  deman- 
dant des  conseils,  Ignace  lui  écrivit  une  seconde  fois  l'engageant 
à  envoyer  son  fils  terminer  ses  études  à  Paris.  L'opinion  d'Ignace 
à  ce  sujet  vaut  d'être  connue.  «  Je  crois,  disait- il,  qu'en  aucun 
lieu  de  la  chrétienté,  il  ne  faut  autant  de  ressources  que  dans 
cette  Université  pour  l'entretien,  les  honoraires  des  maîtres  et 
autres  exigences  de  la  vie  d'étudiant,  mais  j'estime  qu'il  suffit 
par  an  de  cinquante  ducats  bien  assurés.  Je  pense  que  vous  ne 
voudriez  pas  que  votre  fils,  dans  un  pays  étranger,  sous  un  cli- 
mat si  différent  et  très  froid,  souffrit  quelque  nécessité  qui  pour- 
rait nuire  à  ses  progrès.  A  mon  avis,  si  vous  considérez  les  frais, 
ils  seront  cependant  moindres  dans  cette  Université,  parce  qu'on 
y  profite  plus  en  quatre  ans  que  dans  telle  autre  que  je  sais  en 
six  ans...  »  Il  prévenait  ensuite  son  frère  que  le  jeune  homme 
devait  arriver  avant  le  1er  octobre  «  pour  commencer  le  cours 
des  arts,  s'il  était  assez  fort  en  grammaire  »  ;  puis  il  terminait 
par  ce  passage  où  parait  l'étendue  de  son  renoncement  au  monde 
et  l'élévation  surnaturelle  de  son  amour  pour  les  siens  :  «  Vous 
me  dites  que  vous  avez  eu  grande  joie  à  me  voir  rompre  le  si- 

1.  B.  P.  Fabri,  Memor.,  p.  7.  —  2.  De  actis  S.  Ignatii  a  Ribadeneiva,  dansAfon. 
Ignal.,  s.  4,  t.  I,  p.  385.  —  3.  Polanco,  p.  44. 
4.  C'est  le  témoignage  de  Ribadeneira  (Acla  SS.,  Yita  altéra,  n.  82,  p.  681). 


IGNACE  A  PARIS.  l'a 

lence  que  je  gardais  envers  vous.  Que  ma  conduite  ne  vous 
étonne  point...  .le  vous  aurais  écrit  plus  souvent,  depuis  cinq  ou 
six  ans  environ,  si  deux  choses  ne  m'en  avaient  empêché  :  d'abord 
l'étude  et  de  nombreuses  relations  qui  n'avaient  rien  de  mon- 
dain, puis  le  peu  de  probabilité  que  mes  lettres  servissent  à  la 
gloire  de  Dieu  Notre-Seigneur  et  au  bien  de  mes  parents  selon 
la  chair,  et  nous  rendissent  également  alliés  selon  l'esprit  pour 
nous  aider  mutuellement  en  ce  qui  est  éternel.  Vraiment  je  ne 
saurais  aimer  une  personne  en  cette  vie,  qu'autant  qu'elle  l'ait 
tout  son  possible  pour  servir  et  louer  Dieu  de  tout  son  cœur;  car 
celui-là  n'aime  point  Dieu  de  tout  son  cœur,  qui  aime  quelque 
chose  pour  soi  et  non  pour  Dieu...  Je  désire  avec  ardeur  que  la 
vraie  charité  devienne  parfaite  en  vous,  mes  parents  et  amis,  et 
que  vous  consacriez  toutes  vos  forces  au  service  et  à  la  gloire  de 
Dieu,  afin  que  je  puisse  vous  aimer  et  vous  servir  davantage, 
puisque  servir  les  serviteurs  de  mon  maître  est  mon  triomphe 
et  ma  gloire  ' .  » 

7.  Ignace  poursuivit  son  cours  de  philosophie  ?  avec  l'énergie 
qu'il  savait  dépenser  à  toute  oeuvre  entreprise  pour  le  service 
de  son  divin  Maitre.  Il  l'acheva  avec  succès.  A  l'Université  de 
Paris,  l'étudiant  de  troisième  année  désireux  d'arriver  aux  grades 
devait  subir  l'examen  de  baccalauréat,  qui  portait  à  l'origine  le 
nom  dedéfermina/tce3.  Les  candidats,  après  avoir  justifié  de  leur 
temps  d'étude  par  des  certificats  de  leurs  professeurs  attestant 
qu'ils  avaient  suivi  pendant  deux  ans  un  cours  de  logique,  subis- 
saient ensuite,  sur  cette  science  et  sur  la  grammaire4,  diverses 
épreuves  :  c'était,  entre  la  Saint-Martin  et  Noël,  une  série  de  dis- 
putes pendant  un  mois,  puis  un  examen  qui  avait  lieu  vers  la 
fin  de  janvier3,  et  enfin  de  nouvelles  argumentations  pendant  le 
carême  °.  Une  coutume  du  temps,  si  l'on  en  croit  un  passage  fort 
obscur  du  P.  Gonzalvès,  obligeait  le  futur  bachelier  à  «  prendre 


1.  Lettre  à  Martin  Garcia  de  Oùaz.  (Mon.  Ignat.,  ser.  1,  t.  I,  p.  78). 

2.  En  vue  des  examens  à  passer  et  pour  jouir  des  privilèges  de  l'Université,  Ignace 
se  fit  inscrire  sur  ses  registres  sous  le  rectorat  de  Landeric  Maciot,  entre  le  16  décem- 
bre 1531  et  le  24  mars  1532  (Acta  Recloria  Univ.  Paris.,  Bibl.  nat..  mss.  latins.  9,952, 
fol.  141'). 

3.  Determinare  quxstionem,  c'est-à-dire  conclure  une  argumentation  [Cf.  Deni- 
11e,  Cliartul.,  t.  II.  p.  673,  n.  2).  A  cette  époque,  l'argumentation  était  la  principale 
épreuve  de  l'examen. 

4.  Statut  du  Card.  d'Kstouteville,  1452  (Denille,  Cliartul.,  t.  IV,  713-733). 

5.  Statut  de  la  Faculté  des  arts,  4  nov.  1476  (Du  Boulay,  t.  V,  p.  723,  724). 

6.  Statut  d'Eslouteville  déjà  cité. 


16  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

la  pierre1  ».  S'agit-il  d'une  cérémonie,  d'un  divertissement  ou 
d'une  imposition  quelconque?  Nous  n'avons  trouvé  nulle  expli- 
cation à  ce  sujet2.  Nous  savons  seulement,  et  par  le  même  auteur, 
que  pour  prendre  la  pierre  il  en  coûtait  un  écu  d'or.  Ignace,  à 
raison  de  sa  pauvreté,  hésita  longtemps  à  faire  cette  dépense;  il 
ne  s'y  décida  que  sur  le  conseil  de  Jean  de  Pefla  son  maître.  Sa 
conduite  fut  blâmée  par  quelques-uns  de  ses  compatriotes,  qui 
épiaient  et  critiquaient  tous  ses  actes  et  eussent  aussi  bien  trouvé 
à  redire  s'il  avait  agi  d'une  autre  manière;  mais  peu  lui  importait 
la  vaine  opinion  des  hommes.  Il  fut  reçu  bachelier  avant  Pàquc 
de  l'année  1532. 

Un  an  plus  tard,  il  se  présentait,  pour  obtenir  la  lice/tce,  à  de 
nouvelles  épreuves  plus  difficiles  et  surtout  plus  solennelles.  Seuls 
le  chancelier  de  Notre-Dame  et  celui  de  Sainte-Geneviève  avaient 
le  pouvoir  de  conférer  ce  grade3.  On  n'y  était  pas  admis  avant 
d'avoir  suivi  pendant  une  année,  depuis  le  baccalauréat,  les  cours 
et  les  disputes  de  l'Université  sur  la  dialectique,  la  géométrie  et 
l'astronomie  '.  Il  fallait  alors  subir  deux  examens  :  l'un  privé  ou 
in  cameris  suivi  de  l'acte  quodlibetarius^  dans  l'église  Saint-Ju- 
lien ;  l'autre  public,  à  Notre-Dame  ou  à  Sainte-Geneviève,  devant 
des  examinateurs  choisis  par  les  Nations  sous  la  présidence  du 
chancelier.  Le  résultat  était  ensuite  proclamé  aux  Mathurins,  puis 
à  une  date  déterminée  par  le  Recteur,  les  candidats  reçus  se  réu- 
nissaient vêtus  du  costume  de  cérémonie11  et  étaient  conduits  au 

1.  «  Pigliano  una  pietra,  che  loro  dicono  »  {Acla  P.  Ign.,  n.  84). 

2.  Ni  Du  Cange  ni  La  Curne  de  Sainte-Palaye  ne  donnent  l'expression  accipere  ou  ca- 
pere  petram  employée  par  Gonzalvès.  On  ne  la  trouve  pas  davantage  dans  le  cartu- 
laire  de  Denifle,  ni  dans  les  Statuts  des  Universités  françaises  de  Fournier.  Une 
charte  de  Charles  VI  fait  allusion  à  un  jeu  qu'on  appelait  traire  la  pierre,  mais  sans 
dire  en  quoi  il  consistait  (Archiv.  nat.,  JJ.  137,  n.  34).  Par  ailleurs,  il  nous  parait 
difficile  d'assimiler  ce  passage  de  Gonzalvès  à  celui  où  Ribadeneira  prétend  que  l'exa- 
men pour  la  maîtrise  s'appelait  de  pierre  à  cause  de  sa  difficulté.  La  phrase  du 
P.  Gonzalvès  indique  un  acte  distinct  de  l'examen,  et  qu'on  reprocha  à  Ignace  à  cause 
de  la  dépense  qu'il  entraînait.  Au  moyen  âge  les  déterminants  devaient  donner  deux 
banquets,  l'un  au  commencement  et  l'autre  à  la  fin  de  leur  déterminance  (Statut  de 
la  Faculté  des  arts,  1275,  art.  3,  dans  Du  Boulay,  t.  III,  p.  420).  Le  cardinal  d'Es- 
touteville,  dans  son  statut  de  réforme,  prohibe  les  dépenses  exagérées  à  l'occasion  des 
déterminances  :  «  Statuimus  ne  déterminantes,  in  suis  determinationibus,  convivia 
faciant  nisi  admodum  modesta  et  temperata.  Inhibemus  etiam  excessivas  expensas 
fieri  in  disputationibus  praediclis  ne  scolares  graventur  quoque  modo  »  (Denifle. 
Chartul.,  t.  IV,  p.  730). 

3.  L'examen  de  N.-D.  s'appelait  examen  inferitts  ;  l'autre  examen  superius  (Sta- 
tut de  la  Faculté  des  arts,  février  1278,  dans  Du  Boulay,  t.  111,  p.  447). 

4.  Reformatio  Facultatis  artium  (Du  Boulay,  t.  TV,  p.  390).  —  Statut  de  144 ï 
(lbid.,  t.  V,  p.  529). 

5.  Ainsi  nommé  sans  doute  parce  qu'on  devait  argumenter  sur  n'importe  quelle 
question. —  6.  «  Cappali  et  ornati  »  (Du  Boulay,  t.  V,  p.  858,  859.  De  consecutiotw 
graduum  in  artilnis). 


IGNACE  A  PARIS.  17 

chancelier  qui  leur  donnait,  avec  «  la  licence  »,  la  bénédiction 
apostolique.  Ignace  de  Loyola  obtint  la  licence  du  chancelier  de 
Sainte-Geneviève,  le  13  mars  15331. 

Cette  promotion  avait  obligé  le  pauvre  étudiant  à  des  dé- 
penses2 qui  épuisèrent  ses  maigres  ressources.  Il  dut  recourir  à  la 
générosité  d'une  de  ses  bienfaitrices  d'Espagne,  Inès  Pascual,  à 
laquelle  il  écrivit  le  13  juin  1533  :  «  J'ai  reçu,  ce  carême,  le  titre 
de  maitre  et  j'ai  été  forcé  de  dépenser  en  cette  circonstance  plus 
que  je  ne  voulais  et  pouvais,  de  sorte  que  je  suis  tombé  par  là 
dans  un  grand  embarras;  il  est  tout  à  fait  nécessaire  que  Dieu 
Notre-Seigneur  vienne  à  notre  secours3.  » 

Bien  que  tous  les  licenciés  fussent  appelés  maîtres  es  arts,  ce- 
pendant l'Université  ne  reconnaissait  ce  titre  et  n'en  accordait  les 
privilèges  qu'à  ceux  qui  se  faisaient  agréer  par  la  corporation  des 
maîtres  dans  un  acte  solennel  nommé  inceptio'1.  Au  jour  fixé,  le 
récipiendaire,  qui  avait  préalablement  prêté  serment  de  respec- 
ter les  droits,  statuts  et  libertés  de  la  Faculté  et  de  sa  Nation,  se 
rendait  en  grande  pompe  aux  écoles  de  la  rue  du  Fouarre  ;  il  sou- 
tenait une  argumentation  semblable  à  celle  de  la  licence,  puis, 
après  une  harangue  du  maitre  sous  lequel  il  avait  été  licencié,  il 
recevait  le  bonnet,  insigne  de  la  maîtrise5.  Le  plus  souvent,  les 
licenciés  passaient  cet  acte  dans  le  courant  même  de  l'année  sco- 
laire où  ils  avaient  été  admis;  mais  Ignace  attendit  plus  d'un  an, 


1.  Un  catalogue  contenant  les  noms  des  licenciés  de  cette  époque  tomba  par  hasard 
entre  les  mains  du  P.  Petau,  un  jour  qu'il  était  allé  dire  la  messe  à  l'abbaye  Sainte- 
Geneviève.  Sur  cette  liste,  reproduite  par  les  Bollandistes,  nous  trouvons  la  mention 
suivante  que  nous  traduisons  du  latin  :  «  Nation  de  France,  Sainte-Barbe,  Ignace  de 
Loyola,  13  mars  de  l'an  du  Seigneur  1532/3  »  (Acta  SS.,  I  XVII,  n.  170,  171,  p.  452). 

2.  Au  moyen  âge  tel  était  l'excès  de  ces  dépenses  que  les  plus  hautes  autorités  du- 
rent intervenir.  Dans  une  constitution  de  Clément  V  (1311)  il  est  dit  que  le  candidat 
devra  jurer  de  ne  pas  dépenser  plus  de  «  trium  millium  turonensium  argenteorum  » 
(Du  Boulay,  t.  III,  p.  142).  En  1562,  dans  son  plan  de  réforme  de  l'Université,  Ramus 
se  plaint  encore  des  frais  d'études  et  d'examens,  et  dit  que  de  son  temps  il  en  coulait 
56  livres,  16  sols,  pour  parvenir  à  la  maîtrise  ès-arts  (Avertissement  de  Ramus, 
1562,  cité  par  Crevier,  Hist.  de  l'Univ.,  t.  VI,  p.  91). 

3.  Monum.  Ignat,  ser.  1,  t.  I,  p.  90,  91. 

4.  Ainsi  nommée  parce  que  le  jour  même,  ou  peu  après,  le  nouveau  maitre  devait 
faire  une  première  leçon  publique.  «  Incepit  est  la  formule  constamment  employée 
dans  les  registres  de  la  Nation  anglaise  pour  désigner  l'acle  de  maîtrise  »  (Thurot. 
De  l'organisation  de  l'enseignement  dans  l'Université  de  Paris  au  moyen-âge, 
p.  59).  Cf.  Slatutum  de  incipientibus.  12  janvier  1339  (Du  Boulay,  t.  IV,  p.  258). 
Comme  le  remarque  justement  Du  Boulay  (t.  II,  p.  685),  la  licence,  ou  pouvoir  d'en- 
seigner, était  conférée  par  les  chanceliers  au  nom  de  l'Eglise  qui  avait  alors  la  haute 
surveillance  de  l'enseignement;  quant  à  la  mai  frise,  n'étant  que  la  remise  des  insi- 
gnes du  maitre  et  l'agrégation  à  un  corps  constitué,  d'où  dépendait  l'administration 
des  écoles,  elle  devait  être  conférée  par  ce  corps,  c'est-à-dire  par  l'Université. 

5.  Livre  du  chancelier  de  Sainte-Geneviève,  cité  par  Thurot,  op.  cit.,  p.  60,  et  ad- 
ditions, p.  8.  —  Cf.  Du  Boulay,  t.  III,  p.  142;  IV,  272. 

COMPAGNIE    DE   JÉSUS.   —  T.    I.  2 


18  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

jusqu'après  Pâques  153V,  avant  de  l'accomplir1.  Sans  doute  l'im- 
puissance où  il  était  de  faire  de  nouvelles  dépenses  explique  ce 
retard  :  dans  le  Registre  des  Recteurs  qui  contient  la  liste  des 
incipientes  de  l'année  1534,  nous  avons  remarqué  qu'aucune 
bourse'2  n'était  inscrite  devant  son  nom. 

Ignace  avait  quarante-deux  ans  quand  il  termina  sa  philo- 
sophie Si  l'on  songe  à  la  répugnance  que  l'étude  inspire  à  ceux 
qui  ne  sont  plus  jeunes  et  aux  humiliations  qui  accompagnent 
souvent  leurs  pénibles  efforts,  on  ne  peut  s'empêcher  d'admirer 
le  courage  de  cet  homme,  au  caractère  de  soldat,  peu  fait  pour 
les  choses  spéculatives  et  qui  se  condamne  à  neuf  années  de  tra- 
vaux intellectuels  3  pour  conquérir  son  diplôme  de  maître  es  arts. 
Lainez  et  Salmeron,  ces  deux  lumières  du  Concile  de  Trente,  se 
sont  plu  à  rendre  hommage  à  la  persévérance  et  au  savoir  de 
leur  bienheureux  Père  :  «  Bien  qu'il  rencontrât,  dit  Lainez,  plus 
d'obstacles  que  personne,  cependant  il  surpassa  en  application 
tous  les  autres  étudiants  ;  aussi  parvint-il  à  une  bonne  moyenne 
de  science  4,  comme  il  le  prouva  dans  les  examens  publics  et  dans 
les  argumentations  soutenues  contre  ses  condisciples.  » 

Le  18  octobre  1533,  c'est-à-dire  au  commencement  de  l'année 
scolaire  qui  suivit  celle  de  son  admission  à  la  licence,  Ignace  de 
Loyola  avait  commencé  à  fréquenter  les  cours  de  théologie  au 
couvent  des  Dominicains  de  la  rue  Saint-Jacques  \  école  si  peuplée 
qu'elle  comptait  alors  jusqu'à  six  professeurs.  Mais  il  ne  put  en 
profiter  que  durant  un  an  et  demi  °;  ensuite,  comme  nous  le  di- 

1.  «  Acta  rectoria  Univ.  Paris.,  J1534-1544  »  (Bibl.  nat.,  mss.  latins,  9,953.  fol.  12). 
Le  diplôme  de  maîtrise  de  saint  Ignace  conservé  dans  la  Compagnie  et  reproduit  dans 
les  Acta  SS.,  ï  XVII,  n.  173,  est.  daté  du  14  mars  1534 '5;  il  y  est  dit  qu'il  passa  maî- 
tre après  Pâques  1534. 

2.  «  Pour  subvenir  à  ses  dépenses,  chaque  Nation  levait  sur  chaque  candidat  une 
certaine  somme  au  moment  où  il  prêtait  serment.  Cette  cotisation  était  fixée  d'après 
leur  revenu  présumé.  L'unité  de  compte  était  appelée  bourse  (bursa).  Une  bourse  était 
la  somme  que  le  candidat  dépensait  pour  son  entretien,  déduction  faite  du  loyer  de 
sa  chambre  et  du  salaire  de  son  domestique  (Registres  de  la  Nat.  angl.,  II.  fol.  56"  . 
Le  candidat  aflirmait  cette  somme  par  serment;  le  procureur  multipliait  la  bourse 
ou,  comme  on  disait,  la  (axait  suivant  les  besoins  de  la  Nation,  de  la  Faculté,  de  l'U- 
niversité (Reg.  de  la  Nat.  franc.,  31  janvier  1446).  Les  bacheliers,  les  licenciés  et  les 
maîtres  payaient  en  moyenne  quatre  bourses...  Le  candidat  qui  n'était  pas  assez  riche 
pour  payer  les  bourses,  aflirmait  sous  serment,  en  présence  de  sa  Nation,  qu'il  était 
placé  dans  les  conditions  de  pauvreté  exemptant  des  frais  d'examen.  (Statut  Nat. 
angl.,  1424  :  Jurare  slatntum  paupertatis).  »  (Thurot,  op.  cit.,  p.  61-63). 

3.  Depuis  le  «arêine  de  1524  où  il  a  commencé  la  grammaire  à  Barcelone,  âgé  de 
trente-trois  ans. 

4.  «  Veniendo  a  médiocres  letras.  »  Epistola  P.  Lainii  ad  Pol-incum  de  s.  Igna- 
tio  {Mon.  Ignat.,  ser.  4,  t.  I,  p.  110).  —  5.  Polanco,  p.  4t. 

6.  Ignace  se  fit  donner  plus  tari  un  témoignage  authentique  de  ce  temps  d'étude 
tliéologique  ;  il  lui  fut  délivré  dans  une  assemblée  générale  tenue  aux  Mathurins,  le 
14  octobre  1536  {Acta  SS.,  g  XVIII,  n.  174,  175,  p.  453). 


IGNACE  A  PAMS.  19 

rons  bientôt,  il  fut  contraint  par  la  maladie  de  quitter  la  Fiance 
et  de  retourner  en  Espagne  J. 

8.  Pendant  les  sept  années  qu'il  passa  à  l'Université  de  Paris, 
le  futur  fondateur  de  la  Compagnie  de  Jésus,  toujours  poussé  par 
l'inspiration  apostolique  reçue  à  Manrèse,  n'avait  négligé  aucune 
des  occasions  qui  s'étaient  offertes  de  déployer  son  zèle  sans  nuire 
à  la  marche  de  ses  études.  Son  esprit  était  si  plein  des  choses  de 
Dieu  qu'il  lui  suffisait  des  relations  ordinaires  de  la  vie  pour  pou- 
voir faire  œuvre  d'apostolat.  Mais  cette  ardeur  à  poursuivre  le 
salut  et  la  perfection  des  âmes  lui  valut  de  grandes  persécutions. 
Dès  son  arrivée  il  s'était  adressé  de  préférence  à  ses  compatriotes, 
avec  lesquels  la  communauté  de  langage  lui  permettait  des  liai- 
sons plus  faciles.  En  1529,  par  le  moyen  des  Exercices  spirituels, 
il  inspira  le  désir  de  la  vie  parfaite  à  trois  gentilshommes  espa- 
gnols d'un  beau  talent  :  Juan  de  Castro,  de  Tolède,  bachelier  de 
Sorbonne,  Peralta,  sujet  d'un  rare  mérite,  et  un  jeune  biscayen 
nommé  Amador  2,  sur  qui  Jacques  de  Govéa  fondait  les  plus 
belles  espérances.  Tous  les  trois  résolurent  de  renoncer  au  monde 
et  de  se  consacrer  à  Dieu  dans  une  entière  pauvreté.  Après  avoir 
vendu  tout  ce  qu'ils  possédaient  et  distribué  le  prix  aux  indigents, 
ils  se  retirèrent  à  l'hôpital  Saint-Jacques  et  vécurent  en  deman- 
dant l'aumône.  Le  bruit  d'un  changement  si  imprévu  se  répandit 
bientôt  dans  l'Université  et  devint  le  sujet  de  tous  les  entretiens. 
Il  excita  surtout  le  dépit  de  quelques  espagnols,  qui  regardant 
l'héroïque  abnégation  des  trois  étudiants  comme  un  acte  d'insigne 
folie,  se  montraient  scandalisés  de  les  voir  mendier  de  porte  en 
porte  au  mépris,  disaient-ils,  de  leur  famille  et  à  la  honte  de 
leur  pays.  Un  mot  d'ordre  est  donné.  Une  bande  d'écoliers  accou- 
rent en  vociférant  devant  l'hôpital  pour  en  faire  sortir  leurs  ca- 
marades; ils  s'efforcent  par  prières,  menaces  et  reproches  de  les 
détourner  de  leur  genre  de  vie.  Ce  fut  en  vain;  les  trois  jeunes 
gens  répondirent  qu'eux  aussi  avaient  jadis  regardé  les  choses 
du  ciel  comme  une  folie,  mais  qu'à  présent,  grâce  aux  leçons 
d'Ignace,  ils  étaient  revenus  de  cet  aveuglement  :  «  Allez  le 
trouver,  ajoutèrent-ils,  et  dans  peu  de  jours  vous  viendrez  vous 
joindre  à  nous.  Ou,  si  vous  ne  voulez  pas  nous  imiter,  cessez  au 
moins  de  nous  troubler.  »  On  passa  alors  des  paroles  aux  actes; 
on  les  arracha  violemment  de  l'hôpital  et  on  les  ramena  dans 

1.  Polanco,  p.  51. 

2.  Peralta  et  Amador  habitaient  alors  Sainte-Barbe  (Cf.  Astrain,  op.  cit.,  p.  66). 


20  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

leur  ancienne  habitation.  Là,  on  les  contraignit  de  quitter  leur 
pauvre  habillement  et  on  les  poursuivit  de  tant  d'importunités 
qu'ils  promirent  de  se  conduire,  au  moins  extérieurement, 
comme  tout  le  monde  jusqu'à  la  fin  de  leurs  études  et  leur  retour 
en  Espagne  i . 

Lorsqu'on  apprit  qu'Ignace  avait  été  l'instigateur  de  cette  sin- 
gulière manière  de  vivre,  ceux  qui  la  désapprouvaient  tournè- 
rent contre  lui  leur  rancune.  Parmi  les  plus  irrités  se  trouvaient 
l'espagnol  Pedro  Ortiz,  régent  du  collège  de  Montaigu,  et  le  por- 
tugais Jacques  de  Govéa,  principal  du  collège  Sainte-Barbe,  tous 
deux  personnages  de  grande  autorité.  Ils  cédèrent  à  un  premier 
mouvement  de  jalousie  contre  celui  qu'ils  traitaient  déjà  de  no- 
vateur. Qu'était-il  donc,  en  effet,  pour  prendre  une  telle  influence 
sur  leurs  propres  disciples?  N'était-ce  pas  un  fauteur  de  désordre 
et  même  d'hérésie?  Des  lettres  malveillantes,  venues  d'Espagne, 
ayant  confirmé  ces  soupçons,  les  plaintes  des  adversaires  d'Ignace 
se  firent  plus  bruyantes  :  on  lui  reprocha  d'ensorceler  ceux  qui 
le  fréquentaient,  puis  bientôt  on  en  vint  à  l'accusation  formelle 
de  magie.  De  là  une  dénonciation  portée  au  tribunal  de  l'Inquisi- 
tion. 

L'Inquisiteur  était,  en  ce  temps-là,  Mailre  Mathieu  Ori,  frère  de 
l'Ordre  de  Saint-Dominique  et  prieur  du  couvent  de  Saint-Jac- 
ques, désigné  par  le  Pape  Clément  VII  pour  combattre  l'hérésie 
protestante  en  France  2.  Dès  qu'il  connut  la  nature  des  faits  sou- 
mis à  son  examen,  il  devina  sans  peine  quelle  était  cette  magie 
qui  jetait  dans  les  esprits  un  trouble  si  salutaire,  et  il  ne  crut  pas 
devoir  commencer  une  enquête  juridique.  Cependant  il  voulut 
voir  Ignace,  le  connaître,  s'entretenir  avec  lui  sur  sa  doctrine  et 
ses  actes.  Mais  celui-ci  était  alors  absent  de  Paris,  se  dévouant  à 
une  œuvre  de  miséricorde  bien  capable  de  confondre  les  ca- 
lomnies des  accusateurs. 

On  se  rappelle  l'ancien  compagnon  de  chambre  auquel  Ignace 
avait  confié  son  petit  pécule  et  qui,  dépositaire  infidèle,  l'avait 
entièrement  dissipé.  Ce  malheureux  jeune  homme  était  tombé 
dangereusement  malade  à  Rouen,  au  moment  de  s'embarquer 
pour  l'Espagne.  Connaissant  la   mansuétude  de  celui-là  même 


1.  Acla  P.  /.'/».,  u.  77.  —  Polanco,  p.  45,  46. 

2.  A  proprement  parler  le  tribunal  de  l'Inquisition  n'a  jamais  été  établi  en  France 
tomme  il  lélail  en  Espagne  et  en  Italie;  mais  il  y  a  eu  souvent  des  inquisiteurs  délé- 
gués par  le  Pape  pour  conserver  la  pureté  de  la  foi.  Tel  fut  le  cas  du  dominicain 
Mathieu  Ori  investi  de  ce  pouvoir  sous  le  pontificat  de  Clément  VU  (Cf.  Du  Boulay, 
t.  VI,  p.  296). 


fGNACE  A  PARIS,  21 

dont  il  avait  trahi  la  confiance,  il  n'hésita  pas  dans  sa  détresse  à 
recourir  a  sa  charité  et  à  lui  faire  parvenir  la  nouvelle  de  son 
misérable  état.  Ignace,  préoccupé  de  ce  qui  pouvait  arriver  pen- 
dant son  absence,  sentait  une  vive  répugnance  à  entreprendre 
ce  voyage;  mais  étant  entré  dans  l'église  Saint-Dominique,  où  il 
consulta  Dieu  dans  la  prière,  ses  craintes  s'évanouirent;  il  vou- 
lut, coûte  que  coûte,  aller  au  secours  de  cet  infortuné  qu'il  espé- 
rait ramener  à  de  meilleurs  sentiments.  Pour  obtenir  son  entière 
conversion,  il  résolut  même  de  parcourir  pieds  nus,  sans  boire  ni 
manger,  le  long  chemin  qui  sépare  Paris  de  Rouen.  Le  lendemain, 
à  son  lever,  il  sentit  de  nouveau  une  grande  appréhension  qui  lui 
enlevait  jusqu'à  la  force  de  se  vêtir.  Ce  fut  dans  cette  angoisse 
qu'il  quitta  son  logis,  puis  la  ville,  avant  la  pointe  du  jour. 
Quand  il  arriva  à  Argenteuil,  sa  faiblesse  corporelle  était 
extrême;  il  pouvait  à  peine  se  tenir  debout;  cependant  il  renou- 
vela la  résolution  de  poursuivre  sa  route  à  pied  sans  rien  pren- 
dre, dût- il  se  traîner  à  terre.  Tandis  qu'il  montait  avec  effort  une 
pente  escarpée  il  fut  tout  à  coup  délivré  de  cette  épreuve.  Son 
corps  était  soulag-é  et  fortifié,  une  telle  abondance  de  consola- 
tion spirituelle  remplissait  son  àme  qu'il  se  mit  à  converser  tout 
haut  avec  Dieu.  Après  une  marche  de  quatorze  lieues,  le  premier 
jour,  il  s'arrêta  dans  un  hôpital  où  il  partagea  le  lit  d'un  men- 
diant; il  passa  la  seconde  nuit  dans  une  chaumière;  enfin,  le 
troisième  jour,  il  atteignit  le  terme  de  son  voyage,  toujours  à 
pied  et  à  jeun  mais  sans  éprouver  ni  faim  ni  fatigue,  tant  il  était 
ravi  en  Dieu  et  dans  un  continuel  transport  d'amour.  Dès  qu'il 
eut  trouvé  son  ancien  compagnon,  Ignace,  oubliant  l'injustice 
dont  il  avait  été  victime,  l'embrassa  tendrement  comme  son  ami, 
puis  lui  procura  tous  les  secours  corporels  et  spirituels  dont  il 
avait  besoin.  Lorsque  le  pauvre  malade  fut  rétabli,  il  le  fit  ad- 
mettre sur  un  bâtiment  atin  qu'il  pût  continuer  son  voyage  et  lui 
donna  des  lettres  de  recommandation  pour  des  amis  d'Espagne  l. 
Gomme  il  était  sur  le  point  de  quitter  la  ville  de  Rouen,  Ignace 
reçut  une  lettre  lui  annonçant  que  pendant  son  absence  on  l'avait 
dénoncé  à  l'Inquisition;  on  prétendait  même  qu'il  s'était  enfui 
afin  d'échapper  au  châtiment  réservé  aux  hérétiques.  Justement 
alarmé  de  cette  nouvelle,  il  précipita  autant  que  possible  son 
retour  et  se  fit  délivrer  en  présence  de  deux  témoins  un  certificat, 
attestant  qu'après  réception  de  la  lettre  il  était  aussitôt  reparti 

1.  Acta  P.  Ign.,  n.  79,  8o.  —  Polanco,  p.  42.  —  De  actis  S.  Ignatii  a  RUmde- 
neira  (Mon.  UjnaU,  s.  4,  t.  I,  p.  346). 


22  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

pour  Paris.  A  peine  arrivé,  avant  même  de  rentrer  à  son  logis, 
il  se  rendit  directement  chez  l'Inquisiteur  avec  l'intention  de  lui 
raconter  toute  l'affaire  et  de  se  soumettre  volontairement  à  une 
enquête.  II  désirait  par  là  dissiper  tous  les  soupçons  conçus  contre 
lui  et  prouver  à  ses  adversaires  qu'en  faisant  le  voyage  de  Rouen, 
il  n'avait  point  eu  en  vue  d'échapper  aux  poursuites.  Maître  Ori 
avait  déjà  écarté  l'accusation  de  magie,  comme  sans  fondement, 
et  s'était  abstenu  jusque-là  d'aucune  procédure.  Le  prompt  re- 
tour d'Ignace  et  sa  comparution  spontanée  le  confirmèrent  dans 
son  opinion  favorable.  Persuadé  de  l'innocence  de  l'accusé,  il  le 
congédia  sans  l'interroger  et  lui  dit  qu'il  n'avait  rien  à  craindre1. 

9.  Ce  que  nous  venons  de  raconter  se  rapporte  aux  premières 
années  du  séjour  d'Ignace  à  Paris,  lorsqu'il  étudiait  la  gram- 
maire et  les  humanités2.  Durant  sa  philosophie,  où  nous  l'avons 
vu  s'abstenir  de  toute  œuvre  capable  de  troubler  le  cours  régu- 
lier de  ses  travaux,  il  saisissait  cependant  avec  avidité  toute  oc- 
casion rencontrée  par  hasard  de  faire  le  bien.  Un  jour  qu'il 
causait  en  pleine  rue  avec  un  de  ses  amis,  le  docteur  Fragus, 
survint  un  moine  tout  inquiet  qui  pria  celui-ci  de  l'aider  à  trouver 
un  autre  logement,  parce  que  dans  la  maison  qu'il  habitait  plu- 
sieurs personnes  venaient  de  mourir,  enlevées,  pensait-il,  par  la 
peste  qui  désolait  la  ville.  Les  deux  amis  s'empressèrent  de  l'ac- 
compagner à  sa  demeure,  voulant  visiter  les  malades  et  recon- 
naître la  nature  du  fléau.  Aucun  doute,  c'était  bien  la  peste  qui 
sévissait  dans  cette  maison.  Ignace  s'approcha  d'un  pauvre  mori- 
bond, le  cons>la  et  essaya  de  le  rassurer  en  touchant  ses  plaies. 
A  peine  fut-il  sorti  qu'il  éprouva  uue  vive  douleur  à  la  main; 
s'imagïnant  alors  être  atteint  par  la  terrible  maladie,  il  fut  saisi 
d'une  crainte  involontaire;  puis,  indigné  de  ce  qu'il  regardait 
comme  un  moment  de  faiblesse,  il  porta  la  main  à  ses  lèvres  en 
se  disant  à  lui-même  :  «  Si  tu  as  la  peste  à  la  main,  tu  l'auras 
aussi  à  la  bouche.  »  Aussitôt,  sa  frayeur  s'évanouit  en  même 
temps  que  la  douleur  disparut.  Dès  qu'on  sut  qu'il  avait  pénétré 
dans  une  maison  infectée,  tout  le  monde  se  mit  à  le  fuir  comme 
un  pestiféré;  il  fut  obligé  de  vivre  quelques  jours  hors  du  col- 
lège Sainte-Barbe  qu'il  habitait  alors 3. 


1.  Acta  P.  Ign.,   n.  81.  Polanco,  p.  46.  Censura  P.  Araozii  in  vîtam  .s11  Ignatii 
[Mon.  Ignat.,  s.  4,  t.  I,  735,  736). 

2.  Ce  fut  «  quinze  mois  après  son  arrivée  à  Paris,  dit  Polanco,  que  s'éleva  celte 
tempête  »  (De  Vita  P.  Ignatii,  p.  45-46).  — 3.  Acta  P.  Ign.,  n.  83. 


IGNACE  A  PARIS.  23 

Tandis  qu'il  paraissait  moins  s'occuper  à  la  conquête  des  âmes, 
on  le  laissait  fort  en  paix.  Le  docteur  Fragus,  étonné  de  ce  calme 
inusité,  lui  en  fit  une  fois  l'observation.  «  C'est  que  je  n'ai  plus 
d'entretiens  spirituels  avec  personne,  lui  dit  Ignace,  mais  atten- 
dez que  j'aie  terminé  mes  études  et  tout  reprendra  comme  par 
le  passé1.  »  Cette  prévision  se  réalisa;  la  tempête  éclata  même 
plus  soudaine  qu'on  n'aurait  pu  le  croire.  Ignace  avait  cessé,  il 
est  vrai,  de  donner  les  Exercices  spirituels  et  de  gagner  ainsi  des 
prosélytes,  mais  il  savait  profiter  de  la  moindre  circonstance  pour 
exhorter  ses  camarades  à  mener  une  vie  chrétienne,  à  sanctifier 
les  dimanches  et  les  fêtes  par  la  confession,  la  communion  et  les 
bonnes  œuvres.  Or,  c'était  la  coutume,  au  collège  Sainte-Barbe, 
d'assister  avant  midi,  les  jours  de  fête,  à  certains  exercices  litté- 
raires. Depuis  qu'Ignace  avait  introduit  la  fréquentation  des  sa- 
crements parmi  ses  condisciples,  il  arriva  parfois  que  plusieurs 
de  ces  jeunes  gens  omirent  de  s'y  trouver,  occupés  qu'ils  étaient 
parleurs  actes  de  dévotion.  Maître  Jean  de  Pena,  froissé  de  ces 
absences,  en  fît  un  grief  à  l'étudiant  apôtre  et  ne  lui  ménagea  pas 
les  réprimandes  :  s'il  s'occupait  de  la  conduite  des  autres,  il  de- 
vait s'attendre  à  l'avoir  pour  ennemi.  Ces  injustes  reproches 
produisirent  peu  d'effet.  Aucun  professeur  n'avait  le  droit  de 
forcer  les  élèves  à  négliger  leurs  devoirs  de  chrétien  pour  as- 
sister à  des  disputes  scolastiques  dont  l'heure  avait  été  mal  choisie. 
Malgré  trois  avertissements,  Ignace  ne  laissa  pas  d'exhorter  ses 
amis  à  garder  leur  pieuse  coutume. 

Maître  Pena,  voyant  l'inutilité  de  ses  remontrances,  s'en  alla, 
tout  hors  de  lui,  trouver  le  Principal  du  collège  et  réclama  une 
punition  rigoureuse.  Pour  calmer  son  irritation,  le  docteur  Govéa 
le  pria  de  prévenir  de  sa  part  Ignace  de  Loyola  que,  s'il  con- 
tinuait à  distraire  les  écoliers  de  leurs  travaux,  on  lui  donnerait  la 
salle.  Les  menaces  comme  les  avertissements  restèrent  sans  résul- 
tat. Le  professeur,  outré  de  dépit,  renouvela  ses  plaintes  auprès 
du  Principal  l'assurant  que,  sous  couleur  de  sainteté,  cet  étu- 
diant méprisait  les  statuts  du  collège,  qu'il  était  inaccessible  à 
tout  sentiment  de  crainte  ou  de  persuasion  et  qu'une  pénitence 
exemplaire  pourrait  seule  le  corriger.  Govéa,  déjà  fort  indigné 
contre  Ignace  depuis  l'affaire  du  jeune  Amador,  son  protégé, 
résolut  de  le  condamner  sans  plus  d'examen,  comme  perturba- 
teur de  la  paix  publique,  à  la  peine  de  la  salle  dont  il  l'avait  me- 
nacé '. 

1.  Acla  P.  Ign.,  n.  82.  —  2.  Ibid.,  n.  78.  Cf.  Ribadeneira,  1.  II,  c.  ni. 


24  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Voici  en  quoi  consistait  ce  châtiment  :  au  son  de  la  cloche  se 
réunissaient  dans  la  salle  du  collège  tous  les  élèves,  quatre 
régents  armés  de  verges,  le  Principal  avec  quelque  autre  grave 
personnage  qu'il  devait  inviter  pour  la  plus  grande  humiliation 
du  délinquant;  celui-ci,  saisi  à  l'improviste,  était  amené  devant 
cette  assemblée,  dépouillé  jusqu'à  la  ceinture  et  frappé,  sur  le 
dos,  par  les  régents,  d'un  nombre  de  coups  déterminé1.  Ce  genre 
de  punition,  plus  humiliante  encore  que  douloureuse,  permettait 
d'atteindre  le  but  qu'on  s'était  proposé  :  détacher  d'Ignace  ses 
condisciples  en  l'avilissant  à  leurs  yeux.  Personne  n'oserait  plus 
paraître  dans  la  compagnie  d'un  homme  déshonoré  par  une 
flétrissure  publique. 

Quelques-uns  de  ses  amis,  ayant  eu  connaissance  de  ce  que  l'on 
tramait  contre  lui,  le  prévinrent  secrètement  de  fuir  ou  de  se 
cacher.  Ignace,  loin  de  suivre  cet  avis,  se  représenta  le  divin 
Maître  attaché  à  la  colonne  du  prétoire  et  il  ne  voulut  pas  perdre 
une  si  bonne  occasion  de  souffrir  pour  l'amour  de  Dieu.  Cepen- 
dant, à  la  pensée  d'un  traitement  humiliant  et  immérité,  il  fris- 
sonna; puis,  dominant  bientôt  cette  répugnance  involontaire  de 
la  nature,  se  menaçant  lui-même  de  se  traîner  de  force  comme  une 
bête  de  somme  s'il  ne  pouvait  pas  marcher  de  bonne  grâce,  il 
entra  résolument  au  collège  dont  les  portes  furent  aussitôt  fer- 
mées derrière  lui.  A  cette  heure  même,  pourtant,  son  âme  était 
livrée  à  deux  esprits  bien  opposés  :  d'un  côté,  l'amour  de  Dieu 
uni  au  désir  de  souffrir  pour  Jésus-Christ  et  son  saint  nom  le 
poussait  à  subir  joyeusement  l'ignominie;  d'autre  part,  le  même 
amour  de  Dieu  joint  au  zèle  pour  le  salut  des  âmes  lui  conseillait 
d'éviter  un  châtiment  dont  les  suites  auraient  pu  devenir  si 
funestes  au  projet  qu'il  méditait.  Dans  son  doute,  il  recourut  au 
principe  des  Exercices  spirituels,  la  plus  grande  gloire  de  Dieu  ; 
il  reconnut  qu'il  devait  préférer  le  bien  des  âmes  à  sa  propre 
humiliation,  et  vite  sa  résolution  fut  prise2. 

Quand  le  correcteur  se  présenta  pour  le  conduire  dans  la  salle, 
Ignace  de  Loyola  se  déclara  prêt  à  le  suivre,  mais  il  demanda  à 
parler  d'abord  au  Principal.  L'âme  tranquille  et  sans  reproche, 

1.  Statutum  FacuUalis  artium  pro  corrigendis  abusibus,  1488  :  «  Puniatur  delin- 
quens  scholaslicus  in  aula  collegii,  cujus  se  profitetur  scholasticum,  a  quatuor  Regenli- 
bus  et  a  singulis  eorum  verberetur  virgis  in  dorso  nudus,  praesentibus  omnibus 
scholasticis  de  suo  collegio,  ad  pulsuin  campanae,  ac  praesente  D.  Rectore  cum  DD. 
Procuiatoribus  si  illis  placet  nie  adesse,  aut  saltem  praesente  aliqua  gravi  persona 
quam  inagister  Paedagogus  appellare  decreverit  ad  inajorein  delinquentis  juvenis  eru- 
bescenliam  »  (Du  Boulay,  V,  783,  784).  Cf.  Maffei,  De  vita  B.  lgnatii,  p.  65 

2.  De  aclis  S.Jgn.  a  Ribadeneira  (Mon.  Ign.,  s.  4,  t.  I,  p.  383,  384). 


IGNACE  A  PARIS.  23 

il  parut  devant  lui  avec  une  contenance  assurée,  comme  un 
homme  libre  de  tout  souci  personnel;  il  exposa  simplement  les 
divers  sentiments  qui  se  combattaient  en  son  cœur  :  condamné 
aux  verges  pour  avoir  conduit  des  âmes  à  Dieu,  il  ne  reculera  pas 
devant  ce  léger  châtiment,  lui  qui  a  enduré  pour  la  même  cause 
la  prison  et  les  fers;  jusqu'ici  il  n'a  jamais  cherché  à  se  disculper, 
tenant  à  honneur  de  souffrir  et  môme  de  mourir  dans  un  si  noble 
ministère;  mais  aujourd'hui,  il  ne  s'agit  pas  seulement  de  son 
intérêt;  c'est  le  salut  d'un  grand  nombre  qui  est  en  jeu;  on  veut, 
en  le  déshonorant,  éloigner  de  lui  ceux  qui  ne  lui  étaient  attachés 
que  par  le  seul  désir  de  la  perfection.  Convient-il  à  un  chrétien  de 
condamner,  comme  perturbateur,  un  homme  qui  se  proposait 
uniquement  de  gagner  des  âmes  à  Jésus-Christ?  Car  enfin  on  n'a 
pas  d'autre  crime  à  lui  reprocher,  et  s'il  est  coupable  en  quelque 
autre  point,  qu'on  veuille  bien  le  lui  dire. 

Le  docteur  de  Govéa,  dans  son  jugement  précipité,  n'avait 
point  envisagé  les  choses  de  ce  point  de  vue  surnaturel;  les  expli- 
cations si  franches  d'Ignace  dissipaient  le  nuage  qui  l'avait  aveu- 
glé; chacune  de  ses  paroles  lui  déchirait  le  cœur  comme  un 
remords.  Il  s'aperçut  qu'il  avait  persécuté  ce  que  lui-même  aimait 
par-dessus  tout,  la  vertu  chrétienne,  et  il  résolut  de  réparer  sur- 
le-champ  le  tort  qu'il  avait  fait  à  la  réputation  d'un  homme  de 
Dieu.  Sans  dire  un  mot,  mais  les  yeux  remplis  de  larmes1,  il  le 
prend  par  la  main  et  le  conduit  dans  la  salle  où  maîtres  et 
élèves  attendaient.  Là,  à  la  grande  surprise  des  assistants,  il 
déclare  qu'il  avait  à  la  légère  prêté  l'oreille  à  des  accusations 
sans  fondement  :  «  Cet  homme  est  un  saint,  dit-il,  car  sans  se 
soucier  de  la  douleur  et  de  l'affront,  il  n'a  tenu  compte  que  de 
l'honneur  de  Dieu  et  de  l'avantage  du  prochain.  »  Et  tout  ému, 
se  jetant  aux  genoux  de  l'étudiant,  il  lui  demanda  pardon2. 

On  peut  s'imaginer  l'impression  produite  sur  l'assemblée  par 
cette  satisfaction  éclatante,  et  la  considération  qui  revint  à  Ignace 
d'un  changement  si  inattendu.  Une  telle  démonstration  de  respect 


1.  «  Profusis  eliam  lacrymis.  » 

2.  Polanco,  n.  47,  48.  —  De  aclis  S.  Ign.  a  Ribadeneira  (Mon.  lgnat.,  S.  4,  t.  I.  p. 
380-384). 

M.  Quicherat  a  mis  en  doute  cet  acte  d'humilité  du  docteur  de  Govéa,  sous  prétexte 
que  dans  ses  confidences  au  P.  Gonzalvès  le  saint  n'en  a  rien  dit;  mais  il  a  passé 
bien  d'autres  faits,  ceux-là  surtout  qui  tournaient  à  sa  gloire.  M.  Quicherat  se  croit-il 
donc  mieux  renseigné  que  Ribadeneira,  enfant  et  contemporain  de  son  bienheureux 
Père,  mieux  renseigné  que  le  P.  Polanco,  son  secrétaire,  et  plusieurs  de  ses  premiers 
biographes?  Pour  nous,  leur  témoignage  suffit  à  former  notre  conviction.  Voir  Qui- 
cherat, op.  c,  p.  104. 


■26  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

de  la  part  d'un  homme  aussi  vénéré  que  Jacques  de  Govéa  lui 
valut  l'estime,  l'admiration  de  tous,  et  servit  à  lui  attirer  de  nom- 
breux disciples.  Maître  Jean  de  Pena  qui  avait  soulevé  cette  tem- 
pête se  réconcilia  avec  lui,  et,  à  partir  de  ce  moment,  le  prit  en 
singulière  affection.  Quelques  années  plus  tard,  lorsque  la  Com- 
pagnie de  Jésus  n'était  pas  encore  approuvée  comme  ordre  reli- 
gieux, Govéa  conseilla  à  Jean  III,  roi  de  Portugal,  d'employer  les 
compagnons  d'Ignace  à  la  conversion  des  Indes.  S'il  avait  exécuté 
l'inique  sentence,  peut-être  Ignace  n'eût-il  jamais  fait  la  conquête 
de  Xavier,  si  susceptible  sur  le  point  d'honneur,  et  celui-ci  n'eût 
point  recueilli  l'admirable  moisson  d'àmes  converties  par  son  zèle 
infatigable. 

10.  Parmi  les  principaux  personnages  de  l'Université  qui  hono- 
rèrent Ignace  de  leur  amitié,  nous  ne  pouvons  oublier  les  deux 
illustres  professeurs  Moscoso  et  Vaglio,  et  surtout  un  lecteur  de 
théologie  nommé  Martial.  Ce  dernier  puisait  chaque  jour,  dans 
ses  entretiens  intimes  avec  le  saint  étudiant,  de  nouvelles  lumières 
sur  les  mystères  les  plus  profonds  de  la  religion.  Il  se  persuada 
qu'un  homme  qui,  sans  avoir  assisté  aux  leçons  ni  parcouru  les 
écrits  des  théologiens,  était  si  versé  dans  la  science  sacrée,  devait 
l'avoir  apprise  à  une  école  plus  haute  et  de  Dieu  lui-même.  Il 
s'offrit  donc  à  lui  faire  obtenir  le  bonnet  de  docteur  en  théologie, 
pendant  qu'il  n'était  encore  que  philosophe;  mais  le  serviteur 
de  Dieu  ne  voulut  jamais  y  consentir1. 

Lorsque  Ignace  eut  commencé  de  suivre  les  cours  de  dogme 
chez  les  Dominicains  du  grand  couvent  de  Saint-Jacques,  il  pensa 
que  son  nouveau  genre  d'études  lui  permettait  de  donner  plus  de 
temps  aux  œuvres  de  piété  et  de  charité.  D'ailleurs,  parvenu  à 
parler  couramment  le  français,  il  pouvait  maintenant  exercer  son 
zèle  auprès  d'un  plus  grand  nombre  de  jeunes  gens.  Ce  zèle, 
alors,  était  fort  opportun,  car  l'erreur  luthérienne,  sous  les  trom- 
peuses apparences  d'émancipation  de  la  pensée,  causait  déjà 
d'affreux  ravages  au  sein  de  l'Université.  Ignace  s'en  aperçut  vite; 
il  employa  toute  son  habileté  et  son  énergie  à  ramener  à  l'unité 
catholique  les  esprits  que  les  nouvelles  doctrines  avaient  égarés. 
Rempli  de  cette  ardente  conviction  des  vérités  de  la  foi  que  lui 
avaient  laissée  les  sublimes  révélations  de  Manrèse,  il  convertit 
par  de  sages  et  adroites  discussions  plusieurs  de  ces  malheureux 

1.  Polanco,  p.  45. 


IGNACE  A  PARIS.  27 

hérétiques,  qu'il  conduisait  ensuite  au  tribunal  des  Inquisiteurs 
pour  se  réconcilier  par  une  abjuration  secrète  avec  la  sainte  Église 
Romaine  '. 

Une  autre  classe  de  dévoyés,  celle  des  pécheurs,  avait  tou- 
jours été  l'objet  de  ses  attentions  les  plus  industrieuses.  Avec  le 
don  naturel  de  manier  les  caractères,  de  convaincre  les  esprits  et 
de  toucher  les  cœurs,  il  avait  l'habileté  de  condescendre,  dans 
les  limites  permises,  à  l'inclination,  aux  désirs,  parfois  même 
aux  capices  de  ceux  qu'il  voulait  sauver  à  tout  prix.  Surtout,  il  ne 
reculait  devant  aucun  sacrifice,  quand  il  s'agissait  de  ramener 
une  àme  à  Dieu.  Un  jeune  homme  de  sa  connaissance  s'était  folle- 
ment épris  d'une  femme  qui  demeurait  dans  un  village  des 
environs  de  Paris.  Ignace,  ayant  invoqué  vainement  tous  les 
motifs  de  raison  et  de  foi  sans  le  guérir  de  son  aveugle  passion, 
résolut  de  tenter  un  autre  moyen.  Le  chemin  que  suivait  ce 
jeune  libertin  en  allant  à  ses  coupables  rendez-vous,  traversait  un 
pont.  Un  jour,  Ignace  va  l'attendre  à  cet  endroit;  dès  qu'il 
l'aperçoit  venir,  il  se  dépouille  de  ses  vêtements;  malgré  le  froid 
de  l'hiver  il  se  plonge  dans  l'eau  jusqu'au  cou,  et  à  son  passage  il 
lui  crie  :  «  Allez,  malheureux,  courez  à  vos  honteux  plaisirs.  Vous 
ne  voyez  donc  pas  le  glaive  de  la  justice  divine  prêt  à  vous 
frapper?  Moi  je  resterai  ici  priant  et  faisant  pénitence  pour  vous; 
vous  m'y  trouverez  à  votre  retour,  vous  m'y  retrouverez  jusqu'à 
ce  que  j'aie  détourné  de  votre  tête  la  trop  juste  colère  de  Dieu.  » 
Effrayé  de  cette  véhémente  objurgation,  le  pécheur  ouvrit  enfin 
les  yeux  sur  son  état,  dont  la  honte  et  les  dangers  lui  étaient 
manifestés  au  prix  d'un  si  cruel  martyre;  il  n'alla  pas  plus  loin, 
réforma  ses  mœurs  et  ne  cessa  plus  de  regarder  le  sauveur  de  son 
àme  comme  son  meilleur  ami2. 

Pour  convertir  un  religieux  qui  vivait  d'une  manière  peu  con- 
forme à  sa  vocation,  Ignace  eut  recours  à  une  industrie  non  moins 
extraordinaire  ni  moins  efficace.  Un  dimanche  il  se  présente  à  lui 
au  confessionnal  et  lui  fait  une  accusation  générale  de  toute  sa 
vie,  accompagnant  l'aveu  de  chaque  faute  des  signes  d'une  très 
vive  contrition.  La  grâce  de  Dieu  agissait  en  même  temps  dans 
l'âme  du  malheureux  prêtre;  la  confession  n'était  pas  achevée 
qu'il  était  devenu  un  autre  homme.  Après  l'absolution,  il  se  jette 
à  son  tour  aux  pieds  de  son  pénitent  en  qui  il  avait  reconnu 
un  maitre  dans  les  choses  du  salut;  il  lui  expose  avec  larmes  la 

1.  Acta  SS.,  I  XVI,  n.  161,  p.  451. 

2.  De  actis  S.  Ign.  a  Ribadeneira  (Mon.  lgnat.,  s.  4,  t.  I.  p.  362,  364). 


28  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

désolation  de  son  âme  et  le  supplie  de  l'aider  à  sortir  de  son  triste 
esclavage.  Ignace  avait  atteint  son  but;  il  acheva  l'œuvre  de 
conversion  par  les  Exercices  spirituels,  et  sous  sa  direction  le 
religieux  repentant  devint  un  modèle  de  vertus1. 

I  ne  autre  fois,  Ignace  étant  allé  voir  un  gentilhomme  pour  une 
affaire  de  charité,  le  trouva  qui  jouait  au  billard2.  C'était  un 
docteur  en  théologie,  illustre  par  sa  naissance  et  son  savoir,  assez 
réglé  dans  ses  mœurs,  mais  peu  dévot  et  plus  occupé  des  intérêts 
du  temps  que  de  ceux  de  l'éternité.  Invité  à  lui  servir  de  partenaire, 
Ignace  s'excuse  en  disant  qu'il  n'y  entendait  rien.  Le  docteur 
insiste  et  l'aimable  saint,  mû  par  une  inspiration  divine,  accepte 
L'invitation  :  «  Quel  sera  l'enjeu?  dit-il  en  souriant;  un  pauvre 
tel  que  moi  n'a  point  d'argent,  et  il  n'y  a  point  de  plaisir  à  ne 
rien  jouer  du  tout.  Voici  ce  que  je  propose  :  si  je  perds,  je  vous 
servirai  pendant  un  mois  et  ferai  tout  ce  que  vous  me  com- 
manderez; si  je  gagne,  vous  ferez  seulement  une  seule  chose  que 
je  vous  demanderai  pour  votre  bien.  »  La  condition  est  acceptée, 
et  Ignace,  qui  n'avait  jamais  joué  au  billard,  gagne  sans  difficulté 
la  partie.  Le  docteur,  reconnaissant  là  quelque  chose  de  mysté- 
rieux, s'offrit  loyalement  à  remplir  les  conditions  de  l'enjeu  :  il 
suivit  pendant  un  mois  les  Exercices  spiriluels,  où  il  apprit  pour 
le  plus  grand  bien  de  son  àme  les  principes  de  la  vraie  vie 3. 

Etrange  existence,  celle  de  cet  étudiant  de  quarante  et  quelques 
années,  se  livrant  tout  ensemble  à  l'étude  des  sciences,  à  la  pra- 
tique des  conseils  évangéliques  et  au  ministère  de  l'apostolat!  Si 
étrange  qu'elle  fût,  elle  tenta  cependant  quelques  âmes  d'élite  que 
la  Providence,  toujours  sage  et  puissante  dans  la  conduite  de  ses 
entreprises,  voulut  associer  à  Ignace  de  Loyola  pour  la  fondation 
d'un  Ordre  nouveau.  Le  chapitre  suivant  dira  quelles  furent  ces 
âmes  et  comment  elles  furent  conquises  à  la  cause  du  Divin  Roi. 

1.  Bien  que  nous  ne  tenions  ce  fait  et  le  suivant  que  de  Bartoli  (Saint  Ignace,  t.  I, 
p.  197),  nous  avons  cru  ne  pas  devoir  les  omettre.  Bartoli,  qui  écrivit  au  milieu  du 
xvir  siècle,  travailla  sur  les  archives  de  la  Compagnie.  Au  dire  des  Bollandistes,  il  est 
de  tous  les  biographes  de  saint  Ignace  celui  qui  a  le  mieux  entendu  son  devoir 
d'historien  (Acta  SS.,  t.  VII  Julii,  l  XCIV,  n.  992,  p.  609). 

2.  Le  jeu  de  billard,  d'origine  orientale,  a  été  introduit  en  Europe  vers  l'époque 
des  croisades-,  il  se  répandit  en  France  surtout  pendant  le  règne  de  Louis  XI  et 
devint  tout  à  fait  à  la  mode  sous  celui  de  Louis  XIV. 

3.  Barloli,  t.  1,  p..  198. 


CHAPITRE  II 

LES    PREMIERS    COMPAGNONS    d' IGNACE    ET   LES    VOEUX 
A   MONTMARTRE. 

(1529-1536). 


Sommaire  :  1.  État  des  esprits  à  Paris  pendant  le  séjour  d'Ignace  :  humanisme 
et  réforme.  —  2.  Ignace  est  témoin  des  manifestations  populaires  contre  l'hé- 
résie. —  3.  Il  cherche  des  compagnons.  —  4.  Pierre  Le  Fèvre.  —  5.  François 
Xavier.  —  (3.  Lainez  et  Salmeron.  —  7.  Nicolas  Bobadilla  et  Simon  Rodriguez. 

—  8.  Ils  arrêtent  ensemble  leurs  projets  d'avenir.  —  9.  Vœux  à  Montmartre. 

—  10.  Vie  d'Ignace  et  de  ses  compagnons  après  cette  cérémonie.  —  11.  Nouvelle 
dénonciation  à  l'Inquisition;  Ignace  retourne  en  Espagne.  —  12.  Séjour  de 
ses  compagnons  à  Paris  sous  la  direction  de  Pierre  Le  Fèvre.  —  13.  Vocation 
de  Claude  Le  Jay.  —  14.  Paschase  Broet  et  Jean  Codurc  se  réunissent  aux 
compagnons  d'Ignace. 

Sources  manuscrites  .-  I.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Sum- 
mariura  Processuum  in  causa  B.  P.  Ignatii.  —  b)  Processus  de  sanclitate  et  virtute 
S.  Franc.  Xaverii.  —  c)  Franciae  Historia,  t.  I. 

II.  Archives  nationales  :  al  Registre  du  Parlement,  Xi-\  n.  1531,  153i,  1537,  4538.  —  b) Chartes 
et  papiers  de  l'Abbaye  de  Montmartre  L.  1031. 

III.  Bibliothèque  nationale  :  a)  Acta  rectoria  Univ.  Paris.,  ras.  lat.  9,900.  —  b)  Actes  de  la 
Faculté  de  Théologie,  ma.  lat.  9,953.  —  c)  Monasticon  Benedictinum,  XXVIII,  m  s.  lat. 
12,688. 

Sources  imprimées  :  Acta  Sanctorum,  t.  VII  Julii.  —  Memoriale  B.  Pétri  Fnbri.  —  Ro- 
driguez. De  Origine  S.  J.  — .  Ribadeneira,  Vida  del  B.  P.  Ignacio.—  Vie  du  P.  Lainez. 

—  Cros  S.  J.,  Saint  François  Xavier.  Documents  nouveaux.  —  Monumenta  iiist.  S.  .1.  Mon. 
Ignatiana,  s.  1,  t.  V;  s.  4,  t.  I.  —  Mon.  Xaveriana,  1. 1.  —  Polanco,  De  vita  P.  Ignatii. 

1.  Il  ne  paraîtra  pas  sans  intérêt  de  considérer  un  instant  le 
milieu  où  vivaient  les  futurs  collaborateurs  d'Ignace,  quand  par 
sa  voix  ils  entendirent  l'appel  de  Dieu.  Si  leur  sainte  détermi- 
nation fut  tout  à  fait  indépendante  des  événements  contempo- 
rains, ils  acquirent  du  moins  de  ceux-ci  une  expérience  qui  les 
guidera  plus  tard,  quand  il  faudra  organiser  l'apostolat  et  l'en- 
seignement dans  la  Compagnie  de  Jésus  :  ils  sauront  alors  se 
montrer  de  leur  temps  et  reconnaître  la  nécessité  des  études 
littéraires  et  scientifiques  pour  combattre  l'erreur  à  armes  égales. 

Nous  sommes  à  l'époque  où  François  Ier  favorise  de  tout  son 
pouvoir  le  progrès  de  la  littérature  et  des  sciences,  et  sévit  molle- 
ment contre  les  tentatives  des  novateurs.  Sous  le  regard  bien- 
veillant du  Père  des  lettres,  latinistes,  hellénistes,  voire  même 


30  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESI  S. 

hébraïsants  publient,  en  éditions  peu  coûteuses,  les  chefs-d'œuvre 
de  l'antiquité  profane  et  chrétienne.  François  Tr  institue  des 
lecteurs  royaux  qui  enseigneront  gratuitement  les  langues  sa- 
vantes1. A  la  suite  d'Érasme,  toute  une  pléiade  d'érudits,  épris 
de  lectures,  proclament  que  l'étude  des  lettres  antiques  rendra 
l'homme  plus  conscient  de  lui-même,  plus  civilisé  et  plus  hu- 
main. Leur  doctrine,  l'humanisme,  a  bientôt  conduis  tous  ceux 
qu'avaient  lassés  la  routine  et  le  convenu  du  moyen  àg-e.  Alors 
un  courant  se  forme  qui  menace  dans  ses  traditions  la  vieille 
Université  de  Paris;  courant  excellent  s'il  est  contenu  et  dirigé, 
redoutable  au  contraire  s'il  dépasse  de  justes  limites2.  On  aurait 
pu  avoir  un  humanisme  chrétien;  on  n'eut,  de  fait,  qu'un  huma- 
nisme libertin  qui,  développant  avec  excès  la  critique  philolo- 
gique ou  philosophique,  secoua  le  joug'  de  l'autorité,  prôna  la 
pensée  indépendante,  interpréta  audacieusement  l'Écriture  et 
les  Pères,  ridiculisa  les  institutions  et  les  dogmes  de  l'Église 3. 

Il  faut  le  dire  à  la  gloire  de  la  Faculté  de  théologie,  elle  sut 
découvrir  l'affinité,  l'alliance  même,  de  cet  humanisme  avec  le 
protestantisme  et,  dans  les  débuts,  elle  les  combattit  vigoureu- 
sement l'un  et  l'autre.  Elle  condamna  Érasme  4  qui  se  défendait 
d'être  protestant  et  osait  cependant  attaquer  les  pratiques  chré- 
tiennes, traiter  sans  respect  la  doctrine  des  Pères,  critiquer  la 
traduction  de  la  Vulgate  et  mettre  en  suspicion  les  livres  de 
l'Ancien  Testament.  Elle  censura  le  Miroir  de  l'âme  pécheresse 
de  la  reine  de  Navarre,  sœur  du  roi,  parce  qu'elle  crut  y  sur- 
prendre des  tendances  hérétiques  \  Elle  dénonça  au  Parlement 
les  lecteurs  royaux,  parce  que  «  simples  grammairiens  et  rhé- 
toriciens,  non  ayant  encore  étudié  en  la  Faculté  [de  théologie], 
ils  s'efforçoient  de  lire  publiquement  de  la  Sainte  Écriture   et 

1.  La  première  idée  du  collège  des  trois  langues  dale  de  1517,  mais  ne  fut  réalisée 
qu'en  1530.  Les  premiers  professeurs  furent  Pierre  Danès  et  François  Vatable.  Cf. 
Du  Boulay,  t.  VI,  p.  93  et  121. 

2.  Ph.  Torreilles,  f.e  mouvement  théologique  en  France,  p.  51-62.  —  Hauser,  De 
l'humanisme  et  de  la  Réforme  en  France,  dans  Revue  Historique,  juillet-août  1897. 

3.  Dans  une  notice  mis.  de  Bobadilla  (Vocalioncs  nostrorum),  que  le  P.  Astrain 
pense  avoir  été  dictée  par  celui-ci   même,  on  lit  à   propos  du   temps  où  Bobadilla 

étudiait  à  Paris  :  «  Eo  tempore  incipiebal  grassari   Parisiis  haeresis  lulberana et 

qui  graecisabant  lulheranizabant  »  (Astrain.  op.  cit.,  p.  77,  note  1). 

4.  Censure  du  16  déc.  1527,  publiée  seulement  en  1531.  —  Décret  du  1er  juillet 
1528  condamnant  les  Colloques  (IVArgentré,  Collectio  judiciorum,  t.  1.  Index  sen- 
ttntiavum  Parisiensis  scholae,  p.  v). 

5.  Du  Boulay,  t.  VI,  p.  238.  —  François  ["  s'en  plaignit  à  l'Assemblée  générale  de 
l'Université  (24  ocl.  1533)  qui  rejeta  la  responsabilité  de  celle  censure  sur  la  Faculté 
de  théologie  et  la  désavoua.  Il  faut  dire  que  le  nouveau  recteur,  Nicolas  Kopp,  était 
imbu  des  idées  de  Calvin  (Ibidem). 


LES  PREMIERS  COMPAGNONS  D'IGNACE.  31 

icellc  interpréter1  ».  Et  quand  Guillaume  Briçonnet,  évoque  de 
Meaux,  confia  l'évangélisation  de  son  diocèse  à  des  savants  «  ama- 
teurs de  nouveautés2  »,  à  un  Lefèvre  d'Étaples  qui  prêchait  la 
justification  par  la  foi,  à  un  Guillaume  Farel  qui  sera  bientôt,  à 
Genève,  le  précurseur  de  Calvin,  la  Faculté  intervint  contre  ce 
prélat,  frappa  et  dispersa  ses  prédicateurs,  de  sorte  que  lui- 
même  se  vit  obligé  de  combattre  ceux  qui  l'avaient  abusé  3. 

Cette  attitude  de  la  Faculté  n'est  pas  sans  courage,  car  alors 
toutes  les  faveurs  de  François  Ier  vont  aux  humanistes  et  aux 
réformés.  Le  roi  estime  et  protège  Érasme  dont  il  laisse  imprimer 
les  colloques.  Il  défend  Lefèvre  d'Étaples  contre  la  sentence 
des  docteurs,  et  forme  le  dessein  de  le  rappeler  d'un  exil  volon- 
taire pour  lui  confier  l'éducation  de  son  plus  jeune  fils.  Il  sou- 
tient de  sa  bienveillance  le  poète  Clément  Marot  et  l'imprimeur 
Robert  Estienne,  tous  deux  ouvertement  engagés  dans  la  secte. 
Et  tandis  que  Noël  Béda,  l'intransigeant  défenseur  de  l'ortho- 
doxie, est  exilé  par  deux  fois,  la  cour,  avec  l'assentiment  de 
Jean  du  Bellay,  évêque  de  Paris,  entreprend  des  négociations  en 
Allemagne  dans  le  but  de  faire  venir  en  France  le  luthérien 
Mélanchton 4.  Dans  son  entourage,  François  F1' entend  bien  le 
cardinal  de  Tournon  ou  le  chancelier  du  Prat  lui  conseiller  la 
rigueur;  mais  sa  sœur,  Marguerite  de  Valois,  une  autre  femme 
très  puissante  sur  lui,  la  duchesse  d'Étampes,  son  aumônier 
Pierre  Duchàtel  et  son  prédicateur  Guillaume  Petit,  le  poussent 
à  la  plus  dangereuse  indulgence.  Sa  politique  l'y  portait  aussi  :  il 
ne  voulait  point  froisser  les  princes  luthériens  d'Allemagne  dont 
il  se  ménageait  l'amitié  contre  Charles-Quint.  Comment,  dans 
de  pareilles  circonstances,  un  roi,  naturellement  curieux  des  re- 
cherches savantes  et  se  plaisant  aux  témérités  des  hommes  de 
lettres,  ne  serait-il  pas  resté  faible  devant  l'erreur  défendue  par 
le  talent,  l'érudition  et  le  bel-esprit?  Cependant,  sans  être  nul- 
lement théologien,  il  était,  malgré  ses  désordres,  très  religieux 
et  très  respectueux  des  formes  visibles  du  culte.   Il  commença 

1.  On  peut  lire  dans  Du  Boulay  (t.  VI,  p.  239  et  suiv.)  les  curieux  discours  de 
Marillac,  avocat  de  la  Faculté,  et  <le  Montholon,  avocat  du  roi. 

2.  Crevicr,  t.  V,  p.  202.  Cf.  Journal  d'un  bourgeois  Paris  sous  François  Ier 
(Edil.  Bourrilly,  1909),  p.  233. 

3.  Voir  un  long  extrait  des  registres  du  Parlement  relatif  à  celle  affaire  dans  Du 
Boulay,  t.  VI,  p.  173-184. 

4.  Ce  projet  échoua  de  part  et  d'autre:  les  docteurs  de  Paris  ne  le  goûtaient 
point,  et  Mélanchton,  que  sa  modération  rendait  suspect  aux  Luthériens,  n'obtint  pas 
le  congé  de  l'Électeur  de  Saxe  (Du  Boulay,  t.  VI,  p.  256,  257).  Cf.  Bayle,  Met.,  arl. 
Mélanchton. 


32  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

de  sévir  quand  il  put  juger  la  nouvelle  doctrine  à  ses  fruits,  quand 
les  nouveaux  dogmes  eurent  inspiré  des  actes  sacrilèges  *. 

2.  l)o  1528  à  1535,  Ignace  et  ses  amis  furent  témoins  de  ce  re- 
virement de  la  politique  royale  dans  les  affaires  religieuses.  S'ils 
curent  alors  à  déplorer  la  propagation  de  l'hérésie  par  renseigne- 
ment et  par  les  livres,  ils  purent  aussi  admirer  le  vif  mouvement 
de  réprobation  avec  lequel  le  roi  et  le  peuple  manifestèrent  la  ré- 
volte de  leur  foi  contre  les  audaces  de  l'impiété.  Quelle  joie  ce 
devait  être  pour  des  âmes  sensibles  aux  intérêts  divins,  de  voir  la 
Sorbonne  démasquer  l'erreur  et  la  réprimer,  dénoncer  au  Parle- 
ment la  vente  des  ouvrages  luthériens'2,  prohiber  les  Colloques 
d'Érasme3  déjà  très  répandus4,  lus  même  dans  les  classes,  bien 
que  les  moines,  le  célibat  des  prêtres  et  les  plus  saintes  dévo- 
tions des  fidèles  y  fussent  tournés  en  dérision;  quelle  joie  d'ap- 
prendre que  le  roi  a  enfin  reconnu  le  danger  et  déclaré  «  son 
parfait  et  entier  vouloir  d'extirper  les  hérésies  de  son  royaume5  »  ; 
quelle  joie  surtout  d'assister  aux  premières  émo'ions  d'un  peuple 
vengeant  ses  croyances,  à  ces  cérémonies  de  réparation  dont  les 
registres  du  Parlement  nous  ont  gardé  le  touchant  récit! 

En  1528,  le  31  mai,  dans  la  nuit  qui  précéda  le  dimanche  de  la 
Pentecôte,  des  fanatiques  brisèrent  la  statue  de  la  Sainte  Vierge 
placée  au  coin  de  la  rue  des  Rosiers6.  Aussitôt  l'Université  déli- 
bère; elle  réclame,  par  requêtes  au  roi  et  au  Parlement7,  la  re- 
cherche et  Ja  punition  des  coupables;  puis,  le  mardi  après  la 
Trinité,  elle  va  en  procession  solennelle  avec  cinq  cents  de  ses 
élèves  tenant  tous  un  cierge  allumé;  en  chemin  on  s'arrête  à  l'en- 
droit où  le  sacrilège  a  été  commis,  et  au  milieu  de  cantiques  de 
circonstance  chacun  dépose  son  cierge  devant  les  débris  de  la  sta- 
tue8. Le  roi  voulut  lui-même  «  rétablir  ladite  image  »;  il  en  fit 
faire  une  autre  d'argent  de  même  grandeur;  il  vint  exprès  de 
Fontainebleau  pour  la  fête  du  Saint  Sacrement;  le  lendemain,  12 
juin,  eut  lieu  par  son  ordre  une  nouvelle  procession  expiatoire  à 

1.  De  Meaux,  Les  luttes  religieuses  en  France  au  XVI"  siècle,  p.  18-24. 

2.  Reg.  du  Parlement,  juillet  1531  (Archiv.  nat..  X'%  1,534). 

3.  Décret  du  l"r  juillet  1528  (Du  Boulay,  t.   VI,  p.  211). 

4.  Lettre  d'Érasme  «  ad  Alpli.  Valdesium  »  (Du  Boulay,  t.  VI,  p.  211).  Un  impri- 
meur de  Paris,  Simon  de  Colines,  comptait  en  faire  un  si  grand  débit  qu'il  en  tira 
24.000  exemplaires  {Ibitl.). 

5.  Déclaration  faile  par  le  roi  au  premier  Président  (Reg.  du  Parlement  X1",  n.  1.  534. 
('.  39,  20  décembre  1530). 

(',.  Du  Boulay,  t.  VI,  p.  209,  210.  Félibien.  flist.  de  Paris,  t.  II,  p.  981. 

7.  Reg.  duPailement  .\',n.  1,531,  6  juin  1528. 

8.  Du  Boulay,  l.  c.  Cf.  Félibien.  Hist.  de  Paris,  1.  c. 


LES  PREMIERS  COMPAGNONS  D'IGNACE.  33 

laquelle  prirent  part  avec  lui  tous  les  corps  de  l'État;  arrive  sur 
remplacement  du  crime,  François  1er  de  ses  propres  mains  «  osta 
l'image  qui  avoit  esté  rompue...  et  après  avoir  baisé  l'image  d'ar- 
gent... laquelle  lui  fut  baillée  par  l'évesque  de  Lisieux,  il  la  mist 
au  lieu  de  l'autre...  puis  la  baisa  derechef,  puis  descendit  ledit 
seigneur  ayant  les  larmes  aux  yeux  et  se  mist  à  genoux  faisant 
derechef  ses  oraisons1  ». 

Mais  ces  manifestations  de  la  foi  eussent  été  sans  effet  sur  les 
sectaires  si  de  justes  châtiments  ne  les  avaient  terrifiés.  Au  mois 
d'avril  1529  est  brûlé  en  place  de  Grève  un  gentilhomme  d'Artois, 
Louis  de  Berquin,  docteur  en  théologie  et  conseiller  du  roi, 
homme  d'un  esprit  fort  libre,  coupable  d'avoir  semé  l'hérésie, 
traduit  et  répandu  les  traités  des  réformateurs  allemands2.  En 
1531,  on  fait  arrêter  et  juger  plusieurs  hommes  de  lettres  pour 
violation  de  la  loi  du  carême;  parmi  eux  se  trouvait  Clément 
Marot3.  Le  17  décembre  de  la  même  année,  l'Université  condamne 
les  Psaumes  du  poète  et  fait  défense  aux  libraires  de  les  vendre  4. 

En  1533,  les  hypocrites  réformateurs  subirent  une  humiliation 
d'un  autre  genre.  Le  jour  de  la  Toussaint,  le  recteur  de  l'Univer- 
sité récemment  élu,  Nicolas  Kopp,  tout  dévoué  aux  nouvelles  opi- 
nions, fit  le  discours  d'usage  aux  Mathurins  :  ce  morceau  avait  été 
composé  par  Calvin  dont  il  reflétait  la  doctrine.  Deux  Franciscains 
en  déférèrent  au  Parlement  plusieurs  propositions  erronées. 
Kopp  essaye  de  se  défendre,  réunit  de  nouveau  l'Université,  fait 
l'apologie  de  son  discours  et  prétend  que  s'il  est  coupable  c'est  à 
l'Université  et  non  au  Parlement  de  le  juger.  Les  Facultés  de  mé- 
decine et  des  arts  sont  de  cet  avis;  mais  la  Faculté  de  théologie 
et  celle  de  droit,  persuadées  que  les  privilèges  de  l'Université  ne 
lui  ont  point  été  donnés  pour  favoriser  les  fausses  opinions,  em- 
brassent le  sentiment  contraire.  Kopp,  sentant  sa  cause  mauvaise, 
s'enfuit  à  Baie  et  le  jeune  Calvin,  qui  habitait  alors  le  collège  de 

1.  Procès-verbal  du  Greffier  (Archiv.  nat.,  Reg.  du  Parlement  Xla,  n.  1,531,  6  et 
12  juin  1528).  Le  P.  Cros  S.  J.  dans  son  savant  ouvrage  sur  saint  François  Xavier 
a  déjà  cité  ces  registres  du  Parlement;  on  peut  regretter  qu'il  n*ait  pas  reproduit 
l'ancienne  orthographe  ni  donné  les  références  détaillées  de  ses  citations.  Nous  don- 
nons ici  le  texte  revu  avec  soin. 

2.  Félibien,  Hist.  de  Paris,  t.  II,  p.  984.  Du  Boulay,  t.  Vf,  p.  217-221.  La  Faculté 
de  théologie  avait  déjà  condamné  des  livres  de  Berquin  au  mois  de  juin  1523  (Actes 
de  la  Faculté...  Bibl.  nat.,  ms.  lat.  9,960,  f.  21).  Cf.  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris. 
p.  234. 

3.  Dulaure,  Hist.  de  Paris,  t.  H,  p.  197.  Pendant  que  deux  conseillers  instruisaient 
leur  procès,  le  secrétaire  de  la  reine  de  Navarre  vint  au  Parlement  et  cautionna  Clé- 
ment Marot  qui  sortit  de  prison. 

4.  Du  Boulay,  t.  VI,  p.  234. 

COMPAGNIE    DE   JÉSUS.  —    T.    I.  3 


34  HISTOIRE  \)E  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Fortet,  se  retire  en  Saintonge  l.  A  cette  époque,  où  l'erreur  était 
sans  droits,  il  élait  dangereux  de  se  voir  suspecté  d'hérésie,  et  si 
l'on  avait  le  malheur  de  tomber  dans  les  prisons  de  la  Concier- 
gerie, c'était  souvent  pour  finir  sur  le  bûcher,  place  Maubert  ou 
place  de  Grève 2. 

Ce  fut  surtout  en  1535  que  François  Ier  se  montra  partisan 
d'une  sévère  répression.  Il  y  fut  contraint  par  l'excès  même  du 
mal.  Le  18  octobre  1534-  parurent  affichés  en  divers  lieux  publics, 
à  Paris  et  dans  plusieurs  autres  villes,  des  placards  imprimés 
avec  ce  titre  :  «  Articles  véritables  sur  les  horribles  abus  de  la 
messe  papale3  ».  Le  roi  fut  indigné  de  ces  déclamations  violentes 
contre  la  plus  vénérable  cérémonie  du  catholicisme  ;  il  comprit 
qu'il  ne  s'agissait  plus  de  disputes  savantes.  De  retour  à  Paris,  non 
content  des  prières  et  processions  solennelles  que  le  Parlement 
avait  déjà  ordonnées  dans  toutes  les  paroisses4,  il  voulut  assister 
avec  la  cour  à  une  nouvelle  procession  générale  d'expiation,  le 
21  janvier  1535.  Parles  rues  «  tendues  de  tapisseries  »,  à  travers  la 
foule  que  contenaient  «  les  archers  et  arbalestriers  de  la  ville  », 
furent  portés  «  par  gens  d'Église  »  le  chef  de  saint  Louis,  et  par 
des  évêques  les  reliques  de  la  Sainte-Chapelle;  puis,  précédé  des 
ambassadeurs  et  des  cardinaux,  le  Saint-Sacrement  parut  sous 
un  poêle  qui  était  tenu  par  les  enfants  de  France  '.  «  Incontinent 
après  marcha  le  roi,  seul,  tenant  en  sa  main  une  torche  de  cire 
blanche...  »  Le  cortège  se  rendit  de  Saint- Germain  l'Auxerrois 
à  Notre-Dame  «  où  l'évesque  de  Paris  célébra  la  grand'messe 
que  le  roy  et  la  reyne  ouyrent  avec  les  princes,  princesses,  sei- 
gneurs et  dames...  Et  le  sermon  achevé,  allèrent  disner  à  la  mai- 
son dudit  évesque  de  Paris.  Après  le  disner  le  roy  manda  venir  en 
sa  présence  les  Estats  de  ladite  ville...  et  ayant  à  l'entour  de  sa 
personne  Messeigneurs  ses  enfans,  fit  une  très  saincte  et  belle 
oraison,  exhortant  ses  sujets  à  ne  déroger  de  la  foi  et  de  l'union 
de  l'Église,  menaçant  les  obstinés  de  la  rigueur  de  sa  justice,  ad- 
monestant les  ministres  des  justices  spirituelle  et  temporelle  de 

1.  Du  Boulay.  t.  VI,  p.  23K,  239. 

2.  «  Eo  lempore  multi  comburebantur  in  platea  Maubert  »  (Notice  ms.  de  Bobadilla, 
citée  par  Astrain,  l,  c). 

3.  Sur  l'affaire  des  placards  voir  Félibien  (t.  H,  p.  99").  D'après  lui  ces  placards  fu- 
rent affichés  par  deux  fois  :  une  première  au  mois  d'octobre  pendant  que  le  roi  était  à 
Blois,  et  une  seconde,  après  son  retour;  on  eut  alors  l'audace  d'en  mettre  jusque  dans 
le  Louvre. 

4.  Délibération  du  19  octobre  1534  (Reg.  du  Parlement  X1',  1,537,  f.  503'). 

5.  Procès- verbal  de  la  procession  (Archiv.  nat.,  Reg.  du  Parlement  X'\  1,538,  f.  607- 
610).  —  Sur  cetle  procession  du  21  tanvier,  on  peut  voir  aussi  :  Actes  de  la  faculté  do 
théologie  de  Paris  en  matière  d'hérésie  (Bibl.  nat.,  mss.  latins,  9,960,  f.  29). 


LES  PREMIERS  COMPAGNONS  D'IGNACE.  33 

veiller,  chascun  en  son  endroict,  pour  empescher  que  si  perni- 
cieuse contagion  n'accrust  et  pullulast  en  ce  royaume  très  chres- 
tien  »...  «  Et  cette  après-disnéc  fut  faite  exécution  de  six  condam- 
nés au  feu...  pour  cause  d'hérésie;  selon  qu'il  est  écrit  au  livre  des 
Proverbes  :  Dissipât  impios  rex  sapiens  et  incurvai  super  eos  for- 
nicem l  » . 

Vers  les  derniers  jours  de  mars,  il  y  eut  encore  une  vive  effer- 
vescence dans  le  peuple  au  sujet  d'une  petite  hostie  trouvée,  le 
29  de  ce  mois,  dans  le  cimetière  Saint-Nicolas-des-Champs.  Ce 
jour-là  même,  ou  le  lendemain,  Ignace  partait  de  Paris,  empor- 
tant une  lettre  de  François  Xavier  à  son  frère,  terminée  par  ces 
mots  :  «  Ce  qui  s'est  passé  au  sujet  des  hérétiques,  maître  Inigo 
vous  le  dira 2.  » 

3.  Au  milieu  des  événements  que  nous  venons  de  rappeler, 
dans  cette  jeunesse  studieuse  si  exposée  aux  embûches  de  la 
réforme,  Ignace,  sous  la  conduite  de  Dieu,  découvrit  et  s'attacha 
ses  premiers  coopérateurs,  ceux  qui  seront  avec  lui  les  premiers 
soldats  dune  milice  plus  tard  redoutable  au  protestantisme.  Il 
n'y  songeait  pas  alors  3;  il  cherchait  seulement  à  s'entourer  d'au- 
tres lui-même,  à  augmenter  le  nombre  des  âmes  vivant  de  l'a- 
mour de  Jésus-Christ  et  prêchant,  de  paroles  et  d'exemple,  ce 
même  amour  au  prochain.  Nous  l'avons  vu  entreprendre  l'exécu- 
tion de  ce  dessein  pendant  qu'il  étudiait  en  Espagne,  et  le  pour- 
suivre encore  au  collège  de  Montaigu  4.  Par  un  effet  de  la  sagesse 
divine,  ses  premiers  efforts  en  ce  genre  n'aboutirent  à  rien  de 
durable  :  ni  ses  quatre  compagnons  d'Alcala,  ni  les  trois  jeunes 
compatriotes  qu'il  conquit  à  la  vie  parfaite,  quinze  mois  après 
son  arrivée  à  Paris3,  ne  lui  furent  fidèles1'. 

Mais  lui  ne  se  lassait  point  d'appeler  à  la  suite  de  Jésus-Christ 
ceux  de  ses  condisciples  qui,  attirés  par  son    exemple   ou  une 


1.  Ibidem. 

2.  Lettre  à  Juan  Azpilcueta,  25  mars  1595,  dans  Mon,  Xaveriana,  t.  I,  p.  205. 

3.  Aucun  témoignage  contemporain  ne  prouve  que,  durant  son  séjour  à  Paris,  Ignace 
ait  parlé  à  ses  compagnons  de  la  fondation  d'un  ordre  religieux.  Voir  :  Fr.  Van  Ortroy, 
Manrèse  et  les  origines  de  la  Compagnie  de  Jésus  dans  Analecta  BoHandiana, 
1908,  t.  XXVII,  p.  393-418.  —  4.  Polanco,  De  Vita  P.  Ign.,  p.  45.  —  5.  Ibidem. 

6.  Calisto  alla  faire  du' commerce  aux  Indes.  Aitiaga,  qui  avait  convoité  un  évêche. 
mourut  empoisonné  en  Amérique.  Diego  de  Cazerès  embrassa  le  métier  des  armes. 
Jeannic  vécut  et  mourut  pieusement  dans  un  cloître.  Jean  de  Castro,  après  s'être 
adonné  à  la  prédication,  se  retira  à  la  chartreuse  de  Valence.  Peralta  avait  entrepris 
le  voyage  de  Jérusalem,  quand  il  fut  obligé  par  l'un  de  ses  parents  de  revenir  en 
Espagne.  Quant  au  jeune  Amador,  on  n'a  jamais  bien  su  ce  qu'il  était  devenu  [Acta 
P.  Ignatii,  n.  80). 


36  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

sympathie  providentielle,  se  montraient  dociles  à  ses  conseils. 
Entre  1529  et  15:3V,  Dieu  lui  fait  rencontrer  six  de  ces  prédestinés. 
Il  les  gagne  d'abord  par  l'autorité  de  sa  vertu  et  les  prévenances 
de  sa  charité  ;  puis,  les  mettant  seul  à  seul  avec  le  créateur,  il 
leur  enseigne  la  pratique  de  ces  Exercices  Spirituels  qui  ont  fait 
de  lui-même  un  autre  homme.  A  cette  école  de  l'Esprit-Saint, 
la  vérité,  présentée  à  tous  ces  jeunes  gens  sous  un  même  jour, 
leur  donne  des  convictions  et  des  aspirations  communes;  la 
même  ardeur  pour  le  règne  de  Jésus-Christ  les  anime,  et  bientôt, 
la  grâce  de  la  vocation  survenant,  un  même  but  les  attire  et  les 
entraine  :  leur  perfection  propre  et  la  perfection  du  prochain 
pour  la  gloire  de  Dieu.  Unis  de  cœur  et  d'âme  à  Ignace  et  entre 
eux,  les  voilà  composant  tout  de  suite  comme  instinctivement 
une  petite  société,  à  laquelle  il  suffira  de  quelques  événements, 
amenés  par  la  Providence,  pour  prendre  la  forme  et  le  dévelop- 
pement prévus  dans  le  plan  divin,  sous  le  nom  de  Compagnie 
de  Jésus. 

h.  Le  premier  appelé  à  collaborer  un  jour  avec  Ignace  à  la 
fondation  de  cette  Compagnie  fut  un  élève  de  Sainte -Barbe, 
Pierre  Le  Fèvre1,  que  l'Église  a  placé  sur  les  autels.  C'était  un 
enfant  de  la  Savoie  né  en  1506,  au  Yillaret,  dans  le  diocèse  de 
Genève,  d'une  famille  de  cultivateurs  peu  favorisés  des  biens  de 
la  fortune.  A  peine  commençait-il  à  marcher  librement  qu'on 
l'envoya  chaque  jour  garder  les  brebis  aux  champs.  Son  père, 
homme  juste  et  craignant  Dieu,  devint  son  premier  maitre  dans 
la  science  du  salut.  Le  petit  berger  profita  si  bien  de  ses  leçons 
qu'il  se  trouva  bientôt  en  état  de  les  enseigner  à  son  tour.  On 
montrait  autrefois,  dans  son  village,  une  grosse  pierre  sur  laquelle 
il  montait,  les  jours  de  fête,  pour  expliquer  aux  autres  enfants 
ce  qu'il  avait  appris  des  mystères  de  la  foi.  L'aimable  prédica- 
teur n'avait  pas  encore  six  ans,  mais  il  s'exprimait  avec  une  si 
naïve  assurance  et  une  grâce  si  charmante  qu'une  foule  d'audi- 
teurs se  pressaient  autour  de  sa  chaire  improvisée.  La  vivacité 
de  son  esprit  était  accompagnée  d'une  tendre  piété.  «  Mes  pa- 
rents, raconte-t-il  dans  son  Mémorial,  mirent  un  tel  soin  à  m'é- 

1.  Le  vrai  nom  de  sa  famille  était  Favre.  La  seule  lettre  que  nous  ayons  de  lui  en 
français  est  signée  :  Pierre  Faure  {Carias  del  li.  P.  Fabro,  p.  355).  A  l'Université 
on  lappela  Faber,  nom  latin  qui  fut  traduit  par  celui  de  Fèvre  au  xur  siècle. 
Comme  les  auteurs  italiens  de  la  Compagnie  écrivaient  il  Fabro,  les  auteurs  français 
écrivirent  Le  Fèvre  ou  Le  Febvre.  Nous  avons  choisi  la  forme  que  l'histoire  a  popu- 
larisée parmi  nous. 


LES  PREMIERS  COMPAGNONS  D'IGNACE.  31 

lever  dans  la  crainte  du  Seigneur,  que,  tout  petit  enfant,  j'avais 
conscience  de  mes  actes,  et,  ce  qui  est  un  signe  d'une  plus  grande 
grâce  prévenante  de  la  part  de  Dieu,  vers  l'âge  de  sept  ans,  je 
sentais  quelquefois  des  touches  spéciales  de  dévotion1.  »  Lors- 
qu'il conduisait  les  troupeaux  au  pâturage,  il  aimait  à  chanter 
les  louanges  du  Seigneur  et  invitait  la  nature  entière  à  les  chan- 
ter avec  lui.  Au  magnifique  spectacle  des  montagnes  si  pittores- 
ques de  son  pays  natal,  il  élevait  comme  naturellement  son 
âme  innocente  vers  Dieu  et  lui  présentait  l'hommage  d'un  cœur 
reconnaissant. 

Vers  l'âge  de  dix  ans,  il  éprouva  dans  son  intelligence  en  éveil 
une  vive  passion  de  l'étude;  mais  sa  famille  ne  pouvait,  sans  de 
lourds  sacrifices,  songer  à  lui  donner  une  éducation  libérale  : 
«  Comme  j'étais  occupé  de  la  garde  des  troupeaux,  dit-il,  et 
destiné  au  monde  par  mes  parents,  je  ne  pouvais  goûter  aucun 
repos,  et  je  pleurais,  tant  mon  désir  de  m'instruire  était  violent. 
Aussi  mes  parents,  contre  leur  intention,  se  virent-ils  forcés  de 
m'envoyer  aux  écoles  (au  grand  Bornand  et  à  Thônes.)  Témoins 
des  progrès  notables  que  je  faisais  dans  les  études,  de  mon  intel- 
ligence et  de  la  fermeté  de  ma  mémoire,  ils  ne  purent  s'empê- 
cher de  me  laisser  suivre  la  carrière  des  lettres2.  »  Pierre  fut 
donc  envoyé  au  collège  de  la  Roche,  alors  dirigé  par  le  docteur 
Veillard,  un  de  ces  maîtres  chrétiens  qui  font  de  l'enseignement 
un  apostolat.  Il  avait  environ  douze  ans  quand  pour  la  première 
fois  il  se  sentit  intérieurement  porté  à  se  consacrer  au  service  de 
Dieu  :  «  Un  jour  pendant  les  vacances,  raconte-t-il,  comme  j'étais 
aux  champs  à  garder  les  moutons,  ce  que  je  faisais  encore  de 
temps  à  autre,  je  sentis  une  joie  surnaturelle  envahir  mon  âme, 
et  comme  j'éprouvais  un  ardent  désir  de  la  sainte  vertu  je  promis 
à  Dieu  de  garder  perpétuellement  la  chasteté.  »  —  En  1525, 
âgé  de  dix-neuf  ans,  il  quitta  ses  montagnes  et  s'en  vint  achever 
ses  études  à  Paris.  Grâce  à  la  bienveillante  intervention  d'un 
parent,  Dom  Georges  Favre,  prieur  de  la  Chartreuse  du  Reposoir, 
il  obtint  une  place  gratuite  au  collège  de  Sainte-Barbe.  Il  y  ha- 
bita, avec  François  Xavier,  jeune  gentilhomme  de  Navarre,  un 
appartement  pratique  dans  une  tourelle  que  les  ravages  du 
temps  respectèrent  jusqu'au  milieu  du  xix'' siècle3.  L'innocence 
de  ses  mœurs,  la  simplicité  de  ses  manières,  la  solidité  de  son 
esprit  et  son  assiduité  opiniâtre  au  travail  le  mirent  bientôt  au 

1.  Memoriale,  p.  3.  —  2.  Memoriale,  p.  4. 
3.  Lefeuve,  Histoire  du  Collège  Rollin,  p.  41. 


38  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

rang  des  meilleurs  élèves,  et  le  rendirent  extrêmement  cher  au 
docteur  Jean  de  Peîia,  son  maître.  Comme  il  possédait  à  fond 
la  langue  grecque1,  ce  professeur  n'hésitait  pas  à  le  consulter 
sur  l'explication  des  passages  les  plus  difficiles  d'Aristote 3.  Ba- 
chelier es  arts  le  10  janvier  1529,  il  reçut  après  Pâques  le  grade 
de  licencié1.  Au  mois  d'octobre  de  la  même  année,  Ignace  de 
Loyola  entrait  à  Sainte-Barbe  et  venait  providentiellement  par- 
tager la  chambre  des  deux  amis. 

Le  futur  fondateur  de  la  Compagnie  de  Jésus  n'aurait  pu  trou- 
ver un  compagnon  mieux  préparé  pour  l'exécution  des  desseins 
de  Dieu,  ni  Le  Fèvre,  alors  en  proie  «  à  certains  scrupules  et 
remords  de  conscience  » ,  un  guide  plus  éclairé  pour  la  direction 
de  son  âme.  Cependant,  malgré  leur  travail  en  commun,  ils  res- 
tèrent quelque  temps  sans  se  découvrir  l'un  à  l'autre  leurs  pen- 
sées intimes.  Enfin,  les  nécessités  spirituelles  de  Pierre  devin- 
rent si  pressantes  que  force  lui  fut  de  rompre  le  silence  pour 
se  jeter  dans  les  bras  d'Ignace  et  s'abandonner  à  sa  conduite  : 
«  Mes  scrupules,  dit-il,  venaient  de  la  crainte  de  ne  m'être  pas 
bien  confessé  de  mes  péchés.  Quant  aux  tentations,  c'étaient  des 
images  suscitées  par  l'ange  de  ténèbres,  que  la  science  du  dis- 
cernement des  esprits  ne  m'avait  pas  encore  appris  à  connaître.  » 
Les  scrupules  poussés  à  l'extrême  mènent  souvent  à  d'étranges 
résolutions.  Pierre  avait  conçu  la  pensée  de  sortir  du  monde,  et 
de  se  retirer  comme  saint  Jérôme  dans  un  désert  «  où  il  ne  vi- 
vrait que  d'herbes  et  de  racines  »,  espérant  ainsi  éviter  les  ten- 
tations et  retrouver  la  paix  du  cœur.  Ignace  avait  eu  à  supporter 
de  semblables  épreuves,  dont  avec  la  grâce  de  Dieu  il  était  sorti 
victorieux  ;  il  se  servit  de  son  expérience  personnelle  pour  rendre 
le  calme  à  son  disciple.  Il  lui  apprit  à  ne  pas  attaquer  ses  ennemis 
de  front  et  tous  à  la  fois,  mais  à  les  diviser  et  à  les  vaincre  l'un 
après  l'autre  par  la  pratique  des  vertus  opposées  à  chaque  ten- 
tation particulière.  En  même  temps,  il  lui  enseigna  par  quelles 
armes  on  triomphe  de  l'amour-propre,  principe  de  tous  nos  dé- 
sordres. Le  Fèvre,  docile  à  cette  direction,  eut  bientôt  retrouvé 
une  si  parfaite  liberté  d'esprit  que  son  sage  conseiller,  sans 
crainte  de  le  troubler  de  nouveau  par  le  souvenir  du  passé,  l'en- 
gagea à  faire  une  confession  générale.  Il  lui  recommanda  ensuite 

1.  Le  P.  Polanco  dit  «  forte  propter  graecae  linguae  peritiam  »  (Vita  P.  fgn.,  p.  48). 
On  ne  voit  pas  pour  quel  autre  motif  Pena  eût  consulté  Le  Fèvre  sur  le  texte  d'Aris- 
tote. —  2.  Polanco,  De  vita  P.  Ignotii,  p.  18. 

3.  Memoriale,  p.  7.  Le  Fèvre  prêta  serinent  à  l'Université  au  début  de  l'année  sco- 
laire 1528-1529  (Acta  rectoria,  1520-1534.  Bibl.  nat.,  ms.  lat.  9,952,  fol.  42). 


[.ES  PREMIERS  COMPAGNONS  D'IGNACE.  :{9 

de  se  confesser  et  de  communier  chaque  semaine,  et,  pour  s'y 
bien  préparer,  de  prendre  l'habitude  de  l'examen  de  conscience 
quotidien;  mais  il  ne  voulut  pas  encore  l'admettre  aux  Exerci- 
ces spirituels,  quoique  Notre-Seigneur  en  inspirât  au  jeune 
homme  un  très  grand  désir1. 

Deux  années  environ  s'écoulèrent,  pendant  lesquelles  le  maî- 
tre ne  cessa  de  former  peu  à  peu  l'âme  de  son  disciple.  Il  trou- 
vait en  lui  des  qualités  bien  propres  à  garantir  sa  persévérance  : 
un  caractère  souple,  un  esprit  ouvert,  beaucoup  de  prudence  et 
de  modestie.  Cependant  il  ne  lui  communiqua  pas  immédiatement 
le  projet  qu'il  méditait;  il  se  contenta  d'encourager  ses  progrès 
en  secondant  ses  pures  et  généreuses  inclinations.  Quand  il  le 
jugea  capable  de  plus  hauts  desseins,  il  lui  découvrit  en  confi- 
dence son  intention  d'aller  en  Terre  Sainte  consacrer  sa  vie  à  la 
conversion  des  infidèles.  Jusqu'à  ce  moment,  Pierre  était  resté 
indécis  sur  la  carrière  qu'il  devait  embrasser.  Les  paroles  d'Ignace 
furent  pour  lui  la  voix  de  Dieu,  et  dissipèrent  ses  incertitudes  : 
«  Je  dois  l'avouer,  dit-il,  avant  que  je  fusse  fermement  déterminé 
à  suivre  le  genre  de  vie  que  le  Seigneur  m'a  fait  connaître  par 
Ignace,  la  pensée  des  honneurs  ou  des  biens  du  monde  était 
comme  un  souffle  qui  me  troublait  et  m'agitait  sans  cesse.  Sans 
pouvoir  me  fixer  à  rien,  je  voulais  être  tantôt  médecin,  tan- 
tôt avocat,  tantôt  régent,  tantôt  docteur  en  théologie,  tantôt  sim- 
ple prêtre  sans  grade,  tantôt  religieux  dans  un  cloître.  Mais  le 
Seigneur  me  délivra  de  toutes  ces  aspirations  terrestres,  et  il  me 
rendit  si  fort  par  les  consolations  de  sa  grâce  que  je  pris  l'irré- 
vocable résolution  de  recevoir  le  sacerdoce2  ». 

Pierre  Le  Fèvre  songea  dès  lors  à  écarter  les  obstacles  qui 
pourraient  l'arrêter  dans  l'exécution  de  son  dessein.  Avant  même 
de  terminer  son  cours  de  théologie,  il  alla  en  Savoie  visiter  ses 
"parents  et  régler  ses  affaires  de  famille.  Il  ne  trouva  plus  sa  mère 
que  Dieu  avait  rappelée  à  Lui.  Il  passa  quelques  mois  avec  son 
père,  puis,  ayant  reçu  avec  la  bénédiction  paternelle  la  permis- 
sion de  disposer  de  lui-même,  il  reprit  le  chemin  de  Paris  où  il 
arriva  vers  la  fin  de  l'année  1533. 

Ignace  jugea  que  le  moment  favorable  était  venu  de  lui  donner 
les  Exercices'.  Retiré  dans  une  maison  écartée  de  la  rue  Saint- 
Jacques,  Le  Fèvre  se  jeta  avec  une  telle  ardeur  dans  les  pratiques 
de  la  mortification  que  son  directeur  eut  besoin  de  le  modérer. 

1.  Polanco,  p.  48.  Memoriale,  p.  8.  —  2.  Mcmoriale,  p.  11-12. 
3.  Polanco,  p.  48. 


40  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

C'était  pendant  l'hiver,  qui  fut  très  vif  cette  année-là,  car  de  pesants 
chariots  pouvaient  traverser  la  Seine  sur  la  glace;  cependant, 
Pierre  ne  voulut  pas  faire  de  feu  dans  sa  chambre,  ni  avoir  d'au- 
tre lit  que  la  terre.  Afin  de  jouir  de  la  vue  du  ciel  qui  excitait  sa 
dévotion,  il  sortait,  même  la  nuit,  dans  une  petite  cour  pleine  de 
givre  et  de  neige,  où  il  restait  plusieurs  heures  de  suite  en  oraison. 
A  cause  de  son  tempérament,  le  jeûne  lui  était  très  difficile;  pour 
se  vaincre  en  cela  comme  en  tout  le  reste,  il  se  soumit  à  une  absti- 
nence héroïque  :  «  Je  passai  alors  six  jours,  dit-il,  sans  prendre 
aucune  nourriture,  ni  d'autre  boisson  que  celle  qu'on  a  coutume 
de  donner  après  la  communion,  c'est-à-dire  un  peu  de  vin,  et  je 
ne  communiai  qu'une  fois  durant  ces  six  jours1.  »  Ignace  venait 
de  temps  en  temps  voir  le  retraitant;  il  devina,  à  la  pâleur  de  son 
visage,  quelques  austérités  excessives.  Loin  d'approuver,  dans  un 
homme  destiné  à  l'apostolat,  cette  mortification  indiscrète,  il  lui 
ordonna  de  prendre  de  la  nourriture  et  d'allumer  du  feu  le  jour 
même. 

Une  retraite  si  fervente  était  une  excellente  préparation  éloignée 
aux  ordres  sacrés  que  Le  Fèvre  devait  bientôt  recevoir.  Quand  le 
moment  de  l'ordination  approcha,  il  acheva  de  s'y  disposer  par 
le  recueillement  et  la  prière.  Ordonné  prêtre  au  milieu  des  plus 
douces  consolations,  il  célébra  sa  première  messe  le  22  juillet  1534. 
Sa  dignité  sacerdotale  ne  l'empêcha  pas  de  suivre  toujours,  avec 
une  humble  docilité,  la  direction  si  sûre  d'Ignace  de  Loyola.  Dans 
les  fonctions  du  saint  ministère,  comme  dans  sa  conduite  privée, 
il  n'entreprenait  rien  sans  le  consulter.  Avec  lui  il  donnait  les 
Exercices  spirituels  à  des  jeunes  gens  de  l'Université,  ramenant 
les  uns  à  leurs  devoirs  religieux,  raffermissant  les  autres  dans  la 
piété,  en  décidant  plusieurs  à  suivre  son  propre  exemple  et  à 
écouter  la  voix  de  Dieu  qui  les  appelait  à  la  vie  apostolique  2. 

5.  Durant  le  voyage  de  Le  Fèvre  en  Savoie,  Ignace  avait  entre- 
pris de  gagner  François  Xavier,  son  second  compagnon  de  cham- 
bre au  collège  Sainte-Barbe.  Le  château  de  Xavier,  d'où  François 
tira  son  nom,  était  situé  au  pied  des  Pyrénées,  à  sept  ou  huit 
lieues  de  Pampelune,  dans  la  haute  Navarre  qui  avait  longtemps 
appartenu  comme  fief  à  la  couronne  de  France.  Ses  frères  avaient 
comme  lui  pris  ce  nom  qui  était  celui  de  leur  mère,  doîia  Maria 

1.  Memoriale,  p.  9. 

2.  Noticia  de  la  Vida  y  vhtutes  del  B.  P.  Fabro  por  el  P.  Ribadeneira,  dans  Carias 
de  S.  Ignacio,  t.  I,  appendice^i^ST^^-  Ribadeneira,  liv.  II,  c.  iv. 


LES  PREMIERS  COMPAGNONS  D'IGNACE.  H 

d'Azpilcueta  et  Xavier1,  afin  de  perpétuel1  le  souvenir  d'une  des 
familles  les  plus  anciennes  et  les  plus  illustres  du  pays.  Né  en 
1506,  il  était  venu  à  l'Université  de  Paris  en  1525 2,  avait  subi 
l'examen  de  licence  es  arts  le  15  mars  1530,  reçu  la  maîtrise 
quelques  jours  plus  tard3,  et  depuis  le  mois  d'octobre  il  com- 
mentait publiquement  Aristote  au  collège  de  Beauvais'.  En 
embrassant  par  goût  la  carrière  de  l'enseignement  plutôt  que 
celle  des  armes,  où  étaient  entrés  ses  frères,  il  avait  suivi  les 
traces  de  son  père,  don  Juan  de  Jasso,  littérateur  distingué,  audi- 
teur au  conseil  royal  et  extrêmement  cher  au  roi  Jean  d'Albret. 
D'un  tempérament  robuste,  d'une  physionomie  agréable  et  de 
mœurs  très  pures,  il  avait  une  imagination  vive  et  ardente,  un 
cœur  noble  et  intrépide,  un  caractère  ferme  et  hautain.  Ignace 
comprit  qu'un  homme  de  cette  trempe,  s'il  était  tourné  au  bien, 
pourrait  faire  de  grandes  choses  pour  Dieu;  mais  il  n'était  pas 
facile  de  le  conquérir. 

Fier  de  sa  naissance  et  du  crédit  de  son  père,  de  son  intelli- 
gence et  de  ses  succès  académiques,  Xavier  ambitionnait  un  beau 
nom  et  n'aspirait  pas  au  delà  des  honneurs  du  monde.  Il  fit  d'a- 
bord «  assez  peu  de  cas  ;>  de  son  compatriote  couvert  de  vêtements 
pauvres  et  indifférent  à  l'estime  ou  aux  outrages  :  «  A  peine  le 
rencontrait-il  sans  se  gaudir  de  ses  desseins 5.  »  Il  répondait  à  ses 

1.  Dans  un  acte  de  procuration  dressé  à  Paris,  le  13  février  1531,  sur  la  demande 
de  François,  on  lit  :  «  Constitué  personnellement  le  très  noble  François  de  Jasso  y 
Xavier...  fils  légitime  du  docteur  don  Juan  de  Jasso  et  de  doua  Maria  de  Azpilcuela 
qui  fut  seigneuresse  de  Xavier...  »  Voir  François  Xavier,  Documents  nouveaux, 
p.  67,  171,  309. 

2.  Les  premiers  biographes  de  l'apolre  des  Indes  et  les  premiers  historiens  de  la 
Compagnie  indiquèrent  l'année  1497  comme  celle  de  la  naissance  de  François  Xavier. 
Le  P.  Moret,  annaliste  de  Navarre,  chargé  par  le  P.  Général  Oliva  de  prendre  à  ce 
sujet  des  informations  au  château  de  Xavier,  trouva  dans  le  livre  de  raison  (libro 
manual)  de  don  Juan,  frère  de  François,  la  dale  de  naissance  de  ce  dernier.  C'était 
le  7  avril  1506.  Voir  Cros  S.  J.,  op.  cit.,  p.  132  et  François  Xavier,  sa  vie,  ses  let- 
tres, t.  I,  p.  48.  —  Le  même  auteur  montre  d'après  les  documents  que  François  n'ar- 
riva à  Paris  que  vers  la  Saint-Rémi  de  l'année  1525. 

3.  Acta  rectoria,  1526-1536.  Bibl.  nat.,  ms.  lat.  9,952,  fol.  77v.  Nomina  incipien- 
tium  post  licentias  :  «  Dominus  Franciscus  de  Xabier,  Pampilon.  » 

4.  «  11  sert  de  beaucoup  aux  maîtres  ès-arts,  pour  se  perfectionner  dans  la  gram- 
maire, les  humanités  et  les  arts,  de  faire  quelque  temps  office  de  régent.  L'expérience 
a  appris  que  l'on  s'applaudit  dans  les  villes  d'avoir  pour  régents  des  maîtres  ès-arts 
-qui  ont  fait  à  Paris  apprentissage  de  régence  dans  les  collèges  de  l'Université  »  (Statuts 
du  collège  du  Mans,  fondé  en  1526,  dans  Félibien,  t.  III,  preuves).  Ces  règlement 
du  collège  du  Mans  donnent  une  idée  de  la  vie  des  écoliers  à  l'époque  qui  nous  occupe. 

5.  Dialogue  manuscrit  du  P.  EmondAuger,  cité  par  le  P.  Tournier  dans  les  Etudes, 
t.  CIX,  p.  657,  5  déc.  1906.  —  Auger,  qui  avait  connu  saint  Ignace,  met  en  scène 
plusieurs  des  premiers  Pères  de  la  Compagnie  :  Polanco,  Palmio,  des  Freux.  C'est 
Polanco  qui  raconte  la  résistance  de  Xavier  à  Ignace.'  Elle  est  confirmée  par  le  premier 
historien  de  l'apôtre  des  Indes,  Torsellini,  entré  dans  la  Cio  en  1562  (De  vita  S.  Fran- 
cisa, 1.  I,  c.  II). 


42  HISTOIRE  DE  I.A  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

exhortations  par  des  railleries.  Mais  l'homme  de  Dieu  «  qui  s'en- 
tendait à  faire  toute  vive  l'anatomie  d'une  âme1  »  ne  se  rebuta  de 
rien.  Par  d'aimables  prévenances,  quelques  louanges  délicates, 
un  zèle  discret  à  lui  procurer  des  auditeurs,  Ignace  parvint  à 
détruire  ses  préjugés,  s'insinua  peu  à  peu  dans  son  affection.  Le 
jeune  professeur,  touché  de  ces  bons  procédés,  lui  donna  enfin  sa 
confiance  et  le  traita  comme  un  ami.  Il  savait  du  reste  que  l'a- 
mour de  la  gloire  et  les  rêves  de  l'ambition  avaient  autrefois  fait 
palpiter  le  cœur  de  l'humble  étudiant  d'aujourd'hui,  et  en  pré- 
sence d'un  changement  si  étonnant  il  se  prit  à  penser  que  les 
choses  de  Dieu  doivent  être  la  source  de  sublimes  aspirations.  Il 
fut  aussi  très  reconnaissant  d'avoir  été  prévenu  et  détourné  par 
Ignace  des  pièges  que  lui  tendaient  les  beaux  esprits  du  temps, 
désireux  de  l'attirer  à  leurs  opinions  avancées.  Il  écrivit  plus  tard 
à  son  frère  :  «  Sachez-le,  senor,  c'a  été  pour  moi  une  grâce  insi- 
gne de  Notre-Seigneur  que  j'aie  connu  Maître  Iîiigo...  Je  ne  saurais 
de  ma  vie  m'acquitter  envers  lui,  tant  je  lui  ai  d'obligations.  Que 
de  fois  en  mes  nécessités  il  m'a  aidé  de  sa  bourse  et  de  ses  amis! 
Mais  je  lui  dois  plus  encore  :  c'est  grâce  à  lui  que  je  me  suis  éloigné 
de  compagnies  perverses.  Encore  inexpérimenté  je  n'en  discernais 
pas  le  danger;  mais  à  l'heure  présente,  les  sentiments  hérétiques 
de  ces  hommes  ne  sont  plus  un  mystère  à  Paris,  et  je  voudrais 
pour  tout  au  monde  ne  les  avoir  jamais  fréquentés.  Ce  service 
fùt-il  le  seul,  je  ne  sais  quand  j'en  pourrai  payer  la  dette  au  senor 
Maître  Iîiigo;  c'est  lui,  je  le  répète,  qui  m'a  empêché  de  me  livrer 
à  des  hommes  dont  les  dehors  paraissaient  bons  et  qui  avaient 
cependant,  comme  on  l'a  vu,  le  cœur  rempli  du  venin  de  l'hé- 
résie3. » 

Quand  Ignace  de  Loyola  trouva  Xavier  suffisamment  préparé  à 
entendre  un  salutaire  avertissement,  il  fit  retentir  à  son  oreille 
cette  parole  évangélique  capable  de  dissiper  tous  les  rêves  de 
l'orgueil  :  «  Que  sert  à  l'homme  de  gagner  tout  l'univers,  s'il  vient 
à  perdre  son  âme?  »  Mais,  touiours  épris  de  la  renommée  litté- 
raire et  de  la  gloire  mondaine,  le  futur  apôtre  des  Indes  résistait; 
il  s'attachait  avec  énergie  à  ce  qu'il  avait  considéré  jusque-là 
comme  le  but  le  plus  noble  et  le  plus  élevé  sur  la  terre.  Ignace 
alors  lui  opposait  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  hommes,  et  lui 
montrait  le  ciel,  légitime  objet  de  son  ambition.  Ce  rappel  fré- 
quent d'une  réalité  austère  finit  par  jeter  le  trouble  dans  cette 

1,  Ibid.  —  2.  Polanco,  p.  49.  Ribadeneira,  1.  II,  c.  iv. 

3.  Mon.  Xaver.,  t.  I,  p.  20i.  Carias  de  S.  Ignacio,  t.  I,  append.  II,  n.  7. 


LES  PREMIERS  COMPAGNONS  D'IGNACE.  4M 

âme  bien  faite.  Le  combat  entre  la  nature  et  la  grâce  fut  long, 
opiniâtre;  mais  qui  peut  résister  à  Dieu?  Forcé  de  s'avouer  vaincu, 
Xavier  se  rendit1.  Cela  fait,  aucun  homme  peut-être  ne  se  montra 
plus  héroïque  dans  le  sacrifice  de  lui-même  et  n'ouvrit  plus  lar- 
gement son  cœur  aux  influences  de  la  grâce.  Impatient  d'achever 
l'œuvre  commencée,  Ignace  aurait  voulu  lui  donner  aussitôt  les 
Exercices;  mais  Xavier  ne  pouvait  interrompre  ses  cours  du  col- 
lège de  Beauvais.  Son  saint  ami  se  contenta  de  lui  tracer  une  li- 
gne de  conduite  pour  la  vie  spirituelle,  et  le  nouveau  disciple  fit 
en  peu  de  temps  de  rapides  progrès. 

La  conversion  d'un  homme  ainsi  en  vue  produisit  une  grande 
émotion  dans  son  entourage.  Un  espagnol  de  basse  naissance, 
que  le  jeune  professeur  avait  comblé  de  bienfaits,  craignit  de 
perdre  son  propre  soutien  si  celui-ci  changeait  ses  habitudes  con- 
tre une  vie  toute  de  pauvreté.  Aveuglé  de  colère,  il  conçut  l'abo- 
minable dessein  de  tuer  Ignace.  Dieu  protégea  miraculeusement 
son  serviteur.  Au  moment  où  le  misérable,  armé  d'un  poignard, 
montait  sans  bruit  les  escaliers  avec  l'intention  de  surprendre  sa 
victime,  il  entendit  une  voix  menaçante  lui  crier  :  «  Où  vas-tu, 
malheureux,  et  que  prétends-tu  faire?  »  A  ces  mots  il  s'arrête, 
saisi  d'épouvante,  puis  court  se  jeter  tout  tremblant  aux  pieds  de 
celui  qu'il  voulait  assassiner2. 

Vers  la  même  époque,  le  père  de  François  Xavier  songea  à  le 
rappeler  en  Espagne.  Il  communiqua  sa  pensée  à  sa  fille,  doua 
Madeleine,  qui  était  abbesse  du  couvent  de  Sainte-Claire  de  Gan- 
die,  après  avoir  été  daine  d'honneur  d'Isabelle  la  Catholique. 
Éclairée  d'une  lumière  prophétique,  la  religieuse  répondit  à  don 
Juan  son  père  que,  si  la  gloire  de  Dieu  lui  était  chère,  il  devait 
laisser  son  fils  à  l'Université  de  Paris,  quelque  dépense  qu'il  fallût 
faire,  jusqu'à  la  fin  de  son  cours  de  théologie;  car,  ajoutait-elle, 
«  j'ai  la  certitude  qu'il  doit  devenir  un  grand  serviteur  de  Dieu 
et  une  colonne  de  l'Église  !  ».  Don  Juan  reçut  comme  un  oracle  du 
ciel  la  réponse  de  l'abbesse,  qui  jouissait  dune  grande  réputation 
de  sainteté.  Xavier  put  continuer  à  se  préparer  près  d'Ignace  à  la 
sublime  mission  que  le  ciel  lui  réservait. 

1.  Nous  ne  pouvons  fixer  le  temps  où  se  décida  la  vocation  de  Xavier.  Le  P.  Astrain 
suppose  que  ce  fut  vers  1532  ou  1533  [Hislor.  de  la  Comp.,  t.  I,  p.  72). 

2.  De  octis  S.  Ignatii  a  Hibadeneira  dans  Mon.  Ignat..  s.  4,  t.  I,  p.  344.  Cf. 
Bartoli,  t.  I,  p.  221.  Ribadeneira  en  rapportant  ce  fait  au  séjour  d'Ignace  à  Paris  ne 
dit  pas  à  quel  moment  précis  il  eut  lieu.  Nous  avons  suivi  le  récit  de  Bartoli  qui 
donne  le  nom  de  ce  jeune  homme,  Michel  Navarro. 

3.  Processus  de  sanctitate  et  virtulibusS.  F.  Xaverii.  —  Voir  Cros,  François  Xavier, 
documents  nouveaux,  p.  26G,  267. 


44  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  HE  JÉSUS. 

G.  Autour  du  maître,  de  Pierre  Le  Fèvre  et  de  François  Xavier 
vinrent,  en  1533,  se  grouper  deux  jeunes  espagnols  doués  des 
plus  rares  qualités  de  l'intelligence  et  du  caractère  :  Jacques 
Lainez,  du  bourg  d'Almazan  en  Castille,  et  Alphonse  Salmeron, 
des  environs  de  Tolède1.  Le  premier  avait  vingt  et  un  ans,  et  le 
second  dix-huit;  tous  les  deux,  déjà  remarquables  par  l'ardeur 
au  travail,  le  talent  et  la  science,  promettaient  encore  plus  pour 
l'avenir.  Lainez  était  maître  es  arts  depuis  le  26  octobre  15322; 
Salmeron  possédait  à  fond  les  langues  grecque  et  hébraïque3. 

L'Université  d'Alcala,  où  ils  avaient  étudié  la  philosophie,  était 
encore  toute  pleine  du  souvenir  d'Ignace  de  Loyola,  regardé  par 
les  uns  comme  un  dangereux  hérétique,  par  les  autres  comme  un 
véritable  saint.  Avides  de  connaître  celui  dont  la  célébrité  avait 
frappé  leurs  jeunes  imaginations,  ils  résolurent  de  commencer 
leur  théologie  à  l'Université  de  Paris.  A  leur  arrivée  dans  cette 
ville,  ils  furent  favorisés  d'une  heureuse  rencontre.  Lainez  ve- 
nait de  s'arrêter  dans  une  hôtellerie;  «  il  était  à  peine  descendu 
de  cheval  »,  quand  un  homme  se  présenta  :  c'était  Ignace.  La 
bonne  grâce  avec  laquelle  il  accueillit  ses  compatriotes  et  leur 
donna  les  premiers  renseignements,  si  précieux  à  des  nouveaux 
venus,  les  toucha4.  Connaître  le  serviteur  de  Dieu,  apprécier  son 
mérite  et  s'offrir  à  lui  comme  compagnons  fut  l'affaire  de  quelques 
jours;  puis,  sous  sa  direction,  les  deux  jeunes  gens  firent  les  Exer- 
cices spirituels,  à  peu  près  en  même  temps  que  Pierre  le  Fèvre, 
c'est-à-dire  vers  la  fin  de  l'année  1533.  Lainez  s'y  appliqua  avec 
tant  de  générosité  qu'il  passa  les  trois  premiers  jours  dans  un 
jeûne  absolu;  les  quinze  jours  suivants,  il  se  contenta  d'un  peu  de 
pain  et  d'eau,  sans  rien  retrancher  de  ses  autres  mortifications. 

1.  Le  P.  Louis  Gonzalvès  dans  son  Mémorial  (Mon.  Jgn.,  s.  4,  t.  I,  p.  220)  raconte 
qu'ayant  un  jour  demandé  au  P.  Ignace  quels  furent  ses  premiers  compagnons  après 
Le  Fèvre,  le  saint  répondit  :  «  Lainez  y  Salmeron  hicieron  los  Exercicos  en  el  mismo 
tiempo,  antes  que  Javier,  porque  léia  artes;  mas  Javier  era  ya  muy  mas  familiar  en 
la  Compania.  »  D'où  il  faut  conclure  que  Lainez  et  Salmeron  suivirent  immédiate- 
ment Xavier  dans  la  Compagnie.  (Cf.  Polanco,  p.  49.) 

2.  Alcala,  Libro  de  Actos  y  grados,  1523-1544  (Arch.  hist.  nac-.  de  Madrid)  cité  par 
Astrain,  op.  cit.,  p.  73.  D'après  ce  document  Lainez  passa  bachelier  es  arts  le  14  juin 
1531,  licencié  le  15  octobre  1532,  maître  le  26  octobre  de  la  même  année,  donc  à 
20  ans  si  la  date  de  sa  naissance  (1512)  donnée  par  Ribadeneira  est  exacte.  Né  dan*  une 
famille  très  chrétienne  et  aisée,  Jacques  avait  étudié  les  lettres  à  Soria  et  à  Sigùenza. 

Salmeron  était  né  le  8  septembre  1515;  c'est  la  date  indiquée  par  Ribadeneira  et 
confirmée  par  les  lettres  testimoniales  données  à  nos  premiers  Pères  pour  recevoir 
la  prêtrise,  le  27  avril  1537,  où  il  est  dit  que  Salmeron  n'a  pas  encore  vingt-deux  ans 
(Acla  SS.,  t.  VII  Julii,  De  S.  Ignatio,  g  XXIV,  n.  247,  p.  467). 

3.  Ribadeneira,  Vie  et  mort  du  P.  Salmeron,  à  la  suite  de  la  Vie  de  Lainez-, 
p.  225,  226.  Cf.  Acta  SS.,  g  XVII,  n.  167,  p.  452. 

4.  Polanco,  De  vita  /'.  Ign.,  p.  49. 


LES  PREMIERS  COMPAGNONS  D'IGNACE.  45 

Au  sortir  de  la  retraite  il  voulut  continuer  à  vivre  dans  l'intimité 
de  son  saint  directeur  et  s'offrit  à  partager  les  mêmes  travaux.  Sal- 
meron  fit  de  même,  peu  de  temps  après1. 

7.  Le  cinquième  compagnon  d'Ignace  fut  Nicolas  Alonso,  ou 
Alphonse,  surnommé  Bobadilla,  du  nom  de  son  village  natal  aux 
environs  de  Palencia,  dans  le  royaume  de  Léon2.  Il  avait  étudié 
à  Valladolid  et  à  Alcala,  puis  enseigné  quelque  temps  la  log-ique 
à  Valladolid,  quand  le  désir  d'apprendre  les  langues  savantes 
le  conduisit  à  l'Université  de  Paris.  Sans  amis  et  sans  argent,  il  eut 
recours  à  Ignace,  dont  il  entendit  vanter  la  complaisance,  et  qui 
le  soutint  de  ses  bons  offices  et  de  ses  faibles  ressources.  Auprès 
de  lui,  Bobadilla  trouva  mieux  encore  :  de  sag-es  conseils  et  la 
connaissance  des  Exercices  spirituels  l'attachèrent  pour  toujours 
à  la  personne  de  son  bienfaiteur3. 

Avant  de  s'adjoindre  les  trois  derniers  compagnons  dont  nous 
venons  de  parler,  Ignace  de  Loyola  était  déjà  entré  en  relations 
avec  un  gentilhomme  portugais,  Simon  Rodriguez  d'Azévédo, 
qui  étudiait  aux  frais  du  roi  Jean  III  à  l'Université  de  Paris.  Né  à 
Buzella'%  dans  le  diocèse  de  Viseu,  Simon  avait  été  prévenu  dès 
le  berceau  des  bénédictions  célestes.  Son  père,  au  lit  de  mort,  l'a- 
percevant dans  les  bras  de  sa  mère  :  «  Madame,  dit-il,  élevez  bien 
cet  enfant,  car  Dieu  le  destine  à  de  grandes  choses  pour  son  ser- 
vice. »  Fidèle  à  cette  suprême  recommandation,  Catherine  d'Azé- 
védo éleva  son  fils  comme  s'il  avait  été  déjà  consacré  à  Dieu;  et 
Dieu  à  son  tour,  qui  le  formait  en  vue  de  sa  gloire,  lui  donna  une 
pureté  d'ang-e  et  un  zèle  d'aj>ôtre.  Son  ardent  désir  d'aller  en 
Terre  Sainte,  et  de  s'y  dévouer  à  la  conversion  des  infidèles,  le 
mit  en  rapports  intimes  avec  Ignace  qui  avait  une  fois  déjà  entre- 
pris ce  pieux  pèlerinage.  Apprenant  que  celui-ci  s'occupait  de 
réunir  des  compagnons  pour  y  retourner,  il  s'offrit  à  le  suivre. 
Les  Exercices  spirituels  qu'il  dut  faire  avec  certains  ménagements, 
parce  qu'il  sortait  d'une  longue  maladie,  le  confirmèrent  de  plus 
en  plus  dans  sa  généreuse  résolution  '. 

1.  Polanco,  p.  49.  Ribadeneira,   Vie  de  Laynez,  cli.  1,  p.  4. 

2.  On  ignore  la  date  de  sa  naissance.  Ce  dut  être  avant  1510,  car  on  sait  par  un 
document  de  sa  main  qu'il  vécut  plus  de  80  ans,  or  il  est  mort  en  1590.  Le  P.  Cris- 
tobal  de  Castro  (Hist.  del  collegio  de  Alcala,  1.  I,  c.  vu)  le  fait  naître  en  1507.  Cf. 
Astrain,  op.  cit.,  p.  76,  note  2.  11  est  impossible  également  de  préciser  la  date  de  son 
arrivée  à  Paris.  —  3.  Polanco,  p.  49.  Cf.  Boéro,  Vida  del  P.  A'.  BobatliijUa. 

4.  La  date  de  sa  naissance  n'est  pas  connue,  ni  par  conséquent  son  âge  quand  il  unit 
son  sort  à  celui  d'Ignace. 

5.  Polanco,  p.   49.  Voir  d'Oultreman,   Tableaux,  p.  6i,  66.  Telle/,  Chronica  da 


46  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Tels  furent  les  six  premiers  disciples  de  saint  Ignace.  Tous 
avaient  terminé  leur  cours  de  philosophie  et  conquis  brillamment 
les  premiers  grades  académiques;  tous  brûlaient  d'un  saint  désir 
de  ne  plus  vivre  que  pour  Dieu  et  d'accomplir  sa  volonté.  Mais 
quel  genre  de  vie  devaient-ils  embrasser?  Ils  l'ignoraient  encore, 
quand  leur  maître  crut  le  moment  venu  de  le  fixer. 

8.  Sans  doute  plus  d'une  fois  déjà,  dans  ses  entretiens  parti- 
culiers, il  leur  avait  communiqué  sa  pensée  de  visiter  les  saints 
lieux  et  de  travailler  à  la  conversion  des  infidèles.  Ce  dessein 
avait  souri  à  chacun  d'eux.  Pendant  l'été  de  1534,  il  fut  entendu 
qu'on  en  délibérerait  en  commun.  Après  avoir  imploré  la  lumière 
divine  dans  la  prière  et  la  pénitence1,  ils  s'arrêtèrent  d'abord  à 
deux  résolutions  :  aller  en  Terre  Sainte  et  ensuite  se  livrer  au 
ministère  apostolique.  Ce  deuxième  point  nécessitant  l'étude  de 
la  théologie,  ils  décidèrent  de  demeurer  encore  trois  ans  à  Paris 
sans  rien  changer  à  leur  conduite  extérieure,  mais  de  se  lier  à 
Dieu,  dès  maintenant,  par  un  vœu  spécial,  afin  de  se  conserver 
plus  unis  entre  eux  et  de  déjouer  l'inconstance  humaine  ou  les 
attaques  du  démon. 

Restait  à  définir  la  matière  de  ce  vœu  ;  car  il  ne  s'agissait  nulle- 
ment des  vœux  propres  de  religion.  Ce  fut  l'objet  d'un  sérieux 
examen.  Ignace  et  ses  compagnons  convinrent  que  ce  vœu  ren- 
fermerait trois  promesses  :  la  pauvreté,  la  chasteté,  aller  à  Jéru- 
salem et  ensuite  se  consacrer  au  salut  des  âmes.  La  pauvreté  et  le 
voyage  à  Jérusalem  avaient  besoin  d'interprétation.  Relativement 
à  la  pauvreté,  il  leur  parut  nécessaire  de  garder  la  faculté  de 
posséder  tout  le  temps  que  dureraient  leurs  études,  mais  après  ils 
ne  recevraient  aucun  salaire  ni  pour  les  messes  ni  pour  les  autres 


Comp.  di  Jesu,  1.  I,  c.  v.  Boero,  Vida  del  P.  S.  Rodriguez.  —  Le  P.  Simon  Rodrigue/, 
dans  son  livre  :  De  origine  et  progressif,  S.  /.,  écrit  quarante  ans  après  les  événe- 
ments, venant  à  parler  des  sept  premiers  Pères  de  la  Compagnie,  se  nomme  en  qua- 
trième lieu.  Nous  avons  vu  plus  haut  qu'après  Le  Fèvre  et  Xavier,  il  fallait  mettre 
Lainez  et  Salmeron.  Mais  Ro  Iriguez,  en  indiquant  l'ordre  des  compagnons  d'Ignace,  a 
peut-être  voulu  parler  du  moment  où  il  lit  sa  connaissance  ou  se  mit  sous  sa  direc- 
tion spirituelle,  et  non  de  celui  où  il  résolut  d'embrasser  son  genre  de  vie.  Le  P.  As- 
train  (op.  cit.,  p  73,  note  1)  distingue  très  bien  ces  trois  temps.  Rodriguez  a  pu  entrer 
en  relations  avec  Ignace  avant  Lainez  et  Salmeron,  et  cependant  s'engager  définitive- 
ment après  eux.  Quant  à  la  priorité  entre  Bobadilla  et  Rodriguez,  il  est  difficile  de  la 
déterminer.  Nous  avon*  suivi  l'ordre  de  Polanco  (p.  49)  qui  semble  lui-même  hésilant  : 
«  post  quinque  vel  s  ex  prias  enumeratos  IgnaUo  adhoesit  ». 

1.  Nous  avons  pris  les  détails  qui  suivent  dans  :  Le  Fèvre,  Mémorial,  p.  13.  Ro- 
drigue/., De  origine,  p.  11-13.  Polanco,  Vita  Ignatii,  p.  50  et  Chronicon,  n.  3.  —  Bien 
qu'il  écrive  40  ans  plus  tard,  le  témoignage  de  Rodriguez,  témoin  et  acteur,  est  ici, 
comme  partout,  très  respectable.  Cf.  Astrain,  op.  cit.,  p.  79. 


LES  PREMIERS  COMPAGNONS  D'IGNACE.  17 

ministères  spirituels.  A  la  promesse  d'aller  à  Jérusalem,  ils  mirent 
une  limite  :  ils  se  rendront  d'abord  à  Venise,  et  si  une  fois  là, 
dans  l'espace  d'un  an,  l'occasion  de  s'embarquer  ne  se  présente 
pas,  ils  iront  à  Rome  s'offrir  au  Souverain  Pontife,  s'en  remettant 
à  sa  volonté  pour  le  lieu  et  le  mode  de  leur  apostolat;  il  en  sera 
de  même  si,  étant  allés  en  Terre  Sainte,  ils  ne  peuvent  y  rester 
ni  s'y  adonner  à  la  conversion  des  infidèles. 

i).  Ils  choisirent  pour  prononcer  leur  triple  vœu  l'Assomption 
de  la  Très  Sainte  Vierge,  espérant  que,  présenté  par  ses  mains 
maternelles,  leur  sacrifice  serait  plus  agréable  à  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ.  Ils  se  préparèrent  à  cette  fête  par  la  prière  et  la 
pénitence1,  puis  se  donnèrent  rendez-vous,  le  15  août,  dans  un 
sanctuaire  vénérable  et  solitaire. 

A  six  cents  pas  environ  du  sommet  de  Montmartre,  sur  le  versant 
qui  regarde  Paris,  s'élevait  une  petite  église  appelée  de  temps 
immémorial  Notre-Dame  de  Montmartre  ou  Capella  de  sancto 
Martyrio.  Bâti  sur  le  lieu  où,  suivant  la  tradition,  saint  Denys  et 
ses  compagnons  auraient  souffert  pour  la  foi,  ce  monument  com- 
prenait au  seizième  siècle  deux  parties  :  une  chapelle  basse,  la 
plus  ancienne  alors  connue,  dont  l'autel  était  enfoncé  dans  une 
excavation  du  terrain;  —  et  une  chapelle  haute,  sorte  d'étage 
construit  par-dessus  la  première,  au  début  du  quatorzième  siècle, 
quand  un  écuyer  de  Philippe  le  Bel,  du  nom  d'Hermer,  fonda 
dans  ce  sanctuaire  une  seconde  chapellenie  2.  Plus  tard  seulement, 
en  1611,  des  ouvriers,  employés  à  restaurer  la  partie  inférieure, 
percèrent  par  hasard  «  une  voulte  sous  laquelle  il  y  avoit  des 
degrés  pour  descendre  soubs  terre  en  une  cave  »,  où  l'on  trouva 
les  vestiges  d'un  autel  et  des  inscriptions  à  demi  rongées1.  C'est 
ce  que  dès  lors  on  nomma  la  crypte. 

Au  moment  qui  nous  occupe,  le  sanctum  Martyrium,  composé 
des  deux  chapelles  dont  nous  venons  de  parler,  était  fermé  au 
public  et  ne  s'ouvrait  qu'avec  la  permission  de  l'abbesse  des 
Bénédictines  de  Montmartre  dont  il  dépendait'1.  Mère  Perrette 
Rouillard  ',  morte  en  1612  «  aagée  de  cent  ans  »,  aimait  à  ra- 

1.  Polanco,  Vita  Ign.,  p.  50.  Ribadeneira,  1.  II,  c.  iv. 

2.  Charte  de  l'évéque  de  Paris  approuvant  cette  fondation  (E.  de  Barthélémy 
Chartes  de  l  Abbaye  de  Montmartre,  p.  315).  Pour  les  détails  complémentaires  voir 
Appendice  A. 

3.  Procès-verbal  de  cette  découverte  souvent  citée  par  les  anciens  auteurs,  entre 
autres  Du  Breul,  Théâtre  des  antiquités  de  Paris,  p.  1160. 

4.  En  1534,  l'abbesse  était  Madame  Anthoinetle  Auger  (Galtia  Christ.,  t.  VII,  p.  GIS  . 

5.  Et  non  Roudlard  comme  l'ont  écrit  plusieurs  auteurs.  (Formule  de  profession, 


48  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

conter  «  qu'elle  estoit  sous- sacristine  lorsque  le  Bienheureux 
Ignace  de  Loyola....  vint  faire  ses  vœux  à  la  chapelle  des  saints 
martyrs  »,  et  qu'elle  eut  «  le  bonheur  de  le  voir  et  de  lui  donner 
les  clefs1  ».  La  chapelle  basse,  croyons-nous,  réputée  la  plus 
vénérable  et  désignée  sous  le  nom  de  souterraine  par  quelques 
écrivains  de  la  Compagnie-,  fut  choisie  par  nos  premiers  Pères 
comme  le  lieu  le  plus  favorable  à  la  pieuse  cérémonie,  loin  de 
tout  bruit  et  de  tout  témoin. 

Cet  événement  considérable  de  notre  histoire  mérite  que  nous 
citions  quelques-uns  des  témoignages  qui  nous  en  ont  conservé 
le  touchant  souvenir  :  «  Cette  même  année  153i,  écrit  Pierre 
Le  Fèvre  dans  son  Mémorial,  le  jour  de  Notre-Dame  d'août,  nous 
tous  qui  avions  le  même  dessein,  et  qui,  maître  François  Xavier 
excepté,  avions  déjà  fait  les  Exercices  spirituels,  nous  nous  ren- 
dîmes à  Notre-Dame  de  Montmartre  et  là  nous  fimes  vœu  de  ser- 
vir Dieu  et  de  partir  au  jour  indiqué  pour  Jérusalem,  laissant 
pour  toujours  nos  parents  et  n'emportant  que  le  viatique  néces- 
saire... A  cette  première  réunion  étaient  présents  Ignace,  maître 
François  Xavier,  moi  Le  Fèvre,  maître  Bobadilla,  maître  Lainez, 
maître  Salmeron,  maître  Simon  Rodriguez :i.  » 

A  cette  brève  narration  le  Père  Rodriguez,  dans  son  mémoire 
au  Très  Révérend  Père  Mercurian,  ajoute  quelques  circonstances 
précieuses  à  recueillir  :  «  Aucun  étranger,  dit-il,  n'assistait  à  la 
cérémonie.  Ce  fut  le  P.  Le  Fèvre  qui  célébra  la  messe.  Avant  de 
donner  la  sainte  Eucharistie  à  ses  compagnons,  il  prit  l'hostie 
entre  ses  doigts  et  se  tourna  vers  eux.  Alors,  le  cœur  fixé  en 

autogr.  de  sœur  Perrelte  Rouillard,  28  juillet  1532.  Archiv.  nat.  L.,  1031,  1031,  n.  54). 

1.  Récit  autogr.  d'une  religieuse  de  Montmartre  envoyé  à  Dom  Mabillon  (Recueils 
de  pièces  mss.  sur  l'histoire  de  divers  monastères  bénédictins,  intitulés  Monasticon 
Benedictinum,  t.  XXV11I,  f.  210.  Bibl.  nat.,  ms.  franc.  12,685). 

2.  Bartoli,  Saint  Ignace,  1.  II,  c.  ni  :  «  Sotterra....  luogo  oscuro  e  men  pratico.  »  Flu- 
via  S.  J.  :  «  En  una  capilla  subterranea.  »  —  Bouhours  S.  J.,  1.  II,  p.  148.  —  L'auteur 
de  la  G  allia  Christiana  (t.  VII,  p.  618)  dit  de  même.  —  Les  historiens  qui  parlent  ainsi 
affirment  évidemment  une  tradition  remontant  sans  interruplion  aux  premiers  temps 
de  la  Compagnie,  quand  les  scolastiques  de  Paris  n'ayant  pas  encore  de  chapelle 
domestique  venaient  renouveler  leurs  vœux  au  Sanctum  Martyrium  (Témoignage 
du  P.  Manare.  Acta  SS.,  VII  Julii,  %  XVIII,  n.  177;.  11  est  impossible  que  ces  jeunes 
religieux  n'aient  pas  connu  exaclement  celle  des  deux  chapelles  qui  avait  été  témoin 
du  vœu  d'Ignace  et  de  ses  premiers  coopérateurs.  L'eussent-ils  ignoré  quelque  temps, 
ils  l'auraient  certainement  appris  du  P.  broet,  leur  supérieur  en  1552,  qui  lui-même 
fit  le  vœu  de  Montmartre  en  1536  avec  les  compagnons  d'Ignace.  Nous  savons  que 
toujours,  dans  la  suite  des  temps,  les  Jésuites  de  Paris  entourèrent  d'un  culte  spécial 
le  Sanctum  Marlyrium,  et  qu'à  certaines  époques,  la  prédication  leur  était  réservée 
dans  ce  lieu.  La  tradition  n'a  donc  pas  dû  se  perdre  et  nous  pouvons  en  croire  sur  ce 
point  les  écrivains  du  xvir  siècle.  On  trouvera  à  la  fin  du  volume  (Appendice  A)  une 
notice  historique  sur  la  Chapelle  des  vœux. 

3.  Memoriale,  p.  12. 


LES  PREMIERS  COMPAGNONS  D'IGNACE.  40 

Dieu,  agenouillé  sur  le  pavé  de  la  chapelle,  chacun,  sans  quitter 
sa  place,  prononça  ses  vœux  d'une  voix  claire,  de  manière  à  être 
entendu  de  tous;  puis  ils  communièrent.  Retourné  du  côté  de 
l'autel,  le  Père  prononça,  lui  aussi,  ses  vœux  d'une  voix  distincte, 
puis  il  se  communia.  Ces  premiers  Pères,  je  n'hésite  pas  à  l'af- 
firmer, en  se  donnant  à  Dieu  sans  réserve,  offrirent  leur  holo- 
causte avec  tant  de  joie,  ils  renoncèrent  si  complètement  à  leur 
volonté  pour  mettre  tout  leur  espoir  dans  la  miséricorde  divine 
que,  au  seul  souvenir  qui  m'en  revient,  mon  âme  est  encore  tout 
émue,  ma  dévotion  ne  cesse  de  grandir  et  mon  admiration  de- 
vient indicible.  Que  Dieu  soit  à  jamais  béni  pour  toutes  les  grâces 
dont  il  nous  combla  en  ce  jour  [  !  » 

Après  avoir  rendu  à  Dieu  de  très  ferventes  actions  de  grâce, 
Ignace  et  ses  compagnons,  à  l'exemple  des  premiers  disciples  du 
Sauveur,  voulurent  se  réjouir  dans  des  agapes  fraternelles.  Gra- 
vissant la  colline,  ils  descendirent  le  versant  opposé  pour  prendre 
un  frugal  repas  auprès  de  la  Fontaine  Saint-Denys  et  y  passer  le 
reste  de  la  journée  dans  de  fervents  entretiens 2.  Ils  se  concertèrent 
alors  sur  les  moyens  de  rester  unis  d'esprit  et  de  cœur.  Comme 
il  leur  était  difficile,  dans  les  circonstances  où  ils  se  trouvaient, 
de  vivre  ensemble,  Ignace  leur  proposa  certaines  pratiques  de  dé- 
votion qui,  sans  rien  enlever  du  temps  destiné  à  l'étude,  contri- 
bueraient à  les  entretenir  dans  la  piété  et  dans  une  sorte  de  vie 
commune.  C'était,  outre  la  méditation  quotidienne,  la  réception 
des  sacrements  chaque  semaine  et  aux  fêtes  solennelles.  Ils  con- 
vinrent aussi  de  se  rassembler  tantôt  chez  l'un,  tantôt  chez 
l'autre,  à  une  table  modeste,  afin  de  parler  de  leurs  travaux  et 
de  ranimer  leur  charité  par  des  communications  toutes  frater- 
nelles. Enfin,  ils  résolurent  de  renouveler  leurs  vœux  tous  les 
ans  jusqu'à  leur  départ  pour  Venise,  le  même  jour  de  l'Assomp- 
tion et  dans  la  même  chapelle.  «  Le  soir,-  au  coucher  du  soleil, 
raconte  le  Père  Simon  Rodriguez,  ils  rentrèrent  chez  eux  louant 
et  bénissant  le  Seigneur  :i.  » 

Ainsi,  en  ce  15  août  153V,  au  cœur  de  la  France,  naquit  une 
petite  société  d'hommes,  qui,   ce  jour-là,  unissaient  seulement 


1.  Rodriguez.  De  origine  Soc.  Jesu,  p.  14,  15. 

2.  Le  peuple  croyait,  suivant  la  tradition,  que  saint  Denys,  en  s'arrèlant  à  celle 
fontaine,  située  sur  le  versant  ouest  de  la  colline,  avait  laissé  à  son  eau  une  vertu 
miraculeuse  pour  la  guérison  des  fièvres.  Non  loin  du  lieu  où  elle  coulait,  l'église 
récente  de  Clignancourt  renferme  deux  autels  consacrés  l'un  à  saint  Ignace,  l'autre  à 
saint  François  Xavier. 

3.  Polanco,  p.  51.  Rodriguez,  De  origine  Soc.  Jesu,  p.  15. 

COMl'ACME    DE    JÉSUS.    —  T.    I.  4 


50  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

leurs  efforts  pour  un  but  commun,  mais  que  Dieu  destinait  à 
former  bientôt,  avec  l'approbation  du  pape,  un  nouvel  Ordre 
dans  l'Église.  Afin  de  perpétuer  le  souvenir  de  cet  événement,  on 
plaça  au  XVIIe  siècle,  dans  la  chapelle  du  Sanctum  Martyrium, 
une  inscription  où  l'on  ne  craignit  pas  d'appeler  ce  lieu  le 
berceau  des  enfants  d'Ignace  et  la  ville  de  Paris  leur  mère{. 
Louis  XIII  regardait  cette  étroite  alliance  comme  une  gloire  pour 
son  royaume  et  il  s'en  autorisa  quand,  dans  une  lettre  écrite  tout 
entière  de  sa  main,  il  demanda  au  pape  Grégoire  XV  la  canoni- 
sation du  Père  Ignace  :  «  Mon  royaume,  disait-il,  a  eu  cette  béné- 
diction qu'un  si  grand  serviteur  de  Dieu  soit  venu  dans  ma  ville 
de  Paris  étudier  les  sciences,  rassembler  des  disciples  et  poser 
les  fondements  de  sa  Société  2  ». 

En  admettant  avec  le  pieux  roi  que  les  fondements  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus  aient  été  jetés  à  Montmartre,  il  faut  avouer  cepen- 
dant que  les  détails  de  l'édifice  restaient  encore  à  déterminer. 
Ils  ne  le  seront  que  peu  à  peu. 

10.  Fidèles  aux  résolutions  prises  près  de  la  Fontaine  Saint- 
Denys,  les  compagnons  d'Ignace  se  sentaient  de  jour  en  jour  plus 
enflammés  du  désir  d'être  tout  à  Dieu.  Les  entretiens  familiers 
qu'ils  avaient  ensemble,  la  douce  paix  qui  régnait  parmi  eux, 
les  encourageaient  dans  leurs  bons  propos.  Les  pratiques  de  piété 
ne  nuisaient  pas  à  leurs  travaux  scolastiques,  et  d'autre  part, 
l'étude  de  la  théologie  servait  à  nourrir  leur  dévotion,  en  sorte 
qu'ils  avançaient  du  même  pas  dans  la  science  et  dans  la  per- 
fection. 

Non  content  d'observer  lui-même  ce  qu'il  avait  prescrit  à  ses 
disciples,  le  maître  donna  l'essor  à  sa  ferveur.  A  ce  moment,  mal- 
gré les  mesures  rigoureuses  déployées  contre  les  hérétiques, 
l'erreur  continuait  ses  ravages  dans  l'Université  de  Paris.  Ignace 
s'employa  de  toutes  ses  forces  à  confirmer  les  catholiques :!  dans 
la  vérité  ;  il  eut  la  consolation  de  voir  un  certain  nombre  de 
jeunes  gens  répondre  à  son  zèle  en  embrassant  la  vie  parfaite 
dans  différents  ordres  religieux4.  Il  aimait,  lorsqu'il  en  trouvait 
le  loisir,  à  se  retirer  dans  quelque  endroit  solitaire  pour  y  re- 
tremper son  âme  loin  du  bruit  de  la  ville.  Il  allait  alors  prier 

1.  Voir  cette  inscription  à  Y  Appendice  A. 

2.  Lettre  du  roi  au  Pape  (Francia.  Hist.  Prov.,  t.  III.  n.  43). 

3.  D'après  Mafl'ei  (1.  I,  c.  xxi)  et  Raynaldi  (Ann.  Eccl.,  t.  XX,  an.  1534)  Ignace 
aurait  alors  travaillé  directement  àla  conversion  des  hérétiques.  Cf.  Acla  SS.,  ï.  XVI. 
n.  161.  —  4.  Polanco,  p.  50. 


LES  PREMIERS  COMPAGNONS  D'IGNACE.  :,i 

clans  une  église  du  faubourg  Saint-Germain,  appelée  Notre-Dame- 
des-Champs,  toute  pleine  de  recueillement  et  de  piété1.  On  y 
vénérait  une  statue  de  la  Sainte  Vierge,  tenant  sur  ses  genoux  le 
corps  de  son  divin  Fils'2,  et  le  concours  du  peuple  y  était  par- 
fois prodigieux.  Ce  sanctuaire  lui  tenait  lieu  de  la  chère  chapelle 
de  Notre-Dame  de  Villadordis3,  en  Espagne,  où  il  avait  reçu  des 
faveurs  extraordinaires,  et  la  statue  de  la  Mère  des  Douleurs  lui 
rappelait  la  dévote  image  qu'il  gardait  précieusement  cachée 
sur  sa  poitrine.  La  colline  de  Montmartre  avait  aussi  pour  lui 
de  puissants  attraits.  Non  loin  de  la  chapelle  des  Martyrs,  était 
creusée  une  carrière  de  plâtre  où  il  se  choisit  une  caverne  pro- 
fonde. Dans  cette  nouvelle  grotte  de  Manrèse,  il  passait  souvent 
le  jour  en  pénitence  et  la  nuit  en  prières4.  Une  vie  si  austère  ne 
pouvait  manquer  d'attirer  l'attention  et  d'exciter  l'admiration  de 
tous  ceux  qui  en  étaient  témoins.  Le  docteur  Peralta,  appelé  à 
déposer  dans  le  procès  de  béatification,  n'hésita  pas  à  déclarer 
sous  la  foi  du  serinent  que  les  vertus  héroïques  d'Ignace,  durant 
son  séjour  à  Paris,  lui  paraissaient  suffisantes  pour  mériter  les 
honneurs  de  la  canonisation 5. 

Dans  le  courant  de  l'année  1535,  Dieu  se  plut  à  visiter  son  ser- 
viteur par  une  cruelle  maladie.  De  violentes  douleurs  d'estomac 
le  réduisirent  bientôt  à  une  extrême  faiblesse.  Ces  douleurs 
étaient  si  vives  qu'une  fois,  racontait-il  plus  tard,  elles  durèrent 
seize  ou  dix-sept  heures  de  suite,  lui  causant  une  fièvre  brûlante. 
Tous  les  remèdes  étant  inutiles,  les  médecins  furent  d'avis  que 
le  climat  de  Paris  était  nuisible  à  sa  santé  et  que  l'air  natal 
pourrait  seul  le  guérir  ou  du  moins  lui  procurer  quelque  sou- 
lagement. Ignace  avait  toujours  été  peu  soucieux  du  soin  de  son 
corps  et  s'abandonnait  en  cela,  comme  en  tout  le  reste,  à  la 
volonté  de  Dieu;  mais  ses  compagnons,  pleins  d'inquiétude,  le 
conjurèrent  si  instamment  d'essayer  de  ce  moyen  qu'il  finit  par 
se  laisser  persuader,  malgré  la  peine  de  se  séparer  de  ceux  sur 
qui  reposaient  toutes  ses  espérances.  Toutefois  ce  motif  de  santé 
n'aurait  peut-être  pas  suffi  à  lui  faire  interrompre  ses  études  de 
théologie,  si  une  circonstance  particulière  n'était  venue  le  déci- 

1.  Hesp.  P.  Manarei  ad  P.  Lùncicii  postula  ta  dans  Mon.  [gnat.,  ser.  4%  t.  I, 
p.  523. 

2.  Extrait  des  chroniques  des  Carmélites  de  la  rue  d'Enfer.  (On  sait  qu'en  1604,  le 
P.  de  Berulle  établit  des  Carmélites  dans  l'ancien  prieuré  deNotre-Dame-des-Champs), 

3.  Déposition  de  Bernard  Malilla  au  premier  procès  de  Manrèse  (Proc.  de  Barc. 
y  Manresa,  fol.  226).  Voir  ce  que  nous  en  avons  dit  au  chapitre  précédent,  n.  1. 

4.  Responsio  P.  Manarei  (Mon.  fgn.,  s.  4,  t.  I,  p.  523). 

5.  Acta  SS.,  p.  533.  —  Acla  Beatif.  B.  P.  Ignatii. 


52  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

der  à  retourner  en  Espagne.  Xavier,  Lainez  et  Salmeron,  par 
suite  de  leur  vœu  de  pauvreté,  avaient  à  régler  quelques  affai- 
res domestiques  :  pour  leur  épargner  les  ennuis  du  voyage  et 
ne  pas  exposer  leur  vocation  aux  obstacles  que  pourraient  susciter 
leurs  familles,  il  résolut  de  s'occuper  lui-même  de  leurs  intérêts  *. 

11.  Un  incident  imprévu  suspendit  tout  à  coup  son  départ. 
Ses  ennemis  venaient  d'inventer  un  nouveau  chef  d'accusation. 
Attentifs  à  observer  les  moindres  mouvements  d'Ignace,  ils  n'a- 
vaient pas  tardé  à  découvrir  ses  rapports  intimes  avec  sa  petite 
société  ;  mais  ils  en  ignoraient  la  nature  et  ils  se  lancèrent  dans 
le  champ  des  conjectures  et  des  soupçons.  Ce  n'était  pas  la  pu- 
blicité qu'on  lui  reprochait,  comme  on  avait  fait  en  Espagne  au 
sujet  de  ses  compagnons  d'Alcala;  c'était  au  contraire  le  secret 
qu'instruit  par  l'expérience  il  avait  cru  devoir  garder  à  Paris. 
Le  bruit  se  répandit  qu'il  voulait  fonder  une  secte  nouvelle  et 
qu'il  cherchait  partout  des  adeptes;  son  livre  des  Exercices  spi- 
rituels, dont  on  avait  entendu  parler,  fut  représenté  comme  ren- 
fermant des  doctrines  pernicieuses.  Ignace  se  vit  encore  dénoncé 
au  tribunal  de  l'Inquisition.  Il  ne  se  troubla  nullement  à  cette 
nouvelle,  mais  il  ne  voulut  point  partir  avant  que  l'affaire  fût 
jugée.  Quand  il  était  seul,  il  pouvait  mépriser  les  imputations 
calomnieuses;  maintenant  qu'il  avait  des  compagnons,  avec  les- 
quels il  se  destinait  aux  fonctions  apostoliques,  il  devait  sauve- 
garder leur  réputation  et  la  sienne.  Sa  sortie  du  royaume,  en  un 
pareil  moment,  aurait  pu  paraître  une  fuite  précipitée  et  un  aveu; 
il  voulait  au  contraire  une  enquête  sérieuse,  une  sentence  bien 
en  forme.  Il  alla  donc  lui-même  trouver  l'Inquisiteur.  C'était  alors 
Fr.  Valentin  Liévin,  religieux  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique.  Il 
connaissait  Ignace  ;  il  estimait  beaucoup  sa  vertu  et  son  zèle  pour 
la  foi;  il  lui  dit  de  se  rassurer,  car  il  savait  que  les  accusations 
portées  contre  lui  ne  reposaient  sur  aucun  fondement.  Il  exprima 
seulement  le  désir  de  parcourir  le  livre  des  Exercices  qui  gagnait 
tant  d'âmes  à  Dieu.  Après  l'avoir  lu  avec  attention,  il  ne  put 
s'empêcher  d'admirer  sa  merveilleuse  méthode  pour  purifier 
l'âme,  l'éclairer  et  la  conduire  de  degré  en  degré  à  la  plus  haute 
perfection.  Il  fut  si  charmé  qu'il  voulut  en  prendre  une  copie  à 
son  usage  personnel. 

Cependant  Ignace,  prévoyant  de  nouvelles  attaques,  ne  crut 
pas  devoir  se  contenter  d'une  approbation  privée  de  sa  conduite  ; 

1.  Polanco,  p.  51.  Acta  P.  Ignalii,  n.  84,  85.  Ribadeneira,  1.  II,  c.  v. 


LES  PREMIERS  COMPAGNONS  D'IGNACE.  53 

il  désirait  un  témoignage  authentique,  capable  de  servir  à  sa 
défense  dans  l'avenir.  Un  jour,  accompagné  d'un  notaire  et  de 
plusieurs  docteurs  de  l'Université,  il  se  présenta  de  nouveau  chez 
l'Inquisiteur  :  puisque  les  accusations  portées  à  son  tribunal  ne 
lui  paraissaient  pas  assez  sérieuses  pour  motiver  un  débat  en 
forme  et  une  sentence  juridique,  il  le  pria  de  vouloir  bien  lui 
donner  de  son  innocence  une  attestation  par  écrit.  L'Inquisiteur 
y  consentit  volontiers,  mais  au  témoignage  demandé  il  joignit  de 
tels  éloges  qu'Ignace  se  retira  encore  plus  confus  que  satisfait1. 
Libre  alors  de  tout  embarras,  il  pouvait  enfin  se  diriger  vers 
l'Espagne.  Avant  son  départ,  il  recommanda  la  constance  à  ses 
compagnons,  chargea  Pierre  Le  Fèvre,  que  tous  aimaient  et  res- 
pectaient, de  veiller  sur  eux,  puis  leur  donna  rendez-vous  à 
Venise  ainsi  qu'il  avait  été  décidé  quand  ils  tracèrent  leur  plan 
d'avenir.  On  ne  connaît  pas  le  jour  exact  où  Ignace  quitta  Paris; 
la  date  d'une  lettre,  écrite  par  François  Xavier  et  confiée  au 
voyageur,  donne  à  supposer  que  ce  fut  à  la  fin  de  mars  15352. 
Dans  la  crainte  que  sa  grande  faiblesse,  résultat  de  sa  maladie, 
ne  lui  permit  pas  de  voyager  à  pied  selon  sa  coutume,  ses  com- 
pagnons lui  avaient  procuré  un  petit  cheval.  Il  consentit  à  le 
monter  en  leur  présence,  mais  ce  ne  fut  pas  pour  longtemps;  il 
fît  «  toute  la  route  à  pied  »,  nous  dit  Lainez,  gardant  néanmoins 


1.  Acta  P.  Ignatii,  n.  86.  Polanco,  p.  46,  47.  Bartoli,  t.  I,  p.  302-305.  Ce  do- 
cument n'est  pas  parvenu  jusqu'à  nous,  mais  on  trouve  parmi  les  manuscrits  conser- 
vés dans  la  Compagnie  une  pièce  originale  qui  nous  en  rappelle  le  souvenir.  Elle  fut 
adressée  en  1537,  sans  doute  sur  nouvelle  instance,  au  Père  Ignace  alors  en  Italie  : 
«  Nous,  Frère  Thomas  Laurent,  de  l'ordre  des  Frères  Prêcheurs,  lecteur  en  théologie 
et  inquisiteur  général  de  la  perversité  hérétique  et  de  la  loi  catholique  au  royaume  de 
France,  faisons  savoir  et  certifions  à  tous...  que  notre  prédécesseur  frère  Valentin 
Liévin...  inquisiteur  général  pour  tout  le  royaume  de  France,  a  dans  le  temps  fait 
une  enquête  touchant  la  vie  et  la  doctrine  d'Ignace  de  Loyola,  et  que  nous  qui  étions 
son  secrétaire  n'avons  jamais  ouï  dire  qu'il  se  trouvât  en  lui  chose  déplacée  en  un 
homme  catholique  et  chrétien.  Nous  avons  en  outre  connu  ledit  Loyola  et  maître 
Pierre  Le  Fèvre,  ainsi  que  quelques  autres  de  ses  familiers,  et  les  avons  toujours  vus 
mener  une  vie  catholique  et  vertueuse  sans  jamais  noter  en  eux  rien  qui  ne  convienne 
à  des  hommes  parfaitement  chrétiens.  De  plus  les  Exercices  que  donne  ledit  Ignace 
nous  ont  semblé  catholiques  autant  que  nous  avons  pu  savoir  après  examen.  — 
Donné  à  Paris,  dans  le  couvent  des  Frères  Prêcheurs  et  signé  du  sceau  dont  nous 
usons  en  pareil  cas,  l'an  du  Seigneur  1536/7,  le  23  du  mois  de  janvier  en  présence  de 
discrètes  personnes  :  maître  Laurent  Daosta,  Diego  de  Cacers,  clers  et  maîtres  es  arts 
et  Frère  Alfonso  de  san  Emiliano,  tous  espagnols  habitant  Paris,  lesquels  mandés 
comme  témoins  ont  signé.  »  Suivent  les  noms  ;  la  signature  de  l'inquisiteur  illisible. 
(Voir  Acta  SS.,  p.  455,  n.  185.) 

2.  Acta  P.  Ignalii,  n.  85.  Polanco,  p.  51.  Acta  SS.,  p.  455,  n.  183,  184.  Le  départ 
d'Ignace  n'eut  certainement  pas  lieu  à  la  lin  de  1535  comme  le  disent  Polanco,  Orlan- 
dini  et  Maffei,  mais  plutôt  au  commencement  de  cette  année  ainsi  que  l'affirment  les 
PP.  Menchaca,  Bartoli  et  Alcazar.  Le  P.  Aslrain  montre  qu'avant  la  fin  d'avril  Ignace 
était  à  Azpeitia  {op.  cit.,  p.  83,  note). 


b4  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

sa  modeste  monture  chargée  sans  doute  de  son  léger  bagage'. 
Arrivé  à  Azpeitia,  il  donna  ce  cheval  à  l'hôpital  de  la  Made- 
leine où  il  avait  pris  son  logement'2. 

12.  Ce  que  fut  à  Paris,  pendant  son  absence,  la  vie  de  prière, 
d'étude  et  de  zèle  de  ses  jeunes  disciples,  nous  pouvons  l'entre- 
voir dans  le  récit  que  nous  en  a  laissé  l'un  d'entre  eux  :  «  A  la 
fête  de  l'Assomption,  écrit  Jacques  Lainez,  nous  renouvelions  nos 
vœux  à  Montmartre,  et  ce  jour-là,  ainsi  que  plusieurs  autres  fois 
dans  l'année,  nous  mangions  tous  ensemble,  étroitement  unis 
par  la  charité.  Aux  époques  fixées  nous  allions  prendre  nos  re- 
pas tantôt  chez  l'un,  tantôt  chez  l'autre  d'entre  nous,  mettant  en 
commun  les  vivres  que  chacun  avait  apportés.  Ces  fréquentes 
réunions,  où  nos  cœurs  se  ranimaient  dans  l'intimité,  étaient 
pour  nous  une  force  et  un  soutien.  En  ce  même  temps,  le  Seigneur 
nous  aida  singulièrement  dans  nos  études  que  nous  rapportions 
à  sa  gloire  et  au  profit  spirituel  du  prochain,  tandis  qu'un  mu- 
tuel amour  nous  inclinait  à  nous  assister  les  uns  les  autres  dans 
les  nécessités  de  cette  vie.  Tel  est  le  règlement  que  nous  avait 
tracé  le  P.  maitre  Ignace,  en  nous  laissant  sous  la  conduite  de 
l'excellent  maitre  Pierre  Le  Fèvre,  qui  était  pour  nous  tous  un 
frère  aîné3.  » 

Ajoutons  que  Le  Fèvre,  tout  en  remplissant  dignement  cette 
mission,  fît  mieux  encore;  non  seulement  il  conserva  et  perfec- 
tionna les  disciples  déjà  recrutés,  mais  de  plus,  son  apostolat  fé- 
cond en  attira  plusieurs  autres.  Il  avait  été  reçu  maitre  es  arts, 
avec  Salmeron  et  Bobadilla ,  en  1536,  après  Pâques.  Aussitôt 
son  cours  de  théologie  terminé,  et  en  attendant  le  départ  pour 
Venise,  il  s'appliqua  tout  entier  à  l'exercice  du  ministère  sacer- 
dotal. Il  n'avait  guère  plus  de  trente  ans,  mais  ses  admirables 
qualités  d'esprit  et  de  cœur  suppléaient  à  l'expérience  et  à  la 
maturité  de  l'âge.  Tous,  docteurs  et  étudiants,  reconnaissaient  en 
lui  un  guide  sûr,  recherchaient  à  l'envi  ses  conseils  et  sa  direc- 
tion. Aux  vertus  de  l'homme  apostolique  il  joignait  une  si  pro- 
fonde connaissance  des  Exercices  et  une  si  grande  habileté  à  les 
donner  aux  autres,  que  personne,  au  jugement  de  saint  Ignace, 
ne  l'égala  jamais.  Témoin  des  merveilles  opérées  par  son  in- 

1.  Epistola  Lainii  de  S.  Ign.  {Mon.  Ignat.,  s.  4,  t.  I,  p.  112). 

2.  Dépositions  canoniques.  Déposition  des  témoins  d'Azpeitia  (Sumraar.  Procès.  Az- 
peitiae,  art.  3  et  4). 

3.  Epistola  Lainii  de  S.  Ign.  [Mon.  Ignat.,  s.  i,  t.  I,  p.  111,  112). 


LES  PREMIERS  COMPAGNONS  D'IGNACE.  55 

fluence  au  sein  de  l'Université,  un  célèbre  théologien  lui  déclara 
un  jour  qu'il  ne  pouvait,  sans  encourir  une  grave  responsabilité 
devant  Dieu,  abandonner  une  moisson  abondante  pour  tenter  à 
la  suite  d'Ignace  un  projet,  généreux  à  la  vérité,  mais  dont  la 
réussite  paraissait  incertaine.  Il  ajouta  même  qu'il  n'était  pas  seul 
de  ce  sentiment  et  qu'il  s'engageait  à  le  faire  souscrire  par  tous  les 
théologiens  de  Paris.  Rien  ne  fut  capable  d'ébranler  l'irrévocable 
décision  de  Le  Fèvre,  bien  persuadé  que  Dieu  l'avait  choisi  pour 
seconder  l'œuvre  ébauchée  dans  la  petite  chapelle  de  Montmartre  '. 

13.  Parmi  les  jeunes  gens  sur  lesquels  il  exerça  plus  spéciale- 
ment son  heureuse  action,  nous  devons  nommer  Claude  Le  Jay  2, 
âme  privilégiée  à  qui  Dieu  réservait  l'honneur  de  coopérer  à  la 
fondation  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Né,  vers  1500,  au  village  de 
Mieussy,  en  Savoie,  «  de  bien  honneste  maison  »,  il  eut  le  bonheur 
de  connaître  Pierre  Le  Fèvre  au  collège  de  la  Roche,  sans  pour- 
tant se  trouver  dans  la  même  classe;  car  Claude  était  un  peu 
plus  âgé  que  son  condisciple.  Ces  deux  âmes  si  pures  se  sentirent 
attirées  l'une  vers  l'autre  et  se  lièrent  d'une  étroite  amitié.  Lors- 
que Pierre  partit  à  l'âge  de  dix-neuf  ans  pour  Paris,  Claude  con- 
tinua ses  études  à  la  Roche.  Devenu  ensuite  régent  et  principal 
du  petit  collège  de  Faverges,  il  ne  pensait  guère  à  sortir  de  son 
pays  où  il  jouissait  d'une  grande  considération,  quand  Le  Fèvre 
revint  en  Savoie  régler  ses  affaires  de  famille.  Ils  eurent  plu- 
sieurs entretiens,  dans  lesquels  le  premier  compagnon  de  saint 
Ignace  sut  persuader  à  son  ancien  condisciple  de  compléter  ses 
connaissances  théologiques  à  l'Université  de  Paris.  Ce  ne  fut  néan- 
moins que  l'année  d'après,  vers  la  fin  de  septembre  1534,  que 
Le  Jay  put  suivre  le  conseil  de  son  ami  et  venir  au  collège 
Sainte-Barbe'.  Là,  tandis  que  Le  Fèvre  et  Ignace  habitaient  en- 
semble la  modeste  tourelle  que  leur  avait  cédée  la  bienveillance 
de  l'administration,  Claude  occupa  une  place  indépendante,  à 
ses  fiais,  dans  l'intérieur  de  l'établissement.  Bien  qu'il  fût  déjà 


1.  Acta  SS.,  I  XXIII,  n.  235,  p.  405. 

2.  Les  uns  l'appellent  simplement  Jay,  d'autres  conservent  la  terminaison  latine 
Jaius;  la  plupart  écivent  Le  Jay,  forme  qui  a  prévalu.  —  Les  contemporains  ne  nous 
donnent  aucun  détail  sur  la  jeunesse  de  Claude  Le  Jay.  Nous  sommes  obligé  de  les 
emprunter  aux  premiers  historiens  sans  pouvoir  contrôler  leurs  sources.  Il  en  sera 
de  même  pour  Paschase  Broet  et  Jean  Codure. 

3.  Memoriale,  p.  12.  Acta  SS..  I  XXIII,  n.  232,  p.  464.  Polanco,  p.  49.  D'Oullre- 
man,  Tableaux,  p.  67.  D'après  les  registres  des  Recteurs  de  l'Université  de  Paris. 
Claude  Le  Jay  fut  immatriculé  sous  le  rectorat  de  Florent  Jacquart,  entre  le  15  déc. 
1534  et  le  24  mars  1535  (Bibl.  nat.,  mss.  latins.  9,953,  fol.  6V). 


56  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

prêtre,  il  n'avait  encore  aucun  grade.  Sa  vie  studieuse  et  édifiante 
lui  permit  bientôt  de  subir  les  examens;  il  obtint  le  6  mars  1535 
le  degré  de  licencié  et  fut  admis  à  celui  de  maître  es  arts  en 
1536  4. 

En  aspirant  aux  grades  universitaires,  Le  Jay  ne  songeait  nul- 
lement à  s'ouvrir  un  accès  plus  facile  aux  honneurs  ecclésiasti- 
ques. Bien  au  contraire,  il  avait  recueilli  dans  les  œuvres  de 
saint  Augustin,  de  saint  Grégoire  et  de  saint  Bernard  les  passages 
où  ces  grands  docteurs  montrent  avec  le  plus  de  force  les  dan- 
gers que  Ton  trouve  dans  les  dignités  de  l'Église,  et  de  ces  ensei- 
gnements précieux  il  avait  rédigé  un  résumé  qu'il  portait  dans 
son  bréviaire.  Toutefois,  hésitant  encore  entre  le  ministère  pasto- 
ral et  l'état  régulier,  il  fit  part  de  ses  incertitudes  à  Le  Fèvre 
qui  l'engagea  à  consulter  Dieu  dans  les  Exercices  spirituels.  Au 
début  de  sa  retraite  il  passa  trois  jours  sans  prendre  aucune 
nourriture,  et  se  condamna,  jusqu'à  la  fin,  à  des  jeûnes  sévères 
et  à  de  cruelles  pénitences  ~.  Il  ignorait  encore  les  desseins 
d'Ignace  et  de  ses  compagnons;  mais,  dès  que  Le  Fèvre  les  lui 
eut  découverts,  il  sentit  un  vif  attrait  pour  un  genre  de  vie  si 
conforme  à  ses  propres  sentiments.  Il  demanda  la  faveur  d'être 
admis  dans  la  petite  association,  et  le  15  août  1535,  jour  où  l'on 
renouvela  dans  la  chapelle  des  Martyrs  à  Montmartre  les  engage- 
ments de  l'année  précédente,  il  se  lia  par  les  mêmes  vœux  sous 
l'auspice  de  la  Très  Sainte  Vierge  3. 

14.  Au  mois  d'août  1536,  dans  les  mêmes  circonstances,  s'en- 
rôlèrent deux  étudiants  que  Pierre  Le  Fèvre  avait  distingués  entre 
les  plus  vertueux  de  l'Université  de  Paris.  C'étaient  Paschase 
Broet 4  et  Jean  Codure,  les  deux  seuls  représentants  de  la  France 
dans  la  Compagnie  naissante. 

Né  vers  1500,  à  Bertrancourt  en  Picardie,  d'une  famille  aisée 
d'agriculteurs  ',  Paschase  Broet,  au  sortir  de  la  première  éduca- 

1.  AclaSS.,  %  XVII,  n.  171,  p.  453.  Les  souvenirs  rédigés  par  le  P.  Simon  Rodriguez 
disent  formellement  f[ue  Le  Jay  était  déjà  prêtre  quand  il  se  rendit  à  Paris.  Un  do- 
cument récemment  découvert  nous  apprend  qu'il  dit  sa  première  messe  à  Faverges. 
Voir  Tavernier,  Le  P.  Cl.  Jay,  sa  patrie  et  sa  famille,  p.  12,  n.  3. 

2.  Tanner,  Soc.  Jes.  Apostol.  imitatrix,  in  Cl.  Jaium. 

3.  Aux  fêtes  de  l'Assomption  1535  et  153G  les  premiers  compagnons  d'Ignace  vinrent 
renouveler  leur  vœu  à  la  chapelle  de  Montmartre,  où,  dit  Le  Fèvre.  «  ils  trouvaient 
chaque  fois  beaucoup  de  consolation  »  [Memoriale,  p.  13}.  Cf.  Polanco,  p.  50.  —  Ce 
fut  là  probablement  l'origine  de  la  Rénovation  des  vœux  dans  la  Compagnie. 

4.  Sur  la  formule  de  résolution  touchant  le  vœu  d  obéissance  signée  par  les  com- 
pagnons d'Ignace,  le  15  avril  1539,  nous  trouvons  Paschasius  Brouet ;  mais  ses  lettres 
assez  nombreuses  sont  signées  Paschasio  Broet. 

5.  D'après  une  notice  ms.  du  P.  Broet  par  le  P.  Rabardeau  (né  en  1572,  mort  en 


LES  PREMIERS  COMPAGNONS  D'IGNACE.  57 

tion,  fut  envoyé  par  ses  parents  aux  écoles  d'Amiens  où  il  fit  de 
lapides  progrès  dans  les  lettres  et  la  piété.  Dès  qu'il  eut  atteint 
l'âge  requis  par  les  saints  canons,  il  reçut  la  consécration  sacer- 
dotale à  titre  de  patrimoine  1  ;  sa  famille  lui  assura  une  rente  an- 
nuelle de  vingt-quatre  livres  tournois,  modeste  sans  doute,  mais 
suffisante  pour  un  honnête  entretien.  Après  avoir  exercé  quelque 
temps  le  ministère  dans  son  pays  natal,  il  résolut,  avec  l'agré- 
ment de  ses  parents,  d'aller  se  fixer  à  Paris  afin  de  compléter  à 
l'Université  de  cette  ville  ses  études  de  théologie.  Il  y  arriva  dans 
les  derniers  mois  de  l'année  1534 2.  Les  tendances  hérétiques, 
qu'il  ne  tarda  pas  à  remarquer  parmi  les  étudiants  et  parmi  les 
maîtres,  lui  firent  rechercher  la  société  de  ceux  qui  demeuraient 
fidèles  à  la  doctrine  et  à  l'esprit  de  l'Église.  C'est  ainsi  qu'il  fré- 
quenta Claude  Le  Jay  et,  par  son  intermédiaire,  apprit  à  con- 
naître les  autres  compagnons  d'Ignace.  Le  Fèvre  eut  vite  fait  de 
comprendre  les  vues  de  Dieu  sur  ce  jeune  prêtre  qui  n'aspirait 
qu'à  se  dévouer  au  salut  des  âmes.  Il  lui  conseilla  de  se  sous- 
traire, pendant  quelques  semaines,  à  toute  occupation  pour  cher- 
cher la  volonté  divine  dans  la  solitude  et  la  prière.  Paschase  fit 
avec  tant  de  ferveur  les  Exercices  spirituels,  que,  sans  parler  de 
ses  autres  mortifications,  il  ne  prit  comme  nourriture  pendant 
trois  jours  que  le  pain  des  Anges.  Son  âme  généreuse  était  bien 
faite  pour  entendre  l'appel  de  Dieu  et  se  plaire  aux  projets 
d'Ignace  de  Loyola.  Il  ne  tarda  pas  à  partager  la  vie  de  ses  pre- 
miers compagnons3. 

Jean  Codure,  né  le  24  juin  1508,  à  Seyne  dans  le  diocèse  d'Em- 
brun'1, avait  fait  toutes  ses  études  littéraires  et  une  partie  de  ses 
études  théologiques  lorsqu'il  se  rendit,  à  l'âge  de  vingt-sept  ans, 
à  l'Université  de  Paris.  Il  y  apportait  une  grande  innocence  de 
mœurs  et  un  attachement  inébranlable  aux  pratiques  de  la  re- 
ligion. Il  habita  le  collège  de  Torcy  ou  de  Lisieux  •"'.  Le  désir  de 
préserver  sa  vertu  des  dangers  qui  la  menaçaient  le  conduisit  à 

1648),  le  père  de  Paschase  était  connu  à  Bertrancourt  sous  le  nom  de  Ferry  de  Brouay. 
Il  avait  eu  deux  autres  fils,  Mathieu  et  Gabriel,  et  deux  tilles  Marie  et  Françoise.  — 
Le  P.  Rabardeau  déclare  que  ces  détails  lui  furent  donnés  par  un  fils  de  «  Marie  de 
Brouay  »  (Franciae  Historia,  t.  1,  n.  1). 

1.  Il  fut  ordonné  prêtre  en  1524,  dit  le  P.  Rabardeau  (Ibid.). 

2.  Voir  Prat  Mémoires  sur  Broel,  pièces  justificatives,  n.  1,  II.  Bonucci,  Notice 
sur  le  P.  Broet,  p.  54,  note. 

3.  Alegambe.  Heroes  et  victimae,  in  Paschasium  Broetum. 

4.  Jacques  Gaultier  S.  J..  Table  chronographique,  éd.  1683,  p.  780.  col.  6.  L'auteur 
de  cet  ouvrage  avait  connu  une  nièce  du  P.  Codure. 

5.  Les  bâtiments  de  ce  collège  furent  détruits  en  1764  pour  former  une  place  devant 
la  nouvelle  église  Sainte-Geneviève. 


58  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Pierre  Le  Fèvre,  dont  il  fît  le  confident  ordinaire  de  ses  pensées. 
Déjà  il  aspirait  à  la  vie  parfaite  ;  après  s'être  livré  pendant 
quarante  jours  aux  Exercices  spirituels,  il  fut  admis  à  son  tour 
dans  le  cercle  intime  des  premiers  disciples  d'Ignace.  Promu  à  la 
licence  en  philosophie  le  H  mars  1536,  le  même  jour  que  Pas- 
chase  Broet  et  Simon  Rodriguez,  il  se  fit  recevoir  maître  es  arts 
peu  de  temps  après.  Le  15  août  de  la  même  année,  il  prit,  avec 
Broet,  dans  le  sanctuaire  de  Notre-Dame  de  Montmartre,  les  sacrés 
engagements  que  les  autres  renouvelèrent  alors  «  non  sans  un 
accroissement  de  sainte  ferveur  »*.  Ces  deux  jeunes  français, 
attachés  en  même  temps  à  la  société  d'Ignace  de  Loyola,  restè- 
rent presque  toujours  collaborateurs  ou  collègues  dans  les  mêmes 
œuvres.  Jean  Codure  sera  plus  tard  le  premier  profès  que  la 
Compagnie,  constituée  en  Ordre  religieux,  enverra  au  ciel 2. 

1.  Memoriale,  p.  13.  —  Acta  SS..  g  XVII,  p.  453,  n.  170,  171. 

2.  II  mourut  le  29  août  1541. 


CHAPITRE  III 

FONDATION    ET    APPROBATION    DE    LA    COMPAGNIE    DE    JÉSUS. 

(1537-1541). 


Sommaire  :  1.  Départ  des  compagnons  d'Ignace  pour  Venise.  —  -'.  Voyage  et 
arrivée.  —  3.  Ignace  reste  à  Venise  pendant  que  ses  compagnons  vont  à  Rome. 

—  4.  Ordination  sacerdotale  à  Venise;  impossibilité  du  voyage  en  Palestine; 
règles  de  vie  commune.  —  5.  Départ  d'Ignace,  de  Le  Fèvre  et  de  Lainez  pour 
Rome;  vision  de  la  Storta.  —  6.  Arrivée  des  autres  compagnons;  épreuves:  la 
commission  de  réforme.  —  7.  Conférences  sur  le  genre  de  vie  à  adopter.  — 
8.  Formule  de  l'Institut  et  bulle  d'approbation.  —  9.  Ignace  élu  premier  général. 

Sources  :  Acta  Beatiftcationis  Ignatii.  —  Acta  Sanctorum,  t.  VII  Julii.  —  Mémorial' 
B.  P.  Fabri,  t.  I.  —  Rodriguez,  De  origine  et  progressu  societatis  Jesu.  —  Ribadeneira, 
Vida  del  B.  P.  Ignacio.  —  Monumenta  iiistorica  Societ.  Jesu.  Monumenta  Ignatiana, 
ser.  1,  t.  I  :  Epislotae  S.  Ignatii;  ser.  4.  t.  I  :  Scripta  de  S.  Ignalio.  Acta  P.  Ignatii. 

—  Polanco,  De  vita.  P.  Ignatii.  Chronicon  S.  J.  —  Monumenta  Xaveriana. 

1.  L'année  1536  n'était  pas  encore  écoulée  quand  éclata  la 
guerre  entre  François  I"  et  Charles-Quint,  qui  se  disputaient  l'hé- 
ritage de  François  Sforza,  duc  de  Milan.  Déjà  l'empereur,  à  la 
tête  d'une  puissante  armée,  avait  envahi  la  Provence1  et  les  hos- 
tilités menaçaient  d'embraser  toute  l'Europe.  Les  compagnons 
d'Ignace,  qui  ne  devaient  quitter  Paris  que  le  25  janvier  1537, 
résolurent  d'avancer  cette  date,  dans  la  crainte  de  se  voir  fermer 
tous  les  passages  entre  la  France  et  l'Italie.  En  prévision  de  ce 
départ,  Pierre  Le  Fèvre,  Nicolas  Bobadilla  et  Simon  Rodriguez, 
qui  n'avaient  pas  encore  reçu  le  bonnet  de  maître  es  arts,  ju- 
gèrent utile  d'accomplir  cette  formalité  et  de  se  munir  de  leur 
diplôme  à  la  fin  de  l'année  scolaire  1536 2.  Quand  vint  l'automne, 
la  route  d'Allemagne  seule  restait  libre;  encore  était-elle  semée 
de  toutes  sortes  de  périls.  Il  fut  décidé  qu'on  se  diviserait  en  deux 
bandes;  pendant  que  les  uns  demeureraient  encore  quelques  jours 
à  Paris,  afin  de  régler  les  affaires  communes  et  de  distribuer  aux 

1.  Après  avoir  pris  plusieurs  forteresses  du  Piémont,  Charles-Quint  passa  le  Var  à 
Saint-Laurent  le  25  juillet  1536. 

2.  Registre  des  recteurs  de  l'Univ.  de  Paris  (Bibl.  nat..  ms.  lat.  9953,  fol.  48).  On 
voit  par  ce  registre  que  Bobadilla  avait  eu  François  Xavier  pour  maître  de  philosophie. 


60  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

pauvres  le  peu  qu'ils  possédaient,  les  autres  s'achemineraient 
vers  la  ville  de  Meaux1,  où  tous  devaient  se  réunir,  puis  de  là  con- 
tinuer ensemble  leur  voyage.  Vers  les  derniers  mois  de  1536, 
Ignace,  dans  sa  maternelle  prévoyance  pour  les  siens,  avait  re- 
commandé les  futurs  voyageurs  au  confesseur  d'Éléonore  d'Au- 
triche, reine  de  France  ''  :  «  Par  suite  de  la  guerre,  lui  écrivait-il, 
et  des  grands  troubles  qui  affligent  la  chrétienté,  ils  se  verront 
réduits  à  un  extrême  besoin.  Je  vous  prie  donc...  de  les  aider  et 
favoriser  dans  la  mesure  que  Dieu  vous  inspirera.  Tout  ce  que 
vous  ferez...  je  le  regarderai  comme  fait  à  moi-même-.  » 

Le  premier  départ,  qui  eut  lieu  le  11  novembre3,  fut  signalé 
par  deux  incidents.  Au  moment  même  où  l'on  allait  quitter  Paris, 
Xavier  reçut  les  lettres  d'expédition  d'un  canonicatde  Pampelune 
qui  lui  était  gracieusement  proposé.  Mais  ce  noble  cœur  avait 
renoncé  à  tout  ce  qui  n'était  pas  Jésus-Christ;  il  rejeta  cette  offre 
sans  lui  accorder  un  instant  de  réflexion4.  Un  peu  plus  tard, 
durant  ïa  première  nuit  du  voyage,  Simon  Rodriguez  fut  atteint 
à  l'épaule  d'une  douloureuse  tumeur  accompagnée  d'une  fièvre 
brûlante.  Comme  cet  accident  pouvait  occasionner  un  retard  fu- 
neste, tous  se  mirent  à  supplier  le  ciel  avec  ferveur.  Leurs  prières 
obtinrent  un  merveilleux  secours  :  dès  le  lendemain  matin,  le 
malade  complètement  guéri  avait  la  force  de  continuer  la  route 
avec  ses  compagnons  '. 

A  l'arrivée  de  la  seconde  caravane  à  Meaux,  l'hiver  commençait 
déjà  à  faire  sentir  ses  rigueurs.  Sans  plus  tarder,  ils  se  dirigèrent 
tous  ensemble  vers  la  Lorraine  qu'ils  devaient  traverser  pour 
entrer  en  Suisse  et  descendre,  par  le  Tyrol,  dans  les  États  de  la 
Seigneurie  de  Venise.  Deux  jours  après  leur  départ,  ils  furent 
rejoints  par  deux  jeunes  gens  courant  en  poste  sur  leurs  traces. 
C'était  le  frère  de  Simon  Rodriguez  et  un  espagnol  de  ses  amis  qui 
voulaient  le  détourner  de  son  projet.  Ils  employèrent  tous  les 
moyens  que  la  tendresse  pouvait  leur  suggérer;  mais  tout  fut 
inutile  :  ni  larmes,  ni  raisons  ne  purent  ébranler  sa  constance.  Il 
leur  répondit  de  manière  à  les  convaincre  qu'il  lui  serait  plus 
facile  de  Jes  entraîner  à  sa  suite  qu'à  eux  de  le  ramener  en  arrière. 
Et  ils  reprirent,  confus  et  attristés,  le  chemin  de  Paris (i. 

1.  Il  s'agit  bien  de  Meaux  et  non  de  Melun.  Simon  Rodriguez  dit  :  «  Meldis,  qui- 
bus  vulgo  Meaux,  ni  fatlor.  nomen  est  ».  Voir  De  origine  S.  J.,  p.  19. 

2.  La  suscription  de  cette  lettre  porte  seulement  :  «  A  mi  in  Domino  maior  y  padre 
espiritual  el  confessor  de  la  Reyna  de  Franzia  ».  C'était  Gabriel  Guzman  0.  P.  CL 
Mon.  Ignat.,  s.  1,  t.  I,  P-  109-121.  —  3.  Acta  P.  Ignatii,  n.  86.  Polanco,  p.  54. 

4.  Rodriguez,  De  orig.  et  progr.,  p.  18.  —  5.  Ibid.,  p.  19. 
6.  De  origine...,  p.  22,23.  Memoriale,  p.  13. 


FONDATION  ET  APPROBATION.  01 

2.  Loin  de  retarder  les  voyageurs,  toutes  ces  tentations  ne  fi- 
rent qu'exciter  leur  courage.  Ils  marchaient  vêtus  d'un  habit  long 
et  couverts  d'un  chapeau  à  larges  bords,  suivant  la  coutume  des 
étudiants,  un  bourdon  à  la  main  et  le  rosaire  pendu  au  cou,  sans 
autres  bagages  que  leurs  manuscrits  qu'ils  portaient  dans  un  sac 
sur  leurs  épaules1.  Les  passants  surpris  de  leur  pauvre  accoutre- 
ment, de  leur  air  grave  et  recueilli,  faisaient  sur  leur  compte  bien 
des  conjectures  :  «  Un  jour,  comme  un  paysan  s'était  arrêté  à  les 
regarder  fixement,  certains  bourgeois  étonnés  de  ce  qu'il  contem- 
plait cette  petite  troupe,  lui  demandèrent  quels  gens  c'étaient  et 
où  ils  allaient.  —  De  vrai  je  ne  les  connais  point,  fit-il;  mais  à 
les  voir,  ils  me  portent  bien  la  mine  de  quelques  grands  person- 
nages, et  si  je  ne  me  trompe,  ils  s'en  vont  travailler  à  la  conver- 
sion de  quelque  province.  »  Le  P.  Laiuez,  dans  sa  déposition  au 
procès  de  béatification,  a  noté  jusqu'à  la  prononciation  du  villa- 
geois :  «  I  vont  à  réformer  quaque  pays2  ». 

Le  P.  Polanco  nous  rapporte  quelle  fut  la  distribution  des 
heures  de  la  journée  durant  tout  le  voyage.  Le  matiD,  avant  de 
se  mettre  en  route,  Le  Fèvre,  Le  Jay  et  Broet,  qui  étaient  prêtres, 
célébraient  le  saint  sacrifice  et  les  autres  faisaient  la  sainte  com- 
munion. Afin  de  tromper  la  longueur  du  chemin,  ils  récitaient  et 
chantaient  des  psaumes ,  ou  bien  ils  échangeaient  en  des  entre- 
tiens spirituels  les  sentiments  et  les  lumières  qu'ils  avaient  puisés 
dans  la  méditation.  Deux  fois  ils  s'arrêtaient,  au  moment  de 
prendre  leur  repas,  mais  repas  si  simple  et  si  frugal  que  chaque 
jour  ressemblait  à  un  jour  d'abstinence  et  de  jeûne.  Le  soir,  en 
arrivant  à  une  mauvaise  auberge,  ils  se  mettaient  en  oraison  pour 
remercier  Dieu  de  ses  bienfaits  et  le  prier  de  leur  continuer  sa 
protection. 

La  protection  divine,  en  effet,  accompagna  d'une  manière  sen- 
sible les  intrépides  pèlerins,  au  milieu  des  intempéries  de  la 
saison  et  des  périls  qui  menacèrent  plus  d'une  fois  leur  vie  en 
des  pays  troublés  par  la  guerre  et  les  dissensions  religieuses. 
C'étaient  tantôt  des  pluies  torrentielles  et  tantôt  des  neiges  accu- 
mulées qui  rendaient  les  chemins  presque  impraticables  3.  En  évi- 
tant la  Provence,  ils  s'étaient  soustraits  à  la  rencontre  des  troupes 
impériales;  mais  ils  ne  purent  échapper  aux  armées  françaises 

1.  Polanco,  p.  54.  Rodriguez.  De  origine  S.  /.,  p.  19. 

2.  Polanco,  p.  55.  Epist.  Lainii,  dans  Monumenta  Ignaliana,  s.  4,  t.  I,  p.  llo. 
Ribadeneira,  1.  Il,  ch.  vu. 

3.  Le  Fèvre,  Memoriale,  p.  44.  Ribadeneira,  op.  cit.,  I.  II,  c.  VII.  Epislola  Lainii 
[Mon.  Ign.,  s.  4,  l.  1,  p.  113). 


62  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

qui  entraient  par  ]a  Lorraine  dans  les  étals  de  Flandre.  Un  jour 
qu'ils  étaient  tombés  au  milieu  d'un  détachement  de  soldats,  on 
les  arrêta  ;  on  les  questionna  sur  leur  état  et  le  but  de  leur  voyage  : 
«  Nous  sommes,  s'empressa  de  répondre  un  des  deux  français,  des 
étudiants  de  l'Université  de  Paris,  et  nous  allons  en  pèlerinage  à 
Saint-Nicolas.  »  (Vêtait  une  petite  ville  à  trois  lieues  de  Nancy  par 
laquelle  ils  devaient  nécessairement  passer.  On  ne  poussa  pas 
plus  loin  les  investigations,  fort  heureusement,  car  ceux  d'entre 
eux  qui  étaient  espagnols  auraient  été  retenus  prisonniers1. 

Parvenus  en  Allemagne,  dans  une  contrée  tout  infestée  par 
l'hérésie,  ils  ne  perdirent  pas  l'occasion  qui  s'offrait  de  défendre 
la  vraie  foi.  Leur  zèle  ranimait  les  catholiques  et  mettait  en  fu- 
reur les  partisans  de  Luther.  A  Baie  où  ils  arrivèrent  «  brisés  de 
fatigue  ~  »  et  se  reposèrent  pendant  trois  jours,  des  prédicants 
vinrent  les  provoquer  à  une  conférence  contradictoire  ;  ils  accep- 
tèrent sans  crainte  le  défi  :  la  promptitude  et  la  solidité  de  leurs 
réponses  firent  bientôt  regretter  aux  adversaires  une  dispute  qui 
fut  tout  à  l'honneur  de  la  religion  catholique.  De  Bâle  ils  se  diri- 
gèrent vers  Constance.  A  cinq  lieues  de  cette  ville,  dans  un  bourg 
où  ils  s'étaient  arrêtés,  ils  furent  remarqués  par  le  pasteur,  curé 
apostat,  très  versé  dans  les  nouvelles  doctrines,  qui  réunit  aussi- 
tôt les  fortes  têtes  du  lieu  et  se  présenta,  ainsi  escorté,  à  ces  pa- 
pistes sur  lesquels  il  comptait  remporter  une  victoire  facile.  La 
discussion  dura  plusieurs  heures  et,  comme  le  temps  du  souper 
était  venu,  notre  homme  leur  cita,  en  les  arrangeant,  ces  vers 
de  Virgile  : 

«  Jam  i\ox  hitmhla  coelo 
Praecipitat,  suadéntque  cadenlia  sidéra  coenam. 

«  Mangeons  d'abord,  ajouta-t-il,  nous  disputerons  ensuite,  et 
je  vous  montrerai  mes  livres  et  mes  enfants,  libros  et  liberos.  » 
Puis  il  les  invita  à  venir  s'asseoir  à  sa  table  de  famille  ;  eux  ac- 
ceptèrent la  trêve,  mais  non  l'invitation,  et  se  contentèrent  d'un 
frugal  repas.  Après  quoi  la  controverse  reprit  avec  une  plus  belle 
ardeur  et  tourna  à  la  confusion  de  l'apostat  :  «  Je  n'ai  rien  à  ré- 
pondre, »  s'écria-t-il.  —  «  Alors,  lui  répliqua  l'un  des  voyageurs, 
comment  suivez- vous  des  opinions  que  vous  ne  pouvez  défendre?  » 
Outré  de  ce  reproche,  le  ministre  éclata  en  fureur  :  «  Demain  matin, 
leur  dit-il,  je  vous  ferai  mettre  en  prison,  et  vous  verrez  si  je  sais 
défendre  mon  parti.  »  Et  il  s'en  alla  sur  cette  menace. 

1.  Polanco,  p.  54,  55.  Rodriguez,  De  origine,  p.  22.  Ribadeneira,  1.  II,  ch.  vu. 

2.  Rodriguez,  p.  28. 


FONDATION  ET  APPROBATION.  63 

Le  lendemain  les  voyageurs  quittaient  Constance.  A  un  mille  de 
la  bourgade  voisine,  ils  rencontrèrent,  au  seuil  d'un  hôpital,  une 
pauvre  vieille  qui.  à  leur  vue,  accourut  précipitamment,  des  larmes 
de  joie  dans  les  yeux.  Elle  s'approcha  d'eux  avec  respect,  baisa 
leurs  chapelets  et  essaya  de  leur  expliquer  en  allemand  le  motif 
de  son  bonheur.  Ils  devinaient  à  peu  près  son  langage,  quand 
elle  leur  fit  signe  d'attendre  un  peu  ;  elle  courut  alors  à  sa  mai- 
son d'où  elle  rapporta  dans  ses  bras  une  quantité  de  croix,  de  sta- 
tuettes et  chapelets  brisés  par  les  hérétiques.  Les  voyageurs 
ayant  tout  compris,  s'agenouillèrent  sur  la  neige,  en  signe  de  répa- 
ration, et  vénérèrent  ces  précieuses  reliques  avec  elle. 

Dans  la  petite  ville,  où  ils  entrèrent  ensuite,  ils  eurent  encore  à 
discuter  avec  les  ministres.  Quand  ils  voulurent  tirer  leurs  ar- 
guments de  la  Sainte  Écriture,  ces  luthériens  récusèrent  leurs  ci- 
tations et  leur  ouvrirent  des  bibles,  traduites  en  allemand,  dont 
le  texte  était  tantôt  faussé,  tantôt  indignement  tronqué.  Les 
athlètes  de  la  foi  savaient  le  peu  de  fruit  qu'ils  devaient  attendre 
de  semblables  controverses;  ils  s'y  prêtaient  cependant,  afin  de 
venger  la  vérité  de  la  religion  et  d'éviter  le  scandale  qu'aurait 
causé  leur  silence1. 

3.  Le  8  janvier  1537  2,  après  plus  de  cinquante  jours  de 
voyage,  nos  pèlerins  arrivèrent  à  Venise,  où  Ignace  se  trouvait 
déjà  depuis  l'année  1535.  Dans  les  tendres  embrasse ments  de 
celui  qu'ils  aimaient  et  vénéraient  comme  un  père,  ils  oublièrent 
toutes  leurs  fatigues  et  souffrances.  Une  fois  réunis,  le  maître  et 
les  disciples  songèrent  d'abord  à  partir  pour  Rome,  afin  d'obtenir 
du  Souverain  Pontife,  avec  sa  bénédiction  paternelle,  l'autorisa- 
tion d'aller  à  Jérusalem  et  d'y  annoncer  l'Évangile,  sans  que  per- 
sonne eût  le  droit  de  les  en  empêcher.  Mais,  l'hiver  faisant  encore 
sentir  ses  rigueurs,  ils  remirent  ce  nouveau  voyage  à  une 
meilleure  saison.  En  attendant,  ils  se  partagèrent  les  deux  grands 
hôpitaux  de  la  ville,  celui  de  Saint-Jean  et  Saint-Paul,  et  celui  des 
Incurables,  où  ils  se  dévouèrent  avec  amour  au  service  des  ma- 
lades, préludant  ainsi  aux  expérimenta3  et  aux  œuvres  de  misé- 
ricorde que  la  Compagnie  devait  imposer  un  jour  à  tous  les 
siens.  Us  vécurent  de  la  sorte  jusqu'à  la  mi-carême,  époque  à  la- 
quelle tous  prirent  le  chemin  de  Rome,  à  l'exception  d'Ignace  de 

1.  Rodriguez,  De  origine,  p.  28-33. 

2.  Nous  donnons  la  date   indiquée  dans  le  lexte  espagnol  (original)  de  la  lellre  du 
P.  Lainez(A/on.  Ignal.,  s.  4,  t.  I,  p.  114). 

3.  C'est  le  nom  donné  à  différentes  épreuves  du  noviciat. 


C4  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Lovola.  Une  sage  prudence  l'avait  retenu;  il  craignait  de  com- 
promettre par  sa  présence  l'heureuse  issue  de  leurs  projets.  Il  con- 
naissait, en  effet,  les  dispositions  peu  favorables  à  son  égard  du 
cardinal  Caraffa  et  du  docteur  Ortiz,  personnages  très  puissants  à 
la  cour  pontificale  :  au  premier  il  avait  déplu  par  quelques  con- 
seils qu'il  s'était  permis  de  lui  donner,  avant  son  élévation  au  car- 
dinalat, touchant  sa  perfection  propre  et  le  gouvernement  des 
Théatins  *;  du  second,  il  avait  reçu  à  Paris  des  preuves  évidentes 
d'hostilité.  La  suite  des  événements  montra  que  les  craintes  d'I- 
gnace n'étaient  pas  tout  à  fait  sans  fondement.  Le  cardinal  Pierre 
Caraffa,  sous  l'inspiration  d'un  zèle  sans  doute  mal  éclairé,  fit 
aux  voyageurs  une  forte  opposition;  par  contre,  le  docteur  Ortiz 
les  accueillit  avec  la  plus  grande  bienveillance. 

Ce  savant  casuiste  était  venu  à  Rome,  chargé  par  Charles- 
Quint  de  défendre  les  intérêts  de  Catherine  d'Aragon,  tante  de 
l'empereur,  indignement  répudiée  par  Henri  VIII.  Il  avait,  depuis 
longtemps,  déposé  ses  préjugés  contre  Ignace  dont  il  avait  re- 
connu la  sainteté.  En  sa  considération  il  voulut  introduire  lui- 
même  ses  disciples  auprès  du  Saint-Père,  auquel  il  fit  d'abord  le 
plus  bel  éloge  de  leurs  talents  et  de  leurs  vertus2.  Paul  III,  pontife 
pieux  et  savant,  occupait  alors  le  Saint-Siège  ;  il  aimait  à  écouter, 
pendant  ses  repas,  des  discussions  sur  des  matières  de  doctrine.  Il 
voulut,  une  fois,  entendre  les  compagnons  d'Ignace  disputer  de- 
vant lui  avec  d'autres  théologiens  romains.  Leur  savoir  et  leur 
dialectique  le  ravirent.  Quand  il  se  leva  de  table,  ils  s'agenouil- 
lèrent pour  lui  baiser  les  pieds,  et  lui,  étendant  les  bras  comme 
pour  les  presser  tous  sur  son  cœur,  leur  dit  avec  une  bonté 
toute  paternelle  :  «  Je  suis  vraiment  heureux  de  trouver  tant 
de  science  unie  à  tant  d'humilité;  si  vous  avez  besoin  de  mon 
appui  en  quoi  que  ce  soit,  je  vous  l'accorderai  volontiers.  »  Ils 
lui  demandèrent  sa  bénédiction  et  l'autorisation  de  se  rendre  en 
Terre  Sainte  :  «  Je  vous  le  permets  de  tout  cœur,  dit-il  en  les 
bénissant,  mais  je  ne  crois  pas  que  vous  parveniez  à  Jérusalem3.  » 
Le  Pape  parlait  ainsi  parce  qu'il  venait  de  conclure  avec  l'empe- 

1.  «  Nuestro  Padre  le  dio  algunos  avisos  tocanles  al  Iralo  de  sua  persona  y  al  buen 
gobernio  de  su  religion  »  (Ribadeneira  :  Persecuciones  de  la  Comp.,  ms.  cité  dans  les 
Mon.  Ign.,  s.  1,  t.  I,  p.  114,  note).  Cf.  Polanco,  Chronicon,  I.  56  :  «  Eu  m  ex  charitate 
prudenter  admonùerat,  sed  non  admodum  libenter  quae  suggessisset  audita  fuerunt.  » 

2.  Polanco,  p.  57,  58.  Acta  P.  Ignatii,  n.  73.  De  origine,  p.  48.  Les  historiens  con- 
temporains constatent,  sans  en  dire  les  raisons,  cette  transformation  d'Ortizqui  devint 
l'un  des  plus  grands  bienfaiteurs  de  la  Compagnie. 

3.  Ces  paroles  et  cette  scène  sont  rapportées  par  un  témoin,  le  P.  Simon  Rodriguez 
(De  origine  Soc.  Jesu,  p.  48,  49). 


FONDATION  ET  APPROBATION.  63 

reur  un  traité  contre  les  Turcs  :  la  guerre  était  près  d'éclater  sur 
nier.  Cependant,  par  son  ordre,  une  somme  de  soixante  écus  fut 
remise  aux  futurs  pèlerins.  Quelques  compatriotes  espagnols  leur 
firent  également  des  largesses,  et  la  somme  s'éleva  bientôt  à  deux 
cent  dix  ducats,  qu'ils  rendirent  du  reste  plus  tard  quand  le 
voyage  devint  impossible  l.  Ils  obtinrent  aussi  de  la  Pénitcncerie, 
le  27  avril  1537,  la  faculté  de  recevoir  les  ordres  sacrés  à  titre 
de  pauvreté  volontaire,  de  quelque  évêque  que  ce  fût,  hors  des 
temps  prescrits  par  les  canons,  et  aussi  une  dispense  d'âge  pour 
Alphonse  Salmeron,  dès  qu'il  aurait  atteint  ses  vingt-trois  ans  -'. 

i.  Heureux  du  succès  complet  de  leur  démarche,  ils  revinrent 
à  Venise.  Le  2ï  juin  1537,  Ignace  et  ceux  des  siens  qui  n'étaient 
pas  encore  prêtres  furent  ordonnés  dans  cette  ville  par  Mgr  Vin- 
cenzo  Negusanti  daFano,  évèque  d'Arba.  Ce  prélat  déclara,  dans 
la  suite,  qu'aucune  des  nombreuses  ordinations  faites  par  lui 
n'avait  rempli  son  âme  de  plus  tendres  sentiments  de  dévotion 3. 
Les  ordinands  avaient  auparavant  renouvelé  leurs  vœux  de  pau- 
vreté et  de  chasteté  aux  pieds  du  nonce  Girolamo  Vérallo,  qui 
rendit,  le  13  octobre  de  la  même  année,  un  témoignage  très 
favorable  de  la  sainte  vie  et  de  la  pure  doctrine  d'Ignace  de 
Loyola4.  Les  nouveaux  prêtres  attendirent,  pour  célébrer  leur 
première  messe,  différentes  solennités  que  chacun  choisit  sui- 
vant son  attrait  particulier.  Ignace  voulut  s'y  préparer  pendant 
une  année  entière,  et  prolongea  même  le  délai  fort  au  delà  de  ce 
terme.  Ce  ne  fut  qu'au  mois  de  décembre  de  l'année  suivante, 
en  l'église  de  Sainte- Marie-Majeure  à  Rome,  dans  la  chapelle  de 
la  Crèche  et  le  jour  même  de  Noël,  cfu'il  eut  pour  la  première 
fois  le  bonheur  d'offrir  à  Dieu  le  corps  et  le  sang  de  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ5. 

Cependant,  les  espérances  d'aller  en  Palestine  diminuaient  de 
jour  en  jour.  La  guerre  ayant  éclaté  entre  le  sultan  Soliman  et 
la  république  de  Venise,  de  nombreuses  flottes  sillonnaient  les 
mers;  il  fallait  attendre  les  événements.  L'espace  de  temps  dé- 
signé par  Ignace  et  ses  compagnons,  comme  limite  à  l'accom- 
plissement de  leur  vœu,  s'achèverait  sans  doute  avant  qu'il  leur 

1.  Acta  P.  Ignatii,  n.  93.  Polanco,  p.  58. 

2.  Tilulus  ordinum  Ignatii  et  soc.  (Mon.  Ign.,  s.  4,  t.  I,  p.  543). 

3.  Rodriguez,  De  origine,  p.  50.  Epistola  Lainii  [Mon.  Ign.,  s.  4,  t.  I,  p.  117). 

4.  Testimonium  de  innocentia  Ignatii  (Mon.  Ign.,  s.  4,  t.  1,  p.  624).  Cf.  Polanco. 
Yita  Ignatii,  p.  59. 

5.  Lettre  du  2  fév.  1539  aux  Seigneurs  de  Loyola  (Mon.  Ign.,  s.  1,1.  I,  p.  147). 

COMPAGNIE    DE   JÉSUS.    —  T.    I.  5 


60  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

fût  permis  de  passer  en  Syrie.  Bien  qu'ils  n'eussent  pas  encore 
perdu  tout  espoir,  ils  se  réunirent  à  Vicence,  dans  la  petite 
maison  en  ruine  où  Ignace  s'était  retiré  ',  afin  de  s'entendre  sur 
les  occupations  auxquelles  il  était  à  propos  de  se  livrer  pour  le 
moment.  Ils  convinrent  alors  de  se  disperser  dans  les  villes  d'I- 
talie pourvues  d'Universités,  d'y  exercer  encore  quelque  temps 
les  fonctions  du  saint  ministère,  et  d'y  recruter,  s'il  était  pos- 
sible, de  nouveaux  associés.  Il  fut  décidé  que  «  maitre  Ignace, 
maître  Lainez  et  maître  Le  Fèvre  iraient  à  Rome;  maitre  Pas- 
chase  et  maître  Salmeron  à  Sienne;  maitre  François  Xavier  et 
maitre  Bobadilla  à  Bologne;  maitre  Claude  Le  Jay  et  maître 
Simon  Roclriguez  à  Ferrare;  le  bachelier  Hozès  avec  Jean  Codure 
à  Padoue2  ». 

Un  autre  point  restait  à  traiter.  On  leur  avait  souvent  demandé 
quels  étaient  leur  nom  et  leur  profession;  il  importait  que  tous 
donnassent  la  même  réponse.  Ils  prièrent  et  réfléchirent  pour 
savoir  la  volonté  de  Dieu  à  ce  sujet.  Mais  il  n'y  eut  pas  longue 
discussion  :  u  Considérant  qu'ils  n'avaient  d'autre  chef  que  Jésus- 
Christ  que  seul  ils  voulaient  servir,  il  leur  sembla  qu'ils  devaient 
prendre  le  nom  de  ce  chef,  et  que  leur  association  devait  s'ap- 
peler Compagnie  de  Jésus 3  ». 

5.  Au  mois  d'octobre4  1537,  Ignace  partit  pour  Rome  avec 
Pierre  Le  Fèvre  et  Jacques  Lainez.  Il  eut  pendant  la  route  une 
extase  mémorable,  constatée  dans  les  actes  du  procès  de  béati- 
fication, et  qu'on  regarde  à  bon  droit  comme  une  confirmation 
divine  du  nom  de  Jésus  qui  venait  d'être  choisi  par  la  petite 
société  naissante.  A  six  milles  environ  de  la  ville  de  Rome,  au 


1.  C'était  dans  un  couvent  abandonné,  San  Pietro  in  Vanello,  vieille  bâtisse  sans 
portes  ni  fenêtres. 

2.  Epist.  Lainïi  (Mon.  Igu.,  s.  4,  t.  I,  p.  118).  —  Jacques  de  Hozès,  né  à  Malaga, 
avait  connu  Ignace  à  Venise,  en  1536,  pendant  que  celui-ci  attendait  ses  compagnons. 
La  première  fois  qu'il  fit  les  Exercices,  troublé  par  les  faux  bruits  répandus  sur  ce 
livre  et  sa  doctrine,  il  s'était  muni  d'une  quantité  de  livres  de  théologie  pour  avoir 
sous  la  main  de  quoi  réfuter  l'erreur.  Mais  ses  craintes  s'évanouirent  bientôt  et  il 
s'attacha  à  Ignace  pour  toujours.  Il  partagea  les  travaux  de  ses  compagnons  en  1537. 
Tombé  malade,  par  suite  des  fatigues  éprouvées  dans  le  ministère  apostolique  avec 
Codure,  à  Padoue,  il  mourut  en  1538,  la  Compagnie  n'étant  pas  encore  constituée. 
(Cf.  Astrain,  op.  cit.,  I,  p.  202). 

3.  Polanco,  Vita  Fgnatii,  p.  72,  73.  Polanco  dit  textuellement  que  celte  décision 
fut  prise  avant  le  départ  d'Ignace,  Lainez  et  Le  Fèvre  pour  Rome  (Ibid.,  p.  72). 

4.  Cette  date  est  donnée  par  le  P.  Le  Fèvre  dans  son  Mémorial  (p.  15)  :  «  Ivimusque 
eo  (Romam)...  erat  autem  mensis  octobris...  »  C'est  pourquoi  Ignace  pouvait  écrire 
à  Elisabeth  Roser  le  19  déc.  1538  :  «  H  y  a  plus  d'un  an  que  trois  d'entre  nous  nous 
arrivâmes  ici,  à  Rome  »  (Mon.  Ign.,  s.  1,  t.  I,  p.  138). 


FONDATION   ET  APPROBATION.  67 

village  de  la  Storta1,  se  trouvait  une  petite  chapelle  solitaire. 
Ignace  y  entra  pour  prier.  «  Bientôt,  avoua-t-il  plus  tard  lui- 
même  au  P.  Gonzalvès,  je  me  sentis  ému  et  transforme'',  et  je  re- 
connus, à  n'en  pouvoir  clouter,  que  Dieu  le  Père  m'associait  à 
son  Fils3.  »  Gonzalvès  lui  ayant  fait  remarquer  qu'il  ne  disait 
rien  de  plusieurs  détails  racontés  par  Lainez  :  —  «  Tenez  pour 
certain,  répondit-il,  tout  ce  que  Lainez  vous  a  dit,  car  je  ne  me 
rappelle  pas  très  bien  aujourd'hui  toutes  les  circonstances.  Je  suis 
sûr  seulement  qu'en  lui  rapportant  le  fait  je  ne  lui  ai  rien  dit 
qui  ne  fût  vrai1.  » 

Il  nous  faut  donc  recourir  à  Lainez  pour  avoir  un  récit  com- 
plet de  cette  apparition  importante.  Devenu  Général  de  la  Com- 
pagnie après  saint  Ignace,  il  la  raconta  ainsi  dans  une  exhorta- 
tion donnée  aux  Pères  et  Frères  de  Rome,  le  2  juillet  1560  : 
«  Nous  nous  dirigions  vers  Rome  par  la  route  de  Sienne,  Père 
maître  Ignace,  Père  maître  Le  Fèvre  et  moi.  En  ce  temps-là  le  Père 
Ignace  était  plus  que  jamais  favorisé  de  sentiments  spirituels  et 
de  dons  célestes,  particulièrement  quand  dans  la  communion  il 
recevait  Notre- Seigneur  au  Saint-Sacrement.  Le  Fèvre  et  moi 
disions  alors  la  messe,  mais  lui  pas  encore.  Parvenus  à  un  certain 
endroit  de  la  route,  il  me  dit  que  Dieu  lui  avait  profondément 
imprimé  au  cœur  ces  paroles  :  «  Je  vous  serai  propice  à  Rome11  », 
dont  il  n'entendait  pas  encore  toute  la  signification  [ne  sachant 
au  juste  quelles  épreuves  il  aurait  à  traverser  pour  accomplir  la 
volonté  divine].  «  J'ignore,  nous  dit-il,  ce  qu'il  en  sera  de  nous. 
Qui  sait?  peut-être  serons-nous  mis  en  croix?  »  Puis  il  ajouta 
qu'il  lui  avait  semblé  voir  Notre-Seigneur  avec  une  pesante  croix 
sur  les  épaules,  et  près  de  lui  le  Père  Éternel  qui  lui  disait  : 
«  Je  veux,  mon  Fils,  que  tu  prennes  celui-là  pour  ton  serviteur.  » 
Et  Jésus  pressant  Ignace  contre  lui-même  et  contre  sa  croix,  lui 
dit  :  «  Oui,  je  veux  que  tu  sois  mon  serviteur  \  » 


1.  Sur  la  roule  qui  va  de  Sienne  à  Rome  par  Viterbe. 

2.  Acta  P.  lgnatii,  n.  96.  Le  texte  porle  :  «  Me  plaçant  avec  son  Fils.  »  La  même 
expression  se  retrouve  dans  le  manuscrit  où  Ignace  notait  ce  qui  se  passait  dans  son 
àme  :  «  Veniendo  en  memoria  cuando  el  Padre  me  puso  con  el  Hajo  »  (Constit.  S.  J. 
lat.  et  hisp.,  p.  355,  n.  22). 

3.  Acta  P.  lgnatii,  n.  96. 

4.  Le  bréviaire  ambrosien  de  l'église  de  Milan  contient  une  leçon  de  l'office  de 
saint  Ignace  où  on  lit  :  «  Jesum  sibi  patrocinium  illis  verbis  spondentem  prope  Ur- 
bem  audivit  :  Ego  vobis  Jlomae  propitius  ero.  » 

5.  De  actis  S.  lgnatii  a  Ribadeneira  (Mon,  lgnat.,  s.  4,  t.  I,  p.  378).  Dans  sa  Vie 
de  saint  Ignace  Ribadeneira  insinue  que  le  nom  de  Jésus  fut  donné  à  la  Compagnie 
en  conséquence  de  cette  vision;  mais  nous  avons  vu  plus  haut  que  les  Pères  avaient 


08  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

6.  Arrivés  dans  la  ville  étemelle,  Ignace,  Le  Fèvre  et  Lainez 
allèrent  aussitôt  s'offrir  au  Souverain  Pontife.  Paul  III  agréa  leurs 
services  avec  les  témoignages  de  la  plus  affectueuse  bonté.  Il 
nomma  Le  Fèvre  et  Lainez,  qu'il  connaissait  déjà  avantageuse- 
ment, professeurs  à  l'Université  de  la  Sapience,  le  premier  d'É- 
criture Sainte,  le  second  de  théologie  scolaslique.  Ignace,  appliqué 
au  bien  des  âmes,  s'occupa  uniquement  de  donner  les  Exercices 
spirituels  à  Rome  et  hors  de  la  ville.  Pendant  ce  temps,  ses  com- 
pagnons dispersés  en  Italie  faisaient  apprécier  leur  zèle  et  leur 
science  dans  des  travaux  apostoliques  que  nous  n'avons  pas  à 
raconter.  La  fin  de  l'année  1537  et  les  premiers  mois  de  1538 
se  passèrent  ainsi.  La  guerre  avait  bien  cessé  et  la  mer  était 
devenue  libre,  mais  seulement  après  le  terme  fixé  par  le  vœu 
de  Montmartre.  Dieu  faisait  ainsi  comprendre  à  ses  serviteurs  que 
le  pèlerinage  de  Jérusalem  n'était  point  sa  volonté.  Il  ne  leur 
restait  plus  qu'à  entrer  dans  la  voie  tracée  par  la  Providence. 

Durant  le  carême  1538,  Ignace  rappela  près  de  lui,  à  Rome, 
tous  les  siens.  Une  fois  rassemblés,  leur  première  détermination 
fut  de  demander,  pour  ceux  qui  ne  l'avaient  pas  encore,  la  per- 
mission de  prêcher  et  de  confesser.  En  l'absence  du  Pape,  alors 
à  Nice,  son  légat,  le  cardinal  Jean-Vincent  Caraffa,  leur  octroya 
les  pouvoirs  les  plus  étendus.  Ils  se  partagèrent  alors  les  diffé- 
rentes églises  '.  Ils  prêchaient  presque  tous  en  italien,  ce  qui  leur 
valait  quelques  humiliations;  mais  le  succès  spirituel  n'était  pas 
moindre.  Les  maîtres  d'écoles  amenaient  les  enfants  à  leurs  caté- 
chismes; les  adultes,  touchés  de  leurs  exhortations,  se  mettaient 
à  la  pratique  de  la  confession  et  de  la  communion  fréquente. 
Ignace,  qui  prêchait  en  espagnol  à  l'église  Sainte-Marie  de  Mont- 
Serrat,  attirait  autour  de  sa  chaire  beaucoup  d'hommes  de  valeur 
qui  le  suivaient  avec  assiduité.  Le  docteur  Ortiz  se  vantera  plus 
tard  de  n'avoir  perdu  alors  aucun  de  ses  sermons,  et  un  autre 
théologien,  le  docteur  Arce,  disait  n'avoir  jamais  entendu  personne 
prêcher  avec  autant  de  vigueur  que  lui  :  «  Il  parlait,  ajoutait-il. 
velut  potestatem  habens-.  »  Cette  petite  société  d'hommes  apos- 
toliques commençait  à  être  connue;  elle  jouissait  en  paix  des 
fruits  de  salut  produits  dans  les  âmes  et  se  préparait  à  récolter 


choisi  ce  nom  à  Vicence  avant  de  se  répandre  dans  les  Universités  d'Italie.  La  vision 
de  la  Storla  ne  fit  que  les  confirmer  dans  leur  décision. 

1.  Ils  allèrent  aussi   évangéliser  divers   monastères   et  hôpitaux  (Epist.   Lainii. 
Mon.  Ign.,  s.  4,  t.  I,  p.  120). 

2.  Polanco,  p.  63,  64,  67.  Mon.  Ignat.,  ser.  ï,  t.  I,  p.  119,  120,  548. 


FONDATION  ET  APPROBATION.  69 

des  moissons  nouvelles,  lorsque  s'éleva  contre  elle  un  violent 
orage,  qui  menaça  de  ruiner  de  si  belles  espérances.  Ignace  de 
Loyola  a  raconté  lui-même  cette  rude  épreuve  dans  une  longue 
lettre  à  Elisabeth  Roser,  datée  du  19  décembre  1538  :  «  Pendant 
huit  mois  entiers,  dit-il,  nous  avons  eu  à  soutenir  la  plus  terrible 
persécution  que  nous  ayons  jamais  soufferte  en  cette  vie.  Je  ne 
veux  pas  dire  qu'on  nous  ait  personnellement  inquiétés  ou  tra- 
duits devant  les  tribunaux;  mais,  par  les  bruits  semés  dans  le 
public,  par  des  accusations  inouïes,  on  nous  avait  rendus  sus- 
pects et  odieux  aux  fidèles,  à  leur  grand  scandale.  Nous  avons 
donc  été  forcés  de  nous  présenter  devant  le  Légat  et  le  gou- 
verneur de  Rome,  le  Pape  étant  parti  pour  Nice,  afin  de  dissiper 
la  fâcheuse  impression  faite  sur  l'esprit  d'un  grand  nombre. 
Nous  avons  cité  plusieurs  de  ceux  qui  s'étaient  déclarés  contre 
nous,  les  sommant  de  dire,  devant  qui  de  droit,  ce  qu'ils  avaient 
à  reprendre  dans  notre  enseignement  et  dans  notre  conduite...  » 

Après  avoir  rapporté  toutes  les  péripéties  de  cette  affaire  et 
comment  une  sentence  solennelle  fut  rendue,  le  18  novembre 
1538,  au  nom  du  Saint-Père,  grâce  au  concours  providentiel  de 
graves  témoins,  venus  inopinément  d'Espagne,  de  Paris  et  de 
Venise,  Ignace  ajoute  :  «  Maintenant  que  nous  avons  un  jugement 
en  notre  faveur,  nous  espérons  étendre  encore  nos  prédications 
et  nos  catéchismes.  Quoique  le  terrain  soit  sec  et  stérile  et  que 
nous  rencontrions  tant  de  contradictions,  nous  ne  pouvons  dire 
cependant  que  le  travail  nous  manque  et  que  Dieu  Notre-Seigneur 
ne  nous  ait  pas  protégés  au  delà  de  notre  attente.  Je  ne  veux  pas 
entrer  ici  dans  le  détail  des  choses...  Je  ne  puis,  cependant,  vous 
taire  que  quatre  ou  cinq  compagnons  ont  résolu  de  se  joindre  à 
nous  et  persévèrent  depuis  plusieurs  mois  dans  ce  dessein;  nous 
ne  pouvons  les  recevoir,  car  on  nous  a  reproché,  entre  autres 
choses,  de  vouloir  fonder  un  Ordre  sans  l'autorisation  du  Saint- 
Siège.  Si  nous  ne  vivons  pas  encore  en  communauté,  nous 
sommes  néanmoins  unis  de  cœur  dans  le  même  projet  d'avenir 
que  Dieu  Notre-Seigneur,  nous  l'espérons,  réalisera  bientôt,  puis- 
qu'il est  tout  pour  son  service  et  sa  gloire [.  » 

Dans  la  sentence  favorable  prononcée  par  le  gouverneur  de 
Rome,  Renoit  Conversini,  il  est  déclaré  «  qu'Ignace  et  ses  com- 
pagnons non  seulement  n'ont  encouru  ni  de  droit  ni  de  fait,  par 
suite  des  dénonciations,  aucune  note  d'infamie,  mais  qu'ils  en 

1.  Lettre  du  19  déc.  1538  (Mon.  Ignat..  s.  1,  t.  I,  p.  137-144). 


70  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

ont  retiré  pour  la  pureté  de  leur  doctrine  et  de  leur  vie  un  bril- 
lant éclat1  ».  Les  calomniateurs  restèrent  impunis.  D'ailleurs, 
Ignace  de  Loyola  n'avait  point  recherché  leur  condamnation  ;  il 
avait  uniquement  revendiqué,  pour  l'honneur  même  de  Dieu, 
une  attestation  de  son  innocence  et  de  celle  de  ses  compagnons  : 
«  Qu'on  nous  traite,  écrit-il  à  Pierre  Contarini,  d'hommes  igno- 
rants, grossiers,  sans  éloquence,  qu'on  dise  de  nous  .que  nous 
sommes  méchants,  moqueurs,  inconstants  :  nous  n'en  ferons 
guère  cas,  Dieu  aidant.  Mais  qu'on  prétende  que  notre  doctrine 
est  erronée  et  notre  vie  mauvaise,  voilà  ce  qui  nous  afflige; 
car  ces  biens  ne  sont  pas  à  nous,  mais  à  Jésus-Christ  et  à  son 
Église2.  » 

Quant  au  reproche  fait  à  Ignace  et  aux  siens  de  vouloir  fonder 
un  Ordre  nouveau,  pour  en  comprendre  la  portée,  il  faut  savoir 
qu'à  la  cour  de  Rome  un  mouvement  de  réforme  se  dessinait 
alors,  qui  ne  tendait  à  rien  moins  qu'à  la  suppression  momen- 
tanée d'un  bon  nombre  d'instituts  religieux. 

Paul  III  avait  établi,  depuis  peu,  une  commission  composée 
de  quatre  cardinaux  et  de  cinq  prélats  ou  abbés3,  à  l'effet  de  re- 
chercher et  de  détruire  les  abus  qui  s'étaient  glissés  dans  l'É- 
glise et  spécialement  dans  le  clergé.  Celle-ci  fit  un  rapport,  où 
après  avoir  dénoncé  les  défauts  du  clergé  séculier,  exposé  leur 
cause  et  leurs  remèdes,  elle  se  plaignit  des  couvents  d'hommes 
«  la  plupart  tellement  relâchés  qu'ils  étaient  devenus  un  scandale 
pour  les  fidèles  ».  Elle  proposait  de  laisser  s'éteindre  peu  à  peu 
«  tous  les  ordres  conventuels  par  l'interdiction  de  recevoir  des 
novices  »  et  par  «  le  renvoi  de  tous  les  jeunes  gens  qui  n'avaient 
pas  encore  fait  profession4  »;  de  la  sorte,  les  monastères  seraient 
bientôt  supprimés  «  sans  porter  préjudice  à  personne  »,  et  l'on 

1.  Sententia  vicarii  urbis  (Mon.  Ignat.,  s.  4,  t.  I,  p.  627). 

2.  Lettre  du  2  déc.  1538  [Mon.  Ignat.,  s.  1,  t.  I,  p.  134,  135). 

3.  Les  cardinaux  étaient  Contarini,  Sadolet,  Caraffa  et  Polus.  Les  cinq  prélats  : 
Frégosi,  arche v.  deSalernes;  Jérôme  Alexandre  archer,  de  Brindes;  Giberli,  évêque 
de  Vérone;  Cortesi,  abbé  de  Saint-Georges  ;  Thomas  Badia,  dominicain  et  maître  du 
Sacré  Palais. 

4.  «  Conventuales  ordines  abolendos  esse  putamns  oinnes,  non  tamen  ut  alicui  fiât 
injuria,  sed  prohibendo  ne  novos  possint  admittere.  Sic  enini,  sine  ullius  injuria,  cito 
delerentur  et  boni  religiosi  eis  substitui  possint.  Nunc  vero  putamus  optimum  fore 

si  omnes  pueri,  qui  non  sunt  professi,  ab  eoium  monasteriis  repellerentur  »  [Consi- 
lium  delectornm  cardinalium  el  aliorum  praslalorum  de  emendanda  Ecclesia. 
S.  D.  X.  Paulo  III  jubente,  conscriptum  et  exhibilum  anno  MDXXXY1II,  dans 
Le  Plat,  Monumentorum  ai  hist.  conc.  Trident...  coltectio  t.  II,  p.  601).  Ce  docu- 
ment fut  publié  d'abord  par  Sturm  en  1538;  on  le  trouve  dans  divers  ouvrages.  Les 
archives  Vaticanes  en  possèdent  une  copie  (Varia  Poiilicorum,  XXVII,  fol.  117-139). 
Le  Plat  nous  avertit  que  son  texte  reproduit  l'édition  de  1538. 


FONDATION  ET  APPROBATION.  71 

pourrait  ensuite  songer  aux  moyens  de  les  reconstituer  avec  des 
sujets  mieux  formés.  Ce  projet  parut  au  Pape  à  la  fois  violent  et 
inutile.  Animé  du  même  esprit  qui  suscita  alors  des  réformateurs 
tels  que  Thérèse  de  Jésus  et  Pierre  d'Alcantara,  il  ne  crut  pas 
devoir  souscrire  à  l'avis  de  la  commission.  Mais,  malgré  cette 
décision  de  Paul  III,  il  est  aisé  de  voir  combien  le  moment  était 
peu  favorable  pour  présenter  et  faire  agréer  une  fondation  nou- 
velle. 

7.  C'était  néanmoins  en  de  telles  circonstances  que  Dieu  allait 
amener  Ignace  et  ses  compagnons  à  demander  à  l'Église  de  re- 
connaître et  d'approuver  leur  petite  Société.  En  se  réunissant  à 
Rome  au  printemps  de  15:38,  ils  n'avaient  d'abord  songé  qu'à 
remplir  la  seconde  partie  de  leurs  vœux  :  travailler  au  bien  spi- 
rituel des  âmes  suivant  le  bon  plaisir  du  Souverain  Pontife. 
«  Mais,  raconte  le  P.  Polanco,  quand  ils  virent  une  vaste  carrière 
ouverte  devant  eux,  soit  dans  les  villes  et  provinces  d'Italie,  soit 
même  au  dehors,  parce  que  la  bonne  édification  qu'ils  avaient 
donnée  à  Rome  faisait  désirer  leur  concours  à  beaucoup  de  gens 
auxquels  le  pape  voulait  être  agréable,  la  pensée  leur  vint  à 
tous1  que  la  volonté  de  Dieu  était  qu'ils  formassent  une  société 
perpétuelle  qui,  leur  survivant,  continuerait  après  leur  mort  à 
servir  Dieu  dans  les  mêmes  ministères,  et  s'accroîtrait  de  tous 
ceux  que  Notre-Seigneur  appellerait  au  même  genre  de  vie. 
Venus  de  nations  diverses,  mais  étroitement  unis  par  un  même 
esprit  et  une  même  vocation,  ils  résolurent,  avant  de  se  séparer 
pour  l'apostolat,  de  fixer  la  règle  de  conduite  qu'ils  entendaient 
suivre  désormais.  Et,  comme  sur  ce  point  les  avis  furent  d'abord 
partagés,  ils  décidèrent  unanimement  de  vaquer  avant  tout  à 
la  prière,  d'offrir  le  saint  sacrifice  de  la  messe  et  de  se  livrer 
chacun  en  particulier  à  de  sérieuses  considérations  afin  de  mieux 

1.  11  est  évident  par  le  contexte  que  cette  pensée  leur  vint  alors  pour  la  première 
fois.  Polanco  dit,  en  effet,  quelques  lignes  plus  haut  :  «  Cum  Romae  hoc  anno  1~>  45... 
noslri  convenerunt,  nondum  in  animo  proposueranl  congregationem  aliquam 
perpétuant  seu  religionem  instituer e  »  (p.  69,  70).  D'ailleurs  nous  avons  sur  ce 
point,  parfois  contesté,  le  témoignage  de  saint  Ignace  lui-même.  Le  29  juillet  1553, 
au  sujet  d'une  notice  historique  sur  l'origine  de  la  Compagnie,  son  secrétaire  écri- 
vant de  sa  part  au  P.  François  Palmio  lui  recommandait  la  brièveté  et  lui  disait  : 
«  V.  R.  potria  agiongiere  corne  li  primi,  che  congrego  in  Parigi  N.  P.  Ignatio,  et 
lui  non  pasorno  in  ltalia  per  far  religione,  ma  per  passar  in  Hierusalem  et 

predicar  et  morir  fra  infideli;  ma  dopoi,  non  polendo  passa re aU'hora  tral- 

torno  di  far  un  corpo  »  (Mon.  Ignat.,  s.  1,  t.  V,  p.  259,  2G0).  Cf.  Analecta  Bollan- 
diana,  1908,  t.  XXVII.  Manrèse  et  les  origines  de  la  Compagnie  de  Jésus.  L'au- 
teur de  cet  article,  le  P.  Van  Ortroy,  semble  avoir  dit  le  dernier  mot  sur  celle 
question  controversée. 


72  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

connaître  la  volonté  de  Dieu.  Ils  avaient  le  ferme  espoir  que,  s'ils 
employaient  de  leur  côté  toute  diligence,  le  Seigneur  ne  man- 
querait pas  de  leur  inspirer  les  desseins  les  plus  utiles  à  son 
honneur  et  les  plus  agréables  à  sa  divine  majesté1.  » 

Après  la  prière,  ils  en  vinrent  aux  délibérations.  Ils  y  consa- 
crèrent plusieurs  heures  chaque  nuit,  afin  de  ne  rien  retrancher 
à  leurs  journées  tout  absorbées  par  le  service  du  prochain.  Ces 
conférences  durèrent  trois  mois,  ainsi  que  le  porte,  écrit  de  la 
main  du  P.  Codure,  le  procès-verbal  des  séances2.  Chaque  point 
à  fixer  devait  passer  par  trois  degrés  :  l'étude,  la  discussion  et  le 
vote.  Lorsque  l'objet  à  étudier  avait  été  proposé,  chacun  se  re- 
tirait, se  mettait  seul  en  présence  de  Dieu  et  considérait  la  ques- 
tion comme  une  chose  à  laquelle  il  était  entièrement  étranger, 
afin  qu'affranchi  de  l'intérêt  propre  il  put  choisir  le  parti  le 
meilleur.  Dans  la  crainte  que  le  respect  du  sentiment  d'autrui 
ne  prévalût  sur  le  jugement  de  la  raison,  personne  ne  communi- 
quait aux  autres  le  fruit  de  ses  réflexions  privées.  Pendant  les 
conférences,  chacun  émettait  librement  son  avis  et  le  livrait  à  la 
discussion  commune;  cet  avis,  débattu  à  fond,  n'était  mis  aux 
voix  et  adopté  que  lorsqu'il  ne  rencontrait  plus  d'opposition.  Les 
propositions  d'Ignace  étaient  soumises  comme  les  autres  à  l'exa- 
men; elles  rallièrent  toujours  l'unanimité  des  suffrages,  une 
seule  fois  exceptée,  comme  nous  le  dirons  plus  loin. 

Dans  la  première  réunion  ils  examinèrent  si,  au  cas  où  le  Pape 
les  enverrait  en  différents  pays,  même  hors  de  l'Europe,  chacun 
resterait  son  maitre  et  sans  rapports  avec  les  autres,  ou  bien  si, 
quoique  dispersés,  ils  formeraient  une  même  société.  La  question 
fut  résolue  à  l'unanimité  dans  ce  dernier  sens;  car,  bien  que  dif- 
férant de  langage,  de  mœurs,  de  conditions,  ils  avaient  toutes  les 
raisons  du  monde  de  ne  jamais  séparer  ce  que  la  main  de  Dieu 
avait  miraculeusement  uni.  Ce  parfait  accord  leur  parut  l'arme 
la  plus  puissante  pour  opérer  de  grandes  choses  et  pour  résister 
à  toutes  les  adversités.  A  cette  première  décision,  comme  à  toutes 
les  autres,  ils  ajoutèrent  cependant  cette  clause  :  autant  que  cela 
s'accorde  avec  la  volonté  de  Dieu  et  les  intentions  du  Saint-Siège ::. 

On  examina,  dans  les  réunions  suivantes,  une  seconde  ques- 
tion intimement  liée  avec  la  première  :  quelle  serait  la  forme  de 

1.  Polanco,  Vila  P.  Ignatii,  p.  70. 

2.  «  t539,  en  très  meses  il  modo  de  ordenarse  la  Gompania  »  (Const.  lat.  et  hisp., 
append.  I",  n.  1).  Cf.  Rodrigue/,  De  origine,  p.  76. 

3.  Const.  S  J.  lat.  et  hisp.,  appendix  1%  n.  1,  p.  298.  —  Polanco,  Vita  P.  Ignatii, 
p.  70. 


FONDATION  ET  APPROBATION.  73 

gouvernement  de  la  société?  Aux  vœux  de  pauvreté  et  de  chasteté 
qu'ils  avaient  faits  à  Venise,  en  présence  du  légat  apostolique, 
devaient-ils  ajouter  le  vœu  d'obéissance  et  par  là  faire  de  leur 
Compagnie  un  nouvel  Ordre  religieux?  Ils  hésitèrent  longtemps. 
Après  une  discussion,  qui  dura  plusieurs  séances,  ils  ne  savaient 
encore  à  quoi  se  résoudre.  Ignace  s'abstint  d'intervenir  avec  auto- 
rité. On  eut  alors  recours  au  moyen  prescrit  par  les  Exercices 
sous  le  nom  d'élection  :  les  yeux  fixés  sur  le  but  à  atteindre,  la  plus 
grande  gloire  de  Dieu,  on  pesa  les  raisons  pou?'  et  les  raisons  contre 
la  subordination  à  un  chef  unique.  Les  inconvénients  qui  pou- 
vaient résulter  du  vœu  d'obéissance  furent  d'abord  examinés. 
Trois  surtout  parurent  dignes  de  considération  :  le  premier,  que 
l'opinion  publique  étant  peu  favorable  aux  Ordres  existants,  cette 
défaveur  s'attacherait  nécessairement  à  tout  Ordre  nouveau;  le 
second,  que  le  vœu  d'obéissance  éloignerait  de  la  Compagnie 
beaucoup  de  personnes  qui  autrement  s'y  seraient  rattachées  ;  le 
troisième,  que  le  Pape,  dont  l'approbation  était  nécessaire,  pour- 
rait la  refuser  et  renvoyer  aux  Ordres  religieux  qui  existaient  déjà 
en  si  grand  nombre.  Dans  une  autre  conférence,  ce  furent  au 
contraire  les  avantages  de  l'obéissance  qui  se  présentèrent  à  la 
discussion  :  parmi  les  Ordres  existants  aucun  ne  semblait  répon- 
dre aux  besoins  de  l'époque  ;  le  Pape  se  montrerait  donc  proba- 
blement plus  disposé  à  approuver  une  société  destinée  à  combattre 
les  erreurs  actuelles;  ensuite,  les  missions,  auxquelles  Ignace  et 
ses  compagnons  devaient  se  consacrer,  porteraient  plus  de  fruits 
s'ils  étaient  unis  par  les  liens  de  la  vie  religieuse;  en  troisième 
lieu,  le  vœu  d'obéissance,  dût-il  éloigner  plusieurs  de  la  Compa- 
gnie, lui  attirerait,  en  bien  plus  grand  nombre,  tous  ceux  qui 
regarderaient  comme  un  bienfait  la  dépendance  entière  du  Sou- 
verain Pontife;  enfin,  sans  ce  vœu,  la  décision  qu'ils  avaient 
prise  de  vivre  en  société  serait  inexécutable,  aucune  société  ne 
pouvant  subsister  longtemps  en  dehors  du  principe  d'autorité. 

Après  avoir  poursuivi  ces  discussions  pendant  plusieurs  nuits 
et  épuisé  toutes  les  raisons  que  l'on  put  alléguer,  il  fut  conclu  à 
l'unanimité  que  l'on  ajouterait  aux  autres  vœux  celui  d'obéis- 
sance, le  plus  excellent  de  tous,  afin  d'imiter  plus  parfaitement 
Jésus-Christ  Notre-Seigneur,  lequel  «  se  fît  obéissant  jusqu'à  la 
mort,  et  jusqu'à  la  mort  de  la  croix1  ».  La  formule  de  résolution 
touchant  le  vœu  d'obéissance,  écrite  de  la  main  de  Le  Fèvre,  fut 

1.  La  délibération  sur  le  vœu  d'obéissance  se  voyait  autrefois  dans  la  chambre  de 
saint  Ignace  au  Gesu  {Const.  lai.  et  hisp.,  p.  298). 


74  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉS1  S. 

acceptée  de  tous,  et  chacun  la  signa  après  l'avoir  lue  à  la  sainte 
messe,  avant  la  communion.  Elle  était  ainsi  conçue  :  «  Je,  soussi- 
gné, déclare  devant  Dieu  tout-puissant,  la  Bienheureuse  Vierge 
Marie  et  toute  la  cour  céleste,  qu'après  avoir  prié  et  mûrement 
réfléchi,  j'ai  jugé  de  mon  plein  gré,  comme  plus  expédient  à  la 
gloire  de  Dieu  et  au  maintien  de  la  Compagnie,  qu'on  y  ferait  le 
vœu  d'obéissance.  Je  déclare  aussi  que  je  nie  suis  librement  offert, 
—  sans  vœu  toutefois  ni  promesse,  —  à  entrer  dans  ladite  Com- 
pagnie ;  si  elle  était  approuvée  par  notre  seigneur  le  Pape.  En 
mémoire  de  quoi,  reconnaissant  que  cette  décision  est  un  don  de 
Dieu,  je  me  suis  approché,  quoique  très  indigne,  de  la  sainte 
communion,  toujours  avec  le  même  dessein.  Ce  mardi  15  avril 
15391.  » 

Outre  les  deux  points  dont  nous  venons  de  parler,  Ignace  et 
ses  compagnons  adoptèrent  plusieurs  autres  résolutions  touchant 
le  but  et  le  développement  de  la  société2.  Le  k  mai,  il  fut  décidé 
à  l'unanimité  que  quiconque  voudrait  entrer  désormais  dans  la 
Compagnie  de  Jésus  ferait  au  Pape,  dans  la  personne  du  Supé- 
rieur, un  vœu  spécial  d'obéissance,  prêt  à  se  rendre  en  n'importe 
quel  pays,  chrétien  ou  infidèle,  désigné  par  le  Vicaire  de  Jésus- 
Christ.  Il  fut  réglé  de  plus  que  chaque  membre  enseignerait 
publiquement  la  doctrine  chrétienne  aux  enfants  pendant  quarante 
jours  chaque  année.  L'assemblée,  ayant  voulu  rendre  cet  ensei- 
gnement obligatoire  par  un  vœu,  dut  y  renoncer  devant  les  récla- 
mations de  Bobadilla.  Par  déférence  pour  sa  personne,  on  accorda 
que  cet  exercice  serait  imposé  seulement  comme  les  autres  minis- 
tères de  la  Compagnie.  Cependant,  afin  d'empêcher  qu'à  l'avenir 
l'opposition  d'un  seul  membre  pût  prévaloir  contre  lavis  de  tous 
les  autres,  on  convint  que,  si  pareil  cas  se  présentait,  le  vote  de 
l'opposant  serait  tenu  pour  nul  et  non  avenu. 

Il  fut  également  établi  que  ceux  qui  demanderaient  à  être  admis 
dans  l'Ordre  feraient  un  noviciat  et  seraient  soumis  à  d'autres 
épreuves,  comme  les  Exercices  spirituels,  les  pèlerinages -et  le 
service  des  hôpitaux.  La  veille  de  l'octave  de  la  Fête-Dieu,  on 
arrêta  que  la  Compagnie  élirait  pour  la  gouverner  un  supérieur 
général  nommé  à  vie.  Enfin,  on  décida  que  dans  le  cas  où  ses 
membres  seraient  dispersés  en  diverses  contrées,  les  résolutions 
relatives  aux  intérêts  de  tout  le  corps  seraient  prises,  à  la  majo- 

1.  L'original  de  celle  formule  est  conservé  dans  la  Compagnie;  nous  en  possédons 
une  reproduction  photographique. 

2.  Const.  lût.  et  hisp.,  app.  I,  n.  2.  Polanco,  Vita  1'.  Jgnatii,  p.  71. 


FONDATION  ET  APPROBATION.  75 

rite  des  voix,  par  ceux  qui  résideraient  en  Italie;  à  cet  effet  ils 
seraient  appelés  à  Home  ou  devraient  y  envoyer  leur  suffrage1. 

8.  Lorsque  furent  achevées  les  délibérations,  Ignace  de  Loyola 
les  résuma  en  une  formule  d'Institut,  comprenant  cinq  articles, 
qu'il  fit  présenter  à  l'approbation  du  Saint-Siège  par  les  mains  du 
cardinal  Gaspard  Contarini,  oncle  de  Pierre  Contarini  un  de  ses 
amis  de  Venise.  Le  Pape  en  confia  aussitôt  l'examen  au  maître  du 
Sacré  Palais,  le  dominicain  Thomas  Badia,  depuis  cardinal  du 
titre  de  Saint-Silvestre.  Celui-ci  la  garda  deux  mois,  pour  l'étudier 
plus  à  loisir,  et  la  remit  ensuite  avec  son  plein  consentement  au 
Souverain  Pontife.  Paul  III,  qui  était  alors  à  Tivoli,  voulut  en 
prendre  lui-même  connaissance.  On  rapporte  qu'après  l'avoir 
entendu  lire,  il  dit  en  faisant  le  signe  de  la  croix  et  donnant  sa 
bénédiction  :  Benedicimus,  laudamus  et  approbamas .  Cette  appro- 
bation de  vive  voix  eut  lieu  le  3  septembre  1539.  Le  même  jour, 
le  cardinal  Contarini  transmit  la  bonne  nouvelle  à  Ignace  en  lui 
exprimant  toute  la  satisfaction  du  Saint-Père2  :  «  Je  reçus  hier, 
lui  écrivit-il,  par  notre  espagnol  Marc-Antoine,  votre  projet  de 
règle,  avec  une  lettre  du  maître  du  Sacré  Palais.  Je  me  suis  rendu 
aujourd'hui  chez  le  Pape,  et  après  lui  avoir  exposé  verbalement 
votre  demande,  j'ai  lu  à  Sa  Sainteté  les  cinq  chapitres  dont  il  s'est 
montré  très  satisfait  et  qu'il  a  daigné  approuver  et  confirmer. 
Nous  reviendrons  vendredi  à  Rome  avec  Sa  Sainteté,  et  alors  le 
Révérendissime  Ghinuccio  recevra  l'ordre  de  rédiger  le  Bref  ou 
la  Bulle  '.  » 

Paul  III  était  sans  doute  très  disposé  à  donner  cette  sanction 
suprême,  mais  auparavant  il  désira  prendre  l'avis  de  trois  cardi- 
naux parmi  lesquels  se  trouvait  Barthélémy  Guidiccioni  de  Luc- 
ques.  Habile  canoniste  et  d'une  vie  irréprochable,  ce  cardinal 
sollicitait  depuis  longtemps  une  réforme  des  Ordres  religieux 
et  se  montrait  opposé  à  toute  institution  nouvelle.  La  considéra- 
tion dont  il  jouissait  lui  donnant  sur  ses  deux  collègues  une  incon- 
testable supériorité,  on  ne  pouvait  guère  espérer  de  la  commis- 
sion un  avis  favorable.  Guidiccioni,  en  possession  de  la  formule, 
ne  voulut  pas  même  la  lire,  protesta  énergiquement  ''  contre  la 


1.  Const.  lat.  et  hisp.,  appendix  1',  n.  3. 

2.  Polanco,  p.  71.  Cf.  Lettre   d'Ignace  à  Beltran  de  Loyola  (Mon.  Ign.,  s.  1,  t.  I, 
p.  148,  149).  Lettre  de  Salmeron  à  Juan  Lainez,  25  sept.  1539  (Ibid.,  p.  153). 

3.  Lettre  de  Gasp.  Contarini  (Cartas,  p.  433,  app.  II,  n.  5). 

4.  Polanco,  p.  72.  Rodiïguez,  De  origine,  p.  82. 


76  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

fondation  d'un  nouvel  Ordre  et  entraîna  dans  son  opposition 
obstinée  les  deux  autres  cardinaux. 

Sans  trouble  ni  découragement,  Ignace  et  ses  disciples  eurent 
recours  à  Celui  qui  tient  les  cœurs  des  hommes  en  sa  main.  Ils 
promirent  de  faire  célébrer  trois  mille  messes,  si  l'on  recevait  la 
faveur  ardemment  sollicitée1.  Leur  généreuse  constance  dans  la 
prière  finit  par  triompher.  Le  cardinal  Guidiccioni,  tout  prévenu 
qu'il  était  d'abord  contre  le  projet,  se  trouva  changé  subitement. 
Il  demanda  lui-même  le  plan  de  l'Institut,  le  lut  avec  attention 
et  l'approuva  sans  réserve.  Tout  en  affirmant  qu'il  persistait 
dans  son  avis  de  ne  pas  introduire  de  nouveaux  Ordres  dans  l'É- 
glise, il  réclamait  une  exception  en  faveur  de  celui  d'Ignace  : 
»  J'éprouve  pour  cet  Institut,  disait-il,  des  sentiments  si  extraor- 
dinaires que  la  raison  cède  à  la  manifestation  de  la  volonté 
divine  et  que  le  cœur  triomphe  de  tous  les  raisonnements  de 
l'esprit2.  »  Non  content  de  motiver  ainsi  son  approbation  per- 
sonnelle, il  détermina  ses  deux  collègues  à  émettre  un  avis  favo- 
rable, et  se  fit  auprès  du  Souverain  Pontife  l'avocat  enthousiaste 
de  ce  qu'il  avait  d'abord  condamné  !. 

Ce  fut  le  27  septembre  15i0  que  Paul  III,  parla  bulle Regimi/n 
militantis  Ecclesiae,  confirma  l'Institut  d'Ignace  de  Loyola  sous 
le  nom  de  Compagnie  de  Jésus.  Celle-ci  depuis  lors  a  regardé  ce 
jour  comme  celui  de  sa  naissance,  et  chaque  année  à  pareille 
date  elle  en  célèbre  l'anniversaire. 

La  Bulle  permettait  aux  dix  premiers  Pères,  dont  elle  louait  le 
zèle,  de  se  donner  des  constitutions  conformément  au  but  qu'ils 
s'étaient  proposé,  mais  elle  limitait  le  nombre  des  profès  à 
soixante.  Deux  ans  plus  tard,  quand  déjà  une  élite  de  jeunes  gens 
de  grande  espérance  et  des  hommes  mûrs,  expérimentés  dans  la 
science  et  la  vertu,  s'offriront  de  toutes  parts  à  la  Compagnie, 
le  même  Pape  abolira  cette  restriction  par  la  bulle  Injunclum 
nobis,  en  date  du  li  mars  15434. 

Le  nom  de  Compagnie  de  Jésus,  sous  lequel  le  nouvel  Ordre 
avait  été  approuvé,  rencontra  tout  d'abord  une  forte  opposition, 
qui  devait  se  renouveler  plus  d'une  fois  dans  le  cours  de   son 

1.  Ribadeneira  affirme,  dans  le  procès,  qu'il  fut  lui-même  chargé  de  compter  les 
messes  dites  à  cette  intention  (Acta  bealif.,  art.  16). 

2.  Ribadeneira,  1.  Il,  c.  xvii. 

3.  «  Ut  summopere  ejus  Inslitutum  laudaret,  »  dit  Ribadeneira.  Cf.  Acta  SS., 
p.  69fJ,  n.  172,  173. 

4.  Inslitutum  Societalis  Jesu,  t.  I,  p.  1,  5.  Polanco,  p.  72.  Rodriguez,  De  Origine, 
p.  84. 


FONDATION  ET  APPROBATION.  77 

existence.  Quel  orgueil  et  quelle  injustice!  s'écriait-on.  Est-ce  que 
tous  les  fidèles  ne  sont  pas  aussi  de  la  compagnie  de  Jésus?  Et 
par  quel  privilège  ce  titre  serait-il  réservé  à  la  société  d'Ignace? 
Un  théologien  célèbre,  mais  adversaire  acharné,  Melchior  Cano, 
interprétant  ces  paroles  de  saint  Paul  aux  Corinthiens  :  //  est 
fidèle  le  Dieu  par  lequel  vous  avez  été  appelés  à  la  compagnie  de 
son  Fils  Jésus- Christ{,  demandait  de  quel  droit  cette  compagnie 
de  Jésus-Christ,  qui  est  véritablement  l'Église,  avait  pu  être  en- 
tendue par  Ignace  dans  un  sens  restreint  et  privé?  «  Que  ceux 
donc  qui  s'arrogent  ce  nom,  disait-il,  examinent  bien  s'ils  n'imi- 
tent pas  les  hérétiques  en  prétendant  faussement  qu'ils  ont  chez 
eux  l'Église2.  »  —  «  Telle  n'est  pas  notre  prétention,  répondait 
le  P.  Polanco  :  nous  voulons  seulement  être  dans  l'Église  comme 
une  troupe  de  soldats  portant  le  nom  de  son  capitaine  !.  »  Le 
P.  Possevin  a  fait  au  même  sujet  une  remarque  très  juste  :  «  Les 
dominicains,  dit-il,  s'appellent  frères  prêcheurs;  cependant  ils 
n'ont  pas  la  prétention  d'être  seuls  à  prêcher'1.  » 

La  persuasion  intime  du  fondateur  était  que  le  nom  de  Jésus, 
en  dépit  de  tous  les  efforts,  resterait  toujours  à  sa  petite  Compa- 
gnie. Comme  nombre  de  gens  lui  conseillaient  de  le  changer,  il 
ne  se  laissa  point  ébranler.  Or,  pour  quiconque  connaît  son  hu- 
milité, son  empressement  à  renoncer  à  sa  volonté  propre  et  à 
céder  au  jugement  d'autrui,  cette  fermeté  tranquille,  plus  forte 
que  toutes  les  raisons  et  tous  les  avis,  est  une  preuve  certaine 
qu'il  ne  considérait  pas  cette  question  comme  une  affaire  pure- 
ment humaine.  Il  déclara  de  sa  bouche  au  P.  Polanco  qu'il 
serait  allé  contre  la  volonté  de  Dieu,  et  se  serait  rendu  gran- 
dement coupable,  s'il  avait  hésité  un  instant  à  donner  ce  nom 
à  sa  société  '. 


1.  Ce  texte  est  fort  mal  choisi,  dit  le  P.  Astrain  {op.  cit.,  ch.  xi,  p.  182,  note),  car 
ici  societas  ne  signifie  pas  réunion  d'hommes,  mais  participation,  communion  xoivw- 
vta.  —  2.  Locorum  theologicorum  libri  XII,  L  IV,  c.  u.  —  3.  Polanco,  p.  74. 

4.  «  Sommaire  des  raisons  et  objections  des  adversaires  de  la  Compagnie  »  réunies 
par  Possevin,  l'an  1565,  au  moment  où  il  traitait  de  la  réception  de  la  Compagnie  par 
l'entremise  de  la  reine  (Galliae  Epistol.,  t.  III,  fol.  1). 

5.  Polanco,  p.  73.  —  Telle  était  bien,  en  effet,  la  volonté  de  Dieu.  Elle  devait 
même,  un  jour,  se  manifester  sur  ce  point  d'une  façon  remarquable  et  contre  toute 
espérance.  Un  grand  pape,  Sixte-Quint,  prévenu  contre  les  disciples  d'Ignace,  avait 
résolu  de  changer  leur  nom  et  quelques-unes  de  leurs  règles.  Ni  les  représentations, 
ni  les  prières  de  la  plupart  des  cardinaux  ne  parvinrent  à  le  détourner  de  son  des- 
sein. 11  ordonna  donc  au  P.  Claude  Aquaviva  d'écrire  aux  Provinciaux  de  ne  plus 
employer  désormais  le  nom  de  Compagnie  de  Jésus.  Celui-ci,  ne  pouvant  se  sous- 
traire à  cette  pénible  nécessité,  porta  au  Pape  le  projet  du  décret  qu'il  avait  rédigé. 
Sixte-Quint  l'approuva,  en  louant  l'obéissance  du  Général;  mais  satisfait  de  cette 
démarche,  il  garda  le  projet  sans  en  exiger  l'expédition,  et  sa  mort,  arrivée  peu  de 


78  HISTOIRE  DE  IA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

9.  Au  moment  où  Paul  III  publia  sa  bulle  de  confirmation  de 
la  Compagnie  de  Jésus,  Ignace,  Salmeron  et  Godurese  trouvaient 
seuls  à  Rome.  Les  autres  travaillaient  en  différentes  contrées  : 
Jacques  Lainez  à  Parme;  Claude  Le  Jay  à  Brescia;  Paschase 
Broet  à  Sienne;  Nicolas  Bobadilla  à  Bisignano  en  Calabre;  Pierre 
Le  Fèvre  en  Allemagne,  où  il  avait  accompagné  le  docteur  Ortiz 
à  la  diète  de  Worms;  François  Xavier  et  Simon  Rodriguez  en 
Portugal,  où  ils  devaient  s'embarquer  pour  les  Indes.  Le  fonda- 
teur s'empressa  de  donner  à  tous  avis  de  l'heureux  événement, 
et  leur  marqua  la  nécessité  de  choisir  sans  retard  un  Supérieur, 
parce  que  le  Pape  avait  l'intention  de  confier  encore  à  d'autres 
membres  de  la  nouvelle  Compagnie  des  missions  importantes 
dans  des  pays  lointains.  Il  convoqua  donc  à  Rome  tous  ceux  qui 
résidaient  en  Italie.  Ils  y  arrivèrent  au  milieu  du  carême  de 
l'année  1541,  à  l'exception  de  Bobadilla  qu'un  ordre  de  Sa  Sain- 
teté, obtenu  par  les  habitants  de  Bisignano,  retenait  dans  cette 
ville  i. 

Avant  de  procéder  à  l'élection  du  premier  Général,  on  résolut 
de  tracer  les  règles  de  l'Ordre,  au  moins  dans  leurs  parties  prin- 
cipales. Tous  s'en  remirent  sur  ce  sujet  à  la  décision  d'Ignace 
de  Loyola;  mais  lui,  loin  de  se  prévaloir  de  cette  latitude,  ne 
voulut  rien  arrêter  définitivement  sans  avoir  pris  sur  chaque 
point  l'avis  et  l'assentiment  de  ses  compagnons.  Il  dessina  alors 
les  grandes  lignes  des  Constitutions,  et  présenta  un  projet  qui 
fut  examiné  avec  soin  et  accepté  par  tous  comme  provisoire- 
ment obligatoire. 

L'élection  fut  fixée  au  9  avril,  veille  du  dimanche  des  Bameaux, 
et  la  manière  dont  on  y  procéderait  déterminée  après  une  atten- 
tive délibération.  Tous  convinrent  de  consacrer  trois  jours  à 
considérer  devant  Dieu  sur  qui  tomberait  leur  choix;  ce  terme 
expiré,  ils  écriraient  le  nom  de  l'élu  sur  un  bulletin  cacheté,  et 
pendant  trois  autres  jours  ils  prieraient  Dieu  de  bénir  l'élection 
ainsi  faite  et  de  la  confirmer. 

Ces  prescriptions  furent  rigoureusement  observées  '.  Xavier  et 

temps  après,  trancha  pour  toujours  la  difficulté.  Son  successeur,  le  pape  Grégoire  XIV, 
clans  sa  bulle  Ecclesiae  catholicae,  approuva  expressément  avec  les  Constitutions  le 
titre  de  Compagnie  de  Jésus  :  «  Nous  voulons,  dit- il,  que  ce  nom,  sous  lequel  cet 
ordre  a  été  désigné  dès  sa  naissance  par  le  Siège  apostolique,  et  dont  il  a  été  honoré 
jusqu'ici,  soit  maintenu  à  perpétuité  dans  les  temps  à  venir  »  (Insl.  S.  /.,  I,  p.  116). 

1.  Polanco,  Chronicon,  p.  85.  llibadeneira,  1.  III,  c.  i. 

2.  Sur  les  différentes  phases  de  cette  élection,  nous  suivons  de  préférence  le  récit 
de  Ribadeneira  qui,  déjà  uni  aux  premiers  Pères,  parle  en  témoin  oculaire,  ainsi  que 
lui-même  nous  en  avertit. 


FONDATION  ET  APPROBATION.  79 

Kodriguez  avaient  laisse  leur  vote  à  Home  avant  de  partir  pour 
le  Portugal;  Le  Fèvre  avait  envoyé  le  sien  d'Allemagne,  à  trois 
reprises  différentes,  pour  plus  de  sûreté.  Le  septième  jour,  on 
ouvrit  l'urne  qui  contenait  les  votes  des  membres  présents  el 
absents,  moins  celui  de  Bobadilla !,  et  il  se  trouva  qu'à  l'unanimité 
Ignace  de  Loyola  était  élu  (Général  de  la  Compagnie  de  Jésus. 

Au  milieu  de  la  commune  allégresse,  lui  seul  était  triste.  Plus 
disposé  à  obéir  qu'à  commander,  car  il  se  jugeait  inférieur  à  tous, 
il  protesta  de  son  indignité  et  rappela  la  vie  mondaine  qu'il  avait 
menée  pendant  trente  ans;  il  exposa  les  misères  actuelles  de  son 
âme  et  l'épuisement  de  ses  forces  incapables  de  porter  un  si  lourd 
fardeau;  il  déclara  enfin  qu'il  ne  pourrait  se  rendre  à  leurs  vœux 
s'il  ne  recevait  de  nouvelles  lumières  d'en  haut.  On  voulut  d'abord 
s'opposer  à  son  dessein;  puis,  pour  ne  pas  le  contrister,  on  con- 
sentit à  recommencer  l'élection  après  trois  jours  de  pénitences  et 
de  prières.  Ignace  espérait  que  Dieu  inspirerait  d'autres  pensées 
à  ses  compagnons,  ne  s'apercevant  pas  que  son  opposition  même 
ne  servait  qu'à  les  confirmer  dans  leur  choix.  Le  quatrième  jour, 
un  nouveau  scrutin  donna  le  même  résultat  :  tous  dune  même 
voix  et  d'un  même  cœur  l'avaient  élu  Supérieur.  Cette  fois  encore, 
il  ne  crut  pas  devoir  accepter;  son  humilité  lui  suggérait  toutes 
sortes  d'excuses.  Ses  compagnons  réclamèrent  en  le  pressant  de 
ne  pas  s'opposer  davantage  à  la  volonté  de  Dieu,  mais  sans  pou- 
voir vaincre  sa  résistance.  Lainez  lui  dit  alors,  avec  une  franchise 
pleine  de  modestie  et  de  fermeté  :  «  Cédez,  mon  Père,  à  la  volonté 
divine,  sinon  la  Compagnie  va  se  dissoudre;  car  je  suis  décidé  à 
ne  pas  reconnaître  d'autre  chef  que  celui  qui  a  été  désigné  par 
Dieu.  »  Ignace,  convaincu  que  les  siens  ne  lui  témoignaient  tant 
d'estime  que  parce  qu'ils  le  connaissaient  mal,  leur  proposa  de 
s'en  rapporter  à  la  décision  d'un  tiers  :  après  avoir  ouvert  toute 
son  âme  à  son  confesseur,  il  le  laisserait  juge  de  sa  détermina- 
tion. Ils  acceptèrent  ce  moyen,  prévoyant  quelle  en  serait  l'issue. 

Son  confesseur  était  alors  un  Père  Mineur  nommé  Théodose,  du 
couvent  de  Saint-Pierre  in  Montorio.  Ignace,  afin  de  pouvoir 
traiter  plus  facilement  avec  lui,  alla  se  renfermer  dans  ce 
monastère  pendant;  trois  jours,  le  jeudi,  le  vendredi  et  le  samedi 
de  la  semaine  sainte.  Après  avoir  rendu  à  ce  bon  Père  un  compte 
exact  de  toute  sa  vie  passée,  il  lui  demanda  s'il  devait  accepter 
la  charge  de  Supérieur.   Celui-ci  répondit  affirmativement;   et 

1,  Bobadilla,  on  ne  sait  pour  quelle  raison,  n'avait  pas  envoyé  son  vole  (Acia 
SS.,  I  XXXIV,  n.  353,  p.  487). 


80  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

voyant  qu'il  n'avait  pas  encore  triomphé  de  tous  ses  doutes,  il 
ajouta  que  ne  pas  accepter  l'élection  serait  résister  au  Saint-Esprit. 
Ignace  le  pria  néanmoins  d'examiner  encore  cette  affaire  avec  une 
grande  attention,  de  la  recommander  instamment  à  Notrc- 
Seigneur,  puis  d'écrire  sa  décision  et  de  l'envoyer  par  lettre 
cachetée  à  ses  compagnons. 

Le  dimanche  de  Pâques,  le  fondateur  retourna  auprès  d'eux, 
dans  la  vieille  maison  qu'ils  habitaient,  située  en  face  l'église 
actuelle  du  Gesu.  Dès  le  mardi  suivant,  19  avril,  le  confesseur 
apporta  la  note  convenue  et  en  donna  lecture  devant  tous  les 
Pères  assemblés  :  elle  commandait  à  Ignace  de  cesser  toute  op- 
position et  d'accepter  la  charge  de  Général.  «  Alors,  dit  Riba- 
deneira,  à  la  grande  joie  de  tous  et  au  milieu  d'unanimes  applau- 
dissements, le  bienheureux  Père,  inclinant  la  tête,  déclara  qu'il 
obéissait1.  » 

Cette  affaire  terminée,  il  restait  aux  premiers  membres  de  la 
Compagnie  à  s'engager  envers  elle  pour  toujours  par  les  vœux 
solennels.  Us  choisirent  pour  cette  cérémonie  le  vendredi  de  la 
même  semaine  et  l'église  de  Saint-Paul-hors-les-murs,  où  ils 
espéraient  se  trouver  plus  solitaires.  Ignace  y  célébra  la  sainte 
messe  dans  la  chapelle  de  Notre-Dame.  Au  moment  de  la  com- 
munion il  se  tourna  vers  les  assistants,  tenant  d'une  main  l'hostie 
au-dessus  de  la  patène  et  de  l'autre  la  formule  de  sa  profession 
qu'il  lut  à  haute  voix.  Quand  il  eut  communié,  il  mit  cinq  hosties 
consacrées  sur  la  patène,  et  se  tournant  de  nouveau  vers  ses 
compagnons,  agenouillés  devant  l'autel,  il  reçut  leurs  vœux  et 
leur  donna  la  sainte  communion.  La  formule  fut  la  même  pour 
tous,  avec  cette  différence  que  les  promesses  d'Ignace  s'adressaient 
directement  au  Vicaire  de  Jésus-Christ,  et  celle  des  autres  à  lui- 
même  comme  Général  de  la  Compagnie. 

Après  une  fervente  action  de  grâces,  ils  visitèrent  les  autels 
privilégiés  de  la  basilique,  puis,  parvenus  devant  le  maître-autel, 
ils  s'embrassèrent  avec  des  larmes  de  joie,  et  témoignèrent  leur 
vénération  filiale  â  Ignace,  en  lui  baisant  la  main.  On  dressa 
aussitôt  un  acte  de  la  pieuse  cérémonie,  lequel  fut  souscrit  par 
un  clerc  de  Valence  en  Espagne,  Jérôme  Domenech,  qui  servait 
de  secrétaire.  L'inscription  porte  :  «  Fait  dans  l'église  Saint-Paul, 
hors  la  ville,  l'an  du  Seigneur  1541,  le  22  avril2  ».  Ce  jour-là, 

1.  Ribadeneira,  1.  III,  c.  i.  Polanco,  Chronicon,  p.  90. 

2.  Dans  la  chapelle  du  crucifix  miraculeux  de  sainte  Brigitte,  du  côté  de  l'épitre,  se 
trouve  placée  en  mémoire  de  cet  événement  une  inscription  latine  dont  voici  la  Iraduc- 


FONDATION  ET  APPROBATION.  H\ 

en  la  personne  de  ses  premiers  membres  et  de  son  premier  Général, 
l'Ordre  nouveau  fondé  par  Ignace  de  Loyola  prenait  sa  place  dans 
l'armée  de  Jésus-Christ,  et  déjà,  fort  de  son  ardente  jeunesse,  il 
jetait  un  regard  d'envie  sur  le  monde  qu'il  rêvait  de  conquérir  à 
l'amour  divin. 

tion  :  «  A  Dieu  très  bon,  très  grand.  Dans  celte  très  sainte  basilique  et  devant  l'image 
de  la  bienheureuse  Vierge,  Ignace  de  Loyola,  fondateur  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
émit  les  vœux  solennels  des  proies  de  la  Compagnie  et  reçut  les  mêmes  vœux  prononcés 
par  ses  compagnons,  l'an  du  Seigneur  1541,  le  10  des  calendes  de  mai.  L'abbé  et  les 
moines  bénédictins  de  Saint-Paul,  de  la  Congrégation  du  Mont-Cassin,  ont  posé  ce 
monument  pour  la  postérité.  » 


COMPAGNIE    DE   JESUS.   —   T.    I. 


CHAPITRE  IV 

LE    LIVRE    DES    EXERCICES    SPIRITUELS. 

I522-15V8). 

Sommaire  :  1.  Titre  du  livre;  son  caractère  et  son  but.  —  2.  Principe  et  fonde- 
ment, ses  conséquences;  première  semaine.  —  3.  Jésus-Christ  notre  roi  et 
notre  modèle  ;  seconde  semaine.  —  4.  L'élection,  centre  des  Exercices.  Elle  est 
suivie  de  la  troisième  et  de  la  quatrième  semaine.  —  5.  Règles  de  vie  spiri- 
tuelle pendant  les  Exercices  et  en  tout  temps.  —  6.  Ignace  compose  à  Manrèse 
la  partie  principale  des  Exercices.  —  7.  Originalité  de  ce  livre.  —  8.  Époque 
présumée  des  perfectionnements  et  retouches.  —  9.  Attaques  et  approbation. 

Sources  :  Exercitia  spiritualia  cum  versions  litterali  ex  autographo  hispanïco  (Edit.  du 
P.  Roothaan);  Paris,  1865.  —  Acta  P.  Ignalii.  —  Polanco,  De  cita  P.  Ignatii.  —  Ribade- 
neira,  Vida  del  B.  P.  Ignacio.  —  Nadal,  Mîscellanea  de  regulis  S.  J.  —  Watrigant,  La 
Genèse  des  Exercices. 

1.  La  Compagnie  de  Jésus  est  fondée.  Nous  avons  à  la  montrer 
à  l'œuvre  en  France.  Auparavant  il  nous  est  nécessaire  de  dire 
ce  qu'elle  est,  d'exposer  sa  fin  et  de  tracer  sa  physionomie.  Deux- 
livres  célèbres  ont  beaucoup  servi  à  sa  formation  et  à  son  déve- 
loppement :  les  Exercices  spirituels  et  les  Constitutions.  Bien  que 
leur  composition  se  rapporte  à  la  vie  d'Ignace  hors  de  notre 
pays,  ils  méritent,  à  d'autres  titres,  que  nous  nous  y  arrêtions 
quelque  temps. 

Les  Exercices  spirituels,  destinés  à  la  conversion  et  à  la  réforme 
chrétienne  des  âmes,  ont  spécialement  façonné  celle  d'Ignace;  ils 
lui  ont  conquis  ses  coopérateurs;  dans  la  suite  des  temps  ils  ont 
toujours  été  l'instrument  et  le  soutien  habituel  de  la  vocation  de 
tout  jésuite.  De  plus,  «  donner  les  Exercices  »  est  un  ministère 
propre  à  la  Compagnie  de  Jésus,  auquel  nous  devrons  souvent 
faire  allusion  dans  le  cours  de  cette  histoire.  Il  importe  donc  que 
tout  lecteur  ait  une  idée  de  cet  ouvrage  souvent  travesti,  en 
France  surtout,  par  des  écrivains  qui  l'ont  mal  compris  ou  ont 
été  de  mauvaise  foi.  Si  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'en  faire  une  étude 
approfondie  ',  un  simple  aperçu  permettra  du  moins  de  le  saisir 

1.  Pour  faire  comprendre  parfaitement  les  Exercices  et  montrer  tout  ce  qu'on  peut 


LU  LIVRE  DES  EXERCICES  SPIRITUELS.  83 

dans  son  ensemble,  de  se  convaincre  qu'il  n'est  pas  une  compila- 
tion, mais  bien  un  travail  original,  dont  la  rédaction  définitive  se 
ressent  par  endroits  du  long  séjour  de  l'auteur  à  l'Université  de 
Paris. 

Le  titre  donné  par  saint  Ignace  à  ce  livre,  qu'il  vécut  avant  de 
l'écrire,  en  indique  parfaitement  la  nature  et  le  but  :  «  Exercices 
spirituels,  afin  que  l'homme  apprenne  à  se  vaincre  et  ordonne 
sa  vie  sans  se  laisser  dominer  par  aucune  inclination  déréglée.  » 
Ce  n'est  donc  pas  un  livre  de  pieuses  considérations  disposées  en 
bel  ordre  pour  aider  l'âme  à  s'occuper  d'elle-même  ou  à  conver- 
ser avec  Dieu;  non,  il  s'agit  d'exercices,  c'est-à-dire  de  toute  opé- 
ration spirituelle,  de  toute  manière  «  d'examiner  sa  conscience, 
de  méditer,  de  contempler,  de  prier  vocalement  et  mentalement, 
de  disposer  l'âme  à  se  défaire  de  ses  affections  désordonnées,  et, 
après  s'en  être  défaite,  à  chercher  et  à  trouver  la  volonté  de 
Dieu  l  » . 

Afin  de  réaliser  graduellement  le  but  des  Exercices,  Ignace  les 
a  partagés  en  quatre  phases,  qu'il  appelle  semaines,  parce  que 
le  temps  employé  à  considérer  la  matière  de  chacune  équivaut 
approximativement  à  sept  ou  huit  jours.  Dans  la  première,  il  fait 
considérer  à  l'homme  sa  fin  et  ce  qui  l'en  détourne.  Pendant  la 
seconde  il  lui  propose,  pour  atteindre  sa  fin,  l'imitation  de  Notre- 
Seigneur;  puis,  il  lui  apprend  comment  choisir  un  état  de  vie, 
ou,  à  tout  le  moins,  comment  se  perfectionner  dans  celui  qu'il  a 
déjà  embrassé.  Durant  la  troisième  et  la  quatrième,  il  l'excite, 
par  la  vue  des  douleurs  et  des  gloires  de  Jésus-Christ,  à  exécuter 
avec  courage  les  desseins  de  sanctification  que  Dieu  lui  aura 
inspirés.  Les  Exercices  ne  doivent  pas  être  donnés  de  la  même 
façon  à  toutes  catégories  de  personnes.  Les  considérations  de  la 
première  semaine,  les  méthodes  de  l'oraison  et  de  l'examen  de 
conscience  conviennent  à  la  plupart.  Suivant  la  situation  et  les 
dispositions  du  retraitant,  on  pourra  le  faire  profiter  plus  ou 
moins  des  autres  semaines.  Mais,  dans  leur  intégrité,  les  Exercices 
sont  réservés  aux  âmes  qui  semblent  appelées  par  Dieu  à  le  glo- 
rifier dans  la  vie  parfaite2. 

u2.  Au  début  de  la  première  semaine,  sous  le  titre  de  principe 
et  fondement,  Ignace  a  placé  la  méditation  de  la  fin  de  l'homme 

en  tirer  pour  le  progrès  spirituel  des  âmes,  il  faudrait  étudier  attentivement  chaque 
mot  du  texte.  Telle  n'est  pas  évidemment  notre  intention;  nous  voulons  seulement 
donner  le  sommaire  un  peu  détaillé  des  parties  principales  en  nolant  leur  enchaîne- 
ment. —  1.  1"  annotation.  —  2,  Const.,  P.  Vil,  c.  iv,  n.  8  (f.). 


84  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSI  S. 

et  des  errai ures.  L'homme  a  été  créé  pour  louer  Dieu,  le  révérer 
et  le  servir,  et  par  ce  moyen  sauver  son  âme;  —  toutes  les  créa- 
tures qui  sont  autour  de  lui  ont  été  faites  pour  l'aider  à  parvenir 
à  cette  lin  ;  d'où  il  suit  qu'il  doit  user  de  ces  créatures  ou  s'en 
abstenir  autant  qu'elles  le  conduisent  à  sa  fin  ou  l'en  détournent, 
ni  plus  ni  moins;  —  pour  cela  il  lui  est  nécessaire  de  se  rendre 
indifférent  à  l'égard  de  tous  les  objets  créés,  en  tout  ce  qui  est 
laissé  au  choix  de  son  libre  arbitre  ' . 

Après  avoir  laissé  le  retraitant  se  pénétrer  longuement  de  cette 
vérité  fondamentale  et  de  ses  conséquences,  Ignace  l'invite  à 
méditer  sur  le  péché  en  général  et  sur  ses  péchés  personnels, 
leur  nombre,  leur  laideur  et  leur  gravité.  Cet  ordre  est  logique, 
puisque  le  péché  est  pratiquement  la  négation  de  la  fin  dernière, 
la  préférence  donnée  à  soi-même  ou  à  la  créature  sur  le  créa- 
teur 2. 

Aux  méditations  des  péchés  succède  celle  de  leur  châtiment 
adéquat,  l'enfer2.  La  vue  de  ses  peines  éternelles  persuade  vive- 
ment à  l'âme  la  malice  du  péché,  et  la  crainte  de  les  encourir 
confirme  en  elle  le  ferme  propos  de  ne  plus  le  commettre,  fondé 
sur  la  raison,  la  reconnaissance  ou  l'amour. 

Quiconque  suivra  avec  bonne  volonté  cette  série  d'exercices 
reconnaîtra  le  désordre  de  sa  vie,  regrettera  ses  fautes  et  voudra 
ordonner  désormais  ses  actes  au  service  de  Dieu  et  au  salut  de 
son  âme.  Pour  effacer  tout  le  passé,  et  se  disposer  à  recevoir  des 
lumières  plus  abondantes  sur  l'avenir,  le  retraitant  se  prépare 
alors  à  une  fervente  confession  générale. 

3.  Mais  ce  n'est  pas  assez  de  se  purifier  de  ses  fautes  ;  il  lui 
reste  à  réformer  sa  vie  sur  le  modèle  de  Jésus-Christ.  La  seconde 
semaine  commence.  Inspiré  par  son  esprit  guerrier  et  chevale* 
resque,  Ignace  nous  introduit  aux  pieds  du  Sauveur  par  une  con- 
sidération de  forme  allégorique  qu'il  intitule  :  De  l'appel  d'un  roi 
temporel,  pour  aider  à  contempler  la  vie  du  Roi  Eternel. 

Il  suppose  un  roi,  doué  de  qualités  magnifiques  et  à  qui  toute 
la  chrétienté  obéit.  Ce  roi  veut  conquérir  les  pays  des  infidèles, 
invite  tous  ses  vassaux  à  cette  entreprise  et  ne  leur  demande  que 
de  partager  ses  fatigues,  pour  partager  un  jour  les  avantages 
d'une  victoire  assurée.  Ainsi  le  roi  éternel,  Jésus-Christ,  veut 
conquérir  spirituellement  le  monde  des  âmes  et  les  introduire 
avec  lui  dans  la  gloire  de  son  Père.  A  cette  conquête  il  marche 

1.1"  Hebd.,  Fundarnenlura.  —  2.  1  '  Hcbd.,  Exercit.  I  et  IL  —  3.  Exercit.  V. 


LE  LIVRE  DES  EXERCICES  SPIRITUELS.  88 

lui-même  en  avant,  s'expose  le  premier  aux  plus  rudes  travaux, 
et  nous  appelle  à  le  suivre,  sans  autre  condition  que  de  partager 
ici-bas  son  propre  sort  dans  la  lutte,  pour  être  associas  plus  tard 
aux  jouissances  de  son  triomphe.  Qui  hésiterait  à  se  rendre  à  ce1 
appel?  Assurément  «  aucun  homme  de  bon  sens  »,  car  on  ne  lui 
propose,  en  somme,  autre  chose  que  de  poursuivre  sûrement  sa 
fin  prochaine  et  sa  fin  dernière,  le  règne  de  Dion  ici-bas  et  la 
possession  de  Dieu  dans  le  ciel.  Lutter  dans  ce  but,  à  l'imitation 
du  souverain  roi,  est  l'unique  nécessaire;  s'y  engager,  la  réponse 
des  raisonnables.  Toutefois,  au  delà,  il  y  a  une  autre  réponse. 
Ceux  qui  voudront  être  insignes  au  service  de  leur  roi  ne  se  con- 
tenteront pas  de  s'offrir  à  partager  ses  travaux;  mais  «  agissant 
contre  leur  propre  sensualité,  contre  l'amour  de  la  chair  et  du 
monde,  même  dans  les  choses  permises,  ils  lui  feront  des  offres 
d'un  plus  grand  prix,  lui  protestant  qu'ils  désirent  l'imiter  en 
supportant  les  injures  et  les  opprobres,  la  pauvreté  d'esprit  et  de 
cœur,  et  même  la  pauvreté  réelle  si  sa  très  sainte  Majesté  veut  les 
admettre  à  cet  état1.  » 

A  laquelle  de  ces  deux  réponses  le  retraitant,  supposé  libre  de 
sa  vie,  va-t-il  s'arrêter?  Il  suffit  pour  le  moment  qu'il  s'offre  à 
choisir  la  plus  parfaite,  si  dans  les  jours  qui  suivent  il  s'y  sent 
appelé  par  la  grâce  de  Dieu.  Alors  s'ouvre  une  série  de  contem- 
plations sur  les  mystères  de  la  vie  cachée  du  Sauveur,  où  le  Divin 
Maître  se  révèle,  avec  la  sublimité  de  sa  personne,  et  donne  à  son 
disciple  l'exemple  du  sacrifice  et  de  V  «  agendo  contra  ».  Tandis 
que  l'intelligence  et  le  cœur  se  complaisent  en  Lui,  la  grâce  d'en- 
haut  meut  la  volonté  à  l'imiter  plus  parfaitement,  et  communique 
des  attraits  et  des  lumières  qui  vout  faciliter  le  travail  de  l'élection. 

ï.  L'élection,  c'est-à-dire  —  d'une  façon  générale  —  le  choix 
des  moyens  qui  régleront  notre  vie  ou  la  réformeront,  est  le 
moment  décisif  des  Exercices.  Saint  Ignace  juge  l'acte  si  grave,  si 
exposé  aux  erreurs  et  aux  subterfuges  de  la  nature,  qu'il  veut 
l'entourer  de  précautions  de  toutes  sortes.  D'abord  on  terminera 
les  contemplations  de  la  vie  cachée  par  celle  de  Jésus-Christ  au 
temple  à  l'âge  de  douze  ans1.  L'exemple  de  l'enfant  Jésus 
abandonnant  sa  parenté  terrestre  «  pour  se  dévouer  purement 
au  service  de  son  Père  céleste  »  rendra  l'âme  prompte  et  coura- 
geuse à  suivre  les  desseins  de  Dieu,  en  méprisant  s'il  le  faut  toutes 

1.  2a  Hebd.,  Vocatio  régis  temporalis. 

2.  2a  Hebd.,  3*  dies.  Praeambulum  ad  considerandos  status. 


86  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

les  considérations  humaines.  Viennent  ensuite  trois  exercices, 
dont  le  premier,  la  méditation  de  deux  Étendards1,  s'adresse  plus 
particulièrement  à  l'intelligence.  Elle  a  pour  but,  non  de  nous 
faire  choisir  entre  deux  drapeaux,  celui  de  Jésus  et  celui  du  démon , 
mais  de  nous  faire  «  voir  l'intention  du  Christ  Notre-Seigneur2  », 
son  esprit,  ses  maximes  et  son  programme  ;  programme  qui  sera 
saisi  d'autant  mieux  qu'on  le  comparera  avec  celui  du  chef  ennemi, 
Lucifer. 

Après  cette  méditation,  l'esprit  possède  une  idée  exacte  de  la 
vraie  vie  chrétienne.  Il  faut  alors  rendre  la  volonté  capable  de 
faire  une  élection  conforme  à  cette  idée,  examiner  sa  droiture  et 
sa  fermeté.  On  les  constatera  en  voyant  si,  mise  devant  les  moyens 
à  employer,  elle  a  la  force  de  les  prendre  coûte  que  coûte.  Ce 
sera  le  rôle  de  la  méditation  des  trois  classes  d'hommes^.  Puis, 
afin  de  rendre  cette  volonté  encore  plus  forte,  saint  Ignace,  toute 
la  journée  qui  précède  V élection,  renouvelle  la  générosité  de 
notre  cœur  :  par  de  fréquentes  réflexions  sur  les  trois  degrés  d'hu- 
milité ^  il  nous  met  dans  la  disposition  libérale  et  joyeuse  d'ac- 
complir tout  ce  que  Dieu  voudra,  la  parfaite  humilité  n'étant  que 
l'amour  de  Dieu  jusqu'au  mépris  de  soi-même. 

Reste  au  retraitant  à  savoir  ce  que  Dieu  A'eut  de  lui.  Les  règles 
de  l'élection,  données  par  saint  Ignace,  l'aideront  à  connaître  le 
bon  plaisir  divin.  L'auteur  des  Exercices  examine  d'abord  les 
temps  ou  circonstances  propices  à  V élection.  Le  plus  ordinaire  et 
le  plus  sûr  est  quand  l'âme  tranquille  se  trouve  en  pleine  pos- 
session d'elle-même.  Indifférente  alors  à  tout  ce  qui  n'est  pas  sa 
fin  dernière,  elle  considère  avec  le  secours  de  sa  seule  raison,  en 
pesant  les  motifs  pour  et  contre,  jusqu'à  quel  point  le  choix  ou 
l'abandon  de  l'objet  proposé  peut  être  utile  à  son  salut  et  à  la 
gloire  de  Dieu;  puis  elle  se  décide  pour  le  parti  vers  lequel  sa 
raison  penche  le  plus,  sans  avoir  nul  égard  à  la  sensualité  '. 

Sélection  terminée,  tout  ce  qui  suit  dans  le  livre  des  Exercices 
n'est  que  pour  la  corroborer  et  l'affermir.  Dans  la  troisième  se- 
maine,  le  retraitant  contemplera  la  Passion  de  Notre-Seigneur, 
c'est-à-dire  les  souffrances  excessives,  la  totale  abnégation  que 
le  divin  roi  a  choisies  et  voulues  librement  pour  notre  plus  grand 
bien  et  la  plus  grande  gloire  de  son  Père. 


1.  De  duobus  Vexillis. 

2.  «  Videbimus  intentionem  Christi  Domini  noslri  »  (3a  dies,  praeambulum). 

3.  De  tribus  classibus.  —  4.  De  tribus  bumilitalis  modis. 
5.  Modus  prioï  electionis. 


LE  LIVRE  DES  EXERCICES  SPIRITUELS.  HT 

La  quatrième  semaine  montrera  ensuite  au  soldat  de  Jésus- 
Christ,  qu'après  les  peines  de  la  lutte  à  ses  cotés,  il  y  aura  le 
triomphe  et  la  récompense  dans  la  gloire.  La  résurrection,  les 
mystères  glorieux  qui  la  suivirent,  les  apparitions,  l'Ascension,  le 
ciel  et  entin  la  Contemplation  de  V amour  divin  attachent  irrévo- 
cablement Lame  à  son  Créateur  et  la  forcent  à  lui  dire  :  «  Prenez, 
Seigneur,  et  recevez  toute  ma  liberté,  ma  mémoire,  mon  enten- 
dement et  toute  ma  volonté  ;  tout  ce  que  j'ai  est  à  vous  ;  disposez- 
en  à  votre  bon  plaisir2.  »  Telle  est  l'expression  du  sacrifice  com- 
plet, qui  termine  logiquement  le  manuel  d'ascétisme  écrit  par 
Ignace  de  Loyola. 

5.  Pour  mieux  rendre  compte  de  la  méthode  suivie  dans  ce 
livre,  nous  l'avons  parcouru  dans  ses  grandes  lignes  en  montrant 
la  liaison  de  ses  parties  principales.  Il  contient  en  outre  un  grand 
nombre  d'avis  ou  de  règles  pour  la  conduite  de  l'âme,  soit  pen- 
dant la  durée  des  Exercices,  soit  dans  le  cours  ordinaire  de  la 
vie. 

Tout  à  fait  au  début  se  trouvent  vingt  Annotations  «  propres 
à  faciliter  l'intelligence  du  livre  et  à  assurer  le  succès  de  ceux  qui 
en  font  usage  » .  On  reconnaît  en  toutes  le  caractère  à  la  fois  pru- 
dent et  ferme  de  l'auteur. 

Dans  la  première  semaine,  il  donne  la  méthode  de  VExamen 
de  conscience*  et  une  partie  des  Règles  du  discernement  des  es- 
prits. 

L'Examen  de  conscience  est  aux  yeux  d'Ignace  un  exercice  es- 
sentiel de  la  vie  spirituelle.  Il  s'y  appliqua  lui-même,  jusqu'à  sa 
mort,  avec  un  soin  extrême.  Il  en  distingue  deux  espèces  :  Yexa- 
men  particulier,  ainsi  appelé  parce  qu'il  porte  sur  une  matière 
unique,  comme  un  défaut  à  vaincre  ou  une  vertu  à  acquérir;  — 
et  Y  examen  général,  qui  porte  sur  toutes  les  actions  de  la  demi- 
journée  ou  du  temps  écoulé  depuis  le  précédent. 

Les  Règles  du  discernement  des  esprits^  ont  pour  objet  d'é- 
clairer l'âme,  quand  elle  sent  au  fond  d'elle-même  ces  luttes  pé- 
nibles où  le  bon  et  le  mauvais  ange  se  disputent  son  empire  par 
des  opérations  plus  ou  moins  subtiles  et  cachées.  Ignace  y 
explique  ces  opérations  dans  les  individus,  suivant  leurs  disposi- 
tions présentes,  et  décrit  particulièrement  plusieurs  artifices  du 
démon. 

1.  4"  Hebd.,  Conlemplatio  ad  amorein  spiritualem.  —  2.  Ibid.,  1'""  punclum. 

3.  laHebdM  Examen  parliculare  et  générale.  —  4.  Regulae  ad  Spiritus  dignoscendos. 


88  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Il  réserve  la  seconde  partie  de  ces  règles  pour  la  deuxième 
semaine,  alors  que  l'âme  sera  dans  la  voie  illuminative.  Cette 
suite  traite  de  la  même  matière,  mais  «plus  à  fond1  ».  Désor- 
mais il  s'agira  moins  de  tentations  que  d'illusions,  c'est-à-dire  de 
cas,  où  les  opérations  des  deux  esprits  étant  plus  semblables, 
leur  motif  et  leur  auteur  sont  plus  difficiles  à  découvrir.  Ignace 
nous  apprend  à  distinguer  la  véritable  cause  de  nos  divers  mou- 
vements. Un  peu  plus  loin,  il  trace  quelques  principes  pour 
combattre  les  scrupules,  qu'il  appelle  «  des  suggestions  de  notre 
ennemi-  ». 

Entre  les  règles  du  Discernement  des  esprits  et  celles  des  Scru- 
pules, le  livre  des  Exercices  expose  la  ligne  de  conduite  à  tenir 
dans  la  Distribution  des  aumônes  ou  l'usage  de  ses  biens3. 

On  trouve  encore,  dans  la  troisième  semaine  les  Règles  de  tem- 
pérance, principes  de  sage  mortification  relatifs  à  la  nourriture4; 
—  et  clans  la  quatrième  les  Règles  d'Orthodoxie,  qui  nous  appren- 
nent <(  à  penser  véritablement  comme  nous  devons  dans  l'Eglise 
militante5  ».  Ignace  y  enseigne  l'esprit  catholique,  qui  est  avant 
tout  un  esprit  de  soumission  «  à  l'épouse  du  Christ  »  :  obéissance 
aveugle  à  son  dogme  et  à  sa  discipline  ;  respect  de  ses  cérémonies  ; 
usage  de  ses  sacrements;  conformité  à  ses  vues;  affection  pour 
ses  méthodes  d'enseignement  et  pour  ses  docteurs. 

Enfin  mentionnons,  dans  le  petit  manuel  de  saint  Ignace,  des 
plans  très  sommaires  de  méditations  sur  la  vie  de  Jésus-Christ, 
l'exposé  de  diverses  «  manières  de  prier  »  mentalement  et  voca- 
lement,  puis  des  additions,  des  notes  et  des  remarques  disposées 
çà  et  là  pour  apprendre  au  retraitant  «  à  trouver  plus  sûrement 
ce  qu'il  désire  ».  Toutes  ces  industries  et  ces  maximes  portent 
l'empreinte  de  l'Ame  de  saint  Ignace.  Éminemment  pratique,  il 
fait  concourir  tout  l'homme  et  les  circonstances  qui  l'entourent  â 
un  but  actuel  et  précis;  —  toujours  énergique,  il  mène  droit  à  ce 
but  par  le  chemin  le  plus  rapide  et  le  plus  sûr.  Il  a  une  expres- 
sion qui  revient  sans  cesse  :  id  quod  volo,  ce  que  je  veux.  Son 
livre  est  de  ceux  qui  apprennent  à  vouloir,  c'est-à-dire  à  prendre, 
quoi  qu'il  en  coûte,  les  moyens  proportionnés  à  la  fin. 

6.  Quand  et  comment  fut-il  composé?  Et  quelle  fut  l'influence 
du  séjour  d'Ignace  à  Paris  sur  la  rédaction  définitive  •'? L'auteur,  a 

1.  «  Cum  majori  discretione  ».  —  2.  «  Suasiones  inimici  »  (Regulae  de  Scrupulis). 
3.  Regul.  pro  distribuendis  eleemosynis.  —  4.  Regul.  ad  victum  temperanduni. 

5.  Regul.  ad  sentiendum  cum  Ecclesia. 

6.  Le  P.  Watriganta  déjà  traité  cette  question  tout  au  long  dans  une  série  d'articles 


LE  LIVRE  DES  EXERCICES  SPIRITUELS.  89 

lui-môme  avoué  que  son  livre,  tel  que  nous  l'avons,  fut  écrit  en 
divers  temps  avec  des  additions  successives.  A  une  question  du 
P.  Conzalvès  sur  ce  sujet,  il  répondit  :  «  Je  n'ai  pas  composé  tout 
d'un  trait  les  Exercices.  A  mesure  que,  par  suite  de  ma  propre  ex- 
périence, une  chose  me  paraissait  devoir  être  utile  aux  autres,  j'en 
prenais  note,  comme  par  exemple  la  méthode  de  marquer  le  ré- 
sultat de  l'examen  particulier  et  autres  choses  de  ce  genre.  »  Et  le 
P.  Gonzalvès  ajoute  :  «  Il  m'affirma,  entre  autres,  qu'il  avait  for- 
mulé ce  qu'il  dit  des  méthodes  d'élection  d'après  l'action  diverse 
des  esprits  qu'il  avait  lui-même  éprouvée  à  Loyola  ' .  » 

Dans  la  préface  de  l'édition  de  1518,  la  première  de  toutes,  le 
P.  Polanco  nous  avertit  que  «  l'auteur  des  Exercices  spirituels  a 
été  bien  moins  inspiré  par  les  livres  que  par  l'onction  du  Saint- 
Esprit,  l'expérience  intime  et  celle  que  donne  la  direction  des 
âmes  ».  Un  coup  d'œil  rapide  sur  les  événements  connus  de  sa 
vie,  entre  sa  conversion  et  la  publication  de  son  ouvrage,  nous 
permettra  de  juger  à  quelles  époques  il  a  dû  plus  ou  moins  uti- 
liser ces  diverses  sources. 

Quand  au  printemps  de  1522,  après  avoir  suspendu  son  épée 
au  sanctuaire  de  Montserrat,  il  arrive  à  Manrèse,  il  ne  connaît 
que  deux  livres  de  spiritualité,  «  le  premier  intitulé  la  Vie  du 
Christ2  »,  —  peut-être  celle  de  Ludolphe  le  Chartreux,  —  «  et 
l'autre  la  Fleur  des  Saints  ».  Ces  deux  ouvrages,  «  en  langue  es- 
pagnole »,  furent  les  instruments  de  sa  conversion  ;  leur  lecture, 
pendant  les  soins  donnés  à  sa  blessure  au  château  de  Loyola, 
avait,  la  grâce  aidant,  totalement  changé  ses  aspirations  ;  il  y 
avait  gagné  quelque  teinture  de  la  science  spirituelle,  mais  cette 
science  restait  dans  son  esprit  à  l'état  rudimentaire  :  «  son  àme 
demeurait  aveugle,  encore  bien  qu'enflammée  de  grands  désirs 
de  servir  Dieu  dans  ce  qu'elle  savait  4  ».  A  Montserrat  il  fait  sa 
confession  générale  à  un  religieux  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit, 
Dom  Chanones,  homme  austère  et  très  adonné  à  la  prière.  Il  est 
impossible  que  celui-ci,  voyant  les  dispositions  du  chevalier  pé- 
nitent, ne  lui  ait  pas  donné  quelques  conseils  spirituels.  Bartoli 
affirme  que,  pendant  son  séjour  à  Manrèse,  Ignace  l'avait  pris 
comme  directeur,  «  s'adressait  à  lui  de  préférence,  allait  le  voir 


La  Genèse  des  Exercices  (Éludes,   t.  LXXI-LXXIH,  an.  1897).  Nous  avons  suivi  sur 
plusieurs  points  ce  travail  très  consciencieux. 

1.  Acta  P.  Ignatii,  n.  99. 

2.  11  en  avait  paru  une  traduction  espagnole  à  Alcala  vers  15  03. 

3.  Acta  P.  Ignalii,  n.  5.  —  4.  Ibid.,  n.  14. 


00  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS; 

à  des  temps  réglés  et  lui  ouvrait  tout  son  cœur  ]  ».  Avec  Ribade- 
neira  nous  regardons  connue  très  probable  2  que  Dom  Chanones 
lui  fit  connaître  V Exercitatorio  de  la  vida  espiritual  de  Dom  Gar- 
cia de  Cisneros.  premier  abbé  réformé  de  Montserrat,  mort  en 
1510,  qui  avait  établi  une  imprimerie  dans  son  monastère,  et  y 
avait  publié  entre  autres  cet  ouvrage,  sorte  de  compilation  d'em- 
prunts faits  aux  traités  ascétiques  de  Jean  Mombaer  et  de  Gérard 
Zerbolt  de  Zutphen  3.  Disons  toutefois  qu'il  n'existe  aucune 
donnée  certaine  sur  la  nature  et  l'étendue  des  relations  d'Ignace 
avec  Dom  Chanones.  D'ailleurs,  malgré  les  lectures  faites  à  Loyola 
et  les  instructions  reçues  à  Montserrat,  le  futur  auteur  des  Exer- 
cices, en  arrivant  à  Manrèse,  était  encore  selon  ses  propres  ex- 
pressions «  sans  aucune  connaissance  des  choses  intérieures  4  ». 
Pendant  quatre  mois,  il  se  livre  avec  une  rigueur  excessive  aux 
pratiques  extérieures  de  l'humilité  et  delà  pénitence5;  puis, 
appelé  par  Dieu  à  l'oraison  mentale,  il  suit  sans  ménagement  cet 
attrait fi,  et  au  milieu  de  tentations  diaboliques,  de  crises  morales 
et  de  luttes  intérieures  douloureuses,  il  passe  le  premier  par 
toutes  les  étapes  de  ces  grandes  considérations  qu'il  résumera 
dans  les  Exercices.  En  même  temps,  des  visions,  des  illuminations 
extraordinaires  éclairaient  et  fécondaient  le  profond  travail  de 
son  Ame.  11  en  est  une  dont  l'influence  sur  lui  fut  si  considérable 
que,  malgré  sa  réserve  habituelle,  il  l'a  décrite  avec  quelques 
détails  au  P.  Gonzalvès  :  «  Il  allait  un  jour,  pour  faire  ses  dévo- 
tions, dans  une  église  distante  de  Manrèse  de  plus  de  mille  pas, 
et  dédiée,  si  je  ne  me  trompe,  à  saint  Paul.  Le  chemin  qui  y  con- 
duit, serpente  le  long  d'un  cours  d'eau.  Lorsqu'il  eut  marché 
quelque  temps,  abimé  dans  des  pensées  pieuses,  il  s'assit  les 
yeux  fixés  sur  le  torrent  qui  mugissait  dans  le  ravin.  Tandis  qu'il 
était  assis  de  la  sorte,  les  yeux  de  l'esprit  lui  furent  ouverts;  non 
pas  qu'il  eût  quelque  vision,  mais  il  recevait  l'intelligence  des 
choses  spirituelles  concernant  les  mystères  de  la  foi  et  des  Écri- 
tures. Cette  lumière  lui  fut  accordée  avec  une  telle  clarté,  qu'à 

1.  Bartoli,  1.  I,  ch.  iv. 

2.  «  Es  muy  probable  que  N.  B.  Padre  Ignacio  aya  tenido  noticia  en  Monserrat  del 
libro  o  exercitatorio  del  Padre  Fray  Garcia  de  Cisneros.  »  Lettre  au  P.  Girou  recteur 
du  collège  de  Salamanque,  18  avril  1607.  Voir  Revue  des  questions  historiques,  jan- 
vier 1897,  article  de  Dom  liesse. 

3.  Gérard  Zerbolt  de  Zutphen  (1367-1398)  et  Jean  Mombaer  ou  Mauburnus.  mort  à 
Paris  en  1502,  appartenaient  tous  les  deux  à  la  Société  des  Clercs  ou  frères  de  ta 
vie  commune.  —  4.  Acta  P.  Ignalii,  n.  20. 

5.  Polanco,  Vita  P.  Ignatii,  cap.  2. 

6.  Voir  ce  que  nous  avons  dit  au  chapitre  i"  sur  le  séjour  d'Ignace  à  Manrèse,  et  les 
lieux  qu'il  y  fréquenta. 


LE  LIVRE  DES  EXERCICES  SPIRITUELS.  '.H 

partir  de  ce  moment  tout  lui  apparaissait  dans  un  jour  entière- 
ment nouveau .  Cependant  il  ne  peut  pas  rapporter  distinctement 
chacune  des  nombreuses  vérités  qu'il  comprit  alors,  mais  il  peut 
seulement  affirmer  que  son  esprit  fut  rempli  d'une  lumière  extra- 
ordinaire, et  d'une  façon  telle,  que  s'il  réunissait  toutes  les  grâces 
que  Dieu  lui  accorda  jusqu'à  la  soixante-deuxième  année  de  sa 
vie,  et  toutes  ses  connaissances  acquises,  il  ne  croirait  pas  néan- 
moins avoir  appris  par  tout  cela  autant  qu'il  apprit  en  cette  seule 
occasion.  Depuis  ce  temps,  son  intelligence  était  éclairée  comme 
s'il  était  devenu  un  autre  homme.  Cette  action  surnaturelle  dura 
assez  longtemps,  puis  il  se  jeta  à  genoux  devant  une  croix  qui 
était  proche,  et  rendit  grâces  à  Dieu  1.  » 

Polanco,  dont  on  sait  l'intimité  avec  Ignace,  place  cette  vision 
au  début  de  sa  carrière  ascétique  dans  la  grotte  de  Manrèse,  c'est- 
à-dire  avant  la  composition  des  Exercices;  elle  en  fut  comme  le 
foyer  lumineux.  Le  texte  même  de  Polanco  mérite  d'être  ici  rap- 
porté, car  il  montre,  —  ce  qui  ressort  aussi  du  témoignage  cons- 
tant des  auteurs  contemporains  2,  —  que  les  Exercices,  dans  leur 
fond  et  leur  forme  essentiels,  furent  rédigés  à  Manrèse  :  «  Depuis 
ce  moment,  dit-il  après  avoir  relaté  la  vision  précédente,  Ignace 
entra  dans  une  plus  profonde  connaissance  de  lui-même;  com- 
prenant mieux  les  péchés  de  sa  vie  passée,  il  commença  de  les 
pleurer  avec  l'amertume  d'une  plus  vive  contrition.  Dieu,  le  des- 
tinant à  être  le  maitre  de  nombreux  disciples,  voulut  qu'il  s'exer- 
çât d'abord  sur  lui-même.  Tout  ce  qui  se  trouve  au  livre  des 
Exercices  [le  Père  Ignace]  l'a  d'abord  pratiqué  le  premier,  il  y  est 
ensuite  revenu  par  la  réflexion,  puis  se  mit  à  l'écrire  pour  l'ins- 
truction des  autres.  Déjà,  dès  le  commencement  de  sa  conversion, 
avant  même  rillumination  dont  nous  venons  de  parler,  l'ardeur 
qu'il  éprouvait  pour  la  vertu  et  la  perfection  chrétienne  le  por- 
tait à  exhorter  et  animer  au  service  de  Dieu  tous  ceux  qui  rappro- 
chaient; profitant  de  l'influence  que  lui  donnaient  l'exemple  de 
sa  vie  et  la  haute  opinion  qu'on  avait  de  sa  noblesse,  il  s'efforçait 
déjà  d'entraîner  le  prochain  aux  sommets  de  la  vie  chrétienne. 
Mais  après  la  vision  que  nous  avons  dite,  et  après  avoir  fait  lui- 
même  les  Exercices,  il  s'employa  très  utilement  au  bien  spirituel 
des  âmes,  en  exposant  avec  méthode  :l  le  moyen  de  se  purifier  de 
ses  péchés  par  la  contrition  et  la  confession,  la  manière  de  méditer 

1.  Acta  P.  Ignatii,  n.  30-31. 

2.  Kibadeneira,  Vida  del  S.  Ignacio,  1.  I,  c.  vu.  Nadal,  Miscellanea  de   Regulis 
S.J.,  c.  v.  —  3.  Polanco,  Vita  P.  Ignatii,  c.  ni. 


92  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  T)E  JÉSUS. 

les  mystères  du  Christ,  de  faire  une  bonne  élection  touchant  l'état 
de  vie  ou  tout  autre  objet,  d'exciter  en  soi-même  l'amour  de 
Dieu  et  de  prier  de  diverses  façons.  Tout  cela  cependant  fut  per- 
fectionné avec  le  temps.  » 

A  la  suite  de  ces  affirmations  très  précises,  Polanco  raconte  les 
terribles  épreuves  par  lesquelles  passa,  àManrèse,  celui  dont  «  le 
rôle  serait  un  jour  de  soulager  beaucoup  d'âmes  dans  leurs  diffé- 
rentes tentations  »;  il  nous  apprend  aussi,  un  peu  plus  loin,  que 
dès  ce  temps  même  le  saint  «  donna  les  Exercices  à  beaucoup  de 
personnes»,  et  qu'il  éprouva  «en  communiquant  aux  autres  ce 
qu'il  avait  reçu  de  Dieu,  que  par  là  son  trésor,  loin  de  diminuer, 
avait  été  augmenté1  ». 

7.  De  tout  cet  ensemble  il  résulte  qu'avant  de  quitter  Manrèse 
(janvier  1523),  Ignace  avait  écrit  les  parties  principales  de  son 
livre,  en  s'aidant  surtout  de  sa  propre  expérience  éclairée  par  la 
seule  raison  naturelle  et  par  la  lumière  divine.  Les  directions  de 
son  confesseur,  les  ouvrages  qu'il  avait  lus  ou  pouvait  avoir  entre 
les  mains,  lui  fournirent  plutôt  la  matière  que  la  méthode  de  son 
travail  pensé  et  de  son  travail  écrit.  Assurément,  les  vérités,  sur 
lesquelles  il  s'e.rerce  alors,  ne  sont  pas  de  lui  :  il  n'a  inventé  ni  la 
fin  de  l'homme,  ni  l'examen  de  conscience,  ni  la  méditation,  ni 
la  pénitence,  ni  une  foule  d'autres  pieuses  industries;  il  a,  dans 
les  parties  qui  ont  trait  à  la  vie  du  Christ,  des  points  communs 
avec  saint  Bonaventure  et  Ludolphe  le  Chartreux2;  il  a  pu 
prendre  dans  YExercitaiorio  de  Cisneros  l'idée  du  nom  même 
de  son  livre  et  le  dessein  de  présenter  une  méthode  pour  con- 
duire les  âmes  à  Dieu  par  le  moyen  d'exercices  réglés5.  Un 
tableau  comparatif  des  rares  passages  qui,  dans  ces  deux  ouvra- 
ges, offrent  quelque  lointaine  ressemblance,  ne  rentre  pas  dans 
notre  sujet.  Du  reste,  ce  rapprochement  a  été  fait,  il  n'y  a  pas 
encore  longtemps,  et  par  un  bénédictin  et  par  un  jésuite,  et  tous 
deux  en  sont  venus  à  cette  conclusion,  qui  était  déjà  celle  du 

1.  Ibidem. 

2.  Le  P.  Watrigant  a  très  bien  mis  ces  points  en  lumière.  Voir  Éludes,  t.  LXXI, 
p.  522. 

3.  Tandis  que  l'ascète  de  Manrèse  entend  par  semaines  un  ensemble  d'exercices  à 
faire  pendant  plusieurs  jours  et  tendant  à  un  résultat  déterminé,  l'ascète  bénédictin 
dispose  la  série  de  ses  méditations  suivant  les  jours  de  la  semaine  en  supposant  une 
seule  méditation  chaque  jour.  Ainsi  à  ceux  qui  sont  dans  la  voie  purgative  il  propose  : 
«  Lundi,  le  souvenir  des  péchés;  —  mardi,  le  souvenir  de  la  mort;  —  mercredi,  a 
pensée  de  l'enfer;  — jeudi,  la  pensée  du  jugement;  --  vendredi,  le  souvenir  de  la 
Passion;  —  samedi,  le  souvenir  de  Notre-Dame;  —  dimanche,  la  pensée  de  la  gloire.  » 
Et  ainsi  de  suite  pour  les  autres  voies  de  la  vie  spirituelle. 


LE  LIVRE  DES  EXERCICES  SPIRITI  ELS.  93 

P.  Ribadencira  en  1607  :  «  Ces  ouvrages  contiennent  à  la  vérité, 
l'un  et  l'autre,  des  sujets  qui  sont  matériellement  les  mêmes; 
mais  ils  sont  traités  d'une  manière  très  différente.  Le  livre  de 
notre  Père  renferme  des  points  des  plus  importants,  dont  il  n'est 
pas  dit  un  mot  dans  celui  du  P.  (iarcias  (sic).  Ainsi  il  n'esl  pas 
question  dans  l'exemplaire  de  V  Exercitatorio  que  j'ai  entre  les 
mains,  de  l'examen  particulier,  du  temps  et  des  avis  pour  1<- 
bien  faire,  des  points  de  la  méthode  d'élection,  des  règles  du  dis- 
cernement des  esprits,  des  autres  conseils  qui  se  trouvent  à  la 
fin  du  livre  pour  se  conformer  au  sentiment  de  l'Église,  de  l'exer- 
cice des  trois  puissances,  des  trois  manières  de  prier  qui  sont  à  la 
quatrième  semaine,  et  autres  choses  semblables.  Aussi  n'y  a-t-il 
pas  à  douter  que  ce  sont  là  deux  livres  différents,  et  que  le  second 
n'est  pas  un  emprunt  fait  au  premier  l.  » 

Aux  points  «  des  plus  importants  »  dont  on  ne  rencontre  pas 
l'ombre  dans  Y  Exercitatorio,  Ribadeneira  aurait  pu  joindre  en- 
core les  méditations  du  Fondement,  du  Règne,  de  Deux  Éten- 
dards, des  Trois  classes  d'hommes  et  des  Trois  degrés  d'Humilité. 
On  ne  trouve  pas  non  plus  dans  Cisneros  ce  que,  dans  le  livre 
d'Ignace,  on  a  très  bien  appelé  «  la  partie  du  maître  »,  toutes  ces 
annotations  et  notanda,  sorte  de  direction  abrégée,  où  celui  qui 
donne  les  Exercices  apprend  à  guider  son  disciple  selon  ses  apti- 
tudes, son  tempérament,  ses  besoins  spirituels  et  corporels. 

Ignace  de  Loyola  a  transformé,  en  se  les  assimilant,  les  maté- 
riaux communs  à  tout  auteur  de  spiritualité;  il  a  puisé,  dans 
l'étude  de  son  âme  éprouvée  et  dans  les  clartés  de  la  lumière 
surnaturelle,  beaucoup  de  pensées  et  de  conseils  qui  lui  sont 
propres;  puis,  sous  l'action  de  la  grâce,  son  esprit  très  person- 
nel a  travaillé  et  façonné  ces  éléments  divers,  pour  former  une 
œuvre  absolument  originale,  une  doctrine  ascétique  bien  homo- 
gène'2. 

1.  Lettre  du  18  avril  1607,  citée  par  Dom  Besse  {Revue  des  questions  historiques, 
janvier  1897).  —  Ribadeneira  écrivait  au  P.  Recteur  de  Salamanque  qui  l'avait  con- 
sulté de  la  part  de  Dom  Yepez,  auteur  de  la  Chronica  gênerai  de  la  Orden  de  San 
Benito.  Ce  bénédictin,  suivant  la  tradition  des  moines  de  Monlserrat,  voulait,  dans 
son  ouvrage,  soutenir  la  thèse  de  l'influence  exercée  sur  la  rédaction  des  Exercices 
spirituels  par  la  direction  de  Dom  Chanones  et  le  livre  de  Garcia  de  Cisneros. 

2.  11  est  tout  naturel,  observe  justement  le  P.  Astrain,  que  saint  Ignace  ait  pris  les 
notions  générales  de  la  spiritualité  dans  les  livres  pieux  alors  répandus  en  Espagne, 
comme  Christophe  Colomb  acquit  ses  connaissances  nautiques  dans  les  livres  qui 
étaient  entre  les  mains  de  tous  les  marins  au  xv  siècle,  comme  Newton  apprit  les 
mathématiques  dans  les  traités  de  cette  science  en  usage  vers  le  milieu  du  xvir  siècle. 
Personne  pourtant  n'attribuera  la  découverte  de  l'attraction  universelle  à  l'auteur  de 
l'arithmétique  dans  laquelle  Newton  apprit  les  quatre  règles.  (Astrain,  op.  cit.,  t.  I, 
1.  I,  ch.  H,  %  8,  p.  157.) 


94  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Littérairement  parlant  le  livre  des  Exercices  est  dénué  de  tout 
attrait  :  «  Dans  sa  simplicité  sans  art,  dit  Janssen,  il  forme  même 
un  contraste  frappant  avec  les  pédants  ouvrages  des  humanistes 
du  xvic  siècle...  On  n'y  trouve  point  de  rhétorique  savante,  point 
d'exagération,  nulle  emphase  mystique  l.  »  L'émotion  qui  jaillit 
çà  et  là,  dans  quelques  colloques  de  l'âme  avec  Dieu,  est  beaucoup 
moins  dans  les  mots  que  dans  la  situation  pathétique  où  l'au- 
teur a  mis  l'a  me  en  face  de  son  Créateur  et  de  son  Roi  crucifié. 

8.  Il  nous  reste  à  voir  à  quelles  époques  de  la  vie  d'Ignace  on 
peut  rapporter  les  divers  perfectionnements,  ajoutés  aux  parties 
substantielles  du  petit  livre  rédigé  à  Manrèse.  Le  texte  espagnol 
du  manuscrit  qu'on  est  convenu,  depuis  la  Ve  Congrégation  géné- 
rale, d'appeler  Y  Autographe1,  est  émaillé  de  mots  latins  et  de  ter- 
mes de  langage  scolastique.  Ces  expressions,  que  l'on  rencontre 
même  dans  les  parties  essentielles  des  Exercices,  n'ont  pu  être 
employées  par  l'auteur  que  pendant  ses  études  du  latin,  de  la 
philosophie  et  de  la  théologie,  ou  même  après.  Au  début  de  l'an- 
née 1523,  Ignace  part  pour  la  Palestine;  l'année  suivante,  152V, 
au  printemps,  il  commence  la  grammaire  latine  à  Barcelone  ;  il  y 
consacre  deux  ans,  sans  pour  cela  cesser  ses  œuvres  de  zèle  auprès 
du  prochain;  il  était  alors,  nous  dit  le  P.  Polanco,  très  attaché 
au  petit  livre  de  l'Imitation  de  Jésus-Christ;  il  enseignait  la  doc- 
trine chrétienne,  faisait  de  salutaires  exhortations  et  donnait  les 
Exercices.  Il  agit  de  même  à  l'université  d'Alcala,  où  pendant  un 
an  et  demi  (1526-1527)  il  étudie  la  philosophie  de  Soto  et  la 
physique  d'Albert  le  Grand.  Arrivé  à  Salamanque,  dans  l'été  de 
1527,  il  est  mis  en  prison  et  soumet  à  l'examen  de  ses  juges  «  tous 
ses  papiers  parmi  lesquels  étaient  écrits  les  Exercices*  ».  Il  nou? 
parait  plus  probable  qu'à  pareille  date,  c'était  encore,  à  peu  de 
chose  près,  la  rédaction  de  Manrèse.  Le  contraire  n'est  pas  im- 

1.  L' Allemagne  et  la  Réforme,  t.  IV,  p.  402. 

2.  Bien  qu'il  soit  une  copie,  ce  manuscrit  peut,  à  bon  droit,  être  considéré  comme 
remplaçant  l  autographe  disparu,  parce  que  l'auteur  des  Exercices  l'a  lui-même  ma- 
nié et  corrigé.  Par  le  soin  des  rédacteurs  des  Monumcnfa  historica  une  reproduction 
phototypique  en  a  été  faite  chez  Danesi  à  Rome.  Il  se  compose  de  63  folios  numé- 
rotés et  précédés  d'une  lettre-préface  de  Ribadeneira,  attestant  l'authencité  de  cette 
copie  conservée  aux  archives.  Le  texte,  en  castillan  incorrect,  mélangé  de  termes  qui 
sentent  le  dialecte  de  la  Biscaye,  est  remarquable  surtout  par  l'énergie  et  le  tour  in- 
cisif de  certaines  expressions.  Les  modifications,  que  saint  Ignace  a  fait  subir  de  sa 
propre  main  à  la  copie  du  calligrapbe,  ne  changent  rien  au  fond  et  donnent  seulement 
à  la  pensée  plus  de  précision  par  une  plus  exacte  propriété  des  termes.  (Cf.  Debuchy, 
Édition  pholotypique  des  Exercices  dans  les  Éludes  du  20  août  1908.  —  A.  Boone, 
Les  corrections  manuscrites  des  Exercices,  n°  18  de  la  Bibliothèque  des  Exercices, 
Paris,  Lelhielleux,  1909).  —  3.  Acta  P.  Ignalii,  n.  67-68. 


