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Full text of "Histoire de la céramique lilloise: précédée de documents inédits, constatant la fabrication de ..."

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00035242M 




Lille. — Imprimerie L. Danel. 



HISTOIRE 



DE LA 



CÉRAMIQUE LILLOISE 



HISTOIRE 

DE LA 

CÉRAMICIUE LILLOISE 

DOCUMENTS INÉDITS 

la Fabrication de Carreaux Peints & Émaiilés 

EN FLANDRE ET EN ARTOIS AU XIV' SIÈCLE 

par 
J. HOUDOY. 




PARIS 
AUGUSTE AUBRY 

RUE DAOPHIHS, 1 6. 



/7S-. 



li. X^. 



Si 





A PREMIÈRE édition de ce livre, tirée 
,à un nombre d'exemplaires trés-res- 
treint. n'a point été mise en vente. 
C'est ce qui nous a décidé à le publier 
à nouveau , après avoir refondu tout notre tra- 
vail et l'avoir enrichi, c'est le terme consacre. 
d'un grand nombre de documents inédits, dont 
quelques-uns intéreffent non plus seulement une 
induftrie locale, mais l'histoire même de la 
Céramique. 

Peut-être nous reprochera-t-on précisément 
l'étendue des citations textuelles que nous aurions 



pU analyser & restreindre ; mais nous avouons 
naïvement que nous avons écrit ces pages pour 
nous & pour quelques spécialistes, & que nous 
n'avons jamais espéré que personne trouverait à 
lire les documents que nous publions, le plaisir 
que nous avons eu à les recueillir & à les ras- 
sembler. 

Les curieux nous excuseront; ils savent les en- 
thousiasmes que provoquent certaines recherches 
& le prix qu'ajoute aux documents trouvés la 
difficulté que l'on a eue à les deviner & à les 
découvrir. — Dans les Archives . tel fait affirmé 
par une pièce semble parfois contredit par un 
renseignement trouvé le lendemain ; il faut com- 
parer, juger; & il pourrait arriver, il arrive 
même souvent qu'en analysant, au lieu de repro- 
duire, on altère involontairement, sous la pré- 
occupation d'idées préconçues, le sens ou la 
portée des titres. Et puis il y a nous ne savons 
quel charme dans la naïveté des pièces originales 
qui disparait sous la traduction moderne. Nous 
faisons l'histoire d'une industrie , d'un art un peu 
primitif; respectons le lyrisme prolixe de ces 
artisans fiers & heureux de leurs découvertes & 
de leurs travaux: plus que d'autres , nous avons 
le devoir d'être incJulgents pour leur enthou- 
siasme , nous qui aujourd'hui recueillons leurs 



œuvres pour les placer dans nos colleâions & 
dans nos musées. 

L'histoire des Faïences, limitée même aux 
produits des manufaflures françaises, sera une 
œuvre longue & difficile à mener à fin. Depuis 
l'époque de la RenaifTance jusqu'à la fin du dix- 
huitiéme siècle, les manufactures françaises, en 
dehors des objets vulgaires & de fabrication 
courante , ont produit des pièces de service & 
d'ornementation : carreaux de revêtement, plats 
d'apparat, vastes baffins, aiguières, rafraîchis- 
soirs . fontaines monumentales , vases & cent 
objets divers qui se rattachent à l'art, soit par 
l'originalité ou la pureté de la forme , soit par 
le goût du décor ou la qualité des émaux. 

Aujourd'hui les rufliques figulines de Bernard 
Palissy & de ses continuateurs, les faïences 
dites de Henri 11, dont M. Benjamin Fillon a 
retrouvé l'origine, les majoliques de Nevers, les 
fervices à lambrequins de Moustiers, la vaisselle 
armoriée de Rouen, les faïences de choix des 
usines de Marseille, Niderwiller, Strasbourg, 
Sinceny, Saint-Amand , Lille et autres centres 
de fabrication encore inconnus , tous les produits 
enfin qui révèlent des préoccupations artistiques, 
ou qui consacrent par une date ou une inscrip- 
tion des événements historiques, sont sortis un 



à un des limbes du bric à brac pour entrer 
dans le domaine de la curiosité. & ont conquis 
dans les collections publiques ou dans les cabi- 
nets plus modestes des amateurs, une place qu'on 
ne leur dispute plus. 

Grâce au patronage encourageant d'artistes et 
d'érudits, on ose maintenant se dire hautement 
amateur de faïences , sans trop redouter le sou- 
rire des puristes exclusifs pour qui l'art céra- 
mique a commencé et fini avec les terres cuites, 
grecques et étrusques, dont moins que personne 
nous avons envie de contester, au point de vue 
de la forme, l'incontestable supériorité artistique. 
Du reste , cette faveur dont jouiffent les faïences 
anciennes, n'eût-elle pour résultat que de pro- 
voquer la renaifTance d'une industrie de luxe , ce 
serait alTez pour venger de quelques épigrammes 
les collectionneurs convaincus. On peut dire 
aujourd'hui que ce but a été atteint, et l'Exposi- 
tion universelle a montré quelques spécimens de 
Céramique moderne que se disputeront les 
curieux de l'avenir. 

Les galeries de l'histoire du travail, qui n'au- 
ront pas été le moindre attrait de l'Exposition de 
1867, ont étalé , sinon d'une manière complète, 
au moins largement suffisante, une réunion sin- 
gulièrement instructive des anciennes faïences 



d'origine française . &. parmi celles-ci les pro- 
duits de nos fabriques lilloises ont figuré avec 
honneur. Il faut lire à ce sujet les remarquables 
articles publiés dans la Gazete des Beaux-Arts 
par M. Albert Jacquemart, dont nous n'osons 
ici vanter, autant que nous le devrions, la science 
et l'affabilité, précisément parce qu'il a parlé 
avec trop de bienveillance de nos modestes 
recherches. 



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pour but de venir en aide aux collectionneurs 
déroutés par la multiplicité des types, l'arbi- 
traire & la confusion des attributions, n'en ont 
pas moins enrichi de renseignements nouveaux 
l'histoire incomplète des industries céramiques. 

Du reste, caprice de désœuvrés ou fantaisie 
raisonnée d'amateurs, la vogue des porcelaines 
& des faïences, en exagérant les prix de vente, 
aura eu un résultat utile. La fpéculation, allé- 
chée par des trouvailles heureuses , a fouillé la 
province . & de toutes parts les produits de nos 
anciennes fabriques , en venant tenter les collec- 
tionneurs sur les tables des commiffaires-priseurs 
& aux étalages des marchands, ont apporté à 
l'étude des documents auffi nombreux qu'inté- 
relTants . dont la fcience a su tirer profit. 

Parmi les travaux récents inspirés par l'amour 
intelligent de la Céramique moderne . il en est 
deux principalement qu'il faut consulter, en 
raison de leur incontestable mérite & des foins 
qui ont présidé à leur publication; ce sont, par 
ordre de date : " A History of Potterv and 
PoRCELAiN ", par M. MarryatI'!, & I'Histoire 

ARTISTIQUE , INDUSTRIELLE & COMMERCIALE DE LA 



(l) London, 1847, Traduit par MM. Darniaillé & Salvetat; Paris. 
J. Renouaril, 1866. 



Porcelaine, par MM. Albert Jacquemart & 
Edmond Leblan.(') Ce dernier ouvrage , comme 
l'indique son titre, ne s'occupe que de la Por- 
celaine. Espérons que MM. Jacquemart & 
Leblan donneront bientôt un digne complément 
à leur œuvre, en publiant une histoire générale 
des Faïences françaises. 

Espérons auffi voir bientôt paraître le livre de 
M. André Pottier W. si impatiemment désiré; 
une monographie des célèbres manufactures de 
Rouen, telle qu'on peut l'attendre de cet archéo- 
logue érudit. éluciderait bien des questions 
encore douteuses. 

Quant à M. Riocreux, le savant conservateur 
du musée de Sèvres, depuis qu'en collaboration 
avec M. Brongniart, il a publié la Description 
DU Musée céramique, qui a pris sous sa direc- 
tion un si intelligent accroissement, il n'a rien 
donné à l'impreffion du résultat de ses inceflantes 
études. C'est que les renseignements recueillis 
& contrôlés par lui pendant de longues années, 
demanderaient bien du temps pour leur clas- 



(ij Paris, Tcschcner, 1861. 

(2) Depuis que ceci a été écrit, M. Pottier est mort sans avoir pu 
réalîser'son projet, mais les notes qu'il a laiiTées sont actuellement 
en cours de publication. 



sèment & leur publication ; c'est surtout que la 
critique exigeante du savant ne sera satisfaite que 
quand il pourra donner, comme prouvées & 
incontestables, bien des affirmations qui ne sont 
encore pour lui que d'ingénieuses hypothèses ou 
de doctes probabilités. Mais, du moins, la 
science inédite de M. Riocreux est au service de 
tous les amateurs qui la désirent consulter, & 
personnellement, nous nous faisons gloire des 
leçons que nous avons prises auprès de lui. 

Nous ne sommes pas peu confus de citer tant 
dB noms célèbres, & cela à propos de l'œuvre 
modeste dont nous avons hâte d'indiquer le but. 
Il serait utile, pensons-nous, pour faciliter les 
vastes travaux d'ensemble, que dans toutes les 
villes où existèrent des fabriques de faïence ou 
de porcelaine, on s'occupât de recueillir, sur ces 
divers établilTements, tous les renseignements 
particuliers que peuvent renfermer les archives , 
ou qui sont consacrés par des traditions locales. 
Portées à la connaiffance des hommes fpéciaux . 
ces monographies, après qu'elles auront subi le 
contrôle de la publication, serviront de docu- 
ments pour écrire une histoire générale à la fois 
plus exacte & plus complète. 

C'est ce travail que nous avons essayé pour 
la Céramique Lilloise , insuffisamment connue : 



XI 



mais avant de commencer cette étude . c'est pour 
nous un devoir &: un plaisir de remercier 
M. Auguste Descamps, l'hôte afîidu de nos 
archives , qu'il sait si intelligemment consulter, 
du concours utile qu'il nous a généreusement 
prêté, en nous facilitant dès recherches qui, 
sans son aide, seraient restées plus incomplètes 
encore. Si quelque renseignement curieux nous 
a échappé , le public retrouvera , dans le travail 
que M. Descamps prépare sur toutes les indus- 
tries , non seulement de la ville . mais de la pro- 
vince, les détails utiles que notre inexpérience 
aura omis de relever & d'insérer dans les 
quelques pages qui suivent. 

LUle, i863. 




Cette intervention de la peinture est en effet un obstacle absolu 
à ce que les œuvres, dont nous allons parler, puifTent être 
rangées parmi les poteries à engobe & vemiiTées. Voici d'abord 
les lettres -patentes de Pliilippe-Ie-Hardi, datées de Lille 
en 1Î91 ;ii) 

A tous ceulx qui ces présentes lettres verront ou oiront, Maire et 
Eschevins de la ville d'Arras, falut. Savoir faisons que le xvu' jour 
de décembre, l'an u m" nii»* & unze, nous veismes & leusmes mot 
après autre, les lettres -patentes de Noire Très-Grand & Très-Redoubté 
Seigneur M. S. le duc de Bourgongne, conte de Flandres & d'Artois, 
faines & entières, en fcel & en escriptures desquelles le teneur sen- 
sieut. Philippe , fils du roy de France , duc de Bourgongne , conte de 
Flandres & d'Artois, &c., &c., â tous ceulx qui ces présentes lettres 
verront, falut. Savoir faisons conie de piécha nous eufTons retenu à 
nous et en notre fervice, Jehan du Moustier, de notre ville d'Yppre , 
& Jehan le Voleur, ouvriers de quarriatuB paim et jolia, pour nous 
fervir ou dit ouvraige , et il soit ainsi , que pour ce que les dis du 
Moustier & Voleur ne se pouoicnt accorder d'ouvrer ensamblc, félon 
ce que par aucuns de nos gens nous auions fait marchander ù eulx , 
& nous avons depuis ladite retenue de eulx d'eulx ensemble mis au 
nient. & retenu par nos aultres lettres de nouvel le dit du Moustier. 
Et pour ce que nous désirons à avoir heaucop dudit ouvraige, et que 
le dit Jehan le Voleur se voirait voulentiers employer, se comme il 
dtsi, & par plusieurs fois nous a montré des çuarreaulx qu'il a fais 
qui o»t tité bien à notlre plaisir, & aulTi pour la bonne relacion qui 
faite nous a esté du dit Jehan le Voleur, ycelly Voleur avons retenu 
& retenons de nouvel par ces présentes, à nous & en notre ouvrier 
du dit ouvraige, & par marché fait à lui de notre commandement 
exprés par aucun de nos gens, nous fommes accordés & accordons 
avecques lui de livrer pour nous, en notre ville de Hesdin, autant 
du dit ouvraige qu'il poira faire, à nous en vaulrons avoir pour le 
pris & ta manière qui s'en suit : C'est affavoir que des dis quarreaun 
qui feront feits & ouvrés de la grandeur eC pains dudit Vele*r des pain- 



{l I ArchiTM g6DertUidu Nord, csrtaD B, 1133. 



AU XIV" SIÈCLC. 



tii»'0i pie noM let vavlioiu avoir; tant de cenlx qui seront paint à 
ymaign et chiponnét, comme de ceulx qui serront paim à devises et de 
plaine couleur, par l'ordonnance de notre amé vallet chambre S 
paintre Melcior Broederlein , l'un parmi l'autre, autant que de cha- 
cun des dis ouvraiges duquel que ce sott nous vautrons avoir, & que 
ledit Voleur livrera pour nous, ou dit Heu de Hesdîn, ycelli le 
Voleur aura de nous de quatre pies et demi pié de moisonC ! (au pié 
lie notre ville de Hesdin', un franc d'or, & par ce se doit pourveoîr (t 
ses frais, périls & despens , de vallés, de tieulaux, de four, feu, 
plonq, terre, paintvrea, busche, charbon, el de toutes antres choses 
^leonqwe nécessaires pour la fachon des dits quarreaux , sans ce que 
nous ferons tenus de livrer ou faire livrer pour ce chose quelle que 
elle *oit; pour lea quels ouvraiges encomenchier & pour le dît Voleur 
soy pourveir cUs matières et étoffes & faire le four pour ce néceffaire, 
nous li ferons présentement faire prefl à che commencement, de la 
fommedechinquante fransd'or, par Pierre de Monlbertaut, à présent 
n' receveur d'Arras & de Bappalmes, dont ledit Voleur sera tenu de 
lui faire bonne fcuretéde livrer en notre ville de Hesdin du dit ouvraige, 
autant que par le dit marché la dite fomme puet monter, â notre 
bailli du dit lieu de Hesdin & au dit Mekior, notre paintre, dedens 
le jour du Noël prochain venant , les quels bailli & Melchîor nous 
avons député & ordonné, députons & ordonnons par ces meismes 
présentes à recevoir pour noua le dit ouvraige 6t tout autre que par 
ledit Voleur sera fait & livré. Si donnons en mandement à notre amé 
à. féal trésorier, Pierre du Chelier, que par le dit Montbertaut face 
tantôt & incontinent délivrer en prcst , audit le Voleur, la dite fomme 
de chînquante frens d'or, en prenant de lui la dite caution & feureté , 
& aoffi par icelli receveur ou par celU que pour le temps le sera , 
contenter le dcflus dit le Voleur de tous les autres quarreaux qu'il 
livrera en la manière & félon les convenances detTus dites , & in rap* 
portant sur ce certifticat des dis bailli & Melcior, avec quictanche 
du dit le Voleur de ce que ainsi il aura recheu pour l'ouvrage deffus 
dit, & pour la première fois feulement, coppie du vidimus de ces 
présentes soulx fcel autentique ou coUationné par l'un de nos fecré- 
taires. Nous voulons tout ce que ainsi pai^ en serra, avoir alloué es- 




comptes & rabattu de la rec ette dudit receveur, par nos amés & féauk 
les gens de nos comptes , â Lille , sans contredit ne difficulté , non 
obflant ordenance, mandemens ou deffences â ce contraires. En 
temoing de ce, nous avons fait mettre notre fcel à ces lettres. 

Donné à Lille, le penuitime jour d'aoull, l'an de grâce m ccc nu" 
et unze, ainsi fignées par M. S. le Duc , T. Gherbode. Au dos des- 
quelles lettres estait escript Pierre du Celier, trésorier, M. S. le duc de 
Bourgoignc, Pierre de Montbertaut, receveur d'Arras & Bappalme, 
d'Avesnes & d'Aubigny, adcompliflies le contenu au blanc de ces 
présentes par le manière que n" dît S. le mande, 

Escript à Arras, le un" jour de septembre, l'an h ccc un" & unze. 
Ainsi signé P. Ducelier. 

En lesmoins desdiies lettres ainsi avoir veues, nous maire & esche- 
vins delTus nommés, avons à cest présent transcript ou vidimus, mis 
& appendu le scel aux causes de le dite ville d'Arras. 

Ch« fu fais l'an & svu" jour deffus dit 

La pièce qui va fuivre établit que l'ordonnance n'est pas 
restée sans effet. Voici la réalisation de l'avance des cin- 
quante francs d'or : 

A tous ceuls qui ces présentes verront ou oirontlM, Fremin le 
jouene, conseiller de N. T. R. S. M. S. le duc de Bourgogne, &son 
bailli de Hesdin, falui. Sachent tous que par devant nous présent 
Philippe Lescot, receveur de Hesdin, sont venu & comparut per- 
sonnes Jehan le V o\eui, painire , & Jacquemart Boistel, demeurante 
Hesdin, lesquels & chacun d'eulx, pour le tout, ont en notre main 
rapporté en non de feureté , tous biens , moebles & hirtages que ils 
ont & poent avoir en la vilie & baillieu de Hesdin, pour faire cau- 
cion de la fomme de chinquante frans d'or, la quelle par M. d. S. a 
esté ordenné estre bailliée par Pierre de Montbertaut, receveur 
d'Arras & de Bappalmes , au dit paintre, pour faire provision des 
estoffes et matière nécelTaires à faire çnariau paiiu pour paner, comme 
par mandement de N. T. R. S , donné ce penuitime jour d'aoust, 



(l) ArehivHi da Nord , 



A YPBES ET A HESDW, AU XIV' SIÈCLE. 5 

l'an M ccc iitt" & unzc , poei apparoir ; laquelle caucion nous a esté, 
I par plusieurs personnes dignes de foy, reksté estre souflisante. 

Donné en tesmoin de ce, soubs le scel dudit bailli, le xvi° jour de 
' décembre u ccc un" et unze. 



I 
I 

I 



Mis en émoi par les pièces ci-deffus, nous avons cherché 
dans les comptes d'ArtoisC*, & nous y avons trouvé, en 
ligi, l'article ci-après : 

A Jehan le Voleur (le comptable analyse d'abord longuement les 
lettres- patentes que nous avons reproduites in extento, & il ajoute) : 
Depuis mon dit seigneur a aOigné le dit Voleur sur le dit receveur 
d'Arras , pour eftre paies en la forme & manière que le marché le 
contient & que cy-delTus est déclairée, si comme par ses autres lettres 
sur ce faites données à Paris le xxvf jour de janvier, l'an un" lu 
appert, dont la coppie avec celle du marchié defTus dit, est îcy 
rendue à court, par lesquelles dîtes lettres icelui seigneur a commis 
médire Laigle de Sains, ch"& chasiellain de Hesdin, avec le dit 
bailli, a recevoir le dit ouvraige, par l'absence du dit Melcîor qui 
esl aies demourer en la ville d'Ypprcs, lequel Voleur a livré du dit 
ouvraige de quarreaux jusques à la somme de vii'^ sut pies & demy de 
quarreaux , si qu'il appert par la certiffication du delîus dis, donné le 
îEvii' jour de febvier, l'an un" xn, qui valent au pris de ini pies & 
demi pour un franc, comme ci-delTus est déclarée, vu" xvni f'deroi, 
de laquelle somme fu pieca baillée au dit Voleur, si comme il diA en 
preft, sur le dit ouvraige par le dit Pierre de Montbertaut, & dont 
mention doit estre faite es comptes du bailliage d'Arras finis â ta 
chandeler, l'an un'* xi, l fr. paier au dit Voleur, pour le demourant 
& parpaie de la dite grofle somme c vnt f* demi , & quil appert par 
sa quittance rendue â court avec toutes les lettres defTus dites, qui 
valent monnaie de ce compte, i^l nu" vi' xvi' 



Prvmiei, second cl Liurs uomple Jehux dei Poulletles, receveur du boillage 
é'Amt, dtpuU la cbandello l'au h ccc [uiu et xi , jugqusa à la laïiil Jehan-Baptiile, 
un" al iiiu loat inclus [non fotioti). 




6 FABRIQUES DE FAIEKCE 

L'année suivante, au compte de iÎ94, nous lisons encore, 
après une nouvelle analyse du marché intervenu entre le 
duc & Jehan le Voleur : 

Il apparaît par ccrtifâcation de M. S. Laigle de Sains, ch" & 
chastellain de Hesdin , &du bailli d'Illec, lequel Voleur a faitSc livré, 
du commandement de mon dit Seigneur, au deffus dis comis, 
i][i° Lvrt pies de quûrrtaux paiiu et jolis, au dit piet de Hesdin (& y 
ceulx mis en garnison au dit chastel , le xn" jour de septembre , 
l'an M in= un" & sm, valent les lui' Ivii pies deOus dis, audit pris 
Cl' vin' X d. ob., sont monnoîe de ce compte. mi" i' irti' x* 

Puis enfin, au compte de la même année, au chapitre 
des dons : 

A Jehan le Voleur, ouvrier de çnarreaux paiiu et jolis di Monseignenr, 
auquel mon dit Seigneur, tant pour les bons & Bgriiables(i) qu'il lui 
a fais en l'ouvraige de ses dis quarreauz & aultremeni , comme pour 
lui aidier à npporler let grans fruii et mittioiu qu'il Ini a contenu faire 
et sotiéttenir pour trouver et avoir les eslojfes et matiire , & auiïi faire le 
four & les autres abillemens nécelTaires pour les dis ouvraiges , il a 
donné de grâce especiale audit Voleur, pour ceftc fois , ia fomme de 
L f-, non oblttant les convenanches du marché fait de par mon dit 
S"" au dit Voleur, pour livrer ledit ouvraige, & que autrement 
n'appere des dis frais & miflions , ordonnance , mandement ou 
défence à ce contraire , si comme il elt plus ad plain es lettres-patentes 
de mon dit S' sur ce , données à Paris le nii° jour de février, l'an 
M ccc mi" XII , datées du xvii' jour de février, par vertu desquelles 
le dit receveur a paie audit Voleur la fomme de l f valent xl ' 

A partir de 1J95. des lacunes exiftent aux archives dans 
la comptabilité d'Artois & nous n'avons pu continuer nos 
recherches dans le même sens. Les citations que nous avons 



(1) Swne€s, mot oublié pu 1« eompubU. 



faites sont, du relie, suffisantes pour établir que la fabrica- 
tion si énergiquement encouragée par Philippe-le-Hardi. n'eft 
pas refté à l'état de projet, & que les carreaux ont été 
fabriqués & livrés au duc . qui s'en était réservé l'attribu- 
tion exclusive. Nous avons voulu . en dehors des regîftres 
de la recette générale de Flandre , chercher dans des comptes 
spéciaux, si nous ne verrions pas, aux époques précitées, 
quelque mention de l'emploi des carreaux fabriqués, & notre 
espoir n'a pas été déçu. 

Ainsi , dans un compte spécial'') pour la conftruflion d'une 
salle deftinée aux noces d'Antoine de Bourgogne avec 
mademoiselle de Saint-Pol. nous avons trouvé un premier 
renseignement sur l'emploi des carreaux de Jehan le Voleur. 

Voici la description que donne le comptable, en tête de 
son compte, de ces conftruâions élevées dans le praiel de 
l'hôtel du duc , à Arras ■ 

Ouvraiges d'une grande salle de bois pavée tout au lotie de car- 
reaux blancs W, une chambre à parer séant au bout de la dite salle , 
une chambre joingnant à ladite salle , deux chambreltes, l'une regar- 
dant en ladit:; salle & l'autre en la chambre à parer, & à en l'une 
une cheminée de briques & est icelle chambrette pavée de carreaua 
de pointure. 

La chambre à parer était la chambre d'apparat; c'est là 
que sous un dais de drap d'or était placé le siège du duc. 
Cette salle était entièrement tendue de tapifferies de haute 
lifTe que l'on avait fait venir d'Hesdin . & la chambrette qui 



|i; Archives gintralaR àa Nord , A 181. — Comptes do lou Ondoi-Luilei comi* . 
n Biia vivant i Taire les poiecieiiB de 1b satle et chambre Deurvcg , faiies k Ami pour 
» nae«a an Anctoine M. 3., ea tooii d'avril, l'an w ccca et d«Di. 

(3} Ciirreaaz de pierre blanche , disant le* comptes ; ils soDl payés à 10 sola le cent 



ti F1VBB.IQUES DE FAÏENCE 

y accédait, & qui était sans doute réservée aux époux, avait 
pour pavage les carreaux dont les prix ne figurent pas aux 
comptes, par ce que le duc les avait fait venir de Hesdin. 
où nous avons vu qu'il les tenait en f^tiisun, avec ses 

tapifferies. 
Jehan le Voleur figure, du refle, dans ce compte : 

A Jehan le Voleur, painire, demeurant à Hesdin, pour avoir 
paini de blanc & de rouge le grand drechoir, une grande colonne 
& is giandes perches pour nnettre les estendars & bannières de M. S- 
& Furent pains ft otie. xxxni* 

Enfin, nous avons voulu parcourir aux mêmes époques 
la comptabilité du baillage d'Hesdin, qui consacre chaque 
année un chapitre à enregiftrer les travaux exécutés au châ- 
teau . & nous y avons lu ce qui suit relativement à l'emploi 
des carreaux en queftion : 

A Simon le Thieullier, pour avoir répavé de neuf paveinens, au 
commendemeni de H. S. de Bourgongne le neuve gloriene. (i) 

xi" vi** 

A Jehan le Voleur, paintre, qui avait fait le dit pavement et qu'il le 
tnitt à point et aida à ordener et à drecher audii Simon , qui l'afTeoit & 
y vacqua par un jours. xvi* 

Cette longue intervention du peintre , auteur des carreaux . 
ne prouve-t-elle pas déjà surabondamment qu'il s'agit ici 
d'un tableau . & qu'il était néceffaire de donner à chaque 
carreau sa place spéciale , pour former un ensemble décoratif 

Dégageons maintenant, par un résumé rapide, tous les 



(1) Archive! géoérsla*. H G60. — Compte de IBSS. 

{S) Gloriflh, petite ehemlire trie-ornâe fCerpentier, GIosHire). 



HES ET A HESDIN, AU XIV" SIÈCLE. 



faits qui relTorteni des titres que nous avons reproduit ûi 
crtetiso, afin que chacun puiffe en peser tous les termes. 

Antérieurement à 1^91. une aflbciation pour la fabrication 
des carreaux d'une nouvelle espèce, s'était formée, sous les 
auspices du duc de Bourgogne, entre Jehan Dumoustier. 
résidant à Ypres, & Jehan le Voleur, peintre de profeffion. 
Les afTociés n'ayant pu s'entendre, le duc Philippe rompit 
l'alfociation il« retint à son service, par lettres spéciales, 
Jehan Dumoustier. en l'autorisant a continuer sa fabrication 
a Ypres; & bientôt après, en 1Î91, voulant a.vo\T beaucoup 
du dit ou<.'raj^, le duc autorisa, d'un autre côté. Jehan le 
Voleur a établir une seconde fabrique dans la ville de He&- 
din, sous la surveillance & la direction de son peintre. 
Melchior Broederlain. Il s'engagea, en outre, a prendre 
livraison de tout ce que Jehan le Voleur fabriquerait, moyen- 
nant le prix accepté de un franc d'or par chaque mesure 
de quatre pieds & demi de carreaux. Le duc consentait de 
plus, à faire, moyennant caution suffisante, une avance de 
cinquante francs d'or, pour l'établiflement du four & l'achat 
des matières premières néceflaires à la fabrication. 

Cette avance fut réalisée le 1 ) octobre de la même année, 
& les comptes du bailliage d'Arras nous ont fourni la preuve 
du paiement de deux livraisons de carreaux faites au duc 
par Jehan le Voleur. La première . le 17 février i Jga , com- 
prenant sept cent treize pieds.- la seconde, qui eut lieu le 
lî feptembre lîçi. quatre cent cinquante-sept pieds, qui 
furent payés au prix convenu. De plus, en témoignage de 
sa satisfaction, le duc , par une lettre datée de Paris, fit donner 
à son ouvrier de quarreaiuc cinquante francs d'or à titre de 
gratification. 

Nous avons reproduit ensuite deux extraits du compte 
d'Arras & de Hesdin , établiffant l'emploi de quelques-uns 
de ces carreaux à la court d'Arras &. au château de Hesdin. 



Quelle est la coas^iieoce à tirer des fanUs qw doib vciiobb 
d'exposer? Sommes-nous ici en présence d'irae inventioa. 
d'une tndullrie nouvelle : oa s'agit-il lotit simplement de la 
fabrication de carreaux de potiers à engobes. plus ou moins 
bien décorés > 

Cette dernière bj-potbèse ne résifte pas à l'examen. C«r- 
retuix paâu cl /(Ms, carretoLx de pamUâre, carreaux àjmaigcs, 
ca/reaux à iievises et à plane couieur; toutes ces qualifica- 
tions . toutes ces expreŒons diverses . n'ont jamais été , que 
nous sachions . appliquées aux carrelages â incruftations & à 
engobes connus & employés depuis un siècle au moins, i 
ta date qui nous occupe. M. Jacquemart l'a établi, comme 
tous les archéologues, dans son li^Te les Men'etUes de ta 
Ceramùfue, & dans ce pa>'s même, la cathédrale de Saînt- 
Omer pofTédail. depuis le Xlll'fîecle. un magnifique pavage 
de carreaux gravés & inscniftés. dont M. L. Deschamps, 
de Pas. a donné la reproduction dans son Essm mrlrpai'age 
dejs ê-fifises , aux XII' et XIII' siècle.'^ < 

Lei carreaux pains et jotis, dont Phïlippe-le-Hardi déco- 
rait sa ^iette de Hesdin & le boudoir de la chambre de 
parade de son palais d'Arras. étaient donc une invention 
nouvelle : la faïence peinte & emaillee . sans nul doute , parce 
que la faïence explique i^eule . à la fm du XIV* fiêcle . & les 
termes des litres reproduits & l'enthousiasme du duc Philippe. 

Il eft même elTentiel de tenir compte du milieu dans lequel 
cette invention se produisait , de rappeler ce qu'était le prince 
qui s'en faisait le protecteur. & de faire connaître le mérite 
artiftique de Jehan le Voleur & de Melchior Broederlin . pour 
que l'on ellime à sa juste valeur une induflrie que le duc 
de Bourgogne prenait si spécialement sous sa protection: 



I 
I 



(I) \iiu1<* «rrbéoloKiqneE , li 







» 



» YPRBS KT A HESDIN, AU X 

>nt il se réservait tous les produits dz dont il s'occupait 
léme à Paris (la lettre de gratification eft datée de cette 
ville), au milieu des soucis de sa politique aventureuse. 

Philippe-le-Hardi . fils du roy de France, comme disent 
tous les titres, duc de Bourgogne & comte de Flandre, 
était, à cette époque, un des plus puifTants souverains de 
l'Europe; il était renommé par son luxe & par la splendeur 
le ses fêtes, & l'œuvre qui excite chez lui un enthousiasme 
mot n'efl pas excefllf), égal à celui qui éclate dans ses 
lettres, n'était pas une œuvre vulgaire. Ces carreaitx paâis 
et jolis étaient la première tentative de poterie émailiée i 
non vernilTée. & pouvant, par conséquent, se prêter à la 
peinture. Peut-être objectera-t-on que dans l'énumération des 
matières premières néceffaires à la fabrication & relatées dans 
les aâes. l'étain ne figure point; à cela il y a deux réponses 
à faire. 

Premièrement, que l'inventeur a pu vouloir tenir secret 
■précisément ce qui conftituait la base de son invention ; est-ce 
que l'on ne sent point, en effet, le myftère dans les termes 
du comptable qui inscrit la gratification!* Pour lui aidier à 
supporter les gratis frais et missions qu'il lui a convenu faire 
pour trouver les estoffes et nuitières. Peut-on penser que ces 
étoffes & matières . si difficiles à trouver au XIV* sièle . étaient 
les argiles vulgaires des potiers ou ce vernis de plomb employé 
depuis de si longues années? 

Secondement, qu'une induftrie naifîante n'avait évidem- 
ment pas sa langue technique toute formée. & qu'en pre- 
nant à sa charge la fourniture des tieulauoc, four, feu, plonc, 
terres, pointures et de toutes autres choses quelconques, 
Jehan le Voleur, peintre de profeffion. comprenait néces- 
sairement parmi les /lainiurei, c'eft-à-dire les matières néces- 
saires à la décoration de ses carreaux, l'oxyde d'étatn qui 
devait former le fond blanc , l'émail ; c'était pour lui une 



k 



13 FABRIQUES DE FAÏENCE 

couleur au même litre que les autres oxydes métalliques, 
fer ou cuivre, qui devaient lui donner le rouge ou le vert. 
Ajoutons encore que le prix relativement élevé auquel 
l'inventeur livrait ses carreaux, écarterait, même si elle était 
poffible, toute idée d'affimilation entre ses produits & les 
carreaux de potiers. Veut-on, du refte, une preuve authen- 
tique du prix relativement infime des ouvrages en terre? 
la voici : (') 

Je, Testars, boutiUiers d* ma T. R. D. madame la comtcfTe de 
Bar & dame de CafTel , fats favoir à tous, que l'an h ccc lxv , le xiii* 
jour de février, je receu de Jehan Roillon, receveur pour l'ostel de 
M. d, D., cinquante pintes de terre, en pris de dix fols fors viez,il) 
& cinq deniers, & deux gros pour le meffagÉ qui apporta les dites 
pintes de Verdun. C'est en lomme treze sous un denier donné soubs 
le fcel de M. Jehan Lehade , chappelain de M . d. Dame , a deffaut 
d'où mien, l'an & le jour deffus dit. (^^ 

Le duc Philippe s'engageait, nous l'avons dit. à prendre 
livraison de ce que Jehan te f^oleur, ouvrier de quarreiuLT, 
paiits et foUs de Monseigneur, pouvait fabriquer, & cela a un 
prix uniforme, tant pour les carreiiu.z- pains à imaiges et chi- 
ponnés , que pour cen.r à t/evises et à pbûne couleur, par l'ur- 
denance de notre amé vtiUet et paintre , Melcior Broederlain. 
Nous ne savons quelle est la signification précise de celte 
expreffion chiporaiéW. mais la contexlure de la phrase donne 
à ce mot un sens suffisamment clair. Ces carreaux de pein- 
ture n'étaient pas tous identiques; ils représentaient, par 



^1) Archivacdo Nord, carton B, 696. 

fon« el ta monnue faibU qui était la moDiiaie 

^3) Peut-on faire venir chipcnFié de rhippai , prison , filet (voir Docengc) , e» traduire 
par eatrtlaei artlteiquea ? 



A VPltES ET . 



HE5D1N, AU XIV° SIÈCLE. 



I 



juxia position , des tableaux , des motifs décoratife , on a vu 
rintervention néceffaire du peintre pour le placement des car- 
reaux . & l'on était convenu d'un prix uniforme pour l'en- 
semble, soit pour les carreaux à images & chiponnés. qui 
demandaient plus de travail , soit pour les carreaux à devises 
& à pleine couleur, c'ed-à-dire pour ceux qui portaient des 
inscriptions ou formaient les teintes plates des fonds. C'était. 
. en somme , un marché analogue à ceux qui se pafTaient pour 
la fourniture des vitraux, dont le prix était toujours fixé à 
tant le pied sur l'ensemble du vitrail. 

Et cette haute surveillance, cette direction donnée sur la 
fabrication à Melcior Broederlain. peintre du duc, qui rece- 
vait à ce titre une pension annuelle de deux cents livres, 
somme considérable, n'établit-elle pas, jusqu'à l'évidence, 
l'intervention de la peinture dans la décoration des carreaux, 
alors surtout que Jehan le Voleur, lui auffl, était peintre de 
profeflion. 

Il eft aufli effentiel de faire remarquer que dans la langue 
du XIV° fiècle, le mot image ne s'employait généralement 
que pour désigner la représentation, soit par la peinture, 
soit par la sculpture, des choses animées ; un tableau comme 
une statue était une image , & s'il se fût agi de carreaux 
décorés d'arabesques, de trèfles, de rosaces & tels que ceux 
que l'on produisait depuis longtemps déjà, nous l'avons dit, 
avec des engobes colorés sous un vernis de plomb, carreaux 
dont les moules étaient œuvres de sculpteur, on n'eût certai- 
nement pas employé cette expreffion = carreaux pmu à 
jmaiges. — Ces termes sont tellement précis & explicites, 
selon nous, que toute discuffion serait inutile, si la fabrica- 
tion dont il eft ici queflion ne remontait pas à une date anté- 
rieure à toutes les fabrications connues ; & si les titres que 
nous publions euffent été de la fin du XV° siècle , au lieu 
d'appartenir aux dernières années du XIV'. nous les euffions 



14 FABRIQUES DE FAÏENCE 



donnés sans nous croire obligé de les expliquer. Supposons , 
en effet . la peinture sur terre émaillée . connue & pratiquée 
en Flandre , nul ne pourrait ne pas voir dans les œuvres de 
Jehan le Voleur des pavages similaires à ceux des châteaux 
d'Ecouen & de Polisy. 

Quelques renseignements maintenant sur les artistes dont 
les noms sont attachés à l'invention dont nous cherchons à 
bien fixer la nature; la valeur des hommes étant naturel- 
lement une garantie de la valeur de leurs œuvres inconnues. 