LE  LIVRE  DES  EXERCICES  SPIRITUELS.  93 

possible,  car  Ignace  savait  alors  médiocrement  le  latin  et  avait 
une  teinture  de  scolastique;  mais  pendant  la  période  que  nous 
venons  de  dire  (1524-1527)  il  avait  eu  à  donner  les  Exercices 
surtout  dans  des  milieux  populaires,  où  les  expressions  scientifi- 
ques n'étaient  pas  de  mise.  Son  séjour  à  Paris  (1528-1535)  ex- 
plique bien  mieux  la  forme  un  peu  savante  de  certains  passages 
ou  de  certaines  remarques.  Alors,  en  effet,  ses  études  furent  me- 
nées avec  plus  de  méthode  et  un  plein  succès;  il  employait  cha- 
que jour  les  termes  de  l'école;  il  avait  un  entourage  très  intellec- 
tuel; il  faisait  faire  les  Exercices  à  des  hommes  très  instruits,  ses 
compagnons  d'études,  ou  même  de  graves  docteurs,  dont  il  de- 
vait s'approprier  le  langage  et  ménager  les  habitudes  d'esprit. 
Avec  eux,  il  lui  était  en  quelque  sorte  instinctif  et  nécessaire  d'a- 
dopter les  formules  de  la  scolastique  traditionnelle,  d'employer 
les  mots  latins,  les  termes  théologiques  et  les  citations  patristi- 
ques.  Puis,  tout  ce  qu'il  avait  découvert  dans  son  expérience  in- 
time, ou  dans  les  suggestions  d'en  haut,  s'éclairait  sans  doute  d'un 
jour  plus  vif  aux  admirables  clartés  de  la  doctrine  de  saint  Thomas  ; 
comment  n'aurait-il  pas  projeté  ces  nouvelles  lumières  sur  son 
texte  primitif?  Pour  ce  qui  concerne  en  particulier  les  Annota- 
tions, les  Additions  et  surtout  les  Règles  et  Documents,  on  peut 
conjecturer  avec  vraisemblance  qu'il  en  acheva  ou  en  retoucha 
la  rédaction  pendant  ses  études  à  l'Université  de  Paris.  Ainsi,  dans 
les  Règles  pour  la  distribution  des  aumônes,  on  trouve  énoncée  la 
doctrine  du  troisième  concile  de  Cartilage1,  ce  qui  suppose  la 
lecture  d'ouvrages  théologiques.  Quant  aux  Règles  d'orthodoxie, 
elles  donnent  lieu  à  un  rapprochement  très  suggestif2. 

Ces  règles  de  docilité  à  l'Église  témoignent,  chez  l'auteur,  une 
connaissance  exacte  de  l'esprit  tout  opposé  du  protestantisme,  qui 
commençait  alors  à  se  glisser  en  France.  Qu'on  se  souvienne,  à 
ce  propos,  de  ce  qui  arriva  en  1535.  Mélanchton  et  plusieurs  autres 
luthériens  allemands  avaient  envoyé  à  François  Ier  un  certain  nom- 
bre d'articles,  sur  lesquels  ils  désiraiont  avoir,  pour  leur  instruc- 
tion, prétendaient-ils,  une  conférence  publique  avec  la  Faculté 
de  théologie  de  Paris.  Celle-ci,  consultée,  fît  remarquer,  dans 
sa  réponse  au  roi,  sa  crainte  que  les  auteurs  de  ces  articles  ne 
cherchassent  à  «  séduire  le  peuple  »  ;  elle  lui  rappela  qu'en  Al- 
lemagne ces  sortes  d'assemblées  n'avaient  produit  que  «  division, 
discorde  et  perdition  d'infinies  âmes  ».  Elle  concluait  donc  à  ne 

1.  Reg.  T.  —  2.  Cf.  Watrigant,  Études,  t.  LXXIII,  p.  220  et  suiv. 


%  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

rien  tenter  avant  de  savoir  s'il  y  avait  «  en  eux  aucune  espérance 
de  réduction  ».  Dans  ce  but,  on  leur  enverrait  sous  forme  de 
questionnaire  «  les  principes  de  notre  foi  »,  et  sur  leur  réponse 
on  jugerait  si  Ton  pouvait  «  espérer  d'eux  aucune  émendation  ». 
Or,  les  questions,  au  nombre  de  sept,  que  rédigea  la  Faculté,  rap- 
pellent d'une  façon  frappante  les  points  principaux  des  règles 
d'orthodoxie.  Les  voici  : 

u  1)  Leur  soit  demandé  s'ils  veulent  confesser  l'Église  militante, 
fondée  de  droit  divin,  être  indéviable  en  la  foi  et  bonnes  mœurs, 
de  laquelle,  sous  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  a  été  le  chef  saint 
Pierre,  et  par  ordre  les  successeurs  d'iceluy. 

2)  S'ils  veulent  obéir  à  ladite  Église  et  consentir  à  sa  doctrine 
et  détermination,  comme  vrais  enfants  et  sujets  d'icelle. 

:>  Pour  autant  qu'ils  désirent  en  l'Église  être  consentement  de 
doctrine,  leur  soit  demandé  s'ils  veulent  recevoir  tous  les  livres 
contenus  en  la  Bible,  comme  saints  et  catholiques. 

4)  S'ils  veulent  recevoir  les  déterminations  et  décrets  des  con- 
ciles généraux  de  l'Église. 

5)  S'ils  veulent  ajouter  foi  es  canons  et  décrets  des  Papes,  reçus 
et  approuvés  par  l'Église. 

G  S'ils  veulent  admettre  les  docteurs  de  l'Église,  saint  Hierôme, 
saint  Augustin,  saint  Grégoire,  et  autres  célèbres  et  fameux,  tant 
grecs  que  latins,  à  l'exposition  de  l'Écriture  Sainte,  en  ce  qui  con- 
cerne la  foi  et  les  bonnes  mœurs. 

7)  S'ils  veulent  recevoir  les  bonnes  et  louables  coutumes  de 
l'Église,  de  tout  temps  observées  et  gardées1.  » 

Quiconque  comparera  ces  «  sept  principes  de  notre  foi  •>,  for- 
mulés par  la  Faculté  de  théologie  de  Paris,  avec  les  avis  de  saint 
Ignace  «  pour  penser  véritablement  comme  nous  devons  dans 
l'Église  militante  »,  y  verra  une  analogie  manifeste,  «  non  seule- 
ment quant  à  l'ensemble  de  la  doctrine,  —  ce  qui  est  tout  naturel, 
—  mais  aussi  pour  plusieurs  détails  de  forme  et  d'expression-  ». 
Par  exemple  :  l'insistance  à  présenter  l'Église  comme  mère;  l'o- 
bligation d'obéir  à  toutes  ses  déterminations  et  de  recevoir  même 
ses  coutumes  anciennes;  la  mention  spéciale  des  trois  grands  doc- 
teurs saint  Jérôme,  saint  Augustin  et  saint  Grégoire3. 

Ignace  avait-il  eu  connaissance  de  ce  document?  La  réponse 


1.  Actes  de  la  Faculté  de  théologie  de  Paris  (Bibl.  nat.,  mss.  latins,  9,960,  p.  39). 

2.  Watrigant,  Etudes,  t.  LXXIII,  p.  223. 

3.  Il  suffit  de  rapprocher  le  n°  2  du  questionnaire  des  règles  I  et  XIII  d'orthodoxie; 
les  nos  2-5  des  R.  I  et  IX;  le  n°  7  des  R.  II  à  X;  le  n°  6  de  la  R.  XI. 


LE  LIVRE  DES  EXERCICES  SPIRIT1  ELS.  97 

de  la  Faculté  à  François  Ier  est  du  30  août  1535.  L'auteur  des  Exer- 
,  cices  avait  quitté  Paris  à  la  fin  de  mars  de  la  même  année;  mais 
il  était  resté  en  correspondance  avec  ses  premiers  compagnons, 
qui  le  rejoignirent  à  Venise  en  janvier  1537,  et  purent  lui  com- 
muniquer le  formulaire  des  docteurs  de  Paris.  Peu  importe  d'ail- 
leurs, car  cette  pièce  ne  faisait  qu'exprimer  les  sentiments  des 
docteurs  de  la  Faculté  de  théologie  sur  les  erreurs  luthériennes, 
sentiments  que  saint  Ignace  connaissait  déjà,  et  par  les  leçons  de 
ses  maîtres  et  par  ses  relations  avec  eux.  Il  est  donc  très  légitime 
de  rapporter  à  cette  époque  la  composition  ou  l'achèvement  des 
règles  d'orthodoxie^. 

Nous  pouvons  conclure  que,  dans  l'ensemble,  le  perfectionne- 
ment d'allure  scientifique,  introduit  dans  la  rédaction  de  Manrèse, 
fut  surtout  le  résultat  et  le  fruit  du  séjour  et  des  travaux  d'Ignace 
de  Loyola  à  l'Université  de  Paris.  Bartoli  nous  parait  confirmer 
cette  opinion,  quand  il  dit  que  le  saint  «  après  avoir  formé  dans 
sa  solitude  de  Manrèse  l'ossature  de  son  petit  livre...  continua, 
durant  lçs  vingt-cinq  années  qui  s'écoulèrent  depuis  ce  temps 
jusqu'en  1548,  à  y  ajouter  toujours,  d'après  son  expérience  du 
gouvernement  des  âmes,  de  nouvelles  régies  et  additions  (comme 
il  les  appelle)  et,  en  théologien  qu'il  était  devenu,  divers  textes 
des  conciles  et  des  Pères  2  ». 

9.  Le  livre  d'Ignace  fit  tellement  de  bien  aux  âmes,  dès  qu'il 
fut  mis  en  usage,  qu'il  déchaîna  contre  lui  la  rage  jalouse  du 
démon.  Par  ses  ruses  «  l'ennemi  du  genre  humain  »  s'efïorra  de 
le  détruire;  mais  il  ne  parvint  qu'à  le  faire  connaître  davantage, 
et  ensuite  à  le  rendre  intangible  par  l'approbation  authentique 
du  Souverain  Pontife. 

Déjà  examinés  et  approuvés  en  1527  par  les  juges  de  l'Inqui- 
sition à  Alcala  puis  à  Salamanque,  les  Exercices  spirituels, 
nous  l'avons  dit3,  furent  de  nouveau  déférés  aux  tribunaux  de 
Paris  en  1535.  Nous  avons  raconté  comment  l'Inquisiteur  de  la 
foi,  Valentin  Liévin,  vit  le  livre  incriminé,  le  jugea  un  guide 
de  sainteté  et  en  demanda  une  copie  à  l'auteur  dont  il  se  fit  le 
disciple.  Dix  ans  plus  tard,  à  Coïmbre,  les  mêmes  accusations  se 

1.  Nous  ne  disons  pas  que  les  règles  d'orthodoxie  auraient  été  inspirées  par  la  for- 
mule même  de  la  Faculté,  mais  par  tout  ce  que  saint  Ignace  vit  et  apprit  à  Paris 
à  cette  époque.  Ce  n'est  pas  auparavant,  en  Espagne,  qu'il  a  pu  se  rendre  compte  des 
tendances  protestantes.  (Voir  Watrigant,  /.  c.) 

2.  k  Ecorne  Iheologo,  varii  testi  di  concilii  et  di  Padri  (Délia  vita  e  dell Instiluto 
di  S.  Jgnazio,  Rome,  1650,  p.  77).  —  3.  Voir  cliap.  h. 

COMPAGNIE   DE   JÉSUS.     —    T.    I.  7 


«8  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

renouvelèrent.  Les  mortifications,  que   les  Pères  de  cette  ville 
pratiquaient  publiquement  dans  les  rues,  parurent  extravagantes 
à  des  esprits  étroits  et  prévenus  :  le  bruit  se  répandit  que  certains 
Exercices  spirituels,  dans  la  solitude  et  les  ténèbres,  avaient  trou- 
blé les  tètes  de  ces  pauvres  Pères  par  des  visions  étranges  et  des 
fantômes  horribles.  Ces  propos  parvinrent  aux  oreilles  du  car- 
dinal Henri,  plus  tard  roi  de  Portugal  et  alors  grand  Inquisiteur. 
Voulant  savoir  la  vérité,  il  chargea  le  Père  Diego  Murcia,  recteur 
de  l'Université  de  Coïmbre,  de  faire  une  enquête  sérieuse.  Le 
P.  Murcia  fit  comparaître  et  interrogea  tous  les  jésuites  les  uns 
après  les  autres.  Quand  ce  fut  le  tour  de  Rodrigue  Meneses,  jeune 
homme  de  grande  naissance  et  de  grande  vertu,  il  ne  fut  pas  peu 
surpris  de  lui  entendre  dire  que  la  chose  était  très  véritable  :  on 
avait  dans  les  Exercices  des  visions  étranges  et  terribles;  lui-même 
en  avait  eu  une  si  hideuse  que,  saisi  d'épouvante,  il  aurait  voulu 
s'ensevelir  sous  terre  :  «  Oui,  dit-il  en  s'animant,  je  me  suis  vu 
moi-même  dans  les  Exercices,  ce  que  je  n'avais  jamais  fait  jusque- 
là  ;  point  de  vision  plus  monstrueuse  ;  rien  de  plus  laid  et  repous- 
sant ne  pouvait  s'offrir  à  mes  yeux.  »  Le  P.  Murcia  comprit,  à  cette 
réponse,  de  quelles  sortes  de  visions  l'on  pouvait  être  assailli  pen- 
dant les  méditations.  Il  la  rapporta  au  cardinal  en  lui  rendant 
compte  de  son  enquête,  dont  le  résultat  fut  de  changer  entièrement 
l'opinion.  Les  Exercices,  accusés  d'abord  de  sorcellerie,  furent 
reconnus  comme  l'art  abrégé  de  faire  des  saints.  On  les  accueillit 
même  à  la  cour,  où  ils  furent  suivis  par  l'infant  Don  Luis,  par  la 
Reine  et  enfin  par  le  cardinal  Henri,  dans  le  temps  qu'il  était  déjà 
roi  de  Portugal1. 

En  1548,  pour  mettre  un  terme  aux  accusations  lancées  par 
l'ignorance  ou  la  malignité,  François  de  Borgia,  alors  duc  de 
Gandie  mais  déjà  profès  de  la  Compagnie  de  Jésus-,  résolut  de 
soumettre  les  Exercices  à  l'approbation  du  Saint-Siège.  L'examen 
du  livre  fut  confié  par  le  pape  à  trois  réviseurs  :  le  cardinal 
Jean  Alvarez  de  Tolède,  évêque  de  Burgos,  religieux  de  l'ordre 
de  Saint-Dominique  et  Inquisiteur;  Philippe  Archinti,  évêque  de 
Saluées  et  vicaire  de  Rome;  et  le  P.  Gilles  Foscarari,  maître  du 
Sacré  Palais3. On  leur  présenta  deux  traductions  latines  approu- 
vées par  saint  Ignace  :  l'une,  versio  antiqua,  donnant  presque 
le  mot  à  mot  de  Y  autographe;  l'autre,  œuvre  du  P.  André  Fru- 

1.  Orlandini,  Hist.  Soc,  P.  I,  I.  V,  n.  54.  Bartoli,  S.  Ignace,  1.  I,  ch.  vu. 

2.  Depuis  le  1er  février  1548. 

3.  Polanco,  Chronkon,  t.  I,  p.  249. 


LE  LIVRE  DES  EXERCICES  SPIRITUELS.  90 

sius,  plus  latine  et  plus  élégante,  niais  aussi  plus  large,  désignée 
d'ordinaire  sous  le  nom  de  vulgate1.  On  pria  avec  instance  les 
examinateurs  pontificaux  d'exercer  librement  leur  censure,  d'a- 
jouter, de  retrancher,  de  transposer  comme  ils  voudraient.  Ils 
acceptèrent  les  deux  versions  sans  y  changer  un  seul  mot.  Sur 
leur  témoignage  favorable,  Paul  III,  par  le  Bref  Pastoralis  officii, 
approuva  de  la  façon  la  plus  élogieusc  le  livre  des  Exercices. 
Ce  document  reconnaît  pour  auteur  du  livre  «  Ignace  de  Loyola, 
supérieur  général  de  la  Compagnie  de  Jésus  »  ;  —  il  en  indique 
les  sources,  «  les  Saintes  Ecritures  et  la  pratique  de  la  vie  spiri- 
tuelle )>  ;  —  il  en  apprécie  la  méthode,  «  l'ordre  le  plus  propre 
à  toucher  les  âmes  et  à  produire  en  elles  des  fruits  de  piété  et 
de  sainteté  »  ;  —  il  en  énumère  les  avantages  présents  et  futurs. 
«  l'édification,  la  consolation  et  l'avancement  des  âmes  dans  la 
perfection  »  ;  il  exhorte  enfin  tous  les  fidèles  à  y  avoir  recours  : 
«  Ayant  justement  égard,  dit  le  Souverain  Pontife,  aux  fruits 
abondants  qu'Ignace  et  la  Compagnie,  dont  il  est  le  fondateur, 
ne  cessent  de  produire  dans  l'Église  de  Dieu,  jusque  chez  les 
nations  les  plus  éloignées,  employant  comme  un  moyen  très 
puissant  les  mêmes  Exercices,  nous  nous  sommes  rendu  aux 
prières  qui  nous  ont  été  adressées  à  cet  effet,  et  de  notre  autorité 
apostolique...  nous  approuvons,  louons  et  confirmons  ces  Instruc- 
tions ou  Exercices  spirituels  et  tout  ce  qu'ils  renferment,  exhor- 
tant dans  le  Seigneur,  de  tout  notre  pouvoir,  les  fidèles  de  l'un 
et  l'autre  sexe,  tous  et  chacun  d'eux  en  particulier,  à  faire  usage 
à' Exercices  si  remplis  de  piété,  et  à  se  former  sur  des  enseigne- 
ments si  salutaires'2.  » 

1.  Cf.  Astrain,  op.  cit.,  1. 1,  p.  xvi.  Debuchy,  Introduction  à  l'étude  des  Exercices 
clans  la  Bibliothèque  des  Exercices,  n°  6. 

2.  Exerril.  Spir.,  p.  xm-xiv. 


CHAPITRE  V 

LES    CONSTITUTIONS. 

(1540-1552). 


Sommaire  :  1.  Travaux  préparatoires;  rédaction  de  la  Bulle  de  Jules  III.  — 
•-'.  Ignace,  auteur  des  Constitutions  ;  quand  et  comment  elles  furent  composées. 
—  3.  V Examen  général.  —  4.  Analyse  des  Constitutions  ;  première,  seconde  et 
troisième  partie.  —  5.  Quatrième  partie  :  formation  des  scolastiques.  —  6.  Cin- 
quième partie  :  profession  et  degrés.  —  7.  Sixième  partie  :  prescriptions  rela- 
tives aux  membres  incorporés;  observation  des  vœux.  —8.  Septième  partie  : 
ministères  apostoliques  et  choix  des  ouvriers.  —  9.  Huitième  partie  :  le  gou- 
vernement; union  des  membres  au  chef  et  entre  eux.  —  10.  Neuvième  partie  : 
de  ce  qui  concerne  le  Père  Général  de  la  Compagnie  et  du  gouvernement  qui 
émane  de  lui.  —  11.  Dixième  partie  :  des  moyens  de  conserver  et  d'accroître 
la  Compagnie.  —  12.  Conclusion  :  physionomie  de  la  Compagnie  de  Jésus. 

Sources  :  Acta  Patris  Ignatii.—  Constitutiones  S.J.  latinae  et  hispanicae.  —  Inslitutum 
S.  J-,  t.  I.  Bullarium.  —  Monument*  historica  S.  J.  Chronicon  S.  J.  Monumenta  Igna- 
tiana,  ser.  d,  t.  I,  IV;  ser.  4,  t.  I.  —  TUbadeneira,  Vida  del  B.  P.  Ignacio.  De  ratione  In- 
stitua. —  Sacchini,  Historia  S.  J.,  pars  2a.  —  Suarez,  Tractalus  de  Relifjione  S.  J.  — 

Astrain,  Historia  de  la  Compania,  t.  I. 

1.  Les  Exercices  spirituels  reflètent  l'âme  d'Ignace,  une  âme 
entièrement  dévouée  au  règne  de  Jésus-Christ  ici-bas.  OEuvre  du 
même  saint,  les  Constitutions  nous  révèlent  en  lui  un  fondateur 
d'Ordre  tout  préoccupé  d'assurer  aux  siens  les  moyens  de  tra- 
vailler efficacement  à  la  plus  grande  gloire  de  Dieu. 

Pour  régulariser  sa  vie  et  pour  se  perpétuer,  la  Compagnie  de 
Jésus,  reconnue  comme  Ordre  religieux,  avait  besoin  de  Cons- 
titutions; aussi  la  Bulle  Regimini  les  avait-elle  implicitement 
réclamées.  Dès  le  mois  de  mars  1541,  les  six  Pères  réunis  à  Rome 
au  moment  de  l'élection  d'Ignace  résolurent  de  charger  deux 
d'entre  eux  d'examiner  la  matière,  «  de  réfléchir  soit  aux  affaires 
passées,  c'est-à-dire  à  la  manière  d'interpréter  les  points  tou- 
chés dans  la  Bulle  d'approbation,  soit  aux  affaires  présentes  et 
à  venir;  le  résultat  de  leurs  considérations  serait  ensuite  com- 
muniqué aux  autres  membres  de  la  Société,  qui  approuveraient 
ou  feraient  leurs  remarques.  De  la  sorte  on  irait  plus  vite,  et  tous, 
sauf  les  deux  désignés,  ne  seraient  point  arrêtés  dans  leurs  mi- 


LES  CONSTITUTIONS.  loi 

nistères  apostoliques1  ».  Ignace  fut  choisi  avec  Jean  Codure.  Ils  se 
mirent  à  la  besogne  aussitôt. 

On  a  conservé  la  rédaction  de  leur  premier  travail,  qui  ne 
ressemble  en  rien  à  un  plan  des  Constitutions.  Il  comprend  deux 
parties  :  la  première  se  compose  de  notes  sans  suite,  où  des 
principes  généraux  sont  mêlés  à  de  menus  détails  de  vie  inté- 
rieure; la  seconde,  mieux  agencée  et  qui  semble  de  la  main  de 
Codure,  résume  les  idées  d'Ignace  sur  l'établissement  des  mai- 
sons d'études  pour  les  jeunes  religieux  et  la  discipline  qui  de- 
vrait y  être  observée  2. 

Vers  la  fin  de  la  première  partie  se  trouve  une  remarque  im- 
portante, signée  de  Salmeron,  Lainez,  Le  Jay,  Broet,  Codure  et 
Ignace,  où  ils  expriment  leur  désir  «  que  la  Bulle  (de  Paul  III) 
soit  réformée,  c'est-à-dire  qu'il  y  soit  abrogé,  ou  mis,  ou  con- 
firmé, ou  changé  »  ce  qu'ils  jugeront  le  meilleur3.  Leur  pensée 
était  d'obtenir  une  Bulle  de  confirmation,  par  laquelle  seraient 
déclarés  d'une  façon  plus  précise  et  plus  explicite  les  points 
substantiels  du  nouvel  institut.  Il  est  possible  que  des  travaux 
préparatoires  aient  été  faits  à  cette  fin,  entre  1541  et  1547;  mais 
il  n'en  reste  aucune  trace.  Tout  porte  à  croire  que  la  préparation 
de  cette  seconde  Bulle  fut  menée  de  front  avec  celle  des  Consti- 
tutions. 

Le  29  août  1541,  Ignace  perdit  son  collaborateur  :  Jean  Codure 
fut  rappelé  à  Dieu.  La  même  année  entrait  dans  la  Compagnie 
Jean  Polanco,  né  à  Burgos,  qui  va  bientôt  devenir  le  principal 
auxiliaire  de  l'auteur  des  Constitutions.  En  1546,  il  avait  terminé 
ses  études  à  Padoue;  après  avoir,  pendant  un  an,  exercé  le  mi- 
nistère apostolique  dans  la  Toscane,  il  fut  nommé  secrétaire 
d'Ignace,  en  1547,  juste  au  moment  où  celui-ci  allait  mettre  la 
dernière  main  à  son  œuvre  et  fixer  sur  le  papier  le  fruit  de  ses 
longues  réflexions.  Il  nous  reste  trois  écrits  de  la  main  de  Po- 
lanco, qui  attestent  une  part  assez  importante  prise  par  lui  dans 
les  travaux  préparatoires  à  la  composition  de  la  Bulle  de  Jules  III 
et  à  celle  des  Constitutions4. 

Le  premier  est  une  collection  de  cent  soixante  et  onze  obser- 
vations ou  propositions,  présentées  sous  forme  dubitative  :  «  s'il 
faut  faire  ceci  ou  cela  ».  Tantôt  le  secrétaire  d'Ignace  ajoute  une 

1.  Determinationes  variae  publiées  dans  les  Const.  S.  J.  lai.  et  hisp.,  app.  IV, 
p.  303.  —  2.  Ibid.,  p.  303-309.  —  3.  Ibicl.,  p.  306. 

4.  Les  deux  premiers  de  ces  écrits  se  trouvent  dans  un  recueil  autographe  intitulé 
«  Polanci,  De  Instituto,  Industiïae,  de  Humilitate.  »  Cité  par  Astrain,  op.  cit.,  p.  xxn 
et  126. 


102  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

réponse,  tantôt  il  avoue  ne  pas  voir  la  solution,  tantôt  il  ne  met 
rien  du  tout;  enfin,  dans  certains  cas,  il  indique  s'il  convient 
d'en  faire  mention  dans  la  Bulle  ou  dans  les  Constitutions,  et  sous 
quelle  l'orme.  A  en  juger  par  le  manque  d'ordre,  le  mélange  de 
l'accidentel  et  de  l'essentiel,  les  minuties  où  l'auteur  descend, 
on  voit  que  ce  sont  des  notes  jetées  au  fur  et  à  mesure  que  les 
choses  s'offraient  à  son  esprit. 

Dans  un  second  écrit,  beaucoup  plus  méthodique,  il  fait  com- 
plètement abstraction  des  Constitutions  et  s'applique  unique- 
ment à  la  préparation  d'une  seconde  Bulle.  Il  y  expose  d'abord 
les  qualités  qu'elle  doit  avoir  :  ample,  claire,  précise,  édifiante, 
aux  termes  généraux  et  aux  formules  larges.  Ensuite,  divisant 
en  27  articles  la  Bulle  de  Paul  III,  il  marque  pour  chacun,  sous 
forme  dubitative,  les  modifications  ou  additions  auxquelles  il 
faudra  songer.  Il  y  en  a  plus  d'une  centaine.  La  formule  indé- 
terminée «  il  semble  »,  par  laquelle  ces  remarques  sont  énon- 
cées, fait  supposer  qu'elles  ont  été  arrêtées  après  consultation 
et  sur  l'avis  de  plusieurs  Pères. 

Enfin,  travaillant  sur  ces  données,  il  rédige  un  troisième  écrit  ' 
dans  lequel,  toujours  sous  forme  dubitative,  il  propose  jusqu'à 
cent  deux  modifications  à  la  Bulle  de  Paul  III.  Au  bas  de  chaque 
question,  il  note  son  opinion  et  celle  des  Pères  consultés.  Ensuite 
ce  travail  est  présenté  à  Ignace  qui,  sur  chaque  point,  donne  une 
solution  définitive.  D'ordinaire,  il  confirme  l'avis  de  Polanco  et 
des  autres  Pères;  parfois  il  donne  une  réponse  conditionnelle, 
remettant  aux  gens  experts  dans  les  usages  de  la  chancellerie 
romaine  à  juger  s'il  est  opportun  de  mettre  telle  ou  telle  chose 
dans  la  nouvelle  Bulle. 

Quand  toutes  ces  précautions  eurent  été  prises,  on  rédigea 
une  formule  qui  fut  présentée  au  souverain  Pontife.  Jules  III  n'y 
trouva  rien  qui  ne  fût  pieux  et  saint  ;  il  la  signa  le  21  juillet  1550, 
approuvant  et  confirmant  la  Compagnie  de  Jésus  et  la  prenant 
sous  sa  protection.  Ce  document  pontifical  offre  sur  la  Bulle  de 
Paul  III  le  grand  avantage  d'être  plus  précis  et  plus  complet. 
Il  énumère  nettement  la  fin  de  la  Compagnie,  les  moyens  princi- 
paux dont  elle  entend  disposer,  les  diverses  classes  de  person* 
nés  qui  la  composent,  la  distinction  de  leurs  vœux,  les  liens  qui 
les  unissent  entre  eux  et  le  mode  de  leur  gouvernement.  Aussi 
la   V°  congrégation  générale  a-t-elle  déclaré  points  substantiels 

1.  Cet  écrit  a  été  imprimé  dans  les  Const.  lat.  et  fiisp.,  app.  IX,  p.  330-336.  Cf. 
Aslrain,  l.  c. 


LES  CONSTITUTIONS.  103 

de  l'Institut  tout  ce  que  contient  la  Bulle  Exposait  debitum*. 
Nous  n'en  citerons  rien,  ce  serait  nous  exposer  à  des  redites 
quand  nous  donnerons  l'analyse  des  Constitutions  qui  en  sont  le 
développement,  et  furent  composées  tandis  que  se  préparait  la 
formule  présentée  à  Jules  III. 

2.  Ignace  les  commença  en  1547  et  les  travailla  pendant 
trois  ans,  sans  se  hâter  vers  une  rédaction  définitive.  Il  chercha 
son  inspiration  surtout  dans  la  prière,  et  fut  grandement  aidé  par 
l'esprit  pratique  et  l'intuition  des  réalités  qui  lui  étaient  naturels. 
Peut-être  connaissait-il  un  peu  les  règles  des  Ordres  anciens  :  on 
en  a  trouvé  des  extraits,  écrits  de  la  main  de  son  secrétaire.  Mais 
il  ne  parait  point  qu'il  en  ait  fait  une  étude  spéciale.  Le  jeune 
Père  Annibal  du  Coudret-,  qui  eut  le  bonheur  de  vivre  sept  mois 
dans  l'intimité  de  saint  Ignace  à  l'époque  où  celui-ci  formait  son 
code  de  législation,  a  raconté  qu'alors  il  ne  vit  jamais  dans  sa 
chambre  d'autre  livre  que  le  missel1.  Le  Saint-Esprit  fut  donc 
son  principal  maître.  La  part  de  l'influence  surnaturelle  sur  la 
composition  de  tout  l'ouvrage  a  été  confirmée  par  le  propre 
témoignage  d'Ignace,  dans  ses  confidences  au  P.  Louis  Gonzalvès  : 
«  Après  le  récit  [des  origines  de  la  Compagnie],  raconte  celui-ci, 
je  le  priai  de  m'expliquer  de  quelle  manière  il  avait  composé 
les  Exercices  spirituels  et  les  Constitutions.  Sur  les  Constitutions 
il  me  dit  qu'il  me  répondrait  le  soir... 

«  Avant  le  souper,  il  me  fit  venir.  Il  avait  alors  l'aspect  d'un 
homme  plus  recueilli  encore  que  de  coutume.  Il  commença  par 
une  sorte  de  protestation,  me  montrant  dans  quelle  intention  et 
avec  quelle  simplicité  il  m'avait  tout  raconté.  Il  était  sûr,  m'af- 
firma-t-il,  de  m'avoir  dit  les  choses  telles  qu'elles  étaient...  De- 
puis qu'il  avait  commencé  à  servir  Dieu,  sa  dévotion  avait  tou- 
jours grandi,  c'est-à-dire  cette  facilité  de  trouver  Dieu  dont  il 


1.  «  Substantialia  Instituti  ea  in  primis  sunt  quae  in  régula  seu  formula  Societatis 
Julio  III  S.  P.  pioposita  et  ab  eo  aliisque  ejus  successoribus  confirmata  continentur.  » 
Décret.  LVIII,  congr.  V  [Institut.,  vol.  II,  p.  260). 

2.  La  famille  noble  du  Coudrey,  du  Codret,  du  Coudray  ou  du  Coudret,  en  latin 
Codrelus,  en  italien  Codreto  ou  Coudreto,  donna  trois  frères  à  la  Compagnie.  Dans 
ses  lettres  en  italien  le  P.  Annibal  signe  a  Codreto  ;  une  de  ses  lettres  en  français  est 
signée  Annibal  du  Codré.  Son  frère  Louis,  dans  ses  lettres  en  italien,  signe  de  Cou- 
dreto. Claude  signe  a  Coudreto.  On  sait  combien  était  variable  l'orthographe  des 
noms  propres  au  xvi"  siècle.  La  forme  du  Coudret,  que  nous  adoptons,  semble  tout 
concilier  en  conservant  la  particule,  la  diphtongue  et  le  t  final. 

3.  Fragment  d'une  lettre  du  P.  A.  du  Coudret,  s.  d.  [Mon.  Ignat.,  ser.  4,  t.  1. 
p.  572).  On  ne  sait  entre  quelles  dates  précises  le  P.  du  Coudret  vécut  auprès  de  sain  t 
Ignace. 


104  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

jouissait  alors  plus  qu'en  tout  le  reste  de  sa  vie;  autant  de  fois 
qu'il  le  voulait,  à  quelque  heure  que  ce  fût,  il  pouvait  en  effet 
trouver  Dieu.  Les  visions  étaient  fréquentes...  Il  en  avait  souvent 
quand  il  célébrait  le  saint  sacrifice  de  la  messe,  et  aussi  pendant 
qu'il  rédigeait  les  Constitutions;  ce  qu'il  pouvait  d'autant  mieux 
m'assurer,  qu'il  prenait  note  chaque  jour  de  ce  qui  se  passait 
dans  son  àme,  et  qu'il  avait  cet  écrit  dans  les  mains.  En  môme 
temps,  il  me  montra  un  cahier  assez  grand  dont  il  me  lut  une 
bonne  partie.  C'était  surtout  les  visions  qu'il  avait  eues  en  con- 
firmation de  plusieurs  régies.  Il  voyait  tantôt  Dieu  le  Père,  tantôt 
les  trois  personnes  de  la  Sainte  Trinité,  tantôt  la  Bienheureuse 
Vierge  intercédant  pour  lui  ou  l'approuvant.  Il  me  cita  en  par- 
ticulier deux  points,  pour  la  détermination  desquels  il  employa 
quarante  jours,  célébrant  la  messe  à  cette  intention  avec  une 
grande  abondance  de  larmes. 

«  Voici  la  méthode  qu'il  suivait  en  écrivant  ses  Constitutions  : 
tous  les  matins  il  disait  la  messe  et  proposait  ou  offrait  à  Dieu 
telle  règle  dont  il  devait  s'occuper,  puis  la  lui  recommandait 
dans  la  prière;  messe  et  oraison  étaient  toujours  accompagnées 
de  larmes. 

«  J'aurais  bien  désiré,  ajoute  en  terminant  le  P.  Gonzalvès, 
lire  ces  feuilles  de  notes  sur  les  Constitutions,  et  je  le  priai  de  me 
les  prêter  quelque  temps,  mais  il  ne  voulut  jamais  y  consentir1.  » 

Trouvé  dans  une  cassette  après  la  mort  d'Ignace,  ce  cahier  a 
été  publié  en  appendice  dans  l'édition  de  Madrid2;  il  met  en 
pleine  lumière  la  vertu  du  saint  fondateur,  la  libéralité  divine 
à  son  égard  et,  par  suite,  l'autorité  de  ses  règlements.  Plusieurs, 
d'entre  eux  ne  furent  arrêtés  qu'après  de  longs  efforts  pour  con- 
naître dans  l'oraison  le  bon  plaisir  divin  :  «  Sans  parler  du  reste, 
dit  le  P.  Ribadeneira,  je  toucherai  seulement  ce  qu'il  fit  à  l'égard 
de  la  pauvreté.  Quarante  jours  de  suite  il  offrit  le  saint  sacrifice 
et  se  livra  à  la  prière  avec  une  extraordinaire  ferveur,  unique- 
ment afin  de  savoir  s'il  convenait  de  laisser  des  revenus  aux  égli- 
ses des  maisons  professes  pour  leur  entretien3.  » 

Il  est  donc  évident  que  saint  Ignace,  tout  en  s'entourant  de 
conseils,  traita  cette  grande  affaire  seul  avec  Dieu.  Il  demanda 
un  jour  au  P.  Lainez  s'il  pensait  que  Dieu  eut  révélé  aux  fonda- 
teurs d'Ordres  la  form'e  et  la  règle  de  leurs  Instituts.  Lainez  ré- 

1.  Acta  P.  Ignatii,  n.  98,  99,  100. 

2.  Constituliones  latinae  et  hispanicae.  MDCCCXCD.  Appendiv  I',  n.  xvui. 

3.  Ribadeneira,   Vida  del  B.  P.  Ignacio,  1.  IV,  c.  u. 


LES  CONSTITUTIONS.  105 

pondit  affirmativement  :  «  Je  le  crois  aussi  »,  reprit  Ignace  qui 
pouvait  en  parler  d'expérience '.  Mais,  fidèle  à  sa  pratique  d'em- 
ployer toutes  les  précautions  de  la  sagesse  humaine,  même  en 
ne  comptant  que  sur  Dieu,  il  ne  se  pressa  point  de  promulguer 
l'œuvre  inspirée  d'en  haut.  Il  en  montra  d'abord  une  première 
rédaction  en  espagnol  aux  profès  qui,  sur  sa  convocation,  purent 
se  réunir  à  Rome  en  1550,  et  parmi  lesquels  se  trouvèrent  Lainez 
et  François  de  Borgia '-'.  Il  leur  demanda  de  l'examiner  et  de  no- 
ter ce  qu'ils  trouveraient  à  changer.  Tous  ces  Pères,  ainsi  que  les 
Pères  absents  auxquels  on  communiqua  ce  premier  texte  des 
Constitutions,  «  l'approuvèrent  grandement  »,  dit  le  P.  Polanco3. 
Malgré  cela,  tenant  compte  des  remarques  qui  lui  furent  faites, 
Ignace,  aidé  de  son  secrétaire,  le  revit  tout  entier,  corrigea,  re- 
trancha, ajouta,  transposa.  Il  ne  voulut  pas  cependant  que  cette 
seconde  rédaction,  toujours  en  espagnol,  reçût  une  sanction 
définitive  avant  d'avoir  subi  l'épreuve  de  l'usage  dans  toute 
la  Compagnie.  Le  P.  Jérôme  Nadal,  dans  les  pays  d'Europe,  et 
le  P.  Antoine  Quadrius,  dans  les  Indes,  furent  chargés  de  faire 
connaître  et  appliquer  les  Constitutions  dans  leur  teneur  d'alors. 
On  commença  en  1552.  A  partir  de  ce  moment,  il  restait  peu  à 
perfectionner  pour  le  fond.  Quant  à  la  forme,  Ignace  en  confia  le 
soin  à  trois  Pères.  Ainsi,  jusqu'à  sa  mort  il  ne  cessa  de  retoucher 
son  œuvre.  Les  deux  textes  dont  nous  venons  de  parler,  et  qu'on 
peut  appeler  autographes'1,  ont  été  écrits  sous  ses  yeux  et  maniés 
par  lui  ;  toutes  les  corrections  y  sont  de  sa  main  ou  de  celle  de 
son  secrétaire.  Sur  le  second,  que  lui-même  revit  soigneuse- 
ment, s'en  forma  un  troisième,  définitif,  qui  fut  traduit  en  latin 
par  le  P.  Polanco,  si  l'on  en  croit  la  tradition  constante  et  les 
principaux  historiens5. 

Après  la  mort  du  fondateur,  la  première  congrégation  géné- 
rale, réunie  en  1558  pour  élire  son  successeur,  examina  les 
Constitutions  et  Déclarations  de  la  Compagnie  de  Jésus  telles 
qu'il  les  avait  laissées  en  dernier  lieu,  les  collationna  avec  la  tra- 
duction latine,  les  déclara  authentiques  et  les  approuva'1.  Elles 

1.  Memorabilia  de  S.  Ignatio,  a  P.  Lancicio  C Monumenta  fgnatiaaa,  ser.  4', 
vol.  1,  p.  528).  Cf.  Bartoli,  Saint  Ignace,  1.  III,  c.  i. 

2.  Polanco,  Chronicon  S.  ./.,  t.  II,  p.  10  et  14.  —  3.  Ibidem,  p.  15. 

4.  D'ordinaire  les  Congrégations  générales  ne  donnent  ce  nom  qu'au  second,  celui 
qui  fut  communiqué  à  toutes  les  maisons  a  titre  d'essai. 

5.  Saccuini,  Hist.  Soc.,  pars  II',  lib.  II,  n.  50. 

»î.  Const.  lat.  et  hisp.,  Praefatio,  p.  vni.  —  Un  auteur,  M.  Hermann  Mùller,  a  essayé 
de  prouver  que  le  véritable  organisateur  de  la  Compagnie  était  Lainez,  assez  habile 
pour  falsilier  l'œuvre  d'Ignace  avant   de  la  soumettre  à  la  première  congrégation 


106  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

reçurent  dans  la  suite  la  sanction  suprême  des  Souverains  Pon- 
tifes, spécialement  celle  de  Grégoire  XIII1.  Et.  bien  que  les  con- 
grégations générales  se  soient  réservé  le  pouvoir  d'y  faire  des 
changements,  aucune,  jusqu'à  présent,  n'a  jugé  opportun  d'user 
de  ce  droit. 

.1.  Une  analyse  détaillée  des  Constitutions  sortirait  du  cadre 
de  cette  histoire.  Il  suffira  d'un  exposé  succinct  de  l'ensemble 
pour  montrer  au  lecteur  l'esprit  de  la  Compagnie  de  Jésus,  et  lui 
indiquer  d'avance  la  réponse  aux  attaques  passionnées  que  nous 
rencontrerons  dans  la  suite  des  événements. 

Les  Constitutions  sont  précédées  d'un  livre  à  part  et  tout  à  fait 
distinct  intitulé  :  Examen  général  que  doivent  préalablement 
subir  tous  ceux  qui  demandent  ci  entrer  dans  la  Compagnie.  Ce 
livre,  divisé  en  huit  chapitres,  est  destiné  à  faire  connaître  l'une 
à  l'autre  les  deux  parties  qui  vont  se  lier  par  un  contrat. 

Dès  le  début,  Ignace  déclare  la  fin  de  la  Compagnie  :  «  Le  but 
de  cette  Société  n'est  point  seulement  de  travailler  avec  l'aide  de 
la  grâce  divine  au  salut  et  perfectionnement  de  ceux  qui  la 
composent,  mais  de  s'employer  aussi  de  toutes  ses  forces,  avec 
l'aide  de  la  même  grâce,  au  salut  et  perfectionnement  du  pro- 
chain. »  Pour  mieux  atteindre  ce  but,  elle  a  les  trois  vœux  de 
pauvreté,  chasteté  et  obéissance,  et  un  quatrième  vœu  de  soumis- 
sion au  Souverain  Pontife,  spécial  à  la  Compagnie  professe.  Dans 
la  manière  extérieure  de  vivre,  elle  n'a  rien  que  de  commun, 
aucune  pénitence  obligatoire.  Ses  membres  sont  partagés  en  plu- 
sieurs classes-.  Ignace  donne  déjà  quelques  détails  précis  sur  ces 
classes  et  les  vœux  qu'on  y  prononce';  puis,  au  chapitre  iv, 
il  expose,  avec  la  plus  grande  franchise,  et  les  vertus  que  sa  So- 
ciété exige  et  les  pratiques  ou  épreuves  qu'elle  met  en  usage 
pour  les  développer. 

Les  vertus  que  demande  la  Compagnie  se  résument  dans  la 
parfaite  abnégation  évangélique.  Celui  qui  entre  dans  cette 
Société,  dit  le  fondateur.  «  doit  se  dépouiller  de  toute  l'affection 

générale  (Cf.  Les  origines  de  la  Compagnie  de  Jésus  ;  Ignace  et  Lainez,  Paris,  1878, 
cliap.  iv).  Malheureusement,  à  l'appui  de  celte  thèse  et  de  plusieurs  autres  sembla- 
bles, M.  Mùller  n'apporte  pas  une  seule  preuve  directe,  pas  un  seul  document  con- 
temporain; il  en  est  réduit  à  des  -suppositions,  à  des  assertions  gratuites  et  souvent 
fausses.  Déjà  bonne  justice  a  été  faite  des  procédés  de  cet  écrivain  par  le  P.  Joseph 
Brucker,  peu  après  la  publication  de  son  ouvrage  (Voir  Éludes,  5  déc.  1898.  Deux 
lionceaux  livres  sur  saint  Ignace). 

1.  Quanto  fructuosius,  1  fév.   1583  et  Ascendente  Domino,  25  mai  lô8i  (Insl., 
vol.  I,  p.  85,  88).  —  2.  Exam.  yen.,  c.  i,  n.  2,  3,  5,  6,  7-11.  —  3.  Ibid.,  n.  7-11. 


LES  C0NSTIT1  TIONS.  107 

de  la  chair  envers  ses  parents,  les  aimer  seulement  de  cet  amour 
bien  ordonné  que  demande  la  charité,  p.irce  que,  mort  au  monde. 
il  ne  vit  plus  que  pour  Notre -Seigneur  qui  lui  lient  lieu  de 
parents,  de  frères  et  de  toutes  choses1  »;  —  il  doit  «  se  per- 
suader que  la  nourriture,  la  boisson,  le  vêtement  et  le  lit  seront 
ceux  des  pauvres2  »;  —  il  doit  «  considérer  avec  soin  combien 
il  importe  aux  progrès  de  la  vie  spirituelle  de  rompre  entière- 
ment avec  tout  ce  que  le  monde  aime  et  poursuit,  et  d'adopter 
au  contraire,  de  désirer  de  toutes  ses  forces  ce  que  Notre-Seignem 
a  aimé  et  recherché  »  ;  de  même  que  l'homme  du  monde  ambi- 
tionne «  les  honneurs,  la  réputation  et  l'éclat  d'un  grand  nom 
sur  la  terre  »,  ainsi,  et  avec  le  même  empressement,  le  reli- 
gieux de  la  Compagnie,  «  par  respect  et  par  amour  pour  Notre- 
Seigneur  »,  ambitionnera  de  lui  ressembler  dans  les  humiliations, 
les  souffrances  et  le  mépris*.  «  Et  afin  de  parvenir  plus  sûrement 
à  ce  degré  de  perfection,  il  devra  mettre  sa  plus  grande  appli- 
cation à  chercher  le  plus  complet  renoncement  à  soi-même  et 
une  mortification  continuelle  en  toutes  choses  '  ». 

Tout  en  traçant  cet  idéal  de  la  perfection  personnelle,  Ignace 
indique  par  quels  moyens  la  Compagnie  porte  ses  enfants  à  le 
réaliser.  A  ce  propos  il  énumère  les  épreuves  ou  expériments  que 
chacun  devra  subir  au  noviciat,  comme  passer  trente  jours  dans 
les  Exercices  Spirituels,  servir  les  malades  dans  les  hôpitaux, 
voyager  durant  un  mois  en  mendiant  son  pain  et  son  gite,  faire  le 
catéchisme  aux  enfants  ou  aux  ignorants  '.  Le  fondateur  suggère, 
un  peu  plus  loin,  que  ces  épreuves  pourront  encore  être  imposées 
même  après  le  noviciat6.  Puis  il  attire  l'attention  du  postulant 
sur  deux  points  «  d'une  souveraine  importance  »,  et  le  prévient 
qu'un  religieux  de  la  Compagnie  doit  accepter  d'être  averti  de 
ses  défauts  et  dévoiler  lui-même  toute  sa  conscience  à  ses  su- 
périeurs7 :  «  Plus  ceux-ci,  dit-il,  connaîtront  avec  certitude  l'in- 
térieur et  l'extérieur  de  ceux  qui  leur  sont  soumis,  plus  ils  seront 
capables  de  les  aider  avec  diligence,  amour  et  sollicitude,  et  de 
préserver  leurs  âmes  des  différents  maux  et  périls  qui  pourraient 
leur  arriver  avec  le  temps  8.  » 

Renseigné  sur  la  Compagnie,  le  candidat,  avant  d'être  reçu 
parmi  les  novices,  doit  la  renseigner  à  son  tour  sur  lui-même, 
ses  qualités,  ses  défauts,  tout  ce  qui  le  touche.  11  y  a  d'abord 

1.  Exam.  gen.,  c.  iv,  n.  8.  —  2.  Ibid.,  n.  26.  —  3.  Ibid.,  n.  44.  —  4.  Ibid.,  a.  40. 
5.  Ex.  gen.,  c.  iv,  n.  10  à  15.  —  6.  Ibid.,  n.  27.  —  7.  Ibid.,  n.  8  et  3G. 
8.  Ibid.,  n.  34. 


108  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

à  l'admission  projetée  plusieurs  empêchements,  tels,  que  la  décla- 
ration d'un  seul  d'entre  eux  mettrait  fin  immédiatement  à  la  dé- 
libération !.  Si,  au  contraire,  aucun  de  ces  empêchements  n'existe, 
la  Compagnie  poussera  plus  à  fond  son  examen.  11  est  bien  juste 
qu'elle  interroge  celui  qui  veut  s'unir  à  elle  sur  ses  parents,  sa 
famille,  ses  relations  d'autrefois,  sa  santé,  sa  conduite  passée, 
ses  dispositions  surnaturelles,  ses  goûts,  ses  aptitudes,  ses  con- 
naissances, ses  talents,  ses  opinions  en  toutes  matières".  Elle 
voudra  aussi  connaître  l'origine  de  sa  vocation.  Elle  lui  deman- 
dera :  «  A  quelle  époque  ce  désir  de  suivre  les  conseils  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  s'est  élevé  dans  son  esprit;  quelles  sont  les 
causes  qui  l'ont  fait  naître...  »  Et,  si  le  postulant  affirme  n'y  avoir 
pas  été  porté  par  quelqu'un  de  la  Compagnie,  on  pourra,  dit 
saint  Ignace,  «  continuer  l'interrogatoire  ;  mais  dans  le  cas  con- 
traire (quelque  licite  que  soit  une  pareille  intervention),  il  sera 
bon,  pour  son  plus  grand  avantage  spirituel,  de  lui  prescrire 
un  certain  laps  de  temps  durant  lequel  il  réfléchira  sur  ce  sujet, 
en  se  recommandant  à  son  Créateur  et  Seigneur,  comme  si  per- 
sonne n'avait  agi  sur  son  esprit  » 3. 

Tel  est  le  plan  et  le  résumé  de  Y  Examen  général.  La  sincérité 
y  éclate  à  chaque  ligne.  Si  plus  tard  un  religieux  vient  à  se 
plaiudre,  ce  ne  sera  point  d'avoir  été  trompé. 

4.  Avec  Y  Examen  général  nous  avons  déjà  une  idée  assez  nette 
de  la  Compagnie  de  Jésus.  Les  Constitutions  vont  préciser  davan- 
tage, et  nous  découvrir  les  détails  de  son  organisation  intérieure. 

Dans  une  courte  préface,  le  fondateur  expose  la  nécessité  d'une 
législation  écrite  qui,  sans  remplacer  «.  la  loi  intérieure  d'amour 
et  de  charité  »,  aidera  cependant  les  membres  de  la  Compagnie 
«  à  avancer  de  plus  en  plus  dans  la  voie  du  service  de  Dieu  »: 
Puis  il  donne  les  grandes  divisions  de  son  ouvrage  qui  aura  dix 
parties,  comprenant  chacune  un  certain  nombre  de  chapitres  4. 
Au  texte  qui  doit  être  bref,  comme  il  convient  à  un  code,  seront 
ajoutées  des  notes  ou  déclarations  destinées  à  l'expliquer,  à  l'am- 
plifier même  s'il  y  a  lieu5. 

1.  Exam.  gen.,  c.  h,  n.  1-5.  «  Impedimenta,  cum  quorum  aliquo  nemo  in  Societalem 
admitti  potest  :  1.  recessisse  a  gremio  sanctae  Ecclesiae,  (idem  abnegando;  —  2.  hdini- 
cidium  aliquo  tempore  perpétrasse,  vel  publiée  infamem  propter  enormia  peccata 
fuisse;  —  3.  habilum  sumpsisse  alicujus  Religionis;  —  4.  vinculo  matrimonii  consum- 
mati,  vel  servitutis  legitimae  ligatum  esse;  —  5.  infirmitatem  pati,  unde  obscurari, 
vel  parum  sanum  judicium  ei  reddi  soleat.  » 

1.  Ibkl.,  c.  m,  n.  2-12.  —  3.  IbicL,  n.  H.  —  4.  Proœmium  eonstiêutionum. 

5.  Proœmium  in  déclarât  iones  et  an  notât innés. 


LES  CONSTITUTIONS.  109 

Les  trois  premières  parties  des  Constitutions  concernent  les 
novices,  leur  admission,  leur  renvoi,  leur  formation.  C'est  dire 
toute  l'importance  que  le  fondateur  attachait  au  choix  et  à  l'édu- 
cation spirituelle  des  sujets1  :  pour  lui,  l'avenir  de  tout  le  corps 
en  dépendait. 

Dans  la  première  partie,  relative  à  Y  admission,  Ignace  s'étend 
principalement  sur  trois  points  :  les  conditions  requises  en  celui 
qui  admet,  ses  qualités  personnelles,  sa  désignation  par  le  Père 
Général;  —  puis  les  conditions  requises  en  celui  qui  est  admis, 
et  là  il  ajoute  peu  à  ce  que  nous  avons  déjà  trouvé  dans  YExamen 
général;  —  enfin  la  façon  de  traiter  le  futur  novice  en  première 
■probation,  c'est-à-dire  la  conduite  à  tenir  à  son  égard  dans  la 
maison  où  il  est  reçu  quelque  temps  à  titre  d'hôte  et  de  postulant. 

La  seconde  partie  des  Constitutions  concerne  le  renvoi  de  ceux 
«  qui,  dans  le  cours  du  noviciat,  seraient  trouvés  peu  propres  à 
entrer  dans  la  Compagnie  ».  Elle  débute  par  un  principe  général 
nettement  posé  :  «  S'il  faut,  pour  atteindre  au  but  de  la  Société, 
qui  est  le  service  de  Dieu  et  le  secours  des  âmes,  conserver  et 
augmenter  le  nombre  des  ouvriers  capables  d'avancer  cet  ou- 
vrage, il  n'est  pas  moins  utile  de  renvoyer  ceux  qui  ne  seraient 
pas  trouvés  tels...  Toutefois,  comme  on  ne  doit  pas  être  facile  sur 
l'admission,  il  faut  encore  l'être  moins  sur  le  renvoi;  mais  il  faut, 
avec  la  grâce  de  Dieu,  peser  et  examiner  mûrement  les  choses2.  » 
Suivent  les  prescriptions  qui  aideront  à  peser  ainsi  les  choses, 
avant  de  décider  un  renvoi.  Le  fondateur  énumère  toutes  les 
causes  d'exclusion,  puis  il  parle  de  la  manière  d'y  procéder. 

La  troisième  partie  traite  de  la  formation  des  novices.  Un  cha- 
pitre regarde  leur  formation  spirituelle,  un  autre  la  direction  à 
suivre  pour  la  conservation  de  leur  santé.  Par  rapport  à  l'âme 
Ignace  prescrit  de  tenir  les  novices  isolés,  sans  relations  avec 
quiconque  pourrait  les  distraire  ou  les  refroidir  dans  leur  bon 
dessein3;  de  les  exercer  à  la  garde  de  leurs  sens,  par  le  silence  et 
la  modestie;  de  les  accoutumer  à  la  pauvreté,  en  leur  interdisant 
la  disposition  de  quoi  que  ce  soit  sans  permission;  de  les  ins- 
truire à  se  défendre  contre  les  embûches  du  démon  et  les  tenta- 

1.  On  entendra  pourtant  Etienne  Pasquier,  l'avocat  de  l'Université  de  Paris,  pré- 
tendre que  la  Compagnie  acceptait  n'importe  qui.  L'examen  général  a  déjà  rélulé 
cette  calomnie  absurde. 

2.  P.  II,  c.  i,  n.  1.  Bien  que,  dans  cette  partie,  le  fondateur  parle  avant  tout  du 
renvoi  des  novices,  il  en  profite  pour  exposer  dans  une  déclaration  ce  qui  regarde  le 
renvoi  après  les  vœux  simples  ou  la  profession,  mettant  en  principe  que  le  renvoi 
sera  d'autant  moins  facile  que  le  religieux  est  plus  avancé  dans  les  degrés. 

3.  P.  III,  c.  i,  n.  2. 


110  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

tions;  de  les  dresser  à  une  entière  obéissance,  les  habituant  «  à 
se  proposer  la  volonté  et  le  jugement  du  supérieur  comme  la 
règle  des  leurs,  et  à  regarder  celui-ci  comme  tenant  la  place  de 
Dieu  »  ;  en  un  mot  de  les  appliquer  à  tout  ce  qui  «  est  de  nature 
à  les  faire  progresser  dans  l'abnégation  d'eux-mêmes1  ». 

5.  Après  ces  trois  parties  consacrées  aux  novices.  Ignace,  sui- 
vant le  jeune  religieux  dans  sa  nouvelle  vie,  s'attache  à  sa  com- 
plète formation  intellectuelle,  on  pourrait  dire  humaine.  La 
quatrième  partie  des  Constitutions  porte  pour  titre  :  «  De  quelle 
manière  il  faut  instruire  dans  les  belles-lettres,  et  les  autres  choses 
utiles  au  prochain,  ceux  qu'on  garde  dans  la  Société  ». 

Il  s'agit  ici  de  ceux  qui  ont  été  admis  aux  premiers  vœux,  avec 
les  dispositions  nécessaires  pour  recevoir  un  jour  le  sacerdoce,  ou 
bien  qui  l'ont  déjà  reçu.  Ils  porteront  désormais  le  nom  de  sco- 
las  tiques. 

Cette  quatrième  partie  est  une  des  plus  développées  par  l'au- 
teur des  Constitutions,  et  non  sans  motif;  «  car,  remarque-t-il, 
étant  donné  le  but  apostolique  de  la  Compagnie,  il  nous  faut  join- 
dre à  l'exemple  d'une  vie  pure,  la  science,  et  la  méthode  pour 
l'exposer;  aussi,  après  avoir  jeté,  dans  l'âme  de  ceux  qu'on  a 
reçus  au  noviciat,  le  fondement  solide  du  renoncement  à  soi- 
même  et  du  progrès  dans  la  vertu,  on  s'occupera  de  les  former 
aux  belles-lettres  et  de  leur  apprendre  la  manière  de  les  em- 
ployer. C'est  pour  cela  que  la  Compagnie  possède  des  collèges, 
et  quelquefois  même  des  Universités  ou  des  cours  généraux  d'é- 
tudes, dans  lesquels,  ceux  qui  pendant  leurs  épreuves  dans  nos 
maisons  ont  fait  bien  augurer  d'eux-mêmes,  et  n'ont  pas  à  un 
degré  suffisant  les  connaissances  nécessaires  à  notre  Institut, 
pourront  les  acquérir  et  apprendre  tout  ce  qui  peut  être  utile  au 
salut  des  âmes2  ». 

En  dix-sept  chapitres,  Ignace  donne  comme  le  premier  plan 
d'études  de  la  Compagnie,  une  ébauche  du  futur  ratio  studiorum. 
Il  y  parle  non  seulement  de  la  formation  scientifique  et  littéraire 
de  ses  religieux,  mais  aussi  de  l'instruction  de  la  jeunesse  sécu- 
lière dans  «  des  écoles  publiques  »,  qu'il  projette  «  d'attacher  aux 
collèges  de  la  Société  »,  soit  pour  l'enseignement  des  lettres  hu- 
maines, soit  même  pour  l'enseignement  supérieur  \  Sans  entrer 

1.  P.  III,  c.  i,  passim.  —  2.  P.  IV,  proœmium. 

3.  «  De  scnolis  collegiorum  Societatis  »  (P.  IV,  c.  vu,  titulum).  —  «  In  nostris  col^ 
legiis...  scholae  publicae  aperiantur  »  (c.  vu,  n.  1). 


LES  CONSTITUTIONS.  III 

dans  les  menus  détails,  il  expose  les  principes  généraux  que 
suivra  la  Compagnie  dans  ses  collèges  ou  universités,  les  rela- 
tions avec  leurs  fondateurs,  l'administration  matérielle,  les  ma- 
tières de  renseignement,  les  méthodes,  les  livres,  et  tout  ce  qui 
regarde  la  discipline  scolaire  '. 

Plusieurs  chapitres  traitent  particulièrement  des  progrès  intel- 
lectuels des  scolastiques  de  la  Compagnie,  que  le  fondateur  a  en 
vue  par-dessus  tout.  Il  détermine  les  qualités  de  ceux  qu'on  ap- 
pliquera aux  études,  le  temps  qu'ils  devront  y  rester,  les  moyens 
de  les  aider  à  y  réussir,  la  façon  de  les  préparer  en  même  temps 
à  l'apostolat,  les  industries  à  employer  pour  que  «  l'ardeur  de 
l'étude  n'attiédisse  point  en  eux  l'amour  des  vertus  solides  et  de 
la  vie  religieuse2  ».  Sur  ce  dernier  point  le  fondateur  observe, 
avec  beaucoup  de  sagesse,  que  dans  un  sculastique  la  science  et 
la  vertu  doivent  se  donner  un  mutuel  appui  et  progresser  paral- 
lèlement :  la  pureté  de  l'âme  et  le  recours  à  Dieu  rendront  l'es- 
prit plus  pénétrant,  et  l'application  jointe  à  une  intention  droite 
sera  un  excellent  exercice  de  mort  à  soi-même. 

6.  Dans  la  cinquième  partie  des  Constitutions,  sont  expliqués 
les  degrés  d'incorporation  à  la  Compagnie  et  par  conséquent  les 
diverses  classes  de  personnes  dont  elle  se  compose.  Qui  a  charge 
d'admettre  à  ces  degrés,  quand  et  de  quelle  manière  doit-on  y 
admettre,  que  doit-on  exiger  de  ceux  qui  y  seront  admis,  tels 
sont  les  points  qui  seront  ici  déterminés  tour  à  tour. 

Il  y  a,  dans  l'ensemble  du  système  conçu  par  Ignace  pour  l'é- 
mission des  vœux,  une  innovation  qui  mérite  de  nous  arrêter. 
Jusqu'au  xvie  siècle  la  coutume  des  Ordres  religieux  était  d'é- 
prouver les  novices  pendant  un  an,  puis  de  les  admettre  aussitôt 
après  à  la  profession  solennelle  ;  il  ne  restait  ainsi  que  la  distinc- 
tion entre  les  prêtres,  ou  aspirants  au  sacerdoce,  occupés  soit  à 
l'exercice,  soit  à  la  préparation  des  ministères  spirituels,  et  les 
frères  servants  ou  coadjuteurs,  employés  aux  offices  domestiques. 
Ignace  double  d'abord  le  temps  du  noviciat3;  de  plus,  les  deux 
ans  écoulés,  il  n'admet  pas  encore  à  la  profession  solennelle,  mais 
seulement  aux  vœux  simples.  C'est-à-dire  que  le  nouveau  religieux, 
soit  prêtre,  soit  scolastique  destiné  aux  études,  soit  coadjuteur 
temporel  destiné  aux  travaux  domestiques,  prononce  alors  les 
trois  vœux  simples  de  pauvreté,  chasteté  et  obéissance,  avec  celui 

1.  P.   IV,    C.   I,  II,  V,  XII,    XIII,    XIV,    XV,    XVI,  XVII. 

2.  Ibid.,  c.  m,  v,  ix,  vin,  m.  —  3.  Exam.  gen.,  c.  i,  n.  12. 


112  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

d'entrer  un  jour  dans  la  Compagnie  à  quelque  degré  qu'elle 
voudra  lui  conférer.  Par  cette  promesse,  il  entend  se  lier  perpé- 
tuellement à  la  Compagnie,  sans  que  celle-ci  s'engage  pour  sa  part 
à  l'incorporer  dans  aucun  degré;  il  restera  dans  cet  état  de  vieux 
simples,  jusqu'au  moment  où  les  Supérieurs,  satisfaits  de  ses 
bonnes  dispositions  et  de  ses  vertus,  l'admettront  à  une  incor- 
poration définitive.  Alors,  pour  les  scolastiques  ce  sera  :  ou  bien 
la  profession  solennelle  des  quatre  vœux,  c'est-à-dire  des  trois 
vœux  accoutumés  et  en  plus  de  celui  d'obéir  au  Souverain  Pontife 
pour  toutes  les  missions  auxquelles  il  voudra  les  destiner;  — ou 
bien  la  profession  solennelle  des  trois  vœux  seulement;  —  ou 
bien  rémission  des  trois  vœux  simples,  quoique  publics,  de  pau- 
vreté, chasteté  et  obéissance.  Ainsi  les  prêtres  seront  répartis  en 
trois  classes  :  prof  es  des  quatre  vœu./ ,  profès  des  /rois  vœux  et 
coadjuteurs  spirituels.  Quant  aux  coadjuteurs  temporels,  ils  seront 
incorporés  dans  la  Compagnie  par  les  trois  vœux  usités,  simples 
et  publics,  et  prendront  le  nom  de  coadjuteurs  temporels  formés x. 
De  sorte,  que  si  l'on  ajoute  à  ces  quatre  degrés  d'incorporation 
définitive  les  deux  degrés  de  ceux  qui  l'attendent,  —  novices  et 
religieux  dans  l'état  de  vœux  simples,  —  la  Compagnie  de  Jésus, 
dans  son  ensemble,  présente  bien  six  catégories  de  personnes. 

Ignace  a  jugé  ces  degrés  nécessaires  à  l'organisation  de  son 
institut;  mais,  comme  il  le  remarque  lui-même,  leur  différence 
n'en  produit  aucune  dans  la  participation  aux  biens  spirituels 
dont  jouit  toute  la  Compagnie*3.  Si  les  obligations  varient  suivant 
les  degrés,  le  profit  reste  le  même  pour  tous. 

Une  autre  innovation  du  fondateur,  touchant  les  derniers  vœux, 
est  l'institution,  pour  les  religieux  prêtres,  d'une  troisième  année 
de  noviciat3.  Les  études,  surtout  les  spéculatives,  le  professorat 
avec  ses  occupations  multiples,  la  science  avec  son  prestige,  peu- 
vent tarir  la  source  des  affections  pieuses  et  des  aspirations  surna- 
turelles. Quand,  après  toutes  les  épreuves,  et  les  études  achevées, 
le  temps  est  venu,  pour  le  prêtre  de  la  Compagnie,  de  son  incor- 


1.  Dans  la  première  formule  de  l'Institut  présentée  à  Paul  III,  Ignace  et  ses  compa- 
gnons avaient  entendu  que  la  Compagnie  ne  comprendrait  qu'un  petit  nombre  de 
membres,  une  soixantaine  tout  au  plus,  tous  profès  des  quatre  vœux;  mais  les  œuvres 
offertes  à  la  Compagnie  furent  bientôt  nombreuses,  les  vocations  aussi;  alors,  dès 
1546,  sur  la  demande  du  fondateur,  Paul  III,  par  la  Bulle  Exponi  nobis,  permit 
d'admettre  «  des  prêtres  et  des  laïcs  qui  pourraient  aider  les  profès  dans  les  choses 
ou  spirituelles  ou  temporelles  »,  se  liant  irrévocablement  à  la  Compagnie,  après  les 
épreuves  déterminées  dans  les  Constitutions,  par  les  trois  vœux  de  religion  sans  élre 
cependant  reçus  à  la  profession  solennelle.  (Bulle  Exponi  nobis.  Instit.,  t.  I,  p.  10  . 

2.  P.  V.  c.  i.  n.  1,  a.  —  3.  Ibid.,  c.  H,  n.  1. 


LES  CONSTITUTIONS.  m 

poration  définitive,  son  premier  noviciat  est  déjà  loin;  les  Consti- 
tutions lui  prescrivent  d'y  rentrer.  Pendant  une  année  entière,  «  à 
l'école  de  la  piété,  il  s'exercera,  avec  plus  de  soin  et  d'insistance 
que  jamais,  à  tout  ce  qui  fait  progresser  dans  une  humilité  sincère, 
dans  le  dépouillement  des  penchants  inférieurs  de  la  nature,  dans 
l'abnégation  de  la  volonté  et  du  jugement  propre,  dans  une  con- 
naissance plus  profonde  et  un  amour  plus  grand  de  Dieu  ;  de  cette 
sorte,  après  avoir  avancé  lui-même  en  perfection,  il  sera  plus 
apte  à  faciliter  les  progrès  des  autres  pour  la  gloire  de  Dieu  et  de 
Notre-Seigneur 1  » . 

7.  La  sixième  partie  des  Constitutions  développe  les  obligations 
communes  à  tous  ceux  qui  sont  incorporés  à  la  Société.  La  princi- 
pale est  l'observation  parfaite  des  trois  vœux. 

«  Ce  qui  regarde  la  chasteté,  dit  le  fondateur,  n'a  pas  besoin 
de  commentaires  »  ;  et  il  se  contente  de  suggérer  aux  siens  de 
tendre  à  la  pureté  des  anges  par  la  pureté  du  corps  et  de  l'âme2. 

Pour  l'obéissance  il  veut  que  tous  s'efforcent  d'y  exceller,  «  non 
seulement  dans  ce  qui  est  obligatoire,  mais  encore  dans  tout  le 
reste,  et  cela  sur  un  simple  signe  de  la  volonté  du  supérieur,  sans 
aucun  ordre  exprès  ».  Et  afin  de  rendre  cette  vertu  plus  facile  et 
plus  douce  il  ajoute  :  «  Si  nous  obéissons  à  un  homme,  ce  n'est 
que  par  respect  et  par  amour  pour  Jésus-Christ  qu'il  représente. 
Il  faut  par  conséquent  avoir  à  son  égard  une  docilité  entière, 
abandonner  à  sa  voix  toute  occupation,  laissant  même  la  lettre 
que  nous  aurions  commencé  à  former...  Exécuter  ses  commande- 
ments avec  promptitude,  joie  spirituelle  et  persévérance.  Nous 
persuader  que  tout  est  juste  lorsque  le  supérieur  l'ordonne;  par 
une  sorte  d'obéissance  aveugle  rejeter  toute  idée,  tout  sentiment 
contraire  à  ses  ordres,  en  toutes  choses  où  l'on  ne  verra  point  de 
péché....  Être  convaincu,  qu'en  vivant  sous  l'obéissance,  on  doit 
se  laisser  mener  et  conduire  à  la  volonté  de  la  divine  Providence, 
par  l'entremise  des  supérieurs,  comme  un  cadavre  qui  se  laisse 
porter  et  manier  en  tous  sens,  ou  bien  encore  comme  un  bâton 
que  tient  à  la  main  un  vieillard  pour  s'en  servir  à  son  gré :i.  » 

On  a  beaucoup  reproché  à  saint  Ignace  cette  comparaison  du 
cadavre,  perinde  ac  cadaver,  qui  exprime  si  bien  la  perfection 
de  l'obéissance.  Elle  n'est  point  de  lui,  mais,  si  l'on  en  croit  saint 
Bonaventure,  du  séraphique  François  d'Assise,  qui  ne  regardait 
comme  réellement  obéissant  que  celui  qui  se   laissait  remuer, 

1.  Ibid.  —  2.  P.  VI,  c.  i,  n.  1.  —  3.  lbid. 

COMPAGNIE    DE   JÉSUS.  —   T.    I.  8 


114  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

placer  et  déplacer  comme  un  corps  sans  vie,  corpus  exanime1. 
Le  fondateur  de  la  Compagnie  n'a  pas  exigé  plus  que  le  patriarche 
de  la  vie  monastique  en  Occident,  saint  Benoit,  qui  ordonne 
textuellement  à  ses  disciples  d'obéir  même  dans  les  choses  impos- 
sibles; il  n'a  pas  exigé  plus  que  saint  Basile,  le  législateur  des 
moines  d'Orient,  qui  demande  au  religieux  obéissant  d'être 
comme  l'outil  dans  la  main  de  l'ouvrier,  comme  la  cognée  dans 
la  main  du  bûcheron. 

Par  rapport  à  la  pauvreté.  Ignace  ordonne  de  «  l'aimer  et  con- 
server dans  toute  sa  pureté,  comme  le  ferme  rempart  de  tout  Ordre 
religieux  »,  de  ne  «  jamais  changer  les  constitutions  qui  la  con- 
cernent, excepté  toutefois  le  cas  où  les  circonstances  feraient  ju- 
ger, selon  le  Seigneur,  qu'il  faut  la  resserrer  encore  davantage  ». 
Cette  prescription  générale  est  suivie  d'ordonnances  particulières 
touchant  l'habillement,  la  nourriture,  les  maisons,  les  collèges, 
les  églises,  le  désintéressement  dans  les  ministères  spirituels2. 

Après  les  obligations  relatives  aux  trois  vœux,  Ignace  consacre 
un  chapitre  aux  «  occupations  défendues  ou  permises  aux  membres 
de  la  Société  » .  Parmi  celles  qui  sont  prohibées,  deux  sont  spéciale- 
ment à  noter.  Le  fondateur  en  parle  ainsi  et  donne  lui-même  les 
motifs  de  sa  défense  :  «  Comme  les  travaux  que  l'on  entreprend 
pour  le  soulagement  des  âmes  sont  très  importants,  très  fréquents 
et  particuliers  à  notre  institut,  comme  d'ailleurs  nous  n'avons  pas 
de  demeure  fixe  dans  tel  lieu  plutôt  que  dans  tel  autre,  les  nôtres 
ne  formeront  point  de  chœur  pour  chanter  les  heures  canoniales, 
la  messe  ou  les  autres  offices'...  De  même,  comme  les  membres 
de  la  Société  doivent  toujours  être  prêts  à  courir  dans  toutes  les 
parties  du  monde,  où  ils  seront  envoyés  soit  par  le  Souverain 
Pontife  soit  par  les  supérieurs,  ils  ne  doivent  point  se  charger 
de  la  direction  spirituelle  des  religieuses...  à  titre  de  confes- 
seurs ou  de  directeurs  ordinaires  '.  » 

8.  Dans  la  septième  partie  des  Constitutions,  saint  Ignace  exa- 
mine «  comment  il  faudra  distribuer  dans  la  vigne  du  Seigneur  » 
les  ouvriers  apostoliques,  chargés  de  travailler  à  «  l'utilité  spiri- 
tuelle du  prochain  ».  Aucun  lieu  n'est  excepté  quand  l'intérêt 
des  âme  est  en  cause.  La  mission  peut  émaner  du  Souverain 
Pontife  lui-même  :  alors,  soumission  entière  du  jugement  et  de 
la  volonté  au  Vicaire  de  Jésus-Christ;  ni  les  supérieurs,  ni  les 

1.   Vita  S1  Francisci,  c.  lx.  —  2.  P.  VI,  c.  il.  —  3.  P.  VI,  c.  m,  n.  i. 
4.  Jbid.,  n.  5. 


LES  CONSTITUTIONS.  il.; 

inférieurs,  par  eux-mêmes  ou  par  intermédiaires,  ne  cherche- 
ront à.  être  envoyés  dans  un  pays  plutôt  que  dans  un  autre.  Si 
le  Pape,  en  désignant1  la  mission,  laisse  le  choix  des  personnes  ;'i 
la  Compagnie,  celle-ci  nommera  les  sujets  qui  lui  sembleront 
les  plus  capables. 

Ignace  est  ainsi  amené  à  poser  les  principes  qui  devront  gui- 
der le  supérieur,  quand  de  lui  dépendra  la  distribution  des  ou- 
vriers évangéliques.  Il  le  fait  avec  sa  prudence  ordinaire,  son 
sens  de  l'opportunité  et  ses  vues  de  zèle  toujours  dirigées  à  la 
plus  grande  gloire  de  Dieu.  Il  veut  que  le  supérieur  recommande 
d'abord,  et  fasse  recommander  à  Notre-Seigneur,  par  la  prière, 
une  affaire  aussi  importante  ;  puis  qu'il  considère,  d'une  part,  le 
plus  grand  service  de  Dieu,  l'universalité  du  bien  qui  résultera, 
la  plus  ou  moins  grande  nécessité  des  pays,  la  plus  ou  moins 
grande  urgence  des  œuvres  à  entreprendre,  la  plus  ou  moins 
grande  obligation  de  la  Compagnie  à  l'égard  des  princes  ou  des 
cités;  —  et  en  même  temps,  d'autre  part,  les  éléments  dont  il 
dispose,  les  forces  spirituelles  et  corporelles  des  ouvriers,  leur 
aptitude  à  aider  le  prochain  sans  porter  préjudice  à  leur  propre 
perfection2. 

Cette  partie  se  termine  par  un  chapitre,  où  le  fondateur  expose 
«  en  quoi  les  collèges  et  les  maisons  de  la  Compagnie  aident  le 
prochain  »3;  car,  dit-il,  «  ce  n'est  pas  seulement  en  parcourant 
divers  pays,  mais  aussi  par  un  séjour  continu  en  plusieurs  endroits, 
qu'elle  est  appelée  à  secourir  les  âmes  ».  Et  il  décrit  ici  toutes 
les  œuvres  de  miséricorde  que  les  siens  auront  à  exercer  dans  les 
villes  où  ils  demeureront  :  la  prière,  l'administration  des  sacre- 
ments, la  prédication,  l'explication  de  la  doctrine  chrétienne, 
les  Exercices  spirituels,  la  visite  des  hôpitaux  et  des  prisons  \ 

9.  Après  avoir  traité  successivement  de  l'administration,  de  la 
formation  et  des  occupations  des  religieux,  Ignace  en  vient  à  leur 
gouvernement.  Il  y  consacre  deux  parties  très  développées  :  la 
huitième  et  la  neuvième. 

Dans  la  huitième,  il  prescrit  «  tout  ce  qui  peut  maintenir  l'union 
des  membres  avec  le  chef  et  entre  eux  ».  Sans  cela,  dit-il,  la 
Compagnie  ne  peut  ni  se  conserver,  ni  se  gouverner,  ni  atteindre 
son  but.  Cette  union  doit  être  d'autant  plus  recherchée,  qu'elle 
sera  plus  difficile  à  un  Ordre  dispersé  dans  toutes  les  parties  du 

1.  P.  VII,  c.  i.  —  2.  Ibid.,  c.  ii,  n.  1,  d,  e,  f.  —  3.  Ibid.,  c.  iv,  titre. 
4.  Ibid.,  c.  iv,  passim. 


116  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

monde.  Saint  Ignace  indique  comme  moyen  de  la  maintenir  : 
l'obéissance;  le  renvoi  de  quiconque  serait  un  sujet  de  discorde; 
les  qualités  remarquables  du  Général  et  par  suite  son  ascendant 
sur  ses  subordonnés;  la  correspondance  épistolaire  fréquente  et 
suivie;  le  parfait  accord  et  la  conformité,  non  seulement  dans  les 
choses  intérieures,  comme  la  doctrine,  mais  aussi  dans  les  choses 
extérieures,  comme  le  costume,  les  cérémonies  de  la  messe  et  tout 
le  reste,  autant  que  le  permettront  les  circonstances  de  personnes 
et  de  lieux;  enfin,  avoue -t-il,  «  le  lien  essentiel,  commun  à  tous, 
de  cette  union,  est  l'amour  de  Dieu  :  unis  avec  la  divine  et  suprême 
bonté,  les  membres  de  la  Compagnie  seront  unis  entre  eux;  de  leur 
amour  pour  Dieu  naîtra  leur  amour  pour  le  prochain,  et  tout  spé- 
cialement pour  leurs  frères  dans  le  Seigneur  »  '. 

Toute  la  suite  de  la  huitième  partie  trace  le  règlement  des  as- 
semblées ou  congrégations,  dans  lesquelles  «  s'opérera  l'union  des 
personnes  » 2  par  rapport  au  gouvernement,  soit  de  la  Société  en- 
tière, soit  d'une  de  ses  divisions  territoriales.  En  effet,  dans  la 
Compagnie  de  .lésus,  comme  dans  l'Église  et  dans  toutes  les  fa- 
milles religieuses,  il  y  a  des  assemblées,  ou  générales,  de  tout 
l'ordre,  ou  provinciales,  de  chaque  province,  pour  résoudre  les 
affaires  graves,  dont  la  conclusion  réclame  les  lumières  d'un  cer- 
tain nombre  d'hommes  expérimentés. 

Il  n'y  a  point  de  terme  fixe  pour  la  réunion  des  congrégations 
générales.  Il  est  prescrit  cependant  de  les  réunir  à  la  mort  du 
P.  Général,  afin  de  lui  nommer  un  successeur,  ou  encore  si  la  né- 
cessité se  présentait  de  prendre  une  résolution  irrévocable  ou  de 
traiter  d'affaires  épineuses  concernant  toute  la  Société1.  Au  début, 
les  congrégations  générales  se  composaient  de  tous  les  profès  qui 
pouvaient  être  présents  h  Rome.  Ignace,  prévoyant  l'extension  de 
son  Ordre  et  tenant  à  donner  «  une  règle  certaine  ».  prescrit  que 
trois  députés  de  chaque  province  seront  convoqués  :  le  P.  Provin- 
cial, à  moins  d'empêchement,  et  deux  autres  choisis  par  la  con- 
grégation provinciale,  qui  devra  se  réunir  à  cet  effet  ',  et  compren- 
dra tous  les  profès  de  cette  province,  les  supérieurs  locaux,  les 
recteurs  et  les  procureurs"'. 

La  congrégation  générale  et  la  congrégation  provinciale  ont  des 
attributions  bien  différentes.  En  la  première  réside  le  pouvoir  lé- 

1.  P.  VIII,  c.  i,  n.  1,  3,  5,  G,  7,  8,  9.  —  2.  Ibid..  c.  II,  n.  1. 
3.  P.  VIII,  c.  n,  n.  1,  2.  —  4.  Ibid.,  c.  m,  n.  1,  (i. 

5.  Ainsi  l'avait  déterminé  Ignace  dans  les  Constitutions  (ibid.,  c.  ni,  n.  1);  mais  plus 
tard  on  limita  le  nombre  des  profès  et  on  leur  adjoignit  seulement  les  recteurs  des 

collèges. 


LES  CONSTITUTIONS.  117 

gislatif  delà  Compagnie;  elle  a  juridiction  sur  tout  l'Ordre  et  sur 
le  P.  Général  lui-même.  La  seconde  n'a  ni  pouvoir  législatif,  ni 
juridiction;  elle  se  réunit  en  vue  de  nommer  les  Pères  députés  à 
la  congrégation  générale,  et,  tous  les  trois  ans,  pour  des  motifs 
qui  furent  déterminés  plus  tard. 

Ignace  s'occupe  ici  avant  tout  de  l'assemblée  générale.  Qui  doit 
la  convoquer;  —  où  et  quand  le  sera-t-elle;  — quel  sera  le  mode 
de  délibération  quand  il  s'agira  d'élire  le  Général  ou  de  discuter 
les  affaires  de  la  Compagnie?  —  Toutes  ces  questions  sont  résolues 
dans  les  moindres  détails,  et  les  ordonnances  du  Bienheureux  Père 
ont  toujours  été  suivies,  depuis  l'élection  de  son  successeur  jusqu'à 
nos  jours1. 

10.  La  neuvième  partie  des  Constitutions  a  pour  titre  :  «  De  ce 
gui  concerne  le  Général  de  la  Société  et  du  gouvernement  qui 
émane  de  lui  ».  Ignace  émet  d'abord  le  principe  qu'il  doit  y  avoir 
un  Général  :  «  Comme  dans  toutes  les  républiques  et  associations 
bien  constituées,  en  dehors  de  ceux  qui  tendent  à  des  fins  parti- 
culières, il  faut  une  ou  plusieurs  personnes  qui  veillent  au  bien 
universel...  de  même  dans  cette  Société,  outre  ceux  qui  président 
aux  maisons,  collèges  et  provinces,  il  faut  quelqu'un  qui  ait  le 
soin  de  la  Société  tout  entière,  et  se  propose  à  lui-même  pour  fin 
que  tout  ce  corps  soit  bien  gouverné,  conservé,  augmenté,  et  ce- 
lui-là est  le  Général2.  » 

Après  avoir  ordonné  que  le  Général  sera  nommé  à  vie,  il  énu- 
mère  les  qualités  qui  devront  briller  en  sa  personne  :  «  qu'il  soit 
choisi,  dit-il,  parmi  ceux  que  la  Compagnie  a  le  plus  remarqués, 
et  le  plus  longtemps,  pour  l'éclat  de  leurs  vertus  et  de  leurs  ser- 
vices 3  ». 

«  Afin  que  la  Société  soit  bien  gouvernée,  ajoute  le  fondateur, 
il  semble  important  que  le  Général  ait  toute  autorité  sur  elle.  » 
En  conséquence  de  ce  principe,  une  part  très  large  est  faite  au 
pouvoir  du  Général,  et  développée  dans  un  long  chapitre.  C'est 
le  P.  Général  qui,  par  lui-même  ou  par  d'autres,  admet  les  sujets 
au  noviciat  et  aux  différents  degrés;  il  peut  aussi  les  transférer 
d'un  lieu  à  un  autre,  les  envoyer  en  mission  dans  n'importe  quel 
pays  ;  il  nommera  lui-même  les  provinciaux,  les  recteurs  des  col- 
lèges et  des  universités,  les  supérieurs  des  maisons;  «  il  leur  com- 
muniquera tout  le  pouvoir  qu'il  jugera  à  propos;  il  pourra  aussi 

1.  P.  VIII,  c.  iv,  v,  vi,  vu.  —  2.  P.  IX,  c.  i,  n.  1. 

3.  Ibid,  c.  H,  n.  2,  3,  4,  5,  7,  8,  9,  10. 


MB  HISTOIRE  l>E  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

révoquer,  restreindre  ou  amplifier  ce  pouvoir,  et  leur  demander 
compte  de  leur  administration  »  ;  c'est  à  lui  de  convoquer  la  con- 
grégation générale,  quand  en  dehors  d'une  élection  au  généralat 
cette  convocation  aura  paru  nécessaire;  en  lui  réside  tout  pouvoir 
de  faire  quelque  contrat  que  ce  soit,  mais  il  ne  peut  aliéner  ni 
dissoudre  les  collèges,  ou  les  maisons  déjà  érigées,  sans  la  con- 
grégation générale  ;  «  dans  toutes  les  choses  qui  tendent  à  la  fin 
que  se  propose  ]a  Société,  à  la  perfection  et  au  secours  du  pro- 
chain, et  à  la  gloire  de  Dieu,  le  Général  pourra  commander  à 
tous  en  vertu  de  l'obéissance  ;  et  quoiqu'il  communique  son  pou- 
voir à  d'autres  supérieurs  subalternes,  à  des  visiteurs,  à  des  com- 
missaires, il  pourra  cependant  approuver  ou  casser  ce  qu'ils  fe- 
ront, agir  en  tout  comme  il  lui  plaira,  et  il  faudra  toujours  lui 
obéir  et  le  respecter  comme  le  représentant  de  Jésus-Christ i  ». 

Ce  pouvoir  du  P.  Général,  bien  qu'il  soit  plus  grand  dans  la 
Compagnie  que  dans  les  autres  Ordres,  n'est  pas  cependant  illi- 
mité. Outre  qu'il  ne  s'étend  pas  au  domaine  législatif,  il  est  réglé 
de  manière  à  profiter  des  meilleurs  avantages  de  la  forme  de  gou- 
vernement qu'on  appelle  aristocratique.  Il  a  un  puissant  contre- 
poids dans  les  prescriptions  que  l'on  trouve  aux  trois  derniers 
chapitres  de  cette  neuvième  partie. 

Le  chapitre  iv  est  intitulé  :  «  De  l'autorité  et  de  la  surveillance 
que  la  Société  doit  exercer  sur  son  Général  ».  Ignace  ramène  à  six 
points  l'exercice  de  cette  autorité  et  de  cette  surveillance  :  1°  ce 
qui  regarde  les  circonstances  extérieures  de  sa  personne  (vête- 
ment, nourriture,  logement)  ;  —  2°  ce  qui  regarde  le  soin  de  son 
corps,  afin  qu'il  n'excède  pas  en  travaux  ou  en  mortifications;  — 
3"  ce  qui  regarde  le  soin  de  son  àme,  relativement  à  sa  propre 
perfection  ou  à  l'accomplissement  de  sa  charge  ;  —  4°  s'il  lui  était 
fait  instances  pour  accepter  quelque  dignité  incompatible  avec 
ses  fonctions  :  clans  ce  cas,  il  ne  peut  rien  sans  le  consentement 
de  la  Compagnie;  —  5°  s'il  se  montrait  négligent  ou  relâché  dans 
les  choses  importantes  de  son  office,  par  infirmité  ou  vieillesse, 
sans  espoir  d'amélioration  et  au  détriment  du  bien  commun  :  dans 
ce  cas,  il  devrait  élire  un  coadjuteur  ou  vicaire  qui  ferait  fonction 
de  Général;  —  6°  entin  dans  certains  cas.  comme  de  fautes  graves, 
la  Compagnie  peut  et  doit  le  déposer,  le  chasser  même  s'il  était 
besoin  2. 

Mais  rien  ne  modère  mieux  le  pouvoir  souverain  du  Généra] 

1.  P.  IX,  c.  m,  n.  1,  2,  5,  14.  15,  20.  —  2.  C.  iv,  passim. 


LES  CONSTITUTIONS.  lifl 

que  l'organisation  de  la  hiérarchie  sans  laquelle,  pratiquement, 
il  ne  peut  l'exercer.  Immédiatement  au-dessous  de  lui,  gouver- 
nent les  provinciaux,  qui  sont  les  supérieurs  des  religieux  ha- 
hitant  une  région  déterminée;  au-dessous  des  provinciaux  gou- 
vernent les  supérieurs  locaux,  qui  dans  les  collèges  prennent  le 
nom  de  recteurs.  Tout  supérieur,  depuis  le  Général  jusqu'au 
moindre  supérieur  local,  a  auprès  de  lui  plusieurs  Pères  conseil- 
lers ou  cùnsulteurs  dont  les  avis  et  les  lumières  le  dirigent,  et  un 
Père  admojiiteur ,  chargé  de  l'avertir  sur  tout  ce  qui  touche  sa 
personne  ou  les  devoirs  de  son  office.  Les  conseillers  du  Père  Gé- 
néral se  nomment  assistants.  Ils  représentent  les  principales  na- 
tions où  est  établie  la  Compagnie,  et  chacun  d'eux  par  conséquent 
un  certain  nombre  de  provinces.  Nommés  par  la  congrégation 
qui  a  élu  le  Général,  et  résidant  auprès  de  lui,  ils  forment  son 
conseil  suprême  et  perpétuel  '.  Par  leurs  mains  doivent  passer 
toutes  les  affaires  spéciales  aux  pays  qu'ils  représentent,  et  aussi 
celles  qui  concernent  le  gouvernement  de  l'Ordre  tout  entier.  Le 
Père  Général  est  strictement  obligé  d'entendre  le  conseil  des  as- 
sistants 2,  et  d'entretenir  de  fréquentes  communications  avec  les 
provinciaux;  «  quelquefois  il  s'adressera  directement  aux  rec- 
teurs, aux  supérieurs  de  maisons  ou  aux  simples  individus  3  ».  De 
la  sorte,  si  clans  toutes  choses  d'importance  la  décision  dernière 
lui  appartient,  il  ne  peut  cependant  la  prendre  qu'après  s'être 
inspiré  des  avis  que  lui  apporte  tout  un  système  déterminé  d'in- 
formation et  de  consultation.  Les  provinciaux  et  les  supérieurs 
locaux  agissent  de  même,  chacun  dans  sa  sphère.  Ainsi,  l'unité 
du  pouvoir,  avec  la  fréquence  des  réunions  consultatives,  semble 
être  la  caractéristique  du  gouvernement  donné  à  la  Compagnie 
de  Jésus.  Au  temps  d'Ignace,  ce  mode  de  gouvernement  pouvait 
s'appeler  une  nouveauté.  Abandonnant  le  régime  capitulaire,  le 
fondateur  supprime  le  scrutin  autant  qu'il  peut;  il  le  restreint  à 
certains  cas  où  il  était  impossible  de  l'éviter,  comme  l'élection  du 
Général  et  des  Assistants,  et  plusieurs  autres  circonstances  assez 
rares;  il  donne  pour  loi  ordinaire  que  les  voix  des  assemblées 
seront  purement  consultatives,  le  supérieur  gardant  la  résolution 
définitive  de  toutes  les  affaires. 

1.  En  cas  de  mort  d'un  Assistant,  le  Général  lui-même,  de  l'avis  des  Provinciaux, 
choisit  son  remplaçant.  Le  nombre  des  Assistants  a  varié;  aujourd'hui  il  y  a  cinq 
assistances  :  Italie,  Espagne,  Allemagne,  France  et  Angleterre. 

2.  En  plus  des  Assistants  et  de  l'Admoniteur,  Ignace  a  voulu  encore  donner  au 
P.  Général  un  Procureur  Général  de  la  Compagnie,  surtout  pour  l'expédition  et  le 
maniement  des  affaires  matérielles  (c.  vi,  n.  12).  —  3.  C.  vi,  n.  2. 


120  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

11.  La  dixième  partie  des  Constitutions  est  un  suprême  appel, 
que  saint  Ignace  adresse  à  tous  les  siens,  de  travailler  à  la  plus 
grande  gloire  de  Dieu  en  proportionnant  les  moyens  à  cette  noble 
fin  :  «  Pour  conserver,  dit-il,  et  accroître  non  seulement  le  corps 
mais  aussi  l'esprit  de  cette  Société,  pour  atteindre  le  but  quelle 
se  propose,  qui  est  d'aider  les  âmes  à  parvenir  à  leur  fin  der- 
nière et  surnaturelle',  les  moyens  qui  unissent  l'instrument  à 
Dieu,  et  le  disposent  à  se  bien  laisser  conduire  parla  main  divine, 
sont  plus  efiicaces  que  ceux  qui  le  disposent  à  être  bien  vu  des 
hommes.  Tels  sont  la  probité,  la  vertu  et  surtout  la  charité,  la 
pure  intention  de  servir  Dieu,  l'union  intime  avec  Lui  dans  les 
exercices  de  la  dévotion,  le  désir  sincère  de  sauver  les  âmes  pour 
la  seule  gloire  de  Celui  qui  les  a  créées.  Par  conséquent,  que 
tous  s'appliquent  à  l'étude  des  vertus  solides  et  parfaites,  et  des 
choses  spirituelles,  et  croient  devoir  y  attacher  plus  d'importance 
qu'au  savoir  et  aux  autres  dons  naturels  et  humains  '.  » 

Mais  ces  derniers,  qui  nous  «  disposent  à  être  bien  vus  »  du 
prochain,  ne  sont  pas  à  dédaigner.  Loin  de  là;  car  eux  aussi, 
joints  aux  dons  intérieurs,  desquels  «  ils  recevront  leur  effica- 
cité »,  serviront  beaucoup  aux  progrès  de  la  Compagnie,  «  si 
toutefois  on  les  acquiert,  non  pour  mettre  en  eux  sa  confiance, 
mais  pour  aider  par  eux  la  grâce  divine  »,  selon  l'ordre  voulu  de 
Dieu.  Et  c'est  ainsi  «  qu'une  doctrine  exacte  et  solide,  le  talent 
de  la  transmettre  au  peuple  par  la  prédication  ou  l'enseigne- 
ment, et  l'aptitude  à  manier  les  hommes  doivent  être  soigneuse- 
ment recherchés2  ». 

D'ailleurs  l'application  de  ces  principes  doit  s'étendre  à  toutes 
choses.  Ignace  en  donne,  pour  finir,  quelques  exemples  particu- 
liers. Parmi  les  moyens  naturels  il  recommande  :  la  sévérité  dans 
l'admission  des  novices  et  l'incorporation  finale;  le  choix  des 
sujets  les  plus  capables  pour  le  gouvernement  de  toute  la  Com- 
pagnie, des  provinces  ou  des  maisons;  le  maintien  de  la  dis- 
cipline dans  les  collèges;  l'usage  modéré  et  prudent  des  privi- 
lèges accordés  par  le  Saint-Siège;  la  vigilance  à  conserver  la 
sympathie  des  hommes.  —  Parmi  les  moyens  surnaturels  :  la 
pauvreté  avec  son  désintéressement;  l'humilité,  qui  ferme  la 
porte  à  l'ambition,  et  le  renoncement  aux  dignités  ecclésiastiques 
dont  les  profès  feront  un  vœu  spécial';  la  charité  et  l'amour 


1.  P.  X,  n.  1,  2.  —  2.  P.  X,  n.  5. 

3.  Vœu  simple  que  les  profès  prononcent  après  la  cérémonie  solennelle. 


LES  CONSTITUTIONS.  121 

réciproque;  l'obéissance  qui  maintiendra  la  subordination;  enfin 
la  connaissance,  l'estime  et  le  respect  des  Constitutions'. 

12.  De  cette  analyse,  rapide  mais  complète,  tout  lecteur  atten- 
tif aura  déjà  dégagé  la  physionomie  de  la  Compagnie  de  Jésus. 

Fondée  pour  la  perfection  propre  de  ses  membres  et  le  secours 
spirituel  du  prochain,  elle  est  nécessairement  un  ordre  mixte,  — 
moitié  contemplatif,  moitié  actif,  —  un  ordre  de  clercs  et  non 
de  moines,  «  religionem  clericorum  Societatis  Jcsu  »,  comme  l'ap- 
pelle le  Concile  de  Trente2. 

Fondée  en  vue  de  rendre  à  Dieu,  par  la  tendance  à  cette  double 
fin,  la  plus  grande  gloire  possible,  il  lui  faut  :  clans  ses  minis- 
tères, une  variété  presque  sans  limites;  —  dans  ses  sujets,  une 
grande  diversité  aussi  de  caractères  et  de  talents;  —  dans  la  for- 
mation de  ses  membres,  le  temps  et  le  soin  requis  pour  faire  de 
chacun  d'eux  un  homme  de  Dieu,  suivant  le  mot  de  saint  Paul, 
«  prêt  à  toute  bonne  œuvre3  »  ;  —  dans  sa  forme  extérieure  et  sa 
discipline,  une  très  grande  liberté  d'action  :  ni  demeure  fixe,  ni 
habit  particulier,  ni  heures  canoniales  en  commun,  ni  assistance 
aux  processions,  ni  pénitences  réglées  obligatoires  pour  tous,  ni 
fonctions  capables  d'immobiliser,  comme  serait  la  direction  or- 
dinaire d'une  communauté  religieuse;  —  enfin,  dans  son  gou- 
vernement, cette  simplicité  et  cette  unité  qui  émanent  du  pouvoir 
absolu  sagement  tempéré,  du  pouvoir  d'un  Général  assez  au  cou- 
rant de  l'ensemble,  par  les  conseils  dont  il  s'entoure,  pour  dé- 
cider, dans  tous  les  cas,  où  est  la  plus  grande  gloire  de  Dieu. 

Faute  d'avoir  rapporté  à  la  fin  de  la  Compagnie  certaines  pres- 
criptions d'Ignace  relatives  à  sa  forme,  plusieurs  critiques  se  sont 
élevées,  aux  débuts  surtout,  contre  lesquelles  les  Souverains  Pon- 
tifes ont  eu  souvent  à  la  défendre. 

On  lui  a  reproché  la  suppression  du  chœur  :  «  Elle  est  à  peine 
digne  du  nom  de  société  religieuse,  disait  Dominique  Soto,  puis- 
qu'elle n'a  point  ce  qui  donne  le  plus  d'éclat  à  une  religion4.  » 
Telles  furent  les  réclamations  des  opposants,  que  Paul  IV  et  Pie  V 
jugèrent  à  propos  de  demander  à  la  Compagnie  la  récitation  pu- 
blique de  l'office;  cependant  ils  le  firent,  non  par  lettres  apos- 
toliques, mais  par  oraonnances  particulières  qui  expirèrent  à 
leur  mort.  Après  eux,  Grégoire  XIII  ratifia  en  termes  exprès  ce 

1.  P.  X,  n.  7,  8,  4,  12,  11,  5,  6,  9,  3.  —  2.  Sess.  \xv,  c.  xvi. 

3.  II  Tim.,  m,  17  :  «  Ut  perfectus  sit  homo  Dei,  ad  omne  opus  honum  instruclus.  » 

i.  De  justilia  et  jure,  1.  X,  q.  5,  a.  3. 


122  HISTOIRE  I>E  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

que  Paul  III  et  Jules  III  avaient  concédé  implicitement  :  «  Ayant 
égard,  dit-il,  aux  fruits  très  abondants  que  cette  religion  procure 
à  la  louange  de  Dieu  et  à  la  propagation  de  la  foi  catholique  dans 
tout  l'univers,  et  voulant  la  favoriser  dans  ses  pieuses  entreprises, 
nous  permettons  que  ses  membres  récitent  les  heures  canoniales 
chacun  en  particulier,  suivant  le  rit  romain,  et  non  en  chœur  ni 
en  commun,  afin  qu'ils  puissent  se  livrer  avec  plus  d'ardeur  à 
leurs  études,  à  leurs  leçons  et  à  leurs  prédications1.  » 

On  s'étonna  également  que  les  religieux  de  la  Compagnie  de 
Jésus  n'assistassent  point  aux  processious  ni  aux  cérémonies  so- 
lennelles de  l'Église.  La  raison  de  cette  abstention  est  la  même 
que  pour  le  chœur.  Le  P.  Ribadeneira  fait  très  bien  remarquer 
que  les  jours  où  ces  solennités  ont  lieu  sont  précisément  ceux 
où  les  fidèles  ont  coutume  de  s'approcher  des  sacrements,  ceux 
par  conséquent  où  les  ouvriers  évangéliques  sont  le  plus  occupés 
par  leurs  ministères  spirituels2.  C'est  aussi  la  raison  sur  laquelle 
s'appuie  Grégoire  XIII,  dans  la  Bulle  où  il  sanctionne  cette  excep- 
tion, et  où  il  insinue  que  pareil  motif  est  amplement  suffisant, 
puisque  d'autres  Ordres  religieux,  qui  ne  l'ont  pas,  jouissent  du 
même  privilège  par  la  seule  force  de  leurs  Constitutions. 

La  décision  d'Ignace,  de  ne  pas  donner  d'habit  particulier  à  sa 
Compagnie,  fit  croire  à  quelques-uns  qu'il  méprisait  l'habit  reli- 
gieux. Il  dit  lui-même  qu'il  prend  cette  mesure,  «  pour  de  graves 
raisons  qui  regardent  le  service  de  Dieu  4  ».  Son  Ordre  est  un  Ordre 
de  clercs  :  ses  religieux  seront  donc  vêtus  comme  les  prêtres  sécu- 
liers des  pays  où  ils  résideront,  conformément  toutefois  à  la  pau- 
vreté'.  Son  Ordre  est  destiné  à  pénétrer  chez  les  infidèles  et  les 
dissidents  :  il  ne  peut  donc  donner  à  ses  religieux  un  costume 
dont  la  seule  vue  offusquerait  ceux  qu'ils  veulent  gagner  par 
leur  apostolat.  Au  temps  d'Ignace,  dans  le  nord  de  l'Europe,  les 
anciens  costumes  monastiques  étaient  en  abomination;  il  pensa 
sans  doute  que  des  cas  semblables  se  présenteraient  dans  d'autres 
temps  et  dans  d'autres  lieux,  et  il  ne  voulut  pas  que  les  siens 
fussent  jamais  arrêtés  par  une  question  de  vêtement. 

On  a  blâmé  la  Compagnie  de  n'avoir  point  de  pénitences  de 
règle  :  «  Chacun,  a  écrit  le  fondateur  dans  Y  Examen  général, 
pourra  faire  avec  l'approbation  du  supérieur  les  pénitences  qui 

1.  Bulle  Ex  Sedis  apostolicae,  28  fév.  1573  (Institut.,  t.  I,  p  52). 

2.  Ribadeneira,  De  ratione  Institut},  c.  v,  p.  104. 

3.  Quaecumque  Sacrarum  [Instit.,  t.  1,  p.  59). 

4.  Exam.  gen.,  e.  i,  n.  6.  —  5.  P.  VI,  c.  n,  n.  15. 


LES  CONSTITUTIONS.  123 

lui  sembleront  les  plus  propres  à  son  avancement  spirituel,  et 
celles  que  les  supérieurs  pourront  lui  imposer  pour  la  même 
fin1.  »  Avec  cette  disposition,  aucune  violence  n'est  faite  à  la  liberté 
de  ceux  qui  pourront  faire  davantage,  ni  aux  forces  de  ceux  qui 
ne  pourraient  aller  sans  inconvénient  jusqu'au  point  fixé  ;  la  Com- 
pagnie peut  admettre  des  sujets  de  santé  médiocre  et  cependimt 
très  aptes  à  tous  ses  ministères,  sans  voir  sa  ferveur  affaiblie  par 
l'usage  des  dispenses.  D'ailleurs,  autre  chose  est  de  n'avoir  point 
du  tout  de  pénitences,  autre  chose  de  n'en  avoir  point  de  com- 
munes. Ignace,  après  l'expérience  de  tant  d'années,  savait  trop 
combien  elles  sont  précieuses  et  profitables,  pour  laisser  de  côté 
un  des  moyens  les  plus  efficaces  de  la  perfection  personnelle  et  de 
l'influence  apostolique  ;  il  les  a  donc  de  fait  établies,  mais,  tandis 
que  dans  les  autres  Ordres  elles  sont  fixées  communément  à  tous 
par  la  règle,  il  a  voulu  que  dans  la  Compagnie  elles  fussent  fixées 
à  chacun  par  le  supérieur. 

Les  vœux  simples  des  scolastiques  furent  l'objet  de  nombreuses 
attaques,  surtout  en  France.  Suarez  a  victorieusement  répondu  à 
toutes  les  objections.  La  Compagnie  (on  ne  saurait  trop  le  redire) 
est  un  Ordre  de  clercs  et  de  prêtres.  Or  c'est  un  usage  ancien 
dans  l'Église,  et  recommandé  par  plusieurs  conciles,  d'avoir  dans 
chaque  diocèse  des  maisons  pour  former  à  la  vertu,  aux  lettres  et 
à  la  science  la  jeunesse  destinée  à  la  cléricature  et  au  sacerdoce2. 
Mais  pourquoi,  dira-t-on,  la  Compagnie  veut-elle  que  ses  scolas- 
tiques lui  soient  attachés  par  des  vœux? —  C'était  convenable  et 
moralement  nécessaire,  répond  Suarez,  et  pour  le  bien  des  mem- 
bres et  pour  la  conservation  de  tout  le  corps  :  pour  les  membres, 
car  différer  leur  consécration  à  Dieu,  jusqu'à  la  fin  de  leurs  études, 
était  les  priver  trop  longtemps  de  beaucoup  de  grâces  et  avan- 
tages spirituels,  et  par  suite  les  exposer  au  danger  d'inconstance  ; 
pour  la  Compagnie ,  car  si  les  étudiants  n'étaient  pas  liés  par 
l'obligation  de  rester  dans  son  sein,  elle  s'exposerait  à  perdre, 
par  leur  sortie  après  leur  formation,  le  fruit  de  sa  sollicitude  et 
de  ses  peines8. 

D'ailleurs  les  jeunes  gens  qui  ont  la  vocation  religieuse,  n'ac- 
cepteraient pas  de  reculer  si  loin  l'accomplissement  de  leurs 
désirs.  Sans  la  pauvreté,  ni  la  chasteté,  ni  l'obéissance,  leur 
direction  et  leur  éducation  spirituelle  deviendraient  fort  diffi- 
ciles; puis  leur  participation  à  la  vie  commune  des  autres  reli- 

l.  Ex.  gen.,  c,  i,  n.  6. 

'2.  Suarez,  De  religionc  S.  /.,  1.  III,  c.  i,  n.  3.  —  3.  lbiil.,  n.  i. 


124  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

<Aeu\  aurait  quelque  chose  d'anormal  et  de  pénible,  s'ils  ne  leur 
étaient  pas  unis  en  même  temps  par  les  liens  substantiels  de  la 
religion l . 

Très  bien,  objecte-t-on,  mais  pourquoi  l'obligation  n'est-elle 
pas  mutuelle?  —  Tout  d'abord,  il  y  a  de  la  part  de  la  Compagnie 
aussi  une  réelle  obligation,  toute  relative  et  conditionnelle  qu'elle 
soit.  Le  scolastique,  il  est  vrai,  ne  sera  admis  à  l'incorporation 
définitive  que  si  le  P.  Général  l'en  juge  digne2;  mais  la  Compa- 
gnie ne  peut  licitement  le  renvoyer  sans  un  motif  grave  et  légi- 
time. En  outre,  cette  différence  dans  l'obligation  des  deux  parties 
contractantes  n'est  pas  contre  la  justice  :  scienti  et  volenti  nui/a 
fit  injuria;  elle  n'est  pas  non  plus  contre  la  charité,  puisqu'elle 
tend  au  bien  de  l'individu  et  de  la  société  tout  entière. 

On  a  objecté  encore  que  nos  scolastiques  n'étaient  pas  reli- 
gieux. C'est  une  erreur,  car  le  scolastique  se  donne  totalement 
et  perpétuellement  à  Dieu,  par  les  trois  vœux  substantiels,  dans 
une  religion  approuvée  et  suivant  la  forme  autorisée  par  l'Église  : 
il  a  donc  tout  ce  qui  constitue  essentiellement  l'état  religieux.  Il 
appartient  si  bien  à  la  Compagnie,  que  celle-ci  acquiert  sur  lui 
des  droits  qu'elle  ne  peut  avoir  que  sur  ses  membres.  Les  Souve- 
rains Pontifes  n'ont  jamais  fait  à  cette  constitution  la  moindre 
difficulté,  et  Grégoire  XIII,  par  deux  Bulles'1,  a  tranché  définiti- 
vement la  question.  Il  la  traite  à  fond  dans  la  Bulle  Ascendente 
Domino  et  conclut  ainsi  :  «  Nous  déclarons  que  les  scolastiques 
et  autres  qui,  après  le  noviciat,  émettent  les  trois  vœux  substan- 
tiels quoique  simples,  sont  vraiment  et  proprement  religieux, 
doivent  être  regardés  comme  tels  par  tous  et  toujours,  absolument 
comme  les  profès"'  de  cette  Société  et  des  autres  Ordres,  doivent 
obéira  leurs  supérieurs  en  toutes  choses  et  dépendre  immédiate- 
ment du  Saint-Siège...;  enfin  qu'ils  sont  participants  à  tous  les 
privilèges  de  la  Compagnie,  et  passibles  de  l'excommunication 
majeure  et  autres  peines  réservées  aux  apostats,  s'ils  viennent 
d'eux-mêmes  à  l'abandonner.  » 

Nous  signalerons  en  dernier  lieu,  parmi  les  constitutions  de  la 
Compagnie  de  Jésus  qui  furent  particulièrement  critiquées,  celle 
qui  regarde  son  mode  de  gouvernement.  La  suppression  du  sys- 

1.  Ibid.,  n.  4.  5. 

'>.   «  Quantum  praepositus  generalis  eos  in  Societate  retinendos  consuerit  »  (Bulle 
Ascendente  Domino). 
3.  Suarez,  l.c,  cap.  i,  n.  6;  cap.  n,  passim. 

î.  Quanto  fniclnosius,  1er  fév.  1583;  —  Ascendente  Domino,  25  mai  158». 
5.  «  Non  secus  atque  ipsos  professos.  » 


LES  CONSTITUTIOiNS.  12:; 

tème  capitulairc,  la  nomination  des  provinciaux  et  supérieurs 
locaux  par  le  Général,  la  décision  dernière  prise  par  lui  seul 
dans  les  affaires  importantes,  par  les  provinciaux  ou  autres  supé- 
rieurs dans  les  affaires  de  leur  ressort,  tirent  crier  au  despotisme  : 
on  y  vit  la  porte  ouverte  à  des  abus  insupportables.  Nous  avons 
déjà  exposé  comment  le  fondateur  avait  justement  fermé  cette 
porte,  par  le  système  d'assemblées  consultatives  et  la  surveillance 
exercée  sur  les  supérieurs,  dont  le  Général  seul  est  nommé  à  vie. 
Il  n'y  a  pas  d'exemple,  dans  notre  histoire,  que  la  Compagnie  ait 
jamais  eu  à  se  repentir  du  gouvernement  établi  par  saint  Ignace. 
On  y  a  trouvé  au  contraire  de  nombreux  avantages-.  Il  est  d'ail- 
leurs assez  semblable  à  celui  de  la  sainte  Église  où  le  Pape  a  l'au- 
torité suprême. 

Et,  comme  dans  l'Église  la  soumission  au  Saint-Siège  est  la 
vertu  propre  du  catholique,  celle  qui  l'unit  le  plus  de  cœur  et 
d'esprit  à  la  chaire  de  Pierre,  de  même  l'obéissance,  —  Ignace 
lui-même  le  déclare,  —  est  «  la  marque  qui  distingue  les  vrais 
et  légitimes  enfants  de  la  Compagnie  de  ceux  qui  ne  le  sont  pas  ». 
Et  il  ajoute  :  «  Souffrons,  j'y  consens,  que  d'autres  Ordres  religieux 
nous  surpassent  en  jeûnes,  en  veilles  et  autres  austérités  du  corps 
que  chacun  d'eux  pratique  saintement  selon  l'esprit  de  sa  règle  ; 
mais  pour  ce  qui  regarde  la  perfection  de  l'obéissance,  le  renon- 
cement entier  à  la  volonté  et  au  jugement  propre,  je  désire  vive- 
ment que  tous  ceux  qui  servent  le  Seigneur  notre  Dieu,  dans  cette 
Compagnie,  ne  le  cèdent  à  qui  que  ce  soit1.  » 

Chef  pratique  et  énergique,  Ignace  avait  reconnu  l'importance 
de  cette  vertu  en  elle-même,  et  aussi  son  importance  relativement 
à  la  fin  et  à  la  forme  de  sa  Compagnie  de  soldats  au  service  de 
Dieu.  En  elle-même,  elle  suppose  l'abnégation  totale,  la  parfaite 
victoire  sur  soi,  dernier  mot  des  Exercices  spirituels  :  «  L'obéis- 
sance seule,  dit  Ignace  d'après  saint  Grégoire,  produit  et  entre- 
tient les  autres  vertus  dans  nos  cœurs...  Si  elle  fleurit  en  nous, 
les  autres  y  fleuriront  infailliblement  et  y  produiront  des  fruits 
tels  que  le  demande  avec  justice  Celui  qui  s'est  fait  obéissant 
jusqu'à  la  mort  et  à  la  mort  de  la  croix  4.  »  Par  rapport  au  rôle 
d'une  Compagnie  consacrée  à  l'œuvre  de  la  plus  grande  gloire  de 
Dieu,  elle  est  la  vertu  fondamentale,  celle  qui  permet  au  Vicaire 

1.  Institut.  S.  ./.,  t.  I,  p.  94. 

2.  Ces  avantages  sont  exposés  dans  Suarez,  op.  cit..  1   X,  c.  ni. 

3.  Lettre  aux  Pères  du  Portugal,  26  mars  1553  (Mon.  Ign.,  ser.  1,  vol.  IV,  p.  069 
et  suiv.).  —  4.  Ibid. 


126  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

de  Jésus-Christ  de  compter  sur  le  dévouement  de  tout  l'Ordre,  et 
au  Général  de  prendre,  n'importe  où  et  n'importe  quand,  les 
soldats  les  plus  capables  de  remplir  la  mission  que  le  Souverain 
Pontife  aura  désignée,  cette  mission  demanderait-elle  le  sacrifice 
de  leur  vie  pour  le  triomphe  de  la  foi. 


LIVRE  II 

L'ÉTABLISSEMENT  EN  FRANCE 

(1540-1564) 


CHAPITRE  PREMIER 

LE    COLLÈGE    DES    TRÉSORIERS    ET    LE    COLLÈGE    DES    LOMBARDS. 

(1540-1549). 


Sommaire  :  1.  Projets  d'Ignace.  Envoi  d'une  colonie  d'étudiants  de  la  Com- 
pagnie au  collège  des  Trésoriers,  sous  la  conduite  du  P.  d'Eguia.  —  2.  Jérôme 
Domenech  supérieur.  Vocation  de  Jacques  Miron.  de  Paul  d'Achille  et  de  Fran- 
çois Strada.  —  3.  Transfert  au  collège  des  Lombards.  Directions  données  aux 
étudiants;  leurs  progrès.  —  4.  Nouveaux  venus  :  Jean-Baptiste  Viola,  Emilien 
de  Loyola,  Pierre  Ribadeneira.  —  5.  Visite  de  Paschase  Broet  et  de'Salmeron. 

—  6.  Edit  de  François  F1'.  Départ  d'un  groupe  d'étudiants  pour  la  Belgique 
avec  Jérôme  Domenech.  —  7.  Paul  d'Achille  reste  supérieur  à  Paris.  Obéis- 
sance des  jeunes  religieux.  Ministères  spirituels  et  leurs  fruits.  —  8.  Le 
P.  d'Achille  obligé  de  quitter  Paris  avec  sa  communauté.  Vocation  d'Emma- 
nuel Miona.  Court  passage  de  Guillaume  Posteldans  la  Compagnie.  —  9.  Retour 
des  étudiants  à  Paris.  Le  P.  Viola  leur  supérieur;  rénovation  des  vœux  à 
Montmartre. 

Sources  manuscrites  :  I.  Archives  va ti canes,  manuscrits  latins,  t.  VIII. 

II.  Bibliothèque  nationale,  ms.  lat.  8,585. 

III.  Bibliothèque  d'Académie  royale  à  Madrid,  mss.  Pap.  var.,  t.  CIL 

IV.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a  Brevia  et  rescripta.  —  b)  Dé- 
créta et  Instructiones.  —  c)  Ribadeneira  :  Dialogos;  Soliloquto  y  conl'esiones.  —  d)  Po- 
lanco  :  Sumario  de  las  cosas  mas  notables  que  ;i  la  institucion  y  progreso  de  la  Com- 
pafiia  di  Jésus  tocan. 

Sources  imprimées  :  Calendur  of  state  papers,  Henry  VIII,  t.  XVII.  —  Cartas  de  San 
Ignacio  de  Loyola.  —  Carias  y  ostros  escrilos  del  B.  P.  Fabro.  —  Institution  S.  J.  — 
Memoriale  B.  P.  Fabri.  —  Manare,  De  rébus  S.  J.  commentarius.  —  Du  Boulay, 
Hist.   univers.  Paris.  —  Hansen,  Rheinische  akten  zur  Geschichlé  des  Jesui ténor dens. 

—  Hogan.  Ibernia  Ignatiana.  —  Ribadeneira,  Vida  del  P.  Ignacio.  La  vie  et  la  mort 
du  P.  Salmeron.  —  Carayon,  Documents  inédits,  t.  I.  Commencements  de  la  Compagnie 
de  Jésus.  —  Prat,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  du  P.  Broet.  —  Monument a  bistorh  v 
Soc.  Jesu.  Chronicon  8.  J.  —  Epistolae  PP.  Broeli  etc..  —  Lit  ter ae  quadrimestres.  — 
Monumenta  Ignatiana  .Epistolae  et  instructiones;  Scripta  de  S.  Ignalio.  —  Monument'' 
Xaveriana. 

1.  Ignace  de  Loyola  concevra  un  jour  le   projet  de  fonder, 
uniquement  pour  les  candidats  à  la  Compagnie  de  Jésus,  deux 


128  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

grands  collèges,  l'un  à  Rome  et  l'autre  à  Paris  '.  Mais,  dans  les 
débuts,  il  lui  fallut  envoyer  ses  jeunes  religieux  aux  écoles  alors 
existantes.  Dès  le  printemps  de  1540,  arrivèrent  dans  la  capitale 
de  la  France,  sous  la  conduite  du  Père  Jacques  d'Eguia,  tout  un 
groupe  de  jeunes  gens,  admis  aux  premières  épreuves  de  l'Ins- 
titut sans  avoir  encore  achevé  leurs  études.  Ignace  les  confiait 
à  la  florissante  Université,  où  lui-même  et  ses  premiers  compa- 
gnons avaient  conquis  leurs  grades  académiques.  Jacques  d'Eguia, 
leur  supérieur,  avait  été  son  condisciple  à  celle  d'Alcala;  tous 
deux  s'étaient  retrouvés  à  Venise,  et  Jacques  avait  lié  son  sort  à 
celui  de  la  petite  société  naissante.  Homme  de  talent,  d'une  par- 
faite innocence  de  vie  et  d'une  profonde  humilité,  il  était  digne 
de  présider  à  la  formation  religieuse  et  scientifique  des  premiers 
étudiants  de  la  Compagnie  de  Jésus2. 

Nous  ne  connaissons  pas  le  nombre  exact  ni  tous  les  noms  de 
ceux-ci.  Nous  savons  seulement  qu'ils  furent  admis,  comme  bour- 
siers ou  portionisles,  au  collège  des  Trésoriers3.  Ils  étaient  les 
modèles  de  leurs  camarades.  Les  jours  de  congé,  on  ne  les  voyait 
point  au  Pré-aux-Clercs  ni  à  d'autres  réunions  bruyantes.  Ils 
préféraient  employer  leurs  loisirs  à  divers  exercices  de  zèle, 
surtout  auprès  des  autres  écoliers.  Par  leurs  entretiens  et  leurs 
vertueux  exemples,  ils  en  amenèrent  plusieurs  à  se  confesser  et 
à  communier  tous  les  huit  jours.  A  l'église  des  Chartreux,  où 
ils  allaient  faire  leurs  dévotions,  on  voyait,  rivalisant  de  piété 
avec  eux,  les  condisciples  qu'ils  avaient  convertis  à  la  ferveur4. 

•2.  Au  mois  de  novembre  15i0,  la  petite  communauté  du  col- 
lège des  Trésoriers  s'accrut  par  l'arrivée  d'un  jeune  prêtre,  le 
P.  Domenech,  qui  venait  de  Rome  amenant  avec  lui  quelques 
postulants.  Ancien  élève  de  l'Université  de  Paris,  Jérôme  Dome- 
nech y  avait  connu  Ignace  et  ses  compagnons.  Revenu  en  Espa- 
gne, sa  patrie,  il  y  reçut  le  sacerdoce  et  fut  pourvu  d'un  canoni- 
cat.  Peu  après,  songeant  à  retourner  en  France  pour  y  compléter 
ses  études  interrompues,  il  voulut  d'abord  visiter  Rome  et  la 
haute  Italie.  La  Providence  lui  fit  rencontrer,  à  Parme,  Pierre  Le 


1.  Lettre  du  P.  Ponce  Cogordan  au  P.  Mercurian,  citée  par  J.-M.  Prat,  Maldo- 
nat  et  l'Université  de  Paris,  p.  22,  note  2. 

2.  Chronicon,  I,  p.  85.  Monumenta  lgnat.,  ser.  4\  I,  p.  114,  141. 

3.  Epist.  mixt.,  t.  I,  p.  58.  Comm.  de  la  Compagnie,  p.  4.  Ce  collège,  qu'on 
appela  d'abord  du  Trésorier,  avait  été  fondé  en  1269  par  Guillaume  de  Saône, 
trésorier  de  l'église  de  Rouen,  pour  2i  écoliers  pauvres. 

4.  Chronicon,  p.  85,  86. 


LE  COLLÈGE  DES  TRÉSORIERS.  129 

Fèvre  occupé  avec  Jacques  Lainez  à  évangéliser  cette  ville.  Sur 
leur  conseil  il  résolut  de  se  retremper  dans  les  Exercices  spiri- 
tuels, et  pendant  une  fervente  retraite,  sous  la  direction  de  Pierre 
Le  Fèvre,  il  se  sentit  appelé  par  la  grâce  de  Dieu  à  marcher 
sur  les  traces  de  ses  deux  amis.  Renonçant  alors  à  continuer  sou 
voyage,  il  prit  part  avec  eux  aux  travaux  de  la  mission;  puis  il 
se  rendit  à  Rome  auprès  d'Ignace  de  Loyola.  «  Notre  Père, 
raconte  Ribadeneira  qui  fit  alors  la  connaissance  de  Jérôme 
Domenech,  lui  témoigna  une  grande  estime  et  une  tendre  affec- 
tion à  cause  de  la  générosité  dont  il  avait  fait  preuve,  en  sacri- 
fiant ses  espérances  d'avenir  à  une  société  religieuse  sans  passé, 
sans  réputation,  qui  n'était  pas  encore  confirmée  solennellement 
parle  Saint-Siège1.  »  La  considération  de  sa  haute  vertu  déter- 
mina le  fondateur  de  la  Compagnie  à  l'envoyer  à  Paris,  pour 
servir  d'auxiliaire  au  P.  d'Eguia  qu'il  remplaça  au  mois  de  mars 
15412. 

Tout  animé  de  l'esprit  du  nouvel  Institut,  Domenech  se  donnait 
sans  repos  à  la  régénération  spirituelle  des  âmes  par  le  moyen 
des  Exercices.  Non  seulement  son  zèle  les  rapprochait  de  Dieu, 
il  attirait  aussi  à  la  petite  société  d'Ignace  des  amis,  des  protec- 
teurs et  des  recrues.  C'est  ainsi  qu'il  gagna  l'atfection  de  Fran- 
çois Le  Picart,  docteur  en  théologie,  «  très  homme  de  bien  »,  que 
ses  infirmités  seules  empêchèrent  d'entrer  au  noviciat,  et  celle 
de  Maître  Cornet,  cordelier,  «  grand  prédicateur  de  ce  temps- 
là  3  »,  qui  plus  tard,  en  diverses  circonstances,  prit  ouvertement 
la  défense  des  Jésuites.  Plusieurs  élèves  de  l'Université,  après 
une  retraite  sous  la  conduite  du  P.  Domenech,  sollicitèrent  et 
obtinrent  leur  admission  dans  la  Compagnie.  Dans  le  nombre 
nous  mentionnerons  Jacques  Miron,  qui  devait  être  un  jour  supé- 
rieur en  Portugal  et  visiteur  de  plusieurs  provinces.  D'une  noble 
maison  de  Valence,  unique  héritier  d'une  belle  fortune,  très 
versé  dans  les  lettres  latines  et  grecques,  il  était  un  étudiant 
des  plus  distingués  et  des  plus  vertueux.  Venu  à  Paris  pour  y 
suivre  les  cours  de  philosophie,  il  avait  connu  Domenech  pen- 
dant le  premier  séjour  de  celui-ci  dans  cette  ville.  A  présent, 
retrouvant  son  ami  transformé  par  la  grâce  de  la  vocation,  il  ne 
vit  plus  en  lui  qu!un  modèle  et  un  maitre;  il  lui  livra  les  secrets 
de  son  âme  et  se  décida  bientôt  à  embrasser  la  même  règle  de 

1.  Lettre  au  P.  Boldo  (Mss.  de  la  Bibl.  d'Acad.  de  Madrid,  Pap.  var.,  1-102,  n.  56). 

2.  Le  P.  d'Eguia,  rappelé  à  Rome,  devint  plus  tard  confesseur  de  saint  Ignace 

3.  Chronicon,  I,  94.  Episl.  mixt.,  I,  69. 

COMPAGNIE    DE   JÉSUS.  —   T.    I.  9 


130  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

vie.  Admis  à  la  partager  avec  les  jeunes  religieux  du  collège 
des  Trésoriers,  il  se  fit  remarquer  par  sa  fidélité  à  Dieu,  sa  charité 
pour  les  âmes  et  son  adresse  à  les  remettre  sur  la  voie  du  salut. 
Bien  qu'il  ne  fût  pas  encore  revêtu  du  sacerdoce,  il  entreprit  la 
conversion  d'un  malheureux  prêtre  dévoyé,  d'abord  célèbre 
par  quelques  prédications  retentissantes,  puis  tombé  dans  une 
honteuse  apostasie;  il  parvint  à  ranimer  la  foi  de  ce  pauvre  pé- 
cheur, que  l'on  vit  ensuite  réparer  ses  scandales  par  l'austérité 
de  sa  pénitence  l. 

Parmi  les  jeunes  gens,  prémices  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
qui  se  trouvaient  à  Paris  en  1541,  on  comptait,  avec  Jacques 
Miron,  un  autre  espagnol,  François  de  Rojas;  trois  français, 
Ponce  Cogordan  ',  Jean  Pelletier  et  Guy  Roillet;  plusieurs  italiens 
parmi  lesquels  se  distinguait  Paul  d'Achille  3.  jeune  prêtre  du 
diocèse  de  Parme.  Il  avait  d'abord  partagé  bénévolement  les 
travaux  de  Le  Fèvre  et  de  Lainez  auprès  du  peuple  de  sa  ville 
natale;  épris  de  leur  genre  d'apostolat,  il  partit  pour  Rome  et  se 
présenta  au  Père  Ignace  qui  le  garda  quelque  temps  près  de  lui, 
le  formant  à  la  vie  religieuse,  puis  l'envoya  terminer  ses  études 
en  France. 

C'était,  en  effet,  le  saint  fondateur  lui-même,  qui  désignait  à 
chacun  des  nouveaux  venus  le  lieu  qu'il  jugeait  le  plus  propre 
à  leurs  progrès  intellectuels.  Vers  le  mois  de  mars  1541,  il  con- 
fiait encore  au  P.  Domenech  deux  espagnols,  les  frères  François 
et  Antoine  Strada  4.  Le  premier  était  destiné  de  Dieu  à  devenir 
un  éloquent  prédicateur  que  l'Italie,  la  Flandre,  l'Espagne  et  le 
Portugal  devaient  admirer  tour  à  tour.  Entré,  après  de  brillantes 
études,  au  service  du  cardinal  Caraffa,  le  futur  pape  Paul  IV, 
il  ne  rêvait  que  fortune  et  gloire.  Une  vie  relativement  tranquille 
ne  pouvant  convenir  à  son  ardente  nature,  il  aspira  bientôt  à 
une  carrière  plus  mouvementée.  Il  se  rendait  à  Naples  pour 
embrasser  le  métier  des  armes,  quand  il  rencontra  Ignace  re- 
venant du  Mont-Cassin  avec  Ortiz,  agent  de  Charles- Quint  à 
Rome.  En  homme  désenchanté  qui  éprouve  le  besoin  de  s'épan- 
cher dans  le  cœur  d'un  confident,  Strada  lui  conta  ses  mésaven- 
tures et  ses  projets.  A  la  fin  de  cet  entretien  le  jeune  ambitieux 

1.  Chronicon,  I,  94.  Epist.  mut.,  I,  56,  57,  60. 

2.  Ponce  Cogordan  était  natif  de  la  Provence. 

3.  On  le  trouve  encore  appelé  Achilli,  ou  en  latin  de  Achillis.  La  vraie  forme  de 
son  nom  est  d'Achille  ou  simplement  Achille.  C'est  ainsi  que  lui-même  signe  ses 
lettres,  et  les  auteurs  italiens,  comme  Allierli  et  Boero,  ne  l'ont  jamais  appelé  au- 
trement. —  4.  Chronicon,  I,  86.  Epist.  mioct.,  I,  52,  57,  59. 


LE  COLLÈGE  DES  LOMBARDS.  ni 

consentit,  avant  de  tenter  une  nouvelle  carrière,  à  examiner  dans 
la  solitude  quelle  était  sur  lui  la  volonté  de  Dieu.  Il  découvrit 
alors  que  sa  place  était  dans  la  Compagnie  de  Jésus.  Il  y  fut 
reçu,  et  tout  de  suite  montra,  en  plusieurs  occasions,  un  rare  ta- 
lent d'orateur.  Toutefois,  ses  dons  de  nature  avaient  besoin  d'être 
soutenus  par  la  profondeur  de  la  doctrine  et  la  vigueur  du  rai- 
sonnement. Ignace  ne  vit  rien  de  mieux,  pour  parfaire  son  élo- 
quence, que  les  cours  de  celte  Université  dont  il  avait  lui-même 
apprécié  les  savants  professeurs;  il  l'envoya,  avec  son  frère  An- 
toine, à  Paris. 

3.  L'habitation  au  collège  des  Trésoriers  étant  alors  devenue 
insuffisante,  le  P.  Domenech  s'occupa  de  chercher  un  local  plus 
commode.  Son  choix  se  fixa  sur  le  collège  des  Lombards.  Fondé 
par  le  descendant  d'une  noble  famille  florentine,  André  Ghini, 
évêque  d'Arras  et  de  Tournai,  plus  tard  cardinal,  ce  collège 
avait  été  appelé  dans  l'acte  de  fondation,  en  1330,  maison  des 
pauvres  italiens  de  la  Charité  de  la  Vierge  Marie  ~.  Plusieurs 
membres  de  la  communauté  du  P.  Domenech  pouvaient  préten- 
dre, en  leur  qualité  d'italiens  de  naissance  ou  d'origine,  aux 
bourses  dont  jouissait  cet  établissement.  Le  P.  Supérieur  fit  va- 
loir leurs  titres  et  obtint  à  chacun  d'eux  le  logement  et  quelques 
secours  pour  leur  entretien 3.  Comme  Ignace  de  Loyola  et  Pierre 
Le  Fèvre  avaient  autrefois  partagé  le  logis  de  François  Xavier 
dans  la  tourelle  de  Sainte-Barbe,  ainsi,  dit  un  vieil  historien. 
«  les  pauvres  escoliers  italiens  tenoient  nos  autres  frères  en  leurs 
chambres  comme  pensionnaires,  sans  donner  à  connaître  aux 
autres  dudit  collège  qu'ils  fussent  religieux'1  ».  Malgré  de  nom- 
breux inconvénients,  cette  maison  présentait  de  réels  avantages 
à  des  jeunes  gens  désireux  de  faire  de  rapides  progrès  dans  la 
science  et  la  sainteté.  Le  collège  des  Lombards,  un  des  plus  ré- 
guliers de  l'Université,  était  de  plein  exercice.  De  plus,  des 
maîtres  célèbres  y  donnaient  souvent  des  leçons  sur  les  matières 
spéciales  où  ils  excellaient.  Angelo  Canini  et  Guillaume  Postel, 
deux  des  plus  savants  hébraïsants  de  ce  temps,  y  attiraient  à 
leurs  cours  particuliers  bon  nombre  d'auditeurs  d'élite.  Les  étu- 
diants de  la  Compagnie  se  trouvaient  donc  là  dans  une  situation 

1.  Polanco  :  Sumario  de  las  cosas...  Epist.  mixl.,  I,  59. 

2.  Domus  pauperum  scholarium  italorum  de  caritate  Beatae  Mariae.  (Voir  :  Crevier, 
Ilist.  de  l'Université  de  Paris.) 

3.  Leltre  du  P.  Domenech  à  Ignace.  Epist.  mixt.,  I,  74.  Cf.  Chronicon,  t.  I,  p.  417. 

4.  Commencements  de  la  Compagnie  (Carayon,  Doc.  inéd.,  t.  I,  p.  5,  6). 


132  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

favorable  pour  élargir  le  cercle  de  leurs  connaissances,  et  se  li- 
vrer avec  plus  de  profit  à  tous  les  exercices  de  la  vie  scolaire 
et  ascétique  l. 

De  loin,  les  premiers  compagnons  d'Ignace,  anciens  élèves  de 
l'Université  de  Paris,  suivaient  avec  plaisir  les  progrès  de  leurs 
jeunes  frères.  Le  P.  Domenech ,  resté  en  relations  avec  Pierre 
Le  Fèvre  auquel  il  devait  le  bienfait  de  sa  vocation,  l'avait  in- 
téressé tout  particulièrement  aux  affaires  de  sa  communauté.  Le 
Fèvre,  en  retour,  lui  envoyait  des  encouragements  et  des  conseils. 
Ceux  que  nous  lisons  dans  une  réponse,  datée  de  Ratisbonne  le 
12  mai  1541,  révèlent  la  haute  et  sage  direction  donnée  aux 
premiers  étudiants  de  la  Compagnie.  S'adressant  à  la  fois  au  su- 
périeur et  à  ses  subordonnés,  le  fervent  religieux  leur  disait  : 
«  Que  Jésus-Christ  notre  Rédempteur  vous  accorde  à  tous  une 
grâce  abondante,  afin  que  vous  puissiez,  sans  dévier  de  votre 
intention,  diriger  vos  études  vers  le  but  que  vous  vous  êtes  pro- 
posé, et  jouir  dans  le  Seigneur  du  triomphe  que  vous  rempor- 
terez, si  l'esprit  de  la  science  n'éteint  pas  en  vous  l'esprit  des 
saintes  pensées.  Ce  désir,  qui  est  le  mien  et  celui  de  toute  la 
Compagnie,  s'accomplira  facilement  avec  la  grâce  du  Seigneur, 
pourvu  que  le  Maître  suprême  des  connaissances  soit  toujours 
votre  Répétiteur  :  je  veux  dire  l'Esprit-Saint,  en  qui  tout  ce  que 
l'on  sait  se  sait  bien,  et  sans  lequel  tout  ce  que  l'on  sait  n'est  pas 
connu  comme  on  devrait  le  connailre.  Les  paroles  même  tombées 
de  la  bouche  du  Christ,  le  Maître  par  excellence,  ont  besoin  des 
explications  de  ce  Répétiteur,  selon  cette  sentence  :  Spirilus  Sanc- 
tus  suggeret  vobis  omnia  qusecumque  dixero  vobis2.  Il  ne  dit  pas 
seulement  suggeret,  mais  encore  et  premièrement  docebit.  Si 
donc  le  Christ,  notre  Maître  et  notre  lumière,  veut  que  nous  re- 
courions au  Saint-Esprit,  non  seulement  pour  la  direction  de  la 
volonté,  mais  aussi  pour  l'instruction  de  l'intelligence,  combien 
sera-t-il  plus  nécessaire  d'y  recourir,  pour  comprendre  les  le- 
çons dictées  par  des  maîtres  inférieurs3?  » 

A  ces  instructions  touchant  la  manière  de  sanctifier  les  études, 
le  P.  Le  Fèvre  ajoute  quelques  détails  sur  les  difficultés  qu'il  ren- 
contrait en  Allemagne,  sur  l'état  des  esprits  trompés  par  l'héré- 
sie, sur  le  retour  d'un  grand  nombre  d'égarés  à  la  véritable 
Eglise,  et  il  en  prend  occasion  d'exciter  ses  jeunes  confrères  au 

1.  Epist.  mixt.,  I,  p.  75,  79-84,  86;  V.  p.  628. 

2.  Sic  dans  le  texte  du  B*  Le  Fèvre.  Cf.  Évang.  de  Saint  Jean,  xiv,  26. 

3.  Carias  del  B.  Fabro,  p.  84. 


LE  COLLEGE  DES  LOMBARDS.  133 

zèle  des  âmes  et  à  la  pratique  de  la  perfection  :  «  Exhortez  donc, 
leur  dit-il,  les  savants  de  Paris  à  se  bien  pénétrer  de  l'esprit  qui 
vivifie  la  science,  en  menant  une  vie  tout  â  fait  dévouée  au  Christ  ; 
car  c'est  le  seul  moyen  de  persuader  la  foi  à  ceux  qui  l'ont  aban- 
donnée. » 

L'intérêt  que  Pierre  Le  Fèvre  portait  aux  étudiants  du  collège 
des  Lombards  ne  se  bornait  pas  à  leur  donner  des  conseils;  il 
le  manifestait  encore  par  les  secours  pécuniaires  qu'il  s'efforçait 
de  leur  procurer.  La  charité  du  P.  Domenech  n'était  pas  moins 
attentive  à  subvenir  aux  dépenses  de  sa  famille  religieuse.  Des 
bienfaiteurs  généreux,  avec  lesquels  il  avait  conservé  quelques 
relations,  lui  adressaient  d'Espagne  des  aumônes,  modestes  mais 
suffisantes.  D'ailleurs  Ignace  lui-même,  instruit  par  l'expérience 
de  son  séjour  à  Paris,  veillait  avec  une  sollicitude  paternelle  sur 
tous  leurs  besoins;  il  voulait  qu'ils  fussent  à  l'abri  des  soucis 
matériels,  afin  de  pouvoir  se  livrer  à  l'étude  sans  s'inquiéter  du 
lendemain. 

k.  Informé  par  le  P.  Domenech  de  leurs  progrès  et  de  leurs 
vertus,  il  résolut  d'envoyer  au  collège  des  Lombards  de  nouveaux 
postulants,  dont  il  avait  commencé  à  Rome  la  formation  spirituelle. 
Au  mois  d'octobre  1541,  peu  de  temps  après  l'ouverture  des  cours, 
arrivèrent  André  Oviédo  et  Jean-Baptiste  Viola,  «  l'un  déjà  maî- 
tre es  arts  en  l'Université  d'Alcala,  l'autre  possédant  assez  bien  la 
langue  latine1  ».  Ils  remplacèrent  Jacques  Miron,  François  de 
Rojas  et  Ponce  Cogordan,  destinés  à  fonder,  sous  la  direction  de 
Simon  Rodriguez,  le  collège  de  Coïmbre,  que  Jean  III,  roi  de  Por- 
tugal, voulait  ouvrir  à  la  Compagnie.  Oviédo  devait  être  un  jour 
le  coadjuteur  et  le  successeur  de  Jean  Nuîiez,  premier  patriarche 
d'Ethiopie.  Quant  à  Viola,  qui  accompagnait  Ignace  dans  les  rues 
de  Rome  lorsque  celui-ci  vit  l'âme  de  Codure  monter  au  ciel,  nous 
aurons  l'occasion  d'en  parler  assez  longuement. 

Un  peu  plus  tard,  deux  autres  jeunes  gens,  dont  l'un  était  neveu 
du  fondateur  de  la  Compagnie  de  Jésus,  vinrent  encore  se  joindre 
au  groupe  dirigé  par  le  P.  Domenech.  Dès  1532,  nous  l'avons  vu2, 
Ignace  avait  conseillé  à  son  frère  aine,  Martin,  seigneur  de  Loyola, 
d'envoyer  son  fils  Émilien  à  l'Université  de  Paris.  Cependant  le 
jeune  homme  avait  commencé  ses  études  à  Salamanque,  où  il 
avait  obtenu  de  grands  succès.  A  la  mort  de  Martin,  Ignace  écri- 

1.  Lettre  d'Ignace  à  P.  Le  Fèvre  (Mon.  Ign.,  s.  1,  t.  I,  p.  184). 
'2.  Liv.  [,  ch.  1,  n.  6. 


134  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉS1  S. 

vit,  au  mois  de  septembre  1539,  à  son  neveu  Bertrand  devenu 
chef  de  la  famille  :  «  J'ai  appris  que  votre  frère  Émilien  est  doué 
d'un  excellent  esprit  et  plein  d'ardeur  pour  l'étude.  Je  désirerais 
qu'on  se  préoccupât  sérieusement  de  ses  dispositions.  Si  vous  vou- 
liez m'en  croire,  vous  ne  l'enverriez  pas  autre  part  qu'à  Paris... 
Il  y  a  généralement  parmi  les  étudiants  de  cette  ville  plus  d'hon- 
nêteté et  de  religion  qu'ailleurs.  C'est  pourquoi,  en  ce  qui  me 
concerne,  je  désire  qu'il  fasse  ce  voyage  et  que  vous  obteniez  le 
consentement  de  sa  mère1.  »  Sur  ces  entrefaites,  la  Compagnie  de 
Jésus  fut  solennellement  confirmée  par  le  Saint-Siège.  Le  fonda- 
teur écrivit  alors  d'envoyer  son  neveu  à  Rome  où  il  désirait  exa- 
miner lui-même  sa  vocation2.  Émilien  aurait  volontiers  répondu 
tout  de  suite  au  pressant  appel  de  son  oncle,  mais  il  dut  attendre 
une  année  encore.  Il  partit  enfin,  en  1541,  avec  son  cousin  An- 
toine Araoz.  Tous  deux,  arrivés  à  Rome  vers  le  commencement  de 
septembre,  furent  vite  déterminés  à  entrer  dans  la  Compagnie.  En 
annonçant  cette  grave  décision  à  Bertrand  de  Loyola,  Ignace,  qui 
persistait  dans  sa  première  idée,  le  pria  de  prendre  toutes  les 
mesures  nécessaires  pour  le  séjour  d'Émilien  au  collège  des  Lom- 
bards :  «  Votre  frère,  lui  écrit-il,  partira  de  Rome  avant  l'ouver- 
ture des  cours.  Il  sera  muni  d'un  passe-port  de  l'ambassadeur 
français3,  qui,  très  obligeant,  nous  accorde  toujours  cette  fa- 
veur. Il  serait  bon  qu'à  Pâques,  et  même  avant  son  arrivée,  sa 
provision  fût  déjà  à  Paris,  telle  que  vous  aviez  coutume  de  la  lui 
faire  à  Salamanque  ou  que  vous  la  jugerez  convenable.  Si  l'on 
ne  pourvoit  rapidement  à  leur  entretien,  les  étudiants  ont  bien  à 
souffrir  dans  ce  pays5.  » 

Ignace  attendait  sans  doute  beaucoup  des  études  faites  à  l'Uni- 
versité de  Paris,  puisqu'il  la  choisissait  pour  ses  jeunes  parents  et 
pour  les  religieux  de  grande  espérance.  Il  voulut  procurer  les 
mêmes  avantages  à  son  enfant  de  prédilection,  Pierre  Ribadeneira. 
Né  en  Espagne5,  et  ancien  page  du  cardinal  Alexandre  Farnèse 
auquel  il  avait  été  confié  par  sa  pieuse  mère,  Pierre,  sous  les 
dehors  d'une  vivacité  pétulante  jusqu'à  l'espièglerie,  cachait  les 
ressources  d'une  riche  nature  qui,  bien  dirigée,  serait  capable 

1.  Lettre  à  Beltran  de  Loyola  (Mon.  Ign.,  s.  1,  t.  I,  p.  148,  149). 

2.  Cette  lettre  n'a  pas  été  conservée;  elle  ne  nous  est  connue  que  par  celle  du  4  oc- 
tobre 1540  (Ibirf.,  p.  165-167). 

3.  C'était  alors  François  de  Rohan  de  Gié. 

4.  Lettre  à  Beltran  de  Loyola  {Mon.  Ign.,  s.  1,  t.  I,  p.  189). 

5.  D'après  le  P.  Astrain  {op*  cit.,  p.  206),  Ribadeneira  naquit  à  Tolède  le  1er  no- 
vembre 1526. 


LE  COLLEGE  DES  LOMBARDS.  13Î5 

de  grandes  choses.  Ignace  l'avait  vite  découvert,  et  prit  un  soin 
particulier  de  la  reforme  de  son  caractère  ardent  et  même  indis- 
cipliné. A  pareille  école,  le  jeune  novice  acquit  peu  à  peu  l'in- 
telligence de  la  vie  religieuse.  Si,  au  moment  d'entrer  dans  la 
carrière  des  études,  il  manquait  encore  de  maturité,  sa  vertu  du 
moins  était  assez  généreuse  pour  qu'il  affrontât  sans  crainte,  à 
l'âge  de  quinze  ans  et  demi,  un  pénible  voyage  de  plus  de  trois 
cents  lieues.  Quelques  Pères,  craignant  qu'il  ne  pût  supporter  les 
fatigues  d'un  long  trajet,  avaient  d'abord  songé  à  lui  procurer 
une  modeste  monture.  Lorsqu'ils  en  firent  la  demande  à  Ignace, 
celui-ci  répondit  simplement  :  «  Pierre  fera  ce  voyage  comme  il 
voudra,  je  le  laisse  libre  ;  mais,  s'il  veut  être  mon  fils,  il  le  fera  à 
pied  comme  les  autres.  »  —  «  A  ces  paroles,  dit  Ribadeneira 
dans  ses  Confessions,  je  compris  la  volonté  de  Dieu  :  elles  suffi- 
rent pour  me  déterminer  à  m'exposer  à  toutes  les  fatigues  de  la 
route,  et  à  partir  plein  de  confiance  dans  les  prières  de  notre 
bienheureux  Père  qui  nous  envoyait  au  nom  du  Seigneur1.  » 

Dans  sa  Vie  de  Saint  Ignace,  il  nous  a  décrit  la  manière  de  voya- 
ger des  premiers  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Ce  récit,  que 
nous  reproduisons  dans  le  vieux  langage  d'un  traducteur  du  dix- 
septième  siècle,  nous  apprendra  dans  quelles  conditions  il  fit  lui- 
même  le  trajet  de  Rome  à  Paris  avec  Etienne  Diaz,  son  com- 
pagnon, et  comment  voyageaient  aussi  tous  ceux  qui  étaient 
envoyés  au  collège  des  Lombards.  «  Ils  alloient  tous  à  pied, 
dit-il,  habillés  selon  qu'il  se  rencontroit,  car  la  Compagnie  n'u- 
soit  point  encore  de  robe  aucune,  laquelle  fût  commune  à  tous; 
bien  étoient  d'ordinaire  leurs  accoutrements  semblables  en  ce 
qu'ils  étoient  tous  fort  pauvres  et  usés.  Ils  vivoient  d'aumônes, 
logeoient  aux  hôpitaux  quand  ils  en  pouvoient  trouver.  Que  s'il 
advenoit  qu'ils  ne  trouvassent  ni  hôpital  pour  s'abriter,  ni  aumône 
pour  vivre,  lors  il  leur  étoit  permis  de  se  servir  de  quelque  peu 
d'argent,  qu'ils  portoient  expressément  pour  s'en  servir  en  sem- 
blables nécessités  et  non  autrement...  Ils  ne  manquoient  jamais 
de  prier  Dieu  à  l'entrée  et  sortie  des  hôpitaux  et  autres  logements 
où  ils  alloient  s'héberger.  Ceux  qui  n'étoient  pas  prêtres  se  com- 
munioient  tous  les  dimanches,  et  quelquefois  plus  souvent.  Ils 
s'entretenoient  en  une  grande  paix  et  union  par  ensemble,  tou- 
jours joyeux  et  allègres,  voire  parmi  leurs  plus  grands  travaux, 
si  affectionnés  ils  étoient  à  endurer  quelque  chose  pour  l'amour 
de  Dieu.  Ils  avoient  expresse  ordonnance  du  Père  de  modérer 

1.  Soliloquio  y  confesiones. 


130  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

leurs  journées  en  telle  façon  que  le  plus  faible  de  tous  marchât 
toujours  le  premier  et  donnât  la  loi  de  cheminer  aux  autres...  Le 
Père  avoit  aussi  ordonné  que,  si  quelqu'un  tomboit  malade  durant 
le  voyage,  ses  compagnons  demeurassent  tous  pour  quelques  jours 
auprès  de  lui;  mais  si  le  mal  alloit  à  la  longue,  que  lors,  celui 
d'entre  eux  lequel  seroit  jugé  le  plus  propre  pour  le  gouverner, 
demeurât  avec  lui,  et  que  cependant  les  autres  passassent  outre 
et  continuassent  leur  chemin1.  » 

Partis  de  Rome  le  13  avril  1542,  Etienne  Diaz  et  Pierre  Riba- 
deneira  parvinrent  au  terme  de  leur  voyage  au  bout  de  deux 
mois,  après  des  haltes  multiples,  nécessaires  pour  réparer  les 
forces  du  plus  jeune.  Leur  arrivée  au  collège  des  Lombards  por- 
tait à  seize  le  nombre  des  étudiants  de  la  Compagnie  qui  suivaient 
les  cours  de  l'Université.  Parmi  eux  se  trouvaient  sept  espagnols 
et  un  flamand;  les  autres  étaient  italiens  ou  portugais2.  Tous, 
fidèles  aux  instructions  du  P.  Général  si  bien  secondé  par  le 
P.  Domenech,  rivalisaient  de  ferveur  dans  la  piété  et  d'application 
au  travail.  Par  leur  conduite  édifiante  et  leurs  succès  scolaires  ils 
gagnaient  l'estime  de  tous,  maîtres  et  camarades.  Cependant, 
Etienne  Diaz,  d'un  caractère  un  peu  morose,  ne  persévéra  pas 
dans  sa  vocation;  il  quitta  la  vie  religieuse,  embrassa  l'état  mili- 
taire, et  mourut  d'une  blessure  reçue  dans  un  duel  avec  un  de 
ses  compagnons  d'armes  !. 

5.  Dans  le  courant  de  l'année  154*2,  la  petite  colonie  du  collège 
des  Lombards  reçut  la  visite  inattendue  des  PP.  Paschase  Rroet 
et  Alphonse  Salmeron,  deux  des  premiers  disciples  d'Ignace.  Ils 
revenaient  d'Irlande,  où  ils  avaient  été  envoyés  en  qualité  de 
nonces  apostoliques,  dans  les  difficiles  circonstances  créées  à  ce 
pays  par  la  rupture  de  Henri  VIII  avec  le  Saint-Siège.  On  sait  que, 
devenus  vassaux  de  l'Angleterre,  les  catholiques  Irlandais  s'obs- 
tinaient à  ne  pas  renier  la  religion  de  leurs  pères.  Le  roi  apos- 
tat, qui  s'était  enorgueilli  du  titre  de  Défendeur  de  la  foi,  sévis- 
sait contre  la  nation  la  plus  fidèle  à  Dieu  avec  une  implacable 
rigueur.  L'archevêque  d'Armagh,  Robert  Waucop,  vint  à  Rome 
plaider  la  cause  de  son  peuple  et  exposer  l'excès  de  ses  souffran- 
ces. Ému  au  récit  de  tant  de  malheurs,  Paul  III  résolut  de  soute- 


1.  La  vie  du  P.  Ignace  de  Loyola  (Arras,  1607),  1.  III,  c.  v. 

2.  Lettre  de  Ribadeneira  au  P.  Boldo  sur  la  mort  de  Domenech,  6  février  1593 
(Mss.  de  la  Bibl.  d'Acad.  Madrid,  t.  Cil,  n.  56). 

3.  Ribadeneira,  Dialogos,  I,  exemplo  5. 


LE  COLLÈGE  MRS  LOMBARDS.  137 

nir  de  son  autorité  les  catholiques  persévérants,  ei  de  «oui  battre 
l'hérésie  triomphante.  Salmcron  et  Broet,  munis  des  lettres  du 
Souverain  Pontife  l  et  des  lettres  privées  d'Ignace,  partiront  de 
Rome  le  13  septembre  1541,  accompagnés  de  François  Zapata, 
notaire  apostolique,  qui  était  sur  le  point  d'entrer  dans  la  Com- 
pagnie. Ils  traversèrent  la  France  pour  se  rendre  d'abord  auprès 
de  Jacques  V  en  Ecosse,  et  de  là  passèrent  en  Irlande,  où,  pen- 
dant deux  mois,  ils  furent  exposés  à  toutes  sortes  de  périls2.  Le 
Pape  ayant  appris  que  leurs  têtes  avaient  été  mises  à  prix,  jugea 
que  le  moment  était  mal  choisi  pour  continuer  une  pareille  mis- 
sion et  il  les  rappela  en  Italie.  Les  deux  nonces  retournant  alors 
en  Ecosse  s'y  embarquèrent  pour  Dieppe,  d'où  ils  se  dirigèrent 
sur  Paris  afin  d'y  attendre  les  nouveaux  ordres  du  Souverain 
Pontife3. 

Au  commencement  de  juillet  1542,  après  plusieurs  mois  de  sé- 
jour dans  la  capitale,  les  PP.  Broet  et  Salmeron,  laissant  François 
Zapata  au  collège  des  Lombards  pour  s'y  perfectionner  dans  la 
science  de  la  théologie,  s'acheminèrent  vers  Lyon,  pauvrement 
vêtus  et  sans  le  moindre  viatique.  Dans  cette  ville,  où  ils  arrivèrent 
le  29  juillet  au  milieu  des  préparatifs  de  guerre,  on  les  prit  pour 
des  espions  et  on  les  jeta  en  prison.  L'arrestation  des  deux  en- 
voyés pontificaux  ne  pouvait  que  plaire  à  Henri  VIII  ;  son  ambas- 
sadeur ordinaire,  William  Paget,  s'empressa  de  la  lui  annoncer 
dès  le  31  juillet  '*.  Mais  les  cardinaux  de  Tournon  et  Gaddi,  avertis 
de  la  méprise,  réclamèrent  énergiquement  la  délivrance  des  deux 
Pères  et  fournirent  libéralement  aux  frais  de  leur  voyage  jusqu'à 
Rome5. 

6.  Vers  la  fin  de  l'année  scolaire,  la  studieuse  communauté  de 
Paris  se  vit  menacée  dans  son  existence.  Le  12  juillet,  la  guerre 
fut  déclarée  entre  la  France  et  l'Empire.  François  1",  pour  prix 
des  services  rendus  à  Charles-Quint  lors  de  la  révolte  des  Gantois, 
avait  espéré  en  obtenir  l'abandon  du  Milanais.  Loin  de  céder  ce 
duché,  l'empereur  en  donna  l'investiture  à  son  propre  fils.  Quel- 
ques mois  plus  tard,  deux  agents  français,  revêtus  d'un  caractère 

1.  Brevia  et  rescripta,  n.  13. 

2.  Lettre  de  saint  Ignace  aux  PP.  d'Italie,  lor  juin  1542  (Mon.  Ign.,  s.  1,  t.  I,  203. 
Cf.  Hogan,  The  Irish  Ecclesiastical  Record  (Dublin,  1870,  n.  67  et  suiv.). 

3.  Mon.  Ignat.,  s.  1,  t.  I,  p.  179,  183,  184,  202,  203.  Chronicon,  I,  96.  Lettre  de 
Broet  et  Salmeron  au  cardinal  de  Sainte-Croix,  9  avril  1542  (Archiv.  Vat.,  mss. 
lat.,  t.  VIII,  n.  6210). 

4.  Calendar  of  slate  papers,  Henry  VIN,  t.  XVII,  p.  318. 

5.  Chronicon,  I,  93.  Hogan,  Hibem.  Ignat.,  1,  8. 


138  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

diplomatique,  César  Frégose  et  Antoine  de  Rincon,  traversant  le 
Milanais,  furent  assassinés  par  la  garnison  de  Pavie.  François  Ier 
réclama,  puis  résolut  de  venger  par  les  armes  l'honneur  de  sa 
couronne  et  son  échec  diplomatique.  Trois  armées  attaquèrent  à 
la  fois  les  états  de  Charles-Quint  :  l'une  marcha  vers  les  Pyrénées, 
les  deux  autres  entrèrent  dans  le  Comté  d'Artois  et  dans  le  Luxem- 
bourg. Dès  le  début  des  hostilités,  François  Ier  publia  un  édit,  qui 
enjoignait  à  tous  les  sujets  de  son  rival  de  sortir  du  royaume 
dans  l'espace  de  huit  jours,  sous  peine  de  la  vie  et  de  la  confis- 
cation des  biens.  Aucune  exception  n'étant  faite  en  faveur  des 
étudiants  des  Universités,  pas  même  celle  de  Paris,  les  espagnols 
du  collège  des  Lombards  furent  compris  dans  la  proscription 
générale1.  L'Université  recourut  à  de  puissants  intercesseurs 
contre  la  sévérité  d'un  édit,  dont  l'effet  inévitable  serait  la  dé- 
sorganisation même  de  l'enseignement.  A  la  prière  du  Recteur, 
Du  Chesne,  les  cardinaux  de  Bourbon  et  de  Meudon  -  représentè- 
rent au  roi  que  les  étudiants  de  l'Université,  protégés  par  leurs 
privilèges,  n'étaient  jamais  soumis  à  de  semblables  mesures. 
François  Ier,  le  père  des  lettres,  faisant  droit  à  leur  demande, 
exempta  de  la  proscription  non  seulement  les  étudiants,  mais 
encore  tous  ceux  qui  avaient  des  emplois  ou  des  dignités  dans 
le  corps  universitaire3. 

Toutefois  le  P.  Domenech  n'avait  pas  attendu  la  décision  royale 
pour  prendre  les  mesures  de  sûreté  exigées  par  cette  situation 
critique.  Après  avoir  consulté  le  premier  président  du  Parlement, 
qui  n'osa  se  prononcer,  il  organisa  le  départ.  Il  divisa  en  deux 
groupes  les  membres  de  la  communauté,  confia  ceux  qui  pou- 
vaient rester  au  P.  Paul  d'Achille,  et  se  chargea  lui-même  de 
conduire  les  autres  à  la  frontière  la  plus  voisine  4.  Ribadeneira, 
qui  faisait  partie  de  cette  caravane,  raconte  qu'elle  se  mit  en  route 
le  2i  juillet  pour  la  Belgique,  emportant  seulement  de  quoi  sub- 
venir aux  dépenses  du  voyage  et  aux  frais  du  premier  établisse- 
ment; elle  se  composait,  y  compris  Ribadeneira,  de  neuf  person- 
nes :  le  P.  Jérôme  Domenech  et  un  Père  flamand  nommé  Laurent 
Deltz,  François  et  Antoine  Strada,  Émilien  de  Loyola,  André 
Oviédo  et  Jacques  Spech;  de  plus,  un  jeune  étudiant  catalan  qui 
était  comme  à  leur  service. 

1.  Chronicon,  I,  p.  102: 

2.  Antoine  Sanguin,  évêque  d'Orléans,  fils  du  seigneur  de  Meudon  (Gallia  C h  ris- 
tiana,  Vill,  p.  1483). 

3.  La  lettre  du  roi  en  réponse  à  la  requête  des  cardinaux  est  citée  par  Du  Boulay, 
Hist.  univers.  Paris.,  VI,  379.  —  4.  Epist.  mixt.,  I,  101.  Chronicon,  I,  102. 


LE  COLLÈGE  DES  LOMBARDS.  139 

Une  distance  d'environ  quarante  lieues  les  séparait  de  la  fron- 
tière de  Flandre.  Les  hostilités  étant  ouvertes,  le  pays  était  sillonne 
de  troupes  qui,  sous  les  ordres  du  duc  d'Orléans,  se  rendaient  sur 
le  théâtre  de  la  guerre  aux  confins  du  royaume.  Des  bandes  de  pil- 
lards parcouraient  les  campagnes  où  ils  exerçaient  impunément 
leur  coupable  industrie.  Au  milieu  de  dangers  de  toutes  sortes,  nos 
pauvres  voyageurs  qui  craignaient  de  voir  expirer,  avant  leur 
sortie  de  France,  le  délai  fixé  par  l'édit  royal,  ne  prenaient  pas 
même  le  temps  de  se  reposer  dans  les  hôpitaux  ou  dans  quelque 
monastère.  Ils  se  contentaient  d'acheter  quelques  morceaux  de 
pain,  qu'ils  mangeaient  à  la  hâte  sans  s'arrêter  :  «  Quoique  réduits 
à  faire  ce  voyage  à  pied,  dit  Ribadeneira,  et  malgré  le  jeûne  que 
nous  voulûmes  observer  à  cause  de  la  vigile  de  notre  apôtre  saint 
Jacques,  nous  arrivâmes  à  la  frontière  le  26,  jour  de  la  fête  de 
sainte  Anne,  après  avoir  franchi  un  espace  de  plus  de  trente-huit 
lieues;  car  l'édit  du  roi,  aussi  pressant  que  rigoureux,  nous  me- 
naçait de  la  peine  de  mort,  si  la  fin  du  dernier  jour  de  délai  ne 
nous  trouvait  pas  hors  des  limites  du  royaume.  Nous  n'en  fûmes 
même  pas  quittes  pour  la  peur,  car  nous  essuyâmes  toutes  sortes 
de  tracasseries  de  la  part  du  gouverneur  d'Amiens,  qui  faisait 
mine  de  vouloir  nous  arrêter  et  mettre  en  prison,  et  d'un  autre 
officier  qui  prétendait  nous  obliger  à  prendre  un  autre  chemin. 
Mais  le  Seigneur  nous  donna  tant  de  force  et  de  courage,  que  nous 
pûmes  marcher  avec  une  vitesse  qui  nous  permit  de  surmonter 
tous  ces  désagréments,  et  bien  d'autres,  et  d'arriver  enfin  à  la 
frontière  des  Pays-Bas  *.  » 

Parvenus  le  -27  à  Arras,  les  voyageurs  trouvèrent  la  vieille  ca- 
pitale de  l'Artois,  ainsi  que  tout  le  pays  environnant,  dans  une 
grande  perturbation  causée  par  le  voisinage  de  l'ennemi.  Cette 
ville  ne  pouvait  offrir  à  des  étrangers  un  séjour  tranquille  et  sûr. 
Ils  prirent  alors  le  chemin  de  Bruxelles.  De  là  ils  devaient  se 
rendre  à  Louvain  pour  y  continuer  leurs  études;  mais  l'armée 
du  duc  de  Clèves,  alliée  de  la  France,  menaçait  la  ville,  et 
des  bandes  de  soldats  indisciplinés  ravageaient  tout  le  Bra- 
bant.  Force  fut  donc  d'attendre  quelque  temps.  «  Les  ennemis 
ayant  cessé  de  battre  et  de  piller  les  environs  de  Louvain,  ra- 
conte Pierre  Ribadeneira,  nous  nous  y  rendîmes  le  5  du  mois 
d'août,  et  nous  trouvâmes  les  écoliers  et  les  religieux  encore 
formés  en  escouades  pour  la  garde  de  la  cité.  Enfin  l'ordre  suc- 

1.  Soliloquio  y  confesiones. 


140  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

céda  aux  troubles  et  aux  alarmes,  et  nous  pûmes  nous  établir 
auprès  du  couvent  des  religieux  de  Saint-François,  dans  une 
maison  louée  par  le  P.  Domenech,  notre  supérieur...  Nous  for- 
mâmes ainsi  en  Belgique  la  première  communauté  de  la  Com- 
pagnie, qui  plus  tard  en  eut  dans  ce  pays  de  si  florissantes1.  » 
L'Université  de  Louvain,  depuis  longtemps  célèbre  par  ses  Fa- 
cultés de  droit  et  de  théologie,  possédait  à  cette  époque,  dans 
son  collège  des  Trois  Langues,  ouvert  en  1518  par  Jérôme  de 
Busleiden,  une  des  meilleures  écoles  littéraires  de  l'Europe.  Cette 
réputation  justement  méritée,  tout  autant  que  la  proximité  de  la 
frontière,  avait  engagé  le  P.  Domenech  à  conduire  là  ses  jeunes 
religieux. 

7.  Cependant,  les  huit  étudiants  restés  au  Collège  des  Lom- 
bards, sous  la  direction  du  Père  Paul  d'Achille,  regrettaient  vive- 
ment l'absence  de  leurs  frères  et  se  demandaient  avec  inquiétude 
s'ils  trouveraient  une  sécurité  suffisante  sur  la  terre  d'exil.  Par 
d'activés  démarches  auprès  de  puissants  protecteurs,  ils  obtinrent 
pour  eux  un  sauf-conduit,  qui  faciliterait  leur  retour  en  France. 
Personne  ne  put  en  profiter,  mais  le  P.  Domenech  appelé  à  Rome 
par  le  P.  Général  lui  communiqua  la  bonne  nouvelle.  Ravi  des 
sentiments  qui  avaient  inspiré  la  conduite  des  étudiants  de  Paris, 
Ignace  leur  en  témoigna  sa  satisfaction.  Il  leur  apprit  en  même 
temps  que  plusieurs  de  leurs  frères  de  Louvain  étaient  déjà  des- 
tinés au  nouveau  collège  de  Coïmbre.  Afin  d'éprouver  leur  obéis- 
sance, il  leur  demanda  s'ils  étaient  prêts  à  se  rendre  soit  à  Rome, 
soit  en  Portugal,  soit  ailleurs,  ou  à  continuer  leurs  études  dans 
l'Université  de  Paris.  Tous  répondirent  avec  joie  qu'ils  iraient 
n'importe  où,  même  aux  Indes,  à  pied  et  en  mendiant  pour  l'a- 
mour du  Seigneur'2.  Aucun  départ  n'eut  lieu  en  ce  moment,  et  les 
vides  produits  dans  la  petite  communauté  par  l'émigration  fu- 
rent bien  vite  comblés.  Elle  s'accrut  de  cinq  nouveaux  membres, 
parmi  lesquels  un  maître  es  arts,  régent  de  l'Université". 

Il  nous  reste  peu  de  lettres  d'Ignace  aux  étudiants  de  Paris; 
nous  savons  cependant  quel  intérêt  il  prenait  à  leurs  travaux, 
donnant  lui-même  à  chacun  la  direction  appropriée  à  ses  besoins, 
comme  on  le  voit  par  une  réponse  adressée  au  P.  Viola.  Celui-ci, 
parait-il,  n'avait  pas  trouvé  dans  le  cours  qu'il  suivait  tout  le 
profit  attendu,  et  il  avait  écrit  à  son  Père  Général  :  «  J'ai  bien 

1.  Soliloquio  y  confesiones.  Epist.  Mixt.,  I,  100.  Manare,  De  rébus  Soc.  Jesu,  p.  1 

2.  Chronicon,  I,  117-118.  —  3.  Mon.  Ign.,  s.  1,  t.  1,  p.  252. 


LE  COLLEGE  DES  LOMBARDS.  141 

du  regret  d'avoir  perdu  mon  temps,  pendant  huit  mois,  en  écou- 
lant les  leçons  de  mon  maître.  Daignez  me  dire,  je  vous  prie,  si 
je  dois  en  changer  ou  me  résigner  à  perdre  mon  temps.  Si  vous 
croyez  que  les  choses  doivent  demeurer  ce  qu'elles  sont,  je  con- 
tinuerai comme  j'ai  commencé,  pour  vous  obéir,  car  j'aimerais 
mieux  mourir  que  de  ne  pas  me  soumettre  à  l'obéissance.  »  La 
réponse  d'Ignace  est  pleine  de  sagesse  et  de  fermeté  :  «  Je  me  sou- 
viens très  bien,  lui  dit-il,  de  la  ligne  de  conduite  que  je  vous 
avais  tracée.  Je  vous  avais  conseillé  de  vous  remettre  à  l'étude 
du  latin  pendant  quatre  ou  cinq  mois,  et  d'en  consacrer  deux  ou 
trois  autres  aux  principes  de  la  logique;  après  quoi,  vous  vous 
seriez  trouvé  en  mesure  de  suivre  un  cours  régulier  l'année  sui- 
vante. Entrer  dans  un  nouveau  cours,  deux  mois  après  qu'il  est 
commencé,  ne  serait-ce  pas  faire  votre  volonté  plutôt  que  la 
mienne?  Jugez  vous-même  à  qui  vous  devez  attribuer  votre  perte 
de  temps  ' .  » 

Tout  en  faisant  du  progrès  dans  la  science  le  but  principal  de 
leurs  efforts,  les  jeunes  religieux  du  collège  des  Lombards  n'ou- 
blient point  leur  devoir  d'apôtres,  par  le  bon  exemple  toujours, 
et  même  par  l'action  directe,  quand  ils  le  peuvent.  Grâce  à  eux, 
beaucoup  d'écoliers  contractent  l'habitude  de  s'approcher  souvent 
des  sacrements  de  Pénitence  et  d'Eucharistie.  Leur  supérieur 
surtout,  le  P.  Paul  d'Achille,  se  livre  avec  ardeur  aux  fonctions 
du  saint  ministère.  Plusieurs  conversions,  rapportées  par  le  P.  Po- 
lanco  et  le  P.  Orlandini,  sont  la  récompense  de  son  zèle  aposto- 
lique :  c'est  un  religieux  augustin,  bachelier  de  théologie  et  pré- 
dicateur distingué,  mais  dont  la  piété  n'était  point  à  la  hauteur 
du  talent,  qui  gagné  par  ses  aimables  conseils  retrouve  dans  les 
Exercices  spirituels  la  ferveur  de  son  saint  état;  —  c'est  un  noble 
Savoisien,  pourvu  de  riches  bénéfices,  qui  les  abandonne  et  em- 
brasse la  pauvreté  dans  la  Compagnie  de  Jésus;  —  c'est  un  jeune 
prêtre  français  qui,  formant  le  même  dessein  et  arrêté  par  sa 
famille,  brise  courageusement  ses  liens.  Ce  dernier  pour  répon- 
dre à  l'appel  de  Dieu,  eut  recours  à  un  ingénieux  expédient. 
Profitant  du  passage  à  Paris  du  cardinal  Marco  Marini,  patriarche 
d'Aquilée,  envoyé  par  Paul  III  comme  nonce  en  Ecosse,  il  se  fit 
admettre  dans  sa  suite  ;  il  espérait  retourner  avec  lui  à  Rome  où 
il  irait  alors  s'offrir  au  Père  Ignace.  Polanco,  qui  raconte  ce  fait, 
ne  nous  dit  pas  si  le  jeune  prêtre  parvint  au  but  de  ses  désirs, 

1.  Ibid.,  p.  229. 


142  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

mais  il  nous  le  montre  travaillant  en  Ecosse,  comme  un  vrai  mis- 
sionnaire de  la  Compagnie,  à  combattre  l'hérésie  et  à  défendre 
la  religion  catholique  '. 

S.  La  tranquillité  dont  jouissait  la  communauté  de  Paris,  au 
milieu  des  alternatives  de  succès  et  de  revers  que  subissait  la 
lutte  entre  François  Ier  et  Charles-Quint,  ne  fut  pas  de  longue  du- 
rée. Les  hostilités  redoublèrent  d'animosité  lorsque  le  roi  d'An- 
gleterre, que  les  affaires  d'Ecosse  avaient  irrité  contre  le  roi  de 
France,  se  jeta  dans  les  bras  de  l'empereur.  Henri  VIII  avait  offert 
de  fiancer  Marie  Stuart,  encore  au  berceau,  au  prince  Edouard 
son  fils,  héritier  du  trône;  mais  la  régente  Marie  de  Lorraine, 
française  de  cœur  et  très  attachée  à  l'Église  catholique,  avait  re- 
poussé toute  proposition  d'alliance  avec  un  prince  schismatique. 
Froissé  de  ce  refus,  le  roi  d'Angleterre  pénétra  en  Picardie  tandis 
que  Charles-Quint  entrait  en  Champagne.  Pour  défendre  ces  deux 
provinces  contre  de  si  redoutables  adversaires,  François  Ier  se 
mit  lui-même  à  la  tête  de  son  armée.  L'absence  du  roi  et  les 
sinistres  nouvelles,  répandues  de  toutes  parts,  jetèrent  l'alarme 
dans  la  capitale  et  causèrent  dans  l'Université  une  telle  panique 
qu'il  fallut  interrompre  les  cours.  Le  P.  Paul  d'Achille,  par 
crainte  d'un  siège,  crut  prudent  de  sortir  de  Paris  avec  tous  ses 
religieux.  Ils  se  réfugièrent  à  Lyon,  en  attendant  que  la  paix  leur 
permit  de  retourner  au  collège  des  Lombards2. 

Au  nombre  des  é migrants  se  trouvait  un  docteur  de  l'Univer- 
sité, Emmanuel  Miona,  agrégé  depuis  peu  à  la  Compagnie.  Il  y  a 
laissé  un  nom  si  vénéré,  comme  confesseur  d'Ignace  en  Espagne 
et  en  France,  que  nous  ne  pouvons  nous  dispenser  de  faire  con- 
naître l'origine  de  sa  vocation.  Né  en  Portugal  dans  la  province 
des  Algarves,  Miona  était  déjà  prêtre  et  professeur  à  Alcala  quand 
Ignace  vint  étudier  à  l'Université  de  cette  ville.  Ils  conçurent 
l'un  pour  l'autre  une  vive  sympathie  et  une  tendre  affection,  que 
rien  ne  fut  jamais  capable  d'amoindrir.  Ignace  lui  avait  remis 
en  toute  confiance  le  soin  de  son  âme.  Lorsqu'il  se  rendit  à  l'Uni- 
versité de  Paris,  Miona  l'y  suivit  avec  l'intention  de  le  seconder 
dans  ses  projets,  sans  toutefois  se  croire  appelé  à  s'y  associer 
lui-même.  C'est  en  vain  que  plus  tard,  en  1536,  Ignace  lui  écrivit 
de  Venise  une  lettre  touchante,  où  le  remerciant  avec  reconnais- 

1.  Chronicon,  I,  139. 

2.  Ibid.  Ce  ne  fut  pas  à  la  suite  d'un  édit,  comme  le  prétend  Polanco,  mais  vo- 
lontairement que  cette  fois  les  Pères  quittèrent  Paris. 


LE  COLLEGE  DES  LOMBARDS.  L43 

sauce  de  son  ancien  attachement,  il  l'exhortait  encore  à  faire  du- 
rant un  mois  les  Exercices  spirituels1;  Miona  s'en  tenait  à  favo- 
riser l'œuvre  et  les  nouveaux  disciples  de  sou  saint  ami.  De 
même,  dans  la  suite,  il  montra  le  plus  grand  intérêt  aux  jeunes 
étudiants  envoyés  au  collège  des  Trésoriers  puis  à  celui  des  Lom- 
bards, et  il  leur  donna  en  toute  occasion  des  preuves  de  son  dé- 
vouement. Un  jour,  enfin,  il  se  sentit  attiré  par  la  grâce  à  l'Ins- 
titut nouvellement  approuvé  du  Saint-Siège.  Les  circonstances 
difficiles  que  traversaient  alors  les  Jésuites  de  Paris,  ne  l'empê- 
chèrent point  d'obéir  sans  retard  à  la  voix  de  sa  conscience.  Il 
était  à  peine  parmi  eux  qu'il  dut  émigré r  et  les  suivre  à  Lyon. 
Quand  le  P.  Paul  d'Achille  fut  appelé  de  cette  ville  à  Rome,  le 
nouveau  novice  l'y  accompagna,  désireux  de  recevoir  les  leçons 
de  son  ancien  pénitent  devenu  Général  de  la  Compagnie  de 
Jésus;  il  fit  à  son  école  de  tels  progrès  dans  la  perfection  qu'il 
parut  bientôt  un  modèle  de  toutes  les  vertus. 

A  Rome,  le  P.  Paul  d'Achille  retrouva,  également  parmi  les 
novices,  un  célèbre  professeur  de  l'Université  de  Paris,  Guil- 
laume Postel,  un  des  plus  savants  hommes  de  son  temps,  que 
Marguerite  de  Valois  appelait  la  merveille  du  monde.  Comme  il 
enseignait  l'hébreu  au  collège  des  Lombards,  ses  fonctions  lui 
fournissaient  une  continuelle  occasion  de  voir  et  d'apprécier  les 
disciples  d'Ignace.  Il  fut  si  frappé  de  leur  modestie  et  de  leur 
ardeur  au  travail,  qu'il  se  faisait  souvent  un  plaisir  de  participer 
à  leurs  exercices  de  piété  ou  de  se  mêler  à  leurs  récréations. 
Plusieurs  fois,  il  exprima  au  P.  Jérôme  Domenech  et  au  P.  Paul 
d'Achille  le  bonheur  qu'il  éprouverait  à  vivre  sous  la  même 
règle;  mais  ni  l'un  ni  l'autre,  à  cause  de  certaines  exagérations 
dans  ses  idées,  n'osèrent  lui  promettre  de  satisfaire  son  désir. 
Au  milieu  du  carême  de  1544 3,  Postel  partit  pour  Rome  afin  d'ob- 
tenir d'Ignace  lui-même  la  faveur  d'être  reçu  dans  la  Compa- 
gnie. Soumis  aux  premières  épreuves  de  la  vie  religieuse,  il  y 
montra  tant  de  docilité  qu'on  ne  s'aperçut  pas  d'abord  des  tra- 
vers de  son  esprit.  On  admirait  «  cet  homme  de  trente-cinq  ans, 
lecteur  royal  à  Paris  et  bénéficier,  bon  maître  es  arts,  très  versé 
dans  les  langues  »,  qui  pour  Jésus-Cbrist  «  avait  laissé  sa  chaire 

1.  Mon.  Ign.,  s.  1,  t.  I,  p.  111-113. 

2.  Voir  sur  ce  personnage  la  thèse  de  G.  Weill,  De  (lulielmi  Postelli  vita  et 
indole. 

3.  Ribadeneira,  si  bien  placé  pour  être  exactement  renseigné,  donne  cette  date. 
Nous  la  préférons  à  celle  de  1543  que  proposent  les  éditeurs  des  Gartas  de  S.  Igna- 
cio (p.  168).  Voir  au  même  sujet  Mon.  Ignat.,  s.  ia,  t.  I,  p.  2  48-253,  notes. 


I  fc4  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

et  ses  bénéfices  »,  et  que  Ton  voyait  maintenant  avec  une  joyeuse 
humilité  «  servir  à  la  cuisine,  et  prêcher  sur  les  places  publiques 
à  la  grande  édification  de  tous  1  ». 

Guillaume  Postel  s'intéressait  beaucoup  aux  étudiants  du  col- 
lège des  Lombards;  il  aimait  à  parler  deux  aux  Pères  de  France 
que  leurs  affaires  amenaient  en  Italie.  Le  P.  Domenech  lui  ap- 
prit ce  qu'étaient  devenus  ceux  qui  avaient  émigré  à  Louvain. 
Le  P.  Paul  d'Achille  lui  raconta  la  seconde  dispersion,  l'arrivée 
et  le  séjour  à  Lyon.  Tous  faisaient  des  vœux  pour  une  prompte 
conclusion  de  la  paix.  Elle  fut  signée  entre  les  plénipotentiaires 
de  François  Ier  et  de  Charles-Quint,  à  Crespy,  le  18  septembre 
1544-  :  les  renonciations  réciproques,  faites  dans  les  traités  pré- 
cédents, furent  renouvelées,  et  les  places  conquises  pendant  la 
guerre  restituées  de  part  et  d'autre.  Le  calme  renaissait  au  sein 
de  l'Université  comme  dans  tout  le  royaume.  Quelques-uns  des 
étudiants  réfugiés  à  Lyon  purent  donc  retourner  en  sécurité, 
sous  la  conduite  des  PP.  Viola  et  Pelletier,  au  collège  des  Lom- 
bards; le  P.  Paul  d'Achille  vint,  bientôt  après,  reprendre  auprès 
d'eux  sa  charge  de  supérieur. 

Avant  leur  retour  à  Paris,  Guillaume  Postel  s'était  empressé 
de  les  recommander  à  l'un  de  ses  anciens  condisciples,  jouissant 
déjà  d'une  grande  considération  et  qui,  lui  aussi,  avait  souvent 
admiré  le  zèle  et  la  piété  des  jeunes  étudiants.  C'était  Nicolas 
Psaume,  alors  abbé  de  Saint-Paul  de  Verdun  et  plus  tard  suc- 
cesseur du  cardinal  Jean  de  Lorraine  sur  le  siège  épiscopal  de 
cette  ville.  La  lettre  que  lui  envoie  Postel.  à  ce  sujet,  montre 
bien  l'affectueuse  estime  de  ce  dernier  pour  la  Compagnie  et  ses 
œuvres  :  «  Comme  vous,  lui  écrit-il,  nous  avons  profondément 
regretté  que  les  rigueurs  de  la  guerre  aient  interdit  à  nos  frères, 
sous  prétexte  d'une  nationalité  étrangère,  le  séjour  de  Paris 
qu'ils  habitaient.  Il  faudra  donc  restaurer  ce  qu'ils  y  avaient 
établi  avec  tant  d'intelligence  et  de  succès;  car,  avec  eux,  ont 
disparu  ces  nombreuses  réunions  de  fidèles  qui,  selon  l'usage 
de  la  primitive  Église,  les  suivaient  à  la  Table  sainte.  Daigne 
le  Tout-Puissant  les  réunir  de  nouveau  avec  ceux  qui  les  avaient 
formés!  J'espère  que  nous  jouirons  bientôt  de  ce  spectacle,  s'ils 
peuvent  remettre  les  pieds  dans  leur  demeure...  Je  vous  prie  et 
vous  conjure  d'aider  nos  frères  proscrits  en  tout  ce  que  vous 

1.  Lettre  envoyée  de  Rome  aux  PP.  d'Espagne,  sans  date,  et  qui  a  donné  lieu  aux 
discussions  ci-dessus  (Mon.  Fgn.,  s.  1,  t.  I,  p.  248-253). 

2.  Chronicon,  I,  139,  156. 


LE  COLLEGE  DES  LOMBARDS.  145 

pourrez,  de  leur  accorder  le  secours  de  votre  autorité,  de  vos 
conseils,  de  vos  aumônes,  afin  qu'ils  puissent  rentrer  et  repren- 
dre leur  sainte  entreprise'.  » 

Guillaume  Postel,  singulier  mélange  d'admirables  qualités  et 
de  tendances  excentriques,  ne  put,  malgré  son  ardent  désir, 
rester  longtemps  dans  la  Compagnie.  «  Il  fut  renvoyé,  dit  un 
ancien  annaliste,  pour  ce  qu'enflé  de  soy-mesme,  il  faisoit  du 
prophète  et  bastissoit  nouvelles  opinions2.  »  Les  débuts  si  rudes 
de  sa  carrière,  dont  il  ne  triompha  qu'à  force  de  constance  et 
d'énergie,  ses  privations  et  ses  veilles,  les  fatigues  d'un  long 
voyage  en  Grèce,  en  Syrie  et  en  Asie  Mineure  à  la  recherche  de 
précieux  manuscrits,  avaient  affaibli  ses  organes  et  disposé  son 
esprit  à  de  folles  visions  qui  firent  le  tourment  du  reste  de  sa  vie. 
Il  forma  le  projet  de  réunir  tous  les  peuples  sous  l'autorité  spi- 
rituelle du  Pape,  par  les  conquêtes  du  roi  de  France,  à  qui  ap- 
partenait la  monarchie  universelle  comme  descendant  de  Japhet, 
fils  aine  de  Noé;  mais  il  fallait  ouvrir  les  voies  au  monarque 
français  par  la  conquête  des  cœurs!...  Toutefois,  s'il  débita  mille 
extravagances,  il  n'eut  pas  l'opiniâtreté  qui  fait  les  sectaires. 
Après  avoir  quitté  la  Compagnie,  il  continua  de  l'aimer,  et  mou- 
rut à  Paris  vers  l'an  1580.  En  censurant  ses  écrits  l'Église  con- 
firma le  jugement  porté  par  Ignace  sur  l'homme  lui-même 3. 

9.  Après  son  retour  de  Lyon,  la  communauté  de  Paris  reprit 
sa  régularité  de  vie  ordinaire.  Les  PP.  Pelletier  et  Viola,  revêtus 
du  sacerdoce,  devinrent  d'utiles  auxiliaires  pour  leur  supérieur 
dans  les  travaux  du  ministère  apostolique.  De  nouveaux  étu- 
diants comblèrent  les  vides  laissés  par  les  départs  successifs.  A 
l'exemple  de  leurs  prédécesseurs,  ils  partageaient  leur  temps 
entre  les  études  philosophiques  ou  théologiques,  les  exercices 
de  piété  et  les  œuvres  de  l'apostolat  auprès  de  la  jeunesse  des 
écoles.  Des  réunions  organisées  dans  l'église  des  Chartreux  atti- 
rèrent les  élèves  les  plus  vertueux,  plusieurs  puisèrent  dans  la 
fréquentation  des  sacrements  le  désir  de  la  perfection  évangé- 
lique,  et  entrèrent  dans  la  vie  religieuse4. 

1.  Traduit  de  l'original  latin  (Bibl.  nat.,  inss.  latins,  8,585,  fol.  36).  Cette  lettre  a 
été  publiée  par  le  P.  Prat,  Mémoires  sur  Broet,  p.  182,  183. 

2.  Commencements  de  la  Compagnie  (Carayon,  Doc.  inédits,  I,  5). 

3.  Chronicoit,  I,  149.  Cartas  de  S.  I<jn.,  I,  219.  Script,  de  S.  Ign.,  I,  708-712. 
Ribadeneira  :  Dialogos.  —  Le  ms.  français  23,969  de  la  Bibl.  nat.  contient  un  r6cit 
détaillé  de  la  mort  de  Postel. 

4.  Lettre  du  P.  Paul  d'Achille  au  P.  Léonard  Kessel,  11  avril  1547,  dans  Hansen, 
Rheinische  aklen,  n.  46. 

COMPAGNIE    DE   JÉSLS.   —    T.    I.  10 


146  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

La  colonie  du  collège  des  Lombards,  comme  une  ruche  qui  es- 
saime, fournissait  au  P.  Général  un  personnel  de  choix  pour  les 
établissements  formés  en  différentes  contrées  de  l'Europe.  C'est 
ainsi  ({lie  Pierre  Chanal  et  Jean  de  la  Goutte  devinrent  professeurs 
de  belles-lettres  au  collège  de  Valence  en  Espagne,  fondé  par  le 
P.  Domenech  dans  sa  ville  natale  '.  Au  commencement  de  l'année 
1548,  le  P.  Paul  d'Achille,  rappelé  à  Rome,  fut  remplacé  comme 
supérieur  par  le  P.  Jean- Baptiste  Viola  qui  suivait  encore  les  cours 
de  l'Université.  L'année  suivante  (154-9),  sur  la  demande  du 
P.  Ignace  réclamant  des  professeurs  pour  l'enseignement  du  grec 
et  de  l'hébreu,  quatre  étudiants  partirent  pour  l'Italie;  c'étaient  le 
P.  Jean  Pelletier,  Guy  Roillet,  Jean  Forcade  et  Nicolas  Morel,  tous 
maîtres  es  arts.  Le  nombre  des  membres  de  la  communauté  n'en 
fut  pas  diminué,  car  la  Compagnie  se  répandait  et  prospérait  de 
plus  en  plus  :  quatre  nouveaux  remplacèrent  aussitôt  les  partants 
et  un  cinquième  arriva  de  Louvain  peu  après2. 

La  fin  de  cette  année  1549  devait  laisser  un  bon  souvenir  aux 
scolasliques  du  collège  des  Lombards.  Le  21  novembre  ils  prirent 
part  à  une  cérémonie  que  le  P.  Polanco  nous  signale  dans  le 
Chronicon,  sans  doute  à  cause  de  sa  solennité  imprévue.  Ils  s'é- 
taient rendus  ce  jour-là  à  Montmartre,  pour  y  renouveler  leurs 
vœux  dans  la  chapelle  du  Martyre.  Contre  leur  attente,  ils  y  trou- 
vèrent un  bon  nombre  de  pèlerins  et,  entre  autres,  les  fidèles  qui 
d'ordinaire  s'adressaient  à  eux  pour  les  sacrements.  Les  treize 
étudiants  de  la  Compagnie  prononcèrent  la  formule  de  leurs  vœux 
devant  ces  témoins,  «  qui  en  furent  très  édifiés  ;  ». 

Le  P.  Polanco,  malheureusement,  ne  nous  dit  point  la  teneur 
de  cette  formule,  particularité  qui  nous  intéresserait  cependant, 
car,  jusqu'en  1550  au  moins,  cette  formule  a  dû  varier  suivant  les 
pays  et  les  circonstances. 

Le  lecteur  se  rappelle  ce  que  nous  avons  dit  au  chapitre  des 
Constitutions,  sur  les  vœux  simples  des  scolastiques 4.  Lorsque,  le 
30  septembre  1545,  Ribadeneira  les  fit  àSaint-Paul-hors-les-murs, 
en  présence  de  son  Père  Ignace,  il  employa  une  formule  assuré- 
ment approuvée,  sinon  rédigée,  par  le  fondateur.  En  voici  la 
partie  principale  :  «  Je  fais  vœu...  de  pauvreté  et  de  chasteté  per- 
pétuelles 5  et  d'être  de  la  Compagnie  de  Jésus,  notre  Créateur  et 

1.  Doc.  mss.  sur  le  coll.  de  Valence  aux  arch.  de  l'Acad.  roy.  à  Madrid.  —  Voir 
Epist.  mixt.,  t.  I,  lettres  des  PP.  Myron  et  Oviédo. 

2.  Chronicon,  I,  296,  419.  —  3.  Ibid.  —  4.  Liv.  I,  ch.  v,  n.  6. 

5.  On  remarquera  que  dans  cette  formule  il  n'est  pas  question  du  vœu  d'obéissance. 
Quant  à  celui  de  pauvreté  il  était  expliqué  un  peu  plus  bas  par  ces  mots  :  «  J'entends, 


LE  COLLÈGE  DES  LOMBARDS.  1 47 

Seigneur,  après  avoir  terminé  mes  études,  si  la  Compagnie,  mal- 
gré mon  indignité,  veut  me  recevoir.  »  On  ne  saurait  affirmer 
que  cette  formule  fût  officielle  et  employée  partout;  nous  allons 
même  en  avoir  à  citer  de  toutes  différentes  pour  les  années  qui 
suivent. 

Au  mois  de  juin  1546,  Ignace  obtenait  du  pape  Paul  III  une  mo- 
dification importante  à  la  Bulle  d'approbation  de  la  Compagnie. 
Dieu,  en  effet,  avait  montré  par  les  événements  que  cet  ordre 
nouveau  d'ouvriers  apostoliques  ne  devait  pas  être  restreint  à  une 
soixantaine  de  profès,  comme  la  Bulle  Regimini  l'avait  déclaré. 
Dès  1543,  sur  la  demande  du  fondateur,  le  pape  avait  accordé 
qu'on  en  reçût  un  nombre  illimité  *.  Mais  il  jugea  bientôt,  comme 
Ignace,  que  ce  n'était  pas  encore  assez.  Des  postulants  se  présen- 
taient, capables  de  travailler  à  la  gloire  de  Dieu  dans  l'esprit  de 
l'Institut,  sans  pouvoir  atteindre  cependant  cet  ensemble  idéal  de 
science  et  de  vertu  tracé  aux  profès;  par  ailleurs,  des  ministères 
étaient  offerts  à  la  Compagnie  qui  n'exigeaient  point  la  réalisation 
de  cet  idéal.  La  Bulle  Exponi  nobis  (5  juin  15i6)  permit  d'éta- 
blir un  degré  nouveau,  celui  des  coadjuteurs,  spirituels  ou  tem- 
porels,  qui  seraient  incorporés  définitivement  à  la  Compagnie 
par  des  vœux  publics,  quoique  non  solennels,  participeraient  à 
tous  ses  mérites  et  privilèges,  et  aideraient  les  profès  soit  dans 
les  offices  domestiques,  soit  dans  les  fonctions  sacerdotales  2.  Mais 
l'établissement  de  ce  degré  nécessitait  une  interprétation  nou- 
velle du  vœu  que  faisaient  les  scolastiques  d'entrer  dans  la  Com- 
pagnie :  ils  devaient  dorénavant  y  inclure  l'indifférence  au  degré 
de  profès  ou  de  coadjuteur  spirituel.  Les  supérieurs  furent  char- 
gés d'annoncer  cette  modification  aux  étudiants,  et  de  la  leur  faire 
agréer.  Nous  savons,  par  le  P.  Franco,  comment  les  choses  se 
passèrent  à  Coïmbre3.  Le  P.  Simon  Rodriguez,  provincial  de  Por- 
tugal, profita  de  la  fête  de  Noël  1546  pour  exhorter  ses  subordon- 
nés à  entrer  pleinement  dans  les  sentiments  d'une  humble  sou- 
mission. Tous  déclarèrent  ne  vouloir  autre  chose  que  les  ordres 
de  l'obéissance.  Pour  la  rénovation  des  vœux,  qui  devait  suivre, 
une  nouvelle  formule  fut  composée  par  le  P.  Provincial  et  ap- 


par  le  vœu  de  pauvreté,  renoncer  à  tous  les  droits  que  j'ai  ou  que  je  puis  avoir  sur  des 
biens  ou  facultés  temporelles,  toutes  les  fois  qu'il  me  sera  ordonné  par  la  Compagnie 
ou  par  celui  qui  en  sera  le  supérieur.  »  (Cité,  d'après  les  archiv.  de  la  Province  de 
Madrid,  par  le  P.  Prat,  Histoire  du  P.  Ribadeneira,  p.  57,  58.) 

1.  Bulle  Injunctum  nobis,  14  mars  1543  (Instit.  S.  /.,  t.  III,  p.  5). 

2.  lnst.  S.  /.,  t.  III,  p.  10,  il. 

3.  Franco,  Synopsis  annalium  Soc.  Jesu  in  Lusitania,  ad  annum  1725,  p.  19. 


148  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

prouvée  par  le  P.  Ignace.  Il  y  était  dit  à  la  fin  :  «  Je  promets 
en  outre,  jusqu'à  ce  que  je  sois  admis  dans  la  Compagnie  comme 
profès  ou  coadjuteur,  de  garder  la  pauvreté  et  la  chasteté,  selon 
ce  qui  est  établi  dans  ce  collège,  et  d'obéir  aux  supérieurs  dans 
tout  ce  qu'ils  me  commanderont l.  »  Il  est  fort  probable  que  cette 
formule  fut  employée  dans  la  suite  par  les  scolastiques  du  Portu- 
gal, mais  rien  ne  prouve  qu'elle  ait  été  adoptée  par  la  commu- 
nauté de  Paris,  première  «  filiale  »  de  la  maison  de  Rome  dont 
elle  recevait  les  ordres  directement.  Nous  trouvons  deux  autres 
formules  qui  purent  être  envoyées  de  là  aux  scolastiques  du  col- 
lège des  Lombards.  La  première  est  celle  que  le  P.  Polanco 
donna,  de  la  part  d'Ignace,  au  P.  Adriano  pour  les  scolastiques 
de  Louvain,  le  8  octobre  15i9.  Elle  est  très  curieuse  en  ce  que 
les  trois  vœux  de  pauvreté,  chasteté  et  obéissance  ne  sont  pas 
directement  exprimés,  mais  seulement  la  promesse  d'entrer  un 
jour  et  de  vivre  perpétuellement  dans  la  Compagnie  de  Jésus 
en  gardant  ces  trois  vœux-.  La  seconde,  que  nous  donnerions 
volontiers  comme  employée  par  les  scolastiques  de  Paris  à  la 
rénovation  de  15i9,  se  trouve  dans  les  Rudimenta  eonstitutio- 
num3,  dont  la  rédaction  remonte  précisément  à  cette  année  et  à 
la  précédente.  Cette  formule,  presque  semblable  à  celle  de  Lou- 
vain, mais  plus  claire  grâce  à  deux  corrections  importantes,  est 
ainsi  conçue  '  :  «  Je  promets  et  fais  vœu...  d'entrer  dans  l'ordre 
de  la  Compagnie  de  Jésus,  de  telle  sorte  que,  autant  qu'il  est  en 
moi,  j'y  vive  perpétuellement,  et,  dans  cette  Compagnie,  je  pro- 


1.  Voir  le  texte  espagnol  de  cette  formule  dans  Prat,  Mémoires  pour  servir  à 
l'hist.  du  P.  Broet,  pièces  justificatives.  VII,  p.  564.  Le  P.  de  la  Palma  avait  trouvé 
cette  pièce  dans  les  notes  du  P.  Ribadeneira,  et  en  même  temps  une  autre  pièce  prou- 
vant que  Ribadeneira  avait  renouvelé  ce  vœu  le  29  juin  1546  à  Padoue,  le  30  sept.  1548 
à  Padoue,  le  30  sept.  1551  à  Palerme,  le  24  juin  1553  à  Rome. 

2.  Voici  la  partie  principale  du  texte  :  «  Voveo...  me  religionem  Societatis  Jesu  in- 
gressurum,  ita  ut,  quantum  in  me  est,  vitam  in  ea  perpetuo  degam  ;  in  qua  Societate 
si  receptus  fuero,  promitlo  paupertatem,  castitatem,  atque  obedientiam  me  perpe- 
tuam,  juxta  ipsius  Socielatis  constitutiones,  servaturum  »  'Epist.  Ignat.,  s.  1,  t.  II, 
p.  551-554). 

3.  Const.  lat.  et  hisp.,  app.,  p.  365-418. 

4.  La  différence  de  cette  formule  et  de  la  précédente  porte  sur  cette  phrase  :  «  In 
qua  Societate,  promilto  paupertatem,  castitatem  atque  obedientiam  me  perpetuam 
juxta  ipsius  Societatis  constitutiones  ex  nunc  et  deinceps  servaturum.  »  Avec  la  for- 
mule de  Louvain  où  on  lisait  «  si  receptus  fuero  »  entre  «  in  qua  Societate  »  et 
«  promilto  paupertatem  »,  le  scolastique  semblait  ne  s'engager  qu'à  faire  plus  tard 
les  trois  vœux,  ce  qui  n'était  nullement  la  pensée  de  saint  Ignace.  Ce  fut  probablement 
parce  que,  même  après  cette  suppression,  le  texte  ne  parut  pas  encore  assez  clair  au 
fondateur,  qu'il  ajouta  de  sa  main  ex  nunc  et  deinceps.  On  peut  voir  dans  les  Const. 
lat.  et  hisp.  (p.  379,  381,  notes)  plusieurs  autres  remarques  auxquelles  donnèrent 
lieu  les  termes  de  cette  formule.  L'une,  entre  autres,  demande  la  suppression  des  mot< 
quantum  in  me  est,  comme  pouvant  prêter  aux  scrupules. 


LE  COLLEGE  DES  LOMBARDS.  149 

mets  que  dès  maintenant  et  à  l'avenir,  je  garderai  la  pauvreté, 
la  chasteté  et  l'obéissance  suivant  les  Conslitutions.  » 

Cette  dernière  phrase  exprimait  implicitement  la  promesse 
d'accepter  le  degré  que  les  supérieurs  choisiraient,  puisque  les 
Constitutions  l'ont  ainsi  réglé.  Une  addition,  de  la  main  d'Ignace, 
rendait  explicites,  ex  mine  et  deinceps,  les  trois  vœux  de  religion. 
Il  ne  manquait  plus  à  cette  formule  qu'un  tour  plus  concis  et  une 
latinité  plus  élégante,  pour  avoir  la  perfection  de  la  formule  dé- 
finitivement adoptée  et  insérée  dans  le  texte  des  Constitutions1. 

1.  Déjà  dans  les  Rudimenta  (op.  cit.,  p.  381)  se  trouve,  aux  declaraciones,  une 
formule  presque  identique  à  la  formule  actuelle.  Elle  n'en  diffère  que  i°)  par  une  in- 
version :  la  promesse  d'entrer  précédant  les  trois  vœux,  et  2°)  par  une  correction  d'é- 
légance :  undecumque  indignissimus,  au  lieu  de  in  omnibus  rébus  indignissimus. 


CHAPITRE  II 

l'hôtel  de  clermont. 

(1550-155'+). 

Sommaire  :  1.  Guillaume  du  Prat,  évêque  de  Clermont:  ses  projets.  —  2.  Sa 
rencontre  avec  les  disciples  d'Ignace  au  concile  de  Trente.  —  3.  Installation  du 
P.  Viola  à  l'hôtel  de  Clermont.  —  4.  Vocation  du  P.  Éverard  Mercurian;  minis- 
tères spirituels.  —  5.  La  Compagnie  commence  à  être  connue  à  Paris;  contra- 
dicteurs et  défenseurs.  —  6.  Projet  de  donation  de  l'hôtel  de  Clermont.  —  7.  Le 
cardinal  de  Lorraine,  protecteur  de  la  Compagnie  de  Jésus  en  France.  Requête 
au  roi.  —  8.  Épreuves  et  nombreux  départs  d'étudiants.  —  9.  Paschase  Broet 
premier  provincial  en  France.  —  10.  Travaux  apostoliques  de  Broet,  Claysson 
et  le  Bas.  Hostilité  d'Eustache  du  Bellay. 

Sources  manuscrites  :  I.  Bibliothèque  de  la  ville  de  Clermont,  ras.  n.  589.  Extraits  des 
mss.  d'Audigier  sur  l'Auvergne. 

II.  Recueils  de  documents,  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Décréta  et  instructiones.  — 
b)  Kibiideneira  ■  Soliloquio  y  conl'esiones. 

Sources  imprimées  :  Cartas  de  San  Ignacio.  —  Carias  del  B.  P.  Pedro  Fabro.  —  Insti- 
tutum  Soc.  Jesu.  — Nuntiaturberichte  aus  Deutschland.  —  Manare,  De  rcbus  Soc.  Jesu 
commentarius ;  De  vita  et  moribus  Everardi  Mercuriani.  —  Braunsberger,  B.  P.  Cani- 
sii  Soc.  Jesu  Epistolae  et  acla.  —  Prat,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  du  P.  Broet. 
Monumenta  HisTOKic.v  S.  J.  Chroiiicon  Soc.  Jesu.  —  Epistolae  mixtae.  —  Litterae  quadri- 
mestres. —  Monumenla  Ignaliana.  Epistolae  et  instructiones.  —  Epistolae  PP.  Pascha- 
sii  Broeti,  etc.. 

1.  Gênée  dans  ses  développements  par  l'insuffisance  d'une  ha- 
bitation d'emprunt,  la  colonie  d'étudiants  établie  par  Ignace  à 
l'Université  de  Paris  n'avait  pu  prétendre  jusqu'ici  à  former  une 
institution  séparée.  D'elle,  cependant,  devait  surgir  un  des  plus 
célèbres  collèges  de  la  Compagnie  de  Jésus.  La  Providence,  en 
lui  réservant  cette  glorieuse  destinée,  lui  avait  ménagé  dans  la 
protection  d'un  grand  prélat  les  moyens  de  la  remplir.  Mais  cette 
transformation  ne  pouvait  s'opérer  en  un  jour  :  la  Compagnie, 
n'ayant  encore  en  France  ni  domicile  propre,  ni  le  droit  d'en 
avoir,  devait  rencontrer  dans  les  passions  des  hommes  et  dans 
les  ruses  du  démon  bien  des  obstacles  à  ses  projets.  Monseigneur 
Guillaume  du  Prat,  par  sa  constance  et  sa  générosité,  seconda 
les  desseins  de  la  Providence  et  prépara  les  voies  à  la  fondation 
du  collège  de  Clermont  à  Paris.  Cet  illustre  bienfaiteur  aura, 
dans  cette  histoire,  la  place  que  réclament  pour  lui  la  justice  et 
la  reconnaissance. 


L'HOTEL  DE  CLERMONT.  r.l 

Guillaume  du  Prat,  né  en  1507,  était  fils  de  l'illustre  Antoine 
du  Prat,  chancelier  de  France  et,  après  la  mort  de  sa  femme, 
archevêque  de  Sens  et  cardinal.  Il  avait  déjà  é té  nommé  archi- 
diacre de  Rouen,  quand,  le  19  novembre  1528,  mourut  son  oncle 
Thomas  du  Prat,  évêque  de  Clermont.  Le  chapitre  de  la  cathé- 
drale réclama,  d'après  ses  privilèges,  l'honneur  d'élire  son  suc- 
cesseur; mais  le  concordat  conclu  entre  Léon  X  et  François  [ 
avait  aboli  l'antique  usage,  en  concédant  au  roi  le  droit  de  no- 
mination aux  sièges  épiscopaux.  Celui-ci  pourtant  y  renonça,  pour 
cette  fois,  et  engagea  les  chanoines  à  choisir  le  neveu  de  l'ancien 
évêque  «  tant,  disait-il,  en  considération  des  grands,  vertueux  et 
très  recommandables  services  que  nous  faict  chacun  jour  ledit 
cardinal  chancelier  ez  la  conduite  de  nos  principales  affaires, 
comme  pour  le  louable  rapport  qui  nous  a  esté  faict  dudit  ar- 
chidiacre de  Rouen,  son  fils,  et  de  son  savoir,  bonnes  mœurs, 
vertu  et  grande  honnesteté  de  vie1  ».  Élu  évêque  de  Clermont,  le 
15  février  1529,  Guillaume  du  Prat  n'avait  pas  encore  vingt-trois 
ans.  Il  savait  quel  fardeau  pour  sa  jeunesse  serait  sa  nouvelle 
dignité,  aussi  voulut-il,  avant  de  gouverner  par  lui-même  son 
église,  continuer  encore  quelques  années  ses  études  de  prédilec- 
tion :  la  théologie,  l'Écriture  Sainte  et  les  langues  orientales  l'oc- 
cupèrent jusqu'au  mois  de  janvier  1535-. 

L'Auvergne  à  cette  époque  était  en  proie  à  l'hérésie.  On  y  trou- 
vait, comme  en  bien  d'autres  pays,  des  hommes  qu'un  esprit 
pervers,  un  cœur  corrompu  ou  le  seul  désir  d'une  révolution  po- 
litique entraînaient  dans  le  mouvement  de  la  réforme.  Séduits  par 
des  moines  apostats  venus  d'Allemagne,  ils  se  groupèrent  et  fi- 
rent de  la  ville  d'Issoire  le  centre  du  parti.  Quand  le  jeune  évê- 
que de  Clermont  eut  pris  en  main  l'administration  de  son  diocèse, 
il  chargea  des  religieux  de  combattre  l'erreur  par  la  prédication 
de  la  vérité.  Les  Cordeliers  et  les  Minimes  furent  d'abord  ses 
principaux  auxiliaires.  Son  confident,  et  le  directeur  de  sa  cons- 
cience, était  un  minime,  le  P.  Simon  Guichard,  prédicateur  dis- 
tingué et  des  plus  érudits  de  ce  temps--'.  Mais  le  prélat  s'aperçut 
bientôt  que,  malgré  leur  zèle,  les  missionnaires  de  l'évangile  ne 
suffiraient  point  à  protéger  la  religion  de  son  troupeau.  Il  jeta 
ses  regards  sur  les  écoles,  vit  dans  l'enseignement  de  la  jeunesse 

1.  Lettre  du  31  janvier  1528,9,  dans  Prat,  Mémoires  sur  le  P.  Broet,  p.  190. 

2.  Gallia  Chrisliana,  t.  II,  p.  297,  531. 

3.  Dony  d'Attichy,  Hist.  gén.  de  l'ordre  des  Minimes  (1624),  I,  p.  305  et  suiv.  — 
Voir  «  Extraits  des  mss.  d'Audigier  sur  l'Auvergne  »,  t.  III,  p.  101  (Bibl.  de  Cler- 
mont, n.  589). 


lo2  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSI  S. 

une  arme  pour  la  défense  de  la  foi,  et  entreprit  de  relever  les 
études  dans  les  Universités  de  Billom  et  d'Issoire,  qui  avaient  eu 
jadis  une  certaine  réputation.  Issoire,  berceau  de  sa  famille,  dé- 
daigna cependant  ses  offres.  Il  tourna  dès  lois  vers  Billom  tout 
son  espoir. 

Il  aurait  désiré  établir  dans  cette  ville,  auprès  des  Facultés  des 
arts  et  du  droit,  une  chaire  d'hébreu  et  d'Écriture  Sainte1;  mais 
il  se  demandait  où  trouver  des  maîtres  capables  de  répondre  à 
son  dessein.  Le  P.  Simon  Guichard,  auquel  il  confia  ses  désirs  et 
ses  difficultés,  avait  connu,  à  Rome,  Ignace  et  ses  compagnons 
dans  leur  première  habitation,  près  du  couvent  des  Minimes  au 
Monte  Pincio,  et  le  souvenir  des  hôtes  de  Quirino  Garzonio  avait 
laissé  dans  son  âme  une  profonde  impression2.  Il  parla  avec  élo- 
ges de  leurs  vertus,  de  leurs  travaux  apostoliques,  du  but  de  leur 
Société.  Le  prélat  soupçonna  tout  de  suite  que  de  tels  hommes 
seraient  capables  de  régénérer  la  jeunesse  du  pays.  Bientôt  il  eut 
l'occasion  de  les  connaître  lui-même,  et  de  les  juger  sur  leurs 
œuvres. 

2.  Le  15  mars  1545  devait  s'ouvrir,  à  Trente,  le  concile  œcu- 
ménique si  impatiemment  attendu  de  la  chrétienté  tout  entière  ; 
le  Pape  Paul  III,  profitant  de  la  paix  que  le  traité  de  Crespy 
venait  d'assurer  à  l'Europe,  l'avait  fixé  à  cette  date.  Aussitôt 
François  Ier  nomma,  pour  y  représenter  l'église  de  France,  quatre 
prélats  distingués  par  leur  science  et  leur  vertu  :  Antoine  Imbert, 
archevêque  d' Aix,  Guillaume  du  Prat,  évêque  de  Clermont,  Claude 
Dodieu,  évêque  de  Rennes,  et  Claude  de  la  Guiche,  évêque 
d'Agde.  Mais  le  concile,  longtemps  retardé  par  les  prétentions 
politiques  de  Charles-Quint,  ne  fut  ouvert  solennellement  que 
le  13  décembre.  Le  P.  Claude  Le  Jay,  représentant  et  théologien 
du  cardinal  Othon  Truchsess,  évêque  d'Augsbourg3,  était  arrivé 
à  Trente  un  mois  avant  Monseigneur  du  Prat.  Il  devait  se  con- 
cilier bientôt,  par  sa  modestie  et  son  savoir,  tous  les  Pères  de  la 
docte  assemblée  l.  Comme  procureur  d'un  cardinal,  il  faisait  partie 

1.  Jaloustre,  Les  anciennes  écoles  d'Auvergne  (dans  Mémoires  de  l'Académie  des 
Sciences  de  Clermont-Ferrand,  t.  XXIII,  1881,  p.  82-116). 

2.  Dony  d'Attichy,  op.  cil.,  p.  310. 

3.  Cartas  de  S.  Ign.,  II,  append.  II,  n.  21. 

4.  Nombreux  sont  les  témoignages  d'estime  donnés  au  P.  Le  Jay  par  les  Pères  du 
concile  de  Trente.  Le  P.  Polanco  nous  dit  qu'en  arrivant  à  Trente,  en  1546,  les  PP. 
Lainez  et  Salmeron  remarquèrent  la  faveur  dont  il  jouissait  :  «  P.  Claudium  magna  in 
gratta  Prxlatorum  et  optimum  Societatis  odorem  spargentem  invenerunt  »  (Chro- 
nicon,  t.  I,  p.  178). 


L'HOTEL  DE  CLERMOiNT.  153 

des  assemblées  générales  composées  des  cardinaux,  archevêques 
et  évèques,  et  siégeait  après  ceux-ci  avec  voix  consultative  '.  Cette 
distinction  le  fit  tout  de  suite  remarquer  de  M"r  du  Prat.  Infor- 
mations prises,  il  sut  que  ce  procureur  de  Févêque  d'Augsbourg 
était  un  religieux,  un  disciple  d'Ignace  de  Loyola;  il  s'empressa 
d'entrer  en  rapports  avec  lui  et  ne  manqua  pas  de  lui  demander 
sur  la  Compagnie  de  Jésus  des  explications,  qui  confirmèrent  et 
complétèrent  les  renseignements  donnés  par  le  P.  Simon  Gui- 
chard.  Ce  nouvel  Ordre,  voué  au  salut  des  âmes,  répondait  si 
parfaitement  à  ses  désirs  qu'il  résolut  de  tout  faire  pour  lui 
confier  un  jour  la  direction  des  écoles  de  son  diocèse.  Mais  ce 
qu'il  apprit  alors  sur  l'état  dune  Société  encore  dans  son  pre- 
mier développement,  lui  inspira  la  pensée  d'aller  d'abord  au 
plus  pressé,  et  de  favoriser  la  formation  et  le  recrutement  des 
jeunes  religieux  par  l'établissement  d'un  collège -séminaire  à 
Paris  même.  Fondateur  d'une  maison  d'éludés  pour  les  sujets 
de  l'Ordre,  il  aurait  dans  l'avenir  plus  de  droit  qu'un  autre  à 
obtenir  leur  concours  pour  la  réforme  de  l'enseignement  dans 
son  pays  d'Auvergne.  Le  Père  Le  Jay,  se  faisant  son  intermé- 
diaire auprès  d'Ignace  de  Loyola,  écrivait  à  celui-ci  le  10  mai 
1546  :  «  Le  révérendissime  prélat  a  été  très  édifié  de  tout  ce  que 
je  lui  ai  appris  sur  la  Compagnie.  Je  lui  ai  montré  la  bulle  d'insti- 
tution, une  note  sur  notre  manière  de  fonder  des  collèges2,  les 
lettres  écrites  des  Indes,  la  dernière  circulaire  où  sont  relatées 
les  bonnes  œuvres  que  Dieu  a  daigné  opérer  par  le  ministère  de 
ses  serviteurs...  Il  espère  que  Notre-Seigneur  emploiera  la  Com- 
pagnie au  soulagement  de  la  sainte  Église,  spécialement  en  France 
où  elle  pourra  faire  le  plus  grand  bien...  Il  m'a  chargé  d'envoyer 
à  Votre  Révérence  une  copie  des  statuts  de  son  collège,  afin  qu'elle 
y  voie  ses  intentions  et  qu'elle  veuille  bien  lui  dire  ce  qu'elle  en 
pense3.  »  Le  P.  Le  Jay  ajoutait  encore  quelques  détails  qui  mon- 
trent toute  la  sincérité  des  désirs  de  Monseigneur  du  Prat  :  l'im- 
meuble qu'il  destinait  au  futur  collège  appartenant  à  l'évèché  de 

t.  Polanco,  Chron.,  I,  175,  176.  Cf.  Lettre  de  Le  Jay  à  Ignace,  février  ou  mars  1546 
(Epist.  Broeli,  Jaii...,  p.  302,  303).  Un  seul  autre  procureur  se  trouvait  avec  lui  dans 
le  même  cas,  celui  de  l'archevêque  de  Trêves. 

2.  11  s'agit  de  maisons  d'études  pour  les  scolastiques  de  la  Compagnie.  A  cette  date 
il  ne  pouvait  être  question  de  maisons  d'enseignement  pour  la  jeunesse,  telles  qu'elles 
fuient  créées  plus  tard  (Voir  Tournier,  Monseigneur  G.  Du  Prat  au  concile  de 
Trente.  Etudes,  t.  XLV11I,  p.  465).  Dans  ces  articles  l'auteur  a  donné  de  nombreux  détails 
sur  les  relations  des  Jésuites  et  de  Me'  du  Prat  à  Trente  et  sur  les  intentions  de  cet 
évêque  touchant  les  collèges  de  Paris  et  de  Billom. 

3.  Lettre  de  Le  Jay  à  Ignace  (Mon.  Hist.  S.  J.,  Epist.  PP.  Broeti,  Jaii,  etc.,  p.  307). 


154  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Clermont,  il  ne  pouvait  en  disposer  sans  le  consentement  du 
Pape  et  du  chapitre;  déjà  une  supplique  avait  été  envoyée  à  Sa 
Sainteté,  dont  on  attendait  chaque  jour  un  rescrit  portant  son 
autorisation;  celle  des  chanoines  était  déjà  obtenue,  à  la  seule 
condition  que,  dans  ce  collège,  seraient  toujours  entretenus 
gratuitement  deux  clercs  de  chœur  de  l'église  cathédrale  l. 

Sur  ces  entrefaites  Mgl'  du  Prat,  par  raison  de  santé,  entreprit 
un  voyage  de  huit  ou  quinze  jours  en  Italie.  Il  en  profita  pour 
passer  par  Venise  et  Padoue,  et  visiter  le  collège  établi  dans  cette 
dernière  ville  sous  la  direction  du  P.  Elpidio  Ugoletti  2  :  «  Il  y 
avait  là,  dit  Ribadeneira,  quatorze  étudiants  italiens,  français  et 
espagnols,  [suivant  les  cours  de  l'Université].  Quoique  de  nations 
différentes,  nous  étions  tous  unis  dans  le  Seigneur  par  lès  liens 
de  la  charité  fraternelle.  Une  paix  inaltérable  régnait  parmi 
nous;  la  pauvreté  nous  éprouvait  presque  toujours,  mais  elle  ne 
troublait  jamais  le  bonheur  dont  nous  jouissions3.  »  Ce  spectacle 
de  la  joie  surnaturelle,  dans  les  fatigues  de  l'étude  et  la  pratique 
de  la  vertu,  ne  pouvait  que  confirmer  les  impressions  déjà  favo- 
rables de  l'évêque  de  Clermont.  Revenu  à  Trente,  il  témoigna 
aux  PP.  Lainez  et  Salmeron,  envoyés  au  concile  comme  théolo- 
giens du  Saint-Siège4,  la  considération  et  la  bienveillance  dont  il 
avait  déjà  honoré  Claude  Le  Jay. 

3.  Au  mois  de  mars  1547  une  épidémie  ayant  envahi  la  ville 
de  Trente,  le  Souverain  Pontife  décida  de  transférer  l'assemblée 
à  Rologne.  Plusieurs  évêques  retournèrent  alors  dans  leurs 
diocèses;  Guillaume  du  Prat  obtint  des  Légats  la  permission  de 
rentrer  en  France  '.  Aussitôt  il  résolut  de  mettre  à  exécution  ses 
projets  concernant  la  Compagnie  de  Jésus.  Dans  un  voyage  qu'il 
fit  à  Paris,  après  son  retour  en  Auvergne,  il  envoya  son  grand- 
vicaire  au  collège  des  Lombards  saluer  les  Pères  en  son  nom. 
Ceux-ci  s'étant  aussitôt  rendus  à  son  hôtel'1,  il  les  reçut  avec  une 

1.  Ibidem,  p.  308.  Cf.  Délibérations  du  chapitre  de  Clermont,  19  nov.  1543  et 
21  janvier  1544,  dans  Majour,  Réfutation  des  impostures  de  l'abbé  Feydit,  p.  27. 

2.  Polanco,  Chronicon,  I,  189. 

3.  Ribadeneira  :  Soliloquio  y  conl'esiones. 

4.  11  semble  bien  que  ces  deux  Pères  furent  envoyés  à  Trente,  en  1546,  déjà  comme 
théologiens  pontificaux.  Boéro  l'affirme  (Vie  de  Lainez,  liv.  I,  ch.  vi),  et  on  lit  dans 
une  lettre  d'Ignace  à  Canisius,  au  sujet  de  Lainez  et  de  Salmeron  :  «  quos  audieratis 
in  concilium  destinatos  a  summo  Pontifice  »  (Mon.  Ignat.,  Epist.,  t.  I,  p.  394,  lettre 
de  juin  1546). 

5.  Lettre  des  légats  au  cardinal  Farnèse,  11  mars  1547,  dans  Nuniiaturberichte 
aus  Deulscliland,  t.  IX,  p.  625. 

6.  «  Les  évêques  étant  souvent  obligés  sous  Philippe  le  Bel  de  se  rendre  à  Paris 


L'HOTEL  DE  CLERMONT,  L5S 

grande  bonté,  parla  longuement  des  travaux  de  la  Compagnie 
dont  il  avait  été  témoin,  spécialement  au  concile  de  Trente,  et 
raconta  comment,  à  l'un  des  discours  du  P.  Salmeron,  beaucoup 
d'auditeurs  avaient  été  toucbés  jusqu'aux  larmes1;  enfin  il 
déclara  son  intention  d'établir  à  Paris  une  maison  d'études, 
ajoutant  qu'il  montrerait  bientôt  sa  détermination  par  des  actes. 
A  partir  de  ce  moment,  il  entretint  d'aimables  relations  avec  le 
supérieur  des  jeunes  étudiants  qu'il  regardait  déjà  comme  les 
futurs  réformateurs  de  son  diocèse.  Il  remarqua  qu'une  habitation 
indépendante  leur  manquait,  pour  goûter  la  vraie  vie  de  commu- 
nauté et  recevoir  les  candidats  de  toutes  nations  qui  demandaient 
à  partager  leur  sort.  Tel  était  bien  aussi  le  sentiment  du  Père 
Viola;  malheureusement  sa  pauvreté  ne  lui  permettait  pas  de 
mieux  faire.  Quand  il  connut  cette  détresse,  Guillaume  du  Piaf 
donna  une  somme  de  six  cents  écus.  C'était  suffisant  pour  ac- 
quérir le  domicile  que  l'on  souhaitait,  mais  on  chercha  en  vain 
dans  le  quartier  des  écoles  :  les  maisons  disponibles  laissaient  à 
désirer  sous  le  rapport  de  l'installation,  ou  bien  l'on  ne  pouvait 
s'entendre  sur  les  conditions  de  la  vente.  Le  prélat,  cédant  à  son 
ingénieuse  charité,  recueillit  dans  l'hôtel  des  évêques  de  Clermont, 
situé  rue  de  la  Harpe,  les  religieux  du  collège  des  Lombards  '. 
Bienlôt,  sous  l'habile  direction  du  P.  Viola,  tout  fut  organisé 
selon  les  usages  de  la  maison  de  Rome  :  aménagement  très  simple 
des  chambres,  petite  salle  servant  d'oratoire,  jardin  ou  plutôt 
«  emplacement  de  jardin  »  pour  les  récréations,  portier  et  clo- 
chette à  l'entrée,  tout  avait  vraiment  l'apparence  d'une  maison 
régulière.  Après  les  fêtes  de  Pâques  de  1550,  eut  lieu  l'installation. 
Guillaume  du  Prat,  à  sa  première  visite,  fut  émerveillé  du  bon 
ordre  général  et  en  témoigna  au  P.  Viola  sa  satisfaction'.  On  ne 
savait  cependant  quel  nom  donner  au  supérieur  de  cette  nouvelle 
maison  d'études.  Celui  de  Recteur  semblait  lui  convenir  '',  à  l'imi- 


pour  les  affaires  de  leur  diocèse  ou  pour  celles  de  l'état,  l'évêque  Avmard  de  Cros 
prit  de  là  occasion  d'acheter  dans  cette  ville  un  hôtel,  pour  lui  et  ses  successeurs, 
situé  dans  la  rue  de  la  Harpe  près  de  l'église  des  Sainls  Cosme  et  Damien,  qui  répondait 
(sic)  à  la  grande  cour  des  Cordeliers.  Ce  fut  en  1291  »  (Hist.  de  l'église  d'Auvergne, 
ras.  589  de  la  Bibl.  de  Clermont,  p.  205). 

1.  «  Et  ex  oratione  P.  Salmeronis  multos  ad  lacrymas  fuisse  compunctos  »  (Polanco, 
Chronicon,  I,  p.  246). 

2.  Polanco,  Chronicon,  I,  183,  246,  417,  418,  422. 

3.  Lettre  de  Polanco,  11  mai  1549  {Mon.  Ign.,  s.  1,  t.  II,  p.  398).  Cf.  Chronicon. 
II,  88,  91.  Litterae  quadr.,  I,  39i. 

4.  Les  lettres  de  Recteur  furent  envoyées  au  P.  Viola,  le  7  mai  1550  (Décréta  el 
instructiones,  f.  22).  Cf.  Lettre  d'Ignace  au  P.  Viola,  9  mai  1550.  Lettre  du  P.  Po- 
lanco au  même,  9  mai  1550,  dans  Mon.  Irjn.,  s.  1,  t.  II,  p.  9. 


156  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESl  S. 

tation  de  ce  qui  se  pratiquait  ailleurs  dans  la  Compagnie;  mais 
Tévôque  de  Clermont  consulté  trouva  que  ce  titre,  porté  en  France 
par  ceux  qui  gouvernent  une  Université,  serait  trop  honorifique; 
il  demanda  que  celui,  plus  simple,  de  Supérieur  fût  conservé  '. 

En  quittant  le  collège  des  Lombards,  le  P.  Viola  était  resté  ti- 
tulaire d'une  bourse  qui,  depuis,  n'avait  été  concédée  à  personne. 
Or  il  arriva  qu'un  des  proviseurs  préposés  à  la  direction  du  col- 
lège donna  sa  démission,  et  deux  conseillers  du  Parlement  vinrent 
présider  à  l'élection  de  son  successeur.  Les  suffrages  des  boursiers 
se  portèrent  sur  le  P.  Jean-Baptiste  Viola,  qui  accepta  la  nomina- 
tion. Les  proviseurs  n'étant  pas  tenus  d'habiter  au  collège,  le 
nouvel  élu  aurait  pu  remplir  le  devoir  de  cette  charge,  à  laquelle 
était  attaché  un  revenu  de  huit  cents  francs  ;  mais  dans  l'intérêt 
spirituel  de  la  nouvelle  communauté,  qui  réclamait  tous  ses 
soins,  le  Père  Ignace  préféra  qu'il  renonçât  aux  honneurs  et  aux 
bénéfices  qu'on  voulait  lui  accorder'. 

L'établissement  des  étudiants  de  la  Compagnie,  à  l'hôtel  de  Cler- 
mont, ne  reposait  pas  encore  sur  une  de  ces  fondations  charitables 
dont  tant  d'autres  prélats  avaient  doté  la  ville  de  Paris,  en  faveur 
des  écoliers  pauvres  :  c'était  seulement  l'habitation  gratuite, 
dans  une  maison  prêtée  parmi  généreux  bienfaiteur.  Le  P.  Viola 
continua  donc  de  recourir  à  des  aumônes  pour  subvenir  à  l'entre- 
tien des  jeunes  religieux;  et  comme  il  craignait  qu'elles  ne  fussent 
pas  suffisantes  pour  tous  les  besoins,  il  crut  prudent  de  laisser 
au  collège  des  Lombards  trois  ou  quatre  boursiers  d'origine  étran- 
gère. Le  P.  Général  n'approuva  pas  cette  mesure;  il  voulut  que 
tous  fussent  réunis  rue  de  la  Harpe,  comptant  uniquement  sur  les 
secours  de  la  Providence3.  Elle  ne  leur  fit  pas  défaut.  Une  noble 
et  pieuse  femme,  mademoiselle  d'Acheville  '',  désirant  leur  pro- 
curer quelques  revenus,  fit  une  riche  aumône,  à  charge  de  dire  la 
messe  quatre  fois  par  an  à  ses  intentions.  Ignace  ne  jugea  pas 
cette  condition  strictement  conforme  à  l'Institut"',  qui  n'admet  au- 

1.  Chronicon,  II,  93. 

2.  Polanco,  Chronicon,  I,  417,  II,  91.  Lettre  du  P.  Polanco  au  P.  Viola,  8  fév.  155n, 
dans  Mon.  Ign.,  s.  1,  t.  II,  p.  2.  Commencements  de  la  Compagnie  dans  Caravou, 
Doc.  inéd.,  I,  6. 

3.  Polanco,  Chronicon,  II.  88,  91. 

4.  Polanco  l'appelle  de  Acquitta,  mais,  dans  le  registre  des  lettres  de  S.  Ignace,  on 
trouve  de  Achevilla. 

5.  Polanco,  Chronicon,  t.  II,  p.  93.  «  Cum  Palri  Ignatio  hujus  modi  condilio  non 
admiltenda  juxta  nostrum  Institutum  viderelur...  »  —  Le  fondateur  s'est  montré 
moins  sévère  dans  les  Constitutions.  P.  IV,  c.  u,  B.  :  «  Obligationes,  quae  assignato 
reditui  commensuratae  videantur,  assumi  nequeunt.  Non  tamen  inconvénient...  faci- 
lem  et  exiguam  obligationem  admittere  ». 


L'HOTEL  DE  CLERMONT.  i:i: 

cune  rétribution  temporelle  pour  les  fonctions  spirituelles.  Il  fit 
savoir  à  la  généreuse  donatrice  qu'on  ne  pouvait  accepter  l'obli- 
gation. Elle  n'en  persévéra  pas  moins  dans  son  bon  dessein,  sachant 
bien  que  pour  la  Compagnie  la  reconnaissance  serait  une  dette 
sacrée1.  Déjà  on  avait  obtenu  pour  les  bienfaiteurs  l'indulgence 
du  jubilé,  «  ce  dont  ils  furent  grandement  consolés,  dit  la  clin» 
nique  de  Polanco,  en  voyant  qu'ils  étaient  aimés  /'//  spiritu  par 
la  Société-  ». 

ï.  Parmi  les  hôtes  de  Mgl  du  Prat,  on  remarquait  le  P.  Éverard 
.Mercurian,  né  en  1514,  au  village  de  Marcourt,  dans  le  duché  de 
Luxembourg.  Il  avait  commencé  ses  études  aux  écoles  de  Liège,  et 
les  avait  terminées  à  l'Université  de  Louvain  où  il  devint  maître 
es  arts.  Il  se  trouvait  dans  cette  ville,  en  1543,  lorsque  le  P.  Le 
Fèvre  y  passant  pour  se  rendre  en  Portugal  fut  arrêté  par  la  ma- 
ladie. Il  alla  lui  dire  ses  doutes  et  lui  demander  conseil  sur  son 
avenir.  Ébranlé  par  la  parole  ardente  de  François  Strada,  il  se  sen- 
tait porté  à  solliciter  son  entrée  dans  la  Compagnie,  mais,  s'ima- 
^inant  qu'il  ferait  plus  de  bien  dans  le  ministère  pastoral,  il  s'ar- 
rêta à  cette  dernière  résolution  :  «  Queferai-je  dans  cette  Société, 
se  disait-il,  que  je  ne  puisse  faire  par  les  fonctions  d'un  pasteur 
des  âmes?  Elle  administre  les  sacrements,  elle  prêche,  elle  célèbre 
pieusement  les  saints  mystères  et  les  fêtes,  elle  édifie  par  les 
exemples  de  sa  vie  chaste  et  mortifiée.  Est-ce  que,  prêtre  séculier, 
je  ne  pourrai  pas  en  faire  autant?  J'en  pourrai  même  faire  davan- 
tage, puisque  j'administrerai  plus  de  sacrements,  en  même  temps 
que  je  pourrai  distribuer  des  aumônes,  visiter  les  malades  et 
enseigner  la  doctrine  chrétienne  aux  enfants  ;.  »  On  lui  confia 
une  paroisse  du  diocèse  de  Liège,  appelée  Waillet  ou  Voët.  La 
première  année,  il  s'efforça,  dit  un  vieil  auteur,  «  d'essarter  par 
son  bon  exemple  les  âmes  de  ses  paroissiens  toutes  hérissées 
de  ronces  et  de  broussailles  »,  et  dans  ce  but  il  cherchait  à  les 
édifier  par  une  vie  sainte  et  retirée,  ne  les  fréquentant  guère  que 
pour  leur  administrer  les  sacrements.  Mais  «  voyant  que  ceci  lui 
succédoit  à  rebours  »,  la  seconde  année,  il  changea  de  tactique, 
et  se  faisant  tout  à  tous  se  mit  à  vivre  avec  eux  en  toute  fami- 
liarité. «  Cette  manière  ne  réussit  non  plus  que  la  première,  et 
comme  il  resvoit  là-dessus   fort  désolé,  la  mémoire    du  P.  Le 


1.  Lettres  d'Ignace  à  M11,  d'Aclieville,  11  août,  19  octobre  1550  [Mon,  Ignat.,  s.  1. 
t.  III,  p.  139,  211).  —  2.  Polanco,  Chronicon,  II,  93,  9'«. 
3.  Manare,  De  vila  Ev.  Mercuriani,  p.  1. 


158  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSIS. 

Fcvre  et  de  Strada,  qu'il  avoit  cognus  à  Louvain,  luy  revint  en 
pensée,  et  se  délibéra  de  les  suivre  et  de  se  donner  à  la  Com- 
pagnie1. »  Dans  un  premier  voyage  à  Paris,  en  1547,  il  fit  les 
Exercices  spirituels  sous  la  direction  du  P.  Paul  d'Achille,  puis 
retourna  à  Liège  pour  y  régler  quelques  affaires  de  famille.  Il 
revint  l'année  suivante  et  fut  admis  dans  la  Compagnie,  le  8  sep- 
tembre, par  le  P.  Viola.  Il  était  âgé  de  trente-quatre  ans2. 

Doué  de  rares  qualités,  Éverard  Mercurian  fut  tout  de  suite  un 
précieux  auxiliaire  pour  son  supérieur.  Bien  qu'il  eût  achevé  déjà 
ses  études,  «  il  s'appliqua  de  nouveau  à  la  théologie  et  suivit  les 
leçons  de  plusieurs  professeurs,  surtout  celles  du  docteur  Govéa, 
devenu  l'un  des  meilleurs  amis  de  la  Compagnie  ?  ».  Le  reste  de 
son  temps  était  partagé  entre  les  devoirs  de  la  charité  fraternelle 
et  le  ministère  sacerdotal.  Sa  maturité,  <v  son  adresse  à  manier 
les  consciences,  à  sonder  et  à  guérir  les  cœurs4»,  lui  attiraient 
beaucoup  déjeunes  gens  dont  il  faisait  de  fervents  chrétiens.  Plu- 
sieurs parmi  eux,  comme  Adrien  de  Witte,  Éleuthère  du  Pont  et 
Olivier  Manare,  entrèrent  dans  la  Compagnie  de  Jésus5. 

D'ailleurs,  depuis  leur  installation  à  l'hôtel  de  Clermont,  les 
jeunes  religieux,  les  prêtres  surtout,  ne  laissaient  point  languir 
leur  ardeur  apostolique.  Ils  y  étaient  fort  encouragés  par  les 
beaux  résultats  obtenus  dans  leurs  ministères  à  l'église  des  Char- 
treux :  le  sacristain  de  ce  sanctuaire  avouait,  «  avec  une  joyeuse 
reconnaissance  »,  que  parmi  les  écoliers,  qu'ils  avaient  habitués  à 
la  communion  fréquente,  une  vingtaine  avaient  déjà  embrassé  la 
vie  monastique  dans  l'Ordre  de  Saint-Bruno  i;.  Désormais  les  réu- 
nions pieuses  se  feront  dans  les  églises,  plus  voisines,  des  Saints 
Cosme  et  Damien  et  de  Saint-Germain-des-Prés.  Dans  cette  der- 
nière, le  Prieur  des  Bénédictins  avait  concédé  aux  protégés  de 
Monseigneur  du  Prat  l'usage  d'une  chapelle,  pour  y  célébrer  la 

1.  D'Oultreman,  Tableaux  des  personnages  signalez  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
p.  79,  80.  L'auteur,  entré  dans  la  Compagnie  en  1607,  avait  pu  connaître  le  P.  0.  Ma- 
nare, premier  biographe  du  P.  Mercurian,  qui  ne  mourut  qu'en  1611.  (On  trouve  des 
détails  sur  sa  mort  dans  le  ms.  3,349  de  la  Bibl.  roy.  de  Bruxelles). 

2.  Chronicon,  I,  296.  —  3.  Manare,  op.  cit.,  p.  5.  —  4.  Ibid.,  p.  6. 

5.  Chronicon,  II,  292.  Litter.  quadr.,  I,  300,  340,  394...  Olivier  Manare  avait  connu 
Éverard  Mercurian  à  Louvain  ;  il  lui  consacra  plus  tard  une  notice  biographique  à 
laquelle  nous  aurons  plusieurs  fois  recours,  de  même  qu'à  son  Commentarius  de  ré- 
bus Societatis  Jesu,  ouvrage  d'autant  plus  suggestif  que  l'auteur  occupa  des  charges 
importantes  dans  la  Compagnie.  —  Adrien  de  Witte  était  aussi  un  étudiant  de  Lou- 
vain et  lut  attiré  à  Paris  par  l'exemple  de  Mercurian.  —  Éleuthère  du  Pont,  né  à  Lille 
en  1527,  avait  des  aptitudes  exceptionnelles  pour  l'élude  des  belles-lettres;  il  faisait 
sa  médecine  à  Paris  quand  il  y  connut  Mercurian  et  par  lui  la  Compagnie  de  Jésus. 

6.  Ce  qui  n'empêchera  pas  les  adversaires  de  dire  que  la  Compagnie  est  une  société 
d'accapareurs.  Cf.  Polanco,  Chronicon,  II,  92. 


L'HOTEL  DE  CLERMONT.  159 

messe  et  y  administrer  les  sacrements,  ce  qu'ils  faisaient,  dit  une 
ancienne  relation,  «  avec  un  grand  concours  de  plusieurs  sei- 
gneurs et  daines  l  ».  Dans  les  lettres  qu'il  envoyait  à  Rome  tous 
les  quatre  mois,  suivant  l'usage  d'alors  ',  le  P.  Supérieur  avait 
souvent  à  enregistrer  le  succès  des  œuvres  de  miséricorde  spiri- 
tuelle :  tantôt  ce  sont  des  conversions,  tantôt  des  vocations  à  di- 
vers Ordres  religieux,  suscitées  par  les  Exercices  du  P.  Ignace. 
L'exemple  du  duc  de  Gandie,  François  de  Borgia,  dont  l'entrée 
dans  la  Compagnie  venait  d'être  connue  en  France,  y  produisit 
sur  nombre  de  personnes  des  impressions  salutaires  :  «  Cet 
exemple,  écrit  le  P.  Viola,  nous  concilia  beaucoup  d'espagnols, 
qui,  jusqu'à  présent,  n'avaient  pour  nous  que  de  l'antipathie.  » 
Rien  ne  recommanda  plus  puissamment  la  communauté  de  Paris 
à  l'estime  de  ces  étrangers,  que  les  services  et  les  honneurs  qu'elle 
rendit  à  l'un  d'entre  eux.  C'était  un  savant,  très  ami  de  la  Compa- 
gnie. Il  tomba  dangereusement  malade  et  supplia  les  Pères  de  ne 
point  le  quitter  jusqu'à  son  dernier  soupir.  Deux  religieux  se  dé- 
vouèrent nuit  et  jour  à  son  service,  et  lui  prodiguèrent  pendant 
une  semaine  tous  les  secours  de  la  plus  compatissante  charité. 
Après  sa  mort,  on  lui  fit  de  magnifiques  funérailles,  auxquelles 
tous  les  espagnols  furent  invités.  Touchés  de  cet  acte  de  piété  en- 
vers un  de  leurs  compatriotes,  les  moins  bien  disposés  à  l'égard 
de  l'hôtel  de  Clermont  se  déclarèrent  ses  plus  chauds  partisans. 
On  remarqua  surtout  cet  heureux  changement  chez  un  jeune 
homme,  peu  soucieux  de  ses  devoirs  de  chrétien,  que  le  mourant 
avait  recommandé  à  la  sollicitude  du  P.  Viola.  A  partir  de  ce  mo- 
ment il  devint  un  modèle  pour  ses  camarades  et  l'un  des  plus 


1.  Commencements  de  la  Compagnie  (Carayon,  Documents  inédits,  I,  7).  —  Ma  • 
nare,  De  rébus  S.  /.,  p.  64.  —  Orlandini  ne  parle  pas  de  Saint-Germain  mais  toujours 
des  Chartreux.  Le  P.  Polanco  en  parle  sous  l'année  1552,  mais  en  ajoutant  :  «  Feslis 
autem  diebus  in  abbatia  Sancli  Germani  pro  antiquo  more  sacramenta  Pascbasius 
ministrabat  »  (Chronicon,  II,  599). 

2.  A  l'origine  de  la  Compagnie,  dès  1540,  les  Pères  dispersés  avaient  coutume  d'écrire 
à  Rome  tous  les  huit  jours.  Plus  tard  les  supérieurs  des  maisons  d'Italie  et  de  Sicile 
furent  chargés  d'écrire  chaque  semaine,  ceux  des  autres  parties  de  l'Europe  chaque 
mois  et  ceux  des  Indes  chaque  année  seulement.  En  1546  il  fut  décidé,  pour  décharger 
les  supérieurs  locaux,  que  cette  correspondance  traiterait  surtout  des  affaires  cou- 
rantes, et  que  les  choses  édifiantes  seraient  consignées  tous  les  quatre  mois  seule- 
ment soit  par  les  supérieurs  eux-mêmes,  soit  par  d'autres  en  leur  nom,  dans  des 
lettres  circulaires,  dites  quadrimestres  et  envoyées  à  Rome  aux  mois  de  janvier,  mai 
et  septembre.  Le  27  juillet  1547  le  P.  Polanco,  de  la  part  du  P.  Ignace,  adressa  à  toute 
la  Compagnie  des  instructions  à  ce  sujet  (Mont  Ignat-,  s.  1,  t.  I,  p.  536-541).  Le  saint 
fondateur  tenait  beaucoup  à  la  correspondance  épistolaire  pour  le  bien  général  de  la 
Compagnie;  par  lui-même  ou  son  secrétaire  il  répondait  en  donnant  des  avis,  des  en- 
couragements ou  des  observations  paternelles.  (Cf.  Mon.  Hist.,  LU  ter.  quadr.,  t.  i, 
Préface.  —  Const.,  P.  VIII,  c.  i,  n.  9,  Let  M). 


160  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

assidus  aux  réunions  de  la  chapelle  de  Saint-Germain-des-Prés. 
Cette  chapelle  continuait  d'ailleurs  à  être  le  rendez-vous  de  l'é- 
lite des  étudiants  de  l'Université  :  on  vit,  un  jour  de  Noël,  plus 
de  soixante  d'entre  eux  y  faire  ensemble  la  sainte  communion1. 

5.  Peu  à  peu,  la  curiosité  publique  fut  éveillée  sur  les  étudiants 
de  la  Compagnie  de  Jésus  par  l'affluence  des  fidèles,  de  tout  âge 
et  de  toute  condition,  que  leur  zèle  attirait.  Au  collège  des  Tréso- 
riers et  à  celui  des  Lombards,  ils  ne  s'étaient  distingués  des  autres 
écoliers  ni  par  leur  costume,  ni  par  leur  nom.  Jusque-là  on  n'a- 
vait vu  en  eux  que  des  élèves  réguliers  et  vertueux,  et  leur  famille 
religieuse  était  restée  inconnue  à  un  grand  nombre.  Mais,  dès 
qu'ils  eurent  formé,  à  l'hôtel  de  Clermont,  une  communauté  par- 
ticulière, et  qu'ils  furent  tous  habillés  de  môme  façon,  on  s'in- 
forma de  leur  qualité,  de  leur  nom,  du  genre  de  vie  qu'ils  me- 
naient. On  sut  bientôt  que  c'étaient  des  scolastiques  d'un  Ordre  de 
Clercs  Réguliers,  tout  nouveau,  approuvé  par  deux  bulles  de 
Paul  III  sous  le  titre  de  Société  ou  Compagnie  de  Jésus.  Comme  il 
aurait  été  trop  long  de  les  appeler  Clercs  de  la  Compagnie  de  Jé- 
sus, on  les  désigna  par  les  noms  de  Clercs  de  Clermont  ou  de  Jé- 
suites -.  Ils  formèrent,  dans  l'opinion,  comme  une  classe  distincte 
parmi  les  autres  groupes  d'étudiants  de  l'Université.  Sur  leur 
compte  les  esprits  se  partagèrent  :  les  uns  leur  montrèrent  encore 
plus  d'opposition  qu'auparavant,  les  autres  ajoutèrent  à  l'estime, 
qu'ils  leur  avaient  jusque-là  témoignée,  un  nouveau  sentiment  de 
respect,  à  cause  de  leur  profession. 

Les  disciples  d'Ignace  de  Loyola  se  mettaient  sans  doute  peu 
en  peine  des  contradictions,  soulevées  par  des  partisans  de  l'héré- 
sie ou  de  mauvais  chrétiens  :  c'est  le  privilège  réservé  à  ceux  qui 
ont  l'honneur  de  porter  le  nom  de  Jésus.  Mais  ils  furent  sen- 
sibles aux  attaques  de  certains  hommes,  qui  auraient  dû  plutôt  se 
déclarer  leurs  défenseurs  et  leur  soutien.  Un  docteur  de  renom 
prédisait,  à  qui  voulait  l'entendre,  que  cette  société  nouvellement 
fondée  ne  vivrait  pas  longtemps,  et  il  ajoutait  qu'il  valait  mieux 
faire  l'aumône  aux  pauvres  qu'aux  Jésuites.  Un  autre  détournait 
ses  amis  et  connaissances  d'entretenir  des  relations  avec  des  gens 

1.  Lilter.  quadr.,  I,  p.  254.  Chronicon,  II,  94,  294,  295. 

2.  «  Quidam  nomenclatores  Jesuitas  nos  nominant,  brevilatis  praetextu  se  dei'en- 
dentes  »  (Litler.  quadr.,  III,  112).  Le  P.  Canisius  écrivant  au  P.  Le  Fèvre,  le  30  dé- 
cembre 1544,  lui  disait  déjà  :  «  De  nobis  dicam  potius  qui  jesuitae  dicimur  »  (Brauns- 
berger,  Canisii  Epistolae,  I,  121).  Il  ajoutait  l'année  suivante  qu'on  employait  le  nom 
de  Jésuite  comme  une  insulte  contre  les  Pères  de  la  Compagnie  {Ibid.,  p.  134). 


L'HOTEL  DE  CLERMONT.  loi 

sans  aveu,  qui  menaient  une  existence  mystérieuse,  l'n  troisième 
prétendait  que  tous  les  clercs  de  Glermont,  si  on  les  traitait  selon 
leur  mérite,  devraient  être  flagellés  en  place  publique,  comme 
corrupteurs  de  la  jeunesse  et,  pour  preuve,  il  racontait  que  le 
P.  Ignace  avait  voulu  autrefois  le  séquestrer  durant  trente  jours 
sous  prétexte  de  vaquer  à  des  exercices  spirituels  '. 

L'aventure  arrivée  à  «  un  certain  Taulpin  »  sembla  donner 
quelque  consistance  à  ces  faux  bruits.  C'était  un  homme  instruit 
dans  les  lettres  grecques  et  latines,  voire  philosophe  et  théolo- 
gien, à  qui  le  P.  Paul  d'Achille  avait  autrefois  donné  une  retraite. 
Dans  un  moment  de  ferveur  exagérée  et  à  l'insu  de  son  directeur, 
non  seulement  il  fît  le  vœu  d'entrer  dans  la  Compagnie  si  on  vou- 
lait bien  le  recevoir,  mais  encore  «  fut  si  mal  advisé  que  d'écrire 
et  soubsigner  son  dict  vœu  avec  son  sang  qui  lors  lui  couloit  du 
nez  2  ».  D'un  caractère  peu  constant,  cet  homme  se  repentit  bien- 
tôt de  sa  résolution,  et  consulta  plusieurs  docteurs  pour  savoir  s'il 
était  obligé  de  tenir  sa  promesse.  Ceux-ci,  défavorablement  pré- 
venus par  ce  qu'ils  entendaient  chaque  jour,  s'imaginèrent  que 
cet  exalté  n'avait  agi  qu'à  l'instigation  du  P.  Paul  d'Achille,  qui 
ne  fut  pourtant  au  courant  de  rien,  et  ils  allèrent  répétant  par- 
tout que  les  Jésuites  poussaient  les  fidèles  à  faire  des  vœux  indis- 
crets et  même  à  les  signer  de  leur  sang  3. 

Vers  ce  même  temps,  un  religieux  de  l'Ordre  des  Carmes  prê- 
chant dans  l'église  de  Saint-Séverin,  à  Paris,  et  expliquant  les 
paroles  de  l'apôtre  Fratres  in  Christo  Jesu,  ne  craignit  pas  de 
lancer  les  plus  violentes  «  invectives  »  contre  une  Société,  dont 
les  membres  avaient  l'audace  «  de  prendre  le  nom  de  Jésuites 
comme  si,  seuls,  ils  étaient  frères  en  Jésus-Christ  'L  ».  Le  P.  Po- 
lanco  dans  son  Chronicon  parle  encore,  sans  le  nommer,  d'un 
autre  détracteur.  Celui-là,  «  personnage  de  grande  autorité,  sous 
une  apparence  austère  cachait  le  venin  de  l'hérésie  ».  Dans  ses 
conversations,  par  de  faux  rapports  ou  des  insinuations  malveil- 
lantes il  jetait  dans  les  âmes  simples,  que  trompaient  ses  dehors, 
des  germes  de  défiance  et  même  d'antipathie  à  l'égard  des  étu- 
diants de  l'hôtel  de  Clermont.  Il  était  ainsi  parvenu  «  à  éloigner 
d'eux  des  personnes  disposées  à  leur  faire  l'aumône,  et  des 
jeunes  gens  qui  se  sentaient  appelés  à  leur  Institut  ».  V\\  jour  ce- 
pendant «  ses  vrais  sentiments  furent  découverts,  et  l'évidence  de 

1.  Polanco,  Chronicon,  I,  420. 

2.  Commencements  de  la  Compagnie  (Carayon,  Documents  inédits,  I,  8). 

3.  Polanco,  Chronicon,  I,  420.  —  4.  Ibid..  II,  93. 

COMPAGNIE    DE   JÉSLS.    —  T.    I.  11 


162  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

ses  mensonges  gagna  des  cœurs  à  ceux  dont  il  aurait  voulu  ruiner 
la  réputation  ».  Peu  de  temps  après,  «  dénoncé  pour  plusieurs 
propositions  hérétiques  qui  lui  étaient  échappées  dans  un  sermon, 
il  fut  arrêté  et  mis  en  prison.  Ses  amis  obtinrent  sa  liberté,  mais 
lui  retirèrent  leur  confiance.  Et  lui,  bientôt,  jetant  le  masque,  se 
réfugia  à  Francfort  où  il  se  déclara  ouvertement  luthérien  *  ». 

A  une  hostilité  qui  revêtait  toutes  les  formes,  le  P.  Viola  et  ses 
religieux  n'opposèrent  que  la  patience.  Au  milieu  des  épreuves 
leur  vocation  s'affermissait.  D'ailleurs  ils  avaient  autour  deux 
des  hommes  de  mérite,  qui  les  connaissaient  mieux,  et  ne  les 
abandonnèrent  pas  dans  l'adversité.  Le  docteur  Le  Picart,  entre 
autres,  les  soutint  de  ses  conseils  et  de  son  influence  avec  un 
admirable  dévouement2.  Un  autre  docteur  en  théologie,  direc- 
teur d'un  collèg-e,  se  trouvant  un  jour  à  la  porte  de  son  établis- 
sement pendant  que  l'économe  recueillait,  suivant  l'usage,  la 
rétribution  scolaire,  aperçut  deux  scolastiques  qui  s'approchaient 
pour  verser  ce  qu'ils  devaient  :  «  N'êtes- vous  pas,  leur  dit-il,  de 
la  Compagnie  de  Jésus?  »  Sur  leur  réponse  affirmative  il  les 
exempta  de  rien  payer,  les  emmena  dans  sa  chambre,  les  entre- 
tint familièrement  et  leur  promit  son  ferme  appui.  Quant  à 
l'évêque  de  Clermont,  qu'on  avait  essayé  de  circonvenir,  si  l'on 
parvint  à  refroidir3  quelque  temps  son  zèle,  on  ne  put  du  moins 
jamais  le  détourner  de  l'œuvre  charitable  qu'il  avait  entreprise, 
ni  détruire  en  lui  cette  affection  dont  nous  le  verrons  plus  tard 
donner  aux  Jésuites  les  preuves  les  plus  convaincantes.  Comme 
le  P.  Supérieur,  en  qualité  d'étranger,  se  trouvait  parfois  très 
embarrassé,  craignant  de  froisser,  malgré  lui,  bien  des  suscepti- 
bilités, le  dévoué  prélat  venait  à  son  secours  et  lui  indiquait  la 
marche  à  suivre  pour  sortir  des  pas  difficiles.  Afin  de  triompher 
des  animosités  qui  se  manifestaient  jusque  dans  le  sein  du  Par- 

1.  Polanco,  Chronicon,  II,  87.  —  2.  Polanco,  Chronicon,  I.  419. 

3.  C'est  l'expression  même  employée  par  Polanco  :  «  Episcopo  etiam  Claramon- 
tano  frigidam  adhibuerunt;  ille  tamen  non  potuit...  a  sua  deliberalione  revocari, 
quamvis  aliquandiu  lepidior  fuerit  »  (Chronicon,  I,  420).  Le  P.  Viola  lui-même,  qui 
était  en  cause,  ne  parle  pas  autrement  :  «  lentescit  animus  ejus  »  [Litt.  quadr.,  I, 
544).  Nous  n'avons  pas  à  insister  sur  cette  tiédeur  passagère  qui  fut  sans  conséquence 
pour  la  suite  des  relations  de  Mgr  du  Prat  avec  la  Compagnie.  Nous  n'avons  d'ailleurs 
à  ce  sujet  que  des  données  assez  vagues.  Le  P.  Viola  se  plaignit  plusieurs  fois  à  saint 
Ignace  des  lenteurs  et  des  tergiversations  de  l'évêque  à  propos  d'une  maison  qu'il 
avait  promise  (Voir  lettre  du  17  fév.  1552  dans  Litt.  quadr.,  I,  541-545).  Mais  comme 
le  font  remarquer  les  éditeurs  des  Monumenta,  d'après  les  lettres  de  saint  Ignace, 
le  P.  Viola,  nature  maladive,  avait  le  caractère  un  peu  trop  chagrin.  De  son  côté 
M1  du  Prat  «  était  jaloux  de  ses  droits,  indépendant  et  tenace  même  dans  ses  bonnes 
œuvres  ».  Enfin  il  avait  à  tenir  compte  de  son  chapitre,  l'hôtel  de  Clermont  étant 
bien  d'Eglise;  puis  il  devait  souffrir  comme  tout  le  monde  de  la  misère  du  temps. 


L'HOTEL  DE  CLERMONT.  16:i 

lement,  il  conseilla  de  s'assurer  à  la  cour  de  puissants  protec- 
teurs qui  prendraient  au  besoin,  près  du  roi,  la  défense  de  La 
Compagnie1. 

Déjà,  dès  1549,  Ignace  de  Loyola  avait  écrit  au  nonce  aposto- 
lique et  à  l'évêque  de  Maçon,  pour  solliciter  leur  bienveillance. 
Le  nonce  s'était  toujours  montré  favorable  aux  Jésuites  de  Paris. 
Il  prit  en  main  leur  cause,  et  tout  faisait  présager  une  heureuse 
issue  de  ses  démarches  auprès  du  roi,  lorsque  la  mort  du  Souve- 
rain Pontife  l'obligea  de  retourner  en  Italie.  L'évêque  de  Màcon, 
Pierre  Duchàtel,  agit  d'une  manière  toute  différente.  Il  protesta, 
devant  plusieurs  personnes  de  son  entourage,  que  loin  d'aider  la 
Compagnie,  il  la  desservirait  plutôt,  attendu,  disait-il,  que  sous 
couleur  de  religion  ces  nouveaux  venus  mangeaient  le  pain  des 
pauvres  :  «  Il  vaudrait  mieux,  ajoutait-il,  que  ces  religieux  et 
beaucoup  d'autres  fussent  occupés  à  bêcher  la  terre.  »  D'ailleurs 
«  il  savait  quel  était  le  fondateur  du  nouvel  Institut,  un  certain 
Ignace,  un  espagnol,  un  ennemi  de  la  France  ».  Aux  côtés  de  l'é- 
vêque se  trouvait  un  homme  très  distingué,  de  science  et  de 
vertu,  Pierre  Danès,  qui  avait  été  ambassadeur  du  roi  très  chré- 
tien au  concile  de  Trente2.  Il  se  fit,  devant  M"'  Pierre  Duchàtel, 
l'avocat  des  Jésuites,  dont  il  espérait  beaucoup  pour  le  bien  de  la 
France.  Il  loua  les  mérites  de  Claude  Le  Jay,  de  Jacques  Lainez 
et  d'Alphonse  Salmeron,  leur  doctrine  et  leur  sainteté  ;  il  rappela 
leurs  œuvres  et  leurs  discours,  les  maisons  de  leur  Ordre  qu'il 
avait  visitées  en  Italie,  les  travaux  de  leurs  confrères  en  Portugal 
et  en  Espagne.  «  Ce  bon  et  très  savant  homme,  rapporte  le 
P.  Polanco,  parla  avec  tant  de  chaleur  et  d'à  propos  qu'on  l'au- 
rait cru  un  défenseur  aux  gages  de  la  Compagnie.  »  Néanmoins 
tout  ce  qu'il  put  dire  fut  inutile  ;  l'évêque  de  Màcon,  dont  l'esprit 
avait  été  prévenu  par  de  faux  bruits,  persista  dans  ses  senti- 
ments d'opposition :;. 

6.  Au  milieu  de  toutes  ces  épreuves,  Mgr  du  Prat,  dans  ses  fré- 
quentes excursions  à  Paris,  se  sentait  et, se  montrait  de  plus  en 
plus  affectionné  à  ses  hôtes,  avec  lesquels  il  aimait  à  s'entretenir 
de  tout  ce  qui  concernait  la  Compagnie  de  Jésus.  «  Il  était  très 
ému  de  la  lecture  des  lettres  adressées  à  toutes  les  maisons  de 
la  Société,  et  dans  lesquelles  on  racontait  les  choses  édifiantes 

1.  LUI.  quadr.,  I,  300.  Clironicon,  I,  418,  420. 

2.  Devenu  évêque  de  Lavaur  en  1557,  il  se  démit  de  son  évêcué  en  1570  et  mou- 
rut l'année  suivante  à  Paris.  —  3.  Polaneo,  Chronicon,  I,  421. 


164  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSLS. 

arrivées  en  divers  pays.  Quant  à  celles  qu'il  recevait  personnel- 
lement du  P.  Ignace,  il  les  trouvait  remplies  d'un  souffle  divin  et 
en  était  profondément  touché.  »  Il  songeait  dès  lors  à  faire  de 
la  communauté  de  Paris  la  base  des  grands  et  généreux  desseins 
qu'il  avait  conçus.  Son  intention  bien  arrêtée  était  de  lui  céder 
non  seulement  l'usage,  mais  la  propriété  de  son  hôtel.  Il  laissait 
même  entrevoir  qu'il  comptait  un  jour  affecter  des  revenus  à 
l'entretien  des  étudiants.  Plusieurs  autres  personnes  avaient 
aussi  manifesté  le  désir  d'aider  cette  fondation  de  leurs  deniers  ; 
mais  toutes  ces  bonnes  volontés  se  heurtaient  à  des  obstacles 
dont  le  temps  seul  et  la  patience  devaient  avoir  raison  '.  Il  fallait 
d'abord  qu'un  des  Pères  eût  une  procuration  en  règle,  afin  de 
pouvoir  agir  au  nom  du  P.  Général;  il  était  ensuite  nécessaire 
que  ce  procureur  fût  profès  de  la  Compagnie  ;  on  exigeait  enfin 
pour  la  communauté,  sinon  la  qualité  de  français  de  chacun  des 
membres,  au  moins  un  titre  commun  de  naturalisation.  Sans 
la  réunion  de  ces  trois  conditions  indispensables,  rien  ne  pouvait 
être  exécuté  avec  succès.  La  première  avait  été  remplie  dès  le 
commencement  de  l'année  1550  :  le  17  janvier,  le  P.  Viola  avait 
reçu  une  procuration  qui  lui  permettait  d'acquérir  et  de  recevoir, 
au  nom  du  P.  Général  et  de  la  Compagnie,  une  maison  à  l'usage 
des  scolastiques,  et  de  passer  à  cet  effet  tous  les  contrats  néces- 
saires et  opportuns2.  Quelques  mois  après,  en  vue  de  réaliser 
la  seconde  condition,  des  lettres  patentes  furent  envoyées  de 
Rome  par  lesquelles  le  même  Père  Viola,  admis  comme  coadju- 
teur  spirituel  en  1547,  était  autorisé  à  prononcer  les  vœux  de 
profès  entre  les  mains  d'un  prélat  de  son  choix.  Le  P.  Ignace 
lui  en  adressait  aussi  la  formule,  et  lui  conseillait  de  les  faire  en 
présence  de  l'évêque  de  Clermonl 3.  Cette  marque  de  déférence 
envers  un  si  généreux  bienfaiteur  était  bien  de  nature  à  l'affec- 
tionner davantage  à  la  Compagnie.  Le  prélat  aurait  aimé  à  pré- 
sider une  cérémonie  qui  devait  être,  en  France,  la  première  de 

1.  Polanco,  Chronieon,  II,  88.  Epist.  mixt.,  V,  691.  Lettre  d'Ignace  à  l'évêque  de 
Clermont  (Mon.  ignat.,  s.  1,  t.  II,  p.  666). 

2.  Instrumentum  procuratorhtm  (Mon.  Ignat.,  s.  1,  t.  II,  p.  657). 

3.  Lettre  d'Ignace  au  P.  Viola  pour  lui  annoncer  son  admission  aux  vœux  de  pro- 
fès, 22  fév.  1550  (Décréta  et  Instructiones,  1540-1573,  f.  22).  Lettres  d'Ignace  et  de 
Polanco  au  même  touchant  la  cérémonie  de  sa  profession  [Mon.  Ignat.,  s.  1,  t.  II, 
p.  655,  656,  672,  673,  683,  684).  Le  P.  J.-B.  Viola  avait  d'abord  fait  les  vœux  simples 
de  coadjuteur  spirituel.  La  lettre  d'Ignace  l'admettant  à  ce  degré  est  du  25  août  1547 
(Décréta  et  Instr.,  fol.  19).  A  celte  page  des  Décréta,  on  trouve  les  patentes  d'Ignace 
(20  nov.  1547)  au  P.  Paul  d'Achille,  au  même  sujet,  et  à  la  suite  on  lit  :  «  Aliae  ejus- 
dem  exempli  litterae  oct.  cal.  7  '"'is  MD.LXVII  transmissae  fuerunt  ad  magistrum 
Iohannem  de  Violeis.  » 


L'HOTEL  DE  CLERMÛNT.  I60 

ce  genre;  mais,  à  son  grand  regret,  le  mauvais  état  de  sa  santé 
le  priva  de  cette  joie.  Il  pria  l'abbé  de  Sainte-Geneviève  de  vou- 
loir bien  le  remplacer.  Le  16  août,  qui  était  un  samedi,  le  P.  Viola, 
après  la  messe,  lut  à  haute  voix,  en  présence  de  toute  sa  com- 
munauté et  d'un  grand  nombre  d'amis,  la  formule  de  profes- 
sion, écrite  de  sa  main,  et  qu'il  remit  ensuite  au  célébrant. 
«  Cette  solennité  fit  comprendre,  à  ceux  qui  semblaient  ne  pas 
le  croire,  que  la  Compagnie  de  Jésus  était  un  véritable  Ordre 
religieux.  Afin  qu'il  ne  restât  aucun  doute  à  cet  égard,  on  expé- 
dia de  Rome,  non  seulement  la  première  et  la  seconde  bulle  de 
confirmation  de  Paul  III,  mais  aussi  celle  que  Jules  III  venait  de 
publier,  le  *2i  juillet;  le  tout  en  pièces  authentiques,  avec  les 
lettres  apostoliques  confirmant  les  privilèges  de  la  Société  '. 

Il  ne  restait  donc  plus  que  la  troisième  condition  :  obtenir  le 
droit  de  naturalisation,  qui  permettrait  à  la  Compagnie  d'acqué- 
rir des  biens  et  de  posséder  des  revenus;  mais  la  chose  devait 
souffrir  beaucoup  de  difficultés,  qu'on  ne  pouvait  vaincre  sans  se 
ménager  de  loin  les  plus  hautes  protections.  Le  cardinal  de 
Cuise  s'étant  rendu  à  Rome  pour  l'élection  du  nouveau  Pape, 
M"r  du  Prat  demanda  avec  insistance  que  le  P.  Général  ne  laissât 
pas  échapper  cette  occasion  de  recommander  les  Jésuites  de  Paris 
à  celui  qui  tenait  la  première  place  dans  les  conseils  du  roi-. 

7.  Charles  de  Guise,  futur  cardinal  de  Lorraine  et  protecteur 
de  la  Compagnie  de  Jésus  en  France,  mérite  une  mention  spé- 
ciale dans  cette  histoire.  Né  au  château  de  Joinville,  le  17  fé- 
vrier 1525,  il  appartenait  à  la  branche  cadette  de  la  maison  de 
Lorraine  qui,  au  xvi°  siècle,  pendant  trois  générations  successi- 
ves, eut  le  privilège  de  donner  au  pays  les  plus  habiles  poli- 
tiques et  les  capitaines  les  plus  vaillants.  Élevé,  jusqu'à  l'âge  de 
dix  ans,  sous  la  garde  vigilante  de  sa  pieuse  mère,  Antoinette 
de  Rourbon,  il  avait  ensuite  étudié  au  collège  de  Navarre,  où 
il  révéla  les  brillantes  qualités  déployées  plus  tard  dans  la  vie 
publique.  Le  chancelier  Olivier,  qui  l'avait  connu  dès  sa  plus 
tendre  enfance,  l'appelait  «  un  prodige  de  nature  et  d'esprit  ». 
Nommé,  à  l'âge  de  quatorze  ans,  à  l'archevêché  de  Reims,  il 
fut  présenté  à  la  cour  par  le  cardinal  Jean  de  Lorraine,  son 
oncle,  et  gagna  bientôt,  par  des  mérites  incontestés,  l'estime  et 

1.  Polanco,  Chronicon,  II,  89. 

2.  Polanco,  Chronicon,  I,  418;  II,  88,  89.  Lettre  du  P.  Polanco  au  P.  Viola,  s  fév. 
t550  (Mon.  Ignat.,  s.  1,  t.  II,  r>.  6S3J. 


166  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

la  confiance  du  Dauphin.  Henri,  devenu  roi  à  la  mort  de  Fran- 
çois I",  en  15V7,  l'appela  avec  son  frère  à  siéger  dans  le  con- 
seil à  côté  des  princes  du  sang,  et,  le  27  juillet  de  la  même 
année,  il  obtint  pour  lui  le  chapeau  de  cardinal.  On  le  désigna 
sous  le  nom  de  cardinal  de  Guise  jusqu'à  la  mort  de  son  oncle1  ; 
il  prit  alors  le  titre  de  cardinal  de  Lorraine,  qui  rappelle  un  des 
plus  grands  ministres  de  la  France. 

Après  l'élection  du  cardinal  del  Monte  au  trône  pontifical, 
le  cardinal  de  Lorraine  élait  resté  quelque  temps  à  Rome,  afin 
de  traiter,  avec  le  nouveau  pape  Jules  III,  des  affaires  du  royaume. 
Le  P.  Général  se  rendit  auprès  de  l'illustre  prélat  pour  lui  re- 
commander la  Compagnie,  et  particulièrement  la  petite  commu- 
nauté de  l'hôtel  de  Clermont.  Le  jeune  cardinal,  raconte  un 
témoin  oculaire,  «  vint  à  son  tour  visiter  notre  maison,  accom- 
pagné de  trois  autres  cardinaux  français,  s'entretint  familière- 
ment avec  le  Père  Ignace  et  s'offrit  de  lui-même  à  être  le  protec- 
teur de  la  Compagnie  de  Jésus  en  France,  ajoutant  avec  bonté 
qu'elle  ne  devait  pas  en  prendre  un  autre-  ».  Revenu  à  Paris, 
il  accueillit  avec  bienveillance  le  P.  Viola,  lui  promit  le  secours 
de  son  influence  et,  comme  il  désirait  établir  une  académie  à 
Reims,  il  exprima  l'intention  de  se  servir  lui-même  des  Jésuites. 
Le  Père  Supérieur  profitant  de  ces  aimables  avances,  lui  parla 
de  la  nécessité  où  il  se  trouvait  d'avoir  des  lettres  de  naturali- 
sation et  lui  remit  une  requête  qu'il  avait  préparée.  Peu  de 
jours  après,  le  cardinal  vit  le  roi  ;  il  lui  recommanda  la  .suppli- 
que du  P.  Viola,  à  laquelle  Henri  II  donna  aussitôt  son  consen- 
tement. Mais  il  ne  fut  pas  aussi  facile  d'obtenir  la  confirmation 
légale.  La  concession  du  monarque,  d'abord  examinée  dans  le 
conseil  étroit  ou  privé,  devait  être  soumise  à  la  signature  du 
chancelier,  puis  enregistrée  par  le  Parlement.  Malgré  les  plus 
actives  démarches,  l'expédition  des  lettres  de  Henri  II  ne  fut  pas 
même  proposée,  cette  année,  à  l'examen  du  conseil.  Par  suite, 
l'évêque  de  Clermont  ne  put,  comme  il  en  avait  l'idée,  faire  don 
de  sa  maison  à  la  Compagnie  :  Dieu  réservait  pour  l'installation 
du  futur  collège  de  Paris,  après  bien  des  épreuves,  une  habita- 
tion plus  ample  et  plus  commode1. 

8.  En  attendant  l'heure  de  la  Providence,  la  communauté  de 
l'hôtel  de  Clermont  poursuivit  ses  travaux  réguliers  d'étude  et 

1.  Le  cardinal  Jean  de  Lorraine  mourut  le  18  mai  1550. 

2.  Polanco,  Chronicon,  II,  89,  90. 

3.  Polanco,  Chronicon,  II,  90.  Epist.  mixt.,  II,  191. 


L'HOTEL  UE  CLERMONT.  167 

d'apostolat,  à  l'ombre  de  la  protection  royale  que  lui  avait  mé- 
nagée le  cardinal  de  Lorraine.  Malgré  les  bénédictions  dont  le 
ciel  récompensait  sa  ferveur  persévérante,  son  supérieur  n'était 
pas  sans  inquiétude  sur  l'avenir.  Elle  se  trouvait  en  effet  soumise 
à  de  pénibles  privations,  que  tous  supportaient  avec  joie  pour 
l'amour  de  Jésus-Christ.  Elle  se  composait,  en  1551,  de  quatorze 
membres,  sans  compter  les  serviteurs.  Le  P.  Viola  fut  obligé  par 
les  difficultés  matérielles  de  diminuer  successivement  ce  nombre. 
Quand  il  s'était  ouvert  confidentiellement  au  P.  Ignace  de  son 
extrême  pauvreté,  le  fondateur  lui  avait  répondu,  dans  le  sens  de 
l'Institut,  que  c'était  le  cas  de  demander  publiquement  l'aumône  ; 
mais  un  édit  défendait  la  mendicité  sous  peine  de  prison,  et  l'on 
pouvait  craindre  de  froisser  la  susceptibilité  de  l'évêque  de  Cler- 
mont,  qui  était  censé  veiller  à  la  subsistance  de  ses  hôtes.  Pendant 
que  le  Père  Viola,  d'accord  avec  le  P.  Général,  envoyait  encore 
à  Rome  deux  des  siens,  M"1  du  Prat,  prévenu  de  la  pénurie  de 
la  communauté,  la  gratifia  d'un  secours  qui  retarda  d'autres 
départs1. 

Au  commencement  de  l'automne  de  1551,  des  complications 
extérieures  vinrent  aggraver  cette  triste  situation  pécuniaire.  Un 
conflit  paraissait  imminent  entre  le  roi  de  France  et  l'empereur. 
Henri  II,  avant  de  monter  sur  le  trône,  avait  déjà  fait  preuve  de 
bravoure  dans  plusieurs  campagnes.  On  savait  qu'il  profiterait 
de  toutes  les  occasions  pour  satisfaire  son  ardeur  belliqueuse. 
Une  première  entreprise  en  Ecosse,  au  début  du  règne,  avait  eu 
l'heureux  résultat  de  faire  élever  en  France  la  jeune  Marie  Stuart, 
destinée  à  devenir  l'épouse  du  Dauphin.  L'intervention  dans  les 
atfaires  d'Italie  n'avait  pas  été  moins  heureuse,  et  les  Anglais 
venaient  de  rendre  la  ville  de  Boulogne.  Henri  II  n'attendait  plus 
qu'une  circonstance  favorable  pour  se  mesurer  avec  Charles- 
Quint.  Maurice,  électeur  de  Saxe,  la  lui  offrit,  en  négociant  secrè- 
tement avec  l'envoyé  du  roi,  Jean  de  Froissac,  évêque  de  Bayonne, 
le  traité  de  Friedwald.  Au  mois  d'octobre  commencèrent  les  pré- 
paratifs de  guerre. 

Le  P.  Viola,  redoutant  des  difficultés  pour  les  étudiants  étran- 
gers s'ils  restaient  à  Paris,  se  décida  à  les  faire  partir  pour  Rome. 
Ce  furent  d'abord  le  P.  Éverard  Mercurian,  chargé  de  la  conduite 
du  voyage,  maître  Adrien  de  Witte,  maitre  Éleuthère  du  Pont, 


1.  Polanco,  Chronicoti,  II,  291,  297,298.  Litt.  quaclr.,  I,  301.  Epist.  mixt.,  II,  686. 
Manare,  De  Rébus  S.  /.,  p.  65. 


168  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

François  Gordon1,  Léonard  Masserus  et  le  frère  coadjuteur  Arte- 
mius.  Ils  se  rendirent  à  Lyon,  et  de  là  se  dirigèrent  sur  Genève 
où  ils  eurent  à  supporter  mille  insultes  de  la  part  des  Calvinistes; 
mais  ils  en  furent  dédommagés  par  les  sympathies  des  catholi- 
ques, qu'ils  rencontrèrent  ensuite  sur  leur  route  jusqu'à  Rome-'. 

Malgré  le  petit  nombre  d'étudiants  restés  à  Paris,  l'état  précaire 
de  la  communauté  était  loin  de  s'améliorer  :  «  Nous  sommes  de- 
puis un  mois  sans  aumônes,  écrivait  le  P.  Supérieur  au  P.  Géné- 
ral, le  17  février  1552,  n'ayant  reçu  en  tout  qu'un  écu  et  un  tes- 
tons J'ai  déjà  fait  vendre,  pour  nous  procurer  de  quoi  vivre,  les 
vêtements  fourrés  de  ceux  qui  sont  partis.  Tout  est  très  cher  et 
chacun  se  trouve  dans  l'embarras,  à  cause  de  la  disette,  et  parce 
qu'il  faut  aider  le  roi.  Les  rues  sont  encombrées  de  pauvres  qui 
affluent  des  villages  environnants...  Ce  qui  me  désole  encore  plus, 
c'est  que,  retenu  par  la  maladie,  je  ne  puis  sortir  et  pourvoir  à 
l'entretien  de  la  maison.  Je  ne  sais  ce  qu'il  en  adviendra.  Puisse 
Notre-Seigneur  venir  à  notre  secours4!  » 

Au  printemps  de  1552,  quatre  autres  étudiants,  parmi  les- 
quels le  P.  Olivier  Manare,  partirent  encore  pour  Rome.  Ils  sui- 
virent la  même  route  que  les  précédents  et,  comme  eux,  ils  eurent 
à  subir  les  injures  des  réformés.  «  Un  jour,  raconte  dans  son 
style  naïf  le  P.  d'Oultreman,  comme  ces  Pères  eussent  été  con- 
duits dans  une  taverne  hérétique,  en  laquelle  on  rôtissoit  de  la 
viande  pour  leur  souper,  quoyque  ce  fust  jour  de  jeusne,  ils 
s'offensèrent  de  cela,  et  le  P.  Olivier  trouva  bon  de  sortir  de  là 
et  de  chercher  logis  ailleurs.  Ils  sortent  donc,  et  bien  qu'il  fust 
noire  nuict,  ils  s'en  vont  rôdant  par  ceste  ville  huguenote,  bien 
en  peine  de  trouver  un  logis  catholique,  quand  tout  à  coup  un 
jeune  garçon  leur  vient  au-devant  et  leur  dit  :  Vous  cherchez 
un  logis,  n'est-il  pas  vrai?  Suivez-moi,  s'il  vous  plaist.  —  Et  de 
ce  pas  les  mène  chez  un  homme  de  bien,  qui  ne  recevoit  pas 
d'hostes  d'ordinaire,  et  qui  presque  seul  en  toute  la  ville  estoit 
catholique  en  son  âme,  comme  il  descouviït  puis  après  aux  Pères 
qui  avec  lui  tinrent  ce  cas  pour  miraculeux"'.  » 

La  pauvreté,  qui  éprouvait  la  maison  de  Paris  comme  celles 

1.  Ce  religieux  est  souvent  appelé  François  Bordon  ou  encore  François  Scipion.  Le 
P.  Polanco  le  désigne  sous  ces  deux  derniers  noms  à  la  l'ois  :  «  opéra  magistri  Fran- 
cisci  Scipionis  vel  Bordonis  »  [Ckronicon,  t.  V,  p.  120). 

2.  Chronicon,  IF,  292.  Manare,  De  Rebvs  S.  ./.,  p.  65.  De  vit  a  Mercuriani, 
p.  6,  9.  Lit.t.  quadr.,  I,  541.  Epist.  mixl.,  II,  686.  Carayon,  Doc.  inéd.,  I,  9. 

3.  Monnaie  d'argent  représentant  la  léte  du  roi.  Le  teston  valait  dix  sous  tournois, 
et  le  sou  douze  deniers.  —  4.  Litlr.  quadr.,  I,  544 

5.  Tableaux,  p.  339.  Cf.  Chronicon,  II,  593.  Manare,  De  Ilebus  S.  /.,  p.  63. 


L'HOTEL  DE  CLERMONT.  169 

de  Louvain  et  de  Cologne,  ne  fut  pas  sans  profiter  au  bien  géné- 
ral de  la  Compagnie  :  tous  ces  jeunes  ouvriers  apostoliques,  ac- 
cueillis à  Rome  parle  fondateur,  purent  pendant  plusieuis  mois 
s'initier  près  de  lui  aux  choses  de  l'Institut,  et. lui  prêter  ensuite 
un  utile  concours  pour  rétablissement  de  nouveaux  collèges'. 
Adrien  de  Witte  et  François  Gordon  occupèrent  à  Modène  les 
chaires  que  leur  avait  réservées  le  cardinal  JVIorone'-.  Olivier 
Manare,  professeur  de  belles-lettres  au  collège  de  Gubio,  re- 
viendra gouverner  la  province  de  France  avant  d'être  Vicaire 
général  de  l'Ordre.  Éverard  Mercurian,  après  avoir  exercé  la 
charge  de  vice-préposé  à  la  maison  professe  de  Rome,  sera 
nommé  Recteur  du  collège  de  Pérouse,  Visiteur  en  France,  et 
deviendra  Général  de  la  Compagnie  de  Jésus. 

9.  À  la  fin  du  mois  d'avril,  la  communauté  de  Paris  ne  comp- 
tait plus  que  quatre  membres  :  le  P.  Viola  seul  prêtre,  deux 
scolastiques,  Robert  Claysson  et  Jacques  Morel,  et  un  frère 
coadjuteur.  Ils  avaient  perdu  peu  auparavant  un  religieux  d'une 
tendre  piété,  André  Commelin,  qui  s'était  endormi  doucement 
dans  le  Seigneur,  après  avoir  supporté  avec  patience  et  courage, 
<(  comme  un  véritable  athlète  de  Jésus-Christ  »,  de  longues  et 
cruelles  souffrances3.  Le  P.  Supérieur,  souvent  malade,  ne  pou- 
vait plus  suffire  à  sa  tâche.  Dans  les  lettres  qu'il  adressait  à 
Rome,  il  demandait  avec  insistance  d'être  déchargé  d'un  fardeau 
trop  lourd,  et  il  indiquait  le  P.  Paschase  Broet  comme  très  ca- 
pable de  le  remplacer.  Il  ajoutait  que  celui  qui  viendrait  à  Paris, 
quel  qu'il  fût,  devait  arriver  au  plus  tôt. 

Malgré  les  difficultés  de  l'heure  présente,  Ignace  de  Loyola  ne 
perdait  pas  l'espoir  de  donner  à  la  petite  colonie  de  l'hôtel  de 
Clermont  un  large  développement;  toutefois,  pour  gouverner  la 
Province  dont  elle  devait  être  le  centre,  il  ne  pouvait  plus  comp- 
ter sur  le  P.  Viola.  Sans  doute  celui-ci  avait  fait  la  profession 
solennelle  et  se  trouvait  muni  de  pleins  pouvoirs;  mais,  sans 
parler  du  mauvais  état  de  sa  santé,  un  titre  important  lui  man- 
querait toujours,  quand  il  faudrait  réclamer  pour  son  Ordre  le 
droit  de  cité  dans  le  royaume  :  il  n'était  point  citoyen  français 
ni  français  naturalisé.  Le  P.  Général  pensa  donc  à  le  remplacer 
par  un  français  d'origine,  et  choisit  celui  qui  lui  avait  été  pro- 
posé. Un   de  ses  premiers  compagnons,  le  P.   Paschase  Broet. 

1.  Polanco,  Chronicon,  II,  597.  —  2.  Ibidem,  p.  454. 
3.  Litt.  quad,,  I,  623,  710. 


I7i)  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

gouvernant  alors,  de  Ferrare,  la  province  d'Italie,  fut  nommé 
provincial  de  France.  Il  arriva  à  Paris  le  25  juin  1552  '. 

Il  put  être  témoin  des  regrets  que  l'ancien  supérieur  laissait 
dans  cette  ville  :  «  Je  ne  puis  partir  d'ici  sans  voir  couler  beau- 
coup de  larmes,  écrivait  le  P.  Viola  le  25  juillet.  Tous  essaient 
de  me  retenir.  Plusieurs  voulaient  retarder  mon  départ  et  vous 
écrire  à  ce  sujet;  mais  j'ai  répondu  que  j'arriverais  à  Rome  avant 
leurs  lettres2.  »  En  réalité  ce  ne  fut  pas  à  Rome  que  se  retira 
le  P.  Viola,  mais  à  Parme,  puis  à  Ferrare,  d'où  il  envoya  au 
P.  Ignace  les  noms  des  bienfaiteurs  et  des  amis  de  l'hôtel  de  Cler- 
mont,  afin  qu'ils  eussent  part  aux  bonnes  œuvres  et  aux  prières 
de  toute  la  Compagnie. 

10.  Le  P.  Paschase  Broet,  choisi  pour  gouverner  à  sa  place  les 
Jésuites  de  France,  était  bien  l'homme  qui  convenait  le  mieux 
dans  les  circonstances  présentes.  Ame  droite  et  loyale,  mais  un 
peu  timide  de  caractère,  il  avait  fait  preuve  d'un  tact  délicat  et 
d'une>are  prudence  dans  les  importantes  missions  qui  lui  avaient 
été  contiées  :  en  Irlande  comme  nonce  apostolique,  à  Bologne 
comme  recteur  du  collège,  et  à  Ferrare  comme  provincial  d'Ita- 
lie. Lorsque  Jean  III,  roi  de  Portugal,  demanda  au  P.  Ignace  un 
patriarche  pour  le  royaume  d'Ethiopie 3,  les  Pères  qui  résidaient 
à  Rome  furent  consultés  :  tous  déclarèrent  que  le  P.  Paschase 
Broet  était  très  propre  à  cette  dignité,  par  l'intégrité  de  sa  vie, 
l'excellence  de  sa  doctrine  et  sa  parfaite  connaissance  des  af- 
faires. C'était  aussi  l'avis  du  P.  Général,  qui  lui  trouvait  beau- 
coup de  bonté,  beaucoup  de  science,  une  grande  expérience, 
acquise  dans  la  visite  des  diocèses  et  la  réforme  des  monastères 
dont  on  l'avait  souvent  chargé  4.  De  tels  éloges  de  la  part  d'Ignace, 
qui  s'en  montra  toujours  si  sobre,  sont  le  plus  sur  témoignage 

1.  Polanco,  Chronicon,  II,  597;  IV,  327.  Lettre  du  P.  Polanco  au  P.  Viola,  5  mars 
15b2  (Mon.  lynat.,  s.  1 ,  t.  IV,  p.  180).  Lettre  d'Ignace  à  l'évêque  de  Clermonl, 
24  mai  1552.  Du  même  au  P.  Broet,  7,  21  et  24  mai  (Ibid.,  p.  234,  243,  244). 

2.  LUI.  quadr.,  I,  711. 

3.  Sur  les  espérances  que  faisait  concevoir  l'empereur  d'Ethiopie  de  se  convertir  à 
la  foi,  le  pape  Jules  III  avait  accordé  au  roi  de  Portugal,  pour  être  envoyés  dans 
cette  contrée,  un  patriarche  et  deux  évêques  choisis  dans  la  Compagnie.  Saint  Ignace, 
loin  de  se  prêter  de  bon  cœur  à  cette  élection,  lit  tous  ses  efforts  pour  l'empêcher. 
Dans  les  déclarations  de  la  dixième  partie  des  constitutions,  il  inséra  cette  re- 
marque expresse  :  «  In  patriarchatu  et  episcopatibus  .Ethiopiae  admiltenJis  resisti 
non  potuit  ».  Dans  ses  explications  sur  l'Institut,  le  P.  Jérôme  Nadal  revenant  sur  ce 
sujet  dit  à  son  tour  :  «  II  fut  absolument  impossible  de  résister  à  la  volonté  et  à 
Tordre  formel  du  Souverain  Pontife.  » 

4.  Lettre  de  saint  Ignace  au  P.  Rodriguez  (Mon.  Ignat.,  s.  1,  t.  I,  p.  599,  400), 
Cf.  Chronicon,  1.  171.  Epistolae  P.  Nadal,  II,  53. 


L'HOTEL  DE  CLERMONI.  I T  ! 

des  mérites  cfe  cet  éinincnt  religieux.  L'approbation  du  Pape  était 
venue  confirmer  la  nomination  de  Broet  au  patriarcat  d'Ethio- 
pie; mais  des  obstacles  inattendus1  s'opposèrent  à  son  départ; 
il  continua  donc  ses  travaux  apostoliques  en  Italie  jusqu'au  mo- 
ment où  il  reçut  l'ordre  de  se  rendre  en  France. 

A  Paris  le  P.  Broet,  comme  ses  prédécesseurs,  employa  tous 
ses  soins  au  bon  gouvernement  de  sa  petite  communauté,  puis, 
autant  que  les  circonstances  le  permettaient,  aux  fonctions  du 
saint  ministère.  Chaque  jour,  dans  l'église  des  Saints  Corne  et 
Damien,  et  les  jours  de  fête  dans  la  chapelle  de  Saint-Germain- 
des-Prés,  il  administrait  les  sacrements  de  Pénitence  et  d'Eucha- 
ristie. Souvent  aussi  il  visitait  les  prisonniers  et  les  malades,  leur 
portant  les  consolations  de  la  religion.  Pour  donner  plus  d'effi- 
cacité à  son  action  spirituelle,  il  avait  surtout  recours  aux  Exer- 
cices du  P.  Ignace,  et,  comme  il  était  très  habile  directeur,  de 
nombreuses  conversions  à  une  vie  plus  régulière,  et  plusieurs 
vocations  à  l'état  religieux  couronnèrent  les  efforts  de  son  apos- 
tolat, dans  toutes  les  classes  de  la  société.  La  moisson  eût  été 
bien  plus  abondante,  s'il  avait  eu  près  de  lui  de  plus  nombreux- 
auxiliaires  2. 

La  communauté  ne  se  composait,  en  effet,  que  de  six  religieux 
au  commencement  de  1553;  le  Père  Broet  seul  était  prêtre;  les 
autres  suivaient  à  l'Université  des  cours  de  théologie,  de  philo- 
sophie ou  d'humanités.  Ce  nombre,  il  est  vrai,  se  trouva  doublé 
à  la  fin  de  l'année  155'*,  mais  on  ne  pouvait  guère  espérer  une 
plus  grande  augmentation3.  Malgré  cela,  les  scolastiques  trou- 
vèrent moyen  de  continuer  les  catéchismes  et  les  instructions  ;ï 
Saint-Germain-des-Prés,  et  d'y  ajouter  encore  la  visite  des  pri- 
sonniers :  «  Nous  exhortons  les  détenus  à  la  patience  et  au  re- 
pentir, écrit  l'un  des  jeunes  apôtres,  afin  qu'en  changeant  de  vie 
ils  réparent  leurs  fautes.  Volontiers  ils  écoutent  la  parole  de 
Dieu  et  s'approchent  des  sacrements  dont  plusieurs  étaient  éloi- 
gnés depuis  de  longues  années.  »  Témoins  de  ce  zèle  désinté- 
ressé, «  beaucoup  de  gens,  qui  étaient  hostiles  à  ces  étudiants 
exemplaires,  commencèrent  à  voir  la  vérité  et  reconnurent  qu'ils 
cherchaient  uniquement  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  âmes  l  ». 

1.  Le  P.  Barloli  (Ilalia,  libr.  I,  c.  7)  laisse  entendre  que  le  roi  de  Portugal  ne  vou- 
lut pas  d'un  étranger. 

2.  Lettre  du  P.  Claysson  (LUI.  quadr.,  11,  103). 

3.  Polanco,  Chronicon,  IV,  327.  11  y  avait  alors,  dit  Polanco,  trois  étudiants  en 
humanités,  quatre  en  philosophie,  un  en  théologie  et  quatre  prêtres. 

\.  LUI.  quadr.,  III,  112,  241;  IV,  190. 


172  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  L»E  JESUS. 

Parmi  les  jeunes  prédicateurs  de  l'hôtel  de  Clermont  il  y  en 
avait  alors  deux  surtout,  Robert  Claysson  et  Jérôme  Le  Bas,  dont 
les  premiers  essais  dans  la  sainte  carrière  étaient  visiblement 
bénis  de  Dieu.  Le  premier,  originaire  de  Belgique1,  paraissait 
presque  un  enfant,  mais  il  joignait  à  une  précoce  maturité  une 
éloquence  naturelle,  doublée  d'un  zèle  convaincu.  Jérôme,  belge 
lui  aussi  et  d'un  talent  non  moins  distingué,  était  une  de  ces 
natures  ardentes  qui  ont  plutôt  besoin  du  frein  que  de  l'aiguillon. 
Il  suivait  les  cours  de  théologie  à  l'Université  de  Paris,  lorsqu'il 
lit  en  1553,  étant  déjà  prêtre,  les  Exercices  spirituels  sous  la 
direction  du  P.  Broet.  Il  y  conçut  le  désir  de  partager  la  vie  des 
disciples  d'Ignace;  des  amis,  à  qui  il  avait  confié  son  projet, 
parvinrent  à  l'en  détourner.  Cependant  à  partir  de  ce  moment, 
renonçant  à  l'existence  dissipée  des  autres  étudiants,  il  se  mit  au 
service  des  pauvres  dans  les  hôpitaux.  Pour  récompense  de  son 
dévouement,  Dieu  permit  qu'il  ne  perdit  pas  sa  vocation.  Pressé 
par  la  grâce,  il  rougit  bientôt  de  ses  hésitations  et  se  présenta  de 
nouveau  au  P.  Broet  qui  le  reçut  avec  joie2. 

Les  travaux  apostoliques  de  ces  deux  religieux  et  de  leurs  frères 
furent  parfois  gênés,  à  cette  époque,  par  une  opposition  inatten- 
due de  la  part  du  clergé.  Ainsi,  Robert  Claysson  ne  fut  point 
autorisé  à  prêcher  dans  le  diocèse  de  Paris;  c'est  celui  de  Soissons 
qu'il  allait  le  plus  souvent  évangéliser,  avec  le  plein  assentiment 
de  l'évêque,  Mgr  Mathieu  de  Longuejoue.  Au  contraire,  l'évêque  de 
Paris,  Eustache  du  Bellay,  montra  dans  plusieurs  circonstances 
les  sentiments  peu  bienveillants  dont  il  était  animé  envers  la  nou- 
velle Société.  Le  frère  scolaslique  Jacques  Morel  devant,  avec 
l'autorisation  de  ses  supérieurs,  recevoir  les  ordres  sacrés,  le 
P.  Broet  communiqua  au  prélat  les  privilèges  contenus  dans  les 
bulles  pontificales,  et  lui  demanda  de  vouloir  bien  faire  l'ordina- 
tion. Eustache  du  Bellay  répondit,  avec  humeur,  que  la  Compa- 
gnie n'était  pas  reconnue  en  France,  et  qu'il  n'ordonnerait  per- 
sonne qui  ne  fût  ou  profès  d'un  Ordre  approuvé,  ou  muni  d'un 
bénéfice  ecclésiastique.  Le  conseiller  Dumont,  très  dévoué  aux 
Pères,  s'offrit  comme  médiateur  et  ne  réussit  pas  mieux  dans  sa 
démarche  :  «  Je  ne  ferai  rien,  lui  dit  le  prélat,  car  je  paraîtrais 
approuver  la  Compagnie  en  ordonnant  quelqu'un  de  ses  sujets'.  » 


1.  Né  à  Bruges  en  1518,  entré  dans  la  Compagnie  en  15i9;  fut  recteur  à  SaintOmer 
(t  à  Eiuges;  n.ouiul  tans  «etle  ville  <n  160 

2.  Polanco,  Chronicon,  III,  295.  LUI.  quadr.,  II,  366. 

3.  Polanco,  Chronicon,  III,  286;  IV,  319,  323.  LUI.  quadr.,  III,  109. 


L'HOTEL  DE  CLERMONT.  17:î 

Au  mois  d'avril  1554,  raconte  le  P.  Claysson  dont  nous  abré- 
geons le  récit,  «  le  1*.  Supérieur,  après  y  avoir  bien  réfléchi,  résolut 
de  me  laisser  prêcher  à  Saint-Barthélémy,  dans  le  quartier  du 
Palais,  et  dans  d'autres  églises  qui  réclamaient  le  secours  de  mon 
ministère.  Nous  nous  rendons  ensemble  à  l'évêché,  pour  obtenir 
l'autorisation.  Le  prélat  nous  reçoit  assez  aimablement,  et  nous 
dit  qu'il  est  prêt  à  satisfaire  aux  vœux  des  fabriciens1  qui  m'a- 
vaient demandé,  pourvu  que  je  fusse  accepté  par  le  pénitencier, 
Jean  Alleaume,  docteur  en  théologie,  à  qui  incombait  la  charge 
de  m'examiner.  De  là,  nous  allons  directement  à  l'église  Notre- 
Dame  où  nous  rencontrons  M.  le  pénitencier  et  M.  le  chantre. 
Quand  le  P.  Supérieur  eut  exposé  l'objet  de  sa  visite,  on  lui  objecta 
que  je  paraissais  bien  jeune,  —  ce  que  j'avouai  ingénument.  — 
Nous  insistons,  en  faisant  remarquer  que  ce  n'était  pas  un  sérieux 
obstacle.  Alors  M.  le  chantre  élevant  la  voix  :  «  Si  celui-ci  monte 
«  en  chaire,  vous  soulèverez  contre  vous  tout  le  collège  de  Sor- 
«  bonne  et  les  quatre  Ordres  mendiants!...  »  Et  cela  dit, 'il  s'éloi- 
gna. M.  le  pénitencier  nous  parla  avec  plus  de  bienveillance  et  de 
familiarité  :  «  Je  ne  doute  pas,  dit-il,  en  s'adressant  à  moi,  de 
«  votre  science  et  de  votre  vertu;  mais  je  crains  que  votre  air  de 
«  jeunesse  ne  soit  pour  les  auditeurs  une  occasion  de  mépriser  la 
«  parole  de  Dieu.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  verrai  les  fabriciens  et  je 
«  vous  rendrai  réponse.  »  Bref,  nous  revînmes  à  la  charge  plu- 
sieurs fois,  mais  toujours  il  prétendait  qu'il  n'avait  pas  encore 
vu  les  fabriciens.  Il  finit  un  jour  par  ajouter  au  P.  Supérieur  . 
«  Croyez-moi  bien,  je  vous  prie,  ce  serait  imprudent  de  laisser 
«  ce  jeune  homme  monter  en  chaire,  et  cela  pour  de  bonnes 
«  raisons  que  je  ne  puis  vous  dire  ;  c'est  pourquoi  attendons  une 
«  meilleure  occasion  2.  » 

Les  sentiments  de  défiance  d'Eustache  du  Bellay  et  de  quelques- 
uns  des  chanoines  de  sa  cathédrale  étaient  partagés  par  plusieurs 
curés  de  Paris.  Un  ami  des  Jésuites,  frère  d'un  marguillier  de 
Saint-Sulpice,  s'était  un  jour  promis  d'obtenir  au  P.  Claysson  la 
permission  de  prêcher  dans  cette  église,  soumise  à  la  juridiction 
du  cardinal  de  Tournon.  Le  curé  fit  un  médiocre  accueil  au  solli- 
citeur, et  refusa  sous  un  futile  prétexte  d'accepter  un  prédicateur 
de  la  Compagnie.  Indigné  de  toutes  ces  entraves  et  injustices,  un 
homme  de  grande  influence  prit  sur  lui  de  faire  accorder  aux 
Pères  la  chaire  de  l'église  de  la  Trinité.  Très  lié  avec  l'évêque  de 

1.  Le  lexle  du  P.  Claysson  porte  aediles. 

2.  Litt.  quadr.,  II,  6fi4;  III,  108.  Chronicon,  IV,  320. 


. 


174  histoire  de  la  compagnie  de  jési  s. 

Paris,  il  va  le  trouver,  se  croyant  sur  de  le  convaincre;  mais  il 
ne  put  en  tirer  qu'un  refus  ainsi  motivé  :  «  Je  connais  les  senti- 
ments des  théologiens  sur  cette  Société;  ils  regardent  son  existence 
comme  illicite.  Quant  à  moi,  je  n'accorderai  jamais  à  ses  membres 
la  faculté  de  confesser  ou  de  prêcher,  tant  qu'ils  ne  seront  pas, 
comme  les  autres  prêtres,  soumis  à  mon  pouvoir  et  à  ma  juridic- 
tion1. » 

Trois  fois  repoussé  dans  ses  démarches,  le  P.  Broet  envoya 
Robert  Claysson  à  l'abbaye  de  Port-Royal  des  Champs2  où  la  Com- 
pagnie n'était  pas  encore  connue.  Il  y  prêcha  à  deux  reprises 
devant  un  nombreux  auditoire,  puis  aux  mois  de  mai,  de  septem- 
bre et  d'octobre  il  parcourut  le  diocèse  de  Soissons,  parlant  suc- 
cessivement dans  deux  ou  trois  villages,  les  dimanches  et  les  jours 
de  fête.  Sa  réputation  d'orateur  parvint  jusqu'en  Belgique,  où 
l'un  de  ses  oncles  voulut  l'attirer  par  l'offre  de  deux  abbayes; 
«  mais  le  vaillant  apôtre  méprisa  les  brillants  avantages  et  resta 
fidèle  à  sa  vocation 3  » . 

Le  moment  approchait  où  quelques-uns  des  religieux  de  l'hôtel 
de  Clermont  allaient  pouvoir  exercer,  en  toute  liberté,  leur  zèle 
et  leur  talent  sur  un  autre  théâtre.  Leur  insigne  bienfaiteur  ne 
s'était  pas  laissé  décourager  par  les  obstacles.  Son  dévouement 
croissait,  au  contraire,  avec  les  persécutions  qu'avaient  à  subir 
ses  protégés'1.  Avant  d'introduire  les  Jésuites  dans  sa  maison  de 
Paris,  M"1  du  Prat  avait  eu  l'intention  de  leur  confier  la  réforme 
de  l'éducation  de  la  jeunesse  dans  son  diocèse.  Lorsqu'il  vit  que 
la  Compagnie  ne  pouvait  obtenir  le  droit  de  naturalisation  dans 
la  capitale,  il  voulut,  en  attendant  mieux,  réaliser  son  premier 
dessein.  Dès  le  mois  de  juin  1551,  il  avait  proposé  au  P.  Ignace 
la  fondation  d'un  collège  d'enseignement  en  Auvergne 5.  Le  petit 
nombre  d'étudiants  restés  en  France,  sans  parler  des  autres  motifs, 
n'avait  pas  alors  permis  d'y  songer.  Maintenant  le  projet  pouvait 
être  repris;  il  le  fut  avec  succès,  comme  nous  allons  le  raconter. 

1.  LUI.  quadr.,  II,  665.  Chronicon,  IV,  320. 

2.  Le  refus  d'Eustachc  du  Bellay  ne  pouvait  s'appliquer  aux  églises  soustraites  à  la 
juridiction  épiscopale. 

3.  Polanco,  Chronicon,  IV,  321,  325,  326.  LUI.  quadr.,  II,  665;  III,  Ut. 

4.  Saint  Ignace  et  les  siens  savaient  reconnaître  tant  de  bontés.  On  peut  voir  dans 
une  lettre  de  Fr.  de  Borgia  à  Guil.  du  Prat  quelle  estime  la  Compagnie  avait  pour 
l'évéque  de  Clermont  [Mon.  S.  ./.,  S.  F.  Borgia,  III,  64-66). 

5.  Epis  t.  mixt.,  V,  725. 


CHAPITRE  III 

FONDATION   DU   COLLÈGE    DE    BILLOM. 

(1553-1560). 


Sommaire  :  1.  La  Compagnie  accepte  peu  à  peu  des  collèges  pour  rensei- 
gnement de  la  jeunesse.  —  2.  Missions  des  Jésuites  en  Auvergne.  —  :j.  Forma- 
lités relatives  à  la  fondation  de  Billom.  —  4.  Succès  apostoliques  du  P.  Clays- 
son.  —  5.  Derniers  arrangements  et  ouverture  des  classes.  —  6.  Règlement 
d'un  collège  de  la  Compagnie  de  Jésus.  —  7.  Contrat  de  fondation.  Bénédiction 
de  la  première  pierre.  —  8.  Mort  de  M5'  du  l'rat.  —  9.  Son  testament  est  at- 
taqué. 

Sources  manuscrites  :  I.  Rorna,  Archivio  di  Stato  :  Fundat.  Gesuit.  colles-,  l(ï. 

II.  Documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Galliae  epislolae;  —  bï  Tolosanae  prov. 
fundationes  collegiorum;  —  c)  Gallia,    Epistolae  Generalium,  t.  1559-1561. 

III.  Archives  hospitalières  de  Clermont-Ferrand.  E,  1.  E,  3. 

IV.  Bibliothèque  de  Clermont,  ms.  Gi-2. 

V.  Archives  du  Puy-de-Dôme,  série  D. 

Sources  imprimées  :  Constitutiones  S.  J.  —  Carias  de  San  Ignacio  —  Manare,  De  Re 
bus  S.  J.  Commentarius.  —  Du  Boulay,  Hist.  Unia  Parisiensis.  —  Prat,  Mémoires 
pour  servir  à  l'histoire  du  P.  Broet.  —  Monumenta  iiistoiuca.  S.  J.  Chronicon  S.  J.  — 
Litterae  quadrimestres.  —  Epistolae  mixtae.  —  Monumenta  Xaveriana.  •—  Epislolae 
P.  Nadal.  —  Epistolae  PP.  Paschasii  Brejeti,  etc. 

1 .  Le  Père  Paschase  Broet  était  venu  à  Paris  avec  le  titre  de 
Provincial;  mais,  les  Jésuites  n'occupant  alors  qu'une  seule  rési- 
dence, sa  charge  en  réalité  ne  différait  guère  de  celle  d'un  Rec- 
teur. L'établissement  du  collège  de  Billom,  que  nous  entreprenons 
de  raconter,  allait  donner  une  plus  large  étendue  à  l'exercice 
de  ses  pouvoirs. 

Avant  de  faire  le  récit  de  cette  fondation,  il  n'est  pas  inutile 
de  montrer  la  genèse  des  idées  de  saint  Ignace  sur  la  question 
des  collèges1. 

De  l'apostolat  par  l'enseignement  il  n'est  pas  dit  un  mot  dans 
la  Bulle  de  Paul  III.  La  phrase  eruditio  puerorum  et  rudium, 
contenue  dans  ces  lettres  apostoliques2,  ne  signifie  pas  autre 
chose,  d'après  le  contexte  et  les  faits,  que  le  catéchisme  aux  en- 

1.  Le  P.  F.  Tournier  a  déjà  très  bien  utilisé  les  documents  que  nous  avons  sur 
celte  matière,  dans  ses  articles  relatifs  h  Monseigneur  Guillaume  Du  Prat  au  Concile 
de  Trente  (Études,  février-mars  1904). 

2.  Institut.,  III,  p.  2,  3. 


176  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

fants  et  aux  ignorants.  Nous  l'avons  dit,  la  Bulle  Regimini  n'était 
qu'une  ébauche,  une  formule  embryonnaire.  D'elle  sortira,  comme 
de  son  principe,  l'apostolat  de  l'enseignement  qui  n'est  au  fond 
qu'une  forme  de  la  charité,  caritatis  opéra1.  Mais  pour  le  régler 
et  lui  donner  son  complet  développement,  il  faudra  le  temps,  la 
réflexion,  les  circonstances  et  l'inspiration  divine2.  Dieu  va  per- 
mettre que,  durant  les  dix  années  passées  à  l'organisation  de  son 
Ordre,  Ignace  connaisse  et  comprenne  mieux  cette  vocation  de  sa 
Compagnie  et  qu'il  puisse  entrevoir  déjà  les  admirables  résultats 
réservés  dans  l'avenir  à  cet  apostolat  fécond. 

En  15 il,  chargé  avec  le  P.  Codure  de  prévoir  et  de  formuler 
les  points  principaux  des  Constitutions,  il  ne  songe  d'abord,  sur 
cet  article,  qu'à  la  formation  intellectuelle  des  siens  :  «  On  pla- 
cera, déclare-t-il,  les  collèges  dans  les  villes  d'Universités;  il  n'y 
aura  dans  la  Compagnie  ni  facultés,  ni  leçons3.  »  Et,  en  effet,  ces 
collèges  primitifs,  simples  maisons  d'étude  pour  les  jeunes  re- 
ligieux de  la  Société,  ne  comprennent  d'abord  aucun  enseigne- 
ment, ni  public,  ni  privé  à  domicile.  Les  étudiants  y  sont  réunis 
en  communautés,  et  sortent  pour  aller  suivre  les  cours;  à  côté 
d'eux,  souvent,  habitent  les  novices  et  un  groupe  de  religieux, 
déjà  formés,  employés  au  ministère  des  âmes.  Telles  sont  les 
maisons  de  Lisbonne,  Padoue,  Coïmbre,  Louvain,  Cologne,  Al- 
cala,  Valladolid  et  Barcelone.  Mais  bientôt,  par  suite  de  circons- 
tances providentielles,  deux  tendances  se  manifestent  qui  vont 
modifier  cette  idée  première.  D'une  part,  ce  qu'on  pourrait  ap- 
peler les  collèges- séminaires  de  la  Compagnie  tendent  à  se 
changer  en  collèges  mixtes,  où  des  cours  sont  faits  non  seule- 
ment aux  étudiants  jésuites,  mais  aussi  à  d'autres  venus  du  de- 
hors. Cette  nouvelle  disposition  apparaît  peu  à  peu  dans  plusieurs 
des  maisons  déjà  existantes;  elle  est  surtout  imposée  aux  fonda- 
tions nouvelles,  par  exemple  à  celle  de  Gandie4,  dont  les  négo- 
ciations sont  entamées  en  1545  par  le  duc  François  de  Borgia,  à 

1.  Ibid. 

2.  Si  l'on  en  croit  le  P.  Gonzalvès,  ce  serait  Lainez  qui  aurait  eu  l'initiative  des 
collèges  et  qui  y  aurait  le  plus  poussé  :  «  Je  demandai  un  jour  [au  P.  Ignace],  raconte- 
t-il  dans  son  Mémorial,  qui  avait  eu  l'idée  des  collèges?  —  Lainez,  répondit-il,  fut  le 
premier  à  toucher  ce  point.  Nous  autres,  nous  faisions  difficulté  à  cause  de  la  pauvreté; 
mais  lui  proposa  des  expédients  pour  les  lever,  tantôt  l'un,  tantôt  l'autre  »  (Memo- 
riale  P  Gonsalvi  de  S.  Ignatio.  —  Mon.  Jgnat.,  s.  4,  t.  I,  p.  220).  Malheureuse- 
ment nous  ne  savons  à  quelle  date  rapporter  cette  initiative  de  Lainez,  ni  surtout 
s'il  s'agit  des  collèges-séminaires  pour  la  Compagnie  ou  bien  des  collèges  d'enseigne- 
ment pour  les  étrangers,  ou  bien  encore  des  collèges  mixtes. 

3.  Constit-  lat.  et  hisp.,  p.  306. 

4.  Polanco,  Chronicon,  I,  186,  312. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  BILLOM.  177 

celles  de  Messine1  et  de  Palerme2,  réclamées  en  1548  par  les 
habitants  et  le  vice-roi  de  Sicile,  qui  veulent  favoriser  à  la  fois  et 
les  progrès  de  la  Compagnie  et  l'instruction  de  la  jeunesse  sécu- 
lière. D'autre  part,  certains  fondateurs  de  collèges,  uniquement 
destinés  à  l'enseignement  public,  proposent  à  la  Compagnie  d'en 
prendre  l'administration  et  la  direction.  Ce  fut  le  cas  pour  Goa. 
Lorsque  François  Xavier  y  arriva,  au  mois  de  mai  1542,  il  y 
trouva  un  collège,  récemment  fondé  par  Diego  de  Borba,  dont 
on  achevait  les  constructions  et  où  se  réunissaient  déjà  une  soixan- 
taine d'enfants3;  le  gouverneur  des  Indes  et  les  autorités  de  la 
ville  le  pressèrent  d'obtenir  le  concours  de  ses  frères  à  une  œuvre 
aussi  importante.  Transmise  et  appuyée  par  le  missionnaire,  cette 
proposition  fut  agréée  d'Ignace.  A  partir  de  l'année  suivante,  plu- 
sieurs Jésuites  résidèrent  au  collège  de  Goa  à  titre  d'auxiliaires4. 
Après  la  mort  du  fondateur,  en  1549,  la  Compagnie  le  prit  à  sa 
charge  entièrement  '.  Nous  avons  déjà  rencontré,  en  15i6,  au 
début  du  concile  de  Trente,  un  cas  analogue  :  Mer  du  Prat  of- 
frant au  P.  Le  Jay,  et  par  lui  à  la  Compagnie,  de  l'aider  à  re- 
monter son  Université  de  Billom;  et  lorsqu'on  en  venait  aux 
détails  pratiques,  ses  projets  n'allaient  à  rien  moins  qu'à  fonder 
un  collège  d'enseignement  sous  la  direction  des  Jésuites. 

Or  tous  ces  événements  se  passaient,  ces  divers  appels  à  l'en- 
seignement parvenaient  à  Ignace,  tandis  qu'il  remaniait  la  pre- 
mière formule  de  l'Institut,  et  fixait  les  lois  de  son  Ordre  «  d'après 
les  leçons  de  l'expérience'1  ».  Il  s'inspira  de  toutes  ces  circons- 
tances ménagées  par  Dieu  :  dans  la  formule  présentée  à  Jules  III, 
il  inscrivit  ce  mode  d'apostolat  parmi  les  ministères  propres  de 
l'Institut7,  et  dans  un  chapitre  spécial  des  Constitutions  il  donna 
quelques  prescriptions  sur  les  collèges  d'enseignement,  De  scho- 
lù  collegionim  Societatis*. 

Il  n'appartient  pas  à  cette  histoire  de  raconter  de  quelle  ma- 
nière l'organisation  scolaire  de  la  Compagnie  alla  se  complétant 
jusqu'à  la  rédaction  du  Ratio  Studioriun  :  une  pareille  étude 

1.  Ibid.,  p.  242,  268.  —  2.  Ibid.,  p.  379,  383. ' 

3.  Monum.  Xaver.,  I,  262.  Polanco,  Chronicon,  I,  109. 

4.  Polanco,  Chronicon.,  1,  121,  201. 

5.  Mon.  Xaver.,  I,  504. 

6.  Exposcit  debituni  (Inst.,  I,  21).  Cf.  Polanco,  Chronicon,  I,  268. 

7.  <>  Per  publicas  praedicationes,  lectiones  et  aliud  quodeumque  verbi  Dei  minislc- 
rium  »  (Ibid.). 

8.  Pars  IV,  cap.  vu.  Il  est  à  remarquer  que  ce  chapitre,  entré  dans  la  rédaction 
définitive  des  Constitutions,  était  absent  de  la  rédaction  antérieure.  (Voir  Const.  lai. 
et  hisp.,  p.  365). 

C0MPAC4NIE    DE   JÉSUS.   —    T.    I.  12 


j  78  HISTOIRE  DE  IA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

nous  entraînerait  trop  loin  hors  de  la  France.  Nous  nous  contente- 
rons Je  signaler,  en  son  temps,  ce  qui  se  passa  dans  notre  pays  à 
ce  sujet. 

2.  Disons  d'abord  comment  s'établit  notre  premier  collège 
d'enseignement.  La  fondation  en  fut  assez  lente,  à  cause  des  cir- 
constances et  des  difficultés  faites  aux  Pères  de  Paris.  Au  com- 
mencement de  l'été  de  l'année  1553,  la  peste  ayant  fait  son  appa- 
rition dans  la  capitale,  la  communauté  de  l'hôtel  de  Clermont  fut 
contrainte  de  se  disperser.  Quelques-uns  de  ses  membres  se  reti- 
rèrent à  Rochefontaine,  chez  un  ami,  Ange  Cognet,  avocat  au 
Palais.  Mgr  du  Prat,  au  premier  bruit  du  danger,  avait  invité  le 
P.  Broet  à  se  réfugier  avec  les  siens  dans  le  diocèse  de  Clermont 
où  ils  pourraient,  disait-il,  prêcher,  confesser  et  s'occuper  d'œu- 
vres  charitables.  Le  P.  Supérieur,  retenu  à  Paris  par  les  intérêts 
de  la  Compagnie,  ne  pouvait  songer  à  une  longue  absence,  et  la 
nécessité  de  continuer  leurs  études,  dès  que  la  peste  aurait  disparu, 
ne  permettait  pas  à  ses  religieux  de  trop  s'éloigner  de  la  capitale. 
Cependant  pour  accorder  quelque  satisfaction  aux  avances  de 
l'évêque,  il  envoya  le  P.  Jérôme  Le  Bas  et  le  F.  Jacques  Morel  en 
Auvergne1.  Tous  deux  se  mirent  à  la  disposition  de  Mgr  du  Prat. 
Ils  évangélisèrent  d'abord  Beauregard,  où  se  trouvait  le  château 
de  l'évêque,  ainsi  que  le  pays  environnant.  Puis,  pendant  deux 
mois,  à  l'hôpital  de  Clermont,  ils  passèrent  une  partie  de  leur 
journée  à  consoler  et  à  instruire  les  malades  :  après  la  messe  de 
chaque  matin,  les  catéchismes,  les  instructions  sur  l'évangile  et 
les  sermons  se  succédaient  jusqu'au  soir.  Toute  populaire  qu'elle 
fût,  leur  éloquence  avait  un  charme  si  solide  que  les  hommes  et 
les  femmes  de  la  haute  société,  les  magistrats  et  les  chanoines 
se  faisaient  un  plaisir  de  venir  les  écouter2. 