Jehan le Voleur d'abord : Il était peintre & attaché. à la 
maison du duc de Bourgogne , & il figure fréquemment dans 
les comptes de cette maison pour des travaux de sa profes- 
sion exécutés pour le duc & la ducheffe. M. De la Borde a 
reproduit, dans son livre les Ducs de Bourgoffie, plusieurs 
articles qui le concernent ; il fut , après la mort de son pre- 
mier protecteur, Philippe-le-Hardi, nommé varlet de c/uunbre 
de Jean-sans-Peur. C'était alors un titre honorifique, bien 
plutôt qu'une fonction , & le célèbre Van Eyck est toujours 
mentionné avec cette qualification dans les comptes de la 
maison de Bourgogne. (0 

Colart le Voleur succéda à son père Jehan, & en 142 1 
il reçut le prix d'un travail exécuté par celui-ci : W 

A Colart le Voleur, fils & hiretier de feu Jehan le Voleur, varlet 
de chambre de feu M. S. le duc Jehan, dernièrement trépafiTé, pour 
un char paint bien & notablement selon l'ordonnance & devise de 
la duchefle Margherite, que elle fist faire pour son corps, dès l'an 
M cccc et V, par marché & accord. lx viii escus d'or. 

En 14} 2, c'eft Colart qui exécute pour Philippe-le-Bon les 



(1) Poar la première fois, au compte de 1424 à 1425. 

(2) Compte de 1421 à 1422. 



I 
I 



peintures &o«frn(geî milieux du château de Hesdin, pour 
lequel son père avait fabriqué les pavages en carreaux de 
pointures. II fut l'auteur de ces «rue* facétieux dont les comptes 
nous ont conservé la description & qui feraient la fortune 
d'une féerie du théâtre moderne. Les comptables le désignent 
sous cette qualification : l'arletde chambre de M. S., partie 
et gom^erneur des ouvrages ingénieux de moruUt S., audit 
iieu de Hesdiii. l" 

Quant à Melchior Broederlin , auquel Philippe-Ie-Hardi 
avait donné la haute direftion de la fabrique de Jehan le 
Voleur, c'était auflî un peintre & le peintre le plus jullement 
célèbre de son époque. Dès i î8S, il figure dans les comptes 
de la recette générale comme varlet de chambre & paintre. 
à la pension annuelle de deux cents livres, cent livres de 
plus que ne recevra Van Eyck, de Philippe-le-Bon, quarante 
ans plus tard ! Les archives de Dijon signalent deux tables 
d'autel peintes par lui en i içBf^), pour les Chartreux de cette 
ville, & M. G. Waegen, le savant diredeur de la galerie 
royale de Berlin , dans son Muiniel de V Histoire de la Pein- 
turée'^), a donné la gravure d'un retable conservé à Dijon 
& peint par M. Broederlin, retable qu'il considère comme 
la plus précieuse des reliques que nous ail léguée l'art flamand 
duXIVfiècle. 

En résumé , Jehan le Voleur qui peignait . & Melchior 
Broederlin qui donnait les patrons, les modèles, étaient les 
deux premiers artjftes de leur époque. 

Nous terminerons donc celte discuffion , en répétant : Nous 
fommes ici en présence d'une œuvre réellement artiftique. 



(1) Campleda 1449 a USO. — Recette géoérsle deFUndre. 
(3) DucB de Boar^gne, tome I, p. S46. 
(3) Paris. Morelot Cle. 18fl3. 



ID VlBniQUES DE FAIEIICE 

de carreaux dç faïence émaillés & décorés de peintures, car 
il ne peut être queftion d'autre chose, la faïence étant le seul 
& unique produit auquel puifle s'appliquer les descriptions qui 
précèdent. 

Ainsi la Flandre & l'Artois, à la belle époque de leur 
prospérité artiftique & induftrielle, alors qu'elles envoyaient 
dans toutes les cours de l'Europe leurs splendides tapifleries 
de haute lisse, au moment où Broederlin, Van Eyck & 
Memlinc . prédéceffeurs de Pérugin & de Léonard de Vinci . 
allaient porter si haut l'art de la peinture, la Flandre & 
l'Artois . disons-nous , sinon avant , du moins en même 
temps que l'Italie, auraient eu leur fabrication de Céramique 
peinte & émaillée. O 

Du refte, la science n'en ed plus à considérer Luca della 
Robia comme l'inventeur des faïences peintes & émaillées. 
M. Darcel , dans la savante introduction qui précède sa notice 
sur les Faïences du Louvre, MM. d'Armaillé & Salvetat, en 
annotant leur tradu^ion de M. Marryat; M. Riocreux. 
M. Albert Jacquemart, dans tous leurs écrits, ont reconnu que 
l'Espagne avait de longtemps précédé l'Italie dans cette fabri- 
cation. On en trouve des preuves surabondantes dans l'ouvrage 
de M. Daviller. l'hiflorien des Faïences hispano-mauresques. 

Pourquoi la Flandre, dont les relations commerciales 
étaient si étendues au XI V fiècleW, n'aurait-elle pas. elle 



1 ) Lucca delU Robia naquit en 1^99 ou 1400 ; tous ceoi <|iii sa sont occup«E de 
l'bistoiredo» arts mvent ((uels rapporta fréiiuonifeiiBlaisnt entre le Flandre et l'Italie , 
IvB lieras dee coupLes oivntiaiuieQt dea achats conlinucU faits par les dncs di> Boai^ 
^.i^e nul villes de Lncques , de Venise et de Florence, 

(2) Les relalioDB des ducs de Bour^cogno Uïee l'Europe entière el l'Orienl n élaicnl 
pas sculcpieiit le réaullal d'une grandi! puisisnce et d'une grande Kéneroailé , c'était 
aussi le but d'un gouTemement qui devait Tuvoriser, par tous les isojens , l'eiporta- 
tioD des produits variés de la maltresse industrie du monde. Ces relations deviorantl-' 
SI conducteur, le courant électrique de l'inâneace axercfe sur tous les peints par 
l'art Ssmand. 

(M. daL* Bonle, Dvcf di Sourgai/iki , latrodiutlon , p. xxx.) 



A YPSE5 ET A HESDIN, AD Xiv" SIÈCLE. l^ 

auffi, au moment de son développement artiftique, cherché 
à imiter les faïences de l'Espagne ou de Majorque, qu'elle 
connaifîait aufTi bien que l'Italie. 

Il eft encore un rapprochement que nous croyons impor- 
tant de signaler : « C'eft vers le milieu du XIV siècle, dit 
M- de La Bordel'), » que j'ai rencontré pour la première fois , 
■ dans les marchés faits avec les orfèvres, dans les articles 
» des comptes, dans les inventaires où on décrit leurs chefs- 
» d'oeuvre, la mention d'un genre d'émaillerie particulière : 
» Esmaillé de blanc, c'eft-à-dire entièrement enduit d'une 
» couverte d'émail blanc opaque . » & il donne une suite de 
citations relatives à des objets de cette nature , avec leurs 
dates; la plus ancienne appartient à l'année iî8o, ce qui 
établit une certaine concordance entre l'application de l'émail 
blanc, c'eft-à-dire de l'émail d'étain , sur le métal & sur la 
poterie. 

Dans le champ des hypothèses, nous nous permettrons 
encore d'émettre une supposition dont la pensée nous eft 
venue en lisant les comptes de travaux exécutés à cette 
époque. Souvent, les heuzes, les festissures , qui ornaient 
les toits & les fenêtres des édifices, étaient fabriquées en 
plomb estiwiés de fin estain. Ne seraît-il pas pcffibie qu'un 
potier, après avoir calciné un fragment de métal ainsi pré- 
paré, ait obtenu, par le mélange de l'oxyde de plomb & 
d'étain , un vernis blanc & laiteux qui l'ait mis sur la voie de 
la découverte. L'effet de l'étain une fols connu, ce n'était plus, 
en réalité . qu'une queftion de tâtonnements & de dosage. 

Quoiqu'il en soit , invention ou imitation , cette fabrica- 
tion, conftatée en lîgi, ne se serait-elle établie que pour 



^1) Notiet «ur lee émaux du Louvre (GlMwin), i 



l8 FABUQCXS là 



disparaître presque auffitlt? Nc-'js t^ saurions le dire, i' 
Pareil fait . du refte , s'eft produit en France au XM* siècle . 
&. la ville de Rouen, qui fabriquait û: sigiiait, en 1542, les 
carreaux d'Ëcouen , après avoir elle aulE débuté par la fabri- 
cation des carreaux de faïence . ne vit-elle pas tout-à-coup 
cette induftrie disparaître ? Et ne fiut-fl pas arriver aux der- 
nières années du XMI* siècle, pour aliîfier chez elle à la 
renaissance de cette induilrie ? Supposons détruit le carreau 
unique qui porte inscrit le nom : RorsN , û: pas un titre . 
pensons-nous . ne pourrait établir les droits de cette ville à 
la revendication de ce pavage hiilorique. 

La fortune de la Flandre eil toute autre. Nous avons 
reproduit les lettres -patentes qui créent la fabrication au 
XIV* siècle ; nous avons relevé les articles des comptes qui 
conftatent le paiement des produits d: même leur emplcH . il 
ne manque aux preuves écrites, suffisantes du refte, qu*un 
carreau émaillé, sauvé des ruines des châteaux d'Arras ou 
d'Hesdin(^), pour nous dire, non pas que cette fabrication a 
exifté, mais quel était le mérite de cette fabrication. 

VoUà tout ce que le riche dépôt des archives lilloises nous 
a appris jusqu'ici sur cette induftrie naiifante. Mais il eft une 
autre voie à suivre qui peut conduire à des découvertes 
nouvelles. Nous avons vu qu'antérieurement à rautorisaticm 
qui permettait à Jehan le Voleur, Tancien aflbcié de Jehan du 



Miâé daXVTsâccle, ne ùbnqw âe frinccB •makf!MS mb ■AJoliqMs 
NoH pvUâenBs fwwliiraHDeat âes iIjiimiIi qvi < uMî»ft , qa^à cette 
fini[ir Ittiti j r—fi d i ïl mm fiTilnr lir iiiiii l i . finira lir Tf i w 

S M. PaCOe. «rcîôiirc àt U ^JU. &cv a àgnlè ne hniBire da TîcU-Hcadm, 
par M. DasTasB, parc* cb 18iS; Kntf l'aroBS putcvrwe awc rcipoîr de tnmTcr 
qpdfM riaiiftauuBl. H. DaKraà agaala aealcBCBt TaraBw de 
âzte a Jelua le Y«levr, auis fl £ut de cdû-cî «a pcâsre vcmer, cC 
dca cairaavx de Titrt 



A YPRES ET A HESDIN, AU XIV** SIÈCLE. I9 

Mouftier, de fabriquer à Hesdin. Philippe-le-Hardi dit avoir 
retenu à son service ce Jehan du Mouftier, établi à Ypres. 

Si les comptes du bailliage d'Arras.qui exiftentaux archives 
générales du Nord, nous ont permis de constater les paiements 
faits à Jehan le Voleur, les comptes du receveur d' Ypres, 
qui font défaut dans nos archives , nous fourniraient , sans 
doute, des renseignements sur le sort de la fabrique de Jehan 
du Mouftier, & peut-être dans ces comptes, une rédaction 
nouvelle , une langue différente , suffiraient à lever le dernier 
voile & à rendre désormais indiscutable un fait qui , pour 
nous du moins, parait dès aujourd'hui inconteftable : la 
fabrication de carreaux peints & émaillés , dans la Flandre , 
à la fin du quatorzième siècle. 



M^i^&.i^m. 



^^qg^P^ 




LES POTIERS DE TERRE. 



J. FEBVRIER. faïencier. 



fff|||ïi|ï 


1 


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W3 


1 

é ti ^ 



A RÉUNION à la France, en 1667, fut pour 
la ville de Lille le point de départ d'une véri- 
table renaifTance induftrielle ; & dès la fm du 
XVI r siècle, les Registres auœ Résolutions 
portent la trace des sacrifices intelligents que 
le Magiftrat sut s'imposer, pour appeler dans notre ville les 
induftries qui lui manquaient ou qui avaient disparu depuis 
le XVP fiècle. 

Velours , soieries , linge de table damaffé , draps , tapiffe- 
ries de haute liiTe , étoffes & rubans d'or & d'argent , cuirs 
dorés, vernis de Chine, faïences, porcelaines, verres & 
criftaux , la fabrication de tous ces produits de luxe eft , après 



LES t>OTlBRS CE TERRK- 



la réunion à la France, succefTtvement établie dans nos 
murs ; & cette activité semble présager le grand rôle indus- 
triel que la ville de Lille sera appelée à remplir dans ta 
France du dix-neuvième siècle. 

L'induftrie dont nous avons entrepris d'écrire Thiftoire eft 
certainement une des plus modeftes de toutes celles que nous 
venons d'énumérer; les autres trouveront sans doute à leur 
tour leur hiflorien compétent. 

Nos archives municipales pofTèdent. dès les premières 
années du XV° siècle , les statuts de la corporation des Potiers 
de terre, dont M. Borel d'Hauterive décrit , d'après d'Hozier, 
les armoiries de la manière suivante : • D'or à une roue de 
» sable, une palme de sinople & une épée de même palTées 
» en sautoir dans les rayons de la roue, accompagné d'un 
» plat de gueules & de trois 'pots de terre, auffi de gueules, 
• posés deux aux flancs & un en pointe. ■> 

C'eft des ateliers de ces potiers que sont sortis tous ces 
carreaux de pavage & de revêtement en terre rouge . à 
engobe jaunâtre sous l'émail de plomb, dont le décor repro- 
duit presqu'uniformément. soit le lion de Flandre, soit la 
fleur de lys de Lille. 

Les comptes de la ville, au chapitre des ouvrages . men- 
tionnent une foule d'achats de ces carreaux de terre pour les 
travaux de la ville,- ils se payaient au XVr siècle ■. 

Let guaretiulw plommei, lviiii' le cenl. 

Lei gros dovhles qnarauîx de x paucA, vi' le ctnt. 

Let guareavla de bordure, xxitvi' le cent. 

iei qnareauh ouvrét (c'est-à-dire ome'ij, ii' la pièce, x' le cent. 



Nos potiers de terre modelaient aufll des ftatuettes. en 
guise de festissures , qui se plaçaient tantôt à l'angle des 
pignons des maisons , tantôt au sommet des fenêtres. Nous 



24 LES POTIERS DE TERRE. 



verdes & jaulnes , pour l'érection des nouvelles portes , à xxxvm^ par 
chascun mil. (i) vi^ un' xn*. 



On peut juger encore aujourd'hui du bon effet décoratif 
de ces briques verniffées , qui ont réfifté aux injures de Tair 
pendant deux siècles & demi. 

Mais c'eft dans l'année lôçôl'-^) que nous avons trouvé, 
pour la première fois , une pièce relative à la fabrication , à 
Lille , de la faïence proprement dite. Il exiftait pourtant bien 
avant cette date des faïenciers dans la Flandre française , à 
Tournai, par exemple, & c'eft certainement en faveur de 
ces établifiements que fut rendu l'édit de 1688, qui augmen- 
tait les droits à la sortie du royaume sur la terre propre à 
faire la Porcelaine , dite Derle, Nous allons reproduire cet 
édit; mais disons tout d'abord que Porcelaine doit ici se 
traduire par Faïence fine , le secret de la porcelaine étant 
encore inconnu à cette époque; nous ne savons même pas 
ce que l'on entendait exactement par ce terme Derle^ que 
nous n'avons trouvé dans aucun dictionnaire spécial. 

Voici la définition du tarif de 167 1, modifié par l'arrêt 
de 1688 : 

Derle terre à faire faïence ou porcelaine de galère. 



(1; Compte des Fortifications , 162] à 1622. ( jirchives municipales ) 

(2) AntérieuremeDt à cette date, Lille avait eu une manufacture de pipes à fumer. 
Nous avons trouvé , dans un rapport de l'intendant , les renseignements qui suivent 
sur cette fabrication : 

La fabrique de pipes dépérit d^ois qu« la paix a réduit le droit de 24" sur la grosse de pipes venant de 
HoU&ude , conformément à la convention de 1609. Elle produit annuellement 10,000 grosses et pouvait 
CD produire le double. — Voici les prix : 

La grosse commune se vend 15* 

La grosse âne se vend 1> 5* 

La grosse fines % longues et glacéei , se vend . . P 6^ 



J. FEBVB1EH, FA'lENCIEB. 25 

Dans le Glossaràim novum ad scriptores medii œfi'ï'), nous 
avons trouvé = Derlière, lieu on l'on tire de la terre, espèce 
de sablonnière. • 

Dans les revenus du comté de Namur, de l'an 1289. au 
regiftre de la Chambre des Comptes de Lille, nommé le 
papier aux afsselles , folio 60 , recto , on Ht : 

Encor i a li cuem une Derlière , c'est à sçavoir où on prend 
terre di coi li bateur ouvrent à Dynant et à Boviffie. Ici la 
désignation Derle femble s'appliquer à la terre à foulons. 

Voici, du relte. l'arrêt de 1688 : 

Le roy s'éUDt faîct représ^Câr en son conseil le tarif arrêté en 
îcelui le i3 juin 1671, touchant les droits d'entrée & de sortie de 
Flandres , suivant lequel il doit eftre perçu à la sortie , de la terre 
propre à faire de la porcelaine, dite dtrU, la somme de six livres du 
lall de douze tonnes ordinaires, & Sa Majetté ellant informée qu'il 
se trouve abondamment de cette terre au village de Bruyelles , près 
Tournai , où les estrangers la vont enlever av, préjudice des nanufœ- 
turei lie porcelaine établies dans le Toyaurne , auxquelles elle doit servir 
de matière. 

Ouï le rapport du sieur Lepelletier, conseiller ordinaire du Conseil 
royal, contrôleur général des Finances, Sa Majelté a ordonné & 
ordonne qu'à commencer du quinzième du présent mois, il sera 
levé & perçu sur la Derle ou terre à faire la porcelaine , qui sortira 
des villes ou lieux conquis par Sa Majellé, ou qui lui ont el^ë cédés en 
Païs-Bas par le traité de paix , pour être transportée aux pays étran- 
gers , la somme de quarante livres pour lad de douze tonnes , au lieu 
de six livres portés par le tarif du i3 juin 1671. 

Fait Sa Majellé défense au sieur Pierre Domergue, adjudicataire 
des cinq grotfes fermes et autres fermes unies, ses commis & pré- 
posés , de faire aucune remise ni composition desdits droits , à peine 
d'en répondre en leurs propres & privés noms. 



1 1 Curpentiur. SupplAnrnt au Gteuairt du Ducangc 



26 



Eoioint an tàear Dogné de Bagrmk, cocoeilkr dXflat or dimu e, 
imeadaot de îasdce, police ^l tItij nrrt, ca Fkadres & Harnimy de 
tenir b mais a Vcitcvàaa dn p r incnt arrêt. 



Fait au Conseil dXstat do Rot . tcno à VersuDes, le tiiiHne jour 
Je ioiOet t6iS. 



Suit la notification au sieur de Bagnok, intendant de 
Flandre , qui fit publier l'arrêt à Lille . le 20 îuillet de la même 
année. 

Ces manufactures du royaume , en faveur desquelles on 
ele\ ait les droits sur l'exportation de la terre tirée à Bniyelles. 
près Tournai , étaient bien certainement des faïenceries éta- 
blies dans la Flandre Â: qui soutiraient de la concurrence 
que leur faisaient les produits de Delft. Nous en trouvons la 
preuve officielle dans ce fait , qu'après le traite d Utrecht de 
171 3 « on peut lire aux archives de la \iile de Lille , dans un 
mémoire composé par l'ordre de l'intendant, sur le com- 
merce de la Flandre française & de la Flandre ci-devant 
espagnole , à présent autrichienne « à l'article Derk , la note 
ci-après : 

Terre propre à £aîence , se tire des environs de Tournai , où les 
Hollandais de Delft s'en Tiennent fournir, n'en pouvant tirer d'ail- 
leurs. Il y a -en 1714 *< , deux fabriques de 6iîence à Lille & %9€ de 
foreelaifu. 

L'exiftence de manufaâures de faïence de nos contrées, 
au XVI r siècle, eft non-seulement prouvée par rarrét de 
1688, mais encore & surtout par l'exiftence d'un grand 
nombre de produits de ces fabriques, parmi lesquels nous 
pouvons citer une pièce que M . Gentil-Descamps a offerte au 
musée de Lille & qui porte une inscription française (& une 



J. PBBVRIRR , FAÏENCIER. 27 

date. C'ert un grand plat creux, au décor polychrome, 
représentant un fou coiffé du bonnet pointu . agitant d'une 
main sa marotte & portant sur la poitrine un cartoliche sur 
lequel efl inscrit ■ 

JE SUIS UN FAMEUX DEVIN. 
l62Î 

L^nvere au plat, comme sur toutes les faïences flamandes 
de cette époque, efl recouvert d'un vernis jaunâtre, à base 
de plomb; l'émail Hannifère efl uniquement réservé pour 
la face. 

Nous connaifTons . de la même fabrique . un plat de forme 
identique , qui représente une dame en coftume Louis Xlll, 
tenant un bouton de fleur à la main ; le décor eft entièrement 
bleu , sauf la fleur qui efl rouge , & quelques touches jaunes 
sur le corsage , en guise d'agréments. 

Où était le siège de cette fabrication ? 

C'est une quetlion à laquelle nous ne saurions répondre ; 
mais, comme nous l'avons dit plus haut, ce n'ed qu'en 
i6q6, que nous trouvons dans nos archives la preuve de la 
création d'une faïencerie à Lille. Voici la pièce qui établit 
cette date ; elle efl extraite du regiftre aux Bésobuiom du 
Magistrat :('! 

A Messieurs les reward , mayeur, écbevins , conseil & huit hommes 
de la ville de Lille ; 

Remontrent très-humblement Jacques Febvricr, natif de Tournay, 
& Jean Bofl'ut, natif de Gand, le premier fabricsteur de faïence, 
& le second peintre de cette fabrique , en quoi ils iravaillent depuis 



tli Regism 15, fblioSOI, 



ZS l.£S rOTIhMS 



12 & 20 ans rapeâhrement . qnUs défircnîciit bien s'établir en la 
DouTclk enceinte de cette Wlle, P^'™' J exercer knisprofeffions, 
poorvu qne leurs Seîgneorîes ▼oolnilient les t admettre, de qum ik 
aflorent qu'il n'en pourrait résulter que dn bien & avantage an public 
de cette ville , parce qnlls j établiraient le commerce de toute sorte 
de Csience. qull faut tirer des antres TiDes, oaflmtU detfftétfm" 
fers, qui tirent par ce moyen des sommes conâdérables de cette ville, 
au lieu que leur établiflement & le commerce qnlb en fieraient atti- 
reraient ici de l'argent des étrangers , d'antant plus qu'ils ont £ait la 
découverte de certaine terre très-propre pour en £dwiqiier à la &çon 
d'Hollande, & d'auffi beDe & bonne quafité & beaucoup plus fine 
que celle que l'on fabrique à Tournai. { i) 

Mais comme il parait qu'ils doivent trouver qodqne douceur au 
commencement d'un pareil étibliffement , où il fiiut commencer une 
fabrique de cette nature à leurs frais, ils ne demandent pour secours 
que le loyer d'une maison de trente livres de gros .> ' ou environ , 
avec rétabliflement d*un grand four pour servir à la dite fabrique , 
près du rivage de cette ville , offrant d'en finre un petit à leurs dépens, 
dans le lieu que vos Seigneuries voudront leur designer, pour fiûre 
des épreuves à faire connaître par effet , à vos dites Sdgneuries , les 
sciences qu'il ont acquises dans leurs arts respeâife ; Si par defliis ce , 
l'exemption de la petite bière avec celle de quelques rondelles de 
forte, â fixer par MM.; à condition que nos dits Seigneurs n'en 
admettront pas d'autres de leurs profeflions en cette ville , pendant le 
terme de douze années, par la raison qu'ils seront capables avec les 
ouvriers & apprentifr , qu^ls suffiront de fournir à tout ce qu'il sera 
néceffaire pour le dedans & le dehors de cette ville ; moyennant quoi 
ils s'obligeront à prendre pour apprentifs des enfants de La Grange 
& de Baspaume iV, auxquels ils donneront des gains raisonnables la 
seconde année. 



^i) L ioUmdBnt du Tournesia dit en effet . dans on mémoire de 1698 : • Les 
» de Tournai ne sont pas bonnes , quoiqu'on les fasse de la m6me terre que celles de 
• Hollande ; la commodité queues âiienciers ont d'avoir cette terre , devrait les exciter 
" à perfectionner leurs ouvrages. • 

(2) La livre de gros valait 12 livres de Lille , soit 6 florins. 

(d) Fondations pour les orphelins. 



}. FCBVRrEa, FAIFNCIER. 39 

Vous suppliant de confidérer que Meffieurs de Tournay ont donné 
à semblables fabricateurs , non seulement les louages & exemptions, 
maisaul^ une somme de six cents florins une fois, avec la conflruition 
d'un grand four et une étuve, ce qu'ils s'ablliennent de demander, 
LailTant le tout en la discrétion de vos Seigneuries , en leur donnant 
seulement le loyer de maison , façon d'un grand four, l'exemption en 
la forme qu'il leur plaira borner & limiter. 



Siffùi : J, FEBVniER, Jii.« BOSSUT 



Apolline : 



Nous permettons aux 
manufactures de faienc( 
lion des impôts pour t< 



iuppliants de s'établir en cette ville pour les 
, auquel effet nous leur accordons l'exemp- 
e la petite bîerre dont ils auront besoin , & 
pour la forte bierre à raison de six rondelles par année , pour en jouir 
comme les exempts par grâce ; plus nous leur accordons la somme de 
trois cents Horins une fois, pour commencer leur établiflement ; 
laquelle somme leur sera avancée à mesure que le grand four qu'ils 
tloivent faire faire avancera ; & quand au surplus de leur requête , ce 
qui se requiert ne se peut accorder. 



Fait en conclai 



19 novembre 1696. 



Signé . B HERRENG. 



En mars 1697. nouvelle requête que nous abrégeons cette 



fois ■'" 



Remontrent très-humblement Jean Boflbt & Jacques Febvrier 

(Jean Bolfut prend le premier rang ) , fabricateurs de faïence , admis 

par vos Seigneuries en cette ville , qu'ils ont fait bâtir un grand four 

dont la dépense monte à la somme de douze cents florins par delTus 

y celle qu'ils ont faite pour leur dépense , depuis quatre mois qu'ils 

[ sont en cette ville, en appliquant aux soins de la dire^on et perfec- 



',1) Regielre 16, folio a. 



3o LES POTIERS DE TERRE. 



tion du dit four^ encore qu'ils ont préparé 7 à 800 pièces de galère 
prêtes à cuire , ne reliant plus qu'à les plommer. 

Vos Seigneuries ne leur ayant fait autre avance que trois cents 
florins , les requérants ont encore besoin de six cents florins au moins, 
tant pour acheter de Teftain , du ploînb , que pour avancer à de bons 
ouvriers qu'ils font venir d'Hollande , & sont arnvés à Gand & ne 
veulent avancer plus avant, à moins que les requérants ne leur 
donnent , savoir : au peintre cinquante florins d'avance , & au tour- 
neur pareille somme. 

Il vous plaise leur accorder encore une gratification de quatre ou 
cinq cents florins , pour être emploies aux achats d'eftain , plomb , 
bois, saffre & soudure, néceflaires aux plombures; ftauffi faire avance 
à leurs dits peintre & tourneur ; ce sans quoi ils ne peuvent effectuer 
ce qu'ils ont déjà si fortement avancé , & à quoi ils se sont entière- 
ment épuisés; le secours de trois cents florins accordé, n'ayant pu 
subvenir au quart des avances & débours , comme ils justifient par 
les pièces ci- jointes & peut se reconnaître par une descente sur 
les lieux. 

Apoftille : 

Vu la présente requête , ouï le procureur de cette ville , nous accor- 
(dons aux suppliants trois cents florins à titre de prêt pour six ans , 
pour être emploïé aux achats mentionnés par la dite requête. 

Fait en conclave, 26 mars 1697. 

Signé : G.-F. LEROY. 

Les commencements furent difficiles ; le bon accord ne 
régnait pas entre les affociés , & dans une requête en date 
du mois de juillet 1697, Febvrier remontre : 

Qu'il eût mieux réuffi dans son entreprise , même parfaitement , si 
son aflbcié, le sieur Boflut était auffi affidu à ses devoirs que le 
requérant ; mais qu'il s'absente souvent, même des jours entiers, de la 
boutique ; qu'il ne peut par suite fubvenir aux frais néceflaires , qu'il 
a à prétendre plus de 3oo florins , qu'il a emploies en la dite fabrique 



J. FEDVBIER, FAÏENCIER. 3l 

par defîus les gratifications & avances du magillrat , au lieu que ledit 
BolTut n'y a rien mis. 

C'est pourquoi le requérant, voulant vivre sans reproche, juge 
convenable de vous en avertir, pour qu'il vous plaise d'y apporter un 
prompt remède , ayant favorablement égard que ledit BolTut le trai- 
tait de petit garçon , l'appelant même ignorant & apprentif dans son 
métier, ce qui sont des marques de grand mépris & des excès non 
soutenables. 

Sur cette requête, le sieur Herreng, conseiller du roi, 
procureur syndic . ordonna aux affociés de se rendre à son 
audience &. pour la sûreté des avances faites par la ville, 
ordonna qu'il serait mis garnison dans la fabrique . jusqu'à 
ce qu'il en soit autrement ordonné. 

En conséquence, le lî juillet comparurent Jacques Feb- 
vrier&JeanBoflut. lesquels déclarèrent que pour éviter toute 
difficulté, & sous le bon vouloir de Mesffieurs du magidrat, 
ils étaient convenus de ce qui suit : i'i 

Jacques Febvrier abandonne à BolTut toutes les terres, ustensiles, 
fatences fabriquées & vendues ; celui-ci continuera seul la dite manu- 
fadure dans la dite maison où elle elt établie, à l'exclusion du sieur 
Febvrier, qui, de son câté, pourra s'établir dans cette ville où il lui 
plaira ; moyennant cet abandon , Boll'ut promet à Febvrier 400 florins 
le jour où il sortira de la maison , & prend à sa charge toutes les 
denes de la manufacture & les obligations contra^ftées envers la ville. 

Le magiftrat souscrivit à cet arrangement . moyennant 
caution solidaire . & accepta comme caution dudit BolTut . 
Pierre Dubelarbfe, procureur et notaire à Lille, qui promit 
de satisfaire aux dettes, loyer & avances mentionnées, déchar- 
geant Febvrier de toute responsabilité. 



) Registre IS, folio 19 



32 LES POTIERS DE TERRE. 



Boflut , seul titulaire dé la fabrique , adreffe bientôt aux 
magiftrats une nouvelle requête pour obtenir de nouveaux 
secours; il rejette sur son ex-aflbcié la responsabilité des 
insuccès paffés; il expose : (^' 

Qu'il a établi sa manufacture dans une maison sise rue Princefle , 
à l'enseigne du Bel-Air, appartenant à Mathieu Mouveaux. Qu'il a 
fait de très-grands frais & risques pour les voiages faits par sa femme 
pour se procurer des ouvriers , tant de Hollande , Gand & Rouen. 
Que de plus^ qu'après avoir fait deux fournées, partie de four a 
croulé par la faute que le dit Febvrier avait enfourné avec des tuiles 
de ce pays , contre le gré du suppliant qui avait enfourné le surplus 
dans des caifles à la façon de Hollande , ce qui a réuffi. Ledit Febvrier 
se persuadant d'en savoir la pratique & perfeâion, quoiqu'il ne favait 
que tourner, comme font les potiers ordinaires , pour ce qu'il avait 
vu faire & composer la plommure, qui est Teffence de l'art, & fabri- 
quer par le sieur BoCfut, qu'il se serait ingéré de faire & composer 
jusqu'à 700 livres pesant qui n'a rien valu. 

Et après une suite de récriminations, il ajoute : 

Que le 14 août dernier, il a achevé et relevé du four des faïences 
qui furent approuvées belles & bonnes par vos Seigneuries & les 
marchands experts, ce qui ju^ifie la capacité & expérience du sup- 
pliant , c'eft pourquoi il sollicite le loyer de la maison , qui eft de 
trente livres de gros , & l'avance de 5oo florins qu'il s'engage à 
remettre par cent florins à la fois. 

Sur l'avis conforme du procureur syndic, le magiÛrat, 
avec une bienveillance qui ne se dément pas , acccH-da une 
nouvelle avance de 200 florins , toujours sous la caution du 
sieur Dubelarbre, 



,1' Registre 10, folio 41. 



J. PtBVRlER, FAIF'.NCIER. 



Le procureur Dubelarbre avait mat placé sa confiance . & 
son amour pour la céramique, dont nous serions mal venu 
à lui faire un crime, lui coûta quelques centaines de florins. 
Nous avons, en effet, trouvé dans les archives un volumi- 
neux doffier intitulé : 

Curatelle aux biens abandoiuiés par Jeait Busstit , ci-dtiuirtt 
iiiaiiujacturier de faïence en cette ville. 0) 

Ce dclïier comprend la nomination de Guislain-Bernard 
de Neuillv en qualité de curateur, & le compte estât et ren- 
sai^ie ijuejait et rend le susdit pour suri acquit et déc/mr^ à 
Messieurs du magistrat. 

Voici l'actif et le pafllf de la manufafture . d'après cette 
pièce. 

La recette se compose : 

1° Du produit de la vente de faïences trouvées en ladite 

fabrique [déduvlion faite des frais de vente 385' 

2" Des prisées des terres , marchandises en fabrication . 
outils & ullensiies de la manufailure ( non compris 
dans cette somme la valeur du four j <ïi 1143 

Total de la recette .... 1428' 



Les dettes de Boffut , y compris les frais de liquidation . 
s'élevèrent a loîî livres; il y eut donc un excédant de Î95 
livres qui vinrent en dédu£lion de la garantie donnée par le 
sieur Dubelarbre. 

Malgré notre défir d'abréger, nous ne pouvons quitter ce 



^t) NûD iD«ei]lorié. 

(U) U appartenait k U villa. 



34 LES POTIERS DE TEMttE. 



curieux doffier d'une induftrie qui commence . sans y faire 
quelques emprunts. Voici, par exemple, quelques articles 
de la vente publique des marchandises fabriquées. Nous les 
citons à titre de renseignements sur les prix des faïences à la 
fin du XVI r fiècle : 

Douze pots à confitures 5i' 

Deux chandeliers et douze petits pots de galère . 36 

Un plat, six tafles& deux pots de galère. ... 6°- ii 

Une garniture de galère de cheminée 9 11 

Deux pots de galère à fleurs 5 11 

Id. id. 8 5 

Et dans l'eftimation des marchandises en fabrication : 



FAÏENCES NON CUrTES : 

5oo afliettes, façon 2*^ 10' 

Terre 3 10 

137 plats, façon 1 i3 

Terre 2 » 

3oi bénitiers, salières, petites urnes & moutardiers 3 18 

Terre .... » » 12 

3 charretées de terre blanche & 7 de rouge. .29 14 

327 talTes cuites, compris 106 crues 71 i5 

27 livres de cendres d'étain & plomb, à 4' 1/2 

la livre 20 » 

Su tafles au café , façon 9 » 

Terre » 12 

10 moules de plâtre de plats frasés ? 6 » 

Nous trouvons auffi le nom d'ouvriers, mouleurs & peintres, 
& le taux de leur salaire : 

Payé à Jean Vanderbrucht , peintre & tourneur, pour son travail 



pendant ( trois mois environ j , tant â peindre qu'4 tourner, cent sep- 
tante quatre livres. 

Au nommé Albert, tonmeuT hollandais ^ vingt-six livres douze sous. 

A Charles Lecafette, apprentîf peintre, pour sa semaine, quatorze 

patars. 

Nous ne pouvons résister au désir de citer encore quelques 
articles du compte de curatelle du sieur de Neuilly. dont 
nous allons avoir à nous occuper : 

Le cinq octobre , eflé à la maison & de là chez le pafteur de Saint- 
André, pour pouvoir faire travailler le dimanche, à cause que les 
marchandises étaient trop seiches , douze patars. 

Le huit, eflé à la boutique & calculé & réglé la composition de la 
plombure; employé plus d'une heure & demie, dix-huit patars. 

Le neuf, efté trois fois â la boutique pour faire revue du calciaage 
& sur les ouvriers, & fait quérir du safire, 18 patars. 

Le ving-trois , efté à la maison afin de faire la supputation pour 
faire la composition du MaxiÂos ,{i'i sept patars. 

Le 25, cuit moi-Méme une épreuve; employé plus d'une heure, 
dix-huit patars. 

Le curateur avait pris, on le voit . sa charge au sérieux. 
& cette curatelle décida de sa vocation. « Moi auffi je serai 
faïencier! » s"écria-t-il , & il adressa au magiflrat la requête 
ci-après ; ("i 

Supplient très-humblement : 

Marie de Merende, veuve d'Adrien Vandeftrack, vivant contrôleur 
au Brouquin, & Ghislain-Bernard de Neuilly, (3 1 demeurant en cette 



|1) Ce mot parul £aas iloutc si 
duit il com poser. 

(9) Begislre \6. fulio 98. 
(8) SongSDdre. 



36 LES POTIERS DE TERRE. 



ville, disant qu'ils voudraient bien & sont prêts de poursuivre & 
entreprendre la manufacture de faïence , commencée & abandonnée 
par Jean Boflut depuis quelque temps ; mais comme ladite manufac- 
ture ne se fait qu'à grands frais & fort difficilement, vos Seigneuries 
pour la facilité avaient accordé au dit BoCfut diverses grâces , c'eft 
pourquoi ils viennent à vous , Meilleurs, supplier en toute humilité 
qu'en considération de la dite entreprise , il vous plaise d*avoir pour 
agréable les propositions ci attachées qu'ils osent vous présenter, etc. 

Apoftille : 

Vu la présente requête , le mémoire y attaché , ouï le procureur & 
tout considéré, nous avons subrogé les suppliants dans les avantages 
que nous avions ci-devant accordés aux nommés BoCfuyt & Febvrier, 
leur accordant à cet effet l'usage du four & les exemptions sur les 
bierres. 

Fait le 3 décembre 1698. 

Signé : G.-F. LEROY. 

Il faut avouer que le magiftrat était peu , jusqu'ici , récom- 
pensé de ses sacrifices & de sa bonne volonté. Ce ne fut 
pas encore Bernard de Neuilly qui devait triompher de la 
fatalité qui semblait s'être attachée à la manufaâure. Une 
nouvelle requête, datée de 1705, prouve, en effet, que dès 
Tannée 1700, Febvrier, qui avait en 1697 quitté Boffut & 
était . retourné à Tournai, emmenant avec lui un ouvrier 
peintre & deux tourneurs , après s'être entendu avec le titu- 
laire nouveau , était revenu le remplacer, de l'agrément du 
magiftrat. Cette requête, de 1705 (^), en fournit la preuve : 

Supplie très-humblement , Jacques Febvrier, maître manufaflurier 
de faïence établie en cette ville , sous Tautorité de vos Seigneuries , 



(1) Registre n, folio 146. 