Témoin  de  cette  sympathie,  à  laquelle  il  s'attendait,  M.gr  du  Prat 
résolut  de  renouveler  ses  démarches  auprès  du  P.  Ignace  en  fa- 
veur de  sa  ville  de  Billom  :  «  Depuis  longtemps,  lui  écrit-il  à  la 
date  du  29  septembre  1553,  je  vous  ai  exprimé  mon  désir  de  re- 
lever dans  cette  ville  son  ancienne  Université,  tellement  déchue 
qu'elle  conserve  à  peine  quelques  traces  de  sa  primitive  exis- 
tence... Je  garde  l'espoir...  que  Dieu  daignera  vous  inspirer  de 
vouloir  bien  m'accorder  le  concours  de   quelques-uns  de  vos 

1.  Jacques  Morel,  né  dans  le  diocèse  d'Evreux,  entra  dans  la  Compagnie  en  1545  : 
«  Vir  apprime  modestus,  humilis,  mansuetus,  ut  sibi  rigidus  ita  comis  omnibus,  nul- 
lis  parcens  laboribus  »  (Litt.  quadr.,  III,  528). 

2.  Chroaicon,  III,  296.  Litt.  quadr..  II,  366,  516. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  B1LLOM.  17g 

frères...  Je  les  recevrai  avec  toute  "l'affection  et  la  tendresse  d'un 
père;  j'aurai  soin  que  rien  ne  leur  manque  pour  leur  honnête  en- 
tretien et  leurs  progrès  dans  la  vie  spirituelle.  J'ai  acheté  des 
bâtiments,  que  je  mettrai  de  suite  très  volontiers  à  leur  disposi- 
tion, et,  suivant  leurs  conseils,  je  suis  prêt  à  exécuter  tout  ce  que 
je  reconnaîtrai  utile  à  la  gloire  de  Dieu  et  au  bien  de  votre  So- 
ciété1. » 

Dès  qu'il  eut  connaissance  de  l'état  des  choses,  le  1\  (Général 
s'occupa  de  réunir  quelques  hommes  de  talent  et  de  vertu,  qui 
pourraient  répondre  à  l'attente  de  l'évêque  de  Clermont.  Son 
choix  se  porta  sur  deux  Pères,  anciens  membres  de  la  commu- 
nauté de  Paris,  Pierre  Chanal  et  Jean  de  la  Goutte,  qui  avaient 
acquis  l'expérience  de  l'enseignement  en  Espagne,  et  déjà  fait 
preuve  d'habileté  et  de  dévouement2.  Il  les  rappela  en  Italie,  avec 
l'intention  de  les  destiner  à  la  fondation  de  Billom.  Le  P.  Jean  de 
la  Goutte  s'embarqua  à  Barcelone  ;  mais,  arrivé  sur  les  côtes  de  la 
Sicile,  il  tomba  au  pouvoir  des  corsaires  turcs  qui  le  transportè- 
rent dans  l'Ile  de  Zerbi,  près  de  Tunis.  A  cette  nouvelle,  Ignace 
fit  les  plus  actives  démarches,  et  les  Pères  de  Palerme  et  de  Mes- 
sine s'imposèrent  les  plus  grands  sacrifices,  pour  délivrer  le  pau- 
vre captif;  rien  ne  put  satisfaire  l'avidité  des  Barbaresques  qu'a- 
nimait une  haiue  implacable  contre  les  chrétiens.  Ils  prolongèrent 
indéfiniment  les  négociations,  refusant  toujours  d'accepter  la 
rançon,  de  plus  en  plus  forte,  dont  on  était  convenu.  Pendant  ces 
interminables  pourparlers,  la  vie  du  prisonnier  se  consumait  dans 
les  privations  et  les  souffrances.  Une  mort  prématurée  le  rendit 
à  la  liberté  des  enfants  de  Dieu0.  Le  P.  Pierre  Chanal,  plus  heu- 
reux que  son  compagnon,  échappa  aux  mains  des  corsaires  et 
parvint  à  Rome  sain  et  sauf. 

Tandis  que  le  P.  Ignace  préparait  des  ouvriers  à  la  fondation 
de  Mgl  du  Prat,  le  P.  Broet  et  le  P.  Robert  Claysson  étaient  allés 
rejoindre  le  P.  Le  Bas  en  Auvergne,  au  mois  de  novembre  1553. 
Ils  parcoururent  le  diocèse  de  Clermont,  annonçant  la  parole  de 
Dieu  à  une  population  très  avide  de  l'entendre.  Mais  bientôt,  la 
peste  ayant  cessé  ses  ravages  à  Paris,  les  deux  jeunes  Pères,  encore 
étudiants,  durent  songer  au  retour.  Le  P.  Claysson  partit  le  pre- 

1.  Carias  de  S.  Ign.,  IV,  app.  II,  n.  2. 

2.  lierre  Chanal  participa  à  la  fondation  du  collège  de  Valence  et  ensuite  à  l'inau- 
guration de  l'Université  de  Gandie  avec  un  succès  auquel  l'historien  de  S.  François 
de  Borgia  s'est  plu  à  rendre  hommage.  (Cieni'uegos,  Vida  del  grande  S.  Francise, 
de  Borgia,  1.  III,  c.  vi,  n.  1). 

3.  Clironicon,  III,  183,  229.  Epis  t.  mixt.,  n.  153. 


ISO  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

mier,  emportant  les  regrets  de  tous  ceux  qu'il  avait  évangélisés. 
Le  second  dimanche  de  l'Avent,  le  P.  Le  Bas  lit  de  touchants 
adieux  dans  le  sermon  qui  suivit  la  messe  :  les  larmes  et  les  san- 
glots de  ses  auditeurs  trahirent  l'affection  dont  il  était  l'objet. 
Puis  il  visita  une  dernière  fois  les  malades  de  l'hôpital,  qu'il  essayait 
de  consoler  en  leur  laissant  espérer  de  le  revoir  bientôt  avec  la 
permission  de  son  supérieur.  Au  moment  du  départ,  son  refus  du 
viatique  et  des  dons  qu'on  voulait  lui  offrir  édifia  beaucoup 
tous  les  amis  qui  l'accompagnaient1.  Le  P.  Paschase  Broet,  resté 
seul,  entreprit,  à  la  demande  de  l'évêque  de  Clermont,  la  visite 
de  quarante-quatre  paroisses;  il  put  ainsi  se  rendre  compte  des 
besoins  spirituels  du  diocèse,  et  il  remit  par  écrit  au  prélat  le 
résumé  de  ses  observations. 

La  bonne  impression  laissée  sur  son  passage  par  le  P.  Broet,  et 
le  souvenir  des  éloquentes  prédications  des  PP.  Claysson  et  Le 
Bas,  inspirèrent  aux  habitants  le  désir  de  voir  la  Compagnie 
s'établir  en  Auvergne.  Nous  savons  que  c'était  aussi  le  vœu  le  plus 
ardent  de  Guillaume  du  Prat.  Il  venait  de  recevoir  du  Général 
des  Minimes  une  lettre  où  l'on  faisait  le  plus  bel  éloge  du  collège 
de  Borne,  et  il  pressait  le  P.  Supérieur  d'obtenir  du  P.  Ignace  ce 
qu'il  avait  récemment  demandé.  Après  avoir  examiné  les  res- 
sources des  diverses  localités  du  pays,  le  P.  Broet  reconnut  qu'au- 
cune ne  se  prêtait  mieux  aux  ministères  de  l'Institut  que  Billom, 
placé  sous  la  juridiction  temporelle  et  spirituelle  de  l'évêque  de 
Clermont.  Un  nombre  d'écoliers  assez  restreint,  sans  doute,  fré- 
quentait son  Université  ;  mais  on  pouvait  compter  qu'après  la  ré- 
forme des  cours  il  deviendrait  plus  considérable3.  Le  Père  aurait 
désiré  qu'on  bâtît  un  nouveau  collège  avant  l'arrivée  des  reli- 
gieux. M^r  du  Prat,  au  contraire,  était  d'avis  qu'on  envoyât  d'a- 
bord les  Jésuites,  qui  construiraient  à  leur  gré  et  conformément  à 
leurs  usages.  D'ailleurs,  disait-il,  cette  fondation  ne  ferait  aucun 
tort  au  futur  établissement  de  Paris,  auquel  il  avait  l'intention 
de  laisser  la  propriété  de  l'hôtel  de  Clermont  avec  des  revenus4. 


1  .Lettre  du  P.  Broet  à  saint  Ignace,  7  décembre  1553  [Epist.  PP.  Broeli,  etc., 
p.  98).  Chronicon,  III,  299,  300.  Litt.  quadr.,  II,  518-523. 

2.  Chronicon,  III,  287;  IV,  316.  Litt.  quadr.,  II,  661. 

3.  Billom  avait  possédé  autrefois  un  collège  florissant  qui  jouissait  des  privilèges  des 
Universités;  on  y  prenait  le  degré  de  bachelier  ès-arts.  Eugène  IV,  par  une  bulle  du 
4  juin  1415,  avait  accordé  à  cet  ancien  collège  une  Faculté  de  l'un  et  l'autre  droit. 
Celte  Université  n'était  pas  fondée;  elle  se  soutenait  par  les  soins  et  la  piété  du  cha- 
pitre de  Saint-Cerneuf,  et  par  une  modique  rétribution  que  donnait  chaque  écolier. 
{Comptes  rendus  au  Parlement  de  Paris,  t.  VI,  p.  438]. 

4.  Chronicon,  III,  301.  Epist.  PP.  Broeti,  etc.,  p.  98-100. 


FONDATION  DU  COLLEGE  DE,  B1LLOM.  IS1 

Le  P.  Supérieur  ayant  envoyé  à.  Rome  un  compte  rendu  dé- 
taillé de  ses  entretiens  avec  le  généreux  évoque,  le  P.  Généra] 
répondit  qu'il  lui  paraissait  difficile,  en  ces  temps  de  troubles  oc- 
casionnés par  la  guerre  entre  le  roi  et  l'empereur,  d'envoyer  des 
professeurs,  surtout  s'ils  n'étaient  pas  français.  Il  voulut  d'abord 
savoir  si  ces  Pères  pourraient  vivre  en  sécurité  dans  ce  pays.  Un 
ami  de  confiance,  auquel  s'adressa  le  P.  Hroet,  l'assura  que  même 
les  sujets  de  l'empereur  ne  courraient  aucun  risque  à  Paris,  à  plus 
forte  raison  à  Billom,  pourvu  toutefois,  ajoutait-il,  qu'il  ne  sur- 
vienne pas  de  nouveaux  décrets.  Dans  une  telle  incertitude,  la 
prudence  commandait  de  ne  pas  entreprendre  une  œuvre  dont  la 
réussite  était  encore  douteuse.  Aucun  Père  ne  fut  alors  envoyé  à 
Billom,  et  le  P.  Supérieur  lui-même,  au  commencement  de  février 
1554,  revint  à  Paris1. 

Pendant  le  séjour  du  P.  Broet  en  Auvergne,  le  directeur  d'un 
collège  de  Périgueux,  un  docteur  en  théologie,  avait  fait  présen- 
ter aux  Pères  de  l'hôtel  de  Glermont  une  requête  où  il  demandait, 
pour  ce  pays  abandonné,  quelques  ouvriers  apostoliques  :  «  Plût  à 
Dieu,  y  disait-il,  qu'il  vint  à  la  pensée  du  Père  Ignace  de  diriger 
de  ce  côté  quelques-uns  de  ses  frères!  Ils  feraient  plus  pour  la 
gloire  de  Dieu  dans  ces  contrées  que  dans  certaines  régions  de 
l'Inde,  tellement  le  culte  divin  et  la  doctrine  chrétienne  y  sont 
obscurcis  de  ténèbres.  Notre  population,  en  ce  qui  concerne  la 
foi,  est  plus  ignorante  que  les  Garamantes.  Près  de  Bordeaux,  s'é- 
tendent des  forêts  d'une  trentaine  de  lieues,  dont  les  habitants, 
sans  souci  des  choses  du  ciel,  vivent  comme  des  bêtes  de  somme. 
On  trouve  des  personnes  de  cinquante  ans,  qui  n'ont  jamais  en- 
tendu une  messe  ni  appris  un  mot  de  religion.  »  C'était  une  belle 
moisson  promise  au  zèle  des  apôtres,  malheureusement  le  petit 
nombre  des  religieux  ne  permit  pas  de  répondre  à  ce  pressant 
appel2. 

Peu  de  temps  après  le  retour  du  P.  Supérieur,  ce  fut  le  pre- 
mier magistrat  de  la  ville  de  Montargis,  à  vingt -cinq  lieues  de 
Paris,  qui  fit  une  démarche  analogue.  Il  demandait,  afin  d'éta- 
blir une  école,  qu'on  lui  envoyât  un  Père  et  un  Frère,  auxquels 
il  offrait  une  maison,  cent  francs  de  rente  et  tout  l'ameublement. 
Le  curé  qui  avait  à  cœur  de  voir  réussir  l'entreprise,  mettait,  lui 
aussi,  sa  personne  et  ses  livres  à  la  disposition  de  la  Compagnie. 
Comme    pour  Périgueux   il  fallut  renoncer,    au  moins  pour  le 

1.  Ibidem.  Chronicon,  IV,  317,  324. 

2.  Chronicon,  III,  300.  LUI.  quadr.,  II,  308. 


182  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

moment,  ;'i  une  œuvre  qui  promettait  d'être  féconde  en  fruits  de 
salut1. 

3.  Enfin,  en  1555,  l'heure  sembla  venue  de  s'occuper  active- 
ment de  la  fondation  de  Billom.  Aux  yeux  d'Ignace  de  Loyola, 
les  motifs  qu'on  aurait  eus  de  la  retarder  encore  devaient  céder 
à  la  reconnaissance  que  la  Compagnie  était  tenue  de  témoigner 
à  Ms''  du  Prat2.  Dès  qu'il  sut  cette  bonne  nouvelle,  l'évêque  se 
hâta  de  remplir  toutes  les  formalités  qui  devaient  légalement 
précéder  l'établissement  du  collège.  Un  accord  passé  le  26  jan- 
vier, devant  le  notaire  de  Beauregard,  entre  l'évêque,  le  chapitre 
et  la  ville,  formula  les  conditions  convenues  avec  le  P.  Broet, 
Provincial  de  la  Province  de  France3.  La  ville  de  Billom  con- 
sentait à  une  imposition  de  deux  mille  livres  pour  la  construc- 
tion des  classes;  les  chanoines  de  Saint-Cerneuf  renonçaient  à 
leurs  droits  et  prérogatives  touchant  l'enseignement,  mais  en 
stipulant  que  ces  droits  leur  feraient  retour,  si  la  Compagnie  de 
Jésus,  pour  une  cause  ou  une  autre,  abandonnait  la  régence  des 
écoles. 

Pendant  ces  négociations,  un  des  religieux  de  Paris  les  plus 
estimés  de  l'évêque  de  Clermont  et  que  tout  désignait  pour  l'or- 
ganisation du  nouveau  collège,  Jérôme  Le  Bas,  faillit  mettre  sa 
vocalion  en  péril  et  devenir  le  jouet  de  son  imagination.  Nature 
ardente  et  généreuse,  il  partagea  quelque  temps,  avec  un  de 
ses  confrères,  Jean  Arnauld,  les  rêves  chimériques  de  Guillaume 
Postel  sur  les  futures  grandeurs  du  royaume  de  France  et  de 
l'Église  romaine.  Postel,  en  1553,  huit  ans  après  sa  sortie  du  novi- 
ciat, avait  publié,  sous  le  titre  de  Sibyllinorum  versuum  Ecfra- 
sis,  un  commentaire  des  vers  fatidiques  des  Sibylles,  qu'il  dédia 
à  Mgr  du  Prat4  :  «  Vous  êtes  le  premier,  lui  disait-il,  qui  avez  pro- 
tégé, dans  notre  France,  une  Compagnie  née  dans  le  sein  de  ce 
beau  royaume,  décorée  du  nom  même  de  Celui  qui  doit  être 
reconnu  pour  le  roi  de  l'Univers,  et  déjà  célèbre  par  le  bonheur 
qu'elle  a  de  remplir  toutes  les  Indes  de  la  lumière  de  l'Évangile, 
et  de  préparer  ainsi  les  voies  de  la  Légation  Universelle''.  » 
Jérôme  Le  Bas  et  Jean  Arnauld  s'étaient  laissé  éblouir  par  cette 

1.  Chronicon,  IV,  318.  Litt.  quadr.,  II,  662;  III,  111. 

2.  Lettre  du  12  sept.  1555  (Cartas  de  S.  Ign.,  V,  326). 

3.  Traité  entre  l'évêque  et  les  chanoines  (Roma.  Arch.  di  Stato  :  Fundat.  Gesuit., 
n.  16,  fol.  43-48). 

4.  Desbillons,  Nouveaux  éclaircissements  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Guil. 
Postel  (Liège,  1773,  in-8°).  —  5.  Cf.  Weill,  De  Gulielmi  Postelli  vita  et  indole. 


FONDATION  1)1    COLLÈGE  DE  BILLOM.  183 

prétendue  destinée  de  la  Compagnie,  d'aider  à  soumettre  Ions 
les  peuples  au  Souverain  Pontife,  sous  la  garde  de  la  monarchie 
très  chrétienne,  et  ils  ne  dissimulaient  pas  qu'ils  trouvaient  dans 
cette  brillante  théorie  quelque  chose  de  glorieux  pour  l'Église, 
la  France  et  la  Société  d'Ignace  de  Loyola.  Mais  le  saint  fonda- 
teur, avec  son  sens  droit  et  pratique,  se  montra,  comme  le 
P.  Broet,  inquiet  d'une  telle  disposition  dans  deux  de  ses  disci- 
ples. Il  les  fit  venir  à  Rome,  et  fut  d'ailleurs  pleinement  rassuré 
quand  l'un  et  l'autre,  guidés  par  l'esprit  de  foi  et  d'obéissance, 
eurent  réduit  à  leur  véritable  interprétation  des  propos  qu  ils 
avaient  pu  tenir  sans  en  considérer  toute  la  portée.  Ils  désavouè- 
rent toutes  les  chimères  qu'on  pouvait  reprocher  à  Guillaume 
Postel,  et  s'abandonnèrent  sans  réserve  au  jugement  de  leur 
Supérieur.  Le  P.  Arnauld  ne  tarda  pas  à  revenir  en  France1. 
Quant  au  P.  Le  Bas,  il  fut  envoyé  à  Billom  avec  le  P.  Pierre 
Chanal,  et,  dans  une  lettre  du  12  septembre  1Ô55,  le  P.  Ignace 
annonçait  à  l'évêque  de  Clermont  leur  prochaine  arrivée  :  «  Jé- 
rôme Le  Bas,  lui  disait-il,  est  sans  doute  bien  connu  de  Votre 
Seigneurie  Bévérendissime,  cependant  j'ai  confiance  que  depuis 
sa  venue  à  Rome  il  n'a  pas  peu  progressé  dans  la  grâce  de  Dieu. 
AL  Pierre  Chanal  est  très  versé  dans  la  philosophie  et  la  théo- 
logie; parles  exemples  d'une  vie  modeste  et  innocente,  il  nous 
a  toujours  donné  beaucoup  d'édification.  Il  est  français  d'origine 
et  des  environs  du  diocèse  de  Clermont;...  il  ne  tardera  pas  à 
travailler  avantageusement  à  la  gloire  de  Dieu  et  au  bien  des 
âmes2.  » 

i.  Le  26  octobre,  les  PP.  Le  Bas  et  Chanal  arrivèrent  de  Rome 
à  Billom,  où  ils  trouvèrent  le  P.  Claysson  qui  avait  reçu  au 
mois  de  mai,  des  mains  de  Mpr  du  Prat,  la  consécration  sacerdo- 
tale3. Trois  hommes  de  ce  mérite  furent  vite  appréciés  de  la 
ville  et  de  tout  le  diocèse,  et  l'on  désira  de  tous  les  côtés  béné- 
ficier de  leur  enseignement  et  de  leurs  prédications;  nous  le 
savons  par  une  lettre  de  Mgr  du  Prat  au  P.  Général  :  «  J'ai  chargé 
[le  P.  Claysson],  écrit-il,  d'interpréter  l'Écriture  Sainte  aux  élèves 
do  l'Université  de  Billom  et  de  faire  des  sermons  dans  les  églises. 
Il  m'est  difficile  d'exprimer  avec  quel  enthousiasme  il  a  été 
accueilli  par  les  étudiants  et  par  les  habitants.  C'est  au  point  que 

i.  Chronicon,  V,  324. 

2.  Carias  de  s.  Ignacio,  V,  326.  —  Chronicon,  V,  il. 

3.  Chronicon,  V,  337,  346.  —  LUI.  quadr.,  III,  470,  635,  700. 


181  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

maintenant  toutes  les  villes  de  mon  diocèse  se  disputent  le 
bonheur  de  le  posséder,  et  que  chaque  jour  elles  redoublent 
d'instances  auprès  de  moi.  Mis  en  demeure  ou  de  subir  la  honte 
de  négliger  une  œuvre  commencée,  ou  de  manquer  à  mon  de- 
voir, en  repoussant  des  désirs  si  saints  et  si  légitimes,  j'ai  pris 
un  juste  milieu...  et  j'ai  prié  le  P.  Claysson  d'aller  exercer  son 
éloquence  et  son  zèle  dans  quelques  villes...  pendant  les  vacances. 
Il  l'a  fait  avec  un  tel  succès  qu'on  quittait  tout  pour  l'entendre... 
Jérôme  Le  Bas  et  Pierre  Chanal  sont  l'un  et  l'autre,  par  leur 
zèle  et  par  leur  modestie  admirables,  dignes  de  toute  notre  con- 
sidération. J'ai  cru  devoir  envoyer  maître  Jérôme  à  Clermont  où 
il  se  dévoue  aux  malades  de  l'hôpital  et  aux  pauvres,  avec  tant 
de  charité,  qu'ir  a  conquis  le  respect  et  l'affection  de  mes  diocé- 
sains... Vous  prêteriez  à  nos  efforts  un  concours  bien  utile,  si 
vous  envoyiez  encore  quatre  ou  cinq  des  vôtres,  soit  pour  secon- 
der maître  Robert  Claysson,  soit  pour  remplir  les  divers  offices 
du  collège.  Car  je  me  propose  de  donner  à  vos  Pères  l'entière 
direction  des  écoles  de  Billom.  J'aurai  soin  que  toute  la  maison 
leur  soit  livrée  en  bon  état,  et  si  largement  pourvue  de  toutes 
choses,  que  la  sollicitude  des  besoins  matériels  ne  les  puisse  dé- 
tourner des  fonctions  si  importantes  de  l'enseignement,  ni  des 
saintes  pratiques  de  la  vie  religieuse1.  » 

5.  Afin  de  donner  au  zélé  prélat  une  prompte  et  favorable  dé- 
cision, le  P.  Général  s'empressa  de  prendre  auprès  du  P.  Supé- 
rieur les  dernières  informations  exigées  par  la  prudence.  Dans 
la  réponse  qu'il  fît  à  Rome,  le  27  avril  1556,  le  P.  Broet  exposa 
nettement  la  situation  :  jusqu'ici  l'Université  de  Billom  n'avait 
jamais  eu  de  fonds  pour  subvenir  aux  honoraires  des  maîtres, 
mais  MpI  du  Prat  dotera  le  collège  d'une  fondation  suffisante  à 
l'entretien  de  douze  personnes  de  la  Compagnie;  —  il  se  propose 
également  de  prendre  des  mesures  qui  assureront  aux  Jésuites 
la  dotation  de  ce  collège,  bâti  pour  eux,  sans  que  ses  successeurs 
puissent  les  y  troubler;  il  peut  d'ailleurs  se  passer  de  l'autori- 
sation du  roi  et  de  celle  du  Souverain  Pontife,  puisqu'il  veut  fon- 
der non  sur  des  biens  d'Église,  mais  sur  son  propre  patrimoine; 
—  il  compte  sur  maître  Claysson  pour  la  classe  de  théologie, 
réservant  les  autres  cours  aux  Pères  qui  seront  envoyés  dans  la 
suite;  —  l'Université  de  Billom  n'a  aucun  statut  gênant  pour  les 
professeurs  de  la  Compagnie  :  ils  feront  les  règlements  et  ensei- 

1.  Carlos  de  S.  lgn.,  V,  589. 


FONDATION  DU  COLLEGE  DE  BILLOM.  18b 

gneront  les  auteurs  qu'ils  jugeront  à   propos,   les  études  étant 
complètement  abandonnées  à  leur  direction1. 

Rien,  dans  ces  dispositions  et  ces  projets,  ne  s'opposant  aux 
prescriptions  de  l'Institut,  le  P.  Ignace  pouvait  agir  en  toute 
sécurité.  Sur  son  ordre  le  P.  Viola,  que  ï'évêque  avait  demandé 
nommément  à  cause  de  leurs  anciennes  relations,  partit  pour 
Billom,  où  il  arriva  au  milieu  du  mois  de  juin  1556 2.  11  était 
accompagné  de  trois  scolastiques  destinés,  avec  deux  autres  venus 
de  Paris,  à  l'enseignement  des  belles-iettres.  Au  mois  de  février 
précédent,  Mgr  du  Prat  avait  acheté,  près  des  remparts,  un  terrain 
qu'il  donna  à  la  Compagnie  pour  les  constructions  nouvelles,  et 
la  commune  de  Billom,  autorisée  par  lettres  patentes  de  Henri  II, 
du  12  avril,  en  acquit  dans  le  même  but  un  autre  tout  à  côté. 
L'inauguration  du  collège  eut  lieu  le  2ti  juillet.  Dès  l'ouverture 
des  classes,  cinq  cents  élèves  se  présentèrent;  peu  de  temps  après 
on  en  compta  six  cents,  et  deux  cents  enfants  auxquels  des  péda- 
gogues apprenaient  à  lire  3.  Il  y  eut  à  l'origine  cinq  classes  de 
lettres.  Le  P.  Léonard  Masser  occupait  la  chaire  de  rhétorique, 
le  P.  Nicolas  Lorrain  '  celle  d'humanités;  les  trois  classes  de  gram- 
maire étaient  régentées  par  les  PP.  Louis  Gérardin,  Jacques  Morel 
et  Olivier  du  Hamel.  Les  PP.  Le  Bas  et  Claysson  conservèrent 
leur  emploi  de  prédicateur,  auquel  le  second  ajoutait,  comme 
par  le  passé,  les  fonctions  de  professeur  de  théologie.  Enfin  le 
P.  Pierre  Chanal  fut  nommé  recteur,  bien  que  le  P.  Viola,  con- 
fesseur des  élèves,  gardât  sur  l'ensemble  de  l'administration  une 
certaine  autorité  due  à  son  expérience,  ses  mérites  et  la  grande 
confiance  que  Ï'évêque  lui  témoignait  '. 

6.  Il  serait  intéressant  de  connaître  l'ordre  et  le  programme  des 
études  suivis  au  premier  collège  de  la  Compagnie  en  France. 
Aucun  document  ne  réponde  cette  légitime  curiosité.  Nous  savons 
seulement  que  les  professeurs  de  grammaire,  d'humanités  et  de 
rhétorique  «  consacraient  trois  heures  le  matin  et  trois  heures  le 
soir  aux  leçons  et  aux  exercices  scolaires1'  ».  Toutefois  les  détails 
plus  précis  que  l'on  possède  sur  le  collège  de  Messine,  la  première 


1.  Lettre  du  P.  Broet  à  saint  Ignace,  27  avril  1556  (Epist.  PP.  Broeli,  etc.,  p.  105- 
108).  —  2.  Chronicon,  VI,  481,  492.  Epist.  mixt.,  V,  359,  404. 

3.  Le  nombre  des  élèves  s'accrut  encore  dans  la  suite  :  700  en  décembre  1558; 
800  et  14  Pères  en  février  1559;  1600  en  1563.  Cf.  Gall.  Epist.,  1.  I,  fol.  31.  74. 
Manare,  De  rébus  S.  J.,  p.  70. 

4.  Alias  Nicolaus  Paradensis  ou  Paredensis. 

5.  Chronicon,  VI,  496,  500.  Epist.  mixt..  V,  408.  —  6.  Ibid. 


186  HISTOIRE  ME  LA  COMPAGNIE  ME  JÉSUS. 

maison  d'enseignement  acceptée  par  saint  Ignace,  peuvent  dans 
une  certaine  mesure  suppléer  à  ce  qui  nous  manque.  C'est  en 
15V7  que  le  P.  Domenech,  ancien  supérieur  des  étudiants  de  Paris 
au  collège  des  Lombards,  devenu  Provincial  de  Sicile,  ofïrit  à  la 
Compagnie,  de  la  part  du  vice-roi,  la  fondation  de  cet  établis- 
sement. Le  P.  Général  l'accepta,  et  résolut  d'en  faire  comme  le 
modèle  de  tous  ceux  qui  s'organiseraient  à  l'avenir;  il  en  donna 
le  gouvernement  au  Père  Jérôme  Nadal,  et  confia  les  cours  à  des 
maîtres  tels  que  Pierre  Canisius,  Annibal  du  Coudret,  André  Fru- 
sius  et  Benoit  Palmio.  Le  P.  Nadal,  de  concert  avec  ses  collabora- 
teurs, établit  le  collège  de  Messine  sur  le  pied  de  ceux  de 
l'Université  de  Paris,  que  beaucoup  de  jeunes  Jésuites  avaient 
fréquentée  et  où  étudiaient  encore  bon  nombre  de  scolastiques, 
mais  il  se  réserva  d'introduire,  dans  les  méthodes  et  la  disci- 
pline, les  améliorations  jugées  opportunes.  Il  formula  dans  ce 
sens  diverses  prescriptions  relatives  aux  études,  à  l'enseignement, 
à  la  direction  spirituelle  et  au  bon  ordre  général.  Ce  règlement, 
soumis  à  l'approbation  de  saint  Ignace,  fut  ensuite  appliqué  à 
tous  les  collèges  que  fonda  la  Compagnie,  même  au  collège  ro- 
main, en  tenant  compte  toutefois  des  usages  locaux  et  avec  quel- 
ques modifications  indiquées  par  l'expérience1.  C'est,  d'une  cer- 
taine façon,  le  plus  ancien  Ratio  Studiorum.  En  voici  les  grandes 
lignes,  d'après  une  lettre  du  P.  Annibal  du  Coudret. 

Il  y  avait  à  Messine  trois  classes  de  grammaire,  les  humanités, 
la  rhétorique  et  la  philosophie;  de  plus  un  professeur  de  grec  et 
un  autre  d'hébreu.  La  durée  des  exercices  scolaires,  chaque 
matin  et  chaque  soir,  variait  de  deux  heures  à  trois  heures  selon 
le  degré  des  classes  elles-mêmes;  dans  toutes  on  parlait  latin. 
Les  vacances  se  réduisaient  à  quinze  jours  pour  les  élèves  d'hu- 
manités, à  huit  jours  pour  ceux  de  la  troisième  classe  de  gram- 
maire, à  moins  encore  pour  les  classes  inférieures. 

Dans  la  première2  classe  de  grammaire,  divisée  en  plusieurs 
sections,  les  élèves  récitaient  les  huit  parties  du  discours  de  Dona- 
tus  ou  les  rudiments  de  Despautère.  —  Dans  la  seconde  classe, 
divisée  en  deux  sections,  les  plus  faibles  apprenaient  la  gram- 
maire de  Pharaon,  et  les  plus  avancés  celle  de  Despautère  jusqu'à 
la  syntaxe.  Le  professeur  expliquait  les  lettres  de  Cicéron,  des 
passages  de  Térence  ou  les  églogues  de  Virgile.  Une  demi-heure 
chaque  matin  et  toute  l'après-midi  du  samedi  étaient  consacrées 

1.  Litt.  quadr.,  I,  349.  Chronicon,  I,  282;  II,  221,  38 i. 

2.  11  s'agit  de  la  classe  inférieure,  la  plus  élémentaire. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  BILLOM.  1*7 

aux  concertations1.  On  répétait,  le  samedi  matin,  toutes  les  leçons 
de  la  semaine.  — -  Dans  la  troisième  classe,  on  voyait,  depuis 
octobre  jusqu'à  Pâques,  la  syntaxe  de  Despautère,  et  de  Pâques 
au  mois  d'octobre,  l'art  métrique  et  le  livre  de  /if/ //ris  du  même 
auteur.  Le  professeur  expliquait,  parmi  les  prosateurs,  ou  Cicéron 
(De  amicitia  ou  De  senectute)  ou  Salluste;  parmi  les  poêles,  des 
passages  de  Térence  ou  d'Ovide.  Les  élèves  faisaient  chaque  jour 
une  composition  latine,  soit  en  prose,  soit  en  vers.  L'ordre  des 
concertations  et  des  répétitions  était  le  même  que  dans  la  seconde 
classe. 

En  humanités,  il  y  avait  plus  de  variété  dans  le  choix  des 
auteurs.  Le  P.  Annibal  du  Coudret  cite,  parmi  les  latins,  Cicéron 
et  Tite-Live,  Virgile  et  Plaute;  parmi  les  grecs,  les  dialogues  de 
Lucien  et  d'Isocrate,  l'Iliade  d'Homère  et  Aristophane.  Le  samedi 
soir,  on  déclamait  quelques  passages  des  auteurs  déjà  expliqués. 

En  rhétorique,  on  apprenait  les  préceptes  dans  Fabius  ou  dans 
la  rhétorique  ad  Herennium;  le  professeur  expliquait,  avec  les 
discours  de  Cicéron  et  de  Démosthène,  Hésiode  ou  quelques  livres 
des  historiens.  Chaque  semaine,  les  élèves  composaient  un  dis- 
cours que  le  maître  corrigeait  dans  la  soirée  du  samedi;  tous  les 
quinze  jours,  avaient  lieu  les  débats  contradictoires.  —  En  phi- 
losophie, le  professeur  lisait,  outre  Aristote,  la  dialectique  de 
Georges  de  Trébizonde  ou  celle  de  quelque  autre  auteur;  ses  ex- 
plications étaient  suivies  de  répétitions,  d'interrogations  et  de 
disputes  scolastiques. 

Quant  au  spirituel,  on  commençait  et  on  finissait  chaque  classe 
par  le  signe  de  la  croix,  quelquefois  par  une  prière,  plus  courte 
chez  les  grands,  plus  longue  chez  les  petits.  Les  élèves  avaient 
coutume  de  se  confesser  chaque  mois,  et  d'assister  à  la  messe  tous 
les  jours2. 

Ce  règlement  peut  donner  au  moins  une  idée  des  usages 
observés  à  Billom,  dans  les  premiers  temps.  Tout  nouveau  dans 
son  genre,  pour  le  bon  ordre,  la  discipline  et  la  piété,  le  collège 
de  Mgl  du  Prat  ne  tarda  pas  à  faire  l'admiration  de  la  ville.  Les 
habitants,  raconte  le  premier  annaliste  de  la  maison,  se  rendaient 
souvent  à  la  grande  église  Saint-Cerneuf,  au  moment  des  offices 
des  élèves,  afin  d'être  témoins  de  leur  recueillement  'K  Les  séances 

1.  La  concertation  consiste  dans  un  débat  entre  rivaux  (émules)  qui  s'interrogent 
et  répondent  à  leur  tour,  ou  bien  qui  se  corrigent  les  uns  les  autres  sur  l'interroga- 
tion du  maître. 

2.  Lettre  du  P.  du  Coudret  au  P.  Polanco,  14  juillet  1551  {LUI.  quadr.,{.  I,  p  3ï9, 
358).  —  3.  Primordia  collegii  Billomensis  (Archiv.  de  la  prov.  de  Lyon). 


188  UISTOIltE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

littéraires  ou  dramatiques  attiraient  la  foule  :  «  Ces  sortes  de 
spectacles,  écrivait  le  P.  Clayssonau  P.  Lainez,  émeuvent  toujours 
l'âme  et  lui  laissent  une  impression  salutaire;  ils  profitent  même 
parfois  autant  qu'un  sermon.  Ces  pièces,  tirées  de  sujets  sacrés, 
augmentent  le  crédit  de  la  Compagnie,  et  cela  â  la  gloire  de  Notre- 
Seigneur.  Le  collège  jouit  d'une  excellente  renommée,  grâce  à 
l'enseignement,  à  la  méthode  et  à  l'émulation.  La  noblesse  retire 
ses  enfants  des  autres  académies,  pour  nous  les  confier;  les  péda- 
gogues accourent  à  nous  avec  leurs  élèves.  Ceux-ci  nous  viennent 
des  lieux  les  plus  éloignés.  Que  ne  devons-nous  pas  espérer  de 
ce  collège,  lorsqu'il  sera  bâti1  ?  »  Il  aurait  dû  ajouter  :  et  quand 
nous  aurons  de  brillants  professeurs,  car,  de  l'aveu  du  P.  Po- 
lanco,  ce  succès,  vu  la  médiocrité  du  personnel,  ne  laissa  pas  que 
d'étonner  les.supérieurs'2. 

7.  Les  leçons  se  donnaient  alors  dans  les  bâtiments  de  l'an- 
cienne Université.  Mgr  du  Prat  avait  procuré  aux  Pères,  pour  leur 
habitation,  une  maison  de  louage  qu'il  avait  garnie  de  l'ameuble- 
ment nécessaire.  Il  s'apprêtait  à  faire  plus  encore.  Quand  le 
P.  Viola  se  rendit  à  la  première  congrégation  générale  (1557),  il 
lui  remit  une  lettre,  destinée  aux  profès  de  cette  assemblée,  dans 
laquelle  il  leur  disait  :  «  Je  donne  bien  volontiers  l'assurance 
de  ma  parole,  que  je  réserve  à  la  construction  du  collège  et  à 
l'entretien  des  professeurs,  qui  y  viendront  enseigner,  10.000  livres 
et  plus,  et  que  je  m'empresserai  de  les  fournir  dès  que  le  temps 
sera  venu  :1.  » 

Ces  engagements  furent  consignés,  avec  les  concessions  accor- 
dées par  la  ville  et  le  chapitre,  dans  un  contrat  de  fondation 
passé,  le  19  novembre  1558,  par-devant  le  notaire  de  Beaure- 
gard.  Aux  anciennes  libéralités,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  et  à 
l'achat,  moyennant  1.180  livres,  de  terrains  aussitôt  donnés  aux 
Jésuites,  le  prélat  ajoutait  :  de  nouveaux  terrains;  —  une  maison; 
—  la  dime  de  Mezet;  —  1.200  livres  de  rente  qui  lui  étaient  dues 
sur  l'hôtel  de  ville  de  Paris;  —  la  promesse  de  10.000  livres  pour 
les  bâtiments  du  collège,  avec  ordre  que  cette  somme  fût  payée 
par  ses  héritiers,  si  on  ne  l'avait  pas  acquittée  de  son  vivant.  Par 
ce  même  acte,  Mgr  du  Prat  chargeait  spécialement  les  échevins 
de  Billom  de  veiller  à  l'exécution  de  ses  volontés,  et  afin  d'entourer 

1.  Lettre  de  février  1557  (Galliae  Epist.,  t.  I,  n.  16). 

2.  Polanco,  Chronicon,  VI,  p.  i93.  «  Debiliores  esse  nostros  lectores,  quam  ipse 
voluisset,  [P.  Viola]  scribit.  » 

3.  Primordia  coll.  Billom  (Arch.  prov.  de  Lyon). 


FONDATION  DU  COLLEGE  l»E  BILLOM.  189 

sa  fondation  de  toutes  les  garanties  possibles,  il  la  fit  signer  non 
seulement  par  ces  échevins  et  les  principaux  habitants  de  la  ville, 
mais  encore  par  Paul  du  Prat  son  cousin,  archidiacre  de  Cler- 
mont,  et  par  plusieurs  membres  du  chapitre1. 

On  se  mit,  sans  tarder,  au  travail  des  constructions.  Un  seigneur 
du  pays  loua,  pour  quatre  ans,  une  carrière  aux  Jésuites,  et  l'évê- 
que  fondateur  leur  permit  d'abattre  quatre-vingts  arbres  magnifi- 
ques dans  la  forêt  de  Billom-.  En  mai  1559,  fut  bénite  la  première 
pierre  du  nouvel  édifice  :  «  Le  29  de  ce  mois,  raconte  un  témoin 
oculaire,  Sa  Seigneurie  révérendissime  vint  à  Billom,  où  elle  fut 
reçue  avec  de  grands  honneurs  par  les  habitants  et  les  écoliers; 
les  uns  l'accompagnaient  à  cheval,  les  autres  portaient  en  main 
des  rameaux.  Conduite  au  lieu  où  Ton  devait  élever  le  collège, 
elle  en  visita  avec  grand  plaisir  l'emplacement  et  les  matériaux. 
Une  petite  chapelle  avait  été  préparée  pour  la  célébration  de  la 
messe  et  les  autres  cérémonies.  Sur  une  des  faces  de  la  première 
pierre,  on  avait  gravé  cinq  croix,  une  au  milieu  et  les  autres  aux 
quatre  coins.  Sur  l'autre  face,  on  voyait  les  armoiries  épiscopales 
avec  ces  paroles  :  Guillaume  du  Prat,  évèque  de  Clermont,  fonda- 
teur de  cette  église  et  du  collège,  le  trentième  jour  de  mai  1559  3. 
C'est  en  effet  le  lendemain  de  son  arrivée  que,  devant  une  foule 
nombreuse  et  toute  l'Université,  cette  première  pierre  fut  placée 
dans  les  fondations,  à  l'endroit  où  devait  être  la  porte  principale 
de  l'église.  A  la  fin  de  la  cérémonie,  Sa  Grandeur  se  trouvant  un 
peu  fatiguée  n'osa  pas  monter  à  l'autel  pour  célébrer  le  saint  sacri- 
fice, et  la  messe  fut  dite  par  Maître  Jérôme  Le  Bas.  On  se  rendit 
ensuite  à  l'habitation  des  Pères  où  la  ville  avait  fait  préparer  un 
banquet.  Monseigneur  déclara  que',  si  Dieu  le  laissait  vivre  jus- 
qu'à l'achèvement  de  l'église,  il  voulait  y  être  inhumé.  On  lut 
devant  lui,  après  le  diner,  une  églogue  latine,  dans  laquelle  on 
comparait  la  première  pierre  à  celle  où  le  patriarche  Jacob  re- 
posa la  tête.  La  pièce  fut  bien  récitée  et  le  prélat  en  parut  très 
satisfait  '.  » 

8.  Guillaume  du  Prat,  mort  le  23  octobre  1560,  n'eut  pas  la 
consolation  de  voir  l'église  terminée  :  elle  ne  le  fut  qu'en  156V. 

1.  Archives  du  Puy-de-Dôme,  série  D,  Contrat  de  Fondation.  —  Cf.  Lettre  du 
P.  Viola  au  P.  Lainez  (Gall.  Epist.,  1. 1,  f.  31). 

2.  Lettre  du  P.  Gérardin  au  P.  Lainez  (Gall.  Epist.,  t.  I,  f.  76). 

3.  Cette  inscription  était  en  latin  :  Gulielmus  Du  Prat,  episcopus  Claramonlen- 
sis,  hujus  ecclesiae  et  Collegii  fundalor,  die  30  maii  1559. 

4.  Lettre  du  P.  Louisdu  Coudretau  P.  Général,  25  juin  1559  (Gall.  Epist,  t.  I,  F.  29). 


190  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Mais  on  y  transporta  sa  dépouille  mortelle,  et  son  dernier  vœu 
se  trouva  ainsi  réalisé.  Un  historien  de  l'Église  d'Auvergne  a  pu 
dire,  avec  vérité,  que  «  ce  saint  évoque  fut  aussi  l'un  des  plus 
grands  qui  aient  occupé  le  siège  de  Clermont1  ».  Ni  son  mérite 
personnel,  ni  les  éclatants  services  que  son  illustre  père  avait 
rendus  à  l'État  et  à  l'Église  n'éveillèrent  en  lui  de  prétentions  am- 
bitieuses. Il  ne  voulut  jamais,  comme  tant  d'autres,  cumuler  dans 
différents  diocèses  les  fonctions  épiscopales,  et  se  contenta  des 
modestes  bénéfices  qui  lui  avaient  été  attribués  avant  son  intro- 
nisation. Dans  un  discours  qu'il  prononça  au  concile  de  Trente, 
le  9  janvier  15i7,  il  s'était  hautement  déclaré  en  faveur  de  la 
résidence  des  évoques.  De  retour  en  France,  confirmant  la  sincé- 
rité de  ses  paroles  par  l'autorité  de  son  exemple,  il  ne  paraissait  à 
la  cour  que  si  son  devoir,  les  intérêts  de  son  Église  ou  le  bien 
général  de  la  Religion  l'y  appelaient.  D'une  santé  délicate,  il 
vivait  habituellement  à  Beauregard ,  sa  maison  de  campagne, 
réservant  toutes  ses  forces  pour  la  bonne  administration  de  son 
diocèse.  Il  était  le  modèle  de  son  clergé,  et  lui  procura,  par  l'éta- 
blissement de  diverses  communautés  religieuses,  le  concours 
d'auxiliaires  habiles  et  dévoués.  Véritable  père  de  son  peuple,  il 
employait  tous  ses  revenus  à  fonder  des  institutions  charitables 
qui  lui  ont  longtemps  survécu.  L'Église  lui  doit  de  bénir  toujours 
sa  mémoire  pour  le  soin  qu'il  donnait  à  l'éducation  de  la  jeunesse, 
pour  le  bien  opéré,  grâce  à  ses  largesses,  par  les  collèges  de  Bil- 
lom,  de  Mauriac  et  de  Paris. 

Cette  vie,  tout  entière  consacrée  au  service  de  Dieu  et  au  bien 
des  âmes,  fut  couronnée  par  une  mort  très  douce.  Le  prélat,  dit 
un  ancien  historien,  s'y  «  prépara  et  disposa  de  bonne  heure, 
s'étant  retiré  en  son  chasteau  de  Beauregard  pour  méditer,  avec 
plus  de  repos  et  de  tranquillité,  son  départ  de  ce  monde2  ».  Quand 
il  se  sentit  près  de  sa  fin,  il  fit  appeler  près  de  lui  le  P.  Recteur 
de  Billom,  qui  vint  aussitôt  et  voulut  l'assister  jusqu'à  son  dernier 
soupir.  Aux  obsèques,  célébrées  avec  une  pompe  extraordinaire, 
le  P.  Jérôme  Le  Bas,  interprète  de  la  douleur  de  tous,  retrara 
éloquemment  les  vertus  et  les  mérites  du  vénéré  pasteur,  dont  le 
corps  fut  déposé  provisoirement  dans  l'église  des  Minimes 3. 

Mû  par  un  juste  sentiment  de  reconnaissance,  le  P.  Lainez,  alors 
Général,  voulut  associer  tous  ses  religieux  aux  regrets  qu'il  avait 

1.  De  Résie,  Hist.  de  l'Eglise  d'Auvergne,  t.  III,  p.  468. 

2.  Hilarion  de  Coste,  Histoire  catholique,  1.  H,  p.  308. 

3.  Lettre  du  P.  Viola  au  P.  Général,  15  nov.  15G0  (Galliae  Epist.,  t.  I,  fol.  171). 


FONDATION  Dl    COLLÈGE  DE  BILLOM.  l'.u 

ressentis  de  la  perte  de  cet  insigne  bienfaiteur  :  «  Notre  Compa- 
gnie, disait-il  dans  une  circulaire  adressée  à  toutes  les  maisons. 
est  obligée,  plus  que  toute  autre,  à  hâter  par  de  ferventes  prières 
l'entrée  de  l'àme  du  vénérable  prélat  dans  le  séjour  des  bienheu- 
reux. Il  l'aima  d'un  amour  paternel,  et  la  combla  de  bienfaits; 
après  l'avoir  introduite  en  France,  il  lui  resta  fidèle,  la  regarda 
comme  sa  famille,  la  soutint  dans  les  plus  rudes  épreuves,  qu'il 
voulut  partager  avec  elle.  En  retour  de  si  grands  bienfaits,  tous 
les  prêtres  célébreront  douze  fois  le  saint  sacrifice  de  la  messe  ; 
ceux  qui  ne  le  sont  pas,  feront  pendant  douze  jours,  au  choix  du 
supérieur,  des  prières  expresses  pour  le  repos  de  son  âme1.  » 

9.  Si  la  mort  vint  surprendre,  au  milieu  de  sa  tâche,  ce  pieux 
évèque,  âgé  seulement  de  cinquante-trois  ans,  elle  ne  l'empêcha 
pas  néanmoins  d'assurer  l'avenir  de  ses  saintes  entreprises.  Quatre 
mois  avant  son  décès,  le  25  juin  1560,  il  avait  exprimé  par  écrit 
ses  dernières  volontés.  Le  préambule  de  son  testament  et  l'exposé 
des  motifs,  qui  précède  les  principaux  articles,  respirent  la  foi  la 
plus  vive  et  la  plus  tendre  charité.  À  ses  parents,  qui  sont  riches, 
il  laisse  seulement  quelques  souvenirs.  C'est  aux  pauvres,  aux 
hôpitaux,  aux  communautés  religieuses,  aux  institutions,  dont  il 
avait  été  le  fondateur  ou  le  soutien,  qu'il  partage  sa  belle  fortune. 
Cette  longue  série  de  donations  est  comme  un  résumé  des  bonnes 
œuvres  de  sa  vie. 

Cinq  clauses  de  son  testament  regardaient  la  Compagnie  de  Jé- 
sus. Touchant  le  collège  de  Billom  d'abord,  Monseigneur  confir- 
mait la  rente  annuelle  de  douze  mille  livres  et  la  somme  de  dix 
mille  livres  pour  les  bâtiments  à  construire.  Il  donnait  de  plus 
aux  Pères  du  collège,  «  en  augmentation  de  la  fondation  »,  une 
somme  de  cinq  mille  livres;  —  «  sa  chapelle  d'argent  et  orne- 
ments d'icelle;  —  les  livres  de  sa  librairie  qui  leur  conviendront, 
à  la  charge  d'entretenir  à  perpétuité  dix-huit  pauvres  escoliers, 
à  leur  choix,  et  du  diocèse  de  Clermont  ». 

Le  généreux  testateur  favorisait  aussi  les  deux  autres  collèges. 
qu'il  avait  depuis  longtemps  le  désir  de  fonder,  à  Paris  et  à  Mau- 
riac. Pour  l'achat  d'une  maison  dans  la  capitale,  afin  de  «  s'y  loger 
et  tenir  ledit  collège  »,  il  léguait  ses  trois  seigneuries  de  Cormède, 
de  Lempde  et  de  Saint-Amand  d'Artières.  Il  y  ajoutait  la  somme 
de  six  mille  livres  «  pour  aider  à  bâtir  un  logis  »  ;  —  une  rente 
annuelle  de  mille    cinq  cent  quarante-cinq  livres,  destinée  à  la 

1.  Lettres  du  9  déc.  1560  (Gall.,  Epist.  General.,  t.  1559-1561). 


102  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

subsistance  des  maîtres;  —  enfin  une  autre  rente   de  six  cents 
livres  pour  l'entretien  «  à  perpétuité  de  six  pauvres  escoliers  ». 

Son  second  collège  d'Auvergne,  celui  de  Mauriac,  n'était  pas 
moins  favorisé.  Il  déclarait  vouloir  l'établir,  «  afin  que  ceux  qui 
demeurent  es  montagnes  [puissent]  plus  sûrement  et  avec  moins 
de  labeur  faire  instruire  leurs  enfants,  sans  danger  qu'ils  soient 
infectés  d'hérésie  ».  Il  léguait,  dans  ce  but,  une  somme  de  sept 
mille  livres  et  une  rente  de  quatre  cents  livres  «  due  par  la  com- 
tesse de  Saint-Paul  et  autres  coobligés  i  ». 

Les  dispositions  relatives  à  la  Compagnie  de  Jésus  étaient  expri- 
mées avec  une  précision  qui  ne  laissait  aucun  doute  sur  les  inten- 
tions de  M61'  du  Prat.  Cependant,  des  personnes  intéressées  atta- 
quèrent la  légalité  de  son  testament,  et  ses  dernières  volontés  ne 
furent  pas  respectées.  Profitant  des  querelles  que  le  Parlement  de 
Paris  suscitait  aux  Jésuites,  pour  le  droit  de  naturalisation,  elles 
poursuivirent  une  série  de  procédures  qui  devaient,  croyaient- 
elles,  les  substituer  aux  légataires  légitimes.  Dans  cette  revendi- 
cation des  legs  faits  à  la  Compagnie  de  Jésus,  se  trouvaient  réunis 
les  exécuteurs  testamentaires  et  quelques  héritiers  naturels  de 
l'évèque.  De  plus,  la  ville  et  les  chanoines  de  Billom  prétendirent 
au  droit  d'administrer  les  biens  du  collège  ;  les  pauvres  de  Cler- 
mont  réclamèrent,  outre  leurs  legs  particuliers,  ceux  que  le  pré- 
lat avait  destinés  aux  religieux  chargés  de  leur  direction;  les  hô- 
pitaux, en  raison  de  leurs  besoins,  voulurent  faire  augmenter  leur 
part  2.  Enfin  un  des  avocats  du  roi  présenta  au  Parlement,  le 
26  mars  1561,  une  requête  en  faveur  des  quatre  Ordres  men- 
diants de  Paris,  «  si  nécessiteux,  disait-il,  qu'ils  seront  contraints 
chasser  tous  leurs  escholiers  estrangers  des  couvents,  par  faute 
de  vivres  et  le  peu  d'aumônes  qu'on  leur  distribue  maintenant3  ». 

Les  titres  allégués  par  ceux  qui  se  disputaient  ainsi  quelques 
lambeaux  de  la  succession,  n'étaient  point  équitables;  cependant 
tous  avaient  confiance  dans  la  réussite  de  leurs  réclamations,  forts 
de  cette  raison  que  la  Compagnie,  ne  jouissant  pas  du  droit  de 
cité  en  France  4,  ne  pouvait  accepter  aucun  héritage.  Mais,  si  le 
P.  Paschase  Broet  et  son  procureur,  le  P.  Ponce  Cogordan,  n'a- 

1.  Testament  de  Msr  du  Prat  (Archives  hosp.  de  Clermont,  reg.  93).  Bibl.  de  Cler- 
mont,  nos.  642,  fol.  1,  18.  Cf.  une  lettre  du  P.  Cogordan  au  P.  Général,  2  déc.  15C0 
(Gall.  Epist.,  t.  I,  fol.  142). 

2.  Requêtes  des  consuls,  des  chanoines  et  des  administrateurs  de  l'hôpital  (Tolos. , 
Fundat.  colleg.,  t.  I,  n.  88). 

3.  Du  Boulay,  Hist.  Univ.  Paris.,  t.  VI,  p.  576. 

4.  Nous  exposerons,  dans  les  chapitres  suivants,  les  difficultés  contre  lesquelles  les 
Jésuites  durent  lutter  avant  d'obtenir  les  lettres  de  naturalisation. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DF  BILLOM.  193 

vaient  pas  le  droit  d'entrer  en  possession  des  legs,  ils  pouvaient 
du  moins,  jusqu'à  la  reconnaissance  officielle  de  la  Compagnie, 
plaider  leur  cause  contre  les  empiétements  des  compétiteurs.  Le 
19  juin  1561,  ils  adressèrent  au  Parlement  une  requête  dans  la- 
quelle, après  avoir  rappelé  les  donations  à  eux  faites,  ils  expo- 
saient leur  impossibilité  de  remplir  les  intentions  du  testateur, 
par  suite  des  prétentions  de  leurs  adversaires.  En  conséquence,  ils 
demandaient  «  qu'ils  fussent  reçus  parties  au  procès,  pour  dé- 
duire leurs  moyens  de  défense  et  fins  de  non-recevoir  »,  et  qu'il 
fût  défendu  «  ausdits  contredisans...  de  ne  faire  chose  au  préju- 
dice de  ladite  requeste  1  ». 

Malgré  le  mauvais  vouloir  que  le  Parlement  leur  avait  montré 
jusqu'alors,  la  démarche  des  Pères,  ainsi  que  le  constatent  les 
actes  de  la  Cour,  fut  couronnée  d'un  plein  succès.  Ils  furent  «  re- 
çus à  déduire  leurs  droits  »,  et  défense  fut  faite  à  leurs  parties  de 
les  poursuivre  «  en  ladite  cause,  jusqu'à  ce  que  le  roy  ait  déclaré 
sa  volonté-  ».  Cette  concession  transitoire  du  Parlement  de  Paris 
avait  du  moins,  comme  résultat,  de  sauvegarder  pour  l'avenir  les 
intérêts  des  Jésuites,  légitimes  légataires.  Mais  rien  ne  servit  mieux 
leur  cause  que  le  différend  survenu  entre  deux  villes  de  l'Auver- 
gne :  Clermont,  comme  siège  épiscopal,  revendiquait  l'honneur 
de  posséder  dans  ses  murs  le  collège  florissant  établi  à  Billom. 
Les  consuls,  les  chanoines  et  les  bourgeois  de  cette  dernière  ville 
s'émurent  de  cette  prétention,  et  résolurent  de  garder  leur  collège 
et  les  religieux  auxquels  Mgl  du  Prat  l'avait  confié.  Ils  envoyèrent 
dans  toute  la  province  des  députés,  avec  mission  de  recueillir  les 
vœux  des  habitants.  Les  familles,  et  des  villes  entières,  témoignè- 
rent que  les  Jésuites  avaient  déjà  rendu  au  pays  d'éminents  ser- 
vices :  leur  enlever  la  direction  du  collège,  ce  serait,  disait-on, 
livrer  toute  l'Auvergne  à  l'hérésie.  Après  avoir  pris  acte  de  ces 
élogieuses  attestations,  quelques  députés  de  Billom  se  rendirent 
à  la  cour  afin  d'y  défendre  les  droits  de  la  ville  sur  son  collège. 
Ils  furent  accueillis  avec  bienveillance  par  les  cardinaux  de  Lor- 
raine et  de  Tournon,  qui  promirent  de  favoriser  l'établissement 
de  la  Compagnie,  non  seulement  en  Auvergne,  mais  dans  toute  la 
France.  Cette  protection  de  deux  prélats,  puissants  et  très  res- 
pectés, fit  tellement  d'impression  aux  exécuteurs  testamentaires, 
venus  aussi  à  la  cour,  qu'au  lieu  d'y  soutenir  leurs  revendications, 
comme  c'était  leur  pensée,  ils  joignirent  leurs  sollicitations  à 

1.  Requête  des  Jésuites  au  Parlement,  19  juin  1561  (Du  Boulay,  1.  VI,  p.  57'.' 

2.  Ibidem.  —  Cf.  Episl.  P.  Broeti.p.  252,  253. 

COMPAGNIE    DE   .TÉSl'S.   —    T.   I.  13 


494  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

celles  de  leurs  adversaires,  en  faveur  des  Jésuites.  De  leur  côté,les 
cardinaux  de  Guise,  de  Bourbon  et  d'Armagnac  appuyèrent  avec 
énergie,  devant  le  conseil,  la  requête  des  habitants  de  Billom  ».  Si 
l'on  ne  prit  point  alors  une  détermination  définitive,  —  ce  qui 
n'eut  lieu  qu'au  mois  de  février  1562,  —  leur  témoignage,  si  au- 
torisé, confirma  cependant  le  roi  et  la  régente  dans  les  bonnes 
dispositions  qu'ils  avaient  manifestées  envers  la  Compagnie  de 
Jésus2. 

1.  Sacchini,  Hist.  Soc.  Jesu,  P.  II,  1.  V,  n.  195-197 

2.  Lettre  dû  P.  X.  au  P.  Lainez,  1-  sept.  1561  (Gall.  Epist.,  t.  I,  fol.  228). 


CHAPITRE  IV 

LUTTE    POUR    LK    DROIT    DE   NATURALISATION   JUSQUE 
LA    MOUT    DE    SAINT    IGNACE. 

(1551-1556). 


Sommaire  :  1.  Lettres  patentes  de  Henri  II  en  laveur  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
janvier  1551.  —  2.  Opposition  du  Parlement  et  de  l'Université.  —  3.  Démar- 
ches <lu  Père  Broet.  Lettres  de  jussion,  10  janvier  1553,  et  arrêt  du  Parlement, 
8  lévrier.  —  4.  Intervention  de  l'évêque  de  Paris  et  de  la  Faculté  de  théologie. 

—  5.  Nouvel  arrêt  du  Parlement,  3  août  1551,  et  sentence  de  l'évêque.  —  G.  Dé- 
libérations et  décret  de  la  Faculté  de  théologie,  1er  décembre.  —  7.  Persécution 
qui  s'ensuit.  —  8.  Douceur  et  prudence  de  saint  Ignace;  témoignages  en  faveur 
de  la  Compagnie.  —  9.  Mémoire  du  P.  Martin  Olave.  —  10.  Apaisement.  Mort 
d'Ignace  de  Loyola. 

Sources  manuscrites  :  I.  Archives  nationales,  MM.  249.  Reg.  de  la  Fac.  de  tkéol.  de  Paris, 
il.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  «  Testimonia  in  favorem  Societa- 

tis  Jesu  ». 
III.  Archives  de  la  Prov.  de  France  :  Histoire  de  l'établissement  des  Jésuites  en  France: 

—  Pièces  sur  les  Jésuites. 

Sources  imprimées  :  Commencements  de  la  Compagnie  en  France,  dans  Carayon  :  Docu- 
ments inédits,  t.  I.  --  Le  Mercure  jésuite.  —  Annales  de  la  Société  '1rs  soi-disans  jé- 
suites. —  Institution  S.  J.  —  Manare,  De  Reims  S.  J.  —  D'Argentré,  Colleclio  judicio- 
rum.  —  Isambert,  Recueil  général  des  anciennes  lois  françaises.  —  Prat,  Mémoires 
pour  servir  à  Vliistoire  du  P.  Broet.  —  Monumenta  iiistouica  S.  J.  Chronicon  S.  J.;  — 
Epistolae  mixtae;  —  Epislolae  PP.  Broeti  etc.;  Litterae  quadrimestres.  —  Monumenta 
Ignatiana,  ser.  I',  vol.  I,  II,  III. 

1.  Tandis  que  Mgr  du  Prat  établissait  en  Auvergne  le  premier 
collège  de  la  Compagnie  de  Jésus,  son  hôtel  de  Clermont  à  Paris 
était  toujours  habité  par  un  petit  nombre  de  religieux.  Ce  fut  la 
résidence  ordinaire  du  P.  Paschase  Broet,  provincial,  pendant 
qu'il  s'employait  à  obtenir  la  reconnaissance  légale  de  son  ordre  en 
France.  Contre  le  mauvais  vouloir  de  certains  officiers  de  la  cou- 
ronne, contre  les  préjugés  gallicans  de  la  haute  magistrature,  et 
môme  contre  les  antipathies  de  quelques  dignitaires  du  clergé,  la 
lutte  fut  longue,  ardente,  pénible.  Nous  la  raconterons  d'un  seul 
trait,  l'interrompant  seulement  par  un  court  récit  de  l'élection  du 
P.  Lainez,  comme  Général,  après  la  mort  d'Ignace  de  Loyola. 

C'était  peu  d'établir  un  collège  en  Auvergne,  sous  la  protection 
tacite  du  roi  ;  pour  que  la  Compagnie  de  Jésus  se  développât  en 


106  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

France,  il  lui  fallait  un  droit  de  naturalisation  légalement  re- 
connu. La  première  tentative  faite,  en  1550,  par  le  P.  Viola,  n'a- 
vait pas  réussi,  malgré  la  favorable  intervention  du  cardinal  de 
Lorraine.  Depuis  lors  on  avait  essayé,  par  d'insidieuses  démarches, 
de  l'indisposer  contre  ses  protégés;  mais  il  était  trop  perspicace 
pour  se  laisser  tromper,  et  rien  n'avait  pu  ébranler  ses  senti- 
ments de  bienveillance  à  leur  égard.  Une  seconde  fois,  au  début 
de  1551,  il  pria  le  roi  Henri  II  d'accorder  au  supérieur  des  Jésui- 
tes des  lettres  patentes,  permettant  à  la  Compagnie  de  s'établir 
dans  le  royaume  sous  la  protection  des  lois.  Aussitôt  Sa  Majesté, 
par  lettres  datées  de  Blois,  janvier  1551,  autorisa  les  Jésuites  à 
«  construire,  des  biens  qui  leur  sont  aumônes,  une  maison  ou 
collège  en  la  ville  de  Paris  pour  y  vivre  selon  leurs  règles  et 
statuts  [  ».  Ce  premier  succès  causa  une  grande  joie  à  la  com- 
munauté de  l'hôtel  de  Clermont.  La  bonne  nouvelle  fut  bientôt 
transmise  à  Rome  où  tous  les  Pères,  mais  principalement  Jacques 
Miron,  François  de  Rojas  et  François  Strada,  anciens  étudiants 
de  l'Université  de  Paris,  s'intéressaient  vivement  à  tout  ce  qui 
concernait  la  France.  Le  duc  de  Gandie,  François  de  Borgia,  se 
trouvait  alors  à  la  maison  professe;  il  s'empressa,  dès  le  3  février, 
d'écrire  au  cardinal  de  Lorraine  et  de  lui  exprimer,  au  nom  du 
P.  Ignace,  les  sentiments  de  reconnaissance  de  toute  la  Com- 
pagnie 2. 

Au  conseil  privé,  où  le  cardinal  de  Lorraine  exerçait  une  in- 
fluence bientôt  prépondérante,  l'examen  des  lettres  royaux  ne 
rencontra  aucune  opposition;  mais  le  chancelier,  François  Olivier, 
mettait  la  faveur  d'y  apposer  les  sceaux  à  un  prix  qui  dépassait 
les  ressources  des  intéressés.  Heureusement,  par  suite  de  démêlés 
survenus  entre  lui  et  Diane  de  Poitiers,  les  sceaux,  séparés  de  la 
charge  du  chancelier,  furent  confiés  à  un  autre  magistrat,  Ber- 
trand, qui  se  montra  plus  accommodant''. 

•2.  L'enregistrement  de  ces  lettres  patentes  devait  souffrir  plus 
de  difficultés.  Moins  docile  aux  ordres  du  roi  que  fidèle  à  ses  pré- 
ventions contre  Rome,  le  Parlement  ne  se  pressa  point  d'expédier 
la  commission  du  conseil  privé.  Une  circonstance  minime  donna 
prétexte  à  ses  lenteurs,  et  fournit  des  armes  à  sa  résistance.  Le 


1.  Le  texte  de  ces  lettres  patentes  se  trouve  dans  Isambert,  Becueil  général,  t.  XIII, 
|>.  178.  —  2.  Mon.  hist.  S.  ./.,  S.  Franc.  Borgia,  t.  III,  p.  66-68. 

3.  Chronicon,  II,  202-298.  Litt.  quadr.,  I,  298.  Epist.  mixt.,  II,  497.  Manare.  De 
rébus  S.  J '.,  p.  72.  Hist.  de  l'établ.  en  France  (Arch.  de  la  prov.  de  France). 


LUTTE  POUR  LE  DROIT  l>K  NATURALISATION.  19" 

P.  Viola,  croyant  avancer  les  choses,  avait  communiqué  au  con- 
seil les  lettres  apostoliques  de  Paul  III,  du  18  octobre  1549,  qui 
contenaient  les  privilèges  accordés  par  le  Saint-Siège  à  la  Com- 
pagnie de  Jésus.  Cette  communication,  inutile  et  inopportune, 
fut  l'origine  de  tous  les  obstacles  élevés  plus  tard  contre  le  droit 
de  naturalisation.  Le  garde  des  sceaux,  en  envoyant  les  pièces  au 
Parlement,  joignit  aux  lettres  du  roi  les  lettres  apostoliques, 
écrites  sur  parchemin  et  signées  de  l'évèque  de  Feltre.  11  arriva 
que  le  Parlement,  chargé  seulement  d'enregistrer  les  lettres  pa- 
tentes, prit  aussi  connaissance  des  privilèges  de  la  Compagnie. 
La  cour  ordonna  que  toutes  ces  pièces  seraient  remises  aux  Gens 
du  roi  '  pour  donner  leurs  conclusions.  Dès  que  le  procureur  gé- 
néral les  eut  dans  les  mains,  il  crut  saisir  une  opposition  entre  les 
divers  documents  :  d'un  côté,  les  lettres  du  roi  affirmaient  que 
dans  l'Institut  rien  n'était  contraire  aux  saints  canons;  de  l'autre, 
les  lettres  apostoliques  déclaraient  la  Compagnie  de  Jésus  exempte 
de  la  juridiction  épiscopale  et  de  la  dime.  Cette  contradiction, 
plus  apparente  que  réelle,  fut  bientôt  connue  de  l'Université.  La 
jalousie  se  réveilla  contre  les  étudiants  de  l'hôtel  de  Clermont  et 
leurs  œuvres  dans  la  chapelle  de  Saint-Germain-des-Prés.  A  quoi 
bon,  s'écriait-on,  tant  de  religions,  et  de  quelle  utilité  le  nouvel 
Ordre,  plutôt  destiné  aux  missions  étrangères,  peut-il  être  pour 
la  France?  On  allait  même  jusqu'à  dire  qu'il  fallait  supprimer 
non  seulement  la  Compagnie  de  Jésus,  mais  encore  tous  les  Or- 
dres religieux.  Les  ennemis  du  cardinal  de  Lorraine,  qui  étaient 
nombreux,  se  déchaînèrent  avec  fureur  contre  les  protégés  de 
celui  qu'ils  ne  pouvaient  atteindre.  Les  partisans  de  l'hérésie  re- 
doublèrent d'injures  contre  ceux  qu'ils  regardaient  comme  leurs 
adversaires  les  plus  redoutables.  Des  hommes,  à  qui  leur  profes- 
sion recommandait  au  moins  la  charité,  réclamaient,  comme  un 
droit,  l'exercice  exclusif  du  saint  ministère. 

Cependant  cette  animosité  injustifiée  avait  soulevé,  parmi  les 
gens  de  bien,  une  vive  indignation,  et  provoqué  en  faveur  des 
disciples  d'Ignace  de  touchantes  protestations  d'estime  et  de  dé- 
vouement. «  Plusieurs  personnes,  écrivait  le  P.  Viola  au  P.  Géné- 
ral, ont  demandé  avec  instances  d'être  admises  à  participer  aux 
prières,  travaux  et  bonnes  œuvres  de  toute  la  Compagnie  ;  elles 
veulent  que  je  leur  envoie  la  lettre  où  vous  donnerez  votre  as- 
sentiment, et  promettent,  de  leur  côté,  de   ne  pas  vous  oublier 

1.  Les  magistrats  chargés  du  ministère  public  :  c'étaient  les  avocats  et  procureurs 
généraux  dans  les  cours  souveraines. 


198  HISTOIRE  IJK  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

devant  Dieu  '.  »  Ln  des  plus  chauds  défenseurs  des  Jésuites  fut  le 
nouvel  évèque  de  Bayonne,  Jean  de  Moustiers  de  Froissac;  il  prit 
à  cœur  leurs  intérêts,  et  travailla  de  tout  sou  pouvoir  avec  le 
cardinal  de  Lorraine,  l'évêque  de  Gierniont  et  le  docteur  Le  Pi- 
cart  à  leur  faire  obtenir  le  droit  d'établissement. 

Ce  droit  comprenait  deux  choses  distinctes  :  d'abord  la  per- 
mission de  bâtir  une  maison  ou  collège  à  Paris,  ensuite  l'autori- 
sation <  d'y  vivre  selon  leurs  règles  et  statuts  ».  La  première 
impliquait  l'existence  d'une  nouvelle  communauté,  au  sein  de  la 
capitale;  la  seconde  était,  en  fait,  l'approbation  de  l'Ordre  reli- 
gieux lui-même,  tel  qu'il  avait  été  reçu  dans  l'Église.  Le  roi  et 
son  conseil  avaient  pris  connaissance  des  «  règles  et  statuts  » 
énoncés  dans  les  bulles  de  Paul  III  et  de  Jules  III,  sans  rien  y 
trouver  qui  parût  contraire  aux  lois  du  royaume;  ils  avaient 
même  constaté  l'avantage  pour  la  France,  comme  pour  les  autres 
états  de  l'Europe,  de  posséder  un  Ordre  de  prêtres  capables  de 
combattre,  par  leurs  ministères  apostoliques,  l'hérésie  parlout 
envahissante  malgré  les  mesures  de  rigueur  déployées  contre 
elle.  Tel  fut  surtout  l'avis  du  cardinal  de  Lorraine,  dont  un  de  ses 
panégyristes  a  dit  «  qu'il  estoit  venu  au  monde  quand  l'hérésie 
naissait,  afin  qu'il  oppugnast  les  hérétiques-  ».  Mais,  à  côté  du 
roi  et  de  son  conseil,  qui  acceptaient  loyalement  les  conséquences 
du  Concordat  passé  entre  Léon  X  et  François  Ier,  s'agitaient  deux 
partis,  le  parlement  et  le  clergé,  très  attachés  à  la  Pragmatique 
Sanction  de  Bourges3  et  ne  cessant  de  protester  contre  le  Concor- 
dat, comme  très  opposé  aux  anciens  usages  du  royaume.  A  leurs 
yeux  toute  exemption,  tout  privilège,  accordés  par  le  Souverain 
Pontife  aux  Réguliers,  étaient  comme  autant  d'empiétements  sur 
des  droits  acquis  et  inviolables.  Tout  récemment,  le  Parlement 
n'avait  consenti  à  enregistrer  les  pouvoirs  du  cardinal  Verallo, 
légat  du  Saint-Siège,  qu'à  la  condition  de  ne  rien  faire  qui  fût 

1.  Litt.  quadr.,  I,  301.  Cf.  Chronicon,  II,  293,  297.  Manare,  De  rébus  S.  /.,  p.  73. 

2.  Nicolas  Boucher,  La  conjuration  des  lettres...,  p.  8. 

3.  Inspirée  des  décrets  du  concile  schismatique  de  Bâle  et  promulguée  par  Charles  VII 
en  1438,  la  Pragmatique  Sanction  n'avait  cessé  pendant  près  de  quatre-vingts  ans 
d'être  l'objet  des  plus  ardentes  protestations  du  Saint-Siège,  lorsque  François  1er  con- 
sentit, en  1516,  à  sa  suppression  définitive.  Un  Concordat  régla  les  rapports  de  l'É- 
glise de  France  avec  la  cour  romaine.  Léon  X  concéda  au  roi  la  collation  directe  des 
bénéfices  et  la  nomination  aux  archevêchés,  évêchés  et  abbayes,  sauf  le  droit  reconnu 
au  Pape  de  donner  ou  refuser  l'investiture  spirituelle  aux  prélats  ainsi  désignés. 
François  Ier,  de  son  côté,  consentit  au  rétablissement  des  annales,  à  la  condition  que 
leur  levée  serait  soumise  à  l'autorité  royale.  Le  Concordat  de  1516  devint  pour  le 
parlement,  l'université  et  une  partie  du  clergé,  qui  regrettait  les  anciennes  libertés 
gallicanes,  une  cause  de  sourde  hostilité  contre  le  pouvoir  royal  et  l'autorité  ponti- 
ficale. 


LUTTE  POUR  LE  DROIT  l»K  NATURALISATION.  199 

«  contraire  aux  saints  décrets,  ou  aux  conventions,  droits,  privi- 
lèges et  prérogatives  du  Roi,  et  aux  immunitez  et  libertez  de 
l'église  Gallicane  et  du  royaume  ». 

Avant  d'obtenir  l'enregistrement  des  lettres  patentes  du  roi, 
les  Jésuites  allaient  donc  avoir  à  lutter  contre  les  résistances  du 
Parlement  et  les  préjugés  de  la  Faculté  de  théologie,  deux  corps 
fiers  de  garder  les  prétendues  traditions  nationales,  et  assez 
puissants,  comme  on  le  verra,  pour  tenir  en  échec  la  volonté 
royale  elle-même.  Les  gens  du  roi,  le  procureur  général  Noël 
Bruslart  et  les  avocats  généraux  Gabriel  Marillac  et  Pierre  Sé- 
guier,  chargés  par  la  cour  du  Parlement  d'étudier  l'affaire, 
virent  dans  l'exemption  de  la  juridiction  épiscopale  et  de  la 
dime,  dont  parlaient  les  bulles,  une  atteinte  portée  aux  lois 
du  royaume.  Noël  Bruslart,  que  les  Pères  de  l'hôtel  de  Clcrmont 
reconnaissaient  pour  «  un  homme  de  foi  orthodoxe  et  d'une 
insigne  piété1  »,  s'opposa  à  la  vérification  des  lettres  présen- 
tées à  la  cour,  «  remontrant  que  l'Institut  préjudicioit  au  roy, 
à  Testât  et  à  l'ordre  hiérarchique2  ».  Au  lieu  de  statuer  sur 
les  conclusions  du  ministère  public,  le  Parlement  se  contenta  de 
renvoyer  aux  Jésuites  leurs  lettres  patentes.  Quelques  mécon- 
tentements, survenus  alors  entre  la  cour  de  Rome  et  la  cour  de 
France,  détournant  son  attention  et  celle  du  public,  lui  permi- 
rent d'en  rester  là  sans  se  compromettre.  De  plus,  la  guerre  avait 
éclate^ntre  Henri  II  et  Charles-Quint;  le  roi  était  allège  joindre 
aux  princes  allemands  ligués  contre  l'empereur.  Les  préoccupa- 
tions, qui  absorbèrent  les  hommes  du  gouvernement,  rassurè- 
rent les  magistrats  sur  les  conséquences  de  leur  conduite  envers 
la  Compagnie  de  Jésus. 

3.  Au  mois  de  juin  1552,  époque  de  l'arrivée  du  P.  Broet  à 
Paris,  le  moment  ne  paraissait  pas  opportun  pour  renouveler 
les  demandes  faites  par  son  prédécesseur  :  le  roi  était  encore 
à  la  tête  de  son  armée  en  Lorraine,  où  il  occupait  le  duché  de 
Bouillon  et  s'emparait  tour  à  tour  de  Toul,  de  Montmédy,  de  Ver- 
dun et  de  Metz.  Mais,  quand  la  retraite  de  Charles-Quint  permit 
à  Henri  II  de  rentrer  dans  sa  capitale,  le  P.  Provincial  put  songer 
à  poursuivre  l'enregistrement  des  lettres  de  naturalisation.  L'é- 
vêque  de  Clermont  lui  promit  d'obtenir  le  puissant  appui  de 
Marguerite,  sœur  du  roi;  le  cardinal  de  Lorraine   l'assura  des 

1.  LUI.  quadr.,  II,  290. 

2.  Comm.  de  la  Compagnie  (Carayon,  Doc.  inéd.,  I,  10). 


200  HISTOIRE  J)E  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

bonnes  dispositions  du  conseil  privé,  lequel  maintiendrait   sa 
première  décision. 

En  elFet,  quand  averti  de  la  malveillance  du  Parlement,  Henri  II 
fit  examiner  à  nouveau  les  bulles  pontificales,  les  membres  de 
son  conseil  déclarèrent  que,  dans  les  actes  soumis  à  leur  appré- 
ciation, il  n'y  avait  rien  «  qui  contrevinst  à  l'Estat  ny  à  l'ordre  de 
l'Église  ».  C'est  pourquoi,  le  10  janvier  1553,  le  roi  donna  de 
nouvelles  lettres  patentes  confirmant  celles  de  1551,  «  et  adjousta 
jussion  et  commandement  à  la  cour  exprès  de  passer  outre,  non- 
obstant toutes  remonstrances  de  sondict  procureur  général  ou 
autre1  ».  MgI  du  Prat  se  rendit  alors  cbez  Noël  Bruslart,  pour 
l'éclairer,  sinon  pour  le  gagner  à  la  cause  de  la  Compagnie. 
Mais  celui-ci  se  montra  inflexible;  à  toutes  les  raisons,  à  toutes  les 
instances,  il  se  contenta  de  répondre  qu'on  ne  le  persuaderait 
jamais  de  prendre  la  défense  des  Jésuites,  et  que  s'il  retardait  la 
conclusion  de  l'affaire,  c'était  pour  des  motifs  d'utilité  publique. 

De  son  côté  le  P.  Paschase  Broet,  accompagné  du  chapelain  de 
l'évêque  de  Clermont,  alla  visiter  le  premier  président  et  les' 
principaux  conseillers  du  Parlement,  et  leur  recommanda  de  son 
mieux  la  prompte  expédition  des  lettres  de  jussion.  Afin  de  hâter 
le  dénouement,  il  rédigea  même  un  écrit  par  lequel  il  s'enga- 
geait, d'une  façon  assez  imprudente,  à  payer  la  dîme  ordinaire, 
et  consentait  que  les  membres  de  la  Compagnie,  s'ils  étaient 
trouvés  en  faute,  fussent  soumis  aux  mêmes  peines  que  les  autres 
religieux'2.  Le  chapelain  à  son  tour  affirmait  que  Mgr  du  Prat  ne 
se  contenterait  pas  de  donner  son  hôtel  à  la  Compagnie,  mais 
qu'il  y  joindrait  des  revenus  suffisants  à  l'entretien  de  la  com- 
munauté, et  que  celle-ci  ne  serait  point  une  nouvelle  charge  pour 
l'Étal.  Toutes  ces  concessions,  et  ces  promesses,  ne  firent  aucune 
impression  sur  des  hommes  aveuglés  par  l'esprit  de  parti,  ou  la 
haine  des  institutions  religieuses. 

On  ne  saurait  croire  tout  ce  que  le  P.  Broet  eut  à  souffrir  de 
soucis,  d'inquiétudes  et  de  déboires,  s'il  n'avait  pris  soin  de  nous 
en  informer  lui-même,  dans  une  lettre  où  il  rend  compte  au 
P.  Ignace  de  l'insuccès  de  ses  premières  démarches  :  «  Quelques- 
uns  [des  conseillers  du  Parlement],  raconte-t-il,  me  promirent  de 
nous  aider  de  tout  leur  pouvoir  ;  mais  la  plupart  me  montrèrent 
des  dispositions  contraires.  Un  d'entre  eux  osa  même  me  dire  que 

1.  Comm.  de  la  Compagnie  (Doc.  inéd,  p.  10).  Chronicon,  II,  599;  III,  288.  LUI. 
quadr.,  11,  104,  290. 

2.  Lettre  du  P.  Broet  à  Ignace  de  Loyola,  7  et  9  février  1553  (Epist.  PP.  Broeti,  etc., 

1».  83-85). 


LUTTE  POU»  LE  DROIT  DE  NATURALISATION.  201 

c'était  le  démon  qui  avait  suscité  la  Compagnie  de  Jésus...  Un 
autre  nous  reprocha  d'être  superstitieux,  fiers,  orgueilleux,  ajou- 
tant avec  emportement  beaucoup  d'autres  injures.  Que  pouvais- 
je  répondre  à  un  homme  si  peu  maître  de  lui,  qui  ne  croyait  et 
n'admettait  rien  de  ce  que  je  lui  disais?  Je  me  résignai  à  la 
patience;  la  discussion  dura  plus  d'une  heure.  Nous  finîmes  par 
nous  quitter  en  bons  termes...  Hier  je  me  rendis  chez  M.  le  pre- 
mier président.  A  la  première  proposition  que  je  lui  fis,  ce  ma- 
gistrat se  mit  à  crier  qu'il  y  avait  déjà  bien  trop  de  religions  : 
si  nous  voulions  être  religieux,  nous  n'avions  qu'à  entrer  dans 
l'Ordre  de  Saint-François,  dans  celui  des  Chartreux  ou  dans  tout 
autre.  Et  comme  je  lui  répondais  que  notre  Institut  différait  des 
autres  Ordres  par  la  manière  de  vivre  :  «  Quoi  donc,  s'écria-t-il 
<(  en  colère.  Est-ce  que  vous  faites  des  miracles?  Pensez-vous  être 
«  meilleurs  que  les  autres?  Oui,  oui,  ajouta-t-il,  j'expédierai 
«  votre  affaire,  et  bientôt.  »  —  A  son  ton  je  compris  que  ce  serait 
pour  la  rejeter1.  » 

Bien  qu'il  ignorât  ce  qui  s'était  passé  au  Parlement,  le  P.  Broet 
ne  se  trompait  pas  dans  ses  soupçons;  il  devait  apprendre  Yeœ- 
pédition  de  l'affaire,  le  lendemain  même  du  jour  où  il  écrivait  au 
P.  Général.  Les  gens  du  roi,  malgré  les  lettres  de  jussion,  avaient 
persisté  dans  leurs  conclusions  antérieures.  Dès  le  16  janvier 
1553,  l'avocat  général,  Pierre  Séguier,  dans  un  réquisitoire  dont 
la  modération  calculée  cachait  mal  le  dépit,  avait  demandé  que 
des  remontrances  fussent  faites  au  roi.  Au  moment  de  l'entrevue 
du  P.  Broet  avec  le  premier  président,  le  Parlement  avait  donc 
déjà  pris  son  parti  sur  l'affaire  des  Jésuites;  mais,  comme  cela 
se  pratique  dans  les  cours  judiciaires,  pour  donner  à  sa  déci- 
sion une  apparence  de  maturité,  il  avait  ajourné  son  arrêt;  le 
8  février  seulement,  chambres  assemblées,  il  le  rendit  en  ces 
termes  :  «  Sur  les  Bulles  de  Notre  Saint  Père  le  Pape  et  Lettres 
Patentes  du  Boy  pour  ceux  de  la  Congrégation  de  Jésus,  il  est 
arresté,  avant  que  de  passer  outre,  que  lesdites  Lettres  et  Bulles 
Patentes  seront  communiquées  tant  à  l'Évesque  de  Paris  qu'à  la 
Faculté  de  théologie  de  cette  ville,  pour,  parties  ouïes,  estre  or- 
donné ce  que  de  raison2.  » 

Par  cette  manœuvre  habile,  le  Parlement  échappait  à  l'ordre 
du  roi  sans  encourir  son  mécontentement,  et  mettait  la  Compa- 
gnie aux  prises  avec  l'évêque  et  les  docteurs,  connus  pour  lut 

1.  Ibidem.  —  2.  D'Argeutré,  Colleclio  judicior.,  II,  191.  Cf.  Litt.  quadr.,  Il,  29?. 
Chronicon,  III,  290. 


202  HISTOIRE  \>E  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

être  «  peu  favorables  ».  Le  P.  Broet  savait  leurs  préjugés  et  leurs 
tendances  gallicanes;  il  comprit  quelles  «  grandes  difficultés1  » 
l'attendaient.  Peut-être  espéra-t-il,  cependant,  qu'aux  yeux  de 
juges  ecclésiastiques  l'autorité  des  Papes,  qui  avaient  approuvé 
l'Institut  de  saint  Ignace,  ne  serait  pas  sans  valeur. 

ï.  Eustache  du  Bellay,  auquel  était  renvoyée  la  cause  des  Jé- 
suites, avait  été  nommé  depuis  deux  ans  évêque  de  Paris,  à  la 
place  de  Jean  du  Bellay,  cardinal  de  Sainte-Cécile,  son  parent. 
Issu  d'une  famille  illustre  dans  l'Église,  les  lettres,  les  armes  et 
la  politique,  il  était  lui-même  un  homme  de  grand  mérite  sans 
doute,  mais  d'un  esprit  étroit  et  imbu  des  doctrines  semi-schis- 
matiques,  soutenues  par  les  théologiens  de  Paris  aux  conciles  de 
Constance  et  de  Bàle2.  De  plus,  il  partageait  les  ressentiments  de 
sa  famille  contre  la  maison  de  Lorraine.  Le  cardinal  Jean  du 
Bellay,  ami  de  François  Ier,  avait  espéré,  à  la  mort  de  ce  prince, 
que  la  faveur  et  le  pouvoir  le  suivraient  près  du  trône  de  son 
successeur;  mais  le  cardinal  de  Lorraine,  en  le  remplaçant  dans 
l'amitié  de  Henri  II,  avait  fait  évanouir  tous  ses  projets  ambitieux. 
Il  s'était  alors  décidé  à  fuir  la  cour,  et  avait  cherché  à  Borne  un 
asile  à  sa  grandeur  déchue.  Eustache  du  Bellay,  son  cousin  et  son 
remplaçant  sur  le  siège  épiscopal  de  Paris,  continua  la  lutte  des 
deux  favoris,  et  la  porta  sur  le  terrain  religieux.  Le  cardinal  de 
Lorraine  s'était  montré  ouvertement  le  protecteur  des  Jésuites; 
Eustache  du  Bellay  devait  donc  se  déclarer  contre  eux. 

En  face  d'adversaires  tels  que  cet  évêque  et  les  docteurs  de  la 
Faculté  de  théologie,  il  importait  de  ne  pas  envenimer  les  débats 
par  la  vivacité  de  l'argumentation,  ni  d'aigrir  les  esprits  par  des 
procédés  agressifs,  mais  de  mettre  la  question  dans  son  vrai  jour, 
en  l'exposant  avec  lucidité  et  bonne  foi,  en  réfutant  avec  pa- 
tience et  logique  les  objections  dictées  par  la  passion.  Telle  était 
bien  la  pensée  du  P.  Broet.  Cependant,  se  défiant  de  ses  lumières 
et  de  ses  forces,  il  écrivit  avec  humilité  au  P.  Ignace,  et  lui  de- 
manda si  un  homme  moins  simple  et  plus  audacieux  ne  convien- 
drait pas  mieux  dans  cette  situation  critique,  quelqu'un,  par 
exemple,  qui  par  son  influence  personnelle  pût  tenir  tête  à  des 
docteurs  dont  l'autorité  était  incontestable.  «  Sa  demande  ne  fut 
pas  exaucée,  dit  le  P.  Polanco,  car  il  n'eût  pas  été  facile  de  trouver 
Ttn  homme  plus  capable  que  lui3.  »  Le  P.  Broet,  en  effet,  esprit 

1.  Lettre  du  P.  Broet  au  P.  Ignace,  9  fév.  1553  (Epist.  PP.  Broeti...,  p.  85). 

2.  Cf.  Manare,  De  rébus  S.  /.,  p.  73.  —  3.  Chronicon,  IV,  32G. 


LUTTE  POUR  LE  DROIT  \)K  NATURALISATION.  203 

sincère  et  droit,  ne  reculait  devant  aucun  obstacle;  calme  et 
patient,  il  savait  allier  aux  égards  pour  les  personnes  la  fermeté 
à  défendre  ce  qu'il  croyait  juste  et  vrai.  Si,  par  cette  conduite 
modérée,  il  ne  put  assurer  à  sa  cause  un  complet  triomphe,  il 
maintint  du  moins  de  son  côté  le  respect  et  la  charité,  il  évita  de 
diminuer  par  des  vivacités  blessantes  les  torts  de  ses  adversaires. 

Rien  ne  put  le  déconcerter,  ni  le  mauvais  accueil  de  l'évêque 
et  des  docteurs  théologiens  de  Paris,  ni  les  incroyables  raisons 
alléguées  contre  ses  avances  et  ses  humbles  propositions  :  «  La 
première  fois  que  je  vis  M"'  l'évêque  de  Paris,  écrit-il  au  P.  Ignace, 
il  m'accueillit  par  un  brusque  refus,  me  disant  lui  aussi  qu'il  y 
avait  bien  assez  de  sociétés  religieuses  sans  la  nôtre.  Je  répondis 
que  le  Pape  l'avait  approuvée  dans  l'Église,  et  que  le  roi  l'avait 
reçue  dans  son  royaume.  —  Le  Pape,  reprit-il,  peut  faire  cela  dans 
ses  états,  mais  non  en  France.  Le  roi,  non  plus,  ne  peut  pas  la 
recevoir  dans  son  royaume,  attendu  qu'il  s'agit  d'une  affaire  spi- 
rituelle. Pour  moi,  je  ne  m'y  prêterai  jamais.  —  Je  le  trouvai  un 
peu  plus  radouci,  dans  un  second  entretien;  il  me  dit  cette  fois 
qu'il  verrait  ce  qu'il  pourrait  faire...  J'ai  communiqué  aussi  les 
lettres  patentes  du  roi  aux  docteurs  de  la  Faculté.  Plusieurs  y 
voient  de  très  grands  obstacles,  et  disent  que  c'est  une  chose  tout 
à  fait  neuve  qui  demande  de  sérieuses  et  mures  considérations. 
Le  docteur  Le  Picart  et  Me  de  Govéa,  au  contraire,  n'y  trouvent 
aucune  difficulté,  et  ils  ont  la  charité  de  nous  favoriser.  Malheu- 
reusement ils  ne  sont  que  deux  et  les  autres  sont  plus  de  cin- 
quante1. » 

Lorsque  le  doyen  de  la  Faculté  de  théologie  eut  reçu,  en  outre, 
communication  des  lettres  apostoliques,  il  réunit,  pour  les  exa- 
miner, une  commission  dont  faisait  partie  le  docteur  Pelletier  et 
l'abbé  de  Clairvaux,  Jérôme  de  la  Souchière-,  depuis  cardinal. 
Tout  fut  étudié  avec  prudence  et  avec  soin.  Le  docteur  Jôyer, 
espagnol  du  royaume  de  Valence,  doué  d'une  vaste  érudition,  fut 
appelé  en  témoignage.  Comme  il  faisait  un  bel  éloge  des  Pères 
qu'il  avait  connus  à  Paris  et  à  Louvain,  on  le  traita  de  jésuite  : 
u  Je  ne  suis  pas  digne,  répondit-il,  de  faire  partie  de  leur  So- 
ciété! »  La  commission  écouta  ensuite  attentivement  les  explica- 
tions données  par  Je  P.  Paschase  Broet;  on  pouvait  donc  espérer 
que  son  rapport  ne  serait  pas  défavorable'1. 

1.  Lettre  du  4  mars  1553  (Epist.  PP.  Broeti,  etc.,  p.  86). 

2.  Nommé  abbé  de  Clairvaux  en  1552,  et  de  Citeaux  en  1564;  cardinal  on  1568 
(Gall.  Christ.,  IV,  1010). 

3.  Chronicon,  III,  21)1,  292.  Litt.  quadr.,  II,  p.  295. 


204  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Devant  l'assemblée  générale  des  théologiens,  qui  se  réunit  le 
29  avril  1553,  le  P.  Broet  exposa  de  nouveau  l'état  de  la  question, 
en  faisant  remarquer  qu'il  ne  s'agissait  pas  d'approuver  les  pri- 
vilèges de  la  Compagnie  de  Jésus,  car  ces  privilèges  concédés  par 
le  Saint-Siège  ne  pouvaient  être  limités  par  personne.  Il  ne  de- 
mandait qu'une  chose  :  l'établissement  d'une  maison  à  Paris.  A 
peine  eût-il  fini  de  parler,  que  des  objections  se  firent  entendre 
de  toutes  parts  contre  le  nom  et  les  privilèges  de  la  Compagnie. 
On  trouvait  étrange,  téméraire,  qu'une  Société  particulière  s'ar- 
rogeât un  titre  qui  convenait  à  l'Église  universelle;  on  trouvait 
dangereuse  l'exemption  de  l'autorité  épiscopale  :  «  Qui  donc, 
s'écria  un  docteur,  peut  nous  garantir,  si  cette  Compagnie  est 
exemple  de  la  juridiction  ordinaire,  qu'elle  ne  dégénérera  pas 
comme  toutes  les  autres  religions?  —  On  peut  aussi  espérer,  ré- 
pliqua le  P.  Broet,  quelle  persévérera,  avec  la  grâce  de  Dieu; 
d'ailleurs,  vînt-elle  un  jour  à  déchoir,  il  serait  encore  avantageux 
d'avoir  utilisé  son  ministère  pendant  le  temps  de  sa  ferveur.  Et 
ceux  à  qui  l'on  veut  nous  soumettre,  ne  peuvent-ils  pas  déchoir 
aussi  bien  que  nous?  » 

La  Faculté  en  voulait  surtout  au  privilège  d'entendre  les  con- 
fessions et  d'absoudre  des  cas  réservés.  On  essaya  de  persuader 
au  P.  Broet  d'y  renoncer,  pour  ne  réclamer  que  l'établissement 
d'une  maison  et  le  droit  d'admission  au  doctorat.  Mais  le  Père 
répondit  qu'il  était  bien  plus  désireux  de  prêcher  la  saine  doc- 
trine que  de  prendre  des  grades.  Enfin,  le  doyen  déclara  expres- 
sément que  le  Pape  ne  pouvait  accorder  des  privilèges,  au 
préjudice  des  droits  des  évêques  et  des  curés.  Le  P.  Broet  com- 
mençait à  protester  contre  une  telle  assertion,  quand  le  doyen 
l'interrompit  en  disant  que  c'était  contraire  à  l'ordre  ecclésias- 
tique, et  qu'on  devait  observer  les  statuts  des  Conciles. 

Dans  les  délibérations  qui  suivirent,  la  majorité  paraissait  d'avis 
qu'il  ne  fallait  ni  approuver  la  Compagnie  ni  la  garder  en  France. 
Cependant,  l'assemblée  ne  prit  aucune  décision,  sous  prétexte 
que  le  Parlement  n'avait  pas  envoyé  à  la  Faculté,  suivant  l'usage, 
un  huissier  pour  lui  remettre  la  commission  de  statuer  sur  l'af- 
faire '.  En  somme  la  Faculté  de  théologie,  à  l'exemple  de  la  cour 
suprême,  ne  cherchait  qu'à  traîner  les  choses  en  longueur.  La 
cause,  par  là  même,  n'était  pas  désespérée;  peut-être  les  esprits 
mieux  éclairés  arriveraient-ils  à  déposer  leurs  préventions.  Le 
P.  Broet,  dans  ses  entretiens  intimes  avec  les  docteurs  les  plus 

1.  Chronicon  S.  J.,  III,  292,  293.  LiU.  quadr.,  II,  295,  296. 


LUTTE  POUR  LE  DROIT  DE  NATURALISATION. 

influents,  essaya  en  vain  de  les  ramener  à  des  sentiments  équi- 
tables; il  se  heurta  toujours  aux  antipathies  gallicanes  dont  per- 
sonne alors  n'aurait  pu  triompher  :  «  La  Faculté,  écrivait-il  au 
P.  Ignace  trois  mois  après  l'assemblée  générale,  n'a  pris  encore 
aucune  détermination  sur  notre  affaire,  bien  que  j'aille  souvent  la 
lui  recommander.  Le  doyen  vient  de  me  dire  que  nous  n'obtien- 
drions rien,  parce  que  nos  privilèges  ne  sont  pas  approuvés 
par  l'Église,  c'est-à-dire  par  un  Concile,  et  que  le  Pape  ne  peut 
pas  en  accorder  contre  l'ordre  hiérarchique,  ni  au  préjudice  des 
évèques  et  des  curés.  Je  lui  ai  répliqué  que  nos  privilèges  ne 
nuisent  ni  aux  évèques  ni  aux  curés,  puisque  nous  ne  demandons 
rien  pour  l'administration  des  sacrements,  et  que  nous  ne  leur 
causons  aucun  préjudice  spirituel  en  les  aidant  à  gouverner  spiri- 
tuellement leurs  ouailles.  Contre  ces  raisons,  et  bien  d'autres,  ils 
répondent  que  je  ne  suis  pas  dans  la  question  et  qu'il  faut  obser- 
ver les  décrets  des  saints  Conciles...  A  toutes  leurs  objections  j'ai 
répondu  que  le  Parlement  leur  a  soumis  cette  affaire,  afin  d'avoir 
leur  avis,  qu'ils  devaient  par  conséquent  consulter  l'Esprit-Saint 
et  leur  conscience,  pour  décider  le  plus  tôt  possible  ce  qui  leur 
paraîtrait  meilleur  selon  Dieu  '.  » 

5.  Eustache  du  Bellay  et  les  docteurs  de  la  Faculté  de  théolo- 
gie se  bornaient  donc  à  une  fin  de  non-recevoir,  basée  sur  les 
prétendus  griefs  dont  les  Souverains  Pontifes  se  seraient  rendus 
coupables,  en  approuvant  les  constitutions  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  et  en  lui  accordant  des  privilèges  contraires,  disaient-ils, 
aux  droits  des  évèques.  Ils  tardaient  toujours  à  formuler  un  acte, 
sur  lequel  le  Parlement  pût  asseoir  les  considérants  d'un  arrêt 
définitif.  Pourtant,  il  fallait  bien  en  venir  à  une  solution  que  le 
P.  Broet,  fort  de  son  bon  droit,  ne  cessa  de  réclamer  avec  instance. 
Par  un  arrêt  du  3  août  1554,  le  Parlement  les  mit  en  demeure 
de  s'expliquer  authentiquement  sur  l'existence  canonique  de  cette 
Société  dans  l'Église. 

Ayant  les  pièces  entre  les  mains  depuis  dix-huit  mois,  ils  avaient 
eu  tout  le  temps  nécessaire  pour  en  prendre  une  connaissance 
approfondie,  et  les  soumettre  à  un  examen  sérieux.  Cependant,  et 
la  sentence  du  prélat  et  le  décret  des  docteurs  supposent  une  igno- 
rance du  sujet,  inexplicable  sans  la  passion  qui  aveuglait  leurs 
esprits.  C'est  la  remarque  du  savant  d'Argentré,  évêque  de  Tulle  : 
«  Quand  ils  auront  triomphé  de  l'animosité  qui  les  possède,  ils 

l.  Lettre  du  9  août  1553  {Epiât.  PP.  Broeti,  etc.,  p.  94).  Cf.  Prat.  Mémoires,  p.  277. 


200  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

pourront  alors  posséder  la  vérité  qui  triomphera  d'eux  à  son 
tour1.  » 

La  sentence  de  l'évêque  de  Paris,  absolument  défavorable  aux 
Jésuites,  exposait  en  onze  points  autant  d'objections  contre  leur 
établissement  en  France.  Il  leur  reprochait  :  d'affecter,  mal  à  pro- 
pos, de  prendre  le  nom  de  Société  ou  Compagnie  de  Jésus,  vu  que 
ce  nom  n'appartient  à  proprement  parler  qu'à  l'Église  univer- 
selle ;  —  de  faire  tort  aux  Ordres  mendiants  et  aux  hôpitaux,  par 
leur  vœu  de  pauvreté,  qui  les  oblige  à  vivre  d'aumônes  excepté 
dans  les  collèges,  et,  ajoutait-il,  on  ne  conçoit  pas  bien  à  quel 
titre  cette  restriction  est  faite,  puisque  les  Étudiants  pour  lesquels 
on  admettra  des  fondations  ne  seront  pas  encore  de  la  Compagnie, 
n'en  ayant  pas  fait  les  vœux  et  pouvant  être  congédiés  par  les 
supérieurs.  —  Il  disait  encore  :  que  les  Jésuites,  malgré  leur  vœu 
de  pauvreté,  prétendaient  bien  pouvoir  être  élevés  aux  dignités 
ecclésiastiques,  tout  en  ne  les  acceptant  que  sur  l'ordre  de  leur 
(Général  ;  —  qu'une  fois  évoques,  ils  voulaient  être  gouvernés  et 
corrigés  par  la  Société,  et  apparemment  aussi  lorsqu'ils  vien- 
draient à  posséder  des  bénéfices-cures,  ce  qui  est  contraire  à 
toutes  les  dispositions  ecclésiastiques;  —  que  ces  nouveaux  reli- 
gieux entreprenaient  sur  la  juridiction  des  curés,  dans  la  prédica- 
tion et  l'administration  des  sacrements;  —  qu'ils  attentaient  aussi 
sur  celle  des  évêques,  en  se  mêlant  d'excommunier,  de  dispenser 
les  enfants  illégitimes,  de  consacrer  les  églises,  de  bénir  les  vases 
sacrés  et  les  ornements  d'autel;  —  qu'ils  osaient  s'arroger  les 
droits  du  Pape  même,  en  donnant  des  dispenses  de  l'irrégularité, 
et  que,  nonobstant  leur  vœu  d'aller  en  mission  chez  les  infidèles 
et  les  hérétiques,  si  le  Souverain  Pontife  les  y  envoyait,  ils  ne 
laissaient  pas  de  croire  qu'il  était  permis  à  leur  supérieur  de  les 
rappeler  quand  il  le  jugerait  à  propos;  —  que  cette  Compagnie, 
d'ailleurs,  ne  se  tenait  obligée  à  aucun  office  public,  soit  grand- 
messe,  soit  heures  canoniales  dites  en  commun,  étant  exempte  par 
là  des  pratiques  mêmes  dont  les  laïques  ne  se  dispensent  pas 
puisqu'ils  assistent  les  jours  de  fête  à  la  grand'messe  et  aux  vê- 
pres; —  qu'elle  prétendait  avoir  permission  de  nommer  des  pro- 
fesseurs en  théologie,  ce  qui  contredit  les  privilèges  des  Univer- 
sités; —  qu'enfin,  toutes  ces  nouveautés  étant  dangereuses,  il  ne 
fallait  point  recevoir  en  France  cet  Ordre  si  récent,  mais  l'envoyer 
au  pays  des  infidèles,  ou  dans  leur  voisinage,  afin  qu'il  pût  vaquer 

1.  Collectio  judiciorum,  II,  19  i . 


LUTTE  POUR  LE  DROIT  DE  NATURALISATION.  207 

à  la  conversion  des  peuples  pour  lesquels  il  témoignait  tant  de 
zèle1. 

Inutile  de  montrer  combien  les  assertions  de  L'évêque  de  Paris 
sont  opposées  à  la  teneur  des  bulles  pontificales2,  «  On  lit  surtout 
avec  étonnement,  remarque  le  P.  Bcrthier,  ce  qu'il  dit  des  vœux 
de  la  Compagnie,  soit  par  rapport  aux  profôs,  soit  par  rapport  aux 
étudiants;  de  ses  prétentions  aux  dignités  ecclésiastiques  et  aux 
bénéfices-cures;  de  ses  entreprises  sur  les  droits  des  curés,  des 
évoques  et  du  pape;  du  pouvoir  qu'elle  s'attribue  d'excommunier, 
de  dispenser  du  défaut  de  la  naissance,  de  consacrer  les  églises  et 
de  relever  de  l'irrégularité:  des  contradictions  où  elle  tomberait 
elle-même  pour  l'exécution  du  vœu  qui  la  lie  au  Pape,  si  elle  osait 
rappeler  des  missions  les  religieux  que  celui-ci  y  aurait  en- 
voyés1. ■»  Ce  travestissement  d'un  Institut,  autorisé  par  les  Souve- 
rains Pontifes,  constituait  une  accusation  fausse  et  calomnieuse; 
c'était  une  injure  au  vicaire  de  Jésus-Christ,  en  même  temps  qu'à 
la  justice  et  à  la  vérité.  En  outre,  Eustache  du  Bellay  terminait  son 
mémoire  sur  un  ton  de  persiflage,  à  peine  digne  d'un  avocat  ou 
d'un  pamphlétaire  :  «  Parce  que  le  fait,  disait-il,  que  l'on  prétend 
de  l'érection  dudit  Ordre  et  Compagnie  [est]  qu'ils  iront  prescher 
les  Turcs  et  infidèles,  faudroit  establir  lesdites  maisons  et  socié- 
tez  es  lieux  prochains  desdits  infidèles,  ainsi  qu'anciennement  a 
été  fait  des  chevaliers  de  Rhodes,  qui  ont  été  mis  sur  les  fron- 
tières de  la  chrétienté  et  non  au  milieu  d'icelle;  aussi,  y  auroit-il 
beaucoup  de  temps  perdu  et  consommé  daller  de  Paris  à  Cons- 
tantinople  et  autres  [lieux]  de  Turquie  '.  » 

6.  Malgré  l'inanité  des  motifs  et  le  mauvais  goût  de  la  forme,  la 
sentence  prononcée  par  un  si  haut  personnage  produisit  natu- 
rellement une  profonde  impression  sur  les  esprits.  La  communauté 
de  l'hôtel  de  Clermont  essuya,  à  ce  propos,  une  tempête  qui  de- 
vait redoubler  encore  de  violence  après  le  décret  de  la  Faculté 
de  théologie. 

Ayant  reçu  communication  officielle  du  mémoire  d'Eustache  du 
Bellay,  le  Parlement,  cette  fois  par  ministère  d'huissier,  fit  de- 
mander au  doyen  de  cette  Faculté,  Nicolas  Lecler,  de  statuer  au 
plus  tôt  sur  l'affaire  des  Jésuites.  Dès  le  1er  septembre,  les  docteurs 
se  réunirent;  mais  on  ne  décida  rien  dans  cette  séance,  sinon  de 

1.  Voir  d'Argentré,  Collectio  judiciorum,  II,  192. 

2.  Le  lecteur  n'a  qu'à  se  reporter  au  chapitre  v  du  1.  I,  où  nous  avons  exposé  les 
Constitutions.  —  3.  Histoire  de  l'Église  Gallicane,  t.  XVIII,  p.  589. 

4.  Collectio  judicionun,  II,  192. 


20K  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

remettre  la  conclusion  à  une  autre  assemblée.  En  attendant,  tous 
les  membres  furent  avertis  de  réfléchir  sérieusement  sur  un  objet 
i<  si  grave  et  de  si  grande  importance  '  ».  Fidèles  à  cette  recom- 
mandation, presque  tous  les  jours  pendant  trois  mois,  vingt  théo- 
logiens au  moins  examinèrent  les  bulles  pontificales  et  les  lettres 
patentes  du  roi2.  «  Parmi  eux,  dit  le  P.  Ribadeneira  que  nous 
citons  dans  le  vieux  langage  de  son  traducteur  français,  se  trou- 
voit  un  théologien  [Jean  Benoit],  des  premiers  de  la  Faculté,  lequel 
nous  estoit  mal  affectionné  à  l'occasion  d'un  certain  nepveu  qui, 
sans  lui  demander  congé  et  contre  son  gré,  estoit  entré  en  nostre 
Compagnie,  il  n'y  avoit  pas  longtemps.  Celui-ci  estoit  encore  au- 
cunement suivi,  mesme  en  cette  aliénation  qu'il  avoit  de  nous,  de 
plusieurs  autres  docteurs  théologiens,  religieux  de  divers  Ordres, 
lesquels,  ayant  plus  d'égard  à  leur  profit  particulier  qu'au  bien 
public,  s'opposoient  de  tout  leur  pouvoir  à  nos  intentions.  Il  y  en 
avoit  bien  quelques-uns  qui  ne  faisoient  ni  pour  ni  contre  nous; 
mais  le  plus  grand  nombre  estoient  de  ceux  lesquels  abreuvés  de 
certains  bruits  populaires,  qui  couroient  de  nous  par  la  ville,  sans 
nous  avoir  jamais  parlé  ni  sceu  bonnement  ce  que  nous  deman- 
dions, s'en  formalisoient  toutefois  \  » 

Ribadeneira  ne  distingue  que  deux  catégories  parmi  les  doc- 
teurs de  la  Faculté  :  ceux  qui  se  montraient  manifestement  hos- 
tiles à  la  Compagnie  de  Jésus,  et  ceux  qui  n'osaient  se  prononcer. 
Il  y  en  avait  cependant  une  troisième,  composée  de  docteurs 
ouvertement  favorables.  Les  Pères  Polanco  et  Claysson  nous  ont 
conservé  leurs  noms;  la  reconnaissance  nous  fait  un  devoir  de  les 
rappeler.  Outre  les  docteurs  de  Govéa,  alors  âgé  de  quatre-vingt- 
six  ans,  Pelletier  du  collège  de  Sorbonne,  Le  Picart  et  Jover  que 
nous  connaissons  déjà,  nous  ne  pouvons  oublier  les  docteurs 
Sébastien  Rodriguez,  portugais,  et  Antoine  de  Mouchi,  surnommé 
Démocharès,  du  collège  de  Navarre  \  Le  P.  Broet  mentionne  aussi 
plusieurs  fois  dans  ses  lettres,  comme  un  ami  dévoué  de  l'hôtel 
de  Clermont,  le  docteur  Dumont,  conseiller,  maître  des  requêtes, 
si  estimé  de  François  Xavier.  Tous  ces  hommes,  remarquables 
par  leur  science  et  leur  piété,  étaient  exempts  des  préventions 
gallicanes  de  l'école  de  Paris.  Ils  ne  voyaient,  ni  dans  les  consti- 
tutions de  la  Compagnie,  ni  dans  les  bulles  pontificales,  rien  qui 


1.  Registre  des  conclusions  de  la  Faculté  de  Théologie  (Archiv.  nationales,  MM.  249, 
fol.  25T).  —  2.  Lilt.  quadr.,  III,  110. 

3.  Vie  du  B*  Ignace  (Arias,  1607),  liv.  IV,  c.  x. 

4.  Cf.  Féret,  La  Faculté  de  théol.  de  Paris,  Epoque  moderne,  t.  II,  p.  51. 


LUTTE  POUR  LE  DROIT  DE  NATI  EGALISATION.  209 

ne  fût  digne  de  l'approbation  de  la  Faculté;  aussi,  parmi  Les 
discussions  qui  s'élevèrent  alors,  maintinrent-ils  par  leur  attitude 
l'honneur  de  leur  corps,  en  ne  craignant  pas  de  défendre  la  cause 
des  Jésuites1.  Mais  que  pouvaient  leurs  plus  justes  protestations 
contre  une  majorité  aveuglée,  qui  refusait  de  reconnaître  dans 
l'établissement  d'un  nouvel  Ordre  religieux  l'autorité  même  du 
Saint-Siège? 

Enfin,  le  1er  décembre  1554,  après  une  messe  du  Saint-Esprit 
au  collège  de  Sorbonne,  la  Faculté  de  théologie,  réunie  en 
assemblée  générale,  porta  contre  la  Compagnie  de  Jésus,  comme 
elle  avait  jadis  fait  contre  l'Ordre  de  Saint-Dominique,  un  décret 
rédigé  en  latin  par  le  dominicain  Jean  Benoit,  et  non  moins  hos- 
tile que  la  sentence  de  l'évêque  de  Paris. 

Dans  un  long  préambule,  où  ils  s'efforcent  de  justifier  leur 
conduite,  les  docteurs  commencent  par  témoigner  leur  profonde 
vénération  pour  le  Saint-Siège,  déclarant  qu'ils  ne  veulent  «  rien 
penser,  rien  dire,  rien  décider  »,  qui  soit  contre  la  personne  du 
Pontife  romain,  suprême  vicaire  de  Jésus-Christ,  ou  contre  l'obéis- 
sance qui  lui  est  due.  Ils  protestent  même  de  leur  sincérité  à 
reconnaître  et  à  proclamer  aujourd'hui,  comme  ils  l'ont  toujours 
fait,  sa  souveraine  puissance.  Mais,  «  comme  tous  les  fidèles,  et 
principalement  les  théologieus,  doivent  être  prêts  à  rendre  raison 
à  tous  ceux  qui  la  leur  demandent,  sur  ce  qui  concerne  la  foi, 
les  mœurs  et  l'édification  de  l'Église,  la  Faculté  a  cru  qu'elle 
devait  satisfaire  au  désir,  à  la  demande  et  à  l'intention  de  la  Cour. 
C'est  pourquoi,  ayant  lu  et  plusieurs  fois  relu,  et  bien  compris 
tous  les  articles  des  deux  bulles,  et  après  les  avoir  discutés  et 
approfondis  pendant  plusieurs  mois  en  différents  temps  et  heures, 
selon  la  coutume,  eu  égard  à  l'importance  du  sujet,  la  Faculté  a 
d'un  consentement  unanime  porté  ce  jugement  qu'elle  a  soumis 
avec  toute  sorte  de  respect  à  celui  du  Saint-Siège  ». 

Après  ce  préambule,  où  les  docteurs  parlent  avec  tant  de  com- 
plaisance du  consciencieux  examen  qu'ils  ont  dû  faire  des  deux 
bulles  des  papes  Paul  III  et  Jules  III,  constitutives  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus,  ils  attaquent  et  réprouvent,  non  seulement  les 
dispositions  qui  s'y  trouvent,  mais  aussi  celles  qu'ils  y  supposent  : 
«  Cette  nouvelle  société,  disent-ils,  qui  s'attribue  particulièrement 
le  titre  inusité  du  nom  de  Jésus,  qui  reçoit  avec  tant  de  liberté  et 
sans  aucun  choix  toutes  sortes  de  personnes,  quelque  criminelles, 
illégitimes  et  infâmes  qu'elles  soient,  qui  ne  diffère  en  aucune 

i.  Chronicon,  III,  291;  IV,  323.  —  LUI.  quadr.;  Il,  2-Ji;  111,  1%. 

COMPAGNIE    DE   JÉSUS.    —   T.    1.  Il 


210  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

manière  dos  prêtres  séculiers  dans  l'habit  extérieur,  dans  la  ton- 
sure, dans  la  manière  de  dire  en  particulier  les  heures  canoniales 
ou  de  les  chanter  en  public,  dans  l'engagement  de  demeurer 
dans  le  cloître  et  de  garder  le  silence,  dans  le  choix  des  aliments 
et  des  jours  de  jeûne,  dans  la  variété  des  règles,  lois  et  cérémo- 
nies qui  servent  à  distinguer  et  à  conserver  les  différents  Instituts 
de  Religieux;  —  cette  société  à  laquelle  ont  été  accordés  et  donnés 
tant  de  privilèges  et  de  libertés,  principalement  en  ce  qui  con- 
cerne l'administration  des  sacrements  de  la  pénitence  et  de  l'eu- 
chaiistie,  et  ce,  sans  aucun  égard  ni  distinction  de  lieux  ou  de 
personnes,  comme  aussi  dans  la  fonction  de  prêcher,  lire  et  en- 
seigner au  préjudice  des  Ordinaires  et  de  l'ordre  hiérarchique 
aussi  bien  que  des  autres  Ordres  religieux,  et  même  au  préjudice 
des  princes  et  des  seigneurs  temporels,  contre  les  privilèges  des 
Universités,  enfin  à  la  grande  charge  du  peuple;  —  cette  société 
semble  blesser  l'honneur  de  l'état  monastique  ;  elle  affaiblit  entiè- 
rement l'exercice  pénible,  pieux  et  très  nécessaire  des  vertus,  des 
abstinences,  des  cérémonies  et  de  l'austérité;  elle  donne  même 
occasion  d'abandonner  très  librement  les  Ordres  religieux  ;  elle 
prive  injustement  les  seigneurs  tant  ecclésiastiques  que  temporels 
de  leurs  droits,  apporte  du  trouble  dans  l'une  et  l'autre  police, 
cause  plusieurs  procès,  débats,  contentions,  jalousies,  et  diffé- 
rents schismes  ou  divisions.  » 

Gomme  conclusion,  digne  de  ces  prémisses,  les  docteurs  décla 
rent  que  «  toutes  ces  choses,  et  bien  d'autres,  ayant  été  mûrement 
examinées  et  considérées,  cette  Société  paraît  dangereuse  en 
matière  de  Foi,  perturbatrice  de  la  paix  de  l'Église,  destructive 
de  la  profession  monastique,  et  plutôt  propre  à  détruire  qu'à  édi- 
fier1 ».  C'est  ainsi  que  les  signataires  du  décret  professaient  leur 
vénération  profonde  envers  le  Souverain  Pontife  :  ils  refusaient 
de  se  soumettre  à  son  jugement  et  à  son  autorité,  touchant  l'éta- 
blissement d'un  nouvel  Ordre  religieux  dans  l'Église. 

Le  Parlement,  qui  avait  des  intelligences  dans  la  place,  savait 
d'avance  le  résultat  qu'il  obtiendrait  en  renvoyant  à  la  Faculté 
de  théologie  l'examen  des  bulles  pontificales;  mais  peut-être  son 
attente  fut-elle  dépassée  par  la  censure  des  docteurs.  Le  P.  Broet 
se  garda  bien  delà  lui  présenter,  car  il  s'en  serait  prévalu  pour 
porter  contre  la  Compagnie  un  arrêt  définitif.  Toute  démarche 
était  devenue  désormais  inutile;  la  communauté  de  la  rue  de  la 

1.  Conclusion  de  la  Faculté  de  théologie  (Aichiv.  nal,,  MM,  2i'J.  fol.  2'X  à  37).  Ce 
document  a  été  publié  par  d'Argentré,  Coll.  Judic,  11,  194. 


LUTTE  POUR  LE  DROIT  DE  NATURALISATION.  2U 

Harpe  n'avait  qu'à  attendre,  dans  la  patience  et  dans  la  prière,  des 
temps  plus  favorables. 

7.  Cependant,  la  Faculté  de  théologie  jouissant  en  France  d'une 
réputation  incontestable,  son  décret  du  Ie''  décembre  155V  fut  le 
signal  d'une  levée  de  boucliers  contre  les  disciples  d'Ignace  de 
Loyola.  Les  prédicateurs,  du  haut  de  la  chaire,  foudroyaient  l'Ins- 
titut; les  curés  l'attaquaient  avec  violence  dans  leurs  prônes;  les 
professeurs  le  livraient  à  la  risée  des  écoliers.  Des  placards  inju- 
rieux étaient  affichés  sur  les  murs  de  tous  les  collèges,  colportés 
dans  les  églises,  jetés  sous  les  portes  des  maisons,  semés  dans  les 
rues  et  les  places  publiques.  Nullement  intimidés  par  la  tempête 
déchaînée  contre  eux,  les  Pères  de  l'hôtel  de  Clermont,  avec  l'auto- 
risation du  Prieur  de  Saint-Germain-des-Prés,  continuaient  d'exer- 
cer leurs  ministères  dans  leur  chapelle  de  l'abbaye,  comme  par  le 
passé.  En  vain  essaya-t-on  d'intimider  le  Prieur,  de  l'obliger  à 
ne  plus  les  recevoir.  Il  se  montra  inébranlable  à  toutes  les  obser- 
vations, et  répondit  avec  fermeté  qu'il  «  n'interdirait  jamais  son 
église  à  des  religieux  comme  ceux  de  la  Compagnie,  dont  il  con- 
naissait depuis  longtemps  la  piété  et  les  bons  exemples1  ». 

Éconduits  par  une  amitié  plus  forte  que  leur  malveillance,  les 
docteurs  se  rendirent  chez  l'évêque  de  Paris.  Eustache  du  Bellay 
céda  sans  peine  à  leurs  instances  et  donna  l'ordre  à  son  promo- 
teur de  citer  les  Pères  à  comparaître,  le  27  du  mois  de  mai, 
devant  l 'officiai  du  diocèse.  Au  jour  indiqué,  le  P.  Paschase  Broet, 
fort  du  témoignage  de  sa  conscience,  se  présenta  au  juge  ecclé- 
siastique. Ce  qui  se  passa  devant  ce  tribunal,  d'où  l'on  devait 
attendre  toute  justice,  est  ainsi  résumé  dans  l'acte  de  condam- 
nation, vraiment  étrange,  que  le  Père  Supérieur  en  rapporta  : 
«  Le  susdit  Promoteur  a  exposé  que,  quoique  des  ordonnances 
canoniques  et  royales  aient  défendu,  et  défendent  encore,  de 
tenir  des  conventicules,  néanmoins  lesdits  accusés,  en  vertu  d'une 
certaine  prétendue  bulle,  non  approuvée  et  môme  réprouvée  en 
plusieurs  points  par  la  sacrée  Faculté  de  théologie,  ne  cessent 
de  ce  faire;  et  il  a  requis  que  lesdites  inhibitions  et  défenses 
soient  renouvelées  auxdits  accusés,  sous  peine  d'excommunication 
In  lac  sententiae. 

«.  Ce  que  nous  [officiai]  ayant  entendu,  et  le  sieur  Paschase 
Broet,  soi-disant  supérieur  de  ladite  Société,  interrogé  par  nous 

1.  Chronicon,  V,  328-332.  Epist.  PP.  Brocli,  etc.,  |».  loi.  Cumin,  de  la  C1'  (Ca- 
rayon,  Doc.  inêd.,  I,  13). 


212  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉS1  S. 

sur  la  foi  du  serment,  ayant  reconnu  que  lui-même  et  les  frères 
de  ladite  Société,  logés  dans  la  maison  du  seigneur  évêque  de 
Clermont,  dans  la  rue  de  la  Harpe,  se  réunissent  à  certains  jours 
au  monastère  de  Saint-Germain-des-Prés  pour  y  entendre  la 
messe  et  recevoir  la  communion,  Nous,  officiai  de  Paris,  avons 
défendu  et  défendons  au  môme  soi-disant  supérieur,  et  en  sa 
personne  aux  prétendus  frères  de  la  même  Société,  sous  peine 
d'excommunication  latae  sententiae,  de  tenir  entre  eux  et  de  faire, 
sous  quelque  prétexte  que  ce  soit,  directement  ou  indirectement, 
de  ces  sortes  de  réunions,  tant  dans  des  lieux  exempts  que  dans 
d'autres  non  exempts,  et  de  s'appeler  frères,  en  attendant  et 
jusqu'à  ce  que  la  Bulle  présentée  par  eux,  ou  même  l'Ordre  de 
la  susdite  Société,  aient  été  approuvés  par  Révérend  Père  en  Dieu 
le  seigneur  évêque  de  Paris,  par  la  sacrée  Faculté  de  théologie 
et  par  la  Cour  suprême  du  Parlement  de  Paris.  Autrement,  s'ils 
contreviennent  aux  susdites  défenses  et  inhibitions,  Nous  per- 
mettons ores  et  déjà  audit  Promoteur,  qui  le  requerra  et  quand 
il  le  requerra,  de  pouvoir  recourir  au  secours  du  bras  séculier 
à  cette  fin  d'appréhender  au  corps  lesdits  soi-disant  supérieurs 
et  frères. 

«  Là-dessus,  ledit  Broet  en  ayant  voulu  appeler  au  Souverain 
Pontife,  Nous  lui  avons  répondu  qu'il  en  appelât  par  écrit  comme 
il  convient. 

«  En  foi  de  quoi,  Nous  avons  jugé  à  propos  d'apposer  notre 
sceau  aux  présentes  Lettres. 

«  Fait  à  Paris,  l'an  1555,  le  lundi  27  mai  K  » 

La  conduite  du  P.  Broet,  dans  des  circonstances  si  critiques, 
qui  semblaient  menacer  la  liberté  même  de  ses  frères  et  l'exis- 
tence de  la  Compagnie  en  France,  fut  ce  qu'elle  devait  être 
envers  l'autorité  ecclésiastique  :  très  calme  et  très  digne.  En  qua- 
lité de  supérieur,  il  n'avait  pas  cru  cependant  devoir  pousser 
la  discrétion  jusqu'à  reconnaître  par  son  silence  la  légitimité 
d'actes  injustes  et  purement  arbitraires.  De  retour  à  l'hôtel  de 
Clermont,  il  envoya  copie  de  la  sentence  au  P.  Général  en  l'in- 
formant de  tout  ce  qui  s'était  passé  :  «  J'ai  appelé,  dit-il,  de 
cette  sentence  au  Souverain  Pontife  qui  s'est  réservé  la  connais- 
sance de  nos  bulles  2.  Dès  lors,  nous  pourrions  en  bonne  cons- 
cience continuer  -d'aller  à  Saint-Germain  pour  y  dire  ou  enten- 

1.  Traduit  du  latin,  dans  Conim.  de  la  Compagnie  (Carayon,  Doc.  inéd.,  t.  I,  p.  i  i 

2.  On  peut  voir  cet  acte  d'appel,  fait  par  le  P.  Nicolas  Bellefille  au  nom  du  P.  Pas- 
chase  Broet,  dans Episl.  /'/'.  Broeti,  etc.,  p.  219. 


LUTTE  POUR  LE  DROIT  DE  NATURALISATION.  213 

dre  la  messe,  communier,  faire  des  instructions,  administrer  les 
sacrements;  mais,  sur  le  conseil  <lu  docteur  Le  Picart  ei  de  plu- 
sieurs autres  de  nos  amis,  contre  mon  propre  sentiment,  nous 
nous  en  abstiendrons  jusqu'à  ce  que  ce  premier  feu  soit  éteint... 
parce  que  l'évêquc,  pour  nous  mortifier,  sciait  capable,  dit-on, 
de  fulminée  contre  nons  l'excommunication,  quoique  nous  ayons 
appelé  à  Home  de  sa  sentence  '.  » 

8.  Il  semblerait,  par  certains  documents2,  que  les  Pères  de 
Rome  tentèrent  d'abord  quelques  démarches  pour  soumettre  la 
cause  au  Souverain  Pontife;  mais  l'Official  de  Paris  refusa  de 
tenir  compte  de  cet  appel,  sous  prétexte  qu'il  était  contraire  aux 
pragmatiques  et  concordats  du  royaume.  Le  P.  Ignace  sans  doute 
ne  jugea  pas  à  propos  d'insister,  car  on  ne  trouve,  dans  les 
manuscrits  parvenus  jusqu'à  nous,  aucune  solution  juridique 
de  cette  affaire.  De  même,  lorsque  le  décret  de  la  Faculté  de 
théologie  fut  connu  du  public  à  Rome,  plusieurs  Pères,  des  plus 
graves  de  la  Compagnie,  conseillèrent  au  fondateur  d'en  faire 
une  réfutation  directe,  pour  venger  l'Institut  de  tant  d'imputa- 
tions calomnieuses.  Mais  Ignace  de  Loyola,  avec  sa  prudence  ac- 
coutumée, s'y  refusa;  il  comprit  qu'on  irriterait  davantage  les 
esprits  en  tenant  tête  à  l'orage,  qu'il  valait  mieux  laisser  aux 
passions  soulevées  le  temps  de  se  calmer,  et  qu'alors  la  vérité  se 
défendrait  elle-même3. 

Toutefois,  s'il  voulait  éviter  les  procédés  contentieux,  propres  à 
provoquer  de  nouvelles  attaques,  il  n'avait  pas  l'intention  de  lais- 
ser ses  disciples  désarmés  contre  les  traits  du  mensonge.  Dès  le 
mois  de  mars  1555,  il  avait  adressé  une  lettre  au  duc  de  Ferrare, 
Hercule  d'Esté4,  pour  solliciter  son  appui  auprès  du  roi  très 
chrétien  :  «  Plusieurs,  lui  disait-il,  cherchent  à  détruire  par  des 
bruits  fâcheux  les  bonnes  dispositions  de  ce  monarque  à  notre 
égard,  mais  j'espère  de  la  bonté  divine  que  l'opposition  qu'on 
nous  fait,  en  cette  ville  de  Paris,  contribuera  à  manifester  davan- 
tage la  véritable  utilité  de  cette  entreprise,  et  qu'il  nous  arrivera 
ce  qui  déjà  nous  est  arrivé  à  Rome,  où  Votre  Excellence  a  bien 
voulu  joindre  son  assistance  à  la  Providence  divine  en  notre 
faveur'.  »  Quelques  jours  après,  Ignace  écrivit  de  même  au  car- 

1.  Lettre  du  9  juin  1555  (Ibid.t  p.  101).  Chronicon,  V,  332. 

2.  Voir  Epist.  PP.  BfoeM,  etc.,  p.  219,  note. 

3.  Chronicon,  t.  V,  p.  il.  Mon.  lgnat..  s.  4\  I,  375,  376,  426. 

4.  Hercule  d'Esté  avait  épousé  Renée  de  France,  seconde  fille  de  Louis  Xll  et 
d'Anne  de  Bretagne.  —  5.  Cartas  de  S.  Ign.,  V,  117. 


214  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

dinal  de  Lorraine,  le  suppliant  de  se  montrer  comme  par  le 
passé  m  le  véritable  protecteur  de  la  Compagnie,  et  d'obtenir 
que  l'exercice  du  saint  ministère  ne  lui  fût  pas  interdit  dans  le 
royaume  très  chrétien1  ».  Le  cardinal,  touché  de  cette  suppli- 
que, employa  toute  son  influence  auprès  du  roi  afin  de  prévenir 
l'impression  fâcheuse  que  le  décret  de  la  Faculté  aurait  pu  pro- 
duire sur  son  esprit.  La  chose  fut  facile,  car  Henri  II  se  montra 
toujours  bien  disposé  pour  la  Compagnie  de  Jésus.  Quelques 
membres  de  son  conseil,  au  contraire,  subirent  l'influence  de 
l'opinion  publique.  Comme  le  cardinal  de  Lorraine  en  faisait  un 
jour  la  remarque  à  Sa  Majesté,  le  roi  répondit  :  «  Eh  bien,  quand 
tout  le  conseil  se  déclarerait  contre  cet  Ordre,  vous  et  moi  nous 
lui  resterons  favorables  et  nous  continuerons  de  le  protéger2.  » 

Rien  ne  réussit  mieux  à  calmer  l'irritation  des  esprits  en  France 
que  le  moyen  auquel  le  P.  Ignace  eut  recours  au  mois  d'avril  1555. 
Cette  réfutation  du  décret,  qu'il  n'avait  pas  voulu  faire  directe- 
ment au  nom  de  la  Compagnie,  il  la  sollicita  de  tous  ceux  qui 
avaient  vu  ses  enfants  à  l'œuvre,  dans  les  différents  pays  où  ils 
étaient  établis.  Par  l'ordre  du  P.  Général,  tous  les  supérieurs  de 
la  Compagnie  furent  chargés  de  demander  aux  princes  ecclésias- 
tiques et  séculiers,  aux  Facultés  et  aux  Académies,  à  toutes  les 
autorités  des  lieux  où  ils  demeuraient,  une  attestation  authen- 
tique sur"  leur  vie,  leur  doctrine  et  leur  Institut.  Mais  il  leur 
recommanda  en  même  temps  qu'en  donnant,  pour  la  plus  grande 
gloire  de  Dieu,  à  toutes  les  personnes  qui  le  désireraient,  les 
renseignements  concernant  cette  affaire,  on  eût  soin  d'agir  avec 
toute  l'humilité  et  la  charité  requises,  afin  de  ne  pas  blesser  les 
susceptibilités  de  l'insigne  Université  de  Paris3. 

De  toutes  les  contrées  d'Europe,  affluèrent  à  Rome  les  témoi- 
gnages les  plus  honorables  pour  la  Compagnie  de  Jésus,  et  même 
des  protestations  énergiques  contre  le  décret  de  la  Faculté  de 
théologie.  Les  Bollandistes,  dans  la  Vie  de  saint  Ignace,  ont  publié 
la  plupart  de  ces  documents,  où  sont  représentés  Ferdinand  Ie', 
roi  des  Romains;  le  roi  de  Portugal  et  le. vice-roi  de  Sicile;  les 
ducs  de  Toscane,  de  Ferrare  et  de  Bavière  ;  les  évêques  ou  arche- 
vêques de  Modène,  de  Bologne,  de  Gênes,  de  Messine;  les  inquisi- 
teurs de  Ferrare,  de  Florence,  d'Evora,  de  Saragosse  ;  les  magis- 
trats des  villes  de  Messine,  de  Gandie,  de  Lisbonne;   les  Uni- 

1.  Lettre  du  13  mars  1555  (Ibid.). 

2.  Chronicon,  V,  12,  321.  Car  tas  de  San  Ign.,  VI,  app.  II,  p.  647. 

3.  Chronicon,  V,  11. 


LUTTE  POUR  LE  DROIT  DE  NATURALISATION.  215 

versités  de  Ferrare,  de  Valladolid,  de  Coïmbre,  de  Louvain,  île 
Vienne,  etc.  '.  Le  résumé  de  quelques-uns  de  ces  documents  nous 
fera  connaître  dans  quel  sens  étaient  conçus  tous  les  autres. 

Gilles,  évoque  de  Modène,  atteste  que  la  Compagnie  de  Jésus, 
dans  cette  ville  et  ailleurs  en  Italie,  exerce  une  influence  si  heu- 
reuse sur  les  habitants,  par  la  pureté  de  ses  mœurs,  par  sa  piété, 
ses  exemples  et  ses  leçons,  que  tous  ceux  qui  suivent  sa  direction 
font  chaque  jour  des  progrès  dans  la  vertu.  S'il  parle  ainsi,  dit-il, 
ee  n'est  pas  par  flatterie,  à  Dieu  ne  plaise,  mais  pour  témoigner, 
à  la  gloire  de  Dieu,  de  ce  qu'il  a  vu  et  expérimenté;  car  on  juge 
jie  l'arbre  par  ses  fruits,  et  chacun  de  nous  à  la  fin  de  sa  vie 
sera  jugé  au  poids  de  ses  œuvres. 

Le  vicaire  général  de  l'archevêque  de  Florence,  commissaire 
de  l'Inquisition,  certifie,  de  concert  avec  ses  collègues,  que  la 
Compagnie  est  très  dévouée  aux  autres  familles  religieuses  ap- 
prouvées par  la  sainte  Église,  et  qu'elle  entretient  avec  toutes 
une  paix  et  une  union  véritables  et  sincères. 

L'Université  de  Louvain  se  déclare  formellement  contre  la 
censure  de  la  Faculté  de  théologie,  en  affirmant  que  l'Institut  de 
la  Compagnie  de  Jésus  est  pieux  et  saint,  et  qu'il  n'y  a  ni  dans  les 
bulles,  ni  dans  les  privilèges,  ni  dans  la  conduite  de  ces  religieux, 
rien  qui  ne  soit  très  avantageux  et  très  utile  aux  pays  où  ils  font 
leur  séjour. 

Le  Recteur  et  trente-deux  professeurs  de  l'Université  de  Ferrare, 
après  avoir  fait  dans  les  termes  les  plus  flatteurs,  l'éloge  de  la 
Compagnie  de  Jésus,  disent  que  ses  membres  doivent  être  jugés 
par  leurs  œuvres,  et  que  celles-ci  sont  vraiment  admirables  : 
ils  enseignent  gratuitement  les  humanités  et  forment  en  même 
temps  leurs  élèves  aux  bonnes  mœurs;  ils  prêchent,  expliquent 
la  Sainte  Écriture  et  ne  négligent  rien  de  ce  qui  a  rapport  à  la 
religion,  visitant  les  hôpitaux  et  consolant  les  malades.  Pour 
cela,  loin  de  mériter  qu'on  les  chasse,  ils  devraient  être  plutôt 
appelés  par  tous  les  moyens  à  Ferrare  s'ils  ne  s'y  trouvaient  déjà. 

L'inquisiteur  de  Saragosse  alla  beaucoup  plus  loin,  dans  sa 
protestation  contre  le  décret  de  la  Faculté.  Il  rédigea,  quoique 
avec  ménagement,  une  véritable  sentence  contre  les  assertions 
doctrinales  des  théologiens  de  Paris  :  «  La  Compagnie  de  Jésus. 
disait-il,  a  été  approuvée  par  les  Souverains  Pontifes.  Cependant, 
plusieurs  malveillants,  les  uns  dans  une  mauvaise  intention,  les 

1.  Acta  SS.,  t.  VII  Julii,  De  S.  Tgnatio,  g  XLVII,  p.  513  et  suiv.  ;  §  XLVIII,  p.  510 
et  suiv. 


216  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

autres  par  ignorance,  ont  répandu  le  bruit,  dans  cette  ville  et 
dans  les  limites  de  notre  juridiction,  qu'une  Université  étrangère 
a  déclaré  cette  société  dangereuse  pour  la  foi,  perturbalrice  de 
la  paix  et  du  repos  de  l'Église,  nuisible  aux  autres  religions,  et  a 
porté  d'autres  accusations  qui  atteignent  à  la  fois  la  Compagnie 
de  Jésus,  le  Siège  Apostolique  et  l'autorité  pontificale.  Toutes  ces 
choses  ayant  été  mûrement  considérées...  nous  avons  cru  devoir 
ordonner  à  tous  et  à  chacun,  dans  les  limites  de  notre  juridiction, 
au  nom  de  la  sainte  obéissance  et  sous  peine  d'excommunication 
majeure,  qu'on  tienne  pour  suspects  et  détracteurs  du  Siège 
Apostolique  tous  ceux  qui,  possédant  des  écrits  relatifs  à  cette 
matière,  ne  nous  les  apporteraient  pas  au  plus  tôt  au  palais  du 
Saint-Office.  Et  nous  voulons  qu'on  dénonce  à  notre  tribunal  ceux 
que  l'on  connaîtra  avoir  parlé  témérairement,  ou  dans  un  sens 
défavorable,  de  l'approbation  de  cette  Société,  et  qu'on  les  dé- 
couvre dans  les  trois  jours  qui  suivront  cette  proclamation1.  » 

Ainsi,  sans  craindre  d'humilier  la  Faculté  de  théologie  de 
Paris,  les  hommes, les  plus  capables,  en  Europe,  de  juger  sur  ses 
œuvres  la  Compagnie  de  Jésus,  parlèrent  en  sa  faveur.  Leurs 
témoignages  d'estime  furent  un  précieux  encouragement  pour  le 
fondateur  de  cet  Ordre,  à  la  fois  si  loué  et  si  attaqué.  Il  n'eut  pas 
besoin,  du  reste,  d'en  faire  usage.  Bientôt,  comme  il  l'avait  prévu, 
la  vérité  triompha  par  sa  seule  force,  et  même  quelques-uns  des 
principaux  signataires  du  décret  durent  reconnaître  leur  faute  ou 
leur  erreur.  Voici  les  circonstances  qui  amenèrent  ce  revirement. 

9.  Au  mois  d'août  de  l'année  1555,  le  cardinal  de  Lorraine  avait 
été  envoyé  à  Rome  par  le  roi  Henri  II  pour  y  négocier  une  affaire 
politique'2  avec  le  nouveau  Pape  Paul  IV  qui,  excité  par  l'ambi- 
tion de  ses  neveux,  songeait  à  renverser  avec  le  secours  de  la 
France,  la  domination  espagnole  en  Italie.  Il  s'était  fait  accom- 
pagner de  quatre  docteurs,  des  plus  renommés  de  l'Université  de 
Paris  :  Claude  d'Espence,  du  collège  de  Navarre;  Jérôme  de  la 
Souchière,  de  l'Ordre  de  Cîteaux;  Crespin  de  Brichanteau,  reli- 
gieux bénédictin;  et  Jean  Benoît,  ce  dominicain  qui  avait  rédigé 
le  décret  du  1er  décembre  1554  3.  La  présence  à  Rome  de  ces  im- 

1.  Ibidem.  Manare,  De  rébus  S.  J.,  p.  77.  Mon.  Ignat.,  s.  4»,  I,  376. 

2.  Pouvoir  à  MST  le  carcl.  de  Lorraine  allant  à  Rome  (Mémoires-journaux  du 
duc  de  Guise,  collect.  Michaud,  t.  VI,  p.  257). 

3.  Le  P.  Orlandini  (Hist.  Soc.  Jesu,  P.  I,  1.  XV,  n.  44)  confond  tous  ces  docteurs  sous 
le  nom  de  Sorbonistes.  C'était  déjà  la  coutume  des  étrangers  de  confondre  la  Sorbonne 
avec  la  Faculté  de  théologie.  Vers  le  xin"  et  le  xiv°  siècle,  différentes  sociétés  particu- 
lières s'étaient  formées  au  sein  de  la  Faculté  de  théologie  de  Paris.  Peu  à  peu  elles 


LUTTE  POUR  LE  DROIT  l>K  NATURALISATION.  217 

portants  personnages  offrait  au  P.  Ignace  une  excellente  occasion 
de  défendre  la  cause  des  siens,  injustement  condamnés.  Il  décida 
que  quatre  jésuites,  des  plus  distingués,  auraient  une  explication 
loyale  avec  les  quatre  théologiens  de  Paris.  Il  choisit  les  Pères 
Jacques  Lainez,  Jean  Polanco,  André  des  Freux  et  Martin  Olave  '. 
Ce  dernier,  docteur  de  la  maison  de  Sorbonnc,  connaissait  égale- 
ment bien  l'esprit  de  la  Compagnie  et  les  usages  de  la  Faculté  : 
il  est  vraisemblable  qu'on  lui  laissa  le  premier  rôle  dans  cette 
courtoise  discussion.  La  conférence  eut  lieu  chez  le  cardinal  de 
Lorraine,  et  en  sa  présence.  «  Parcourant  un  à  un  tous  les  articles 
du  décret,  les  Pères  les  réfutèrent  par  des  arguments  péremptoi- 
res,  à  la  complète  satisfaction  non  seulement  du  cardinal  mais 
aussi  des  docteurs2.  »  Claude  d'Espence,  rapporte  Launoy,  l'histo- 
rien du  collège  de  Navarre,  «  avoua  franchement  les  erreurs  conte- 
nues dans  le  jugement  de  la  Faculté  ».  Jean  Benoit  lui-même  n'en 
disconvint  pas3.  Le  cardinal  de  Lorraine  «  déclara  que  les  théo- 
logiens de  Paris  avaient  prononcé  sans  connaître  suffisamment 
la  cause 4  »  ;  il  promit  de  «  s'employer  de  son  mieux  à  faire  rappor- 
ter la  sentence  '  »  ;  puis  il  loua  fort  le  Père  Ignace  qui,  par  charité, 
ne  s'était  plaint  ni  au  Sacré  Collège  ni  au  Souverain  Pontife (i. 

Afin  d'éclairer  de  même  les  autres  docteurs  de  la  Faculté,  le 
P.  Martin  Olave  rédigea  pour  eux  un  mémoire  latin  où  il  résuma 
les  arguments  donnés  dans  la  conférence.  Ce  document,  à  cause 
de  sa  longueur,  ne  peut  être  reproduit  ici  tout  entier7,  mais  son 
importance  nous  oblige  à  en  donner  une  analyse  substantielle 
qui  permettra  d'apprécier  sa  valeur  : 

Le  nom  de  Société  ou  Compagnie  de  Jésus  n'est  pas  une 
nouveauté,  car  il  y  a  déjà  en  Italie  des  congrégations  qui  le 
portent;  il  y  a  des  religieux  Jésuates;  il  existe  un  Ordre  de  soldais 
du  Christ.  D'ailleurs,  on  ne  voit  pas  comment  il  y  aurait  plus 

disparurent,  el  il  n'y  eut  plus  d'enseignement  théologique  que  dans  les  maisons  de 
Sorbonne et  de  Navarre.  Au  collège  d*Navarre  on  enseignait  les  arts  avec  la  théologie; 
au  collège  de  Sorbonne  la  théologie  seulement. 

1.  Né  à  Vitoiia,  Martin  Olave  étudiait  à  Alcala  quand  Ignace  y  arriva,  en  1526,  et 
le  premier  lui  donna  l'aumône  à  la  porte  de  la  ville.  Il  lit  sa  théologie  à  l'Université 
de  Paris  et  y  fut  reçu  docteur.  Après  ses  études,  il  suivit  la  cour  de  Charles-Quint  en 
Espagne  el  en  Allemagne,  et  assista  au  concile  de  Trente.  Renommé  pour  la  pureté 
de  ses  mœurs  et  sa  doctrine,  il  fut  reçu  dans  la  Compagnie,  en  1552,  par  Ignace  qui. 
peu  après,  lui  confia  une  chaire  d'Ecriture  Sainte.  Il  fut  ensuite  Recteur  du  collège 
romain  et  mourut  le  17  août  1556.  —  2.  Polanco,  Chronicon,  V,  12. 

3.  Launoy,  Regii  Navarrae  Gymnasii  Ilisl.,  c.  lu  et  lui. 

4.  Orlandini,  Ilist.  Soc.  Jesu,  P.  1,  1.  XV,  n.  44. 

5.  Polanco,  /.  c.  —  6.  Orlandini,  l.  c. 

7.  On  le  trouve  dans  les  Cartas  de  S .  [gn.,  t.'V,  app.  II,  n.  24.  Nous  suivons  le 
résumé  que  le  P.  Berthier  en  adonné  dans  son  llist.  de  l'Église  Gallicane,  t.  XVIII. 
p.  536  et  suiv. 


2\H  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

d'inconvénient  à  désigner  un  Ordre  religieux  parle  nom  de  Jésus 
que  par  les  noms  de  la  Sainte  Trinité  et  du  Saint-Esprit,  pratique 
déjà  reçue  depuis  longtemps. 

Dans  le  choix  des  sujets,  il  n'est  pas  possible  d'apporter  plus 
de  soin  et  de  circonspection  que  la  Compagnie.  Elle  a  des  Cons- 
titutions expresses  qui  défendent  la  réception  de  toutes  personnes 
d'une  réputation  suspecte.  Si  les  Papes  ont  accordé  au  Général 
le  pouvoir  d'absoudre  ses  sujets  de  toutes  sortes  de  crimes,  c'est 
une  grâce  toute  semblable  à  celle  qui  est  contenue  dans  le  Mare 
magnum1  des  Frères  Mineurs,  et  l'on  ne  peut  rien  en  conclure 
au  désavantage  du  nouvel  Institut. 

L'uniformité  d'habit  entre  les  Jésuites  et  les  prêtres  séculiers 
est  un  des  points  qui  ont  eu,  de  préférence,  l'approbation  des 
gens  sages,  parce  que  rien  ne  convient  mieux  aux  ministères 
propres  de  l'Ordre,  par  exemple  aux  fonctions  de  zèle  auprès  des 
ecclésiastiques  dont  le  fondateur  souhaite  particulièrement  la 
réformation. 

En  fait  de  privilèges,  la  Compagnie  a  désiré  simplement  ceux 
qui  lui  sont  nécessaires  pour  ses  fonctions  ;plusieurs  autres  Ordres 
religieux  en  ont  de  semblables  ou  même  de  plus  grands  encore; 
et  il  est  singulier  que  dans  la  Faculté  de  théologie,  où  les  Régu- 
liers sont  admis,  personne  n'ait  songé  à  justifier  les  Jésuites  sur 
un  point  qui  leur  est  commun  avec  tant  d'Ordres  plus  anciens. 
On  dit  que  ces  privilèges  blessent  les  droits  des  Ordinaires;  mais 
assurément  les  docteurs  n'ont  entendu  cette  plainte  d'aucun 
évêque  à  qui  le  plan  de  la  Société  soit  quelque  peu  connu,  car 
elle  se  fait  gloire  d'être  toujours  dépendante,  d'être  toujours  aux 
ordres  du  Souverain  Pontife  d'abord,  et  ensuite  de  tous  les  évo- 
ques. Aussi,  le  feu  pape  Marcel  II  ne  se  lassait  point  de  lui  donner 
des  éloges2;  il  la  regardait  comme  la  ressource  des  évoques  pour 
les  fonctions  du  saint  ministère.  Et  il  est  aisé  déjuger,  par  la  mul- 
titude des  collèges  que  les  prélats  répandus  dans  les  divers  États 
de  la  chrétienté  lui  fondent  tous  les  jours,  qu'ils  sont  bien  éloi- 
gnés de  la  croire  opposée  à  leur  dignité  et  à  leurs  droits.  On  peut 
s'étonner  également  qu'on  la  dise  incommode  et  à  charge  aux 
peuples;  car  il  est  notoire  qu'elle  exerce  tous  ses  emplois  sans 
intérêt,  sans  rétribution,  sans  espoir  de  récompense. 

Les  docteurs  de  Paris  prétendent  que  l'Institut  des  Jésuites 
donne  occasion  aux  religieux  des  autres  Ordres  d'apostasier.  Ce 

1.  On  appelle  ainsi  deux  Bulles  de  Sixte  IV,  1474,  commençant  l'une  et  L'autre  par 
Regimini.  —  2.  Cf.  Carias  de  S.  Ign.,  V,  152-159. 


LUTTE  l'OUU  LE  DROIT  DE  NATI  RALISATION.  2*9 

reproche  n'est  pas  fondé,  puisque  la  Compagnie  s'esl  fait  une  loi 
de  ne  recevoir  personne  qui  ait  porté,  même  un  seul  jour,  l'habil 
d'un  autre  Ordre1.  Qu'on  appelle  donc  en  témoignage  les  Régu- 
liers, —  Dominicains,  Franciscains,  Chartreux  ou  autres,  —  qui 
ont  des  maisons  dans  les  villes  où  se  trouvent  des  Jésuites  :  ils 
avoueront  qu'ils  reçoivent  plus  de  religieux  dans  ces  villes-là  que 
dans  d'autres  et,  qu'après  Dieu,  ils  se  croient  redevables  de  cet 
avantage  au  bon  exemple  et  aux  exhortations  de  la  Compagnie. 

On  a  objecté  que  cet  Ordre  donnait  atteinte  aux  droits  des 
seigneurs  tant  ecclésiastiques  que  temporels.  La  preuve  du  con- 
traire est  manifeste,  car  elle  se  trouve  dans  les  bienfaits  que  la 
Société  reçoit  partout  des  princes,  des  seigneurs,  des  villes,  des 
peuples.  Jusqu'ici  elle  n'a  éprouvé  de  contradictions  que  de  la 
part  des  hérétiques,  des  libertins,  et  aussi  de  quelques  profes- 
seurs, de  quelques  prêtres  ou  religieux  avides,  qui  souffraient 
impatiemment  de  voir  les  Jésuites  exercer  les  mêmes  ministères 
qu'eux  de  la  manière  la  plus  gratuite  et  la  plus  désintéressée. 

Le  décret  a  conclu  que  la  Compagnie  était  «  dangereuse  en 
matière  de  Foi  ».  —  Mais  comment  accorder  ce  jugement  avec  les 
éloges  que  les  papes  Paul  III,  Marcel  II  et  Paul  IV  lui  ont  décer- 
nés, à  cause  des  services  qu'ils  ont  tirés  d'elle,  dans  des  occasions 
très  intéressantes  pour  l'Église?  Cette  contradiction  seule  aurait 
pu  engager  le  P.  Général  à  déférer  le  décret  au  Saint-Siège; 
cependant  il  n'a  pas  voulu  user  de  ce  moyen  de  défense  :  il  s'est 
contenté  de  rassembler  une  multitude  de  certificats  de  tous  pays 
et  de  toutes  nations,  dans  l'espérance  que  ces  témoignages  fe- 
raient connaître  la  véritable  conduite  des  siens,  leur  innocence 
et  l'utilité  de  leurs  travaux  pour  le  bien  de  la  religion. 

10.  Ce  mémoire  lumineux,  parvenu  aux  destinataires,  mit  en 
émoi  toute  la  Faculté  de  théologie.  Parmi  les  docteurs,  beaucoup 
refusèrent  de  prendre  sur  eux  la  responsabilité  de  l'acte  du 
I  décembre  1554;  quelques-uns  prétendirent,  bien  subtilement, 
que  les  explications  du  P.  Olave,  si  elles  «  prouvaient  l'intégrité 
des  Jésuites,  n'infirmaient  pas  les  motifs  du  décret  -  »  ;  mais  la  plu- 
part avouèrent  qu'ils  ne  l'eussent  jamais  porté  s'ils  avaient  été 
mieux  informés  ».  Ils  s'efforcèrent  de  le  faire  oublier,  sans  avoir 
jamais  le  courage  de  l'annuler.  Le  docteur  Dumont  l'avait  prédit 

1.  Voir  ce  que  nous  avons  dit  au  I.  I,  c.  v,  n°  3,  p.  108,  note. 

2.  Orlandini,  /.  c,  n.  62  :  «  Neque  tain  probari  decretum  ipsorum  falsmn  quain  So- 
cietalis  homines  innocentes.  » 


220  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

au  P.  Broet,  son  ami  :  sans. l'intervention  du  Pape,  —  à  laquelle 
la  Compagnie  ne  pouvait  recourir  qu'en  froissant  Eustache  du 
Bellay,  —  on  ne  devait  rien  obtenir  sur  ce  point  '.  Le  P.  Supérieur 
fit  toutes  les  démarches  possibles  auprès  des  théologiens  les  plus 
influents  et  auprès  du  cardinal  de  Lorraine,  protecteur  des  Jé- 
suites, qui  s'était  engagé  à  les  aider  dans  cette  affaire  :  tout  fut 
inutile2.  La  Faculté  de  théologie  ne  put  se  résigner  à  une  rétrac- 
tation humiliante,  qui  sans  doute  aurait  déplu  au  Parlement  et  à 
l'évèque  de  Paris.  Plus  tard  elle  eut  l'occasion  de  manifester  son 
repentir  :  lorsque  dans  des  circonstances  fort  critiques,  on  déli- 
béra si  les  religieux  de  la  Compagnie  seraient  chassés  du  royaume, 
«  la  sacrée  Faculté  déclara  qu'il  était  à  propos  de  les  conser- 
ver3 ». 

La  prudence,  la  douceur  et  le  tact  d'Ignace  de  Loyola  avaient 
v  singulièrement  servi  la  cause  de  ses  disciples  en  France.  Dieu  ne 
lui  permit  pas  d'en  voir  le  triomphe.  Il  mourut  à  Rome  cinq 
ans  avant  la  fin  de  cette  longue  lutte,  le  31  juillet  1556.  Il  y 
avait  huit  ans,  jour  pour  jour,  que  le  Pape  Paul  III  avait  ap- 
prouvé par  une  bulle  particulière  les  Exercices  spirituels;  il  y  en 
avait  seize  que  la  Compagnie  de  Jésus  était  fondée.  A  son  lit 
de  mort  Ignace  de  Loyola  pouvait  se  réjouir,  et  rendre  grâces  à 
Dieu  de  la  prospérité  de  son  œuvre.  La  milice  qu'il  avait  donnée 
à  l'Église,  répandait  déjà  ses  soldats  dans  les  diverses  parties  du 
monde  ;  elle  comptait  près  de  mille  cinq  cents  religieux  et  soixante- 
huit  maisons  réparties  en  douze  provinces.  Celles-ci  étaient  ainsi 
distribuées  :  neuf  en  Europe,  les  provinces  de  Portugal,  d'Italie, 
de  Sicile,  de  Germanie  inférieure,  de  Germanie  supérieure,  de 
France,  de  Castille,  d'Aragon  et  d'Andalousie;  —  trois  en  dehors 
de  l'Europe,  les  provinces  des  Indes,  du  Brésil  et  d'Ethiopie, 
cette  dernière  en  voie  de  formation'1. 


1.  Lettre  du  P.  Broet  à  Ignace  de  Loyola.  27  avril  1556  (Epi si.  PP.  Broeli,  etc. 
p.  107). 

2.  Lettre  du  même  au  P.  Lainez,  7  décembre  1556  [Ibid.,  p.  881). 

3.  D'Argentré,  Coll.  judiciorium,  t.  I,  in  indice,  p.  xviu. 

4.  Cfuonicon,  IV,  41,  42. 


CHAPITRE  Y 

ÉLECTION    DE    LAINEZ    AU    GÉNÉRA LAT. 
SUITE    1>E    LA    LUTTE    POUR    LE    DROIT    DE    NATURALISATION. 


(1558-1560; 


Sommaire  :  1.  Laine/,  vicaire  général.  —  2.  Difficultés  pour  la  réunion  de 
l'assemblée  des  profès.  —  3.  Conduite  des  Pères  Bobadilla  et  Ponce  Cogordan. 

—  1.  Heureux  dénouement  de  toute  cette  affaire.  —  5.  Première  congrégation 
générale;  élection  de  Lainez  et  approbation  des  Constitutions.  —  0.  Ponce  Co- 
gordan  adjoint,  comme  procureur,  au  P.  Provincial  de  France,  reprend  les  aé- 
gociations  pour  l'admission  légale  de  la  Compagnie.  —  7.  Mort  de  Henri  II. 
Bienveillance  de  François  II  et  résistance  du  Parlement.  —  8.  Audace  de  l'hé- 
résie après  la  conjuration  d'Amboise.  Le  roi  désire  lui  opposer  la  Compagnie  de 
Jésus.  —  9.  Examen  des  Bulles  par  l'évêque  de  Paris;  l'Université  prend  parti 
contre  les  Jésuites.  —  10.  Le  Père  Cogordan  obtient  de  nouvelles  lettres  de 
jussion.  —  11.  Le  Parlement  renvoie  une  seconde  fois  la  cause  à  l'évêque  de 
Paris,  qui  cède  de  mauvais  gré  et,  sous  réserve.  Mort  de  François  IL 

Sources  manuscrites  :  I.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Dé- 
créta et  Instruetiones.  —  b)  De  rébus  congregationum  I,  II,  III,  IV,  V.  —  c)  Epistolae 
Episcoporum.  —  d)  Galliae  Epistolae.  —  e)  Gallia,  Epislolae  Generalium.  -  f)  Regestum 
lilterarum  S.  Ignatii. 

il.  Archives  de  la  province  de  France. 

m.  Kôln,  Sladt-archiv,  Universilât.,  XI,  172. 

Sources  imprimées  :  Acta  sanctorum.  —  Archives  curieuses  de  l'Histoire  de  France. 

—  D'Argenlré,  Collectio  fudiciorum.  —  Du  Boulay,  Hislor.  Unie.  Parisiensis.  —  Car- 
ias de  S.  Ignacio,  t.  v.  app.  —  Constiluliones  S.  J.  lat.  et  hisp.  —  Inslitulum  .S.  J.  — 
Manare,  De  rébus  S.  J.  —  Plaidoyer  de  Monlholon.  —  Pasquier,  Le  catéchisme  des  Jé- 
suites. —  Ribadeneira,  La  oie  du  P.  Jacques  Lainez.  —  Mowjmenta  ihstorica  S.  J. 
Polanco,  Chronicon.  —  Epistolae  P.  Nadal.  —  Epistolae  PP.  Broeli,  Jaii...  —  Monu 
menta  Ignatiana,  s.  4",  t.  I. 

1 .  Ignace  de  Loyola  aurait  pu  avant  sa  mort,  comme  le  lui  per- 
mettaient les  Constitutions,  désigner  le  Vicaire  qui  devait  gou- 
verner provisoirement  la  Compagnie  jusqu'à  l'élection  d'un  nou- 
veau Général.  Il  ne  le  lit  point,  peut-être  pour  ne  pas  en  imposer 
par  son  choix  t\  la  congrégation  chargée  d'élire  son  successeur. 
Dans  ces  conjonctures,  et  suivant  la  règle  qu'il  avait  établie,  l'é- 
lection du  P.  Vicaire  revenait  aux  profès  qui  se  trouvaient  à  Home. 
Ils  s'assemblèrent  le  3  août.  Dans  le  nombre,  il  y  avait  deux  fran- 
çais :  le  P.  André  Frusius,  ou  des  Freux,  premier  recteur  du  col- 
lège Germanique^  et  le  P.  Ponce  Cogordan1,  procureur  général 

1.  André  des  Freux,  né  à  Chartres,  entra  dans  les  ordres  el   lut  curé  de  Thiver- 


222  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

de  la  Compagnie,  qui  jouera  un  rôle  important  dans  la  lutte  pour 
la  reconnaissance  légale  des  Jésuites  en  France.  Le  P.  Jacques 
Lainez,  qui  relevait  à  peine  d'une  grave  maladie,  fut  nommé  à 
T  unanimité. 

C'était  à  lui  maintenant  de  réunir  la  congrégation  générale. 
Vu  l'urgence  des  affaires  à  traiter,  il  crut  bon  d'avancer  un  peu 
le  terme  prescrit  en  pareil  cas,  et  de  la  convoquer  pour  le  mois  de 
novembre  1556.  Mais  bientôt  les  profès  d'Espagne  et  de  Portugal 
firent  savoir  qu'ils  ne  pourraient  arriver  dans  un  si  court  délai  : 
François  de  Borgia  était  retenu  pat'  la  maladie;  tous  prévoyaient 
la  longueur  du  voyage,  à  travers  un  pays  que  rendrait  peu  sûr  le 
conflit  survenu  entre  le  pape  Paul  IV  et  le  roi  d'Espagne  Phi- 
lippe II1.  Le  29  août2,  Lainez  donna  avis  aux  profès  que  la  con- 
grégation s'ouvrirait,  à  Rome,  seulement  après  les  fêtes  de  Pâques 
de  1557.  Entre  ces  deux  dates  la  question  fut  agitée,  à  plusieurs 
reprises,  de  transporter  le  siège  de  l'assemblée  dans  une  autre 
ville.  On  songea  à  Lorette  et  à  Gènes3.  François  de  Borgia  avait 
proposé  Avignon  ''.  Mais  le  Pape,  informé  de  ces  projets,  fit  dire 
au  P.  Vicaire  par  le  cardinal  de  Carpi,  protecteur  de  la  Compa- 
gnie, que  la  Congrégation  devait  se  tenir  à  Rome  même.  Devant 
cet  ordre,  il  n'y  avait  plus  d'hésitation  possible. 

2.  Dès  le  mois  de  janvier  1557,  le  P.  Broet  se  rendit  de  Paris  en 
Auvergne  pour  y  rejoindre  le  P.  Viola,  recteur  du  collège  de  Bil- 
lom  \  Tous  deux,  alors  seuls  profès  de  la  Compagnie  de  Jésus  en 
France,  firent  ensemble  le  voyage  de  Rome  où  ils  arrivèrent  à  la 
fin  du  carême  6.  Ils  y  trouvèrent  déjà  réunis  plusieurs  députés  des 
différentes  provinces.  Ceux  d'Espagne  et  de  Portugal  manquaient 
au  rendez-vous.  On  attendait  encore  à  Gênes  le  bateau  qui  devait 

val.  11  vint  ensuite  à  Rome,  où  il  vécut  dans  la  familiarité  du  Cardinal  de  Carpi,  pro- 
tecteur d'Ignace.  C'est  ainsi  qu'il  connut  la  Compagnie  où  il  fut  reçu  en  1541.  Homme 
universel  il  possédait  à  fond  les  langues  anciennes  et  plusieurs  idiomes  modernes; 
orateur,  poète  et  musicien,  il  excellait  dans  les  mathématiques  et  le  droit.  C'est  à  lui 
que  l'on  doit  la  traduction  latine  des  Exercices  spirituels  connue  sous  le  nom  de  Vul- 
gate.  —  Ponce  Cogordan  était  natif  de  Provence  et  ancien  étudiant  du  collège  des 
Lombards.  11  avait  suivi  en  Portugal  le  P.  Jacques  Miron,  son  condisciple,  nommé 
recleur  du  collège  de  Coïmbre.  De  là,  appelé  à  Rome,  il  fut  associé  à  la  charge  du 
P.  Codace,  puis  le  remplaça  comme  procureur  général  de  la  Compagnie  de  Jésus  en 
1549.  Le  cardinal  de  Sainte-Croix  lui  confia  la  délicate  mission  d'établir  la  réforme 
monastique  dans  une  communauté  de  Bénédictines  près  de  Brignoles.  —  (Cf.  Vin  oui  - 
con,  t.  1,  p.  95,  120,  362;  t.  III,  p.  166;  t.  V,  p.  9,  354.  Solwel.  Bibl.  scrip.  S.  J., 
p.  50.  -  1.  Episl.  Nadal,  II,  p.  11.  Polanco,  C/tronicon,  VI,  p.  50. 
2.  Uegest.  S.  Ignat.,  t.  V,  f.  57.  —  3.  Polanco,  Chronicon,  VI,  50. 

4.  Borgiae  Epis  t.,  28  octobre  1556.  Citée  par  Astrain,  t.  II,  p.  8. 

5.  Hislor.  primord.  coll.  Billomensis.  Cf.  Epistolae  PP.  Broeli...,  p.  883  el  note. 

6.  Saccbini,  Hisl.  Soc.  Jesu,  P.  II,  1.  I,  n.  67. 


ÉLECTION  DE  LAINEZ  AU  GÉNÉRALAT.  223 

les  amener.  Quand  il  aborda,  il  ne  portait  que  le  P.  Ribera  '. 
Celui-ci,  pris  do  fièvre,  dut  s'arrêter  dans  cette  ville  d'où  il  en- 
voya au  P.  Vicaire  une  partie  de  la  correspondance  dont  il  était 
chargé  -.  Dans  ces  lettres,  les  PP.  de  Rorgia  et  Araoz  apprenaient 
qu'au  moment  où  les  profès  Espagnols  allaient  se  mettre  en  route, 
le  roi  Philippe  II,  par  un  édit,  avait  défendu  à  tousses  sujets  de 
quitter  le  royaume,  et  ordonné  à  ceux  qui  résidaient  à  Rome  d'a- 
bandonner cette  ville  immédiatement,  et  cela  sous  les  peines  dues 
au  crime  de  lèse-majesté.  Cet  édit  sévère,  sans  parler  des  hosti- 
lités qui  allaient  reprendre  plus  vives,  forçait  les  Pères  à  demeu- 
rer en  Espagne;  ils  demandaient  donc  que  la  congrégation  se 
tint  en  ce  pays  et  ils  proposaient  Rarcelone:!.  A  ces  nouvelles,  les 
profès  déjà  groupés  à  Rome  se  trouvèrent  dans  une  position  très 
embarrassante.  Il  était  nécessaire  d'élire  au  plus  tôt  un  Général; 
par  ailleurs  l'absence  des  profès  d'Espagne  qui  étaient  des  plus 
anciens,  et  parmi  lesquels  on  comptait  des  hommes  de  haute  va- 
leur, semblait  très  regrettable  ''.  On  examina  de  nouveau  le  pour 
et  le  contre.  La  majorité  penchait  pour  rester  à  Rome.  Nadal,  un 
peu  appuyé  par  Polanco,  insistait  pour  l'Espagne  5.  Le  difficile 
était  de  faire  accepter  ce  transfert  à  un  Pape  en  guerre  avec  les 
Espagnols,  à  un  Pape  qui  avait  manifesté  son  désir  d'examiner 
de  près  les  Constitutions  et  d'en  modifier  certains  points0.  Ne  se- 
rait-il pas  froissé  de  cet  éloignement,  qu'il  regarderait  comme  un 
moyen  de  se  soustraire  à  son  influence  ou  à  son  contrôle?  Si  fortes, 
cependant,  parurent  les  raisons  de  quitter  Rome,  qu'il  fut  décidé 
qu'à  la  première  occasion  le  P.  Vicaire  pressentirait  encore 
Paul  IV  à  ce  sujet.  Lainez  osa  cette  démarche.  Le  Pape  prit  très 
mal  la  chose  :  «  Allez,  si  vous  y  tenez,  en  Espagne,  dit-il  vive- 
ment. Mais,  que  ferez- vous  en  Espagne?  Voulez-vous  donc  em- 
brasser le  schisme  et  l'hérésie  du  roi  Philippe?  - —  Nous  ne  le 
voulons  pas,  »  reprit  Lainez  en  souriant7.  Et  il  n'insista  pas;  il 
comprenait  assez  l'état  d'âme  du  pontife,  à  cette  «  si  dure  allu- 
sion au  prince  le  plus  catholique  du  monde  s  ». 

L'intervention  de  deux  cardinaux  n'avait  pas  réussi  davantage11 
à  changer  les  dispositions  de  Paul  IV,  quand  arriva  de  Cènes  lé 
P.  Ribera  apportant  avec  lui  le  reste  des  lettres  qui  lui  avaient 

1.  Epist.  Nadal.  Il,  p.  12,  .Vi.  —  :>.  Sacchini,  op.  cit.,  n.  68. 

3.  Epist.  Nadal,   I.  c,   cf.  Epist.  Horgiœ,  9  et  16  fV\ .  et   i   mais  1557,  citées  par 
Astiain,  op.  cil.,  I.  Il,  p.  'J  note.  —  4.  Sacchini,  Ilisl.  Soc,  P.  Il,  1.  I,  n.  14. 

5.  Epist.  Nadal,  II,  p.  12.  Sacchini,  op.  cit.,n.  71,  T2. 

6.  Epist.  Nadal,  II,  p.  15,  50,  M.  —  7.  lbiri.,  y.  13. 

8.  Astrain,  op.  cil.,  p.  10.  —  y.  Sacchini,  op.  cit.,  n.  72. 


224  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

été  remises  par  les  Pères  d'Espagne.  Elles  étaient  encore  plus 
graves  et  plus  pressantes  que  les  premières.  Il  y  en  avait  une 
aussi  du  Nonce  \  montrant  combien  le  départ  des  Pères  influents 
de  ce  royaume  serait  préjudiciable  aux  intérêts  catholiques.  Con- 
vaincus de  la  nécessité  du  transfert  par  tous  ces  rapports,  les 
Pères  de  Rome  résolurent  de  tenter  un  effort  suprême.  Lainez 
retourna  auprès  du  Pape,  lui  montra  la  lettre  de  son  Nonce  et 
l'appuya  de  si  bonnes  raisons  que  Paul  IV  en  fut  touché  :  l'affaire, 
lui  dit-il,  valait  d'être  considérée  devant  Dieu;  on  était  à  quel- 
ques jours  de  la  Pentecôte  ;  qu'il  priât  et  fit  prier  et  revint  cher- 
cher la  réponse  un  peu  plus  tard  2. 

Les  choses  en  étaient  là,  suffisamment  embrouillées,  mais  avec 
l'espoir  d'une  heureuse  issue,  quand,  au  sein  même  de  la  Com- 
pagnie, deux  turbulents  s'avisèrent  de  la  compliquer  encore.  Ni- 
colas Bobadilla  et  Ponce  Cogordan  étaient  des  hommes  doués 
de  belles  qualités  ;  ils  avaient  déjà  rendu  et  ils  rendirent  encore 
dans  la  suite  d'éminents  services3,  mais  ils  ne  manquaient  pas  de 
défauts  qui  dans  les  circonstances,  et  habilement  exploités  par  le 
démon,  allaient  mettre  en  péril  l'œuvre  de  saint  Ignace. 

Si  nous  parlons  ici  un  peu  longuement  de  cette  affaire,  c'est 
que  le  P.  Ponce  Cogordan  appartiendra  bientôt  à  la  France,  où  il 
viendra  réparer  sa  faute  par  un  zèle  et  un  savoir-faire  incontes- 
tables. 

3.  Bobadilla,  dont  le  caractère  fantasque  et  impulsif  troublait 
parfois  le  jugement,  supportait  mal  qu'en  attendant  l'élection 
du  nouveau  Général,  toute  l'autorité  reposât  sur  un  seul  homme. 
Par  des  allusions  d'abord,  ensuite  par  des  déclarations  pré- 
cises, il  prétendit  que  le  gouvernement  de  la  Compagnie  de- 
vait appartenir  à  tous  les  premiers  profès,  c'est-à-dire  ceux  qui 
restaient  alors  des  compagnons  d'Ignace.  A  l'entendre,  les  Cons- 
titutions, dans  la  pensée  du  fondateur,  n'étant  pas  définitives 
tant  qu'elles  n'auraient  pas  été  approuvées  par  une  congréga- 
tion, l'élection  de  Lainez  comme  Vicaire  était  nulle,  et  le  pouvoir 
légitime  manquant,  on  était  nécessairement  retombé  dans  la 
même  situation  qu'avant  l'élection  d'Ignace  au  généralat.  Or,  à 
ce  moment,  toutes  les  décisions  étaient  prises  de  concert  avec  les 

1.  Epist.  Nadal,  II,  p.  13.  Le  P.  Nadal  ne  fait  que  remarquer  l'importance  des  lettres. 
Le  P.  Sacchini  affirme  qu'il  \  en  avait  une  du  nonce  qui  fut  montrée  au  pape  par  Lai- 
nez. Le  P.  Astrain  a  suivi  sur  ce  point  Sacchini  (t.  Il,  p.  10).  Cf.  Sacchini.  op.  cit., 
n.  72.  —  2.  Episl.  Nadal,  II,  p.  54.  Sacchini,  op.  cit.,  n.  72. 

3.  Epist.  Nadal,  53,  54. 


ÉLECTION  DE  LAINEZ  Alr  GÉNÉRALAT.  225 

premiers  Pères1.  Bobadilla  était  d'autant  plus  mal  venu  à  parler 
de  la  sorte  qu'il  avait  accepte  le  P.  Vicaire  pendant  un  an;  lui- 
mrine  l'avait  élu  par  l'entremise  du  P.  Polanco,  auquel  il  avait 
abandonne  son  suffrage2;  enfin  il  savait  fort  bien  que  les  Cons- 
titutions, si  elles  n'avaient  pas  encore  la  sanction  définitive  d'une 
congrégation  générale,  étaient  cependant  en  vigueur  depuis 
plusieurs  années,  et  promulguées  partout,  sauf  en  France,  après 
avoir  eu  l'approbation  des  profès.  N'importe;  sous  l'impression 
de  son  idée  et  persuadé  d'avoir  raison,  Bobadilla  intriguait.  Parmi 
ses  frères,  il  en  gagnait  quatre  à  sa  cause  :  Broet,  qui  péchait 
parfois  par  excès  de  simplicité  ;  Jean-Baptiste  Viola,  un  esprit 
très  indépendant;  Adrien  Adriaënssens,  connu  pour  très  original  ; 
et  Simon  Rodriguez,  dont  la  conduite  comme  provincial  avait  été 
blâmée  par  Ignace  en  1552 3.  Si  encore  tout  s'était  passé  en 
famille;  mais  Bobadilla,  en  bons  termes  avec  le  Pape  et  plusieurs 
grands  personnages,  cherchait,  pour  arriver  à  ses  fins,  des  in- 
fluences étrangères.  Ses  raisonnements  et  ses  interprétations  so- 
phistiques, qu'il  débitait  en  conversation  et  même  par  écrit, 
soulevaient  tout  un  mouvement  d'opinion  contre  le  P.  Vicaire  et 
contre  l'Institut4. 

Ponce  Gogordan,  lui,  se  démenait  sur  un  autre  terrain  :  il 
trouva  moyen  d'induire  en  erreur  et  d'irriter  le  Souverain  Pontife 
sur  la  question  si  délicate  du  transfert.  C'était  du  reste  un  bon 
religieux,  un  homme  d'affaires  remarquable,  précieux  pour  son 
activité  et  son  esprit  pratique,  mais  très  entêté  et  peu  maniable"1. 
11  faisait  partie  de  la  congrégation,  non  comme  profès,  mais 
comme  procureur  général  de  toute  la  Compagnie.  Aigri  de  n'a- 
voir pas  été  admis  à  la  profession  des  quatre  vœux6,  il  était  tout 
à  fait  opposé,  on  ne  sait  trop  pourquoi,  au  projet  de  quitter 
Rome7.  Il  ne  se  contenta  pas  d'exposer  vivement  son  avis  là- 

1.  Interrogatorio  heclio  al  P.  Bobadilla  {De  rébus  Congr.  gen.  I-V)  publié  par 
le  P.  As  train,  op.  cit.,  t.  IF,  p.  611-613,  appendice  I.  Cf.  Réfutation  de  Bobadilla 
par  Nadal,  dans  Sacchini,  l.  c.,  n.  82,  83.  Le  P.  Nadal  fait  remarquer  à  Bobadilla  qu  il 
avait  trop  de  prétention  en  se  regardant  comme  co- fondateur  de  la  Compagnie  : 
«  Unum  nos  Ignatium  fundatorem  agnoscimus  :  per  quem  Deus  in  suam  Ecclesiam 
Socielatcm  invexit;  a  quo  et  instiluendae  Religionis  consilium  cœpit;  qui  caeleros 
Patres  ad  ejusdem  consilii  socictalem  adduxit  »  (Sacchini,  n.  82). 

2. 'Epist.  Xadal,  II,  p.  11.  Polanco,  Chronicon,  VI.  p.  46. 

3.  Epis  t.  Xadal,  II,  51,  52. 

4.  Epist.  Nadal,  II,  p.  54.  De  rébus  congr.  gen.,  cité  par  Astrain,  I.  Il,  p.  15, 
16,  notes. 

5.  Epist.  Xadal.  II,  p.  .">i.  Saccbini,  op.  cit.,  n.  75. 

6.  Epist.  Xadal,  1.  c.  Sur  ses  instances,  Ignace  l'avait  reçu  profès  des  trois  vœux. 

7.  Le  P.  Sacchini  suggère  qu'il  espérait  obtenir  des  profès,  alors  présents  à  Rome, 
de  faire  sa  profession  solennelle  des  quatre  vœux. 

COMPAGNIE    DE  JÉSl'S.  —   T.   I.  j5 


226  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

dessus,  dans  l'assemblée  des  profès.  A  l'insu  de  tous,  sans  aucun 
mandat,  après  que  Paul  IV  eut  donné  bon  espoir  au  P.  Lainez 
dune  réponse  favorable,  et  tandis  qu'on  attendait  cette  réponse, 
il  imagina  de  faire  remettre  au  Pape  un  mémoire,  dans  lequel  il 
prétendit  que  le  P.  Vicaire  et  les  profès  tenaient  absolument  au 
transfert  en  Espagne1,  afin  d'élire  un  Général  à  leur  guise  et  d'ar- 
ranger les  Constitutions  à  leur  manière,  loin  de  l'influence  du 
Siège  Apostolique2.  Paul  IV,  sur  ce  faux  rapport,  se  crut  joué 
par  la  Compagnie.  Quand,  au  jour  marqué  pour  avoir  sa  réponse, 
Lainez  se  rendit  au  Vatican,  on  lui  fit  un  accueil  plus  que  froid. 
Après  une  longue  attente 3,  on  vint  lui  dire  que  Sa  Sainteté  ne 
pouvait  le  recevoir  et  réclamait,  avant  trois  jours,  les  lettres  apos- 
toliques, les  Constitutions  et  règlements  de  la  Compagnie,  avec 
la  liste  de  tous  les  Pères  présents  à  Rome,  auxquels  défense  ab- 
solue était  faite  d'en  sortir'1. 

Ces  ordres  inattendus,  que  les  seules  intrigues  de  Bobadilla  ne 
suffisaient  pas  à  expliquer,  émurent  les  profès.  Ils  s'informèrent 
et  apprirent  l'imprudente  démarche  de  Cogordan.  Grande  fut 
leur  consternation.  Ils  n'auraient  jamais  cru  que  l'existence  de  la 
Compagnie  pût  être  mise  en  danger  par  deux  de  ses  enfants5. 
Cependant,  il  fallait  agir.  On  alla  d'abord  au  plus  pressé;  l'obéis- 
sance. Tous  les  documents  que  le  Pape  avait  demandés,  lui  furent 
apportés.  Cela  fait,  on  se  tourna  vers  Dieu.  Des  prières  et  des 
pénitences  furent  prescrites  aux  Jésuites  de  la  maison  professe 
et  du  collège  romain;  l'ordre  de  s'y  unir  fut  envoyé  à  toutes 
les  maisons  de  la  Compagnie.  Restait  à  rétablir  la  vérité,  que  les 
deux  brouillons  avaient  si  témérairement  travestie.  Les  quatre 
tenants  de  Bobadilla  l'abandonnèrent,  quand  ils  virent  où  ses 
menées  aboutissaient.  Toutes  les  personnes  qu'il  avait  entre- 
tenues de  ses  plaintes  et  de  ses  théories,  furent  visitées  par  Lainez 
qui,  modestement,  mais  avec  sa  logique  vigoureuse,  remit  les 
choses  au  point6.  Bobadilla  réclama  l'intervention  du  cardinal  de 
Carpi,  protecteur  de  la  Compagnie;  Lainez  accepta  cet  arbitre; 
puis,  le  moment  venu  de  se  présenter  devant  lui,  le  coupable  se 
déroba  sous  de  futiles  prétextes.  A  la  fin,  le  cardinal  déclara  que 
Lainez  continuerait  à  gouverner  avec  les  profès  réunis  à  Rome 
comme  conseillers.  Les  profès  consultés  sur  cette  décision,  le 
9  août,  l'acceptèrent7  ab  bonum  pacis,  mais  en  protestant  que, 

1.  Epist.  Nadal,  1.  c.  —  'l.  Epis  t.  Nadal,  II,  p.  13.  Sacchini,  op.  cit.,  n.  75. 

3.  Sacchini,  op.  cit.,  n.  76.  —  4.  Epist.  Nadal,  II,  p.  54.  Sacchini,  /.  c. 

5.  Epist.  Nadal,  11,  55.  — 6.  Ibid.  Sacchini,  n.  78.  —  7.  Epist.  Nadal,  11,  p.  56. 


ÉLECTION  DE  LAINEZ  AI    GÉNÉRALAT,  227 

d'après  les  Constitutions,  le  P.  Vicaire  pouvait  se  passer  d'eux1. 
Quant  à  Bobadilla,  s'insurgeait  contre  le  moyen-terme  proposé 
par  le  cardinal,  il  menaça  d'en  appeler  au  Pape.  C'était  la  der- 
nière faute  à  commettre.  Les  Pères  furent  alors  d'avis  que  le 
I».  Vicaire  le  devançât  auprès  de  Paul  IV,  pour  exposer  sans  am- 
bages à  Sa  Sainteté  toutes  les  faces  et  péripéties  de  cette  af- 
faire-. 

\.  Lainez  demanda  une  audience  que  d'abord  on  lui  refusa :i. 
Enfin  il  fut  introduit  et  reçu  avec  bienveillance.  Il  parla  en  pre- 
mier lieu  du  transfert  de  la  Congrégation  générale;  il  affirma  que 
ni  lui,  ni  les  profès,  n'avaient  rien  conclu  à  ce  sujet  en  attendant  la 
décision  du  Vicaire  de  Jésus-Christ;  mais  que,  de  fait,  les  graves 
raisons  déjà  exposées  leur  semblaient  toujours  aussi  fortes.  Quant 
à  vouloir  échapper  au  Saint-Siège  pour  la  sanction  à  donner  aux 
Constitutions,  dans  quel  pays  le  pourraient-ils?  Ne  dépendaient- 
ils  pas  partout  du  Siège  Apostolique?  Ne  lui  devaient-ils  pas 
obéissance  en  vertu  même  de  la  formule  de  l'Institut?  Loin  de 
vouloir  se  soustraire  à  sa  surveillance,  ils  avaient  la  ferme  inten- 
tion de  présenter  à  l'approbation  pontificale  tout  ce  qu'ils  auraient 
résolu  touchant  les  Constitutions.  Lainez  vint  ensuite  aux  diffi- 
cultés soulevées  par  Bobadilla,  et  après  avoir  exposé  les  faits,  il 
demanda  au  Souverain  Pontife  de  vouloir  bien  désigner  un  cardi- 
nal, qui,  au  nom  de  Sa  Sainteté,  serait  chargé  non  seulement 
d'examiner  les  règlements  laissés  par  Ignace,  mais  aussi  d'inter- 
roger ses  enfants4. 

Le  Pape  estimait  Lainez.  Il  lui  répondit,  sans  amertume,  qu'il 
avait  à  cœur  les  intérêts  de  la  Compagnie,  et  lui  laissa  le  choix  du 
cardinal  enquêteur.  —  «  Celui  que  Votre  Sainteté  aura  choisi,  ré- 
pliqua Lainez,  sera  le  mieux  accepté  par  nous  tous.  »  —  Paul  IV 
désigna  le  cardinal  Alexandrin5,  plus  tard  connu  sous  le  nom 
vénéré  de  Pie  V.  On  ne  pouvait  désirer  un  juge  plus  sage  et  plus 
équitable.  Il  interdit  d'abord  aux  Pères  Bobadilla  et  Çogordan  de 
parler  à  personne,  sauf  à  lui,  des  affaires  pendantes;  puis  il  vint 
à  la  maison  professe  où  il  interrogea  tous  les  Pères.  Au  début  de 
cette  information,  Bobadilla  crut  qu'elle  allait  tourner  en  sa  fa- 
veur. Cependant,  le  cardinal  Alexandrin  comprit  bientôt  les  torts 
des  opposants,  et  comment  le  démon  les  avait  trompés'1.  II  ne  for- 

1.  Sacchini,  n.  si.       2.  Epist.  Nadal,  1.  c.  —  3.  Sacchini,  n.  Si. 

4.  Ibid.  Cf.  Epist.  Xadal,  11,  p.  5G,  57. 

5.  Michel  Ghislieri,  né  d'une  famille  obscure  à  Bosco  près  d'Alexandrie  eu  1504 

6.  Epist.  Nadal,  il,  p.  :>:. 


:>2S  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

mula  aucune  sentence  :  ce  n'était  pas  dans  son  rôle;  mais  il  rap- 
porta au  Souverain  Pontife  le  résultat  de  son  enquête.  Bobadilla. 
sentant  sa  cause  perdue,  se  souvint  très  à  propos  que  le  cardinal 
de  Santa  Fiora  lui  avait  demandé,  peu  de  temps  auparavant, 
d'aller  à  Fulgino  pour  la  réforme  d'un  monastère.  Il  obtint  de  s'y 
rendre  sans  plus  tarder. 

Ce  départ  n'ébranla  point  Ponce  Cogordan  qui  se  présenta  au 
cardinal  Alexandrin,  pour  lui  exposer,  disait-il,  quatre  griefs  qu'il 
avait  contre  les  Pères.  Il  se  plaignit  d'abord  que  le  P.  Vicaire  lui 
eût  imposé  une  pénitence  pour  avoir,  à  son  insu,  communiqué  un 
mémoire  au  Souverain  Pontife.  Le  cardinal,  qui  n'ignorait  pas  que 
le  P.  Ponce  n'avait  pas  été  blâmé  pour  ce  fait,  mais  pour  avoir 
faussement  attribué  aux  profès  l'intention  arrêtée  de  se  réunir 
en  Espagne,  fut  péniblement  surpris  de  cette  plainte  et  contint 
d'abord  son  indignation  :  «  Quelle  pénitence  vous  a-t-on  donnée? 
lui  demanda-t-il.  —  De  réciter  une  fois  le  Pater  et  Y  Ave.  »  —  A 
ces  mots,  Alexandrin,  homme  pourtant  très  calme,  laissa  éclater 
son  mécontentement,  et  déclara  au  Père  qu'il  ne  voulait  plus 
l'entendre.  On  raconte  que  le  Pape,  apprenant  ce  dernier  trait,  se 
signa  comme  pour  éloigner  de  lui  un  si  étrange  aveuglement l. 

Paul  IV  se  crut  alors  suffisamment  éclairé.  Il  leva  la  défense 
qu'il  avait  faite  aux  profès  de  sortir  de  Rome,  leur  permit  de  se 
rendre  où  ils  voudraient,  et  fit  même  un  don  d'argent  pour  four- 
nir au  viatique.  Pendant  quelque  temps  encore,  les  Bulles  et  les 
Constitutions  restèrent  aux  mains  de  deux  cardinaux  qui  devaient 
les  examiner,  puis  on  les  rendit  sans  aucun  jugement 2. 

Ainsi  finit  cette  épreuve  où  la  Compagnie  connut,  par  sa  propre 
expérience,  les  faiblesses  inséparables  de  toute  institution  hu- 
maine. Elle  eut  une  maternelle  clémence  pour  ses  fils  aveugles  et 
imprudents3.  Inclinée  à  gouverner  d'après  la  loi  de  charité,  elle 
laissa  les  deux  coupables  réparer,  d'eux-mêmes,  par  un  redou- 
blement de  zèle  au  service  de  Dieu,  les  torts  où  ils  étaient  tombés 
par  défaut  de  caractère  et  sous  l'empire  de  l'illusion.  La  con- 
grégation générale  fut  remise  à  plus  tard.  En  attendant  une  nou- 
velle convocation,  les  profès  se  dispersèrent.  On  vit  alors  Boba- 
dilla, à  Fulgino,  et  Ponce  Cogordan,  à  Assise,  faire  merveille, 
travailler  au  bien  des  âmes  d'aussi  bonne  grâce  et  avec  la  même 
ardeur  que  si  rien  ne  s'était  passé  4.  Nous  dirons,  tout  à  l'heure,  ce 

1.  Epist.  Nadal,  II,  57,  58.  Saccbini,  op.  cit.,  n.  86-8'j.  —  2.  lbid. 

3.  Epist.  Nadal,  II,  p.  58,  59. 

4.  Saccbini,  op.  cit.,  n.  88. 


ÉLECTION  DE  LAINEZ  AI    GENÉRALAT.  229 

que  le  P.  Cogordan  dépensa  de  dévouement  el  d'énergie  pour  ob- 
tenir l'établissement  de  ses  frères  en  France. 

5.  Le  \h  septembre  1 5.">7,  un  traité  de  paix  fut  conclu  entre 
Paul  IV  et  Philippe  II.  Désormais  la  route  de  Rome  était  libre,  et 
la  Compagnie  allait  pouvoir  procéder  avec  toute  facilité  à  l'élec- 
tion de  son  Général.  La  congrégation  fut  convoquée  pour  le  mois 
de  juin  1558.  Elle  s'ouvrit,  le  19  de  ce  mois,  composée  seulement 
de  vingt  membres,  y  compris  le  P.  Vicaire  l.  Le  Souverain  Pontife, 
après  avoir  approuvé  les  règlements  destinés  à  assurer  la  validité 
du  scrutin,  chargea  le  cardinal  Paceco  d'y  assister  en  son  nom. 
Le  2  juillet,  fête  de  la  Visitation  de  la  sainte  Vierge,  le  P.  Lainez, 
homme  d'un  esprit  éminent  et  d'une  vertu  consommée,  fut  élu  à 
la  majorité  de  treize  voix.  Le  P.  Jérôme  Nadal  en  avait  obtenu 
quatre;  les  PP.  Paschase  Broet,  François  de  Borgïa  et  Nicolas 
Delannoy  chacun  une2.  S'il  n'avait  pas  été  élu,  le  Père  Vicaire 
aurait  dû  proclamer  le  résultat  du  vote.  Ce  fut  au  P.  Broet,  doyen 
des  profès,  à  remplir  cet  oftice.  Le  Pape  se  montra  très  satisfait 
de  l'élection,  et  témoigna  une  singulière  bienveillance  aux  Pères 
députés,  dans  l'audience  qu'il  leur  accorda. 

Un  des  premiers  soins  de  la  congrégation,  après  quelques  jours 
de  repos3,  fut  de  nommer  les  quatre  assistants  du  nouveau  Gé- 
néral. V assistance  d'Allemagne,  qui  comprenait  la  Germanie 
supérieure,  la  Germanie  inférieure  et  la  France,  échut  au  Père 
Jérôme  Nadal. 

On  s'occupa  également  de  sanctionner  les  Constitutions  rédigées 
par  saint  Ignace.  Il  fut  décidé  qu'elles  auraient  force  de  loi,  et 
que  les  points  substantiels  n'en  seraient  jamais  plus  discutés  ; 
pour  les  autres,  on  pourrait  dans  l'avenir  en  délibérer,  mais  on 
ne  les  modifierait  que  si  les  leçons  de  l'expérience  ou  des  motifs 
évidents  l'exigeaient4. 

Quant  au  texte  même  des  Constitutions,  il  fut  revu  avec  soin. 
Le  manuscrit  espagnol  d'Ignace  et  la  traduction  latine  de  Polanco 
furent  confrontés  ;  quelques  légers  changements,  portant  princi- 

1 .  C'étaient  les  Porcs  :  Lainez,  Salmeron,  Broet,  Bobadilla,  Rodrigucz,  Nadal,  Polanco, 
Canisius,  Tories,  Domenech,  Banna,  Miron,  Pelletier,  Delannoy,  (loyson,  Mercurian. 
Camara,  Vaz,  Vinck  el  Plaza.  Seuls  les  PP.  Broet  et  Pelletier  étaient  Français. 

2.  Epist.  Nadal,  II,  GO,  61,  62. 

3.  Durant  trois  jours,  les  étudiants  du  collège  romain  (jésuites  et  séculiers)  fêlèrent, 
par  des  exercices  scientifiques  et  littéraires,  le  nouveau  Général  et  l'assemblée  des 
profès  (Epist.  Nadal,  II,  62). 

4.  Instil.  S.  J.,  t.  1,  Congr.  I"  Décret,  post  electionem,  15,  16.  —  Cf.  Const.  lut.  et 
kisp.,  préface,  p.  vin. 


230  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  l>E  JKSl'S. 

paiement  sur  les  termes,  furent  introduits  dans  le  texte  latin  que 
la  congrégation  autorisa.  Elle  arrêta  en  outre  qu'aucune  autre 
version  ne  pourrait  être  acceptée  sans  l'autorité  de  toute  la  Com- 
pagnie, c'est-à-dire  d'une  autre  congrégation  générale1. 

Le  24  août,  par  une  communication  du  cardinal  de  Trani,  le 
Pape  invita  les  Pères  à  remettre  deux  points  en  délibération  : 
l'exemption  du  chœur  et  la  perpétuité  du  généralat.  Après  un 
sérieux  examen,  les  profès  conclurent  à  l'unanimité  que  des  inno- 
vations sur  ces  deux  points  seraient  contraires  à  l'Institut  de  la 
Compagnie,  aux  bulles  des  Papes  précédents  et  à  la  forme  même 
de  l'Ordre  auquel  ils  s'étaient  liés  par  leurs  vœux2.  Mais  le  Pape 
insista  de  son  côté,  et  dans  une  audience  donnée,  le  6  septembre, 
aux  Pères  Lainez  et  Salmeron3,  et  dans  un  ordre  formel  que  le 
cardinal  de  Napolès  apporta,  deux  jours  plus  tard,  à  la  congré- 
gation assemblée.  Il  imposa  l'office  du  chœur  et  le  généralat 
triennal,  avec  la  facilité  toutefois  de  réélire  le  général  sortant. 
La  Compagnie,  en  refusant  de  prendre  sur  elle  ces  réformes, 
avait  protesté  de  son  obéissance  aux  volontés  du  Pape'1.  Dès 
qu'elle  les  connut,  elle  se  soumit  :  le  chœur  fut  établi  à  la  mai- 
son professe"'  et  continué  jusqu'à  la  mort  de  Paul  IV,  arrivée  un 
an  plus  tard,  le  18  août  1559. 

A  ce  moment,  le  cardinal  Pozo  et  plusieurs  jurisconsultes  émi- 
rent cet  avis,  qu'un  ordre  communiqué  verbalement,  sans  bulle 
ni  bref,  sans  dérogation  explicite  aux  bulles  de  Paul  III  et  de 
.Iules  III,  en  un  mot  non  revêtu  des  formes  ordinaires  de  la  chan- 
cellerie romaine,  cessait  assurément  à  la  mort  du  Pape  qui  l'avait 
donné'1.  En  1561,  après  trois  ans  de  généralat,  Lainez  demanda 
aux  Pères  Assistants  s'il  ne  convenait  pas  de  lui  élire  un  suc- 
cesseur. Ils  nièrent  énergiquement.  Le  P.  Général,  pour  plus 
de  sûreté,  soumit  le  cas  à  tous  les  Pères  provinciaux  et  pro- 
fès de  la  Compagnie.  Tous,  à  l'exception  d'un  Père  italien,  ré- 
pondirent qu'une  nouvelle  élection  était  inutile7.  Le  P.  François 

1.  Instit.,  t.  I,  Congr.  lae  Décret.  78,79. 

2.  Nadal,  Scltolia  in  Const.,  p.  272,  277. 

3.  Le  récit  de  cette  curieuse  audience  a  été  consigné  dans  une  lellre  de  Salmeron 
portant  le  visa  de  Lainez.  Le  P.  Astrain  l'a  publiée  et  donné  d'autres  détails  sur  cet 
incident  de  la  première  congrégation  (op.  cit.,  t.  II,  p.  37  et  613,  app.  II). 

4.  Nadal,  Scholia,  p.  273. 

5.  Epist.  Nadal,  t.  II,  p.  64.  «  Inslituimus  canere  in  choro  bonis  omnes  canonicas 
theatinice,  ut  jusserat  Paulus,  id  est  absque  modulatione  ecclesiastica  conlinenti,  et 
uno  tono  vocis,  tantum  ut  ullima  syllaba  quasi  contraberetur.  » 

6.  Regest.  Lainez.  Hisp.,  1559-1564,  p.  10,  cité  par  Astrain,  op.  cit..  p.  36,  note. 

7.  Epist.  /'.  Lainez.  Vota  de  ejus  generalatu  (Astrain,  op.  cit.,  t.  Il,  p.  37).  —  La 
réponse  de  liobadilla  qui  avait  fait  tant  d'opposition  à  Lainez,  comme  vicaire,  a  été 


LUTTE  POUR  LE  DROIT  DE  NATURALISATION.  231 

de  Borgïa  conseilla,  afin  d'éloigner  tout  scrupule,  de  demander 
à  Pie  IV  une  révocation  expresse  du  commandement  verbal  de 
son  prédécesseur.  Ainsi  fut  fait.  Ft  Lainez  continua,  en  toute 
tranquillité  de  conscience,  à  gouverner  la  Compagnie. 

C.  La  première  congrégation  générale  avait  été  dissoute  le 
10  septembre  1558.  Les  Pères  professe  dispersèrent  et  reprirent 
alors,  pour  la  plupart,  leurs  fonctions  ordinaires  dans  leurs  pro- 
vinces respectives.  Le  P.  Paschase  Broet  aurait  bien  voulu  dé- 
poser le  fardeau  de  la  supériorité.  Mais  le  P.  Lainez,  connaissant 
les  heureuses  qualités  du  Provincial  de  France,  n'accéda  point  A 
son  désir;  il  jugea  toutefois  qu'au  milieu  des  tracas  sans  cesse 
suscités  à  la  Compagnie  dans  ce  pays,  il  convenait  de  placer 
auprès  du  P.  Paschase  un  homme  entreprenant  et  rompu  aux 
affaires,  qui  serait  comme  son  bras  droit  dans  toutes  les  relations 
extérieures.  Le  P.  Ponce  Cogordan  fut  choisi  pour  ce  poste.  En 
quittant  Rome,  le  P.  Broet  et  le  P.  Viola  allèrent  le  rejoindre  à 
Assise,  où  il  venait  de  travailler  à  la  fondation  d'un  collège.  De 
là  tous  les  trois  firent  route  vers  la  France  par  Bologne,  Modène 
et  la  Lombardie.  Comme  ils  voyageaient  à  petites  journées,  ils 
ne  parvinrent  à  Paris  que  le  1er  novembre.  Le  P.  Cogordan  s'y 
arrêta  avec  le  P.  Broet1,  qu'ildevait  aider  en  qualité  de  procureur, 
tandis  que  le  P.  Viola  s'en  alla  reprendre  sa  place  au  collège  de 
Billom. 

La  reconnaissance  légale  de  la  Compagnie  de  Jésus  en  France 
était  une  des  conquêtes  réservées  au  généralat  du  P.  Lainez;  mais, 
avant  de  l'obtenir,  il  fallut  encore  au  P.  Provincial  et  à  son  pro- 
cureur beaucoup  de  démarches  et  beaucoup  de  patience.  Une  ac- 
calmie profonde,  nous  lavons  vu,  s'était  produite  après  le  mé- 
moire du  P.  Martin  Olave.  Les  Jésuites  de  Paris  se  gardèrent  bien 
de  la  troubler  par  quelque  tentative  précipitée;  ils  s'accommo- 
dèrent au  temps  et  gardèrent  le  silence.  Le  P.  Broet,  uniquement 
occupé  du  gouvernement  de  sa  communauté  et  de  la  province, 

publiée  par  le  P.  Astraio  (11,  p.  37).  Elle  montra  que  cet  homme  de  cœur,  mais  à 
caractère  bizarre,  savait  revenir  à  résipiscence.  —  Le  P.  Ponce  Cogordan,  lui  aussi, 
avait  donné  des  marques  de  repentir  pendant  le  temps  même  de  la  congrégation  gé- 
nérale  (Ei>ist.  Nadal,  t.  II,  p.  63). 

l.  Decr.  et  Inslr.  1540, 1573,  fol.  85.  —  Manare,  De  rébus  S.  /.,  p.  69.  —  Le  P.  Co- 
#>rdan  nous  apprend,  dans  une  lettre  au  P.  Général,  la  composition  de  la  communauté 
de  Paris  à  la  fin  de  1558.  «  Nous  étions,  dit-il,  trois  prêtres  et  cinq  étudiants,  un  en 
théologie,  deux  en  logique,  un  en  dialectique,  un  en  grammaire,  plus  deux  frères 
laïcs.  En  tout  dix  religieux,  auxquels  il  faut  ajouter  trois  étrangers  que  M-r  de  Cler- 
mont  fait  étudier  à  l'Université  :  un  séculier  et  deux  moines  de  l'ordre  de  Saint-Be- 
noît. »  (Francia,  Hist.  l'rov.,  1540-1604.  Letlre  du  20  décembre  15581. 


2:52  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

continua,  comme  par  le  passé,  de  se  livrer  à  des  ministères  con- 
formes à  ses  talents  et  à  ses  goûts,  tels  que  la  prédication,  les 
catéchismes,  les  confessions,  la  visite  des  prisons  et  des  hôpitaux, 
et  surtout  les  Exercices  Spirituels,  dont  il  avait  une  rare  intelli- 
gence et  qu'il  savait  mettre  à  la  portée  de  toutes  les  âmes. 

Cependant,  la  fondation  du  collège  de  Billom  avait  de  nouveau 
attiré  l'attention  sur  la  Compagnie  de  Jésus,  dont  on  commen- 
çait à  admirer  les  œuvres  :  «  Plût  à  Dieu,  écrivait  l'évêque  de 
Mondovi  au  P.  Lainez,  que  toute  la  France  se  disposât  à  suivre 
cet  exemple!  On  verrait  alors  s'élever  une  jeunesse  pieuse  et  sin- 
cèrement catholique,  qui  fournirait  au  clergé  d'excellents  prélats 
et  au  roi  les  magistrats  les  plus  fidèles  et  les  plus  capables1.  » 
Ce  souhait  n'était  pas  réalisable  tant  qu'on  n'aurait  pas  triomphé 
de  la  résistance  du  Parlement  et  de  l'Université.  Aussi  la  néces- 
sité d'en  finir  parut-elle  évidente  et  pressante  au  P.  Ponce  Co- 
gordan,  dès  son  arrivée  à  l'hôtel  de  Clermont.  Lui,  que  le  cardi- 
nal de  Lorraine,  au  rapport  d'Etienne  Pasquier,  «  disoit  être  le 
plus  fin  négociateur  qu'il  eût  jamais  vu2  »,  prit  la  ferme  résolu- 
tion de  ne  connaître  aucun  repos,  avant  d'avoir  emporté,  par 
son  habile  persévérance,  la  vérification  des  bulles  pontificales  et 
le  droit  de  naturalisation.  Intermédiaire  entre  le  P.  Broet  son  su- 
périeur et  tous  ceux  qui,  amis  ou  ennemis,  prenaient  part  à  cette 
affaire,  il  allait  continuellement  des  uns  aux  autres,  de  Paris  à 
la  cour  qui  séjournait  tantôt  à  Fontainebleau,  tantôt  à  Amboise 
ou  à  Orléans;  de  la  cour  au  Parlement,  à  l'évèché  de  Paris,  à 
l'Université.  Il  portait  des  suppliques  au  roi,  des  lettres  de  jus- 
sion  aux  magistrats,  des  recommandations  à  l'évêque,  des  expli- 
cations aux  docteurs.  Il  faisait  presque  toujours  à  pied  ses  courses 
et  ses  voyages,  s'arrêtant  à  peine  pour  prendre  un  peu  de  repos 
et  quelque  nourriture.  C'est  à  sa  constance  inlassable,  à  l'ardeur 
de  son  filial  dévouement  que  la  Compagnie  devra,  après  de  nom- 
breuses contradictions,  d'obtenir  droit  de  cité  dans  le  royaume 
de  France.  Aussi,  en  récompense  de  ses  éminents  services,  le 
P.  Général  l'admit-il,  le  15  novembre  15G0,  à  la  profession  so- 
lennelle des  quatre  vœux3. 

7.  Henri  II  n'avait  jamais  cessé  de  regarder  la  Compagnie  de 
Jésus  comme  un  Ordre  fort  utile  à  l'Église  et  à  l'État.  Ces  dispo- 
sitions favorables  annonçaient  qu'un  jour  ou  l'autre  satisfaction 

1.  Gomez,  Elogia  S.  J.,  p.  (J7.  —  2.  Catéchisme  des  jésuites,  p.  23v. 

3.  «  Oatalogus  professoruin  sub  Lainio  »  (Epis t.  /'/'.  liroeti,  etc.,  p.  13C,  nolft  2). 


LUTTE  POUB  LE  DROIT  DE  NATURALISATION. 

serait  donnée. aux  désirs  tics  Pères,  quand  une  mort  tragique  et 
prématurée  vint  ravir  l'infortuné  prince  à  l'affection  de  ses  su- 
jets'. La  perte  de  ce  puissant  protecteur  ne  ralentit  point  le  cou- 
rage du  P.  Cogordan.  Profitant  de  la  présence  du  duc  d'Arcos, 
envoyé  par  Philippe  II  pour  présenter  ses  condoléances  à  la  cour, 
il  alla  le  trouver  et  le  pria  de  plaider  auprès  du  nouveau  roi  la 
cause  de  ses  frères  persécutés.  François  II  accueillit  favorable- 
ment les  ouvertures  de  l'ambassadeur,  et  répondit  que,  les  affaires 
du  royaume  réglées,  il  s'occuperait  aussitôt  de  la  Compagnie, 
prêt  à  faire  pour  elle  autant  que  les  autres  princes  de  la  chré- 
tienté. Alors,  le  duc  s'adressant  au  cardinal  de  Lorraine,  qui  assis- 
tait à  l'entretien  :  «  Que  votre  illustrissime  Seigneurie,  lui  dit-il, 
ait  la  bonté  de  rappeler  cette  promesse  à  Sa  Majesté.  —  Je  le 
ferai  très  volontiers,  reprit  le  cardinal,  car,  moi  aussi,  je  suis  ami 
et  protecteur  des  Jésuites2.  » 

Grâce  aux  actives  démarches  que  le  P.  Cogordan  ne  cessait  de 
renouveler  auprès  des  personnages  les  plus  influents,  François  II 
se  décida,  l'année  suivante,  à  faire  entériner  les  lettres  patentes 
de  Henri  II,  qui,  depuis  neuf  ans,  attendaient  au  greffe  du  Par- 
lement. Ces  lettres,  datées  du  mois  de  janvier  1551,  avaient  été 
suivies  de  lettres  de  jussion,  le  10  janvier  1553.  Injonction  fut 
donc  faite  aux  magistrats  par  de  nouvelles  lettres  de  jussion,  le 
12  février  1560,  de  confirmer  la  Compagnie  de  Jésus.  Mais  le 
Parlement,  au  sein  duquel  se  trouvaient  plusieurs  partisans  se- 
crets de  l'hérésie,  résista  de  nouveau,  s'obstinant  à  refuser  la  for- 
malité de  l'enregistrement 3.  Irrité  de  ces  délais  non  justifiés, 
François  II  lit  expédier,  le  25  avril,  de  nouvelles  lettres  patentes, 
avec  ordre  formel  de  procéder  à  la  vérification  qu'il  demandait  : 
«  Le  roi,  y  est-il  dit,  après  avoir  fait  voir  en  son  privé  conseil 
les  remontrances  de  la  Faculté  de  théologie,  et  entendu  que  ladite 
Compagnie  avait  été  reçue  es  royaumes  d'Espagne,  Portugal,  et 
en  plusieurs  autres  pays,  et  qu'en  icelle  Société  pourront  être 
nourris  personnages  qui  prêcheront,  instruiront  et  édifieront  le 
peuple,  tant  en  ladite  ville  de  Paris  qu'ailleurs,  mande  à  ladite 
cour  de  procéder  à  l'homologation  et  vérification  desdites  Huiles 
et  Lettres,  nonobstant  lesdites  remontrances  faites  par  ladite  cour 
et  par  l'évèque  de  Paris'1.  » 

1.  11  mourut,  le  10  juillet  1559,  du  coup  de  lance  qu'il  avait  reçu  quelques  jours 
auparavant  dans  un  tournoi. 

2.  Lettre  du  P.  Cogordan  au  P.  Laincz,  2  août  1559  (Galliae  E[>ist.,  t.   1,  loi.  5:5, 
55).  —  3.  Arrêts  du  Parlement  (Galliae  Epis!.,  I,  fol.  213). 

4.  Du  Boulay,  Hist.  Univ.  Paris.,  VI,  573-57G.  Epist.  PP.  Broeti,  etc.,  p.  232-235. 


234  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Il  est  à  remarquer  que  ces  quatrièmes  lettres  diffèrent  essen- 
tiellement de  celles  de  Henri  II.  Il  n'était  plus  question  de  rece- 
voir la  Compagnie  de  Jésus  dans  la  seule  capitale,  mais  dans 
tout  le  royaume,  et  cela  malgré  les  remontrances  non  seulement 
du  Parlement,  mais  encore  de  l'évèque  de  Paris.  Les  magistrats, 
comptant  sur  la  faiblesse  du  pouvoir,  ne  se  tinrent  pas  encore 
pour  battus.  Sans  résister  ouvertement  à  des  ordres  précis,  ils 
suscitèrent  mille  incidents  pour  en  différer  l'exécution.  Afin  de 
se  soustraire  à  de  nouvelles  instances,  ils  curent  une  seconde  fois 
recours  au  moyen  peu  sincère  qui  leur  avait  déjà  si  bien  réussi. 
Le  procureur  général  et  les  avocats  du  roi  demandèrent,  qu'avant 
de  passer  outre,  les  lettres  patentes  et  les  bulles  pontificales  fus- 
sent examinées  à  nouveau  par  l'évèque  et  la  Faculté  de  théolo- 
gie. La  cour  de  Parlement,  faisant  droit  à  cette  requête,  ordonna 
que  M*-"  du  Bellay  et  les  docteurs  seraient  d'abord  entendus.  «  Aus- 
sitôt, raconte  le  P.  Cogordan,  nous  leur  avons  fait  intimer  par 
un  huissier  l'ordre  de  se  présenter  devant  la  cour,  afin  de  déclarer 
si  l'on  devait  ou  non  recevoir  la  Compagnie,  et  donner  leurs  rai- 
sons pour  ou  contre;  mais  ils  n'ont  comparu  ni  après  la  pre- 
mière, ni  après  la  seconde  citation1.  » 

8.  La  crise  déplorable  dans  laquelle  se  débattait  la  France 
depuis  la  conjuration  d'Amboise  ',  ne  permettait  guère  aux  Jé- 
suites d'espérer  alors  une  heureuse  et  prompte  solution  de  la 
cause  pendante  devant  le  Parlement.  Le  P.  Broet  écrivait  à  ce 
propos  au  P.  Général,  h  la  date  du  2  juin  15G0  :  «  Je  conjure 
votre  Révérence  de  prier  et  de  faire  prier  pour  nous  et  pour  ce 
royaume,  qui  me  semble,  quoi  qu'on  en  dise,  courir  les  plus 
grands  dangers.  L'hérésie  se  propage  de  jour  en  jour  dans  les 
provinces,  avec  d'autant  plus  de  facilité  qu'on  n'y  oppose  pres- 
que aucun  remède  et  que  la  justice  reste  muette  et  inactive;  car 
ceux  qui  devraient  l'exercer  contre  les  sectaires  sont  de  conni- 
vence avec  eux.  A  Rouen,  ces  nouveautés  ont  causé  de  profonds 
dissentiments  entre  les  partisans  de  l'erreur  et  les  catholiques  : 
souvent  ils  en  viennent  aux  mains,  pendant  la  nuit,  dans  les 
rues  de  la  ville;  et  ces  luttes  font  toujours  des  victimes  dans  les 
rangs  des  deux  partis...  A  Orléans,  à  Poitiers  et  ailleurs,  l'hérésie 
est  si  audacieuse  que  les  catholiques  n'osent  ni  lui  résister,  ni 

1.  Lettre  au  P.  Lainez,  2  juin  i:»60  (Galliae  Epist.,  t.  I.  fol.  111). 

2.  Formée  en  1560  par  les  Huguenots  sous  la  conduite  du  prince  de  Condê  et  du 
sieur  de  la  Renaudie,  la  conjuration  d'Amboise  avait  pour  but  de  soustraire  Fran- 
çois 11  à  l'influence  des  Guise. 


LUTTE  POUH  LE  DROIT  DE  NATURALISATION.  23b 

même  se  plaindre1...  »  Le  mal  ne  fil  qu'empirer.  Six  mois  plus 
tard,  revenant  sur  ce  même  sujet,  le  P.  Broet  ajoutait  :  «  Dans 
un  grand  nombre  de  localités,  il  n'est  plus  permis  d'annoncer 
publiquement  la  parole  de  Dieu...  Ici  à  Paris,  le  bruit  court  qu'il 
sera  bientôt  défendu  d'y  célébrer  autant  de  messes  qu'à  pré- 
sent... On  crie  contre  le  nombre  des  religieux,  contre  leur  ins- 
titution, et  l'on  menace  de  les  proscrire...  Je  ne  dis  rien  des 
conventicules  qui  se  tiennent  jour  et  nuit  dans  les  tavernes,  des 
rendez-vous  ténébreux,  surtout  dans  la  banlieue,  où  l'on  prêche 
l'erreur  sans  que  l'autorité  paraisse  s'en  mettre  en  peine.  Le 
mois  dernier,  les  huguenots  brisèrent  le  grillage  d'une  niche 
extérieure,  pour  en  arracher  une  très  belle  statue  du  Sauveur, 
qu'ils  allèrent  jeter  dans  la  Seine.  D'après  cela,  vous  pouvez  juger 
qu'il  ne  nous  reste  d'autre  espérance  que  celle  du  secours  de  la 
divine  miséricorde2.  » 

Et  en  effet,  au  milieu  de  cette  tourmente  politique  et  religieuse, 
l'affaire  du  droit  de  naturalisation  sembla  humainement  déses- 
pérée. Pourtant  François  II  n'avait  pas  abandonné  la  cause  de  la 
Compagnie,  qu'il  songeait  à  opposer  comme  une  digue  au  tor- 
rent dévastateur.  «  Un  jour,  raconte  le  P.  Cogordan,  que  le  roi 
avait  appelé  à  la  cour  le  procureur  général,  trois  présidents  et 
plusieurs  conseillers  du  Parlement,  pour  s'entretenir  avec  eux 
des  intérêts  du  royaume,  je  devançai  leur  arrivée  et  obtins  que 
Sa  Majesté  leur  parlât  de  notre  admission  légale  et  leur  signifiât 
que  telle  était  sa  volonté.  Les  magistrats  se  retirèrent  1res  étonnés 
du  bon  accueil  que  le  roi  et  le  cardinal  de  Lorraine  m'avaient 
fait  en  leur  présence;  mais  je  doute,  malgré  tout,  qu'ils  parvien- 
nent à  vaincre  la  résistance  de  leurs  collègues.  Trois  partis  di- 
visent le  Parlement  :  les  uns,  tout  à  fait  gens  de  bien,  veulent 
notre  réception;  d'autres,  encore  que  bons  chrétiens,  ne  la  dé- 
sirent pas  sous  prétexte  qu'il  y  a  déjà  trop  d'Ordres  religieux 
dans  l'Église;  d'autres  enfin,  hérétiques  ou  suspects  d'hérésie, 
s'y  opposent  formellement.  En  somme,  les  deux  tiers  du  Parle- 
ment sont  contre  nous;  un  seul  nous  favorise,  mais  avec  une  tié- 
deur qui  n'annonce  rien  de  bon'1.  » 

9.  Ce  que  le  P.  Cogordan  avait  prévu  ne  tarda  pas  ,i  se  réali- 
ser. Le  10  juillet  1500,  peu  de  temps  après  l'audience  dont  nous 
venons  de  parler,  le  Parlement,  toujours  inflexible,  ordonna  sim- 

t.  Epis  t.  PP.  Broeti,  etc.,  p.  139.  —  2.  Lettre  du  1"'  février  1561  (Ibidem,  p.  158). 
:i.  Lettre  du  3  juillet  1500  (Galliae  Epist.,  t.  I,  fol.  121). 


236  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

plement  «  que  lcsdites  Bulles,  Lettres  du  roy  et  Statuts  desdits 
écoliers  et  Société  [de  Jésus]  seront  communiqués  à  l'Évêque  de 
Paris  Diocésain,  pour,  lui  ouï,  être  ordonné  ce  que  de  raison1  ». 
Conformément  à  cet  arrêt,  le  P.  Cogordan  s'empressa  de  porter 
ù  l'évêque  de  Paris  les  bulles  pontificales  et  les  lettres  patentes 
du  roi;  mais,  d'après  le  conseil  d'un  docteur  de  ses  amis,  il  se 
garda  bien  d'y  joindre  les  Constitutions  de  la  Compagnie,  ne 
doutant  pas  qu'elles  seraient  montrées  à  la  Faculté  de  théologie, 
ce  qui  n'aurait  pas  manqué  de  susciter  de  nouveaux  obstacles. 
Cette  communication  d'ailleurs  était  inutile,  puisque  les  bulles 
résumaient  les  statuts  de  la  Société  en  les  approuvant. 

Dès  qu'il  eut  en  mains  les  pièces  du  procès,  Eustache  du  Bellay 
convoqua  les  curés  de  Paris.  «  Il  leur  exposa  l'état  de  la  ques- 
tion d'après  sa  manière  de  voir  »,  c'est-à-dire  d'après  les  prin- 
cipes gallicans.  «  Il  leur  demanda  instamment  de  considérer,  avec 
la  plus  grande  attention,  les  privilèges  exorbitants  dont  jouissait 
cette  nouvelle  Société 2  »  ;  puis  il  les  pria  de  lui  donner  libre- 
ment leur  avis.  Sous  l'influence  de  ces  pressantes  recommanda- 
tions, les  curés  s'appliquèrent  de  leur  mieux  à  découvrir  dans  les 
actes  pontificaux  tout  ce  qu'ils  croyaient  être  une  atteinte  à  leur 
autorité,  à  leur  dignité  ou  à  leurs  prérogatives.  Ils  conclurent 
unanimement  «  que  les  privilèges  de  la  Compagnie  de  Jésus 
étaient  incompatibles  avec  les  libertés  de  l'église  gallicane3  », 
et  que  par  suite  elle  ne  pouvait  être  admise  dans  le  royaume. 
En  vain  le  P.  Cogordan  s'efforça  de  leur  montrer  combien  leurs 
raisons  étaient  illusoires  :  il  ne  put  vaincre  leur  obstination4. 

Jusque-là  l'Université,  en  corps,  ne  s'était  point  prononcée 
dans  cette  affaire,  car  le  décret  du  1"  décembre  1554  était  émané 
de  la  seule  Faculté  de  théologie.  L'évêque  et  les  curés  sollicitè- 
rent son  concours.  Elle  se  prêta,  de  bonne  grâce,  à  faire  cause 
commune  avec  eux  et  le  Parlement.  Réunie  en  assemblée  géné- 
rale aux  Mathurins,  elle  déclara  solennellement  que  dans  le 
temps  où  l'on  vivait,  on  ne  devait  pas  approuver  le  nouvel  Insti- 
tut :  «  Il  n'est  propre,  disait-elle,  qu'à  en  imposer  à  grand  nom- 
bre de  personnes  et  principalement  aux  simples;  il  a  une  liberté 
de  prêcher  vraiment  excessive;  il  n'a  aucunes  pratiques  particu- 
lières qui  le  distinguent  des  laïques  et  des  hommes  du  commun, 

1.  D'Argentré,  Colleclio  judiciorum,  II,  342. 

2.  Sacchini,  Ilistor.  Soc.  Jesu,  P.  II,  1.  IV,  n"  89.  —  3.  Ibid. 

4.  Lettre  du  P.  Cogordan  au  P.  Lainez,  16  juillet  15(50  (Galliae  Epist.,  I,  fol.  124  . 
—  Lettre  du  P.  Uroet,  12  août  1560  (Kôln,  Stadt.nchiv,  Universilal.,  XI,  172).  Cf. 
Lettre  du  P.  liroet  au  P.  Laine/.  (Epist.  Pl\  Broeti,  etc.,  p.  148). 


LUTTE  l'Ot'U  LE  DROIT  l>F]  NATURALISATION.  237 

et  il  n'est  approuvé  par  aucun  concile  universel  ou  provincial  '.  » 
L'Université  restait  ainsi  fidèle  à  la  doctrine  schismatique  de  ÈJâle 
touchant  la  supériorité  du  concile  sur  le  Pape.  Mais  ce  jugement, 
en  reconnaissant  à  un  concile  provincial  le  droit  qu'il  refusait 
au  Souverain  Pontife,  d'accorder  aux  Ordres  religieux  l'institution 
canonique,  ne  pouvait  être  d'un  grand  secours  pour  appuyer  les 
prétentions  d'Eustache  du  Bellay  et  des  curés  de  Paris.  Aussi 
fut-il  accueilli  avec  l'indifférence  qu'il  méritait,  et  le  P.  Cogordan 
n'en  persista  pas  moins  à  réclamer  de  la  bienveillance  de  la  cour 
ce  qu'il  ne  pouvait  obtenir  de  la  justice  du  Parlement. 

Les  cardinaux  de  Bourbon,  de  Lorraine2,  d'Armagnac,  et  les 
seigneurs  catholiques  du  conseil  du  roi,  étaient  loin  de  partager 
les  préventions  universitaires  contre  une  Société  que  le  Saint- 
Siège  opposait  alors  avec  tant  de  succès  au  protestantisme,  dans  les 
autres  états  de  l'Europe.  Ne  voyant,  dans  les  constitutions  de  la 
Compagnie,  ni  les  inconvénients  ni  les  irrégularités  imaginés 
par  ses  adversaires,  ils  la  considéraient,  eux  aussi,  comme  un 
secours  providentiel  ménagé  à  l'Eglise,  et  ils  encourageaient 
François  II,  avec  plus  d'instances  que  jamais,  à  vaincre  le  mauvais 
vouloir  du  Parlement  par  un  nouvel  acte  de  son  autorité  royale. 

10.  De  tous  les  prétextes  tant  de  fois  mis  en  avant  pour  repous- 
ser la  Compagnie,  le  principal  était  le  nombre  des  privilèges 
qu'elle  avait  reçus  des  Souverains  Pontifes.  Le  P.  Cogordan,  «  dans 
une  requête  adressée  au  Parlement,  protesta  qu'elle  ne  demandait 
rien  de  plus  que  les  Ordres  mendiants,  rien,  par  conséquent,  qui 
fût  contraire  à  l'église  de  France  ou  aux  concordats  entre  le  roi  et 
le  Saint-Siège3  ».  Sa  protestation  a  été  mal  interprétée  par  plu- 
sieurs historiens.  A  entendre  Crétineau-Joly,  «  cet  acte  de  renon- 
ciation à  leurs  privilèges  plaçait  les  Jésuites  dans  une  position 
inexpugnable  :  on  arguait  des  faveurs  que  Home  leur  avait  accor- 
dées; ils  les  abandonnaient,  aussi  explicitement  que  possible  '•  ». 
Non,  tel  n'est  pas  le  sens  du  langage  du  P.  Cogordan.  La  Compa- 
gnie ne  pouvait  pas  renoncer  à  des  privilèges,  octroyés  par  le 
Saint-Siège  comme  nécessaires  au  libre  jeu  de  son  activité  ;  elle 
pouvait  seulement  consentir  à  en  modérer  l'exercice,  dans  le  cas 
où  quelques-uns  se  seraient  trouvés  en  opposition  avec  les  lois  du 

1.  Du  Boulay,  Hisl.   Unir,  l'a  ris.,  VI,  .~>7o. 

2.  Lettre  du  cardinal  de  Lorraine  à  l'évèque  de  Chalons,  10  août    1660  (Kpislolae 
Episcopoium). 

3.  Lettre  du  P.  Cogordan  au  P.  Laincz,  16  juillet  15(30  (Galliae  Epis  t.,  I,  fol.  124). 
i.  Crétineau-Joly, Hist.  de  la  Compagnie  de  Jésus,  t.  I,  p.  3'J.">. 


238  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESI  S. 

royaume  Fn  somme,  il  s'agit  d'une  question  de  fait  et  non  de" 
droit.  D'un  côté,  l'évêque  et  l'Université  de  Paris  déclaraient  que 
les  bulles  pontificales  étaient  contraires  aux  lois  du  royaume; 
d'un  autre  côté,  le  roi  et  son  conseil  reconnaissaient  qu'elles  ne 
renfermaient  rien  qui  y  fût  opposé.  La  Compagnie  alors,  par  l'or- 
gane du  représentant  du  P.  Provincial,  déclara  qu'elle  n'entendait 
rien  demander  de  contraire  à  ces  mêmes  lois.  Il  y  a  loin,  on  doit 
l'avouer,  de  cette  simple  protestation  de  déférence  à  l'abandon 
absolu  des  privilèges.  Sans  doute  les  adversaires,  pour  pallier 
leur  défaite,  n'ont  voulu  céder  le  terrain  qu'en  paraissant  croire 
à  une  renonciation  véritable;  mais,  ni  la  requête  du  P.  Cogordan, 
ni  les  cinquièmes  lettres  de  jussion,  que  ses  habiles  démarches 
obtinrent  du  roi  à  ce  moment,  ne  les  autorisaient  à  faire  une  sup- 
position pareille. 

Le  P.  Procureur  de  la  Province  de  France,  écrivant  le  8  octobre 
1560  au  P.  Général,  a  raconté  lui-même  pourquoi  il  réclama  ces 
nouvelles  lettres  de  jussion  :  «  Le  roi,  dit-il,  a  fait  demander  à 
l'évêque  le  mémoire  que  celui-ci  voulait  donner  au  Parlement 
pour  empêcher  la  réception  de  la  Compagnie,  et  Monseigneur  le 
lui  a  envoyé.  Une  copie  de  ce  mémoire  m'ayant  été  remise  par  le 
cardinal  de  Lorraine,  j'y  ai  répondu  en  présence  des  membres  du 
conseil  privé,  et  le  cardinal  m'aidait  à  réfuter  les  objections. 
Après  plus  de  quatre  séances  consacrées  à  la  révision  des  bulles 
pontificales,  ces  messieurs  étaient  résolus  à  évoquer  notre  cause 
de  la  cour  du  Parlement  au  conseil  secret  du  roi,  et  ainsi,  par 
décret  du  conseil,  la  Compagnie  aurait  été  reçue  en  France.  Mais 
le  chancelier  s'opposa  à  cette  évocation,  en  disant  qu'on  ferait 
mal  d'enlever  au  Parlement  de  Paris  la  connaissance  de  cette 
cause,  qu'on  agirait  contre  les  lois  du  royaume,  que  le  Parlement 
en  garderait  rancune  à  la  Compagnie  et,  quand  on  aurait  besoin 
de  recourir  à  lui  pour  les  maisons  ou  collèges,  renverrait  au 
conseil  privé,  prétendant  que  la  Compagnie  n'est  pas  reçue  en 
France.  Peut-être  même,  ajouta-t-il,  cette  manière  d'agir  serait- 
elle  l'occasion  de  quelque  trouble.  Ces  raisons  ne  nie  convain- 
quaient nullement,  mais  elles  firent  impression  sur  le  cardinal 
de  Lorraine  et  ses  collègues.  Le  cardinal  pria  alors  le  chancelier 
de  trouver  quelque  moyen  de  recevoir  la  Compagnie,  et  le  chan- 
celier proposa  le  suivant  :  Sa  Majesté  pourrait  accorder  à  la  Com- 
pagnie des  lettres  permettant  d'établir  des  collèges,  d'avoir  des 
revenus,  de  recevoir  des  legs,  de  prêcher,  enseigner,  lire,  confes- 
ser, en  un  mot   d'exercer  tous  les   ministères  de  l'Institut  avec 


LUTTE  POUB  LE  DROIT  DE  NATURALISATION.  239 

l'autorisation  des  évoques  et  ordinaires,  puis,  avec  le  temps, 
comme  les  Jésuites  seraient  reconnus  pour  gens  de  bien,  le  roi  les 
recevrait  officiellement  sans  difficulté.  —  En  entendant  une  telle 
proposition,  je  répandis  que  je  ne  voulais  pas  me  contenter  de 
lettres  semblables,  parce  que  nous  avions  déjà  la  permission  du 
roi;  c'était  avec  sa  permission  que  l'évèque  de  Clcrmont  et  celui 
de  Pamiers1  avaient  fondé  leurs  collèges;  c'était  avec  l'autorisa- 
tion des  évèques  que  nous  prêchions  et  enseignions  déjà  dans 
plusieurs  diocèses;  ainsi  agissions-nous  avec  l'agrément  des  pré- 
lats et  du  roi.  Accepter  de  telles  lettres,  ajoutais-je,  serait  annuler 
la  faveur  que  le  roi  Henri  II  et  le  roi  actuel,  par  décret  du 
conseil,  ont  déjà  accordée  à  la  Compagnie  d'être  reçue  dans  toute 
la  France.  En  vain  essaya-t-on  de  me  persuader  d'accepter  des 
lettres  de  permission,  je  n'y  voulus  point  consentir,  et  ne  cessai  de 
demander  une  cinquième  lettre  de  jussion  au  Parlement,  portant 
dérogation  au  décret  de  la  Sorbonne  et  à  la  sentence  de  l'évèque 
de  Paris2...  » 

Os  cinquièmes  lettres  de  jusbion,  datées  du  9  octobre  1560, 
sont  très  importantes,  à  cause  surtout  des  diverses  interprétations 
données  aux  prétendues  concessions  de  la  Compagnie  sur  ses 
privilèges.  Afin  de  bien  montrer  qu'aucune  renonciation  ne  fut 
faite,  ni  ne  se  trouve  dans  ce  document,  en  voici  un  résumé  exact 
d'après  une  copie  manuscrite  envoyée  à  Rome  à  cette  époque5. 

Le  roi  rappelle  d'abord  à  ses  «  araez  et  féaulx  conseillers  les 
î^ens  tenans  [sa]  cour  du  Parlement  de  Paris  »  que  son  père  et 
lui-même,  par  plusieurs  lettres  patentes,  leur  ont  déjà  enjoint  de 
procéder  à  «  l'émologation  des  Bulles  octroyées  aux  Religieux, 
prostrés  et  frères  de  la  Compagnie  de  Jésus  par  les  Papes  Paul  et 
Julles  dernièrement  décédés  »;  que,  malgré  cela,  le  Parlement  a 
«  jusques  à  présent  différé  d'y  procéder,  soubs  umbre  de  quelques 
advissur  ce  donnés  tant...  par  l'Évesque  de  Paris,  que  parla  Faculté 
de  théologie  »  ;  or,  ajoutait  le  roi,  «  lesquels  advis  ayans  faict  voir 
par  aulcuns  des  gens  de  nostre  conseil  privé  »,  nous  avons  reconnu 
«  qu'ils  sont  fondés  [ces  avis]  sur  ce  que  l'on  prétend  lesdites 
Bulles  contenir  quelques  choses  préjudiciables  aux  concordats  et 
aux  droits  épiscopauv  et  parrochiaulx  »  ;  mais  «  aulcuns  de  ladite 
Société  nous  ont  remonstré  qu'ils  n'entendent  aulcunement  préju- 
diciel' »  à  ces  droits;  —  et  de  plus,  l'examen  «  qu'avons  faict  faire 

1.  Le  collège  de  Pamiers,  accepté  par  le  P.  Général  en  1559,  fut  ouvert  en  1560. 
Nous  raconterons  sa  fondation  clans  un  prochain  chapitre. 

2.  Lettre  du  P.  Oogordan,  8  octobre  1560  (Galliae  Epist.,  1,  fol.  139). 

3.  On  la  trouvera  dans  son  entier  aux  pièces  justificatives,  Appendice  li. 


240  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

desdites  Bulles  »  nous  a  prouvé  «  qu'il  ne  se  trouve  aulcune  chose 
contraire  ».  Par  ailleurs,  «  scachant  le  grand  fruict  que  ladite 
Compagnie  a  ja  faict  en  plusieurs  endroicts  de  la  chrestienté,  où 
elle  a  esté  establie...  cela  nous  faict  singulièrement  désirer  [qu'elle 
soit  reçue]  en  nostre  ville  de  Paris  et  aultres  endroicts  de  nostre 
Royaume,  pour  l'espérance  que  nous  avons  que  le  fruict,  qu'elle 
y  fera,  passera  de  beaucoup  les  inconvéniens  et  incommodilés 
portés  par  lesdits  ad  vis  de  l'Évesque  de  Paris  et  de  la  Faculté  de 
théologie  »  ;  et  à  ces  inconvénients,  «  s'ils  adviennent,  il  sera  aysé 
de  pourvoir  par  les  évesques  et  prélats...  ayant  l'œil,  comme  ils 
doibvent  avoir,  à  toutes  choses  qui  touchent  l'instruction  du 
peuple. 

«  A  ces  causes...  nous  vous  enjoignons  très  expressément, 
cette  fois  pour  toutes,  que,  sans  vous  arrester  auxdits  advis,  vous 
passiez  oultre  à  l'émologation  desdites  Bulles,  en  faisant  du  contenu 
en  icelles  jouyr  lesdits  frères  de  ladite  Compagnie  de  Jésus,  tant 
en  nostre  ville  de  Paris  que  en  tout  nostre  royaulme  *.  » 

11.  Le  Parlement  était  alors  en  vacances;  les  lettres  du  roi  ne 
pouvaient  lui  être  présentées  qu'après  la  rentrée  de  la  Saint- 
Martin.  Le  P.  Cogordan  mit  à  profit  cet  intervalle  pour  les  faire 
appuyer  de  puissantes  recommandations  :  «  J'allai,  dit-il,  trouver 
Sa  Majesté  à  Orléans,  afin  d'obtenir  plusieurs  lettres  :  une  pour 
la  grand'chambre ,  une  autre  pour  le  premier  président,  une 
troisième  pour  le  procureur  général  et  les  avocats.  Avant  de  par- 
tir de  Paris,  j'avais  moi-même  rédigé  ces  lettres  dans  lesquelles 
le  roi  commandait  de  recevoir  la  Compagnie,  et  de  ne  rendre  au- 
cune sentence  contre  elle,  sans  l'avoir  informé  lui-même  en  don- 
nant les  raisons  du  refus.  Il  les  approuva,  et  les  secrétaires  n'eu- 
rent que  la  peine  de  les  copier.  J'ai  obtenu  de  la  reine-mère 
qu'elle  écrivît  trois  lettres  semblables  aux  mêmes  personnages. 
A  ma  prière,  le  cardinal  de  Tournon  a  aussi  écrit  deuxlettres,  l'une 
au  procureur  général  et  aux  avocats,  l'autre  au  premier  prési- 
dent. Quant  au  cardinal  d'Armagnac,  il  s'est  contenté  d'écrire  au 
premier  président  parce  qu'il  ne  connaissait  pas  les  Gens  du  roi2,.  » 

Le  18  novembre,  les  Gens  du  roi,  par  l'organe  de  M'  Baptiste 
du  Mesnil,  assisté  de  MLe  Edmond  Boucherat,  tous  deux  avocats 

1.  Galliae  Epist.,  t.  I,  fol.  132.  Ces  lettres  sont  données  «  à  Saint-Germain-en-Laye 
le  neufiesine  jour  d'octobre  de  l'an  de  grâce  1560  ». 

2.  Lettre  du  P.  Cogordan  au  P.  Lainez,  2  décembre  1560  (Galliae  Epist.,  t.  I.  fol.  1 42). 
Lettres  du  roi  et  de  la  reine  (Àrchiv.  prov.  de  France.  Pièces  sur  les  Jésuites,  fol.  120, 

124). 


LUTTE  POUR  LE  DROIT  DE  NATURALISATION.  -i'.l 

généraux,  présentèrent  à  la  cour  les  lettres  missives  du  roi  et  de 
la  reine-mère,  qui  accompagnaient  les  lettres  de  jussion,  et  «  ut- 
tendu  la  déclaration faicte  parles  Religieux,  Prostrés  et  Escholiers 
[de  la  Compagnie  de  Jésus]  qu'ils  n'entendent  par  leurs  privilèges 
préjudiciel*  aux  lois  royales  »,  consentirent  «  l'approbation  des- 
dits privilèges,  sauf  où  ci-après  ils  se  trouvent  dommageables  ou 
préjudiciables  aux  droits  du  Roi  et  privilèges  ecclésiastiques,  à 
réquérir  y  estre  pourvu1  ». 

Tout  portait  à  croire  que  les  magistrats  allaient  souscrire  à  ces 
conclusions  des  Gens  du  roi.  Le  P.  Gogordan  attendait  leur  arrêt 
avec  une  certaine  confiance,  sachant  qu'ils  n'en  pouvaient  plus 
porter  d'hostile  à  la  Compagnie  de  Jésus  sans  avoir  au  préalable 
averti  Sa  Majesté  :  «  Maintenant  ils  sont  obligés  de  se  rendre,  di- 
sait-il, ou  bien  ils  montreront  leurs  mauvaises  intentions  en  cher- 
chant un  nouveau  biais  pour  se  tirer  d'affaire2.  »  Le  biais  fut 
trouvé,  et  il  n'était  pas  nouveau.  Le  Parlement  répondit,  comme 
précédemment,  en  renvoyant  une  troisième  fois  l'examen  de  la 
cause  à  l'évêque  de  Paris,  et  se  contenta  d'inscrire  sur  ses  regis- 
tres les  lettres  missives  qu'il  avait  reçues  du  roi  et  de  la  reine- 
mère. 

Eustache  du  Bellay  n'avait  pas  changé  d'avis;  son  opinion  était 
toujours  défavorable  aux  Jésuites;  mais  pressé  par  les  instantes 
sollicitations  de  hauts  personnages,  il  finit  par  se  prononcer  pour 
l'admission  de  la  Compagnie.  Toutefois,  il  ne  céda  le  champ  de 
bataille  qu'en  faisant  des  restrictions  qui  cachaient  mal  sa  mau- 
vaise humeur,  et  marquaient  moins  une  véritable  autorisation 
qu'une  protestation  déguisée.  Il  ne  consentit,  en  effet,  à  la  vérifi- 
cation des  lettres  patentes  qu'aux  conditions  suivantes  : 

«  1°  À  la  charge  que  lesdits  Confrères  seront  tenus  de  prendre 
autre  nom  que  de  Confrères  de  ladite  Société  de  Jésus  ou  de  Jé- 
suites. 

«  2°  Qu'ils  ne  pourront  faire  aucunes  Constitutions  nouvelles, 
changer  ni  altérer  celles  qu'ils  ont  déjà  faites,  et  qui  leur  seront 
baillées  soussignées  des  secrétaires  de  l'Assemblée,  afin  qu'elles 
ne  soient  variées. 

«  3°  Qu'ils  seront  corrigés  et  visités  par  leurs  évèqucs,  sans  pou- 
voir alléguer  aucune  exemption. 

«  \°  Qu'ils  ne  pourront  lire  et  interpréter  la  Sainte  Écriture 
publiquement  ni  de  privé,  sinon  qu'ils  soient  reçus  et  approuvés 

1.  Extraits  des  reg.  du  Parlement  (Annales  des  soi-disans  Jésuites,  I,  p.  II). 

2.  Lettre  du  P.  Cogordan  au  P.  Laine/.,  2  décembre  1560  (Galliae  Epist.,  I,  fol.  142). 

COMPAGNIE    DE    JliSLS.    —   T.    I.  1 6 


242  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

par  les  Facultés  de  théologie  des  Universités  fameuses,  et  par  le 
congé  de  l'évèque. 

«  5°  Qu'ils  seront  tenus  par  exprès  renoncer  à  tous  les  privilèges 
obtenus  ou  à  obtenir,  nommément  à  ceux  qu'ils  prétendent  leur 
avoir  été  concédés  par  la  bulle  du  Pape  Paul  III,  datée  de  Rome 
le  18  octobre  1549,  en  ce  qu'ils  seroient  contraires  aux  limitations 
susdites. 

«  C>°  Et  eux  conformer,  ores  et  pour  l'avenir,  à  la  disposition 
du  droit  commun,  sans  préjudice  du  droit  des  rentes,  censives, 
prestations  annuelles,  et  de  tous  autres  droits  des  seigneurs  tem- 
porels1. » 

Ainsi,  Eustache  du  Bellay  voulait  bien  accepter  les  Jésuites  en 
France,  mais  à  la  condition  que  chaque  diocèse  devint  pour  eux 
une  espèce  de  lazaret  où  ils  devraient  perdre,  avec  leur  vrai  nom, 
la  liberté  d'action  que  les  Souverains  Pontifes  leur  avaient  laissée 
pour  le  plus  grand  bien  des  âmes.  Ces  excès  de  précautions  dépas- 
saient certainement  la  mesure  des  concessions  que  la  Compagnie 
aurait  voulu  consentir.  Néanmoins  c'était  un  premier  résultat,  sur 
lequel  on  pouvait  fonder  de  légitimes  espérances.  Soudain  la  si- 
tuation politique  vint  tout  remettre  en  question  :  le  5  décembre, 
huit  jours  avant  l'ouverture  des  États  Généraux  à  Orléans,  Fran- 
çois II  mourait,  et  le  sceptre  passait  dans  les  mains  d'un  enfant 
sous  la  tutelle  de  Catherine  de  Médicis  sa  mère. 

1.  D'Argentré,  Collectif)  judiciorum,  II,  523. 


CHAPITRE  VI 

ASSEMBLÉES    DE    POISSV.    ADMISSION    LÉGALE 
DE    LA    COMPAGNIE    DE   JÉSUS. 

(1560-1562). 


Sommaire  :  1.  Avènement  de  Charles  IX.  Ses  lettres  patentes  du  23  décembre 
15(10.  —  2.  Résistance  du  Parlement;  appel  à  la  Faculté  de  théologie  et  à  l'as- 
semblée de  Poissy,  22  février  1561.  —  3.  Nouvelles  lettres  du  roi,  14  mars.  Situation 
des  partis.  —  1.  Pie  IV  envoie  en  France  un  Légat  accompagné  du  P.  Lainez. 
Convocation  d'une  assemblée  du  Clergé.  —  5.  Son  ouverture  à  Poissy,  31  juillet. 

—  Séances  clu  colloque  de  Poissy,  9  et  16  septembre.  —  6.  Admission  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus.  Enregistrement  de  l'acte  de  réception.  —  7.  Le  Père  Lainez 
au  château  de  Saint-Germain.  Conférences  de  Poissy.  —  8.  Rôle  du  P.  Lainez; 
son  discours;  ses  démarches.  —  9.  Conférences  de  Saint-Germain.  Édit  de  tolé- 
rance, 17  janvier  1562.  —  10.  Travaux  et  mémoires  du  P.  Lainez.  —  11.  Trou- 
bles occasionnés  par  l'édit  de  tolérance. 

Sources  manuscrites  :  I.  Archives  nationales,  séries  G8  et  MM. 

II.  Kôln,  Stadt-archiv,  Universitât,  XII. 

III.  Recueil  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Gallia,  Epistolae  Generalium. 

—  b)  Galliae  epistolae.  —  c)  Franciae  historia.  —  d)  Lugdunensis  historia. 

IV.  Archiv.  de  la  province  de  France. 

V.  Archiv.  de  la  province  de  Lyon. 

Sources  imprimées  :  Archives  curieuses  de  l'histoire  de  France.  —  D'Argentré,  Collectio 
Judiciorum.  —  Baluze,  Miscellanea.  —  Bèze,  Histoire  ecclésiastique  des  églises  reformées. 

—  Un  Boulay,  Historia  Univers.  Parisiensis.  —  Calvin,  Opéra  omnia.  —  Collection  des 
procès- verbaux  des  assemblées  générales  du  Clergé  de  France.  —  D'Espence,  Apolo- 
gie. —  Grisar,  Jacobi  Lainez  dispulaliones  Tridentinae.  —  Instructions  et  lettres  des 
rois  très  chrétiens  et  de  leurs  ambassadeurs,  et  autres  actes  concernant  le  concile  de 
Trente,  tirés  des  mémoires  de  Dupuy.  —  La  Popelinière,  Histoire  de  France.  —  Le  Plat, 
Monumentorum  ad  hisloriam  concilii  tridentini...  collectio  arnplissima.  —  Manare,  De 
rébus  Soc.  Jesu  commentarius.  —  Mémoires  de  Castelnau,  de  Condé,  de  Marguerite  de 
Valois.  —  Le  Mercure  Jésuite.  —  Et.  Pasquiei,  Œuvres.  —  Prat,  Mémoires  pour  servir 
à  l'histoire  du  P.  Broet.  —  Hihadeneira,  La  vie  du  R.  P.  Jacques  Lainez;  La  vie  et  la 
mort  du  P.  Alphonse  Salmeron.  —  Tortorle  et  Perrissin,  Quarante  tableaux.  —  Monu- 
ments HIStorica  SocietatisJesu.  Epistolae  PP.  Paschasii  Broeti,e\.c—  Epistolae  P.  Nadal. 

I.  Huit  jours  après  l'avènement  de  Charles  IX,  les  États  Géné- 
raux s'ouvrirent  à  Orléans,  le  13  décembre  1560.  Il  semblait 
que  le  premier  objet  de  leurs  délibérations  dût  être  la  formation 
de  la  régence.  Mais  Catherine  de  Médicis  se  garda  bien  de  laisser 
mettre  en  question  un  droit  qui  lui  était  garanti  parles  anciens 
usages  de  la  monarchie  ;  elle  s'empara  des  rênes  du  gouverne- 
ment. En  vain,  quelques  députés  huguenots  de  la  noblesse  et  de 
la  bourgeoisie  élevèrent  de  violentes  réclamations  contre  le  pou- 
voir de  l'étrangère.  L'amiral  de  Coligny  et  le  cardinal  de  ChAtil- 


244  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Ion,  se  flattant  qu'elle  embrasserait  les  intérêts  de  leur  parti, 
parvinrent  à  calmer  les  esprits.  On  laissa  l'autorité  à  la  reine- 
mère  sous  la  condition  illusoire  de  prendre,  sur  toutes  les  affaires 
importantes,  l'avis  du  premier  prince  du  sang.  Antoine  de  Bour- 
bon, roi  de  Navarre,  devenu  lieutenant  général  du  royaume1. 
Le  prince  de  Condé,  condamné  pour  crime  de  rébellion,  fut  dé- 
claré innocent  par  un  arrêt  du  conseil  privé.  Le  connétable  de 
Montmorency,  naguère  disgracié,  reçut  un  message  qui  lui  an- 
nonçait son  rappel.  Les  Guise  conservèrent  à  la  cour  leurs  digni- 
tés; le  duc  fut  confirmé  dans  sa  charge  de  grand-maitre  de  la 
maison  du  roi.  Le  cardinal  de  Lorraine  continua  à  faire  partie 
du  conseil  avec  les  cardinaux  de  Bourbon  et  de  Tournon2.  Dans 
ces  mesures,  résultats  de  concessions  réciproques,  on  reconnais- 
sait la  politique  de  L'Hôpital,  successeur  du  chancelier  Olivier  ;, 
et  l'on  pouvait  compter  sur  la  modération  des  conseillers  de  la 
couronne. 

Le  nouveau  règne  ne  modifia  en  rien  la  situation  des  Jésuites 
ni  la  bienveillance  de  la  cour  à  leur  égard  :  Catherine  de  Médicis 
saisit  la  première  occasion  pour  exercer  en  faveur  de  la  Com- 
pagnie les  prérogatives  du  pouvoir  souverain.  Le  23  décembre 
1560,  elle  octroya,  au  nom  de  Charles  IX,  des  lettres  patentes  qui 
confirmaient  celles  de  Henri  II  et  de  François  II4.  «  Le  P.  Ponce, 
écrivait  le  P.  Broet  au  P.  Général,  s'est  rendu  de  nouveau  à  la 
cour;...  il  a  obtenu  d'autres  lettres  patentes  pour  le  Parlement. 
Le  roi  a  même  chargé  un  gentilhomme  de  les  porter  aux  magis- 
trats, et  de  leur  exprimer  son  ardent  désir  et  son  expresse  volonté 
que  la  Compagnie  fût  reconnue  \  »  Le  sieur  de  Saint-Jean,  choisi 
pour  remplir  cette  mission,  avait  en  effet  reçu  du  roi  et  de  la 
reine-mère  des  instructions  précises  à  ce  sujet.  Dans  une  lettre 
privée,  du  20  février  1561,  Charles  IX  déclara  en  outre  aux  con- 
seillers de  son  Parlement  «  qu'il  vouloit  et  entendoit  qu'ils  eus- 
sent, incontinent  et  sans  délai,  à  faire  droit  sur  les  lettres  patentes 
contenant  la  réception  de  la  Compagnie  de  Jésus,  ayant  Sa  Majesté 
connu  la  grande  fascherie  desdils  religieux  et  trouvé  que  ladite 
Société  ne  peut  que  porter  un  grand  profit  à  la  religion  et  utilité 

1.  Lettre  de  Vincent  Laureo  au  P.  Général,  12  janvier  1561  (Lugd.  llist.,  n.  18j. 
Cf.  Mémoires  de  Casleinau,  liv.  Il,  c.  \n. 

2.  Lettre  du  P.  Ltotard  au  P.  Général  (Gall.  Epist.,  t.  I,  fol.  214). 

3.  Du  Chesne,  Histoire  des  chanceliers  et  gardes  des  sceaux  de  France,  p.  t>3ô. 

4.  Histoire  de  l'établissement  des  Jésuites,  fol.  18  (Arcliiv.  Prov.  de  France).  — 
Epist.  P.  Xiitlal,  t.  I,  p.  441. 

5.  Lettre  (lu  P.  Broet  au  P.  Général  {Epist.  PP.  Broeti,  etc.,  p.  158,  16!).  Lettre 
du  P.  Cogordan  au  P.  Général,  2  mars  1561  (Gall.  Epist.,  t.  1,  fol.  220). 


ASSEMBLÉES  DE  POISSY. 

à  la  chrestienté  et  au  bien  do  son  royaume  ».  Il  ajoutait  même 
en  finissant  :  «  Au  cas  que  vous  continuiez  eu  vos  difficultés  en 
cest  endi'oict,  nous  vous  mandons  que,  sans  procéder  là-dessus 
à  aucun  arrest  ou  jugement,  vous  nous  mandiez  l'occasion  d'icel- 
les  difficultés,  pour  estre  sur  ce  par  nous  pourveu  l.  » 

•2.  Les  membres  du  Parlement  ne  rendirent  aucun  arrêt  contre 
la  Compagnie,  et  continuèrent  de  s'opposer  sournoisement  aux 
déclarations  de  la  volonté  royale.  «  Trois  ou  quatre  fois  déjà, 
écrit  le  P  Broet,  ils  ont  en  sur  ce  sujet  des  délibérations  orageu- 
ses :  les  uns  veulent  qu'on  renvoie  notre  affaire  aux  Etats  Géné- 
raux, qui  doivent  se  réunir  encore  après  Pâques2;  mais  ce  n'est 
qu'une  ruse,  un  prétexte  pour  ménager  des  ajournements  sans 
fin.  Les  autres  soutiennent  qu'il  faut  absolument  rejeter  nos 
demandes,  pour  cette  raison,  admise  par  eux  comme  un  prin- 
cipe, qu'il  y  a  bien  assez  d'Ordres  religieux  sans  en  admettre 
de  nouveaux.  Quant  à  nous  personnellement,  nous  sommes  des 
gens  de  bien  aux  yeux  des  uns,  des  hommes  suspects  et  dan- 
gereux au  dire  des  autres3.  » 

Ainsi,  même  après  la  sixième  lettre  de  jussion,  les  résistances 
du  Parlement  étaient  loin  d'être  vaincues  :  il  cherchait  de  nou- 
veaux subterfuges  pour  éluder  le  commandement  formel  du  sou- 
verain. Mais  à  qui  désormais  pourrait-il  recourir?  Où  trouverait- 
il  des  complices  .complaisants?  Les  Gens  du  roi  ne  s'opposaient 
plus  à  l'enregistrement  des  lettres  patentes,  et  l'évèque  de  Paris 
lui-même,  tout  en  l'accompagnant  de  nombreuses  restrictions, 
avait  fini  par  donner  son  consentement.  Pour  appuyer  leur  dé- 
termination sur  des  considérants  sérieux,  les  magistrats  «  revin- 
rent de  nouveau  à  la  censure  de  la  Faculté  de  théologie,  dans 
l'espoir  d'y  trouver  des  causes  de  refus  plausibles,  et  mandèrent 
auprès  d'eux  quelques  docteurs  qui,  sans  doute,  défendirent 
l'œuvre  de  leur  école4  ».  Le  P.  Cogordan,  de  son  côté,  demanda 
à  être  entendu.  Admis  à  comparaître  devant  la  cour,  on  l'inter- 
rogea d'abord  sur  divers  points  qui  ne  touchaient  guère  au  dé- 
bat :  «  Voyons,  lui  dit-on,  apprenez-nous,  hommes  nouveaux 
que  vous  êtes,  sur  quelles  ressources  vous  pouvez  compter  pour 
vivre  dans  ces  temps  calamiteux,  où  la  charité  d'un  grand  nom- 
bre s'est  refroidie?  —  Oui,   d'un  grand  nombre,  reprit  le  Père, 

1.  Gall.  Epist.,  t.  I.  f.  l'J8\ 

2.  Le  30  janvier  1561,  les  Etats  Généraux  avaient  été  ajournés  au  mois  de  mai. 

3.  Lettre  du  2  mars  1 5G 1  (Epist.  P.  Broeli,  p.  l G î ) .  —  4.  Ibid. 


240  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

mais  non  de  tous.  Le  Seigneur  ne  refuse  jamais  le  nécessaire  aux 
pauvres,  qu'ils  soient  tels  par  choix  ou  par  nécessité,  —  pourvu 
qu'ils  le  servent  avec  piété  et  droiture1.  »  Le  premier  président, 
Gilles  Le  Maître,  ordonna  alors  au  greffier  de  donner  lecture  du 
décret  de  la  Faculté,  en  s'arrétant  après  chaque  article,  afin  de 
permettre  au  P.  Cogordan  d'y  répondre.  Celui-ci  le  fit  avec  tant 
de  précision  et  de  chaleur,  il  appuya  sa  réfutation  d'arguments 
si  forts  qu'il  ébranla  la  conviction  des  magistrats.  Quelques-uns 
eurent  la  loyauté  d'avouer  que  les  allégations  de  la  censure 
étaient  fausses  et  calomnieuses.  Mais  beaucoup  d'autres,  qui 
pensaient  de  même,  n'eurent  pas  autant  de  franchise  et  ne  vou- 
lurent point  se  déjuger.  Sous  prétexte  de  ne  pas  céder  à  un  mou- 
vement irréfléchi,  ils  proposèrent  un  moyen  dilatoire  et  déci- 
dèrent, à  la  majorité,  que  la  Faculté  serait  appelée  de  nouveau  à 
s'expliquer  sur  les  motifs  de  son  décret2.  Quelle  fut  l'attilude  des 
docteurs  dans  cette  seconde  séance?  Aucun  document  ne  nous  l'a 
fait  connaître.  Il  semble  du  moins  qu'ils  ne  parvinrent  pas  à 
convaincre  les  magistrats,  puisqu'un  arrêt  du  Parlement,  le 
22  février  1561,  renvoya  la  cause  des  Jésuites  ou  aux  États  de 
Pontoise,  ou  à  l'assemblée  convoquée  à  Poissy,  ou  au  prochain 
concile  général 3. 

3.  Cet  arrêt  n'étant  pas  une  décision,  l'infatigable  P.  Cogor- 
dan  commença  par  n'en  tenir  aucun  compte;  il  reprit  le  cours  de 
ses  sollicitations,  suppliant  la  reine-mère,  les  cardinaux  de  Lor- 
raine, de  Bourbon  et  de  Tournon  de  ne  pas  abandonner  la  Compa- 
gnie de  Jésus.  Il  en  obtint  encore  de  pressantes  recommandations 
auprès  des  magistrats  influents.  Bien  plus,  le  li  mars,  Charles  IX 
intimait  de  nouveau  au  Parlement  de  Paris  l'ordre  de  recevoir 
les  Jésuites  ou  d'exposer,  dans  l'espace  de  quinze  jours,  les  motifs 
de  son  refus.  Cette  nouvelle  lettre  ne  devait  pas  avoir  plus  de  suc- 
cès que  toutes  les  précédentes 4.  «  Voilà  déjà  huit  jours,  écrivait 
peu  après  le  P.  Provincial  au  P.  Lainez,  il  y  en  aura  bientôt 
quinze  que  nous  avons  porté  celte  lettre  de  jussion  au  Parle- 
ment. On  croirait  que  ces  magistrats  n'en  tiennent  aucun  compte, 
et  qu'ils  se  soucient  fort  peu  de  déclarer  au  roi  les  raisons  de 
leur  conduite.  Toutefois,  après  les  fêtes  de  Pâques,  nous  leur  pré- 
senterons une  autre  requête,  à  l'effet  de  leur  demander  à  être 

1.  Lettre  du  P.  Cogordan  au  P.  Lainez,  2  mars  1561  (Gall.  Epist.,  t.  I,  f.  220). 

2.  Ibid.  —  3.  Manare,  De  rebvs  S.  J.,  p.  78. 

4.  Lettres  du  P.  Cogordan  au  P.  Lainez,  2  mars  el  2  avril  1561  (Gall.  Epist.    t.    1. 
p.  220,  222). 


ASSEMBLÉES  DE  POÎSSY.  217 

reçus  selon  le  bon  plaisir  du  roi,  ou  bien  à  être  renvoyés  par  '-ux 
devant  Sa  Majesté,  pour  qu'elle  fasse  de  cetle  affaire  comme  bon 
lui  semblera.  Le  Révérendissime  Cardinal  de  Tournon  nous  prête 
un  puissant  appui  daus  cette  négociation  :  il  a  parlé  en  notre  la- 
veur à  la  reine-mère;  il  nous  a  soutenus  au  conseil  privé,  et  il 
nous  assure  qu'il  ne  cessera  jamais  de  nous  aider...  Nous  avons 
aussi  pour  nous,  grâce  à  Dieu,  le  roi,  la  reine-mère,  tous  les  car- 
dinaux et  quelques  princes.  Mais  les  temps  sont  si  mauvais  qu'ils 
ne  peuvent  l'être  davantage1.  » 

Et  de  fait,  â  ce  moment  la  situation  des  partis  en  France  per- 
mettait au  Parlement  de  se  faire  prier  et  même  de  désobéir.  Par 
suite  de  dissentiments  aux  États  Généraux  d'Orléans,  le  chance- 
lier avait  suspendu  l'assemblée,  le  31  janvier  1561,  en  l'ajournant 
au  mois  de  mai;  puis  on  la  prorogea  jusqu'au  mois  d'août,  où 
elle  se  réunit  à  Pontoise '-.  Dans  cet  intervalle,  la  conformité 
des  intérêts  et  le  zèle  de  la  religion  rapprochèrent  le  maréchal  de 
Saint- André,  le  connétable  de  Montmorency  et  le  duc  de  Guise, 
qui  formèrent  entre  eux  la  fameuse  ligue  connue  sous  le  nom  de 
Triumvirat.  11  y  eut  alors  trois  partis  bien  distincts  :  celui  des  ca- 
tholiques avec  les  Iriumvirs;  celui  des  réformés,  avec  la  maison 
de  Châtillon,  dont  l'amiral  de  Coligny  était  le  chef;  celui  des  po- 
litiques, avec  le  chancelier  de  L'Hôpital,  et  dont  le  programme  a 
été  parfaitement  défini  par  Tavannes  :  «  Le  nom  de  politique,  di- 
sait-il, a  été  inventé  par  ceux  qui  préfèrent  le  repos  du  royaume 
ou  de  leur  particulier  au  salut  de  leur  âme  et  à  la  religion,  qui 
aiment  mieux  que  le  royaume  demeure  en  paix,  sans  Dieu,  qu'en 
guerre  pour  luy  3.  » 

Ces  divisions,  inséparables  d'une  régence  à  laquelle  manquait 
l'unité  de  direction,  aurait  suffi  pour  encourager  la  résistance  du 
Parlement;  les  huguenots,  avoués  ou  secrets,  qui  siégeaient  sur 
ses  bancs,  contribuaient  encore  de  leur  côté  à  entretenir  son  es- 
prit d'opposition  aux  ordres  du  roi.  Il  ne  restait  donc  plus  d'es- 
poir à  la  Compagnie  de  Jésus  que  dans  l'une  des  futures  assem- 
blées, auxquelles  l'arrêt  du  22  février  avait  renvoyé  sa  cause.  Et 
en  effet,  nous  allons  bientôt  voir,  à  Poissy,  la  Société  d'Ignace  de 
Loyola  acceptée  officiellement  dans  le  royaume  de  France.  Mais 
cet  événement  capital  fut  précédé  et  accompagné  de  circonstances 
qu'il  est  nécessaire  de  rappeler  brièvement,  pour  comprendre 

1.  Epist.  P.Broeti,  p.  1G8-169. 

2.  Picot,  Hist.  des  Etats  Gén.,  Il,  57.  Mémoires  de  Castelnau,  I.  III,  ch.  u,  iv. 

3.  Mémoires  de  Tavannes  (t.  VIII,  p.  248.  Coll.'  Michaud). 


248  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

l'état  religieux  du  pays  à  cette  époque,  et  apprécier  le  rôle  de  la 
Compagnie  contre  la  réforme,  partout  où  elle  fut  appelée  à  exer- 
cer son  action  apostolique. 

k.  Les  calvinistes  de  France,  d'accord  avec  les  luthériens  d'Al- 
lemagne, n'avaient  cessé  de  protester  contre  tout  ce  qui  s'était 
fait  dans  la  première  partie  du  concile  de  Trente,  et  de  réclamer 
un  concile  général  où  ils  auraient  les  mêmes  droits  que  les  catho- 
liques. Lorsque  le  pape  Pie  IV,  successeur  de  Paul  IV,  «  levant  la 
suspension  du  concile  »  de  Trente,  en  eut  fixé  la  réouverture 
dans  la  même  ville  pour  la  fête  de  Pâques,  6  avril  15G1  ',  les 
principaux  chefs  hérétiques,  Calvin,  Bèze,  Viret,  Chandieu,  con- 
çurent le  dessein  d'opposer,  au  concile  universel  de  l'Eglise,  un 
synode  général  du  protestantisme  européen2.  Ce  projet  n'ayant 
pu  réussir,  ils  demandèrent  avec  instances,  au  gouvernement  fran- 
çais, la  convocation  d'un  concile  national  où  ils  seraient  mis  en 
présence  (les  catholiques.  L'expérience  avait  assez  démontré,  en 
Allemagne,  non  seulement  l'inutilité,  mais  aussi  les  grands 
dangers  de  ces  sortes  de  réunions.  Cependant,  cette  proposition 
soumise  au  conseil  du  roi,  et  vivement  défendue  par  l'amiral  de 
Coligny  et  le  prince  de  Condé,  fut  acceptée  en  principe  par  la 
reine-mère,  malgré  les  protestations  énergiques  du  cardinal  de 
Tournon. 

Quelle  était  dans  cette  circonstance  la  pensée  de  Catherine  de 
Médicis?  Penchait-elle,  comme  on  l'a  dit,  vers  les  doctrines  des 
réformés?  Ce  n'est  pas  probable,  car  elle  resta  toujours  fidèle 
aux  pratiques  orthodoxes;  mais,  obligée  d'exercer  le  pouvoir  au 
milieu  de  rivalités  puissantes,  et  croyant  avoir  besoin  des  unes  et 
des  autres  pour  maintenir  son  autorité,  elle  s'inspira  presque  tou- 
jours d'une  politique  de  bascule,  qui  l'entraîna  souvent  à  faire  des 
concessions  imprudentes  et  parfois  même  à  sacrifier  les  intérêts 
de  la  religion.  C'est  ainsi  que,  voulant  ménager  les  huguenots, 
elle  envoya  à  Rome  deux  ambassadeurs  extraordinaires,  les  sei- 
gneurs de  l'Isle  et  de  Rambouillet,  avec  ordre  d'engager  le  sou- 
verain Pontife  à  modifier  les  expressions  de  sa  Bulle,  qui  indi- 
quaient la  nouvelle  réunion  du  concile  général  à  Trente  comme 
la  continuation  du  premier.  Pie  IV  s'y  refusa,  sachant  bien  que  la 
Bulle,  en  quelques  termes  qu'elle  fut  conçue,  n'eût  jamais  pu 
satisfaire  les  protestants;  puis  il  fit  recommander  à  la  reine,  par 

1.  Cf.  Pallavicini,  Bist.  du  Concile  de  Trente,  1.  XIV.  c.  xvn. 

2.  Calvini  opéra.  Ad  principem  quemdam  Germanum,  epistola,  t.  IX,  p.  148. 


ASSEMBLÉES  DE  POISSY.  249 

l'intermédiaire  du  nonce,  de  no  pas  se  prêter  à  un  concile  natio 
nal  qui  ne  manquerait  pas  de  dégénérer  en  synode  protestant  '. 

Comme  Catherine  de  Médicis  ne  montrait  nulle  intention  de  re- 
noncer à  son  projet,  le  Pape,  dans  sa  sollicitude  pour  la  France, 
résolut  d'y  envoyer  un  Légat  a  latere  que  sa  parenté  avec  la  mai- 
son royale  ferait  bien  accueillir  à  la  cour,  cl  dont  l'influence 
pourrait  empêcher  les  funestes  conséquences  de  L'assemblée  ré- 
clamée par  les  hérétiques.  Le  cardinal  de  Ferrare,  Hippolyte 
d'Esté,  accepta  cette  mission  2  et  demanda  d'emmener  avec  lui, 
comme  consulteur  et  théologien,  le  Général  de  la  Compagnie  de 
Jésus0'.  Pie  IV  aurait  désiré  conserver  à  Rome  un  homme  aux  lu- 
mières duquel  il  avait  souvent  recours;  mais,  sur  les  instances  du 
cardinal,  il  tinit  par  donner  son  consentement,  en  ternies  très 
flatteurs  pour  la  vertu  et  la  science  du  P.  Lainez,  qu'il  appelail 
«  un  défenseur  franc  et  loyal  de  la  foi  catholique,  prêt  s'il  le 
fallait  à  répandre  son  sang-  pour  elle  ''  ».  Le  Père,  informé  des 
négociations  dont  il  était  l'objet,  et  craignant  que  Pie  IV  n'eût 
consenti  qu'à  contre-cœur  à  son  voyage,  voulut  avoir  un  com- 
mandement exprès,  afin  de  rester  dans  les  bornes  d'une  stricte 
obéissance,  et  d'obtenir  ainsi  de  Dieu  un  secours  plus  abondant  : 
«  Ce  n'est  que  sur  l'ordre  formel  du  Pape,  et  en  vertu  de  la  sainte 
obéissance,  écrivait  le  secrétaire  de  la  Compagnie  au  P.  Pelletier, 
que  le  P.  Général  va  en  France;  Sa  Sainteté  n'a  point  voulu  ac- 
cepter l'excuse  de  sa  charge,  et  a  déclaré  qu'elle  espérait  un 
grand  fruit  de  ce  voyage 5.  »  Le  P.  Lainez,  avant  son  départ, 
nomma  vicaire  le  P.  Salmeron,  pour  gouverner  en  son  absence 
les  Provinces  d'Italie.  De  son  côté,  le  Souverain  Pontife  recom- 
manda tout  particulièrement  au  Légat  de  s'occuper  de  l'admission 
de  la  Compagnie  en  France.  Au  commencement  de  juillet,  le  P. 
Général  avec  le  P.  Assistant  d'Espagne,  le  P.  Annibal  du  Coudret 
et  un  frère  coadjuteur,  quittait  Rome  en  compagnie  du  cardinal 
de  Ferrare  (i. 

Dès  qu'on  apprit  à  Paris  l'arrivée  prochaine  du  Légat,  les  cal- 
vinistes et  les  politiques  de  l'entourage  du  roi  pressèrent  l'ouver- 

1.  Instructions  et  lettres  des  rois  très  chrétiens...  p.  62. 

2.  On  peut  voir  dans  Raynaldi,  Annales  aclcsiastici,  an.  1561,   p.  84,  86,  le  bref 
Je  Pie  IV  annonçant  a  Charles  IX  la  mission  du  cardinal  de  Ferrare. 

3.  Sacehini,  Uist.  Soc,  P.  II,  t.  V,  n.  133. 

4.  Uibadeneira,    Vie  du  P.  Laine:-,  p.    131,  132.  Cf.   Bartoli,  Dell'  llrtliri,  1.    IV. 
C  xi,  p.  166. 

5.  Lettre  du  21   juin   1561  (Gall.,  Epist.  Gen.,  t.  1561-1566).  Cf.  Epist.  Nadal,  I.  I. 
p.  482. 

6.  Lellre  au  P.  Viola,  21  juin  1561  (I0id.).  —Lettre  du  P.  A.  du  Coudret  au  P.  Do- 
menech,  27  sept.  1561  (Gall.  Epist.,  t.  I,  fol.  322). 


l>:;0  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

tui'e  du  concile  national.  Le  12  juin,  une  lettre  de  cachet  con- 
voqua tous  les  évoques  à  Paris  sous  différents  prétextes  :  ils  étaient 
priés  de  s'y  rendre  «toutes  excuses  cessans...  le  vingtiesme  du 
mois  de  juillet  prochain  »  ;  chacun  d'eux  devait  amener  «  un  per- 
sonnage, soit  régulier,  soit  séculier  de  [son]  diocèse,  des  plus 
versez  es  Ecritures  saintes,  et  de  meilleure  vie  et  de  saine  doc- 
trine, pour  adviser  de  l'élection  »  des  prélats  que  Sa  Majesté  en- 
verrait au  concile  de  Trente,  «  consulter  et  résoudre,  en  bonne 
et  grande  compagnie,  les  choses  qui  se  devront  proposer  de  la 
part  de  l'église  gallicane...  et  conférer  avec  [le  roi]  de  plusieurs 
choses  de  grande  importance1  ». 

Pour  calmer  les  inquiétudes  de  la  Sorbonne,  qui  demandait 
des  explications-,  on  répondit  qu'il  n'était  question  que  d'une 
simple  assemblée  du  Clergé.  Toutefois  dans  la  pensée  de  Cathe- 
rine de  Médicis  et  de  L'Hôpital,  son  chancelier,  la  réunion  pro- 
jetée devait  être  une  sorte  de  concile  national,  où  l'on  poserait  les 
bases  d'une  tolérance  générale  et  d'un  accord  entre  les  partis 
religieux.  A  peine  arrivés  à  Paris,  les  évêques  furent  mandés  h 
Poissy,  petite  ville  située  dans  le  voisinage  de  Saint-Germain  - 
en-Laye,  où  résidait  alors  la  cour.  Les  deux  tiers  des  prélats 
du  royaume,  soupçonnant  le  secret  dessein  de  la  reine-mère, 
s'abstinrent  de  répondre  à  l'appel;  d'autres  y  virent  une  raison 
de  venir  défendre  les  intérêts  et  les  droits  de  la  religion  catho- 
lique :  quarante-huit  seulement  représentèrent  tout  l'épiscopat 
français.  Parmi  eux  se  trouvaient  Odet  de  Châtillon,  évêque  de 
Beauvais,  Jean  de  Montluc,  évêque  de  Valence,  Jean  de  Sainl- 
Gelais,  évêque  d'Uzès,  et  Caraccioli,  évêque  de  Troyes,  partisans 
plus  au  moins  secrets  du  calvinisme  et  prêts  à  seconder  les  in- 
tentions perfides  du  gouvernement.  Mais  leur  faible  minorité  s'ef- 
façait devant  l'imposante  majorité  des  évêques  que  distinguait 
leur  zèle  pour  la  foi,  et  à  la  tête  desquels  marchaient  les  car- 
dinaux de  Tournon,  de  Lorraine,  d'Armagnac  et  de  Guise.  Douze 
docteurs  de  l'Université  de  Paris  et  douze  canonistes,  choisis  dans 
les  chapitres  des  différentes  églises,  furent  admis  à  prendre  part 
aux  délibérations  de  l'assemblée1. 

La  reine  évita  de  faire  aux  pasteurs  protestants  une  invitation 

1.  Instructions  et  lettres  des  rois  très  chrétiens,  p.  79. 

2.  D'Argentré,  Collectio  judiciorum,  VI,  104. 

3.  «  Bref  recueil  et  sommaire  de  ce  qui  s'est  passé  en  la  ville  de  Poissy,  durant  l'as- 
semblée de  l'église  gallicane,  depuis  le  26  juillet  jusqu'au  14  octobre  1501  ».  Préli- 
minaires. Copie  manuscrite  provenant  de  la  bibl.  du  cardinal  de  la  Luzerne.  Arcliiv. 
Prov.  de  L\on\  Cité  par  le  P.  Prat,  op.  cit.,  p.  420. 


ASSEMBLÉES  DE  POISSY.  251 

directe;  elle  se  contenta  de  publier,  le  25  juillet,  un  édil  permet- 
tant «  à  tous  les  sujets  du  roi  très  chrétien,  qui  voudraient  être 
ouïs  en  l'assemblée  du  clergé  »,  de  se  rendre  à  Poissy  sans  crainte 
d'être  inquiétés  pendant  l'aller  et  le  retour1.  D'autre  part,  le 
lieutenant  général,  Antoine  de  Bourbon,  écrivit  aux  ministres  les 
plus  importants  qui  se  gardèrent  bien  de  repousser  ses  avances; 
mais  il  leur  fallut  quelque  temps  pour  choisir  les  députés  et 
s'entendre  sur  les  moyens  d'attaque  et  de  défense2. 

5.  Le  31  juillet,  le  jeune  roi  accompagné  de  la  régente  sa 
mère,  du  duc  d'Orléans  son  frère,  du  "roi  de  Navarre,  du  duc 
de  Guise,  du  connétable  de  Montmorency,  du  prince  de  Condé, 
de  l'amiral  de  Coligny  et  d'autres  seigneurs  de  sa  cour,  quitta 
Saint-Germain  et  vint  à  Poissy  présider  la  séance  d'ouverture 
de  l'assemblée  du  Clergé.  Le  grand  réfectoire  du  couvent  des 
religieuses  dominicaines  avait  été  choisi  comme  salle  de  réu- 
nion. Dans  son  discours,  le  chancelier  de  L'Hôpital,  parlant  aii 
nom  de  la  Couronne,  qualifia  l'assemblée  de  concile  national 
et  se  permit  de  lui  tracer  le  programme  de  ses  délibérations; 
il  la  pria  d'examiner  :  la  subvention  que  le  clergé  accorderait 
au  roi,  la  réformation  des  abus  introduits  dans  la  discipline  ec- 
clésiastique, et  la  tolérance  des  opinions,  seuls  moyens,  disait-il, 
de  remédier  aux  maux  qui  désolaient  le  royaume.  Les  évêques 
comprirent  aussitôt  où  l'on  prétendait  les  mener.  Dès  le  lende- 
main, ils  firent  entendre  leur  protestation  :  réunis  sous  la  prési- 
dence du  cardinal  de  Tournon,  ils  déclarèrent  qu'ils  ne  feraient 
absolument  rien  contre  le  consentement  et  le  bon  vouloir  de  notre 
Saint-Père  le  pape,  chef  de  l'Église  catholique2'.  Se  renfermant 
dans  les  limites  indiquées  par  les  lettres  de  convocation,  ils  choi- 
sirent quatre  points  comme  objet  de  leurs  délibérations  :  l°de 
la  réformation  des  abus;  2°  de  la  subvention  à  offrir  au  roi  ;  3°  du 
choix  des  évêques  à  députer  au  concile  de  Trente  ;  k°  des  moyens 
d'apaiser  les  troubles  du  royaume,  et  subsidiai rement  de  l'ad- 
mission de  la  Compagnie  de  Jésus.  Puis  ils  décidèrent  qu'ils  ne 
toucheraient  ni  à  la  doctrine  ni  aux  matières  de  foi  '. 

Tandis  que  les  évêques  délibéraient  à  Poissy,  chaque  jour  ar- 
rivaient à  Saint-Germain  quelques  ministres,  délégués  par  les 

1.  Instructions  et  lettres  des  rois,  p.  79. 

2.  Klipftel,  Le  colloque  de  Poissy,  p.  3i. 

3.  Proc.-verb.  des  assembl.  gén.  du  clergé,  t.  I,  p.  8,  2"  col. 

1.  Lellre  de  l'ambassadeur  d'Espagne,  7  aoùl  1561,  dans  les  Mémoires  dé  Condé. 
t.  II,  p.  16. 


252  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

calvinistes  des  différentes  provinces.  Les  principaux  étaient  Au- 
gustin Marlorat,  apostat  de  Tordre  de  Saint-Augustin,  qui,  peu 
de  temps  après,  fut  pendu  à  Rouen;  Jean  de  l'Épine,  un  jacobin 
défroqué;  Jean  Malo,  jadis  prêtre  habitué  dans  la  paroisse  de 
Saint-André-des-Arcs  à  Paris;  Pierre  Martyr,  fugitif  de  l'ordre 
des  Chanoines  réguliers,  qui  s'était  marié  avec  une  religieuse; 
enfin  le  plus  célèbre,  Théodore  de  Bèze,  à  qui  Calvin  léguera 
plus  tard  la  direction  de  l'église  de  Genève.  «  Il  avait  l'air  fin, 
des  manières  insinuantes,  l'abord  gracieux,  l'esprit  enjoué;  mais 
il  était  sans  mœurs,  impie,  libertin...  et  venait  d'épouser  la 
femme  d'un  maître  tailleur  de  Paris,  après  avoir  vendu  son 
prieuré  de  Longjumeau1.  » 

Lorsqu'ils  se  virent  en  nombre  suffisant  pour  affronter  la 
lutte,  les  ministres  adressèrent  au  jeune  roi,  le  17  août,  la  re- 
quête d'une  conférence  publique  avec  les  évêques.  Ils  y  expo- 
saient aussi  leurs  conditions  :  «  Que  les  évoques,  abbés  et  autres 
ecclésiastiques  ne  soient  point  nos  juges,  attendu  qu'ils  sont  nos 
parties  adverses;  —  que  tous  différends  y  soient  jugés  et  décidés 
par  la  seule  parole  de  Dieu  contenue  au  Vieil  et  Nouveau  Tes- 
tament, pour  ce  que  nostre  foy  ne  peut  estre  fondée  que  sur 
icelle'?.  »  Dès  le  lendemain,  le  cardinal  de  Châtillon,  envoyé  à 
Poissy  par  Catherine  de  Médicis,  ordonna  de  sa  part  aux  prélats 
de  ne  point  s'absenter  de  cette  ville  sans  l'autorisation  du  roi.  Il 
ne  déclara  point  le  motif  de  ce  commandement,  mais  le  bienveil- 
lant accueil  fait  à  la  requête  des  calvinistes  montrait  assez  les 
intentions  de  la  reine-mère.  Le  26  août,  en  effet,  elle  chargea 
le  cardinal  d'Armagnac  de  signifier  à  l'assemblée  l'ordre  de  Sa 
Majesté  que  les  ministres  fussent  admis  à  conférer  de  leur  confes- 
sion de  foi,  et  que  les  prélats  eussent  à  aviser  au  mode  de  la  con- 
férence. Les  évêques  se  concertèrent  aussitôt.  Après  avoir  mûre- 
ment examiné  la  question,  ils  virent  certains  avantages,  dans 
l'intérêt  de  la  paix,  à  ne  pas  refuser  d'entendre  les  représentants 
de  la  réforme  ;  mais  ils  exigèrent  que  les  débats  fussent  réduits 
à  un  simple  colloque  entre  l'orateur  des  ministres  et  celui  de  l'As- 
semblée, en  présence  seulement  du  roi  et  de  la  cour3. 

Nous  n'avons  pas  à  raconter  les  incidents  du  colloque  de  Poissy. 
Il  n'y  eut  que  deux  séances  :  l'une  le  9  septembre,  où  Théodore 
de  Bèze  prit  la  parole  au  nom  des  protestants;  l'autre,  le  16  sep- 

1.  Cf.  Fleury,  Histoire  du  cardinal  de  Toumon,  p.  366. 

2.  Bè?e,  Hisl.  Eccl.,  t.  I,  3o8. 

3.  Bref  recueil...,  p.  14,  16. 


ADMISSION  LÉGALE  EN  FRANCE.  233 

tembre,  où  le  cardinal  de  Lorraine  établît  l'infaillible  autorité  de 
l'Église  et  la  réelle  présence  de  Jésus-Christ  dans  Ja  sainte  Eu- 
charistie. La  vérité  catholique  triompha,  sans  doute;  mais  le  cal- 
vinisme, grâce  à  la  coupable  condescendance  du  gouvernement, 
put  afficher  ostensiblement  sa  doctrine  devant  toute  la  France. 
«  Il  y  a  grand  nombre  de  prédicants  à  la  cour,  écrivait  l'ambas- 
sadeur d'Espagne;  ils  y  sont  sur  le  même  pied  que  les  catho- 
liques1. »  Depuis  longtemps,  comme  l'atteste  Marguerite  de  Va 
lois,  il  s'y  était  même  formé  un  parti,  qui  se  faisait  un  jeu  et  une 
mode  de  son  opposition  aux  doctrines  de  l'Église  ~.  Dans  ce  désar- 
roi général,  il  devenait  nécessaire  d'opposer  les  hommes  qui  se 
présentaient  comme  les  champions  de  l'autorité  du  Saint-Siège 
aux  calvinistes  «  qui  font  profession  expresse  de  la  terrasser3  ». 
Les  menées  dont  l'assemblée  du  clergé  venait  d'être  témoin, 
l'éclaïraient  enfin  sur  les  dangers  d'une  situation  dont  elle  n'a- 
vait peut-être  pas  mesuré  jusque-là  toute  l'a  gravité.  Ce  fut  au 
milieu  de  ces  circonstances  et  sous  l'impression  de  ces  événe- 
ments que,  dans  l'intervalle  des  deux  séances  du  colloque  de 
Poissy,  elle  eut  à  statuer  sur  l'admission  de  la  Compagnie  de 
Jésus. 

6.  À  ne  considérer  que  la  composition  de  l'assemblée  et  les 
sentiments  dont  elle  était  animée,  la  réception  des  Jésuites  dans 
le  royaume  ne  parut  pas  douteuse  quand  le  président  la  pro- 
posa à  la  discussion  de  ses  collègues.  Elle  aurait  même  été  ré- 
solue dans  le  sens  le  plus  favorable,  si  elle  n'avait  dépendu  que 
de  la  volonté  des  cardinaux  de  Tournon,  de  Bourbon,  de  Lor- 
raine, de  Guise  et  d'Armagnac,  tous  protecteurs  dévoués  de  la 
Compagnie'1.  Mais  on  se  trouvait  dans  une  conjoncture  particu- 
lière qui  exigeait  beaucoup  de  tact  et  de  circonspection.  Bien 
que  le  roi  et  la  reine-mère  eussent  plusieurs  fois  ordonné  au 
Parlement  de  recevoir  les  disciples  d'Ignace  de  Loyola,  certains 
membres  du  conseil  tenaient  à  ne  pas  froisser  les  protestants, 
et  l'admission  pure  et  simple  d'un  Ordre  nouveau,  destiné  à  les 
combattre,  aurait  presque  l'apparence  d'un  défi.  Sans  doute,  la 
majorité  de  l'assemblée  avait  accueilli  avec  faveur  la  proposi- 
tion mise  à  l'ordre  du  jour,  mais  Odct  de  Chàtillon,  les  trois 
évêques  qui  partageaient  ses  opinions  calvinistes  et  les  docteurs 

1.  Mémoires  de  Coude',  11,  p.  16. 

2.  Mémoires  de  Marguerite  de  Valois  (Edit.  Michaud),  X,  p.  402. 

3.  Pasqiiier,  Œuvres,  t.  II,  liv.  IV,  p.  114. 

4.  Litterae  quadr.,  1"  sept.  1561  (Kiïln,  Stadt-archiv,  Universital.,  XII,  3266). 


254  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

de  l'Université,  admis  aux  délibérations,  n'avaient  point  caché 
leur  peu  d'empressement.  Afin  d'éviter  de  leur  part  une  oppo- 
sition trop  déclarée,  on  usa  d'une  grande  condescendance  dans 
le  choix  du  rapporteur,  question  fort  délicate  à  trancher. 

En  effet,  l'évoque  de  Paris  avait  déjà  été  saisi  de  la  cause  des 
Jésuites;  or,  il  s'agissait  à  présent  d'accorder  une  autorisation 
dont  le  premier  résultat  serait  l'établissement  d'une  maison  de 
la  Compagnie  dans  son  diocèse.  S'il  était  nalurel  de  donner, 
dans  l'examen  de  cette  affaire ,  un  rôle  important  à  l'un  des 
principaux  intéressés,  il  n'en  était  pas  moins  dangereux  de  char- 
ger du  rapport  un  juge  lié  par  ses  actes  antérieurs.  Toutefois, 
le  prélat  ne  serait-il  pas  sensible  à  la  déférence  qu'on  lui  té- 
moignerait en  le  lui  confiant?  Puis,  ses  idées  s'étaient  bien  modi- 
fiées, depuis  qu'il  avait  vu  les  prétentions  hautaines  des  réformés 
et  reconnu  la  nécessité  d'opposer  à  leurs  envahissements  une 
prompte  résistance.  Enfin,  on  pouvait  espérer  que  la  bienveil- 
lance, dont  la  plupart  de  ses  collègues  honoraient  les  Jésuites, 
suffirait  à  le  faire  revenir  sur  son  injuste  sévérité  d'autrefois.  On 
le  désigna  donc  comme  rapporteur. 

Avec  une  commission,  nommée  à  cet  effet,  il  examina  de  nou- 
veau les  pièces  et  les  titres  présentés  par  les  demandeurs,  c'est- 
à-dire  :  les  bulles  pontificales  qui  approuvaient  et  confirmaient 
l'Institut;  les  requêtes  présentées  au  roi  par  les  Pères;  les  lettres 
patentes  de  Henri  II,  de  François  II,  de  Charles  IX;  les  divers 
arrêts  du  Parlement;  le  jugement  de  la  Faculté  de  théologie;  et 
les  témoignages  d'estime  rendus  aux  collèges  déjà  fondés  '.  Après 
une  étude  attentive  de  ces  documents,  tout  rapporteur  impartial 
et  libre  de  préjugés  eût  pris  des  conclusions  largement  favo- 
rables à  la  Compagnie  de  Jésus.  Mais  Eustache  du  Bellay  lui 
avait  fait  une  guerre  trop  ouverte  pour  l'accepter  maintenant 
sans  réserve.  Sa  position  un  peu  fausse,  ses  idées  gallicanes  et 
son  désir  de  ménager  les  opposants,  tout  en  satisfaisant  la  ma- 
jorité le  forcèrent  à  un  arrangement  équivoque.  II  conclut  à 
l'admission  de  la  Compagnie  en  France,  avec  des  restrictions  tra- 
cassières,  qui  rappelaient  trop  son  précédent  avis  au  Parlement2. 

«  L'assemblée,  dit-il,  suivant  le  renvoy  de  la  cour  de  Parle- 
ment de  Paris,  a  reçu  et  reçoit,  a  approuvé  et  approuve  ladite 


1.  Avis  et  résolution  de  Messieurs  de  l'assemblée  du  Clergé  de  France,  tenue  à 
Poissy  touchant  la  réception  des  Jésuites  (Archiv.  nat.,  Gs,  580D). 

2.  Bref  recueil...,  p.  145  et  suiv.  —  Manare,  De  rébus  S.  J.,  p.  78.  Cf.  Klipffel,  Le 
colloque  de  Poissy,  p.  119. 


ADMISSION  r,Éf,ALE  EN  FRANCE.  255 

Société  et  Compagnie,  par  forme  de  Société  et  de  collège,  et  non 
de  religion  nouvellement  instituée,  à  la  charge  qu'ils  seront 
tenus  prendre  autre  titre  que  de  Société  de  Jésus  ou  de  Jésuites, 
et  que,  sur  icelle  Société  et  Collège,  l'évoque  diocésain  aura  toute 
superintendanec  et  jurisdiction,  et  correction  de  (sic)  chasser  et 
ôter  de  ladite  Compagnie  les  forfaiteurs  et  malvivans;  n'entre- 
prendront les  Frères  d'icelle  Compagnie,  et  ne  feront  en  spirituel 
ne  en  temporel  aucunes  choses  au  préjudice  des  évoques,  cha- 
pitres, curez,  paroisses  et  universitez,  ni  autres  religions;  ains 
seront  tenus  de  se  conformer  entièrement  à  la  disposition  du 
droit  commun,  sans  qu'ils  ayent  droit  ne  jurisdiction  aucune,  et 
renonçant  au  préalable,  et  par  exprès,  à  tous  privilèges  portez 
par  leurs  bulles  aux  choses  susdites  contraires;  autrement,  à 
faute  de  ce  faire,  ou  que  par  l'avenir  ils  en  obtiennent  d'autres, 
les  présentes  demeureront  nulles  et  de  nul  effet  et  vertu,  sauf  le 
droit  de  ladite  assemblée  et  d'autrui  en  toutes  choses  '.  » 

Quel  était  le  sens  de  cette  conclusion  proposée  aux  évêques 
assemblés  à  Poissy?  Est-il  vrai,  comme  on  l'a  prétendu,  qu'en 
approuvant  les  membres  de  l'Ordre  fondé  par  saint  Ignace,  elle 
en  condamnait  les  constitutions2?  Cette  interprétation,  remarque 
très  bien  le  P.  Prat3,  n'est  pas  rigoureusement  exacte.  Le  rappor- 
teur se  garde,  cette  fois,  d'apprécier  les  règlements  consacrés  par 
les  bulles  pontificales;  «  il  ne  se  prononce  ni  sur  leur  valeur,  ni 
sur  leur  nature  »,  comme  il  l'avait  fait  dans  son  premier  juge- 
ment. Admettant  au  contraire  l'utilité  des  suppliants,  il  conseille 
au  Parlement  de  les  recevoir,  non  à  titre  de  religieux  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus,  mais  «  comme  individus  formant,  sous  le  nom 
de  Société  ou  de  Collège,  des  communautés  dont  on  leur  donnera 
le  nom4  »,  à  condition  qu'ils  ne  se  prévaudront  ni  de  leurs  cons- 
titutions ni  de  leurs  privilèges  pour  s'exempter  de  la  juridiction 
de  l'Ordinaire.  Ainsi  entendue,  la  conclusion  ne  s'éloigne  guère, 
assurément,  des  préventions  jalouses  du  Parlement  et  des  exi- 
gences gallicanes  de  la  Faculté  de  théologie,  mais  elle  ne  con- 
damne explicitement  ni  les  constitutions  de  l'Ordre  ni  les  bulles 
du  Souverain  Pontife.  Comme  elle  réservait  les  droits  de  l'assem- 
blée du  Clergé,  et  que  ses  restrictions  n'attaquaient  pas  directe- 
ment la  substance  de  l'Institut,  les  cardinaux  de   Tournon,  de 


1.  Avis  et  résolution  de  Messieurs  de  l'Assemblée  du  Clergé...  (Archiv.  nat.,  G;, 
&89D). 

2.  Ainsi  pense,  par  exemple,  M.  Émond  :  Hist.  du  coll.  Louis-le-Grand,  p.  9. 

3.  Prat,  Mi'in.  sur  le  P.  Broet,  p.  432.  —  4.  Ibid. 


256  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Lorraine,  d'Armagnac  et  de  Guise,  ainsi  que  la  majorité  des  au- 
tres prélats,  se  résignèrent  à  y  souscrire,  dans  l'intérêt  même  de 
l'Ordre  qu'ils  protégeaient.  Telles  étaient  les  circonstances  qui 
menaçaient  la  religion  catholique  en  France,  qu'ils  craignaient 
de  ne  pas  rencontrer  de  longtemps  une  si  bonne  occasion  d'im- 
planter le  nouvel  Institut  dans  le  royaume.  L'acte  d'admission 
de  la  Compagnie  fut  donc  signé,  le  15  septembre  1561,  par  maî- 
tres Nicolas  Breton  et  Guillaume  Blancliy,  greffiers  et  secrétaires 
de  l'Assemblée,  «  sous  les  seings  et  scel  »  du  cardinal  de  Tournon, 
primat  des  Gaules,  et  d'Eustache  du  Bellay,  évêque  de  Paris1. 

La  Compagnie,  de  son  côté,  «  voyant  la  France,  dit  un  vieil  au- 
teur, avoir  un  extresme  besoin  d'estre  aydée  par  prédications, 
catéchismes  et  bonnes  instructions  de  la  jeunesse  »,  se  soumit 
«  patiemment  aux  conditions  onéreuses  qui  lui  étaient  impo- 
sées2 ».  Elle  espérait,  avec  raison,  que  le  temps  redresserait  peu 
à  peu  les  fausses  idées  qui  les  avaient  suggérées.  Et,  de  fait,  dès 
le  1er  juillet  1565,  Charles  IX  déclara  par  lettres  patentes  que  les 
disciples  d'Ignace  pourraient  porter  dans  son  royaume,  comme 
partout  ailleurs,  le  nom  de  religieux  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
et  commanda  à  la  Cour  de  «  vérifier  sans  restriction  »  les  Bulles 
de  l'Institut.  Neuf  ans  après,  au  mois  de  février  1574,  de  nouvelles 
lettres  patentes  mirent  sous  la  protection  des  lois  non  seulement 
le  collège  de  Clermont  à  Paris,  mais  encore  tous  ceux  que  la  Com- 
pagnie avait  fondés  ou  fonderait  dans  le  royaume.  En  1580,  la 
même  faveur  fut  confirmée  par  Henri  III,  avec  l'entière  approba- 
tion des  privilèges  et  l'autorisation  spéciale  d'établir  des  maisons 
professes3. 

L'Assemblée  du  Clergé  n'avait,  en  somme,  exprimé  qu'un  avis 
favorable  à  la  réception  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Il  apparte- 
nait au  Parlement  de  donner  un  arrêt  définitif.  Puisqu'il  avait 
subordonné  son  assentiment  à  celui  des  évêques,  on  pouvait 
espérer  qu'il  ne  ferait  plus  aucune  difficulté.  Le  P.  Cogordan 
s'empressa  donc  de  poursuivre  l'achèvement  de  cette  affaire, 
qu'il  avait  conduite  jusque-là  avec  une  si  vigoureuse  persévé- 
rance. Le  14  janvier  1562,  il  saisit  la  Cour  de  la  décision  de 
l'Assemblée.  Le  13  février,  à  la  suite  des  conclusions  du  procu- 
reur général,  la  Cour  déclara  que.  «  tout  considéré,  ledit  acte  de 
réception  et  d'approbation  fait  audit  concile  et  Assemblée  tenue 

1.  Archiv.  nal..  i  ;  ,  589". 

2.  Commencements  de  le  Compagnie  (Carayon,  Doc.inéd.,  I,  p.  20,  21). 

3.  Ibid.  —  llist.  de  l'établissement  des  Jésuites  en  France  (Archiv.  prov.  France, 
p.  26-33). 


ADMISSION  LÉGALE  EiN  FRANCE. 

à  Poissy,  serait  registre  au  greffe  d'icelle  Cour,  par  forme  de  so- 
ciété et  collège  qui  sera  nommé  le  collège  de  Clermont,  et  au\ 
charges  et  conditions  contenues  en  leur  dite  déclaration  et  leurs 
lettres  d'approbation  susdites1  ».  Les  magistrats  voulurent  aussi 
assurer,  sans  retard,  aux  religieux  de  la  Compagnie  de  Jésus  le 
bénéfice  de  cet  enregistrement.  Une  ordonnance  mit  immédia- 
tement les  Pères  en  possession  des  legs  que  leur  avait  laissés  Guil- 
laume  du  Prat  par  son  testament.  Ces  legs,  conformément  aux 
intentions  du  testateur,  furent  employés  au  maintien  du  collège 
de  Dillom,  à  la  fondation  de  celui  de  Mauriac,  et  à  la  construction 
du  collège  de  Paris  sous  le  titre  de  Collège  de  Clermont,  d'où  les 
Pères  prirent  légalement  le  nom  de  Société  du  Collège  de  Cler- 
mont. Le  P.  Général,  depuis  plusieurs  mois  en  France  quand  il 
reçut  communication  officielle  de  la  faveur  obtenue,  accepta  fa- 
cilement la  dénomination  sous  laquelle  le  Parlement  concédait  à 
son  Ordre  le  droit  de  cité.  L'usage,  d'ailleurs,  avait  depuis  long- 
temps prévalu  d'appeler  les  Jésuites  de  Paris  prêtres  de  Clermont, 
et  ce  nom  rappelait,  très  heureusement,  la  gratitude  bien  due  au 
vénérable  prélat  dont  le  souvenir  était  inséparablement  lié  aux 
origines  de  la  Compagnie  de  Jésus  en  France.  De  plus,  si  l'admis- 
sion légale  n'était  pas  aussi  complète  qu'on  l'aurait  désiré,  elle 
allait  du  moins  permettre  d'exercer  les  fonctions  scolaires  au  sein 
même  de  l'Université  de  Paris.  Connaissant  l'influence  de  celle-ci 
sur  le  reste  de  l'Europe,  le  P.  Général  se  proposait  «  de  faire  du 
collège  de  Clermont  le  plus  célèbre  collège  de  son  Ordre  ;  il  voulait 
y  réunir  les  plus  savants  professeurs,  persuadé  que  ce  serait  le  plus 
sûr  moyen  de  réformer  l'Université-  ».  Les  cardinaux  de  Bourbon 
et  de  Ferrare,  et  plusieurs  autres  prélats  confidents  de  ses  inten- 
tions, l'encourageaient  vivement  à  poursuivre  cette  œuvre  à  la- 
quelle ils  promirent  leur  appui. 

7.  Le  18  septembre  1561,  le  P.  Lainez  était  arrivé  à  Paris.  Sa 
visite  procura  la  plus  vive  allégresse  à  toute  sa  petite  famille  re- 
ligieuse de  la  rue  de  la  Harpe.  Deux  jours  après,  il  se  rendit  à 
Saint-Germain  où  l'avait  précédé  le  cardinal  Légat.  Il  y  habitait 
au  château  avec  ses  compagnons,  les  PP.  Polanco  et  Annibal  du 
Coudret    et   le  Frère    Louis.  D'après  une    lettre  de  l'un  d'eux, 

1.  Arrêt  Je  la  cour  du  parlement,  dans  un  recueil  de  pièces  relatives  au  coll.  de 
Clermont  (Archiv.  nat.,  MM,  Instruction  publique,  n.  380.  F,  105).  Cf.  D'Argentré,  Col- 
lect.  judiciorum,  II,  342,  343. 

'.»..  Lettre  du  P.  Cogordan  au  P.  de  Rorgia,  citée  par  Prat  :  Muldonat  et  l'Universitt 
de  Paris,  p.  42. 

COMFACNIli    UË    JÉSUS.   T.  I.  17 


258  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS 

ce  séjour  à  la  cour  n'avait  rien  de  confortable  ni  de  séduisant  : 
«  Nous  sommes  quatre,  disait  le  P.  du  Coudret,  dans  une  cham- 
brette,  garnie  d'une  seule  petite  table,  sur  laquelle  trois  de  nous 
écrivent  en  ce  moment,  et  nos  lits  reposent  sur  le  plancher.  Nous 
n'avons  pas  à  nous  plaindre,  car  d'importants  personnages  sont 
encore  plus  mal  partagés.  Combien  il  en  a  coûté  à  notre  P.  Gé- 
néral de  laisser  tous  les  siens  pour  venir  ici!  Nous  jouissons  tous, 
grâce  à  Dieu,  d'une  bonne  santé  ;  nous  serions  même  très  contents," 
si  nous  n'avions  pas  sans  cesse  devant  les  yeux  la  ruine  de  ce  pau- 
vre royaume.  Hélas!  on  voit,  on  sent  le  mal  et  on  ne  peut  y  re- 
médier. Dieu  daigne  venir  à  notre  secours1.  » 

Les  instructions  données  par  le  Pape  au  cardinal  de  Ferrare, 
envoyé  à  la  cour  de  France  en  qualité  de  Légat,  étaient  d'arrêter  la 
reine  et  son  conseil  dans  la  voie  des  concessions,  et  de  leur  montrer 
que  le  seul  remède  à  la  crise  religieuse  du  royaume  serait  de 
renvoyer  les  hérétiques  au  concile  général,  de  nouveau  convoqué 
à  Trente.  Le  Légat,  —  on  peut  s'en  rendre  compte  par  ses  lettres 
à  Pie  IV  et  au  cardinal  Borromée  2,  —  mit  tout  en  œuvre  pour 
faire  réussir  sa  mission.  Mais  la  tâche  était  difficile,  dans  une  cour 
où  les  affaires  religieuses  subissaient  les  fluctuations  de  la  politique, 
et  où  dominaient  alors  les  chefs  du  parti  calviniste.  Quand  Marie 
de  Médicis  exigea  l'enregistrement  des  lettres  de  créance  pré- 
sentées par  l'envoyé  du  Saint-Siège,  L'Hôpital,  fort  de  son  influence 
sur  elle,  refusa  d'abord  de  les  munir  du  sceau  de  la  chancellerie; 
pressé  par  la  reine  qui  craignait  d'irriter  l'Empereur  et  le  Roi 
catholique,  il  obéit  de  mauvaise  grâce  et  se  permit  d'ajouter  la 
clause  :  Me  non  consentiente.  Le  Parlement,  d'autre  part,  ne 
consentit  à  les  homologuer  qu'après  une  longue  opposition  et  dans 
des  termes  qui  laissaient  voir  sa  répugnance. 

Pendant  ce  temps,  les  ministres  huguenots  prenaient  des 
mesures  avec  Coligny  pour  continuer  les  discussions  commencées 
au  colloque  de  Poissy.  Fidèle  aux  recommandations  du  Pape,  le 
cardinal  de  Tournon,  président  de  l'assemblée  ecclésiastique,  op- 
posa à  leurs  demandes  une  invincible  fermeté.  Mais  Catherine  de 
Médicis  redoutait  plus  les  violences  des  huguenots  que  les  raisons 
du  cardinal;  elle  céda  aux  instances  des  ministres  et  leur  accorda 
la  reprise  des  conférences,  à  condition  qu'elles  seraient  privées 
et  que  le  jeune  roi  n'y  assisterait  plus".  La  première  se  tint,  le 

1.  Lettre  au  P.  Domenech,  27  septembre  1561  (Galliae  Epist,  t.  1    f.  322). 

2.  Baluzp,  Miscellanea ,  l.  IV,  p.  378  et  suiv. 

3.  Voir  Bèze,  Hist.  ecclebiasliq.,  t.  I,  p.  348. 


ROLE  M:  I.AINKZ  A  POÏSSY  ET  A  SAINT-GEELMAIN.  259 

24  septembre,  dans  la  chambre  prie-raie  du  couvent  de  Poissy.  Les 
cardinaux  de  Ferrare  et  de  Tournon,  par  dignité,  s'abstinrent  de 
l'honorer  de  leur  présence;  niais  le  Légat  y  envoya  trois  théolo- 
giens de  sa  suite  avec  le  P.  Général  de  la  Compagnie  de  Jésus 
Laincz  lit  remarquer  au  Présidenl  l'inconvenance  des  sectaires, 
qui  restaient  assis  comme  des  jnges,  tandis  que  les  théologiens 
catholiques  se  tenaient  debout  commes  des  accusés;  et  on  y  mit 
aussitôt  bon  ordre  ' .  À  la  fin  de  la  séance,  le  cardinal  de  Lorraine 
présenta  aux  ministres,  après  l'avoir  montrée  au  P.  Lainez,  une 
formule  de  la  foi  catholique  sur  la  présence  réelle,  en  déclarant 
qu'il  était  bien  résolu  de  ne  plus  les  entendre  s'ils  refusaient  d'y 
souscrire. 

Les  prédicants  ne  voulurent  point  signer  la  formule,  et  obtinrent 
pourtant  de  Catherine  de  Médicis  la  réunion  d'une  seconde  con- 
férence, qui  eut  lieu  le  26  septembre.  Pierre  Vermigli,  dit  Martyr, 
y  prit  la  parole  après  Théodore  de  Bèze  et  prononça  en  italien, 
langue  assez  commune  dans  l'entourage  de  la  reine-mère,  un 
discours  que  le  docteur  d'Espence  réfuta  victorieusement.  Les 
autres  ministres  vinrent  au  secours  de  leur  collègue  et  répondirent 
aux  arguments  par  des  injures-.  Le  débat  doctrinal  menaçait  de 
tourner  en  dispute  vulgaire,  quand  le  P.  Lainez,  brillant  théo- 
logien du  concile  de  Trente,  intervint  et  releva  la  discussion; 
personne  peut-être,  parmi  les  docteurs  présents,  n'était  capable 
de  le  faire  avec  autant  d'autorité  et  de  succès. 

8.  Le  rôle  modeste,  bien  qu'important,  du  P.  Général  de  la 
Compagnie  dans  ces  circonstances,  n'a  pas  été  compris  de  quelques 
historiens.  «  Lainez,  dit  Crétineau-Joly,  avait  écouté  les  discus- 
sions sans  y  prendre  part;  mais  enfin,  l'audace  des  dévoyés  de 
l'Eglise  alla  si  loin  qu'il  ne  put  se  contenir  davantage...  11  des- 
cendit dans  l'arène  avec  les  hérétiques3.  »  Ne  semblerait-il  pas 
que,  d'après  ce  passage,  Lainez  intervint  dans  les  discussions 
comme  le  principal  athlète  de  la  foi?  Or,  arrivé  à  Paris  le 
18  septembre,  le  Père  ne  put  assister  aux  séances  publiques  du 
colloque  tenues  les  9  et  16  septembre;  même  à  Poissy,  il  se  serait 
abstenu  de  paraître  à  des  réunions  qui  n'avaient  pas  l'approbation 
du  Souverain  Pontife.  Envoyé  par  le  cardinal  de  Ferrare  aux  deux 
conférences  privées,  qui  eurent  lieu  le  l'%  et  le  26  septembre,  il 

1.  Bref  recueil  et  sommaire...,  p.  116  et  suivantes. 

:>..  D'Espence,  Apologie,  p.  483. 

■i.  Ciélineau-Joly,  Hist.  de  la  Compagnie,  t.  I,  c.  vm. 


260  HISTOIRE  DE  LA.  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

ne  prit  la  parole  que  dans  la  dernière,  non  en  qualité  de  théolo- 
gien du  Saint-Siège  ou  de  défenseur  de  la  foi,  comme  le  cardinal 
de  Lorraine  ou  le  docteur  d'Espence,  mais  en  qualité  de  repré- 
sentant du  Légat  dont  les  instructions  étaient  de  mettre  fin  aux 
concessions  dangereuses  de  la  reine-mère  l. 

Catherine  de  Médicis  assistait  à  ces  conférences,  avec  l'espoir 
chimérique  d'y  voir  un  jour  concilier  dans  une  même  formule  de 
foi  toutes  les  opinions.  C'est  à  elle  que  le  P.  Lainez  s'adressa,  au 
commencement  de  son  discours,  prononcé  tout  entier  en  italien  : 
«  Madame,  dit-il,  étranger  dans  ce  pays,  il  ne  m'appartient  pas, 
je  le  sais,  de  me  mêler  de  ce  qui  s'y  passe  ;  mais  les  enfants  de 
l'Église  ont  le  monde  pour  patrie,  et  les  intérêts  de  la  foi  doivent 
les  préoccuper  en  tous  lieux.  Votre  Majesté  ne  trouvera  donc 
pas  étrange  que  je  vienne  lui  présenter  des  considérations 
générales  sur  l'objet  de  cette  réunion,  et  quelques  remarques 
particulières  en  réponse  aux  objections  de  Frère  Pierre  Martyr  et 
de  son  collègue.  »  A  ces  derniers  mots,  Pierre  Martyr  rougit  et  ne 
put  cacher  son  dépit.  Cette  expression  :  Frère  Pierre,  Fra 
Pielro,  lui  rappelait  la  robe  dont  il  s'était  dépouillé  et  les  vœux 
sacrés  auxquels  il  avait  renoncé. 

Dans  la  première  partie  de  son  discours,  le  P.  Lainez  s'efforce 
de  montrer  que  tout  projet  de  conciliation  entre  la  vérité  et  l'er- 
reur était  un  attentat  contre  la  foi  et  la  pureté  de  la  doctrine  ca- 
tholique. Il  fait  remarquer  que  «  les  assemblées  particulières  ne 
sont  ni  légitimes,  ni  convenables,  quand  déjà  un  concile  général 
est  ouvert  ».  Puis  il  exhorte  la  reine-mère  à  se  servir  de  son  auto- 
rité pour  «  envoyer  les  prélats,  les  théologiens  et  les  religion- 
naires  »  au  concile  de  Trente,  qui  «  composé  des  plus  savants 
hommes  de  l'Église,  a  encore  pour  lui  l'assistance  infaillible  de 
l'Esprit-Saint  »,  ce  que,  dit-il,  «  nous  ne  pouvons  nous  promettre 
ici  ».  Dans  la  seconde  partie  de  son  discours,  son  argumentation 
serrée,  appuyée  sur  des  principes  irréfragables,  fait  bonne  justice 
des  sophismes  de  Bèze  contre  la  présence  réelle,  et  des  déclama- 
tions de  Pierre  Martyr  sur  la  prétendue  mission  des  protestants  : 
«  Je  m'étonne,  s'écrie-t-il,  qu'ils  osent  se  comparer  aux  prophètes 
et  aux  apôtres.  Les  prophètes  et  les  apôtres  menèrent  une  vie 
sainte;  ils  reçurent  leur  mission  immédiatement  de  Dieu;...  ils  ne 
prêchèrent  rien  qui  fut  en  opposition  avec  les  vérités  déjà  révé- 
lées; ils  confirmèrent  leur  mission  par  un  grand  nombre  de  pro- 

1.  Lettre  du  Nonce,  5  février  156>,  dans  Archives  curieuses  del'Uist.  de  France, 
1"  série,  t.  VI,  p.  34. 


ROLE  DE  LAINEZ  A  POISSY  ET  A  SAINT-GERMAIN.  -'fil 

diges  et  d'œuvres  surnaturelles...  Mais  ceux-ci  ne  nous  édifient 
certes  point  par  la  sainteté  de  leur  vie  ;  ils  prêchent  une  doctrine 
contraire  aux  vérités  définies.  Où  sont  leurs  miracles?  où  est  le 
titre  de  leur  mission  extraordinaire?  Ils  ne  sont  donc  pas  les  en- 
voyés de  Dieu.  » 

Cette  sainte  hardiesse,  dit  le  P.  Polanco  qui  assistait  à  la  confé- 
rence, remplit  de  joie  tous  les  catholiques,  et  ranima  le  courage 
des  docteurs  dont  il  exprimait  si  bien  les  sentiments.  Dans  une 
éloquente  péroraison,  le  P.  Lainez,  s'adressant  de  nouveau  à  la 
reine-mère,  la  supplia  de  craindre  Dieu  plutôt  que  les  hommes, 
de  ne  pas  conniver  à  l'hérésie,  mais  de  soutenir  la  foi  catholique 
de  toute  son  autorité,  et  d'attirer  ainsi  la  protection  divine  sur 
elle-même  et  sur  le  roi  très  chrétien  :  «  Touché  de  votre  piété, 
Madame,  Dieu  vous  conservera  vos  États  sur  la  terre  et  vous  ré- 
servera le  royaume  des  cieux.  Si,  au  contraire,  la  crainte  des 
hommes  ou  le  désir  de  leur  complaire  vous  fait  oublier  la  crainte 
de  Dieu,  sa  loi  et  sa  bonté,  je  tremble  qu'avec  le  royaume  des  cieux 
vous  ne  perdiez  encore  celui  de  la  terre.  Mais  non,  le  Seigneur 
vous  donnera  à  vous  et  à  votre  fils  la  grâce  de  persévérer.  Il  ne 
permettra  pas  que  cette  illustre  noblesse,  que  ce  royaume  très 
chrétien,  autrefois  la  règle  et  le  modèle  des  autres,  abandonne  la 
religion  catholique,  qui  fut  toujours  la  sienne,  et  subisse  honteu- 
sement le  joug  de  l'erreur  que  veulent  lui  imposer  des  sectes  mo- 
dernes1. »  L'orateur  avait  prononcé  ces  dernières  paroles  sous  le 
coup  d'une  vive  émotion  qui  gagna  tout  l'auditoire.  La  reine, 
depuis  lors,  s'abstint  d'assister  à  aucune  conférence 2. 

L'improvisation  du  Père  Lainez  eut  un  tel  retentissement,  à  la 
cour  et  à  la  ville,  que  le  cardinal  de  Ferrare  lui  demanda  de  l'écrire 
et  la  fit  traduire  en  français.  L'éloquence  et  la  gravité  de  son  lan- 
gage, la  modération  et  la  sagesse  de  ses  conseils  ont  été  justement 

1.  Discours  de  Lainez  à  Poissy  (Francia.  Historia  provinciae,  t.  I,  n.  23.  Texte  ita- 
lien). Voir  {Appendice  C)  l'original  de  ce  discours  souvent  dénaturé  par  les  écrivains 
protestants,  notamment  dans  l'édition  des  Œuvres  complètes  de  Calvin. 

2.  Lettre  du  P.  A.  du  Coudret,  27  septembre  1561,  dans  Galliae  Epist.,  t.  I,  fol.  322. 
Lettre  du  P.  Polanco  au  P.  Salmeron,  27  septembre  1561,  dans  les  Précis  historiques, 
janvier  1889.  —  «  Marie  de  Médicis,  raconte  Crétineau-Joly,  en  entendant  l'énergique 
langage  du  P.  Lainez,  ne  put  retenir  ses  larmes.  Le  prince  de  Condé.qui,  malgré  son 
calvinisme,  témoignait  au  jésuite  une  affectueuse  confiance,  dit  à  ce  dernier  :  «  Savez- 
vous,  mon  Père,  que  la  reine  est  très  indisposée  contre  vous  et  qu'elle  a  pleuré?  » 
Lainez  répliqua  en  souriant  :  «  Je  connais  de  longue  date  Catherine  de  Médicis  :  c'est 
une  grande  comédienne;  mais,  prince,  ne  craignez  rien;  elle  ne  me  trompera  pas  » 
{Hist.  de  la  Compagnie  de  Jésus,  t.  f,  p.  341).  Nous  laissons  à  l'auteur  la  responsabi- 
lité de  cette  anecdote  dont  il  n'indique  pas  la  source.  Elle  est  évidemment  dramati- 
sée. Le  langage  prêté  au  P.  Lainez  est  opposé  à  sa  prudence  si  connue,  et,  jusqu'à 
preuve  du  contraire,  nous  tenons  tout  ce  récit  pour  controuvé. 


262  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

louées  par  tous  les  historiens  sérieux  qui  ont  parlé  des  conférences 
de  Poissy.  Bèze  lui-même  n'a  pu  cacher  l'effet  produit;  seulement, 
il  l'a  avoué  à  sa  manière,  en  l'atténuant  ou  en  paraissant  le  dédai- 
gner. De  Thou  n'a  pas  fait  preuve  de  la  même  bonne  foi  :  «  Lainez, 
dit-il,  se  répandit  en  injures  contre  les  protestants1.  »  La  vérité 
est  que  l'orateur  avait  cité  la  sainte  Écriture  flétrissant  par  avance 
les  hérétiques  du  nom  de  serpents,  de  renards,  de  loups  cachés 
sous  la  peau  de  brebis,  pour  nous  prémunir  contre  leurs  men- 
songes. 

Ce  succès  augmenta  encore  l'influence  acquise  par  le  P.  Géné- 
ral de  la  Compagnie  de  Jésus  durant  son  séjour  à  Saint-Germain. 
Il  eut  alors  de  fréquents  entretiens  avec  la  reine-mère,  avec  les 
princes  du  sang  et  les  grands  seigneurs  de  la  cour2.  Des  rapports 
intimes  s'établirent  entre  lui  et  le  prince  de  Condé,  partisan  dé- 
claré de  l'hérésie.  Tous  deux  cherchaient  un  remède  aux  maux 
qu'ils  entrevoyaient  dans  un  avenir  prochain.  En  réponse  aux 
difficultés  soulevées  par  le  prince  contre  l'accord  entre  les  calvi- 
nistes et  les  catholiques,  Lainez  rédigea  une  note  substantielle, 
dans  laquelle  il  insistait  sur  la  présence  des  ministres  au  concile 
de  Trente  pour  mettre  fin  aux  dissidences  religieuses  :  «  Afin  de 
procurer  cette  union  tant  désirée,  disait-il,  je  sacrifierais  cent 
vies,  si  j'en  avais  autant  à  offrir.  »  Au  bas  de  la  note,  en  guise 
de  signature,  on  lit  cette  phrase  qui  ne  laisse  aucun  doute  sur  son 
véritable  auteur  :  «  Celui  qui  parla  à  Votre  Excellence  dans  la 
chambre  du  roi  de  Navarre,  et  à  qui  elle  commanda  de  vous 
adresser  par  écrit  ce  qu'il  avait  dit  de  vive  voix3.  » 

9.  Dans  son  discours  à  la  conférence  de  Poissy,  le  P.  Lainez, 
après  avoir  indiqué  le  concile  de  Trente  comme  le  meilleur  moyen 
d'arriver  à  la  conciliation  des  esprits,  avait  ajouté  :  «  Puisque 
Votre  Majesté,  par  indulgence  pour  les  modernes  sectaires  et  pour 
essayer  de  les  gagner,  a  bien  voulu  permettre  des  conférences, 
je  demanderai  qu'elles  se  tiennent  seulement  en  présence  de 
gens  instruits,  parce  qu'à  l'égard  de  ces  personnes  il  n'y  au- 
rait point  de  danger  de  perversion  et  qu'elles  seraient  même 
capables  d'éclairer  et  de  convaincre  les  esprits,  plutôt  entrâmes 
par  l'erreur  que  par  l'entêtement  de  l'orgueil.  »  Quand  un  peu 


1.  Hisl.  universelle,  t.  IV,  p.  98. 

2.  Lettre  du  P.  du  Coudret  déjà  citée. 

3.  «  De  malis  Ecclesiae  et  de  modo  eis  reniedium  afferendi  »  (Fiancia,  Hist.  prov., 
t.  I,  p.  9). 


ROLE  DE  IAINEZ  A  POISSY  ET  A  SAINT-GERMAIN.  263 

plus  tard  Catherine  de  Médicis,  sur  les  instances  des  prédicants, 
leur  accorda  de  nouvelles  conférences  à  Saint- Germain,  docile 
à  l'avis  du  P.  Lainez,  elle  les  réduisit  à  des  entretiens  particuliers 
entre  théologiens  catholiques  et  calvinistes.  Ces  pourparlers  ne 
servirent  qu'à  faire  ressortir  l'opiniâtreté  des  hérétiques  et  l'im- 
possibilité d'arriver  jamais  à  une  entente.  La  discussion,  ouverte 
le  -28  janvier  1562,  dura  plusieurs  jours.  Bèze,  Pierre  Martyr,  Pé- 
roscl  et  Marlorat  attaquèrent  avec  violence  le  culte  des  saintes 
images;  leurs  erreurs  furent  vigoureusement  réfutées  par  le  doc- 
teur Pelletier,  le  Général  de  la  Compagnie  de  Jésus  et  le  P.  Po- 
lanco  son  secrétaire  '.  Les  ministres  ne  savaient  que  répondre  et 
cherchaient  à  entamer  d'autres  questions;  mais  les  docteurs  ortho- 
doxes, voyant  la  complète  inutilité  de  toute  discussion  avec  des 
adversaires  qui  niaient  la  vérité  de  parti  pris,  refusèrent  de  les 
écouter  davantage.  On  leur  enjoignit  de  mettre  par  écrit  leurs 
objections,  qui  seraient  soumises  au  jugement  du  Pape  et  du  con- 
cile. Le  11  février,  les  conférences  furent  interrompues  et  prirent 
fin2. 

Avant  de  partir  de  Rome,  le  P.  Général  avait  ordonné  dans 
toute  la  Compagnie  des  prières  pour  le  succès  de  sa  difficile  mis- 
sion et  pour  le  salut  de  la  France,  «  ce  royaume  qui  depuis  tant 
de  siècles  s'était  montré  si  dévoué  au  service  de  Dieu  et  aux  inté- 
rêts de  l'Église 3  » .  De  Paris,  il  écrivit  une  seconde  lettre  circulaire, 
où  il  demandait  à  tous  les  siens  d'offrir  à  Dieu  des  oraisons,  des 
messes,  des  pénitences  afin  que  le  royaume  très  chrétien  fût  pré- 
servé de  la  corruption  de  l'hérésie.  Plus  que  jamais,  en  effet,  le 
besoin  d'un  secours  surnaturel  était  nécessaire.  Après  le  colloque 
et  les  conférences  de  Poissy,  le  chancelier  de  L'Hôpital,  reconnais- 
sant que  la  transaction  entre  catholiques  et  protestants  était  im- 
possible sur  le  terrain  théologique,  avait  résolu  de  la  poursuivre 
sur  le  terrain  politique.  Déjà,  à  l'assemblée  des  Notables  de  Saint- 
Germain-en-Laye,  il  avait  proposé  de  constituer  l'État  en  dehors 
de  toute  religion  :  «  Il  n'est  pas  ici  question,  disait-il,  de  cônsti- 
tuenda  religione,  sed  de  constituenda  republica,  et  plusieurs  peu- 
vent être  citoyens  sans  être  chrétiens  4.   »  Le  17  janvier  1562, 

1.  «  Touchant  Poissy,  disait  plus  tard  Henri  IV  à  Achille  de  Harlay.  je  veux  que  vous 
sachiez  que  si  tous  y  eussent  aussi  bien  fait  comme  un  ou  deux  Jésuites,  qui  s'y  trou- 
vèrent fort  à  propos,  les  choses  y  fussent  mieux  allées  pour  les  catholiques.  »  Discours 
de  ce  qui  s'est  passé  en  cour  sur  le  rétablissement  de  la  Compagnie  (Galliarum  monu- 
menta  historica,  n.  67.  Societatis  Restitutio). 

2.  Collect.  des  Procès-verbaux  des  Ass.  Gén.  du  Clergé,  t.  I,  p.  36  et  suivi 

3.  Lettre  du  27  mai  1561  (Gallia.  Epist.  General.,  t.  II). 

4.  Cf.  La  Popelinière,  Ilist.  de  France,  1.  Vil. 


264  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

parut,  sous  le  titre  dérisoire  Redit  de  tolérance,  une  ordonnance 
de  Charles  IX  qui  autorisait  les  ministres  réformés  à  exercer  leur 
culte  dans  toute  l'étendue  du  royaume,  excepté  dans  l'enceinte  des 
villes.  C'était  un  sanglant  outrage  à  cette  religion  catholique  qui 
faisait,  depuis  dix  siècles,  le  bonheur  et  la  gloire  de  la  France. 
Ainsi  le  comprit  le  Parlemen!  de  Paris,  dont  les  autres  Parlements 
imitèrent  l'exemple  '.  Saisi  de  cet  édit,  le  23  janvier,  il  repré- 
senta qu'il  ne  pouvait,  en  conscience,  procéder  à  l'enregistrement 
ni  mettre  sur  le  même  pied  les  huguenots  et  les  papistes.  Pour 
vaincre  son  opposition,  les  meneurs  du  calvinisme  organisèrent 
des  émeutes  qui,  durant  plusieurs  jours,  remplirent  la  ville  de 
Paris  de  meurtre  et  de  pillage.  Dans  les  provinces,  comme  dans 
la  capitale,  des  bandes  sectaires  armées  commirent  contre  les 
catholiques,  contre  leurs  églises  et  leur  culte  des  acles  de  van- 
dalisme et  de  barbarie,  pillant  les  maisons  et  les  couvents,  mas- 
sacrant des  religieux  et  des  prêtres  2.  On  mettait  ainsi  en  pratique 
les  recommandations  de  Calvin  au  marquis  du  Poët  :  «  Surtout 
ne  faites  faute  de  défaire  le  pays  de  ces  zélés  faquins,  qui  exhor- 
tent le  peuple  par  leurs  discours  à  se  bander  contre  nous,  noir- 
cissent notre  conduite  et  veulent  faire  passer  pour  rêveries  notre 
croyance.  Pareils  monstres  doivent  estre  étouffés,  comme  je  fis  en 
l'exécution  de  Michel  Servet 3.  » 

10.  Pendant  qu'on  essayait  d'effrayer  le  Parlement  par  les  pé- 
rils que  sa  résistance  à  l'Édit  pouvait  causer  dans  le  royaume,  le 
P.  Lainez  profondément  affligé  multipliait  ses  démarches,  de 
nuit  comme  de  jour,  chez  le  roi,  la  reine-mère,  les  princes,  les 
magistrats,  démontrant  à  tous  que  faire  la  moindre  concession 
c'était  perdre  la  religion.  On  le  supplia,  à  plusieurs  reprises,  de 
ménager  sa  santé,  de  moins  s'exposer  aux  embûches  des  sectaires  : 
«  Les  missionnaires,  répondit-il,  ont  à  supporter  bien  d'autres 
fatigues  dans  les  pays  infidèles;  quant  à  ma  vie,  je  la  sacrifierais 
volontiers  pour  une  si  noble  cause,  mille  fois  heureux  si  Dieu 
m'accordait  une  grâce  si  précieuse  4.  »  Il  engageait  avec  le  même 
zèle  les  prédicateurs,  les  docteurs  de  Sorbonne,  les  curés,  les 


1.  Cf.  Dareste,  Hist.  de  Fronce,  IV,  181. 

2.  Lettre  de  Perrenot  de  Chatonnay  dans  les  Mémoires  de  Coudé,  t.  II,  p.  28.  — 
Journal  de  Bruslart  dans  les  Mémoires  de  Condé,  t.  I,  p.  72.  Cf.  de  Meaux,  Les 
luttes  religieuses  en  France,  p.  83. 

3.  L'original  de  cette  lettre,  longtemps  dans  les  mains  de  M.  d'Arlissac  de  Valréas, 
a  été  reproduit  dans  Sotice  historique  sur  Valréas. 

4.  Lettre  du  P.  X,  l9r  janvier  1562  (Galliae  Epist.,  t.  I,  fo!.  12;, 


LEDIT  DE  TOLERANCE. 

supérieurs  des  maisons  religieuses,  a  ne  rien  épargner  pour  ins- 
truire le  peuple  des  vérités  de  la  foi  et  le  prémunir  contre  les 
artifices  des  hérétiques.  Lui-même  entreprit,  dans  l'église  des 
Ermites  de  Saint-Augustin,  une  série  de  prédications  latines  qu'il 
continua  plus  d'un  mois  avec  un  nombreux  concours  d'auditeurs. 
Dès  qu'il  put  suffisamment  se  faire  comprendre  en  français,  dont 
il  avait  perdu  l'habitude,  il  se  mit  à  prêcher  au  peuple  dans  di- 
verses églises,  et  il  eut  la  consolation  de  voir  bien  des  pécheurs 
revenir  à  Dieu  et  plusieurs  hérétiques  abjurer  leurs  erreurs.  Il 
travaillait  aussi,  dans  des  entretiens  particuliers,  à  convertir  le 
roi  de  Navarre  et  le  prince  de  Condé,  à  ranimer  la  foi  éteinle  du 
cardinal  de  Chàtillon  et  de  Montluc,  évèque  de  Valence  '. 

Dans  le  dessein  de  préserver  la  religion  de  l'outrage  que  lui 
préparait  une  aveugle  tolérance,  il  composa  en  italien,  et  remit 
à  Catherine  de  Médicis,  un  remarquable  Mémoire  où  il  prouvait 
qu'accorder  aux  réformés  des  temples  publics  et  la  liberté  de  leur 
culte  était  une  mesure,  non  seulement  impie,  mais  encore  dange- 
reuse pour  l'État  et  contraire  à  la  pacification  elle-même.  L'unité 
dans  la  Foi  conserve  aux  nations  leur  unité  politique;  elle  seule 
rend  les  peuples  forts,  et,  empêchant  de  discuter  la  source  du 
pouvoir,  elle  maintient  le  respect  dû  à  la  loi  dont  ce  pouvoir  est 
l'organe.  D'ailleurs,  la  tolérance  pour  les  esprits  novateurs  doit 
être  limitée  par  l'intérêt  fondamental  de  la  société  tout  entière. 
Or,  «  la  division  des  cœurs  une  fois  introduite  avec  la  diversité  des 
religions,  disait  le  P.  Lainez,  il  n'y  aurait  ni  obéissance,  ni  dé- 
vouement dans  le  service  du  roi,  parce  que  le  parti  dissident 
n'aimerait  plus  le  monarque,  et  en  désirerait  un  autre  qui  fût  de 
la  même  religion  que  lui.  Ainsi  disparaîtrait  la  fidélité  ;  et  si  les 
ennemis  étrangers  menaçaient  la  France,  celle-ci  se  trouverait 
plus  exposée  à  leurs  attaques.  Et  il  ne  faut  pas  croire  qu'on  pour- 
rait si  facilement  contenter  les  deux  partis;  car,  comme  le  dit 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  :  on  ne  peut  servir  deux  maîtres.  N'ar- 
rivera-t-il  pas  au  contraire  ce  que  le  Sauveur  dit,  autre  part,  qu'un 
royaume  divisé  en  lui-même  sera  désolé?  De  plus,  si,  tant  que 
l'antique  religion  a  fleuri  dans  ce  pays,  Dieu  l'a  conservé  et  cou- 
vert d'une  protection  spéciale,  ne  doit-on  pas  craindre  que  dans 
le  cas  où  elle  viendrait  à  s'éteindre,  il  n'abandonnât  la  France, 
comme  il  a  abandonné  l'empire  d'Orient,  en  le  laissant  s'affaiblir 

1.  lbid.,  fol.  98.  Lettre  du  4  juin  1562.  —  Lettre  du  P.  Polanco  au  P.  Salmeron, 
29  déc.  1561,  dans  Précis  historiques,  1889,  janvier,  p.  11.  —  Cf.  Sacchini,  Histor. 
Soc.  Jesu,  P.  II,  1.  V,  n.  207-212. 


266  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

par  les  hérésies  que  cet  empire  avait  reçues  dans  son  sein  l  ».  En 
parlant  ainsi,  le  (Général  de  la  Compagnie  de  Jésus  faisait  preuve 
de  sagesse  politique;  malheureusement,  sa  prévoyance  fut  con- 
damnée à  la  stérilité  par  la  faiblesse  de  la  reine-mère  et  des 
conseillers  de  la  couronne. 

11.  Pourtant,  les  faits  parlaient  eux-mêmes  et  confirmaient 
les  avertissements  du  Mémoire.  Les  graves  questions,  qui  agi- 
taient alors  les  esprits,  avaient  troublé  et  soulevé  jusqu'aux 
écoliers  de  l'Université.  Dans  leur  effervescence  ils  ne  respec- 
taient plus  ni  religion,  ni  discipline.  Au  lieu  des  paisibles  dé- 
bats scolastiques,  on  ne  s'occupait  que  de  tolérance  et  de  liberté; 
on  prenait  parti  pour  les  catholiques  ou  pour  les  calvinistes; 
on  se  traitait  de  papistes  ou  de  huguenots.  Les  imaginations 
s'échauffant  de  plus  en  plus,  des  mutineries,  qui  menaçaient  de 
devenir  sanglantes,  éclatèrent  dans  les  collèges,  et  l'autorité  des 
maîtres  et  des  Principaux  se  trouva  impuissante  à  les  réprimer. 
Le  P.  Lainez  visita,  l'un  après  l'autre,  les  nombreux  collèges  de 
Paris.  L'un  des  premiers  où  il  porta  ses  pas  fut,  on  peut  le 
croire,  celui  de  Sainte-Barbe,  auquel  l'attachait  le  souvenir  de 
ses  premiers  entretiens  avec  Ignace  de  Loyola2.  Il  exhortait  les 
jeunes  gens  à  ne  point  fréquenter  les  assemblées  des  hérétiques, 
à  s'appliquer  à  l'étude  des  lettres  sans  négliger  les  exercices  de 
la  piété  chrétienne  ;  il  recommandait  aux  Principaux  de  pres- 
crire quelques  prières  à  réciter  chaque  jour  pour  le  salut  du 
royaume,  de  veiller  sur  la  conduite  des  maîtres  et  des  élèves, 
de  les  prémunir  contre  la  corruption  du  cœur,  cause  si  fré- 
quente de  la  perversion  de  l'esprit ;. 

Le  Parlement,  de  son  côté,  avait  mandé  dix-huit  Principaux 
des  collèges  les  plus  importants,  et  s'était  plaint  des  attroupe- 
ments d'écoliers  «  portant  armes,  s'assemblant  par  dizaines  et 
capouraux,  à  l'issue  des  leçons  publiques,  allant  auxpresches,  au 
grand  scandale  de  l'Université  ».  Les  Principaux  répondirent  que 
le  trouble  «  ne  venait  d'eux,  mais  de  ceux  qui  ne  demeuraient 
pas  dans  les  collèges  »,  c'est-à-dire  des  Martinets.  Néanmoins  le 
Parlement  confia  à  trois  de  ses  membres  l'instruction  de  cette 
affaire,  et  les  chargea  «  d'interroger  les  Principaux  sur  les  au- 


1.  Mémoire  du  P.  Lainez,  texte  original  dans  Grisai',  Jacobi  Lainez.  disput.  Triil., 
t.  II,  p.  94,  110. 

2.  Quicheral,  Hist.  de  Sainte-Barbe,  11,  25. 

3.  Ribadeneira,  La  vie  du  P,  J.  Lainez,  p.  142,  143. 


L'ÉDIT  DE  TOLÉRANCE  267 

teurs  de  ces  émotions  et  d'aviser  au  moyen  de  les  faire  cesser1  ». 
Cette  enquête  n'eut  d'autre  résultat  que  d'inspirer  la  craiute  aux 
écoliers  des  provinces,  qui  prirent  le  prudent  parti  de  se  retirer 
de  la  mêlée  et  de  s'enfuir  dans  leurs  familles.  De  vingt  mille 
étudiants  que  comptait  l'Université,  il  n'en  resta  plus  qu'un 
millier  dont  quatre  cents  étaient  calvinistes'. 

Pendant  ce  temps-là,  le  Parlement  continuait  à  refuser  l'en- 
registrement de  YÉdit  de  tolérance.  En  vain,  le  3  mars,  le  prince 
de  la  Roche-sur-Yon  vient  dire  aux  magistrats,  de  la  part  de  la 
reine,  que  cette  formalité  presse,  que  les  têtes  s'échauffent,  que 
les  séditions  éclatent  partout  et  qu'il  n'y  a  pas  d'autre  moyen 
de  les  apaiser;  en  vain  les  gens  du  roi  unissent  leurs  prières  à 
celle  du  prince ,  alléguant  les  mêmes  motifs  :  la  cour  déclare 
par  arrêt  «  qu'elle  ne  peult  et  ne  doibt  »,  et  la  séance  est  levée  !. 
Le  lendemain,  disent  les  registres  du  Parlement,  «  pendant 
qu'on  délibéroit  sur  l'édit  du  17  janvier,  présents  M.  le  prince 
et  le  mareschal  de  Montmorency,  les  gens  du  roy  sont  venus 
interrompre  pour  représenter  que,  dans  la  court  du  palais,  y  avoit 
plus  de  quatre  cents  escolliers  et  autres,  armez,  les  aulcuns  à 
blanc,  disans  qu'ils  vouloient  parler  au  premier  président  et 
au  procureur  général,  murmuransde  ce  que  l'édit  n'est  publié, 
et  que  si  on  ne  veult  leur  bailler  des  temples,  ils  en  prendront  ; 
qu'ils  se  sont  retirez,  mais  qu'ils  reviendront'  ».  Malgré  les 
violences  dont  on  le  menaçait,  le  Parlement  refusa  encore  les  for- 
malités de  la  promulgation.  Il  fallut,  pour  obtenir  l'enregistre- 
ment, rendre  l'édit  provisoire,  en  y  insérant  cette  clause  condi- 
tionnelle :  «  Jusqu'à  ce  que  le  concile  général  ait  décidé  les 
points  contestés,  ou  que  le  roi  en  ait  autrement  ordonné.  »  Et, 
même  ainsi  modifié,  l'édit  de  janvier  ne  fut  admis  qu'après  com- 
mandement exprès  et  réitéré  de  Charles  IX5. 

Sa  publication  indigna  les  catholiques  et  remplit  de  joie  les 
réformés.  Tous  y  reconnurent  l'influence  prépondérante  du  chan- 
celier de  L'Hôpital.  Porté  aux  nues  par  les  uns,  accablé  de  re- 
proches par  les  autres,  celui-ci  fut  troublé  des  blâmes  de  Pie  IV 
et  tâcha  de  le  convaincre  de  sa  «  droiture  et  bonne  intention11  » 
en  invoquant  les  raisons  d'État.  Le  Saint  Père  lui  fit  savoir  qu'il 

1.  Journal  de  Bruslart  dans  les  Mémoires  de  Condé,  t.  I,  p.  82. 

2.  Quicherat,  op.  cil.,  p.  26. 

3.  Mémoires  de  Condé,  t.  III,  p.  22. 

4.  Félibien,  Hist.  de  Paris,  IV,  800. 

5.  Mémoires  de  Castelnau,  1.  III,  ch.  v. 

6.  Dupuy,  Instructions  et  lettres  des  rois  1res  chrétiens,  p.  274. 


268  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSIS. 

attendait  de  lui  un  autre  genre  de  justification  :  «  Nous  vous 
exhortons  dans  le  Seigneur,  lui  écrivit-il,  à  faire  en  sorte  désor- 
mais que  nous  puissions  juger  à  vos  œuvres  que  vous  n'avez  pas 
voulu  le  mal  dont  on  vous  accuse  '.  » 

On  ne  saurait  méconnaître  le  mérite  du  chancelier  comme  ju- 
risconsulte et  magistrat;  mais  l'opinion  générale  de  son  temps 
était  que,  sans  professer  ouvertement  l'hérésie,  il  y  était  secrète- 
ment attaché.  Ainsi,  observe  Brantôme,  «  encore  qu'il  allât  à  la 
messe,  on  disait  à  la  cour  :  Dieu  nous  garde  de  la  messe  de  M.  de 
V Hôpital ï  »  Comme  Pie  IV  et  les  contemporains,  c'est  à  lui,  à 
ses  conseils  et  à  son  influence,  que  la  postérité  a  toujours  attribué 
les  suites  funestes  de  ledit  de  janvier.  A  partir  de  cet  acte  impo- 
litique, les  p:édictions  du  P.  Lainez  devaient  se  réaliser  :  la 
tolérance  sera  un  germe  de  discorde;  le  pays  divisé  et  affaibli 
portera  au  cœur  un  mal  dont  il  ne  guérira  jamais. 

1.  Raynaldi,  Annales  ecclcsiastici.  ad  ann.  1562,  n.  130. 


CHAPITRE  Vil 

ESSAI    DE    FONDATION    D'UN    COLLÈGE    A    PAMIERS. 

(1559-1561). 

Sommaire  :  1.  État  religieux  du  Béarn  au  xvie  siècle.  —  2.  Démarches  de  M-r  de 
Pellevé  pour  la  fondation  d'un  collège  de  la  Compagnie.  —  3.  Acceptation  du 
P.  Général,  1559.  Envoi  des  PP.  Jean  Pelletier,  Émond  Auger  et  Jean  Pioger. 

—  4.  Leur  arrivée  à  Pamiers;  opposition  qu'ils  rencontrent;  leurs  premiers 
ministères.  —  5.  Ouverture  de  quatre  classes  clans  une  maison  particulière,  en 
novembre  1559.  Procès  de  l'évêque  avec  la  ville.  —  6.  Prédications  des  PP. 
Pelletier  et  Auger.  —  7.  Accusation  contre  le  P.  Pelletier;  son  emprisonnement. 

—  8.  Résistance  de  la  ville  aux  volontés  de  l'évêque;  les  Jésuites  sont  chassés 
de  Pamiers. 

Sources  manuscrites  :  I.  Archives  de  l'Ariège,  séries  G  et  H. 

II.  Archives  communales  de  Pamiers,  sér.  D. 

III.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie.  —  a)   Décréta  et  Instructiooes. 

—  b)  Epistolae  Episcoporuni.  —  c)  Franciae  hisloria.  —  d)  Galliarum  monumenta  historica. 

—  e)  Gallia,  Epistolae  Generalium.  —  f)  Galliae  Epistolae.  —  g^  Tolos.  fundationes  col- 
lcgiorum. 

IV.  Archiv.  Prov.  de  France  :  Varia  de  Socielate  Jesu  ;  —  Vray  pourtraict  de  la  vie  du 
P.  Émond  Auger,  par  le  P.  Nicolas  Bailly. 

Sources  imprimées  :  De  Lahondès,  'Annales  de  Pamiers.  —  Du  Roulay,  Ilist.  Univer- 
sit.  Paris.  —  Carias  de  San  Ignacio  de  Loyola.—  Manare,  De  rébus  Soc.  Jesu  commen- 
tarins.  —  Ribadeneira.  La  vie  du  R.  P.  J.  Lainez.  —  Synopsis  Actorum  SSae  Sedis.  — 
Ve  de  Meaux,  Les  luttes  religieuses  en  France,  —  Mu.nl. me  nia  iiistokhu  S.  .1.  Chroni- 
con  S.  J.  —  Epist.  mixl.;  —  Epist.  P.  Nadal;  —  Epistolae  PP.  Pqschasii  Broeti, 
Claudii  Jaii... 

1 .  Au  moment  où  la  Compagnie  de  Jésus  recevait  légalement  le 
droit  de  cité  en  France,  elle  y  avait  trois  collèges  établis  par  trois 
évêques  avec  l'autorisai  ion  du  roi.  L'enchaînement  des  faits  nous 
a  permis  de  raconter  la  fondation  du  premier  d'entre  eux,  celui 
de  Mgl  du  Prat  dans  la  ville  de  Billom.  Ce  chapitre  et  le  suivant 
seront  consacrés  aux  fondations  de  Pamiers  et  de  Tournon. 

Le  P.  Broet  se  trouvait  encore  à  Rome,  pour  la  CongTégation 
générale  de  1558,  quand  il  reçut  du  P.  Bellefille,  son  remplaçant 
provisoire,  une  lettre  dans  laquelle  on  lui  annonçait  que  Mgr  Robert 
de  Pellevé,  évêque  de  Pamiers,  désirait  fonder  dans  celte  ville  un 
collège  de  la  Compagnie.  Cette  proposition  méritait  d'être  prise 
eu  considération.  La  vieille  capitale  du  comté  de  Foix  était  alors 
assez  importante,  et  Ion  pouvait  espérer  que  l'influence  salutaire 


270  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

d'un  collège  catholique  s'étendrait  de  là  dans  tout  le  midi  de  la 
France.  Cependant  les  troubles  qui,  depuis  quelques  années, 
agitaient  le  Béarn,  n'étaient  pas  pour  rendre  l'entreprise  aisée. 
Sous  le  règne  de  François  Ier,  la  religion  équivoque  de  Marguerite 
de  Valois,  sa  sœur,  avait  ouvert  ce  pays  à  la  propagande  des 
novateurs.  Princesse  bel  esprit,  curieuse  et  savante,  alliant  à  un 
singulier  mysticisme  une  extrême  liberté  de  pensée  et  de  langage, 
la  reine  de  Navarre  avait  d'abord  soutenu  de  son  influence  l'évèque 
de  Meaux  et  ses  théologiens1.  Quand  le  petit  cénacle  hérétique  de 
Guillaume  Briçonnet  fut  dissous,  en  1523,  elle  accueillit  dans  ses 
états  l'un  des  fugitifs,  Gérard  Roussel,  dont  elle  fit  son  prédicateur 
et  qu'elle  pourvut  plus  tard  de  l'évêché  d'Oloron2.  Tandis  qu'elle 
laissait  représenter  à  sa  cour  des  scènes  bibliques  où  la  vie  monas- 
tique était  tournée  en  dérision,  Gérard  Roussel,  sans  jamais 
rompre  avec  l'Église,  célébrait  dans  les  caves  du  château  de  Pau 
une  messe  de  son  invention,  adoptait  le  calvinisme  dans  ses  livres 3, 
le  répandait  par  son  enseignement  et  ses  œuvres.  Comme  il  était 
éloquent,  charitable  et  de  mœurs  austères4,  il  parvint  à  séduire 
sans  alarmer  les  consciences  :  «  Il  a  fait  du  fruit  »,  avoue  Théodore 
de  Rèze  '  qui  lui  reproche  pourtant  sa  froideur.  Roussel  mourut 
en  1 549.  Marguerite  de  Valois  était  morte,  l'année  précédente,  dans 
le  repentir  et  les  sentiments  de  la  piété  la  plus  orthodoxe.  Mais 
elle  avait  semé  des  germes  d'hérésie  que  cette  mort  édifiante  ne 
pouvait  plus  détruire  et  dont  sa  tille,  formée  à  son  image,  allait 
favoriser  l'éclosion. 

Au  début,  Jeanne  d'Albret,  calviniste  d'éducation  et  au  fond 
de  l'âme,  sembla  retenir  le  zèle  que  son  mari,  Antoine  de  Bourbon, 
devenu  roi  de  Navarre  à  la  mort  de  Henri  d'Albret,  affichait  pour 
la  réforme  avec  l'ardeur  passagère  de  son  caractère  léger.  Elle, 

1.  Elle  entretenait  avec  Briçonnet  une  correspondance  suivie.  Ses  lettres  et  celles 
•le  l'évèque  conservées  à  la  Bibl.  nat.  (mss.  fr.  11,  495)  sont,  dit  l'abbé  Puyol.  «  du 
mysticisme  le  plus  insensé  »  {Louis  XIII  et  le  Béarn,  p.  14,  note). 

2.  On  peut  voira  la  Bibl.  nat.  (Tonds  Dupuy,  t.  LCUI)  le  curieux  mémoire  par  lequel 
Henri  de  Navarre  demande  l'expédition  en  cour  de  Rome  de  l'évêché  d'Oloron  en 
faveur  de  Gérard  Roussel. 

:{.  Schmidt,  Gérard  Roussel,  prédicateur  de  la  reine  de  Navarre  (Strasbourg, 
1845,  in-8).  L'auteur,  pasteur  protestant  et  historien  consciencieux,  dit  à  propos  d'un 
ouvrage  de  Roussel  :  «  Comment  se  fait-il  qu'un  év<  que  ait  pu  écrire  [ce!  livre?  ou 
plutôt  comment  se  fait-il  que  celui  qui  l'a  écrit  ait  pu  conserver  sa  dignité  de  prélat 
de  Rome?  »  (p.  153.-154).  Cité  par  Puyol  (op.  cit.,  p.  1G.  note). 

i.  Voir  Lettres  inédites  de  Marguerite  du  Navarre  publiées  par  Génin,  lettres  89 
et  210  au  connétable  de  Monlmorency  (t.  I,  p.  267,  299). 

5.  Bèze,  Ilist.  des  Egl.  Réf.,  t.  1,  p.  G.  —  Sur  les  débuts  du  calvinisme  en  Béarn, 
voir  :  Florimond  de  Rémond,  De  la  naissance  des  Hérésies,  1.  VIII,  o.  m.  Sponde. 
tout.  ann.  Baron.,  an.  1534-15i9,  —  Henri  de  Sponde,  évêque  de  Tamiers  de  1G26  a 
1643,  était  né  à  Mauléon  en  1568;  élevé  dans  la  religion  protestante,  il  abjura  en  1595 


ESSAI  DE  FONDATION  D'UN  COLLÈGE  A   l'A  Ml  EUS.  _>7l 

l>lus  politique,  usait  d'atermoiements,  voulait  éviter  toute  rupture 
avec  Rome  et  le  roi  de  France,  et  maintenir  la  paix  en  lie  ses  sujets. 
Somme  toute,  l'un  et  l'autre  n'en  protégeaient  pas  moins  efficace- 
ment les  novateurs,  et  faisaient  de  leurs  états  une  terre  d'asile 
où  les  ministres  bannis  d'ailleurs  prêchaient  publiquement  et 
élevaient  des  temples  nombreux  '.  Le  peuple,  mal  défendu  par  un 
clergé  faible  et  ignorant2  contre  les  idées  nouvelles,  les  acceptait 
les  yeux  fermés,  pendant  que  les  hautes  classes,  jalouses  de  la 
faveur  des  souverains,  subissaient  lâchement  l'influence  de  la 
reine  et  de  son  entourage.  Ainsi  le  Béarn  mûrissait  pour  l'hérésie. 
Bientôt,  la  reine  Jeanne  donnera  les  dernières  secousses  qui  l'y 
feront  tomber.  Révoltée  par  les  intrigues  de  l'Espagne3,  l'ani- 
mosité  de  la  cour  de  France  et  les  infidélités  scandaleuses  de  son 
mari  après  un  retour  plus  ou  moins  sincère  à  l'Eglise4,  cette 
femme,  fière  et  vindicative,  propagera  de  toutes  ses  forces  le 
calvinisme,  et  mettra  son  énergie  sans  scrupules  à  en  imposer, 
sous  les  peines  les  plus  sévères,  la  profession  publique  à  tous 
ses  sujets. 

-2.  Telle  était  la  situation  religieuse  du  pays,  lorsque  Robert 
de  l'ellevé  fut  nommé,  en  1550,  à  l'évêché  de  Pamiers.  Il  ap- 
partenait à  une  ancienne  et  noble  famille  de  Normandie,  et  avait 
montré  dès  sa  jeunesse  un  esprit  sérieux,  l'amour  du  travail  et 
le  goût  de  l'étude.  Son  élévation  était  due  beaucoup  plus  à  son 
mérite  personnel  qu'à  la  faveur  de  son  frère  Nicolas  ',  évèque 
d'Amiens,  ou  à  la  bienveillance  du  cardinal  de  Lorraine.  Très 
soucieux  des  intérêts  catholiques,  il  vit  avec  peine  son  diocèse 

1.  Bossuet,  Hist.  des  variations  (liv.  V),  a  (ail  un  tableau  du  Béarn  à  celte  époque: 
«  On  méprisait  les  lois  ecclésiastiques...  » 

2.  Un  digne  émule  de  Roussel,  dans  un  autre  genre,  Louis  d'Albret,  évoque  de 
Lescar,  ;<  après  avoir  fait  paraître  aux  yeux  de  son  clergé  une  affreuse  licence...  con- 
courut à  la  destruction  du  culte  catholique  et  finit  par  se  marier,  exemple  qui  fut 
imité  par  des  prêtres  et  des  moines  de  son  diocèse  »  (De  Meaux,  Les  Luttes  religieuses 
en  France,  p.  119,  note).  —  «  Beaucoup  de  prêtres  en  Béarn  savaient  à  peine  lire  », 
dit  l'abbé  Poyedavant  {Histoire  des  troubles  survenus  en  Béarn,  cité  par  le  Ve  tic 
Meaux,  ibid.). 

3.  Le  roi  d'Espagne,  Ferdinand  le  Catholique,  s'autorisant  d'une  bulle  de  Jules  II, 
avait  dépouillé  Jeanne  d'Albnt  de  la  Navarre.  Cf.  Mémoires  de  Caste: nau,  I.  III, 
e.  vin  (Ed.  Michand,  p.  450-451).  Poyedavant,  op.  ci/.,  t.  I,  p.  8». 

4.  On  avait  fait  croire  à  Antoine  de  Bourbon  que  s'il  revenait  au  catholicisme,  il 
pourrait  recouvrer  la  Navarre  ou  avoir  le  royaume  de  Sardaigne  (Métn.  de  Castelnau. 
ibid.).  Cf.  Ue  Meaux,  op.  cit.,  p.  120. 

5.  Nicolas  de  Pellevé  fut  élevé  aux  plus  hautes  dignités  de  l'Église  et  de  l'État. 
Il  devint  successivement  nonce  en  Ecosse,  garde  des  sceaux,  président  du  conseil 
royal  pendant  l'absence  de  Charles  IX,  collègue  du  cardinal  de  Lorraine  au  concile 
de  Trente,  archevêque  de  Sens,  cardinal  piètre,  ambassadeur  a  Rome  et  archevêque 
de  Reims. 


■21-2  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

dévasté  par  les  hypocrites  manœuvres  des  réformés.  Pamiers, 
capitale  du  comté  de  Foix,  en  avait  particulièrement  souffert; 
car  Jean  de  Barban^on,  l'évêque  précédent,  qui  à  ce  titre  par- 
tageait la  suzeraineté  de  la  ville  avec  Jeanne  d'Albret,  loin  de 
s'opposer  à  la  marche  du  fléau,  l'avait  à  ce  point  favorisé  qu'il 
fut  dénoncé  à  Rome  comme  suspect  d'hérésie.  Remédier  à  un 
mal  déjà  profond  était  une  lourde  tâche  pour  le  nouveau  pas- 
teur. Il  pensa  qu'un  des  moyens  les  plus  efficaces  était  l'instruc- 
tion de  la  jeunesse,  et  encouragé  par  quelques  magistrats  restés 
catholiques,  il  résolut  de  fonder  un  collège  de  la  Compagnie  de 
Jésus. 

Le  8  février  1557.  il  fit  demander  à  la  ville  de  vouloir  bien 
contribuer  aux  dépenses  du  futur  établissement;  mais  le  conseil, 
composé  en  partie  de  protestants,  refusa  d'abord  de  se  prêter  à 
l'admission  des  Jésuites  dans  la  cité  «  parce  que,  dit-il,  elle  a 
prou  de  moines  et  de  nonnains,  et  qu'elle  est  remplie  de  telle 
sorle  de  gens  oiseux  qui  seroient  un  jour  pour  se  rendre  maîtres 
des  habitans,  si  on  permettoit  cette  fourmilière  importune  et  fas- 
cheuse  '  ».  Le  chapitre,  pins  favorable,  consentit  à  donner  cent 
livres  de  rente  aux  régents  proposés  par  l'évêque2.  Celui-ci, 
d'ailleurs,  persévérant  à  lutter  pour  le  salut  de  son  troupeau, 
poursuivit  ses  démarches  et,  le  31  janvier  1558,  il  obtint  des 
lettres  patentes  du  cardinal  Trivulce,  légat  du  Pape3.  Au  mois 
de  juin  suivant,  le  roi  Henri  II  lui  en  accorda  d'autres,  lui  per- 
mettant «  de  faire  construire  et  réédifier  un  collège  dans  la  dicte 
ville  »;  et  l'on  voit,  par  les  termes  de  ces  lettres  royaux,  que  l'é- 
vêque avait  du  moins  obtenu  des  consuls  une  rente  de  300  livres 
pour  l'entretien  de  régents  quelconques,  ce  qui  avec  sa  propre 
contribution ,  celle  du  chapitre  et  «  encores  autres  cent  livres 
que  le  dict  évèque  auroit  promis  faire  fournir  »  par  le  roi  et  la 
reine  de  Navarre,  portait  à  six  cents  livres  le  revenu  total  an- 
nuel '. 

Le  P.  Broet,  pendant  son  séjour  à  Rome,  avait  adopté  en  prin- 
cipe, d'accord  avec  le  P.  Lainez,  la  proposition  faite  par  Mgr  de 
Pellevé,  sauf  à  s'entendre  après  son  retour  sur  les  conditions  qu'il 
ne  connaissait  pas  encore.  A  son  arrivée  à  Paris,  maître  iNicolas 
Bellefille  lui  en  apprit  quelque  chose  :  «  L'évêque,  les  chanoines 


1.  Délibérations  niss.  citées  par   Laliondés,  Annales  de  Pamiers,  t.  I.  p.  c. 
•>..  Délibérations  capitu1.  du  11  juin  1557  (Archives  de  l'Ariège,  G,  83,  fol.  220 
:ï.  Copie  collationnée  [Archiv.  corn,  de  Pamiers,  3,  n"  1). 
4.  Archiv.  de  l'Ariège,  H,  Jésuites. 


ESSAI  DE  FONDATION  D'UN  COLLEGE  A  PAMIERS.  273 

et  la  ville  donnaient,  du  consentement  du  roi,  six  cents  francs 
de  rente  perpétuelle;  remplacement  du  collège  était  très  bien 
situé  et  l'église  fort  belle1.  »  Quand  le  P.  Provincial,  quelque 
temps  après,  eut  les  pièces  officielles  contenant  les  conditions 
stipulées  entre  l'évoque,  le  chapitre  et  les  magistrats  de  Pamiers. 
il  fut  tout  surpris  de  voir  que  ni  le  contrat  ni  les  lettres  du  roi 
ne  parlaient  d'un  collège  de  la  Compagnie  de  Jésus,  mais  seule- 
ment d'un  personnel  indéterminé  de  dix  au  douze  membres  au 
maximum,  et  parmi  eux  «  quatre  régents  de  sçavoir,  expérience 
et  bonne  doctrine...  »  dont  quelques-uns  enseigneraient  le  droit 
canon  et  le  droit  civil2.  Le  P.  Cogordan  se  rendit  en  toute  h;ïtc 
auprès  de  Mgpde  Pellevé,  qui  demeurait  alors  à  quatorze  lieues  de 
Paris.  Rien  ne  fut  plus  aisé  que  de  s'entendre  :  «  Monseigneur 
dit  qu'il  avait  bien  l'intention  d'établir  à  Pamiers  un  collège  de 
la  Compagnie,  conformément  à  son  Institut;  qu'on  y  enseigne- 
rait les  lettres  humaines,  le  grec  et  l'hébreu,  la  philosophie  et  la 
théologie,  et  qu'on  y  mettrait  autant  de  Pères  qu'il  en  faudrait; 
que  s'il  n'avait  pas  fait  mention  de  la  Compagnie  de  Jésus,  c'était 
pour  ménager  certaines  susceptibilités,  mais  qu'après  l'arrivée 
des  Pères  tout  s'arrangerait3.  » 

Malgré  ces  bonnes  paroles,  il  restait  bien  quelques  doutes  sur 
l'exécution  du  contrat.  Toutefois  l'établissement  d'un  collège  à 
Pamiers  paraissait  si  utile  et  si  avantageux,  que  le  P.  Provincial 
n'hésita  pas  à  demander  au  P.  Général  l'envoi  de  quelques  pro- 
fesseurs, pour  ouvrir  immédiatement  les  classes''.  De  son  côté, 
Robert  de  Pellevé  avait  soin  de  préparer  les  voies  à  ses  proté- 
gés. Au  mois  d'avril  1559,  M.  Cardellac,  son  vicaire  général,  se 
présenta  aux  consuls,  et  de  sa  part  leur  proposa  les  Jésuites 
«  pour  régenter  le  collège  ».  Cette  proposition  fut  discutée  dans 
un  «  conseil  tenu  le  septiesme  »  du  même  mois,  et  acceptée 
assez  favorablement,  si  l'on  en  juge  par  la  conclusion  suivante  : 
«  Quant  aux  régents  Jézoïstes...  qu'ils  seront  reçeus  à  tel  pacte 
que  soyent  de  qualité  requise,  soufizans  et  capables...  et  que 
soyent  Françoys  pour  le  regard  de  la  langue  du  pays;...  pour  le 
regard  des  lieux,  la  ville  ne  peut  présentement  autrement  cons- 
truire ledit  collège5.  »  Il  est  probable  que  le  P.  Broet  fut  mis 

1.  Leltre  du  P.  Broet  au  P.  Lainez,  5  nov.  1558  (Epist.  P.  Broeti,  p.  125,  126). 

2.  Lettres  patentes  de  Henri  II  (Archiv.  de  l'Ariège,  II.  Jésuites). 

3.  Lettre  du  P.  Cogordan  au  P.  Lainez,  20  déc.  1558  (Francia,  Hislor.  Prov.,  t.  I 
n"  '21). 

4.  Lettre  du  22  janvier  1559  (Epist.  /'.  Broeti,  p.  128). 

■  >.  Arch.  corn,  de  Pamiers,  D,  105.  Les  délibérations  de  1558  manquent,  ce  qui  nous 
a  empêché  de  suivie  les  démarches  de  l'évêque  de  1557  a  1559. 

compagnie  de  jésls.  —  t.  i.  18 


274  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

au  courant  de  ces  bonnes  dispositions,  car,  dans  une  lettre  du 
1"  mai,  il  insista  auprès  du  P.  Lainez  sur  la  nécessité  de  ré- 
pondre le  plus  tôt  possible  à  l'attente  de  l'évoque  et  aux  désirs 
des  catholiques  de  la  ville.  Profitant  d'une  occasion,  il  envoya 
même  à  Rome  une  somme  «  de  cinquante  écus  d'or  »  pour  le 
voyage  des  régents,  et  indiqua  ceux  qui  lui  semblaient  le  mieux 
convenir  dans  les  circonstances  présentes  :  «  Il  importe  beau- 
coup, disait-il,  de  jeter  de  solides  fondements;  c'est  pourquoi  il 
nous  semble,  sauf  meilleur  avis  de  Votre  Révérence,  qu'elle  ferait 
très  bien  de  désigner  avec  le  P.  Guy  Roillet,  maitre  Émond  Auger, 
et  trois  ou  quatre  autres  Pères  de  même  mérite,  qui  lui  paraî- 
tront mieux  s'adapter  aux  mœurs  du  pays  et  aux  difficultés  de  la 
situation1.  » 

3.  Le  11  mai  1559,  le  P.  Général  fit  savoir  au  Provincial  de 
France  qu'il  acceptait  le  collège  de  Pamiers  dans  les  conditions 
proposées,  puis  il  décida  d'envoyer  d'Italie,  pour  travailler  à  ses 
débuts,  les  PP.  Jean  Pelletier,  Émond  Auger,  Jean  Roger  et  Pierre 
Ba^ault.  Les  deux  premiers,  par  le  rôle  qu'ils  ont  joué,  méritent 
plus  qu'une  simple  mention. 

Le  P.  Jean  Pelletier,  ancien  étudiant  du  collège  des  Lombards, 
avait  été  chargé,  à  la  maison  professe,  de  la  formation  des  jeunes 
religieux  destinés  à  devenir  les  solides  assises  du  collège  romain. 
Il  les  accompagna,  comme  supérieur,  lorsque  cet  établissement 
ouvrit  ses  premières  classes  au  pied  du  Capitol e.  Telle  fut  la 
perfection  de  son  gouvernement  que  le  P.  Ignace  l'avait  nommé 
le  saint  recteur.  Il  alla  ensuite  fonder  le  collège  de  Ferrare , 
qui  devint  pour  la  foi  un  boulevard  inexpugnable  contre  les 
assauts  du  calvinisme,  favorisé  par  la  duchesse  Renée  de  France. 
Il  contribua  puissamment  à  ramener  celle-ci  au  catholicisme2,  et 
si  la  conversion  ne  fut  pas  durable,  la  duchesse  du  moins  ne 
donna  plus  de  scandale  et  garda  désormais  pour  elle  ses  opinions 
hérétiques3.  Avant  de  revenir  en  France  sa  patrie,  Jean  Pelletier 
avait  subi  à  Rome  les  épreuves  du  doctorat  et  acquis  ainsi  un 
titre  de  plus  à  l'honneur  de  fonder  le  collège  de  Pamiers. 

Le  P.  Émond  x\uger,  à  cette  époque,  ne  jouissait  pas  encore 
de  la  réputation  d'orateur  sacré  qui  l'a  fait  surnommer  plus  tard 


1.  Lettre  du  29  avril  1559  (Ëpist.  P.  Broeli,  p.  135).  Lettre  du  P.  Cogordan  au 
P.  Lainez,  1"  mai  1559  (Gall.  Epist.,  t.  I,  fol.  68). 

2.  Lettres  du  P.  Pelletier  à  saint  Ignace,  (artas  de  S.  Ignacio,  t.  IV,  app. ,  p.  523. 

3.  Epist.  mixt.t  t.  IV  (p.  119,  169,  337,  350  et  passim). 


ESSAI  DE  FONDATION  DUN  COLLÈGE  A  PAMIERS.  -27:; 

par  l'historien  Mathieu  «  le  Chrysostome  Français  »  ;  mais,  on 
pouvait  déjà  prévoir  qu'il  deviendrait  un  jour  l'un  des  plus 
fermes  défenseurs  de  l'Église.  Le  rôle  important  qu'il  jouera 
bientôt,  et  son  influence  sur  les  progrès  de  la  Compagnie  de 
Jésus  en  France  nous  obligent  à  esquisser  ici  rapidement  les  pre- 
mières années  de  sa  vie. 

Émond  Auger  naquit,  en  1530 ^  au  petit  bourg  d'Alleman 
«  assez  près  de  Sézanne,  ville  de  l'évesché  de  Troyes,  en  Cham- 
pagne2 ».  D'après  le  P.  Nicolas  Bailly,  son  premier  historien,  né 
lui-même  à  Sézanne  à  la  fin  du  xvic  siècle,  sa  jeunesse  n'aurait 
pas  manqué  d'aventures.  Ses  parents  «  plus  recommandables  pour- 
leurs  vertus  charitables...  que  pour  leurs  biens  de  fortune,  encore 
qu'ils  en  eussent  raisonnablement3  »,  le  confièrent,  à  l'âge  de 
sept  ou  huit  ans,  à  «  un  sien  oncle,  curé  d'une  paroisse  voisine  ». 
Ce  devait  être  un  prêtre  assez  instruit  puisque,  à  son  école,  l'en- 
fant apprit  «  les  lettres  humaines  où  il  s'avança  si  notablement 
en  peu  de  temps  qu'on  le  jugea  digne  de  continuer  ses  études  à 
l'Université  de  Paris.  Il  y  alla  pour  trouver  un  frère  qu'il  avoit, 
M.  Estienne  Auger,  homme  de  bon  esprit  et  sçavant  en  méde- 
cine4 ».  Mais,  première  déception,  une  fois  dans  la  capitale,  Émond 
apprit  qu'Etienne  n'était  plus  là  et  qu'il  s'était  établi  à  Lyon5. 
Le  jeune  voyageur  eut  le  courage  de  poursuivre  sa  route  à  pied, 
et  «  enfin  rencontra  son  frère  qui  le  reçut  amiablement6  »,  lui 
donna  les  moyens  de  terminer  ses  études  littéraires  et,  augurant 
bien  de  son  avenir,  crut  avantageux  de  l'envoyer  à  Rome  auprès 
du  P.  Pierre  Le  Fèvre  avec  lequel  il  s'était  lié  à  l'Université  de 
Paris.  Nouveau  voyage  à  pied,  long  et  fatigant,  et  à  l'arrivée, 

1.  Calalogus  triennalis  Aquitaniœ,  p.  9. 

2.  «  Vray  pourtraicl  de  la  vie  du  Révérend  P.  Auger  »,  par  le  P.  Bailly.  Manuscrit 
inédit  de  l'auteur,  format  in-12,  sans  paginalion  (Archiv.  prov.  de  France).  Le  P.  Bailly, 
né  à  Sézanne  en  1587  et  mort  en  1657,  semble  bien  placé  pour  nous  fournir  des  ren- 
seignements précis.  11  fit  paraître,  en  1642,  une  Vie  du  P.  Auger  en  la  tin.  11  écrivit 
aussi  celte  vie  française  dont  nous  avons  le  manuscrit  original  entre  les  mains.  — 
Nous  devrons  également  avoir  recours  à  la  Vie  du  P.  Auger  par  le  P.  Dorigny  (1716). 
Ce  dernier  nous  avertit  dans  sa  préface  qu'il  a  puisé  dans  l'ouvrage  du  P.  Bailly, 
dans  quelques  papiers  et  lettres  du  P.  Auger  et  dans  les  notes  personnelles  d'un  con- 
temporain de  celui-ci,  le  chanoine  Rousset  (ou  Roussel).  Il  a  eu  de  même  recours  aux 
premiers  historiens  de  la  Compagnie.  Pas  toujours  exact,  il  demande  à  être  contrôle. 

3.  Ceci  est  conforme  à  ce  que  le  P.  Auger  rapporte  lui-même  dans  les  répjnses  qu'il 
lit  au  P.  Nadal  en  1562  :  «  Fortuné  eranl  illi  [parentes]  satis  ampla.  »  Examen  P.  Au- 
ger ii  dans  Ep.  Nadal,  t.  I,  p.  740,  741,  note. 

4.  Bailly,  1.  I,  en.  i.  —  Le  P.  Auger  eut  deux  frères  :  «  Fratres  habeo  duos;  alterum 
satis  divitem...  alterum  ego  de  Socielate  esse  pulo,  »  (Examen  déjà  cité). 

5.  Comme  médecin,  dit  le  P.  Bailly;  comme  professeur  de  grec  et  latin,  dil  le  P.  Jou- 
vancy  [Hist.  Soc.  Jesu,  P.  V,  I.  XXIV,  p.  769).  Jouvancy  et  Dorigny  ont  donné  sur  la 
jeunesse  d'Auger  les  mêmes  détails  que  BaiDv,  mais  avec  des  variantes. 

6.  Bailly,  /.  c. 


■270  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

nouvelle  déception  :  le  P.  Le  Fèvre  était  mort  depuis  trois  ou 
quatre  ans1.  «  Ce  qui  fut  cause  qu'après  avoir  souffert  quelques 
incommodités,  esloigné  de  ses  parents  en  un  pays  estranger,  sans 
recours  que  celuy  de  son  industrie,  il  se  reconnut  obligé  de 
chercher  condition2.  »  11  eut  l'idée  de  s'installer,  comme  copiste 
ou  écrivain  public,  au  Campo  di  Fiori.  Il  y  fit  la  rencontre  d'un 
Jésuite,  français  d'origine,  le  P.  Ponce  Cogordan,  alors  procu- 
reur à  la  maison  professe  de  Rome,  lui  raconta  son  aventure  et 
le  supplia  d'avoir  pitié  d'un  compatriote  dans  la  misère.  Le  P.  Co- 
gordan fut  touché  de  son  état  et  aussi  de  sa  physiondmie  ave- 
nante, l'emmena  avec  lui  et  l'employa  comme  domestique  à  la 
cuisine  de  la  communauté.  Émond  en  prit  son  parti  avec  sa  bonne 
humeur  habituelle.  Il  fut  bientôt  remarqué  des  novices,  qui,  selon 
l'usage,  venaient  à  tour  de  rôle  aider  le  frère  cuisinier.  Charmés 
de  son  naturel  aimable,  de  l'agrément  de  ses  manières  et  de  ses 
entretiens,  ils  parlèrent  de  lui.  Le  P.  Ignace  voulut  le  connaître, 
apprécia  tout  de  suite  les  talents  de  son  esprit  et  les  dons  de  son 
âme,  et  le  retira  de  son  emploi  subalterne  pour  lui  faire  suivre 
les  cours  de  rhétorique,  puis  de  philosophie3.  Le  jeune  homme 
s'y  distingua  par  de  brillants  succès;  en  même  temps,  les  exem- 
ples qu'il  avait  journellement  sous  les  yeux  l'attirèrent  à  la  Com- 
pagnie de  Jésus;  en  15504,  il  demanda  et  obtint  son  admission 
au  noviciat  où  il  se  forma  à  la  vie  religieuse  sous  les  yeux  et  par 
les  soins  du  saint  fondateur.  En  1551  il  prononça  ses  premiers 
vœux',  puis  il  occupa  une  chaire  de  poésie  latine  au  collège  ro- 
main0. L'année  suivante  (1552),  il  prit  part  à  la  fondation  du  col- 
lège de  Pérouse7  où  il  resta  quatre  ans8.  C'est  là  qu'il  se  révéla 
prédicateur.  Malgré  «  une  faible  santé  et  les  nombreuses  occupa- 
tions »  que  lui  donnait  l'enseignement  de  la  première  classe,  il 
aimait  «  comme  délassement  »  à  prêcher  sur  une  place  publique 
où  il  «  charmait  et  édifiait  la  foule  des  auditeurs9  ».  Après  sa 
théologie,  dans  laquelle  il  montra  une  extrême  facilité,  il  fut  en- 
voyé comme  professeur  de  rhétorique  au  collège  de  Patloue.  Cette 
dernière  ville  le  céda  à  la  France,  qui  va  bientôt  lui  offrir  un 
vaste  champ  d'action  dans  la  lutte  contre  les  hérétiques. 

1.  Il  mourut  à  Rome  en  1546  ;  l'arrivée  d'Augerdut  avoir  lieu  vers  1549  ou  1550. 

2.  Bailly,  op.  c<t.,  1.  I,  en.  il. 

3.  Nous  résumons  ici  les  PP.  Bailly,  Jouvancy  et  Dorigny  qui  semblent  avoir  un  peu 
dramatisé  tous  ces  incidents. 

4.  Calai,  trienn.  ]>rov.   Arjuitaniœ,  p.  9.  —  h.  Ibidem. 

6.  Bailly,  1.  1,  ch.  ni.  —  n.  Polanco,  Chron.  S.  J.,  t.  II,  p.  432. 

8.  Voir  Epist.  mixt.,  t-  II  et  III,  années  1552-1554. 

9.  Polanco,  Chronicon,  t.  Il,  p.  434.  Cf.  Epist.  mixt.,  t.  II,  p.  756-757. 


ESSAI  DE  FONDATION  D'UN  COLLÈGE  A  PAMIERS.  ZTj 

4.  Les  Pères  destinés  au  nouvel  établissement  de  Pamiers  ne 
purent  faire  le  voyage  ensemble.  Le  I».  Pelletier  s'y  trouvait  déjà 
au  mois  de  juillet  1559.  Le  P.  Auger  y  arriva  dans  les  derniers 
jours  de  septembre,  et  le  P.  Jean  Roger  au  commencement  d'oc- 
tobre1. Quant  au  P.  Barrault,  il  faillit  rester  en  route.  De  Mar- 
seille où  il  avait  abordé,  il  s'était  dirigé  vers  Carcassonne  sans 
incident.  Là,  il  avait  à  peine  demandé  le  chemin  de  Pamiers  qu'on 
l'arrêta  et  qu'on  le  mit  en  prison.  Surpris,  il  protesta  de  ses  paci- 
fiques desseins.  «  On  lui  répliqua  qu'il  n'y  avait  à  se  rendre  à 
Pamiers,  cet  asile  des  faux  prophètes,  que  les  luthériens,  ou  les 
calvinistes2  »,  ou  les  malfaiteurs.  Des  gens  de  cette  espèce,  «  quel- 
que temps  auparavant,  avaient  jeté  le  trouble  dans  la  contrée  ». 
Huit  jours  donc,  on  le  tint  dans  les  fers.  Heureusement  «  le  bon 
Père  avait  avec  lui  un  sur  garant  de  son  innocence  :  toute  une 
collection  d'images,  de  chapelets  et  autres  objets  de  piété  dont 
les  hérétiques  n'ont  pas  accoutumé  de  se  charger  en  voyage"  ». 
Ce  bagage  orthodoxe  tranquillisa  la  gent  soupçonneuse  de  Car- 
cassonne, qui  enfin  lui  rendit  la  liberté. 

A  l'automne  de  1559,  la  petite  communauté  se  composait  de 
six  personnes.  Aux  quatre  Pères  envoyés  d'Italie  les  supérieurs 
avaient  adjoint  un  autre  professeur,  «  maitre  Jean  Arnauld,  de 
Paris4  »,  et  un  frère  du  nom  de  Vincent5.  C'était,  hélas!  beaucoup 
trop  pour  les  circonstances.  Ils  étaient  venus  avec  la  pensée  qu'on 
allait  leur  remettre  bientôt  les  bâtiments  du  collège  et  la  direc- 
tion de  ses  quatre  classes.  Il  n'en  fut  rien.  Mgr  de  Pellevé  et  le 
P.  Provincial  avaient  compté  sans  les  menées  des  partisans  de 
Jeanne  d'Albret.  Les  belles  promesses  du  mois  d'avril  étaient  loin 
déjà,  et  quand  le  P.  Pelletier  vint  offrir  ses  services  il  se  heurta  à 
un  mauvais  vouloir  évident.  Le  conseil  de  ville  épuisa  toutes  les 
voies  d'opposition  et  tous  les  prétextes  de  retard.  Dès  la  Pente- 

1.  Jean  Roger,  né  à  Paris,  élait  maître  es  arts,  docteur  en  théologie  et  bénéficier  de  la 
Sainte-Chapelle  lorsqu'il  entra  dans  la  Compagnie  de  Jésus.  Il  fit  partie  de  cette  élite 
de  professeurs  que  saint  Ignace  envoya,  en  1549,  sous  la  conduite  du  P.  Paul  d'Achilli\ 
inaugurer  les  études  du  collège  de  Palerme.  Il  y  enseigna  les  humanités  jusqu'en  1553. 
Il  se  trouvait  depuis  quatre  ans  chargé  d'un  cours  de  philosophie  au  collège  romain 
quand  il  fut  désigné  pour  Pamiers. 

2.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Général,  1"  décembre  1560  (Galliae  Epist.,  t.  I,  f.  149). 
Cette  lettre  du  P.  Auger  dont  nous  allons  largement  nous  servir  est,  comme  il  le  dit 
lui-même,  moins  une  lettre  qu'une  histoire  des  débuts  de  Pamiers  :  «  historiam  potins 
quam  epistolam  scribimus  ».  Cependant  elle  a  besoin  d'être  complétée  par  une  aulre 
lettre  du  même,  du  28  octobre  1559  (Galliae  Epist.,  t.  I,  f.  G3-G6Ï. 

3.  lbid.  —  4.  Lettre  du  P.  Auger,  28  oct. 

5.  Nous  le  supposons  coadjuleur,  parce  qu'en  le  nommant  avec  Jean  Arnauld  qu'il 
décore  du  titre  de  maitre,  le  P.  Auger  l'appelle  seulement  Vineenso;  un  peu  plus 
loin  il  le  nomme  fratello  Yincenzo. 


278  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

cùte,  il  s'était  empressé  de  s'entendre  avec  d'autres  régents  et 
déclara  ensuite  que  les  Pères  n'étaient  pas  venus  assez  tôt.  Il 
demanda  que  les  patentes  de  Henri  II  fussent  confirmées  par  son 
successeur,  que  les  Pères  fussent  approuvés  par  le  roi  et  la  reine 
de  Navarre  pour  l'année  à  venir,  qu'en  attendant  le  vicaire  géné- 
ral les  logeât  dans  les  quatre  couvents  de  la  ville.  Quelque  temps 
après,  il  objecta  que  les  Jésuites  ne  s'étaient  pas  présentés  «  pour 
montrer  leur  sçavoyr  »,  et  que  la  bulle  du  Pape  ne  mentionnait 
pas  les  lectures  en  droit  civil  et  canon  autorisées  par  le  placet  du 
roi.  Enfin  il  décida  que  l'on  ne  pouvait  exclure  les  maîtres  déjà 
engagés,  que  l'évèque  serait  prié  d'obtenir  l'enseignement  du 
droit  et  de  la  médecine  et  que  la  ville  se  réserverait  «  l'auctorité 
de  la  justice  et  police,  et  de  pouvoyr  changer  les  régens 1  »  . 

Ici  et  là,  quelques  opinans  du  conseil  exprimèrent  naïvement 
le  vrai  motif  de  leur  attitude  hostile  :  «  Lesdictz  Jézoistes,  déclare 
un  certain  Muguet,  volent  dressar  une  religion,  comme  si  en 
Pamiés  y  en  habia  deffalhance.  »  Et  «  monsieur  Dynes  »  d'ajou- 
ter :  «  N'y  a  lieu  de  recepvoyr  lesdicts  Jézoistes,  à  cause  sont 
prestres  religieux;...  de  tant  la  ville  ne  les  pouroict  muer,  ny 
pouroict  avoyr  conoyssance  en  faict  de  police  et  justice2.  » 

Cette  opposition  systématique,  si  elle  gêna  les  Pères,  ne  les  fit 
point  reculer.  Ils  étaient  venus  sur  la  demande  d'un  évêque 
chargé  des  intérêts  religieux  de  son  peuple  et  qui  partageait  avec 
Jeanne  d'Albret  la  souveraineté  de  la  ville.  On  ne  devait  pas 
profiter  de  son  absence  pour  agir  à  l'encontre  de  ses  droits  et  de 
ses  intentions.  Ils  restèrent  donc.  Cependant,  personne  n'osa  leur 
olirir  un  logement.  Ils  se  retirèrent,  en  attendant  le  retour  de 
l'évèque,  dans  un  pauvre  réduit  «  sans  porte  ni  fenêtres3  »,  et  qui 
leur  rappelait  «  à  leur  grande  joie  »  l'étable  de  Bethléem.  Ils 
vécurent  d'abord  du  peu  «  de  deniers  restants  de  leur  viatique  ». 
Les  chanoines  leur  firent  quelques  dons  en  nature.  Ils  avaient 
aussi,  pour  les  soutenir,  «  de  bons  amis  parmi  les  curés  dont  le 
zèle  avait  gardé  un  peu  de  religion  à  cette  [malheureuse)  ville4  ». 

Toutefois,  dit  le  P.  Auger,  le  principal  «  remède  était  la  pa- 
tience ».  Il  fallait  gagner  du  temps  et  surtout  se  faire  apprécier. 
Avec  la  permission  des  chanoines  et  des  curés,  les  Jésuites  se 
mirent  à  prêcher.  Le  P.  Pelletier,  peu  après  son  arrivée,  s'était 

1.  Délibérations  du  12  août  et  20  oct.  1559  (Archiv.  com.  de  Pamiers,  D,  105). 

2.  Délib.  du  12  août  (Ibid.). 

3.  Lettre  du  P.  Auger,  28  oct.,  déjà  citée. 

4.  Essi  sono  buoni  aniici  et  quorum  opéra  religio  in  bac  civilate  est  conservala  » 
[Ibid.). 


ESSAI  DE  FONDATION  D'UN  COLLÈGE  A  PAMIERS.  279 

réservé  deux  églises  de  la  ville  où  il  parlait  chaque  dimanche1. 
Les  autres  Pères  se  partagèrent  "les  localités  avoisinantes.  Le 
P.  Auger  alla  évangéliser  la  ville  de  Foix.  Malgré  la  défection  des 
classes  élevées,  le  peuple  «  hésitant  »  était  encore  peu  éloigné 
de  l'Église  romaine.  A  Pamiers,  raconte  le  P.  Émond,  «  les  prédi- 
cations du  P.  Pelletier  furent  accueillies  avec  empressement-  ». 
Bientôt  l'on  put  constater  «  des  retours  à  la  vérité  ou  à  la  pra- 
tique de  la  vie  chrétienne  ».  Encouragés  par  ces  résultats,  «  les 
religieux  des  autres  Ordres  se  firent  plus  actifs  à  combattre  l'er- 
reur... et  déjà  l'espérance  renaissait  de  chasser  l'hérésie  de  cette 
partie  de  l'Aquitaine  ».  Les  Jésuites  semblaient  envoyés  de  Dieu 
à  cette  fin;  les  gens  de  bien  en  remerciaient  la  Providence  et  aussi 
leur  nouvel  évêque3.  «  L'official  écrivit  à  celui-ci  qu'on  n'avait 
jamais  si  bien  prêché  à  Pamiers...  Nous  sommes  très  aimés  du 
peuple,  dit  encore  le  P.  Auger,  très  demandés  par  les  petites 
villes  voisines,  car  nos  prédications  nous  ont  fait  connaître  à 
cinquante  lieues  à  la  ronde4.  » 

5.  Gomme  cette  sympathie  leur  donnait  bon  espoir,  les  Pères, 
«  sur  le  conseil  de  leur  Provincial  »,  résolurent  d'inaugurer  leur 
enseignement  dans  un  local  particulier.  A  la  fin  d'octobre  1559, 
ils  se  procurèrent  une  maison  fort  modeste  d'un  loyer  de  27  francs, 
«  un  palais5  »  relativement  à  celle  qu'ils  abandonnaient.  Là  ils 
ouvrirent  leurs  classes,  au  début  du  mois  de  novembre0.  Le 
P.  Auger,  régent  de  rhétorique,  a  raconté  comment  les  choses  se 
passèrent  :  «  Dans  une  séance  publique,  dit-il,  nous  avons  expli- 
qué nos  méthodes  et  notre  programme,  puis  proposé  des  thèses 
sur  des  sujets  de  philosophie,  d'éloquence  et  même  de  gram- 
maire. Chose  étonnante,  parmi  un  grand  nombre  de  lettrés  qui 
étaient  présents,  personne  n'osa  argumenter  contre  nous.  Afin 
que  l'auditoire  ne  se  fût  pas  réuni  pour  si  peu,  un  de  nos  Pères7 
a  prononcé  un  discours  latin  qui  ne  manquait  ni  d'érudition  ni 
d'élégance.   Le  lendemain,  maitre   Roger  ouvrit  son   cours  de 


1.  Lettre  du  P.  Auger,  28  oct.  1559. 

2.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Lainez,  1  déc.  1560.  —  3.  Ibid. 
't.  Lettre  du  28  oct,  1559. 

5.  Jbid.  «  Habiamo  trovalo  una  casa  vel  quasi  Palazzo  per  27  franchi  l'anno.  » 
G.  C'est  bien  novembre  1559,  car  le  P.  Auger  dans  sa  lettre  du  1  "'  décembre  1660, 
après  avoir  parlé  de  l'inauguration  des  classes  en  novembre,  parle  de  ce  qui  s'est 
passé  dans  la  suite  de  celte  année  scolaire  et  fait  allusion  au  carnaval;  sa  lettre 
embrasse  donc  la  période  comprise  entre  novembre  1559  et  décembre  1560. 

7.  D'après  les  biographes  d'Auger  ce  serait  lui-même;  cet  honneur  lui   revenait 
comme  professeur  de  rhétorique. 


280  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

dialectique  par  une  harangue  du  meilleur  goût...  Nos  classes 
sont  relativement  assez  fréquentées,  si  l'on  songe  à  la  concur- 
rence du  collège  municipal,  laquelle  divise  comme  en  deux  camps 
les  écoliers.  Mais  un  bon  nombre  viennent  là  où  ils  trouvent, 
avec  la  gratuité,  un  plus  grand  avantage  pour  leurs  études,  sans 
se  laisser  détourner  par  quoi  que  ce  soit,  pas  même  par  l'incom- 
modité du  local...  Au  bout  de  quelques  semaines,  nos  élèves  repré- 
sentèrent une  églogue,  composée  avec  tant  d'art  que  les  assistants 
affirmèrent  n'avoir  jamais  rien  vu  de  pareil1.  »  Ce  petit  événe- 
ment, ajoute  l'annaliste,  «  a  donné  du  cœur  à  nos  amis  et  du 
prestige  à  notre  enseignement...  Aux  fêtes  du  carnaval  on  joua  un 
dialogue.  La  composition  passable  de  la  pièce,  la  mise  en  scène, 
les  décors  charmèrent  les  spectateurs  ;  succès  qui  confirma  l'espoir 
des  gens  de  bien  et  découragea  les  adversaires2  ». 

Vers  la  fin  de  cette  première  année  scolaire,  et  probablement 
quand  Mgr  de  Pellevé  fut  de  retour3,  les  Pères  transportèrent 
leurs  classes  à  l'évôché,  et  à  cette  occasion  firent  donner  par  leurs 
élèves  une  déclamation  en  grec  et  en  latin.  Mais,  remarque  notre 
annaliste,  l'instruction  littéraire  n'était  pas  tout  pour  ces  enfants  : 
«  Nous  avons  d'autant  plus  travaillé  à  leur  instruction  religieuse 
qu'ils  en  avaient  un  besoin  pressant;  au  début,  la  plupart  nous 
arrivaient  en  classe  avec  les  psaumes  de  Marot  ou  un  catéchisme 
de  Calvin;  ils  ne  savaient  rien  que  quelques  vers  français  capa- 
bles de  les  corrompre;  nous  leur  avons  versé  l'antidote  de  la  doc- 
trine chrétienne  qu'ils  ont  reçu  avidement  et  de  bon  cœur  '.  » 

Ces  premiers  résultats  récompensaient  un  peu  la  patience  des 
nouveaux  maîtres.  Le  P.  Jean  Roger  enseignait  la  philosophie, 
le  P.  Émond  Auger  la  rhétorique;  il  y  avait  en  outre  deux 
classes  de  grammaire.  Mais  l'avenir  restait  inquiétant  :  on  était 
sans  maison,  sans  rentes,  et  la  municipalité  n'avait  pas  encore 
cédé  son  collège  aux  Jésuites. 


1.  Lettre  du  P.  Auger,  1er  déc.  15(50. 

2.  Ibid.  Ces  spectacles  improvisés  étaient  peut-être  médiocres,  mais,  dit  le 
P.  Auger,  pour  le  pays  c'était  une  nouveauté  merveilleuse  :  «  Hœc  nara  spectacula 
miraculi  instar  sunt  in  bac  Pyrene  extrema.  »  • 

3.  Aucun  document  ne  signale  le  retour  de  l'évéque.  mais,  dans  sa  lettre  du  28  oct. 
155'J,  le  P.  Auger  y  fait  allusion  comme  à  une  chos?  possible  à  la  Pentecôte  suivante. 

4.  Lettre  du  1er  déc.  1560.  N'est-ce  pas  à  celte  occasion  que  le  P.  Auger  composa 
son  petit  catéebisme,  clair  et  substantiel,  qui  eut  plusieurs  éditions  en  français  et  en 
latin?  D'après  Sommervogel  la  première  édition  en  français  serait  de  Lyon,  15G3, 
sous  ce  titre  :  Catéchisme  et  sommaire  de  la  religion  c/trestienne  avec  vn  formu- 
laire de  diverses  prières  catholiques  et  plusieurs  adverliasemens  pour  ton  1rs 
manières  de  gens  (Sommervogel,  I,  G33).  Dans  la  seule  ville  de  Lyon,  on  en  écoula 
38.000  exemplaires  en  liuii  ans  (Solwcl,  Biblioth.  script.  S.  /.)• 


ESSAI  DE  FONDATION  D'UN  COLLÈGE    \  PAMIERS.  281 

Cependant  Robert  de  Pellevé  ne  négligeait  rien  pour  soutenir 
ses  droits.  Les  conseillers  de  ville  avaient  réclamé  de  nouvelles 
patentes  du  roi  de  France.  L'évoque  leur  donna  satisfaction. 
François  II,  par  lettres  du  21  lévrier  1560,  permit  «  de  faire  cons- 
truire et  édifier  dans  ladicte  ville  de  Pamyers  ung  collège  de  la 
Société  du  nom  de  Jésus,  tant  pour  le  bien  et  augmentation  de 
ladicte  ville  que  pour  oster  occasion  aux  jeunes  hommes  desuyvre 
oysiveté  et  choses  mondaines,  ains  employer  leur  temps  en 
bonnes  œuvres  et  exercices  de  lettres,  affin  que  le  succès  de  leur 
labeur  rapportast,  à  eulx  et  aux  républiques,  utilité  et  prouf- 
fict  ».  De  plus,  le  roi  autorisait  les  maîtres  et  élèves  du  nouveau 
collège  à  faire  usage  «  de  toutes  et  telles  facultés,  privilèges, 
franchises,  libertés  et  exemptions  que  les  docteurs,  régens  et 
escolliers  estudians  es  aultres  collèges  de  ladicte  Société...  ont 
accoustumé  joyr  et  user1  ».  Muni  de  cet  acte  en  bonne  forme, 
l'évêque  de  Pamiers  comptait  triompher  bientôt  des  opposants. 
Son  espoir  fut  déçu.  Il  recourut  alors  aux  voies  de  la  justice  et 
un  procès  fut  engagé  2. 

Ni  les  Jésuites  ni  leur  Général  n'étaient  pour  ces  procédés  con- 
tentieux, légitimes  sans  doute,  mais  étrangers  à  l'esprit  d'hom- 
mes apostoliques  qui  viennent,  avant  tout,  annoncer  l'évangile 
de  paix.  Le  P.  Lainez  songea  sérieusement  à  retirer  les  siens 
plutôt  que  de  seulement  paraître  les  imposer.  Il  écrivait  le  29  avril 
(1560)  au  P.  Pelletier  :  «  Nous  compatissons  du  fond  de  notre 
cœur  à  tout  ce  que  vous  supportez  si  généreusement  pour  le 
service  de  Dieu.  Toutefois,  les  choses  restant  dans  cet  état,  je  me 
demande  si  vos  efforts  ne  seraient  pas  mieux  employés  ailleurs3,  » 
En  effet,  l'entreprise  avait  été  mal  amorcée;  tous  les  Pères  le 
constataient  '%  et  le  P.  Général  ne  le  cacha  pas  à  l'évêque  dans 
une  lettre  qu'il  lui  écrivit  quelques  semaines  plus  tard,  le 
20  mai  :  «  Dans  votre  zèle  à  poursuivre  l'affaire  de  Pamiers,  lui 
dit-il,  nous  reconnaissons  bien  les  bonnes  dispositions  de  Votre 
Grandeur  à  l'égard  de  la  Compagnie;  mais  l'expérience  nous  a 

1.  Exlraict  des  édits  et  ordonnances  royaux  registres  en  la  cour  de  parlement  de 
Tolose,  publié  par  le  P.  Prat,  Mémoires  sur  le  P.  Broet,  app.,  n.  xiu. 

2.  Les  registres  des  délibérations  pour  l'année  15(10  manquent  aux  archives  de  Pa- 
miers. et  sur  cette  époque  les  documents  conservés  dans  la  Compagnie  sont  très  in- 
complets; nous  ignorons  donc  la  procédure  suivie  par  l'évêque.  Mais  qu'il  y  ait  eu 
procès,  la  chose  ne  fait  aucun  doute.  Hubert  de  Pellevé  en  parle  dans  une  lettre  au 
P.  Pelletier,  du  G  ucl.  1500,  et  il  y  est  fait  allusion  dans  les  délibérations  de  ville  de 
1561. 

:i.  Oall.,  Epist.  General.,  t.  1559-15(11. 

î.  Par  exemple,  le  P.  Auger.  dans  sa  lettre  du  28  ocl.  1559  :  «  La  cosa  e  slata  mal 
menala.  » 


282  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

appris  qu'avant  d'envoyer  des  professeurs  il  aurait  fallu  leur 
assurer  un  logement  et  tout  ce  que  réclament  les  usages  et  les 
fonctions  de  notre  institut.  C'est  la  marche  que  nous  suivons 
d'ordinaire.  Nous  avons  fait  exception  pour  Pamiers,  par  com- 
plaisance pour  Votre  Grandeur,  qui  pressait  l'envoi  des  régents. 
Et  maintenant  les  lettres  des  nôtres  nous  apprennent  dans  quelles 
difficultés  ils  se  trouvent,  privés  de  maison,  de  revenus  et  de 
l'autorisation  officielle  d'avoir  des  classes.  Il  nous  a  donc  semblé 
opportun,  si  dans  deux  mois  tous  les  obstacles  ne  sont  pas  levés, 
de  faire  passer  les  Pères  dans  un  autre  pays...  Pendant  ce  temps- 
là  Votre  Grandeur  pourra  mener  à  bien  tous  les  débats  du  pro- 
cès, trouver  une  maison,  aménager,  des  classes;  après  quoi,  très 
volontiers  nous  vous  rendrons  ces  mêmes  Pères,  ou  d'autres,  qui 
travailleront  selon  votre  désir  à  cultiver  cette  vigne  du  Sei- 
gneur1. » 

Deux  mois  se  passèrent  sans  résultat.  Les  Pères  restèrent  cepen- 
dant, peut-être  parce  qu'on  pouvait  toujours  espérer  une 
prompte  solution,  sans  doute  aussi  par  déférence  pour  l'évêque 
qui  tenait  beaucoup  à  les  garder  :  «  Je  crois,  écrivait-il  au  P.  Pel- 
letier, sous  la  date  du  6  octobre  1560,  que  la  révocation  ou 
absence  de  vous  autres  donneroit  plus  tost  couleur  au  procez 
qu'il  ne  l'advanceroit,  et  qu'avant  que  vous  puissiez  retourner 
au  lieu  où  vous  écrivez  2,  ce  procez  seroit  fini.  J'en  ai  commu- 
nicqué  avec  monsieur  d'Amiens,  mon  frère,  qui  est  bien  de  cest 
advis  que  demeuriez...  Et  quand  il  y  auroit  département,  ce  qui 
ne  se  fera  de  ma  volonté  ni  consentement,  je  vous  réserveray 
toujours  et  vostre  Compagnie  en  lieu  dont  votre  Supérieur  et 
vous  autres  aurez  occasion  de  vous  contenter  :!.  » 

6.  D'ailleurs  les  Pères  avaient  encore  une  autre  bonne  raison 
de  rester  :  leurs  ministères  spirituels  étaient  fructueux  et  leur 
attiraient  de  plus  en  plus  la  sympathie  des  habitants. 

Pendant  le  carême  de  1560,  le  P.  Auger  retourna  à  Foix,  et  le 
P.  Pelletier  poursuivit  à  la  cathédrale  de  Pamiers,  comme  il  l'a- 
vait fait  pendant  Pavent  de  l'année  précédente,  l'exposition  des 
principaux  dogmes  de  l'Église.  A  la  suite  d'un  de  ses  sermons  sur 
la  dévotion  à  l'auguste  Mère  de  Dieu  et  aux  Saints,  les  hérétiques 

1.  Lellre  de  Lainez  à  l'évêque  de  Pamiers,  20  mai  1560  (Gall.,  Èpist.  Gen.,  1.  1559- 
15GI). 

2.  Le  P.  Pelletier  était  à  Toulouse  et  devait  y  retournée  pour  prêcher  le  carême  de 
1561. 

3.  Epistolae  Episcoporum,  apographe. 


ESSAI  DE  FONDATION  D'UN  COLLÈGE  A  PAMIERS.  2*:< 

furieux  s'emparèrent  d'une  statue  de  la  sainte  Vierge,  objet  de 
la  vénération  publique,  et  la  suspendirent,  la  corde  au  cou,  sur 
la  place  du  marché.  En  réparation  de  cette  profanation  sacrilège, 
une  procession  fut  organisée  et  la  statue  de  Marie  rétablie  solen- 
nellement. Alors  les  huguenots,  surexcités  par  cette  manifestation 
populaire,  envahirent  une  église  et  emportèrent  les  vases  sacrés 
avec  les  saintes  hosties  qu'ils  brûlèrent  ou  jetèrent  à  la  voirie. 
Ce  fut  l'occasion  d'une  nouvelle  cérémonie  expiatoire,  encore 
plus  touchante  que  la  première.  Ce  zèle  et  ces  démonstrations 
amenèrent  au  tribunal  de  la  pénitence  «  un  plus  grand  nombre 
de  pécheurs  qu'on  n'aurait  pu  l'espérer  ».  Et  le  jour  du  vendredi 
saiut  «  quand,  suivant  l'usage  d'alors,  le  prédicateur  dans  un 
mouvement  pathétique  montrait  le  crucifix  pour  remuer  les  âmes, 
tout  l'auditoire  répondit  par  une  immense  acclamation,  deman- 
dant avec  larmes  le  pardon  de  ses  péchés  » . 

A  Foix,  les  sermons  du  P.  Auger  «  attirèrent  une  affluence 
qu'on  n'avait  encore  point  vue  en  ce  lieu  ».  Le  prédicateur  enten- 
dit «  de  nombreuses  confessions,  supprima  et  brûla  beaucoup  de 
livres  hérétiques,  réforma  les  mœurs,  ranima  la  ferveur  »;  lui 
aussi,  au  sermon  du  vendredi  saint,  arracha  à  ses  auditeurs  vive- 
ment émus  un  acte  public  de  renoncement  au  calvinisme  et  à 
toutes  les  erreurs.  A  son  départ,  les  habitants  ne  savaient  com- 
ment le  remercier;  on  lui  apportait  «  des  vêtements,  du  linge, 
de  l'argent  »,  on  lui  proposait  «  un  local  pour  l'établissement 
d'un  collège  1  ». 

En  1561,1e  P.  Émond  fut  chargé  de  prêcher  le  carême  dans 
une  des  églises  de  Pamiers.  Quand  ils  surent  la  chose,  les  par- 
tisans de  l'hérésie,  redoutant  les  effets  de  sa  parole  éloquente  et 
populaire,  répandirent  le  bruit  qu'il  était  atteint  de  folie  et  que 
ses  frères  s'efforçaient  de  cacher  son  état.  Le  Père  n'eut  qu'à  pa- 
raître en  chaire  pour  arrêter  cette  calomnie2.  Il  montra  tant  de 
force  et  de  conviction  dans  ses  discours,  il  fît  tant  de  conquêtes 
dans  les  rangs  des  réformés3,  que  la  fureur  des  ennemis  de  la 
religion  ne  connut  plus  de  bornes.  Des  placards  impies  furent  af- 
fichés dans  la  ville,  remplis  d'insultes  pour  le  pape,  la  messe  et 
le  culte  des  saintes  images.  On  répandit  d'injurieux  libelles 
contre  celui  qu'on  regardait  comme  le  plus  ardent  défenseur  de 


1.  Lettre  du  P.  Auger,  1"  déc.  15f>0. 

'2.  Bailly,  Vray  pourtraict.  I,  ch.  v.  Cf.  Sacchini,  Ilist.  Suc,  P.  Il,  1.  V,  n.  JW. 
3.  Le  P.  Polanco  dans  une  lettre  au  P.  Nadal  (3  juin  1561)  compte  jusqu'à  mille 
le  nombre  des  conversions  (Epist.  P.  Aadal,  t.  I,  p.  482). 


284  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

l'Église  romaine.  On  passa  bientôt  des  injures  aux  menaces,  et  des 
menaces  aux  actes  de  violence1.  Ce  n'était  toutefois  que  le  pré- 
lude des  excès  sacrilèges  qui  devaient,  peu  après,  provoquer  dans 
la  ville  la  suppression  du  culte  catholique.  Mais  le  P.  Auger  ne  fut 
pas  témoin  de  cette  désolation.  Sur  l'ordre  du  P.  Général,  il 
quitta  Pamiers,  huit  jours  après  Pâques,  pour  se  rendre  à  l'Uni- 
versité de  Tournon2. 

7.  Cette  même  année  (1561),  le  P.  Pelletier  avait  été  appelé  à 
Toulouse  au  moment  du  carême.  L'état  de  la  religion  dans  cette 
ville  inspirait  les  plus  vives  inquiétudes,  à  cause  de  l'audace  tou- 
jours croissante  des  calvinistes.  Afin  d'opposer  une  digue  au  flot 
montant  de  l'erreur,  le  clergé  avait  résolu  d'ouvrir  une  mission 
dans  les  quatre  principales  églises  :  Saint-Etienne,  Saint-Sernin, 
la  Dalbade  et  la  Daurade.  Ce  ministère  fut  confié  à  des  religieux 
de  divers  Ordres  parmi  lesquels  se  trouva  le  recteur  du  collège 
de  Pamiers'.  Le  bien  opéré  par  ces  hommes  de  Dieu  irrita  les 
huguenots,  qui  essayèrent  d'en  détruire  l'effet  par  des  procédés 
scandaleux.  Le  dimanche  au  soir,  un  grand  nombre  d'étudiants 
assistèrent  à  un  prêche  tenu  dans  une  rue,  près  de  l'école  de 
droit;  le  lendemain  ils  parcoururent  en  armes  toute  la  ville, 
chantant  à  plein  gosier  les  psaumes  de  Marot.  De  telles  manifes- 
tations n'ayant  fait  qu'exciter  le  zèle  des  prédicateurs,  on  eut 
alors  recours  à  une  odieuse  machination.  On  les  dénonça  comme 
ayant  parlé  contre  la  reine-mère  et  le  roi  de  Navarre.  Le  P.  Pel- 
letier se  vit  contraint  de  quitter  subitement  Toulouse.  De  retour 
à  Pamiers,  il  y  reprit  ses  prédications  habituelles  qu'il  continua 
jusqu'à  l'Ascension.  Alors,  épuisé  par  ce  surcroit  de  travail,  il 
tomba  malade.  Le  lendemain  de  la  fête,  10  mai,  on  vint  de 
Toulouse  s'emparer  de  sa  personne.  Sur  l'ordre  du  licencié  Bon- 
niol,  envoyé  tout  exprès,  on  le  tira  violemment  de  son  lit  malgré 
une  fièvre  ardente,  et  comme  on  craignait  les  réclamations  de 
l'évêque,  dont  on  annonçait  la  prochaine  venue,  on  le  conduisit 
de  suite  à  Siverdun,  puis  à  Auterive,  enfin  à  Verdun-sur-Garonne 
où  il  fut  jeté  en  prison  '.  Delà  on  le  transporta  à  la  conciergerie  du 
Parlement  à  Toulouse,  où  se  trouvaient  déjà  les  autres  prédica- 

1.  De  Lahondès,  Annales  de  Pamiers,  t.  II,  p.  9,  10.  —  Sacchini,  /.  c. 

2.  Lettre  du   P.  Pelletier  au   P.  Général,  4  août    1561   (Gall.  Bpist.,  t.  I,  f.  202, 
203). 

3.  Lettres  du  P.  Auger  et  du  P.  Roger  au  P.  Général,  7  mai  et  8  juin  1561  (Galliae 
Episl.,  t.  1,  p.  283,  294). 

4.  Lettre  du  P.  Roger  au  P.  Général,  8  juin  1561.  Lettre  du  P.  du  Pont  au  même, 
18  juin  (Galliae  Epist.,  t.  I,  fol.  285,  294).  Cf.  Episl.  1'.  Nadal,  t.  I,  p.  520. 


ESSAI  DE  FONDATION  D'UN  COLLÈGE  A  PAMIERS.  2s:i 

leurs  accuses  comme  lui  du  crime  de  lèsc-ma;esté.  Naturellement 
on  ne  se  pressa  point  d'instruire  une  si  mauvaise  cause  :  «  Nous 
n'avons  pas  encore  été  interrogés,  écrivait  le  18  juin  le  prison- 
nier au  P.  Général;  d'ailleurs,  je  me  réjouis  de  ce  qui  est  arrivé 
parce  que  Notre-Seigncur,  je  l'espère,  en  sera  plus  honoré,  la 
Compagnie  mieux  connue,  et  les  hérétiques  plus  humiliés...  Je 
me  porte  bien,  grAce  à  Dieu;  je  surabonde  d'allégresse  dans  les 
tribulations  que  je  supporte  pour  l'amour  de  Jésus-Christ.  Depuis 
que  je  suis  ici,  nos  amis  ne  cessent  de  venir,  du  matin  au 
soir,  nous  visiter  et  nous  consoler.  Louange  et  gloire  à  Dieu 
qui  ne  permet  pas  que  nous  soyons  éprouvés  au-dessus  de  nos 
forces l !  » 

Peu  après  que  le  P.  Pelletier  eut  été  si  odieusement  arraché 
de  Pamiers,  Vévêque,  Robert  de  Pellevé,  y  revint  et  s'empressa 
de  faire  d'activés  démarches  pour  sa  délivrance  auprès  du  Par- 
lement de  Toulouse2.  Dans  cette  ville,  la  perfide  calomnie  in- 
ventée par  la  haine  des  sectaires  avait  soulevé  d'indignation  les 
catholiques.  Luc  Urdez,  avocat  au  Parlement,  et  Jacques  de  Sus, 
ex-capitoul,  furent  députés  à  la  cour  et  chargés  d'y  soutenir  la 
cause  des  accusés.  Le  conseil  du  roi  renvoya  le  jugement  sur  le 
fond  de  l' allai re  aux  commissaires  nommés  pour  en  connaître. 
C'étaient  les  présidents  Daffîs  et  Dufour.  Ils  ne  purent  relever 
dans  les  prédications  des  religieux  aucune  parole  contre  la  reine - 
mère  ou  le  roi  de  Navarre,  et,  après  avoir  triomphé,  non  sans 
peine,  des  oppositions  suscitées  par  les  capitouls  Marnac  et  Du- 
nos,  ils  déclarèrent  les  prisonniers  innocents  et  leur  rendirent  la 
liberté3. 

8.  Le  Père  Pelletier  vint  reprendre  son  poste  de  combat  à  Pa- 
miers. Longtemps,  avec  ses  collaborateurs,  il  opposa  un  zèle 
patient  aux  injustices  et  aux  violences  des  partisans  de  Jeanne 
d'Albret.  Parla  faute  de  ceux-ci,  les  affaires  du  collège  en  étaient 
toujours  au  même  point.  Au  mois  de  juillet  1561,  l'évèque  avait 
prié  les  consuls  de  lui  «  exhiber  »  les  comptes  rendus  des  «  con- 
seils tenus  pour  le  faict  des  Jézoites1  ».  Les  magistrats  refusèrent 

1.  Galliae  Epist.,  t.  1,  fol.  258. 

2.  Lettre  du  P.  Roger  au  P.  Général,  8  juin  1561  (Gall.  Epist.,  t.  1,  f.  294-295). 

3.  Doni  Vaistlte,  ïlist.  générale  fin  Languedoc,  t.  V,  p.  201.  —  Du  Mè«e.  Hist. 
deslnstit.  de  Toulouse,  t.  II,  p.  2S>.  —  Le  P.  Jacques  Ximenez,  sans  donner  aucun 
détail  sur  la  délivrance  du  P.  Pellelier,  dit  seulement  qu'elle  fut  obtenue  par  «  bene- 
ficio  y  endustria  de  la  buena  et  devota  gente  de  Tolloza  »  (Epist.  P.  Nadal,  t.  I 
p.  73G). 

i.  Délib.  du  3  juillet  1561  (Archiv.  coin,  de  Pamiers,  D,  106). 


286  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

«  à  cause  du  procez  qui  est  pour  ce  faict,  car  nul  n'est  tenu 
porter  armes  contre  soy1  ».  Un  peu  plus  tard,  M(fr  de  Pellevé 
présenta  une  requête  signée  de  cent  vingt  habitants  qui  récla- 
maient l'installation  des  Pères  au  collège  .  L'assemblée  de  ville, 
composée  ce  jour-là  de  cent  dix  membres,  rejeta  cette  pétition  à 
l'unanimité  moins  une  voix,  celle  d'un  certain  Bonnelle  dont  le 
vote  n'est  pas  très  clair.  On  prétendit  que  le  sieur  Lagreulet,  par- 
tisan de  l'évêque,  avait  obtenu  les  signatures  par  surprise,  en 
disant  aux  intéressés  que  la  requête  «  ne  tendoit  autre  fin  sinon 
que  le  Jhuiste  avoit  bien  prêché2...  » 

Ce  mauvais  vouloir  s'explique  d'autant  mieux  que  la  réforme 
gagnait  chaque  jour  du  terrain.  A  partir  du  mois  de  septembre 
(15*il)  il  est  fait  allusion  plusieurs  fois,  dans  les  délibérations  du 
conseil,  des  troubles  occasionnés  à  Pamiers  «  pour  le  faict  de  la 
religion  ».  Dans  cette  ville  comme  ailleurs,  Védit  de  juillet, 
donnant  l'amnistie  aux  réformés  mais  leur  interdisant  toute  as- 
semblée religieuse  publique,  n'avait  contenté  personne  et  n'était 
pas  plus  facile  à  faire  exécuter  que  les  précédents.  Un  conseiller, 
Frayssi,  osa  se  plaindre  que  les  prêtres  et  les  religieux  défen- 
dissent leurs  églises  et  leurs  monastères  à  main  armée,  et  de  ce 
chef  leur  imputa  la  cause  des  séditions.  Ordre  fut  donné  aux  ca- 
tholiques de  laisser  leurs  églises  ouvertes  aux  deux  cultes.  Au 
mois  d'octobre,  «  le  peuple  se  souleva  contre  les  Jacobins  qui 
avaient  voulu  interdire  au  viguier  l'entrée  de  leur  couvent3  ». 
En  décembre,  on  brisa  les  portes  de  plusieurs  sanctuaires  et  on 
enleva  les  battants  des  cloches4.  Une  délibération,  du  15  du  même 
mois,  nous  apprend  «  que  les  Jésoystes  ont  présenté  requeste 
contenant  que  Paul  Faure,  ce  jourd'huy,  leur  a  commandé  de 
par  l'évangile  et  la  congrégation  des  fidèles  de  vuyder  le  lougis 
où  demeurent...  par  tout  demain,  et  demandent  secors"1  ».  Le 
secours,  voté  par  le  conseil  de  ville,  fut  ce  qu'on  pouvait  at- 
tendre :  «  Des  Jhuistes,  [il  fut  conclu]  que  seront  ouys  et  feront 
enquérir,  ou  se  retireront  au  Parlement  où  le  procès  est  pen- 
dant". » 

Les  Pères  se  retirèrent  prudemment  à  Toulouse  et  y  reçu- 
rent des  Bénédictins  de  la  Daurade  une  fraternelle  hospitalité. 

1.  Délib.  du  3  juillet  1561  (Arch.  com.  de  Pamiers,  D.  106). 

2.  Délib.  du  22  juillet  (Ibid.). 

3.  De  Lahondès,  op.  cit.,  p.  12. 

4.  Ibid. 

5.  Délib.  du  15  déc.  1561  (Archiv.  coin,  de  Pamiers,  D,  106). 

6.  Ibid. 


ESSAI  DE  FONDATION  T)'UN  COLLEGE  A  PAMIERS.  2x7 

Bientôt  ils  apprirent  que  les  calvinistes  de  Pamiers,  assurés  de  la 
connivence  des  magistrats,  avaient  profané  les  églises  et  expulsé 
tous  les  religieux1.  En  vain  les  habitants  de  cette  ville  restés 
fidèles  au  catholicisme  redemandèrent,  en  1564  et  en  lô(i7,  un 
collège  de  la  Compagnie.  Ce  ne  sera  que  bien  plus  lard,  en  1630, 
que  les  Jésuites  appelés  par  l'évoque,  Henri  de  Sponde,  revien- 
dront à  Pamiers. 

1.  Hislor.  collog.  ïolosani  (Tolos.,  Fundationes  collegiorurn,  t.  III,  n.  2). 


CHAPITRE  VIII 

ÉTABLISSEMENT    DES    JÉSUITES    AU    COLLÈGE    DE    TOURNON. 

(1560-1562). 


Sommaire  :  1.  Origines  de  l'ancien  collège.  —  2.  Le  cardinal  de  Tournon  le  pro- 
pose à  la  Compagnie.  —  3.  Acceptation  du  P.  Général.  Contrat  de  cession,  6  jan- 
vier 1561.  — 4.  Ouverture  des  classes,  25  juin  1561.  —  5.  Le  P.  Auger  recteur 
dé  Tournon;  son  apostolat  à  Valence.  —  6.  Mort  du  cardinal  fondateur.  — 
7.  Troubles  religieux.  Le  P.  Auger  et  le  baron  des  Adrets.  —  8.  Tournon  me- 
nacé. Exil  des  Pères. 

Sources  manuscrites  :  I.  Archives  de  l'Ardèche,  sér.  D,  Collège  de  Tournon. 

II.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  de  Jésus  :  a)  Décréta  et  Instruc- 
tiones.  —  b)  Epistolae  Episcoporum.  —  c)  Gallia,  Epistolae  Generalium.  —  d)  Galliae 
Epistolae.  —  e)  Galliarum  monumenta  historica.  —  I)  Assistentia  Franciae,  Historiae 
lundationum.  —  g)  Franciae  historia.  —  h)  Prov.  Tolos.,  Fundationes  collegiorum. 

III.  Archives  Prov.  de  France  :  Varia  de  Societate  Jesu. 

Sources  imprimées  :  Manare,  De  rébus  de  S.  J.  commentarius.  —  Ribadeneira,  La  vie  du 
R.  P.  Jacques  Lainez.  —  Synopsis  aclorum  Sanctae  Sedis.  —  Massip,  Le  collège  de  Tour- 
non. —  Monumenta  historica  S.  J.  Chronicon  Soc.  Jesu.  —  Epistolae  PP.  Broeli  etc.  — 
Epistolae  mixtae.  —  Epistolae  P.  Nadal. 

I.  Peu  de  temps  après  la  tentative  d'établissement  à  Pamiers,  la 
Compagnie  de  Jésus  prit  possession  du  collège  de  Tournon,  dans 
le  Haut-Vivarais. 

Ce  collège  avait  été  fondé,  en  1536,  par  le  cardinal  François  de 
Tournon,  ministre  d'État1  du  roi  François  1er,  «  homme  d'une  pru- 
dence, dit  l'historien  de  Thou,  d'une  habileté  pour  les  affaires  et 
d'un  amour  pour  sa  patrie,  presque  au-dessus  de  tout  ce  qu'on 
peut  penser.  »  Comme  il  avait  le  cœur  élevé  et  qu'il  voulait  sou- 
tenir son  rang,  il  aima  toute  sa  vie  les  sciences  et  ceux  qui  en 
faisaient  profession.  Une  tradition  respectable  rapporte  que,  dé- 
sireux de  doter  son  pays  d'une  fondation  utile  et  durable,  il  avait 
proposé  aux  habitants  ou  de  bâtir  un  pont  de  pierre,  qui  reliât 
Tain  et  Tournon,  ou  bien  d'élever  un  collège.  Les  maisons  d'ins- 
truction étaient  rares  dans  les  provinces,  et  on  les  recherchait 

1.  «  Remarques  sur  la  maison  de  Tournon  »  dans  le  recueil  de  Rybeyrèle  :  «  Varia  de 
Societate  »  (Archiv.  Prov.  Franc).  Les  pièces  de  ce  recueil  sont  presque  toutes  ori- 
ginales. Cf.  Sommcrvogel,  Bibl.  de  la  Compagnie,  t.  VII,  col.  340,  341. 


ÉTABLISSEMENT  DES  JÉSUITES  Al    COLLÈGE  DE  TOI  RNON.      289 

avec  ardeur;  le  «mseil  de  ville  s'arrêta  donc  au  second  projet. 
Assise  au  bord  du  Rhône,  «  en  air  salubre,  terroir  fertile  et  tel 
qu'on  y  pouvait  trouver  abondance  de  vivres  »,  la  place  forte  de 
Tournon,  centre  de  grandes  voies  de  communication,  était  admi- 
rablement située  pour  procurer  facile  et  sûre  existence  à  une 
nombreuse  population  d'écoliers.  A  cette  époque,  malheureuse- 
ment, les  troupes  impériales  envahissaient  la  France.  Le  cardinal 
ayant  été  nommé  lieutenant  général  du  royaume,  les  construc- 
tions furent  ajournées.  Cependant  le  collège  entra  immédiate- 
ment en  exercice,  sous  la  direction  de  Me  Jean  Pélisson,  principal, 
et  deux  autres  régents.  L'instruction  y  était  gratuite;  aussi  vit-on 
accourir  une  foule  d'élèves,  qui  logeaient  chez  des  habitants  re- 
commandables  de  la  ville.  En  1542,  la  modeste  école  avait  assez 
grandi  pour  mériter  les  honneurs  et  les  privilèges  d'Université; 
mais  l'incertitude  des  temps  ne  permit  pas  alors  d'exécuter  les 
dispositions  contenues  dans  les  lettres  patentes  du  roi1. 

A  la  mort  de  François  Ier,  en  1547,  une  ordonnance  de  Henri  II 
renouvela  le  conseil  royal,  et  le  cardinal  fut  disgracié.  Il  n'en 
resta  pas  moins  estimé  de  tous,  considéré  et  respecté  même  de 
ses  envieux.  Retiré  à  Tournon  en  1548,  il  y  fit  commencer  les 
travaux  du  collège,  puis  il  se  rendit  à  Rome  où  il  espérait  em- 
ployer le  reste  de  sa  vie  au  service  du  Saint-Siège.  Malgré  ses  oc- 
cupations importantes,  il  ne  cessa  de  s'intéresser  de  loin  aux 
constructions.  Vers  la  fête  de  Pâques  1554,  la  grande  cloche  des 
écoliers  annonça  à  toute  la  ville  l'inauguration  du  collège  cardi- 
nal de  Tournon.  «  C'est  une  belle  maison,  écrivait  plus  tard  le 
P.  Viola  au  P.  Lainez,  bâtie  en  pierres  de  taille,  formée  de  quatre 
corps  de  logis  avec  cour  au  milieu.  Caves,  classes,  cuisine,  réfec- 
toire, chapelle,  chambres  nombreuses,  rien  ne  manque  si  ce  n'est 
un  jardin.  Entre  le  fleuve  et  les  bâtiments  il  n'y  a  que  les  murail- 
les de  la  ville  ;  devant  la  façade  opposée  s'étend  une  grande 
place,  sur  laquelle  s'ouvre  la  porte  principale2.  »  Le  cardinal 
avait  bien  fait  les  choses;  il  avait  élevé,  au  dire  des  contempo- 
rains, «  une  ample  demeure...  une  maison  de  magnifique  et 
somptueuse  structure3  ». 

1.  Lettre  du  cardinal  de  Tournon  au  Principal,  1"  fév.  1545,  citée  par  W'yart  :  Note 
sur  le  lycée  de  Tournon,  app.  I,  p.  43.  Cet  ouvrage  n'a  par  lui-même  aucune  valeur, 
mais  nous  n'avons  nulle  raison  de  douter  de  l'authenticité  du  document  cité. 

2.  Lettre  du  10  décembre  1560  (Gall.  Epist.,  t.  i,  f.  1~5). 

3.  Archiv.  de  l'Ardèche,  sér.  I),  Collège  de  Tournon,  cité  par  Massip  :  Le  collège  de 
tournon,  p.  9.  L'auteur,  archiviste  départemental  quand  il  a  composé  son  ouvrage 
très  documente,  a  eu  à  sa  disposition  toutes  les  pièces  des  archives  de  l'Ardèche  et 
celles  des  archives  du  Lycée  de  Tournon.  Dans  ses  références  il  a  distingué  les  deux 

COMPAGNIE    DE   JÉSUS.    —  T.   I.  19 


290  HISTOIRE  DE  LÀ  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Le  0  novembre  155*2,  Henri  II,  par  lettres  patentes,  avait 
déclaré  «  bonne  et  valable  »  pour  ses  États,  la  bulle  du  13  mai 
de  la  même  année  par  laquelle  Jules  III  avait  approuvé  l'érection 
du  collège  en  Université.  Toutefois  ce  n'était  pas  une  Université 
composée  de  toutes  les  Facultés,  mais  une  Université  de  philoso- 
phie et  des  sept  arts  libéraux.  L'enseignement  du  droit  et  de  la 
médecine  n'y  fut  jamais  autorisé,  et  celui  de  la  théologie  n'y  fut 
introduit  que  plus  tard  l.  «  Lettres  latines,  grecques,  hébraïques, 
caldes,  et  l'art  de  la  grammaire,  et  morale  et  naturelle  philoso- 
phie »,  tel  était,  d'après  les  lettres  patentes  de  Henri  II,  le  cadre 
des  études  au  collège  de  Tournon2.  Mais  «  ce  simple  programme 
n'excluait  pas  le  titre  d'Université  »,  souvent  attribué  à  une 
seule  Faculté,  particulièrement  à  celle  des  arts,  la  première  dans 
l'ordre  des  cours.  Ses  gradués  jouissaient  des  mêmes  privilèges, 
libertés,  immunités,  honneurs  et  prééminences  que  les  gradués 
de  l'Université  de  Paris.  Les  collateurs  de  bénéfices  n'accordaient 
pas  plus  de  déférence  aux  demandes  faites  par  les  grandes  Uni- 
versités qu'aux  lettres  signées  et  scellées  «  en  la  noble  Université 
de  Tournon8  ». 

2.  Très  opposé  aux  protestants,  le  cardinal  était  persuadé  qu'on 
ne  pouvait  rien  changer  ou  innover  en  matière  de  religion  sans 
troubler  la  paix  de  l'État.  Il  avait  donc  choisi  avec  le  plus  grand 
soin  les  premiers  régents  et  lecteurs  de  son  Université.  Mais  peu  à 
peu,  par  suite  des  démissions  et  des  décès,  d'autres  professeurs 
furent  admis,  «  méchants,  hypocrites,  dit  Pélisson,  que  je  ne  con- 
noissois  ni  n'avois  expérimentés4  ».  Quant  aux  pédagogues,  répé- 
titeurs et  maîtres  de  pension,  il  en  venait  de  tous  côtés  chercher 
fortune  à  Tournon,  attirés  par  la  réputation  du  collège.  La  ville 
avait  trop  d'intérêt  à  les  conserver  pour  ne  pas  fermer  les  yeux 
sur  leurs  menées  suspectes.  «  Moi,  raconte  Pélisson,  voyant  que 
apertement  ils  corrompoient  et  gastoient  tout,  ne  les  pouvois  en- 
durer comme  gens  pestilencieux  ;  et  tout  le  monde  déjà  ensorcelé 


tonds.  Mais  depuis  (en  1890)  les  archives  du  Lycée  ont  été  réintégrées  aux  archives  dé- 
partementales sous  celte  rubrique  générale  :  série  D,  collège  de  Tournon.  L'ensemble 
n'était  pas  encore  inventorié  en  1903,  et  il  est  impossible  d'en  citer  les  pièces  avec  plus 
de  détails.  Les  seuls  titres  qu'il  y  ait  sur  le  dos  de  quelques  liasses  sont  des  litres  ins- 
crits par  les  anciens  Jésuites  :  tiroir  1,  tiroir  '1...  etc. 

t.  Massip,  op.  cit.,  p.  17. 

2.  Archives  nat.,  X,  8,626,  fol.  250,  255v  et  suivants.  Ordonnances.  —  Acla  Sanclae 
Sedis,  p.  ôos.  —  Tolos.,  Fundat  coll.,  t.  IV,  n"  67. 

S.  Massip,  op.  cit.,  p.  17,  18. 

i.  Pélisson,  De  l'antiquité  de  lu  famille  de  Tournon,  cité  par  Massip,  p.  24. 


ÉTABLISSEMENT  MES  JÉSUITES  Al    COLLÈGE  DE  TOURNON.       201 

et  plusieurs  des  regens  estoient  contre  moi'.  »  Le.  cardinal,  in- 
formé à  Rome  de  la  désunion  entre  le  principal  et  les  régents, 
en  conçut  à  bon  droit  de  sérieuses  inquiétudes  :  il  était  «  tou- 
jours en  continuelle  crainte  que  l'ennemy  de  la  foy  ne  semast 
quelque  zizanie  et  mauvaise  semence  de  doctrine  en  son  dict  col- 
lège 2  ».  Ses  appréhensions  n'étaient  que  trop  fondées.  L'hérésie, 
sous  le  manteau  des  régents,  avait  pénétré  à  Tournon,  et  l'or- 
thodoxie ne  s'y  trouvait  plus  en  sécurité.  Le  collège,  d'abord 
très  prospère,   penchait  maintenant  vers  sa  ruine. 

Les  choses  en  étaient  là,  lorsqu'on  apprit  à  Rome  la  foudroyante 
nouvelle  de  la  mort  du  roi  Henri  IL  La  cour  de  France  réclamait 
de  nouveau  les  conseils  et  les  services  du  cardinal  de  Tournon  ;  le 
pape  Pie  IV  l'envoya  à  Paris  avec  le  titre  de  Légat  a  latere.  Quelle 
ne  fut  pas  sa  tristesse,  quand  il  parut  sur  les  bords  du  Rhône, 
de  trouver  la  maison,  en  laquelle  il  avait  mis  ses  plus  chères  es- 
pérances, devenue  comme  un  foyer  de  propagande  calviniste  ! 

Quelques  historiens  ont  raconté3  que,  voyant  son  chagrin, 
deux  de  ses  familiers,  Vincent  Laureo,  futur  évêque  de  Mondovi, 
et  Pierre  de  Villars,  plus  tard  archevêque  de  Vienne,  lui  avaient 
suggéré  le  remède  et  inspiré  la  pensée  de  confier  son  collège 
aux  Jésuites.  Point  n'était  besoin  de  ces  conseils,  auxquels  d'ail- 
leurs nul  document  contemporain  ne  fait  allusion.  Depuis  long- 
temps, le  cardinal  de  Tournon  connaissait  et  aimait  la  Compagnie 
de  Jésus.  Il  avait  apprécié  à  Rome  la  sagesse  et  la  vertu  de  son 
fondateur,  et  à  Trente  la  piété  et  la  science  de  son  général  actuel, 
le  P.  Lainez  ;  il  avait  logé  dans  son  palais,  à  Lyon,  dont  il  était 
archevêque,  les  PP.  Rroet  et  Salmeron  au  retour  de  leur  légation 
en  Irlande;  et  ses  sentiments  à  l'égard  de  tout  l'Ordre  étaient  si 
manifestes  que  le  P.  Louis  du  Coudret  pouvait  écrire  à  son  supé- 
rieur, en  1558  :  «  J'entends  dire  que  le  cardinal  de  Tournon  est 
tout  à  fait  l'ami  de  notre  Compagnie'1.  »  Aussi  le  P.  Jean-Rap- 

1.  Pélisson,  De  l'antiquité  de  la  famille  de  Tournon,  cité  par  Massip,  p.  24. 

2.  Archiv.  de  l'Ardèche,  D,  Coll.  de  Tournon,  cité  par  Massip,  p.  23.  Cf.  Manare, 
De  rébus  S.  /.,  p.  81. 

3.  Par  exemple  Sacchini,  Hist.  Soc,  pars  II,  lib.  IV,  n.  84.  Fleury,  Hisl.  du  card. 
de  Tournon,  liv.  VU.  Prat,  qui  les  a  suivis  dans  ses  Mémoires  sur  le  P.  Broet,  p.  389 
elsuiv.  —  C'est  Sacchini  probablement  qui  affirma  le  premier  ce  fait,  s'appuyant  sur  une 
histoire  manuscrite,  très  courte,  du  collège  de  Tournon,  postérieure  a  1587,  signée  /.'/- 
clieomus,  que  nous  avons  entre  les  mains.  On  y  lit  :  «  lllm,,s  cardinalis...  consilio 
Vincentii  Laurei.  S.  R.  E.  jam  cardinalis  a  Monte  Regali,  et  Pétri  Villarii,  Viennae 
Archiepiscopi ,  eam  [academiam]  Patribus  Socielatis  Jesu  fqaibas,  imprimisque 
R.  P.  Laines,  Romae  et  in  concilio  Tridentino  iamiliariler  usas  fuerat)  tradere  decre- 
vit  »  (Francia,  Fundationes  Assist.,  n.  36).  Ce  passage  n'infirme  nullement  ce  que  nous 
avons  dit  dans  notre  texte. 

4.  Lettre  du  3  nov.  1558  au  P.  Lainez  (Gall.  Epist.,  t.  1,  p.  43). 


292  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

tiste  Viola,  bien  au  courant  des  choses  de  France,  recomman- 
dait-il au  P.  Lainez,  en  1559.  de  solliciter  son  appui  pour  la  fon- 
dation du  collège  de  Lyon1.  Le  P.  Général  ne  manqua  pas  de  le 
taire,  à  l'issue  du  conclave  qui  élut  le  pape  Pie  IV.  Or,  non  seu- 
lement le  cardinal  lui  promit  un  bienveillant  concours,  mais  il 
ajouta  «  que,  s'il  n'avait  pas  déjà  disposé  de  son  Université  de 
Tournon,  il  la  confierait  à  la  Compagnie  de  Jésus2  ».  On  a  tout 
lieu  de  supposer  qu'un  prélat  qui  était  dans  ces  dispositions  au 
début  de  Tannée  1560,  songea  tout  le  premier  à  recourir  aux 
Jésuites  quand,  de  retour  en  France,  au  mois  de  septembre,  il 
put  constater  de  ses  yeux  les  rapides  ravages  de  l'hérésie  infec- 
tant toute  la  contrée  sans  même  épargner  son  collège.  Les  cir- 
constances lui  rendaient  les  mains  libres  :  il  pouvait  dissoudre 
un  corps  enseignant  qui  n'avait  répondu  ni  à  ses  vues  ni  à  ses 
espérances,  et  le  remplacer  par  les  membres  d'une  Société  dont 
il  écrira  bientôt  au  premier  président  du  Parlement  :  «  Il  semble 
que  Notre-Seigneur  l'ait  fait  naitre  en  ces  temps  icy  et  la  nous 
ayt  envoyée  pour  servir  de  remède  et  antidote  aux  erreurs  et  aux 
déprouvées  doctrines  qui  ont  cours  aujourd'huy...  n'ayant  aul- 
tre  sujet,  fin  et  intention  que  de  prêcher,  ou  lire,  ou  enseigner  la 
jeunesse...  J'aime  et  j'estime  grandement  ceste  Compagnie  pour 
le  seul  respect  du  service  de  Dieu  et  de  notre  saincte  religion".  » 
Comme  il  continuait  son  chemin  vers  Paris,  le  cardinal  fit  un 
court  séjour  à  Vienne  et  y  rencontra  le  P.  Louis  du  Coudret,  au- 
quel il  déclara  ses  intentions  bien  arrêtées4.  Quelques  jours  plus 
lard,  en  son  nom,  Vincent  Laureo  adressa  au  P.  Lainez  une  let- 
tre qui  peut  être  regardée  comme  l'offre  officielle  de  l'Université 
de  Tournon  à  la  Compagnie  de  Jésus.  Les  motifs  qui  guident  le 
fondateur  dans  son  choix,  les  avantages  et  les  conditions  du  fu- 
tur contrat  y  sont  largement  exposés  :  «  Le  cardinal  de  Tournon, 
dit  son  mandataire,  est  ému  de  la  plus  vive  douleur  de  voir  ce 
grand  royaume  en  proie  aux  factions...  Il  n'a  pas  trouvé  une 
seule  ville  qui  ne  fût  corrompue  par  les  nouvelles  erreurs.  Sa 
sollicitude,  qui  s'étend  sur  tous  les  pays,  ne  peut  oublier  Tour- 
non. le  lieu  de  sa  naissance.  Plein  d'estime  pour  la  sainteté  de 
vie  et  la  pureté  de  doctrine  qu'il  a  toujours  reconnues  dans  les 

1.  Lettre  du  P.  Lainez  au  P.  Viola,  28  nov.  1359  (Gall.,  Epist.  Generaliurn,  t.  I). 

2.  Lainez  a  Viola,  2i  fev.  1560  (Ibid.). 

3.  Lettre  du  4  nov.  1560  (Gall.  Epis  t.,  t.  1,  p.  135). 

4.  Lettre  de  L.  du  Coudret  a  Lainez,  12  o<l.  1560  {Ibid.,  p.  206,  207).  Il  y  est  fait 
allusion  à  une  autre  li  ttre  du  20  sept,  dans  laquelle  le  P.  du  Coudret  rapportait  au 
P.  Général  son  entretien  avec  le  cardinal  de  Tournon. 


ÉTABLISSEMENT  DES  JÉSUITES  AU  COLLÈGE  DE  TOI  RNON. 

religieux  de  là  très  sainte  Compagnie  de  Jésus1,  il  se  persuade 
que  malgré  les  assauts  et  les  ruses  de  l'enfer  il  rendra  son  pays 
natal  inexpugnable,  s'il  peut  mettre  son  collège  sous  la  sauve- 
garde et  la  tutelle  de  votre  Société...  Il  espère  même  ainsi  éten- 
dre ses  bienfaits  sur  toute  sa  patrie;  car  personne  ne  doute  que 
l'heureuse  situation  de  la  ville  de  Tournon  n'y  attire  des  écoliers 
<le  toutes  les  parties  de  la  France,  et  que  les  revenus  et  l'éten- 
due du  collège...  ne  lui  permettent  d'entretenir  une  légion  de 
Jésuites  qui,  répandus  à  propos  dans  le  royaume,  pourchas- 
seront et  vaincront  les  persécuteurs  de  la  foi  catholique  par 
l'exemple  de  leur  vie  et  l'éloquence  de  leurs  discours.  Ce  n'est 
pas  rendre  un  petit  service  au  public  que  de  réformer  l'esprit  et 
le  cœur  d'un  grand  nombre  de  jeunes  gens,  destinés  à  l'épiscopat, 
au  cloître  et  à  la  magistrature...  Et  plût  à  Dieu  qu'on  eût  pris 
la  précaution  d'établir  de  vos  collèges  dans  toutes  les  villes  de 
France  :  nous  ne  verrions  pas  aujourd'hui  le  Saint-Siège  contraint 
à  de  si  pénibles  efforts  pour  ramener  au  sein  de  l'Église  ces  peu- 
ples, autrefois  célèbres  par  leur  piété  et  leur  obéissance'2.  » 

3.  Ces  pressantes  sollicitations  furent  entendues.  Par  deux  fois 
le  P.  Jérôme  Le  Bas,  recteur  de  Billom,  vint  conférer  avec  le  car- 
dinal3. Puis,  au  mois  de  novembre,  le  P.  Viola,  surintendant  du 
même  collège,  fit  à  Tournon  une  nouvelle  visite  dont  il  envoya 
au  P.  Général  un  rapport  très  favorable'1.  Sur  ces  renseigne- 
ments, le  P.  Lainez  décida  de  remettre  à  un  temps  plus  éloigné 
la  fondation  du  collège  de  Metz  que  lui  offrait  le  cardinal  de 
Lorraine ',  et  accepta  celui  de  Tournon;  mais  il  laissa  au  P.  Pro- 
vincial de  France,  au  P.  Viola  et  au  P.  Roillet  le  soin  de  traiter 
en  son  nom  cette  affaire,  qui  se  réduisait  maintenant  à  de  simples 
formalités  de  cession  et  d'acceptation11. 

Elles  furent  réglées  le  jour  de  l'Epiphanie  1561,  à  Orléans7, 
par-devant  Gilles  Mesnager  et  Mathurin  Porcher,  dans  la  maison 

1.  «  Délia  santila  de  vita  et  délia  integrita  di  dottrina  délia  sacratissiina  compa- 
gnia  del  Gesu.  » 

2.  Lettre  de  Vincent  Laureo  au  P.  Lainez,  '21  sept.  1560.  Traduit  sur  l'autographe 
italien  (Gall.  Epist.,  t.  I,  fol.   107). 

3.  Lettre  du  P.  L.  du  Coudret  au  P.  Lainez,  12  oct.  1500  (Gall.  Epist.,  t.  I,  p.  142). 

4.  Lettre  du  P.  Viola  au  P.  Lainez,  15déc.  1560  (Gall.  Epist.,  t.  1,  f.  173). 

5.  Leltre  du  P.  Cogordan  au  P.  Gén.,  2  déc.  1560  (Gall.  Epist.,  1.  1.  p.  206).  Lellre 
du  P.  Lainez  au  card.  de  Lorraine,  12  juillet  1560  (Gall.,  Epist.  Generaliuin,  t.  I). 

6.  Leur  procuration  est  datée  de  Rome,  26  oct.  1560  (Décréta  et  lnstrudiones,  1540- 
1573,  f.  198').  ' 

7.  Lettre  de  Vincent  Laureo  à  Lainez,  datée  d'Orléans  12  janvier  (Lugd.  Ilisl., 
t.  1560-1638,  f.  18). 


294  HISTOIRE  l>F.  LA  COMPAGNIE  l»K  JÉSUS. 

du  sieur  de  Farouillc  où  était  logé  le  cardinal,  présentes  «  véné- 
rables et  égrèges  personnes  M''  Pierre  de  Villars...  grand  archi- 
diacre de  l'église  métropolitaine  d'Auch;  Benoit  Biratier...  vicaire 
officiai  dudict  révérandissime  cardinal;  Bon  Broé,  prieur  de 
Rochepaule...  et  le  Père  Robert  Claissonne,  maître  es  arts,  reli- 
gieux de  la  Compagnie  de  Jésus...  Et  d'autre  part,  acceptant  pour 
ladicte  Compagnie,  en  vertu  d'une  procuration  du  R.  Père  Géné- 
ral... maîtres  Pascase  Broet,  Jean-Baptiste  Viola  ancien  supérieur 
des  premiers  jésuites  en  France  et  Guy  Boillet  de  la  même  So- 
ciété1 ». 

Le  temporel  du  collège  se  composait  alors  du  petit  prieuré 
d'Andance,  au  diocèse  de  Vienne,  détaché  de  l'abbaye  des  Béné- 
dictins de  la  Chaise-Dieu,  et  dont  le  revenu  annuel  n'excédait 
pas  deux  cent  vingt-quatre  écus.  Il  possédait  en  outre  une  rente 
annuelle  de  douze  cents  livres  sur  l'hôtel  de  ville  de  Lyon.  Ces 
biens  furent  cédés  à  la  Compagnie,  sous  les  clauses  stipulées  dans 
les  bulles  d'union  du  prieuré  et  dans  le  contrat  d'acquisition  de 
la  rente,  sans  autre  charge  qu'une  pension  annuelle  et  viagère  de 
deux  cents  livres  au  profit  de  M1'  Jehan  Pélisson,  «  en  considéra- 
tion du  long  et  agréable  service  qu'il  a  faict  audict  Seigneur 
Révérendissime  en  la  charge  de  principal2...  À  quoy  lesdicts 
Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus  s'accordèrent  bien  volontiers,  et 
louèrent  grandement  la  bonté  de  mondit  Seigneur  et  la  charitable 
souvenance  qu'il  avoit  de  son  vieux  et  utile  serviteur 3  » . 

Les  Jésuites,  de  leur  côté,  devront  donner  sept  régents  :  deux 
pour  la  philosophie  et  cinq  «  pour  les  langues,  bonnes  lettres  et 
grammaire...,  et  oultre  lesdicts  lecteurs,  lung  desdicts  Pères  de 
la  Société,  soit  le  Recteur  ou  aultre  qu'il  députera,  lyra  et  ensei- 
gnera publiquement  la  sainte  escripture  et  preschera  selon  les 
Constitutions  de  leur  Ordre  '  ».  De  plus,  conformément  à  ce  qui 
se  passait  auparavant,  «  seront  perpétuellement  nourris  et  ensei- 
gnés audict  collège  quatre  religieux  novices  profès  (sic)  de  l'Ab- 

1.  D'après  les  archiv.  de  l'Ardéche,  collège  de  Tournon,  cilé  par  Massip,  p.  28.  (L'au- 
teur a  mal  lu  :  Boulhec  au  lieu  de  Roillel.)  La  lettre  de  Vincent  Laureo  citée  plus 
haut  mentionne  aussi  la  présence  à  cet  acte  des  PP.  Claysson,  Broet  et  Viola.  —  Il 
existe  à  l'Archivio  di  stato,  à  Rome,  un  projet  de  ce  contrat  de  cession,  sans  date  ni  si- 
gnatures, mais  donnant  les  noms  des  mêmes  notaires,  et,  comme  contractants,  le  car- 
dinal et  le  P.  Viola.  C'est  sans  doute  le  projet  soumis  au  I».  Laine*  (Arch.  di  Slato, 
Carte  Gesuit.  Pacco  246). 

2.  Acte  de  cession  (Arcbiv.  di  Stato,  /.  c). 

3.  Pélisson,  De  V antiquité...,  cité  par  Massip.  p.  28. 

4.  Le  P.  Général  tenait  à  cette  mention  a(in  de  bien  établir  que  la  prédication  n'était 
pas  rémunérée  (Décréta  et  Instructiones,  fol.  198v  :  Ricordi  del  modo  che  si  lia  da 
tenere  in  traltare  col.  111""-  Cardinale  Turnonej. 


ÉTABLISSEMENT  DES  JÉSUITES  AU  COLLÈGE  DE  TOURNON.       295 

baye  do  la  Chaise-Dieu  »,  dont  dépendait  le  prieuré  d'Andance, 
«  et  y  demeureront  cinq  ans  entiers,  et  ledict  temps  passé,  feront 
place  à  aultres  religieux  qui  seront  successivement  envoyés  par 
le  couvent  de  ladicte  Abbaye  ».  Enfin  les  Pères  acceptèrent  de 
visiter,  «  une  foys  le  moys  pour  le  moings,  tant  la  chambre  des- 
dicts  quatre  religieux  que  celles  des  pédagogues  et  escoliers  qui 
seront  enseignez  audict  collège,  afiin  de  les  exhorter  et  admones- 
ter de  leurs  devoirs  »,  et  prendre  garde  «  qu'ils  ne  tiennent  cl 
lisent  dans  leurs  chambres  aucuns  livres  réprouvés  ou  susperls 
d'hérésie  l  ». 

Le  lendemain  de  ces  arrangements,  le  7  janvier  15G1,  le  car- 
dinal écrivit  à  son  neveu  Just,  comte  de  Tournon  :  «  Hier,  je  tray- 
tay  avec  les  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus  sur  le  faict  de  mon 
collège,  que  je  leur  ay  baillé  avec  tout  son  revenu...  Je  voullay 
dès  cette  heure  casser  tous  les  régens  et  faire  cesser  l'exercisse, 
affin  qu'ils  trouvassent  maison  necte;  mais  ils  n'ont  pas  esté  de 
ceste  oppinion.  Et  mesmement  qu'il  y  aura  quelques  mois  devant 
qu'ils  puissent  estre  tous  assemblés,  dont  la  plupart  viendront  de 
Home  et  autres  lieux  d'Italye,  qui  seront  choisys  et  envoyés  par  le 
général,  [ce]  qui  ne  se  fera  pas  sans  grands  frais;  mais  je  ne 
veux  rien  épargner  pour  estaller  ung  si  bon  ordre  ~\  » 

h.  Les  Pères,  en  effet,  avaient  besoin  de  temps  pour  arrêter  les 
mesures  exigées  par  la  nouvelle  organisation  du  collège.  Le  Père 
Jean-Baptiste  Viola  en  fut  particulièrement  chargé  avec  le  Père 
Émond  Auger  qui  le  rejoignit  à  Billom.  Tous  deux  arrivèrent  à 
Tournon  le  3  mai,  fête  de  l'Invention  de  la  Sainte  Croix,  «  jour 
bien  choisi,  remarque  le  P.  Jean-Baptiste,  pour  nous  rappeler 
que  nous  aurions,  nous  aussi,  la  croix  à  porter  3  ».  Le  comte  de 

1.  Contrat  de  cession  (Archiv.  di  Stato,  L  c).  Avant  la  conclusion  de  cet  accord 
le  P.  Viola  avait  été  obligé  de  refuser,  comme  contraires  à  l'Institut,  certaines  condi- 
tions demandées  par  le  cardinal,  qui  d'ailleurs  ne  fit  aucune  dilliculté.  On  les  trouve 
énumérées  dans  une  lettre  du  P.  Viola  au  P.  Lainez  (17  janvier  1561).  Voici  les  prin- 
cipales :  Que  les  Jésuites  fussent  seulement  administrateurs  du  collège  et  rendissent 
compte  chaque  année  des  recettes  et  dépenses;  —  qu'ils  admissent  les  quatre  religieux 
delà  Chaise-Dieu  à  leur  vie  de  communauté:  —  qu'ils  eussent  des  pensionnaires;  — 
qu'ils  payassent  un  médecin  habitant  au  collège.  Après  avoir  rappelé  ces  demandes 
du  cardinal  de  Tournon,  le  Père  Viola  ajoutait  :  «  C'est  à  contre-cœur  que  je  lui  ai 
accordé  la  visite  des  pédagogies;  toutefois  étant  dans  un  pays  rempli  d'hérétiques, 
il  m'a  semblé  utile  de  céder  sur  ce  point,  afin  que  les  pédagogies  cl  les  élevés  soient 
préservés  dans  leurs  imeurs  et  dans  leurs  lectures.  D'ailleurs  ces  pédagogies  ne  sont 
pas  éloignées  du  collège  et  il  sera  facile  de  les  surveiller  dans  l'après-diner  »  (Roma, 
Archiv.  di  Stato,  Carte  Gesuit.  Pac.  246). 

2.  Cité  par  Massip,  op.  cit.,  p.  29. 

3.  Lettre  de  Viola  à  Lainez,  lt  mai  1561  (Gall.  Episl.,  t.  1,  fol.  281,  282).  Nous  em- 
pruntons à  celte  lettre  les- détails  qui  suivent. 


296  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Tournon  était  absent;  ils  furent  reçus  par  la  comtesse  qui  les 
admit  quelques  jours  à  sa  table.  Ils  avaient  pris  d'abord  leur  lo- 
gement dans  une  hôtellerie  voisine  du  château;  mais  deux  reli- 
gieux ne  pouvaient  vivre  longtemps  de  cette  sorte,  et  il  fut  con- 
venu que  malgré  la  présence  des  autres  professeurs  ils  seraient 
tout  de  suite  hospitalisés  au  collège,  ainsi  que  leurs  confrères  qui 
arriveraient  prochainement,  au  nombre  de  quatorze  ou  quinze. 
Le  personnel  sortant  devait  rester  jusqu'à  la  Saint-Jean,  24  juin, 
afin  de  laisser  aux  nouveaux  venus  le  temps  de  se  reposer  après 
un  long  voyage  et  de  se  préparer  à  leurs  cours.  Cependant,  sans 
plus  attendre,  le  P.  Auger,  toujours  prêt  à  prendre  la  parole, 
commença  ses  prédications  dans  une  église  de  la  ville,  et  s'en  tira 
«  à  la  grande  satisfaction  du  Principal  '  »  Jean  Pélisson. 

Au  commencement  du  mois  de  juin  le  Père  Éleuthère  du  Pont, 
désigné  comme  Recteur,  était  à  son  poste2;  ses  collaborateurs 
arrivèrent  peu  de  temps  après.  Mais  le  Père  Viola,  de  nature  assez 
inquiète  et  plaignante,  voyait  avec  crainte  la  jeunesse  et  l'inexpé- 
rience des  uns,  la  faible  santé  des  autres.  Seront-ils  à  la  hauteur 
de  leur  tâche?  Et  si  les  anciens  professeurs  s'aperçoivent  de  leur 
médiocrité,  comme  ils  auront  beau  jeu  à  critiquer  le  choix  du 
cardinal3!  Le  P.  Recteur,  d'accord  avec  le  P.  Viola,  réclamait  au 
P.  Général  «  des  hommes  de  talent  »,  particulièrement  pour  les 
classes  de  philosophie  et  de  mathématiques4. 

Ces  craintes  étaient  exagérées.  Au  jour  fixé5,  en  présence  de 
sept  cents  élèves,  les  Jésuites  inaugurèrent  leur  enseignement  de 
façon  à  ne  point  faire  regretter  leurs  prédécesseurs.  Le  P.  Éleu- 
thère du  Pont,  tout  recteur  qu'il  fût,  s'était  réservé  une  classe  de 
grammaire;  le  P.  Auger  joignit  au  ministère  de  la  prédication 
des  leçons  de  théologie  et  de  controverse;  le  P.  Claude  Mathieu, 
plus  tard  si  célèbre  au  temps  de  la  Ligue,  enseigna  la  logique;  le 
P.  Antoine  Francosi  la  physique  et  la  méthaphysique  ;  le  P.  Jacques 
Sylvestre  les  mathématiques0.  Le  P.  Viola  avait  ouvert  le  cours 
de  belles-lettres;  mais,  après  l'arrivée  du  P.  Etienne  de  Mirabel, 
il  alla  reprendre  ses  anciennes  fonctions  au  collège  de  Billom.  Et 
le  cardinal,  en  voyant  «  le  rampart  de  la  foy  »  si  bien  gardé,  en 

1.  Le  P.  Viola  ne  nous  dit  pas  dans  quel  lieu  le  P.  Auger  se  fit  entendre. 

2.  Lettre  du  P.  du  Pont  au  P.  Lainez,  13  juin  1561  (Gall.  Epist.,  t.  1,  fol.  286). 

3.  Lettre  du  P.  Viola  au  P.  Lainez,   15  juin  1561  (Gall.  Epist.,  t.  1,  fol.  311,  312). 

4.  Lettres  déjà  citées. 

5.  Ce  fut  après  la  Saint-Jean,  dit  le  P.  Sacciiini  (P.  II,  lib.  V,  n.  189).  Nous  savons 
seulement  par  1.-  P.  Viola  que  l'ancien  personnel  devait  quitter  à  cette  date. 

6.  Ricordi  per  il  P.  Eleutherio  (Décréta  et  Instruct.,  f.  199%  200).  Cf.  Sacciiini,  /.  c. 
n.  190. 


ÉTABLISSEMENT  DES  JÉSUITES  AU  COLLÈGE  DE  TOURNON.       29* 

prit  <«  grande  occasion  de  louci'  le  Seigneur  »,  persuadé  «  qu'il 
n'eût  su  faire  meilleure  élection...  ni  un  plus  grand  Lien  tant  au- 
dict  lieu  de  Tournon  que  en  tout  ce  pais,  soit  pour...  l'enseigne- 
ment des  escolliers,  soit  pour  la  confirmation  de  la  foy  catho- 
lique1 ». 

Toujours  soucieux  des  intérêts  de  son  collège  et  désireux  de  voir 
les  Pères  «  bien  establis  pour  leur  commencement  »,  il  écrivit  ;\ 
son  neveu  qu'il  voulait  leur  donner  un  jardin,  «  chose  dont  ils  ne 
se  poulvoient  passer2  ».  L'année  suivante,  1502,  il  augmenta  la 
fondation  d'une  nouvelle  rente  de  mille  quatre-vingt-trois  livres 
qu'il  avait  acquise  sur  l'hôtel  de  ville  de  Paris.  Au  mois  d'avril,  il 
acheta  au  prix  de  cinq  cents  livres  une  maison,  située  sur  la 
place  du  Marché-Vieux,  pour  «  servir  de  logement  aux  écoliers  stu- 
dieux qui  ne  craindraient  pas  de  vivre  sous  l'œil  du  maître'  ».  Le 
collège,  à  cette  époque,  pouvait  s'estimer  convenablement  pourvu 
de  tout  ce  qui  lui  était  nécessaire.  Quand  sa  prospérité  croissante 
donnera  lieu  de  le  transformer  en  une  célèbre  académie,  il  faudra 
augmenter  ses  revenus;  mais,  dans  les  conditions  où  il  se  trouvait 
en  1562,  il  atteignait  déjà  le  but  de  l'Institut.  Exempt  de  toute 
difficulté  et  de  toute  tracasserie,  il  offrait  aux  Jésuites  l'avantage 
de  pouvoir  y  remplir  sans  entraves  les  fonctions  de  l'enseigne- 
ment, et  de  tout  diriger  d'après  l'esprit  de  leur  vocation  vers  la 
formation  intellectuelle  et  morale  de  leurs  élèves. 

5.  Le  P.  Éleuthère  du  Pont,  croyant  avoir  dans  la  direction  d'un 
collège  de  cette  importance  un  fardeau  au-dessus  de  ses  forces, 
avait  prié  ses  supérieurs  de  l'en  décharger.  Le  P.  Lainez  n'exauça 
qu'à  demi  l'humble  religieux,  et  le  mit  à  la  tête  du  collège  de 
Mondovi 4.  Le  P.  Auger  fut  nommé  Recteur  de  Tournon  à  sa  place  ; 
mais  comme  il  dépensait  une  partie  de  son  temps  au  ministère  de 
la  prédication,  on  lui  adjoignit,  pour  le  seconder  dans  l'adminis- 
tration de  son  collège,  le  P.  Annibal  du  Coudret  récemment  venu 
d'Italie  '. 

La  réputation  d'orateur  que  s'acquit  alors  le  P.  Auger,  s'éten- 
dit  bientôt  au  delà  de  Tournon.  Les  bourgades  et  les  villes  des 
environs  recoururent  à  son  zèle.  Valence,  en  Dauphiné,  le  réclama 
pour  lavent  de   1561   et  le  carême  de  1562.  L'évêque,  Jean  de 

1.  Archiv.  do  1  Ardèche,  D,  Testament  du  Card.  de  Tournon,  21  juin  1561,  cité  par 
UasBip,  op.  cit.,  p.  29,  30. 

2.  Archiv.  de  l'Ardèche,  s.  D,  Collège  de  Tournon,  cité  par  Massip,  p.  13. 

3.  Massip,  op.  ci/..  |>.  14.  —  4.  Saccliini,  /.  c,  n.  190. 

5.  Manare,  De  rébus.  S.  J.,  p.  81.  Epist.  1'.  Nudal,  t.  I,  p.  741,  n.  1. 


■19*  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESI  S. 

Montluc,  ne  se  mettait  guère  en  peine  de  réprimer  l'insolente 
propagande  des  réformés  qu'il  aurait  plutôt  favorisée.  Voyant  le 
besoin  que  ce  pauvre  peuple  avait  d'entendre  la  parole  de  Dieu, 
le  P.  Émond  accepta  avec  joie  la  mission  qu'on  lui  proposait. 
Le  succès  de  ses  discours  surpassa  toutes  les  espérances.  On  ne 
se  souvenait  point  d'avoir  jamais  vu  une  si  grande  affluence  au 
sermon  :  attirés  par  son  entraînante  éloquence,  catholiques  et 
calvinistes  se  mêlaient  dans  son  auditoire.  Les  hérétiques  avouaient 
k  que  si  le  surplis  et  le  bonnet,  dont  maître  Emond  se  servait  à 
la  façon  des  prêtres  de  l'Église  romaine,  ne  l'engageaient  point  à 
débiter  une  doctrine  contraire  à  la  leur,  il  n'y  aurait  pas  un  de 
leurs  ministres  auxquels  ils  ne  le  préférassent  de  tout  leur  cœur  ». 
Non  content  de  parler  chaque  jour  à  l'église  principale  de  la 
ville,  le  P.  Auger  déploya  sur  d'autres  terrains  toutes  les  éner- 
gies de  son  zèle  industrieux.  Par  ses  manières,  toujours  franches 
et  aimables,  il  gagnait  les  sympathies  dans  les  entretiens  par- 
ticuliers où  il  achevait  le  bien  commencé  par  ses  prédications. 
A  la  prière  des  catholiques,  il  composa  un  pelit  traité,  en  forme 
de  méditations,  où  il  exposait  les  signes  auxquels  on  peut  distin- 
guer l'ivraie  du  bon  grain;  cet  écrit,  distribué  dans  toute  la  ville, 
contribua  beaucoup  à  prémunir  les  fidèles  contre  l'erreur.  De 
nombreuses  conversions,  celle  entre  autres  d'un  des  premiers 
magistrats  de  la  cité,  furent  la  meilleure  récompense  de  cet  infa- 
tigable missionnaire1. 

6.  Le  cardinal  de  Tournon  continuait  à  bénir  Dieu  du  bien 
opéré  par  les  Pères  de  son  collège.  C'était  sa  principale  consola- 
tion dans  la  demi-retraite  où  il  vivait,  depuis  que  la  reine  Cathe- 
rine de  Médicis,  après  la  mort  de  François  II,  avait  échappé  à 
son  influence  pour  se  rapprocher  des  huguenots.  Le  spectacle  des 
calamités  publiques,  en  ébranlant  ses  forces  déjà  défaillantes,  lui 
faisait  redouter  pour  son  pays  un  avenir  qu'il  ne  verrait  pas. 
Avant  de  mourir,  il  voulut  du  moins  que  là  où  il  était  le  maître 
toutes  les  précautions  humaines  lussent  prises  contre  les  manœu- 
vres des  novateurs.  La  confiance  que  lui  inspire  la  Compagnie  de 
Jésus,  les  prescriptions  relatives  à  la  discipline  et  aux  mœurs 
qu'il  a  fait  insérer  dans  l'acte  de  donation  du  collège,  ne  lui  suf- 
fisent pas,  et  à   deux  semaines  de  sa  mort,  le  5  avril  15G2  ,  à 

1.  Sacchini,  Ilist.  Soc.  Jcsu,  P.  II,  1.  VI,  n.  42.  —  Il  nous  a  été  impossible  de  re- 
trouver dans  les  lettres  du  P.  Auger  des  détails  sur  ce  carême  de  Valence.  Dans  une 
lettre  du  10  avril  1562,  datée  de  Tournon,  il  écrit  au  P.  Général  qu'il  n'avait  pas  eu 
pendant  ce  carême  un  seul  moment  à  lui  (Gall.  Euist.,  Il,  f.  5). 


ÉTABLISSEMENT  DES  JÉSUITES  AU  COLLÈGE  DE  TOI  li\n\.       299 

Saiiit-Germain-en-Laye,  en  présence  de  ses  fidèles  amis  Pierre  de 
Villars,  Vincent  Laureo,  l»<>n  de  Broé,  et  du  chanoine  Fpurnier, 
docteur  de  Sorbonne,  il  formule,  sons  le  titre  de  Lois  de  V Aca- 
démie de  Tournon^,  les  règlements  les  plus  capables  de  Fortifier 
aux  cœurs  des  jeunes  gens  les  habitudes  de  la  piété  et  de  la  foi. 
On  y  trouve  expressément  recommandés  :  la  messe  tous  les  jours; 
de  nombreuses  prédications;  le  culte  de  la  Très  Sainte  Vierge;  la 
confession  et  la  communion  fréquentes;  une  étroite  surveillance 
des  pédagogies;  une  prompte  répression  de  tous  les  délits  de 
paroles  ou  de  conduite;  enfin  une  profession  de  foi  catholique, 
que  tous  les  élèves  devaient  prononcer  sous  serment. 

Tel  fut  le  dernier  acte  de  ce  vrai  pasteur  des  âmes-.  Quand  il 
l'accomplit,  l'état  de  sa  santé  ne  laissait  plus  guère  d'espoir  à 
son  entourage.  Peu  après,  une  recrudescence  delà  maladie  amena 
le  fatal  dénouement.  Le  cardinal,  se  voyant  près  de  sa  fin,  voulut 
être  assisté  par  un  Jésuite,  et  donner  ainsi  à  la  Compagnie  un 
suprême  témoignage  de  l'affection  dont  il  l'avait  toujours  hono- 
rée. Le  P.  Polanco,  secrétaire  du  P.  Général,  accourut  auprès  du 
vénéré  malade  et  ne  le  quitta  plus  qu'à  son  dernier  soupir'. 

Le  prélat  reçut  les  sacrements  de  la  sainte  Église,  avec  des  sen- 
timents de  foi  et  d'humilité  qui  édifièrent  tous  les  assistants.  Il 
demanda  pardon  à  Dieu  d'une  manière  si  touchante  que  ses  do- 
mestiques, rangés  autour  de  son  lit,  fondaient  en  larmes.  Loin  de 
regretter  cette  vie,  il  exprimait  le  désir  de  quitter  au  plus  tôt  la 
terre  pour  jouir  de  la  félicité  du  ciel.  «  Depuis  longtemps,  s'é- 
criait-il, je  suis  inutile  à  l'Église  et  à  charge  à  l'État  :  il  est  temps, 
Seigneur,  de  délivrer  votre  peuple.  »  Il  conjurait  le  P.  Polanco 
d'écrire  à  ses  frères  en  religion  afin  de  lui  obtenir  une  prompte 
mort  par  leurs  prières  :  «  C'est  là,  disait-il,  toute  la  reconnaissance 
que  j'exige  de  la  Compagnie  pour  les  services  que  j'ai  pu  lui 
rendre.  »  Enfin,  le  21  avril  156*2,  Dieu  exauça  ses  vœux;  il  s'en- 

1.  Le  texte  de  cet  acte  est  en  latin  et  le  titre  porte  :  Leges  acadoniae  Turnoniae 
Societatis  Jesu,  ab  oplimo  sapientissimoque  ipsius  fundatore  latae.  La  (in  du  titre 
a  ihï  être  mise  par  les  Jésuit-s  ou  les  amis  du  cardinal  (Tolosana,  Fundat.  colleg... 
t.  IV,  n»  16). 

2.  La  Revue  Mabillon  (novembre  1907)  a  publié  sur  le  cardinal  de  Tournon  un 
article  bien  sévère.  Il  faudrait,  pour  juger  la  cause,  autre  chose  que  les  affirmations 
de  Dom  Bouillart  et  Dom  du  Breul.  En  tout  cas,  il  n'est  pas  vrai  de  dire  que  le  car- 
nal  était  «  un  homme  aux  yeux  duquel  les  intérêts  matériels  seuls  avaient  quelque 
valeur  »  {Le  cardinal  de  Tournon,  abbé  commandataire  de  S.-Germain-des-Prés, 
par  Dom  Yves  Laurent,  Revue  Mabillon,  3"  année,  n.  il,  p.  277). 

3.  Lettre  ms.  du  P.  Polanco,  25  avril  1562  :  «  De  morte  Card.  de  Tournon.  »  —  D'après 
le  P.  Sacchini,  ce  serait  le  P.  Polanco  qui,  arrivé  auprès  du  cardinal  quelques  semaines 
avant  sa  mort,  lui  aurait  inspiré  la  rédaction  des  lois  de  l'Académie  de  Tournai!  et 
la  profession  de  foi  qui  s'y  trouve  jointe  (llist.  Soc.,  P.  II,  lib.  VI,  nu  38). 


300  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

dormit  doucement  dans  le  Seigneur1  en  baisant  dévotement  le 
crucifix.  «  Sa  mort,  écrivait  trois  jours  plus  tard  le  cardinal  de 
Ferrare,  excite  d'immenses  regrets  parmi  tous  les  gens  de  bien, 
car  jamais,  plus  qu'au  temps  où  nous  vivons,  son  intervention 
n'avait  été  nécessaire  aux  affaires  du  royaume  et  de  la  religion.  » 
La  mort  du  cardinal  de  Tournon  fut  en  effet  une  calamité  publi- 
que :  l'Église  le  regretta  comme  un  de  ses  plus  zélés  défenseurs 
et  la  France  perdit  en  lui  un  des  prélats  les  plus  dévoués  à  ses 
intérêts2.  La  Compagnie  de  Jésus  le  pleura  comme  un  père,  un 
protecteur  fidèle  et  affectueux.  Le  P.  Lainez  ordonna  qu'on  fît 
des  prières  publiques  et  qu'on  célébrât  un  service  solennel  pour 
le  repos  de  l'âme  de  cet  insigne  bienfaiteur,  dans  toutes  les  mai- 
sons de  la  Société.  Le  cardinal  avait  demandé,  par  son  testament, 
que  son  corps  fût  transporté  à  Tournon  pour  y  être  enterré  dans 
l'église  du  collège  3.  La  crainte  des  huguenots,  qui  infestaient  les 
bords  du  Rhône,  empêcha  d'exécuter  immédiatement  sa  dernière 
volonté.  Plus  tard  seulement,  les  Jésuites  de  Tournon  reçurent  la 
dépouille  mortelle  de  leur  fondateur.  On  la  déposa,  en  attendant, 
à  l'Abbaye  de  Saint-Germain-des-Prés  dans  la  chapelle  de  la  Très 
Sainte  Vierge. 

7.  A  ce  moment  une  partie  du  royaume  était  en  proie  aux  con- 
vulsions de  la  guerre  civile.  L'édit  du  17  janvier  1562,  au  lieu  de 
-pacifier'*  les  esprits,  ne  faisait  que  déchaîner  la  fureur  des  calvi- 
nistes. Peu  satisfaits  des  concessions  obtenues,  ils  réclamaient  la 
complète  liberté  de  leur  culte,  et  ils  résolurent  de  prendre  de 
vive  force  ce  qu'on  refusait  de  leur  accorder.  Le  2  mars,  une 
collision  sanglante,  survenue  à  Vassy  en  Champagne  entre  les 
gens  du  duc  de  Guise  et  quelques  huguenots,  fut  regardée  par  les 
factieux  comme  une  déclaration  de  guerre  ;  ils  en  profitèrent  pour 
prendre  les  armes.  Le  soulèvement  général  du  mois  d'avril  dé- 
voila un  parti  puissant  et  agressif;  on  connut  ainsi  qu'il  s'était 
organisé  secrètement,  et  se  tenait  prêt  à  profiter  de  la  première 
occasion.  Animés  de  l'esprit  de  Calvin  qui,  de  son  aveu,  n'était 
pas  venu  apporter  la  paix  mais  le  glaive  pour  établir  le  pur  évan- 
gile, les  huguenots  s'emparèrent  d'Orléans,  du  Mans,  de  Tours, 

1.  A  Saint-Germain-en-Laye. 

2.  Lettre  du  nonce,  29  avril  1562  (Archiv.  cur.  de  l'hist.  de  Fronce,  sér.  1,  t.  VI. 
p.  95).  Narratio  Vincentii  Laurei  de  morte  C"a  de  Tournon  (Lugd.  Hist.,  I.  1560-1638, 
n°  17).  Lettre  du  P.  Polanco,  25  avril  1562. 

3.  Sacchini,  Hist.  Soc,  P.  II,  liv.  VI,  n.  38,  39. 

4.  On  lui  avait  donné  le  litre  à'ëdil  de  pacification. 


ÉTABLISSEMENT  DES  JÉSUITES  AU  COLLEGE  DE  TOURNON.       301 

de  Poitiers,  de  Lyon,  de  plusieurs  places  importantes  du  Langue- 
doc et  de  la  plupart  des  villes  de  Normandie.  Partout  où  ils  triom- 
phèrent, on  les  vit  ne  reculant  devant  aucun  excès,  renverser  les 
temples  et  les  autels,  brûler  les  images  et  les  reliques,  massacrer 
les  prêtres  et  les  religieux  et,  après  avoir  tout  désolé  par  le  fer  et 
le  feu,  violer  jusqu'aux  tombeaux  l. 

Le  Dauphiné  fut  une  des  provinces  qui  eut  le  plus  à  souffrir 
de  la  part  des  hérétiques.  François  de  Beaumont,  si  connu  sous 
le  nom  de  baron  des  Adrets,  parcourait  le  pays  à  la  tête  de 
bandes  indisciplinées,  bridant,  saccageant  tout  et  laissant  par- 
tout des  traces  sanglantes  de  son  passage.  Les  catholiques  ef- 
frayés se  réfugiaient  de  la  campagne  dans  les  villes,  mais  celles-ci 
ne  leur  offraient  pas  toujours  contre  sa  fureur  un  asile  assuré, 
comme  il  arriva  à  Grenoble  et  à  Valence.  Le  P.  Auger,  qui  avait 
prêché  l'avent  et  le  carême  dans  cette  dernière  ville,  y  était  re- 
tourné peu  de  temps  après,  à  la  prière  des  catholiques,  pour  re- 
lever leur  courage  et  fortifier  leur  foi.  Il  s'y  trouvait  encore 
quand  le  terrible  baron  en  vint  faire  le  siège.  Grâce  aux  intel- 
ligences qu'il  avait  dans  la  place,  le  chef  calviniste  s'empara  de 
la  porte  Saint-Félix,  et  ses  troupes  avides  de  pillage  pénétrèrent 
dans  la  cité.  Le  vaillant  gouverneur,  Lamotte-Gondrin,  poursuivi 
jusque  chez  lui  par  une  horde  d'assassins,  qui  lui  promirent  la 
vie  sauve,  fut  poignardé  malgré  la  foi  donnée,  et  son  corps  pendu 
aux  fenêtres  de  sa  maison2.  Le  P.  Auger,  dénoncé  par  les  hu- 
guenots de  la  ville,  fut  arrêté  sur  l'ordre  du  baron  des  Adrets  et 
jeté  en  prison.  Il  resta  quelques  jours  en  continuel  danger  de 
perdre  la  vie.  Les  sentiments  étaient  partagés  sur  son  sort.  Les 
plus  violents  parmi  les  hérétiques  demandaient  qu'il  fut  pendu; 
les  autres,  sous  apparence  de  religieuse  compassion,  disaient  que 
par  égard  pour  sa  qualité  de  prédicateur  il  ne  fallait  lui  faire 
aucun  mal.  Un  des  ministres  protestants  entreprit  de  disputer 
avec  lui  pour  le  gagner  à  la  secte.  En  vain  lui  promit-on  toutes 
sortes  d'honneurs,  s'il  consentait  à  changer  de  religion  :  il  ré- 
pondit que  ni  la  crainte  de  la  mort,  ni  les  plus  belles  promesses 
ne  lui  feraient  jamais  abandonner  la  sainte  foi  catholique.  Des 
amis  influents  insistèrent,  sans  résultat,  pour  obtenir  sa  liberté. 

1.  Voir  à  ce  sujet  :  Archives  cur.  de  Vlilst.de  France,  s.  1,  t.  IV,  356.  Discours 
sur  lesaccagement  des  églises...  en  l'an  J56'2.  El  aussi  Mémoires  de  Caste!  non,  liv.  III, 

(11.    IX. 

2.  Discours  de  ce  qui  a  esté  faid  es  villes  de  Valence  et  de  Lyon  dans  Mémoires 
de  Coudé,  t.  III,  p.  34  k.  —  Cf.  Epis  t.  /'.  Nadal,  l.  I,  p.  73lJ.  Journal  de  Bruslart 
dans  Mémoires  de  Condé.  I.  I,  p.  84  el  suiv. 


302  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

Gomme  ses  jours  étaient  menacés,  ils  tentèrent  alors  de  le  dé- 
livrer, et  ils  y  réussirent  à  la  faveur  de  la  confusion  qui  régnait 
dans  la  ville.  Ce  ne  fut  pas  sans  quelque  tristesse  que  le  P.  Auger 
se  vit  enlever  la  couronne  du  martyre;  mais  il  adora  la  Provi- 
dence qui  avait  fait  concourir  la  pitié  des  hérétiques  et  la  charité 
des  catholiques  à  lui  sauver  la  vie;  et  il  se  consola  dans  la 
pensée  que  Dieu,  en  le  conservant  d'une  façon  si  visible,  le  ré- 
servait à  de  plus  grands  combats  pour  l'honneur  de  l'Église. 
Grâce  à  une  protection  sensible  du  ciel,  il  put  franchir  à  cheval, 
sans  être  inquiété,  la  longue  distance  qui  le  séparait  de  Billom, 
où  il  retrouva  contre  toute  attente  ses  frères  du  collège  de  Tour- 


non 


8.  Que  s'était-il  donc  passé?  Le  baron  des  Adrets,  à  peine 
maître  de  Valence,  s'était  dirigé  vers  Tournon  avec  le  dessein  de 
s'en  emparer.  Il  manda  au  comte  Just,  neveu  du  cardinal,  qu'il 
épargnerait  au  pays  une  invasion  à  main  armée,  à  trois  condi- 
tions :  la  suppression  de  la  messe,  l'expulsion  des  Jésuites  et  la 
reddition  du  château.  Le  comte  n'avait  pas  assez  de  troupes  pour 
résister  et  l'on  exigeait  une  prompte  réponse.  Il  fit  appeler  le 
P.  Annibal  du  Coudret,  vice-recteur,  et  lui  communiqua  le  mes- 
sage. Le  Père  répondit  qu'après  avoir  consulté  sa  communauté 
il  rapporterait  sa  décision.  Tous  les  religieux  s'écrièrent  qu'ils 
aimaient  mieux  mourir  pour  le  Christ  et  l'Église  que  d'aban- 
donner leur  poste.  Cette  résolution  jeta  le  comte  dans  une 
grande  anxiété;  il  exposa  les  maux  incalculables  qui  allaient  s'en- 
suivre. Quand  les  Pères  du  collège  apprirent  qu'il  s'agissait,  en 
quittant  la  ville,  d'épargner  à  tout  le  pays  d'immenses  désastres, 
ils  se  montrèrent  plus  accommodants;  mais,  afin  de  ne  pas  pa- 
raître fuir  le  danger,  ils  demandèrent  une  déclaration  écrite, 
attestant  qu'ils  avaient  obéi  aux  ordres  formels  du  comte  de 
Tournon.  Celui-ci  consentit  à  leur  désir  et,  comme  le  temps  pres- 
sait, les  engagea  à  partir  sans  retard  s'ils  voulaient  échapper  à 
la  mort. 

Plus  ou  moins  déguisés,  ils  sortirent  par  petits  groupes  à  la 
tombée  de  la  nuit.  Le  P.  du  Coudret  leur  avait  assigné  un  rendez- 
vous,  à  une  lieue  de  la  ville,  en  leur  recommandant  d'être  prêts 
à  mourir,  s'il  le  fallait,  pour  le  nom  de  Jésus-Christ.  On  avait 
tout  à  craindre,  en  effet,  des  soldats  hérétiques  qui  battaient  les 
environs;  mais,  grâce  au  secours  d'en  haut,  les  Pères  «  au  nom- 

1.  Epiât.  1\  Pfadal,  l.  1,  p.  7 4  i . 


ÉTABLISSEMENT  DES  JÉSUITES  AU  COLLÈGE  DE  TOURNON.       303 

bre  de  vingt-doux  ou  vingt-quatre  »  parvinrent  presque  tous  sans 
encombre  au  lieu  du  ralliement.  Après  quatre  jours  de  marche, 
ils  arrivèrent  au  collège  de  Billom.  Un  des  groupes  ne  les  re- 
joignit que  le  lendemain.  Il  avait  rencontré,  en  quittant  la  ville, 
des  cavaliers  huguenots  qui  le  poursuivirent.  Voulant  se  dérober 
à  leur  atteinte,  les  voyageurs  s'élancèrent  dans  un  sentier  dé- 
tourné où  des  chevaux  pouvaient  difficilement  s'engager.  L'un 
des  huguenots,  plus  audacieux  que  les  autres,  s'acharna  cepen- 
dant à  les  rejoindre  :  il  tenait  déjà  son  épée  levée  sur  la  tête 
d'un  des  fugitifs,  quand  son  cheval  s'abattit.  Pendant  ce  temps, 
la  petite  bande,  qui  avait  pris  de  l'avance,  put  échapper  à  ses 


ennemis 


Peu  après,  le  28  avril,  le  baron  des  Adrets  entra  dans  la  ville, 
abolit  le  culte  catholique,  et  ses  soldats  pillèrent  et  profanèrent 
les  églises. 

*  1.  Lettre  du  P.  Jacques  Ximenez  au  P.  Antoine  Araoz,  3  juillet  1562  [Epist. 
/'.  Nadal,  t.  I,  p.  739,  743).  Nous  avons  suivi  celte  relation,  écrite  en  quelque  sorte 
sons  la  dictée  dos  PP.  de  Tournon  réfugiés  à  Billom.  Elle  peut  servir  à  rectifier  le  récit 
plus  connu  du  P.  Manare  mais  rédigé  quarante  ans  après  l'événement.  Cf.  Manare, 
De  rébus  S.  /.,  p.  82. 


CHAPITRE  IX 

VISITES    DU    P.    NADAL,    COMMISSAIRE    GÉNÉRAL 
DE    LA   COMPAGNIE    DE   JÉSUS.    FONDATION    DU    COLLÈGE   DE  RODEZ. 


(1561-1562). 


Sommaire  :  1.  Rencontre  du  P.  Jérôme  Nadal  et  du  P.  Broet  au  collège  de  Bil- 

lom.  —  2.  Le  P.  Lalnez  appelé  par  le  Pape  au  concile  de  Trente.  —  3.  Les 
PP.  Nadal  et  Broet  à  Paris;  départ  du  P.  Lainez.  —  4.  Apostolat  du  P.  Pelletier 
à  Rodez  :  les  habitants  demandent  un  collège.  —  5.  Formalités  pour  la  fonda- 
tion et  ouverture  des  classes.  —  6.  Mort  du  P.  Broet. 

Sources  manuscrites  :  I.  Biblioth.   nationale,  fonds  lalin,  10,989. 

II.  Archives  de  l'Aveyron,  sér.  D. 

III.  Archives  communales  de  Rodez,  GO. 

IV.  Biblioth.  de  la  Société  des  lettres,  sciences  et  arts  de  l'Aveyron. 

V.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Epistolae  Cardinalium.  — 
b)  Galliae  Epistolae.  —  c)  Francia,  Historiae  fundationum  totius  assistentiae.  —  d)Tolos., 
Ffundationes  collegiorum. 

VI.  Arcliiv.  Prov.  de  France. 

VII.  Archiv.  Prov.  de  Lyon. 

Sources  imprimées  :  Archives  curieuses  de  l'histoire  de  France.  —  Baluxe,  Miscellanea. 
—  Davila,  Histoire  des  guerres  civiles  de  France.  — Lagomarsini,  Pogiani  Julii  epistolae 
et  oraliones.  —  Manare,  De  rébus  S.  J.  eommentarius.  —  Mémoires  de  Coudé.  —  Mé- 
moires de  Caslelnau.  —  Prat,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  du  P.  broet.  —  Revue 
rétrospective.  —  Ribadeneira,  La  vie  du  P.  Jacques  Lainez. — Tortorel  et  Perrissin,  Qua- 
rante tableaux.  —  Monumenta  historica  S.  .1.  Epistolae  P.  Nadal.  —  Epistolae  PP.  Pasch. 
Broeli,  etc..  —  Monumenta  pnedagogica. 

1.  Le  collège  de  Billom  fut  préservé  des  calamités  qui  désolè- 
rent une  partie  de  la  France  dans  l'année  1562.  Les  Pères  de 
Tournon  purent  y  vivre  tranquillement,  jusqu'à  ce  qu'il  leur  fût 
permis  de  reprendre  leurs  fonctions  scolaires  dans  leur  propre 
collège.  Ils  eurent  la  consolation  d'y  rencontrer  le  P.  Broet  venu, 
vers  la  lin  de  1561,  faire  sa  visite  provinciale.  Il  avait  eu  quelque 
mérite  à  entreprendre  ce  voyage  qui  n'était  pas  sans  danger,  à 
cause  des  bandes  armées  répandues  sur  toutes  les  routes  ;  mais 
Dieu  veillait  sur  son  serviteur,  dont  la  modeste  contenance  n'ins- 
pirait du  reste  aucun  soupçon.  Un  jour  que  l'humble  religieux 
passait  à  pied  près  d'un  champ,  où  travaillaient  quelques  labou- 
reurs, ceux-ci,  à  la  vue  de  ses  pauvres  vêtements,  commencè- 
rent à  l'accabler  de  railleries.  Le  Père  s'arrêta,  appuyé  sur  son 
bâton,  pour  écouter  leurs  injures;  puis  quand,  étonnés  de  sa  pa- 


VISITES  DU  P.  NADAL.  30S 

tience,  les  insulteurs  eurent  cessé  leurs  cris,  il  leur  dit  avec  un  re- 
gard tranquille  et  en  faisant  sur  eux  le  signe  de  la  croix  :  «  Que 
Dieu  ait  pitié  de  vous,  mes  enfants,  et  qu'il  vous  bénisse  !  »  Émus 
de  tant  de  bonté,  les  villageois  tombèrent;!  ses  pieds  et  lui  de- 
mandèrent pardon1. 

En  arrivant  à  Billoni,  le  P.  Provincial  trouva  l'établissement  de 
Mgr  du  Prat  dans  un  état  de  prospérité  relative.  Il  y  avait  vingt- 
cinq  Pères  ou  Frères,  six  classes  et  mille  deux  cents  écoliers'2.  Les 
cours  se  faisaient  encore  dans  les  bâtiments  avoisinant  l'ancien 
collège;  mais  les  constructions  du  nouvel  édifice  se  trouvaient 
déjà  très  avancées.  Quant  aux  élèves,  si  l'on  en  croit  l'ancien  an- 
naliste de  la  maison,  «  ils  montraient  une  louable  docilité  aux 
leçons  de  leurs  maîtres,  une  constante  application  à  l'étude  et  ils 
savaient  sanctifier  leurs  travaux  par  les  exercices  d'une  vie  pieuse 
et  édifiante  3.  » 

Le  P.  Broet,  ayant  terminé  sa  visite  officielle,  prolongea  son 
séjour  à  Billoni  afin  d'y  attendre  le  P.  Jérôme  Nadal,  Commis- 
saire général  de  la  Compagnie.  Spécialement  chargé  de  promul- 
guer et  d'interpréter  les  Constitutions,  le  P.  Nadal,  après  avoir 
rempli  sa  mission  en  Portugal  et  en  Espagne,  devait  encore,  sur 
l'ordre  du  P.  Lainez,  la  continuer  en  France  et  en  Allemagne. 
Depuis  son  départ  de  Saragosse,  on  n'avait  plus  reçu  de  nouvel- 
les de  lui,  et  l'on  n'était  pas  sans  inquiétude  sur  son  sort.  S'il 
venait  à  être  reconnu,  sa  double  qualité  de  jésuite  et  d'espa- 
gnol l'exposait  à  la  rage  des  bandes  calvinistes.  Il  était  entré,  au 
commencement  du  mois  d'avril,  dans  le  comté  de  Foix,  avec  l'in- 
tention de  faire  la  visite  du  collège  de  Pamiers  ;  mais,  apprenant 
que  les  Pères  en  avaient  été  expulsés,  il  était  allé  à  Toulouse 
partager  avec  eux  la  généreuse  hospitalité  des  Bénédictins  de  la 
Daurade  4.  De  cette  ville,  il  tenta  de  gagner  l'Auvergne.  En  route, 
près  de  Rabastens,  il  tomba  avec  ses  deux  compagnons  dans  un 
parti  de  soldats  huguenots.  Arrêté  comme  suspect,  questionné 
sur  le  but  de  son  voyage  et  sur  sa  religion,  le  P.  Nadal  répondit  : 
«  Je  suis  prêtre  de  l'Église  romaine.  »  Un  officier  et  un  ministre 
tirent  de  vains  efforts  pour  l'amener  à  une   discussion  sur  des 


1.  D'après  le  récit  de  Bertrand  Rosier,  compagnon  du  P.  Broet  :  «  lier  habebat  pedes 
F'.  Broelus]  Bertrando  Roserio  comité  qui  id  scriptum  reliquit  »    Sacchini    Bist 

s.  ,/.,  P.  Il,  1.  VI,  n.  95). 

2.  Lettre  de  Jarques  Ximenez  ex  commissione  I"    Nadal,  3  juillet  1562     Epist. 
/'.  Nadal,  t.   I,  p.  739). 

3.  Historia  primordiorum  colleg.  Rillom  ^rch.  prov.  de  Lyon  . 

4.  Epist.  P.  Nadal,  t.  II,  p.  92,  t.  I.  p.  728. 

COMPAGNIE    DE   JÉSIS.    —  T.    1.  20 


306  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

matières  de  foi;  malgré  leurs  menaces,  ils  n'en  purent  rien  tirer, 
sinon  qu'il  était  prêtre  et  s'en  allait  de  Toulouse  à  Paris.  Ses 
deux  compagnons,  dont  les  soldats  l'avaient  séparé,  furent  aussi 
interrogés,  chacun  en  particulier,  «  le  poignard  sous  la  gorge  ». 
L'un  avoua  que  ce  prêtre  était  Commissaire  général  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus;  l'autre  ne  cacha  pas  non  plus  la  qualité  de  jé- 
suite commune  aux  trois  voyageurs.  Conduits  au  capitaine  de  la 
troupe  puis  au  juge  de  Rabastens,  ils  s'entendirent  accusés  d'être 
«  espions  du  roi  d'Espagne  et  jésuites  »,  par  conséquent  «  les 
pires  ennemis  de  la  religion  nouvelle  ».  C'en  était  assez,  di- 
sait-on ,  «  pour  mériter  la  fourche  ».  Mais  le  capitaine,  dans  la 
crainte  d'exaspérer  la  population  catholique,  et  le  juge,  peut- 
être  catholique  lui-même,  se  montrèrent  plus  indulgents  :  ne 
trouvant  rien  à  reprendre  aux  réponses  des  prisonniers,  ils  les 
laissèrent  enfin  continuer  leur  route.  Nos  voyageurs  se  rendirent 
alors  à  Rodez,  puis  à  Billom,  où  ils  parvinrent  le  29  avril  1562  '. 

Il  n'existe,  à  notre  connaissance,  aucun  compte  rendu  détaillé 
de  la  visite  de  ce  collège.  Le  P.  Nadal,  qui  a  tant  écrit,  n'en  dit 
presque  rien  :  «  Visitavi,  j'ai  fait  la  visite  »,  note-t-il  seulement 
dans  ses  Éphémérides2.  Mais  il  a  raconté  plusieurs  fois  comment 
il  s'y  prit  ailleurs  en  pareille  circonstance,  et  il  n'y  a  nulle  raison 
pour  que,  dans  les  choses  essentielles,  il  n'ait  point  exercé  sa 
charge  à  B'rllom  comme  partout.  Voici,  d'après  une  de  ses  lettres 
à  saint  Ignace  en  1555 3,  la  méthode  qu'il  suivit  à  Venise  et  à 
Padoue  :  «  Je  fais  quelques  exhortations  pratiques,  six  ou  sept, 
où  j'expose  la  substance  de  l'Institut  en  commentant  tous  les 
points  de  l'Examen  général  et  des  Constitutions.  J'instruis  mes 
auditeurs,  autant  que  je  le  puis,  sur  la  vertu  d'obéissance.  Je 
leur  explique  ce  qui  est  relatif  à  l'oraison,  traitant  de  chacun  des 
exercices  de  piété,  et  signalant  en  particulier  l'importance  de 
l'examen  de  conscience  quotidien.  — J'ai  disposé  l'heure  d'orai- 
son de  sorte  qu'il  y  en  ait  une  demi-heure  le  matin,  un  quart 
d'heure  d'examen  avant  le  diner,  un  autre  avec  un  peu  d'orai- 
son'1 avant  le  coucher;  en  tout,  une  heure  de  prière  en  dehors  de 
la  messe.  —  Je  montre  de  mon  mieux  le  fruit  que  l'on  doit  retirer 

1.  Récit  du  P.  Ximenez,  compagnon  du  P.  Nadal,  dans  son  Commcntarium  de  Yila 
et  viitulibus  P.  Nadal  lEpistolae' P.  Nadal,  t.  I,  p.  40,  46).  Cf.  IbicL,  p.  93,  730- 
732. 

2.  Epiât.  P.  Nadal,  t.  Il,  p.  93. 

3.  Lettre  du  19  juillet  1555  {Epist.  Nadal,  t.  I,  p.  316,  317). 

4.  remarquons  que  le  P.  Nadal  n'emploie  que  le  mot  oracion;  il  ne  parle  pas  de 
méditation.  Voir  ce  que  nous  disons  à  ce  sujel  au  livre  III,  c.  vi,  n.  3. 


VISITES  DU  P.  NADAL.  301 

de  la  fréquentation  des  sacrements.  —  Je  parle  à  chacun  en  par- 
ticulier. —  J'interroge  tous  les  nôtres  sur  toutes  choses,  et  je  m'ef- 
force de  les  aider.  —  J'ordonne  les  choses  d'études  et  autres  que 
je  juge  à  propos.  — Je  fais  renouveler  les  vœux  selon  la  formule 
des  Constitutions...  J'examine  les  règles  que  les  nôtres  suivent 
et  je  les  modifie  conformément  à  ce  qui  me  parait  être  l'esprit  de 
Votre  Paternité1...  Je  vois  tous  les  livres;  je  supprime  ceux  qu'il 
convient;  s'ils  ne  sont  pas  hérétiques,  je  ne  les  fais  pas  brûler 
mais  seulement  mettre  à  part,  jusqu'à  ce  que  Votre  Paternité  en 
ait  décidé,  comme  Érasme,  Vives,  et  caeteri Telle  est  en  géné- 
ral ma  méthode.  Si  quelque  chose  de  particulier  se  présente  pour 
le  progrès  du  collège,  j'y  avise.  » 

Six  ans  plus  tard,  et  un  an  avant  sa  venue  à  Billom,  le  P.  Nadal 
se  conduit  de  même  au  collège  de  Coïmbre  qui,  parait-il,  avait 
alors  «  besoin  d'une  bonne  réforme  '  ».  Là,  les  exhortations  do- 
mestiques furent  nombreuses,  convaincantes,  efficaces3;  puis  il  y 
eut,  comme  toujours,  les  comptes  de  conscience  et  les  entretiens 
particuliers  où  chacun,  sur  toutes  matières,  exposait  ses  difficul- 
tés, recevait  lumière  et  encouragement.  L'esprit  propre  du  fon- 
dateur, ainsi  transmis  par  le  P.  Nadal,  achevait  dans  les  âmes  le 
travail  commencé  par  la  grâce  de  la  vocation. 

Ces  renseignements  suffisent  pour  nous  rendre  compte  de  ce 
que  dut  être  le  passage  du  Père  Commissaire  général  dans  notre 
premier  collège  d'Auvergne.  On  devine,  au  peu  qu'il  en  dit  dans 
son  journal,  que  sa  mission  y  fut  facile  et  consolante.  Il  remarque 
uniquement,  comme  points  particuliers,  qu'il  eut  à  s'occuper  des 
constructions  et  à  satisfaire  à  quelques  demandes  des  habitants4. 

Pendant  son  séjour  peut-être,  ou  du  moins  peu  de  temps  après, 
le  collège  perdit  un  homme  de  grande  vertu,  le  P.  Chanal,  qui 


1.  Le  livre  des  Règles,  tiré  des  Constitutions,  n'existait  pas  encore.  Nadal  chargé 
de  promulguer  les  Constitutions  s'enquérait  des  règlements  locaux  pour  les  unifier 
et  les  rendre  conformes  au  code  de  saint  Ignace.  Lui-même  en  établissait,  comme  il 
le  dit  dans  le  passage  que  nous  avons  supprimé  :  «  Les  règles  que  j'ai  données  sont  : 
les  règles  générales  extraites  de  l'Examen  et  de  la  3e  partie  des  Constitutions,  que 
notre  Père  a  vues;  nous  les  avons  fait  traduire  en  latin...  avec  les  autres  règles  pour 
les  scoListiques  tirées  delà  quatrième  partie  des  Constitutions...  les  règles  du  maître 
des  novices  et  celles  des  novices;  ce  qui  se  lit  dans  la  3e  et  la  1"  partie  des  Cons- 
titutions sur  l'obéissance  et  la  modestie;  les  règles  du  recteur,  du  préfet  de  table, 
du  syndic,  de  l'acheteur,  du  réfectorier,  du  dépensier,  du  cuisinier  que  m'a  données 
M'  Polanco;  celles  du  portier  etc..  »  [Ibïd.,  p.  317).  Nous  parlerons  de  la  publication 
du  livre  des  Règles  au  livre  111,  c.  vi.  n.  i. 

2.  «  Egebat  renovatione  »  (Epist.  P.  Nadal,  II,  p.  73). 

3.  «  Quibus  [exhortationibus]  adeo  fuerunt  accensi  ut  magna  sequerelur  inutatio  » 
[Ibid.). 

4.  Nadal  Ephem.,  1562  [Epist.  P.  Nadal,  t.  II,  p.  94  . 


308  HISTOIRE  DE  LÀ  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

en  avait  été  le  premier  Recteur,  et  dont  la  vie  s'était  consumée 
clans  les  fonctions  de  renseignement  et  du  ministère  sacerdo- 
tal. Telle  était  la  vénération  dont  il  était  l'objet  qu'on  l'appelait' 
communément  le  saint.  Plein  d'une  filiale  confiance  dans  la 
bonté  divine,  il  ne  s'occupait  au  moment  de  paraître  devant 
Dieu  que*  des  besoins  de  l'Église,  et  il  conjurait  ses  frères  de 
prier  surtout  le  Seigneur  d'avoir  pitié  de  la  France.  On  put 
juger,  par  la  foule  extraordinaire  qui  vint  à  ses  funérailles,  de 
quelle  réputation  de  sainteté  il  jouissait  dans  toute  la  ville. 
C'était  un  tel  empressement  à  s'approcher  du  cercueil,  pour  le 
baiser  ou  y  faire  toucher  des  chapelets,  que  «  six  Pères  chargés 
de  la  garde  de  son  corps  eurent  du  mal  à  le  préserver  »  de  la 
pieuse  indiscrétion  des  fidèles1.  Cette  vénération  se  transmit  de 
génération  en  génération.  Cent  quarante  ans  après,  le  cardinal 
Cienfuegos  pouvait  dire  que  «  de  son  tombeau  s'exhalait  encore 
comme  un  parfum  de  sainteté2  ».  Il  avait  eu  pour  successeur 
dans  le  rectorat  les  P.  Jérôme  Le  Bas  et  Jean-Baptiste  Viola.  Le 
P.  Guy  Roillet,  ancien  étudiant  de  l'Université  de  Paris,  fut  placé 
à  la  tête  du  collège  quand  le  P.  Viola  retourna  en  Italie,  em- 
portant, avec  les  regrets  de  la  communauté,  la  satisfaction  d'avoir 
bien  mérité  de  la  Compagnie  qu'il  avait  tant  contribué  à  im- 
planter en  France  '. 

2.  Tandis  que  le  P.  Commissaire  et  le  P.  Provincial  se  trouvaient 
en  Auvergne,  le  P.  Général  continuait  à  Paris  ses  prédications 
et  multipliait  ses  démarches  pour  persuader  aux  principaux  chefs 
du  calvinisme  d'aller  s'expliquer  au  concile  de  Trente  :  '<  Il 
prenoit  bien  la  hardiesse,  dit  Bèze,  de  venir  chercher  les  mi- 
nistres jusques  à  leurs  licts  pour  les  induire  à  y  entendre4.  » 
A  ce  concile,  dans  lequel  il  mettait  tout  son  espoir,  le  P.  Lainez 
fut  lui-même  appelé  par  le  Souverain  Pontife.  Sur  une  première 
invitation  transmise  parle  cardinal  Borromée,  secrétaire  d'État, 
le  cardinal  de  Ferrare  répondit,  le  20  avril  1562  :  «  Quoique  la 
présence  du  Père  soit  très  avantageuse  à  Paris,  ainsi  qu'elle  le 
sera  partout  à  cause  des  grandes  qualités  qui  le  distinguent, 
néanmoins,  comme  nous  sommes  ici  dans  des  circonstances  où  les 
armes  sont  plus  nécessaires  que  la  parole,  j'ai  cru  devoir  lui  com- 

1.  Sacchini,  Bist.  Soc.  P.  II,  lib.  VI,  n.  102. 

2.  La  heroyca  vida  del  grande  S.  Francisco  de  fiorja,  1.  III,  c.  vi,  n.  1. 

3.  Epist.  P.  Nadal,  t.  1,  p.  750-761.  Mémoires  hist.  et  apol.  du  P.  de  la  Vie  (Ar- 
chiv.  prov.  France). 

4.  Bèze,  Hist.  ecclés.  des  Églises  ré  for  m.,  I.  I,  p.  716. 


VISITES  DU  P.  NADAL.  309 

muniquer  la  lettre  de  Votre  Seigneurie  illustrissime;  je  lai.  en 
même  temps,  engagé  à  se  disposer,  selon  de  désir  de  Sa  Sainteté, 
à  partir  pour  la  ville  de  Trente.  J'aurai  soin  de  le  pourvoir  de 
tout  ce  qui  lui  sera  nécessaire  dans  ce  voyage,  et  je  ne  doute 
pas  qu'il  ne  soit  au  concile  un  très  utile  instrument  pour  l'É- 
glise '.  » 

En  remettant  au  P.  Lainez  la  lettre  du  cardinal  secrétaire 
d'État,  le  légat  lui  avait  recommandé  d'examiner  devant  Dieu 
ce  qu'il  jugerait  le  plus  opportun  dans  l'intérêt  de  la  religion  : 
rester  à  Paris  où  son  action  était  si  utile,  ou  bien  partir  pour  le 
concile  de  Trente,  comme  le  désirait  le  Souverain  Pontife.  Dès 
le  lendemain,  nous  apprend  le  cardinal  de  Ferrare,  le  P.  Général 
lit  connaître  sa  décision  motivée  :  «  Après  avoir  réfléchi  toute 
une  nuit,  écrivait  le  légat  au  cardinal  Borromée,  il  m'a  déclaré 
que  Notre-Seigneur  daignait  à  la  vérité  accorder  quelques  succès 
à  ses  efforts,  mais  que  les  troubles  et  les  tumultes,  au  milieu  des- 
quels nous  vivons  ici,  entravent  son  ministère,  et  qu'il  rendrait 
peut-être  plus  de  services  à  l'Église  au  sein  du  concile.  Il  se 
propose  de  se  mettre  en  route  pour  Trente  dans  le  courant  du 
mois  de  mai.  Il  m'en  coûtera  beaucoup  d'être  privé  de  sa  sainte 
et  savante  conversation,  dont  je  jouissais  très  souvent,  mais  il 
convient  de  sacrifier  au  bien  public  ma  satisfaction  person- 
nelle2.  » 

De  fait  le  P.  Lainez  avait  mieux  compris  que  le  cardinal  de  Fer- 
rare  la  pensée  du  Souverain  Pontife  :  ce  n'était  pas  seulement 
un  désir  que  Pie  IV  avait  exprimé,  mais  une  volonté  bien  arrêtée. 
Le  cardinal  Borromée  le  fit  savoir  au  Légat  en  lui  adressant,  pour 
le  Général  de  la  Compagnie  de  Jésus,  une  lettre  cachetée,  que 
celui-ci  devait,  à  son  arrivée  à  Trente,  déposer  entre  les  mains 
des  prélats  présidents  du  concile3. 

3.  Le  P.  Nadal  et  le  P.  Broet,  prévenus  du  départ  du  P.  Général 
et  désireux  de  conférer  avec  lui  auparavant,  se  mirent  en  route 
pour  Paris.  Ce  voyage  présentait  tant  de  dangers  qu'au  lieu  de 
se  diriger  vers  la  capitale  «  par  la  voie  directe  et  ordinaire,  ils 
firent  un  détour  à  droite  à  travers  la  Bourgogne  '»  »  occupée  par 
les  troupes  catholiques  du  comte  de  Tavannes.  Malgré  cela  ils 
marchèrent  «  au  milieu  des  périls,  trouvant  les  villes  en  armes  et 

1.  Baluze,  Misccllunea,  t.  IV,  p.  405.  —  2.  Ibidem. 

3.  Cette  lettre  est  datée  du  11  mai  1562.  Cf.  Lagomarsini,  In  Julii  Pogiani  epist., 
t.  III,  80. 

4.  Nadal  Ephem.,  1562  {Epist,  P.  Nadal,  1.  II,  p.  94). 


310  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

les  ponts-levis  de  leurs  portes  levés  comme  en  temps  de  siège; 
et  nos  voyageurs,  sans  défense  et  étrangers,  faisaient  pitié'  ». 
Cependant  il  ne  leur  advint  aucun  mal,  tandis  qu'un  des  profes- 
seurs du  collège  de  Tournon,  le  P.  Etienne  de  Mirabcl,  parti  par 
un  chemin  plus  court  afin  de  prévenir  le  P.  Lainez  de  leur  ar- 
rivée, fut  victime  dune  pénible  aventure.  Arrêté  par  les  hugue- 
nots et  reconnu  comme  jésuite,  «  il  fut  jeté  en  prison  avec  des 
boulets  de  fer  aux  pieds.  On  lui  épargna  toutefois  un  plus  dur 
traitement,  et  pendant  qu'on  le  tenait  ainsi  enfermé  on  le  nour- 
rissait et  on  le  traitait  avec  assez  d'égards.  Au  bout  de  quinze 
jours,  on  le  délivra  de  ses  fers,  mais  sans  lui  rendre  sa  liberté2  ». 
Ses  geôliers  le  gardaient  auprès  d'eux  et  l'admettaient  à  leur 
table.  Les  jours  d'abstinence,  comme  le  Père  ne  voulait  pas  tou- 
cher aux  viandes  qu'on  leur  apportait,  ils  ne  lui  faisaient  rien 
servir  déplus,  et  l'abreuvaient  de  leurs  railleries.  Enfin,  après 
six  semaines  de  détention,  «  vaincus  par  sa  patience,  sa  constance 
et  son  urbanité,  ils  le  relâchèrent  »  ;  et  même  ils  lui  donnèrent 
une  escorte  pour  le  protéger  contre  de  plus  grands  malheurs 
jusqu'au  camp  des  catholiques8. 

Arrivés  à  Paris  le  28  mai,  le  P.  Provincial  et  le  P.  Commissaire 
s'entendirent  aussitôt  avec  le  P.  Lainez  sur  les  mesures  de  pru- 
dence nécessitées  par  l'état  d'agitation  où  se  trouvait  alors  la 
France,  et  sur  la  conduite  à  tenir  dans  les  affaires  de  la  Compa- 
gnie. Depuis  la  reconnaissance  légale,  plusieurs  demandes  avaient 
été  faites  pour  rétablissement  de  nouveaux  collèges  en  diverses 
parties  du  royaume  4.  Il  semble  que  les  évèques  avaient  hâte  de 
les  opposer  aux  écoles  fondées  ou  dirigées  par  les  protestants  et 
qui  servaient  à  répandre  les  fausses  doctrines.  Le  P.  Général  était 
lui-même  parfaitement  convaincu  de  l'utilité  de  ces  collèges,  où 
la  jeunesse  aurait  un  abri  contre  l'hérésie  et  s'exercerait  à  com- 
battre l'erreur;  mais  le  petit  nombre  des  sujets  disponibles  im- 
posait nécessairement  une  limite  à  sa  bonne  volonté.  Il  fut  décidé 
que  l'on  attendrait  la  fin  de  la  guerre  civile  pour  répondre  aux 
avances  des  villes  de  Toulouse,  d'Avignon,  de  Chambéry  et  de 
plusieurs  autres;  seule  la  demande  de  Rodez  fut  agréée. 

Au  commencement  du  mois  de  juin,  le  P.  Lainez  ayant  fini  de 
régler  les  affaires  de  son  Ordre  en  France  ne  songea  plus  qu'à 
hâter  son  départ  pour  le  concile.  Il  laissait  à  Paris  beaucoup  de 

1.  Nadal  Ephenu,  1562  (Epist.  P.  Nadal,  t.  H,  p.  94). 

2.  Lettre  du  P.  A.  du  Coudret  au  P.  Lainez,  5  oct.  1563  (Epist.  Nadal,  t.  II, 
p.  611,  612).  —  3.  Ibidem. 

4.  ViMtatio  PIs  Nadal  (Bibl.  nat.,  mss.  latins,  10,989,  f.  5). 


FONDATION  Dl    COLLÈGE  MF,  RODEZ.  3U 

regrets,  non  seulement  dans  la  pslite  communauté  de  l'hôtel  de 
Clermont,  mais  aussi  dans  les  divers  milieux  où  il  avait  porté  les 
efforts,  souvent  heureux,  de  son  zèle.  Par  son  rôle  à  Poissy  et  à 
Saint-Germain,  par  la  sûreté  de  sa  doctrine,  la  modération  de 
son  caractère,  le  tact  et  la  prudence  dont  il  lit  preuve  dans  tou'es 
ses  démarches,  il  s'était  montré  égal  au  mérite  que  lui  avaient 
reconnu  ses  frères  en  le  prenant  comme  Général,  e1  le  Cardinal 
de  Ferrare  en  l'associant  à  sa  légation1.  Partout  où  il  se  pré- 
senta pour  prendre  congé,  il  reçut  des  marques  de  la  grande 
estime  où  tous  le  tenaient.  Il  quitta  la  capitale,  le  9  juin,  accom- 
pagné du  P.  Nadal,  s'arrêta  en  Belgique  et  en  Allemagne  dans 
les  maisons  de  la  Compagnie,  et  parvint  à  Trente  vers  le  milieu 
du  mois  d'août-. 

V.  Avant  son  départ  de  Paris,  le  P.  Général  avait  accepté, 
avons-nous  dit,  la  fondation  d'un  nouveau  collège  en  France, 
celui  de  Rodez3  que  lui  oiïraient  les  habitants  d'accord  avec  le 
cardinal  d'Armagnac  et  Jacques  de  Gorneillan,  évêque  de  Vabres, 
son  neveu  et  son  coadjuteur. 

Dans  une  tour,  située  entre  les  deux  portes  de  cette  ville,  il  y 
avait  déjà  un  local  appelé  les  rcoles  où  enseignaient  quatre 
maîtres  dont  le  directeur  portait  le  nom  de  Maître  mage.  Les 
régents  qui  étaient  en  exercice,  quand  l'hérésie  de  Calvin  se  ré- 
pandit dans  le  Rouergue,  l'adoptèrent  en  secret  et  la  répandi- 
rent hypocritement.  Les  parents  s'en  aperçurent  et  grand  fut 
leur  embarras.  L'un  d'entre  eux,  Hugues  Caulet,  riche  notable 
de  la  ville  et  père  d'une  nombreuse  famille,  cherchait  avec  anxiété 
«  où  il  pourroit  trouver  des  maistres  catholiques,  parce  qu'en 
ceste  saison-là  ils  estoient  si  rares  qu'on  ne  pouvoit  s'en  assurer, 
tant  les  hérétiques  en  avoient  semé  partout  [des  leurs]  pour  cor- 
rompre la  jeunesse  ;  et  finalement  ayant  esté  adverty  du  collège 
de  Billom,  s'estoit  résolu  d'y  envoyer  ses  enfans'1  ».  Mais  voici 

1.  «  De  iis  quae  fecit  Parisiis  P.  Jacobus  Lainez  »  (Gall.  Epist.,  t.  II,  fol.  12).  — 
Autre  relation  sur  le  même  sujet  envoyé  de  Paris,  4  juin  1562. 

2.  Epist.  P.  Nadal,  t.  I,  p.  745,  746.  —  Le  concile  de  Trente  et  la  part  que  les 
Jésuites  y  prirent  n'appartiennent  pas  à  l'Histoire  de  la  Compagnie  de  Jésus  en  France. 

3.  Nous  avons  trouvé  plusieurs  récits  contemporains  de  cette  fondation.  Trois  sur- 
tout sont  assez  complets.  L'un,  sans  titre  et  auquel  il  manque  le  début  et  la  fin,  se 
trouve  aux  archives  de  l'Aveyron  (D,  552).  Nous  le  citerons  sous  la  rubrique  :  Notice 
manuscrite.  Les  deux  autres  sont  conservés  dans  la  Compagnie.  L'un  a  pour  titre  : 
Hisloria  fundationis  collegii  Ruthenensis.  L'autre  :  Sommaire  do  l'érection  et 
progrez  du  collège  de  la  Compagnie  de  Jésus  2  Roudez,  est  signé  du  P.  Anne 
d'Authier,  témoin  et  acteur  (Francia,  Hisl.  fundationum,  n.  55). 

4.  Notice  ms.  (Archives  de  l'Aveyron,  D,  552). 


312  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

que,  dans  les  premiers  mois  de  l'an  1562,  le  cardinal  d'Armagnac 
préoccupé  des  dangers  de  son  troupeau,  et  témoin  du  bien  opéré 
par  le  P.  Pelletier  auprès  des  catholiques  de  Toulouse,  l'envoya 
prêcher  à  Rodez.  «  Par  sa  vigueur  à  combattre  l'hérésie1  »  le 
jésuite  plut  à  ses  auditeurs  :  «  Dieu  soit  béni,  disaient-ils,  nous 
avons  enfin  un  vrai  prédicateur  de  l'évangile  '.  »  Quand  ils  surent 
que  la  Compagnie  de  Jésus,  à  laquelle  appartenait  ce  saint 
prêtre,  avait  parmi  ses  ministères  «  l'instruction  de  la  jeunesse 
dans  les  lettres  et  dans  la  foi,  ils  pensèrent  que  Dieu  leur  offrait 
un  remède  tout  préparé3  »  contre  le  venin  de  l'erreur.  Alors  le 
sieur  Caulet  «  en  ayant  premièrement  conféré  audict  Pelletier  et 
à  plusieurs  autres  des  principaux  de  ladicte  ville,  et  plus  affec- 
tionnés, et  qui  sçavoient  la  peine  où  il  estoit  pour  trouver  des 
maistres  catholiques  et  en  combien  de  sortes  il  s'y  estoit  souvent 
trompé,  tous  ensemble  en  parlèrent  audict  sieur  cardinal  [d'Ar- 
magnac] qu'ils  trouvèrent  non  seulement  bien  disposé,  mais 
aussy  en  volonté  d'y  mettre  aussy  tost  la  main  ''  ». 

Ce  fut  à  Toulouse  que  la  députation  conduite  par  Hugues  Caulet 
rencontra  le  cardinal.  Le  P.  Jérôme  Nadal  y  était  alors  de  pas- 
sage; il  fut  mis  au  courant  du  projet,  puis  vint  lui-même  à  Rodez 
traiter  avec  les  autorités  ecclésiastiques  et  civiles.  Après  avoir 
l'ait  quelques  arrangements,  il  déclara,  sous  la  réserve  des  droits 
du  P.  Général,  que  les  Jésuites  acceptaient  d'ouvrir  des  classes 
dans  la  ville5. 

5.  Le  P.  Pelletier  fut  ensuite  chargé  de  procéder  régulièrement 
à  la  conclusion  de  cette  affaire;  de  nouveaux  pourparlers  eurent 
lieu  entre  les  intéressés,  et,  le  22  avril  1562,  le  contrat  de  fonda- 
tion fut  signé  «  en  la  ville  de  Rodez  et  maison  épiscopale  d'icelle  » 
entre  Mb'r  Georges,  cardinal  d'Armagnac,  les  consuls  de  la  cité 
pour  la  présente  année  et  «  M'  Jehan  Pelletier,  religieux  de  la 
Compagnie  de  Jésus,  présent,  stipulant  et  acceptant  ».  Il  fut 
entendu  que  «  mondit  seigneur  révérendissime,  comme  estant 
la  première  pierre  du  fondement,  bailleroit  de  rente  et  revenu 

1.  Historia  fundationis  (Fiancia,  Hist.  fund.,  n.  55). 

2.  Sommaire  de  l'éreclion...  (Francia,  Hist.  fund.,  n.  55). 

3.  Historia  fundat. 

i.  Notice  ms.  (Archiv.  de  l'Aveyron ,  D,  552).  Le  cardinal  d'Armagnac  avait  déjà 
songé  lui-même  à  établir  les  Jésuites  à  Rodez;  en  y  envoyant  le  P.  Pelletier  il  n'avait 
eu  d'autre  but  que  d'ouvrir  les  voies  à  cet  établissement.  —  Lettré  du  cardinal  d'Ar- 
magnac au  TV  Lainez,  7  février  1561  (Epist.  Cardinalium). 

5.  Epist.  P.  Nadal,  t.  1,  p.  736,  737;  t.  II, .p.  <J3.  —Lettre  du  P.  Roger  au  P.  Lainez, 
29  mai  1562  (Gall.  Ejnst.,  t,  11,  fol.  1-3). 


FONDATION  DU  COLLEGE  DE  RODEZ.  313 

annuel  la  some  de  troys  cens  livres  sur  les  fruits,  profits  et  cmo- 
lumens  de  l'évesché  de  Rodés,  lesquels  [il  aflecteroit  et  oblige- 
rait tant  pour  soy  que  [  pour]  les  futurs  évesques  ses  successeurs  » . 
jusqu'à  la  constitution  d'une  rente  ou  revenu  perpétuel  équiva- 
lent. Le  cardinal  promit  de  faire  ratifier  le  présent  contrat  «  à 
Révérend  Père  en  Dieu,  Jacques  de  Corneillan  »,  et  au  chapitre 
de  la  cathédrale.  Les  consuls,  réservant  «  la  communication  et 
consentement  par  eux  à  faire  à  la  commune  »,  abdiquèrent  au 
nom  de  la  cité,  outre  «  le  bastiment  et  sol  que  de  présent  y  est  », 
cent  livres  de  rente  données  par  le  sieur  de  Salone  et  feu  M'  An- 
toine Orgueilly  «  pour  estre  appliquées  aux  escolles  ».  Le  P.  Pelle- 
tier, «  réservant  le  vouloir  du  Général  de  l'Ordre  »,  promit  de 
«  bien  et  fidellement  faire  apprendre  et  enseigner  les  auditeurs 
et  escolliers,...  de  commencer  ledit  exercice  dans  un  an  au  plus 
tost  »  avec  six  religieux,  et  «  d'augmenter  les  classes  de  person- 
nes doctes  selon  l'exigence  et  accroissement  de  la  fondation1  ». 

Des  dons  particuliers  ajoutés  à  la  dotation  du  collège  devaient 
en  faciliter  les  débuts.  La  ville  de  Rodez  comprenait  alors  deux 
parties  qui  avaient  chacune  leurs  consuls  :  la  cité  proprement 
dite,  intra-muros,  et  le  bourg,  hors  des  murs.  Les  consuls  du 
bourg-  donnèrent  mille  livres  avec  les  terrains  joints  au  collège, 
et  promirent  de  donner  davantage  plus  tard.  Le  cardinal  et 
M^1  Jacques  de  Corneillan  abandonnèrent  la  prébende  théolo- 
gale2. Sur  ces  entrefaites  le  cardinal  d'Armagnac,  appelé  à  Paris 
vers  la  fin  du  mois  de  mai  par  le  roi  de  Navarre,  lieutenant  géné- 
ral du  royaume,  présenta  le  contrat  au  P.  Lainez  pour  recevoir 
son  approbation.  Ayant  manifesté  le  désir  d'avoir  huit  Pères  au 
lieu  de  six,  il  fut  convenu,  le  3  juin,  qu'on  ajouterait  cent  cin- 
quante ou  deux  cents  livres  aux  quatre  cents  déjà  promises.  Par 
acte  du  27  août,  le  bourg  et  la  cité  accordèrent  encore  au  collège 
la  jouissance  à  perpétuité  de  la  Tour  Ronde  voisine  de  la  porte 
des  Cordeliers^. 

Le  22  juillet  1502,  jour  de  la  fête  de  Sainte  Madeleine,  la  Com- 

1.  Contrat  de  fondation  (Archives  del'Aveyron,  D,  248). 

2.  Le  concile  de  Lalran,  en  1 1 7 D,  ordonna  de  pourvoir  à  L'instruction  des  élevés 
pauvres  et  d'établir  à  cet  efl'et  dans  chaque  église  cathédrale  un  maître  auquel  sérail 
assigné  un  bénéfice  suffisant.  Ce  règlement  fut  renouvelé  par  un  autre  concile  de 
Latran,  tenu  en  1215.  et  enfin  par  le  concile  de  Trente.  L'arlicle  9  de  l'ordonnance 
d'Orléans  (1561)  contenait  une  prescription  semblable.  Il  stipule  qu'outre  la  prébende 
théologale,  une  autre  prébende  sera  affectée  à  l'entretien  d'un  précepteur  qui  devra 
instruire  gratuitement  les  jeunes  enfants  de  la  ville.  On  donna  à  cette  dernière  le 
nom  de  prébende  préceploriale. 

3.  Accord  entre  le  cardinal  d'Armagnac  et  les  consuls  (Archives  communales  de 
Hoilez,  GG,  22). 


314  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

pagnie  de  Jésus  avait  pris  possession,  par  une  solennité  littéraire 
et  religieuse,  des  bâtiments  qui  lui  étaient  destinés:  mais  les  cours 
ne  s'ouvrirent  que  le  19  octobre  de  la  même  année.  Des  témoins 
de  cette  fondation  nous  ont  laissé  un  récit  navrant  des  épreuves 
qui  en  accompagnèrent  les  commencements.  A  leur  arrivée,  le 
P.  Pelletier  et  le  1*.  Anne  d'Authier,  un  des  futurs  professeurs, 
trouvèrent  le  bâtiment  des  anciennes  écoles  dans  le  plus  grand 
désordre.  «  rempli  de  toute  pauvreté  et  misère,  voire  presque 
inhabitable  ».  Ils  passaient  leurs  journées  à  aménager  les  salles, 
pauvrement  vêtus,  pauvrement  nourris,  «  avec  un  pain  ou  deux, 
durs  comme  du  biscuit,  sans  autre  pitance  que  quelques  deniers 
de  prunes  et  de  l'eau  ».  Us  devaient  parfois  interrompre  leurs 
travaux  manuels  pour  enseigner  ceux  qui  commençaient  à  venir 
au  collège,  «  auxquels,  raconte  le  P.  d'Authier,  me  falloit  faire 
les  leçons  sans  avoir  livres  ni  papier,  mais  toutes  par  cœur  et  à 
tàton  ».  Afin  d'avancer  les  réparations,  ils  prenaient  sur  leurs 
nuits;  quand  ils  voulaient  enfin  se  livrer  au  sommeil,  ils  en  étaient 
empêchés  par  les  insectes  désagréables  qui  remplissaient  l'école. 
Leur  dortoir  était  ouvert  «  de  tous  costés,  sans  qu'il  y  eust  por- 
tes ni  fenestres  »  ;  et  ils  n'avaient  à  brûler  que  du  bois  pourri 
qui  donnait  «  plus  de  fumée  que  de  flamme  ».  Un  jour,  quelqu'un 
avait  offert  deux  pigeons  au  P.  Pelletier.  C'était  une  aubaine.  On 
les  fit  bouillir  dans  l'eau  avec  «  un  col  de  mouton  »  ;  puis  à  ce 
festin,  outre  les  six  ou  sept  personnes  de  la  communauté,  le 
Père  invita  deux  amis,  31.  de  Combret  «  trésorier  du  roy  »  et  son 
cousin  M.  de  la  Roquette;  «  lesquels,  après  avoir  tenu  la  meil- 
leure contenance  qu'il  leur  fut  possible,  et  après  avoir  rongé  une 
cuisse  de  pigeon  mal  cuit,  et  mangé  un  morceau  de  mouton,  si 
tost  que  grâces  furent  dittes,  s'en  allèrent  réparer  le  défaut  à 
leur  maison,  ainsi  que  depuis  souvent  ils  nous  ont  raconté,  mais 
non  pas  sans  rire  à  gorge  desployée  [  ». 

Ces  pénibles  débuts  ne  furent  pas  cependant  sans  consolation 
surnaturelle,  et  les  sacrifices  qu'on  eut  à  supporter  devinrent 
une  semence  de  fruits  abondants  pour  l'avenir.  Dès  l'année  sui- 
vante, 1563-156i,  le  collège  compta  huit  cents  élèves  dont  plu- 
sieurs appartenaient  aux  plus  nobles  familles  du  pays2.  Le 
P.  Roger,  ancien  professeur  au  collège  de  Pamiers,  exerça  pen- 
dant plus  de  seize  ans  à  Rodez  une  heureuse  influence  par  son 
enseignement  et  ses  prédications.  Quant  au  P.  Pelletier,  après 

1.  Sommaire  de  l'érection...  (Francia,  Fundat.  colleg.,  n°  55). 

2.  Manare,  De  rébus  S.  /.,  p.  83. 


MOMT  DU  P.  BROET.  31» 

avoir  inauguré  les  classes  du  nouveau  collège,  il  remit  ses  pou- 
voirs au  I*.  Balmes1,  et  retourna  à  Toulouse  où  il  continua  de  se 
livrer  tout  entier  au  ministère  apostolique3. 

G.  Ainsi,  malgré  les  difficultés  de  L'heure  présente,  la  petite 
Province  de  Paris  avait,  dans  l'espace  de  six  ans,  ouvert  quatre 
maisons  d'instruction.  Son  supérieur  le  P.  Pascliase  Broet,  dont 
la  sage  administration  avait  tant  contribué  à  ce  développement, 
ne  devait  pas  en  voir  ici-bas  les  heureux  résultats.  Dieu  le  rap- 
pela à  lui,  dans  le  courant  de  Tannée  156*2. 

C'était  au  moment  où  se  terminaient  les  négociations  relatives 
à  la  fondation  de  Rodez.  La  peste,  dont  on  avait  signalé  les  symp- 
tômes dès  l'année  précédente,  éclata  foudroyante  à  Paris  et  plu- 
sieurs autres  villes  du  royaume.  En  plein  été,  «  le  temps  était 
si  fascheux,  dit  un  chroniqueur  contemporain,  les  pluies  si  pro- 
longées, que  les  pauvres  gens  ne  pou  voient  recueillir  leurs  blés 
qui  estoient  jà  mûrs,  ains  germoient  dans  les  épis,  qui  estoit 
grand  pitié;  et  ne  connoissoit-on  s'il  estoit  hyver  ou  eslé,  sinon 
à  la  longueur  des  jours;  car  le  ciel  estoit  tout  couvert  de  brume 
et  les  chemins  de  boue,  non  autrement  qu'au  milieu  de  l'hyver, 
ce  qui  renchérit  fort  les  vivres.  La  peste  qui  avoit  esté  à  Paris  jà 
longtemps,  s'augmenta  fort  à  cause  de  telle  disposition  du  temps. 
De  sorte  que  la  France  estoit  affligée,  et  bien  fort,  de  trois  fléaux 
de  Dieu  :  de  peste,  famine  et  guerre  civile3  ».  Afin  de  soustraire 
aux  dangers  de  la  contagion  les  jeunes  religieux  qui  suivaient  les 
cours  de  l'Université,  le  P.  Broet  leur  procura  une  maison  à  Saint- 
Cloud,  où  il  les  envoya  dès  le  milieu  du  mois  de  juin,  sous  la 
direction  du  P.  Cogordan.  Pour  lui,  il  ne  voulut  point  quitter 
le  collège  de  Clermont  et  resta  au  foyer  de  l'épidémie,  prêt  à 
sacrifier  sa  vie  au  service  du  prochain.  Il  ne  retint  à  la  rue  de  la 
Harpe  que  deux  Frères  coadjuteurs;  encore  renvoya-t-il  l'un 
d'entre  eux,  quelques  semaines  plus  tard,  à  la  communauté  de 
Saint-Cloud;  mais  déjà,  la  peste  avait  envahi  la  banlieue,  et  le 
Frère,  atteint  de  la  maladie  pendant  le  trajet,  ne  parvint  auprès 
du  P.  Cogordan  que  pour  expirer  sous  ses  yeux.  Le  P.  Provincial 
crut  alors  prudent  de  renvoyer  en  Belgique,  leur  patrie,  pour  y 
attendre  des  jours  moins  sombres,  deux  jeunes  religieux  arrivés 


1.  Souvent  appelé  Balmesius,  sans  doute  de  son  nom  français  latinisé. 

2.  Lettre  du  P.  Pelletier  au  P.  Vicaire  Général,  5  février  1562  (Gall.  Epist.,  t.  I, 
f.  319). 

3.  Journal  de  l'année  1562  {Revue  rétrospective,  t.  V,  p.  17). 


316  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

depuis  peu  :  le  P.  Guillaume,  surnommé  Flamand1,  et  le  P.  Othon 
Briamont,  dune  noble  famille  de  Liège.  Sur  le  chemin  de  Saint- 
Cloud  à  Paris,  Briamont  fut  subitement  frappé  du  fléau.  Le 
P.  Broet,  craignant  la  contagion  pour  les  autres,  se  chargea  lui- 
même  de  le  soigner;  mais  son  dévouement  ne  put  sauver  le 
pauvre  malade2  :  «  En  ces  jours,  dit  un  témoin  oculaire,  l'on 
mouroit  de  la  peste  à  Paris  fort  étrangement,  et  me  dit  un  vieux 
médecin  qu'il  n'y  avoit  mémoire  que  l'on  eût  vu  une  si  grande 
pestilence ;i.  »  Le  jeune  Frère  Briamont  succomba,  le  29  du  mois 
d'août,  dans  d'atroces  souffrances  supportées  avec  une  patiente 
résignation . 

Le  P.  Cogordan,  lui  aussi,  ne  tarda  pas  à  s'inquiéter  du  danger 
que  courait  sa  petite  communauté  si  elle  restait  dans  le  voisinage 
de  la  capitale;  il  demanda  au  P,  Broet  une  entrevue,  qui  eut  lieu 
le  8  septembre  dans  le  bois  de  Boulogne.  Il  fut  décidé  que  le 
P.  Cogordan  conduirait  les  scolastiques  à  Noyon,  et  qu'ils  y  res- 
teraient jusqu'au  jour  où  la  peste  aurait  fini  ses  ravages  à  Paris 
et  dans  les  environs  ''. 

Quant  au  P.  Broet,  il  rentra  dans  la  capitale  malgré  les  pru- 
dentes remontrances  de  ses  amis.  Il  gardait  la  maison  de  la  rue 
de  la  Harpe,  seul  avec  un  Frère  du  nom  de  Jean,  et  reprit  son 
courageux  ministère  auprès  des  malades'.  Ce  ne  fut  pas  pour 
longtemps.  Sa  mission  ici-bas  était  terminée,  et  le  Seigneur  allait 
couronner  sa  vie  par  le  martyre  de  la  charité.  A  son  tour,  il 
succomba  aux  atteintes  de  la  contagion  et  il  rendit  le  dernier 
soupir,  le  14  septembre,  fête  de  l'Exaltation  de  la  Sainte  Croix (i, 
dans  la  soixante-deuxième  année  de  son  âge  et  la  vingt-septième 
depuis  son  entrée  en  religion. 

Peu  de  temps  après,  un  messager  courut  à  Noyon  annoncer  sa 
mort  au  P.  Cogordan  et  l'avertir  que  le  Frère  «  Jehan  estoit  tout 
seul,  et  qu'il  lui  pourroit  venir  mal  et  voleurs  rober  la  maison  ». 
Le  P.  Procureur,  sans  souci  du  danger,  partit  en  hâte  pour  Paris; 
mais  il  trouva  «  que  le  bon  Jehan  estoit  mort7  »,  et  il  dut  pren- 
dre toutes  les  précautions  sanitaires  pour  se  préserver  lui-même 
du  fléau.  Dans  la  chambre  du  P.  Provincial,  il  trouva  sur  la  table 

1.  Peut-être  Guillaume  Elderen  (Epist.  Nadal.,  t.  II,  p.  554). 

2.  Lettre  du  P.  Cogordan  au  P.  Lainez,  29  sept.  1562  (Gall.  Epist.,  t.  1,  f.  241,. 

3.  Journal  de  l'année  1562,  déjà  cité. 

4.  Lettre  du  P.  Cogordan  au  P.  Lainez,  29  sept.  1562  (Gall.  Epist.,  t.  1,  f.  2il). 

5.  Lettre  du  P.  Cogordan  déjà  citée. 

6.  Manare,  De  rébus  S.  /.,  p.  79.  Lettre  du  P.  Cogordan  au  P.  Nadal,  29  janvier 
1563  (Epist.  P.  Nadal,  t.  II,  p.  167). 

7.  Lettre  de  Cogordan  à  Lainez,  29  sept.,  déjà  citée. 


MORT  DU  P.  BROET.  317 

un  billet,  où  le  mourant  avait  énuméré  les  objets  et  les  meubles 
contaminés1,  et  qui  se  terminait  par  ces  mois  :  «  Je  récommande 
mon  âme  au  Seigneur  notre  Dieu,  à  toute  la  cour  céleste,  à  notre 
Révérend  P.  Général,  à  toute  la  Compagnie  et  à  vous  tous  qui 
avez  été  dispersés  par  la  peste,  priant  chacun  d'invoquer  pour 
moi  le  Seigneur,  atin  qu'il  me  pardonne  mes  péchés.  Je  demande 
aussi  pardon  à  tous  ceux  que  j'ai  pu  offenser.  J'espère  que  par 
les  prières  de  la  Compagnie  Dieu  me  fera  miséricorde  '.  » 

Saint  Ignace  avait  confié  au  P.  Broet,  en  1552,  le  soin  d'établir 
la  Compagnie  de  Jésus  en  France;  dix  ans  après,  cette  mission 
était  accomplie,  et  le  bon  serviteur  avait  pu  dire  dans  toute  la 
joie  de  son  âme  son  nunc  dimittis.  On  sait  contre  quels  obstacles 
il  eut  à  lutter  de  la  part  des  hommes  et  des  événements  :  préjugés 
invétérés  et  passions  aveugles,  dissensions  civiles  et  guerre  reli- 
gieuse. Combien  ne  lui  fallut-il  pas  de  patience  et  d'abnégation 
pour  supporter  tous  ces  ennuis  et  tous  les  dégoûts  dont  il  fut 
abreuvé!  A  force  de  modération  et  d'énergie,  il  parvint  à  fonder 
en  France  plusieurs  maisons  et  à  y  mettre  en  honneur  les  diffé- 
rents ministères  de  la  Compagnie.  Orné  des  qualités  d'un  parfait 
religieux,  il  n'avait  point  ces  dons  brillants  qui  attirent  l'ad- 
miration, mais  il  se  distinguait  par  une  simplicité  calme  et  loyale 
que  les  premiers  compagnons  de  saint  Ignace  qualifiaient  d'an- 
gélique3.  Il  y  joignait  la  prudence  recommandée  par  l'Évangile, 
cette  prudence  qui,  à  la  lumière  surnaturelle,  nous  fait  voir  les 
choses  dans  leur  réalité  et  nous  conduit  sûrement  à  travers 
le  dédale  des  passions  humaines.  Grâce  à  ces  deux  vertus,  le 
premier  Provincial  de  France  put  remplir  sa  tâche  avec  succès  et 
sans  jamais  faillir. 

1.  Manare,  De  rébus  S.  /.,  p.  79,  80. 

2.  Ce  billet  envoyé  par  le  P.  Cogordan  au  P.  Lainez  et  conservé  dans  les  papiers 
de  la  Compagnie  comme  une  relique,  a  été  publié  par  les  biographes  du  P.  Broet. 
On  le  trouve  dans  Prat,  op.  cit.,  p.  542-543;  dans  Boéro,  Vie  du  serviteur  de  Dieu. 
Pascase  Broet,  p.  111, 

3.  Le  P.  Frusius,  le  meilleur  latiniste  de  la  Compagnie  à  cette  époque,  a  célébré 
cette  simplicité  par  une  élégante  poésie  que  l'on  trouve  dans  ses  œuvres  sous  ce 
titre  :  Ad  Reverendum  Patrem  in  Christo  D.  Paschasium,  Presbyterum  Socie- 
tutis  Jesu,  simplicitatis  christianae  vere  studiosum,  de  eadem  chrisliana  simpli- 
citate  Carmen  methodicum.  C'est  une  pièce  de  124  vers  latins.  L'auteur,  philosophe 
et  théologien  autant  que  poète,  y  fait  un  traité  complet  de  la  simplicité.  On  voit  qu'il 
était  inspiré  par  la  vertu  de  son  confrère  auquel  il  l'adressait.  Cf.  Andreae  Frusit. 
Socieiatis  Jesu,  Poemata  (Tumoni.  apud  Claudium  Michaelem  MDXCIX  .  On  peut 
voir  l'éloge  du  P.  Broet  dans  Sacchini.  Hist.  Soc.  Jesu.  P.  il,  1.  VI.  n.  94-vr. 


CHAPITRE  X 

VISITES    DU    P.    OLIVIER    MANARE. 
FONDATION   DES    COLLÈGES    DE    MAURIAC  ET    DE    TOULOUSE, 

1563-1564  . 


Sommaire  :  1.  Le  P.  Olivier  Manare,  Commissaire  de  la  Compagnie  de  Jésus 
en  France.  —  2.  Sa  visite  en  Auvergne;  fondation  du  collège  de  Mauriac. — 
3.  Séjour  du  P.  Manare  à  Lyon  et  à  Tournon;  rentrée  des  Jésuites  au  collège 
de  cette  ville.  —  4.  Fondation  de  Toulouse.  —  5.  Mort  du  P.  Pelletier.  Visite  du 
P.  Manare  à  Toulouse.  —  6.  Transfert  des  restes  de  Guillaume  du  Prat  à  Bil- 
lom. 

Sources  manuscrites.  :  l.  Archives  du  Cantal;  fonds  du  collège  de  Mauriac. 

II.  Archives  de  la  Haute-Garonne:  fonds  de  Saint-Etienne. 

III.  Archives  communales  de  Toulouse,  série  AA. 

IV.  Archives  hospitalières  de  Clermont-Ferrand,  série  E.  1. 
v.  Biblioth.  de  Clermont-Ferrand.  ms.  ti'i-2. 

VI.  Recueils  de  documents  conservés    dans  la  Compagnie   :    a)  Epistolae   Episcoporum  ; 

—  b)  Gallia,  Epistolae  f.eneralium;  —  c    Galliae  Epistolae;  —  d    Francia.  Historiae  fuu- 

dationum  totius  Assistentiae  ;  —  e;  Tolosanae,  Fundationes  collegiorum. 
Sources  imprimées.  :   Archives  curieuses  de  l'histoire  de  France,  —  Bosquet.  Hugoneo- 

rum    haerelicorum    Tolosae  conjuratorum  profligatio.   —  Commentaires  de  Monlluc. 
Constitutiones  S.  J-  —  Manare,   De  rébus  S.  J-  commentarius,  —  Ribadeneira,  La 

rie  du  P.  Jacques  Lainez.  —  Momimma  qistoiuca  S.  J.  Epistolae  P.  Nadal.  —  Lilterae 

quadrimestres, 

1.  Le  P.  Général  de  la  Compagnie  de  Jésus  apprit  à  Trente  la 
mort  du  P.  Broet.  Il  ne  pouvait  laisser  longtemps  la  Province  de 
France  privée  de  chef,  dans  les  difficiles  circonstances  où  elle 
se  trouvait1  ;  il  songea,  sans  retard,  à  mettre  à  sa  tête  un  homme 
de  caractère  et  d'autorité,  qui  imprimerait  un  puissant  élan  à 
toutes  les  œuvres  commencées  ou  projetées.  Son  choix  s'arrêta 
sur  le  P.  Olivier  Manare. 

Belge  de  naissance,  le  P.  Manare  avait  suivi  quelque  temps  les 
cours  de  l'Université  de  Paris,  comme  étudiant  de  l'Hôtel  de  Cler- 
mont.  Depuis,  après  avoir  enseigné  les  belles-lettres  au  collège 
de  Gubio,  il  avait  été  nommé  Becleur  du  collège  de  Lorette  qui 
devint  très  prospère  sous  son  habile  direction.  Ses  vertus  et  ses 
talents  naturels,  joints  à  une  parfaite  connaissance  de  la  langue 

t.  En  attendant  la  nomination  d'un  nouveau  Provincial,  le  P.  Pelletier  avait  été 
choisi  comme  surintendant  de  toutes  les  maisons  [Epist.  Nadal,  t.  IL  p.  lr>~  . 


VISITES  DU  P.  MANARE;  FONDATION  DE  MAURIAC.  319 

française,  déterminèrent  le  P.  Général  à  le  désigner  comme  suc- 
cesseur du  I*.  Broet.  Il  le  fit  appeler  à  Trente,  afin  de  s'entrete- 
nir avec  lui  des  besoins  de  la  Province  qu'il  voulait  lui  contier, 
puis  il  l'envoya  en  France  avec  le  titre  de  Commissaire  et  muni 
des  instructions  nécessaires  à  sa  mission.  Il  y  avait  alors,  dans  la 
Compagnie,  deux  autres  Pères  revêtus  de  ce  titre  et  dont  l'autorité 
s'étendait  à  plusieurs  Provinces  :  le  P.  François  de  Borgia  pour 
l'Espagne  et  le  Portugal,  et  le  P.  Nadal  pour  la  Germanie  supé- 
rieure et  la  Germanie  inférieure1. 

Le  P.  Manare  en  sortant  du  Tyrol  traversa  la  Bavière,  suivil 
les  bords  du  Bliin  depuis  Mayence  jusqu'à  Cologne,  visita  Lou- 
vain  et  Tournai  en  Belgique,  et  passa  par  Cambrai  pour  se  rendre 
à  Paris,  où  il  arriva  le  30  octobre  1563,  accompagné  de  trois 
autres  Pères  destinés  au  futur  collège  de  la  capitale.  Le  P.  Michel 
Venegas  et  deux  autres,  partis  de  Trente  peu  de  temps  après  le 
P.  Commissaire,  avaient  pris  un  autre  chemin  et  ne  le  rejoi- 
gnirent que  le  jour  de  l'octave  de  Tous  les  Saints.  A  ce  moment, 
on  annonçait  aussi  la  prochaine  arrivée  du  P.  Jean  Maldonat,  qui 
devait  être  le  plus  célèbre  de  ces  hommes  d'élite,  capables  par 
leurs  talents  de  faire  honneur  à  l'enseignement  de  la  Compagnie 
au  sein  de  la  première  Université  du  monde.  Toutefois,  rien  alors 
n'était  encore  prêt  pour  l'ouverture  d'un  collège  à  Paris,  bien 
que  les  exécuteurs  testamentaires  de  Mgr  du  Prat  et  le  Parlement 
lui-même  le  demandassent  avec  insistance2.  C'est  pourquoi  le 
P.  Manare  résolut  de  faire  tout  de  suite  la  visite  de  la  Province 
en  commençant  par  le  collège  de  Billom3. 

2.  Il  profita  de  son  séjour  en  Auvergne  pour  satisfaire  aux 
dernières  volontés  de  l'évêque  de  Clermont  relativement  à  la 
ville  de  Mauriac.  Nous  avons  dit  déjà  que,  longtemps  avant  sa 
mort,  Mgl  du  Prat  avait  manifesté  l'intention  de  fonder,  dans  la 
partie  haute  de  son  diocèse,  un  collège  qui  devînt  pour  cette 
contrée  ce  qu'était  celui  de  Billom  pour  la  partie  basse.  En  1560, 
il  ne   restait  plus   qu'à    trouver    un   emplacement    convenable. 

1.  On  lit  dans  les  Constitua,  P.  IX.  c.  3,  §  7  :  «  Et  praepositi  Provinciales  aut 
locales,  et  Redores,  et  alii  ejus  commissarii  eam  partem  hujus  facultatis  habebunl 
quam  ipsis  Generalis  communicaverit  ».  Les  commissaires  ordinaires  furent  sup- 
primés par  le  décret  11e  de  la  2P  Congrégation  générale  qui  conserva  les  commissaires 
extraordinaires  ou  visiteurs. 

2.  Voir  ce  que  nous  avons  raconlé  à  ce  sujet,  I.  11,  c.  m,  n.  11.  ad  calcem. 

3.  Manare,  De  rébus  s.  /.,  p.  80.  Lettre  du  P.  Manare  au  P.  F.  de  Borgia.  9  nov. 
1563  (Gall.  Epist.,  t.  II,  p.  31J.  Lellre  du  même  au  P.  Nadal,  même  date  [Epist. 
Nadal,  t.  II,  p.  45fA  Lellre  du  P.  Pradène  au  P.  Lainez,  même  date  (Gall.  Epist.. 
t.  II,  fol.  37). 


320  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

A  cette  époque,  sur  l'invitation  de  l'évèque,  le  P.  Viola  et  le  P.  Le 
Bas  se  rendirent  à  Mauriac,  distante  de  Billom  d'environ  vingt- 
deux  lieues.  L'agréable  situation  de  cette  petite  ville,  ceinte  de 
murailles,  plut  tout  d'abord  aux  deux  voyageurs;  le  bienveillant 
accueil  que  leur  firent  le  clergé ,  les  religieux  et  les  habitants, 
leur  donna  l'espérance  d'y  récolter  une  moisson  abondante  : 

«  Notre  venue,  raconte  le  P.  Viola,  avait  été  annoncée.  Nous 
fûmes  reçus  par  les  magistrals  et  les  noiables,  qui  vinrent  à 
cheval  à  notre  rencontre.  Ils  nous  conduisirent  à  une  maison 
toute  décorée  de  tapisseries,  comme  si  nous  avions  été  de  grands 
personnages.  Une  foule  nombreuse  nous  attendait  à  la  porte  de 
la  ville.  Nous  nous  rendîmes  à  l'église  où  le  P.  Le  Bas  célébra 
la  messe,  et,  delà,  à  la  maison  des  consuls  où  l'on  avait  préparé 
un  repas.  J'exposai  le  motif  de  notre  voyage,  en  disant  que  Mon- 
seigneur nous  avait  envoyés  pour  choisir  l'emplacement  du  col- 
lège et  des  classes1.  Les  consuls,  auxquels  s'étaient  joints  dix-huit 
ou  vingt  des  plus  notables  habitants,  nous  conduisirent  par 
toute  la  ville,  nous  montrant  tantôt  un  endroit,  tantôt  un  autre. 
Nous  choisîmes,  près  d'une  porte  de  la  ville,  celui  qui  nous 
sembla  le  plus  convenable.  Il  était  occupé  par  un  bâtiment  de 
cinq  corps  de  logis,  à  côté  des  murailles,  avec  une  belle  place 
au-devant.  Là  tout  se  prêtera  bien  à  la  construction  d'un  collège 
et  d'une  église.  On  promit  de  nous  donner  ce  terrain  et  une 
partie  de  la  place.  Comme  la  cité  est  très  resserrée  et  qu'il  n'y 
a  pas  de  jardins  à  l'intérieur,  les  notables  s'engagèrent  à  acheter 
un  jardin,  près  de  la  porte  de  ville,  de  l'autre  côté  des  murailles. 
Non  loin  de  l'endroit  où  doit  se  bâtir  le  collège,  se  trouvent 
trois  ou  quatre  maisons  en  ruine  :  les  consuls  les  acquerront  et 
feront  construire  les  classes  à  leurs  fra;s.  On  estime  que  pour 
■toutes  ces  acquisitions  et  constructions  les  dépenses  de  la  ville 
s'élèveront  à  trois  mille  cinq  cents  francs-.  » 

Ceci  se  passait  un  samedi.  Le  lendemain,  dimanche,  «  après 
une  procession  à  laquelle  assistèrent  le  lieutenant  du  roi,  les 
juges  civils  et  ecclésiastiques,  les  consuls  en  robes  rouge  et  noir 
qui  avaient  placé  les  Pères  au  milieu  d'eux  »,  on  tint  une  as- 
semblée générale  où  furent  convoqués  les  dignitaires  du  clergé 
et  le  Prieur  du  monastère  des  Bénédictins.  Tous  furent  d'avis  d'ac- 
cepter le  collège  aux  conditions  déterminées.  Le  lundi  matin,  les 

1.  Cf.  Délibération  de  la  commuant.-  de  ville,  8  avril  1560    Archives  du  Cantal, 
fonds  du  collège). 

2.  Lettre  du  P.  Viola  au  P.  Lainez,  28  avril  1560  (Gail.  Epist.,  t.  I,  fol.  17?;. 


VISITES  Dlr  P.  MANAIiK;  FONDATION  DE  MAURIAC.  32d 

Jésuites  partirent  «  très  consolés,  accompagnés  une  partie  du  che- 
min par  le  premier  consul  ».  Informé  de  tout  ce  qui  s'était  passe, 
Monseigneur  du  Prat  s'en  montra  très  satisfait  et  résolut  de  con- 
tribuer à  la  fondation  du  collège.  11  promit  de  le  doter  d'une 
somme  de  six  cents  livres,  et  de  faire  la  dépense  de  la  cons- 
truction, estimée  à  cinq  ou  six  mille  francs.  Il  s'empressa  de 
demander  quelques  religieux  au  P.  Général  :  pour  la  prédication 
deux  prêtres,  dont  l'un  pourrait  en  qualité  de  procureur  sur- 
veiller les  travaux,  —  et  pour  l'enseignement  deux  autres  Pères, 
assez  versés  dans  les  lettres,  car  on  se  piquait  de  littérature  à 
Mauriac  '.  Malgré  son  désir  de  répondre  aux  avances  d'un  si  grand 
bienfaiteur  de  la  Compagnie,  le  P.  Lainez  se  trouvait  dans  l'im- 
possibilité d'accepter  cette  nouvelle  fondation  :  il  préparait  alors 
un  établissement  en  Savoie,  et  il  manquait  de  sujets  parlant  fran- 
çais. Dans  une  lettre  du  20  mai  1560,  adressée  au  zélé  prélat,  il 
exprima  ses  vifs  regrets  de  se  voir  dans  l'obligation  de  remettre  à 
une  époque  plus  éloignée  la  réalisation  de  ce  dessein  :  «  Dès  que 
nous  aurons  des  sujets  formés,  écrivait-il,  nous  serons  heureux 
d'obéir  à  Votre  Seigneurie  Révérendissime  et  de  la  servir.  Plaise 
à  Dieu,  dans  son  infinie  bonté,  de  récompenser  éternellement 
votre  libéralité  pour  ces  œuvres  pieuses  et  perpétuelles2.  » 

L'évêque  de  Clermont  n'abandonna  pas,  cependant,  un  projet 
qu  il  avait  tant  à  cœur.  Comptant  sur  l'aide  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  il  inscrivit  dans  son  testament,  le  25  juin  1500,  les  legs 
qu'il  destinait  à  la  fondation  de  Mauriac,  savoir  «  sept  mille  livres 
pour  la  construction  du  collège;  quatre  cents  livres  tournois  à 
prendre  sur  les  prévôts  des  marchands  [de  Paris],  et  deux  cents 
sols  de  rente  constitués  par  différents  particuliers,  à  la  charge 
par  les  consuls  et  habitants  de  dépenser  1 .500  livres  pour  acheter 
le  terrain  et  les  bâtiments3  ».  Les  habitants  n'avaient  pas  re- 
noncé non  plus  à  l'établissement  d'un  collège  dans  leur  ville; 
aussi  quand,  en  1563,  ils  apprirent  la  résolution  du  P.  Manare, 
montrèrent-ils,  comme  trois  ans  auparavant,  la  plus  grande 
bonne  volonté  à  seconder  l'entreprise.  Par  un  accord,  du  12  dé- 
cembre, avec  les  exécuteurs  testamentaires  de  Guillaume  du  Prat. 
ils  donnèrent  deux  mille  six  cents  livres  qui  furent  employées  en 
diverses  acquisitions,  et  ils  s'engagèrent  à  faire  bâtir  six  classes. 


"  1.  Lettre  de  M  r  du  Prat  au  P.  Lainez,  29  avril  1560  (E|dst.  Episcop.,  t.  I). 

2.  Lettre  de  Lainez  à  Guill.  du  Prat  (Gall.,  Epist.  General.,  t.  1). 

3.  Testament  de  Msr  du  Prat  (Riblioth.  de  Clermont,  ms.  612,  f.  1-18,  transcrip- 
tion de  l'année  1566). 

COMPAGNIE    DE   JÉSUS.   —  T.    I.  21 


322  HISTOIRE  T)E  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

La  Compagnie  de  Jésus,  de  son  côté,  envoya  à  Mauriac  avec  le 
1*.  Pradène,  Recteur,  trois  professeurs  de  lettres,  un  prédicateur, 
un  catéchiste  et  un  frère  pour  les  offices  domestiques'. 

3.  En  quittant  l'Auvergne  le  P.  Manare  se  dirigea  vers  Lyon, 
où  il  s'arrêta  quelque  temps.  Bien  que  la  Compagnie  n'eût  pas 
encore  de  domicile  dans  cette  ville,  le  P.  Possevin  et  le  P.  Auger 
y  exerçaient  difl'érents  ministères,  l'un   auprès  des  marchands 
italiens,  l'autre  auprès   de  la   population   française.  Le  succès 
étonnant  de  leurs  prédications  avait  déchaîné  la  colère  des  mi- 
nistres calvinistes,  qui  formèrent  contre  eux  de  criminels  projets. 
Us  ne  purent  pas  les  mettre  à  exécution;  pourtant  le  bruit  se 
répandit,  dans  les  contrées  voisines,  que  le  P.  Auger  avait  été 
victime  de  leur  vengeance.  Cette  triste  nouvelle  était  même  par- 
venue jusqu'au  collège  de  Billom.  «  Lorsque  j'arrivai  ici  de  Paris, 
écrivait  le  P.  Manare,  j'appris  de  divers  côtés  que  le  P.  Émond 
avait  été  tué  à  Lyon.  Tous  les  bons  catholiques  en  ressentaient 
une  extrême  douleur,  sachant  les  fruits  de  salut  que  son  zèle 
produisait  dans  cette  grande  ville.  Des  personnes  distinguées,  qui 
ne  pouvaient  soupçonner  la  part   que  nous   y   prenions,  puis- 
qu'elles ne  nous  connaissaient  nullement,  protestaient,  en  témoi- 
gnant leurs  regrets,  que  depuis  quatre  cents  ans  on  n'avait  point 
vu  de  prédicateur  jouissant  d'une  telle  réputation.  »  Grande  fut 
la  surprise,  plus  grande  encore  la  consolation  du  P.  Commis- 
saire, en  arrivant  à  Lyon,  de  trouver  non  seulement  le  P.  Pos- 
sevin, mais  aussi  le  P.  Auger  en  parfaite  santé,  et  tous  deux  se 
livrant  avec  ardeur  aux  fonctions  de  leur  pénible  et  fructueux 
ministère2. 

Une  autre  joie  lui  fut  donnée,  quelques  jours  après,  quand 
arrivant  à  Tournon,  pour  y  faire  sa  visite,  il  fut  reçu  par  les 
Pères  revenus  depuis  quelques  mois  dans  leur  collège.  11  put 
constater  qu'ils  avaient  trouvé,  en  rentrant,  tout  l'ameublement 
intact;  la  chapelle  elle-même  n'avait  subi  aucun  dégât,  aucune 
profanation.  Cette  préservation,  due  à  un  secours  spécial  de  la 
providence  divine,  fut  d'autant  plus  remarquée  que  les  hugue- 
nots avaient  tout  brisé  dans  les  églises  de  la  ville.  Cependant,  la 

1.  Contrat  de  fondation  (Archives  du  Cantal,  D.  —  Francia,  Histor.  Iinul.it  ion  mu, 
n.  56).  Les  premiers  jésuites  du  collège  de  Mauriac  furent  avec  le  P.  Pradène  le-; 
PP.  Guy  Koillet,  Jacques  Argillier,  Etienne  de  Mirabel,  Michel  Trac  et  Jacques  Pra- 
déan. 

2.  Relation  du  P.  Manare  dans  «  Acla  a  Possevino  ».  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Gé- 
néral, le  11  février  15G4  ;Gal).  Epist.,  t.  11,  fol.  203).  Manare,  De  Rébus  S.  J.,  p.  81. 


VISITES  DU  IV  MAXARK.  323 

rentrée  des  bannis  ne  s'était  pas  effectuée  saûs  difficultés.  L'un 
des  professeurs,  le  P.  Cilles  Faber,  en  a  raconté  tous  les  détails 
dans  une  longue  lettre  du  30  janvier  1564  :  «  Immédiatement 
après  l'édit  de  pacification^ ,  écrit-il,  nous  commençâmes  à  nous 
préoccuper  de  notre  retour.  Ce  projet  semblait  à  plusieurs  plein 
de  témérité  et  de  péril.  Nos  ennemis,  en  ayant  eu  connaissance, 
signifièrent  au  vieux  comte  de  Tournon  que  nous  permettre  de 
revenir  au  collège  serait  nous  exposer  tous  à  la  mort.  Us  avaient 
bien  la  volonté  d'exécuter  leurs  menaces,  et  ils  n'auraient  pas 
manqué  de  le  faire,  si  nous  n'avions  pas  été  protégés  par  Celui 
qui  se  joue  des  vains  efforts  des  hommes. 

«  Bannis  le  même  jour  de  Tournon,  nous  n'y  revînmes  pas 
tous  en  même  temps.  Les  premiers  qui  rentrèrent  au  collège  fu- 
rent le  P.  Sébastien,  économe,  Me  Antoine  Francosi,  professeur 
de  philosophie,  et  M0  Antoine  Dupont.  Arrivés  à  la  fin  du  mois  de 
juillet,  ils  se  rendirent  auprès  du  comte  de  Roussillon,  fils  aîné 
du  vieux  comte  de  Tournon,  qui  venait  à  peine  de  recouvrer  l'au- 
torité dans  la  ville.  Il  félicita  les  exilés  de  leur  retour  et  leur 
promit  son  appui,  mais  en  se  demandant  avec  inquiétude  com- 
ment ils  pourraient  vivre  en  si  petit  nombre  au  milieu  d'une 
multitude  conjurée  à  leur  perte  :  «  Dans  ces  temps  malheureux, 
«  disait-il,  qui  oserait  faire  profession  publique  de  la  foi?  »  Depuis 
seize  mois,  en  effet,  pas  un  prêtre,  pas  un  chanoine  n'avait  célébré 
le  Saint  Sacrifice,  ni  porté  l'habit  ecclésiastique,  propter  metum 
Judaeorum.  Cependant,  quand  il  vit  que  les  Pères  demeuraient 
fermes  et  inébranlables  dans  leur  résolution  de  lutter  contre  la 
mauvaise  fortune,  il  accepta  de  grand  cœur  leurs  services,  et  pria 
le  P.  Sébastien  de  chanter  la  messe  dès  le  lendemain  dans  l'église 
principale.  Il  y  assista  lui-même,  avec  ses  serviteurs,  bon  nombre 
de  paysans  accourus  des  bourgades  voisines,  et  quelques  hommes 
pieux  de  la  ville,  que  l'exemple  du  comte  avait  encouragés  à 
déposer  toute  crainte.  Les  jours  suivants,  le  Père  dit  chaque 
matin  une  messe  basse,  et  remplit  pendant  quelque  temps  les 
fonctions  de  curé. 

«  Le  5  août,  le  P.  Annibal  du  Coudret  revint  d'Auvergne,  et  se 
mit  à  prêcher  trois  et  quatre  fois  la  semaine.  Entraînés  par  cette 
audacieuse  confiance,  beaucoup  d'habitants,  qui  s'étaient  cachés, 
reparurent,  et  les  prêtres  ayant  repris  leurs  vêtements  ecclésias- 
tiques, recommencèrent  à  célébrer  publiquement  les  offices. 
Dans  notre  église  on  disait  plusieurs  messes  chaque  jour,  on  en- 

1.  Du  19  mars  1563. 


324  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

tendait  les  confessions  et  on  distribuait  la  sainte  communion;  ce 
qui  nous  attira  pendant  trois  mois  toutes  sortes  d'insultes  de  la 
part  des  novateurs.  Ils  épiaient  les  personnes  qui  entraient  ou 
sortaient,  menaçant  de  leur  faire  un  mauvais  parti.  Ils  ne  se 
contentaient  pas  de  crier  et  de  vociférer  à  la  porte,  ils  lançaient 
jusque  sur  l'autel  des  pierres,  des  plâtras  et  autres  projectiles. 
Nous  étions  d'autant  plus  exposés  à  toutes  ces  avanies,  que  deux 
petites  maisons  seulement  nous  séparaient  de  leur  prêche,  établi 
dans  une  bergerie.  De  notre  église  nous  entendions  leurs  chants, 
de  sorte  que  le  célébrant  en  était  parfois  fort  troublé1.  » 

A  la  fin  de  janvier  1504,  tout  danger  n'avait  pas  encore  disparu, 
et  d'après  l'avis  d'amis  charitables,  les  Pères  se  tenaient  prudem- 
ment sur  leurs  gardes.  Ils  ne  sortaient  que  «  pour  prêcher,  con- 
fesser ou  visiter  les  malades  »  ;  et  quand  ils  allaient  dans  quelque 
village  des  environs,  ils  se  faisaient  «  toujours  accompagner  de 
ceux  qui  étaient  venus  réclamer  leur  ministère  ». 

Au  moment  de  la  visite  du  P.  Olivier  Manare,  le  collège  de 
Tournon  comptait  quinze  religieux,  parmi  lesquels  quatre  prêtres 
dont  Dieu  se  plaisait  à  bénir  les  travaux  apostoliques  :  par  leurs 
industrieux  efforts,  ils  avaient  déjà  retiré  de  l'erreur  «  plus  de 
quatre  cents  calvinistes  ».  On  pouvait  espérer,  grâce  à  la  bienveil- 
lance du  jeune  comte  de  Tournon,  que  ce  collège  continuerait  de 
prospérer.  Un  jour  qu'il  s'entretenait  avec  quelques  Pères  de  la 
Compagnie,  des  huguenots  lui  présentèrent  une  supplique  pour 
l'engager,  dans  l'intérêt  de  sa  maison,  à  rentrer  en  possession  du 
collège  et  à  en  chasser  les  criminels  Jésuites.  Le  comte,  s'étant 
aperçu  de  ce  que  contenait  leur  requête,  la  lut  tout  haut,  malgré 
leurs  dénégations  :  «  Eh  quoi,  dit-il  ensuite,  vous  nous  proposez 
de  nous  enrichir  avec  les  dépouilles  d'autrui?Le  cardinal,  mon 
oncle,  a  donné  ce  collège  aux  Jésuites,  mon  père  n'a  pas  songé  à 
le  leur  enlever;  eh  bien,  ni  moi  non  plus.  »  Et  les  solliciteurs  se 
retirèrent  fort  humiliés-. 

ï.  Pendant  qu'il  visitait  Tournon,  le  P.  Commissaire  reçut  une 
lettre  très  pressante  du  P.  Pelletier,  lui  demandant  de  venir  au 
plus  tôt  à  Toulouse  où  il  était  urgent  de  remédier  à  la  situation 
précaire  du  tout  nouveau  collège  de  cette  ville.  La  fondation  de 
cet  établissement,  dont  le  P.  Pelletier  fut  le  premier  supérieur, 
n'avait  pas  demandé  moins  de  trois  années  de  préparation.  11  était 

1.  Lettre  du  P.  Faber  au  P.  Lainez,  30  janvier  1  r. t ; 4    t.alliae  Epist.,  t.  II,  fol.  329). 
Cf.  Epist.  P.  Nadal,  t.  II,  p.  378.  —  2.  Ibid. 


VISITES  DU  P.  MANARE;  FONDATION  HE  TOULOUSE.  32b 

pourtant  fort  utile,  même  à  ne  considérer  que  l'avantage  de  l'Uni- 
versité. En  eifet,  dès  1551,  les  capitouls  de  Toulouse  avaient  dû  se 
plaindre  au  roi  «  que  dans  ladite  Université,  qui  estoit  la  plus 
florissante  du  royaume,  particulièrement  pour  l'étude  de  la  juris- 
prudence, il  ne  se  trouvoit  aucun  collège  fondé  pour  enseigner 
les  langues  hébraïque,  grecque  et  latine,  sans  la  connaissance 
desquelles  on  ne  pouvoit  parvenir  à  la  perfection  des  sciences  '  ». 
Sa  Majesté  fit  droit  à  ces  justes  représentations  par  lettres  patentes 
de  juillet  1561  :  sur  le  grand  nombre  des  collèges  établis  à  Tou- 
louse pour  les  étudiants  en  droit  civil  et  en  droit  canon,  il  en 
supprima  huit2,  «  pour  des  deniers  qui  proviendraient  de  la  vente 
des  maisons  et  biens  desdits  collèges  en  estre  fondés  deux  autres, 
en  la  manière  que  les  capitouls  aviseront  avec  larchcvesque  et 
le  procureur  général  du  roi,  dans  lesquels  lesdites  langues  hébraï- 
que, grecque  et  latine  seront  enseignées8  ».  La  volonté  du  sou- 
verain fut  exécutée,  sauf  que  Ton  conserva  les  bâtiments  et  les 
biens  de  l'un  de  ces  huit  collèges,  celui  de  l'Esquille,  en  le  desti- 
nant aux  étudiants  de  la  faculté  des  arts'1.  Les  capitouls  eurent 
ainsi  un  des  deux  collèges  de  lettres  désirés;  il  leur  restait  à 
fonder  l'autre. 

En  1560,  il  fut  question  d'appeler  les  Jésuites;  mais  l'état  déplo- 
rable dans  lequel  se  trouvait  tout  le  Languedoc,  ne  permit  point 
d'entamer  les  négociations  '.  La  capitale  de  cette  province  était 
devenue  l'objectif  des  huguenots,  qui  voulaient  en  faire  le  centre 
de  leur  propagande.  Leur  audace  croissant  avec  le  nombre,  ils 
commirent  toutes  sortes  d'atrocités  dans  les  campagnes  environ- 
nantes, et  la  ville  allait  tomber  entre  leurs  mains,  quand  le  car- 
dinal d'Armagnac,  nommé  lieutenant  général  du  Haut-Langue- 
doc, parvint  avec  le  maréchal  de  Montluc  à  rétablir  l'ordre  et  la 
tranquillité0. 

Une  fois  la  paix  assurée,  la  présence  des  Jésuites  de  Pamiers, 

1.  Rapport  sur  l'état  de  l'université  de  Toulouse,  réJigé  en  1668  par  MM.  Charles 
d'Anglure  de  Bourlemont,  archevêque  de  Toulouse,  et  Claude  Bazin,  seigneur  de 
Bezons,  conseiller  d'Etat  (Jourdain,  L'Université  de  Toulouse,  p.  22,  24). 

2.  Ceux  de  Bolbone,  de  Saint-Girons,  de  Verdalle,  de  Montlezun,  de  Saint-Exu- 
père,  des  Saints-Innocents,  du  Temple  et  de  l'Esquille. 

3.  Patentes  de  juillet  1561  (Archives  de  la  Haute-Garonne,  C,  2,290;  B,  244,  fol. 
339). 

4.  Rapport  sur  l'état  de  l'Université  de  Toulouse  déjà  cité. 

5.  Lettre  du  P.  Pelletier  au  P.  Broet,  9  sept.  1560.  Lettre  du  même  au  P.  Général, 
20  février  et  4  août  1561  (Gall.  Epist.,  t.  I,  fol.  210,  251,  260). 

6.  Lettre  du  P.  Roger  au  P.  Général,  29  mai  1562  (Gall.  Epist.,  t.  II,  fol.  1-3).  Cf. 
Commentaires  de  Montluc,  t.  V.  Relation  de  l'émeute  arrivée  à  Toulouse  en  1562 
(Archiv.  cur,  deVhist.  de  France,  sér.  l,  t.  IV,  p.  343).  Bosquet,  Hugon.  haeretic. 
lolosae  profligatio  (cet  ouvrage  fut  publié  par  Bosquet  en  1563). 


326  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JES1  5. 

réfugiés  à  la  Daurade,  parut  au  syndic  de  Toulouse  une  occasion 
très  favorable  pour  la  fondation  d'un  collège  de  la  Compagnie, 
et  il  en  prit  l'initiative.  Sur  sa  demande,  le  Parlement  approuva, 
le  5  mars  1562,  la  donation  de  la  «  mestairie  dite  Pujol  »  et 
autres  biens  immeubles  que  feu  Maître  Jehan  Bartholomei,  prési- 
dant des  enquêtes  en  la  cour,  avait  faite  en  faveur  des  Jésuites. 
«  à  la  charge  que  les  collégies  d'icelluy  collège  seront  tenus  célé- 
brer,  ou  faire  célébrer,  les  messes  ordonnées  par  ledit  testa- 
ment1 ».  La  même  année,  les  Jésuites  «  obtinrent  des  lettres 
patentes  du  roy  Charles  neuf  pour  demeurer  [à  Toulouse]  sous  le 
liltre  de  collèg-e,  [et  ils]  s'établirent  en  1563  dans  le  monastère 
des  filles  Augustines,  qui  leur  fut  donné  par  le  cardinal  d'Armai- 
gnac,  archevesque  de  Toulouse2  ». 

L'acte  de  cette  donation,  du  27  novembre  1562,  est  fort  instruc- 
tif. Il  y  est  dit  que  «  à  filtre  de  collège  et  société  du  nom  de  Jésus, 
et  non  d'aultre  nouvelle  religion,  [les  Pères]  sont  institués...  dans 
cette  ville...  pour  prescher,  visiter  les  malades,  consoler  les 
povres  personnes  visitées  de  la  main  de  Dieu,  et  pour  donner 
instruction  à  la  jeunesse  de  ceste  ville,  diocèse  et  province  ».  De 
plus,  «  pour  ce  que  ledit  couvent  des  Augustines  a  esté  si  longue- 
ment profané,  ne  servant  que  de  scandaile  »,  le  cardinal  d'Arma- 
gnac, afin  de  «  remettre  ledit  lieu  en  régulière  réformation  », 
ordonne  que  les  Jésuites  «  seront  mys  audit  couvent,  pour  icelluy 
tenir,  régir  et  administrer  comme  leur  propre  maison,  le  mellio- 
rer  et  réparer...  et  leur  sera  baillé  ledit  couvent  et  église,  clois- 
tres  et  jardin,  avec  tout  ce  qui  en  est  despendant :1  ». 

Aux  libéralités  du  cardinal  s'ajoutèrent  quelques  dons  parti- 
culiers, destinés  à  l'entretien  d'un  nombre  convenable  de  prê- 
tres et  de  professeurs.  L'un  des  premiers  bienfaiteurs  de  la  Com- 
pagnie fut  le  capitoul  Durand,  ou  Durauti,  qui  devint  plus  tard 
président  au  Parlement. 

Afin  de  répondre  le  mieux  possible  aux  désirs  et  aux  avances 
de  la  population,  le  P.  Pelletier  avait  demandé  à  ses  supérieurs 
de  choisir  les  professeurs  du  nouveau  collège  parmi  leurs  meil- 
leurs sujets.  Au  mois  de  février  1563,  il  réclamait  un  Recteur  qui 
fût  «  à  la  fois  théologien  et  prédicateur  ».  Toulouse,  disait-il, 
«  est  la  seconde  ville  de  France  et  remplie  de  gens  doctes  et 


1.  Tolos.,  FunJal.  collegior.,  t.  III,  n.17.  De  origine  colleg.  Tolosani  (Ibid.,  n.  2).  Cf. 
Epist.  P.  Nadal,  t.  I,  p.  729.  Manare,  De  rébus  S.  J.,  p.  71. 
•'  2.  Rapport  sur  l'état  de  l'Université,  cité  plus  haut. 

3.  Acte  de  la  fondation  (Tolos.,  Fundat.  collegior.,  t.  III.  n°  16). 


VISITES  DU  P.  MANARE;  FONDATION  DE  TOI  LOUSE.  327 

bons.  La  Compagnie  y  trouvera  plus  de  profit  et  d'accroissement 
qu'en  aucun  autre  lieu  du  royaume1  ».  Quelques  mois  après,  se 
fit  l'ouverture  des  classes.  Il  n'existe  pas  de  document  qui  permette 
de  déterminer  d'une  façon  précise  à  quelle  époque  elle  eut  lieu  ; 
nous  savons  seulement  que,  dès  le  mois  de  juillet,  on  enseignai I 
déjà  les  humanités  et  la  philosophie2.  Les  cours,  au  début,  pour 
plusieurs  raisons,  ne  furent  pas  aussi  fréquentés  qu'on  aurait  pu 
l'espérer  dans  une  si  grande  ville.  L'ancien  monastère  des  Augus- 
tines,  situé  dans  un  quartier  retiré  et  insalubre,  était  une  habita- 
tion incommode  et  insuffisante3. 

5.  Les  Pères,  qui  avaient  hâte  de  changer  des  conditions  si 
désavantageuses,  attendaient  avec  une  certaine  impatience  la 
visite  du  P.  Commissaire  général.  Celui-ci  n'avait  pas  encore  pu  se 
mettre  en  route  quand  le  P.  Supérieur  de  Toulouse  tomba  malade 
et  mourut.  Plusieurs  auteurs  ont  prétendu  que  le  P.  Pelletier 
succomba  aux  effets  d'un  poison  lent,  que  lui  auraient  donné  les 
huguenots  quand  il  était  en  prison  avec  plusieurs  autres  prédi- 
cateurs catholiques  K  II  mourut  épuisé  surtout  par  les  rudes  tra- 
vaux qu'il  avait  entrepris  pour  la  gloire  de  Dieu"'.  Depuis  son 
arrivée  en  France,  c'est-à-dire  depuis  quatorze  ans,  il  n'avait 
cessé  de  se  dépenser  au  salut  des  âmes  dans  les  diocèses  de  Tou- 
louse, de  Paniiers,  de  Rodez  et  de  Cahors.  Le  clergé  et  les  habi- 
tants de  cette  dernière  ville,  ayant  perdu  leur  évèque,  avaient 
mis  tout  en  œuvre  pour  que  le  P.  Pelletier  le  remplaçât (i  :  mais 
l'humble  religieux,  fidèle  à  sa  vocation,  refusa  ce  poste  d'hon- 
neur. Après  les  prédications  au  peuple  et  l'instruction  de  la  jeu- 
nesse, il  donna  le  meilleur  de  son  temps  et  de  son  zèle  à  la  ré- 
forme des  prêtres  oublieux  de  la  sainteté  de  leur  état.  Il  regarda 
toujours  la  dévotion  à  la  sainte  Vierge  comme  son  principal  moyen 
d'action  sur  les  âmes.  Persuadé  que  la  meilleure  tactique  était  de 
remettre  en  honneur  le  culte,  à  peu  près  disparu,  de  la  très  sainte 
Mère  de  Dieu,  il  s'efforça  de  relever  partout  ses  autels  détruits, 
ses  statues  renversées,  ses  confréries,  ses  fêtes,  ses  pèlerinages.  Il 
en  vint  à  bout  avec  tant  de  succès  que,  dans  tout  le  Languedoc, 
on  ne  le  désignait  plus  que  sous  le  beau  nom  de  docteur  et  d'a- 
pôtre de  Notre-Dame.  Après  sa  mort,  rien  ne  fit  mieux  l'éloge  de 

1.  Lettre  du  5  février  1563  (Gall.  Epist.,  t.  I,  fol.  319,  321). 

2.  Epist.  P.  Nadal,  t.  II,  p.  345.  —  3.  Manare,  De  rébus  S.  /.,  p.  72. 
,    4.  Voir  liv.  II,  c.  vu,  n.  7.  —  5.  Manare,  De  rébus  S.  Jesu,  p.  82. 

6.  Ce  fait  ne  nous  est  fourni  que  par  le  P.  Sacchini,  Hist.  Soc.  Jesu,  P.  IF,  lib.  VII, 
n.  70. 


328  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉS1  S. 

son  influence  et  de  sa  vertu  que  les  regrets  unanimes  des  catho- 
liques de  Toulouse  :  ils  célébrèrent,  avec  une  pompe  inaccoutu- 
mée, les  funérailles  de  celai  qu'ils  pleuraient  comme  un  père  : 
«  Jamais,  s'écriaient-ils,  nous  ne  trouverons  personne  qui  puisse 
remplacer  notre  bon  P.  Pelletier1.  » 

Cette  sympathie  de  la  population  pour  le  vaillant  défenseur  de 
la  foi  s'étendait,  d'ailleurs,  à  tous  ses  frères  de  la  Compagnie  ; 
aussi,  dès  son  arrivée  à  Toulouse,  le  P.  Commissaire  trouva-t-il  le 
cardinal  et  les  capitouls  tout  disposés  à  faire  droit  aux  demandes 
qu'il  allait  bientôt  formuler  dans  l'intérêt  de  leur  collège.  Il 
montra  d'abord  la  nécessité  de  le  transférer  clans  un  lieu  plus 
favorable.  Ce  projet  n'ayant  rencontré  aucune  opposition,  il  se 
préparait  à  l'exécuter  lui-même,  quand  des  motifs  graves  le  rap- 
pelèrent à  Paris.  Il  comprit  alors  que,  seul,  un  homme  d'action  et 
d'autorité  terminerait  heureusement  cette  affaire  :  il  songea  au 
P.  Auger  alors  à  Lyon,  et  avant  son  départ  il  promit  de  l'envoyer 
comme  prédicateur.  Mais  il  avait  compté  sans  la  résistance  des 
catholiques  de  Lyon,  qui  ne  voulurent  point  céder  leur  apôtre 2. 
A  la  place  du  P.  Émond,  le  P.  Annibal  du  Coudret  prit,  en  qua- 
lité de  Recteur,  la  direction  du  collège  de  Toulouse. 

Vers  cette  époque,  plusieurs  donations  soulagèrent  la  maison 
en  détresse.  Le  1°'  mai  1564,  les  chanoines  de  l'Église  métropo- 
litaine proposèrent  l'union  de  la  prébende  préceptoriale,  d'un 
revenu  de  300  livres,  union  effectuée  le  14  juillet  1565 3.  Au 
mois  de  novembre  de  la  même  année,  le  cardinal  d'Armagnac, 
sur  le  point  de  partir  pour  Avignon,  assigna  une  rente  annuelle 
de  120  livres4.  Malgré  cela,  tout  restait  à  faire  pour  l'installa- 
tion, et  beaucoup  encore  pour  la  dotation.  Un  peu  plus  tard  seule- 
ment, les  circonstances  permirent  de  transporter  les  classes  dans 
un  autre  local  et  de  donner  au  collège  tout  son  développement  '. 

6.  En  se  rendant  à  Paris,  le  Père  Commissaire  général  passa 
par  Billom,  où  l'on  signale  sa  présence  au  transfert,  dans  l'église 

1.  Voir  l'éloge  du  P.  Pelletier  dans  Nadasi  :  Annus  (lier,  memor.  Soc.  Jesu,  i"  ja- 
nuar.,  p.  1.  Sacchini,  Histor.  Soc.  J.,  P.  II.  1.  VII,  n.  70.  Patrignani,  Menologio.  1  gen- 
naio,  p.  6. 

2.  Lettre  des  catholiques  de  Lvon  au  P.  Lainez,  22  avril  156i  (Gall.,  Epist.  ad  gen.,  II, 
f.  212). 

3.  Registres  capitulaires  de  Saint-Etienne  (Archives  de  la  Hl--Garonne,  f.  Saint- 
Etienne,  n.  144). 

4.  Ordonnance  du  cardinal  d'Armagnac  (Archives  commun,  de  Toulouse,  AA,  20  : 
121,  fol.  335-337). 

5.  L'achèvement  de  cette  fondation  sera  raconté  au  livre  III,  ch.  vu. 


VISITES  DU  P.  MANARE.  329 

du  collège,  des  restes  de  Guillaume  du  Prat1  déposés  jusqu'alors 
dans  la  chapelle  des  Minimes  de  Beauregard.  La  cérémonie  eut 
lieu  les  22  et  23  mai  1564.  Elle  avait  été  réclamée  par  deux  des 
exécuteurs  testamentaires  de  l'évêque  fondateur,  les  sieurs  de 
Tcrssat  et  Mauguin,  qui  rappelèrent  au  conseil  de  ville  sa  der- 
nière volonté  d'être  enterré  dans  l'église  du  collège,  construite  à 
ses  frais,  quand  elle  serait  terminée  et  consacrée.  Puisque  les 
deux  conditions  étaient  maintenant  remplies,  disaient  ces  mes- 
sieurs, «  il  ne  restoit  aultre  chose  si  n'est  que  à  exécuter  ledict 
testament  et  deslibérer  de  la  forme  et  manière  dudict  enterre- 
ment2 ». 

Les  consuls  s'y  prêtèrent  aussitôt  :  «  A  esté  deslibéré  et  c<m- 
clud  que  les  funérailles  se  feront  les  lundy  et  mardy  de  Panthe- 
coste:?;  assavoir  que  le  lundy,  envyron  l'heure  de  midy,  on  pren- 
dra le  corps  du  lieu  de  Beauregard  et  l'apportcra-on  sur  ungs 
brancardz  ou  létyère,  et  sera  accompaigné  par  certain  nombre 
de  relligieulx,  comme  Cordelliers,  Jacobins  et  Carmes,  ensemble 
lesdicts  Mynimes  et  Jésuistes,  et  aultres  prestres  sécullicrs  le  plus 
qu'on  porra,  et  sera  mis  ledict  corps  dans  une  chapelle  hors  de  la 
ville  dudict  Bilhom,  où  il  reposera  toute  la  nuyt  du  lundy...  el  le 
lendemain  mardy,  sera  apporté  dans  la  chappelle  du  colliègc 
de  Bilhom,  et  sera  accompaigné  de  messieurs  les  eschevins, 
administrateurs,  aultres  habitans  de  la  dicte  ville,  et  y  aura 
certain  nombre  de  torches  et  lumynaire...  et  fera-on  ung  service 
audict  collège  de  Bilhom  à  l'enterrement,  qui  servira  de  bout  de 
l'an,  et  le  mercredy  sera  dict  plusieurs  messes...  Sera  fait  le 
service  par  Monsieur  l'évesque  de  Sarlat,  s'il  luy  plaît  de  prendre 
la  peyne,  lequel  de  ce  fère  sera  prié  '.  » 

Le  P.  Sacchini  nous  rapporte  que  les  Pères  du  collège  tinrent 
à  honneur  de  recevoir,  avec  la  plus  grande  solennité  et  les  plus 
beaux  témoignages  de  gratitude,  la  dépouille  mortelle  de  leur 
premier  bienfaiteur  en  France.  Au  service  fait  à  Billom,  le 
P.  Olivier  Manare  prononça  son  oraison  funèbre.  Ensuite,  dans 
une  séance  littéraire,  les  élèves  du  collège  célébrèrent  de  nouveau 
ses  louanges  «  par  trois  discours  et  en  trois  langues  :  latin, 
hébreu  et  grec;  puis,  à  la  faveur  d'une  fiction  poétique,  l'on  vit 

1.  «  In  illucl  [lemplum]  corpus  Gulielmi  fundaloris  honorifice  delalum  est.  Inter- 
fuit Oliverius  ab  Tolosa  reversus  »  (Sacchini,  Hist.  Soc,  P.  II,  1.  VIII,  n.  88). 

2.  Délibération,  sans  date,  placée  entre  celles  du  23  avril  et  du  30  mai  1564  (Arcliiv. 
hospit.  de  Clermont-Ferrand.,  I.  E.,  1,  fol.  192). 

3.  La  Pentecôte  tombait  cette  année-là  le  21  mai. 

4.  Délibération  déjà  citée. 


330  HISTOIRE  DE  EA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

paraître  les  muses  de  l'Auvergne  pleurant  la  mort  de  leur  pro- 
tecteur ».  Et  si  toutes  ces  pompes,  remarque  notre  premier  his- 
torien, «  firent  valoir  la  science  des  professeurs  et  là  reconnais- 
sance de  la  Compagnie,  elles  n'égalèrent  point  cependant  les 
mérites  du  fondateur  de  trois  collèges,  de  celui  qui  en  des  temps 
difficiles  se  montra  le  soutien  aimant  et  fidèle  d'une  petite  société 
encore  obscure1  ». 

Aussitôt  après  ces  fêtes,   le  P.  Manare  partit  pour  Paris  où  il 
arriva  le  l01' juin. 

l.  Sacchini,  I.  c. 


CHAPITRE  \l 

TRAVAUX    APOSTOLIQUES    IlKS    PP.    LOUIS    1)0   COUDRET, 
ANTOINE    POSSEVIN    ET   ÉMOND    AUGER. 

(1558-1564). 


Sommaire  :  Le  /'.  Louis  du  Coudret  (1558-1560),  —  I.  Missions  clans  le  diocèse 
de  Genève.  —  2.  Missions  dans  Le  midi  de  la  France.  —  Le  P.  Antoine  Possevin 
1560-1562).  —  3.  Sa  jeunesse  et  sa  vocation.  —  1.  Ses  missions  dans  les  vallées 
dos  Alpes  et  ses  prédications  en  Piémont.  —  5.  Raison  de  son  séjour  à  Lyon; 
état  de  cette  ville  à  son  arrivée.  —  6.  Son  apostolat  auprès  dos  marchands 
italiens.  —  7.  Lyon  tombe  au  pouvoir  des  huguenots;  départ  de  Possevin.  — 
Le  /'.  Émond  Auger  (1562-1563).  —  8.  Ses  missions  eu  Auvergne.  —  !».  Ses  pré- 
dications à  Lyon.  —  Les  PP.  Auger  et  Possevin  (1563-1564).  —  10.  Retour  et 
nouveaux  travaux  du  P.  Possevin  à  Lyon.  —  11.  Démarches  du  clergé  et  des 
fidèles  pour  conserver  le  P.  Auger.  —  12.  Controverses  des  deux  Jésuites  avec 
le  ministre  Viret.  —  13.  La  peste  à  Lyon  (1564);  départ  du  P.  Possevin;  dévoue- 
ment du  P.  Auger. 

Sources  manuscrites  :    I.  Archives   du   Rhône,  série  D. 

M.  Archives  communales  de  Lyon,  série  BB. 

111.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Epistolae  Episcoporum  ;  — 
l>)  Gallia,  Epistolae  Generalium;  —  c)  Galliac  Epistolae;  —  d)  Possevinus  :  Annalium  de- 
cas  1';  Acla  in  Gallia. 

Sources  imprimées  :  Arc/tire*  curieuses  de  l'histoire  de  France.  —  Paris  (Louis),  Négo- 
ciations, lettres  etc.  relatives  au  règne  de  Fratiçois  IL  —  l'éricaud.  Notes  et  documents 
pour  servir  à  l'histoire  de  Lyon  sous  Charles  IX.  —  Pièces  fugitives  pour  servir  à  l'his- 
toire de  France  :  Prise  de  Lyon  et  de  Montbrison  par  les  protestants.  —  De  Ruhys.  His- 
toire véritable  de  la  ville  de  Lyon.  —  Monumentà  historica  s.  j.  Epistolae  mixtae.  Episto 
lae  P.  Nadal. 

1.  Les  Jésuites,  dès  les  premières  années  de  leur  séjour  en 
France,  s'étaient  livrés  avec  ardeur  au  ministère  de  la  prédica- 
tion si  recommandé  par  saint  Ignace  comme  un  des  principaux 
moyens  d'atteindre  la  fin  de  l'Institut.  Le  P.  Robert  Glaysson  et 
le  P.  Le  Bas  dans  le  Soissonnais  et  en  Auvergne,  le  P.  Pelletier  à 
Pamiers  et  à  Toulouse,  le  P.  Auger  dans  le  comté  de  Foix  ef  le 
Dauphiné,  avaient  remporté,  pour  le  bien  des  âmes,  de  réels 
succès  apostoliques.  Après  eux,  et  à  mesure  que  croissait  le  nom- 
bre de  ses  sujets,  la  Compag-uie  multiplia  ses  missionnaires,  qui 
parcoururent,  non  sans  fruits  de  salut,  presque  toutes  les  pro- 
vinces du  royaume.  Nous  ne  signalerons  pour  le  moment  que 
les  PP.  Louis  du  Coudret  et  Antoine  Possevin,  dont  les  prédica- 


332  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

tiens   précédèrent  ou  accompagnèrent  les  glorieux  travaux  du 
P.  Auger  à  Lyon  et  dans  le  sud  de  la  France. 

Le  P.  Louis  du  Coudret,  originaire  de  Sallanches  en  Savoie,  y 
avait  été  chanoine  de  l'église  collégiale  de  Saint-Jacques,  avant 
de  se  présenter  à  la  Compagnie  de  Jésus.  Quoique  moins  illustre 
que  son  frère  cadet,  Annibal,  reçu  avant  lui  parmi  les  disciples 
d'Ignace,  il  remplit  néanmoins  dans  son  Ordre  des  fonctions  im- 
portantes, avec  un  éclat  qui  lui  a  valu  un  rang  distingué  dans 
l'histoire  religieuse  du  seizième  siècle.  Il  avait  déjà  présidé  à 
rétablissement  des  collèges  de  Florence  et  de  Monte  Pulciano, 
quand  l'évèque  de  Genève,  retiré  à  Rome  pendant  la  domina- 
tion de  Calvin  et  qui  connaissait  tout  son  mérite,  obtint  par  l'in- 
termédiaire du  pape  Paul  IV  que  le  P.  Lainez  l'envoyât  en  Savoie, 
sa  patrie,  pour  aider  le  clergé  à  défendre  ce  pays  contre  l'inva- 
sion de  la  réforme. 

Le  P.  Louis  du  Coudret  se  rendit  d'abord  à  Annecy,  dont  il  fit 
le  centre  de  son  apostolat1.  De  là,  il  rayonnait  dans  tout  le  dio- 
cèse, exerçant  le  ministère  de  la  prédication  jusqu'aux  portes  de 
Genève.  Il  lui  était  impossible  de  songer  à  soustraire  cette  mal- 
heureuse ville  au  joug  despotique  de  Calvin;  mais  il  apprenait 
avec  joie  les  échecs  du  réformateur,  qui  ne  parvenait  pas  toujours 
à  raffermir  son  autorité  chancelante.  Il  a  raconté,  à  ce  propos, 
un  fait  que  les  historiens  de  la  secte  ont  eu  bien  soin  de  laisser 
dans  l'oubli.  Un  jour,  voulant  se  faire  passer  pour  thaumaturge, 
Calvin  persuade  à  l'un  de  ses  amis,  réduit  à  la  misère,  de  feindre 
le  malade  puis  le  mort,  comptant  s'attribuer  la  gloire  facile  de 
le  ressusciter.  A  la  femme  du  futur  miraculé,  complice  de  la 
comédie,  il  promet  une  forte  somme  pour  prix  de  son  silence. 
Tout  se  passe  comme  il  était  convenu;  l'ami  complaisant  est  ense- 
veli et  conduit  au  lieu  de  la  sépulture.  Calvin  s'y  rend,  accom- 
pagné d'une  foule  considérable  qui  devait  servir  de  témoin  à 
cette  parodie  de  résurrection  :  «  Au  nom  du  Dieu  vivant,  dit-il, 
mort,  lève-toi.  »  Mais  le  mort  ne  fait  aucun  mouvement.  Deux 
fois,  trois  fois,  Calvin  renouvelle  son  commandement  :  «  Au  nom 
du  Dieu  vivant,  mort,  lève-toi!  »  Et  le  mort  persiste  à  ne  pas 
bouger.  Calvin  s'approche  alors  du  cercueil,  entrouvre  le  lin- 
ceul, palpe  lé  corps  :  ce  n'était  plus  qu'un  cadavre.  Le  Dieu 
vivant  n'avait  pas  voulu  qu'une  ruse  sacrilège  servit  à  tromper 
une  foule  trop  crédule.  L'âme  du  malheureux  était  déjà  dans  son 

1.  Lettre  du  P.  du  Coudret  au  P.  Lainez,  23  nov.  1558  (Galliae  Epistolae,  t.  I,  fol. 

41-43). 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DU  P.  L.  DU  COUDRET.  333 

éternité.  Sa  pauvre  femme,  à  cette  vue,  éclate  on  sanglots,  s'é- 
criant  que  Calvin  est  la, seule  cause  de  celle  mort;  maison  par- 
vient à  étoulfer  ses  cris,  et  la  foule  se  disperse  silencieuse  par 
crainte  du  terrible  réformateur.  «  Ce  l'ait,  écrivait  le  ll.  du  Cou- 
dret  au  P.  Général,  m'a  été  affirmé  par  plusieurs  habitants  de 
Genève,  au  nombre  desquels  se  trouvaient  des  hérétiques  qui  en 
ont  été  témoins1.  » 

Dans  ses  courses  apostoliques,  le  jésuite  missionnaire  prêchait 
deux  et  trois  fois  par  jour,  quelquefois  sur  les  places  publiques 
à  cause  de  la  foule  des  auditeurs  qui  se  pressaient  avides  de  l'en- 
tendre. On  accourait  de  toutes  parts,  même  des  lieux  occupés 
par  les  calvinistes,  mais  en  secret,  par  crainte  des  magistrats. 
«  Ces  pauvres  g"ens,  dit-il,  quoique  catholiques  de  cœur,  sont 
obligés  de  vivre  comme  ceux  qui  les  entourent.  Ils  ne  peuvent 
jamais  entendre  la  messe  le  dimanche,  par  contre  ils  s'abstien- 
nent de  faire  gras  le  vendredi.  »  Le  Père  ne  bornait  pas  son  apos- 
tolat à  enseigner  au  peuple  la  doctrine  chrétienne  ;  il  s'occupait 
aussi  du  clergé  auquel  il  expliquait  les  épitres  de  saint  Paul. 
Il  acquit  bientôt,  par  sa  science  et  son  zèle,  une  telle  influence 
dans  le  diocèse  que  le  vicaire  général  et  les  chanoines  songèrent 
à  faire  de  lui  un  suffragant  de  l'évêque  de  Genève.  Quand  on  lui 
parla  de  ce  projet  il  n'y  voulut  jamais  consentir,  préférant,  selon 
l'esprit  de  saint  Ignace,  sa  pleine  liberté  pour  les  travaux  de 
son  ministère;  il  écrivit  même  au  P.  Général  de  s'opposer,  autant 
qu'il  le  pourrait,  aux  démarches  qui  seraient  tentées  à  ce  sujet 
auprès  du  Pape3.  Une  autre  proposition  lui  fut  faite  qu'il  dut 
encore  refuser  :  la  ville  d'Annecy  possédait  un  beau  collège3; 
on  lui  en  offrit  la  direction.  Comme  cette  charge  était  incom- 
patible avec  les  fonctions  du  missionnaire,  on  songea  dès  lors  à 
confier  tout  l'établissement  à  la  Compagnie  de  Jésus,  qui  y  enver- 
rait quatre  ou  cinq  professeurs.  Le  duc  de  Savoie  lui-même 
appuya  ce  projet;  mais  on  ne  put  s'entendre  sur  les  conditions. 
et  l'affaire  fut  pour  quelque  temps  abandonnée  '*. 

2.  Les  besoins  spirituels  des  populations  ne  permettaient  pas 
au  P.  du  Coudret  de  séjourner  longtemps  dans  un  même  endroit. 
Bientôt,  laissant  à  Annecy  le  P.  Fuzelier  qu'on  lui  avait  adjoint 

1.  Ibid.  — Sacchini  (P.  II,  1.  III,  n.  74)  dil  que  ce  fait  riait  de  notoriété  publique. 

2.  Lettres  au  P.  Lainez,  23  nov.  1558  et  '2i  janv.  1559  [Gall.  Bpist.,  t.  I,  fol.  43,  86). 

3.  Lettre  du  P.  L.  du  Coudret  au  P.  Général,  1"  déc.  1559  (Gall.  E|>ist.,  t.  I,  f.  107). 

4.  Lettre  du  P.  Général  au  P.  L.  du  Coudret,  21  déc.  1559.  —  Du  même  aux  con- 
seillers d'Annecy,  21  déc.  1559  (Epist.  Gen.,  1559-1561). 


334  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

comme  auxiliaire,  il  se  rendit  auprès  de  Mgr  Bernard  d'Elbène, 
évêque  de  Lodève,  qui  avait  obtenu  du  P.  Général  le  secours  de 
son  ministère.  Ayant  franchi  les  Alpes,  il  parcourut  les  principales 
villes  de  la  province  de  Xarbonne,  où  le  calvinisme  commençait 
à  recruter  de  nombreux  prosélytes,  visita  plusieurs  fois  Marseille, 
Aixj  Cavaillon,  Carpentras  et  Lyon;  et  partout,  sa  parole  pleine 
de  feu  créait  d'admirables  mouvements  de  retour  à  l'Église. 
Comme  il  se  préparait  à  regagner  la  Savoie,  le  vice-légat  d'Avi- 
gnon le  retint  près  de  lui  pour  y  prêcher  le  carême  de  1560  l. 

Malgré  le  déplorable  état  des  mœurs,  la  foi  était  vive  encore 
dans  cette  ville  aux  institutions  si  catholiques;  pourtant  les  nou- 
velles doctrines,  favorisées  par  un  primicier  de  l'Université,  se 
glissaient  parmi  la  jeunesse,  et  bien  des  esprits  sentaient  leurs 
croyances  ébranlées.  L'autorité  temporelle  du  Pape  sur  Je  Comtat 
commençait  aussi  à  être  discutée.  Dans  une  réunion  de  protes- 
tants, dont  quelques-uns  doutaient  qu'on  pût  s'armer  contre  le 
souverain  du  pays,  il  avait  été  reconnu  «  que  le  Pape  ne  saurait 
être  regardé  comme  leur  souverain  légitime'2  ».  En  de  telles  cir- 
constances, le  P.  du  Goudret  sentit  redoubler  l'ardeur  de  son 
zèle.  Sans  négliger  les  questions  de  morale,  il  aborda  de  front 
les  problèmes  soulevés  par  Calvin,  et  dévoilant  les  ruses  des  no- 
vateurs il  parvint  à  ramener  dans  la  voie  de  la  vérité  un  grand 
nombre  de  ceux  que  la  curiosité  ou  l'ignorance  en  avait  écartés. 
Outre  ses  prédications  quotidiennes  à  l'église  Saint-Pierre,  il  par- 
lait jusqu'à  trois  fois  les  dimanches  et  les  jours  de  fête  :  le  matin, 
à  la  célèbre  confrérie  des  Flagellants;  pendant  la  grand'messe, 
à  Saint-Pierre,  et  l'après-midi,  dans  la  chapelle  de  l'archevêché. 
Son  éloquence  et  sa  doctrine  furent  si  goûtées  qu'il  dut  recom- 
mencer, après  les  fêtes  de  Pâques,  une  nouvelle  série  d'instruc- 
tions dans  l'église  des  Cordeliers,  dont  la  nef,  plus  grande  que 
celle  des  autres  églises,  se  prêtait  mieux  aux  exigences  d'un  nom- 
breux auditoire.  Apôtre  infatigable,  le  P.  du  Coudret,  au  milieu 
de  tant  de  travaux,  trouvait  encore  le  loisir  de  donner  à  quel- 
ques Ames  d'élite  les  Exercices  spirituels  de  saint  Ignace3. 

D'Avignon,  il  retourna  à  Annecy  où  le  rappelait  l'évêque  de 
Genève,  parce  qu'il  était  de  nouveau  question  de  confier  à  la 
Compagnie  de  Jésus  le  collège  de  la  ville.  L'évêque  et  le  duc  de 

1.  Lettre  du  P.  L.  du  Coudret  au  P.  Lainez,  G  janvier  1560  Gall.  Epist.,  t.  I,  fol. 
189,   190). 

2.  Perrin.  États  pontificaux  de  France  au  XVI"  siècle,  p.  68. 

3.  Lettres  du  P.  du  Coudret  au  P.  Lainez,  il  mai  et  14  juin  156u  Gall.  Epist., 
fol.   202,  204). 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  MU  P.  L.  DU  COUDRET.  335 

Savoie  se  trouvaient  en  parfait  accord  de  sentiments;  mais  les 
habitants  se  montraient  inquiets  des  conséquences  que  leur  sem- 
blait entraîner  une  donation  complète.  S'imaginant,  sans  raison, 
([non  leur  faisait  une  telle  proposition  pour  transformer  le  collège 
en  monastère  de  religieux,  ils  hésitaient  à  abandonner  leurs 
droits.  Quoiqu'il  dût  en  résulter  une  grande  utilité  pour  le  pu- 
blic, avec  beaucoup  moins  de  soucis  pour  les  administrateurs, 
ils  ne  pouvaient  se  résoudre  à  se  dessaisir  de  leur  immeuble  et 
à  le  confier  pour  toujours  à  des  mains  étrangères.  Ils  consenti- 
rent seulement  à  demander  pour  six  ans  trois  professeurs,  dont 
le  traitement,  comme  celui  des  fonctionnaires  de  la  cité,  dépen- 
drait de  la  volonté  du  peuple.  Le  P.  Général  répondit  aux  ma- 
gistrats de  la  ville  et  au  duc  de  Savoie  qu'il  ne  pouvait  accepter 
de  pareilles  conditions,  contraires  à  l'Institut.  La  Compagnie,  en 
eifet,  pour  s'employer  utilement  au  bien  commun,  doit  procu- 
rer l'avancement  de  ses  sujets  dans  la  science  et  la  vertu,  ce  qu'il 
lui  est  impossible  de  réaliser  avec  des  collèges  aussi  réduits  et 
mutilés1. 

Rien  ne  fut  donc  conclu,  et  le  P.  du  Coudret  reprit  ses  courses 
apostoliques,  ne  se  fixant  nulle  part,  mais  se  portant  partout  où 
l'hérésie  semblait  plus  menaçante.  Il  se  rendit  à  Vienne  en  Dau- 
phiné,  puis  à  Lyon  où  il  prêcha  à  la  cathédrale  et  à  l'église  de  la 
Plattière,  située  au  centre  de  la  ville.  Vers  la  fin  de  l'année,  il 
repassa  les  monts,  à  l'appel  de  l'évèque  de  Genève,  et  s'arrêta  à 
Verceil.  Là,  il  s'occupa  tout  entier  à  instruire  les  calvinistes  des 
vallées  des  Alpes,  envoyés  par  le  P.  Possevin  qui  débutait  alors 
dans  la  vie  de  missionnaire2. 

3.  Emule  des  Canisius  et  des  Bellarmin  par  la  science,  le 
dévouement  aux  âmes  et  les  services  rendus  à  l'Église3,  Antoine 
Possevin  naquit  à  Mantoue  le  10  juillet  1533 4.  Dès  sa  jeunesse,  il 
développa  les  dons  remarquables  de  son  intelligence  par  une 

1.  Lettre  des  Conseillers  d'Annecy  au  P.  Lainez,  13  juin  I5G0  (Gall.  Epist.,  I.  I,  fol. 
187).  Lettre  du  P.  du  Coudret  au  même,  14  juin  1560;  du  duc  de  Savoie  au- même, 
15  juin  1560  (Ibid.,  fol.   183,  186). 

2.  Lettre  des  Conseillers  d'Annecy  au  P.  Lainez,  15  juin  156o  (Gall.  Epist..  I.  I,  f. 
187).  Lettre  du  P.  L.  du  Coudret,  14  juin  1560,  déjà  citée.  Lettre  de  l'évoque  de  Ge- 
nève au  P.  Lainez,  19  nov.  1560  (Epist.  Episcop.,  t.  I). 

3.  De  Guilliermy,  Ménologe  de.  la  Compagnie  de  Jésus.  Italie,  I,  257. 

4.  Les  détails  qui  suivent  sont  tirés  des  mémoires  manuscrits  de  Possevin  connus 
sous  le  nom  d'  «  Annalium  decas  1",  2"  »,  et  du  recueil  de  ses  lettres  intitulé  b  Acta 
a  Possevino  in  Gallia  ».  Ce  fut  sur  le  conseil  du  cardinal  Haronius  et  la  demande  ex- 
presse de  Paul  V,  que  Possevin  entreprit  la  rédaction  de  ses  mémoires.  (Préface  de 
l'Annalium  decas.)  Le  P.  Sacchini  a  beaucoup  emprunté  à  ces  documents. 


330  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

étonnante  application  à  l'étude.  Très  versé  clans  les  langues  et  les 
lettres  humaines,  il  commença  sa  philosophie  à  Konic  et  fut  té- 
moin «  des  débuts  du  premier  collège  que  les  Jésuites  y  ouvri- 
rent dans  une  petite  maison  de  louage1  ».  Ses  talents  et  ses  suc- 
cès avaient  attiré  l'attention  du  cardinal  Hercule  de  Gonzague 
qui  lui  confia  l'éducation  de  ses  neveux,  François  etScipion,  plus 
tard  revêtus  de  la  pourpre  romaine.  Il  les  suivit  en  qualité  de 
précepteur  et  d'ami  à  Padoue,  où  il  acheva  son  cours  de  philoso- 
phie. Leur  père,  Ferdinand  de  Gonzague,  gouverneur  du  Mila- 
nais, étant  mort,  les  deux  jeunes  gens  furent  appelés  à  Naples 
par  leur  mère  qui  y  demeurait.  C'est  là  que  la  Providence  at- 
tendait Antoine  Possevin  pour  lui  faire  entendre  la  voix  du  ciel2. 
Il  entra  en  relations  avec  les  Pères  du  collège  et  choisit  comme 
directeur  le  P.  Jean  Nicolas  Pelrella.  Après  une  confession  géné- 
rale il  s'était  mis  à  la  communion  fréquente,  et  bientôt,  dans  ces 
dispositions  de  ferveur,  il  se  sentit  appelé  à  la  Compagnie  de 
Jésus.  Mais  la  voix  de  la  nature  s'éleva  à  son  tour,  lui  rappelant 
ses  parents  âgés,  ses  neveux  sans  fortune  et  cette  histoire  univer- 
selle qu'il  avait  entreprise,  où  il  pourrait  glorifier  Dieu  en  im- 
mortalisant des  traits  de  vertu. 

Tandis  qu'il  hésitait,  la  commanderie  de  Saint-Antoine  de  Fos- 
sano,  en  Piémont,  vint  à  vaquer,  et  le  cardinal  Hercule  de  Gon- 
zague désireux  d'attacher  Possevin  à  sa  maison  le  fit  nommer  à 
ce  bénéfice.  Le  jeune  homme  crut  voir  dans  cet  événement,  qu'il 
n'avait  point  provoqué,  une  invitation  de  Dieu  à  rester  dans  le 
monde.  Il  alla  prendre  possession  de  sa  commanderie,  et  après 
un  voyage  pendant  lequel  il  put  constater  de  ses  yeux  les  pro- 
grès de  l'hérésie  dans  ces  régions,  il  revint  à  Padoue  terminer 
des  études  qui  le  prépareraient  à  l'état  ecclésiastique3.  Cepen- 
dant, son  attrait  pour  la  piété  et  la  Compagnie  de  Jésus  le  ra- 
menait sans  cesse  parmi  cette  jeunesse  exemplaire,  adonnée  aux 
pratiques  de  la  vie  chrétienne  sous  la  direction  des  Jésuites.  Un 
de  leurs  meilleurs  prédicateurs  à  cette  époque,  le  P.  Benoît 
Palmio,  fut  l'instrument  dont  Dieu  se  servit  pour  éclairer  son 
âme  droite  et  généreuse.  Possevin  reconnut  l'inanité  des  pré- 
textes qui  l'avaient  arrêté  jusque-là,  et  demanda  son  admission 
dans  la  Compagnie'1.  Il  y  fut  reçu  le  29  septembre  1559.  Après 

1.  Annal,  decas  1",  1.  I,  c.  i. 

2.  Possevin  lui-môme  déclare  providentiel  ce  séjour  à  Naples  (Ibid.,  cap.  u). 

3.  Annal,  decas  1  ',  1.  I,  c.  n,  p.  20,  21. 

4.  Quelque  temps  auparavant,  Otto  ïruclisess,  cardinal  évèque  d'Augsbourg,  avait 
eu  la  pensée  de  l'attirer  à  la  cour  de  Vienne  comme  secrétaire  de  l'Empereur,  mais  le 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DU  P.  POSSEVIN.  331 

un  court  noviciat,  il  passa  au  collège  romain  et  y  suivit  pen- 
dant trois  mois  les  cours  de  théologie1. 

i.  Survinrent  alors  des  événements  qui  montrèrent  combien 
avait  été  providentielle  sa  nomination  à  la  commanderie  de  Eos- 
sano.  Il  en  était  toujours  titulaire,  mais  il  n'y  avait  point  paru 
depuis  longtemps;  à  la  faveur  des  troubles  religieux,  dos  gens 
malintentionnés  s'en  emparèrent  «  comme  s'il  était  mort2  ».  Dans 
le  même  temps  le  duc  de  Savoie,  Emmanuel-Philibert,  recouvrait 
par  la  paix  de  Gateau-Cambrésis  les  places  fortes  que  le  sort  de 
la  guerre  lui  avait  enlevées,  et  avec  elles  assez  de  puissance  pour 
s'opposer  enfin  aux  insolentes  menées  des  hérétiques.  Le  P.  Lainez 
vit  tout  le  parti  que  l'on  pouvait  tirer  de  cette  coïncidence.  Il  con- 
naissait la  valeur  et  le  savoir-faire  de  Possevin.  Après  en  avoir 
délibéré  avec  les  Pères  Assistants,  il  résolut  de  confier  à  ce  jeune 
religieux  de  vingt-sept  ans  une  mission  importante  et  délicate  s'il 
en  fût.  Il  lui  fit  faire  ses  premiers  vœux,  prit  avec  lui  quelques 
dispositions  relatives  à  ses  affaires  de  famille,  puis  l'envoya  en 
Savoie3  avec  un  double  rôle  à  remplir  :  Possevin  devait  se  ren- 
contrer à  Nice  avec  le  duc  Emmanuel-Philibert  pour  lui  suggérer 
les  moyens  de  raffermir  la  religion  catholique,  puis  aller  à  Fos- 
sano  revendiquer  ses  droits  sur  sa  commanderie  jusqu'au  jour 
où  il  serait  à  propos  qu'il  en  disposât  définitivement4.  Afin  de 
garder  toute  liberté  d'action,  il  se  présenterait  partout,  non 
comme  jésuite,  mais  avec  son  titre  de  commandeur5. 

Il  partit  au.  commencement  de  l'année  1560,  muni  des  lettres 
de  recommandation  de  l'évêque  d'Augsbourg  et  du  P.  Général; 


P.  Palmio,  mis  au  courant  de  ce  projet  et  sachant  les  desseins  de  Dieu  sur  Antoine 
Possevin,  avait  détourné  le  prélat  de  lui  faire  pareille  proposition  (Ibidem). 

1.  Ses  professeurs  furent  les  PP.  Jacques  de  Avellaneda,  Jacques  Ledesma,  et  Em- 
manuel Sa  (Annal,  decas  la,  c.  ni,  p.  26).  Remarquons  le  peu  de  temps  que  Possevin 
passa  au  noviciat  et  aux  études.  Les  catalogues  nous  apprennent  qu'il  entra  le  29  sept. 
1559.  Lui-même  nous  signale  la  brièveté  de  son  noviciat  et  son  passage  à  la  théologie 
dont  il  nous  dit  :  «  Id  quod  trium  dunlaxat  inensium  factum  est  usque  ad  annum 
exeuntem...  nonum  supra  quinquagesimum  »  (Ann.  decas  1%  c.  m,  p.  26).  C'est  que 
Lainez  le  savait  déjà  formé  par  ses  études  antérieures  :  «  Anteaclae  aetatis  studia 
ingeniumque  »  (Ibid.,  c.  iv,  p.  27-29). 

2.  Ibidem. 

3.  Annal,  decas  1»,  1.  I,  c.  iv,  p.  28. 

4.  En  droit,  les  novices  devaient  faire  l'abdication  de  leurs  biens  après  un  au  tic 
noviciat;  en  pratique,  il  fut  admis  que  cet  acte  pourrait  être  retardé  jusqu'aux  der- 
niers vœux  de  profès  ou  de  coadjuteur  formé. 

5.  Possevin,  a  son  grand  regret,  fut  môme  ohligé  un  peu  plus  tard  par  le  P.  Laine/, 
à  faire  profession  dans  l'ordre  militaire  de  Saint-Antoine  (Lettre  de  Polanco,  ex  corn.' 
missione,  12  avril  1560.  Epist.  Gêner.,  1559-1560).  Il  fut  considéré  comme  sorti  de  la 
Compagnie  avec  promesse  d'y  rentrer  quand  sa  mission  serait  terminée 

COMPAGNIE    DE   JÉSUS.    —   T.   I.  22 


338  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

en  chemin,  il  occupa  ses  loisirs  à  lire  attentivement  le  catéchisme 
de  Canisius,  qu'il  regardait  comme  le  résumé  de  la  doctrine  ca- 
tholique le  mieux  fait  pour  le  préparer  à  combattre  la  doctrine 
de  Calvin.  Le  duc  de  Savoie  le  reçut  avec  une  parfaite  bienveil- 
lance, et  sur  la  question  religieuse  tomba  facilement  d'accord 
que  la  répression  des  abus  de  toutes  sortes  s'imposait;  puis, 
gagné  par  le  jeune  commandeur,  qui  possédait  à  un  rare  degré 
les  qualités  du  diplomate1,  il  sollicita  son  avis,  lui  demanda  les 
moyens  pratiques  de  réussir  dans  cette  salutaire  entreprise.  Pos- 
sevin  attira  l'attention  du  duc  sur  trois  points  :  la  réforme  des 
monastères,  les  scandales  causés  par  les  quêteurs  de  l'Ordre  mi- 
litaire de  Saint- Antoine  et  le  recrutement  du  clergé  séculier2. 
Les  monastères,  lui  dit-il,  reviendront  à  leur  ancienne  ferveur, 
si  les  Généraux  d'Ordres  les  font  visiter  régulièrement  par  des 
religieux  exemplaires.  Les  quêteurs  d'aumônes  ne  scandaliseront 
plus  le  peuple  par  leur  avarice,  leurs  chicanes  et  leurs  super- 
stitions, quand  cette  charge  ne  sera  plus  confiée  à  des  hérétiques 
ou  à  des  brouillons,  mais  à  des  hommes  capables  d'édifier  par 
leurs  vertus1.  Les  bénéfices,  dont  les  titulaires  ont  charge  d'âmes, 
ne  devront  être  donnés  qu'à  des  prêtres  fidèles  et  remplissant 
avec  soin  leurs  fonctions  de  pasteurs  spirituels.  Si  un  clergé  dé- 
voué aux  intérêts  de  Dieu  manque  dans  ce  pays  comme  dans 
bien  d'autres,  que  le  duc  imite  ces  princes  qui  envoient  dans 
les  collèges  des  Jésuites,  à  Rome  ou  à  Coïmbre,  des  jeunes  gens 
d'avenir,  ou  qui  appellent  ces  mêmes  Jésuites  dans  leurs  états 
pour  instruire  et  former  la  jeunesse  destinée  à  la  carrière  sacer- 
dotale ' . 

Emmanuel-Philibert  goûta  ces  conseils  et  s'empressa  de  les  sui- 
vre. Sans  plus  tarder  il  fit  écrire  aux  cardinaux  protecteurs  et 
aux  supérieurs  généraux  de  plusieurs  Ordres  religieux;  il  écrivit 
à  sa  ville  d'Annecy  de  confier  ses  écoles  aux  fils  de  saint  Ignace; 
il  écrivit  au  P.  Lainez  de  lui  envoyer  des  hommes  pour  deux  col- 
lèges à  fonder5.  Puis  il  chargea  le  jeune  commandeur  de  parcou- 

1.  Possevin  était  né  diplomate.  On  sait  que  les  Papes  lui  confièrent  plus  tard  des 
missions  difficiles  en  Suède,  en  Moscovie  et  en  Pologne.  Voir  :  Pierling  S.  J.,  Un 
nonce  du  Pape  en  Moscovie,  Paris,  1884,  8°.  Balhory  et  Possevino.  Documents 
inédits  sur  les  rapports  du  Saint-Siège  arec  les  Slaves,  Paris,  1887,  8". 

2.  Lettres  de  Possevin  à  Lainez,  9,  12  et  li  fév.  1560  (Acta  a  Possevino). 

3.  Deux  ans  plus  lard  le  Concile  de  Trente  supprima  complètement  ces  quêteurs 
d'indulgence  (Sess.  XXI,  c.  îx). 

i.  Annal,  decas  1',  1.  I,  c.  v,  p.  30-33. 

...  Tbid.,  p.  33.  Nous  avons  vu  plus  haut  (n.  2)  que  le  projet  de  fondation  à  Annecj 
ne  réussit  point;  il  n'en  fut  pas  de  même  à  Mondovi  où  le  duc  aura  la  joie  d'établir 
un  collège  florissant. 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DU  P.  POSSEVIN.  3M 

rir  les  vallées  des  Alpes,  et  d'y  observer  l'étal  de  la  religion. 
Possevin  s'achemina  d'abord  par  le  col  de  Tende  vers  Fossano, 
y  reprit  possession  de  sa  commanderie  et  régla  plusieurs  affaires 
particulières.  De  là,  il  fit  un  tour  dans  les  vallées  dont  sont  cou- 
pées les  montagnes  qui  séparent  la  France  de  l'Italie.  Quelques- 
unes  étaient  devenues  les  véritables  repaires  de  l'impiété.  De- 
puis plus  de  trois  cents  ans,  les  malheureux  restes  des  Vaudois 
s'y  étaient  réfugiés  et  y  vivaient  sans  être  inquiétés  dans  leurs 
opinions  religieuses.  Ce  fut  ensuite  l'hérésie  luthérienne,  qui 
parvint  à  se  glisser  dans  ces  lieux  d'un  accès  difficile.  Un  peu 
plus  tard,  bon  nombre  de  calvinistes  s'y  retirèrent  aussi,  devant 
les  rigueurs  déployées  par  François  1er  et  Henri  II  dans  la  Pro- 
vence et  le  Dauphiné.  Toutes  ces  sectes,  unies  par  une  même 
haine  de  l'Église  romaine,  présentaient  un  obstacle  presque  in- 
vincible à  l'action  de  l'apostolat1. 

Possevin  rendit  au  duc  un  compte  exact  de  ses  observations  et 
lui  signala,  entre  autres  choses,  que  dans  la  vallée  de  la  Pérouse 
les  ministres  avaient  élevé  des  prêches,  où  ils  dogmatisaient  li- 
brement et  excitaient  ses  peuples  à  secouer  le  joug  de  leur  sou- 
verain légitime.  Sur  l'ordre  d'Emmanuel-Philibert,  le  gouver- 
neur de  Pignerol,  Maurice  Ferrier,  alla  renverser  ces  foyers  de 
l'erreur  et  chasser  les  ministres  qui  y  entretenaient  le  désordre. 

Ces  mesures  sévères  ouvrirent  assez  facilement  les  yeux  à  un 
peuple  abusé;  mais  elles  furent  sans  effet  sur  les  populations  voi- 
sines des  vallées  de  Lucerne  et  d'Angrogne,  dont  l'endurcisse- 
ment dans  le  mal  remontait  jusqu'aux  Vaudois.  Là,  les  sectaires 
avertis  coururent  aux  armes,  et  massacrèrent  avec  un  raffine- 
ment de  cruauté  les  soldats  que  Ferrier  avait  envoyés  pour  s'em- 
parer des  principaux  chefs  des  mutins.  Devant  cette  résistance 
barbare,  le  duc  Emmanuel  eut  recours  à  la  douceur;  il  pria 
Possevin  de  passer  une  seconde  fois  dans  les  vallées,  de  s'abou- 
cher de  sa  part  avec  les  maires  et  les  principaux  ministres  des 
quatre  premières  villes  de  l'Angrogne,  et  de  les  amener  à  se 
soumettre  et  à  recevoir  des  prédicateurs  catholiques.  L'église 
Saint-Laurent,  située  sur  le  plus  haut  plateau  de  la  vallée,  fut 
l'endroit  désigné  pour  cette  conférence.  Possevin  s'y  rendit  avec 
trois  compagnons  «  dont  l'un  était  un  gentilhomme  du  pays,  des 
anciens  comtes  de  Lucerne  ».  Quatorze  ministres,  ayant  à  leur 
tête  un  français  apostat  nommé  Etienne,  se  présentèrent  pour 
parlementer  et  discuter  avec  lui  devant  une  foule  considérable 

1.  Annal,  decas  l ',  I.  I,  c.  vi,  p.  34. 


340  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

attirée  par  la  curiosité  du  spectacle.  Le  commandeur  de  Fossano 
leur  lut  d'abord  les  lettres  du  duc  de  Savoie;  il  leur  conseilla 
de  ne  plus  recourir  aux  meurtres  ni  aux  moyens  violents;  quant 
h  leurs  opinions  religieuses,  ils  pouvaient  les  exposer  et  les  dé- 
fendre tranquillement,  et  c'était  maintenant  le  lieu  ou  jamais. 

Les  ministres  se  déclarèrent  prêts  à  la  discussion.  Possevin  ne 
s'était  jamais  trouvé  à  pareille  rencontre,  mais  il  ne  fut  pas  pris 
au  dépourvu.  Il  exposa  la  vérité  du  mystère  de  l'Eucharistie  et  la 
réalité  du  saint  sacrifice  de  la  messe,  en  remontant  par  les  Pères, 
par  saint  I renée  et  par  saint  Ignace,  jusqu'aux  apôtres,  saint  Paul 
et  l'Évangile.  Il  faut  croire  que  son  argumentation  fut  serrée,  car 
les  ministres  n'eurent  qu'une  objection  à  lui  faire  :  «  Qui  nous 
prouve  que  les  ouvrages,  dont  vous  arguez,  sont  bien  des  au- 
teurs que  vous  avez  nommés?  »  Et  l'un  d'entre  eux  ajouta  :  «  Si 
vous  nous  montrez  seulement  dans  saint  Irénée  le  texte  que  vous 
avez  cité,  nous  jurons  de  nous  rendre.  »  Possevin  les  prit  au 
mot,  et  le  colloque  se  termina  sur  la  promesse  qu'il  leur  fit  de 
leur  procurer  le  livre  en  question.  Quelques  jours  plus  tard,  il  le 
leur  envoya  de  Turin,  avec  l'indication  des  passages  cités;  mais, 
au  lieu  de  tenir  leur  parole,  ces  hommes  de  mauvaise  foi,  gar- 
dant le  silence  sur  leur  défaite ,  semèrent  la  révolte  dans  le 
peuple  qui  prit  de  nouveau  les  armes  contre  son  souverain.  Em- 
manuel-Philibert fit  marcher  contre  eux  deux  mille  hommes 
d'infanterie,  sous  les  ordres  de  monsieur  de  la  Trinité,  auquel  il 
adjoignit  Possevin  chargé  d'animer  les  troupes  et  de  soutenir  au 
besoin  les  intérêts  de  la  religion1.  Le  commandeur  de  Fossano 
retourna  donc  une  troisième  fois  dans  les  vallées,  muni,  quoi- 
qu'il ne  fût  pas  encore  prêtre,  d'amples  pouvoirs  que  lui  dé- 
légua François  Bacode.  nonce  de  Sa  Sainteté  à  la  cour  de  Sa- 
voie. Tandis  que  les  troupes  ducales  soumettaient  sans  peine  les 
hérétiques,  lui  s'efforçait  de  les  ramener  à  la  vérité  par  les  seules 
forces  de  la  persuasion.  Bientôt  trente-quatre  des  principaux 
habitants  allèrent  à  Yerceil  porter  au  duc  la  soumission  de  leurs 
compatriotes,  et  faire  abjuration  solennelle  entre  les  mains  du 
nonce'.  Plusieurs  mois  durant,  aidé  de  deux  prêtres  jésuites,  les 
PP.  David  Volpius  et  Gaspar  Loartc,  Possevin  parcourut  ces  con- 
trées ignorantes  et  perverties,  les  instruisant,  y  répandant  par- 


1.  Annal,  decas  l",  c.  vi,  p.  34-36. 

2.  D'aussi  lions  sentiments  ne  durèren  pas,  comme  Possevin  en  avait  prévenu  le 
duc  de  Savoie.  Ces  endurcis,  qui  avaient  agi  par  intérêt,  ne  tardèrent  pas  à  retomber 
dans  l'hérésie. 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  M    P.  POSSEVIN.  341 

tout  les  bons  livres,  surtout  le  catéchisme  de  Canisius.  Avanl 
de  les  quitter,  il  prit  soin  d'y  appeler  des  missionnaires  que 
fournirent  les  monastères  de  laLigurie  cl  du  Milanais.  Son  zèle, 
ses  dons  extérieurs  et  ses  succès  lui  gagnèrent  l'estime  des  ca- 
tholiques. On  le  présenta  au  Pape  comme  digne  de  l'épiscopat1. 
Alarmé  de  ce  projet,  Possevin  n'omit  rien  pour  le  rendre  inutile, 
et  protesta  auprès  du  P.  Général  de  son  ferme  désir  de  persé- 
vérer dans  la  Compagnie  de  Jésus  en  renonçant  à  toutes  les 
dignités  ecclésiastiques.  Ses  parents,  qu'il  rencontra  vers  ce 
temps  à  Fossano,  voulurent  en  vain  l'empêcher  de  résigner  sa 
commanderie.  En  leur  présence  il  reçut  le  sacerdoce,  et  le  di- 
manche de  Quasimodo,  13  avril  1561,  il  célébrait  devant  eux  sa 
première  messe'-.  Peu  après,  il  commençait  à  Turin  et  à  Chiéri 
ces  éloquentes  prédications  !  qu'il  devait  bientôt  continuer  en 
France  avec  un  grand  retentissement. 

5.  La  Providence,  en  effet,  le  destinait  à  ce  nouveau  théâtre; 
elle  l'y  amena  par  une  circonstance  toute  simple.  L'évèque  de 
Genève,  d'accord  avec  Emmanuel-Philibert,  l'avait  envoyé  à 
Chambéry,  porteur  de  lettres  de  recommandation  pour  le  Sénat 
de  Savoie,  afin  qu'il  put  évangéliser  cette  contrée,  et  concerter 
avec  les  magistrats  les  mesures  à  prendre  contre  l'hérésie.  Il 
fut  résolu,  entre  autres  choses,  qu'on  répandrait  à  profusion  le 
catéchisme  de  Canisius.  Mais  comme  le  français  était  la  langue 
du  pays,  Possevin  dut  se  rendre  à  Lyon,  dont  les  presses  alimen- 
taient alors  une  partie  de  l'Europe,  pour  s'y  procurer  une  édi- 
tion française  du  catéchisme4. 

A  cette  époque,  la  ville  de  Lyon  était  en  proie  aux  agitations 
qui  troublaient  les  principaux  centres  du  royaume.  Dès  1560,  les 
huguenots  avaient  essayé  de  s'en  emparer;  ils  en  voulaient  faire 
le  quartier  général  de  la  révolte.  Des  conjurés,  accourus  du  Dau- 
phiné,  de  la  Guyenne,  du  Languedoc  et  de  la  Suisse,  s'étaient  peu 
à  peu  rassemblés  dans  les  villages  voisins,  n'attendant  pour  agir 
qu'un  signal  de  leurs  chefs.  La  vigilance  d'Antoine  d'Albon,  abbé 
de  Savigny  et  gouverneur  de  la  ville  en  l'absence  du  maréchal  de 
Saint-André,  déjoua  leur  criminel  complot"'.  Les  plus  coupables, 

1.  Annal,  decas  1\  c.  vu,  p.  37-42;  c.  via,  p.  45. 

'.  Ibid.,  p.  45  et  lettre  de  Possevin  à  Lainez,  17  avril  15G1  (Acta  a  Possevino). 
3.  Annal,  decas  1',  1.  1,  c.  ix,  p.  49,  50. 
i.  Ibid.,  p.  51. 

5.  Délibération  consulaire  du  4  sept.  1560  sur  l'émotion  faite  par  certains  étrangers 
appelés  huguenaulx  (Archives  Coimn.  de  Lyon,  Registres  consulaires,  année  1560). 


342  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

écrivait  Charles  IX  à  son  ambassadeur  en  Espagne,  furent  «  exé- 
cutés, les  autres  gardés  qui  ont  tout  découvert  et  faict  veoir  clai- 
rement la  racyne  du  mal  et  l'intention  de  ceuls  qui  les  mettaient 
en  besogne1  ».  Tant  qu'ils  sentirent  peser  sur  eux  une  main  éner- 
gique, les  calvinistes  de  Lyon  ne  tentèrent  plus  aucun  mouve- 
ment; mais  lorsque  Antoine  d'Albon,  devenu  archevêque  d'Arles, 
eut  été  remplacé,  le  6  octobre  1561,  par  François  d'Agoult, 
récemment  créé  comte  de  Sault,  ils  commencèrent  à  lever  la  tête 
et  à  préparer  une  action  décisive.  Le  nouveau  gouverneur  cachait 
un  cœur  protestant  sous  des  dehors  catholiques2.  Plus  tard  il 
embrassera  ouvertement  la  cause  des  huguenots.  Pour  le  moment, 
dans  sa  correspondance  avec  le  roi3,  il  se  montre  un  homme 
dévoué  à  son  maître,  mais  ses  actes,  pendant  les  premiers  mois 
de  son  administration,  ressemblent  tout  à  fait  à  une  trahison  ha- 
bilement combinée. 

Sous  prétexte  de  ne  point  irriter  les  réformateurs,  il  leur  per- 
mettait de  dogmatiser  en  public  et  en  particulier,  tandis  que  le 
moindre  mouvement  de  la  part  des  catholiques  était  regardé 
comme  un  zèle  outré  qui  nuisait  à  la  cause  commune.  Assurés  de 
la  complicité  tacite  du  gouverneur,  les  calvinistes  faisaient  venir 
de  Genève  toutes  sortes  de  livres  hérétiques,  qu'ils  distribuaient 
dans  la  ville  et  les  campagnes,  et  dont  la  doctrine  corruptrice 
s'insinuait  d'autant  plus  facilement  dans  les  esprits,  qu'elle  était 
déguisée  sous  les  apparences  de  la  piété,  sous  le  titre  spécieux  de 
réforme.  En  face  de  ces  dangers,  trop  rares  étaient  les  défenseurs 
de  l'orthodoxie;  on  vit  cependant  d'éloquents  prédicateurs,  tels 
que  Gabriel  de  Saconay,  chanoine-comte  de  Saint-Jean,  le  P.  Ropi- 
tel,  de  l'Ordre  des  Minimes,  et  le  P.  Périer,  Dominicain,  se  distin- 
guer par  leurs  savantes  polémiques  et  déconcerter  plus  d'une  fois 
l'insolence  des  prédicants.  Mais  les  huguenots  avaient  à  leur  dis- 
position d'autres  arguments,  contre  lesquels  la  science  et  l'élo- 
quence ne  pouvaient  prévaloir  :  ils  se  munissaient  d'armes,  appe- 
laient des  sectaires  étrangers  à  leur  secours,  et  formaient  une 
nouvelle  conjuration. 

A  la  vue  du  péril  que  courait  à  Lyon  la  religion  catholique,  le 
P.  Possevin  redoublait  ses  efforts;  il  s'ingéniait  à  découvrir  et 
à  détruire  les  mauvais  livres,  à  propager  les  ouvrages  ortho- 

1.  Négociations  et  lettres  relatives  au  règne  de  François  II,  p.  525,  526. 

2.  Annal,  decas  la,  1.  I,  c.  x,  p.  51,  52. 

3.  Cette  correspondance,  du  19  oct.  1561  au  30  juin  1562,  a  été  publiée  par  Péricau 
Notes  el  documents...,  p.  731. 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DIT  P.  POSSEVIN.  343 

doxes.  Il  pressait  surtout  l'impression  du  catéchisme,  qui  avail 
motivé  son  voyage  dans  cette  ville.  (In  jour  qu'il  surveillait  les 
épreuves,  le  jeune  fils  du  libraire,  remarquant  un  passage  sur 
l'honneur  dû  aux  saints,  lui  reprocha  naïvement  d'être  un  idolâ- 
tre1. Possevin,  touché  de  l'aveuglement  de  cet  enfant  et  de  tous 
ceux  qui,  comme  lui,  étaient  prévenus  contre  la  doctrine  catholi- 
que, conçut  la  pensée  d'expliquer  en  français,  dans  des  entre- 
tiens familiers,  les  sentiments  de  l'Église  sur  les  points  attaqués 
par  les  protestants.  Les  Pères  Dominicains  se  prêtèrent  volontiers 
à  son  désir,  et  le  laissèrent  disposer  librement  de  leur  chapelle, 
nommée  Notre-Dame  de  Confort  ou  de  Consolation*- .  Il  parvint 
à  y  rassembler  non  seulement  des  enfants,  mais  un  grand  nombre 
d'autres  auditeurs,  et  quoiqu'il  s'exprimât  encore  assez  mal  en 
français,  il  suppléait  si  bien  à  l'expression  par  la  grâce  de  son 
esprit,  qu'après  avoir  suivi  ses  raisonnements  avec  plaisir  on 
sortait  convaincu  et  tout  armé  contre  les  traits  des  novateurs. 

G.  Le  commerce  considérable  de  Lyon,  à  cette  époque,  y  attirait 
des  étrangers  de  toutes  nations  et  surtout  des  marchands  ita- 
liens. Ceux-ci,  informés  de  la  réputation  que  le  commandeur  de 
Fossano  s'était  acquise  par  ses  prédications  en  Piémont,  obtinrent 
du  duc  de  Savoie  de  le  garder  pour  le  carême  de  156-2.  L'homme 
de  Dieu,  ravi  de  pouvoir  se  dépenser  au  salut  de  ses  compatriotes, 
dans  une  ville  où  ils  étaient  exposés  aux  assauts  du  calvinisme, 
résolut  de  prêcher  en  leur  langue  et  s'acquitta  de  cet  emploi 
avec  tout  le  succès  qu'on  devait  attendre  de  ses  rares  talents. 

Voici  la  méthode  qu'il  suivait  dans  ses  instructions.  Il  lisait 
d'abord  le  texte  de  l'Évangile  du  jour,  puis  :  «  Voyons,  disait-il, 
ce  que  nos  adversaires  pensent  de  la  parole  de  Dieu.  »  Ouvrant 
alors  Y  Institution  de  Calvin,  il  donnait  l'interprétation  de  cet 
hérésiarque  et  les  preuves  qu'il  prétendait  tirer  des  Saints  Pères  à 
l'appui  de  son  sentiment.  Prenant  ensuite  les  volumes  des  Pères 
et  des  Conciles,  il  lisait  pareillement  les  mêmes  passages  et  faisait 
ressortir  la  mauvaise  foi  de  celui  qui  les  avait  altérés.  C'était  une 
vraie  joie  pour  les  catholiques.  Mais  Possevin,  loin  de  profiter  de 
cet  avantage  à  la  confusion  des  calvinistes  présents  dans  son 
auditoire,  les  conjurait,  de  la  manière  la  plus  touchante,  de  ne 
point  s'opiniàtrer  dans  une  doctrine  si  pernicieuse  à  leur  salut.  Il 

1    Annal,  decas  1",  1.  T,  c.  x,  p.  52. 

2.  Possevin  n'habitait  pas  chez  les  Dominicains,  mais  tout  à  côté,  au  monastère  des 
Célestins  {Ibid.,  c.  xm,  p.  G2). 


344  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

les  engageait  à  parcourir  eux-mêmes  les  différents  textes,  à  les 
confronter  les  uns  avec  les  autres.  Ceux  qui  ne  pourraient  sans 
difficultés  se  procurer  des  livres,  étaient  invités  à  passer  chez  lui, 
où  il  leur  ferait  voir  de  leurs  propres  yeux  combien  on  abusait 
de  leur  crédulité1. 

Dans  la  même  église  des  Dominicains,  le  P.  Possevin  consa- 
crait le  soir  des  jours  de  fête  à  l'enseignement  du  catéchisme. 
Ces  sortes  de  leçons  étaient  une  nouveauté  :  il  s'y  rendait  beau- 
coup de  monde.  On  fit  imprimer,  et  on  distribua  le  catéchisme 
français  du  diocèse  de  Reims2  aux  enfants  italiens  les  mieux  ins- 
truits, qui  parlaient  également  bien  les  deux  langues.  Du  haut 
de  la  chaire  Possevin  les  interrogeait,  à  la  grande  joie  de  leurs 
parents  qui  en  étaient  tout  fiers;  puis  il  développait  en  italien  les 
articles  principaux  sur  lesquels  avaient  porté  ses  interrogations. 
Quand  il  avait  fini,  un  Père  Dominicain  prenait  sa  place  et  faisait  les 
mêmes  explications  en  français;  de  sorte  que  personne  parmi  les 
auditeurs  ne  perdait  rien  de  la  saine  doctrine.  Cette  méthode  réussit 
à  merveille.  Avec  les  prédications  du  matin  et  les  catéchismes  du 
soir,  l'église  de  Confort  ne  désemplissait  plus  de  la  journée;  il  y 
avait  même  des  gens  qui  aimaient  mieux  apporter  quelques  vivres 
que  de  s'exposer,  en  sortant,  à  perdre  leur  place.  Les  hérétiques 
furieux  imaginèrent  de  publier  un  catéchisme  de  leur  façon, 
auquel  ils  mirent  un  titre  semblable  à  celui  du  livre  employé  par 
Possevin,  et  leurs  vendeurs  criaient  par  les  rues  :  «  Voilà  le  caté- 
chisme de  Confort.  »  Mais  le  Père  découvrit  la  ruse,  et  en  avertit 
la  population  qui  témoigna  vivement  son  dégoût  pour  les  pro- 
cédés de  la  réforme3. 