J, FEBVRIEH, FAlËNCIEn. ij 

disant qu'il n'a rien omis, depuis cinq a«M qu'il est établi, pour faire 
fleurir sa manufafturc , en faisant sutisiftcr en cet endroit quantité de 
familles & d'ouvriers, mais voyant que U maison qu'il occupe n'ell 
nullement commode, & que le four conftruit aux frais de cent ville 
menaçait ruine, que le suppliant l'a réfeilionnée à ses frais, A que 
d'aillïurs il est ndceUaire de faire un moulin à broyer plombures par 
un cheval , & autres bâtiments pour l'accommodement & soutien de 
la maaufaflure, à quoi le propriétaire ne voudra point donner les 
mains ; il a pris le parti d'acheter ladite maison & la rendre commode 
â son usage, par des bâtiments qu'il se propose de conftruire ; si 
vos Seigneuries ont la bonté de seconder sa manufacture, il se pro- 
pose de l'aire la manulaclure de carreaux à la façon d'Hollande, qui 
ne s'eli point tncore fait dans le pays. Le suppliant a si bien réuffi 
jusqu'à présent, que sa mardiandise fabriquée en cette v'iWa poste 
^our faite dans la Ilallande, & cela ell si vrai qu'on a toujours préféré 
*3 marchandise à celle qu'on faisait à Tournai. 

C'cfl pour cela, Meffieurs, que se trouvant un four vacant à 
Tournai , le suppliant eft fortement sollicité d'abandonner cette ville 
& de s'y rendre ; atin de frustrer cette ville de cet établiffement, on 
lui oitre une pension de cent vinj^t norias par an , le four vacant avec 
tous les ullensiles prfits à travailler; ce qu'il ne veut accepter, vous 
eiant redevable de son établilTemeni & bien persuadé que vos Sei- 
gneuries, toujours attentifs a l'avantage du commerce, ne lui refu- 
seront pas les avantages qu'il pourrait recevoir des magiflrats de 
Tournay, & qu'il se propose d'exposer de gros frais pour son établis- 
sement. Il ose se tiatter que vous aurez la bonté de lui augmenter sa 
pension jusqu'à cent tlorins , au lieu de cinquante , de lui faire ériger 
un nouveau four & un moulin ù broyer, avec l'exemption des droits 
sur la bierre; le faisant, etc., etc. 



Apoltille : 



Vue la requête . ouï le procureur de cette ville qui nous a raporté 
que le nijpplianl a acheté la maison en qucflion & qu'il y a fait des 
bâtiments considérables pour l'usage de sa manufa£hire, même un 
four & un moulin à broyer plombures, & le rapport des députés 
ordinaires qui se sont rendus i, Tournai & qui ont communiqué A 



38 us POTIERS DK TERKE. 



Monseigneur de Bagnols, intendant du Pays, la présente requête, 
& tout considéré , nous avons accordé au suppliant la continuation 
de la pension annuelle, qui e(l de cinquante florins, pendant trois 
années commencées à l'expiration de la dernière année, l'exemption 
pour les bierres & trois cents florins une fois, qui serviront en partie 
aux frais que le suppliant a exposés pour faire le four & le moulin 
mentionné par la présente requête, conformément à l'agrément 
donné par Monseigneur de Bagnols à nos députés ordinaires. 

Fait en conclave, le lo octobre lyoS. 

Signé : G.-F. LEROY. 

Une lacune dans les archives ne nous a pas permis de 
donner la date exafte de la fubftitution de Febvrier à Ber- 

s 

nard de Neuilly. Nous n'avons pas trouvé trace de la déli- 
bération par laquelle cette pension annuelle de cinquante 
florins lui avait été allouée , mais les regiftres d'impôts , qui 
mentionnent, en 1699, Bernard de Neuilly conune occupeur 
de la fabrique rue Princefle , portent en 1 700 , au lieu de 
Bernard de Neuilly : « Pour un faiseur de faïence dont n'a 
> été reçu par les compteurs aucune chose , ayant son louage 
» payé de la ville. » 

De plus, nous avons vu figurer, dans le registre aux 
ordonnances de paiement, les deux mentions ci-après : 

Le 29 octobre 1700, fait billet d'ordre à J. Febvrier, manufafturier 
de faïences , de 200 florins , qui lui ont été ci-devant accordés pour 
réparation de son four, et ce sur requête & apoftille du 25 de ce mois. 

Le 5 juillet 1704, billet d'ordre à J. Febvrier, de 5o florins, la 
2™« année de trois , de gratification en vue de la continuation de son 
établiflement , en suite de l'ordonnance Si requête du 23 man? 1702. 

Ces deux requêtes, de 1700 & 1702, manquent aux 
regiftres. Cette fois, du refte, la malechance était définiti- 



J. FEBVRIER, FAÏENCIER. SQ 

vement vaincue. Les progrès de la manufaôure ne s'arrêtent 
plus; auffi, à partir de 1705, les documents adminiftratifs 
deviennent-ils plus rares , & Febvrier, en poffeffion définitive 
de sa manufaûure, n'ayant plus à lutter contre les difficultés 
qui ont entravé son établiffement , n'a plus besoin d'avoir 
recours à la bienveillance du magiftrat qui, sans se lailTer 
rebuter, avait si obftinément favorisé les débuts de l'induArie 
nouvelle. 

Dès les premières années du XVIir siècle, Febvrier appelle 
à lui des ouvriers capables ; il fait venir de Nevers , Etienne 
Borne y peintre faïencier, qui épouse le 2 mars 1704 Catherine 
Lefranc ; & il était déjà depuis quelque temps à Lille , car 
les fêtes du baptême fuccédèrent sans interruption aux fêtes 
du mariage. Madame Borne nous pardonnera cette indis- 
crétion rétrospediive utile à l'exaQitude chronologique de 
notre récit. 

En 1708, nous trouvons une ordonnance de l'intendant 
Maynart de Bemières , qui autorise Febvrier à tirer quarante 
blocs d'étain des Pays-Bas espagnols, aux droits accou- 
tumés. 

Le 4 février 17 10, le magiftrat, « attendu qu'il a parfai- 
» tement réuffî dans son établiffement , & que , si l'on ne 
» doit pas empêcher le commerce des faïences par des 
9 étrangers , auxquels il eft loisible de les venir vendre dans 
» cette ville, soit en gros, s'ils le trouvent bon, soit en 
» détail dans des boutiques, il ne peut leur être permis de 
9 faire des vendues publiques, > interdit au sieur Pierre 
Fauquet , de Tournai , de venir faire en cette ville des ventes 
publiques de faïence, (i) 



(1) Carton aux avis do procureur svndic , année HIO. -- Le Fauquet dont il est ici 
yatiuu aat Faiéiil de Jean-Baptiste Fauquet, le célèbre faïencier de Saint-Âmand. 
(Voir è ce sujet le livre de M. Lejael.) 



40 LES POTIERS DE TERRE 



Et enfin en 1722, comme preuve de l'extension de la 
manufadure, le livre aux saisîtes de maisons nous fournit une 
requête de Febvrier, qui expose : 

Que pour sa commodité & agrandiffement de sa manufaélure , il 
est intentionné de faire un bâtiment à front de rue , sur une partie 
d'un grand fond de jardin qui lui appartient, situé rue Princefle, & 
souhaiterait d'y établir un nouveau four, à Topposite de celui qui eft 
à sa dite maison ; lequel bâtiment il demande de pouvoir faire pour 
façade & devanture , suivant plan joint à la requête. 

Le 22 août 1722, sur Tavis du commis aux visitations de 
maisons , le magiftrat accorde la permiflîon de bâtir confor- 
mément au plan visé , & de faire le tout à l'intervention du 
clerc d^îs ouvrages. 

Enfin, en 172}, Febvrier, devenu propriétaire de la maison 
du Bel'Jir, où était établi sa manufaûure , fut taxé , tant 

m 

pour les conftructions anciennes que nouvelles, à 200 florins. 
C'était une augmentation de soixante-cinq pour cent environ, 
la taxe antérieure étant de vingt livres de gros. 

La prospérité de la fabrique ne fit que grandir jusqu'à 
l'époque de la mort de Febvrier, qui arriva le 27 avril 1729. 
Mais avant de continuer l'hiftoire de la manufaSure sous ses 
succefTeurs , occupons-nous un inftant des produits sortis de 
ses ateliers, de 1696 à 1729. 

C'eft à cette première période de fabrication qu'appartient 
l'autel portatif de Sèvres , qui eft venu révéler aux colleftion- 
neurs l'exiftence de la fabrique dont nous écrivons l'hiftoire. 

On lit sur cette pièce : 

FECIT JACOBUS FEfiVRlBR 

INSU LIS IN FLANDRIA 

ANNO 1716. 

PINXIT MARIA STEPHANUS BORNE 

ANNO 1716. 



J. FEBVRIKR , FAÏENCIER. 4I 



A première vue , c& n'était Tinscription , cet objet , de Tavis 
de MM. Riocreux & Albert Jacquemart, serait attribué à 
Rouen - « Matière , forme , peinture , tout semblait déceler 
à rinduftrie rouennaise, tout jusqu'à l'habilité des arabesque? 
> & la faibleffe relative du deffin d'un christ en croix for- 
1 mant le tableau principal. >(^) 

L'on pourra juger du mérite de cette décoration par la 
chromolithographie (planche N"" i) qui reproduit en grandeur 
d'exécution la moitié du décor tracé sur le soubaflement 
de l'autel. 

Du refte, cette similitude de décor entre les faïences de 
Rouen^& certaines faïences inconteftablement fabriquées à 
Lille, similitude signalée par MM. Riocreux & Jacquemart, 
trouve son explication rationnelle dans ce fait que des artiftes 
de la même famille & de la même école ont succeffivement 
travaillé dans ces deux villes. C'eft ce que nous allons établir. 

La famille Borne, originaire de Nevers, a fourni des 
peintres aux manufaûures de Rouen, de Lille, de Sinceny 
& de la Belgique. Voici, d'après M. Dubroc de Segange^*^ , 
qui a publié un si remarquable & si consciencieux travail sur 
les faïenceries nivernaises , la généalogie des Borne : 

Borne, Henri, faïencier à Nevers, mort le i5 mars 171b. 
C'eft à lui qu'il faut attribuer, dit-il. des statuettes en 
faïence d'un travail remarquable , qui datent de la dernière 
moitié du XVir siècle. L'une marquée H. B.. datée de 1689, 
représente saint Henri ; elle appartient au musée de la ville 
de Moulins ; une autre , qui représente saint Etienne , eft 



(l'j Gasette àeê Beaux- Jrts, tome II , p. 147. 
(2'> La feïence et les faïenciers de Nevers, 1863. 



42 LES POTIERS DE TERRE. 



également datée de 1689, & P^rte en toutes lettres cette 
inscription : 



H. BORNE. 



Cet Henri Borne eut quatre fils : 

Etienne, né à Nevers. le 14 septembre 1672. (C'eft le 
peintre lillois.) 

Pierre , peintre en faïence , époux de Monique Thonnelier, 
né le 8 février 1695. 

Jean , marchand faïencier. 

Claude, né le 28 décembre 1699, peintre en faïence. 

Ce dernier quitta Nevers pour Rouen où il peignit deux 
plats très-remarquables. Le premier, daté de I7Î6, représente 
les Quatre Saisons; l'autre, de I738, Diaiie surprise au 
bain par Jctéon, Tous deux sont signés claude borne. 

De Rouen, il palfa en Sinceny, en 1751, & de là, il fut 
appelé à Tournai en 1752, avec son fils & deux autres com- 
pagnons , pour travailler dans la manufacture qu'un nommé 
Peterynck , natif de Lille , venait d'établir dans cette ville ; 
mais il n'y séjourna pas longtemps , car dans la même année 
1752, il se rendit à Mons dans l'intention d'y fonder lui- 
même une fabrique de faïence. 

Puisqu'incidemment nous avons été amené à parler de 
Tournai , en racontant les pérégrinations de Claude Borne , 
signalons en paffant ce fait curieux : 

En 1696, c'eft de Tournai que le magiftrat de Lille fait 
venir J. Febvrier. & un demi-siècle plus tard, Peterynck. 
natif de Lille, désirant établir une manufafture dans cette 
première ville, où il n'en exiftait plus, fait valoir, dans sa 
requête au gouverneur des Pays-Bas, que les faïenceries 



J. FEBVRIEB , 



établies a Lille & à Saint-Amand levaient les terres néces- 
saires à leur fabrication , dans le territoire de Sa Majefté. <& 
qu'ensuite ils livraient leurs faïences aux sujets de ce même 
pays. Dans l'espace de cinquante ans environ , cette itiduQrie . 
on le voit, s'était complètement déplacée au profit de la ville 
de Lille. 

L'oâroi pour l'établi ffement d'une manufadure de porce- 
laine, faïence & brun de Rouen, fut accordée pour trente 
années à Peterynck, le i avril i75i"*. Quant a Etienne 
Borne . il vint se fixer à Lille , au commencement du fiêcle ; il 
épousa, nous l'avons dit, le 4 mai 1704, Catherine Lefrancq, 
dont il eut un fils, J.-Etienne. Febvrier fut un des témoins 
de son mariage & le parrain de son fils. 

Etienne Borne mourut le 16 octobre i75o, a Và^a de 
78 ans. n'ayant jamais celle de travailler dans la iabnque 
fondée par J. Febvrier. Son fils fuivit d'abord la même car- 
rière (maître peintre, dit son acte de mariage avec Magdeleine- 
Michel Builîne); mais il ne fit pas que de la décoration sur 
faïence, car dans le catalogue de l'exposition de peinture 
qui eut lieu a Lille, en ifji. nous avons trouvé deux tableaux 
en son nom , & nous connaiflbns dans cette ville un portrait 
signé de lui. En 178Î, il était doyen des peintres, membre 
de l'académie de peinture & adjoint pour la décision de.'^ prix 
de l'école de deffin. 

Ceci bien établi, revenons aux faïences de Febvrier. 

L'exposition universelle, dans la section de l'Hiftoire du 
Travail, nous a montré un autel portatif du même genre que 
celui du musée de Sèvres : mais dans celui-ci , qui est la 
propriété de M. le marquis de Liesville, les ornements, bien 



(1) C'esla M. Alei. f^ncLarL . cli«f de £•: 
qge nons dcTons ircf iitténatt leaseigat:. 



I nrcbivca du myaume, à Brnxetlot , 



44 LES POTIERS DE TERRE. 



qu'appartenant à la même école, sont moins artiftement 
traités , & le tableau central eft remplacé par un dais d'her- 
mine qui abrite un socle en relief, sur lequel était placée 
une fiatuette de la vierge, dont le monogramme se lit sur 
le fronton de Tautel. Nous copions l'inscription qu'il porte 
au revers : 

JACOBUS FEBVRIER FECtT 

ET DEDIT 

VEDASTO LUDOVICO LE JEUNE 

PRESBITERO ET VICARIO 

S^* ANDRBiE 

INSULIS m FLANDRIA 

ANNO 1716. 

JOAlfHW PRAirCtKUS. 

JAGQUVS PHfzrr. 

Cette inscription nous révèle un nouveau nom de peintre, 
élève d'Etienne Borne , à ajouter à la lifte des peintres céra- 
miftes lillois. • 

Nous avons enfin trouvé à Lille un troifième autel , plus 
ancien ;-celui-ci ne porte ni date ni signature & diffère des deux 
précédents comme architecture. Les pilaftres engagés sont 
remplacés par des colonnes, & sur la table d'autel sont 
reproduits , en ronde boffe , des vases de fleurs & des chan- 
deliers. Le tableau représente saint Nicolas reffuscitant les 
trois enfants qui sortent du saloir traditionnel. Nous avons 
offert cette pièce au musée de la ville. 

Si , comme le prouvent les pièces signées que nous venons 
d'énumérer, Febvrier, avec l'aide de peintres comme Etienne 
Borne, François Jacques & autres, produisit des faïences 
dans le genre de Rouen , il n'eft pas moins inconteftable pour 
nous , que . grâce aux peintres & aux ouvriers qu'il avait tirés 
de la Hollande, il imitait principalement les produits des 
fabriques hollandaises , si juftement célèbres , & leur emprun- 
tait à la fois & leur forme & leur genre de décoration , que 



. FËliVRiEtt, FAÏENCIER. 



Icelles-ci avaient elles-mêmes copiés sur les porcelaines de la 
Chine & du Japon. 

Dans ce genre, nous pouvons citer comme appartenant à 
la fabrication de Febvrier, une grande potiche bleue décorée 
de l'Ëcu de France soutenu par deux anges agitant des 
palmes. Cette pièce, antérieure à l'autel de Sèvres, doit 
dater de 171 ï. C'eft le témoignage patriotique du faïencier 
qui célébrait le retour de Lille à la France, à la suite du 
traité d'Utrecht. 
I C'efl à la même fabrication qu'il faut donner auffi ces 
rplats creux, à larges cotes de melon, dont quelques-uns 
portent sur le fond les trois fleurs de lis de l'écu de France. 
Nous en avons trouvé signés au revers d'un F de trois à 
quatre centimètres. 

Nous attribuons également à Febvrier les aiguières, les 
bouteilles à palTants, qui sont décorées, soit en relief, soit 
en peinture, de la fleur de lis, armes de la ville, que les 
artisans de cette époque appelaient la f]eur de Lille. 

Il exifte auffi, au musée céramique, un objet en faïence 
qui, par sa date & par le souvenir local qu'il consacre, 
appartient inconteftablement à la fabrique de Febvrier = c'eft 
une plaque rectangulaire cintrée par le haut, entourée d'or- 
nements peints en camaïeu bleu & représentant en bas-relief 
le profil de Joseph Clément , prince du Saint-Empire & 
archevêque de Cologne, qui fut. en 1707, sacré dans cette 
ville par Fénelon. Une médaille fut frappée à Lillel'\ pour 
perpétuer le souvenir de cette solennité, qui eut lieu dans la 
collégiale de Saint-Pierre , ai la plaque de faïence en queftion 
reproduit, de façon à ne laifler aucun doute, le profil de 
l'archevêque, tel que le donne la médaille commémorative. 



(M Vif Hende, flfumiimalique Lilhitt, p. 207.) 




46 LES POTIERS DE TERRE. 

Le musée poflede auffi , de la fabrication de Febvrier, un 
encrier ajouré & décoré d'arabesques en réserve , sur fond 
bleu , qui rappellent tout-à-fait le décor de l'autel de Sèvres. 
Cette pièce est datée en deflbus : 1715, et au centre des 
arabesques ajourées, dans une réserve sont inscrites les L 
entrecroisées, chiffre de Louis XIV, telles qu'elles ont été 
sculptées sur quelques-unes des portes de la ville après 1713, 
date du traité d'Utrecht qui rendit définitivement notre ville 
à la France. 

Nous allons maintenant suivre le développement de la 
fabrique de Febvrier sous ses succefTeurs. 




4^ FAÏENCES LILLOISES. 



meubles & immeubles, sa manufaflure de faïences, uftensiles ëi 
matières y servant, & tout ce généralement quelconque qu'il délais- 
serait à son trépas , au cas qu'il viendrait à précéder Marie-Barbe 
Vandepopelier, sa seconde femme , compétent & appartiennent à 
Adrien- J*» Febvrier, son fils , qu'il a retenu de Catherine Duvivier, 
sa première femme, à l'exclusion de Marie-Thérèse-Joseph-Rocq 
Febvrier, sa sœur consanguine , la privant , pour causes à lui con- 
nues, de sa succeflion, imputant même à compte de sa légitime, à 
laquelle il a déclaré la réduire , tout ce qu'il lui a donné en mariage. 

Ces causes d'exclusion, connues de Febvrier, nous les igno- 
rons; mais ce que nous savons, c*eft que la veuve Febvrier prit 
tout naturellement le parti de sa fille & de son gendre , & 
qu'un procès s'engagea entre elle & Adrien Febvrier, pour la 
poflTeffion de la manufaûure. Au cours dudit procès, la veuve 
Febvrier, affociée à Bouffemart , son gendre , adreffa au roi 
une requête (1) que nous donnons in extenso aux pièces jufti- 
catives & que nous ne ferons ici qu'analyser pour abréger 
notre récit. 

Elle demande dans cette pièce : 

1^ L'autorisation d'établir de nouveaux fours. 

2^ L'interdiftion , pour de nouvelles fabriques , de s'établir à Lille 
& à douze lieues à la ronde. 

3® Le titre de manufafhire royale. 

4® La faculté de faire venir chaque année d'Angleterre, & aux 
droits accoutumés , mille livres d'étain & deux mille livres de plomb. 

Et elle faisait valoir, pour obtenir cette faveur : 

Que les requérants font des ouvrages si beaux & de si bonnes qua- 
lités qu'ils sont préférés à ceux de Hollande, non seulement en Fhndre, 



(1] Affaires générales, carton 1158. 



V™ FEBVFIEB ET UOUSSEHART. 49 

tuait encore par les marchand» de Paru , & qu'en raison de ce que leur 
manufacture est sans contredit la plvs importante d» royaume, ils onl 
lieu d'espérer que Sa Majeflé ne leur refusera pas la grâce de l'ériger 
en manufailure royale, comme elle a érigé celle établie à Bordeaux 
par Jacques Hustin, & celle fondée à Montpellier par Jacques Ollivier, 
fit leur permettra de faire venir d'Angleterre , pendant vingt années , 
la quantité de dix mille livres pesant d'étain , & vingt raille livres de 
plomb, aux droits accoutumés j les suppliants ne pouvant se servir 
des plombs & étairs d'Allemagne qui, se trouvant mêlés de cuivre, 
les obligent, pour les fondre, de faire cuire davantage leur faïence, 
ce qui la rend plus fragile. 

Cette supplique, qui prouve l'inconteflable importance de 
la fabrique de ]a veuve Febvrier, nous révèle, en même 
temps , l'exiftence de deux manufa£lures royales . à Montpel- 
lier & à Bordeaux, dirigées, la première par Jacques Ollivier, 
la seconde par Jacques Huflin. 

L'hifloire de ces deux fabriques efl encore à faire. (') 



Jl) M. J. C. Davillora, lions une brochure sur les mmiuiiiclures de faïences méri- 
dioasles, dit à propos de MnaipEllicr : " D'upras uo pi^tit livre publié dana cette ville, 

• en ITSI) , il existait , dnnE les fiubourgs île celle ville, des mnoufaclurea u'um ntts- 

• HLLK rûixcs ; là bo bonie ce renstignemeal. •> 11 tjcute : 

. ■ M. A. GormaiD, dana tes recharciies qu'il d faitee pour sod eicellcnla hUloire du 
I • commerce de Monlpellier, o'n rien rencontré I ce sujet. Je suis soulemont , a-l-il eu 

• l'obliffeance de m'écrire, qae vers 1700, un cerlBla Pbilip itsblil ik Monipollier uutt 

• Gihriqne de fuïencea. Un de DUS unialeurs les plus dialiugoés, M. Édounrd PaBoal. 
> a bien voulu , de sod cCié , me fournir quelques renseigacmeats. tJne de» peiilea 
n filles da ralancier AndrÉ Philip , In dame Gervais , aujourd'hai trËs-Agës, se rap- 

• pelle nyoir vu , dans ses premières années , les snnoiries royales sur la porte de la 

• manufaclure. - 

Cet différentes fabriques sont poslcrieares , en le voîl, h celle de Jacques Ollivier, 
qui itji en 1*739, d'eprès la requfila ci-dessus, jouissait du litre de mauitfactura 
royale. On Irouvcraïl pcol-Btre aui archives générales, soit la requSle de J. Ollivier, 
Euil l'arrSt qui lui confère le privilège. ( JVotr de la prrmUre ^dïlioit,) 

D'aprïs M. Jacquemart, la fabrique de Hastio, fondée b Bordeaux en 1114, était 
représentée , dans les viLreries de l'histoire du Iravail , par cinq spécimens provenant 
de la vaissellsrio de la Charlreose de colio ville. Des bordures polychrûma» , a 
nasquea el Hnceaui , de style Louis XJV. entourent deni écus , l'un d'évfiqne , l'aulra 
de megiilrat. ( Gatelle dei Beùu^-Jrli, 1661.) 



5o FAÏtNCBS LFLLOrSES. 

Copie de cette requête fut communiquée par les ordres de 
l 'intendant aux magiflrats de Lille & à la Chambre de Com- 
merce, & le 4 août 1729, le Magifirat protefta contre les 
conclusions de ladite supplique, mais seulement au point de 
vue du monopole réclamé : 

Ils représentent avec respeifl qu'ils ont exercé en tout temps le droit 
de police que le souverain leur a accordé, etque le feu roi les a con- 
firmés dans ce privilège par la capitulation de Lille de 1667. 

Ça été en vertu de ce droit qu'ils permirent, passé 25 ans, à 
J. Febvrier, d'établir à Lille la manufacture de faïence, et ça été par 
les avantages que les magiflrats lui ont procuré depuis ce temps , 
qu'elle est panenue dans sa perfection. Febvrier avait dês-Iors demandé 
un privilège exclusif qui lui fut refusé , St c'cft pour cela qu'il y a à 
Lille deux manufafluresl') qui font île très-beaux ouvrages & où il y a 
du choix. 

Les privilèges exclusif ont toujours été regardés si préjudiciables 
au bien et à l'avantage du commerce et des manufafhires , qu'ils n'ont 
pas eu lieu dans les provinces de Flandre ; tout le monde sait que plus 
il y a d'artisans et manufactures, plus il y a d'émulation, & c'efl par 
ce moyen que les manufaftures fleurissent & augmentent, & qu'elles 
produisent un avantage ù l'État et aux villes où elles sont établies. 
Le privilège aurait pour résultat de faire sortir de Lille cette manu- 
faflure, pendant qu'elle y eft tlallie dans toute sa perfection. Les 
magiflrats laissent au Diredeur & Syndic de la Chambre du Com- 
merce, de s'expliquer sur le préjudice que peuvent causer les privi- 
lèges exclusifs au bien & à l'avantage du commerce ; ils espèrent 
que M. l'Intendant aura la bonté de rendre un avis favorable, afin que 
la requête de BoufTemart & de sa belle-mère soit rejetée. 

Quant à la Chambre de Commerce, elle appela Adrien 
Febvrier. lui donna leûure de la requête de sa belle-mère & 
lui demanda un mémoire écrit à ce sujet. 

Dans ce mémoire . Febvrier s'élève tout d'abord contre le 



re élût eella de DOBEZ duol 



' FEBVRISn ET BOUSSBMjIRT. 



irivilége ; il fait valoir ses droits et ceux de la veuve Dorez & 
' de ses trois fils, qui dirigent la manufacture fondée par leur 
père . & qui se sont appliqués depuis leur jeunesse , unique- 
ment à cette profeffion. Il insifle principalement sur cette 
L considération, que la requête de sa belle-mère n'eft qu'une 
pvoie indirefte par laquelle elle veut le priver de l'effet du 
testament de son père, en lui opposant un arrêt du Conseil 
qu'elle se propose d'obtenir & qui lui concéderait personnel- 
lement un privilège. 

Nous n'avons pas trouvé le texte des conclusions de la 
Chambre , mais ses opinions bien connues nous permettent 
d'affirmer que, d'accord avec le Magiftrat, elle se montra 
contraire aux intentions de la veuve Febvrier. en ce qui 

^ concerne l'obtention d'un privilège exclusif, & son opposition 
sur ce point particulier fut sans doute la cause qui empêcha 
les solliciteurs d'obtenir pour leur manufacture de faïence le 
titre de manufaÛure royale qui fut concédé plus tard à leur 
verrerie. Quant à la propriété de l'usine, une transaction 
intervint sans doute entre les parties, puisque, bien qu'un 
jugement des échevins rendu le 29 juillet 1729 ait maintenu 
les prescriptions du testament, ce fut décidément la veuve 
iFebvrier qui continua l'exploitation de la manufadure. 
I Des pièces que nous venons d'analyser on peut conclure -. 
que si le Magiftrat s'opposa énergiquement & avec raison . à 
la concession d'un privilège exclusif, il n'en certifie pas moins 

^que la fabrique était arrivée à sa perfection. Et sans prendre 
à la lettre les affirmations intéreffées de la veuve Febvrier, on 
peut croire que si les produits de la fabrique lilloise n'étaient 
pas supérieur^' (ce sont les termes de la requête) aux faïences 
hollandaises, ils se vendaient au moins concurremment avec 
I elles, aux marchands de Paris & de la province. 

Trois ans plus tard, enhardis par les succès pa'^sés. la veuve 
Febvrier & Boussemart adressèrent au Magiftrat une nouvelle 



52 faïences lilloises. 



requête. Il s'agissait cette fois d'obtenir la permission d'établir 
à Lille une verrerie. 

Ils offrent de 1* entreprendre, avec l'espérance de la rendre auflî 
florissante que leur manufacture de faïence , qui eft aujourd'hui la 
plus considérée de V Europe ^ par la grande quantité d'ouvrages qu'on 
y fait, dont la fabrique & le débit font subsifler plus de quatre cents 
familles, & pour faire voir combien la manufaâure de faïence efl 
aujourd'hui floriffante , l'on joindra au présent mémoire l'état par le 
détail de son contenu ^ & tel qu'il eA à présent, qu'on ofiTrede juflifier. 

État de la manufacture de faïence de h. veuve Fèbvrier et du 

sieur Boussemart, son gendre. 

Trois fours pour cuire la faïence, deux conlhxiits à la façon de 
Hollande, & le troisième, qui efl double en grandeur, cuisant au 
moins par an 1,287,600 pièces de faïence, toutes pièces utiles & 
recherchées par le public , de manière que l'on peut dire qu'il n'y a 
point une seule manufa£hire dans toute l'Europe où l'on fafTe une 
aufli grande quantité de faïence. Ce nombre sera vérifié, au besoin, 
par le détail que donne chaque ouvrier, des ouvrages par lui faits. 

Lesquels trois fours consomment, tous les ans, 60,000 faisceaux 
de bois-blanc. 

Un quatrième four qui sert à calciner le plomb & l'étaîn dont la 
consommation est, savoir : pour l'étain, de six mille livres, & quant 
au plomb, de douze mille. 

Deux grands moulins dont l'entretien efl de six chevaux^ composés 
de douze lanternes & meules servant à broyer les couleurs , tant en 
blanc qu'en bleu & autres, chaque meule broyant cent cinquante 
livres de matières. 

TERRE BT SABLB. 

Quatre cents charretées de marie de Grugeons (i), 
Quatre bateaux de terre rouge tirée près la ville d'Aire , 



(1) Qmson, village de rarrondissement de Lille, près la frontière belge, à deux 
lieaes de Tournai. 



Un bateau de sable venant du Saz de Gand, 

Un demi-bateau déterre noire qui se tire proche d'Arras, 

Douze charretées d'argile, 

Deux tonnes de saffre, qui eft un bleu des Indes, 

Quatre tonnes de bleu d'ampoifle, 

Mille livres de potalTe , 

Quatre mille livres de soude d'Alicante, 

Quatre cents livres de l'étarge d'or, 

Deux cents livres de Périgor tirées du Périgor, 

Cent livres de rouge , 

Six cents li\Tes de mine de plomb, 

Cent livres d'antimoine, 

Cinq raille livres de sel blanc , 

Sept mille livres de plomb affiné, 

Deux cents livres de limures d'épingles, 

Et cinquante autres choses non spécifiées ci-delîus. 

Douze moulins dont douze tourneurs , tournant l'un parmi l'autre 
I trois cents pièces d'ouvrage chaque jour, 

Uo carreleur qui travaille au moins soixante mille carreaux de 
I Eaience par an; 

Une femme qui fait tous les ouvrages moulés , au nombre de vingt 
mille par an ; 

Quinze peintres pour la peinture des ouvrages qui sont mis en 
couleur & qui gagnent , l'un parmi l'autre , cinquante patars par jour 
L chacun [ te patar valait six centimes un quart ) ; 

Un plombeur & son manœuvrier, qui mettent le blanc sur tous les 
■ouvrages ; 

Cinq enfourneurs pour ranger les ouvrages dans les fours, & dont 
P trois sont aufTi cuiseurs , 

Deux laveurs de terre ; 

Quatorze manœuvriers dont l'emploi est de régler les ouvrages & 
de les mettre en état d'âtre cuits; 

Un Ëtampeur de plombure et conducteur de chevaux ; 

Un fendcur de boîs pendant l'année , 

Un empailleur, 

Et un nombre de neuf apprentis, 

Et enfin le nombre de cent mille pièces ou environ , tant en cailTcs 



54 FAÏENCBS LILLOISES. 

pour cuire la faience , que mottes , carreaux , trépieds , jambes de 
chien, planches et autres outils à l'usage de ladite manufaâure , non 
ici spécifiés. 

Ils ajoutaient : 

L'état qu'ils donnent de leur manufaâure n'efl que pour faire 
sentir combien il sera avantageux à la ville d'y établir aufïï une 
verrerie; on sait que c'eft par le commerce & les manufaâures établies 
dans Lille , que cette ville est tant renommée & rendue célèbre ; c'efl 
véritablement au commerce de ses manufaâures qu'elle doit Thonneur 
& les richefles qu'elle poflède. 

Les suppliants énumèrent ensuite toutes les dépenses qu'ils 
auront à faire pour la conftruaîon et rapprovisionnement de 
cette verrerie , & sollicitent en conséquence divers secours & 
exemptions.(i) 

Le Magiftrat, favorable en principe à rétabliffement , était 
retenu par la crainte que la grande consommation de bois 
qu'entraînerait cette nouvelle induftrie , n'en élevât confîdéra- 
blement la valeur pour les particuliers. Il consulta la Chambre 
du Commerce , qui répondit par un mémoire intéreffant que 
nous donnons auffi aux pièces justificatives ; disons seulement 
ici , qu'il concluait énergiquement en faveur de Bouffemart. 

Enfin , après deux années de discuffîons , par un arrêt du 
Conseil d'État du 5 avril 17} 5, le Roi autorisa la veuve 
Febvrier & Bouffemart à établir à Lille une verrerie et : 

A y fabriquer des ouvrages de verres, criftaux et émaux, à l'excep- 
tion des verres à vitres & à bouteilles; leur permet de faire mettre au- 



(1) Voir cette requête in extenso aux pièces justificatives 



' FBBVRIBR ET B0US5EMAHT. 



deflus de la principale porte d'entrée de ladite verrerie, un tableau â 
ses aimes , avec cette inscription : Vehrekie royale , & d'y avoir un 
portier à la livrée de Sa Majesté. 



Cette verrerie fut conflruite sur des terrains contigus à la 
faïencerie, ruePrincefle, & achetés par BoufTemart. 

Sans prendre à la lettre l'affirmation de BoufTemart, qui 
donnait sa faïencerie comme Li plus imporuinre de l'Europe, 
on eft forcé d'admettre que les pièces produites par lui. offi- 
ciellement apoftillées par le magiflrat &. la Chambre du 
Commerce , & adrefTées au Conseil d'Ëtat par l'intermédiaire 
de l'intendant de la province, étaient l'expreffion vraie d'une 
situation induflrielle importante & prospère. Bientôt même 
les deux grands moulins aux émaux qui exigeaient l'emploi de 
six chevaux, ne suffisent plus, et le itavrilivJS, Bouflemart 
prend en arrentement pour cent ans, de l'abbesse de l'hôpital 
Comteiïe, six cents de terre situés à la porte St. -André, &y 
failconftruireen briques un vafle moulin mu par lèvent, pour 
préparer l'étain et le plomb, à condition de payer chaque 
année, pour droit de vent, le jour de la Magdeleine. une 
razière de blé & un chapon. L'année suivante, il achète 
également de l'abbeffe de Marquette un vaste terrain non 
loin de son moulin; terrain sur lequel il fait conftruire des 
maisons d'ouvriers , des écuries & des remises pour ses 
chevaux & chariots, & quatre grands baffins en briques à 
usage de laverie de terre. Enfin . quelque^ années après . il 
prend encore à l'hôpital ComtefTe 712 verges contiguès au 
terrain sur lequel il avait élevé son moulin . & y fait élever une 
grande maison de plaisance. (Ce sont les termes du registre 
aux impositions.) 

Le moulin &la maison exiflent encore aujourd'hui, & nous 
j reparlerons de cette habitation , qui nous a fourni des spéci- 



mens très-curieux de la fabrication de Bouflemart, quand nous 
aurons terminé l'hiftoire de sa grandeur&de sa décadence. 

En 1749. M. MalTart, subdélégué général de l'intendance 
de Flandre, écrivît au Magiftrat de Lille pour lui commu- 
niquer deux mémoires") qui lui avaient été adreiTés, & sur 
lesquels il demandait un avis motivé qu'il pût mettre sous 
les veux de M. de Séchelle. 

Le premier émanait des sieurs Douisbourg et Saladin qui. 
se fondant sur la grande quantité de faïence que les négo- 
ciants de Dunkerque tiraient de Hollande , demandaient le 
privilège exclusif d'en fabriquer à Dunkerque, avec défense 
d'établir pareille manufaflure à douze lieues à la ronde. Ils 
demandaient en même temps l'entrée en franchise de 600 
livres de plomb & de 2,000 livres d'étain d'Angleterre, pour 
chaque année, & l'exemption de tous droits d'entrée en la 
ville de Dunkerque & toute autre ville. 

Le second était de Bouflemart, qui s'était ému de cette 
demande ; il faisait valoir pour la combattre : 

Qu'il n'avait rien négligé pour perfectionner sa manufaihire, à 
quoi il n'eft parvenu qu'en faisant de grandes dépenses, dont la prin- 
cipale partie a été occasionnée par la variété du goit et la recierche lie 
iona onvriers; que ce n'ell que depuis la paix qu'il commence à jouir 
du fruit de son travail , parce que le commerce des isles de l'Amé- 
rique est ouvert. 

Que le sieur Douisbourg lui a débauché un de ses meilleurs ouvriers 
pour en faire son contre-maître ; que cet établifferaenl sera très-pré- 
judîciable aux droits du Roi , parce que le sieur Douisbourg aura un 
magasin à Dunkerque qu'il remplira de faïence de Hollande qu'il 
déclarera provenir de sa manufaflure & qu'il enverra aux isles, avec 
exemption de ao "/o que le sieur Bouffemart paie sur les matières qui 
lui sont néceffaires. 