7.  Cependant  un  moment  vint  où  les  huguenots  se  crurent  prêts 
pour  l'exécution  du  coup  de  main  médité  et  préparé  depuis  si 
longtemps.  Ils  se  montrèrent  de  plus  en  plus  insolents.  On  ne 
pouvait  «  se  trouver  devant  eux,  raconte  un  contemporain,  ou 
seulement  les  regarder,  sans  recevoir  quelque  outrage,  ou  bien 
ouyr  quelque  grand  blasphème  contre  nostre  Dieu  et  ses  saincts 
sacrements4  ».  Maugiron,  envoyé  par  le  roi  afin  de  surveiller  leurs 
menées,  comprit  que  leur  audace  exigerait  tôt  ou  tard  l'emploi 
de  la  force,  et  alla  chercher   en  Dauphiné  les  troupes  dont  il 

1.  Annal,  decas  la,  1.  I,  c.  xi,  p.  54. 

2.  Publié  par  le  cardinal  de  Lorraine  (Ibid.,  c.  xn,  p.  55). 

3.  Ibid.,  c.  xn,  p.  60-62. 

4.  De  Saconay,  Discours  des  premiers  troubles...  dans  les  Archives  cur.  de  l'his- 
toire de  France,  s.  1,  t.  IV,  p.  251. 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DU  1».  POSSEVIN.  34S 

avait  besoin.  Mais  les  huguenots  n'attendirent  pas  son  retour  pour 
exécuter  leur  dessein.  Le  29  avril  au  soir,  «  ils  avoycut  faict  enten- 
dre aux  maisons  bourgeoises  qu'aucun,  sur  peyne  de  la  vie, 
n'cust  à  mettre  la  teste  à  la  fenestre  quelque  brait  qu'il  ouyst, 
car  ils  n'en  vouloyent,  disoyent-ils,  qu'aux  gens  d'église  > . .  Vers 
onze  heures,  «  pendant  que  les  catholiques  rcposoient  en  leurs 
licts  soubs  l'ombre  des  ailes  de  monsieur  de  Sault  »,  des  bandes 
armées,  conduites  par  diflérents  chefs,  descendirent  de  la  (iuil- 
lotière  et  occupèrent  les  places,  les  ponts,  l'entrée  des  principales 
rues  de  la  ville,  sans  rencontrer  aucune  résistance.  Après  minuit, 
l'alarme  fut  donnée  par  la  sentinelle  qui  veillait  à  Saint-Nizier; 
mais  les  huguenots  s'emparèrent  du  clocher,  puis  ils  attaquèrent 
rhôlel  de  ville  où  se  trouvaient  les  armes  que  les  catholiques, 
quelques  jours  auparavant,  avaient  reçu  l'ordre  d'y  déposer.  Le 
30  avril,  à  la  pointe  du  jour,  les  Lyonnais  virent  le  canon  braqué 
dans  chaque  rue  et  apprirent  que  l'hôtel  de  ville,  malgré  l'héroï- 
que défense  du  capitaine  du  Peyrat,  était  tombé  au  pouvoir  des 
huguenots.  Presque  tous  les  monastères,  avec  les  sacristies  des 
églises,  furent  pillés,  les  archives  enlevées,  les  reliques  jetées  au 
feu,  les  vases  sacrés  livrés  à  la  profanation1. 

Inquiet  du  péril  que  couraient  ses  compatriotes  très  attachés 
à  la  religion  romaine,  Possevin  s'iuforma  s'il  ne  pourrait  pas  se 
rendre  jusqu'à  leur  quartier,  au  delà  de  la  Saône.  On  lui  répon- 
dit que  le  pont  était  gardé  par  des  soldats  et  qu'on  avait  saisi 
toutes  les  barques.  Sans  souci  du  danger,  il  sortit  seul  et  se  diri- 
gea, par  des  rues  détournées,  jusqu'au  bord  du  fleuve.  Il  y  trouva, 
contre  toute  attente,  un  batelier  tranquillement  assis  sur  sa 
barque.  Cet  homme  se  lève  à  son  approche,  le  prend  avec  lui, 
le  passe  sur  l'autre  rive  et  le  quitte  sans  mot  dire,  après  l'avoir 
remis  à  terre.  Le  Père  aimait  à  voir  dans  cette  rencontre  ines- 
pérée une  attention  délicate  de  la  Providence,  un  secours  parti- 
culier de  son  ange  gardien2.  Il  se  rendit  à  l'archevêché,  près 
duquel  il  avait  abordé,  et  le  trouva  occupé  par  le  comte  de 
Sault  avec  une  compagnie  d'arquebusiers.  Le  gouverneur  vint 
au-devant  de  lui,  s'étonna  de  le  voir  seul  en  pareilles  conjonc- 
tures, et  l'introduisit  dans  une  salle  avec  toutes  sortes  de  témoi- 
gnages d'affection.  Il  l'invita  même  à  déjeuner  avec  lui  en  le 
priant  de  lui  dire  librement  ce  qu'on  pourrait  faire  pour  répri- 
mer l'émeute.  Tout  à  coup,   deux  cents  soldats   envahissent  le 

1.  De  Saconay,  Cf.  Prise  de  Lyon  par  les  protestants. 

2.  Annal,  decas  la,  I.  1,  c.  xm,  p.  61,  02. 


346  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

palais,  dont  la  porte  était  défendue  par  quelques  pièces  de  cam- 
pagne :  «  Vous  voyez,  dit  le  comte,  que  nous  sommes  emprison- 
nés et  gardés  à  vue  ;  je  vous  conseille  de  vous  retirer  dans  les 
greniers  en  attendant  l'issue  de  cette  affaire.  —  Je  me  soumets 
avec  confiance  à  la  divine  Providence,  »  répondit  Possevin  ;  et 
déférant  au  conseil  du  comte,  il  monta  au  plus  haut  étage  du  logis. 
Il  y  fut  bientôt  rejoint  par  un  ministre  protestant,  nommé  Ruffin, 
armé  de  toutes  pièces  et  escorté  de  soldats  à  la  mine  farouche. 
Ce  prédicant  lui  déclara,  avec  mille  injures,  qu'il  venait  le  con- 
traindre à  rétracter  ses  mensonges  sur  la  messe,  s'il  ne  voulait 
pas  les  effacer  de  son  sang.  Possevin,  sans  s'effrayer,  repartit 
hardiment  qu'il  n'avait  écrit  que  la  vérité,  et  qu'il  était  prêt  ù 
donner  sa  vie  pour  la  défendre.  Surpris  de  cette  fermeté,  le  mi- 
nistre s'adoucit  et  proposa  quelques  objections  sur  le  Saint  Sacri- 
fice de  l'autel.  Le  Père  y  répondit  sans  embarras.  Son  inter- 
locuteur, qui  avait  peine  à  s'expliquer  en  latin,  se  rabattit  sur 
les  gros  mots  et  les  menaces,  puis  sortit  brusquement  en  jurant 
au  prisonnier  de  lui  faire  sentir  bientôt  les  effets  de  sa  ven- 
geance1. 

Les  marchands  italiens  n'avaient  pas  tardé  à  apprendre  que 
leur  apôtre  était  retenu  à  l'archevêché.  Ils  firent  tous  leurs  efforts 
pour  le  délivrer  des  mains  du  gouverneur.  De  leur  part,  le 
commandant  du  fort  de  Montluel,  dans  la  Bresse,  place  qui  dé- 
pendait du  duc  de  Savoie,  vint  trouver  le  comte  de  Sault  et  lui 
remontra  que  Son  Altesse,  ayant  la  plus  haute  considération  pour 
Possevin,  ne  manquerait  pas  de  se  tenir  offensée  du  moindre  mal 
qu'on  lui  ferait.  Cédant  à  ces  justes  représentations,  le  gouver- 
neur consentit  à  rendre  la  liberté  au  prisonnier;  afin  de  le  pré- 
server de  toute  insulte,  il  lui  procura  un  habit  séculier  et  le  fit 
conduire  chez  des  marchands  florentins  du  voisinage.  Ceux-ci 
ravis  de  retrouver  leur  bon  Père,  après  avoir  tant  craint  de  le 
perdre,  s'occupèrent  aussitôt  de  faciliter  son  évasion  et  le  con- 
duisirent, à  l'entrée  de  la  nuit,  dans  un  lieu  de  refuge  sur  la 
montagne  de  Fourvières.  Le  lendemain,  de  grand  matin,  Posse- 
vin traversa  toute  la  ville  sans  être  reconnu,  se  rendit  de  l'autre 
côté  de  la  Saône  dans  la  demeure  d'un  Florentin,  nommé  Orlan- 
dini,  et  de  là  parvint  à  passer  le  Rhône .  Dès  que  les  protestants 
connurent  sa  mise  en  liberté,  ils  envoyèrent  à  toutes  les  issues 
de  la  ville  des  gens  pour  l'arrêter.  En  même  temps,  un  capitaine 
huguenot  accourait  avec  cinquante  hommes  vers  la  maison  d'Or- 

1.  Annal,  decas  1%  1.  I,  c.  xiv,  p.  65,  66. 


TUA  VAUX  APOSTOLIQUES  1>U  1».  AUGER.  3^ 

landini.  C'était  trop  tard;  quand  ils  arrivèrent,  Possevin  se  trou- 
vait déjà  hors  d'atteinte.  A  son  entrée  sur  les  terres  de  Savoie, 
ou  lui  procura  dos  chevaux  qui  le  portèrent  rapidement  au  lieu 
de  sa  retraite  ' . 

Les  réformés,  maîtres  de  Lyon,  y  entassèrent  les  ruines,  et  se 
livrèrent  à  des  ravages  et  des  atrocités  dont  le  temps  n'a  pas  effacé 
les  traces.  Les  douze  conseillers  protestants  déclarèrent  qu'il  un 
se  célébrerait  plus  de  messes,  c'est-à-dire  que  désormais  le  culte 
catholique  serait  aboli;  car,  sous  le  nom  de  messe,  ils  compre- 
naient tous  les  offices.  Ils  ajoutèrent,  par  une  dérision  familière 
à  leur  secte,  que  chacun  restait  libre  de  suivre  sa  religion.  Alors 
un  morne  silence  régna  dans  ces  magnifiques  églises,  où  si 
longtemps  un  peuple  pieux  avait  vu  se  dérouler  avec  éclat  tant 
d'augustes  cérémonies. 

8.  Le  Père  Auger  ne  devait  venir  que  deux  ans  plus  tard  occu- 
per à  Lyon  le  poste  de  dévouement  dont  Possevin  avait  été 
chassé  par  les  dissensions  religieuses.  Au  moment  où  se  pas- 
saient les  événements  que  nous  venons  de  raconter,  il  exerçait 
son  zèle  dans  les  principales  villes  de  l'Auvergne.  Réfugié  à  Bil- 
lom,  après  la  prise  de  Tournon  par  le  baron  des  Adrets,  il  avait 
obtenu  du  grand  vicaire,  Etienne  Mauguin2,  la  faculté  de  prê- 
cher et  de  confesser  dans  tout  le  diocèse,  sérieusement  menacé 
par  l'invasion  du  calvinisme.  Muni  des  pouvoirs  les  plus  étendus, 
il  commença  son  apostolat  par  une  mission  dans  la  ville  épisco- 
pale.  L'empressement  du  peuple  à  suivre  les  instructions  pro- 
mettait les  plus  beaux  résultats  ;  mais  bientôt  on  annonça  l'ap- 
proche de  troupes  considérables  qui  avaient  traversé  le  Forez. 
Les  préoccupations  que  suscita  l'imminence  du  danger,  inter- 
rompirent forcément  les  exercices  de  la  mission.  Ils  furent  repris 
peu  après,  à  la  grande  satisfaction  des  habitants,  lorsque  le 
baron  des  Adrets,  rappelé  dans  le  Lyonnais  par  les  intérêts  de 
son  parti,  délivra  l'Auvergne  de  la  crainte  de  ses  incursions.  Le 
prédicateur  eut  alors  la  consolation  de  ramener  à  la  foi  un  grand 
nombre  d'égarés,  que  les  artifices  des  novateurs  avaient  séduits3. 

1.  Annal,  decas  1\  1.  I,  c.  xv-xvi.  Lettre  du  P.  Possevin  à  l'abbé  du  Salut  à  Rome, 
24  mai  1562,  dans  Ghezzi  :  Vila  del  P.  Possevino,  t.  II,  p.  26.  —  Possevin  se  rendit 
à  Turin,  de  là  à  Fossano,  puis  à  Chieri  où  il  resta  dix  mois  «  religioni  propagandae 
dans  operam  »  (Annal,  dec.  1  ',  1.  II,  c.  i). 

2.  Etienne  Mauguin  administrait  le  diocèse  en  l'absence  du  cardinal  Salviati,  suc- 
cesseur de  Guillaume  du  Prat  (Gallia  Christiana,  t.  II,  p.  297). 

:î.  Lettre  du  P.  Annibal  du  Coudrel  au  P.  Lainez,  5  oct.  1562  (Gall.  Epist.,  t.  Il, 
fol.  29).  Cf.  Epiât.  P.  Nadat,  t.  I,  p.  750,  t.  II,  p.  293. 


348  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

De  retour  à  Billom,  le  P.  Auger  invita  la  population  à  s'unir 
à  lui  et  au  clergé,  afin  Je  fléchir  le  ciel  par  des  supplications 
publiques  :  tous  les  soirs,  au  son  de  la  cloche,  on  accourait  en 
foule  et  on  priait  pour  le  salut  de  l'Église  et  la  paix  du  royaume. 
Touché  de  la  piété  de  ce  peuple  si  recueilli,  il  eut  la  pensée  d'é- 
tablir les  prières  des  Quarante-Heures,  telles  qu'il  les  avait  vues 
pratiquées  en  Italie.  Cette  belle  dévotion  fut  accueillie  avec  fer- 
veur par  tous  les  fidèles  :  c'était  à  qui  ferait  paraître  plus  de  foi, 
de  respect  et  d'amour  pour  réparer  les  outrages  des  nouveaux 
hérétiques  contre  Notre-Seigneur  clans  l'adorable  Sacrement  de 
l'autel  :  «  Je  fus  alors  témoin,  dit  le  P.  Annibal  du  Goudret,  d'un 
spectacle  que  je  n'aurais  pu  m'imaginer,  si  je  ne  l'avais  pas  con- 
templé de  mes  yeux.  C'était  la  première  fois  que  la  popula- 
tion assistait  à  de  semblables  cérémonies;  elle  les  suivit  avec 
des  sentiments  de  foi  admirables.  Le  dernier  jour,  quand  on 
reporta  le  Très  Saint  Sacrement  du  reposoir  à  l'autel,  la  foule, 
au  souvenir  des  sacrilèges  commis  par  les  calvinistes  dans  une 
partie  de  la  province  et  dans  les  environs,  exprimait  sa  douleur 
par  les  soupirs  et  les  sanglots  qu'elle  mêlait  aux  hymnes  de 
l'Église1.  » 

En  apprenant  les  merveilles  opérées  à  Clermont  et  à  Billom, 
plusieurs  villes  sollicitèrent  la  faveur  de  missions  semblables. 
Le  P.  Auger,  accédant  à  leurs  vœux,  se  rendit  successivement  à 
Riom,  à  Aigueperse,  à  Courpière,  à  Montferrand  et  dans  d'autres 
localités.  Partout,  les  fidèles  répondirent  à  son  zèle  par  leur  em- 
pressement; partout,  il  eut  la  joie  de  remporter  de  belles  victoires 
sur  les  réformés.  A  Maringue,  un  pasteur  protestant  ne  fut  pas 
plutôt  informé  de  son  arrivée  qu'il  sortit  de  la  ville,  tant  le 
nom  du  P.  Émond  était  déjà  formidable  aux  chefs  du  parti. 

C'est  qu'en  plus  de  sa  vertu  et  de  son  savoir,  Émond  Auger 
était  un  orateur  dans  toute  l'acception  du  terme.  Il  avait  une 
conception  aisée,  une  imagination  vive  et  brillante;  il  savait 
donner  à  sa  pensée  un  tour  propre  à  la  faire  pénétrer  dans  l'es- 
prit et  dans  le  cœur;  sa  voix,  sympathique  et  puissante,  arrivait 
sans  peine  jusqu'aux  derniers  rangs  des  plus  vastes  auditoires; 
et  tout  cela  était  soutenu  d'une  capacité  profonde,  d'une  expres- 
sion nette  et  facile,  mais  surtout  d'une  action  que  l'œil,  le  geste, 
un  certain  air  d'autorité  rendaient  admirable. 

Nulle  part  l'infatigable  missionnaire  n'eut  plus  de  succès  et 

1.  Lettre  au  P.  Lainez,  5  oct.  15G2  (Gall.  Epist.,  t.  II,  n.  29). 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DU  P.  AUGER.  349 

n'éprouva  plus  de  consolations  qu'à  Issoire.  Depuis  que  le  mar- 
quis de  Chavagnac  s'était  emparé  du  gouvernement  de  la  cité, 
elle  était  devenue  comme  une  autre  Genève,  servant  impunément 
de  retraite  à  tous  les  sectaires  du  pays.  Heureusement,  par  son 
énergie,  le  comte  de  Saint-IIérem,  gouverneur  de  la  province,  fit 
bientôt  rentrer  cette  ville  sous  l'obéissance  du  roi;  puis,  ne  sépa- 
rant point  les  intérêts  de  la  religion  de  ceux  de  l'État,  il  pria  les 
Jésuites  de  Billom  de  venir  le  seconder.  Le  P.  Émond  Auger  ac- 
courut à  Issoire.  Pendant  les  cinq  semaines  qu'il  y  demeura, 
Notre- Seigneur  donna  tant  de  force  et  d'efficacité  à  sa  parole,  que 
plus  de  quinze  cents  personnes  reconnurent  et  abjurèrent  leurs 
erreurs.  «  Dans  ce  lieu,  le  plus  infecté  par  l'hérésie,  raconte  le 
P.  du  Coudret,  la  grâce  de  Jésus-Christ  a  triomphé  avec  plus  d'é- 
clat que  nulle  part  ailleurs.  Tout  le  monde  s'étonnait  du  prodi- 
gieux changement  qui  s'y  était  fait  en  si  peu  de  temps.  Pour  moi, 
je  ne  puis  comprendre  comment  un  homme  seul  pouvait  suffire 
à  un  pareil  travail.  Le  P.  Émond  en  était  si  accablé,  qu'à  peine 
avait-il  le  temps  de  respirer,  de  prendre  un  peu  de  nourriture  et 
de  repos  l.  »  La  mission  se  termina  par  d'imposantes  cérémonies. 
Il  y  eut,  à  la  messe,  une  communion  générale  à  laquelle  les  fidèles 
s'étaient  disposés  par  les  exercices  de  la  pénitence.  Afin  de  célé- 
brer publiquement  le  triomphe  de  la  vérité  sur  l'erreur,  le  Saint 
Sacrement  fut  porté  en  procession  dans  les  principales  rues  de  la 
ville,  accompagné  d'une  foule  nombreuse,  qui  témoignait  ainsi 
les  sentiments  de  foi  et  de  dévotion  dont  elle  était  pénétrée. 
Enfin  les  nouveaux  convertis,  comme  gage  de  leur  persévérance, 
amoncelèrent  sur  la  place  publique  tous  les  livres  calvinistes  et 
en  firent  un  immense  feu  de  joie. 

La  mission  d'Issoire  fit  grand  bruit  en  Auvergne  ;  les  échos  en 
parvinrent  jusqu'à  la  cour  où  le  maréchal  de  Saint- André  faisait 
connaître  les  détails  que  lui  en  rapportaient  les  dépêches  du 
comte  de  Saint-Hérem.  Elle  acquit  au  P.  Auger  une  renommée  de 
bon  aloi  qui  rejaillit  sur  tout  l'Ordre,  et  particulièrement  sur  le 
collège  de  Billom,  sa  résidence  ordinaire.  Le  prédicateur  jouissait 
dans  le  pays  d'une  haute  considération  auprès  de  toutes  les  au- 
torités; mais  rien  ne  touchait  plus  son  cœur  que  l'affection  res- 
pectueuse dont  il  était  l'objet  de  la  part  du  peuple  :  les  habitants 
d'Issoire  ne  se  consolèrent  de  son  départ  que  dans  l'espérance 
qu'il  y  reviendrait  prêcher  Pavent  et  le  carême2. 

1.  Lettre  au  P.  Laiuez,  5  oct.  1562  (Gall.  Epist.,  I.  Il,  n.  29), 

2.  Ibidem.  Cf.  Sacchini,  Hist.  S.J.,  V.  II,  I.  VI,  n.  'JO. 


330  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

9.  Les  affaires  de  la  Compagnie  et  les  nécessités  pressantes  de 
la  religion  obligeaient  le  P.  Auger  à  ne  point  borner  les  efforts 
de  son  zèle  à  une  seule  province.  Quand  il  apprit  que,  par  suite 
de  l'édit  (/('pacification,  l'ordre  était  rétabli  à  Valence  et  à  Vienne, 
il  se  rendit  en  Dauphiné,  dans  le  dessein  de  préparer  la  rentrée 
des  Pères  au  collège  de  Tournon.  Peu  de  temps  après,  ce  fut  à 
Lyon  qu'on  l'appela.  Cette  ville  n'avait  pas  mis  beaucoup  d'em- 
pressement à  accepter  l'édit;  elle  n'y  adhéra  que  dans  une  assem- 
blée du  9  juin  1563.  Le  15  du  même  mois,  jour  où  le  maréchal 
de  Vieillcville  fit  son  entrée  à  la  tête  des  troupes  royales,  fut  le 
terme  de  la  domination  protestante.  Aussitôt  un  grand  nombre 
de  catholiques,  qui  s'étaient  enfuis,  revinrent  à  la  faveur  de  la 
paix;  ils  trouvèrent  leurs  églises  dévastées,  sans  statues,  sans 
bancs,  sans  autels.  Les  chanoines  comtes  de  Saint-Jean,  impa- 
tients de  renouveler  l'exercice  public  du  catholicisme,  voulurent 
avoir  auprès  d'eux  le  P.  Auger,  comme  l'homme  le  plus  capable 
de  lui  rendre  son  ancienne  splendeur. 

Le  dimanche  ï  juillet,  jour  fixé  pour  le  rétablissement  solennel 
du  culte,  au  son  des  cloches  qu'on  n'avait  point  entendu  depuis  un 
an,  tout  parut  s'ébranler  dans  la  ville  :  les  pieux  fidèles  accouru- 
rent en  foule  à  la  cathédrale.  «  Il  y  eut,  écrit  le  P.  Auger,  quelque 
difficulté  au  sujet  du  sermon.  On  craignait  que  le  prédicateur  ne 
se  laissât  entraîner  à  prononcer  des  paroles  imprudentes.  Je  dis 
au  maréchal  et  au  gouverneur  qu'ils  n'avaient  rien  à  craindre  de 
ma  part.  J'ajoutai  que,  pour  une  si  imposante  cérémonie  et  pour 
la  consolation  du  peuple,  il  ne  convenait  pas  de  célébrer  une 
messe  basse  sans  prédication,  d'autant  plus  que  le  concile  de 
Trente  voulait  qu'on  exhortât  les  fidèles  à  la  messe  après  l'Évan- 
gile, et  telle  était  aussi  la  coutume  dans  la  chapelle  du  roi i.  » 
Le  Père,  suivant  son  désir,  fut  autorisé  à  prendre  la  parole.  Il 
sut  soutenir  l'honneur  de  la  religion  sans  manquer  aux  ménage- 
ments imposés  par  les  circonstances.  Empruntant  son  texte  à 
l'évangile  du  jour,  «  estote  miséricordes,  soyez  miséricordieux  », 
il  développa,  devant  un  auditoire  de  douze  à  quinze  mille  per- 
sonnes, les  mystères  de  la  bonté  de  Dieu  qui  semblait,  dans  les 
événements  actuels,  vouloir  faire  goûter  à  tous  les  fruits  de  sa 
miséricorde  :  «  Un  tel  exemple,  ajouta-t-il,  les  devait  tous  porler 
à  se  pardonner  mutuellement,  et  du  fond  de  l'âme,  les  sujets  de 
chagrin  que  le  malheur  des  temps  avait  causés,  et  à  les  ensevelir 

1.  Lettres  du  P.  Auger  au  P.  Lainez,  15  juillet,  12  et  17  oct.  1563  (Gall.  Episl., 
t.  Il,  p.  42,  64,  75).  Lettre  du  P.  Faber  au  même,  30  janvier  1564  (lOiri.,  fol.  2VJ). 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DU  V.  AUGER.  351 

dans  un  éternel  oubli.  »  Puis  il  expliqua  «  que  l'on  ne  faisait  point 
entrer  par  force  la  foi  dans  les  cœurs  :  il  fallait  donc  laisser 
l'emploi  désarmes  aux  puissances  établies  pour  les  porter.  Quant 
à  la  religion,  il  était  permis  de  parler  des  articles  qui  n'étaient 
pas  controversés;  sur  les  autres  on  devait  garder  le  silence,  en 
attendant  les  décisions  du  concile  ».  Ce  discours,  d'une  si  grande 
modération  et  d'une  si  tendre  charité,  remplit  de  joie  et  de  re- 
connaissance tous  les  auditeurs.  Les  principales  autorités  de  la 
ville,  après  avoir  redouté  que,  dans  l'ardeur  de  son  zèle,  le  pré- 
dicateur ne  rouvrit  des  plaies  encore  mal  fermées,  furent  en- 
chantées d'un  succès  au-dessus  de  leur  attente,  et  louèrent  à 
l'envi  sa  délicate  prudence.  Le  maréchal  ayant  demandé  à  quel- 
ques calvinistes,  attirés  à  la  cathédrale  par  la  curiosité,  ce  qu'ils 
pensaient  du  sermon  :  «  S'il  continue  à  parler  de  la  sorte,  ré- 
pondirent-ils, nous  pourrons  facilement  le  supporter.  —  Eh 
bien  !  messieurs,  repartit  Vieilleville,  voilà  un  bel  exemple  à 
imiter  et  à  proposer  à  ceux  de  votre  communion1.  » 

La  semaine  suivante,  il  y  eut,  chaque  jour,  à  la  cathédrale,  la 
sainte  Messe  et  une  prédication  du  P.  Auger.  Plus  il  prêchait  et 
plus  son  auditoire  grossissait.  On  compta  parfois  près  de  vingt 
mille  personnes,  qui  venaient  dans  le  dessein  de  l'entendre;  il 
n'y  avait  point  d'église  assez  vaste,  pas  même  ce  grand  vaisseau 
de  l'église  Saint-Jean,  qui  pût  contenir  une  si  prodigieuse  multi- 
tude 2.  Les  autres  paroisses  de  Lyon  voulurent  aussi  inaugurer 
solennellement,  comme  à  l'église  métropolitaine,  le  rétablisse- 
ment du  culte.  On  vit  alors  se  manifester  au  dehors,  d'une  ma- 
nière extraordinaire,  les  sentiments  de  dévotion  que  les  fidèles 
avaient  été  forcés  de  contenir  longtemps  dans  leurs  cœurs.  Ils  se 
prosternaient  au  pied  des  autels,  les  baisaient,  s'approchaient  des 
prêtres  pour  toucher  leurs  vêtements  sacerdotaux 3.  Invité  partout 
à  prêter  le  concours  de  sa  parole,  le  P.  Auger  ne  laissa  jamais 
échapper  contre  les  calvinistes  un  mot  de  haine  ou  de  mépris. 
Cette  réserve  porta  son  fruit,  et  la  restauration  du  catholicisme 
s'opéra  sans  le  moindre  trouble,  dans  une  ville  encore  pleine 
de  protestants  énergiques  et  exaltés. 

1 .  Lettre  du  P.  Faber  déjà  citée. 

2.  Celte  remarque  est  de  l'ancien  historien  de  Lyon,  de  Kubys,  d'ailleurs  d'accord 
en  cela  avec  les  autres  contemporains.  Le  P.  Faber  écrivait  au  P.  Général  à  la  date  du 
30  janvier  1564  :  «  Tanta  aulem  catliolicorum  et  haerelicoruin  eoconfluxerat  frequenlia, 
lantumque  paucis  diebus  incrementi  cepit,  ut  ad  quindecim  et  viginti  milita  eam  ex- 
iri  risse  non  obscuris  indiciis  comperlum  est.  »  Cf.  De  Rubys,  Histoire  véritable  dr 
la  ville  dr   Lyon  (Lyon,  1604,  p.  400). 

3.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Général,  15  juillet  1563  (Gall.  Epist.,  I.  I,  p.  42,  48;. 


352  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Toutes  ces  pieuses  cérémonies  terminées,  le  Père  songeait  à  se 
rendre  au  collège  de  Tournon  dont  il  était  toujours  le  Recteur  en 
titre.  Le  maréchal  de  Vieille  ville  ne  consentit  à  son  départ  qu'à 
la  condition  qu'il  reviendrait  incessamment,  et,  pour  s'assurer 
de  l'exécution  de  sa  promesse,  il  le  fit  accompagner  par  l'official 
du  diocèse1.  Le  P.  Auger  retourna  en  effet  promptement  à  Lyon 
où  les  chanoines  de  Saint-Jean  avait  obtenu  du  P.  Général  qu'il 
prolongeât  son  séjour2.  Les  ministres  calvinistes,  irrités  de  voir 
l'ardent  missionnaire  poursuivre  dans  cette  ville  l'œuvre  féconde 
de  son  apostolat,  conçurent  contre  lui  une  rage  sourde  qui  pou- 
vait se  changer  d'un  moment  à  l'autre  en  quelque  attentat  cri- 
minel. Aussi  les  magistrats  avaient-ils  pris  la  précaution  de  le 
faire  accompagner  d'une  escorte,  chaque  fois  qu'il  se  rendait  à 
une  église.  Il  y  eut,  au  contraire,  d'autres  protestants,  engagés 
dans  l'erreur  par  simplicité  plus  que  par  mauvaise  foi,  qui  vin- 
rent le  consulter  dans  leurs  doutes.  Sa  condescendance  gagnait 
le  cœur  de  ceux  qui  étaient  le  plus  prévenus  contre  lui.  «  A  la 
Cène  que  les  hérétiques  célébrèrent  à  Lyon  au  mois  d'août,  écrit 
un  confrère  du  P.  Émond,  vingt-cinq  mille  personnes  s'étaient 
fait  inscrire;  à  celle  qui  suivit,  quinze  mille  seulement  avaient 
donné  leurs  noms;  à  la  dernière,  qui  eut  lieu  le  dimanche  après 
Noël,  on  n'en  comptait  plus  que  quatre  mille  :  c'étaient  presque 
tous  des  étrangers3.  » 

1*0.  Les  labeurs  du  P.  Auger  augmentant  à  proportion  de  ses 
succès  apostoliques,  il  sentait  la  nécessité  d'avoir  auprès  de  lui 
un  auxiliaire  vaillant,  mais  il  ne  put  en  obtenir.  Toutefois  les  cir- 
constances lui  ménagèrent  bientôt  un  secours  dans  la  personne 
du  P.  Possevin.  Celui-ci,  en  effet,  fut  réclamé  par  les  marchands 
italiens  qui,  retirés  dans  le  Comtat  pendant  l'occupation  de 
Lyon  par  les  huguenots,  étaient  revenus  dans  cette  ville  après 
le  rétablissement  du  culte  catholique.  Le  P.  Lainez  répondit  à 
leurs  vœux  d'autant  plus  facilement  que  les  intérêts  de  la  reli- 
gion couraient  alors  plus  de  dangers  en  France  qu'en  Italie5. 
Possevin  était  à  Fossano,  quand  une  lettre  datée  de  Trente  lui 
apprit  cette  décision  :  il  quitta  pour  toujours  sa  commande- 
rie  de  Saint-Antoine,  qui  venait  d'être  donnée  à  un  homme  de 


1.  Lettre  du  P.  l'aber. 

2.  Lettres  des  chanoines  au  P.  General.  ïl  juillet  156:!  iCall.  Episl..  II,  f.  133). 

3.  Lettre  du  P.  Faber. 

4.  Lettre  du  P.  Possevin  au  P.  Lainez,  15  sept.  1563  (Acta  a  Possevino 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DES  PP.  POSSEVIN  ET  AUGER.         353 

bien  par  les  soins  du  l*.  Polanco  et  de  l'abbé  de  Saint-Sauveur'. 

A  son  retour  à  Lyon,  rien  n'égala  la  joie  de  ses  compatriotes 
si  ce  n'est  la  fureur  des  hérétiques,  qui  semèrent  les  embûches 
sous  ses  pas.  On  le  logea  d'abord  au  couvent  des  Dominicains  et 
il  reprit  ses  prédications  à  Notre-Dame  de  Confort;  mais  les 
huguenots  se  mirent  à  lancer  des  pierres  dans  l'église.  D'ail- 
leurs, les  italiens  trouvèrent  leur  missionnaire  mal  gardé  dans 
une  maison  où  peu  de  religieux  étaient  rentrés;  ils  lui  choisirent 
une  autre  demeure  et  le  firent  prêcher  à  l'église  Sainte-Croix,  il 
s'y  rendait  chaque  jour  escorté,  à  son  insu,  de  catholiques 
armés,  tout  prêts  à  le  sauver  des  insultes  ou  des  coups2. 

Le  P.  Possevin  connaissait  l'attachement  des  marchands  italiens 
à  l'Église  romaine;  mais  il  voyait  le  salut  de  leurs  âmes  très  ex- 
posé par  l'appât  du  gain  qui  les  avait  attirés  dans  une  cité  com- 
merçante. Il  résolut  donc  de  les  instruire  des  questions  d'intérêt, 
où  l'on  peut  se  faire  si  facilement  illusion.  Il  étudia  soigneusement 
cette  matière,  les  différents  contrats  et  les  principes  sur  lesquels 
ils  étaient  fondés.  Il  ne  se  contenta  pas  de  lire  les  meilleurs  ou- 
vrages relatifs  à  ce  sujet;  il  consulta  encore  les  plus  honnêtes  né- 
gociants, le  consul  de  la  nation  florentine  et  un  de  ses  amis,  très 
versé  dans  la  science  du  droit.  Il  composa,  sur  les  contrats  usités 
dans  le  commerce,  un  petit  traité  où  il  s'attachait  à  éclaircir  ce 
qu'ils  ont  de  plus  obscur'.  En  même  temps,  par  de  simples  et 
solides  instructions,  il  exposait  la  doctrine  des  théologiens  et  s'ef- 
forçait d'inspirer  de  l'horreur  pour  tous  ces  subterfuges  sous 
lesquels  se  cachent  l'usure  et  la  cupidité'1. 

Ces  occupations  ne  ralentirent  point  sa  lutte  contre  les  nova- 
teurs. Il  ne  cessa  de  les  combattre,  avec  leurs  propres  armes  : 
eux,  pervertissaient  les  esprits  par  les  mauvaises  lectures;  lui, 
publia  et  répandit  de  toutes  façons  les  bons  livres,  exhorta  les 
ecclésiastiques  à  en  distribuer  au  peuple,  aux  malades,  aux  pri- 
sonniers. Il  écrivit,  sur  des  matières  de  piété,  plusieurs  opuscules 
qu'il  jetait  comme  une  semence  féconde  dans  la  foule  ignorante 
ou  trompée.  «  Il  ne  sera  pas  dit,  répétait-il  souvent,  que  les  hé- 
rétiques seront  plus  zélés  pour  étendre  leurs  superstitions  que 
les  catholiques  pour  conserver  la  religion  de  leurs  pères.  »  lu 

1.  Annal,  decas  1\  1.  II,  c.  i,  p.  72. 

2.  Celaient  des  chevaliers  de  Malle  qui  s'étaient  chargés  de  cet  office  (Annal, 
decas  1",  1.  II,  c.  u,  p.  74,  75). 

3.  Possevin  s'étend  longuement  sur  celte  question  dans  son  Annal,  decas  1\  1.  II, 
• .  ni,  iv,  v,  p.  76-84. 

4.  Lettre  de  Possevin  au  P.  Général.  21  mars  1564  (Acta  a  Possevino). 

COMPVGME    DE   JÉSUS.   —  T.   I.  23 


354  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

incident,  assez  extraordinaire,  montra  que  Dieu  bénissait  ce 
genre  d'apostolat  :  le  feu,  ayant  pris  dans  un  magasin,  y  con- 
suma toutes  sortes  de  marchandises,  sans  endommager  le  moins 
du  monde  un  ballot  de  bons  livres  qu'on  trouva  intact  au  milieu 
des  cendres  de  l'incendie1. 

Jusque-là,  le  soin  du  ministère  auprès  des  habitants  de  Lyon 
incombait  presque  tout  entier  au  P.  Auger.  Possevin,  quoique 
doué  d'une  grande  facilité  pour  les  langues,  sentait  tant  de 
répugnance  à  apprendre  le  français  qu'il  désespérait  d'y  réus- 
sir; pourtant,  à  la  suite  d'un  songe  mystérieux,  il  s'y  appliqua 
avec  tant  d'ardeur  et  de  courage  que  bientôt  il  le  parla  aussi 
facilement  que  l'italien  ;.  C'était  bien  là  le  compagnon  qu'il  fal- 
lait au  P.  Auger.  Brûlant  comme  lui  de  l'amour  des  âmes, 
il  avait  encore,  comme  lui,  un  très  beau  talent  oratoire.  Tous 
deux  travaillèrent  à  l'envi,  nuit  et  jour,  à  affermir  les  catholi- 
ques dans  la  vérité,  à  instruire  les  ignorants,  à  réconcilier  avec 
l'Église  ceux  que  l'esprit  de  mensonge  avait  séduits.  Aussi,  disait- 
on  couramment  que  Lyon  devait  à  ces  deux  hommes  la  con- 
servation de  la  foi3.  Le  P.  Olivier  Manare,  qui  les  vit  à  l'œuvre, 
ne  pouvait  assez  admirer  les  sentiments  de  sincère  piété  qu'ils 
avaient  su  inspirer  aux  fidèles  :  «  C'était,  écrivait-il,  une  avidité 
incroyable  à  entendre  la  parole  de  Dieu  et  à  s'approcher  de  la 
Sainte  Table;  ferveur  d'autant  plus  admirable  qu'elle  n'était 
point  causée  par  la  pompe  extérieure,  si  propre  à  exciter  la  dé- 
votion selon  l'esprit  de  l'Église.  Les  autels  avaient  été  dépouillés 
de  leurs  ornements  par  les  huguenots,  et  on  n'avait  pas  encore 
eu  le  loisir  ni  le  moyen  de  s'en  fournir  de  nouveaux;  plusieurs 
prêtres  même  se  servaient  de  calices  d'étain  pour  la  célébration 
des  divins  mystères.  Mais  une  touchante  simplicité,  animée  d'une 
foi  vive,  avait  concentré  toute  l'affection  du  cœur  au  principal 
objet  que  la  religion  nous  découvre  dans  le  Très  Saint  Sacre- 
ment, et  Lyon  rappelait  à  ce  moment  l'édifiant  spectacle  des 
premiers  siècles  de  l'Église4.  » 

11.  Le  P.  Auger  prêchait  d'ordinaire   tous  les  jours,  et  deux 
fois  le  dimanche  ;  le  reste  de  ses  journées  était  pris  par  la  visite 

1.  Annal,  decas  1\  1.  II,  c.  iv,  p.  85. 

2.  Ibidem,  c.  vm,  p.  90. 

3.  Lettre  de  Possevin  à  Lainez,  1G  janvier  1564  (Acta  a  Possevino).  On  trouve  quel- 
ques détails  sur  les  prédications  de  Possevin  et  d'Auger  dans  les  Actes  capitulaires 
de  Saint-Jean  (Archives  du  Rhône,  registre  52,  fol.  415,  419,  423,  473,  498,  532;  reg. 
53,  fol.  16). 

4.  Relation  du  P.  Manare  (Acta  a  Possevino). 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DES  PP.  POSSEVLN  ET  AU. Eli.         355 

des  prisonniers  et  des  malades,  par  la  correspondance  et  des 
entretiens  de  direction1.  Aux  dons  naturels,  qui  lui  attiraient 
la  sympathie  de  tous,  il  joignait  les  plus  belles  vertus  d'un  par- 
fait religieux.  Quand  le  P.  Manare  lui  annonça  que  le  P.  Général 
l'avait  admis  à  la  profession  des  quatre  vœux,  il  se  montra  très 
surpris  qu'on  eût  songé  à  lui  confier  ce  degré,  et  il  en  écrivit 
au  P.  Laincz  se  déclarant  indigne  d'un  tel  honneur 2.  Mais  cette 
nouvelle  preuve  d'une  solide  et  sincère  humilité  ne  fit  que  con- 
firmer le  P.  Général  dans  sa  première  résolution.  La  réponse  fut 
qu'il  devait  se  laisser  conduire  par  l'obéissance,  et  accepter  le 
sacrifice  qui  lui  était  imposé  3.  11  fit  donc  sa  profession  solen- 
nelle, le  24  janvier  156V,  entre  les  mains  du  P.  Olivier  Manare, 
alors  Commissaire  général  de  Ja  Compagnie  de  Jésus  4. 

Une  occasion  se  présenta  bientôt,  qui  permit  au  clergé  et  à  la 
population  catholique  de  Lyon  de  manifester  leur  reconnais- 
sance, et  aussi  leur  attachement,  à  la  personne  du  P.  Auger. 
Les  capitouls  de  Toulouse,  désireux  de  le  posséder  à  leur  tour, 
avaient  demandé  au  P.  Manare  et  au  P.  Général  de  vouloir  bien 
le  leur  envoyer.  Cette  légitime  requête  fut  agréée;  mais  aus- 
sitôt qu'on  en  fut  informé  à  Lyon,  des  plaintes  retentirent  dans 
toute  la  ville.  Le  chapitre  de  Saint -Jean,  dans  une  lettre  du 
12  mars  1564  au  P.  Lainez,  venait  de  faire  l'éloge  du  P.  Pos- 
sevin  et  du  P.  Auger,  auxquels  il  se  reconnaissait  redevable, 
après  Dieu,  de  tout  le  bien  produit  journellement  dans  les  âmes, 
lorsqu'il  apprit  la  fâcheuse  nouvelle.  Tout  de  suite,  il  ajouta  un 
post-scriptum  pour  réclamer  :  «  Nous  vous  supplions,  disaient 
les  chanoines,  pour  la  faulte  que  nous  feroit  ledit  Père  et  à  tout 
ce  pays,  où  desia  il  a  si  bien  acheminé  et  advancé  les  affaires 
de  la  religion,  de  le  nous  laisser  icy;  aultrement  tout  le  fruict 
qu'il  a  faictjusquicy  se  perdroit  par  son  absence"'  » 

Un  mois  après,  de  nouvelles  instances  ayant  été  faites  par  les 
capitouls  de  Toulouse  au  P.  Lainez,  les  catholiques  de  Lyon, 
prêtres  et  simples  fidèles,  lui  adressent  de  leur  côté  une  pétition 
où  ils  montrent  que  le  départ  du  P.  Auger  serait  pour  leur  ville 
une  perte  irréparable  :  «  Au  contraire,  ajoutent-ils,  ce  seroit 
ung  grand  plaisir  et  contentement  aux  hérétiques,  que  ce  grand 

1.  Relation  du  P.  Manare  (Actaa  Possevino.) 

2.  Lettre  du  1er  janvier  1564  (Gall.  Epist.,  t.  IF.  fol.  185). 

3.  Gallia,  Epist,  Generalium,  t.  1551-1565. 

4.  Lettre  du  P.  Faber  déjà  citée.  Cf.  Epist.  P.  Nadal,  t.  II,  p.  592. 

5.  Lettre  des  chanoines  au  Père  Lainez  (Gall.  Epist..  t.  II,  fol.  224).  Lettre  du 
P.  Auger  au  même,  16  mars  1564    Ibidem,  fol.  204). 


336  HISTOIRE  DE  L'A  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

expugnateur  de  leurs  faulses  doctrines  fust  esloigné  d'eulx.  » 
Puis,  ils  invoquent  le  motif  de  la  plus  grande  gloire  de  Dieu  qui 
doit,  à  leur  avis,  faire  pencher  la  balance  en  leur  faveur,  car  «  la 
ville  de  Tlioloze.  par  la  grâce  de  Dieu,  et  par  la  prudence  et 
bonne  diligence  de  la  court  du  Parlement,  est  contenue  en  rai- 
son; mais  ceste  pauvre  et  calamiteuse  ville  [de  Lyon]  est  tant 
infectée  et  tant  infecte  de  ces  faulses  opinions,  pour  la  licence 
qui  y  est  de  prescher  comme  Ton  veult,  que  sans  la  bonne  ayde, 
très  grande  diligence,  insigne  doctrine  et  érudition,  et  lardent 
zèle  dudit  sieur  Auger,  les  hérétiques  y  tiendroient  le  premier 
lieu  ».  Enfin,  comme  dernier  argument,  ils  déclarent  leur  projet 
de  fonder  bientôt  une  maison  de  la  Compagnie  et  leur  dessein  de 
recourir  au  Pape,  si  le  maintien  du  P.  Émond  ne  leur  était  pas 
accordé  { . 

Ce  recours  à  Sa  Sainteté  ne  fut  pas  nécessaire.  Le  P.  Manare 
estimant  que  la  présence  du  missionnaire  serait  moins  utile  à 
Toulouse,  revint  sur  sa  première  détermination,  et  révoqua  l'or- 
dre de  départ  qu'il  avait  donné.  Le  P.  Auger  resta  encore  quelque 
temps  à  Lyon,  où,  avec  le  P.  Possevin,  il  combattit  le  bon  com- 
bat contre  les  ministres  de  la  réforme. 

12.  Ils  eurent  principalement  affaire  avec  l'un  des  plus  célè- 
bres d'alors,  Pierre  Yiret.  Cet  apostat,  né  à  Orbe  en  Suisse,  en 
151 1,  ne  possédait  pas  les  qualités  d'un  réformateur,  mais  il  avait 
toutes  celles  qui  pouvaient  servir  à  la  propagande  de  la  nou- 
velle doctrine.  Moins  érudit  que  Calvin,  mais  plus  éloquent,  il 
s'était  acquis  dans  le  parti  une  grande  renommée  par  de  nom- 
breux ouvrages  contre  l'Église  romaine.  Après  avoir  posé  en 
principe,  dans  son  livre  de  Y  Instruction  chrétienne, 'que  les 
ministres  calvinistes  sont  seuls  véritables  ministres  de  la  reli- 
gion, il  y  traite  les  vrais  pasteurs  de  l'Église  de  larrons,  de  sa- 
crilèges, de  ministres  de  l'Antéchrist,  à  qui  l'on  ne  doit  rien 
donner,  et  qu'il  juge  dignes  de  mourir  de  faim.  L'Église  catho- 
lique et  la  tradition  n'entendent  rien  à  l'Écriture  Sainte;  lui 
seul  la  comprend.  L'orgueil  en  révolte  contre  l'autorité,  tel  est 
le  fond  du  plus  sérieux  de  ses  ouvrages.  Par  ses  discours  sédi- 
tieux, il  avait  puissamment  aidé  à  l'insurrection  des  huguenots 
à  Lyon;  depuis  la  paix,  il  continuait  à  dogmatiser,  sans  avoir 
rien  à  craindre.   Possevin  ayant  publié  un  livre  sur  l'antiquité 

1.  Lettre  des  catholiques  de  Lyon  au  P.  Lainez  (Galliae  Epis'.,  t.  II,  fol.  226).  Voir 
le  texte  entier  de  celle  lettre,  Appendice  D. 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  l>ES  PP.  POSSEVIN  ET  AUGER.         V>1 

du  sacrifice  de  la  messe1,  Viret  en  écrivit  une  réfutation.  La 
réplique  de  Fauteur  orthodoxe  ne  se  fit  pas  attendre  :  eïïc  fut 
vigoureuse  et  resta  sans  réponse.  L'apostat  eut  alors  recours  aux 
libelles  et  à  la  calomnie;  niais  il  n'eut  pas  le  dernier  mot  :  le 
P.  Auger  montra  tout  l'odieux  de  pareils  procédés,  dans  une 
lettre  en  forme  d'apologie,  intitulée  :  Jiesponse  à  une  épistre  li- 
minaire de  Pierre  Viret...  en  faveur  de  ceux  de  la  Compagnie 
de  Jésus2. 

Le  crédit  dont  jouissaient  les  deux  missionnaires  s'accrut  en- 
core par  le  bienveillant  accueil  que  le  roi  fit  au  P.  Auger,  pen- 
dant son  séjour  d'un  mois  à  Lyon,  du  13  juin  au  9  juillet  156V. 
Afin  de  calmer  les  esprits  et  d'assurer  par  sa  présence  l'exécution 
de  l'édit  d'Amboisc,  Charles  IX,  sur  les  conseils  de  Catherine  de 
Médicis,  avait  entrepris  de  visiter  les  principales  provinces  du 
royaume.  «  Le  jour  de  son  entrée  solennelle  à  Lyon,  écrit  le 
P.  Auger,  le  roi  se  rendit  à  la  cathédrale  où  il  revêtit  le  surplis, 
en  qualité  de  chanoine  de  Saint-Jean,  et  assista  dévotement  aux 
cérémonies.  Depuis,  il  n'a  jamais  manqué  avec  la  reine  mère, 
les  fils  de  France  et  les  autres  princes  d'entendre  chaque  jour 
la  messe  qui  se  disait  au  grand  autel.  Vous  pouvez  juger  de  la 
joie  des  catholiques  et  de  la  confusion  des  réformés,  auxquels 
le  prêche  fut  interdit  en  ville  et  dans  la  banlieue,  pendant  tout 
le  séjour  de  Sa  i\Iajesté:!.  »  Le  P.  Émond  ne  manqua  point  d'aller 
«  faire  la.  révérence  »  à  la  reine  et  au  roi.  Celui-ci  ne  l'eut  pas 
plutôt  aperçu,  que  l'embrassant  devant  les  seigneurs  de  sa  suite, 
il  l'assura  de  sa  bonne  volonté  en  toutes  choses.  Dans  une  autre 
entrevue,  la  reine  le  remercia  de  tout  le  bien  qu'il  avait  fait 
dans  le  pays,  l'exhorta  à  continuer  et  lui  montra  des  sentiments 
très  favorables  à  la  Compagnie  de  Jésus4. 

Le  P.  Émond,  très  respectueux  de  l'autorité  royale,  dédia  à 
Charles  IX  la  seconde  édition  de  son  catéchisme  :  «  L'instruction 
de  la  jeunesse  que  ce  livre  a  pour  but,  disait-il  dans  la  préface, 
est  la  voie  la  plus  sûre  pour  faire  passer  à  tous  les  âges  les  vé- 
ritables sentiments  de  la  religion;  car  on  retient  toute  la  vie  le 
pli  qu'on  a  pris  dès  l'enfance.  Cet  ouvrage  servira  aussi  à  unir 
toute  la  jeunesse  du  royaume  avec  Sa  Majesté,  dans  la  même  foi 

1.  Tratato  del  Santissimo  Sacrificio  dell'  Altare  detlo  messa.  —  Lettre  du  P.  Au- 
ger au  P.  Général,  25  avril  1564  (Gai!.  Epist.,  I.  II,  fol.  213'. 

2.  Lettre  du  P.  Possevin  au  P.  Général,  19  avril  1564  (Acta  a  Possevino).  Lettre 
du  P.  Auger  au  même,  22  mai  1564  (Gall.  Epist.,  t.  II,  p.  215). 

3.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Lainez,  18  juin  1564  (Gall.  Epist.,  t.  II,  fol.  188). 

4.  Lettre  du  même,  10  juillet  {lbid.,  fol.  190). 


358  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESI  S. 

qu'elle  a  reçue  de.  ses  ancêtres,  et  à  lui  attacher  le  cœur  de  ses 
sujets,  la  religion  étant  le  lien  le  plus  fort  pour  maintenir  les 
peuples  dans  la  soumission  qu'ils  doivent  à  leur  souverain.  »  Ce 
catéchisme,  où  la  doctrine  catholique  est  exposée  d'une  manière 
nette  et  précise,  eut  un  débit  prodigieux.  Sébastien  Nivelle,  à 
Paris,  en  écoula  trente-huit  mille  exemplaires  dans  l'espace  de 
huit  années  *. 

Durant  le  séjour  de  Charles  IX  à  Lyon,  le  ministre  Viret  crut 
avoir  une  belle  occasion  de  rétablir  sa  renommée.  Soutenu  par 
quelques  personnages  de  la  cour,  dévoués  aux  protestants,  il 
obtint  l'autorisation  de  provoquer  les  Pères  à  une  dispute  publi- 
que. La  conférence  devait  se  tenir  chez  le  nonce,  Prosper  de 
Sainte-Croix.  Le  P.  Auger  y  envoya  le  P.  Possevin,  afin  d'ôter  aux 
hérétiques  le  prétexte  de  faire  courir  le  bruit  que  les  catholiques 
n'avaient  osé  accepter  le  défi  ;  mais  il  n'attendait  aucun  fruit  de 
ces  assemblées,  qu'il  répudiait  comme  souvent  dangereuses  et 
presque  toujours  inutiles  2.  Il  fut  convenu  que  dans  la  dispute  on 
pourrait  recourir  non  seulement  à  la  Bible,  mais  aussi  aux  quatre 
premiers  conciles  généraux  et  aux  anciens  Pères.  C'était,  de  la 
part  du  prédicant,  une  périlleuse  concession  dont  Possevin  sut 
habilement  profiter.  Bien  qu'il  n'eût  guère  plus  de  trente  ans,  il 
était  déjà  un  des  plus  savants  hommes  de  son  temps.  Dans  une 
synthèse  admirable,  il  montra  la  vérité  catholique  remontant, 
par  une  chaîne  non  interrompue,  depuis  le  seizième  siècle  jus- 
qu'aux apôtres.  Viret,  pressé  par  les  indéniables  témoignages  que 
son  adversaire  ne  cessait  de  produire,  ne  sut  que  balbutier,  et 
finit  par  déclarer  qu'on  ne  pouvait  se  fonder  sur  de  pareilles  au- 
torités, quoiqu'il  les  eût  d'abord  admises  !.  Un  seigneur  de  la 
cour,  Jean  de  Saint-Romain,  archevêque  apostat,  «  qui  avait 
quitté  la  mitre  et  la  crosse  à  Aix  en  Provence  »  4,  voulut  entrer 
en  lice  pour  secourir  le  ministre.  Comme  Possevin  lui  reprochait 
d'avoir  abandonné  la  route  qu'avaient  suivie  tant  de  saints  et  sa- 
vants personnages,  et  citait  entre  autres  saint  Bernard  :  «  Eh! 
que  me  nommez-vous  là,  repartit  ce  seigneur;  il  n'y  a  pas  six 
cents  ans  que  Bernard  est  mort.    —  Sans  doute,  reprit  aussitôt 


1.  Le  catéchisme  du  P.  Auger  lut  imprimé  à  la  fois  à  Paris,  à  Toulouse  et  à  Avi- 
gnon. Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Général.  26  avril  1564,  déjà  citée. 

2.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Lainez,  10  juillet  1564  (Gall.  Epist.,  t.  II,  fol.  190). 

3.  Annal,  dec.  1%  1.  II,  c.  vil,  p.  87,  88. 

4.  L'histoire  civile  de  Lyon,  p.  237.  Cf.  Gall.  Christ.,  t.  I,  p.  331,  332,  note  a.  — 
On  dit  qu'un  jour  de  Noël,  du  haut  de  la  chaire,  il  jeta  ses  ornements  pontificaux 
après  avoir  invectivé  contre  le  pape.  11  embrassa  ensuite  le  métier  des  armes. 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DES  PP.  POSSEVIN  ET  Al  GER.         359 

Possevin,  mais  depuis  quand  est  né  Calvin,  fondateur  «le  votre 
prétendue  réformation?  »  A  cette  brusque  sortie  il  n'y  avait  rien 
à  répondre;  la  conférence  prit  lin  sans  aucun  résultat,  comme  on 
l'avait  bien  prévu  1. 

13.  Charles  IX,  pendant  son  séjour  à  Lyon,  avait  entrepris  de 
faire  bâtir  une  citadelle  sur  la  colline  de  Saint-Sébastien  ;  des 
exemples  récents  lui  avaient  montré  que  ces  forteresses  restaient 
au  pouvoir  des  troupes  royales,  même  quand  les  villes  tombaient 
aux  mains  des  huguenots.  Mais  il  ne  put  en  presser  la  construction, 
car  un  second  fléau  venait  de  succéder  à  celui  de  la  g-uerre  civile. 
La  cour,  obligée  de  fuir  devant  la  peste,  se  retira  au  château  de 
Roussillon  en  Dauphiné  ~.  Un  nouveau  théâtre  d'apostolat  s'ou- 
vrait ainsi  au  zèle  et  au  dévouement  des  deux  missionnaires.  Déjà 
ils  étaient  prêts  à  se  consacrer  l'un  et  l'autre  au  soin  des  ma- 
lades, sans  distinction  de  catholiques  et  de  protestants,  lorsque, 
sur  le  conseil  du  P.  Aug-er,  Possevin  se  rendit  à  Avignon  où  sa 
présence  semblait  très  utile  à  l'établissement  d'un  collège  de  la 
Compagnie  !.  Quant  au  P.  Émond,  il  résolut  de  demeurer  avec  ce 
malheureux  peuple.  Ému  de  ses  épreuves,  il  s'efforça  de  le  mettre 
à  même  de  profiter  de  la  visite  du  Seigneur,  et  publia,  à  cet  effet, 
la  touchante  Epitre  consolatoire  aux  catholiques  de  Lyon,  que 
l'on  trouve  imprimée  à  la  fin  de  son  catéchisme.  Sa  charité  ne  se 
contenta  pas  de  paroles  ;  elle  lui  fît  embrasser  avec  joie  toutes 
les  occasions  de  procurer,  aux  dépens  de  sa  propre  vie,  le  soula 
gement  spirituel  et  temporel  des  pestiférés.  Du  milieu  de  l'été  à 
la  fin  de  l'automne,  soixante  mille  personnes,  s'il  faut  en  croire 
de  Rubys  '',  quarante  mille,  selon  d'autres  auteurs,  périrent  vic- 
times de  la  contagion. 

Au  plus  fort  du  fléau,  le  28  septembre  156V,  dans  une  lettre 
d'un  style  assez  décousu  qu'il  écrivit  au  P.  Général,  le  P.  Auger 
a  tracé  de  cette  époque  un  tableau  lugubre  où  paraissent  l'éten- 
due de  son  zèle  et  son  étonnante  activité  "'  :  «  Une  partie  des  hu- 
guenots, dit-il,  meurent  au  milieu   d'horribles  imprécations,  se 

damnant  ainsi  deux  fois  par  leur  faute; on  en  trouve  qui  se 

donnent  la  mort  à  eux-mêmes  ;  beaucoup  aussi  se  convertissent, 
m'appellent,  renoncent  à  leur  Viret  et  à  toute  la  secte  calviniste. 

1.  Annal,  decas  1',  l.  c.  Cf.  Sacchini,  P.  II,  lil>.  MU,  n.  84. 

2.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Laine/,  14  juill.  1564  (Gall.  Epist.,  t.  II.  f.  190  . 

3.  Annal,  decas  1,1.  VIII,  p.  91. 

4.  Op.  cit.,  p.  403,  404. 

5.  L'original  est  en  italien. 


360  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSIS. 

C'est  pitié  de  voir  la  rigueur  du  fléau  de  Dieu.  Les  catholiques, 
au  contraire,  meurent  paisiblement  et  volontiers,  maintenant 
qu'ils  savent  le  culte  divin  rétabli  dans  cette  ville.  Je  vais  les 
consoler  de  temps  en  temps  dans  leurs  demeures,  ou  bien,  pour 
remplacer  mes  visites,  je  leur  écris  quelque  chose  (sic) l.  Le  nom- 
bre des  pauvres  que  l'épidémie  a  atteints  est  considérable... 
L'hôpital  en  contenait  bien  deux  mille  au  début...  Il  a  fallu  s'in- 
génier à  leur  procurer  du  blé,  du  vin,  de  la  viande  et  autres 
choses  nécessaires  à  leur  subsistance,  ce  qui  n'a  pas  été  une 
petite  besogne,  car,  les  personnes  aisées  ayant  fui,  nous  avons 

dû  improviser  des  meuniers,  des  boulangers  et  le  reste J'ai 

cru.  un  moment,  que  cette  cité  allait  crier  famine  et  manquer  de 
pain.  Je  suis  allé  moi-même,  quod  nul/us  erat  alius  qui  fran- 
geret,  trouver  les  boulangers  et  leur  recommander  de  vendre  le 
pain  au  détail,  autrement  la  moitié  de  la  population  n'en  aurait 
pas  eu.  Voilà  une  idée  de  mes  occupations.  Toutes  les  fois  que 
je  prêche,  je  fais  la  quête  pour  les  pauvres.  De  l'autre  côté  du 
Rhône,  il  y  a  encore  cinq  cents  indigents  pestiférés.  Ils  sont 
nourris  par  les  catholiques,  qui  chaque  matin  leur  distribuent 
des  vivres  avec  une  grande  charité.  Je  suis  allé  plusieurs  fois 
à  cette  distribution.  Je  leur  donne  alors  une  petite  exhortation, 
me  tenant  à  quelques  pas  de  mon  auditoire,  et  je  leur  fais 
faire  une  prière  en  rapport  avec  leur  triste  état.  C'est  un  spec- 
tacle bien  impressionnant  de  voir  ces  cinq  cents  moribonds  tout 
défigurés  par  la  peste,  et  quiconque  n'est  point  prêt  à  mourir, 
sans  beaucoup  de  cérémonies,  devrait  venir  ici Le  diman- 
che, après  les  vêpres,  le  Saint  Sacrement  est  porté  en  pro- 
cession à  travers  le  cloître  [de  l'église  Saint-Jean]  ;  puis  le  peu- 
ple entend,  avec  une  profonde  attention,  un  sermon  sur  la 
souffrance,  tiré  du  psaume  trente-septième.  Lyon  est  devenu 
une  parfaite  école  de  ferveur  et  de  modestie  :  plus  de  jeux,  plus 
d'usure,  plus  de  crimes.  Les  prêtres,  ou  sont  morts,  ou  sont 
partis.  Il  me  faut  aller  le  matin,  au  delà  de  la  Saône,  prêcher 
à  7  heures  et  dire  la  messe,  puis  revenir  à  Saint-Jean  et  prê- 
cher; après  le  diner  me  rendre  à  Saint-Paul,  puis  le  soir  rentrer 

à  Saint-Jean Beaucoup  de  religieux  ont  succombé,  et  fere 

soli  reticti  sumus.  Promesse  solennelle  a  été  faite,  au  nom  de 
la  ville,  que,  s'il  plaît  à  Dieu  de  la  délivrer  de  ce  mal,  une 
procession  générale  aurait  lieu  en  expiation  des  mépris  passés  ; 

1.  Allusion  à  YÉpitre  consolaloire  dont  il  est  parlé  plus  haut. 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DES  PP.  POSSEVIN  ET  AUGER.         361 

on  a  promis  également  de  porter  à  Saint-Pierre  de  Home  un 
témoignage  de  la  soumission  des  catholiques  à  L'Église  romaine, 
et  à  Saint-Denys  un  témoignage  de  leur  obéissance  au  pouvoir 
royal,  pour  réparer  les  injures  et  les  blasphèmes  de  nos  enne- 
mis, dont  nous  portons  la  peine  si  durement.  Je  me  suis  appli- 
qué à  convaincre  le  peuple  que  s'il  n'y  avait  point  de  peste 
spirituelle,  il  n'y  en  aurait  point  non  plus  de  corporelle.  Il  pa- 
rait que  la  Reine  a  été  contente  de  mes  services.  Le  premier 
président  m'a  écrit,  de  sa  part,  qu'elle  m'engageait  à  continuer. 
Je  ferai  ce  que  je  pourrai,  et  s'il  plait  à  Dieu  que  je  meure 
dans  ce  ministère,  que  sa  volonté  soit  faite  1  !  » 

Le  P.  Auger  avait  été  lui-même  l'instigateur  de  tous  les  secours 
organisés  pour  le  soulagement  des  pestiférés.  Ses  contemporains 
ont  loué  avec  gratitude  son  habile  initiative,  et  dans  la  suite,  le 
souvenir  de  son  dévouement  fut  transmis  à  la  postérité  par  les 
historiens  de  la  ville.  Un  écrivain  qui  l'a  connu  à  cette  époque, 
de  Rubys,  nous  le  montre  allant  «  tous  les  jours  visiter  les  ma- 
lades dans  les  hôpitaux  et  dans  les  cabanes,  les  consolant,  les 
exhortant  et  leur  distribuant  les  aumônes  qu'il  recevait  des  gens 
de  bien  2  ».  Il  aurait  employé  à  leur  usage,  si  Ton  en  croit  le  P.  de 
Colonia,  jusqu'à  «  la  somme  de  quatre-vingt  mille  écus  d'or  dont 
la  charité  et  la  confiance  [des  habitants]  l'avaient  fait  déposi- 
taire 3  ».  Le  soin  qu'il  prenait  des  malades  ne  l'empêchait  pas 
de  s'occuper  de  ceux  qui  étaient  en  bonne  santé  ;  il  ne  cessa  ja- 
mais de  prêcher  dans  l'église  Sainte-Croix  4.  On  regardait  comme 
un  prodige  que  cet  homme  ne  succombât  pas  à  tant  de  fatigue. 

Quand  le  P.  Auger  vit  les  moyens  humains  impuissants  à  re- 
pousser les  attaques  du  fléau,  il  tourna  son  espoir  vers  la  miséri- 
corde divine.  Sa  lettre  nous  a  déjà  signalé  quelques-unes  de  ses 
pieuses  industries.  Il  persuada  encore  les  magistrats  de  faire  un 
vœu  à  Notre-Dame  du  Puy  en  Velay.  Sa  confiance  ne  fut  pas 
trompée.  La  peste  ayant  cessé  peu  de  temps  après  ',  on  le  chargea 
d'aller  lui-même  porter  le  vœu  de  la  cité  à  ce  célèbre  sanctuaire 
de  la  Mère  de  Dieu,  et  il  partit  avec  André  Amyot,  eus /ode  de 
l'église  Sainte-Croix,  son  hôte  et  le  fidèle  compagnon  de  ses  tra- 
vaux. A  son  retour,  les  catholiques,  qui  avaient  été  témoins  de  ses 


1.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Lainez,  28  sept.  15(54  (Gall.  Epist.,  t.  II,  f.  198,  199ï. 

2.  De  Rubys,  op.  cit.,  p.  404. 

3.  De  Colonia,  Hist.  lift,  de  Lyon,  t.  II,  p.  682. 

i.  Lettre  de  Possevin  au  P.  Lainez,  d'Avignon,  20  oct.  15G  i  (Acla  a  Possevino). 
5.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Lainez,  14  oct.  1564  (Gall.  Epist.,  1.  II,  f.  292). 


352  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

peines,  cherchèrent  de  mille  manières  à  lui  prouver  leur  recon 
naissance.  Bientôt  les  consuls,  en  considération  de  ce  jésuite  qu'ils 
regardaient  comme  le  restaurateur  du    salut  public,  voudront 
gratifier  tout  son  Ordre  et  offriront  à  la  Compagnie  de  Jésus  leur 
collège  de  la  Trinité1. 

1.  Délibération  du  conseil  (Archiv.  connu.,  BB,  8ï,  f.  45'). 


LIVRE  III 

PREMIERS   DÉVELOPPEMENTS 

1564-1575) 


CHAPITRE  PREMIER 

l'ouverture  du  collège  de  clermont  a  paris  et  le 
droit  de  scolarité. 

(1564-1565  . 


Sommaire  :  1.  Achat  de  la  Cour  de  Langres.  Lettres  de  scolarité  et  ouverture 
du  collège  (février  1564).  —  2.  Le  P.  Jean  Maklonat  :  sa  vie,  ses  cours.  — 
3.  Opposition  des  hérétiques,  du  collège  royal  et  de  l'Université;  les  Jésuites 
obligés  de  fermer  leur  collège.  —  4.  Consultation  de  Du  Moulin.  —  5.  Assem- 
blée générale  de  l'Université  contre  les  Jésuites;  arrêt  favorable  du  Parlement. 
—  0.  Requête  du  P.  Odon  Pigenat.  —  7.  Lettre  du  P.  Edmond  Hay.  —  8.  Les 
Pères  devant  l'assemblée  générale  de  l'Université.  —  '.).  Décret  contre  le  collège 
de  Clermont.  Requête  des  Jésuites  au  Parlement  et  arrêt  du  27  février  1565.  — 
10.  Soulèvement  contre  la  Compagnie.  —  11  Démarche  du  P.  Olivier  Mahare, 
Provincial,  auprès  du  roi. 

Sources  manuscrites  :  I.  Archives  nationales,  sér.  MM. 

II.  Bibliothèque  nationale  ms.  lat.  C,i54. 

III.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a  (.allia,  Epistolae  Gcueia- 
lium.  —  b)  Galliae  Epistolae.  —  c)  Galliarum  visitationes. 

Sources  imprimées  :  Du  Boulay.  Histor.  Univers/ 1.  Parisiensis.  —  Carayon,  Documents 
inédits,  t.  I.  —  Grégoire  de  Toulouse,  Réponse  à  Charles  du  Malin  pour  le  Concile  de 
Trente.  —  Maldonat.  Opuscula  theohejica.  —  Manare.  De  rébus  S.  J.  commentarius- 
Etienne  Pasquier.  Lettres.  —  Pièces  fugitives  pour  servir  «  l'histoire  de  France.  —  l'rat, 
Maldonat  et  l'Université  de  Paris.  —  bouis  Kkheome  S.  .1.,  De  l'immortalité  de  l'âme.  — 
Mosumenta  historica  S.  3.  Ejàstolae  P.  Nadal. 

1.  L'admission  de  la  Compagnie,  sous  le  titre  légal  de  Société 
(ht  collège  de  Clermont,  suffisait  pour  qu'on  put  transformer  la 
maison  d'études  de  Paris  en  maison  d'enseignement.  Mais  l'hôtel 
de  Clermont  ne  se  prêtait  guère  aux  desseins  du  P.  Général,  in- 
cliné à  faire  de  cet  établissement  l'un  des  plus  grands  de  toute 
l'Europe.  Le  P.  Cogordan,  chargé  de  chercher  un  local  plus  spa- 
cieux, avait  découvert,  dans  le  quartier  de  l'Université,  un  im- 
meuble qui  semblait  réunir  toutes  les  conditions  désirables. 
C'était  un  hôtel  très  vaste  et  connu  sous  le  nom  de  la  Coin-  de 


364  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

Langres,  parce  qu'il  avait  appartenu  à  Bernard  de  la  Tour  d'Au- 
vergne, évêque  de  cette  ville.  Avant  son  départ  de  France,  le 
P.  Lainez  l'avait  visité  avec  le  P.  Polanco  et  le  P.  Nadal,  et  tous 
trois  approuvèrent  le  choix  de  leur  Procureur1.  Celui-ci  entra 
aussitôt  en  négociation  avec  les  propriétaires,  les  sieurs  Henne- 
quin  et  Prévost;  mais  les  pourparlers  traînèrent  en  longueur;  le 
contrat  de  vente  ne  fut  signé  que  le  2  juillet  15632. 

A  son  arrivée  à  Paris,  à  la  fin  d'octobre  de  la  même  année,  le 
P.  Olivier  iManare,  nouveau  Provincial,  trouva  le  P.  Cogordan  en 
train  de  mener,  avec  son  activité  accoutumée,  les  réparations 
nécessaires  pour  adapter  la  Cour  de  Langres  aux  besoins  de  l'en- 
seignement. Lui  aussi  fut  enchanté  du  local  :  «  Je  m'étonne, 
écrivait-il  au  P.  François  de  Borgia,  qu'on  ait  pu  trouver  dans 
des  temps  si  difficiles  une  si  belle  maison  et  si  bien  située.  Il  y  a, 
comme  au  collège  romain,  deux  corps  de  logis  distincts  dans 
lesquels  on  peut  placer  l'habitation  des  Pères,  les  classes,  les 
pensionnaires  et  les  écoliers  pauvres,  séparés  les  uns  des  autres  ; 
de  plus  un  beau  jardin,  un  peu  moins  grand  que  celui  de  Rome. 
Bien  qu'il  y  ait  peu  d'eau  potable  à  Paris,  un  puits  large  et  pro- 
fond, tout  en  pierres  de  taille,  nous  la  fournit  avec  abondance, 
et  de  la  meilleure  qualité,  comme  celle  des  Cholets,  nos  voisins, 
et  des  Cordeliers,  renommée  dans  toute  la  ville 3.  » 

Au  commencement  de  1561,  les  réparations  de  la  Cour  de 
Langres  étaient  terminées,  et  les  professeurs  du  collège  réunis  : 
on  pouvait  donc,  sans  plus  attendre,  procéder  à  l'ouverture  des 
classes.  Les  Pères  se  rendirent  d'abord  auprès  du  Roi,  «  luy  re- 
monstrant  que,  suivant  l'arrest  de  la  Cour,  vouloient  commencer 
à  lire  à  Paris,  en  leur  dit  collège;  ce  qui  luy  a  esté  agréable,  et 
les  a  exhortés  à  persévérer,  et  leur  a  admorty  ladite  maison,  et 
donné  pour  l'amour  de  Dieu  l'admortissement,  lequel  est  vérifié 
à  la  cour  des  Comptes4  ».  Attentif  à  prévenir  les  difficultés  qu'on 
pourrait  rencontrer,  le  P.  Cogordan,  en  l'absence  du  P.  Manare, 
ne  négligea  aucune  des  mesures  conseillées  par  la  prudence.  Il 
consulta  Christophe  de  Thou,  premier  président  du  Parlement, 
s'enquit  des  sentiments  dont  le  Recteur  de  l'Université  était  animé 
à  l'égard  de  la  Compagnie,  et  obtint  des  lettres  de  protection  de 

J.  Epistolae  Nadal,  t.  Il,  p.  95. 

2.  Recueil  de  pièces  relatives  au  collège  de  Clermont  (Archives  nationales,  MM,  386, 
fol.  161-167). 

3.  Lettre  du  9  nov.  1563  (Gall.  Epistol.,  t.  II,  fol.  31). 

4.  Requête  présentée  au  Parlement,  20  février  1564,  dans  Du  Boulay,  Hislor.  Uni- 
vers. Parisiens.,  t.  VI,  p.  590. 


L'OUVERTURE  DU  COLLEGE  DE  CLERMONT  A  PARIS.  36S 

la  reine  mère  et  du  cardinal  de  Lorraine;  enfin,  se  tournant  du 
côté  du  ciel,  il  alla  avec  les  autres  Pères  implorer  à  l'église  Saint- 
Denys  la  bénédiction  de  Dieu  sur  cette  difficile  entreprise1. 

Lue  formalité  restait  à  remplir.  D'après  le  droit  commun  de 
l'Université  de  Paris,  nul  ne  pouvait  enseigner  publiquement 
sans  avoir  obtenu  des  lettres  de  scolarité.  Le  Recteur  alors  en 
charge,  Julien  de  Saint-Germain2,  bachelier  de  la  maison  de 
Sorbonne,  était  un  bon  catholique,  un  esprit  large  et  libéral. 
Persuadé  qu'il  ne  pouvait,  sans  injustice,  rejeter  des  maîtres  qui 
apportaient  au  service  de  la  religion  le  secours  de  l'enseignement 
et  un  dévouement  généreux,  il  ne  fit  aucune  difficulté  d'accor- 
der les  lettres  de  scolarité  qu'ils  sollicitaient  :  «  Par  les  présen- 
tes, disait-il,  nous  prenons  nos  chers  et  vénérables  religieux 
prêtres  et  écoliers  de  la  Compagnie  de  Jésus,  ainsi  que  tous  leurs 
biens...  sous  la  protection  et  sauvegarde  de  notre  dite  Université, 
et  nous  voulons  qu'eux-mêmes,  leurs  amis,  procurateurs  et  fami- 
liers, à  cause  de  cette  scolarité,  usent  et  jouissent  des  privilèges, 
franchises  et  libertés  de  ladite  Université,  et  soient,  par  ces  mêmes 
privilèges,  garantis  n'importe  où  ils  se  transporteront.  Donné  à 
Paris,  l'an  du  Seigneur  1563/4,  le  cinquième  jour  du  mois  de 
février3.  » 

Avec  cette  permission  du  Recteur  de  l'Université,  qui  ne  faisait 
que  reconnaître  les  droits  déjà  acquis  par  les  nombreuses  lettres 
patentes  du  roi,  le  décret  de  l'Assemblée  de  Poissy  et  l'arrêt  du 
Parlement  de  Paris,  les  Jésuites  ouvrirent  leurs  classes,  le  2-2  fé- 
vrier 1564  'l.  Dès  les  premiers  jours,  deux  régents  se  firent  re- 
marquer '.  L'un,  le  P.  Venegas,  professeur  d'humanités,  prit  pour 


1.  Sacchini,  Hist.  Soc,  P.  II,  1.  VIII,  n.  78. 

2.  Manare,  De  rébus  S.  J.,  p.  83.  Le  P.  Manare  se  trompe  en  mentionnant   Jean 
Prévost  comme  Recteur  d'alors;  il  ne  fut  élu  que  plus  tard. 

3.  Ces  lettres,  tirées  d'une  hist.  ms.  du  coll.  de  Clermont.  ont  été  publiées  par 
Prat  :  Maldonat,  pièces  just.,  n.  4,  p.  537. 

4.  Manare,  De  rébus  S.  J.,  p.  83. 

5.  Voici,  d'après  un  document  portant  la  date  du  16  mais  1563  4,  quel  était  alors 
le  personnel  du  collège  de  Paris  : 


M.  Nicolas  Bellefille 
M.  Maldonado 
M.  Venegas  Micli. 
M.  Franc.  Scipione 
M.  Jaconio  Doige 
M.  Joanne  Rivato 
M.  Renalo 
M.  Ponlio 


Joan.  Former  1  Joan.  Cornilleau 

Pielro  Chalon  2  Joan.  Letellier 

Joan.  Granion  3  Jaconio  Manare 

Bonnitio  Elzarlo 

Dalvernia  Guilelm.  Lescaffete 

Ludovic.  Roan  Joan.  Rolles  5 
Favio  Fiamengo  i 
Jacomo  Radeau 

1.  2.  3.  4.  Si  faranno  dotti  et  sono  avanzati  in  lettere  humane. 

5.  Si  l'ara  dolto  se  studia;  un  carretiere  chi  vuole  vivere  et  moii  eon  noi. 

(Calliae  Epistolae,  t.  II.  fol.  37.) 


366  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

texte  de  ses  leçons  les  Emblèmes  d'Alciat,  ouvrage  classique  à 
cette  époque;  l'intérêt  de  son  exposition  et  le  brillant  de  son 
langage  lui  attirèrent  bientôt  de  nombreux  auditeurs.  L'autre, 
le  P.  Maldonat,  occupa  la  chaire  de  Philosophie,  et  se  montra 
dès  lors  tel  que  Pasquier  le  dépeindra  plus  tard,  «  versé  et 
nourry  en  toutes  sortes  de  langues  et  disciplines,  grand  théolo- 
gien et  philosophe  »  '. 

2.  Jean  Maldonat  ~  était  originaire  de  l'Estramadure  espagnole, 
et  non  portugaise  comme  l'ont  prétendu  certains  auteurs.  Il  nous 
apprend  lui-même  dans  un  écrit  de  sa  main,  recueilli  par  Sotwel, 
«  qu'il  est  né  dans  cette  partie  de  l'Espagne  qu'on  appelle  la 
Maîtrise  de  Saint-Jacques,  dans  une  ville  nommée  la  Maison  de 
la  Reine,  las  Casas  de  la  Reina  »  '.  Il  avait  l'esprit  vif,  élevér 
subtil,  pénétrant,  capable  de  démêler  les  difficultés  les  plus 
épineuses,  un  jugement  ferme  et  solide,  mais  surtout  une  mémoire 
si  aisée  et  si  fidèle  qu'il  avoua  un  jour,  en  public,  n'avoir  jamais 
rien  oublié  de  ce  que  lui  avaient  enseigné  ses  premiers  maîtres. 
Doué  de  si  belles  qualités,  il  apprit  en  peu  de  temps  le  latin  et  le 
grec  à  l'Université  de  Salamanque,  et  fit  de  rapides  progrès  dans 
la  philosophie  sous  François  Tolet,  lauréat  de  23  ans4,  honoré 
plus  tard  de  la  pourpre  romaine.  Une  grave  maladie  l'ayant  obligé 
d'interrompre  l'assistance  au  cours,  il  essaya  de  se  dédommager, 
par  l'étude  privée,  des  leçons  qu'il  avait  perdues;  mais,  de  son 
aveu,  il  ne  put  parvenir  à  remplacer  l'enseignement  du  pro- 
fesseur :  «  Lorsque,  jeune  encore,  raconte-t-il,  j'étudiais  la 
philosophie,  je  tombai  malade  au  moment  où  le  professeur  traitait 
de  la  qualité  dans  les  Catégories  d'Aristote,  et  je  ne  pus  entendre 
de  sa  bouche  l'explication  de  ce  chapitre.  Depuis  je  l'ai  lu,  je  lai 
répété  souvent;  je  l'ai  môme  enseigné  dans  les  écoles  ;  j'en  ai  fait 
plusieurs  fois  l'objet  de  mes  disputes  publiques  et  de  mes  entre- 
tiens privés.  Eh  bien!  jamais  je  n'ai  pu  le  posséder  aussi  bien  que 
ceux  dont  j'ai  entendu,  dont  j'ai  vu,  pour  ainsi  dire,  l'explication 
sortir  de  la  bouche  du  professeur,  et  que  j'ai  conservés  profondé- 
ment gravés  dans  mon  esprit.    > 

1.  Lettres,  t.  VI,  lettre  24. 

2.  Il  signait  Maldonado ;  en  France  le  nom  Maldonat  à  prévalu. 

3.  Biblioth.  Scriptor.  Soc.  Jesu,  in  Maldonatum.  Las  Casas  de  la  Reina  dépendait 
alors  du  grand  maître  des  chevaliers  de  Saint-Jacques. 

4.  Né  en  1532,  Tolet  entra  dans  la  Compagnie  en  1558,  âgé  de  26  ans.  Maldonat,  né  en 
1533,  n'avait  qu'un  an  de  moins  que  son  maître  quand  il  faisait  sa  troisième  année  de 
philosophie,  de  1554  à  1555. 

5.  Oratio  habita  die  9  octobr.  1571  [Opéra  tlieol.  Maldoa.,  pars  III). 


L'OUVERTURE  IHI  COLLÈGE  DE  CLERMONT  A  PARIS.  367 

A  la  lin  de  son  cours  de  philosophie,  Maldonat,  ignorant  encore 
les  desseins  de  Dieu  sur  lui,  songeait  à  commencer  l'étude  de  la 
jurisprudence,  et  à  se  frayer  un  chemin  vers  les  plus  hautes 
charges  de  la  magistrature.  Il  en  fut  détourné,  rapporte-t-il  lui- 
même,  par  un  de  ses  amis,  jeune  homme  d'une  vertu  remarquable, 
neveu  du  savant  Michel  de  Palacios  :  «  Un  jour,  il  me  demanda 
pourquoi  je  ne  me  livrais  pas  plutôt  à  l'étude  de  la  théologie  qu'à 
celle  du  droit  civil,  .le  lui  répondis  que  c'était  la  voie  la  plus  sûre 
pour  arriver  aux  honneurs  publics.  Il  m'opposa  ces  paroles  de 
Jésus-Christ  :  Cherchez  d'abord  le  royaume  de  Dieu  et  le  reste 
vous  sera  donné  par  surcroît.  —  Quoi  donc!  repris-je,  est-ce  que, 
devenu  jurisconsulte,  je  ne  pourrai  pas  défendre  la  justice  et 
l'équité?  Est-ce  que  je  ne  pourrai  pas  mettre  à  la  disposition  des 
pauvres  et  mes  facultés  et  mon  patrimoine?  —  Oui,  me  dit-il, 
vous  le  pourriez  si  vous  le  vouliez.  Mais  ces  avocats  que  nous 
voyons  maintenant  plaider  avec  tant  de  fracas,  dépouiller  les 
riches,  opprimer  les  pauvres,  poursuivre  la  fortune  avec  tant 
d'avidité,  tenaient  le  même  langage  que  vous,  avant  qu'ils  eussent 
étudié  les  lois  ;  dès  qu'ils  ont  commencé  à  manier  de  l'argent,  ils 
sont  devenus  tels  que  vous  les  voyez.  —  Ces  paroles  produisirent 
sur  moi  une  si  forte  impression  que,  sans  autre  motif,  je  renonçai 
à  tous  mes  projets,  et,  malgré  ceux  dont  je  dépendais,  je  me 
tournai  vers  la  théologie,  à  laquelle  je  me  féliciterai  toujours 
d'avoir  consacré  une  part  de  ma  vie l.  » 

Dans  l'étude  de  la  science  sacrée,  Maldonat  fut  le  disciple  du 
savant  Dominique  Soto  et  d'autres  théologiens  de  la  même  école. 
Ses  cours  terminés,  il  fut  choisi,  à  cause  de  ses  brillants  succès, 
pour  enseigner  le  grec,  et  ensuite  la  philosophie  et  la  théologie 
dans  l'Université  de  Salamanque.  Mais,  touché  de  la  grâce,  il 
abandonna  bientôt  sa  chaire,  et  suivit  l'exemple  de  François  Tolet, 
entré  depuis  peu  dans  la  Compagnie  de  Jésus.  Afin  de  se  soustraire 
aux  sollicitations  de  ses  parents  et  de  ses  amis,  il  se  réfugia  à 
Rome  où  il  fut  admis  au  noviciat  de  Saint-André,  le  10  août  1562. 
Un  an  après,  il  était  élevé  au  sacerdoce,  puis  nommé  professeur 
au  collège  romain  où  il  avait  pour  collègues  les  maitres  célèbres 
d'alors  :  Mariana,  Tolet,  Ledesma,  Perpinien,  Emmanuel  Sa-. 
Il  n'y   resta   que  peu  de   temps.   Quelques  mois  plus  tard,   le 


1.  Praefatio  altéra  cum  secundum  theologiam  aggrederetur,  ann.  1570  (Ibid.,  P.  III, 
p.  24). 
'1.  Mariana,  Praefat.  in  Scholias  in  Vet.  et  Xov.  Test.  (Madrid,  1619). 


368  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

P.  Laioez  lui  confia  le  soin  d'établir  à  Paris  la  réputation  du 
nouveau  collège  de  Clermont. 

Le  P.  Maldonat  résolut  de  faire  de  son  enseignement  un  apos- 
tolat, en  combattant  les  fausses  doctrines.  Dès  son  arrivée  en 
France,  il  étudia  l'état  des  esprits,  les  questions  les  plus  agitées, 
les  besoins  intellectuels  et  moraux  de  la  jeunesse,  et  il  ne  tarda 
pas  à  remarquer  les  erreurs  alors  répandues  dans  les  collèges 
comme  dans  la  société.  Une  des  plus  déplorables  était  celle  de  la 
mortalité  de  Famé,  «  bérésie  sourde,  observe  un  étudiant  de  ce 
temps-là,  mais  non  moins  pernicieuse  engeance,  vieille  semence 
jetée  par  Satan  à  petit  bruit  au  champ  de  ce  monde,  dès  le  com- 
mencement. En  ces  derniers  siècles  elle  a  levé  la  teste;...  la  plus- 
part  des  escoles  se  trouvèrent  en  peu  de  temps  infectées  de  son 
poison1  ».  Ce  fut  contre  elle  que  Maldonat  s'éleva  tout  d'abord 
«  avec  un  grand  concours  et  approbation,  dit  un  de  ses  audi- 
teurs, non  seulement  des  escoliers,  mais  aussi  des  docteurs  et 
régens  qui  le  venoient  ouyr2  ». 

11  avait  choisi,  comme  thème  de  ses  leçons,  le  Traité  de  l'âme 
d'Aristote.  Le  plan  et  la  méthode  qu'il  suivit  en  commentant  cet 
ouvrage,  nous  sont  connus  par  le  cahier  de  l'un  de  ses  élèves  con- 
servé parmi  les  manuscrits  de  la  Bibliothèque  nationale3.  Après 
avoir  énuméré  les  différentes  théories  des  philosophes  sur  la 
nature  de  l'âme  et  son  origine,  il  établit  l'opinion  qu'il  faut  tenir 
d'après  les  données  de  la  raison  et  de  la  foi.  Il  traite  ensuite  de 
l'union  de  l'âme  avec  le  corps  et  de  leurs  relations;  des  diverses 
facultés  de  l'âme  et  de  leurs  fonctions;  de  l'origine  des  idées,  du 
libre  arbitre  et  enfin  de  l'immortalité  de  l'âme,  question  la  plus 
importante  de  son  cours.  Loin  de  mépriser  Aristote,  comme 
Ramus  et  son  parti,  il  le  développe  et  l'explique,  le  défend  même 
contre  ses  faux  interprètes  ;  mais  il  ne  s'assujétit  point  à  son  texte 
ni  à  sa  seule  autorité;  il  le  corrige,  quand  il  est  nécessaire,  par 
les  témoignages  que  lui  fournit  une  étude  approfondie  des  scien- 
ces humaines  et  de  la  révélation.  Débarrassée  d'une  servitude 
étroite,  dédaigneuse  aussi  des  vaines  subtilités,  son  argumen- 
tation s'avance  droit  au  but  sans  contrainte  et  sans  écarts. 

Cette  large  et  solide  méthode  qui  convenait  si  bien  au  Traité 
de  l'âme,  le  jeune  professeur  l'employa  avec  un  égal  succès  dans 

1.  Richeome,  De  V Immortalité  de  l'âme,  avant- propo?. 

2.  Ibidem. 

3.  Mss.  latins,  6.454.  Le  P.  Prat  s*est  déjà  servi  de  ce  manuscrit  dans  son  ouvrage 
sur  Maldonat  et  l'Université  de  Paris,  p.  80  et  suiv. 


L'OUVERTURE  DU  COLLÈGE  DE  CLERMONT  A  PARIS.  369 

les  leçons  qu'il  fit,  l'année  suivante,  sur  la  métaphysique  et  la 
théodicée,  et  qu'il  termina  par  uq  rapide  aperçu  de  la  constitu- 
tion et  de  la  classification  des  sciences1. 

Ainsi,  avec  Maldonat,  la  philosophie  se  relevait  du  discrédit  où 
l'avaient  fait  tomher  les  maîtres  de  la  vieille  école.  Appliqué  trop 
longtemps  à  des  matières  puériles  ou  vaines,  l'enseignement  de 
cette  science  n'avait  pas  retrouvé,  dans  le  beau  langage  du 
collège  de  France,  le  véritable  élément  de  son  éclat  et  de  sa 
dignité.  Le  professeur  du  collège  de  Glermont  le  lui  rendit  en 
abordant  de  front  les  plus  graves  problèmes,  en  les  exposant  avec 
ampleur  et  clarté,  en  les  résolvant  par  le  jeu  d'une  dialectique 
alerte  et  puissante.  Aussi,  le  nombre  de  ses  auditeurs  alla-t-il 
toujours  augmentant.  Le  10  avril  156V,  le  P.  Cogordan  écrivait  au 
P.  Général  :  «  D'une  fenêtre,  j'ai  compté  les  élèves  du  P.  Maldonat; 
ils  étaient  plus  de  cent2.  »  Ce  chiffre  est  déjà  respectable  après 
deux  mois  seulement  de  leçons.  Mais  on  verra  bien  mieux  dans 
la  suite,  et  le  P.  Manare  pourra  écrire  à  son  tour  :  «  La  foule  des 
auditeurs  était  si  considérable  qu'ils  ne  pouvaient  tous  entrer 
dans  la  grande  salle  où  se  faisaient  les  cours.  Deux  ou  trois 
heures  avant  l'ouverture,  on  se  pressait  à  la  porte  du  collège, 
même  sous  la  pluie,  afin  de  choisir  une  place  commode 3.  » 

Les  régents  de  belles-lettres  et  de  grammaire  ne  se  montrèrent 
pas  moins  à  la  hauteur  de  leur  tâche.  A  l'instar  du  collège  royal 
et  du  collège  de  Bourgogne,  celui  de  Clermont  ouvrit  un  cours 
d'éloquence  et  un  cours  de  grec  qui  furent  aussitôt  très  suivis.  Du 
Boulay,  l'historien  de  l'Université  de  Paris,  le  constate  avec  une 
pointe  d'amertume  :  «  Les  classes  des  Jésuites,  dit-il,  surabondent 
d'élèves,  et  celles  de  l'Université  sont  désertes'1.  » 

3.  De  si  brillants  débuts,  —  il  fallait  s'y  attendre,  —  eurent  le 
privilège  de  provoquer  des  animosités  de  toutes  sortes.  Pierre 
Ramus,  alors  Principal  du  collège  de  Presles,  et  partisan  déclaré 
du  protestantisme,  commença  la  guerre  contre  les  défenseurs 
avoués  de  l'Église  et  du  Saint-Siège.  «  Il  prévoyoit  desjà,  dit  un 
ancien  annaliste,  que  ce  collège  de  Paris  seroit  comme  un  cava- 
lier bien  flanqué  pour  battre  en  ruine  la  Babel  de  l'hérésie,  qui 
jettoit  là  ses  fondements  par  toute  ladite  Université.  »  Guillaume 
Galland,  Principal  du  collège   de  Boncour,  Adrien  Turnèbc  et 

1.  Manare,  De  rébus  S.  j.,  p.  83. 

2.  Lettre  du  P.  Cogordan  au  P.  Général  (Gall.  Epist.,  t.  II,  f.  147). 

3.  Manare,  De  rébus  S.  ,/.,  p.  84. 

4.  Du  Boulay,  Iiisl.  Unir.  Paris.,  i.  VI,  p.  916. 

COMPAGNIE    DE  JÉSUS.   —  T.   I.  >i 


370  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Denis  Lambin,  professeurs  au  collège  royal,  et  plusieurs  autres, 
troublés  dans  leur  gloire  ou  menacés  dans  leurs  intérêts  par  un 
établissement  nouveau,  s'associèrent  aux  colères  de  Ramus.  Jaloux 
de  voir  «  les  docteurs  et  régens  [Jésuites]  suivis  avec  étonnement 
de  tout  le  monde  »,  ils  formèrent  pour  s'en  débarrasser  un  «  fu- 
rieux party  d'opposants1  ».  Ainsi  le  collège  de  Clermont,  après 
quelques  mois  d'existence,  mettait  déjà  en  émoi  les  hérétiques, 
le  collège  royal  et  l'Université.  Ces  deux  dernières  institutions, 
autrefois  rivales,  oublièrent  leurs  anciennes  querelles  et  cher- 
chèrent dans  un  même  sentiment  d'hostilité  à  écraser  leur  en- 
nemi commun.  Rappelant  plus  tard  cette  levée  de  boucliers  con- 
tre la  Compagnie,  le  P.  Claude  Mathieu  écrivait,  en  1575.  au 
Pape  Grégoire  XIII  :  «  Il  y  a  onze  ans  que  nous  ouvrîmes  à 
Paris  des  écoles  publiques.  A  cette  époque,  Mercier  occupait  la 
chaire  d'hébreu,  Turnèbe  et  Lambin  celle  de  giec;  Ramus  celle 
des  lettres  latines  au  collège  royal;  Salignac,  docteur  de  Sor- 
bonne,  professait  la  théologie  au  collège  de  Marmoutier.  Tous 
étaient  calvinistes,  et  enseignaient  publiquement  leurs  erreurs 
sans  être  troublés  par  la  Sorbonne.  Mais  à  peine,  avec  le  consen- 
tement du  Recteur,  eûmes-nous  ouvert  des  écoles,  que  les  doc- 
teurs entreprirent  de  soulever  contre  nous  toutes  les  classes  de 
la  société-.  » 

Les  adversaires  des  Jésuites  eurent  d'abord  recours  au  cardinal 
de  Chàtillon,  conservateur  des  privilèges  de  l'Université.  Ce  pré- 
lat «  qui  se  sentait  et  de  la  faction  et  de  l'hérésie  de  ses  frères, 
l'admirai  et  Dandelot,  leur  promit  toute  assistance  et  en  donna 
promesse  particulière  à  Ramus  ».  La  chose  n'est  donc  pas  dou- 
teuse :  c'était  bien  en  faveur  du  protestantisme  que  s'ouvrait 
cette  campagne  contre  le  collège  de  Clermont.  Etienne  Pasquier 
ne  craignit  pas  de  l'avouer  «  en  certaines  lettres  qu'il  escrivoit  en 
ce  temps-là''  ».  On  pourra  se  demander  comment  l'Université  de 
Paris,  qui  ne  ménageait  pas  ses  remontrances  au  gouvernement 
pour  le  maintien  de  la  religion  catholique,  osa  néanmoins  s'asso- 
cier à  cette  injuste  opposition.  Elle  s'illusionnait  sans  doute,  ou 
bien  elle  obéissait  à  des  motifs  intéressés,  comme  elle  l'avait  fait 
autrefois  en  combattant  les  Ordres  de  Saint-Dominique  et  de  Saint- 
François.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  Supérieur  des  Jésuites  de  France 

1.  Commencements  de  la  Compagnie,  dans  Carayon  :  Documents  inédits,  t.  I, 
p.  27. 

2.  Mémoire  dit  1\  Cl.  Mathieu,  dans  Prat  :  Maldonat;  pièces  justificatives,  n.  xm, 
p.  594. 

3.  Carayon,  Doc.  inéd.,  1.  c. 


L'UNIVERSITÉ  DE  PARIS  CONTRE  LES  JÉSUITES.  371 

fut  mandé,  par  le  prieur  de  Sorbonne,  auprès  du  nouveau  Rec- 
teur, nommé  Marchand,  qui  avait  convoqué  quelques  députes  de 
l'Université.  Il  exposa  les  raisons  pour  lesquelles  la  Compagnie 
de  Jésus  avait  fondé  un  collège  à  Paris,  et  de  quel  droit  elle  l'a- 
vait ouvert.  Le  Recteur  contesta  ce  droit  que  les  Jésuites  tenaient 
du  roi,  de  l'Assemblée  de  Poissy  et  du  Parlement;  il  rejeta  aussi, 
comme  entachées  d'irrégularité,  les  lettres  de  scolarité  accordées 
par  Julien  de  Saint-Germain,  son  prédécesseur1.  Il  donna  l'ordre 
au  Père  Manare  de  fermer  le  collège  de  Clermont.  Par  déférence, 
le  P.  Provincial  suspendit  les  classes,  mais  contre  les  prétentions 
abusives  de  l'Université  il  en  appela  au  Parlement. 

Les  élèves  des  Jésuites,  eux,  ne  se  crurent  pas  tenus  à  tant  de 
patience  :  ils  manifestèrent  avec  éclat  leur  indignation,  et  mena- 
cèrent de  se  faire  rendre  par  la  force  les  cours  interdits.  Ils  se 
seraient  portés  à  des  actes  de  violence  sans  l'intervention  du 
P.  Manare,  qui  alla  lui-même  exposer  au  Parlement  les  motifs  et 
les  circonstances  de  cette  agitation.  Les  magistrats,  ne  considé- 
rant que  le  bien  public,  lui  ordonnèrent  de  rouvrir  le  collège. 
Les  élèves  accoururent,  avec  plus  d'empressement  que  jamais, 
aux  leçons  dont  ils  avaient  été  privés,  mais  sans  renoncer  encore 
au  projet  de  venger  l'injure  faite  à  leurs  maîtres.  Maldonat,  par 
l'ascendant  qu'il  exerçait  sur  la  jeunesse,  et  les  autres  profes- 
seurs, par  leurs  remontrances  et  leurs  prières,  parvinrent  enfin 
à  calmer  tous  les  esprits2. 

4.  L'arrêt  du  Parlement,  qui  ordonnait  la  réouverture  des 
classes  au  collège  de  Clermont,  mit  le  comble  à  l'irritation  des 
adversaires.  Les  Principaux  et  les  professeurs  des  anciens  collè- 
ges craignirent  de  voir  diminuer  encore  le  nombre  de  leurs  éco- 
liers, et  par  conséquent  leur  rétribution  scolaire;  sans  considérer 
le  bien  que  le  nouvel  établissement  commençait  à  produire,  ils 
prirent  leurs  mesures  pour  le  ruiner3.  L'Université,  se  croyant 
atteinte  dans  ses  prérogatives  les  plus  chères,  décida  à  l'unani- 
mité de  briser  sans  retard  une  concurrence  redoutable.  En  at- 
tendant l'occasion  de    satisfaire   ses  rancunes,  elle    résolut    de 

1.  M.  Ponlal,  dans  son  ouvrage  V Université  et  les  Jésuites,  s'élève  avec  raison 
contre  les  adversaires  de  la  Compagnie  :  «  On  argua,  dit-il,  d'un  défaut  de  forme. 
Ce  n'était  qu'un  prétexte...  Les  lettres  de  scolarité  n'étaient-elles  pas  une  pure  for- 
malité et  pouvait-onde  bonne  foi  s'autoriser  d'une  insignifiante  irrégularité,  nullement 
incontestable  du  reste?  »  (p.  26). 

2.  Lettre  du  P.  Vaaz  au  P.  Général,  20  août  1564  (Gall.  Episl.,  t.  II,  fol.  183).  Let- 
tre du  P.  Edmond  Hay,  dans  Du  Boulay  :  Hisl.  Univers.  Paris.,  t.  VI,  p.  589. 

3.  Manare,  Dr  rébus  S.  J..  p.  85. 


372  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

demander  l'avis  de  quelque  personnage  éminent;  mais  comme 
elle  désirait  avant  tout  un  avis  favorable  à  ses  prétentions,  elle 
n'hésita  pas  à  s'adresser  au  protestant  Charles  Du  Moulin,  lequel 
s'intitulait  «jurisconsulte  de  France  et  de  Germanie  »,  à  qui,  di- 
sait-il, «  personne  ne  pouvait  rien  apprendre1  ».  Il  venait  de 
rentrer  en  France,  d'où  ses  opinions  religieuses  l'avaient  obligé 
de  s'éloigner;  il  sortait  même  de  la  prison  que  lui  avait  value 
un  écrit  contre  le  concile  de  Trente.  Ses  sentiments  d'hostilité 
à  l'égard  de  la  Compagnie  de  Jésus  étaient  notoires  :  parmi  les 
motifs  qu'il  avait  allégués  pour  repousser  le  concile,  se  trouvait 
cet  étonnant  grief,  que  celui  ci,  dans  son  canon  XVI1',  avait  reçu 
la  Société  d'Ignace  de  Loyola2.  L'Université  n'eut  donc  pas  de 
peine  à  obtenir  une  consultation  dans  le  sens  qu'elle  souhaitait. 
Interrogé  sur  les  avantages  ou  les  inconvénients  de  l'admission 
de  la  Compagnie  de  Jésus,  et  sur  son  agrégation  à  l'Université, 
Du  Moulin  répondit  «  qu'il  importait  à  l'État,  et  surtout  à  l'Uni- 
versité de  Paris  »,  de  ne  pas  recevoir  les  Jésuites3.  Et  il  en  donna 
les  raisons  suivantes,  qui  font  peu  d'honneur  à  sa  science  et  à 
sa  bonne  foi  : 

«  l°Ils  ont  été  établis  contre  les  anciens  canons  qui  défendent 
de  foncier  de  nouvelles  religions; 

2"  Contre  la  délibération  faite  à  Nice,  en  1538;  contre  le  sen- 
timent de  Guillaume  de  Saint- Amour,  de  Pierre  d'Ailly,  loué 
par  Gerson; 

3°  Contre  quelques  arrêts  du  Parlement. 

h°  Il  y  a  déjà  trop  de  maisons  religieuses  en  France;  si  l'on 
permet  aux  Jésuites  d'en  fonder  une,  ils  en  fonderont  bientôt 
d'autres  dans  tout  le  royaume,  à  la  charge  du  peuple,  au  détri- 
ment des  églises;  témoin  la  secte  des  Minimes  qui,  en  soixante- 
dix  ans,  a  élevé  un  si  grand  nombre  de  couvents. 

5n  Comme  ces  religieux  sont  la  plupart  ou  Italiens  ou  Espa- 
gnols, ils  découvriront  aux  étrangers  les  secrets  de  l'État. 

6°  Le  droit  public  s'oppose  à  l'établissement  de  nouveaux  col- 
lèges. 

7"  Au  sein  même  de  l'Université,  et  sans  sa  permission,  ils  bâ- 
tissent une  nouvelle  église,  un  nouveau  collège,  élèvent  de  nou- 

1.  Brodeau,    Vie  de  Charles  Du  Moulin. 

2.  Grégoire  de  Toulouse,  Réponse,  à  Charles  du  Molin  pour  le  Concile  de  Trente, 
art.  76. 

3.  «  Conlra  rempublicavn  el  iilililalem  hujus  regni  et  praesertini  univei sitalis  pari- 
siensis,  quai'  omnium  academiarum  primaria  esl  »  (Caroli  Molinxi  opéra.  Paris, 
1681,  l.  V,  p.  445). 


L'UNIVERSITÉ  DE  PARIS  CONTRE  LES  JÉSUITES.  373 

velles  chaires,  font  de  nouvelles  leçons;  ils  veulent  établir  un 
enseignement  indépendant  de  l'Académie,  ce  qui  est  monstrueux, 
séditieux,  contre  le  droit  public 

8°  Il  y  a  dans  l'Université  beaucoup  de  collèges  d'ancienne  fon- 
dation ;  il  y  en  a  mémo  plus  qu'il  n'en  faut;  raison  de  plus  pour 
ne  pas  permettre  celui  des  Jésuites. 

9°  Ils  prêchent  sans  l'autorisation  de  l'évêque,  et  sans  l'appro- 
bation des  docteurs1;  ils  enseignent  leur  nouveau  catéchisme, 
plein  de  superstitions2,  au  peuple,  aux  femmes,  indifféremment 
à  tous,  et  cherchent  ainsi  l'occasion  d'enfreindre  les  édits  de  pa- 
cification. » 

Charles  Du  Moulin  terminait  sa  consultation  par  cette  formule  : 
«  Ces  choses  considérées,  le  procureur  général  de  ladite  Univer- 
sité de  Paris  est  justement  fondé,  et  engagé  par  le  devoir  de  sa 
charge,  à  dénoncer  aux  dits  Jésuites  un  nouvel  œuvre*,  et  à  les 
forcer  par  des  voies  légitimes  à  se  désister  de  leurs  nouveautés 
indues.  Et  ainsi  je  pense,  moi  Charles  Du  Moulin,  jurisconsulte 
de  France  et  de  Germanie,  ancien  avocat  au  Parlement  de  Paris'1.  » 

5.  Munie  de  la  consultation  d'un  luthérien  qu'elle  affectait  de 
regarder  comme  l'oracle  du  Palais,  l'Université  résolut,  dès  la 
rentrée  de  l'année  scolaire  1564-1565,  de  commencer  les  pour- 
suites contre  le  collège  de  Clermont.  Dans  une  assemblée  générale, 
convoquée,  le  8  octobre,  pour  la  procession  d'usage  à  la  lin  de 
chaque  trimestre,  le  Recteur,  après  avoir  demandé  la  confirma- 
tion des  actes  accomplis  par  lui  durant  sa  magistrature,  proposa 
de  délibérer  sur  cette  «  grave  et  importante  »  question5  :  de- 
vait-on donner  entrée  dans  l'Université,  et  confier  l'enseignement 
public  des  lettres,  à  ceux  qu'on  appelait  communément  Jésuites, 
société  qui  faisait  profession  de  la  vie  religieuse?  —  Toutes  les 
Facultés,  d'un  commun  accord,  répondirent  qu'il  fallait  écarter  les 
Jésuites,  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  exhibé  au  Recteur  et  aux  dépu- 
tés ordinaires  le  diplôme  apostolique  qui  les  autorisait  à  professer 

1.  Cette  allégation  est  fausse  dans  sa  première  partie;  quant  à  l'approbation  des 
docteurs,  elle  n'était  pas  nécessaire. 

2.  Le  catéchisme  -de  Canisius. 

3.  Terme  de  droit.  Une  dénonciation  de  nouvel  œuvre  est  une  assignation  t'ai  le  à 
celui  qui  construit  sur  un  terrain  qui  ne  lui  appartient  pas,  ou  au  mépris  dune  ser- 
vitude. 

4.  Celle  consultation  fut  publiée,  en  15G4,  sous  le  titre  de  :  Consultatio  super 
commodis  et  incommodis  novae  sectae  seu  jictiliae  religionis  jesuitarum.  {Œuvres 
complètes  de  Du  Moulin,  t.  V,  p.  445.  Paris,  1681). 

5.  «  Gravis,  momenlosa  »  (Acta  Nal.  Germ.,  cilé  par  Du  Boulay,  op.  cit.,  t.  VJ, 
p.  583,  584). 


374  HISTOIRE  DE  \A  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

et  à  enseigner  tons  les  arts;  attendu,  disait  la  conclusion,  «  que 
ceux  dont  il  s'agit  paraissent  nuire  avec  beaucoup  d'injustice  à 
la  Faculté  de  théologie,  à  tous  les  curés,  à  toutes  les  lois  et  cou- 
tumes de  l'Université,  et  aux  plus  anciens  collèges.  D'ailleurs,  ils 
ne  veulent  reconnaître  aucun  supérieur,  caractère  marqué  d'une 
secte  très  orgueilleuse  ». 

Le  docteur  Jean  Benoît,  qui  faisait  fonction  de  doyen  dans  celte 
assemblée,  rédigea  l'avis  de  sa  compagnie  dans  la  forme  la  plus 
dure  :  «  Il  y  a  longtemps,  dit-il,  que  cette  secte  des  Jésuites  a  été 
condamnée,  rejetée  et  chassée  par  la  Faculté  de  théologie.  S'ils 
n'apportent  quelque  nouvelle  bulle,  qu'ils  se  renferment  dans  les 
exercices  de  la  vie  religieuse;  ou,  s'ils  veulent  enseigner,  qu'ils 
aillent  rendre  ce  service  aux  lieux  où  l'on  manque  de  maîtres,  et 
qu'ils  n'entreprennent  point  de  pervertir  le  bel  ordre  d'études 
qui  règne  à  Paris  et  d'y  substituer  le  désordre  et  la  confusion1.  » 

Rien  n'était  plus  injuste  que  ces  derniers  reproches  ;  car,  comme 
l'observe  un  auteur  très  favorable  à  l'Université,  «  loin  de  se  po- 
ser en  réformateurs  inquiets,  en  censeurs  incommodes,  de  faire 
la  guerre  à  tout  ce  qui  avait  existé  jusqu'à  eux,  de  renverser  tous 
les  usages  reçus,  les  Jésuites  acceptèrent  les  choses  telles  que 
l'expérience  des  siècles  les  avait  établies,  comme  l'organisation 
des  classes,  l'ordre  des  études,  la  distribution  des  matières  de 
l'enseignement.  Ils  s'attachèrent  uniquement  à  donner  à  leurs 
leçons  une  inspiration  chrétienne,  un  tour  catholique2  ».  Et  Du 
Boulay  lui-même,  le  vieil  historien  de  l'Université  de  Paris,  en 
constatant  que  les  anciens  collèges  avaient  beaucoup  souffert  de 
la  concurrence,  ajoute:  «  Mais  la  religion  catholique  y  a  beaucoup 
gagné,  de  l'aveu  même  de  ceux  qui  se  sont  élevés  avec  le  plus 
de  violence  contre  les  Jésuites3.  » 

Les  classes  du  collège  de  Clermont  ne  troublaient  donc  point 
«  le  bel  ordre  d'études  »  qui  régnait  à  Paris.  Quant  à  la  nouvelle 
lettre  pontificale,  réclamée  par  le  docteur  Jean  Benoît,  elle  exis- 
tait depuis  le  19  août  1561.  Déjà,  en  effet,  d'autres  Universités 
avaient  refusé  de  conférer  les  grades  de  maître  es  arts  et  de  doc- 
teur soit  aux  Jésuites  soit  à  leurs  écoliers,  sous  prétexte  qu'ils 
n'avaient  point  étudié  chez  elles;  quelquefois  aussi  les  candidats 
avaient  dû  renoncer  à  prendre  leurs  grades  parce  que  dans  cer- 
taines Académies  on  exigeait  un  serment  en  désaccord  avec  leurs 

1.  Du  Boulay,  op.  cil. 

2.  Douarche,  L'Université  et  les  Jésuites,  p.  67,  68. 

3.  Du  Boulay,  op.  cit.,  p.  916. 


L'UNIVERSITÉ  DL  PARIS  CONTRE  LES  JÉSUITES.  37S 

croyances  ou  leurs  principes.  Le  I».  Lainez,  alarmé  tic  ces  diffi- 
cultés, supplia  le  Pape  de  délivrer  les  membres  de  la  Compagnie 
et  leurs  élèves  de  pareilles  entraves,  Pie  IV,  par  le  Bref  Exponi 
noèù,  confirma  et  étendit  les  privilèges  déjà  concédés  par 
Jules  III1,  en  accordant  au  Général  le  droit  de  conférer  par  lui- 
même  et  par  ses  délégués  les  grades  de  bachelier,  licencié, 
maître  es  arts  et  docteur-.  Mais  en  France  on  n'avait  point  fait 
usage  des  privilèges  conférés  par  ce  Bref;  les  Jésuites  de  Paris 
consentaient  même  à  prendre  les  degrés  avant  d'enseigner,  et 
à  présenter  à  l'examen  de  l'Université  ceux  d'entre  eux  qui  au- 
raient fait  ailleurs  leurs  études. 

Bien  qu'ils  fussent  parfaitement  en  règle,  le  Recteur,  Jean 
Prévost,  n'était  pas  homme  à  négliger  les  avis  et  conclusions  de 
l'Assemblée  du  8  octobre.  Le  20  du  même  mois,  il  intima  l'ordre 
aux  professeurs  du  collège  de  Clermont  de  cesser  leurs  cours 
«  jusques  à  tant  qu'ils  auroient  monstre  leurs  bulles  et  arrest  du 
Parlement3  ».  Ces  deux  pièces  furent  exhibées  aussitôt;  néan- 
moins le  Recteur,  qui  aurait  bien  voulu  ne  pas  les  trouver  en 
si  bonne  forme,  se  garda  de  retirer  sa  défense.  Les  Jésuites 
adressèrent  alors  une  requête  au  Parlement,  «  afin  de  pou- 
voir persévérer  en  leurs  lectures,  nonobstant  la  prohibition  de 
M.  le  Recteur,  jusqu'à  tant  qu'autrement  en  fût  ordonné4  ».  Sur 
le  refus  de  Jean  Prévost  de  comparaître  au  parquet  des  gens  du 
roi,  comme  l'ordre  lui  en  avait  été  signifié  par  le  procureur  gé- 
néral, la  Cour  autorisa  les  suppliants  à  continuer  leurs  classes. 

G.  Les  Pères  profitèrent  de  ce  premier  avantage  pour  solliciter 
de  nouveau  la  faveur  d'être  immatriculés  au  corps  de  l'Université. 
A  cet  effet  ils  lui  présentèrent,  signée  du  P.  Odon  Pigenat,  préfet 
des  études,  «  une  requête  très  bien  faite,  d'une  bonne  latinité, 
d'un  style  modeste  et  respectueux,  demandant  qu'elle  consentit, 
comme  une  mère  bienveillante,  à  les  reconnaître  pour  ses  en- 

1.  Instit.  Soc.  Jesu,  t.  I,  p.  26.  Cf.  Epis/.  P.  Xadal,  t.  II,  p.  347. 

2.  Jules  III  avait  accordé,  sous  certaines  conditions,  la  faculté  de  conférer  les  grades 
en  philosophie  et  en  théologie  aux  scolasliques  étudiant  dans  un  collège  de  la  Com- 
pagnie situé  dans  un  centre  universitaire.  Pie  IV  étendit  cette  faculté  aux  élèves  de 
ces  mêmes  collèges,  étrangers  à  la  Compagnie,  pour  le  cas  où  les  Recteurs  de  l'Uni- 
versité refuseraient  de  les  promouvoir,  mais  à  condition  de  payer  à  l'Université  lis 
droits  d'examens.  Si  les  collèges  ne  se  trouvaient  pas  dans  un  centre  universitaire, 
la  Compagnie  pouvait  conférer  les  grades  à  tous  ceux  qui  avaient  étudié  sous  sa 
discipline. 

3.  Requête  présentée  au  Parlement  par  les  Jésuites,  dans  Prat  :  Maldonal,  pièces 
justilicatives,  n°  v. 

4.  Ibidem. 


37fl  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

fants1  ».  Sur  les  conditions  auxquelles  ils  désiraient  être  reçus, 
ils  s'expliquaient  de  la  manière  la  plus  propre  à  lever  tous  les 
obstacles  :  «  Nous  déclarons,  disaient-ils,  que  notre  Institut  ne 
nous  permet  point  d'aspirer  aux  dignités  ni  aux  autres  béné- 
fices ecclésiastiques,  ni  de  tirer  de  nos  travaux  aucun  salaire, 
aucun  profit  purement  temporel.  Ainsi  nous  renonçons  au  droit 
de  nominations  et  de  grades,  et  à  tous  les  privilèges  qui  regar- 
dent cet  objet.  Nous  renonçons  même,  quoique  notre  Institut  ne 
nous  y  oblige  pas,  à  toutes  les  magistratures  académiques,  au 
rectorat,  aux  dignités  de  chancelier  et  de  procureur  de  la  Nation 
à  laquelle  chacun  de  nous  se  trouvera  appartenir.  Mais,  si  nous 
nous  désistons  de  toute  prétention  à  ces  charges,  notre  dessein 
n'est  pas  de  nous  soustraire  à  l'autorité  de  ceux  qui  en  sont  re- 
vêtus. Nous  promettons  à  M.  le  Recteur,  et  aux  autres  dignitaires, 
toute  l'obéissance  qui  leur  est  due.  Nous  nous  engageons  aussi 
à  observer,  en  choses  licites  et  honnêtes,  les  statuts  de  l'Uni- 
versité et  des  Facultés  dans  lesquelles  nous  serons  admis.  En  un 
mot,  nous  nous  acquitterons,  envers  M.  le  Recteur  et  envers  l'U- 
niversité, de  tous  les  devoirs  et  témoignages  de  soumission  qui 
peuvent  compatir  avec  notre  Institut.  » 

Non  contents  de  ces  protestations  générales,  les  Jésuites  en- 
traient dans  le  détail  de  certaines  lois  académiques  qu'ils  pro- 
mettaient d'observer  fidèlement.  Ainsi,  outre  ce  qui  regarde  les 
grades,  ils  s'engageaient  encore  à  ne  point  admettre  à  leurs 
leçons  les  écoliers  des  autres  collèges,  après  le  commencement 
des  semestres  de  la  Saint-Rémi  et  de  Pâques,  à  moins  d'une 
permission  des  anciens  professeurs  ;  à  aller  aux  processions  de 
l'Université  et  à  y  envoyer  quelques-uns  de  leurs  élèves,  selon 
l'usage  des  autres  collèges.  Enfin  ils  terminaient  leur  requête 
par  ces  paroles  pressantes  :  «  Nous  conjurons  votre  sagesse  de  ne 
pas  permettre  que  ceux  qui  se  sont  écartés  de  la  foi  catholique  se 
réjouissent  plus  longtemps  de  nos  disputes,  et  en  tirent  avantage  ; 
mais  au  contraire  de  consentir,  suivant  le  vœu  de  tous  les  gens 
de  bien,  qu'il  nous  soit  permis  de  combattre,  sous  vos  ordres, 
contre  les  attentats  impies  des  ennemis  de  la  religion  que  vous 
avez  toujours  défendue,  et  de  nous  enrôler  pour  cette  guerre 
sainte,  comme  des  soldats  du  dernier  rang,  qui  désirent  vous 
avoir  pour  capitaines  et  pour  chefs2.  » 

1.  Du  Boulay,  H\stor.  Univ.  Paris.,  t.  VI,  p.  172. 

2.  Traduction  de  la  Requête  latine  des  Jésuites  aux  Recteur  et  officiers  de  la  célè- 
bre Académie  de  Paris.  Voir  Du  Boulay,  Op.  cit.,  p.  584,  585. 


Il  NIVERSITÉ  DE  PARIS  CONTRE  LES  JÉSUITES.  :i7T 

7.  Cette  supplique,  si  «  modeste  et  respectueuse  »  qu'elle  fût, 
n'aplanit  pas  toutes  les  dillicultés.  «  Nous  nous  acquitterons, 
avaient  dit  les  Jésuites,  de  tous  les  devoirs  et  témoignages  de 
soumission  compatibles  avec  notre  Institut.  »  Une  réserve  si 
Légitime  froissa  l'Université,  qui  résolut  de  maintenir  fermement 
ses  premières  décisions.  Ce  n'était  là  d'ailleurs  qu'un  prétexte; 
le  vrai  motif  de  sa  résistance  était  dans  le  succès  toujours  plus 
grand  du  collège  de  Clermont. 

«  Nos  classes  sont  florissantes,  écrivait,  au  mois  de  mai  1565, 
le  P.  Edmond  Hay,  alors  Recteur;  le  nombre  des  élèves  qui  les 
fréquentent  s'accroit  de  jour  en  jour.  Nous  donnons  les  leçons 
qu'on  donne  ordinairement  dans  les  aulres  collèges  :  une  de  logi- 
que, une  autre  de  rhétorique.  Nous  avons  en  outre  deux  classes 
de  grammaire,  qui  abondent  aussi  d'écoliers.  Nous  n'avons  pu 
cette  année-ci  en  ouvrir  de  nouvelles,  soit  parce  que  nous  n'a- 
vions pas  assez  de  professeurs,  soit  parce  que  le  local  nous  man- 
quait   Le  matin,  à  six  heures1,  nous  donnons  une  leçon   de 

grec  à  un  grand  nombre  d'auditeurs;  à  une  heure  après  midi,  on 
explique  les  Emblèmes  à  plus  de  soixante  étudiants.  Quant  aux 
leçons  de  métaphysique,  qui  ont  lieu  à  deux  heures,  elles  attirent 
un  concours  immense. 

«  Pour  rester  fidèles  au  devoir  principal  de  notre  vocation, 
nous  expliquons  deux  fois,  tous  les  dimanches  et  jours  de  fête, 
le  catéchisme  du  R.  P.  Canisius  :  le  matin  aux  enfants,  dans 
l'après-midi  aux  personnes  plus  avancées  en  âge.  Vous  ne  pour- 
riez vous  figurer  combien  ces  instructions  sont  fréquentées. 

«  Ces  divers  exercices  sont  aussi  agréables  aux  gens  de  bien 
qu'ils  sont  odieux  et  formidables  à  ceux  qui  obéissent  plus  à  la 
soif  de  l'or  qu'au  désir  de  la  gloire  de  Dieu,  et  le  nombre, 
hélas!  en  est  très  grand  à  Paris.  Cette  classe  d'hommes  s'oppose 
de  tout  son  pouvoir  à  nos  efforts,  mais  avec  plus  d'animosité  que 
de  succès.  Nous  espérons  que  l'Université  nous  admettra  bientôt, 
bon  gré  mal  gré,  dans  son  sein;  car  elle  commence  à  voir  qu'elle 
a  contre  nous  moins  de  pouvoir  qu'elle  ne  l'avait  d'abord  sup- 
posé. Elle  a  recouru  à  tous  les  moyens,  pour  nous  imposer  si- 

1.  Celle  heure  matinale  nous  surprend,  mais  celait  I  usage  alors  dans  l'Université 
de  Paris,  usage  très  incommode  pour  des  professeurs  qui  étaient  en  même  temps  des 
religieux.  C'est  pourquoi  le  P.  Laurent  Maggio,  visiteur  du  collège  de  Paris  en  1387. 
défendit  de  commencer  les  cours  avant  neuf  heures  :  «  Magislri  non  doceant  hora 
sexta  cum  tanto  incommodo;  sed  hora  noua  docere  aggrodientes  linem  suis  lcctioni- 
bus  imponant  hora  undecima  et  dimidiala,  sicut  vesperi  hora  quinta  cum  dimidia  » 
(Registre  du  coll.  de  Cleimonl,  Bibl.  nat.,  mss.  lat.,  10,989,  f.  56-76). 


378  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

lence  de  son  autorité  propre,  mais  en  vain.  Le  Parlement  ayant 
évoqué  cette  cause  a  son  tribunal  nous  a  non  seulement  per- 
mis, mais  même  ordonné,  d'enseigner.  Celui  qui  était  en  ce 
moment  Recteur  et  qui,  comme  théologien,  avait  mieux  connu 
l'équité  de  notre  cause,  se  repentit  alors  de  son  opposition  et 
tenta  de  nous  recevoir;  mais  il  s'y  prit  trop  tard;  son  trimestre 
allait  expirer.  Cependant,  avant  de  sortir  de  charge,  il  présenta 
de  notre  part  notre  supplique  aux  Facultés  réunies,  et  recom- 
manda notre  cause  aux  principaux  membres  de  ce  corps;  enfin, 
il  obtint  par  ses  démarches  que  l'Université  confierait  l'examen 
de  toute  cette  affaire  à  une  commission  spéciale,  qui  serait  char- 
gée d'aviser  aux  moyens  d'établir  nos  rapports  avec  elle,  et  sou- 
mettrait ensuite  son  avis  au  conseil  de  l'Université.  Dans  l'inter- 
valle, le  temps  de  la  charge  du  Recteur  théologien  vint  à  expirer; 
il  fut  remplacé  par  un  certain  médecin,  que  son  art  et  son  anti- 
pathie éloignaient  autant  de  nous  que  l'autre  s'en  rapprochait 
par  sa  profession  et  par  ses  sentiments.  La  commission  fit  à  ce 
nouveau  Recteur,  sur  l'objet  de  sa  délibération,  un  rapport  qui 
concluait  à  nous  incorporer,  à  recevoir  nos  frères  aux  différents 
degrés,  gratis,  à  titre  de  pauvreté,  ou  à  moins  de  frais.  Mais  le 
Recteur,  à  l'instigation  des  membres  de  sa  Faculté,  qui  nous  sont 
généralement  peu  favorables,  rejeta  notre  supplique.  Du  reste, 
cette  injustice  lui  mérita  autant  de  blâme  qu'elle  nous  attira  de 
considération. 

«  Pour  nous,  luttant  avec  courage  contre  tant  de  mauvais  vou- 
loir, nous  commençâmes  alors  à  organiser  les  classes  ordinaires; 
et  beaucoup  d'élèves,  malgré  tout  ce  que  firent  les  Principaux  pour 
les  éloigner  de  nous,  accoururent  des  autres  collèges  à  nos  leçons. 
L'Université  réunit  aussitôt  ses  comices  contre  nous,  et  là,  animée 
à  notre  égard  des  sentiments  qu'avaient  autrefois  les  Pharisiens 
pour  Jésus-Christ,  elle  s'écria  comme  eux  :  «  Vous  le  voyez,  nous 
«  avons  beau  faire,  tout  le  monde  les  suit.  »  Il  fut  donc  convenu, 
dans  cette  assemblée,  qu'on  nous  intenterait  un  procès  et  qu'on 
nous  traduirait  devant  le  Parlement.  Cependant  comme  ils  ne 
savent  quel  grief  invoquer,  ils  ont  différé  jusqu'à  présent  de  for- 
muler une  accusation.  En  attendant,  ils  mettent  tout  en  œuvre 
pour  attirer  sur  nous  le  mépris  public.  Leurs  écoliers  s'exercent 
à  la  salire,  en  français  et  en  latin,  à  nos  dépens;  nous  servons 
de  thème  aux  déclamations  qu'on  leur  donne  à  composer.  Dans 
deux  collèges,  on  préparait  contre  nous  des  comédies  et  des  tra- 
gédies; on  allait  même  les  jouer,  lorsque  le  procureur  du  roi 


L'UNIVERSITÉ  DE  PARIS  CONTRE  LES  JÉSUITES.  379 

manda  les  Principaux  de  ces  deux  collèges;  il  leur  reprocha  sé- 
vèrement d'oublier  la  charité  chrétienne  et  de  poursuivre  avec 
tanl  d'inconvenance  et  d'animosité,  au  risque  d'exciter  des  trou- 
bles, des  hommes  cpii  non  seulement  sont  innocents  mais  qui  en- 
core méritent  bien  du  pays.  Il  ajouta  que  par  une  telle  conduite, 
ils  montraient  bien  qu'ils  se  souciaient  peu  de  conserver  la  dis- 
cipline dans  l'Université,  comme  ils  s'en  vantaient,  mais  qu'ils 
avaient  pour  persécuter  les  Jésuites  des  motifs  beaucoup  moins 
honnêtes  :  «  Allez  donc,  dit-il  en  finissant,  détruisez  vos  prépa- 
«  ratifs  et  vos  théâtres,  autrement,  moi  qui  suis  chargé  de  veiller 
«  à  ce  que  dans  l'État  les  méchants  n'entreprennent  rien  contre 
«  les  braves  gens,  je  saurai  bien  vous  y  forcer.  »  Ils  obéirent  à 
contre-cœur. 

«  Au  reste,  quoique  nous  ayons  eu  souvent  occasion  de  parler 
au  procureur  du  roi,  nous  ne  lui  avons  jamais  dit  un  mot  de 
cette  affaire;  d'autant  moins  que  l'acharnement  de  nos  adver- 
saires, outre  qu'il  exerce  notre  patience,  nous  attire  encore  de 
la  part  des  bons  beaucoup  de  considération  et  de  faveur.  Et 
ainsi,  grâce  à  Dieu,  qui  tourne  tout  à  notre  avantage,  nos  en- 
nemis font  estimer  notre  Institut  en  s'efforçant  de  couvrir  notre 
nom  d'ignominie...  Ecrit  à  la  hâte,  de  Paris  le  13  février 
1564/5  ».  » 

Cette  lettre  du  P.  Hay,  annonçant  une  victoire  presque  cer- 
taine, était  bien  faite  pour  blesser  la  susceptibilité  des  adversai- 
res du  collège  de  Clermont  :  elle  contenait  des  révélations  et  des 
vérités  qui  ne  pouvaient  leur  plaire.  Le  P.  Prat,  dans  son  ouvrage 
sur  Maldonat,  prétend  qu'elle  fut  interceptée,  et  que  sa  lecture 
redoubla  l'acharnement  de  l'offensive2.  Nous  n'avons  vu  aucune 
preuve  directe  de  cette  violation  du  secret  naturel.  L'opinion  du 
P.  Prat  est  fondée  sans  doute  sur  ce  fait,  d'ailleurs  étrange,  que 
Du  Boulay  trouva  la  lettre  dans  les  Archives  de  l'Université.  Elle 
n'était  donc  point  parvenue  à  son  destinataire,  qui,  d'après 
l'en-tète,  était  un  jésuite.  Un  autre  historien,  Crevier,  nie  timide- 
ment l'acte  d'indélicatesse  et  n'admet  pas  que  ce  document  ait 
exercé  quelque  influence  sur  les  décisions  prises  contre  les  Pères. 
«  L'Université,  dit-il,  n'eut  sans  doute  pas  connaissance  de  cette 
lettre,  qui  attribuait  la  résistance  qu'éprouvait  la  Société  à 
l'amour  du  gain  et  à  l'envie;  [mais  elle]  présumait  que  telle  était 

1.  Celte  lettre  a  été  publiée  par  Du  Boulay  :  Histor.  Université  Parisiens.,  t.  VI, 
p.  589,  590. 

2.  Prat,  Maldonat,  p.  99,  100. 


380  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

la  façon  de  penser  des  Jésuites,  et  elle  soutint  avec  fermeté  la  ré- 
solution qu'elle  avait  prise  contre  eux  1.  » 

8.  Ce  qui  est  certain,  —  et  suffit  à  expliquer  les  soupçons  du 
P.  Prat,  —  c'est  que  le  14  février,  le  lendemain  du  jour  où  la 
lettre  avait  été  écrite,  le  Recteur  de  l'Université  cita  les  Pères  à 
comparaître,  le  18  à  huit  heures  du  matin,  devant  l'assemblée 
qui  devait  se  réunir  aux  Mathurins,  afin  de  déclarer  s'ils  étaient 
religieux  de  la  Compagnie  de  Jésus  ou  séculiers,  et  de  recevoir, 
en  conséquence,  la  réponse  à  leur  requête'2. 

La  question  de  l'incorporation  des  réguliers  à  l'Université  n'é- 
tait pas  nouvelle,  et  toujours  elle  avait  été  tranchée  au  désavan- 
tage de  ceux-ci;  car  l'Université  de  Paris  se  déclarait  essentielle- 
ment séculière.  Une  de  ses  lois  fondamentales  était  de  ne  recevoir 
les  religieux,  que  dans  la  proportion  insignifiante  qui  résultait  de 
leur  admission  aux  grades  de  théologie.  Elle  devait  donc  se 
montrer  peu  favorable  aux  Jésuites,  qui  prétendaient  s'acquitter 
de  toutes  les  fonctions  actives  de  l'enseignement.  La  distinction 
entre  réguliers  et  séculiers,  telle  qu'elle  était  proposée  en  termes 
absolus  :  Utrum  sint  monachi  religiosi  Societatis  Jesu  aut  saecu- 
lares,  devenait  dans  la  circonstance  insidieuse  et  embarrassante. 
Les  Jésuites  étaient  clercs-réguliers;  mais  l'Université  ne  compre- 
nant rien  à  cette  institution  de  date  récente,  ne  regardait  comme 
religieux  que  les  moines  et  les  mendiants.  Si  les  Jésuites  répon- 
daient qu'ils  étaient  prêtres  séculiers,  ils  mentaient  à  leur  Ins- 
titut et  aux  bulles  de  leur  fondation  ;  s'ils  s'avouaient  réguliers 
au  sens  de  moines  et  mendiants,  ils  s'excluaient  eux-mêmes  de 
l'enseignement  des  lettres. 

Le  18  lévrier,  le  P.  Cogordan,  procureur  de  la  Province  de 
France,  comparut  devant  l'assemblée  de  l'Université,  accompa- 
gné de  deux  notaires,  Chapelain  et  Crucé3.  Le  Recteur  ouvrit  la 
séance  par  un  court  interrogatoire,  dont  les  historiens  de  l'Uni- 
versité nous  ont  conservé  le  procès-verbal  : 

«  Êtes-vous  séculiers,  ou  réguliers,  ou  moines?  —  Nous  sommes 
en  France  tels  que  le  Parlement  nous  a  nommés,  c'est-à-dire  la 
Société  du  collège  que  l'on  appelle  de  Clermont. 

«  Êtes-vous  réellement  moines  ou  séculiers?  — Il  n'appartient 

t.  Histoire  de  l'Université  de  Paris,  t.  VI,  p.  175-177. 

2.  Manare,  De  rébus  S.  J.,  p.  86.  Cf.  Du  lioulay,  Histor.  Univers.  Paris.,  I.  VI, 
p.  585.  Les  dates  données  par  le  P.  Manare  ne  concordent  pas  avec  celles  de  Du  Boulay, 
mais  il  écrivait  d'après  de  lointains  souvenirs. 

3.  Commencements  de.  (a  Compagnie  de  Jésus  (Carayon,  Documents  inédits,  1, 
p.  29).  Manare,  De  rébus  S.  J.,  p.  8?. 


L'UNIVERSITÉ  DE  PARIS  CONTRE  LES  JÉSUITES.  381 

pas  au  tribunal  devant  lequel  nous  comparaissons  ici,  de  nous 
faire  cette  question. 

«  Ètes-vous,  en  effet,  moines,  réguliers  ou  séculiers?  —  Nous 
avons  déjà  répondu  plusieurs  fois  :  nous  sommes  tels  que  le 
Parlement  nous  a  nommés,  et  nous  ne  sommes  point  tenus  de  ré- 
pondre. 

«  Vous  ne  donnez  point  de  réponse  sur  le  nom  ;  sur  la  chose 
vous  dites  que  vous  ne  voulez  point  répondre.  Le  Parlement  vous 
adéfendude  prendre  le  nom  de  Jésuites  ou  de  Société  du  nom  de 
Jésus.  —  La  question  de  nom  nous  importe  peu.  Vous  pouvez 
nous  citer  en  justice,  si  nous  prenons  un  nom  qui  nous  soit  inter- 
dit par  arrêt l.  » 

Après  cet  interrogatoire,  où  l'on  avait  essayé  en  vain  de  l'en- 
fermer dans  un  dilemme,  le  P.  Gogordan  fit  lire  par  l'un  des  no- 
taires une  réponse  préparée  à  l'avance.  Il  y  expliquait  la  seule 
chose  que  l'Université  eût  à  connaître,  c'est-à-dire  la  position 
des  Jésuites  vis-à-vis  d'elle  : 

«  Messieurs,  y  disait-il,  les  uns  parlent  de  nous  en  une  sorte  et 
les  autres  d'une  autre  ;  nous,  brièvement,  vous  dirons  qui  nous 
sommes  :  nous  sommes  enfants  de  nostre  mère  sainte  Église  catho- 
lique, apostolique  et  romaine,  en  laquelle  protestons  tous  vou- 
loir vivre  et  mourir...  Quant  à  répondre  qui  nous  sommes  en 
France,  nous  sommes  tels,  outre  ce  que  dessus,  que  l'arrest  du 
Parlement  et  l'acte  de  nostre  réception  faict  à  Poissy  nous  dé- 
clarent, reçus  en  France  comme  une  compagnie  et  société  du  col- 
lège qui  s'appelle  de  Clermont.  Vous  pouvez  lire  lesdits  arrest  et 
acte  de  Poissy,  qui  vous  déclareront  qui  nous  sommes.  Quant  à 
dire  qui  nous  sommes  davantage,  ne  touche  à  la  présente  assem- 
blée demander,  ne  à  nous  respondre  à  telle  question;  et  à  qui 
touchera  nous  faire  telle  demande,  comme  seroit  au  Saint-Siège 
Apostolique  et  au  roy  nostre  souverain  seigneur,  nous  luy  res- 
pondrons  conformément  à  nos  institutions  et  bulles.  A  vous,  Mes- 
sieurs, ne  pouvons,  ne  devons  respondre  autrement  que  ce  que 
dessus,  qui  est  que  nous  sommes  tels  que  nous  nomment  ledict 
acte  de  Poissy  et  l'arrest  du  Parlement,  taies  quales  nos  nomi- 
navii  caria;  vous  suppliant  très-humblement,  pour  l'amour  de 
Dieu,  nous  vouloir  incorporer  au  corps  de  l'Université,  confor- 
mément au  dict  arrest  de  la  Cour  et  acte  de  l'assemblée  de  Poissy 
et  requeste  par  nous  présentée  à  M.  le  Recteur.  Nous  offrons  vous 
estre  très  obéissants  en  ce  que  nous  serons  obligés,  et  à  mondict 

1.  Du  Boulay,  Jlistor.  Univcrsi  Paris.,  I.  VI,  j>.  586. 


:<K2  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

sieur  le  Recteur  et  Université,  et  faire  tous  les  humbles  services 
que  nous  pourrons  '.  » 

Cette  explication,  donnée  par  le  P.  Cogordan,  était  suffisante  et 
loyale.  «  Cependant,  raconte  un  ancien  auteur,  sur  ce  que  le  bon 
Père,  interrogé  souvent  de  dire  qui  nous  estions,  s'estoit  toujours 
tenu  ferme  sur  la  response  Nos  sumus  laies  quales  esse  volait 
senatus...  on  print  subject  de  nous  brocarder  et  appeler  taies 
quales2.  » 

Afin  de  ne  fournir  prétexte  à  aucun  reproche,  les  Pères  du 
collège  de  Clermont  jugèrent  à  propos,  quelques  jours  plus  tard, 
d'adresser  à  l'Université  une  note,  rédigée  en  latin,  où  ils  dévelop- 
paient le  sens  de  la  réponse  précédente,  et  ajoutaient  quelques 
renseignements  sur  la  forme  de  l'Institut.  Ils  s'efforçaient  en 
particulier  de  faire  comprendre  qu'on  peut  être  religieux  sans 
être  moine  :  «  Nous  vivons,  disait  l'auteur  de  la  note,  eu  congré- 
gation et  en  société,  sous  de  certaines  lois  et  constitutions  reçues 
et  confirmées  non  seulement  par  les  Souverains  Pontifes,  mais 
encore  par  les  rois  très  chrétiens,  par  l'assemblée  de  l'Église 
gallicane  et  par  un  concile  général.  Notre  Société  est  divisée  en 
deux  parties  :  l'une  de  maisons  où  résident  ceux  qui  ont  fait  pro- 
fession, et  l'autre  de  collèges  où  demeurent  ceux  qui  aspirent  à  la 
faire.  Il  n'y  a  aucune  maison  de  profès  en  France.  Toute  la  con- 
testation se  réduit  à  ceux  qui  habitent  les  collèges  :  nous  vous 
demandons  qu'il  soit  permis  aux  uns  d'y  enseigner  et  aux  au- 
tres d'y  étudier.  —  Mais,  direz-vous,  ceux  qui  étudient  ou  qui  en- 
seignent sont-ils  religieux?  Nous  répondons  qu'en  les  comparant 
aux  profès  ils  ne  sont  pas  proprement  religieux  de  la  Société,  et 
qu'en  les  comparant  aux  séculiers  ils  sont  religieux1;  toutefois, 
comme  ils  ne  sont  pas  profès,  rien  n'empêche  qu'ils  n'enseignent 
la  philosophie  et  les  belles-lettres  selon  les  lois  de  votre  Uni- 
versité. »  Les  Pères  terminaient  en  protestant  que,  si  la  légiti- 
mité de  leurs  revendications  n'était  pas  admise,  ils  se  décide- 
raient à  recourir  aux  tribunaux  'l. 

9.  Les  différentes  Facultés  s'étant  réunies,  et  ayant  délibéré 
séparément  suivant  l'usage,  se  constituèrent  ensuite  en  assemblée 

1.  Articles  proposés  par  le  procureur  du  collège  de.  la  Compagnie  de  Jésus,  à 
l'a  ris,  dans  Ca  rayon,  Documents  inédits,  I,  p.  30,  31.  Cf.  Manare,  De  rébus  S.  J., 
p.  86. 

2.  Ibidem. 

3.  Voir  ce  que  nous  avons  dit  à  ce  sujet  au  livre  l",  chap.  v,  n.  6. 

4.  Copie  de.  cette  note  dans  «  Galliae  Visitationes  »,  n°  5.  —  Cf.  Du  Boulay,  Hislor. 
Univers.  Paris.,  t.  VI,  p.  586, 


L'UNIVERSITÉ  DE  PARIS  CONTRE  LES  JÉSUITES.  383 

générale  pour  promulguer  et  discuter  leurs  avis  respectifs.  Le 
Recteur,  au  nom  des  philosophes,  parla  le  premier.  Il  déclara 
que  non  seulement  les  prêtres  et  écoliers  du  collège  de  Clermout 
ne  devaient  pas  être  reçus  dans  l'Université,  mais  que  de  plus  il 
fallait  agir  avec  eux  selon  toute  la  rigueur  du  droit,  s'employer 
<lc  toute  manière  à  éloigner  d'eux  la  jeunesse,  et  exiger  des 
étudiants,  avant  leur  admission  aux  grades,  l'affirmation  sous 
serment  qu'ils  n'avaient  jamais  fréquenté  leurs  cours.  Il  demanda 
que  ce  serment  fût  ajouté  aux  six  autres  déjà  requis  des  candidats. 
La  Faculté  de  médecine  fut  d'avis  d'exterminer  totalement  cette 
secte  jusqu'alors  inconnue.  «  Les  professeurs  de  droit  canon 
émirent,  rapporte  le  P.  Manare,  une  opinion  qui  leur  parut  aussi 
efficace  que  modérée.  Ils  n'ignoraient  pas,  disaient-ils,  que  nous 
étions  religieux,  mais  ils  ne  savaient  à  quoi  attribuer  notre  refus 
de  répondre  :  n'était-ce  pas  plutôt  par  honte  de  notre  Institut  que 
par  mépris  de  leurs  interrogations?  Et  ils  concluaient  que  nous  ne 
pouvions  être  reçus,  parce  que  nous  n'avions  pas  répondu  caté- 
goriquement. Quant  aux  théologiens,  ils  s'exprimèrent  avec  plus 
de  circonspection  :  ils  dirent  simplement  qu'on  ne  devait  pas  nous 
recevoir  parce  que  nous  n'étions  ni  séculiers  ni  religieux  '.  » 

Dans  l'exposé  des  motifs  allégués  contre  la  Compagnie,  ses 
enuemis  laissent  percer  malgré  eux  leurs  véritables  sentiments  : 
«  L'Université,  disent-ils,  a  connu  par  les  requêtes  que  les  Jésuites 
ont  présentées,  tant  à  la  cour  du  Parlement  qu'au  Recteur,  qu'ils 
sont  moines  et  réguliers,  faisant  les  trois  vœux  et  de  plus  un 
quatrième  par  lequel  ils  se  font  vassaux  du  Pape;  par  quoi,  en 
cette  qualité  elle  ne  les  peut  recevoir.  —  L'Université  admet  le 
Concile  au-dessus  du  Pape,  comme  l'Église  gallicane;  par  quoi  ne 
peut  recevoir  société  ni  collège,  quel  qu'il  soit,  qui  met  le  Pape 
au-dessus  du  Concile.  —  Et  partant,  s'en  aillent,  si  bon  leur  sem- 
ble, ies  Jésuites,  se  nommer  ainsi  entre  les  infidèles  mécréants, 
pour  prêcher  auxquels  ils  ont  été  premièrement  institués.  »  ' 

Ainsi  une  des  causes,  et  peut-être  la  plus  sérieuse,  de  la  pro  - 
fonde  antipathie  de  l'Université  contre  le  collège  de  Clermont. 
c'était  l'entier  dévouement  de  la  Compagnie  au  Saint-Siège. 

Le  décret  d'exclusion  fut  donc  renouvelé,  et  défense  fut  faite 
à  tout  écolier  de  fréquenter  les  leçons  des  Jésuites,  sous  peine 

1.  Manare,   De  Rébus  S.  .).,  p.  87,  88. 

2.  Motifs  de  l' Université  contre  l'admission  des  Jésuites.  Ce  document  est  cite 
dans  les  Annales  des  soi-disant  Jésuites,  t.  I,  p.  22,  et  clans  Du  Houlay,  op.  cit., 
t.  VI,  p.  587. 


384  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS.       ' 

d'encourir  la  privation  «  de  tous  les  droits  et  privilèges  de  la 
scolarité  ».  Les  Pères,  ayant  épuisé  tous  les  moyens  de  conci- 
liation, résolurent  d'en  appeler  à  la  justice  des  tribunaux.  Eux- 
mêmes,  il  est  vrai,  intentèrent  le  procès,  mais  n'arrive-t-il  pas 
souvent  que  ceux  qui  déclarent  la  guerre  ne  sont  pas  les  vrais 
agresseurs?  Le  20  février  1565,  ils  adressèrent  une  requête  au 
Parlement,  lui  demandant,  après  l'exposé  des  faits,  d'empêcher 
l'Université  de  les  «  molester,  ni  perturber  »,  ni  interdire  leurs 
classes,  «  jusques  à  tant  que  la  cour,  due  ment  informée,  en  ait 
dit  et  déterminé1  ».  Le  Parlement,  sur  les  conclusions  du  pro- 
cureur général,  Bourdin,  fit  droit  à  leur  réclamation  par  un 
arrêt  du  27  février,  aussitôt  signifié  à  Michel  Marescot,  alors 
Recteur  de  l'Université.  Celui-ci  accepta  le  défi  et  promit  de 
comparaître  devant  les  magistrats. 

10.  L'affaire  avait  fait  trop  de  bruit  déjà,  pour  que  le  procès 
pendant  ne  remuât  pas  l'opinion.  Paris  se  partagea  entre  l'Uni- 
versité et  les  Jésuites,  comme  naguère  entre  les  Guise,  les  pro- 
lestants et  les  politiques.  «  A  entendre  nos  ennemis,  écrit  le 
P.  Manare,  nous  étions  des  hérétiques,  des  hommes  plus  nui- 
sibles au  royaume  que  les  huguenots.  Ils  allaient  de  maison  en 
maison,  s'efforçant  de  nous  rendre  odieux;  mais  les  faits  par- 
laient en  faveur  de  notre  innocence,  et,  malgré  tout,  on  ne  put 
rien  contre  nous.  Beaucoup  de  gens,  après  les  avoir  entendus 
débiter  leurs  calomnies,  venaient  nous  en  informer  et  manifes- 
taient leur  indignation  de  voir  que  notre  genre  de  vie,  si  méri- 
toire aux  yeux  de  Dieu  et  des  hommes,  était  vilipendé  par 
ceux-là  même  qui  auraient  dû  le  défendre.  »  Le  déchaînement 
des  passions  fut  des  plus  violents;  tout  le  monde  crut  que  les 
Jésuites  étaient  perdus  et  que  leurs  élèves  les  abandonneraient. 
Pourtant,  à  l'exception  de  quelques-uns,  retenus  malgré  eux  par 
leurs  précepteurs,  la  plupart,  peu  effrayés,  continuèrent  à  venir 
en  foule  aux  leçons  du  collège  de  Clermont. 

Le  parti  de  l'Université  manœuvra  si  bien,  auprès  des  curés 
de  Paris  et  des  quatre  Ordres  mendiants,  que  le  même  jour,  à 
la  même  heure,  dans  diverses  paroisses,  douze  prédicateurs  cé- 
lèbres déclamèrent,  en  guise  de  sermons,  de  longues  diatribes 
à  l'adresse  de  la  Compagnie;  mais  leur  audace  fut  aussitôt  et 
énergiquement  réprimée  par  le  Parlement.  Quelques-uns,   en 

1.  Requête  des  Jésuites  au  Parlement,  dans  Du  Boulay,  t.  VI,  p.  Ô90  et  suiv. 


L'UNIVERSITÉ  DE  PARIS  CONTRE  LES  JÉSUITES.  385 

descendant  de  chaire,  furent  durement  accueillis  par  des  mem- 
bres de  la  Cour  qui  leur  reprochèrent,  dans  l'église  môme  et 
devant  l'auditoire,  d'avoir  traité  avec  si  peu  d'égards  des  hommes 
vertueux,  des  religieux  innocents1.  La  protection  de  ces  hauts 
personnages  ne  suffit  point  cependant  à  calmer  l'irritation  de 
turbulents  adversaires.  Tous  les  carrefours  «  estoient  chargés  de 
placards  »  méprisants;  il  ne  se  jouait  tragédie,  «  où  sur  la  fin 
il  n'y  eust  quelque  satyre  »  contre  les  Jésuites.  Tous  les  colleurs 
semblaient  conjurés,  et  il  ne  faisait  pas  bon  pour  les  Pères  de 
traverser  le  quartier  de  l'Université,  où  ils  étaient  «  d'ordinaire 
attaquez  de  quelque  ordure  ou  de  parole  injurieuse  ».  Le  P.  Oli- 
vier Manare,  une  fois  entre  autres,  fut  accompagné  jusqu'au  petit 
Châtelet  par  deux  écoliers,  qui  ne  cessèrent  de  l'accabler  d'in- 
sultes :  Tu  es  jesuita,  ergo  hypocrita,  ita.  Deux  autres  Pères, 
près  de  l'église  des  Chartreux,  furent  assaillis  à  coups  de  pierres 
par  un  régent  de  collège,  nommé  Marchand,  qui  peu  de  jours 
après  était  trouvé  mort  à  la  porte  d'une  maison  mal  famée2. 

Les  martinets  et  les  galoches  se  distinguaient  par  leur  inso- 
lence et  leurs  outrages.  Non  moins  méchants,  les  humanistes  du 
collège  royal,  Lambin  et  Turnèbe,  aiguisaient  leurs  épigrammes. 
Dans  les  cercles  lettrés,  on  récitait  leurs  poésies  satiriques  contre 
la  Compagnie  de  Jésus.  Une  pièce  latine,  intitulée  :  AdSoiericum 
gratis  docenlem,  eut  un  succès  de  vogue,  et  fut  traduite  en  fran- 
çais sous  ce  titre  :  Elégie  au  Jésuite  gui  lit  gratis  en  l'Univer- 
sité de  Paris'''. 

11.  Les  Jésuites,  en  d'autres  temps,  auraient  pu  compter  sur 
le  patronage  de  la  Cour;  mais  le  roi  et  la  reino-mère,  vovageant 
alors  dans  le  midi,  avaient  entraîné  à  leur  suite  les  cardinaux 
de  Bourbon  et  de  Lorraine,  et  les  grands  seigneurs,  presque 
tous  protecteurs  déclarés  du  collège  de  Clermont.  Néanmoins  le 
P.  Provincial  jugea  prudent  de  ne  pas  laisser  plus  longtemps 
les  siens  exposés  sans  défense  à  la  malice  et  aux  coups  de  leurs 
ennemis. 

«  Sur  le  conseil  de  nos  Pères,  raconte  le  P.  Manare,  je  me  rendis 
à  Toulouse,  auprès  du  roi  Charles,  qui  s'y  trouvait  alors  avec 
Catherine  de  Médicis,  sa  mère.  Depuis  qu'il  avait  pris  possession 
du  pouvoir,  je  ne  m'étais  pas  encore  présenté  pour  lui  offrir  les 

1.  Manare,  De  rébus  s.  ./.,  p.  88,  89. 

'1.  Comm.  de  la  Compagnie  (Carayon,  Doc.  inéd.,  1.  i>.  31,  82). 
:    Cf.  Rrunet,  Manuel  du  libraire,  t.  II.  col.  197. 

COMPAGNIE   DE   JlisLS-  —  T.   I.  25 


386  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

hommages  do  la  Compagnie,  et  voilà  qu'il  me  fallait  recourir  à 
son  autorité  pour  détourner  de  notre  tèle  un  coup,  je  ne  dirai 
pas  seulement  dont  nous  étions  menacés,  mais  dont  l'Université, 
la  main  déjà  levée,  s'apprêtait  à  nous  frapper1.  »  Afin  d'avoir  un 
accès  plus  facile  auprès  du  roi,  le  Père  s'adressa  d'abord  à  la 
reine-mère  qui  jouissait  toujours  d'une  grande  influence.  Elle  le 
reçut  avec  beaucoup  de  bonté,  et  finit  par  lui  demander  s'il  avait 
parlé  au  roi.  Sur  sa  réponse  qu'il  «  avait  cru  devoir  n'agir,  en 
cette  affaire,  que  sous  la  direction  et  d'après  le  bon  plaisir  de  Sa 
Majesté  »,  la  reine  lui  conseilla  de  voir  son  fils.  Le  P.  Manare  la 
pria  de  vouloir  bien  lui  ménager  cette  entrevue  par  l'intermé- 
diaire de  quelque  gentilhomme,  en  faisant  remarquer  combien  il 
serait  pénible  pour  lui,  religieux  et  inconnu,  d'attendre  plusieurs 
jours,  comme  il  arrive  souvent,  au  milieu  du  tumulte  de  la  cour, 
une  audience  du  roi  occupé  d'affaires  ou  d'entretiens  avec  les 
princes.  Catherine  de  Médicis  accueillit  favorablement  ces  repré- 
sentations, et  faisant  signe  à  l'un  de  ses  officiers,  elle  lui  re- 
commanda d'obtenir  promptement,  en  son  nom,  une  audien.ee 
du  roi. 

«  Charles  IX,  poursuit  le  P.  Manare,  se  trouvait  alors  dans  son 
appartement  avec  ses  frères  et  quelques  princes.  Pendant  que 
j'atteudais  dans  l'antichambre,  il  sortit  accompagné  de  ses  deux 
frères  et  du  roi  de  Navarre.  Comme  je  ne  l'avais  jamais  vil, 
je  crus  d'abord  que  c'étaient  quelques-uns  de  ses  pages,  et  que 
lui-même  ne  tarderait  pas  à  paraître.  Mais  aussitôt  ce  cri  reten- 
tit :  Le  roi,  voici  le  roi!  A  la  vue  de  ces  quatre  jeunes  gens  sans 
manteau,  vêtus  de  la  même  manière,  et  qui  se  tenaient  à  égale 
distance  de  moi,  je  ne  savais  lequel  saluer,  car  aucun  signe  ne 
me  permettait  de  reconnaître  le  monarque.  Celui-ci,  jeune  ado- 
lescent paraissant  âgé  de  treize  ans-,  devina  la  cause  de  mon 
hésitation,  et  —  grande  marque  de  bienveillance  de  sa  part  — 
il  s'avança  vers  moi.  Atin  de  me  bien  montrer  qu'il  était  le  roi, 
il  m'embrassa  et  me  dit  à  l'oreille  :  «  Dites,  mon  Père,  dites-moi 
«  ce  que  vous  désirez.   » 

Le  P.  Manare  exposa  l'objet  de  sa  requête.  Quand  il  eut  fini  de 
parler,  Charles  IX  l'assura  que  sa  démarche  lui  était  très  agréa- 
ble, qu'il  serait  toujours  favorable  à  la  Compagnie  de  Jésus  et  la 
protégerait  contre  tous  ses  ennemis.  Puis,  s'adressant  aux  princes, 
il  leur  répéta  ce  que  son  père,  Henri  II,  avait  dit  autrefois  des 

1.  Manare,  De  rébus  S.  /.,  p.  89. 

%  Charles  IX,  né  le  27  juin  1550,  avait  alors  environ  quinze  ans. 


L'UNIVERSITÉ  DE  PARIS  CONTRE  LES  JÉSUITES.  387 

Jésuites  au  cardinal  Charles  de  Lorraine  et  à  d'autres  seigneurs  : 
«  Mon  cousin  et  vous  princes,  ces  bons  religieux  ont  beaucoup 
de  contradicteurs  et  d'adversaires,  et  nous  soin  nies  presque  seuls 
à  les  protéger;  faisons  donc  pour  eux  ce  que  nous  devons,  et 
montrons-nous  leurs  défenseurs.  »  11  ordonna  ensuite  au  secré- 
taire d'État,  l'Aubespine,  d'écrire  en  son  nom  des  lettres  de 
recommandation  à  toutes  les  personnes  que  le  l'ère  jugerait  à 
propos,  et  lui  recommanda  d'arranger  immédiatement  cette 
affaire.  Ce  qui  fut  fait  «  grâce  à  Dieu  et  au  roi  ». 

Étant  retourné  vers  Catherine  de  Médicis,  le  P.  Manare  la  pria 
de  lui  pardonner  son  importunité  et  de  vouloir  bien  attribuer  à 
l'inexpérience  d'un  étranger  et  à  la  simplicité  religieuse,  peu 
faite  aux  usages  du  monde,  les  fautes  qu'il  avait  pu  commettre 
contre  l'étiquette  de  la  cour  :  «  Ne  craignez  pas,  répliqua  la 
reine,  de  nous  être  à  charge  en  nous  parlant  de  vos  affaires; 
quant  au  cérémonial,  gardez  toujours  votre  simplicité,  qui  vous 
sied  mieux  et  nous  est  plus  agréable.  Beaucoup  de  religieux  vien- 
nent à  nous;  nous  estimons  plus  ceux  qui  se  conduisent  comme 
tels,  que  ceux  qui  veulent  passer  pour  courtisans  et  mondains1.  » 

De  retour  à  Paris,  le  P.  Provincial  apprit  que  l'affaire  devait 
être  plaidée,  le  29  mars,  devant  le  Parlement. 

1.  Manare,  De  rébus  S.  J.,  p.  89,  90. 


CHAPITRE  II 

PREMIER    PROCKS    AVEC    L'UNIVERSITÉ. 

(1565). 


Sommaire  :  1.  Choix  des  défenseurs.  —  2.  Portrait  de  Pierre  Versoris  et  d'É- 
tienne  Pasquier.  —  3.  Ouverture  des  débats,  29  mars;  plaidoyer  de  Pasquier. 
—  1.  Interruption  des  débats:  démarches  du  P.  Manare.  —5.  Séance  du  5 avril; 
plaidoyer  de  Versoris.  —  6.  Conclusion  de  l'avocat  général  et  arrêt  du  Parle- 
ment. —  7.  Tentatives  de  l'Université  pour  la  reprise  du  procès:  ses  mesures 
contre  le  collège  de  Clermont.  —  8.  Projets  violents  des  écoliers.  —  9.  Inter- 
vention de  Pie  IV.  Le  P.  Possevin  à  la  cour:  lettres  patentes  de  Charles  IX 
(1er  juillet)  autorisant  la  fondation  de  collèges  et  maisons  dans  tout  le 
royaume. 

Sources  manuscrites  :  I.  Bibliothèque  nationale,  Fonds  Dupuy,  vol.  XVI. 

il.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Galliae  Epistolae.  —  b)  Pos- 

sevinus  .-  Acla  in  Gallià  et  pro  Galliâ;  Annalium  decas  la. 
lll.  Archives  de  la  Province  de  Lyon. 
Sources  imprimées  :  D'Argentré,   Collectio  judiciorum.  —  Du  Boulay,  Histor.   Univer. 

Parisiens.   —  Lnisel,   Opuscules.  —  Godefroy,  Le  cérémonial  français.  —  Mannre,  De 

rébus  Soc.  Jesu  Commentarius.  —  Du  Moulin.   Œuvres  complètes.  —  Pasquier.  Lettres; 

Recherches.  —  Pièces  fugitives  jjonr  servir  à  l'Histoire  de  France.  —  Pral.  Maldonal 

ri  l'Université  île  Paris. 

1.  Lorsqu'il  lui  fallut  choisir  son  défenseur,  l'Université  se 
trouva  dans  une  situation  assez  embarrassante.  Elle  ne  pouvait 
songer  à  Du  Moulin  qui,  «  le  plus  docte  de  son  temps  en  droit 
civil  et  coustumier,  était  malhabile  en  la  fonction  d'avocat,  prin- 
cipalement au  barreau1  ».  Elle  avait  bien  quatre  avocats  or- 
dinaires, Montholon,  Choart,  Ghauvelin  et  Chippart,  tous  person- 
nages de  poids.  Mais  le  premier  s'était  déjà  prononcé  en  faveur 
des  Jésuites  qui  l'avaient  consulté;  le  second  était  suspect  parce 
que  son  beau- père  leur  était  dévoué,  et  les  deux  derniers  avaient 
signé  pour  eux  dans  plusieurs  rencontres".  Le  Recteur  et  les 
députés  décidèrent,  le  7  mars,  que  l'on  ne  pouvait  recourir  à  des 
hommes  dont  les  antécédents  inspiraient  des  soupçons,  et  qu'il 
fallait  confier  la  cause  à  un  homme  parfaitement  sur. 

t.  Ainsi  en  parle  un  contemporain,  Antoine  Loisel,  dans  Pasquier,  ou  dialogue  des 
avocats  du  Parlement  de  Paris  (Edition  Dupin,  p.  82). 
2.  CL  Crevier,  Hist.  de  finir.,  I.  VI,  p.  181. 


PREMIER  PROCÈS  AVEC  L'UNIVERSITÉ.  389 

Une  circonstance  fortuite  offrit  ;'i  l'Université  un  avocat  auquel 
personne  ne  pensait,  et  qui  lui-même  ne  songeait  point  à  cette 
bonne  fortune.  C'était  Etienne  Pasquier,  alors  âgé  de  trente-six 
;ms  et  médiocrement  employé  au  barreau  :  «  Lorsque  j'arrivay 
au  Palais,  nous  apprend-il  dans  une  de  ses  lettres,  ne  trouvant 
personne  qui  me  mist  en  bcsongne  et  n'estant  né  pour  être  oi- 
seux, je  me  mis  à  faire  des  livres,  mais  livres  conformes  à  mon 
ange  et  à  l'honneste  liberté  que  je  portois  sur  le  front1.  »  Dans 
ses  loisirs  forcés,  à  la  campagne,  Pasquier  avait  eu  l'occasion  de 
lier  connaissance,  durant  plusieurs  mois,  avec  deux  membres 
influents  de  l'Université  :  Béguin,  grand-maître  du  collège  Car- 
dinal Le  Moine,  et  Le  Vasseur,  principal  du  collège  de  Reims. 
Ces  deux  docteurs,  très  attachés  aux  opinions  gallicanes  et  aux 
privilèges  universitaires,  avaient  pu  se  convaincre  que  Pasquier 
partageait  leurs  prétentions  et  qu'il  saurait  au  besoin  les  défen- 
dre. En  voyant  l'Université  embarrassée  pour  le  choix  d'un  avo- 
cat dans  son  procès  avec  les  Jésuites,  ils  se  souvinrent  de  leur 
ancien  ami,  le  proposèrent  et  le  firent  agréer  du  Recteur  et  des 
députés. 

Réunie  en  assemblée  plénière,  le  17  mars,  l'Université,  après 
avoir  accepté  ce  défenseur,  nomma  une  commission  chargée  de 
lui  fournir  des  renseignements  et  des  explications  précises  sur 
toute  l'affaire.  Deux  membres  de  chaque  Faculté  furent  désignés 
pour  en  faire  partie.  C'étaient  Le  Vasseur  et  du  Gast,  de  la  Fa- 
culté de  théologie;  Rivière  et  Gilbert,  de  la  Faculté  de  droit; 
Gorrée  et  Magnms,  de  la  Faculté  de  médecine  ;  Ramus  et  Guillaume 
Galland,  de  la  Faculté  des  arts,  auxquels  ou  adjoignit  Fabre  et 
Pelletier. 

Dans  la  séance  du  lendemain,  il  fut  décidé  :  1°  que  le  Recteur, 
au  nom  de  tout  le  corps,  engagerait  chacun  des  principaux,  des 
professeurs  et  des  philosophes  à  aider  la  commission  dans  l'ac- 
complissement de  sa  charge;  —  2"  qu'on  prierait  les  prédicateurs 
de  visiter  en  particulier  les  membres  du  Parlement,  qui  habi- 
taient leurs  paroisses,  afin  de  leur  recommander  la  cause  de  l'U- 
niversité-. Comme  si  ce  n'était  pas  encore  assez,  on  fit  appel  à 
tous  ceux  qui,  pour  un  motif  ou  un  autre,  se  trouvaient  intéressés 
à  la  ruine  du  collège  de  la  Compagnie.  Le  Cardinal  (Met  de  Cha- 
tillon,  les  chanceliers  de  Notre-Dame  et  de  Sainte-Geneviève,  l'é- 
vèque  et  les  curés  de  Paris,  le  prévôt  des  marchands  et  les  éche- 

1.  Lettres,  1.  VIII,  n"  1. 

2.  Du  Boulay,  Histor.  Univers.  Paris,,  t.  VI,  p.  592,  693, 


39Ô  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JES1  S. 

\ins  de  la  ville,  les  exécuteurs  testamentaires  de  Guillaume  du 
Praï  et  les  administrateurs  des  pauvres  de  Clermont,  s'empres- 
sèrent d'entrer  dans  la  conjuration  contre  les  Jésuites.  Ils  prirent 
pour  avocats  du  Mesnil,  Guérard,  Béchet,  Ayrault,  de  ïhou  et 
Fontenay.  Ce  grand  appareil  de  parties  adverses  fit  bientôt  re- 
connaître à  tous  les  honnêtes  gens  que,  «  soubs  ces  faulx  mas- 
ques d'intérest  et  bien  publics,  l'hérésie  voulait  jouer  son  jeu 
et  taschoit  d'abbatre  les  deffènses  que  la  providence  divine  dres- 
sait en  cette  Université  pour  y  conserver  la  religion  catholique, 
et  obvier  à  l'extrême  corruption  des  mœurs  '  ». 

La  lutte  prenait  ainsi  des  développements  inattendus,  et  l'a- 
vantage du  nombre  n'était  point  du  côté  de  la  Compagnie  qui 
avait  à  soutenir  huit  procès  à  la  fois.  Elle  ne  choisit  qu'un  avo- 
cat, Versoris,  et  lui  donna  pour  auxiliaire  le  P.  Cogordan,  «  l'un 
des  plus  braves  solliciteurs  que  le  Palais  ait  eus  '  ».  Pierre  Ver- 
soris, ou  Le  Tourneur,  était  bien  capable,  par  ses  talents  et  son 
expérience,  de  faire  face  à  huit  adversaires;  en  somme,  il  n'eut 
affaire  qu'à  Etienne  Pasquier,  avocat  de  l'Université.  Avant  de 
les  voir  aux  prises,  il  importe  de  connaître  leur  valeur  respec- 
tive. 

2.  L'avocat  des  Jésuites  était  d'une  famille  de  robe,  qui  avait 
donné  des  Recteurs  à  l'Université  et  des  avocats  au  Parlement. 
Très  versé  dans  l'étude  des  lois,  il  était  en  même  temps  connu 
pour  son  attachement  à  l'Église,  et  Pasquier  lui  a  rendu  hom- 
mage en  le  proclamant  «  grandement  zélateur  du  bien  public, 
singulièrement  ès-choses  qui  concernent  la  religion  catholique  ». 
11  parlait  avec  une  éloquence  vive,  prompte  et  naturelle,  et  une 
grande  facilité  de  persuasion,  «  ce  qui  le  faisait  charger  des  plus 
grandes  et  des  plus  belles  causes  ».  Mais,  «  ayant  donné  tout  son 
esprit  aux  procès  »,  il  n'était  pas  à  beaucoup  près  parvenu  à  la 
perfection  d'éloquence  où  «  sa  nature  cultivée  par  l'art  l'eust  pu 
aisément  porter :i  ».  Il  consacrait  une  partie  de  son  temps  aux  af- 
faires de  la  maison  de  Lorraine,  dont  il  était  le  conseil  ordinaire. 
La  considération  qu'il  s'était  acquise  au  Palais  lui  valut  plus  tard 


1.  Comm.  de  la  Compagnie  (dans  Carayon,  Doc.  inéd.,  I,  p.  33).  M.  Tliéry  fait  la 
même  remarque  el  montre  s'alliant  à  l'Université  :  «  les  parlisans  de  la  religion  re- 
formée, puisque  les  Jésuites  annonçaient  leur  mission  expresse  de  la  détruire;  le 
collège  de  France  où  dominait  le  calvinisme,  et  qui  avait  de  plus  la  gloire  de  son  en- 
seignement à  défendre  »  [Histoire  de  l'Education  en  France,  t.  11,  p.  42). 

2.  Lettre  de  Pasquier,  citée  par  Du  Boulay,  Histor.  Unir.  Paris.,  t.  VI,  p.  648. 

3.  Loisel,  Opuscules,  p.  526  el  note, 


PREMIER  PROCES  A.VEC  L'UNIVERSITE.  391 

l'honneur  de  porter  la  parole,  au  nom  du  Tieri-État,  aux  États 
Généraux  de  Blois.  Il  mourut  de  douleur,  en  1589,  en  apprenant 
l'assassinat  du  duc  Henri  de  (iuise  '. 

^tienne  Pasquier,  dans  ses  Lettres  publiées  pour  «  contenter, 
dit-il,  non  seulement  les  sages  mais  aussi  les  fols  »,  se  tait  sur  sa 
naissance  et  son  enfance;  ce  qu'il  nous  apprend  de  sa  jeunesse  le 
montre  d'une  morale  facile.  Son  franc-parler,  sa  verve  gauloise 
et  certaines  gaillardises  de  style  reflètent  bien  ce  dévergondage 
d'esprit  que  prisaient  si  fort  les  contemporains  de  Rabelais.  Il 
avait  composé,  encore  jeune,  des  dialogues  erotiques  qu'un  hon- 
nête homme  n'aurait  jamais  voulu  signer  et  que  dans  sa  vieil- 
lesse il  s'applaudissait  encore  d'avoir  écrits  :  «  Je  ne  sçay,  disait-il 
alors,  si  j'ay  en  ceci  failly;  mais  s'il  y  a  de  ma  faulte,  elle  est 
double  :  l'une  d'avoir  failly,  l'autre  de  ne  m'en  pouvoir  repen- 
tir'. »  Pasquier  se  déclare  souvent  catholique;  il  était  même 
marguillier  de  sa  paroisse,  mais  il  savait  s'arranger  une  religion 
à  la  hauteur  de  sa  morale;  dans  ses  ouvrages  il  ne  craignait  point 
de  faire  des  applications  sacrilèges  de  la  Sainte  Ecriture,  ni  de 
tourner  en  ridicule  les  actions  sublimes  des  Saints.  Partisan  des 
libertés  gallicanes,  on  le  voit,  dans  le  troisième  livre  de  ses  Re- 
cherches, parler  du  pouvoir  du  Saint-Siège  comme  l'aurait  pu 
faire  un  protestant.  Infatué  de  son  mérite,  se  croyant  tout  per- 
mis et  ne  passant  rien  aux  autres,  il  poursuivait  de  ses  injures  ou 
de  ses  calomnies  quiconque  n'entrait  pas  dans  ses  sentiments.  La 
Compagnie  de  Jésus,  qui  n'entendait  pas  à  sa  manière  la  religion 
et  la  morale,  devait  avoir  en  lui  un  adversaire  acharne. 

Il  eut  l'audace  d'attribuer  à  une  inspiration  divine  le  choix  de 
sa  personne  comme  avocat  de  l'Université  :  «  Par  vostre  foy, 
écrit-il  à  l'un  de  ses  correspondants,  y  cust-il  jamais  miracle 
plus  exprès  de  Dieu  que  cestuy?  »  A  l'entendre,  dans  tout  le 
barreau  de  Paris,  «  il  y  en  avoit  un  tout  seul  qui  eust  pu  ap- 
profondir cette  cause  comme  [il|  lit ;:  ».  Et  cela  parce  que,  quel- 
ques années  auparavant,  il  avait  rencontré  à  la  campagne,  près 
de  Melun,  le  P.  Paschase  Broet  qu'il  appelle  Pasquier  Brouès  : 
«  Comme  la  curiosité,  raconte-t-il,  me  fait  souvent  bonne  com- 
pagnie, soudain  que  je  Feus  halené,  je  m'abouchay  avecques 
lui,  désireux  de  sçavoir  le  commencement  et  progrès  de  [son 
Ordre]  ;  non  seulement  je  l'accostay,  ains  pris  la  plume  sous  luy 
pour  m'informer  plus  certainement  de  ce  que  je  désirois  appren- 

■   1.  Loisel,  Opuscules,  p.  751. 
2,  Lettres,  liv.  VI,  n°  3.  —  3.  Lettres,  liv.  XXI,  nu  1. 


.102  HISTOIRE  DE  LÀ  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

dre,  et  y  employay  environ  quatre  grandes  feuilles  de  papier1.  » 
Qu'y  a-t-il  de  vrai  dans  ce  récit?  Probablement  une  simple  con- 
versation de  rencontre  en  voyage,  conversation  qui  profita  bien 
peu  au  futur  défenseur  de  l'Université,  puisque  son  plaidoyer 
dénote  une  ignorance  totale  de  l'Institut.  Peu  importe,  d'ail- 
leurs, cette  circonstance  plus  ou  moins  travestie2.  L'avocat  sans 
cause  se  voyait  offrir  une  affaire  retentissante;  il  avait  devant 
lui  un  chemin  court  et  sur  vers  la  gloire;  pour  rien  au  monde 
il  n'eût  laissé  échapper  une  si  belle  occasion,  et  il  le  déclara  ru- 
dement à  son  collègue  Hamat,  qui  jaloux  d'être  éliminé  le  me- 
naçait de  lui  faire  «  lascher  la  prise  ». 

Rien  ne  fut  négligé  dans  la  préparation  de  ce  procès  qui  al- 
lait faire  sa  fortune  et  qu'il  appelait  «  la  première  planche  de 
son  avancement  au  Palais  :i  ».  Chaque  jour  il  eut  des  confé- 
rences avec  les  régents  et  les  principaux  des  collèges,  avec  la 
commission  chargée  de  lui  fournir  des  renseignements,  avec 
tous  ceux  qui  avaient  à  dire  du  mal  des  Jésuites.  11  eut  aussi 
recours  aux  extraits  d'un  livre  «  qu'un  nommé  Kemnitzius,  hé- 
résiarque et  protestant  d'Allemagne,  avoit  escrit  contre  la  So- 
ciété, laquelle  il  éprouvoit  lui  estre  contraire4  ».  Telles  sont  ses 
principales  sources  :  nous  sommes  loin  des  prétendues  confi- 
dences du  P.  Broet. 

Le  2i  mars,  dans  une  consultation  avec  six  des  avocats  les  plus 
hostiles  à  la  partie  adverse,  Dechappes,  Canaye,  Robert,  du  Mesnil, 
du  Vair,  de  Thou,  il  arrêta  les  grandes  lignes  de  sa  plaidoirie,  et 
avec  eux  il  conclut  que,  «  quelques  protestations  que  tissent  les 
Jésuites  »,  il  fallait  non  seulement  leur  refuser  l'incorporation 
à  l'Université,  mais  bien  «  les  chasser  et  exterminer  totalement 
de  celte  France'1  ».  Pour  plus  de  sûreté,  trois  ou  quatre  jours 
avant  les  débats,  il  prit  encore  l'avis  des  avocats  de  la  Porte, 
Canaye,  Mangot  et  Saint-Méloir,  qu'il  nomme  «  les  ares-boutans 
des  consultations  ».  Tous  approuvèrent  ses  moyens  de  défense, 
et  se  déclarèrent  pré! s  à  chanter  son  triomphe  ou  à  démentir 
son  échec. 


1.  Lettres,  liv.  XXI,  tr  1. 

2.  Il  n'est  pas  croyable,  dit  M.  Nisard,  «  que  le  P.  Broet  ait  rien  dit  à  Fasquier  qui 
put  lui  inspirer  de  l'horreur  contre  les  Jésuites  »  [Les  gladiateurs  de  la  république 
des  lettres,  t.  II,  p.  291). 

3.  Pasquier,  Lettres,  liv.  XXI,   n.  1. 
i.  Du  Boulay,  op.  cit.,  p.  594. 

5.  Consultation  des  avocats  Dechappes,  Canaye  etc..  dans  les  mss.  de  la  Bibl.  nat. 
11    Dupuy,  t.  LXXIV,  f.  60, 


PREMIER  PROCÈS  WEC  L'UNIVERSITÉ.  393 

:{.  Los  débats  s'ouvrirent  le  29  mars,  sons  la  présidence  de 
Christophe  de  Thou,  devant  une  assistance  nombreuse  attirée  par 
la  célébrité  de  la  cause  et  le  talent  des  deux  défenseurs.  Au  dire 
de  l'avocat  général  du  Mcsnil,  «  leur  dextérité  et  l'excellence  de 
leur  esprit  »  se  montrèrent  avec  tant  d'éclat,  «  que  l'on  pouvait 
manifestement  connoître  que  ce  siècle  et  ce  palais  n'étoient  alors 
comme  oneques  ils  le  furent,  destitués  de  personnes  dignes  et 
suffisantes  pour  représenter  la  gloire  de  leurs  prédécesseurs  '  ». 
Un  incident  se  produisit  dès  l'ouverture  de  l'audience.  L'avocat 
des  Jésuites  s'était  placé  au  barreau  des  pairs,  du  coté  des  con- 
seillers laïques  ;  Pasquier  revendiqua  pour  l'Université  cette  plan' 
qui  était  considérée  comme  privilégiée.  Versoris  ne  voulut  point 
céder.  La  contestation  fut  jugée  séance  tenante.  Un  arrêt  rendu 
par  la  cour  ordonna  que  l'avocat  des  Jésuites  quitterait  le  bar- 
reau des  pairs  et  le  laisserait  à  l'avocat  de  l'Université  ~. 

La  parole  fut  d'abord  donnée  à  Versoris  en  qualité  de  deman- 
deur. La  raison  était  de  son  côté.  Que  réclamait-il  pour  ses  clients 
sinon  le  droit  d'améliorer  l'enseignement  et  la  discipline  de  l'édu- 
cation française?  Il  lui  eût  donc  suffi  de  prouver  aux  juges  que 
l'Université,  en  repoussant  la  concurrence,  répudiait  aussi  le 
progrès.  Mais,  au  lieu  d'exposer  tout  de  suite  ses  moyens  d'at- 
taque et  de  défense,  il  se  tint  sur  une  prudente  réserve  et  se  con- 
tenta de  lire  la  requête  des  Jésuites,  après  avoir  fait  l'éloge  de 
leur  sainte  profession.  Par  cette  habile  tactique  il  déjouait  tous 
les  plans  de  Pasquier,  lui  laissait  les  difficultés  de  la  discussion, 
lui  dérobait  les  arguments  à  combattre  et  se  ménageait  en  même 
temps  les  avantages  de  la  réplique. 

L'affaire,  telle  que  Versoris  l'avait  préseutée,  se  réduisait  à  une 
simple  querelle  entre  deux  corps  rivaux,  à  un  combat  entre  le 
monopole  et  la  liberté.  Pasquier  ne  se  renferma  pas  dans  ces  li- 
mites, mais  se  jeta  dans  des  discussions  hors  de  propos. 

Il  est  bon,  croyons-nous,  de  faire  connaître  sommairement  un 
discours  qui  devint  la  source  de  toutes  les  calomnies  dirigées 
contre  l'organisation  intérieure  de  la  Compagnie  de  Jésus.  11  im- 
porte surtout  de  montrer  jusqu'où,  dans  l'affaire  présente,  la 
partie  adverse  porta  l'ignorance  et  la  mauvaise  foi  :. 

1.  Discours  de  l'avocat  général,  dans  Du  Boulay,  op.  cit.,  p.  641.  —  »  Relalio  de 
lite  cum  Universitate  »  (Gall.  Epist.,  t.  II,  fol.  2). 

2.  Cet  incident  a  été  rapporté  par  d'évier,  op.  c. ,  t.  VI,  p.  192. 

3.  Les  discours  de  Versoris  et  Pasquier  ont  été  publiés  par  Du  Boulay,  t.  VI.  p.  ;>93- 
630.  —  Pasquier  a  également  donné  le  sien  dans  ses  Recherches  de  la  France, 
p.  173  et  suiv. 


304  HISTOIRE  DE  IA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Dans  l'existence  des  collèges  des  Jésuites,  Pasquier  voyait  le 
Saint-Siège  exerçant  une  autorité  que  n'admettait  pas  le  Parle- 
ment. Pour  lui,  il  s'agissait  d'une  lutte  entre  les  droits  de  l'État 
et  les  prétendus  empiétements  de  l'Église  :  c'était  en  un  mot  la 
question  de  l'enseignement  laïque  et  de  l'enseignement  ecclésias- 
tique :  le  premier  était  appelé  à  former  le  commun  de  la  jeunesse 
dans  les  écoles  publiques;  le  second  devait  être  restreint  à  l'in- 
térieur des  couvents  pour  ceux  qui  se  destinent  au  sanctuaire  ou 
à  l'état  religieux  :  «  Et  a  esté,  dit-il,  ceste  maxime  fort  bien  re- 
cognue  par  ceux  qui  les  premiers  mirent  la  main  à  la  police  et 

aux  règlements  de  ceste  Université;  car ils  établirent  deux 

sortes  de  gens  pour  enseigner  la  jeunesse  :  les  uns  qui  estoient  sé- 
culiers et  les  autres  nùement  réguliers  et  religieux.  Ceux-là,  afin 
que  les  enfants,  qui  seroient  par  eux  façonnez,  peussent  quelque 
jour  estre  appelez  au  maniement  de  la  justice,  et  ceux-ci  aux 
presches  et  exhortations  chrestiennes.  Telles  ont  été  nos  pre- 
mières institutions...  Quand  les  supérieurs  de  l'Eglise  ont  voulu 
abuser  de  leur  autorité  au  préjudice  de  la  majesté  du  roi,  l'Uni- 
versité de  Paris,  autorisée  de  ceste  cour  du  Parlement,  leur  a 
toujours  fait  contreteste  sous  le  nom  d'Église  Callicane,  comme 
si  c'eust  esté  un  concile  général  qui  eust  esté  perpétuellement 
establi  dedans  ceste  ville  pour  soulagement  des  subjects  :  et 
avons  toujours  vescu  en  tranquillité,  grâces  à  Dieu,  jusques  à 
huy.  »  Ces  aveux  de  l'avocat  de  l'Université  sont  précieux  à  re- 
tenir :  ce  qu'il  attaque,  c'est  moins  l'enseignement  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus  que  l'autorité  du  Saint-Siège,  et  les  droits  de  la 
religion  sur  l'instruction  de  la  jeunesse  et  des  peuples.  Incidem- 
ment il  traite  avec  dédain  les  Ordres  religieux,  «  toutes  ces 
sectes  bigarrées  »,  dont  la  place  est,  selon  lui,  «  hors  des  villes, 
dans  les  déserts  »  où  la  vie  monastique  a  pris  naissance;  en  tout 
cas.  ajoute-t-il.  elles  sont  incompatibles  avec  l'Université,  et  l'on 
doit  bien  se  garder  de  leur  confier  la  mission  de  l'enseignement. 
Puis,  au  lieu  d'en  venir  au  collège  de  Clermont  qui  était  seul  en 
cause,  il  s'en  prend  à  saint  Ignace  en  exposant  sur  un  ton  bur- 
lesque l'origine  et  les  progrès  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Tout 
ce  passage  est  une  parodie  de  l'histoire  vraie  du  saint  fondateur 
et  de  ses  premiers  compagnons.  Il  nous  les  montre  «  hypocrisant 
pour  un  temps  quelque  austérité  perverse  de  vie  »;  et  l'on  sent 
qu'en  les  poursuivant  de  ses  injures,  il  en  veut  surtout  au  Sou- 
verain Pontife  qui  accepta  leurs  services  et  les  constitua  en  so- 
ciété religieuse.  Paul  III,  d'après  lui,  ne  les  a  reçus  que  par  pa- 


PmEIWËR  PROCES  AVEC  [/UNIVERSITÉ.  393 

litiquc,  parce  qu'ils  «  faisoient  vœu  de  rrconnoistre  le  Pape  par- 
dessus toutes  autres  choses  en  ce  bas  territoire  »,  et  professaient 
«  qu'il  n'y  avoit  prince  vivant  et  terrien,  qu'il  n'y  avoit  Concile, 
quoique  général  et  œcuménique,  qui  ne  deust  passer  et  flécli li- 
sons ses  loix,  statuts  et  décrets  ».  Il  raconte  ensuite  l'établisse- 
ment des  Jésuites  à  Paris  :  c'est  «  pour  faire  sa  cour  au  Pape  » 
que  l'évêque  de  Clermont  les  inlroduisit  en  France  Quant  aux 
premiers  Pères  qui  enseignèrent  au  collège,  il  les  accuse  d'igno- 
rance et  en  même  temps  se  plaint  de  leurs  succès,  succès  si 
grands  que,  de  son  naïf  aveu,  ils  ont  été  l'occasion  de  la  guerre 
déclarée  par  l'Université. 

Après  cet  aperçu  historique,  Pasquier  reproche  aux  disciples 
d'Ignace  d'avoir  des  secrets;  et  il  veut  se  charger  lui-même  de 
découvrir  ces  mystères  d'iniquité.  Faisant  allusion  au  prénom  du 
P.  Broet,  premier  Provincial  :  «  Tout  ainsi,  s'écrie-t-il  fièrement, 
qu'un  Pasquier1  a  été  premier  qui  a  voulu  planter  cette  secte 
superstitieuse  en  ceste  florissante  Université;  aussi,  que  la  posté- 
rité entende  qu'un  advocat,  portant  le  surnom  dont  celuy-là  por- 
toit  le  nom,  ait  esté  le  premier  qui  publiquement  se  soit  estudié 
de  nous  extirper  ceste  malheureuse  engeance.  »  Alors,  sous  pré- 
texte de  révéler  les  fameux  secrets  de  la  Compagnie  de  Jésus,  il 
expose  de  la  façon  la  plus  fantaisiste  cette  division  en  scolastiques, 
coadjuteurs  spirituels  et  profès  que  nous  avons  clairement  expli- 
quée au  chapitre  des  Constitutions.  Qu'on  juge  du  travestissement 
par  ces  quelques  lignes  :  «  Je  trouve,  dit-il,  que  ceste  prétendue 
Compagnie  est  composée  de  deux  manières  de  gens,  dont  les 
premiers  se  disent  être  comme  de  la  grande  observance,  et  les 
aultres  de  la  petite.  Ceux  de  la  grande  observance  sont  obligés  à 
quatre  vœux,  parce  que,  outre  les  trois  ordinaires,  d'obéyssance, 
pauvreté  et  chasteté,  ils  en  font  un  particulier  en  faveur  du 
Pape,  qui  est  de  luy  obéir  et  de  le  reconnoistre  sur  toutes  autres 
choses  qui  sont  icy  en  bas  estre...  Ceux  qui  sont  de  la  petite 
observance  sont,  sans  plus,  astraints  à  deux  vœux,  l'un  regardant 
la  fidélité  qu'ils  promettent  au  Pape,  et  l'aultre  l'obéyssance  en- 
vers leurs  supérieurs  et  ministres...  Ft  ceste  mesme  ordonnance 
fait  que  toutes  sortes  de  personnes  peuvent  estre  de  ceste  religion. 
Car,  comme  ainsi  soit  qu'en  ceste  petite  observance  l'on  ne  fasse 
Vœu  ny  de  virginité  ny  de  pauvreté,  aussi  ils  sont  indifféremment 
reçus  prestres  et  gens  laiz,  soit  mariez  ou  non  mariez,  voire  ne 

1.  Le  P.  Broel  s'appelait  Paschase  (Paschasius),  mais  l'avocat  de  l'Université,  qui 
ne  se  pique  pas  d'exactitude,  le  nomme  Pasquier  Brouès  ou  Broguès. 


396  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  .TES!  s. 

sont  tonus  résider  avec  les  grands  observantins,  mais  leur  es! 
permis  d'habiter  parmi  le  reste  du  peuple,  moyennant  qu'à  jours 
certains  et  préfix  ils  se  rendent  à  la  maison  commune  de  tous, 
pour  participer  à  leurs  chiniagrées,  tellement  que,  suivant  cette 
loy  et  règle,  il  n'est  pas  impertinent  de  voir  toute  une  ville  jé- 
suite. » 

Ce  tableau  à  peine  vraisemblable,  où  il  commet  autant  d'er- 
reurs qu'il  énonce  d'assertions,  Pasquier  prétend  l'avoir  tracé 
d'après  les  livres  de  la  Compagnie.  Il  y  ajoute  un  dernier  trait, 
ou  plutôt  un  nouveau  mensonge,  c'est  que  «  il  est  permis  au 
Général  de  changer  ces  loix  et  statuts  de  sa  seule  autorité,  ainsi 
qu'il  estime  servir  à  l'utilité  de  son  Ordre  ». 

La  conclusion  de  cette  première  partie  du  plaidoyer  est  digne 
•  les  prémisses  :  «  Introduisez  donc  cet  Ordre  entre  nous,  s'écrie- 
l-il,  vous  y  introduisez  par  mesme  moyen  un  désordre,  chaos  et 
confusion.  Notre  Université  est  composée  de  séculiers  et  religieux', 
il  faut  estre  tout  un  ou  tout  autre;  nous  n'y  admettons  pas  de 
métiz...  Si  vous  les  vouliez  incorporer  avec  nous,  ce  ne  sera  pas 
les  unir,  mais  bien  aggréger  l'Université  avecques  un  arrogant 
Espagnol,  avecques  un  chatemite  Italien,  celuy-là  ennemi  an- 
cien capital,  cettuy-ci  mesdisant  perpétuel  de  la  France;  bref 
aveccjues  une  troupe  de  sophistes  qui  sont  entrés  comme  timides 
renards  au  milieu  de  nous,  pour  y  régner  doresnavant  comme 
furieux  lions.  »  Puis,  invoquant  le  décret  que  le  vieux  Caton 
lit  rendre  contre  les  sophistes  grecs  :  «  Nonobstant  ce  décret, 
dit-il.  ces  rhétoriciens,  maistres  et  enseigneurs  d'un  babil  affecté, 
gagnèrent  petit  à  petit  crédit  dedans  Rome;  aussi  petit  à  petit 
perdirent-ils  l'État,  selon  le  jugement  de  tous  les  politics.  Et 
vous,  Messieurs,  n'en  devez  pas  moins  attendre  de  ces  Jésuites,  si 
n'en  extirpez,  dès  le  commencement,  et  la  race  et  la  racine.  » 

Après  avoir  revendiqué  pour  l'Université  l'enseignement  de  la 
jeunesse,  Pasquier  annonce  qu'il  doit  aussi  défendre  les  intérêts 
de  la  religion  contre  la  Compagnie  de  Jésus  :  «  Je  suis  fils  de 
l'Eglise  romaine,  dit-il;  je  veux  vivre  et  mourir  en  sa  foy.  Jà,  à 
Dieu  ne  plaise  que  j'en  forligne  d'un  seul  point.  »  Mais  pour  lui 
la  règle  de  la  religion  est  tout  entière  dans  les  décrets  de  la  Fa- 
culté de  théologie  de  Paris,  «  cette  aime  Faculté,  par  l'advis  de 
laquelle,  non  seulement  nos  rois  ains  les  Papes,  non  seulement 
les  Papes  ains  les  Conciles  généraux  se  sont  ordinairement  gui- 
dez es  choses  qui  regardoient  Testât  de  nostre  foy  chrestienne  ». 
Or,  comme  un  décret  de  la  Faculté  de  théologie  avait  condamné 


PREMIER  PROCÈS  AVEC  L'UNIVERSITÉ.  397 

l'Institut  de  saint  Ignace,  il  appelle  cette  Compagnie,  approuvée 
par  le  Souverain  Pontife  et  reconnue  pieuse  par  le  concile  de 
Trente,  «  une  secte  schismatique  et  conséquemment  hérétique  •>. 
11  ose  même  ajouter  «  qu'Ignace  de  Loyola  introduisit  une  erreur, 
au  milieu  de  nostre  Église,  aussi  dangereuse  que  celle  de  Martin 
Luther  ». 

Cette  affirmation  pouvant  sembler  «  hagarde  à  quelques  âmes 
chatouilleuses  »,  il  leur  demande  de  suspendre  leur  jugement  jus- 
qu'à ce  qu'il  ait  «  tout  au  long  estendu  ses  raisons  ».  Il  entasse 
alors  mensonges,  calomnies  et  blasphèmes  pour  démontrer  le 
crime  de  ce  qu'il  appelle  les  «  Propositions  d'Ignace  ».  Ces  Cons- 
titutions, que  les  esprits  sérieux  regardent  comme  une  œuvre  de 
génie,  Pasquier  les  attaque  avec  la  dernière  violence,  les  dénonce 
comme  une  organisation  dangereuse  qui  place  dans  les  mains 
du  Pape  une  arme  redoutable.  Rien  n'excite  plus  sa  colère  que 
le  quatrième  vœu  des  profès,  ce  vœu  «  supernuméraire  qui  est 
de  reconnoistre  le  Pape  par-dessus  toutes  les  autres  dignités  ». 
Que  leur  était-il  besoin,  demande-t-il,  de  faire  ce  nouveau  vœu? 
«  Il  faut  donc  qu'il  y  ait  quelque  anguille  sous  roche,  que  le 
commun  peuple  n'entendoit;  et  vous  diray,  Messieurs,  ne  pensez 
pas  que  ce  vœu  soit  une  chose  oiseuse  et  sans  effet,  ce  qui  seroit 
s'ils  enfendoient  en  user  tout  ainsi  que  vous.  Que  reconnoissent- 
ils  donc  par  ce  vœu?  Ce  sont  de  nouveaux  vassaux  qui  advouent 
le  Pape  avoir  telle  authorité  et  puissance  sur  nous,  que  tout  ce 
qu'il  veut,  et  se  peut;  [qu'il]  luy  faut  en  toutes  choses  obé.yr;  qu'il 
peut,  sans  aucun  controolle,  ravaller  l'authorité  non  seulement 
de  tous  les  autres  prélats,  mais  des  empereurs,  roys  et  monar- 
ques; qu'il  lui  est  loisible,  de  son  authorité  absolue,  transférer  les 
royaumes  d'une  famille  à  une  autre.  Bref,  que  si  le  Pape  leur 
commande  de  faire  quelque  chose,  ils  sont  tenus  d'y  obéyr  sans 
aucune  connoissance  de  cause1.  » 

Sur  cette  définition  toute  nouvelle  de  l'autorité  pontificale, 
Pasquier  proteste  qu'il  n'admettra  jamais  un  pareil  pouvoir. 
«  Nous  reconnoissons,  dit-il,  le  Pape  pour  chef  et  primat  de  nos- 
tre Église  universelle,  avec  tout  honneur  et  dévotion;  mais  tel 
toutefois  qu'il  est  sujet  au  décret  des  Conciles  généraux  et  œcu- 

1.  Henri  IV  était  plus  équitable  et  moins  ignorant  quand,  au  uiémp  propos,  il  disait 
au  président  de  Harlay  :  «  Ce  vœu  n'est  pas  pour  toutes  choses.  Ils  ne  le  font  que 
d'obéir  au  Pape  quand  il  voudrait  les  envoyer  à  la  conversion  des  infidèles.  Et  de 
fait  c'est  par  eux  que  Dieu  a  converti  les  Indes  »  (Discours  de  ce  qui  s'est  passé  en 
cour  sur  le  rétablissement  de  la  Compagnie.  Réponse  du  roi  au  président  de  Harlay, 
dans  «  Galliarum  Monumenta  historica  »,  n.  (17  . 


398  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

méniques,  qu'il  ne  peut  rien  entreprendre  sur  nostre  royaume, 
n\  contre  la  majesté  de  nos  roys,  ny  contre  l'authorité  des  arrêts 
de  cette  cour,  ny  pareillement  au  préjudice  de  tous  nos  diocé- 
sains dedans  leurs  tins  et  limites.  En  sommes-nous  pour  cela 
moins  catholiques?  Au  contraire,  nos  roys  ont  esté  de  toute  an- 
cienneté intitulez  très  chrestiens,  et  réputez  dedans  Rome  Fils 
aisnés  de  nostre  Saint-Père.  » 

Les  Jésuiles,  assurément,  n'entendaient  pas  le  catholicisme  de 
cette  façon;  ils  ne  mettaient  pas  le  Pape  au-dessous  des  conciles 
et  des  évoques,  au-dessous  des  rois  et  du  Parlement.  Et  voilà  le 
-secret  de  la  haine  d'Etienne  Pasquier. 

Selon  lui,  le  vœu  de  pauvreté,  tel  qu'on  le  pratique  dans  la 
Compagnie,  n'est  pas  moins  dangereux  que  le  vœu  d'obéis- 
sance. Il  fait  un  crime  aux  Pères  de  ne  pas  mendier  de  porte  en 
porte,  et  de  pourvoir  à  leur  subsistance  en  recevant  d'autres 
sortes  d'aumônes;  il  leur  reproche  d'avoir  appliqué  à  la  fonda- 
tion d'un  collège  les  legs  que  Guillaume  du  Prat  leur  avait  faits 
à  cette  intention,  et  d'avoir  établi  la  gratuité  de  l'enseignement 
contre  l'usage  de  l'Université. 

Il  blâme  ensuite  leur  doctrine,  comme  perfide  et  destinée  à 
pervertir  la  jeunesse.  Il  en  donne  une  preuve  bien  mal  choisie, 
dans  l'exemple  de  Guillaume  Postel,  enfant  de  l'Université  de 
Paris  et  professeur  au  collège  de  France.  Après  avoir  rappelé  les 
extravagances  de  ce  génie  utopiste,  il  s'écrie  indigné  :  «  De  quel 
Ordre  était-il?  —  De  la  vénérable  Société  de  Jésus.  »  La  vérité 
est,  nous  l'avons  vu,  que  saint  Ignace  l'avait  renvoyé  après  quel- 
ques mois  de  noviciat.  Qu'importe,  pourvu  que  le  mensonge 
fasse  son  effet. 

Après  une  boutade  contre  Paul  IV,  qu'il  accuse  d'avoir  «  pris 
non  seulement  le  nom  de  Jésuite  mais  encore  celui  de  Théatin  », 
il  s'attaque  au  P.  Maldonat,  un  vrai  jésuite  cette  fois  :  «  Depuis 
deux  mois  en  çà,  dit-il,  vostre  métaphysicien  iMaldonat  a  voulu 
dans  une  de  ses  leçons  prouver  un  Dieu  par  raisons  naturelles, 
et  en  l'autre,  par  mesmes  raisons,  qu'il  n'y  en  avoit  point.  Faire 
le  faire  et  le  défait  sur  un  si  digne  sujet  :  je  demanderois  vo- 
lontiers auquel  il  y  a  plus  d'impiété  et  transcendance,  ou  en  la 
première  ou  en  la  seconde  leçon?  »  Absurde  accusation  dont 
Bayle,  dans  son  Dictionnaire  critique,  a  fait  bonne  justice  en 
montrant  la  mauvaise  foi  de  l'avocat1.  Un  professeur  qui,  après 

1.  Art.  Maldonat,  remarque  L. 


PREMIER  PROCES  AVEC  L'UNIVERSITÉ.  399 

avoir  développé  un  jour  les  preuves  de  l'existence  de  Dieu, 
expose  une  autre  fois  les  raisonnements  ou  les  objections  des 
athées,  ne  prétend  pas  renverser  ce  qu'il  avait  d'abord  établi. 
Maldonat  ne  s'était  pas  proposé  de  prouver  également  qu'il  y  a 
un  Dieu  et  qu'il  n'y  a  point  de  Dieu;  il  voulait,  dans  l'une  et 
l'autre  de  ses  leçons,  donner  les  preuves  de  l'existence  de  Dieu  : 
dans  la  première  par  l'exposition  des  arguments  très  solides  do 
ceux  qui  la  tiennent,  dans  la  seconde  par  l'exposition  et  la  réfu- 
tation des  arguments  faibles  de  ceux  qui  la  nient. 

Nous  arrêterons  là  cette  analyse  déjà  trop  longue;  elle  suffit 
amplement  à  montrer  les  procédés  peu  honnêtes  de  l'orateur, 
qui  pourtant  ce  jour-là  conquit  la  célébrité.  Quant  à  la  valeur 
littéraire  du  discours,  nous  n'hésiterons  pas  à  la  reconnaître.  On 
trouve  dans  la  forme,  au  milieu  des  défauts  inhérents  à  toutes 
les  œuvres  de  l'époque,  de  sérieuses  qualités  d'écrivain.  Mais  le 
fond  a  été  censuré  par  les  juges  les  moins  suspects  de  partialité. 
L'avocat  général  du  Mesnil  reproche  à  Pasquier  de  «  s'être  trop 
estendu  »,  de  n'avoir  pas  su  «  polir  ce  qui  était  rude  et  adoucir 
ce  qui  était  aigre  [  ».  La  passion  l'aveugle,  dit  M.  Douarche,  «  et 
le  rend  souvent  injuste  envers  ses  adversaires2  ».  De  l'aveu  de 
M.  Lenient,  son  discours  est  à  la  fois  «  un  panégyrique  à  la  gloire 
de  l'Université,  et  un  pamphlet  violent,  haineux,  plein  d'àpreté 
gallicane  et  de  fiel  parlementaire  contre  le  fondateur  et  les 
membres  de  la  Société  de  Jésus :!  ». 

4.  La  plaidoirie  d'Etienne  Pasquier,  vraie  déclamation  de 
sophiste,  était  plus  propre  à  faire  impression  sur  le  public  que 

1.  Du  Boulay,  Histnr.  Univers.  Paris.,  t.  VI,  p.  361. 

2.  L Université  de  Paris  et  les  Jésuites,  p.  84. 

3.  La  Satire  en  France,  p.  487.  Pasquier.  le  joui-  île  l'audience,  avait  parlé  en 
avocat  pour  qui  tous  les  moyens  sont  bons  contre  la  partie  adverse.  Son  opinion  véri- 
table sur  les  Jésuites  se  trouve  ailleurs,  dans  sa  correspondance.  Il  écrit,  vers  la 
même  époque,  à  M.  de  Fonsomme,  son  ami  :  «  Il  seroit  malaisé  de  vous  dire  com- 
bien (les  Jésuites)  s'accroissent  de  jour  à  autre  et  combien  les  troubles  ont  servy  à 
leur  accroissement;  car  ayant,  par  leurs  cérémonies,  apporté  ré  formation  à  l'ordre 
ecclésiastique  et  s'estant  directement  vouez  à  maintenir  l'autorité  du  Saint-Siège  en- 
contre les  calvinistes  qui  font  profession  expresse  de  la  terrasser,  ceux  qui  sont 
francs-cal holiques,  voyant  que  de  leur  boutique  sortoit  et  la  religion  et  l'érudition 
tout  ensemble,  leur  ont  ausmôné  de  grands  biens;  mesme  on  leur  a  donné  plusieurs 
maisons  pour  instituer  la  jeunesse...  Quant  à  moi  je  n'estime  pas  que  les  huguenots 
ayent  de  petits  adversaires  en  ceux-c\  :  comme  ainsi  soit  ([n'entre  toutes  les  reli- 
gions la  chrestienne  se  doive  avancer  par  prières,  exemples,  bonnes  mœurs  et  saintes 
exhortations,  et  non  par  le  tranchant  de  l'espée  »  (Lettres,  liv.  IV,  n"  24).  Pasquier 
en  rendant  cet  hommage  au  zèle  des  Jésuites  savait  donc  que  les  combattre  était 
avancer  les  affaires  des  huguenots.  Quel  nom  donner,  dès  lors,  aux  protestations 
qu'il  fit  de  défendre  la  religion,  sinon  celui  d'odieuse  hypocrisie? 


400  HISTOIRE  DE  I.A  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

sur  la  Cour.  Versoris,  s'il  n'avait  eu  qu'à  répliquer  devant  les 
membres  du  Parlement,  aurait  pu  se  contenter  d'un  seul  mot 
pour  réfuter  son  adversaire  :  nier  simplement  tout  ce  que  celui-ci 
avait  avancé,  puisque  son  discours  n'était  qu'un  tissu  de  faus- 
setés et  de  calomnies.  Mais,  plusieurs  des  auditeurs  ne  connais- 
sant la  question  que  d'après  ce  qu'ils  venaient  d'entendre,  il 
convenait  de  ne  pas  laisser  la  Compagnie  de  Jésus  sous  le  coup 
de  pareilles  attaques.  L'avocat  des  Jésuites  demanda  un  délai 
pour  pouvoir  redresser  toutes  les  assertions  de  l'avocat  de  l'U- 
niversité. 

Dans  l'intervalle,  le  P.  Olivier  Manare  tenta  une  démarche 
dont  le  succès,  si  elle  avait  réussi,  aurait  produit  un  effet  consi- 
dérable; il  alla  trouver  le  docteur  Fabre,  syndic  de  la  Faculté 
de  théologie  et  l'un  des  personnages  les  plus  influents  de  Sor- 
bonne  :  «  Vous  voyez,  lui  dit-il,  comme  on  nous  maltraite  à  cause 
de  votre  décret  (de  1554),  pourtant  si  contraire  à  la  vérité. 
Ne  serait-ce  pas  soulager  votre  conscience  que  d'en  obtenir  la 
révocation?  Les  membres  de  la  Faculté  n'ont  pas  moins  de  pou- 
voir pour  corriger  les  erreurs  de  leurs  prédécesseurs,  que  ceux-ci 
n'en  ont  eu  pour  les  commettre.  —  Sans  doute,  répondit  le  syn- 
dic, la  Sorbonne  n'eût  pas  porté  un  tel  décret  si  elle  avait  été 
alors  aussi  bien  informée  qu'elle  l'a  été  depuis  par  le  docteur 
Olave  !  ;  mais  nous  ne  pouvons  revenir  sur  ce  qui  a  été  fait  avant 
nous.  —  Eh!  quoi,  repartit  le  P.  Manare,  vous-même  avez  pris 
part  à  la  rédaction  de  ce  décret  et  contribué  ainsi  à  nuire  à  la 
réputation,  non  d'une  ou  deux  personnes,  mais  de  tout  un  Ordre 
approuvé  par  le  Siège  apostolique.  Vous  croyez-vous  moins  obligé 
à  réparer  ce  tort  que  celui  que  vous  auriez  fait  à  la  moindre 
femme  du  peuple?  »  Le  docteur  Fabre  haussa  les  épaules,  pro- 
testa de  sa  bonne  volonté,  mais  en  ajoutant  :  «  Vous  le  savez, 
Maître  Olivier,  en  cette  affaire,  je  ne  puis  rien  autre  chose.  » 

Le  P.  Manare,  sans  se  décourager,  se  rendit  de  là  chez  le  doc- 
leur  Pelletier,  grand-maître  du  collège  de  Navarre,  et  l'entre- 
tint du  même  sujet.  Celui-ci  répondit  avec  vivacité  qu'il  aimait 
quelques  jésuites  et  même  l'Ordre,  mais  qu'il  ne  désirait  pas  le 
voir  s'établir  en  France  :  «  Votre  Ordre,  dit-il,  a  été  institué 
pour  la  conversion  des  intidèles  et  des  hérétiques;  allez  donc 
aux  Indes  et  en  Allemagne;  nous  n'avons  pas  besoin  de  vous  en 
France.  —  Mais  nous,  reprit  son  interlocuteur,  nous  avons  besoin 

1.  Voir  livre  II,  cuap.  iv,  fin. 


PREMIER  PROCES  AVEC  L'UNIVERSITÉ.  4ui 

de  vos  leçons  pour  former  les  ouvriers  évangéliqites  qui  seront 
envoyés  à  ces  nations.  Où  pourraient-ils  être  mieux  insfruils 
qu'ici  à  votre  école?  —  Eh  bien,  répondit  le  grand- maître,  con- 
tentez-vous d'étudier  et  abstenez-vous  de  toute  autre  chose.  — 
Mais,  ajouta  le  P.  JManare,  des  jeunes  gens  ne  peuvent  vivre 
seuls;  il  leur  faut  un  directeur  d'études,  les  bons  exemples  de 
compagnons  du  même  Ordre  et  un  guide  pour  leurs  exercices 
spirituels;  et  puis  à  la  fin  de  leurs  cours,  ils  ne  doivent  pas  res- 
ter oisifs,  mais  s'occuper  d'aider  utilement  le  prochain.  »  Cela 
dit,  il  quitta  le  docteur  Pelletier  qui  ne  se  montra  pas  trop  froissé 
de  cette  liberté  de  langage1. 

5.  Le  délai  réclamé  par  Versoris  étant  expiré,  la  nouvelle 
séance  eut  lieu  le  5  avril.  Le  défenseur  du  collège  de  Clermont 
commença  par  rappeler  les  principes  d'équité  qu'un  avocat  ne 
doit  jamais  enfreindre  :  «  L'ignorance  de  la  vérité,  dit-il,  pro- 
duit ordinairement  des  jugements  erronez;  la  connoissance  de 
cette  mesme  vérité  tire  au  contraire  des  jugeniens  vrays  et  cer- 
tains. Si  M'1  Etienne  Pasquier  fust  entré  en  cette  considération,  il 
se  fust  retenu  et  ne  nous  eust  remply  les  aureilles  que  de  faits 
véritables,  bien  avérez,  et  se  fust  gardé  de  toute  véhémence...  » 
Versoris,  lui,  se  garde  bien  de  renvoyer  les  injures  à  la  partie 
adverse;  il  ne  descend  point  à  ces  misérables  moyens  pour  dé- 
fendre la  cause  si  juste  de  ses  clients.  Après  avoir  rappelé  l'ap- 
probation de  la  Compagnie  par  les  Souverains  Pontifes,  les  élo- 
ges du  concile  de  Trente,  les  lettres  patentes  du  roi,  le  décret  de 
Poissy,  l'arrêt  du  Parlement  et  les  lettres  de  scolarité  accordées 
par  le  Recteur  Julien  de  Saint-Germain,  personnage  «  de  vertu 
et  d'honneur  »,  il  se  demande  pourquoi,  maintenant,  un  tel  dé- 
chaînement contre  des  religieux  dont  le  bon  droit  a  été  reconnu 
par  tant  et  de  si  hautes  autorités?  Et  il  en  donne  aussitôt  la  rai- 
son :  «  Les  Jésuites,  dit-il,  font  venir  des  régens,  commencent  à 
enseigner.  On  les  vient  ouyr  de  toutes  parts;  leur  doctrine  est 
estimée,  leur  méthode  approuvée,  leur  industrie  recommandée, 
et  leur  libéralité  et  charité  en  réputation.  Bine  irae.  »  Afin  de 
mieux  faire  ressortir  les  divagations  que  Pasquier  s'est  permises, 
Versoris  a  soin  de  bien  indiquer  les  limites  naturelles  du  débat  : 
«  Cette  cause,  déclare-t-il,  [comme J  les  conclusions  de  nostre 
requeste,  ne  tend  à  la  réception  de  cet  Ordre,...  mais  seulement 
elle  tend  à  la  réception  d'un  collège,  où  il  y  aura  un  principal, 

1.  Manare,  De  rébus  S.  J.,  p.  93,  94. 

COMPAGNIE    DE    JÉSUS.   —  T.   I.  >C 


402  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

procureur,  régens  ot  escholiers,  non  distingués  d'habits  ni  de 
vivre,  non  autrement  distingués  des  autres  collèges  [si  ce  n'est 
qu'on  y  enseignera  gratis.  Et  par  ce  moyen  les  pauvres  auront 
autant  de  commodité  d'estudier  que  les  riches,  lesquels  seuls  sont 
communément  avancés  aux  autres  collèges.  De  là  vous  voyez, 
Messieurs,  que  l'on  n'a  pas  plaidé  ce  qui  s'oll're,  [et  que  l'avocat 
de  l'UniversitéJ  comme  dans  un  exercice  de  classe,  s'est  forgé  un 
thème  où  il  put  s'étendre  en  de  puériles  déclamations.  » 

Toutefois,  le  collège  de  Clermont  se  trouvant  enveloppé  par 
lui  dans  les  accusations  qu'il  a  formulées  contre  toute  la  Com- 
pagnie, le  défenseur  des  Jésuites  va  les  reprendre  et  les  réfuter 
une  à  une.  Versoris  montre  alors  la  Société  d'Ignace,  légitime 
dans  son  établissement,  puisqu'elle  a  pour  auteurs  les  Souverains 
Pontifes,  qui  ont  seuls  le  pouvoir  et  le  droit  de  fonder  dans  l'É- 
glise de  nouveaux  Ordres  religieux,  selon  les  besoins  du  temps. 

Le  nom  quelle  porte,  elle  l'a  moins  pris  que  reçu  du  Saint- 
Siège,  comme  on  le  voit  au  commencement  des  Constitutions1. 
Ses  religieux  ne  peuvent  user  du  nom  de  Société  du  collège  de 
Clermont,  que  dans  les  maisons  fondées  pour  eux  par  l'Évêque 
leur  bienfaiteur.  Il  faut  qu'ils  aient  un  nom  commun  :  et  quel 
autre  peuvent-ils  prendre,  que  celui  que  portent  leurs  confrères 
dans  tous  les  autres  pays? 

Pour  ce  qui  est  de  l'obéissance,  tout  le  monde  «  est  d'accord 
que  le  Pape  est  constitué  en  la  première  dignité  de  l'Église  »; 
quelle  faute  est-ce  donc  que  promettre  de  lui  obéir?  D'ailleurs 
quand  «  ceux  de  cet  Ordre  promettent  obéissance  au  Pape,  cela 
s'entend  in  licitis;  s'il  leur  estoit  commandé  par  les  Papes  chose 
illicite,  ils  ne  sont  tenus  obéir.  » 

«  Quant  aux  richesses...  ce  sont  inventions  du  faiseur  de 
Rythme  »,  c'est-à-dire  de  Turnèbe  ;  «  les  profès  ne  peuvent 
rien  avoir  et  sont  mendiants;  aux  collèges,  ils  n'ont  rien  en 
particulier  ». 

Versoris  prouve  ensuite,  contre  Pasquicr,  que  l'intérêt  de 
l'Église,  de  l'État,  de  l'Université  n'est  pas  incompatible  avec 
l'existence  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Les  Jésuites,  en  effet,  dé- 
pendent du  Saint-Siège  comme  tout  le  clergé;  la  hiérarchie 
ne  saurait  être  troublée  par  des  privilèges,  que  les  Papes  leur 
ont  octroyés  pour  maintenir  la  stabilité  de  leur  Institut.  —  Ils 
ne  font  courir  non  plus  aucun  danger  à  l'État,  puisqu'ils  obéis- 

1.  Quae  a  Sede  apostolica  in  sua  inslitutione  Societas  Jesu  nominata  est  (Exani. 
Gen.,  c.  i). 


PREMIER  PROCES  AVEC  L'UNIVERSITÉ.  403 

sent  aux  lois  et  prêchent  à  lous  cette  nécessaire  et  Légitime 
sujétion.  —  L'Université,  elle  aussi,  doit  se  rassurer,  car  les  Jé- 
suites n'ignorent  pas  que  leurs  privilèges,  suivanl  l'interpréta- 
tion commune,  «  ne  peuvent  et  ne  doivent  s'estendre  au  pré- 
judice d'autres  ».  Ils  respecteront  ses  usages  et  ses  statuts  : 
«  Ils  sont  prêts  a  subir  le  règlement  et  ils  l'ont  requis.  Ils 
demandent  participer  et  communiquer  à  la  science.  Cela  ne  se 
peut  dénier  de  droit  de  nature...  L'Université  ne  perd  rien  pour 
cela;  c'est  plus  d'honneur,  plus  on  se  communique  et  plus  on 
se  fait  connoistre;  le  témoignage  en  est  plus  grand  et  plus  uni- 
versel. »  L'avocat  des  Jésuites  ne  demande  donc  pour  ses  clients 
que  la  liberté  absolue,  et  sans  réserve,  de  l'enseignement  public. 

Il  aborde  enfin  le  reproche  d'hypocrisie  et  le  repousse  avec 
dignité,  en  demandant  des  preuves  que  Pasquier  s'était  bien 
gardé  de  donner  :  «  L'hypocrisie,  dit-il,  est  une  simulation  des 
œuvres  de  l'affection;  qu'on  dise  en  quoi  les  demandeurs  ont 
déguisé  leur  forme  de  vivre,  et  on  y  répondra.  Le  cœur  est  cognu 
et  ouvert  à  Dieu  seul;  c'est  à  luy  à  en  juger  et  non  à  autre,  de 
peur  qu'il  ne  se  trompe  en  chose  qui  lui  est  fermée  et  cachée...  » 

Tous  les  inconvénients,  que  l'on  prétendait  résulter  de  l'agré- 
gation du  collège  de  Clermont  à  l'Université,  étaient  donc  réduits 
à  néant.  Versoris,  dans  sa  conclusion,  en  fit  ressortir  les  grands 
avantages  pour  l'instruction  de  la  jeunesse  :  «  La  cour,  dit-il, 
sçaitla  différence  de  science  et  de  sagesse  :  la  science  qui  fait  le 
superbe;  la  sagesse  qui  au  contraire  n'est  jamais  superbe  et  que 
Cicéron  appelle  l'art  de  bien  vivre,  la  mère  de  tous  les  autres 
arts...  Autrefois,  en  l'Université,  on  a  voulu  montrer  et  la  science 
et  la  sagesse  ensemble  »;  aujourd'hui,  au  collège  de  Clermont, 
«  on  mesle  avec  la  science  la  correction  et  l'instruction  des 
mœurs.  » 

C'est  par  cette  leçon  indirecte,  à  l'adresse  de  leurs  adversaires, 
que  le  défenseur  des  Jésuites  termine  sa  réplique  :  les  Pères  du 
collège  de  Clermont  ne  veulent  crue  ramener  les  beaux  temps 
de  l'Université  ;  en  formant  les  intelligences  de  leurs  élèves  à  la 
connaissance  des  arts  libéraux,  ils  formeront  aussi  leurs  cœurs 
aux  principes  religieux  par  l'enseignement  du  catéchisme,  «  ce 
qui  vaut  mieux,  ajoutait  Versoris,  qu'un  de  Arte  amandi  d'Ovide 
et  autres  livres  qui  corrompent  la  jeunesse  j>. 

Tout  ce  discours,  si  plein  de  raison  et  de  modération,  contras- 
tait singulièrement  avec  la  fougue  et  l'ironie  de  Pasquier.  On  y 
chercherait  en  vain  les  qualités  littéraires  de  celui-ci.  Versoris, 


404  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

tout  entier  à  ses  procès,  n'avait  guère  le  temps  de  joindre  le 
culte  des  lettres  à  la  science  des  lois  ;  aussi  n'a-t-il  pas  évité  les 
défauts  de  son  temps,  les  citations  multiples  et  de  mauvais  goût. 
Malgré  cela,  son  plaidoyer  tel  qu'il  est,  justifie  encore  l'estime  de 
ses  contemporains  pour  son  grand  sens  et  son  bon  jugement. 

G.  Restait  à  entendre  les  conclusions  des  Gens  du  roi.  L'a- 
vocat général  du  Mesnil,  fort  écouté  au  Parlement,  prit  la  parole, 
(l'était  un  magistrat  intègre  et  savant,  dont  un  de  ses  collègues1 
a  pu  dire  que,  «  homme  de  bien  au  palais,  en  particulier  et  en 
public,  il  ne  sacrifia  jamais  à  la  faveur  ».  Cette  fois,  cependant, 
placé  entre  deux  partis  qu'il  voulait  également  ménager,  il  se 
laissa  moins  inspirer  par  la  justice  que  par  son  attachement  aux 
libertés  gallicanes  et  à  l'Université.  Tout  en  approuvant  l'ins- 
truction gratuite  donnée  par  les  Jésuites  à  la  jeunesse,  il  conclut 
contre  l'enseignement  de  leur  collège,  «  leur  religion,  prétend-il, 
n'étant  approuvée  en  France,  ains  interdite  par  l'acte  même  de 
la  congrégation  de  Poissy,  conséquemment  ils  ne  pourroient 
tenir  collège,  parce  qu'un  collège  de  réguliers  ne  peut  être  tenu 
pour  licite  ou  recevable,  dont  l'ordre  et  profession  est  illicite  et 
rejettée  ». 

Il  est  étrange  de  voir  du  Mesnil  arguer  de  l'Assemblée  de 
Poissy,  puisque  celle-ci,  sans  déclarer  qu'elle  acceptait  la  Com- 
pagnie de  Jésus,  comme  Ordre  religieux,  dans  le  royaume,  avait 
pourtant  permis  son  établissement  dans  la  capitale,  sous  le  nom 
de  Société  du  collège  de  Clermont.  C'était  là  un  acte  favora- 
ble aux  Jésuites,  et  bien  de  nature  à  incliner  les  juges  à  l'union 
de  ce  collège  à  l'Université.  L'avocat  général  interprète  donc 
faussement  un  texte  qui  était,  en  somme,  contre  lui.  Après  cela, 
dans  le  dessein  de  paraître  équitable,  il  suggéra  au  Parlement 
un  «  moyen  neutre  »  de  concilier  «  à  peu  près  »  deux  objets  qui 
paraissaient  se  combattre  dans  la  cause,  l'exécution  du  testa- 
ment de  Mgr  du  Prat  et  les  prétendues  lois  de  l'Université  :  «  Qu'en 
ceste  ville  de  Paris,  dit-il,  soit  estably  un  collège,  des  biens  dé- 
laissez par  ledit  évesque,...  duquel  sera  recteur  et  modérateur 
un  bon  personnage,  non  régulier  d'aucun  ordre,  encore  moins 
de  cette  Société;...  qu'en  ce  collège  soyent  nourris  et  instituez 
gratis  aux  premières  lettres  douze  pauvres  enfants,  quatre  de 
Paris,  quatre  de  Clermont  et  deux  de  chascune  des  villes  de  Bil- 

1.  Le  premier  président  Christophe  de  Thou.  Cf.  Du  Boulay,  Hist.  Unie.  Paris., 
t.  VI,  p.  981  et  de  Thou,  Hist.  Univ.,  t.  V,  p.  29. 


PREMIER  PROCÈS  A.VEC  L'1  \l\ ERSITÉ.  103 

lom  et  de  Mauriac;  auquel  collège  seront  establis  six  antres 
boursiers,  pour  six  de  cette  Société  qui  y  pourront  estre  reçus, 
nourris  et  logez  l'espace  de  dix  ans,  sous  l'obéyssance  du  princi- 
pal, lesquels  pourront  prendre  leurs  degrez  en  l'Université, 
jouyr  des  privilèges  d'icelle  et  faire  leçons  publiques  et  privées 
audit  collège,  avec  les  autres  régens  qui  y  seront  establis  par  la 
volonté,  puissance  et  congé  dudit  principal  '.  » 

La  cause  était  entendue.  Il  appartenait  au  Parlement  d<-  se 
prononcer  entre  les  Jésuites,  défenseurs  du  catholicisme  contre 
l'hérésie,  et  l'Université  que  favorisaient  les  partisans  des  hugue- 
nots. De  là  l'indécision  des  magistrats;  ils  ne  voulaient  ni  donner 
les  apparences  d'un  triomphe  au  parti  protestant,  ni  sacrifier  les 
libertés  gallicanes  au  parti  ultramontain.  Le  premier  président, 
Christophe  de  Thou,  et  le  procureur  général  Gilles  Bourdin, 
voyant  dans  les  Jésuites  de  précieux  auxiliaires  contre  les  sectes 
nouvelles,  crurent  servir  la  religion  en  faisant  pencher  la  balance 
de  leur  côté.  Sous  l'influence  de  ses  deux  premiers  dignitaires, 
le  Parlement  repoussa  les  conclusions  de  l'avocat  général;  il 
choisit  un  moyen  terme  qui,  sans  condamner  l'Université,  ne  don- 
nait pas  complète  satisfaction  à  la  Compagnie  de  Jésus.  Par  arrêt 
du  5  avril  1565,  la  cause  fut  appointée,  comme  on  disait  alors, 
toutes  choses  demeurant  en  état-.  «  C'était,  dit  Pasquier,  un 
coup  fourré;  car  [les  Jésuites]  ne  furent  pas  incorporez  à  l'Uni- 
versité, comme  ils  le  requéroient;  mais  aussi,  estans  en  pos- 
session   de  faire  lectures   publiques,  ils  y  furent  continuez3.  » 

Peut-être,  comme  le  prétend  un  auteur  moderne'1,  les  succès 
du  collège  de  Clermont  n'ont-ils  pas  été  étrangers  à  la  décision 
du  Parlement.  Les  Jésuites  s'étaient  occupés  déjà  sérieusement 
de  l'organisation  de  leurs  classes,  et  ils  avaient  d'excellents  pro- 
fesseurs. L'Université  au  contraire  n'avait  pas  encore  ses  Rollin, 
ses  Coffin,  ses  Mesengui.  Quelques-uns  de  ses  collèges  étaient 
dans  un  désordre  complet,  à  la  veille  de  fermer,  faute  de  fonds 
nécessaires.  La  comparaison  était  donc  à  l'avantage  de  ses  rivaux 
qui  joignaient  au  prestige  de  la  nouveauté,  toujours  bien  venue 
en  France,  le  talent  et  le  zèle  d'une  institution  naissante.  Cette 
considération  a  pu  sans  doute  influer  sur  l'esprit  des  magistrats, 
et  l'historien  de  Thou  reconnaît  que  les  juges  eurent  égard  au 


1.  D'Argentré,  Collectio  judiciorum,  t.  II,  p.  379-390. 

2.  Manare,  De  rebûs  S.  J.,  p.  97,  98. 

3.  Lettres,  liv.  IV,  24;  liv.  XXI,  2. 

4.  M.  Émond  dans  son  Histoire  du  collège  Louis- le-Gwnd,  p.  24. 


406  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGxNIE  DE  JÉSUS. 

mérite  du  P.  Maldonat.  Nous  pensons  cependant,  avec  le  même 
historien,  que  le  principal  motif  de  leur  détermination  fut  leur 
désir  d'opposer  une  éducation  solidement  chrétienne  aux  envahis- 
sements du  protestantisme1.  A  ce  moment  même  ils  étaient  appe- 
lés à  se  prononcer  sur  une  dénonciation  de  Charles  Du  Moulin 
qui,  lui  aussi,  accusait  les  ministres  «  de  dresser  collèges  publics 
et  particuliers,  et  façonner  la  jeunesse  à  leur  cordelle  pour  haïr 
et  abhorrer  tout  ce  qui  n'est  de  leur  secte  et  consistoire2  ». 

iMais,  alors,  pourquoi  n'avoir  pas  porté  un  arrêt  définitif  en 
faveur  des  Jésuites?  Dans  cette  conduite  réservée  du  Parlement,  le 
P.  Richeome  voit  «  un  trait  de  rare  prudence  »  imposé  par  la 
situation  présente.  Une  sentence  définitive  et  absolue  aurait  pu 
déchaîner  les  haines,  qui  frémissaient  autour  du  collège  de  Cler- 
mont.  Il  parut  plus  sage  de  calmer  «  les  menées  et  fureur  des 
ennemis  »  par  l'espoir  d'une  reprise  de  la  cause;  de  plus,  en 
mettant  «  doucement  les  Jésuites  en  possession  »  on  donnait 
«  loisir  à  ceux  qui  s'estoient  faicts  parties,  sans  mauvaise  intention, 
de  |les]  cognoistre  par  leurs  actions  pour  les  aymer  et  prendre 
fruict  de  leur  industrie 3  ». 

7.  L'appointcment  ordonné  par  le  Parlement  ne  désarma  pas 
les  adversaires  de  mauvaise  foi;  clans  leur  hostilité  mécontente 
et  envenimée,  ils  épièrent  l'occasion  propice  de  recommencer  la 
lutte.  L'Université  sollicita  en  vain  le  premier  président  de  repren- 
dre la  cause  en  audience  publique,  pour  obtenir  jugement.  Sur 
le  refus  de  Christophe  de  Thou,  elle  tourna  ses  regards  vers  la 
cour  royale  qui  continuait  son  voyage  dans  le  midi  de  la  France. 
Elle  savait  assez  les  dispositions  du  roi,  de  la  reine-mère,  des 
cardinaux  et  de  plusieurs  seigneurs  à  l'égard  des  Jésuites;  elle  ne 
doutait  pas  que  les  démarches  de  ceux-ci  ne  fussent  favorable- 
ment accueillies,  s'ils  avaient  recours  à  leurs  puissants  protec- 
teurs. Comprenant  le  danger,  les  humanistes  du  collège  royal, 
qui  faisaient  cause  commune  avec  l'Université,  prirent  les  devants 
et  essayèrent,  par  leurs  amis,  de  balancer  dans  le  conseil  du  roi 
les  influences  dont  la  Compagnie  de  Jésus  pouvait  disposer.  Tur- 
nèbe,  au  nom  de  son  parti,  s'empressa  de  réclamer  le  concours 

1.  Histoire  universelle,  1.  LXXVIH.  —  Le  P.  Manare  juge  de  même  quand  il  dit 
qu'une  partie  des  magistrats  furent  inspirés  par  la  considération  des  intérêts  de  toute 
l'Eglise  {pp.  cit.,  p.  97,  ;',  48). 

2.  Du  Moulin,  Œuvres  complètes,  t.  V,  p.  6:>5-62G.  Dans  cette  dénonciation,  Du 
Moulin  réunit  sous  34  chefs  les  principaux  délits  qui  appelaient  sur  les  ministres 
l'animadversion  de  la  justice. 

3.  Response  au  playdoijé  de  Simon  Mario»,  c.  iv,  p.  26  (Villcfranche,  1599). 


PREMIER  PROCÈS  AVEC  L'UNIVERSITÉ.  407 

de  Henri  de  Mcsme,  maître  des  requêtes  et  confident  du  chance- 
lier de  L'Hôpital  :  «■  Nous  craignons,  lui  écrivait-il,  que  l'arrivée 
de  la  reine  d'Espagne1  et  son  entrevue  avec  la   reine-mère  ne 

nous  nuisent  beaucoup,  car  nous  pensons  que  les  Jésuites]  ne 
manqueront  pas  d'employer  la  médiation  de  cette  princesse  au- 
près de  sa  mère.  Nous  vous  prions  donc,  dès  que  vous  aurez 
vent  de  leurs  démarches,  de  défendre  contre  eux  les  intérêts  de 
notre  école  dont  vous  êtes  un  des  plus  brillants  élèves,  et  les 
intérêts  de  la  patrie  qui  vous  est  chère;  de  ne  pas  permettre 
enfin  que  cette  secte,   par  ses  ruses  et  ses  artifices,  parvienne  à 

réussir  au  détriment  et  à  la  ruine  de  l'État2 »  Trois  semaines 

après  avoir  écrit  cette  lettre,  Adrien  Turnèbe  paraissait  devant 
le  Souverain  Juge  :  il  avait  refusé,  à  sa  dernière  heure,  les  se- 
cours de  la  religion. 

Quand  ils  virent  qu'ils  ne  pouvaient  rien  contre  la  Compagnie 
de  Jésus  par  les  voies  légales,  quelques-uns  de  ses  ennemis  s'exas- 
pérèrent au  point  de  vouloir  détruire  le  collège  et  d'en  massa- 
crer les  habitants.  Les  amis  des  Pères,  effrayés  de  ces  menaces, 
leur  conseillèrent  de  céder  à  cette  fureur  et  d'interrompre  leurs 
cours.  Mais  les  Jésuites  pensèrent  qu'une  telle  conduite  nuirait 
beaucoup  à  leur  cause;  ils  s'efforcèrent  d'amener  leurs  partisans 
à  changer  d'avis  :  «  Après  d'activés  et  discrètes  informations, 
raconte  le  P.  Provincial,  nous  découvrîmes  que  nos  adversaires 
n'avaient  pas  renoncé  à  leurs  mauvais  desseins,  mais  attendaient 
que  les  huguenots,  comme  ils  en  avaient  l'espoir,  fussent  maîtres 
de  la  ville.  Mis  au  courant  de  ces  circonstances,  nos  amis  jugèrent 
alors  que  nous  devions  continuer  les  cours,  ce  que  nous  fîmes 
avec  empressement,  et  les  élèves  y  vinrent  peut-être  encore  plus 
nombreux  qu'auparavant.  Il  serait  trop  long  d'énumérer  tout  ce 
que  nous  eûmes  alors  à  souffrir  :  les  libelles  français  ou  latins 
publiés  contre  nous,  les  assauts  livrés  au  collège  qu'on  voulait 
envahir,  les  fenêtres  brisées  à  coups  de  pierres,  les  ordures 
qu'on  nous  jetait  dans  la  rue,  les  comédies  où  nous  étions  tournés 
en  dérision.  Béni  soit  Dieu  qui  a  tout  permis!  Si  petite  qu'ait  été 
notre  patience  à  supporter  ces  épreuves  pour  sa  gloire ,  nous 
savons  qu'elle  a  été  pour  beaucoup  un  sujet  d'édification  !.  » 

Ni  la  patience  des  religieux,  ni  la  protection  du  Parlement  ne 
suffirent  à  calmer  les  colères  déchaînées  contre  le  collège  de  Cler- 

J.  Elisabeth,  fille  de  Henri  II  et  de  Catherine  de  Médicis,  mariée  à  Philippe  II. 

2.  Lettre  de  Turnèbe  à  Henri  de  Mesme  (Bibliolh.  nat.,  f.  Dupuy,  vol.  XVI,  f.  9) 

3.  Manare,  De  rébus  S,  J.,  p.  98. 


408  HISTOIRE  DE  T.A  COMPAGNIE  DE  JESI  S. 

mont.  Les  universitaires,  de  plus  en  plus  vexés  de  sa  prospérité, 
tentèrent  une  nouvelle  attaque  :  ils  envoyèrent  par  leurs  appa- 
riteurs l'ordre  de  cesser  les  cours.  La  Sorbonne,  par  ses  députés, 
fit  défense  absolue  d'enseigner  la  théologie,  ce  qui  fut  enjoint 
dans  les  mêmes  termes  au  P.  Provincial  par  les  docteurs  qu'il  alla 
voir  ensuite.  Il  leur  démontra  que  le  collège  n'avait  ouvert  ses 
cours  ni  par  ruse,  ni  par  force,  mais  par  la  volonté  du  roi,  l'ordre 
du  Parlement  et  le  consentement  du  Recteur;  il  les  supplia  de  le 
laisser  unir  ses  efforts  aux  leurs  pour  opposer  une  digue  au  débor- 
dement du  mal  et  de  l'hérésie.  Ces  messieurs  de  l'Université  et  de 
la  Sorbonne  ne  voulurent  rien  entendre. 

8.  Comme  on  se  préparait  à  user  de  procédés  plus  rigoureux, 
les  Pères  avisèrent  aux  moyens  d'en  prévenir  l'exécution.  Dire 
ouvertement  aux  élèves  que  les  cours  étaient  interdits,  eût  été  les 
exaspérer.  Sur  une  décision  prise  par  les  Supérieurs,  les  régents 
se  contentèrent  d'annoncer,  en  classe,  que  le  Recteur  de  l'Uni- 
versité avait  demandé  la  fermeture  du  collège  jusqu'à  l'exhibition 
des  pièces  attestant  le  droit  d'enseigner;  ils  ajoutèrent  qu'il 
fallait  prendre  en  patience,  et  comme  un  témoignage  de  soumis- 
sion, cette  interruption  momentanée.  A  peine  cette  mesure  fut-elle 
proclamée,  à  la  classe  du  matin,  qu'aussitôt  éclata  un  grand 
tumulte.  Frémissants  de  colère,  les  écoliers  s'excitent  à  recourir 
aux  armes  pour  demander  raison  de  cette  interdiction  au  Recteur 
de  l'Université;  ils  se  répandent  dans  les  rues  et  les  places  publi- 
ques, affichent  des  protestations  et  réclament  justice. 

«  Quant  à  moi.  raconte  le  P.  Manare,  désirant  apaiser  la  tem- 
pête, je  me  rendis  de  suite  au  Parlement  où  j'exposai  ce  que  nous 
avions  fait  pour  obéir  au  Recteur  et  éviter  la  révolte  des  écoliers. 
Mais  tout  avait  été  inutile;  un  grand  danger  était  imminent  et  il 
n'était  pas  en  notre  pouvoir  de  le  conjurer;  voilà  pourquoi  nous 
recourions  à  l'autorité  que  le  Parlement  tenait  du  roi.  »  On 
proposa  aussitôt  de  mettre  à  sa  disposition  les  cinq  cents  soldats 
chargés  de  la  garde  ordinaire  de  la  cité.  Le  Père  fit  remarquer 
qu'un  soulèvement  d'étudiants  ne  se  réprimait  pas  par  les  armes, 
et  qu'il  ne  lui  convenait  pas  de  commander  une  troupe  de  sol- 
dats. D'ailleurs,  l'emploi  de  la  force  ne  servirait  qu'à  augmenter 
le  désordre  et  peut-être  à  faire  couler  le  sang.  Il  indiqua  un 
moyen  plus  modéré  et  plus  efficace.  Qu'il  soit  seulement  permis 
de  rouvrir  les  cours  par  ordre  du  roi  et  du  Parlement  :  à  l'heure 
ordinaire  des  classes,  on  sonnera  la  cloche,  et  certainement  les 


PREMIER  PROCES  AVEC  L'UNIVERSITÉ.  m 

élèves,  à  ce  signal  connu,  rentreront  dans  le  devoir.  Les  adver- 
saires eux-mêmes  cesseront  leurs  poursuites,  quand  ils  sauront 
que  le  roi  et  le  Parlement  protègent  le  collège  des  Jésuites  et  que 
1rs  cours  ont  été  rouverts  par  leur  volonté. 

Ce  projet  ayant  été  approuvé,  le  P.  Manare,  de  retour  au  col- 
lège, fait  imme.diatem.ent  sonner  la  cloche.  Les  écoliers,  déjà 
réunis  en  armes,  prêtent  l'oreille,  se  demandant  ce  que  cela  si- 
gnifie; puis  «  comme  des  abeilles  accourant  à  la  ruche  »,  entrent 
et  sortent,  ils  se  parlent  en  chuchotant  et  comprennent  que  l'af- 
faire est  arrangée  :  «  Mais,  s'écrient-ils,  nous  n'avons  pas  reçu 
satisfaction;  il  nous  reste  à  venger  une  injure.  »  Les  Pères  durent 
s'interposer;  ils  demandèrent  aux  plus  influents,  qui  étaient  déjà 
des  hommes,  d'apaiser  leurs  condisciples  et  de  les  amener  par 
de  bonnes  paroles  à  rentrer  tranquillement  en  classe.  Tout  réus- 
sit comme  on  l'avait  désiré  '. 

D'abord  surpris,  les  ennemis  du  collège  de  Clermont  ne  se  tin- 
rent pas  pour  battus.  «  Tels  et  autres  semblables  que  je  ne  veux 
nommer,  écrit  un  contemporain,  remuoyent  le  ciel  et  la  terre, 
courans  par  Paris...  sollicitans,  bourdonnans,  prians,  menaeans, 
protestans  et  faisant  jouer  toutes  les  pièces  de  leur  malice  et  cré- 
dit, jusques  à  taire  aller  en  corps  d'Université  au  prince,  qui  es- 
toit  alors  chef  des  huguenots  en  France,  afin  d'implorer  sa  faveur 
et  aide  contre  les  Jésuites  '.  »  Le  12  mai,  en  effet,  la  «  Fille  aînée 
des  rois  très  chrétiens  »  envoya  une  députation  au  prince  de 
Condé,  pour  le  supplier  de  faire  en  sorte  «  que  par  sa  prudence 
et  ses  conseils  fussent  chassés  ces  religieux,  obstacles  très  nui- 
sibles aux  études  publiques^1  ».  Pareille  entreprise  passait  le 
pouvoir  de  Louis  de  Bourbon,  et  l'Université,  avoue  l'un  de  ses 
historiens,  «  gâtait  son  affaire  en  recourant  à  une  protection  si 
justement  suspecte  'l  ».  Son  attitude  dans  cette  circonstance 
montra,  une  fois  de  plus,  que  son  opposition  à  la  Compagnie  de 
Jésus  était  inspirée  par  tout  autre  chose  que  les  intérêts  de  la 
religion  catholique. 

9.  Si  unies  cependant  étaient  la  cause  de  l'Fglise  et  celle  des 
Jésuites  que  le  pape  Pie  IV,  informé  de  leurs  épreuves,  adressa  en 
leur  faveur  des  brefs  pressants  au  roi,  au  Parlement,  au  cardinal 
de  Bourbon  et  à  d'autres  princes  dont  l'influence  était  connue  : 

«  Très  cher   fils  en   Jésus-Christ,  écrit-il   à  Charles  IX,  Nous 

1.  Manare,  De  rébus,  S.  J.,  p.  100.  —  2.  Richeomc,  Response  à  Marion,  c.  iv,  p.  28. 
3.  Cité  par  Du  Boulay,  t.  VI,  p.  649.  —  i.  Crevier,  op.  cit.,  c.  vi,  p.  19 1. 


410  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

avons  appris  que  le  collège  de  la  Compagnie  de  Jésus,  à  Paris,  est 
eu  butte  à  de  grandes  tracasseries  et  à  des  vexations  de  tout 
genre...  Mais  Nous  savons  que  Votre  Majesté  ne  supportera  pas  ces 
excès,  dès  qu'elle  sera  instruite  des  mérites  de  cette  Société... 
confirmée  par  le  Siège  apostolique  et  récemment  approuvée  par 
le  concile  général  de  Trente,  à  cause  de  ses  pieuses  et  louables 
entreprises.  Les  grands  services  que  la  Compagnie  de  Jésus  a 
rendus  à  l'Église  de  Dieu,  dans  ces  temps  de  troubles,  non  seule- 
ment en  Italie,  en  Espagne,  en  Portugal,  mais  encore  dans  plu- 
sieurs contrées  de  l'Allemagne  et  dans  la  capitale  de  la  Bohème, 
ont  engagé  les  catholiques  à  lui  fonder  des  collèges,  qui  ont 
puissamment  contribué,  avec  l'aide  de  Dieu,  à  réprimer  les  héré- 
sies et  à  ramener  les  hérétiques  eux-mêmes  à  l'unité  de  l'Église. 
Pour  Nous,  Nous  recourons  surtout  au  collège  qui  est  dans  cette 
ville,  et  à  ses  services  que  Nous  trouvons  toujours  aussi  prompts 
qu'avantageux...  Nous  faisons  connaître  ces  détails  à  Votre  Ma- 
jesté afin  qu'elle  comprenne  que,  par  l'affection  qu'elle  porte  à  la 
religion  catholique...  elle  doit  prendre  hautement  sous  sa  pro- 
tection et  favoriser  les  collèges  de  cette  Compagnie  dans  son 
royaume.  Nous  les  recommandons  tous  alfectueusement  à  votre 
piété,  surtout  celui  de  Paris,  vous  exhortant  de  toutes  Nos  forces  à 
le  défendre  contre  les  injures  et  les  vexations  de  ses  détrac- 
teurs l.  » 

Le  Souverain  Pontife,  en  dehors  de  ces  sollicitations  pres- 
santes, chargea  son  représentant  officiel  d'adresser  des  réclama- 
tions au  Parlement.  Comme  elles  restaient  sans  effet,  le  nonce 
résolut  de  les  faire  parvenir  à  la  cour,  qui  séjournait  de- 
puis le  3  juin  à  Bayonne,  où  devait  avoir  lieu  l'entre  vue  de 
Charles  IX  et  de  sa  mère  avec  Elisabeth  de  France,  reine  d'Es- 
pagne. Pour  remplir  cette  difficile  mission,  aucun,  parmi  les 
Jésuites  français,  n'était  mieux  désigné  que  le  P.  Émond  Auger 
par  sa  prudence  et  la  considération  dont  il  jouissait.  Mais,  à  ce 
moment,  il  se  rendait  à  Rome  afin  d'assister  à  la  Congrégation 
générale  convoquée  pour  le  28  juin.  A  son  défaut,  le  nonce  en- 
gagea le  P.  François  de  Borgia,  vicaire  général  de  la  Compagnie, 
à  confier  l'affaire  au  P.  Possevin  qui  se  trouvait  à  Avignon2.  Le 
choix  était  excellent.  Possevin  avait  déjà  donné,  dans  plusieurs 
circonstances,  des  preuves  de  cette  rare  habileté  qui  devait  en- 
gager plus  tard  Grégoire  XIII  à  le  charger  de  négociations  dé- 

1.  Cité  par  Sacchini,  Hist.  Soc.  Jesu,  P.  III,  l.  I,  n°  19.  Ce  Bref  est  daté  de  Rome, 
29  mai  1565.  —  2.  Annalimn  decas  1%  1.  II,  c.  x,  p.  95. 


PKEMIER  PROCÈS  AVEC  L'UNIVERSITÉ.  ill 

licatcs  auprès  des  tètes  couronnées.  La  cour  de  France  le  tenait 
en  grande  estime,  depuis  le  succès  de  sa  conférence  avec  le  minis- 
tre Viret  à  Lyon.  De  plus,  il  était  Italien,  et  l'on  pensait  qu'en 
celte  qualité  il  recevrait  de  Catherine  de  Médias  un  accueil  plus 
favorable. 

A  peine  arrivé  ;ï  Rayonne,  le  I*.  Possevin  gagna,  par  son  zèle 
contre  l'hérésie,  l'admiration  de  tous  les  bons  catholiques1. 
Les  sectaires  voulant  profiter  de  l'entrevue  des  souverains,  qui 
attirait  dans  cette  ville  un  grand  nombre  d'étrangers,  avaient 
envoyé  de  Cenève  une  prodigieuse  quantité  de  livres  calvinistes, 
qu'ils  espéraient  introduire  en  Espagne  jusque-là  inaccessible  à 
l'erreur.  Possevin,  enflammé  d'une  sainte  indignation,  découvrit, 
à  tous  ceux  qu'il  jugeait  capables  d'arrêter  ce  désordre,  l'artifice 
à  l'aide  duquel  les  œuvres  des  calvinistes  pénétraient  dans  la  Pé- 
ninsule; il  écrivit  au  cardinal  d'Armagnac,  le  priant  d'interposer 
son  autorité,  et  travailla  lui-même  directement  par  tous  les 
moyens  à  la  diffusion  des  livres  orthodoxes.  S'il  ne  put  empêcher 
tout  le  mal,  il  en  prévint  du  moins  les  suites  en  rendant  suspecte 
la  conduite  des  hérétiques2. 

Reçu  à  la  cour  avec  la  plus  sincère  bienveillance,  le  P.  Pos- 
sevin fut  admis  sans  retard  à  l'audience  du  roi.  Charles  IX  l'intro- 
duisit devant  le  conseil,  contre  l'avis  du  chancelier  de  L'Hôpital3. 
Le  Père  se  contenta  d'y  exposer  en  peu  de  mots  l'objet  de  sa  mis- 
sion, sans  se  permettre  la  moindre  invective  contre  ses  adver- 
saires; puis,  il  se  retira  pendant  la  délibération.  Le  roi  était 
d'avis  d'expédier  aussitôt  des  lettres  au  Parlement  de  Paris  pour 
lui  recommander  l'affaire  des  Jésuites;  mais  les  objections  pré- 
sentées parle  chancelier  de  L'Hôpital  firent  différer  la  décision. 
Dans  le  récit  de  son  voyage  à  Rayonne,  le  P.  Possevin  ne  ménage 
guère  le  chancelier,  qu'il  accuse  de  favoriser  l'hérésie  en  se  per- 
mettant les  plus  grossières  injures  contre  Rome'1.  Rappelé  le  len- 
demain devant  le  conseil,  il  n'eut  pas  de  peine  à  dissiper  toutes 
les  difficultés  et  à  rétablir  les  faits  sous  leur  vrai  jour.  Au  sortir 
de  cet  entretien,  il  rédigea  et  remit  à  la  reine-mère  un  mémoire 
où  il  exposait  ses  vues  sur  la  liberté  d'enseignement  :  «  Il  est  licite 
à  chacun,  disait-il,  d'ouvrir  des  écoles  dans  sa  propre  maison  et 

1.  Pendant    son  séjour  à  Bayonne,   Possevin  reçut   l'hospitalité  des   Franciscains 
(Annal,  decas  1%  1.  II,  c.  xi,  p.  101). 

2.  Annal,  decas  1%  1.  III,  c.  x,  p.  89. 

3.  «  Qui  cum  alieniore  animo  esset  a  Societatis  Instituto,  obsistebal  quo  minus  ad- 
rnitteretur  Possevinus  in  regiurn  consilium  »  (Annal,  dec.  1%  1.  II,  c.  xi,  p.  99). 

4.  «  Qui  sedem  aposlolicam  soleret  illo  elogio  cohonestare  :  porcam  cl  scrofam  ap- 
pelons »  (Zaccaria,  lier  lUterarium,  p.  30G). 


r.l2  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

d'y  recevoir  quiconque  s'y  présente.  Quant  aux  privilèges  an- 
ciennement obtenus  par  l'Université,  le  royaume  n'est  plus  (Unis 
Ja  situation  qui  créa  ces  privilèges  :  à  de  nouveaux  maux  il  faut 
de  nouveaux  remèdes.  On  doit,  avant  tout,  pourvoir  aux  besoins 
si  graves  de  la  France1.  » 

L'ensemble  de  toutes  ces  explications  ne  laissant  plus  rien  sub- 
sister des  objections  proposées,  le  roi,  de  l'avis  de  son  conseil, 
donna  aux  Jésuites,  pour  le  Parlement  de  Paris,  de  nouvelles 
lettres  patentes  qui  leur  permettaient  de  fonder  des  maisons  et 
des  collèges,  dans  tout  le  royaume,  et  d'y  prendre  partout  lé  nom 
de  Compagnie  et  Société  de  Jésus.  Le  P.  Possevin  se  chargea  de 
les  porter  à  Paris,  avec  des  lettres  de  recommandation  que  la 
reine-mère,  les  cardinaux  de  Bourbon  et  de  Lorraine  et  plusieurs 
seigneurs  de  la  cour  adressaient  au  Parlement,  à  l'évèque  et  au 
gouverneur-1.  Quelque  précieuses  que  fussent  les  marques  d'une 
si  haute  protection,  elles  ne  purent  assurer  aux  Jésuites  la  recon- 
naissance de  leur  droit;  elles  leur  procurèrent,  du  moins,  la 
tranquillité  nécessaire  pour  reprendre  leur  mission  d'éducateurs. 
Soutenus  de  la  sympathie  de  tous  les  gens  de  bien,  ils  résolurent 
d'alièrmir  et  d'étendre  les  bienfaits  que  procurait  déjà  le  collège 
de  Clermont.  Les  classes  de  lettres  reeurent  une  notable  extension 
et  les  cours  supérieurs  furent  complétés,  In  petit  pensionnat 
avait  été  ouvert  dès  le  début;  il  fallut  l'augmenter,  pour  répon- 
dre au  désir  des  familles  qui  voulaient  procurer  à  leurs  enfants 
les  avantages  de  l'éducation  avec  ceux  de  l'enseignement.  Les 
pensionnaires  se  présentèrent  en  si  grand  nombre,  qu'il  fut  im- 
possible d'accueillir  toutes  les  demandes  :. 

1.  «  Memoriale  pro  Societate  Jesu  a  P.  Possevino  »  i.Gall.  Epist.,  III,  f.  1).  Lettre 
de  Possevin  au  P.  Manare  à  Paris,  4  juillet  1565.    Acta  a  Possevino). 

2.  Lettre  de  Possevin  à  François  de  Borgia,  7  juillet  1565  (Acta  a  Possevino^. 

3.  Puisque  nous  parlons  pour  la  première  fois  des  pensionnats,  disons  tout  de  suite 
que  les  PP.  Généraux  se  montrèrent  toujours  difficiles  pour  les  autoriser.  Il  n'était 
lias  contraire  à  l'Institut  d'admettre  dans  les  collèges  de  la  Compagnie,  avec  la  permis 
sion  du  P.  Général,  des  écoliers  sans  fortune  pour  lesquels  les  fondateurs  établissaient 
des  bourses,  mais  ils  devaient  habiter  un  logement  séparé  (Polanco,  Chronicon, 
VI,  ifj).  On  pouvait  même  y  admettre,  dans  des  conditions  analogues  et  pour  de  bons 
motifs,  les  fils  de  familles  riches  ou  nobles,  à  la  condition  de  s'entretenir  à  leurs  frais. 
Ce  fut  en  considération  des  services  rendus  à  la  Compagnie  par  le  roi  de  Portugal  que 
la  première  Congrégation  Générale  accepta,  en  1558,  le  conviclus  de  Coïmbre  (Décr. 
CXXVI.  Institut.  S.  /.,  I,  170).  La  quatrième  Congrégation,  appelée  en  1581  à  se  pro- 
noncer sur  l'acceptation  des  pensionnats,  aurait  désiré  que  la  Compagnie  s'en  trouvât 
déchargée  autant  que  possible;  cependant  elle  laissa  à  la  prudence  du  P.  Général  le 
soin  d'examiner  ce  qu'il  y  aurait  de  mieux  à  faire  dans  les  cas  particuliers  (Décret 
Mil  .  Si,  à  partir  de  ce  moment,  les  pensionnats  acquirent  en  quelque  sorte  droit  de 
cité,  ils  ne  furent  pourtant  qu'une  exception.  Nous  parlerons  plus  lard  de  leur  règle» 
ment. 


CHAPITRE  III 

l'enseignement  supérieur  au  collège 
de  clebmont. 

(1565-1572). 


Sommaire  :  1.  Établissement  d'un  cours  de  théologie.  Détails  sur  le  personnel 
du  collège,  les  classes,  les  œuvres  extérieures.  —  2.  État  des  études  scolastiques 
dans  l'Université  de  Paris.  —  3.  Réforme  introduite  par  Maldonat  dans  rensei- 
gnement de  la  théologie.  Succès  de  ses  leçons.  —  l.  Opposition  de  l'Université 
et  ses  démarches  contre  les  Jésuites  (1566).  — 5.  Le  Père  Perpinien;  ses  leçons 
d'Écriture  Sainte.  —  il.  Sa  mort  et  son  .éloge.  —  7.  Le  P.  Mariana  supplée  Mal- 
donat pour  l'enseignement  de  la  théologie  (1570).  —  8.  Nouveau  cours  du  P.  .Mal- 
donat. —  P.  Progrès  du  collège  de  Clermont.  Son  règlement. 

Sources  manuscrites  :  I.  Bibliothèque  nationale,  fonds,  latin  ms.  313. 

II.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Franciae  Histôria;  —  l>)  Gal- 
lia.  Epistolae  Generalium;  —  c)  Oalliae  Epistolae;  —  d)  Galliarum  visitationes. 

III.  Archives  de  la  Province  de  l.yon. 

Sources  imprimées  :  Arc/tires  curieuses  de  l'Histoire  de  France.  —  Du  Boulay,  Hist* 
Univ.  Parisiens.  —  Carvajal,  De  restituta  theologia.  —  D'Espence.  Praefat.  in  Com- 
menta)-, in  Ep.  I  ad  Timoth.  —  Jean  Major,  Disputa,  in  lib.  Sententiar.  praefat.  — 
Manare,  De  rébus  S.  J.  commentarius.  —  De  Mouchi.  Praefat.  in  Petr.  Lombardi  IV 
Libr.  Sententiar.  —  Pétri  Joan.  Perpiniani  orationes.  —  Pièces  fugitives  pour  servir 
à  l'histoire  de  France.  —  Prat,  Maldonat  et  l'Université  de  Paris.  —  Monument,* 
HISTORICA  Soc.  .If.su.  Epistolae  P.  Nadal. 


1.  En  1505,  le  collège  de  Clermont,  malgré  sa  rapide  prospé- 
rité, offrait  encore  une  lacune  que  ses  adversaires  ne  manquaient 
pas  d'exploiter  perfidement.  Ils  s'étonnaient  que  des  religieux, 
qui  avaient  des  professeurs  pour  les  sciences  profanes,  n'en  eus- 
sent point  pour  les  sciences  sacrées.  Critiques  imprudentes,  car 
les  Jésuites  avaient  des  théologiens  qui  allaient  donner  à  l'ensei- 
gnement supérieur  un  intérêt  et  un  éclat  inaccoutumés.  Après 
les  lettres  patentes  de  Charles  IX,  datées  du  1er  juillet  1565,  le 
P.  Olivier  Manare  s'empressa,  dès  le  début  de  l'année  scolaire, 
d'établir  les  cours  de  théologie  impatiemment  attendus  par  les 
élèves  et  les  amis  des  Jésuites. 

A  ce  moment,  le  P.  Edmond  llay  était  toujours  à  la  tète  du  col- 
lège; ses  lettres  nous  en  apprennent  la  situation.  La  communauté 
comptait  trente-cinq  religieux  dont  douze  prêtres,  onze  scolas- 


414  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

tiques  et  douze  frères  coadjuteurs.  Seize  novices  se  préparaient 
à  faire  leurs  vœux,  et  dix  d'entre  eux  se  livraient  à  l'étude  des 
lettres.  Ce  nombre,  assez  restreint,  de  candidats  à  la  Compagnie 
s'expliquait  par  la  récente  campagne  de  calomnies  :  «  Autrefois, 
écrit  le  P.  Recteur  au  P.  Général,  on  se  demandait  si  nous  étions 
un  (  Irdre  approuvé  ;  mais  ceux  qui  ne  nous  regardaient  pas  comme 
religieux,  nous  estimaient  au  moins  comme  chrétiens  et  gens  de 
bien;  aujourd'hui  on  nous  fait  l'injure  de  mettre  en  doute  notre 
foi  même  et  notre  honnèleté.  Ces  préjugés  détournent  de  nous 
beaucoup  de  jeunes  gens,  ou  les  rendent  très  hésitants1.  » 

Le  pensionnat  comprenait  cinquante  élèves  parmi  lesquels  six 
religieux  Bénédictins,  l'un  de  Metz  en  Lorraine,  les  autres  appar- 
tenant à  divers  monastères  de  Flandre.  Il  y  avait  aussi  des  Écos- 
sais et  des  Anglais  de  grande  famille,  que  la  Providence  destinait 
à  soutenir  le  catholicisme  dans  leur  pays.  Le  reste  se  composait 
de  Flamands  ou  de  Français,  possédant  presque  tous  un  canoni- 
cat  ou  quelque  autre  bénéfice  ecclésiastique.  «  On  leur  fit  revêtir 
un  costume  conforme  à  leur  condition,  et  ce  simple  changement 
suffit  pour  modifier  leurs  dispositions  intérieures.  »  Eux,  qui  ne 
songeaient  d'abord  qu'à  dépenser  leurs  revenus,  commencèrent  à 
vivre  en  gens  d'Église.  Les  pensionnaires  avaient  une  chapelle 
séparée,  où  chaque  matin  ils  entendaient  la  messe,  et  le  soir  réci- 
taient les  litanies  ou  chantaient  une  hymne  en  l'honneur  de  la 
Très  Sainte  Vierge.  Les  dimanches  et  les  jours  de  fête,  beaucoup 
d'écoliers  externes  se  joignaient  à  eux  pour  l'office  des  vêpres;  un 
grand  nombre  se  confessait  et  communiait  tous  les  huit  jours. 

Le  collège  jouissait  déjà  d'une  grande  réputation,  non  seule- 
ment en  France  et  en  Flandre,  mais  jusqu'en  Angleterre  et  en 
Ecosse  où,  estimé  des  catholiques,  il  était  fort  redouté  des  protes- 
tants. Ces  derniers  avouaient  qu'ils  ne  craignaient  rien  tant  que 
l'érudition  des  Jésuites.  «  J'ai  lu,  dit  le  1*.  Hay,  une  lettre  d'un 
Anglais,  homme  très  considéré  dans  son  pays  :  il  félicitait  le  pré- 
cepteur chargé  de  ses  petits-fils  des  soins  qu'il  leur  donnait,  mais 
surtout  de  les  conduire  aux  leçons  de  nos  maîtres,  car,  écrivait-il, 
je  n'entends  parler  que  très  avantageusement  de  leur  science  et 
de  leur  piété2.  » 

Les  études,  en  effet,  devenaient  de  plus  en  plus  florissantes. 
Outre  les  quatre  classes  d'humanités,  que  suivaient  un  très  grand 
nombre  d'écoliers,  les  deux  cours  de  philosophie  étaient  les  plus 

1.  Lettre  du  P.  Ed.  Hay,  29  avril  1566  (Galliae  Epist.,  t.  III,  fol.  22,  24). 

2.  Ibidem. 


L'ENSEIGNEMENT  SUPÉRIEUR  AU  COLLEGE  DE  CLERMONT.        US 

fréquentés  tic  tous  les  collèges  de  la  capitale.  Le  I*.  Provincial 
avait  ajouté  deux  cours  d'instruction  religieuse,  l'un  en  français 
pour  les  jeunes  élèves,  l'autre  en  latin  pour  les  plus  avancés. 
Les  dimanches  cl  les  jours  de  fêtes,  le  P.  Maldonat  interprétai 
publiquement  l'Ecriture  Sainte  d'une  manière  à  la  fois  si  aisée, 
si  solide  et  si  digne  de  la  parole  de  Dieu,  que  ses  auditeurs,  loin 
<lc  se  lasser,  avaient  toujours  plus  envie  de  l'entendre. 

Aux  fêtes  de  Noël  1565,  les  élèves  du  pensionnat  récitèrent  une 
églbgue  composée  par  le  P.  Préfet  des  Etudes.  Elle  n'était  pas 
destinée  à  l'honneur  d'une  séance  publique  ;  mais,  sur  les  instances 
des  amis  du  collège,  on  dut  transformer  le  réfectoire  en  grande 
salle  où  se  pressèrent  plusieurs  membres  du  Parlement  et  d'autres 
personnages  de  distinction,  avides  de  belle  littérature.  Le  succès 
dépassa  toute  attente  :  on  admira  et  la  composition  de  la  pièce  et 
la  diction  des  acteurs.  Les  Pères  furent  même  obligés  de  distribuer 
des  copies  de  l'élégante  églogue,  qui  avait  conquis  les  suffrages 
d'un  auditoire  d'élite. 

Pour  les  œuvres  extérieures  d'apostolat,  les  prêtres  du  collège 
rencontraient  alors  beaucoup  de  difficultés.  Ils  ne  purent  continuer 
à  entendre  les  confessions  dans  la  chapelle  de  Saint-Germain,  et 
la  prédication  dans  les  églises  de  la  ville  leur  fut  quelque  temps 
interdite.  Un  grand  dignitaire  ecclésiastique  voulut  même  per- 
suader à  l'un  des  Pères,  spécialement  chargé  des  instructions  dans 
les  communautés  et  de  la  visite  des  pauvres  et  des*  malades  dans 
les  hôpitaux,  de  s'abstenir  de  ces  ministères  de  miséricorde  : 
«  Vous  me  ferez  d'autant  plus  de  plaisir,  disait-il,  que  vous  vous 
occuperez  moins  des  œuvres  de  charité  au  dedans  et  au  dehors  de 
votre  collège.  »  Les  Pères  trouvèrent  pourtant  plus  d'une  occasion 
d'employer  utilement  leur  zèle  au  service  du  prochain.  Les 
habitués  de  la  chapelle  de  Saint-Germain  se  transportèrent  à  la 
chapelle  du  collège.  Le  prince  de  Mantoue,  duc  de  Nevers,  appela 
auprès  de  lui,  comme  missionnaire,  un  des  Pères  de  Paris.  A  l'ap- 
proche de  Pâques,  un  principal  de  collège,  en  même  temps  curé 
d'une  paroisse,  eut  recours  au  dévouement  des  Jésuites,  envers 
lesquels  il  s'était  jusque-là  montré  très  hostile.  Pendant  qu'un 
Père  prêchait  à  l'église  Saint-Marcel,  le  P.  Manare  avait  entrepris 
d'expliquer  le  catéchisme  de  Canisius  à  des  orphelins  dans  l'église 
de  la  Trinité;  il  eut  d'abord  peu  d'auditeurs,  mais  bientôt  le 
peuple  accourut  en  telle  foule  que  le  local  devint  insuffisant  '. 

1.  Ibidem. 


416  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

La  lettre  du  P.  Hay,  à  laquelle  nous  empruntons  tous  ces  dé- 
tails, renferme  peu  de  renseignements  sur  le  cours  de  théologie 
inauguré  au  mois  d'octobre  1505.  Il  se  contente  de  dire  que  les 
auditeurs  y  étaient  plus  nombreux  que  nulle  part  ailleurs  dans 
l'Université.  Cependant,  comme  ce  cours  eut  un  immense  reten- 
tissement et  commença  la  rénovation  des  études  théologïques 
en  France,  il  mérite  d'arrêter  spécialement  notre  attention. 

1.  Depuis  nombre  d'années,  l'enseignement  de  la  théologie 
laissait  beaucoup  à  désirer  dans  l'Université  de  Paris.  Ce  n'était 
plus  cette  forte  et  lumineuse  méthode  des  saint  Thomas  et  des 
Dims  Scot,  qui  avait  jeté  tant  d'éclat  au  treizième  siècle.  Les 
querelles  des  rois  de  France  avec  les  Papes,  les  discussions  du 
grand  schisme  d'Occident,  en  introduisant  certaines  opinions  qui 
brisaient  l'unité  de  la  doctrine,  avaient  faussé  la  direction  de  l'en- 
seignement. La  claire  simplicité  de  la  langue  scolastique  avait 
elle-même  fait  place  au  langage  barbare  des  questionnaires, 
hérissés  des  formules  les  plus  étranges.  Quand  les  hérésies  de 
Luther  et  de  Calvin  ébranlèrent  l'autorité  de  l'Église  et  boule- 
versèrent la  société,  on  affecta  de  confondre  les  intérêts  du  catho- 
licisme avec  ceux  de  ces  méthodes  surannées.  La  cause  même  de 
la  religion  réclamait  donc  impérieusement  une  réforme. 

Beaucoup  de  bons  esprits  firent  entendre  de  justes  plaintes  et 
d'énergiques  protestations.  Personne,  parmi  eux,  ne  dénonça  les 
abus  en  termes  plus  acerbes  qu'Antoine  de  Mouchi,  célèbre  alors 
sous  le  nom  de  Démocharès  :  il  s'était  livré,  déclarait-il,  avec 
ardeur  à  la  philosophie,  espérant  qu'elle  lui  ouvrirait  les  voies  à 
la  théologie,  et,  au  bout  de  trois  ans,  il  n'avait  acquis  que  la 
connaissance  de  quelques  sophismes  et  de  vaines  subtilités1;  il 
n'était  pas  plus  satisfait  de  la  façon  de  procéder  dans  l'étude  de  la 
science  sacrée,  mais,  comme  le  docteur  Jean  Major,  il  s'avouait 
incapable  de  maîtriser  les  préjugés  du  temps2.  En  15V5  Louis  de 
Carvajal,  publiant  sous  le  titre  de  Restiîuta  theologia  un  premier 
essai  de  la  méthode  qu'il  voulait  substituer  à  l'ancienne,  le  pré- 
sentait ainsi  au  lecteur  :  «  Vous  voyez  dans  quels  labyrinthes  sont 
tombés  quelques  théologiens,  soit  qu'ils  s'amusent  à  des  questions 
subtiles,  curieuses  ou  inutiles,  soit  que,  soumettant  la  théologie 
à  des  règles  barbares,  ils  souillent  cette  divine  science  par  d'im- 
pertinents et  insipides  sophismes.  D'un  autre  côté  des  hommes 

1.  Praefatio  in  Pétri  Lombardi  IV  Libr.  Sententiur. 

2.  Dis  put  in  I  libr.  Sententiar.,  Praefatio. 


L'ENSEIGNEMENT  SUPÉRIEUR  AU  COLLÈGE  DE  GLERMONT.        417 

(jui  ont  à  peine  effleuré  la  dialectique,  la  physique  et  la  méta- 
physique, sont  néanmoins  d'un  goût  si  délicat  qu'ils  ne  daignent 
lire  que  ce  qui  sentie  style  de  Gicéron,  en  sorte  qu'ils  méprisent 
même  des  leçons  utiles  à  leur  salut.  Nous  donc,  pour  ramener 
les  uns  et  les  autres  à  Jésus-Christ,  nous  nous  attacherons  à  traiter 
des  questions  graves  et  salutaires,  à  purger  la  théologie  du 
sophisme  et  de  la  barbarie1.  »  Le  pieux  et  savant  auteur  devait 
rédiger,  d'après  ce  plan,  un  cours  complet  de  théologie;  mais 
après  avoir  donné  le  traité  de  Deo,  il  laissa  à  d'autres  le  soin 
d'achever  l'œuvre  commencée. 

Devant  la  nécessité  toujours  plus  pressante  de  défendre  la 
religion  contre  les  erreurs  nouvelles,  les  théologiens  de  l'école 
de  Paris  négligèrent  les  définitions  des  Sentences  et  la  dia- 
lectique d'Aristote  et  se  livrèrent  à  l'étude  des  divines  Écri- 
tures et  des  Saints  Pères.  Plusieurs  y  acquirent  une  instruction 
assez  solide  pour  lutter  avec  succès  contre  l'hérésie;  mais  leur 
style,  obscur  et  peu  correct,  n'était  pas  de  nature  à  flatter  le 
goût  délicat  des  humanistes.  C'était  le  défaut  commun  aux  plus 
habiles  controversistes  de  cette  époque  :  «  Peu  m'importe,  di- 
sait Claude  d'Espence,  le  plus  renommé  d'entre  eux,  que  je  sois 
obscur  et  que  j'écrive  sans  élégance,  pourvu  que  je  ne  sois  pas 
inexpérimenté  et  inhabile  dans  les  questions  que  je  traite2.  » 

Irrités  des  contradictions  qu'ils  essuyaient  de  la  part  de  l'an- 
cienne École,  les  humanistes  du  collège  royal  dédaignèrent  non 
seulement  les  maîtres  de  la  science  sacrée  mais  encore  l'ensei- 
gnement de  la  philosophie  et  de  la  théologie,  désignées  sous 
le  nom  général  de  scolastique.  Maîtres  et  enseignement,  ils  trai- 
tèrent tout  de  barbare,  et,  pour  ne  pas  être  eux-mêmes  bar- 
bares, ils  se  montrèrent  à  peine  chrétiens.  En  gagnant  la  faveur 
publique  par  leurs  innovations  dans  le  système  des  études,  ils 
outragèrent  les  choses  saintes  et  affichèrent  des  hardiesses  que 
répudiaient  quelquefois  les  apôtres  mêmes  de  la  religion  nou- 
velle 3.  Personne  ne  combattit  la  scolastique  du  temps  avec 
plus  de  véhémence  que  Pierre  Ramus.  Homme  d'esprit,  mais 
d'un  esprit  libre  à  l'excès,  portant  l'estime  de  son  siècle  jus- 
qu'au mépris  outré  de  tout  ce  qui  se  faisait  avant  lui,  Ramus 
aurait  voulu  qu'on  réduisit  l'enseignement  théologique  à  l'in- 
terprétation arbitraire  de  la  Sainte  Écriture.  Ayant  osé  soutenir 

1.  Garvajal,  De  restituta  tlteoloç/ia  (Cologne,  1545),  préface. 

'.  Praefat.  in  Commentai-,  in  Epist.  lad  Timotti. 

3.  Théry,  Histoire  de  l'éducation  en  France,  t.  II,  p.  i'2,  43. 

COMPAGNIE   DE  JÉSUS.  —  T.   I.  27 


418  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

dans  une  première  thèse  que  «  tout  est  faux  dans  la  philosophie 
d'Aristote  »,  il  fut  poursuivi,  jugé  et  condamné  à  un  silence  qu'il 
no  garda  pas1.  Plus  tard,  dans  ses  Advertissements  sur  la  ré- 
formation de  r Université  de  Paris,  adressés  au  roi  Charles  IX, 
il  attaqua  toutes  les  Facultés,  principalement  celle  de  théolo- 
gie, qui  n'avait  point  alors  de  professeurs  ordinaires.  Tous  los 
docteurs  étaient  bien  astreints,  par  état,  à  enseigner;  mais  depuis 
longtemps  ils  s'en  dispensaient,  et  les  leçons  n'étaient  faites 
que  par  les  bacheliers  pour  obtenir  la  licence2. 

3.  Tel  était  l'état  des  études  scolastiques,  à  l'Université  de 
Paris,  lorsque  le  P.  Maldonat  inaugura  ses  cours  de  théologie 
au  collège  de  Clermont.  Formé  à  l'école  de  Salamanque,  lecteur 
assidu  de  la  Bible,  des  Pères  et  des  Conciles,  il  joignait  à  une 
vaste  érudition  l'usage  familier  des  langues  orientales;  esprit 
souple  et  sagace,  il  entrait  profondément  dans  les  questions  les 
plus  ardues,  en  distinguait  nettement  toutes  les  faces,  s'avan- 
çait avec  une  sûreté  magistrale  vers  la  plus  lumineuse  solution; 
sa  pensée,  claire  et  vive,  s'exprimait  dans  une  langue  dont  les 
humanistes  pouvaient  envier  la  pureté.  Il  possédait  donc  toutes 
les  qualités  requises  pour  relever  la  science  sacrée,  la  faire  res- 
pecter de  ses  détracteurs  et  la  ramener  à  son  but  :  la  connais- 
sance de  la  vérité.  Néanmoins  l'entreprise  n'était  pas  facile;  car 
d'un  côté  l'hérésie  menaçait  de  disputer  pied  à  pied  les  posi- 
tions conquises;  de  l'autre,  la  Faculté  de  théologie  devait  s'op- 
poser à  toute  innovation  dans  l'enseignement.  Mais  le  P.  Mal- 
donat avec  son  talent  et  sa  vertu,  sa  prudence  et  sa  modération, 
sut  combattre  l'erreur  et  exprimer  la  vérité  sous  une  forme  nou- 
velle, sans  blesser  les  susceptibilités. 

Dès  la  première  leçon,  il  indique  ses  vues,  précise  sa  méthode. 
Après  avoir  prié  ses  auditeurs  de  lui  continuer  la  bienveillante 
attention  qu'ils  lui  avaient  prêtée  sur  des  matières  moins  im- 
portances, il  entre  dans  son  sujet  en  expliquant  les  motifs  pour 
lesquels  le  collège  de  Clermont  ouvrait  des  cours  de  théologie. 
Il  développe  alors  diverses  considérations  sur  l'excellence  et  les 
avantages  de  cette  science,  sur  les  difficultés  qu'elle  présente 
et  la  manière  de  l'enseigner.  Il  rappelle,  en  peu  de  mots,  les 
phases  de  combat  que  cet  enseignement  avait  glorieusement 
traversées  depuis  le  temps  des  apôtres  jusqu'au  xii"  siècle,  pour 

1.  NVaddinglon,  Ha  mus,  sa  vie,  ses  écrits,  ses  opinions,  p.  53,  54. 
'I.  Archives  cur.  de  l'Hist.  de  France,  lr°  série,  t.  V,  p.  115. 


L'ENSEIGNEMENT  SUPÉRIEUR  AU  COLLÈGE  DE  CLERMONT.         419 

arriver  aux  fâcheux  abus  qui  se  glissèrent  dans  les  siècles  sui- 
vants. «  La  plupart  des  théologiens  de  ces  temps  paisibles 
étaient,  dit-il,  des  hommes  de  savoir  et  de  talent;  mais,  comme 
ils  n'avaient  point  de  guerre  à  soutenir  contre  les  hérétiques, 
ils  déposèrent  leurs  armes,  c'est-à-dire  qu'ils  négligèrent  les 
livres  sacrés,  les  écrits  des  Saints  Pères  et  les  procédés  do  l'an- 
cienne école...  Ils  concentrèrent  leurs  pensées  sur  la  philosophie 
d'Aristote;  ils  employèrent  leur  vie  et  leurs  facultés  intellec- 
tuelles à  inventer,  à  proposer  ou  à  résoudre  une  infinité  de  ques- 
tions compliquées  où  brillait  la  subtilité  de  leur  esprit.  La  vraie 
et  pure  théologie  fut  alors  tellement  mêlée  à  cette  manie  de 
pointiller  que  les  écoles  retentissaient  de  suppositions,  d'ap- 
pellations exponibles ',  contradictoires,  insolubles,  de  syllo- 
gismes, de  disputes  sans  fin,  de  cris  puérils,  de  bruyantes  ar- 
gumentations, qui  au  jour  d'une  guerre  sérieuse  contre  l'ennemi 
étaient  plus  capables  de  nuire  que  d'aider  au  triomphe  de  la 
vérité. 

«  Ne  trouverions-nous  pas  ridicule,  continue-t-il,  un  homme 
qui,  défié  à  un  combat  à  l'épée  pour  un  jour  indiqué,  s'exerce- 
rait en  attendant  à  manier  l'arc  ou  la  lance?  Or  voilà  ce  que  font 
tous  ceux  qui  confinent  leur  enseignement  dans  des  questions 
oiseuses,  étrangères  à  l'Écriture  Sainte  et  surtout  aux  besoins 
de  l'époque.  Lorsque  je  les  vois  perdre  ainsi  un  temps  précieux 
je  me  sens  pressé  de  les  interpeller  et  de  leur  dire  :  que  faites- 
vous  donc,  lâches  soldats?  Que  votre  théologie  sorte  de  l'obs- 
curité, dans  laquelle  elle  s'est  jus  ju'à  présent  renfermée;  qu'elle 
se  dégage  enfin  de  la  rouille  qu'elle  a  contractée  dans  l'inac- 
tion, qu'elle  abandonne,  oui,  qu'elle  abandonne  les  agréables 
ombrages  de  la  philosophie,  qu'elle  se  produise  au  grand  jour 
et  descende  dans  l'arène.  » 

Maldonat,  quand  il  signale  ainsi  les  abus  de  l'enseignement 
supérieur  et  en  indique  le  remède,  se  garde  bien  d'attaquer  la 
scolastique  ;  même,  pour  écarter  tout  soupçon  à  cet  égard,  ré- 
pondant à  une  objection  qu'il  s'adresse  à  lui-même,  il  affirme 
que  loin  de  la  repousser  il  la  regarde  comme  nécessaire  à  toute 
argumentation  solide  : 

«  Mais,  me  dira-t-on,  voulez-vous  donc  que  nous  renoncions 
tout  à  fait  aux  disputes  scolastiques  et  aux  subtilités  théologi- 
ques, et  que,  livrés  uniquement  aux  Saintes  Écritures,  nous  leur 

l.  Appellationes  exponibiles,  terme  du  langage  scolastique. 


420  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

donnions ,  comme  nos  adversaires,  cette  interprétation  capri- 
cieuse qu'on  donnerait  aux  fables  des  poètes?  Non,  messieurs,  je 
n'entends  pas  que  vous  priviez  la  théologie  de  l'argumentation 
scolastique;  elle  est  utile,  elle  est  nécessaire,  et  vous  verrez  dans 
nos  leçons  si  je  la  néglige.  Je  veux  seulement  que  dans  rensei- 
gnement de  la  théologie,  comme  dans  toute  autre  chose,  nous 
observions  cette  règle  de  prudence  :  Ne  quid  nimis;  car  il  y 
aurait  de  l'orgueil  et  de  la  témérité  à  vouloir  expliquer  les 
Saintes  Écritures  sans  les  lumières  de  la  théologie  ;  mais  il  n'y  a 
pas  moins  de  vanité  et  de  légèreté  à  consacrer  son  temps  et  sa 
peine  à  des  questions  oiseuses  et  inutiles.  La  vraie  manière,  c'est, 
à  mon  avis,  d'unir  aux  livres  inspirés  la  méthode  scolastique;  en 
sorte  que,  en  face  d'une  question  à  débattre,  nous  recourions 
non  à  Platon  ou  Aristote...  mais  aux  prophètes,  aux  apôtres,  aux 
évangélistes,  à  Jésus-Christ,  à  son  Église,  à  l'antiquité  sacrée,  et 
que  nous  consultions  les  exigences  de  notre  temps.  Telle  est  la 
ligne  que  je  me  suis  tracée,  et  je  m'efforcerai  de  ne  jamais  en 
sortir  l .  » 

Les  leçons  de  théologie  du  P.  Maldonat  eurent  un  immense  suc- 
cès. Le  nombre  des  auditeurs  devint  si  considérable  que,  la  salle 
ordinaire  des  cours  ne  pouvant  les  contenir,  on  dut  se  transporter 
dans  le  grand  réfectoire  ;  et  comme  ce  local  était  encore  insuf li- 
sant, le  professeur  établit  sa  chaire,  quand  la  saison  le  permit, 
dans  la  cour  du  collège.  L'auditoire  ne  se  composait  pas  seulement 
de  jeu:ies  gens  destinés  à  l'Église,  mais  encore  de  l'élite  de  la 
société2.  On  y  voyait  des  magistrats  et  des  grands  seigneurs,  des 
docteurs  de  Sorbonne  et  des  professeurs  d'autres  collèges,  des 
prélats  et  des  religieux  de  tous  les  Ordres.  «  Souvent  même  des 
ministres  huguenots  »  se  mêlaient  aux  catholiques  ;  «  en  cachette 
ils  faisaient  passer  »  au  savant  théologien  «  des  propositions  con- 
traires à  sa  thèse,  que  lui  lisait  en  public  et  réfutait  point  par 
point3  ».  Les  personnes  qui  désiraient  s'assurer  une  bonne  place 
envoyaient  leurs  domestiques  la  retenir  à  l'avance,  car  il  arrivait 

1.  Maldonati  oralio  cumsuam  (heologiam  aggrederetur,  publié  par  l'rat  d'après 
les  inss.  de  la  Bibl.  nat.  (Maldonat,  app.  XI,  p.  555  el  sqq.). 

2.  De  Saligny,  Vie  du  /'.  Maldonat  (dans  Prat,  Mémoires  sur  le  P.  Broet.,  App., 
p.  608,  609).  Le  P.  de  Saligny,  mort  en  1723,  fut  professeur  de  philosophie  et  de  théo- 
logie à  Bourges  où  Maldonat  avait  écrit  ses  Commentaires.  Il  crut  faire  honneur 
à  cette  ville  en  lui  donnant  une  biographie  de  l'éininenl  théologien.  Une  copie  de  cet 
ouvrage  se  trouve  à  la  bibliolh.  de  Grenoble.  C'est  le  manuscrit  que  le  P.  Prat  a 
reproduit,  mais  non  intégralement.  Les  détails  donnes  ici  sur  l'al'lluence  aux  cours 
de  Maldonat  sont  conformes  aux  témoignages  des  contemporains. 

3.  Lettre  du  P    Nadal,  7  oct.  1568  [Epis t.  Nadàl,  t.  IV,  p.  793). 


L'ENSEIGNEMENT  SUPÉRIEUR  AU  COLLÈGE  DE  CLERMONT.        421 

bien  des  fois  que  la  salle  était  comble  trois  heures  avant  le  com- 
mencement du  cours1. 

Pierre  Picherel,  ancien  docteur  de  Sorbonne  passé  au  calvi- 
nisme, décrit  dans  un  de  ses  ouvrages  le  spectacle  dont  il  l'ut 
témoin,  un  jour  qu'il  était  venu  entendre  le  P.  Maldonat  :  «  Ne 
croyant  pas,  dit-il,  que  l'auditoire  dust  estre,  coininc  il  estoit, 
composé  d'un  monde  infini,  je  me  trouvai  trop  éloigné  de  la 
chaire  du  professeur;  d'où  il  arriva  que  beaucoup  de  mots  ne 
vinrent  pas  jusqu'à  moy.  Ajoutez  à  cela  que  sa  prononciation 
n'estoit  pas  toujours  égale,  car,  quand  il  avoit  élevé  la  voix,  il 
la  rabaissoit  un  peu  après.  Comparant  néanmoins  ce  qu'il  avoit 
dit  d'un  ton  élevé  avec  ce  qu'il  avoit  dit  d'un  ton  plus  bas,  et 
devinant  même  avec  le  secours  des  yeux,  que  je  tenois  toujours 
attachés  sur  son  visage,  je  fis  si  bien  qu'il  m'échappa  peu  de 
choses2.  »  Tous  les  auditeurs,  en  effet,  prêtaient  la  plus  sérieuse 
attention;  plusieurs  prenaient  des  noies.  De  hauts  dignitaires  de 
l'Église  et  de  l'État,  trop  éloignés  de  Paris  pour  assister  aux  cours, 
y  envoyaient  des  copistes.  «  Dieu  sait,  écrit  le  P.  Edmond  Hay, 
combien  d'esprits  sincères  trouvèrent  dans  les  leçons  de  l'illustre 
professeur,  la  lumière  de  leur  intelligence,  la  solution  de  leurs 
doutes,  la  confirmation  de  leurs  croyances3  ». 

k.  On  devine  aisément  que  les  succès  du  P.  Maldonat  contri- 
buèrent encore  à  augmenter  le  prestige  du  collège  de  Clermont. 
L'ardeur  dévouée  des  professeurs,  faisant  de  l'instruction  une 
arme  d'apostolat;  l'habileté  de  leurs  méthodes  et  l'entrain  de 
leurs  classes;  le  concours  des  écoliers  contents  d'échapper  à  des 
procédés  vieillis,  et  heureux  de  l'affection  que  leur  témoignaient 
des  maîtres  surnaturels,  tout  mettait  la  Compagnie  de  Jésus  dans 
une  situation  excellente  vis-à-vis  de  l'Université.  Celle-ci,  ne 
pouvant  se  consoler  des  arrêts  du  Parlement,  ni  se  résigner  de 
bonne  grâce  à  la  prospérité  d'une  rivale,  se  mit  à  épier  l'oc- 
casion de  trouver  les  Pères  en  défaut.  Les  régents  étaient  obligés 
de  s'observer  de  près,  car  «  souvent  des  hommes  doctes  s'estant 
déguisés  se  mesloient  dans  la  foule  des  escoliers  »  entrant  au 
collège,  et  ils  notaient  de  leurs  mains  «  ce  qu'ils  voyoient  et  en- 
tendoient  ».  Ou  bien  encore  quand  les  élèves  sortaient,  on  les 
prenait  à  part,  on  leur  faisait  répéter  la  leçon  du  professeur, 

1.  Bayle,  Dictionnaire,  art.  Maldonat,  remarque  C. 

2.  Dissertalio  de  sacrificio  missae  (1629),  cité  par  le  P.  de  Salignv.  /.  c. 

3.  Lettre  au  P.  Général,  29  avril  1566  (Gall.  Epist.,  t.  III,  fol.  22).  ' 


422  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

dans  l'espoir  de  découvrir  quelque  parole  malsonnante  et  propre 
à  constituer  un  procès1. 

Cette  odieuse  inquisition  n'ayant  donné  aucun  résultat,  l'Uni- 
versité ne  renonça  pas  cependant  à  ses  projets  de  vengeance. 
Elle,  qui  avait  naguère  sollicité  l'appui  du  prince  de  Condé,  chef 
des  huguenots,  n'hésita  pas  à  recourir  au  connétable  de  Mont- 
morency, chef  des  catholiques.  Au  commencement  du  mois  d'a- 
vril 1566,  pendant  la  semaine  de  la  Passion,  le  connétable  était 
venu  à  Paris  avec  le  maréchal  de  Damville,  son  second  fils.  Guil- 
laume Galland,  alors  Recteur  de  l'Université,  alla  le  saluer  ac- 
compagné de  Ramus,  pour  lui  recommander  les  intérêts  dont  il 
était  chargé.  Ces  intérêts,  disait-il,  se  trouvaient  gravement  com- 
promis par  la  concurrence  du  collège  de  Clermont.  En  même 
temps,  il  dépeignit  les  Jésuites  sous  les  couleurs  les  plus  noires  et 
demanda  qu'on  imposât  silence  à  leurs  professeurs,  ou  plutôt 
qu'on  en  délivrât  l'Université.  Présent  à  l'entretien,  le  lieutenant 
criminel  ne  put  retenir  son  indignation  devant  de  si  injustes  re- 
proches :  «  Vous  feriez  bien  mieux,  monsieur  le  Recteur,  dit  ce 
zélé  magistrat,  d'empêcher  vos  écoliers  de  sortir  la  nuit  et  de 
causer  du  désordre,  comme  ils  font  tous  les  jours,  dans  Paris.  » 
Galland  et  Ramus  répondirent  que  les  Jésuites  étaient  la  cause 
de  tout  le  mal  :  les  élèves,  quand  on  voulait  les  réprimander,  me- 
naçaient de  quitter  l'Université  pour  passer  au  collège  de  Cler- 
mont. Le  maréchal  de  Damville  releva,  comme  elle  le  méritait, 
cette  singulière  excuse  en  représentant  que  les  élèves  des  Jésuites 
ne  donnaient  ni  les  mêmes  scandales  ni  les  mêmes  sujets  de 
plaintes.  Il  défendit  si  bien  la  cause  des  religieux  de  la  Compa- 
gnie que  le  connétable,  après  une  sévère  réprimande,  congédia 
les  calomniateurs  en  leur  disant  d'imiter  les  Pères  au  lieu  de  les 
incriminer2. 

Le  lendemain  le  maréchal  de  Damville,  très  dévoué  aux  Jé- 
suites, les  fit  prévenir  de  ce  qui  s'était  passé  chez  son  père,  et 
leur  conseilla  d'aller  trouver  le  connétable  pour  l'éclairer  sur 
toute  cette  affaire.  Ils  n'eurent  pas  de  peine  à  se  disculper  des 
accusations  dont  ils  étaient  l'objet.  Montmorency,  après  les  avoir 
entendus,  les  assura  de  sa  bienveillance  et  de  sa  protection  : 
«  Je  sais,  leur  dit-il,  tout  ce  que  votre  Société  a  souffert  en  France 
depuis  les  divisions  survenues  dans  notre  malheureux  pays; 
mais  supportez    ces    épreuves    d'autant   plus    courageusement 

1.  Vie  du  P.  Maldonat,  par  le  P.  de  Saligny  (Pral,  op.  cit.,  p.  609). 

2.  Leltrc  du  P.  Hay  déjà  citée.  Cf.  Sacchini,  P.  III,  I.  II,  n.  58. 


L'ENSEIGNEMENT  SUPÉRIEUR  AU  COLLEGE  DE  CLERMONT.        423 

qu'elles  vous  sont  communes  avec  tous  les  gens  de  bien.  Souve- 
nez-vous que  tous  ceux  qui  ont  entrepris  de  grandes  choses 
dans  l'Église  de  Dieu  ont  rencontré,  comme  vous,  une  multitude 
d'obstacles.  Si  vous  continuez  à  servir  l'Église  et  l'Etat  avec  le 
dévouement  désintéressé  que  vous  avez  montré  jusqu'ici,  vous 
n'aurez  rien  à  craindre  de  personne.  Pour  ma  part,  comptez  que 
mon  secours  ne  vous  manquera  jamais.  »  Les  Pères  du  collège 
de  Clermont,  encouragés  par  ces  paroles  du  connétable,  attendi- 
rent avec  un  surcroît  de  confiance  les  persécutions  de  leurs  en- 


nemis 


5.  Le  1er  mai  1566,  Charles  IX  était  enfin  revenu  de  son  long 
voyage,  qui  avait  duré  plus  de  deux  années  2.  Galland  et  Ra- 
mus,  nullement  abattus  par  leurs  tentatives  infructueuses,  s'em- 
pressèrent de  demander  audience  au  cardinal  de  Lorraine,  pro- 
viseur de  Sorbonne,  et,  sans  nommer  la  Compagnie  «le  Jésus 
dont  il  s'était  déclaré  protecteur,  se  plaignirent  de  certains  étran- 
gers, de  barbares  qui  excitaient  des  troubles  dans  l'Université  et 
corrompaient  la  jeunesse.  Le  proviseur  de  Sorbonne  répondit 
qu'il  n'avait  jamais  entendu  parler  de  pareils  étrangers,  mais  il 
engagea  les  plaignants  à  lui  remettre  leurs  griefs  par  écrit;  on 
verrait  ensuite  quelle  mesure  il  conviendrait  de  prendre. 

Le  même  jour,  le  P.  Perpinien  était  arrivé  de  Lyon  à  Paris 
pour  associer  ses  travaux  à  ceux  du  P.  Maldonat 3.  On  lui  conlia 
le  soin  de  réfuter  les  nouvelles  accusations  portées  contre  la 
Compagnie,  et  il  rédigea  en  latin  un  mémoire  dont  le  cardinal 
de  Lorraine  se  montra  très  satisfait 4. 

Au  reproche  d'être  de  nationalités  étrangères,  adressé  aux 
maîtres  du  collège  de  Clermont,  Perpinien  répondait  que,  fondée 
par  Charlemagne  avec  le  concours  de  savants  étrangers,  l'Uni- 
versité de  Paris  avait  toujours  adopté  les  hommes  de  tout  pays 
qui  lui  apportaient  leurs  lumières  et  leur  réputation.  Quand 
François  I"  entreprit  de  restaurer  la  culture  des  lettres  dans  sa 
capitale,  il  invita  tous  les  savants  de  l'Europe  avenir  y  distribuer 
les  trésors  de  leur  science.  Guillaume  Galland  lui-même,  obser- 
vait le  fin  jésuite,  ne  se  trouverait  pas  maintenant  à  la  tête  de 

1.  Lettre  du  P.  E.  Hay. 

2.  11  était  parti  de  Paris  le  24  janvier  1564. 

3.  Lettre  de  Perpinien  à  son  frère,  17  juin  1566  (Gaudeau,  De  Perpiniani  vita 
p.  49). 

4.  Lettre  du  P.  Général  au  cardinal  de  Lorraine,  10  juin  1566  Epist.  General., 
t.  III). 


424  HISTOIRE  Dl£   LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

l'Université,  si  son  oncle  n'était  venu  d'Artois  en  France  1.  De 
quel  droit  cet  étranger  voulait-il  qu'on  expulsât  du  royaume  des 
religieux  dont  la  plupart  étaient  Français?  Que  signifie,  ajoutait- 
il,  cette  qualification  de  barbares?  On  ne  pouvait  prétendre  que 
la  France  eût  le  monopole  des  sciences  et  des  lettres.  Voulait-on 
dire  que  les  professeurs  du  collège  de  Clermont  étaient  gens  in- 
cultes et  ignorants?  Alors  comment  expliquer  le  succès  de  leur 
enseignement?  —  Mais  ils  excitent  des  troubles!  —  N'était-il  pas 
notoire,  au  contraire,  que  les  régents  de  l'Université  avaient  plus 
d'une  fois  essayé  d'ameuter  les  mauvaises  passions  contre  les 
Pères,  tandis  que  ceux-ci,  dans  une  circonstance  récente,  étaient 
parvenus  à  calmer  l'effervescence  de  leurs  écoliers?  —  Enfin,  au 
reproche  de  corrompre  la  jeunesse,  le  P.  Perpinien  se  contentait 
d'opposer  les  résultats  incontestables  du  collège  de  Clermont  : 
de  nombreux  auditeurs  ramenés  au  sein  de  l'Eglise  ou  raffermis 
dans  Ja  foi  ;  une  jeunesse  studieuse,  assidue  aux  leçons  de  ses  pro- 
fesseurs, disciplinée  dans  sa  conduite  et  réglée  dans  ses  mœurs. 

Il  ne  restait  plus  rien  des  ridicules  accusations,  lancées  contre 
les  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus,  pour  dissimuler  le  vrai  motif 
de  la  persécution.  Les  arguments  de  Perpinien  étaient  sans  répli- 
que. Mais  son  nom  et  son  arrivée  à  Paris  ne  firent  qu'irriter  les 
jalousies  inquiètes  de  l'Université.  On  savait  la  réputation  qu'il 
s'était  acquise  partout  où  il  avait  enseigné,  à  Coïmbre,  à  Rome,  à 
Lyon.  N'allait-il  pas,  par  le  prestige  de  son  éloquence,  augmenter 
encore  l'éclat  d'un  collège  déjà  trop  célèbre?  Ne  pouvant  l'em- 
pêcher de  parler,  on  résolut  de  troubler  du  moins  ses  triomphes. 

Perpinien  préluda  à  ses  leçons  par  six  discours  sur  la  nécessité 
de  conserver  l'ancienne  religion  :  de  veteri  religione  retinenda. 
Dans  le  premier,  qu'il  prononça  le  3  juin,  il  fit  d'abord  allusion 
à  la  position  difficile  du  collège  de  Clermont  vis-à-vis  de  l'Uni- 
versité de  Paris;  —  vu  la  préoccupation  générale  des  esprits,  il 
ne  pouvait  s'en  dispenser;  —  mais  il  exprima  ses  regrets  avec  un 
tact  si  délicat,  que  les  plus  malintentionnés  n'y  trouvèrent  rien  à 
reprendre  :  il  voulait  encore  espérer  qu'un  accord  loyal  succéde- 
rait à  des  inimitiés  gratuites  ;  et,  quand  bien  même  d'injustes 
préventions  viendraient  à  prévaloir,  personne,  affirmait-il  en  son 
nom  et  au  nom  de  ses  frères,  «  n'épargnerait  ni  ses  forces,  ni  sa 
santé,  ni  sa  vie  pour  le  service  de  la  religion  et  du  pays  ». 

Après  ce  préambule,  abordant  le  fond  de  son  sujet,  il  montra 

1.  L'Artois  appartenait  alors  à  l'Autriche. 


L'ENSEIGNEMENT  SUPÉRIEUR  AU  COLLEGE  DE  CLERMONT. 

l'obligation  de  fuir  ces  nouveautés  que  les  sectaires,  dit-il, 
appellent  religion,  et  qu'il  appelle,  lui,  «  une  école  d'impiété  ». 
A  ce  mot  d'impiété,  quelques  coups  de  sifflet  se  font  entendre  H 
provoquent  dans  l'assemblée  une  indignation  générale.  «  A  la 
porte!  criait-on,  à  la  porte  les  interrupteurs  !  !  »  (Tn  gentilhomme 
italien,  Jacques  Rodrigue  Falconio,  ancien  élève  du  Père  à  Rome, 
dégaine  même  son  épée  pour  réprimer  toute  tentative  de  dé- 
sordre. Le  silence  fut  bientôt  rétabli,  et  le  P.  Perpinien,  resté 
calme  au  milieu  du  bruit,  continua,  sans  plus  être  interrompu,  la 
suite  de  son  discours  -.  C'était  Ramus,  —  on  le  sut  peu  après,  — 
qui  avait  poussé  ses  familiers  à  exciter  ce  tumulte.  Les  auteurs 
du  tapage  n'osèrent  pas  récidiver,  et  le  jeune  professeur  put  en 
toute  tranquillité  déployer  son  éloquence  et  son  zèle  3. 

Le  discours  de  divina  humanaque  philosophia  qu'il  prononça 
le  1er  octobre,  à  l'ouverture  solennelle  des  classes,  contient  un 
magnifique  éloge  de  l'Université  de  Paris.  Se  plaçant  au-dessus 
de  mesquines  jalousies,  cet  étranger,  par  instinct  de  franchise  et 
le  seul  amour  du  vrai,  exalte  les  gloires  de  l'Université  plus  que 
ne  l'a  peut-être  jamais  fait  aucun  Français  :  «  Il  y  a  peu  de  sa- 
vants, dit-il,  peu  de  bonnes  académies,  qui  ne  doivent  rapporter 
à  celle  de  Paris  leurs  commencements  et  leurs  progrès.  Faut-il 
donc  s'étonner  de  voir  tous  les  hommes  élevés  dans  l'étude  des 
sciences  remplis  du  désir  de  visiter  cette  Université,  leur  mère 
commune?  Ils  ne  goûtent  pas  de  repos  avant  de  l'avoir  admirée, 
et,  si  ce  bonheur  leur  est  refusé,  ils  se  croient  maltraités  par  la 
fortune.  Plus  grande  est  cette  gloire,  plus  vous  devez  vous  effor- 
cer de  la  mériter.  Sa  perte  vous  serait  d'autant  plus  sensible 
qu'elle  a  été  jusqu'ici  votre  plus  beau  titre.  Il  est  certain  d'ailleurs 
que  vous  ne  laisserez  pas  échapper  ce  patrimoine,  légué  par  vos 
ancêtres  :  l'Université  de  Paris  renferme  en  son  sein  une  foule 

d'hommes  éminents L'amour  de  l'étude,  l'ardeur  au  travail, 

les  rares  talents  qui  distinguent  tous  ses  membres,  font  conce- 
voir l'espérance  que  les  générations  suivantes  ajouteront  encore 
à  la  célébrité  de  leurs  devancières  ''.  » 

6.  Quelques  semaines  après  ce  discours,  la  voix  éloquente  qui 
l'avait  prononcé  était  éteinte.  Le  28  octobre,  Perpinien  rendait 

1.   Perpiniani  orationes,  XII.   XVII;  cf.  Extraits  des  Mémoires  hist.  et  apol.  du 
P.  de  la  Vie  (Archiv.  Prov.  France). 
'2.  Cf.  Epist.  ad  Sebastianum  Romseum  (Gaudeau,  De  Perpiniani  vita). 

3.  Lettres  du  P.  Général  au  roi  et  à  la  reine,  5  août  1566   Mail.,  Epist.  Gen.,   t.  III). 

4.  Perpiniani  orationes,  XV11I. 


426  HISTOIRE  DE  IA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

le  dernier  soupir  entre  les  bras  de  ses  frères,  qui  le  pleurè- 
rent amèrement  :  il  n'avait  que  trente-six  ans!  Sa  mort  causa 
une  profonde  affliction  à  tous  les  catholiques  de  la  capitale,  qui 
voyaient  disparaître  en  lui  un  des  plus  brillants  orateurs  de  son 
temps  :  «  Il  n'y  a  eu  personne,  écrivait  un  humaniste  son  con- 
temporain1, à  qui  l'on  pût  appliquer  plus  justement  ce  qu'Ho- 
mère dit  de  Nestor,  que  son  éloquence  était  plus  douce  que  le 
miel.  »  Des  poètes  célébrèrent  sa  mémoire  en  vers  grecs  et  latins, 
publiés  à  sa  louange.  Paul  Manuce2,  dans  une  de  ses  lettres,  ex- 
primait d'une  manière  touchante  sa  douleur  et  ses  regrets  : 
((  Nostre  ami  Perpinien  nous  a  esté  enlevé  tout  à  fait  à  contre- 
temps, lorsque  tout  le  monde  couroit  en  foule  l'entendre  expli- 
quer les  vérités  de  nostre  sainte  foy,  lorsqu'il  repoussoit  les  ef- 
forts et  les  traits  de  la  faction  hérétique  et  qu'il  en  découvroit 
lous  les  pièges.  Il  nous  a,  dis-je,  esté  enlevé  à  la  fleur  de  l'âge  et 
d'une  mort  trop  prématurée,  cet  homme  qui  avoit  tant  d'esprit, 
tant  d'habileté,  qui  estoit  déjà  si  considéré,  si  estimé  de  tous  les 
catholiques3.  »  Les  huguenots,  au  contraire,  ne  purent  cacher 
leur  joie  de  la  mort  d'un  adversaire  si  redoutable;  puis,  honteux 
des  honneurs  décernés  à  un  homme  qui  s'était  acquis  tant  de 
renom  aux  dépens  de  leur  pernicieuse  doctrine,  ils  firent  courir 
plusieurs  libelles  où  ils  essayèrent  vainement  d'étouffer  les  éloges 
des  admirateurs  :  en  insultant  aux  larmes  des  amis  de  Perpinien 
ils  ne  parvinrent  pas  à  ternir  sa  gloire. 

7.  C'était  déjà  la  coutume,  chez  les  adversaires  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus,  de  ne  jamais  désarmer.  Pendant  que  les  uns 
s'efforçaient  de  diminuer  la  mémoire  du  brillant  professeur 
qu'elle  avait  perdu,  d'autres  cherchaient  toujours  le  moyen  de 
ruiner  son  enseignement.  Au  mois  de  décembre  1566,  l'Univer- 
sité crut  trouver,  dans  la  nomination  de  son  nouveau  Recteur,  une 
excellente  occasion  de  rouvrir  la  lutte.  Dès  le  18  du  même  mois, 
Marguerin  de  la  Bigne  fut  saisi  de  la  cause  des  Jésuites  avec  des 
instructions  spéciales,  et  il  promit  de  la  poursuivre  avec  vigueur. 
Après  quelques  réunions,  dans  lesquelles  on  examina  les  expé- 
dients les  plus  sûrs  pour  atteindre  le  but,  une  assemblée  du 
11  janvier  1567  arrêta  que  défense  serait  encore  faite  aux  éco- 
liers de  fréquenter  les  classes  du  collège  de  Clermont.  Malgré  cette 

1.  Muret,  né  près  de  Limoges  en  1526,  mort  à  Rome  en  1596. 

2.  Célèbre  imprimeur  né  à  Venise  en  1512,  mort  en  1574. 

3.  Cité  par  le  P.  de  Saligny  dans  sa  vie  de  Maldonat  (Cf.  Prat,  Maldonat,  app., 
p.  611). 


L'ENSEIGNEMENT  SUPERIEUR  AI    COLLEGE  DE  CLERMONT.         121 

prohibition  formelle  les  élèves  ne  furent  pas  moins  nombreux 
qu'auparavant,  cl  personne  ne  protesta  contre  leur  persévérante 

assiduité. 

Et,  en  effet,  le  bon  renom  du  collège,  grâce  en  partie  à  ses 
maîtres,  grandissait  et  s'imposait  de  plus  en  plus.  Le  P.  Maldonat 
jouissait  d'une  telle  considération  que  des  docteurs  célèbres  de 
l'Université  de  Paris  s'honoraient  de  son  amitié.  Simon  Yigor, 
plus  tard  archevêque  de  Narbonne,  Gilbert  Génébrard,  Claude 
de  Sainctes,  Claude  d'Espence,  René  Beûoît  étaient  en  relation 
avec  lui  et  le  consultaient  sur  les  questions  épineuses  de  la  théo- 
logie. Ce  qui  nous  a  été  conservé  de  sa  correspondance  *  nous 
montre  en  quelle  estime  le  tenaient  les  savants  français  et  étran- 
gers, tels  que  Jacques  Amyot,  Gentien  Hervet,  chanoine  de  Reims, 
le  cardinal  Hosius,  Sirlet  et  le  P.  François  de  Torrès,  professeur 
au  collège  romain.  Lorsque,  en  1568,  Sa  Majesté  catholique  ma- 
nifesta l'intention  de  défendre  aux  jeunes  Flamands  d'aller  étu- 
dier hors  de  leur  pays,  on  ne  trouva  pas  de  moyen  plus  propre  à 
assurer  l'exécution  de  ses  ordres  que  de  faire  venir  à  Louvain 
le  P.  Maldonat,  qui  eût  été  agréé  de  tous  sans  conteste.  Mais, 
comme  l'écrivait  le  P.  Nadal  au  P.  Général,  «  une  telle  mesure 
aurait  causé  la  ruine  du  collège  de  Paris  dont  Maldonat  était  le 
principal  soutien;  les  autres  collèges  de  la  Compagnie  en  France 
en  auraient  eux-mêmes  souffert,  car  ils  participaient  tous  à  la 
renommée  dont  jouissait  le  collège  de  Clermont2  ».  Le  P.  Fran- 
çois de  Borgia  approuva  ces  raisons  et  le  Pape  lui-même  intervint 
pour  empêcher  le  départ  de  l'illustre  professeur3.  Loin  donc  de 
l'envoyer  en  Belgique,  ses  supérieurs  songèrent  à  lui  adjoindre 
un  collègue  à  Paris,  afin  d'y  répandre  avec  une  profusion  nou- 
velle les  lumières  si  utiles  alors  de  la  science  sacrée*.  Ce  projet 
toutefois  ne  fut  réalisé  que  l'année  suivante,  quand  Maldonat  se 
vil  obligé,  par  motif  de  santé,  d'interrompre  ses  cours. 

Le  I*.  Jean  Mariana,  son  suppléant  au  collège  de  Clermont,  ne 
vint  à  Paris  que  vers  la  fin  de  1569  '.  Il  était  âgé  seulement  de 
trente-quatre  ans,  et  avait  enseigné  déjà  l'Écriture  Sainte  à  Rome 
et  la  théologie  à  Païenne,  se  faisant  admirer  par  l'étendue  de 

1.  Elle  se  trouve  à  la  fin  des  Opéra  l/ieofot/ica,  publiées  par  Faure  et  Benoit,  Paris, 
1677. 

2.  Epist.  P.  Nadal,  t.  III,  p.  612,  G13. 

3.  Lettre  du  P.  Général  au  P.  Manare,  30  août  1568  (Gall.,  Epist.  Gen.,  t.  IV). 

4.  Dès  1568  les  supérieurs,  conformément  au  plan  de  saint  Ignace,  pensaient  à  éta- 
blir au  collège  de  Clermont  un  scolaslicat  ou  séminaire  de  la  Compagnie  (Epist.  P. 
Nadal,  t.  HJ,   p.  620). 

5.  Lettre  du  P.  Manare,  30  déc.  1569  (Gall.  Epist.,  t.  IV,  fol.  22). 


428  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

son  savoir,  la  clarté  de  son  exposition  et  la  rigueur  de  ses  rai- 
sonnements. Avec  les  hautes  sciences  il  avait  cultivé  les  belles- 
lettres,  l'histoire,  les  langues  savantes  et  surtout  la  langue  latine 
dont  son  style  reflétait  toutes  les  beautés.  Il  commença  ses  leçons 
au  mois  de  janvier  et  interpréta  les  livres  de  la  Genèse.  Pen- 
dant ce  temps-là,  Maldonat,  pour  se  reposer  des  fatigues  de  ren- 
seignement, prenait  part  à  une  mission  donnée  dans  le  Poitou 
par  quelques  Pères  du  collège  de  Clermont  '  ;  puis  de  retour  à 
Paris,  vers  l'été,  il  se  livrait  à  la  composition  d'ouvrages  impor- 
tants au  sujet  desquels  il  reçut  les  plus  vifs  encouragements  du 
P.  Général2,  et  donnait,  sur  la  demande  du  roi,  aux  seigneurs 
de  la  cour,  des  conférences  dogmatiques  destinées  à  raffermir  la 
foi  chancelante  des  uns  et  à  ramener  au  sein  de  l'Église  ceux  que 
la  séduction  ou  l'intérêt  en  avaient  arrachés3. 

A  la  rentrée  d'octobre  1570,  le  P.  JeanMariana  entreprit  l'expli- 
cation de  la  Somme  de  saint  Thomas  et  la  continua  durant  les 
quatre  années  qu'il  put  rester  en  France.  Au  même  moment,  le 
P.  Maldonat  reparut  dans  sa  chaire  de  théologie  où  il  allait  inau- 
gurer une  méthode  jusqu'alors  inconnue  à  la  Sorbonne,  et  dont 
la  Faculté  elle-même  devait  subir  l'heureuse  influence.  Maldonat 
et  Mariana  avaient  de  brillantes  qualités  qui  leur  étaient  com- 
munes, mais  les  nuances  très  accusées  de  leur  caractère  et  de 
leur  talent  donnaient  à  leurs  leçons  un  cachet  propre  et  un  inté- 
rêt particulier  :  sans  se  nuire  par  leurs  succès  personnels,  ces 
grands  maîtres  se  complétaient  mutuellement. 

8.  L'enthousiasme  avec  lequel  le  P.  Maldonat  fut  accueilli,  dès 
la  reprise  de  ses  leçons,  par  un  auditoire  plus  nombreux  que 
jamais4,  dut  lui  prouver  combien  l'on  savait  apprécier  l'élévation 
et  la  solidité  de  sa  doctrine.  Toutefois,  cet  empressement  prévu 
n'aurait  pas  suffi  cà  le  ramener  devant  ses  auditeurs,  si  l'obéis- 
sance ne  lui  en  avait  imposé  l'obligation  :  «  Messieurs,  leur  déclara- 
t-il  lui-même,  le  jour  où  je  terminai,  il  y  a  bientôt  un  au,  mon 
cours  de  théologie,  je  ne  me  proposais  ni  de  le  recommencer  ni 


1.  Litterae  annuae  1570  (Franciae  Historia,  t.  I,  n°  1). 

2.  Lettre  du  P.  Général  à  Maldonat,  24  août  lo70  (Gall.  Epist.  Gen.,  t.  V,  fol.  112). 
■i.  Dubois,  Opéra  theologica  P.  Maldonati,  praefatio.    —  Mémoires  apologétiques 

du  P.  de  la  Vie  cités  par  Joly  :  Remarques  sur  le  dictionnaire  de  Bayle,  p.  511. 
4.  Trois  cents  auditeurs,  d'après  le  P.  Manare;  cinq  cents,  d'après  le  P.  Mercurian 
(Gall.  Epist.,  t.  V,  fol.  41  et  fol.  52.  Lettres  des  14  oct.  et  27  nov.  1570).  Il  est  très 
vraisemblable  que  l'auditoire  ait  augmenté  dans  l'espace  d'un  mois  qui  sépare  les 
deux  lettres. 


l/UiNSEir.NEMENT  SUPÉRIEUR  AU  COLLÈGE  DE  CLERMONT.        129 

de  remonter  dans  cette  chaire;  car  je  voyais  que  mes  leçons.  où 
je  cherchais  uniquement  le  bien  de  l'Église  et  du  royaume,  ne 
plaisaient  point  à  ceux  dont  j'ambitionnais  surtout  les  suffra- 
ges1  Quoique  je  voie  dans  cette  enceinte  beaucoup  de  nou- 
veaux auditeurs,  quoique  vous  témoigniez  tous  le  plus  vif  désir 
de  m'entendre,  cependant  cette  chaire,  du  haut  de  laquelle  je 
vous  ai  parlé  si  souvent  et  de  choses  si  diverses,  ces  bancs,  ces 
murailles,  enfin  tout  ce  qui  rappelle  le  passé,  effraie  ma  timidité 
et  m'inspire  une  répugnance  invincible.  Mais  de  graves  circons- 
tances, auxquelles  je  ne  m'attendais  pas,  ont  concouru  à  contrarier 
mes  vœux  et  à  forcer  ma  volonté.  C'est  d'abord  l'ordre  de  mes 
supérieurs,  que  je  ne  pouvais  décliner  sans  pécher  contre  ma 
règle;  ensuite,  je  savais  que,  haï  de  quelques-uns,  je  jouissais  de 
l'estime  d'un  plus  grand  nombre  d'autres,  non  moins  distingués 
par  leur  probité,  leur  science,  leur  prudence,  leur  dévouement  à 
la  chose  publique;  de  plus  votre  attente,  votre  affluence,  telle 
que  jamais  je  n'en  ai  vu  de  semblable  dans  les  écoles,  me  faisaient 
croire  que  vous  retiriez  quelque  profit  de  mes  leçons,  puisque 
vous  les  suiviez  avec  tant  de  persévérance  et  d'avidité.  J'ai  donc 
fait  fléchir  ma  première  résolution,  avec  d'autant  moins  de  peine 
que  ces  considérations  étaient  plus  propres  à  la  vaincre  que  les 
autres  à  me  l'inspirer2.  » 

Par  déférence  pour  la  mémoire  justement  vénérée  de  Pierre 
Lombard,  Maldonat,  de  15C5  à  1569,  avait  pris  les  Sentences 
comme  texte  de  son  premier  cours,  sans  s'astreindre  néanmoins  à 
en  suivre  rigoureusement  l'ordre  et  la  méthode.  Son  but  étant  de 
débarrasser  la  théologie  des  questions  inutiles  ou  étrangères,  de 
la  ramener  à  ses  véritables  sources  et  de  la  remettre  en  harmonie 
avec  les  tendances  de  l'esprit  nouveau,  il  ne  crut  pas  devoir 
subordonner  plus  longtemps  le  plan  de  ses  leçons  aux  procédés 
d'un  maître  qui  avait  été,  dans  des  circonstances  toutes  diffé- 
rentes, l'oracle  d'une  époque  déjà  lointaine.  Il  déclara  donc, 
cette  fois,  son  dessein  de  s'affranchir  d'une  autorité  qui  représen- 
tait le  passé  de  l'école,  et  d'ouvrir  à  l'enseignement  dogmatique 
une  vaste  carrière  jusque-là  fermée. 

1.  Sans  doute,  certains  docteurs  de  Sorbonnc.  Le  P.  Claude  Mathieu  écrivait  plus 
tard  à  Grégoire  XIII  :  «  Cœpit  Maldonatus,  anno  1564,  docere...  coeperunt  doclores 
vociferari...  non  sequi  eamdem  rationem  quam  ipsi  in  Sorbona  tenerent.  »  Il  s'agissait 
alors  de  la  philosophie,  mais  nous  avons  vu  que,  même  pour  la  théologie.  Maldonat 
inaugura  une  méthode  nouvelle  à  l'ouverture  de  ses  cours  en  1565. 

2.  Cité  par  Prat  d'après  un  ms.  de  la  Biblioth.  nation,  (fonds  lat.,  313).  Cf.  Maldonat. 
p.  255,  256. 


430  HISTOIRE  DE  LA   COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

«  Je  suis  désormais  décidé,  dit-il  à  ses  auditeurs,  à  faire  ici  un 
cours  de  théologie  plus  complet,  plus  mûri  que  celui  que  vous 
avez  entendu.  Tout  m'effrayait  avant  que  je  descendisse  dans 
cette  arène;  maintenant  que  j'y  suis,  rien  ne  sera  capable  de  me 
détourner  de  ma  course,  ni  les  injures,  ni  les  haines,  ni  les  intri- 
gues... Six  ans  me  seront  nécessaires  pour  remplir  le  plan  que  je 
me  propose.  Si  quelqu'un  trouve  cet  espace  trop  considérable, 
qu'il  se  souvienne  de  ce  que  j'ai  dit  si  souvent  :  nulle  part  la 
patience  n'est  plus  utile  que  dans  la  culture  des  lettres;  comme 
les  plantes,  elles  ont  moins  besoin  des  artifices  de  l'industrie  que 
de  l'action  du  temps  pour  se  développer,  se  fortifier,  fleurir  et 
porter  des  fruits...  » 

Déjà,  même  lorsque  les  Sentences  servaient  de  texte  à  ses 
leçons,  Maldonat  s'était  vu  accusé  de  s'écarter  des  anciennes  mé- 
thodes de  la  Sorbonne;  de  quelles  malédictions  ne  devait  pas  être 
poursuivie  son  audacieuse  innovation?  Et  pourtant,  le  maître 
reste  fidèle  à  l'enseignement  traditionnel  de  l'Église.  Malgré  les 
dédains  d'Érasme  et  de  Ramus,  il  se  déclare  toujours  partisan 
de  la  vraie  scolastique,  d'une  scolastique  bien  entendue,  admira- 
ble instrument  d'exposition  et  de  défense;  mais  il  ne  l'exalte  pas 
au  préjudice  de  la  théologie  positive.  À  son  avis,  l'une  et  l'autre 
ne  diffèrent  que  par  le  nom  et  le  mode  :  celle-ci  présente  les 
vérités  révélées  par  l'Esprit-Saint  et  expliquées  par  les  interprètes 
autorisés;  celle-là  prouve  les  mêmes  vérités  par  des  arguments 
puisés  aux  mêmes  sources  ou  tirés  de  principes  que  nous  fournit 
la  seule  révélation;  en  sorte  que  la  scolastique  et  la  positive  ne 
sont  autre  chose  que  la  théologie  employée  de  deux  manières 
diverses  et  se  prêtant  un  mutuel  appui. 

Après  ces  explications  préliminaires  sur  sa  méthode,  Maldonat 
exposa  les  grandes  lignes  de  son  nouveau  cours.  Distribuant 
toute  la  théologie  en  cinq  parties  principales,  il  devait  traiter 
successivement  de  Dieu  considéré  en  lui-môme;  —  des  œuvres  de 
Dieu  ;  —  de  Dieu  dans  ses  rapports  avec  ses  œuvres;  —  des  choses 
par  lesquelles  Dieu  conduit  généralement  l'homme  à  sa  fin  der- 
nière, c'est-à-dire  des  vertus,  de  leurs  devoirs  et  de  leurs  effets; 
—  enfin  des  choses  par  lesquelles  Dieu  a  spécialement  décrété  de 
conduire  les  chrétiens  à  leur  fin  dernière,  c'est-à-dire  de  Jésus- 
Christ  et  des  sacrements1. 

Il  enseigna  la  première  partie  pendant  l'année  scolaire  1570  à 

1.  Cf.  Prat,  Maldonat,  p.  261. 


L'ENSEIGNEMENT  SUPÉRIEUR  AU  COLLEGE  DE  CLERMONT.        V:tl 

1571  ;  la  secondé,  de  1571  à  1572;  la  troisième,  de  1572  à  1573.  Il 
avait  commencé  l'exposition  de  la  quatrième  partie,  de  157:{  à 
157k,  lorsque  ses  ennemis,  fatigués  de  ses  triomphes,  lui  susci- 
tèrent une  scandaleuse  querelle.1  qui  le  força  de  suspendre  son 
cours. 

9.  Les  leçons  de  Maldonat  avaient  imprimé  à  renseigne- 
ment théologique  une  vigoureuse  impulsion,  que  les  suprêmes 
efforts  de  la  routine  ne  parvinrent  pas  à  enrayer.  Le  protestant 
Hubert  Languet,  agent  du  duc  de  Saxe,  écrivait  de  Paris  à  Ca- 
merarius,  le  26  août  1571  :  «  Les  Jésuites  font  peu  à  peu  tomber 
les  Sorbonistes  dans  le  mépris.  »  Puis,  constatant  que  le  collège 
de  Clermont  était  le  plus  florissant  de  la  ville,  il  ajoutait  :  «  Ses 
professeurs  surpassent  tous  les  autres  en  réputation2.  »  En  effet, 
si  Maldonat  eut  la  plus  large  part  dans  la  prospérité  du  collège 
de  Clermont,  tous  les  autres  régents,  à  des  degrés  divers,  con- 
tribuaient à  ce  beau  résultat.  Parmi  les  trois  mille  auditeurs  qui 
suivaient  assidûment  les  classes,  six  cents  environ  se  pressaient 
autour  de  la  chaire  de  Mariana;  plus  de  cent  assistaient  au  cours 
de  langue  grecque,  qui  avait  lieu  dès  six  heures  du  matin;  qua- 
tre cents  au  moins  fréquentaient  le  cours  de  philosophie  du 
P.  Nicolas  Le  Clerc;  le  cours  de  belles-lettres,  confié  aux  PP.  Va- 
lentini  et  Majoris,  en  réunissait  environ  cinq  cents;  et  les  régents 
des  classes  inférieures,  parmi  lesquels  se  distinguait  le  P.  Alexan- 
dre Georges,  n'étaient  pas  au-dessous  de  la  réputation  des  au- 
tres professeurs3. 

Les  pensionnaires  se  présentaient  en  grand  nombre  :  «  Nous 
n'avons  pas  de  place  pour  tous,  écrivait  alors  le  P.  Olivier  Ma- 
nare,  et  nous  avons  bien  de  la  peine  à  faire  agréer  nos  refus 
par  d'illustres  personnages  et  les  plus  grands  amis  de  la  Com- 
pagnie4. »  Le  P.  Edmond  Hay  se  plaignait,  à  son  tour,  d'être 
accablé  par  la  multitude  des  pensionnaires  et  des  externes"'.  Le 
nombre  des  écoliers  augmentant  toujours,  on  dut  acquérir  plu- 
sieurs bâtiments  dans  le  voisinage  du  collège;  mais  en  attendant 
qu'on  les  eût  appropriés  à  leur  destination  nouvelle,  les  élèves 

1.  Nous  la  raconterons  au  chapitre  xi. 

2.  H.  Languet,  Epist.  ad  Joach.  camerarium  palrem,  epist.  L. VIII,  Cet  ouvrage 
a  eu  deux  éditions,  Groningue  1646  et  Leipzig  1685. 

3.  Ces  détails  sont  tirés  des  lettres  du  P.  Manare,  Provincial  :  lettre  au  P.  Général, 
7  juillet  1571,  —  au  P.  Nadal,  15  et  23  sept.,  31  octobr.  1571  (Gall.  Epist.,  t.  V. 
fol.  245,  252). 

4.  Lettre  au  P.  Vicaire  Général,  15  sept.  1571  (Gall.  Epist.,  t.  V,  fol.  245). 

5.  Lettre  au  même,  10  nov.  157!  (Ifrkl.,  fol.  254). 


132  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

qui  se  présentaient  comme  internes  étaient  logés  dans  des  mai- 
sons particulières  et  n'entraient  au  pensionnat  que  lorsqu'il  se 
rencontrait  des  places  vacantes.  Une  grande  salle  servait  de 
chapelle;  on  y  célébrait  les  divins  offices,  pour  les  hommes 
seulement,  les  dimanches  et  les  jours  de  fête.  Catherine  de  Médi- 
cis,  très  bien  disposée  envers  la  Compagnie,  y  venait  souvent 
avec  sa  cour  assister  à  la  messe,  et  la  jeune  reine  contribuait 
par  ses  dons  pieux  à  l'ornement  des  autels1. 

Le  règlement  du  collège  de  Paris,  à  ses  débuts,  serait  curieux 
à  connaître.  Nous  n'en  avons  point  trouvé  les  détails,  mais  un 
document  nous  permettra  de  signaler  les  heures  et  la  durée  des 
cours1-.  C'est,  sous  le  titre  Ordo  collegii  riostri,  le  règlement  des 
Pères  et  Frères  jésuites  qui  formaient  le  personnel  du  collège 
en  1568,  au  moment  des  plus  beaux  succès  de  Maldonat. 

«  Le  signal  du  lever  se  donne  à  i  heures  pour  les  plus  robus- 
tes 3.  »  On  a  un  quart  d'heure  pour  s'habiller,  puis  trois  quarts 
d'heure  sont  consacrés  à  la  prière.  A  ô  heures,  les  frères  coad- 
juteurs  vont  à  la  messe,  tandis  que  professeurs  et  scolastiques 
s'adonnent  à  l'étude.  Pour  eux,  la  messe  est  à  7  heures.  Ensuite 
«  déjeune  qui  veut  ». 

A  8  heures,  on  donne  le  signal  des  classes.  Celles  de  philo- 
sophie durent  jusqu'à  10  heures.  Les  autres  (lettres  et  gram- 
maire) jusqu'à  10  heures  et  demie. 

Après  les  classes  du  matin,  il  y  a  encore  une  messe  pour  ceux 
des  professeurs  qui,  à  cause  de  leurs  travaux,  auraient  la  per- 
mission d'attendre  jusque-là.  A  la  fin  de  cette  messe,  un  quart 
d'heure  d'examen'1.  Puis  dîner  «  suivi  d'une  heure  de  récréa- 
tion', après  laquelle  tous  retournent  à  leurs  études  ». 

«  A  une  heure  et  demie,  maître  Maldonat  commence  son  cours. 
A  3  heures,  après  le  cours  de  théologie,  commencent  les  leçons 
ordinaires.  Celles  de  philosophie  durent  jusqu'à  5  heures,  les 
autres  jusqu'à  5  heures  et   demie.  Toutes  les  classes  étant  ter- 

1.  Lettre  du  P.  Manare  au  P.  Général,  28  juillet  1572  (Gall.  Epist.,  t.  VI,  loi.  541). 
Cf.  Manare,  De  rébus  S.  J.,  p.  111. 

2.  Les  règlements  détaillés  et  lixes  furent  faits  par  le  P.  Maggio  lors  de  sa  visile  en 
1587. 

3.  Pour  les  autres  à  5  heures. 

4.  D'après  le  texte,  ceux  qui  assistaient  à  celle  messe  y  faisaient  leur  examen  à 
partir  de  la  préface. 

ô.  L'heure  du  diner  n'est  pas  indiquée,  mais  tout  porte  à  croire. que  c'était  à 
11  heures  comme  dans  le  règlement  du  P.  Nadal  (15(52).  Il  semble  en  effet  par  le 
contexte  que  la  dernière  messe  était  à  10  heures  et  demie-,  l'examen  à  10  heures  3  i  ; 
puis,  après  l'heure  de  récréation  qui  suivait  le  diner,  chacun  étudiait  en  particulier 
jusqu'au  cours  de  Maldonat  qui  commençait  à  1  heure  et  demie. 


L'ENSEIGNEMENT  SUPÉRIEUR  AI'  COLLÈGE  DE  CLERMONT.       •',.{ 

minées,  les  élèves  de  théologie  répètent  ensemble,  dans  la  cha- 
pelle, la  leçon  de  leur  maitre;  durant  le  môme  temps,  les  autres 
répètent  aussi  leurs  leçons  chacun  en  particulier.   » 

Ces  répétitions  sont  suivies  d'un  quart  d'heure  d'exercice  cor- 
porel; puis  vient  le  souper1.  Après  le  souper,  récréation  jusqu'A 
8  heures  et  quart;  alors  récitation  des  litanies  et  ensuite  une 
demi-heure  de  prières  dans  laquelle  est  compris  le  second  exa- 
men de  conscience.  «  Ces  exercices  finis,  vers  9  heures,  tous  vont 
se  coucher 2.  » 

1.  Il  est  impossible  de  tirer  du  contexte  l'heure  précise  des  répétitions  et  du  souper. 

2.  «  Ordo  collegii  nostri  »  parisiensis  (Gall.  Visitaliones,  n"  8).  Le  même  document 
donne  quelques  détails  sur  la  nourriture  de  la  communauté.  Quatre  fois  par  semaine, 
les  dimanche,  mardi,  jeudi  et  vendredi,  au  dîner,  on  servait  des  entrées.  La  portion 
ordinaire  de  viande  était  de  six  onces.  Les  jours  d'abstinence  on  servait  à  chacun 
trois  œufs,  ou,  s'ils  étaient  frits,  5  pour  2  personnes.  On  pouvait  aussi  servir  du  pois- 
son quand  l'acheteur  en  «  trouvait  de  bon  et  à  bon  compte».  Le  dessert  consistait 
«  en  fromage  ou  en  fruits  suivant  la  saison  ».  La  boisson  se  composait  de  «  vin  mé- 
langé d'un  tiers  d'eau  »;  l'eau  devait  en  outre  être  servie  à  discrétion.  Les  jours  de 
fête  la  table  pouvait  être  «  un  peu  plus  abondante  et  délicate  ».  —  Il  est  visible  aux 
nombreuses  omissions  de  ce  règlement,  qu'il  n'était  qu'un  correctif  ou  un  complément 
de  règlements  antérieurs. 


COMPAGNIE   DE   JÉSUS.    —   T.   I.  28 


CHAPITRE  IV 

FONDATION    DU    COLLÈGE    D'AVIGNON. 

(1565-1570). 


Sommaire  :  1.  Mort  du  P.  Lainez,  19  janvier  1565;  création  de  la  province 
d'Aquitaine.  —  2.  Premier  projet  d'établissement  de  la  Compagnie  à  Avignon, 
1555.  —  o.  Reprise  du  projet  et  démarche  du  légat,  cardinal  Farnèse,  1563- 
1564.  —  4.  Ouverture  du  collège,  1565;  le  P.  Possevin  Recteur.  — 5.  Donation 
de  la  maison  de  la  Motte,  1569.  —  6.  Séjour  du  P.  Possevin  à  Rome;  fausses 
accusations  contre  lui.. —  7.  Soulèvement  populaire  contre  les  Pères  du  col- 
lège. —  8.  Excuses  envoyées  au  Saint-Père.  —  9.  Intervention  du  P.  Auger, 
Provincial.  —  10.  Justification  du  P.  Possevin;  la  bonne  entente  rétablie. 

Sources  manuscrites  :  I.  Roma,  Bibliot.  Vitt.  Emman.,  mss.  Gesuitici,  n°  1584  (3713). 

II.  Archives  communales  d'Avignon,  Délibérations,  t.  XI,  XIII,  XIV. 

III.  Muséum  Calvet,  mss.  -2381,  239-i,  2773,  2794.  etc.. 

IV.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Francia,  Historiae  funda- 
tionum  totius  Assistentiae.  —  b)  Epistol.  Cardinal.  —  c)  Epistol.  Episcop.  —  d  Epistol. 
Princip.  —  e)  Galba,  Epistolae  Generalium.  —  f)  Galliae  Epistol.  —  g)  Lugdun.  Prov. 
Eundationes  collegior.  -  h)  OEuvres  et  Epreuves.  —  i)  Possevinus  :  Acta  in  Galba  et 
pro  Gallia;  Annalium  decas  prima. 

V.  Archives  de  la  province  de  Lyon. 

Sources  imprimées  :  Acta  S.  Sedis.  —  Canron,  Les  Jésuites  à  Avignon.  —  Chossat,  Les 
Jésuites  et  leurs  œweres  à  Avignon.  —  Kibadeneira,  La  vie  du  fi.  P.  Jacques  Lainez. 
—  Richeome,  La  vérité  défendue  pour  la  religion  catholique.  —  Monument.v  histokica 
S.  J.  Epistolae  mixtae.  —  Polanco,  Chronicon  Soc.  Jesu. 

1 .  Au  milieu  des  tempêtes  soulevées  contre  les  Jésuites  de 
Paris,  le  P.  Jacques  Lainez,  qui  exerçait  depuis  sept  ans  la  charge 
de  Général,  s'était  endormi  dans  le  Seigneur  à  Rome,  le  19  jan- 
vier 1565,  en  priant  Dieu  de  garder  la  Compagnie,  de  la  sanc- 
tifier, et  de  l'accroître  non  seulement  par  le  nombre  des  sujets 
mais  aussi  par  leurs  mérites  et  leurs  vertus1.  L'Ordre  fondé, 
en  15i0,  par  le  P.  Ignace,  son  prédécesseur,  possédait  main- 
tenant cent  trente  maisons  réparties  en  dix-huit  Provinces,  et  le 
nombre  des  religieux  s'élevait  au  chiffre  de  plus  de  trois  mille 
cinq  cents.  Quelques  mois  avant  sa  mort,  le  P.  Lainez  avait  cons- 
titué en  France  deux  Provinces  :  la  France  proprement  dite,  à 
la  tète  de  laquelle  était  resté  le  P.  Olivier  Manare  avec  pouvoir 
de  Commissaire  dans  tout  le   royaume,  et  l'Aquitaine  dont  le 

1.  Ribadeneira,  Vie  du  1'.  Lainez,  p.  202. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  D'AVIGNON. 

P.  A  lige  r  avait  été  nommé  Provincial.  Les  collèges  déjà  fondés, 
ou  en  voie  de  formation,  d'Avignon,  de  Chambéry,  de  Lyon,  de 
Tournon,  de  Rodez,  de  Toulouse  firent  partie  de  la  Province 
d'Aquitaine;  ceux  de  Verdun,  de  Paris,  de  Billom,  de  Mauriac 
furent  attribués  à  la  Province  de  France1.  Parmi  les  fondations 
nouvelles  qui  donnèrent  lieu  à  cette  division  des  Provinces,  la 
première  qui  s'offre  à  nous  est  celle  d'Avignon. 

2.  Un  essai  d'établissement  de  la  Compagnie  de  Jésus  dans 
cette  ville  avait  été  tenté  dès  l'année  1555.  Le  cardinal  Alexandre 
Farnèse,  venu  en  France  pour  défendre  à  la  cour  de  Henri  II  les 
intérêts  de  sa  maison,  avait  amené  de  Rome,  avec  l'intention  de 
fonder  un  collège  dans  sa  légation  d'Avignon,  deux  Jésuites,  les 
PP.  Ponce  Cogordan  et  Jules  Onfroy2.  Ce  que  voulait  le  Légat 
ce  n'était  pas  une  de  ces  maisons  d'instruction,  comme  il  y  en 
avait  tant,  accessibles  seulement  aux  plus  jeunes  écoliers;  mais 
un  établissement  de  plein  exercice,  ouvert  à  tous,  où  l'on  en- 
seignerait les  lettres  et  la  philosophie  \  Avignon,  en  effet,  pos- 
sédait déjà  depuis  trois  ans  un  petit  collège  de  grammaire.  Le 
1er  août  1552  «  aucuns  hommes  doctes  de  la  ville  avaient  traite 
avec  les  députés  du  conseil  et  dressé,  aux  appointements  de 
deux  cents  écus,  le  collège  de  Saint-Paul 4  ».  L'année  suivante, 
le  Principal,  M'  Nicolas  Peytel,  demanda,  contrairement  aux  sta- 
tuts de  1243  qui  laissaient  à  tous  la  liberté  de  régenter  des  classes 
de  grammaire,  le  monopole  de  l'enseignement  pour  celles  qu'il 
avait  ouvertes;  mais  un  des  conseillers  combattit  cette  mesure 
en  disant  «  qu'il  ne  paraissait  pas  raisonnable  d'ôter  aux  parents 
la  liberté  d'envoyer  leurs  enfants  où  bon  leur  semblait  ».  Rien 
ne  s'opposant  donc  aux  projets  du  légat,  il  chargea  les  Pères  de 
choisir  un  local  convenable.  Mais  la  mort  du  Pape  Jules  III  vint 
inopinément  arrêter  l'entreprise.  Le  cardinal  Farnèse  partit  pour 
Rome  où  l'appelait  l'élection  d'un  nouveau  Pontife.  Le  vice-lé- 
gat, Mgl  de  Sala,  évèque  de  Viviers,  se  montra  si  peu  sympa- 
thique à  la  fondation  du  collège  que  les  deux  Pères  prirent  le 
parti  de  se  retirer.  Ils  se  rendirent  à  Brignoles,  dans  le  diocèse 

1.  Lettre  du  P.  Général  au  P.  Manare,  15  nov.  15(34  (Gall.,  Epist.  Gen.). 

2.  Ces  deux  Pères  avaient  également  été  mis  à  la  disposition  du  cardinal  de  Sainte- 
Croix  pour  la  réforme  du  monastère  de  la  Celle  clans  le  diocèse  d'Aix  (Polanco, 
Chronicon  S.  J.,  t.  V,  p.  '.»,  3i9  et  suiv.). 

3.  Initia  et  fundatio  Collegii  Avenion.  (Lugdun.,  Fund.  coll.,  t.  1,  n'3'J). 

4.  Délibérations  du  conseil  (Archiv.  com.  d'Avignon,  Délibérations,  t.  XI,  fol.  t').'. 
et  81).  Cf.  Chossat,  Les  Jésuites  à  Avignon,  ouvrage  très  documenté  et  qui  mérite 
il  être  consulté  sur  le  collège  d'Avignon. 


436  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

d'Aix  où,  sur  la  demande  du  cardinal  de  Sainte-Croix,  ils  tra- 
vaillèrent à  la  réforme  des  religieuses  de  la  Celle1.  Plusieurs 
années  devaient  s'écouler  avant  qu'il  fût  de  nouveau  question 
de  l'établissement  des  Jésuites. 

3.  Au  moment  où  l'hérésie  redoublait  ses  efforts  et  tâchait 
de  s'introduire  dans  la  ville ,  le  cardinal  Farnèse,  témoin  du 
grand  bien  produit  par  le  collège  de  la  Compagnie  qu'il  avait 
fondé  à  Montréal  en  Sicile,  résolut  d'exécuter  enfin  son  ancien 
projet  si  conforme  aux  intérêts  religieux  d'Avignon  dont  il  était 
l'archevêque2.  Le  10  juillet  1563,  il  écrit  à  ce  sujet  au  vice- 
légat,  Laurent  de  Lenzi,  lui  annonçant  que,  «  mû  par  les  obli- 
gations de  sa  charge  et  le  besoin  des  temps  »,  il  a  la  ferme  inten- 
tion d'établir  un  collège  de  Jésuites  clans  cette  cité.  Il  veut  que 
«  pour  leur  entretien  ces  Pères  reçoivent  chaque  année  deux  cents 
écus  jusqu'à  ce  qu'il  les  ait  pourvus  d'un  revenu  égal  en  béné- 
fices simples,  à  sa  collation,  qui  seront  attachés  au  lieu  que  l'on 
choisira  pour  le  collège  ».  Afin  de  faire  ce  choix,  il  envoie  «  le 
Père  maître  Louis  Codret3,  savoyard,  homme  de  beaucoup  de 
doctrine  et  de  vertu,  qui  a  prêché  autrefois  à  Avignon  ».  On  le 
recevra,  lui  et  son  compagnon,  avec  bienveillance;  «  on  le  four- 
nira de  tout  ce  dont  il  aura  besoin...  et  il  prêchera  de  nouveau 
soit  à  la  cathédrale  soit  dans  une  autre  église  où  il  sera  plus  à 
propos...  Il  faudra  l'aider  à  trouver  un  endroit  convenable  pour 
la  demeure  et  habitation  des  Pères  dudit  collège.  Avisés  et  dis- 
crets, (ajoute  en  terminant  le  cardinal),  ces  Pères  ne  feront  pas 
de  choix  qui  ne  soit  avantageux  à  tout  le  peuple  et  au  salut  des 
âmes;  car  on  voit  clairement,  partout  où  ils  demeurent,  que  le 
seul  service  de  Dieu  et  non  leur  propre  intérêt  est  le  principal 
objet  de  leur  sainte  Compagnie4  ». 

Parti  de  Rome  avec  trois  compagnons,  le  P.  L.  du  Coudret 
passa  par  Ancùne  où  il  reçut  les  instructions  du  P.  Lainez  qui  re- 
venait du  concile  de  Trente.  «  Le  16  février  1564,  jour  des  Cendres, 
les  quatre  voyageurs  arrivèrent  en  Avignon  et  prirent  d'abord 
leur  logis  au  Petit-Palais,  maison  archiépiscopale,  comme  on  leur 


1.  Polanco,  Cfhronicon,  t.  V,  p.  353-357.  —  Lettre  du  P.  Cogordan  à  saint  Ignace, 
15  avril  1555  (Epist.  mixtae,  t.  IV,  p.  582). 

2.  Historia  collegii  Avenionensis  (Francia,  Historiae  Fundationum,  n*  29).  Ce  ma- 
nuscrit, œuvre  d'un  contemporain,  porte  la  signature  du  P.  Richeome  et  s'arrête  à 
l'année  1584. 

3.  Il  s'agit  du  P.  L.  du  Coudret,  frère  d'Annihal. 

4.  Lettre  du  cardinal  Farnèse  (Histor.  coll.  Aven.). 


FONDATION  DU  COLLÈGE  D'AVIGNON.  437 

avait  marqué  '.  »  Peu  après  ils  quittèrent  ce  premier  domicile  el 
allèrent  habiter  la  maison  du  doyen  de  Saint-Pierre,  située  rue 
des  Fromageons,  à  proximité  de  l'église  collégiale  qui  leur  avait 
été  assignée  pour  les  confessions  et  les  prédications. 

Par  suite  des  discussions  religieuses,  Avignon,  ville  catholique 
et  lettrée,  avait  vu  ses  écoles  fermées  ou  supprimées.  On  ne  sa- 
vait alors  où  trouver  des  maîtres  dont  l'orthodoxie  fût  sincère, 
car  les  hérétiques  cherchaient  partout  à  se  glisser  dans  les  col- 
lèges et  les  Universités.  Le  cardinal  Farnèse  offrait,  en  ces  circons- 
tances, les  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus  déjà  renommés  pour 
leurs  succès,  et  s'engageait  à  pourvoir  à  une  partie  de  leur  en- 
tretien. Il  était  de  l'intérêt  de  la  ville  d'accepter  ces  religieux, 
qui  présentaient  toutes  les  garanties  désirables;  aussi  le  conseil, 
assemblé  le  14  avril  1564,  prit-il,  après  délibération,  des  conclu- 
sions en  leur  faveur  :  d'abord,  «  incontinent  que  ledit  seigneur 
Légat  leur  aura  assigné  rentes  sûres  de  deux  cens  escus  pour 
leur  entretien  »,  messieurs  les  consuls  les  pourvoiront  «  de  mai- 
son suffisante  pour  leur  habitation  »  ;  ensuite,  «  lorsque  par  Nostre 
dict  Saint-Père,  ou  ledit  seigneur  illustrissime  Légat,  sera  donné 
aux  dietz  Jésuites  estât  perpétuel  suffisant  pour  les  entretenir, 
mes  dietz  sieurs  les  consuls  ou  leurs  successeurs  auront  pouvoir 
d'achepter  la  mayson  de  la  Motte,  ou  aultre  lieu  propice,  pour 
dresser  le  dict  colliège  à  la  meilleur  commodité  que  fère  se  pourra, 
au  proffît  et  utilité  de  la  dicte  ville  2  ». 

Conformément  au  désir  exprimé  par  le  vote  du  conseil,  le  car- 
dinal Farnèse  s'entremit  auprès  du  Souverain  Pontife  et  obtint 
de  Pie  IV  une  somme  de  deux  cents  écus  italiens  au  profit  du  nou- 
veau collège  3,  qui  devint  ainsi  de  fondation  pontificale.  A  ce  mo- 
ment, comme  on  parlait  déjà  de  céder  la  légation  au  cardinal  de 
Bourbon,  Alexandre  Farnèse  cessa  de  s'occuper  aussi  activement 
de  sa  généreuse  entreprise.  Les  Pères  eurent,  par  suite,  beaucoup 
à  souffrir  du  manque  de  toutes  choses,  si  bien  que  le  conseil  de 
ville  dut  leur  porter  secours  en  leur  donnant  en  aumône,  le 
2:J  juillet,  douze  écus  et  un  peu  plus  tard  douze  salmêes  de  blé  l. 

1.  «  Hisloire  du  collège  depuis  son  establissement »  (Muséum  Calvet,  ms.  2490, 

f°  59).  «  Ce  manuscrit,  dit  le  P.  Chossat,  contient  le  plus  ancien  essai  d'histoire  de 
notre  collège  que  nous  connaissions  en  langue  française.  11  fut  écrit  avant  la  mort  du 
P.  Creitlon  »,  quatrième  recteur  du  collège  (-f  1615?). 

2.  Ibicl.,  ms.  2771,  fol.  1  i»4.  Le  P.  Lainez  approuvait  déjà  ce  projet  d'établissement 
comme  on  peut  le  voir  dans  sa  lettre  au  P.  L.  du  Coudret  du  23  aoiït  1564  (Gall., 
Epiât.  Gen.,  t.  11). 

3.  Cette  donation  fut  confirmée  par  Pie  V  (Acta  S.  Sedis,  p.  518). 

4.  Archiv.  corn.,  Délib.,  t.  XIII,  f.  124,  140. 


4M8  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Au  mois  de  septembre,  le  P.  Possevin  arrivait  en  môme  temps 
que  Charles  IX  à  Avignon  ;  il  y  rencontra  le  duc  de  Savoie,  Emma- 
nuel-Philibert. Ce  prince  avait  résolu  quelques  années  aupara- 
vant d'établir  deux  collèges  de  la  Compagnie  dans  ses  États  :  l'un 
d'eux,  ouvert  à  Mondovi,  avait  eu  le  P.  L.  du  Coudret  comme 
premier  Recteur.  Dans  ses  entretiens  avec  celui-ci  et  le  P.  Posse- 
vin, la  fondation  du  second  collège  fut  décidée,  et  le  P.  du  Cou- 
dret partit  pour  Chambéry,  laissant  à  son  illustre  confrère  le 
soin  de  terminer  la  fondation  d'Avignon  l. 

k.  Il  fallut  d'abord  trouver  mieux  que  la  maison  des  Froma- 
geons,  tout  à  fait  insuffisante  pour  l'installation  d'un  collège.  Les 
consuls,  comme  ils  s'y  étaient  engagés,  louèrent  une  partie  de 
la  maison  de  la  Motte,  appartenant  à  la  famille  de  Brancas.  Cette 
maison,  ainsi  appelée  du  cardinal  Gaillard  de  la  Motte,  était  alors 
désignée  soiis  les  noms  de  palais  et  de  tour.  D'après  une  tradition 
respectable,  sainte  Catherine  de  Sienne  y  avait  logé  en  1376.  Les 
Pères  vinrent  y  habiter  au  mois  de  novembre  1564  ;  mais  à  raison 
de  la  peste  qui  désolait  la  ville,  ils- ne  purent  s'adonner  immédia- 
tement à  l'instruction  de  la  jeunesse  :  les  classes  ne  furent  ouver- 
tes que  dans  les  premiers  mois  de  l'année  suivante  par  les  PP.  An- 
toine Morel,  Jean  Balmeso,  Louis  Gérardin  et  Gérard  son  frère. 

A  partir  de  cette  époque,  de  nobles  bienfaiteurs,  comme  Pierre 
de  Ricci  et  Madeleine  Lartissusse,  remédièrent  à  la  pénurie  dans 
laquelle  les  nouveaux  maîtres  avaient  vécu  jusqu'alors  2.  Le  con- 
seil de  ville,  satisfait  des  heureux  débuts  de  l'établissement,  lui 
continua  aussi  ses  premières  libéralités.  Reconnaissant  que  les 
religieux  de  la  Compagnie  ne  recevaient  rien  pour  les  services 
qu'ils  rendaient  «  par  la  prédication,  l'administration  des  sacre- 
ments et  aultres  bonnes  œuvres  de  charité  »,  et  considérant  que 
les  familles  ne  seraient  «  plus  davantage  obligées  d'envoïer  au 
dehors  les  enfants  »,  il  fit  don,  le  16  avril  1565,  d'une  rente  an- 

1.  Lettre  du  P.  Possevin  au  P.  Général,  4  octobre  1564  (Acta  a  Possevino). 

2.  Ces  donations  causèrent  bien  des  tracas  aux  Jésuites.  Le  teslament  de  Pierre  de 
Ricci,  contenant  une  clause  de  substitution,  devint  en  1577  l'objet  d'un  procès,  et  les 
Pères  aimèrent  mieux  renoncer  à  leurs  droits  que  poursuivie.  Le  testament  de  Ma- 
deleine Lartissusse  donna  lieu  aussi  à  de  nombreuses  difficultés  entre  ses  héritiers  et 
les  exécuteurs  testamentaires  représentés  par  Joachim  de  Rolland,  Seigneur  de  Bord, 
au  sujet  d'une  somme  de  six  mille  livres  «  mise  en  pension  sur  des  communautés  du 
Comté  ».  A  l'instance  et  requête  de  la  ville  il  fut  convenu  d'un  commun  accord,  de- 
vant le  grand  vicaire  de  l'Archevêque  délégué  par  le  Pape,  «  que  lesdites  pensions  se- 
raient assignées  et  demeureraient  toujours  audit  collège  en  toute  propriété  sous  le 
bon  plaisir  de  Sa  Sainteté  »  (Lugdun.  Fundat.  collegior.,  t.  I,  n°  41,  42.  —  Cf.  Acta 
S.  Sedis,  p.  38,  n°  70;  p.  39,  n°  74). 


FONDATION  DU  COLLÈGE  D'AVIGNON. 

nuelle  de  huit  cents  florins,  indépendamment  des  autres  secours 
déjà  promis.  Et  ce,  dit  le  procès-verbal  de  la  délibération, 
«  pour  l'entretien  dudit  collège,  espérant  que  les  Jésuites  feront 
de  mieux  en  mieux,  comme  la  ville  a  l'intention  de  faire  aussi, 
priant  le  bon  P.  Possevin  de  nous  tenir  compagnie  et  de  ne 
nous  abandonner  pas  '  ». 

Le  P.  Possevin  dut  être  très  touché  du  vœu  exprimé  par  le 
conseil  de  ville;  néanmoins  il  se  vit  contraint  de  s'éloigner  d'Avi- 
gnon, pendant  plusieurs  mois,  pour  aller  à  Rayonne  plaider  la 
cause  de  la  Compagnie  auprès  du  roi  2.  A  son  retour,  il  trouva 
la  ville  sous  une  autre  administration.  Pie  IV,  dans  l'impossibilité 
de  défendre  le  Comtat  contre  les  entreprises  des  huguenots,  en 
avait  confié  le  soin  au  roi  Charles  IX.  Le  cardinal  de  Bourbon 
remplaça  le  cardinal  Farnèse  comme  légat;  mais  trop  engagé  dans 
les  affaires  du  royaume  pour  administrer  par  lui-même  les  États 
Pontificaux,  il  fit  nommer  co-légat  le  cardinal  Georges  d'Arma- 
gnac, archevêque  de  Toulouse.  Avec  l'appui  de  ces  prélats,  aux- 
quels il  était  très  sympathique,  le  P.  Possevin,  devenu  Recteur, 
mit  tout  son  savoir-faire  à  terminer  l'œuvre  du  collège  à  peine 
ébauchée 3. 

Les  Jésuites  n'habitaient  encore  qu'une  maison  de  louage,  ce 
qui,  dans  ces  temps  de  troubles,  offrait  de  graves  inconvénients 
d'instabilité.  Le  9  mars  1506,  le  P.  Recteur  se  rendit  en  per- 
sonne au  conseil  de  ville  et  demanda  la  concession  d'une  de- 
meure à  perpétuité,  «  attendu,  disait-il,  que  cela  est  nécessaire 
soit  pour  assurer  la  fondation  du  collège  soit  pour  procéder  à  la 
construction  de  l'église  ».  Le  conseil  accueillit  cette  demande 
avec  faveur  et  nomma,  séance  tenante,  une  commission  d'exa- 
men; mais  le  règlement  de  l'affaire  ne  demanda  pas  moins  de 
deux  années4.  Dans  l'intervalle,  le  23  juin  1567,  les  consuls  don- 
nèrent une  nouvelle  preuve  de  leur  bienveillance  en  décidant 
«  par  toutes  fèves  noires,  deux  blanches  exceptées,  que  l'argent 
déboursé  par  messieurs  les  jésuites  de  ce  qu'ils  avoient  entré  pour 
leurs  vivres,  leur  seroit  remboursé  ».  Il  leur  vota  ensuite  un 
supplément  de  quatre  cents  écus  de  rente  '. 

Le  soin  que  le  P.  Possevin  apportait  à  cette  affaire  ne  l'em- 
pêchait point  de  se  livrer  aux  travaux  du  ministère  apostolique. 

1.  Archiv.   corn.,  Délib.,  t.  XIII,  fol.  139. 

2.  Nous  avons  parlé  de  cette  démarche  au  chapitre  n. 

3.  «  Informatio  de  collegio,  anno  1566  »  (Documents  conservés  dans  la  Compa- 
gnie). 

4.  Archiv.  com.,  Délib.,  t.  XIII,  fol.  175.  —  5.  Ibid.,  passim. 


4M)  IIISTOIHE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Après  l'élection  de  Pie  V,  il  fut  chargé  de  célébrer  dans  l'église 
des  Cordeliers,  selon  l'usage,  les  mérites  du  nouveau  pontife;  il 
s'en  acquitta  si  bien  que,  pendant  près  de  deux  siècles,  les  Pères 
du  collège  conservèrent  le  privilège  de  prononcer  l'oraison  funè- 
bre du  Pape  défunt  ou  de  faire  l'éloge  de  son  successeur1.  Un 
peu  plus  tard,  le  cardinal  d'Armagnac,  qui  présidait  les  États  du 
Languedoc  réunis  à  Beaucaire,  le  pria  de  prêcher  le  17  novem- 
bre 15G6,  devant  tous  les  députés,  le  jour  de  leur  procession 
solennelle.  Après  un  de  ses  sermons,  à  Marseille,  pour  la  fête  de 
Noël  de  cette  même  année,  le  gouverneur,  Honoré  di  Tenda,  fai- 
sait au  P.  François  de  Borgia  une  première  ouverture  afin  d'ob- 
tenir l'établissement  d'un  collège  de  la  Compagnie  dans  cette 
ville,  en  même  temps  qu'il  réclamait  le  P.  Possevin  pour  le  pro- 
chain carême.  Le  P.  Général  ne  put  accéder  à  cette  double  de- 
mande :  la  présence  du  P.  Recteur  était  nécessaire  à  Avignon, 
et  le  petit  nombre  de  sujets  disponibles  ne  permettait  pas  de 
songer  à  tant  de  fondations  à  la  fois 2. 

5.  En  1567,  quand  éclata  la  seconde  guerre  de  religion,  après 
le  coup  de  main  de  Condé  et  de  Coligny  pour  enlever  Charles  IX 
aux  portes  de  Paris,  les  catholiques  du  midi  cherchèrent  un 
refuge  sur  les  terres  du  Pape.  Avignon  compta  bientôt  jusqu'à 
cent  vingt  prêtres  que  la  persécution  y  avait  réunis.  Les  Jésuites 
établirent,  en  vue  de  leur  instruction,  un  cours  de  morale  et 
de  théologie,  et  partagèrent  avec  eux  les  faibles  ressources  dont 
ils  pouvaient  disposer3;  charité  d'autant  plus  méritoire  que  la 
situation  du  collège,  sans  domicile  propre,  était  toujours  très 
précaire.  Une  seconde  fois  le  P.  Possevin  dut  présenter  à  la  mu- 
nicipalité, en  son  nom  et  au  nom  de  ses  religieux,  une  requête 
où  il  demandait  l'achat  de  la  maison  de  la  Motte  et  sa  donation  à 
la  Compagnie.  Le  conseil,  «  par  toutes  fèves  noires,  nulle  ex- 
ceptée »,  donna  son  consentement4.  Ce  vote  unanime  remplit  de 
joie  le  cœur  de  Pie  V,  et  le  cardinal  Alexandrin,  son  neveu, 
écrivit  de  Rome,  le  30  août  1568,  à  M.  des  Issarts  une  lettre  tou- 
chante de  félicitation  et  d'encouragement  :  «  Je  ne  suis  pas  seul 
à  me  réjouir,  lui  disait-il,  Notre-Seigneur  le  fait  avec  moi.  C'est 

1.  Recueil  îles  pièces  sur  les  églises  et  couvents  d'Avignon  (Muséum  Calvet,  2381, 
fol.  77). 

2.  Lettre  d'Honoré  di  Tenda  à  F.  de  Borgia,  30  déc.  1566  (Gall.  Epistol.,  t.  III,  n-  170). 

3.  Ce  fait  est  rapporté  par  Sacchini,  Histor.  Soc.  Jesu,  P.  III,  1.  III,  n°  1G4. 

4.  Archiv.  commun.,  Délibér.,  t.  XIV,  f.  24.  Lettre  du  P.  Général  aux  consuls, 
17  mai  15G8  (Gall.,  Epist.  Gêner.,  t.  IV). 


FONDATION  DU  COLLÈGE  D'AVIGNON.  '.il 

en  son  nom  que  je  vous  exhorte  à  persévérer  dans  votre  bon 
dessein  et  à  employer  de  toutes  façons  votre  autorité  pour  mener 
à  bien  l'affaire  de  la  maison  et  l'établissement  de  ce  collège1.  » 

On  avait  compté  sans  la  résistance  des  propriétaires,  qui  refu- 
sèrent de  vendre.  Des  jurisconsultes,  interrogés  par  le  conseil, 
décidèrent  que  la  raison  d'utilité  publique  permettait  de  les 
exproprier 2.  Le  18  janvier  15G9,  la  ville  acheta  la  maison  esti- 
mée par  les  experts  à  quinze  mille  huit  cent  soixante-deux  écus, 
trente-deux  sols,  six  deniers;  mais  elle  n'eut  à  payer  qu'un  tiers, 
les  deux  autres  tiers  appartenant  par  confiscation  à  la  chambre 
apostolique3.  Le  même  jour,  la  Motte  fut  remise  en  toute  pro- 
priété, et  franche  de  toutes  charges,  au  P.  Possevin  qui  l'accepta 
au  nom  de  la  Compagnie.  La  ville  promit,  de  plus,  de  payer 
annuellement  huit  cents  florins,  jusqu'à  ce  que  les  rentes  tem- 
porelles ou  ecclésiastiques  que  recevrait  le  collège,  déduites  de 
toutes  charges,  fissent  l'équivalent  de  cette  somme4. 

Le  P.  Général  s'empressa  de  témoigner  sa  reconnaissance  aux 
consuls  d'Avignon.  Par  une  lettre  du  14  février,  il  chargea  le 
P.  Recteur  de  les  remercier  et  de  leur  faire  savoir  qu'il  «  avait 
écrit  de  tous  les  côtés  aux  membres  de  la  Compagnie  »  leur  en- 
joignant des  prières  pour  la  ville  bienfaitrice.  Il  ordonnait,  à  la 
même  intention,  trois  messes  à  tous  les  prêtres  du  nouveau  col- 
lège. Toutefois,  cette  lettre  du  P.  Général  contenait  une  critique 
et  une  désapprobation.  Il  blâmait  la  manière  dont  s'était  faite 
l'acquisition  de  la  maison  de  la  Motte  :  «  Appliquer  au  collège 
d'Avignon,  disait-il,  les  biens  confisqués  aux  hérétiques,  serait 
chose  tout  à  fait  odieuse  pour  notre  Compagnie,  surtout  si  leurs 
anciens  possesseurs  vivaient  encore5.  » 

6.  Ce  fut  le  P.  Louis  du  Coudret,  successeur  d'Antoine  Possevin 
dans  le  gouvernement  du  collège,  qui  porta  au  conseil  de  ville 
les  remerciements  du  P.  Général.  Le  P.  Possevin,  lui,  était  déjà 
parti  pour  Rome  où,  sur  son  désir,  le  P.   Franeois  de  Rorgia, 


1.  Archiv.  Prov.  de  Lyon,  Anciens  collèges,  t.  I,  fol.  145. 

2.  Lettre  du  P.  L.  du  Coudret  au  P.  Général  (Gall.  Epist..  t.  IV,  fol.  171  . 

3.  Au  début  des  guerres  de  religion  la  maison  de  la  Motte  appartenait  à  Charles  et 
à  Julie  de  Brancas.  Charles  ayant  embrassé  le  calvinisme  avait  vu  ses  biens  confis- 
qués. 

4.  Archiv.  commun.,  Déliber.,  t.  XIV,  f.  48,  138.  Roma,  Bibliot.  Vitt.  Emman.,  mss. 
Gesuitici,  n°  1584  (3713). 

5.  Lettre  au  P.  L.  du  Coudret,  14  février  1569  (Gall.  Episl.,  t.  IV).  Tout  le  monde 
à  celle  époque  admettait  la  justice  de  ces  confiscations;  mais  le  P.  Général  voyait 
clans  le  cas  présent  une  question  de  délicatesse. 


442  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

heureux  de  connaître  un  homme  si  utile  à  l'Eglise,  avait  accepté 
de  présider  sa  profession  solennelle  des  quatre  vœux.  Il  avait 
quitté  Avignon  le  12  février  15G9  ',  muni  d'une  somme  de  vingt 
écus  que  le  conseil  de  ville  lui  avait  remise  pour  ses  frais  de 
voyage.  Son  absence  fut  l'occasion  d'une  violente  tempête,  qui 
faillit  détruire  les  belles  espérances  que  donnaient  les  heureux 
débuts  du  collège. 

Les  Avignonnais  avaient  en  Possevin  toute  confiance;  il  ne 
put  donc  refuser  d'emporter,  de  leur  part,  quelques  lettres  à  l'a- 
dresse du  Souverain  Pontife  et  du  P.  Général.  Dans  ces  missives, 
les  cardinaux  de  Bourbon  et  d'Armagnac  exposaient  à  Sa  Sainteté 
combien  la  religion  avait  à  souffrir  en  ces  temps  malheureux, 
recommandaient  à  sa  bienveillance  la  ville  d'Avignon  et  le  Com- 
tat-Venaissin,  et  la  priaient  de  pourvoir  à  la  défense  du  pays 
contre  les  menées  des  hérétiques;  les  consuls  demandaient  au 
P.  François  de  Borgia  qu'il  voulût  bien  augmenter  le  personnel 
du  collège  et  permettre  l'ouverture  d'un  pensionnat. 

Le  séjour  du  P.  Possevin  à  Rome  se  prolongea  beaucoup  plus 
qu'on  ne  l'avait  supposé,  en  sorte  que  le  P.  Auger  craignit  un 
instant  de  perdre  son  principal  collaborateur  dans  l'administra- 
tion de  la  nouvelle  Province  d'Aquitaine.  Le  P.  Général  le  rassura 
en  lui  écrivant,  le  11  avril,  «  que  l'obéissant  religieux  n'avait  fait 
aucune  démarche  pour  rester  en  Italie  et  que  toutes  ses  affections 
appartenaient  à  la  France2  ».  Le  P.  Possevin,  du  reste,  n'oubliait 
pas  les  intérêts  du  collège  d'Avignon,  ni  les  affaires  qu'il  était 
chargé  de  négocier.  A  sa  sollicitation,  Pie  V  déclara  que  la  pen- 
sion annuelle  de  cent  écus  sur  la  Légation  serait  perpétuelle,  et 
lit  expédier  des  bulles  pour  les  cent  écus  assignés  sur  l'archevê- 
ché. Le  R.  P.  Général,  de  son  côté,  par  une  lettre  du  17  mai, 
annonça  aux  consuls  une  légère  augmentation  dans  le  personnel, 
et  leur  indiqua  dans  quelle  mesure  la  Compagnie  pouvait  contri- 
buer au  gouvernement  d'un  pensionnat  :  elle  ne  s'en  chargerait 
pas  personnellement,  pour  de  justes  motifs  que  devait  expliquer 
le  P.  Possevin  à  son  retour,  mais  elle  accepterait  d'en  surveiller 
l'administration  dans  toutes  les  choses  relatives  à  la  piété  ou  à 
l'enseignement3. 

En  même  temps  que  la  lettre  de  François  de  Borgia,  les  con- 

1.  Annal,  decas  1%  1.  II,  c.  xv.  Epistol.  Naclal,  t.  III,  p.  G30.  Le  P.  Possi\in 
n'alla  pas  à  Rome  en  qualité  de  procureur  de  la  Province  d'Aquitaine,  comme  le  dit 
le  P.  Chossal  (p.  124).  La  congrégation  des  procureurs  avait  eu  lieu  en  octobre  l r.G.s. 

2.  Lettre  au  P.  Auger,  11. avril  15(39  (Gall.  Epislol..  t.  IV). 

3.  Lettre  aux  Consuls,  17  mai  1569  (Gall.,  Epistol.  Gen.,  t.  IV). 


ÉMEUTE  CONTRE  LE  COLLÈGE  D'AVIGNON.  443 

suis  d'Avignon  reçurent  du  Souverain  Pontife  un  bref  par  lequel 
il  exprimait  sa  satisfaetion  de  ce  que  le  P.  Possevin  lui  avait  rap- 
porté de  leur  bonne  volonté.  Il  les  exhortait  aussi  à  combattre 
avec  courage  et  constance  contre  les  hérétiques,  et  manifestai! 
l'intention  de  travailler  à  la  réforme  de  la  discipline  et  des 
mœurs  dans  le  Gomtat.  Ce  bref  pontifical  ne  contenait  rien  qui 
pût  être  pris  en  mauvaise  part.  Des  esprits  «  jaloux  et  inquiets  » 
supposèrent  cependant  que  Sa  Sainteté  avait  formé  le  dessein  de 
faire  rechercher  et  punir  «  ceux  qui  attenteraient  quelque  chose 
contre  la  religion  ».  Comme  ils  connaissaient  l'empressement  des 
Jésuites  à  seconder  toujours  les  projets  du  Saint-Père,  ce  fut  sur 
ces  religieux  qu'ils  firent  retomber  tout  l'odieux  de  leurs  inter- 
prétations malveillantes.  Des  insinuations  perfides  furent  habile- 
ment semées  parmi  le  peuple,  par  les  protestants,  qui  n'avaient 
pu  voir  sans  déplaisir  s'établir  à  Avignon  ces  Jésuites  qu'ils 
regardaient  comme  leurs  plus  terribles  ennemis1.  Ils  s'achar- 
nèrent principalement  contre  le  P.  Possevin  dont  ils  redoutaient 
la  doctrine  et  l'activité.  N'osant  attaquer  la  réputation  dont  il 
jouissait  dans  l'opinion  publique,  ils  essayèrent  d'exploiter  contre 
lui  son  récent  voyage  à  Rome.  Il  ne  l'avait  entrepris,  disait-on, 
que  pour  porter  le  Pape  à  introduire  dans  Avignon  une  inquisi- 
tion pareille  à  celle  d'Espagne  ;  à  supprimer  les  quatre  con- 
fréries de  pénitents  établies  dans  la  ville  avec  tant  d'édification 
et  de  succès;  enfin  à  perdre  absolument  ceux  qui  avaient  paru 
avoir  quelque  penchant  pour  la  nouvelle  doctrine;  et  l'on  ajou- 
tait qu'il  avait  donné  à  Sa  Sainteté  une  connaissance  parfaite  de- 
leurs  noms  et  qualités2. 

Ces  accusations  absurdes  ne  reposaient  sur  aucun  fondement 
sérieux;  elles  ne  manquaient  pas  cependant  de  quelque  vrai- 
semblance. Il  était  un  jour  échappé  au  P.  Possevin,  parait-il,  de 
dire  en  prêchant,  que  ce  ne  serait  pas  un  désavantage  à  la  ville 
d'Avignon,  si  elle  avait  d'exacts  inquisiteurs  de  la  foi3.  Une  bulle 
de  Pie  IV  avait  supprimé,  quelques  années  auparavant,  les  con- 
fréries d'artisans,  et  l'on  pouvait  croire  que  les  confréries  de 
pénitents  étaient  aussi  menacées;  or,  cette  perspective  touchait 
au  vif  une  population  profondément  attachée  aux  traditions  de 

1.  Lettre  du  P.  Possevin  au  P.  Général,  15  juillet  1569  (Acta  Possevini  in  Gallia). 
Cf.  Sacchini,  Histor.  Soc.  Jesu,  P.  III,  I.  V,  n"  139.  Laderchi,  Annal.  Ecoles., 
t.  Il,  p.  261. 

2.  Hist.  coll.  Aven.  (Francia,  Histor.  fundat.  Assistentiae,  n°  29). 

3.  Lettres  du  P.  L.  du  Coutlret,  22  juin  1569,  26  juin  1569  (Gall.  Epistol.,  t.  IV. 
fol.  89,  91). 


444  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

ses  ancêtres.  Enfin  «  audit  temps,  écrit  un  contemporain,  fut 
mandé  au  sieur  Archevêque  d'Avignon  un  bref  exprès,  lui  com- 
mettant de  s'informer  sur  quelques  articles  concernant  la  façon 
de  vivre  des  personnes  laïques  et  sur  tous  états1  ». 

Il  n'en  fallait  pas  davantage  pour  exalter  les  Avignonnais,  ja- 
loux de  leurs  libertés  municipales.  L'émotion  populaire  s'accrut 
encore  quand  on  vit  l'archevêque  assisté  d'un  Père  de  la  Compa- 
gnie, selon  les  ordres  du  cardinal  Alexandrin,  intimer  le  bref 
au  clergé;  car  on  disait  «  que  cela  avoit  été  mandé  aux  pour- 
chats  et  requestes  de  M.  Antoine  Possevin,  jésuite,  qui  pour  lors 
étoit  à  Rome2  ».  Ce  bruit  se  répandit  partout,  et  bientôt  l'on 
n'entendit  plus  que  murmures,  invectives  et  menaces  à  l'adresse 
des  Pères.  Ceux-ci,  par  mesure  de  prudence,  suspendirent  leurs 
classes  et  restèrent  renfermés  dans  leur  maison.  Seul  le  P.  Pé- 
quet,  religieux  d'une  grande  vertu  et  qui  avait  le  don  de  guérir 
les  malades,  osait  sortir  et  se  livrer  à  ses  œuvres  ordinaires.  Mais 
cet  homme  de  Dieu,  malgré  le  respect  et  la  vénération  dont  il 
était  entouré,  ne  réussit  point  à  calmer  des  têtes  surexcitées. 

7.  Des  groupes  nombreux  se  rendaient  chaque  jour  à  l'hôtel  de 
ville,  vociférant  contre  les  Jésuites.  Mal  reçus  la  première  fois,  ils 
finirent  par  intimider  les  consuls  qui,  dans  la  crainte  d'une  ré- 
volte, promirent  de  convoquer  une  assemblée  générale  où  tout  le 
monde  serait  admis  avec  le  droit  de  suffrage.  Le  18  juin,  jour 
fixé  pour  l'élection  des  nouveaux  consuls,  une  foule  immense 
accourut  à  l'hôtel  de  ville.  La  salle  de  réunion,  où  chacun  s'em- 
pressait de  prendre  place,  fut  bientôt  remplie.  Ceux  qui  ne  pu- 
rent entrer  s'arrêtèrent  dans  la  cour,  et  se  mirent  à  crier  de 
toutes  leurs  forces  qu'on  eût  à  leur  faire  justice  du  perfide  et 
ingrat  Possevin.  Beaucoup  demandaient  qu'on  supprimât  le  col- 
lège et  que  l'on  chassât  tous  les  Pères.  La  salle  se  trouvant  en- 
combrée, les  consuls  tinrent  séance  au  milieu  de  la  place  pu- 
blique. Après  quatre  heures  d'un  tumulte  indescriptible ,  on 
vota  l'expulsion  des  Jésuites  et  la  révocation  de  toutes  les  dona- 
tions qui  leur  avaient  été  faites.  Le  conseil  crut  devoir  accorder 
quelque  chose  au  ressentiment  du  peuple  :  il  déclara  qu'il  annu- 
lait, autant  qu'il  pouvait,  tout  ce  qui  avait  été  fait  en  faveur  de 
la  Compagnie  de  Jésus3.  Mais,  en  parlant  ainsi,  les  magistrats 

1.  «  Discours  des  guerres  de  la  comté  Venayssin  et  de  la  Prouvence,  par  le  seigneur 
Loys  de  Perussiis  »  (Muséum  Calvet,  ms.  2773,  fol.  233).  —  2.  Ibidem. 

3.  Ibidem.  Lettres  du  P.  L.  du  Coudret  déjà  citées  et  une  autre  du  8  juillel 
1569  (Gall.  Epistol.,  t.  IV,  fol.  94). 


ÉMEUTE  CONTRE  LE  COLLÈGE  D'AVIGNON.  4*5 

municipaux  devaient  bien  se  clouter  que  le  légat,  sans  lequel 
on  ne  pouvait  agir,  ne  se  prêterait  pas  à  la  suppression  du  col- 
lège et  ne  céderait  point  aux  colères  soulevées  par  des  mesures 
qu'il  avait  lui-même  ordonnées  :  «  Demander  au  Saint-Père, 
disait  Louis  de  Pérussis,  c'est  bien  fait;  mais  de  tumultuer,  non  : 
il  faut  obéir  au  supérieur  et  non  faire  émotion.  »  Tout  le  monde 
n'était  pas  de  cet  avis,  et  une  parole  de  bon  sens  ne  suffit  pas 
à  calmer  les  passions  populaires.  On  s'en  aperçuf,  quelques 
heures  après  l'élection  des  nouveaux  consuls. 

En  vain  le  cardinal  d'Armagnac  avait  fait  défendre  les  cla- 
meurs contre  les  .Jésuites.  On  n'entendait  dans  les  rues  que  des 
injures  et  des  menaces  :  il  fallait,  criait-on,  exécuter  les  conclu- 
sions de  l'assemblée  et  chasser  au  plus  tôt  ces  traîtres,  ces  ingrats, 
ces  maudits.  La  ville  entière  était  sur  pied.  Les  huguenots  profi- 
tèrent des  rassemblements  pour  soulever  une  émeute,  signal  d'une 
révolte  générale  et  peut-être  du  triomphe  de  leur  parti1.  Des 
bandes  furieuses,  armées  d'arquebuses,  se  dirigèrent  vers  le  col- 
lège avec  un  bruit  et  des  cris  qui  firent  justement  appréhender 
des  excès  qu'on  ne  pourrait  réprimer.  Quelques  amis  de  la  Com- 
pagnie accoururent  en  toute  hâte  prévenir  les  Pères  du  danger. 
Ceux-ci  s'enfermèrent  dans  l'église  et  se  mirent  en  prières,  atten- 
dant que  l'orage  fût  apaisé.  De  ce  saint  asile  ils  entendaient  les 
outrages  de  la  populace,  qui  assaillait  la  maison  à  coups  de 
pierres.  Les  fenêtres  volaient  en  pièces.  On  parlait  de  mettre  le 
feu  aux  quatre  coins  de  la  Tour,  ou  d'amener  l'artillerie  de  la 
place  pour  l'abattre  et  accabler  les  prétendus  coupables  sous  les 
ruines 2. 

Averti  de  la  gravité  de  la  situation,  Claude  de  Crillon,  frère  du 
«  brave  Crillon  »  et  premier  consul  de  la  ville,  réunit  ses  deux 
collègues,  Pierre  Beau  et  Jacques  Gardiole,  et  le  nouvel  assesseur, 
Jacques  de  Novarin.  Suivis  de  quelques-uns  des  principaux 
citoyens,  parmi  lesquels  François  de  Fogasse,  seigneur  de  la  Ber- 
thelasse,  et  François  de  Pérussis,  capitaine  de  cent  chevau-légers, 
ils  accourent  sur  le  théâtre  du  tumulte,  dans  le  dessein  de  dé- 
sabuser ce  peuple  mutiné.  À  leur  vue  les  assaillants  s'écartent 
pour  livrer  passage  aux  magistrats  qui,  à  peine  entrés  dans  l'é- 
glise, s'empressent  de  rassurer  les  Pères.  Puis  s'adressant  aux 
émeutiers,  les  consuls  dévoilent  les  machinations  des  huguenots, 

1.  Lettre  de  Possevin  au  P.  Général,  29  sept.  1569  (Acta  a  Possevino). 
'1.  Hist.  coll.  Aven.  (Francia,  Histoi.  fondât.,  n"  29).  Lettre  du  P,  L.  du  Coudret, 
22  juin.  Cf.  Sacehini,  ffislor.  s.  ./.,  P.  III,  1.  V,  n°  141. 


446  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

protestent  de  l'innocence  de  Possevin,  et  se  portent  garants  pour 
tous  les  autres  Jésuites.  Les  conjurés,  se  sentant  découverts, 
mettent  bas  les  armes,  et  la  foule  se  retire  confuse  d'avoir  servi 
dans  cette  circonstance  d'instrument  aux  hérétiques. 

Dès  que  le  cardinal  d'Armagnac  connut  ces  incidents,  il  envoya 
les  Suisses  pour  garder  le  collège,  et  son  maître  d'hôtel,  qui  était 
un  prélat,  pour  consoler  les  Pères  et  leur  dire  de  sa  part  qu'ils 
n'eussent  point  de  crainte,  qu'il  les  prenait  sous  sa  garde  et 
protection.  Il  fit  aussi  écrire,  par  son  secrétaire,  un  mandement, 
en  son  nom  et  au  nom  du  Pape,  où  il  ordonnait  à  tous,  de  quelque 
qualité  qu'ils  fussent,  de  respecter  les  Jésuites  et  de  ne  leur  faire 
aucun  mal  «  à  peine  d'être  pendu  ».  Ce  mandement  fut  publié, 
à  son  de  trompe,  dans  tous  les  carrefours. 

Le  lendemain,  avec  plusieurs  personnages  marquants,  qu'il 
savait  bien  intentionnés,  le  cardinal  se  rendit  lui-même  au  collège, 
y  entendit  la  messe,  témoigna  aux  Pères  combien  il  était  sensible 
à  leur  affliction,  et  les  assura  qu'aussitôt  la  vérité  reconnue  le 
calme  reviendrait  insensiblement  dans  la  ville,  où  tous  les  gens 
de  bien  étaient  prévenus  en  leur  faveur.  Ce  même  jour,  les  consuls 
vinrent  engager  les  Jésuites  à  rouvrir  leurs  classes,  et  leur  mani- 
festèrent les  meilleurs  sentiments  :  s'ils  avaient  paru  céder  à  la 
fureur  du  peuple,  c'était  par  prudence,  et  pour  éviter  un  plus 
grand  mal;  ils  savaient  bien  du  reste  que  la  décision  du  conseil 
n'avait  aucune  valeur,  sans  l'approbation  du  Saint-Siège,  aussi 
s'étaient-ils  servis  expressément  de  ces  paroles  :  in  quantum  de 
jure*. 

8.  Le  vice-légat  craignit,  avec  raison,  que  l'attentat  commis 
contre  les  Pères  n'affligeât  le  Souverain  Pontife,  tout  dévoué  à  la 
Compagnie  de  Jésus  ;  il  suggéra  au  conseil  de  lui  envoyer  une 
députa tion  pour  lui  présenter  les  excuses  de  la  ville  et  lui  deman- 
der pardon.  Jean  Michel,  docteur  de  l'Université,  fut  chargé  de 
porter  à  Rome  la  lettre  des  magistrats.  Dans  cette  humble  sup- 
plique, après  avoir  déclaré  qu'ils  ont  agi  contrairement  à  leur 
pensée  intime  et  sous  le  coup  de  la  nécessité2,  les  consuls  ajoutent 
«  qu'il  y  avoit  bien  plus  de  venin  qu'il  n'y  en  avoit  paru  d'abord, 
et  que  le  démon  et  ses  ministres  n'avoient  répandu  ces  calomnies 
que  pour  rendre  la  Compagnie  odieuse  aux  catholiques,  aiin  que 

1.  Lettres  du  P.  du  Coudrct  déjà  citées. 

2.  «  Haec  qui  Jeta  ultra  opinionem  décréta  fuere,  idque  fecisse  necesse  fuit;  roga- 
hat  enim  in  limine  lumultus.  » 


ÉMEUTE  CONTRE  LE  COLLÈGE  D'AVIGNON.  147 

ceux-ci  privez  de  son  secours,  dans  un  temps  où  il  leur  étoit  non 
seulement  utile  mais  encore  nécessaire,  on  pût  plus  aisément  les 
perdre  et  exterminer  tout  le  troupeau1  ».  Pie  V,  raconte  le  m;u- 
quis  de  Cambis-Villeron  dans  ses  Annales,  reçut  avec  bonté  le 
député  d'Avignon.  Sa  Sainteté,  qui  savait  depuis  longtemps  les 
intrigues  des  hérétiques,  prit  la  chose  fort  à  cœur;  elle  réfuta 
elle-même  tous  les  mensonges  répandus  contre  le  P.  Posscvin  et 
les  Jésuites,  et  elle  dit  à  M.  Michel  dans  son  audience  de  congé  : 
«  Malheur  pour  Avignon  quand  les  Jésuites  en  sortiront2.  » 

Dans  sa  réponse  aux  consuls,  le  16  juillet,  le  Pape  ne  put  s'em- 
pêcher d'exprimer  sa  vive  douleur  de  l'injuste  persécution  susci- 
tée par  son  peuple  contre  la  pieuse  Compagnie  de  Jésus.  Il  repro- 
che doucement  à  ceux  qui  gouvernaient  en  son  nom  de  n'avoir 
pas  mieux  rempli  leur  devoir,  et  il  les  exhorte,  pour  prévenir  de 
plus  grands  dangers,  à  ne  pas  laisser  les  rebelles  impunis.  C'est 
un  souverain  qui  parle  avec  autorité  à  des  sujets  égarés;  c'est 
le  Vicaire  du  Christ  qui  veille  à  la  défense  de  la  religion;  c'est 
aussi  un  Père  dont  le  cœur  déborde  de  tendresse,  soit  en  répri- 
mandant ses  fils  coupables,  soit  en  bénissant  ses  fils  innocents  et 
malheureux8.  Il  ne  manque  pas  surtout  de  venger  le  P.  Possevin 
des  accusations  calomnieuses  lancées  contre  lui  :  «  Antoine  Pos- 
sevin, écrit-il,  pendant  son  séjour  ici,  a  beaucoup  parlé  avec  Nous, 
comme  cela  se  fait  ordinairement,  de  choses  utiles  à  la  religion 
catholique.  Mais  bien  loin  qu'il  ait  essayé  d'obtenir  de  Nous  l'abo- 
lition des  confréries  de  cette  ville  et  le  transfert  de  leurs  biens 
aux  Jésuites  ses  frères,  il  n'a  pas  dit  un  mot  à  ce  sujet,  et,  Nous 
en  sommes  certains,  il  n'y  a  pas  même  pensé.  Quant  à  ces  con- 
fréries, les  abolir  ou  leur  enlever  quelque  partie  de  leurs  biens 
est  si  peu  dans  Notre  pensée,  qu'au  contraire  les  croyant  pro- 
pres au  maintien  de  la  foi  catholique  et  utiles  à  la  piété  chré- 
tienne, Nous  souhaitons  beaucoup  qu'elles  soient  fréquentées  et 
nombreuses. 

«  Ce  que  la  même  populace  a  fort  légèrement  soupçonné  d'un 
mode  d'inquisition  nouveau  et  chez  vous  inconnu,  que  Nous 
voulions  introduire  dans  cette  cité,  est  non  moins  faux.  Nous 
n'avons  jamais  parlé  de  cela,  ni  avec  Antoine  Possevin,  ni  avec 


1.  Cité  par  Dorigny,   Vie  de  Possevin,  p.  13'!. 

2.  Annales  de  la  ville  d'Avignon  par  Dominique  de  Cambis  (1550-1569),  t.  V,  p.  82 
(ins.  2780  de  la  biblioth.  d'Avignon).  Annal,  deeas  i\  I.  III,  c.  h.  Richeome,  La 
Vérité  défendue,  p.  261.  Gretseri  opéra,  t.  XI.  264. 

3.  Cf.  Laderchi,  Annal,  eecl.,  t.  Il,  p.  261,  n.  xr.iv. 


448  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

quelque  autre  que  ce  soit;  Nous  n'avons  jamais  rien  pensé  et 
Nous  ne  pensons  rien  de  semblable. 

«  Mais  vous,  bien  chers  fils,  à  qui  le  soin  de  gouverner  ce 
peuple  en  Notre  Nom  a  été  confié,  il  aurait  été  de  votre  devoir 
de  résister  à  la  volonté  téméraire  d'une  multitude  furieuse,  et  de 
ne  point  armer  un  peuple  léger  de  l'autorité  d'un  décret  public. 

«  Toutes  les  conclusions  prises  à  ce  moment,  ce  n'est  pas  la  jus- 
tice, ce  sont  des  soupçons  témérairement  acceptés  qui  les  ont 
inspirées;  elles  ont  été  extorquées  par  la  violence  du  peuple, 
aussi  Nous  vous  enjoignons  de  les  révoquer  et  Nous  ordonnons 
qu'elles  soient  de  nul  effet1.  » 

9.  Le  P.  Auger,  informé  exactement  de  ce  qui  s'était  passé,  ne 
pouvait,  en  qualité  de  Provincial,  rester  insensible  aux  souf- 
frances de  ses  inférieurs.  Il  se  rendit  aussitôt  de  Lyon2  à  Avignon 
afin  de  défendre  le  P.  Possevin  et  de  soutenir  les  Pères  du  col- 
lège. Accueilli  avec  joie  par  le  cardinal  d'Armagnac,  il  le  pria, 
dès  le  lendemain  de  son  arrivée,  de  réunir  une  assemblée  géné- 
rale, parce  qu'il  lui  semblait  nécessaire  de  faire  quelques  remon- 
trances. Mais  cette  démarche  ne  fut  pas  jugée  opportune,  l'affaire 
dépendant  des  magistrats  et  non  du  peuple.  Le  vice-légat  pro- 
posa de  convoquer  seulement  les  anciens  et  les  nouveaux  consuls 
avec  quelques-uns  des  plus  notables  habitants.  Dans  cette  réu- 
nion, à  laquelle  assistaient  le  cardinal  et  le  recteur  du  collège,  le 
P.  Auger  parla  avec  la  modération,  mais  aussi  la  fermeté,  qu'on 
pouvait  attendre  d'un  homme  de  son  caractère3.  Après  avoir 
protesté  que  la  Compagnie  n'oubliait  point  ce  qu'elle  devait  à 
la  ville,  il  insinua  que,  si  elle  avait  cependant  le  malheur  de  lui 
déplaire,  elle  préférerait  prévenir  l'exil  que  d'y  être  un  jour 
obligée;  et,  là-dessus,  il  demanda  au  cardinal  et  aux  consuls  la 
permission  de  disposer  du  personnel,  momentanément  ou  pour 
toujours,  selon  que  la  nécessité  l'exigerait,  en  faveur  de  Lyon  et 
de  Tournon.  A  cette  proposition  du  P.  Provincial,  Mgr  d'Armagnac 
répondit  avec  autorité  que  cela  ne  pouvait  pas,  ne  devait  pas  se 
faire,  le  collège  étant  une  œuvre  de  Dieu  approuvée  par  Sa  Sain- 
teté ;  pour  lui,  il  n'y  consentirait  jamais.  Les  consuls  appuyèrent 
cette  énergique  protestation,  et  supplièrent  le  Père  de  ne  pas  les 

1.  Aiehiv.  Prov.  de  Lyon,  Anciens  collèges,  t.  I.  Annal,  decas  1%  1.  111,  c.  m. 

2.  Le  P.  Auger  n'était  pas  alors  à  Tournon  comme  le  disent  plusieurs  historiens; 
nous  avons  de  lui  une  lettre  au  P.  Général  datée  de  Lyon  le  2'2  juin. 

:.  Lettres  du  P.  L.  du  Coudrel  au  P.  Mercurian,  28  juin  ;  au  P.  Général,  8  juillet 
1569,  citées  plus  haut. 


ÉMEUTE  CONTRE  LE  COLLEGE  D'AVIGNON.  iî'j 

abandonner,  lui  promettant  toutes  sortes  de  faveurs  :  ils  n'avaient 
révoque  les  donations,  disaient-ils,  que  dans  l'intérêt  même  de 
la  Compagnie,  afin  d'empêcher  le  peuple  de  se  livrer  à  des  actes 
de  violence  contre  le  collège;  du  reste  la  révocation  n'avait  pas 
été  inscrite  dans  les  registres  de  la  ville';  ils  l'auraient  même 
cassée  et  abolie  dans  une  autre  séance  du  conseil,  sans  la  crainte 
d'exciter  un  nouveau  tumulte,  plus  dangereux  que  le  premier, 
car  le  peuple  n'était  pas  encore  apaisé  ni  suffisamment  éclairé  au 
sujet  de  l'Inquisition;  d'ailleurs,  ajoutaient-ils,  le  conseil  ne 
peut  rien  exécuter  sans  l'approbation  du  légat;  quand  viendra 
le  terme  du  premier  versement,  M"1  le  cardinal  agira  comme  par 
le  passé,  sans  qu'il  soit  besoin  de  déclarer  formellement  que  la 
révocation  n'a  aucune  valeur. 

Malgré  ces  explications  et  ces  promesses,  le  P.  Auger  persistait 
dans  son  dessein  de  retirer  les  Pères  du  collège  et  de  les  emme- 
ner avec  lui;  ce  qui  mettait  le  cardinal  très  en  peine.  Il  crai- 
gnait, comme  il  l'avoua  au  P.  du  Coudret,  qu'il  ne  se  trouvât 
dans  l'assemblée  quelqu'un  des  meneurs  de  l'émeute,  et  qu'il  ne 
s'écriât  brusquement  :  Eh  bien,  nous  acceptons  ce  que  propose  le 
P.  Provincial;  qu'il  retire  ses  inférieurs  et  les  mène  où  il  jugera 
à  propos!  —  Mais  malgré  toutes  les  instances  que  fit  le  Père  pour 
remplir  ce  qu'il  croyait  un  devoir-,  les  consuls  ne  cessèrent  de 
lui  opposer  leur  ferme  volonté  de  ne  pas  se  priver  d'un  secours 
qu'ils  avaient  souhaité  avec  tant  d'ardeur.  Cédant  enfin  à  leurs 
supplications,  et  surtout  à  la  sincère  affection  de  M*-'1  d'Armagnac 
pour  la  Compagnie,  le  P.  Auger  s'avoua  vaincu;  il  promit  d'ou- 
blier les  défaillances  d'un  moment  et  de  ne  plus  se  souvenir  que 
des  bienfaits,  qui  méritaient  toute  sa  reconnaissance  \ 

10.  Le  P.  Général,  François  de  Borgia,  dans  ses  lettres  aux 
consuls  et  au  P.  Recteur,  prit  aussi  la  défense  du  P.  Possevin, 
qu'il  venait  de  voir  à  l'œuvre  et  dont  il  pouvait  certifier  la  par- 
faite innocence.  Son  témoignage  produisit  la  meilleure  impres- 
sion et  dissipa  tous  les  doutes.  Le  7  août,  en  lui  faisant  part  de 
cet  heureux  résultat,  le  P.  Louis  du  Coudret  lui  annonçait  qu'une 
enquête  avait  été  ouverte,  mais  que  personne  ne  s'était  présenté 

1.  Au  fol.  Go  du  tome  XIV  des  Délibérations,  on  trouve  à  la  marge  ces  mots  : 
«  Conclusion  pour  les  Jésuites  »  ;  niais  celle  page  et  les  trois  suivantes  sont  restées  en 
blanc. 

'2.  On  voit  par  une  lettre  du  P.  du  Coudret  au  P.  Mercurian  (26  juin)  que  le  Rec- 
teur du  collège  d'Avignon  ne  partageait  pas  sur  ce  point  l'avis  de  son  Provincial. 

3.  Lettres  du  P.  L.  du  Coudret  déjà  citées. 

COMPAGNIE   DE  JÉSUS.   —    1.   I.  2'J 


450  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

pour  déposer  contre  le  P.  Possevin  '  :  «  Du  reste,  lui  disait-il, 
aucun  homme  sensé  n'a  jamais  cru  qu'il  ait  demandé  l'abolition 
des  confréries,  et  quant  à  l'Inquisition,  on  est  persuadé  que 
c'était  une  pure  calomnie"-.  » 

Si  l'apaisement  se  faisait  sur  les  lieux  mêmes  où  la  tempête 
avait  passé,  à  la  cour  et  dans  le  royaume  on  continuait  de  mener 
grand  bruit  autour  de  cette  affaire,  sans  trop  connaître  ni  la  vraie 
cause  des  troubles  d'Avignon  ni  la  conduite  du  P.  Possevin  et  de 
ses  confrères.  Afin  de  détruire  l'effet  des  imputations  calom- 
nieuses, le  cardinal  de  Bourbon  fit  imprimer  et  répandre  par 
toute  la  France  des  attestations  en  faveur  des  Jésuites3.  Pie  V 
lui-même  crut  devoir  intervenir  de  nouveau,  et  par  un  bref 
adressé  au  Nonce  il  disculpa  formellement  l'accusé  :  «  Non 
seulement,  déclara-t-il,  ledit  Antoine  Possevin  n'a  jamais  tâché 
de  Nous  persuader  rien  de  ces  choses  que  des  hérétiques,  ou 
du  moins  des  gens  animés  d'un  esprit  d'envie  ou  de  malice, 
lui  supposent,  mais  Nous  sommes  certain  au  contraire  qu'il 
ne  lui  en  est  pas  même  venu  la  pensée  et  à  bien  plus  forte 
raison  qu'il  n'en  a  jamais  parlé...  Nous  avons  voulu  vous  en 
informer,  afin  qu'ayant  appris  de  Nous  la  vérité,  vous  puissiez 
sûrement  convaincre  de  calomnie  les  détracteurs,  et  justifier 
pleinement,  par  le  témoignage  de  Nos  lettres,  l'innocence  d'un 
homme  qui  travaille  avec  tant  de  zèle  à  la  vigne  du  Seigneur4.  » 

En  outre  le  Saint-Père  chargea,  par  un  bref  spécial,  le  car- 
dinal d'Armagnac  de  faire  bonne  et  prompte  justice  des  coupa- 
bles. Le  vice-légat  dirigea  si  bien  ses  recherches  que  les  auteurs 
des  excès  commis  furent  découverts,  et,  pressés  de  questions, 
avouèrent  leur  faute.  Comme  on  faisait  leur  procès,  les  Pères 
intervinrent  pour  les  soustraire  à  la  peine  de  mort. 

Revenue  alors  de  son  égarement,  l'opinion  publique  se  pro- 
nonça plus  que  jamais  en  faveur  de  la  Compagnie.  Le  peuple 
détrompé  criait  tout  haut  dans  les  rues  :  «  Vivent  les  bons  Pères 
Jésuites  qui  font  la  guerre  aux  hérétiques5!  »  Au  dévouement 

1.  Gall.  Epist.,  t.  IV,  fol.  27. 

2.  Le  18  juillet  on  avait  écrit  de  Home  au  P.  L.  du  Coudret  :  «  L'Inquisiteur  a 
avoué  ingénument  à  l'ambassadeur  du  duc  de  Savoie  que  c'était  lui  qui  avait  suggéré 
au  Souverain  Pontife  l'idée  de  cette  forme  d'inquisition,  qu'on  avait  voulu  introduire 
à  Avignon  »  (Gall.,  Epist.  Gen.,  t.  IV). 

3.  Histoire  manuscrite  (Mu-.  Calvet,  2i90,  fol.  6i).  Acta  a  Possevino,  sept.  156'J. 
Lettre  du  cardinal  de  Bourbon,  6  nov.  156'J  (Vita  del  P.  A.  Possevino,  t.  Il,  p.  81). 

4.  Publié  par  Sacchini,  Histor.  Soc.  Jesu.,  P.  III,  1.  V,  n.  liî,  145. 

5.  Tamisey  de  Larroque,  Lettres  inédites  du  cardinal  d'Armagnac,  Introduction, 


ÉMEUTE  CONTRE  LE  COLLÈGE  D'AVIGNON.  Loi 

des  religieux  le  conseil  de  ville  répondit  par  de  nouveaux  actes 
de  libéralité;  il  affecta  une  somme  de  cinquante  écus  à  la  recons- 
truction des  classes,  devenues  trop  étroites  pour  les  quatre  cents 
élèves  qui  les  fréquentaient.  Peu  de  temps  après,  il  décida  la 
fondation  de  la  chaire  de  rhétorique,  et  vota  dans  ce  but  la  somme 
de  quarante  florins. 

Le  cardinal  de  Bourbon,  légat  d'Avignon,  s'occupait  aussi  des 
besoins  matériels  du  collège.  Le  17  septembre  1509,  il  fit  préle- 
ver, pour  l'entretien  de  la  maison,  un  revenu  de  douze  cents 
livres  tournois  sur  les  biens  des  hérétiques  appliqués  à  la  chambre 
apostolique1;  mais  le  cardinal  co-lég'at  ayant  déjà  disposé  d'une 
partie  des  biens  confisqués,  il  n'en  restait  plus  assez  pour  satis- 
faire à  de  nouvelles  destinations.  Informé  de  la  chose,  le  cardinal 
de  Bourbon  fit  écrire  à  Mgr  d'Armagnac  de  pourvoir  avant  tout 
aux  nécessités  du  collège,  «  car,  ajoutait-il  de  sa  propre  main 
en  post-scriptum,  telle  est  la  volonté  de  notre  Saint-Père  que  je 
désire  suivre  toute  ma  vie2  ».  De  nouvelles  difficultés  étant  sur- 
venues, ce  fut  seulement  en  1573  que  l'acte  de  donation  sortit 
son  plein  effet.  Le  17  juin,  Grégoire  XIII  cassa  toutes  les  opposi- 
tions et  ordonna  au  co-légat  de  mettre  les  Jésuites  en  possession 
des  1*2.000  livres  de  rente  promises3.  On  choisit  des  biens  des 
huguenots  morts  à  la  guerre,  sans  héritiers,  et  non  provençaux 
ou  languedociens'1. 

1.  Copie  de  l'acte  de  donation  (Lugdun,  Fundat.  colleg.,  t.  I,  n°  52).  Lettre  du 
P.  Général  au  cardinal  de  Bourbon,  21  nov.  1569  (Gall.,  Epistol.  lien.,  t.  V). 

2.  Mus.  Calvet,  ms.  2816  fol.  327. 

3.  Acla  S.  Sedis,  n.  65,  n°  20. 

4.  La  donation  de  ces  biens  signée,  le  17  oclobrc  1574,  par  le  cardinal  de  Bourbon, 
fut  confirmée  par  un  bref  du  7  mai  1575  (Roma,  Arcbiv.  di  Slalo,  In  forma  tiones, 
n°  72,  fol.  220,  230).  Arcbiv.  de  la  prov.  de  Lyon,  Anciens  collèges  t.  \,  fol.  265, 
266,  290. 


CHAPITRE  V 

FONDATION    DES    COLLÈGES  DE    CHAMBÉRY    ET   DE    LYON, 

(1565-1576). 


Sommaire  :  Chambéry  :  1.  Lettres  patentes  du  duc  de  Savoie,  3  oct.  1564; 
ouverture  du  collège  dans  le  couvent  des  Cordeliers,  1565.  —  2.  Location  de  la 
maison  Pobel,  1571.  —  3.  Difficultés  avec  la  population;  achat  de  la  maison  de 
M.  de  Brèssiac.  —  Lyon  :  4.  Premiers  projets,  1556  à  1564.  —  5.  L'ancien  col- 
lège de  la  Trinité.  — 6.  Décision  du  chapitre  et  du  consulat.  —  7.  Ouverture  des 
classes,  octobre  1565;  description  du  collège.  —  8.  Acte  de  fondation  du  14  sept. 
1567.  —  9.  Difficultés  avec  les  Pédagogues  de  la  ville.  —  10.  Nouveau  contrat, 
li  août  1571.  Difficultés  au  sujet  des  pensionnaires.  —  11.  Le  P.  Creytton  se 
défend  devant  l'assemblée  des  notables;  accord  et  progrès. 

Sources  manuscrites   :  I.  Archives  départementales  du  Rhône,  série  D. 

II.  Archives  communales  de  Lyon,  s.  BB  et  GG. 

III.  Biblioth.  de  l'Académie  de  Lyon,  fonds  Adamoli. 

IV.  Torino,   Archiv.  di  Stato,  Mazzo  Chambéry,  Jésuites. 

V.  Roma,  Bihl.  Vitt.   Emman.,  mss.  GesuUici. 

VI.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Acta  congregat.  provincial.  — 
b)  Epistol.  principum.  —  c)  Francia,  Histoiïa  Fundationuin  tôt.  Assist.  —  d)  Gallia,  Epistol. 
General.  —  e)  Galliae  Epistolae.  —  f)  Lugd.,  Fundat.  collegior. 

VII.  Archives  de  la  Province  de  Lyon. 

Sources  imprimées  :  Acta  S.  Sedis.  —  Perpiaiani  aliqunt  epistolae.  —  Perpiniani  ora- 
tiones.  —  Ribadeneira,  Vie  du  P.  Jacques  Lainez.  —  De  Rubys,  Histoire  de  Lyon.  — 
Monimenta  uistoiuca  S.  J.  Epistolae  mixlae;  —  Epistolae  P.  Nadal. 

1.  La  fondation  du  collège  de  la  Compagnie  de  Jésus  à 
Chambéry  fut  l'œuvre  d'Emmanuel-Philibert,  duc  de  Savoie. 
Heureux  des  services  que  les  Jésuites  lui  rendaient  déjà  de  l'au- 
tre côté  des  Alpes,  à  Mondovi,  pour  l'instruction  de  la  jeunesse,  il 
voulut  procurer  la  même  faveur  au  reste  de  ses  États  [.  En  1564, 
faisant  part  de  ses  vues  au  R.  P.  Général,  il  lui  écrivait  :  «  Nous 
désirons  que  vous  envoyiez  là  un  nombre  de  religieux  égal  à 
celui  de  Mondovi.  Nous  savons  qu'il  ne  vous  est  pas  toujours 
facile  d'accepter  les  nombreuses  demandes  de  collèges  qui  vous 
sont  faites;  mais,  vu  l'importance  de  cette  ville  et  son  voisinage 
de  Genève,  nous  vous  prions  et  vous  supplions  de  répondre  à  nos 

1.  Origo  et  progressus  coll.  Cambeiïensis,  a  1».  Andréa  Avantiano  (Archiv.  Prov.  de 
Lyon).  L'auteur  de  celte  notice,  contemporain  des  événements,  fut  le  second  recteur 
du  collège  de  Chambéry. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  CHAMBÉRY.  '.:.:'. 

vœux,  le  plus  tôt  possible,  en  nous  donnant  d'excellents  ou- 
vriers1. » 

Par  lettres  patentes  du  3  octobre  L564,  Emmanuel-Philibert  as- 
signa deux  mille  florins  pour  l'entretien  des  professeurs  et  autres 
personnes  nécessaires  au  collège,  et  ordonna  au  syndic  et  aux 
habitants  de  la  ville  de  chercher  et  d'accommoder  des  maisons 
pour  les  classes  et  le  logement  des  Pères2.  De  plus,  par  lettres 
privées  da  5  octobre,  il  recommanda  la  nouvelle  fondation  au 
sénat  de  Savoie,  lui  déclarant  sa  volonté  d'établir  «  dans  Cliam- 
béri  »  un  collège  de  Jésuites  «  à  celle  fin  que  la  Savoie  et  les  au- 
tres de  [ses]  Estats  puissent,  avec  grande  leur  commodité  et  plus 
à  profit  de  leurs  âmes,  les  ouyr  et  fréquenter  tous  les  jours,  pour 
en  estre  rendus  meilleurs'  ». 

Grâce  à  cette  recommandation,  quand  le  P.  Louis  de  Coudret, 
porteur  des  lettres  patentes,  arriva  dans  le  courant  d'octobre  à 
Chambéry,  il  y  fut  reçu  avec  la  plus  grande  bienveillance.  Bien- 
tôt les  projets  d'Emmanuel-Philibert  furent  approuvés,  à  l'unani- 
mité, par  une  assemblée  publique.  Cependant  le  collège  ne 
s'ouvrit  qu'à  la  fin  de  l'année  1565,  et  dans  d'assez  mauvaises 
conditions.  La  ville,  avant  qu'elle  pût  trouver  un  local  conve- 
nable, avait  assigaé  aux  Jésuites,  comme  habitation  et  emplace- 
ment de  trois  classes  de  grammaire,  une  parlie  du  couvent  des 
Cordeliers 4.  Cette  installation  provisoire  dura  beaucoup  plus 
longtemps  qu'on  ne  l'avait  supposé,  au  grand  détriment  des  Jé- 
suites et  de  leurs  hôtes"'.  Pendant  six  années,  de  1565  à  1571,  on 
vécut  au  milieu  de  difficultés  de  toutes  sortes,  que  seule  la 
charité  réciproque  des  religieux  des  deux  Ordres  pouvait  rendre 
tolérables. 

Des  circonstances  plutôt  désagréables  avaient  nécessité  un  si 
long  séjour  dans  le  couvent  de  Saint-Frani;ois.  Au  moment  dos 
premières  négociations  relatives  au  collège,  la  ville  s'était  en- 
gagée à  procurer  un  local  et  le  duc  avait  promis  de  prélever  des 
revenus  sur  son  trésor0.  Mais,  pour  fournir  ces  rentes,  on  imposa 
la  cité,  et  ce  nouvel  impôt  fut  accepté  à  contre-cœur.  Il  fallait  en 

1.  Lettre  s.  d.  1564  (Epist.  principum,  t.  I). 

2.  Patentes  d'Em.  Philibert  (Torino,  archiv.  di  Stato,  Chambéry,  Jésuites,  n"  I, 
loi.  1,  2). 

3.  Original  (Gall.  Epist.,  t.  II,  p.  250). 

4.  Arrest  pour  le  logement  des  jésuites  à  Chambéry  (Torino,  archiv.  di  Stato,  Cham- 
béry, Jésuites,  n°  2,  fol.  1-3V). 

5.  Lettre  du  duc  au  P.  Général,  18  fév.  1566  (Epistol.  princip.,  t.  I).  Lettres  du  P. 
Augerau  P.  Général,  8  mars  et  25  octobre  1566  (Gall.  Epistol.,  fol,  58,  86). 

6.  Lettre  du  duc,  22  mats  1565  (Franciae  fundal.,  n"  37). 


K>4  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

opérer  le  recouvrement  de  porte  en  porte.  On  recueillait  plus 
d'insultes  que  d'argent.  Les  habitants  se  déclaraient  incapables 
de  pourvoira  l'entretien  des  Jésuites  et  de  leurs  classes.  Les  uns 
pensaient  que  la  Compagnie,  rebutée  de  tant  de  tracas,  finirait 
par  renoncer  à  ses  desseins  et  quitterait  la  ville;  les  autres  di- 
saient ouvertement  qu'il  y  avait  économie  à  maintenir  le  collège 
dans  le  couvent,  et  qu'il  y  devait  rester  malgré  la  décision  du 
sénat  et  les  instances  du  duc  réclamant  un  autre  domicile.  En 
somme,  beaucoup  de  donneurs  d'avis,  mais  qui  s'en  tenaient  aux 
paroles.  Les  Pères  Cordeliers,  de  leur  côté,  faisaient  entendre  des 
plaintes  légitimes.  Et,  comme  résultat  des  mille  embarras  causés 
par  l'envie  et  la  pénurie,  les  classes  languissaient,  les  ministères 
spirituels  eux-mêmes  produisaient  peu  de  fruit3. 

Dans  sa  charité  pour  ses  frères  et  son  affection  pour  les  fils  de 
saint  François,  le  P.  Général  s'était  employé  en  vain  de  tout  son 
pouvoir  à  faire  cesser  une  situation  de  plus  en  plus  pénible1.  Le 
P.  Louis  du  Coudret  et  le  P.  André  Avantian,  qui  lui  avait  succédé 
comme  Recteur,  n'avaient  épargné,  depuis  l'arrivée  delà  Compa- 
gnie à  Chamhéry,  ni  fatigues  ni  démarches,  mais  sans  parvenir  à 
la  solution  désirée  2.  En  1571,  les  Cordeliers  commencèrent  à  re- 
garder l'occupation  d'une  partie  du  couvent  comme  une  violation 
de  leurs  droits,  et  les  Jésuites  se  trouvant  sans  domicile  allaient 
être  obligés  de  quitter  la  ville. 

2.  Devant  cette  situation  critique,  le  duc  Emmanuel- Philibert 
prit  en  main  plus  énergiquement  les  intérêts  du  collège;  plu- 
sieurs de  ses  officiers  imitèrent  son  exemple,  et  le  P.  Général, 
voulant  tenter  un  suprême  effort,  envoya  à  Chambéry  le  P.  Pro- 
vincial d'Aquitaine,  sur  la  prudence  et  l'habileté  duquel  il  pou- 
vait compter  à  bon  droit.  Son  attente  ne  fut  pas  déçue.  Le 
P.  Auger,  arrivé  à  Chambéry  le  3  juin  1571,  parut  en  chaire 
avec  son  succès  accoutumé;  dans  ses  relations  particulières,  il 
charma  tout  le  monde;  il  pressa  la  conclusion  des  affaires,  et 
parla  si  efficacement  aux  magistrats  qu'avant  de  quitter  la  ville 
tout  se  trouva  terminé  à  la  satisfaction  des  parties.  Afin  que  la 
communauté  ne  fût  plus  à  charge  à  personne,  il  avait  loué  pour 
trois  ans  la  maison  Pobel,  appartenant  à  M,ue  de  Saint-Pierre. 

1.  Origo  et  progressif  collegii.  Cf.  Epist.  P.  Nadal,  t.  III,  p.  628. 

2.  Instructions  données  au  P.  L.  du  Coudret  (Acta  congregat.  provinciae).  Lettres  du 
duc  de  Savoie  au  P.  Général,  24  février  et  3  juillet  1567  (Epistol.  princip.,  t.  II). 

3.  Lettre  du  P.  Général  au  P.  Auger,  21  juin  1568  (Gall.,  Epist.  Gen.,  t.  IV).  Lettre  du 
P.  Merrurian,  18  juillet  1569  (Gall.  Epist.,  t.  IV,  fol.  49). 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  CHAMBÉRY. 

Le  23  juin,  les  Pères  abandonnèrent  enfin  le  couvenl  des  Cor- 
deliers  et  s'installèrent  clans  cette  demeure,  où   ils  établirent 

aussi  les  classes1.  La  chapelle  était  petite,  sans  doute,  mais  suf- 
fisante pour  la  célébration  des  saints  mystères,  et  le  Père  Nicolas 
Hulger  obtint  l'autorisation  de  prêcher  dans  l'église  dominicaine 
de  Saint-Léonard 2.  Dès  le  début  de  la  nouvelle  installation,  un 
assez  grand  nombre  d'élèves  se  présentèrent;  bientôt  même 
on  fut  obligé  d'ajouter  une  quatrième  classe  aux  trois  qui  exis- 
taient déjà,  et  quelques  drames  joués  par  les  écoliers  finirent 
par  mettre  tout  à  fait  en  vogue  l'établissement  des  Jésuites3. 

Malgré  ce  revirement,  l'avenir  du  collège  n'était  pas  assuré. 
La  Compagnie  n'était  que  locataire  de  la  maison  Pobel;  les  au- 
mônes arrivaient  peu  abondantes,  et  la  communauté,  composée 
de  quatorze  ou  quinze  religieux,  ne  jouissait  que  de  huit  cents 
florins  par  an.  Dieu  inspira  à  un  protonotaire  apostolique,  de 
l'illustre  maison  des  Trivulce  de  Milan,  la  pensée  de  résigner 
en  faveur  des  Pères  son  prieuré  de  Saint-Jean-Baptiste  de  Mégève. 
Il  en  obtint  la  permission  du  Pape,  et  ce  bénéfice,  d'un  revenu 
de  quatre  cents  ducats,  fut  uni  au  collège  par  une  bulle  de  Pie  Y, 
du  5  juin  1571 4.  Le  même  bienfaiteur  ayant  ajouté  à  son  pre- 
mier don  une  somme  de  trois  mille  écus  pour  l'achat  d'une 
maison,  la  ville  de  Chambéry  put  espérer  de  posséder  bientôt 
un  collège  parfaitement  constitué  5. 

Depuis  que  les  classes  étaient  installées  dans  la  maison  de 
M"ie  de  Saint-Pierre,  les  études  longtemps  languissantes  avaient 
repris  une  nouvelle  vie.  A  la  rentrée  d'octobre  1571,  le  prési- 
dent et  plusieurs  conseillers  du  sénat  de  Savoie  assistèrent  à  la 
séance  littéraire  et  parurent  très  satisfaits  des  poésies  latines  et 
françaises  récitées  en  leur  honneur  ''.  Les  élèves  n'étaient  pas 
encore  très  nombreux,  mais  ils  se  distinguaient  par  leur  piété 
et  leur  application.  Aussi  le  P.  Avantian ,   Recteur,  pouvait-il 

1.  Origo  et  progr.  collegii,  déjà  cité. 

2.  Papiers  de  Saccliini,  Roma,  Bibl.  Vitt.  Emraan.,  mss.  Gesuitici,  n'  1584  (3713). 
Sous  les  cotes  1584-1588  se  trouvent  cinq  volumes  manuscrits  dont  les  trois  premiers 
comprennent  les  généralats  de  Lainez,  Borgia  et  Mercurian.  11  n'y  a  pas  de  nom 
d'auteur,  mais  ils  représentent  évidemment  un  dépouillement  des  anciennes  archives, 
à  l'usage  de  Saccliini,  fait  par  lui  ou  par  un  autre.  Ces  manuscrits  son!  précieux  pour 
certains  détails,  que  Sacchini  aura  négligés  et  auxquels  nous  donnons  aujourd'hui  plus 
d'importance. 

3.  Origo  et  progressus  collegii. 

4.  Torino,  Archiv.  di  Slato,  Mazzo  Chambéry,  Jésuites,  n°  27.  Mazzo  Prieure  de 
Mégève,  n°l,  fol.  7,  10,  13,  14. 

5.  Acla  S.  Sedis,  p.  57,  n.  59. 

<i.  Collegii  Camb.  origo  ac  fundatio  (Franc,  Histor.  fundal.,  n.  37).  Celte  notice  la- 
tine s'arrête  à  l'an  1587  et  porte  le  visa  du  P.  Richeome. 


i  .tï  HISTOIRE  1>E  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

écrire  au  P.  Général,  le  21  novembre  :  «  J'ay  pensé  donner 
consolation  à  votre  Palernité,  si  je  l'avisois  de  la  procédure  de 
ce  petit  collège;  petit,  dis-je,  en  nombre  de  personnes,  mais 
grand  en  désir  que  la  gloire  de  Dieu  soit  amplifiée  signalement 
en  ces  quartiers;  à  quoy  taschons  de  notre  petit  pouvoir,  gardans 
nos  règles  moyennement,  car  les  garder  parfaitement  c'est  l'œuvre 
d'un  collège  accompli  en  nombre,  là  où  tous  les  offices  sont  tel- 
lement distribués  que  chascun  peut  faire  le  sien  sans  troublcment 
de  l'ordre.  Ce  qui  ne  se  peut  bonnement  faire  là  où  il  y  a  peu  de 
personnes  qui  doivent  exécuter  les  offices  de  plusieurs...  Toutes 
fois,  nous  taschons  que  l'ordre  des  études  Romain  se  garde,  et 
par  la  grâce  de  Dieu  les  escolles  vont  bien1.  » 

3.  A  partir  de  cette  époque,  il  reste  peu  d'événements  à  si- 
gnaler dans  l'histoire  de  ce  collège.  D'après  les  Lettres  annuelles, 
le  nombre  des  élèves  était  d'environ  cent  quarante,  en  1572. 
Les  deux  années  suivantes,  il  fut  plusieurs  fois  question  de  trans- 
porter le  collège  à  Annecy,  à  cause  de  la  difficulté  qu'on  éprou- 
vait toujours  à  se  procurer  les  ressources  nécessaires  :  «  La"  po- 
pulation, écrivait  le  P.  Athanase,  le  25  août  1574,  reste  peu 
disposée  en  notre  faveur,  parce  qu'elle  voudrait  s'exempter  du 
tribut  levé  par  Son  Altesse;  chaque  fois  qu'il  lui  faut  payer,  elle 
en  rejette  sur  nous  tout  l'odieux.  Dans  ces  conditions,  il  nous 
est  impossible  de  lui  faire  quelque  bien.  Je  ne  crois  pas  que  de 
telles  fondations  soient  selon  l'esprit  de  l'Institut,  qui  veut  que 
nous  enseignions  gratuitement2.  » 

Cette  indisposition  des  habitants  de  Chambéry  à  l'égard  du 
collège  disparut  un  moment,  lorsque,  au  milieu  de  la  disette 
de  1574,  on  vit  les  Pères  s'en  aller  quêter  de  porte  en  porte  et 
distribuer  les  aumônes  aux  plus  nécessiteux.  La  reconnaissance, 
hélas!  ne  fut  pas  de  longue  durée.  Des  ennemis  irréconciliables 
de  la  Compagnie,  dans  le  dessein  d'arrêter  ce  retour  de  l'opi- 
nion publique,  recoururent  pour  dénigrer  les  Jésuites  à  d'ab- 
surdes imputations.  Sans  doute  les  sénateurs  et  autres  personnes 
d'autorité  méprisaient  ces  calomnies  comme  indignes  et  ridi- 
cules; mais  le  bas  peuple,  ainsi  qu'il  arrive  toujours,  les  ac- 
cueillait sans  examen,  et  avec  d'autant  plus  de  crédulité  qu'elles 
étaient  plus  invraisemblables.  Les  tribunaux  refusant  d'enquêter 

1.  Lettre  du  P.  Avantian  au  P.  Général  (Galliae  Epist.,  t.  XII,  fol.  165).  C'est  par 
erreur  que  cette  lettre  a  été  insérée  au  t.  XII;  elle  est  de  1571  et  non  de  1578. 
'2.  Lettre  au  P.  Général  (Galliae  Epist.,  t.  VIII,  f.  281). 


FONDATION  IHT  COLLÈGE  DE  CHAMBÉRY.  487 

sur  les  Causses  dénonciations,  force  fut  de  recourir  au  nonce 
apostolique  à  la  cour  de  Savoie.  Il  ne  s'agissait  pas  de  poursuivre 
les  calomniateurs,  mais  simplement  de  justifier  les  Jésuites  au 
sujet  de  l'impôt  exigé  pour  l'entretien  de  leur  collège1.  On  \ 
arriva  enfin,  et  l'affaire  fut  terminée,  en  1570,  par  un  accord 
entre  le  duc  de  Savoie  et  la  ville  de  Chambéry.  Son  Altesse  se 
chargea  de  pourvoir  désormais  à  tous  les  besoins  de  l'établisse- 
ment, et  les  habitants  furent  exemptés  de  payer  cinq  cents  écus 
pour  la  subsistance  et  l'habitation  des  Pères2. 

Une  autre  difficulté  se  présenta  bientôt.  Madame  de  Saint-Pierre 
voulut  rentrer  en  possession  de  son  immeuble  au  mois  d'août; 
on  fut  pris  au  dépourvu,  sans  aucun  espoir  de  trouver  à  louer  ou 
à  acheter  une  autre  maison  assez  grande.  Grâce  à  l'intervention 
du  nonce  et  du  président  du  sénat,  on  obtint  l'autorisation  de 
garder  la  maison  Pobel  encore  une  année  3.  En  1577,  faute  de 
domicile,  ou  ne  songeait  plus  qu'à  quitter  Chambéry  et  à  dis- 
perser les  Pères  dans  d'autres  collèges,  lorsque  l'hôtel  de  Bres- 
siac  fut  tout  à  coup  mis  en  vente.  Chose  d'autant  plus  surpre- 
nante que  le  propriétaire,  pressenti  quelque  temps  auparavant 
sur  l'achat  de  sa  demeure,  s'était  montré  peu  disposé  à  s'en 
défaire;  *  ce  qui  prouve  bien  que  Dieu,  qui  change  les  cœurs, 
voulait  conserver  dans  cette  ville  une  maison  de  la  Compa- 
gnie. Ainsi,  ce  fut  seulement  douze  années  après  l'ouverture  des 
classes  dans  une  maison  d'emprunt,  que  les  Jésuites  purent 
enfin  organiser  ce  collège  selon  toutes  les  prescriptions  de  leur 
Institut. 

k.  Au  moment  où  la  Compagnie  de  Jésus  s'établissait  à  Avignon 
et  à  Chambéry,  la  ville  de  Lyon,  elle  aussi,  lui  demandait  de 
prendre  la  direction  de  son  collège  de  la  Trinité.  Toutefois  ce  n'est 
pas  à  cette  époque  qu'on  en  eut  la  première  idée  ;  elle  remonte 
beaucoup  plus  haut.  Dès  1556,  les  amis  des  Jésuites  désiraient 
les  voir  s'installer  à  Fourvières  et  desservir  le  sanctuaire  de 
Notre-Dame  '.  Trois  ans  plus  tard,  le  28  novembre  1559.  le 
P.  Louis  du  Coudret  écrivait  de  Lyon  au  P.  Lainez  :  «  Monsieur  de 

1.  Lettres  du  P.  Athanase,  10  el  25  août  1574  (Galliae  EpisL,  t.  VIII,  |>.  280,  281). 
Lettre  du  P.  Creytton,  28  déc.  1574  (Ibid.,  f.  299). 

2.  Lettres  patentes,  5  déc.  1576  (Torino,  Archiv.  di  SLito.  Chambéry.  Jésuites, 
n°3,  fol.  10,  11). 

3.  Lettres  du  P.  Athanase,  12  fév.,  30  sept.  157r,  (Galliae  Epist.,  t-  -V  fol.  193. 
216). 

4.  Papiers  de  Sacchini  (Roma,  Uibliot.  Vitt.  Einman.,  mss.  Gesuilici,  n«  158î   371:: 

5.  Lettre  du  P.  Chanal  à  saint  Ignace  {Epistol.  mi.rlne,  I.  V.  p.  321). 


158  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

• 
Montrottier  '  m'a  «lit  qu'il  s'était  entretenu  du  collège  de  cette 

ville  avec  le  gouverneur  et  le  vicaire  général  de  l'archevêque, 
qu'il  leur  avait  proposé  de  nous  confier  le  soin  des  classes,  que 
tous  deux  avaient  bien  accueilli  ce  projet,  mais  qu'ils  voulaient 
attendre  la  fin  du  conclave  pour  écrire  au  cardinal  de  Tournon. 
Si  la  chose  pouvait  réussir,  ce  serait  une  occasion  de  grands 
fruits  de  salut,  car  je  ne  connais  pas  de  cité  plus  populeuse  et 
qui  ait  plus  besoin  de  secours  spirituel 2.  »  L'année  suivante,  le 
P.  Louis  du  Coudret  eut  à  Vienne  une  entrevue  avec  le  cardinal 
de  Tournon,  archevêque  de  Lyon,  et  sur  son  conseil  se  rendit  dans 
cette  dernière  ville  pour  y  attendre  sa  venue  et  prévoir  les 
moyens  d'un  établissement.  Quand  ils  furent  réunis,  le  cardinal 
proposa  aux  consuls  de  mettre  au  collège  de  la  Trinité  «  cer- 
tains prestres  religieux  nommés  Jésuites,  lesquels,  disait-il,  sont 
propres  pour  instruyre  la  jeunesse  en  bonnes  mœurs  et  religion 
chrestienne,  sans  prendre  aucuns  gages  ni  salaires  ».  Mais  un 
bail  de  trois  ans  liait  la  ville  avec  le  principal  et  les  régents  d'a- 
lors, et  le  consulat  déclara  qu'il  n'avait  moyen  «  d'entretenir 
lesdits  Pères  Jésuites  audit  collège  3  ».  Les  troubles  survenus  en 
1561,  et  qui  continuèrent  plusieurs  années,  ne  permirent  pas  de 
poursuivre  la  réalisation  de  ce  projet.  Il  ne  fut  cependant  pas 
abandonné.  Le  P.  Auger  pendant  son  séjour  à  Lyon,  en  1563  et 
1564-,  traita  plusieurs  fois  de  cette  affaire  avec  le  cardinal  de 
Ferrare,  Hippolyte  d'Esté,  pour  la  seconde  fois  archevêque  de 
Lyon,  puis  avec  Antoine  d'Albon,  archevêque  d'Arles,  appelé 
bientôt  à  le  remplacer4.  Dès  le  commencement  de  1565,  le  nou- 
veau primat  des  Gaules,  préoccupé  des  besoins  de  son  diocèse, 
résolut  de  ne  rien  négliger  pour  faire  réussir  une  entreprise  chère 
à  tous  les  catholiques  5. 

5.  Comme  il  ne  s'agit  pas  d'un  collège  de  fondation  nouvelle, 
il  convient  de  retracer  brièvement  son  histoire  depuis  son  origine 
jusqu'à  la  prise  de  possession  par  les  Pères  de  la  Compagnie  de 
Jésus. 

Le  collège  de  Ja  Trinité,  fondé  en  1519  (i,  devait  son  nom  à 

1.  Jean  de  Vaurelles,  prieur  de  Montrottier.  Le  P.  Polanco  écrit  à  tort  Montpellier 
(Chronicon,  i.  VI,  p.  492). 

2.  Lettre  du  28  novembre  1559  (Galliae  Epist.,  t.  I,  fol.  47). 

3.  Registre  des  délibérations  (Archiv.  comin.,  BB,  82,  fol.  34). 

4.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  de  Borgia,  30  septembre  1503.  Du  même  au  P.  Général, 
11   fév.,  4  juin,  22  mai,  25  sept.  1564  (Galliae  Epist.,  t.   II,  fol.  196,  202,  215,  218 

5.  Begistre  des  délibérations  (Archiv.  comm.,  BB,  84,  fol.  45). 

6.  Registre  des  délibérations  (Archiv.  comm.,  BB,  87,  fol.  14). 


FONDATION  DU  COLLEGE  DE  LYON. 

l'une  des  plus  anciennes  confréries  du  royaume.  La  fête  de  la 
Très  Sainte  Trinité,  qu'on  célébrai!  dès  le  xue  ou  même  dés  le 
V  siècle  dans  quelques  églises  de  France,  fut  adoptée  à  Lyon 
au  commencement  du  xive.  En  1300,  plusieurs  habitants,  d'une 
grande  piété,  s'étant  associés  afin  d'honorer  les  Trois  Personnes 
divines  d'une  dévotion  particulière,  élevèrent  près  du  cimetière 
de  Saint-Nizier  une  chapelle  où  ils  s'assemblaient  régulière- 
ment1. Cette  confrérie,  enrichie  par  le  Saint-Siège  de  nom- 
breuses indulgences  et  devenue,  avec  le  temps,  considérable, 
possédait  en  1493,  grâce  à  de  généreuses  donations,  «  un  grand 
tènement  de  maisons,  granges  et  jardins  »  sur  les  bords  du 
Rhône,  à  l'extrémité  de  la  rue  Neuve.  Ses  membres  y  établirent, 
en  1519,  une  sorte  de  petit  collège  pour  les  enfants  des  ouvriers 
pauvres.  L'enseignement  y  était  gratuit  et  élémentaire;  il  se 
composait  de  la  lecture,  des  éléments  de  la  grammaire  et  de 
l'arithmétique2. 

Jusqu'au  commencement  du  xvie  siècle,  la  ville  de  Lyon  n'a- 
vait eu  que  des  maîtres  d'école.  Les  jeunes  gens  qui  voulaient 
étudier  les  lettres,  la  philosophie  ou  les  langues,  étaient  obligés 
d'aller  à  Paris,  à  Montpellier,  à  Toulouse,  à  Bourges,  même  à 
Pavie  ou  à  Padoue.  En  1527,  François  de  Rohan,  archevêque  de 
Lyon,  Symphorien  Champier,  médecin,  Claude  de  Bellièvre,  avocat 
du  roi  et  plus  tard  premier  président  du  Parlement  du  Dauphiné, 
furent  les  principaux  promoteurs  d'une  organisation  nouvelle  qui 
devait  assurer  à  la  cité  les  bienfaits  de  l'instruction.  Les  douze 
conseillers  échevins  s'entendirent  avec  les  courriers  de  la  confrérie 
de  la  Trinité,  et  ceux-ci  cédèrent  à  la  ville,  en  vue  de  l'érection 
d'un  collège,  les  granges  où  se  tenaient  déjà  les  petites  écoles. 
L'acte,  signé  «  en  l'Hostel-Dieu  du  pont  du  Rhône  »,  nous  apprend 
que  la  cession  fut  entièrement  gratuite  :  les  pieux  fondateurs 
n'imposèrent  pour  conditions  que  la  prière  et  l'exercice  de  la 
charité  chrétienne  3.  Le  collège  confié  à  des  maîtres  séculiers  ne 
fut  d'abord  qu'un  externat,  où  les  écoliers  étaient  admis  moyen- 
nant la  somme  de  deux  sols  six  deniers  par  mois.  Le  13  décembre 
1529,  le  consulat  décida  que  les  enfants  pauvres  seraient  reçus 
gratuitement.  L'installation,  défectueuse  au  début,  s'améliora 
peu  à  peu.  En  1537,  on  éleva  de  nouveaux  bâtiments  «  pour  la 

1.  Cette  chapelle  ayant  été  démolie  en  1562  par  les  calvinistes,  les  associés  se  réu- 
nirent ensuite  dans  l'église  Saint-Nizier. 

2.  Etablissement  de  la  confrérie  de  la  Trinité  (Bibl.  du  Lycée  de  Lyon,  ms.  3051 
Cf.  Monfalcon,  Histoire  monumentale  de  la  ville  de  Lyon. 

3.  Acte  de  fondation  publié  par  Charvet  dans  Etienne  Maiiellange,  p,   lli. 


460  IIISTOIKE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉS1  s. 

demourance    des  maistres,  régens   et   bacheliers,  et  aussi  pour 
loger  les  commensaux  »  ou  pensionnaires  '. 

On  n'avait  pas  toujours  été  très  heureux  dans  le  choix  des 
Principaux  du  collège.  En  1558,  il  se  trouvait  dans  un  état  pi- 
toyable et  presque  sans  écoliers.  On  résolut  alors  de  mettre  à 
sa  tète  un  homme  intelligent,  de  mœurs  irréprochables,  et,  le 
29  septembre,  on  fit  appel  au  dévouement  de  Barthélémy 
Aneau,  qui  accepta  la  charge  pour  quatre  années.  Il  ne  devait 
pas  atteindre  le  terme  de  son  mandat.  Il  passait  pour  enclin  aux 
doctrines  nouvelles,  et  cette  suspicion  lui  devint  funeste.  Le 
5  juin  1561,  jour  de  la  Fête-Dieu,  pendant  la  procession  de  la 
paroisse  de  Saint-Nizier,  un  ouvrier  de  la  religion  réformée  se 
jeta  comme  un  furieux  sur  le  prêtre  qui  portait  le  Saint-Sacre- 
ment, le  lui  arracha  des  mains  et  le  foula  aux  pieds.  Le  même 
jour,  au  moment  où  la  procession  de  Saint-Pierre  sortait  de 
la  rue  Neuve,  une  pierre,  dit-on,  fut  lancée  d'une  fenêtre  du 
collège  et  frappa  un  prêtre  qui  marchait  à  côté  du  dais.  La 
populace,  indignée  de  ces  outrages,  se  précipita  sur  le  collège 
signalé  comme  foyer  de  l'hérésie;  quand  Aneau  se  présenta 
pour  calmer  la  foule  exaspérée,  il  fut  saisi  et  impitoyablement 
massacré2. 

6.  Au  milieu  des  douloureux  événements  dont  la  ville  de  Lyon 
fut  le  théâtre  durant  deux  années,  le  collège  de  la  Trinité  passa 
entre  les  mains  des  calvinistes.  Après  la  défaite  et  l'expulsion  des 
huguenots,  il  ne  fît  que  végéter  dans  une  situation  précaire, 
jusqu'à  sa  fermeture  pendant  la  peste.  Le  chapitre,  qui  avait 
dans  ses  attributions  la  surveillance  de  l'instruction  publique, 

1.  Comptes  du  voyer  Humbert  Gimlire  cités  par  Clerc  :  Le  collège  de  la  Trinité... 
dans  l'Instruction  publique  à  Lyon  avant  1789,  p.  73.  Cf.  Charvet,  op.  cit.,  p.  llfi, 
117. 

2.  «  Aneau,  dit  de  Rubys,  sentoil  mal  de  la  foy.  C'estoit  luy  qui  avoit  semé  l'héré- 
sie à  Lyon  »  {Histoire  de  Lyon,  p.  389).  A  ce  témoignage  on  pourrait  opposer  la  ré- 
ponse que  (it  le  consulat  au  cardinal  de  Tournon,  le  8  octobre  15(30  :  «  11  a  esté  re- 
monstré  au  dit  Sr  Rmc  que  le  principal,  qui  est  présentement  au  dit  collège.  es( 
homme  de  bien,  de  bonnes  mœurs,  savant  et  expérimenté,  religieux  et  catholique, 
qui  instruit  si  bien  la  dite  jeunesse  que  tous  les  habitans  de  la  dite  ville,  qui  ont  en- 
fans  au  dit  collège,  en  ont  grand  contentement  et  que  ce  seroit  un  dommage  grand 
et  irréparable  pour  la  jeunesse  qui  est  à  présent  au  collège  de  le  changer  ou  y  en 
mettre  un  autre»  (Archiv.  commun.,  BB,  82,  fol.  54).  D'un  autre  côté,  on  trouve  aux 
archives  départementales  une  attestation  authentique,  de  1574,  touchant  le  collège  de 
la  Trinité,  dans  laquelle  il  est  dit  :  «  Notre  jeunesse,  qui  par  longues  années,  avoil 
été  pervertie  et  de  mœurs  et  de  religion  en  icelui  collège  »  (Allut,  Recherches  sur 
le  P.  Menestrier,  p.  (î).  Pour  nous  il  n'est  pas  douteux  que  les  consuls  de  15G0  ne 
fussent,  comme  Aneau,  des  partisans  secrets  de  l'hérésie.  Leur  certificat  de  bon  calho* 
ligue  délivré  au  Principal  de  la  Trinité  n'était  qu'un  moyen  d'écarter  les  Jésuites. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  LYON.  ici 

ne  pouvait  manquer  de  se  préoccuper  de  la  ruine  de  cet  établis- 
sement. Mais  à  qui  en  confier  désormais  la  direction?  Le  consulat 
venait  d'être  témoin  des  éminents  services  rendus  à  la  ville  par 
le  P.  Auger  pendant  la  dernière  peste,  et  l'archevêque,  Antoine 
d'Albon,  se  rappela  les  instances  du  cardinal  de  Tournon,  son 
prédécesseur,  en  faveur  des  Jésuites.  Ils  se  décidèrent  à  ouvrir 
les  portes  du  collège  à  la  Compagnie  de  Jésus,  et  à  en  faire  «  un 
arsenal  sacré  pour  la  défense  de  la  foy  et  la  confusion  des  héré- 
tiques '  ».  Le  24  janvier  1505,  Jean  Cyberand,  custode  de  Sainte- 
Croix  et  officiai  de  la  Primatiale,  exposa  au  chapitre,  de  la  part 
de  l'archevêque  dont  il  était  aussi  le  grand  vicaire,  «  qu'il  seroit 
besoing  d'establir  ung  bon  colleige  dans  cette  ville  et  qu'il  a 
esté  prié  par  MM.  les  eschevins  de  choisir  les  Jésuites  à  cet  effet, 
mais  qu'il  n'a  voulu  l'entreprendre  à  l'insu  et  sans  le  vouloir  du 
chapitre'2  ».  Cette  demande  fut  agréée,  et  le  27  janvier,  d'après 
une  note  remise  par  le  P.  Auger  sur  «  les  charges  que  font  les 
Jésuites  dans  les  villes  et  lieux  où  ils  ont  des  maisons  »,  les 
chanoines  décidèrent  qu'un  revenu  annuel  de  deux  cents  livres 
leur  serait  accordé.  Cette  allocation  était  bien  modique  pour  un 
collège  qui  manquait  de  tout,  par  suite  de  l'état  de  délabre- 
ment où  il  se  trouvait3.  Le  30  avril,  le  P.  Auger  demanda  une 
augmentation,  mais  le  chapitre  répondit  «  qu'il  jugeoit  convena- 
ble, avant  de  passer  outre,  d'en  référer  au  Révérendissime  Ar- 
chevêque'1 ». 

Informés  des  démarches  qui  avaient  été  failes  auprès  du 
P.  Auger,  les  calvinistes  de  Lyon  tentèrent  de  s'opposer  de  toutes 
leurs  forces  au  succès  de  l'entreprise.  Le  collège,  prétendaient- 
ils,  a  été  fondé  des  deniers  de  la  ville  et  pour  le  bien  public;  il 
doit  être  commun  à  tout  le  monde.  Comment  donc  a-t-on  pu 
concevoir  la  pensée  de  le  donner  aux  Jésuites?  N'est-ce  pas  vou- 
loir en  exclure  nos  enfants,  que  de  le  confier  à  des  gens  qu'on 
sait  être  les  adversaires  les  plus  déclarés  de  la  nouvelle  réfor- 
mation? —  Malgré  les  protestations  des  novateurs,  les  magistrats 
de  la  ville  persistèrent  dans  leur  projet,  mais  avec  l'intention  de 
conserver  la  propriété  du  collège. 

Le  1er  mai   1505,  à  la  suite  d'une  délibération,    remplie  de 

1.  Archives  commun.,  RB,  83,  fol.  40;  84,  Col.  45\ 

2.  Délibérations  du  chapitre  de  la  cathédrale.  156'»  5,  24  janvier  (Archives  du 
Rhône). 

3.  Ibid.,  Délibération  du  27  janvier. 

i.  Ibid.,  Délibération  du  30  avril.  Cf.  Archives  commun,  de  Lyon,  Blî,  8i,  fol.  45*. 
Arcliiv.  du  Rhône,  D,  2,  fol.  1. 


462  HISTOIRE  DE  \A  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

considérants  sur  la  nécessite'1  d'un  enseignement  catholique,  le 
consulat  décida  que  «  le  collège  serait  remis  et  dressé  pour  servir 
de  séminaire  à  la  jeunesse,  sous  la  charge,  direction  et  conduite 
de  docteurs  et  régens  de  l'Ordre  du  nom  de  Jésus  ».  Mais  au  lieu 
de  huit  cents  livres  tournois,  donnés  annuellement  aux  ancieus 
maîtres,  on  n'en  assigna  plus  que  quatre  cents,  «  et  ce  tant  et  si 
longuement  que  la  commodité  de  la  ville  le  pourra  porter1  ». 
Le  même  jour,  les  clefs  du  collège  furent  remises  «  par  manière 
de  provision  »  au  P.  Àuger,  pour  deux  années  seulement;  car  il 
avait  déclaré  qu'il  ne  pouvait  prendre  un  engagement  définitif 
sans  l'autorisation  du  Pape  et  du  P.  Général2. 

Une  occasion  favorable  se  présentait  d'obtenir  promptement 
cette  double  approbation.  Le  P.  Auger,  en  sa  qualité  de  Provin- 
cial d'Aquitaine,  allait  se  rendre  à  Rome  et  assister  à  la  congré- 
gation générale  convoquée  pour  le  28  juin,  afin  d'élire  un  suc- 
cesseur au  P.  Jacques  Lainez.  Les  consuls  lui  confièrent,  à  l'a- 
dresse du  Souverain  Pontife,  une  lettre  dans  laquelle  ils  priaient 
Sa  Sainteté  d'appuyer  leur  projet  de  fondation  et  d'étendre  ses 
libéralités  sur  le  nouveau  collège.  Le  15  août  1565,  le  Pape  Pie  IV 
répondit  à  ses  «  très  chers  fils  les  consuls  et  les  conseillers  de  la 
ville  de  Lyon  »  par  un  bref  de  félicitations,  où  il  les  encourageait 
dans  leur  fidélité  au  Saint-Siège  et  leur  résolution  de  conserver 
pure  et  intacte  la  religion  de  leurs  aïeux  :  «  Nous  louons  beau- 
coup, leur  écrivait-il,  votre  intention  d'abandonner  le  soin  de 
votre  collège  aux  professeurs  de  la  Compagnie  de  Jésus;  car 
Nous  apprenons  tous  les  jours  que  les  prêtres  de  cette  Compa- 
gnie, en  tous  les  lieux  où  ils  résident,  s'appliquent  avec  diligence 
au  salut  des  âmes,  et  le  font  avec  fruit  autant  par  l'exemple  de 
leur  vie  que  par  leurs  discours.  Et  c^est  ce  que  nous  éprouvons 
Nous-même  dans  notre  bonne  ville  de  Rome;  ce  qui  Nous  a  porté 
à  leur  laisser  plus  volontiers  la  conduite  du  séminaire  que  Nous 
avons  tout  récemment  établi,  suivant  le  décret  du  saint  concile 
de  Trente.  Quant  à  ce  que  vous  Nous  écrivez,  que  les  revenus  du 
collège  ne  sont  pas  suffisants,  s'il  se  présente  quelque  occasion 
de  les  augmenter,  Nous  ferons  en  sorte  de  contenter  sur  ce  point 
votre  inclination  suivant  le  rapport  que  Nous  en  fera  le  P.  Émond 
Auger3.  » 

1.  Délibérations  du  3<>  avril  el  du  l"  mai  1565  (Archiv.  comin.  de  Lyon,  Registres 
consulaires).  Arcliiv.  du  Rhône,  D,  2,  fol.  2j  E,  2286,  n°  3. 

2.  Extrait  des  actes  de  la  Sénéchaussée,  I"  mai  1565  (Archiv.  du  Rhône). 

3.  Lettre  du  pape  aux  consuls  (Archiv.  commun,  de  Lyon,  GG,  XX,  101,  n.  i). 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  LYON.  463 

7.  De  retour  à  Lyon,  le  I*.  Provincial  installa  comme  premier 
Kecteur  le  P.  Guillaume  Creytton,  écossais  d'origine1,  qu'il  avaii 
amené  de  Rome  avec  le  P.  Pierre  Perpinien2,  auquel  était  ré- 
servée la  chaire  d'Écriture  Sainte.  Le  3  octobre3,  les  Jésuites  ou- 
vrirent solennellement  les  classes  en  présence  de  l'archevêque, 
du  gouverneur,  François  de  Mandelot,  des  conseillers  catholiques 
et  de  tout  ce  que  la  ville  comptait  de  gens  de  lettres  et  de  sa- 
vants distingués.  Le  P.  Perpinien  prononça,  à  cette  occasion,  une 
harangue  latine  sur  l'obligation  de  conserver  l'ancienne  religion, 
De  retinenda  veleri  religione  ad  Luydunenses,  sujet  plein  d'a- 
propos  qui  lui  avait  été  conseillé  par  le  P.  Auger.  Ce  discours, 
d'une  éloquence  cicéronienne,  produisit  une  si  grande  impres- 
sion, que  l'archevêque  voulut  le  faire  traduire  et  imprimer4.  Les 
cours  commencèrent  aussitôt  après.  Comme  on  l'avait  promis, 
quatre  régents  furent  chargés  d'enseigner  la  grammaire,  un  cin- 
quième, le  P.  Gilles,  la  rhétorique.  Le  P.  Perpinien  faisait  publi- 
quement, trois  fois  par  semaine,  sur  l'Ecriture  Sainte,  des  leçons 
latines  auxquelles  l'archevêque  venait  parfois  assister  avec  quel- 
ques membres  du  clergé;  mais,  malgré  le  talent  du  professeur, 
ce  dernier  cours  ne  réunit  jamais  plus  d'une  vingtaine  d'audi- 
teurs '.  Les  classes  de  grammaire  et  de  rhétorique  étaient  au  con- 
traire très  fréquentées,  et  le  consulat  ne  pouvait  que  s'applaudir 
de  la  mesure  qu'il  avait  prise. 

Les  Jésuites  étaient  loin  d'être  aussi  satisfaits,  car  l'état  maté- 
riel du  collège  laissait  beaucoup  à  désirer;  ils  furent  obligés 
d'emprunter  huit  cents  francs  pour  le  meubler.  «  Dieu,  lisons- 
nous  dans  un  ancien  manuscrit,  inspira  [à]  quelques  gens  de 
bien  [de]  les  aider,  voyant  qu'ils  n'avaient  ni  moyens  ni  amis  pour 
vivre,  et  spécialement  un  certain  Pierre  Frère G,  lequel  apporta 
au  P.  Creytton  trente  doubles  ducats,  disant  qu'il  le  rendroit  s'il 
se  pouvoit  faire,  autrement  qu'il  priât  Dieu  pour  lui;  et  étant 
marchand  de  toile  nous  pria  de  prendre  de  sa  boutique  toutes 

1.  «  D'une  noble  famille  d'Ecosse  »,  dit  le  Mênologe  S.  /.,  Germanie,  B.  I,  567. 

2.  Voir  livre  II,  c.  m,  n.  5. 

3.  Et  non  le  3  août,  comme  le  disent  presque  tous  les  historiens.  Une  lettre  de 
Rome  du  14  aoiït  annonce  le  départ  du  P.  Perpinien  pour  le  16.  Le  P.  Perpinien  lui- 
même  écrit  qu'il  avait  commencé  la  composition  de  son  discours  d'entrée  le  22  sep- 
tembre et  qu'il  le  prononça  le  3  octobre  :  «  V  non.  octobr.  » 

4.  Mémoires  histor.  et  apolog.  du  P.  de  la  Vie,  mss.  Extraits  (Archiv.  Prov.  de 
France). 

5.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Général,  20  janvier  15(5(5  (Galliae  Epist.,  t.  III,  toi.  113). 
Cf.  Bibl.  de  l'Ecole  de  Médecine  de  Montpellier,  mss.  H,  n"  25(5.  Indes  decimus  du 
«  Lugdunum  sacroprophauum  »  du  P.  Bullioud,  fol.  122,  123. 

6.  Pierre  Frère  était  consul  en  15(57. 


464  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

sortes  de  toiles  à  nous  nécessaires  pour  linceuls,  chemises  et 
autres  choses,  comme  nous  finies  longtemps,...  et  par  la  grâce 
de  Dieu  il  fut  payé  de  ses  trente  doublons  et  de  sa  toile  quelques 
années  après1.  » 

On  ne  lira  pas  sans  intérêt  la  description  du  collège  de  la  Tri- 
nité (pie  le  P.  Perpinien  adressait,  au  mois  de  décembre  1565,  au 
P.  Barthélémy  à  Rome  :  «  L'office,  la  cuisine  et  la  salle  à  manger 
sont  contiguës  et  disposées  dans  l'ordre  que  je  viens  d'indiquer... 
Ces  trois  pièces  sont  très  vastes,  fort  belles  et  bien  lambrissées, 
telles  en  un  mot  que  je  vous  en  souhaiterais  à  Rome.  Le  vin  se 
garde  dans  une  cave  placée  sous  la  salle  à  manger  qu'elle  égale 
en  grandeur. 

«  Les  chambres  à  coucher  sont  assez  grandes  et  trop  nombreuses 
pour  nous,  car  nous  ne  sommes  que  douze,  avec  un  nombre  à  peu 
près  égal  de  pensionnaires,  dont  plusieurs  appartiennent  aux 
premières  familles  de  la  ville.  Dans  chaque  chambre  à  coucher 
est  placée,  selon  l'usage  de  France,  une  bibliothèque  fermée  et 
couverte  de  boiserie,  longue  de  neuf  à  dix  palmes,  large  de  sept 
à  huit,  et  un  peu  plus  haute  que  large.  On  dirait  une  petite  cham- 
bre enfermée  dans  la  grande.  Dans  l'intérieur  se  trouve  une 
table,  et  les  parois  sont  garnies  d'étagères  bien  disposées.  En 
sorte  que,  dans  un  espace  étroit,  vous  pouvez  avoir  un  assez  bon 
nombre  de  livres;  vous  pouvez  lire,  écrire,  méditer,  à  votre 
aise.  C'est  là  que  nous  allons  nous  blottir,  pour  conserver  plus  de 
chaleur  pendant  l'étude,  non  seulement  à  nos  esprits,  mais 
aussi  à  nos  corps;  car  ici,  mon  cher  Barthélémy,  il  n'y  a  rien  de 
plus  essentiel  que  de  se  tenir  non  pas  tant  l'esprit  que  le  corps 
bien  chaud;  vous  pouvez  m'en  croire  sur  parole.  Aussi,  dans  la 
chambre  la  plus  vaste  et  la  mieux  décorée,  celle  probablement 
du  Principal  et  qu'occupe  aujourd'hui  le  P.  Auger,  on  avait 
tracé  sur  le  mur  cette  inscription  :  Intus  vinum,  foris  ignis.  Mais 
l'auteur  de  cette  devise  était  un  homme  plongé  dans  la  chair; 
nous,  dont  les  pensées  doivent  se  diriger  vers  l'éternité,  nous 
aurions  ordonné  de  mettre  ces  mots  :  Intus  preces,  foris  labor} 
deux  excellents  préservatifs  contre  la  rigueur  du  froid. 

«  Les  classes  sont  au  nombre  de  cinq.  Celle  des  rhétoriciens 
et  des  théologiens  me  parait  mieux  ornée  que  les  vôtres.  Il  y  a 
deux  cours;  dans  l'une  d'elles  se  trouve  un  puits  d'excellente  eau, 
alimenté  sans  doute  par  les  infiltrations  du  fleuve   voisin.  Car 

1.  Cité  dans  De  Perpiniani  cita  et  operiOus,  p.  42. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  LYON.  40;; 

une  partie  de  la  ville  s'allongeant  entre  le  Rhône  et  la  Saône,  le 
collège  de  la  Trinité  se  trouve  placé  au  milieu  de  la  ligne  qui  en 
mesure  la  longueur,  et  à  l'extrémité  de  celle  qui  en  détermine  la 
largeur  sur  la  rive  du  Rhône.  Aussi,  de  la  cour,  et  à  plus  forte 
raison  des  chambres,  jouit-on  de  la  vue  admirable  du  fleuve, 
qui  coule  avec  tant  de  rapidité  que,  malgré  l'aplatissement  de 
son  lit,  on  entend  d'ici  le  bruit  de  ses  flots.  On  aperçoit  des  bar- 
ques qui  descendent,  et  au  delà,  une  immense  étendue  de  plaine 
terminée  par  la  chaîne  des  Alpes.  Du  sommet  de  notre  tour,  qui 
s'élève  à  une  grande  hauteur,  on  découvre  encore  toutes  les 
maisons  et  les  rues  de  la  ville;  de  sorte  que,  si  vous  venez  un  jour 
nous  rendre  visite,  vous  manquerez  plutôt  de  manger  que  de 
voir1 » 

Le  trait  final  montre  assez  que  la  sainte  pauvreté  présidait 
en  souveraine  à  ces  pénibles  débuts.  Les  professeurs  n'en  consa- 
craient pas  moins  tous  leurs  soins  à  l'éducation  et  à  l'instruction 
de  la  jeunesse,  tandis  que  le  P.  Auger  continuait  ses  œuvres  de 
zèle  auprès  de  toutes  les  classes  de  la  société.  «  On  ne  sçauroit 
voir  un  plus  grand  concours  de  monde  que  celuy  qu'il  y  a  aux 
sermons  du  P.  Émond,  écrivait  le  P.  Perpinien  à  Pompée  Mar- 
salle  son  ami;  non  seulement  les  catholiques,  mais  encore  les 
hérétiques  y  viennent  avec  empressement.  On  ne  peut  dire  aussi 
combien  est  grand  le  crédit  qu'il  a  dans  toute  la  ville,  où  il  porte 
toutes  sortes  de  personnes  à  la  pratique  de  la  vertu,  avec  une 
espèce  d'empire  et  d'autorité.  Hien  ne  se  fait  icy  sans  sa  parti- 
cipation; les  affaires  ecclésiastiques  surtout  se  concluent  presque 
par  son  seul  avis,  de  sorte  que  le  nom  de  Jésuite,  qui  nous  est 
commun  maintenant  en  France  et  en  Allemagne,  luy  est  attribué 
singulièrement,  et  quand  on  parle  de  luy  on  croit  l'avoir  suffi- 
samment désigné  en  le  nommant  le  Jésuite^.  »  Il  ne  manquait 
pas  d'ouvrage,  car  les  ministres  Viret  et  Ruffin  poursuivaient  leur 
propagande  calviniste  avec  une  insolence  qui  devint  bientôt  in- 
supportable. Ainsi,  quand  on  apprit  que  Malte  était  assiégée  par 
les  Turcs,  ils  ordonnèrent  des  jeûnes  et  des  prières  publiques 
pour  obtenir  que  le  ciel  bénit  les  armes  des  infidèles  :  «  Mieux 
valait,  disaient-ils,  que  Malte  fût  soumise  aux  Mahométaus  qu'à 
des  idolâtres  comme  les  catholiques  romains.  »  On  conçoit  l'in- 
dignation  que   de  telles  paroles  soulevèrent  dans  la  ville.    Le 


1.  Perpiniani  Epistolae,  t.  III,  Epist.  XXI  n   121 
">■  Ibid.,  Epist.  XXIII. 


COMP\GNIE    DE   JÉSUS.    —   T.    I. 


3d 


406  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

P.  Auger  entreprit  d'en  faire  sortir  les  ministres,  et  il  y  réussit  : 
un  édit  du  roi  envoya  en  exil  ces  hommes  pernicieux1. 

8.  Le  collège  de  la  Trinité  n'avait  été  confié  aux  Jésuites  qu'à 
titre  d'essai,  pour  deux  années  seulement.  Ce  temps  écoulé,  le 
P.  Provincial  déclara  qu'il  ne  pouvait  plus  s'en  charger,  si  la  ville 
ne  consentait  à  le  remettre  en  don  perpétuel  à  la  Compagnie. 
Cette  déclaration  souleva,  au  sein  du  conseil,  de  graves  débats  de 
la  part  de  quelques  échevins  calvinistes.  Malgré  leurs  protesta- 
tions, le  consulat,  où  les  Jésuites  comptaient  de  nombreux  amis, 
consentit  à  la  cession  sollicitée.  Le  dimanche  li  septembre  1507, 
fut  signé,  dans  le  bureau  de  l'hôpital  du  Pont  du  Rhône,  l'acte 
qui  confiait  d'une  manière  définitive  le  collège  de  la  Trinité  aux 
Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Cet  acte,  dressé  par  Benoit  Du- 
troucy,  notaire  royal  et  commis  au  secrétariat  de  la  ville,  est  assez 
diffus.  Après  un  long  préambule,  résumé  historique  de  la  fonda- 
tion du  collège,  viennent  les  clauses  essentielles  :  Les  bâtiments 
«  avec  leurs  appartenances  »  sont  abandonnés  à  perpétuité  aux 
Jésuites;  —  ceux-ci  devront  «  établir  et  entretenir  en  iceluy 
collège  un  recteur  et  principal  accompagné  de  personnes  doctes 
et  idoynes  de  leur  profession,  en  nombre  suffisant  pour  régenter 
la  jeunesse  en  tous  arts  libéraux...  endoctriner  en  toute  piété  et 
en  la  foi  catholique  tous  les  dits  écoliers,  soit  de  la  ville  ou  étran- 
gers, portionistes  et  antres  qui  viendront  audit  collège,  le  tout 
gratuitement  et  selon  leurs  sainctes  doctrines  et  ordonnances  »  ; 
—  le  traitement  accordé  par  les  échevins  sera  «  une  pension  et 
provision  annuelle  de  huit  cents  livres  tournois;...  en  outre, 
demeureront  au  profit  dudit  collège  tous  fruits  et  revenus  tem- 
porels et  legs  qui  auront  été  donnés  par  le  corps  des  habitants 
de  ladite  ville  » . 

L'accord  se  terminait  par  cette  clause,  source  dans  l'avenir 
de  longues  discussions  entre  les  échevins  et  les  Jésuites  :  «  Les- 
dits  sieurs  contractants  ont  convenu  et  arresté  que  chacun  an  à 
perpétuité,  au  jour  et  feste  de  la  saincte  Trinité...  ledit  recteur 
présentera  le  cierge  de  cire  blanche  avec  les  armoiries  de 
la  ville,  durant  le  service  divin  auquel  assisteront,  si  bon  leur 
semble,  les  seigneurs  conseillers  et  échevins  qui  seront  pour 
lhors...  et  le  même  jour  sera  leu,  en  leur  présence,  le  présent 
contract    de   fondation,    pour    mémoire    des    clauses    et   condi- 

1.  Perpiniani  Epistolac,  t.  111,  Epist,  XXIII. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  LYON.  467 

tions  y  apposées  et  confirmation  des  promesses  réciproques1.  » 
Au  moment  de  la  ratification  de  l'acte  du  14  septembre,  le 
P.  Auger  demanda  le  retrait  de  ce  dernier  article;  le  consulat 
ne  voulut  consentira  aucune  modification'2.  Le  contrat  fut  donc 
ratifié  purement  et  simplement,  en  l'Hôtel  de  Ville,  puis  con- 
firmé par  Charles  IX  au  mois  de  septembre  15683. 

9.  En  1569,  une  certaine  ordonnance  du  «  chef  de  la  justice'1  » 
souleva  contre  le  collège  de  la  Trinité  une  tempête  qui  fut  heu- 
reusement de  courte  durée.  Comme  la  foi  d'un  grand  nombre 
était  chancelante,  et  que  les  hérétiques  dissimulaient  leurs  senti- 
ments, ce  sage  magistrat,  afin  de  sauvegarder  la  jeunesse,  avait 
enjoint  à  tous  les  maîtres  de  pension  de  conduire  leurs  écoliers, 
sauf  les  abécédaires,  au  collège  de  la  Compagnie,  pour  l'ensei- 
gnement des  lettres  et  du  catéchisme.  Cette  décision  blessa  au 
vif  les  pédagogues'.  A  l'instigation  vraisemblablement  des 
huguenots,  ils  se  répandirent  en  reproches  et  en  calomnies,  pré- 
tendant que  les  Jésuites  voulaient  être  les  seuls  maîtres  de  la 
jeunesse  dans  la  ville.  A  les  entendre,  non  seulement  on  offensait 
leur  honneur,  mais  on  nuisait  à  leurs  intérêts;  cependant,  ajou- 
taient-ils, chez  les  Jésuites  il  y  a  bien  des  professeurs  qui  pour- 
raient s'asseoir  sur  les  bancs  des  écoliers;  de  plus,  leur  collège 
est  une  maison  peu  commode  pour  y  rassembler  des  enfants  de 
toute  la  ville;  enfin  leur  division  des  classes  est  mal  ordonnée 
et  peu  favorable  aux  études.  —  Ils  formulèrent  tous  leurs  griefs 
dans  un  mémoire  qui  fut  remis  aux  magistrats". 

Le  Père  Creytton,  avec  un  ou  deux  autres  Pères  et  les  auteurs 
de  la  requête,  furent  assignés  à  comparaître  devant  le  conseil 
de  ville.  Trente  à  trente-deux  pédagogues  répondirent  à  la  con- 
vocation :  «  Puisque  entre  nous  et  les  pédagogues,  dit  le  P.  Creyt- 
ton, il  s'agit  d'une  question  qui  touche  à  l'enseignement,  il  me 
semble  bon  qu'elle  soit  traitée  en  latin.  Que  Messieurs  les  péda- 
gogues commencent  donc  par  exposer  leurs  accusations;  nous 
leur  répondrons  ensuite.  »  Cette  proposition  parut  raisonnable 

1.  Premier  contrat  (Arcliiv.  comm.,BB,  87,  fol.  1  i-20  ;  Archiv.  du  Rhône,  n.  2,  n.  6). 

2.  Acte  de  ratification  du  contrat  (Archiv.  du  Rhône,  D,  2,  n.  6).  L'acte  de  ratifica- 
tion est  du  8  janvier  1568. 

3.  Patentes  de  Charles  IX  (Archiv.  du  Rhône,  D,  2,  n.  7).  Epislol.  P.  Xculal,  t.  III. 
I".  620. 

4.  «  Il  présidente  délia  ^iusticia  »,  écrit  le  P.  Creytton. 

b.  Lettre  du  P.  Creytton  au  P.  Général,  28  mars  1569  (Gall.  Eriist.,  t.  IV,  f.  35,  36. 

6.  Sacchini.  Hist.  Soc,  P.  III,  1.  V,  n.  135,  137. 

7.  Lettre  du  P.  Creytton  déjà  citée. 


468  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

au  président,  et  il  donna  la  parole  auK  pédagogues.  Soit  scru- 
pule de  conscience,  soit  que  le  plus  grand  nombre  ignorât  le 
contenu  de  la  requête,  soit  tout  autre  motif,  ils  n'osèrent  même 
pas  ouvrir  la  bouche  pour  répéter  leurs  accusations;  quelques- 
uns,  au  contraire,  firent  l'éloge  de  la  discipline  et  de  l'enseigne- 
ment du  collège.  On  eut  beau  les  interroger  les  uns  après  les 
autres,  et  leur  demander  s'ils  n'avaient  pas  à  faire  quelques  récla- 
mations, il  ne  s'en  trouva  pas  un  seul  qui  n'avouât  qu'il  n'avait 
aucun  motif  de  plainte  l. 

Alors  le  Père  Recteur  demanda  au  président  la  permission  de 
répondre  à  quelques-uns  des  griefs  formulés  dans  la  requête. 
«  Et  d'abord,  dit-il,  on  se  plaint  de  notre  esprit  dominateur.  Ce 
n'est  pas  à  moi  qu'il  appartient  de  répondre  sur  ce  point,  mais  à 
vous,  messieurs  les  magistrats,  qui  pouvez  donner  les  raisons  de 
votre  ordonnance;  nous  nous  sommes  soumis  pour  le  bien  de  la 
religion  au  surcroit  de  travail  qui  nous  était  imposé,  certains 
d'ailleurs  que  si  votre  décision  nuit  à  l'honneur  ou  aux  intérêts 
de  quelques  personnes,  vous  y  avez  pourvu  vous-mêmes.  J'at- 
teste pour  ma  part  que  nous  n'avons  jamais  désiré  cet  état  de 
choses,  et  vous  pouvez  témoigner  que  jamais  on  ne  vous  l'a  de- 
mandé en  notre,  nom.  —  On  se  plaint  aussi  de  l'exiguïté  du  local 
et  de  la  situation  du  collège.  Ce  n'est  pas  encore  à  nous  qu'il  faut 
s'en  prendre  sur  ce  point,  mais  aux  consuls  et  aux  magistrats  de 
la  cité  :  nous  habitons  où  vous  nous  avez  logés,  nous  usons  du 
collège  que  vous  nous  avez  donné,  nous  enseignons  là  où  vous 
l'avez  voulu2.  » 

Le  P.  Pioneau,  préfet  des  études,  défendit  à  son  tour  la  division 
des  classes  et  les  méthodes  d'enseignement.  11  parla  d'impro- 
visation, mais  avec  tant  de  facilité  et  d'à-propos,  qu'il  ravit 
le  président  et  toute  l'assemblée3.  Quand  il  eut  fini,  le  pré- 
sident fil  l'éloge  de  la  Compagnie,  recommanda  son  Institut, 
rappela  l'utilité  de  ses  œuvres  et  montra  combien  elle  était  né- 
cessaire à  pareille  époque.  Puis,  se  tournant  vers  les  Pères,  il 
leur  demanda  de  travailler  toujours,  comme  ils  faisaient,  au 
bien  public,  sans  avoir  rien  à  craindre  des  détracteurs.  Enfin  il 
adressa  de  graves   reproches  aux  auteurs  de  la   requête  et  les 

1.  Lettre  du  P.  Creyllon. 

2.  Le  P.  Creytlon  dans  sa  lettre  déjà  citée  ne  fait  que  résumer  ses  réponses.  Le 
P.  Sacchini  (/.  c.)  auquel  nous  empruntons  ce  passage  aura  eu  entre  les  mains  un 
document  plus  développé,  tel  que  celui  que  nous  citons  plus  loin  pour  un  cas  à  peu 
près  semblable. 

3.  Lettre  du  P.  Creytton. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  LYON.  469 

menaça  de  châtiments,  s'ils  s'avisaient  de  renouveler  leurs  tra- 
casseries1. 

10.  En  1571  le  P.  Possevin,  qui  avait  succédé  au  P.  Creytton 
comme  Recteur  du  collège,  essaya  de  faire  modifier,  dans  la 
forme,  la  clause  imposée  par  la  ville  au  contrat  de  1567,  tou- 
chant la  lecture  de  l'acte  de  fondation,  chaque  année,  le  dimanche 
de  la  Trinité.  Quand,  ce  jour-là,  le  corps  consulaire  se  rendit  à  la 
chapelle  du  collège,  il  trouva  la  messe  déjcà  commencée.  Les 
échevins  prof  estèrent2;  les  Pères  invoquèrent  la  dignité  du  ser- 
vice divin,  en  faisant  remarquer  qu'il  ne  convenait  pas  de  l'in- 
terrompre par  la  lecture  d'actes  profanes  et  purement  civils. 
Grâce  à  l'intervention  du  gouverneur,  M.  de  Mandelot,  une  tran- 
saction eut  lien,  le  6  août,  entre  les  citoyens  de  Lyon  et  les  Pères 
de  la  Compagnie  de  Jésus.  Sans  rien  enlever  aux  droits  du  con- 
sulat, elle  en  rendit  l'exercice  moins  rigoureux.  Désormais,  la 
lecture  de  l'acte  de  fondation  se  ferait  avant  la  messe,  dans  la 
chambre  du  P.  Recteur,  devant  les  échevins  dûment  convoqués; 
et  pour  perpétuer  la  mémoire  de  la  fondation,  l'acte  rédigé  et 
signé  par  le  secrétaire  de  la  ville  serait  placé  en  un  tableau  ap- 
parent. Quant  au  cierge  de  cire  blanche,  on  continuerait  à  l'offrir 
à  l'église  en  la  forme  usitée^. 

Le  contrat  du  6  août  1571,  ratifié  le  30  du  même  mois  par  le 
P.  Possevin  muni  d'une  procuration  du  P.  Général,  complétait 
avec  quelques  modifications  celui  du  14  septembre  1567.  Afin  de 
prévenir  de  nouvelles  difficultés,  on  y  expliqua  très  nettement 
les  circonstances  dans  lesquelles  le  collège  avait  été  confié  à  la 
Compagnie,  ainsi  que  les  droits  et  les  devoirs  des  parties  contrac- 
tantes. On  y  fixa  aussi,  avec  plus  de  précision,  le  plan  des  études. 
Les  Pères  devaient  avoir  une  classe  élémentaire,  deux  de  gram- 
maire, une  d'humanités,  «  outre  lesquelles  leçons,  il  y  aura  lec- 
ture et  instruction  de  l'art  oratoire  ou  rhétorique,  avec  une  vraie 
méthode  de  dialectique,  quelque  partie  de  l'année  ».  De  plus  ils 
feront  «  lire  et  apprendre  le  catéchisme  et  principaux  points  de 
la  sainte  religion  aux  écoliers,  et  seront  tenus  de  faire  que  la 
jeunesse  ait  à  jamais,  avec  les  lettres,  l'instruction  en  la  vraye  et 
solide  religion  catholique4  ». 

1.  Sacchini,  l.  c. 

2.  L'acte  de  leurs  protestations  se  trouve  dans  les  Registres  consulaires,  10  juin 
1571  (Archiv.  coram.  de  Lyon,  BB,  80,  f.   112"). 

3.  Transaction  du  6  août  1571  (Archiv.  comm.,  BB,  89,  fol.  160). 

4.  Ibidem. 


470  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Un  peu  plus  tard,  pour  compenser  la  modicité  des  revenus  an- 
nuels, la  ville  alloua  au  collège,  outre  les  huit  cents  livres  du 
contrat,  des  franchises  d'octroi  d'une  valeur  de  quinze  cents 
livres.  A  cette  somme  il  faut  encore  ajouter,  parmi  les  fonds  as- 
signés aux  Jésuites  dans  les  débuts,  une  rente  de  deux  cents 
livres  faite  par  l'archevêque1  et  une  autre  semblable  promise  par 
le  chapitre  «  à  titre  d'aumônes2  ».  Avec  ces  subsides  et  le  dévoue- 
ment de  ses  nouveaux  maîtres,  le  collège  de  la  Trinité  devint  en 
peu  de  temps  très  prospère,  quoique  le  nombre  des  élèves  fût 
plus  considérable  dans  les  basses  classes  que  dans  les  cours  su- 
périeurs. 

Rien  n'avait  été  déterminé,  dans  les  différents  accords  avec  l'é- 
chevinage,  sur  la  question  des  pensionnaires.  Les  Jésuites  les 
avaient  admis  au  début,  quand,  sous  la  domination  protestante, 
la  jeunesse  se  trouvait  exposée  à  tomber  entre  les  mains  de  péda- 
gogues pervertis3.  Vers  1574,  ce  danger  ayant  disparu,  ils  réso- 
lurent de  s'en  décharger,  conformément  à  l'esprit  de  l'Institut  et 
aux  recommandations  formelles  de  la  congrégation  générale  réu- 
nie à  Rome  au  mois  de  mai  15734.  Mécontents  de  cette  mesure, 
bon  nombre  de  pères  de  famille  adressèrent  au  corps  municipal 
des  pétitions,  où  ils  se  plaignaient  de  la  décadence  des  études  et 
de  la  mauvaise  éducation  donnée  à  leurs  enfants.  Les  Jésuites 
n'eurent  pas  de  peine  à  prouver,  devant  le  consulat,  que  ces  re- 
proches n'étaient  pas  fondés.  Les  régents,  dirent-ils,  sont  sou- 
mis à  la  surveillance  d'un  docteur  en  théologie  «  bien  versé  en 
lettres  humaines  et  en  philosophie  qui,  tous  les  jours,  va  visi- 
tant les  classes  pendant  qu'on  lit  ».  Quant  à  la  suppression  du 
pensionnat,  ils  répondirent  qu'un  établissement  de  cette  nature 
avait  «  quelque  chose  de  peu  convenable  à  des  personnes  reli- 
gieuses, la  charge  des  pensionnaires  empêchant  grandement  les 
régents  et  les  détraquant  de  leurs  dévotions,  oraisons  et  autres 
exercices  spirituels5  ».  Les  habitants  avisèrent  alors  aux  moyens 
de  fonder  une  maison,  distincte  du  collège,  où  seraient  reçus 
les  enfants  dont  les  parents  ne  pouvaient  surveiller  l'éducation. 

Les  organisateurs  de  cet  établissement  annexe  furent  les  mein- 

1.  Plusieurs  actes  font  allusion  à  cette  rente  (Archiv.  du  Rhône,  D,  21). 

2.  De  collegii  Lugdunensis  ortu  et  progressu  (Francia,  Hist.  fundat.,  n.  30).  Cette 
notice  manuscrite,  qui  s'étend  jusqu'à  1587,  porte  le  visa  du  P.  Richeome. 

3.  Lugdun.    Fundat.,  collegior.,  t.  V,  n°  7.  —  11  faut  aussi  remarquer  qu'un  pension- 
nat existait  déjà  au  collège  avant  l'installation  des  Jésuites. 

4.  Lettre  du  P.  Creytton   au    P.   Général,  9   février  157 i  (Galliae  Lpist.,   t.  VIII, 
fol.  114). 

5.  Archiv.  comin.,  GG.,  XX,  193,  n°  6,  fol.  1,  2. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  LYON.  471 

bres  d'une  congrégation  d'hommes,  déjà  formée  sous  la  direc- 
tion des  Jésuites.  «  Félix  Régnier,  surintendant,  Jean-Baptiste 
Brune  et  Jean-Baptiste  Savignon,  assesseurs,  Philippe  Jacomini, 
Pierre  Le  Moyne,  Antoine  Biaise  et  autres,  de  la  Congrégation 
Notre-Dame,  fréquent.! us  les  sacrements  de  confession  et  commu- 
nion en  l'église  du  collège  de  la  Trinité  »,  s'entendirent  entre 
eux  pour  «  dresser  ung  collège  de  commensanlx  soubs  le  bon 
plaisir  du  Boy,  M"1'  l'Archevesque  et  Messieurs  de  la  ville  ».  aux 
conditions  suivantes  :  le  Principal  cpui  les  gouvernera  sera  choisi 
par  le  P.  Recteur,  lequel  aura  la  surintendance  de  tout  ce  qui 
concerne  «  les  bonnes  lettres,  meurs  et  discipline  scolastique  »  ; 
—  le  soin  des  choses  temporelles  sera  confié  à  un  économe  dési- 
gné par  les  commissaires  de  la  congrégation,  «  avec  consente- 
ment toutes  foys  dudit  Recteur  »  ;  —  au  Principal  appartiendra 
le  choix  de  son  personnel  qui  devra  être  approuvé  par  le  Père 
Recteur;  —  s'il  advient  que  la  congrégation  de  Notre-Dame 
renonce  à  l'administration  du  pensionnat,  le  Principal  seul  en 
aura  la  charge,  sans  cesser  d'être  soumis  au  P.  Recteur1. 

Ce  projet  fut  envoyé  à  Rome  par  le  P.  Creytton,  et  le  P.  An- 
nibal  du  Coudret,  mis  récemment  à  la  tête  de  la  province  d'A- 
quitaine, écrivit  lui-même  au  P.  Général  en  lui  remontrant  les 
inconvénients  qu'aurait  à  subir  le  collège  de  Lyon,  si  la  demande 
du  pensionnat  n'était  pas  acceptée.  En  effet,  la  ville  se  montrait 
fort  mécontente.  Des  deux  contrats  de  fondation,  le  dernier  et  dé- 
finitif, celui  du  6  août  1571,  n'avait  pas  encore  été  enregistré  au 
Parlement.  Le  Père  Provincial  avait  beau  presser  les  échevins 
d'en  obtenir  l'homologation,  ceux-ci  répondaient  par  «  de  bon- 
nes parolles  »,  mais  ils  ne  voulaient  que  gagner  du  temps  «  jus- 
ques  à  l'yssue  de  leur  magistrature  pour  laisser  la  chose  »  en 
l'état2.  Bref,  écrivait  le  P.  du  Coudret  au  P.  Général,  «  ces  sei- 
gneurs sont  fort  froids  et  aliénés  en  grande  partie  de  nous,  disant 
que  nous  avons  chassé  leurs  enfans  du  collège.  Ils  prennent 
bien  plaisir  aux  exercices  du  collège,  et  disent  qu'ils  le  veulent 
bien  avoir,  mais  ils  ne  peuvent  avaller  ce  point-là  de  leurs  en- 
fans.  Pour  auquel  remédier,  l'on  avoit  icy  pensé  que  quelques 
bourgeois  et  marchans  dressassent  un  collège  de  pensionnaires 
près  du  nostre,  à  la  forme  que  le  P.  Creitton  esciït  à  Votre  Ré- 
vérendissime    Paternité  ».   Tout  en  demandant   des    ordres  au 

1.  Projet  de  pensionnat  envoyé    à  Rome   par    le  P.  Creytton  avec  une  lettre    au 
P.  Général,  du  31  octobre  1575  (Galliae  Epist.,  t.  IX,  fol.  165). 

2.  Lettre  au  P.  Général,  31  octobre  1575  (Galliae  Epist..  t.  IX,  f.  166). 


472  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

premier  supérieur  de  la  Compagnie,  le  P.  Provincial  ne  lui 
cacha  point  son  avis  personnel  :  «  l'importance  de  cette  ville  » 
semblait  mériter  un  accommodement  et  il  n'y  avait  pas  d'autre 
moyen  «  de  se  réconcilier  les  Lion  ois1  ». 

11.  Les  ennemis  des  Jésuites  profitèrent  des  difficultés  provo- 
quées par  la  suppression  du  pensionnat,  pour  essayer  de  sou- 
lever contre  eux  toute  la  ville.  Les  choses  en  arrivèrent  bientôt 
à  ce  point  que  le  gouverneur  crut  nécessaire  de  s'occuper  lui- 
même  de  l'affaire,  et  de  convoquer  une  assemblée  à  la  seule 
fin  de  l'examiner.  Le  compte  rendu  des  délibérations  nous  en  a 
été  conservé2;  quelques  extraits  nous  montreront  que,  malgré 
les  exagérations  et  les  calomnies,  les  meilleurs  esprits  restaient 
toujours  attachés  à  la  Compagnie  de  Jésus  : 

«  Se  trouvèrent  présens  en  ceste  assemblée  M.  l'Àrchevesque, 
M.  de  Mandelot,  gouverneur,  M.  le  président  de  la  justice  avec 
plusieurs  conseillers,  MM.  les  généraulx  des  Finances,  MM.  les 
eschevins  de  la  ville  nos  fondateurs,  M.  l'advocat  du  roy,  M.  de 
Rubis  conseiller,  advocat  et  procureur  de  MM.  de  la  ville,  et 
plusieurs  autres  notables... 

«  M.  de  Rubis  commença,  sans  être  requis  de  dire,  et  sans 
commandement,  licence  ou  permission  de  MM.  de  la  ville.  »  Il 
déclara  que  les  Pères,  après  avoir  fait  de  belles  promesses, 
n'avaient  pas  été  fidèles  à  l'observation  du  contrat  ':  «  Ils  se  sont 
advisés,  dit-il,  à  faire  des  congrégations  de  femmes  jésuites  et 
des  hommes  en  nostre  collège,  lequel  a  esté  fondé  par  nos  prédé- 
cesseurs pour  y  nourrir  nostre  jeunesse  »;  et  ils  ont  chassé  nos 
enfants  pensionnaires  en  occupant  la  maison  qui  leur  était  des- 
tinée; ils  avaient  promis  quelque  «  bon  prescheur  »  pour  la 
ville  et  les  villages  d'alentour,  et  ils  n'ont  donné  personne. 

—  Non  seulement  nous  avons  tenu  nos  promesses,  répondit  le 
P.  Creytton,  mais  nous  les  avons  dépassées.  Outre  les  quatre  ré- 
gents de  grammaire  et  le  maître  des  abécédaires  obligatoires 
d'après  le  contrat :!,  le  collège  possède  depuis  l'année  dernière 

1.  Lettre  au  P.  Général,  31  octobre  1575  (Galliae  Epist.,  t.  IX.  f.  166). 

2.  «  Récit  du  f'aict  et  succès  de  l'Assemblée  tenue  en  la  maison  de  M.  de  Mandelot, 
gouverneur  du  Lyonnois,  pour  les  affaires  de  la  Compagnie  de  Jésus  au  dict  Lion,  le 
23  mars  1576  »  (Lugdun.,  Fundat.  collegior.,  t.  V,  n°  46).  C'est  sans  doute  le  récit 
composé  et  envoyé  par  le  P.  Creytton  au  P.  Général  et  dont  il  lui  écrivait  le  2  avril  : 
«  Contexui  discursum  eorum  quae  gesta  sunt  in  coetu  coacto  23  mart.,  quem  judicavi 
ad  P.  V.  inittendum  »  (Galliae  Epist.,  t.  X,  fol.  65). 

3.  Le  P.  Creytton  doit  comprendre  ici  les  humanités  et  la  rhétorique  dans  les  classes 
de  grammaire,  car  le  contrat  de  1571  exigeait  outre  les  abécédaires  deux  classes  de 
gramimvre,  une  d'humanités  et  une  de  rhétorique,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  LYON.  m 

un  professeur  de  philosophie,  un  autre  de  théologie  et  un  pré- 
fet des  études.  De  plus,  il  y  a  toujours  des  Pères  prêts  à  rem- 
placer les  professeurs  malades,  en  sorte  que  les  cours  ne  sont 
jamais  interrompus.  Telle  est  d'ailleurs  la  confiance  des  familles, 
que  cette  année  nous  comptons  cinq  cents  écoliers.  —  Le  P.  Creyt- 
ton  énuméra  ensuite  toutes  les  églises  de  la  ville  et  des  environs 
où  il  y  avait  eu  des  prédicateurs  jésuites.  Pour  ce  qui  est  des 
congrégations  de  femmes,  elles  sont  inconnues  au  collège.  Des 
femmes  de  toute  qualité  viennent  en  très  grand  nombre,  il  est 
vrai,  recevoir  les  sacrements  dans  notre  église;  si  on  leur  donne 
le  nom  de  «  congrégations  de  jésuites  »  c'est  pour  «  se  moucquer 
et  se  broucarder  d'elles  ».  Quant  aux  pensionnaires,  nous  avons 
eu  de  bonnes  raisons  de  ne  les  point  garder,  raisons  approuvées 
de  nos  Supérieurs  à  qui  nous  devons  obéissance.  Si  nous  n'obéis- 
sions à  notre  Père  Général,  «  il  ne  nous  osteroit  seulement  d'icy, 
mais  il  nous  envoyeroit  à  Callicut  pour  prescher  aux  perroquetz 
des  Indes1  ». 

Donc,  conclut  le  P.  Creytton,  «  qu'il  plaise  à  MM.  de  la  ville  de 
nous  passer  procuration  pour  consentir  à  l'émologation  de  nos 
contracts  au  Parlement  de  Paris,  spécialement  du  second  contract 
qui  contient  troys  limitations  du  premier...  Qu'il  plaise  [aussi] 
à  MM.  de  la  ville  de  nous  donner  assignations  certaines  pour 
retirer  la  rente  de  huit  cens  francs  qu'ils  nous  ont  accordée, 
car  le  recepveur,  après  leur  mandement,  nous  respont  n'avoir 
pas  d'argent  et  nous  faict  courir  longtemps  après,  perdant  le 
temps  et  presque  la  patience  devant  que  le  recepvoir  ». 

M.  de  Casot,  premier  échevin,  prit  ensuite  la  parole  «  disant 
beaucoup  de  louange  de  la  Compagnie...  tout  le  contraire  de  ce 
qu'avoit  dit  M.  de  Rubis  ».   Cependant,  il  ne  fut  pas  d'avis  de 

1.  Le  manuscrit  porte  en  cet  end/oit  l'annotation  suivante  :  «  Hic  scribantur  ra- 
tiones  quare  demissi  sunt  pensionistae.  »  Ces  raisons  se  trouvent  énumérées  dans  un 
autre  document  sous  ce  titre  :  «  De  causis  cur  dimittantur  aliqui  convictores  »  (Lug- 
dun.  Fundat.  collegiorum,  t.  V,  n°  7).  Voici  les  principales  :  1°  Les  parents  ne  payent 
pas  toujours  les  pensions,  ce  qui  a  déjà  occasionné  jusqu'à  six  procès.  —  2°  La  né- 
cessité de  tenir  les  enfants  «  si  court  et  estroit  en  discipline  »  en  rend  quelques-uns 
«  lins  et  dissimulateurs  ».  —  3°  La  surveillance  gêne  la  régularité  religieuse  et  on 
est  obligé  de  changer  souvent  les  Pères  qui  s'occupent  d'eux.  Il  y  a  autour  du  collège 
assez  de  maisons  honnêtes  et  de  bons  pédagogues  pour  les  loger;  à  Tournon,  Tou- 
louse et  Billom,  les  Pères  pour  ces  mêmes  raisons,  ont  cessé  d'avoir  des  pensionnaires. 
—  4°  Les  Pères  de  Lyon  ont  pris  des  pensionnaires  du  temps  des  huguenots  à  cause 
de  la  difficulté  à  trouver  des  pédagogues  catholiques,  mai*  maintenant  la  situation 
n'est  plus  la  même.  —  5°  Les  Pères  ont  à  peine  où  se  loger  eux-mêmes,  le  nombre  de 
trente  personnes  étant  nécessaires  pour  remplir  les  clauses  du  contrat.  Ils  ont  dû 
mettre  quelques-uns  des  leurs  «  dans  des  cabinets  de  vieils  ais  pourris,  là  où  la  ver- 
mine en  été  et  le  froid  en  hyver  ne  les  laissoit  guières  se  reposer,  dont  quelques-uns 
des  régents  en  ont  laissé  la  peau  ». 


474  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

consentir  au  second  contrat.  M.  le  président  de  la  justice  parla 
en  faveur  des  Jésuites  et  montra  qu'il  n'était  «  pas  raisonnable, 
quand  la  ville  a  obtenu  ce  qu'elle  veult  de  la  Compagnie,  de 
lui  couper  les  moyens  de  s'entretenir  et  augmenter  ».  M.  le  gou- 
verneur approuva  la  conduite  des  Jésuites  dans  l'affaire  des  pen- 
sionnaires. Il  serait  plus  expédient,  dit-il,  de  les  mettre  à  part 
dans  un  collège  régi  par  un  Principal  séculier,  que  de  les  tenir 
dans  celui  de  la  Trinité,  où  la  vie  est  trop  austère  pour  des  en- 
fants. De  plus,  ajouta-t-il,  rien  ne  s'oppose  à  ce  que  la  Com- 
pagnie puisse  avoir  des  rentes  et  des  revenus  indépendants  du 
collège  et  de  la  ville.  —  Je  suis  en  effet  parfaitement  libre,  ré- 
pliqua l'archevêque,  de  confier  la  direction  d'un  séminaire  aux 
Jésuites  et  de  lui  unir  des  bénéfices  à  ma  collation.  —  L'avocat 
du  roi  prit  le  parti  de  la  ville  en  distinguant  entre  le  collège 
et  la  Société  :  les  sociétés  peuvent  défaillir,  voilà  pourquoi  il  faut 
avant  tout  soutenir  les  «  qualitez  et  privilèges  »  du  collège. 

«  Après  tous  ces  discours,  M.  le  Gouverneur  fist  la  conclusion 
que  MM.  les  Eschevins  se  transportassent  jusques  au  collège,  et 
qu'ils  regardassent  quel  moyen  il  y  auroit  à  l'entour  pour  dres- 
ser un  collège  de  pensionnaires,  et  que,  quant  à  l'aultre  point, 
qu'ils  regardassent  entre  eux  et  leur  consulat  d'accommoder  les 
affaires.  Et  ainsi  fust  achevée  l'assemblée.  Lendemain,  de  bon 
matin,  s'assemblèrent  tous  les  Eschevins  en  nostre  collège,  et 
après  avoir  visité  nos  classes,  chambres  et  tout,  et  maisons  à 
l'entour,  feust  arresté  de  prendre  le  demeurant  de  l'isle  qu'est 
contenue  avec  le  demeurant  de  nostre  collège,  et  là  dresser  le 
collège  des  pensionnaires.  Et  après  que  M.  le  premier  Consul, 
en  la  présence  des  aultres,  eust  faict  une  arrangue  à  tous  les 
pédagogues  de  nous  estre  obéissans  et  fréquenter  nostre  collège, 
ils  se  partirent  bien  contens  de  nous 1 .  » 

Après  l'édit  de  Beaulieu,  accordant  aux  protestants  l'autori- 
sation d'ouvrir  des  écoles  publiques,  la  nécessité  d'un  pension- 
nat à  Lyon  s'imposait  plus  urgente  que  jamais.  Le  consulat  pour- 
suivit donc  son  dessein  de  l'établir  dans  un  bâtiment  distinct 
du  collège  ;  mais  il  demanda  aux  Pères  de  faciliter  les  commu- 
nications d'une  maison  à  l'autre.  Le  Père  Recteur  appuya  cette 
requête  auprès  du  P.  Mercurian  par  l'intermédiaire  du  P.  Pos- 
sevin,  alors  à  Rome  et  secrétaire  de  la  Compagnie.  Il  s'agissait 

1.  L'auteur  du  compte  rendu  termine  ainsi  son  récit  :  «  M.  de  Rubis  ne  répliquait 
jamais,  sinon  deux  mots,  disant,  en  faisant  allusion  au  P.  Creytton  :  «  Quoy  qu'il 
«  die,  il  nous  a  joué  ung  traict  de  lin  Ecossois.  » 


FONDATION  I UT  COLLÈGE  DE  LYON.  178 

d'obtenir  du  P.  Général  que  les  élèves  du  nouveau  pensionnat 
eussent  «  entrée  au  collège,  pour  les  leçons  seulement,  par  les 
degrés  par  où  les  [anciens  pensionnaires  estoient  accoustumés 
de  descendre;  autrement,  ajoutait  le  P.  Creytton,  nous  n'au- 
rons pas  de  paix  ni  de  repos  avec  ceux  de  la  ville,  et  par  ceste 
petite  incommodité  nous  apaiserons  tous  troubles  contre  nous  '  ». 
A  mesure  qu'on  regagnait  la  bienveillance  des  habitants,  en 
Taisant  droit  à  leurs  justes  réclamations,  des  libéralités  de  toutes 
sortes  venaient  accroître  les  revenus  du  collège  et  assurer  sa 
prospérité  matérielle-'.  Déjà,  depuis  1574,  une  maison  de  cam- 
pagne, achetée  du  côté  de  Fourvières3  et  désignée  sous  le  nom 
de  Bellevue,  offrait  aux  malades  les  moyens  de  réparer  leurs 
forces  et  aux  professeurs,  fatigués  de  leur  travail,  le  grand  air 
et  le  repos.  Plus  tard,  Vincent  Laureo,  évêque  de  Mondovi,  céda 
les  deux  prieurés  de  Dumières  et  de  Sainte -Marie  de  Tensc, 
qu'il  possédait  dans  le  Forez,  et  que  le  Pape  Grégoire  XIII  unit 
au  collège  de  la  Trinité  par  une  bulle  du  1er  mai  1577  4. 

1.  Lettre  du  28  mai  1576  (Galliae  Epist.,  t.  X,  fol.  76). 

2.  On  en  trouve  les  traces  dans  les  délib.  consulaires  (Archiv.  coinm.,  BB,  U6). 

3.  Achat  du  domaine  de  Fourvières  (Archiv.  du  Rhône,  D,  35). 

4.  Archives  du  Rhô:ie,  D,  144,  182.  —  Archiv.  comm.  de  Lyon,  AA,  107,  fol.  55. 


CHAPITRE  VI 

AFFAIRES    INTÉRIEURES   DE    LA    COMPAGNIE. 

(1565-1573). 


Sommaire  :  1.  Deuxième  congrégation  générale;  élection  du  P.  Fr.  de  Borgia, 
2  juillet  1565.  —  2.  Travaux  et  principaux  décrets  de  la  congrégation.  —  3.  Dé- 
cret relatif  à  l'heure  d'oraison.  —  4.  Publication  du  livre  des  règles.  —  5.  Visite 
du  P.  Nadal  en  Allemagne  et  en  France  (1566-1568).  —  6.  Premières  congré- 
gations provinciales  et  première  congrégation  des  procureurs  (1568).  —  7.  Visite 
du  P.  Mercurian  en  France  (1569-1571).  —  8.  Établissement  des  maisons  de  no- 
viciat et  de  scolasticat.  —  9.  Congrégations  provinciales  et  congrégations  des 
procureurs  (1571).  —  10.  Voyage  du  P.  Général  en  Espagne,  en  Portugal  et  en 
France  (1571-1572).  —  11.  Son  retour  en  Italie;  sa  mort  à  Rome  (1er  octobre). 

—  12.  Congrégations  provinciales  et  troisième  congrégation  générale  (1573).  — 
13.  Election  du  P.  Évérard  Mercurian  (23  avril). 

Sources  manuscrites  :  I.  Roma,  Archiv.  di  Stato,  Gesuit.  colleg.,  pacco  208. 

II.  Archives  de  l'Ardéche,  sér.  D. 

III.  Archives  communales  de  Bordeaux,  BB. 

•IV.  Bibliothèque  nationale,  fonds  Dupuy,  937;  mss.  lat.,  10,089. 

V.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Acla  congregationum  provin- 
cialium.  —  b)  Francia,  Histor.  fundat.  totius  Assistentiae.  —  c)  Gallia,  Epist.  Generalium. 

—  d)  Galliae   Epistolae.  —  e)  Ordinationes  el  Inslrucliones  PP.  Generalium.  —  f)  Epis- 
tolae  Principum.  —  g)  Lugd.,  Fundat.  collégien*.  —  h)  Possevin  :  Annalium  decas  la. 

Sources  imprimées  :  Constilutiones  S.  J.  —  Institulum  S.  J.  —  Manare,  De  rébus  S.  J- 
commentarius.  De  vita  et  moribus  Everardi  Mercuriani.  —  Ribadeneira,  Vita  del 
P.  Francesco  Borgia  (ftme,  1616).  — Monumeista  historica  S.  J.  Epistolae  P.  Nadal.  —  Po- 
lanco,  Chronicon  Soc.  Jesu. 

1.  Le  P.  Jacques  Lainez,  décédé  le  19  janvier  1565,  n'avait  dé- 
signé personne  pour  gouverner  temporairement  la  Compagnie 
après  sa  mort.  Les  profès  présents  à  Rome  se  réunirent  dès  le  len- 
demain, et  choisirent  comme  Vicaire  général  le  P.  François  de 
Borgia.  Celui-ci  convoqua  aussitôt,  à  la  date  du  20  juin,  la  Con- 
grégation qui  devait  élire  le  deuxième  successeur  de  saint  Ignace. 
Le  P.  Émond  Auger,  Provincial  d'Aquitaine,  se  rendit  à  Rome  à 
cette  occasion,  mais  il  ne  fut  pas  accompagné  par  le  Provincial  de 
France.  Le  P.  Olivier  Manare  avait  écrit  de  Billom,  le  17  mai, 
qu'il  ne  pouvait  quitter  le  royaume  à  cause  des  difficultés  sus- 
citées par  le  procès  avec  l'Université  de  Paris  '.  Il  se  fit  rem- 

1.  Gall.  Epistol.,  t.  III,  fol.  1. 


AFFAIRES  INTERIEURES  DE  LA  COMPAGNIE.  477 

placer  par  le  P.  Guy  Boillet,  Recteur  du  collège  de  Billom.  Les 
PP.  Ponce  Cogordan  et  Louis  du  Coudret  assistèrent  aussi,  comme 
électeurs,  à  la  deuxième  congrégation  générale,  l'un  pour  la  pro- 
vince de  France,  l'autre  pour  la  province  d'Aquitaine  '.  Le  1  juillet, 
le  P.  François  de  Borgia  fut  élu  troisième  Général  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus,  par  trente  et  une  voix  sur  trente-neuf  votants.  On 
choisit  ensuite  comme  Assistants  :  le  P.  Benoît  Palmio  pour  l'Ita- 
lie, le  P.  Antoine  Araoz  pour  l'Espagne,  le  P.  Éverard  Mercurian 
pour  l'Allemagne  et  la  France,  le  P.  Jacques  Miron  pour  le  Portu- 
gal et  le  Brésil.  Bappelé  en  France,  au  mois  d'août,  par  les 
atl'aires  de  sa  province,  le  P.  Auger  ne  put  assister  à  la  fin  de  la 
congrégation  qui  ne  se  sépara  que  le  3  septembre  2. 

2.  Parmi  les  travaux  de  cette  assemblée  nous  ne  signalerons 
que  les  décrets  d'un  intérêt  plus  général,  qui  apportèrent  dans  la 
discipline,  le  gouvernement  ou  l'administration,  quelque  modifi- 
cation ou  perfectionnement.  Le  huitième  recommanda  la  modé- 
ration et  la  réserve  dans  l'acceptation  des  collèges,  et  décida  en 
principe  qu'on  s'occuperait  plutôt  d'affermir  les  maisons  déjà 
existantes  que  d'en  créer  de  nouvelles  3.  —  Le  neuvième  enjoignit 
d'établir  en  lieu  convenable  dans  chaque  province,  au  moins  un 
séminaire  ou  scolasticat  de  la  Compagnie,  pour  y  former  à  la 
science  les  futurs  professeurs  et  ouvriers  évangéliques;  à  cet  effet, 
dans  quelqu'un  des  grands  collèges  comportant  l'enseignement 
complet  de  la  littérature,  de  la  philosophie  et  de  la  théologie,  on 
réunirait  les  jeunes  religieux  d'une  même  province  destinés  à 
s'appliquer  à  ces  études.  —  Le  onzième  décret  supprima  les 
Commissaires  perpétuels  des  provinces;  mais  il  fut  décidé  qu'à 
leur  place  le  P.  Général  pourrait,  à  son  gré,  nommer  des  Commis- 
saires temporaires  ou  Visiteurs,  même  pour  les  contrées  hors  de 
l'Europe.  —  Le  quatorzième  ordonna  la  fondation  des  maisons 
de  noviciat  dans  chaque  province,  limita  à  deux  années  le  temps 
de  la  probation,  défendit  toute  occupation  littéraire  pendant  la 
première  et  les  permit  dans  certains  cas  pendant  la  seconde.  — 
Par  le  trente-troisième  décret,  les  profès  renoncèrent  au  privilège 
accordé  par  le  concile  de  Trente,  en  vertu  duquel  tous  les  Ordres 
religieux,  à  l'exception  des  Capucins  et  des  FF.  Mineurs  de  l'Ob- 

1.  Epist.  P.  Xadal,  t.  II,  p.  590  :  Calalogus  professorum  Soc.  Jesu  sub  Pâtre 
Lainez  propositi  generalis. 

2.  Lettre  du  14  août  au  P.  Manare,  du  18  août  à  la  ville  de  Lyon  (Gall.,  Epist. 
General.,  t.  II). 

3.  1ns Ut.  S.  J.,  t.  I,  p.  181  et  suiv. 


478  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

servaoce,  pouvaient  posséder  des  biens-fonds  en  commun.  —  Par 
le  quatre-vingt-sixième  on  supprima,  du  moins  en  principe,  la 
charge  des  Surintendants.  Ils  avaient  été  établis  pour  veiller,  dans 
certains  cas,  à  la  bonne  administration  et  à  la  discipline  reli- 
gieuse, et  pour  maintenir  la  charité  mutuelle  entre  les  supérieurs 
et  les  inférieurs;  mais  ils  s'occupaient  peu  du  gouvernement  des 
maisons.  Indépendants  du  Recteur,  ils  ne  relevaient  que  du 
P.  Provincial  *.  Cet  office  pouvait  donner  lieu  à  des  difficultés 
regrettables2;  jugé  utile  au  commencement  de  la  Compagnie, 
il  Tétait  beaucoup  moins  depuis  la  promulgation  des  Constitutions 
dans  les  diverses  provinces.  Il  fut  toutefois  conservé  encore 
quelque  temps  dans  les  collèges  de  Rome. 

3.  Le  décret  vingt-neuvième  a  trait  à  l'oraison.  Aucune  mesure 
commune  d'exercices  spirituels  n'avait  été  fixée  par  saint  Ignace 
pour  les  religieux  formés;  il  avait  seulement  établi  pour  les  sco- 
lastiques,  dans  la  quatrième  partie  des  constitutions3,  qu'ils 
auraient  chaque  jour,  outre  la  messe,  une  heure  de  prières  dans 
laquelle  il  comprenait  les  deux  examens  de  conscience,  la  récita- 
tion du  petit  office  de  la  sainte  Vierge  ou  autres  prières  suivant 
la  dévotion  personnelle.  Au  même  endroit1,  il  permit  aux  supé- 
rieurs d'autoriser  les  scolastiques,  qui  s'en  trouveraient  mieux,  à 
faire  l'oraison  mentale  au  lieu  de  réciter  le  petit  office  '.  Mais  très 
large  pour  le  genre  de  prières  qui  convient  à  chacun,  il  se  montra 
toujours  inébranlable  quand  il  s'agit  de  maintenir  la  mesure  de 
temps  fixé,  et  blâma  ceux  qui  lui  proposaient  de  l'augmenter11. 
Non  pas  qu'il  n'attachât  beaucoup  de  prix  à  ce  que  ses  enfants 
fussent  doués  d'un  grand  esprit  d'oraison;  mais  son  idée  sur  ce 
point  nous  est  clairement  exprimée  dans  ces  lignes  qu'il  faisait 
écrire  par  le  P.  Polanco  au  P.  Fernandez,  recteur  de  Coïmbre,  le 
1er  juin  1551  :  «  Quant  à  l'oraison  et  à  la  méditation,  à  part  le 
cas  d'une  nécessité  spéciale  provenant  de  quelques  tentations 
pénibles,...  notre  Père  préfère  que  l'on  s'efforce  de  trouver  Dieu 
en  toutes  choses,  plutôt  que  de  consacrer  beaucoup  de  temps 
de  suite  à  cet  exercice.  Il  désire  voir  tous  les  membres  de  la 
Compagnie  animés  d'un  tel  esprit,  qu'ils  ne  trouvent  pas  moins 

1.  Constitut.  Soc.  Jesu,  P.  VIII,  c.  i,  n.  3. 

2.  Ainsi  les  démêlés  du  P.  Bobadilla  et  du  P.  Ovieilo  à  Naples,  en  1551-52.  Cf.  Bocro, 
Vi/a  dcl  P.  Robadiglia,  p.  72-75. 

3.  Chap.  iv.  —  4.  Déclaration  B. 

5.  Cf.  Lettre  au  P.  Darzèe,  24  déc.  1553  (Ep.  S.  Ignatii,  t.  VI,  p.  90,  91). 

6.  Le  P.  Nadal  s'exposa  un  jour  à  ces  reproches  (Epist.  Xadal,  t.  II.  p.  32). 


AFFAIRES  INTERIEURES  DE  LA  COMPAGNIE.  479 

de  dévotion  dans  les  œuvres  de  charité  et  d'obéissance  que  dans 
l'oraison  et  la  méditation,  puisqu'ils  ne  doivent  rien  faire  que 
pour  l'amour  et  le  service  de  Dieu  Nôtre-Seigneur  l.  » 

Après  la  mort  de  saint  Ignace,  lors  de  la  première  congréga- 
tion générale,  un  postulatum  fut  présenté  par  quelques  Pères, 
tendant  à  augmenter  le  temps  fixé  pour  la  prière.  La  congréga- 
tion le  repoussa-.  Aussi,  le  règlement  donné  au  collège  de  Paris 
par  le  P.  Nadal,  quand  il  le  visita  avec  le  P.  Lainez  en  1562, 
porte-t-il  :  «  Au  point  de  quatre  heures  se  sonne  le  lever...  à 
quatre  heures  et  demye  se  sonnera  l'oraison  et  à  cinq  heures  se 
sonnera  la  fin  de  l'oraison;...  le  quart  d'heure  jusques  à  onze 
heures  tous  se  occuperont  en  l'examen  de  conscience3...  » 

Tel  fut  l'usage  encore  durant  quelques  année.  Mais  les  Supé- 
rieurs s'aperçurent  sans  doute  que  l'idéal  cher  à  saint  Ignace,  — 
cette  habituelle  présence  de  Dieu  et  cette  entière  pureté  d'inten- 
tion dans  tous  les  actes  qu'il  demandait  à  ses  tils,  —  serait  diffici- 
lement atteint  par  l'ensemble  des  religieux,  si  chaque  jour  l'esprit 
intérieur  n'était  renouvelé  par  une  longue  méditation.  Ne  conve- 
nait-il pas,  du  reste,  que  les  Jésuites,  propagateurs  de  ce  salu- 
taire exercice,  fussent  les  premiers  à  en  donner  l'exemple  et  à 
regarder  comme  une  pratique  obligatoire  l'heure  d'oraison  quoti- 
dienne? Ainsi  pensèrent  les  députés  de  la  Compagnie  à  la  seconde 
congrégation  générale.  Après  avoir  examiné  la  question  pendant 
plusieurs  jours,  ces  Pères,  qui  venaient  d'élire  François  de 
Borgia  Général,  l'autorisèrent,  «  si  dans  sa  prudence  il  le  jugeait 
utile,  à  augmenter  le  temps  de  l'oraison  en  tenant  compte  des 
circonstances  de  personnes,  de  lieux,  et  autres  '  ». 

François  de  Borgia  ne  tarda  pas  à  user  du  droit  que  lui  confé- 
rait ce  décret  :  il  ajouta  une  demi-heure  à  celle  qu'avait  établie 
saint  Ignace.  Donc  désormais  une  heure  de  prière,  en  dehors  de  la 
messe  et  des  examens.  Mais  le  P.  de  Borgia  ne  prescrit  pas  de  faire 
cette  heure  tout  entière  de  suite  :  un  quart  d'heure  sera  ajouté  à 
la  demi-heure  du  matin,  et  un  autre  à  l'examen  du  soir"'.  Puis 

1.  Kp.  S.  Ignatii,  t.  III,  p.  502.  —  Même  note  dans  une  lettre  au  P.  Barzée  :  «  Au 
cours  de  leurs  actions  et  de  leurs  études,  les  nôtres  peuvent  élever  leur  esprit  à  Dieu, 
et  s'ils  dirigent  tout  au  divin  service,  tout  devient  oraison  »  (Ibid..  IV,  91). 

2.  Instit.,  t.  I,  Congr.  I,  décret.  XCV1I. 

■i.  Ancien  registre  du  collège  de  Glermont  contenant  un  certain  nombre  d'ordon- 
nances laissées  par  les  PP.  Visiteurs  (Bihl.  nat.,  mss.  latins,  10,989,  f.  5,  6). 

4.  Congr.  II,  décret.  XXIX. 

5.  Ordonn.  de  F.  de  Borgia  (Epist.  com.,  15G5-1567,-  f.  7).  C'est  ainsi  que  nous 
avons  vu  prescrits  dans  le  règlement  du  collège  de  Paris  pour  l5t»8.  trois  quarts 
d'heure  de  prière  le  matin  après  le  lever,  et  un  autre  quart  d'heure  le  soir  avec  l'exa- 
men  ehap.  m,  n.  9). 


480  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

bientôt,  sur  les  réclamations  venues  de  Rome  et  d'ailleurs,  ce 
quart  d'heure  du  soir  fut  transporté  au  matin  ;  et  c'est  ainsi  que 
l'heure  d'oraison  du  matin  fut  réglée  pour  tous  et  pour  toujours 
dans  la  Compagnie  de  Jésus1. 

4.  Mentionnons  en  dernier  lieu,  parmi  les  questions  traitées 
dans  la  seconde  congrégation  générale,  la  publication  d'un  livre 
des  Règles.  Pour  comprendre  les  décisions  prises  à  ce  sujet  il  est 
nécessaire  de  remonter  un  peu  plus  haut. 

Les  Constitutions,  rédigées  sous  la  forme  d'un  code  explicatif 
et  raisonné,  sont  un  vrai  livre  et  non  un  manuel  approprié  à  la 
vie  quotidienne.  Il  était  bon  d'en  extraire  un  résumé  substantiel, 
par  formules  concises  et  faciles  à  retenir.  De  là  divers  recueils, 
faits  à  différents  époques,  et  qui  finalement  se  condensèrent  en  un 
petit  volume  intitulé  Règles  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Ces  recueils 
étaient  l'œuvre  soit  des  supérieurs  locaux  réglementant  leur 
collège,  soit  de  saint  Ignace  envoyant  à  ces  supérieurs  les  pres- 
criptions qu'il  jugeait  à  propos,  soit  du  P.  Nadal  laissant  avis  et 
ordonnances  aux  maisons  qu'il  visitait  pour  y  promulguer  les 
Constitutions.  C'est  ainsi  qu'il  y  eut,  en  1545,  un  recueil  de  Règles 
composé  par  le  P.  Simon  Rodriguez  pour  le  collège  de  Coïmbre2. 

1.  Dans  une  notice  inédite  sur  l'origine  de  l'heure  de  méditation,  qui  a  mérité  les 
éloges  du  T.  R.  P.  Louis  Martin,  le  K.  P.  Pierre  Bouvier  se  pose  ici  cette  question  : 
«  En  prescrivant  une  heure  d'oraison,  le  P.  de  Borgia  a-t-il  imposé  l'oraison  mentale? 
—  Non,  répond  l'auteur  que  nous  résumons,  ni  dans  son  ordonnance  de  1565,  ni 
dans  les  explications  qu'il  donna  jusqu'en  1567,  Borgia  n'a  pas  prescrit  de  con- 
sacrer à  l'oraison  mentale  le  temps  prescrit  pour  la  prière.  »  El,  en  effet,  il  blâma 
l'usage  qui  s'était  introduit  en  Allemagne  de  consacrer  une  demi-heure  à  l'orai- 
son mentale  et  une  autre  demi-heure  à  la  vocale,  et  de  donner  un  signal  avec  la 
cloche  pour  passer  de  l'une  à  l'autre  (Epist.  P.  Nadal,  t.  III,  p.  487.  Cf.  Responsa  Gene- 
ralium  :  lettre  à  la  Prov.  du  Rhin,  du  28  jnin  1567;.  La  quatrième  congrégation,  qui 
suivit  la  mort  de  Mercurian,  conlirma  par  son  décret  V  et  son  canon  VI  l'ordon- 
nance de  saint  François  de  Borgia,  employant  les  mots  oratio  et  orare  dans  le  même 
sens  que  lui,  c'est-à-dire  dans  le  sens  de  méditer  ou  de  prier  vocalement  (Suarez, 
De  relig.  S.  /.,  VIII,  c.  n,  n.  2).  Comment,  alors,  l'heure  entière  de  méditation  s'est- 
elle  introduite?  Par  l'usage,  se  maintenant  au  point  d'acquérir  force  de  loi,  disent 
Négronius  et  Suarez  (Suarez,  l.  c.  —  Négronius,  Regul.  commun.,  reg.  t,  n.  13).  Au 
début  de  son  généralat  (1583-1584)  le  P.  Aquaviva  ne  croit  pas  encore  devoir  inter- 
dire la  prière  vocale  pendant  l'heure  réglementaire,  mais  il  recommande  l'oraison 
mentale  dans  les  termes  les  plus  pressants,  et  après  une  trentaine  d'années  l'usage 
d'employer  une  heure  entière  à  l'oraison  mentale  est  consacrée  :  «  En  1610,  Aqua- 
viva ne  dit  plus  :  Hora  orationis,  comme  ses  prédécesseurs;  il  dit  :  Hora  meditatio- 
nis,  et  il  en  parle  comme  d'un  exercice  de  règle  dont  ondoil  difficilement  dispenser 
même  les  prédicateurs,  les  jours  où  ils  prêchent.  »  Il  va  jusqu'à  ne  pas  approuver 
que  ce  jour-là  leur  méditation  soit  faite  en  vue  de  leur  sermon  :  «  Concionatores 
non  sunt  eximendi  ab  hora  meditationis...  nec  probatur  ut  medilationem  ad  concio- 
nem  diriganl  »  (Ex.  Resp.  P.  Aquaviva,  1610). 

2.  Epist.  mixt.,  t.  I,  p.  171.  —  Epist.  PP  Broeti...,  p.  445  et  sqq.  ^-  Ce  travail 
qui  avait  pour  titre  :  Regimento  da  ordem  et  oficios  de  casa,  a  été  publié  dans  les 
Monumenta  {Ibid.,  p.  822-874). 


AFFAIRES  INTÉRIEURES  DE  LA  COMPAGNIE.  iS\ 

En  1549,  nous  avons  un  antre  recueil  <lù  au  fondateur  lui-même 
et  connu  dans  la  Compagnie  sous  le  nom  d' Ordinationes  anti- 
quae1.  A  la  même  époque,  Ignace  donnait  aux  scolastiques  du 

collège  de  Bologne  un  règlement  de  vingt  articles  très  courts-. 
En  1552,  il  envoyait  au  P.  André  de  Oviedo,  recteur  du  collège 
de  Naples,  un  manuscrit  comprenant  :  —  1"  des  avis  spéciaux  à 
ce  collège;  —  -2"  des  réponses  aux  doutes  qui  lui  avaient  été  pro- 
posés; —  3°  les  règles  du  collège  romain;  —  4"  les  règles  de  la 
maison  de  Rome3.  De  son  côté  le  P.  Nadal,  comme  l'exigeait  sa 
charge  de  visiteur  ou  commissaire  général  de  la  Compagnie, 
examinait  les  règlements  particuliers  des  maisons  et  des  collèges. 
Nous  avons  vu,  au  livre  second1,  que  lui-même  les  modifiait 
«  suivant  l'esprit  »  du  fondateur,  qu'il  en  établissait  d'autres  s'il 
le  jugeait  bon,  puis  qu'il  laissait  aux  supérieurs  les  règles  géné- 
rales tirées  de  l'Examen  et  des  Constitutions,  les  règles  particu- 
lières des  scolastiques  et  des  différents  offices  et  les  règles  de 
modestie5.  Ces  dernières  étaient  sans  doute  celles  que  saint 
Ignace  remit  en  février  1555  au  P.  Luis  Gonzalvès  de  Camara, 
ministre  de  la  maison  professe  de  Rome,  et  qui,  de  son  aveu,  lui 
avait  coûté  beaucoup  de  prières  et  de  larmes1'. 

Après  la  mort  du  fondateur,  nous  trouvons,  en  1560,  les  Régit- 
lae  communes  collegii  romani,  sans  doute  une  refonte  de  celles 
données  par  saint  Ignace  un  an  plus  tôt  et  malheureusement 
perdues.  En  1561  s'imprime  le  premier  recueil  de  Règles,  à 
Vienne,  sous  le  titre  :  Quaedam  ex  Constitutionibus  excerpta 
quae  ab  omnibus  observari  debent.  D'après  le  P.  Astrain,  et  tout 
porte  à  le  croire,  ce  serait  l'œuvre  du  P.  Nadal  :  il  l'aurait 
composé  pendant  les  quatre  années  qu'il  vécut  à  Rome  auprès 
de  Lainez  '. 

Comme  on  le  voit,  il  était  temps,  en  1565,  d'avoir  enfin  pour 
toute  la  Compagnie  un  recueil  unique  de  règles,  annulant  tous 
les  autres.  Déjà  des  supérieurs  s'étaient  plaints,  non  sans  motif, 
que  la  multitude  des  prescriptions  venant  de  différentes  sources 
engendrât  une  certaine  confusion,  et  parût  une  surcharge  aux 
meilleurs  religieux 8.  La  seconde  congrégation  étudia  la  question. 
Convenait-il  de  réduire  le  nombre  des  règles?  Et  quelle  valeur 

l.  Const.  S.  J.,  p.  340.  —  2.  Ibidem,  p.  344. 

3.  Astrain,  Hlstor.  de  la  Compania,  t.  II,  p.  425.  -  4.  Chap.  ix,  n.  1. 

5.  Epiât.  P.  Nadal,  t.  I,  p.  317,  Lettre  du  19  juillet  1555. 

6.  Mon.  Ignat..  s.  4,  p.  163  et  366.  —  7.  Astrain,  op.  cit.,  p.  431. 

8.  Lettre  du  P.  A.  de  Cordoba,  20  oct.  1563  (Hisp.  Epist.,  t.  V,  f.  221),  cilée  par  As- 
train,  p.  432. 

COMPAGNIE    DE    JÉSUS.    —    T.    I.  31 


482  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

auraient  les  avis  laissés  par  le  P.  Nadal  aux  Provinciaux,  en  Espa- 
gne et  clans  les  autres  pays?  —  Après  a\oir  mûreir.ent  ptsé  tou- 
tes choses,  1rs  dêfiniteurs  '  chargés  de  celte  affaire  rédigèrent  un 
décret  ainsi  conçu  :  «  Les  Règles  générales,  commençant  par 
Svmma  Sapienlia,  seront  conservées  dans  leur  entier.  Les  auties 
seront  revues  et,  s'il  (st  possible,  abrégées.  Que  l'on  ait  soin 
toutefois  de  conserver  celles  qui  sont  certainement  de  notre  Père 
Ignace,  si  elles  semblenl  opportunes  et  utiles  au  bien  général... 
Quant  aux  avis  [admonkiones)  du  P.  Nadal,  une  fois  expurgés 
et  mis  en  ordre  par  lui,  ils  seront  donnés  aux  PP.  Provinciaux 
et  au  P.  Général  pour  leur  seule  direction  sans  être  nullement 
obligatoires'-'.  » 

Conformément  à  ce  décret,  saint  François  de  Borgia  s'occupa 
de  simplifier  et  coordonner  les  Règles.  Deux  ans  suffirent  à  cette 
tâche.  Nous  ne  savons  qui  l'aida  dans  ce  travail  ;  les  PP.  Polaneo 
et  Miron  étaient  tout  désignés,  comme  les  plus  anciens  religieux 
de  son  entourage.  Au  mois  de  mars  1567,  le  P.  Général  pouvait 
écrire  au  P.  Nadal  que  l'œuvre  avançait3;  deux  mois  plus  tard, 
qu'elle  touchait  à  sa  fin;  et,  le  27  septembre,  il  lui  envoyait 
imprimé  le  nouveau  livre  des  Règles,  tel  que  la  seconde  congre 
gation  l'avait  réclamé.  Le  titre  était  :  Regulae  commîmes  \  Rornae  \ 
In  Collegio  Socielatis  Jesu  K  II  contenait  d'abord  les  règles  com- 
munes à  tous,  au  nombre  de  quarante;  en  second  lieu,  les  règles 
des  différents  offices;  enfin,  un  sommaire  des  Constitutions.  Le 
1  juillet  1567,  le  P.  François  de  Borgia  promulgua  lui-même  ces 
Règles  à  la  maison  professe,  dans  une  exhortation  domestique 
dont  le  P.  Sacchini  nous  a  conservé  l'analyse  '. 

Le  travail  de  remaniement  demandé  au  P.  Nadal  fut  beaucoup 
plus  long.  Ses  nombreuses  occupations  ne  lui  permirent  pas  de 
terminer  avant  l'année  157611,  le  volume  de  ses  Avis  et  Instruc- 


1.  Congr.  II,  decr.  XXVIII. 
■>..  Ibid.,  decr.  LV1I. 

3.  Epist.  P.  Nadal,  l.  III,  |>.  413. 

4.  Ibid.,  p.  528.  Celle  édition  esl  excessivement  rare.  On  en  trouve  un  exemplaire 
à  la  Bibl.  San  Isidro  de  Madrid. 

5.  Bist.  Soc,  P.  III,  1.  111,  n"  96.  —  Un  décret  de  la  troisième  congrégation  générale 
chargea  le  P.  Mercurian  et  ses  Assistants  de  revoir  le  livre  des  Règles  publié  sous  le 
généralat  de  Borgia.  Ils  confièrent  ce  travail  au  P.  Miron,  auquel  nous  devons  l'édi- 
tion de  1580.  Le  Sommaire  des  Constitutions  y  est  plus  conforme  au  texte  de  saint 
Ignace  et  les  Règles  Communes  à  peu  près  telles  que  nous  les  avons  maintenant.  Deux 
ans  plus  tard,  en  1582,  le  P.  Aquaviva  donna  l'édition  qu'on  peut  regarder  comme  la 
principale  et  définitive;  il  ne  mit  du  sien  que  dans  les  règles  de  quelques  offices  par- 
ticuliers, non  des  plus  importants. 

6.  Epist.P.  Nadal,  t.  III,  P-  734. 


AFFAIRES  INTÉRIEURES  DE  LA  COMPAGNIE. 

lions  conservé  à  la  Bibliothèque  Vaticane  et  publié  par  les  édi- 
teurs des  Monumenta  '. 

Nous  devons  encore  au  P.  Nadal  un  autre  ouvrage  sur  la  même 
matière,  les  Scholia  in  Conslitutiones .  Il  le  commença  proba- 
blement du  vivant  de  saint  Ignace,  tandis  qu'il  promulguait  les 
Constitutions,  le  continua  durant  les  premières  années  du  géné- 
ralat  de  Lai  nez,  et  l'acheva  à  Gènes  en  1560.  Cet  écrit  fut  telle- 
ment estimé  que,  dans  la  seconde  congrégation  générale,  un 
Père  proposa  de  lui  donner  force  de  loi.  Après  avoir  fait  exami- 
ner les  Scholia,  la  congrégation  décida,  par  son  décret  quarante- 
deuxième,  de  les  accepter  comme  ouvrage  de  direction  seule- 
ment-, 

5.  Un  des  premiers  soins  du  nouveau  Général  fut  de  se  ren- 
dre compte  de  l'état  des  maisons  de  la  Compagnie,  dans  les  dif- 
férentes contrées  de  l'Europe.  Il  commença  par  l'Assistance  de 
Germanie,  Le  P.  Nadal,  envoyé  en  1506  à  la  diète  d'Augsbourg 
avec  les  PP.  Ledesma  et  Canisius,  comme  théologie*)  du  cardinal 
Commendon,  fut  ensuite  chargé  d'inspecter  les  maisons  de  l'Al- 
lemagne, de  la  Belgique  et  de  la  France.  Après  avoir  terminé, 
en  1508,  la  visite  des  provinces  de  la  Germanie  supérieure,  de 
l'Autriche  et  du  Rhin,  le  P.  Nadal  arriva  de  Louvain  à  Paris,  le 
15  juin,  et  entreprit  une  tournée  dans  les  provinces  de  France  et 
d'Aquitaine 3.  Mais  la  difficulté  des  voyages,  à  cette  époque  de 
troubles  civils,  ne  lui  permit  pas  d'accomplir  sa  tâche  jusqu'au 
bout.  Après  la  visite  du  collège  de  Clermont,  il  se  rendit  à  Ver- 
dun où  il  ne  resta  que  quelques  jours.  Le  20  juillet,  il  partit  pour 
Chambéry  en  traversant  la  Lorraine  et  la  Franche-Comté.  Le 
17  août,  il  était  à  Lyon  où  il  assista  à  la  congrégation  provin- 
ciale'1. Ce  fut  sans  doute  durant  son  séjour  dans  cette  ville  que 
le  P.  Auger  obtint  la  réalisation  d'une  mesure  ardemment  dési- 
rée; depuis  longtemps,  il  avait  demandé  à  être  déchargé  du  gou- 
vernement de  la  province  d'Aquitaine.  Sans  y  consentir  complè- 
tement, le  P.  Général,  en  considération  de  ses  importants  travaux 
apostoliques,  lui  avait  proposé  de  choisir,  à  l'exemple  du  P.  Cani- 
sius, quelqu'un  sur  lequel  il  pût  se  reposer  des  soucis  matériels 

1.  Epist.  P.  Nadal,  I.  IV,  p.  361-614. 

')..  Ils  furent  imprimés  en  1883  avec  le  litre  :  Scholia  in  Conslitutiones  et  Déclara 
tiones  S.  P.  N.  Ignalii,  et  admonitiones  superioribus,  t/iiat*  approbatae  su»/  a 
congregatione  II  gênerait  pro  direclione  super iorum. 

3.  Epist.  I'.  Nadal,  I.  III,  p.  1,608.  Lettre  du  P.  A.uger  au  P.  Général,  23  juin  1563 
(Galliae  Epist.,  t.  III,  f.  212). 

4.  Epist.  I'.  Nadal,  I.  III,  614,  621,  627,  631. 


484  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

de  l'administ ration  l.  Il  fut  décidé  que  le  P.  Annibal  du  Goudret, 
lecteur  de  Toulouse,  remplirait  ce  rôle  avec  le  titre  de  vice-pro- 
vincial 2. 

Au  commencement  du  mois  de  septembre,  le  P.  Nadal  quitta  la 
France  pour  retourner  à  Rome,  où  il  arriva  le  22,  quelques  jours 
avant  l'ouverture  de  la  Congrégation  des  Procureurs*. 

6.  Saint  Ignace  avait  ordonné  d'envoyer  tous  les  trois  ans,  à 
Home,  un  Père  de  chaque  province  de  l'Europe,  chargé  de  ren- 
seigner le  Général  sur  la  situation  de  la  Société  dans  son  pays. 
Jusqu'ici,  ces  députés  ne  s'étaient  pas  encore  réunis  pour  déli- 
bérer en  commun.  François  de  Borgïa  ayant  demandé  aux  Pères 
de  la  deuxième  congrégation  à  quel  moment  il  conviendrait 
d'assembler  les  congrégations  générales,  —  ce  que  saint  Ignace 
n'avait  pas  déterminé  dans  les  Constitutions,  —  on  décréta  que 
des  Procureurs  seraient  appelés  ensemble  à  Rome,  tous  les  trois 
ans,  et  qu'avant  de  traiter  aucune  affaire  particulière,  ils  décide- 
raient s'il  y  avait  lieu,  ou  non,  de  convoquer  la  congrégation 
générale.  Le  choix  des  procureurs  était  réservé  aux  congréga- 
tions provinciales4. 

C'est  pourquoi  celles-ci  se  réunirent  pendant  l'été  de  1508.  On 
ne  sait  pas  à  quelle  date  précise  eut  lieu  la  congrégation  de  la 
province  de  France5.  Les  actes  qui  nous  en  ont  été  conservés 
indiquent  seulement  les  réponses  du  P.  Général  aux  doutes  pro- 
posés. La  congrégation  avait,  entre  autres  choses,  exprimé  le 
désir  qu'on  ne  se  chargeât  des  pensionnaires  dans  aucun  collège. 
Tel  fut  aussi  l'avis  du  P.  Général  :  il  valait  mieux  en  abandon- 
ner le  soin  à  des  personnes  étrangères  ;  cependant,  pour  ce  qui 
concernait  le  collège  de  Paris,  la  question  ne  devait  pas  être 
tranchée  sans  un  sérieux  examen15. 

La  congrégation  provinciale  d'Aquitaine  se  réunit  à  Lyon,  le 
18  août.  Parmi  les  réponses  du  Père  Général  aux  cloutes  qui  lui 
lurent  soumis,  deux  méritent  d'être  signalées.  L'une  a  trait  à 
l'habitation  des  novices,  qui  ne  parurent  pas  bien  placés  au  col- 

1.  Lettres  du  P.  Général  au  P.  Auger,  1"  avril  et  10  juin  1566  (Gall.,  Epist.  Gen., 
t.  III).  Lettres  du  P.  Auger  au  P.  Général  des  6  et  8  mai  1566  (Gall.  Epist.,  t.  III,  f. 
141). 

2.  Epist.  P.  Nadal,  l.  III,  p.  581,  623,  636  et  639. 

3.  Lettre  du  P.  Nadal,  5  octobre  1568  (Roma,  Archiv.  di  stato,  Gesuit.  Collegii,  pacco 
208). 

4.  Institut.  S.  ./.,  t.  H,  p.  184.  Congr.  Il,  decr.  XIX,  post  elect. 

5.  Probablement  au  mois  de  juillet  comme  on  peut  l'inférer  d'une  letlrcdu  P.  Nadal 
{Epist.  P.  Nadal,  III,  p.  620).    -  6.  Acta  congr.  prov.,  1568. 


VISITES  DU  P.  MERCURIAN. 

lège  de  Tournon,  à  cause  de  la  disposition  des  bâtiments;  il  fui. 
jugé  préférable  d'y  mettre  les  scolastiques  et  d'envoyer  les  no\i 
ces  à  Avignon.  —  L'autre  réponse  était  relative  au  pensionnat  de 
Lyon  que  déjà  les  Pères  désiraient  séparer  du  collège  :  h;  P.  Gé- 
néral demanda  qu'on  attendit  des  temps  plus  favorables  avant 
de  rien  innover;  quant  à  la  direction  spirituelle,  on  pourrait  se 
contenter  d'adresser  aux  enfants  une  exhortation  tous  les  quinze 
jours  ou  même  tous  les  mois  '. 

Le  P.  Edmond  Hay,  Recteur  du  collège  de  Clermont,  avait  été 
élu  procureur  de  la  province  de  France.  Un  accident  de  voyage 
l'ayant  contraint  de  s'arrêter  à  Lyon,  il  substitua  à  sa  place  le" 
P.  Louis  du  Coudret,  procureur  de  la  province  d'Aquitaine. 

La  première  congrégation  des  procureurs  était  convoquée  pour 
le  10  octobre.  Le  P.  François  de  Borgia,  alors  gravement  malade, 
ne  put  la  présider  ;  il  fut  remplacé  par  le  P.  Éverard  Mercurian, 
assistant  des  provinces  septentrionales  et  vice-préposé  de  la  mai- 
son professe  2. 

7.  Nous  avons  vu  que  le  P.  Nadal,  pendant  sa  dernière  vi- 
site en  France,  n'avait  pu,  à  cause  des  circonstances  extérieures, 
se  renseigner  complètement  sur  les  divers  établissements  de  la 
Compagnie  dans  le  royaume.  Un  nouveau  visiteur,  le  P.  Éverard 
Mercurian,  y  fut  envoyé  en  1569  avec  pleins  pouvoirs.  Il  nous  est 
impossible,  faute  de  documents,  de  reconstituer  son  itinéraire; 
nous  savons  qu'il  partit  de  Borne  vers  la  fin  du  mois  de  mai 
1569.  qu'après  un  séjour  à  Turin  il  arriva  le  mois  suivant  à  Cbam- 
béry,  et  qu'il  était  de  retour  en  Italie  au  mois  de  juillet  1571.  Ses 
lettres  au  P.  Général,  datées  de  Lyon,  de  Billom,  de  Tournon,  de 
Paris,  nous  apprennent  qu'il  visita  tous  les  collèges  des  provinces 
de  France  et  d'Aquitaine,  sauf  celui  de  Toulouse  que  les  troupes 
calvinistes,  répandues  dans  les  environs,  ne  lui  permirent  pas 
d'aborder  3.  Un  des  principaux  buts  de  sa  visite  était  d'établir 
l'uniformité  de  la  discipline  dans  les  collèges  nouvellement  fon- 
dés, et  de  prescrire  les  moyens  nécessaires  pour  la  bien  garder. 
Partout  il  remplit  son  office  avec  tant  de  prudence,  qu'au  dire  du 
P.  Manare,  il  rappelait  la  manière  d'agir  du  saint  fondateur'1. 

1.  Acta  congr.  prov.,  1568. 

2.  Epist.  P.  Nadal,  t.  III,  p.  635.  Manare,  De  vita  E.  Mercuriani,  p.  39. 

3.  Lettre  du  P.  Général  au  P.  Edmond  Hay,  20  mai  1569  (Epist.  Gen.,  t.  IV).  Lettre 
du  P.  Auger  au  P.  Mercurian,  31  juillet  1571  (Gall.  Epist.,  t.  IV,  fol.  91).  Lettres  du 
P.  Mercurian  (Ibid.,  t.  IV,  fol.  49,  54,  60;  t.  V,  fol.  20,  30,  36)... 

i.  De  vita  Mercuriani,  p,  39. 


186  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

11  eut  la  consolation  de  trouver  la  plupart  des  collèges  dans 
une  situation  florissante.  Sans  parler  de  Paris  et  de  Lyon  en 
pleine  prospérité,  il  y  avait  près  de  sept  cents  élèves  à  Rodez  '.  et 
plus  de  mille  à  Billom'-.  Tournon,  qui  comptait  trois  cent  cin- 
quante élèves,  fut  menacé  au  mois  de  juin  1570  par  l'approche 
de  Coligny;  heureusement  l'orage  se  dissipa,  sans  que  les  Pères 
fussent  contraints  de  se  disperser3.  Le  1er  octobre  de  la  même 
année,  eut  lieu  la  consécration  dune  nouvelle  chapelle,  placée 
sous  le  vocable  de  saint  Just,  patron  du  comte  de  Tournon4; 
mais,  dès  le  mois  de  décembre  suivant,  elle  était  entraînée  par 
une  désastreuse  inondation  du  Rhône,  qui  respecta  les  murs  du 
collège.  Mauriac  avait  été  très  éprouvé  par  le  voisinage  des 
huguenots  qui  s'étaient  emparés  d'Aurillac  en  1509;  les  Pères, 
obligés  de  quitter  la  ville,  se  réfugièrent  à  Billom,  où  ils  étaient 
encore  au  mois  de  mai  1570 5.  Le  collège  de  Billom  lui-même  fut 
fermé  au  mois  de  juin,  et  il  eut  la  douleur  de  perdre  son  Rec- 
teur, le  P.  Guy  Roillet,  religieux  d'une  vertu  insigne (i.  A  la  tète 
de  cet  établissement  depuis  1502,  il  avait  su  lui  donner,  malgré 
les  troubles  qui  désolaient  l'Auvergne,  un  développement  consi- 
dérable par  l'organisation  des  pédagogies,  ou  pensions  tenues 
par  des  personnes  étrangères  à  la  Compagnie.  Les  écoliers,  qui 
n'habitaient  pas  chez  des  parents,  étaient  distribués  en  dix  ou 
douze  groupes  placés  sous  la  haute  direction  des  Pères  profes- 
seurs. Plus  tard,  la  prospérité  de  ces  pédagogies  excita  l'avidité 
des  spéculateurs  qui  essayèrent  d'en  fonder  de  nouvelles;  mais 
les  supérieurs  du  collège  étaient  là  pour  s'opposer  énergiquement" 
à  toute  dangereuse  innovation7. 

Parmi  les  œuvres  apostoliques  des  collèges,  le  P.  Visiteur  se 
plut  à  encourager  l'enseignement  du  catéchisme  si  recommandé 
par  l'Institut.  Il  était  du  reste  déjà  en  honneur  :  à  Paris,  à  Lyon, 
à  Tournon,  le  dimanche  et  les  jours  de  fête,  les  régents,  profi- 
tant de  leurs  loisirs,  se  répandaient  dans  les  hôpitaux,  dans  les 
faubourgs  et  dans  les  villages  voisins,  pour  expliquer  la  doctrine 
chrétienne  au  peuple  et  aux  enfants.  On  accourait  en  telle  foule, 
pour  écouter  ce  genre  d'instructions    encore  peu  connu,  qu'à 

1.  Lettre  du  P.  Mercurian,  27  nov.  1570  (Gall.  Epist.,  t.  V,  fol.  52). 

2.  Lettre  du  P.  Roillet,  5  déc.  1569  {IbUL,  fol.  184). 

3.  Lettre  du  P.  Mathieu  au  P.  Général,  13  juin  1570  (Ibid.,  fol.  17).. 

4.  Archiv.  de  l'Ardèche,  D,  Collège  de  Tournon. 

5.  Lettre  du  P.  Roillet,  30  avril  1570  (Gall.  Epist.,  t.  V,  fol.  81). 

6.  Lettre  du  P.  Denys,  23  mai  157.0  (I/nd.,  fol.  182). 

7.  Touchant  les  pédagogies  de  Billom,  Voir  Prat,  Mémoires  sur  le  /'.  Broet  (Pièces 
justificat.,  n"  xix). 


VISITES  DU  I».  MERCURIA.N.  487 

Paris,  raconte  le  P.  Manare,  les  docteurs  de  la  Faculté  s'émurent 
et  crièrent  à  la  nouveauté,  presque  à  l'hérésie;  ils  voulurent 
même  s'opposer  à  ce  mode  d'apostolat.  Les  Jésuites  méprisant 
tout  ce  bruit,  qui  finit  par  s'apaiser,  se  livrèrent  sans  relâche  à 
cet  humble  ministère,  le  plus  efficace  de  tous  contre  le  grand 
mal  de  l'ignorance  '. 

Cependant,  il  faut  l'avouer,  «  l'homme  ennemi  »  avait  semé 
l'ivraie  dans  le  champ  de  la  Compagnie  en  France.  Des  abus,  qui 
réclamaient  une  réforme,  avaient  déjà  attiré  l'attention  du  P.  M;i- 
nare.  A  l'occasion  des  règles  nouvellement  rédigées  et  que  l'on 
commençait  à  mettre  en  pratique,  quelques  religieux  brouillons, 
comme  il  s'en  trouve  partout,  réclamèrent  en  disant  que  les  Su- 
périeurs voulaient  introduire  dans  l'Institut  «  des  prescriptions 
monacales  »,  tandis  que  l'Ordre  d'Ignace  de  Loyola  avait  été 
fondé  pour  un  genre  de  vie  plus  libre  et  moins  sévère.  Au  grand 
détriment  de  la  discipline  et  de  la  régularité,  par  leurs  discours  et 
leurs  murmures,  «  ils  séduisirent  des  âmes  simples  »,  et  parvin- 
rent à  former  comme  «  une  secte  d'une  soixantaine  d'adhérents  > 
qui  prirent  le  nom  de  «  confrères  de  la  voie  candide  ».  Mais  les 
religieux  prudents  les  appelèrent  «  les  libertins  ». 

On  entendait  aussi  d'autres  plaintes.  La  France  n'avait  pas  jus- 
que-là fourni  beaucoup  de  sujets  ;  le  nombre  des  Pères  Français 
qui  avaient  reçu  une  formation  complète  était  encore  très  res- 
treint. On  avait  donc  été  obligé  de  recourir  souvent  à  des  Pères 
d'une  autre  nationalité,  de  leur  assigner  les  diverses  charges  de 
l'administration  et  les  principales  chaires  des  collèges.  De  là  des 
récriminations  contre  les  étrangers  qui,  disait-on,  envahissaient 
les  maisons.  Mais,  grâce  à  Dieu  et  par  la  fermeté  des  Pères  Visi- 
teurs, après  le  renvoi  de  quelques  turbulents,  la  discipline  et  la 
concorde  reprirent  bientôt  partout  leur  premier  éclat'-. 

Voici,  d'après  un  curieux  document3,  un  aperçu  de  la  mé- 
thode employée  par  le  P.  Mercurian  dans  sa  visite  des  collèges 
de  France. 

Les  premiers  jours  qui  suivaient  son  arrivée  dans  une  maison, 
«  il  vivait  familièrement  avec  tous,  sans  prononcer  même  le  mot 
de  visite  ou  de  réforme;  il  se  disait  venu  pour  la  consolation  de 
chacun  et  s'abstenait  de  toute  exhortation  domestique  ».  Entre 

1.  Manare,  De  rébus  s.  J.,  p.  109-111. 

2.  Ibidem,  p.  111-113. 

3.  «  Ratio  qua  R.  P.  N.  Everardus  utebatur  cmn  collegia  Galliae  visitator  obiret  » 
(Ordinationes  et  Instr.  PP.  Generalium,  1565-1647,  nJ  V). 


188  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

temps  il  gagnait  la  confiance  des  Pères  et  des  Frères  qui  s'ou- 
vraient facilement  à  lui  dans  les  entretiens  particuliers.  De  cette 
façon  il  se  rendait  compte  par  lui-même,  en  peu  de  jours,  de 
l'état  du  collège.  Il  pouvait  ensuite  entreprendre  ouvertement 
l'accomplissement  de  sa  mission.  A  son  sens,  elle  consistait  en 
deux  choses  :  premièrement,  apprendre  à  chacun  la  manière  de 
se  perfectionner  dans  sa  vocation  et  dans  sa  charge;  en  second 
lieu,  organiser  toute  la  maison  d'après  le  plan  tracé  dans  les 
Constitutions  et  selon  l'esprit  de  saint  Ignace.  Le  premier  but 
était  rempli  par  les  comptes  de  conscience  et  les  confessions  géné- 
rales. Le  second  par  un  procédé,  peut-être  un  peu  minutieux, 
mais  fort  sage  et  fort  pratique  dans  les  circonstances. 

C'était  avec  le  P.  Recteur  et  ses  Consultcurs  que  les  choses  se 
passaient.  Tout  se  faisait  par  écrit,  ou  à  peu  près.  Les  pages  d'un 
cahier  étaient  divisées  en  quatre  colonnes.  Sur  la  première  se 
trouvait  précisé  chaque  point  à  examiner.  Sur  la  seconde  le 
P.  Recteur,  d'abord  seul,  devait  écrire  son  avis.  Sur  la  troisième 
on  mettait  l'avis  du  même  P.  Recteur  et  de  ses  Consulteurs,  après 
nouvel  examen  de  la  question  en  consulte.  La  quatrième  était 
réservée  à  la  décision  finale  du  P.  Mercurian.  Les  interrogatoires 
notés  dans  la  première  colonne  portaient  sur  «  l'observation  des 
Règles  communes  et  du  Sommaire  des  Constitutions,  sur  les 
ministères  spirituels,  sur  les  obligations  du  collège  relativement 
à  sa  fondation,  sur  ses  revenus  et  ses  biens  ». 

Ce  procédé,  dit  l'auteur  du  document  que  nous  résumons,  avait 
plusieurs  avantages  :  il  obligeait  les  Recteurs  et  Consulteurs  <\ 
étudier  de  plus  près  les  règles  de  la  Compagnie  et  à  en  com- 
prendre l'esprit;  il  leur  apprenait  à  se  diriger  eux-mêmes  dans 
la  suite,  sans  avoir  constamment  recours  aux  Provinciaux  et  au 
Général  «  par  des  lettres  fréquentes  et  prolixes  »,  comme  ils 
l'avaient  fait  jusqu'alors;  il  prouvait  à  tous  que  le  P.  Visiteur  ne 
venait  rien  réclamer  d'insolite  ou  d'onéreux,  mais  seulement  la 
stricte  application  des  Constitutions  '. 

Les  exhortations  domestiques  à  toute  la  communauté  venaient 
en  dernier  lieu.  Le  P.  Mercurian  exposait  la  fin  propre  de  la  Com- 
pagnie et  les  moyens  qu'elle  s'est  choisis  pour  y  parvenir;  «  il 
recommandait,  comme  chose  très  importante,  les  Exercices  spi- 
rituels de  saint  Ignace  et  les  règles  du  discernement  des  esprits  », 

1.  «  Ea  ratione  intclligebant  nil  novi  aut  insolens  novarum  legum  aut  praeceptionum 
mulliludine  invehi....  sed  idipsum  cujus  observatioue  jamdudum  voto  animas  obs- 
trinximus  »  {Ibidem), 


VISITES  DU  P.  MERCURIAN. 

et  donnait  aux  ouvriers  apostoliques  dos  avis  particuliers  pour 
la  pratique  de  leurs  ministères1. 

S.  Parmi  les  affaires  à  régler  pendant  son  séjour  en  fiance,  le 
1».  François  de  Borgia  avait  spécialement  signalé  au  I*.  Mercn- 
rian  l'institution  de  maisons  séparées  pour  les  novices.  Les  candi- 
dats à  la  Compagnie  étaient,  en  etl'et,  restés  longtemps  confondus 
avec  les  scolastiques,  quoique  soumis  à  des  exercices  particu- 
liers. Leur  formation  spirituelle  marchait  de  front  avec  les  études 
classiques,  les  occupations  littéraires,  et  les  fonctions  sacerdotales 
quand  ils  étaient  prêtres.  A  mesure  que  le  nombre  des  postulants 
s'accrut,  les  supérieurs  reconnurent  la  nécessité  de  les  grouper 
en  communautés  distinctes,  afin  de  leur  donner  une  direction 
uniforme,  en  rapport  avec  l'esprit  de  leur  vocation.  Dès  l'année 
1551,  à  Messine,  le  P.  Jé#ome  Nadal,  fidèle  interprète  de  la 
pensée  de  saint  Ignace,  avait  ainsi  réuni,  sous  l'autorité  du 
P.  Wishaven,  les  étudiants  admis  aux  exercices  de  la  probation  '•'. 
Ce  fut  là,  au  dire  de  Ribadeneira,  le  premier  noviciat  régulier. 
Mais  les  établissements  de  ce  genre  furent  rares,  pendant  les 
vingt-cinq  premières  années.  Le  P.  Richeome,  admis  dans  la 
Compagnie  en  1565  par  le  P.  Olivier  Manare,  provincial  de  France, 
nous  apprend  que,  faute  d'une  maison  de  noviciat  à  Paris,  le 
I*.  Maldonat  fut  à  la  fois  son  premier  régent  de  philosophie  et 
son  premier  maître  de  spiritualité3.  A  Rome  même,  les  novices, 
logés  dans  la  maison  professe,  n'y  formèrent  qu'en  1565  une 
communauté  particulière,  avec  un  règlement  propre,  sous  la 
direction  du  P.  Alphonse  Ruiz.  A  la  même  époque,  les  étudiants 
du  collège  Romain,  qui  n'avaient  pas  encore  deux  ans  de  pro- 
bation, constituèrent  un  groupe  à  part  sous  la  direction  du 
P.  Jean  Xavier.  L'année  suivante,  1566,  le  noviciat  de  Saint-An- 
dré fut  inauguré  sur  le  mont  Quirinai  par  le  P.  Jules  Mancinelli, 
grâce  à  la  munificence  d'illustres  bienfaiteurs1. 

En  France,  jusqu'à  la  visite  du  P.  Mercurian,  rien  n'avait  en- 
core été  bien  déterminé  à  ce  sujet.  Dans  la  province  de  France 
plusieurs  novices  demeuraient  à  Paris  où  ils  avaient  étudié;  le 
plus   grand    nombre   étaient    envoyés    au  collège    de  Riilom  '. 

1.  Ibidem.  Cf.  Manare,  De.  vita  E.  MercUriani,  p.  39-45. 

2.  Epiât.  P.  Nadal,  t.  I,  p.  83.  Polanco,  Chronicon,  t.  II,  p.  29. 

3.  Traité  de  l'immortalité  de  l'âme,  Avis  au  lecteur. 

4.  Voir,  sur  cette  question  du  noviciat  de  Rome,  Sacchini  :  Bist.  Soc.  Jesu,  P.  111, 
1.  I,  n°  54,  55;  1.  IV,  n.  62,  63. 

5.  Lettre  du  P.  Hay  au  P.  Général,  21  juin  1569  (Gall.  Epist.,  t.  IV). 


m  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Avant  le  départ  du  P.  Visiteur,  le  P.  Manare  avait  proposé  d'éta- 
blir le  noviciat  à  Verdun1.  Ce  projet  ne  put  être  immédiatement 
exécuté;  il  ne  le  fut  partiellement  qu'en  1572 ?.  Au  mois  de 
septembre  de  cette  année,  le  P.  Hay  reçut  l'ordre  d'envoyer 
une  partie  des  novices  de  seconde  année  à  Verdun,  une  autre  à 
Paris  et  dans  d'autres  collèges;  les  novices  de  première  année 
devaient  tous  rester  à  BillomA 

Dans  la  province  d'Aquitaine,  dès  l'année  1567,  les  novices 
furent  rassemblés  à  Tournon1;  en  1568,  quand  ce  collège  fut 
dispersé,  ils  se  transportèrent  à  Avignon.  Au  mois  de  février  1569, 
il  fut  question  de  les  transférer  à  Toulouse"1;  mais  en  1571  on 
décida  que  le  noviciat,  distinct  du  collège,  resterait  à  Avignon.  Le 
P.  Ignace  Balsamo  en  eut  la  direction  jusqu'à  l'arrivée  du 
P.  Benoit  Nigri,  que  l'on  peut  considérer  comme  le  premier 
Maître  des  novices  en  France1'. 

Outre  la  fondation  des  maisons  de  noviciat  dans  chaque  pro- 
vince, la  deuxième  congrégation  générale  avait  décrété  l'établis- 
sement des  scolasticats  ou  séminaires,  pour  les  jeunes  philosophes 
et  théologiens  de  la  Compagnie,  qui  devraient  former  des  co/i- 
victus  annexés  à  quelque  grand  collège.  Le  P.  Mercurian, 
durant  sa  visite,  s'occupa  avec  les  PP.  Provinciaux  de  choisir  le 
lieu  le  plus  convenable  à  ces  maisons  d'étude.  On  décida  que  le 
seolasticat  de  la  province  de  France  serait  établi  au  collège  de 
Clermont,  et  celui  de  la  province  d'Aquitaine  à  Lyon,  au  collège 
de  la  Trinité.  En  fait,  cette  dernière  mesure  ne  fut  pas  réalisée, 
et  les  scolastiques  d'Aquitaine  demeurèrent  au  collège  de  Tour- 
non. 

9.  En  1571,  trois  années  s'étant  écoulées  depuis  la  première 
congrégation  des  Procureurs,  les  congrégations  provinciales 
furent  convoquées  pour  la  seconde  fois.  Celle  de  la  province  de 
France,  réunie  à  Paris,  le  k  février,  sous  la  présidence  du  P.  Ma- 
nare, comprenait  des  hommes  de  la  plus  grande  valeur  :  Maldo- 


1.  Lettre  du  P.  Mercurian,  27  nov.  1570  (Il/ici.,  t.  V,  fol.  72). 

2.  Francia,  Histor.  fundat.,  n°  60. 

3.  Lettre  du  P.  Général,  22  sept.  1572  (Gall.,  Epist.  Gen.,  t.  IV). 

4.  Lettre  au  P.  Nadal,  26  juillet  1567  {Ibid.,  t.  IV). 

5.  Lettre  au  P.  L.  du  Coudret,  14  févr.  1569  {Ibid.). 

6.  Historia  Domus  prob.  Avenionensis  (Lugd.,  Fund.  colleg-,  t.  I,  n.  168).  Le 
P.  Creyttoa,  alors  recteur  d'Avignon,  accepta  le  noviciat,  malgré  la  pauvreté  du  col- 
lège; mais  la  Providence,  raconte-t-il,  le  récompensa  si  bien  de  sa  générosité  «  qu'il 
répara  la  maison,  la  meubla,  la  nourrit  sans  faire  aucune  dette,  Dieu  lui  envoyant  des 
secours  admirables  »  (Autobiographie  de  Creytton,  Arch.  comm.  de  Lyon,  GG).     . 


VOYAGE  DE  FRANÇOIS  DE  BORGIA  EN  FRANCE.  m 

nat,  Mariana,  Ponce  Cogordan,  Edmond  Hay.  Elle  députa  celui-ci 
à  Rome  comme  procureur.  Elle  décida  qu'au  collège  de  Cler- 
niont,  au  moins  dans  l'intérieur  de  la  communauté,  le  P.  Slip' 
rieur  reprendrait,  suivant  l'usage  de  la  Compagnie,  le  nom  de 
Kecteur,  qu'on  s'était  interdit  jusqu'alors  pour  ne  pas  offusquer 
l'Université. 

La  congrégation  provinciale  d'Aquitaine,  elle  aussi,  comptait 
parmi  ses  membres  des  religieux  déjà  célèbres  ou  qui  ne  tar- 
deraient pas  à  le  devenir  :  Àuger,  Possevin,  les  deux  du  Cou- 
dret,  Guillaume  Creytton,  Claude  Mathieu.  Réunie  A  Avignon 
le  25  avril,  elle  élut  procureur  le  P.  Annibal  du  Coudret.  On  y 
traita  la  question  des  représentations  théâtrales  dans  les  collè- 
ges, avec  le  désir  d'en  modérer  l'usage  :  sans  interdire  complè- 
tement les  comédies,  on  ne  les  permit  qu'une  seule  fois  tous  les 
deux  ou  trois  ans;  quant  aux  dialogues  plus  simples,  on  les 
autorisa  une  fois  chaque  année  '. 

La  seconde  congrégation  des  Procureurs  eut  lieu  à  Rome  au 
mois  de  juin.  Il  y  avait  alors  six  ans  que  le  P.  François  de  Borgia 
gouvernait  la  Compagnie  de  Jésus.  Renouvelant  cet  admirable 
trait  d'humilité  dont  saint  Ignace  et  le  P.  Lainez  avaient  donné 
l'exemple,  l'ancien  duc  de  Candie  désirait  renoncer  au  généralat. 
Il  consulta  ses  Assistants,  leur  exposa  son  incapacité  et  ses  infir- 
mités, et  les  pria  de  trouver  bon  qu'il  assemblât  la  congrégation 
générale  pour  lui  élire  un  successeur  :  l'intérêt  de  la  gloire  de 
Dieu  et  le  bien  de  la  Compagnie  devaient,  croyait-il,  leur  faire 
souhaiter  ce  changement  aussi  ardemment  qu'à  lui-même.  Les 
Pères  Assistants  crurent,  avec  raison,  que  la  ferveur  du  zèle  et 
l'éminence  des  vertus  pouvaient  suppléer  à  la  langueur  du  corps 
et  à  la  faiblesse  de  l'âge;  ils  jugèrent  à  l'unanimité  que  la  Com- 
pagnie avait  tout  avantage  à  rester  gouvernée  par  celui  qu'ils 
regardaient  comme  un  saint.  A  ce  moment  même,  loin  de  pou- 
voir jouir  paisiblement  de  la  solitude  après  laquelle  il  soupirail 
de  toute  son  âme,  le  P.  Général  se  trouva  engagé  par  le  Souve- 
rain Pontife,  auquel  il  avait  voué  obéissance,  dans  une  suite  de 
négociations  où  il  devait  achever  de  consumer  ses  forces  et  sa 
vie. 

10.  Pie  Y.  douloureusement  ému  des  maux  qui  affligeaient  la 
chrétienté,  avait  conclu  avec  le  roi  d'Espagne  et  la  république 

1.  Acta  congr.  prov,,  1571. 


HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

do  Venise  une  ligue,  dont  la  victoire  de  Lépante  devait  être  le 
ternie  glorieux.  Non  content  de  réprimer  l'audace  des  mortels 
ennemis  du  nom  chrétien,  il  voulait  les  réduire  à  une  complète 
impuissance.  Toujours  occupé  à  de  nouveaux  préparatifs  de 
guerre,  il  forma  encore  le  dessein  de  gagner  à  sa  sainte  entre- 
prise tous  les  États  de  l'Europe  demeurés  tidèles  à  la  Papauté.  Il 
députa  dans  ce  but  le  cardinal  Commendon  vers  l'empereur  et 
le  roi  de  Pologne,  le  cardinal  Alexandrin,  son  neveu,  aux  cours 
d'Espagne  et  de  Portugal.  Des  personnages  de  mérite  et  des  pré- 
lats habiles  devaient  accompagner  ces  deux  légats.  Les  Pères 
François  Tolet  et  François  de  Borgia  furent  choisis  comme  conseils, 
l'un  du  cardinal  Commendon  et  l'autre  du  cardinal  Alexandrin. 
Pie  V  avait  tant  de  confiance  dans  le  crédit  du  P.  Général  de  la 
Compagnie  de  Jésus,  qu'il  regardait  son  concours  comme  néces- 
saire au  succès  des  négociations. 

Malgré  le  pénible  état  de  sa  sanlé,  François  de  Borgia  n'hésita 
pas  un  seul  instant  à  répondre  au  désir  du  Saint-Père,  s'estimant 
très  heureux  d'exposer  le  reste  de  ses  jours  pour  le  service  de 
Dieu  et  de  son  Église.  Il  termina  donc  promptement  toutes  les 
aifaires  qui  restaient  à  traiter  avec  les  Procureurs,  et  désigna  le 
P.  Nadal  comme  Vicaire  général  pendant  son  absence.  Le  Père 
Claude  Mathieu  fut  nommé  Provincial  d'Aquitaine  '  à  la  place  du 
P.  Auger-,  et  le  P.  Edmond  Hay  succéda  comme  Provincial  de 
France  au  P.  Olivier  Manare  qui  devint  Recteur  du  collège  de 
Paris. 

A  la  fin  du  mois  de  juin,  le  P.  Général,  après  avoir  reçu  la 
bénédiction  de  Sa  Sainteté,  partit  avec  le  légat3.  Il  était  accom- 
pagné du  P.  Polanco  et  de  quelques  Pères  Espagnols  et  Portugais, 
députés  à  la  dernière  assemblée  des  Procureurs,  qui  retournaient 
dans  leurs  provinces.  Ils  traversèrent  tout  le  nord  de  l'Italie  et 
furent  reçus,  à  leur  entrée  en  France,  par  une  nombreuse  escorte 
que  le  roi  très  chrétien  avait  envoyée  au-devant  du  cardinal 
Alexandrin j  pour  le  conduire  jusqu'à  la  frontière  d'Espagne.  En 

1.  Le  P.  Claude  Mathieu,  qui  fera  tant  parler  de  lui  au  temps  de  la  Ligue,  était  né 
à  Gugoey,  diocèse  de  Toul.  En  1561,  il  professait  la  philosophie  à  Tournon  et  était 
Recteur  de  ce  collège  en  1567,  quand  les  Jésuites  durent  l'abandonner  par  la  crainte 
des  huguenots. 

2.  En  annonçant  au  P.  Auger  qu'il  avait  un  successeur,  le  P.  Nadal  lui  laissa  le  choix 
de  son  domicile.  Le  P.  Émond  se  retira  quelque  temps  au  petit  collège  de  Mauriac, 
paisible  séjour  où  il  put  se  préparer  dans  le  recueillement  à  de  nouveaux  travaux 
(Lettre  du  P.  Au.^er  au  P.  Mercurhn,  31  juillet  1571.  Gall.  Epist.,  t.  V,  fol.  \). 

3.  Lettre  du  P.  Nadal  au  P.  Coch,  5  juillet  1571  {Epist.  P.  Nadal,  III,  p.  648).  — 
Archiv.  Vatican,  Bibl.  Pia,  n.  61,  fol.  38,  39  :  Ilinerarium  legationis  card.  Alexan- 
drini. 


VOYAGE  DE  FRANÇOIS  DE  BORGIA  EN  FRANCE.  493 

passant  par  Avignon,  le  I*.  de  Borgia  demeura  quelques  jours  au 
collège.  Suivant  une  tradition  locale,  il  habita  la  chambre  même 
({n'avait  occupée,  en  137(5,  sainte  Catherine  de  Sienne,  Lorsqu'elle 
vint  engager  le  Pape  Grégoire  XI  à  retourner  à  Home1. 

Nous  n'avons  pas  à  le  suivre  dans  le  reste  de  son  voyage  avec 
le  cardinal  Alexandrin,  ni  dans  les  démarches  <ju'il  dut  faire 
de  concert  avec  lui.  Au  mois  de  décembre,  le  légat  venait,  de 
terminer  la  négociation  des  affaires  qui  concernaient  la  Pénin- 
sule, lorsqu'il  reçut  un  ordre,  fort  pressant,  de  repasser  promp- 
tement  en  France.  11  s'agissait  de  demander  pour  don  Sébas- 
tien, roi  de  Portugal,  la  main  de  Marguerite  de  Valois,  sœur  de 
Charles  IX.  Le  Pape  désirait  vivement  cette  alliance,  sur  laquelle 
il  fondait  l'espoir  d'engager  le  roi  de  France  dans  la  ligue  contre 
les  Turcs.  Or,  on  venait  d'apprendre  que  Charles  IX  et  Catherine 
de  Médicis  étaient  sur  le  point  de  conclure  le  mariage  de  la 
jeune  princesse  avec  Henri,  roi  de  Navarre  :  c'eût  été  la  ruine 
de  tous  les  plans  du  Souverain  Pontife.  Le  légat  retourna  donc 
aussitôt  de  Lisbonne  à  Madrid,  et  de  là  reprit  le  chemin  de  la 
France.  Le  P.  François  de  Borgia,  jugeant  sa  présence  inutile 
au  succès  de  cette  affaire  matrimoniale,  ne  pensait  plus  qu'a 
revenir  à  Rome,  afin  d'y  consacrer  ce  qui  lui  restait  de  vie  aux 
devoirs  de  sa  charge.  Au  moment  où  il  se  préparait  à  parlir 
sur  le  vaisseau  que  le  roi  d'Espagne  avait  mis  à  sa  disposition 
pour  le  transporter  en  Italie,  il  fut  arrêté  par  un  avis  du  Pape 
qui  le  priait  d'accompagner  le  cardinal  dans  sa  nouvelle  léga- 
tion. Pie  V  ne  désespérait  point  encore  de  faire  accepter  le  ma- 
riage de  Marguerite  de  Valois  avec  le  roi  de  Portugal,  et  il 
jugeait  le  P.  de  Borgia  très  capable  de  prémunir  Charles  IX  et 
la  reine-mère  contre  les  artifices  des  hérétiques,  dont  l'influence 
augmentait  tous  les  jours.  Malgré  les  douleurs  aiguës  que  lui 
causaient  de  continuelles  infirmités,  le  P.  Général  obéit  avec 
joie,  prêt  à  aider  de  son  mieux  la  délicate  mission  du  légat. 

Une  lettre  du  P.  Jean  Fernandez  nous  a  conservé  le  récit  de 
son  voyage  et  de  sa  réception  à  la  cour.  Le  cardinal  Alexandrin 
et  sa  suite,  arrivés  à  Bayonne  dans  les  premiers  jours  de  jan- 
vier 1572,  y  restèrent  quelque  temps  à  attendre  la  venue  de 
M.  de  Saint-Sulpice,  intendant  de  la  maison  du  duc  d'Alençon, 
et  l'escorte  d'honneur  qui  devait  accompagner  l'envoyé  du  Saint- 

1.  Celte  pièce  était  au  premier  étage  de  la  tour  de  la  Molle;  on  la  transforma  plus 
lard  en  chapelle  sous  le  vocable  de  saint  François  de  Borgia  et  sous  celui  de  la  bien- 
heureuse dominicaine. 


i'.ii  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Siège.  On  se  dirigea  d'abord  à  travers  les  landes,  vers  Bordeaux; 
où  le  cardinal  descendit  à  l'archevêché1,  tandis  que  le  P.  de 
Borgia  était  reçu  chez  le  conseiller  de  Lange,  très  fervent  catho- 
lique et  grand  ami  de  la  Compagnie-,  On  passa  ensuite  par 
Poitiers  et  CluHellerault,  où  le  P.  Général  célébra  la  messe  dans 
une  des  églises  de  la  ville;  on  parvint  le  9  février  à  Tours,  et 
deux  jours  plus  tard  à  Blois,  où  résidait  alors  le  roi.  Charles  IX 
y  était  venu  d'Amboise,  afin  de  recevoir  plus  honorablement  le 
légat  et  sa  suite.  Le  lendemain,  un  évêque  se  présenta  à  l'hô- 
tellerie habitée  par  le  P.  Général  et  l'emmena  au  château  pour 
baiser  la  main  du  roi  et  de  la  reine-mère.  Catherine  de  Médicis 
l'accueillit  avec  toutes  les  marques  de  la  plus  respectueuse  dé- 
férence, et,  comme  il  lui  remit  une  lettre  de  la  part  de  Sa  Ma- 
jesté Catholique,  elle  la  lut  debout,  ne  voulant  pas  s'asseoir 
avant  qu'on  eût  apporté  un  siège  à  son  illustre  visiteur.  Le  se- 
cond jour,  le  P.  François  de  Borgia  se  rendit  chez  la  reine, 
Elisabeth  d'Autriche.  Celle-ci  parlant  espagnol,  le  Père  lui  dit 
dit  qu'il  se  croyait  à  la  cour  d'Espagne,  ce  qui  lui  plut  beau- 
coup. Le  troisième  jour  il  visita  Monsieur,  duc  d'Anjou,  qu'il 
trouva  animé  des  meilleurs  sentiments  à  l'égard  de  la  cause  ca- 
tholique. Durant  tout  son  séjour  à  Blois,  malgré  le  vent,  la  neige 
et  un  froid  si  rigoureux  que  la  Loire  était  gelée,  le  P.  Général 
n'eut  pas  trop  à  souffrir  de  son  état  de  santé,  en  sorte  qu'il  ne 
perdit  aucune  occasion  de  négocier  avec  les  princes  les  intérêts 
de  la  religion  3. 

Le  P.  de  Borgia  apprit  avec  bonheur,  de  la  bouche  du  P.  Mal- 
donat,  qui  lui  avait  apporté  les  filiales  félicitations  des  Pères  de 
Paris,  les  travaux  et  les  succès  du  collège  de  Clermont  ',  et  il 
remercia  le  ciel  qui  se  plaisait  à  répandre  enfin  ses  faveurs  sur 
une  maison  si  longtemps  éprouvée  par  toutes  sortes  de  tribu- 
lations. Mais  il  n'eut  pas  la  consolation,  qu'il  avait  goûtée  en  Es- 
pagne  et  en  Portugal,  de  contribuer,  comme  il  l'aurait  souhaité, 
à  l'accomplissement  des  desseins  du  Souverain  Pontife.  Les  ré- 
voltes des  huguenots,  qui  avaient  allumé  la  guerre  dans  tout  le 
royaume,  ne  permettaient  pas  à  Charles  IX  d'employer  contre 
les  ennemis  de  la  chrétienté  des  forces  nécessaires  au  maintien 
du  pouvoir   royal.  Par  ailleurs,  les   raisons  d'État,  qui  avaient 

1.  Arch.  comm.  de  Bordeaux,  BB,  Registres  de  la  jurade,  fragment  de  1572. 

2.  «  Personnage  sçavanl,  éloquent  et  catholique  fort  zélé  >•  (Damai,  Chronique 
Bourdeloise,  MDCXIX,  f.  49v). 

3.  Gall.  Epist.,  t.  VI.  fol.  343-315. 

*.  Lettre  du  P.  Manare  au  P.  Nadal  [Jbid.,  fol.  7  . 


VOYAGE  DE  FRANÇOIS  DE  BORGIA  EX  FRANl  !  W5 

déterminé  le  projet  de  mariage  entre  Henri  de  Navarre  et  Mar- 
guerite de  Valois,  ne  laissaient  espérer  l'accueil  favorable  d'au- 
cune autre  proposition.  Le  cardinal  Alexandrin  lit  de  vains  efforts 
pour  empêcher  une  alliance  irrévocablement  résolue. 

S'il  ne  restait  nul  moyen  d'atteindre  le  double  but  des  né- 
gociations avec  la  cour  de  France,  le  P.  François  de  Borgïa  se 
servit  du  moins  de  la  sainte  liberté  que  lui  inspirait  son  zélé 
pour  exhorter  Leurs  Majestés  très  chrétiennes  à  ne  pas  suivre 
toujours  les  maximes  de  l'intérêt  politique,  à  envisager  surtout 
celui  de  Dieu  et  de  l'Eglise.  La  reine-mère  reçut  en  bonne  part 
ses  humbles  remontrances;  elle  parut  même  n'en  éprouver  que 
plus  de  vénération  pour  sa  personne;  persuadée  de  sa  sainteté 
et  de  son  crédit  auprès  du  ciel,  elle  voulut  avoir  un  chapelet 
qu'elle  vit  à  sa  ceinture  [.  Le  serviteur  de  Dieu  n'ayant  pu  le 
refuser  aux  instantes  prières  d'une  si  grande  princesse,  elle  le 
garda  toujours  comme  une  précieuse  relique. 

11 .  Le  Père  Général  partit  de  Blois,  à  la  fin  du  mois  de  février, 
péniblement  impressionné  des  sentiments  d'indifférence  reli- 
gieuse qui  régnaient  à  la  cour,  et  très  affligé  des  grands  mal- 
heurs qu'il  redoutait  pour  un  royaume  que  l'Église  avait  tou- 
jours considéré  comme  son  plus  ferme  appui-.  Cependant,  si  les 
dehors  de  la  réconciliation  avec  les  hérétiques  cachaient,  comme 
le  prétendent  quelques  historiens,  des  projets  de  vengeance, 
le  P.  de  Borg'ia  n'avait  rien  saisi  de  la  trame  qui  s'ourdissait 
et  devait  bientôt  aboutir  à  un  attentat  :  «  Nous  ne  devons  pas 
oublier,  dit  un  écrivain  protestant,  que,  malgré  ses  rapports 
assez  intimes  avec  Charles  IX  et  Catherine  de  Médicis,  et  bien 
qu'il  fût  en  haute  faveur  auprès  d'eux,  on  n'a  aucun  motif  de 
supposer  qu'il  eût  reçu  la  confidence  de  leur  odieux  projet3.  » 

Il  se  mit  en  route  avec  le  cardinal  Alexandrin  qu'il  accompa- 
gna jusqu'à  Lyon.  Pendant  le  carême,  les  habitants  apprirent 
l'arrivée  prochaine  du  légat4.  Sans  tarder,  ils  élevèrent  des  arcs 
de  triomphe  et  disposèrent  tout  pour  une  réception  magnifique. 
Le  ï  mars,  le  cardinal  avec  sa  suite  se  présenta  aux  portes  de 
la  ville,  mais,  —  nous  ne  savons  pour  quel  motif,  —  il  refusa 
formellement  les  honneurs  d'une  entrée  solennelle.  On  juge  de 

1.  Cienfugos,  La  fteroïca  rida  del  grande  S.  F.  Borgia   p:  448. 

2.  Lettre  de  François  de  Borgia  au  P.    Ribadeneira    Dans  Ribadeneira     \  ttu  dcl 
P.   F.  Borgia,  p.  227). 

3.  The  First  Jesuits  dan-;  Edimburg  Review,  1842. 
i.  Possevin  :  Annaliinn  decas  1\  I.  IV,  c.  m,  p.  153. 


in,  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

la  déconvenue  dos  magistrats  qui  l'avaient  organisée.  Ils  eurent 
recours  au  Père  Recteur  du  collège  dont  l'intervention,  requise 
en  cette  ail'aire,  montre  assez  l'influence  et  la  popularité.  Posse- 
vin  allait  monter  en  chaire  quand  on  vint  l'avertir.  11  laisse 
là  son  auditoire  qui  reste  patiemment  à  l'attendre,  et  en  toute 
hâte,  à  cheval,  il  se  rend  auprès  du  légat  pour  parlementer.  Il 
s'efforce,  par  les  meilleurs  arguments,  de  le  faire  revenir  sur  sa 
décision  :  «  Voyez,  lui  dit-il,  cette  cité  qui  naguère  encore  gé- 
missait sous  le  joug  du  calvinisme;  maintenant  elle  accourt  au- 
devant  de  vous,  le  représentant  du  Saint-Père,  elle  se  prosterne 
humblement  à  vos  pieds  pour  implorer  votre  bénédiction,  et  elle 
atteste  ainsi  publiquement  son  attachement  à  la  vraie  foi.  Quelle 
honte  ne  serait-ce  pas  pour  elle,  aux  yeux  des  calvinistes  de 
(ienève,  si  le  neveu  du  Pape  semblait  indifférent  à  ses  avances 
et  à  ses  témoignages  de  respect?  »  Alexandrin  n'avait  rien  à 
objecter  à  pareil  raisonnement;  il  céda  aux  désirs  des  Lyonnais, 
qui  lui  prouvèrent  par  de  chaleureuses  ovations1  que  les  héréti- 
ques n'avaient  point  arraché  de  leurs  cœurs  l'amour  de  l'Église 
et  du  Saint-Siège. 

Quelques  heures  après,  Possevin  recevait  au  collège  François 
de  Borgia.  Pendant  trois  jours,  les  Pères  furent  «  grandement 
consolés2  »  par  la  présence  de  leur  Général  qu'ils  avaient  en  vé- 
nération. Mais,  sans  cloute,  l'état  de  sa  santé  leur  donna  de 
vives  inquiétudes.  Eneifet,  la  fin  de  ce  voyage  devait  être  fatale  à 
l'illustre  serviteur  de  Dieu.  Déjà,  de  Bayonne  à  Blois,  il  avait  eu 
à  souffrir  du  froid  dans  les  églises,  souvent  dévastées,  où  le  re- 
tenait la  ferveur  de  sa  piété.  Un  accident  de  ce  genre,  raconte 
Kibadeneira  !,  lui  arriva  de  nouveau  après  son  départ  de  Lyon. 
Il  rencontra  une  fois,  sur  sa  route,  une  église  profanée  par  les 
hérétiques.  La  tristesse  dont  son  âme  était  accablée,  grandit 
encore  à  cette  vue;  il  voulut  offrir  le  saint  sacrifice  au  lieu  même 
où  le  corps  du  Sauveur  avait  reçu  tant  d'outrages'1.  Le  temps  était 
glacial,  l'église  en  ruines  et  exposée  à  tous  les  vents.  Après  sa 
messe,  le  Père  fut  saisi  de  frissons  et  d'un  tel  accès  de  fièvre 

1.  Possevin  :  Anualimn  decas  la,  1.  IV.,  c.  m,  p.  I5i-I56.  —  2.  Ibidem. 

3.  Ribadeneira,  Y.ita  ciel  P.  F.  Borgia,  p.  226. 

4.  Ribadeneira  place  ce  fait  au  2  février,  par  erreur,  puisque  le  départ  de  Lyon  eut 
lieu  le  7  mars.  On  peut  même  se  demander  si  cet  auteur  n'a  point  confondu  avec  un 
accident  semblable,  qui  serait  arrivé  réellement  le  2  février,  et  dont  les  conséquences 
se  seraient  fait  plus  gravement  sentir  après  le  séjour  à  Lyon.  Nous  savons  en  effet,  par 
la  relation  du  voyage  du  cardinal  Alexandrin,  que  ce  jour-là  le  Légat  «  celeb ravit 
missam  in  quadam  ecclesia  satis  delurpata  opéra  hùgonotorum  ».  Il  est  fort  pro- 
bable que  François  de  Rorg'a  avait  dit  sa  messe  dans  la  même  église. 


MORT  DK  FRANÇOIS  DE  BORGIA.  497 

qu'il  ne  pouvait  plus  se  tenir  debout.  On  dut  le  transporter  en 
litière  le  reste  du  chemin,  jusqu'à  Saint-Jean  de  Maurienne,  où 
des  médecins,  envoyés  au-devant  de  lui  par  le  duc  de  Savoie, 
le  soignèrent  pendant  quelques  jours.  Malgré  son  ardent  désir  de 
rentrer  promptement  à  Rome,  la  maladie  l'obligea  de  s'arrêter 
plusieurs  mois  à  Ferrare1.  Ce  ne  fut  que  le  28  septembre,  après 
un  pèlerinage  à  Notre-Dame  de  Lorette,  qu'il  revit,  agonisant, 
la  capitale  du  monde  chrétien.  Un  nouveau  Pape,  Grégoire  XIII, 
occupait  le  siège  de  Saint-Pierre.  Dans  le  conclave  qui  avait 
suivi  la  mort  de  Pie  V,  le  nom  de  François  de  Borgia  fut  pro- 
noncé, car  on  le  jugeait  cligne  de  succéder  au  pontife  qui  l'ho- 
norait de  sa  confiance  et  de  son  amitié2. 

Trois  jours  après  son  retour  à  Rome,  le  1er  octobre,  le  P.  Gé- 
néral rendit  saintement  le  dernier  soupir  au  milieu  de  ses  frères, 
comme  il  Pavait  désiré.  Grégoire  XIII,  en  lui  envoyant  une  der- 
nière bénédiction,  avait  exprimé  en  termes  touchants  sa  douleur 
et  ses  regrets  :  «  Il  avait,  disait-il,  compassion  de  l'Église  qui 
perdait  un  si  grand  défenseur  dans  la  personne  du  P.  François1.  » 
Le  second  successeur  d'Ignace  de  Loyola  mourut,  en  effet,  vic- 
time de  son  obéissance  au  Pape  et  de  son  dévouement  à  l'Église 

12.  Comme  il  n'avait  pas  désigné  de  Vicaire  avant  sa  mort,  le 
P.  Polanco  fut  élu,  et,  en  cette  qualité,  indiqua  pour  le  12  avril 
1573  la  réunion  des  profès  à  Rome.  Les  congrégations  provincia- 
les, qui  devaient  choisir  les  députés  chargés  d'élire  le  nouveau 
Général,  s'assemblèrent  au  mois  de  janvier.  La  congrégation 
de  la  province  de  France,  convoquée  au  collège  de  Clermont, 
députa  les  PP.  Olivier  Manare  et  Émond  Auger.  Elle  exprima 
le  désir  de  transporter  les  novices  de  Billom  à  Paris  :  ils  habi- 
teraient le  collège,  mais  dans  un  lieu  distinct  pour  leurs  exer- 
cices; ceux  que  l'on  ne  pourrait  entretenir  seraient  envoyés  dans 
une  autre  maison.  La  congrégation  de  la  province  d'Aquitaine, 
réunie  au  collège  de  Tournon,  nomma  les  PP.  Antoine  Possevin 

1.  Leltre  du  P.  Fernande/,  au  P.  Naclal  (Gall.  Epist.,  t.  VI,  7  avril  1572J. 

2.  Nous  avons  pour  garant  de  ce  fait  le  témoignage  de  Thomas  Borgia,  archevêque 
de  Saragosse,  dans  le  procès  de  béatification  :  «  Cardinalis  Paleoltus  mihi  mandavit 
ut  pro  viribus  procurarem  ducere  Palreni  Franciscum  Dominum  meum  ad  Romanam 
curiam  in  eleclionis  occasione;  quia  ipse  scieltat  quod  mulli  ex  cardinalibus  adhae- 
rebanl  Suae  Paternitati  reverendissimae  ad  illum  in  servitio  Ecclesiae  occupan  lum.  » 
—  Mais  comment,  observa  Thomas  Borgia,  pourrait-on  élire  Pape  le  P.  François  qui 
n'est  pas  cardinal?  —  11  lui  fut  répondu  :  «  Quod  cardinalium  collegium  facere  poterat 
id  quod  judicabat  convenire.  Existât  Homae.  Deus  caetera  providebit.  »  (Bartoli  Vita 
di  S.  Fr.  Borgia,  p.  243,  244.) 

3.  Ribadeneira,  Vita  del  P.  Borgia,  p.  231. 

COMPAGNIE    DE    JÉSUS.    —  T.    I.  32 


498  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

et  Guillaume  Creytton;  elle  s'occupa  aussi  des  novices,  qui  se 
trouvaient  à  Avignon;  si  on  les  transférait  ailleurs,  ils  seraient 
remplacés  par  les  théologiens,  alors  à  Tournon1. 

Les  députés  quittèrent  la  France  vers  la  tin  de  février2,  sauf 
le  P.  Àuger  retenu  par  le  duc  d'Anjou3.  Comme  lui,  trois 
Pères  Espagnols  furent  empêchés,  par  un  fâcheux  accident,  de 
se  rendre  à  Rome;  c'étaient  Gil  Gonzalez,  Provincial  de  Castille, 
Jean  Suarez  et  Dominique  Guttiérez,  ce  saint  religieux  à  qui, 
selon  la  tradition,  la  Très  Sainte  Vierge  était  un  jour  apparue 
couvrant  de  son  manteau  toute  la  Compagnie.  Ces  trois  Jésuites, 
en  traversant  la  France,  étaient  tombés,  près  du  château  de 
Cardillac,  en  Rouergue,  dans  un  parti  de  huguenots.  Ceux-ci, 
heureux  de  tenir  en  leur  pouvoir  des  prêtres  catholiques,  mirent 
en  délibération  la  peine  qu'on  leur  infligerait.  Les  uns  deman- 
daient la  mort,  les  autres  exigeaient  une  forte  rançon,  et  ce 
dernier  avis  prévalut.  Mais  les  Pères,  n'estimant  pas  leur  vie  à 
un  si  haut  prix,  refusèrent  de  se  racheter  et  furent  emmenés 
prisonniers  dans  une  forteresse  voisine,  où  ils  eurent  à  subir 
toutes  sortes  de  mauvais  traitements.  Guttiérez  ne  vécut  que 
quelques  jours  au  milieu  des  hérétiques;  Gonzalez  fut  griève- 
ment blessé,  et  enfin  mis  en  liberté  avec  Suarez,  grâce  à  la  cha- 
rité des  Pères  de  la  province  d'Aquitaine.  «  Le  Père  Provincial 
de  Castille,  écrivait  de  Rodez  le  P.  Annibal  du  Coudret,  le 
15  mai,  est  resté  ici  gardant  le  lit  jusqu'aujourd'hui,  à  cause 
de  la  blessure  qu'il  a  reçue  pendant  sa  captivité.  Demain,  nous 
l'espérons,  il  commencera  à  se  lever.  Quel  dommage  si  les 
huguenots  avaient  tué  un  homme  de  cette  valeur,  excellent  théo- 
logien, parfait  religieux,  d'un  si  bon  caractère,  d'une  si  aima- 
ble conversation,  qui,  par  sa  patience  et  sa  douceur,  a  été  cons- 
tamment un  objet  d'édification  pour  toute  la  communauté4.  » 

13.  La  troisième  congrégation  générale  s'ouvrit  à  Rome,  le 
12  avril,  par  un  discours  du  P.  Possevin  qui  s'acquitta  de  cet  of- 
fice à  la  satisfaction  de  toute  l'assemblée5.  Le  23  avril,  le  P.  Éve- 
rard  Mercurian,  belge  de  nation,  ancien  étudiant  de  l'hôtel  de 
Clermont  et  Visiteur  en  France,  fut  élu  quatrième  Général  de  la 

1.  Acta  congr.  prov.  1573. 

2.  Annal,  decas  1%  liv.  IV,  c.  m. 

3.  Lettre  du  duc  d'Anjou  au  P.  Général  pour  excuser  l'absence  du  P.  Auger  (Bibl. 
nat.,  fonds  Dupuy,  937,  fol.  21). 

4.  Lettre  au  Père  Général  (Gall.  Epist.,  I,  Vil). 

5.  Annal,  decas  1%  1.  IV,  c.  i\. 


TROISIÈME  CONGRÉGATION  GÉNÉRALE.  499 

Compagnie  de  Jésus  à  la  majorité  de  vingt-sept  voix  sur  qua- 
rante-sept  votants1.  Le  I*.  Olivier  Manare,  Recteur  du  collège  <!<• 
Clermont,  devint  Admoniteur  du  P.  Général  et  Assistant  pour  la 
France  et  l'Allemagne.  On  avait  proposé  de  créer  une  cinquième 
Assistance  pour  les  provinces  de  France,  mais  la  congrégation 
décida  de  ne  rien  changer  à  ce  qui  existait  déjà.  Elle  se  prépara 
le  10  juin,  après  avoir  sanctionné  quarante-huit  décrets  et  réglé 
certains  points  concernant  l'élection  au  généralat,  la  manière  de 
procéder  dans  les  congrégations  provinciales  et  les  devoirs  atta- 
chés aux  fonctions  temporaires  du  Vicaire  général2. 

Le  Père  Possevin  ne  revint  pas  en  France.  Il  avait  été  choisi 
comme  secrétaire  du  P.  Mercurian3,  marque  évidente  de  l'estime 
qu'on  avait  de  son  talent  et  de  sa  vertu,  car  le  secrétaire  est 
l'homme  de  confiance  sur  lequel  le  Général  se  repose,  en  partie, 
des  principales  affaires  de  la  Compagnie. 

1.  Letlres  des  6  et  8  juillet  [>ar  lesquelles  le  P.  Général  informe  Charles  IX,  la  reine 
et  Catherine  de  Médicis  de  son  élection  (Gai!.,  Epist.  General.,  t.  V). 

2.  Inst.  Soc.  Jesu,  t.  I,  p.  200  et  suiv. 

3.  Annal,  decas  1\  I.  IV,  c.  v. 


CHAPITRE  VII 

ANCIENS    ET   NOUVEAUX    COLLÈGES    :    TOULOUSE,    RODEZ, 
VERDUN,    NE  VER  S. 

(1566-1572). 

Sommaire  :  Toulouse  :  1.  Achat  du  palais  de  Bernuy;  opposition  des  protes- 
tants, 1566.  —  2.  Insuffisance  des  ressources.  —  3.  Bienveillance  de  l'Univer- 
sité —  Rodez  :  4.  Difficultés  avec  le  chapitre.  —  5.  Progrès  et  agrandisse- 
ments du  collège.  —  Verdun  :  6.  Envoi  des  Pères  Allemands,  1564;  recours 
aux  Pères  Français,  1570.  —  7.  Ouverture  des  classes,  Ier  octobre  1571  ;  —  mort 
du  fondateur,  Ms'  Nicolas  Psaume,  1575.  —  Nevers  :  8.  Démarches  du  duc  de 
Nevers.  —  9.  Ouverture  des  classes,  octobre  1572;  contrat  de  fondation,  26  sep- 
tembre 1573. 

Sources  manuscrites  :  I.  Archives  de  l'Aveyron,  série  D. 

II.  Archives  de  la  Nièvre,  série  I). 

III.  Archives  communales  de  Toulouse,  s.  AA  et  BB. 

IV.  Archives   communales  de   Verdun,  s.  GG. 

V.  Archives  Vaticanes  :  Nunz.  di  Francia,  t.  VIII. 

VI.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a>  Campan.,  Fundat.  collegior. 
—  b)  Collegium  Nivernense.  —  c)  Epistolae  Episcoporum.  —  d)  Francia,  Hist.  l'undat. 
Assistentiae.  —  e)  Gallia,  Epist.  Generalium.  —  f)  Galliae  Epist.  —  g)  Tolos.,  Fundat.  col- 
legior. 

Sources  imprimées  :  Acla  S.  Sedis.  —  Manare,  De  rébus  S.  J.  —  Hansen,  Rheinische 
"Lien  zur  Geschichte  des  Jesuitenordens.  —  Monumenta  hisitorica  S.  J.  Epist.  P.  Nadal. 


1.  Le  collège  de  la  Compagnie  de  Jésus,  à  Toulouse,  était 
assez  mal  installé  dans  l'ancien  couvent  des  Augustines.  Depuis 
longtemps  déjà  les  supérieurs  avaient  reconnu,  avec  le  cardinal 
d'Armagnac  et  les  capitouls,  la  nécessité  de  le  transférer  dans  un 
lieu  plus  convenable1.  En  1566,  pendant  un  séjour  du  P.  Auger, 
une  occasion  favorable  se  présenta  de  mettre  ce  projet  à  exécu- 
tion-. 

Jehan  de  Bernuy,  vicomte  de  Lautrec,  avait  vendu,  le  25  dé- 
cembre 1556,  à  M8  Antoine  Clary,  conseiller  du  roi,  pour  la 
somme  de  vingt  mille  livres  tournois,  le  palais  qui  portait  le 
nom  de  sa  famille.  Il  avait  reçu  quatre  mille  livres;  le  restant 
devait  être  payé  par  portions  égales,  en  trois  termes,  jusqu'au 

1.  V.  plus  haut,  1.  II,  c.  x,  n.  5. 

2.  Lettres  du  P.  Auger  au  P.  Général,  8  mars  et  24  juin  1566  (Gall.  Epist.,  t.  III, 
f,  85,86).  Tolos.,  Fund.  colleg.,  t.  III,  n.  2, 


SITUATION  DU  COLLÈGE  DE  TOlîLOtiSË.  5<H 

premier  janvier  1559.  Antoine  Glary  n'ayant  encore  rien  versé 
en  1565,  un  différend  s'éleva  entre  lui  et  Jehan  de  Bernuy.  Le 
10  juillet  1500,  il  vendit  le  palais  à  noble  Jehan  de  Gamoy,  an- 
cien capitoul,  qui  paya,  le  \±  juillet,  la  somme  de  huit  mille 
livres  au  vicomte  de  Lautrec  ' .  En  possession  du  palais  de  Bernu\ . 
Jehan  de  Gamoy  résolut,  de  concert  avec  deux  notables  bourgeois 
de  Toulouse,  MM.  Pierre  de  Madron  et  Pierre  Dclpcch,  anciens 
capitouls  comme  lui,  de  donner  ce  bel  édifice  aux  Jésuites-.  Le 
18  août  1500,  ils  se  rendirent  à  l'hôtel  de  ville  et  exposèrent  leur 
projet  au  conseil  qui  saisit  avec  empressement  cette  occasion  d'é- 
tablir convenablement  le  collège  de  la  Compagnie".  Dans  une  de 
leurs  délibérations,  les  capitouls  assignèrent  aux  Jésuites  douze 
cents  livres  qui  restaient  des  collèges  de  Verdalle  et  de  Montle- 
zun,  lesquels  avec  le  monastère  des  Augustines  furent  échangés 
contre  le  palais  de  Bernuy4. 

Quand  la  mesure  prise  par  la  municipalité  fut  connue,  les  pro- 
testants, encore  nombreux  à  Toulouse,  ne  virent  pas  sans  dépit 
que  les  Jésuites  allaient  être  établis  solidement  dans  la  ville.  Ils 
murmurèrent  d'abord  sourdement,  puis  laissèrent  éclater  leurs 
plaintes  :  les  magistrats,  disaient-ils,  ne  devaient  pas  disposer  en 
faveur  de  quelques  particuliers  d'une  maison  achetée  des  deniers 
publics.  Ils  en  écrivirent  même  à  la  cour  où  ils  formèrent  opposi- 
tion, et  l'affaire  fut  évoquée  au  conseil  du  roi.  Jaloux  de  main- 
tenir leurs  droits,  les  capitouls  décidèrent  d'envoyer  des  députés 
à  Paris  pour  informer  le  conseil  et  obtenir  confirmation  des  actes 
déjà  passés.  Ils  prièrent  le  P.  Auger  d'accompagner  la  députa- 
tion,  espérant  que,  par  son  crédit,  on  arriverait  plus  heureuse- 
ment au  règlement  de  cette  affaire. 

Leur  attente  ne  fut  point  trompée.  Bien  qu'on  eût  à  vaincre  de 
fortes  résistances  de  la  part  de  grands  personnages  très  affection- 
nés au  parti  calviniste,  le  P.  Émond  sut  gagner  l'appui  du  roi 
et  la  recommandation  de  la  reine-mère.  Lorsque  la  cause  fut 
appelée  au  conseil,  le  cardinal  de  Bourbon  prit  avec  chaleur  la 
défense  des  Jésuites  :  «  Une  des  meilleures  preuves  de  la  justice 
de  leur  cause,  dit-il  vertement  à  une  personne  de  distinction 

1.  Archiv.  comm.  de  Toulouse.  AA,  15,  n°  307. 

2.  Lettres  du  P.  Auger,  20  juillet  et  31  août  4566  (Gall.  Epist.,  t.  III,  f.  149,  151). 

3.  Contrat  de  fondation  (Archiv.  comm.,  AA,  14,  n°  98,  fol.  156-159;  BB,  12,  fol. 
20,  22,  24). 

4.  Lettres  des  capitouls  au  P.  Général  et  au  Pape  (Archiv.  comm.,  AA,  14,  fol.  97, 
113;  BB,  176,  fol.  51).  Lettre  du  P.  Général  aux  capitouls,  28  déc.  1566  (Gall..  Epist. 
Gen.,  t.  III). 


502  HISTOIRE  DE  EA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

qui  s'était  déclarée  contre  eux,  c'est  qu'on  la  voit  attaquée  par 
les  hérétiques.  »  Le  conseil  rendit  un  arrêt  favorable,  et  la  trans- 
lation du  collège  de  la  Compagnie  au  palais  de  Bernuy  fut  con- 
tinuée par  lettres  patentes  du  roi,  vérifiées  au  Parlement  le 
9  janvier  1567,  et  par  une  bulle  du  Pape  Pie  V.  Le  P.  Anni- 
bal  du  Coudret  fut  mis  en  possession  du  nouveau  domicile  par 
M.  Pierre  Sabaticr,  conseiller  en  la  cour  du  Parlement  de  Tou- 
louse, le  21  janvier  1567  '. 

2.  Dès  la  première  année  de  la  nouvelle  installation,  le  collège 
plus  fréquenté  dut  accroître  le  nombre  de  ses  régents.  Cepen- 
dant, comme  il  n'était  pis  assez  doté,  le  conseil  de  ville  déli- 
béra sur  les  moyens  de  pourvoir  à  l'entretien  du  personnel  et  en 
confia  le  soin  aux  capitoals2.  Ceux-ci  recoururent  à  la  bienveil- 
lance du  cardinal  d'Armagnac,  alors  à  Avignon,  et  lui  exposèrent 
la  détresse  d'un  établissement  qu'il  avait  contribué  à  fonder. 
Non  seulement  il  ne  jouit  d'aucun  revenu,  lui  écrivirent-ils,  mais 
il  est  endetté  de  plus  de  deux  mille  livres,  et  la  ville,  par  suite  de 
«  la  calamité  du  temps  »  et  «  fraiz  insupportables  des  guerres  », 
ne  peut  efficacement  venir  à  son  secours.  Ils  le  supplièrent  donc 
de  vouloir  bien,  comme  il  l'avait  promis,  s'occuper  de  «  l'entre- 
tènement  »  du  collège  de  Toulouse,  s'engageant  de  leur  côté  à 
faire  tout  leur  possible  pour  lui  venir  en  aide3.  Peu  de  temps 
après,  grâce  sans  doute  à  la  puissante  intervention  du  cardinal, 
les  collèges  de  Verdalle,  de  Montlezun  et  de  la  Tour-Saint-Vincent 
furent  «  unis  et  incorporés  »  à  celui  des  Jésuites  par  autorisation 
du  Saint-Siège  et  permission  du  roi4. 

Cette  union  ne  fut  guère  profitable  au  collège,  car  la  ville, 
pour  faire  face  à  ses  besoins,  s'était  emparée  des  revenus.  Le 
P.  Annibal  du  Coudret,  réduit  à  la  dernière  extrémité,  se  vit 
contraint  de  déclarer  que  les  régents  quitteraient  le  collège  et 
la  ville,  si  l'on  n'avisait  à  leur  trouver  des  ressources  suffisantes. 
En  conséquence  le  conseil  des  Seize  prit,  le  3  décembre  1570, 
la  résolution  suivante  :  «  Quant  au  faict  des  Jhésuictes,  veu  que 
la  ville  n'a  aucungs  deniers,  et  pour  leur  donner  moyen  de 
vivre,  a  esté  ordonné  que  à  chascun  capitoullat  seront  depputés 
deux  personnaiges  qui  auront  charge  de  faire  quester  au  nom 
desdicts  Jhésuictes,  et  encore  seront  priés  les  recteurs  et  vic- 

1.  Procès-verbal  d'installation  des  Jésuites  (Archiv.  comm.,  AA,  16,  n.  118,  119). 

2.  Délib.  du  23  août  1568  (Archiv.  comm.,  BB,  12,  fol.  140,  141). 

3.  Leltre  du  6  février  1569  (Ibid.,  BB,  176,  fol.  95). 

4.  lùid.,  BB,  12,  fol.  243,  245. 


SITUATION  DU  COLLÈGE  DÉ  TOULOUSE. 

caires  des  paroisses  de  ladite  ville,  estant  au  prosne  desdites 
églises,  de  voulloir  exhorter  le  peuple  à  dévotion  et  à  leur  aul- 
mosne.  »  Conforméinent  à  cette  résolution,  on  nomma  dans  cha- 
cun des  huit  capitoulats  de  la  ville  deux  députés,  chargés  de 
«  quester  pour  messieurs  les  J h ésuites 1  ». 

L'année  suivante,  les  Pères  furent  menacés  de  perdre  la  maison 
de  Bernuy  que  les  capitouls  leur  avaient  acquise,  Un  article  de 
la  paix  de  Saint-Germain  (8  août  1570)  accordait  aux  protestants 
le  droit  de  rentrer  dans  les  biens  aliénés  qui  se  trouveraient  en- 
core en  nature;  en  conséquence,  ceux  de  Toulouse  redemandaient 
à  grands  cris  le  palais  de  Bernuy  bâti  par  un  des  leurs.  Les  ma- 
gistrats, résolus  de  conserver  à  la  Compagnie  de  Jésus  une 
maison  dont  elle  faisait  si  bon  usage,  rachetèrent  le  prétendu 
droit  des  protestants,  et,  afin  de  leur  ôter  tout  espoir  d'une  nou- 
velle revendication,  ils  firent  construire  une  église2  devenue  né- 
cessaire aux  Pères  et  à  leurs  écoliers. 

Malgré  tout,  le  collège  ne  sortait  point  de  sa  situation  difficile. 
Les  aumônes,  recueillies  dans  les  capitoulats,  ne  suffisaient  pas  à 
couvrir  ses  dépenses.  De  nouveau,  en  157*2,  il  tomba  dans  une 
extrême  détresse  et  le  P.  du  Coudret,  une  seconde  fois,  dut  songer 
à  quitter  cette  ville  où  il  ne  pouvait  plus  pourvoir  à  la  subsis- 
tance de  sa  communauté  3.  Les  habitants,  craignant  avec  raison 
que  le  collège  ne  fût  supprimé  par  la  Congrégation  générale  déjà 
convoquée  à  Borne,  se  réunirent  en  assemblée  plénière,  le  2  jan- 
vier 1573,  et  lui  allouèrent  un  revenu  de  douze  cents  livres  sur 
les  deniers  publics  4. 

3.  L'Université  de  Toulouse  s'était  toujours  montrée  favo- 
rable aux  Jésuites.  Elle  s'empressa,  elle  aussi,  d'une  manière  très 
délicate,  de  venir  au  secours  du  collège.  Une  lettre  du  P.  Bec- 
teur  nous  a  conservé  le  souvenir  des  charitables  démarches 
qu'elle  entreprit  en  cette  circonstance  : 

«  Deux  docteurs  et  lecteurs  de  l'Université,  écrivait  le  P.  du 
Coudret  au  P.  Général  le  l('r  septembre  1574,  sont  venus  nous 
proposer  trois  choses  de  la  part  de  leurs  collègues  :  1°  l'incor- 
poration du  collège  à  l'Université;   2°  la   rétribution  accordée 

1.  Délibérations  diverses  (Archiv.  comm.,  BB,  12,  fol.  30G,  398,  477,  479,  482,  493, 
494;  BB,  13,  f.  9). 

2.  Cette  église  fut  bénite  le  3  sept.  1575,  par  l'cvéque  d'Albi. 

3.  Reg.  des  Délibérations  (Archiv.  Comm.,  BB,  13,  fol.  127-128). 

4.  IhuL,  fol.  213,  214,  215;  et  AA,  18,329,  fol.  160".  —  Tqlos.,  Fund.  colleg.,  t.  III, 
n.  2. 


504  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

jusqu'ici  aux  lecteurs  en  théologie  de  l'Université,  puisque  nous 
avons  au  collège  un  cours  de  théologie;  3°  celle  de  leurs  deux 
professeurs  es  arts  pour  nos  professeurs  de  philosophie  et  de 
belles-lettres.  A  les  entendre,  ils  agissent  ainsi  en  considération 
du  fruit  que  produit  le  collège  et  par  égard  pour  sa  pauvreté. 
A  ces  deux  raisons,  ils  en  ajoutent  une  troisième  :  c'est  que 
ceux  qui  sont  chargés  de  ces  cours,  à  l'Université,  remplissent 
mal  leur  office,  lequel  d'ailleurs  ne  leur  a  pas  été  confié  abso- 
lument, mais  ad  tempus.  Après  les  avoir  remerciés,  je  leur  ai 
dit  que  je  ne  pouvais  leur  donner  réponse  sans  avoir  prévenu 
Voire  Paternité.  Ils  m'ont  alors  prié  de  vous  écrire  à  ce  sujet, 
car  ils  en  avaient  déjà  parlé  au  premier  président  et  à  M.  Du- 
ranti,  avocat  du  roi;  tous  deux  trouvaient  la  combinaison  excel- 
lente, si  toutefois  la  Compagnie  voulait  bien  y  souscrire.  Ils  ont 
traité  toute  cette  affaire  en  dehors  de  nous  et  à  notre  insu. 

«  J'en  ai  délibéré  aujourd'hui  avec  les  PP.  Consulteurs,  et  voici 
ce  qui  a  été  résolu  :  puisque  l'Université  de  Toulouse  désire  faire 
au  collège  la  faveur  de  le  regarder  comme  un  de  ses  membres,  et 
que  cela  ne  répugne  point  à  notre  Institut,  nous  ne  pouvons 
guère  refuser;  —  quant  à  la  rétribution  promise,  s'il  s'agit  des 
classes  de  lettres  et  de  philosophie,  elle  ne  nous  semble  pas  faire 
de  difficulté;  nous  acceptons  bien  les  prébendes  préceptoriales 
destinées  à  l'enseignement  de  la  jeunesse,  nous  pouvons  donc 
accepter  aussi  une  rétribution,  non  comme  salaire  mais  comme 
secours  ;  —  pour  ce  qui  regarde  la  théologie,  qui  se  rapproche  de 
la  prédication,  la  question  est  plus  délicate;  mais  les  docteurs, 
auxquels  je  fis  l'objection,  me  répondirent  que  la  rétribution 
nous  serait  donnée  comme  aumône  ou  secours  accordé  à  un 
membre  de  l'Université;  sur  quoi,  les  consulteurs  ont  été  d'avis 
qu'on  pouvait  accepter  dans  ces  conditions1.  » 

Une  dernière  difficulté  restait  à  résoudre.  Les  trois  lecteurs  de 
théologie  avaient  toujours  été  jusqu'alors  des  religieux  apparte- 
nant à  divers  Ordres,  et  les  Jésuites  n'auraient  pas  voulu  leur 
causer  le  moindre  déplaisir.  A  cela  l'Université  répondit  qu'on  ne 
ferait  tort  ni  à  ces  religieux  ni  à  leurs  Ordres,  attendu  qu'ils  n'oc- 
cupaient leurs  chaires  que  temporairement,  jusqu'à  la  nomination 
d'autres  titulaires,  et  que  leur  remplacement  était  très  désiré 
des  écoliers. 

«  D'ailleurs,  ajoutait  le  P.  du  Goudret,  les  honoraires  de  ces 

1.  Gall.  Epist.,  t.  VIII,  fol.  319-320. 


PROGRÈS  DU  COLLÈGE  DE  RODEZ.  505 

professeurs  étaient  peu  élevés,  cent  vingt  livres  pour  chacun 
d'eux,  en  tout  six  cents  livres  pour  les  cinq;  mais  c'est  beaucoup 

pour  nous  à  qui  l'on  n'impose  aucune  obligation  nouvelle 

Dans  Ja  congrégation  provinciale  réunie  à  Avignon,  Votre  Pater- 
nité doit  s'en  souvenir,  on  proposa  de  placer  à  Toulouse  le  sémi- 
naire théologique  de  la  province,  ce  qui  fut  accordé  à  condition 
qu'on  trouverait  des  revenus  suffisants.  Puisque  Dieu  n'a  pas 
permis  que  ce  collège  fût  fondé  d'un  seul  coup,  il  faut  bien  nous 
contenter  de  ce  que  sa  bonté  nous  concède  peu  à  peu.  » 

Nous  n'avons  pas  retrouvé  la  réponse  du  P.  Général  à  ces  pro- 
positions bienveillantes;  nous  savons  seulement  qu'un  second 
projet  d'incorporation  lui  fut  présenté  deux  ans  plus  tard  '  et  que, 
de  fait,  nulle  exécution  ne  suivit.  Dans  l'intervalle,  le  P.  Émond 
Auger  remplaça  comme  Recteur  le  P.  du  Coudret  devenu  Provin- 
cial d'Aquitaine.  On  put  dès  lors  espérer  une  prompte  solution 
de  toutes  les  difficultés  pendantes,  car  il  jouissait  à  Toulouse 
d'une  réputation  exceptionnelle.  Il  obtint,  en  effet,  par  provi- 
sion, en  157i,  une  somme  de  six  mille  livres  pour  certains  revenus 
qui  étaient  en  litige,  et  les  capitouls  accordèrent,  en  1575,  une 
augmentation  de  la  rente  qu'ils  payaient  annuellement  au  col- 
lège2. Maintenant  celui-ci  pouvait  vivre;  la  prospérité  lui  viendra 
plus  tard;  il  sera  le  plus  important  de  la  province  à  laquelle  il 
donnera  son  nom. 

4.  Le  collège  de  Rodez,  fondé  en  1562 3,  avait  eu,  comme  celui 
de  Toulouse,  des  commencements  très  pénibles;  mais  peu  à  peu, 
grâce  au  zèle  infatigable  de  ses  premiers  Recteurs,  les  PP.  Jean 
Ralmes  et  Jacques  Morel,  il  avait  pu  surmonter  tous  les  obstacles. 
Il  ne  prit  toutefois  un  véritable  accroissement  que  sous  l'habile 
direction  du  P.  Houlton,  lorrain  d'origine,  plus  connu  sous  le 
nom  de  Jean  de  Lorraine.  Rien  que  les  revenus  fussent  insuffi- 
sants pour  l'enlretien  de  six  Pères  qui  formaient  le  personnelle 
nouveau  Recteur,  comptant  sur  les  sentiments  religieux  de  la  ville 
et  de  la  contrée,  ajouta  aux  quatre  classes  de  grammaire  déjà 
existantes  une  chaire  d'humanités,  une  de  philosophie  et  une  de 
théologie4.  Les  habitants  répondirent  à  ses  avances  en  exigeant 
l'observation  de  V Ordonnance  d'Orléans  dans  le  diocèse;  par  le 

1.  Gall.  Epist.,  t.  X.  f.  150. 

2.  Keg.  de  comptabilité  municipale  (Archiv.  commun.,  AA,  18,  f.  338,  359). 

3.  Voir  plus  haut,  1.  II,  c.  ix,  n.  4  et  suiv. 

4.  Notice  Ms.  (Archiv.  de  l'Aveyron,  D,  552,  et  Franc,  Fund.  coll.,  n"  55). 


506  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

crédit  du  sieur  de  Combret,  ils  obtinrent  de  Charles  IX  que  la 
prébende  préceptoriale  serait  exclusivement  appliquée  au  collège 
des  Jésuites.  Les  chanoines  refusèrent  de  satisfaire  à  leur  obliga- 
tion, sous  prétexte  que  les  bénéfices  du  chapitre  avaient  chacun 
un  titulaire  qu'on  ne  pouvait    convenablement   dépouiller.  De 
là,  entre  le  chapitre  et  la  ville,  des  contestations  très  vives  qui 
furent  soumises  à  l'arbitrage  de  M.  Daffis,  premier  président  du 
Parlement  de  Toulouse,  de  passage  à  Rodez.  Ce  magistrat  «  con- 
damna le  chapitre  à  payer  au   collège  une  rente  annuelle  de 
trois  cents  livres,  jusqu'à  ce  qu'enfio  une  prébende  vint  à  vac- 
quer1  ».  Mais  «  l'accord  ne  tint  guère,  raconte  un  ancien  anna- 
liste, parce  que  la  ville  voyant  la  pauvreté  dudit  collège,  désiroit 
fort  l'union  d'une  prébende  entière  et  en  nature  ».  Elle  «  em- 
brassa l'affaire   d'une  grande  affection  »,  aidée  «  de   plusieurs 
particuliers  qui  en  prenoient  la  peine  et  faisoient  les  frais  né- 
cessaires ».  On  obtint  «  après  un  long  procès  et  despenses...  plu- 
sieurs arrests  de  la  court  de  parlement  de  Toulouse  par  lesquels 
messieurs  du  chapitre   furent  toujours   condamnés2  ».  Le   cha- 
pitre en  appela  au  conseil  privé  du  roi;  et  mal  lui  en  prit,  car 
un  arrêt  du  16  février  1571  «  obtenu  pour  bien  et  concorde  »  par 
le    P.  Auger,  l'obligea  à  donner  par  an  au  collège  la  somme 
de  quatre  cents  livres  quittes  de  toute  charge  «  pour  les  fruits 
et  revenus  de  la  prébende  destinée3  ».  A  partir  de  ce  moment, 
les  Pères  complétèrent  le  cours  de  belles-lettres  par  l'addition 
d'une  classe  de  rhétorique1. 

5.  En  1572,  «  Hélis  Martine,  veufve  de  François  Dardenne, 
bourgeois  de  Rodez  »,  mourut  en  léguant  au  collège  une  maison 
de  campagne  et  des  vignes  dont  le  revenu  pouvait  monter  à 
soixante  livres.  Cette  propriété,  appelée  domaine  de  Serres,  était 
située  dans  un  vallon  fertile  à  deux  lieues  de  Rodez.  Le  legs 
n'avait  pas  été  inscrit  dans  le  testament,  mais  dans  un  codicille 
qui  ne  portait  aucune  signature.  De  nos  jours,  un  tel  codicille 
serait  réputé  nul  et  sans  valeur;  il  fut  cependant  déclaré  bon  et 
valable  par  le  Parlement  de  Toulouse,  à  cause  des  témoignages 
qui  établissaient  l'intention  formelle  de  la  testatrice  5. 

Les  années  suivantes,  plusieurs  prieurés  furent  unis  au  collège, 
mais  sous  la  réserve  de  pensions  viagères  :  celui  de  Faux  en 

1.  Ibidem.  —  2.  Ibidem.  —  3.  Tolos.,  Fund.  colleg.,  n.  136. 

4.  Origo  et  progressus  collegii  (Tolos.,  Fund.  colleg.,  n.  121). 

5.  Notice  ms.  (Archiv.  de  l'Aveyron,  D,  545,  552). 


PROGRÉS  DU  COLLÈGE  DE  RODEZ.  507 

157k,  celui  du  liés  en  1576;  leur  revenu  net  s'élevait  à  soixante- 
cinq  écus1.  Le  5  août  1570,  Grégoire  XIII  lui  annexa  encore  «  les 
fruits  et  revenus  »  du  prieuré  de  Saint-Sauveur  de  Chirac,  dans 

le  diocèse  de  Mende,  à  la  charge  de  payer  cent  soixante  livres  de 
pension  pour  l'entretien  de  deux  moines  «  aux  escholes  ».  Le 
prieur  commendataire,  Laurent  Blanquet,  se  réserva  aussi  une 
pension  assez  élevée,  en  sorte  que  ce  bénéfice  ne  rapportait  plus 
que  trois  cents  écus2. 

Ces  diverses  acquisitions  permirent  au  collège  de  prendre  un 
grand  développement.  On  comptait  sept  cents  élèves  en  1572,  et 
près  de  quatorze  cents  en  1577;  aussi  le  P.  Recteur  demanda-t-il 
au  P.  Général  l'autorisation  d'ouvrir  une  cinquième  classe  de 
grammaire3.  A  la  procession  du  jubilé,  célébré  cette  année-là 
même  à  Rodez,  la  piété  de  ces  nombreux  écoliers  émerveilla  les 
habitants  :  «  Quelques-uns  de  nos  amis,  écrivait  à  ce  propos  le 
P.  Jean  de  Lorraine,  ont  dit  qu'ils  n'auraient  jamais  cru  que  nous 
eussions  tant  d'élèves,  s'ils  ne  les  avaient  vus  défiler  en  si  long 
cortège.  Pendant  quinze  jours,  nos  écoliers  ont  visité  les  quatre 
églises  désignées  pour  gagner  l'indulgence,  marchant  deux  à 
deux,  un  cierge  à  la  main,  classe  par  classe,  et  chaque  classe 
chantant  les  litanies,  ou  des  hymnes,  ou  les  sept  psaumes  de  la 
pénitence...  Les  trois  derniers  jours,  trente  jeunes  gens,  pieds 
nus,  portaient  les  instruments  de  la  Passion...  Le  peuple,  ému 
jusqu'aux  larmes,  s'agenouillait,  baisait  les  insignes  des  mys- 
tères et  les  pieds  môme  des  porteurs.  Cette  touchante  cérémonie 
nous  a  gagné  l'affection  de  toute  la  population  qui  vient  en 
foule  à  notre  église,  une  des  quatre  désignées  pour  l'indulgence 
du  jubilé.  Un  gentilhomme  huguenot,  témoin  de  ce  spectacle, 
en  fut  tellement  impressionné  qu'il  alla  sur-le-champ  se  con- 
fesser, déclarant  qu'il  ne  se  laisserait  plus  jamais  tromper  par 
les  hérétiques  '.  » 

Il  fallut  bientôt  songer  à  agrandir  les  anciens  bâtiments, 
devenus  trop  étroits.  Or  le  collège  était  borné  au  couchant  par  la 
muraille  de  la  ville,  et  des  deux  autres  côtés  par  des  rues  abou- 

1.  Ibid.,  D.  515,  530;  D,  1,   fol.  257,  261. 

?..  Henri  III  avait,  approuvé  celle  union  par  lettres  patentes  du  4  janvier  1578.  mais 
les  Bénédictins  de  Saint-Victor  contestèrent  la  légalité  de  l'union.  Le  procès  qui  s'en- 
suivit aboutit  à  une  transaction,  dans  laquelle  les  Jésuites  consentirent  à  pourvoir  a 
l'entretien  de  deux  moines  de  la  célèbre  abbaye  (Archiv.  de  l'Aveyron,  D,  1,  loi.  8; 
D,  253). 

3.  Lettre  du  P.  Mathieu  au  P.  Général,  8  juill  1572;  —  du  P.  Jean  de  Lorraine  au 
même,  13  avril  1577  (Gall.  Epist.,  t.  VI,  f.  229;  t.  XI,  f.  108.) 

4.  Lettre  du  24  mars  1577  (Gall.  Lpist.,  t.  XI,  fol.  307). 


ou8  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

tissant  aux  portes  «  des  Gordeliers  et  de  Paneraire  ».  Restait,  au 
levant,  la  maison  particulière  d'un  personnage  opulent,  César 
Pamphile,  qui  vivait  à  la  cour  du  Pape.  C'est  de  ce  côté  seule- 
ment que  l'agrandissement  était  possible.  Les  Jésuites  deman- 
dèrent au  cardinal  d'Armagnac  de  vouloir  bien  unir  à  leur 
collège  cette  maison,  dépendant  de  la  domerie  de  Sainte-Marthe 
dont  il  avait  la  juridiction,  et  qui  servait  d'hôpital  aux  voya- 
geurs. Afin  de  faciliter  cette  uuion,  le  P.  Recteur  avait  acheté 
d'un  sieur  d'Albespeyre  une  maison  qu'il  proposait  en  échange 
de  la  première.  César  Pamphile,  déférant  au  désir  du  cardinal, 
consentit  d'abord  à  l'échange  proposé,  puis  à  l'abandon  de  la 
maison  du  sieur-d'Albespeyre  et  même  à  la  cession  de  la  domerie 
de  SainteMarthe,  moyennant  une  pension  assez  élevée,  qui  lui 
fut  servie  durant  de  longues  années1.  Les  bâtiments  du  collège 
occupèrent  dès  lors  l'emplacement  actuel. 

6.  Pendant  que  se  développaient  plus  ou  moins  rapidement  les 
anciens  collèges  de  Toulouse  et  de  Rodez,  trois  nouvelles  fonda- 
tions, Verdun,  Ne  vers  et  Bordeaux,  furent  approuvées  par  le 
R.  P.  Général  :  la  première  en  1570,  les  deux  autres  en  1572. 

Longtemps  ville  impériale,  Verdun  avait  été  réunie  à  la  France 
en  1552.  Son  évêque,  Nicolas  Psaume,  très  zélé  pour  le  maintien 
de  la  religion  catholique,  forma  le  dessein  d'y  établir  une  Uni- 
versité. Les  professeurs,  qu'il  fit  venir  de  Paris,  ouvrirent  leurs 
cours  en  1558  dans  la  maison  hospitalière  de  Saint-Jacques.  Il 
fonda  aussi,  sous  le  nom  à'Orphanotrophe,  un  séminaire  où 
devaient  être  nourris  et  instruits  vingt-quatre  orphelins.  En  1564, 
des  Pères  Jésuites  de  la  Province  du  Rhin,  ou  Germanie  supé- 
rieure, y  furent  envoyés  pour  l'enseignement  des  humanités  par 
le  Père  Léonard  Kessel,  Recteur  du  collège  de  Cologne,  et,  la 
même  année,  le  P.  François  Coster  vint  au  mois  de  septembre 
traiter  avec  l'évêque  la  fondation  d'un  collège  de  la  Compagnie. 
Mgr  Psaume  promettait  mille  francs  de  revenu,  et  laissait  aux 
Pères  le  s>in  de  construire  la  maison  selon  leur  commodité2. 
Le  P.  Coster  ne  doutait  pas  que  cet  établissement,  ouvert  à  la 
jeunesse  de  la  Lorraine  et  du  Luxembourg',  ne  devint  en  peu  de 
temps  très  tlôrissant;   aussi  souhaitait-il  que  le  P.  Général  ac- 

1.  Recueil  d'actes  et  pièces  relatives  au  collège  (Archiv.  de  l'Aveyron,  D,  1,  f,  169; 
D,  6,  fol.  12;  D,  387).  —  Francia,  Histor.  fundat.,  n.  55. 

2.  Lettre  de  l'évêque  au  P.  Général,  21  avril  1564.  (Epist.  Episcop.).  —  Rome  Bibl. 
Vitt.  Ern.,  Mss.  Gesuit.,  1584  ([3713]). 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  VERDUN.  509 

ceptât  au  plus  tôt  les  conditions  proposées1.  En  attendant  dos 
décisions  fermes,  les  régents  de  In  Compagnie  continuèrent  d'en- 
seigner dans  la  maison  des  Orphelins,  où  ils  eurent  comme 
Recteur  le  P.  André  Avantian.  En  1509,  ils  lurent  contraints  de 
se  disperser  à  l'occasion  de  la  peste  qui  désolait  la  ville  et  la 
contrée2. 

L'année  suivante,  le  P.  Olivier  Manare  fut  chargé  de  prêcher 
le  carême  à  Verdun.  Les  entretiens  qu'il  eut  avec  l'évèque  déter- 
minèrent celui-ci  à  rouvrir,  dans  l'hôpital  Saint-Nicolas  de  Gra- 
vière,  le  collège  fermé  par  crainte  de  l'épidémie.  Bientôt  toute  la 
ville  applaudit  à  cette  utile  restauration3.  «  Les  gens  du  conseil, 
rapporte  un  ancien  chroniqueur4,  et  le  magistrat  de  la  ville,  qui 
avoient  jà  gousté  le  proffittahle  entretien  d'aulcuns  religieux  de 
ceste  Compagnie....  envoyèrent  un  exprès  au  R.  P.  Olivier  Ma- 
nare, Provincial  de  France,  le  22e  jour  de  septembre  de  l'année 
1570,  et  employèrent  près  de  lui  le  Nonce  du  Pape,  qui  estoit 
lors  à  Paris,  pour  le  porter  à  faire  ceste  establissement  en  leur 
ville.  »  Le  P.  Manare  répondit  à  ces  messieurs,  le  13  octobre,  en 
leur  donnant  les  meilleures  assurances  :  il  avait  déjà  écrit  à  ce 
sujet  et  promettait  d'écrire  de  nouveau  au  P.  Général;  il  rap- 
pelait la  nécessité  de  recourir  au  Saint-Siège  pour  en  obtenir 
les  bulles  d'union  de  l'hôpital  Saint-Nicolas,  «  à  quoy,  disait-il, 
M?r  le  Nonce  promet  de  travailler  à  bon  escient  ».  Enfin  il  veil- 
lerait, de  son  côté,  à  ce  que  les  fondations  projetées  de  Rouen 
et  de  Poitiers  ne  retardassent  pas  l'établissement  de  Verdun, 
et  il  enverrait  des  régents  dès  que  le  local  serait  en  état  de  les 
recevoir  \ 

7.  L'évèque  de  Verdun,  ne  doutant  pas  de  la  réalisation  pro- 
chaine de  ses  vœux,  transforma  en  chapelle  la  grande  salle  des 
pauvres,  et  acheta  plusieurs  maisons  voisines  qu'il  installa  con- 
venablement pour  les  classes  des  élèves  et  le  logement  des  Pères. 
L'acte  de  fondation,  du  mois  de  septembre  1570,  donnait  aux 
Jésuites,  outre  les  revenus  de  l'hôpital,  qui  valaient  quatre  cent 

1.  Lettre  du  P.  Coster  au  P.  Kessel,  24  sept.  1564  (Hansen,  Rheinische  aklen,..,  1542- 
1582,  n.  359). 

2.  Lettre  du  P.  Manare  au  P.  Général,  31  août  1569  (Gall.  Epist.,  t.  IV,  fol.  70). 

3.  Lettre  du  nonce  Fabius  Mirto,  évèque  de  Caiazzo,  au  cardinal  Ruslieucci,  14  déc. 
1570  (Archiv.  Vat.,  Nunz.  di  Francia,  n.  4,  f.  100). 

4.  Le  sieur  Mathieu  Husson,  conseiller  du   roi  au  siège  présidial  de   Verdun.  Cf. 
Petite  Bibl.  Verdunoise  de  l'abbé  Frizon,  t.  IV,  p.  134. 

5.  Lettre  du  P.  Manare  aux  magistrats  de  Verdun,  citée  dans  les  Précis  historiques, 
1888-89,  p.  31,  32. 


510  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

cinquante  écus,  une  rente  annuelle  de  mille  francs  barrois1.  On 
fit,  à.  Home,  quelques  difficultés  avant  d'approuver  le  contrat 
qu'on  ne  trouvait  point  assez  conforme  aux  prescriptions  de 
l'Institut2.  Dès  que  les  clauses  qui  laissaient  le  plus  à  désirer 
eurent  été  amendées  dans  le  sens  indiqué  par  le  P.  Général,  au- 
cun obstacle  ne  s'opposa  plus  à  l'ouverture  solennelle  des  classes. 

Elle  eut  lieu,  le  1er  octobre  1571,  après  l'arrivée  du  nouveau 
Hecteur.  le  P.  Louis  du  Coudret,  et  des  cinq  professeurs  de  rhé- 
torique, d'humanités  et  de  grammaire  qu'il  amenait  avec  lui. 
Nicolas  Psaume,  à  cette  occasion,  se  signala  par  un  acte  qui 
montrait,  avec  sa  profonde  humilité,  son  sincère  amour  de  la 
Compagnie.  11  envoya  aux  Pères  un  dîner  tout  préparé  et  voulut 
les  servir  lui-même  à  table,  tout  le  temps  du  repas.  Aucune  ins- 
tance ne  put  l'empêcher  de  remplir  cet  acte  d'affectueuse  charité; 
pour  expliquer  sa  conduite,  il  citait  ces  paroles  de  Notre-Seigneur  : 
«  Amen  dira  vobis  quod  praecinget  se,  et  faciet  illos  discwnbere, 
et  transiens  ministrabit  Mis  » 3. 

Sa  généreuse  libéralité  ne  fit  jamais  défaut.  Il  s'aperçut  que 
les  ressources  assignées  ne  suffisaient  pas  à  entretenir  les  dix- 
huit  personnes  dont  se  composait  la  communauté.  Le  13  septem- 
bre 1572,  Grégoire  XIII,  sur  sa  demande,  et  avec  le  consente- 
ment du  cardinal  de  Lorraine,  commendataire,  unit  au  collège 
le  prieuré  de  Saint-Pierre  d'Amélie,  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit, 
dans  le  diocèse  de  Verdun,  dont  le  revenu  était  de  cinq  cents 
écus;  mais  trois  cents  devaient  être  versés,  chaque  année,  au  sé- 
minaire qu'on  avait  l'intention  d'établir  conformément  aux  pres- 
criptions du  Concile  de  Trente4. 

Le  saint  évêque,  jusqu'à  sa  mort,  ne  cessa  de  parfaire  l'œuvre 
commencée.  Après  avoir  appelé  la  Compagnie  dans  son  diocèse, 
lui  avoir  procuré  des  revenus  et  l'avoir  installée  dans  la  maison 
hospitalière  de  Saint-Nicolas,  il  voulut  encore  entreprendre  de 
nouvelles  constructions  à  ses  frais5.  Mais  Dieu  ne  lui  permit  pas 

1.  Francia,  Hist,  Fund.,  n.  60  A;  n.  60  B.  Campan.,  Fund.  colleg.,  t.  III,  n.  10,  87. 
Arctiiv.  comm.  de  Verdun,  GG,  231. 

2.  Lettres  du  P.  Général  des  30  juillet,  Ie'  août  et  10  sept.  1571  (Gall.,  Epist.  Gen., 
t.  V).  Ces  lettres  ne  contiennent  que  des  allusions  aux  points  contestés.  L'acte  de 
fondation  a  été  publié  in-exlenso  dans  la  Petite  Bibl.  Verdunoise,  t.  IV,  p.  177  et 
suiv. 

3.  L'Université  de  Pont-à-Mousson  dans  Carayon,  Documents  inédits,  t.  V,  p.  83. 
Lettre  du  P.  Coudret,  16  déc.  1571  (Gall.  Epist.,  t.  V,  ad  finem). 

4.  Acla  S.  Sedis,  p.  6.  —  En  1581,  ce  prieuré  passa  au  collège  de  Pont-à-Mousson 
{Ibid.,  p.  112). 

5.  Lettre  du  P.  Cl.  Mathieu  au  P.  Général,  28  août  1575  (Gall.  Epis!.,  t.  IX,  fol. 
72,73). 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  NEVERS.  :;il 

de  faire  davantage  :  en  1575,  le  collège  de  Verdun  eut  la  don 
lourde  perdre  son  insigne  fondateur.  Le  I*.  Provincial,  enannon- 
çant  ce  deuil  au  P.  Général  et  en  lui  demandant  pour  le  défunt 
les  suffrages  de  la  Compagnie,  ajoutait  ces  mots  qui  sont  tout  un 
éloge  :  «  Ce  collège  demeurera  bien  affligé,  car,  à  la  vérité,  il  a 
perdu  un  vraiment  bon  père  '.  >>  Nicolas  Psaume  faisait  de  la  mort 
sa  pensée  habituelle;  il  avait  composé  lui-môme  l'épitaphe  de 
son  tombeau.  Son  cœur  fut  porté  dans  l'église  du  collège  et  placé 
au  pied  du  maître- autel,  avec  une  plaque  de  marbre,  sur  laquelle 
on  lisait  cette  inscription  gravée  de  son  vivant  :  «  Nicolaus  Psal- 
mus,  amicus  rester,  dormit.  Orate  pro  eo2  ». 

8.  L'année  qui  suivit  l'ouverture  du  collège  de  Verdun,  les 
Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus  furent  appelés  à  Nevers. 

Depuis  longtemps  un  collège  existait  dans  cette  ville,  mais  son 
organisation  laissait  beaucoup  à  désirer.  En  1520,  les  échevins 
établirent  des  écoles  dans  une  maison  qu'ils  avaient  achetée  près 
de  la  Chambre  des  Comptes;  cinq  ans  après,  elles  furent  trans- 
portées rue  des  Axdilliers  dans  la  maison  de  Léonard  Dupontot, 
bailli  du  Nivernais.  On  y  mit  un  principal  et  des  régents  «  dont 
partie  enseignoit  les  humanités,  l'autre  montroit  à  lire  et  à  écrire 
et  tenoit  un  petit  pensionnat  ».  On  bâtit  aussi  une  petite  chapelle 
que  Philibert  de  Beaujeu,  évèque  de  Bethléem,  bénit  et  plaça 
sous  l'invocation  de  Saint-Jean-Baptiste3. 

Ce  ne  fut  qu'en  1567  que  Louis  de  Gonzague,  duc  de  Nevers, 
proposa  aux  échevins  de  fonder  solidement  le  collège  en  y  ap- 
pelant les  Jésuites.  La  pensée  de  ce  prince,  très  catholique,  était 
de  l'opposer  comme  un  boulevard  aux  envahissements  de  l'héré- 
sie, «  pour  contenir,  dit-il  lui-même,  les  jeunes  et  les  aagez  et 
gens  de  tous  estatz  en  la  religion  antienne  catholique  et  ro- 
maine, et  y  retirer  ceux  qui  s'en  seroient  dévoyez4  ».  Malgré  ses 
instances  auprès  du  P.  Général,  il  ne  put  obtenir  alors  ce  qu'il 
demandait.  Des  villes  plus  importantes  que  Nevers  réclamaient 


1.  Cité  par  Hyver  :  Maldonat,  pièces  justilicalives,  p.  wi.  —  Cf.  Lettre  du  Nonce 
au  cardinal  de  Coino,  27  août  1575  (Nunz.  di  Francia,  n.  8,  fol.  495). 

2.  Cf.  Carayon,  Doc.  inédit.,  t.  V,  p.  84.  —  Les  officiers  du  roi,  prétextant  la  né- 
cessité de  subvenir  aux  frais  des  troupes  qu'on  rassemblait  alors,  s'étaient  emparés 
des  legs  que  l'évéque  avait  faits  à  la  Compagnie  et  à  d'autres  œuvres  pieuses.  11  fallut 
l'intervention  du  Nonce  pour  que  chacun  reçût  ce  qui  lui  était  dû  (Lettre  de 
W  Salviati  au  cardinal  de  Como,  Archiv.  Vat.,  Nunz.  di  Francia,  n.  8,  fol,  495  . 

3.  Comptes  rendus  an  Parlement,  t.  VI,  p.  183.  Cf.  Louis  de  Sainte-Marie,  Re- 
cherches sur  Nevers,  p.  4'JI. 

4.  Acte  de  fondation,  (Archiv,  de  la  Nièvre,  D,  1). 


512  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

la  même  faveur,  et  le  petit  nombre  de  sujets  disponibles  ne 
permettait  pas  à  la  Compagnie  de  disperser  ses  forces.  Le  duc 
renouvela  sa  demande,  en  1571,  sans  plus  de  succès1  d'abord, 
puis  ayant  enfin  reçu  une  réponse  favorable,  il  se  détermina,  le 
3  juillet  157-2.  à  acheter  des  échevins  les  bâtiments  des  écoles, 
excepté  une  légère  portion  que  la  ville  conserva  pour  loger  les 
maîtres  des  abécédaires2.  Le  Père  Claude  Mathieu  vint  à  Nevers 
examiner  le  collège  qu'on  lui  destinait.  «  Situé  au  centre  de  la 
ville  dans  un  endroit  très  commode,  et  facile  à  agrandir  sans 
beaucoup  de  dépenses :î  »,  il  lui  fit  très  bonne  impression.  «  Il  se 
composait  de  deux  corps  de  logis,  l'un  réservé  aux  classes, 
l'autre  à  l'habitation  des  maîtres;  il  avait  aussi  un  beau  jardin 
et  une  petite  chapelle  avec  sacristie4.  » 

9.  Les  Jésuites  commencèrent  à  enseigner,  le  3  novembre 
1572,  ayant  à  leur  tète  le  P.  Julien  Buger  vice-recteur.  Il  n'y  avait 
encore  que  quatre  classes;  mais  déjà  plusieurs  Pères  exerçaient 
auprès  des  habitants  les  différents  ministères  de  l'Institut5.  La 
piété  des  élèves  attira  bientôt  l'admiration  de  tous.  Les  magis- 
trats, constatant  un  grand  changement  dans  les  mœurs  de  la 
ville,  disaient  que  leur  administration  en  était  devenue  plus 
aisée.  Telles  étaient  la  foi  et  la  confiance  de  cette  bonne  popu- 
lation que  les  médecins,  à  bout  de  remèdes,  engageaient  les  ma- 
lades à  se  recommander  aux  prières  de  la  communauté  pour  ob- 
tenir leur  guérison0. 

Par  un  acte  du  26  septembre  1573,  le  duc  et  la  duchesse  de 
Nevers  cédèrent  à  la  Compagnie  le  collège  qu'ils  avaient  acquis, 
y  joignirent  trois  maisons  dans  la  rue  de  l'Eguillerie,  et  le  do- 
tèrent de  deux  mille  livres  de  rente  sur  l'hôtel  de  ville  de  Paris7. 
Ils  demandaient  en  retour  l'envoi  de  vingt  personnes,  dont 
quatre  professeurs  de  lettres  et  un  de  philosophie,  et  la  célébra- 


1.  Lettres  du  P.  Général,  8  octob.  1571  et  14  janv.  1572  (Gall.,  Epist.  Gen.,  t.  V). 

2.  Recueil  d'actes  et  pièces  relatives  au  collège  (Archiv.  de  la  Nièvre,  D,  I).  En  1578, 
le  duc  et  la  duchesse  acquirent  cette  portion  réservée  et  la  donnèrent  aux  Jésuites 
qui  acceptèrent  alors  la  direction  de  la  classe  élémentaire  «  per  nos  aut  per  quos- 
vis  alios  regendam  »  (Francia,  Colleg.  Niver.). 

3.  Lettre  du  P.  Mathieu  au  P.  Prov.  (Francia,  Fundat.  colleg.,  n.  13). 

4.  Ibidem. 

5.  Lettre  du  P.  Buger  au  P.  Nadal,  12  oct.  1572  (Gall.  Epist.,  t.  VI,  f.  347). 

6.  Ce  fait  est  rapporté  par  Sacchini,  Histor.  Soc.  Jesu,  P.  III,  1.  VIII,  n.  246; 
P.  IV,  1.  I,  n.  111. 

7.  Archiv.  de  la  Nièvre,  D,  3.  —  En  1579,  le  P.  Michel  Notel,  Recteur,  obtint  de 
s'adresser  au  receveur  de  domaines  de  Nevers  pour  toucher  cette  pension  (Francia 
Histor.  fundat..  n.  12). 


FONDATION  DU  COLLEGE  DE  NEVERS.  513 

tion  d'une  messe  chaque  année  avec  l'offrande  d'un  cierge.  De 
plus  les  élèves  devaient  réciter,  chaque  jour  avant  la  messe,  cer- 
taines prières  aux  intentions  des  fondateurs'.  Toutes  ces  condi- 
tions furent  acceptées  par  le  P.  Edmond  Hay  en  attendant  la 
ratification  du  P.  Général;  celui-ci  exigea  quelques  légères  modi- 
fications2, et  le  contrat  définitif  ne  fut  passé  que  le  27  mars  1578. 

1.  Francia,  Colleg.  Nivernense. 

2.  Nous  ne  connaissons  ce  détail  que  par  les  histoires  mss.  du  collège  qui  ne  pré- 
cisent pas  ces  modifications  (Ibid.). 


COMPAGNIE    DU   JESUS.    —   T.    I.  33 


CHAPITRE  VIII 

FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  BORDEAUX. 

(1572). 

Sommaire  :  1.  Premiers  projets  en  1569.  —  2.  Initiative  de  M.  François  de 
Baulon  en  1571.  —  3.  Prédications  du  P.  Auger  à  Bordeaux;  le  prieuré  Saint- 
James  destiné  aux  Jésuites.  —  4  Opposition  des  protestants;  mission  du  con- 
seiller Drochon  et  lettres  patentes  de  Charles  IX,  1er  mai  1572.  —  5.  Donation 
dé  François  de  Baulon  el  ouverture  des  classes,  octobre.  —  6  Union  du  prieuré 
Saint-James  ;  progrès  et  incorporation  à  l'Université.  —  7.  Tracasseries  de  la 
part  d'Élie  de  Baulon  et  des  Jurats.  —  8.  Attaques  d'Élie  Vinet,  principal  du 
collège  de  Guyenne.  —  9.  Affaire  Pujet  de  Saint-Mare. 

Sources  manuscrites  :  I.  Archives  de  la  Gironde,  sér.  H. 

II.  Archives  communales  de  Bordeaux,  sér.  BB  et  GG. 

III.  Archives  de  l'Archevêché  de  Bordeaux. 

IV.  Bibliothèque  de  l'Institut,  collection  Godefroy,  t.  XV. 

V.  Recuei  s  de  documents  conservés  dans   la  Compagnie  :  a)  Aquitania,  Fundat.  Colley. 
—  b)  Epislolae  Episcoporum.  —  c)  Francia,  Epistol.  Generalium.  —  d)  Historiae   fundat. 

Assistentiae.  —  e)  Franciae  historia.  —  f)  Galliae  Epistolae. 

VI.  Archives  de  la  Province  de  France. 

Sources  imprimées  :  Archiv.  historiques  de  la  Gironde.  —  Barckhausen,  Statuts  el  rè- 
glements de  l'ancienne  Université  de  Bordeaux.  —  Ribadeneira,  Vita  del  P.  Fr.  Bor- 
gia. 

1.  L'année  même  où  s'ouvrit  le  collège  de  Nevers,  la  Province 
de  France1  en  acquit  un  autre  à  Bordeaux,  mais  dans  des  condi- 
tions tontes  différentes  de  celles  auxquelles  on  avait  d'abord 
songé.  En  1569,  en  effet,  il  avait  été  question  de  céder  à  la  Com- 
pagnie l'ancien  collège  de  Guyenne.  Cet  établissement  fondé  au 
quinzième  siècle  par  les  jurats2,  avait  été  restauré  par  André  de 
Govéa,  ancien  Principal  de  Sainte-Barbe  à  Paris,  avec  la  collabo- 
ration de  professeurs  hérétiques  tels  que  Buchanan  et  Grouchy. 
Dans  la  suite,  la  religion  n'y  fleurit  pas  autant  que  les  belles- 
lettres,  et,  même  au  regard  de  celles-ci,  il  ne  tarda  pas  à  déchoir 
de  sa  passagère  splendeur.  Afin  de  lui  rendre  la  vie  et  la  prospé- 
rité les  habitants  résolurent  de  le  confier  aux  Jésuites,  et  le  Par- 
lement offrit  des  revenus  annuels  pour  leur  entretien3.  Le  Père 

1.  Le  collège  de  Bordeaux  ne  passa  à  la  Province  d'Aquitaine  qu'en  1582. 

2.  Nom  que  portaient  les  échevins  de  Bordeaux. 

3.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Général,  22  oct.  1569  (Gall.  Epist.,  t.  IV,  fol.  150). 