1,1) AffBircB ginârstea , i 



V'" FSBVRJKB BT BOJSSEMART. S? 

Enfin, il conclut en demandant qu'il soit fait défense aux 
sieurs Douisbourg et Saladin de continuer leur établiflement, 
& ordonné que le bâtiment soit démoli & que son ouvrier 
lui soit renvoyé. 

Le Magiftrat soumit la queflion à la Chambre de Com- 
merce, dont nous insérons l'avis favorable à Bouffemart aux 
pièces juflificatives , & remit cet avis à M. Maffart, en y 
joignant quelques lignes où il disait : 

Que les manufafHires de faïences établies depuis longtemps à Lille 
méritent d'être favorisées; elles sont une branche de commerce qui 
procure aux étrangers les faïences dont ils ont besoin, & l'envoi de 
ces matières au delà des mers fait vivre un certain nombre de familles 
& circuler l'argent. 

Rien n'efl plus plausible & plus solide que l'avis des directeurs & 
syndics de la Chambre de Commerce, auxquels le Magiltrai se réfère, 
persuadé qu'il serait préjudiciable à la ville de Lille d'accorder au 
sieur Douisbourg ce qu'il demande. 



Ces proteflations ne furent pas sans etfet. car la fabrique 
de Douisbourg fut fermée, parait-Il, un an à peine après la 
date de son établiflement, & c'eft alors, sans doute, que 
Saladin alla établir sa fabrique à Sainl-Omer, en vertu de 
lettres-patentes du 9 janvier 175 1, enregiflrées le g juillet.'') 

Ajoutons que les j^nnoiices-Jf fiches et /1m divers, publiés 
à Lille en 1761, renferment une réclamation intéressante au 
ujet de ta faïencerie de Saint-Omer. 

Dans une brochure intitulée If Patriule urlèsieti, M. de 
Î^uf-Église, ayant déploré qu'il n'exiftait pas en Artois des 
mnufa£ïures de belle faïence, à l'inftar de celles de Hol- 



FAlEHCrS LtLLOIStS. 



lande, de Lille, de Rouen & du Boulonnais, un corres- 
pondant du journal répond : 

Si l'auteur avait écrit son livre dans cette province , il aurait évité 
de pareils faux exposés, parce qu'il n'aurait pu ignorer que dans le 
faubourg de Haut- Pont de cette ville (Saint-Omer), le sieur Lévêque 
dirige une fabrique de faïence à laquelle il aurait pu prodiguer les 
plus grands éloges, tant pour sa bonne qualité que pour la beauté 
des émaux & le goût du dessin. M de Neuf-Eglise aurait été à portée 
de savoir que cet arlifle a remporté le prix de deffin , à Rouen , en 
1750. & que MM. les magiftrats ont fait plusieurs descentes chet loi 
& qu'ils lui ont marqué leur contentement par les certificats qu'ils lui 
ont octroyés & par les exemptions qu'ils lui ont accordées. — C'eft à 
ces certificats que M. LévSque attribue les libéralités dont MM. les 
États de cette province l'ont gratifié, à leur affemblée générale de 
l'année 1758, d'une somme de 1,000 livres, & d'une autre pareille 
en 1759; ce qui prouve la protection & l'encouragement que les 
artiftes trouvent dans cette province. 



Revenons à Lille. — En cette même année 1749, un édit 
ro3'aI autorisa BoufTemart à joindre à sa fabrication de verres 
& de criftaux, celles des verres à vitres & à bouteilles. II 
acheta un vafle terrain rue Saint-Sébaftien , & y fit élever 
d'importantes conflructions avec des dépenses telles qu'il 
^'endetta considérablement. Les premières années n'ayant 
point été heureuses, il compromit la grande position qu'i 
s'était acquise avec sa faïencerie, & en 1756, il se vit fore 
de vendre le privilège de sa verrerie de vitres & bouteille 
à L.-J. Maufrais, Antoine Hubert & C". Cette vente eut lïu 
moyennant le prix de : deujc cent mille livres , somme impu- 
tante pour l'époque, plus un intérêt d'un huitième ans 
l'affaire réservée à Bouffemart, qui en refta le direûeu- 

Mais cette ceffion ne suffit pas à tirer Bouffemart « ses 
embarras financiers. En raison des grands intérêts erjagés. 



v"" FEnvnIF.R ET BOUSSF.MART. 5(J 

le Magiftrat nomma deux syndics à la créance Bouffemart, 
& les créanciers, de leur cùlé, par acte devant notaire, 
constituèrent le 17 janvier 17S8, pour leur procureur géné- 
ral, le sieur Juan-Domingo Deslobbes, avec miffion de les 
représenter et de faire pour le bien de la créance ; même faire 
donner phis d'activité mue mamtfactttres. Celles-ci avaient, 
aux yeux de tous, une importance telle que la liquidation 
définitive ne fut jamais proposée, & que, pendant quinze 
ans, au moins, elles marchèrent sous la surveillance des 
syndics. 

Le 22 avril 1758, par une décision du Magiftrat. le sieur 
Bodin. receveur séqueftre, fut autorisé, pour parachever le 
paiement d'une créance exigible et privilégiée de 24,0c» 
florins . à faire vendre divers objets faisant partie du mobi- 
lier de BouiTemart- 

Des afles notariés O nous ont conservé la lifte des objets 
désignés pour cette vente ; on y voit figurer de l'argenterie 
& des bijoux pour une valeur intrinsèque de Î.SÎ9 florins; 
nous y remarquons aufli des tapifteries de haute lifte, des 
m^,*ublesde damas & de velours; deux tableaux représentant 
le Dauphin & la Dauphine avec cadres dorés, un carofle 
doublé de velours d'Utrecht, une chaise à quatre roues, un 
clavecin ou épinette. Citons encore, parmi les objets en 
porcelaine & faïence, les suivants, à cause de leur dési- 
gnation : 

Deux jattes à la limonade, à la flamande. 
Deux id, id.| à l'itEdienne. 

Deux id. Id., à la parisienne. 

Quatre pièces de garniture de cheminée, à la mode 
de porcelaine. 



(1) AreblTndéptrteiaentBteB, tnliellion 



KAlEHCEa LILLOIStS. 



C'était pour l'époque , on le voit , un mobilier de grand 
luxe; Bouflemart rouLût carosse, & nous n'avons énuméré 
les différents objets ci-defTus, que pour faire voir à quelle 
haute position il était arrivé. 

Du refte, tous ces embarras financiers ne paraiffent point 
avoir trop entravé les travaux de la faïencerie. Les titulaires 
des différentes fermes de la ville, ayant profité de ces cir- 
condances pour lui contefler la jouilTance de certaines 
exemptions de droits , Bouflemart reprend sa bonne plume 
de solliciteur & adreffe à M. de Caumartin, intendant, 
une volumineuse requétef^', dans laquelle, comme toujours, 
il vante sa fabrication & son induflrie; il ajoute : 

Qu'il cH conOanl que le remontrant est, de toute la ville, l'homme 
qui y ait le plus établi de fabriques & toutes portées à leur pcrfeflion ; 
que dans le tems où il est occupé à la perfefiion d'une nouvelle entre- 
' prise , qui ne pourra qu'être utile $i agréable à la ville & «n faire le 
plus bel ornement, on cherche à le priver des gratiâcations qui lui 
ont été accordées; que l'ouvrgac à la perfeflion de laquelle le remon- 
trant s'occupe actuellement , eft une faïence dont la beauté de l'e', 
mrpasit la porcflaîne , et lapeinture turpassem tout ce gui a paru de plut 
Aea» jusgtt'aujovrd^Aiti dans loU3 genres. Les meilleurs peintres , tant en 
ornements qu'en figures, trouveront de quoi à y eiercer leur talent, 
pour l'éclat & la beauté des couleurs qu'il a appropriées , elles sont 
k seraient de nature à pouvoir peindre toutes sorlet de /leurs au natu- 
rel, et même en figure , avec la mime perfection que lur Tivoire et la toile. 
Les peines & les veilles qu'ont coûtées ces recherches au remontrant, 
lui méritent des considérations , & il n'cft qui que ce soit qui voudra 
se donner la peine de voir ces ouvrages , qui n'en convienne , etc. 




M. de Caumartin fit droit à sa requête, & par une ordon- 
nance communiquée au Magiftrat, lui maintint tous ses 
privilèges & exemptions. 



V™ FEBVBIER ET BOUSSBMABT. 01 

A partir de 1762, les renseignements précis font défaut 
pour un moment; mais les regiftres d"impùts conflatent tou- 
jours l'aftivité de la manufaSure. Des aÊles notariés nous 
ont appris, de plus, que la femme & les filles de Bous- 
semart avaient racheté, à de grands rabais, d'importantes 
créances & avaient appliqué au remboursement d'une partie 
des dettes l'héritage de l'une de leurs tantes. En raison de 
ces paiements, elles avaient pris, en leur nom personnel, 
une hypothèque sur la manufacture de faïence ; elles se 
mirent même à la tête de la fabrication, Bouffemart ayant 
quitté Lille pour aller habiter à Arras, chez son fils aine, 
chez lequel il mourut le 2Î septembre 177Î. 

A sa mort, la veuve & les enfants provoquèrent une 
liquidation judiciaire qui ne se termina qu'en 1774. 

Toutes les propriétés furent vendues par M* Leroy, 
notaire à Lille, à la requête du sieur Vandenbuck, cura- 
teur, commis aux biens abandonnés par F.-J'' Bouffemart. 

Voici, en abrégé, les désignations données par le con- 
trai de vente : 

1° Une très-belle manufafHirc de faïence, avec deux portes cochères, 
plusieurs corps de logis & tous bâtiments ndceffaires à la fabrique, 
cour, jardins, écuries, remises, très-beaux magasins, plus deux mai- 
sons y joignantes, front à la rue Princeffe, 

3" Un très-grand moulin en briques , très-bien & solidement 
construit, avec cavessous la motte, logement pour le moulineur, 
grange , écurie, basse-cour ; ledit moulin à usage de broyer les cou- 
ieiirs propres à la manufacture de faïence; le tout sur 119 verges, 
tenu en arrentement de l'hôpital Comteffe. 

3" Une très-belle laverie de terre à faïence , en quatre bafPms très- 
solidement conftruits, entourés de briques, avec écurie, grande 
remise pour les charrîots & travailleurs, maison & jardin, sur un 
terrain en arrentement de l'abbaye de Marquette. 

4" Deux cent cinquante verges , etc., etc. 



62 FAÏENCES ULLOISES. 

Ces immeubles furent vendus par parties et produisirent 
environ 40,000 florins. La faïencerie & le moulin furent 
acquis par un sieur Charles Cornille, ami de la famille, 
qui n'adietait que pour conserver la manufa£lure aux demoi- 
selles Bouflemarl. & qui déjà, en 1760, était devenu acqué- 
reur de la maison de campagne, moyennant 9, 5oo florins. 

Quant à l'outillage de la manufaâure et aux marchan- 
dises fabriquées & en fabrication, elles furent eftimées par 
deux experts; l'un, choisi parle curateur, fut J.-B. Fauquet, 
le célèbre faïencier de Saint-Amand ; l'autre, par les demoi- 
selles BoufTemart, J.-B. Lefranc, marchand faïencier audit 
Saint-Amand. (=) 

Le chiffre de l'eflimation mobilière, faite au point de vue 
d'une reprise en bloc, s'éleva à 17,000 florins. Les demoi- 
selles Bouffemart rachetèrent à la liquidation, pour 10,750 
florins une partie du matériel & des marchandises . & 
continuèrent à travailler en leur nom jusqu'en 1778. 

Nous avons même trouvé une requête , à la date de 1776 , 
par laquelle la veuve Bouffemart & ses filles ont de nou- 
veau recours à l'Intendant, pour la jouiffance des exempt 
tions antérieurement concédées. Elles affirment que leur 
manufadure eft auffi importante que jamais ; qu'elle occupe 
& fait vivre soixante ouvriers &. consomme encore 60,000 
faisceaux de bois. 

Le 28 avril 1778, Anne-Albertine Bouffemart, âgée de 
h ans, épousa Philippe-Auguste Petit, greffier de la mare- 
chauffée générale de Flandre & d'Artois, âgée de 46 ans. 
Les témoins de la mariée étaient les sieurs Hubert & Fran- 



(1) Voila lo lituLire de U seconde faLriqne do Soinl-AmaBd . ^ignslé par la Cileu- 
ilrier gêBÉral de Fiondre el deHainaul, en 1775, coramo la rival do Fonquet, otdpnl 
M Lejael dit onvoir pu relroovar le nom. 



ItEn ET BOUSSEMf 



çois Vandenpopelier, peintres en faïence, cousins iflus de 
germains de la contraâante. 

A partir de celte date, ce fut Philippe Petit qui devint 
titulaire de la fabrique, dont il racheta les bâtiments au 
sieur Comille, en 178Î . & il continua à travailler jusqu'à 
la date de sa mort . qui arriva le 24 décembre 1802. 

La fabrique fondée par Febvrier en 1696, a donc, sans 
sortir de sa famille . continué ses travaux pendant plus d'un 
demi-siècle. 

Tous ces renseignements hiftoriques, trop longuement 
développés peut-être, prouvent surabondamment l'impor- 
tance de la manufaâure lilloise , & , chose étrange , à partir 
de 1729, de cette fabrique qui pendant plus de soixante 
années a littéralement inondé le pays de ses produits, nous 
ne connaifîbns pas une pièce qui porte le nom ou la marque 
inconteflée du fabricant. 

Pour expliquer ce fait curieux . il n'y a que deux raisons : 
iU il faudrait admettre que pendant les soixante années qui 
sont précisément les années de prospérité, il ne sortit de la 
manufacture que des objets communs & vulgaires, indignes 
d'être recueillis & conservés, ou bien il faudrait, à défaut 
de cette raison . conclure avec une logique digne de M . de 
La PalifTe , que les produits de l'usine de Bouffemart sont 
attribués à des fabriques rivales. 

La première raison ne résifte pas à l'examen , quand bien 
même on n'ajouterait qu'une foi reflreinte aux affirmations 
réitérées de Bouffemart, on ne peut admettre que le Magis- 
tral de la ville , la Chambre du Commerce . l'Intendance de 
la province, aient été, pendant un demi-siècle , ses dupes 
ou ses complices, pour lui faire obtenir du roi des privilèges 
succefllfs; mais nous avons d'autres preuves à ajouter à 
celles-ci. Nous avons en elîet trouvé , dans des papiers relatifs 



64 FAÏENCES LILLOISES. 



à la Gouvernance , la faâure d'une livraison faite au duc de 
Boufflers , gouverneur de la province. Cette faSure la voici : 

Etat des vases fournis au jardin du Goui^emeur, par ordre 
de Monseigneur le duc de Boufflers, en I7}8. 

24 grand' vases , sans couvercle, à 25*- Tun. . . . 600^ 

2 id.^ à couvercle , à 3o .... 60 

10 petits vases à 7^ lo' . . . . yS 



735 



En 1748 , à la mort du duc de Boufflers, ils furent rachetés 
pour le compte de la ville de Lille & vendus à l'encan , en 
1767, lors de la suppreffion du jardin du gouverneur. Nous 
retrouverons peut-être un jour l'un de ces vases, qui devaient 
porter les armes du maréchaL 

Les prix de la faâure reproduite ci-deffus , dénotent bien 
certainement, eu égard à l'époque, une fabrication de luxe. 

Voyons maintenant l'inventaire de Fauquet fait en 1774. 
Malheureusement cet inventaire ne contient que peu de 
détails ; c'eft le travail de deux induftriels qui , peu soucieux 
des curieux de l'avenir, ont à fixer une valeur pour la 
reprise en bloc d'un établiflement. Nous allons cependant 
en détacher certains articles : 

florins. 

7 vases couverts y à 5 florins 10 patarts .... 38 10 

53 douzaines aiEettes , à 44 patarts. 116 12 

9 pots à fleurs, à 16 patarts 7 » 

1 3 vases peints, à 2 florins 8 patarts 32 4 

21 soupières 80 » 

10 douzaines de japons, saladiers, plats, compo- 
tiers, cafetières, écritoires^ sauciers, cocqs, 

panniers, à 19^*4' 19^ » 




V»e FEBVRIER ET 



I 



1 fontaine 12 

5 potiches 3 

9 

3 urnes & 2 gobelets 3o 

1 grand moule de vases & plusieurs de plats. . i5 

Plusieurs moules de vases grands & petits. . . 25 

Un moule de terrine & fontaine 55 



Les carreaux , suivant qualité , sont eflimés de six à onze 
florins le cent; bien évidemment ceci démontre une fabri- 
cation autre que la fabrication purement commune; que 
l'on tienne compte surtout qu'à l'époque de l'inventaire 
mobilier (qui s'éleva pourtant à 17,000 florins, nousl'avons 
dit), de graves embarras financiers avaient pesé pendant de 
longues années sur la manufafture , dont la plus grande pros- 
périté eft circonscrite entre les années 17Î0& 1755. 

Relie donc la seconde explication : l'attribution à des 
fabriques rivales. Ceci déplace, sans le résoudre, les termes 
du problème posé; nous nous occuperons de cette recherche 
dans le chapitre que nous consacrerons aux faïences, qui 
portent avec elles, sans désignation de fabrique spéciale, 
une preuve inconteftable de leur origine lilloise. 

Disons maintenant quelques mots des carreaux de faïence 
que nous croyons pouvoir attribuer à BoulTemart. 

Nous avons parlé d'une maison de campagne que ce fabri- 
cant s'était fait conftruire près de son moulin aux émaux, 
à la porte de Saint-André. Le moulin & la maison de cam- 
pagne exiflent encore; cette dernière a été réédifiée en 
partie, mais le propriétaire aftuel a respfté, & nous l'en 
louons fort , la décoration de d»ux appartements à usage 
de salle à manger. Ces deux salles, à boiseries de chêne, 
présentent des panneaux entièrement décorés de carreaux 



66 FA&NCES LILLOISES. 



de faïence , & dans le centre de chaque panneau , les car- 
reaux figurent des tableaux suspendus représentant , en 
camaïeu bleu , des paysages & des marines. Chacun de ces 
tableaux eft formé de quarante-deux carreaux juxtaposés & 
mesure 87 centimètres de largeur sur 75 de hauteur. 

Ces peintures sont signées : 

C: B. M. 

le monogramme du peintre , sans doute. 

Danç la première édition de son Guide de F Amateur de 
Faïefwes , M. Demmin signale une décoration semblable 
dans un cabinet de sous-sol du château de Rambouillet , & 
il attribue ces faïences à la fabrique de Delft. Voici les 
preuves, ou plutôt les raisons qu'il donne de son attribution : 

On croit que le comte de Toulouse , duc de Penthièvre, fils de 
Louis XIV, pour qui Rambouillet fut érigé en duché-pairie, Ut a 
rapportés de Hollande, pendant ses courses comme amiral y entre 1700 
et 1710. 

Quant au monogramme 

c. 

B. M. 

( telle eft la disposition des lettres sur les carreaux de Ram- 
bouillet), voici comment il l'interprète : c Le monogramme 
» qui se lit sur des tableaux flottants à la mer, pourrait 

> biefi être celui du peintre Verboom , connu aussi sous les 
» noms de Van Boom.& Boom, né à Harlem. Il a peint 

> sur la céramie, de 1680 à 1700. 1 

Mais Verboom, Van Boom & même Boom, n'explique 



V™ FEBVRIER ET I 



67 



pas plus G: B. M. que ne l'expliquerait BoufTeMart. 
c'efl la signature , nous le croyons , non du fabricant , mais 
du peintre. 
Du reste, M. Demmin ajoute ; 

Le parquet de la piâce eH également pavé de carreaux , mais ils 
ne sont pas de Delft. On reconnaît l'origine au deflln & à la couleur 
jonquille , nuance de jaune , particulière aux fabriques françaises. 



Bien que nous n'ayons pas encore trouvé le nom du peinlf« 
qui a signé ces tableaux , nous pensons qu'ils peuvent appar- 
tenir à la fabrication de Bouffemart. parce que, selon nous, 
ils ont été évidemment fabriqués pour les salles où ils ont 
été employés, & quant à ceux de Rambouillet, s'ils sont 
identiques, ils doivent venir de la même fabrique; nos 
manufa£turiers , nous en avons la preuve, expédiaient beau- 
coup de carreaux à Paris & même à Rouen. 

Dans la troisième édition de son ouvrage, M. Demmin 
attribue ces peintures à un nommé C. Boumeefler, vers' 
1680. — La maison de Febvrier a été conftruite vers 1740. 
nous l'avons dit. 

Bouffemart n'avait point de marque de fabrique, pas plus 
que les faïenciers rouennais , & nous dirons pourquoi , à noire 
avis, dans le chapitre que nous consacrerons aux faïences 
lilloises. 

Citons pourtant une marque toute accidentelle que nous 
avons découverte sur un porte-huilier en faïence, dont nous 
avons trouvé plusieurs répétitions à Lille & qui pourrait bien 
lui appartenir. Cet huilier, parfois en faïence toute blanche, 
parfois avec quelques filets bleus, porte cette marque ; 



68 PAtSNCBS ULLOtSES. 

qui se ccanpose bien clairement dés trois lettres J . F. B. 
Joseph François Bouflemart. 

La concordance de ces lettres & l'exiftence à Lille des 
pièces ainsi signées, nous paraiffent assez probantes pour 
que l'on fafie honneur à Bouffemart de cette jolie faïence 
dont, nous devons le dire, M. Lejael réclame la propriété 
pour J .-B. Fauquet , dont le nom présente , lui aufïï , les trots 
initiales qui signent cette pièce conteftée. Mais pourquoi 
Fauquet aurait-il signé cette pièce de ses initiales , au Heu de 
la timbrer de la marque spéciale de la fabrique de St.-Amand 
qu'il dirigeait? Adktc sub judice lis est. 




PORCELAINE TENDRE. 
FAÏENCES. 

BARTHÉLÉMY DOREZ. 



1711. 



PRBS l'importante manufafture établie à Lille 
par Febvrier. & par ordre d'ancienneté . vient 
celle de Barthélémy Dorez ; mais celle-ci pré- 
sente un double intérêt , car le but principal 
de cet établiflement fut d'abord la fabrication 
de la porcelaine , ce rêve de tous les faïenciers de la fin du 
XVir siècle & du commencement du XVIUV Les produits 
de la Chine & du Japon étaient pour ces artisans une 
énigme dont ils cherchaient à deviner le mot. La pâte tendre 
fut un des résultats de leurs recherches obflinées , & c'eft 




70 PORCELAINE TENDRE ET FAÏENCES. 

une manufaôure de porcelaine pâte tendre que Dorez vînt 
établir à Lille. 

Nous donnerons ùi extenso toutes les pièces relatives à la 
création de cette manufaSure , car il importe , en présence 
des termes d'un arrêt du Conseil d'État daté de 1720, arrêt 
que nous reproduisons plus loin, de bien établir l'origine 
toute française de cette manufacture. 

Ceft en 171 1 & non en 1708, comme le dit M. Bron- 
gniart dans le tableau chronologique où il résume l'hiftoire 
de la porcelaine, que cette fabrique fut fondée. 1708 eft 
Tannée du siège mémorable qui dura près de cinq mois, 
pendant lesquels Bouffiers défendit si héroïquement la ville 
& la citadelle , & au cours de cette année qui vit arracher, 
pour quelque temps , notre cité à la domination française , 
les habitants eurent d'autres préoccupations que la création 
d'entreprises induftrielles. 

Nous avons, du refte, des titres authentiques à produire. 
Ceft d'abord la requête ci-après : (i) 

A Messieurs le MayeuTy Rewart, Eschevins 

de la ville de lÀUe. 

Le sieur Dorez ayant eu l'honneur de vous présenter des échan- 
tillons d'une nouvelle fabrique de porcelaine , foçon de Chine , qui a 
paru, Messieurs y vous être agréable & dont nos seigneurs députés 
du Conseil d'État d'Hollande, Monseigneur le prince* d'HoUlein, 
gouverneur de cette ville, & autres qui en ont eu connaifTancei lui 
ont fait l'honneur d'applaudir la beauté & le solide de ses ouvrages. 

Ledit sieur Dorez & le sieur Péliflier, son neveu , dénreraieni faire 
leur étailissement en cette ville, s'il vous plaisait, Meffieurs^ avoir 
pour agréable de leur accorder la permiflion d'y en fabriquer, ainsi 



(1) Registre aux Résolutions 19, folio 95. 



BARTHÉLiMY DOREZ. 7I 

que de la faillance, entre autre d'une nouvelle composition qui résilie 
au feu, tant du four qu'autres, sans sccaHer, qui ne sera pas moins 
dgréable & utile au public que la porcelaine dont il vient d'Stre fait 
mention , d'autant plus qu'elle sera d'un prix très-modique. 

Et pour se mettre en état de parvenir & rétabliffement de cette 
manufaâure & la soutenir avec honnêteté dans un temps aulfi 
dérangé & malheureux que celui d'aprésent, il vous plaisait leur 
accorder, par gratification, un logement convenable à cet effet, les 
exemptions des droits S: impôts tant sur la bierre, bois, charbons , 
tourbes, centièmes, qu'autres impositions; la conflruflion des fours 
Sl moulins seulement , laquelle lesdits sieurs Dorez & Pellifller s'obli- 
geraient de rembourser dans la suite, pour être moins à charge à la 
ville; cela pour conserver le peu de fonds qu'ils peuvent poiféder 
pour leurs provisions & autres choses neceffaires , qui se monteront 
plus de quatre mil florins, sans l'entretien des ouvriers, jusqu'à ce 
qu'ils soient en état de pouvoir retirer aucuns fruits de leurs travaux. 
Ils espèrent de vous, Meffieurs, tous les secours poffibles & raison- 
nables pour seconder leurs bonnes intentions dans l'établifTement 
d'une chose aufTi curieuse que utile & qui ne peut qu'augmenter la 
bonne renommée de cette ville qui sera ia tecoade de l'Europe où on aye, 
iusqu'a présent, eu dépareilles fabriques, hors la Chine & les Indes. 

Les sieurs Dorez &Pélîf[îer, pour donner de plus promptes marques 
de reconnaiffance des secours qu'ils espèrent de la ville par vos bons 
offices, pour faciliter leur établiffement, s'offrent de la décharger de 
plusieurs des enfants orphelins ou autres, dont ils pourraient cha- 
ritablement être chargés, les élèveront avec soin dans la véritable 
religion, leur apprenant l'art des fabriques ci-deffus & les rendant en 
état de gagner honnêtement leur vie. 



Apoftille : 

Soit, la présente requête mise 
mis aux logements. 

Fait en halle , le 24 avril 1711. 



en mains des sieurs échevins com- 



figûé G -P. LEROY. 



/eu la présente requête , ouï les commis aux logements , nous per- 
mettons au suppliant de s'établir en cette ville , pour les manufaâures 



7* PORCELAINE TENDRE ET FAÏENCES. 

proposées , auquel effet nous lui accordons un logement pendant six 
ans y dans la maison ayant serei ci-devaJU à la fabrique de s%er$; le tout 
à la diligence des dits commiflaires qui conviendront, à cet effet, 
pour le parfait du bail de la dite maison ; lui accordons l'avance de 
deux mille florins qui seront par lui remboursés à la ville , sans inté- 
rêt y dans les termes marqyés par sa requête , en donnant bonne & 
suffisante caution^ sinon il sera fait aux frais de cette ville des fours & 
autres à usage de sa manufaâure , à concurrence de cinq cents florins. 

Fait en halle, le i5 avril 1711. 

Les échantillons produits avaient séduit le Magiflrat; ce 
n'eft plus une maigre avance de quelques centaines de florins , 
comme il l'avait fait pour la faïencerie de Febvrier, c'eft 
deux mille florins & le loyer d'une maison qu'il accorde 
à Dorez, manufaôurier de porcelaine. .Le Magiftrat avait 
sans doute été flatté de la pensée que Lille serait la seconde 
ville de l'Europe (Saint-Cloud étant la première pour Dorez) 
où semblable fabrication aurait été établie. Les termes de la 
supplique de Dorez indiquent suffisamment déjà qu'il s'agis- 
sait de créer et non de continuer l'exploitation d'une manu- 
faÊlure. antérieurement établie. Ceci est mis hors de doute 
par les pièces qui suivent. 

Quatre mois plus tard , Dorez a encore recours au Magis- 
trat. Sa seconde requête (^) explique suffisanunent dans 
quel but : 

Le sieur Dorez ayant eu l'honneur, Meflieursy de vous présenter 
la requête ci-jointe , vous supplie très-humblement de faire attention 
que la maison mentionnée à l'apoflille de la dite requête , qu'il vous 
a plu lui accorder pour établir sa manufaâure , n'eft point convenable, 
ayant reconnu que l'ébranlement des coups de canon a mis hors 
de plomb tout le corps du bâtiment penchant fort du côté de la 



(1) Registre aux Résolations 19, folio 197. 



I 

I 

I 



riviire , que le plancher elt pour la plus grande partie pourri & hors 
de lervice, ainsi que le relie de la charpente. Qu'il faut Aire un 
bâtiment entier pour la place convenable à la conllruclion du four 
ainsi que celle des moulins, ce qui se monterait à des sommes con- 
sidérables pour les mettre en état de s'en servir, ST en réparation 
journalière , dans lesquels les héritiers ne veulent entrer ni consentir, 
d'auunt plus qu'ils sont à la veille de la faire vendre. 

Pour pouvoir faire un établilTement plus solide & à moins de frais, 
le suppliant, depuis plus de trois mois, parcourt toutes les quartiers 
& a prié le sieur Gambette & plusieurs autres pour pouvoir en trouver 
une d'un prix modique à. convenable. Il ne s'eft pu rencontrer que 
celte tenant le cabaret ayant pour enseigne : la Ville de Dunkerque. 
situé au petit rivage du haut , appartenant à M. Taviel , lieuteniint de 
la gouvernance, laquelle a été bâtie exprès à usance de manufadure 
d'étoffe 6i de teinmre , & n'eft que de cinquante florins de loyer par 
an plus que celle ci-delTus mentionnée, à laquelle il n'y a aucune 
réparation à faire , ni à la charge de la vi lie , ni de propriétaire , lï; où 
tous les lieux se trouvent confiruits tant pour y placer les fours . mou- 
lins & terres, comme si on l'avait bâtie exprès pour cette manufaflure 

Le supphani espère que vous aurez pour agréable de lui accorder, 
au lieu de la précédente , cette dernière étant vacante & prête il y 
entrer, le locataire oâ'rant de la céder dès â présent au suppliant, qui 
n'a que le temps qu'il lui faut pour les préparations nécelTaires pour 
profiter de la bonne saison , & n'anend que votre décision pour 
commencer, en acceptant les cinq cents florins qu'il vous a plu lui 
accorder pour la conflruftion des fours, quoique ce secours soit fort 
modique, n'étant pas suffisant pour survenir à cette dépense, & le 
peu de fonds qu'il peut avoir lui étant très néceffaire], tant pour les 
matières, provisions de bois secs, terres & charbons, & pour la 
subsifla[icc de ses ouvriers, jusqu'à ce qu'il soit en état de recueillir 
les ^uits de ses travaux. 

I! espère que vous aurez pour agréable d'y joindre quelques 
exemptions sur les droits de la bierre pour la consommation, des 
tailles, de vingtièmes, de droits d'entrée sur les bois dont il a besoin; 
soit dès h présent ou lors du renouvellement de la ferme au mois de 
septembre 171 ï. 

Le suppliant ne manquera pas de répondre aux bontés que vous 
aurez pour lui , MefOeurs , en donnant dans le cours de ses travaux 



74 PORCELAINE TENDRE ET FAÏENCES. 

toute la satifaflion que le public peut désirer, espérant même que la 
ville trouvera danspeuunb«nétîce beaucoup au delà des gratiftcations 
dont vous l'honorez, & pour prévenir les inconvénients qui pourraieni 
irriver que quelques-uns, croiani avoir le véritable secret de faire 
la dite porcelaine, voudraient s'ingérer d'en faire vendre ou débiter à 
l'avenir dans cette ville , le suppliant vous supplie , MefTieurs , de lui 
en accorder le privilège exclusif à toute autre, vous alTurant être It 
"eul avec M. Càicaneaux , de Saint-Ctoud , qui ail le véritable secret 
de la faire pareille aux échantillons qu'il a eu l'honneur de vous pro- 
duire. Le maître de la manufa£ture de Rouen, ayant cru avoir pénétré 
dans le secret, s'était ingéré d'en faire & vouloir faire vendre à Paris, 
comme fabrique de Saint-Cloud , ce qui donnait une mauvaise répu- 
tation à cette dernière , par sa mauvaise qualité ; l'abus s'étant décou- 
vert, il a été contraint de n'en plus fabriquer, & c'eft à cet exemple 
que le suppliant vous supplie, Meffieurs, de lui accorder seul le pri- 
vilège eo cette ville & au sieur Peliflier, son neveu, 

Apoftiile : 

Avis conforme des éctievîns commis aux logements. 
Fait en halle, le 9 juillet. 

Vue la présente requête mentionnée , notre ordonoance du ï5 avril 
dernier & l'avis des commiflaires aux logements . nous avons autorisé 
à prendre en bail la maison située au rivage de la Haute-Deùle , 
appartenant au sieur Taviel , en place de celle avant servi à la fabrique 
de sucre, pour trois, six ou neuf ans, au choix des preneurs de 
résilier au bout de trois ou six premières années , Si. paiant par cette 
ville le loyer des six premiè res années & que les trois dernières années 
seront à la charge du suppliant & de son neveu, & pourquoi ils 
interviendront dans le contrat du bail avec nos commiffaires, a charge 
de plus le suppliant se servir des enfants orphelins & autres eflant a 
la charge de cette ville fit de les employer préférablement aux étran- 
gers, conformément à ses ofces insérées dans sa requête du 25 avril 
1711, & pour le surplus ce que requiert ne se peut accorder. 
Fait en conclave , le 7 août 1711- 

SigQê : a.-F LEROY 



BARTHÉLéltY DORBZ. 



I 



Fidèle à ses traditions de liberté commerciale, le Magiftrat, 
on le voit, refusa le privilège exclusif, mais fit droit aux 
autres demandes de Dorez. Celui-ci infialla donc, sur le 
rivage de la Haute-Deûle, sa manufa£lure qui. comme 
faïencerie du moins, y persifla pendant plus d'un siècle. 

Cette seconde requête vient à l'appui des prétentions de 
Rouen d'avoir fabriqué la pâte tendre à la fin du XVII' siècle . 
& malgré le dédain avec lequel Dorez parle du maître de 
la fabrique de Rouen, à qui selon lui défense fut faite de 
faire vendre sa porcelaine à Paris, on peut penser que si 
Poterat subit cette interdi£tion , ce fut moins sans doute 
l'infériorité de ses produits qui en fut la cause, que la jalousie 
de ses rivaux. Le musée de Sèvres pofTède, en effet, un 
petit pot armorié en pâte tendre , au décor rouennais , qui 
égale, s'il ne les surpafle, les produits de Saint-Cloud de la 
même époque. 

En 1712. troisième supplique''). La fabrique travaille, 
elle a produit des porcelaines fabriquées sous les yeux des 
délégués du Magiftrat; Dorez demande , en conséqnence, la 
réalisation du prêt de 2,000 florins , sur lequel 5oo seulement 
lui avaient été versés pour payer la conflruÊlion de son four. 
Laissons-lui la parole : 



Suppplient trÈs humblement Barthélémy Dorez & Pierre Peliflïer, 
son neveu, disant que depuis qu'ils ont eu l'honneur d'obtenir leur 
établilTement en cette ville, ils ont continuellement travaillé à la 
manufa£lure de porcelaine , qu'ils y ont employé plus de six mille 
neuf cents livres de France ; qu'ils ont dû négocier, savoir : celle de 
neuf cents livres à vingt-six pour cent de perte pour l'intérêt et la 
remise d'Orléans à Lille , & celle de six mille livres qu'ils avaient sur 
les trésoriers extraordinaires des guerres de France , en billets qu'ili 



[1] Bcgutre aux Ritolutinaa IS, folio 244. 



rORCELfclNE TENDUE ET FViENCF.S. 



ont été obligés de négociera soixante pour cent de perle, pour avoir 
de l'argent comptant, & cela à cause que la malicieuse critique: d«i 
gens jaloux de leur établiffement leur ont enliëremeni fait perdre le 
crédit qu'ils auraient pu trouver en cette ville. 

Ils ont encore eu le malheur d'avoir leur four brisé & rompu, ainsi 
quo toutes les marchandises en entier, ce qui leur a causé un dom- 
mage & des intérêts considérables; enfin ils se sont enùâremeni 
épuisés pour parvenir avec honneur à vous faire voir les pièces de 
porcelaine de leur manufaclure. qu'ils produisirent sur le bureau 
samedi i3 du présent mois doctobre 1712, pour ne plus laisser rien 
a douter à vos Seigneuries que tout ce qu'ont dit leurs adversaire; 
i;i'était que mensonge & supercherie, puisque vous connaîtrez par 
les dites pièces produites que les suppliants ont une parfaite connais- 
sance de cette manufadure, qui n'ell cependant encore que l'ombre 
de ce qu'ils peuvent faire dans la suite , parceque les premières four- 
nées ne peuvent pas absolument réuflir, à cause qu'il faut, avant 
tout, fixer la composition des terres, mettre le four à son degré, 
tant pour son lulîre que pour la chaleur & égalité des feux , pour la 
cuifTon des matières & attendre au surplus qu'ils soient en état de les 
travailler facilement; pour tout ce que ci-deffus, pour y parvenir, il 
a fallu sacrifier beaucoup de dépenses qui sont en pure perte pour 
les suppliants. 