FONDATION  DU  COLLEGE  DE  BORDEAUX.  515 

Edmond  Hay,  chargé  par  le  P.  François  de  Borgia  de  traiter  cette 
importante  affaire,  se  rendit  à  Bordeaux,  et  à  son  retour  à  Paris 
écrivit  au  P.  Général  une  longue  lettre  sur  l'état  où  il  avait  trouvé 
le  collège  de  Guyenne,  un  des  plus  célèbres  du  xvi"  siècle  :  «  Ce 
collège,  disait-il,  occupe  un  vaste  terrain  non  loin  de  la  cathé- 
drale... La  ville  l'a  doté  d'un  revenu  annuel  de  douze  cents  livres 
tournois,  versé  en  une  seule  fois  ou  par  quartiers  au  gré  du  Prin- 
cipal. Celui-ci  a  coutume  de  prélever  sur  cette  somme  le  traite- 
ment des  professeurs;  du  reste,  il  ne  lui  est  pas  interdit  d'exiger 
des  écoliers  une  certaine  contribution,  chaque  mois,  et  de  tirer 
des  pensionnnaires  tous  les  bénéfices  qu'il  peut;  il  exerce,  à  son 
tour,  la  charge  de  Recteur  de  l'Université  qui  lui  rapporte  en- 
core quelque  profit.  Sachant  que  nous  n'acceptons  pas  d'hono- 
raires et  que  nous  ne  réclamons  rien  des  élèves,  les  habitants 
de  Bordeaux,  conformément  à  l'ordonnance  d'Orléans,  ont 
l'intention  de  nous  assigner  deux  prébendes  de  deux  églises 
collégiales  de  la  ville.  Leurs  revenus,  joints  aux  précédents, 
monteraient  facilement  à  deux  mille  livres  tournois.  Il  y  a  ordi- 
nairement, dans  ce  collège,  huit  professeurs  pour  les  humanités 
et  même  davantage;  maison  laissera  le  nombre  des  classes  et 
des  régents  à  notre  discrétion.  Il  y  a  aussi  un  cours  de  philoso- 
phie, quelques  leçons  de  grec  et  d'hébreu,  à  des  heures  spéciales. 
Aucun  cours  de  théologie  n'a  encore  été  fondé  :  nous  aurons  la 
facilité  d'en  gratifier  la  population.  » 

Dans  la  suite  de  sa  lettre,  le  P.  Hay  examine  les  difficultés  qui 
semblent  s'opposer  à  ce  nouvel  établissement  de  la  Compagnie  : 
la  modicité  des  revenus  pour  un  personnel  considérable,  et  par- 
dessus tout  le  petit  nombre  des  sujets  disponibles  dans  la  Pro- 
vince :  «  D'ailleurs,  ajoute-t-il,  je  ne  connais  pas  de  lieu  dans 
toute  la  France  qui  soit  plus  propre  que  la  ville  de  Bordeaux 
aux  travaux  apostoliques.  C'est  une  cité  célèbre;  en  temps  pai- 
sible, son  Université  compte  jusqu'à  quatre  mille  et  même  cinq 
mille  étudiants.  De  plus,  le  pays  a  grand  besoin  d'hommes  hon- 
nêtes, soit  pour  instruire  le  peuple  du  haut  de  la  chaire,  soit 
pour  élever  la  jeunesse  dans  la  piété,  les  bonnes  mœurs  et  les 
lettres.  Les  troubles  qui  Font  bouleversé  et  les  malheurs  qui 
en  ont  été  la  suite  sont  attribués,  en  grande  partie,  aux  régents 
des  écoles;  sous  prétexte  de  bellesl-ettres,  ils  répandaient  parmi 
les  enfants  et  les  hommes  de  tout  âge  l'hérésie  et  l'impiété  l.  » 

1.  Lettre  du  21  sept.  1569  (Gall.  Epist.,  t.  IV,  fol.  13). 


516  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

2.  Les  catholiques  de  Bordeaux  auraient  vu  avec  plaisir  s'ou- 
vrir, à  la  rentrée  d'octobre,  le  collège  de  la  Compagnie;  mais  les 
troubles  civils  et  les  menées  des  hérétiques  retardèrent  la  réa- 
lisation de  leurs  vœux.  Deux  années  s'écoulèrent,  pendant  les- 
quelles il  ne  fut  plus  question  des  projets  formés  en  1569.  Ce- 
pendant l'erreur  continuait  à  faire  de  rapides  progrès.  «  Il  y 
avait  alors  à  Bordeaux,  si  l'on  en  croit  l'ancien  annaliste  du 
collège,  douze  cents  familles  protestantes,  sans  parler  des  do- 
mestiques et  des  étrangers,  et  les  calvinistes  propageaient  leurs 
doctrines  avec  une  ardeur  digne  d'une  meilleure  cause.  Les  ca- 
tholiques étaient  en  majorité;  mais  faute  de  prédicateurs,  ou 
bien  par  esprit  de  curiosité,  ils  fréquentaient  les  prêches  et  dé- 
sertaient les  églises1.  »  Tel  était  le  triste  état  de  la  religion  à 
Bordeaux  lorsque  Dieu  inspira  à  un  riche  conseiller  du  Parle- 
ment, M.  François  de  Baulon,  qui  n'avait  point  d'enfants,  le  gé- 
néreux dessein  de  consacrer  sa  fortune  à  quelque  sainte  entre- 
prise. Un  de  ses  intimes,  gentilhomme  portugais,  nommé  Leythan, 
homme  d'affaires  du  cardinal  Henri  de  Portugal,  lui  fit  entendre 
qu'il  ne  pouvait  rien  faire  de  mieux  que  de  procurer  à  sa  patrie 
un  collège  foncièrement  catholique;  et  lui  montrant  la  béné- 
diction du  ciel  répandue  partout  sur  les  œuvres  de  la  nouvelle 
Compagnie,  il  l'engagea  fort  à  confier  cet  établissement  aux  Jé- 
suites. 

M.  de  Baulon  accueillit  avec  joie  cette  proposition2.  Leythan 
se  rendit  à  Toulouse,  exposa  l'affaire  au  P.  Émond  Auger  et  le 
persuada  d'entreprendre  le  voyage  de  Bordeaux  afin  d'examiner 
la  situation3.  La  démarche  du  célèbre  prédicateur  ne  fit  que  for- 
tifier les  désirs  des  deux  amis,  car  François  de  Baulon  écrivit,  le 
16  octobre  1571,  au  P.  Général,  être  «  grandement  esmeu  de 
dresser...  en  la  ville  capitale  de  la  Guyenne,, un  collège  de  vingt 
et  cinq  hommes  »  de  la  Compagnie,  «  soubs  les  conditions  con- 
tenues es  establissements  de  [ses]  aultres  collèges...  désirant 
néanmoins,  pour  la  nécessité  du  pais,  un  grand  personnage  qui 
lira  ordinairement  es  sainctes  lettres  ».  Pour  ce  faire  il  baillera 
«  assignation  asseurée  »  de  deux  mille  livres  de  rente.  «  J'en  ay 
communiqué  privément,  dit-il,  à  M.  Émond,  l'un  des  principaulx 
de  ladite  Société,  et  faict  voir  à  l'œil  deux  ou  trois  lieulx  que 

1.  Brevis  historia  de  initiis  Collegii...  Roman  missa  anno   1588  (Francia,   Histor. 
fundat.,  n.  26). 

2.  Mémoire  pour  le  procès  du  collège  (Arch.  de  la  Gironde,  H,  59;. 

3.  Lettre  du  P.  A.  du  Coudret  au  P.  Nadal,  10  nov.  1571  (Gall.  Epist.,  t.  V,  fol. 
263). 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  RORPEAIJX.  517 

cuide  estre  plus  propres  pour  iceluy  establir.  Ce  qu'on  ache- 
minera plus  commodément  et  diligemment,  s'il  vous  plaist  nous 
favoriser  tant  que  de  commander  à  M.  Émond  de  prescher  es 
advens  et  caresme  en  cette  ville  de  Bourdeaulx,  laquelle  est  à 
présent  aultant  esbranlée  qu'elle  a  esté  aultrefois  chrestienne. 
Si  Dieu  ne  permettoit  que  M.  Émond  peult  prescher,  je  vous  sup- 
plie nous  faire  cette  grâce  de  commander  à  M.  Annibal  [du  Cou- 
dret]  d'y  venir,  vous  asseurant  que  la  plupart  des  grands  sont 
si  détraqués  et  la  jeunesse  perdue,  qu'il  est  besoing  d'envoyer 
en  ceste  ville  gens  d'éminent  savoir,  qui  aient  sang  et  ongles 
pour  l'augmentation  de  l'honneur  de  Dieu  et  de  son  Église 1.  » 

L'archevêque,  MRl  Prévost  de  Sansac,  très  attentif  aux  besoins 
de  son  diocèse,  appuya  cette  chaleureuse  demande,  et  dans  une 
lettre  au  P.  Général  réclama  lui  aussi 2  le  ministère  apostolique 
du  P.  Auger.  Il  était  convaincu,  non  sans  raison,  que  ce  serait 
le  plus  court  moyen  de  conduire  à  bonne  fin  les  négociations 
concernant  le  futur  collège. 

3.  Le  P.  Auger  se  trouvait  encore  à  Toulouse,  où  il  prêchait, 
quand  il  reçut  du  P.  Général  l'ordre  d'aller  pour  l'avent  à  Bor- 
deaux. C'était,  écrivait-il  au  P.  Nadal,  un  exprès  envoyé  à  Madrid 
par  l'archevêque  qui  lui  avait  rapporté  cet  avis  3.  En  même 
temps  le  prélat  l'invitait,  dans  les  termes  les  plus  pressants,  à  ve- 
nir sans  retard,  et  lui  représentait  vivement  les  malheurs  dont 
son  troupeau  était  menacé  par  la  contagion  de  l'hérésie,  par  cette 
«  démangeaison  naturelle  qu'on  se  sent  pour  les  nouveautés  ». 

A  peine  arrivé  à  Bordeaux,  le  P.  Auger  commença  une  série  de 
prédications  qui  soulevèrent  et  entraînèrent  la  foule  des  fidèles. 
Il  parlait,  dit  Damai,  «  trois  fois  par  jour  en  diverses  églises 
avec  un  torrent  d'éloquence4  ».  La  multitude  des  auditeurs,  à 
laquelle  se  mêlaient  beaucoup  de  protestants,  devint  si  considé- 
rable que  la  vaste  nef  de  la  cathédrale  ne  pouvait  les  contenir 5. 
Les  fruits  de  salut,  opérés  pendant  l'avent  et  le  carême,  furent 
prodigieux.  Plus  de  quatre  cents  pères  de  famille  rentrèrent 
dans  le  sein  de  l'Église  avec  leurs  enfants  et  leurs  domestiques. 

1.  Gall.  Ëpistol.,  t.  V,  fol.  259. 

2.  Ibid.,  fol.  260,  lettre  sans  date. 

3.  Lettre  du  16  janv.  1572  (Gall.  Epist.,  t.  VI,  f.  361). 

4.  Supplément  des  chroniques  de  Bourdeaus,  fol.  49. 

5.  «  Il  y  a  encore  une  tradition  qu'alin  de  ménager  plus  de  place  à  ses  auditeurs 
on  mettait  la  chaire  sous  les  orgues  au  fond  de  la  nef,  et  que  de  là  le  P.  Émond  fai- 
sait entendre  sa  belle  voix  sans  peine  jusqu'à  la  porte  du  chœur  »  (Dorigny,  p.  242). 
Damai  rapporte  la  même  chose,  l.  c. 


518  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Pour  prévenir  de  pins  nombreuses  défections,  les  ministres  pro- 
testants intimèrent  à  leurs  coreligionnaires  la  défense  expresse 
d'assister  désormais  aux  sermons  du  P.  Auger.  Aux  fêtes  de  Pâques 
dix-sept  mille  personnes,  au  lieu  de  six  mille  comme  les  années 
précédentes,  s'approchèrent  de  la  sainte  table.  A  partir  de  ce 
moment  la  religion  catholique  reprit  à  Bordeaux  un  rapide  essor 
et  continua  de  s'étendre  chaque  jour  davantage  ' . 

L'heure  paraissait  bien  choisie  pour  jeter  enfin  les  fondements 
d'un  collège  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Déjà  le  P.  François  de 
Borgia,  à  son  passage  à  Bordeaux,  au  mois  de  janvier  1572,  avait 
approuvé  le  projet  qu'on  lui  avait  soumis;  il  ne  restait  plus  qu'à 
se  mettre  activement  à  l'œuvre.  Plusieurs  membres  du  Parle- 
ment s'offrirent  à  seconder,  de  tout  leur  pouvoir,  l'entreprise  de 
François  de  Baulon  leur  collègue.  C'étaient  les  conseillers  de 
Malviri,  de  Cazeaux  et  de  Lange,  Charles  du  Sault,  second  avocat 
général,  et  le  terrible  président  de  Bouffignac,  effroi  des  hugue- 
nots. Le  clergé  marcha  d'accord  avec  eux;  les  chapitres  de 
Saint-André  et  de  Saint-Seurin  proposèrent  le  revenu  de  deux 
prébendes.  L'archevêque  approuvait,  au  besoin  appuyait,  toutes 
les  démarches.  Il  fut  de  nouveau  question,  comme  en  1569,  de 
donner  le  collège  de  Guyenne  aux  Pères  de  la  Compagnie  de 
Jésus;  mais  le  Principal,  Lorteau,  prétextant  l'ancienne  renommée 
de  son  établissement,  s'opposa  de  toutes  ses  forces  à  la  mesure 
qu'on  méditait.  Il  parvint  à  gagner  à  sa  cause  les  jurats  fonda- 
teurs, dont  le  consentement  était  nécessaire,  et  devant  une  résis- 
tance aussi  formelle  on  dut  se  tourner  d'un  autre  côté. 

François  de  Baulon  se  trouvait  alors  administrateur  du  prieuré 
de  Saint-James.  Construit  le  long  de  la  rue  du  Mirail,  qui  s'ouvrait 
en  face  de  l'hôtel  de  ville,  ce  prieuré  était  composé  de  bâtiments 
considérables,  d'une  église  fort  ancienne  et  d'un  hôpital  pour 
les  pèlerins  et  les  enfants  trouvés.  La  fondation  de  cette  maison 
hospitalière  remontait  au  xne  siècle,  et  même  selon  quelques  au- 
teurs jusqu'à  Charlemagne.  La  municipalité  y  enlretenait  dix  prê- 
tres réguliers  ou  séculiers,  qui  célébraient  les  saints  offices  et 
administraient  les  sacrements  aux  malades.  Pendant  longtemps 
un  prieur,  ou  hospitalier,  avait  eu  la  direction  générale  de  la 
maison,  et  cinq  paroisses  dépendant  du  prieuré  y  apportaient  de 
leurs  revenus.  Mais  en  1569,  à  la  suite  d'un  procès,  un  arrêt  du 
Parlement  de  Bordeaux,  du  31  mars,  ordonna  «  que  les  fruictz, 

1.  Voir  à  ce  sujet  Sacchini,  Histor.  Soc.  Jesu,  P.  111,  1.  VIII,  n.  241. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  BORDEAUX.  £19 

revenus  et  émolumens  dudit  hospital  seroient  désormais  régis  et 
gouvernez,  et  le  revenu  d'iceulx  administré  par  deux  gens  de 
bien,  resteans  en  la  présente  ville  et  solvables,  lesquels  seroient 
esleuz  de  trois  en  trois  ans  par  les  maire  et  jurats  de  ceste  ville  '  ». 
En  outre  le  superflu  devait  être  distribué  aux  pauvres  de  Bor- 
deaux. En  vertu  du  même  arrêt,  les  conseillers  François  de  Bau- 
lon  et  Joseph  d'Aymar  furent  chargés  de  faire  l'inventaire  des 
titres  du  prieuré. 

M.  de  Baulon  s'occupa  seul  de  ce  travail2.  Lorsqu'il  l'eut  ter- 
miné, il  s'entendit  avec  son  collègue  de  Lange  et  l'avocat  Charles 
du  Sault,  et  tous  trois  obtinrent,  par  une  requête  adressée  au 
conseil  du  roi,  que  le  prieuré  Saint-James,  avec  ses  annexes  et 
revenus,  serait  employé  à  l'établissement  d'un  collège  de  Jésuites. 
Il  était  devenu  si  peu  utile  comme  maison  hospitalière,  et  sa  nou- 
velle destination  semblait  si  avantageuse  que  le  clergé  lui-même 
l'avait  sollicitée  par  une  supplique  à  l'archevêque3,  et  que  «  le 
sieur  Fort  Deschart,  prieur  »,  donna  aussitôt  son  consentement4. 

4.  Tout  s'arrangeait  donc  aussi  bien  qu'on  pouvait  le  souhaiter, 
trop  bien  même  au  gré  de  ceux  que  ne  touchaient  point  les 
intérêls  de  la  religion.  Malgré  l'autorisation  accordée  par  le  roi, 
les  régents  du  collège  de  Guyenne,  redoutant  la  concurrence  de 
maîtres  éprouvés,  tirent  cause  commune  avec  les  protestants  et 
réclamèrent  contre  l'établissement  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Les 
huguenots  alarmés  députèrent  les  principaux  du  parti  pour  for- 
mer opposition  à  l'arrêt  du  conseil;  ils  firent  représenter  à  l'a- 
miral de  Coligny  que  les  Jésuites,  gens  inquiets,  entièrement 
dévoués  au  roi  d'Espagne,  ennemis  déclarés  de  la  sainte  réforme, 
avaient  trouvé  le  moyen  de  se  glisser  dans  Bordeaux,  et  que  c'en 
était  fait  de  la  ville  et  de  la  nouvelle  doctrine  si  jamais  l'on 
souffrait  qu'ils  y  eussent  une  maison  '.  L'amiral  prit  en  main  la 
cause  de  ses  coreligionnaires,  mais  dans  son  entretien  avec  le  roi, 
il  feignit  de  n'avoir  en  vue  que  les  intérêts  de  l'État. 

Charles  IX  subissait  depuis  quelque  temps  la  fâcheuse  influence 
du  chef  calviniste  et  déférait  aveuglément  à  tous  ses  avis  :  il 


1.  Archives  comm.  de  Bordeaux,  GG,  294. 

2.  Procès-verbal  de  la  visite  de  l'hôpital  Saint-Jacques,  8  janv.  1572  (Archiv.  de 
la  Gironde,  H,  Jésuites,  59). 

3.  Archiv.  de  la  Gironde,  H,  59. 

4.  Acte  de  consentement  du  Prieur  de  Saint-James  (Archiv.  de   la  Gironde,  H,  5i, 
fol.  lt). 

5.  Brev.  hist«r.  de  iniliis  (Francia,  Hist.  t'undat.,  n.  26). 


520  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

révoqua  la  permission  qu'il  avait  d'abord  donnée  en  faveur  des 
Jésuites.  Grand  fut  l'étonnement  des  catholiques  à  cette  nouvelle. 
Convaincus  qu'on  avait  surpris  la  bonne  foi  du  monarque,  ils 
crurent  de  leur  devoir  de  lui  représenter  l'injustice  commise  en 
son  nom.  D'accord  avec  l'archevêque  et  le  Parlementas  envoyèrent 
à  Blois  un  conseiller,  nommé  Drochon,  homme  de  grand  mérite, 
chargé  d'informer  Sa  Majesté  de  tout  ce  qui  s'était  passé.  Non 
content  de  cela,  Mgr  Prévost  de  Sansac  écrivit  au  duc  d'Anjou, 
frère  de  Charles  IX,  et  se  plaignit  amèrement  des  sourdes  menées 
«  de  ceux  qui  cuident  que  soutenir  le  peuple  en  la  dévotion  et 
crainte  de  Dieu,  et  par  ce  moyen  en  l'obéissance  du  roy,  soit 
chose  contraire  à  leur  entreprise  ».  Et  il  ajoutait  :  «  Vous, 
Monseigneur,  qui  avez  toujours  maintenu  les  choses  bonnes  et 
sainctes,  ne  permettez  pas,  s'il  vous  plaist,  que  telles  gens  gai- 
gnent  le  hault  bout  et  renversent  ce  qu'il  vous  a  plu  favoriser, 
nous  donnant  par  là  moyen  de  fournir  nostre  pauvre  église  de 
personnages  doctes  pour  la  consolation  de  ce  peuple  et  érudition 
de  la  jeunesse1.  » 

En  arrivant  à  la  cour,  le  député  Drochon  rencontra  «  des 
difficultés  plus  graves  qu'il  ne  s'y  attendait...  car  le  diable  s'était 
jeté  à  la  traverse2  ».  Pendant  deux  mois,  il  lui  fallut  poursuivre 
ses  démarches  et  solliciter  de  mille  façons;  toutefois  il  trouva, 
dans  l'entourage  du  roi,  des  protecteurs  parfaitement  disposés  à 
soutenir  ses  demandes.  Le  nonce  de  Sa  Sainteté  s'y  porta  avec 
un  zèle  qui  convainquit  tout  le  monde  de  la  part  que  la  religion 
avait  en  cette  affaire3. 

Charles  IX  souhaitait,  plus  que  personne,  l'établissement  de  la 
Compagnie  de  Jésus  à  Bordeaux.  S'il  n'eût  consulté  que  son  incli- 
nation, il  aurait  tout  accordé  sans  aucune  restriction;  mais  il 
craignit  de  mécontenter  l'amiral  et  avec  lui  les  huguenots.  Pour 
tout  concilier,  il  eut  recours  à  un  moyen  terme  :  en  permettant 
aux  Jésuites  de  s'établir  dans  le  prieuré  Saint-James,  il  décida 
qu'aucun  Père  étranger  n'y  serait  admis4.  Cette  restriction  ne 
pouvait  s'appliquer  qu'aux  Espagnols,  car  les  Écossais  et  les  Ita- 
liens ne  passaient  pas  pour  étrangers  en  France.  Elle  n'était  du 

1.  Lettre  de  Msr  de  Sansac  au  duc  d'Anjou,  s.  d.  (Bibl.  de  l'Institut,  coll.  Godefroy, 
vol.  XV,  f.  173.  Original).  Voir  Appendice  G. 

2.  Lettre  du  conseiller  Drochon  au  P.  Général,  3  mai  1572  (Gall.  Epistol.,  t.  VI, 
fol.  316). 

3.  Lettre  du  nonce  Fabius  Mirto  au  P.  Général,  10  avril  1572  (Epist.  Episcop.). 

4.  Brev.  List,  de  iniliis  (Francia,  Hist.  fund.  colleg.,  n.  26).  Cf.  Patentes  de  Charles  IX, 
lep  mai  1572  (Archiv.  de  la  Gironde,  H:  Jésuites,  54). 


FONDATION  DU  COLLEGE  DE  BORDEATX.  B21 

reste  que  temporaire  et,  dès  l'année  suivante,  la  Compagnie  fut 
reçue  à  Bordeaux  aux  mêmes  conditions  que  dans  tout  le 
royaume1. 

Le  3  mai  1572,  le  conseiller  Drochon  put  annoncer  de  Blois 
au  P.  Général  l'heureux  succès  de  sa  négociation;  puis  il  retourna 
à  Bordeaux  «  porteur  de  l'autorisation  que  le  P.  Auger  ainsi  que 
tous  ces  Messieurs  [attendaient]  avec  grande  impatience''  ».  Vers 
le  même  temps,  l'avocat  général  du  Sault  reçut  deux  lettres, 
l'une  de  Charles  IX  et  l'autre  de  la  reine-mère,  insistant  sur 
la  prompte  exécution  de  leurs  ordres  :  «  La  singulière  recom- 
mandation, lui  disait  Catherine  de  Médicis,  en  laquelle  j'ay  et 
veulx  avoir  ceulx  dudict  collège  des  Jésuites,  faict  que  j'ay  bien 
voulu  accompagner  de  la  présente  celle  du  roy  mondict  sieur  et 
filz,  et  par  icelle  vous  prier  leur  porter  toute  l'aide  et  l'assistance 
que  vous  pourrez...  et  j'estimeray  à  très  agréable  plaisir  le  bien 
et  faveur  qu'ils  recepveront  de  vous  en  cest  endroict3.  » 

5.  Toutes  ces  hautes  protections  ne  furent  pas  inutiles.  Dès  le 
retour  de  leur  député,  les  catholiques  de  Bordeaux  s'empressè- 
rent de  travailler  à  l'aménagement  du  collège  dans  l'hôpital 
Saint- James.  Le  gouverneur  y  employa  un  grand  nombre  de 
rameurs,  et  les  jurats,  ne  voulant  pas  moins  se  signaler,  son- 
geaient à  y  joindre  des  prisonniers.  Empressement  excessif,  que 
le  P.  Auger,  avec  sa  prudence  habituelle,  s'efforça  de  modérer, 
craignant  de  le  voir  interprété  en  mauvaise  part.  Généreux  en- 
tre tous,  François  de  Baulon  fit  bâtir  à  ses  frais  sept  classes 
dans  la  partie  supérieure  de  la  vigne  du  prieuré.  Une  moitié 
des  anciens  bâtiments  fut  réservée  à  l'habitation  des  Pères;  l'au- 
tre laissée  à  un  moine,  le  seul  survivant  de  sa  communauté,  et  à 
quelques  prêtres  séculiers.  Enfin  on  assigna  aux  Jésuites  un  petit 
jardin  à  côté  de  leurs  classes.  Le  nouveau  collège  fut  appelé  de 
la  Madeleine,  nom  d'une  église  qui  lui  servit  de  chapelle4. 

Le  21  juillet,  arrivèrent  avec  le  P.  Edmond  Hay,  alors  Provin- 
cial de  France,  cinq  autres  religieux.  Les  Pères  Charles  Sager, 
Bertrand  Roserius  et  Louis  Richeome  étaient  de  ce  nombre.  Ils 
furent  admirablement  accueillis  par  François  de  Baulon,  l'arche- 
vêque et  les  principaux  habitants.  Bien  que  les  classes  ne  fussent 

1.  Brev.  hist.  de  initiis. 

2.  Lettre  de  M.  Drochon  au  P.  Général  (Gall.  Bpist.,  t.  VI,  fol.  346). 

3.  Lettre  du  4  mai  1572  (Archiv.  de  la  Gironde,  H,  59). 

4.  Brev.  hist.  de  initiis. 


522  HISTOIRE  DE  TA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

pas  encore  aménagées,  on  leur  réclama  tout  de  suite  quelques 
leçons1.  Le  P.  Sager,  à  la  fois  littérateur,  théologien  et  exégète, 
commenta  la  première  épitre  de  saint  Paul  à  Timothée.  Le  P.  Ri- 
cheome,  que  ses  écrits  rendront  un  jour  redoutable  aux  ennemis 
de  l'Église  et  que  ses  rares  qualités  élèveront  aux  plus  hauts 
emplois  de  la  Compagnie,  expliqua  les  hymnes  grecques  de 
Synesius2.  En  même  temps  les  PP.  Edmond  Hay,  Sager  et  Rose- 
rius  évangélisèrent  les  différentes  paroisses  de  la  ville,  et  tel  fut 
le  succès  de  leurs  prédications  que,  dans  l'espace  d'un  mois, 
elles  amenèrent  la  conversion  de  plus  de  douze  cents  héré- 
tiques1. 

Tandis  que  ces  heureuses  entreprises  assuraient  aux  Jésuites 
l'estime  de  la  population,  M.  de  Baulon  n'oubliait  pas  leurs  in- 
térêts matériels.  Par  un  acte  du  18  août,  selon  la  promesse  qu'il 
leur  avait  faite  longtemps  auparavant,  il  leur  donna  une  rente 
perpétuelle  de  deux  mille  livres  tournois  pour  laquelle  il  aliéna 
un  capital  de  vingt-quatre  mille  livres.  Il  stipula,  dans  sa  dona- 
tion, que  si  «  par  la  malice  du  temps  »  les  Pères  ne  pouvaient 
rester  à  Bordeaux,  cette  rente  serait  appliquée  à  l'un  de  leurs 
collèges  de  France  jusqu'au  moment  où  ils  seraient  libres  de 
revenir4. 


Ces  précautions  prises  et  l'installation  terminée,  le  P.  Charles 
Sager,  nommé  vice-recteur,  ouvrit  au  mois  d'octobre5  huit  classes, 
auxquelles  se  présentèrent  quatre  cents  écoliers0.  Et  bientôt,  ra- 
conte une  ancienne  notice  inédite,  «  ce  fut  pour  beaucoup  un 
sujet  d'admiration  de  voir  comme  [dans  le  nouvel  établissement] 
la  piété  chrétienne  était  encore  plus  en  honneur  que  les  sciences 
et  les  lettres7  ».  Dès  le  26  octobre,  François  de  Baulon,  très  satis- 
fait de  son  œuvre,  pouvait  écrire  au  P.  Général  :  «  Quant  au 
collège,  grâces  à  Dieu,  il  continue  de  mieulx  en  mieulx,  quelques 
assaults  nouveaux  que  nos  ennemis  aient  donné  et  inventé...  Le 
P.  Charles  [Sager]  et  aultres  voient  déjà  le  fruict  de  cette  pre- 
mière éducation...  dont  les  libertins  et  sectaires  sont  aultant  dé- 
plaisans  que  les  catholiques  s'esjouissent  et  nous  congratulent8.  » 

6.  Quelque  favorables  que  fussent  ces  commencements,  la 
prospérité  du  collège  ne  pouvait  être  assurée  que  par  l'union  du 

1.  Ibidem.  —  2.  Sacchini.  Hist.  S.  /.,  P.  III,  1.  VIII,  n°  244,245.  —  3.  Ibidem. 

4.  Acte  de  donation  (Arch.  com.  de  Bordeaux,  GG,  294,  298). 

5.  Invitation  du  P.  Sager  aux  jurais  (Arch.  comm.,  BB,  1572). 
C.  Brev.  hist.  de  initiis.  —  7.  Ibidem. 

8.  Gall.  Epist.,  t.  VI,  fol.  625. 


FONDATION  1)1!  COLLÈGE  DE  BORDEAUX.  523 

prieuré  Saint-James  qui  n'était  pas  encore  effectuée.  Après  beau- 
coup de  démarches  et  de  formalités,  auxquelles  François  de 
Baulon  s'employa  activement,  elle  fut  enfin  accordée  par  une 
bulle  de  Grégoire  XIII,  du  l01'  juin  1573,  puis  confirmée  par  des 
lettres  patentes  de  Charles  IX  qui  chargeait  l'archevêque  de 
Bordeaux  et  autres  commissaires  de  constituer,  sur  le  revenu  du 
prieuré,  une  rente  au  collège  de  la  Compagnie1. 

Le  nombre  des  élèves  s'étant  rapidement  accru,  le  collège  de 
la  Madeleine  compta,  dès  la  deuxième  année,  quatre  professeurs 
de  théologie  :  un  pour  les  cas  de  conscience,  deux  pour  la  théo- 
logie scolastique,  le  quatrième  pour  l'Écriture  Sainte  et  l'hébreu. 
Outre  les  élèves  externes,  quinze  jeunes  religieux  de  la  Compa- 
gnie suivaient  ces  cours2  dont  la  durée  était  de  quatre  ans.  Le 
cours  de  philosophie  se  faisait  en  deux  années,  avec  deux  pro- 
fesseurs, l'un  de  logique,  l'autre  de  métaphysique.  Il  y  avait 
aussi  deux  régents  de  rhétorique  qui  se  partageaient  la  besogne 
et  faisaient  chaque  jour  deux  lectures,  une  le  matin  et  l'autre 
dans  l'après-midi.  La  classe  des  humanités,  ou  seconde,  et  les 
quatre  classes  de  grammaire  ne  comptaient  chacune  qu'un  seul 
professeur.  Deux  Pères,  avec  le  titre  de  préfets  des  études,  étaient 
chargés  de  la  surveillance  des  écoliers,  l'un  pour  les  cours  des 
grands,  l'autre  pour  les  classes  inférieures;  ils  devaient  aussi 
contrôler  l'enseignement  des  maîtres  '. 

Dès  le  début,  les  amis  de  la  Compagnie  avaient  obtenu  que  le 
collège  de  la  Madeleine  fût  incorporé  à  l'Université.  Cette  union, 
approuvée  par  lettres  patentes  de  Charles  IX,  du  11  février  1573, 
fut  confirmée  par  d'autres  patentes  de  Henri  III,  le  8  novembre 
1574'. 

La  même  année,  à  la  sollicitation  des  parents,  on  admit  une 
classe  à-1  abécédaires  jugée  indispensable  par  les  Pères  eux- 
mêmes;  ils  trouvaient  mal  préparés  aux  classes  de  grammaire 

1.  Acta  S.  Sedis,  p.  65.  Patentes  du  !3  nov.  1573  (Archiv.  de  la  Gironde.  B.  39. 
fol.  119;  H,  59). 

2.  «  Voilà,  dit  M.  Gaullieur,  ce  qui  manquait  au  collège  de  Guyenne.  Les  jésuites 
avec  leur  admirable  esprit  d'organisation  se  créaient  ainsi  pour  l'avenir  une  pépinière 
de  jeunes  régents.  »  (Hist.  du  collège  de  Guyenne,  p.  325).  C'est  vrai;  mais,  de  plus, 
les  scolastiques  s'appliquaient  à  la  tbéologie  en  vue  du  sacerdoce  et  de  la  prédica- 
tion. 

3.  Estât  de  l'establissement,  fondation  et  revenu  du  collège  des  PP.  Jésuites  elc... 
(Archiv.  comm.,  GG,  298).  Ce  qui  est  dit  ici  de  13  professeurs  en  1573,  n'est  pas  en 
contradiction  avec  les  Lettres  patentes  de  Henri  111,  mentionnant,  en  1 5 7  i ,  9  classes  et 
1.500  élèves.  Il  n'y  avait  aussi  que  9  classes  en  1573,  savoir  :  1  cours  de  théologie 
(scolastique  et  morale),  1  cours  de  d'Écriture  Sainte,  1  cours  de  philosophie,  1  classe 
de  rhétorique,  1  d'humanités  et  quatre  de  grammaire.  —  4,  Ibidem.  . 


:,-2,  HISTOIRE  DE  LÀ  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

les  écoliers  qui  avaient  appris  les  éléments  au  collège  de 
Guyenne;  puis,  inconvénient  plus  grave,  dans  ce  collège  comme 
dans  les  écoles  particulières  de  la  ville,  les  enfants  étaient  très 
exposés  à  subir  une  fâcheuse  influence  :  «  Au  lieu  de  leur  ap- 
prendre à  lire  dans  ce  livre  élémentaire  qu'on  appelle  ici  la 
Croix  de  par  Dieu,  écrit  le  P.  Provincial,  on  leur  remet,  ouverte- 
ment ou  en  secret,  un  petit  catéchisme  de  Calvin.  Il  n'y  a  pas 
d'autre  remède  à  ce  mal  que  d'ouvrir  nous-mêmes  une  classe  de 
commençants1.  »  Le  P.  Général  se  laissa  convaincre,  mais  il  mit 
à  son  acquiescement  certaines  conditions  qui  montrent  le  véri- 
table esprit  de  la  Compagnie  sur  ce  point.  «  Pour  ce  qui  est  des 
abécédaires,  répondait-il  à  M.  du  Sault,  le  21  novembre  1573, 
j'ay  donné  ordre  que,  à  cause  de  la  nécessité  qui  se  présente  du 
côté  des  hérésies,  et  jusques  à  tant  que  nostre  Société  jugera 
estre  expédient,  et  non  aultrement,  les  nostres  en  prennent  la 
charge,  sans  néantmoings  accepter  aulcune  fondation  pour  icelle 
classe,  et  avec  acte  et  protestation  de  la  quitter  touttes  et  quantes 
foys  que  nous  l'adviserons;...  le  fruict  en  est  si  petit  et  les 
labeurs  si  grands  que,  non  sans  cause,  nostre  Société  se  déporte 
d'une  semblable  charge  pour  mieux  s'acquitter  du  plus  impor- 
tant2. » 

7.  Depuis  leur  établissement  à  Bordeaux  les  Pères  avaient  joui 
d'un  grand  calme.  Étonné  d'une  tranquillité  à  laquelle  la  Com- 
pagnie n'était  pas  habituée,  le  P.  Provincial  ne  manquait  point 
de  prévenir  ses  religieux  contré  une  prospérité  qui  n'est  pas  tou- 
jours le  sort  des  ouvriers  évangéliques.  Les  événements  ne  tardè- 
rent pas  à  lui  donner  raison  :  survint  bientôt  la  mort  de  M.  Fran- 
çois de  Baulon,  et  elle  attira  de  graves  épreuves  sur  le  collège 
de  la  Madeleine. 

11  ne  fut  pas  permis  aux  Jésuites  de  donner  à  cet  insigne  bien- 
faiteur, comme  ils  l'auraient  désiré,  la  sépulture  dans  leur  cha- 
pelle; mais,  par  reconnaissance,  ils  établirent  un  service  commé- 
moratif  pour  le  repos  de  son  âme  :  il  se  célébrait  tous  les  ans,  le 
19  juillet,  en  présence  des  maîtres  et  des  élèves3. 

Le  frère  du  défunt,  Élie  de  Baulon,  homme  faible  et  de  peu  de 
piété,  fut  bientôt  circonvenu  par  les  ennemis  de  la  Compagnie, 

1.  Lettre  du  P.  E.  Hay,  sept.  1573  (Gall.  Epist.,  t.  VII,  fol.  38). 

2.  Lettre  du  P.  É.  Mercurian  (Francia.  Epist.  General.,  t.  1575-1604).  C'est  par  er- 
reur que  cette  lettre  a  été  placée  dans  ce  volume. 

3.  Brevis  hisl.  de  initiis. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  BOKDEALX. 

qui  le  poussèrent  à  faire  annuler  les  actes  de  la  fondation.  Les 
Pères  s'efforcèrent  en  vain  de  le  détourner  de  son  injuste  entre- 
prise; les  défenseurs  du  collège  ne  réussirent  pas  mieux  dans 
leurs  tentatives  de  conciliation  :  il  fallut  plaider.  Le  Parlement 
de  Bordeaux  renvoya  la  cause  au  Parlement  de  Toulouse1,  et 
celui-ci  commença  par  arrêter  que  les  quatre  mille  écus  desti- 
nés à  la  fondation  du  collège  seraient  payés  avant  môme  le  juge- 
ment de  l'affaire3.  Élie  de  Baulon,  craignant  que  les  magistrats 
de  Toulouse  ne  lui  fussent  pas  favorables,  évoqua  la  cause  au 
Parlement  de  Paris  où  elle  resta  longtemps  pendante,  au  grand 
détriment  des  Jésuites,  «  tellement,  dit  un  ancien  manuscrit,  que 
ledit  collège  fut  privé  de  cette  fondation  de  deux  mille  livres, 
n'ayant  autre  revenu,  durant  trente-six  ans  qu'il  fut  en  procès 
avec  lesdits  héritiers,  que  ce  qui  provenait  des  fruicts  des  susdits 
bénéfices  unis2  ».  Privé  des  ressources  que  lui  avait  garanties 
son  principal  fondateur,  le  collège  de  la  Madeleine  se  trouva  vite 
réduit  à  la  misère.  Le  P.  Mathieu,  Provincial,  se  demanda  s'il 
ne  devait  pas  retirer  les  Pères  d'une  ville  où  leur  subsistance 
n'était  pas  suffisamment  assurée.  D'un  autre  côté,  comment  aban- 
donner une  population  où  l'hérésie  faisait  tant  de  ravages  que  les 
bons  catholiques  songeaient  à  se  réfugier  ailleurs;  projet  qu'ils 
auraient  exécuté,  s'ils  n'avaient  été  soutenus  par  les  encourage- 
ments des  Jésuites.  Grâce  au  dévouement  de  quelques  amis,  on 
parvint  à  recueillir  des  aumônes,  avec   lesquelles  on  espérait 
atteindre  la  fin  du  procès,  qu'on  regardait  toujours  comme  pro- 
chaine3. 

Pendant  qu'Élie  de  Baulon  s'opposait  à  l'exécution  des  volontés 
de  son  frère,  d'autres  adversaires  du  collège,  voulant  de  toutes 
façons  lui  couper  les  vivres,  engageaient  la  municipalité  de  Bor- 
deaux à  réclamer  contre  l'union  du  prieuré  de  Saint-James,  déjà 
autorisée  par  Charles  JX,  le  13  novembre  1573.  Le  maire  et  les 
jurats  interjetèrent  appel  de  l'exécution  des  patentes  du  Roi.  Mais 
en  vain  lui  fîrent-ils  représenter  «  un  cahier  »,  dans  lequel  ils 
exposaient  leurs  raisons  et  demandaient  que  les  revenus  de  ce 
bénéfice  fussent  appliqués  moitié  aux  pauvres,  moitié  au  collège 
de  Guyenne;  Charles  IX,  par  de  nouvelles  lettres  du  12  février 
1574,  enjoignit  de  passer  outre,  sans  avoir  égard  aux  récusations 

1.  Requête  de  l'avocat  général  (Archiv.  de  la  Gironde,  H,  59). 

2.  Sententia  Parlamenli  (Aquitan.,  Fundat.  colleg.,  t.  I,  n.  45). 

3.  Estât  de  l'establissement 

4.  Lettre  du  P.  Mathieu  au  P.  Général,  17  août  1576    (Gall.  Epist.,  t.  X,  fol.  11). 


526  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

des  maire  et  jurats  qui  «  ne  veulent,  disait-il,  sinon  tirer  cette 
affaire  en  longueur  et  consommer  en  frais  ceux  de  ladite  Compa- 
gnie1 ».  Les  Jésuites  furent  mis  légalement  en  possession  du 
prieuré  le  29  mars  1574- 2. 

8.  La  mort  du  roi  fournit  aux  ennemis  du  collège  de  la  Made- 
leine l'occasion  dune  nouvelle  attaque.  On  avait  composé  au 
collège  de  Guyenne  une  apothéose  du  monarque  en  vers  de  plu- 
sieurs langues.  L'intention  était  très  louable;  l'exécution,  paraît-il, 
laissait  beaucoup  à  désirer.  Un  malin  anonyme  fit  une  amère 
critique  de  ces  poésies,  pleines  de  fautes.  Aussitôt  les  Jésuites 
sont  accusés  d'avoir  voulu  dénigrer  leurs  rivaux.  On  eut  beau 
afficher  des  placards  dans  la  ville,  on  ne  parvint  pas  à  émouvoir 
la  population,  et  l'accusation  tomba  d'elle-même  faute  de  preu- 
ves 3'. 

Cependant  le  Principal  du  collège  de  Guyenne  avait  gardé  de 
cet  incident  une  profonde  rancune  contre  le  collège  de  la  Made- 
leine. «  Il  résolut  de  faire  échec  à  des  concurrents  de  jour  en  jour 
plus  redoutables,  en  leur  contestant  le  droit  de  promouvoir  leurs 
écoliers  aux  grades  académiques'1.  »  Il  apportait  comme  raison 
que  la  Compagnie  de  Jésus,  rejetée  par  l'Université  de  Paris,  ne 
devait  être  admise  nulle  part  en  France.  Pour  toute  réponse,  le 
Recteur  des  Jésuites  fit  annoncer  une  séance  solennelle  de  pro- 
motion aux  grades  de  baccalauréat  et  de  licence,  en  y  invitant 
les  autorités  de  la  ville  et  le  Principal  même  du  collège  de 
Guyenne.  Le  Parlement  décida  que  plusieurs  présidents  et  con- 
seillers y  assisteraient,  espérant  que  leur  présence  suffirait  à 
réprimer  tout  désordre  :  «  Je  n'ay  mémoire,  raconte  à  ce  sujet 
M.  du  Sault,  que  depuis  l'establissement  des  Universités  et  cours 
de  Parlements  en  France,  une  telle  et  si  grande  compagnie  que 
ceste-cy  aye  esté  assemblée  et  assisté  à  un  acte  scolastique... 
Oultre  MRr  l'Archevêque,  assistèrent  deux  Présidents,  XXV  con- 
seillers, les  advocats  et  procureurs  généraulx  du  roy  en  ladicte 
cour,  le  lieutenant  général  et  juges  présidiaulx  en  la  séneschaus- 
sée  de  Guyenne,  et  infinité  d'advocatz,  médecins  et  aultres  nota- 
bilités, personnages  de  toutes  qualitéz '.  » 

On  avait  à  peine  commencé  l'argumentation  que  le  Principal, 

1.  Archiv.  de  la  Gironde,  H,  Jésuites,  59  et  120. 

2.  Fulmination  de  la  Bulle  et  prise  de  possession  (Archiv.  de  l'Archevêché,  Q,  6). 

3.  Lettre  de  M.  du  Sault  au  P.  Général,  27  juillet  1574  (Gall.  Epist.,  t.  VIII,  fol. 
350). 

4.  Ibidem.  —  5.  Ibidem. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  BORDEAUX.  527 

Élie  Vinet,  se  levant  tout  à  coup,  débita  contre  les  Pères  de  viru- 
lentes invectives.  Mis  en  demeure  de  répondre,  Le  P.  Charles 
Sager  le  lit  avec  une  habileté  et  une  modération  qui  obtinrent 
un  plein  succès.  L'argumentation  terminée,  continue  M.  du  Sault 
dans  sa  lettre  au  P.  Général,  «  le  vice-chancelier  de  ladite  Uni- 
versité, quin'estoit  au  commencement  de  l'acte,  par  une  grave  re- 
nionstrancc  latine,  haut  loua  vostre  Compagnie,  réprima  la  pé- 
tulance des  adversaires  et  supplia  Messieurs  du  Parlement  les 
chastier;  et  comme  s'il  eust  sceu  ce  que  le  [Principal]  avoit  dict 
de  sa  teste  en  son  absence,  respondit  à  ce  qu'il  avoit  proposé 
au  commencement  et  empescha  que  ledict  [Principal]  ne  leust  un 
acte  d'appel  injurieux,  que  les  jurats  lui  avoient  baillé  contre  les 
vostres  *  ».  Ensuite,  aux  applaudissements  de  toute  l'assemblée, 
le  vice-chancelier  conféra  le  degré  de  baccalauréat  et  de  licence 
en  la  Faculté  des  arts  aux  écoliers  qui  venaient  d'être  examinés. 
Après  avoir  raconté  cette  curieuse  séance,  tout  à  l'honneur  du 
collège  de  la  Madeleine,  M.  du  Sault,  se  faisant  l'interprète  de 
l'archevêque  et  de  tous  les  gens  de  bien,  insistait  auprès  du 
P.  Général  pour  qu'il  consentit  à  laisser  les  PP.  Sager  et  Richard, 
professeurs  de  théologie,  recevoir  le  bonnet  de  docteur  qui  leur 
était  offert  par  l'Université.  Il  énumérait,  afin  de  le  convaincre, 
tous  les  avantages  que  devait  en  retirer  la  Compagnie.  A  Bor- 
deaux d'abord,  l'on  serait  moins  sujet  aux  persécutions  et  ca- 
lomnies des  adversaires,  et  l'on  aurait  l'autorité  suffisante  pour 
les  réprimer  et  les  châtier;  puis,  les  gradués  de  cette  Université 
étant  reçus  par  toutes  les  autres  du  royaume,  ils  ne  pourraient 
être  rebutés  ni  à  Paris  ni  ailleurs;  enfin  les  professeurs  de  la 
Compagnie  seraient  «  plus  respectés,  mieulx  ouys  et  plus  agréa- 
bles au  peuple  et  aultres  estats. ;'  »  On  ne  fit  pas  droit  tout  de 
suite  à  cette  demande;  quelques  années  après  seulement,  le 
30  mars  1577,  le  P.  Recteur  fut  admis  parmi  les  docteurs  de 
l'Université  de  Bordeaux3. 

9.  Les  Jésuites,  on  le  voit,  avaient  rallié  autour  d'eux  tous  les 
catholiques  et  se  sentaient  appuyés  par  une  partie  du  Parlement. 
Néanmoins  le  Principal  de  Guyenne  ne  recula  pas  devant  la  tâche 
ardue  de  continuer  la  lutte  contre  leurs  progrès.  Il  fit  venir  de 
nouveaux  maîtres,  qu'il  croyait  capables  de  soutenir  honorable- 
ment la  concurrence  avec  le  collège  de  ia  Madeleine.  Au  bout 

1.  Ibidem.  —  2.  Ibidem. 

3.  Barckhausen,  Statuts  de  l'anc.  Univ.  de  Bordeaux,  p.  68,  69. 


528  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

de  quelques  jours,  deux  de  ces  professeurs  durent  cesser  leurs 
cours,  faute  d'élèves1. 

On  essaya  dès  lors  d'une  autre  tactique.  Il  y  avait  parmi  les 
Jésuites  un  jeune  régent  de  philosophie,  Jehan  Puget  de  Saint- 
Marc2,  dont  la  réputation,  un  peu  surfaite,  attirait  autour  de  sa 
chaire  un  grand  nombre  d'auditeurs.  Le  séduire  et  le  faire  passer 
au  collège  de  Guyenne,  parut  aux  partisans  d'Élie  Vinet  la  meil- 
leure façon  de  recruter  des  écoliers.  C'est  ce  que  M.  Gaullieur 
qualifie  de  «  tour  licite  et  de  bonne  guerre3.  »  L'acte  est  autre- 
ment apprécié  dans  les  lettres  patentes  par  lesquelles  Henri  III 
défendit,  en  cette  circonstance,  les  droits  de  la  Compagnie  de 
Jésus. 

Nous  emprunterons  le  récit  de  cette  grave  affaire  à  ce  docu- 
ment véridique4.  Au  début,  le  roi  constate  que  le  collège  de  la 
Madeleine  contient  neuf  classes  formées  de  «  mille  cinq  cens 
enfans  »,  qui  y  sont  instruits  «  au  grand  contentement  de  ses 
bons  sujets  catholiques,  regret  et  desplaisir  de  ceux  de  la  nou- 
velle oppinion  ».  Aussi  ces  derniers,  sous  le  nom  des  maire  et 
jurats  de  la  ville,  s'acharnent-ils  «  par  une  infinité  de  traverses 
et  de  procès  »  à  contraindre  les  Jésuites  d'abandonner  «  ung  si 
sainct  œuvre  ».  Et  tout  récemment  ils  ont  «  par  artifices  et  moyens 
réprouvez,  desbauché  Me  Jehan  de  Saint-Marc,  religieux  philo- 
sophe dudict  colliège,  pour  icelluy  rendre  apostat  et  le  faire 
sortir  de  ladicte  Société  en  laquelle  il  a  demeuré  puis  treize  ans, 
et  en  chascun  d'iceulx  faict  les  trois  vœux  de  chasteté,  obédience 
et  pauvreté  perpétuelle,  pour  le  faire  aller  régenter  en  ung  au- 
tre colliège,  appelé  le  colliège  de  Guyenne5  ».  Les  jurats  avaient 
promis  à  Puget  de  beaux  honoraires  ;  ébloui  par  ces  offres,  le 
jeune  professeur,  très  entiché  de  son  talent  et  déjà  chancelant 
dans  sa  vocation6,  accepta.  A  l'insu  de  ses  frères,  il  fit  transpor- 
ter dans  l'établissement  d'Élie  Vinet  «  les  livres,  papiers,  es- 

1.  Lettres  annuelles  mss.  (Franciae  Historia,  t.  I,  n.  37). 

2.  Entré  dans  la  Compagnie  à  Rome  en  1564,  fit  ses  études  de  philosophie  dans  la 
même  ville  et  y  enseigna  la  grammaire.  11  vint  ensuite  en  France  et  fut  professeur  à 
Tournon  et  à  Bordeaux  (Catalog.  S.  J.). 

3.  Histoire  du  collège  de  Guyenne,  p.  321-336. 

4.  M.  Gaullieur  le  donne  dans  ses  pièces  justificatives.  Il  a  raison,  mais  comment 
ne  s'est-il  pas  aperçu  que  ces  lettres  patentes  contredisent  les  pages  qu'il  a  consacrées 
à  l'affaire  Puget  Saint-Marc? 

5.  Patentes  du  5  nov.  1574  (Archiv.  de  la  Gironde,  H,  59). 

6.  Nous  avons  retrouvé  des  lettres  de  ses  supérieurs  au  P.  Général.  Depuis  quelque 
temps,  ils  avaient  à  lui  reprocher  de  graves  défauts  dont  il  ne  se  corrigeait  pas.  Dans 
une  lettre  du  2  janvier  1574,  le  P.  Ed.  Hay  l'accusait  d'être  «  offensioni  non  tantum 
domesticis,  sed  et  externis  »  (Gall.  Epist.,  t.  V1I1,  n.  6). 


FONDATION  DU  COLLEGE  DE  BORDEAI  V  529 

cripts  et  autres  choses  dont  ses  supérieurs  l'a  voient  accomodé 

Cependant  les  Pères  ayant  découvert  ses  projets  essayèrent, 
comme  c'était  leur  devoir,  de  lui  éviter  un  acte  d'apostasie,  el 
firent  garder  la  porte  du  collège  pour  empêcher  toute  tentative 
d'évasion.  Mais,  le  21  août  157V,  «  survindrent  lesdits  Maire, 
jurats  et  plusieurs  autres,  jusqucs  au  nombre  de  trente  sergents 
et  autres  gens  de  guerre  ;  et  avec  grand  scandalle,  par  force  et 
violence,  ravyrent  le  dict  de  Saint-Marc  dudict  collège  et  des 
mains  de  ses  dicts  supérieurs  ».  Toute  cette  troupe  était  accom- 
pagnée d'écoliers,  qui  réclamaient  à  grands  cris  le  jeune  régent, 
pour  le  mener  au  collège  de  Guyenne  selon  sa  promesse,  «  com- 
bien, ajoutent  les  lettres  patentes,  qu'il  leur  feust  permis  l'ouyr 
librement  et  gratuitement  dans  le  collège  de  ladicte  Société, 
pourvu  qu'ils  y  heussent  voullu  assister  à  la  messe  et  faire  tout 
debvoir  de  bons  chrestiens  et  catholiques,  ainsi  que  l'ont  les  au- 
tres escolliers  estudians  en  icelluy  ». 

Le  gouverneur  de  Bordeaux,  Charles  de  Montferrant,  eut  la 
prudence  d'ordonner  que  Puget  de  Saint-Marc  fût  d'abord  con- 
duit à  l'archevêque,  afin  de  «  luy  faire  bonne  et  briefve  justice  ». 
Le  prélat  lui  assigna  son  propre  palais  pour  demeure,  avec  dé- 
fense d'en  sortir,  sous  peine  d'excommunication,  et  chargea  son 
secrétaire  et.  le  théologal  de  la  primatiale  d'instruire  l'affaire  L 

Mais  les  maire  et  jurats  ne  s'en  tinrent  pas  là.  Voulant  empê- 
cher le  cours  de  la  justice  ecclésiastique,  dont  relevait  l'acte  d'a- 
postasie, ils  présentèrent  en  cour  de  Parlement,  plusieurs  requêtes 
pour  prendre  et  retenir  la  connaissance  de  la  cause.  Le  4  octobre, 
Jehan  Puget  ayant  comparu  devant  les  conseillers  rapporteurs, 
on  lui  montra  un  registre  dans  lequel  se  trouvait  écrite  de  sa 
main  la  formule  des  vœux.  Il  reconnut  sa  signature  et  objecta 
que  c'étaient  des  vœux  simples,  différents  des  vœux  solennels, 
ainsi  que  l'expliquaient  les  Constitutions  de  l'Ordre2.  Le  même 
jour,  le  P.  Recteur  de  la  Madeleine  fut  sommé  de  présenter  en 
justice  les  Constitutions  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Il  s'y  refusa; 
mais  déjà  un  exemplaire  se  trouvait  entre  les  mains  des  conseil- 
lers rapporteurs.  Cet  exemplaire,  confié  autrefois  à  M.  de  Baulon, 
était  devenu  la  propriété  de  son  frère  qui,  pour  se  venger  des 
Jésuites  qu'il  regardait  comme  les  spoliateurs  de  sa  famille, 
l'avait  remis  au  clerc-secrétaire  de  la  ville.  Dans  le  chapitre  iv  de 

1.  Pièces  officielles  sur  l'affaire  Puget  Saint-Marc  (Archives  de  la  Gironde,  H,  Jé- 
suites, 59).  Mémoire  du  P.  Sager  (Ibid.). 

2.  Interrogatoire  de  Puget  {Ibid.,  H,  Jésuites,  n.  G). 

COMPAGNIE    DE    JliSLS.   —    T.    I.  3'è 


530  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

la  Ve  partie,  le  défenseur  de  Puget,  Charles  Amussat,  crut  trouver 
un  argument  triomphant  en  faveur  de  son  client;  par  malheur, 
le  roi  refusa  de  reconnaître  la  compétence  du  Parlement  :  «  La 
cognoissance,  correction  et  punition  dudict  de  Saint-Marc,  décla- 
rait-il, appartient  au  Général,  Provincial  ou  Supérieur  d'icelle 
societté,  ainsi  qu'il  appert  par  les  Bulles  de  Notre  Sainct-Père  le 
Pape.  »  En  conséquence,  Henri  III  ordonnait  qu'aucune  poursuite 
ne  serait  faite  ailleurs  «  que  par  devant  ledit  Général,  Provincial 
et  Supérieur,  sur  peyne  de  nullité,  dommaiges  et  intérests  ».  De 
plus  il  défendit  au  maire  et  aux  jurats  de  s'occuper  des  affaires 
de  la  Compagnie  de  Jésus,  la  proclamant  «  exempte  de  toute 
leur  auctorité  et  jurisdiclion,  comme  estans  personnes  religieu- 
ses et  ecclésiastiques  1  ». 

Il  n'est  pas  probable  qu'un  jugement  ait  été  rendu  par  les 
supérieurs  de  la  Compagnie;  tout  nous  porte  à  croire  que  Jehan 
Puget  refusa  de  se  soumettre  à  une  procédure  canonique.  Le 
28  août  1575,  il  obtint  du  Parlement  de  Bordeaux  la  permission 
de  «  lire  et  enseigner  publiquement,  tant  aux  bonnes  lettres  que 
en  philosophie,  ès-collèges  de  la  présente  ville  ou  l'un  d'iceux 
[que  bon  lui  semblera]  ».  En  même  temps  il  était  «  faict  inhibition 
et  défence  [par  la  cour],  à  toutes  personnes,  de  l'empescher  ou 
molester  en  ladicte  lecture,  le  tout  sans  préjudice  du  procès 
contre  ledict  Saint-Marc,  intenté  à  la  requeste  du  syndic  de  la  Ma- 
deleine ».  Il  dut  commencer  immédiatement  ses  cours,  car  le 
P.  Sager  écrit,  à  la  date  du  2  septembre  :  «  Nostre  apostat  faict 

encore  rage  contre  nous Il  est  si  bien  favorisé  de  la  pluspart 

de  ceste  cour  et  peuple  que,  nonobstant  les  lettres  patentes  du 
roy,  nonobstant  les  comminations  et  défences  de  Mgr l'Archevêque, 
il  lit  au  collège  de  Guyenne,  au  grand  scandale  et  mescontente- 
ment  des  catholiques  et  gens  de  bien,  et  au  grand  plaisir  et  joie 
des  huguenaults  qui  le  supportent-.  » 

Au  dire  de  M.  Gaullieur,  l'érudition  de  Puget  était  immense  et 
sa  mémoire  prodigieuse.  Certains  auteurs,  ajoute-t-il,  «  assurent 
qu'on  le  croyait  capable  de  rétablir  les  écrits  d'Aristote  et  de  Pla- 
ton, si  par  malheur  le  texte  de  leurs  ouvrages  fût  venu  à  se 
perdre  3  ».  Cette  mémoire,  si  fidèle,  lui  joua  un  mauvais  tour  à 
la  rentrée  des  classes,  au  mois  d'octobre.  Chargé  de  prononcer  la 
harangue  solennelle  d'ouverture,  il  jugea  à  propos  de  sappro- 

1.  Archives  de  la  Gironde,  H,  59. 

2.  Ibid.,  H,  60'. 

■i.  Histoire  du  coll.  de  Guyenne,  p.  345. 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  BORDEAI  V  53t 

prier  le  discours  du  P.  Perpinien  sur  V étude  de  la  philosophie 
divine  et  humaine.  On  ne  sait  par  quelle  indiscrétion  la  gent 
écolière  fut  informée  de  la  supercherie.  Toujours  est-il  qu'elle 
parvint  à  se  procurer  des  copies  du  célèbre  discours.  Puget 
monte  en  chaire  et  commence  à  parler  devant  un  nombreux 
auditoire,  où  l'on  remarquait  plusieurs  membres  du  Parlement. 
Il  avait  à  peine  terminé  sa  première  période  que  des  étudiants 
se  mettent  à  crier  :  «  Mais,  c'est  un  discours  de  Perpinien!  »  Et 
ils  en  montrent  le  texte  à  leurs  voisins.  De  là  grand  tumulte, 
qui  finit  par  s'apaiser  peu  à  peu.  Sur  l'invitation  de  messieurs 
du  Parlement,  l'orateur  essaie  de  continuer  sa  harangue;  mais 
bientôt,  cédant  à  une  trop  forte  émotion,  il  ne  fait  plus  que  bal- 
butier et  descend  de  chaire  rouge  de  confusion  '. 

Que  devint  plus  tard  le  malheureux  apostat?  Professa-t-il  pen- 
dant de  longues  années  au  collège  de  Guyenne?  Le  quitta-t-il 
pour  quelque  Université  plus  célèbre?  Mourut-il  à  Bordeaux? 

Nous  avons  seulement  retrouvé  une  lettre,  datée  de  cette  ville 
le  25  novembre  1575,  et  écrite  au  P.  Général,  dans  laquelle,  en 
termes  humbles  et  repentants,  il  demandait  à  être  délié  de  ses 
vœux  2.  Il  semble  bien  que  cette  dispense  lui  fut  accordée  en  1570 
par  l'intermédiaire  du  P.  Auger3.  Ensuite,  croyons-nous,  Puget 
de  Saint-Marc  vécut  sans  scandale  mais  sans  gloire.  Une  lettre  du 
P.  Maldonat  nous  apprend  qu'il  enseignait  encore  à  Bordeaux  en 
1579  et  que  le  P.  Recteur,  comme  docteur  de  l'Université,  em- 
pêcha sa  promotion  à  certains  honneurs  académiques  qu'il  ambi- 
tionnait >k.  A  partir  de  ce  moment  son  nom  retomba  dans  un  pro- 
fond oubli. 

1.  Brev.  hist  de  iniliis  (Francia,  Histor.   f'umlat.,  n.  26). 

2.  Gall.  Epist.,  t.  IX,  f.  382. 

3.  «  Scripsi  P.  Emundo  ut  a  votis  et  obligatione  Societatis  Joannem  Su  Marci,  hoc 
ipsum  petentem,  liberum  declaret  »  (Lettre  du  P.  Général  au  P.  Cl.  Mathieu,  23  jan- 
vier 1576.  — Francia,  Epist.  Gen.,  t.  1575-1G04). 

4.  Lettre  au  P.  Général  du  7  juin  1579  (Gall.  Epist.,  t.  MIT,  f.  186-191). 


CHAPITRE  IX 

TRAVAUX    APOSTOLIQUES    DES    PP.    AUGER,    POSSEVIN    ET    MANARE. 

(1565-1575). 


Sommaire  :  1.  Le  P.  Auger  prêche  le  carême  à  Toulouse  (1566).  —  1.  Services 
qu'il  rend  à  la  ville;  l'Université  lui  offre  le  doctorat.  —3.  Second  carême  à 
Toulouse  (1567);  établissement  de  confréries  de  pénitents.  —  4.  Association  de 
dames  de  charité  à  Lyon  (1567);  traités  sur  les  sacrements  (1565-67);  carême  à 
la  cour  (1568).  —  5.  Troisième  carême  à  Toulouse  (1570);  avent  à  Reims  (1570) 
et  carême  à  Metz  (1571).  —  6.  Prédications  à  Aurillac,  Rodez,  Toulouse,  Bourges 
et  Paris  (1572-1575);  la  confrérie  des  pénitents  bleus.  —  7.  Prédications  du 
P.  Possevin  à  Rouen  (1565);  à  Marseille  (1568);  mission  sur  les  galères.  — 
8.  Avent  à  Rouen  (1569)  ;  prédications  à  Dieppe.  —  9.  Le  P.  Manare  lui  succède 
a  Dieppe  et  évangélise  Verdun.  —  10.  Carême  du  P.  Possevin  à  Rouen  (1570); 
projet  de  collège.  — 11.  Le  P.  Possevin  à  Lyon  et  à  Besançon  (1571);  ses  prédi- 
cations et  ses  écrits. 

Sources  manuscrites  :  I.  Roma,  Bihî.  Vittorio-Emmanuele,  mss.  Gesuitici. 

H.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie,  a)  Possevinus  :  Acta  in  Gallia; 

Annalium    decas  1".  —  b,'  Epistolae  Episcoporum.  —  c)  Gallia,  Epistolae  Generalium.  — 

d)  Galliae  Epistolae. 
Sources  imprimées   :  .Manare.  De  Rébus  S.  J.  Commentarius.  —Mémoires  de  Castelnau. 

—  Possevinus,  Bibl.   seleela.  —  De  Rubys.   Histoire  rentable  de  la  ville  de   Lyon.  — 

Mondmekta  iiisTORiCA  S.  J.  :  Epistolae  P.  Nadal. 

1.  A  mesure  que  se  multipliaient  les  fondations,  on  voyait 
s'accroître  le  nombre  des  ouvriers  apostoliques  qui,  formant 
dans  chaque  collège  une  seule  et  même  communauté  avec  les 
professeurs1,  se  dépensaient  au  bien  des  âmes  soit  à  l'intérieur 
de  la  ville,  soit  au  dehors.  Il  n'est  guère  facile,  pour  l'époque  où 
nous  sommes  arrivés,  de  se  rendre  compte  de  leurs  travaux.  Sur 
la  période  de  1565  à  1575,  il  ne  reste,  en  effet,  que  quelques- 
unes  des  lettres  annuelles  envoyées  à  Rome  par  chaque  maison, 
et  parmi  les  lettres  annuelles  des  Provinces  nous  ne  possédons 
que  celles  d'Aquitaine  en  J566,  et  celles  de  France  en  1575. 
Nous  essaierons  cependant,  à  l'aide  des  lettres  particulières  adres- 
sées au  P.  Général  et  des  témoignages  conservés  par  les  pre- 
miers historiens  de  la  Compagnie,  de  donner  un  aperçu  des  mi- 

1.  Ce  que  nous  appelons  maintenant  résidence  était  encore  inconnu  dans  ces  pre- 
miers temps  de  la  Compagnie. 


TRAVAUX  APOSTpLIQUES  DU  P.  AUGER.  533 

nistèrcs   spirituels  des  Pères   les  plus  connus,   coninio    Auger, 
Possevin,  Manare  et  Maldonat. 

Le  P.  Auger,  retenu  à  Lyon  par  les  instances  du  clergé  et  des 
habitants,  n'avait  pu,  en  1564,  répondre  à  l'appel  des  capiton  Is 
de  Toulouse  qui  l'invitaient  à  venir  évangéliser  leur  ville.  Il  en 
fut  encore  empêché,  l'année  suivante,  par  la  fondation  du  col- 
lège de  la  Trinité;  mais,  en  1566,  il  se  rendit  ;ï  leurs  vœux  et 
prêcha  tous  les  jours  pendant  le  carême1.  Sa  grande  réputation 
d'orateur  attira  aussitôt  au  pied  de  la  chaire  sacrée  un  auditoire 
considérable,  où  l'on  remarquait  tout  ce  que  la  ville  comptait 
alors  d'hommes  les  plus  distingués,  et  à  côté  d'eux  un  millier 
d'étudiants  de  l'Université.  Déjà  bon  nombre  de  ces  jeunes  gens 
s'étaient  laissé  séduire  par  la  religion  nouvelle,  qui  passait  pour 
être  celle  des  beaux  esprits  :  l'éloquence  d'Émond  Auger,  sa  doc- 
trine nette  et  précise,  exposée  avec  conviction  et  un  tour  agréa- 
ble, en  toucha  plusieurs,  les  rendit  dociles  à  la  grâce  et  les  con- 
quit à  la  vérité.  Dans  l'ensemble,  le  ciel  bénit  si  visiblement  son 
zèle  qu'à  la  fin  du  carême  le  Parlement  lui  demanda  de  conti- 
nuer ses  prédications.  Il  le  fit  régulièrement  trois  fois  la  semaine 
jusqu'au  milieu  de  l'été,  consacrant  alternativement  deux  autres 
jours  à  une  instruction  familière  pour  le  peuple. 

Nul  ne  savait  mieux  se  proportionner  à  la  composition  des 
divers  auditoires.  Dans  l'enseignement  du  catéchisme,  il  s'avisa 
d'une  industrie,  assez  répandue  en  Italie,  qui  charma  toute  la 
ville  par  sa  nouveauté.  Après  avoir  exposé  à  fond  une  matière, 
de  façon  à  la  rendre  intelligible  aux  plus  illettrés,  il  la  faisait 
répéter  devant  tout  le  monde  par  des  enfants;  ceux-ci,  qu'il  pre- 
nait soin  de  former  lui-même,  résumaient  alors,  sous  forme  de 
demandes  et  de  réponses,  toute  la  substance  de  son  explication. 
Cet  exercice  piquait  l'émulation  des  enfants;  les  louanges  qu'ils 
recevaient  du  P.  Auger,  flattaient  leurs  parents;  les  personnes  de 
toutes  conditions  qui  venaient  les  entendre  avec  plaisir,  en 
tiraient  beaucoup  de  profit  pour  leur  propre  instruction.  Tel  fut 
le  succès  de  cette  méthode  que  les  curés  de  la  ville  l'introduisi- 
rent ensuite  dans  leurs  paroisses2. 

2.  Quand,  après  la  prise  de  Pamiers,  les  huguenots  cherchè- 
rent de  nouveau  à  jeter  le  trouble  dans  la  ville  de  Toulouse,  le 

1.  Lettres  du  P.  Auger  au  P.  Général  (Gall.  Epist.,  t.  Il,  f.  204,  22  4,  22(5;  t.  III, 
f.  160). 

2.  Cf.  Sacchini,  Hist.  Soc.  Jesu.,  P.  III,  1.  II,  n.  5j. 


534  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

I».  Auger,  profitant  de  l'autorité  qu'il  venait  d'acquérir  sur  les 
différentes  classes  de  la  population,  exhorta  le  peuple,  les  magis- 
trats, la  noblesse,  le  clergé  à  s'opposer  avec  vigueur  aux  des- 
seins de  ceux  qui  en  voulaient  à  la  religion  de  leurs  ancêtres. 
Animés  par  ses  remontrances,  les  catholiques  prirent  si  bien 
leurs  mesures  qu'ils  rendirent  vaines  les  tentatives  de  leurs  en- 
nemis. Très  sensibles  aux  services  signalés  du  P.  Émond  dans 
ces  circonstances,  toutes  les  corporations  de  la  ville  s'empressè- 
rent de  lui  en  témoigner  leur  gratitude.  Le  chapitre  lui  offrit 
de  prêcher  le  prochain  carême  dans  l'église  métropolitaine1. 
Le  Parlement  résolut  de  travailler,  de  concert  avec  les  capitouls, 
à  procurer  de  nouveaux  avantages  au  collège.  L'Université  vou- 
lut marquer  son  estime  au  prédicateur  d'une  manière  toute  spé- 
ciale. Dans  une  assemblée,  convoquée  extraordinairement,  elle 
décida  à  l'unanimité  de  l'agréger  au  corps  académique  et  de  lui 
envoyer  deux  des  principaux  professeurs  pour  lui  présenter  les 
insignes  du  doctorat. 

Les  deux  députés,  accompagnés   de  plusieurs  de   leurs  col- 
lègues, se  rendirent  auprès  du  P.  Auger,  lui  exposèrent  l'objet 
de  leur  mission  et  l'assurèrent  qu'ils  seraient  très  honorés  de  le 
compter  dans  leurs  rangs  :  «  Prenez  donc,  sans  autre  cérémonie, 
lui  dirent-ils,  le  bonnet  de  docteur;  c'est  une  faveur  que  l'on 
n'accorde  pas  à  toutes  sortes  de  personnes,  et  vous  savez  quelle 
est  la  réputation    de  cette  Université,  tant  pour  le  droit   que 
pour  la   théologie2.  »  Surpris   de    cet  hommage  inattendu,  le 
P.  Auger  remercia  les  députés  de  leurs  délicates  intentions,  disant 
qu'il  n'avait  besoin  d'aucun  titre  pour  continuer  de  les  servir  de 
tout  son  pouvoir  et  que  le  collège  regarderait  toujours  l'académie 
comme  son  Aima  mater  :  «  D'ailleurs,  ajouta-t-il,  il  n'est  pas  dans 
nos  usages  d'accepter  des  dignités  sans  l'agrément  du  P.  Général, 
afin  de  ne  pas  donner  lieu  à  l'ambition  de  s'introduire  parmi 
nous.  Ne  faites  donc  rien  pour  moi  en  particulier,  et  réservez  vos 
faveurs  pour  la  Compagnie  où  tant  d'autres  les  méritent  davan- 
tage. Je  vous  suis  très  reconnaissant  devant  Dieu  de  votre  bonne 
volonté,  mais  je  me  considère  comme  indigne  de  cet  honneur 
auquel  je  n'ai  jamais  songé3.  »  Les  bons  docteurs  se  retirèrent 


1.  Lettre  du  Chapitre  au  P.  Général,  1er  sept.  1566  (Ep.  Episcop.,  t.    I,  fol.  232). 
Voir  Appendice  E. 

2.  Sacchini,  selon  sa  coutume,  reproduit  ce  discours  dans  un  style  plus   acadé- 
mique (llist.  Soc.  Jesu,  P.  III,  1.  II,  n.  56). 

3.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Général,  8  mai  1566  (Gall.  Epist.,  t.  III,  loi.  143). 


TRAVAI  \  APOSTOLIQUES  DU  P.  AUGER.  53b 

très  édifiés  de  cet  humble  refus  et  de  la  modestie  des  enf;inls 
de  saint  Ignace. 

3,  Ce  fut  vers  ce  temps  que  les  Toulousains  envoyèrent  le 
P.  Auger  à  Paris  pour  y  défendre  les  intérêts  de  leur  collège  me- 
nacé. A  peine  arrivé,  le  Père,  dont  la  réputation  était  connue 
de  tout  le  royaume,  fut  invité  par  l'évêque,  Guillaume  Viole,  à 
paraître  dans  les  principales  chaires  de  la  capitale1.  Le  peuple, 
heureux  de  recueillir  les  enseignements  d'une  parole  si  élo- 
quente, accourait  avec  empressement  dans  les  églises  qui  ne  pou- 
vaient contenir  la  foule  des  auditeurs.  Le  P.  Olivier  Manare  ra- 
conte que,  pour  contenter  l'avidité  des  fidèles,  le  P.  Auger  se 
mit  à  prêcher  dans  la  grande  salle  du  Palais  où  leurs  affaires  réu- 
nissaient des  personnes  de  tous  les  quartiers  de  Paris.  Sa  belle 
voix  parvenait  jusqu'aux  derniers  rangs  de  l'auditoire  au  milieu 
du  plus  grand  silence.  Le  roi  voulut  l'entendre  à  la  cour.  Les 
détenus  dans  les  prisons,  les  malades  dans  les  hôpitaux  ne  furent 
pas  privés  non  plus  de  ses  instructions;  car  loin  de  rechercher 
les  faveurs  des  grands,  le  P.  Émond,  à  l'exemple  du  divin  Maître, 
exerçait  de  préférence  son  apostolat  auprès  des  humbles  et  des 
malheureux2. 

De  retour  à  Toulouse,  il  prêcha  à  la  cathédrale  le  carême  de 
1567  avec  plus  de  succès  encore,  s'il  est  possible,  que  l'année 
précédente.  Comme  le  saint  Précurseur,  il  invita  tout  le  peuple  à 
la  pratique  de  la  pénitence,  dont  il  montra  la  nécessité  dans  un 
temps  où  la  justice  divine  semblait  si  fort  irritée  par  des  crimes 
de  toutes  sortes.  Et  aussitôt,  riches  et  pauvres  se  portèrent  aux 
plus  rudes  exercices  de  la  mortification  chrétienne,  avec  une  fer- 
veur que  l'apôtre  lui-même  ne  pouvait  assez  admirer.  Il  conçut 
alors  la  pensée  d'établir,  dans  les  différentes  classes  de  la  société, 
trois  confréries  de  pénitents,  auxquelles  il  donna  de  sages  règle- 
ments et  qui  furent  approuvées  par  le  Saint-Siège :î. 

i.  A  Lyon,  où  il  passa  les  derniers  mois  de  l'année,  retenu  par 
les  instances  des  habitants,  Dieu  récompensa  ostensiblement  les 
travaux  de  son  apostolat  par  la  conversion  de  près  de  deux  mille 

i.  Lettre  du  même  au  même,  0  déc.  1566:  «  Ho  predkato  in  questa  cita  per  varie 
chiese  con  molto  carezze  di  Msr  di  Parigi  »  (Gall.  Epist.,  t.  III,  fol.  73). 

2.  Lettre  du  P.  Manare  au  P.  Général,  1D  déc.  1566  (Gall.  Epist.,  t.  III,  fol.  76). 
Cf.  Sacchini,  Hist.  Soc.  Jesu,  P.  111,  1.  II,  n.  69. 

3.  «  Vray  pourtraict  de  la  vie  du  R.  P.  Émond  Auger  »,  par  le  P.  Bailly,  1.  11, 
chap.  in  (Archiv.  Prov.  France,  mis.  . 


536  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

hérétiques.  Parmi  les  œuvres  que  lui  inspira,  à  cette  époque, 
son  dévouement  au  salut  du  prochain,  il  en  est  une  qui  mérite 
d'être  signalée,  car  elle  devint  comme  le  modèle  d'une  foule 
d'autres  associations  pieuses.  Grâce  à  ses  conseils  et  à  ses  exhor- 
tations, un  certain  nombre  de  dames,  distinguées  par  leur  nais- 
sance ou  leur  fortune,  résolurent  de  travailler  ensemble  au  sou- 
lagement des  infirmes.  Deux  fois  la  semaine,  elles  se  rendaient 
à  l'hôpital  où  elles  servaient  et  consolaient  les  malades,  tandis 
que  le  Père  encourageait  ceux-ci  à  souffrir  avec  patience  pour 
l'amour  de  Notre-Seigneur.  Ce  bon  exemple  devint  bientôt  sain- 
tement contagieux,  et  plus  de  deux  cents  personnes  s'associèrent 
à  cette  œuvre  charitable1. 

Afin  d'étendre  au  loin  par  ses  écrits  les  bienfaits  de  son  zèle, 
le  P.  Auger  avait  commencé  à  Lyon,  en  1565,  la  composition  de 
plusieurs  traités  sur  les  sacrements2.  Les  deux  années  suivantes, 
autant  que  le  lui  permirent  ses  nombreuses  occupations,  il  les 
acheva  et  les  publia  peu  à  peu,  et  nous  voyons,  par  les  dédicaces, 
qu'il  avait  soin  de  les  présenter  au  public  sous  les  plus  hauts 
patronages,  comme  ceux  du  maréchal  de  Damville,  de  la  reine, 
du  roi  et  du  duc  d'Anjou  \ 

En  1508,  il  fut  retenu  à  Paris  par  le  cardinal  de  Lorraine,  pour 
le  carême  de  la  cour'1;  ministère  délicat  où  la  souplesse  et  la 
solidité  de  son  talent  réussirent  à  merveille.  S'il  plaisait  dans 
la  chaire,  il  ne  charmait  pas  moins  dans  les  conversations;  de 
sorte  que  les  plus  grands  personnages  du  clerg-é  ou  de  la  noblesse 
l'honoraient  de  leur  amitié  et  de  leur  confiance"'.  Après  ses  ins- 
tructions, les  courtisans  aimaient  à  l'entretenir  des  sujets  de  reli- 
gion dont  tout  le  monde  parlait  alors. 

La  bonne  opinion  qu'on  avait  de  lui  à  la  cour  ne  pouvait  que 
profiter  aux  intérêts  de  la  Compagnie,  si  combattue  par  les  uns 
et  si  estimée  par  les  autres.  Tout  porte  à  croire  que  ce  fut  à  sa 
sollicitation  que,  le  0  août  de  cette  année  1568,  Charles  IX  ac- 
corda aux  Jésuites  des  lettres  de  jussion  les  déclarant  capables 
de   recevoir  des   donations  et  des  legs,  et  enjoignant  que  déli- 

1.  Papiers  et  mss.  de  Sacchini.  Rorna,  Bibl.  Vitl.  Einman.,  mss.  Gesuilici,  n.  1584 
(3718). 

2.  Lettre  du  P.  Possevin  au  P.  Saillio.  (Dorigny-Gnezzi,  Vita  del  P.  Possevino, 
t.  II,  p.  62).  Cf.  l'avertissement  du  P.  Auger  en  tête  du  second  livre. 

3.  Voici  Tordre  des  diverses  éditions.  Lyon,  1565;  Paris,  liv.  I,  j565;  Paris  et 
Lyon,  liv.  11,  1566;  Paris,  liv.  111,  1565,  1567. 

4.  C'était  pour  Metz  que  primitivement  le  cardinal  l'avait  engagé  cette  année-là; 
mais  la  difficulté  des  chemins  l'ayant  retardé,  on  le  garda  à  Paris. 

5.  Epist.  P.  Nadal,  t.  III,  p.  609. 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DU  P.  AUGER.  537 

vrance  leur  serait   faite  dos  biens  et  «les  rentes  qui  déjà  leur 
avaient  été  légués1. 

5.  Le  I*.  Éniond  Auger  songeail  à  quitter  Paris  pour  s'occuper 
des  alla  ires  de  sa  Province '  quand  le  duc  d'Anjou,  frère  du  roi, 
demanda  et  obtint  qu'il  l'accompagnât  dans  sa  campagne  contre 
les  protestants  rebelles''.  Après  la  victoire  de  Moncontour  qui 
termina  la  guerre  (3  octobre  1569),  il  reprit  ses  ministères  ac- 
coutumés4. 

Durant  le  carême  qu'il  prêcha  à  Toulouse  en  1570,  il  établit, 
pour  le  soulagement  des  prisonniers,  une  nouvelle  confrérie  ap- 
prouvée par  le  Saint-Siège  sous  le  nom  de  confrérie  de  la  Misé- 
ricorde5. Un  grand  nombre  de  personnes,  de  tout  sexe  et  de 
toute  condition,  s'empressèrent  d'entrer  dans  cette  pieuse  as- 
sociation à  laquelle  il  donna  des  règlements  inspirés  par  sa  com- 
patissante charité  6. 

Rappelé  à  Paris,  au  mois  d'octobre,  par  le  cardinal  de  Lor- 
raine, il  eut  l'occasion  de  rendre  service  aux  chanoines  comtes 
de  Saint- Jean  de  Lyon,  dans  une  affaire  qu'ils  avaient  fort  à 
cœur.  Les  réformés  avaient  placé  un  de  leurs  prêches  à  Saint- 
Genis-Laval,  village  de  la  dépendance  du  chapitre,  à  deux  lieues 
de  Lyon;  les  chanoines  désiraient  que  ce  prêche  fût  transféré 
dans  un  village  voisin  qui  appartenait  à  un  protestant.  Quelque 

1.  Patentes  du  6  août  1568  {Annales  des  soi-disans  Jésuites,  t.  I,  p.  80).  En 
1562,  après  l'assemblée  de  Poissy,  le  Parlement  avait  mis  les  Jésuites  en  possession 
des  legs  à  eux  laissés  par  Msr  du  Prat;  mais  en  1565,  à  l'époque  du  procès  avec 
l'Université,  les  administrateurs  des  pauvres  de  Glermont  avaient  demandé  d'être 
substitués  aux  Jésuites  sous  prétexte  que  la  Compagnie,  comme  telle,  n'était  pas 
encore  reconnue.  De  là  l'importance  de  ces  lettres  de  jussion  de  1568.  —  C'est  à  tort 
que  Saccbini  (P.  III,  1.  V,  n.  138)  place  en  1569  cette  faveur  du  roi. 

2.  Lettres  de  François  de  Borgia  au  P.  Nadal,  des  17  et  30  août  1567  (Epist. 
P.  Nadal,  t.  III,  p.  629,  637). 

3.  Lettre  du  P.  Auger  aux  Pères  de  Lyon,  2  oct.  1568  (Gall.  Epist.,  t.  IV).  Il  sera 
parlé  du  ministère  du  P.  Auger  auprès  des  soldats  au  chapitre  xiu  de  ce  livre. 

4.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Général,  12  janv.  1570  (Gall.  Epist.,  t.  V,  fol.   159). 

5.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Général,  22  fév.  1570  (Gall.  Epist.,  t.  V,  fol.  161;. 

6.  Les  uns  regardaient  le  bien  spirituel  des  âmes  :  les  associés  devaient  visiter 
souvent  les  prisonniers,  leur  procurer  la  visite  du  prêtre  pour  les  instruire,  les  con- 
soler, leur  administr  ?r  les  sacrements  ;  on  devait  surtout  leur  faire  entendre  un  sermon 
tous  les  vendredis.  D'autres  règlements,  relatifs  aux  besoins  temporels  des  pri- 
sonniers, obligeaient  les  confrères  à  pourvoir  à  leur  nourriture,  à  les  soulager  dans 
leurs  maladies,  à  organiser  une  caisse  de  secours  alin  de  payer  les  créanciers  de  ceux 
que  la  misère  et  des  dettes  avaient  réduits  en  ce  triste  état,  ou  île  leur  ménager 
l'appui  d'un  avocat  bien  intentionné  qui  se  chargeait  de  leurs  affaires  et  de  leur 
défense.  Quant  aux  criminels  condamnés  à  mort,  on  devait  les  préparer  à  souffrir 
et  à  mourir  en  esprit  de  pénitence,  les  assister  jusqu'au  dernier  soupir,  obtenir  de 
leurs  juges  la  sépulture  ecclésiastique,  et  s'employer,  par  des  messes  et  des  prières, 
au  soulagement  de  leurs  âmes, 


538  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

peu  considérable  que  parût  ce  changement,  ce  n'était  point  une 
petite  affaire  de  l'obtenir,  car  en  ce  temps-là  toutes  les  grâces 
semblaient  être  pour  les  huguenots.  Deux  députés,  le  sieur  de 
Rubys  et  le  chanoine  Pierre  d'Espinac,  plus  tard  archevêque  de 
Lyon,  furent  choisis  pour  aller  solliciter  cette  faveur;  ils  l'ob- 
tinrent, au  dire  de  l'un  d'eux,  grâce  au  crédit  dont  jouissait 
le  P.  Auger  :  «  Nous  fûmes  fort  assistés  dans  cette  poursuite, 
raconte  de  Rubys,  par  le  bon  Père  Émond  qui,  par  fortune,  se 
trouva  à  la  cour  et  fit  sur  ce  sujet  plusieurs  belles  et  pertinentes 
remontrances  au  roy  et  à  la  reyne-mère,  suivant  le  zèle  dont 
il  était  rempli  ' .  » 

Lorsque  la  cour  partit,  au  mois  de  novembre,  pour  la  Cham- 
pagne, afin  d'assister  au  mariage  du  roi  avec  Elisabeth  d'Autriche, 
fille  de  l'empereur  Maximilien  II,  le  P.  Auger  la  suivit  en  ac- 
compagnant le  cardinal  de  Lorraine2.  Après  la  cérémonie  qui  se 
fit  à  Mézières,  tous  deux  se  rendirent  à  Reims.  Le  Père  y  prêcha 
l'avent  à  l'église  de  Notre-Dame ,  devant  un  des  plus  illustres 
et  des  plus  nombreux  auditoires  qu'on  eût  jamais  vus  dans  cette 
auguste  cathédrale. 

De  Reims  il  vint  à  Metz  où  il  devait  donner  le  carême  de  1571. 
Cette  ville  comptait  parmi  ses  habitants  de  nombreux  partisans 
de  la  réforme;  presque  tous  appartenaient  à  la  haute  bourgeoi- 
sie, tandis  que  le  peuple  était  resté  attaché  à  la  foi  de  ses  an- 
cêtres. En  15i3,  à  la  demande  du  maître-échevin  de  la  cité  et 
du  cardinal  Jean  de  Lorraine,  qui  en  était  évêque,  Charles-Quint 
avait  interdit  la  religion  nouvelle  par  une  ordonnance  qui  resta 
en  vigueur  jusqu'en  1552,  époque  de  la  reddition  de  Metz  à  la 
France.  Après  l'édit  de  tolérance,  du  17  janvier  1562,  les  ré- 
formés firent  dans  la  ville  un  progrès  prodigieux  «  tant  par  le 
nombre  des  personnes  qui  embrassaient  leur  créance  que  par  le 
concours  des  protestants  étrangers  et  des  prêtres  apostats  qui, 
chassés  de  France,  d'Allemagne  et  de  Lorraine,  y  étaient  reçus  à 
bras  ouverts3  ».  Charles  IX,  venu  à  Metz  en  1569  pour  y  con- 
solider son  pouvoir,  écouta  favorablement  les  plaintes  et  les  sup- 
plications des  catholiques.  Il  fit  raser  le  temple  que  les  protes- 
tants avaient  bâti  dans  le  «  retranchement  »,  défendit,  le  7  avril, 
tout  «  aultre  exercice  de  religion  que  de  la  catholique  »  et  re- 

1.  Hist.  de  Lyon,  1.  III,  p.  419. 

2.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Général,  8  déc.  1570  (Gall.  Epist.,  t.  V,  fol.  193).  Le 
P.  Auger  nous  apprend  dans  celte  lettre  que  la  jeune  reine  avait  pour  confesseur  un 
jésuite,  le  P.  Avellaneda,  qui  fut  remplacé  par  le  P.  Lorentio. 

3.  Doni  Calmet,  Hist.  de  Lorraine,  t.  II,  anno  1367, 


TRAVAUX   A.POSTOLIQI  ES  l»l    P.  AUGER.  539 

commanda  au  gouverneur,  le  maréchal  de  Vieilleville,  de  pro- 
céder rigoureusement  contre  les  infracteurs  de  l'édit.  Mais,  mal- 
gré les  ordres  précis  de  Sa  Majesté,  le  zèle  du  clergé  et  des  ma- 
gistrats à  en  presser  l'exécution,  les  hérétiques  les  éludaient 
autant  qu'ils  le  pouvaient  et,  excités  par  leurs  ministres,  ils  se 
montraient  aussi  insolents  qu'autrefois. 

Arrivant  à  Metz  dans  ces  conjonctures,  le  P.  Auger  pensa  qu'il 
lui  fallait  recourir  à  toutes  les  industries  de  la  piété  et  du  dé- 
vouement pour  remédier  à  un  mai  aussi  profond.  Deux  de  ses 
biographes,  le  P.  Bailly  et  le  P.  Dorigny,  assurent  qu'ils  doivent 
le  détail  de  ses  travaux  dans  cette  ville  au  récit  d'un  témoin,  le 
chanoine  Toussaint  Rousset,  chez  qui  le  Père  avait  logé  et  qui 
plus  tard  entra  dans  la  Compagnie.  Nous  avons  cru  pouvoir,  à 
notre  tour,  leur  emprunter  ces  particularités  qu'on  ne  trouve  pas 
ailleurs.  Elles  donneront  une  idée  du  règlement  quotidien  d'un 
jésuite  missionnaire  de  ce  temps-là. 

Chaque  matin,  après  d'assez  longues  prières,  et  sa  messe  dite, 
le  P.  Emond  faisait  une  prédication  à  la  cathédrale  ;  il  n'y  man- 
qua pas  une  seule  fois  pendant  le  carême.  De  là  il  passait,  tan- 
tôt à  la  citadelle  où  il  instruisait  les  soldats,  tantôt  en  différents 
monastères  d'hommes  et  de  femmes  pour  les  animer  au  service 
de  Notre-Seigneur;  à  certains  jours  il  visitait  aussi  les  malades 
dans  les  hôpitaux,  les  criminels  dans  les  prisons,  les  pauvres  à 
leurs  domiciles.  Après  midi  il  entrait  au  confessionnal,  où  d'ordi- 
naire il  était  accablé  d'une  foule  de  pénitents.  Quand  l'affluence 
était  moindre  et  qu'il  pouvait  se  retirer  plus  tôt,  il  allait  faire 
quelques  visites  aux  catholiques  afin  d'éclairer  ou  d'affermir 
leur  foi,  et  aux  hérétiques  afin  de  les  détromper  dans  des  discus- 
sions où  il  apportait  toujours  le  calme  et  la  patience  de  la  vérité. 
A  quatre  heures  du  soir,  il  retournait  à  l'église  et  montait  en 
chaire.  Il  commençait  par  un  catéchisme  aux  enfanls,  puis,  sui- 
vant sa  méthode,  les  obligeait  à  le  répéter  entre  eux  par  de- 
mandes et  par  réponses  devant  toute  l'assemblée.  Ce  catéchisme 
était  ordinairement  suivi  d'une  controverse,  à  laquelle  catholi- 
ques et  hérétiques  assistaient.  C'était  sa  coutume  de  se  munir  de 
plusieurs  volumes  de  l'Écriture  et  des  Pères,  afin  d'avoir  toujours 
en  mains  de  quoi  confondre  ceux  qui  oseraient  le  taxer  d'infidé- 
lité dans  les  citations.  Très  versé  dans  la  connaissance  des  lan- 
gues, surtout  le  grec  et  l'hébreu,  il  défiait  à  son  tour,  devant 
tout  le  monde,  les  ministres  protestants  de  justifier  eux-mêmes 
certains  textes  que  la  mauvaise   foi  des  novateurs  n'avait   pas 


540  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

craint  de  falsifier.  11  terminait  cette  espèce  de  conférence,  où  bril- 
lait sa  verve  de  controversiste,  par  une  exhortation  pathétique, 
conviant  ses  auditeurs  à  rester  unis  à  l'Église  de  Rome  et  à  sou- 
tenir leur  croyance  par  la  pratique  des  œuvres  chrétiennes. 

Les  bénédictions  du  ciel  ne  manquèrent  pas  à  ces  fatigants 
travaux,  auxquels  il  joignait  encore  la  prière  et  la  pénitence.  Il 
eut  la  consolation  de  ramener  à  Jésus-Christ  de  nombreux  dé- 
voyés. En  vue  d'entretenir  la  ferveur  des  convertis  et  des  fidèles, 
il  érigea  une  confrérie  du  Saint-Sacrement  dont  la  fin  principale 
était  la  réparation  des  impiétés  commises  par  les  sectaires  contre 
l'adorable  Eucharistie.  «  La  piété  cultivée  dans  Metz  parles  soins 
et  les  sueurs  de  cet  homme  apostolique,  racontait  son  hôte,  le 
chanoine  Rousset,  jeta  de  si  profondes  racines  qu'elle  a  porté  des 
fruits  dont  on  goûte  encore  la  douceur  et  l'avantage1.  » 

6.  Au  mois  de  juillet  1571,  délivré  de  la  charge  de  Provincial 
d'Aquitaine,  le  P.  Auger  se  retira  d'abord  au  petit  collège  de 
Mauriac,  comptant  y  refaire  un  peu  ses  forces  affaiblies  par  les 
fatigues  de  l'administration  et  de  l'apostolat.  Mais  le  zèle  de  la 
maison  de  Dieu  dévorait  son  âme.  Malgré  les  périls  dont  il  était 
menacé  de  la  part  des  hérétiques,  le  vaillant  athlète  ne  resta  pas 
longtemps  sans  courir  à  de  nouveaux  combats.  Le  10  septembre, 
le  P.  Nadal  avertit  le  P.  Claude  Mathieu,  nouveau  Provincial,  de 
tenir  secrets  les  voyages  que  devait  entreprendre  le  P.  Auger  : 
«  Les  huguenots,  écrivait-il,  lui  en  veulent,  et  il  y  aurait  pour  lui 
péril  de  la  vie 2.  »  Le  même  jour,  le  P.  Vicaire  Général  rassurait  le 
principal  intéressé  sur  le  secret  de  ses  missions  :  «  Personne  n'en 
sera  prévenu  que  le  Supérieur.  »  Il  lui  recommandait  en  même 
temps  une  grande  réserve  dans  la  manière  de  réfuter  l'erreur, 
afin  de  ne  fournir  aucun  prétexte  à  l'irritation  des  calvinistes2. 

Nous  ne  pouvons,  sans  nous  condamner  à  des  redites,  suivre 
le  P.  Auger  dans  ses  nouvelles  courses  apostoliques  à  Aurillac,  à 
Rodez,  à  Toulouse  et  à  Bordeaux.  Nous  n'en  retiendrons  qu'un 
trait,  qui  montrera  comment  le  célèbre  prédicateur  ajoutait  en- 
core par  l'immolation  de  lui-même  a  la  puissance  de  sa  parole. 
Un  témoin  oculaire,  le  P.  Gabriel  de  la  Porte,  qui  fut  quarante 
ans  professeur  de  théologie  à  Bordeaux,  a  laissé  par  écrit  un 
beau  témoignage  de  cet  esprit  de  pénitence  :  «  Le  P.  Auger, 
dit-il,  étoit  si  sobre  qu'il  ne  mangeoit  qu'une  fois  le  jour  et  que 

1.  Cité  par  Dorigny,  Vie  du  P.  Auger,  p.  231. 

2.  Gall.,  Epist.  Generalium.  —  3.  Ibidem. 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DU  I'.  AUGER.  M  i 

souvent  dans  ce  repas  il  ne  prenoit  que  du  pain.  Il  se  cousu  moi  I 
de  veilles  et  d'austéritez  ;  je  l'ay  vu  plus  d'une  fois  monter  en 
chaire  ayant  les  pieds  nuds,  les  souliers  qu'il  portoit  servant  seu- 
lement à  couvrir  sa  mortification.  Au  sortir  de  la  chaire  il  passoit 
au  confessionnal,  où  il  restoit  plusieurs  heures,  quoiqu'il  dût 
prêcher  une  seconde  fois  le  même  jour.  11  portoit  surtout  les 
peuples  à  la  pénitence.  Lorsque  sur  la  fin  de  son  discours  il  se 
laissoit  emporter  à  ces  mouvements  pathétiques  qui  le  rendoiënt 
le  maître  des  cœurs,  j'ay  vu  des  personnes  d'esprit  et  d'autorité 
changer  de  couleur,  pâlir,  rougir,  enfin  agitez  de  différentes 
passions...  J'en  ay  vu  d'autres  sortir  de  son  sermon  les  yeux 
mouillés  de  larmes,  le  visage  baissé,  dans  un  morne  et  profond 
silence...  J'ay  vu  encore,  quand  sur  la  fin  de  sa  prédication  il 
avoit  exhorté  ses  auditeurs  à  entreprendre  quelque  œuvre  de 
charité  en  faveur  des  pauvres,  j'ay  vu,  dis-je,  la  sacristie  de  l'é- 
glise où  il  avoit  prêché  se  remplir  de  toutes  sortes  de  personnes 
qui,  de  leur  plein  gré,  venoient  avec  joye  offrir  leurs  soins,  leur 
crédit  et  leurs  biens  pour  le  succès  de  ces  bonnes  œuvres1.  »   , 

Rien  de  surprenant  qu'un  tel  prédicateur  fût  demandé  de  tous 
les  côtés  par  les  évoques,  le  clergé,  les  populations  elles-mêmes. 
En  1573,  il  donna  l'avent  à  Bourges  où  l'on  s'occupait  de  fonder 
un  collège.  La  satisfaction  que  les  habitants  de  cette  ville  éprou- 
vèrent à  l'entendre  les  affectionna  de  plus  en  plus  à  la  Compagnie 
de  Jésus.  D'ailleurs  le  P.  Émond  les  payait  de  retour  et  parlait 
d'eux  avec  éloge  :  «  Quant  aux  affaires  de  la  religion  en  ces 
quartiers,  écrivait-il  le  31  décembre,  tout  y  va  assez  bien;  et  pour 
le  faict  de  cetle  ville,  depuis  trente  ans  en  çà,  l'on  n'avoit  veu  ny 
tant  de  gens  aux  sermons,  ny  à  Noël  à  la  communion,  tellement 
que  j'en  ai  bien  eu  ma  part,  et  des  appareils,  cognoissant  à  la 
vérité  que  ce  peuple  est  maniable  avec  raison,  doctrine  et  bon 
exemple,  aultant  qu'aultre  de  France-.  » 

Le  P.  Auger  se  trouvait  à  Paris  durant  le  carême  de  157V.  Il 
prêcha  encore  dans  la  grande  salle  du  Palais  que  l'évèque  de 
Meaux,  Louis  de  Brézé,  trésorier  de  la  Sainte-Chapelle,  avait  obtenu 
de  mettre  à  sa  disposition.  Quoique  habitué  aux  nombreux  audi- 
toires, il  s'étonnait  de  celui-ci  :  il  y  avait  là,  dit-il,  «  autant  de 
gens  que  j'en  ai  jamais  veu  ensemble H.  »  Le  résultat  fut  aussi 
consolant  que  le  pouvait  désirer  son  cœur  d'apôtre.  Lui,  inlassable 

1.  Cité  par  Dorigny,  Vie  du  P.  Auger,  p.  256,  257. 

2.  Lettre  au  P.  Général  (Gall.  Epist.,  t.  VIII,  p.  349). 

3.  Lettre  du  28  mars  1574  (Gall.  Epist.,  t.  VIII,  fol.  33). 


542  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

jusque-là,  n'hésitait  pas  à  avouer  une  fatigue   extraordinaire, 
causée  par  les  nombreuses  confessions  qu'il  avait  entendues1. 

L'année  suivante,  1575,  à  Toulouse,  pendant  la  célébration  du 
jubilé,  il  contribua  puissamment  à  ériger  des  confréries  placées 
sous  le  patronage  de  saint  Jérôme.  Les  membres  de  ces  associa- 
tions faisaient  profession  publique  de  piété,  s'adonnaient  aux 
œuvres  de  miséricorde,  entreprenaient  des  pèlerinages,  visitaient 
les  malades,  célébraient  avec  éclat  les  fêtes  de  l'Eglise,  assistaient 
aux  processions  en  signe  de  pénitence2.  Il  y  avait  des  pénitents 
de  toute  couleur,  blancs,  bleus,  noirs,  gris.  Le  P.  Annibal  du 
Coudret  raconte  qu'à  son  arrivée  à  Toulouse,  après  le  départ  du 
P.  Auger,  il   trouva  «  une   compagnie   de  Pénitents  vestus    de 

bleue presque  tous  escoliers  de  loix  de  divers  pais,  assemblez 

soubs  le  nom  de  S.  Hiérosme.  Ils  ont  commencé,  dit-il,  l'an  du 
jubilé  dernier,  ont  continué  jusques  à  maintenant  avec  bonne 
édification,  leur  faisant  les  nostres  quelques  exhortations  selon  la 
commodité  qui  se  présente.  Le  P.  Émond  leur  avoit  promis  de 
faire  autorizer  par  nostie  Sainct  Père  les  règles  ou  statuts  qu'ils 
ont  accordés  entre  eulx.  [Je  supplie  donc]  Vostre  Paternité  de 
seconder  leurs  bons  désirs  par  vostre  faveur  envers  Sa  Saincteté, 
soit  poiir  les  faire  recepvoir  au  nombre  de  ceux  de  Saint  Hiérosme 
de  Rome,  —  gardant  toutes  fois  la  couleur  bleue,  —  soit  pour 
confirmer  les  statuts  qui  vont  avec  la  présente  et  obtenir  les  indul- 
gences qu'ils  demandent  ».  Et,  pour  appuyer  sa  requête,  le  Père 
ajoutait  :  «  Ce  sont  gens  la  plupart  de  bonne  maison;  l'on  espère 
que  grand  fruict  en  réussira,  et  mesmesla  Compagnie  en  pourroit 
tirer  plus  que  les  décimes  de  bons  subjectz3.  »  L'unique  but  que 
se  proposait  le  P.  Auger,  en  fondant  ces  confréries  de  toutes  sortes, 
était  de  conserver  et  de  faire  lever  la  semence  qu'il  avait  jetée 
par  son  apostolat;  il  voulait  qu'après  lui,  la  foi,  ranimée  à  sa 
parole,  survécût  et  grandît  par  l'action  et  le  bon  exemple. 

7.  Le  P.  Antoine  Possevin  ne  se  livrait  pas  avec  moins 
d'ardeur  que  le  P.  Auger  aux  travaux  du  ministère  sacerdotal. 
Dans  le  séjour  qu'il  fit,  en  1565,  à  Bayonne,  où  il  était  venu  plaider 
auprès  du  roi  la  cause  du  collège  de  Clermont,  le  cardinal  de 
Bourbon,  qui  accompagnait  la  cour,  le  pria  de  profiter  de  son 


1.  Letlre  du  10  avril  ([bicl.,  fol.  34). 

2.  Sur  ces  confréries  de  Saint-Jérôme,  voir  Salvan,  Hisl.  ge'n.  de  l'Église  de  Tou- 
louse, t.  IV,  p.  161. 

3.  Lettre  du  10  oct.  1577  (Gall.  Epist.,  t.  XI,  fol.  204 1. 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DU  P.  POSSEVIN.  543 

prochain  voyage  à  Paris  pour  évangéliser  Ja  ville  de  Rouen, 
dont  il  était  archevêque,  et  y  préparer  les  voies  ;ï  l'introduction 
des  Jésuites.  Possevin  accepta  et  répondit  tout  à  fait  à  l'attente  du 
cardinal.  Il  prêcha  régulièrement  le  mercredi  et  le  vendredi  de 
chaque  semaine,  et  deux  fois  le  dimanche,  réservant  les  autres 
jours  pour  l'explication  du  catéchisme  au  peuple.  Il  distribua  dans 
les  écoles  un  grand  nombre  des  petits  traités  des  PP.  Auger  et 
Canisius,  et  apprit  aux  maîlres  et  aux  curés  la  manière  dont  ils 
devaient  enseigner  la  doctrine  chrétienne  '. 

De  retour  au  collège  d'Avignon  dont  il  avait  été  nommé  Recteur, 
Antoine  Possevin  trouva  bientôt  l'occasion  d'exercer  ses  talents 
et  son  zèle  contre  les  hérétiques.  Quatre  ministres  de  Calvin, 
parmi  lesquels  le  fameux  Viret  et  probablement  aussi  Spifame, 
ci-devant  évêque  de  Nevers2,  s'étaient  concertés  pour  écrire 
contre  lui,  croyant  en  venir  plus  facilement  à  bout  par  leurs 
efforts  communs.  Mais  le  jésuite,  sans  s'émouvoir  du  nombre  des 
adversaires,  publia  aussitôt  une  vive  réplique  :  Risposta  a  Pietro 
Vireto....  et  altri  heretici3,  qui  répandue  dans  tout  Genève  ferma 
bien  vite  la  bouche  aux  prédicants.  11  en  fit  distribuer  un  grand 
nombre  d'exemplaires  en  Piémont,  et  il  eut  la  joie  d'apprendre 
qu'ils  y  avaient  opéré  plusieurs  conversions4. 

Au  commencement  de  1568,  le  P.  Possevin  fut  appelé  à.  Marseille 
pour  les  exercices  d'une  mission;  il  y  fut  si  goûté  des  habitants 
qu'ils  le  gardèrent  comme  prédicateur  du  carême.  Il  ne  se  borna 
pas  à  instruire  son  nombreux  auditoire  de  la  cathédrale.  A  cer- 
tains jours,  il  faisait  une  exhortation  familière  aux  jeunes  écoliers; 
le  vendredi  il  se  rendait  à  la  maison  des  orphelins  et  enseignait 
aux  petits  enfants  les  éléments  du  catéchisme.  Il  étendit  les  efforts 
de  son  ministère  jusqu'aux  pauvres  prisonniers  auxquels  il  pro- 
curait des  livres  de  doctrine  et  de  piété.  La  pensée  lui  vint  alors 
d'assurer  les  fruits  de  la  parole  de  Dieu,  en  obtenant  des  prêtres 
qu'ils  tinssent  tous  une  conduite  uniforme  à  l'égard  de  leurs 
pénitents.  Comme  l'évêque  était  absent,  il  s'ouvrit  de  ses  projets 
au  grand  vicaire,  aux  principaux  prédicateurs  et  confesseurs  de  la 
ville,  qui  les  approuvèrent  et  promirent  de  coopérer  à  leur  exé- 
cution. Grâce  à  cette  entente,  l'action  de  chacun  fut  beaucoup 
plus  efficace;  des  changements  notables  se  firent  dans  les  mœurs; 

1.  Annal,  decas  la,  1.  II,  c.  x,  p.  loi,  102. 

2.  Le  P.  Possevin  se  contente  de  dire  :  «  Intendo  esser  stato  Spifame  ». 

3.  Annal,  decas  la,  1.  II,  c.  xn,  p.  104,  105. 

4.  Lettre  du  P.  Possevin  au  P.  Saillio,  20  avril  1608,  dans  Vita  del  /'.  A.  Posse- 
vino,  t.  Il,  p.  61,  02. 


544  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

les  profits  injustement  acquis  par  des  contrats  usuraires  furent 
restitués;  les  dimanches,  jusque-là  consacrés  à  toutes  sortes  de 
plaisirs,  furent  sanctifiés,  et  de  pieuses  processions  remplacèrent 
les  danses,  les  banquets  et  autres  divertissements  qui  tournaient 
souvent  en  scandales  l. 

Dieu  se  plut  à  répandre  d'abondantes  bénédictions  sur  toutes 
les  œuvres  entreprises  par  son  serviteur;  mais  nulle  part  celui-ci 
ne  recueillit  autant  de  consolations  que  dans  l'apostolat  des  con- 
damnés aux  galères,  si  nombreux  dans  le  port  de  Marseille.  Il  y 
en  avait  trois  mille,  tellement  abandonnés  qu'on  ne  leur  admi- 
nistrait aucun  sacrement  et  qu'ils  ne  pouvaient  assister,  même 
les  jours  de  précepte,  à  la  célébration  des  saints  mystères.  Le 
cœur  compatissant  du  missionnaire,  précurseur  de  saint  Vincent 
de  Paul,  s'émut  de  pitié  à  la  vue  de  ce  délaissement;  il  comprit 
les  désordres  qui  eu  étaient  la  suite  et  le  péril  que  courait  la  foi 
des  catholiques  confondus  avec  les  calvinistes.  N'écoutant  que 
son  amour  des  âmes,  il  alla  trouver  le  cardinal  Strozzi,  arche- 
vêque d'Aix,  qui  était  alors  à  Marseille,  le  gouverneur  de  la  pro- 
vince, le  baron  de  la  Garde2,  général  des  Galères,  et  les  officiers 
préposés  à  la  marine3.  Si  pressante  fut  la  manière  dont  il  leur 
représenta  les  besoins  spirituels  de  ces  infortunés  que  tous  en 
furent  attendris,  et  résolurent  d'aviser  avec  lui  au  moyen  de  les 
soulager.  Dans  une  assemblée  tenue  tout  exprès,  on  décida  sur  sa 
proposition  que  les  capitaines  défendraient  aux  forçats  héré- 
tiques, sous  les  peines  les  plus  sévères,  de  parler  religion  avec 
leurs  compagnons;  —  qu'ils  seraient  désormais  «  tenus  d'avoir 
de  deux  en  deux  galaires  un  prestre  de  bonne  vie  »  pour  célébrer 
la  messe  chaque  dimanche  et  les  jours  de  fête,  instruire,  con- 
fesser et  administrer  les  sacrements  aux  mourants;  —  qu'ils  lais- 
seraient aux  Jésuites  toute  liberté  pour  visiter  et  évangéliser  les 
galériens  comme  bonheur  semblerait  '*. 

Le  P.  Possevin,  se  livrant  aussitôt  à  ce  bienfaisant  ministère, 
déploya  tous  les  elï'orts  de  son  industrie  à  gagner  les  dévoyés  et  à 
raffermir  les  croyants.  Il  invita  quelques  prêtres  de  la  ville  à  se 
joindre  à  Jui  et  à  son  compagnon  pour  les  confessions;  lui  seul 

1.  Annal,  decas  1",  1.  II,  c.  xiv,  p.  109,  110. 

2.  Antoine  Escalin  des  Aymars,  baron  de  la  Garde,  surnommé  le  Capitaine  Polin, 
fut  général  des  Galères  de  154*  à  1578.  Cf.  De  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  1696, 
t.  II,  p.  352. 

3.  Annal,  decas  1',  1.  III,  c.  xv.  p.  111,  112. 

4.  «  Compte  rendu  de  l'assemblée  des  capitaines  des  Galères  réunis  par  M.  de  la 
Garde,  général  des  Galères,  au  logis  du  cardinal  Strozzi,  le  P.  Possevin  présent  » 
(Gall.  Epist.,  t.  II,  f.  269). 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DU  P.  POSSEV1N.  54S 

en  entendit  près  de  deux  cent  cinquante  sur  la  Capitane.  Le  jour 
de  la  communion  venu,  on  éleva,  au  bord  de  La  mer,  un  autel 
où  l'on  célébra  le  Saint  Sacrifice.  Ce  fut  un  nouveau  el  touchant 
spectacle1  <le  voir  toute  cette  troupe  de  galériens  s'avancer 
deux  à  deux,  au  bruit  de  leurs  chaînes,  <|ui  les  tenaient  attachés 
l'un  à  l'autre,  s'approcher  avec  recueillement  de  la  table  sainte 
et  y  recevoir  le  corps  adorable  de  Jésus-Christ.  L'apôtre  des  ga- 
lériens ne  négligeait  point  non  plus  leurs  intérêts  temporels.  Il 
avait  appris  de  leurs  confidences  qu'un  certain  nombre  d'entre 
eux,  par  suite  de  la  vente  de  plusieurs  galères  royales  ;i  des  par- 
ticuliers, avaient  été  maintenus  dans  les  l'ers  au  delà  du  terme 
de  leur  peine.  Il  fit  valoir  leurs  droits,  et  grâce  à  ses  démar- 
ches cent  soixante  furent  délivrés2.  Le  dévouement  de  l'hum- 
ble religieux  accrut  encore  l'estime  et  la  vénération  qu'on  avait 
pour  lui.  Les  habitants  de  Marseille  songèrent  de  nouveau  à 
établir  dans  leur  ville  une  maison  de  la  Compagnie,  mais,  mal- 
gré les  instances  du  cardinal  Strozzi  qui  s'unit  à  leur  demande, 
le  Père  Cénéral  ne  put  exaucer  leurs  vœux1. 

8.  L'année  suivante,  1569,  le  P.  Possevin  se  rendit  à  Rouen 
où  la  station  de  Pavent  lui  était  réservée.  Selon  la  coutume  d'a- 
lors, il  prêcha  tous  les  jours,  et  dans  certaines  circonstances 
deux  ou  trois  fois,  à  la  grande  satisfaction  du  Parlement,  du 
clergé  et  des  tidèles.  Le  cardinal  de  Bourbon,  désirant  que  d'au- 
tres localités  du  diocèse  profitassent  du  séjour  du  Père  en  Nor- 
mandie, Tenvoya  à  Dieppe  avec  son  grand  vicaire.  Cette  ville, 
assez  considérable  en  ce  temps-là  par  son  commerce  qui  y 
attirait  bon  nombre  d'étrangers,  avait  beaucoup  souffert  des  ra- 
vages de  l'hérésie  à  cause  du  voisinage  de  l'Angleterre '.  Le 
P.  Manare  a  raconté  dans  son  Commentaire  en  quel  triste  état 
les  protestants  l'avaient  mise  :  toutes  les  églises  étaient  détruites 
sauf  une  seule,  dans  laquelle  on  avait  brisé  les  autels,  les  cru- 
cifix et  les  statues  des  Saints'.  Dès  le  lendemain  de  son  arrivée, 
le  1er  janvier  1570,  fête  de  la  Circoncision,  le  P.  Possevin  monta 
en  chaire  et  continua  pendant  quelque  temps  ses  instructions 
au  peuple  :  «  En  cinq  jours  qu'il  a  exprimé  et  presché  la  pure 
et  sainte  parolle  de  Dieu,  écrivait  eusuite  le  gouverneur,  d'envi- 

1.  Ibidem.  —  2.  Ibidem. 

.'î.  Lettre  du  P.  Général  aux  consuls  do  Marseille,  16  juillet  1568  (Gall.,  Epist.  Gène 
ralium,  t.  IV). 

4.  Annal,  deeas  1\  1.  III,  c.  vn,  p.  134,  13"). 

5.  Manare,  De  rébus  S.  J.  Commenhnius.  p.  lus, 

COMPAGNIE    DE   JÉSUS.    —    T.    I.  3."> 


HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

roii  six  mille  personnes  huguenols  qu'avons  encores  en  ce  lieu, 
il  s'en  est  inopinément  et  comme  miraculeusement  converti,  et 
jà  revenus  en  la  religion  catholique,  environ  de  deux  mil-cinq 
cens  '.  » 

Le  Père  se  préparait  à  partir  pour  aller  en  Provence  prêcher 
le  carême  à  Aix,  où  l'attendait  le  cardinal  Strozzi,  quand  le 
gouverneur  de  Dieppe,  accompagné  des  principaux  habitants, 
vint  le  supplier  de  ne  pas  les  abandonner,  et  d'achever,  à  la 
gloire  de  Dieu,  le  bien  que  sa  parole  avait  commencé  de  pro- 
duire dans  les  Ames.  En  vain  le  missionnaire  objecte  les  ordres 
de  ses  supérieurs  et  la  longueur  du  voyage,  qui  ne  lui  permettra 
pas  de  tenir  à  temps  ses  promesses.  Le  gouverneur  réplique 
qu'on  a  écrit  au  P.  Provincial,  au  cardinal  de  Bourbon,  même 
au  roi,  et  qu'on  ne  le  laissera  point  partir  avant  d'avoir  recula 
réponse  de  Sa  Majesté  -.  Bientôt,  en  effet,  un  ordre  de  Charles  IX 
prescrivit  au  Père  de  rester  à  Dieppe,  jusqu'à  ce  qu'on  lui  eût 
envoyé  un  successeur'.  Il  continua  donc  à  prêcher  tous  les 
jours,  joignant  aux  instructions  religieuses  pour  les  fidèles  des 
discours  de  controverse  pour  les  protestants.  Il  ne  s'arrêta  qu'à 
l'arrivée  du  P.  Olivier  Manare,  qui  vint  le  remplacer'1  et  parfaite 
son  œuvre.  Manare,  un  des  Jésuites  les  plus  remarquables  de 
France  à  cette  époque  par  ses  dons  naturels  et  ses  vertus,  par- 
vint à  ramener  au  sein  de  l'Église,  avant  de  quitter  Dieppe, 
quatre  mille  hérétiques.  Il  y  laissa  une  confrérie  du  Saint-Sacre- 
ment, dont  un  grand  nombre  d'habitants  voulurent  faire  partie 
à  l'exemple  du  gouverneur.  En  quelques  mois,  les  deux  prédica- 
teurs avaient  transformé  la  ville  '. 

Le  P.  Manare  ne  recueillit  pas  moins  de  fruits  durant  le  carême 
qu'il  prêcha  l'année  suivante  à  Verdun.  Là,  il  se  fit  aider  par  de 
pieux  enfants  qui  remplirent,  avec  l'empressement  de  leur  âge, 
leur  rôle  de  petits  missionnaires  :  on  leur  partagea  les  quartiers 
de  la  ville  qu'ils  parcouraient  cherchant  à  empêcher,  par  leurs 
prières  ou  leurs  remontrances,  les  disputes  et  les  blasphèmes. 
Leur  ingénieuse  simplicité  leur  suggéra  de  touchantes  industries 

1.  Lettre  deM.  de  Sigongne  au  P.  Manare,  6  janvier  1570  (Gall.  Epist.,  t.  V,  fol.  217  . 
Voir  A]>  peu  (lice,  r.  —  2.  Ibidem. 

3.  Lettre  du  duc  d'Alençon  au  P.  Possevin,  lui  annonçant  celle  décision  du  roi 
son  frère  'Gall.  Epist.,  I.  V.  f.  73,  original,  19  janvier  1570). 

i.  Annal,  decas  1",  1.  III,  c.  vu,  p.  136. 

5.  Manare,  op.  cit.,  p.  108.  Le  P.  Manare  dit  dans  une  lettre  au  P.  Général  que 
celte  confrérie  comptait  700  membres  et  parmi  eux  le  gouverneur,  sa  femme  et  ses 
filles  «  con  tulti  li  prirni  délia  terra  ».  On  s'engageait  à  ronimunier  une  fois  par 
mois  (Gall.  Epist.,  t.  V,  f.  98). 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DU  P.  POSSEVIN.  54' 

pour  ramener  au  bercail  les  brebis  égarées.  On  les  vit  parfois 
escortés  de  cinquante  ou  soixante  individus  de  tout  âge,  ouvriers 
ou  soldats,  qu'ils  conduisaient  comme  en  triomphe  aux  pieds  du 
prêtre  '. 

!>.  Revenu  à  Rouen,  le  I*.  Possevin  se  livra  aux  exercices  du 
carême,  sans  plus  ménager  ses  forces  et  son  zèle  qu'il  l'avait  fait 
pendant  l'a  vent.  On  comptait  toujours  «  plusieurs  milliers  d'au- 
diteurs à  ses  sermons;...  des  prêtres  y  assistaient  et  prenaient  des 
notes-  ».  Deux  jours  par  semaine,  le  soir,  il  réunissait  les  enfants, 
dans  une  paroisse  ou  dans  une  autre,  pour  l'enseignement  de  la 
doctrine  chrétienne;  sa  soirée  du  vendredi  était  consacrée  à  l'ins- 
truction des  prisonniers11.  Il  répandit  alors  avec  tant  de  succès  le 
catéchisme  de  Canisius  qu'il  lui  fallut,  «  pendant  ce  seul  carême, 
en  faire  venir  de  Paris  six  nouvelles  éditions1  ».  Des  vendeurs  les 
colportaient  à  travers  la  ville  en  criant  :  «  Voici  le  catéchisme 
enseigné  par  le  P.  Prédicateur.  »  On  s'empressait  d'acheter  ce 
petit  livre,  on  l'apportait  à  l'église,  on  l'apprenait  avec  bonheur, 
et  Possevin  cite  un  aveugle  qui  le  récitait  couramment5. 

Le  carême  terminé,  il  continua  jusqu'à  la  Pentecôte  ses  prédi- 
cations et  ses  bonnes  œuvres.  Il  organisa,  pour  le  soulagement 
des  pauvres,  une  association  de  dames  charitables  sur  le  modèle 
de  celle  que  le  P.  Auger  avait  établie  à  Lyon.  Il  s'attacha  aussi  à 
développer  la  dévotion  à  la  Sainte  Eucharistie  :  sur  son  initiative 
le  Saint  Sacrement  fut  exposé  tour  à  tour  clans  les  différentes 
églises,  avec  une  solennité  inaccoutumée,  que  relevait  encore 
l'éloquence  toujours  très  goûtée  de  sa  parole  apostolique". 

Ce  long-  séjour  du  P.  Possevin  à  Rouen  lui  permit  de  s'occu- 
per d'un  projet,  cher  ait  cardinal  archevêque,  et  dont  il  avait 
déjà  été  question  en  1565  :  l'établissement  d'un  collège  qui  se- 
rait dirigé  par  la  Compagnie  de  Jésus'. 

A  la  suite  de  contestations  entre  les  maîtres,  les  bourgeois  et  les 
autorités  de  la  ville,  les  anciennes  écoles  de  la  cathédrale,  de 
Saint-Claude,  de  Saint-Ouen  et  des  Bons-Enfants  étaient  tombées 
en  décadence  vers  le  milieu  du  xvie  siècle;  l'instruction  faisait 
partout  défaut,  et   l'on   avait  absolument  besoin  d'un  collée e. 

I  Papiers  et  mss.  de  Saechini.  Roma,  Bibl.  Viltor.  Einman.,  mss.  Gesuitici,  1581 
(3713). 

2.  Annal,  dec.  1%  1.  III,  c.  vm,  p.  137. 

3.  Lui-même  nous  dit  qu'il  y  en  avait  alors  GOO  dans  les  prisons  de  la  ville. 

4.  Ibidem.  —  5.  Ibidem. 

6.  Annal,  decas  r,  liv.  III,  c.  ix,  p.  143.  —  7.  Ibidem. 


548  BISTOIRE  DE  I.A   COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Les  magistrats  jetèrent  alors  les  yeux  sur  une  maison  appelée 
l'hôpital  du  roi1,  et  Charles  IX  par  lettres  patentes,  du  mois  do 
février  1566,  la  leur  donna,  à  condition  d'y  installer  un  collège 
dont  le  principal  et  les  régents  seraient  institués  par  l'archevê- 
que, Lorsque  la  ville  entreprit  d'entrer  en  possession  de  la  mai- 
son, l'hospitalité  y  était  encore  exercée  par  huit  chapelains,  quatre 
clercs  et  deux  servantes.  Les  chapelains  firent  opposition,  et  ils 
avaient  sans  doute  de  puissants  amis,  car  ils  restèrent  longtemps 
tranquilles  possesseurs  de  ïhôtpial  du  roi. 

Les  choses  en  étaient  lA,  quand  le  I*.  Possevin  par  ses  talents 
d'homme  apostolique  sut  gagner  à  la  Compagnie  de  Jésus  l'estime 
et  la  sympathie  des  habitants.  Le  cardinal  de  Bourbon,  à  ce 
moment  près  du  roi  sous  les  murs  de  Saint-Jean-d'Angély,  se  hâta 
de  profiter  de  ces  bonnes  dispositions.  Il  fit  rédiger  un  acte  par 
lequel  il  donnait  aux  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus  deux  mille 
livres  tournois  à  prendre  sur  la  terre  et  seigneurie  de  Graville 
près  du  Havre'2.  En  même  temps,  il  pria  messieurs  du  Parlement. 
ses  grands  vicaires,  les  échevins  et  les  Ordres  mendiants  de  consen- 
tir à  cet  établissement.  Le  roi  lui-même,  à  sa  prière,  écrivit  aussi 
en  faveur  de  l'entreprise  aux  conseillers  et  échevins  de  Rouen;  il 
leur  ordonnait  de  s'assembler  en  l'hôtel  de  ville,  de  prendre  des 
conclusions  favorables  et  de  choisir  un  emplacement  commode. 

Malgré  ce  puissant  appui,  le  projet  rencontra  de  sérieux  obstacles 
du  côté  d'où  l'on  devait  les  attendre  le  moins.  Les  chanoines  pré- 
tendirent que  l'archevêque  empiétait  sur  leurs  droits,  parce  que 
depuis  un  temps  immémorial  ils  avaient,  de  fondation,  le  privi- 
lège d'entretenir  les  grandes  écoles.  Trop  faibles  pour  s'opposer 
par  eux-mêmes  à  la  volonté  du  cardinal  de  Bourbon,  ils  eurent 
L'adresse  d'intéresser  à  leur  cause  les  quatre  Ordres  mendiants 
en  possession  du  monopole  de  l'instruction  publique.  Le  Parle- 
ment, à  son  tour,  se  laissa  gagner.  Les  chanoines  écrivirent  alors 
au  cardinal  en  le  remerciant  de  ce  qu'il  avait  l'intention  de  faire 
dans  l'intérêt  de  la  jeunesse  du  diocèse;  mais,  quant  à  la  conces- 
sion dont  le  P.  Possevin  demandait  l'homologation  à  la  cour,  ils 
prièrent  le  prélat  de  surseoir  en  lui  annonçant  des  remontrances 
de  la  part  du  Parlement,  qui  regardait  cette  alfaire  comme  très 
grave  et  avait  résolu  de  s'abstenir,  tant  qu'il  n'aurait  pas  l'avis 
du  clergé.  Le  cardinal  feignit  de  ne  pas  voir  d'où  le  coup  étail 

1.  Fondé  en  1278  par  Guillaume  de  Saône,  trésorier  de  l'église  cathédrale,  pour  y 
recueillir  des  pèlerins  pauvres;  il  fui  d'abord  nommé  Yhôpiliil  du  trésorier. 

2.  Lettres  du  P.  Possevin  au  P.  Général,  o  et  7  novembre  1569  (Acta  a  Possevino). 


TRAVAUX  APOSTOLIQUES  DU  P.  POSSEVIN.  549 

parti;  il  adressa  à  son  chapitre  une  lettre  où  il  le  pressait  «  '!<• 
favoriser  cette  œuvre  de  Dieu  »,  comme  La  chose  «  qu'il  désirai! 
le  plus  au  inonde  »,  et  se  disait  «  résolu  »  d'employer  à  la  luire 
réussir  (oui  son  «  crédit  auprès  du  roi1  »,;  enfin,  il  envoya  son 

homme  d'affaires  à  l! sn  poursuivre  l'entreprise  avec  toute  la 

diligence  possible  :  «  .le  veux,  lui  écrivait-il,  que  Sa  Sainteté  sache 
que  j'ai  autan!  de  soin  du  service  de  Dieu  (pie  les  huguenots  en 
ont  de  corrompre  mes  brebis2.  »  Différentes  causes  vinrent  à  celle 
époque  paralyser  ses  efforts;  mais  il  ne  renonça  pas  à  sou  projet3. 
Quant  au  P.  Possevin,  ne  pouvant  attendre  la  fin  des  négociations, 
il  partit  pour  Lyon  où  il  venait  d'être  nommé  Recteur  du  collège 
de  la  Trinité. 

10.  Il  s'y  retrouvait  au  milieu  d'une  population  qui  avait  déjà 
su  apprécier  son  zèle  et  ses  talents.  On  ne  se  lassait  pas  de  l'en- 
tendre. Souvent  il  prêchait  deux  fois  le  jour,  en  français  pour  les 
citoyens  de  la  ville  et  en  italien  pour  les  marchands  de  sa  nation. 
Ces  derniers,  reconnaissants  du  bien  qu'il  faisait  à  leurs  Ames,  se 
montraient  justement  jaloux  de  sa  présence  parmi  eux;  ils  le 
regardaient  comme  leur  apôtre  spécial  et  étaient  peu  disposés  à 
se  priver  de  ses  instructions.  Quand  ils  apprirent  que  le  maréchal 
de  Dam  ville  l'appelait  à  évangéliser  le  Languedoc,  ils  en  écrivi- 
rent leurs  plaintes  au  Souverain  Pontife,  l'eu  après,  le  Vicaire 
Général  de  la  Compagnie  fît  savoir  au  P.  Possevin  que  les  Italiens 
avaient  obtenu  un  ordre  du  Pape  pour  qu'il  prêchai  à  Lyon  et 
non  à  Toulouse  '. 

Toutefois,  l'exigence  de  ses  compatriotes  ne  prenait  point 
ombrage  de  quelques  courtes  absences,  ce  qui  lui  permit  de 
répondre  au  désir  de  l'archevêque  de  Besancon.  Claude  de  la 
Baume,  élevé  plus  tard  par  Grégoire  XIII  à  la  dignité  de  cardinal, 
était  persuadé  que  rien  ne  serait  plus  favorable  à  la  réforme  de 
son  diocèse  que  la  publication  du  concile  de  Trente.  Il  résolu I  de 
l'entreprendre,  et  fit  appel  au  P.  l'ossevin,  dont  il  connaissait 
le  mérite  et  les  vertus,  comme  à  l'homme  le  plus  capable  de 
l'aider  dans  son  dessein.  Puis,  atin  d'accomplir  ce   grand  acte 


I.  Lellre  du  cardinal  de  Bourbon  datée  de  Caillou,  15  juillet  l">70,  dans  Far  in, 
llisl.  de  la  ville  de  Rouen,  t.  VI,  p.  29i,  295.  —  •>.  Ihid. 

3.  Le  cardinal  de  Bourbon  ne  cessa  jusqu'à  sa  mort  de  prendre  des  mesures  effec- 
tives pour  l'établissement  d'un  collège  de  Jésuites  à  Rouen,  mais  il  ne  vit  point  la 
réalisation  de  ses  désirs  :  le  collège  n'ouvrit  qu'en  1G04  après  le  banuissemenl  el  le 
rétablissement  de  la  Compagnie  par  Henri  IV. 

4.  Lettre  du  P.  Vicaire  général,  8  octobre  1571  (Gall.,  Epist.  General.,  (.  V). 


550  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

avec  toute  l'autorité  possible,  il  assembla  un  concile  particulier 
qui  s'ouvrit  le  2i  octobre  1571.  Les  évêques  et  les  abbés  de  la 
province,  presque  tous  les  docteurs  de  l'Université  de  Dole  et 
treize  cents  ecclésiastiques  y  assistèrent;  on  y  compta  même  plus 
d'une  centaine  de  gentilshommes  que  l'archevêque  avait  invités 
pour  honorer  de  leur  présence  cette  solennelle  cérémonie1. 

Ce  fut  devant  une  si  auguste  assemblée  que  le  P.  Possevin  dut 
prendre  la  parole  conformément  aux  instructions  de  l'illustre 
prélat.  Pendant  les  sept  jours  que  durèrent  les  sessions  de  ce 
synode,  il  parla  régulièrement  matin  et  soir.  Le  matin,  dans  une 
conférence  où  le  peuple  était  admis  et  venait  en  grand  nombre, 
il  expliquait  les  décrets  du  concile  de  Trente  concernant  la  doc- 
trine; le  soir,  il  exposait  au  clergé  ce  qui  regarde  la  réformation 
des  mœurs2.  Beaucoup  de  personnes,  dans  toutes  les  classes  de 
la  population,  profitèrent  de  son  séjour  pour  l'entretenir  et  le 
consulter;  plusieurs  ecclésiastiques,  plusieurs  gentilshommes 
voulurent  lui  faire  leur  confession  générale.  Après  avoir  édifié 
toute  la  ville  par  l'étendue  de  son  savoir  et  l'humilité  de  sa  vertu, 
il  retourna  à  Lyon  auprès  de  ses  fidèles  Italiens''1. 

Dans  une  vie  si  bien  remplie  par  l'administration  d'un  collègp 
et  l'évangélisation  des  âmes,  le  P.  Antoine  Possevin  trouvait 
encore  le  moyen  de  composer  des  ouvrages  de  doctrine  et  de 
piété  dont  plusieurs  ont  été  insérés  dans  sa  Bibliothèque  choisie1*. 
Il  fit  aussi  paraître,  vers  cette  époque,  sous  le  pseudonyme  de 
Philippus  Tosa,  une  Épitre  à  MM.  de  Genève  sur  les  Actes  des 
Apôtres"'.  Enfin,  il  entretenait  un  commerce  de  lettres  assidu 
avec  les  plus  importants  personnages  du  royaume. 

1.  Papiers  et  mss.  de  Sacchini.  Roma;  Bibl.  Vitt.  Emman.,  inss.  Gesuitici,  n.  1.S84 
(3713). 

2.  Annalium  decas  1',  1.  IV,  c.  i,  p.  147,  148. 

3.  Lettre  du  P.  Possevin  au  P.  Nadal,  26  février  15  72  (Acla  a  Possevino). 

\.  Bililiotheca  sclecta  qua  agitur  de  ralione  studiorum  in  hisloria,  in  discipli- 
nas, in  sttlule  omnium  procuranda.  Cf.  Sommervogel,  Biblioth.  de  la  Compagnie 
de  Jésus,  t.  VI,  p.  1076,  n.  24. 

5.  Epislola  ad  Genevoises  de  Actis  apostoloram.  Le  P.  Maldonal  la  traduisit  eu 
espagnol.  —  La  liste  des  écrits  du  P.  Possevin  est  considérable.  Cf.  SommeiTOgel, 
/.  c. 


CHAPITRE  X 

TRAVAUX    APOSTOLIQUES    ET    GOUVERNEMENT    DU    P.    MALDONAT. 

(1569-1573). 


Sommaire  :  1.  Principaux  missionnaires  de  la  Compagnie  de  Jésus  en  1569  et 
1570.  —  *2.  Mission  du  Poitou  (1570).  Etat  déplorable  de  cette  province  dévasté? 
par  l'hérésie.  —  3.  Travaux  des  PP.  Maldonat,  Sager  et  Lohier  à  Poitiers.  — 
1.  Travaux  des  PP.  Pigenat,  Bellefille  et  Le  Clerc  à  Niort,  Chàtellerault,  Saint- 
Maixent,  etc..  —  5.  Projet  de  fondation  d'un  collège  à  Poitiers.  —  6.  Maldonal 
travaille  à  la  conversion  de,  la  duchesse  de  Bouillon.  —  7.  Ses  controverses  avec 
les  ministres  à  Sedan  (1572).  —  8.  Retour  à  Paris;  conversion  de  François  Bau- 
douin; difficultés  suscitées  à  .Maldonat  au  sujet  du  testament  de  M.  de  Saint 
André.  —  9.  Vocation  de  François  Jannel.  —  10.  Projet  de  réforme  de  l'Uni- 
versité (1573). 

Sources  manuscrites  :  T.  Archives  nationales,  M,  lis. 

II.  Roma,  Archiv.  di  Stato,  Gesuit.  eolleg. 

III.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Gallia,  Epist.  Generalium.  — 
b)  Galliac  Epistolae. 

IV.  Archiv.  de  la  Province  de  Lyon. 

Sources  imprimées  :  [Les)  Actes  de  la  conférence  tenue  à  Paris  es  moys  de  juillet  et 
aoust  1566.  —  De  la  Haye,  Mémoires  et  recherches  de  France  et  de  la  Gaule  Aquitani- 
que.  —  Heineccius,  Opéra  ad  universam  jurisprudentiam...  perlinentia.  —  Manare, 
De  retins  Socielatis  Jesu  Commentarius.  —  l'rat,  Maldonat  et  l'Université  de  Paris. 

1.  Après  la  campagne  heureuse  du  duc  d'Anjou  contre  les 
protestants  rebelles,  en  1569,  Pie  V  conseilla  au  roi  de  ne  pas 
déposer  les  armes1.  Mais  la  cour  ne  songeait  plus  qu'à  la  paix,  et 
Ton  affectait  de  dire  hautement  que  la  voie  de  la  douceur  était 
plus  propre  que  la  guerre  à  ramener  les  esprits  égarés.  On  se 
mit  aussitôt  à  cette  œuvre  pacifique  et  libérale.  Les  Jésuites  y  ai- 
dèrent beaucoup. 

A  la  sollicitation  des  cardinaux  de  Bourbon,  de  Lorraine,  de 
Pellevé  et  de  plusieurs  autres  prélats,  des  missionnaires  de  diffé- 
rents Ordres  se  répandirent  de  tous  côtés  afin  d'instruire  les 
peuples  et  de  préparer  le  retour  des  dévoyés  à  la  communion  de 
l'Église.  La  bienveillance  et  l'estime  dont  Charles  IX  honorait  la 
Compagnie  le  porta  à  demander  aux  supérieurs  des  sujets  capables 
de  seconder  ses  desseins;  et  ceux-ci  envoyèrent  dans  plusieurs 

1.  Lettre  du  Pape  à  Charles  IX,  29  janvier  1570  (Annales  ceci.,  a.  15"0.  p.  101). 


HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉS1  s. 

villes  et  bourgades  leurs  ouvriers  évangéliques  les  plus  aptes, 
par  leurs  qualités,  à  ce  genre  de  prédication.  Le  l\  Auger,  Pro- 
vincial d'Aquitaine,  prêcha  le  carême  à  Toulouse;  le  P.  Louis  du 
Coudret,  Recteur  d'Avignon,  se  rendit  à  Aix  en  Provence;  sou 
frère  le  I'.  Annibal,  Recteur  de  Toulouse,  fut  envoyé  à  Auch;  le 
I».  Guérand  évangélisa  Issoirc,  et  le  P.  Pierre  Christin  Nice  et  le 
bourg  du  Saint-Esprit  près  d'Avignon.  Le  P.  Manare,  Provincial 
de  France,  envoya  le  P.  Olivier  du  Hamel  en  Aquitaine,  les 
PP.  Henri  Samer  et  Jean  Jordan  à  la  Rochelle,  à  Saint-Jean- 
d'Angély  et  au  Brouagc,  et  le  P.  Jean  Letellier  à  Bouen,  pour 
servir  de  compagnon  au  P.  Possevin;  il  se  réserva  le  carême  de 
Dieppe,  pendant  que  le  P.  Maldonat  avec  plusieurs  autres  Jé- 
suites du  collège  de  Clermont  gagnait  le  Poitou  particulièrement 
infesté  d'hérésie1.  Cette  dernière  mission,  restée  célèbre,  mérite 
que  nous  signalions  les  principaux  travaux  des  Pères  et  les  heu- 
reux fruits  de  leur  apostolat. 

2.  S'il  faut  <m  croire  une  respectable  tradition,  Calvin,  obligé 
de  quitter  Paris,  se  serait  arrêté  à  Poitiers  en  se  réfugiant  à  An- 
goulème,  et  aurait  le  premier  semé  dans  le  pays  les  germes  de 
l'erreur.  11  «  enjôla  et  coiffa  »,  selon  l'expression  naïve  d'un  histo- 
rien •',  plusieurs  personnages  influents,  et  tint  ses  conciliabules 
dans  des  grottes  situées  sur  le  bord  du  Clain  et  dont  l'une  porte 
encore  son  nom'.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  protestantisme  favorisé 
par  de  puissants  seigneurs  s'établit  de  bonne  heure  dans  la  con- 
trée. En  1559,  les  Jacobins  de  Poitiers  virent  leur  couvent  dévasté 
parce  qu'ils  avaient  prêché  contre  les  nouvelles  doctrines.  Après 
la  conjuration  d'Amboise,  la  ville  tombée  au  pouvoir  des  hugue- 
nots fut  livrée  au  pillage;  reprise  par  les  armées  royales,  elle 
retomba  en  1 502  entre  les  mains  des  rebelles  qui  y  commirent  les 
plus  horribles  cruautés.  Elle  rentra  sous  l'autorité  du  roi  après 
la  paix  de  1503,  mais  les  huguenots  continuèrent  de  se  répandre 
dans  tout  le  pays,  et  le  Poitou  avec  la  Saintonge  devint  un  des 
principaux  foyers  de  la  rébellion.  Le  culte  catholique  y  fut  inter- 
rompu, l'instruction  religieuse  négligée,  la  pratique  des  sacre- 
ments abandonnée,  et  par  suite  on  vit  bientôt  dominer  l'ignorance 
des  vérités  essentielles,  l'indifférence  religieuse  et  le  dérèglement 
des  mœurs.   Charles  IX  jugea  prudemment  qu'en  vain    essaic- 

1.  Manare,  De  rébus  ,soc.  Jesu,  p.  107. 

2.  Guérinière,  Hisl.  générale  du  Poitou,  I.  II.  [t.  '.>ô7. 

3.  cf.  Dom  Chamard,  Saint-Martin  el  son  monastère  de  Lig'ugé,  p.  262, 


MISSIOIS  DU  POITOI  . 

rait-il  de  réduire  ce  peuple  parla  force  des  armes,  s'il  ne  s'efforçait 
auparavant  de  le  tirer  de  l'erreur,  La  seule  cause  de  la  révolte. 
Sur  ses  ordres  le  cardinal  de  Pellevé,  archevêque  de  Sens,  alors 
chef  du  conseil,  s'adressa  au  P.  Manare  pour  obtenir  des  hommes 
tels  que  les  demandait  cette  difficile  entreprise.  Tous  les  Pères 
du  collège  de  Clermont  auraient  volontiers  répondu  à  l'appel  <lu 
roi;  mais  les  fonctions  de  l'enseignement  réclamaient  la  présence 
du  plus  grand  nombre.  Cinq  Pères  français  furent  désignés  par 
le  choix  du  l\  Provincial  :  Nicolas  Le  Clerc,  Nicolas  Bellefille, 
Odon  Pigenat,  Pierre  Lohier,  Charles  Sager,  auxquels  s'adjoignit 
le  Père  Maldonat  que  le  P.  Mariana  suppléait  dans  la  chaire  de 
théologie. 

3.  Arrivés  ensemble  à  Poitiers,  le  23  février,  iN  ne  tardèrent 
pas  à  se  séparer  :  le  P.  Pigenat  se  rendit  à  Niort,  le  P.  Bellefille 
à  ClnUellerault,  le  P.  Le  Clerc  à  Saint-Maixent ;  le  P.  Maldon.it 
resta  au  chef  lieu  de  la  province  avec  les  PP.  Lohier  et  Sager  '. 
Ces  deux  derniers  entreprirent  aussitôt  de  donner,  le  matin,  au 
milieu  d'un  immense  concours,  des  sermons  au  peuple,  et  le  soir, 
des  instructions  familières  en  forme  de  catéchisme  2.  Après  un  ou 
deux  jours,  le  P.  Maldonat  ouvrit  à  son  tour,  dans  les  Grandes 
Écoles,  un  cours  de  conférences  en  latin  sur  la  vraie  religion  et 
ses  principes  fondamentaux;  puis,  clans  le  collège  de  Puygareau, 
des  leçons  de  catéchisme  pour  les  écoliers  dont  plusieurs  étaient 
protestants.  «  Les  hérétiques,  raconte-t-il  lui-même,  ne  pouvant 
empêcher  une  œuvre  approuvée  et  en  quelque  sorte  commandée 
par  le  lieutenant  général,  s'efforcèrent  du  moins  «le  la  contrarier. 
D'abord,  ils  subornèrent  je  ne  sais  quels  intercesseurs  pour  m'en- 
gager  à  ne  faire  des  instructions  que  les  jours  de  fêtes.  Je  m'étais 
proposé  de  ne  les  faire  que  tous  les  trois  jours;  mais,  quand  je 
vis  que  ces  hommes  voulaient  profiter  des  intervalles  pour  dé- 
tourner les  élèves  des  réunions,  je  répondis  que  j'étais  décidé  à 
les  faire  tous  les  jours  et  précisément  à  l'heure  où  tous  les  élèves 
sont  obligés  de  se  trouver  au  collège  !.  »  Il  fut  fait  ainsi,  et  le 
Père  eut  pour  auditeurs  non  seulement  les  écoliers,  mais  encore 
les  hommes  les  plus  graves  et  les  plus  savants  de  la  ville.  «  Il  en 
est,  dit-il,  qui  au  commencement  fuyaient  même  mes  conférences. 
et  qui  maintenant  se  rendent  exactement   à   mes  catéchismes, 

1.  Lettre  de  Maldonat  au  P.  Général,  29  mars  1570  (Gall.  Epist.,  t.  V,  fol.  97). 

2.  Ibidem. 

3.  Lettres  de  Maldonat  aux  Pères  du  collège  de  Clermont,  l"  avril  1570,  dans  l'ial, 
Maldonat  (pièces  justificatives,  n.  xi). 


554  HISTOIRE  DE  LÀ  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

siègent  parmi  les  enfants  et  tiennent,  comme  eux,  leur  petit  livre 
à  la  main  '.  » 

Malrlonat  avait  choisi  les  Grandes  Écoles  pour  lieu  de  ses  con- 
férences, afin  de  ne  pas  en  fermer  l'accès  à  quelques  hérétiques 
opiniâtres,  qui  avaient  juré  de  ne  jamais  mettre  le  pied  dans  un 
sanctuaire  catholique.  Peu  de  temps  avant  la  solennité  de  Pâques, 
il  annonça  à  ses  auditeurs  qu'il  voulait,  pendant  quelques  jours, 
réunir  les  seuls  catholiques  dans  une  église,  pour  leur  faire  de 
simples  exhortations  dégagées  de  toute  controverse.  Or  il  arriva 
que  ceux  qui  s'étaient  engagés  par  serment  à  ne  jamais  entrer  à 
l'église  furent  des  plus  empressés  à  s'y  transporter,  tant  ils  trou- 
vaient de  plaisir  à  entendre  ce  nouveau  prédicateur. 

D'ailleurs,  dans  son  ensemble,  la  mission  de  Poitiers  donna 
des  résultats  que  personne  n'aurait  osé  attendre.  Tout  le  monde 
convenait  que,  depuis  dix  ans,  on  n'avait  pas  vu  une  si  grande 
affluence  autour  des  chaires  ou  des  autels.  «  Beaucoup  de  calvi- 
nistes, écrit  le  P.  Maldonat,  viennent  à  nous  et  nous  avouent  qu'ils 
avaient  été  trompés.  Je  n'en  sais  pas  encore  le  nombre,  mais 
j'apprends  que  [le  lieutenant  général]  M.  de  la  Haye  a  ordonné 
de  faire  le  recensement  de  ceux  qui  sont  rentrés  dans  le  sein  de 
l'Église,  et  quand  il  sera  terminé,  je  vous  en  ferai  connaître  le  ré- 
sultat. Nous  pouvons  assurer,  en  attendant,  que  de  ces  convertis 
il  y  en  a  plusieurs  qui  jouissaient  parmi  leur  coreligionnaires 
d'une  grande  autorité  et  d'une  égale  réputation  de  doctrine,  et 

dont  l'exemple  retenait  la  plupart  des  autres  dans  la  secte Les 

plus  endurcis,  quoiqu'ils  n'aient  pas  encore  renoncé  à  leurs 
erreurs,  ont  cependant  bien  rabattu  de  leur  obstination  et  de  leur 
arrogance;  ils  promènent  partout  un  air  triste  et  suivent  nos  ins- 
tructions avec  beaucoup  d'anxiété Quant  aux  catholiques,  ils 

paraissent  si  contents  de  voir  l'état  de  la  religion  s'améliorer, 
qu'il  m'est  impossible  d'exprimer  leur  bonheur.  Ils  ont  conçu 
pour  nous,  et  ils  nous  témoignent,  une  estime  au-dessus  de  nos 
mérites Honneur  et  gloire  à  Dieu  seul  qui  opère  tout  en  tous!  » 

Le  lieutenant  général,  M.  Jean  de  la  Haye,  qui  gouvernait  en 
l'absence  du  comte  de  Lude,  favorisait  de  tout  son  pouvoir  les  tra- 
vaux apostoliques  des  missionnaires.  Il  voulut  même  leur  mar- 
quer sa  confiance  en  soumettant  à  leur  approbation  ses  projets 
de  réforme;  mais  les  Pères  comprirent  qu'ils  ne  pouvaient  s'asso- 
cier à  des  mesures  administratives,  sans  compromettre  la  dignité 

1.  Lettres  de  Maldonat  aux  Pères  du  collège  de  Clermont,  rr  avril  1570,  dans  Prat, 
Maldonat  ^pièces  justificatives,  n.  xi). 


MISSION  DU  POITOU 

et  la  liberté  de  leur  ministère,  tout  spirituel.  La  prudence  et  l'o- 
béissance leur  faisaient  une  loi  de  décliner  un  honneur,  qui  m 
s'accordait  ni  avec  leur  caractère  ni  avec  la  règle  de  leur  Ordre  : 
Nous  lui  répondîmes,  dit  le  I*.  Maldonat,  que  selon  la  coutume 
de  la  Compagnie,  nous  ne  pouvions  donner  d'avis  sur  les  affaires 
relatives  au  gouvernement  1.  »  Les  réformes  de  M.  de  la  Haye 
n'en  furent  pas  moins  sages  et  prudentes.  Il  enleva  des  colb_ 
plusieurs  régents  imbus  des  erreurs  nouvelles,  et  les  remplaça 
par  des  catholiques  sincères.  Il  interdit  l'enseignement  aux  maî- 
tres d'école  calvinistes  répandus  dans  la  ville.  Deux  professeurs 
de  la  Faculté  de  droit,  des  conseillers  et  d'autres  fonctionnaires, 
partisans  de  la  secte,  furent  aussi  destitués.  On  visita  les  maga- 
sins des  libraires  et  on  livra  aux  flammes  les  livres  hérétiques 
qui  s'y  trouvaient 2.  Toutes  ces  mesures,  dictées  par  l'amour  de 
la  religion  et  du  bien  public,  reçurent  l'approbation  non  seule- 
ment des  catholiques,  mais  aussi  d'un  bon  nombre  de  protes- 
tants, qui,  retenus  jusque-là  par  la  crainte  du  respect  humain, 
s'autorisèrent  de  la  volonté  du  roi  pour  revenir  à  la  foi  de  leurs 
pères. 

k.  A  Châtellerault,  à  Saint-Maixent,  et  dans  les  autres  villes 
évangélisées  par  les  missionnaires  de  la  Compagnie,  les  résultats 
ne  furent  pas  moins  éclatants  qu'à  Poitiers.  A  Niort,  qui  avait 
été  pendant  dix  ans  le  quartier  général  des  ministres  protestants, 
et  où  leur  esprit  régnait  encore,  on  eut  à  vaincre  de  sérieux 
obstacles,  car  ils  entretenaient  par  leur  correspondance  le  fa- 
natisme de  leurs  adhérents.  Grâce  au  zèle  énergique  et  persé- 
vérant du  P.  Pigenat,  la  religion  reprit  son  empire  dans  cette 
ville  récemment  soumise  aux  armes  du  roi  :  «  Dans  tous  les 
lieux  où  mes  compagnons  ont  travaillé  au  salut  des  âmes,  écri- 
vait le  P.  Maldonat  au. cardinal  de  Lorraine,  le  peuple  a  tant 
souffert  de  la  guerre  et  des  huguenots,  qu'il  parait  tout  heu- 
reux qu'on  le  force  à  se  convertir3.  »  Et  il  exprimait  le  désir 
qu'on  distribuât  dans  toute  la  contrée  de  dignes  prédicateurs, 
avec  mission  de  dispenser  la  parole  de  Dieu  et  de  transmettre 
la  volonté  du  roi.  —  «  Le  bien  que  vous  faites  à  Poitiers,  lui 
répondit  le  cardinal,  les  espérances  plus  grandes  encore  que 
votre  présence  donne  à  cette  ville  et  à  toute  la  province,  l'heu- 

1.  Lettre  du  10  mai  1570  (Pral,  op.  cit.,  pièces  justificatives,  p.  590). 

2.  Ibidem. 

3.  Lettre  du  18  avril  1570  (Prat,  op.  cit.,  pièces  justificatives,  p.  58fi). 


156  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  .JÉSUS. 

reuse  distribution  de  vos  compagnons  dans  les  endroits  où  vous 
avez  jugé  que  leur  ministère  serait  le  plus  utile,  le  zèle  avec 
lequel  ils  remplissent  toutes  leurs  fonctions  et  surtout  L'assu- 
rance que  tout  n'est  pas  désespéré  dans  un  pays  où  vous  trou- 
ve/, encore  tant  d'hommes  sages  et  si  bons  catholiques,  m'ont 
causé  une  joie  que  j'essaierais  vainement  de  vous  exprimer.  Je 
suis  tout  à  fait  de  votre  avis,  et  j'approuve  le  moyen  que  vous 
proposez;  s'il  était  employé,  la  religion  catholique  ne  tarderait 
pas  à  unir  tous  les  habitants  et  à  recouvrer  son  pouvoir1.  » 

Pendant  plusieurs  mois,  les  Pères  missionnaires  parcoururent 
la  province  du  Poitou,  prêchant  tantôt  dans  un  endroit  et  tantôt 
dans  un  autre,  et  l'on  vit  en  peu  de  temps  les  mœurs  réformées, 
les  autels  relevés,  les  temples  réparés,  les  saints  mystères  hono- 
rés et  fréquentés  comme  ils  l'étaient  autrefois. 

5.  Témoins  de  oe  consolant  spectacle  et  voulant  perpétuer  le 
bien  qui  s'était  fait,  dans  la  province  comme  à  Poitiers,  les  ha- 
bitants de  cette  ville  songèrent  à  y  établir  un  collège  de  la  Com- 
pagnie. Ils  firent  au  P.  Maldonat  les  offres  les  plus  avantageuses 
en  le  priant  de  les  communiquer  au  P.  Général.  Tout  d'abord, 
Maldonat  ne  prêta  pas  beaucoup  d'attention  à  leur  demande: 
il  savait  que,  vu  le  petit  nombre  des  sujets  en  France,  elle  ne 
serait  pas  accueillie  par  ses  supérieurs.  Puis  les  Poitevins  redou- 
blant leurs  instances,  il  leur  fit  connaître  par  écrit  à  quelles 
conditions  la  Compagnie  recevait  des  collèges,  et  combien  il  lui 
était  difficile  d'en  ouvrir  de  nouveaux,  au  moment  où  elle  en 
avait  tant  d'autres  à  soutenir.  Ils  persévérèrent  néanmoins  et  le 
Père  dut  écrire  à  15 orne  :  «  Les  habitants,  dit-il,  désirent  un  col- 
lège où  seraient  toutes  les  classes,  même  celle  de  théologie,  et 
ils  ont  offert  de  nous  donner  la  Faculté  des  arts  et  celle  de  théo- 
logie, que  nous  enseignerions,  et  dans  lesquelles  nous  pourrions 
conférer  les  grades,  comme  nous  le  faisons  à  Home  et  dans 
quelques  collèges  d'Allemagne  ;  or,  ces  deux  Facultés  jouissent  à 
Poitiers  des  mêmes  privilèges  que  celles  de  Paris.  Quoique  je 
n'eusse  ni  accepté  ni  refusé,  le  clergé  et  les  magistrats  se  réuni- 
rent en  conseil  pour  délibérer  sur  la  fondation.  Les  ecclésiasti- 
ques proposèrent  un  revenu  de  deux  mille  francs  à  prélever  sur 
les  biens  des  cinq  églises  collégiales  de  la  ville.  Pour  m'assurer 
de  la  légitimité  de  cette  rente,  je  leur  dis  que  la  Compagnie 
n'accepterait  pas  les  biens  de  l'Église;  mais  ils  me  répondirent 

1.  Lettre  du  cardinal  de  Lorraine  à  Maldonat,  3  mai  1570  (llnd.,  p.  587). 


MISSION  Di    P0IT01  .  ■::;: 

que  cette  rente  recevail  sa  destination  naturelle  [puisqu'elle 
tiendrait  lieu  de  la  prébende  préceptoriale  prescripte]  par  les 
ordonnances  d'Orléans.  De  leur  côté  les  magistrats  offrirent  le 
pins  beau  des  cinq  collèges  que  possède  la  ville,  mille  francs  de 
rente  et  les  premiers  Irais  d'installation1...  »  Le  I'.  Maldonat 
exposait  ensuite  brièvement  les  raisons  qui,  à  son  sens,  militaient 
en  leur  faveur,  et  il  montrait  le  bel  avenir  de  ce  collège  devenant 
le  rempart  du  catholicisme  dans  un  pays  où  le  protestantisme 
avait  laissé  des  germes  vivaces  de  sa  domination2.  En  même 
temps  il  écrivit  au  cardinal  de  Lorraine,  protecteur  delà  Compa- 
gnie, afin  de  lui  signaler  les  démarches  commencées3;  mais,  fai- 
sant abstraction  de  son  propre  jugement,  il  ne  se  prononça  ni 
pour  ni  contre  :  «  Je  vous  prie,  lui  disait-il,  de  n'avoir  égard 
ni  au  patronage  que  vous  daignez  nous  accorder,  ni  à  la  demande 
que  nous  nous  permettons  de  vous  faire,  mais  de  ne  considérer 
que  l'intérêt  de  Dieu  et  du  royaume,  vers  lequel  doivent  tendre 
tous  les  elforts  des  gens  de  bien...  Quelque  détermination  que 
vous  preniez,  nous  la  regarderons  comme  un  insigne  bienfait  de 
votre  part'1.  » 

Le  cardinal  de  Lorraine,  heureux  de  l'initiative  prise  par  les 
habitants  de  Poitiers,  s'empressa  de  seconder  leur  dessein  auprès 
de  Charles  IX,  car  il  considérait  l'établissement  d'un  collège  de 
Jésuites  comme  le  moyen  le  plus  efficace  de  régénérer  toute  la 
contrée.  Aussi,  dès  le  3  mai,  annonçait-il  avec  joie  au  P.  Maldo- 
nat que  le  roi  s'était  montré  très  satisfait  de  la  proposition,  y 
avait  souscrit  sans  réserve  et  se  disait  résolu  «  de  ne  rien  épar- 
gner pour  faire  de  ce  collège  le  plus  considérable  et  le  mieux 
pourvu  de  tous  ceux  que  [la  Compagnie  avait]  en  France  ». 
Déjà  même,  Sa  Majesté  avait  envoyé  à  M.  de  la  Haye  «  l'ordre  de 
rassembler  tous  les  habitants  dont  le  concours  serait  nécessaire, 
de  leur  recommander  de  s'occuper  promptement  de  ce  projet, 
et  de  prendre  tous  les  moyens  d'en  assurer  l'exécution  »  ;  fallût- 
il  pour  cela  «  appliquer  au  nouvel  établissement  les  bâtiments 
et  les  revenus  des  autres  collèges  de  la  ville  '  ». 

Toute  cette  bonne  volonté  et  toutes  ces  avances  allaient  cepen- 


1.  Lettre  au  P.  Général,  29  mars  1570  (Prat,  op.  cil.,  p.  577). 

2.  Lettre  du  P.  Général  au  P.  Maldonat,,  s  mai  1570;   au  1'.  Manare,  24  juillet  1570 
Gall.,  Epist.  General.,  t.  V). 

'{.  Déjà  les  magistrats  de  Poitiers  avaient  porté  l'affaire  devant  la  Cour, 
i.  Lettre  au  cardinal  de  Lorraine,  18  avril  1570  u?rat,  op.  ci!.,   pièces  justificative 
n    xi,  p.  586). 
5.  Lettre  du  cardinal  de  Lorraine,  3  mai  1570  (/6ù/.,  p.  587). 


558  HISTOIRE  L>E  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

dant  échouer  devant  un  obstacle  insurmontable  :  l'impossibilité 
où  se  trouvait  la  Compagnie  de  Jésus,  encore  peu  nombreuse 
en  France,  de  suffire  à  toutes  les  demandes  qui  lui  étaient  adres- 
sées. Elle  avait  déjà  refusé  celles  des  ducs  de  Montpensier,  de 
Guise,  de  Nevers,  et  des  cardinaux  de  Bourbon  et  de  Lorraine. 
L'offre  des  habitants  de  Poitiers  ne  fut  donc  pas  acceptée,  cl. 
par  le  fait  des  circonstances,  la  fondation  de  leur  collège  fui 
retardée  jusqu'au  commencement  du  siècle  suivant1. 

6.  Après  ces  quelques  mois  d'apostolat  dans  le  Poitou,  Maldonat 
avait  repris  son  cours  de  théologie  au  collège  de  Clermont;  il 
l'interrompit  de  nouveau,  en  1372,  afin  d'accomplir  une  mission 
de  confiance  dont  l'avait  chargé  le  duc  de  Montpensier2.  Ce 
prince,  très  catholique,  avait  eu  la  douleur  de  voir  sa  fille, 
mariée  au  duc  de  Bouillon,  embrasser  le  protestantisme  comme 
son  mari,  et  depuis  lors  il  n'avait  rien  négligé  pour  la  reconqué- 
rir à  l'Eglise.  En  1566,  il  avait  engagé  les  docteurs  Simon  Vigor 
et  Claude  de  Sainctes  à  conférer  sur  la  religion  avec  deux  minis- 
tres réformés,  en  présence  du  duc  et  de  la  duchesse,  espérant 
les  amener  par  la  force  de  la  vérité  à  se  convertir.  Contrairement 
à  son  attente,  cette  fameuse  conférence  ne  servit  qu'à  rendre  sa 
fille  et  son  gendre  plus  obstinés  dans  leurs  erreurs3.  Il  arriva 
néanmoins  qu'un  des  prédicants  qui  y  avait  pris  part,  Hugues 
Sureau,  surnommé  du  Bosier  %  renia  le  protestantisme,  en  1572, 
mais  plutôt  par  crainte  que  par  conviction,  comme  le  démontra 
dans  la  suite  son  apostasie.  Quand  elle  connut  sa  conversion,  la 
duchesse  de  Bouillon,  qui  était  à  Sedan,  exprima  le  désir  de  le 
voir  et  d'apprendre  de  lui  pourquoi  il  avait  renoncé  au  calvi- 
nisme. Le  duc  de  Montpensier,  toujours  préoccupé  du  salut  de 
sa  fille,  espéra  qu'elle  serait  ébranlée  par  l'exemple  d'un  homme 
qui  avait  contribué  à  l'affermir  dans  l'hérésie;  il  invita  donc  du 
Bosier  à  se  rendre  auprès  d'elle  ;  mais,  comme  il  se  méfiait  de  la 
constance  de  l'ex-ministre,  il  voulut  que  celui-ci  fût  accompagné 

1.  Lettre  du  P.  Mercurian  au  P.  Général,  19  août  1570;  du  P.  Manare  au  mémo, 
20  septembre  1570  (Gall.  Episl.,  t.  V.  loi.  20,  35). 

2.  I;ils  de  Louis  de  Bourbon,  prince  de  la  Roche-sur-Yon,  et  de  Louise  de  Bourbon, 
sœur  du  connétable,  il  était  né  le  20  juin  1513. 

3.  Voir  Les  actes  de  la  conférence  tenue  à  Paris  es  moys  de  juillet  cl  nuits/ 
Î566.  Cf.  de  thou.,  Hist.   Univ,  t.  V,  p.  185. 

4.  Né  à  Rosoy,  en  Picardie.  Hugues .  Sureau  prenait  de  là  le  surnom  de  Rosarivs 
qu'on  traduisit  par  Rosier  ou  du  Rosier.  Accusé  d'avoir  publié  un  livre,  où  l'on  prê- 
chait la  révolte  a  main  armée  contre  les  princes  qui  s'opposeraient  au  protestantisme, 
il  fut  enfermé  dans  les  prisons  d'Orléans,  puis  mis  en  liberté  à  la  sollicitation  de 
Coligny. 


MALDONAT  ET  LA  DUCHESSE  DE  BOUILLON.  559 

du  P.  Maldonat,  à  qui  il  confia  le  soin  et  la  direction  de  cette 
délicate  affaire.  Tous  deux  partirent  vers  la  lin  de  l'année  l.">7-2  '. 

«  Autant  du  Rosier  entreprenait  volontiers  un  voyage  qui  Le 
rapprochait  de  l'Allemagne,  autant  il  était  mécontent  de  le  faire 
avec  »  le  célèbre  jésuite;  aussi  lui  représenta-t-il.  mais  en  vain, 
toutes  sortes  de  raisons  pour  lui  persuader  d'y  renoncer.  Le 
jésuite  de  son  côté  conçut  tout  de  suite  à  l'égard  de  son  compa- 
gnon de  graves  soupçons,  que  les  faits  devaient  malheureuse- 
ment justifier  :  «  Tout,  dit-il,  m'était  suspect  dans  cet  homme; 
il  s'exprimait  avec  ambiguïté  sur  la  religion,  avec  vanité  sur 
tout  le  reste;  il  avait  une  contenance  embarrassée,  l'air  rêveur, 
triste  et  taciturne,  les  traits  un  peu  altérés,  la  démarche  d'un 
furieux  ou  de  quelqu'un  qui  est  environné  de  terreurs;  en  un 
mot,  je  ne  voyais  rien  en  lui  de  rassurant,  rien  qui  n'accusât  un 
esprit  chagrin  ou  une  conscience  criminelle.  Néanmoins  je  pen- 
sais qu'il  fallait  attribuer  ces  signes  sinistres  à  ces  combats  qui 
s'élèvent  dans  l'âme  d'un  nouveau  converti,  à  la  lutte  de  ses 
nouvelles  croyances  contre  ses  anciennes  habitudes  de  ministre 
calviniste-,  et  aux  efforts  qu'il  faisait  pour  ne  pas  les  laisser 
paraître.  » 

Le  duc  de  Montpensier  avait  recommandé  aux  deux  voyageurs 
de  s'arrêter  à  Mézières,  où  la  duchesse  de  Bouillon  viendrait  les 
rejoindre3.  «  Dans  cette  ville  constamment  attachée  à  la  vraie 
religion,  loin  de  la  présence  des  ministres  qui  depuis  leurs  der- 
niers désastres  s'étaient  retirés  en  grand  nombre  à  Sedan,  la 
princesse  ne  devait  entendre  que  les  docteurs  de  la  vérité  au 
lieu  de  ces  docteurs  du  mensonge  dont  elle  était  entourée  depuis 
si  longtemps.  »  Mais  le  duc  de  Bouillon  prétexta  l'absence  du 
gouverneur  de  Mézières  et  voulut  que  la  rencontre  se  fit  à  Che- 
mery,  où  se  trouvait  «  le  magnifique  château  du  seigneur  de 
Coucy,  chevalier  de  l'Ordre  de  Saint-Michel,  aussi  distingué  par 
son  attachement  à  la  religion  que  par  sa  noblesse  ».  Du  Rosier 

1.  Tous  les  détails  qui  vont  suivre  sont  tirés  de  la  longue  lettre  par  laquelle  Mal- 
donat rendit  compte  au  duc  de  Montpensier  de  l'insuccès  île  sa  mission.  Elle  a  été 
traduite  du  latin  et  publiée  par  Prat,  Maldonat...,  p.  295-;!25. 

2.  Du  Rosier  était  diacre  quand  il  embrassa  la  réforme,  et  depuis  lors  il  avait  eu 
femme  et  enfants.  La  crainte  de  se  séparer  de  sa  femme  fut,  au  dire  de  Maldonat. 
une  des  raisons  qui  l'empêchèrent  de  rester  attaché  au  catbolicisme. 

3.  Sur  la  demande  du  cardinal  de  Bourbon,  le  P.  Maldonat  passa  par  Coude  o  pour 
y  voir  la  princesse,  veuve  du  feu  prince  de  Condé.  el  l'instruire  dans  la  religion  ca- 
tholique ».  Celle-ci,  «  d'un  jugement  solide  et  pénétrant  »,  écouta  le  Père  »  avide 
ment  »  et  elle  «  reconnut  en  les  déplorant  les  erreurs  où  elle  avait  été  nourrie  dès  son 
enfance  »  (Lettre  de  Maldonat  au  duc  de  Montpensier).  Quelque  temps  après,  la  prin- 
cesse de  Condé  se  convertit  au  catholicisme  où  elle  persévéra  jusqu'à  sa  mort. 


:;go  histoire  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

et  son  compagnon  s'y  rendirent  aussitôt;  la  duchesse  arriva  à 
son  tour.  «  Elle  nous  fit  l'accueil  le  plus  bienveillant,  raconte 
Maldonat,  et  nous  remercia  d'avoir  entrepris  pour  elle  un  voyage 
si  long  et  si  pénible.  Ensuite  se  tournant  vers  du  Rosier,  elle 
lui  reprocha  avec  douceur  d'avoir  abandonné  sa  religion  et  lui 
dit  qu'il  devait  d'abord  réfuter  ce  qu'il  avait  enseigné,  soit  de 
vive  voix,  soit  par  écrit.  Loin  de  répondre  avec  cette  résolution 
et  cette  générosité  que  j'aurais  souhaitées,  du  Rosier  s'exprima 
d'une  manière  timide,  embarrassée,  ambiguë,  plutôt  pour  ex- 
cuser sa  conversion  que  pour  condamner  ses  anciennes  erreurs. 
Il  ne  donna  pas  le  moindre  signe  de  repenlir,  pas  la  moindre 
marque  d'un  cœur  bien  disposé;  il  n'eut  qu'un  ton  affecté,  une 
parole  trompeuse.  »  Quand  il  eut  fini  de  parler,  la  duchesse  de 
Bouillon  «  déploya  une  feuille  de  papier  où  étaient  écrits  les 
points  de  religion  qu'on  a  coutume,  dans  le  diocèse  de  Reims, 
de  présenter  à  la  croyance  de  ceux  qui  veulent  embrasser  la  foi 
catholique  »  ;  puis  elle  invita  le  P.  Maldonat  à  démontrer  la 
vérité  de  ces  articles  et  à  parler  d'abord  sur  les  images.  Le  Père 
«discuta  donc  sur  ce  point,  mais  en  tâchant  d'être  fort  court  et 
de  proportionner  son  langage  à  la  portée  d'une  femme  ».  Et. 
comme  elle  avoua  qu'elle  n'avait  rien  à  répondre  à  ses  argu- 
ments, il  la  pria  de  confier  sa  cause  à  l'un  des  assistants,  parmi 
lesquels  il  supposait  la  présence  de  quelques  mimstres  :  «  Non, 
dit  la  duchesse,  il  n'y  a  ici  personne  d'assez  instruit.  —  Alors, 
reprit  Maldonat.  que  M.  du  Rosier  réponde  pour  vous.  »  Mais  du 
Rosier  lui-même  «  en  était  réduit  au  point  de  ne  savoir  que  dire 
pour  la  défense  de  cette  cause  ».  Alors  on  invita  le  jésuite  à  par- 
ler sur  l'Eucharistie.  Il  s'y  prêta  volontiers  et  parla  d'abord  de 
la  présence  réelle,  avec  la  concision  qu'il  s'était  imposée,  tout 
en  s'etl'orçant,  «  par  des  questions  ménagées  à  propos,  d'amener 
insensiblement  la  duchesse  à  disputer  avec  lui  ».  Mais  elle  n'osa 
pas  s'engager,  s'excusant  sur  sa  qualité  de  femme  et  sur  son 
ignorance  :  «  Eh!  quoi,  madame,  lui  dit  Maldonat.  quand  vous 
avez  quitté  notre  religion  n'étiez-vous  pas  femme?  Étiez-vous  plus 
savante?  Pourquoi  donc,  après  vous  être  laissé  entraîner  hors  de 
l'ancienne  religion  par  les  arguments  des  ministres,  n'y  rentrez- 
vous  pas  aujourd'hui  que  vous  vous  voyez  vaincue  par  des  rai- 
sonnements contraires?...  Il  serait  juste  cependant  que,  de  même 
qu'alors  vous  vîtes  des  ministres  sans  l'assistance  d'un  docteur 
catholique  et  vous  crûtes  à  leur  parole  parce  que  vous  ne  pou- 
viez pas  leur  répondre,   de  même  aujourd'hui  que  vous  enten- 


MALDONAT  ET  LA  DUCHESSE  DE  BOUILLON.  561 

dez  des  docteurs  catholiques,  sans  L'assistance  d'un  ministre, 
vous  vous  rendissiez  à  leurs  raisons,  puisque  vous  ne  pouvez  pas 
non  plus  leur  répondre.  Mais  je  n'exige  pas  autant;  afin  (pie  vous 
n'ayez  aucun  reproche  à  vous  faire,  veuillez  charger  un  minis- 
tre de  répondre  à  votre  place.  —  Il  n'y  a  point  de  ministre  ici, 
me  dit-elle.  — Eh  bien!  répliquai-je,  faites-en  venir  quelques- 
uns,  ou  permettez-moi  de  me  transporter  là  où  ils  son).  »  Elle 
agréa  cette  proposition  et  aussitôt  elle  chargea  un  des  assistants 
d'aller  promptement  chercher  deux  ministres  à  Sedan.  Cette 
résolution  donna  autant  de  joie  à  Maldonat  qu'elle  causa  de 
déplaisir  à  du  Rosier  qui  lui  exprima  ses  appréhensions  : 
«  N'ayez  pas  peur,  dit  le  Père,  je  crains  si  peu  la  présence  (1rs 
ministres  que  j'espère  les  amener  à  notre  sentiment  avec  la 
duchesse  de  Bouillon.  — A  la  vérité,  reprit  du  Rosier,  s'ils  avaient 
assisté  aujourd'hui  à  la  dispute  sur  les  images,  je  ne  doute 
pas  qu'ils  n'eussent  été  réduits  au  silence.  » 

7.  Le  lendemain,  le  messager  envoyé  à  Sedan  revint  sans  les 
ministres.  Tout  le  monde  s'en  étonna.  Du  Rosier  seul  s'en  ré- 
jouit. Il  alla  en  cachette  s'entretenir  avec  la  duchesse  pendant 
que  le  P.  Maldonat  disait  sa  messe,  et  celui-ci,  en  déjeunant,  fut 
fort  surpris  de  remarquer  des  préparatifs  de  départ.  C'était  pour 
la  duchesse  qui  retournait  à  Sedan  :  «  M.  de  Bouillon,  dit-elle 
à  Maldonat,  me  mande  qu'il  ne  veut  pas  que  les  ministres  vien- 
nent ici  conlre  ledit  du  roi,  ce  qui  m'oblige  à  partir;  mais  je 
vous  avoue  que  j'emporte  de  vos  entretiens  un  grand  plaisir  et 
une  grande  utilité.  Puisque  nous  ne  pouvons  pas  terminer  en  ce 
lieu,  vous  m  obligeriez  si  vous  répondiez  à  cet  écrit.  »  En  même 
temps,  elle  lui  présenta  une  lettre  des  ministres  à  Hugues  du 
Rosier.  Maldonat  s'excusa  de  ne  pouvoir  entreprendre  mainte- 
nant une  réfutation  écrite  aussi  longue,  et  il  exprima  à  Mmo  de 
Bouillon  le  désir  de  l'accompagner  à  Sedan  ;  autrement,  il  ne 
croirait  pas  avoir  accompli  toutes  les  intentions  du  duc  de  Mont- 
pensier.  La  duchesse  s'y  refusa  :  son  mari,  disait-elle,  ne  voulait 
pas  que  le  Père  eût  la  moindre  discussion  avec  les  ministres.  Mal- 
donat n'insista  point;  mais,  au  lieu  de  quitter  Chemery,  il  écrivit 
au  duc  de  Bouillon,  lui  exposa  son  regret  de  cette  brusque  inter- 
ruption des  entretiens  à  peine  entamés  avec  la  duchesse,  et  lui 
demanda  la  permission  d'aller  les  poursuivre  à  Sedan.  Le  duc 
l'y  autorisa  sans  difficulté  et  à  son  arrivée  lui  fit  très  bon  accueil. 

Maldonat  avait  laissé  du  Rosier  à  Chemery;  outre  qu'il  le  re- 

OOMPACNIK    DE    JÉSUS.    —    T.    I.  36 


562  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

gardait  comme  inutile,  il  ne  voulait  pas  l'exposer  aux  insultes 
et  aux  embûches  des  ministres  de  Sedan,  autrefois  ses  collègues 
et  ses  amis.  Ce  fut  donc  seul  qu'il  dut  soutenir  les  assauts  des 
plus  doctes  prédicants,  convoqués  pour  la  circonstance.  Il  avait 
été  entendu  que  les  conférences  auraient  lieu,  chaque  soir,  chez 
la  duchesse. 

«  Dès  le  lendemain  de  mon  arrivée,  raconte  Maldonat,  elle  me 
fit  venir,  après  midi.  Elle  me  fit  asseoir  auprès  d'elle  \  vis-à-vis 
de  nous  prirent  place  cinq  messieurs,  plus  graves  que  les  autres, 
qu'à  leur  air  on  pouvait  prendre  pour  des  savants  de  profession  ; 
le  reste  de  l'assistance  siégea  sans  ordre  dans  la  salle.  Je  soup- 
çonnais bien  qu'il  y  avait  quelques  ministres  dans  l'assemblée... 
et  je  pensais  qu'ils  recueilleraient  tout  ce  que  je  dirais,  pour  le 
réfuter  ensuite,  en  particulier,  en  présence  de  la  duchesse.  Sur 
son  ordre,  je  commençai  la  question  de  l'Eucharistie  et  montrai 
les  raisons  que  les  catholiques  ont   de  croire  que  le  corps  de 
Jésus-Christ   est  dans  le  Saint  Sacrement,  raisons  auxquelles  il 
fallait  qu'elle  répondit  ou  qu'elle  se  rendit.  Alors  elle  lit  signe 
à  ceux  qui  étaient  vis-à-vis  de  nous1  de  répondre  à  mes  argu- 
ments. Celui  qui  siégeait  le  premier  à  droite2  prit  alors  la  pa- 
role. Son  discours,  long  et  soigné,  se  réduisait  à  dire  qu'il  ne 
fallait  pas  discuter  en  premier  lieu  si  le  corps  de  Jésus-Christ  est 
réellement   dans  l'Eucharistie,   comme  j'avais   dit,    mais    si  la 
messe  est  un  sacrifice.  Je  crus  voir  dans  cette  proposition  que 
l'intention  de  ces  messieurs  était  de  combattre  la  messe  par  leurs 
armes  ordinaires,  c'est-à.-dire  par  des  injures  et  des  outrages,... 
et  avertis  mon  interlocuteur  de  ne  pas  détourner  la  dispute  de 
son  cours  naturel,  de  ne  pas  perdre  le  temps  en  chicanes,  d'avoir 
moins  égard  à  lui-même  qu'à  la  duchesse  pour  qui  cette  confé- 
rence avait  lieu.  J'ajoutai  que  la  raison,  la  coutume  générale  et 
mon  droit  voulaient  que  nous  commençassions  par  discuter  si  le 
corps  de  Jésus-Christ  est  dans  l'Eucharistie;  que  l'on  ne  saurait 
comprendre  que  l'Eucharistie  est  un  sacrifice,  si  l'on  ne  sait  d'a- 
bord si  Jésus-Christ  est  dans  l'Eucharistie,  et  qu'aucun  auteur, 
soit  catholique,  soit  calviniste,  n'a  traité  du  sacrifice  de  la  messe 
avant  d'avoir  traité  du  corps  de  Jésus-Christ... 

«  Mon  adversaire  -tergiversait,  sans  apporter  aucune  raison  en 
faveur  de  son  avis,  et  consumait  tout  le  temps  en  paroles  inutiles. 
Pendant  plus  d'une  heure  je  l'exhortai,  je  le  priai,  je  l'agaçai 

1.  Les  uns  étaient  minisires,  d'autres  jurisconsultes,  tous  calvinistes. 

2.  C'était  Cappel,  de  Paris,  «  d'une  naissance  distinguée  »,  dit  Maldonat. 


MÀLDONAT  ET  \A  DUCHESSE  DE  BOUILLON. 

nièinc  pour  ic  forcera  la  dispute,  mais  ce  l'ut  toujours  sans  ré- 
sultat. Voyant  que  le  temps  se  passait  et  <|ue  nous  ne  faisions 
rien,  j'aimai  mieux  me  désister  de  mou  droit  que  de  priver  plus 
longtemps  la  duchesse  de  Bouillon,  à  cause  de  la  perversité  et  de 
l'entêtement  d'un  autre,  du  fruit  si  désiré  de  cette  conférence. 
C'est  pourquoi,  m'adressant  à  elle-même  :  «  Vous  voyez,  Madame, 
lui  dis-je,  que  les  ministres  cherchent  des  taux-fuyants  pour  é\  i- 
ter  la  discussion;  mais,  afin  de  vous  montrer  que  les  difficultés 
ne  viennent  pas  de  moi,  et  que  je  n'ai  rien  de  plus  cher  que 
votre  avantage,  veuillez  bien  faire  en  sorte  que  ces  messieurs 
commencent  eux-mêmes  la  dispute  comme  il  leur  plaira.  Deux 
ministres1  répondirent  alors  qu'ils  entendaient  que  la  dispute 
commençât  par  la  question  du  sacrifice  de  la  messe,  et  me  de- 
mandèrent si  je  croyais  que  la  messe  fût  un  vrai  sacrifice  par  le- 
quel les  péchés  des  vivants  et  des  morts  sont  expiés.  —  Oui,  leur 
dis-je.  —  Eh  bien!  reprirent-ils,  formulez  votre  opinion  en  syl- 
logisme. —  Je  fus  assez  surpris  que  des  hommes  qui  font  si  peu 
de  cas  de  la  dialectique  et  de  la  scolastique,  voulussent  se  poser 
en  Chrysippes  devant  une  réunion  de  daines  :  Ce  n'est  pas  ici  le 
lieu  de  faire  une  pareille  demande,  leur  dis-je;  mais,  puisque 
vous  le  voulez,  voici  mon  syllogisme  :  Tout  ce  qui  ayant  le  pou- 
voir de  remettre  les  péchés  est  offert  à  Dieu  par  un  vrai  prêtre, 
est  un  véritable  sacrifice  propitiatoire;  or  le  corps  du  Christ,  qui 
a  le  pouvoir  de  remettre  les  péchés,  est  offert  à  Dieu  dans  la 
messe  par  un  vrai  prêtre;  donc  la  messe  est  un  véritable  sacrifice 
propitiatoire2. 

«  Les  ministres  répètent  le  syllogisme;  ils  le  mesurent,  le  tour- 
nent et  le  retournent  pour  l'attaquer  du  côté  qui  leur  paraîtra  le 
plus  faible.  Mais  ils  sentent  de  prime  abord  qu'il  faut  commencer 
la  dispute  par  la  question  du  corps  de  Jésus-Christ,  ce  qu'ils 
avaient  nié  auparavant;  et  ils  y  sont  forcément  amenés  par  le 
syllogisme  même  qu'ils  avaient  demandé.  J'eus  beau  leur  faire 
des  instances  et  leur  reprocher  leurs  hésitations,  ils  ne  voulurent 
jamais  entrer  dans  cette  dispute.  Leurs  batteries  n'étaient  pas 
encore  prêtes.  Enfin,  après  avoir  longtemps  pesé  chaque  mot  de 
mon  syllogisme,  ils  dirent  que  dans  ma  définition  du  sacrifice  il 

i.  Parmi  les  ministres  qui  argumentèrent  avec  lui,  Maldonat  ne  nomme  avec.  Cap- 
pel  que  de  Loques,  ministre  particulier  de  la  duchesse. 

2.  Quidquid  per  verum  sacerdotem  Deo  oflferlur  quod  vim  habeat  remittendi  pec- 
cata,  verum  sacrilicium  propitiatorium  est;  corpus  Chris ti,  quod  vim  habet  remittendi 
peccata,  in  missa  per  verum  sacerdotem  Deo  offert  ur;  verum  igitur  est  sacrilicium 
propitiatorium. 


564  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

manquait  une  chose  essentielle,  à  savoir  que  la  victime  y  est  tuée. 
—  Cela,  leur -répondis-je,  n'est  point  nécessaire;  car  c'est  dans 
Faction  d'offrir  et  non  dans  l'action  de  tuer,  que  consistent  la 
vertu  et  la  nature  du  sacrifice.  J'ai  donné  la  définition  propre  du 
sacrifice  propitiatoire  dont  il  s'agit  ici;  c'est  à  vous  maintenant  à 
la  réfuter  si  vous  la  trouvez  défectueuse.  —  Ils  eurent  l'air  de  se 
repentir  d'avoir  affiché  tant  d'estime  pour  la  dialectique;  car  ja- 
mais ils  ne  purent  prouver  qu'il  fallait  définir  le  sacrifice  par  la 
mort  de  la  victime;  ils  crurent  néanmoins  avoir  trouvé  un  argu- 
ment très  fort  en  disant  que  chez  les  Hébreux,  le  mot  zabahh, 
d'où  vient  celui  de  zèbahli  (sacrifice),  signifie  la  même  chose  que 
8  6e tv  en  grec,  occidere  en  latin,  et  tuer  en  français.  Ils  ajoutaient 
que  nous,  catholiques,  quand  nous  "parlons  de  la  messe,  abusant 
du  mot  de  sacrifice  et  d'immolation,  nous  induisons  le  vulgaire 
ignorant  à  croire  que  Jésus-Christ  est  tué  dans  la  messe. 

—  «  Avez-vous  vu,  leur  dis-je,  dans  l'Église  catholique,  un  en- 
fant, avez-vous  vu  une  vieille  femme  qui  eût  cette  opinion?  Que  si 
quelques-uns  l'avaient,  il  faudrait  les  détromper  et  non  les  pous- 
ser dans  l'hérésie. 

«  Cependant  la  fin  du  jour  approchait;  car  ce  que  je  raconte 
ici  en  peu  de  mots  et  sommairement,  fut  longuement  et  vivement 
débattu.  J'adressai  donc  la  parole  à  la  duchesse  de  Bouillon  et 
lui  dis  :  —  Vous  voyez,  au  point  où  en  est  la  dispute,  que  si  je 
prouve  que  zabahh  en  hébreu,  0ùeiM  en  grec,  et  sacrificare  en 
latin,  ne  signifient  pas  toujours  dans  les  divines  Écritures  la  mort 
de  la  victime,  il  ne  vous  restera  plus  aucun  motif  pour  ne  pas 
croire  avec  nous  que  la  messe,  si  le  corps  de  Jésus-Christ  s'y 
trouve  réellement,  est  un  vrai  sacrifice.  Je  promets  de  vous  le  dé- 
montrer demain.  » 

Les  conférences  continuèrent,  très  longues,  plusieurs  jours  de 
suite.  Maldonat  apporta  un  exemplaire  de  l'Ancien  Testament  en 
hébreu,  et  un  exemplaire  du  Nouveau  en  grec;  il  montra  aux  mi- 
nistres un  grand  nombre  de  passages  où  les  mots  zabahh  et 
ôtisiv  signifient  non  tuer,  mais  offrir;  il  leur  fit  remarquer  que 
sacrifeare  n'était  autre  chose  que  rem  sacram  facere.  Par  consé- 
quent, concluait-il,  quand  nous  appelons  l'Eucharistie  un  vrai 
sacrifice,  nous  n'induisons  pas  le  peuple  en  erreur,  «  nous  lui 
parlons  en  hébreu  comme  David,  en  grec  comme  saint  Paul  et 
saint  Jean  Chrysostome,  en  latin  comme  saint  Augustin  et  tant 
d'autres  ». 

Mais  que  pouvait  l'évidence  sur  des  contradicteurs  de  mauvaise 


MALDONAT  LT  LA  DUCHESSE  DE  BOUILLON.  563 

foi?  Ils  se  dérobaient,  faisaient  mille  détours,  se  perdaient  en 
phrases,  refusaient  la  dispute  sur  ie  point  précis  de  la  question, 
et,  au  lieu  de  défendre  leur  opinion  sur  la  présence  réelle,  se  fa- 
tiguaient à  attaquer  et  à  blâmer  les  cérémonies  de  la  sainte 
messe.  Maldonat,  toujours  calme  et  patient,  devait  parfois  les 
aider  à  mettre  sur  pied  les  syllogismes  dont  ces  pauvres  dialec- 
ticiens pensaient  l'embarrasser;  il  les  laissait  s'enferrer,  les  sui- 
vait dans  le  dédale  de  leur  phraséologie,  les  écoutait  sans  les 
interrompre;  il  n'en  avait  que  plus  de  force  pour  les  accabler 
ensuite  d'une  réplique  qui  mettait  à  jour  leurs  contradictions  et 
leur  présomptueuse  ignorance.  Tel  était  leur  désarroi,  que  l'on 
songea  une  fois  à  brusquer  la  fin  de  ces  vaines  discussions  sans 
laisser  à  Maldonat  le  temps  de  dire  le  dernier  mot;  mais  on  s'a- 
perçut que  ce  serait  faire  «  subir  aux  ministres  la  honte  de  la  dé- 
faite »,  et  l'on  préféra  renoncer  à  cet  expédient.  Les  conférences 
traînèrent  encore  quelques  jours;  puis  Maldonat,  jugeant  que  la 
duchesse  elle-même  n'était  pas  de  bonne  foi,  regarda  sa  mission 
comme  terminée  :  «  Madame,  lui  dit-il,  je  n'ai  rien  voulu  épar- 
gner pour  remplir  mon  devoir,  accomplir  dans  toute  leur  étendue 
les  ordres  de  Mgr  le  duc  de  Montpensier,  votre  père,  et  satisfaire  à 
ma  conscience.  Je  n'ai  pas  réussi  comme  je  l'aurais  désiré;  mais 
j'ose  me  rendre  ce  témoignage  que  j'ai  misa  votre  service  tout  ce 
que  je  puis  avoir  de  forces,  de  science  et  d'habileté.  Je  retournerai 
vers  Monsieur  votre  père,  quand  vous  le  voudrez,  et  je  me  pré- 
senterai devant  lui  sans  honte  comme  sans  remords.  Je  prie  Dieu, 
qui  seul  peut  donner  la  foi  et  la  sagesse,  de  répandre  dans  votre 
esprit  la  véritable  religion...  Pour  vous,  Madame,  vous  devez  lui 
demander  la  même  grâce  avec  persévérance.  La  foi  est  un  don 
de  Dieu  qui  échappe  aux  investigations  de  la  raison  humaine,  et 
ne  s'accorde  qu'aune  prière  ardente  et  continuelle  l.  » 

Le  Père  Maldonat,  désolé  de  l'obstination  vaniteuse  de  la  du- 
chesse, eut  du  moins  la  joie  de  «  rappeler  dans  Sedan  l'évangile 
de  Jésus-Christ  qui  en  était  depuis  si  longtemps  exilé2  ».  Ayant 
obtenu  la  permission  de  prêcher  dans  l'église  de  la  ville,  il  vit 
réunie  au  pied  de  sa  chaire  une  foule  de  calvinistes  dont  un 
grand  nombre,  et  entre  autres  deux  de  leurs  ministres,  se  rendi- 
rent à  la  conviction  de  sa  parole  et  aux  sollicitations  de  la  grâce 
divine3.  De  Sedan  il  se  rendit  à  Metz,  où  l'avait  appelé  le  nou- 
veau gouverneur,  Albert  de  Gondi,  comte  de  Retz,  maréchal  de 

1.  Lettre  de  Maldonat  au  duc  de  Montpensier.  —  1.  Ibidem. 
3.  Cf.  Sothwel,  Bibl.  script.  S.  J.,  j>.  474. 


566  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

France  !.  Pendant  trois  semaines,  il  y  tit,  tous  les  jours,  devant  le 
palais,  des  conférences  sur  la  religion,  auxquelles  les  dissidents 
étaient  tenus  d'assister.  Il  exposa  spécialement  la  doctrine  de  l'É- 
glise sur  le  purgatoire  et  le  sacrifice  de  la  messe.  Là  encore  ses 
instructions,  lucides  et  savantes,  produisirent  de  nombreuses 
conversions. 

8.  De  retour  à  Paris,  il  fit  connaissance  avec  le  savant  juris- 
consulte François  Baudouin,  esprit  indécis  en  matière  de  reli- 
gion, mais  qui  cherchait  sincèrement  la  vérité.  Dans  les  fréquents 
entretiens  qu'ils  eurent  ensemble,  le  docte  théologien  dissipa 
tous  les  doutes  de  cet  érudit  simple  et  loyal;  il  lui  fit  adopter 
tous  les  dogmes  de  la  religion  catholique  et  embrasser  avec 
amour  la  pratique  de  ses  moindres  observances.  Baudouin  ex- 
pira, le  11  novembre  1573,  en  déclarant  qu'il  mourait  dans  le 
sein  de  l'Église  catholique'2. 

L'estime  universelle  dont  jouissait  le  nom  de  Maldonat  ne 
pouvait  qu'envenimer  la  jalousie  de  ses  adversaires.  Us  essayè- 
rent, par  la  calomnie,  de  lui  faire  expier  une  réputation  qui  lui 
donnait  tant  d'influence  sur  tous  les  gens  de  bien.  Avant  son 
départ  pour  Sedan,  le  Père  avait  été  mandé  auprès  du  président 
de  Saint- André,  ami  et  protecteur  des  Jésuites.  Ce  magistrat, 
se  sentant  près  de  mourir,  lui  avait  dit  qu'en  témoignage  d'af- 
fection, il  voulait  léguer  au  collège  de  Clermont  une  somme  de 
douze  mille  livres,  à  la  condition  qu'elle  serait  employée  à  bâtir 
l'église.  Maldonat,  qui  connaissait  les  besoins  pressants  de  la 
maison,  pria  cet  homme  généreux  de  vouloir  bien,  comme  vé- 
ritable marque  d'intérêt  pour  la  Compagnie,  lui  laisser  à  elle- 
même  le  libre  usage  de  ce  don.  Ainsi  fut-il  convenu,  et,  peu 
après,  le  testament  de  M.  de  Saint-André  confirmait,  en  les  ex- 
primant d'une  façon  très  précise,  ses  dernières  volontés3.  Mais 
quelques-uns  des  intéressés  se  montrèrent  peu  disposés  à  les 
respecter.  Ils  invectivèrent  contre  le  P.  Maldonat,  et  le  mena- 
cèrent d'un  procès  pour  l'innocent  conseil  qu'il  avait  donné  au 
président.  L'affaire  fut,  en  effet,  portée  devant  les  tribunaux,  ot 


1.  Lettre  de  Maldonat  au  duc  de  Montpensier. 

2.  C'est  donc  à  tort   que  MM.  Haag   ont  donné   une   place  à  Baudoin  dans  leur 

France  protestante.    Cf.   Heineccius,  Opéra   ad   universam  jurispnidentiam 

t.  III,  p.  260  et  suiv. 

3-  Testament  de  M.  de  Saint -André  (Roina,  Archiv,  di  Stato.  Gesuit.  colleg.. 
mazzo  114).  M.  de  Saint-André,  le  29  déc.  1573,  avait  déjà  donné  au  collège  de 
Clermont  500  livres  de  rente  (Archiv.  nat.,  M,  148  . 


GOI  VERSEMENT  DE  MALDONAT.  :  ;  • .  t 

pendant  trois  jours,  trois  dos  plus  célèbres  avocats  de  Paris 
se  déchaînèrent  avec  fureur  contre  les  Jésuites,  ces  abominables 
usurpateurs  du  bien  d'autrui.  N'étaient-ils  pas  presque  lou- 
étrangers  et  par  conséquent  inhabiles  à  accepter  les  legs  pieux 
des  fidèles?  On  leur  reprochait  d'abuser  de  la  faiblesse  des  ma- 
lades pour  se  faire  donner  place  dans  leurs  testaments,  et,  quoi- 
qu'ils fussent  si  pauvres  qu'ils  avaient  bien  de  la  peine  à  sub- 
sister, on  prétendait  néanmoins  qu'ils  envoyaient  de  l'argent 
hors  du  royaume,  et  que,  dans  cette  vue,  ils  demandaient  qu'on 
leur  laissât  la  liberté  de  disposer  à  leur  fantaisie  des  legs  qu'on 
leur  faisait  en  mourant.  Tant  d'injustes  accusations  ne  pouvaient 
que  discréditer  la  cause  des  demandeurs.  Les  juges  reconnurent 
l'innocence  du  P.  Maldonat,  et  maintinrent  le  collège  de  Cler- 
mont  en  possession  du  legs  de  M.  de  Saint-André  '. 

9.  A  la  même  époque,  d'autres  difficultés  surgirent,  qui  ne 
donnèrent  pas  moins  de  soucis  à  Maldonat.  Le  gouvernement 
de  la  Province  de  France  lui  avait  été  confié,  quand  le  Père 
Edmond  Hay  se  rendit  à  Rome  pour  la  troisième  congrégation 
générale  (1573).  Cette  charge,  qu'il  exerça  avec  sagesse  et  fer- 
meté, l'ut  pour  lui  l'occasion  de  grandes  tribulations,  dans  deux 
circonstances  surtout  où  il  eut  à  soutenir  les  intérêts  du  collège 
de  Clermont  et  la  vocation  d'un  jeune  candidat  à  la  Compagnie 
de  Jésus.  La  seconde  de  ces  circonstances  est  la  plus  connue  : 
c'est  l'histoire  de  François  Jannel,  qui,  travestie  à  plaisir,  de- 
vint le  thème  des  plus  injurieuses  déclamations. 

Né  à  Auxonne,  en  Bourgogne,  d'un  père  protestant  et  d'une 
mère  catholique  -,  ce  jeune  homme  était  parvenu  à  l'âge  de 
vingt-deux  ans  avec  une  pureté  de  mœurs  qui  faisait  l'admiration 
de  tous.  Les  dangers  du  monde  effrayaient  sa  vertu  ;  la  perfec- 
tion religieuse  l'attirait.  Il  se  présenta  au  P.  Maldonat  et  le  pria 
de  le  recevoir  dans  la  Compagnie  de  Jésus.  Le  prudent  supérieur 
voulut  d'abord  s'assurer,  par  de  sérieuses  informations,  que  la 
vocation  de  François  était  solide  et  sincère  :  il  connut  ainsi  les 
obstacles  qu'elle  pourrait  rencontrer  de  la  part  de  la  famille. 
Cependant  les  parents,  avertis  de  la  détermination  de  leur  lils. 
lui  permirent  de  passer  un  mois  au  collège  de  Clermont  ;  ils 
espéraient  que  cette  première  épreuve  suffirait  à  ébranler  sa 

1.  Sacchini,  Hist.  Snc,  P.  III,  1.  VIII,  n.  236,  237. 

2.  Lettre  de  Maldonat  au  P.  Général,  16  juin  1573  (Gall.  Epist.,  t.  VII.  f.  14,    15 
Cette  longue  lettre  de  quatre  pages  contient  tout  le  récit  de  cette  affaire. 


5G8  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

résolution.  François,  au  contraire,  goûta  dans  cette  vie  régulière 
tant  de  bonheur  qu'il  ne  pouvait  plus  se  résoudre  à  la  quitter. 
Le  P.  Maldonat  ne  jugea  pas  d'abord  à  propos  de  le  recevoir 
définitivement  au  noviciat  sans  le  consentement  de  son  père  et 
de  sa  mère1,  mais  le  postulant  fit  de  telles  instances  pour  ne 
pas  rentrer  chez  eux  qu'il  finit  par  le  garder.  Deux  jours  après, 
son  précepteur  vint  le  réclamer  de  la  part  des  parents.  Les 
Pères  lui  envoyèrent  le  jeune  homme  qui  refusa  de  partir,  et 
«  se  plaignit  en  ternies  énergiques  qu'on  osât  s'opposer  ainsi 
à  sa  vocation  ».  A  la  nouvelle  de  ce  refus,  sa  mère  accourut  à  son 
lour.  Elle  fit  valoir  toutes  les  raisons  que  lui  dictait  la  ruse  ou 
sa  tendresse,  lui  dit  que  loin  de  s'opposer  à  la  volonté  divine 
elle  voulait  lui  donner  l'occasion  de  la  connaître  plus  sûrement, 
Je  supplia  de  venir  au  moins  voir  son  père  que  le  chagrin  et  la 
maladie  avaient  empêché  de  voyager;  ensuite  «  on  le  laisserait 
agir  à  son  gré,  même  contre  la  volonté  paternelle  ».  Rien  ne 
pouvait  le  persuader.  Il  fallut  les  conseils  du  P.  Maldonat  pour 
qu'il  consentit  à  passer  la  soirée  avec  sa  mère  et  à  l'accompa- 
gner à  son  hôtel;  mais  bientôt,  flairant  un  piège  et  devinant  les 
préparatifs  qu'on  faisait  pour  l'enlever,  il  s'échappa  au  milieu 
de  la  nuit  et  courut  se  réfugier  au  collège.  Le  lendemain  matin, 
le  P.  Maldonat  voulant  épuiser  toutes  les  concessions  possibles 
le  renvoya  à  sa  mère,  après  l'avoir  fortifié  par  la  sainte  com- 
munion. François,  qui  craignait  de  nouvelles  embûches,  se  cacha 
dans  la  ville,  changeant  fréquemment  de  retraite,  et,  au  lieu 
d'aller  retrouver  sa  mère,  il  lui  écrivit  une  lettre  dune  respec- 
tueuse fermeté  où  il  déclarait  sa  résolution  de  ne  plus  retourner 
à  Auxonne. 

A  la  lecture  de  sa  lettre,  cette  femme,  qui  s'était  bornée  jus- 
qu'alors à  supplier,  «  entra  dans  une  véritable  fureur  »  contre 
les  Jésuites.  Elle  porta  ses  plaintes  à  plusieurs  membres  du  Par- 
lement, leur  dénonçant  la  Compagnie  comme  coupable  de 
séduction.  Mandés  à  la  barre  de  la  cour,  les  Pères  trouvèrent  les 
juges  prévenus  et  irrités  contre  eux.  Le  premier  président  leur 
ordonna,  sans  informations  préalables,  de  rendre  sur-le-champ 
le  jeune  homme  à  sa  famille.  Les  Pères  y  étaient  tout  disposés 
puisqu'ils  l'avaient  déjà  fait  «  par  trois  fois  »  ;  mais  en  ce  mo- 
ment ils  ignoraient  le  lieu  de  sa  retraite.  On  les  accusa  de 
séquestration,  et  «  ce  fut  pendant  8  jours,  dit  Maldonat,  la  plus 

1.  «  Jussimus  ut  in  patriam  suam  iret,  parentes  suos  viseret,  facuHatein  ab  ois 
impetraret  instituti  nostii  suscipiendi  »  (Ibidem). 


GOUVERNEMENT  DE  MALDONAT.  369 

grande  tempête  que  la  Compagnie  ait  encore  essuyée  en  France 
Heureusement  .lannel  apprit,  par  ceuv  qui  lui  avaient  donné 
asile,  le  danger  que  sa  disparition  pouvait  faire  courir  au 
collège  de  Clermont.  II  sort  de  sa  cachette  et  va  trouver  le  pre- 
mier président.  Avec  une  noble  hardiesse  il  avoue  qu'il  est  le 
seul  coupable.  Les  Pères,  dit-il,  «  loin  de  lui  faire  violence,  ne 
l'ont  reçu  qu'à  regret  et  Font  même  renvoyé  ;ï  sa  mère  ». 
C'est  de  son  plein  gré  qu'il  a  pris  la  fuite,  sans  découvrir  à  per- 
sonne le  lieu  de  sa  retraite.  Il  demande  entin  «  à  paraître  à  la 
barre  du  Parlement  et  à  s'y  défendre  lui-même  ». 

Admis  le  lendemain  à  plaider  sa  cause,  le  jeune  homme  parla 
avec  tant  de  chaleur  et  de  conviction  qu'il  «  jeta  dans  l'étonne- 
ment  toute  l'assemblée  »  l.  Les  juges  tentèrent  plusieurs  moyens 
pour  vaincre  sa  constance;  «  ni  raisons,  ni  prières,  ni  menaces  » 
ne  furent  capables  d'ébranler  sa  résolution.  Ils  décidèrent  néan- 
moins que  François  Jannel  irait  passer  quelque  temps  dans  sa 
famille;  «  ensuite  il  lui  serait  libre  de  suivre  le  parti  qu'il 
voudrait  »2. 

Son  père,  qui  était  protestant,  essaya  par  des  procédés  peu 
délicats,  «  non  seulement  de  le  détourner  de  sa  vocation,  mais 
encore  de  lui  arracher  la  foi  »  !.  L'intrépide  jeune  homme  résista 
à  toutes  les  tentations;  craignant  d'y  succomber,  il  s'enfuit  de  la 
maison  paternelle,  déjoua  cette  fois  toutes  les  recherches,  se 
réfugia  dans  le  monastère  des  Chartreux  à  Dijon,  et  de  là 
revint,  par  des  chemins  détournés,  au  collège  de  Clermont  à 
Paris.  Toutefois,  comme  les  tribunaux  s'étaient  déjà  occupés  de 
cette  affaire,  le  P.  Maldonat  ne  crut  pas  prudent  d'admettre  le 
postulant  au  noviciat  sans  avoir  obtenu  le  consentement  formel 
du  Parlement.  Il  envoya  Jannel  au  cardinal  de  Lorraine,  en  le 
recommandant  à  sa  bienveillante  protection.  Le  prélat  le  retint 
quelques  jours  dans  son  hôtel,  et,  après  avoir  examiné  sérieu- 
sement sa  vocation,  le  fit  présenter  au  premier  président  et 
au  procureur  du  roi.  Ces  magistrats,  convaincus  comme  le 
cardinal  qu'une  vocation  si  éprouvée  et  si  solide  venait  véri- 
tablement de  Dieu,  décidèrent  qu'on  rendit  le  jeune  homme  au 
collège  de  Clermont'1.  François  fut  dès  lors  reçu  dans  la  Compa- 
gnie où  il  pratiqua  pendant  onze  ou  douze  ans,  jusqu'à  sa  mort, 
toutes  les  vertus  que  présageait  sa  courageuse  persévérance. 

1.  «  Obstupefacti  judices  »,  dit  Maldonat.  —  2.  Ibidem. 

3.  Lettre  de  Maldonat  au  P.  Général,  8  août  1573  (Gall.  Epist.,  t.  VII,  f.  29,  30). 

4.  Ibidem. 


570  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

10.  Tandis  que  Maldonat  exerçait  encore  la  charge  de  vice- 
provincial,  il  vit  se  renouveler  contrôle  collège  delà  capitale  une 
de  ces  attaques  périodiques  que  les  ennemis  des  nouveaux  éduca- 
teurs ne  manquaient  pas  de  lui  livrer  à  la  moindre  occasion.  Déjà, 
au  mois  de  février  1573,  le  P.  Edmond  lïay  et  le  P.  Manare  avaient 
déjoué  une  intrigue  ourdie  par  quelques  courtisans  qui,  malgré 
la  bienveillance  du  roi  envers  la  Compagnie,  osèrent  demander, 
en  prétextant  l'honneur  national  et  la  sûreté  de  l'Etat,  qu'on 
interdit  aux  Pères  étrangers  le  droit  d'enseigner  en  France,  ou 
d'y  gouverner,  comme  supérieurs,  les  maisons  de  l'Ordre.  Les 
deux  Pères,  prévenus  à  temps  que  ce  projet  avait  été  soumis  au 
conseil  privé,  firent  part  de  leurs  craintes  au  cardinal  de  Lorraine 
et,  grâce  à  cet  habile  et  puissant  protecteur,  la  tempête  qui 
menaçait  d'éclater  fut  aussitôt  dissipée1. 

Battus  sur  ce  point,  les  adversaires,  après  s'être  tenus  quelque 
temps  en  silence,  songèrent  aux  moyens  de  diminuer  du  moins  le 
nombre  des  élèves,  trop  considérable  à  leur  gré,  qui  fréquentaient 
le  collège  des  Jésuites.  Ils  profitèrent  pour  cela  d'une  commission, 
nommée  récemment  par  le  roi  à  l'effet  de  remédier  aux  abus  des 
corps  enseignants,  et  composée  des  cardinaux  de  Lorraine  et  de 
Bourbon,  des  évêques  d'Auxerre.  de  Lavaur,  d'Angers,  de  Paris, 
et  de  quatre  conseillers  au  Parlement.  Invitée  à  se  faire  représenter 
dans  cette  commission,  l'Université  choisit  Simon  Vigor,  arche- 
vêque élu  de  Narbonne,  pour  la  Faculté  de  théologie  ;  Charpentier, 
pour  la  Faculté  de  médecine;  Pillaguet  pour  la  Faculté  de  droit: 
Gilmer,  ancien  recteur,  pour  la  Faculté  des  arts.  Ces  deux  der- 
niers, ainsi  que  les  conseillers  au  Parlement,  étaient  connus  pour 
leur  animosité  contre  les  Jésuites.  Dès  les  premières  délibérations, 
se  révélèrent  leurs  sentiments  hostiles  et  la  fâcheuse  influence 
qu'ils  exerçaient  au  sein  de  la  commission  -'.  Au  lieu  de  la  réforme 
sérieuse  que  le  gouvernement  voulait  opérer,  leurs  propositions 
ne  visaient,  sans  les  nommer,  que  le  P.  Maldonat  et  le  collège  de 
Clermont.  Elles  se  résumaient,  en  effet,  à  ceci  :  premièrement, 
ceux-là  seuls  pourraient  suivre  les  classes  de  grammaire  et  de 
belles-lettres  dans  un  collège,  qui  l'habiteraient  ordinairement; 
en  second  lieu,  pour  pouvoir  enseigner  dans  quelque  collège 
que  ce  fût,  il  faudrait  avoir  reçu  les  degrés  dans  l'Université  de 
Paris.  Or,  les  externes  formaient  la  grande  majorité  au  collège 

i.  Lellres  du  P.  Hay  au  P.  Polanco,   7  et  16  février  1573  (Gall.  EpisL,  t.  VII. 
n.  3-5).  Manare,  De  rébus  S.  J.,  p.  112.  113. 
2.  Prat,  Maldonat,  p.  343,  344. 


GOI  VERNEMENT  DE  MALDONA.T.  571 

de  Cleraiont,  et  le  I».  Maldonal  était  docteur  de  Salamanque.  Ces 
propositions,  dans  la  pensée  de  leurs  auteurs,  devaient  renfermer 
toute  la  réforme  de  l'Université;  elles  furent  rejetées  par  le9 
autres  membres  de  la  commission  qui,  désirant  s'attaquer  aux 
vrais  abus,  présentèrent  des  mesures  dans  ce  sens.  Un  désac- 
cord s'ensuivit;  les  commissaires,  sans  avoir  rien  conclu,  inter- 
rompirent leurs  réunions,  et  la  réforme  projetée  fut  remise  ;'i 
une  époque  indéterminée.  Le  collège  des  Jésuites  retrouvait,  ainsi 
la  sécurité  pour  le  choix  des  maîtres  et  le  nombre  des  élèves1. 
Les  assauts  contre  lui  allaient  cependant  continuer,  et  tous  les 
efl'orts  des  ennemis  se  concentrer  sur  le  point  d'où  semblait  pro- 
venir la  plus  large  part  de  son  succès  :  renseignement  de  Mal- 
donat. 

1.  Lettre  de  Maldonal  au  P.  Général,  19  juillet  1573,    Gall.  Epist.,  t.  VII,  fol.  27  . 


CHAPITRE  XI 

MALDONAT    ET    [/UNIVERSITÉ    DE    PARIS. 

(1573-1576). 


Sommaire  :  1.  Nouvelles  tentatives  de  l'Université  contre  le  collège  de  Clermont 
(1573).  —  2.  Maldonat  et  la  question  de  l'Immaculée  Conception  (1574).  — 
o.' Sentence  favorable  de  l'évêque  de  Paris  (17  janvier  1575),  et  mécontentement 
de  l'Université.  —  1.  Maldonat  et  la  question  du  purgatoire  ;  sa  doctrine  déférée 
au  Parlement.  —  5.  Essai  d'incorporation  du  collège  à  l'Université.  — 
6.  Excommunication  des  principaux  docteurs  de  la  Faculté  de  théologie;  leur 
lettre  apologétique  à  Grégoire  XI IL  —  7.  Silence  et  réserve  de  Maldonat.  — 

8.  Il  reprend  ses  leçons  d'Écriture  Sainte  (1576);  ses  ministères  spirituels.  — 

9.  Sa  retraite  à  Bourges. 

Sources  manuscrites  :  I.  Roma,  Archivio  di  Stato,  Gesuit.  colleg.,  ni.  111. 

II.  Archives  Vaticanes,  Nunziat.  di  Francia,  t.  VIII,  IX,  XI. 

III.  Bibliotli.  nationale,  mss.  latins  6433,3140. 

IV.  Archives  nationales,  MM,  149. 

V.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Francia,  Epistolae  Genera- 
lium.  —  b)  Galliae  Epistolae.  —  c)  Seminarium  romanum. 

Sources  imprimées  :  D'Argentré  Collectio  judiciorum.  —  Du  Boulay,  Hisl.  Universit. 
Parisiens.  —  Maldonatus,  In  Matthaeum  j/raefatio.  Opéra  varia  Theologica.  —  l'rat, 
Maldonat  et  l'Université  de  Paris. 

1.  Au  mois  de  février  1573,  dans  une  assemblée  générale  tenue 
auxMathurins,  l'Université  avait  décidé  que  les  écoliers  du  collège 
de  Clermont  ne  seraient  admis  ni  au  doctorat  ni  à  la  licence1. 
Cette  détermination,  peu  libérale,  fut  sans  aucun  effet  :  lorsque 
le  P.  Maldonat,  délivré  de  la  charge  de  vice-provincial,  reprit  son 
cours  de  théologie  z,  à  la  rentrée  de  Tannée  scolaire  1573-1574, 
les  auditeurs  se  pressèrent,  aussi  nombreux  et  sympathiques 
qu'auparavant,  à  ses  leçons  et  à  celles  du  P.  Tyrius,  qui  occupait 
la  chaire  de  Mariana  retourné  en  Espagne.  Cette  silencieuse  mais 
éloquente  protestation  ne  fit  qu'augmenter  l'irritation  de  l'Uni- 
versité, honteuse  de  voir  ses  menées  inutiles  et  méprisées. 

Le  11  octobre  157V,  elle  avait  choisi  pour  chef  Jean  Deniset,  du 
collège  d'Harcourt.  Les  sentiments  religieux  du  nouveau  Recteur 

1.  Du  Boulay,  Hisl.  Univ.  Paris.,  t.  VII,  p.  732. 

2.  Il  devait  expliquer  la  quatrième  partie  de  la  théologie  d'après  le  plan  que  nous 
avons  exposé  au  chap.  ni  du  liv.  III,  n.  8. 


MALDONAT  ET  L'UNIVERSITÉ  DE  PARIS. 

étaient  fort  équivoques;  il  avait  même  été  condamné  pour  ;i\<>ir 
pris  part,  à  Bordeaux,  à  la  cène  des  hérétiques1;  mais  un  titre 
important  l'avait  fait  élire  :  il  détestait  la  Compagnie  de  Jésus. 
Son  premier  acte  fut  de  l'attaquer.  Il  cita  à  son  tribunal  le  P.  Mal- 
donat  qui  se  garda  bien  de  comparaître,  trouvant  for!  étrange 
que  l'Université  prétendît  imposer  sa  juridiction  à  des  personnes 
qu'elle  ne  voulait  point  admettre  dans  son  sein. 

Deniset  ne  tarda  pas  à  se  venger  d'un  refus  qu'il  considérait 
comme  injurieux,  en  réunissant,  le  5  novembre,  à  Saint-Julien, 
la  Faculté  des  arts,  sous  prétexte  de  délibérer  sur  la  réforme  de 
l'Université.  L'abus  auquel  il  fallait  avant  tout  remédier,  c'était 
évidemment  l'affluence  des  élèves  au  collège  de  Clermont.  La 
Faculté  aggrava  donc  les  peines  déjà  édictées  contre  eux.  Elle 
déclara,  sur  la  proposition  du  vindicatif  Recteur,  «  qu'elle  les 
excluoit  de  tous  les  privilèges  académiques;  que  les  Principaux, 
dans  les  collèges  desquels  il  n'y  avoit  pas  plein  exercice,  dévoient 
être  avertis  de  ne  point  envoyer  leurs  boursiers  aux  leçons  des 
jésuites  et  qu'elle  chargeoit  les  censeurs  des  nations  de  tenir  la 
main  à  l'exécution  de  ce  règlement ~  ». 

Les  Facultés  supérieures,  invitées  à  s'associer  à  la  Faculté  des 
arts,  refusèrent  d'adhérer  à  sa  conclusion,  la  regardant  comme 
peu  mesurée  et  contraire  à  l'arrêt  du  Parlement,  qui  avait  main- 
tenu le  collège  des  Jésuites  dans  la  possession  d'enseigner. 

2.  Afin  de  gagner  à  sa  cause  les  vieux  docteurs  de  Sorbonne  et 
de  Navarre,  déjà  mécontents  de  la  méthode  introduite  par  Mal- 
donat  dans  renseignement  de  la  théologie,  Deniset  s'ingénia  à 
trouver  quelque  opposition  entre  leur  doctrine  et  celle  du  collège 
de  Clermont;  il  fit  chercher  dans  les  cahiers  des  professeurs  un 
prétexte  d'accusation.  Maldonat  amené  par  l'ordre  de  ses  leçons  à 
traiter  du  péché  originel,  avait  naturellement  parlé  de  la  Con- 
ception de  la  Très  Sainte  Vierge  :!.  Après  avoir  cité  les  différents 
passages  des  Épitres  de  saint  Paul,  où  le  grand  apôtre  affirme 
que  tous  les  hommes,  comme  enfants  d'Adam,  sont  pécheurs,  il 
ajoutait  :  «  Cela  n'empêche  pas  que,  par  un  privilège  spécial, 
quelqu'un  ne  puisse  être  exempt,  de  la  tache  originelle;  ce  que 
nous  croyons  de  la  Bienheureuse  Vierge  '.  »  Ainsi  Maldonat,  comme 

t.  Mémoire  du  P.  Mathieu  à  Grégoire  XIII  (Prat,  Maldouat,  pièces  justificatives, 
n.  xn,  p.  595). 

2.  Actes  de  la  Faculté  des  arts  cités  par  Du  Boulay,  t.  VI.  p.  738. 

3.  Bibl.  nat.,  mss.  latins,  6433,  f.  31-184. 

4.  «  Quod  credimus  de  B.  Virgine  »  [Opéra  varia  theol.  Edil.  Dubois,  1677). 


374  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  l>E  JESUS. 

toute  la  Compagnie  de  Jésus,  croyait  fermement  à  l'Immaculée 
Conception  de  Marie  ;  mais  l'Eglise  ne  s' étant  pas  encore  prononcée, 
comme  elle  l'a  fait  de  nos  jours  par  l'organe  infaillible  du  Pape 
Pie  IX,  il  ne  pensait  pas  que  ce  fût  un  article  de  foi.  Rappelant  le 
serment  que  plusieurs  Universités,  entre  autres  celle  de  Paris, 
exigeaient  de  leurs  sujets,  il  se  contentait  de  dire  qu'il  ne  lui 
paraissait  pas  «  expédient  »  1  de  jurer,  comme  article  de  foi  né- 
cessaire, une  opinion  encore  laissée  libre  par  l'Église.  Le  concile, 
ou  plutôt  le  conciliabule  de  Haie,  avait  bien  prétendu  donner  sur 
ce  point  une  définition  dogmatique.  Mais,  ainsi  que  le  faisait  re- 
marquer Maldonat,  ce  concile  n'était  pas  légitime  ;  sa  décision  sur 
l'Immaculée  Conception  n'avait  pas  été  approuvée  parles  Souve- 
rains Pontifes,  et  le  concile  de  Trente  avait  positivement  déclaré 
que  cette  croyance,  si  pieuse  qu'elle  fût,  n'était  point  un  article 
de  foi.  Cependant,  les  représentants  de  la  Faculté  de  théologie 
de  Paris  ayant  dominé  au  concile  de  Bâle,  l'Université  tout  entière 
s'était  approprié  les  décisions,  même  les  plus  hétérodoxes,  de 
celte  assemblée  schismatique,  et  les  avait  introduites  dans  son 
enseignement. 

En  somme,  Maldonat  soutenait,  non  sur  la  croyance  à  l'Imma- 
culée Conception  de  la  Sainte  Vierge,  mais  sur  la  définition  de  la 
doctrine,  une  opinion  différente  de  celle  que  professaient  les 
théologiens  de  l'Université  de  Paris.  Le  recteur  Denisct,  qui  avait 
besoin  du  concours  des  Facultés  supérieures  pour  arriver  à  ses 
fins,  n'hésita  pas  à  l'obtenir  au  prix  d'une  évidente  calomnie. 
Dans  une  assemblée  tenue  aux  Mathurins,  le  12  décembre  1574, 
il  se  plaignit  de  la  conduite  du  professeur  jésuite,  qui,  contre 
tout  sentiment  de  prudence  et  de  piété,  cherchait  à  introduire 
des  nouveautés,  foulait  aux  pieds  les  décrets  de  la  Faculté  de 
théologie  et  ouvrait  la  porte  au  schisme.  Les  vieux  docteurs  émus 
de  cette  perfide  accusation,  qui  d'ailleurs  flattait  leur  rancune, 
l'acceptèrent  sans  prendre  soin  de  la  contrôler.  Le  lendemain,  le 
professeur  du  collège  de  Clermont  fut  sommé  de  comparaître 
devant  les  principaux  membres  des  quatre  Facultés,  pour  leur 
rendre  compte  de  sa  doctrine.  Maldonat  ne  relevait,  en  fait  de 
doctrine,  que  de  l'Ordinaire  et  du  Souverain  Pontife;  sur  l'avis 
des  Pères  les  plus  graves  du  collège,  il  refusa  de  nouveau  de  se 

1.  «  Deinde  quoi!  multae,  idque  juratae,  quamvis  non  expédiât,  Academiae  eam 

opinionem  défendant,  Parisiensis  et  aliae (Ibid.).  —  «  Nos  maîtres  (les  docteurs 

de  Paris),  écrivait  Maldonat  au  P.  François  de  Tories,  soutiennent  qu'on  doit  croire 
non  pas  d'une  toi  libre,  mais  d'une  foi  nécessaire,  que  la  S'°  Vierge  a  été  conçue  sans 
péché.  » 


MALDONAT  ET  L'UNIVERSITÉ  DE  PARIS.  575 

présenter  devant  des  juges  qui  n'avaient  sur  lui  aucune  juridic- 
tion :  "  Respondit  ledit  Père  qu'il  estoit  bien  marry  qu'il  uepou- 
voit  obéyr  au  commandement  du  Recteur,  d'aultant  qu'il  estoii 
membre  de  ce  collège,  lequel  par  ci-devant  avoit  souventes  fois 
supplié  les  précédants  recteurs  d'estre  reçeu  en  leur  obéyssance, 
à  quoy  ne  l'avoicnt  voulu  recevoir,  ains  au  contraire  luy  avoient 
intenté  procès;...  que  s'ils  avoient  quelque  chose  contre  luy, 
qu'ils  s'addressassent  par  derrière  le  Rme  Évesque  ou  la  court  du 
Parlement1.  » 

Cet  incident  eut  pour  résultat  de  réunir  dans  un  même  dessein 
toutes  les  Facultés  à  celle  des  arts.  L'assemblée  générale  de 
l'Université  décida,  le  14  décembre,  que  la  conclusion  prise  contre 
les  Jésuites  dans  la  réunion  de  Saint-Julien  n'était  pas  contraire 
à  l'arrêt  du  Parlement,  et  qu'on  la  poursuivrait  aux  frais  com- 
muns des  quatre  Facultés.  Maldonat  fut  déclaré  à  l'unanimité 
téméraire  et  rebelle,  et  l'examen  de  la  question  théologique  ren- 
voyé à  l'évèque  de  Paris.  Deniset,  parvenu  à  la  fin  de  son  Recto- 
rat, resta  chargé  de  poursuivre  l'attaque  contre  le  collège  de 
Glermont.  Jacques  de  Cueilly,  son  successeur,  saisit  Mgr  de  Gondi 
de  l'accusation  intentée  contre  le  P.  Maldonat2. 

3.  L'Université  comptait  que  l'évèque  de  Paris,  à  l'exemple  de 
ses  prédécesseurs,  consulterait  la  Faculté  de  théologie,  et  ne 
déciderait  rien  saus  une  entente  avec  elle.  Cette  espérance  fut 
déeue.  Pierre  de  Gondi,  que  son  rare  mérite  fit  élever  plus  tard 
au  cardinalat,  se  rendit  seul  juge  de  l'affaire  et  conduisit  l'en- 
quête avec  prudence.  Après  avoir  lu  attentivement  les  cahiers  du 
théologien  incrimine,  il  l'invita  à  venir  devant  lui  expliquer  sa 
doctrine  sur  la  Conception  de  la  Sainte  Vierge.  Maldonat  répéta, 
en  présence  de  l'évèque,  ce  qu'il  avait  publiquement  enseigné; 
puis,  pour  montrer  que  l'Immaculée  Conception  n'était  pas  encore 
un  article  de  foi,  il  rappela  le  décret  du  concile  de  Trente,  et  la 
Constitution  de  Sixte  IV,  renouvelée  par  Pie  V,  d'après  laquelle 
il  était  défendu  aux  champions  de  l'une  et  de  l'autre  opinion  de 
se  traiter  mutuellement  d'hérétiques. 

Ces  raisons  paraissaient  sans  réplique.  Toutefois,  craignant 
qu'on  ne  l'accusât  de  partialité,  Mgr  de  Gondi  eut  recours  aux 
lumières  de  douze  des  membres  les  plus  distingués  de  la  Faculté 

1.  Lettre  du  P.  Pigenat  au  P.  Général,  Ie'  janvier  1575  (Gall.  E[iist.,  I.   IX,  fol.  1-3  . 
'2.  Regislre  des  conclusions  de  la  Faculté  de  théol.  i Archiv.  nal.,MM,  îi'J,  loi.  151, 
152).  Cf.  Du  Boulay,  op.  cit.,  p.  739,  740. 


576  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

de  théologie'.  Les  trois  plus  anciens,  Adam  Seguart,  doyen.  Jean 
Pelletier,  grand  maître  du  collège  de  Navarre,  et  Jacques  Fabre, 
syndic  de  la  Faculté,  étaient  regardés  comme  les  oracles  de  leur 
école;  les  neuf  autres  avaient  subi,  malgré  l'opposition  routinière 
des  vieux  docteurs,  l'influence  de  renseignement  de  Maldonat. 
Une  longue  et  vive  discussion  servit  à  montrer,  une  fois  de  plus, 
que  la  pieuse  croyance  à  l'Immaculée  Conception  de  Marie  n'é- 
tait nullement  en  cause.  M*"'  de  Gondi  déclara  donc,  le  17  janvier 
L575,  la  parfaite  innocence  du  jésuite,  et  prononça  en  sa  faveur 
une  sentence  ainsi  conçue  :  «  ...  Le  nom  de  Jésus-Christ  invoqué, 
vu  les  informations  que...  le  promoteur  de  notre  cour  épiscopale 
a  prises  sur  ce  qui  a  été  dit  publiquement  contre  le  vénérable 
maître  Jean  Maldonat,  docteur  de  la  Compagnie  du  nom  de  Jésus, 
à  savoir  qu'il  avait  enseigné  l'hérésie  ;  entendu  sur  tout  cela  la 
défense  de  Maldonat  lui-même  et  l'avis  d'hommes  sages  et  habi- 
les; Nous  disons  et  prononçons  que  ledit  Maldonat  n'a  rien  ensei- 
gné d'hérétique  ni  de  contraire  à  la  foi  et  à  la  religion  catho- 
lique2... » 

Les  Pères  du  collège  de  Clermont  crurent,  à  bon  droit,  que  le 
retentissement  de  l'accusation  exigeait,  comme  réparation,  une 
certaine  publicité  de  la  sentence  épiscopale.  Ils  ne  la  répandirent 
pas,  comme  le  prétend  le  P.  Prat3,  dans  plusieurs  quartiers  de  la 
capitale  et  dans  le  royaume.  Ils  se  contentèrent,  nous  apprend  le 
P.  Pigenat,  alors  recteur  du  collège,  d'un  triomphe  plus  modeste  : 
«  Nous  avons  eu  sentence,  écrivait-il  au  P.  Général,  pour  la  jus- 
tification du  R.  P.  Maldonat,  laquelle  nous  avons  fait  imprimer, 
mais  non  pas  publier,  ains  seulement  en  avons  distribué  aulcuns 
exemplaires  aux  gents  de  la  plus  grande  autorité4.  » 

Contre  ce  qu'elle  regardait  comme  un  scandale,  il  ne  restait 
d'autre  ressource  à  l'Université  que  de  se  pourvoir  au  Parlement. 
Crevier  rapporte  qu'elle  en  prit  la  résolution  dans  une  réunion 
du  11  février.  «  Le  15  du  même  mois,  ajoute-t-il.  la  Faculté  de 
théologie  s'assembla  et  trouva  tous  ses  suppôts,  hors  huit  ou 
neuf,  disposés  à  déclarer  qu'ils  croyaient  comme  de  foi  que  la 
Sainto  Vierge  avait  été  conçue  sans  la  tache  du  péché  originel.  » 
L'historien  de  l'Université  ne  dit  pas  autre  chose  sur  ces  deux 
dernières  assemblées;  mais  dans  une  lettre  de   Maldonat  nous 

1.  Cf.  Du  Boulay,  op.  cit.,  p.  739,  740. 

2.  D'Ar^entré,  Collectif)  judiciorum,  t.  II.  p.  4i:i. 

3.  Maldonat,  p.  361. 

4.  Lellrc  du  29  janvier  (Gall.  Episl.,  t.  IX.  fol.  4). 


MALDONAT  ET  L'I  NIVERSITÉ  DE  L>Aiils.  :;:: 

trouvons  des  détails  fort  curieux  sur  l'exaltation  des  esprits  à  ce 
moment. 

«  Les  docteurs,  écrivait-il  au  P.  Général,  le  12  mars  157.">,  ont 
tenu  deux  assemblées  pour  décider  de  nouveau  que  L'Immaculée 
Conception  de  Notre-Dame  doit  être  regardée  comme  un  article 
de  foi.  Afin  d'obtenir  plus  facilement  ce  résultat,  ils  ont  suborné 
des  agents,  et  répandu  en  public  et  en  particulier  des  menaces 
terribles,  disant  que  quiconque  prétendrait  le  contraire  serait 
traité  comme  un  hérétique  et  chassé  de  la  Faculté.  Quelques-uns 
ajoutaient  qu'il  faudrait  barthélemiser,  et  d'autres  qu'il  faudrait 
brûler  les  partisans  de  l'autre  opinion.  Cependant  quand  on  en 
est  venu  aux  délibérations,  dix-huit  des  plus  savants  et  des  plus 
estimables  ont  été  d'un  avis  différent,  et  ont  fait  observer  à 
l'assemblée  que  cette  manière  de  procéder  outrageait  le  concile 
de  Trente  et  le  Saint-Siège.  Ils  ont  été  traités  d'hérétiques  et 
accablés  de  beaucoup  d'autres  injures;  mais  ils  n'ont  jamais 
voulu  adhérer  à  la  décision  de  leurs  collègues.  Ils  ont  même 
affirmé,  dans  une  profession  de  foi  particulière,  qu'ils  croyaient 
que  Notre-Dame  a  été  conçue  sans  péché,  mais  qu'ils  ne  pensaient 
pas  que  ce  fût  un  article  de  foi,  parce  que  le  concile  de  Trente 
et  le  Siège  apostolique  ont  déclaré  le  contraire.  Les  autres  n'en 
ont  pas  moins  chanté  victoire  et  dit  sur  tous  les  tons  que  leur 
décret  était  celui  de  toute  la  Faculté,  qu'il  était  légitime,  que  la 
Faculté  n'avait  jamais  erré,  que  le  Pape  n'était  qu'un  homme, 
que  le  concile  de  Trente  n'avait  été  qu'une  réunion  de  moines, 
et  autres  choses  semblables.  Ils  ont  conclu  que  tous  les  docteurs 
et  bacheliers  seraient  convoqués  et  contraints  de  jurer  que  l'Im- 
maculée Conception  est  un  article  de  foi,  ce  qui  devait  avoir  lieu 
le  k  du  présent  mois. 

«  Les  partisans  de  l'opinion  contraire  se  sont  rendus  chez 
l'évèque  à  qui  ils  ont  remis  leur  profession  de  foi,  et  aussitôt 
Monseigneur  défendit  à  la  Faculté,  sous  peine  d'excommunica- 
tion, de  faire  aucun  décret.  Mais  avant  que  cette  sentence  fût 
portée,  les  récalcitrants,  voyant  que  les  dix-huit  docteurs  fidèles 
persévéraient  dans  leur  opinion  et  la  soutenaient  sérieusement, 
ont  dit  que  le  serment  serait  différé  jusqu'à  Pâques  attendu 
que  plusieurs  docteurs  et  bacheliers  étaient  allés  prêcher  hors 
de  la  capitale.  Ceux  qui  défendent  le  concile  [de  Trente  vou- 
draient bien  écrire  sur  cette  question,  mais  ils  craignent,  s'ils 
le  font,  d'être  chassés  de  la  Faculté.  Ils  se  proposent  toutefois 
de  prier  Mgr  le  Nonce  et  Wr  i'Évèque  de  le  faire  cr-officio.   Ce 

COMPAGNIE    DE   JÉSUS.    —   T.    I. 


578  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

sont  eux-mêmes  qui  m'ont  raconté  tout  ce  que  je  viens  de 
dire  l .  » 

Parmi  les  docteurs  favorables  à  Maldonat,  se  trouvait  le  fa- 
meux Claude  de  Sainctes,  qui  venait  d'être  nommé  à  l'évêché 
d'Évreux.  C'était  non  seulement  son  ami,  mais  un  de  ses  plus 
ardents  admirateurs.  On  voulut  cependant  le  gagner  à  la  cause 
commune,  et  dans  ce  but  on  lui  représenta  que  l'honneur  de  la 
Faculté  était  compromis  et  que  son  amitié  devait  céder  à  un  si 
puissant  intérêt.  On  lui  persuada  même  que  les  Pères  du  collège 
de  Clerniont  avaient  dénoncé  à  Rome  ses  tendances  gallicanes 
pour  arrêter  l'expédition  de  ses  Bulles.  Claude  de  Sainctes,  trompé 
par  ces  faux  rapports,  rompit  subitement  avec  Maldonat  et  se 
mit  à  la  tête  de  ses  accusateurs2. 

Comme  le  montrent  bien  ces  insinuations  perfides,  ce  n'était 
pas  seulement  le  collège  de  Clermont  qu'on  voulait  atteindre  en 
poursuivant  son  professeur  de  théologie,  mais  la  Compagnie 
tout  entière.  On  ne  lui  pardonnait  pas  son  attachement  au  Saint- 
Siège,  et  la  question  de  l'Immaculée  Conception  menaçait  de  se 
compliquer  devant  le  Parlement  d'une  question  encore  plus 
délicate  que  les  théologiens  français  avaient  fait  prévaloir  dans 
le  concile  de  Bâle  :  «  Ces  jours  passez,  écrivait  le  P.  Pigenat  au 
P.  Manare,  assistant  de  France,  on  a  traitté  au  Parlement  contre 
nous  et  les  Capucins,  ce  que  nous  croyons  avoir  esté  fait  à  la 
solicitation  de  Messieurs  noz  maistres,  lesquels,  comme  nous 
avons  sceu  de  bonne  part,  s'en  sont  allez  de  maison  en  maison 
des  plus  apparents  dudit  Parlement,  pour  les  aigrir  contre  nous, 
leur  donnant  à  entendre  qu'il  n'estoit  pas  question  seulement 
de  la  Conception  de  la  Vierge,  mais  de  renverser  le  concile  de 
Basle,  et  qu'à  cest  effect  mesmes  nous  faissions  profession  et 
vœu  en  la  Compaignie  de  maintenir  l'autorité  du  Pape  sur  le 
Concile.  Bref,  lesdits  sieurs  nos  maistres  sont  si  exacerbiés  que 
je  m'asseure  qu'ils  chercheront  tous  moyens  de  nous  nuyre '.  » 

La  question  de  l'Immaculée  Conception  fut  portée  devant  le 
Pape  par  le  Nonce  et  l'évêque  de  Paris.  Sa  Sainteté  était  d'avis 
de  publier  contre  les  Sorbonistes  la  bulle  de  Pie  V.  Mais  le 
P.  Maldonat  craignait  que  cette  mesure  ne  parût  excessive  aux 
docteurs,  et  il  insistait  seulement  pour  obtenir  une  déclaration 


1.  Lettre  du  12  mars  1575  (Gall.  Ëpist.,  t.  IX,  fol.  6,  7). 

2.  Mémoire  du  P.  Mathieu  à  Grégoire  XIII,  déjà  cité.  —  Cf.  Strozzi,  Controversia 
délia  concezione  délia  B.  Vergine  istoricamente  descritla,  t.  II,  1.  VIII,  c.  il. 

3.  Lettre  du  7  mai  1575  (Gall.  Epist.,  t.  IX,  fol.  21). 


MALDONAT  ET  ^UNIVERSITÉ  DE  PARIS.  579 

formelle  sur  sa  doctrine1.  Ses  Supérieurs  trouvèrent  même  qu'il 
y  mettait  trop  d'empressement  et  rengagèrent  au  silence.  Il 
obéit.  Cette  modération  ne  lit  qu'encourager  l'audace  des  oppo- 
sants. «  Les  Sorbonistes,  écrivait  alors  Mgr  Salviati  au  cardinal  de 
Como,  vont  tenir  une  de  leurs  assemblées.  Deux  des  principaux, 
Pelletier  et  Fabre,  m'ont  dit  qu'ils  étaient  résolus  d'écrire  à  Sa 
Sainteté,  non  seulement  sur  la  Conception  mais  sur  beaucoup 
d'autres  choses,  et  tout  cela  contre  le  P.  Maldonat  avec  lequel 
ils  veulent  en  finir2.  » 

4.  La  Faculté  de  théologie,  en  etl'et,  ne  songeait  qu'à  se  venger 
sur  le  professeur  du  collège  de  Clermont  de  l'auront  qu'elle 
pensait  avoir  reçu  de  la  sentence  de  l'évèque  de  Paris.  Les  vieux 
docteurs  se  mirent  à  scruter  tous  ses  écrits  avec  l'intention  d'y 
trouver  une  proposition  digne  de  censure.  Ce  n'était  pas  chose 
facile,  car  le  P.  Maldonat,  si  prudent  dans  l'exposition  du  dogme, 
n'avait  jamais  donné  à  ses  ennemis  l'occasion  de  le  prendre  en 
défaut.  Cependant  Michel  Tissart,  recteur  de  l'Université,  si- 
gnala, dans  les  leçons  dictées  aux  élèves  six  années  auparavant, 
une  proposition  qui  «  blessait  les  oreilles  pieuses  et  sentait  l'hé- 
résie ».  A  l'entendre,  Maldonat  avait  enseigné  publiquement 
«  que  les  âmes  des  défunts  ne  sont  et  ne  restent  en  purgatoire 
que  l'espace  de  dix  ans:i  ». 

Cette  proposition  répréhensible  ne  se  trouvait  nulle  part  dans 
les  ouvrages  du  professeur;  n'avait-elle  pas  du  moins  quelque 
fondement  dans  ce  qu'il  avait  enseigné  de  vive  voix?  Dans  la 
leçon  incriminée,  Maldonat  commence  par  déclarer  positivement 
qu'on  ne  sait  pas  combien  de  temps  les  âmes  demeurent  en  pur- 
gatoire, et  qu'il  serait  téméraire  de  vouloir  déterminer  la  durée 
de  ces  peines;  cependant,  ajoute-t-il,  volontiers  il  inclinerait  vers 
l'opinion  du  pieux  et  savant  Dominique  Soto  et  de  l'Université 
de  Salamanque,  qui  pensent  que  peut-être  ces  peines  ne  se  pro- 
longent pas  au  delà  de  dix  ans'1.  «  Si  sur  la  terre,  disait-il  au 
P.  Général,  nous  expions  par  de  si  courtes  et  de  si  légères  pé- 
nitences la  peine  temporelle  due  au  péché,  comment  supposer 


1.  Lettre  de  Maldonat  au  P.  Général,  7  mai  1575  (Gall.  Epist.,  1.  IX.  fol.  22 

2.  Lettre  du  27  mai  1575  (Archiv.  Vatic,  Nunz.  di  Francia,  t.  VIII,  f.  363,  364). 

3.  Du  Boulay,  Hist.  Univ.  Paris.,  t.  VI.  p.  74». 

4.  «  In  hac  re  nihil  possumus  cerli  nisi  temere  definire.  »  El  plus  loin  :  «  Itaque 
libenter  assentior  iis  qui  putant  in  Purgalorio  esse  i'ortasse  decem  annos.  »  Cette 
leçon  imprimée  dans  les  Opéra  llicol.  se  trouve  aussi  dans  les  mss.  de  Maldonat  à  la 
Bibl.  nat.,  ms.  lat.  3140,  p.  134,  135. 


580  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

de  très  longue  durée  les  terribles  peines  du  purgatoire1?  »  Ainsi 
Maldonat  ne  formule  aucune  opinion,  il  incline  seulement  vers 
celle  qui  lui  parait  plausible. 

L'Université,  cette  fois,  ne  jugea  pas  à  propos  de  s'adresser  à 
Tévèque  de  Paris  qui  avait  trompé  ses  espérances.  Les  quatre  Fa- 
cultés, réunies  aux  Mathurins,  le  3  juin  1575,  délibérèrent  sur 
le  parti  qu'il  convenait  de  prendre  en  cette  circonstance.  La 
Faculté  des  arts  et  celle  de  droit  déclarèrent  qu'elles  s'en  rap- 
portaient à  la  Faculté  de  théologie.  La  Faculté  de  médecine  de- 
manda que  les  théologiens,  après  examen  de  la  cause,  fissent  un 
rapport  aux  quatre  Facultés.  La  Faculté  de  théologie  décida 
d'examiner  la  doctrine  de  Maldonat,  avec  sa  maturité  ordinaire, 
et  de  faire  connaître  son  avis  à  toute  l'Université.  Quant  au 
Recteur,  après  avoir  approuvé  les  déclarations  des  préopinants, 
il  réclama  une  liste  des  erreurs  de  Maldonat  pour  les  présenter 
au  Parlement2. 

C'était  fort  étrange  de  répudier  la  seule  autorité  compétente 
du  diocèse,  en  fait  de  doctrine,  et  de  porter  devant  un  tribunal 
séculier  la  question  du  Purgatoire.  Aussi  Mgr  de  Gondi,  juste- 
ment blessé  d'une  conduite  si  peu  respectueuse  pour  sa  dignité 
épiscopale,  menaça-t-il  d'excommunication  l'Université  si  elle 
continuait  à  procéder  contre  un  prêtre  qu'il  avait  approuvé.  Le 
P.  Pigenat,  craignant  que  les  docteurs  n'en  vinssent  à  demander 
le  renvoi  de  toute  la  Compagnie,  aurait  désiré  «  que  Sa  Sainteté 
évocast  ceste  cause  à  soy  avec  défense  à  messieurs  nos  maistres 
d'y  attenter  plus  avant'  ».  La  situation,  en  effet,  devenait  de 
jour  en  jour  plus  tendue.  L'attitude  énergique  de  l'évêque  avait 
exaspéré  les  esprits.  Pour  répondre  à  la  menace  d'excommuni- 
cation toutes  les  Facultés  s'assemblèrent,  le  20  juin,  et  conclu- 
rent d'un  commun  accord  «  que  l'Université  par  de  très  anciens 
privilèges  étoit  exempte  de  la  juridiction  de  l'évêque;  qu'il 
falloit  donc  appeler  comme  d'abus  au  Parlement  du  décret  qu'il 
venoit  de  rendre,  et  en  même  temps  députer  au  cardinal  de 
Bourbon  conservateur  apostolique,  pour  le  prier  de  défendre 
l'Université  »  contre  de  pareilles  entreprises'*.  Le  lendemain, 
en  conséquence  de  cette  conclusion,  le  Recteur  accompagné  de 
quelques  députés  se  rendit  à  l'abbaye  de  Saint-Germain,  séjour 

1.  Note  accompagnant  une  lettre  du  G  juin  1575  (Gall.  Epist.,  t.  IX,  f.  27). 

2.  Du  Boulay,  op.  cit.,  t.  VI,  p.  745. 

3.  Lettre  au  P.  Général,  18  juin  1575  (Gall.  Epist.,  t.  IX,  fol.  29). 
t.  Registres  de  l'Université,  cités  par  Du  Boulay,  t.  VI,  p.  7i5. 


MALDONAT  ET  L'UNIVERSITÉ  DE  PARIS.  381 

habituel  du  cardinal,  et  «  réclama  son  secours  contre  les  arro- 
gantes insultes  et  les  menaces  iniques  de  l'évêque  de  Paris  '  ». 

5.  Le  cardinal  <lc  Rourbon  ne  pouvait  reconnaître  parmi  les 
privilèges  de  l'Université  l'exemption  de  la  juridiction  épiscopaie, 
et  moins  encore  le  droit  d'appel  comme  d'abus  au  Parlement.  Il 
résolut  donc  de  tenter  un  rapprochement  entre  les  plaignants  et 
le  collège  de  Clermont,  et  il  engagea  les  Pères  à  présenter  une 
supplique  en  ce  sens''.  Les  Jésuites,  par  esprit  de  conciliation,  ré- 
digèrent une  requête  par  laquelle  ils  demandaient  de  nouveau  à 
être  incorporés  à  l'Université.  Le  cardinal  la  transmit  au  Recteur, 
après  l'avoir  apostillée  de  sa  main.  Mais,  comment  l'Université 
aurait-elle  été  disposée  à  admettre  dans  son  sein  des  maîtres 
qu'elle  n'aimait  point  et  dont  les  succès  lui  causaient  tant  de 
soucis?  Le  26  juillet,  Jean  de  Rouen,  successeur  de  Tissart,  sou- 
mit à  l'assemblée  générale,  convoquée  aux  Mathurins,  la  de- 
mande du  collège  de  Clermont.  La  Faculté  des  arts  fut  d'avis 
qu'on  interrogeât  les  suppliants;  les  autres  Facultés  voulurent 
qu'on  envoyât  de  nouveau  une  députation  au  cardinal  de  Bour- 
bon afin  de  connaître  son  sentiment"'. 

Le  cardinal  exprima  sans  doute  le  désir  qu'on  délibérât  sur 
la  requête  des  Jésuites,  car,  le  19  août,  les  PP.  Claude  Mathieu, 
provincial,  Odon  Pigenat,  supérieur,  Maldonat  et  Tyrius,  profes- 
seurs de  théologie,  comparurent  devant  une  assemblée  des  dé- 
putés de  l'Université,  réunis  à  la  Sorbonne.  On  avait  résolu  de 
leur  demander  «  quels  ils  étoient,  quelle  vie  ils  entendoient 
mener,  s'ils  étoient  réguliers  ou  séculiers  »?  Les  historiens  de 
l'Université  prétendent  que  les  Pères,  interrogés  sur  leur  pro- 
fession, répondirent  qu'ils  étaient  clercs  séculiers  en  France, 
réguliers  et  moines  en  Italie.  Cette  réponse  absurde,  qui  ne 
serait  qu'un  odieux  mensonge,  ne  peut  être  attribuée  qu'au  ré- 
dacteur du  procès-verbal;  à  ses  yeux,  sans  doute,  comme  aux 
yeux  de  ses  collègues,  on  ne  pouvait  être  religieux  sans  être 
profès  et  moine4.  C'est  ce  qui  ressort  évidemment  de  la  suite 
du  récit.  Vigner,  procureur  général  de  l'Université,  insista  en 

1.  «  Adversus  protervos  insultus  et  iniquas  Episcopi  Parisiensis  eommlnationes  » 
(Du  Boulay,  op.  cit.,  p.  745). 

2.  Lettre  du  P.  Pigenat  au  P.  Général,  18  juin  1575  (Gai!.  Epist.,  t.  IX,  f.  29). 

3.  Lettre  de  M-'  Sahiali  au  cardinal  de  Como,  30  juillet  1575  Archiv.  Vat., 
Nunz.  di  Francia,  t.  VIII,  fol.  454). 

4.  Voir  l'explication  de  cette  distinction  plus  haut,  au  ch.  v  du  1.  I.  Les  Jésuites 
sont  clercs  réguliers  et  non  pas  moines;  de  plus  à  celle  époque  il  n'y  avait  pas  de  mai- 
son professe  en  France. 


582  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

disant  qu'il  fallait  astreindre  les  Jésuites  à  déclarer,  sur  la  foi 
du  serment,  s'ils  étaient  religieux  ou  non;  et  les  Pères  répon- 
dirent qu'ils  étaient  religieux  sans  être  moines.  Puis  ils  pré- 
sentèrent quelques  titres  et  actes  concernant  leur  Institut,  et 
l'on  résolut  d'examiner  ces  pièces  avant  de  rien  prononcer1. 

Le  samedi  27  août,  les  députés  de  l'Université  se  réunirent  de 
nouveau  avec  plusieurs  autres  personnages  considérables  de  ce 
corps.  On  lut  les  documents  que  les  Jésuites  avaient  présentés  et 
l'on  interrogea  pour  la  forme  le  P.  Odon  Pigenat.  recteur  du  col- 
lège de  Clermont.  L'assemblée  s'obstina  à  rejeter  la  distinction 
entre  les  moines  et  les  clercs  réguliers,  si  nettement  établie  par 
les  Bulles  des  Souverains  Pontifes  et  par  le  concile  de  Trente. 
Après  délibération,  elle  conclut  au  rejet  de  la  requête,  attendu 
qu'on  ne  savait  pas  sous  quel  nom  admettre  les  suppliants  :  ils 
se  disaient  religieux  et  laïques,  réguliers  et  séculiers;  par  consé- 
quent, si  on  les  recevait,  on  ne  saurait  dans  quel  rang  les 
placer.  On  écrirait  donc  au  Souverain  Pontife  pour  lui  dire  que 
les  Jésuites  ne  pouvaient  être  incorporés  à  l'Université,  s'ils  ne 
déclaraient  positivement  qu'ils  étaient  réguliers  ou  séculiers  ~. 

La  réponse  de  Grégoire  XIII  ne  se  fit  pas  attendre,  comme 
nous  le  voyons  par  une  lettre  du  Nonce  apostolique  au  cardinal 
secrétaire  d'État  :  «  J'ai  reçu,  écrivait-il  le  10  septembre,  le  Bref 
qui  doit  servir  à  l'union  des  Jésuites  avec  l'Université  de  Paris. 
Ces  Pères  ne  peuvent  assez  rendre  grâce  à  Sa  Sainteté  de  tant 
de  promptitude  et  d'un  si  grand  bienfait  ;  ils  sont  aussi  très  re- 
connaissants du  zèle  que  Votre  Seigneurie  illustrissime  leur  a 
témoigné  dans  cette  occasion 3.  »  Mais  les  adversaires  de  la  Com- 
pagnie étaient  résolus  de  ne  tenir  aucun  compte  des  désirs  du 
Souverain  Pontife,  dès  lors  que  ceux-ci  n'étaient  pas  d'accord 
avec  leurs  propres  rancunes. 

6.  Pendant  même  que  se  traitait  cette  affaire,  l'Université,  peu 
docile  aux  avis  du  cardinal  de  Bourbon,  avait  persisté  dans  son 
projet  de  porter  devant  le  Parlement  l'examen  de  la  doctrine  du 
P.  Maldonat.  Mgr  de  (iondi  ayant  appris  ce  qui  s'était  passé 
dans  l'assemblée  du  20  juin,  où  l'on  avait  décidé  d'appeler 
comme  d'abus  contre  ses  menaces  de  peines  ecclésiastiques,  en 

1.  Lettre  du  P.  Cl.  Mathieu  au  P.  Général  (Gall.  Epist.,  t.  IX,  fol.  72-73).  —  Cf. 
Du  Boulay,  op.  cit.,  ]>.  746.  —  Crevier,  op.  cit.,  p.  301. 

2.  Du  Boulay,  op.  cit.,  t.  VI,  802. 

■\.  Lettre  de  M?'  Salviali  au  cardinal  de  Como  (Archiv.  Vatic,  Nunz.  de  Francia, 
t.   VIII,  f.  503). 


MALDONAT  KT  L'UNIVERSITÉ  DE  PARIS.  583 

conçut  une  juste  indignation,  et  résolut  de  ne  plus  user  de  mé- 
nagements envers  des  personnes  qui  en  gardaient  si  peu  envers 
l'Église.  Il  lanra  l'excommunication  contre  les  docteurs  Segu.nl 
et  Fabre,  l'un  doyen  et  l'autre  syndic  de  la  Faculté  de  théo- 
logie, comme  étant  les  chefs  du  parti  et  les  principaux  auteurs 
de  tout  le  mal '. 

Cet  acte  de  fermeté,  si  nécessaire  qu'il  parût,  irrita  toute  l'U- 
niversité. Les  députés  ayant  été  convoqués  le  0  juillet,  le  Kec- 
teur,  Jean  de  Rouen,  prit  avec  eux  la  résolution  de  poursuivre 
l'évèque  devant  le  Parlement.  L'affaire  fut  plaidée  à  huis-clos,  le 
2  août.  Sur  le  fond  de  la  question,  c'est-à-dire  les  opinions  théo- 
logiques de  Maldonat,  la  cause  fut  appointée  au  conseil.  Quant  à 
l'appel  comme  d'abus,  le  Parlement,  tribunal  séculier,  décida 
que  l'évcque  avait  méconnu  les  privilèges  de  l'Université  et  que 
sa  sentence  était  de  nul  effet;  cependant  les  docteurs  frappés 
d'excommunication  se  feraient  absoudre  ad  cautelam.  Ce  dernier 
point  n'était  pas  facile  à  exécuter,  car  le  Pape,  instruit  de  la  con- 
duite des  docteurs,  avait  défendu  à  Mgr  de  Gondi  de  lever  l'excom- 
munication sans  son  ordre.  La  Faculté  de  théologie  fut  con- 
trainte d'écrire  à  Sa  Sainteté. 

La  lettre  qu'elle  rédigea,  véritable  apologie  pro  domo,  contient 
une  attaque  en  règle  contre  la  Compagnie,  sous  forme  d'insinua- 
tions méchantes  que  les  auteurs  glissaient  maladroitement  parmi 
l'éloge  de  leurs  propres  mérites.  Qu'on  en  juge  par  ce  morceau  : 

«  A  la  vérité,  disent-ils,  nous  sommes  des  serviteurs  inutiles; 
cependant  Dieu  a  fait  par  nous  ce  qu'il  a  voulu...  Que  de  grands 
théologiens  ne  sont  pas  sortis  de  notre  école  comme  du  cheval  de 
Troie!  Combien  n'en  sort-il  pas  encore  tous  les  deux  ans!  Quelle 
gravité  !  Quelle  pureté  dans  nos  statuts  ou  nos  décrets  !  quelle 
sévérité,  quelle  solidité  dans  notre  doctrine! 

«  Nous  ne  sommes  à  charge  à  aucune  église,  non  plus  qu'aux 
particuliers;  nous  ne  détournons  pas  les  héritages,  nous  ne  solli- 
citons pas  à  notre  avantage  des  testaments  injustes;  nous  ne 
cherchons  point  à  faire  tomber  dans  nos  pièges  les  bénéfices 
pour  en  jouir  sans  en  avoir  les  charges;  nous  ne  dirigeons  point, 
au  nom  de  Jésus,  les  consciences  des  princes,  d'après  l'opinion 
qui  réduit  à  dix  ans  les  peines  du  purgatoire,  comme  pour  dire 
qu'il  n'y  a  aucun  danger,  aucun  dommage  pour  les  fondateurs, 
morts  depuis  longtemps,  à  enlever  les  biens  ecclésiastiques  aux 

1.    Registres  des  conclusions  de  la  Faculté  de  théol.  (Àrchiv.  nat.,  MM,  149,  toi.  K 2  . 


584  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

monastères  ou  à  d'autres,  afin  de  les  transformer  en  commendes 
et  de  les  appliquer  à  d'autres  usages  profanes,  ou  à  d'autres  œu- 
vres de  piété,  ou  à  des  collèges.  Nous  faisons  notre  cours  d'étu- 
des sur  nos  médiocres  patrimoines,  ou  sur  un  petit  pécule  acquis 
par  d'honnêtes  travaux;  nous  nous  partageons  ensuite  les  fonc- 
tions et  les  charges  du  ministère  apostolique,  si  l'on  nous  y  ap- 
pelle, et  nous  y  courons  comme  au  combat1.  » 

Personne  ne  pouvait  se  méprendre  à  des  allusions  aussi  trans- 
parentes. Et  que  dut  penser  le  Souverain  Pontife  de  l'affront 
qu'une  pareille  lettre  faisait  à  sa  sagesse  et  même  à  son  auto- 
rité? Car  enfin,  ces  Jésuites,  dépeints  sous  de  si  noires  couleurs, 
il  les  estimait  et  il  les  avait  déjà  honorés  de  quatre  Bulles  pour 
encourager  leurs  œuvres  et  appuyer  leurs  entreprises. 

Les  docteurs,  en  terminant,  demandaient  pardon  au  Saint- 
Père;  mais  à  ce  témoignage  de  repentir  ils  ajoutaient  une  res- 
triction, qui  fait  assez  paraître  leur  peu  de  sincérité  :  «  Prosternés 
aux  pieds  de  Votre  Béatitude,  disent-ils,  nous  implorons  très 
humblement  le  pardon  et  l'absolution  de  Votre  Clémence ,  si 
?ious  avons  péché  en  quelque  chose,  soumettant  tout  au  jugement 
de  Votre  Sainteté2.  » 

La  honte  d'un  tel  factum,  où  la  vanité  froissée  se  rabaisse 
jusqu'à  la  calomnie,  ne  doit  pas  retomber  sur  la  Faculté  de 
théologie  tout  entière  ;  elle  revient  à  ceux  qui  l'écrivirent,  et  se 
firent  les  interprètes  d'une  minorité  hostile  dans  laquelle  on  re- 
grette de  voir  Claude  de  Sainctes,  Fabre  et  Pelletier.  Leur  lettre 
méritait  à  peine  une  contre-partie,  car  elle  était  plus  nuisible 
aux  accusateurs  qu'aux  accusés.  Cependant,  puisque  la  cause 
était  portée  à  Borne,  les  Pères  du  collège  de  Clermont  durent 
présenter  au  même  tribunal  leurs  plaintes  et  leur  défense.  Ils  le 
firent  par  l'intermédiaire  du  P.  Claude  Mathieu.  Dans  un  mé- 
moire calme  et  loyal,  où  parfois  s'élève  le  cri  de  l'innocence 
injustement  blessée  et  surtout  le  soupir  de  l'apôtre  réduit  à  l'im- 
puissance, le  P.  Provincial,  après  un  résumé  rapide  des  per- 
sécutions suscitées  à  la  Compagnie  de  Jésus,  réfuta,  par  les  faits 
eux-mêmes  ou  par  le  simple  exposé  de  l'Institut,  les  princi- 
pales accusations  lancées  contre  elle  depuis  son  introduction  en 
France  :  «  A  cause  de  ces  calomnies  et  de  ces  intrigues,  dit-il, 
la  Compagnie  n'a  pris  nulle  part  moins  de  développement  qu'à 
Paris,  qui  fut  pourtant  son  berceau.  La  première  semence  que 

1.  D'Argentré,  Collect.  judiciorum,  t.  II,  p.  445  et  suiv. 

2.  Ibidem. 


MALDONAT  ET  L'UNIVERSITÉ  DE  PARIS.  58S 

nos  Hères  avaient  jetée  dans  une  population  disposée  à  la  vertu, 
a  été  étouffée  dans  son  germe  par  ces  docteurs  et  n'a  pu  pro- 
duire l'abondante  moisson  qu'elle  nous  promettait.  Plût  à  Dieu 
que  nos  adversaires  eussent  mis  à  repousser  l'hérésie  l'ardeur 
qu'ils  ont  mise  à  nous  tourmenter!  La  Compagnie,  il  est  vrai, 
se  serait  accrue;  mais  le  calvinisme  serait  devenu  moins  puis- 
sant. Tandis  qu'ils  nous  persécutent  et  nous  affaiblissent,  ils 
réjouissent  et  fortifient  l'hérésie1.  » 

7.  Durant  la  tempête  déchaînée  à  l'occasion  de  sa  doctrine 
Maldonat  avait  fait  preuve  d'un  grand  courage  et  d'une  abnéga- 
tion entière.  Sans  redouter  le  tumulte  que  des  gens  malinten- 
tionnés pouvaient  provoquera  ses  cours,  il  avait  d'abord,  jus- 
qu'aux fêtes  de  Noël,  ajouté  à  ses  leçons  habituelles  une  leçon 
supplémentaire.  Mais,  après  la  sentence  de  l'évèque  de  Paris  en 
sa  faveur,  il  avait  jugé  utile  de  changer  de  conduite  :  il  crai- 
gnait, en  remontant  dans  sa  chaire,  d'humilier  les  adversaires 
auxquels  l'autorité  compétente  avait  donné  tort.  «  Les  docteurs, 
écrivait-il  au  P.  Général,  le  25  mars  1575,  étaient  dans  un  tel 
état  d'exaspération  qu'ils  n'auraient  pas  manqué  de  dire  que 
j'insultais  à  leur  défaite,  et  je  n'aurais  pu  prononcer  une  parole 
qui  ne  fût  mal  interprétée.  C'est  dans  une  pensée  de  modération 
et  de  modestie  que  j'ai  agi  ainsi.  Dès  le  premier  jour,  j'avais 
demandé  à  Notre-Seigneur  qu'aucun  sentiment  d'impatience  et 
de  vengeance  ne  pénétrât  dans  mon  cœur,  et  je  crois  avoir 
obtenu  cette  grâce  2.  »  Le  savant  religieux  aimait  les  situations 
franches;  il  voulait,  avant  de  reprendre  ses  leçons,  qu'il  fût 
bien  constaté  que  son  enseignement  était  conforme  à  celui  de 
l'Eglise.  Il  continua  donc  de  s'imposer  la  même  réserve  jusqu'à 
ce  que  Rome  eût  décidé  entre  lui  et  ses  adversaires. 

Cependant  Grégoire  XIII  hésitait  à  se  prononcer,  de  peur  d'en- 
venimer la  querelle  du  côté  des  orgueilleux  docteurs;  comptant, 

1.  Ce  document  a  été  publié  par  le  P.  Prat,  Maldonat  (Pièces  justificatives,  p.  592 
et  suiv.).  —  Le  P.  Général  exigea  quelques  corrections  au  mémoire  du  P.  Mathieu 
avant  qu'il  fût  présenté  au  Souverain  Pontife.  Dans  les  mss.  Gesuilici  conservés  à 
la  Bibl.  Vitt.  Emmanuele  (1586,  3715)  on  lit  :  «  Reprehenditur  (a  P.  N.)  epistola  apo- 
logetica  in  favorem  Socielatis  et  Maldonat!  a  Palribus  Gallis  pro  PP.  (PontificeJ 
missa  :  quod  nimis  aspere  perstringat  nonnullos  qui  Romae  et  boni  el  docti  viri 
vulgo  babentur;  tum  et  quod  modestiam  religiosam  in  scribendo  minus  redoleat.  »  El 
plus  loin  :  «  Consentit  P.  N.  litteras  Claudii  ad  PP.  initli,  sed  per  alium,  correctis 
nonnullis.  Videtur  improbatum  fuisse  quod  in  iis  nominarentur  aliqui  parliculares. 
haberentque  speciem  apologiac.  »  Il  nous  semble  bien  que  le  texle  donné  par  le 
P.  Prat  est  celui  du  Mémoire  non  corrigé. 

2.  Lettre  de  Maldonat  au  P.  Général  (Gall.  Epist.,  t.  IX,  fol.  11). 


58G  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

au  contraire,  sur  l'humilité  religieuse  du  P.  Maldonat,  il  inclinait 
à  lui  demander  pour  le  bien  de  la  paix,  le  sacrifice  même  de  sa 
réputation.  Le  Pape  communiqua  sans  doute  au  P.  Général  sa 
pensée  sur  un  départ  possible  de  Paris,  car  nous  avons  entre  les 
mains  une  note  présentée,  le  16  février  1576,  à  Sa  Sainteté  sur 
ce  projet.  On  y  montrait,  en  protestant  d'une  parfaite  soumis- 
sion à  la  volonté  du  Souverain  Pontife,  les  inconvénients  d'une 
mesure  qui  serait  nuisible  au  P.  Maldonat,  à  la  Compagnie, 
au  Saint-Sièïj e  et  à  tous  les  bons  catholiques  : 

«  La  Compagnie,  en  cette  circonstance  comme  en  toute  autre, 
disait  la  note,  ne  veut  faire  du  P.  Maldonat  que  ce  qu'il  plaira 
à  Sa  Sainteté.  Jusqu'ici,  avec  la  grâce  divine,  on  a  toujours  or- 
donné l'emploi  des  moyens  les  plus  efficaces  pour  tout  apaiser... 
Mais,  si  le  P.  Maldonat  quittait  maintenant  Paris,  ne  donnerait-on 
pas  à  croire  qu'il  en  a  été  chassé  comme  hérétique?  Ne  serait-ce 
pas  aussi  au  préjudice  du  Siège  Apostolique?  Les  Sorbonistes, 
confirmés  dans  cette  croyance  gallicane,  comme  ils  l'appellent, 
qui  regarde  comme  article  de  foi  ce  qui  est  encore  controversé, 
accorderaient  moins  de  crédit  pour  tout  le  reste  au  concile  de 
Trente. 

«  La  Compagnie  elle-même  souffrirait  beaucoup  dans  la  bonne 
opinion  qu'il  lui  est  nécessaire  de  conserver  en  France  ;  en  l'état 
où  sont  les  choses,  on  serait  capable  de  saisir  cette  occasion 
pour  la  chasser  de  Paris,  comme  on  a  essayé  de  le  faire  plu- 
sieurs fois  déjà.  Puis  les  catholiques,  sincèrement  dévoués  au 
Saint-Siège,  ne  seraient-ils  pas  grandement  scandalisés?  De  nom- 
breux disciples  de  Maldonat,  déjà  docteurs  de  Sorbonne  et  imbus 
par  lui  des  idées  romaines,  ne  perdraient-ils  pas  tout  courage 
à  soutenir  la  vérité,  en  voyant  le  sort  réservé  à  leur  maître? 

«  Si  on  laisse  s'éteindre  tout  ce  bruit,  il  sera  plus  facile  alors 
d'envoyer  le  P.  Maldonat  dans  un  autre  collège,  et  de  le  rempla- 
cer par  quelque  excellent  professeur  pour  le  bien  de  l'Université 
de  Paris 1 .  » 

En  fait,  «  laisser  s'éteindre  tout  ce  bruit  »  fut  la  ligne  de  con- 
duite que  l'on  suivit  d'abord.  Pendant  ce  temps-là  les  ennemis 
de  l'Église  se  félicitaient  d'un  silence  dont  ils  rendaient  grâce 
aux  docteurs  de  l'Université;  les  gens  de  bien,  au  contraire,  s'u- 
nissant  aux  disciples  de  Maldonat,  réclamaient  contre  l'interrup- 
tion des  cours  qu'ils  regardaient  comme  une  calamité  pour  la 

1.  Seminarium  Romanum,  n.  fi  (Recueil  de  Documents  portant  ce  litre,  et  où  ce 
mémoire  semble  égaré). 


MALDONAT  ET  L'I  DIVERSITÉ  DE  PARIS.  587 

religion,  et  l'archevêque  de  Vienne,  M3'  de  Villars,  suppliait  le 
I».  Général  de  «  ne  point  laisser  aller  en  plus  grande  Longueur  la 
définition  dudict  différend,  affin  que  le  dict  P.  Maldonaf     pût 
poursuyvre  ses  sainctes  occupations,  avecq  son  accoustumé  crédil 
et  prouffîct  en  l'Esglise  de  Dieu  '  ». 

Quant  au  professeur  persécuté,  malgré  les  félicitntions  qu'il 
recevait  de  toutes  parts,  il  éprouvait  la  plus  vive  répugnance  à 
remonter  dans  sa  chaire  ;  il  aurait  mieux  aimé  se  retirer  dans 
quelque  noviciat  et  y  vivre  loin  des  intrigues  des  hommes,  oc- 
cupé à  l'étude  des  Saintes  Écritures.  Ses  supérieurs  persistèrent 
à  ne  pas  l'éloigner  du  collège  de  Clermont,  dont  il  était  l'hon- 
neur et  le  rempart  contre  des  rivalités  puissantes.  D'ailleurs,  des 
évêques  le  consultaient  dans  leurs  doutes  et  prenaient  toujours 
ses  avis;  des  seigneurs  de  la  cour,  dont  il  avait  gagné  l'estime, 
lui  confiaient  la  direction  de  leur  conscience  ;  le  roi  lui-même 
avait  déclaré  qu'il  ne  souffrirait  pas  que  Maldonat  sortit  du 
royaume-.  Le  savant  théologien  ne  cessa  pas,  non  plus,  de 
garder  le  beau  rôle  par  sa  magnanime  conduite  à  l'égard  de  ses 
adversaires.  Grégoire  XIII,  en  conseillant  à  l'évèque  de  Paris  de 
publier  la  bulle  du  Pape  Pie  V  touchant  l'Immaculée  Concep- 
tion de  la  Sainte  Vierge,  avait  indirectement  condamné  la  Sor- 
bonne  qui  traitait  d'hérétique  le  sentiment  conforme  au  concile 
de  Trente.  Maldonat,  satisfait  d'avoir  été  jugé  innocent,  ne  vou- 
lut pas  que  son  triomphe  devint  une  humiliation  pour  ceux  qui 
avaient  mis  tout  en  œuvre  contre  lui.  Il  obtint  de  l'évèque  de 
Paris  qu'on  ne  publiât  ni  cette  bulle  de  Pie  V,  ni  celle  du  même 
Pontife  défendant  de  troubler  dans  leur  enseignement  les  profes- 
seurs de  la  Compagnie  de  Jésus3. 

8.  Toutefois  son  silence  volontaire,  que  ses  ennemis  regardaient 
comme  une  victoire,  ne  tarda  pas  à  être  interprété  calomnieuse- 
ment  par  eux.  Ils  répandirent  le  bruit  qu'on  lui  avait  interdit 
l'enseignement.  Pour  confondre  l'imposture,  Maldonat  reparut 
dans  sa  chaire,  le  dimanche  6  mai  1576,  après  vêpres,  et  com- 
mença l'explication  du  Psaume  cix,  qu'il  continua  les  dimanches 
suivants.  Les  manifestations  sympathiques  dont  il  fut  l'objet, 
le  vengèrent  dignement  des  injures  qu'il  avait  subies  :  «  La  rue 
Saint-Jacques,  dit   un  témoin  oculaire,   était  pleine   de  coches 

1.  Lettre  du  20  févr.   1576  (Gall.  Epist.,  t.  X,  fol.  48).  Le  texte  complet  de  cette 
lettre  a  été  publié  par  le  P.  Prat,  Maldonat,  p.  401. 

2.  Lettre  du  P.  Cl.  Mathieu  au  P.  Général,  26  juin  1576  (Gall.  Episl..  t.  \.  f.  4,  5). 

3.  Lettre  de  Maldonat,  7  mai  157"\  déjà  citée. 


588  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

depuis  le  collège  du  Plessis  jusqu'au  collège  de  Clermont1.  » 
On  aurait  pu  croire  d'abord  qu'une  telle  affluence  n'était  qu'une 
protestation  passagère  contre  les  tracasseries  de  la  Faculté;  la 
persévérance  d'un  auditoire  nombreux  et  choisi  prouva  qu'on 
accourait  aux  leçons  du  P.  Maldonat,  non  par  esprit  de  coterie, 
mais  pour  jouir  et  pour  s'instruire  auprès  d'un  maître  incontesté  : 
«  Beaucoup  d'évêques  et  d'autres  prélats,  écrit  le  P.  Mathieu  au 
I'.  Général,  les  ambassadeurs  des  princes,  les  présidents  des 
chambres  du  Parlement,  à  peu  près  tous  les  conseillers  et  plu- 
sieurs membres  du  conseil  privé,  viennent  l'entendre  assidûment, 
Les  docteurs  de  Sorbonne  eux-mêmes  ne  peuvent  résister  à  l'en- 
traînement, entre  autres  Pelletier  qui,  jusqu'à  présent,  n'avait 
jamais  mis  les  pieds  dans  notre  collège.  La  vive  satisfaction  éprou- 
vée par  tous  attire  sans  cesse  de  nouveaux  auditeurs.  Les  princes 
et  les  ambassadeurs,  que  j'ai  eu  l'occasion  devoir,  m'ont  tous 
félicité  sur  la  reprise  de  ces  cours2.  » 

L'Université  supporta  mal  une  si  glorieuse  revanche.  Deux  doc- 
teurs de  Sorbonne  livrèrent  à  l'impression  un  libelle  diffamatoire 
contre  le  professeur  du  collège  de  Clermont  et  sa  doctrine.  Mais, 
avant  que  l'ouvrage  parût,  M"1  de  Gondi  le  dénonça  au  Parlement  : 
sur  la  réquisition  du  procureur  du  roi  la  destruction  en  fut  ordon- 
née °'.  À  la  fin  du  mois  de  juin,  le  prélat  étant  parti  pour  Rome, 
il  s'éleva  contre  la  Compagnie  une  recrudescence  d'injures  et  de 
menaces.  Maldonat  n'en  poursuivit  pas  moins,  chaque  dimanche, 
l'explication  du  Psaume  cix.  Et  telles  étaient  toujours  l'affluence 
et  la  satisfaction  de  l'auditoire  que  le  cardinal  de  Bourbon, 
archevêque  de  Rouen,  ayant  songé  à  employer  les  talents  du 
professeur  au  service  de  son  diocèse,  dut  y  renoncer  devaut  l'op- 
position qu'il  rencontra  :  d'illustres  personnages  le  supplièrent 
de  ne  point  priver  l'Église  de  France  de  leçons  si  utiles  pour 
réconcilier  avec  la  religion  ceux  mêmes  qui  en  paraissaient  le 
plus  éloignés'1. 

Durant  la  semaine,  le  P.  Maldonat  se  retirait  dans  la  maison  de 
campagne  de  Picpus  ',  où  l'air  était  plus  favorable  que  celui  <!<• 
Paris  à  sa  santé  déjà  très  ébranlée  par  ses  immenses  travaux.  H 

1.  Du  Verdiér,  Prosopographie,  t.  III,  col.  253i.  Cf.  Carayon,  Documents  iné' 
dits,  t.  I,  p.  284 

2.  Lettre  du  26  juin  1576,  déjà  citée. 

3.  Lettre  du  Nonce  au  cardinal  de  Como,  27  juin  1570  Archiv.  Valic,  Nunz.  di 
Franc,  t.  IX,  fol.  521,  527). 

4.  Lettre  du  P.  Mathieu  déjà  citée. 

5.  Cette  maison  fut  donnée  à  la  Compagnie,  le  li  sept.  1574  (Roma,  Archiv.  di 
stato.  Gesuit.  colle».,  mazzo  114). 


MALDONAT  ET  L'UNIVERSITÉ  DE  PARIS.  589 

consacrait  ses  loisirs  â  composer  de  solides  commentaires  sur  le 
livre  de  .lob,  sur  les  Psaumes,  les  Cantiques,  Isaïe,  Jérémie, 
Ézéchiel  et  sur  quelques  chapitres  de  la  Genèse. 

Vers  la  fin  de  l'année  scolaire  1570,  le  12  août,  ayant  ter- 
miné l'explication  du  Psaume  cix,  il  descendit  de  sa  chaire 
pour  n'y  plus  remonter.  Il  avait  suffisamment  prouvé  a  tout 
le  monde  que,  s'il  avait  interrompu  ses  cours,  ce  n'était  ni 
par  manque  d'auditeurs,  ni  par  ordre  de  l'autorité  ecclésiasti- 
que. Quant  aux  raisons  de  cette  nouvelle  mesure,  le  P.  Claude 
Mathieu  s'empressa  de  les  exposer  au  P.  Général  :  «  Le  concours 
des  auditeurs,  dit-il,  était  si  considérable,  et  il  y  avait  parmi 
eux  tant  de  savants  et  de  personnages  distingués,  que  des 
hommes  très  haut  placés  et  amis  de  la  Compagnie  nous  ont 
conseillé  de  cesser  ces  leçons,  pour  ne  pas  soulever  trop  de 
colères  contre  nous.  Tout  s'est  bien  passé,  grâce  à  Dieu.  En  atten- 
dant, le  P.  Maldonat  ne  reste  pas  sans  rien  faire.  Chaque  jour 
il  s'occupe  de  ses  commentaires,  et  le  dimanche,  après  vêpres, 
il  prêche  en  français  dans  notre  église1.   » 

De  tout  temps,  l'éloquent  professeur  d'Écriture  Sainte  avait  su 
dérober  quelques  moments  à  ses  travaux  théologiques  pour  les 
consacrer  au  bien  des  âmes.  Outre  les  instructions  aux  fidèles,  il 
s'occupait  encore  de  la  direction  spirituelle  des  élèves.  Il  s'appli- 
quait à  leur  inculquer,  avec  de  profondes  convictions  religieuses, 
la  parfaite  connaissance  de  leurs  devoirs.  Sous  son  habile  et  forte 
impulsion,  la  pratique  d'une  piété  bien  entendue  et  la  fréquen- 
tation des  sacrements  avaient  donné  à  ce  collège  une  nouvelle 
vie.  C'est  alors  que  prospéra  la  première  congrégation  de  la 
Sainte  Vierge  établie  par  le  Père  Léonis  en  1569 ~.  Alors  aussi 
les  étrangers  venaient  en  foule  à  la  chapelle  des  élèves,  attirés 
par  la  beauté  des  cérémonies,  surtout  pendant  la  Semaine  Sainte. 
Une  année,  —  c'était  en  1575,  —  le  P.  Léonis  «  avait  faict  le 
paradis  si  bien,  raconte  le  P.  Pigenat,  que  les  grands  Seigneurs 
ne  se  contentèrent  [pas]  d'y  avoir  esté  une  fois,  et  ainsi  le  Roy 
de  Navarre  et  M.  de  Guise  y  retournèrent  ensemble,  le  samedi, 
ouyr  les  complits;  M.  de  Montpensier  et  sa  femme  pour  ouyr  1<- 

1.  Lettres  des  17  et  27  août  1570  (Gall.  Epist.,  t.  X,  fol.  Il;  33  . 

2.  Quelques  auteurs  disent  que  la  première  de  toutes  les  Congrégations  de  ta 
Sainte  Vierge  fut  fondée  à  Rome,  en  1563,  par  ce  Père  Léonis;  d'après  le  Père  Agui- 
lera  il  n'aurait  fait  que  transporter  à  Rome  une  dévotion  déjà  établie  à  Syracuse  par 
le  P.  Sébaslien  Cabarassi  (Histor.  Prov.  Siculae,  t.  I,  p.  176).  La  congrégation  du 
collège  de  Clcrmont  comptait,  en  1575,  150  jeunes  gens;  à  la  lin  de  l'année  23  filtrè- 
rent dans  dillerents  ordres  religieux  (Lettre  du  P.  Léonis  au  P.  Général.  Gall.  Epist., 
t.  IX,  fol.  23). 


390  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS; 

sermon  du  vendredy;  la  Reyne  Blanche  le  niercredy  et  jeudy. 
Les  ambassadeurs  susnommés  [de  Venise,  Florence,  Ferrare]  n'y 
ont  bougé,  comme  aussi  ceulx  de  Pologne  ;  et  se  retrouvèrent 
là,  le  vendredy  à  l'office,  l'ambassadeur  d'Espaigne,  de  Prusse, 
de  Florence,  de  Pologne;  on  surprit  aussi  le  Nonce  de  Sa  Sain- 
teté, lequel  y  avoit  ja  esté  le  jour  devant,  mais  voyant  la  presse, 
il  s'en  retourna.  Le  Roy  aussi  avoit  mandé  qu'il  viendroit,  mais 
le  mauvais  temps  l'en  retira.  Bref  la  chose  a  esté  tellement  semée 
par  la  ville,  et  désirée,  que  nous  avons  esté  contraints  de  laisser 
les  portes  du  collège  d'en  bas  ouvertes,  ou  aultrement  elles 
eussent  esté  en  danger  d'estre  forcées.  Dieu  face  que  tout  soit  à 
son  honneur,  et  nous  donne  la  commodité  de  mieux  servir  à  la 
dévotion  de  ce  peuple  en  cet  endroit  '  !  » 

Le  P.  Maldonat  ne  bornait  pas  l'exercice  de  son  zèle  à  l'inté- 
rieur du  collège.  Comme  les  autres  Pères,  qui  s'en  allaient  prê- 
cher dans  les  villages  ou  visiter  les  malades  et  les  prisonniers, 
il  portait  le  secours  de  son  ministère  à  tous  ceux  qui  le  récla- 
maient. «  Il  s'accommodait  merveilleusement  au  peuple  »,  dit 
son  Père  Provincial 2  ;  il  aimait  aussi  donner  les  Exercices  spiri- 
tuels de  saint  Ignace  et  savait  exploiter  habilement  les  ressources 
de  ce  livre  pour  la  réforme  de  la  vie  chrétienne  ;  aussi  voyons- 
nous  le  cardinal  de  Bourbon  l'emmener  avec  lui  à  son  château 
de  Gaillon,  pendant  les  vacances  de  1576,  afin  de  faire  une  re- 
traite sous  sa  direction3. 

9.  La  seule  présence  du  P.  Maldonat,  dont  l'ascendant  sur 
l'opinion  publique  était  considérable,  entretenait  à  Paris  une 
constante  irritation  parmi  les  adversaires  des  Jésuites.  C'est 
pourquoi  son  éloignement  fut  jugé  nécessaire  quand  le  Pape 
Grégoire  XIII,  après  une  longue  attente,  résolut  de  condamner 
formellement  la  doctrine  des  théologiens  de  la  Sorbonne  :  les 
esprits  mal  disposés  eussent  été  trop  envenimés  par  la  décision 
pontificale,  si,  en  même  temps,  quelque  satisfaction  ne  leur  eût 
été  donnée.  Le  Pape  demanda  au  P.  Général  d'accorder  au  pro- 
fesseur du  collège  de  Clermont  la  grâce  que  celui-ci  avait 
souvent  sollicitée.  On  décida  de  l'envoyer  à  Toulouse,  où  l'Uni- 
versité, très  favorable  à  la  Compagnie,  l'accueillerait  avec  em- 
pressement. Dès  que  la  nouvelle  de  son  départ  fut  connue,  plu- 

1.  Lettre  du  8  avril  1575  (Gall.  Epist.,  t.  IX,  fol.  13,  14). 

2.  Lettre  du  27  août  157G  {Ibicl.,  t.  X,  fol.  33). 

3.  Ibidem. 


MALDONAT  ET  L'UNIVERSITÉ  DE  PARIS.  591 

sieurs  villes  se  disputèrent  L'honneur  de  Le  recevoir  dans  Leurs 
murs.  Bordeaux  surtout  prétendait  avoir  des  droits  particuliers, 
et  l'avocat  général,  Charles  du  Sault,  s'empressa  de  les  faire 
valoir  auprès  des  supérieurs.' Il  écrivit  au  P.  Général  que  Tou- 
louse était  déjà  «  fournie  abondamment  pour  ce  regard  »  ;  qu'elle 
avait,  «  entre  autres  plusieurs  grands  personnages  et  singuliers 
prédicateurs,  le  bon  Père  Émond  »,  et  que  «  mettre  deux  soleils 
ensemble  »  serait  mal  employer  l'un  «  puisque  l'autre  [étaii 
trop  plus  que  suffisant1  ».  Malgré  son  éloquente  et  humoristique 
plaidoirie,  M.  du  Sault  ne  gagna  pas  sa  cause.  D'ailleurs  quand 
il  écrivait,  le  P.  Maldonat,  dès  le  commencement  de  janvier 
1577,  avait  déjà  pris  le  chemin  de  Toulouse-.  Bientôt,  devant 
les  bandes  calvinistes  qui  infestaient  les  routes,  la  prudence 
l'obligea  de  se  retirer  au  collège  de  Bourges  en  attendant  de 
Rome  une  nouvelle  détermination.  Il  envoya  alors  au  P.  Générai 
cette  lettre,  vraiment  admirable  de  résignation  et  d'obéissance 
religieuse  : 

«  Le  3  janvier,  je  reçus  deux  exemplaires  de  la  lettre  de  Votre 
Paternité,  m'annoneant  de  la  part  du  Souverain  Pontife,  que  je 
devais  immédiatement  partir  pour  Toulouse.  Rien  ne  m'était 
plus  agréable  que  la  solitude  de  Picpus,  où  je  me  trouvais  si 
bien  caché  que  ni  faveur  ni  injure  n'étaient  capables  de  m'y  at- 
teindre. Si  l'amour  de  mes  travaux  ne  m'aveugle,  je  n'ai  jamais 
travaillé  plus  utilement  que  dans  cette  retraite,  et  rien  ne  pou- 
vait m'arriver  de  plus  pénible  que  d'être  arraché  à  des  études 
entreprises,  me  semblait-il,  sous  l'inspiration  même  de  Dieu.  A 
ce  moment  on  affirmait,  comme  certain,  que  tout  le  pays  d'Aqui- 
taine avait  pris  les  armes  et  que  les  routes  conduisant  à  Toulouse 
étaient  sillonnées  de  partis  ennemis.  Cependant,  à  la  lecture  de 
votre  lettre,  j'ai  cru  que  je  devais  obéir  sans  retard  à  vos  ordres 
et  à  ceux  du  Souverain  Pontife,  comme  aux  ordres  de  Dieu  lui- 
même.  Bien  que  je  fusse  occupé  depuis  trois  heures  à  commenter 
le  prophète  Osée,  j'interrompis  immédiatement  mon  travail  et 
n'écrivis  plus  une  seule  lettre.  Si  notre  règle  nous  ordonne 
d'obéir  au  premier  signal,  cette  promptitude  me  parut  surfout 
nécessaire,  quand  le  Pape,  auquel  nous  sommes  scumis  par  un 
vœu  spécial,  fait  lui-même  quelque  commandement.  Je  résolus 
de  partir,  malgré  les  remontrances  de  tous  ^ans  exception  :  ils 
traitaient  de  téméraire  mon  dessein  d'entreprendre  un  voyage 

1.  Lettre  du  10  janv.  1577  (Gall.  Epist.,  t.  XI,  p.  360). 

2.  Lettre  du  P.  Pigenat  au  P.  Général,  4  janvier  1577  (Gall,  Epist.,  t.  XI,  t.  r 


592  HISTOIRE  DE  LÀ  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

que  je  savais  positivement  ne  pouvoir  accomplir  sain  et  sauf. 

«  Je  partis  cependant  avec  Dominique  Leiton1,  chevalier  por- 
tugais, qui  se  rendait  à  Toulouse  pour  les  affaires  du  roi  de 
Portugal.  Nous  pensions  qu'à  moitié  chemin,  à  Blois,  où  se  trou- 
vaient alors  le  uoi  et  l'assemblée  des  États -Généraux,  il  nous 
serait  facile  de  rencontrer  quelques  compagnons  de  route,  mais 
nous  fûmes  trompés  dans  notre  attente.  A  mesure  que  nous  appro- 
chions de  l'Aquitaine,  les  bruits  de  guerre  grossissaient;  chaque 
jour,,  on  annonçait  que  de  nouvelles  places  avaient  été  occupées 
par  l'ennemi.  C'est  pourquoi  je  ne  pus  trouver  à  Blois  de  nou- 
veaux compagnons,  et  je  perdis  celui  que  j'avais  eu  jusque-là. 
Dominique  Leiton,  effrayé  des  dangers  au-devant  desquels  nous 
allions  courir,  refusa  d'avancer  plus  loin.  Lui,  et  tous  ceux  à  qui 
j'avais  communiqué  mon  projet,  m'exhortaient  à  l'abandonner, 
.l'en  avais  d'ailleurs  parlé  à  peu  de  personnes,  de  crainte  de  me 
créer  un  nouveau  péril  en  ébruitant  mon  départ,  et  de  m'exposer 
à  être  retenu  par  quelqu'un  des  princes  présents  à  Blois.  Ne 
voulant  ni  entrer  dans  la  ville  ni  me  montrer  en  public,  je  restai 
dans  un  petit  village  où,  par  l'intermédiaire  d'un  ami  sûr,  je  pris 
toutes  mes  informations  au  sujet  des  compagnons  de  voyage  et 
de  la  difficulté  des  chemins.  Huit  jours  se  passèrent  dans  ces 
démarches,  après  lesquelles  je  reconnus  qu'il  était  impossible  de 
parvenir  à  Toulouse.  Tous  ceux  qui  étaient  au  courant  de  la  situa- 
tion me  conseillaient  de  retourner  à  Paris.  Là,  disaient-ils,  j'écri- 
rais à  Votre  Paternité,  et  en  attendant  de  nouveaux  ordres  du 
Souverain  Pontife,  j'achèverais  mon  travail.  Pourquoi,  en  effet, 
perdre  un  temps  si  précieux  que  pour  moi  chaque  jour  valait  cent 
écus  d'or?  Cependant  je  crus  que  je  ne  devais  pas  revenir  en 
arrière,  mais  aller  de  l'avant,  ou  bien  rester  où  je  me  trouvais.... 

«  J'ai  donc  pensé  que  l'obéissance  valait  mieux  que  les  victi- 
mes. M'imaginant  que  j'étais  envoyé  à  Toulouse  moins  pour  y 
demeurer  que  pour  n'être  plus  à  Paris,  je  me  dirigeai  vers  Bour- 
ges, afin  de  pouvoir  de  là  gagner  Lyon.  Peu  importe  le  lieu  de 
mon  exil;  il  suffit  que  je  sois  exilé.  Je  n'ignorais  pas  que  la  route 
de  Lyon  à  Toulouse  était  couverte  d'ennemis,  et  plus  longue  de 
deux  cent  mille  pas;  mais,  puisque  je  devais  m'arrêter  dans  quel- 
que endroit  pour  attendre  vos  lettres,  je  préférais  que  ce  fût  à 
Lyon.  Cette  ville  appartient  à  une  autre  Province;  tout  éloignée 
qu'elle  soit  de  Toulouse,  elle  est  plus  rapprochée  de  Rome  et  par 

t.  11  s'agit  sans  doute  de  ce  Leylhan  dont  il  est  parlé  au  chap.  vui,  n.  '2. 


MALDONAT  ET  L'UNIVERSITÉ  DE  PAHIS.  593 

là  même   plus  commode    pour  en   recevoir  ou   \    envoyer    «Il- 
lettrés. 

«  Arrivé  avant-hier  à  Bourges,  j'ai  été  forcé  d'y  rester  quelques 
jours,  car  je  n'ai  aucun  compagnon,  ni  des  nôtres  ni  du  dehors; 
de  plus  l'ennemi  vient  de  s'emparer  d'une  place  forte  située  sur 
ma  route;  enfin  mon  cheval,  blessé,  n'est  pas  encore  guéri.  Que 
Votre  Paternité  veuille  bien  s'informer  de  la  volonté  «lu  Souve- 
rain Pontife,  et  me  signifier  le  plus  tôt  possible  ce  (pic  je  dois 
faire.  Je  ne  négligerai  rien  pour  accomplir  jusqu'au  bout  vos 
ordres  et  ceux  de  Sa  Sainteté.  J'aurais  essayé  seul  de  me  frayer 
un  passage  au  milieu  des  ennemis,  si  je  n'avais  craint  d'offenser 
le  Pape  par  une  obéissance  trop  imprudente,  et  de  m'attirer  vo* 
justes  reproches  en  cas  de  malheur.  Pourtant,  ce  voyage  que  je 
n'ai  pas  osé  entreprendre  de  moi-même,  je  le  ferai.  Dieu  aidant, 
dès  que  je  connaîtrai  vos  désirs  et  ceux  du  Saint-Père,  avec 
autant  de  promptitude  que  j'ai  laissé  mes  livres,  pour  moi  bien 
préférables  à  ma  sécurité  personnelle.  Je  partirai  pour  Lvon 
aussitôt  que  je  le  pourrai,  et,  si  je  ne  le  puis,  j'attendrai  ici 
votre  réponse1...  » 

Au  moment  même  où  l'éminent  religieux  traçait  ces  lignes, 
Dieu,  fidèle  à  sa  parole,  exaltait  son  serviteur  humilié.  Le  P.  Pro- 
vincial reçut  avis  de  Rome  qu'un  Bref  de  Grégoire  XIII  venait 
d'être  envoyé  à  Paris3.  Le  Saint-Père  imposait  silence  à  tous  les 
théologiens,  leur  défendant  de  rien  dire,  de  rien  écrire  qui  fût 
contraire  en  aucune  façon  aux  décrets  du  concile  de  Trente,  ou 
aux  Bulles  de  Sixte  IV  et  de  Pie  V,  sur  la  Conception  de  la  Bien- 
heureuse Vierge.  Cette  sentence  était  pour  l'ancien  professeur  du 
collège  de  Clermont,  et  toute  la  Compagnie,  un  nouveau  témoi- 
gnage de  la  bienveillance  du  Souverain  Pontife,  car,  en  parais- 
sant ne  favoriser  aucune  opinion,  il  ordonnait  d'embrasser  le 
sentiment  soutenu  par  le  P.  Maldonat3.  Quelques  jours  après,  le 
P.  Général  annonçait  à  celui-ci,  en  le  félicitant  de  sa  parfaite 
soumission,  qu'il  pouvait  désormais  séjourner  à  Bourges'1. 

1.  Gall.  Epist.,  t.  IX,  fol.  369,  370. 

2.  Le  cardinal  secrétaire  d'Elat  à  M-1  le  Nonce  à  Paris,  20  janvier,  i  mars  1577 
(Archiv.  Vatic,  Nunz.  di  Franc,  t.  XI,  fol.  230,  232,  238,  239). 

3.  Lettre  du  P.  Général  au  P.  Mathieu,  4  févr.  1577  (Francia.  Epist.  Gêner.,  t.  1575- 
1604). 

4.  Lettre  du  P.  Général  à  Maldonat,  1<S  février  1577  (Iàid.). 


COMPAGNIE    DB  JÉSUS.    —    T.    I.  38 


CHAPITRE  XII 

FONDATION    DU    COLLÈGE    DE    BOURGES    ET    DE    L'UNIVERSITÉ 
DE    PONT-A -MOUSSON. 


(1575). 


Sommaire  :  Bourges. —  1.  Origines  du  collège  Sainte-Marie.  —  i.  Projet  de  le 
confier  aux  Jésuites;  remarque  générale  sur  la  division  des  collèges  dans  la 
Compagnie.  —  3.  Derniers  arrangements;  incorporation  à  l'Université.  — 
4.  Rapports  de  Maldonat  avec  Cujas;  son  Commentaire  sur  les  Évangiles.  — 
Pont-à-Mousson.  —  5.  État  de  la  Lorraine  et  projet  de  collège  à  Metz.  —  6.  Le 
cardinal  de  Lorraine  se  décide  à  l'établissement  d'une  Université  à  Pont-à- 
Mousson;  Bulle  d'érection  de  Grégoire  XIII,  5  déc.  1572.  —  7.  Négociations  du 
cardinal  avec  la  Compagnie.  —  8.  Quelques  classes  sont  ouvertes  en  novembre 
1574.  —  9.  Protection  du  cardinal  de  Guise  et  de  l'évèque  de  Verdun;  ouver- 
ture solennelle  des  classes,  mars  1575.  —  10.  Progrès  de  l'Université  jusqu'à  la 
mort  du  cardinal  de  Guise. 

Sources  manuscrites  :  I.  Archives  du  Cher,  série  D. 

II.  Archives  communales  de  Bourges,  série  GG. 

III.  Archives  de  Meurthe-et-Moselle,  série  H. 

IV.  Recueils  de  documents  conservés  dans  la  Compagnie  :  a)  Epistolae  Cardinalium.  — 
b)  Francia,  Epist.  Generalium.  —  c)  Hisloriae  fundationum.  —  d)  Franciae  Historia.  — 
e)  Gallia,  Epist.  Generalium.  —  f)  Galliae  Epi>t.  —  g)  Galliarum  monumenta  historica. 

V.  Archives  de  la  Province  de  France. 

Sources  imprimées  :  Acta  S.  Sedis  —  Bullarium  romanum.  —  Carayon,  Document* 
inédits;  Histoire  de  l'Université  de  Pont-à-Mousson  par  le  P.  Abram.  —  Erectio  Unioer- 
sitalis  Mussipontanae.  —Institut.  Soc.  Jesu.  —  Maldonatus,  In  Matthœum;  Praef'atio 
in  IV  Evang.  —  Prat,  Maldonat  et  l'Université  de  Paris. 

1.  Le  collège  Sainte-Marie  de  Bourges,  où  Maldonat  s'était  re- 
tiré à  son  départ  de  Paris,  venait  d'être  remis  entre  les  mains  de 
la  Compagnie  de  Jésus;  mais  son  origine  remonte  beaucoup 
plus  haut,  jusqu'à  la  Bienheureuse  Jeanne  de  France,  fille  de 
Louis  XI,  duchesse  de  Berry,  et  fondatrice  de  l'Ordre  de  l'Annon- 
ciade1.  En  effet,  vers  la  fin  du  quinzième  siècle,  un  docteur  en 
théologie,  François  Rogier,  avait  entrepris  l'établissement  d'une 
école  à  Bourges,  entre  l'église  Notre-Dame  de  la  Comtal  et  la 
maison  commune  de  la  ville;  puis,  se  trouvant  hors  d'état  d'a- 
chever l'œuvre  commencée,  il  la  confia  à  Ja  duchesse  de  Berry, 

1.  Née  en  1464,  elle  avait  épousé  son  cousin,  Louis,  duc  d'Orléans,  qui,  monté  sur 
le  trône,  fit  casser  son  mariage  en  1498.  Nommée  duchesse  de  Berry,  elle  se  retira  à 
Bourges  où  elle  mourut  en  1505.  Elle  fut  béatifiée  par  Benoît  XIV  en  1743. 


FONDATION  Di    COLLÈGE  DE  BOURGES.  :;«>:• 

qui  acheta,  pour  l'agrandir,  une  petite  maison  clans  Je  voisinage. 
Plus  tard,  par  son  testament  du  5  mai  150V,  la  Bienheureuse 
Jeanne  fonda  dix  bourses  pour  de  pauvres  écoliers  auxquels  on 
devait  enseigner  la  grammaire,  la  poésie  et  l'art  oratoire1.  La 
rente  de  cent  livres,  qu'elle  légua  à  cet  effet,  fut  reconnue  le 
7  janvier  1522  par  son  neveu  le  connétable  de  Bourbon,  et  con- 
firmée par  François  rr  le  5  avril  152 \. 

Telle  était  la  modeste  situation  de  l'école  Sainte-Marie,  lors- 
qu'en  1560  les  États  d'Orléans  prescrivirent  aux  chapitres  des 
églises  cathédrales  et  collégiales  d'appliquer  des  prébendes  aux 
établissements  d'instruction  publique.  Les  chanoines  de  Bourges 
ne  se  soumirent  qu'après  de  longues  résistances  et  consentirent, 
le  10  février  1567,  à  payer  annuellement  une  somme  de  sept 
cents  livres.  Aussitôt  M.  Gassot,  au  nom  de  la  ville,  MM.  Jacques 
Girard  et  Claude  Descombes,  au  nom  des  chapitres,  furent  en- 
voyés à  Paris  pour  choisir  des  précepteurs.  Ils  traitèrent  avec 
Jean  Prévost,  maître  es  arts  de  l'Université,  professeur  de  langue 
grecque  et  latine,  qui  s'engagea  à  venir  à  Bourges  avec  deux 
régents  '. 

Gomme  les  bâtiments  de  l'ancienne  école  étaient  insuffisants, 
on  y  joignit  le  prieuré  de  la  Comtal,  qui  dépendait  de  la  prévôté 
d'Évaux,  en  Combraille.  Le  titulaire,  Jean  Bidault,  doyen  de  l'é- 
glise de  Bourges,  renonça  à  ses  droits,  et  le  prévôt,  à  qui  la  col- 
lation appartenait,  exigea  seulement  qu'on  reçût  à  perpétuité, 
comme  boursiers,  deux  religieux  d'Évaux,  désignés  par  lui. 

2.  La  nouvelle  organisation  du  collège  fonctionnait  depuis 
quatre  ans  à  peine,  lorsque  M.  Niquet,  abbé  de  Saint-Gildas  et  de 
Méobec,  considérant  le  peu  d'avantage  que  Bourges  retirait  d'un 
établissement  doté  d'un  revenu  trop  modique,  résolut  de  lui 
donner  l'extension  que  méritait  l'importance  de  la  ville,  et  dy 
appeler  les  Jésuites  déjà  célèbres  par  leurs  œuvres  d'éducation. 
Jean  Niquet  avait  consumé  sa  vie  au  service  de  son  pays  et  de 
l'Église;  il  avait  été,  depuis  le  règne  de  Henri  II,  le  principal  in- 
termédiaire entre  la  cour  de  France  et  le  Saint-Siège.  Forcé  par 

1.  Testament  de  la  Bienheureuse  Jeanne  (Archives  Prov.  de  Fiance  :  Papiers  du 
président  Rolland).  Ces  papiers  furent  gracieusement  offerts,  il  y  a  quelques  années, 
au  R.  P.  Provincial  par  la  famille  d'Erceville.  Ils  sont  une  partie  des  documents  qui 
ont  servi  à  la  rédaction  des  Comptes  rendus  relatifs  aux  Établissements  des  Jésuites 
dont,  en  1762,  furent  chargés  par  la  Cour  du  Parlement  de  Paris  MM.  Rolland  d'Er- 
ceville, de  l'Averdy  et  Roussel  de  la  Tour.  (Cf.  Recueil  par  ordre  de  dates...  des 
Comptes  rendus  au  Parlement. ..  t.  VI,  p.  3). 

2.  Contrat  pour  la  charge  de  principal,  29  mars  1567/  (bid.). 


596  HISTOIRE  DE  LÀ  COMPAGNIE  ]>E  JÉSUS. 

l'âge  de  rentier  dans  la  vie  privée,  il  consacrait  ses  dernières 
années  à  la  pratique  de  la  prière  et  au  bien  de  sa  ville  natale. 
Il  partit  pour  Rome,  en  1571,  dans  le  dessein  de  s'entendre 
directement  avec  le  Père  Général,  et  revint  au  mois  d'octobre 
porteur  d'une  lettre  du  P.  Nadal  pour  le  P.  Edmond  Hay,  Pro- 
vincial de  France.  L'intention  de  M.  Niquet,  disait  le  P.  Vicaire, 
était  d'appliquer  le  revenu  de  ses  deux  abbayes  à  la  fondation 
d'un  collège,  et  il  devait,  à  son  passage  à  Paris,  traiter  de  cette 
affaire  avec  le  roi.  Un  mémorial,  qui  lui  avait  été  remis  à  son  dé- 
part de  Home,  indiquait  les  précautions  à  prendre  pour  que  tout 
fût  bien  réglé  selon  l'esprit  de  l'Institut.  Le  P.  Provincial  était 
prié  de  l'aider  de  ses  conseils  dans  la  marche  de  cette  affaire  '. 

Les  collèges  ouverts  par  la  Compagnie  de  Jésus  ne  pouvaient 
avoir  partout  une  égale  importance  :  elle  dépendait  des  circons- 
tances de  lieu  et  de  temps  dans  lesquelles  ils  se  trouvaient  placés. 
En  1564,  le  P.  Lainez  partagea  les  collèges  en  trois  classes  :  les 
petits,  les  moyens  et  les  grands-.  Les  premiers,  dans  lesquels  on 
n'enseignait  que  les  lettres  humaines,  devaient  comprendre  au 
moins  vingt  religieux,  —  prêtres,  scolastiques  (professeurs  ou  étu- 
diants), coadjuteurs,  —  chargés  du  gouvernement,  des  fonctions 
du  ministère,  de  l'enseignement  ou  des  intérêts  matériels  de  la 
maison.  Les  collèges  moyens,  où  l'on  enseignait  aussi  les  cas  de 
conscience,  comprenaient  au  moins  trente  religieux,  et  cinquante 
s'il  y  avait  un  cours  de  philosophie'.  Dans  les  grands  collèges, 
composés  d'au  moins  soixante-dix  religieux,  on  ajoutait  à  l'en- 
seignement des  lettres  et  de  la  philosophie  celui  de  la  théologie 
et  de  l'Écriture  Sainte4. 

D'après  une  lettre  du  P.  Gogordan.  c'était  un  grand  collège 
que  M.  Niquet  avait  l'intention  d'établir  à  Bourges.  Aussitôt  après 
son  retour  de  Rome,  il  en  parla  au  roi  qui  donna  tout  de  suite 
plein  consentement.  Mais  le  conseil  privé,  écrit  le  P.  Gogordan  au 
P.  Général,  «  se  conduisit  à  son  égard  d  une  manière  indigne;  on 
le  renvoya  aux  cinq  présidents  du  Parlement  de  Paris,  et  comme 

1.  Lettre  du  4  octobre  1571  (Gall.,  Epist.  General.,  t.  V). 

2.  Institut.,  t.  H,  p.  214. 

3.  Comme  nous  l'avons  dit  au  sujet  des  scolasticats,  c'était  surtout  dans  les  moyens 
et  grands  collèges  que  se  trouvaient  les  scolastiques  élèves  pour  y  suivre  les  cours 
de  philosophie  et  de  théologie. 

4.  Plus  tard,  après  la  cinquième  congrégation  générale,  le  P.  Aquaviva  exigea  poul- 
ies contrées  cisalpines  de  30  à  40  religieux  dans  les  petits  collèges,  de  60  à  80  dans 
les  moyens,  et  100  dans  les  grands.  Le  revenu  annuel,  proportionné  au  nombre  des 
religieux,  fut  fixé  ainsi  :  10.000  livres  de  revenu  pour  les  petits;  —  15.000  pour  les 
moyens;  —  20.000  pour  les  grands. 


FONDATION  Dl    COLLEGE  DE  BOl  RGES.  597 

ceux-ci  se  trouvaient  alors  à  la  cour,  on  les  pria  de  donner  une 
réponse  négative.  Depuis  le  départ  de  votre  Paternité,  on  ;i  ré- 
pandu le  bruit  que  les  Jésuites  voulaient  accaparer  tous  les  bé- 
néfices de  France;  aussi  le  Parlement  et  le  conseil  privé  sont-ils 
décidés  à  refuser  toute  union  de  bénéfice  à  n'importe  quel  col- 
lège '  ». 

Les  offres  généreuses  de  M.  Niquet  furent  heureusement  mieux 
acceptées  par  les  maire  et  échevins  de  Bourges.  Dans  un  traite  <lu 
15  octobre  15  72,  l'abbé  de  Saint-Gildas  proposa  de  donner  une 
somme  de  douze  cent  cinquante  livres  de  rente  pour  l'entretien 
du  collège;  de  céder  pour  l'augmentation  des  bâtiments  un  corps 
de  logis  avec  cour  et  jardin,  à  lui  appartenant,  proche  le  prieuré 
de  la  Comtal;  de  le  réparer  et  meubler,  et  même  de  faire  tous  les 
frais  pour  obtenir  du  Saint-Siège  les  Bulles  nécessaires.  Les 
maire  et  échevins  offrirent  de  leur  côté  de  contribuer  à  l'établis- 
sement des  Jésuites  par  une  rente  de  cinq  cent  cinquante  livres, 
dont  ils  pourraient  néanmoins  se  décharger  un  jour,  si  le  collé-. j 
parvenait  à  posséder  de  plus  grands  revenus,  soit  par  des  bien- 
faits particuliers,  soit  de  toute  autre  manière2. 

Le  P,  Edmond  Hay,  averti  de  ce  projet,  se  rendit  à  Bourges  à 
la  demande  des  parties  intéressées.  Il  y  eut  une  première  réunion 
au  palais  archiépiscopal,  le  26  février  1573.  Un  acte  fut  dressé 
par  lequel  l'abbé  Niquet  laissait  aux  Jésuites,  le  Provincial  pré- 
sent et  acceptant,  sept  cents  livres  de  rente,  et  de  plus  neuf  mille 
livrés  comptant  pour  la  construction  et  l'ameublement  du  collège, 
auquel  il  annexait  le  corps  de  logis  dont  nous  avons  parlé  plus 
haut.  Les  maire  et  échevins  s'engagèrent  au  paiement  annuel  des 
cinq  cent  cinquante  livres  qu'ils  avaient  offertes.  Le  P.  Provin- 
cial s'obligea  à  envoyer  huit  régents,  trois  pour  la  philosophie  et 
cinq  pour  les  lettres  grecques  et  latines,  et  promit  de  faire  rati- 
fier le  tout  par  le  P.  Général".  Dans  une  seconde  assemblée,  le 
2  mai  suivant,  on  confirma  le  traité  du  26  février;  de  plus,  on 
stipula  que  les  prébendes  préceptoriales  seraient  appliquées,  du 
consentement  des  chapitres,  aux  prêtres  et  étudiants  delà  Compa- 
gnie de  Jésus.  Pour  ce  qui  concernait  les  revenus  du  prieuré  de 
la  Comtal  et  du  collège  Sainte-Marie,  on  prierait  M"'  l'archevêque 
<lc  solliciter  auprès  du  roi  et  du  Saint-Siège  leur  union  au  nou- 
veau collège  ''. 

1.  Gall.  Epislolae,  t.  Vï,  fol.  18,  19,  20. 

2.  Second  contrat  (Archiv.  du  Cher,  D,  34,  fol.  28,  29,  34). 

3.  Troisième  contrat    Archiv.  du  Cher,  D,  3i,  fol.  35,  39). 

4.  Quatrième  contrat  (Archiv.  du  Cher,  D,  3i,  fol.  10,  50). 


598  HISTOIRE  DE  EA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

Le  10  mai,  l'archevêque  de  Bourges,  Mgr  Antoine  Vialart, 
donna  son  consentement,  et  le  28  du  même  mois,  Charles  IX  ac- 
corda des  lettres  patentes.  Le  Parlement  ayant  fait  quelques  dif- 
ficultés pour  les  enregistrer,  il  en  fut  expédié  de  nouvelles  le 
8  octobre,  mais  adressées  seulement  au  bailli  du  Berry,  lequel 
mit,  le  9  décembre  1573,  les  Jésuites  en  possession  du  collège  et 
des  revenus  qui  y  étaient  attachés,  à  l'exception  de  la  première 
dotation  de  l'école  Sainte-Marie,  car  Marguerite  de  France,  du- 
chesse de  Savoie  et  de  Berry,  avait  formé  une  opposition  dont 
l'instance  était  encore  pendante  en  la  cour1. 

Toutefois  l'archevêque  n'avait  donné  son  consentement  qu'à 
certaines  conditions  qui,  mal  interprétées,  auraient  pu  paraître 
inacceptables.  Le  collège  devait  être  soumis  à  sa  Visitation  et 
obéissance,  et  placé  sous  la  direction  du  recteur  de  l'Univer- 
sité, à  laquelle  il  serait  incorporé  et  dont  il  devrait  observer 
les  statuts.  Les  Pères  ne  pourraient,  sans  l'autorisation  du  pré- 
lat, prêcher,  administrer  les  sacrements  «  et  faire  autres  fonc- 
tions ecclésiastiques  »  ;  enfin  ils  recevraient  des  enfants  en 
pension2. 

Le  P.  Auger,  qui  prêchait  à  Bourges  l'avent  de  1573,  ne  sem- 
blait pas  considérer  ces  conditions  comme  incompatibles  avec 
l'Institut;  néanmoins,  dans  les  lettres  qu'il  écrivit  alors  au  P.  Gé- 
néral, il  s'efforça  de  lui  en  atténuer  la  portée,  afin  de  les  rendre 
plus  acceptables  :  «  Puisque  les  poincts  d'importance  sont  vuidés 
libéralement,  dit-il,...  je  croi  que  vous  ne  ferés  difficulté  de  per- 
mettre qu'il  y  ait  ici  des  pensionnaires  à  la  mode  de  Turin  ou 
environ;  quant  à  la  jurisdiction  de  l'archevesque,  ce  n'est  que 
suivant  le  concile  [de  Trente],  chose  qui  se  passera  mieux  dans 
peu  d'années;  et  l'Université  [nous]  faict  instance  d'estre  comme 
les  premiers  d'icelle,  suivant  l'incorporation,  sans  aucune  charge 
répugnante  à  nostre  estât'...  Et  quant  à  mettre,  comme  on  l'avoit 
mis  au  contrat,  que  nous  ferons  gratis  nos  exercices,  je  confesse 
bien  qu'il  y  eust  falu  joindre  suivant  leurs  constitutions;  mais 
puisque  le  bon  P.  Hayus  Publia,  ne  vous  arrestés  à  cela,  mon 
Père,  car  nous  aurons,  dans  deux  ans,  toutes  les  déclarations 
que  vous  souhaiterés  de  ces  petits  accessoires  qui  ne  doivent  al- 
térer le  principal  ''.  » 


1.  Archiv.  du  Cher,  D,  34,  fol.  70,  73,  76,  80. 

2.  Collegium  Bituricense  (Francia,  Hisl.  fundat.,  n.  lui. 

3.  Lettre  du  31  décembre  1573  (Gall.  Epist.,  t.  VIII,  fol.  349). 

4.  Lettre  du  31  janvier  1574  [Ibid.,  fol.  12). 


FONDATION  DU  COLLÈGE  DE  BOI  RGES  .!,90 

3.  Différentes  circonstances  empêchèrent  la  Compagnie  d'i- 
naugurer immédiatement  le  collège  de  Bourges.  Deux  années 
s'écoulèrent  avant  l'arrivée  des  Pères  et  l'ouverture  des  classes. 
On  profita  de  cet  intervalle  pour  régler  définitivement  les  affaires 
encore  pendantes.  La  duchesse  de  Savoie  et  Berry,  qui  s  était 
d'abord  opposée  à  la  réunion  du  collège  de  Sainte-Marie  à  celui 
des  Jésuites,  donna  son  consentement  par  un  acte  du  1(>  avril 
J5741.  Grégoire  XIII,  par  la  Bulle  Sahatoris  et  Domini,  du 
15  juillet  de  la  même  année,  sanctionna  tous  les  arrangements 
précédents  et  en  confia  l'exécution  aux  officialités  de  Bourges, 
de  Lyon  et  d'Orléans.  Le  4  mars  1575,  Henri  III  accorda  de  nou- 
velles lettres  patentes  confirmatives  de  celles  de  Charles  IX.  Mais 
ces  lettres  et  la  Bulle  du  Souverain  Pontife,  présentées  à  la  cour, 
rencontrèrent  une  vive  opposition.  Pressé  par  les  instances  de 
l'archevêque  et  des  échevins  de  Bourges,  le  roi  adressa  au  Par- 
lement, le  28  juin  de  la  même  année,  de  nouvelles  lettres  pa- 
tentes en  forme  de  jussion,  par  lesquelles  il  ordonnait  l'enregis- 
trement des  précédentes;  il  décorait,  en  outre,  le  collège  de 
Sainte -Marie  du  titre  de  collège  royaL  comme  ayant  été  fondé 
par  une  Fille  de  France.  Tous  ces  actes  furent  enfin  vérifiés  le 
3  août  1575 '. 

Rien  ne  s'opposant  plus  désormais  à  l'ouverture  des  classes,  le 
P.  Provincial  s'empressa  d'envoyer  un  personnel  choisi  et  capable 
de  donner  une  heureuse  impulsion  à  cette  œuvre  importante.  Le 
P.  Bernardin  Castori,  destiné  à  devenir  le  premier  Recteur,  prit  , 
les  devants  afin  de  préparer  le  logis  ;  il  fut  bientôt  suivi  du  P.  Jean 
Arnoult,  comme  procureur,  et  des  P.  Vêla  et  Olivier  qui  devaient 
joindre  au  professorat  le  ministère  de  la  confession.  A  tous  les 
degrés  de  l'enseignement  le  P.  Claude  Mathieu  voulait  placer  des 
hommes  de  valeur  :  «  Le  P.  Michel  Coyssard,  écrivait-il  au 
P.  Général,  y  pourra  aller  pour  préfet  des  études,  le  P.  Robert 
qui  vient  de  Bordeaux  ou  maître  Noël  pour  théologien,  le  P.  Pierre 
de  la  Rue  pour  philosophe,  le  P.  Didier  pour  rhétoricien,  Mc  An- 
toine Mesnage  pour  second.  Quant  aux  autres  classes  nous  y  pour- 
voyons le  myeux  qu'il  sera  possible  3.  » 

Le  30  août,  l'abbé  Niquet,  afin  «  de  demeurer  quitte  »  des 
sommes  et  rentes  promises  par  lui  au  contrat,  donna  «  par  une 
donation  irrévocable  et  entre  vifs  au  collège  de   Bourges...  le 

1.  Papiers  Rolland  (Arch.  prov.  France). 

1.  Archiv.  du  Cher,  D,  3i,  fol.  51,  60,  83,  84,  8:.. 

3.  Lettre  du  P.  Mathieu  au  P.  Général,  28  août  1575  (Gall.  Epist.,  I.  IX,  fol.  72,  73 


GOO  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÈSI  S. 

lieu  seigneurial  de  Lazenai...,  le  lieu  et  Seigneurie  de  Pisseloup 
et  Yaubut...,  le  domaine  de  Prouziers...,  quatre  arpens  de  pré, 
deux  mille  livres  en  argent  comptant,  et  généralement  tous  ses 
biens  meubles  et  immeubles  à  la  réserve  de  ceux  dont  il  avait 
disposé  au  profit  d'Hippolyte  Niquet,  son  neveu  ».  L'abbé  y  met- 
tait comme  conditions  que  les  Jésuites  paieraient  une  pension 
viagère  de  cinq  cents  livres  à  Philippe  Niquet,  son  autre  neveu, 
et  une  autre  de  trente  livres  à  Marie  Niquet,  sa  sœur,  religieuse 
aux  Annonciades;  que  le  collège  serait  toujours  gouverné  par 
les  Pères  de  la  Compagnie,  sinon  tout  ce  qui  avait  été  donné  par 
lui  devait  retourner  au  collège  de  Glermont  ou  être  remis  à  l'en- 
tière disposition  du  P.  Général  pour  l'utilité  des  autres  collèges 
du  royaume1. 