Comme vous avez eu la bonté de leur accorder deux mille florins, 
sans intérêt pendant six ans, par apofUlle du 25 ayril 171I1 A la 
requête par eux présentée, laquelle somme ils n'ont pu toucher, â 
cause que la personne qui leur avait promis d'être caution ne leur a 
point voulu tenir parole. Vous n'avez souhaité caution, MelTieurs, que 
parceque vous aviez sujet de douter alors si les suppliants auraient 
réuCG ou non; mais aujourd'hui ayant l'honneur de vous en con- 
vaincre par la produîlion des pièces mêmes qui ont été faites à rinler- 
ventitm de meisUvrs vos cornmmairei , qui sont auffi informés de tout 
le contenu de la présente requête, les suppliants ont recours ft votre 
juf)ice,afîn qu'il vous plaise leur accorder un billet d'ordre pour 
recevoir ladite somme de deux mille florins, sous offre qu'ils font 
d'impignorer tous leurs effets & marchandises de leurs manufaclure* , 
pour sûreté de cette somme , avec offre de jurer de ne rien faire au 
préjudice de la dite impîgnoration , prenant favorable égard que les 
effets qui leur appartiennent se montent au moins à la somme de cinq 



I 



< 



SABTHihtKY DOREZ. 



mille Horins i ce faisant voue mettrez les suppliants en eltat de com- 
mencer dans peu à tirer des sommes considérables des provinces 
voisines , même des pays étrangers , avec une terre inculte , comme 
les Chinois & les Japonais , ce qui ne contribuera pas peu à augmenter 
la réputation des manufaflures de cette ville, étant aulïi rare que 
curieux & utile. 

Les premières pièces de porcelaine produites sur le bureau 
parurent sans doute satisfaisantes. Ceci résulte de l'apodille : 

Vue la présente requête , ouï les sieurs échevins , conmù en celte 
' partie, nous ordonnons qu'il soit fait une ordonnance au remontrant 
pour recevoir, de l'un de nos trésoriers, la somme de quinze cents 
florins, faisant avec les cinq cents qui lui ont été ci-devant avancés 
celle de deux mille florins, qu'il devra nous restituer dans le temis , 
aux offres & conditions portées par ses requêtes. 
Fait en halle, le 3i octobre 1713. 

Moi préwnl, signô r G- LEROY. 

Puis . au bas de la requête , ordonnance à M. Jean Vollans, 
chevalier, seigneur Deswerquains . trésorier de la ville, de 
payer la somme de quinze cents florins , & la quittance de 
Dorez & Pelifiîer, avec leur signature originale <0. 

Voilà donc bien conftatée la création d'une fabrique de 

porcelaine analogue à la porcelaine de Saint-Cloud . « tissu- 

I rtait qu'il est le seul, avec M. Chicanrnu , de Saint -Clou ri , 

qui ait le \'éritable secret , etc. , » & cela . à la date de 171 1 

I à 1712. 

Maintenant, voyons quelle étaft la nationalité de Dorez. 
Une requête signée de luiW & relative à des exemptions de 
I droits sur les boilTons, dont il prétendait jouir quand il fut. 



\i) AOaireB générnles , cnrloo 1153. 

{S) AShîivs génirBlp* , euton 25 , d<j*tier U. 



78 PORCELAINE TENDRE ET FAÏENCES. 



en 1 720 , nommé salpètrier du roi à Lille , nous apprend , 
qu'en 1709, il était encore contrôleur des poudres de la pro- 
vince de Flandre, en résidence habituelle au moulin à poudre 
de Brebières. La prise de Douai en 17 10, en faisant pafTer 
la province sous la domination hollandaise, lui fit perdre 
sa position , & c'eft alors qu'il vint s'établir à Lille & y fonder 
sa manufadure. 

Nous avons , de plus , trouvé sur le regiflre aux bourgeois , 
les trois mentions suivantes relatives à trois fils de Barthélémy 
Dorez ; elles démontrent, sans conteftation poffible, l'origine 
toute française de sa famille • 

François-Louis Dorez ^ fils de Réné-Barthékmy Dorez & de Marie- 
Françoise Chevalier, natif à La Louppe , diocèse de Chartres , mar- 
chand, ayant épousé Marie-ChriHine Deieau, sans enfant. 

Par achat, le 5 janvier 1731. 

Martin-Claude Dorez , fils de feu Barthélémy & de Françoise Che- 
valier, natif de Douai, peintre & vernifleur, garçon. 

Par achat, 7 décembre 1731. 

Réné-Barthélémy Dorez, fils de feu Barthélémy & de Françoise 
Chevalier, natif de La Louppe, diocèse de Chartres, en Bauce, allié 
à Marie- Agnès Alphonse , de lequelle il eut quatre enfants : 

Pierre-Barthélémy, 
Nicolas-Alexis , 
Marie-Françoise 
& Elisabeth. 

Par achat, le 7 juillet 1741 . (i) 

La date de la fondation de la fabrique bien établie & la 
nationalité de Dorez conftatée , abordons l'examen de l'arrêt 



(1) Livre aux Boargecii^ registra XI , folio 181, recto. 



du Conseil d'Ëtatde 1720, que M. Jacquemart a publié dans 
la Gazette des Beaitjc-Arts 

Pendant longtemps l'exiftence de la manufaflure lilloise, 
n'ayant été connue que par ce document, les affirmations 
qu'il renferme ont du être acceptées sans discuffion ; aujour- 
d'hui que nous avons retrouvé les lettres de fondation, nous 
avons à signaler les ccntradiftions & les erreurs que ren- 
ferment les considérants de l'arrêt du Conseil d'État ; citons-le 
tout d'abord avec les commentaires de M. Jacquemart : 



I 



Vue par le Roy & son conseil, la requête présentée à Sa Majeflé 
par François & Barthélémy Dorez frères , entrepreneurs d'une manu- 
faflure de porcelaines & de faïences, à Lille , contenant que le feu 
Roy, informé de ruûlité dont il était pour le royaume de conserver 
la manufai5lure de porcelaines & de faïences que les Hollandais avaient 
établi à Lille depuis 1708, au moyen des terres propres pour cette 
fabrique, qui se trouvent entre ladite ville & Tournay, aurait engagé 
les dits iréres Dorez , lorsque Lille fut rendue à la France par le traité 
de paix conclu à Utrecht. à acquérir la dite manufacture . ce qu'ils 
n'auraient pu faire qu'à des conditions onéreuses S après que Sa 
Majellé leur aurait fait entendre qu'Elie voulait bien les aider à sou- 
tenir une entreprise auflî considérable , pour le succès de laquelle ils 
ont fait de grandes dépenses, malgré les tems difficiles qui ont 
empêché les intentions du feu Roy à leur égard; que les frais de 
vcMturespar terre & les droits d'entrée qu'on fait acquitter sur les 
porcelaines & les faïences à l'entrée des cinq grolTes fermes, confor- 
tn£inent au tarif de 1664, ne permettent pas d'introduire dans le 
royaume celles de leur fabrique ; la consommation ne s'en peut faire 
que dans la Flandre française, ce qui eft un trop petit objet pour les 
dédommager des sommes qu'ils ont employées pour former leur 
clablilfement; mais que pour les mettre en mesure de le soutenir i^; 
de s'acquitter des emprunts qu'ils ont ^té obligés de faire à teitc 
occasion , & d'ailleurs mettre leurs porcelaines A faïences en coocur- 
rance pour le débit avec celles des pays étrangers qui se vendent en 
France à meilleur marché, pur la faculté qu'ont les fabricants ttran- 
gers d'avoir à meilleur compte que les sujets du Roy, l'étain  le 



8o PORCELAINB TENDBE ET FAÏENCES. 



plomb 4'Angleterre qui entrent dans la composition de ces sortes 
d'ouvrages, & de les envoyer par mer jusqu'à Rouen ^ ce qui diminue 
beaucoup les frais de transport ; requérant à ces causes qu'il plut à 
Sa Majefté leur accorder, pendant trois ans , l'exemption en entier 
des droits d'entrée des porcelaines & feïences de leur liianufeâure , 
qu'ils sfi proposent d'envoyer dans l'étendue des cinq grofTes fermes. 

Cette demande eût peut-être été accueillie, disent MM . Jac- 
quemart & Leblan , mais les directeurs de la compagnie des 
Indes, intéreffés au bail général des fermes unies de France, 
avaient été consultés ; se fondant sur une demande de même 
nature formée par les entrepreneurs de la manufacture de 
Bordeaux & à laquelle il avait été satisfait par arrêt du Con- 
seil du 24 novembre 17 19, au moyen du simple abaiffement 
du droit d'entrée fixé par le tarif de 1664, ils conclurent à 
l'adoption d'une mesure semblable en faveur de François 
& Barthélémy Dorez frères; l'arrêt se termine donc ainsi : 

Ouy le rapport^ le Roi & son Conseil^ de l'avis de M. le duc 
d'Orléans & du consentement des directeurs de la compagnie des 
Indes, qui ont expreflement déclaré ne prétendre aucune indemnité, 
lequel consentement demeurera joint à la minute du présent arrêt , a 
ordonné & ordonne que les porcelaines & faïences provenant de la 
manufaâure établie à Lille par les dits François & Barthélémy Porez 
frères , & accompagnés des certificats des dits entrepreneurs , visés 
par les commis du bureau des fermes de la dite ville , ne payeront , 
aux entrées des cinq grofTes fermes , que cinquante sols par pent 
pesant brut , non compris les quatre sols par livre y au lieu dp dix 
livres fixées par le tarif de 1664. Les dites porcelaine^ et faïegfes 
demeurant, au surplus, sujettes* aux autres droits panîculiers qui 
peuvent être dus à Lille ; & seront pour l'exécution du présent arrêt , 
toutes lettres nécefTaires expédiées. 

Fait au Conseil d*État du royaume. Paris , le deuxième jour d'août 
mil sept cent vingt. — Collationné. 

Signe : RANCHIN. 



BARTHÉLÉMY DOREZ. 8l 



Il y a contradiûion entre les faits que nous avons lon- 
guement exposés avec preuves à l'appui & les termes de cet 
arrêt; mais ces contradiâions sont toutes volontaires. En 
eftet , les frères Dorez ne pouvaient ignorer que leur père , 
qui vivait encore & qui résidait à Lille à cette époque , avait 
créé la manufacture en 171 1 & ne l'avait pas achetée à des 
Hollandais qui l'auraient établie antérieurement. Le choix de 
la maison fait par Dorez lui-même , la conftruction du four 
en 1712, les comptes de la ville, les regiftres d'impôt, tout 
contredit d'une manière absolue les affirmations de la requête 
de 1720 (telle du moins que l'arrêt la reproduit, car nous 
ne connaiflbns pas la requête originale des frères Dorez ) , 
& concorde â^ fixer irréfutablement l'année 171 1 comme 
date de l'établilTement & à affurer à Barthélémy Dorez le 
titre de fondateur. Seulement, les fils Dorez espéraient 
atteindre plus facilement le but de leur requête , qui était un 
abaifTement de droits à leur profit , en demandant cette 
faveur comme une récompense promise & due à leur 
patriotisme, qui avait conservé à la France une induftrie 
créée par des étrangers ; il n'y avait , nous le répétons , au 
fond de tout cela , qu'une équivoque volontaire. 

La fabrique avait été établie à Lille , sous la domination 
hollandaise, il est vrai, mais elle l'avait été par leur père 
qui était Français d'origine. Les regîflres aux impôts, les liftes 
de capitation que nous avons scrupuleusement consultés de 
1700 à 1711, nous permettent d'affirmer, avec une certitude 
absolue, qu'il n'exiflait pas de fabrique de porcelaine, à 
Lille , avant celle que Dorez vint y établir. (^) 



(1) GitonB miinUiiaiit las quelques lignes que Tauteur du Gvids ob l*Aiutbur di 
pAÏsncu BT OB PôRCBLAïKBS coDBacre à la fabrique de Dorez. 

• La porcelaine de cette fabrique devrait figurer parmi la porcelaine belge ou 
» hollandaise , puisque la ville de Lille n'epportient à la Fronce que depuis la traité 



82 PORCBLAINE TENDRE ET FAÏENCES. 

Ceci bien établi, combien de temps les Dorez conti- 
nuèrent-ils la fabrication de la porcelaine ^ 

Sur les livres de comptes de 1712 à 1717, on trouve 
chaque année cette mention reproduite : 

A Dorez & Peliffier, manufa£luriers de porcelaine, pour une année 
de loyer échue à la Saint-Pierre, 3oo florins. 



(iUtrecht. Lille, seloa les uns, avait eu des fabriques de porcelaine depuis 1€40 , 
opiaion que je suis disposé à partager. l\ est vrai que les arrêts déposés aux archives 
de la ville fixent la date de la requête pour la demande d'autorisation d'une fabrique 
de porcelaine en 1711, requête dans laquelle on ne parle qu9 £une fabrique hoUan^ 
daUe fondée en 1108. (Il n'y a pas un mot de cela dans la requête que nous avons 
reproduite textuellement.) Il me parait incontestable que la seconde fabrique , c'est- 
à-dire la reprise de la première (quelle première ? ) pour rétablissement de laquelle 
les bailleurs de fonds Barthélémy Dores et P. Pélissier, son neveu, adressèrent en 
1*7 U la requête mentionnée , marcha uniquement par le secours des ouvriers et 
artistes hollandais , et avec les ustensiles et les fours de Fancienne fabrique ; ( on a 
vu que le premier four a été construit en 1*712 avec les fonds de la ville) les deux 
requêtes l'ont , pour ainsi dire , reconnu ( les deux requêtes disent absolument le 
contraire ) et l'on lit dans l'arrêté de 1*720 que le feu roy, informé de Tutilité dont 
il était pour le royaume de conserver la manufacture do porcelaiue et de faïence que 

les Hollandais avaient établie à Lille depuis n08 

• Inutile donc de nous arrêter aux singuliers sophismes d'une certaine monographie 
écrite dans un esprit chauviniste néophyte et où l'auteur prétend soutenir le con- 
traire, » 

Nous en sommes fâché pour Tàuteur du Qaide , mais notre chauvinisme est d'accord 
avec la vérité. Les documents que nous avons citée textuellement établissent en effet : 

]0 Qu'il n'existait pas de fobrique de porcelaine , à Lille , antérieurement à 1*711 ; 
20 Que Dorez est le créateur de la manufacture ; 

91^ Que c'était bien une fabrication française et non hollandaise , puisque Dorez . 
Français d'origine , se donne comme un émule de Chicanneau de Saint-Cloud , et non 
comme un élève des Hollandais ; il n'eût pas manqué de faire valoir ce titre, si cela eût 
été la vérité , pour se concilier la faveur du prince d'Holstein, gouverneur de la ville 
pour les alliée , dont il sollicitait la protection , la ville étant alors sous la domination 
hollandaise, mais il jr a plus, comment Dorez, qui n'avait pas quitté la France, 
aurait-il appris en Hollande , oh il n^existaîl pas de fabrique de cette espèce , la fabrica- 
tion de la porcelaine ? 

Quant aux formes courtoises dont noire contradicteur enveloppe sa discussion , nous 
n'avons rien à en dire , nous ferons seulement remarquer que les quelques renseigne- 
ments exacts que le Guide susdit renforme dans sa seconde édition sur les fabriques de 
nos contrées , sont extraits, sans indication d'origine , do noire modeste travail, dont 
nous avons eu le tnrl, il est vrai, de refuser, avant l'impression, une communication 
vivoirent sollicitée. 



BARTHtLKMV nOKKZ. B3 

En 1716, te nom de Péliffier disparaît, le prénom de 
Dorez eft laissé en blanc & la mention eft ainsi conçue ; 

A Dorez & au sieur Taviel, lieutenant de la Gouver- 
nance, ceiïionnaire dudit Dorez, pour une année de loyer, 3oo florins. 



Enfin, en 1717, la dernière des six années pendant les- 
quelles la ville s'était engagée à payer le loyer, le nom de 
Dorez, manufaâurier de porcelaine, figure seul sur les 
comptes. 

Pendant ces six années, la manufaâure a donc fabriqué 
des porcelaines ; les subsides de la ville n'avaient été accordés 
qu'à cette condition, & ils eussent élé supprimés si Dorez 
avait ceffé cette fabrication. 

La requête au Conseil d'Etat, de 1720, demande aufli la 
rédudion des droits mr la porcelaine envoyée à Paris ; enfin. 
M. Jacquemart nous dit qu'il exifle aux archives du royaume 
une seconde requête des Dorez (dont il ne donne pas la 
date), qui sollicitait la faculté d'ouvrir un magasin à Paris, 
pour la vente en gros de la marchandise dont ils trouvent 
difficilement le placement ailleurs. 

Donc, c'efl chose acquise que de 1711 à 1720, Dorez 
fabriqua des porcelaines . & ce n'efl qu'à l'époque où la 
consommation locale ne pouvait suffire à absorber ses pro- 
duits, qu'il songea à aller chercher a Paris un débouché 
pour sa fabrication ; on pourrait même conclure de cette 
dernière demande qu'il ne redoutait pas trop la concurrence 
delà fabrique de Saint-Cloud . puisqu'il voulait aller lutter 
avec celle-ci sur le marché de Paris , malgré les droits main- 
tenus & les frais de transport qui venaient encore s'ajouter 
à ces droits. Mais il y a plus, le témoignage contemporain 
d'un hiftorien du XVII T siècle nous permet même d'affirmer 



&4 PORCELAINB TENDUE BT FAÏENCES. 



que la fabrication de la porcelaine à Lille, a subsifté au 
moins jusqu'en i73o; en effet, nous lisons dans THiftoire de 
Lille & de sa châtellenîe (^), par Tirou, publiée à Lille en 
17 îo. à l'article Ck)mmerce & Induftrie : 

Il y a plus de quatre mille marchands , dont plusieurs entretiennent 
douze cents ouvriers & plus; rort y fabrique de très-beaux draps , 
des ratines, des serges , des damas , des velours, des camelots, des 
tapifleries , des cuirs dorés , des savons blancs A noirs, des pip^» de 
la faïence & porcelaine , &c., &c. 

On le voit, ta fabrique de porcelaine de Dorez fut affez 
longtemps en adivité pour que l'amateur doive se préoc- 
cuper de la recherche de ses produits qui appartiennent, 
par leur ancienneté , aux débuts si intéreflTants d'une impor- 
tante induftrie. 

La porcelaine tendre lilloise doit être analogue, pour la 
pâte du moins , à la porcelaine de Saint-Cloud. Barthélémy 
Dorez cite Chicaneau, dans ses requêtes, comme le seul 
qui connaiffe cette fabrication ; il est même à supposer que , 
dans les débuts , on a dû imiter à Lille les genres de décor 
de Saint-Cloud ; mais plus tard , il ne serait pas étonnant 
que, sous l'influence du goût local, le décor se soit modifié 
pour chercher à se rapprocher davantage des porcelaines de 
la Chine & du Japon qui, par la Hollande, s'étaient intro- 
duites en grand nombre dans notre pays. 

Quant à la queflion de savoir si Dorez marquait habi- 
tuellement ses produits , il nous efl impofTible de la résoudre , 
et , dans l'hypothèse affirmative , avait-il pris pour marque 
l'initiale de son nom Dorez , ou l'initiale de Lille , comme 



(1) Lille, chez M. Louis Prévost, imprimeur, aux Armes de la ville de Lille ^ 
1780. — page 149. 



cela se pratiquait à SaJnt-Cloud. Toujours est-il que l'on 
rencontre sur des pâtes tendres analogues à celles de cette 
dernière fabrique, tantôt la lettre D. tantùt la lettre L, soit 
"seule, soit deux fois répétée : LL, & que ces marques 
peuvent, avec beaucoup de vraisemblance, être données a 
la fabrication lilloise, qui seule, jusqu'ici, explique tes sigles 
qui signent ces porcelaines. 

Nous potTédons, depuis quelque temps, une tafle (la 
pareille exifte au muvsée de Sèvres), qui présente un genre 
tout particulier de décoration -■ ce sont des tables à huit 
pans. Or. nous avons dit que ta manufacture de porcelaine 
avait été établie dans une maison appartenant à M. Taviet. 
lieutenant de la Gouvernance ; les armes de M . Taviet ( armes 
parlantes(i'}étaient d'azur à trois tables octogones d'argent : 
deux & une. N'y a-t-il pas lieu de penser que ces taiïesqui. 
par leur forme , appartiennent inconteftablement aux pre- 
mières années du XVi 11' siècle, ont été faites par Dorez pour 
M . Taviel , son propriétaire & son protefteur, que nous avons 

. en effet, intervenir dans les comptes de l'année 1716Î 

En 1720, Barthélémy Dorez avait repris son ancienne 
profeffion & avait été nommé salpètrier du roi , à Lille , lais- 
sant sa fabrique à ses enfants, Quant à Péliffier, aucun 
document ne nous a appris ce qu'il était devenu. Comme 
son oncle, sans doute, il chercha à reconquérir sa position 
ancienne ; or, nous avons lu dans une biographie du maré- 
idial Péliffier. qu'un de ses aïeux était directeur des poudres 
& salpètrier. Si cela est vrai, il e(ï bien probable que le fon- 
dateur de la manufadure lilloise efl un des ascendants du 
maréchal qui itluftra son nom à Sébaftopol. 

De 1720a i7So,la manufacture, sinon comme fabrique 



il) Tiviel aoTnbub 



PORCELAINE TENDRE: ET FAÏENCES 



de porcelaine, au moins comme faïencerie, continua de 
travailler sous la dire£lion de Réné-Barthélémy Dorez , puis 
sous celle de sa veuve & de ses enfants. Quant aux deux 
frères de René, Ils avaient quitté Lille pour aller fonder & 
diriger une fabrique de faïence à Valenciennes. On trouve, 
en effet . dans les comptes de cette ville . que par une déli- 
bération en 6 novembre 17Î6, il a été accordé à François- 
Louis Dorez une gratification annuelle de six cents livres, 
pour le loyer de la maison où celui-ci avait établi sa manu- 
faflure de faïence; de 17Î6 à 17)9. l'indemnité reparaît au 
même nom: de 17Î9 à 1741, c'est la veuve François Dorez 
qui jouit de cette faveur; de 1741 à 1742, c'est à Charles- 
Joseph Bernard à qui le loyer eft accordé ; en 1742 & 174Î . 
ce sont les syndics de la créance de Charles-Joseph-Bernard . 
puis Claude Dorez, à qui Luiite numufacture a été contùutée. 

Claude Dorez figure de même au compte de 174Î à 1748 : 
il n'efl plus fait mention de lui aux comptes suivants . jusqu'à 
celui de 1756 & 1757. où on lit : ^u spuUc de la créance de 
CUatde Durez, ci-devaiU faïencier; une tauiée de sa pension : 
600 livres. 

Disons encore que deux autres manufaQuriers de faïence 
reçurent auffi une pension à Valenciennes: ce sont : Picard, 
de 17S5 à 1757, & Becar. de 1774 à 1779. 

Mais revenons à la fabrique lilloise. 

En 1749. la manufaGure fut reprise par un sieur Michel- 
Joseph Herreng, qui mourut quelque temps après. Sa veuve 
lui succéda & dirigea l'établiffement jusqu'en 1780. A cette 
époque , il pafla dans les mains du sieur Hubert-François 
Lefebvre, & ce dernier reçut du Magiftrat, en 1786, un^ 
indemnité de cent louis, pour la transformation de ses fours 
au bois en fours à cuire au charbon de terre; nous ne savons 
si l'effai réuflil. M. Alexis Lefebvre succéda à son père dans 
la gérance de l'établiffement. puis il le céda à l'un de ses 



BARTHÉLÉHY DOREZ. 87 

parents , M . Masquelez , & enfin , quelques années plus tard . 
il en reprit la direction jusqu'à l'époque où l'établiflement 
s'éteignit définitivement, vers 1820 environ. 

Comme nous l'avons dit à propos de Bouffemart, répétons 
tout d'abord que les produits de cette manufadure qui eut, 
elle auffi , plus d'un siècle de durée , sont à peu près inconnus. 
De l'époque de Dorez, nous connailTons pourtant une pièce 
authentique qui nous a permis d'en attribuer quelques-unes 
avec une certitude relative. La pièce en queftion eft un pot 
de grande dimension fait sur commande, sans doute, pour 
être offert en cadeau à une affociation de dentellières (au 
XVlIf° siècle, l'induflrie des femmes de Lille consiftait 
presqu'uniquement dans la fabrication de la dentelle au car- 
reau), ou deftiné au cabaret où elles se réunilTaient le jour 
de leur fête patronale (le Broquelet). Le pot , d'une contenance 
de cinq à six litres, eft d'une forme gracieuse: le manche 
eft formé de cinq cables tordus, dont les extrémités s'attachent 
au pot comme par une griffe. Sur le devant de la panse s'étale 
un vafle médaillon dans lequel eft représentée une femme 
faisant de la dentelle au carreau; à côté d'elle, dans une 
chaise de bois , eft un tout jeune enfant , des jouets sont épars 
autour de lui; la scène eft placée dans un paysage dont les 
arbres sont peints à l'éponge . suivant la tradition hollandaise. 
Au-deffus du médaillon , & compris dans la frise d'un joli 
goût qui entoure le haut du pot ; s'étale un écuffon qui porte 
en croix deux fuseaux de dentellière: Sous le pot, on lit : 



N. 



A. DOREZ. 
1748. 



C'efl-à-dire Nicolas-Alexis Dorez . 
Barthélémy 



des fils de René-- 



88 PORCELAINE TENDRE ET FAÏENCES. 

C'eft la seule pièce sig^née !' ) que nous connaifïïons de cette 
première époque . mais nous sommes très-disposé à attribuer 
a la même manufa£lure toutes les faïences dans le genre de 
Deift, qui sont signées, au revers, d'un D, surmontant un 
chiffre de série; celte conviûion eft corroborée chez nous 
par ce fait, que des personnes de Lille connaiflant nos 
recherches , nous ont apporté des faïences ainsi marquées , 
qu'elles certifiaient, d'après des traditions de famille, pro- 
venir de fabrique lilloise. 

Ce sont des assertions très-probables . mais ce ne sont pas 
des preuves , nous le savons. 

Il faut auffi , croyons-nous , attribuer â cette fabrique toutes 
les faïences lilloises dont le décor procède de celui des por- 
celaines pâte tendre de Lille ou de Saint-Cloud. La planche 
N" Il reproduit le décor de deux de ces pots qui figurent au 
musée de la ville. A défaut de la signature du faïencier, leur 
origine s'établit par les noms du destinataire inscrit dans des 
banderolles ou des cartouches faisant partie du décor. 

Sur l'un, on lit Théophile LEFER ; sur l'autre, Gangulphe 
DUVOCELLE; tous deux Lillois, comme le prouvent les 
regiflres aux bourgeois & aux capitations. 

Nous avons dit que la fabrique avait eu , pour dernier pro- 
priétaire, M. Alexis Lefebvre; nous avons pu acquérir, à la 
vente qui eut lieu après son décès , des carreaux de faïence 
que M. Lefebvre considérait comme les produits les plus 
remarquables de sa fabrication & qu'il conservait précieu- 
sement encadrés. Ces carreaux sont, en effet, décorés de 
peintures d'une finesse excessive; ils représentent des fleurs, 
des fruits, des oiseaux, traités avec un talent remarquable. 
Ce n'efl plus de la décoration, c'efi de la peinture, & si 



:t il l'ciLpoeitiuD DDiverRelle , N" 430!> du cittlogoe. 






--S 



88 



PORCET • 



j'j 






•T! ■ 



BARTHÉLÉMY DOREZ. 89 

parfaits qu'ils soient comme fabrication & comme décor, 
on sent , en les voyant , que le règne de la porcelaine était 
arrivé & que la plus grande préoccupation du faïencier a 
été d'imiter l'aspeâ de ce nouveau produit. 

La tradition locale en attribue la peinture à M. PInart, 
célèbre peintre céramifte , natif de Lille , qui fit dans cette 
fabrique ses débuts de décorateur. 




ga 



FAlBNCaS LLIJ.OISBS- 



plus tard par son frère, si le lauréat de l'Académie royale 
n'avait pas fait ses débuts plus modeftes dans l'usine de 
Febvrier. Frappé sans doute de ses dispositions, on le fit étudier 
d'abord à Lille , dans l'atelier d'Arnould de Wuez , & ensuite 
à Paris, d'où il revint en 1720. pour se fixer définitivement 
à Lille. 

Jean-Baptifte Wamps ne fabriqua, de 1740 à 175S, que 
des carreaux de faïence façon de Hollande. En 17S5, après 
sa mort, la manufafture fut reprise par un nommé J. M 
quelier, qui adreffa au Magiftrat la requête ci-après (•) : 

Supplie très humblement Jacques Masquelier, diredeur de la manu- 
facture de carreaux de faïence à la manière d'Hollande , qu'il vous a 
plu d'établir le 21 mars 1740, en faveur de Jean-Baprifte Wamps, 
disant que Marie-Catherine Wamps , sœur de ce dernier, a chargé le 
suppliant de la direction de la manufafïure pendant son vivant, & 
(ju'â sa mort , arrivée le i3 septembre 1752 , par son teflanient du 7 
dudit mois, lui a cédé celte manufaihire ; mais comme aujourd'hui 
que les sieurs BoufTemart , Hcrreng & plusieurs autres manufacturiers 
des environs de cette ville, font des carreaux de faïence à la manière de 
Hollande & en même temps les autres espècesdè faïence, cela diminue 
considérablement le gain que le suppliant a pu faire sur ses marchan- 
dises, & l'empêche, en quelque manière, de gagner la vie; pourquoi 
il désirerait qu'il vous plût, Meffieurs, lui accorder la pcrmilTîon de 
fabriquer, dans sa profeiïion , toutes sortes de faïences , comme dam 
les manufaflures des sieurs Bouffemart & Herreng, & de tâcher 
d'exécuter ces ouvrages à la ma*iire de Rouen et des payt étrangert. 

Le Magiftrat demande l'avis du procureur-syndic. Le voici : 

Je ne vois pas de difficultés , Meflieurs . â accorder au suppliant sa 
demande, puisqu'une manufacture de toutes sortes de faïences ne peut 



IRAN-BAPTISTB WAMPS, HASQUEUER. gi 

être qu'avantageuse au public. Il eft vrai qu'il y a déjà deux pareilles 
manufaflures établies en cette ville par les sieurs BouHemart & veuve 
Herreng, mais une troisième ne peui donner que de l'émulation aux 
manufa^uriers & les exciter â pcrfedionner de plus en plus leurs 
ouvrages, & c'eft le moyen de rendre celte ville plus floriffanle. 

On doit d'autant moins refuser cette demande que le suppliant 
n'exige ni pension, ni avance, ri exemptions , comme ont fait les 
sieurs Dorez et PëlilTier, auxquels vous en avez accordés, en lui refu- 
sant , toute fois , le droit exclusif de faire pareils ouvrages. 



Le Magiftrat accorda la permiflîon demandée d'établir cette 
manufa£lure dans la maison ci-devant occupée par Wamps. 
Cette maison était située rue du Metz. & jusqu'en 1720, le 
fiis & le petit-fils de Masquelier y continuèrent leur induftiie. 
Cette manufadure, bien qu'elle eut obtenu, on l'a vu ci- 
deffus, le droit de fabriquer toutes espèces de faïence, ne 
produisit presqu 'exclusivement que des carreaux de faïence. 
Nous avons eu entre les mains un livre de notes qui porte â 
la première page cette mention : Livre de Jcia/ues-Joseph 
Masquelier, commence eit 177 1. 

Ce livre d'affaires, qui efl tout simplement un recueil de 
notes sans ordre, bien différent de la comptabilité régulière 
des négociants modernes, mentionne des livraisons & des 
ventes de carreaux, tant à Lille qu'au dehors; on y trouve 
un aflez grand nombre d'expéditions faites a Paris & même 
à Rouen. Les indications qu'il contient, de carreaux vendus 
à Lille pour telle & telle maison , nous ont permis de cons- 
tater, avec certitude. l'origine lilloise & non hollandaise de 
beaucoup de ces produits , dont l'attribution n'eft pas toujours 
facile. Il nous a aussi utilement renseigné sur les prix des 
carreaux de faïence, Nous allons reproduire quelques-unes 
des désignations naïves que nous y avons trouvées. 

Les carreaux ordinaires se vendaient environ neuf livres 
le cent, en moyenne. 



94 FAÏENCES LILLOISES. 



On lit, dans le livre Masquelier les diverses désignations 
ci-après : 

Carreaux ordinaires. Fefles de grenouilles. 

Roses paysans. Feuilles verdes 

ArabefTes (arabesques). Labyrainte coloré. 

Mosaïques. Bergers & Bergères. 

Quatre fleurs. Jeux d'enfants. 

Carottes violet. Fin d'Isabel? à 24^- le cent. 

Romarines. Bouquets chinois. 

Françaises. Etoiles bleues. 

Oiseaux colorés. Etoiles roses. 

A huit pans. Bordures indiennes. 



Puis des tableaux formés par la juftaposition des carreaux : 

Un perroquet de 4 carreaux. 

Un chat.de 6 carreaux , à 21 patards chacun. 

Un chien . id., id. 

Une dame de 24 carreaux. 

Le joueur de cartes de 24 carreaux. 

La lanterne magique de 12 carreaux. 

Trois couples de figures contenant 36 carreaux à 4 sols la pièce. 

Coqs & poules de 12 carreaux. 

Le joueur de quilles de 24 carreaux, à 6 patards l'un. 

Un cochon de 16 carreaux. 

Un mouton de 16 carreaux. 

Un tableau de boucher de 36 carreaux. 

Quant à ce dernier objet , comme il faisait partie de la 
même vente que le cochon & le mouton , nous devons croire 
qu'il s'agiffait , non de la reproduâion d'une œuvre du peintre 
galant du XVIir siècle, mais plutôt de la représentation 
d'une scène profeffîonnelle : l'immolation d'une viSime. 
sans doute. 



jr.VN-BArTlSSE » 



, HA5QUKLIER. 



Cette fabrication de carreaux était commune, comme 
nous l'avons dit . aux trois fabriques dont nous avons fait 
Ihifloire; elle avait, commercialement, une grande impor- 
tance , ces carreaux étant généralement employés en Flandre . 
au dernier siècle, pour le revêtement des murs dans les 
vcflibules , cuisines & même dans les salles à manger. 

Copiés d'abord sur des produits similaires des fabriques 
hollandaises, les carreaux des usines lilloises pourraient 
difficilement se diftinguer de ceux-ci ; le décor au bleu de 
cobalt ou au brun-violet de manganèse , imite à s'y méprendre 
les modèles étrangers; mais au bout d'un certain temps, 
les fabricants arrivent, avec des carreaux juxtaposés, à 
composer des personnages qui atteignent parfois la grandeur 
naturelle; la polychromie s'introduit dans leur décoration, 
les peintres représentent des scènes religieuses , des paysages . 
des copies de tableaux connus; ils imitent les cofhimes de 
l'époque. Alors apparaît l'originalité des produits locaux. & 
l'individualité des décorateurs français se deffine. De nom- 
breux spécimens de cette fabrication exiflent encore dans 
beaucoup de vieilles maisons de nos villes du Nord. &. à 
défaut de la signature du décorateur, l'exiftence de la fleur 
de lys ou de certain.*; signes conventionnels dans les angles 
du carreau . révèle souvent les fabriques indigènes. 

Le musée de la ville polTède des spécimens aflez nombreux 
& très-remarquables de ce genre de fabrication; l'un de 
ces carreaux représente les armes de la ville, avec la date 
de I7Î4- 

On y peut remarquer auffi les carreaux au décor poly- 
chrome , qui ont figuré à l'Exposition universelle & qui 
représentent le jeu du cerf-volant. 

Nous avons fait, du refte, disposer le musée céramique, 
auquel nous consacrerons un chapitre, de façon à ce qu'il 
nous soit facile à'y exposer un grand nombre de types de 



98 FAÏENCES LILLOISES. 



CHANON.W 



1714. 



Voici la supplique (*) qui nous a révélé l'exiftence de cette 
manufaâure ; nous la donnons textuellement dans son origi- 
nalité & dans son naïf enthousiasme : 

Meiïieurs, le suppliant vous représente qu'après avoir travaillé 
l'espace de huit mois , dans la présente ville , de Tart & profeflfion de 
faïencier, en qualité d'ouvrier, ledit suppliant souhaiterait de travailler 
en particulier, si vos Seigneuries en sont contents ; mais cela n'eft 
point pour faire de la faïence que le dit suppliant veut faire , mais une 
nouvelle fabrique de terre brune que l'on appelle la terre de S^Ssprit, 
comme caffetières, théières, tourtières à pâtés, gardes à manger, 
plats à bouillir & cabarets pour servir à table pour prendre du thé, 
chocolat & café , enfin ce qu'on veut ; le tout résidera au feu comme 
le fer, avec un vernis d'écaillé tortue qu'il n*y a rien de si magnifique; 
le tout travaillé à faire plaisir, ce qu'on ne fait point dans ce pays. 

Il eft vrai qu'il y a un marchand de faïence de cette ville qu'il en 
a quelques pièces, mais c'eft bien rare, car il vient de deux cents 
lieues loin , & le suppliant se qualifie d'en faire de semblable, parce 
qu'il appris dans ce pays là, & il ne croit pas qu'il y ait personne dani^ 



(1) Ce Ghaoon serait-il on ascendant du Chanon qui établit à Paris, vers 1784 , une 
fabrique de porcelaine et qui , à Tépoque de la Révolution , fut pendant quelque temps 
directeur de la manufacture de Sèvres ? 

(2) Registre aux Résolutions 20, folio 140. 



la ville capable d'en faire comme le suppliant pourra faire avec l'aide 
du Seigneur & la permidîon de vos Seigneuries. Aussi bien il fera 
des ctuves pour se chauffer l'hiver sans voir le feu, à la mode 
d'Allemagne; le tout de cette terre brune, comme avec un vernis 
marbré, entremêlé de quelques pièces de faïence, comme espèce de 
carreaux qui convient aui demeures , qu'il n'y a rien de si charmant. 
Enfin, ledit suppliant souhaiterait de tout son cœur qu'il y en eut 
quelqu'un dans la ville pour avoir le bonheur de vous le faire voir 

A ces causes , il vous demande la permiflîon d'établir un four dans 
sa maison , près la censé du Metz , pour faire quelque pièce curieuse, 
espérant que quand vos Seigneuries auront vu son savoir faire, 
qu'ils en seront très-contents. 

A ces causes , il vous demande la permiCllon de faire un petit four 
d'environ quatre pieds de longueur, autant de largeur, dans sa maison 
proche la censé du Metz, pour faire quelques pièces curieuses pour 
avoir le bonheur de vous présenter, ne pouvant vous faire voir son 
petit savoir faire autrement , espérant que quand vos Seigneuries 
auront vu son petit savoir, ils en seront très-contents & qu'il fera 
ausù plaisir à beaucoup d'uutres personnes de mérite, auili bien que 
l'utilité du public. 

En attendant quelques gratifications de vos Seigneuries, comme le 
louage d'une petite maison de dix livres de gros & la bière & vin sans 
maltore. Espérant cette grâce de vos Seigneuries , ce faisant le sup- 
pliant priera le Seigneur pour la conservation de vos biens & une 
heureuse prospérité & le salut de vos âmes. Amen. 

Le i5 mai 1714, le Magiftrat ordonna une visite des 
lieux , & enfin , le 25 du même mois : 



Vue la requête , le certificat de catholicité , de bonne vie & moeurs 
dudit Chanon, l'avis des commis aux vîsitations; ouï le procureur 
de cette ville : 

Il eft permis au suppliant de s'établir dans cette ville & d'y fabri- 
quer des ouvrages en terre brune appelée terre de Saint' E $prit , â la 
façon d'Angleterre & du Languedoc, auquel effet ce fut autorisé de 
faire te four demandé , à charge de le faire dans l'endroit & ainsi 
qu'il lui sera marqué par le maître maçon juré de cette ville. 



loo fàTbncbs ulloisbs. 



Voilà tout ce que nous savons sur cette fabrique. Cette 
terre de Saint-Esprit ne serait-elle pas quelque chose d'ana- 
logue aux terres verniffées que Ton B:pipé[\e Faïence itJçignon? 
Toujours eft-il que l'on trouve encore affez fréquemment, 
dans nos contrées, des objets en faïence ancienne qui 
répondent affez exaâement à la description donnée par 
Chanon. Nous ajouterons que les théières & les cafetières 
de cette nature sont affez généralement enrichies de chaînettes 
en argent, ce qui semble indiquer que l'on accordait une 
certaine valeur à ces objets , dont la pâte fme & légère efl 
recouverte d'un vernis noir très-brillant. 



HÉRINGLE. 



1758. 



Voici encore une requête extraite du regiftre aux Résolu- 
tions U) du Magiflrat; elle efl relative à Tétabliffement d'une 
fabrique de poêles de faïence : 

» 

Supplie très-humblement le sieur Héringle, natif de Strasbourg, 
disant qu'il a travaillé pendant sept ans consécutifs à la manufaâure 
royale de la terre d'Angleterre , à Paris , ainsi qu'il résulte des certi- 



1) Hep^istrc bux RtMlutioan N** 88, folio 59. 



GUILLAUICE CLàRKB. ICI 



ficais joi»^; tomn^ il n'y a point de franchise en cette ville pour 
cette manufaâure, il souhaiterait y fabriquer des étaves très-com- 
modes y ee qu'il ne peut sans votre permiffion. 

Licence de s'établir à Lille pour y fabriquer des étuves de 
faïences, fut accordée à Héringle, le ao mars 1758. 

Malheureusement, nous n'avons pas trouvé les certificats 
que le suppliant dit joindre à sa requête ; ils nous euffent 
peut-être appris , sinon ce qu'était cette manufacture royale 
de terre d'Angleterre , à Paris , du moins les noms des titu- 
laires de cette fabrique. 

Les poêles de faïence étaient très-communs dans notre 
pays , au siècle dernier ; mais rien ne nous a fourni la preuve 
qu'ils provinflent de la fabrique de Héringle. 



GUILLAUME CLARKE. 



1773 



Mentionnons enfin , pour terminer, une requête de 177} (M, 
relative à une sixième fabrique : 

Supplie très-humblement Guillaume Clarke, natif de Niwascle, en 
Angleterre y disant qu'il poffède le secret d'une espèce de faïence qui 



(1) Registre aux Résolutions 51, folio 6. 



15 



102 FAÏENCES LILLOISES. 



ne se fait qu'en Angleterre, qui e(l à peu près auffi belle que la 
porcelaine & qui a la propriété de résiAer au feu sans se fêler ; que la 
terre de cette faïence se trouve dans le royaume , même à portée de 
cette province^ il y a lieu de croire que la manufaâure que le sup- 
pliant se propose d'établir dans cette ville y sera bien reçu ; que 
MM. du Magidrat de Saint-Omer lui ont offert cinq à six mille livres 
pour se fixer dans leur ville , mais que le suppliant espère d'en être 
indemnisé par le secours & la proteétion que vous daignez accorder 
à son établiflement , qui sera le seul de son genre qu'il y ait en 
France ; que pour y réuffir il ne demande qu'un emplacement dont il 
paiera loyer, & l'exemption des droits d'o£lroi pour lui & les siens. 

* 

L'autorisation fut accordée le lo mars 1773. Voilà tout 
ce que nous savons sur cette fabrique de faïence anglaise. 




FAiENCES LILLOISES. 



DESCRIPTION. 




ous AVONS, en écrivant l'hiftoire des trois 
plus importantes manufaflures de faïence de 
Lille, eflayé la description de quelques pièces 
qui proviennent inconteftablement de chacune 
d'elles; mais, dans les colleQions, il en exifte 
un grand nombre dont l'origine lilloise s'affirme, soit par le 
mot ULLB inscrit au revers, soit par les noms & les armoiries 
des personnes pour lesquelles elles ont été fabriquées, sans 
qu'on puifle les attribuer plutôt à l'une de ces fabriques 
qu'aux deux autres. 

Nous ferons remarquer, tout d'abord, que ce qui rend 
l'attribution très-difîicile , alors qu'il n'exilte ni nom, ni 



104 LES faïences lilloises. 

signature, c'eft que les divers produits des manufaSurcs 
lilloises sont souvent absolument diffemblables , & que nos 
fabricants semblent avoir pris succefîîvement pour modèles 
les types de fabrication les plus différents. 

Rouen , tout en variant ses procédés de décoration , n'en 
a pas moins laiffé à tous les produits sortis de ses ateliers, 
un certain air de famille qui les fait assez facilement recon- 
naître. Il n'en eft pas de même chez nous. Si Taspeft, le 
poids , la couleur de la terre reftent toujours à peu près iden- 
tiques, la qualité de l'émail & la nature du décor varient 
à l'infini, comme on peut s'en convaincre en comparant 
l'autel de Sèvres, œuvre de Febvrier; la théière du musée 
de Cluny, qui porte lille inscrit sous le pied; le pot, dit 
des Dentellières^ signé Dorez, &le plat magnifique que pos- 
sède , dans sa riche coUeftion , M. Patrice Salin. 

Et pourtant ces quelques types signés , & par là incontes- 
tables, que nous venons de citer pour les comparer entre 
eux , nous ne les avons choisis que dans les faïences dont le 
décor dérive du goût français. 

L'embarras & la difficulté augmentent encore, si nous 
ajoutons à ces catégories , déjà nombreuses, toutes les pièces 
faites à l'imitation des faïences hollandaises, imitations qui, 
d'après les affirmations réitérées de nos fabricants, l'on ne 
pouvait diftinguer des originaux. 

A défaut donc de règles absolues que nous nous déclarons 
incompétent à poser, pour faire reconnaître sûrement les 
produits de nos manufactures ; nous allons signaler & essayer 
de décrire quelques objets qui appartiennent, soit à des 
collections publiques , soit à des cabinets d'amateurs , & qui 
pourront servir de point de comparaison pour des produits 
dont l'origine eft douteuse. 

Le musée de Cluny renferme deux pièces inconteftablement 
lilloises : La première eft une théière d'un bel émail, au 



DESCRIPTION. 105 



décor polychrome, genre rocaille, avec fleurs & oiseaux 
formant l'entourage de pa/ysages en camaïeu bleu ; cette pièce 
eft signée sous le pied : lille, 1768. 

Cette théière nous fut signalée par M. Riocreux, alors 
qu'elle appartenait encore à M. Leveel, & en nous en 
envoyant une aquarelle, M. Riocreux nous écrivait que, 
sans la signature, cette faïence eût été inévitablement attri- 
buée aux fabriques du midi. 

Le second type lillois du musée Cluny eft un pot au cou- 
vercle d'étain ; nous ne savons , ne l'ayant point eu dans les 
mains, s'il porte une signature sous le pied; mais l'aspeft 
nous l'avait révélé comme lillois, & notre amour- propre 
d'amateur n'a pas été peu flatté , lorsque nous avons trouvé 
que les noms inscrits sur une banderoUe : joseph pennequin , 
PRESTRE, 172}, appartenaient à un ecclésiaftique qui figure, 
en 1720, au regiftre d'exemption sur les boissons, comme 
prêtre sacriftain attaché à l'église paroiffiale de Saint-Étienne 
de Lille. 

Le fond du pot eft un jaspé violet au manganèse ; sur la 
panse, deux cornes d'abondance, en jaune orangé, très- 
diftérentes de la corne rouennaise, d'où s'échappent des 
feuilles & des fleurs , circonscrivent un large médaillon dans 
lequel eft peint , en camaïeu bleu , un paysage traité avec une 
délicateffe qui rappelle les plus fines peintures des plaques 
hollandaises ; sous le médaillon s'étale la banderoUe dont le 
milieu s'appuie sur une tète d'ange. 

Ce pot & cette théière ne sont pas , selon notre appré- 
ciation , les seules pièces en faïence lilloise que renferme la 
riche colleftion de l'hôtel Cluny , mais ce sont les seules , à 
notre connaiflance du moins, qui portent leur certificat 
d'origine. 

Nous ne voulons pas , en auffi difficile matière . donner 
notre appréciation pour des certitudes ; nous nous bornerons 



lOO LES FAÏENCES LILLOISES. 



à appeler principalement l'attention sur une soupière forme 
rocaille , décor polychrome , dont le couvercle eft orné de 
champignons en ronde bosse formant bouton, & sur un 
plat à anses à bords feftonnés , que nous croyons provenir 
de nos fabriques. 

Mais revenons aux pièces authentiques. 

Dans le genre de la théière du musée de Cluny, nous 
connaiflbns un saladier qui reproduit le même décor ; mais 
au lieu d'être signé lille, il porte inscrit, au revers, le mot 
GAMBRAY , ce n'eft pas un nom de ville comme nous l'avions 
cru d'abord, mais bien le nom d'un peintre lillois qui tra- 
vaillait dans l'une de nos manufadures. 

M. Vanderhelle poffédait auffi un large broc d'une conte- 
nance d'au moins dix litres , dans le même syftéme de déco- 
ration , & bien qu'il ne porte pas de signature, son attribution 
lilloise n'a point paru douteuse au savant conservateur du 
musée de Sèvres , sous les yeux duquel il a paffé. 

Enfin , M . Patrice Salin vient de nous adreffer la photo- 
graphie d'une affiette signée au revers du mot lille ; cette 
affiette, que nous avons fait reproduire avec sa marque 
(pi. III), rappelle la théière du musée de Cluny, elle eft 
peinte avec une délicateffe charmante, & son émail, d'un 
blanc laiteux , peut rivaliser avec les émaux les plus réuffis 
des fabriques de Mouftiers-, elle porte la date de 1767, 
poftérieure de quelques années seulement à la requête de 
Bouffemart , dans laquelle il annonçait une nouvelle faïence 
dont Ici beauté de V émail surpasse la porcelaine et la peinture 
surpassera tout ce qui a paru de plus beau jusqu aujourd'hui 
dans tous les genres, 

C'eft donc à la fabrique de Bouffemart, selon nous, qu'il 
faut donner toute cette famille de faïences lilloises , au décor 
rocaille & à l'émail irréprochable. La couronne placée au- 
deflus du mot lille confirme cette attribution , Bouffemart 






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DESCRIPTION. 107 



étant, nous l'avons vu, titulaire de la verrerie royale, qu'il 
avait fondée à côté de sa faïencerie. 

Dans un tout autre genre , M . Patrice Salin poffède auffi 
un magnifique plat, dont le décor, comme celui de l'autel 
de Sèvres , dérive de l'école rouennaise. Ce plat a figuré , en 
i865, à l'exposition t Union des Jrts , & il faisait partie en 
1867, dans les vitrines de V Histoire du Travail, des Faïences 
lilloises. Irréprochable de forme & d'émail , ce plat eft décoré 
sur les bords & le marly, de riches lambrequins bleus , avec 
quelques touches jaune-paille & rouge de fer,- au milieu des 
lambrequins s'inscrit un écu surmonté d'un' cimier, dont on 
peut lire ainsi les armoiries : D'or à un soleil de... en face, 
accompagné de trois cœurs de même , deux en chef & un 
en pointe. Le centre du plat, au lieu du décor qui accom- 
pagne ordinairement les lambrequins dans les plats de Rouen , 
eft orné d'une tige de fraisier, avec fleurs & fruits. 

Nous donnons en chromo-lithographie la reproduction de 
ce décor central copié sur un plat à peu près semblable à 
celui de M. Patrice Salin (pi. IV). 

Cette pièce porte au revers l'inscription lille; c'eft un 
magnifique spécimen digne des fabriques les plus renom- 
mées (1). 

Nous avons envoyé auffi à l'exposition universelle quatre 
affîettes représentant, sur un fond d'un riche émail jaune 
niellé de noir, les trente-deux cartes à jouer, divisées par 
couleur, huit cartes sur chacune des aftiettes. Le vs^let de 



(1) C*est encore le style rouennais qu'on retroave dans la bordure du magnifique 
plat de M. Patrice Salin ; son bleu pur, savamment rehaussé de rouge de fer, pourrait 
rivaliser de richesse avec les plus belles œuvres normandes ; le bouquet central seul , 
presque marseillais de facture , prouve que la fabrique lilloise puisait ses inspirations 
dans toutes les régions du royaume, sans rien vouloir copier. Signé lille, sous le 
marly, ce plat remarquable doit avoir été produit avant 1729. (A. Jacquemart , Gazette 
des Beaux- Artê. — Septembre 1868.) 



108 LES FAÏKNCES LILLOISES. 

^- 



trèfle porte au pied cette inscription : lille. L'émail de ces 
pièces eft auffi remarquable que celui du plat de M . Patrice 
Salin ; elles font aSuellement partie du musée de Lille. 

Nous avons encore fait figurera l'exposition deux statuettes 
émaillées en blanc , sur un socle au violet de manganèse ; 
elles représentent Mars & Hercule. Ces statuettes, artifti- 
quement modelées, doivent être les maquettes des deux 
statues qui décorent à Lille la porte de Paris , arc de triomphe/ 
élevé à Louis XIV, en commémoration de la réunion de 
Lille à la France. 

Nous disons les maquettes & non la reproduâiion , car 
ces statuettes sont antérieures aux statues , qui ont été exécu- 
cutée« avec quelques modifications ; ainsi Hercule , dans la 
statue du monument , a le bras droit qui porte la massue 
rejetée vers l'épaule gauche , au lieu de refter pendant le 
long du corps; le mouvement y a gagné. Quant au dieu 
Mars, il a été exécuté conformément à la statuette. 

Dans la première édition de cette monographie, nous 
disions que , selon nous , le décor à la corne que Rouen a 
tant popularisé , avait été imité par nos fabricants ; plus que 
jamais nous en sommes certain ; deux pièces authentiques 
nous le prouvent. Mais nous devons ajouter que, pour 
parler plus exactement, il faut dire le décor à la corne. 
sans la corne ^ comme on a pu le voir sur le pot du tisserand y 
exposé à Paris. La panse eft occupée par un vafte médaillon 
rocaille , dans lequel sont représentés deux ouvriers tifferands 
travaillant à leur métier, avec cette inscription : 

Charles DELLEMME. 

1750. 

En dehors du médaillon , le décor consifte en tiges d'oeillets 



DESCBIPTION. 



10!) 



& en rinceaux identiques à ceux de la faïence à la corne ; 
les petites rosaces, les papillons & les insefles qui accom- 
pagnent ordinairement ces fleurs, sont pareillement repro- 
duits; seulement ici le décor efl entièrement bleu iS: non 
polychrome. Le nom de Dellemme, porté par des familles 
lilloises & qui eft auffi celui d'un village des environs de 
Lille, suffit, sans même tenir compte des déclarations con- 
cordantes des personnes de qui nous tenons cette pièce . pour 
établir son origine lilloise. 

Dans un autre plat que nous polTédons, plat de plus de 
40 centimètres de diamètre & qui reproduit à tel point la 
forme & la dimension du plat de jM. Patrice Salin . qu'il doit 
provenir, sinon du même moule, du moins d'un moule iden- 
tique, le décor ell polychrome, seulement au lieu de saillir 
de cornes d'abondance , les rinceaux d'œiUets émergent d'une 
terralTe & d'une manière de rocher au violet de manganèse. 
Disons auffi que cette décoration n'occupe que le fond du 
plat jusqu'au marly, & que le bord fellonné eft décoré d'un 
ornement symétrique en jaune, bleu, vert & rouge, qui 
rappelle de très-près le décor des affiettes au flambeau & au 
carquois , décor que nos faïenciers ont également imité , car 

■ nous l'avons trouvé sur la pâte jaunâtre qui eft un des 
caraQères diftinâifs de nos faïences. 

Enfin . comme principes généraux , nous devons ajouter que 
la terre de nos faïences indigènes n'eft pas rouge comme 

• dans le Rouen , mais jaunâtre comme la terre des faïences de 
Delft, qui, ainsi que Lille, s'approvisionnait d'argile aux 
environs de Tournai. 

Quant à l'émail lillois, il eft généralement épais & d'un 

beau blanc laiteux qui rappelle l'aspect de la pâte tendre : il 

^ présente rarement les craquelures si communes sur le Rouen. 

H Dans les pièces décorées en camaïeu bleu . le trait eft moins 

^L née & moins précis que dans les beaux produits des usines 



LES FAÏENCES LILLOISES. 



normandes, & la régularité du décor eft parfois détruite par 
le coulage de l'émail. 

Disons encore que. aux lambrequins de Rouen, Lille ajoute 
presque toujours des guirlandes, & que dans les pièces 
polychromes, on remarque l'emploi très-fréquent du man- 
ganèse, d'un vert-olive & d'un jaune-paille très-réuffis tous 
les deux: tandis que les rouges sont affez souvent incom- 
plètement recouverts par l'émail; enfin, dans le milieu des 
plats, la feuille &. la fleur du fraisier sont le motif décoratif 
le plus souvent répété. 

Nous ajouterons que la fleur de lys, non pas au revers 
des pièces comme marque de fabrique . mais comme motif de 
décoration, soit dans le centre des plats ou à l'angle des 
carreaux, soit en relief ou découpée à jour sur le haut des 
fontaines ou des pots, eft auffi un des signes dillindifs de la 
fabrication lilloise , car jusqu'à la Révolution , la ville de Lille 
portait: de gueules à la fleur de lys d'argent, & dans le 
langage populaire, la fleur de lys s'appelait généralement la 
fleur de Lille. 

Au XVIir siècle, les fabricants de tapis de haute-Uffe 
qui, comme les faïenciers, s'étaient établis avec des subsides 
municipaux, non-seulement signaient leurs tapis de leur 
nom. mais encore les marquaient des armes de la ville. 

LesPennemaker, lesG. Werniers, les F. Bouché, qui ont 
laiffé de si magnifiques tapifferies dans le genre des Gobelins, 
tiflaient tous ces armes au bas de leurs œuvres & à côté de 
leurs noms. 

Quant aux faïences au décor chinois & japonais, en imi- 
tation de Delft, toutes les requêtes citées, l'inventaire même 
de Fauquet , conftatent leur exiftence . sans que nous puifllons 
en donner d'autres preuves que les affirmations de nos fabri- 
cants. Nous sommes même venu à nous demander, en 
comparant certaines pâtes, certains décors, si ce n'efl point 



DESCnlPTION. 



I 



dans le but de vendre leurs produits comme des produits 
hollandais, que Febvrier, Bouflemart & ses confrères, 
avaient évité d'adopter une marque de fabrique spéciale; 
& s'ils n'avaient même pas poulTé l'ejcactitude de l'imitation 
jusqu'à copier les marques de leurs modèles étrangers. Selon 
nous, »& pour les affiettes, par exemple. la différence doit 
surtout consifler dans la forme. L'affiette de Delft eft à bords 
si étroits & le marly e(t si peu accusé , que le revers décrit 
sans dépreflion aucune un arc de cercle; l'affiette lilloise a 
le bord plus large, & le marly plus creusé s'accuse à 
l'envers; la terre lilloise, moins légère que celle de Delft, 
eft moins lourde qu'à Rouen. 

Certains carreaux de faïence, inconteftablement lillois & 
qui n'ont pas quitté les parois où ils ont été posés, imitent si 
servilement les carreaux hollandais, que notre supposition 
nous parait très-fondée ; disons encore qu'à défaut de marque 
de fabrique, les armoiries & les noms inscrits sur un grand 
nombre de pièces , pourront servir à rétablir de fausses attri- 
butions . & si un jour quelque patient chercheur drelTe la 
lifledes faïences armoriées, nous y verrons figurer les armoi- 
ries des gouverneurs, des intendants & des hauts personnages 
dont nos faïenciers ont eu à solliciter la protedion , inscrites 
sur des faïences provenant de nos fabriques ; comme nous 
avons trouvé . sur des pots à bière , les noms de certains 
artisans de notre ville , accompagnant des écuffons où ils 
étaient peints dans l'exercice de leur profelTion. 

La fa£lure des vases fournis au duc de Boufflers, le plat 
de M. Patrice Salin . que nous ne connalITions pas en i86J, 
sont venus nous prouver ce que nous preffentions , sans 
pouvoir l'affirmer alors, que les fabriques lilloises, dont 
l'importance induftrielle était si considérable, avaient, à la 
belle époque de la faïence, produit des pièces remarquables 
comme fabrication & comme décor. 




LliS KAIENCBS LILLOISES. 



Dans la première édition de ce livre, aous avons dit que 
l'on pourrait peut-être attribuer à Lille la marque : 



^^5> "^ 



qui avait été jusqu'alors, & sans preuve, donnée à une 
usine des environs de Strasbourg. 

Nous signalions à l'appui de cette attribution hypothétique 
le grand nombre de faïences portant ce sigle, que l'on trou- 
vait dans notre pays. 

Nous disions -. « Cette attribution à une usine de l'Eft n'a 

> été faite qu'en raison de certains rouges pourpres que 

> l'on trouve sur des faïences signées ainsi (on sait que 
» l'abondance & la pureté des rouges d'or eft un signe 
» diftinaif de la faïence d'Hannong}; mais nous avons ren- 
» contré la marque en queftion sur des pièces d'un décor 

> tout-à-fait différent de celui usité par les usines de l'Eft; 
» souvent les faïences qui portent cette marque sont ornées 
» de blanc de rehaut, auxquels s'ajoutent, sur les pièces 
» communes , une ornementation en bleu & des peintures 
» polychromes traitées avec goût sur les objets de choix. 

» Nous citerons , dans ce genre , de jolies aiïiettes à l'émail 
» violacé, dont les bords sont ornés d'un deflin de dentelle 
» formé par des blancs de rehaut , avec réserves , dans les- 
» quelles sont peintes des fleurs; au centre des affiettes sont 
» reproduits différents petits sujets, tels que : la jardinière, 

• la laitière, le marchand d'oublis, etc., etc., & ces objets 

• rappellent aflez exa£tement la manière & le deffin de 
» Louis Watteau , le peintre lillois. 

» Nous avons encore trouvé cette marque sur des faïences 



DFSCBIPTION. 



I 



» très-fines , très-légères & décorées de fleurs & d'animaux 
» sur terrafle, peints avec une exquise délicateffe; nous 
» l'avons vue sur un bénitier orné de têtes d'anges & de 
» guirlandes de fleurs en relief; elle nous a frappé enfin . & 
» ceci efl décisif en faveur des usines du Nord, sur des 
« aflîettes au décor bleu , qu'à première vue . & sans hési- 
» talion , tout amateur eût attribuées à Deift. 

» La forme & la décoration de ces affiettes , servilement 
» copiées sur des modèles japonais . démontrent avec quelle 
» perfe£lion la fabrique française qui les a signées imitait 
» les belles faïences hollandaises, & nous nous sommes 
» demandé si parmi les usines françaises, il en exiflaît une 
» qui puisse , avec autant de droits que les manufa£lures de 
» Lille , réclamer ces imitations. 

» il faut même , pour pouvoir s'expliquer comment cette 
» marque exifte sur des faïences de nature si différente, 
» tenir compte de la double influence que nous avons déjà 
» signalée & qui faisait imiter à la fois par les usines lilloises, 
» les faïences françaises ik les produits étrangers » 

Depuis que ceci fut écrit, M. Lejael, de Valenciennes , a 
retrouvé l'origine de ces faïences & a donné, avec preuves 
à l'appui t>). à l'usine de Fauquetde Saint-Amand, la marque 
conteflée. 

M . Riocreux & moi ne nous étions pas trompés de beau- 
coup , lui . en attribuant cette marqu e à la fabrique de Preu- 
d'homme , à Aire , moi , en la réclamant pour Lille . car c'eft 
bien d'une usine du Nord que sont sortis ces produits. 

Pendant l'époque de la Révolution, nos fabriques lilloises . 
comme toutes les faïenceries françaises , fabriquèrent ce que 



(11 8tcherchii3 hiiloriqiui tar Ifé ma«afarlnm dt faïence 
iiutmiRl dr yaltncitnntê , par le doeUur Alfred Lejeil. — 



M . Champfleury appelle les faïences patriotiques. Nous récla- 
mons en leur nom une pièce qu'il cite comme exceptionnelle 
dans le chapitre consacré aux fabriques diverses. (') 

t Je signale entre autres, dit-il. un grand broc repré- 
» sentant un haut dignitaire de l'église, entre un noble &. 
« un bourgeois, les figures encadrées dans un cartouche 
» de la panse, qui n'ont pas moins de neuf centimètres de 
» haut , sont traitées par un pinceau habile , non sans rapport 

> avec le crayon de Watteau , de Lille , un artifle qui prit à 
» cœur de représenter les mœurs locales du Nord sous la 
» Révolution. Au-defTus de la symbolisation du Tiers, dans 

> un cordon tricolore, on lit : vive la nation, inscription 
» surmontée d'une grande couronne royale. Guirlande, 
« feuillage & fleurettes se preifent autour du deflin & de 
» l'inscription. 

• Le pot, ajoute-t-il, d'une belle forme élancée, a dû' 
» être exécuté pour quelque personnage important; à quelle: 
» fabrique du Nord appartient-il ? ► 

Nous répondrons au spirituel hiftorien des faïences patrio- 
tiques , que cette pièce n'efl pas auffi exceptionnelle qu'il 
le pense: nous l'avons rencontrée cinq ou six fois à Lillç, 
& nous n'hésitons pas à la donner, avec la tradition locale, 
à nos fabriques lilloises. 

Le siège si glorieux de 1792 a auffi lailTé quelques sou- 
venirs sur la céramique. Ce sont principalement des pots de 
la forme de celui du Tiers-État, représentant un canonnier 
lillois mettant bravement le feu à son canon, avec ce cri ; 

VIVE SAINTH-BARBE. 

Mais une fois arrivé aux dernières années du siècle, les 



Paris, Demu, 1867, page 3H. 




DESCRIPTION. 1 1 5 



faïences ont peu à peu perdu tout caraSère artiftique. Si 
quelque pièce eft exceptionnellement décorée avec soin , les 
traditions se sont altérées dans l'œuvre générale; le goût 
public eft au nouveau produit. La porcelaine pénètre dans 
les plus modeftes ménages & détrône la faïence , à laquelle 
le besoin de produire à bon marché a fait perdre ce qui 
faisait précisément son charme : la beauté de l'émail & l'aspedl 
décoratif qu'elle poffédait pourtant à un plus haut degré que 
son heureuse rivale. 




nci 






PORCELAINE. 



MANUFACTURE ROYALE. 



LEPERRE-DUROT. 



1784. 



E 



N CHERCHANT à imiter la porcelaine de Chine, 
qui faisait l'admiration & l'envie de tous les 
céramiftes, la France, vers la fin du XVir 
siècle , avait , par un laborieux hasard , trouvé 
ta pdte tetîdre , produit charmant que Lille 
fabriqua bientôt après Saint-Cloud & que la manufaâure 
royale de Sèvres amena plus tard & une perfeâion telle 
qu'il reliera une des produâions les plus recherchées de 
l'art gracieux du XVIU' siècle. 

Mais quand , vers 1770, la manufacture de Sèvres eut établi 
dans ses ateliers la fabrication de la pâte dure qui , depuis 



cinquante ans, faisait la gloire de la Saxe & des fabriques 
d'Outre-Rhin, de tous côtés, une fois le secret tant cherché 
connu & vulgarisé, s'élevèrent des usines qui, pour pouvoir 
lutter contre les privilèges que l'établiflement royal avait fait 
édicter en sa faveur, recherchèrent à l'envie le patronage 
néceffaire & tout puiffant des membres de la famille royale. 
C'efl ainsi qu'à Paris & dans ses environs, on vit s'établir la 
manufaflure de Monsieur, frère du Roi ; celle de Charies- 
Philippe , comte d'Artois ; celles du duc d'Angouléme , du 
duc d'Orléans, enfin celle de Marie-Antoinette, dont les 
produits sont encore connus sous la désignation de Porcelaine 
à la Reine. 

Lille prit sa part dans ce mouvement. &, en 1784, Leperre- 
Durot y établit une manufaSure qu'il obtint de placer sous 
le haut patronage de Monseigneur le Dauphin, avec le titre 
de manufacture royale. 

Quelques mois après l'édit d'autorisation de cette fabrique 
lilloise (édit qui porte la date du 1 3 janvier 1784) , le 26 mai 
de la même année, le Roi, par un nouvel arrêt du Conseil 
d'Ëtat, renouvela les privilèges accordés à la manufa£lure 
royale de Sèvres par l'arrêt de 1766, tout en accordant aux 
usines rivales un peu plus de liberté pour la fabrication & la ] 
décoration des porcelaines de luxe. 

En 1787 parut un nouvel édit sur la même matière, qui 
interdisait aux fabriques du royaume de fabriquer aucun des 
objets réservés à la manufaâure royale, sans une permiflion 
spéciale : 



Défense expresse de fabriquer aucuns ouvrages a fonds d'or, ni 
aucuns ouvrages de grand luxe, tels que: les tableaux de porcelaine, 
soit vases , figures & groupes excédant dix-huit pouces de hauteur, 
socle non compris. 



LEPERRE-DUnOT. 1 I9 

Fait également défense. Sa Majeflé , de peindre & décorer aucunes 
marchandises blanches provenant de la manufaflure de France, & de 
contrefaire ou altérer les marques dont elles auraient été revêtues. 

On n'avait pas, paraît-il, attendu jusqu'à nos jours pour 
tendre des pièges aux amateurs, & les deux L royales que l'on 
inscrit impudemment aujourd'hui au-dessous de porcelaines 
sans valeur, n'avaient point été. même au siècle dernier. 
respeâées par la contrefaçon. 

Mais revenons à notre client, Leperre-Durot ; voici l'arrêt 
royal qui le concerne : 



I 



Sur la requête présentée au Roi , en son Conseil , par le sîeur 
Leperre-Durot, négociant à Lille, contenant qu'il s'eft appliqué 
depuis sa jeunetTe â la fabrication des poteries communes, terre de 
grés, faïences & même delà plus fine porcelaine; il n'a pas borné son 
aiïivité & son indufirîe aux seuls moyens de donner à ses ouvrages 
la perfeflion convenable ; considérant les frais immenses qu'entraîne 
la consommation du bois employé dans les manufaflures de ce genre , 
le suppliant a cru devoir se rendre utile à ses concitoyens par un 
procédé économique qui ne nuisit pas à la qualité de la pâte; il elt 
parvenu, après des expériences aulTi multipliées qu'infruihieuses, à 
subftituer à l'usage du bois, celui de la houille ou du charbon de 
terre ; il a réulTi à en tirer des avantages qu'on n'a pu jusqu'à présent 
se procurer qu'à grands frais , vu la rareté du bois. 

Le suppliant , encouragé par les succès , se propose d'établir à Lille 
une raanufathire de porcelaine fine & de poteries communes; il a 
fait, en conséquence, l'acquisition d'un terrain propre â l'exploitation 
de cetétabliflement; le suppliant croit devoir exposer à Sa Majefléque 
l'usage du charbon diminuera considérablement les frais de cuitTon, 
procurera aux produits de sa manufa£liire un débit alTuré & empê- 
chera l'introduélion frauduleuse des porcelaines étrangères. Les con- 
sommateurs de Flandre , trouvant à leur proximité & à bon compte 
les objets qu'ils se procuraient ci-devant dans les Pays-Bas autrichiens 
iSi particulièrement ù Tournay, ne verseront plus un numéraire con- 
sidérable chez l'étranger pour des marchatidises de ce genre ; à ces 



considérations, le suppliant en joindra une qui ne paraîtra pas moins 
frappante : la consommation énorme de bois qui se fait dans les 
fabriques de porcelaine n'ayant plus lieu , celte denrée importante , 
dont on se croit à la veille de manquer, deviendra moins rare, & c'ett 
ainsi que l'induOrie du sïeur Leperre tournera doublement au profit 
de la province & de l'Etat. 

A ces causes requérait le suppliant qu'il plut à Sa Majellé autoriser 
la manufadure de porcelaine & de faïence qu'il se propose d'établir 
à Lille , lui permettre de mettre sur la principale porte de cet établis- 
sement les armes deSaMajefté, avec cette inscription r Manufacture 
royale; lui accorder l'exemption de tous droits d'entrée sur les 
matières premières qu'il tirera de l'étranger pour l'usage de la fabrique ; 
autoriser le Magiflrat de Lille à exempter des oflrois municipaux 
tout ce qui sera néceffaire à la consommation de la dite fabrique ; 

Vu la dite requête ; 

Vu pareillement l'avis de l'Intendant & Commiffaire départi dans 
les provinces de Flandre & d'Artois; 

Oui' le rapport du sieur De Calonne , conseiller ordinaire au 
Conseil royal, Contrôleur-Général des finances ; 

Le Rot, en son Conseil, a permis & permet au sieur Leperre 
d'établir dans la ville de Lille une manufacture de porcelaine, de 
poteries & de faïences communes; 

Ordonne qu'il jouira, pendant l'espace de quinze années, de 
l'exemption de tous droits sur les matières premières qu'il sera obligé 
de tirer de l'étranger pour alimenter la dite fabrique , à la charge par 
lui de jufliAcr que toutes les dites matières seront pour son compte 
& qu'elles seront deflinées à être employées en totalité pour l'usage 
de sa fabrique ; 

Enjoint, Sa Majefté, au sieur Intendant & Comœiffaire déparii 
en la généralité de Flandre, de tenir la main à l'exécution du pré- 
sent arrêt. 

Fait au Conseil d'Etat du Roi, tenu à Versailles le i3 janvier 1784 
Signé : HUGUES DE MONTARAN ol colluliomid- 



C h afles- Franc ois- Hyacinthe Esmangard, chevalier, seigneur des 
Bordes, Feyues, Pierrerue & autres lieux, conseiller du Roi en & 



Conseils, maître des requêtes honoraire de sonhôiel, intendant Je 
juAice, police & finances, en Flandre & Artois; 
Vu le présent arrêt, en date du i3 janvier dernier. 
Nous ordonnons que ledit arrêt sera exécuté selon sa forme S; 
.teneur. 

Le 19 février 1784. 

Sign,; : ESMANGARD. 

Fort de l'autorisation royale, Leperre adreffa au Magiftrat. 
en mai 1784. une première requête, dans laquelle, s'ap- 
puyant sur les mêmes motifs qu'il avait fait valoir devant le 
Conseil d'Etat, il sollicitait diverses faveurs & l'exemption 
des droits sur les charbons. Cette demande fut favorablement 
accueillie, ainsi que cela résulte de l'apoltille suivante enre- 
;,giilrée au bas de la requête l'I : 

Vu la présente requête & pièces jointes, l'avis du procureur syndic 
& tout considéré , nous déclarons que , par prévision & pendant un 
an seulement, après lequel tems cet objet sera pris en considération 
sur un nouveau rapport qui en sera fait, le suppliant jouira de 
l'exemption des droits dus à cette ville pour le charbon qu'il emploiera 
dans la fabrique , fit qu'il pourra employer ses ouvriers , soit aux 
ouvrages de sculpture & de peinture, soit à ceux de maison, char- 
pentiers, serruriers, maréchaux, néceflaires à l'entretien de ses fours 
& autres uflensiles de la dite fabrique , sans pouvoir être inquiété par 
les corps dont ces différents ouvrages pourraient dépendre, 

Fait en conclave , le 17 avril 1784. 

Le mois de mai suivant, nouvelle requête de Leperre; 
k cette fois, c'efl une avance de îo,ooo florins, remboursable 
I par quart & sans intérêt , de trois en trois ans , qu'il sollicite. 



X HttolutioDi Si bÎM et M U 



122 * PORCELAINE. 



Il fait valoir, à l'appui de sa demande , les dépenses consi- 
dérables que rétabliflement de la manufadure lui a occa- 
sionnées & il produit , en outre , la note suivante : 

Achat de terrain & dédommagement à différents occu- 
peurs 30,981 ^• 

Achat de terres reçues & payées 20,292 

Bfttifle des fours, ateliers & mouffles, compris les briques 
& tuiles venant de Bourgogne 25,21 5 

Pour les modèles des services de vaisselle & moules des 
figures des premiers artiftes 20,096 

Moulins à broyer 1 ,852 

Ensemble 98,436*- 



Nota. — Là-defTus ne sont pas compris les achats de charbon , les 
avances faites aux ouvriers & le paiement de leurs ouvrages faits 
jusqu'à ce jour, achat des rayons & planches de sapins , l'or^ l'argent 
& les couleurs venant de Paris & de l'étranger, qui se payent comp- 
tant , & le plfttre venant de Montmartre , etc., etc. 

Le Magiftrat demanda l'avis du procureur-syndic, qui 
conclut ainsi : 

Une entreprise de cette nature mérite vos bontés & votre protection, 
& doit d'autant plus être encouragée qu'elle excite la jalousie de nos 
voisins ; mais rien ne sera plus capable de l'accréditer, tant en cette 
ville que chez les voisins , que les faveurs que vous croirez devoir lui 
accorder ; elles feront connaître au public que vous êtes sûr de la soli- 
dité & de la perfection de cet établiflement. 

Des motifs semblables du bien public & d'accroiffement des manu- 
faéhires, vous ont déterminés à accorder au sieur Durot(i) une 



(1) Beau-père du sienr Leperre , qui avait établi à Lille , en 1*765 , une fabrique de 
toiles peintes. 



I.EPEIIBE-DCBOT. 133 

sommede 12,000 livres tournois & une somine de 5oo florins, pen- 
dant douze ans , pour tenir lieu de logement, 

La manufaflure du suppliant étant nouvelle & absolument inconnue 
en cette province, sollicite au moins les mêmes avantages, parce 
qu'elle exige une mise considérable dans son principe. 