A  peine  installés  à  Bourges,  les  Pères  de  la  Compagnie  s'étaient 
mis  à  l'œuvre  avec  ardeur,  et  leurs  débuts  prospères  acquirent 
bientôt  au  collège  une  renommée  qu'il  n'avait  pas  connue  jus- 
que-là. Moins  de  deux  ans  après  l'ouverture  des  classes,  le  P.  Cas- 
tori  pouvait  annoncer  au  P.  Général,  le  12  avril  1577,  qu'elles 
comptaient  déjà  quatre  cents  élèves  faisant  de  rapides  progrès 
dans  les  lettres  et  la  piété  :  «  Nous  avons  l'espoir,  ajoutait-il,  de 
voir  toute  la  ville  transformée  par  leurs  bons  exemples-.  »  La 
présence  du  P.  Maldonat  ajoutait  encore  à  la  réputation  des  nou- 
veaux maîtres.  Sur  la  demande  de  l'abbé  Niquet,  il  consentit  à 
prêcher  dans  l'église  de  la  Compagnie  quelques  sermons  sur  la 
tfoi,  auxquels  assistèrent,  en  grand  nombre,  les  professeurs  et  les 
étudiants  de  l'Université  et  les  principaux  habitants  de  la  ville. 

Afin  de  consolider  l'établissement  du  collège  de  Bourges,  il 
parut  opportun  de  l'incorporer  à  l'Université.  La  Faculté  des  arts 
n'y  fit  aucune  opposition,  et  l'agrégation  eut  lieu  le  24  octobre 
1575 :>.  Les  Jésuites  devaient  se  conformer  à  l'arrêt  du  Parlement 
de  Paris  du  13  août  précédent  :  en  conséquence  ils  promirent  de 
n'exiger  aucun  droit  de  ceux  qui  se  présenteraient  pour  obtenir 
le  degré  de  Maître  es  arts,  de  subir  tous  les  examens,  et  de  faire 
tous  les  exercices  auxquels  étaient  soumis,  suivant  les  statuts  de 
l'Université,  tous  les  candidats  au  titre  de  Docteur  '*. 

4.  L'Université  de  Bourges,  restaurée  au  mois  de  décembre 
1463  par  lettres  patentes  de  Louis  XI,  que  le  Pape  Pie  II  confirma 

1.  Acte  de  donation    Papiers  Rolland). 

2.  Gall.  Epist.,  I.  XI,  fol.  376. 

3.  L'agrégation  à  la  Faculté  de  théologie  n'eut  lieu  qu'en  1630. 

4.  Papiers  Rolland. 


MALDONAT  AU  COLLEGE  DE  BOI  RGES.  601 

le  12  décembre  de  la  même  année,  était  surtout  célèbre  par  l'en- 
seignement du  droit.  Elle  forma  uoe  école  de  jurisconsultes,  pleins 
de  mépris  pour  le  droit  canonique,  qui  donnèrent  à  la  législation 
moderne  cet  esprit  d'indépendance  que  les  protestants  avaient 
introduit  dans  la  religion.  Le  fameux  Cujas  y  occupait,  pour  la 
seconde  fois,  une  chaire  de  droit  civil,  au  moment  où  le  I*.  Mal- 
donat  se  retira  au  collège  Sainte-Marie.  Bourges  pouvait  ainsi  se 
glorifier  de  posséder  deux  des  plus  savants  hommes  qui  fussent 
alors  en  Europe.  Voué  par  sa  vocation  au  maintien  et  à  la  propa- 
gation de  la  foi  catholique,  Maldonat  n'avait  cessé  de  lutter  contre 
le  protestantisme.  Cujas,  lui,  n'eut  jamais  de  convictions  reli- 
gieuses :  catholique  de  naissance,  protestant  par  dépit,  converti 
par  intérêt,  il  garda  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  une  espèce  de  neu- 
tralité entre  la  vérité  et  l'erreur.  Quand  on  lui  demandait  son 
opinion  sur  les  affaires  religieuses  du  temps,  il  avait  coutume 
de  répondre  d'une  manière  évasive  :  Nihil  hoc  ad  edictum  prae- 
toris,  affectant  de  ne  s'occuper  que  de  jurisprudence. 

L'illustre  jurisconsulte  rechercha  l'amitié  du  grand  théologien. 
Pour  rendre  hommage  au  talent  du  professeur  du  collège  de 
Clermont,  qui  avait  su  réunir  autour  de  sa  chaire  une  foule  im- 
mense d'auditeurs,  le  professeur  de  la  Faculté  de  Bourges  lui  fit 
visite  à  la  tête  de  ses  huit  cents  élèves.  Maldonat  répondit  à  ces 
prévenances,  un  peu  vaniteuses,  par  d'ordinaires  témoignages 
d'estime  et  de  politesse.  On  conçoit  qu'une  intime  union  ne  pou- 
vait exister  entre  ces  deux  hommes  animés  de  vues  si  différentes. 
Il  était  même  facile  de  prévoir  que,  le  jour  où  ils  se  rencontre- 
raient sur  le  terrain  de  la  foi,  ils  se  feraient  une  vigoureuse  op- 
position. Le  démêlé  éclata  plus  tard,  et  sera  exposé  en  son  lieu  \. 
Contrairement  à  l'affirmation  de  plusieurs  historiens,  Maldonat 
n'a  jamais  enseigné  à  Bourges  -;  mais  il  y  a  élevé  le  monument  le 
plus  solide  de  sa  gloire.  Livré  depuis  vingt  ans  à  une  étude  con- 
tinuelle de  l'Écriture  Sainte,  il  avait  déjà  rédigé  de  nombreuses 
notes  sur  tous  les  livres  de  la  Bible;  le  temps  seul  lui  avait  man- 
qué jusqu'alors  pour  coordonner  en  corps  d'ouvrages  les  résultats 
de  ses  travaux.  Grâce  au  repos  forcé  que  lui  procurèrent  ses  en- 
nemis, il  put,  durant  son  séjour  à  Bourges,  composer  la  plus 
grande  partie  de  ses  Commentaires  sur  les  Évangiles,  ouvrage 

1.  Abram,  Histoire  de  V Université  de  Pont-à-Mousson  (Carayon,  Doc.  inédits, 
V,  p.  121).  —  Cf.  Berriat  Saint-Prix,  Histoire  de  Cujas,  a  la  suite  de  son  Histoire 
(In  droit  Romain. 

2.  Il  écrit  au  P.  Général  à  la  date  du  14  octobre  1577  :  «  In  schola  publica  hujus 
urbis,  etsi  saepe  rogatus  sum,  nunquam  docui  »  (Gall.  Enist.,  t.  XI,  fol.  .T" 


602  HISTOIRE  l>E  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

remarquable  où  il  a  laissé  les  traces  les  plus  profondes  de  son  zèle 
et  de  sa  science. 

Le  principe  du  libre  examen,  qui  soumettait  aux  lumières  de  la 
raison  individuelle  les  mystères  de  la  foi,  devait  nécessairement 
amener  les  protestants  à  traiter  avec  la  même  indépendance  les 
Saintes  Ecritures,  c'est-à-dire  à  admettre  certains  livres,  à  rejeter 
les  autres  et  à  les  interpréter  tous  arbitrairement  :  «  Les  héréti- 
ques, dit  le  P.  Maldonat  dans  sa  préface,  ont  l'habitude  non  d'ad- 
mettre mais  de  faire,  non  de  recevoir  mais  de  donner  l'Évangile; 
et  aujourd'hui,  si  Calvin  l'avait  jugé  à  propos,  nous  n'aurions  plus 
les  quatre  Évangiles,  puisqu'il  pouvait  aussi  bien  les  rejeter  que 
d'autres  livres  adoptés  par  l'Église1.  »  Il  pose  donc  en  principe 
que  l'Église  seule  peut  donner  aux  Saintes  Lettres  leur  autorité, 
«  à  peu  près,  dit-il,  comme  un  chancelier  donne  l'autorité  aux 
ordonnances  du  roi  en  déclarant,  par  l'apposition  de  son  sceau, 
qu'elles  descendent  du  trône...  C'est  l'Église  et  non  Calvin  qui 
garde  les  sceaux  du  Seigneur;  c'est  à  elle  et  non  à  Calvin,  que  le 
Saint-Esprit  a  été  promis  et  envoyé  pour  rester  avec  elle  jusqu'à 
la  fin  des  siècles...  C'est  cet  Esprit  divin  qui,  après  avoir  dicté  les 
quatre  Évangiles,  nous  déclare  par  l'Église  qu'il  les  a  dictés-  ». 
Et  Maldonat  en  conclut  que  les  hérétiques,  parce  qu'ils  sont  hors 
de  l'Église,  ne  peuvent  comprendre  le  vrai  sens  des  Écritures. 

Défendre  la  doctrine  catholique  contre  l'hérésie,  tel  est  le  but 
qu'il  se  propose  dans  ses  Commentaires  tout  d'actualité.  Mais  il 
aime  trop  l'Église  de  Jésus-Christ  pour  la  défendre  avec  mollesse; 
il  se  montre  pressant,  chaleureux,  sans  pitié,  quand  il  poursuit 
ceux  qui  se  donnent  la  mission  de  la  combattre  ;  et  s'il  vient  à 
craindre  qu'on  accuse  sa  vigueur  de  dureté,  il  s'excuse  en  indi- 
quant l'esprit  qui  l'anime  :  «  Ce  n'est  point  dans  une  pensée  de 
mépris,  dit-il,  que  nous  avons  émis  ces  réflexions;  elles  nous  ont 
été  dictées  par  le  désir  d'avertir  les  hérétiques,  afin  que  s'il  en  est 
encore  que  l'incrédulité  n'ait  pas  tout  à  fait  endurcis,  ils  revien- 
nent à  résipiscence  !.  » 

Afin  de  ne  pas  donner  prise  aux  réclamations  des  protestants 
contre  le  sens  allégorique,  et  de  flétrir  plus  à  l'aise  leur  intempé- 
rante exég'èse,  Maldonat  s'attache  uniquement  au  sens  littéral  des 
livres  sacrés7'.  Il  s'arrête  surtout  aux  passages  que  les  hérétiques 

1.  Praef.  inlV  Evcnig.,  c.  n.  —  2.  Ibidem. 

3.  In  Matth.,  c.  xxvi,  v.  2C. 

4.  «  Nous  cherchons,  dit-il,  non  les  allégories,  mais  le  sens  propre  et  littéral  de  l'E- 
criture »  {Ibid..  v.  51). 


MALDONAT  Al1  COLLÈGE  DE  BOURGES.  603 

ont  coutume  de  citer  à  l'appui  de  leurs  erreurs,  et,  sans  sortir  du 
texte,  il  renverse  les  prétentions  des  adversaires  et  établit  la 
vérité  des  dogmes  catholiques.  Toutes  les  questions  importantes 
de  la  théologie  sont  traitées  dans  son  ouvrage;  il  suffirait  <l< 
ranger  ses  lumineuses  explications  clans  un  ordre  méthodique, 
pour  en  former  un  cours  complet  de  controverse  d'après  l'Évan- 
gile. 

Publiés  seulement  après  la  mort  de  l'auteur,  les  Commentaires 
sur  les  quatre  Évangiles  1  reçurent,  dès  leur  apparition,  le  témoi- 
gnage de  l'admiration  universelle,  et  les  éloges  que  leur  rendit 
le  xvic  siècle  furent  confirmés  par  les  siècles  suivants.  «  Les 
quatre  évangiles,  dit  le  P.  de  la  Vie,  sont  tous  quatre  si  excel- 
lemment commentés  et  expliqués  que  MM.  le  cardinal  du  Perron 
et  Coeffeteau,  évêque  de  Marseille,  les  deux  fléaux  de  la  doc- 
trine hérétique  et  des  ministres  de  Calvin,  m'ont  dit  souvent 
qu'ils  ne  croyaient  pas  que  depuis  les  apôtres  il  y  eût  docteur 
aucun  en  l'Église  catholique  qui  eût  si  bien  entendu  le  sens  lit- 
téral du  texte  évangéliqne  que  Maldonat  en  ses  Commentai- 
res'-. »  Pour  le  Nouveau  Testament,  disait  Bossuet,  «  Maldonat  sur 
les  Évangiles  et  Estius  sur  Saint  Paul  sont  instar  omnium''  ». 
Bayle  lui-même  ne  peut  s'empêcher  de  souscrire  aux  louanges 
données  à  Maldonat4.  Il  s'est  aussi  rencontré  des  écrivains  pro- 
testants assez  impartiaux  pour  rendre  justice  au  savant  inter- 
prète. Reimmann,  entre  autres,  reconnaît  dans  les  Commen- 
taires, avec  un  jugement  exact  et  solide,  une  remarquable 
intelligence  des  langues  et  des  choses5.  De  nos  jours,  où  l'exé- 
gèse biblique  a  fait  tant  de  progrès,  des  hommes  compétents 
n'hésitent  pas  à  avouer  que  Maldonat  avait  déjà  fixé  les  règles 
et  atteint  les  dernières  limites  de  cette  science.  Aussi,  Conrad 
Martin,  évêque  de  Munster,  en  réduisant  les  Commentaires  aux 
proportions  d'un  manuel  à  l'usage  des  jeunes  ecclésiastiques, 
disait-il  dans  sa  préface  :  «  Les  Commentaires  de  Maldonat  sur 
les  quatre  Évangiles  sont  vénérés,  dans  presque  toute  l'Église. 

1.  La  meilleure  édition  est  celle  de  1607  publiée  à  Lyon  par  le  P.  Pierre  Madur.  Il 
ajouta  aux  Commentaires  des  notes  philologiques,  critiques  et  historiques.  —  Cf. 
Sommervogel,  Bibl.  de  la  Compagnie  de  Jésus,  t.  V,  col.  280,  n.  4. 

2.  Mémoires  apologétiques.  Cf.  Joly,  Observations  sur  le  diction.  de  Bayle.  au 
mot  Maldonat. 

3.  Cité  par  Floquet,  Études  sur  la  Vie  de  Bossuet,  t.  II,  p.  520. 

4.  Diction,  fnst.  et  crit..  art.  Maldonat. 

5.  Catalog.  Biblioth.  Ilwolog.  systemat.  critic,  t.  I,  p.  285.  —Déjà  avant  Reim- 
mann, Richard  Simon  avait  dit  :  «  Il  y  en  a  peu  qui  aient  expliqué  avec  tant  de  soin  et 
même  avec  tant  de  succès  le  sens  littéral  des  Évangiles  que  Jean  Maldonat  »  I  Hist. 
critiq.  des  princip.  comment,  du  /V.  T..  ch.  42). 


(504  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  l>E  JÉSUS. 

comme  le  plus  cligne  monument  des  plus  beaux  temps,  et  ils 
jouiront  toujours,  je  n'en  doute  pas,  de  la  même  considération  l.  » 
Tel  est  l'ouvrage  dont  l'importance  et  la  valeur  manifestes  nous 
empêchent  de  regretter  et  l'exil  de  l'ancien  professeur  de  Paris, 
et  son  silence  au  collège  de  Bourges.  Plus  tard,  bien  des  person- 
nages célèbres  séjourneront  dans  cet  établissement,  qui  sera 
l'un  des  plus  considérables  de  la  Province  de  France  :  aucun 
d'eux  ne  surpassera  en  renommée  le  premier  et  le  plus  savant 
de  ses  hôtes. 

5.  N'est-ce  point  aux  heureux  résultats,  déjà  palpables,  de  l'en- 
seignement théologique  donné  dans  la  Compagnie  de  Jésus  par 
des  hommes  comme  Maldonat,  qu'il  faut  attribuer  la  tendance, 
très  marquée  à  cette  époque,  à  offrir  de  tous  côtés  aux  disciples 
de  saint  Ignace  des  collèges  de  plein  exercice  ou  même  des  Uni- 
versités? Tandis  que  l'abbé  de  Saint-Gildas  négociait  à  Bourges 
pour  assurer  à  son  pays  natal  le  bienfait  des  hautes  études,  un 
autre  soutien  de  l'orthodoxie,  le  cardinal  de  Lorraine,  s'occupait 
au  nord-est  du  royaume,  à  fonder  l'Université  de  Pont-à-Mousson. 

La  Lorraine,  depuis  l'époque  où  elle  avait  reçu  la  foi  catholique 
jusqu'au  milieu  du  xvie  siècle,  s'était  toujours  conservée  pure 
de  toute  hérésie.  Le  Martyrologe  huguenot  constate  que  «  de 
toutes  les  contrées  de  l'Europe,  [elle]  est  celle  que  Dieu  a  le  moins 
comblée  de  ses  grâces  spirituelles,  soit  à  cause  de  l'impiété  du 
peuple,  voué  en  proie  à  l'idolâtrie  [papiste],  soit  à  cause  de  l'in- 
justice des  magistrats,  soit  par  d'autres  raisons  que  Dieu  connaît 
et  qui  l'ont  porté  à  exercer  envers  cette  nation  la  rigueur  de  ses 
jugements  2  ».  Cependant,  en  155*2,  le  venin  des  nouvelles  doctri- 
nes s'étant  insinué  dans  la  ville  de  Pont-à-Mousson,  les  déserteurs 
de  la  vraie  foi  essayèrent  d'obtenir  du  duc  de  Lorraine  l'autori- 
sation de  vivre  librement  dans  leur  apostasie.  Ils  firent  même 
appuyer  leur  requête  par  l'électeur  palatin,  le  landgrave  de  Hesse 
et  le  duc  de  Wurtemberg.  Charles  III  refusa  de  les  entendre  : 
«  Je  n'empêche  point  vos  compatriotes,  leur  fit-il  savoir,  d'em- 
brasser la  religion  de  leurs  seigneurs;  je  prie  donc  ces  mêmes 
seigneurs  de  ne  point  trouver  mauvais  que  je  conserve  à  mes  su- 
jets  leur  religion,  qui  est  la  mienne  3.  »  Cette  courageuse  fermeté 

1.  Aberlé,  Tlteologische  Quartalschrift,  35e  année,  n"  1.  L'auteur  donne  un  compte 
rendu  très  détaillé  de  l'édition  des  Commentaires  par  Conrad  Martin. 

2.  Martyrologe  huguenot,  p.  603. 

3.  Abram,  Hist.  de  l'Université  de  Pont-à-Mousson  (Carayon,  Doc.  inéd.,  V,  6  . 
L'auteur  de  cette   notice  est  le  P.  Nicolas  Abrani,  le  commentateur  de  Virgile  et  de 


FONDATION  DE  L'UNIVERSITE  DE  PONT-A-MOUSSON.  603 

désespéra  les  tentatives  plusieurs  fois  renouvelles  des  novateur-*. 
Ils  se  retirèrent  dans  le  Palatinat,  chez  le  prince  de  Deux-Ponts, 
à  Strasbourg,  et  à  Metz  qui  était  passée  sous  la  domination  fran- 
çaise. 

Dans  cette  dernière  ville,  les  huguenots  avaient  obtenu,  en  1 561 , 
la  faculté  do  se  réunir,  d'écrire  et  de  prêcher;  ils  jouirent  de  cette 
liberté  jusqu'en  1569,  époque  à  laquelle  le  cardinal  de  Lorrain» 
soutenu  par  Henri  de  Guise,  M.  de  Vieilleville  et  le  roi  de  France, 
mit  un  terme  à  leurs  entreprises.  Mais  Charles  IX  manqua  de  cons- 
tance dans  la  répression  :  «  Un  mois  s'était  à  peine  écoulé  qu'il 
permettait  aux  réformés  du  village  de  Portieux  de  célébrer  selon 
leur  rit  les  mariages  et  les  baptêmes,  et  l'année  suivante  il  éten- 
dit encore  cette  concession  au  village  le  plus  voisin  '.  »  Le  cardi- 
nal de  Lorraine,  déplorant  amèrement  cette  impolitique  faiblesse 
et  voulant  y  remédier,  forma  le  projet  d'ouvrir  à  Metz  un  collège 
catholique  sous  la  direction  des  Pères  de  la  Compagnie  -  :  «  Ce 
collège,  écrivait-il  en  1571  au  P.  François  de  Borgia.  procurera 
de  grands  avantages  à  toute  l'Église,  fortifiera  dans  la  foi  le  dio- 
cèse de  Metz,  et  conservera  dans  le  service  de  Dieu  la  maison  de 
Lorraine  dont  tous  les  descendants  se  regarderont  comme  vos 
enfants  adoptifsen  Notre-Seigneur.  Les  Guise,  du  reste,  s'honorent 

déjà  de  vous  être  unis  par  les  liens  du  sang  :! »  La  proposition 

ayant  été  bien  reçue  à  Rome,  le  P.  Manare,  Provincial  de  France, 
se  rendit  à  Reims  où  l'avait  appelé  le  cardinal-archevêque,  et  tous 
deux  partirent  pour  Me«tz  afin  de  choisir  un  emplacement  \  On 
n'avait  tenu  aucun  compte  des  alarmes  des  réformés  ;  ils  portèrent 
leurs  plaintes  à  la  cour  et  parvinrent  à  influencer  le  faible 
Charles  IX.  Au  moment  où  tout  semblait  sur  le  point  de  réussir, 
une  lettre  du  P.  Nadal  avertit  le  P.  Auger  que  le  roi  s'était  opposé 
à  la  fondation  d'un  collège  de  la  Compagnie  à  Metz   '. 

Cicéron.  Né  à  Xaronval  en  Lorraine,  en  1580,  entré  au  noviciat  en  1606,  mort  en 
1655,  il  professa  la  rhétorique  puis  la  théologie  à  Pont-à-Mousson  où  il  occupa  cett<- 
dernière  chaire  pendant  17  ans.  11  eut  pour  écrire  son  histoire,  qu'il  commença  vers 
1651,  les  archives  de  la  maison  et  reçut  des  archives  générales  de  Rome  copie  des 
pièces  officielles  les  plus  importantes.  Son  travail  inachevé,  incomplet,  rempli  de  lon- 
gueurs, est  cependant  un  utile  recueil  de  matériaux.  Le  meilleur  ouvrage  sur  l'Univer- 
sité de  Pont-à-Mousson  est  celui  de  l'abbé  Eug.  Martin  qui  a  mis  en  œuvre  avec  une 
rare  érudition  les  documents  que  lui  offraient,  nombreux,  les  archives  et  bibliothèques 
de  Nancy.  (Cf.  l'abbé  Eugène  Martin,  L'Université  de  Pont-à-Mousson,  Paris,  Nancy, 
1891.) 

1.  Ibid.,  p.  9. 

2.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Gén.,  19  oct.  1570  (Gall.  Epist.,  t.  V.  p.  85  . 

3.  Galliarum  monumenla,  t.  1565-1604,  n.  147. 

4.  Lettre  du  P.  Manare  au  P.  Gén.,  7  juillet  1571  (Gall.  Epist.,  t.  V.  f.  227-230  . 

5.  Lettre  du  9  oct.  1571  (Gall.  Epist.,  t.  V,  f.  203). 


606  HISTOIRE  l»E  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSI  S. 

(i.  C'est  alors  que  le  cardinal  de  Lorraine  fit  agréer  au  duc 
Charles  III  le  projet  d'érection  d'une  Université  à  Pont-à-Mousson. 
Il  en  parla  au  P.  François  de  Borgia  durant  son  séjour  à  Blois,  en 
l.">72;  mais  le  P.  Général,  tout  en  accueillant  favorablement  cette 
communication,  ne  voulut  prendre  aucun  engagement1.  Le 
pape  Pie  V  étant  mort  sur  ces  entrefaites,  le  cardinal  vint  à  Rome 
pour  l'élection  de  son  successeur.  Dans  une  de  ses  visites  au  col- 
lège Romain,  il  fut  reçu  par  le  P.  Nadal,  Vicaire  général,  avec 
tout  l'honneur  dû  à  son  rang,  et  complimenté  par  les  maîtres  et 
les  élèves  en  dix-sept  langues  différentes;  brillante  réception 
qui  l'encouragea  encore  à  persévérer  dans  son  dessein. 

Son  premier  soin,  après  l'élection  de  Grégoire  XIII,  fut  de  lui 
demander,  dans  une  requête  motivée,  la  création  à  Pont-à-Mous- 
son  d'une  Université,  —  où  l'on  professerait  la  théologie,  l'un  et 
l'autre  droit,  la  médecine  et  la  philosophie,  —  et  l'érection  d'un 
collège  dirigé  par  les  religieux  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Ce  col- 
lège serait  établi  dans  la  commanderie  de  Saint-Antoine,  dont 
l'église,  le  couvent,  les  jardins  et  dépendances  seraient  transférés 
aux  Jésuites;  on  pourvoirait  à  l'entretien  des  religieux  qui  ensei- 
gneraient la  théologie,  la  philosophie,  les  lettres  et  la  grammaire, 
par  une  rente  de  quinze  cents  écus  d'or  sur  la  mense  conventuelle, 
les  offices  claustraux  de  l'abbaye  de  Gorze  ou  des  prieurés  qui  en 
dépendaient2,  et  par  une  autre  rente,  également  de  quinze  cents 
écus  d'or,  prélevée  pour  un  tiers  sur  la  mense  épiscopale  de  Metz 
dont  le  cardinal  était  administrateur,  et  les  deux  autres  tiers  sur 
les  abbayes  et  prieurés  des  trois  Évêchés  ;  l'évêque  de  Metz,  les 
abbés  et  prieurs  pourraient  se  libérer  de  cette  charge  en  aban- 
donnant aux  Jésuites  des  bénéfices  simples  à  leur  collation,  jus- 
qu'à concurrence  de  la  rente  exigée.  En  retour,  la  Compagnie  de- 
vait établir  un  collège  aussi  vaste  que  ceux  qu'elle  avait  fondés 
auprès  des  Universités  les  plus  célèbres,  et  fournir  soixante -dix 
religieux,  dont  quatre  professeurs  de  théologie,  trois  de  philoso- 
phie, un  de  rhétorique,  un  d'humanités,  trois  de  grammaire;  il 
devait  y  avoir  aussi,  chaque  jour,  deux  cours  de  grec,  un  d'hébreu 
et  un  de  mathématiques  3. 

Le  Pape,  prévenu  par  les  ennemis  des  Jésuites,  fit  d'abord  quel- 
ques difficultés;  mais,  après  un  sérieux  examen  du  projet  qu'on 

1.  Historia  collegii  Mnssipontani  (Francia,  Histor.  fundat.,  n.  59). 

2.  L'abbaye  Sainl-Gorgon  de  Gorze,  babilée  par  les  religieux  de  Saint-Benoit,  ne 
comptait  plus  en  1572  qu'un  petit  nombre  de  moines. 

3.  Lettre  du  cardinal  de  Lorraine  à  Grégoire  XIII  (Archives  de  Meurthe-et-Moselle, 
H,  2105..  V 


FOiNDATlON  DE  L'UNIVERSITÉ  DE  PONT-A-MOUSSON.  60" 

lui  avait  présenté,  il  en  reconnut  les  avantages  <-t  le  consacra,  le 
5  décembre  1572,  par  la  Bulle  In  supercz/nnenti,  qui  érigeait 
canoniquement  le  collège  et  l'Université  de  Pont-à-i\Iousson.  en 
reproduisant  presque  dans  leur  teneur  les  termes  de  la  requête1. 
Cette  Bulle  recommandait  à  tous  les  professeurs  de  se  conformer 
aux  usages  adoptés  dans  les  collèges  de  la  Compagnie,  et  de 
suivre,  dans  leur  enseignement,  l'esprit  de  l'Institut.  Elle  établis- 
sait ensuite  cinq  Facultés  ;  celles  de  théologie  et  de  philosophie 
étaient  confiées  aux  Jésuites,  les  trois  autres  à  des  séculiers-.  De 
plus  elle  conférait  aux  professeurs,  officiers  et  étudiants,  des 
privilèges  semblables  à  ceux  des  Universités  de  Bologne  et  de 
Paris.  Elle  accordait  enfin  au  cardinal  de  Lorraine  le  pouvoir  de 
faire,  en  personne  ou  par  délégués,  les  règlements  relatifs  à 
l'ordre  des  études  et  à  la  direction  religieuse  des  élèves,  et  la 
juridiction  sur  tous  les  membres  de  l'Université,  excepté  sur  les 
Pères  du  collège'. 

7.  Toutes  ces  mesures  avaient  été  prises  sans  arrangement  défi- 
nitif avec  la  Compagnie,  qui  n'avait  point  alors  de  supérieur 
général.  Quand  le  P.  Éverard  Mercurian  fut  élu  successeur  du 
P.  François  de  Borgia,  il  subit  plutôt  qu'il  n'accepta  cette  faveur, 
car  elle  renfermait  des  conditions  gênantes  sur  lesquelles  on 
aurait  pu  faire  de  justes  observations,  par  exemple  l'obligation 
de  fournir  dès  maintenant  soixante-dix  religieux  à  un  seul  col- 
lège, et  surtout  le  voisinage  d'une  école  de  droit  et  de  médecine. 
Cependant,  par  égard  pour  le  cardinal  de  Lorraine,  et  par  res- 
pect pour  l'autorité  pontificale,  il  ne  pouvait  plus  songer  à 
discuter  des  dispositions  consacrées  par  la  Bulle  In  superemi- 
nenti.  Dans  la  lettre  qu'il  écrivit,  après  son  élection,  au  prélat 
fondateur,  il  se  contenta  de  le  remercier  des  bienfaits  accordés 
à  la  Compagnie,  en  le  priant  de  lui  continuer  sa  protection. 

Durant  les  deux  années  qui  suivirent,  diverses  causes  s'oppo- 
sèrent aux  progrès  de  l'entreprise.  Le  cardinal  de  Lorraine  était 
resté  à  Borne  jusqu'au  mois  de  février  1573.  A  son  retour  en 
France,  il  fut  absorbé  par  les  affaires  publiques,  et  ne  vint  en 
Lorraine  que  pour  accompagner  le  duc  d'Anjou  appelé  au  trône 
de  Pologne.  A  Beims,  il  dut  s'employer  tout  entier  au  soulage- 

1.  Jbid.  et  Acta  S.  Sedis,  p.  62,  n°  9,  10. 

2.  «  Medicinae  et  legum  studium,  ut  a  nostro  Instituto  magis  remotum,  in  unixer- 
sitatibus  Societatis  vel  non  tractabitur,  vel  saltem  Societas  per  se  id  oneris  non 
suscipiet  »  (Conslitut.  P.  IV,  c.  xn,  n"  &). 

3.  Bullarium  Romanum  (Collig.  Angelo  Clierubino),  t.  II,  p.  520. 


608  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

ment  de  la  misère  occasionnée  par  un  hiver  désastreux;  en  sorte 
qu'il  lui  fut  impossible  de  s'occuper  alors  de  l'établissement  de 
Pont-à-Mousson1.  Néanmoins  il  le  perdait  si  peu  de  vue,  qu'en 
passant  à  Nancy,  il  fit  prendre  le  costume  d'étudiant  au  fils  du 
Sérénissime  Duc,  afin  de  pouvoir  l'inscrire  en  tète  de  la  matricule 
de  l'Université2.  Puis,  au  mois  de  janvier  1574,  il  écrivit  de 
Paris  au  P.  Général  pour  lui  exprimer  le  désir  de  voir  le  collège 
s'ouvrir  le  plus  tôt  possible  :  «  J'ay  desjà  envoyé,  disait-il, 
l'évesque  de  Verdun  pour  fulminer  les  Bulles  et  avancer  les 
unions,  désigner  les  lieux,  faire  les  marchés  des  bastiments  et 
tous  préparatifs  nécessaires,  à  quoy  je  m'asseure  qu'il  mettra 
fin  pour  ce  febvrier  ;  et  de  tout  serès  adverti  [afin  dej  nous  en- 
voyer une  première  mission  du  Recteur,  Procureur,  et  quelques 
principaux  officiers  pour  les  Pasques,  et  entière  compagnie  pour 
commencer  au  prochain  Saint-Rémy,  chef  d'octobre,  à  quoy  je 
vous  prie  de  penser  et  m'en  donner  vostre  advis1...  » 

Le  P.  Provincial,  averti  par  l'évèque  de  Verdun  et  le  P.  Auger 
de  cette  volonté  formelle,  avait  déjà  prié  le  P.  Général  de  lui 
envoyer  de  Rome  un  renfort  de  quelques  Pères,  la  Province  «  ne 
pouvant  fournir  par  elle-même  tous  ceux  qui  étaient  nécessai- 
res ».  Le 'cardinal  s'aperçut  alors  de  l'embarras  des  Jésuites, 
partagés  entre  le  désir  de  plaire  à  leur  protecteur  et  la  crainte 
de  compromettre  les  anciennes  fondations;  il  manda  près  de  lui, 
à  l'abbaye  de  Saint-Denys  où  il  s'était  retiré,  les  PP.  Auger,  Mal- 
donat  et  Edmond  Hay,  pour  conférer  avec  eux  de  son  collège 
lorrain.  Il  se  plaignit  des  causes  qui  en  avaient  retardé  jus- 
qu'ici l'établissement,  leur  demanda  leur  avis  sur  l'organisation 
des  classes  et  l'administration  temporelle,  entra  dans  des  détails 
qui  montraient  son  désir  de  se  conformer  en  tout  aux  prescrip- 
tions de  l'Institut;  il  aurait  même  voulu  qu'un  frère  laïque  sur- 
veillât les  constructions  nouvelles,  afin  de  les  mettre  en  harmo- 
nie avec  les  usages  de  la  discipline  religieuse.  Il  comprenait 
d'ailleurs  qu'une  maison  de  ce  genre  ne  pouvait  s'ouvrir  avec 
une  réputation  toute  faite,  et  que  la  Compagnie,  obligée  de 
faire  face  à  d'autres  fondations,  ne  pourrait  fournir  soixante- 
dix  sujets  d'un  seul  coup.  Il  consentait  donc  à  commencer,  la 
première  année,  avec  les  seules  classes  de  grammaire  et  de 
belles-lettres;   on  introduirait  par  degrés  la  philosophie  et  les 

1.  Lettre  du  cardinal  de  Lorraine  au  P.  Salmeron,  22  janvier  1574  (Episl.  cardinal., 
t.l). 

2.  Abram.  Hist.  de  l'Univ.  de  Pont-à-M.  (Carayon,  Doc.  inéd.,  doc.  V,  p.  17). 

3.  Lettre  du  25  janvier  1574  (Epist.  cardin.,  t.  I). 


FONDATION  DE  L'UNIVERSITÉ  DE  PONT-A-MOUSSON. 


lin'.i 


autres  sciences.  Jl  admettait  aussi  que  les  Pères  fussent  exempts 
du  soin  des  pensionnaires,  à  condition  d'en  conserver  la  haute 
surveillance.  Mais  il  comptait  toujours  que  les  classes  seraient 
ouvertes  au  mois  d'octobre;  néanmoins,  ajoute  le  I».  Hay,  auquel 
nous  empruntons  le  récit  de  cet  entretien,  «  il  m'a  semblé  dire 
cela  comme  s'il  en  désespérait  lui-même1  ». 

Les  nouveaux  troubles,  provoqués  en  France  et  en  Lorraine 
par  les    mécontents  politiques,  semblèrent  un  instant  compro- 
mettre la  fondation  de  Pont-à-Mousson.  A  la  mort  de  Charles  IX 
(30  mai  157'*),  l'agitation  ne  fit  que  croître  partout,  en  sorte  que 
le  P.  Provincial  doutait   de   plus   en  plus  qu'il   fût  possible   de 
réaliser  à  l'automne  les  souhaits  du  cardinal.  Celui-ci,  loin  d'être 
ébranlé  par  les  bouleversements  du  pays,  manifestait  toujours 
son  intention  de  poursuivre  sans  aucun  retard  l'entreprise  qu'il 
avait  tant  à  cœur,   et,  dans  son  impatience  de  lui  donner  un 
commencement  d'exécution,  il   envoyait  à  Pont-à-Mousson,  vers 
la  fin  du  mois  de  juillet,  ses  deux  neveux,  Charles,  fils  du  duc 
régnant,  et  Charles,  fils  du  comte  de  Vaudemont,  qui  furent,  dans 
la  suite,  revêtus  l'un  et  l'autre  de  la  pourpre  romaine.  Le  31  juil- 
let, il  fit  entendre  au  P.  Auger  qu'il  voulait  que  les  classes  s'ou- 
vrissent le  1er  octobre,  devrait-on,  ajouta-t-il,  «  avec  une  parole 
ferme  et  résolue  »,  prendre  des  régents  au  collège  de  Clermont'. 
Plus  on  approche    du    terme,  plus   ses    exigences  augmentent; 
on   est  loin  maintenant  de  la  modération   manifestée  à  Saint  - 
Denys;   il  veut,  pour  attirer  les  élèves,  donner  tout  de  suite  à 
son  collège   un  grand  éclat  :  c'est  vingt  régents  qu'il  lui  faut 
pour  l'ouverture,  vingt  de  plus  après  les  vacances  de  Pâques,  et 
vingt  autres  à  la  rentrée  suivante :l. 

8.  Le  P.  Mercurian  aurait  préféré  ne  rien  commencer  avant 
Pâques  de  1575,  mais  il  céda  devant  les  justes  observations  du 
P.  Auger,  qui  le  priait  «  bien  fort  d'avoir  égard  à  contenter  Mgrle 
cardinal  de  Lorrène  »,  et  lui  montrait  qu'on  ne  pouvait  aller 
contre  sa  volonté  «  sans  danger  de  l'offenser  grandement1  ». 
Toutes  les  dispositions  furent  donc  prises  pour  donner,  autant  que 

1.  Lettre  du  P.  Hay  au  P.  Mercurian,  28  févr.  1574.  (Celte  lettre  et  plusieurs  au- 
tres ont  ete  publiées  par  l'abbé  Hyver  Maldonat  et  les  commencements  de  l'Uni- 
versité de  Pont-à-Mousson,  pièces  justificatives,  p.  u,  m,. 

2.  Abram,  Hisl.  de  l'Univ.  de  Ponl-à-M.  (Caravon,  Doc.  inèd.,  t.  V,  p.  29). 

3.  Lettre  du  P.  Mathieu  au  P.  Général,  25  septembre  157*  (livrer,  on  ci]  nièces 
justifie,  p.  m,  XII). 

4.  Lettre  du  l«  août  {Ibid.). 

COMPACNIIÎ    DE   JliSl'S.    —    T.    I.  3^ 


G10  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

possible,  satisfaction  à  Son  Émincnce.  Le  21  octobre,  le  P.  Edmond 
Hay,  désigné  comme  Recteur  du  nouveau  collège,  partit  de  Paris 
avec  treize  compagnons,  et  arriva  le  27  à  Pont-à-Mousson.  Il  fut 
bientôt  suivi  par  le  P.  Provincial  qui  amenait  un  renfort  de  huit 
professeurs.  Peu  de  temps  après,  sous  la  date  du  9  novembre,  le 
P.  Claude  Mathieu  rendait  ainsi  compte  de  ses  premières  impres- 
sions au  P.  Général  :  «  Il  y  a  déjà  deux  princes  de  Lorraine  avec 
d'autres  gentilshommes.  Ils  furent  hier  examinés  publiquement, 
après  que  le  P.  Recteur  eut  fait  une  exhortation  latine  en  nostre 
église,  laquelle  à  mon  advis  est  la  plus  belle  qui  soit  encore  dans 
la  Compagnie.  Il  y  a  trois  fort  beaux  collèges  [ou  corps  de  logis^  ; 
un  pour  MM.  lès  princes,  l'autre  pour  la  Compagnie,  et  le 
troisième  pour  les  convicteurs1,  là  où  aussi  seront  les  classes;  et 
chaque  collège  aura  ses  cours  et  jardins  avec  toutes  sortes  de 
commodités  nécessaires2...  »  L'enseignement  fut  inauguré  le 
22  novembre  devant  environ  soixante  écoliers  répartis  en  trois 
classes  de  grammaire;  le  fils  du  duc  régnant  de  Lorraine,  âgé 
de  dix  ans,  était  dans  la  dernière,  et  le  fils  de  M.  de  Yaudemont 
dans  la  première3. 

Ainsi,  après  deux  années  de  pourparlers  et  malgré  les  difficul- 
tés de  l'heure  présente,  le  collège  de  Pont-à-Mousson  était  ou- 
vert, «  bien  trop  tôt  quant  à  l'installation,  fait  remarquer  une  an- 
cienne notice,  car  les  livres  et  les  meubles  manquaient'1  ». 
Les  Jésuites  n'avaient  rien  trouvé  de  prêt  à  leur  arrivée  :  la  rente 
promise  ne  courait  pas  encore;  l'hôpital  était  toujours  occupé 
par  les  Antonistes.  De  plus,  le  pont  qui  joignait  les  deux  parties 
de  la  ville,  rompu  sept  ans  auparavant  par  le  duc  d'Aumale  ', 
n'avait  jamais  été  réparé  :  «  Cette  difficulté  de  passer  d'une 
rive  à  l'autre,  raconte  le  premier  annaliste  de  la  maison,  jointe 
à  ce  fait  que  nous  n'avions  encore  ni  la  libre  jouissance  du 
futur  collège,  ni  mobilier,  ni  provisions...,  nous  décida,  ne  pou- 
vant mieux  pour  le  présent,  à  nous  caser  provisoirement  sur  la 
rive  gauche  de  la  Moselle  » ,  dans  une  demeure  d'occasion 
appelée  le  Château  d'Amour'1. 

Les  Pères  avaient  reçu  pour  leurs  frais  de  voyage,  tant  à  Lyon 

1.  Convictores,  pensionnaires. 

2.  Lettre  au  P.  Général  (Ibid.). 

3.  Lettre  du  même  au  même,  5  décembre  (Ibid.). 

4.  Historia  collegii  Mussiponlani  (Franc,  Histor.  fundat.,  n.  59). 

5.  La  ville  est  bâtie  au  pied  du  mont  Mousson,  sur  les  bords  de  la  Moselle  qui  la 
sépare  en  deux  parties  réunies  par  un  pont.  Le  duc  d'Aumale  l'avait  coupé  pour  em- 
pêcher la  jonction  des  troupes  du  prince  de  Condé  avec  celles  de  l'électeur  Casimir. 

6.  Abram,  Hist.  de  l'Univ.  de  Pont-à-M.  (Carayon,  Doc.  inéd.,  p   52). 


FONDATION  DE  L'UNIVERSITÉ  DE  PONT-A-MOUSSON.  6H 

qu'à  Paris,  quatre  cents  écus  d'or.  Ce  qui  restait  de  cette  somme 
fut  employa  à  subvenir  aux  nécessités  les  plus  urgentes.  Puis 
l'évêque  de  Verdun,  si  dévoué  à  la  Compagnie,  vint  au  secours  de 
la  communauté  en  lui  faisant  délivrer  une  somme  de  deux  mille 
francs.  Le  cardinal  de  Lorraine,  ayant  appris  toutes  les  tribula- 
tions que  les  Pères  avaient  à  endurer,  s'empressa  d'en  témoigner 
ses  regrets  au  P.  Provincial,  et  «  pour  y  donner  meilleur  ordre  » 
le  pria  de  venir  le  rejoindre  au  sacre  du  roi  à  Reims  :  ils  s'enten- 
draient tous  les  deux  afin  que  désormais  les  professeurs  pussent 
«  vivre  doucement,  en  repos  et  tranquillité1  ». 

Au  milieu  de  privations  fort  dures,  la  patience  et  le  courage 
des  Jésuites  étaient  restés  à  la  hauteur  de  leurs  épreuves.  Les 
lettres,  adressées  alors  de  Pont-à-Mousson  à  Rome,  ne  contien- 
nent pas  la  moindre  allusion  à  ces  embarras  d'installation.  Sans 
songer  à  se  plaindre  de  l'imprévoyance,  cause  de  cette  pénurie, 
le  P.  Recteur,  en  écrivant  au  P.  Général,  se  plait  à  montrer  la 
fondation  sous  son  beau  côté  et  à  exposer  les  charmes  du  pays  : 
«  Notre  collège,  dit-il,  ne  le  cède  à  aucun  autre  de  ceux  que  j'ai 
pu  voir  en  France,  en  Italie,  en  Flandre  et  en  Allemagne,  pas 
même  à  celui  de  Louvain.  Cette  dernière  ville  l'emporte  par  son 
étendue,  ses  monuments  et  ses  autres  avantages;  toutefois  il  faut 
convenir  que  Louvain  le  cède  à  Pont-à-Mousson  pour  les  délices 
de  la  campagne,  la  fertilité  du  sol,  la  richesse  d'une  rivière  navi- 
gable et  poissonneuse.  Ce  n'est  pas  à  tort  que  le  poète  Àusone 
célèbre,  dans  une  de  ses  pièces,  les  charmes  de  la  Moselle  et  de 
la  plaine  qu'elle  arrose-.  » 

9.  La  mort  prématurée  du  cardinal  (26  décembre  1574 3)  aug- 
menta subitement  les  .difficultés  de  l'œuvre  naissante.  Quand 
la  triste  nouvelle  parvint  à  Pont-à-Mousson,  le  bruit  se  répandit 
que  les  Jésuites  allaient  abandonner  la  Lorraine.  Les  gens  char- 
gés de  pourvoir  à  leurs  besoins  s'excusaient  de  ne  pouvoir  leur 
venir  en  aide,  disant  qu'ils  n'avaient  pas  de  fonds  et  ne  savaient 
comment  s'en  procurer.  Ils  espéraient  par  ce  moyen  fatiguer 
la  patience  des  Pères  et  les  contraindre  à  quitter  le  pays.  Afin 
de  mieux  atteindre  ce  but,  ils  semaient  habilement  la  calomnie 
et  répandaient  le  bruit  que  la  Compagnie  venait  pour  violenter 


1.  Lettre  du  cardinal  au  P.  Provincial,  13  nov.  1574  (dans  Ilyver,  /.  c). 

2.  Abram,  Hist.  de  l'Vniv.  de  Ponl-à-M.  (Carayon,  p.  54). 

3.  Nous  parlerons  au  chapitre  suivant  de  la  mort  et  des  mérites  de  ce  protecteur 
insigne  de  la  Compagnie  de  Jésus. 


612  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

le  peuple  sur  le  fait  de  la  religion.  Ces  propos  malveillants 
excitèrent  la  population,  toujours  à  la  merci  des  protestants  du 
voisinage,  et  les  religieux  se  virent  chargés  d'insultes  et  de  ma- 
lédictions. 

On  pouvait  craindre  aussi  que  le  duc  Charles  III,  vivement  im- 
pressionné par  la  mort  du  cardinal  de  Lorraine,  et  tout  occupé 
du  mariage  de  sa  cousine  Louise  de  Vaudemont  avec  le  roi  de 
France,  ne  négligeât  les  intérêts  du  collège  de  Pont-à-Mousson. 
Il  n'en  fut  rien,  heureusement.  Le  duc  envoya  même  un  gentil- 
homme de  sa  maison  recommander  au  P.  Hay  d'avoir  bon  cou- 
rage et  lui  promettre  sa  protection.  Il  donna,  en  effet,  des  ordres 
pour  l'exécution  des  pieuses  intentions  du  défunt  cardinal,  et 
confia  le  tout  à  l'évêque  de  Verdun  et  au  cardinal  Louis  de  Guise. 
Ce  dernier,  héritier  des  sentiments  de  son  frère,  se  chargea  vo- 
lonliers  d'un  patronage  que  le  roi  Henri  III  lui  avait  imposé,  et, 
dès  le  9  janvier  1575,  il  assura  le  P.  Éverard  Mercurian  de  son 
entier  dévouement  à  la  Compagnie  de  Jésus1.  L'évèque  de  Ver- 
dun, Nicolas  Psaume,  ne  se  montra  pas  moins  affectionné  envers 
les  Jésuites  au  milieu  de  tous  les  tracas  occasionnés  par  la  mort 
du  cardinal  de  Lorraine.  Il  était  l'un  de  ses  principaux  exécuteurs 
testamentaires  et  déclara  «  qu'il  fairait  plutôt  le  collège  du 
Pont  à  ses  propres  dépens  que  laisser  en  arrière  ce  que  M"1'  le 
cardinal  avait  commencé2  ». 

Les  deux  mandataires  du  duc  Charles  III  s'acquittèrent  avec 
soin  de  leur  mission.  Le  cardinal  de  Guise  procura  au  collège 
une  somme  de  mille  écus,  suivie  bientôt  d'une  autre  de  cinq 
cents,  et  il  s'occupa  de  lui  assurer  des  revenus  fixes.  Nicolas 
Psaume,  «  après  avoir  obtenu  placel  de  M"'  le  duc  »,  se  rendit 
avec  le  P.  Mathieu  de  Nancy  à  Pont-à-Mousson,  «  pour  prendre 
possession  solennelle  de  la  maison  Saint-Antoine :;  ».  Le  3  mars, 
la  bulle  d'érection  du  collège  fut  lue  à  haute  voix  dans  le  cloître 
en  présence  des  deux  jeunes  princes,  deJeanUlric,  cessionnaire 
de  la  maison,  et  de  Claude  Lallemand,  prieur  démissionnaire. 
Alors  eut  lieu  l'ouverture  solennelle  des  classes.  Il  y  en  avait 
six  :  deux  de  théologie  et  quatre  de  lettres.  Le  P.  Le  Clerc 
occupa  la  chaire  de  théologie  scolastique,  le  P.  Edmond  Hay, 
Recteur,  celle  de  théologie  morale;  la  rhétorique  fut  confiée  au 


1.  Epist.  cardinalium,  t.  1. 

2.  Lettre  du  P.  Mathieu  au  P.  Génère],  2  février  1575  ^Hyver,  pièces  justificatives, 
p.  xiv). 

S.  Lettre  du  môme  au  même,  25  mars  (Ibid.,  p.  xv). 


FONDATION  DE  L'UNIVERSITÉ  DE  PONT-A-MOUSSON.  &13 

P.  Clément  Dupuy  qui  prononça  dans  L'église  Le  discours  tradi- 
tionnel. L'année  scolaire  étant  trop  avancée,  le  cours  de  philoso- 
phie avait  été  remis  à  la -rentrée  suivante.  Un  pensionnai  étail 
déjà  établi  au-dessus  des  salles  de  classes,  mais  la  direction  des 
élèves  et  la  gestion  des  finances  se  trouvaient  entre  les  mains 
d'un  prêtre  séculier,  qui  avait  sous  ses  ordres  des  surveillants 
pris  en  partie  parmi  les  Jésuites. 

Pour  fonder  l'Université,  il  ne  restait  plus  qu'à  lui  fixer  des 
revenus.  Le  prieuré  de  Notre-Dame  d'Aspremont,  dépendant  de 
l'abbaye  de  Gorze,  étant  venu  à  vaquer,  le  6  février,  le  P.  Ma- 
thieu le  demanda  en  vertu  de  la  Bulle  d'érection  octroyée  par 
Grégoire  XIII.  Le  cardinal  de  Guise  en  signa  l'ordre  d'union  le 
17  mars.  Au  mois  de  mai,  Son  Éminence  se  rendit  à  Pont-à- 
Mousson  avec  l'évêque  de  Verdun  «  pour  assigner  les  rentes  ». 
Il  visita  «  tout  le  collège,  écrit  le  P.  Mathieu,  et  fut  grandement 
consolé  de  veoir  ung  si  bon  nombre  d'escolliers  en  si  peu  de 
temps,  qui  le  recourent  avec  une  petite  coloque  latine  et  force 
vers  grecs  et  latins1  ».  La  cession  du  prieuré  d'Aspremont-,  l'er- 
mitage de  Saint-Firmin  que  l'évêque  de  Verdun  avait  donné 
quand  les  Pères  n'avaient  pas  encore  de  logement  dans  la  ville, 
un  champ  dû  à  la  libéralité  du  prieur  Lallemand,  cinq  cents 
écus  d'or  provenant  de  la  mense  épiscopale  de  Metz,  et  quelques 
autres  petites  sommes  portèrent  le  revenu  annuel  à  deux  mille 
écus3. 

10.  Sans  avoir  la  dotation  complète  indiquée  dans  la  Bulle  de 
fondation,  l'Université  pouvait  dès  lors  résister  aux  épreuves  et 
.attendre  du  temps  ses  progrès  et  son  complet  développement. 
Le  10  août  1575,  elle  perdit  son  généreux  bienfaiteur,  Nicolas 
Psaume,  dont  elle  était,  dit  le  P.  Abram,  la  pensée  de  tous  les 
instants'1.  Elle  comptait  alors  quatre  cents  élèves  et  en  espérait 
plus  encore  à  la  reprise  des  cours,  au  mois  d'octobre.  Durant  la 
seconde  année  scolaire  (1575-1576),  sa  réputation  s'établit  solide- 
ment en  Lorraine  et  se  répandit  jusque  dans  les  pays  voisins. 
Mais  la  prospérité  ne  venait  que  méritée  par  la  patience  et 
l'abnégation.  Les  Pères  ne  purent  jouir  en  paix  d'une  partie  des 
biens  sur  lesquels  ils  avaient  compté.  Les  moines  de  l'abbaye 

1.  Lettre  du  7  mai  (Gall.  Epist.,  t.  IX,  f.  ii9). 

2.  Union  du  prieuré  d'Aspremont  (Archives  de  Meurthe-et-Moselle,  H,  2104  . 

3.  Abram,  Hist.  de  l'Univ.  de  Pont-à-M.  (Carayon,  Doc.  inéd.,  V,  p.  85-90). 

4.  Voir,  sur  cet  évêque  qui  fut  aussi  fondateur  du  collège  de  Verdun,  le  chap.  m 
du  livre  III. 


614  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

de  Gorze,  excités  par  des  esprits  malveillants,  revendiquèrent  la 
portion  des  revenus  de  leurs  prieurés  qui  avaient  été  appliqués, 
avec  indemnités,  à  l'entretien  du  collège.  Ce  transfert  de  pro- 
priété, par  le  Souverain  Pontife,  d'un  Ordre  à  un  autre,  et  pour 
de  justes  raisons,  n'avait  rien  que  de  conforme  au  droit  de  l'E- 
glise, et  les  Antonistes,  eux-mêmes,  le  2i  mai  1571-,  avaient  libre- 
ment signé  un  acte  authentique  de  cession.  Leurs  réclamations 
tardives  étaient  donc  injustifiées.  Débouté  de  ses  prétentions  de- 
vant les  tribunaux  civils,  le  Prieur  partit  pour  Rome  afin  de 
plaider  sa  cause  auprès  du  Saint-Siège1.  Grégoire  XIII,  après 
avoir  pris  connaissance  de  l'affaire,  maintint  toutes  les  disposi- 
tions de  la  Bulle  In  supereminenti'1. 

Après  les  tracasseries  pécuniaires,  la  peste  parut  et  troubla 
quelque  temps  l'ordre  des  études.  Dès  le  milieu  de  1577  elle  avait 
envahi  un  des  quartiers  de  la  ville,  et  tous  les  élèves  qui  y  habi- 
taient avaient  été  licenciés.  Cependant,  on  n'avait  pas  cru  néces- 
saire de  prendre  la  même  mesure  pour  tout  le  collège.  Les 
magistrats  s'étaient  bornés  à  garantir  les  pensionnaires  du  con- 
tact des  écoliers  demeurant  dans  le  quartier  contaminé,  en  dres- 
sant une  grille  de  fer  au  milieu  du  pont  qui  joignait  les  deux 
parties  de  la  ville.  Plusieurs  professeurs,  malgré  le  danger  d'être 
atteints  par  le  fléau,  s'offrirent  pour  aller,  de  l'autre  côté  de  la 
Moselle,  continuer  les  cours  aux  jeunes  gens  qui  ne  pouvaient 
plus  venir  au  collège.  Deux  prêtres,  trois  régents  et  un  frère 
coadjuteur  se  transportèrent,  avec  les  livres  et  le  mobilier  in- 
dispensables, chez  un  ecclésiastique  qui  leur  donna  l'hospita- 
lité:i. 

Quand  l'épidémie  parut  moins  menaçante,  les  magistrats  de- 
mandèrent au  duc  de  Lorraine  la  cessation  de  la  quarantaine, 
sans  pouvoir  l'obtenir.  Alors  une  députation  d'étudiants,  com- 
posée de  Français,  de  Lorrains,  d'Allemands,  d'Écossais  et  de 
Flamands,  prit  le  chemin  de  Nancy  pour  présenter  une  sup- 
plique à  Son  Altesse.  Comme  ils  venaient  d'une  région  infectée, 
ils  s'arrêtèrent  par  prudence  dans  un  bourg-  voisin  de  la  ville,  et 
mandèrent  au  duc  qu'ils  avaient  d'importantes  communications 
à  lui  faire.  Le  prince  leur  envoya  Bardin,  maître  des  requêtes, 
auquel  ils  remirent  un  beau  volume  renfermant  toutes  sortes  de 
pièces  en  grec  et  en  latin,  des  odes,  des  épig ranimes,  des  emblè- 

1.  Abram,  Hist.  de  Univ.  de  Pont-à-M.  (Carayon,  Doc.  inéd.,  V,  92). 

2.  Letlre  du  P.  Hay  au  P.  Général,  6  juin  1576  (Gall.  Epislol.,  I.  X,  fol.  260,  261. 

3.  Litt.  ann.  1577  (Franciae  Hist.,  t.  I,  n.  38). 


FONDATION  DE  L'UNIVERSITÉ  DE  PONT-A-MOUSSON.  613 

mes,  des  anagrammes...  avec  une  adresse  à  Sun  Altesse,  La  sup- 
pliant d'autoriser  la  libre  communication  outre  les  deux  quar- 
tiers de  Pont-à-Mousson.  Charles  III,  touché  de  cette  démarche, 
acquiesça  enfin  à  une  demande  si  gracieusement  formulée,  et  b-s 
étudiants,  tout  joyeux,  reprirent  aussitôt  le  chemin  du  retour. 
Arrivés  avant  la  nuit  à  Pont-à-Mousson,  ils  font  appel  aux  écoliers 
qu'ils  rencontrent,  et  ensemble,  réunissant  leurs  efforts,  ils  bri- 
sent les  barrières  du  pont,  et  en  jettent  les  débris  dans  la  Moselle. 
Le  lendemain,  ils  assistèrent  tous  à  une  messe  d'actions  de  grâce 
où  le  P.  Paschase  Réginald  prononça  un  discours  de  circons- 
tance1. 

Le  1er  janvier  1578,  eut  lieu  la  réouverture  solennelle  des 
classes  avec  un  éclat  inaccoutumé,  en  présence  de  Charles  III  et  de 
plusieurs  autres  princes.  Les  élèves  du  P.  Dupuy,  professeur  de 
rhétorique,  représentèrent  un  drame,  Saint  Jean  l'Êvangéliste, 
qui  fut  vivement  applaudi.  Le  P.  Nicolas  Le  Clerc,  professeur  de 
théologie  et  vice-chancelier  de  l'Université,  conféra  le  grade  de 
bachelier  es  arts  à  une  dizaine  d'étudiants,  dont  sept  étaient  de 
la  Compagnie  de  Jésus.  Parmi  ces  jeunes  lauréats  se  trouvait  le 
P.  Jacques  Salez  qui  plus  tard  souffrit,  à  Aubenas,  un  glorieux 
martyre.  Il  y  eut  aussi  à  ce  moment  deux  innovations  :  on  ajouta 
un  troisième  professeur  de  philosophie,  et  Guillaume  Barclay, 
écossais  et  neveu  du  P.  Edmond  Hay,  nommé  par  le  duc  Char- 
les III  «  professeur  ès-facultés  des  droits  civils  et  canoniques  », 
ouvrit  son  cours  dans  l'enceinte  même  du  collège  de  la  Compa- 
gnie. C'était  comme  la  première  pierre  de  la  Faculté  de  droit2. 

Mais  Dieu  réservait  encore,  en  cette  année  1578,  une  doulou- 
reuse épreuve  aux  Jésuites  de  Pont-à-Mousson.  Le  cardinal  de 
Guise,  qui  poursuivait  avec  tant  de  zèle  l'œuvre  commencée  par 
son  frère,  mourut  à  Paris  le  27  mars.  Sa  mission  était  en  grande 
partie  terminée,  car  il  avait  eu  la  consolation  de  voir  le  pape 
Grégoire  XIII  approuver,  le  Ie'-  décembre  1577,  par  la  Bulle  In 
suprema  apostolicae  Sedis,  les  divers  arrangements  relatifs  à  la 
dotation  de  l'Université3. 

1.  Abram,  Hist.  de  l'Univ.  de  Pont-à-M.  (Carayon,  Doc.  inéd.,  V,  p.  i"3.  I04J. 

2.  Cf.  Eug.  Martin,  L'Université  de  Pont-à-M.,  p.  35. 

3.  Acta  S.  Sedis,  p.  98. 


CHAPITRE  XIII 

LA    COMPAGNIE    PENDANT    LES    TROUBLES    CIVILS. 

(1567-1575). 


Sommaire  :  1.  Coup  d'œil  sur  les  troubles  civils  de  1560  à  1567.  —  2.  Services 
rendus  par  le  P.  Manare  à  Paris  et  par  le  P.  Auger  à  Lyon.  —  3.  Dispersion 
des  Pères  de  Tournon.  —  4.  Le  P.  Auger  à  l'armée  du  duc  d'Anjou  (1568-69). 

—  5.  Les  Pères  italiens  à  l'armée  pontificale.  Bataille  de  Moncontour.  —  6.  La 
Saint-Barthélémy  (1572;.  —  7.  Abjuration  du  roi  de  Navarre  et  du  prince 
de  Condé.  —  8.  Le  P.  Auger  au  siège  de  La  Rochelle.  —  9.  Les  collèges  de 
Mauriac  et  de  Toulouse  pendant  les  révoltes.  Mort  de  Charles  IX  (30  mai  157  li. 

—  10.  Le  P.  Auger  el  le*  Quarante-Heures  à  Paris.  —  11.  Voyages  de  Henri  111 
dans  le  midi;  son  passage  à  Lyon  et  à  Avignon.  —  12.  Mort  et  éloge  du  car- 
dinal de  Lorraine.  —  13.  Mariage  et  sacre  du  roi.  État  de  la  Compagnie  en 
France  à  l'avènement  de  Henri  III. 

Sources  manuscrites  :  I.  Arcliiv.  vaticanes,  Nunziat.  di  Framia,  t.  VI,  VII. 

II.  Roma,  Bibl.  Vilt.  Emman..  n.  1584. 

III.  Riblioth.  nat.,'mss.  latins,  10,080. 

IV.  Bibl.  municipale  de  Poitiers,  ms.  I5!t. 

V.  Recueils  de  documents  conservés  clans  la  Compagnie  :  a  Acta  congregat.  provincial.  — 
b)  Décréta  et  Instructiones.  —  c)  Edits  royaux.  —  d)  Francia,  Histor.  fundat.  —  e)  Gallia. 
Epistol.  Generalium.  —  f]  Galliae  Epistolae.  —  g)  Possevinus  :  Acta  in  Gallia:  Annalium 
decas  P. 

Sources  imprimées  :  Archives  curieuses  de  l'Histoire  <lc  France,  t.  VII.  —  Davila,  His- 
toire des  guerres  riviles  de  France.  —  Hansen.  Reinische  akten  zur  Geschichte  des 
Jesuitenordens.  1542-45S2.  —  Manare,  De  rébus  S.  J.  Commentarius.  —  Mémoires  de 
Castelnau.  —  La  Papelinièrè,  Histoire  de  France.  —  Ribadcneira,  Vita  del  P.  Fr.  de 
Borgia.  —  Theiner,  Annales  ecclesiastici.  —  Tortorel  et  Perrissin,  Quarante  tableaux.  — 

MOM'MENTA    HISTORICA  S.  .1.  Epislol.  P.   Xadfll. 

1.  Les  troubles  civils,  commencés  avec  la  conjuration  d'Am- 
boise  sous  François  II,  en  1560,  et  quelque  temps  assoupis  par 
le  triumvirat  formé  entre  le  roi  de  Navarre,  le  duc  de  Guise 
et  le  connétable  de  Montmorency,  sous  la  régence  de  Catherine 
de  Mcdicis,  ne  furent  point  complètement  apaisés  par  l'édit  de 
tolérance  du  17  janvier  1562.  Deux  mois  après,  la  sanglante 
collision  de  Yassy,  entre  les  gens  du  duc  de  Guise  et  quelques 
huguenots,  alluma  l'incendie  des  guêtres  de  religion,  dont  plu- 
sieurs maisons  de  la  Compagnie  eurent  tant  à  souffrir.  Védit 
de  pacification  d'Amboise,  en  1563,  no  parvint  pas  à  calmer  les 
réformés,  qui  constituaient  déjà  un  parti  puissant  et  prêta  pio- 


PENDANT  LES  TROUBLES  CIVILS.  61" 

fîtcr  de  toutes  les  occasions.  La  révolte  des  Pays-Bas  cou  Ire  le 
roi  d'Espagne,  on  1566,  et  le  passage  de  ses  troupes  par  la 
France  servirent  de  prétexte  à  une  nouvelle  prise  d'armes,  se- 
crètement organisée  par  Coligny  et  le  prince  de  Coudé. 

Dès  les  premiers  mois  de  1567,  une  sourde  fermentation,  an- 
nonce d'un  prochain  orage,  régnait  à  Paris  et  dans  d'autres 
villes;  de  tous  côtés  circulaient  des  bruits  alarmants,  avant- 
coureurs  de  nouveaux  troubles.  Le  mécontentement  des  chefs 
huguenots,  l'antagonisme  des  Châtillon  et  des  Guise,  les  soup- 
çons qu'avait  éveillés  l'entrevue  de  Bayonne,  soulevaient  des 
murmures  et  des  menaces.  Les  calvinistes  se  plaignirent  de  fré- 
quentes violations  de  l'édit  d'Amboise,  soit  de  la  part  du  clergé, 
soit  de  la  part  des  gouverneurs  de  province;  mais  eux-mêmes, 
au  lieu  de  tenir  leurs  prêches  seulement  dans  les  localités  dé- 
signées, les  établissaient  à  leur  gré  et  à  leur  convenance.  Des 
bandes  indisciplinées  rôdèrent  autour  de  la  capitale,  massacrant 
les  catholiques  inoffensifs,  portant  partout  la  désolation  et  l'effroi. 
Les  protestants,  de  plus  en  plus  audacieux,  ne  cachant  point 
leur  espoir  d'une  revanche  prochaine,  l'inquiétude  s'empara  des 
esprits  et  l'on  se  préoccupa  vivement  des  calamités  qui  allaient 
fondre  sur  le  royaume. 

•2.  Au  mois  de  septembre,  un  singulier  concours  de  circons- 
tances providentielles  permit  aux  deux  Provinciaux  de  France 
et  d'Aquitaine  de  donner  au  roi,  à  la  ville  de  Paris  et  à  celle  de 
Lyon,  une  preuve  signalée  du  dévouement  des  Jésuites  aux  in- 
térêts du  pays.  Ce  fut  d'abord  un  complot  déjoué  par  le  P.  Ma- 
nare  ;  il  ne  s'agissait  de  rien  moins  que  de  s'emparer  de  la  per- 
sonne de  Charles  IX  et  de  sa  capitale  : 

«  Les  troubles  qui  venaient  d'éclater,  raconte  le  P.  Provincial 
de  France,  annonçaient  l'imminence  d'un  grand  péril;  mais 
tout  se  réduisait  encore  à  de  simples  soupçons,  quand  la  divine 
Providence  permit  que  le  complot  lut  découvert.  Un  Polonais, 
du  nom  de  Pierre  Coscha  (Kostka),  me  fit  connaître  l'avertisse- 
ment qu'il  venait  de  recevoir  d'un  gentilhomme  hérétique  de 
ses  amis  '  :  le  roi  Charles  IX  devait  être  arrêté  la  nuit  suivante 
à  Meaux  par  le  prince  de  Coudé,  et  Paris  deviendrait  la  proie 
des  huguenots  et  des  sicaires;  cette  communication  lui  avait  été 
faite  pour  qu'il  pût  se  mettre  à  l'abri  du  danger;  en  effet,  dans 

1.  Au  moment  où  le  P.   Manare  écrivait   son  Commentaire,   Pierre  Koslka  était 
évêque  de  Culm,  eu  Prusse. 


618  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

quatorze  endroits  de  la  capitale,  des  matériaux  inflammables 
étaient  préparés  pour  être  allumés  au  même  instant;  l'incendie, 
se  déclarant  à  la  fois  dans  plusieurs  quartiers,  engendrerait  le 
tumulte  et  la  confusion,  et  Conclé  avec  ses  partisans  s'emparerait 
sûrement  de  la  ville. 

«  Je  demandai  à  ce  Pierre  Coscha  s'il  était  prêt,  comme  cela 
semblait  utile  et  nécessaire  pour  éviter  de  si  grands  malheurs,  à 
révéler  aux  autorités  ce  qu'il  m'avait  confié  en  secret.  Il  me  ré- 
pondit affirmativement,  ne  voulant  pas,  au  prix  de  son  salut  per- 
sonnel, laisser  périr  une  si  florissante  cité.  Je  me  rendis  avec  lui 
chez  le  prévôt  de  Paris1  auquel  il  exposa  tout  ce  qu'il  savait.  Le 
prévôt,  en  nous  remerciant,  avoua  qu'il  avait  déjà  entendu 
parler  de  quelque  chose,  mais  rien  de  si  clair  ni  de  si  précis.  Il 
ajouta  qu'il  allait  veiller  tout  de  suite  à  la  sécurité  du  roi,  et  lui 
expédier  sans  retard  des  courriers  pour  le  prévenir  du  danger. 
Trois  gentilshommes,  montés  sur  des  coursiers  rapides,  partirent 
à  divers  intervalles  afin  de  donner  plus  de  poids  à  leurs  déclara- 
tions successives.  Nous  fûmes  congédiés,  comblés  d'éloges  à  cause 
du,  service  rendu  à  la  ville  et  au  roi. 

«  Aussitôt,  une  ordonnance  de  police  enjoignit  à  tous  les  habi- 
tants de  placer  à  la  porte  de  chaque  maison  des  échelles,  des 
vases  pleins  d'eau,  et  de  suspendre  aux  fenêtres  du  premier  étage 
des  lanternes  allumées  pour  éclairer  les  rues  pendant  la  nuit.  La 
garde  ordinaire  de  la  ville,  composée  de  cinq  cents  cavaliers 
ou  fantassins,  reçut  l'ordre  de  prendre  les  armes,  d'aller  en 
patrouille  et  de  réprimer  toute  tentative  de  sédition.  On  com- 
manda aussi  aux  capitaines  de  quartiers  de  consigner  leurs  trou- 
pes et  de  se  tenir  prêts  à  marcher  au  premier  signal.  Personne 
ne  songea  à  se  reposer  ni  à  dormir.  Après  avoir  pourvu  à  la  sécu- 
rité de  la  ville,  on  opéra  des  fouilles  et  on  découvrit  que  plu- 
sieurs maisons  étaient  remplies  de  paille,  de  poudre  et  de  torches 
incendiaires. 

«  Peu  s'en  fallut  que  le  roi  ne  fût  enlevé  à  Meaux.  Malgré  des 
avertissements  réitérés,  quelques  seigneurs  de  la  cour  lui  con- 
seillaient de  ne  pas  bouger.  Il  n'y  avait,  disaient-ils,  aucun  péril; 
ce  n'étaient  que  de  fausses  alertes;  les  Parisiens  étaient  gens 
craintifs  et  le  départ  du  roi  ne  ferait  qu'augmenter  leurs  frayeurs. 
Ainsi  Charles  IX  resta  tout  un  jour  à  Meaux.  Cependant  le  conné- 
table de  Montmorency,  soupçonnant  une  trahison,  ordonna  aux 

1.  «  Magistratus  ».  Sans  doute  le  prévôt  de  Paris  ou  l'un  de  ses  lieutenants. 


PENDANT  LES  TROUBLES  CIVILS.  619 

Suisses,  récemment  arrivés  et  postés  à  quelques  lieues  de  là,  de 
rejoindre  rapidement  le  roi,  en  conservanl  L'ordre  de  combat.  Ce 
commandement  fut  aussitôt >exécuté.  Dès  qu'ils  furent  présents, 

on  décida  le  roi  à  se  soustraire  au  péril  dont  il  était  menacé.  A 
peine  avait-il  quitté  la  ville,  au  lever  de  l'aurore,  accompagné 
des  Suisses  au  milieu  desquels  il  s'était  placé  sans  aimes  avec 
sa  suite,  que  Condé  apparut  à  la  tête  d'une  forte  troupe  de  ca- 
valiers. Il  essaya  quelques  escarmouches  avec  l'escorte  royale  ; 
mais  les  Suisses  ne  se  laissèrent  pas  entamer,  et  le  roi  put  être 
ramené  à  Paris  sain  et  sauf.  Charles  IX  était  resté  dix-sept  heures 
à  cheval. 

«  Je  ne  puis  dire  combien  le  prévôt  nous  fut  reconnaissant  de 
notre  intervention.  Pendant  la  nuit  dont  j'ai  parlé,  tandis  que 
lui-même  faisait  sa  ronde  à  cheval,  il  vint  nous  saluer  à  la  porte 
du  collège,  nous  souhaiter  bon  courage  et  nous  assurer  que,  si 
quelque  péril  menaçait  notre  maison,  aussitôt  des  troupes  nous 
seraient  envoyées1.  » 

Presque  au  même  temps,  le  P.  Auger,  Provincial  d'Aquitaine, 
rendait  un  service  analogue  à  la  ville  de  Lyon,  dont  les  protes- 
tants avaient  résolu  de  s'emparer  par  surprise2.  Au  commence- 
ment du  mois  de  septembre,  il  était  allé  de  Toulouse  à  Tournon 
pour  y  faire  la  visite  du  collège.  A  peine  arrivé,  il  reçut  de 
divers  côtés  des  avis  alarmants  sur  les  projets  des  huguenots. 
Comme  il  jouissait  d'un  grand  crédit  auprès  du  gouverneur  et 
des  autres  autorités  de  Lyon,  on  eut  recours  à  lui  avec  confiance 
et  on  lui  communiqua  des  indices  qui  donnaient  toute  créance 
à  la  dénonciation.  On  ajouta  qu'il  n'y  avait  pas  de  temps  à  per- 
dre, car  le  complot  devait  éclater  à  la  fin  du  mois. 

Sans  hésiter  un  instant,  le  P.  Auger,  sachant  les  huguenots  ca- 
pables de  toute  perfidie,  partit  pour  Lyon  afin  d'informer  le  gou- 
verneur de  leurs  mauvais  desseins1.  Le  président  de  Birague  lui 
sut  bon  gré  de  son  zèle,  mais  ne  parut  pas  d'abord  tenir  compte 
de  ses  avis.  Il  craignait  d'alarmer  les  catholiques  par  la  déliance 
qu'il  témoignerait  aux  calvinistes,  et  d'irriter  ceux-ci  que  ses 
instructions  lui  recommandaient  de  ménager.  D'ailleurs  les  lettres 
qu'il  recevait  de  la  cour  lui  représentaient  comme  de  faux  bruits 


1.  Manare,  De  rébus  Soc.  Jesu  Comment.,  p.  102-104. 

2.  Sacchini,  Ilisl.  Soc.  Jesu,  P.  III.  1.  III.  n.  155.  Cf.  Bailly,  Vray  poui traict,  1.  I, 
c.  xui.  Dorigny,  Vie  du  P.  Auger,  1.  III,  p.  16i.  —  Sur  cel  incident  Sacchini  est  1res 
bref;  Bailly  et  Dorigny  ne  semblent  pas  exacts.  Nous  suivrons  deux  témoins  oculaires, 
l'historien  de  Rubys  et  le  Père  Commolet  qui  était  alors  au  collège  de  la  Trinité. 


620  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

tous  les  rapports  alarmants1.  Il  fallut  l'imminence  du  danger 
pour  lui  ouvrir  les  yeux. 

Le  dimanche  28  septembre,  veille  de  la  Saint-Michel,  au  col- 
lège de  la  Trinité,  les  élèves  devaient  donner  une  comédie 
latine.  Le  théâtre  était  déjà  dressé2,  quand  «  sur  les  trois  heures 
après  midy  arrive  un  boucher...  qui  venoit  de  Mascon...  à  toute 
bride,  apportant  la  nouvelle  que  la  nuit  précédente  les  protes- 
tants s'étoient  emparés  de  ladite  ville3  ».  Aussitôt  le  P.  Auger 
court  chez  l'archevêque  et  chez  le  gouverneur;  il  les  supplie 
d'aviser  sans  retard  à  la  défense  de  Lyon  et  à  son  salut.  Birague, 
enfin  persuadé,  convoque  à  l'archevêché  les  magistrats  et  les 
notables,  et  devant  cette  assemblée,  où  se  trouve  le  P.  Auger4, 
le  boucher  de  Màcon  répète  son  récit.  Tandis  qu'on  examine  les 
mesures  que  réclame  la  situation,  entre  soudain  tout  ému  le 
prieur  des  Jacobins  :  il  annonce  que  les  protestants  de  son  quar- 
tier s'agitent  et  cherchent  à  s'emparer  de  la  place  située  devant 
l'église  de  son  couvent.  Il  n'y  avait  plus  de  temps  à  perdre. 
L'assemblée  se  sépare;  on  fait  prendre  les  armes  aux  soldais 
catholiques;  on  tend  des  chaînes  dans  les  rues;  on  place  aux 
portes  de  la  ville  d'importants  corps  de  garde  \  Les  huguenots 
sont  étroitement  surveillés  et  retenus  dans  leurs  maisons.  Pen- 
dant que  les  Pères  du  collège  se  mettent  en  prières  et  se  suc- 
cèdent toute  la  nuit,  sans  interruption,  au  pied  du  saint  Taber- 
nacle, le  P.  Auger  parcourt  les  différents  quartiers  de  la  cité  et 
anime  ses  défenseurs  à  combattre  courageusement (i. 

Quelques  hérétiques  interrogés  et  mis  à  la  torture  avouèrent 
que  le  signal  convenu  pour  l'attaque  de  la  ville  était  le  coup  de 
deux  heures  du  matin7,  à  l'église  Saint-Nizier;  un  soulèvement 
à  l'intérieur  devait  faciliter  l'assaut  de  l'armée  protestante,  sur- 
venue à  la  faveur  de  la  nuit.  Les  magistrats,  informés  de  ces 
circonstances,  firent  arrêter  toutes  les  horloges  s.  A  l'interruption 
des  sonneries,  les  ennemis  reconnurent  que  le  complot  était  dé- 
couvert. Mouvans,  leur  chef,  raconte  Rubys,  «  qui  s'étoit  ache- 
miné  avec   ses  troupes   pour   se  jeter    dans    Lyon,    se    voyant 


1.  De  Rubys,  Hist.  véritable  de  la  ville  de  Lyon,  p.  411. 

2.  Lettre  du  P.  Commolet  au  P.  Gén.,  lcl  juin  1568  (Gall.  Epist.,  t.  III,  f.  253). 
Celte  lettre  était  un  compte  rendu  de  l'année  1567  pour  les  lettres  annuelles. 

3.  De  Rubys,  l.  c. 

i.  Lettre  du  P.  Commolet.  —  5.  De  Rubys,  l.  c. 
6.  Lettre  du  P.  Commolet.  —  7.  Ibidem. 

8.  Ibidem.  Le  P.  Bailly  et  le  P.  Dorigny  attribuent  au  P.  Auger  l'idée  de  celle  ruse 
de  guerre.  Mais  ni  le  P.  Commolet,  ni  de  Rubys  ne  font  ici  allusion  à  son  initiative. 


PENDANT  LES  TROI  BLES  CIVILS.  621 

avoir  failli  la  prise,  se  jeta  dans  Vienne  où  il  ne  trouva  point  de 
résistance  '  ». 

Durant  cinq  jours  Lyon  îvsta  eu  état  de  siège.  Des  perquisitions, 
opérées  dans  les  endroits  suspects,  prouvèrent  que  les  huguenots 
étaient  fortement  armés  et  aussi  qu'ils  avaient  formé  les  desseins 
les  plus  criminels.  Ici  et  là  on  trouva  non  seulement  des  machines 
de  guerre,  des  projectiles  et  des  échelles,  mais  encore  un  grand 
nombre  de  cordes  pour  pendre  les  papistes  les  plus  zélés;  on  sut 
que  l'une  d'elles  était  destinée  au  Provincial  des  Jésuites  :  le 
P.  Auger  avait  bien  mérité  cet  honneur.  Les  catholiques  n'hési- 
tèrent pas  à  se  venger  des  embûches  préparées  contre  eux  et 
contre  leurs  prêtres;  ils  mirent  au  pillage  les  temples  protestants, 
dont  ils  arrachèrent  jusqu'aux  pavés  '3. 

3.  Mouvans,  de  son  côté,  cherchait  à  se  consoler  de  sa  décep- 
tion en  exerçant  toutes  sortes  de  cruautés  3  contre  les  populations 
fidèles  à  l'Église,  qu'il  rencontrait  dans  sa  marche  sur  Vienne  et 
sur  Valence.  Le  collège  de  To union  fut  alors  exposé  à  de  grands 
périls,  car  les  huguenots  résolus,  disaient-ils,  à  épargner  le  reste 
de  la  ville,  regardaient  les  Jésuites  comme  des  victimes  réservées 
à  leur  vengeance.  Une  tempête  accompagnée  de  pluies  torren- 
tielles les  empêcha  de  mettre  immédiatement  leur  dessein  à  exé- 
cution :  le  Rhône  déborda,  les  communications  furent  intercep- 
tées et  des  villages  entiers  se  trouvèrent  presque  sous  les  eaux. 
Le  P.  Mathieu,  Recteur  du  collège,  prévenu  à  temps  de  l'approche 
et  de  la  fureur  des  hérétiques,  rendit  les  pensionnaires  à  leurs 
parents.  Il  venait  de  réunir  la  communauté  pour  lui  donner  ses 
dernières  instructions,  quand  arriva  un  exprès,  envoyé  par  le 
P.  Provincial  et  qui  n'avait  pu  que  difficilement  se  frayer  un  pas- 
sage à  travers  les  bandes  ennemies.  Le  P.  Auger  mandait  au 
P.  Recteur  de  pourvoir  à  la  sûreté  des  siens  en  les  faisant  partir 
pour  Rillom.  Avant  de  se  séparer,  le  P.  Mathieu  les  exhorta  à  sup- 
porter courageusement  l'épreuve  et  à  mourir,  s'il  le  fallait,  pour 
la  défense  de  la  foi.  Tous,  après  de  touchants  adieux,  se  disper- 
sèrent par  petites  bandes,  et  parvinrent  heureusement,  quelques 
jours  plus  tard,  à  l'abri  fraternel  qui  leur  avait  été  assigné  '. 

1.  De  Rubys,  l.  c. 

2.  Lettre  du  P.  Commolet. 

3.  Lettre  du  P.  Cl.  Mathieu  au  P.  Général,  9  mai  1568  1 0 ail.  Epist.j  t.  ill,  f.  249  . 

4.  Lettre  du  P.  Mathieu  déjà  citée.  Cf.  Sacchini,  Hislor.  Soc.  Jesu.  P.  111,1.  Ill, 
n.  157.  Le  collège  de  Tournon  rouvrit  ses  classes  l'année  suivante  [Epi&t.  /'.  Xadal. 
t.  III,  p.  611,  645).  Cf.  Bibl.  Vilt.  Kinin.,  inss.  Gesuil.,  1584  [3713  . 


622  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

Pendant  que  ces  événements  se  passaient  an  midi,  la  capitale 
dn  royaume  était  de  nouveau  menacée  par  le  prince  de  Condé, 
déjà  maître  de  Saint-Denys.  Sous  les  murs  de  cette  ville,  le  10  no- 
vembre 1567,  il  livra  bataille  aux  troupes  royales.  La  victoire 
remportée  par  les  catholiques,  et  où  périt  le  connétable  de  Mont- 
morency, ne  fît  qu'exaspérer  les  calvinistes.  La  petite  pair  de 
Long-jumeau,  signée  le  23  mars  1568,  fut  pour  eux  une  simple  trêve 
pendant  laquelle  ils  s'organisèrent  plus  fortement.  Aussi  le  P.  Gé- 
néral, ému  de  compassion  à  la  vue  des  malheurs  de  la  France, 
ordonna-t-il  dans  toute  la  Compagnie  des  prières  pour  les  besoins 
du  royaume  très  chrétien  l. 

4.  A  l'automne  de  1568,  la  guerre  éclata  partout,  au  sein  des 
grandes  villes  comme  dans  les  bourgades.  Le  duc  d'Anjou,  frère 
du  roi,  nommé  lieutenant  général,  pria  le  P.  Auger  de  l'accom- 
pagner dans  sa  campagne  de  l'Ouest  contre  les  rebelles.  Le  Père, 
sur  le  point  d'aller  à  Toulouse,  où  le  réclamaient  les  affaires  de 
la  Province,  fut  pris  au  dépourvu  et  dut  se  décider  sans  attendre 
l'avis  du  P.  Général  :  «  Leurs  Majestés,  lui  écrivit-il  ensuite,  m'ont 
ordonné  sans  vouloir  écouter  mes  remontrances,  de  suivre  à 
l'armée  le  lieutenant  général,  frère  du  roi,  parce  que  mes  travaux 
y  seraient  plus   utiles   que  nulle  part   ailleurs;   la  reine  ajouta 

qu'elle  en  écrirait  à  Sa  Sainteté  et  à  Votre  Paternité Je  fiais 

par  offrir  à  Leurs  Majestés  mes  humbles  services  en  les  assurant 
du  dévouement  de  toute  la  Compagnie,  ce  dont  elles  se  montrè- 
rent très  reconnaissantes J'ai   demandé  un  Père  à  Lyon,  un 

autre  à  Toulouse;  je  pense  qu'ils  ne  tarderont  pas  à  me  rejoin- 
dre... Hier,  au  Parlement,  les  officiers  du  roi,  au  nombre  de 
cent  soixante,  ont  fait  une  profession  de  foi;  trois  seulement  se 
sont  abstenus  2.  » 

Après  avoir  chargé  le  P.  Annibal  du  Coudre*,  de  gouverner  la 
Province  en  son  absence,  le  P.  Émond  se  rendit  à  l'armée.  Sa 
brusque  décision  fut  complètement  approuvée  par  le  P.  Général, 
qui,  le  8  novembre,  l'exhortait  à  supporter  courageusement  les 
fatigues  de  la  campagne  pour  la  gloire  de  Dieu  :!.  Ce  nouvel  apos- 
tolat convenait  très  bien  à  sa  nature  active  et  dévouée.  Le  Pète 
comprit  que  dans  une  guerre  entreprise  contre  les  ennemis  de 


1.  Lettre  aux   Provinciaux  de  France  et  d'Aquitaine,  29  mars  1568  (Gall.,  Epist. 
General.,  t.  IV). 

2.  Lettre  du  8  oct.  1568  fGall.  Epist.,  t.  111,  fol.  234). 

3.  Gall.,  Epist.  General.,  t.  IV. 


PENDANT  LES  TROUBLES  CIVILS.  623 

l'Église,  le  meilleur  moyen  de  disposer  les  troupes  h  combattre 
était  de  déraciner  les  vices  qui  auraient  pu  détourner  les  béné- 
dictions du  Seigneur.  En  se  frisant  tout  à  tous,  il  gagna  prompte- 
ment  la  confiance  des  officiers  et  des  soldats.  On  le  voyait  partager 
avec  eux  les  fatigues  et  les  dangers,  marcher  à  leurs  eûtes,  vivre 
de  leur  vie,  les  visiter  dans  leurs  tentes  et  leurs  corps  de  garde, 
les  consoler  dans  leurs  peines,  les  soigner  dans  leurs  maladies, 
leur  rendre  les  plus  humbles  services,  leur  administrer  les  sacre- 
ments et  les  préparer  à  la  mort.  Il  ne  se  contentait  pas  de  les  ins- 
truire en  particulier;  il  les  réunissait  dans  les  églises  ou  sur  les 
places  publiques,  quelquefois  même  au  milieu  des  champs,  et  les 
exhortait  à  remplir  chrétiennement  leurs  devoirs  d'état  '. 

Au  commencement  de  1569,  nous  retrouvons  le  P.  Auger  à 
Lyon,  où  il  avait  été  envoyé  par  le  duc  d'Anjou,  alors  que  les  in- 
tempéries de  la  saison  retardaient  les  opérations  militaires  :  «  Sa 
Sainteté  se  plaint,  écrivait-il  le  1er  février  au  P.  Général,  que  la 
guerre  traîne  en  longueur;  mais  on  ne  peut  guerroyer  en  hiver 
comme  en  été,  surtout  cette  année  où  pendant  les  mois  de  dé- 
cembre et  de  janvier  le  froid  a  été  très  intense  et  la  neige  plus 
épaisse  qu'on  ne  l'avait  jamais  vue  en  Aquitaine.  Que  tous  soient 
bien  persuadés  de  la  très  bonne  volonté  de  Monsieur,  frère  du 
roi'2.  »  Il  ajoutait,  le  9  février,  d'après  les  nouvelles  qui  lui 
avaient  été  communiquées  par  le  gouverneur  de  Lyon  :  «  On 
peut  espérer,  avec  la  grâce  de  Dieu,  que  l'expédition  ira  toujours 
de  mieux  en  mieux,  à  la  grande  confusion  des  huguenots.  Déjà  le 
prince  de  Condé  s'est  retiré  avec  ses  troupes  du  côté  de  la  Ro- 
chelle '.  » 

En  mars,  le  P.  Auger  rejoignit  l'armée  du  duc  d'Anjou;  le  \  de 
ce  mois,  il  la  rencontrait  à  Verteuil  :  «  Je  suis  arrivé  ici,  dit-il, 
en  même  temps  que  deux  mille  cinq  cents  reitres,  et  demain  l'ar- 
mée doit  marcher  sur  Saint-Jean-d'Angely.  Tous  désirent  en 
venir  aux  mains  avec  l'ennemi;  mais  on  craint  que  les  chefs  ne 
se  retirent  en  Angleterre  ou  ne  se  dirigent  vers  le  Languedoc.  » 
Il  se  félicite  ensuite  du  bon  accueil  qu'il  a  reçu  des  officiers  à 
son  retour,  et  il  ajoute  :  «  Ce  matin  je  suis  allé  à  l'avant-garde, 
où  se  trouvent  les  seigneurs  de  Montpensier,  de  Guise,  de  Marti- 

1.  Le  P.  Auger  composa,  peut-être  pendant  cette  campagne,  un  petit  traité  îles  de- 
voirs du  soldat  chrétien  intitulé  :  «  Le  Pédagogue  d'armés,  pour  instruire  un  prince 
chreslien  à  bien  entreprendre  el  heureusement  achever  une  lionne  guerre  pour 
estre  victorieux  de  tous  les  ennemis  de  son  estât  et  de  l'Église  catholique.  Cf. 
Sommervogel,  BiDl.  de  la  Compagnie  de  Jésus,  t.  I,  col.  037. 

2.  Gall.  Epist.,  t.  IV,  f.  33.  —  3.  lbid.,  loi.  189. 


i 124"  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

gués,  de  Joyeuse,  de  Brissac,  et  j'ai  prêché  à  Rufiec  dans  un  grand 
hangar  où  se  fait  le  marché  public;  car  toutes  les  églises  ont  été 
dévastées  par  La  Rochefoucauld,  un  des  chefs  rebelles.  Bon  nom- 
bre de  seigneurs  assistaient  à  la  messe  ;  les  soldats  avaient  reçu 
Tordre  exprès  d'y  amener  leurs  hôtes.  La  messe  finie,  je  suis 
revenu  à  Verteuil.  On  espère  que  tout  sera  terminé  ce  mois-ci, 
dans  quinze  jours  peut-être.  Nos  troupes  ont  déjà  pris  contact 
avec  l'ennemi,  et  se  sont  emparées  du  château  de  Jarnac,  non 
loin  de  Saint-Jean-d'Angely...  Je  recommande  à  vos  prières 
Monsieur,  frère  du  roi,  et  toute  l'armée;  demandez  que  mon  mi- 
nistère ne  soit  pas  inutile...  et  si  je  meurs  dans  cette  guerre,  que 
l'on  prie  pour  moi  '.  » 

Le  13  mars,  le  jour  même  du  combat  décisif  livré  à  Jarnac, 
le  P.  Auger  s'empressa  d'annoncer  à  Rome  la  victoire  de  l'armée 
royale2.  Le  matin,  en  présence  des  principaux  chefs,  il  avait  cé- 
lébré la  sainte  messe  et  communié  M.  le  duc  de  Montpensier  et 
plusieurs  autres  seigneurs;  une  demi-heure  avant  la  bataille,  il 
avait  aidé  le  duc  d'Anjou  à  mettre  son  armure;  pendant  l'action, 
il  s'était  tenu  à  ses  côtés  et  avait  admiré  sa  brillante  valeur.  Le 
jour  suivant,  on  chanta  le  Te  Deum  à  la  messe  votive  du  Saint 
Sacrement,  qu'il  célébra  en  réparation  des  blasphèmes  des  hé- 
rétiques^. 

Épuisé  par  les  fatigues  de  la  vie  des  camps,  le  P.  Emond  obtint 
de  Monsieur  l'autorisation  de  retourner  dans  sa  Province.  En  pas- 
sant à  Limoges,  où  il  s'arrêta  plusieurs  jours,  il  prêcha  avec  tant 
de  succès  qu'il  ramena  au  sein  de  l'Église  plus  de  trois  cents  hé- 
rétiques ' . 

5.  Vers  la  même  époque,  un  corps  pontifical  de  huit  cents  che- 
vaux, sous  les  ordres  du  comte  de  Santa-Fiore,  s'organisait  près 
de  Turin.  Douze  cents  autres  soldats  italiens,  levés  par  Cosme, 
duc  de  Florence,  devaient  s'unir  aux  troupes  du  Pape  Pie  V5. 
Par  ordre  de  Sa  Sainteté,  le  P.  Possevin  composa  un  petit  livre 
de  piété  intitulé  77  soldato  chrisliano,  le  soldat  chrétien,  qui  fut 

1.  Gall.  Episl.,  l.IV,    fol.  182'.  —  2.  Ibid.,  fol.  183. 

3.  Lettre  du  14  mars  {Ibid.,  fol.  188).  On  trouvera  celte  lettre  à  la  fin  du  vol., 
Appendice  H. 

4.  Peu  de  temps  après,  se  trouvant  à  Lyon  et  apprenant,  par  les  lettres  qu'il  rece- 
vait de  Toulouse,  la  consternation  des  habitants  de  cette  ville,  il  écrivit  aux  magistrats 
une  lettre  de  consolation,  très  apostolique,  que  ceux-ci  firent  imprimer  sous  ce  titre 
dans  le  goùl  de  l'époque  :  Sucre  spirituel  pour  adoucir  l'amertume  des  aigres  mal- 
heurs de  ce  temps. 

5.  Lettres  du  P.  Curtio  Amodei  au  P.  Général,  5,  10,  16  mai  1369  (Gall.  Epis!., 
t.  IV,  fol.  191,  192,  195). 


PENDANT  LES  TROUBLES  Civils.  623 

distribué  à  cctlc  armée  destinée  à  aider  Charles  IX  dans  sa  guerre 
contre  les  protestants  '. 

Cinq  religieux  de  la  Compagnie  de  Jésus,  trois  prêtres  et  deux 
frères  coadjuteurs,  furent  attachés,  eu  qualité  d'aumôniers  et 
d'infirmiers,  aux  ambulances  des  troupes  pontificales  '-'.  Leur  cor- 
respondance contient  de  nombreuses  allusions  a  ce  qu'ils  eurent 
à  souffrir  d'un  défaut  presque  complet  d'organisation.  Le  18  mai, 
veille  de  l'Ascension,  la  petite  armée  se  mit  en  marche.  Jusqu'à 
Lyon,  où  l'on  arriva  le  lundi  de  la  Pentecôte,  rien  ne  semblait 
laisser  à  désirer;  les  soldats  se  montraient  pleins  d'entrain;  ils 
étaient  soumis  à  leurs  chefs  qui  n'avaient  à  se  plaindre  ni  du 
jeu  ni  des  blasphèmes.  Les  Pères  furent  reçus  à  bras  ouverts  au 
collège  de  la  Trinité,  et  munis  d'abondantes  provisions  par  le 
P.  Auger  déjà  expérimenté  dans  la  vie  de  campagne.  Le  ï  juin, 
eut  lieu  le  départ  pour  rejoindre  l'armée  française,  et  aussitôt 
commencèrent  les  difficultés.  La  paye  ne  se  faisait  pas  régulière- 
ment; souvent  les  vivres  manquaient,  et  les  soldats  se  déban- 
daient à  la  recherche  de  la  nourriture  et  du  fourrage,  et  ran- 
çonnaient les  habitants.  L'absence  de  discipline  entraîna  toutes 
sortes  d'abus,  que  les  chefs  étaient  impuissants  à  réprimer,  et 
dont  les  Pères  ne  pouvaient  que  gémir.  Les  routes  étaient  encom- 
brées de  nombreux  malades  que  l'ambulance  suffisait  à  peine  à 
recueillir  et  à  soulager.  Le  ï  juillet,  un  mois  après  leur  départ 
de  Lyon,  les  Italiens  n'étaient  encore  qu'à  Aubiat 3  en  Auveiyue, 
et  le  13  à  Saint-Paul  en  Limousin,  où  ils  laissèrent  une  partie 
des  malades,  pendant  qu'ils  envoyaient  les  autres  à  Limoges  et  à 
Saint-Léonard.  Arrivés  à  Persac4  le  21  juillet,  exténués  de  fatigue 
et  mourants  de  faim,  ils  ne  parlaient  plus  que  de  retourner  dans 
leur  pays  s'ils  ne  rencontraient  pas  l'ennemi  ou  si  l'on  ne  faisait 
pas  la  paix5.  Au  mois  d'août,  ils  se  reposèrent  une  quinzaine 
de  jours  à  Montbazon,  et  les  malades  furent  évacués  sur  Saint- 
Pierre-des-Corps  aux  portes  de  Tours,  où  se  trouvait  le  quartier 
général  de  l'armée  catholique (i. 

Les  Pères  aumôniers  restèrent  avec  l'ambulance,  jusqu'au  mois 

1.  Lettre  du  P.  Possevin  au  P.  Saillio,  20  avril  1G0S   Dans    Vita  (Ici  P.  A.    Posse- 
vino,  t.  Il,  p.  63,  64). 

2.  C'étaient  «  Curtius  Amoloeus,  Rodulphus  Florius,  et  Francisais  a  Sancto  Ger- 
mano,  sacerdotes ;  Laelius  Sanguineus,  et  Marius  Genlili.  laïci  ». 

3.  Dans  le  Puy-de-Dôme,  arrondissement  de  Riom. 

4.  Dans  la  Vienne,  arrondissement  de  Monlmorilion. 

5.  Tous  ces  détails  sont  tirés  des  lettres  du  P.  Curtio  Amodei   au  P.  Général,  juin 
et  juillet  15G9  (Gall.  Epist.,  t.  IV,  fol.  40,   il,  197,  201,  203.  205 

6.  Lettre  du  P.  Possevin  au  P.  Général,  29  août  1569   Acta  a  Possevino). 

COMPAGNIE    DR  JÉSUS.    —   T.    I.  40 


626  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESl  S. 

d'octobre,  dans  ce  faubourg  de  la  ville.  Privés  des  choses  les 
plus  nécessaires  à  la  vie,  et  surchargés  de  travaux,  leurs  forces 
les  abandonnaient.  L'un  d'eux  mourut,  et  presque  tous  auraient 
succombé,  si  le  P.  Manare,  informé  de  leur  détresse,  n'eût  en- 
voyé un  Frère  porteur  d'une  lettre  pour  le  cardinal  de  Lorraine. 
On  les  fit  alors  entrer  à  Tours,  et  là  on  leur  prodigua  des  soins 
qui  bientôt  leur  permirent  de  reprendre  leur  poste  de  dévoue- 
ment '.Le  P.  Possevin  ne  tarda  pas  à  arriver  dans  cette  ville  et  il 
remplaça  celui  qui  n'était  plus.  Mais,  tout  en  se  dévouant  à  cet 
humble  ministère,  il  ne  put  refuser  de  prêcher  plusieurs  fois  de- 
vant la  cour,  à  l'occasion  des  «  supplications  solennelles  »  qu'on 
faisait  à  ce  moment  pour  attirer  la  bénédiction  du  ciel  sur  les 
armes  du  roi'2. 

Au  commencement  de  l'été,  le  P.  Auger  avait  été  rappelé  par 
le  duc  d'Anjou  qui  réclamait  encore  le  secours  de  son  zèle  auprès 
des  soldats.  Les  hostilités,  en  effet,  venaient  de  recommencer.  Le 
23  juin,  les  huguenots  avaient  surpris  l'avant-garde  catholique  à 
la  Roche-Abeille,  près  de  Saint- Yrieix,  et  tué  tous  les  prisonniers 
qui  étaient  tombés  entre  leurs  mains;  mais,  dès  le  lendemain,  les 
deux  armées  s'éloignèrent  d'un  pays  montueux  où  elles  avaient 
de  la  peine  à  vivre.  Coligny,  maître  de  presque  tout  le  Poitou, 
avait  résolu  de  s'emparer  des  places  que  les  catholiques  y  possé- 
daient encore.  Il  enleva  aisément  Lusignan  et  Chàtellerault,  et 
vint  mettre  le  siège  devant  Poitiers.  Grâce  à  l'énergique  résis- 
tance opposée  par  du  Lude  et  les  jeunes  ducs  de  Guise  et  de 
Mayenne,  la  ville  résista  sept  semaines,  en  infligeant  à  l'ennemi 
une  perte  de  trois  mille  hommes.  Levant  alors  le  siège  de  Poi- 
tiers, Coligny,  incertain  du  parti  qu'il  allait  prendre,  se  retira 
vers  Moncontour  et  campa  dans  la  vaste  plaine  qui  s'étend  entre 
la  Dive  et  le  Thouet.  Le  duc  d'Anjou  avait  obtenu  du  Conseil 
l'autorisation  de  combattre  si  l'occasion  s'en  présentait.  Son 
avant-garde  attaqua  les  huguenots  à  Saint-Cler,  près  de  Mon- 
contour, le  30  septembre.  Le  3  octobre,  à  trois  heures  de  l'a- 
près-midi, commença  la  bataille  qui  devait  décider  du  sort  de  la 
campagne.  Le  lendemain,  Albert  de  Gondi,  comte  de  Retz,  fut 
dépêché  vers  le  roi,  et  les  habitants  de  Tours  apprirent  la 
grande  victoire  remportée  par  l'armée  catholique  :. 

1.  Lettres  du  F.  Laelio  Sanguineo,  des  6  et  15  août;  —  du  P.  Curtio  Amodei,  des 
14  et  24  sept.,  1569  (Gall.  Epist..  t.  IV,  fol.  103,  105,  207,  208). 

2.  Lettre  du  P.  Possevin  au  P.  Général.  29  août  (Acta  in  Galliai.  Annal,  decas  1\ 
1.  III,  c.  îv.  —  Lettre  du  P.  Amodei,  24  sept.    Gall.  Epist.,  t.  IV,  fol.  105). 

3.  Bibl.  mun.  de  Poitiers,  ms.   159,  Mémoire  historique   sur    les   guerres  de   reli- 


PENDANT  LES  TROl  BLES  CIVILS. 

Los  troupes  pontificales  y  avaienl  contribué  dans  La  mesure  de 
leurs  forces  :  «  Nos  Italiens,  écrit  le  P.  Amodei,  se  sont  très  bien 
comportés;  ils  n'ont  perdu"  aucun  de  leurs  principaux  officiers 
les  vingt-cinq  drapeaux  qu'ils  ont  pris  à  l'ennemi  ont  été  envoyés 
au  Souverain  Pontife1.  »  Le  P.  Auger,  lui  non  plus,  ne  s'était  pas 
épargné  sur  le  champ  de  bataille  où  il  avait  accompagné  le  duc 
d'Anjou.  Sans  s'effrayer  du  danger,  il  resta  au  milieu  des  com- 
battants et  rendit  ses  services  aux  mourants  et  aux  blessés.  La 
campagne  terminée,  il  revint  à  Toulouse  où  il  reprit  le  gouver- 
nement de  sa  Province.  Sa  présence  y  était  d'autant  plus  néces- 
saire que  l'amiral  de  Coligny  avait  rejoint,  à  Montauban,  le  comte 
de  Montgommery  qui  occupait  Navarreins  et  le  Béarn,  et  tous 
deux  menaçaient  d'envahir  le  Languedoc  :  «  Il  faut  espérer,  é< -ri- 
vait le  P.  Émond,  que  Monsieur  ne  tardera  pas  à  venir  au  secours 
de  ces  pauvres  provinces,  ou  bien  il  trouvera  tout  en  ruines,  car 
les  grosses  places  seules  peuvent  se  défendre.  11  serait  téméraire 
d'entreprendre  la  visite  des  maisons  tant  que  les  huguenots  oc- 
cuperont le  pays.  En  attendant  je  fais  ici  ce  que  je  puis,  prêchant 
chaque  jour  pour  aider  et  consoler  la  population-.  »  Jamais  le 
Père  ne  déploya  plus  d'activité  que  dans  cette  occasion  :  il  rani- 
mait le  courage  de  tous  et  les  excitait  à  fléchir  la  miséricorde  du 
Seigneur  par  des  prières  et  des  œuvres  de  pénitence. 

Après  la  victoire  de  Moncontour,  qui  termina  la  guerre,  la 
plupart  des  soldats  de  l'armée  pontificale  avaient  pu  regagner 
l'Italie;  mais  un  grand  nombre,  exténués  par  les  fatigues  d'une 
rude  campagne  et  les  souffrances  d'une  longue  maladie,  s'étaient 
arrêtés  à  Lyon  dont  la  population  s'empressa  de  les  secourir.  Les 
Pères  du  collège  de  la  Trinité  firent  preuve,  en  ces  tristes  circons- 
tances, d'un  admirable  dévouement  au  service  des  malades.  Ils 
virent  alors  arriver  successivement,  à  bout  de  forces  mais  en- 
core pleins  de  courage,  le  Frère  Mario,  puis  les  Pères  Curtio 
Amodei,  Ridolfo  et  de  San-Germano,  aumôniers  des  troupes 
italiennes.  Le  P.  Léonis,  accompagné  d'un  Frère,  fut  chargé  par 
•MF  de  Fermo  d'aller  à  la  rencontre  des  traînards  privés  de  toutes 
ressources,  afin  de  pourvoir  à  leurs  plus  pressants  besoins  et  de 
les  diriger  sur  la  ville. 

Le  P.  Creytton,  recteur  du  collège,   dut,  par  l'ordre  du  Sou- 

gion.  — Lettre  du  P.  Possevin  au  P.  Général,  8  octobre  (Acla  a  Possevino).  Cf.  M,  - 
moires  de  Castelnau,  1.  VII,  c.  vu.  Davila,  Hist.  des  guerr.  civiles,  t.  I,  p.  3i6. 
Tortorel  et  Perrissin,  -iu  tableaux  :  n.  wxiv,  xxw  et  xxxvi. 

1.  Lettres  au  P.  Général,  4  et  8  octobre  (Hall.  Epist.,  t.  IV.  fol.  107,  109). 

2.  Lettres  des  7  et  li  novembre  1570  (Gall.  Epist.,  t.  V,  fol.  159). 


G28  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

verain  Pontife,  s'occuper  de  la  paye  de  ces  pauvres  soldats  et 
leur  trouver  des  aumônes,  car  ils  manquaient  de  vêtements  et  de 
toutes  choses  '.  Quel  ne  fut  pas  son  désappointement  «  lorsque  le 
trésorier,  Raphaël  Martelli,  lui  déclara  qu'il  ne  restait  plus  rien 
en  caisse  pour  satisfaire  les  justes  réclamations  de  troupes  qui 
n'avaient  rien  reçu  depuis  trois  mois  -  »  !  Pie  V,  informé  de  l'état 
misérable  où  se  trouvaient  réduits  les  hommes  de  son  armée3,  en 
fut  profondément  ému,  et  dans  sa  bonté  paternelle  donna  aussitôt 
les  ordres  nécessaires  à  leur  soulagement  immédiat  et  à  leur 
prompt  rapatriement. 

6.  La  paix  de  Saint-Germain  (août  1370;  suspendit  pour  un 
temps  les  hostilités,  mais  elle  ne  mit  point  fin  aux  troubles  par- 
tiels qui  continuèrent  d'agiter  plusieurs  provinces  :  de  là  son 
nom  de  paix  boiteuse  et  mal  assise.  Au  commencement  de  1572. 
le  P.  François  de  Borgia,  durant  le  voyage  qu'il  fit  alors4,  put 
constater  par  lui-même  les  dissensions  intestines  qui  désolaient  le 
royaume  très  chrétien.  Les  malheurs  qu'il  redoutait  depuis  long- 
temps pour  la  France,  ne  tardèrent  pas  à  tomber  sur  elle,  plus 
terribles  qu'on  n'aurait  jamais  pu  le  soupçonner  :  nous  voulons 
parler  du  massacre  commencé  à  Paris  le  2i  août,  et  connu  dans 
l'histoire  sous  le  nom  de  la  Saint-Barthélémy . 

Les  épisodes  de  cette  sanglante  journée  ne  se  lient  qu'incidem- 
ment à  l'histoire  de  la  Compagnie  de  Jésus,  mais  il  est  bon  de 
constater,  avec  une  saine  critique 5,  que  les  fameux  massacres 
n'ont  pas  été  le  fait  d'un  fanatisme  intolérant,  encore  moins  le 
résultat  d'un  complot  tramé  par  l'Église.  Ils  eurent  pour  cause 
principale  la  néfaste  politique  de  Catherine  de  Médicis.  Elle  oublia 
les  sages  remontrances  que  le  P.  Lainez  lui  avait  faites  dans  son 
mémoire  de  1562 |;.  Au  lieu  de  soutenir  franchement,  comme 
c'était  son  devoir,  les  droits  du  catholicisme,  elle  voulut  pactiser 
avec  la  réforme.  Toute  préoccupée  des  risques  de  son  pouvoir, 
elle  prenait  ombrage  aussi  bien  des  Montmorency  et  des  Guise  que 

1.  Lettre  du  P.  Éverard  Mercurian  au  P.  Général,  19  décembre  1569  Gall.  Epist., 
t.  IV,  fol.  78).  Cf.  Roma,  Bibl.  Vilt.  Enim..  Mss.  Gesuitici,  n.    1584    371.!  . 

2.  Lettre  du  P.  Creytton  au  P.  Général,  10  janvier  1570  (Gall.  Epist.,  t.  V,  fol.  10j  . 
:•..  Lettre  du  même,  21  fevr.  [Ibid.,  f.  109). 

4.  Voir  chap.  vi  du  livre  111. 

5.  Voir  :  La  Saint-Barthélémy  d'après  les  archives  du  Vatican,  article  de 
M.  Roularic,  dans  Bihl.  de  l'École  des  Chartes,  série  V,  t.  111,  p.  1.  Archives  cu- 
rieuses de  Vliist.  de  France,  s.  I,  t.  Vil,  tout  entier.  Hanotaux,  Etudes  liisl.  sur  les 
XVI'  et  XVIIe  siècles. 'Y1* de  Meaux,  Les  luttes  reVujieuses  en  France,  p.  133-169. 
Charles  Mot  ki.  L'amiral  de  Coligny   Paris,  1909_.  p.  464-472. 

6.  Voir  plus  haut,  1.  II,  c.  vi.  n.   1". 


PENDANT  LES  TROUBLES  CIVILS.  629 

du  prince  du  Gondé  et  de  l'amiral  de  Coligny.  Elle  pesait  con- 
tinuellement les  avantages  que  son  égoïste  jalousie  retirerai)  '1rs 
catholiques  ou  des  protestants,  prête  à  se  tourner,  selon  la  crise 
du  moment,  contre  les  uns  ou  contre  les  autres.  En  voyant 
l'amiral  qui  cherchait  à  entraîner  le  faihle  Charles  IX  dans  la 
querelle  des  Pays-Bas  contre  l'Espagne,  elle  sentit  que  son  crédit 
était  menacé,  qu'il  serait  bientôt  perdu  peut-être,  et  elle  ne  songea 
plus  qu'aux  moyens  de  le  conserver  à  tout  prix.  L'impudence 
hautaine  des  huguenots,  au  mariage  de  Henri  de  Navarre  avec 
Marguerite  de  Valois,  et  le  murmure  presque  universel  des  catho- 
liques contre  la  prépondérance  croissante  des  seigneurs  calvinistes 
déterminèrent  brusquement  sa  décision1.  La  tentative  d'assassinat 
contre  Coligny  et  la  crainte  d'une  vengeance  éclatante  de  ses 
coreligionnaires  précipitèrent  la  catastrophe  :  cet  attentat  est  le 
véritable  point  oie  départ  du  sinistre  projet  dont  l'ordre  d'exécu- 
tion fut,  au  dernier  moment,  arraché  au  jeune  roi2. 

«  Il  ne  fait  pas  bon,  dit  Brantôme,  d'acharner  le  peuple,  car  il 
est  assez  prêt,  plus  qu'on  ne  veut.  »  Comment,  dans  la  circons- 
tance, aurait-il  manqué  au  signal  donné?  Sans  parler  des  haines 
privées  et  des  autres  passions  humaines  qui  trouvèrent  là  l'oc- 
casion de  se  satisfaire,  le  peuple,  —  il  est  juste  de  le  recon- 
naître, —  était  exaspéré  par  l'insolente  audace  des  protestants, 
qui  depuis  dix  années  lui  offraient  le  spectacle  du  pillage  et  du 
meurtre,  saccageaient  ou  brûlaient  ses  sanctuaires,  profanaient 
les  objets  de  son  culte,  massacraient  ses  religieux  et  ses  prêtres3; 
il  était  irrité  à  l'excès  par  «  la  tolérance  et  même  la  patience  »  * 
que  la  royauté  leur  avait  montrées  dans  le  pardon  trop  facile  de 
leurs  crimes  atroces,  par  l'influence  scandaleuse  qu'elle  avait 
laissé  prendre  aux  chefs  du  parti  en  leur  prodiguant  caresses, 
argent  et  dignités.  Quand  enfin,  sur  un  geste  de  Charles  IX,  il 
crut  que  l'heure  de  la  réaction  était  arrivée,  il  s'y  précipita  avec 
tout  l'emportement  d'une  colère  trop  longtemps  contenue;  sa 
fureur  «  contre  ceux  qui  avaient  outragé  Dieu  et  les  hommes  '  » 
frappa  à  l'aveugle  et  sans  pitié. 

Durant  ces  heures  pénibles,  les  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus 


1.  «  La  Saint-Bai thélemy,  dit  M.  Merki,  reste  un  crime  politique  sous  couvert  de 
religion,  non  un  crime  religieux  »   pp.  c,  p.  47). 

2.  Ve  de  Meaux,  op.  c,  p.  150,  151. 

3.  On  peut  lire  à  ce  propos  le  récit,  par  un  protestant,  des  horreurs  commises  à 
Nîmes  le  jour  de  la  Saint-Michel  15C7  (Extrait  de  la  Revue  Britannique,  février 
1836,  cité  par  Henri  Hello,  La  Saint-Barthélémy,  Paris,  1901,  p.  21, 

4.  Meiki,  op.  c,  p.  404.  —  5.  Ibid.,  p.  405. 


630  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

eurent  un  rôle  tout  charitable  et  apostolique  :  «  Je  ne  puis  passer 
sous  silence,  rapporte  le  P.  Recteur  du  collège  de  Clermont,  ce 
qui  arriva  le  jour  de  la  Saint-Barthélémy...  A  Paris  quel- 
ques-uns de  nos  Pères  et  Frères  furent  envoyés  en  divers  en- 
droits pour  arracher  au  massacre  un  bon  nombre  de  nos  amis, 
et  parmi  eux  plusieurs  gentils-hommes  récemment  arrivés  dans 
Ja  capitale.  C'étaient  de  bous  catholiques,  mais  en  leur  qualité 
d'Anglais  ou  d'Écossais,  on  les  prenait  pour  des  hérétiques  et  on 
les  recherchait  dans  les  maisons  et  les  hôtelleries  afin  de  ies 
livrer  au  supplice.  Par  leurs  réclamations,  leurs  instances  et 
leurs  recours  à  d'inlluents  personnages,  nos  Pères  sauvèrent 
beaucoup  de  ces  malheureux.  A  Lyon  aussi,  pendant  le  massacre 
des  hérétiques,  quelques  Pères  rendirent  le  même  service,  et 
dans  l'une  et  l'autre  ville  ce  ne  fut  pas  sans  danger  pour  leur 
propre  vie1.  » 

Le  P.  Possevin,  qui  se  trouvait  alors  à  Lyon,  a  raconté  lui- 
même2  la  démarche  qu'il  fit  pour  sauver,  au  moins  de  la  mort 
élernelle,  deux  cents  calvinistes  enfermés  dans  la  prison  de 
Roanne.  Ayant  appris  qu'ils  devaient  être  tués,  il  pria  le  gou- 
verneur, «  si  cette  sentence  était  définitive,  de  lui  permettre 
daller  les  prévenir  et  d'essayer  de  les  ramener  au  catholicisme  ». 
Sa  demande  fut  agréée  ;  mais  son  zèle  et  son  «  affectueuse  » 
éloquence  restèrent  inutiles.  Ces  malheureux,  «  soit  endurcisse- 
ment, soit  espoir  d'échapper  par  la  complicité  des  habitants  », 
se  montrèrent  sourds  à  sa  voix.  Peu  de  temps  après  ils  étaient 
tous  massacrés. 

Dans  le  premier  moment,  les  massacres  de  la  Saint- Barthélémy 


1.  Maiiare,  De  rébus  Soc.  Jesn,  p.  106,  n.  56. 

2.  Annal,  decas  1  ',  1.  IV,  c.  n.  —  Au  mois  de  sept.  1572.  le  P.  Mathieu  écrit  de 
Lyon  au  P.  Nadal  :  «  Dicono  clie  la  settimana  passata  furanno  stati  amazzati  in  questa 
eitta  da  1.000  à  1.200  heretici,  benche  penso  che  non  saranno  stato  piu  di  800,  o  cir- 
eà  »  (Gall.  epist.,  t.  VI,  f.  106).  De  Toulouse  le  P.  A.  du  Coudret  écrit  au  P.  Nadal 
le  2  nov.  :  «Tuttavia  una  parte  degli  heretici  insino  a  cento  cinquanta,  o  circà,  sono 
stati  amazzati  in  questa  lerra;  gli  allri  essendo  fugiti  e  retiratisi  nelle  terre  vicine, 
donde  adesso  fanno  del  maie  a  questo  contorno  »  {Ihid..  f.  293).  Nous  n'avons  trouvé 
dans  les  papiers  de  la  Compagnie  aucun  document  sur  le  massacre  à  Bordeaux.  Ni  le 
Lurbe,  ni  Damai,  ni  Gaufïreteau  dans  leurs  Chroniques  ne  donnent  de  renseignements 
sur  le  rôle  des  Jésuites.  Cependant  M.  Gaullieur.  dans  son  Histoire  du  collège  de 
Guyenne  (p.  306),  nous  montre,  sans  indiquer  aucune  source,  la  population  catholi- 
que de  Bordeaux  «  fanatisée  par  les  prédications  des  Jésuites  ».  et  surtout  par  «  les 
discours  incendiaires  »  du  P.  Auger.  N'est-ce  pas  le  cas  d'appliquer  au  récit  de 
M.  Gaullieur  celte  observation  de  la  Chronique  de  Gaufïreteau  :  «  En  la  narration  de 
ce  massacre,  et  notamment  sur  ce  particulier  sujet  (des  Jésuites),  il  ne  s'en  fault  pas 
lier  au  livre  composé  par  les  hérétiques  qu'ils  ont  intitule  le  martyrologe,  parce  qu'ils 
couchent  en  iceluy  plusieurs  choses  qui  ne  turent  jamais  pensées  et  moins  mises  à  exé- 
cution pour  lors  »  (t.  I,  p.  170). 


PENDANT  LES  TROUBLES  CIVILS.  631 

ne  furent  présentés  nulle  part  sous  leur  véritable  couleur1.  D'a- 
près les  dépêches  adressées  aux  puissances  étrangères,  c'était  Le 
résultat  d'une  conflagration  soudaine  à  la  suite  de  l'attentat  con- 
tre l'amiral  de  Coligny,  ou  bien  la  répression  d'une  tentative  des 
huguenots  contre  la  personne  du  roi2.  Charles  IX  Lui-même,  dans 
un  lit  de  justice  qu'il  tint  au  Parlement,  déclara  que  tout  avail 
été  fait  par  son  très  exprès  commandement,  comme  juste  puni- 
tion de  ceux  qui  avaient  conspiré  contre  sa  personne,  celles  de 
la  reine  sa  mère  et  de  ses  frères,  dans  le  dessein  d'anéantir  la 
religion  et  de  renverser  la  monarchie.  Faut-il  donc  s'étonner  de 
ne  pas  trouver,  dans  la  correspondance  des  Jésuites  de  ce  temps, 
la  réprobation  d'un  événement  que  l'on  regardait,  non  comme 
un  perfide  guet-apens,  mais  comme  un  cas  de  légitime  défense, 
comme  un  triomphe  inattendu  des  catholiques  sur  les  protestants? 
Le  Parlement  n'avait-il  pas  reçu  l'ordre  d'informer  sur  le  complot 
des  huguenots,  dont  on  prétendait  avoir  la  preuve  dans  les  pa- 
piers de  Téligny,  gendre  de  l'amiral?  Sur  des  bruits  plus  ou  moins 
véiïdiques,  l'opinion   s'était  formée   que  les  huguenots  avaient 
résolu  d'en  finir  avec  leurs  adversaires,  et  qu'ils  furent  seulement 
devancés  par  la  catastrophe  qui  les  écrasa  eux-mêmes  à  l'impro- 
viste  :  «  0  juste  Providence,  s'écriait  un  calviniste  mourant,  nous 
subissons  aujourd'hui  le  sort  que  nous  réservions  pour  bientôt  à 
nos  ennemis3.  »  En  citant  celte  parole  dans  la  relation  qu'il  adresse 
de  Paris,  le  6  septembre,  à  ses  frères  de  Belgique  et  d'Allemagne, 
le  jésuite  Bernardin  Castori  partage  et  exprime  la  joie  commune 
des  catholiques,  il  parle  avec  enthousiasme  de  leurs  cérémonies 
d'actions  de  grâces,  de  leurs  prières  pour  «.  l'extirpation  complète 
de  l'hérésie  et  le  relèvement  de  la  foi4,».  Tel  était  à  ce  moment 
le  langage  de  beaucoup   d'honnêtes  gens,  qui  voyaient  dans  le 
châtiment  tragique  des  sectaires  «  un  miracle  de  la  main  toute- 
puissante  de  Dieu"'  ». 

7.  Henri  de  Navarre  et  le  prince  de  Condé  avaient  échappé  à 
la  fureur  du  peuple,  retenus  au  château  du  Louvre  par  Charles  IX 
qui  voulait  les  détacher  du  parti  protestant  en  les  foirant  à  ab- 

1.  Vicomte  de  Meaux,  op.  cil..  p.  166-159. 

2.  «  Ce  qui  est  vrai,  dit  le  vicomte  de  Meau\,  c'est  que  le  peuple  de  Paris  crut  sin- 
cèrement  à  une  conspiration  des  huguenots  contre  le  roi  »  (op.  cit.,  p.  155). 

3.  Récit  du  P.  Bernardin  Castori,  f>  sept.  157J,  dans  Hansen,  Reinische  Ah/en.... 
n.  472. 

i.  Ibidem. 

5.  Lettre  de  Possevin  au  P.  Nadal,  5  octobre  1572  (Acta  a  P.  Possevino  . 


032  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

jurer.  Comme  ils  résistaient  à  ses  obsessions,  on  eut  recours  à  des 
conférences  avec  des  docteurs  catholiques,  et  la  conversion  des 
jeunes  princes  s'ensuivit.  Malheureusement,  la  contrainte  morale, 
qu'ils  subirent  sous  le  coup  des  événements,  ne  leur  laissa  pas 
assez  de  liberté  pour  mûrir  une  si  grave  résolution;  de  plus,  leur 
légèreté  naturelle  ne  leur  permit  pas  de  prendre  au  sérieux  une 
abjuration  à  laquelle  ils  furent  insuffisamment  préparés.  C'est  du 
moins  ce  qui  ressort  du  récit  du  P.  Manare,  témoin  et  acteur  dans 
cet  intéressant  épisode  de  l'histoire  de  la  cour  : 

«  La  paix  étant  revenue  au  royaume  de  France,  dit-il,  le  roi 
Charles  IX  s'occupa  de  relever  la  religion  catholique...  Il  s'em- 
pressa, avant  tout,  de  ranimer  la  foi  parmi  ses  serviteurs,  d'ar- 
racher sa  cour  aux  influences  pernicieuses,  et  de  convertir  le 
roi  de  Navarre...  La  reine-mère,  s'appliquant  de  même  à  réfor- 
mer son  entourage  en  grande  partie  hérétique,  demanda  un  Père 
de  notre  collège  qui  instruirait  les  dames  d'honneur  et  les  jeunes 
filles  nobles  de  sa  maison.  Je  fus  choisi  pour  remplir  ce  minis- 
tère; pendant  plusieurs  semaines  je  m'efforçai  de  leur  inculquer 
la  connaissance  des  vérités  catholiques  et  de  les  former  à  la  pra- 
tique des  vertus  chrétiennes... 

«  Quand  j'eus  fini  de  les  préparer  à  se  réconcilier  avec 
l'Église,  la  reine-mère  entreprit  aussi  de  ramener  au  catholi- 
cisme le  prince  de  Condé  et  le  roi  de  Navarre.  Elle  me  chargea 
encore  de  ce  soin,  sous  la  direction  du  cardinal  Charles  de 
Bourbon,  oncle  des  deux  princes.  L'affaire  traîna  en  longueur, 
car  l'un  et  l'autre  restaient  inflexibles  et  ne  voulaient  pas  enten- 
dre parler  de  changement  de  religion.  Déjà  l'on  était  à  la  veille 
du  jour  où  le  Nonce  apostolique  devait  présider  la  cérémonie 
d'abjuration  dans  le  monastère  des  Augustins,  et  j'achevais  d'y 
disposer  les  dames  de  la  suite  de  la  reine,  quand  je  fus  appelé 
par  le  cardinal  qui  me  dit  de  catéchiser  immédiatement  ses 
neveux. 

«  Je  ne  refusai  point  mes  services;  mais,  considérant  ce  qui 
allait  probablement  avoir  lieu,  je  fis  en  sorte  de  ne  point  me 
trouver  seul  avec  les  princes.  Je  prévoyais,  en  effet,  que  le  roi 
de  Navarre  et  le  prince  de  Condé  amèneraient  avec  eux  plusieurs 
ministres  pour  discuter,  et  je  n'avais  point  la  prétention  de  lutter 
seul  contre  plusieurs  adversaires,  contre  ceux-là  surtout  qui  font 
consister  la  victoire  à  beaucoup  crier,  et  passent  à  la  légère  et 
sans  ordre  d'un  sujet  à  un  autre.  Je  demandai  donc  l'autorisation 
d'aller  au  collège  et  de  ramener  avec  moi  le  P.  Jean  Maldonat 


PENDANT  LES  TROI  BLES  CIVILS.  633 

et  quelques-uns  des  premiers  docteurs  de  Sorbonne;  car  il  im- 
portait de  traiter  convenablement  et  sérieusement  les  questions 
religieuses  devant  les  princes  et  les  assistants,  «m  vue  même  de 
leur  instruction.  Le  cardinal  s'y  opposa  longtemps  me  disant, 
pour  m'engager  à  rester,  qu'on  n'avait  pas  besoin  de  tant  d'ap- 
pareil; mais  enfin  il  céda.  Je  revins  accompagné  du  P.  Maldonat, 
du  docteur  Simon  Vigor,  plus  tard  archevêque  de  Narbonne,  du 
docteur  de  Saint-Germain  et  de  deux  autres  dont  j'ai  oublié  les 
noms;  en  tout  six  prêtres  catholiques,  prêts  à  la  dispute,  si 
c'était  nécessaire,  comme  de  fait  il  le  fut.  Le  roi  de  Navarre  avait 
avec  lui  trois  ou  quatre  ministres,  et  le  prince  de  Condé  presque 
autant,  dans  les  différentes  parties  du  palais  qu'ils  habitaient. 

«  Chez  le  roi  de  Navarre,  à  peine  eut-on  commencé  la  leçon 
de  catéchisme  qu'aussitôt  l'un  des  ministres  souleva  des  objec- 
tions, en  citant  des  textes  grecs  et  hébreux.  Le  P.  Maldonat,  très 
versé  dans  ces  matières,  se  chargea  presque  seul  de  la  réponse; 
mais  la  discussion  absorba  le  temps  destiné  à  l'instruction  du 
prince.  Pendant  que  les  adversaires  argumentaient,  le  roi  de 
Navarre,  retiré  dans  un  coin  de  l'appartement,  s'entretenait 
d'autres  choses  avec  ses  familiers.  Parfois  l'un  d'eux  l'invitait 
à  s'approcher,  lui  disant  qu'on  traitait  des  questions  fort  in- 
téressantes; et  le  prince  s'approcha  six  ou  huit  fois,  montrant, 
-  me  sembla-t-il,  de  la  bonne  volonté,  car  il  parut  touché  des 
raisons  alléguées  en  faveur  du  catholicisme.  Il  venait  près  de 
nous,  écoutait  quelques  instants  :  «  Bien,  très  bien,  disait-il, 
«  ceci  me  satisfait.  Allons,  bon  courage!  »  Puis  il  retournait 
vers  ses  amis.  Ainsi  finit,  après  deux  ou  trois  heures,  cette 
leçon  de  catéchisme.  Le  roi  de  Navarre  y  assista  contre  son 
gré;  son  esprit  était  ailleurs. 

«  Et  telle  fut  la  seule  instruction  que  reçurent  les  deux  princes, 
car  les  choses  se  passèrent  de  la  même  façon  chez  le  prince  de 
Condé.  Il  se  conduisit  comme  son  cousin  vis-à-vis  de  nos  docteurs 
et  de  ses  ministres,  à  une  différence  près  :  le  roi  de  Navarre  se 
tenait  debout  dans  un  coin  de  sa  chambre  et  écoutait,  tout  en 
conversant  avec  d'autres  seigneurs;  le  prince  de  Condé  se  pro- 
menait en  causant,  et  de  temps  en  temps  s'approchait  pour  en- 
tendre l'argumentation.  Mais  le  résultat  fut  le  même,  à  mon  avis; 
après  comme  avant  la  discussion,  ils  restèrent  obstinés  dans  Leur 
sentiment.  Cependant,  le  lendemain,  l'un  et  l'autre  firent  leur 
abjuration  solennelle,  en  présence  du  Nonce  apostolique.  Leurs 
lèvres  avaient  prononcé  des  paroles  que  leur  cœur  désavouait. 


634  HISTOIRE  DE  LA.  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

On  s'en  aperçut  bientôt,  lorsque,  ayant  recouvré  plus  de  liberté, 
tous  deux  retournèrent  au  protestantisme1.  » 

8.  Après  le  massacre  de  la  Saint-Barthélémy,  les  huguenots 
avaient  repris  les  hostilités  plus  vivement  que  jamais.  La  ville 
de  La  Rochelle  se  remplit  de  ministres  réformés,  de  soldats  cal- 
vinistes, de  gentilshommes  qui  s'y  réfugièrent  comme  dans  un 
asile.  Le  siège  de  cette  cité  rebelle  fut  résolu,  et  le  commande- 
ment de  forces  imposantes  confié  au  duc  d'Anjou.  Il  avait  sous 
ses  ordres  le  duc  d'Alençon  son  frère,  le  roi  de  Navarre,  le  prince 
de  Gondé,  les  ducs  de  Montpensier,  d'Aumale,  de  Guise,  de 
Mayenne,  do  Xevers,  suivis  de  presque  toute  la  noblesse  catholi- 
que. Le  P.  Auger  reçut  alors  de  «  Sa  Majesté  et  de  la  reine-mère 
l'ordre  »  de  se  diriger  vers  Poitiers  et  La  Rochelle  pour  le  ca- 
rême ;  c'était  «  Monsieur  lui-même  qui,  par  une  lettre  de  sa  pro- 
pre main,  réclamait  sa  présence2  ».  Il  rejoignit  le  prince  sous 
les  murs  de  la  ville  assiégée,  et  fut  accueilli  par  lui  avec  toutes 
les  démonstrations  de  l'affection  la  plus  tendre.  Son  zèle,  sa 
vigilance,  sa  charité  se  dépensèrent  sans  mesure  durant  cette 
nouvelle  expédition.  Voici  comment  il  rendait  compte  au  P.  Gé- 
néral de  l'emploi  de  ses  journées  :  «  Dire  mes  heures,  la  messe 
tous  les  jours,  faire  prédication  souvent,  confesser  et  visiter  les 
malades,  enterrer  les  morts,  avoir  soin  des  pauvres,  assister  à  la 
messe  de  Monseigneur,  lui  remonstrer  ce  qui  est  de  piété,  pré- 
senter les  requestes  des  misérables  affligés,  tascher  d'abolir  les 
blasphèmes,  jeux  illicites,  paillardises,  hérésies  couvertes...  Aller 
tout  seul  aux  tranchées  dire  la  messe  ou  faire  quelque  œuvre 
de  piété,  nonobstant  les  coups  de  canon  ou  d'arquebusade  ; 
coucher  quelquefois  sur  la  paille  et  tout  vestu...  etc..  prout  ratio 
temporis  exigebat*.  »  Le  duc  d'Anjou  appréciant  depuis  long- 
temps son  mérite  et  le  bien  qu'il  opérait  parmi  les  soldats,  de- 
manda au  P.  Général  de  le  conserver  près  de  lui  jusqu'à  la  fin 
du  siège  de  La  Rochelle,  car,  disait-il,  c'est  un  «  personnage  très 
propre  à  y  redresser  sincèrement  le  service  divin  qui  y  a  esté 
tant  prostitué  et  abattu4  ». 

Avant  d'avoir  pu  forcer  la  ville  à  se  rendre,  le  chef  de  l'armée 

1.  De  rébus  Suc.  Jesu,  p.  104-106. 

2.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Polauco.  30  janvier  1573  [Gall.  Epist.,  t.  Vil.  toi.  l 

3.  Lettre  du  15  juin  1573    Gall.  Epist.,   t.  VII,  f.  76). 

4.  Lettre  du  duc  d'Anjou,  22  avril  1573  l£pist.  Princip.,  t.  I).  Quand  cette  lettre 
l'ut  écrite  le  P.  Mercurian  n'était  pas  encore  élu  général;  il  ne  le  fut  que  le  lende- 
main 2-3  avril:  mais  la  congrégation  était  réunie  depuis  le  12. 


PENDANT  UiS  TROUBLES  CIVILS. 

catholique  recul  la  nouvelle  de  son  élection  au  trône  de  Po- 
logne; elle  avait  eu  lieu  le  :{  mai,  à  la  presque  unanimité  des 
votants.  Une  députation  partit  aussitôt  pour  la  France,  afin  de 
porter  la  couronne  au  nouveau  roi,  et  arriva  au  camp  vers  le 
15  juin,  au  moment  où  le  prince  venait  d'être  légèremcnl  blessé 
sous  les  murs  de  la  ville1.  La  vigoureuse  résistance  des  assie 
gés  rendait  la  paix  incertaine.  Catherine  de  Médicis,  qui  était 
lasse  de  la  guerre  et  voulait  que  le  due  d'Anjou  allai  prendre 
possession  de  son  royaume,  résolut  de  traiter  à  tout  prix.  Les 
articles,  arrêtés  dans  les  derniers  jours  de  juin,  furent  signés  le 
6  juillet. 

Le  roi  de  Pologne  voulut,  à  cette  occasion,  donner  au  P.  Auger 
une  marque  spéciale  de  sa  confiance;  il  le  chargea  d'aller,  en 
son  nom,  rendre  compte  au  Pape  Grégoire  Mil  de  tout  ce  qui  s'é- 
tait passé  dans  la  dernière  campagne  contre  les  hérétiques,  puis 
de  visiter  le  sanctuaire  de  Lorette  afin  d'accomplir  le  vœu  qu'il 
avait  fait  au  commencement  des  hostilités  en  vue  d'obtenir  un 
heureux  succès'2.  Pendant  qu'il  prenait  le  chemin  de  Paris,  où 
il  devait  jurer  à  Notre-Dame  de  respecter  toutes  les  libertés  de 
son  nouvel  État,  le  P.  Emond  se  dirigea  vers  le  Lyonnais  pour 
de  là  gagner  l'Italie.  A  Rome,  comme  à  Lorette,  il  s'acquitta  avec 
tout  le  soin  possible  de  sa  mission.  Après  un  séjour  de  deux 
mois,  il  revint  en  France,  chargé  des  présents  que  le  Souverain 
Pontife  lui  avait  donnés  à  remettre  à  la  famille  royale  :  «  Par- 
dons, chapelets  et  Agmis  Dei  ne  furent  [jamais]  si  bien  reçeus  de 
toute  la  cour,  à  Paris  et  à  Vitri,  —  écrit-il,  —  tellement  que  je 
ne  me  pouvois  sauver  des  demandeurs  et  des  plus  grands,  jus- 
ques  aux  Polonois  \  » 

1.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Général,  15  juin  1573  (Gall.  Epis!.,  t.  VII,  fol.  :•'.  . 

2.  Lettre  du  roi  de  Pologne  au  P.  Général,  10  juillet  (Epist.  Principum,  Il  L'in- 
fluence du  P.  Au^er  était  alors  considérable.  A'oici  comment  le  P.  A.  du  Coudrel 
s'en  exprime  au  P.  Général,  dans  une  lettre  datée  île  Toulouse  le  1er  septembre  1573  : 
«  Ayant  entendu  monsieur  le  premier  président  et  autres  seigneurs  de  ceste  ville  que 
l'on  faisoit  bruit  que  le  P.  Émond  iroit  à  Pologne  sic)  avec  monsieur  frère  du  roy.... 
ils  nous  ont  adverty  que  cela  ne  leur  sembloit  pas  lion,  tant  pour  l'intérest  du  pu- 
blic que  aussy  pour  les  affaires  de  nostre  Compagnie,  car  jaçoit  que  ledit  Père  ne 
soit  [pas]  par  tous  les  collèges,  toultefois  son  nom  y  va.  el  les  uns  le  révèrent,  les 
aultres  le  craignent  pour  le  crédit  qu'il  a  envers  les  grands  a  [Gall.  Epist.,  t.  Vil, 
f.  198). 

3.  Lettre  du  P.  Auger  au  P.  Général,  le  24  novembre  1573  (Gall.  Epist.,  I.  VII. 
fol.  54).  Lettres  du  P.  Auger  au  cardinal  de  L'omo.  r  "  et  24  novembre  (Archiv.  Vat.. 
Nunz.  di  Frauda,  t.  VI,  fol.  765,  807).  Le  roi  qui  était  malade  recul  alors  le  P.  Auger 
avec  une  extraordinaire  bienveillance  :  «  Le  roy  estoil  dans  le  lit  quand  je  luy  parlay 
par  trois  diverses  fois,  seul  à  seul,  une  heure  el  tout  mon  saoul...  Il  me  demanda  de 
tous  les  points  de  nostre  compagnie,  des  habits,  prières,  collèges...  de  la  doctrine  de 
la  profession  et  mille  particularités  »  [Lettre  du  20  novembre  1573  . 


636  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

9.  Au  mois  de  janvier  1571,  le  P.  Auger  reçut  du  P.  Général 
l'ordre  de  visiter  les  collèges  de  Rodez,  de  Bordeaux  et  de  Tou- 
louse. Il  devait  aussi  prêcher  le  carême  dans  cette  dernière  ville, 
et  le  P.  Annibal  du  Coudret  se  déclarait  prêt  à  lui  céder  l'église 
de  la  Dalbade  où  lui-même  venait  de  prêcher  Pavent;  mais  la 
prise  d'armes  des  huguenots,  dans  les  provinces  méridionales,  et 
le  complot  dirigé  par  quelques  seigneurs  contre  la  personne  du 
roi  ne  lui  permirent  pas  d'entreprendre  un  voyage  plein  de 
périls1.  Après  Pâques,  il  fut  encore  arrêté  par  les  nouvelles  peu 
rassurantes  du  centre  et  du  midi. 

A  Mauriac,  le  collège  avait  dû  fermer  ses  classes.  Les  calvinis- 
tes, après  avoir  pris  les  places  avoisinantes,  n'étaient  plus  qu'à 
deux  lieues  de  cette  ville.  «  Le  péril  si  proche,  la  crainte  et  la 
frayeur  de  tous,  et  le  danger  d'une  surprise  et  trahyson  fort 
grand  »  obligèrent  le  P.  Michel  Notel,  Recteur,  à  disperser  sa 
communauté,  après  avoir  «  vendu  quasy  toutes  les  provisions 
de  la  maison,  non  sans  grand  perte  et  dommage2  ». 

De  Toulouse  le  P.  Annibal  du  Coudret  écrivait  que,  «  malgré 
la  .venue  du  seigneur  de  Joyeuse,  envoyé  par  le  roi  pour  assu- 
rer la  paix  du  pays,  on  avait  tout  à  craindre  des  audacieuses  in- 
cursions des  huguenots  ».  Et  il  racontait  que  l'avocat  général 
Duranti,  député  à  la  cour  par  le  Parlement,  avait  été  fait  prison- 
nier en  Auvergne  et  conduit  à  Seillac,  en  Périgord,  d'où  il  n'a- 
vait pu  sortir  «  qu'avec  une  rançon  de  six  mille  francs  et  la 
confiscation  de  ses  chevaux  et  de  son  bagage :;  ». 

Pour  combattre  la  révolte,  Catherine  de  Médicis  qui  régnait 
seule,  —  car  depuis  quelque  temps  Charles  IX  ne  faisait  plus 
que  languir,  —  avait  mis  sur  pied  trois  années,  dont  elle  confia 
le  commandement  à  des  catholiques  éprouvés.  Les  rebelles  fu- 
rent contenus  sur  tous  les  points  de  la  France. 

Au  milieu  des  troubles  de  son  peuple,  Charles  IX,  toujours  af- 
fectionné à  la  Compagnie,  n'avait  cessé  de  lui  donner  des  mar- 
ques signalées  de  sa  royale  munificence.  Il  avait  même  promis 
de  faire  bâtir  une  église  pour  les  Pères  de  Paris,  et  de  leur  ac- 
corder des  faveurs  qui  les  mettraient  à  l'abri  de  toutes  les  atta- 
ques ''.  Déjà  il  avait  autorisé  l'exercice  des  ministères  de  l'Institut 
et  l'érection   de   maisons  professes    dans  tout   le   royaume.   Le 

1.  Lettres  au  P.  Général.  17  janvier  et  8  mars  1574  (Gall.  Epist.,  t.  VIII,  fol.  301). 

2.  Lettre  du  P.  ISotel  au  P.  Général,  14  avril  1574  (Gall.  Epist.,  t.  VIII,  fol.  373). 

3.  Lettre  du  P.  A.  du  Coudret,  7  juin  1574  (Gall.  Epist.,  t.  VIII,  fol.  307). 

i.  Lettres  du  P.  Auger,  31  octobre  et  24  novembre  1573  (Gall.  Epist.,  t.  VII,  fol. 
48,  54). 


AVENEMENT  DE  HENRI  III.  63" 

25  mai  157V,  il  adressa  au  Parlemenl  des  lettres  de  jussion  pour 
le  contraindre  à  enregistrer  les  actes  de  sa  volonté;  mais  La  morf 
qui  le  surprit,  cinq  jours  après,  ne  lui  laissa  pas  le  temps  de 
réaliser  ses  projets  et  de  vaincre  la  résistance  du  Parlement.  Il 
expira  à  la  fleur  de  l'âge,  —  il  n'avait  que  vingt-trois  ans.  — 
«le  jour  de  la  Pentecôte,  à  deux  heures  de  l'après-midi,  au 
château  du  bois  de  Yiocennes1  ».  Se  sentant  près  de  mou- 
rir, «  il  obligea  ses  principaux  officiers  à  jurer  obéissance  à  s  i 
mère  jusqu'à  l'arrivée  du  roi  de  Pologne,  qu'on  s'empressa  d'a- 
vertir'2 ». 

10.  En  attendant  l'arrivée  de  ce  prince,  la  France  allait  se 
trouver,  durant  neuf  mois,  livrée  à  tous  les  inconvénients  d'une 
régence  provisoire.  Le  P.  Auger  pensa  que  c'était  le  moment, 
plus  que  jamais,  d'attirer  les  bénédictions  du  ciel  sur  ce  malheu- 
reux pays.  Il  proposa  à  M"1'  de  Condi  d'établir  à  Paris  l'adoration 
perpétuelle  :  pendant  quarante  heures,  dans  chaque  église  tour 
à  tour,  le  Saint-Sacrement  serait  exposé,  et  les  fidèles  pourraient 
continuellement  offrir  leurs  supplications  au  Dieu  des  miséricor- 
des. Le  prélat  accueillit  avec  joie  cette  proposition,  et  l'on  accou- 
rut en  foule  aux  pieds  des  autels.  Ce  touchant  spectacle  aurait 
dû  remplir  de  consolation  le  cœur  de  tous  les  prêtres  du  dio- 
cèse; il  se  trouva  néanmoins  des  censeurs  chagrins  pour  blâmer 
ce  concours  et  cette  dévotion  3.  Parmi  eux  se  distinguait,  par  ses 
invectives,  le  curé  de  Saint-Eustache,  René  Benoit,  qui  venait 
d'avoir  une  querelle  avec  la  Faculté  de  théologie,  au  sujet  d'une 
traduction  de  la  Bible,  où  l'on  avait  cru  reconnaître  des  propo- 
sitions erronées  '.  Du  haut  de  la  chaire  de  sa  paroisse,  il  traita 
de  superstitieuses  les  prières  des  Quarante-Heures,  blâma  l'expo- 
sition du  Saint-Sacrement  et  même  l'empressement  des  fidèles 
à  venir  adorer  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  présent  sous  les  voiles 
eucharistiques  '.  Le  P.  Auger  se  hâta  de  rassurer  la  piété  des  li- 
dèles,  et  pour  détruire  dans  les  esprits  les  effets  d'une  parole  si 
scandaleuse,  il  ne  craignit  point  de  s'élever  énergiquement  con- 
tre les  déplorables  excès  du  curé  de  Saint-Eustache.   Benoit  se 


1.  Lellre  du  P.  Auger,  31  mai  1574  (Ibid.,  t.  VIII,  toi .  54). 

2.  Ibidem. 

3.  Lettre  de  W '  Salviali  au  cardinal  de  Como.,  26  juillet  1574    Archiv.  Vat.,  Nunz. 
di  Francia,  t.  VII,  fol.  517-519 

4.  Sur  ce  personnage  voir   Denais,  Le  pape  des   Halles.,  p,    5.  el  Féret,   La    In- 
culte de  théologie  de  Paris,  ép.  inod.,  t.  I,  |>.  387  et  suiv. 

5.  Lettre  du  P.  Hay.  5  juillet  157*  (Gall.  Epist.,  t.  VIII,  f.  74). 


G38  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

plaignit  des  attaques  du  jésuite,  et  la  cause  fut  portée  devant  l'é- 
vêque  de  Paris  '. 

M-1'  de  Gondi  ayant  convoqué  une  réunion  de  théologiens  au 
palais  épiscopal,  les  deux  prédicateurs  furent  invités  à  venir 
s'expliquer  en  leur  présence.  René  Benoit  parla  le  premier.  Il 
invectiva  longuement  contre  la  Compagnie  de  Jésus,  et  s'efforça 
de  soutenir  les  étranges  assertions  qu'on  lui  reprochait.  Le  P.  Au- 
ger  ne  chercha  pas  à  justifier  sa  conduite;  il  se  contenta  de 
montrer  et  la  légitimité  de  l'adoration,  dite  des  Quarante-Heures, 
et  les  avantages  de  cette  belle  dévotion.  Puis  les  théologiens  dis- 
cutèrent sur  la  question  de  fait  et  la  question  de  personne.  Le 
docteur  Pelletier  saisit  l'occasion  de  décrier  le  P.  Auger  et  ses 
confrères,  sans  traiter  théologiquement  le  sujet.  Le  P.  Maldonat, 
présent  à  la  réunion,  exposa  d'abord  les  propositions  du  curé  de 
Saint-Eustache  qui  lui  paraissaient  répréhensibles,  et  les  combat- 
tit avec  une  vigueur  capable  de  convaincre  tous  les  assistants.  Il 
défendit  ensuite  la  personne  du  P.  Auger  contre  les  violentes  at- 
taques dont  elle  avait  été  l'objet.  Quand  tous  eurent  cessé  de 
parler,  l'évèque  rendit  sa  sentence.  Il  décida  que  l'adoration  des 
Quarante-Heures,  sainte  et  salutaire  dévotion,  continuerait  à  se 
pratiquer,  selon  l'ordre  prescrit,  dans  les  églises  de  Paris.  René 
Benoit  reçut  la  défense  formelle  de  prêcher  hors  de  sa  paroisse. 
Quant  au  P.  Auger,  il  conserva  la  faculté  de  prêcher  dans  tout  le 
diocèse;  mais,  afin  d'éviter  quelque  nouveau  scandale,  il  ne  de- 
vait point  en  user  dans  les  églises  où  le  Saint-Sacrement  serait 
exposé  2.  Il  profita  de  ces  permissions  avec  son  ardeur  coutu- 
mière,  et  pouvait  écrire  au  P.  Général,  le  18  juillet  :  «  Nous  avons 
continué  par  deçà  la  diligence  en  prières  et  autres  tels  exercices 
en  faveur  de  la  venue  de  notre  Roi.  que  Dieu  veuille  amener  sain 
et  sauf  par  sa  grâce :;  !  » 

II.  Dès  qu'il  avait  appris  la  mort  de  Charles  IX,  son  frère,  le 
nouveau  roi  de  France,  Henri  III,  était  parti  en  fugitif  du  château 
de  Cracovie,  le  18  juin,  se  dirigeant  vers  les  frontières  de  l'Au- 
triche 4.  De  Vienne  il  se  rendit  à  Venise,  où  la  Seigneurie  lui  pro- 
digua les  fêtes  les  plus  brillantes,  puis  à  Turin  où  il  trouva  le 
maréchal  de  Damville  et  les  secrétaires  ou  agents  de  sa  mère. 
Arrivé  au  pont  de  Beauvoisin,  il  rencontra    le  roi  de   Navarre, 

1.  Lettre  du  P.  Auger,  18  juillet  1574  (Gall.  E|>ist.,  t.  VIII,  f.  78). 

2.  Sacchini,  Hisl.  Soc.  Jesit,  P.  IV,  1.  II,  n.  65-66.  Cf.  Prat,  Mahlonat,  p.  346. 

3.  Gall.  Epist.,  I.  VIII.  fol.  78. 

4.  Lettre  du  P.  Auger,  5  juillet  [Ibid.,  fol.  71). 


ÉVÉNEMENT  DE  HENRI  III.  639 

les  ducs  d'Alençon  et  de  (luise  que  Catherine  de  Médicis  avaii 
envoyés  au-devant  de  lui,  pendant  qu'elle-même  allai!  avec  la 
cour  le  rejoindre  à  Lyon.    • 

Les  lettres  adressées  à  cette  époque  au  I*.  Général  par  le 
P.  Auger  et  les  Pères  des  collèges  de  Lyon  et  d'Avignon,  signalent 
à  plusieurs  reprises  les  marques  de  particulière  bienveillance  que 
le  roi  et  sa  mère  témoignèrent  aux  maisons  de  la  Compagnie  de 
.lésus,  durant  leur  voyage  dans  le  midi.  Dès  le  lendemain  cte 
son  arrivée  à  Lyon,  Henri  III  donna  audience  au  Père  Auger  et 
lui  fit  l'accueil  le  plus  gracieux  :  «  Ce  matin  le  roi  m'a  veu,  écrit 
celui-ci  le  jour  même  au  1*.  Général,  il  m'a  embrassé,  m'a  mons- 
tre le  chapelet  que  je  lui  ai  baillé  venant  de  Laurette.  .le  lui  ai 
recommandé  la  Compagnie;  il  a  faict  toutes  les  plus  honestes 
offres  du  monde...  Je  l'ay  remercié1...  »  A  la  fin  du  mois  d'oc- 
tobre2, le  collège  de  la  Trinité  fut  honoré  de  la  visite  royale.  Kn 
voici  le  récit  d'après  une  lettre  du  P.  Recteur. 

«  Le  25  octobre,  la  reine  vint  au  collège  dans  l'après-midi  et 
visita  toutes  les  classes.  Dans  l'avant-dernière,  où  elle  resta  un 
demi  quart  d'heure,  elle  fut  très  édifiée  et  consolée  d'entendre 
la  dispute  des  petits  enfants  sur  le  catéchisme.  Elle  demeura  dans 
la  dernière  classe  jusqu'à  ce  que  les  bambins  eussent  récité  toute 
la  civilité3.  Elle  alla  ensuite  prier  dans  notre  église  qui  lui  plut 
beaucoup.  Le  jour  suivant,  le  roi,  après  avoir  entendu  la  messe 
au  collège,  visita  toutes  nos  chambres  et  s'arrêta  quelques  ins- 
tants dans  celle  du  P.  Visiteur  [le  P.  Auger]4.  Il  voulut  aussi  voir 
la  bibliothèque,  le  chœur,  en  un  mot  toute  la  maison.  Il  était  ac- 
compagné des  cardinaux  de  Lorraine,  de  Guise  et  d'Esté,  du  duc 
d'Alençon  son  frère,  et  du  duc  de  Guise,  de  l'archevêque  d'Em- 
brun, et  de  plusieurs  autres  seigneurs  et  prélats.  Il  visita  toutes 
les  classes,  s'arrêtant  quelques  moments  à  écouter  le  professeur. 
Il  prit  plaisir  à  entendre  les  petits  enfants  disputer  en  français 
sur  le  catéchisme  ou  réciter  la  civilité.  Lorsque  Sa  Majesté  sor- 
tait d'une  classe,  tous  les  écoliers  criaient  :  Vive  le  Roi!  ce  qui  lui 

î.  Gall.  Epist.,  t.  VIII,  fol.  161. 

2.  El  non  le  jour  de  la  rentrée  îles  classes  comme  le  disent  faussement  plusieurs 
historiens;  ce  jour-là  les  élèves  représentèrent  la  tragédie  de  Judith.  Une  parité  de 
la  cour  s'y  trouvait  sans  doute,  mais  Henri  III  n'y  assista  pas. 

3.  S'agit-il  d'un  compliment  ou  d'une  leçon  tirée  du  livre,  La  civilité  puérile,  im- 
primé à  Lyon  en  1556?  L'une  et  l'autre  de  ces  suppositions  sont  vraisemblables. 

4.  «  Il  faut  que  je  me  resjouisse  avecque  vous,  écrivait  le  cardinal  de  Lorraine  au 
P.  Mercurian,  que  le  Roi  cliaque  jour  croist  d'affection  envers  votre  sainte  Compa- 
gnie. Il  a  voulu  visiter  vostre  collège  ici  et  aller  voir  le  P.  Émond  jusque  dans  sa 
chambre,  ce  qui  m'a  été  grande  consolation.  »  (Cité  par  Hyver,  Maldonat,  pièces 
justificatives,  p.  ix). 


640  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

causa  un  grand  contentement  et  à  toute  sa  suite...  Il  me  répéta 
souvent  :  Priez  Dieu  pour  moi,  priez  Dieu  pour  moi1.  >> 

Après  un  séjour  de  plus  de  deux  mois  à  Lyon,  où  ils  avaient 
organisé  le  conseil  privé  et  arrêté  une  ligne  de  conduite  pour  les 
affaires  politiques,  Henri  III  et  sa  mère  prirent  le  chemin  d'Avi- 
gnon afin  de  réprimer  quelques  partis  de  rebelles  qui,  depuis 
rassemblée  des  protestants  à  Milhaud,  s'étaient  formés  dans  le 
Languedoc  et  le  Dauphiné.  «  Aujourd'hui  [16  novembre],  écrit 
le  P.  Creytton,  le  roi,  la  reine  et  ce  qui  reste  de  la  cour  sont  par- 
tis pour  Avignon.  Les  ambassadeurs  ont  reçu  avis  de  ne  point 
quitter  Lyon  parce  que  le  roi  espère  être  de  retour  vers  Noël,  se 
trouver  à  Reims  en  janvier  pour  le  sacre,  et  faire  son  entrée  à 
Paris  au  mois  de  février.  Ce  collège  a  été  comblé  de  faveurs  par 
Leurs  Majestés.  Deux  jours  avant  son  départ,  la  reine  est  venue 
nous  voir  et  a  entendu  la  messe  dans  notre  église.  Le  roi  est 
aussi  venu  hier  et  a  fait  chanter  la  messe  de  saint  Martin'2.  » 

Le  P.  Auger  comptait  bien,  après  le  départ  de  Henri  III,  entre- 
prendre enfin  la  visite  des  collèges  dont  le  P.  Général  l'avait 
chargé  depuis  longtemps;  mais  il  ne  put  résister  aux  instances 
du  cardinal  de  Lorraine,  qui  désirait  l'emmener,  en  compagnie 
du  cardinal  de  Guise  et  de  l'archevêque  d'Embrun,  jusqu'à  Avi- 
gnon, pour  y  attendre  le  roi.  Ils  s'embarquèrent  sur  le  Rhône, 
qu'ils  descendirent  jusqu'à  Vienne.  En  passant  à  Tournon,  les 
illustres  voyageurs  s'arrêtèrent  au  collège  où  le  P.  Auger  les 
traita  avec  une  noble  simplicité  que  ces  princes  de  l'Église  pré- 
féraient à  toutes  les  splendeurs  de  la  cour3. 

Au  collège  d'Avignon  comme  à  celui  de  la  Trinité  de  Lyon,  les 
élèves  préparèrent  une  tragédie  à  laquelle  tous  les  princes  de- 
vaient assister.  Cherchant  à  plaire  aux  catholiques  zélés  du  midi, 
Catherine  de  Médicis  eut  soin  que  les  seigneurs  de  l'entourage  du 
roi  parussent  dans  les  cérémonies  du  culte.  Henri  III  lui-même 
prit  part  à  une  procession  de  pénitents,  qui  était  une  des  plus  an- 
ciennes fêtes  religieuses  de  la  cité.  Le  P.  Mathieu,  en  racontant 
la  chose  au  P.  Polanco,ne  tarissait  pas  d'éloges  sur  la  piété  du 
roi.  Ces  éloges  surprendront  peut-êlre  ceux  qui  connaissent,  par 
l'histoire,  les  désordres  auxquels  ce  malheureux  prince  se  livra 
plus  tard;  mais  le  Père  raconte  ce  qu'il  a  vu,  ce  que  pense  alors 


1.  Letlre  du  2  novembre  1574  (Gall.  Epist..  t.  VJII,  fol.   I8i).  Kôln,  Stadt-Archiv., 
I  niversitat,  XII  (326  b),  fol.  31-34. 

2.  Gall.  Epist.,  t.  VIII,  fol.  190. 

3.  Carayon,  Duc.  inédits,  I.  V,  p.  (M. 


MORT  ET  ÉLOGE  DU  CARDINAL  l>K  LORRAINE.  641 

le  public,  et  rien  ne  prouve  que  le  monarque  ne  fut  pas  sincère 
dans  ces  manifestations  religieuses  du  commencement  de  son 
règne  :  «  On  ne  saurait  croire,  écrit-il,  de  quels  sentiments  de 
piété  le  roi  se  montre  animé,  quel  zrle  il  déploie  pour  la  religion 
catholique,  avec  quelle  assiduité  il  se  livre  à  la  prière  et  aux 
bonnes  œuvres.  Tous  les  matins,  avant  le  jour,  il  assiste  à  la 
messe  dans  sa  chapelle,  et  visite  ensuite  quelques-uns  des  sanc- 
tuaires de  la  ville.  Il  est  venu  avec  la  reine-mère  au  collège  et 
nous  a  montré  beaucoup  de  bonté.  Trois  fois  par  semaine,  outre 
le  dimanche,  il  fait  chanter  la  grand'messe  :  le  jeudi,  celle  du 
Saint-Sacrement;  le  vendredi,  celle  de  la  Passion;  le  samedi, 
celle  de  la  Sainte  Vierge.  Il  secourt,  en  secret,  un  grand  nombre 
d'indigents.  S'étant  affdié  à  une  confrérie  de  Flagellants,  il  a 
assisté,  le  k  décembre,  en  habit  de  pénitent,  avec  toute  sa  cour, 
à  une  procession  qui  ne  s'est  terminée  qu'au  milieu  de  la  nuit... 
Il  y  avait  plus  de  quinze  cents  personnes  portant  des  cierges.  Cet 
événement  a  produit  dans  toute  la  ville  une  profonde  impression, 
et  augmenté  la  bonne  opinion  qu'on  avait  toujours  eue  du  roi1.  » 

12.  Pendant  le  séjour  de  la  cour  à  Avignon,  les  Jésuites  eurent 
à  pleurer  la  perte  du  cardinal  de  Lorraine,  qui  s'était  offert  à 
saint  Ignace  pour  être  le  protecteur  de  la  Compagnie  en  France. 
Sa  mort,  comme  sa  vie,  a  été  pour  les  historiens  protestants  le 
sujet  de  bien  des  commentaires;  ils  n'ont  épargné  ni  les  sar- 
casmes ni  les  injures  à  celui  qu'ils  regardaient  comme  leur  plus 
dangereux  adversaire.  Dans  l'intérêt  de  la  vérité,  et  par  recon- 
naissance pour  la  mémoire  d'un  si  grand  bienfaiteur,  nous  em- 
prunterons le  récit  édifiant  de  ses  derniers  moments  au  P.  Au- 
ger,  qui  le  prépara  lui-même  à  paraître  devant  Dieu  : 

«  Le  cardinal  ayant  dit  la  messe  le  jour  de  la  Conception  fut 
atteint,  au  milieu  du  sermon,  vers  les  10  heures  du  matin,  d'une 
si  grande  douleur  de  tête,  accompagnée  d'un  éldouissement, 
qu'il  fut  obligé  de  se  retirer  et  de  se  mettre  au  lit...  Il  m'avoit 
dit  quelque  temps  auparavant  que  dans  le  chagrin  de  ne  pou- 
voir apporter  remède  aux  maux  dont  l'Église  étoit  affligée,  il 
souhaitoit,  si  c'étoit  la  volonté  de  Dieu,  qu'il  le  tirât  du  monde... 
Son  mal  continua  toujours  avec  une  extrême  douleur  de  tète, 
quelque  soin  qu'apportassent  pour  le  soulager  Messieurs  de  Cuise, 
de  Mayenne,  de  Fécamp,  d'Aumale  et  d'Elbeuf  ses  neveux...  Ces 


1.  Lellre  du  9  décembre  1574  ^C.ali.  Epist.,  t.  VIII,  fol.  215,  216 
COMPAGNIE   DE   JÉSl  s.    —  T.   I. 


042  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

princes,  le  voyant  en  danger,  voulurent  que  je  le  fisse  souve- 
nir de  se  mettre  en  bon  état  et  de  se  disposer  à  recevoir  Notre- 
Seigneur.  Je  leur  obéis  et  je  n'eus  pas  de  peine  à  le  luy  faire 
agréer. 

«  Le  jour  de  sainte  Luce  [13  décembre],  sur  les  neuf  heures 
du  matin,  je  m'habillay  pour  dire  la  messe  à  l'autel  que  l'on 
avoit   dressé  dans  sa  chambre.  Le  roi,  averti  qu'on  devoit  lui 
donner  le  Saint  Viatique,  y  voulut  assister  et  il  arriva  lorsque 
j'étais  à  l'évangile.  Un  peu  avant  l'élévation,  le  malade  voulut 
se  lever  et  ensuite  se  mettre  à  genoux  au  milieu  de  la_  chambre 
sur  un  carreau  près  du  roi.  Il  y  demeura  soutenu  par  deux  de 
ses   gentils-hommes  jusques  à  la  post-communion,  que  je   lui 
présentay  le  précieux  corps  de  Notre-Seigneur,  après  lui  avoir 
dit  quelques  paroles  de  dévotion.  Il  le  reçut  avec  une  ardente 
affection  et  s'écria,  à  haute  voix,  avec  saint  Thomas  :  Dominus 
meus  et  Deus  meus,  et  y  ajouta  des  mots  embrasez  de  l'amour  de 
Dieu,  exhortant  messieurs  ses  neveux  à  l'aimer  et  le  servir,  et  à 
obéir  fidellement  au  Roy.  Tout  le  monde  fondoit  en  larmes;  Sa 
Majesté  même  ne  put  retenir  les  siennes,  lorsque  le  cardinal  prit 
congé  d'Elle,  luy  disant  adieu  pour  jamais  et  l'exhortant  à  bien 
servir  Dieu  et  son  Église...  La    Reyne  survint  quelque   temps 
après;  il  lui  dit  à  peu  près  les  mêmes  choses  qu'il  avoit  dites 
au  Roy,  lui  recommanda  MM.  ses  neveux,  l'assura  de  la  fidélité 
qu'il  avoit  toujours  eue  dans  son   service  et  de  la  sincérité  de 
son  zèle  pour  les  intérêts  de  l'État;  enfin  il  lui  promit,  si  Dieu 
lui  faisoit  miséricorde,  de  prier  pour  elle... 

«  Le  même  jour,  me  trouvant  près  de  luy  avec  M.  le  car- 
dinal de  Guise,  son  frère,  je  le  disposay  encore  selon  l'ordre 
que  m'en  avoit  donné  ce  prélat  à  recevoir  le  sacrement  d'Ex- 
trème-Onction.  Il  le  reçut,  des  mains  de  l'archevêque  d'Embrun, 
avec  une  joye  qui  marquoit  la  paix  de  son  àme,  répondant  de 
luy-mème  aux  prières  de  l'Église  avec  telle  dévotion  et  piété 
qu'il  n'y  avoit  personne  qui  ne  fût  attendri  jusqu'aux  larmes... 
Depuis  ce  temps-là,  dans  les  bons  intervalles  que  son  mal  de 
tête  lui  laissoit,  il  ne  s'entretenoit  que  de  saints  discours,  té- 
moignant par  de  courtes  aspirations  le  désir  qu'il  avoit  de  quit- 
ter ce  monde  pour  aller  à  Dieu. 

«  Le  jour  de  Noël,  sur  les  trois  heures  du  soir,  ses  douleurs  et 
ses  convulsions  redoublèrent,  et  nous  firent  connoltre  que  nous 
ne  le  garderions  pas  longtemps.  Je  me  mis  alors  au  chevet  de 
son  lit  et  y  passay  toute  la  nuit,  tâchant  de  l'exciter  à  ce  dernier 


MORT  ET  ÉLOGE  hl    CARDINAL  DE  LORRAINE. 

passage  par  tout  ce  que  je  pouvois  de  plus  propre  et  de  plus 
convenable,  jusques  à  ce  que,  sur  les  quatre  heures  du  malin, 
jour  de  saint  Etienne,  après  avoir  fait  la  recommandai  ion  de 
l'âme  et  luy  avoir  donné  une  dernière  absolution,  il  rendit  dou- 
cement son  esprit  à  Dieu.  Après  luy  avoir  fermé  les  yeux  et  lu\ 
avoir  laissé  la  croix  entre  les  mains,  je  me  retiray 1...  » 

Ainsi  mourut  dans  la  force  de  l'âge,  à  cinquante  ans,  l'un  des 
personnages  les  plus  mal  appréciés  de  l'histoire  de  France  au 
xvi''  siècle.  Pour  les  plus  indulgents  de  ses  adversaires  Charles  de 
Lorraine  n'est  qu'un  ambitieux,  un  brouillon,  un  courtisan  qui 
ne  vit  que  d'intrigues;  c'est  un  mauvais  génie  qui  souffle  partout 
la  discorde,  c'est  le  flambeau  des  guerres  civiles2.  Ses  panégy- 
ristes au  contraire  lui  attribuent  toutes  les  vertus  d'un  défenseur 
de  la  foi;  il  est  pour  eux  le  miroir  des  évêques,  l'oracle  du  Sacré- 
Collège,  la  colonne  de  l'Église,  le  gardien  de  l'honneur  de  la 
France,  la  perle  des  prélats  de  la  chrétienté.  De  ces  deux  juge- 
ments, c'est  le  premier  qui  a  prévalu.  Tout  ce  qui  s'est  publié  con- 
tre le  cardinal  de  Lorraine  a  été  mieux  reçu  que  ses  louanges. 
Aujourd'hui  encore,  quelques  historiens  ne  voient  en  lui  qu'un 
esprit  fort,  un  sceptique  qui,  par  ambition,  se  fit  le  persécuteur 
acharné  des  hérétiques,  le  représentant  autorisé  de  la  politique 
italienne  et  espagnole.  Les  plus  modérés  veulent  qu'il  n'ait  mon- 
tré tant  de  zèle  pour  la  foi,  qu'afin  de  mieux  servir  les  intérêts  de 
sa  maison. 

La  vérité  se  trouve  dans  les  sources  mêmes  de  l'histoire,  étu- 
diées sérieusement  et  sans  parti  pris  :  des  mémoires  d'État,  des 
correspondances  diplomatiques,  des  documents  officiels,  de  tous 
ces  témoignages,  en  un  mot,  qui  trompent  rarement  parce  que 
leurs  auteurs  ne  sont  pas  intéressés  à  tromper,  il  ressort  que  si 
ce  champion  du  catholicisme  ne  fut  pas  toujours  un  homme  par- 
fait, il  fut  du  moins,  dans  l'Église  et  dans  l'État,  une  des  plus 
grandes  figures  de  son  siècle3.  Il  croyait  remplir  un  devoir  impé- 
rieux en  apportant  à  la  royauté  le  secours  de  ses  lumières,  et  il 
se  montra  digne  du  pouvoir  par  l'étendue  de  sa  prévoyance,  la 
pureté  de  ses  sentiments  et  l'énergie  de  son  caractère.  S'il  s'est 

1.  Lettre  au  P.  Martin  Rouille  à  Verdun,  publiée  par  Dorigny,  Vie  du  P.  Auger, 
p.  291-295. 

2.  Bayle,  qu'on  ne  peut  accuser  de  partialité  pour  la  maison  de  Lorraine,  a  pu  dire 
avec  raison  du  cardinal  et  du  duc  son  frère  :  «  Quelque  méchants  que  vous  fassiez 
Messieurs  de  Guise,  il  sera  toujours  vrai  qu'on  leur  imputait  dans  les  lihelles  des 
choses  qu'ils  n'avaient  pas  faites.  » 

3.  M.  J.  J.  Guillemin  l'a  très  bien  montré  dans  son  ouvrage  :  Le  cardinal  de  Lor- 
raine, son  influence  politique  et  religieuse  au  XVI*  siècle. 


644  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESI  S. 

laissé  parfois  influencer  par  le  désir  d'avancer  sa  famille,  jamais 
il  ne  subordonna  ses  principes  aux  intérêts  de  sa  propre  gran- 
deur. Quand,  dans  ces  temps  orageux  où  les  réactions  étaient 
si  fréquentes,  le  gouvernement  penchait  vers  les  calvinistes,  le 
cardinal  se  retirait  dans  son  archevêché  de  Reims,  uniquement 
occupé  du  bien  de  son  diocèse;  il  n'en  sortait  que  sur  l'invitation 
de  la  régente  ou  du  roi,  qui  ne  pouvaient  impunément  se  passer 
de  ses  conseils.  L'obéissance  à  l'Église  lui  paraissait  insépara- 
ble de  la  lidélité  au  roi  ;  il  comprit,  en  véritable  homme  d'Etat, 
que  la  France,  par  intérêt  politique  autant  que  par  obligation 
religieuse,  avait  tout  à  gagner  en  restant  attachée  à  la  tradition 
catholique.  Le  maintien  de  l'unité  dans  la  foi  et  la  résistance  à 
l'anarchie,  tel  fut  le  but  qu'il  poursuivit  toujours,  et  c'est  par 
là  qu'il  a  bien  mérité  de  son  pays. 

Enfin  ce  prélat,  que  ses  ennemis  représentent  si  âpre  à  s'enri- 
chir, dépensait  en  largesses  et  en  aumônes1  les  revenus  qui 
provenaient  de  ses  biens  personnels  et  de  ses  bénéfices.  Il  laissa 
en  mourant  pour  plus  de  deux  cent  mille  écus  de  dettes  à  son 
neveu  Henri.  On  fut  obligé  de  vendre  sa  vaisselle  et  d'emprunter 
de  l'argent  à  Reims  pour  fournir  aux  frais  de  ses  funérailles. 

13.  La  mort  du  cardinal  de  Lorraine  fut  d'autant  plus  désas- 
treuse au  royaume,  qu'elle  survint  au  début  d'un  nouveau  règne 
s'ouvrant  dans  la  confusion  des  partis.  La  présence  de  Henri  III  à 
Avignon,  entre  le  Dauphiné  et  le  Languedoc,  n'avait  nullement 
intimidé  les  rebelles  de  ces  deux  provinces.  Fatigué  de  sa  malen- 
contreuse campagne,  le  roi  quitta  le  Midi  pour  remonter  vers 
le  Nord.  Il  était  d'ailleurs  pressé  de  célébrer  son  mariage  avec 
Louise  de  Vaudemont,  nièce  du  cardinal  de  Guise.  Parvenu  à 
Reims  le  12  février  1575,  il  fut  sacré,  trois  jours  après,  avec  la 
jeune  reine,  et  fit  son  entrée  solennelle  à  Paris,  le  4  du  mois 
suivant. 

L'Université,  comme  tous  les  autres  corps  de  l'État,  s'em- 
pressa de  lui  présenter  les  compliments  d'usage;  mais  surtout 
elle  le  pria  «  de  la  maintenir  en  ses  privilèges  et  louables  pré- 


1.  «  Il  chantait  au  clxi-ur,  dit  Claude  Robert,  le  premier  auteur  de  la  Gallia  Chris- 
tiana,  serrait  les  pauvres  de  ses  propres  mains,  se  fai  ait  lire  durant  les  repas,  jeû- 
nait tous  les  vendredis  et  samedis,  portait  souvent  le  cilice,  s'abstenait  de  vains  dis- 
cours, officiait  pontificalement  aux  jours  de  fêle,  favorisait  le  développement  des 
lettres,  faisait  exactement  les  ordinations  et  la  visite  du  diocèse,  présidait  lui-même 
tes  synodes  et  jamais  dans  son  archevêché  ne  souffrit  rien  qui  ressemblât  au  luxe  des 
princes»    L'Université  de  l'ont-à-Mousson  dans  Carayon,  hoc.  inéd.,  t.  V,  p.  G7). 


SITUATION  A  L'AVÈNEMENT  DE  HENRI  III. 

rogativcs,  pour  exciter  par  ce  moyen  les  bons  esprits  à  décrire 
à  la  postérité  les  actes  glorieux  du  roy  '  ...  Il  importait  au  col- 
lège de  Clermont,  toujours  en  lutte  avec  l'Université,  de  se 
ménager  une  puissante  protection  contre  ses  ennemis.  Le  P. 
Odon  Pigenat,  alors  Recteur,  obtint  de  présenter  ses  hommages 
à  Henri  IIL  Reçu  en  audience  avec  les  PP.  l'once  Cogordân, 
Maldonat  et  Telur,  il  lui  exprima  la  joie  que  tous  les  Jésuites 
avaient  de  son  retour,  et  l'espérance  que  son  règne  «  amène- 
ront à  maturité  les  fruicts  de  la  Compagnie  en  France,  qui  n'es- 
toient  encore  qu'en  herbes  ».  Sa  Majesté  leur  «  fict  grand  ac- 
cueil, et  promesse  royalle  de  toute  faveur  et  protection  '  ». 

La  belle  moisson  que  convoitaient  les  fils  de  saint  Ignace 
dans  le  royaume  de  Henri  III,  pouvait  leur  paraître  alors  très 
éloignée,  «  en  herbe  »  suivant  la  naïve  expression  du  P.  Pige- 
nat, parce  que  ces  ouvriers  évangéliques,  dans  leur  zèle  in- 
satiable de  la  gloire  de  Dieu,  comparaient  les  modestes  résultats 
obtenus  avec  le  grand  bien  qui  aurait  pu  déjà  être  réalisé,  si 
mille  obstacles  ne  s'étaient  élevés  de  toutes  parts.  Mais  l'histo- 
rien, qui  voit  les  choses  à  distance  et  dans  leur  ensemble, 
doit  constater  qu'à  l'époque  où  nous  sommes  arrivés  la  se- 
mence, jetée  en  France  par  la  Compagnie  de  Jésus,  avait  pris 
de  fortes  racines,  sortait  de  terre,  montrait  une  tige  vivace  et 
déjà    vigoureuse3.  Dans  l'espace    de    trente-cinq   ans,   entre   le 

1.  Du  Boulay,  Hist.  Univ.  Paris.,  t.  VI,  p.  743. 

2.  Lettre  du  P.  Pigenat  au  P.  Général,  8  avril  1575  (Gall.  Epist.,  t.  IX,  fol.  13,14). 

3.  En  1575  la  Province  de  France  comptait  189  personnes;  celle  d'Aquitaine  127 
(catal.  ms.).  Voici,  à  titre  de  renseignement,  quelle  était  l'administration  de  la  Com- 
pagnie en  France  quand  Henri  III  fut  appelé  au  trône  (septembre  1574).  Le  P.  Claude 
Mathieu  avait  été  transféré,  comme  Provincial,  de  la  Province  d'Aquitaine  à 
celle  de  Fiance  (Bibl.  nat.,  ms.  lat.  10.989,  fol.  48  et  suiv).  Le  P.  Annibal  du  Coudret, 
remplacé  par  le  P.  Auger  à  la  tète  du  collège  de  Toulouse,  avait  été  nommé  Provin- 
cial d'Aquitaine;  mais  la  visite  des  maisons  étant  devenue  très  difficile  dans  tout  le 
midi  à  cause  des  troupes  hérétiques,  le  P.  Guillaume  Creytton,  Kecteur  de  Lyon,  eut 
la  charge  de  visiter  à  sa  place  les  collèges  des  bords  du  Rhône.  Dans  la  congrégation 
provinciale  réunie  à  Lyon  le  17  janvier  1576,  parmi  les  objets  soumis  aux  délibéra- 
tions, on  s'occupa  de  l'enseignement  du  catéchisme,  des  congrégations  de  la  Sainte 
Vierge,  et  des  abécédaires  du  collège  de  la  Trinité.  Des  difficultés  furent  présentées  au 
P.  Général  sur  ces  trois  points.  Il  répondit  :  1°  Qu'il  fallait  conserver  le  catéchisme 
latin  de  Canisius  dans  les  classes  supérieures  et  l'abrégé  français  dans  les  classes  in- 
férieures. 2°  Les  congrégations  d'hommes  devaient  continuer  à  se  réunir  dans  lintérieur 
du  collège.  3°  Quant  aux  abécédaires,  on  pouvait  les  confier  à  des  maîtres  étrangers 
pourvu  que  ce  fût  sans  offense  du  consulat  et  de  la  ville  (Acta  Congr.  Prov.,  1575 
—  Dans  la  congrégation  provinciale  réunie  à  Paris,  le  \1  novembre  1575,  le  P.  Nicolas 
Le  Clerc,  déjà  appelé  à  Rome  comme  secrétaire,  fut  élu  Procureur.  Puis  on  délibéra 
sur  plusieurs  points  d'une  grande  importance  :  la  constitution  d'une  troisième  Pro- 
vince fut  regardée  comme  très  opportune;  —  tout  en  conservant  des  scolastiques 
de  la  Compagnie  dans  chaque  collège,  on  jugea  utile  de  réunir  de  préférence  les  hu- 
manistes à  Bourges,  les  philosophes  à  Pont-à-Mousson,  et  les  théologiens  à  Paris;—  les 
novices  devaient  rester  à  Verdun,  et  chaque  collège  contribuerait  dans  une  ju>te 


646  II  MOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

printemps  de  1540,  où  ses  premiers  scolastiques  débarquèrent 
inconnus  au  colle.ee  des  Trésoriers,  et  l'hiver  de  1575  où 
Henri  III,  nouvellement  sacré,  lui  promettait  «  faveur  et  pro- 
tection »,  elle  avait  obtenu  droit  de  cité,  répandu  de  nom- 
breux missionnaires  dans  les  diocèses,  établi  quatorze  collèges 
et  fourni  un  personnel  assez  considérable  pour  former  deux 
Provinces. 

Quand  on  songe  qu'au  milieu  de  l'agitation  générale  du 
pays,  elle  a  vécu  et  s'est  développée,  malgré  le  mauvais  vou- 
loir du  Parlement,  malgré  les  attaques  directes  des  calvinistes 
et  de  l'Université,  on  est  bien  obligé  de  reconnaître  qu'elle  n'a 
dû  sa  victoire  sur  les  puissances  de  ce  monde  qu'à  la  toute- 
puissance  de  son  divin  Chef  qui  la  soutenait. 

Sauf  la  fondation  de  Pamiers  qui  croula,  pour  un  temps, 
sous  les  coups  répétés  des  huguenots,  ses  autres  établissements 
paraissent  si  solides  et  si  utiles  aux  yeux  de  tous,  que  beaucoup 
d'autres  villes  en  demandent  et  en  attendent  de  semblables. 

Assurément  ses  enfants  ont  souffert.  Mais,  comme  Celui  dont 
ils  portent  le  nom,  ils  triomphent  quand  même,  et  justement 
par  la  souffrance. 

mesure  à  leur  entretien:  —quant  aux  pensionnaires,  on  reconnut  qu'on  ne  pouvait 
reculer  devant  les  obligations  aVjà  acceptées,  mais  on  supplia  le  P.  Général  de  ne  plus 
admettre  de  collèges  dans  ces  conditions;  —  pour  Paris,  en  particulier,  on  était  résolu 
à  établir  les  pensionnaires,  dès  que  ce  serait  possible,  dans  un  bâtiment  séparé,  et  à 
les  confier  à  des  étrangers;  —  enfin  on  désigna  une  commission  cbargée  de  formuler 
des  observations  sur  les  matières  pédagogiques.  Le  P.  Général  approuva  ces  diverses 
propositions,  et  promit  de  faire  examiner  le  rapport  de  la  commission  des  études 
(Acta  Congr.  Prov.,  1575). 


APPENDICES 


A 

La  chapelle  des  voeux  a  Montmartre. 

En  cherchant  à  mieux  connaître  un  sanctuaire  spécialement  cher 
aux  Jésuites  de  France,  nous  avons  pu  reconstituer  tout  un  historique 
du  Sanction  Martyrium  dont  nous  donnerons  ici  les  grandes  lignes. 

On  ignore  à  quelle  époque  les  chrétiens  construisirent  une  cha- 
pelle sur  cette  partie  de  la  colline  qui  passait  pour  avoir  été  arrosée 
du  sang  de  saint  Denys  et  de  ses  compagnons  martyrs.  Un  fait  cer- 
tain c'est  qu'elle  existait  en  1096  et  que  cette  année-là  même,  des 
laïcs,  qui  jusque-là  l'avaient  fait  desservir,  la  cédèrent  aux  moines 
de  Saint-Martin-des-Champs.  Ceux-ci,  à  leur  tour,  l'abandonnèrent 
au  roi  de  France  avec  tout  ce  qu'ils  possédaient  à  Montmartre,  quand, 
en  1133,  Louis  le  Gros  voulut  établir  sur  cette  colline  un  monastère 
de  femmes.  La  chapelle  du  Saint  Martyre  sera  désormais,  jusqu'à  la 
Révolution,  une  dépendance  de  l'Abbaye  des  Bénédictines.  En  1181 
la  Comtesse  de  Saint-Gilles,  sœur  de  Louis  VII,  y  fonda  une  chapel- 
lenie.  Le  modeste  oratoire  se  composait  alors  d'un  seul  édifice  de 
faible  élévation  avec  un  autel  un  peu  enfoncé  en  terre,  et  il  resta 
ainsi  jusqu'au  commencement  du  xivc  siècle.  Vers  1305  un  écuyer  de 
Philippe  le  Bel,  nommé  Hermer,  fonda  une  seconde  chapellenie  et  à 
cette  occasion,  aûn  d'avoir  un  autre  autel  au-dessus  du  premier,  on 
construisit  comme  un  second  étage  sur  l'édifice  primitif.  Jacques  de 
Villiers,  seigneur  de  l'Isle-Adam,  dans  un  Vidimus  de  la  charte  d'Her- 
mer,  reconnaît  bien  distinctement  l'existence  de  ces  deux  chapelle- 
nies  :  l'une  dans  la  chapelle  basse,  l'autre  dans  la  chapelle  haute. 
Les  Bénédictins  nous  apprennent  que  la  chapelle  basse,  regardée 
toujours  comme  la  plus  honorable,  demeura  jusqu'au  xvne  siècle  au 
chapelain  de  la  fondation  la  plus  ancienne.  Personne  n'avait  le  droit 
de  faire  dire  la  messe,  ni  de  célébrer  aucun  service,  sans  l'autorisa- 
tion des  religieuses. 

Ces  détails  sur  le  passé  de  ce  monument  peuvent  servir,  nous  sem- 
ble-t-il,  à  expliquer  pourquoi  les  contemporains  de  saint  Ignace  n'ont 
fait  aucune  mention  des  deux  chapelles.  C'est  que  vraisemblable- 
ment (et  la  lecture  des  vieux  documents  autorise  cette  supposition) 
l'ensemble  de  l'édifice  ne  formait  pas  deux  oratoires  réellement  dis- 
tincts, mais  plutôt  une  seule  église  divisée  à  l'intérieur  en  deux  étages, 
pour  permettre  de  superposer  deux  autels,  et  dans  laquelle  une  seule 
porte  peut-être  donnait  accès.  En  entrant  on  avait  sans  doute  devant 


648  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

soi  et  de  plain-pied  la  plus  ancienne  chapelle,  taillée  en  partie  dans  le 
terrain  gypseux,  avec  l'autel  le  plus  vénéré;  il  fallait  monter  pour 
parvenir  à  l'étage  du  dessus  dont  l'autel  n'offrait  à  la  dévotion  aucun 
souvenir  particulier.  Il  est  tout  naturel  que  nos  premiers  Pères,  s'é- 
tant  réunis  dans  ce  lieu  à  cause  de  sa  vénération,  soient  restés  en  bas, 
dans  la  chapelle  qui  était  pour  les  pèlerins  le  vrai  Sanction  Martyrium; 
tout  naturel  aussi  qu'ils  n'aient  point  vu  dans  les  deux  étages  susdits 
deux  sanctuaires  séparés  et  n'aient  pas  même  songé  à  y  faire  allusion. 
A  l'époque  où  Henri  IV  assiégea  Paris,  le  Sanctum  Martyrium  fut 
livré  à  la  dévastation.  Lorsque  Marie  de  Beauvilliers  prit  le  gouverne- 
ment de  l'Abbaye,  en  1598,  l'autel  était  démoli,  les  murailles  rompues 
et  entr'ouvertes,  la  voûte  tombée,  l'église,  dont  la  longueur  n'était 
alors  que  de  neuf  toises  (environ  1<S  mètres  i  et  qui  avait  la  forme  d'un 
simple  parallélogramme,  comblée  de  démolitions  et  d'ordures.  Aidée 
par  les  libéralités  des  Parisiens  et  surtout  celles  de  M.  de  Fresne  son 
beau-frère,  l'abbesse  résolut  de  la  réparer  et  de  l'agrandir.  L'an- 
née 1611,  en  fouillant  vers  le  chevet  pour  les  fondations  nouvelles,  les 
ouvriers  découvrirent  un  large  escalier  de  trente-sept  marches  condui- 
sant à  une  grotte  creusée  dans  le  plâtre,  haute  de  huit  pieds,  longue 
de  quatorze  toises  et  de  largeur  variable.  Dans  cette  grotte  on  trouva 
un  autel  grossièrement  taillé,  des  croix  dessinées  sur  les  murs,  des 
inscriptions  à  demi  effacées  :  Mar.  Clemin.  Dio...;  un  écusson  sur 
lequel  étaient  empreintes  deux  clefs  en  forme  de  croix.  A  quoi  avait 
servi  cette  grotte  et  depuis  quand  était-elle  ignorée?  Personne  n'aurait 
pu  le  dire.  La  piété  du  peuple  y  vit  une  cachette  où  les  premiers 
chrétiens  célébraient  les  saints  mystères;  sa  disparition  s'expliquait  par 
les  nombreux  bouleversements  que  cette  colline  de  plâtre  avait  subis 
pendant  les  guerres  à  cause  de  sa  position  stratégique.  Plus  de 
60.000  personnes,  Marie  de  Médicis  et  sa  cour,  vinrent  la  visiter.  Sa 
découverte  attira  de  nombreux  pèlerins  à  un  sanctuaire  déjà  fréquenté, 
de  nouveaux  dons  aux  religieuses,  et  l'abbesse  put  bâtir  tout  auprès 
un  prieuré  dépendant  de  l'abbaye,  relié  à  celle-ci  par  une  longue 
galerie  couverte.  En  1630,  la  générosité  de  Louis  XIII  permit  de 
construire  une  nouvelle  église.  Sans  parler  du  souterrain  célèbre,  elle 
se  composait  comme  jadis  d'une  partie  haute  et  d'une  partie  basse, 
mais  avec  des  proportions  bien  différentes  de  ce  qu'on  avait  vu  au 
xvie  siècle.  La  partie  basse,  destinée  à  rappeler  le  Sanctum  Martyrium, 
ne  s'étendait  guère  plus  que  le  sanctuaire  du  maître-autel  de  la  partie 
haute.  On  y  plaça,  nous  ne  savons  quand,  un  tableau  représentant 
Le  Fèvre  qui  tenait  dans  ses  mains  la  sainte  hostie  tandis  qu'Ignace, 
près  de  recevoir  la  communion,  lisait  la  formule  de  ses  vœux  age- 
nouillé au  milieu  de  ses  compagnons.  On  y  trouvait  aussi  l'entrée  de 
la  grotte  merveilleuse,  où  il  ne  se  faisait  aucun  office  à  cause  de  l'hu- 
midité qui  y  pénétrait  de  toutes  parts.  L'église  d'en  haut,  destinée  aux 
religieuses  du  prieuré,  avait  une  nef  assez  large  décorée  de  pilastres; 
un  dôme  s'élevait  au-dessus  de  l'autel;  au  delà  se  voyait,  vers  l'orient, 
un  vaste  chœur  pour  les  Bénédictines,  orné  de  neuf  grands  tableaux. 
L'édifice  était  assez  grand  pour  devenir  église  conventuelle  en  I6<SS 
quand  les  religieuses,  abandonnant  les  hauteurs  et  l'église  Saint-Pierre, 


APPENDICES. 

vinrent  prendre  possession  des  nouveaux  corps  de  logis  construits  par 
ordre  de  Louis  XIV,  et  que  le  litre  abbatial  fut  transféré  au  prieuré  des 
martyrs.  Ce  fut  dans  la  partie  haute  de  réalise  que  l'on  plaça,  au  moins 
à  une  certaine  époque,  les  inscriptions  rappelant  le  souvenir  de  saint 
Ignace  et  de  ses  compagnons.  Le  P.  Léon,  provincial  des  (larmes, 
écrit  à  ce  sujet  vers  le  milieu  du  xvue  siècle  :  «  La  chapelle  que  l'on 
trouve  entrant  à  main  droite  au  haut  de  la  nef  de  l'église...  est  un 
monument  public  et  perpétuel  [du  vœu  des  premiers  Jésuites  en  ce 
lieu].  Un  ouvrage  de  marbre  noir  enferme  une  grande  placque  de 
cuivre,  sur  un  pilier  joignant  le  grand  ballustre  de  fer,  qui  récite 
toute  l'histoire  en  abbrégé  :  Siste,  spectalor,  ah/m'  in  hoc  Martyrum 
sepulchro  probati  ordinis  cunas  lege. 

SOCIETAS   Jesi 

Ouae  Sanctum  Ignatium  Loyolam 

Patrem  agnoscit,  Lutetiam  matrem, 

Anno  Salutis  MDXXXIV 

Aug.  XV 

HtC   NATA   EST 

Cum   Ignatius  ipse  et  Socii 
Votis  sub  sacram  synaxim 
Religiose  conceptis 
Se  Deo  in  perpetuuin 
Consecrarunt. 
Ad  majorem  Dei  Gloriam. 
«  Le  ballustre  de  menuiserie  qui  ferme  la  chapelle  porte  encore  celte 
autre  inscription  en  lettres  d'or  :  Sacra  et  pia  Societatis  Jesu  incuna- 
bula  parentibus  optimis  filii  posuere.  »  (Extrait  de  la  France  converti'', 
Paris,  1661).  Le  P.  Bartoli  nous  apprend  que  les  inscriptions  avaient  été 
placées  là,  parce  que  le  sanctuaire  d'en  bas  était  trop  obscur.  Il  arrive 
d'ailleurs  souvent  que  l'on  fait  ainsi  pour  attirer  l'attention  des  visi- 
teurs. Enfin  un  autre  historien  nous  dit  que  la  chapelle  où  se  trou- 
vaient ces  inscriptions  était  dédiée  à  saint  Ignace  et  possédait  un 
tableau  de  l'Assomption. 

Le  Sanctum  Martyrium  ainsi  transformé  disparut  à  la  Révolution 
avec  toute  l'abbaye.  Un  plâtrier,  nommé  Richard,  lit  alors  l'acquisition 
des  bâtiments  claustraux,  espérant  que  les  caves  lui  donneraient  un 
accès  direct  dans  le  sous-sol  de  la  butte  pour  l'extraction  du  gypse.  Tout 
fut  démoli  peu  à  peu,  et  au  commencement  du  dix-neuvième  siècle 
il  ne  restait  plus  que  des  ruines.  Après  le  rétablissement  de  la  Compa- 
gnie, les  Jésuites  de  Paris  tournèrent  de  nouveau  leurs  regards  vers  la 
colline  de  Montmartre.  Nos  annales  racontent  qu'en  182 \  les  novices  y 
cherchèrent  en  vain  les  traces  d'une  chapelle,  et  qu'en  1834,  le  jour 
de  l'Assomption,  plusieurs  Pères  et  Frères  allèrent  célébrer  la  messe 
et  prêchera  l'église  paroissiale  Saint-Pierre.  En  1836,  un  bienfaiteur 
de  Marseille  offrit  un  don  généreux  au  P.  Guidée  pour  l'établissement 
d'u»e  résidence  de  la  Compagnie  à  Montmartre.  Ce  pieux  projet  n'était 
pas  réalisable,  mais  les  Pères  continuèrent  à  s'intéresser  au  lieu  qui 
avait  été  le  berceau  de  leur  Ordre.  Vers  1835  le  Père  Tournesac,  l'ar- 
chitecte bien  connu,  le  P.  Cadrés,  parisien  d'origine,  et  le  P.  Leroux 


650  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESl  S. 

travaillèrent  à  retrouver  remplacement  exact  du  Sanctum  Martyrium. 
En  comparant  ensemble  le  plan  Turgot  (1734-39),  le  plan  Verniquet 
1784),  le  plan  dressé  pour  la  vente  des  biens  nationaux  (1790)  et  le 
plan  cadastral  de  1843,  le  P.  Tournesac  parvint  à  déterminer  l'em- 
placement de  la  seconde  église  abbatiale  des  Bénédictines  et  il  en 
dressa  le  plan.  On  songeait  aussi  à  acquérir  le  terrain.  En  1855  des 
prêtres  de  Paris  en  achetèrent  une  partie,  la  seule  qui  fût  alors  à 
vendre.  Environ  quinze  ans  plus  tard,  M.  Le  Rebours,  curé  de  la  Ma- 
deleine, en  acheta  une  autre,  et  au  commencement  de  Vannée  terrible 
(janvier  1871)  il  fit  élever  une  chapelle  provisoire  en  bois.  Celle-ci, 
pendant  la  Commune,  fut  convertie  en  prison  par  les  Fédérés  qui  y 
enfermèrent  le  vénérable  abbé  Millant,  curé  de  Saint-Roch.  Plus  tard, 
quand  le  calme  fut  revenu,  les  Dames  Auxiliatrices  firent  construire  au 
même  endroit  la  chapelle  gothique,  avec  crypte,  que  l'on  voit  encore 
de  nos  jours,  rue  Antoinette,  tout  près  de  la  rue  des  Martyrs.  (Voici 
les  principales  sources  où  nous  avons  puisé  ces  détails  :  Archives 
nat./L,  1031;  KK,  1345;  H,  4032.  —  Lettres- annuelles  de  la  Prov.  de 
France  1814-1834.  —  Mémoire  de  M.  F.  de  Guilhermy  sur  le  vieux 
Montmartre,  imprimé  dans  le  Bulletin  de  la  Société  d'Histoire  du 
XVIIIe  arrondissement,  3e  sér.,  t.  I.  —  E.  de  Barthélémy,  Recueil  des 
chartes  de  l'abbaye  de  Montmartre.  —  Du  Breul,  Théâtre  des  antiqui- 
tés de  Paris  (1612).  —  Binet  S.  J.,  La  vie  apostolique  de  saint  Dem/s 
(1624).  —  Dom  Marrier,  Monasterii  reyalis  sancti  Martini  de  campis 
historia  (1637)  —  Jacqueline  de  Blémur,  Eloges  de  plusieurs  personnes 
illustres  de  l'ordre  de  saint  Benoît  (1679).  —  Estampes  de  la  Biblio- 
thèque nationale  et  du  Musée  Carnavalet.) 


Lettres  de  jussion  du  9  octobre  1560. 

«  Françoys  par  la  grâce  de  Dieu  Roy  de  France,  à  nos  amez  et 
féaulx  conseillers  les  gens  tenans  nostre  cour  du  parlement  de  Paris, 
salut  et  dilection. 

Encores  que  feu  nostre  très  honoré  seigneur  et  père,  le  roy  dernier 
décédé,  que  Dieu  absoulle,  et  nous,  vous  ayons  par  plusieurs  nos  lettres 
patentes  mandé  procéder  à  l'émologation  des  bulles  octroyées  et  ac- 
cordées aux  religieux  prestres  et  frères  de  la  compagnie  de  Jésus  par 
les  papes  Paul  et  Julles  dernièrement  décédés,  néantmoings  vous  avez 
jusques  à  présent  différé  d'y  procéder  sous  umbre  de  quelques  advis 
sur  ce  donnés,  tant  par  nostre  ami  et  féal  conseiller,  l'évesque  de 
Paris  que  par  la  faculté  de  théologie,  cy  attachés  soubs  le  contresel 
de  nostre  chancellerie,  lesquels  advis  ayant  faict  voir  par  aulcuns  des 
gens  de  nostre  conseil  privé  et  congneu  qu'ils  sont  fondés  sur  ce  que 
l'on  prétend  lesdites  bulles  contenir  quelques  choses  préjudiciables 
aux  concordats  et  aux  droits  épiscopaulx  et  parrochiaulx,  à  quoy  ainsi 
que  nous  ont  remonstré  aulcuns  de  ladite  société,  ils  n'entendent 


APPENDICES.  m 

auculneinent  préjudicier,  comme  aussi  par  la  Visitation  qu'avons  faici 
faire  desdites  bulles,  il  ne  s'y  treuve  aulcune  chose  contraire,  et  sa- 
chans  le  grand  fruict  que  la  dicte  compagnie  a  ja  faict  en  plusieurs 
endroicts  de  la  chrestienté,  où  elle  a  esté  reçue  el  establie,  où  nous 
sommes  advertis  qu'il  se  nourrist  ung  si  bon  nombre  de  gens  doctes, 
savans,  et  qui  pour  estre  comme  des  prestres  séculiers  peuvent  plus 
aysément  aller  en  pays  estrangers  et  mesmes  es  lieux  qui  n'ont  en- 
cores  reçu  la  foy  et  religion  chreslienne,  ou  qui  se,  sont  séparés  de 
l'union  de  l'église,  que  cela  nous  faict  singulièrement  désirer,  ayant 
ce  siècle  plus  de  besoing  que  n'eurent  oncques  les  précédens  d'avoir 
nombre  de  gens  de  bien,  zélateurs  de  la  foy  catholique  et  qui  in- 
cessamment preschent,  admonestent  et  instruisent,  que  ladite  com- 
pagnie soit  reçue  en  nostre  ville  de  Paris  et  aultres  endroicts  de 
nostre  Royaume  pour  l'espérance  que  nous  avons  que  le  fruict  qu'elle 
y  fera,  passera  de  beaucoup  les  inconvénients  et  incommodités  portés 
par  lesdits  advis  de  l'évesque  de  Paris  et  de  la  faculté  de  théologie, 
auxquels  d'aultre  part,  s'ils  adviennent,  il  sera  aysé  de  pourvoir  par 
les  évesques  et  prélats,  lorsqu'ils  résideront  dans  leurs  diocèses,  ayant 
l'œil,  comme  ils  doibvent  avoir,  à  toutes  choses  qui  touchent  l'ins- 
truction et  édification  du  peuple. 

A  ces  causes  et  aultres  bonnes  raisonnables  considérations  à  ce  nous 
mouvans,  nous  mandons,  ordonnons,  enjoingnons  très  expressément 
ceste  fois  pour  toutes,  que  sans  vous  arrester  auxdits  advis,  vous 
ayés  à  passer  outre  l'émologation,  vérification  et  interinement  desdites 
bulles  en  faisant  du  contenu  en  icelles  jouyr  lesdits  frères  de  ladite 
compagnie  de  Jésus,  tant  en  nostre  ville  de  Paris  que  en  tout  nostre 
royaume,  sans  y  faire  aulcun  refus  ni  difficulté,  ni  qu'il  soit  besoing 
vous  faire  sur  ce  entendre  plus  amplement  nostre  intention,  car  tel 
est  nostre  plaisir,  nonobstant  que  par  les  lettres  de  feu  nostre  très 
honoré  seigneur  et  père  il  soit  seulement  parlé  d'ung  collège  de  ladite 
société  en  nostre  dite  ville  de  Paris  et  quelconques  oppositions,  let- 
tres, ordonnances,  mandements  ou  deffense  à  ce  contraires.  » 

Donné  à  Saint-Germain-en-Laye,  le  neufviesme  jour  d'octobre,  Tan 
de  grâce  1560  et  de  nostre  règne  le  deuxiesme 
Pour  le  roy 
Monseigneur  le  cardinal  de  Lorraine  présent 


de  L'Aubespine. 


(Gallia,  Epistolae  ad  Generalem,  t.  I,  f.  132). 


C 

Discours  du  Père  Lainez  a  Poissï. 

(1562 
JUS 

Madama,   ancorche  il  Pelegrino  non  habbi  a  essere  curioso  nella 
republica  d'altrui,  tumen  perche  la  fede  non  è  di  partieulari  nationi. 


652  HISTOIRE  DE  Là  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

ma  universale,  e  catholica,  non  mi  pare  inconveniente  proporre  a 
Va  M,a  quelche  incorre,  tanto  parlando  in  générale  di  quelche  qui  si 
traita,  corne  in  particolare,  respondendo  ad  alcune  obiectioni  fatte  da 
fra  Pietro  Martire,  e  dal  suo  collega.  Et  quanto  al  primo  per  quel 
ch'io  hô  letto  e  si  è  visto  sempre  per  esperienza,  mi  pare  cosa  molto 
pericolosa  trattar'  con  persone,  che  escano  fuor  délia  chiesia,  ne  sen- 
tirle;  perche  corne  l'ecclesiastico  dice  :  Quis  miserebit  incantatori  a 
serpente  percusso,  et  omnibus  qui  appropiant  bestiis?...  Quelli 
adunque  che  escano  délia  chiesia  si  chiamano  nella  Scripturaserpenti, 
e  lupi  in  vestimentis  ovium,  e  volpi  accio  intendiamo,  che  bisognia 
molto  guardarsi  da  loro,  specialmente  per  la  loro  fintione,  laquale 
sempre  hanno  usato,  corne  per  essempio  li  Pelagiani,  liquali  negavano 
il  bisogno  délia  gratia  de  Iddio  e  tribuivano  alla  natura  le  forze  che  non 
haveva,  costretti  da  superiori  confessavano  essere  necessaria  la  gratia, 
e  poi  nelli  cantoni  dicevano  alli  soi  che  per  la  gratia  intendevano  la 
natura,  quale  gratiosamente  ci  era  concessa  da  Iddio.  Altri  ancora  ne- 
gavano la  resurrectione  del  corpo,  e  dicevano  che  sola  l'anima  risus- 
cita,  quando  si  giustiflca;  dapoi  dimandati  se  credevano  di  resusci- 
tare,  dicevano  di  si  ;  et  interrogati  apresso  di  resuscitare  in  questa 
carne,  rispondevano  di  si;  e  poi  dichiaravano  il  suo  senso,  il  quale  era 
che  l'anima  essendo  in  questa  carne  risuscitata  quando  si  giustiflca; 
e  cpsi  si  potria  dire  d'altre  particolari  sette;  et  in  universale  tutti 
vengono  in  questo,  che  confessano  tutti  la  chiesia  catholia,  e  li 
ministri  di  essa  e  l'authorità  délie  scripture,  almeno  d'alcune;  e  tutti 
fanno  loro  istessi  chiesia  catholica  et  li  soi  ministri  legitimi  ministri  ; 
et  il  senso  loro  délie  scripture  senso  catholico;  et  tamen  la  verità  è 
che  la  chiesia  loro,  ministri,  e  senso  ch'  inpongono  aile  scritture,  ne 
sonno  catholici,  ma  simie  delli  catholici,  e  perô  bisogna  a  chi  gl'as- 
colta  aprire  molto  gl'  occhi  per  evitar'li  pericoli.  Perilche,  Madama, 
mi  occarreva  representare  a  Va  Msla  doi  remedii,  l'uno  mi  par  buono, 
l'altro  manco  malo.  Il  1°  è  che  intendi  Va  Msta  che  non  spetta  a  lei,  ne 
a  prencipi  temporali  trattare  le  cose  délia  fede,  perche  non  hanno 
l'autorità  oltre  che  non  sogliono  comunmente  occuparsi  nelle  sottilità 
e  minutià  di  quella,  et  é  ben  consentaneo  che  tractent  fabrilia  fabri; 
tocca  adunque  alli  sacerdoti  trattarla;  e  perche  le  cose  délia  fede 
sunt  causae  majores,  tocca  al  sommo  sacerdote,  et  al  concilio  générale 
definirle,  il  quale  essendo  al  présente  aperto,  non  par  conveniente, 
ne  legitimo  far  simili  congregationi  :  e  pero  li  Padri  congregati  nel 
concilio  basiliense,  determinarno  che  durante  il  concilio  générale,  e 
sei  mesi  prima,  non  si  facessino  i  concilii  particolari.  Adonque  il 
migliore  remedio  è,  che  Va  Msla  indrizzi  castoro  al  concilio,  perche  là 
convengano  huomini  dotti  di  tutti  le  nationi,  e  quelche  è  piu,  c'è 
l'assistenza  infallibile  del  Spirito  Santo,  laquale  qui  non  ci  possiamo 
permettere  {sic),  e  S.  Santita  non  mancherà  di  darli  salvo  condolto 
et  ogni  sicurtà  necessaria.  Se  adunque  vogliono  essere  ammaestrati, 
corne  dicono,  la  si  potrà  fare  molto  meglio;  ma  per  dire  il  vero, 
io  non  credo  che  pretendono  essere  ammaestrati,  anzi  ammaestrare, 
e  spargêre  il  suo  veneno  ;  perche  in  luoco  di  udir  gl'  altri,  fanno 
prediche.  che   durano   un'  hora,  e  mezza  etc.  Il  secondo  rimedio, 


APPENDICES. 

non  buono,  ma  manco  mal<>  é,  che  gia  chc  per  usarli  misericordia, 
e  charità,  e  per  guadagnarli ,  vuole  V"  M"1''  che  si  dispufi,  si  facci 
questo  solamente  in  presentia  di  persone  dotte  et  essercitate,  del- 
lequali  non  sia  pericolo  che  s'infettino,  ne  convinchino,  anzi  siano 
atti  a  convincer'  loro,  et  ammaestrarli,  cl  in  questo  modo  a  cscusaria 
ya  jyjsia  e  questi  nij  Signori  di  fastidio,  et  la  cosa  saria  piu  sicura. 

Quant1  al  secondo,  chc  è  rispondere  ad  alcune  obiettioni  ;  vedo  bene 
che  non  è  necessario,  perche,  per  gratia  del  Sigr  111°  Cardinale  di 
Lorena  specialmente,  et  ancora  gT  allri  dottori  gï  hanim  risposto 
suflitientissimamente,  e  non  solo  risposto,  ma  in  moite  cose  convinto; 
perche  in  vero,  Madama,  in  quella  cosa  délia  missione  loro  gl'  hanno 
fatto  sudare  :  e  similmente  quanto  a  quello  che  dicano  che  non  si  hà 
da  credere  cosa,  che  non  si  pruovi  per  la  parola  espressa  dlddio  :  e 
perù  io  dico  brevemente  :  E  prima  quanto  a  quello  che  dicano  delli 
nostri  vescovi,  che  si  fanno  per  simonia,  e  perù  non  sonno  legitimi, 
oltra  quello,  che  è  risposto  e  ben  risposto,  dico,  che  se  pure  fosse 
alcuno,  il  quale  re  vera  fosse  simoniaco,  quantunque  in  presentia 
d'Iddio  sia  malo,  e  reo,  e  non  sia  entrato  per  la  porta,  tamen  quanto 
a  noi,  e  quanto  alla  chiesia,  quae  non  judicat  de  occultis,  è  legitimo, 
insin'  a  tanto  che  in  foro  exteriori  è  convinto  e  declarato  taie  ;  et  il 
Sor  Dio,  quanto  ail'  amminislratione  delli  sacramenti,  e  quanto  alla 
dottrina,  fà  per  mezzo  di  esso  quelche  per  li  altri  legitimi;  perche  la 
prelatione  è  gratia  che  si  dà  in  utilità  degl'  altri,  aiquali  non  imputa 
il  Sor  il  peccato  occulto  del  ministre  Quanto  à  quel  che  diceva  fra 
Pietro  Martire,  che  saria  meglio  che  li  populi  eleggessino,  corne  si 
faceva  anticamente,  oltra  che  in  questo  dimostra  che  non  viene  per 
essere  ammaestrato,  ma  per  dar  legge,  direi  che  come  si  vede  per  es- 
perienza,  sonno  state  chiare  [varie]  forme  di  eleggere,  et  in  tutte  sonno 
entrati  abusi;  perche  per  dare  uno  essempio  del  Papa,  è  chiaro  che 
qualchevolta  Felettione  si  faceva  dal  clero,  e  populo  romano,  poi  dal 
clero  solo,  come  si  fà  anche  hoggi,  et  in  Alemagna  nella  elettione  de 
vescovi  e  poi  delli  imperadori  come  si  fà  hoggi  delli  vescovi  in 
Francia  e  Espagna  delli  Rè,  e  tamen  in  tutti  questi  modi  con  il  tempo 
sono  entrati  abusi  come  si  è  detto,  perche  non  meno  si  possono  cor- 
rompere  molti  délia  moltitudine  delli  elettori,  che  un  pre[n]cipe.  E 
rosi  potria  entrar  la  simonia  di  modo  che  l'argumenlo  di  quella  tanto 
stringe  contra  loro,  che  vogliono  che  la  moltitudine  elegghi,  come 
contra  coloro,  che  vogliono  che  elegghi  il  rè,  il  quale,  come  è  stato 
detto,  hà  il  consenso  dei  populi. 

Quanto  agi'  altri  argomenti  che  faceva  fra  Pietro  Martire  délia  loro 
missione,  cioè  che  gï  apostoli,  e  li  propheti  senza  imposilione  de  mano 
havevano  predicato,  e  per  là  nécessita  la  moglie  di  Moyse  circoncise 
suo  figluolo  (sic),  e  per  quella  medesima  puô  un  Turco  battezzare  uno 
che  si  vuole  far  christiane  ;  e  cosi  loro  fanno  per  là  nécessita  legitima- 
mente,  etiam  che  non  sieno  mandati  d'altri  superiori,  hè  habbino 
l'impositione  délie  mani.  Primieramente  mi  maraviglio  che  si  com- 
parino  alli  propheti,  et  agli  apostoli,  perche  quelli,  ollra  la  vita,  Fu- 
rono  mandati  immédiate  da  Iddio,  il  quale  non  è  astrelto  ad  impo- 
nere  le  mani  a  suoi  ministri  e  puù  dare  l'etl'elto  del  sacramento  senza 


r..v 


HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 


la  materia  e  forma  die  essa  et  non  predicano  niente  contra  quello 
ch'era  definito  esser  di  fede,  e  confirmorno  la  sua  divina  missione  con 
segni  et  effetti  sopranaturali,  corne  consta  degl'  Apostoli,  e  molti  pro- 
pheti;  e  se  alcuni  non  fecero  allri  miracoli,  la  medesima  prophetia 
pruova  sua  missione,  perche  è  eiïetto  sopranaturale.  Questi  altri  non 
hanno  la  buona  vita;  le  cose  che  predicano  sonno  contrarie  aile  cose 
definite,  non  hanno  segno,  ne  scrittura  délia  sua  missione  straordina- 
ria.  Non  sonno  adunque  mandati  da  Iddio;  imo  se  li  mandasse,  con- 
tradiria  a  se  stesso,  perche  li  mandaria  à  predicare  le  cose  contrarie 
a  quelle  che  lui  hà  definite;  et  è  cosa  frivola  dire  che  li  mandano  i 
suoi.  maestrati  :  prima  perche  quando  loro  cominciorno  a  predicare 
non  c'  era  republica  alcunatuttaguasta;  ma  alcuni  particolari  heretici, 
che  non  facevano  populo,  e  cosi  allora  è  chiaro  che  mancava  questa 
missione,  e  tamen  predicavano,  e  ministravano  li  sagramenti;   che 
confessavano;  dipoi  ancora  che  fosse  una  republica  inliera  di  questa 
dottrina,  chiaro  è  che  non  hà  authorità  di  privare  il  vescovo  di  sua 
giurisdittione;  et  il  rè  che  l'hà  nominato  délia  sua;  et  il  Papa  che  l'hà 
contirmato  et  islituito  délia  sua  metlendo  ministri  sopra  le  sue  pécore 
contra  lor  voglia  :  et  se  ben  à  niuno  di  costoro  si  facessi  pregiuditio, 
la  republica  potria  fare  cose  civili  et  altre,  allequali  s'estende  l'humana 
potestà,  e  potria  dare  facoltà  a  costoro,  che  le  facessino,  ma  non  puù 
mai  dare  facoltà  di  far  cose  sopranaturali;  quale  è  fare  ch'uno  rinaschi 
péril  battesmo,  consecrare  la  Sma  Eucaristia,  e  conferendola  ad  altri 
dar  gratia  alli  communicanti  ;  e  predicare  le  cose  sopranaturali  délia 
fede,  allequali  nessuno  intelletlo  di  republica  arriva;  e  se  la  moglie  di 
Moyse  circumcise  il  figluolo,  primo  non  habbiamo  scrittura  espressa, 
che  deputi  certo  ministro  délia  circumcisione  escludendo  gl  altri,  e 
quando  ben  ci  fosse,  consta  che  hebbe  spéciale  instinto  et  inspiratione 
d'Iddio  a  far  quelche  fece;  perche  l'angelo  che  voleva  amazzare  Moyse 
cessù  circonciso  il  figluolo;  et  il  battesmo  anchora  che  fà  il  Turco  è 
vallido,  perche  essendo  il  Battesmo  sacramento  a  tutti  necessario,  hà 
voluto  il  Signor  che  qualsivogli  huomo  o  donna  possi  esser  ministro 
di  quello,  e  contutto  questo  peccaria  il  Turco  e  qualsivogli  altr'  huomo 
che  contra  la  volontà  degl'  ordinarii  ministri  aparecchiali  a  baltezzare 
volesse  battezzare;  e  cosi  peccano  costoro,  che  amministrano  la  parola 
d'Iddio,  e  li  sacramenti  contra  la  volontà  degl1  ordinarii,  liquali  per  se, 
o  per  li  suoi  ministri  danno  ai  populi  il  verbo  d'Iddio,  e  li  sacramenti 
secondo  il  senso,  e  rito  vero  e  catholico;  e  questi  predicano  le  scritture 
secondo  il  proprio  senso  e  ministrano  li  sacramenti  quanti  e  corne 
vogliono;  e  pero  si  pecarebbono  predicando  etiam,  et  ministrando 
catholicamente  ;  se  lo  facessero  contra  l'ordine  de  Superiori,  molto 
piu  peccano  contra  la  medesima  obedienza  predicando  errori,  super- 
stitioni;  e  se  bastassè  non  predicare  il  vescovo,  o  predicar  maie  a 
parère  di  qualunque  huomo,  polrieno  saltare  tutte  le  sette  d'Heretici 
a  predicare  contra  l'ordine  del  vescovo  con  pretesto  di  questa  néces- 
sita; e  per   questa  medesima  via  potrieno  li   ambiliosi  e  seditiosi 
levarsi  contra  i  principi  secolari  dicendo  che  mancano  al  suo  oflîtio,  e 
favoriscano  la  idolatria,  etc.  togliendo  la  messa,  la  vénération  dei 
Sanli,  et  imagini,  et  reliquie. 


APPENDICES. 

GV  altri  argomenti  che  hanno  fatto  cosloro  contra  la  real  presenza 
del  N°  S1'1'  nclla  Eucaristia  facilmente  si  risolvond";  perche  quello  che 
diceva  il  Besa  che  era  contra  la  verità  dolla  natura  de!  corpo  di  Y  N 
Sre  starc  in  tanto  piccolo  luogo,  massime  stando  in  cielo,  e  non  des 
cendendo  di  là,  siresponde  che  corne  diceDamasceno  |  i°  lib.  cap.  14  . 
per  esscre  il  N"'°  S1V  realmente  nclla  Eucharistia  non  bisogna  che 
descenda  dal  cielo;  il  che  la  ragione  anche  lo  dimostra  r  perche  se 
bisognasse  che  descendesse  dal  cielo  per  Irovarsi  nell'  ostia,  bisognaria 
ancora  che  si  partissi  da  un'  ostia  per  trovarsi  in  un'  allra;  per  virtù 
adunque  d'Iddio  stando  in  cielo,  et  in  tutle  l'ostie  consecrate,  nel  cielo 
naluralmente  occupando  tanto  luoco  quanto  richiede  la  sua  quantità, 
nell'  ostie  sopranaturalmente,  e  non  occupando  ;  perche  in  Christo  c'è 
la  divinità,  l'anima,  e  corpo;  e  la  divinità  non  occupa,  e  slà  non  sola- 
mente  in  tutte  l'ostie  consecrate,  et  parti  loro  minime,  ma  in  tutto  il 
mondo,  secondo  quello  :  <<  Coelum  et  terram  ego  impleo  »  ;  l'anima 
perche  è  spirito  non  occupa,  et  perù  puô  stare  in  tutta  l'ostia  H 
qualunque  minima  parte,  corne  vediamo  che  stà  nel  corpo  nostro,  e 
qualunque  parte  di  esso;  ma  per  virtù  sopranaturale  et  infinita  d'Iddio 
stà  in  tutte  l'ostie  consecrate,  secondo  che  naluralmente  sta  tulta  nel 
mio  corpo,  e  tutta  nel  mio  piede;  il  corpo  (delquale  è  la  difficulté,  non 
stà  nella  ostia  alla  distesa,  e  nel  modo  che  sta  nel  cielo,  perche  biso- 
gneria  che  l'ostia  fasse  tanto  grande,  quanto  il  corpo  di  Christo  N" 
Src,  e  che  tutto  il  corpo  fosse  in  tutta  l'ostia,  e  le  parti  sue  nelle  parti 
dell'  ostia  :  corne  per  essempio  è  l'ucello,  e  pesce  nel  pasticcio;  stà 
adunque  non  à  modo  di  corpo  alla  distesa  et  occupando;  ma  à  modo 
di  sostanza,  e  spirito,  il  quale  stà  realmente  présente  senza  occupare  ; 
hà  adunque  il  corpo  doi  cose,  l'esser  présente  al  luoco,  e  l'occuparlo, 
et  impirlo,  e  primo  è  l'esser  présente,  e  poi  sequita  l'occupare  : 
perche  se  non  fosse  présente,  non  occuparebbe.  11  miracolo  adunque 
è  ch'Iddio  benedetlo  per  sua  infinita  potentia  lascia  stare  il  primo,  e 
leva  il  secondo,  cioè  fà  che  il  suo  corpo  nell  eucharistia  sia  realmente 
e  sostantialmente  présente,  e  pure  non  occupi  :  e  cosi  puô  slar  tutto, 
e  stà  tutto  in  tutta  l'ostia,  e  tutto  in  qualunque  parte  di  essa;  corne 
un'  angelo,  e  la  nostra  anima;  perche  di  tal  modo  sonno  presenti  che 
nonoccupano  essendo  spiriti,  stanno  tutti  in  tutto  il  luoco,  dove  ope- 
rano;  e  tutti  in  ciascheduna  parte;  perche  adunque  la  natura  di 
qualunque  creatura  è  obedire  al  creatore,  e  quella  obedienza  li  è 
soave,  non  perde  il  corpo  di  X'1  N"  Sre  la  verità  di  sua  natura  per  stare 
per  miracolo  corne  vuole  Iddio  nella  ostia,  secondo  che  non  perse  il 
fuoeo  nella  fornace  di  Babilonia  la  verità  délia  specie  sua  non  bru- 
sando  li  compagni  di  Daniele,  ma  li  minislri  di  Nabucodenasor;  e 
secondo  che  il  grave  non  perde  la  verilà  di  sua  natura  quando  ascende 
per  evitar  il  vacuo,  e  se  questi  corpi  niateriali  per  obedire  à  Iddio 
nonperdono  la  sua  natura,  molto  manco  il  corpo  deL  N"  S'",  il  quale 
non  è  corpo  solamente  dotato  di  qualità  natnraîi,  ma  corpo  glorioso. 
e  non  solo  glorioso,  ma  corpo  dell1  eterno  Verbô,  perde  la  verità  di 
sua  natura,  per  trovarsi  in  lui  cose  sopranaturali  ;  conie  ancora  non  la 
perse  uscendo  dal  ventre  immaculato  délia  gloriosa  Vergine  c  dal 
sepolcro  serrato,  et  enlrando  nel  cenacolo  le  porte  chiuse.  Ben  disse 


656  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

dunque  Âmbrosio  :  «  Hoc  quod  conûcimus  corpus  ex  Virgine  est; 
quid  hic  quaeris  naturae  ordinem  in  Ghristi  corpore,  cum  praeter 
naturam  sit  ipse  Dominus  Jésus  partus  ex  Virgine.  »  L'haver  detto 
S10  Augustino  contra  Adimanto,  e  Tertulliano,  et  altri  che  l'eucharistia 
è  segno,  o  figura  del  corpo  di  X°  N°  Sre,  non  leva  la  real  presenza  sua 
in  essa,  corne  voleva  fra  Pietro  Martire,  quantunque  dicesse  che  non 
pretendeva  allora  dir  contra  l'Eucharistia,  gittando  la  pietra,  e  nas- 
condendola  mano.  Questo  dico  non  preiudica  ail'  Eucharistia,  perche 
oltre  che,  corne  dice  la  Sa  Sinodo,  si  chiama  Y  Eucharistia  segno,  perche 
le  specie  sonno  segno,  e  non  perche  sotto  quelle  non  sia  la  verità,  et 
il  vero  corpo  e  sangue  del  Salvatore  sonno  segni  e  figure  e  rappre- 
sentatione  del  medesiino  corpo  in  croce,  e  del  sangue  che  usci  di  esso, 
perche  secondo  che  nella  croce  mori  il  Src  separandosi  il  sangue  del 
corpo,  cosi  il  corpo  separatamente  è  signiûcato  per  l'oslia,  et  il  sangue 
per  il  calice.  Ne  répugna  che  il  medesiino  sia  verità  e  significatione, 
come  l'urna  di  inanna  era  segno  délia  manna  che  era  caduta  nel  de- 
serto-,  et  era  verità,  perche  ancora  lei  cadette.  Et  il  vero  corpo  di  X° 
N°  S"  morto  è  segno  délia  morte  del  peccato,  et  il  vero  corpo  risusci- 
tato  è  ty.po  délia  giustiûcatione  nostra,  come  saria  in  questo  sensibile 
essempio  :   Mettiamo  ch'un  prencipe  libérasse  in  guerra  una  città 
assediala,  e  presa  dagl'  inimici  suoi,  e  che  a  fin  che  al  populo  fasse 
grato,  e  per  mezzo  délia  gratitudine  havessi  da  farli  piu  bene,  volessi 
ch'  ogni  anno  si  rappresentasse  sua  vittoria,  è  chiaro  che  si  potria 
rappresentare  in  tre  modi;  il  1°,  narrando  semplicemente  Tistoria  del 
fatto;  il  2°,  facendo  che  in  modo  di  spettacolo;  un  terzo  rappresenti  la 
persona  del  prencipe,    et  altri,   la  battaglia,  e  questo  sarebbe  piu 
efficace,  quia  «  segnius  irritant  animos  demissaper  aures,  quam  quae 
sunt  oculis  subjecta  ûdelibus  »;  il  3°  et  efficacissimo,  se  il  prencipe  si 
degnasse  lui  per  se  medesimo  rapresentar  la  sua  antica  vittoria,  e  cosi 
è  fede  catholica  che  il  N,r0  Sor  stà  présente  nell'  Eucharistia  realmente, 
e  che  stà  realmente  présente  in  memoria,  e  rappresentatione  di  sua 
morte,  perche  nella  Eucharistia  non  muore,  ne  si  sparge  veramente  il 
sangue,  ma  si  rappresenta  la  sua  morte.  Ne  questo  è  indegno  délia 
Maestà  del  N°  S'e  e  del  corpo  suo  :  perche  essendo  al  modo  già  detto 
reale,  e  spirituale,  ne  si  puù  brusar,  ne  rompere,  ne  imbrattare,  ne 
patire  alcuna  alteratione,  et  è  insieme  con  la  divinità  adorato  et  ho- 
norato  per  tutto  il  mondo  ;  e  mostrasi  per  questo  la  summa  charità  del 
Signor  e  sommo  amore  verso  la  sposa  sua,  la  Chiesa  Santa,  con  laquale 
vuol'  essere  etiam  in  questo  modo  usque  ad  consummationem  seculi. 
E  perù  la  Scrittura  et  la  Chiesa  santa  confessando  che  è  Christo  pré- 
sente, et  che  in  memoriam  passionis  nella  S,a  Eucharistia  non  lo  fà  un 
bevelluo  (?)  come  uno  di  questi  biestemo;  ma  predica  Tinfinita  poten- 
tia  sua  in  questo  misterio,  et  infinilà  maiestà  e  charità  e  bontà.  E 
perche  fra  Pietro  Martir  hà  essortato  li  presenti  à  confessar  la  sua  fede, 
io  ancora,  Madama,  confesso  che  questo  che  vi  hô  detto  délia  presenza 
reale  di  Christo  nell'  Eucharistia  in  memoria  di  sua  passione  è  verità 
catholica,  per  laquale  con  la  gratia  del  S10  io  sono  apparechiato  à 
morire,  e  supplico  la  maestà  vostra  sempre  defenda  e  confessi  la 
verità  catholica  come  ella  fà,  e  tema  piu  Iddio  che  li  huomini,  perche 


APPENDICES. 

in  questo  modo  Iddio  piglierà  la  protettio  vostra,  e  di  vostro  figluolo, 
il  Rè  christianissimo,  e  li  conservera  vostro  regno  temporale,  e  vi 
dara  l'eterno,  dove  se  postponeste  il  timor  d'iddio,  e  la  sua  fede  et 
amore  al  timoré  o  arrior  del  mondo,  saria  pericolo  che,  perso  il  spiri- 
tuale,  non  perdeste  ancorail  temporale,  il  che  spero  in  Dio  N°  Sro  che 
non  sarà,  anzi  farà  vostra  Maesta  e  vostro  figluolo  perseverare;  e  non 
permettera  mai  che  una  nobiltà  corne  questa  et  un  regno  christianis- 
simo, che  è  stato  essempio  e  regoladegl'  altri,  lasci  la  religione  catho- 
lica  et  antica  de  suoi  maggiori,  e  si  lasci  imbrattar  di  nuove  sette,  e 
mori,  etc.. 
Dope  Laines  com  Madama  de  Frâça. 

(Franciae  Historia,  tom.  I,  1540-1604,  n.  23). 


Requête  des  catholiques  de  Lyon  au  Père  Général  pour  conserver 
le  père  auger  (1564). 

Monseigneur, 

Nous,  ayanspar  cy  devant  esté  avertis  comme  ceulx  deTholoze  vous 
faisoient  instance  décommander  à  nostre  bon  père,  monsieur  maistre 
Emond  Auger,  d'aller  audit  Tholoze  pour  y  prescher,  nous  vous 
avons  escript  et  remonstré  par  nos  lettres,  combien  ledit  Sieur  Auger 
est  icy  nécessaire,  quel  prouffict  il  a  faict,  et  continue  de  faire  tous 
les  jours,  et  quelle  désolation  et  regret  ce  nous  seroit,  si  nous  estions 
privés  de  sa  présence  et  doctrine,  comme  au  contraire  ce  seroit  ung 
grand  plaisir  et  contentement  aux  hérétiques,  que  ce  grand  expugna- 
teur  de  leurs  faulses  doctrines  fust  esloigné  d'eulx.  Toutesfois  nous 
avons  entendu  qu'on  continue  encore  la  poursuitte  pour  faire  aller 
ledit  sieur  Auger  audit  Tholoze.  Qui  est  la  cause,  Monseigneur,  que  de 
rechef  nous  vous  supplions  très  humblement,  et  de  la  plus  grande 
affection  qu'il  nous  est  possible,  de  nous  laisser  icy  ledit  Sieur  Auger, 
sans  permettre  qu'il  nous  habandonne,  et  considérer  qu'il  n'y  a  lieu 
en  ce  royaume,  qui  ait  plus  besoing  de  tels  personnaiges.  La  ville  de 
Tholoze,  par  la  grâce  de  Dieu,  et  par  la  prudence  et  bonne  diligence, 
de  la  Court  de  Parlement,  est  contenue  en  raison,  tellement  que  les 
adversaires  de  nostre  religion  n'y  peulvent  pas  grand  chose,  et  ny  ont 
lieu  pour  prescher  et  enseigner  leurs  hérésies.  Mais  ceste  pauvre  et 
calamiteuse  ville  est  tant  infectée  et  tant  infecte  de  ces  fausses  opi- 
nions, pour  la  licence  qui  y  est  de  prescher  comme  l'on  veult,  que 
sans  la  bonne  ayde,  très  grande  diligence,  insigne  doctrine  et  érudi- 
tion et  l'ardent  zèle  dudit  Sieur  Auger,  les  hérétiques  y  tiendroient  le 
premier  lieu,  dont  toutesfois  ils  sont  bien  reculés,  et  de  jour  à  aultres 
se  veoyent  habandonnés  des  leurs  mesmes.  Qui  est  la  cause  qu'ils  ne 
désirent  rien  plus  que  l'absentement  dudict  Sieur  Auger.  qui  nous 

COMPAGNIE   DE   JÉSUS.   —   T.    I.  42 


658  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 

reviendroit  à  regret  et  déplaisir  tel,  que  avec  luy  la  plus  part  de  nous 
habandonnerions  ceste  ville.  Ce  que  vous,  Monseigneur,  ne  vouldriez 
permettre  avec  si  grand  désavantage  de  nostre  religion  catholicque.  De 
rechef  doncques,  Monseigneur,  nous  vous  supplions  très  humblement, 
nous  laisser  ledit  sieur  Auger  et  espérons  que  exaulcerez  nostre  tant 
raisonnable  prière;  nous  prierons  nostre  Seigneur, 
Monseigneur,  vous  donner  en  santé  bonne,  heureuse  et  longue  vie. 

De  Lyon  ce  22  avril  1564. 

Monseigneur,  nous  espérons  que  vous  laisserez  ledit  sieur  Auger  en 
considération  de  ce  que  bien  tost,  avec  l'ayde  de  Dieu,  nous  aurons 
icy  une  maison  pour  ceulx  de  vostre  ordre,  et  si  nous  ne  pensions 
avoir  tant  de  bien  que  estre  exaulcés  par  vous,  nous  en  escriprions  et 
ferions  escrire  à  Sa  Sainteté. 

Vos  très  humbles  et  très  obéissants  serviteurs,  Preslres,  Catholiques 
de  Lyon. 

(Galliae  Epistolae,  t.  II,  f.  212.  Original). 


Requête  des  chanoines  de  l'église  de  Toulouse  réclamant 
le  Père  Auger  (1566). 

Monsieur, 

Le  sainct  zèle  et  bonne  affection  que  nous  scavons  bien  vous  avez  à 
l'augmentation  de  nostre  saincte  foy,  au  restablissement  de  nostre 
Eglise  Catholique  et  Romaine  en  son  splendeur  et  forme  ancienne,  à 
1'extirpalion  des  hérésies  et  faulses  doctrines  qui  se  sont  esparses  par 
deçà,  (a  nostre  grand  regret),  et  aussy  au  soing  que  vous  avez  de  l'é- 
ducation et  bonne  instruction  de  la  jeunesse,  sont  cause  que  nous  vous 
avons  escript  la  présente  pour  vous  remercier  bien  humblement  du 
bien  inestimable  que  vous  et  vostre  Compagnie  avez  faict  non  seule- 
ment à  ceste  ville  de  Tholose,  mais  aussy  à  tout  le  ressort  du  Parle- 
ment d'Icelle  en  nous  envoiant  Monsieur  Me  Emon  Auger,  lequel  par 
ses  doctes  presches  et  sainctes  admonitions  qu'il  continue  nous  faire 
depuis  le  mois  de  febvrier  a  tellement  émeu  ce  peuple  à  dévotion,  que 
nous  pouvons  dire  (et  à  la  bonne  heure)  que  aulcune  des  villes  de  ce 
roiaulme  ne  surmonte  Tholose  en  vraie  piété  et  Religion.  Et  pour  ce. 
Monsieur,  que  y  voions  ung  si  bon  succès  et  que  nous  espérons  (avecq 
la  grâce  de  Dieu)  et  l'aide  dudit  S1'  Emon,  le  tout  ira  toujours  de 
mieux  en  mieux,  tellement  que  les  villes  voisines  se  conformeront  à 
celle  cy  qui  est  la  seconde  de  cedit  roiaume.  Nous  supplions  nous 
faire  ce  bien  que  de  le  nous  laisser  es  Advent  et  Caresme  prochains, 
vous  asseurant  qu'il  ne  scauroit  aller  en  ville  de  la  Cbrestienté  où  luy 


APPENDICES.  659 

et  sa  Compagnie  soient  mieux  reçeus,  plus  honorez  ne  plus  néces- 
saires qu'en  ceste  dite  ville.  De  nostre  bienveullance  vous  pouvez 
avoir  certitude  par  l'achapt  que  Ion  a  faict  ces  jours  passez  d'une 
honorable  et  spacieuse  maison  assize  au  cœur  de  ladite  ville,  choisif 
pour  commode  habitation.  Quant  à  leur  fondation  nous  y  avons  desia 
contribué  selon  nostre  petite  puissance,  et  demeurons  encores  en 
volunté  d'y  faire  mieux,  ainsy  que  nos  facultez  le  pourront  porter. 
Nos  dites  facultés  sont  bien  fort  affoiblies  à  raison  des  grands  affaires 
que  nous  avons  soustenues  ces  années  derrenieres  pour  résister  aux 
adversaires  de  nostre  Saincte  Église  Catholicque  et  Romaine.  La  néces- 
sité que  nous  avons  de  sa  personne  (oultre  le  très  grand  proiïict  que  le 
peuple  reçoit  de  ses  prédications,  estant  de  plus  en  plus  continué  en 
nostre  ancienne  et  saincte  religion)  est  pour  l'instruction  des  infinis 
escolliers  qui  arrivent  journellement  de  toutes  parts  de  la  Chrestienté 
en  ceste  Université,  pour  estudier  en  droicts  Civil  et  Canon,  lesquels 
sont  fort  sougneux  de  assister  à  ses  prédications,  desquels  ils  rappor- 
tent ung  fruict  qui  prolictera  à  eulx  et  aux  pais  et  provinces  qu'ils 
auront  en  charge.  Monsieur,  nous  ne  vous  sçaurions  dire  combien  ce 
bon  et  sçavant  personnage  nous  est  nécessaire,  mesmement  en  ceste 
saison   tant  calamiteuse   en  laquelle  a  pieu  à  Dieu  nous  oster  feu 
Monsieur  de  Serres    nostre  Théologien   et  Confrère    qui   morut  le 
20e  aoust  dernier.   Lequel,    durantes  nos  grandes   affaires   desdiles 
années  derrenieres,  a  tousiours  consolé  ce  peuple  et  retenu  en  l'obéis- 
sance de  nostre  Religion  Catholicque  et  Romaine.  Cedict  peuple  s'est 
maintenant  si  fort  devôé  et  affectionné  à  Monsieur  Me  Emond,  que 
s'il  advenoit  qu'il  abandonnast  ceste  ville,  a  peinne  le  pourroit-on 
contenir  en  debvoir.  Si,  nous  vous  supplions  de  rechef,  Monsieur,  nous 
faire  ce  bien  de  le  nous  laisser  pour  lesdits  Advent  et  Caresme.  Oultre 
le  grand  bien  et  profict  que  tout  ce  pais  en  recepvra,  vous  obligerez 
ceste  Compagnie  à  vous  faire  humble  service,  lequel  nous  vous  pré- 
sentons d'aussy  bon  cœ-ur  que  humblement  nous  nous  recommandons 
à  vostre  bonne  grâce,  priant  Dieu  vous  donner, 

Monsieur,  en  parfaicte  santé  longue  et  heureuse  vie. 

En  nostre  Chapitre  de  l'Eglise  de  Tholose  le  F* jour  de  septembre 
1566. 

Vos  humbles  Serviteurs  comme  frères  et  entièrement  amys. 

Les  Prévost  et  Chapitre  de  l'Église  de  Tholose. 
De  mandement  de  Messieurs  les  Prévost  et  Chapitre. 

Dubrueil  etc.. 

(Epistolae  Episcoporum,  t.  I,  1560-157O;  f.  232.  Original). 


660  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS 


Extraits  d'une  lettre  du  gouverneur  de  Dieppe  au  Père  Provincial 
sur  les  prédications  du  père  possevin  (1570). 

Monsieur, 

Nous  ayant  Monsieur  Possevinfaict  tant  de  bien  de  nous  venire  voire 
en  ce  lieu,  où  certainement  Dieu  par  sa  sainte  grâce  (comme  il  est  très 
aparent)  Ta  voullu  conduire  et  amener,  d'autant  qu'en  cinq  jours  qu'il 
a  exprimé  et  presché  la  pure  et  sainte  parolle  de  Dieu,  es  environ  six 
mil  personnes  huguenots  qu'avons  encores  en  ce  lieu,  il  s'en  est  inopi- 
nément et  comme  miraculeusement  converty  et  ja  revenus  en  la  Reli- 
gion Catholique  environ  de  deux  mil  cinq  cens.  Or,  Monsieur,  vous  pou- 
vez, et  clairement,  juger  combien  la  présence  de  Monsieur  Possevin 
est  doncques  en  cedit  lieu  très  utile,  prouffitable  et  nécessaire  ;  lequel 
néantmoins  est  si  fort  pressé  de  nous  habandonner  pour  les  raisons 
qu'il  vous  faict  entendre,  qu'il  a  ja  par  trois  divers  jours  esté  batte  et 
prest  de  partire  pour  nous  laisser  ;  mais  par  mesme  moyen  tant  pryé, 
pressé  et  requis  par  tous  nos  habittans  (comme  aussi  par  moy,  homme 
pour  le  service  de  Dieu  et  du  Roy)  de  demeurer,  qu'il  nous  a  encores 
ce  matin  voullu  concéder  et  accorder  quatre  jours  entiers,  durant 
lesquels  j'ay  despéché,  et  en  toute  dilligente  poste,  le  sieur  Tomas  le 
Rrun,  que  connaissez,  pour  aller  vers  vous  entendre  qu'elle  pourra 
estre  laresponse  de  Mgr  le  Cardinal  de  Strosse,  et  pour  vous  supplier 
qu'il  demeure  pour  ce  caresme  à  Rouen,  et  cependant  icy,  comme 
certainement  nosdits  habitants  et  moy  le  désirons  plus  que  par  escript 
je  ne  le  vous  pourrois  dire... 

Je  vous  supplie  en  ma  personne  de  nous  envoyer  l'ung  des  vostres 
sieurs  compaignons  pour  prescher,  et  ung  aultre  pour  cathéchiser,  et 
l'un  et  l'aultre  garnis  de  la  suffizance  requise,  vous  asseurant,  Mon- 
sieur, qu'en  aultre  partie  de  la  crestienté  il  n'y  en  a  aucun  aultre  plus 
urgent  et  grand  besoing  qu'en  ceste  ville.  Ce,  pour  plus  prompte- 
ment  laisser  aller  cedit  porteur,  me  remettant  aussi  aux  lettres  de 
Monsieur  Possevin,  celles  de  nosdits  habitants  et  à  ce  qu'il  vous  en 
pourra  dire  à  bouche.  Je  n'allonge  la  présente  que  pour  offrir  ici  mes 
bien  humbles  recommandations  à  vostre  bonne  grâce,  en  priant  Dieu, 
Monsieur,  vous  avoir  en  sa  très  sainte  et  digne  garde. 

De  Dieppe,  le  6e  jour  de  janvier  1570. 

Vostre  bien  obéissant  et  très  affectionné  à  vous  faire  service. 

Sigongnes. 
(Galliae  Epislolae,  t.  V,  f.  2}5\  Autographe). 


APPENDICES.  001 


Lettre  de  l'archevêque  de  Bordeaux  au  duc  d'Anjou, 
pour  l'établissement  d'un  collège  (1572). 

Monseigneur, 

Ayant  receu  la  commission  qu'il  vous  avoit  pieu  faire  expédier  pour 
l'exécution  du  collège  des  Jésuistes  tant  nécessaire  en  ceste  ville, 
comme  nous  y  voulions  procéder  il  nous  fut  mandé  de  supercéder  et 
attendre  une  plus  ample  déclaration  du  Roy,  pour  laquelle  obtenir 
avons  envoyé  homme  exprès  par  delà.  Ne  pouvant  penser  d'où  vient 
cette  difficulté  sinon  de  ceux  qui  cuident  que  soutenir  le  peuple  en  la 
dévotion  et  crainte  de  Dieu,  et  par  ce  moyen  en  l'obéissance  du  Roy, 
soit  chose  contraire  à  leur  entreprise.  Mais  vous,  Monseigneur,  qui 
avez  toujours  maintenu  les  choses  bonnes  et  sainctes,  ne  permettez, 
s'il  vous  plaist,  que  telles  gens  gaignent  le  hault  bout  et  renversent 
ce  qu'il  vous  a  pieu  favorizer,  nous  donnant  par  là  moyen  de  fournir 
nostre  pauvre  église  de  personnages  doctes  pour  la  consolation  de  ce 
pauvre  peuple  et  érudition  de  la  jeunesse,  estant  ce  pals  si  dénué  de 
prestres  que  nous  n'en  pouvons  trouver  pour  servir  aux  églises,  et 
nous  espérons  que  ce  collège  sera  ung  séminaire  pour  en  tirer  de 
suffisans  personnages  pour  cet  effect.  Vous  suppliant  très  humblement, 
Monseigneur,  nous  vouloir  prandre  en  vostre  protection  et  ne  permet- 
tre qu'un  si  bon  œuvre  soit  empesché,  et  nous  prierons  suffisamment 
Dieu  pour  votre  bonne  prospérité,  santé  et  longue  vie. 

De  Bordeaux,  ce  [omis]. 

Vostre  très  humble  et  obéissant  serviteur. 

De  Sansac,  Ar.  de  Bordeaux. 

(Bibl.de  l'Institut.  Coll.  Godefroy,  vol.  XV,  fol.  173.  Original). 


H 

Lettre  du  Père  Auger,  datée  de  Jarnac,  14  mars  1569. 

JHS 

Molto  Rd0  Padre, 
PaxX1  etc.. 

Questa  sara  per  avisare  Va  Ps  dopoi  quella  ch'io  scrisse  hieri  sera, 
corne  Idio  N°  Sre  ha  dato  tanta  gratia  a  questa  armata,  che  il  LJ  di 
queslo,  presso  à  Angolesme,  dua  leghe  tanto  di  Cognac  nella  Guienna, 
fu  data  labattaglia  alli  hugenoti,  seadosi  confessato  el  conmnicato  il 
fratello  del  Re  danoi,  et  il  duca  di  Monpensiero  la  mattina,  et  sendosi 
data  la  batteria,  fatto  gli  ritirare.  Una  lega  si  gionse  l'esercilo  con  tal 


002  HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS. 

furore,  che  il  Principe  di  Gondé  fu  ammazzato  di  tre  colpi  mortali, 
trovato  fra  morti,  menato  da  vili  soldati  soprauno  asino,  quasi  nudo, 
piu  di  una  legaà  Monsieur  per  vederlo,  scaperto,  etschernito  misera- 
mente;  corne  io  ho  visto  il  tutto,  sendo  alla  battaglia  appresso  à 
Monsieur.  Dell'  amiraglio  non  si  sa  che  sia  divenuto;  altri  grandi  capi 
tutti  morti;  de  nostri,  un  solo  di  momento,  Mr.  di  Monçaller.  Il  Duca 
di  Monpensiero,  di  Guisa,  Brissac,  la  Valletta,  Martigues,  hanno  fatto 
il  dovere  loro,  di  modo  che  non  combatte  che  nostra  avant-guardia, 
furono  rotti  contre  carghe  et  dopoi  pigliassimo  Jarnac,  hoggi  si  piglia 
Cognac,  et  spero  che  presto  se  vedera  il  fine.  Sta  mane  habbiamo 
cantato  la  Messa  de  Smo  Sacram10,  corne  a  Christo  biastemato  in  quello 
da  costoro  et  vittorioso,  detto  Te  Deum  laudamus,  et  altre  cose  parti- 
colari,  nella  presentia  di  Principi  tutti  et  Signori  con  molta  Iode  di 
Christo,  massime  de  Monsieur,  il  quale  certo  mérita  bene  che  Sua 
S,a  gli  scriva  bone  lettere,  et  mérita  la  spada  benedetta  délia  quale  ha 
sentito  parlare,  et  fu  cosa  incredibile  di  vedere  con  che  animo  si 
armava,  agiutandolo  noi  à  mettere  l'arme,  mezza  hora  avanti  il  com- 
battu. VaPa  di  gratia  faccia  rendere  moite  gratie  a  Christo. 

Io  poi,  ancora  che  stia  qui  solo  prefetto  délie  cose  spirituale,  tutta- 
via  vedero,  gia  che  non  saranno  che  assedii  di  qualche  villazze,  riti- 
rarmi  à  Tolosa,  ô  Limoges,  et  flnire  in  riposo  dell'  animo  mio  la  qua- 
resima,  laquale  mi  è  stato  ben  turbulenta,  non  trovando  speso  cosa  da 
vivere  che  cose  di  che  non  sogliamo  vivere,  e  dormire  suti  (?)  veli  (?), 
ôin  campagna,  facendo  la  sentinella  con  li  Sri;  modo  Christus  honori- 
ficetur,  nihil  est. 

Mi  racomando  divotissime  aile  orationi  et  sacrificii  di  VaPa  et  di 
tutta  la  Compagnia  di  Giesu,  fra  i  pericoli  passati  et  avenire. 

A  Jarnac,  tre  leghe  di  Angolesme,  14  di  Marzo  4569. 

D.  V\  P\ 

Servitore  nel  Sre  N°. 
Emondo. 

(Galliac  Epistolae,  t.  IV,  f.  188".  Autographe). 


INDEX  ALPHABÉTIQUE 

DES  NOMS  DE  PERSONNES 


ABRAM  (Nicolas)  S.  J.,  604,  613. 

ACHEVlLLE  (MUe  d'),  156.  137. 

Achille  (Paul  d').  130,  138,  140,  141,  143,  144, 

146,  161. 
Adrets  (le  baron  des),  301,  302,  303,  347. 
Aguilera  (Gonzalez),  11. 
Albo.n  (Autoine  d'),  archevêque  d'Arles  et  de 

Lyon,  341,  342,  458,  461. 
Albret  (Jeanne  d'),  270,  271,  272,  277,  285. 
Alexandrin    (Michel    Bonelli,   cardinal),  440, 

444,  492,  493-496. 
Alexandrin  (Michel  Ghislieri,  cardinal),  cf. 

Pie  V. 
Alleaume  (l)r  Jeau),  173. 
Amador,  19,  23,  35. 
Amodei  (Curtio)  S.  J.,  625,  626,  627. 
Amussat  (Charles),  530. 
Amyot  (André),  361. 
AMYOT  (Jacques),  427. 
Aneau  (Barthélémy),  460. 
Anjou  (le  duc  d'),   frère   de  Charles  IX,  494, 

498.  520.  536,  622,  623.  624,  626.  627.  634,  635. 

Cf.  Henri  III. 
Aqi  aviva  (Claude)  S.  J.,  480. 
Araoz  (Antoine)  S.  J.,  477. 
Arce  (le  D'),  68. 

Archinti  (Philippe),  évêque  de  Saluées,  98. 
Armagnac  (cardinal  Georges  d'),  194,  237,  240, 

250,252,  253,  256,  311,  312,  411,  439.  440,  Wl2, 

445-451,  502,  508. 
Arxauld  (Jean)  S.  J.,  182,  183. 
ARTIAGA,  5,  35. 

Athanase  (le  P.)  S.  J.,  456. 

Auger  (Anioinetie),  abbessc  de  Montmartre, 
47. 

AUGER  (Éniond)  S.  J.,  274-280,  282,  283,  284. 
295,  296,  297,  298,  301,  302,  303,  322,  328, 
347-362,  410,  442,  448,  449,  454,  458,  461,  465, 
477,  483,  491,  492,  497,  498,  501,  505,  506,  517, 
518,  533-542,  598,  608,  619-624,  626,  627,  634- 
643. 

Aumale  (le  duc  d),  610,  634,  641. 

Authier  (Anne  d')  S.  J.,  314. 

Ayantian  (André)  S.  J.,  454,  455. 

Aymar  (Joseph  d'),  519. 

Bacode  (François),  340. 
Badïa  (Thomas),  75. 
Balmes  (Jean)  S.  J.,  315,  506. 
Balsamo  (Ignace)  S.  J.,  490. 


Barbançon  (Jean  de),  évêque  de  Pamiers,  272. 

Barclay  (Guillaume  .  615. 

Barrault  (Pierre)  S.  .!..  274.  277. 

Baudouin    François),  566. 

BAULON  (Élie  de),  524.  525. 

BAULON  (François  de),  516-524. 

Baume  (Claude  de  la),  archevêque  de  Besan- 
çon, 549,  550. 

Beau  (Pierre),  445. 

Beauvilliers  (Marie  de),  abbesse  de  Mont- 
martre, 648. 

BÉDA     Noël),  9.  31. 

BÉGUIN,  3»9. 

Bellay  (F.uslache  du),  évêque  de  Paris.  172, 
173,  202-207,  211,  236.  237.  241,  242.  254. 

Bellay  (Jeau  du),  31. 

Bellefille  (Nicolas)  S.  J.,  269.  365.  553. 

Bellièvre  (Claude  de),  459. 

BENOÎT  (Jean)  O.  P.,  208.  209,  216,  217.  .',74. 

Benoît  (René),  637,  638. 

Bernuy  (Jean  de),  500,  501. 

Bèze  (Théodore  de),  248,  252,  259.  263.  270. 

Birague  (René  de).  619,  620. 

Bobadilla  (Nicolas)  S.  J..  45.  4s.  34.  59.  66. 
74,  78,  79,  224-228. 

Borgia  (saint  François  de)  S.  .1..  98,  176,  [96, 
222,  229,  231,  427,  442.  449.  476,  477.  479, 
482,  484,  485,  491  497. 

Borromée  (cardinal  .  258,  308,  309. 

Boucherat  (Edmond),  240. 

Bouillon  (le  duc  de),  558,  559,  561. 

Bouillon  (la  duchesse  de),  338-565. 

Bourbon  (Antoine  de),  roi  île  Navarre,  231, 
262,  265,  616. 

Bourbon  .cardinal  Charles  de  .  138.  194,  237. 
244,  246,  253,  257.  270,  271.  386,  412.  4:;T.  439. 
442.  451,  546.  547.  548,  331.  370,  580,  581. 

Bourbon  (Henri  de  ,  roi  de  Navarre.  493,  589, 
629.  631-634. 

BOURDIN  (Gilles),  384,  405. 

Buk/.l  ^Louis  de),  évêque  de  Meaux,  341. 

Briamont  (OthOD.)  S.  .1..  316. 

Brichw.i  u    [Crespio  de]  O.  s.  i;..  216. 

Briçonnet  (Guillaume  .  évêque  de  Meaux,  31, 
270. 

BROÉ  (Bon  de),  299. 

Broet  (Paschase)  s.  .1..  36.  37.  61,  66.  78,  loi. 
136,  137,  169  172.  174.  175-184.  192.  199,  200- 
213.  222.  225,  229.  231.  245.  269.  272.  29!. 
294,  304,  3U5,  309,  315,  316,  317.  391.  395. 


664 


HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 


Bruslart  (Noël  ,  199,  200. 
Buger  (Julien)  S.  J.,  512. 
Bclger  (Nicolas)  S.  J.,  455. 

Calisto,  5,  6,  7,  35. 

Calvin,  13,  248,  264,  332,  333. 

Cambis  (le  marquis  de),  447. 

Canaïe,  392. 

Canini  (Angelo),  131. 

Canisius  (Beu*  Pierre)  S.  J.,  160,  186,  340,  341. 

483. 
Ca.no  (Melchior)  O.  P.,  77. 
Cappel  (Louis),  562,  563. 
Caraccioli  (Antoine),  évèque  de  Troyes,  250. 
Caraffa  (cardinal  Jean.Pierre),  64,  130. 
Caraffa  (cardinal  Jean- Vincent),  68. 
Carpi  (le  cardinal  de),  222,  226. 
CaRvajal  (Louis  de),  416. 
Casot  (de),  473. 

CAstori  (Bernardin)  S.  J.,  599.  631. 
Castro  (Jean  de),  19,  35. 
Catherine  de  médicis,  243,  244,  248,  249.  250, 
252,  258,   260,    263,   298,   357,   385,   387,  432, 
493-495,  628,  629,  635,  636,  639.  640. 
Caulet  (Hugues),  311,  312. 
Cazeaux  (de),  518. 
Cazerès(  Diego  de),  5,  35. 
Champier  (Symphorien),  459. 
Cihnal  (Pierre)  S.  J.,  146,  179,   183,  184,  185. 

307,  308. 
Chandieu  (Antoine  La  Roche  de),  248. 
Chanonës  (Dom)  O.  S.  B.,  89,  90. 
Charles  IX,  roi  de  France,  243,  244,  246,  256, 
264,  267,  357,  358,  359,  409,  411,  423,  493-495. 
506,  519-525,  536,  538,  598,  605,  617,  618,  629. 
631,  636,  637. 
Charles-Quint,  31,  59,  64,  137,  142,  199. 
Charles   III   (le  duc)  de  Lorraine,  604,  605, 

606,  612,  615. 
Chatillon  (Odet  de),  évèque  de  Valence,  250. 

252,  253,  265,  389. 
Chavagnac  (le  marquis  de),  349,  370. 
Christix  (Pierre)  S.  J.,  552. 
Cisneros  (Dom  Garcia  de)  O.  S.  B.,  90,  93. 
Clarv  (Antoine),  500. 
Claysson  (Robert)  S.  J.,  172,  179.  180,  183,184. 

185,  188,  294. 
CODURE  (Jean)   S.   J.,  57,  58,   66,  72,  78,   101. 

133. 
Cognet  (Auge),  178. 

Cogordan    (Ponce)   S.  J..   130.   133,    192,   221, 
224-228,  233-246,  256,  273,  315.  316.  363,  380. 
381,  382,  435,  477,  491,  645. 
Coligny  (l'amiral  de).  243.  248,  251,  440,  486, 

519,  617,  626,  627,  631. 
Commelin  (André)  S,  J..  169. 
Commendon  (le  cardinal),  492. 
Commolet  (Jacques)  S.  J.,  619. 
Condé  (Henri  Ier  de  Bourbon,  prince  de),  631. 

634. 
Condé    Louis  Ier  de  Rourbon.  prince  de),  244, 

248,  251.  262,  265.  409,  440,  617. 
CuNTvftiNi  (cardinal  Gaspard).  75. 
Co.NTARiNi  (Pierre).  70.  75. 
Conversini  (Benoît),  69. 
Corneillan  (Jacques  de),  évèque   de   Vabres. 

311,  313. 
Cornet  (m«),  129. 
Coster  (François),  S.  J.,  508. 
Coidret  (Annibai  du)  S.  J.,  103,  186,  249.  257. 


258,  297.   302,  323,   328,   348,   449,   458,  484, 

491,  498,  502-505,  517,  552,  622,  636,  645. 
GOUDRET   (Loi.is  du)  S.   J.,   291,  292,  331-335, 

436,  438,  441,  453,  477,  491,  510,  552. 
Ooyssart  (Michel)  S.  J.,  599. 
Creytton  (Guillaume)  S.  J.,  463,  467-469,  471- 

475,  491,  627,  640,  645. 
Crillon  (Claude  de),  445. 
Cuellar  (Jean  de),  12. 
Cujas  (Jacques),  601. 
Cyberand  (Jean),  461. 

Daffis  (le  président),  285,  506. 

Dammlle  (Henri  1er  de  Montmorency,  comte 

de),  422.  549. 
Dechappe,  392 

Delannoy  (Nicolas)  S.  J.,  229. 
Delpech  (Pierre),  501. 
Deniset  (Jean),  573,  574,  575. 
Diaz  (Etienne),  135,  136. 
Didier  (le  P.)  S.  J.,  599. 
Dodieu  (Claude),  évèque  de  Bennes,  152. 
Domenech   (Jérôme)   S.  J.,  80.  128.  129,   130, 

131,  132,  133,  138,  186. 
Drochon  (le  conseiller),  521,  522. 
Duchatel  (Pierre),  évèque  de  Màcon,  31,  163. 
Dufour  (le  président),  285. 
Dumont  (le  conseiller),  172,  208,  220. 
Di   MOULIN  (Charles),  372,  373. 
Dupont  (Antoine)  S.  J.,  423. 
Dupontot  (Léonard),  511. 
Dupuy  (Clément)  S.  J.,  613,  615. 
Duranti  (le  président).  326,  636. 

Eguia  (Jacques  d')  S.  J.,  128,  129. 
Elbène   (Bernard  d'),  évèque  de  Lodève,  334. 
Elisabeth    d'Autriche,  reine  de  France,  494. 
Elisabeth  de  France,  reine  d'Espagne,  410. 
Emmanuel-Philibert    (duc)   de   Savoie,    337, 

338,  339,  340.  341,  452-45(>. 
Érasme,  30,  31,  32. 

Espence  (Claude  d'),  261,  259.  417.  427. 
Espinac  (Pierre  d),  chanoine  de  Lyon,  538. 
Estienne  (Robert),  31. 
Étampes  (la  duchesse  d').  31. 

Faber  (Gilles)  S.  J.,  323. 

Fabre  (Dr  Jacques),  576,  583,  584. 

Fano  (Vinceuzo  Negusanti  da),  évèque  d'Arba, 

65. 
Farel  (Guillaume),  31. 
Farnèse  (cardinal  Alexandre),  134,  435,  437, 

439. 
Favre  (Dom  Georges),  37. 
Fernandez  (Jean)  S.  J.,  493. 
Ferrare  (Hercule  d'EsTE,  duc  de),  213. 
Ferrare  (Hippolyte  d'EsTE,  cardinal  de),  249. 

257,  258,  259,  308,  309. 
Ferrier  (Maurice),  339. 
Fogasse  (François  de),  445. 
Forcade  (Jean)  S.  J.  146. 

FOSCARARI   (Gilles).  99. 

Fragus  (le  Dr),  22.  23. 

François  I".   29-35,  95.  97.  137.   142.  198.  339. 
François  II,  233,  238,  242.  281. 
FRANCOSI  (Antoine)  S.  J.,  296,  323. 
Frère  (Pierre),  463. 

Froissac  (Jeau  de  Moustiers  de),évêque  de 
Bayonne    198. 


INDEX  ALPHABÉTIQUE  DES  NOMS  DE  PERSONNES. 


ses 


Frusius  (André)  ou  des  Freux  S.  J.,  99,  186, 

213,  221. 
Fuzelier  (René)  S.  J.,  333. 

Galland  (Guillaume),  369,  389,  423. 

Gamoy  (Jean  de),  501. 

Garde   (le  baron  de  la),   544. 

Gardiole  (Jacques),  445. 

Gast  (du),  389. 

Génébrard  (Gilbert),  427. 

GÊrardin  (Louis)  S.  J.,  438. 

Ghini  (Auiré),  évêque  d'Arras,  131. 

Gilbert,  389. 

Gondi  (Albert  de),  comte  de  Retz,  565. 

Gondi  (cardinal  Pierre  de),  évêque  de  Paris. 

575-585,  637,  638. 
Gonzague  (cardinal  Hercule  de),  336. 
Gonzalez  (Gil)  S.  J.,  498. 
Gonzalvès   de   CaMARA    (Louis)   S.  J.,   67,   89, 

103,  481. 
GORDON  (François)  S.  J.,  168,  169. 
Gorrée,  389. 

Goutte  (Jean  de  la)  S.  J.,  146,  179. 
Govéa  (Dr  André  de),  13,  514. 
Govéa  (Dr  Jacques  de),  13,   19.  20,  23.   25.  26. 

203,  208. 
Grégoire  XIII,  122,  124,   451,  475,  497,  507, 

582,  5«5,   587,   590,   593,   599,   606,   613,   614, 

615,  635. 
GUÉRAND  (le  P.)  S.  J.,  552. 
Guichard  (Simon),  Minime,  152. 
Guiche  (Claude  de  la),  évêque  d'Agde,  152. 
Guidiccioni  (cardinal  Barthélémy),  75,  76. 
Guise  (François  de  Lorraine,  duc   de),  247, 

300,  616. 
Guise   (Henri  I6r  de  Lorraine,  duc  de),  589, 

600,  623,  626,  634,  639,  641. 
Guise    (cardinal  Louis  Ier   de),  194,  250,  251, 

253,  256,  612,  615,  629.  640. 
Guttiérez  (Martin)  S.  J.,  49.H. 

Hamel  (Olivier  du)  S.  J.,  185,  552. 

Hay   (Edmond)   S.  J.,  377,  379,   413,  431,  485, 

490,  491,   492,   513,    521,   522,    567,   570,    596, 

597,  608,  612,  615. 
HENRI  II,  166,   167,  196,  199,  214,  216,  232,  233, 

272,  289,  290,  291,  339. 
HENRI  III,  156,  530,  599,  638-645. 
Henri  de  Navarre.  Cf.  Bourbon. 
Henri  VIII  d'Angleterre,  64.  136,  137. 
Hervet  (Genlien),  427. 
Hosius  (le  cardinal),  427. 
HozÈs  (Jacques  de),   66. 

Ignace  (saint).  Cf.  Loyola. 

Imbert  (Antoine),  archevêque  d'Aix,  152. 

Jacques  V  d'Ecosse,  137. 

Jannel  (François)  S.  J.,  567-570. 

JEAN  III,  de  Portugal,  26,  45,  170. 

Jeanne  de  France  (Bienheureuse),  594. 

Jeannic,  6,  35. 

Jordan  (Jean)  S.  J.,  552. 

Jover  (le  Dr),  203,  208. 

Joyeuse  (le  duc  de).  624. 

Jules  III,  101,  102,  103,  290. 

Kessel  (Léonard)  S.  J.,  508. 

Kopp  [Dr  Nicolas),  30,  33. 

Kostka  ou  Coscha  (Pierre),  617,  618. 


La  Haye  (Jean  de),  554,  555,  557. 

Lainez  (Jacques)  S.  J.,  18,  44,  48,  66,  67,  68, 

78,  79,  101,   104,   154,   190,  217,   222-234,  249, 

257-268,  272,  281,  292,  293,  300,  308-311,  321, 

352,  364,  375,  434. 
Lambin  (Denis),  370,  385. 
Lamothe-Gondrin,  301. 
Lange  (le  président  de),  494,  518. 
Languet  (Huberi),  431. 
Lartissusse  (Madeleine),  438. 
L'Aubespine  (Claude  de),  387. 
Laureo  (Yincent),  évêque    de   Monuovl,  291. 

299,  475. 
Le  Bas  (Jérôme)  S.  J.,  172,  178,  179,  180.  182- 

185,  188-190,  193,  308,  320. 
Lecler  (Dr  Nicolas),  207. 
Le  Clerc  (Nicolas)  S.  J.,   431,  553,  612,  615, 

645. 
Ledesma  (Jacques)  S.  J.,  367,  483. 
L'Épine  (Jean  de),  252. 
Le   Fèvre  (Beux  Pierre)  S.  J.,  13,  14,  36-40,  48, 

54,  59,  61,  66,  67,  68,  73,  78,  79,  129,  132. 
Le  Fèvre  d'Étaples,  31. 
Le  Jay  (Claude)  S.  J.,  55,  56,  68,  78,  101,  152, 

153,  164,  177. 
Le  Maistre  (Gilles),  246. 
Lenzï  (Laurent  de),  vice-légat  d'Avignon,  436. 
Léonis  (le  P.)  S.  J.,  589,  627. 
Le  Picart  (Dr  François),  129,  203.  208,  213. 
Letellier  (Jean)  S.  J.,  552. 
Le  Vasseur,  389. 
Leythan  (Dominique),  516,  592. 
L'Hôpital  (Michel  de),  250,  267.  268,  407,  411. 
Liévin  (Valentin)  O.  P.,  51,  97. 
Loarte  (Gaspar)  S,  J.,  340. 
Loiiier  (Pierre)  S.  J.,  553. 
Loque  (Bertrand  de),  563. 
Lorrain  (Nicolas)  S.  J.,  185. 
Lorraine    (Charles   de   Guise,   cardinal   de), 

165,   166,   193,    196,   198,    199,   214,    216,    233, 

237,  238,  244,  246,  250,  253,  256,  293,  412,  536, 

538,  551,  555,  569,  570,  605-611,  639,  640-644. 
Lorraine  (Jean  de)  ou  Houlton.  S.  J.,  505, 

507. 
Loyola  (Bertrand  de),  134. 
Loyola  (Émilien  de),  133.  138. 
Loyola  (saint  Ignace  de)  S.  J.,  1-28,  35-58,  65, 

66,  67,  68,  74,  75,  78,    79,  80,  82-99,  100-105, 

128,  133,  134,  141,  163,  175,  176,  213,  214.  220, 

276. 
lude  (le  comte  du),  626. 

Madéra  (Jean  de),  10. 

Madron  (Pierre  de),  501. 

Magnus,  389. 

Majorius  ou  Majoris  (Pierre)  S.  J.,  431. 

MALDONAT   (Jean)    S.  J..  319,  365-369,   371.   il). 

418-423,  427-433,    490,   494,   551-571,    572-593. 

601-604,  608,  633,  645. 
Malo  (Jean),  252. 
Malyin  (de),  518. 
MANARE  (Olivier)  S.  J..  Itis.  .ils.  319,  322.  .124. 

328,  330,  354,  355,  364,  371.  383-387,  400,  'ml. 

408,  409,  415,  476,  490,  492,  497-499,  mis.  546, 

547,  552,  570,  605,  617.  618.  632-634, 
Mancinelli  (Jules)  s.  .1..  489. 
Mandelot  ^François  de  .   463,   469,    'i72.    '»7:i. 

474. 

MANGOT,   392. 

Manuce  (Paul  .  426. 


606 


HISTOIRE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 


Marchand,  371. 

Marescot  (Michel),  384. 

Marguerin  de  la  Bigne.  426. 

Marguerite  de  Valois  ou  d'Angoulême,  sœur 

de  François  I",  30,  31,  253,  270. 
Marguerite  de  France,  duchesse  de  Berry, 

sœur  de  Henri  H,  198,  199. 
Marguerite  de  France  ou  in;  Valois,  sœur 

de  Charles  IX,  493,  495.  629. 
Mariana  (Jean;   S.  .1.,   367,  427.  428.  4SI,  491. 

353,  572. 
Marillac  (Gabriel),  199. 
Marixi  (cardinal  Marco),  l'il. 
Marlorat  (Augustin),  252.  263. 
Marot  (Clément),  31. 
Martial  (le  Dr).  26. 

Martigues   (Sébastien    ni:   Luxembourg,    vi- 
comte de),  623. 
Martine  (Élise),  506. 
Martyr  (Pierre),  252,  259,  263. 
Masser   ou  Massérus    (Léonard)    S.   J.,   168. 

185. 
Matthieu  (Claude)   S.  J.,   296,  291,  492,  512, 

524,   540,   584,    589,  599.   610,   613,   621,  640, 

645. 
Maugiron.  344. 
Mayenne  [le  duc  de),  626,  641. 

MÉLANCHTON.  31.  95. 

Menesès  (Rodrigue)  S.  J.,  98. 

Mercurian  (Éverard)  S.  J..  157. 158.  167,  169, 
485-490,  499,  607,  609. 

Mesme  (Henri  de),  407. 

Mesnage  (Antoine)  S.  J.,  599. 

Mesnil  (Jean-Baptiste  du),  240.  399.  404. 

Michel  (Jean),  446,  447. 

Miona  (Emmanuel)  S.  J.,  142,  143. 

Mirabel  (Etienne  de)  S.  J.,  296,  310, 

MlRON  (Jacques)  S.  J.,  129.  133,  196,  477. 

Mirto  (Fabius!,  évèque  de  Caiazzo,  nonce,  509. 

Mombaer  (Jean).  90. 

Montferrand   Charles  de),  529. 

MONTLUC  (Biaise  de).  325. 

Montluc  Jean  de  .  évèque  de  Valence.  250. 
265,  298. 

Montmorency  (Aune  1er,  duc  de),  connétable. 
244,  247,  251,  267,  422,  616,  618. 

Montmorency  (Henri  Ier,  duc  de).  Cf.  Dam- 
ville, 

MONTPENSIER  (le  duc  de).  558,  559,  589.  623, 
624,  634. 

Morel  (Jacques)  S.  J.,  169,  172,  178,  185,  505. 

Morel  (Nicolas)  S.  J.,  146. 

Moro.ne  (le  cardinal),  169. 

Mouchi  (Antoine  de),  208,  416. 

Mouyaxs  (Paul  Richieu.  sieur  de).  620,  621. 

Murcia  (Diego).  98. 

Nadal  (Jérôme)  S.  J.,  105,  186,  223,  229,  303- 
308,  312,  364,  478,  480-485,  489,  492. 

Napolès  (le  cardinal  de),  230. 

Nevers  (Louis  de  GONZAGUE,  duc  de),  511-513. 
634. 

Nevers  Henriette  de  CLÈves,  duchesse  de), 
511-513. 

Nigri  (Benoît)  S.  J.,  490. 

NiQUET  (Jean),  abbé  de  Saiut-Gildas.  595-600. 

Notel  (Michel)  S.  J.,  636. 

Novarin  (Jacques  de),  445. 

OLave  (Martiuj  S.  J.,  217.  219,  231. 


Olivier  (François),  chancelier,  165. 
Onaz  (Martin  Garcia  de),  14. 
Onfroy  (Jules)  S.  J.,  435. 
Ori  (Matthieu)  O.  P.,  20. 
Ortiz  (Pedro),  20,  64,  68,  78. 
OviÉDO  (André)  S.  J.,  491. 

Paget  (William),  137. 

Palm io  (Benoît)  S.  J.,  186,  336,  477. 

Pamphii.e  (César),  508. 

Pascual  (Inès),  17. 

Pasquier  (Etienne),  366,  370,  389-406. 

PAUL  III,  64,  71,  75,  76,  78,  136. 

Paul   IV,  216.  219.  222,  231. 

Pélisson  (M8  Jean),  290,  294. 

Pelletier  (le  Dr),  203.  208,  389.  400,  576,  584. 

588. 
Pelletier  (Jean)  S.  J.,  130,  145,  146,  274,  277, 

279,   282,  283,  284,   285,  312,    313,   314,   324, 

326,  327,  328.. 
Pellevé  (Nicolas  de),  cardinal,  551,  553, 
Pelleyé  (Robert  de),  évèque  de  Pamiers,  269, 

273,  280,  281,  282,  285,  286. 
Pena  (Dr  Jean  de),  12.  23,  26. 
Péquet  (le  P.)  S.  J.,  444. 
Péralta,  19,  35. 
Périer  (le  P.)  O.  P.,  342. 
Perpinien    (Pierre)    S.   J.,    367,  423-426. 

464. 
Pérussis  (François  de),  445. 
Pérussis  (Louis  de),  444,  445. 
Petit  (Guillaume).  31. 
Peyrat  (du),  345. 

Philippe  H  d'Espagne,  222,  223,  233. 
Picherel  (Pierre),  421. 
PIE    IV,  248,  249,   258,   267,  268,  291,  292.   409, 

410,  437,  439,  462. 
PIE  V,  227,  228,  440,  442,  401-497,  624,  628. 
Pigenat  (Odon)   S.  J.,  553,  553,  576.  580,  582, 

645. 
Pion  eau  (Jean)  S.  J„  468. 
POLANCO  (Jean)   S.  J.,  71,  77,  89,  91,  101,  105, 

217.  223.  257.  261.  263.  299.  364,  492. 
Pont    Éleulhère  du)  S.  J.,  158,  167,  296,  297. 
Porte  (Gabriel  de  la)  S.  J.,  540. 
PossEMN  (Antoine)  S.  J.,  77,  322,  335-347,  352, 

359,  410-412.  438,  439.  441-451,  469,  49t.  496. 

497,  542-550,  624,  630. 
Postel   (Guillaume),   131,   143,   144,   143.    182, 

398. 
Pozo  (le  cardinal),  230. 
Pradène  (Pierre)  S.  J.,  322. 
Prat   (Guillaume   du),   évèque  de    Clermont, 

150-155,  163,  174,  178-194,  319,  321,  329,  330, 

398. 
Prévost  (Jean),  375,  595. 
Psaume  (Nicolas),  évèque  de  Verdun,  508-511, 

612,  613. 
Puget  de  Saint  Marc  (JeaiY.  528-531. 

Quadrato  (Pedro),  12. 
Quadrius  (Antoine)  S.  J.,  105. 

RAMUS  (Pierre),  369,  370,  389,  417,  423,  425. 

Rkginald  (Paschase)  S.  J.,  615. 

Ribadeneira  (Pierre)  S.  J.,  122,  134,  135,  136, 

138,  139. 
RlCHEOME  (LOUIS)  S.  J.,  406,  489,  521,  522. 
Ricci  (Pierre  de),  438. 
Rodriguez   Dr  Sébastien),  208. 


INDEX  ALPHABÉTIQUE  DES  NOMS  DE  PERSONNES. 


607 


Rodriguez    d'Azévédo   (Simon)   S.   J.,  45,  48, 

59,  60,  66,  78,  147,  225,  480. 
Roger  (Jean)  S.  J.,  27'i.  277,  280,  314, 
Roillet  (Guy)   S.  J.,   1.(0,    146,   274,  293,  294, 

308,  477,  486. 
RojaS  (François  de)  S.  J.,  180,  153,  196. 
Ropitel  (le  P.)  Minime,  342. 
Roser  (Elisabeth),  69. 
ROSERIUS  (Bertrand)  S.  J.,  521,  522. 
Rosier  (Hugues  Sureau  di  i,  558-562. 
Rouen    i>'  Jean  de),  583. 
Roi  ffignac  (le  président  de),  518. 
Rouillard  (Perrette),  47. 
Roussel  (Gérard),  270. 
Rousset  (Toussaint)  ou  ROUSSEL  S.  J..  539. 
Roi  sslllon  (le  eomte  de),  323. 
RÙBYS  (Claude  de),  359,  472,  538. 
Rue  (Pierre  de  la)  S.  .1.,  599. 
RUFFIN,  346,  465. 
Ruiz  (Alphonse)  S.  J.,  489. 

Saconay  (Gabriel  de),  342. 
Sager  (Charles)  S.  J.,  521,  522,  527,  553. 
Sainctes  (Claude  de),  427,  558,  578,  584. 
Saint-André   (Maréchal  de),  247,  341,  349. 
Saint-André  (le  président  de),  566,  567. 
Sainte-Croix  (Marcel  Cervini,  cardinal  de), 

435,  436. 
Sainte-Croix  (Prosper  de),  nonce,  358. 
Saint-Gelais  (Jean  de),  évoque  d'Uzès,  250. 
Saint-Germain  (Julien  de),  365,  371. 
Saint-Hérem  (le  comte  de),  349. 
Saint-Méloir,  392. 
Saint-Romain  (Jean  de),  358. 
Sala  (Jacques-Marie  de),   évêque   de   Viviers, 

435. 
Salez  (Jacques)  S.  J.,  615. 
SALMERON    (Alphonse),   18.  44.   48,  54,  66.  78, 

101,  136,  137,  154,  249,  291. 
Salviati  (Antonio),  nonce  578. 
Samer  (Henri)  S.  J.,  552. 
Sanguin  (AnUine),  cardinal  de  Meudon,  138. 
Sanguineo  (F.  Laelio)  s.  J.,  625,  626. 
Sw sac   (Antoine  Prévost  de),  archevêque  de 

Bordeaux,  517-520. 
Swta-Fiore  (le  comte  de),  624. 
Sault    (François    d'Agoult,    comte    do.    342, 

345,  346. 
Sault  (Charles  du),  518,  524,  526,  527,  591. 
Seguart  (Dr  Adam),  576,  583. 
Séguier  (Pierre),  201. 
SlRLET  (Guillaume),  427. 
Souchière  (Jérôme  de  la),  abbé   de  Cîteaux, 

203,  216. 
Spifame  (Jacques),  543. 

Sponde  (Henri  de),  évêque  de  Pamiers,  287. 
Strada  (Antoine)  S.  J.,  130,  138. 
Strada  (François)  S.  J.,  130,  138.  196. 
Strozzi  (le  cardinal',  544,  545,  546. 


si  mm  /.  (Jean]  s.  J;,  498. 
m  s   Jacques  de),  285. 
Sylvestre  (Jacques]  s.  j.,  296. 

Téligni    Charles  de  ,  631. 

Telur  (le  i'.j  s.  j.,  645. 

Tiioi    (Augustin  de  .  590,  592. 

Thoi   [Christophe  de  .  564,  593,  405,  406. 

Tiiou  (Jacques-Auguste  de  ,  262,  405. 

Tissart   Michel  .  '>'x. 

Tolet  (François)  S.  J..  566,  492. 

ToiuiÉs  (François  de]  s.  .1..  427. 

TOURNON  (cardinal  François  de  .  173.  193,  240, 

244,   246.    247,   250,   251.    253.    255,    259.    289- 

295,  298,  299,  300,  458. 
Tournon  (le  comte  de),  296,  299,  323. 
Trani  (le  cardinal  de),  230. 
Trivulce  (le  cardinal),  272. 
Truchsess  (cardinal  Ollion),  152,  336. 
Turnèbe  (Adrien),  369,  370,  385,  407. 
Tyrius  (Jacques)  S.  J.,  572. 

Ugoi.etti  (Elpidio)  S.  .1..  154. 
Urdez  (Luc),  285. 

Vair  (du),  392. 

Valentini  (le  P.)  S.  J.,  431. 

Vaudemont  (Charles  de).  609,  610. 

VaUDEMONT  (Louise  de),  644. 

Vêla  (Pierre)  S.  J.,  599. 

Venegas  (Michel)  S.  J.,  365. 

Verallo  (Girolamo),  65,  198. 

VERSORIS  (Pierre),  390,  391,  393.  400-404. 

Viai.art  (Antoine),  archevêque  de  Bourges, 
598. 

Vieilleville  (François  de  Scépeaux.  maré- 
chal de).  350.  351,  352,  539,  605. 

VlGOR  ;D'    Simon),  427,  558,  570.  633. 

Villars  (Pierre  de),  archevêque  de  Vienne. 
291,  299.  587. 

Vinet  (Élie),  528,  529. 

Viola  (Jean-Baptiste:  S.  J..  133.  140.  145.  146. 
154,  155,  159,  164-170,  185,  197,  222.  225.  231. 
292-  296,  305,  320. 

Viole  (Guillaume),  évêque  de  Paris,  535. 

Viret  (Pierre  i.  248,  356,  357,  358,  359,  465, 
543. 

Vives  (Louis),  11. 

Volpius  (David)  S.  J..  540. 

Waucop  (Robert),  archevêque   d'Armagh.  136. 
wisiiwr.N  (Corneille]  s.  J..  489. 
Witte  (Adrien  de)  S.  J.,  158,  167.  169. 

Xavier  (saint  François)  S.  J..  13.  40-43,  48.  60, 

66,  78.  177. 

Zapata  (François).  137. 

zerbolt  (Gérard)  de  Zutphe.n,  90. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Préface 

Introduction  bibliographique. 


LIVRE  PREMIER 
Les  Origines  (1528-1552). 

Chapitre  I.  —  Ignace  de  Loyola.  —  Ses  éludes  à  Paris  (1528-1535).  —  1.  Disposition  et 
projets  d'Ignace  après  Manrése.  —  2.  Coup  d'œil  sur  ses  études  à  Barcelone  et  à 
Alcala.  —  3.  Séjour  et  persécutions  à  Salamanque.  —  4.  Ignace  à  l'Université  de 
Paris;  cours  de  grammaire  au  collège  de  Monlaigu.  —  5.  Voyages  en  Flandre  et  en 
Angleterre.  —  6.  Cours  de  philosophie  à  Sainte-Barbe.  —  7.  Succès  aux  examens; 
commencement  de  la  théologie  chez  les  Dominicains  de  la  rue  Saint-Jacques.  - 
8.  OEuvres  de  zèle;  Ignace  est  dénoncé  à  l'Inquisiteur.  —  9.  Il  est  condamné  à  la 
salle.  —  10.  Son  courage  et  son  industrie  pour  le  salut  des  âmes 1 

Chapitre  II.  —  Les  premiers  Compagnons  d'Ignace  et  les  vœux  à  Montmartre.  — 

1.  État  des  esprits  à  Paris  pendant  le  séjour  d'Ignace  :  humanisme  et  réforme. 

2.  Ignace  est  témoin  des  manifestations  populaires  contre  l'hérésie.  —  3.  Il  cherche 
des  compagnons.  —  4.  Pierre  Le  Fèvre.  —  5.  François  Xavier.  —  6.  Lainez  et  Salme- 
ron.  _  7,  Nicolas  Bobadilla  et  Simon  Rodriguez.  —  8.  Us  arrêtent  ensemble  leurs 
projets  d'avenir.  —  9.  Vœux  à  Montmartre.  —  10.  Vie  d'Ignace  et  de  ses  compagnons 
après  cette  cérémonie.  —  11.  Nouvelle  dénonciation  à  l'Inquisition  ;  Ignare  retourne 
en  Espagne.  —  12.  Séjour  de  ses  compagnons  à  Paris  sous  la  direction  de  Pierre 
Le  F'èvre.  —  13.  Vocation  de  Claude  Le  Jay.  —  14.   Paschase  Broet  et  Jean  Codure 

se  réunissent  aux  compagnons  d'Ignace 29 

Chapitre  III.  —  Fondation  et  approbation  de  la  Compagnie  de  Jésus  (1537-1541).  — 
1.  Départ  des  compagnons  d'Ignace  pour  Venise.  —  2.  Voyage  et  arrivée.  —  3.  Ignace 
reste  à  Venise  pendant  que  ses  compagnons  vont  à  Rome.  —  i.  Ordination  sacer- 
dotale à  Venise;  impossibilité  du  voyage  en  Palestine;  règles  de  vie  commune.  — 

5.  Départ  d'Ignace,  de  Le  Fèvre  et  de  Lainez  pour  Rome;  vision  de  la  Storta.  — 

6.  Arrivée  des  autres  compagnons;  épreuves;  la  commission  de  réforme.  —7.  Con- 
férences sur  le  genre  de  vie  à  adopter.  —  8.  Formule  de  l'Institut  et  buile  d'appro- 
bation. —  9.  Ignace  élu  premier  Général 58 

Chapitre  IV.  —  Le  Livre  des  Exercices  Spirituels  (1S22-1B48).  —  1.  Titre  du  livre:  son 
caractère  et  son  but.  —  2.  Principe  et  fondement;  ses  conséquences;  première 
semaine.  —  3.  Jésus-Christ  notre  roi  et  notre  modèle;  seconde  semaine.  —  i.  L'élec- 
tion centre  des  Exercices.  Elle  est  suivie  de  la  troisième  et  de  la  quatrième 
semaine.  —  5.  Règles  de  vie  spirituelle  pendant  les  Exercices  et  en  tout  temps.  — 
6.  Ignace  compose  à  Manrèse  la  partie  principale  des  Exercices.  —  7.  Originalité 
de  ce  livre.  —  8.  Époque  présumée  des  perfectionnements  et  relouches.  —  9.  Atta- 
ques et  approbation H- 

Chapitre  V.  —  Les  Constitutions  (1SWM333).  —  l.  Travaux  préparatoires;  rédaction 
de  la  Bulle  de  Jules  III.  —  2.  Ignace  auteur  des  Constitutions;  quand  et  comment 
elles  furent  composées.  —  3.  L'Examen  général.  —  4.  Analyse  des  Constitutions: 
première,  seconde  et  troisième  partie.  —  5.  Quatrième  partie  :  formation  des  sco- 
lastiques.  —  6.  Cinquième  partie  :  profession  et  degrés.  -  7.  sixième  partie  :  pres- 
criptions relatives  aux  membres  incorporés;  observation  des  vœux.  —  8.  Septième 
partie  :  ministères  aposloliques  et  choix  des  ouvriers.  —  9.  Huitième  partie  :  le 
gouvernement;  union  des  membres  au  chef  et  entre  eux.  —  10.  Neuvième  partie  : 
de  ce  qui  concerne  le  Père  Général  de  la  Compagnie  et  du  gouvernement  qui 
émane  de  lui.  —  11.  Dixième  parlie  :  des  moyens  de  conserver  et  d'accroître  la 
Compagnie.  —  12.  Conclusion  :  physionomie  de  la  Compagnie  de  Jésus 100 


G70  TABLE  DES  MATIÈRES. 

LIVRE  DEUXIÈME 
L'établissement  en  France  (1540-1564). 

Pages. 

Chapitre  I.  —  Le  collège  des  Trésoriers  et  le  collège  des  Lombards  (1540-1549).  — 
1.  Projets  d'Ignace.  Envoi  d'une  colonie  d'étudiants  de  la  Compagnie  au  collège  des 
Trésoriers  sous  la  conduite  du  P.  d'Eguia.  —  2.  Jérôme  Domenech,  supérieur.  Voca- 
tion de  Jacques  Miron,  de  Paul  d'Achille  et  de  François  strada.  —  3.  Transfert  au 
collège  des  Lombards.  Directions  données  aux  étudiants;  leurs  progrès.  —  4.  Nou- 
veaux venus  :  Jean-Baptiste  Viola,  Émilien  de  Loyola,  Pierre  Ribadeneira.  —  5.  Vi- 
site de  Paschase  Broet  et  de  Salmeron.  —  6.  Édit  de  François  Ier;  départ  d'un 
groupe  d'étudiants  pour  la  Belgique  avec  Jérôme  Domenech.  —  7.  Paul  d'Achille 
reste  supérieur  à  Paris.  Obéissance  des  jeunes  religieux.  Ministères  spirituels  et 
leurs  Iruits.  —  8.  Le  P.  d'Achille  obligé  de  quitter  Paris  avec  sa  communauté. 
Vocation  d'Emmanuel  Mionn.  Court  passage  de  Guillaume  Poste!  dans  la  Compagnie. 

—  9.  Retour  des  étudiants  à  Paris;  le  P.  Viola,  supérieur;  rénovation  des  voeux  à 
Montmartre 1-27 

Chapitre  II  —  L'Hôtel  de  Clermont  (1550-1554).  —  1.  Guillaume  du  Prat,  évêque  de 
Clermont;  ses  projets.  —  2.  Sa  rencontre  avec  les  disciples  d'Ignace  au  concile  de 
Trente.-—  3.  Installation  du  P.  Viola  à  l'hôtel  de  Clermont.  —  4.  Vocation  du  P.  Éve- 
rard  Mercurian;  ministères  spirituels.  —  5.  La  Compagnie  commence  à  être  connue 
à  Paris;  contradicteurs  et  défenseurs.  —  6.  Projets  de  donation  de  l'hôtel  de  Cler- 
mont. —  7.  Le  cardinal  de  Lorraine,  protecteur  de  la  Compagnie  de  Jésus  en  Fiance. 
Requête  au  roi.  —  8.  Épreuves  et  nombreux  départs  d'étudiants.  —  9.  Paschase 
Broet  premier  Provincial  en  France.  —  10.  Travaux  apostoliques  des  PP.  Broet, 
Claysson  et  Le  Bas.  Hostilité  d'Euslache  du  Bellay 150 

Chapitre  III.  —  Fondation  du  collège  de  Billom  (1553-1500).  —  1.  La  Compagnie  accepte 
peu  à  peu  des  collèges  pour  l'enseignement  de  la  jeunesse.  —  2.  Missions  des 
Jésuites  en  Auvergne.  —  3.  Formalités  relatives  à  la  fondation  de  Billom.  —  4.  Suc- 
cès apostoliques  du  P.  Claysson.  —  5.  Derniers  arrangements  et  ouverture  des 
classes.  —  6.  Règlement  d'un  collège  de  la  Compagnie  de  Jésus.  —  7.  Contrat  de 
fondation.  Bénédiction  de  la  première  pierre.  —  8.  Mort  de  Mer  du  Prat.  —  9.  Son 
testament  est  attaqué 175 

Chapitre  IV.  —  Lutte  pour  le  droit  de  naturalisation,  jusqu'à  la  mort  de  saint 
Ignace  (1551-1556).  —  1.  Lettres  patentes  de  Henri  II  en  laveur  de  la  Compagnie, 
janvier  1551.  —  2.  Opposition  du  Parlement  et  de  l'Université.  —  3.  Démarches  du 
P.  Broet.  Lettres  de  jussion,  10  janvier  1553,  et  arrêt  du  Parlement,  8  février.  — 
4.  Intervention  de  l'évêque  de  Paris  et  de  la  Faculté  de  théologie.  —  5.  Nouvel 
arrêt  du  Parlement,  3  août  1554,  et  sentence  de  l'évêque.  —  6.  Délibérations  et 
décret  de  la  Faculté  de  théologie,  1er  décembre.  —  7.  Persécution  qui  s'ensuit.  — 

8.  Douceur  et  prudence  de  saint  Ignace;  témoignages  en  faveur  de  la  Compagnie. 

—  9.  Mémoire  du  P.  Martin  Olave.  --  10.  Apaisement.  Mort  d'Ignace  de  Loyola 198 

Chapitre  V.  —  Election  de  Lainez  au  gènéralat.  Suite  de  la  lutte  pour  le  droit  de 
naturalisation  (1558-1  ■•60).  —  1.  Lainez  vicaire  général.  —  2.  Difficultés  pour  la 
réunion  de  l'assemblée  des  profès.  —  3.  Conduite  des  PP.  Bobadillaet  Ponce  Cogor- 
dan.  —  4.  Heureux  dénouement  de  toute  cette  affaire.  — 5.  Première  congrégation 
générale.  Élection  de  Lainez  et  approbation  des  Conslitutions.  —  6.  Ponce  Cogor- 
dan,  adjoint  comme  procureur  au  P.  Provincial  de  France,  reprend  Ips  négocia- 
tions pour  l'admission  légale  de  la  Compagnie. —  7.  Mort  de  Henri  II.  Bienveillance 
de  François  II  et  résistance  du  Parlement.  —  8.  Audace  de  l'hérésie  après  la 
Conjuration  d'Amboise.   Le   roi  désire  lui    opposer   la   Compagnie   de  Jésus.  — 

9.  Examen  des  Bulles  par  l'évêque  de  Paris;  l'Université  prend  parti  contre  les 
Jésuites.  —  10.  Le  P.  Cogordan  obtient  de  nouvelles  lettres  de  jussion.  —  11.  Le 
Parlement  reuvoie  une  seconde  fois  la  cause  à  l'évêque  de  Paris  qui  cède  de 
mauvais  gré  et  sous  réserve.  Mort  de  François  II .. . 221 

Chapitre  VI.  —  Assemblées  de  Poissy.  Admission  légale  de  la  Compagnie  de  Jésus 
(1560-1563).  —  l.  Avènement  de  Charles  IX.  Ses  lettres  patentes  du  23  décembre  1560. 

—  2.  Résistance  du  Parlement  ;  appel  à  la  Faculté  de  théologie  et  à  l'assemblée  de 
Poissy,  23  février  1561.  —3.  Nouvelles  lettres  du  roi,  14  mars.  Situation  des  partis. 

—  4.  Pie  IV  envoie  en  France  un  légat  accompagné  du  P.  Lainez.  Convocation 
d'une  assemblée  du  clergé.  —  5.  Son  ouverture  à  Poissy,  31  juillet.  Séances  du 
colloque  de  Poissy,  9  et  16  septembre.  —  6.  Admission  de  la  Compagnie  de  Jésus. 


TABLE  DES  MATIÈRES.  671 

Vngm. 

Enregistrement  de  l'acte  de  réception.  -  7.  Le  P.  Lai  nez  au  château  de  Saint- 
Germain.  Conférences  de  Poissy.  —  8.  Ride  du  P.  Laine/;  son  discours,  ses  démai 
ches.  —  (J.  Conférences  de  Saint-Germain.  Édit  de  tolérance,  17  janvier  IBM.  — 
10.  Travaux  et  mémoires  du  P.  I.ainez.  —  11.  Troubles  occasionnes  par  l'édit  de  to- 
lérance     213 

Chapitre  VII.  —  Essai  de  fondation  d'un  collège  à  Pamtcrs  I559-I50I  .  —  1.  État 
religieux  du  Béarn  au  XVI0  siècle.  —  2.  Démarches  de  M-1  de  Pelleté  pour  la  fonda- 
tion d'un  collège  de  la  Compagnie.  —  3.  Acceptation  du  P.  Général,  1659.  Envoi  des 
PP.  Jean  Pelletier,  Émond  Auger  et  Jean  Hoger.  —  4.  Leur  arrivée  à  Pamiers;  oppo 
sition  qu'ils  renconirent;  leurs  premiers  ministères.  —  .*».  Ouvertuie  de  quatre 
classes  dans  une  maison  particulière,  en  novembre  1550.  procès  de  l'évéque  avec 
la  ville.  —  6.  Prédications  des  PP.  Pelletier  et  Auger.  —  7.  Accusations  contre  le 
P.  Pelletier;  son  emprisonnement.  —  8.  Résistance  de  la  ville  aux  volontés  de 
l'évéque;  les  Jésuites  sont  chassés  de  Pamiers — Î60 

Chapitre  VIII.  —  Établissement  des  Jésuites  au  collège  de  Tournon  (1560-1562).  — 
i.  Origine  de  l'ancien  collège.  —  2.  Le  cardinal  de  Tournon  le  propose  à  la  com- 
pagnie. —  3.  Acceptation  du  P.  Général;  contrat  de  cession,  <i  janvier  1561.— 
4.  Ouverture  des  classes,  25  juin  1561.  —  5.  Le  P.  Auger  recteur  de  Tournon;  son 
apostolat  à  Valence.  —  6.  Mort  du  cardinal  fondateur.  —  7.  Troubles  religieux;  le 
P.  Auger  et  le  baron  des  Adrets.  —  8.  Tournon  menacé.  Exil  des  Pères -288 

Chapitre  IX.  —  Visites  du  P.  Nadal,  Commissaire  général  de  la  Compagnie  de  Jésus. 
Fondation  du  collège  de  Rodez  (1561-1502).  —  1.  Rencontre  du  P.  Jérôme  Nadal  et 
du  P.  Broet  au  collège  de  Billom.  —  8.  Le  P.  Lainez  appelé  par  le  Pape  au  concile 
de  Trente.  -  3.  Les  PP.  Nadal  et,  Broet  à  Paris;  départ  du  P.  Lainez.  —  4.  Apostolat 
du  P.  Pelletier  à  Rodez;  les  habitants  demandent  un  collège.  ~T8."  Formalités  pour 
la  fondation  et  ouverture  des  classes.  —  6.  Mort  du  P.  Broet : 30i 

Chapitre  X.  —  Visites  du  P.  Olivier  Manare.  Fondation  des  collèges  de  Mauriac 
et  de  Toulouse  (1563-1564).  —  1.  Le  P.  Olivier  Manare,  Commissaire  de  la  Compagnie 
de  Jésus  en  France.  —  2.  Sa  visite  en  Auvergne:  fondation  du  collège  de  Mauriac. 
—  3.  Séjour  du  P.  Manare  à  Lyon  et  à  Tournon;  rentrée  des  Jésuites  au  collège  de 
cette  ville.  —  4.  Fondation  de  Toulouse.  —  5.  Mort  du  P.  Pelletier,  visite  du  P.  Ma- 
nare à  Toulouse.  —  6.  Transfert  des  restes  de  Guillaume  du  Prat  à  Billom 318 

Chapitre  XI.  —  Travaux  apostoliques  des  PP.  Louis  du  Coudret,  Antoine  Possevin 
et  Émond  Auger  (1558-1564).  —  Le  P.  Louis  du  Coudret  (1558-1500).  1.  Missions 
dans  le  diocèse  de  Genève.  —  2.  Missions  dans  le  midi  de  la  France.  —  Le  P.  An- 
toine Possevin  (1560-1562).  —  3.  Sa  jeunesse  et  sa  vocation.  —  4.  Ses  missions  dans 
les  vallées  des  Alpes  et  ses  prédications  en  Piémont.  —  5.  Raison  de  son  séjour  à 
Lyon;  état  de  cette  ville  à  son  arrivée.  —  6.  Son  apostolat  auprès  des  marchands 
italiens.  —  7.  Lyon  tombe  au  pouvoir  des  huguenots;  départ  de  Possevin.  —  Le 
P.  Émond  Auger  (1562-1503).—  8.  Ses  missions  en  Auvergne.  —  9.  Ses  prédications 
à  Lyon.  —  Les  PP.  Auger  et  Possevin  (1563-1564).  —  10.  Retour  et  nouveaux  travaux 
du  P.  Possevin  à  Lyon.  —  11.  Démarches  du  clergé  et  des  lidèles  pour  conserver  le 
P.  Auger.  —  12.  Controverses  des  deux  Jésuites  avec  le  ministre  Viret.  —  13.  La 
peste  à  Lyon  (1504).  Départ  du  P.  Possevin  ;  dévouement  du  P.  Auger 331 


LIVRE  TROISIÈME 

Premiers  développements  (1564  1575\ 

Chapitre  I.  —  L'ouverture  du  collège  de  Clermont  à  Paris,  et  le  droit  de  scolarité 
(1504-1505).  —  1.  Achat  de  la  Cour  de  Langres.  Lettres  de  scolarité  et  ouverture  du 
collège,  février  1504.  —  2.  Le  P.  Jean  Maldonat;  sa  vie,  ses  cours.  —  3.  Opposition 
des  hérétiques,  du  collège  royal  et  de  l'Université:  les  Jésuites  obligés  de  fermer 
leur  collège.  —  4.  Consultation  de  Du  Moulin.  —  5.  Assemblée  générale  de  l'Cnher- 
sité  contre  les  Jésuites;  arrêt  favorable  du  Parlement.  —  o.  Requête  du  P.  Odon 
Pigenat.  —7.  LeUre  du  P.  Edmond  Hay.  —  8.  Les  Pères  devant  l'assemblée  géné- 
rale de  l'Université.  —  o.  Décret  contre  le  collège  de  Clermont.  Requête  des 
Jésuites  au  Parlement,  et  arrêt  du  27  février  1565.  —  10.  Soulèvement  contre  la 
Compagnie.  —  11.  Démarche  du  P,  Olivier  Manare.  Provincial,  auprès  du  roi 363 


672  TABLE  DES  MATIERES. 

Paires. 

Chapitre  II.  —  Premier  procès  avec  l'Université  (1565).  —  1.  Choix  des  défenseurs. 

—  2.  Portrait  de  Pierre  Versoris  et  d'Etienne  Pasquier.  —  3.  Ouverture  des  débats, 
29  mars;  plaidoyer  de  Pasquier.  —  4.  Interruption  des  débats;  démarches  du 
P.  Manare.  —  5.  Séance  du  5  avril  ;  plaidoyer  de  Versoris.  —  6.  Conclusions  de  l'avo- 
cat général  et  arrêt  du  Parlement.  —  7.  Tentatives  de  l'Université  pour  la  reprise 
du  procès;  ses  mesures  contre  le  collège  de  Clermont.  —  8.  Projets  violents  des 
écoliers.  —  9.  Intervention  de  Pie  IV.  Le  P.  Possevin  à  la  cour;  lettres  patentes  de 
Charles  IX  (1er  juillet)  autorisant  la  fondation  de  collèges  et  maisons  dans  tout  le 

le  royaume 388 

Chapitre  III.  —  L'enseignement   supérieur   au   collège   de  Clermont   (1565-1572).  — 

I.  Établissement  d'un  cours  de  théologie.  Détails  sur  le  personnel  du  collège,  les 
classes,  les  œuvres  extérieures.  —2.  État  des  études  scolasliques  dans  l'Université 
de  Paris.  —  3.  Réforme  introduite  par  Maldonat  dans  l'enseignement  de  la  théolo- 
gie. Succès  de  ses  leçons.  —  4.  Opposition  de  l'Université  et  ses  démarches  contre 
les  Jésuites  (1566).  —  5.  Le  P.  Perpinien;  ses  leçons  d'Écriture  Sainte.  —  6.  Sa  mort 
et  son  éloge.  —  7.  Le  P.  Mariana  supplée  Maldonat  pour  l'enseignement  de  la  théo- 
logie (1570).  —  8.  Nouveau  cours  du  P.  Maldonat.  —  9.  Progrès  du  collège  de  Cler- 
mont. Son  règlement 413 

Chapitre  IV.  —  Fondation  du  collège  d'Avignon  (1565-1570).  —  1.  Mort  du  P.  Lainez, 
19  janvier  1565;  création  de  la  province  d'Aquitaine.  —  2.  Premier  projet  d'établis- 
sement de  la  Compagnie  à  Avignon  1555.  —  3.  Reprise  du  projet  et  démarche  du 
Légat,  cardinal  Farnèse,  1563-1564.  —  4.  Ouverture  du  collège,  1565;  le  P.  Possevin, 
Recteur.  —  5.  Donation  de  la  maison  de  la  Motte,  1569.  —  6.  Séjour  du  P.  Possevin 
à  Rome;  fausses  accusations  contre  lui.  —  7.  Soulèvement  populaire  contre  les 
Pères  du  collège.  —8.  Excuses  envoyées  au  Saint-Père.  — 9.  Intervention  du  P.  Au- 
ger,  Provincial.  —  10.  Justification  du  P.  Possevin;  la  bonne  entente  rétablie 434 

Chapitre  V.  — Fondation  des  collèges  de  Chambéry  et  de  Lyon  (1565-1576).  —  Cham- 
béry.  1.  Lettres  patentes  du  duc  de  Savoie,  3  octobre  1564;  ouverture  du  collège  dans 
le  couvent  des  Cordeliers,  1565.  —  Location  de  la  maison  Pobel,  1571.  —  3.  Difficul- 
tés avec  la  population;  achat  de  la  maison  de  M.  de  Bressiac.  —  Lyon.  4.  Premiers 
projets,  1556  à  156i.  —  5.  L'ancien  collège  de  la  Trinité.  —  6.  Décision  du  chapitre 
et  du  consulat.  —  7.  Ouverture  des  classes,  octobre  1565;  description  du  collège.  — 
8.  Acte  de  fondation  du  14  septembre  1567.  —7.  Difficultés  avec  les  Pédagogues  de  la 
ville.  —  10.  Nouveau  contrat,  6  août  1571.  Difficultés  au  sujet  des  pensionnaires.— 

II.  Le  P.  Creytton  se  défend  devant  l'assemblée  des  notables;  accord  et  progrès..     JS2 

Chapitre  VI.  —  Affaires  intérieures  de  la  Compagnie  (1565-1573).  —  1.  Deuxième  Con- 
grégation générale;  élection  du  P.  Fr.  de  Borgia,  2  juillet  1565.  —  2.  Travaux  et 
principaux  décrets  de  la  Congrégation.  —  3.  Décret  relatif  à  l'heure  d'oraison.  — 
4.  Publication  du  livre  des  Règles.  —  5.  visites  du  P.  Nadal  en  Allemagne  et  en 
France,  1566-1568.  —  6.  Premières  congrégations  provinciales,  et  première  congré- 
gation des  procureurs,  1568.  —  7.  Visite  du  P.  Mercurian  en  France,  1569-1571.  — 
8.  Établissement  des  maisons  de  noviciat  et  de  scolasticat.  —  9.  Congrégations 
provinciales  et  congrégations  des  procureurs,  1571.  —  10.  Voyage  du  P.  Général  en 
Espagne,  en  Portugal  et  en  France,  1571-1572.  —  11.  Son  retour  en  Italie,  sa  mort  à 
Rome,  1er  octobre.  —  12.  Congrégations  provinciales  et  troisième  congrégation 
générale,  1573.  —  13.  Élection  du  P.  Éverard  Mercurian,  23  avril 476 

Chapitre  Vil.  —  Anciens  et  nouveaux  collèges  :  Toulouse,  Rodez,  Verdun,  Nevers 
(1566-1572).  —  Toulouse,  t.  Achat  du  palais  de  Bernuy;  opposition  des  protestants, 
1566.  — 2.  Insuffisance  des  ressources.  —  3.  Bienveillance  de  l'Université.  —  Rodez. 
4.  Difficultés  avec  le  chapitre.  —  5.  Progrès  et  agrandissements  du  collège.  -- 
Verdun.  6.  Envoi  des  Pères  allemands,  1564;  recours  aux  Pères  français,  1570.  — 
7.  Ouverture  des  classes,  octobre  1572;  mort  du  fondateur,  M^r  Nicolas  Psaume,  1575. 

—  Nevers.  8.  Démarches  du  duc  de  Nevers.  —  9.  Ouverture  des  classes,  octobre 
1572  ;  contrat  de  fondation,  26  septembre  1573 500 

Chapitre  VIII.  —  Fondation  du  collège  de  Bordeaux  (1572).  —  1.  Premiers  projets  en 
1569.  —  2.  Initiative  de  M.  François  de  Baulon  en  1571.  —  3.  Prédications  du  P.  Auger 
à  Bordeaux;  le  prieuré  Saint-Jtmes  destiné  aux  Jésuites.  —  4.  Opposition  des  pro- 
testants; mission  du  conseiller  Drochon  et  lettres  patentes  de  Charles  IX,  1er  mai 
1572.  —  5.  Donation  de  François  de  Baulon  et  ouverture  des  classes,  octobre.  — 
Union  du  prieuré  Saint-James;  progrès  et  incorporation  à  l'Université.  —7.  Tra- 
casseries de  la  part  d'Élie  de  Baulon  et  des  Jurats.  —  8.  Attaques  d'Élie  Vinet,  prin- 
cipal du  collège  de  Guyenne.  —  9.  Affaire  Puget  de  Saint-Marc 544 


TABLE  DES  MATIÈRES.  '-"  ' 

Chapitre  i\.       Travaux  apostoliques  des  /•/'.    luger,  Posseoin  et  Manarè  l«*-»»™  ; 

_  i   LeP.  luger  prêche  le  carême  à  T ou8e,  1866.       ï  Services  qu*H  rend  à  la 

ville-  l'Université  lui  offre  le  doctorat.       3.  Second  carême  à  Toulouse ■'••"•    «« 

Sèment  de  confréries  de  pénitents.  -    I.  Association  de  d. ;s  de  charlt à .Lyon, 

l«07;  traités  sur  les  sacrements,  1568-1867;  carême  S  la  cour,»»».-  •>■  "  o« 
, ..n  me  à  Toulouse,  1570;  aventà  Reims,  lf.70,  et  carême  à  Metz,  IOT1.  -  6.  Prédlca 

fSÎÎàAuriC  Roder  Toulouse,  Bourges  e(   Paris  [«Mm     la  < Mne 

nénitents  bleus.-  7.  Prédication* du  P.  Poss n  à  Rouen,  UK&;  à  Marseille,  1568, 

Son  sur  les  galères.  -8.  Asentà  Rouen,  1569;  prédicalUps  à  inoppc. -9.  Le 
PmMaieluf  succède  à  Dieppe  e.  évangélise  Verdun.       10.  Carême ^du  P  Po 
vin  a  Rouen,  1570;  projet  de  collège.  -  H.  Le  P.  Possevin  à  Lyon  et  à  Besançon,      ^ 
4.V71  ;  ses  prédications  et  ses  écrits 

Chapitre  X.-  Travaux  apostoliques  et  gouverner! I  du   P.  •1'",'/7"'/;    ''"  "),'';; ' 

-i  Principaux  missionnaires  de  la  Compagnie  de  Jésus  en  1569  el  1570.  2.  mis. 
sion  du -Poitou  1870.  -  3.  Travaux  des  PP.  Maldonat,  Sager  ei  Lohier  a  Poitiers.  - 
4    ïravaux  des  pp.  Pigenat,  Bellefllle  et   Le  clerc  à  Niort,  Chàtellerault,  Sa  ni 

M ■  xen t  etc -  5.  Projet  de  fondation  d'un  collège  à  Poitiers.  -  6.  Maldonat  bra- 
vai le  à  ia  conversion  de  la  duchesse  de  Bouillon.  -  7.  Ses  controverses  avec  les 
ministres  à  Sedan,  1572.-  s.  Retour  à  Paris:  conversion  de  François  Baudouin; 
difficultés  suscitées  à  Maldonat  au    sujet  du  testament  de  M.  de  Saint-André. 
9.  vocation  de  Francis  .lannel.  -  10.  Projet  de  rélorme  de  l'in.vcrsite,  1813 tfl 

Chapitre  \l  -  Maldonat  et  l'Université  de  Paris  (1573-1576).  -  l.  Nouvelles  tentati- 
ves de  l'Université  contre  le  collège  de  Clermont,  1573.  *2.  Maldonat  et  la  question 
de  l'Immaculée  Conception,  UiU.  -  ».  Sentence  favorable  de  l'évéque  de  Pans, 
1?  anvTcr  1575,  et  mécontentement  de  l'Université.  -  4.  Maldonat  et  la  question 
du  purgatoire;  sa  doctrine  déférée  au  Parlement.  -  5.  Essai  d'incorporation  du  col- 
lège\  l'université.  -  6.  Excommunication  des  principaux  docteurs  de  la  Faculté 
de  théologie;  leur  lettre  apologétique  à  Grégoire  XIII.  -  7.  Silence  et  réserve  de 
Maldonal  -  8-  H  reprend  ses  leçons  d'Écriture  Sainte,  1576.  rcs  ministères  spijri-  ^ 
lueis.  _  9.  Sa  retraite  à  Bourges ' 

r„vP,TRF  \II  -Fondation  du  collège  de  Bourges  et  de  l'Université  de  Pont-à-Mous- 
C'™„'_  Bouraes  1.  Origines  du  collège  Sainte-Marie.  -  2.  Projet  de  le  confier 
aux  lésuie7  rïmarq'ie  générale  sur  la  division  des  collèges  dans  la  Compagnie. 
3  Denfers  ar  angements;  incorporation  à  l'Université.  -  i.  Rapport  de  Ma  do- 
^at  avec  Cuias  son  commentaire  sur  les  Évangiles.  -  Pont-a-Moussan.  5  État  de 
florrîine e  projet  de  collège  à  Metz.  -  6.  Le  cardinal  de  Lorraine  se  décide  a 
Rétablissement  iïne  Université  à  Pont-à-Mousson;  bulle  d'érection  de  Grégoire  mu. 
B  dîïïmtoîÏÏn u  -  7.  Négociations  du  cardinal  avec  la  Compagnie.  -  8  Quelque 
■  lasse  sont  ouverles  en  novembre  1574.-9.  Protection  du  cardinal  daGuaei 
de  révoque  de  Verdun:  ouverture  solennelle  des  classes,  mars  1575.  -  10.  Progri 
de  l'Université  jusqu'à  la  mort  du  cardinal  de  Guise 

r..in,T„r  \ih  -  La  Comnagnie  pendant  les  troubles  civils  1567-1575).  I.  Coup 
d'oSl  sur  es  trouble  civite  de  1560  à  1567.  -  2.  Services  rendus  par  le  P.  Manare 
î  ÏZwï!  Auger  à  Lvon.  -  3.  Dispersion  des  Pères  de  Tournon.  -  ..  Le 
p/Yuger  frarmee  du"  duc  d'Anjou,  1568-1569.  -  5  Les  Pères  italiens  a  »- 
pontificale.  Bataille  de  Moncontour.  -  «i.  La  Saint-Bar  thelemy,  15W.  -  '■  *  ; ' 
du  roi  de  Navarre  et  du  prince  de  Condé.  -  8.  Le  P.  Auger  au  siège  de  la  1  oc  1  . 1. 
1  9  les  collèges  de  Mauriac  et  de  Toulouse  pendant  les  révoltes.  Mort  de  Char 
l7,  ix  30  niai  1574  -  10.  Le  P.  Auger  et  les  Quarante-lleures  à  Pans.  -  Voya- 
ges de  Senri  111  dans  le  midi:  son  passage  a  Lyon  et  à  Avignon  --  -M;  ; 
et  éloge  du  cardinal  de  Lorraine.  -  13.  Mariage  et  sacre  du  roi.  État  de  la  ^ 

pagnie  en  France  à  l'avènement  de  Henri  m 

Appendices 

Olk* 

Index  alpii.vdétique  des  noms  de  personnes 


COMPAGNIE    DE   JESUS.   —    T.   I. 


Librairie  ALPHONSE  PICARD  et  fils,  82,  rue  Bonaparte,  Paris. 


Bibliothèque  delà  Compagnie  de  Jésus.  Première  partie  :  Bibliographie. 

par  les  PP.  de  Backer;  seconde  partie  :  Histoire,  par  le  P.  Carayon, 
nouvelle  édition,  par  Carlos  Somiheryogel,  S.  J.  Strasbourgeois,  publiée 
par  la  province  de  Belgique,  1890-1900,  t.  MX  et  supplément  A.  Z. 
Anonymes,  pseudonymes,  index  géographiques  des  auteurs  et  des  domi- 
ciles. T.  X,  tables  de  la  première  partie,  par  Pierre  Bliard,  10  vol. 
in-4°,  cart.    non   rogné 400  fr.    » 

Rochemonteix  (P.  de).  —Les  Jésuites  de  la  nouvelle  France  au  XVIIIe  siècle, 
d'après  les  documents  inédits,  1006,  2  vol.  in-8°,  broché.    .    .     12  fr.    » 

—  Le  Père  Lavalette  à  la  Martinique,  d'après  beaucoup  de  documents 
inédits,  P.  1901,   in-8°  br.  carte 6  fr.      » 

Archives  de  l'histoire  religieuse  de  la  France:  I.  Mémoires  des  évêques 
de  France  sur  la  conduite  à  tenir  à  l'égard  des  réformés  (1698).  Publiés 
avec  une  introduction,  des  appendices  et  des  notes,  par  Jean  Lemoine, 
1902,  1  vol.  in-8° 7  fr.  50 

II.  Ambassades  en  Angleterre,  de  J.du  Bellay.  La  première  ambassade 
(septembre  1527-févrïer  1529).  Correspondance  diplomatique,  publ.  par 
de  Vaissière  et  Bourrilly,  1905,  in-8"  broché .    .       7  fr.  50 

III.  Nonciatures  de  France,  Ne nciature  de  Clément  VII,  publiées  par  l'abbé 
Fraikin.  T.  I  depuis  la  bataille  de  Pavie  jusqu'au  rappel  d'Acciaiuoli,  1906, 
in-H^  broché 7  fr.  50 

IV.  Histoire  de  la  Pragmatique-sanction  de  Bourges  sous  Charles  VIL  par 
Noël  Valois  de  l'Institut,  190/,  in-8°  broché 7  fr.  50 

Valois  (Noël).  —  La  France  et  le  grand  schisme  d'Occident,  4  volumes 
in-8° 40  fr.      » 

—  La  crise  religieuse  du  XVe  siècle,  le  Pape  et  le  Concile  (1418-1450),  2  vol. 
in-8?,  lOpl.  etfig 20  fr.      » 

Bibliothèque  d'histoire  religieuse. 

Tomes  1  et  II.  L'Eglise  de  Paris  et  la  Révolution,  par  P.  Pisani,  docteur 
es  lettres,  professeur  à  l'Institut  catholique  de  Paris,  I  (1789-1792);  II 
(1792-17'JO),  2  vol.  in-12 7  fr.      » 

III.  Etudes  sur  la  Réforme  française,  par  H.  Hauser,  professeur  à  1*1  Di- 
versité de  Dijon,  1  vol.  in-12 3  fr.  50 

Feret  (Abbé  P.).  —  La  Faculté  de  Théologie  de  Paris  et  ses  docteurs  les  plus 
célèbres.  Moyen  âge.  4  vol.  —  Epoque  moderne,  phases  historiques  et  revues 
littéraires,  7  vol.  Chaque  volume  in -8°  broché .       7  fr.  50 

Courteault  (Paul).  —  Biaise  de  Monluc.  historien,  étude  critique  sur  le  texte 
et  la  valeur  historique  des  «  Commentaires  »,  1908. 1  vol.  gr.  in-8°.  portraits 
et  4  cartes 12  fr. 

—  Un  cadet  de  Gascogne  au  XVIe  siècle,  Biaise  de  Monluc,  1909,  1  volume 
in-12 3  fr.  50 

Les  sources    de  l'histoire  de  France,  XVIe  siècle  (1494-1610),  par 

Henri  Hauser.  —  I.  Les  premières  guerres  d'Italie.  Charles  VI    et  Louis  XII 

'94  1515).— .II. François  Ier  etHenri  II  (1515-1559).  1  vol.  Ch.     le  volume 

in-81'  broché  5  fr.;  relié  toile 7  fr.      » 

Le  journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  le  règne  de  François  Ier 
(  1515  J  536).  nouvelle  édition  publiée  avec  une  introduction  et  des 
notes  par  V.  L.  Bourrilly.  1  vol.  in-8° 10  fr.      » 

Mention  (Léon).— Documents  relatifs  aux  rapports  du  clergé  avec  la  royauté 
aux  XVIP  et  XVIII*  siècles,  2  vol.  in-8" 10  fr.      » 

rypographie  Firmin-Didot  et  Cle.  —  Paris. 


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