C'eft pourquoi, Mcnîcurs, je requiers qu'il soit résolu d'accorder 
au suppliant 12,000 livres tournois , à charge que si cet élablifTemcnt 
venait à ccffer avant douze ans , par quelqu'évènement que ce soit , 
sauf par incendie ou par accident du ciel, le dit suppliant, ses héri- 
tiers & ayant-cause seraient tenus de rendre & de restituera cette ville 
la somme qui lui aura été prêtée, à charge par lui de renoncer â tous 
autres exemptions sur les hoiflbns & autres denrées de consommation, 
vous réservant de statuer sur la consommation & exemption des 
charbons de houille. 

Do CHATEAU ni VILLERMONT. 



I 



L'avis du procureur fut adopté, & l'avance de 12.000 
florins fut réalisée contre un engagement solidaire signé par 
Leperre& sa femme, Julie Durot, de reftituer ladite somme 
si la manufaÊture cessait de travailler avant le terme de 
douze années. 

A cette époque, c'eft-à-dire quatre mois après l'autori- 
sation royale, la manufaflure était déjà en pleine aftivité: 
nous en trouvons la preuve dans le procès-verbal que nous 
citons ci-après :('> 



L'an 1784, le 4 du mois de juin, vers six heures du soîr, nous, 
commifTaires soufTignés , députés par Medîeurs du MagiOrat de la 
ville de Lille , à la réquisition du sieur Leperre-Durot , entrepreneur 
d'une manufaflure de porcelaine, nous sommes rendus dans la dite 
jfadure, située place des Carmes, à l'entrée de la rue du Pont- 



il) Affiire* gtoérslea , ci 



t>ORt.ELAlNB. 



à-Raisaes, oCi étant, le sieur Leperre nous iatroduisit dans un 
emplacement de sa maison où était conttruit un four en briques, 

en forme de tour, avec quatre bouches, fermante portes de fer, 
lequel était rempli de différentes pièces de porcelaine en biscuit, qu'il 
se proposait de cuire avec de la houille, moyen qui jusqu'à présent 
n'avait point encore été pratiqué & qui lui avait été indiqué par le 
sieur Michel Vannier, son affocié , natif d'Orléans , demeurant afluel- 
lement en cette ville. Après quelques préparatifs , la houille étant bien 
allumée dans tes bouches du four, nous nous sommes retirés ; de quoi 
nous avons tenu le présent procès-verbal, pour servir ainsi qu'il 
appartiendra, les jour, mois & an que deffus. 

L'an 17S4> le ii du dit mois, nous commîlTaires soufllgnés, ayant 
été avertis par le sieur Leperre-Durot que la porcelaine que contenait 
le four auquel nous avons vu mettre le feu le 4 de ce mois, était 
cuite, qu'il se proposait de la défourner & qu'il nous invitait à être 
présents à cette opération, nous nous rendîmes à trois heures de 
relevée vers le dît four, où étant, nous avons vu retirer les pièces dont 
le détail & la quantité sont repris dans l'état ci-joint au procès-verbal ; 
lesquelles pièces nous ont paru d'une blancheur égale à celle de la 
porcelaine cuite avec du bois. 

En foi de quoi nous avons tenu le présent procès-verbal , pour 
servir ainsi qu'il appartiendra , les jour, mois & an que deffus. 

Signé : D« DRDEZ ht PBRODE. 



Ce procès-verbal aurait pu être plus explicite &. surtout 
plus technique , &. son optimisme sans réserve pourrait peut- 
être faire accu.'^er de complaisance les signataires, si les porce- 
laines de Leperre ne témoignaient hautement par elles-mêmes 
de la réuffite de ses procédés de cuiffon. Il indique en même 
temps quelle importance le IVlagiflrat attachait à cette expé- 
rimentation de l'emploi de la houille pour la cuiffon des 
porcelaines. Par des primes accordées aux faïenciers, il les 
engagea aulï! à faire de semblables elTais; son but était 



LEPERRE-DUROT. 1 2 5 



d'empêcher le renchériffement du bois dont ces usines fai- 
saient une grande consommation. 
Nous joignons au procès-verbal Tetat y relaté : 

État des pièces de porcelaine cuites dans le grand four 

de la manufacture du sieur Leperre-Durot 

et défoumées le ii juin 1784. 

Afliettes 117 

Brocs 114 

Grands bols 10 

Bols moyens 14 

Çocquiers fsiej i56 

Compotiers 12 

Caffetières 54 

Caflerolles 5 

Déjeuners à la Reine io3 

Ecuelles 19 

Grandes ecuelles 2 

Gobelets, façon d'argent? 3 

Glacières 10 

Jatte 1 

Lampe de nuit 1 

Moutardiers 19 

Plateaux d'écuelles . • 6 

Plats 7 

Plat à raves 1 

Plateaux d'aiguières 2 

Pots à crème 6 

Pots à l'eau 27 

Pots de chambre 3 

Pots à jus 83 

Pots à sucre 4 

Sous-coupes 548 

Sucriers 25 

Sceaux 4 



18 



126 PORCELAINE. 



Saucier i 

Sucriers de table & leur plateau. . . 22 

Tafles 700 

Théières 81 

Grandes théières 6 

Terrines 8 

Petites bouillottes 70 

Bouillottes moyennes 10 

Grandes figures 5 

Figures moyennes 11 

Petites figures 22 

Groupes 11 

Grandes urnes 3 

Moyennes urnes 4 

Petites urnes 49 



Ensemble 2,259 



Au mois de mars 1785, par Tentremise de M. Esmangard, 
intendant de Flandre , Leperre sollicita de nouvelles faveurs 
de la ville de Lille & des États de Flandre ; il demandait une 
nouvelle indemnité de 24,000 livres , pour prix de la décou- 
verte , & 4,000 livres à titre de prêt sans intérêts. M . Esman- 
gard transmit la demande à qui de droit , mais le Magiftrat 
répondit qu'en donnant quittance des 12,000 livres que la 
ville lui avait oÊtroyées , Leperre avait renoncé à toute solli- 
citation nouvelle , & il ajoutait que , du refte , M . l'intendant 
connaiflait l'état des finances de* la ville & les grandes 
dépenses dont elle était déjà chargée. 

Dans sa première requête au Roi , Leperre , on s'en sou- 
vient , demandait le titre de manufacture royale. L'arrêt de 
janvier 1784, que nous avons reproduit, eft muet sur ce 
point; mais dans une lettre en date du 3o juillet, après que 
Leperre eut par la beauté de ses produits fait conflater la 



LEPEBBE-DDROT. 1 17 

réuflîte complète de son procédé de cuiflbn a la houille , 
M. Esmangard écrit à Meffieurs du Magiftrat = 

M. le contrôleur-général m'a mandé, MelTieurs, que Monseigneur 
le Dauphin avait bien voulu agréer que le sieur Leperre mît au-iiellus 
de la principale porte de la maison oti îl a établi une fabrique de 
porcelaine, uae inscription portant le titre de : Manufacture royale 
DE Monseigneur le Dauphin ; en conséquence , j'ai fait dire à ce 
fabricant qu'il pourrait décorer, quand il le voudrait, sa manufadurc 
de cette inscription. J'ai cru devoir vous en informer, afin de vous 
faire connattre la proteflion que le Gouvernement parait vouloir 
accorder à cet êtabliiTement; je vous prie de donner des ordres pour 
que le sieur Leperre jouilTe sans obllacle de la faveur qu'il vient 
d'obtenir. 



Nous le répétons , c'était la complète réuflîte de son pro- 
cédé pour la cuiflbn à la houille qu'on récompensait chez 
Leperre-Durot, 

Des eflais analogues avaient eu lieu à Paris, dans la 
fabrique du comte d'Artois , mais ils n'avaient qu'impar- 
faitement réuffi ; on en trouve la preuve dans ce fait cité par 
MM. Jacquemart & Leblan : que ce fut Leperre-Durot que 
M. De Galonné appela à Paris, au commencement de 
l'année 1786, pour y faire publiquement, « non des expé- 
riences, mais des démonftralions officielles de la cuiffon à 
la houille. » Des rivalités & des jalousies de confrères 
empêchèrent que les expériences aboulilTent. 

Nous avons trouvé, dit M. Jacquemart, une note du 
i8 janvier 1786 qui autorise Leperre à venir à Paris, accom- 
pagné des ouvriers nécelTaires, pour y faire non des expé- 
riences, mais des démonftrations officielles de la cuifTon à 
la houille. « Si M. De Galonné, continue-t-il , consentit à 
payer les frais de ces expériences coûteuses, c'efl qu'il recon- 
naiflait la qualité irréprochable des porcelaines lilloises & 



12S PORCELAINE. 



le talent supérieur du fabricant , autrement il se fut adrelfé 
à Bourdon - Desplanches , direâeur de Tusine du comte 
d'Artois , dont les épreuves lui paraiffaient pourtant dignes 
d'encouragement. » - 

Puis M. Jacquemart ajoute dans une note : 

€ Les pièces relatives à ces expérimentations prouvent 
combien il eft difficile de faire accepter un progrès ; les por- 
celainiers de Paris semblent avoir pris à tâche de fournir des 
pièces peu aptes à résilier au feu, leur pâte eft molle, dit 
Leperre , incapable de supporter la cuilTon sans de nombreux 
supports, tandis que celle de Lille eft tellement résiftante 
qu'elle se pafTede soutiens ; les talTes avariées de Lille servent 
même aux orfèvres de la ville pour remplacer les creusets 
dans la fonte de l'or, t 

» A la sortie du four, nouvelles difficultés; les pièces 
étaient toutes déclarées de seconde & de troisième qualité 
par leurs propriétaires , qui avouaient naïvement ne vouloir 
pas en lailTer clalTer dans le premier choix. Bref, les expé- 
riences n'aboutirent à rien , chacun reprit sa cuite au bois , 
& l'usage de la houille , dans les usines de porcelaines , se 
trouva ajourné à un demi-siècle. » 

L'État, du refte, ne fut pas dupe du mauvais vouloir des 
concurrents de Leperre, on le verra plus loin. 

Mais pendant que celui-ci luttait à Paris, non seulement 
pour l'expérimentation de sa découverte , mais pour obtenir 
les dédommagements & les juftes indemnités qui lui étaient 
dus , sa femme , laiffée à la tête de la manufaâure , avait à 
faire face à des difficultés d'argent. Le coUeâeur des impôts 
lui avait fait sommation d'avoir à payer les termes arriérés 
de ses impositions, à péril d'exécution; elle écrivit au 
Magiftrat, en mai 1788, pour obtenir un sursis; elle faisait 



LEPERRE-DUROT. 1 29 



valoir : € Que le sieur Leperre avait été appelé à Paris par 
ordre du Gouvernement , pour y conftruire des fours sem- 
blables à celui de sa manufacture, qu'il n'a point encore 
terminé les affaires qui l'y retiennent, il n'a pu encore obtenir 
du Gouvernement la récompense qui lui eft promise & qui 
lui eft due à si jufte titre. On lui fait espérer une prompte 
décision & la suppliante l'attend pour satisfaire à ses enga- 
gements. > 
Le procureur-syndic conclut favorablement : 

On^m'aflure, dit-il, que M. l'Intendant a donné depuis quelque 
tems un avis favorable sur la demande formée par le mari de la sup- 
pliante, afin d'obtenir du Gouvernement un secours affez considérable 
pour maintenir sa manufafhire contre les efforts que font les entre- 
preneurs de pareilles manufactures pour l'anéantir ; dans ces circons- 
tances , je ne crois pas devoir Vous engager à rejeter la demande , 
d'autant qu'elle ne pourrait remplir son obligation , sans arrêter le 
cours des paiements à faire tous les jours, soit pour salaire d'ouvriers, 
soit pour l'achat des marchandises ou matières premières néceflaires 
à l'alimentation de la fabrique. 

Le Magiftrat accorda ce nouveau délai , mais les efforts de 
l'inventeur, comme presque toujours viâime de son inven- 
tion ; la bonne volonté même de ses puiffants proteâeurs, ne 
purent facilement obtenir ce qui lui était dû. Nous trouvons 
une preuve navrante de la longue inutilité de ses sollicitations, 
dans une lettre originale du duc d'Harcourt, qui nous a été 
communiquée par un amateur d'autographes. Cette lettre eft 
adreffée à M. Esmangard, intendant de Flandre, protefteur 
de Leperre : 

Meudon, 2 juillet 1788. 

D'après ce que vous m'avez fait l'honneur de me dire. Monsieur, sur 
l'affaire du sieur Leperre, dont vous avez trouvé la réclamation jufte, 



1 3o PORCELAINE. 



je me suis intéreffé auprès de M. le contrôleur-général y pour lui en 
faire accorder l'objet; mais ce minière , par sa lettre du 16 du mois 
dernier, m'annonce que les circonftances afhielles ne permettent pas 
de porter à une plus forte somme que celle qu'il a obtenue , l'indem- 
nité qui a été réglée à 2,400 florins. M. Lambert ajoute qu'il serait à 
désirer qu'on pût trouver d'autres moyens de venir à son secours, & il 
a dû vous écrire en conséquence. 

Vous connaiflez comme moi , Monsieur, la position cruelle de cet 
entrepreneur & l'importance de la découverte qu'on lui doit, de cuire 
la porcelaine au charbon de terre. Par votre avis ci-joint, daté du 
mois d'octobre 1786, vous avez eflimé que les dépenses occasionnées 
par l'effai qu'il ell venu faire à Paris , & les pertes qu'il a néces- 
sairement éprouvées par l'abandon de sa manufacture , ne sont pas 
trop évaluées à moins de 48,000 livres , & vous avez demandé d'être 
chargé, par M. le contrôleur-général, de lui faire donner, pendant 
deux ou trois ans , une gratification de 3 à 4,000 livres sur le produit 
des petites affennes. 

Vous sentez que comme il n'a obtenu que 2^400 florins pour toute 
indemnité , il lui serait absolument impoflible de remettre sa manu- 
facture en activité, si vous ne veniez pas à son secours; je réclame 
avec inflance vos bontés pour lui & vous demande de lui procurer, 
sur les petites aflennes , 4,000 livres de gratification pendant douze 
ans , ce qui fera au total la somme de 48,000 livres que vous avez 
jugé lui être due seulement pour dédommagement, sans compter les 
peines & soins qu il s'eft donné pour suivre une opération qui Ta 
ruiné , au point que je sais que le peu d'effets qui lui reflent sont au 
mont-de-piété ; ce qui n'efl pas étonnant, puisqu'il n'a aucune autre 
reflburce pour vivre , depuis près de deux ans qu'il sollicite le rem- 
boursement des dépenses qu'il a faites par ordre du Gouvernement. 

Je remets entre vos mains , Monsieur, les intérêts de ce malheureux, 
6i suis persuadé que votre humanité le tirera de la misère où il eft 
réduit, en le mettant à portée de rétablir sa manufacture, sinon sur le 
premier pied , du moins de manière à faire espérer que par la suite elle 
retrouvera l'aCtivité qu'elle avait à l'époque du déplacement de son chef. 

J'ai l'honneur d'être, avec un sincère attachement , Monsieur, 

Votre très-humble & très-obéiflant serviteur. 

Signé : Lb Dec ds HARCOURT. 



I.EPESBE-DUROT. 



Une pièce que nous avons trouvée tout récemment dans 
les archives que M. Gentil-Descamps a léguées à la ville. 
nous apprend que ces dernières démarches eurent enfin un 
résultat. C'eft une lettre signée Dufresne, datée du t) dé- 
cembre 1788, qui annonce l'envoi de l'expédition d'un arrêt 
du Conseil relatif à Leperre. Nous avons été allez heureux 
pour trouver cet arrêt aux archives du département!'^; en 
voici la teneur : 



Extrait des Registres du Conseil d'État. 

Le Roi, Informé que le sîeur Leperre, négociant & entrepreneur 
d'une manufa^re de porcelaine établie â Lille, avait été appelé à 
Paris en 1786, pour conftruire des fours de son invention & propres 
à cuire la porcelaine avec le charbon de terre ; qu'il y avait procédé 
sous les yeux des commiffaires nommés a cet effet, à différentes 
expériences qui avaient réuni; que son déplacement avec les princi- 
paux ouvriers de sa manufacture & le long séjour qu'il avait été obligé 
de faire à Paris lui avaient occasionné des frais & des pertes considé- 
rables, & que, dans ces circonltances , il était de la bonté de Sa 
Majellé d'accorder au dit Leperre une indemnité, par forme d'encou- 
ragement , pour le mettre en état de continuer avec succi:s les travaux 
de sa manufacture ; 

A quoi voulant pourvoir ; 

Ouï le rapport; 

Le Roi, étant en son Conseil, a ordonné & ordonne qu'il sera 
paie au sieur Leperre, sur le produit excédant des petites affennes 
de la ville de Lille , une gratification annu elle de 4,000 livres pendant 
douze années, â compter du 1" janvier de la présente année, sous la 
condition exprelfe qu'il tiendra en activité la manufa^re de porce- 
laines établie en la dite ville, & indépendamment des 3,000 livres 
précédemment accordées au dit Leperre par arrêt du Conseil du 



{1) PetîlM BueDoeB N" 13 , dossier N^* 8. 



l33 PORCELAINE. 



20 décembre 1785, & dont il doit jouir encore pendant trois ans; 
ordonne que le présent arrêt sera enregiftré au bureau des finances , 
& enjoint au sieur intendant & commiffaire de tenir la main à son 
exécution. 

Fait au Conseil d'État du Roi , Sa Majefté y étante tenu à Versailles 
le 5 décembre 1788. 

Signé : PUYSBGUR. 

C'était en réalité, avec les 10,000 livres concédées par 
l'arrêt de 178^, 60,000 livres que l'État accordait à Leperre 
par annuités , en récompense de son invention ; nous nous 
sommes reporté aux comptes des assennes , & dans les trois 
dernières années, nous avons conftaté le paiement des 
4,000 livres. On appelait affennes les comptes des revenus 
du domaine royal donnés à la ville , en gage des différentes 
sommes empruntées par le Roi sur le crédit de la ville ; ces 
revenus domaniaux étant plus que suffisants pour acquitter 
les rentes auxquelles ils étaient affeâés, le surplus chaque 
année faisait retour au Roi. 

Mais la Révolution enleva à Leperre cette reflburce qu'il 
avait eu tant de peine à obtenir, & c'est alors qu'il céda sa 
manufaâure, au commencement de 1790. 

Avant de continuer l'hiftoire de la manufaâure de Leperre , 
sous ses succefleurs, disons quelques mots des porcelaines 
fabriquées par celui-ci & qui portent, soit la marque : 
 LILLE, soit le dauphin couronné. 




Ces porcelaines sont très-remarquables, c On fabriqua, 
dit M . Brogniart , tout un service destiné au Dauphin , sous 



l.EPEBBli-DUROT. l33 

le patronage duquel la fabrique était placée. > Mais laifTons 
la parole à M. Albert Jacquemart; nous sommes trop heu- 
reux de pouvoir appuyer nos appréciations de la double 
autorité que donnent à ses jugements sa compétence & son 
impartialité. 

Voici ce qu'il dit dans son beau livre sur la porcelaine -. 

Le musée céramique de Sèvres possède une soucoupe en porcelaine 
iaiiue, portant sur le marly des inltrucnents de chimie Si les signes 
usités dans la pharmacie organique. Autour on lit : fait /l lills, fh 
FLAMnaE; cuit au charbon de terre, en 1785. 

La porcelaine de Lille cfl une poterie remarquable , diitinguée & 
tous égards. M"" Musîas a offert au musée de Sèvres une taffe trem- 
bleuse, cadeau de noces commandé par son aïeule vers les commen- 
cements de la fabrique. La pâte blanche eft bien travaillée , les 
bouquets & les bordures d'or mat auraient pu supporter la compa- 
raison avec certains produits de l'usine royale; ces seuls mots : 
A LILLE , sont inscrits sous la pièce. 

M. Lecorate, payeur des finances à Versailles, poffÈde un beau 
vase sous lequel la marque du Dauphin ttt tracée en or & au pinceau. 
Elle exifle en rouge & faite à la main, sons un tête-à-tête genre de 
Sèvres , aux armes de la maison Polignac . Dans les pièces courantes, 
la même marque eft imprimée en rouge , avec une vignette à jour. 

Or ne doit pas se méprendre , au surplus , sur la valeur que nous 
attribuons à l'exprefîion de pièces courantes; nous voulons parler des 
objets de service usuel : soupière, plat, alTîettes, bols, etc., etc., 
mais la porcelaine en efl toujours belle & le décor riche ; des bor- 
dures d'or, des bouquets habilement composés, peints avec soin, 
indiquent une fabrication de luxe & de haut prix. 

Rare encore dans les coUedions , la porcelaine de Lille se montrera 
le jour où on daignera la rechercher. 



Nous nous aflbcions à cet éloge désintéreffé . qui peut-être 
eût paru suspe£t sous notre plume ; du refle . la liste des 
dépenses faites pour l'établiffement de la manufa£lure , lifle 



l34 PORCELAINE. 

/ 



que nous avons reproduite , mentionne une somme de plus 
de 20,000 florins , pour modèles de service & moules des 
figures des premiers artiftes. Nous voyons , de plus , par le 
procès-verbal que nous avons cité, que dans les 2,329 pièces 
provenant d'une seule fournée , se trouvent des groupes de 
dimensions diverses et des grandes figures. 

Peut-être Leperre dut-il au patronage du Dauphin, ou plutôt 
à son éloignement de Paris , de ne pas s'être vu interdire ce 
genre de fabrication ; malheureusement , il ne nous a pas 
encore été donné de rencontrer des produite de cette nature, 
à l'exception de quelques biscuits , qui portent sous le pied 
cette inscription gravée dans la pâte : a lillb. 

A Leperre succéda , pour l'exploitation de sa manufac- 
ture , une société dont M . Gaboria , Tun des actionnaires , 
fut nommé direâeur ; mais sous les nouveaux propriétaires , 
on avait cefTé de faire usage de la houille , le progrès fut 
ajourné d'un demi-siècle, comme le dit M. Jacquemart. 

Voici, sur la prise de poflefîîon de la manufafture par 
les nouveaux titulaires, un avis publié en 1790 dans un 
journal local (^) : 

La manufaâure de porcelaine de Monseigneur le Dauphin y établie 
en cette ville , dont les travaux languissaient depuis quelques années, 
par des raisons particulières , vient de reprendre depuis quelques mois 
& sous de nouveaux propriétaires, une aftivité plus grande qu'elle 
n'a jamais eue. 

La suppreflion qu*on a faite des formes triviales pour y subftituer 
des formes plus rescentes & plus agréables y les nouveaux genres de 

: 1 — 

(1) V Abeille , ouvrage périodique contenant l'essence des gasettes, les nouveautés 
intéressantes , les affiches et avis divers, et enfin tout ce qui peut 6tre utile et agréaUe. 
(Supplément au numéro t\ du jeudi 17 juin 1*790. 



LEPBRRE-DUnC 



peintures qu'on a adoptés , & surtout la modération qu'on se propose 
dans les prix , doivent alîurer le succès de cette entreprise & la satis- 

I feflîon du public. 

I Quant & la manière de fabriquer la pâte, on n'a point hésité 
d'adopter la même qu'à la manutafhire de M onsîeur, frère du Hoi, que 
celle de Sèves CticJ même a également adoptée depuis quelques années. 
Les personnes qui ont des notions sur l'art de faire la porcelaine 
savent que celle appelée porcelaine dure eft Is seule véritable , celle des 
Indiens & des Japonais, tandis que celle dite d frite, la première 
découverte en France & qui se fabrique encore à Cbantilly, Arras 
& Tournay, n'efl qu'une porcelaine faclice dont l'émail, composé de 
matières criftallines, se raye au couteau & s'altère lorsque des acides 
y séjournent; de sorte que la véritable porcelaine réunit â l'avantage 
1 blancheur celui bien renommé de la solidité , qui lui fait sup- 
porter un feu beaucoup plus vif, & ces avantages sont bien précieux 
pour l'usage habituel des maisons. 

La vente des objets de cette manufaflurc cil déjà ouverte ; on n'y 

1 vendra qu'à prix Bxe, & les personnes qui désireraient faire faire 
quelques ouvrages paniculiers & des services à leur chiffre, à leurs 
armes, ou tel autre delTin , sont sûres qu'on les exécutera parfaitement 
sans se prévaloir, quant au prix , de ce que ce seraient des objets de 
fantaisie. 

Comme cette manufa^re oflre des détails alTez intéreflants , toutes 
les personnes qui se présenteront peuvent être certaines qu'on se 
fera un vrai plaisir de satisfaire leur curiosité. 

Il faut s'adrelTer, pour tout ce qui concerne cette manufaâure, à 
M. Gaboria, co-propriétaire & régifleur, quî y a établi sa demeure. 



Pour l'époque & comme réclame , cela n'eft pas mal ; 
mais nous en sommes fâché pour la mémoire de M. Gaboria, 
nous doutons très-fort que la subftitution de foniies nouvelles 
et agréables aux formes triviales que son prédécefTeur avait 
copiées sur celles de Sèvres , constituât un progrès dont il 
fut en droit de s'enorgueillir. 

Quant à son parallèle entre la pâte dure & la pâte tendre, 
I c'était un argijment dirigé contre la concurrence redoutable 



PORCELAINE. 



que faisait à son étabUflement la porcelaine de Tournai, 
dont l'usage s'était répandu dans toutes les grandes familles. 

Du refte, on ne peut le nier, tout en subifTanl le goût du 
temps, les produits de la manufa^ure conservèrent une 
véritable valeur artiflique. 

Nous pouvons encore ici nous appuyer sur le témoignage 
de M. Jacquemart : 

• A l'époque de la Révolution, dit-il , la fabrique de Lille 
fut un refuge pour quelques artiftes de talent. M. Emile 
Wattier conserve un déjeuner qui a été décoré, par son 
grand-père , de divers sujets de nature morte ; obligé d'aban- 
donner les nombreux travaux qu'il avait commencés dans 
les églises & les couvents du Nord de la France, le peintre 
fut heureux de trouver à employer son pinceau dans un 
établiffement honorable. » 

Le peintre dont parle M. Jacquemart avait nom Thuillïer. 

Le musée de Sèvres potîède . de la fabrique de Lille . nous 
a dit M. de Riocreux , un pot à l'eau dérivant de la forme 
du broc, que ledit Thuillier peignit en 1795. pour un sieur 
Laguarigue, négociant en porcelaine & faïence, à Paris. La 
peinture représente un sujet de nature morte , dans le genre 
de Desportes. Ce pot provient auflî de M. Wattier. 

Des documents qui ont passé sous nos yeux , nous ont 
fourni les noms de quelques ouvriers spéciaux qui travaillaient 
dans la manufaâure de Gaboria à l'époque de la Révolution. 

Nous citerons comme peintres : Thuillier. Joseph Lϔllet, 
Pidoux, Gauchain, Ed. Corbet, le frère du sculpteur, sans 
doute; Michel Quechere, Nicolas Meyer & Félix Pelse. 

Comme mouleurs : Léonard Salviani, Alexandre Caron. 
Antoine Fourmeftraux, Barbin, & enfin un nommé Joseph 
Soudan , fleuriste. 



LEPËRRE-DUROT. lî^ 

Cette lifte incomplète dit alTez l'importance qu'avait con- 
servée la manufaSure. 

Le Caron dont il eft quellion ci-de(îus fut le père d'Adolphe 
Caron . graveur diftingué , que les arts viennent de perdre ; 
il travaillait, nous l'avons dit, comme modeleur dans la 
fabrique lilloise ; son extrême habileté le fit appeler plus 
tard à Paris, par M. Dagoti, célèbre fabricant. Dans l'éta- 
bliflement de ce dernier, il exécutait les modèles pour les 
ouvriers, Caron père fut ensuite chargé d'établir & d'orga- 
niser une manufaflure près de Nevers. Enfin il devint direfteur 
d'une fabrique de terre anglaise , à Gien , avant de prendre 
définitivement sa retraite. Il avait fait apprendre le deflin à 
son fils , dans l'intention d'en faire un peintre décorateur, 
mais celui-ci s'adonna tout entier à la gravure & conquit , 
dans cet art. une juste célébrité (^>. 

A M. Gaboria succéda un sieur Graindorge, sur lequel 
nous manquons de renseignements; puis enfin M. Renault 
qui ferma la manufa£lure. 

Nous extrayons de la statiftique du département du Nord''^), 
publiée par M. Dieudonné, ancien préfet du département du 
Nord , les quelques renseignements qui suivent & qui se 
rapportent aux dernières années de fabrication : 

En l'an neuf, la manufaflure occupait encore quarante ouvriers, 
dont six tourneurs & dix peintres gagnant en moyenne de dJs à douze 
livres par jour. Cène manufaflure tire l'argile i^ les cailloux (spath 
fusible), qui fait l'émail, de Limoges & Bayonne; l'argile & les 
cailloux reviennent à trente-sept centimes le kilog., rendus à la manu- 



(1) Cm teDtEignemtnts sur U bmilte Carjti 
riquïl -Dupant adretsée h W . Palelï , orthivipU 
notice (ur nolle cimciinyi'n , Ailnlphe Caron. 

[•i) DD»i, 1804. 



nt extriiii d'ane leitrt' de U. Ueo- 

e la TJU? de Lille , qui » publie un'- 



l38 PORC Kl. AINE. 



faâure ; elle a consommé, en 1802, 20,000 kilogrammes d'argile & 
1 5,000 kilogrammes de cailloux , & fabriqué à peu près 60,000 pièces 
en quarante-huit fournées , savoir : 

Huit douzièmes en tafTes & sous-tafles. 

Trois douzièmes en services de table. 

Un douzième en groupes & vases d'ornements. 

La consommation de l'or, pour les doreurs, représente une valeur 
de 8,000 fr. pour ladite année. 

En Tan onze , la ville de Lille organisa , à l'occasion du 
voyage du Premier Consul , une exposition des produits de 
rinduftrie du pays, dans les galeries de la Bourse. Nous 
savons, par des témoignages contemporains, que les pro- 
duits de la manufaâure de porcelaine attirèrent vivement 
l'attention. Voici, d'après le catalogue, quels étaient les 
objets exposés par M . Renault : 

1^ Deux vases jasmins à cartel, avec figures en coloris & décoration 
en or. 

2° Deux autres vases à cartel, avec figures & bouquets en gris. 

3^ Deux petits vases à têtes de satyre. 

4^ Un cabaret composé de douze tafles & six grandes pièces à figures 

& paysages (0. 

En l'an treize , la manufacture lilloise obtint encore une 



(1) Mentionnons en même temps les autres produits céramiques du Nord qui figu- 
raient à cette exposition : 

Les enfants Lefebvre de Lille (ancienne fabrique Dores) : Plusieurs pièces de faïence. 

La fabrique de Bailleul . Trois saladiers , quatre assiettes , un plat , quatre pots « 
deux rafraichissoirs ; le tout en &ïence. 

La fabrique de Saint-Amand : Différentes pièces de faïence. 

Lepez aîné , à Douai : Deux vases en biscuit blanc , différentes pièces faïence dite 
grès anglais. 



médaille d'or à l'exposition de Douai , & nous avons pu . 
par des titres divers , conftater son exiftence jusqu'en 1817 : 
mais les frais de transport des matières premières créait 
à cette induflrie locale des impolTibilités de concurrence 
qui devaient inévitablement entraîner la fermeture de l'éta- 
blilTement. 

Pendant les dernières années, la fabrication avait perdu 
tout caraâère artiOique , & les produits fabriqués avaient 
ceffé de porter la marque d'origine. 




MUSÉE CÉRAMIQUE. 



LA SALLE DU CONCLAVE. 



L 



I DOCUMENTS que Hous avoDS réunis dans 
les pages qui précèdent , montrent quelle part 
importante Lille a prise au XVIir siècle dans 
le développement de l'induftrie céramique. 
Dès 171 1. en eftet, nous avons vu s'établir, 
sous la direâion de Barthélémy Dorez , une manufaâure de 
porcelaine pâte tendre ; quelques années seulement après la 
création de la fabrique de Saint-Cloud , & bien avant l'éta- 
bliflement de celles de Chantilly, de Mennecy, de Tournai & 
de Vincennes. Quant à la pâte dure . c'eÛ-à-dire à la porcelaine 
proprement dite , Lille a donné naiflance à une manufaâure 



142 MUSKE CERAMIQUE. 



honorée de la proteftion royale , qui , au mérite incontefté 
de ses produits , a joint le mérite plus grand encore d'avoir la 
première, & dès 1784, réalisé pratiquement la subftitution 
de la houille au bois , pour la cuiflbn de la porcelaine. 

Dans la fabrication de la faïence , le rôle de la ville de 
Lille n'eft pas moins considérable. De 1696 à 1773 , elle 
voit s'établir, dans son enceinte , six manufaftures dont trois 
atteignent un haut degré de prospérité. 

Il eft fâcheux pour la renommée des fabriques dont nous 
venons d'écrire l'hiftoire , que depuis le commencement de 
ce siècle , la ville n'ait pas créé , comme Rouen & Nevers , 
à côté des riches musées qui font sa gloire artiftique , un 
musée de céramique & d'archéologie. Il eût donné asile à 
bien des pièces précieuses pour notre hiftoire locale , qui se 
sont difféminées soit dans des musées étrangers , soit dans 
les coUeftions particulières. 

Cette lacune vient d'être comblée, & l'admininiftration 
municipale , en votant des fonds pour la création d'un musée 
d'archéologie & de céramique, a mis à la disposition des 
commiffions directrices de ces musées un magnifique empla- 
cement dont nous voulons dire quelques mots. 

La salle du Conclave, deftinée à réunir les coUedions 
d'archéologie & de céramique, eft la seule partie qui subsifte 
encore de l'ancien palais de Rihour bâti par Philippe -le - 
Bon vers 1459(1), & acheté, en 1664, par le Magiftrat, à 
Philippe IV d'Espagne , pour y établir l'Hôtel-de-Ville. 

C'eft dans cette salle que siégeaient les échevins & que se 
réuniflaient les États de la province, avant 1789. 

Dans la dernière année du XVI r siècle , Arnould de Wuez , 



(1) C'est ù tort que certains mémoriaux font remonter cette construction à 1430. 



LA S*LLK DU CONCLAVB. 



rartifte le plus célèbre que Lille compte parmi ses peintres, 
quitta Paris pour venir s'établir chez nous, & il ouvrit dans 
son atelier la première académie de peinture que Lille eût 
poffédée. 

Il soumit en 1711, au Magiflrat, un projet de tableau 
pour décorer la grande paroi de la salle du Conclave , qui 
se trouvait vis-à-vis du banc des Magiftrats; le projet fut 
approuvé , & De Wuez fut chargé d'exécuter le tableau 
représentant le Jugement dernier, moyennant 1,200 florins. 
prix convenu. 

L'année suivante, le tableau était terminé & le Magiflrat. 
satisfait, chargea De Wuez de peindre quatre autres pan- 
neaux , pour décorer le refte de la salle jusqu'à l'hémicycle . 
& ce, moyennant 4,000 florins. De ^'uez exécuta, en con- 
séquence , le Juf^emeiit tle Saloiiion , lu Fmiinif utlulltTC , tf 
Jngeme/U de Daniel & ta Mort d'Anaiiie. Le z8 juin 1714. 
ces quatre grandes toiles étaient terminées & , dans sa satis- 
faSion. le Magiflrat porta, de 5,200 à 6, 200 florins, le prix 
des peintures exécutées, à charge par le peintre de remettre 
à la ville les esquilfes de ses tableaux, qui sont conservées 
dans le musée de peinture. 

Si nous pouvons encore juger de la composition de ces 
(Euvres capitales , il serait bien difficile de se prononcer sur 
le mérite de la peinture, le temps & les restaurateurs, tempus 
edox , homo edacior, ont accumulé leurs ravages sur ces 
tableaux. 

Dès 1745 , Desfontaines, élève d'Arnould de Wuez, reçoit 
de la ville 1,140 livres, pour avoir repeint certaines parties 
détériorées par l'humidité. Vingt-cinq ans plus tard, l'état 
fâcheux de ces peintures éveilla de nouveau la sollicitude du 
Magiflrat; une commiffion, nommée à cet effet, fit venir 
de Tournai un certain Cardinal , peintre reflaurateur, qui 
demanda 1,800 florins • pour raccommoder, nettoyer & 



» enlever les huiles & ingrédients défeûueux mis en 1745. 
» & vernir les tableaux après qu'ils auraient été retouchés 
V parle sieur Gueret. profefieur de l'Académie de peinture. » 
& ce dernier reçut , de plus , 2,400 livres , « attendu la gnmde 
» qutuitUé tfoiitremer qu'il devait employer & qu'il eftime 
* à huit cents livres tournois. 

Cette seconde restauration , qui coûta 6,000 livres , ne 
devait pas être la dernière. Espérons que les fonds que la 
ville vient d'employer à une nouvelle reflauration devenue 
indispensable, aura, pour la conservation de ces œuvres, un 
effet plus durable. 

En 1717, pour compléter l'ornementation de la salle. 
si bien commencée par les peintures d'Arnould de Wuez. le 
Magiflrat décida « de faire lambrifler toute la salle d'une 
belle boiserie de che'ne sculptée. • Ce travail fut adjugé . 
moyennant J.ioo florins, aux sieurs Claude Franchomme 
& Philippe-André Cuvelier. Nous sommes heureux de pou- 
voir faire connaître les noms des deux modeltes artisans qui 
ont exécuté les magnifiques boiseries qui décorent la salle du 
Conclave. Conçues dans le pur style de Louis XIV. elles 
sont travaillées avec un soin merveilleux. & plus heureuses 
que les œuvres de De Wuez , elles nous sont parvenues 
intactes & vierges de toute peinture ou vernis, qui eut empâté 
les fins détails des sculptures ou noirci le beau ton du chêne 
de Hollande. Les sculptures de ces boiseries sont l'œuvre 
d'Alexandre Dillies; elles lui furent payées 2Î2 florins. Quant 
aux groupes d'amours qui surmontent les pilaflres, ils furent 
sculptés par Barthélémy Arion , qui reçut pour cela la somme 
de 192 florins. Enfin , la paroi circulaire au-deffus des gradins 
fut ornée d'une tapilTerie de haute-liffe par Destombes- Pan- 
nemacker. qui reçut pour ce travail 2,100 florins. A la place 
de cette tapilTerie disparue, la ville a fait établir des armoires 
en chêne deftinées à recevoir nos colledions. 



LA SALLE DU CONCLAVE. 1^5 



On le voit, les musées en création seront dignement placés. 
Espérons que la splendeur de Tinftallation provoquera l'ému- 
lation des donateurs, heureux doflrir un pareil asile aux 
objets dont ils se deffaisiront en faveur de la ville. Nous ne 
nous diffimulons pas qu'en raison du prix exceffif qu'ont 
atteint les curiosités, & avec les reffources naturellement 
reftreintes qu'une ville , qui a d'autres devoirs à remplir, peut 
mettre à la disposition de ses commiffions , c'eft surtout sur 
les donations & les legs que les musées de ce genre doivent 
compter. Nous avions pour point de départ quelques terres 
cuites gallo-romaines , quelques vases remarquables , don du 
Gouvernement, provenant de la coUeâion Campana; en y 
joignant les objets en grès cérame & les faïences peu nom- 
breuses appartenant d'ancienne date à la ville , ou offertes 
récenmient par des amateurs, ainsi que quelques pièces de 
choix achetées avec les reffources que la ville a généreusement 
mises à *notre disposition , nous avons pu former le noyau 
d'un musée que le temps se chargera d'enrichir. Déjà plusieurs 
spécimens très-curieux de nos anciennes fabrications ont été 
réunis , & nous n'hésitons point , en terminant , à solliciter 
de nos concitoyens les dons qui peuvent compléter cette 
colleSion naiffante. 





PIÈCES JUSTIFICATIVES. 



Requête de la veuve Febvrier pour Tobtention 

d'un privilège exclusif. 



1729 



AU ROI. 
Sire, 

Marie -Barbe Vandenpopelière , veuve de Jacques Febvrier, & 
François-Joseph BoufTemart, son gendre & son alTocié, pour faire 
valoir la manufaéhire de fayence qui a efié établie depuis plus de 
vingt-cinq ans , par ledit Febvrier, dans la ville de Lille , remontrent 
très- humblement à Voftre Majefté, que par les certificats qu'ils 
raportent, il eft justiffié que les ouvrages qui se font dans cette manu- 
fafhire sont si beaux & d'une si bonne qualité qu'ils sont très-recher- 
chés & même préférés à ceux d'Hollande , non seulement par les 
marchands fajenciers de la Flandre & des environs , mais encore par 



2) 



t5o pièces justificatives. 



ceux de Paris ; que les suppliants ne peuvent aâuellement faire fabri- 
quer la moitié des ouvrages que ces marchands leur demandent^ 
parce qu'ils n'ont pas un nombre suffisant de fourneaux & d'atelliers^ 
mais qu'ils y parviendraient facilement en faisant conflruire de nou- 
veaux fourneaux , ce qu'ils ne peuvent faire sans une permiflion de 
Sa Majefté, aiant efté fait défenses , par un arrêt du Conseil du 9 août 
1723, d'eftablir à l'avenir aucuns fourneaux sinon en vertu de lettres- 
patentes; que d'ailleurs les suppliants ne peuvent entreprendre de 
faire une dépense aufli considérable que celle qu'ils seront obligés 
de faire pour conftruire un plus grand nombre de fourneaux & 
d'atelliers , si ils ne sont pas alTurés que cette dépense ne tombera 
pas en pure perte pour eux , comme il arriverait si Sa Majefté n'avait 
la bonté de faire défenses à toutes autres personnes de conAruire à 
l'avenir d'autres manufaâures de fayence dans la ville de Lille & à 
dix lieues aux environs^ que celles qui sont déjà eflablies dans cette 
étendue. 

Que lés suppliants , en doublant la quantité d'ouvrages qu'ils font 
fabriquer aâuellement , consommeront aufli une fois plus de plomb & 
d'eftain qu'ils font venir d'Angleterre, en conséquence des passe-ports 
que Sa Majeflé a la bonté de leur accorder, ce qui augmentera le 
produit de ses fermes ; que les suppliants ne peuvent pas se servir de 
l'eftain ni du plomb d'Allemagne, parce que se trouvant meslés de 
cuivre, ils seraient obligés pour les faire fondre de cuire davantage leur 
fayance, ce qui la rendrait beaucoup plus fragile qu'elle n'eA, lorsque 
Ton y emploie de l'eftain & du plomb d'Angleterre ; de sorte que s'il 
ne leur était pas permis de faire venir ces métaux d'Angleterre , 
ils seraient forcés de se servir de ceux que l'on introduit en fraude ; 
que cette manufacture étant sans contredit la plus considérable du 
royaume , ils ont lieu d'espérer que Sa Majeflé ne leur refusera pas la 
grâce de l'ériger en manufaâure royale, comme celle eflablie à 
Bordeaux par Jacques Huflin, & celle eflablie à Montpellier par 
Jacques OUivier. 

A ces causes , requéraient les suppliants qu'il plufl à Sa Majefté 
leur permettre de faire conflruire de nouveaux fourneaux dans leur 
manufacture ; de l'ériger en manufacture royale ; de faire deffenses 
à touttes personnes de conflruire , pendant vingt années , nouvelles 
manufactures de fayence dans la ville de Lille & à dix lieues aux envi- 
rons , à peine de 6,000 livres d'amende & de tous dépens, dommages 



MkCFS JUSTIFICATIVES. l5l 

& intéreds , & de leur permettre de faire venir d'Angleterre , pendant 
chacune des dites vingt années , la quantité de dix mille livres pesant 
d'eftain & de vingt mille livres pesant de plomb , pour l'exploitation 
de leur manufaéhire, en payant les droits accoutumés^ si mieux 
n'aime Sa Majeilé leur accorder, pour chacune des vingt années , un 
passe-port pour faire venir d'Angleterre cette quantité de plomb & 
d'eftain , & les suppliants continueront leurs vœux & leurs prières 
pour la santé & la prospérité de Votre MajeAé. 

Vbdtb FEBVRIBR. 
J.-F. BOUSSBMART. 



Mémoire pour rétabliflement d'une verrerie 

en la ville de Lille. 



1732 



Marie-Barbe Vandenpopelière , veuve de Jacques Febvrier, & 
Joseph-François BoufTemart, son gendre & afTocié dans une manu- 
fa£hire de fayence, sise rue PrincefTe^ en la nouvelle enceinte de 
cette ville de Lille, demandent la proteétion & l'aide de Meilleurs les 
Magidrats de la ditte ville , pour parvenir à y établir %%e verrerie qu'ils 
offrent d'entreprendre dans l'espérance d'y réuflîr & la rendre par la 
suite autant & plus iloriffante que leur manufaâure de fayence, qui , 
par leurs soins, depuis trente ans que Febvrier l'a commencée^ eft 
aujourd'hui la plus considérable de l'Europe par la grande quantité 
d'ouvrages qu'on y fait , dont la fabrique & le débit font subsifter plus 



ï52 PIÈCES JUSTIFICATIVES 



de quatre cents familles , & pour faire voir combien la ditte manu- 
facture de fayence efl aujourd'hui âoriflante , Ton joindra au présent 
mémoire , Tétat par le détail de son contenu & tel qu'il efl à présent , 
qu'on offre de justifier. 

L'idée qu'ils donnent ici de leur manufaâure de fayence, dont les 
progrès sont trèfr-considérables^ ne se rapporte que pour faire sentir 
combien il serait avantageux à cette ville de Lille d'y établir auffi 
une verrerie. On sçait que c'efl par le commerce & les manufaéhires 
établies dans Lille, que cette ville e(l tant renommée & rendue 
célèbre ; c'eft véritablement au commerce de ses manufaâures qu'elle 
doit l'honneur & les richefles qu'elle pofTède , & en y établiflant une 
verrerie , son commerce sera d'autant augmenté , qui fera par un 
accroiffement subsifter un grand nombre d'ouvriers & plusieurs 
familles qui se trouveront employés. 

Le defTein e(l de commencer par établir une verrerie pour faire 
cridallins & verres de toute façon , & après trois ou quatre ans de 
criftallins & verres, de l'augmenter & y faire toutes sortes de bouteilles 
dont la consommation e(l très-forte & l'usage utile au public. 

On se propose d'établir la ditte verrerie contigue la manufaâure 
de fayence & d'y élever & conftruire , à cet effet , un bâtiment sur un 
terrain de la ditte manufaéhire , qui appartient à la ditte veuve , de 
112 pieds de longueur sur 24 pieds de largeur, & un front de rue de 
43 pieds ; le tout suivant le plan qu'on représente icy joint. 

Ce bâtiment contiendra les fourneaux & magasins, douze chambres 
pour y coucher les douze maîtres-ouvriers , douze chambres pour 
douze des valets qui les servent dans l'ouvrage, & encore une chambre 
pour un consors qui e(l leur chef. 

Outre la dépense dudit bâtiment , qui sera considérable , il faut 
encore au moins qu'on falTe un fond de 40,000 florins , pour former 
un livre de crédit & ne pas être obligé de succomber à vendre à vil 
prix y afin de pouvoir surmonter l'intéreft & vaincre les mauvaises 
manières que les anciens verriers ont ordinairement^ par jalousie, 
de faire tomber les verreries nouvellement établies, à cause de la 
grande façon qu'ils prendent, qui porte plus du quart de la valeur de 
la marchandise. 

Les douze maîtres dans une verrerie ne font que six , à cause qu'ils 
ne travaillent que pendant six heures & qu'ils se reposent six heures 
alternativement, tant de jour que de nuit; chaque maître eft obligé 



PIÈCES JUSTIFICATIVES. 



de rendre par semaines i,8oo de verres, ce qui s'entend de verres 
en compte de 2 pour 1 ou de 3 pour 2; ce qui fait par mois 21,600 & 
peut aller par an à 269,200 de verres , le four ne pouvant pas discon- 
tinuer d'aller, lorsqu'on commence à travailler, à moins que pour un 
cas bien preflant, qui ne lailTe pas de causer un interrcfl quj va à 
plus de trois cents Qorins, avant d'avoir remis le feu en sa pre- 
mière force. 

Le défaut de verrerie en cette province, oblige les habitants de 
faire venir leurs verres & bouteilles du Haynault & des Pays-Bas 
autrichiens ; une verrerie dans une principale ville de la Flandre telle 
que Lille , à la portée de l'Artois & des villes maritimes , a tout lieu 
d'espérer, après quelques années de souffrances dans son commen- 
cement, de surmonter son établilTemem & de se soutenir avec 
honneur. 

L'étttbliffement d'une verrerie dans la ville de Lille causera encore 
cet avantage à la ville , qu'elle fera vivre au moins cent famillles & 
une cinquantaine d'hommes montés d'une raffle remplie de verres, 
qui vont parcourir le pays pour en procurer le débit, comme on 
pratique par coutume aux autres verreries qui sont en état de faire 
avance de leur marchandise. 

Il n'eft pas poffible de faire cette entreprise sans être appuyé de 
secours , car parmy tant d'obftacles & de difficultés qu'il faudra 
surmonter, outre que le terrain sur lequel on propose de faire cette 
verrerie appartient en propre à la diite veuve Febvrier, il faudra 
faire une dépense pour les bâtimens & un fond pour soutenir le 
travail , dont le tout montera à un capital très- considérable. 

La ditte veuve & son gendre ne feront point des propositions en 
l'air, telles que firent autrefois â cette ville les sieurs Paul & Collen- 
grie de Barbançon , & de Formîter d'Avesnes , qui étaient sans fonds 
& impuilfans de donner caution ou alTurance pour les avances qu'ils 
demandaient. La ditte veuve & son gendre donneront, à l'appai- 
sement de McfTieurs les MagiJtrais, bonne garantie & hypotecquc 
sur des biens-fonds qui excéderont toujours en valeur le prêt d'avance 
que cette ville leur fera, nu moyen de quoi la ville sera alTurée de ne 
courir aucun risque. 



1D4 PIÈCES JUSTIFICATIVKS. 



PROPOSITIONS SUBORDINÉES ET ALTERNATIVES. 

Premièrement. — Que la ville donnera une fois gratuitement 
3,000 florins, pour aider à conflruire les bâtiments nécelTaires de 
logement , magasin , four, & à l'achat de deux chariots arnachez de 
quatre chevaux chacun , & que la ditte ville fournira & avancera en 
prêt, outre ce don gratuit, 10,000 florins, sans intérêts, pendant 
dix ans, pour en après, en faire le remboursement en cinq ans, 
2,000 florins chaque année. 

Deuxièmement. — Ou si la ditte ville aime mieux avancer 20,000 
florins à rembourser après dix ans, 2,000 florins par année, jusqu'à 
rentier paiement des 20,000 florins. 

Troisièmement. — Ou en don pur gratuit, une fois pour tout, la 
somme de 10,000 florins. 

Parmy quoi ils espèrent que Meilleurs du Magiflrat donneront 
auffi les mains pour obtenir lettres néceflaires de Sa Majesté. 

Vbuvb PBBVRIER. 
J.-P. BOUSSEMART. 



SUPPLÉMENT DE REPRÉSENTATION. 



Les suppliants ayant appris que Meflieurs faisaient objeâion & 
craignaient par cet établififement le renchériflement des bois , cette 
raison ne doit point arrefler, puisqu'il n'y a point de pays mieux 
planté en bois que la Flandre & surtout la châtellenie de Lille qui eil 
avoisiné , & parlant en terme du pays. Pays de la Leue, des bois de 
Nieppes & de Vendosme appartenans au Roy. Il se trouve aâuel- 
lement sur les chantiers de Nieppes , au moins sept à huit couppes , 
dont partie des bois tendres dépériflent. Les magasins de cette ville 
en sont plus que suffisamment remplis , & ceux qui ont entrepris les 
couppes ne demandent pas mieux , à ce que les suppliants entendent , 



PTÈClîS JUSTIFICATIVES. 



d'en voir la vidange pour en faire revenir d'autres. Le défaut de 
consommation des bois dans le pays empSche que les edrangers & 
ceux de la domination du Boy, plus éloignés, n'en amènent. 

Si rétablilTement de cette verrerie occasionne une grande consom- 
mation de bois , quoiqu'on ne s'aperçoive point qu'elle puisse aller à 
plus de 40,000 faisseaux par année, faisant 400 cordes, cela prouve 
d'autant mieux l'utilité & la nécelTiIé dudit établilTement, auquel tout 
le puhlicq eit intérefTé , & l'on ne doit pas douter, d'un seul moment , 
que Ja Flandre Impériale, où il y en a beaucoup, & ceux qui ont 
des bois dont le pays voisin ert abondant , en feraient voiturer à Lille , 
a proportion de sa consommation, ainsi qu'il en ell de toutes autres 
marchandises & denrées qui trouvent aisément leur débouché, de 
sorte que la crainte de l'augmentation du prix des bois ell vaine. 

Les forêts du pays produisent partie bois dur, qu'on appelle 
charne , partie bois tendre , qui ert pur bois blanc ^ rouge ; les par- 
ticuliers n'emploient que les bois durs. Personne ne peut dire, au 
surplus, de notre consommation , qu'il s'en fait plus de 6,000 faisseaux 
de bois tendre , & chaque couppe des dites forêts en produit tous les 
ans le quadruple, en sorte que les trois quarts de ces bois tendres 
dépérilTeni par pourriture, faute de consommation. 

11 ert de notoriété, Meilleurs, qu'à Rouen il se trouve au moins 
trente manufaflures de fayences qui consomment plus de bois que 
les treize principales verreries du royaume; cette ville se trouve 
éloignée d'une abondance de bois, puisqu'il paffc souvent le travers 
de Paris ; cependant il n'en manque jamais , non plus pour ses manu- 
faflures que pour ses habitants. 

Chose encore, c'ert qu'à Delft, en Hollande, lieu sans bois , se 
trouve soixante manufadurcs de fayences; sur quoi il arriva que 
MeHieurs de Amflerdam firent une représentation ; les États ont 
répondu que dans un bois il ne se trouvait pas de commerce , mais 
dans une ville le commerce du bois 

Si indépendamment de ces observations, il y avait encore sujet de 
craindre qu'en employant des bois des forêts de Nieppes, de Ven- 
dosme, ou delà châtellenie de Lille, dont partie sont bois blancs, 
dans l'établiffement proposé, il pourrait augmenter en cette ville, 
quoique cependant, par le moyen de cet établiffement , nous alTurons 
de le faire baitfer de trois florins par corde d'icy â un an, & cela par 
la raison que l'on suivra nos principes; comme l'on ne doute pas de 



1 56 PIÈCES JUSTIFICATIVES. 



l'obtenir à aussy jufle compte en le faisant venir de l'étranger, les 
suppliants se soumettront de n'en point employer d'autres que ceux 
venant de l'étranger, & qu'on doit attendre qu'ils y viendront tout 
naturellement, si l'établiflement avait une fois lieu, parce que lés 
verreries étrangères n'auraient plus le même débouché qu'aujour- 
d'hui de leurs verres, &, par conséquent , ils ne sauraient consommer 
du bois à l'ordinaire. 

A ces causes, les suppliants ont recours à vos Seigneuries, 
Meflieurs , les suppliant leur accorder Thonneur.de votre proteâion , 
pour qu'ils puifTent parvenir à établir,en cette ville de Lille , la ditte 
verrerie selon le projet qu'ils ont présenté & repris dans leur mémoire ; 
ce faisant^ etc. 



CHAMBRE DE COMMERCE. 



Mémoire pour l'établiflement d'une verrerie 

en la ville de Lille. 



1732 



Un manufaâurier de cette ville ayant représenté à Meflieurs du 
Magiflrat qu'il souhaiterait établir une verrerie qui serait utile à Lille 
en particulier, aux provinces de Flandres , d'Artois & Cambrésis & à 
l'État, il y avait lieu d'espérer d'être écouté favorablement, mais 
ayant eu connaiflance de Topposition de ce même Magiftrat, lequel 
pour toute raison allègue la crainte qu'il a du renchériCTement aux 
prix des bois, dont l'usage eft mdispenssable. 



Avant faire voir combien elle efl mal fondée , on espère de 
démontrer, malgré la prévention , que cette manufafhire , ci-devant 
tant souhaitée & qu'on refuse à présent, ne peut être que très-avan- 
tageuse à cette ville , à la Flandre françoise & au royaume. En effet , 
ce serait bien peu si cette province , à laquelle on peut ajouter celles 
de l'Artois & du Cambrésis, ne consommait point pour cent mille 
écus de verres de toutes espèces , chaque année , qu'ils sont obliges 
de tirer de l'étranger, ce qui ne ferait que 830 livres 1 8 sols par jour 
&. ne porterait pas ù 5o sols par chaque ville , bourg & villuge de ces 
trois provinces par jour; si on fait anentionà laquantilii de bouteilles, 
de verres à boire & pour vitres qui s'y vendent , surtout depuis que 
le bon gouft a pris la place des coutumes de nos anciens, qui se 
servaient de gobelets, on trouvera que cette somme eft bien modique ; 
quelque qu'elle soit, il eft certain qu'elle paffe chez l'iîtranger, 
auquel on donne le proffit de la fabrication. Il ell de l'incérell de 
l'État que le royaume se palTe des manufaftures étrangères 

M. Colbert en était persuadé, & c'el) â ses soins que la France 
doit l 'établi ifement de celles de la soierie, draperie & bonneterie & 
de tant d'autres , qui ont fait fleurir le commerce & attirer tant de 
peuples en France , en y conservant l'or & l'argent. 

La ville de Lille n'a pas moins d'intérell à les conserver dans son 
sein & à en attirer d'autres , parce qu'il efl évident que c'eft la seule 
reûburce , & qu'elle fournit de son indultrîc aux provinces éloignées 
circonvoisines. 

11 ell inutile d'avancer d'autres preuves, puisque le Magiflrat de 
Lille ne saurait en disconvenir sans être contraire à luy-même , par 
la poursuitte qu'il fait pour la conservation des dites manufaflures , 
que les habitants de Roubaix veullent lui enlever; il refte encore 
allez de vuide dans Lille, pour ne pas borner là ses soins & donner 
de l'émulation aux habitants indultrieux qui tâchent de se perfec- 
tionner contre les accidents imprévus qai causent la décadence des 
fabriques qu'on aurait cru les mieux établies. 

On pourra croire que le Magiflrat ne réfléchit pas alTez sur l'avan- 
tage qu'il peut revenir à la ville par rétabUlTemeni d'une verrerie, si 
l'on fait évanouir la crainte de la cheretéc du bois qu'elle pourrait 
occasionner. 

L'entrepreneur de la verrerie ne consommera que 60,000 facbeaux 
de bois blancs , tout autre ne convient point. 



PiteES JUSTIFICATIVES. 



Premier fait. — Quoique le pays en produise beaucoup, il cH 
certain qu'il s'y en consomme très-peu dans les villes, auffi cst-il a 
très-vil prix & les manu facturiers de fayences ont fait naarchë cette 
année à 1 1 (lorins le cent de facheaux; les chantiers en sont remplis 
sans ou avec peu de débit. 

Deuxième fait. — Le bois d'orme eft celui dont on se sert pour le 
chauffage & la cuisine ; cet usage tient de l'économie & de l'avantage 
qu'il produit, ce que tout autre bois ne peut égaller. 

Troisième fait. — Les 60,000 fachcaus que demande l'entrepreneur, 
comptés à i5 livres 1 5 sols tournois, font 8,2 5o livres tournois par an : 
l'objet eft si minime qu'il n'eft pas poffible qu'il influe sur le prix des 
autres bois; d'ailleurs il oSre de le tirer de l'étranger & de le faire 
conllcr à l'entrée en cette ville. 

L'expérience nous a fait connoitre que jamais aucune manufaâure 
n'a fait augmenter la matière ou ce dont elle a besoin. L'amidon 
se fabriquait avec le son de bleds, il était défendu d'y employer du 
bled; depuis six mois, Meflieurs du Magiftrat viennent de le per- 
mettre, le bled bailTe de prix de jour en jour. Depuis la fondation de 
cette ville, on n'a point conilruit d'édifices & rebattis de maisons 
ruinées en telle quantité que depuis quinze ans, cependant le prix 
du bois diminue journellement. 

L'art de teindre en escarlate était presque ignoré il y a vingt 
années; la cochenille était chère alors. On teint à présent cette cou- 
leur journellement, & cette même cochenille se vend plus de vingt 
pour cent meilleur marché; le thée était presqu'inconnu dans ce 
pays , il y a trente ans ; il vaLlait 3o à 5o livres tournois la livre ; il 
n'y a point de particulier qui n'en boive aujourd'huy, il ne vaut que 
4 livres à 6 livres tournois la livre, le meilleur. 

D'où vient cette espèce de paradoxe? C'eft que la grande consom- 
mation dans un pays y attire l'abondance des choses, lesquelles, 
quoyqu'elles produisent un léger profit, il se répète tant de fois qu'il 
devient considérable à ceux qui les aportent. Il en ert de même des 
bois a brûler ; il n'a jamais été à si bas prix depuis cinquante ans , 
qu^l l'ell aujourd'huy; il bailTera encore malgré l'établilTement de hi 
verrerie. Notre pays en eft rempli filles voisins étrangers en regorgent. 
Si ce que deffus eli prouvé , n'eft-il pas du bien de la ville & de l'État 
d'établir cette manufacture à Lille , d'empêcher par là qu'on se serve 
de celle d'Allemagne & du Pays-Bas autrichien , où il se traneporie 



>S9 



I 



une somme considérable d'espèces chaque année, qui relierait dans 
cette province , & de donner de l'occupation aux sujets du Roy. 

On se flatte que Meilleurs du Magiltrat, qui n'ont pas pris en 
considération cette affaire avec une sérieuse attention , à la vue de 
nos représentations, seront persuadés que l'établiffement de la ver- 
rerie dans cette ville , ne peut être que trÈs-avantageuse , & que nous 
ne cherchons qu'à donner au commerce toutes les ailivitôs que 
l'indullrie pour les manufaâures fait naître dans les habitants de la 
Flandre françoise; c'efl la juftice que nous espérons, tl s'agit de 
fournir auï sujets du Roy, à meilleur marché, la verrerie, de retenir 
dans le royaume cent mille écus que l'étranger reçoit chaque année , 
d'attirer dans Lille une manufaflure capable d'entretenir cent familles, 
d'augmenter le produit des impôts par la consommation des boitTons 
& autres denrées ; enfin il cfl queftion qu'elle ne s'établi0'e dans le 
plat pays , au préjudice de la ville de Lille. Serait-il poflîble qu'on 
iailTat échapper une occasion si favorable d'augmenter le commerce, 
pnr une terreur panique qui n'a aucun fondement. 
Fait à l'assemblée de Lille, le 16 juin 1732. 

Par ordonna Dca : 
B. LOBIDAN. 



PRIX-COURANTS des bois blancs en facheaux lires des 
regiftres des facheaux & courtiers jurés, depuis 1700, y 
compris 17Î2 , qui a été délivré par Bouflemart à MeflTieurs 
le dire£leur & syndics de la Chambre de Commerce 
de Lille. 



En 1700 jusqu'en 1708 . . à onze florins le cent. 

En 1708 jusqu'en 1717 . . à douze florins dis patars. 

Eu 1718 & 1719 à quatorze florins 

En 1720 à vingt florins. 

En 1721 . A vingt et un florins. 



l6o PIÈCES JUSTIFICATIVES. 



En 1722 à dix-sept florins. 

En 1723 à dix-huit florins. 

En 1724 à dix-sept florins. 

En 1725 à quinze florins. 

En 1726 à seize florins. 

En 1727 à quinze florins. 

En 1728 à quinze florins. 

En 1729 à quatorze florins dix patars. 

En 1730. à quatorze florins. 

En 1731 à treize florins. 

En 1732 à douze florins» 

A LiUe^ le i5 juin 1733. 



Arrêt du Conseil d'État qui autorise rétablis- 
sement, à Lille, d'une verrerie royale. 



1735 



Sur la requêté présentée au Roy, en son Conseil , par la veuve 
Febvrier & Joseph-François Bouflemart, entrepreneur d'une manu- 
faâure de fayence à Lille, contenant qu'ayant formé le dessein 
d'établir une verrerie dans cette ville, ils auraient communiqué le 
projet de leur établiflement aux Rewart, Mayeur, Eschevins conseil 
& Huit Hommes de ladite ville de Lille, qui, par leur délibération 
du 9 février 173 3, l'auraient approuvé & auraient accordé aux sup- 
pliants l'exemption de différents droits dus à la ville, sur la soumiflion 
par eux faite de n'employer dans cette verrerie que du bois tiré de 
l'étranger, à moins que le commerce n'en soit interrompu , auquel 



Pièces justificatives. 



cas les dits Reward , Mayeur & Eschevins se sont , du consentement 
des suppliants , réservé la liberté de lailTer continuer les ouvrages de 
cette verrerie ou de les faire cesser, suivant les circonftances du tems ; 
que cependant, comme un pareil établilTement ne peut être formé 
sans la permilTion de Sa Majellé, & que d'ailleurs il exige des 
dépenses considérables , les suppliants ne pourraient l'entreprendre si 
Sa Majefté n'avait la bonté d'y pourvoir. 

Requéraient à ces causes, ladite veuve Fcbvner& ledit BouHemart, 
qu'il plut à Sa Majelté leur permettre, iS à leurs hoirs ou ayant 
cause , d'établir une verrerie dans la ville de Lille & d'y faire fabriquer 
des verres, crillaux & émaux de toutes espèces, pendant le temps & 
espace de vingt années consécutives, avec défense à toutes personnes 
de quelque qualité & condition qu'elles soient, d'établir pendant le dit 
tems aucune verrerie dans la dite ville & dans la dillance de dix lieues 
aux environs , sous peine de confiscation des ouvrages de verre & des 
matières , outils & ultensils servant à leur fabrication , & , en outre , 
de 3,000 livres d'amende applicables moitié au protit de Sa Majeflé , 
moitié au profit des suppliants, leurs hoirs ou ayant cause ; leur 
permettre pareillement d'affocier à cette entreprise telles personnes 
qu'ils voudront choisir, soit nobles ou roturiers, sans que pour 
raison de ce, leurs alTociés soient censés ni réputés avoir dérogé à 
nobleffe, comme aufïï de faire mettre au-delTus de la principale porte 
d'entrée de la dite verrerie , un tableau aux armes du Roy, avec cette 
inscription : verrerie boïale , & d'y avoir un portier à la livrée de 
Sa Majefté. 

Vue la dite requête, la dite délibération prise par les Rewart, 
Mayeur, Eschevins, Conseil & Huit Hommes de la ville de Lille, 
ensemble l'avis du sieur de Lagra nd ville , intendant & commilTaire 
dépard en Flandre, & celui des députés au bureau du Commerce; 
ouï le rapport du sieur Orry, conseiller d'État & ordinaire au Conseil 
Royal, contrôleur-général des finances; le Roy, en son Conseil, a 
permis & permet il la veuve Febvrier & à Joseph-François Bouffemart, 
leurs hoirs ou ayant cause, d'établir dans la ville de Lille une 
verrerie & d'y faire fabriquer, pendant le tems & espace de vingt 
années consécutives , à compter du jour & date du présent arrêt , Jes 
ouvrages de verres & des criltaux & émaux, à l'exception néanmoms 
des verres à vitres & des bouteilles, qu'ils ne pourront y fabriquer 
sous peine de confiscation & de 1,000 livres d'amende. 



102 PIÈCES JUSTIFICATIVES. 



Fait, Sa Majefié, défense à toutes personnes de quelque qualité & 
condition qu'elles soient, d'établir pendant le dit tems de vingt 
années, dans la dite ville de Lille & dans la diftance. de dix lieues aux 
environs, aucune autre verrerie ^ sous peine de confiscation des 
ouvrages de vitres & des matières y outils & uftensib servant à leur 
fabrication, & de trois mille livres d'amende stppUcàble moitié à 
Sa Majedé & Tautre moitié au profit des entrepreneurs , leurs hoirs 
ou ayant cause ; leur permet d aCTocier à leur entreprise telles per- 
sonnes qu'ils voudront choisir, soit nobles ou roturiers, sans que 
pour raison de ce , leurs aflbciés nobles soient censés ni réputés avoir 
dérogé à nobleife ; leur permet auffî, Sa Majeilé^ de faire mettre 
au-deflus de la principale porte d'entrée de la dite verrerie, un 
tableau à ses armes avec cette inscription : verrerie royale, & d'y 
avoir un portier à la livrée de Sa Majeilé, & seront, sur le présent 
arrêt , toutes lettres néceflaires expédiées. 

Fait au Conseil d'État du Roy, tenu à Versailles le 5 avril 1735. 

Signé : DERBUQNY et collaUoimé. 



Avis de la Chambre de Commerce sur rétablis- 
sement d'une faïencerie à Dunkepque. 



1749 



Les direâeurs & syndics de la Chambre de Commerce, ayant 
examiné avec attention la demande du sieur Douisbourg au Conseil, 
pour obtenir l'établiflement d'une manufaâure de porcelaine, de 
faïence & d'émaux, dans la ville ou basse ville de Dunkerque, avec 



PIÈCES JUSTIFICATIVES. 



un privilège de trente années , attendu qu'il a tous les talents nccee- 
saires pour la fabrication de cette marchandise , & que , par là , il 
coDservera aux sujets du Roy le profit que les HoUandois tirent par 
les envois considérables qu'ils font à Dunkerque; ayant pareillement 
pesé les raisons d'oppositions du sieur Bouiremart, manufai^turier de 
latence & de verres à Lille , font observer que , quoique ordinairement 
la multiplication des établiflements d'une même manufafhire soit 
utile au commerce général, surtout lorsque l'émulation ell égale 
entre les fabriquants, il cft des cas où on ne doit point les hâter, 
principalement quand l'égalité ne s'y trouve plus & que ces accrois- 
sements causent infailliblement la ruine de ceux faits depuis longues 
années avec une dépense considérable , dont ils ne commencent qu'a 
relTentir les fruits. 

Le sieur Douisbourg promet beaucoup; on veut qu'il réiiflille, 
quoique l'expérience ait persuadé que de pareils ou d'autres établis- 
sements de cette nature aient échoué à Dunkerque & dans tous len 
lieux ouverts, témoin la manufaâure de bouteilles & de verres à 
vitres ; il n'eH point douteux que favorisé de tous les privilèges qu'il 
demande , il ne donne l'exclusion â celles établies dans Lille avec des 
grandes dépenses & une confiance à surmonter tous les malheurs de 
la guerre , qui ont empêché la traite des matières , rendu les ouvriers 
chers &: rares , & obligé ù supporter les frais de grolTes avances. 

D'ailleurs, n'eft-il pas à craindre que le grand objet du sieur 
Douisbourg ne soit, sous prétexte de fabriquer des faïences, de verser 
dans le pays & les environs celles étrangères, lorsque les prix le 
permettront. 

Dunkerque efl un port franc pour l'entrée; la sortie la sera auffi , 
ù l'aide des certificats de fabrique de la manufadure de cette ville , à 
laquelle cette franchise doit suffire sans en abuser, si elle veut la con- 
server ; il y a de quoi occuper les gens de journée, la marine & tout 
ce qui en dépend; la pêche, la navigation, ne fournilTcnt que trop 
de moyens de les employer utilement , le travail n'y chôme jamais. 

La ville de Lille efl située & semble être née pour recevoir dans 
son sein les manufaflures , les alimenter & leur donner des établis- 
sements fixes; en effet, depuis trois cents ans & plus, elle n'en a 
perdu aucune , au contraire , elle en acquiert de nouvelles de jour en 
jour; elle renferme deux fabriques de faïences, qui sont celles du 
sieur BoulTemart & des héritiers de Dorez. Dans les temps ordinaires. 



164 PIÈCES JUSTIFICATIVES. 

elles suffisent à la consommation du pays & au transport dans les 
colonies françoises; s'il en a manqué dans ces derniers temps, la 
guerre eh a été la cause , & la demande forcée , mais momentanée . 
depuis pour les îles françoises , vient de ce que la paix a donné lieu à 
y envoyer plus de navires que de coutume ; enfin les deux manufac- 
tures, qui fournissent aéhiellement abondamment, sont établies 
solidement ; le succès de celle demandée par le sieur Douisbourg efl 
très-incertain ; à le supposer certain , il doit produire la ruine de celles 
de Lille, & peut-être cette nouvelle fabrique périra -t-elle elle-même 
après avoir causé au commerce un tort irréparable. 

Les privilèges s'accordent quelque fois , quand il s'agit d'attirer une 
manufaâure dans un Royaume où elle était inconnue ; encore ne 
devrait-ce être que pour un tems capable de rembourser les avances 
des entrepreneurs , mais lorsque ces manufa£hires sont établies avec 
fruit depuis longtems dan» les mêmes provinces ou dans les environs , 
il serait contre la saine politique de donner des armes à la nouveauté 
pour détruire les fruits de l'induflrie des sujets du même prince. 

Pour ces raisons, les dire£leurs & syndics efliment que la demande 
du sieur Douisbourg doit lui être refusée , & que ses raisons spécieuses 
ne peuvent militer contre celles du sieur BoulTemart. 





TABLE DES MATIÈRES 



Introduction. 



f 



Préface de la première édition vu 

Fabriques de Faïences a Ypres et a Hesdin, au xiv® siècle. . i 

Lettres-patentes de Philippe-le-Hardi. — iSgi .... 2 

Jehan le Voleur, peintre 6 

Melchior Broederlin^ peintre du duc 12 

Les Potiers de terre. — J. Febvrier, faîencibr. — 1696. . . 21 

Les Potiers de terre lillois 22 

Première fabrique de faïence. — 1696 22 

Anciennes fabriques flamandes 25 

Febvrier & BoITut 27 

Bernard de Neuilly 33 

Jacques Febvrier 38 

Etienne Borne, peintre. — Sa généalogie 41 

Faïences de Febvrier 45 



28 



1(S6 TABLE DES MATIÈRES. 



Veuve Febvrier et Boussemart. — 1729 47 

Procès contre Adrien Febvricr 48 

Requête au Roi 49 

Etat de la manufaâure 52 

Et^liflement d'une verrerie royale 55 

Conteilation entre BoufTemart & Douisbourg de Dun- 

kerque 56 

• Fabriques de Saint-Omer 58 

Vente de la manufaâure BoufTemart 61 

Petit. — BoufTemart 62 

Faïences BoufTemart 64 

Porcelaine tendre et Faïence. — BARTHéLémr Dorez. — 1711. 69 

Première requête Dorez 70 

Deuxième requête. — ÉtablifTement sur le rivage. . . 72 

Troisième requête. — Avances de 2^000 florins. ... 75 

Nationalité de Dorez 78 

Arrêt du Conseil d'État 79 

Discuflion sur cet arrêt 81 

Porcelaine lilloise (pâte tendre) 84 

Faïencerie Dorez. — Lille & Valenciennes 86 

Joseph Herreng & sa veuve; Hubert Lefebvre, suc- 

celTeurs 87 

Faïences de Dorez 87 

Jean-Baptiste Wamps. — Masquelier. — 1740 7 . 91 

Wamps , fabricant de carreaux de faïences 92 

Masquelier lui succède 93 

Détails sur la fabrication 94 

Manufactures diverses 97 

Chanon. — 1715. — Terre de Saint-Esprit 98 

Heringle. — 1758. — Poêles de faïence 100 

Guillaume Clarke. — 1773. — Terre d'Angleterre. . . toi 

Les Faïences lilloises. — Description io3 

Faïences de Saint-Amand 112 



TABLE DES MATIÈRES. 167 



Manufacture royale db Porcelaine. — Leperre-Durot. . . 117 

Édit royal 119 

Procès-verbal des experts nommés par la ville. ... i23 

Eflais, à Paris, de cuiflbn à la houille 127 

Indemnité accordée par le Gouvernement 129 

Les porcelaines de Leperre. i32 

Gaboria achète la fabrique 134 

Lide des peintres & des ouvriers i36 

Renaut, dernier titulaire 137 

Les dernières années de la manufadure i38 

Le Musée Céramique et la salle du Conclave 142 

Pièces justificatives 149 

Requête adrelTée au Roi par la veuve Febvrier, pour 

l'obtention d'un privilège exclusif 149 

Mémoire pour rétabliflement d'une verrerie i5i 

Supplément de représentation 154 

Mémoire de la Chambre de Commerce en faveur de 

BoufTemart i56 

Prix des bois dans les premières années du xvni* siècle. . 1 59 

Arrêt du Conseil d'État qui autorise l'établifTement d'une 

verrerie royale à Lille 160 

Mémoire de la Chambre de Commerce de Lille , dans 
le différend entre BoufTemart & Douisbourg de Dun- 

kerque 162 



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